ÉPOUSES ET CONCUBINES DE CHEFS D'ÉTAT
AFRICAINS
iÇ) L'Harmattan, 2008 5-7, rue de l'Ecole polytechnique;
75005
http://www.librairieharmattan.com diffusion. harmattan(cl;wan adoo. fr harmattan
[email protected]
ISBN: 978-2-296-06391-4 EAN : 978229606391-4
Paris
Adjo Saabie
/
EpOUSES ET CONCUBINES /
DE CHEFS D'ETAT Quand Cendrillon
AFRICAINS
épouse Barbe-Bleue
L'HARMATTAN
Points de vue Collection dirigée par Denis Pryen
Déjà parus Francine 2008.
BITEE,
Gérard Bossolasco,
La transition
démocratique
au Cameroun,
L 'Ethiopie des voyageurs, 2008.
Roland Ahouelete Yaovi HOLOU, La Faillite intellectuels C?lricains, 2008. Pierre Mithra TANG d'échec: les promesses Jean-Claude pas !, 2008.
SHANDA
LIKUND, Cameroun: manquées, 2008. TONME.
Avancez,
des cadres et vingt-cinq
ne nous a//endez
Jean-Claude SHANDA TONME. Droits de l'homme des peuples dans les relations internationales, 2008. Jean-Claude l'universalisme. Jean-Claude 2008.
SHANDA 200S. 2008.
TONME,
ans
et droits
Réjlexions
SHANDA TONME, Repenser la diplomatie.
Jean-Claude SHANDA TONME. Ces dinosaures politiques bouchent l 'horizon de l'AfÎ-ique. 2003, 2008.
sur 2004, qui
Jean-Claude SHANDA de guerre. 2002, 2008.
TONME, Pensée unique et diplomatie
Jean-Claude 2001. 2008.
TONME. L'Orée d'un nouveau siècle.
SHANDA
Jean-Claude SHANDA TONME, Le Crépuscule fin d'un siècle tourmenté. 1999-2000, 2008. Jean-Pierre MARA Oser les changements Centrafrique, 2008.
sombre de la
en Afhque.
Cas de la
René NGANOU KOUTOUZI (sous la direction), Problématiques énergétiques et protection de l'environnement en Afrique, 2008.
Cet ouvrage est avant tout dédié à tous les pauvres de Kinshasa, Abidjan, Lomé ou Douala. Il est aussi pour toutes les filles, petites ou grandes qui, en voyant les Premières Dames passer, les envient, à tous les bailleurs de fonds qui financent les fondations des Premières Dames. Il est aussi dédié à mes amis et à ma famille: mes enfants, ma meilleure amie, B., et mon meilleur ami, J. Mon cher L. J., qui a été si patient lors de mes longues recherches, et m'a aidé à trouver le livre rare, en dépit de son emploi du temps chargé. Enfin, mes chères 2 M., et F. pour leur aide de tous les instants dont la mise en page, S. pour la traduction en anglais et tous ceux qu'il serait impossible de nommer ici. Ma famille en Afrique qui sera sûrement sous pression devant ce qui pourra être perçu comme un crime de lèse-majesté.
A V ANT-PROPOS
Il était une fois une jeune fille qui vivait dans les quartiers pauvres de la ville. Elle regardait avec envie les belles dames de la haute société, qui avaient tout: bijoux magnifiques, somptueuses toilettes, etc. Elle savait qu'un jour, son prince viendrait la chercher, et que même s'il ressemblait à un crapaud et le resterait irrémédiablement malgré tous les baisers du monde, il serait très riche et très puissant. Pas loin de là, une jeune fille pauvre, intelligente, poursuivait ses études. Révoltée par l'injustice dans son pays, elle s'était juré de changer un jour les choses. Froidement déterminée, sa très grande foi religieuse la confortait dans toutes ses certitudes; tous les autres (au choix: l'autre ethnie, les riches, les étrangers) étaient méchants et périraient par le feu de Dieu; le jour où elle rencontra son prince, elle sut qu'enfin Dieu lui-même avait voulu qu'un grand destin s'accomplisse. Même si le prince était Barbe-Bleue ou s'il allait le devenir. Ou si elle devait elle-même revêtir les habits de Barbe-Bleue. Comment peut-on associer son destin à des Sékou Touré, Idi Amine, Bokassa, Mobutu, Eyadema, Macias Nguema, Theodore Obiang, Charles Taylor ou Mugabe? Contexte historique ou faut-il que ces femmes aient été si pauvres, faibles ou assoiffées de pouvoir? Les versions moins brutales, mais non moins redoutables comme Blaise Compaoré ou Paul Biya seraient-elles alors plus acceptables? Que dire du couple Gbagbo ou Museweni ? En choisissant de ne parler que des épouses de dictateurs - à l'exception de Lucy Kibaki, tyran de journalistes - nous avons essayé de comprendre comment ces femmes ont pu partager la vie de chefs d'Etat cruels, arbitraires et même sanguinaires.
Comment ont-elles pu, dans certains cas, encourager les dérives de leurs dictateurs d'époux? Pourquoi parler des Premières Dames alors qu'elles ne sont pas élues? Tout simplement parce qu'elles prétendent jouer un rôle public, voire politique. Elles ont envahi le devant de la scène politique, et investissent l'humanitaire et le caritatif, monopolisant les médias et parfois captant les ressources des bailleurs de fonds internationaux. On est mal à l'aise devant leur acharnement à paraître si bonnes et essayer de traiter de dossiers qui souvent dépassent leur compétence. Une fois les projecteurs éteints, combien se soucient de faire changer la politique sociale de leur illustre époux? Leur activité ne se résume qu'à du saupoudrage, avec un gala de bienfaisance pat°-ci, une inauguration de clinique pat°-Ià, un don épisodique de médicaments à des populations souvent appauvries du fait de la politique de leurs époux. C'est comme si elles venaient, à coup de sparadrap en satin rose, essayer de plâtrer des fractures de jambes ou de bras brisés par les coups de matraque de leurs époux. Certains mouvements de femmes commencent à penser que les Premières Dames nuisent plus à la cause de la Femme qu'elles ne la servent car «certaines questions sont trop importantes pour être confiées à des épouses, il y a des femmes compétentes qui peuvent très bien s'en occuper. Les Premières Dames ne sont pas élues, leurs époux le sont... quelquefois? Elles n'ont d'autorité que parce qu'elles sont des épouses!. » Nous espérons avoir traité du sujet sans tomber dans le piège de la caricature, de la petite littérature ou petite histoire en dessous de la ceinture. L'encyclopédie Wikipedia fournit une liste de leaders communément considérés comme des dictateurs des temps modernes. Ce terme est en général péjoratif et se réfère à un dirigeant qui:
- est
un leader
absolu
d'un Etat souverain;
- dirige en dehors de ce que l'on appelle état de droit ;
1 Ferial Ajaffee, Flame, 25 novembre
1999
8
- en général (mais pas obligatoirement) est arrivé au pouvoir par la fraude ou un coup d'Etat; - peut développer un culte de la personnalité; - peut être un autocrate, répressif, despote ou tyrannique. Parmi ces dictateurs, Sékou Touré, Houphouët-Boigny, Siad Barré, Modibo Kéita, Omar Bongo, Kwamé Nkruma, Francisco Nguema, Teodoro Obiang, Hailé Maryam d'Ethiopie, Nasser, David Dacko, François Tombalbaye, Charles Taylor, Boumediene, Banda du Malawi, Mugabe, Kadhafi, Eyadema, Bokassa, Mobutu, Idi Amin, Abacha, Sadate, Nimeiry, Albert René, Habyarimana, Ben Ali, etc. Nous avons choisi seulement certaines épouses, celles qui prétendent soigner les plaies de leurs peuples, et celles dont l'action, d'une manière ou d'une autre, comme par exemple rester aux côtés de Barbe-Bleue et le défendre même après sa mort, laisse pantois.
9
PREMIÈRE PARTIE LES MÈRES DE LA PATRIE
De Marie-Thérèse Houphouët-Boigny, l'icône absolue, à ses pâles copies
2
M
arie-Thérèse Houphouët-Boigny, la magnifique, ne pouvait se trouver quelque part sans attirer tous les regards. Dans la Côte d'Ivoire d'après les indépendances, elle était le modèle à copier pour tout, sa coiffure, ses somptueuses toilettes, ses manières. Combien de pagnes portent le nom de cette superbe femme qui incarnait la modernité de la Côte d'Ivoire? Par exemple, ces pagnes aux motifs géométriques et aux dénominations imagées, tels que ongles de Madame Thérèse, en référence à la beauté et à la richesse de Mme Thérèse. Combien de petites 2
Le président
et Mme Kennedy avec le président
Ie 22 Mai 1962 (Photo de Robert Knudsen Library and Museum, Boston).
-
et Mme Houphouët-Boigny
John F. Kennedy Presidential
filles nées dans les années 1960 ont été nommées MarieThérèse, comme Elle? En 1962, elle fit sensation aux États-Unis, où, invitée avec son mari par le président John Kennedy, elle fut baptisée par une presse en adoration, pendant les 10 jours de sa visite d'Etat, « la Jackie africaine », véritable reconnaissance de sa grâce qui transcendait les barrières raciales d'une Amérique encore en proie aux ségrégations. En effet, en 1963, des manifestations conduites par Martin Luther King dans l'Alabama étaient encore durement réprimées. Que n'a-t-on pas dit sur Thérèse? Qu'elle était étudiante en France et fiancée au fils d'Houphouët, futur président de Côte d'Ivoire qui, lorsqu'il la vit, en devint amoureux fou et l'arracha à son fils, lequel ne le lui pardonna jamais. Écoutons un témoin: «Parmi les 150 premiers boursiers ivoiriens envoyés en France en 1946, se distingue une adolescente, issue d'une famille amie de Houphouët- Boigny, Marie-Thérèse Brou au beau teint clair, grande, élancée et mince, une des plus belles filles de sa génération. Houphouët-Boigny l'épouse en secondes noces en 1952 quand elle a vingtdeux ans, alors que lui-même en compte plus du double [...]. Pour expliquer ce mariage, [il] confie à un intime: "Pas avant longtemps, nous aurons la charge de nos propres affaires. Cette fille m'accompagnera dans mes 3 Kouakou Bowoulan Francis, photo non-datée: au centre, le président Houphouët-Boigny en costume clair, Thérèse à l'extrême-gauche. A sa droite, le deuxième président Konan-Bédié et son épouse Henriette. Reproduit avec
J'aimable autorisation de M. Kouakou Bowoulan Francis Fondation Houphouët-Boigny pour la Paix. http://membres.Jvcos.fr/fkouakou/yakro. htm.
14
-
Photo de la
voyages et sera pour beaucoup dans la considération qui sera accordée à notre pays411»... Bien que déjà uni à Mamie Kadi, qui lui donnera quatre enfants, il épousa Thérèse en 1952. Il ne croyait pas si bien dire, Thérèse incarna avec beaucoup d'éclat toute la beauté et les promesses du pays, et fut pour beaucoup dans la considération accordée à la Côte d'Ivoire.. .du moins jusqu'au milieu des années 1980. Dans la Côte d'Ivoire d'après les indépendances, on se voulait civilisé, c'est-à-dire occidental à tout prix, en costumecravate sous la canicule tropicale. Thérèse, c'était bien entendu la référence en savoir-vivre pour des populations ayant peutêtre un peu perdu leurs repères africains au lendemain des indépendances et pas toujours sûres de l' étiquette occidentale. C'est ainsi qu'en 1965, Marie-Thérèse Houphouët-Boigny s'occupera du trousseau de mariage de Suzanne de Monaco, une jeune métisse ivoirienne, avec le président de Haute-Volta Maurice Yaméogo. Houphouët et Hamani Diori (président du Niger) sont témoins de mariage5. Dans les années 1960, les Occidentaux vantaient, à travers la beauté de la capitale, celle de la Première Dame. En 1964, aucune capitale africaine n'était aussi élégante qu'Abidjan. Le
président et son épouse vivaient alors dans un palace de « 12 millions de dollars, resplendissant, avec 52 qualités différentes de marbre et une cave climatisée »6. Au milieu des années 1960, c'était le «sixième sillon» creusé par le laboureur Houphouët, « benna wassi, grand Nana Boigny, 6 ans d'indépendance vous contemplent» de l'Abbé Pango. Dans les années 1970, la croissance économique battait son plein, avec Il % par an, le taux le plus élevé en Afrique. C'était la Côte d'Ivoire du café (3ème producteur mondial) et
ensuite, du cacao (1er producteur). Amédée Pierre, star locale, faisait danser le pays sur « Bon Café de Côte d'Ivoire... que tu t'appelles Aoulou, Kouamé, Tagro ou Akissi, que tu sois 4
S. Diarra, préface des Faux Complots d'Houphouët-Boigny,
http://vvvvw.anthroglobe.ca!docs/esthetique--poetiq 5 Jean-Pierre Bejot, La Dépêche diplomatique, 6 Times Magazine, 24 avril 1964.
15
ue.htm. 16 octobre 2002.
cité dans
richard ou pauvre type, bois du bon café... ». C'était la Côte d'Ivoire multiethnique qui se construisait. Renault, Esso, Union Carbide, Uni lever, Shell et d'autres multinationales venaient en rangs serrés, grâce aux avantages fiscaux qu'on leur offrait ainsi que la possibilité de rapatriement des revenus. Le président français Georges Pompidou, en visite, en admiration devant le réseau d'autoroutes, les boulevards ombragés, les cafés à la française, déclara la Côte d' Ivoire «un modèle pour toute l'Afrique. » C'était l'époque où pas moins de 20 000 Français (contre le quart en 2006) habitaient en Côte d'Ivoire, où quatre cadres moyens et supérieurs sur cinq étaient des étrangers (essentiellement des Français), les quatre-cinquièmes des 360 entreprises que comptait alors le pays étaient aux mains de Français et des assistants techniques hérités de la colonisation. Il n'y avait alors ni opposition déclarée, ni mutins, même si les étudiants commençaient à développer un esprit critique, malgré la bourse qui était accordée à la majorité d'entre eux. La France dépensait alors 50 millions de dollars par an pour son ancienne colonie et Abidjan était devenue sa vitrine et celle de l'Occident. Les années 1960, c'est aussi l'époque où la Côte d'Ivoire a été le théâtre de complots, réels ou imaginaires. En 1963, le fameux complot du «Chat Noir» a vu la disparition mystérieuse en prison d'Ernest Boka, président de la Cour Suprême et troisième dans la succession d'Houphouët, de même que l'emprisonnement de hautes personnalités. Devant des diplomates et membres du gouvernement, « le Président révéla qu'il avait été à deux doigts d'être assassiné par... des fétiches. Il fit sortir d'une valise deux cercueils miniatures contenant une photo de lui, des bouteilles suspectes, et d'autres outils du domaine de la magie noire. Pour un Occidental, dit-il, tout ceci al' air enfantin mais nous sommes au cœur d'un drame en Afrique Noire. Ces fétiches sont à la source du problème, car derrière chacun d'entre eux il y a du poison? ».
7lbid. 16
Car l'homme croyait aux fétiches. Samba Diarra rapporte8 également qu'en 1958, pour faire revenir de Rome une Thérèse fugueuse, un ami d'Houphouët, Ladji Sidibé, alla consulter un marabout au Mali... et Thérèse revint. Comme beaucoup d'Africains, Houphouët pratiquait et le catholicisme et l'animisme. L'homme adorait le crocodile, animal qu'il considérait comme sacré, qu'il élevait dans son palais de Yamoussoukro, et consultait régulièrement. Plusieurs bruits couraient également, sur des sacrifices de malheureux albinos, offerts aux crocodiles du Bélier, autre animal fétiche auquel il avait choisi de s'identifier. Thérèse, loin de se comporter en douce brebis du Bélier, était plutôt chèvre, cassant sa corde et gambadant allègrement vers d'autres prés plus verts dès qu'elle le pouvait. La Côte d'Ivoire ne lui en tint jamais rigueur, considérant comme un juste retour des choses qu'elle se procure ailleurs ce que ne pouvait lui donner le « Vieux ». Vers la fin des années 1960, la Côte d'Ivoire connut de nouveau des heures tragiques avec la «crise du Guébié », opposant les Bétés aux Baoulés, suivie de celle du Sanwi (menace de sécession), opposant deux courants au sein du groupe ethnique Agni. Les sanglantes répressions ordonnées par le pouvoir tranchent avec l'image de bonté et de paternité qu'a voulu laisser le couple présidentiel. Et même si l'on se doute que la Première Dame ne put pas faire grand-chose contre des violations de droits de l'homme de la part de son cher époux, on peut se sentir déçu qu'elle ne semble pas s'en être émue. En effet, l'image qu'elle laissera au peuple ivoirien est celle d'une belle dame insouciante, avec une impressionnante garde-robe et une interminable cour de parents et amis pas toujours désintéressés. Que dire du rôle joué par Houphouët dans la guerre du Biafra, et plus tard, en Angola? L'homme était également un grand collectionneur d'art, « souhaitant entrer dans le club des cinq9 » personnes possédant quatre Renoir, au lieu d'être dans 8 Samba Diarr~ Lesfaux complots d'Houphouët-Boigny. 9 Pierre Joxe, Pourquoi Mitterrand?, p. 57.
17
celui des onze possédant trois Renoir. Quand on connaît les problèmes économiques du pays, certes pas à cause des Renoir, on ne peut s'empêcher de penser que la vente de ces trois tableaux aurait peut-être permis de construire quelques dispensaires ou de scolariser quelques enfants défavorisés. Vers 1970, on parle franchement du «pays du miracle », ou du miracle ivoirien, avec une urbanisation accrue, combinée à des programmes destinés à contenir l'exode rural. Dans les années 1975, 10rsqu'Houphouët commença l'ivoirisation des cadres, les Français dans les professions libérales (médecins, pharmaciens, avocats) n'avaient plus le droit d'ouvrir de nouveaux cabinets, et les importations françaises baissèrent d'un cinquième. Cependant, Thérèse et sa cour avaient toujours leurs produits français leur permettant de maintenir leur chic parisien, devenu un modèle pour l'ensemble de la population. Thérèse, c'est le beau monde, la vie internationale, moderne, la Côte d'Ivoire indépendante et prospère, les talons aiguilles, la taille de guêpe, le faste. C'est le coiffeur visagiste d'origine arméno-libanaise Garo, qui, de ses doigts experts et par la magie de son coup de peigne, a transformé plus d'un laideron de la haute société en femme présentable et sortable à défaut de désirable. C'est aussi l'époque des sociétés d'Etat, avec tous leurs excès, le champagne, l'arrogance et la suffisance des parvenus, proches du pouvoir, sans oublier le phénomène des grattas, vieux tontons ventrus et cossus entretenant des petites lycéennes en uniforme «bleu et blanc », souvent avec la bénédiction des parents de ces dernières. On assiste à une inéluctable dégradation des mœurs, au nom de l'argent facile. La construction de la Riviera africaine, d'un coût de 2 milliards de dollars, au début des années 1980, avec les greens de golf et les piscines de luxe, a paradoxalement rapproché Thérèse de son peuple, sa résidence de la Riviera étant rapidement entourée (certains diront cernée) de logements de fonction de professeurs bientôt contestataires et futurs membres du Front populaire ivoirien. C'est là qu'accompagnée de ses suiveurs serviles, courtisans et courtisanes, du haut de sa colline surplombant la lagune Ebrié, elle se défoulait, badinait au bord 18
de sa piscine hollywoodienne, assistait à des défilés de mode privés, et où son époux, déjà fatigué par le poids des années et presque prostré dans son fauteuil, faisait passer en revue des parures de Van Cleef & Arpels toutes aussi éblouissantes les unes que les autres. C'était également l'époque où Abidjan bruissait de vilaines rumeurs lorsque apparurent les premiers parcmètres, horodateurs «argento-phages» (ou mange-mil billets) au Plateau, quartier des affaires... attribuant à Thérèse leur propriété. Le milieu, puis la fin des années 1980 ont marqué le déclin du pays, avec la chute des prix du cacao et du café, principales sources de revenus du pays. C'est l'époque qu'Houphouët choisit pour construire la Basilique Notre-Dame de la Paix à Yamoussoukro, commencée en 1985 et achevée en 1989, pour 200 millions de dollars. La Côte d'Ivoire est alors frappée par la crise économique, et ne connaît plus que la déconfiture des sociétés d'Etat, la «conjoncture », les «compressages », les délestages avec coupures d'électricité pouvant durer 10 heures. Les grandes familles qui résistent à la crise se comptent sur les doigts. Les contestations d'étudiants et de professeurs se multiplient. En 1990, le pape Jean-Paul II a consacré la plus grande église du continent africain, ce qui a provoqué bien des critiques, les détracteurs du monument assimilant la bénédiction par le pape à une validation «de l'extravagance monumentale d'Houphouët-BoignylO» qui persistait à dire que le financement provenait de sa cagnotte personnelle. De style postRenaissance, la Basilique est l'une des plus grandes églises au monde. Bâtie sur 130 hectares, elle a deux longs bras formés par 128 colonnes doriques, le sol est en granit et marbre. Construite en moins de quatre ans (contre 100 ans pour SaintPierre de Rome) par 1500 travailleurs, la Basilique ne fait pas l'unanimité. Par exemple, le fait que « tous les personnages des vitraux soient blancs à l'exception d'un pèlerin solitaire qui ressemble fortement à Houphouët» est sujet à polémique. Le 10
Times
Magazine, 17 Septembre 1990. 19
Président « voulait faire [de la Basilique] une commémoration de lui-même et, à cette fin, commanda un vitrail le représentant à côté d'une galerie des vitraux représentant Jésus et les apôtres, le dépeignant comme le treizième apôtre» 11.Misogyne, il n'a pas daigné faire une petite place à son épouse sur les fresques, contrairement aux images bibliques où Marie ou MarieMadeleine (éplorées, il est vrai) sont présentes. Comme la basilique Saint-Pierre qui avait été méprisée par les protestants du 16ème siècle comme une scandaleuse extravagance, Notre-Dame de la Paix est critiquée car elle est perçue comme une dépense incongrue dans un pays où le PIB par tête était de 650 dollars US. Comme l'indique un Ivoirien: «pourquoi construire une église pour Dieu alors qu'il y a tant de chômeurs et de personnes qui meurent presque de faim12 ? ». Les défenseurs du président diront que la Basilique était un symbole pour contrer l'avancée de l'islam vers le sud du pays. A quel prix? C'est l'époque où Thérèse, peut être aussi à cause de l'âge (la cinquantaine) a transformé aussi son image et devient la maman à temps complet. Finies les robes vaporeuses en organza ou en soie, Thérèse passe au pagne africain qui arrive à la cheville, mais de haute couture, sous les mains expertes du styliste malien de talent aujourd'hui disparu Chris Seydou, dont les splendides vêtements métamorphosent leurs heureuses bénéficiaires en créatures de rêve. Toute la Côte d'Ivoire l'imite et s'habille alors en pagne baoulé, en Bogolan, revalorise avec fierté les étoffes locales. Tradition rime avec bonheur avec crise. Il est de bon ton de consommer local. C'est l'époque où Thérèse introduit le concept de charité pour la première fois en Côte d'Ivoire, et peut-être en Afrique de l'Ouest. Déjà appelée « Maman Thérèse », elle avait dans le passé préfacé des ouvrages relatifs à la mère et à l'enfant (dont La mère dans l'art baoulé). En 1987, elle créa la Fondation N'Daya International, une organisation charitable pour Il Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Basilique_NotreDame de la Paix de Yamoussoukro. 12
Tim-;s Maiazine~
3 Juillet
1989.
20
l'amélioration de la santé, le bien-être et l'éducation des enfants pauvres d'Afrique. Ndaya était connue pour ses dames patronnesses richement vêtues, ses opportunistes, ses galas, défilés de mode où se bousculait le tout-Abidjan qui se maintenait malgré la crise, ou par les dessins animés Kimbo, « le messager de l'espoir », ambassadeur des petits Africains13, qui ont donné une certaine notoriété à la Côte d'Ivoire. Ndaya, qui signifie jumeau en baoulé, c'est aussi la demi-bourse estudiantine versée par l'Etat sur laquelle les étudiants ironisaient, disant que l'on attendait en vain l'autre jumeau, car elle était insuffisante. A peu près à la même période, se jouait une tragédie au Liberia, qui aurait des répercussions incalculables dans la sousrégion. En effet, au début des années 1980, Adolphus Tolbert, l'époux de Daisy Delafosse, filleule d' Houphouët-Boigny, et fils du président libérien Tolbert était exécuté avec son père lors d'un coup d'Etat qui porta Samuel Doe au pouvoir. Selon plusieurs sources14, malgré l'intervention personnelle d'Houphouët en faveur d'Adolphus et la promesse qu'il serait épargné, il fut quand même exécuté. Houphouët, qui ne pardonna jamais à Doe cet acte odieux, soutint Charles Taylor (Cf. dernier chapitre) et ses rebelles en 1989 en leur permettant d'attaquer le Liberia à partir du territoire ivoirien. Daisy se serait par la suite réfugiée chez son amie Chantal Compaoré, épouse du président burkinabé, qui soutint aussi Charles Taylor. Quelques années plus tard Houphouët organisait des conférences de la paix en Côte d'Ivoire pour résoudre le conflit. Thérèse n'aurait pas toujours été sage, avec, hormis sa fugue italienne, deux amants qui ont disparu dans des circonstances mystérieuses. Paul Barril raconte qu'en octobre 1993, peu avant sa mort, «Le Vieux» lui avait demandé d'enquêter sur les relations de sa femme, dont un Italien, Ugo Brunini ou Bonini, qui était en train de s'emparer du monopole des jeux en Côte d'Ivoire. Thérèse venait de perdre 15 millions de francs français 13 Ebony
-
Johnson Publishing Co. (\J Gale Group 2004 14 John Peter Pham, Liberia, Portrait of a Failed State
Côte d'Ivoire et le boomerang libérien, juillet 2003. 21
- François
Barrot, La
lors d'une virée sur les tables des casinos de la Côte d'Azur, accompagnée d'Ugo, Napolitain qui était devenu le conseiller le plus écouté de la présidente. Le tandem s'est assuré le monopole des jeux en Côte d'Ivoire. Après enquête, Ugo aurait été condamné à quinze ans de prison par la cour d'assises de Paris pour avoir participé, le 31 décembre 1975, au rapt du PDG de Phonogram (disques Philips), Louis Hazan 15. Thérèse, beaucoup plus jeune que son époux, était-elle en mesure de donner son avis? Etait-elle écoutée par cet homme si puissant, d'autant plus qu'il a eu d'autres femmes à diverses époques de sa vie? On se souvient encore de la très jeune métisse togolaise «La Paix », compagne vers la fin de sa vie dont la mère, chef d'une secte religieuse dit-on, fit qu'Houphouët s'habillait beaucoup en blanc sur le tard. Est-il jamais venu à l'esprit de Thérèse de demander à son époux de désigner clairement un successeur? On aime le croire. Le manque de successeur clairement désigné a contribué à plonger la Côte d'Ivoire dans la crise qu'elle a connue par la suite. On est reconnaissant à Thérèse d'avoir été plutôt discrète et effacée depuis la disparition de son époux, malgré les tentatives de récupération des différents politiciens ivoiriens cherchant à s'approprier l'héritage politique du «Vieux ». On l'a dite proche du groupe des houphouëtistes. Plus récemment, on l'a dite plutôt du côté de Gbagbo, ancien opposant à son mari et président actuel qui, poursuivant les « chantiers du 3ème Millénaire d' Houphouët à Yamoussoukro, fait vraiment
honneur à la Côte d'Ivoire et à l'âme de mon maril6. » Pourtant, dans les premiers temps après la mort de son époux, Madame Thérèse n'avait plus droit au salon d'honneur, les crocodiles du lac n'étaient plus nourris. Lui succéda Henriette Bédié, qui tout naturellement créa sa propre fondation, Servir. Les activités de Ndaya International cessèrent bien entendu presque sur le champ. Une recherche de Ndaya International sur le moteur de recherche Google ne fournit que
15 16
Paul Barril, l'Enquête Fraternité
Matin
I
er
explosive. Septembre 2006.
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des bribes d'information, montrant le manque de coordination et de pérennité des activités caritatives des Premières Dames. Henriette Bédié, plus accessible que Madame Thérèse, était aussi une Première Dame moins glamour (certains diront plutôt ordinaire, pouvant tirer sur le vulgaire), tout en n'en étant pas
moins vorace. Henri Konan Bédié, son mari, se souvenant des circonstances de leur rencontre: « Henriette Bomo Koizan, que j'ai donc rencontrée en 1953, avait quinze ans, elle était timide mais jolie comme une biche royale. Sa beauté m'a captivé dès le premier jour, la gentillesse de sa famille aussil7. » Henriette a fréquenté le collège moderne de jeunes filles de Bingerville, «pépinière de l'élite ivoirienne» selon ses propres termes, avant de rejoindre à Poitiers en 1957 son fiancé qu'elle connaissait depuis 1953. Là, ils se marièrent le 3 avril 1957 et elle y a poursuivi des études de secrétaire de direction18. Son époux, le président Henri Konan Bédié (HKB), signa en février 1999 le décret portant reconnaissance d'utilité publique de la Fondation Servir d'Henriette qui, après trois années d'existence, pouvait désormais recevoir des dons et des legs et bénéficier d'exemptions fiscales. 17 Henri Konan Bédié. Les Chemins de Ma Vie. 18www.rdl.com.lbfl997fl956/protil.htm.
23
Si l'on ne saurait dire que Bédié fut un président sanguinaire et bestial, son mandat a été loin d'être exemplaire, avec emprisonnements arbitraires, détournements de fonds et gabegie, prébendes payées à des fidèles, pour la plupart issus d'un même clan. Selon l'encyclopédie Wikipedia, Bédié « encourage la stabilité nationale mais est accusé de répression politique et de corruption. Afin de contrer son opposant Alassane Ouattara, il met en place le concept d'ivoirité, selon lequel une personne est ivoirienne si ses quatre grands-parents sont nés en Côte d'Ivoire. En 1995, il est élu avec 96,44 % des suffrages (atteignant presque les scores d'Houphouët), tous les autres candidats sauf Francis Wodié (Parti ivoirien des travailleurs) ayant boycotté l'élection à cause de la réforme du code électoral ». Henriette Bédié, dont le teint s'éclaircit au fil des ans et les cheveux deviennent de plus en plus lisses, peut-être sous l'effet de l'âge, c'est Thérèse en moins grand, dans tous les sens du terme. Tout l'argent du monde n'aurait pu lui donner la moindre grâce, telle Anastasie et Javotte, les sœurs de Cendrillon, comme on pourrait dire que son mari Henri (Konan Bédié) est une mauvaise copie d'Houphouët, l'une des plus mauvaises qui aient existé, moins généreuse, avec tous ses excès et gaspillages, le népotisme et la corruption, même s'il a amélioré son image depuis. Le régime est associé à tout ce qui est parvenu, bouffi, arriviste et malhonnête. Née en 1938 à Bouaflé dans, selon ses propos, «cette zone de rupture et d'union, au paysage tramé, largement ouverte entre ciel et terre» où son père était directeur d'école, Henriette est «deuxième d'une famille solidement unie de douze enfants, équitablement répartis (six garçons et six filles) », et aurait été spéciale dès sa naissance. En effet, « ma mère me porta douze mois au lieu des neuf réglementaires et comme pour rattraper les trois mois supplémentaires passés en son sein, je fis mes premiers pas à six mois »... Était-ce le signe d'un grand destin? On est surpris du grand écart que firent la science et la biologie juste pour elle. 24
Les galas de Servir pouvaient coûter 1 000 00019 de francs CFA à chacun des heureux «invités» des entreprises de la place, qui grommelaient en silence. Impossible d'échapper à ces ponctions en règle, le pouvoir prélevant sa dîme tranquillement. Quelques semaines avant la chute du régime, le 14 novembre 1999, un grand gala de Servir avait pour invitée de marque la princesse Irénée de Grèce. La Fondation Servir avait aussi ses locaux dans le quartier cossu des Deux Plateaux, avec membres « bénévoles» indemnisés. Le pays vit une crise profonde et s'africanise, d'autant plus qu'en 1994, un an après l'arrivée au pouvoir d'HKB, c'est la dévaluation du franc CFA, qui est durement vécue par les populations habituées aux produits importés. Les années 1990 sont aussi celles du style musical «zouglou », au son duquel Henriette, soignant son image de femme simple, n'hésitait pas, en jeans et casquette, à venir danser: « Avec elle, les rendezvous qu'elle prenait, avec ses enfants les handicapés, au Palais des Sports de Treichville, étaient de grandes parades. Elle y venait avec le look approprié. Pantalon, paire de tennis, chemise-relax, l'atour est trouvé pour la bringue. Les danses locales n'ont pas de secret pour elle: Mapouka présidentiel, le reggae, le lôgôbi, Henriette s'y connaissait. Alors justement, les journaux ne rataient jamais l'occasion de la mettre à la une tant ses pas de danse étaient révélateurs d'un talent sûr »20... La presse dithyrambique encensait la nouvelle mère de la nation qui, en préparation des élections présidentielles de 2000, commença dès 1998-1999 à sillonner le pays, courtisant l'électorat de l'Ouest, du Nord et de l'Est, présentant les dons des bailleurs de fonds comme provenant de sa propre cassette. Henriette a régulièrement imposé sa présence au journal télévisé par de longs reportages sur ses tournées à l'intérieur du pays, allant jusqu'au Haut-Sassandra à quelques mois de la chute de son mari, où les habitants « en masse, autant à Daloa, Issia ou Gonaté et Boguédia, sont venus applaudir la Dame au ]9
] 500 Euros. Douze-Jeudi, 200]. 20
"Pourquoi
nos Premières
25
Dames
aiment
danser",
JO mai
cœur d'or. » Par des chants et des danses, par des discours et des cadeaux, les cadres suivis de tous les habitants de la cité des Antilopes se sont mobilisés pour dire ANISRE à la Première Dame de Côte d'Ivoire21... Les multiples scandales, tels l'affaire Roger Nasra portant sur le détournement d'un milliard de francs CFA, le trésor, les constructions à Koukourandoumi (son village) et Daoukro (village de son mari), l'affairisme de sa famille, rien ne semblait entamer les activités d'Henriette. Pensait-elle que tout cela lui était dû, ou, comme la plupart de tous ceux qui sont trop loin du peuple, pensait-elle que tout ce qui se racontait sur son époux n'était qu'affabulation dans le but de déstabiliser le pouvoir? Pour beaucoup, tout cela lui était bien égal. Dans les années 1970, Henri Kanan Bédié, HKB, Ministre de l'Economie, aurait surfacturé les complexes sucriers du Nord de la Côte d'Ivoire et aurait même fêté à cette époque, avec cigare et champagne bardés de son effigie, ses premiers 7 milliards en francs CFA. Jamais il n'aurait pu, avec son salaire de ministre, fils d'un pauvre paysan, amasser autant d'argent en si peu de temps. Pendant ce temps, Madame «Monsieur 5 % », surnom de M. Bédié, allait de sa démarche un peu comique sur les Champs-Elysées ou avenue Montaigne s'acheter de belles toilettes, financées par les dividendes occultes de son mari dans les sociétés d'Etat qu'il était chargé de faire naître et d'organiser dans les services, le café et le cacao. C'est le milieu des années 1970, la Côte d'Ivoire du miracle économique, de la culture à grande échelle de la banane, de l'ananas et de l'hévéa qui vient soutenir et renforcer celle du café-cacao dont le pays devient très vite premier producteur mondial. Sur le plan national, les partisans de Bédié disent qu'il a encouragé la «création des PME-PMI afin de valoriser les productions locales et de fournir un revenu conséquent aux paysans et agriculteurs ivoiriens. Pour ce faire, il crée la chaîne de distribution, DISTRIPAC, dont les magasins Pac, disséminés à travers tout le pays, concurrencent la SCOA-Chaîne Avion, chaîne française du temps des colonies. Mieux encore, ces 21 Fraternité
Matin, Télévision Nationale,
26
diverses éditions.
magasins sont gérés par de jeunes Ivoiriens ayant reçu une formation ad hoc »22. Le barrage de Kossou, l'électrification des villages, le bitumage des routes, l'urbanisation, le dynamisme ivoirien: ses partisans veulent qu'il en soit l'auteuf... en omettant de dire que le pays s'endette dangereusement pour financer des programmes de plus en plus ambitieux dont l'impact économique n'est jusqu'à ce jour pas évident. Des complexes sucriers, les populations locales diront qu'elles ont fort peu bénéficié. Les ressortissants du Bafing déclaraient: «il est inutile de rappeler les expériences malheureuses des projets soja et pomme de terre qui ont eu leur gestion uniquement pour assurer le profit des encadreurs au détriment des populations laborieuses. Par exemple, dans le projet SOJA, sur 600 exploitants, pas un seul ne réalise un résultat excédentaire, mieux, nos paysans sont criblés de dettes à la fin de chaque campagne agricole. L'installation du Complexe sucrier de Borotou-Koro n'a pas profité aux villages environnants. Il n'a permis d'offrir ni écoles, ni centres de santé, ni eau potable, ni électricité aux villages de Bontou et de Morifinso, alors que le complexe sucrier qui est dans le périmètre de ces dits villages est alimenté en eau courante et en électricité23. » En juillet 1977, HKB est limogé du gouvernement et l'on perd un peu sa trace. La famille va aux Etats-Unis, où Bédié travaillera à la Société financière internationale, branche de la Banque mondiale pour le secteur privé. En 1980, c'est le retour. Aux élections politiques de 1980 au cours desquelles la multicandidature fut admise pour la première fois depuis l'indépendance au sein d'un même collège électoral, il est élu député de Daoukro, son fief natal. Puis Bédié devient Président
22Lettre ouverte No 8157 du 30 mai 2004 - « Henri Konan Bédié, un homme exceptionnel, la force tranquille» Vincent Depaul K. http://www.abidjan.net/lettreouverte/lettre.asp?1D=8I57 . 23 Forum de la réconciliation nationale, Contribution des populations du Bafing, Touba, 17 octobre 2001. 27
de l'Assemblée nationale, gère le budget à sa guise comme si c'était son bien personnel. Mais écoutons B. Contamin et B. Losch: «Les autorités ivoiriennes cherchaient à faire croire que c'est à la conduite éclairée du président Bédié que l'on devait le retour de la prospérité observé vers 1993 avec la remontée des cours des matières premières. Vers la fin des années 1990, le pays ne pouvait plus assurer le paiement de la dette publique, et la dépendance de l'économie ivoirienne à l'égard du marché international, surtout celui du cacao, devint flagrante. Le marché du cacao s'est retourné dès le début 1999 et l'an I de la libéralisation de cette filière stratégique pour l'économie ivoirienne est salué par un effondrement des cours (de 901 £/tonne en février 1999 à 545 en décembre). On assista donc à une rapide détérioration de l'environnement local. Parmi les facteurs ayant favorisé cette nouvelle récession, il faut souligner la poursuite et l'accélération tous azimuts des pratiques clientélistes, attestées par un certain nombre de scandales financiers de grande ampleur (notamment sur les fonds européens destinés au secteur de la santé) et par la forte croissance des dépenses hors-budget, dont l'encours est passé de 100 milliards fin 1998 à 131 milliards de francs CFA un an plus tard. Ces dépassements traduisent la persistance de logiques rentières qui handicapent lourdement les perspectives d'une relance par l'investissement productif. Les douze travaux de l'éléphant d'Afrique se limitaient à des projets d'infrastructures nécessitant un large recours soit à l'endettement public, générant de lourdes charges, soit au système de la concession de longue durée à des entreprises étrangères. Le redressement durable de la situation financière du pays était donc hypothéqué par la persistance de comportements prédateurs et par une politique de grands projets aux retombées très incertaines pour l'économie nationale» 24.Et feu Balla Keita, ancien ministre de la Recherche Scientifique avait aussi raillé: « l'éléphant d'Afrique que devait être la Côte 24 Bernard Contamin, Voie Etroite.
Bruno Losh pour Politique
28
Africaine,
Côte d'Ivoire,
la
d'Ivoire est devenu le margouillat de Daoukro qui grimpe sur tous les murs.25
»
Le 7 décembre 1993, à la mort d'Houphouët-Boigny, Bédié se proclame président de la République, ce qui est confirmé par la Cour Suprême le 10 décembre. Le 22 octobre 1995, il est élu président de la République. Lors de ces élections, les talents de supporter d'Henriette éclatent; elle sillonne le pays en jean ou en pagne, danse s'il le faut « en toute simplicité ». Présidente-fondatrice de Servir, Henriette s'est rendue à Daloa, communiant «avec ses frères et sœurs du pays profond»... Sur pratiquement 18 kilomètres, depuis l'aéroport de Daloa où Mme la Présidente et sa délégation sont arrivées, jusqu'au centre-ville, lieu de la première des manifestations ouvrant ces deux journées symbole, du monde, du monde... Un monde fou! Formant une haie humaine absolument compacte, ces milliers de gens, par cette image, ont réussi sans peine à traduire leur attachement profond à la Première Dame, ainsi que leur adhésion totale à l' œuvre sociale que, continuellement, elle bâtit à travers son association de bienfaisance. Dans d'autres localités, «la Présidente a offert décortiqueuses, vélos, lits, compresses, gants, médicaments divers, machines à coudre, cantines de livres, etc. à chacune des étapes effectuées dans ces départements pour une valeur cumulée de plus de cent quinze millions de francs »26. Ce genre de visites illustre parfaitement le mélange entre politique et charité, où la frontière se fait floue entre le rôle de la Première Dame en tant que présidente de sa fondation et celui de la représentante de son époux ou personnalité politique.
A Daloa, Servir, avec l'ONG Winrock International, J2B (Jeanne Berthe Bra Foundation - épouse du maire) et le ministère de l'Education nationale et de la formation de base ont procédé à la pose de la première pierre du centre d'hébergement des jeunes filles scolarisées, un ouvrage étalé 25 L'Inter 1274 http://www.presseci.com/linter/articles/6243-127 26Dominique Mobio, Fraternité Matin. 29
4.html.
sur 4400m2, conçu par l'architecte César Dilolo et dont la remise des clés était prévue pour le début de l'an 2000 (contrariée par les événements qui survinrent par la suite). A Issia, après s'être arrêtée en chemin à Boguédia pour faire des dons, Servir, à travers sa présidente, a inauguré le centre de santé. Or, à la même époque, l'Union européenne déplorait le détournement de 180 millions de francs (français) versés par Bruxelles pour la santé et la préparation des élections, qui ont disparu entre 1992 et 1997. Ce scandale était d'autant plus choquant qu'il portait sur des fonds qui devaient alimenter la lutte contre le SIDA et la mortalité infantile ou encore participer à l'amélioration du système hospitalier. Une autre partie des subventions, prévue pour accompagner l'organisation d'élections démocratiques en 1995, a, elle aussi, mystérieusement disparu... Un rapport confidentiel de l'Inspection générale des finances ivoirienne, remis au ministre de l'Economie le 19 novembre 1999, détaille ce pillage des subventions de Bruxelles. Pour effectuer cette enquête, des équipes de contrôleurs ont sillonné la Côte d'Ivoire et visité hôpitaux, dispensaires, orphelinats et pouponnières. Plus de 500 dossiers ont été examinés. Les principaux détournements proviennent de surfacturations de matériel médical: ainsi, un pèse-bébé d'une valeur de 202 FF27 est facturé 4 900 francs; une « boîte d'accouchement» vendue normalement 500 francs apparaît sur les comptes pour la somme de 4 850 francs; une boîte à suture à 247 francs revient, elle, à 6 885 francs; un tensiomètre à 87 francs est facturé 1 960 francs; enfin, un stéthoscope évalué à 85 francs est payé 2 885 francs! Au total, ces surfacturations se sont élevées à 4,9 millions de francs28. Fondée en 1996, Servir aurait bénéficié de fonds détournés. On est loin des valeurs qu'Henriette dit avoir reçu de sa famille: «Fervent croyant et homme à la conscience professionnelle sans limite, mon père nous initie très tôt aux valeurs du travail, du respect de l'autre, d'amitié, de fraternité. 27100 francs CFA = 1 FF 28 L'Express, 6 avril 2000.
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Quant à ma mère, elle nous indique la voie du partage; cette éducation humaniste, fondée sur l'entente et la solidarité familiale, résiste au temps et aux hommes29 ». A la suite d'une plainte de l'Union européenne concernant la surfacturation d'un montant total de 18 milliards de francs CFA, destinés à la santé et à la décentralisation, le gouvernement du Général Robert Guéï, qui devait renverser Bédié en décembre 1999, a délivré en janvier 2000 un mandat d'arrêt international contre Henri Konan Bédié. Henriette avait fait construire des bâtiments somptueux dans son village natal, Koukourandoumi : une villa, une discothèque, un centre d'apprentissage et un hôtel. Sa famille aurait aussi bénéficié d'avantages considérables lors de la privatisation d'entreprises publiques. Mais Henriette et Henri, malgré le verrouillage de l'appareil de l'Etat (leurs gens étaient partout dans les ministères et sociétés parapubliques, la presse, muselée à part celle des partis d'opposition FPI et RDR, qui faisaient de la résistance) et la corruption, étaient des doux comparés à ce que la Côte d'Ivoire allait connaître sous le régime militaire, puis civil de Guéï, puis de Gbagbo. Avec le changement de régime apporté par les militaires de Guéï, Servir disparut tout naturellement. La procédure engagée par le gouvernement Guéï contre l'ancien président Konan Bédié, accusé d'avoir détourné 24,8 millions de dollars d'aide médicale européenne vers des banques étrangères, n'a pas abouti. En effet, « accuser ne suffit pas, il faut prouver: l'Office fédéral de la police (OFP) a jugé les informations fournies à l'époque par Abidjan insuffisantes. Certaines banques mentionnées dans les rapports envoyés n'existent pas... Un audit des comptes de Konan Bédié n'a révélé l'existence que de 3 à 4 millions de dollars. Du reste, les dirigeants qui en réclamaient la restitution ont, depuis, été déchus30.» En 2005 cependant, peut-être par remords, mais sûrement en préparation du retour en politique de son mari, Henriette a offert des médicaments au centre de santé portant 29 Interview lors de la visite officielle au Liban. 30 RFll6 mai 2002
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son nom de Yopougon Toits Rouges (inauguré il y a 10 ans par l'ex-Première Dame). Ce don, de 2,7 millions de Francs CFA, a été effectué par le Ministère de la Santé du Dr Albert Mabri Toikeusse « sur un coup de fil d'Henriette Bédié. Après le mot de bienvenue du président du comité d'organisation, la jeunesse du PDCI (parti de HKB, au pouvoir pendant 40 ans), la génération Bomo (du nom de jeune fille de l'épouse d'Henri Konan Bédié) et la jeunesse Atchan ont été investies3l.» Alors que, dès 1999, le taux de croissance estimé autour de 3,8 % se tassait, il était estimé à la baisse pour l'année 2000, certaines prévisions avançant des taux négatifs, entre -1 % et 0 %. C'est là, vers Noël, que Robert Guéï prit le pouvoir, ce qui lui valut le surnom affectueux de «Papa Noël ». Venu pour «balayer la maison ivoirienne », Robert Guéï tenta de rester plus longtemps, troquant ses habits militaires pour des costumes civils. Ses hommes torturèrent des putschistes présumés et ceux qui étaient soupçonnés d'enrichissement illicite. Qui ne se souvient des contrôles arbitraires de « corps habillés» devenus soudainement tout-puissants, arrêtant qui ils voulaient, arrachant voitures, maisons, femmes, réglant des comptes personnels? Combien d'hommes d'affaires n'ont-ils pas tremblé lorsque, sur simple dénonciation d'un employé mécontent, ils voyaient débarquer dans leur bureau des commandos surexcités, les yeux rougis par des substances illicites, demandant à voir des comptes que de toute façon ils n'étaient pas en mesure de comprendre? Qui peut oublier les matelas de barbelés dans lesquels une certaine unité dirigée par Boka Yapi enroulait ses victimes avant de les bastonner, le fer déchirant les chairs des malheureux? Robert Guéï, c'est aussi la répression brutale de révoltes d'étudiants en juin 1991, où des étudiantes ont été violées en toute impunité par des militaires, notamment des éléments des FIRPAC32, un corps d'élite qu'il avait créé. En octobre 2000, les
3i Le Front 30 juin 2005 32 Forces d'intervention rapide-para
commandos.
32
Ivoiriens se mordaient les doigts d'avoir acclamé en décembre 1999 le premier putsch depuis l'indépendance. Qui était celle qui, assassinée en 2002 avec son mari, a été enterrée presque dans l'indifférence, avec seulement trois couronnes de fleurs33 et un petit groupe de proches et politiciens, comble dans un pays où honorer les morts fait partie intégrante de la culture et où les funérailles sont une opportunité d'effacer toutes les rancœurs, d'oublier tous les péchés? La Côte d'Ivoire a-t-elle tant changé? En quelques mois de règne, aucune Première Dame n'a été autant haie que feue Rose Doudou Guéï, accusée d'être le mauvais génie de son général de mari, le poussant à tous les excès que le pays a connus pendant cette période noire de répression, lui dictant sa conduite et rabrouant ses collègues de la junte militaire qui dirigeait le pays. Membre du Cabinet politique du président Robert Guéï, Rose entendait bien jouer son rôle et se faire entendre. Déjà en 1980, Robert Guéï avait affecté à son épouse, en campagne pour des élections municipales, des véhicules des sapeurs-pompiers dont il était le patron, ce qui lui avait valu la sanction d'être nommé commandant de la 4èmerégion militaire à Korhogo, dans le nord du pays. Alors que son mari prétend toujours ne pas être intéressé par le pouvoir et n'être venu que pour «balayer la maison », Rose Guéï parcourt le pays pour une véritable campagne électorale déguisée. En avril 2000, soit seulement quatre mois après l'arrivée au pouvoir de son mari, Rose était en campagne contre les étrangers; en visite à Adzopé, elle déclara: «Il faut que les Ivoiriens cessent d'être des étrangers sur leur propre terre. Durant quarante ans, nous avons hébergé des frères venus d'ailleurs. Nous avons cédé notre lit pour qu'ils se sentent à l'aise. Aujourd'hui, ils prennent ce lit pour eux, nous obligeant à dormir par terre. Il est temps, grand temps que nous récupérions notre lit ». Cette partie de l'intervention de
33
offertes par Seydou Diarra. ex-Premier ministre, Mabri Toikeusse du général Guei) et Roger Abinader, industriel ivoiro-libanais.
33
(du parti
Mme Rose Doudou Guéï, l'épouse du Général-président Robert Guéï, a soulevé un tonnerre d'a laudissements 34. Et de se désoler de « les voir à la traîne» dans le concert des activités de développement. «l'ai vu des femmes ivoiriennes aller acheter des pagnes fabriqués en Côte d'Ivoire au Togo. Elles dédouanent ces pagnes avant de les revendre ici. A Sassandra, il n'y a qu'un seul boucher qui, pour avoir une cuisse Rose Guéï Doudou de bœuf à commercialiser, sue sang et eau. Tout cela parce que les circuits sont détenus par les étrangers qui ne font pas de cadeau aux Ivoiriens. Il faut que tout cela s'arrête et que les Ivoiriennes et les Ivoiriens cessent d'être des étrangers sur leur propre terre35», a martelé la Première Dame de Côte d'Ivoire. Pour Mme Guéï, cette situation inconfortable peut trouver sa solution dans le fait que les femmes ivoiriennes se mobilisent, lisent et prennent conscience qu'elles peuvent aisément réussir dans des projets de développement. Aussi, dira Madame la Présidente, sa série de tournées à travers tout le pays n'a d'autre objectif que de «sensibiJjser les femmes, ses sœurs, pour qu'enfin elles s'insèrent dans le tissu économique ivoirien par des projets de développement qui garantissent leur indépendance , . 36 economlque
».
La presse vendue, comme d'habitude, au plus fort, chantait ses éloges en ces termes:« Mme Rose Doudou Guéï s'est imposée en quelques mois comme une Première Dame légitime. Teint plus reluisant, vêtements et bijoux de qualité, voyages à l'extérieur, tout a été rassemblé pour que Mme Guéï soit Mme 34 Notre Voie n° 590, 27 avril 2000. 35 Ibid 36 Ibid
34
la présidente3?» Car la chenille était devenue papillon, métamorphosée, sans que personne ne s'inquiète de l'origine de la fée qui avait ainsi transformé la femme du balayeur de la maison Côte d'Ivoire et lui avait donné carosse et laquais. Plus tard, le pays se rendrait compte qu'il n'y avait de fée que l'argent rapidement acquis. Mais minuit n'avait pas encore sonné pour Cendrillon. Dès les premiers mois, certains journalistes mettaient déjà le bémol. « Ses premiers pas ont été appréciés par tous. Ils ont fait l'unanimité, mais de plus en plus, des gens s'interrogent sur l'activisme de l'épouse du Général-président. L'on rapporte que l'adhésion nationale à sa personne est liée au fait qu'elle représente toutes les sensibilités politiques. Ce qui signifie que si Mme Guéï devient l'instrument d'une partie de l'opinion et de la nation, il sera bien difficile aux commentateurs et aux observateurs d'accepter qu'on dise qu'elle est la mère de tous les Ivoiriens. A noter que Mme Bédié n'avait jamais été présentée avec autant d'emphase. Ce qui se passe sous nos yeux doit inciter les contempteurs à relativiser leurs analyses. On peut dire que Mmes Thérèse Houphouët et Henriette Bédié ont .., . 38 ete " cntIquees pour nen ». Comme plusieurs autres Premières Dames, elle a investi le domaine de la finance en milieu rural, préconisant la création d'une banque des femmes (reprise par Mme Gbagbo, qui lui a succédé). «Cette banque des femmes verra bientôt le jour. Ainsi, les femmes ivoiriennes auront de l'argent pour investir et être de vrais agents de développemene9. » Elle a, par son « intervention parfois auprès de son époux, chef d'Etat, permis à des personnes d'être bombardées ambassadeurs ou d'être nommées ministres ou à des emplois supérieurs de la Nation (ESN) » nous dit Le Nouveau Réveil40.
37 38
Op. Cit. C. Kouassi.
http://national-mag.ifrance.comlnumero 390p.CÎt. 40 Le Nouveau Réveil. 6 mai 2006
0 llfirstIadv .htm.
...,~ .))
Rose Doudou était une femme forte, ne mâchant pas ses mots. La Côte d'Ivoire ne l'a pas accepté. Lors de la remise en liberté provisoire du capitaine Fabien Coulibaly, aide de camp du général de brigade Guéï Robert, en octobre 2001, Rose a fait
les déclarations suivantes en « lieu et place du capitaine, astreint à un devoir de réserve en raison de son statut de militaire »... Après avoir remercié la population de Biankouma, les élus UDPCI qui se sont mobilisés comme un seul homme pour obtenir la libération du capitaine, elle a indiqué que c'est une insulte de penser que l'aide de camp de son époux entend fomenter un coup d'État. «Fabien, qui a travaillé pendant longtemps dans le bataillon blindé, le connaît non seulement
très bien, mais y a des amis41.» Le capitaine Fabien Coulibaly avait été arrêté avec d'autres militaires et inculpé pour« atteinte à la sûreté de l'État» et « incitation de militaires à violer le devoir que leur impose leur statut ». Rose n'avait pas hésité non plus à prendre position sur la gestion du parti de son mari, l'UDPCI, comme le rapporte la presse: « Vendredi dernier, au cours du dîner dit de convivialité et d'honneur offert par les cadres du parti aux élus, ministres et autres responsables du parti, Mme Rose Guéï a lâché une véritable tarte à la face des dirigeants de l'UDPCI. "J'ai l'impression qu'au sein de l'UDPCI, on aime les coups bas", at-elle fait remarquer en guise d'introduction à son intervention. Une intervention qu'elle a voulue d'ailleurs moralisatrice. C'est pourquoi elle s'est gardée de mettre à l'index qui que ce soit, tout le monde, à ses yeux, ayant une part de responsabilité dans la dégradation de la situation au sein du parti qui a abouti à la démission du secrétaire général la veille même de la rencontre: "Quand on veut diriger les hommes, on doit accepter l'humiliation, les injures, la contradiction, l'humilité et 42 l'acceptation de la différence." » A la chute de son époux, ce dernier l'a envoyée tâter le terrain en 2001 où elle a fait sa « première apparition publique après 7 mois. Cette présence à Abidjan n'est pas fortuite. Elle 41 Soir Info, 7 novembre 2001. 42 Soir Info, 27 aout 2001.
36
constitue un ballon d'essai important avant un éventuel retour de l'homme du 24 décembre 1999 dans la capitale. Mieux, elle constitue une étape importante vers la réintégration dans la République du général Robert Guéï. En fait, Mme Rose Doudou Guéï a séjourné à Abidjan pour baliser le terrain. N'étant sous le coup d'aucune inculpation ni poursuite judiciaire et n'ayant commis pour tout crime que d'être une épouse de chef d'État, Mme Rose Guéï ne pouvait être inquiétée pendant son séjour abidjanais. Or, il se trouve, en vérité, qu'hormis les événements des 24 et 25 octobre 2000 (troubles pendant les élections), l'on ne peut faire incomber au général Robert Guéï la responsabilité d'un quelconque bain de sang. La responsabilité tant du point de vue des consignes que de l'exécution d'une stratégie de répression des marcheurs n'est pas confirmée. Et même si cette responsabilité était confirmée, aucune inculpation ni poursuite judiciaire n'ont été engagées contre lui. Alors, pourquoi ne peutil pas retourner tranquillement à Abidjan? »43 En 2001, certains journaux ivoiriens44 faisaient état de «l'or volé de Bédié », qui avait disparu de façon rocambolesque du ministère de la Défense. Ces bijoux et d'autres objets de grande valeur (estimés à un milliard de francs CFA) avaient été récupérés à la résidence Bédié du cossu Cocody-Corniche après la perquisition des mutins pendant le coup d'Etat du 24 décembre 1999. «De cette expédition, ils reviennent avec un coffre-fort contenant des bijoux et cinquante millions de francs CFA en espèces. Le Général Guéï aurait utilisé les espèces pour rémunérer l'expert serrurier français commandité pour ouvrir le coffre-fort récalcitrant d'une part, et dédommager les soldats, sous-officiers et officiers qui avaient vu leur solde suspendue sous Bédié, pour avoir été impliqués dans le vrai-faux coup d'Etat d'octobre 1995, d'autre part. Quant au coffre à bijoux de Mme Bédié, le Général Guéï l'a fait transférer au ministère de la Défense... Il est resté là depuis lors jusqu'au cambriolage de décembre.
»
43
L'Inter n092I, http://www.pressecLcom/linter/articles/3632-92l.html. juin 200 I. 44Actuel, Le Patriote.
37
1er
Une « parente» de la famille Bédié, Mme Kouakou Bah, ou Amouin Kouakou Eugène née Wassa ou Ouassa Monique45, a pour sa part évoqué des objets d'art et des véhicules volés: «Le 21/03/2000, je me suis rendue à l'Indénié au domicile du général Guéï pour voir Mme Doudou Rose, son épouse avec laquelle j'entretenais de très bonnes relations d'amitié avant mon mariage, pour lui demander d'intercéder auprès du général Guéï, son époux, en vue d'obtenir la restitution des véhicules de mes beaux-parents (la famille Bédié) qui ont été arrachés de force par les militaires lors de leur descente punitive à
Daoukro. » On voit bien là aussi le rôle importantjoué par Rose auprès de son époux. Professeur des lycées, Rose était au lycée de Jeunes filles de Bouaké dans les années 1960. Celle qui, après un premier
mariage avec un M. Soumahoro, a épousé le Capitaine Guéï, a été assassinée avec lui lors de la tentative de coup d'Etat contre le régime du Président Gbagbo. Etait-ce une sorte de «rançon de la gloire », étant reconnue comme ayant réellement un pouvoir? En effet, dans les années 1960, «Aïcha Hamani Diori, épouse du président du Niger Hamani Diori, avait la réputation d'être encore plus puissante que son mari, qu'elle aurait contrôlé comme une marionnette. Ses pouvoirs légendaires pour manipuler l'élite du pays et dicter ses règles concernant le rythme et le contenu des aspects socioculturels de la vie du pays ont fait l'objet de chansons et de poèmes (en haoussa, langue locale). Lorsque les putschistes firent le coup d'Etat en 1966, ils épargnèrent la vie du Président Hamani Diori, mais assassinèrent sa femme, qu'ils considéraient comme la personnification d'un pouvoir ilIégitime.46 »
45 L'Inter, 29 novembre 2001. 46 Dr Yaha Abdulahi, Conseiller Spécial à la Chambre Nigeria 27 juin 2004 http://www .personal. psu. edu/ users/jlmljmj 24 3/F eminism%20in%20Africa.htm.
38
des Représentants
du
D'Andrée
Touré aux deux Mme Conté (Henriette et Kadiatou)
L
e nom d'Andrée Kourouma Touré est évocateur de la période des indépendances, des grands Africains, du non de Sékou Touré à la France, et de grands lendemains pleins de promesses pour l'Afrique. La dernière épouse de Sékou Touré, «jeune métisse timide et mignonne» 47, était, avant son mariage en 1953, secrétaire politique. Au début des années 1960, Andrée élargit ses activités, représentant son époux lors de meetings et réceptions en Guinée. Arrêtée en 1985 avec son fils Mohamed pour tentative de coup d'Etat, Andrée a été relâchée à la fin des années 1990 et depuis invitée à des cérémonies publiques, notamment en 2004 lors de la célébration de la fête anniversaire de l'indépendance de la Guinée. Récemment, au cours d'une cérémonie solennelle, le pouvoir du Général Lansana Conté a reconnu les droits de l'ancien président et livré des véhicules à la désormais Hadja48 (Andrée) Touré. Sékou Touré, né en 1922, d'une famille modeste malinké, était le petit-fils du grand guerrier Samory Touré, qui s'est illustré dans sa lutte contre la colonisation. Venu au pouvoir en 1959, Sékou Touré a régné jusqu'en 1984, date de sa mort aux États-Unis. Une quinzaine de complots ont ainsi été officiellement dénoncés de 1958 à 1984, dont certains furent réels (1965). Des milliers d'arrestations, des centaines de victimes49, c'est le souvenir qu'a laissé Sékou Touré qui a imposé durant près d'un quart de siècle une folie sanguinaire sans pareille en Afrique: on enterrait les gens vivants; on en
47 L'Intelligent 48 Femme ayant fait le pèlerinage de La Mecque. 49 www.radio-kankan.comINouvelles.48.0.htm\.
fusillait d'autres sur les places publiques. Sékou Touré avait le droit de vie et de mort sur chaque Guinéen. Andrée, qui a joué un rôle important auprès de son mari, a vu ses parents nommés à des postes officiels (Ambassadeur à Paris, etc.). Elle défend toujours les actions de Sékou Touré, et il faut lui reconnaître que le bilan n'est pas à cent pour cent négatif, du moins en ce qui concerne la lutte contre l'apartheid. C'est ainsi que Nelson Mandela a décidé de décorer Sékou Touré à titre posthume le 29 octobre 2004 à Johannesburg. Le Camp Kwamé Nkrumah, à l'entrée de Conakry, offrait des formations militaires aux Noirs sud-africains. Les activistes noirs des États-Unis et d'ailleurs, tels que la chanteuse Myriam Makéba (Marna Africa) et son époux Kwamé Touré (anciennement Carmichael), ont été les bienvenus à Conakry et devinrent proches d'Andrée et Sékou Touré. Sékou Touré fit beaucoup pour la promotion de la musique africaine. La musique était une affaire d'Etat. Jusqu'aux indépendances, il n'y avait pas d'orchestre africain à Conakry, et pour célébrer sa victoire à la mairie de Conakry, Sékou Touré avait dû faire venir un orchestre de Dakar. Il aimait s'asseoir avec Andrée dans son jardin, pour écouter les tam-tams des candidats à la Quinzaine Artistique - un concours national de danse et timpani pour exprimer l'âme guinéenne. Il encouragea l'émergence de groupes africains, dont l'excellent «Bembeya Jazz National» et «Les Amazones de Guinée ». Le chanteur malien Salif Kéita a chanté les louanges de Sékou et d'Andrée Touré dans MandjouSO, des milliers de Guinéens ont dansé sur la musique de Bembeya Jazz National, « véritable légende de l'Ouest africain [...] issu des groupes régionaux désirés par Sékou Touré lors de l'indépendance de la Guinée en 1958. Il est rapidement devenu le groupe favori des Guinéens dans les années '60 et '7051». Sékou Touré aurait assisté en personne aux compétitions de sélection à Conakry pendant une semaine, 50 Working Papers Nr. 48 Evelyn Batt Salif Keita, Les belles choses derrière
le mur Mainz. 51TV5.
~
von Marginalisierungzu Weltruhm 2004 Johannes Gutenberg/Uni.
40
en qualité de membre du jury. Mais malgré cette sensibilité artistique, entre 1958 et 1971, neuf des 71 membres du gouvernement furent exécutés, huit moururent en détention, 18 furent condamnés aux travaux forcés à perpétuité, 20 remis en liberté provisoire, cinq se réfugièrent à l'étranger. En 1967, la musique européenne est bannie des ondes de la radio guinéenne. Comment des merveilles comme Waraba ou Whisky-Soda de Bembeya, qui transportaient immédiatement les pieds des jeunes vers la piste de danse, ont-elles pu être engendrées par le fruit de la peur, dans la terreur ambiante? Après avoir dit non à de Gaulle, Sékou Touré s'est alors tourné vers le bloc socialiste et a transformé son pays en «goulag tropical ». L'homme dont Senghor, le président sénégalais, aurait dit «pauvre Sékou, jamais plus il ne se promènera sur les Champs Elyséess2» (ce qui lui était probablement égal), avait pourtant bien commencé. Il disait qu'un homme d'Etat africain «n'est pas un garçon nu mendiant auprès des riches capitalistes» et symbolisait la fierté de tout un continent. Madame Andrée défend aujourd'hui encore le bilan de son mari. Interviewée par le journal sénégalais Le Soleils3, elle se place sur l'imparable terrain de l'indépendance et de la libération du joug colonial: « D'abord, je crois que son premier combat, c'était pour la réhabilitation de l'Afrique. Son rêve était que l'Afrique soit libérée de la domination étrangère. C'est pourquoi quand, en 1958, le choix s'est posé, à travers le référendum où la France demandait aux pays africains d'adhérer à la communauté franco-africaine, alors qu'il avait été désigné pour rencontrer le général de Gaulle, il posait le problème de la communauté en termes de porte ouverte sur l'indépendance. Ce qui n'a pas été accepté. Pour de Gaulle, c'était plutôt «vous venez à la Communauté ou vous prenez
l'indépendance avec ses conséquences ». Le président Sékou Touré avait alors dit: «on ne peut pas dire que l'opportunité a été donnée à l'Afrique d'aller à l'indépendance et qu'elle a été 52 Times Magazine, 16 février 1959. 53 24 novembre 2004.
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rejetée par tous les pays africains ». Donc, il a choisi la voie de l'indépendance, qui était certainement très difficile, mais il fallait qu'il le fasse, parce que c'était sa conviction [...] Ce vote qui a été très mal perçu par les puissances coloniales, parce que d'abord c'était une brèche ouverte par laquelle tous les pays africains se sont engouffrés. Ce qui montre que les peuples souhaitaient l'indépendance. Aucun peuple n'aime la domination. Et en ce qui concerne le peuple guinéen, il percevait la colonisation comme l'esclavage. Le Guinéen pense que quand on meurt esclave, dans l'au-delà, on est encore esclave. [...] Et tout au long de sa vie, Sékou Touré s'est battu pour la libération de tous les pays africains. D'ailleurs, il avait proposé que chaque pays donne 1/100e de son budget aux mouvements de libération nationale. Lui-même y consacrait 1OIlOOe du budget de la Guinée. Tous les mouvements de libération africains étaient les bienvenus en Guinée ». Il affectionnait ce genre de pensées: «l'argent et le pouvoir d'achat ne changent pas la conscience ou ne peuvent construire des nations ». Dès les premières années d'indépendance pourtant, plusieurs responsables du gouvernement étaient propriétaires de somptueuses villas et voitures, «adoraient la nourriture française, les cigarettes américaines et le whisky (à 18 dollars de 1963 la bouteille) ». Après cinq ans d'indépendance, la Guinée, 3 millions d'habitants et l'un des pays les plus riches d'Afrique avec du diamant, du fer, de l'or, de la bauxite et des ressources naturelles abondantes, était devenu l'un des plus pauvres. A l'époque, se rappelle un retraité, «on disait que nous étions assez riches pour que chaque Guinéen roule en Mercedes. Mais évidemment il n'en fut rien. Les seules limousines allemandes que l'on vit dans les rues de Conakry étaient celles de Sékou Touré. Le peuple n'avait droit qu'à la misère et au silence des sans-voix. Les bidonvilles s'ajoutaient aux cloaques. Conakry n'était plus qu'une poubelle où les sympathisants de passage cherchaient en vain les « charmes» d'une capitale tant vantée dans les « pays frères54». 54
Le Nouvel Observateur
n01815, 19 août 1999.
42
Cela n'empêche pas Andrée de dire, au sujet de Sékou Touré: «C'était un homme très simple. Il n'a jamais voulu vivre au-dessus de son peuple. C'est pourquoi, il menait une vie très, très simple. C'était presque un ascète. Et il disait souvent: on ne gagne que ce que ['on donne. Ou encore: ce que ['on a mangé on l'a déjà perdu. Sékou Touré était un homme qui avait foi en ce qu'il faisait, un fervent croyant. Il avait voulu que ses enfants soient éduqués comme tous les enfants guinéens. Il n'a jamais laissé ses enfants partir à l'extérieur. Pendant leurs études primaires, ils étaient confiés aux parents. Un seul a vécu avec nous55.» Comment un pays aussi richement doté en ressources naturelles, également considéré comme le château d'eau de l'Afrique de l'Ouest grâce à ses fleuves, a-t-il pu sombrer ainsi? Un mélange de xénophobie et de socialisme avait scellé le sort du pays, avec pénuries alimentaires, déficits budgétaires et inflation. Le pays exportait ses ananas, bananes et autres produits à Moscou qui «en échange envoyait des bêches à neige, des kits de maison préfabriquées que les ouvriers locaux ne pouvaient assembler, et une usine à fabriquer de la glace qui fondait instantanément dans la fournaise de Conakry56.» Après que Sékou Touré eut introduit sa propre monnaie à son effigie suite au divorce avec la France et la zone monétaire d'Afrique de l'Ouest-CFA, les Guinéens n'eurent guère d'autre choix que de faire sortir leurs marchandises - café, bananes et aide alimentaire - vers les pays limitrophes en échange de devises. Sékou Touré avait bien entendu nationalisé toutes les entreprises et bientôt toutes les marchandises, de l'eau courante aux bouteilles de bière, furent rares. Dans la capitale, Conakry, les rayons de Printania, nationalisée, étaient quasiment vides, à l'exception de produits d'Europe de l'Est (goulasch, porc et haricots) et des camions jouets chinois à 8 dollars la pièce. Les vitrines étaient cassées, laissant entrer la poussière. Les femmes faisaient la queue pour du savon en poudre, des seaux métalliques et des sandalettes fabriquées avec des anciens pneus 55 Le Soleil, ibid. 56 Times Magazine,
13 décembre
1963.
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de vélo. Bien entendu, les coupures de courant étaient la norme. L'abattoir de Conakry, d'une capacité de 40 tonnes de bœuf par jour, ne tuait pas plus d'un bœuf par mois. C'était l'époque où le pays recevait 250 millions de dollars par an de la Russie, de la Chine et des États-Unis. Andrée n'aurait rien pu faire évidemment pour enrichir la Guinée, mais on lui en veut d'être restée, d'avoir bien vécu, elle et sa parentèle, contrairement à la majorité de ses compatriotes. On lui en veut de défendre encore aujourd'hui ce paranoïaque, dont les sbires exécutaient parfois à la hache les opposants qu'il avait désignés comme de dangereux espions. Mme Loffo Camara, secrétaire aux Affaires Sociales de 1961 à 1968, a été exécutée (fusillée ou enterrée vivante selon les versions) en 1971 pour trahison. Comment Andrée s'est-elle sentie ce jourlà ? Car elle connaissait bien sûr Loffo Camara. Peut-être même étaient-elles amies, à moins que, comme le veulent certaines rumeurs, elles n'aient été rivales? Comment était-ce de vivre avec l'homme pour lequel avoir droit de vie et de mort sur ses semblables n'était pas un vain mot? Femme intelligente avec une conscience politique aiguë, Andrée a partagé la vie de Sékou Touré, qui a tué des milliers de Guinéens et conduit des millions d'autres à la fuite puis à l'exil. La diaspora guinéenne est estimée à 3 millions de personnes. Qu'en pensait-elle? On est déconcerté par ses positions sur la diaspora et les raisons à l'origine de l'exil de tant de ses compatriotes: «Je pense qu'ils peuvent avoir plusieurs raisons. Mais pendant la période révolutionnaire, beaucoup de Guinéens, dès qu'ils sortaient, ils disaient qu'ils étaient des opposants et ils étaient bien accueillis dans certains pays qui les favorisaient. En particulier la France. Mais la plupart partaient pour leurs propres intérêts. Ils y trouvaient beaucoup de facilité. Mais j'avoue aussi que le Guinéen a toujours aimé sortir. Je me rappelle qu'après l'indépendance de la Guinée, lors de notre premier voyage à travers le monde, nous avons visité les États-Unis, l'Allemagne fédérale et l'Angleterre, partout où nous sommes passés, nous avons rencontré des Guinéens. Mais actuellement, je crois qu'il y a
44
aussi
des
essentiellement
problèmes
économiques
qUI
expliquent
les départs 57. »
Comment se sentait-elle lorsque Sékou Touré fit mourir à petit feu Diallo Telli et ses opposants? Andrée croyait-elle vraiment au programme socialo-communiste de Sékou Touré, qui a tant appauvri et retardé le pays? Au sujet du programme éducatif, elle pense que l'enseignement donné en langue nationale « était une très bonne chose, parce que les enfants ont pu ainsi garder de solides amitiés ». Or, malgré tout le mérite des langues nationales, des milliers d'enfants guinéens, qui se sont retrouvés par la suite dans un système scolaire de type occidental, se seraient bien passés d'amitiés pour un peu plus de savoir universel, les dialectes guinéens n'ayant que rarement traversé les frontières nationales. En 1966, il déjouait un énième complot, celui de son cousin « petit» Touré, ancien directeur d'une usine de textiles. En 1969, l'année terrible, commence l'extermination de milliers d'opposants au Camp Boiro, où disparaîtront en cinq ans entre 10 000 et 30 000 personnes. Pendant ce temps, la Côte d'Ivoire d'Houphouët atteignait un PIB par habitant de 186 dollars par an - trois fois celui de la Guinée - et un excédent commercial de 45 millions de dollars, équivalant à la totalité des exportations de la Guinée. Les aventuriers ou les « Guinéens de l'extérieur », sont quelque deux millions à avoir fui leur pays sur une population de six millions... Il suffisait parfois de donner un peu d'argent à des militaires pour qu'ils aident à franchir la frontière. Beaucoup de gens sont alors partis pour la Sierra Leone voisine -« c'était notre Amérique à nous », se souvient avec émotion un chauffeur de taxi - ainsi que le Liberia, la Côte-d'Ivoire - en plein boum depuis la séparation franco-guinéenne -, le Sénégal et l'Europe... Et pourtant, à en croire Andrée, le peuple ne devait pas trop en tenir rigueur à Sékou Touré, qui entretenait avec celui-ci des relations de père à fils: «Sa porte était ouverte pour tout le monde et chacun pouvait venir à n'importe quelle heure. Sa ligne de téléphone était directe; tout le monde connaissait le 57
Le Solei!,
24 novembre
2004.
45
numéro et il n'avait pas de standard. Quand on appelait, même la nuit, c'est lui qui répondait. » Combien de personnes avaientelles le téléphone en Guinée à l'époque? Un tout petit cercle de privilégiés de la révolution sans doute. Et Andrée de poursuivre: « Je me rappelle combien de fois nous avons été dérangés à une heure très tardive par des gens qui avaient perdu un être cher, qui aussitôt pensaient à lui. Alors quand je disais qu'ils pouvaient au moins attendre qu'il fasse jour, il me disait non, c'est la confiance ». On imagine les pauvres Guinéens ayant perdu des proches, venir tout tremblants voir Sékou Touré. Pour lui demander des comptes? Il faut reconnaître que son nom pouvait tout naturellement venir à l'esprit en cas de disparition mystérieuse de proches. .. Sékou Touré, selon elle, était un homme bon, humain: « ...très disponible. Imaginez qu'il avait créé une cité pour les handicapés qu'il finançait de sa poche. De temps en temps il me disait: « va voir à la cité. Eux, ce sont mes vrais parents ». Et les habitants de la cité appelaient Papa quand leur poste de télévision était en panne. Ils y vivaient à l'aise avec tout le nécessaire. Les célibataires d'un côté, les mariés d'un autre; les enfants allaient à l'école normalement pour qu'ils ne grandissent
pas avec le complexe de leur handicap58.
»
On a dit que la Guinée avait souffert du divorce avec Paris, mais les pays d'Europe de l'Est sont venus à son chevet et n'ont eu de cesse d'envoyer leurs experts. N'étant pas formé en économie moderne, Touré rechercha l'industrialisation instantanée. Malgré une aide de 92 millions de dollars en crédits soviétiques et celle de 1200 conseillers russes, il n'y parvint pas. A l'instar du bloc soviétique prônant la joie de vivre à tout instant, la vie politique guinéenne était constamment animée par des fêtes servant à réchauffer l'atmosphère publique: fête des femmes en l'honneur de Mbalia Camara, militante du parti assassinée au cours des luttes politiques; anniversaire de la création de la monnaie guinéenne, de la création du mouvement de la jeunesse, JRDA, de la création du PDG, Parti 58
Le Soleil, ibid.
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Démocratique de Guinée, du déclenchement de la révolution culturelle socialiste, du référendum du non à de Gaulle; fête de l'école guinéenne, de l'indépendance; fête de l'armée guinéenne, anniversaire de l'échec du débarquement des mercenaires. A ces nombreuses fêtes nationales s'ajoutent les fêtes religieuses, le jour de l'an et autres fêtes internationales (1er mai, fête internationale du travail, 25 mai, anniversaire de la création de l'OUA) et les visites officielles. Ces différentes cérémonies qui faisaient l'objet de la mobilisation de tout le peuple plongeaient le pays dans une constante atmosphère de fête, comme si tout était en ébullition et que le pays tout entier vibrait au rythme d'un militantisme révolutionnaire. Jacques Vignes souligne que ces festivités quotidiennes visaient à: « [...] faire du peuple une sorte de bloc homogène à diriger
sans à-coup
[.oo]
Et l'on ne peut s'empêcher de penser que,
sous le régime de Sékou Touré, la Guinée tout entière était devenue une sorte d'immense théâtre où les acteurs inconscients interprétaient une pièce à laquelle ils ne comprenaient rien. C'était un monde du spectacle, réglé à la manière de ces ballets où les Africains sont maîtres. Au baisser des rideaux, si l'on ose dire, chacun applaudissait la performance, sans bien voir que l 'histoire qui venait d'être racontée n'avait aucun rapport avec le foisonnement du réel. Sans s'apercevoir en fin de compte qu'on lui jouait toujours la même pièce, avec prière d'applaudir à tous les tableaux, puisque c'était le PDG qui tout à la fois dirigeait l'orchestre, assurait la mise en scène, réglait les danses et les chœurs, et avait écrit le scénario59. » Andrée bien entendu jouait un rôle important, encadrant les populations comme lors de la visite du directeur de l'UNESCO en mars 1979, où la population, sous son patronage, fut invitée à participer à cette occasion à une grande fête sur l'île de Los en face de Conakrlo. Mais une autre femme, Mafory Bangoura, leader des femmes du parti RDA, « une teinturière et couturière 59 Vignes Jacques (1984), Un seul parti, un seul état: Sékou Touré, in Jeune Afrique-Plus, n° 8, pp 10-17. 60 www.capitainedepeche.comlescale%20conakry.htm.
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sans diplômes et membre important du comité des femmes du RDA », ajoué un rôle important. Celui d'Andrée Touré n'aurait été que secondaire, même si elles figurent toutes les deux sur un disque ou sont chantées leurs louanges. Pour rapprocher les gens et renforcer leur sens d'identité collective, l'idée d'uniformes fit son chemin. «Les membres du parti étaient en général originaires des classes pauvres et ne pouvaient pas acheter de tissu cher. Il n'y avait pas d'argent, les tissus coûtaient cher, les femmes du RDA - femmes du marché portaient des étoffes bon marché, tandis que nos adversaires étaient revêtus de grands boubous faits de tissus de luxe, tels que la soie. Andrée Touré et Mafary Bangoura confectionnèrent des blouses qui descendaient jusqu'à la taille, appelées temuray. Ces blouses étaient faites en percale, une étoffe bon marché. Le pagne était teint à la mode du pays, avec de l'indigo... Ce sont les femmes qui décidèrent que les blouses devaient être blanches. Lorsque les hommes virent que les femmes avaient adopté le blanc, alors ils commencèrent à porter du blanc eux aussi, et par la suite, cela devint la couleur nationale du RDA. »61
D'autres femmes ont compté pour Sékou Touré: il eut officiellement une relation extraconjugale avec Marguerite Cole, qui lui donna une fille, Aminata. Jeanne Martin Cissé, nommée ambassadrice à New Yark et représentante permanente de Guinée auprès des Nations Unies à New York, puis coordinatrice de l'union des anciennes normaliennes de Rufisque, aurait également compté pour lui. A Andrée, a succédé Henriette Conté, née Bangoura, épouse, en secondes noces, du président Lansana Conté, président depuis le 3 avril 1984, date de la disparition de Sékou Touré. Elle a deux ou trois coépouses, peut-être quatre. Le site officiel de l'Assemblée Nationale de Guinée dit d'ailleurs que le Président est marié à «Henriette, chrétienne, et Kadiatou
61 Top Down or Bottom Up? Nationalist Mobilization Special Reference to Guinea (French West Africa)
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Reconsidered,
with
Camara (musulmane)62.» En effet, «après avoir rompu un premier mariage qui lui a donné cinq enfants, [le président Conté] est aujourd'hui marié à trois femmes. » Le pouvoir se décide dans les cercles des épouses et courtisans, autour de quelques figures de proue (les femmes du président, les intimes et la famille) et de personnalités issues du monde économique ou du PUP (les hommes d'affaires, les caciques du parti). Ces clans sont composés d'un grand nombre de Soussous, l'ethnie du président. Cependant, le critère principal d'appartenance repose sur la capacité à intégrer l'entourage présidentiel, qui se fonde lui-même sur des critères familiaux - les épouses, les frères, les neveux -, sur des critères ethniques, mais aussi sur l'appartenance aux réseaux d'officiers qui ont soutenu Conté lors de sa prise de pouvoir initiale ou à des réseaux d'affaires qui s'articulent autour de la présidence. Dans un article décapant intitulé Un chef de village à la présidence, Cheick Yerim Seck décrit Lansana Conté comme le phénotype même du Soussou, avec un tempérament d'un francparler indifférent aux convenances et considéré comme un important homme d'affaires, avec une forte propension à en découdre. Marié à trois femmes, il n'aime vivre qu'en Guinée, et ne se nourrit que de plats traditionnels guinéens tels que le baandé (riz gros grain - sauce arachide), même à l'étranger, et qu'il adore manger avec la main. Les ambassades de Guinée s'organisent pour s'assurer que ces vivres ne manquent pas lors de voyages officiels du président.63 Lansana Conté, Sous sou resté paysan dans l'âme, n'utiliserait que décoctions et autres philtres magiques élaborés par des guérisseurs et autres apprentis sorciers recrutés aux quatre coins du pays et de la sous-région. Tout ce que Boké et Siguiri en Guinée, Koulikoro au Mali et la Casamance au Sénégal comptent de karamokos (marabouts) réputés se succède au chevet du malade de Wawa. Rongé depuis longtemps par la 62www.assemblee.gov.gnlLoi%20Fondamentale/ PRG/Pr%E9sident%20de%20Ia%20R%E9publiqueLansana%20Cont%E9.htm - l4k. 63 Jeune Afrique, 2 septembre 2002.
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maladie, Lansana Conté s'accroche et refuse de céder la moindre parcelle de ses prérogatives... Henriette se serait effondrée lorsqu'il ne l'aurait pas reconnue suite à un de ses comas prolongés. Les proches du chef de l'État ne reculent devant aucune dépense pour l'aider à se rétablir. Des dizaines de bœufs, de moutons, de chèvres, des cérémonies répétées de « bénédiction », des lectures à n'en plus finir du Coran... Wawa vit au rythme de sacrifices, offrandes, rituels et autres prescriptions maraboutiques visant à infléchir la courbe déclinante de la santé du patient64. L'ONG International Crisis Group fait état de clans, «divisés autour de quelques figures de proue (les femmes du président, les intimes et la famille) et des figures de second plan (les hommes d'affaires, les caciques du PUP).» Le critère d'appartenance à ces clans est plus fondé sur la capacité à faire partie de l'entourage présidentiel que sur un simple critère ethnique. Ceci dit, il semble bien qu'une grande partie de ces clans soit originaire de la Basse Côte (soussou) même s'ils n'excluent pas en leur sein des membres originaires d'autres régions de Guinée. Henriette, la première épouse, est à la tête d'une fondation d'oeuvres sociales qui verserait, dit-on, dans les affaires. Un temps éclipsée par la seconde épouse, elle est récemment revenue sur le devant de la scène. La seconde épouse, musulmane, longtemps considérée comme la favorite et la marraine des musulmans de Guinée65, est une femme d'affaires avertie. Elle est la mère de la plupart des enfants du président. Sa récente disgrâce, à la suite de la maladie de son mari, ne l'empêche pas de demeurer encore très influente. Elle exercerait ses talents de femme d'affaires dans des domaines aussi variés que la téléphonie, la distribution, les mines, etc.66.Il existe enfin une troisième épouse, non officielle, d'origine peule, dont l'influence serait grandissante, et une quatrième, quasi-
64 leune Afrique-lAI, Cheikh Y érim Seck, 27 avril 2005. 65 Politique Africaine 2003 Guinée. 66 La Lettre du Continent, n° 430, I I septembre 2003.
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inconnue. À côté des épouses, les proches parents de Lansana Conté sont également très présents dans son entourage. Ronde et joviale, a priori sympathique, Henriette n'a pas eu d'enfant, mais assiste ceux des autres dans le cadre de son organisation humanitaire, la Fondation Maman Henriette Conté, «dans le but d'aider à apporter des solutions par des actions socio-économiques visant à améliorer la condition de la mère et de l'enfant ». Henriette est la compagne «des heures difficiles, celle des années d'errance dans les camps militaires du pays, au fil des affectations.67 ». La Fondation Maman Henriette Conté est active sur le front de la lutte contre le SIDA, avec notamment une assistance à cent personnes atteintes par le virus en janvier 2003 et des campagnes de sensibilisation aux militaires. Ce portrait affable est confirmé par Galbert68 : « Renommée agréable, l'armée la considère comme LA femme et non UNE femme du Général-président. Elle est très proche à la fois des amis du 3 avril (1984, date de la prise de pouvoir) et des officiers de la nouvelle génération. Depuis la prise du pouvoir par l'armée, elle a élu domicile au camp Samory, lieu de résidence officielle du Président. A son avantage, elle était l'unique épouse du Colonel Lansana Conté lorsque celui-ci accéda à la magistrature suprême ».
67 Jeune Afrique, 2 septembre 2002. 68 kibarou.com, M'Bemba Galbert.
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Henriette Conté, au centre
Pour mesurer l'importance d'Henriette, il faut savoir qu'en 1984 elle et son jeune frère Jean-Claude Bangoura auraient été approchés par les épouses des putschistes pour « supplier son mari de prendre le pouvoir »69, reconnaissance de son rôle d'épouse influente dans un pays musulman, où l'homme a le droit d'avoir plusieurs épouses. Plus récemment, lors de la crise qui a secoué la Guinée en janvier 2007, c'est Henriette qui est venue démentir la rumeur « faisant état d'un éventuel refus du président Conté de signer le protocole d'accord sur la nomination d'un premier ministre ». «Aujourd'hui, c'est la dame de cœur du général, Henriette Conté, qui rassure les syndicalistes en démentant cette rumeur70 ». Sur le front politique national: «.. .les listes électorales ne sont pas seulement incomplètes, elles fourmillent aussi d'incohérences et d'anomalies. Ainsi, à Boké, bastion du parti au pouvoir et ville natale d'Henriette Conté, l'épouse du chef de l'État, le corps électoral s'est enrichi de cent mille 69 L'Indépendant N°220 du 3/4/97, Abdoulaye 70 http://www.guineenew3.comI0/02/2007.
52
Condé.
nouveaux électeurs entre 1998 et 2003. À l'inverse, Siguiri, l'un des fiefs d'Alpha Condé en Haute Guinée, a perdu vingt mille électeurs pendant la même période7l ! » Henriette Conté a été très visible lors de la campagne du parti de l'unité et du Progrès (PUP) qui détient la majorité parlementaire, pour les élections municipales, et a «ravi la vedette au Premier ministre d'alors (Cellou Dalein Diallo), avec la radio et la télévision nationale ne cessant de vendre son image... Désormais, pour apparaître à la télé c'est facile, il suffit de se faire une place dans la délégation de la Première Dame et tout est acquis. C'est ce que les femmes ministres du gouvernement ont compris. A chaque déplacement de la Première Dame, elles font le plein dans sa délégation. Dernier exemple en date, la visite de la Première Dame dans un district de Boké, où elle possède un vaste domaine cultivable... Toutes les femmes ministres (comme Hadja Koumba Diakité et Hadja Aissatouta Bella Diallo), la directrice exécutive du programme national de lutte contre le SIDA, les épouses des officiers supérieurs de l'armée nationale. De quoi faire rêver debout ces villageois qui s'en souviendront toute leur vien! » Henriette Conté, comme ses collègues épouses de chefs d'Etat, reçoit les membres du Rotary, d'organisations humanitaires, passe de l'éradication de la poliomyélite à la traite des enfants, aux mutilations génitales féminines et à la prostitution. Mais au-delà de ses activités caritatives, Henriette la débonnaire représente son époux, comme lorsqu'elle a rencontré Kadhafi en janvier 2006 à Syrte, pour lui transmettre un message de son mari louant le lancement du « projet Kadhafi stratégique de la jeunesse, de la femme et de l'enfant africain ». La Première Dame de la Guinée était accompagnée d'une délégation dont le ministre de l'Economie, Amadou Camara73, ce qui ne laisse aucun doute sur le caractère officiel de la visite, 71 L'intelligent Guinée, 6 octobre 2003. 72 Kabanews 23/05/2005 correspondant Fassou D Junior. 73http://www.africatime.comlgu inee/nouvelle.asp? no
_nouvelle=23
5217 &no
_categorie=. 53
au nom de l'Etat guinéen. Henriette serait aussi la femme des basses manœuvres, notamment lorsqu'il s'agit de soutenir le régime ivoirien. Elle fit une visite très remarquée en septembre 2004 à Abidjan où, reçue par Mme Gbagbo et le leader des Jeunes Patriotes Charles Blé Goudé, elle était accompagnée de quatre individus d'origine européenne, des mercenaires74. Henriette et sa famille auraient des intérêts immobiliers à Conakry, où ils achètent des quartiers entiers. Certains de ses amis au gouvernement se font construire des palais; d'autres placent leurs intérêts à l'étranger. Les enfants du président étudient en Suisse, loin des problèmes guinéens. Quand Conté a pris le pouvoir, «il a fait revenir des Guinéens de l'extérieur pour mettre de l'ordre dans la Constitution et organiser le passage au libéralisme. Avec quelques-uns, on a donc essayé de leur inculquer le sens de l'Etat, de l'intérêt général. Aujourd'hui nous passons pour des extraterrestres. Aujourd'hui la règle est moi-je-profite, et si tu ne participes pas au racket national tu es maudit. Lansana Conté, on ne le reconnaît plus, il a tellement changé depuis 1984 », regrette un ancien ministre75. Lansana Conté, à sa prise de pouvoir en 1984, avait formulé de belles promesses, annonçant le « redressement national» et prenant des engagements devant ses compatriotes: «Nous les militaires sommes tous venus au pouvoir pauvres, le jour où vous verrez l'un d'entre nous construire une villa, c'est qu'il aura volé. » Quinze ans plus tard, le Général-président Lansana Conté était déjà considéré comme un important homme d'affaires et propriétaire immobilier. Lors des élections présidentielles de décembre 1998, Conté a fait tout simplement enfermer l'opposant le plus en vue, Alpha Condé. En 2004, ce despote indifférent aux déchirements de sa majorité et à la dégradation de la situation économique, miné par la maladie, s'est représenté aux élections et les a gagnées. Il aurait déclaré à ses partisans qui venaient de l'adouber candidat officiel de son parti, le PUP : 74http://www.unregardmoderne.comlspi date=20051011&id mot=328. 75 Nouvel Observat;;ur, 19 août 1999.
«
Je ne peux pas faire campagne, p/viewvoir. php3?
54
j'ai mal aux pieds. C'est vous qui m'avez désigné, alors débrouillez-vous ». Il reste président malgré son évident manque de capacité physique de gouverner. En mars 2006, Conté a été évacué d'urgence en Suisse, avec Henriette à ses côtés. Le pays a retenu son souffle, espérant une démission, à défaut de la disparition définitive du chef de l'Etat. En vain. Pendant ce temps, les Guinéens connaissent des pénuries de riz, base de l'alimentation, des augmentations de prix généralisées, souffrent d'un système scolaire et sanitaire déficient et de tous les maux des pays pauvres. Pays potentiellement très riche, la Guinée produit 40% de la bauxite mondiale, a des réserves d'or, de diamant et un très bon climat permettant de développer l'agriculture. La Guinée est le pays ou deux jeunes, Yaguine et Fodé, de 14 et 15 ans, se sont accrochés au train d'atterrissage d'un Airbus de la SABENA un jour de 1999, pour fuir leur quotidien misérable et espérer trouver un avenir meilleur en Europe. En Guinée, l'analphabétisme reste très élevé, et les adolescents ne tardent pas à rejoindre les cohortes de gueux condamnés à survivre avec 5 francs français 76par jour. Yaguine et Fodé sont les enfants des années Conté. Ils ont grandi sous son règne. Vivants, ils ne représentaient rien. Henriette, en compétition avec deux ou trois autres femmes, est-elle capable de convaincre son époux malade de se retirer de la scène politique? Et surtout, le souhaite-t-elle simplement? Personne ne le saura. La situation polygame de son foyer ne l'a nullement gênée lorsqu'elle a participé à la première Conférence de l'Union Africaine des ministres chargés de la Femme et du Genre à Dakar, du 12 au 16 octobre 2005, prônant ni plus ni moins l'équité et l'égalité des chances entre hommes et femmes! Pendant les troubles de janvier et février 2007 qui ont eu pour résultat une centaine de morts, Henriette a été beaucoup vue, servant d'intermédiaire entre son mari et les syndicats. La société civile a exprimé son indignation dans une lettre au
7676 centimes d'euros. 55
Premier ministre qui la félicitait pour son «implication personnelle» dans la résolution de la crise77 : «Monsieur le Premier ministre, l'heure n'est pas à rendre hommage à Lansana Conte et à sa femme Henriette Conte. D'ailleurs pourquoi rendre hommage à Henriette Conte qui a laissé son mari Général Lansana Conte massacrer l'économie guinéenne pendant ses 23 ans de règne sans partage? Le premier conseiller d'un homme n'est-il pas son épouse? Pourquoi Henriette n'a-t-elle pas conseillé son mari pendant qu'il était encore temps? "Mieux vaut prévenir que guérir" a dit Hippocrate. Maintenant que tout est au rouge, les populations n'en veulent plus... Pour les Sans Voix, Madame Henriette Conte ne mérite aucune attention particulière, elle est aussi responsable que son mari Général Lansana Conte dans la
débâcle guinéenne. » La deuxième femme, Hadja Kadiatou Seth Camara, que les médias publics appellent « l'épouse du chef de l'État », est une ancienne Miss Guinée (présentée, certains Guinéens en frémissent encore d'horreur, « en slip» - maillot de bain - à la TV nationale pendant le concours de beauté, un acte choquant pour les Guinéens traditionnels), que Conté arrachera à son fiancé. Elle est la mère de huit enfants du général, dont le dernier, une fille, est né en octobre 200178. Kadiatou serait la personne qui exerce la plus forte influence sur le président; en effet, pour le traditionnel discours du 31 décembre 2005, le secrétaire général de la présidence Fodé Bangoura l'aurait mise à contribution79 et « le chef de l'Etat a fini par lire, laborieusement, un texte rédigé par Bangoura luimême» qui voulait empêcher le Premier Ministre (limogé quelques mois après) de le prononcer. Après le départ de Ceillou Dalein Diallo, Premier Ministre, « tous les ministres du gouvernement sont venus faire allégeance chez Kadiatou Seth Camara pour la fête du Maouloud80 ». 77Aminata.com du Il mars 2007 publié le 12 mars 2007. 78Jeune Afrique, 2 septembre 2002. 79Jeune Aji-ique - L'Intelligent N° 2350 du 22 au 28 Janvier 2006. 80La Lettre du Continent Ier juin 2006. 56
Après la Suisse où elle s'était installée pour l'éducation de ses enfants, puis le Maroc où elle s'était repliée - elle possède une somptueuse maison, laissant ainsi sa coquette résidence de Camayenne inoccupée les trois quarts du temps -, Kadiatou est revenue à Conakry devant la dégradation de l'état de son mari. En 2002, elle tomba en disgrâce faute d'avoir suffisamment soutenu son mari lors de sa maladie alors que les rumeurs concernant sa mort se multipliaient. Kadiatou Seth serait associée, outre à Guido Santullo, entrepreneur italien omniprésent en Guinée, à des hommes d'affaires libanais spécialisés dans le trafic d'armes et de pierres précieuses, et détiendrait le monopole d'attribution de terrains à Conakry. Kadiatou a elle aussi représenté la Guinée à l'extérieur, comme en juin 2000, où elle a visité Kansas City, aux EtatsUnis d'Amérique, «en sa capacité de First Lady et d'ambassadrice de bonne volonté », pour rencontrer le gouvernement, la communauté des affaires, et tisser des liens et des partenariats, en apportant un message progressif de liberté économique, de progrès technologique et de responsabilité sociale vis-à-vis des femmes, des enfants et des pauvres. Bien entendu, il lui fallait sa fondation. FONDIS (Fondation pour la solidarité internationale) est logée dans un siège luxueux tranchant cruellement avec la pauvreté ambiante à Conakry, capitale de la Guinée, pays, soit dit en passant, classé « PMA » (Pays les Moins Avancés) et au bas de l'échelle des pays les plus pauvres de la planète (l60èmesur 177 dans le Rapport 2004 sur le Développement Humain)... Que dira Lansana Conté à son peuple concernant ses efforts pour réduire la pauvreté? Il est tout de même au pouvoir depuis 1984... Créée en 2000, FONDIS prétend occuper le terrain des «œuvres sociales sans but lucratif et/ou des activités saines facilitant et impulsant la mise en route de la lutte contre la pauvreté, contre l'exclusion sociale, l'analphabétisme et la précarité et pour l'accès aux biens essentiels ». FONDIS a également un service traiteur. FONDIS se veut une maison de bienfaisance qui pérennise la générosité, l'aide et l'assistance. FONDIS entend aussi jouer un rôle dans la résolution de 57
conflits. Comme on s'en doute, à l'exception de sa curieuse activité de service traiteur, la plupart des activités sont ponctuelles et de faible envergure, fortement médiatisées, à l'attention de quelques populations défavorisées (quelques écoles ici et là), de cours de couture et coiffure pour les jeunes filles, d'inaugurations d'édifices religieux et de collecte de fonds. Par exemple, comme ailleurs, les institutions de la République sont mises à contribution (ministère de la Communication qui donne 40 sacs de riz, 12 cartons de sucre, le ministère des Affaires Étrangères qui lui donne 4 sacs de riz de 25 kg, 25 kg de sucre, un bidon de 10 litres d'huile, Direction nationale des impôts). Le secteur privé, les représentations diplomatiques - telles que l'Ambassade du Nigeria et celle d'Arabie Saoudite - y vont aussi de leur poche. Nullement embarrassés par de telles accointances, deux organismes internationaux, le Conseil Scientifique du Comité Islamique du Croissant International dont le siège se trouve à Tripoli et le Comité Islamique du Croissant International dont le siège est au Qatar ont, début 2006, décoré Kadiatou Seth Conté, pour les cinq ans de FONDIS, des plus hautes distinctions des deux grandes institutions arabes81. La chanteuse ivoirienne vieillissante Aïcha Koné, en concert à Conakry en février 2005, a entonné de sa voix nasillarde une dédicace à Hadja Kadiatou Seth Conté, comme elle en avait l'habitude en Côte d'Ivoire pour Houphouët-Boigny. Pour revenir au service traiteur, Kabinet Camara, ancien directeur de la compagnie d'électricité EDG82,aurait été nommé grâce à la «deuxième Première Dame », Hadja Kadiatou Seth, en échange de quoi il attribua tous les marchés de restauration à la FONDIS. Séminaires, ateliers, colloques, soliloques, tout ce que EDG organisait se déroulait dans le cadre pittoresque de la Fondation à Donka. L'auteur de ces lignes souligne cependant que Kabinet Kamara «fut néanmoins évincé faute de n'avoir pu 81
Nouvelle Tribune, avril 2006, www.nouvelIe-tribune.comlindex.php?id=1 0 1& back PID=12&begin_at=40&tt_news=18 - 23k-. 82 Electricité de Guinée.
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donner régulièrement le courant au moment où la population en avait plus que besoin, notamment dans la seconde moitié de l'année 2002 coïncidant avec la coupe du monde de football ». En 2005, FONDIS avait abrité le dîner d'amitié offert par le président de l'Assemblée Nationale, Elhadj Aboubacar Somparé, à la Délégation médicale française, à l'occasion des deuxièmes Journées médicales franco-guinéennes. Le grand couturier Pierre Cardin, Ambassadeur honoraire de l'UNESCO, a été élevé au rang honorifique de «Membre d'Honneur de la Fondation Radja Kadiatou Seth Conté lors de sa visite en Guinée le 15 février 200683. Epousée en 1990, celle qui était « La Batè » dans les années 90 est tombée en disgrâce depuis l'arrivée de la troisième épouse, Hadja Hasmaou Baldé... Des quatre épouses de Lansana Conté, Hadja Kadiatou Seth est sans doute celle qui a le plus investi dans les affaires pour, dit-on, préparer l'avenir de ses nombreux enfants. Ses investissements sont à la fois en Guinée et à l'étranger, particulièrement au Maroc... Jugée dans le passé arrogante et envahissante envers les médias d'Etat, Hadja Kadiatou Seth agace plus qu'elle n'attire la sympathie des Guinéens. L'âge aidant et la fin du régime pointant du nez, l'ancienne miss se fait de plus en plus sage. Peut-être pense-telle à sa situation de l'après-Conté4 ? Elle fait bien, quand on sait que la population en colère a brûlé un de ses biens immobiliers lors des émeutes de février 2007... Hadja Hasmaou Conté née Baldé, la troisième épouse du président, non officielle, est d'origine peule. Arafan Camara, adjoint du chef d'État-Major, est Malinké de Faranah ; El Hadj Guinée, l'ex-homme fort du patronat guinéen, était également peul - avant d'être remplacé par Mamadou Sylla, originaire de la Basse Côte85. Mme Hasmaou, révélée au public aux lendemains de la nomination de Cellou Dalein à la Primature, en décembre 2006, « fait et défait actuellement les hommes au 83www.guineeconakry.info/index. php? action=read&item=1140151976. 84 Ga1bert, ibid. 85 International Crisis Group Guinée, 19 décembre 2003.
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sommet de l'Etat, et veille comme au lait sur le feu sur son
poulain, Mouctar Barrl6. » Méconnue du grand public, elle est considérée comme la confidente du président car apparemment très versée dans les sciences occultes. Elle est souvent à l'origine des nominations difficiles. Son expérience de la polygamie fait d'elle le chouchou des parents du président. Généreuse et très attentive aux besoins de la famille de son mari, la troisième épouse a conquis le cœur des frères et sœurs du chef de l'Etat par ses cadeaux spontanés aux plus nécessiteux des Conté, de Conakry à Gbantama. Joueuse de cauris, les rumeurs disent qu'elle indique à son mari ce que ce dernier doit faire lorsqu'il s'agit de prendre des décisions importantes. Elle a fait un enfant pour le président87. Lors des émeutes de février 2007, elle a offert aux «médecins du CHU de Donka qui s'occupent des blessés de la barbarie du 22 janvier 2007, une enveloppe financière d'encouragement de 51 millions de francs guinéens (environ 6500 dollars)88 »... Enfin, il existerait une quatrième épouse: Mme Mamadie Conté née Touré; fille de Mamadouba Touré, ami personnel du
Président, elle continue à appeler son mari « Papa ». On est en plein délire œdipien. Très peu connue des Guinéens, elle délimite volontairement son rayon d'influence sur Dubréka avec à la clé la création d'une ONG locale qui porte le nom de sa mère. Malgré les difficultés économiques de la Guinée, Lansana Conté n'hésite pas, depuis les années 1990, à s'impliquer dangereusement dans les conflits de la sous-région. La Guinée forestière notamment est devenue une plaque tournante des armes et des combattants, abritant des groupes armés qui ont contribué à la détérioration du climat politique local et à la 86Kababachir. com/po litiquedetails. asp? offset=5 30& identification=1601 - 24k Supplemental. 87 Kibarou.com, M'bemba - Galbert. 88www.guineeconakry.info/index. php? action=read&item=1171004762.&
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montée des tensions intercommunautaires89. Entre novembre 2002 et juin 2003, Conakry a connu des coupures d'eau et d'électricité, donnant lieu à plusieurs manifestations spontanées en février-mars 2003. «Les prix des produits de base ont également flambé à partir du milieu de l'année 2003 : le sac de riz est ainsi passé de 24 000 francs guinéens (FG) à plus de 240 000 FG en 2007, et le salaire d'un fonctionnaire se situe entre 200000 et 300 000 FG (35 euros environ en 2006). Depuis l'été 2003, la presse indépendante se fait l'écho de la difficulté de la population guinéenne à affronter une telle hausse du prix des denrées de base. En juillet, un camion chargé de riz a même été pillé en plein jour par la population dans une commune de Conakry. »90 Mais c'était sans compter avec les pillages de janvier 2007 par une population excédée par les privations. En juillet 2004, la flambée des prix des denrées de première nécessité sur le marché, et en particulier du riz, a provoqué une crise socio-économique sans précédent pendant plusieurs semaines, avec des dizaines de magasins appartenant à de gros commerçants attaqués pendant la nuit et saccagés. Des jeunes gens affamés ont pillé des camions-remorques sortant du port de Conakry en direction des grands marchés de la capitale. Les ménagères ont lancé quelques slogans, dont « saré Khorokho » (<
http://www.politique-africaine.comlnumeros/pdf/conjonctures/94 Politique
africaine
2003
- Guinée
91 Horoya. 92 Fassou D. Junior, correspondant 17 septembre 2005.
KABANEWS
61
Conakry.
] 28.pdf.
don (15 septembre 2005), les Etats-Unis, par le biais d'un fonds mis à la disposition de son ambassade et géré par l'agence américaine de développement USAID, offrent à la Guinée un montant de 128 000 dollars destiné aux microprojets. Et ces deux éléments, très significatifs pour l'opinion générale, ont été diffusés successivement par la télévision nationale. Le geste de la Guinée est incompréhensible. En effet, « le 22 août, une pluie diluvienne a fait des ravages à Gaoual, une des localités les plus pauvres du pays, détruisant 496 cases, 72 greniers détruits, des mosquées et des centaines d'hectares de champs et de vergers, des centaines de familles sans abri. La nouvelle a été diffusée par la radio nationale cinq jours après le sinistre. Et le gouvernement guinéen n'a apporté aucune assistance à ces sinistrés. Quelques jours auparavant, le Sénégal voisin a été frappé par des fortes pluies torrentielles ayant causé d'importants dégâts à Dakar où se trouve concentrée la plus forte colonie guinéenne à l'étranger. Là aussi, le gouvernement guinéen n'était pas prompt », selon la presse locale. Ce don guinéen est venu au moment où « on nous dit que par manque de devises, on ne peut pas avoir le carburant suffisant pour faire fonctionner les groupes de la centrale thermique de Tombo et fournir de l'électricité à la capitale, tous les jours baignée dans l'obscurité ». Pendant ce temps, «la Chancellerie de l'Ambassade de Guinée en Angleterre sise au 83 Victoria Street à Londres a été fermée le jeudi 3 novembre 2005, pour non-paiement de loyers échus », d'un montant total de 22 000 livres sterling.
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DEUXIÈME PARTIE LES NOUVELLES MÈRE TERESA
Chantal Compaoré
ue reprocher à la souriante et sympathique Chantal Compaoré, qui a l'air de ne déranger personne? Gaie comme un pinson, elle n'hésite pas à détendre l'atmosphère lors des nombreux sommets de chefs d'Etat ou galas en esquissant régulièrement des pas de danse, comme en juin 2005, lors du sommet des chefs d'Etat du CENSAD, où Chantal, au son de Tango tango de l'AS-Dl, est montée sur le
Q
podium où elle a été rejointe par d'autres dames pour « couperdécaler93 ». Les mauvaises langues diront qu'à l'instar des geishas, elle a été bien formée pour amuser les riches et les puissants. Que dire de celle qui, dame patronnesse au secours de la veuve et de l'orphelin, s'évertue à humaniser l'image de Blaise, malgré toutes les violations de droits de l'homme par son mari, le président du Burkina-Faso? Chantal Terrasson épouse Compaoré est née en Côte d'Ivoire au milieu des années L'image que donne volontiers 1950, d'une famille francoChantal,celle de la bonne ivoirienne avec des ramificamère toute simple. tions au Burkina-Faso. Ancienne employée d'Afric Voyages à Abidjan, elle s'est illustrée dans l'équipe nationale de hand-ball, et fréquentait la star ivoirienne de football Laurent Pokou avant d'être présentée au beau Blaise dans les années 1980, avec la bénédiction d' Houphouët-Boigny, président de Côte d'Ivoire. 93
Sidwaya,
3 juin
2005.
Sous ses airs de bonne maman «bon enfant », sentant sûrement le talc pour bébés à force de fréquenter les pouponnières, Chantal serait moins anodine qu'elle en a l'air. Elle aurait servi de gage d'amitié entre la Côte d'Ivoire et le Burkina, ou de cheval de Troie faisant voler en éclats la révolution du dirigeant burkinabé Thomas Sankara, déjà mise à mal par l'extrémisme de ce dernier. Selon certaines sources, Houphouët aurait essayé d'acheter Sankara (alors président du
Burkina). « On a souvent parlé d'une somme de 500 millions de francs CFA94 qu'Houphouët aurait proposée à Sankara pour rentrer dans le rang et mettre de l'eau dans son vin. La rumeur veut qu'il les ait refusés et que Blaise Compaoré, vers qui Houphouët s'était alors tourné, ait accepté la libéralité. Le fait est que, le dialogue étant impossible avec Sankara, Houphouët, tout à son rôle de grand frère, jette son dévolu sur Blaise Compaoré, apparemment plus réceptif au langage sonnant et trébuchant du Vieux. Et l'offensive va commencer pour s'attacher la fidélité du numéro deux du régime burkinabè95 ». C'est alors que Chantal serait entrée en jeu: «La carte maîtresse d'Houphouët s'appelle Chantal Terrasson. Connue et populaire en Côte d'Ivoire grâce à une carrière sportive de handballeuse de haut niveau, cette jeune femme, au demeurant séduisante, est une proche d' Houphouët, sans toutefois faire partie de sa famille comme cela a souvent été écrit. Elle est la fille du docteur Jean Kourouma Terrasson, une figure de la Côte d'Ivoire, lui-même fils du gouverneur colonial Terrasson de Fougère et de Madoussou Diarrassouba. Il a fait ses études à Dakar et est de la génération des premiers cadres africains de la colonie, comme Houphouët dont il reste proche; il sera dans plusieurs cabinets du ministère de la Santé. » La rencontre entre Blaise Compaoré, dont la réputation de grand amateur de femmes est connue, et Chantal Terrasson ne serait pas le fait du hasard. Alors ministre de la Justice, Compaoré est en visite de travail à Abidjan, hébergé à l'hôtel Ivoire. Et Chantal fait opportunément partie de la délégation chargée par le protocole 94 Avant la dévaluation I FF = 50 FCF A. 95 Olivier Biot, Epiphénomènes Burkinabé,
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2002-2003.
d'accompagner le visiteur. Le mariage de Blaise et Chantal, en 1985, « pourrait être, selon plusieurs sources, une des causes de
la rupture entre Sankara et Compaoré. Là effectivement, on peut subodorer que le rôle d'Houphouët ne s'est pas limité à jouer les entremetteurs. Sans qu'aucun témoignage ne puisse formellement l'attester, il aurait pris une part active, financièrement parlant, dans le renversement de Sankara, réaffirmant la main mise d'Abidjan sur l'exécutif burkinabè96 ». On peut déplorer que, malgré cette union, le conflit actuel entre la Côte d'Ivoire et le Burkina, jusqu'à une époque récente, ait perduré. Critiquée au début comme l'une des « filles dans l'entourage d' Houphouët réservées aux présidents de passage », tout comme Daisy Delafosse, l'épouse du malheureux Adolphus Tolbert, assassiné avec son père lors du coup d'Etat de Samuel Doe au Liberia, Chantal, l'étrangère, a fini par être acceptée, même si certains lui reprochent son affairisme. En effet, Chantal aurait des intérêts dans l'immobilier, l' import-export de marchandises diverses et n'hésiterait pas à utiliser l'avion présidentiel pour ses affaires sous la garde du régiment de sécurité présidentielle. Elle est à l'abri des taxes et droits de douane et du fisc. Elle a raflé le marché des gadgets pour l'élection présidentielle de novembre 200597. Selon l'opposition, «Madame la présidente, elle, est championne des mondanités. Elle semble être sans souci. Toutes les occasions sont bonnes pour les dîners de gala, des défilés de mode, etc. Elle organise des visites officielles à l'étranger et des sommets avec d'autres Premières Dames comme elle. Elle parcourt le pays dans tous les sens où des laquais de toutes sortes, pour leur positionnement dans le pouvoir, l'invitent pour des inaugurations de n'importe quel ouvrage. Ses moindres déplacements sont systématiquement couverts par la TNB (Télévision Nationale Burkinabé) qui
96 Olivier Blot, opcit. 97 Parti Communiste Burkinabé.
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manque parfois de moyens pour des événements autrement plus , ., . importants a 0 uaga d ougou, son siege.98 Comme la plupart des épouses de président, Chantal essaie d'occuper le terrain de l' humanitaire et du social, aidée par son physique de rassurante matrone. Présidente de la Fondation Suka, dont la clinique, réservée aux riches, a bénéficié d'un financement libyen, elle est une amie chère à Kadhafi. Selon un de ses amis qui a requis l'anonymat, à la naissance de la fille de Chantal, Kadhafi l'a couverte de cadeaux, dont une Mercedes pour le petit bébé. Chantal Compaoré ne dédaigne pas le luxe. L'attaque de sa résidence à Abidjan par des hommes armés s'est soldée par la perte par Mme Compaoré de «27 climatiseurs entre autres », selon les propos de l'Ambassadeur Emile Ilboudo rapportés par l'AFP99, ce qui trahit les proportions imposantes de la résidence, même si la chaleur étouffante qui règne souvent à Abidjan pourrait le justifier. La Fondation Suka dispose d'un patrimoine mis progressivement à disposition depuis 1999 par la présidente fondatrice (Chantal Compaoré) et a également reçu 300 000 dollars de TaiwanlOO.Elle «œuvre à favoriser la défense, la vulgarisation et l'application de la Convention internationale des droits de l'enfant par la protection, les actions sociales en faveur de l'enfant en général, des plus défavorisés en particulier, à l'assistance aux malades démunis. De même, Suka participe aux côtés des pouvoirs publics à la création de structures d'éducation en vue de faciliter la réinsertion des enfants défavorisés dans la société, assistance matérielle et médicamenteuse aux hôpitaux et aux autres centres de santé, travail de sensibilisation auprès des décideurs et des populations sur les questions de déséquilibres sociaux, notamment celle de l'enfance inadaptée. Suka compterait, au nombre des projets déjà réalisés, la création d'un village d'enfants SOS à Ziniaré, fief de Blaise Compaoré, équipé d'un centre social moderne avec salles de 98
99
Ibid PCB. BBC, 18 novembre 2002.
100 All Africa, 28 décembre 2005.
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jeux, orphelinat et salles de classe; l'intensification de l'implication de la Fondation dans la lutte contre certaines pandémies et maladies endémiques au Burkina Faso (SIDA, 1ST, Noma etc.); l'installation d'une chaire dentaire; la participation aux campagnes de vaccination; les allocations de bourses d'études pour filles nécessiteuses, l'assistance en matériels et équipements médicaux à certaines collectivités locales, etc. lOI. Les Burkinabé vulnérables seraient, au quotidien, affranchis par la mise en œuvre des activités de la Fondation que dirige cette bonne mère nationale. Dans le domaine de la santé, elle assure des dons de tous genres aux hôpitaux du Burkina-Faso; la prise en charge médicale des enfants abandonnés ou nécessiteux; la lutte contre la pandémie du VIH/SIDA par une assistance financière au fonctionnement du village Hymne aux enfants à Ouahigouya : encouragement et soutien aux actions de prévention du VIH/SIDA par des actions d'information, d'éducation et de communication auprès des communautés de base, des écoles; vaccinations contre les maladies infantiles telles que la poliomyélite, la rougeole, le tétanos, et autres dons d'aliments divers aux sinistrés (rapatriés de la Côte d'Ivoire), construction de points d'eau, équipement en moulins en faveur des villages; construction d'un CEG à Koubri, localité située à 25 km au sud de Ouagadougou; garderie d'enfants construite à Boussé; appuis divers aux associations des parents d'élèves, bourses et appuis divers accordés aux filles en difficultés. Les programmes de la Fondation Suka touchent également à la correction des « inégalités homme-femme» ! Ce que la presse aux ordres du pouvoir burkinabé oublie de mentionner, c'est que la clinique Suka est payante. Contrairement à d'autres pays où certaines prestations, notamment celles relatives au VIH/SIDA, sont subventionnées, voire gratuites, au Burkina, classé «PMA» avec un revenu par tête de 400 ou 500 dollars par an, Chantal la douce maman n'hésite pas à faire payer les pauvres.
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L'Opinion,
2005.
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Le site internet de la clinique Suka - de toutes façons inaccessible aux Burkinabé n'ayant pas l'électricité et encore moins accès à des ordinateurs - invite l'internaute à faire une simulation de coûts avant de se présenter à la clinique qui, de par ses équipements sophistiqués, se classe dans la niche de la clientèle aisée, qui se rendrait par exemple en Côte d'Ivoire à la polyclinique Sainte Anne d'Abidjan ou en Europe pour des soins. La clinique ne devrait donc pas être considérée comme faisant partie du dispositif caritatif. Comme il se doit, Chantal a bien soutenu son mari lors des élections de 2005 qui ont vu sa troisième réélection, après qu'il eut modifié la Constitution. Contrairement à ses adversaires politiques qui, «à moto ou en voitures ordinaires, ralliaient leurs différents Q.G. et lieux de meeting, le CDP (parti de Compaoré) a mis des centaines d'autocars à la disposition de ses militants qui ont fait le plein du stade [...] lors de son dernier meeting le vendredi Il Novembre 2005. En plus de ses portraits visibles dans tous les grands carrefours, le chef de l'Etat burkinabè a choisi de faire sa campagne dans un Hummer blanc (autour de 50000 dollars). Lorsque Blaise et Chantal ont fait leur entrée au stade (du 4 août), au son de la musique du groupe congolais Extra Musica venu spécialement pour le grand rassemblement, c'était le délire. Surtout, pendant le tour d'honneur, les Ouagalais, chacun avec son petit drapeau, ont happé le Hummer présidentiel en scandant: «président, président, président... » Une véritable démonstration de force pour le CDP qui a pour slogan « le progrès continue pour une société d'espérance. » Il faut dire qu'un groupe de soutien au président, le GSBC (Groupe de soutien à Blaise Compaoré) avait été créé en avril 2005 avec comme objectif majeur de «soutenir Mme Chantal Compaoré pour la candidature de Blaise Compaoré, son époux ». Que pense-t-elle quand elle se trouve dans le futuriste palais présidentiel de Ouaga 2000, quand le champagne coule à flots pour recevoir des délégations étrangères comme lors du sommet de la francophonie en 2005 ? A regarder Chantal, on pourrait croire que tout va bien, que rien de tout cela ne s'est produit: l'assassinat de Thomas Sankara, qui a porté son mari Blaise au 70
pouvoir en 1987, celui du journaliste Norbert Zongo, retrouvé carbonisé dans sa voiture en décembre 1998, celui de trois de ses compagnons, pour avoir enquêté sur une affaire embarrassante pour la famille du chef de l'Etat. A ce jour, ces crimes sont restés impunis. Les dons aux démunis ne sont pas totalement désintéressés, comme on pouvait s'en douter. En effet, pour les élections présidentielles de 2005, Chantal est allée chercher des voix pour Blaise Compaoré -pourtant assuré de l'emporter - jusque chez les veuves et orphelins: «A l'occasion de la 4e édition de la Journée de la solidarité, l'Union d'associations pour la promotion de la femme (UAPF) a saisi l'opportunité pour soutenir la candidature de Blaise Compaoré à la présidentielle de novembre 2005. Des vivres offerts par Mme Chantal Compaoré leur ont été remis au cours de ladite cérémonie parrainée par la députée Blandine Sawadogo, samedi 6 août 2005 à Bazoulé (situé à 30 km de Ouagadougou). L'UAPF, à l'occasion de la 4èmeédition de la Journée de la solidarité, a reçu 40 sacs de céréales offerts par Mme Chantal Compaoré pour soulager un tant soit peu la misère des veuves, des orphelins et des enfants démunis. Ainsi, joignant l'utile à l'agréable, les veuves, les orphelins, les enfants démunis ont remis à la marraine deux lettres pour le couple présidentiel. L'une, de soutien, adressée à Blaise Compaoré, l'autre, de remerciements, adressée à Mme Chantal Compaoré102.
»
Chantal aurait déclaré, lors d'un voyage à l'étranger, qu'il était bien dommage que les Premières Dames ne reçoivent pas de salaire, en raison des contraintes liées à leur condition. Comme on la plaint! En effet, il doit être tellement difficile de décider le matin si on doit porter l'ensemble de soie coquille d'oeuf avec les chaussures assorties ou plutôt le beige, si on doit faire venir le masseur pour le drainage lymphatique avant ou après l'esthéticienne, etc. Pour 2006, les engagements de Chantal vis-à-vis des femmes de 13 régions incluaient la 102Sidwaya. 9 août 2005, cité dans http://www.africatime.comlburkinalnouveIle.asp?no ategorie=.
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promesse de trouver, au fur et à mesure, des solutions à leurs préoccupations qui sont, entre autres, l'augmentation du montant des crédits qui leur sont alloués, le prolongement de la date limite de remboursement, la mise en place de banques de céréales, l'octroi de moulins à grains, de motos-ambulances, et le désenclavement de leurs départements à travers la construction de routesJ03. On verra fin 2007 si le quart de ces préoccupations est en voie de satisfaction. Pour l'instant, en 2006, son souci majeur est de réussir les réceptions pour les diverses mondanités que le Burkina, malgré ses moyens limités, organise au nom de l'hospitalité africaine. Présidente de Synergies africaines, une association des Premières Dames d'Afrique contre le SIDA et les souffrances humaines, Chantal se serait toujours sentie mal à l'aise devant les querelles de leadership auxquelles Chantal Biya et Judith Bongo se livrent au sujet de la lutte contre le SIDA en Afrique. Chantal promène son sourire dans toute l'Afrique, en Europe et même en Océanie, à Tahiti, qu'elle a visité en famille. Dans un pays où les différences entre riches et pauvres se font jour de plus en plus, et où les citadins copient de plus en plus les mauvaises manières des parvenus ivoiriens avec, qui, grosse 4x4 traversant la capitale à vive allure, qui, maîtresse richement parée, doit-on s'étonner du manque de sensibilité de la Première Dame et de ses dames de compagnie, par exemple, lorsqu'elles se rendirent dans la localité de Fada, dans le Nord-Est, pour les célébrations de la Journée internationale de la femme? Mais laissons le mot de la fin au journal burkinabé l' ÉvénementJ04. «Fada semble en effervescence. Mais au-delà des plaisanteries de maquis et de l'animation qu'a connues ce gros bourg campagnard, les deux jours qu'ont duré la célébration ont surtout mis en exergue un abîme considérable entre deux types de femmes burkinabé. D'abord, il y avait les femmes du terroir. Réveillées tôt le matin du 8 mars, elles ont vite enfilé le T-shirt à l'effigie de 103
AIE, 17janvier 2006.
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Caroline Sorgho,I'Evénementen ligne, 26 mars 2003. 72
Chantal Compaoré. Un vêtement offert pour participer à la marche organisée quelques heures avant la manifestation. Bébé au dos, les pieds fendillés, elles se font très discrètes au cours des manifestations commémoratives. Ce qui n'est pas le cas des citadines. Coiffées et habillées à la dernière mode, maquillées, parfumées, parées de leurs plus beaux bijoux, elles arrivent quelques minutes avant les manifestations à bord de luxueuses voitures. Il règne entre elles une ambiance bon enfant tant elles sont visiblement contentes de se retrouver. Entre les accolades, les derniers potins de Ouagadougou, et les coups d'œil furtifs au style vestimentaire de leurs collègues, elles n'avaient visiblement pas grand-chose à échanger avec leurs sœurs paysannes du Gourma. La cérémonie en elle-même n'a fait que prouver cette indifférence et ce manque de considération pour les femmes rurales. Les beaux discours tous prononcés en français ont à peine été traduits en langues nationales. Peu de paysannes de Fada ont donc su que le thème de la journée était «Genre, VlH/SIDA, solidarité des femmes dans la lutte ». Aucune activiste locale n'a été récompensée et mise en avant au cours de la cérémonie. Les femmes de Fada n'ont pas non plus eu l'occasion ou le temps de parler de leurs problèmes spécifiques. Pourtant, Dieu sait que les revendications locales ne manquaient pas. En outre, il y a par exemple la question de l'accès à l'eau potable que pratiquement toutes les femmes rencontrées en ville ont soulevée: « Il y a beaucoup de manque d'eau ici à Fada. A cause de cela, on est souvent obligé de se lever à 4 heures du matin pour essayer de recueillir le minimum nécessaire à notre utilisation », lance Tankoano Rachelle. Et Bélem Fatimata d'ajouter: « Pour avoir un baril d'eau, il faut se battre, il faut s'insulter. Des fois on passe toute la journée à la pompe pour cela. Les disputes à la pompe ont même divisé certains ménages ici à Fada. » Enfin, à part une moto-ambulance, les filles du Gulmu n'ont reçu aucun soutien financier, matériel ou même technique de la part des citadines. En définitive, toutes celles et ceux qui à Fada espéraient des retombées positives de la célébration du 8 73
mars 2003 dans leur ville ont été déçus. ['..J Rien de tout cela n'a fait partie des préoccupations des organisateurs des manifestations officielles. Mais l'inertie et le silence ont encore prévalu. Les descendantes de Yendabri n'ont pas osé exprimer leurs frustrations. Alors les Ouagalaises sont reparties aussi vite qu'elles sont vertues. Juste après la cérémonie du 8, embarquées dans plusieurs convois de 4X4, elles s'en sont retournées chez elles à la capitale. A Fada les femmes ont repris leurs activités quotidiennes. Il ne reste des manifestations commémoratives du 8 mars que de vagues souvenirs de faste, de carburant brÛlé et de belles paroles un peu vides. On a encore raté une chance de faire des économies ».
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Chantal
Biya
U
n maire qui implore Chantal Biya de faire bitumer la route de sa villelO5,lui demandant d'utiliser sa position de Première Dame pour le faire, au cours d'une cérémonie coordonnée par le secrétaire d'Etat pour le Commerce. Ce titre d'un journal de la place traduit bien l'importance de Chantal Biya. En effet, ce qui serait inconcevable sous d'autres cieux, où les partis politiques s'élèveraient aussitôt pour protester, passe tout à fait tranquillement au Cameroun tant ces faits paraissent d'une telle banalité que personne ne pense à les relever. Chantal Biya n'est pas l'épouse d'un monstre tyrannique, non. Mais il faut se souvenir que le très énigmatique et rare Paul Biya est au pouvoir depuis 1984, qu'un de ses opposants, Titus Edzoa, est en prison depuis plusieurs années, qu'on ne lui connaît pas de successeur et que, s'il venait à disparaître, le Cameroun se retrouverait sans dirigeant avec des risques de guerre civile; le pays a aussi été régulièrement classé pays le plus corrompu au monde. On aurait tendance à l'oublier, tant Chantal paraît vertueuse et altruiste. A son crédit, Chantal s'est fait une réputation internationale dans la lutte contre le SIDA. Elle a aussi le mérite d'avoir réussi la prouesse non négligeable de se voir attribuer le crédit d'avoir réuni au Cameroun les deux professeurs fâchés l'un avec l'autre au sujet de la paternité de la découverte du virus du SIDA (Luc Montagnier et Robert Gallo), mais nous y reviendrons. Métisse franco-camerounaise, Chantal née Vigouroux aurait eu une jeunesse agitée avant de rencontrer son époux, le 105 M. Jonas Fonani, maire de Mbwengi http://www.postnewsline.com/2005/l2/mavorimplores.html.
président Paul Biya, qu'elle a épousé le 23 avril 1994. Elle avait 25 ans. Ils ont deux enfants, un garçon et une fille. Dans les magazines africains mondains, Chantal, qui aime se présenter comme une fille du peuple toute simple, confie que « Paul Biya est un homme ,comme les autres, qui a ses qualités et ses . de' f auts... E t Je l ad ore comme ça. 106 » Son mariage avait été précédé de toutes sortes de rumeurs. News Bi-Hebdo du 28 janvier 1993 avait annoncé que le Président Biya allait épouser la fille du Président Bongo le 12 février 1993. Les mauvaises langues disaient aussi que Chantal avait été une prostituée lorsqu'elle travaillait comme barmaid, et qu'elle avait eu des jumeaux, fruit de ses amours avec un chauffeur de taxi de Bafut dans le Nord-Ouest du pays, qui avait été descendu à bout portant par un policier après le mariage et que les actes de naissance des enfants avaient été changés pour préserver le prestige présidentiel, etc. Chantal est très visible de par ses tenues colorées en satin brillant, parfois criardes, ses coiffures spectaculaires tranchant souvent sur son teint très clair. La styliste congolaise basée en Allemagne Odette Krempin n'y semble pourtant pour rien, tant ses autres i1lustres clients sont sobres (Nelson Mandela, Sam Nuyoma, Zanel Mbeki, etc.). Dans sa prime jeunesse, Chantal aurait été aspirante-mannequin, encadrée par le styliste Imane Ayissi. Il lui est resté un amour immodéré du milieu de la mode et du show-business. Selon certaines sources, la divergence Biya-Edzoa (ancien ministre en prison) tire sa racine du peu de complicité entre Geneviève Edzoa, femme de caractère, et Chantal Biya, femme extravertie, exubérante, voire voyante. Chantal a horreur de passer inaperçue; au 22ème sommet France-Afrique, «après avoir posé aux côtés de son mari pour les photographes dans la cour d'honneur, Mme Biya, coiffée d'une longue perruque et portant une minijupe avec fente, s'est isolée pour une vue individuelle. Elle a alors plié une de ses jambes avant d'esquisser un large sourire aux photographes auxquels elle a 106 Un après-midi 28/l 0/2004.
avec
une dame
de cœur,
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Divas
Alliance
NYOBJA,
fait signe de la mainlO7.» Le journal camerounais Le Messager décrit le même événement en ces termes: «Le couple présidentiel camerounais était l'autre acteur de la scène élyséenne. Agitée comme souvent, Chantal Biya, qui donne l'impression de n'avoir pas encore mûri, a permis aux photographes d'immortaliser l'image du couple. Puis, au moment où Paul Biya poursuivait sa marche, elle a ralenti ses pas et a esquissé des gestes aux « paparazzis » pour solliciter et obtenir une pause individuelle. Plus tard, sa gigantesque perruque et sa tenue qualifiée de «sexy» a fait l'objet de commentaires dans la salle de presseI08.» Chantal honore régulièrement de sa présence le lancement de diverses activités, dont celles de «Couleurs d'Afrique» visant à développer des talents dans le milieu artistique et culturel. Ecoutons le reportage: « une soirée de gala d'environ 4 heures à l'Hôtel Hilton devant 250 à 300 invités triés sur le volet. Sur la table, l'épouse du président de la République, Mme Chantal Biya, marraine de l'association, devise avec la reine Fadila d'Egypte et Mme Julienne Fotso, promotrice de "Couleurs d'Afrique". Le reste des tables de 10 places chacune ont accueilli quelques membres du gouvernement et assimilés, les membres du corps diplomatique, les directeurs généraux d'entreprises, opérateurs économiques... et Brenda et Junior, les enfants du couple présidentiel. La soirée a été organisée autour de deux points essentiels: le défilé de mode et le spectacle donné par des artistes musiciens locaux et étrangers... deux modélistes occidentaux à la soirée: Stéphane Sonie qui a longtemps flirté avec la Maison Dior, et Barbaros Sensal venu d'Istanbul, en Turquie. Ces stylistes ont présenté leurs différentes collections à travers le défilé d'une vingtaine de mannequins; des modèles essentiellement faits de robes de soirée en soie. Entre la dégustation des plats de capitaine et de saumon, la gorgée du "Mouton Cadet" ou du "Moët'" les invités ont apprécié, dans une ambiance féerique, le passage sur le 107 Pana 21 février 2003. 108 Le Messager. http://www.wagne.net/messager/messager/2003/02!l477/couples.htm.
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podium de quelques artistes: K-Tino, Epée et Koum, Grâce Decca, Tchop-Tchop, Oumou Sy du Sénégal et bien d'autres.I09 » Lors de la maladie du président en Suisse en 2004, les rumeurs de sa mort sont nées du fait que Chantal aurait montré son émotion de manière spectaculaire. En mars 2006 à Bissau, lors du malaise de son mari en plein sommet de chefs d'Etats, elle apparaît sur les écrans de télévision, hagarde et blême. Car Chantal Biya ne sait pas cacher ses coups de colère et ses sentiments. Selon Richard Etang du journal Le Messager, « elle a réussi, depuis bientôt neuf ans qu'elle est au Palais de l'Unité, à imposer son style, fait de confiance aveugle à certains et de défiance passionnée vis-à-vis de certains collaborateurs du chef de l'Etat. Ses humeurs s'apprécient selon la personnalité qui les subit. Martin Belinga Eboutou, alors directeur du Cabinet civil, a été éloigné du Palais en décembre 1997 à la suite de la défiance portée sur lui par la Première Dame. Alors que Honlong Etienne, celui que les éléments de la direction de la sécurité présidentielle ont surnommé Cameroun, en témoignage de son sang-froid face aux colères de la Première Dame, a fini par devenir un élément tampon entre le président et son , epouse
110
.»
Son coté tapageur et bon enfant occulte le fait que Chantal serait selon ses détracteurs un redoutable animal politique, qui gouverne avec son vieux mari de plus de 70 ans, «ce qui ne rend pas toujours la tâche facile [à ce dernier], tant les ressorts qui agitent l'intervention de Chantal Biya dans le champ des pouvoirs régaliens ne sont pas dénués de motivations infrarépublicaines. Les acteurs et les bénéficiaires de cette "réseaucratie" installent le pouvoir dans un niveau d'informalisation qui rend hélas de plus en plus illisible le
circuit de la décision publiqueill.»
Baptisée «la Première
Dame qui en fait trop », « Biya préside, Chantal gouverne », le 109 Cameroon-Info.net 24 décembre 200!. 110 Le Messager, 14 février 2003. http://www.cameroon-info.net/cin ~reactions.php?s JlI Le Messager 147303/2003
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rôle politique de Chantal Biya est de plus en plus visible: quand elle ne disserte pas sur la nouvelle couleur de ses cheveux, naguère orange, la presse s'inquiète de l'influence grandissante de la sémillante trentenaire sur son septuagénaire de maril12. Fondatrice de FCB, la Fondation Chantal Biya a passé le relais de Synergies à Chantal Compaoré, après deux ans. Le Messager du Cameroun a rapporté récemment que la lutte que se livraient Chantal Biya et Judith Bongo « au sujet de la lutte contre le SIDA en Afrique» faisait penser qu'il s'agissait peutêtre de conflit autour du « partage du gâteau ». Ayant, comme il se doit, accès aux membres du gouvernement, aux ambassades et représentants du système des Nations Unies au Cameroun, on peut se demander quel est le bilan de la Fondation Chantal Biya. Une recherche sur le moteur « Google » renvoie, au nombre des réalisations, l'appui à l'organisation de la caravane du 1er grand tour cycliste international du Cameroun; la sensibilisation lors de la Sèmeédition de la Course de l'espoir à Buea; la signature de l'accord de siège avec le gouvernement camerounais; le partenariat avec le PNUD lors du lancement de la caravane Internet pour la jeunesse camerounaise; l'organisation de la campagne d'éducation et de sensibilisation de proximité "Vacance sans SIDA", la remise d'un don de 3000 tests de dépistage rapide "Immuno-Comb" au gouvernement camerounais, l'appui logistique et du matériel éducatif à quelques associations de personnes vivant avec le VIH/SIDA, etc1l3. Rien de nouveau sous le soleil, des activités normales pour une épouse de chef d'Etat. Etait-il nécessaire de créer une fondation? Oui, diront ses partisans, pour lesquels la fondation de Chantal Biya aurait transmis son savoir-faire à celle de Chantal Compaoré, avec des névirapines pour les mères séropositives et du sirop pour leurs bébés. Au Cameroun, depuis 112 L'Express 12 avril 2004 113Par Marie-Noëlle Guichi Le Messager (http://www.lemessager.net ).
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2000, les mères malades et leurs bébés sont pris en charge grâce à la PTME. En quatre années d'activités, une multitude de femmes ont été dépistées et des bébés sauvés. Le taux de transmission a considérablement chuté (30% à 12%). Le malade qui «entre dans la Fondation Suka a droit à tous les médicaments et cela a un coût! Au Cameroun, nous luttons pour que le prix passe de vingt mille (20 000) F CFA à cinq mille (5000) F CFAI14.» L'intérêt de la Première Dame pour le SIDA a fait dire à certains qu'elle n'était attirée que par le gain. «On a systématiquement transféré les compétences de l'État vers des associations... » Une autre cause de ces dérapages tient dans la facilité technique de détourner les fonds du SIDA. On ne peut détourner de l'argent que là où il s'en trouve déjà et où les instruments de contrôle n'ont pas eu le temps d'être élaborés... Certains s'inquiètent de son accaparement des ressources des bailleurs de fonds. Même si selon le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la «Déclaration de Yaoundé» contre le SIDA ne vit le jour que grâce aux efforts de Chantal Biya, d'autres sources telles Le Messager indiquent que «le Ministre de la Santé Publique (Urbain Olanguena Awono), dont la compétence est de plus en plus incontestable a visiblement choisi de consolider son pouvoir en "aliénant" une partie des fonds disponibles en faveur de la lutte contre le SIDA au profit des initiatives de Chantal Biya dans ce domaine. Ce qui lui vaut aujourd'hui, l'estime de la Première Dame, réputée pour sa gratitude» 115. Les réseaux de prévarications qui gravitent autour de Chantal Biya semblent s'être renforcés. EDICEF, société française, ayant le monopole de la fourniture scolaire au Cameroun, sponsorise la Fondation Chantal Biya avec le communicateur Claude Marti comme membre. En effet, la société française Claude Marti « a renoué avec le Cameroun, en 1998, en prenant notamment en main une fondation lancée par 114
Aimée Florentine KABORE SOME. 115 Le Messager, wagne.net.
(
[email protected])
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Yelkoussan
Bertrand
Mme Chantal Biya1l6»... EDICEF finance des écoles de champions au Cameroun et fait des dons de livres d'une valeur de plusieurs millions de francs CFA. Or, cette «maison d'édition détient environ 80% des titres (ouvrages) au programme de l'école primaire camerounaise qui représente un marché d'environ 2 millions de consommateurs! Au secondaire, où on retrouve environ 800.000 élèves, EDICEF est également présente!17 ». André Giacomoni, alors patron du PMUC et du pari malien et gabonais, « peut être considéré comme celui qui a donné un visage international à l'action de Chantal Biya suite à la présidence par celle-ci du Grand Prix France-Afrique du Pari Mutuel Urbain en mai 19981]8». Plusieurs personnes se sont vues récompenser pour leur fidélité, célébrité et générosité: [...] Mungwe Forndjidam du chantier Naval de Douala, l'exploitant forestier Nassar Bouhadir, Julienne Fotso, adjointe
au maire de la commune urbaine de Yaoundé 1eT OU
encore
Claude Juimo Monthe, président de la Chambre de commerce, seraient de ce groupe. La reconduction de Claude Juimo Monthe à la tête de la Chambre de commerce serait une récompense de son implication au financement des œuvres sociales de Chantal Biya. La visite à Chantal de Jany Le Pen, épouse du leader du Front National, à la mi-mars 2007, a créé des remous au-delà du Cameroun, embarrassant la présidence, d'autant plus que Mme Le Pen soutiendrait la Fondation Chantal Biya. Le quotidien
gouvernemental Cameroun Tribune a indiqué que ce sont « de grands amis de la Fondation Chantal Biya (FCB)>> que «Maman» Biya a reçus en la personne de Jany Le Pen et de ses camarades. Toujours selon Le Messager, plusieurs membres du gouvernement, fragilisés, en seraient réduits à envoyer leurs épouses faire la cour à Chantal Biya, en espérant ainsi consolider leur pouvoir. La députée-maire et femme d'affaires Françoise Foning qui a amené les femmes à baptiser Chantal 116 Le Monde Diplomatique, 117 Le Messager. 118 Le Messager, wagne.net.
Janvier
2000.
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Biya (33 ans en 2003) «la Mère» s'est imposée dans ce dispositif avec une pléthore d'associations plus ou moins opérationnelles pour justifier son accès auprès de l'épouse du chef de l'Etat. Foning doit l'essentiel de sa survie politique à cette dame. Tout un pouvoir formel et informel s'est structuré, efficace et fragile. [...] Jacques Fame Ndongo qui a contribué à développer son visage humanitaire avec l'idée de la Fondation est l'un des produits du « système Chantoux. » Est-ce une raison suffisante pour se voir louée dans des chansons? Très active, Chantal Biya a assis son pouvoir sur un réseau d'ONG et d'associations dont le CERAC (Cercle des amis du Cameroun), création de la première Mme Biya, Jeanne (défunte), et repris en 1995 par Chantal Biya. Accueillant à l'origine les femmes de diplomates, il a ensuite ouvert ses portes aux épouses des ministres. Pour le mensuel La Cité, c'est un shadow-cabinet, une sorte de second gouvernement aussi convoité que le gouvernement rée\. Chantal Biya dérange d'autant plus que le CERAC est en train de se transformer « en baromètre de la cote de ses excellences auprès de Dieu le Père ». L'initiative a, semble-t-il, semé la zizanie dans les ménages des ministres. Mieux vaut réfléchir à deux fois avant de refuser de prêter sa voiture à madame son épouse si celle-ci doit se rendre à une réunion du CERAC. Les ministres ne sont
pas très à l'aise avec le sujet. Les uns estiment que c'est « un cercle sans influence réelle, même s'il est mal vu de ne pas en faire partie ». D'autres s'insurgent: «Lors de la dernière réunion du CERAC, tous les services publics étaient bloqués, c'était une catastrophe! On ponctionne le budget de l'Etat afin d'entretenir un réseau de provocation qui compte beaucoup et qui est totalement improductif. » Pour certains, cela relève tout simplement de la «terreur ». La belle, qui accompagne le président dans tous ses voyages, a la réputation de pouvoir, d'un regard de travers, ruiner une carrière. Sa cour ne se limite pas aux hautes sphères de l'Etat: en novembre 2003, de petits
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groupes de femmes sillonnaient la capitale en chantant: « Si je suis émancipée, c'est grâce à Chantal Biya.1I9» Au terme d'un gala de charité organisé en faveur de la femme rurale camerounaise en mai 1999, 130 millions de francs CFA ont été récoltés. Au cours de l'année 2000, le programme Femmes rurales du CERAC a permis à plus de 200 groupes féminins et mouvements associatifs répartis sur les dix provinces du pays de bénéficier de matériel agricole. D'après l'opposition SDFI20, «aujourd'hui il a été transformé en une association fourre-tout qui permet aux caciques du RDPC de battre à travers le pays une campagne subtile pour le parti au . 121 . . pouvOIr », et Ies amIS d u C ameroun qUI +Jont des d ons a' cette association ne sont pas connus. Les montants suivants auraient été engagés: Littoral 23 millions de francs CFA, Sud 14 millions FCFA, Nord-Ouest 12 millions FCFA, Ouest 15 millions, etc. D'où sont venus ces fonds? Selon Le Messager122,il ne fait aucun doute que « l'épouse du président de la République participe de plus en plus au pouvoir, selon les règles non écrites du trafic d'influence ». Sa , mere,« M ama R osette P3-. », et son man. «papa E rnest» sont aujourd'hui au centre d'une cour assidue. Fortement sollicité, ce couple bénéficie des attentions les plus insoupçonnées de la part de ceux qui veulent accéder au chef de l'Etat en empruntant la
voie de son épouse. « Marna Rosette» a vu se constituer autour d'elle un véritable foyer de trafic d'influence. C'est un canal, paraît-il, efficace pour toucher la Première Dame qui peut directement résoudre certains problèmes en appelant tel membre du gouvernement ou tel directeur général. «Marna Rosette» n'hésite pas elle-même à le faire quand la conjoncture l'impose.
119 Virginie Gomez, Christine Holzbauer, Les Fractures de l'Afrique Epouses Terribles, L'Express 12 avri12004. 120 Social DemocratifFund. _ 121www.sdfparty.org/french/communiques/202.php 16k. 122Wagne.net na 1473,02/2003. 123 Rosette Mboutchouang.
83
- Les
L'équipe de la Première Dame Chantal Biya124est de plus en plus présente, à commencer par sa «Maman Rosette» et la grande famille Yebekanga de Nanga-Eboko, ainsi que le colonel extrême-nordiste Etienne Honlon affecté à la sécurité de Chantal Biya. Gravitent également autour de la Première Dame: Jean-Stéphane Biatcha, secrétaire général de l'association Synergies africaines de lutte contre le VIH/SIDA et les souffrances, un homme du verbe, et Yaou Aïssatou, secrétaire générale de la Fondation Chantal Biya. Cette ancienne ministre est également désormais la DG de la SNI (Société nationale d'investissement)... Jean-Stéphane Biatcha, devenu spécialiste du fundraising joue « bien son rôle de relais entre Chantal et les mécènes. Le flou concernant les statuts s'étend jusqu'au niveau des personnels, avec Jean-Stéphane Biatcha, fonctionnaire de son état, mais travaillant pour la Première Dame. La distribution des rôles autour de l'épouse du chef de l'Etat obéirait à une géographie du pouvoir qui obéit elle-même à une constellation de centres d'intérêts qui se complètent et se neutralisent. » Personnalité politique, Chantal serait, avec le mystérieux homme d'affaires Ongbwa Damase, « la principale inspiratrice du gouvernement de 2005. C'est ce qui expliquerait l'explosion du nombre de portefeuilles, et la promotion ou le maintien de personnalités dont certaines ont trempé dans nombre de scandales. Au choix: l'acquisition controversée d'un vieil avion présidentiel, la tentative manquée de reprise de la gestion de la compagnie aérienne Camair, la promotion d'une thérapie douteuse (triomune) contre le SIDA et le détournement des crédits internationaux destinés à la lutte contre cette pandémie...125 » et l'argent des programmes sociaux internationaux tels que l'initiative PPTE (dette) et pour la lutte contre le VIH/SIDA aurait été détourné dans des campagnes visant à renforcer la popularité de Chantal Biya, «tout en donnant l'impression que ces fonds proviennent de sa propre
124 La Lettre du Continent, 12/2004. 125http://www.lesamisdugrigri.comlj oumal/no25/no25pg3
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.html.
cassette ». D'où tient-elle ses fonds? Que fait-elle pour avoir tant d'argent à elle-même? Pour ce qui est de sa présence sur le front politique, ses détracteurs s'inquiètent du fait que des journalistes (Mutations) aient pu être arrêtés lorsqu'ils dénoncèrent les «tenues très colorées» de la nouvelle Mme Biya et sa tendance à « exercer pleinement le pouvoir ». Chantal serait en campagne permanente par le biais du CERAC ou de la FCB, qui lui permet de refiler la manne étatique à ses amis. «Son Excellence, madame la présidente, Chantal Biya », dit Mutations, «prend encore plus de temps télé que M. Biya. Elle exerce un pouvoir réel. » Les dames patronnesses du CERAC ne seraient que des rapaces qui, par exemple à l'ouest du pays où elles étaient allées faire des dons aux « femmes rurales », se seraient copieusement servies. Distribuant des dons s'inscrivant dans une logique de reproduction des inégalités sociales - machines à coudre, moulins, brouettes, riz, sel, machettes -, ces belles citadines «aux tenues et voitures de luxe, les ongles soigneusement Il taillés et traités, parfums de classe enivrants, les nouveaux Il riches se payent une conduite, en jouant aux Pères Noël du dimanche au village. La générosité tapageuse des femmes du CERAC, avec remise de dons par Françoise Foning, qui Il n'hésitent pas à manger leur part ". Le préfet de la Mifi, M. David Njilié, a dû frapper du poing sur la table à travers un communiqué musclé pour que ce qui n'était que rumeur et supputation se confirme: certains dons remis par le CERAC ont été détournés par des grandes dames de la ville. Et le Préfet les a sommées de venir les restituer illico presto; ce qu'elles ont fait... Mais on se gardera de tirer trop vite sur ces pauvres femmes, prises elles-mêmes dans une mécanique qui les entraîne plus qu'elles ne se guidene26. » A l'instar de son époux, Mme Biya a imprimé ses effigies sur les tissus, les calendriers, pour ne citer que ceux-là. Ceci montre un culte de la personnalité certain [...] ! Lorsque les membres du CERAC se déplacent, les grosses cylindrées qui les 126http://www.wagne.net/ouestechos/regional/region09c.
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transportent, les frais de missions, les frais d'hôtels des fonctionnaires, des membres du gouvernement et des autres personnalités sont payés par le Trésor public. Le SDF s'interroge toujours sur l'origine des fonds, en ces termes: «Qu'est-ce que prouve que les cadeaux du CERAC ne sont pas eux-aussi achetés par l'argent du contribuable? Cette interrogation que nous nous posons sur le CERAC est valable également pour Presby (une association de jeunes pour soutenir le président). Il en va de même pour le FORUM, une instance que le ministère des Affaires sociales est en train de mettre en place dans les départements pour encadrer les associations féminines et que le RDPC fait des pieds et des mains pour récupérer ». Très connue sur le plan international, Chantal Biya a été distinguée «International Sister of the Year» en 2005 par Ie « MarieLynn Group Inc. », entreprise qui produit et commercialise la marque de cosmétiques américaine Makeup4Sister, pour son action sociale. La société aurait étudié l'impact de la Fondation Chantal Biya au Cameroun et conclu que, grâce à son courage et à sa détermination, elle a pu rallier les autres Premières Dames d'Afrique à la lutte contre le fléau du sida. Chantal Biya a «volé au secours d'une mère de triplés à Douala. Yonta Eulalie et ses trois enfants ont été installés dans un appartement de la cité des Palmiers à l'issue d'une cérémonie présidée par Habissou Bidoung Mkpatt, secrétaire générale de la Fondation et représentante personnelle de Madame Chantal Biya, présidente fondatrice de la Fondation et épouse du président de la République. Il y a quelques semaines, la Première Dame a été émue par l' histoire de cette jeune femme à laquelle une télévision de la place avait consacré un reportage. Eulalie Yonta était alors en difficulté et n'avait pas les moyens de payer les frais d'accouchement dans un centre de santé de la ville. Ne pouvant, explique le secrétariat général de la Fondation, admettre une telle situation qui remet en cause la dignité de la maternité, Madame Chantal Biya décidera, à travers sa fondation, de voler au secours de cette mère bénie par 86
la naissance de triplés. SaJle à manger, un salon artisanal, un réfrigérateur, une cuisinière à gaz, de la vaisseJle, des rideaux, quatre valises équipées dont une pour la mère et trois pour les bébés, trois berceaux avec moustiquaires, trois petites couvertures, des denrées alimentaires: riz, lait, sucre, tomates, haricot, pâtes alimentaires... »
Voilà résumée l'action de Chantal Biya, comme celle de tant de ses congénères, épouses de chefs d'Etat. Soignant son image de Mère Térésa, elle privilégie les actions ponctuelles et médiatisées; selon un scénario maîtrisé, Chantal fait du spectaculaire, du sensationnel, du court terme. Combien de femmes dans la situation de Yonta Eulalie, ou dans des cas plus graves, sont oubliées des pouvoirs publics et de sa fondation? Combien meurent en couches? Quelle action de prévention Chantal Biya engage-t-elle pour éviter que des personnes telles que y onta Eulalie ne se retrouvent dans des situations si extrêmes? Essaie-t-eJle au moins de faire respecter les objectifs des programmes sociaux? Chantal Biya essaie-t-elle de pousser son époux à en faire plus sur le plan social, à construire plus d'hôpitaux, d'écoles primaires, à encourager l'alphabétisation des adultes à grande échelle par exemple? Il est bien entendu moins coûteux d'installer, à grand renfort de médias, une personne dans un appartement pour une période de relative courte durée que d'engager des politiques réelles à moyen ou long terme. L'opposition fustige l'absence d'un« véritable programme» de lutte contre la pauvreté qui intègre des prévisions budgétaires spécifiques pour aider les couches défavorisées, aussi bien en ville que dans les zones rurales, l'encadrement du secteur informel, la facilitation de l'accès aux crédits des couches défavorisées, la relance des investissements et le rétablissement immédiat d'un climat de confiance susceptible de favoriser une croissance économique forte et durable. Certains diront que ce n'est tout de même pas si mal de la part des Premières Dames d'essayer de soulager, à leur niveau, les peines de ceux qui souffrent. Ce que ces personnes oublient c'est que les
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souffrances sont souvent du fait des chefs d'Etat, ou de leur inaction. Chantal Biya a fini par formaliser la construction d'un pouvoir féminin en rapprochant les épouses des membres du gouvernement des corps constitués. L'épouse de l'ancien Premier ministre Anne Mujoko Musongè est ainsi sortie de l'ombre grâce au rôle de représentation que lui avait confié l'épouse du président de la République, une délégation de « pouvoir» qui laisse prospérer les batailles les plus épiques entre les épouses des membres du gouvernement avec de fortes incidences sur la carrière gouvernementale de leurs époux. Malgré ses origines modestes et sa grande simplicité, Chantal n'est pas héroïque. Cendrillon fuit désormais les taudis, qui lui rappellent trop de mauvais souvenirs. « L'Ambassade du Cameroun à Paris était très mal entretenue. Il y a quelques années, après y avoir séjourné à la suite de la naissance de son deuxième enfant, elle avait décidé de ne plus occuper à l'avenir l'appartement réservé aux personnalités, réservé au couple présidentiel dans l'hôtel particulier qui abrite l'ambassade, car il était mal entretenu. Elle n'avait pas trouvé mieux que de déloger l'ambassadeur, Pascal Biloa Tang, de sa résidence officielle à Neuilly. Le pauvre homme, pensant que c'était pour une courte période, était allé s'installer avec sa famille dans un hôtel. Il y est encore car sa résidence s'est transformée en appartements privés de la famille présidentielle, une résidence utilisée très sporadiquement, car le président Biya prend ses quartiers généralement dans l'un ou l'autre hôtel de luxe de Paris quand il séjourne dans la capitale française127. Pour conclure, Chantal a eu aussi des chansons dédiées à sa personne, dont celle du très dévot professeur Gervais Mendo Zé, alors patron des médias audiovisuels d'Etat depuis 1988. «Homme de foi, Gervais Mendo Ze, après celui en l'honneur de la vierge Marie, a consacré un autre cantique à succès à la célébration du culte Chantal Biya. Celle-ci va jouer à fond la carte de la religiosité. A la veille des fêtes religieuses et même 127 Frédéric Fenkam, Correspondance 18 août 2004
particulière,
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Le Messager,
pendant, Gervais Mendo Ze se fait recevoir par les journalistesvedettes de la maison. Pour parler de Dieu. Et de Marie. Il devient maître dans une science que les Camerounais découvrent: la Mariologie. La création d'associations en l'honneur de Chantal telles que l'imprononçable Jacchaby, sa présence débordante dans les microsillons etc., selon la formule désormais consacrée, pour «au moins vingt ans la chantoumania (pour ChantaI) présage de beaux jours devant ellel28. » En 2002, le PNUD a fait don de matériel à Synergies Africaines. En outre, il met à sa disposition deux spécialistes des Nations unies, qui aideront Synergies dans ses missions de sensibilisation du public sur la question du VIH/SIDA, mais surtout ils accompagneront l'ONG dans ses actions de plaidoyer pour la mobilisation des ressources nécessaires pour son fonctionnement. On s'étonne que Chantal et son homonyme l'ayant précédée à la tête de Synergies n'aient même pas pu financer au moins les équipements, à peine l'équivalent d'un petit shopping à Paris: 1 serveur, 2 micro-ordinateurs multimédia, 1 système de téléphone complet, 1 vidéo projecteur et 17 postes de téléphone.
128
www.cameroon-info.netlcmi_show_news.php?id=14804
89
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55k.
TROISIÈME PARTIE LES INFRÉQUENTABLES
Maryam
Abacha
elon The Economist, «de toutes les grandes dames d'Afrique, à l'instar de tous les excès du continent, aucune ne surpasse celle du Nigeria ». Arrêtée en juillet 1998, avant d'être relâchée, alors qu'elle cherchait à quitter le Nigeria avec 38 valises remplies de dollars et de livres sterling, Maryam Abacha a été emprisonnée et libérée. Depuis, elle n'arrête pas de réclamer le respect de ses droits. Décédé en 1998, le général Abacha est soupçonné d'avoir détourné, alors qu'il était au pouvoir entre novembre 1993 et juin 1998, au moins 2,2 milliards de dollars, dont une partie avait été déposée en Suisse. Cette belle femme au teint clair originaire du Nord du Nigeria a rencontré son époux pendant sa tendre enfance. Née à Kaduna le 4 mars 1947, elle est la fille d'une princesse Kanuri du Bornou dont le père était d'origine allemande. Elle a fait ses études secondaires à l'école des femmes de DaIa Kano où on a remarqué son aura et sa sportivité: elle a été championne de tennis de table129.Au départ, la famille de Maryam ne voulait pas d'Abacha, trouvant qu'il n'était« pas assez bien pour elle », et décida de la marier à un oncle de Yar Adua (un prince de Katsina, au Nord du pays, multimillionnaire et leader d'un coup d'Etat - Murtala Mohammed - en 1975). Ils divorcèrent plus tard, et Maryam retrouva son amour d'enfance, Abacha, qu'elle épousa en 1965, après ses études secondaires. «Les tensions familiales demeurèrent vives avec beaucoup de rumeurs sur la paternité du premier fils du couple, Ibrahim, qui périt dans des circonstances mystérieuses lors d'un crash aérien à ce jour
S
129
Amina
n0446,
juin
2007.
inexpliqué à Kano en janvier 1996130 ». Maryam donnera dix enfants à Abacha. Au milieu des années 1980, le rôle de la Première Dame a été défini par Maryam Babangida, l'épouse du dictateur militaire lbrahima Babangida, qui avait précédé l'époux de Maryam Abacha. En 1994, la nouvelle First Lady Maryam Abacha changea le programme et en fit un programme de soutien à la famille «Family Support Programme ». Ces initiatives n'ont pas abouti à l'adoption d'une politique notable permettant aux femmes de participer au processus de prise de décision; elles ont plutôt créé un poste pour la « First Lady», avec de l'argent à gogo. Le FSP - Family Support Programme and Family Economic Advancement Programme - devint rapidement une mine d'or pour la famille Abacha. D'après le magazine nigérian Tell du 3 août 1998, « FSP engloutit plus de 10 milliards de Naira de l'argent des contribuables au moment où Sani Abacha était en train de réduire les effectifs des malheureux fonctionnaires dans le pays13].» Selon The Economist, «Madame Babangida ouvrit un bureau à la présidence pour mieux gérer son programme caritatif Better Life for Rural Women (une vie meilleure pour les femmes rurales), méchamment rebaptisé« une vie meilleure pour les femmes au pouvoir» par les Nigérians. Le projet avait 10 000 coopératives, 1793 petites industries, 2397 fermes, 470 centres pour la Femme et 233 centres de santé. En 1993, Sani Abacha prit le pouvoir, imposant sa femme, Maryam, à la nation. Mme Abacha lança un autre programme ambitieux pour les femmes, Ie « Family Economic Advancement Programme ». L'aînée des enfants du couple entre temps ouvrit le Bureau de la « Première Fille» - Office of the First Daughter. La mort d'Abacha [survint] en 1998 - dans les bras de deux prostituées indiennes 132... » ]30 Karl Maier, This House hasfallen - Nigeria in crisis, Westview Press. ]31 Anthony Maduagwu, Growing up in Oguta (The Economics of Rural Poverty in Nigeria) www.atricaeconomicanalysis.org/articles/gen/ alleviatingpovertyhtm. html. 132The Economist, janvier 2005.
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Le programme Maryam Babangida, BLP passa sous la coupe de Maryam Abacha et devint l'otage des rivalités et jalousies entre épouses des différents régimes. [...] Le 17 mai 1994, Maryam Abacha a procédé officiellement au démantèlement du programme BLP en ces termes: «Suite à l'examen critique et à l'analyse prudente du programme BLP de même qu'aux plaintes du public concernant ce programme élitiste, théorique et voyant, étant donné le besoin de redéfinir le programme pour le rendre plus conforme aux besoins de la nation et aux réalités politiques, par conséquent, son Excellence Maryam Abacha, la Première Dame, a approuvé le changement de dénomination du programme BLP en un programme intitulé Family Support133». Ne s'arrêtant pas en si bon chemin, Maryam Abacha a rebaptisé le «Maryam Babangida International Centre» en « Maryam Abacha Centre », opération totalement illégale. En effet, le projet, d'intérêt public, était situé sur un terrain privé, enregistré sous le nom de MIE (Maryam Babangida). En novembre 1994, Maryam Babangida lança son fonds de 500 millions de nairas, et la cérémonie de lancement coûta à elle seule 150 millions de nairas. Tous les hôtels, avions étaient pleins à craquer. En effet, tous les représentants de villes, régions, états fédéraux, chefs traditionnels étaient dans l'obligation d'y assister. Maryam Babangida a demandé des contributions au public afin de construire un centre moderne pour l'enfance équipé d'un gymnase, salle de spectacles de 600 places, hôpital de 200 places, etc... Seuls les dons de plus de 100000 nairas étaient applaudis... Sous Abacha, Maryam, à l'instar de son époux, était la mère de tous ceux qui occupaient un emploi public, «y compris les ministres, le gouverneur de la Banque Centrale, les directeurs de sociétés étatiques telles que NNPC. Elle était également la mère de tous les membres du conseil provisoire de gouvernement ainsi que des administrateurs militaires et de leurs épouses. Les bureaux du Premier Fils et de la Première Fille étaient à l'image de ceux de leurs parents. [...] Tous ces 133
Ifi Arnadiume, Daughters of the Goddess... Daughters of Imperialism. 95
gens avaient plus de pouvoir que n'importe lequel des fonctionnaires sous Abacha, et c'est la raison pour laquelle le fils Mohammed pouvait se permettre de contacter n'importe quel ministre sans se voir refuser quoi que ce soit. Tout fonctionnaire qui essayait de le faire risquait de perdre son emploi, et plus grave encore, d'être harcelé par les agents du SSS, DMI, et NIA car sa loyauté était considérée comme douteuse. »134
Il n'y a pas un Nigérian - hormis la famille du dictateur qui n'ait pas souffert sous Abacha. La liste de ses ennemis réels ou supposés est longue. Dictateur brutal, Abacha avait bâillonné la presse, jeté un nombre incalculable de journalistes en prison sans jugement. Les journalistes George Mbah de l'hebdomadaire Tell, Kunle Ajibade de The News et Chris Anyanwu, journaliste très connue, ont été torturés en prison. Cette dernière interpelle135 Maryam en ces termes: « Maryam a pleuré aujourd'hui à Lagos. Dans son hystérie, elle a fait et a dit l'inimaginable: elle a rampé. Elle a supplié. Elle a évoqué des idéaux qu'elle ne comprenait ni ne respectait: les droits de l'homme, la justice sociale, la sympathie du public, et le pardon. Ces notions étaient inconnues de cette femme. Qu'elle soit en train de jouer la comédie ne compte pas pour le moment. Le fait est que la véritable Maryam, même des profondeurs de l'enfer, ne descendrait pas à des niveaux d'humilité si bas. Mais elle avait des problèmes, et s'accrochait désespérément à des idéaux qu'elle méprisait ». En 1995, Abacha annonça avoir déjoué un coup d'Etat impliquant deux anciens généraux à la retraite, Olusegun Obasanjo, et son vice- président, Shehu Musa Yar Adua, membre d'une famille noble du Nord, dont le sort fut scellé lorsque, à la conférence constitutionnelle, il demanda que le pouvoir soit rendu aux civils et se déclara en faveur de restrictions des pouvoirs du président. Le 17 novembre 1993, quarante-huit heures après la prise de pouvoir d'Abacha, un
avion vint chercher Yar Adua pour un rendez-vous avec Abacha 134
kwenu.comlpublications/nwanganga/abacha
135Chris Anyanwu, The days ofterror. 96
_history.htm.
à « Flagstaff House ». Yar Adua, qui était venu à la rencontre pour avoir des indications sur la direction que prenait le régime, avait pris la décision de ne pas participer à un gouvernement où il n'y avait aucun programme. [...] Yar Adua mourut en détention le 6 décembre 1997, et d'après les organisations de droits de l'homme, il n'eut pas accès à des soins médicauxl36. Selon la presse nigériane, Abacha voulait la mort de Yar Adua, celui qu'il considérait comme son rival depuis longtemps, et selon certaines indications, le général Yar Adua aurait été tué suite à l'animosité qui existait entre Abacha et lui, au sujet de la paternité du premier fils d'Abacha, Ibrahim137,qui aurait été le fils du beau-père de Yar Adua. En effet, Ibrahim aurait été âgé de presque un an lorsque sa mère, Maryam, épousa Abacha.138 La corruption était très répandue et « à grande échelle sous le règne d'Abacha, avec pour effet d'entraver la croissance économique. L'économiste en chef (Chief Philip Asiodu) a reconnu que la mise à sac du trésor public pendant les années Abacha se chiffrait autour de 5,5 milliards de dollars, dont 2,2 milliards de dollars pour Abacha 139.[...] Ceci a été possible car la banque centrale du Nigeria était sous la supervision et le contrôle directs du président [...] ; il était inconcevable que le gouverneur de la banque centrale ne cède pas aux demandes du Président ». Maryam Abacha avait à ses ordres une armée. Abacha avait un service de sécurité de 2000 hommes qui opéraient en parallèle à l'armée et semaient la terreur. Vivant reclus dans « Aso Rock» à Abuja, la calme capitale au centre du pays, il se
souciait peu de la bouillonnante et exubérante Lagos. Maryam ne pouvait ignorer que des centaines de personnes ont été tuées, certaines de sang-froid, à leur domicile de Lagos. Alhaja Suliat Adedeji, une femme politique du CNC, un parti 136Howard W. French, Nigeria a Proud Nation in a free Fall Seethes Under a General's Grip, New York Times, 4 avril 1998. 137 Joseph Ushigiale, citant l'ouvrage Shehu Musa Yar 'Adua - A Life of Service, Foundation Y ar' Adua. 138 Human Rights Watch/Africa. 139Africa Development, Vol. XXVI, Nos. 3&4, 2001.
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de l'opposition, a été assassinée à son domicile d'Ibadan. Avant d'être tuée, elle a été déshabillée et les tueurs demandèrent à son chauffeur de coucher avec elle, ce qu'il refusa. Ils lui ont tiré dans les parties génitales. Suliat était une amie de la famille d'Abacha du temps où Abacha était à Ibadanl4o, et en tant qu'infirmière, elle avait soigné la famille Abacha et aurait détenu des secrets sur l'état de santé d'Abacha. La première épouse d'Abiola, milliardaire et principal opposant à Abacha, Kudirat, une grande critique du régime Abacha, a été exécutée dans les rues de Lagos en juin 1996 en toute impunité. Le fils d'Abacha, Mohamed, a été inculpé du meurtre à la chute de son père. Ken Saro- Wiwa, écrivain de renommée internationale et activiste pour les droits des habitants du Delta nigérian (production de pétrole) a été exécuté la même année. Marna Tejuoso, mère d'Oba Dapo Karunwi, âgée de 80 ans, a elle été tuée peu avant son anniversaire, parce que son fils était impliqué dans la tentative de libération conditionnelle d'Abiola. Le plan était de faire sortir Abiola de prison et du pays. Le docteur Olu Onagoruwa perdit aussi son fils Toyin parce qu'il avait joué un rôle dans la remise de peine d'une personne peu appréciée du pouvoir. A quoi Maryam pensait-elle lorsque les slogans «Abacha is the answer» commencèrent à fleurir dans toutes les villes? La mise en place de groupes à la botte du pouvoir tels que «La Jeunesse-Demande-Sérieusement-Abacha» (Youths Earnestly Ask for Abacha) avait bien essayé de donner l'illusion d'une popularité, mais l'une de leurs marches en 1998 est restée dans les mémoires lorsque, au lieu des deux millions de personnes annoncées avec l'aide de bus de location, moins de cent mille manifestants marchèrent à Abuja pour Abacha. Les tentatives de protestation de l'opposition furent bien entendu écrasées dans l' œuf lorsque, «à Lagos, le gouvernement interdit les rassemblements politiques non autorisés et lança ses unités de police rapide connues sous le nom d'escadrons Kill and G0141» à leurs trousses. Et pourtant, Maryam n'a pas hésité, un an après 140Division GOC 2nd MECH. 141 Howard W. French, ibid., New York Times.
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la mort du général Abacha, à prendre sa défense en disant que bien «qu'il n'ait pas été un ange, elle en appelait aux Nigérians d'oublier le passé parce que personne n'est parfaie42 ». Et de poursuivre en confiant au journaliste qu'elle «devait endurer des critiques difficiles et douloureuses sur son mari », ce qui s'avérait une expérience proche de l'agonie. « Son nom et son testament ont fait l'objet d'attaques les plus méchantes et de campagnes de dénigrement jamais perpétrées à l'encontre d'un ancien chef d'Etat nigérian. [00'] Quel que soit ce que l'on peut dire de mon mari, je sais que le général Abacha aimait vraiment
143 son pays ». Aujourd'hui encore, Maryam dresse ce portrait flatteur de son regretté mari: «Il était naturellement aimable et il aimait les enfants... Mon mari était un homme aux qualités irréprochables. Je ne pense pas avoir dans ce monde un homme qui puisse valablement le remplacer. De fort caractère, il n'a jamais failli à ses mots. Il était bon musulman qui aimait . 144
traval 11er pour son pays. » Comment ne pas comprendre l'exaspération des Nigérians et les tentatives de déstabilisation du régime Abacha ? Le 31 mai 1995 une bombe explosa pendant la cérémonie d'inauguration du programme Family Support Program de Maryam Abacha à Ilorin, capitale de Kwara State dans la partie nord-ouest du Nigeria. La police arrêta et interrogea des membres de la National Democratie Coalition (NADECO), formation politique qui soutenait alors l'opposant Abiola. Sur le plan international, le couple maudit avait également de grandes ambitions. Pendant que des millions d'enfants nigérians souffraient de la malnutrition, Maryam faisait livrer des tonnes de nourriture au Liberia et à la Sierra Leone pour jouer un rôle dans la politique étrangère du Nigeria et donner l'image d'une personne compatissantel45. Peut- être pour 142
BBC,Abacha widow breaksher silence. 20 mai 1999.
143Ibid. 144 Amina n0446, ibid. 145 Chido Nwangu in US Africa online, http://www.usafhcaonline.comlnews/nigeria_cry.htm1.
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8 Juin 1998.
adoucir l'image de son tyran de mari? En effet, elle fit don de 10 cargaisons d'avion d'assistance humanitaire, d'une valeur de 5 millions de dollars (nourriture, couvertures, médicaments). Elle déclara au peuple sierra-Iéonais en mai 1998 « faire ce don en sa capacité de leader de la mission des Premières Dames africaines pour la paix (African First Ladies Peace Mission) », et souligna l'importance de se concentrer sur les besoins des femmes et des enfants pour atteindre les objectifs de paix et de réconciliationl46. Ne craignant pas le ridicule, Maryam Abacha avait déjà osé, en juillet 1996, en marge du sommet de l'OUA, organiser le premier sommet autonome des Premières Dames, First Ladies Summit, censé contribuer à la paix en Afrique! Maryam Abacha, gourmande, goulue même, ne semblait intéressée que par l'argent, même si certains de ses programmes comme par exemple le FEAP-Family Economic Advancement Programme auraient permis de toucher les jeunes, les femmes et les hommes par des prêts aux coopératives pour la création de petites industries. En outre, son cabinet ou Office of the First Lady, était impliqué dans plusieurs projets et « usurpa même les fonctions du ministre fédéral de la Santé et du ministre d'Etat de la Santé. Dans le cadre de l'un de ces programmes, pour la vaccination-EPI, des vaccins étaient nécessaires pour le programme d'immunisation des enfants contre six maladies mortelles. Selon certaines allégations, les contrats d'achat de . , , . . 147 ces vaCCInSont ete gon fi es .» E n e f ~let, Ie 1ab oratOIre françals ' Pasteur-Mérieux était dans le collimateur de la justice suisse « qui enquête sur des détournements concernant le secteur de la santé. En 1995 et 1997, Maryam Abacha, [H.J présidente du programme de soutien familial, a attribué un marché de vaccins à la société Morgan Procurements pour 111 millions de dollars. Le problème est que ces vaccins ont été acquis auprès de Pasteur-Mérieux - rebaptisé depuis Aventis Pasteur - pour seulement 45 millions de dollars. La différence est allée dans les poches du clan Abacha, à qui appartient, en fait, Morgan 146Sierra Leone News Archive. www.sierra-Ieone.org/slnews0598.html. 147Africa Development, ibid.
28 mai 1998.
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Procurements. Mais le juge genevois Georges Zecchin, chargé de l'instruction, a retrouvé la trace de deux commissions de 1,8 million de dollars versées par le laboratoire français à une société de l'entourage Abacha pour l'obtention de ce contrat...148: une goutte d'eau dans les milliards saisis à Genève. Pas moins de 150 comptes bancaires sont en effet passés au crible par le magistrat genevois. «Ce sera long; pour chaque opération bancaire, il faut prouver l'origine criminelle des fonds avant d'espérer restituer l'argent au Nigeria ». La Conférence des femmes de Beijing en 1995 a été l'occasion pour Maryam de légitimer son pouvoir. En effet, elle convoqua une conférence nationale au cours de laquelle elle «prononça le discours d'ouverture et définit les bases d'une participation nationale. Pour contrôler les événements autour de Beijing, elle se devait de prendre contrôle des structures administratives mises en place par Maryam Babanguida.. .et la presse locale fit des choux gras de la bataille que se livrèrent des femmes pour avoir une place sur l'avion présidentiel qui se rendait à Beijing pour la conférence des femmes, tout simplement parce que Maryam Abacha avait tripatouillé la liste des invitées pour y ajouter les femmes qu'elle avait choisi. La délégation nigériane finit par atteindre 450 personnes, de loin la plus grande représentation officielle à la conférence149. » En novembre 2005, la Suisse a versé au Nigeria une dernière tranche de 180 millions de dollars au titre du remboursement des fonds détournés, après avoir versé 490 millions de dollars en 2005 sur les quelque 700 millions de dollars bloqués sur des comptes helvétiques depuis 1999. Mais le traçage du reste du "trésor" continue. Hajiya Maryam Abacha a été jugée pour détournement de fonds et violations de droits de l'Homme. Plus de 2 milliards de dollars en nairas et en devises ont été saisis sur la famille, de même que 34 maisons de luxe et 54 voitures de luxe; 645 millions de dollars sur les comptes bancaires de la famille Abacha ont été gelés en Suisse, et des centaines de millions au 148L'Expansion, 149 Ibid.
6 juillet 2000.
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Luxembourg et au Liechtenstein. Maryam soutient que son mari n'a pas volé d'argent, qu'il a seulement «mis de côté les fonds
dans des comptes à l'étranger par mesure de sécurité. » Pour sa défense, sa famille avait recruté les meilleurs avocats occidentaux, dont Johnnie Cochran, l'avocat (décédé en 2005) d'OJ. Simpson. Maryam, en résidence surveillée 24 heures sur 24, n'a pas le droit de quitter le pays. Elle se repose donc dans sa belle résidence au toit de tuiles rouges (importées) qui s'étale dans son parc où s'ébattent des paons. Pour conclure, en apprenant que Maryam réclamait justice et indulgence à la mort de son époux, un Nigérian lui a écrit la lettre suivante: « Chère Maryam, comment as tu été capable de vivre aussi bien au moment où ton mari faisait cuire dans leur jus la majorité des Nigérians en les maintenant dans la soumission et en détruisant notre économie? Il est trop tard pour toi [... J Les méfaits de ton mari ont provoqué la chute de votre famille, et vous ne pouvez que vous en prendre à vous mêmes de ne pas l'en avoir empêché alors que vous en aviez les moyens. Tu as choisi de ne pas conseiller ton mari, d'être vile et méchante envers ses compatriotes nigérians. Tu as choisi une autre voie, celle d'enrichir ta famille [... J au détriment de millions de Nigérians qui ont connu d'atroces souffrances, désormais figés dans la léthargie de l'économie et dans le besoin. Je ne crois pas que tu aies le droit de montrer ton manque de pudeur en public, osant même assigner en justice le gouvernement fédéral du Nigeria et quelques individus. Tu devrais aller te couvrir d'infamie et commencer à te vautrer dans l'humiliation et le manque de dignité que la cupidité a jeté sur ta famille. 150»
150
Hilary
Evbayiro,
http://www.urhobo-world.org/MoreNews02.htm.
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Lucy
L
Kibaki
ucy Kibaki, la plus célèbre des deux épouses du président Kibaki, du Kenya, qui n'est pas un dictateur, mérite le détour par ses excès. Timide à ses débuts de Première Dame, elle était également appréciée pour sa lutte contre les mutilations génitales sur les femmes et contre le SIDA. Son combat pour plus d'égalité entre l'homme et la femme, contre les mariages précoces et les pratiques nuisibles à la femme est noble. Membre de l'OFL - Organisation of First Ladies against AIDS, association des Premières Dames contre le SIDA -, elle a participé en juin 2005 à une réunion de cette association au Rwanda pour l'avancement de la femme. Il est intéressant de noter que la reine du Swaziland, épouse du polygame le plus célèbre du continent qui prend régulièrement une nouvelle vierge pour femme, avait également pris part à cette réunion. Depuis 2003 cependant, Lucy a régulièrement défrayé la chronique avec ses agressions verbales et physiques contre des journalistes et tous ceux qui osent s'attaquer à son mari. Le soir du « World Press Freedom Day», Ie 2 mai 2005, Lucy Kibaky a battu un cameraman du «Nation Media Group », le plus grand groupe de presse du Kenya, «peu avant minuit [. H] avec six gardes du corps et le chef de la Police de Nairobi Kingori Mwangi et passa cinq heures dans les bureaux du quotidien The Nation à se plaindre d'articles injustes selon elle, parus le weekend précédent. Proférant des injures, elle fit confisquer les caméras, bloc-notes et téléphones mobiles et jura de ne les rendre que si les auteurs des articles étaient arrêtés. Elle se jeta aussi sur Clifford Derrick, le cameraman de la Kenya Television Network qui avait filmé la scène, le frappa et essaya sans succès de lui arracher sa caméra. Plusieurs journaux de la place y compris The Nation et The Standard avaient dans leur édition
de ce jour rapporté que Lucy Kibaki avait essayé d'interrompre la fête d'adieu dans la nuit du 29 avril pour le départ de Makhtar Diop, le représentant de la Banque mondiale au Kenya, trop bruyante à son goût; elle se serait rendue personnellement au poste de police de Muthaiga pour porter plainte contre Diop, 151 en tenue legere» ... " « Si vous croyez que les Kényans sont aveugles, qu'ils ne sont pas intelligents, vous vous trompez », aurait-elle déclaré. « Ils savent qui sont les gens que vous soutenez dans ce pays, mais vous n'avez pas à détruire la vie des autres en étant si mauvais. » Au moment même où le Kenya essayait de se rabibocher avec la Banque mondiale qui le critiquait pour corruption, Lucy avait trouvé le moyen de se fâcher avec son représentant, par ailleurs locataire de sa propriété, en essayant de débrancher la sono dans sa résidence. La plainte déposée par le cameraman fut classée sans suites par le procureur de la République Amos Wako. Ceci fit dire à plusieurs Kényans que si la Première Dame avait osé s'attaquer à ce cameraman, elle avait déjà dû le faire avec son illustre mari. Lucy avait déjà aligné les gaffes; par exemple, elle avait invité les Premières Dames africaines pour discuter du SIDA, sans en informer la ministre de la Santé qui, par la suite, a mené
Lors
du raid
de la
presse en mai 2005
des campagnes anti-SIDA avec l'autre Mme Kibaki. Car il y en a une autre.
151Reporters
sans frontiers, The Nation, The Standard,
104
Ifex.
La polygamie de Kibaki a été révélée au monde lors de sa visite aux Etats-Unis en 2003. Lucy, ancienne institutrice, a épousé Kibaki alors enseignant à l'Université de Makerere, dans les années 1960, et, précision importante, elle vit avec lui. Cinq enfants naquirent de cette union. Elle est celle que l'on voit avec le président et qui se comporte comme la Première Dame. Née dans les années 1940, fille d'un Pasteur (Eglise du Presbytère) de la région de Mount Kenya, Lucy était réservée. Elle resta dans l'ombre de Kibaki toutes ces années, du temps où il fut député, puis ministre et vice-président sous Daniel Arap Moi (ancien président du Kenya). J'ai été élevée par des parents chrétiens humbles et stricts, dit-elle. Mon père était pasteur et ma mère infirmière. A l'âge de trois ans, j'allais déjà à l'église et disais mes prières. Notre maison était toujours pleine d'invités. Nous avons été éduqués dans l'esprit d'accueillir tous au nom de Jésus. Nous partagions le peu que nous avions. Je peux donc me mêler à n'importe qui facilement. Gauche et empruntée, Lucy Kibaki ressemble à une gouvernante endimanchée dans ses longs tailleurs satinés genre polyester souvent bleu ciel ou beige brillant avec le chapeau assorti, que l'on imagine sentir la naphtaline. Ses perruques sont célèbres: toujours une masse semi-frisée de cheveux synthétiques, ce qui lui donne un air échevelé. Elle a l'air d'une péquenaude avec des cardigans moulant ses fesses et surchargés de broderies, ses chaussures en cuir avec la panoplie complète de nœuds amovibles. Elle se rase les sourcils complètement et les retrace, deux fois plus épais, au crayon noir. Le spécialiste du pagne Kanga, le styliste Farouque Adbela, s'est déclaré « absolument horrifié récemment par l'aspect de Lucy Kibaki lorsqu'elle arriva à Zanzibar dans une robe sans manches en nylon qui me fit me demander s'il n'y avait pas de créateurs au Kenya pour bien présenter leur Première Dame... 152». Lucy confond aussi les « L » et les « R », ce qui fait souvent rire toute la nation.
152
http://www.artmatters.info/fashion/unitvofafrica.htm.
105
Pas étonnant qu'elle déteste la publicité: Même lorsqu'on n'appelle pas les médias, ils s'arrangent pour apparaître avec leurs gadgets. Encore une fois, quand j'accompagne Mzee (le président) aux réceptions, ils y sont, bien avant nous... Je suis une fille très timide. Avec mon éducation, je n'ai jamais été exposee" a tant d e pu bl lclle,153 . "
Wambui Kibaki, l'autre épouse, femme d'affaires connue, est rarement loin, comme au cours de la célébration du 40ème anniversaire du Kenya. Wambui, également institutrice avant de rencontrer le Président dans les années 1970, est plus connue des partenaires de golf de son mari que Lucy. Elle occupe le ranch présidentiel et s'est déclarée satisfaite de «l' arrangement », ne se sentant pas entravée, ayant accès au président comme elle veut. Dans une campagne anti-SIDA, le président Kibaki encourage les Kényans à être fidèles, évitant la question épineuse de la fidélité des hommes kényans à la polygamiel54. Tout avait pourtant bien commencé en 2002, lorsque, en tenue africaine bleue et blanche, Lucy avait participé à la cérémonie d'investiture de son mari. Dans un Kenya qui n'avait pas eu de Première Dame depuis 1978, Lucy était en train de remplacer Ngima Kenyatta. Le Kenya avait commencé à l'appeler Mama Lucy. Dès 2004, une série de scandales et d'esclandres nocturnes devait ternir son image, la faisant apparaître comme une véritable harpie. Lucy n'a pas arrêté de s'en prendre aux diplomates, journalistes, policiers qui, d'après .. e Ile, ne Ia traitaient pas avec assez de respect. 155 Elle s'est débarrassée de tous ceux qui ont osé croiser le fer avec elle, comme l'ancien secrétaire personnel du président, le tout-puissant comptroller of State House, Matere Keriri. Selon le Standard156, Keriri était si proche de Mary Wambui, sa rivale, que c'est la femme de Keriri qui avait accompagné Mary à l'église autour de Noël 2003 quand tout allait mal pour cette dernière. Ayant eu vent de l'affaire, la haine de Lucy pour 153 The Nation, interview, 2004. 154 www.polygamyinfo.comlplygmedia%2003%20217nytimes.htm. 155 Gray Phombeah, BBC News Nairobi. 156 East African Standard, 2 janvier 2005.
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Keriri s'accrut et il devint la victime d'un vaste complot visant à neutraliser le camp de Wambui. D'après la presse, Lucy demanda la démission de Matere Keriri, confident de longue date du président qu'elle accusait de favoriser sa coépouse157. Quelques mois après que son mari fut devenu président, Lucy fit fermer un bar de la présidence, lieu de rencontre des ministres et proches alliés du président. En 2003, elle évita de se rendre à la fête du nouvel an après que le vice-président Awori l'eut appelée «second lady». En décembre 2004, elle annonça, lors d'une cérémonie officielle où elle n'était pas censée prendre la parole, que son rôle était de servir d'intermédiaire entre son mari et les politiciens, et de tenir son agenda158.Elle a aussi déclaré, au cours d'un meeting politique dans l'Ouest du pays, que son mari se représenterait aux élections de 2007, un sujet tabou en raison des rivalités entre diverses factions gouvernementales. Ceci lui avait valu de se faire vertement remettre en place par le député Sammy Weya qui l'avait accusée de se comporter comme si elle était le président, lui demandant de s'en tenir à ce que les Premières Dames font, en ces termes: Je me demande si c'est Lucy ou Kibaki qui dirige le pays. La personne que nous avons élue joue un rôle secondaire pendant que sa femme prend des décisions sensibles affectant le pays159... Sa rivale Wambui, pour sa part, se serait rendue à Othaya pour faire une contribution au développement d'un hôpital local, sans révéler que cette contribution provenait d'une ONG néerlandaise 160.Le président Kibaki a épousé Mary Wambui "coutumièrement" en 1972. Lorsque le parti NARC - National Rainbow Coalition - arriva au pouvoir, Mary Wambui suivit tout naturellement son mari dans la capitale. Elle quitta sa maison de la campagne pour une coûteuse résidence dans la 157 www.boston.comlnews/world/africa/ articles/2004/0 1/23/ controversy_over _second_lady_follows _ kenyas -president?mode=PF. 158 East African Standard, ibid. 159 The Standard, 18 avril 2005 http://www.eastandard.net/archi ves/ cllprint/news. php?articleid= 18269 160 bulletsandhoney.blogspot.com/2005/05/ Iucy-kibaki -shoul d -be-thanked.html.
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ville, gardée par des agents de sécurité de l'Etat - apparemment aux frais du contribuable. Mais des tensions se firent jour avec Lucy Kibaki, qui était déjà au courant de la relation. La Première Dame prit des mesures pour affirmer sa suprématie. Ceci causa un certain malaise, puis une crise ouverte pendant la période de Noël 2003. Wambui souffrit quelque temps, le président déclarant publiquement n'avoir qu'une seule épouse, Lucy, et les petits déjeuners avec le président se firent rares un temps. Mais en 2006, Mary a repris semble-t-il du poil de la bête, étant vue à la télévision nationale KBC - Kenya Broadcasting Corporation. En mars 2006, elle a été vue dans un hélicoptère de Kenya Wildlife Service avec des agents de sécurité comme gardes du corps... Ses hommes au pouvoir sont, outre Keriri, le ministre de la Défense Njenga Karume, de la Sécurité Intérieure John Michuki, l'ex-secrétaire d'Etat John Githongo, Stanley Murage, Eddy Njoroge de Ken Gen, George Muhoho de Kenya Airports Authority, entre autres. Ce clan est puissant, comme le prouve la nomination de l'ancien ministre de la Terre Amos Kimunya au Trésor Public... Lucie et sa rivale Wambui, comme la plupart des Premières Dames africaines, ont des gardes du corps payés par l'Etat ainsi qu'un véhicule officiell61 ; Lucie a été distinguée par son époux qui lui a décerné un «presidential award» le jour de la fête Jamhuri, alors que les Kényans ont élu Mwai Kibaki précisément parce qu'ils ne voulaient plus de gaspillage, de corruption, qu'il avait promis de débarrasser le pays de ces maux et d'approuver une nouvelle constitution pendant ses 100 premiers joursl62. Lucy a sauté sur l'occasion pour déclarer que le gouvernement NARC était propre, mais les Kényans auraient préféré que ces déclarations soient faites par un membre du
gouvernement, d'autant plus que « le vice-président, l'assistant de (son) époux, et certains ministres avaient reconnu qu'il existait des personnes corrompues au sommet de l'Etat... sa 161www.eastandard.net/archives/c1/hm_news/news.php? articleid=19568. 162www.pscottcummins.com/bl og/200 5/05/kenya-govemmentcorruption-dashes.html.
108
déclaration que le Gouvernement avait quarante dossiers sur la corruption sur lesquels il commencerait des instructions aurait été bien accueillie si elle venait de la Kenya Anti-Corruption Commission, du Procureur de la République ou du ministre de la Justice» 163.La corruption est si répandue au Kenya que le chef de la lutte contre ce fléau, John Githongo, a démissionné en février 2005 et les gouvernements américain et allemand on suspendu une aide de près de 10 millions de dollars. En 2006, les Etats-Unis ont refusé des visas à des proches du président, pour protester contre la corruption.
Lucy Kibaki salue lors de la course de JOkm à Nairobi (des Femmes Internationales contre le SIDA), premier hommage aux femmes contre le SIDA 164.
163 East African Standard, 164 Panapress. 165 statehousekenya.go.ke.
16 février
2005.
109
Femme forte, Lucy fait régulièrement des déclarations à caractère politique sur son site Office of the First Lad/65. C'est ainsi qu'elle a attaqué un opposant de son mari en ces termes: «En tant que Kenyanne attachée à une politique respectant certains principes de base, je souhaiterais protester de manière solennelle contre les leaders qui insultent et accusent de manière malhonnête notre chef de l'Etat. Je parle des attaques persistantes et sans fondement de l'Honorable Kalongo Musyioka, MP de
Mwingi North contre le président ». On n'en revient pas! Où at-on vu une femme de Président oser s'exprimer ainsi? N'ayant pas la langue dans sa poche, Lucy Kibaki a renouvelé des attaques contre l'équipe Orange, lors de disputes opposant en 2005 les partisans de la révision de la Constitution et ses opposants. Lucy a qualifié les Orange de clowns et de menteurs auxquels on ne pourra jamais confier le pays166. Elle a aussi déclaré que l'on ne devrait pas s'attendre à ce que le président fasse des commentaires sur la violence à Kisumu car les politiciens qui l'avaient organisée devraient prendre leurs responsabilités, et le président n'avait incité personne à aller jeter des pierres sur le lieu de réunion. Elle a aussi pris la défense de la police qui avait été accusée de faire un usage excessif de la force pour contenir le désordre à Kisumu, ajoutant que ses actions se justifiaient car ceux qui avaient désorganisé la réunion avaient l'intention d'utiliser la force. Cessez d'accuser la police pour ce qui s'est passé à Kisumu car ceux qui avaient incité les jeunes à organiser le meeting utilisaient aussi la force pour empêcher la tenue d'un meeting du gouvernement. Celle qui en avril 2006 recevait 5 millions de shillings de la Première Dame chinoise167 pour la lutte contre le SIDA s'est attiré moins d'un mois plus tard les foudres des organismes de lutte contre ce fléau, en déclarant que les jeunes ne devraient pas utiliser les préservatifs, mais plutôt pratiquer l'abstinence : Ceux qui vont à l'école n'ont rien à faire avec les préservatifs... Je ne suis pas pour les préservatifs... Le sexe n'est pas pour les jeunes, a-t-elle déclaré sur le site., Internet , du . 168 gouvernement kenyan. A u cours de ces d IX d ernleres annees, ' le taux d'infection par le virus du VIR est passé de 10% à 7% en 2003, ce que beaucoup d'experts attribuent à l'utilisation accrue du préservatif. Pendant ce temps, l'Eglise catholique -le président est catholique - a gardé le silence. La polygamie est 166
http://www.timesnews.co.ke/04 nov05/nwsstorv /news2 167 fr. allafrica.comlstories/200604 280809. htmI. 168 www.cnn.com/2006/WORLD/africal051l9/Kenya.condoms.reut/
110
7 .html
hors-la-loi au Kenya mais a de beaux jours devant elle grâce à un vide juridique selon lequel les deuxièmes mariages sont permis par la loi traditionnelle.
111
Grace Mugabe
Lors de leur mariage en août 1996. Elle a 40 ans de moins que lui.
(Marufu)
A droite, allure princière pour elle, et efforts pour faire jeune pour lui, avec sa casquette de base-ball169.
L
a désormais quelconque et dodue Grace, qui cache ses kilos dans des robes avantageuses de grands couturiers, est parmi les plus exécrées des Premières Dames d'Afrique, n'étant distancée que d'une courte tête par Maryam Abacha. Dépensière, frivole et superficielle, Grace a été baptisée «Disgrace» dès 1999 à cause de son goût pour le luxe. Deux ans avant la mort de son épouse ghanéenne Sally en 1992, Mugabe épousait «coutumièrement» (à l'africaine) son ancienne secrétaire Grace Marufu, de 40 ans sa cadette et mère de ses deux enfants, bientôt trois. Mugabe, qui s'était ainsi attiré les foudres de l'Eglise catholique 170,déclara sans vergogne que les coutumes africaines l'autorisaient à avoir une femme plus jeune. Le 17 août 1996, il convolait avec Grace à l'église catholique de Katuma College. Plus de 6.000 personnes ont
assisté aux festivités de ce mariage, qualifié de « mariage du 169
170
El Mundo, 3 mars 2002. http://www.cwnews.comlnews/viewstorv.cfm?recnum=1305.
sièclel?l ». Le président sud-africain Nelson Mandela assista à la cérémonie où le président mozambicain Chissano servit de témoin. Ceux qui ont vu la cérémonie à la télé se souviennent d'une jeune mariée à la longue traîne et à la taille épaisse - le troisième enfant était en route - jetant des regards inquiets dans chaque coin, comme si elle craignait que quelqu'un ne vienne faire s'écrouler son château de cartes, que son rêve ne se brise. Ou alors voulait-elle qu'on vienne la sauver? La liaison avait commencé quand Grace, âgée d'une vingtaine d'années et mère d'un enfant en bas âge, commença à travailler pour Mugabe, marié à Sally, malade des reins. Le couple adultérin eut deux enfants, dont l'aîné est âgé de 17 ou 18 ans aujourd'hui. Mugabe s'explique ainsi: Je voulais des enfants, et c'est la manière que j'ai trouvée pour en avoir... Sally était au courant de l'arrangement... Elle n'a peut être pas apprécié, mais elle était au courant172.Grace était légalement mariée à Stanley Goreraza, un cadre des forces armées du Zimbabwe. Ils divorcèrent et Mugabe plaça son ancien rival à l'ambassade du Zimbabwe en. .. Chine, loin, bien loin. Piètre étudiante, Grace a été recalée à ses examens de l'Université de Londres où elle faisait une licence d'anglais après avoir lamentablement échoué à la plupart de ses examens... huit ans après son inscription. Son précepteur ou répétiteur pour ses cours (par correspondance) était le président Robert Mugabe en personne173. On est en plein fantasme du maître à élève: Mugabe devient Pygmalion. Ayant réussi dans seulement deux matières, elle pourrait battre le record de la pire étudiante de tous les temps, avec des notes comme 7 sur 20 dans une matière174. Aujourd'hui, Grace représente tout ce qu'il y a de plus détestable dans le régime Mugabe, célèbre pour avoir ruiné 171 hUp:/ /www.nationsencvclopedia.com/W
orld- Leaders-
Zirnbabwe-PERSONAL-BACKGROUND.htrnl. 172 Martin Meredith. Power and plunder 173 Zirndaily.com. 174
[email protected].
114
in Zimbabwe.
2003/
l'économie de son pays en essayant d'imposer brutalement sa réforme agraire controversée et chassé les fermiers blancs. La journaliste Claire DonneIlyl75 décrit Grace ainsi: « Derrière ses lunettes Dior à 180 livres sterling (LS) et sa montre Rolex incrustée de diamants de 25 000 LS, la Première Dame du Zimbabwe passe la journée à faire du shopping, ce qu'elle fait le mieux. Après un dîner de 150 LS par personne, eIle et son mari se sont retirés dans leur suite de 33 pièces à 10 000 LS la nuit au Plaza-Athénée, pendant qu'au pays, les familles noires font la queue pour les maigres rations de pain et d'huile ». Les priorités de Mugabe ont «changé depuis sa rencontre avec Grace, il est en train de mettre en place sa dynastie176. Sally était une femme forte, intellectuelle, qui le soutint pendant toutes ses années de lutte et jouait le rôle de frein sur son superego. Personne d'autre ne pouvait lui dire «non, ne fais pas l'idiot ». En effet, Sally aurait eu un effet «calmant» sur Robert. Il faut cependant dire que déjà Sally « était incluse dans la glorification. Mugabe avait instruit la presse de l'appeler Amai, ce qui signifie Mère de la Nation. IlIa nomma à la tête de la section féminine du parti ZANU-PF et lui fit une place au Politburo, ce qui fit dire à Tekere (ancien compagnon des années de lutte) que le règne de Mugabe était une dictature personnelle de chambre à coucher. Sally utilisa sa position pour faire fructifier ses affaires. Mais elle servit également d'ancre à . . , certams moments cruCiaUXa M uga be 177 .» Déjà avant son mariage, Grace avait soulevé des controverses après avoir utilisé 500.000 LS de fonds publics pour se construire une propriété de 30 chambres à Harare, appelée Graceland, en son propre honneur et celui de son héros, Elvis Presley. La Cour Suprême déclara l'acquisition illégale, mais lorsqu'en 2000 Grace vendit le domaine au gouvernement libyen pour 3 millions de dollars, elle garda la plus-value par devers elle. Un an après, Grace exigea que son mari commence 175 New Zimbabwe, Hanging out with Zimbabwe 's first shopper, 20 juin 2003 www.newzimbabwe.com/pages/shopper.1156.html ]76 Robert Rotberg. 177 Martin Meredith, Power and Plunder in Zimbabwe
115
à lui construire un nouveau domaine de 6 millions de LS en dehors de Harare, puis se lança dans des courses effrénées pour l'équiper. Des baignoires inclinées italiennes aux tapis d'Orient, rien n'a été trop beau pour elle. La résidence des Mugabe est , . . 178 constrUIte, d e I aveu meme d u pres! , avec d u bOIS " d ent ~
importé de Malaisie, «cadeau de l'ancien président malais ». Tout ceci s'est produit à une époque où le pays avait des problèmes de devises. Grace Mugabe a acheté le terrain pour sa propriété sur ses «économies en tant que dactylo ». Elle a bénéficié d'une réduction de 80% sur le coût d'achat. Robert Mugabe aurait détourné les fonds d'un programme social de construction ou d'un fonds de retraite pour lui construire Graceland dans le quartier chic de Borrowdale. Elle a par la suite construit un domaine luxueux à Chvhu, sa ville natale, à 160 kilomètres de Harare: deux étages, avec trois salons, deux salles à manger et six salles de bain. Le matériel de construction a pour sa part été fourni en grande partie par le ministère de la Construction et des travaux publics et livré dans des camions portant des plaques minéralogiques du gouvernement. Grace possède au moins cinq autres propriétés et a offert celle de Leopard Vlei à son frère, du nom de Reward (littéralement Récompense) Marufu; cette ferme avait été arrachée par Mugabe à un fermier blanc. 179
Le domaine de Graceland, 3 étages, 30 chambres, a été par la suite vendu au Colonel Muammar Kadhafi pour £3 millions, et la plusvalue de £2,5 millions a été empochée par Grace. 178Sky News 2002. 179 The Namibian http://66. J02.7. J04/search?q=cache:i5iShFE2ewsJ an. com.na/webx%3 F230%4048. 7DSta2PRkTv. +mugabe&hl=en.
116
:communitV.namibi 0%40.308707 ca+grace
La propriété des Mugabe a été construite en cinq ans, avec des matériaux importés pour l'essentiel, alors que le pauvre Zimbabwéen des quartiers populaires de la banlieue comme à Mbare vit dans des taudis insalubres et surpeuplés, construits à l'origine pour des célibataires. La plupart des habitants ont remplacé les fenêtres cassées avec du plastique, du carton ou des lames de fer. Son domaine Graceland et son jet privé ayant appartenu dans le passé au playboy Hugh Hefner, ses shoppings à l'étranger sont aussi célèbres que son illustre époux. Lorsqu'on lui demanda un jour comment elle justifiait les milliers de dollars dépensés par exemple en chaussures Ferragamo pendant que son peuple mourait de faim, elle répondit tout simplement: J'ai des pieds très étroits, alors je ne peux porter que des Ferragamo. Peu après son mariage, Grace commença à voyager régulièrement à bord d'avions d'Air Zimbabwe pour faire ses courses, enlevant même des sièges au retour pour faire entrer les nombreux colis. La facture en kérosène était estimée à environ 200 millions de LS en 2002. A Londres, Grace insiste pour prendre une suite à l'hôtel de luxe Claridge's, puis avec ses gardes du corps, elle passe par Harrod's faire ses emplettes, allant jusqu'à dépenser 40 000 LS en un seul après-midi. C'est ainsi que le 8 décembre 2001, un Boeing d'Air Zimbabwe qui devait atterrir à l'aéroport de Gatwick a été dérouté sur Barcelone, abandonnant une centaine de passagers auxquels il a fallu payer des chambres à 200 LS (327 euros) par tête. Le détour avait essentiellement pour but l'achat de carreaux et sanitaires pour la demeure présidentielle en 117
construction. Grace avait déclaré: «Nous nous construisons une maison et mon conjoint veut acheter des carreaux espagnols... Ils sont également vendus en Afrique du Sud, mais en Espagne ils sont meilleur marché. » Mugabe avait déjà visité Barcelone le 5 septembre 2001 pour aller au Centre Ophtalmologique Barraquer. .. en prenant le « temps d'effectuer une première visite au commerce Expo Bain de la compagnie Roche ». Au cours de la décennie 1990, le président s'est rendu dans plus de 150 pays et a dépensé plus de 295 millions d'euros en kérosène 180.
Pendant ce même voyage de décembre 2001, Grace s'est distraite en allant voir les toilettes, lavabos et carreaux, retournant plusieurs fois au magasin Roche, hésitante et indécise. Une fois, elle était avec Mugabe lui-même, accompagné d'une forte délégation: «Il emmenait une suite très nombreuse, quelque quinze ou vingt personnes », a indiqué une des hôtesses du magasin. L'ambassade espagnole avait délivré 26 visas pour l'occasion. Le périple rocambolesque ne s'est pas arrêté là. A son retour au Zimbabwe, Grace a essayé de faire intervenir l'Ambassade pour aplanir les «différences» qu'elle avait avec Roche au sujet de la couleur des toilettes qu'elle avait achetéesl81. Les sanitaires étaient pour la construction de la prestigieuse propriété située à Borrowdale, de trois étages avec un toit de style pagode, à trois kilomètres seulement de Graceland. En 2002, l'Union Européenne ajouta Grace Mugabe sur la liste des personnes indésirables sur son territoire (tout le cabinet et l'élite du parti)182, pour «éviter qu'elle ne continue ses courses alors que son pays souffre de la pauvreté, à des niveaux catastrophiques» selon les propos de Glenys Kinnock, député travailliste britannique. La Banque d'Angleterre a gelé les biens de Mugabe, qui n'a que 30.000 LS officiels de revenus. Les avoirs de Grace furent également gelés. Mais cela ne l'a pas pour autant gênée: Grace n'a pas hésité à aller au Proche, 180 El Mundo No. 333, 3 mars 2002. 181 El Mundo 3 mars 2002. 18222 July, 2002.
118
Moyen et Extrême-Orient pour faire ses courses. Elle a été photographiée à l'aéroport international de Singapour avec son mari, une demi-douzaine de serviteurs et 15 chariots de marchandises dans le salon de première classe. Alors que l'Union Européenne avait interdit l'accès de son territoire à Mugabe et à sa suite après l'expulsion d'un observateur des élections présidentielles, Mugabe réussit cependant à contourner l'interdiction en se rendant à une conférence des Nations Unies (FAO), qui bénéficie de l'extraterritorialité. L'hebdomadaire Standard a été poursuivi par le gouvernement pour avoir écrit «Grace rejoint Oussama ben Laden sur la liste des sanctions ». Pour le gouvernement, c'est une « volonté délibérée de diffamer, salir et tuer le personnage de la Première Dame », de la part d'individus à l'extrême bord du journalisme de terreur et de mauvaise foi, et ne cache « ni la main blanche derrière les masques noirs ni ne fait honneur aux machinations britanniques qui motivent le journal diabolique ». Avec les gardes du corps, Grace a connu quelques problèmes. L'ancien garde de son époux, Winston Changara, a été démis de ses fonctions en juillet 2005183.M. Changara a déclaré à la police que Grace avait menti pour le faire renvoyer, dans le seul but de cacher ses aventures extraconjugales184 avec l' homme d'affaires James Makamba et un ministre. Quelques semaines auparavant, Grace s'était plainte d'avances et de propositions indécentes que lui auraient faites Changara. Un second aide de camp, Moses Chihuri, a été rétrogradé quelques mois seulement après le premier, en 2005185. Qu'en est-il vraiment? Grace aurait eu des rendez-vous fréquents et suspects avec James Makamba, la cinquantaine, l'un des hommes d'affaires les plus riches du Zimbabwe, à une « fréquence inhabituellement suspecte », selon la presse locale. Makamba aurait eu des relations avec Grace bien avant le 18366.102. 7.1 04/search?q=cache:cblxn30ktOJ:www.gozimbabwe.com/changar a 051007 .html+grace+mugabe&hl=en 184www.opendemocracv.net/content/articles/PDF/2401.pdf. 2 novembre 2005 185
Lebo Nkatazo,
1
er
mai 2006
119
mariage de cette dernière avec Robert Mugabe. Les agents secrets
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-
Central
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Organization
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rattachés à la sécurité de Grace auraient rapporté à Mugabe que sa femme avait rencontré un peu trop souvent Makamba, dans
des endroits « privés ». Makamba se serait aussi trop exposé en faisant livrer des fleurs et des présents à Grace par des intermédiaires. Grace se serait expliquée en disant que ses rencontres avec Makamba concernaient des affaires professionnelles et agricoles. On l'imagine mal pourtant avec des bottes en caoutchouc et un râteau. Grace, qui s'est souvent rendue en Afrique du Sud au cours de ces dernières années, était-elle allée voir Makamba qui possède une propriété à Sandton ? Zim Online a en tous cas confirmé qu'au moins en une occasion Makamba a rendu visite à Mme Mugabe dans un hôtel de Johannesburg pour une longue durée une certaine nuit. L'officier chargé de sa sécurité a enregistré «l'incident» et ensuite informé son époux. Makamba, qui était bien placé en 1998 pour remporter les élections primaires de la mairie de Harare, a vu celles-ci annulées et l'ami de Mugabe, Salomon Tawengwa, a été imposé à sa place186. Makamba a été emprisonné quelque temps pour avoir fait sortir de manière frauduleuse plusieurs millions de livres sterling et environ un million de dollars, et pour avoir acheté illégalement des biens en contravention de la réglementation sur les devises. Après s'être vu refuser le droit à la liberté conditionnelle plus de 13 fois, il est enfin sorti en 2005. Mugabe a créé une « Loi Makamba », du nom de son rival réel ou présumé, après l'arrestation de ce dernier. Cette loi autorise la police à détenir une personne pendant un mois sans jugement. Ceci s'est produit pendant l'une des pires crises de devises qu'ait connues le Zimbabwe. Makamba a été forcé de fermer son supermarché de 9,5 milliards de dollars zimbabwéens de Blue Ridge Sweet Valley. Depuis, il aurait fui en Angleterre et demandé l'asile politique, après avoir été acquitté par la Cour Suprême en août 2005. Ce cas n'était pas sans rappeler le cas 186www.zwnews.comlprint.cfm?
ArticleID=9663
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d'un autre homme d'affaires, Peter Pamire, qui mourut dans un mystérieux accident d'automobile en 1997 après avoir eu des relations avec Grace. Cette dernière aurait elle-même eu recours au marché noir pendant la même période, par l'intermédiaire de Gideon Gono, actuellement gouverneur de la Reserve Bank of Zimbabwe, et, dit-on, son beau-frère. Plus connue pour ses coûteuses descentes à Paris, Londres ou Johannesburg pour faire du shopping que pour aider le peuple, Grace essaie cependant d'occuper aussi le terrain de l'humanitaire, mais plutôt en dilettante. S'essayant à la lutte contre le SIDA, elle a participé à divers séminaires dont celui de Maputo en 2000 et a déclaré qu'il « était grand temps que les Premières Dames disent au monde que le SIDA est une maladie comme les autres »187. Avec son beau-frère Gideon Gono, gouverneur de la Banque Centrale du Zimbabwe, elle s'occupe également d'une fondation créée en 1997 pour « la réadaptation des Enfants de Zimbabwe188». Dans le même souci d'améliorer son image, en février 2002, Grace, imitant Sally comme « bienfaitrice des classes les plus défavorisées », a fait don de 200000 dollars zimbabwéens (784 euros en 2007) à une école de la région sud du Matabeleland189. Grace est également haïe pour son rôle dans les expropriations de fermiers blancs. Elle s'est installée sans gêne à « Iron Mark Estate », une ferme de 1011 hectares, saisie à une famille de vieux fermiers blancs, John et Eva Matthews, ce qui déchaîna encore plus les passions, surtout dans la presse anglosaxonne. Escortée d'un convoi de limousines noires, elle aurait dit aux propriétaires: «Je prends votre ferme ». Le vieux couple de fermiers, âgés de 78 et 74 ans, n'aurait eu que 48 heures pour faire ses valises et les employés noirs se seraient entendu dire «d'aller vivre près du fleuve ». Les activités agricoles de la ferme auraient complètement cessé 190.Grace, qui n'a aucun revenu officiel, a donc repris le domaine des 187Agence France-Presse, 20 août 2000 188Africa Confidential, www.swradioafrica.com/pages/thislandisourland.htm. 189El Munda. 3 mars 2002 190Daily Mir~or (Royaume-Uni)
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Matthews, cinq chambres, plusieurs salles de bain, une bibliothèque, une salle de billard, deux piscines et deux chalets. La ferme, qui produisait, est bien entendu à l'abandon. A travers le pays, les réformes agraires de Mugabe ont mis sur le carreau plus de 350 000 ouvriers agricoles. La population totale du Zimbabwe est de 12,5 millions d'habitants, dont 70 000 Blancs, moins d' 1%. De ce total, 4000 fermiers possédaient Il millions d'hectares de terre de premier choix. Lorsque le Zimbabwe accéda à l'indépendance en 1980, 70% des meilleures terres étaient entre les mains des Blancs. Un million de Noirs possédaient 16 millions d'hectares - souvent dans des zones arides. Mugabe, l'ancien héros de plusieurs Africains, a un bilan de plus en plus controversé. En effet, la redistribution de terres a surtout profité à ses amis du parti ZANU-PF au lieu d'aider les 162 000 familles noires (programme annoncé depuis le milieu des années 1990). En 1998, seulement 71 000 ménages noirs avaient été installés sur les terres, faute de volonté réelle du gouvernement, de capacité administrative et de fonds pour réaliser la redistribution des terres. Les hommes politiques loyaux à Robert Mugabe détiennent à présent des centaines d'hectares de terres fertiles tandis que les pauvres Noirs sont abandonnés sur des bandes stériles sans eau ni aménagement sanitaire. D'après les données du syndicat des fermiers (Commercial Farmers' Union) et du ministère de l'Agriculture et des Affaires Agraires, presque 200 hommes politiques importants, hommes d'affaires et membres des forces armées ont reçu des terres et des fermes. Parmi les bénéficiaires, on compte deux sœurs du président, son beaufrère et le neveu de sa femme. Le frère de Grace, Reward Marufu, a fait arrêter pour la première fois en 1989 Morgan Tsvangirai, leader de l'opposition, pour avoir osé critiquer ZANU-PF. Marufu, qui a prétendu être un ex-guérillero contre le régime raciste de Rhodésie, a obtenu une indemnisation de 21 311 euros. Nommé numéro deux de l'ambassade du Zimbabwe au Canada, il aurait évoqué son immunité diplomatique en 1999 quand il a été accusé d'abus sexuels sur la personne d'une adolescente de 14 ans. 122
Les vice-présidents Joseph Msika et Simon Muzenda ont également reçu des fermes, deux pour Muzenda à lui seul. Elisha Muzonzini, le redouté chef de la CIO (services secrets), a, lui, obtenu la ferme du législateur de l'opposition, Roy Bennet. Au moins 16 ministres et membres du bureau politique ont également été bénéficiaires de réformes. D'après The Telegraph, les Etats-Unis auraient, suite à l'éviction des fermiers blancs dont Matthews, pour la première fois violemment attaqué Mugabe, le décrivant comme un leader illégitime qui avait obtenu le pouvoir par la fraude; les Américains annonçaient également qu'ils encourageraient le peuple zimbabwéenà « remédier à cette situation ». Christopher Chingosho, le chef des terres provinciales, a reçu six fermes, et c'est ce genre d'allocations qui a énervé Andrew Natsios, le directeur de l'agence américaine du développement, qui aurait déclaré: «Ils ne rendent pas vraiment les fermes aux pauvres, c'est faire main basse de manière dégoûtante », d'après le Telegraph. L'opposition pense que la « violente réforme agraire ne sert à rien d'autre que d'assoir son pouvoir politique et récompenser ses amis; il ne s'agit pas de régler les injustices historiques », d'après Tendai Biti, membre du parti d'opposition Mc.191 Pour revenir à Grace Mugabe, la pénurie de devises ne l'a jamais gênée dans ses courses, car elle a dépensé entre 2000 et 2002 presque 2,1 millions de LS en Afrique du Sud, à Paris, Londres et en Malaisie (environ 21 milliards de Zim-dollars). Le Gouverneur de la Banque Centrale, Gideon Gono, aurait personnellement trouvé les fonds permettant à Grace de financer ses fringales lorsqu'il était patron de la Jwel Bank du Zimbabwe. Gono a eu recours à des tours de passe-passe sur le marché parallèle, achetant des dollars bon marché et les revendant bien au-dessus des taux du marché192.Sur une liste de 1250 transactions pendant une période de cinq mois, on retrouve celle du Il janvier 2002 en faveur de «Mrs G. M. (Cash PX)>> qui serait, d'après un responsable de la banque 191 http://www.nathanieltumer.com!gracemugabedefamed.htm ]92 Guardian Newspapers, 23 juillet 2002
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CBZ, l'une des six transactions du marché parallèle en faveur des Mugabe pendant la période concernée. Gono aurait personnellement autorisé la mise à disposition de 100 000 dollars en faveur de Grace le Il janvier 2002 : les fonds étaient « invariablement collectés par l'un des aides de Mugabé dans une serviette en cuir », et ont été utilisés pour financer un ., voyage a' L on dres quatre semames apres 193. A tort ou à raison, les Zimbabwéens pensent que c'est Grace qui encourage les vues extrêmes de son mari et qu'elle l'aurait complètement ensorcelé depuis le début de leur aventure extraconjugale. Selon certaines sources, «Mugabe, déjà en 1992, parlait de prendre sa retraite et au sein du gouvernement, les gens se préparaient à un changement. Tout cela a changé avec l'arrivée de Grace» sans l'avis de laquelle il ne prendrait aucune décision. Pendant la première année de leur mariage, Mugabe emmena sa femme en voyage de noces pendant 10 mois, alors que le pays connaissait des difficultés économiques. Ils «visitèrent l'Italie, la Grande-Bretagne, l'Afrique du Sud, l'Allemagne, l'Autriche, le Ghana et la Jamaïque. Les choses se détérioraient au pays, mais Mugabe semblait être retombé dans son adolescence, tombant amoureux de Grace et l'emmenant faire le tour du monde en lui disant: Laisse-moi te montrer Rome194 »... On se doute qu'elle n'a pas essayé de dissuader son cher époux de faire cotiser la population pour rassembler les 1,2 million de dollars qu'auraient coûté les célébrations de son 83èmeanniversaire, le 21 février 2007. Aux dernières nouvelles cependant, selon la presse zimbabwéenne195 disant le tenir de la tante de Grace, cette dernière envisagerait de quitter Robert. En effet, Cendrillon ne supporterait plus sa cage dorée: «elle étouffe avec la sécurité autour d'elle, est fortement troublée par la crise socioéconomique et le souhait de Mugabe de se représenter aux élections en 2008 ». 193 New Zimbabwe, Bonny Schoonakker, 6 juin 2004 194Lifestyle 30 mai 1999 www.nationaudio.com/N ews/Dailv N ation/3 005 99/F eatures/SE3 .html 195 Zimdaily.com 5 avril2007.
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Fidèle à elle-même jusqu'à la fin, elle n'est pas de celles qui se sacrifient pour un homme, même s'il leur a tout donné. Comme les rats, Cendrillon quitte le navire qui coule.
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Les épouses
Nguema
(oncle et neveu)
Les premiers timbres de Guinée Equatoriale à l'effigie de Macias Nguemal96
en 1968,
A
Monica, vraie garce comme il en existe dans les films noirs des années 1960 ou certains westerns avant qu'au nom du féminisme et du politiquement correct, peu à peu, les traits de ce genre de personnages ne s'estompent, il faut tirer son chapeau; on verra pourquoi. Même si, jusqu'à une période récente, Monica vivait de sa pension de veuve, sa jeunesse fut un roman, avec richesses, bijoux, multiples unions, gloire, trahisons, argent volé, batailles pour gagner ses faveurs, meurtres, insurrections armées, mercenaires, etc. D'ailleurs, un témoin dit qu'à l'époque «voir Monica, l'épouse de Macias
Nguema, c'était comme voir une star d'Hollywood. » Son époux, Macias Nguema Biyogo, fut élu en 1964 à la vice-présidence du gouvernement autonome de Guinée Equatoriale, après avoir été plusieurs années fonctionnaire de l'administration coloniale espagnole. II devient président en octobre 1968 après l'indépendance du pays et met en place presque immédiatement un régime autocratique. En 1972, il se 196
http://laguineaecuatorial.iespana.es/galeriafotogr%Elfica.htm
proclame président à vie, Premier ministre, ministre de la Justice et des Finances. Peu après son accession au pouvoir, le premier ministre Bonifacio Ondo Edo est incarcéré et exécuté. D'autres membres du gouvernement se «suicideront» après leur arrestation et leur incarcération. Durant son «règne de la terreur », un tiers de la population meurt ou choisit l'exil (Cameroun, Espagne, Gabon, France). Le régime est inspiré du modèle nord-coréen; il faut appeler le président «Miracle Unique de la Guinée Equatoriale» ; il décide qui a le droit de porter des chaussures, interdit les produits occidentaux tels que le pain et l' huile d'olive même s'il en consomme en cachette; tous les noms à consonance espagnole sont africanisés, le chemin de fer démonté, les hôpitaux et les écoles démantelés; il est interdit aux habitants de pêcher sur l'île; une base secrète de sous-marins russes est installée à Luba, et la culture du cacao, alors considéré comme le meilleur du monde, est sur le déclin. Nguema fait tout pour se débarrasser de l'étiquette d'indigène. Lui qui déteste ses compatriotes « émancipés» s'emploiera, avec succès, à obtenir le même statut, n'hésitant pas à hispaniser son nom (Macfas, au lieu de Msié)197. Au nom de 1'« authenticité» africaine et de la peur du complot, Francisco Macfas Nguema isole son pays du reste du monde et fait assassiner en dix ans entre cinq mille et dix mille personnes sur une population de moins de quatre cent mille habitants. Cent mille Equato-Guinéens s'enfuient. La communauté internationale reste silencieuse. La GuinéeEquatoriale, qui produisait 38000 tonnes par an de l'un des meilleurs cacaos du monde, parvient à peine à en fournir 5 000 tonnesl98. En 1969, lorsque le pays devint le 126ème membre des Nations-Unies, des tensions demeuraient entre les Fang (60.000) de Rio Muni et les Bubi (8.000) de la prospère île de Fernando Poo. Atanasio Ndongo, ministre des Affaires
197Jeune Afrique, Macias Nguema Parana à Malabo. 25 juillet 2000. 198 Muriel Pomponne, Le Monde Diplomatique. jui]]et 1994.
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étrangères, essaya de faire un "golpe" (COUp)199 qui échoua. Il fut défenestré, puis emprisonné. D'après Macias, Ndongo se donna la mort par poison en prison, même si certains Espagnols affirment qu'il a été battu à mort dans sa cellule. Les troubles politiques ainsi que l'attitude anti-espagnole de Macias conduisirent au départ de 2000 Espagnols du pays. Pour contenir le flux de candidats à l'exil, Macias fit détruire tous les bateaux. Lorsque la main-d'œuvre vint à manquer dans ses plantations de cacao, il força 20 000 de ses compatriotes à travailler comme des esclaves sous la menace des armes. Ses opposants, un groupe de 150 prisonniers politiques, furent alignés dans un stade le soir de Noël et tués par balles alors que les haut-parleurs jouaient« Those were the days, my friend »200. Certaines des victimes de Macias furent crucifiées sur la route menant à l'aéroport. Il a perpétré l'un des génocides les plus brutaux du 20ème siècle, en toute impunité et dans l'indifférence internationale la plus totale. Selon l'hebdomadaire Jeune Afrique, « dans la Guinée de la terreur, on assassine à tour de bras et à coups de gourdin. Car, aux dires du despote, le pays est trop pauvre pour s'offrir le luxe de fusillades: comprenez, les munitions coûtent trop cher. Mais la bastonnade n'est pas le seul mode d'assassinat légal: la noyade en mer, la défenestration, le coulage dans le béton ou l'écorchement vif sont des méthodes d'élimination tout aussi économiques. Personne n'est à l'abri de sa folie meurtrière, pas même les anciens amants de sa femme Monica, qu'il s'acharne à éliminer l'un après l'autre 201».Les conditions de vie seront si difficiles que Monica Bindang, sa propre épouse (la troisième) prend la fuite202! Macias Nguema a maintenu des relations stables, plus ou moins longues, avec cinq femmes. Après avoir abandonné dans la misère sa première épouse, une jeune Bujeba de la province de Rfo Benito avec laquelle il s'était marié à l'église et avec ]99 Times, 21 mars 1969. 200 Times, 20 août 1979. 201 Jeune Afrique, Macias Nguema. 202 fr.wikipedia.org/wiki/Francisco
Parano Macias
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de Malabo. Nguema.
laquelle il eut plusieurs enfants, il se rendit compte qu'elle l'avait trompé. Sa haine de l'Espagnol et du Blanc en général pourrait venir de cette histoire d'adultère. Un certain M. Roman, fils d'un commerçant espagnol installé à Mongomo (sa ville) depuis longtemps, le fit cocu. Macias, alors maire de la ville, ne considéra pas cela comme un péché charnel mais comme une offense préméditée du Blanc afin de démontrer sa supériorité et sa puissance sur le Noir... Le fils Roman fut expulsé du pays et, quand Macias prit le pouvoir, les autres membres de la famille Roman ne demandèrent pas leur reste et prirent tous la fuite. Son mariage avec la mulâtresse Monica aurait été motivé par ce complexe, le souci de montrer que lui aussi pouvait «se faire» une sang-mêlé, en avoir une chez lui. Ses invectives: « El blanco no es nadie, es hombre coma nosotros, siempre nos quiere engaiiar » (<
de Guinea Ecuatorial
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déjà deux enfants d'unions antérieures, Teonesto avec un commerçant haoussa nigérian, et Maribel, à la peau plus claire, avec un garde civil espagnol. Avec Monica, Macias eut son fils Paco, né en 1970, et Moniquita, en 1972. Monica, arrogante et suffisante, avait une très haute idée de ses fonctions de Première Dame et n'hésita pas à faire emprisonner en 1971 un homme qui l'avait saluée dans la rue d'un «Ambolo, Monica », qu'elle avait trouvé irrévérencieux. Monica avait beaucoup d'influence sur Macias. Malgré sa fugue en 1978, Monica aurait toujours été dans les environs de Mongomo jusqu'aux derniers moments de son mari. Le 5 mars 1971, le Diario de la Guinea Equatorial décréta que l'anniversaire du coup d'Etat de Ndongo avait été transformé en «Journée de l'Evolution ou de l'Elévation Nationale », et en 1975, des représentations théâtrales eurent lieu en commémoration de cet événement, y compris la défenestration du malheureux Ndongo. L'une de ces représentations était dirigée par Monica. «L'oeuvre a été écrite par Monica, et présentée par des filles de la Section Féminine du PUNT204.Le rôle de Macias était joué par une jeune fang. Monica introduit un élément surnaturel dans l'histoire, en dotant Atanasio Ndongo d'une serviette magique achetée aux USA avec laquelle il pouvait voler et devenir quasi invulnérable. Mais, en se la mettant au cou et sautant par la fenêtre, la serviette s'accroche à un clou, c'est pourquoi Atanasio tombe sur le sol (!) Les représentations montrent également les réunions préparatoires d'Atanasio avec des politiciens espagnols, ainsi que les tortures que Ndongo infligerait aux soldats capturés s'il avait réussi son coup d'Etae05 ». Où était Monica quand Macias, peut-être pour copier la révolution culturelle maoiste, fit brûler tous les livres du pays en 1973? Des bibliothèques et des archives complètes disparaissent, y compris celles qui avaient été déclarées conformes aux lois et règlements par le pouvoir. Et avant, quand il fit réquisitionner toutes les machines à écrire de l'île, 204 Partido Unico de Trabadores - Parti Unique des Travailleurs 205Cronologia de Guinea Ecuatorial, 5 maya 1975
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parce qu'un tract tapé à la machine demandait son départ, essaya-t-elle de le conseiller? En outre, Monica saurait où sont passés 60 millions de dollars qui seraient sortis du pays pendant le règne de Macias. Elle jouait un rôle important dans la section féminine du PUNT, seul parti autorisé; de même, elle aurait joué un rôle actif dans les atrocités de Macias Nguema. Les dirigeantes de la Section féminine du PUNT mettaient sur le registre politique des « questions d'ordre conjugal, ce qui causa la mort de bien des maris206.» Mais Monica avait aussi un côté héroïque et touchant, car à la chute de Macias, sa présence aurait été signalée dans un pays limitrophe de la Guinée, avec « la prétention de sauver la vie de son mari207.» En effet, selon deux hypothèses, soit Monica se trouvait dans un pays voisin avec une forte somme d'argent afin de négocier la vie de son mari avec les nouvelles autorités, soit elle avait l'intention de recruter des mercenaires afin de sauver celui-ci. Celle qui en 1978 avait pris la poudre d'escampette et s'était retrouvée entre Madrid et Moscou, puis à Paris, aurait-elle eu des remords un an après? On raconte que, fin 1978, Monica se sauva de Guinée Equatoriale et Macias, craignant qu'elle ne soit allée en Suisse pour faire main basse sur son argent, y dépêcha le gouverneur de la Banque centrale Damian Ondo208. Des sources de l'opposition guinéenne ont confirmé aussi ce voyage en Suisse depuis Madrid du gouverneur de la Banque centrale, en compagnie du représentant d'affaires officieux, parent éloigné de Macias... précaution de Macias pour essayer d'éviter que ses fonds en Suisse puissent être détournés par Monica. Une semaine après, le gouverneur est retourné en Guinée. Qu'est-ce qui avait ainsi poussé Monica à fuir de Guinée? Peut-être les tortures dans la résidence bunker du « Tigre », où une pièce spéciale était réservée pour d'atroces tortures aux 206 Obiang
Nguema T., Guinea Ecuatorial, pais joven. Guinea. 1985 207 El Pais, 22 septembre 1979 208Agustin Nze Nfumun, Macias, Verdugo 0 Victima?
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Madrid, Ediciones
opposants qui ensuite mouraient de gangrène, fièvre et diarrhée noire. Il devait en effet être bien difficile de profiter de la vie avec les râles de pauvres diables à l'agonie, de manger un bon steak bien saignant par exemple quand à deux mètres de là, des êtres étaient en putréfaction, à moins que Monica n'en ait eu marre de manger du pain en cachette alors que le reste de la population n'y avait plus droit depuis deux ans! La fuite de Monica avait été confirmée par Okori Dugan, exministre équato-guinéen de la Justice et ex-ambassadeur en Ethiopie. Macfas l'avait alors déclarée « traître à la patrie» ; de même, il avait interdit par décret de baptiser des nouveau-nés « Monica ». Monica, alors âgée de 37 ans, était arrivée à Madrid accompagnée du chef de protocole de Macfas, Daniel Oyono, également apparenté à Macfas. Selon l'opposition, Monica s'était enfuie de Guinée Equatoriale pour éviter les mauvais traitements physiques auxquels la soumettait le Président. .. La trace de Monica - dont la localisation était inconnue - s'est perdue en Ethiopie, où elle a été vue pour la dernière fois, selon nos sources, après le retour du gouverneur à Malab0209.On imagine la difficulté de se sauver des griffes d'un tel tyran, qui devait tout contrôler, et Monica devient presque sympathique. Macfas tomba amoureux d'une autre métisse d'origine allemande, Frida Kroner, et n'hésita pas à assassiner son mari, Felipe Pedro Esono, le premier directeur de la Sécurité. Tout ceci se passa alors qu'il était toujours marié à Clara (la pauvre). Avec Frida Kroner, il eut aussi des enfants. Il n'est pas clair qu'il ait annulé son mariage auparavant avec Clara, si Frida Kroner devint une épouse légale ou une concubine, mais il semble qu'elle resta en Guinée. Frida, infirmière de profession, devait par la suite occuper des fonctions élevées dans le domaine de la santé. Une autre femme de sa vie est Rita Flores Berlicon ou Mernicon, veuve d'Abilio Balboa qui fut maire de Santa Isabel et militante de MONALIGE, avec laquelle il eut un ou plusieurs
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El Pais, 1 février 1978
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filS21O,qui réussit à s'échapper de la Guinée et s'établit à Barcelone. Son ultime compagne, la belle Ngale, aimait les parfums chinois et la lingerie fine de Paris, d'après les trouvailles des soldats qui participèrent au coup d'Etat. Macfas serait né vers 1924, la date exacte étant inconnue, mais il avait décrété que son anniversaire était le leTjanvier, car il se considérait comme « l'homme le plus grand du pays et le sauveur du peuple de Guinée de la guerre et de l'oppression du Blanc (Espagnol) ». Il se faisait appeler le Messie. Après une enfance difficile marquée par de violents affrontements avec ses frères et les voisins, Macfas abandonne l'école et entre tôt dans la vie active. Isolé, timide et renfermé, il aurait développé très tôt un esprit calculateur, mégalomane et vouait depuis longtemps une haine aux Blancs. En 1951, il devint interprète à Mongomo, une occasion de tromper Blancs et Noirs. Il se fit beaucoup d'ennemis. Le 3 août 1979, son neveu Theodoro Obiang Nguema prend le pouvoir avec l'aide d'un groupe de militaires. Macfas tente une brève résistance, depuis sa villa fortifiée - un bunker - dans la province de Rio Muni, où il avait vécu reclus au cours des deux années précédentes. Il s'enfuit dans la jungle, non sans avoir brûlé une énorme pile de billets de banque: environ $105 millions de monnaie locale et de devises, soit environ la moitié des espèces du pays. Il détruit les réserves de change du pays (la monnaie de l'époque était l'ekwele-bikwele, indexée sur la peseta espagnole). Le pays entamera alors une crise monétaire grave. Arrêté, Nguema est jugé de façon expéditive par un tribunal militaire et reconnu coupable de génocide. Il est condamné à mort le 29 septembre et exécuté le jour même par la garde présidentielle marocaine, faute de volontaire parmi des soldats équato-guinéens superstitieux qui le prenaient pour un quasi-dieu.
210
http://www.asodegue.org
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Constancia N sue Obiang, épouse de Théodore Obiang, neveu de Nguema
A
vec le neveu, Théodore Obiang, Mme Constancia est aux commandes. Malade depuis de longues années, Obiang aurait passé les rênes à sa femme. Tout ce qui a une valeur appartient au président ou à son épouse. Celui-ci considère la Guinée équatoriale comme sa propriété privée. Il en dispose à sa guise, s'appropriant les meilleures terres et prélevant une dîme sur l'exploitation pétrolière. Il fait aussi régner la terreur, et plus de 100000 habitants, sur les 350000 que compte le pays, ont dû chercher refuge au Cameroun, au Gabon et au Nigeria. Constancia est la plus importante des épouses d'Obiang, qui reconnaît «qu'en tant qu'Africain, il a eu plusieurs enfants d'unions différentes ». Obiang a de nombreux fils - quarante selon certaines sources -mais les deux fils qui comptent le plus pour lui sont Teodoro, qu'il a eu avec Constancia Nsue, et Gabriel, le benjamin qu'il a eu avec sa deuxième épouse, J Celestina Lima21 . Sur le site internet de Constancia2l2, par ailleurs étonnamment rudimentaire, démodé et amateur pour une Première Dame avec des moyens conséquents, on peut lire « Le 211P. Maass, En El Pais de Obiang, Courrier International n0759 du 19 au 25 mai 2005
- http://www.asodegue.org
212http://www.ceiba-guinea-ecuatorial.org/guineefr/pd1.htm
Comité d'Appui aux Enfants Equato-guinéens (CANIGE), outil de lutte de la Dame de Cœur Constancia Mangue de Obiang, Première Dame de la Guinée Équatoriale, contre les souffrances et difficultés de l'Enfant, est convaincu (!) du fait que tous les enfants de la Guinée Équatoriale et donc du monde peuvent bénéficier d'un développement normal et durable. CANIGE a déjà, dans ses multiples actes, envoyé beaucoup d'enfants atteints de maladies graves partout dans le monde pour des soins efficaces ». On apprend par ailleurs que Constancia Mangué de Obiang est née en 1951, qu'elle est mère de trois enfants. Professeure au Centre de formation universitaire des enseignants, elle est Docteur Honoris Causa de l'Université interaméricaine des sciences humaines de Buenos Aires en Argentine. Conseillère présidentielle en matière de santé et de bien-être social, présidente du CANIGE, présidente du Comité National pour les droits de l'enfant, vice-présidente du Comité National de lutte contre le SIDA, présidente d'honneur de l'Association pour la solidarité nationale en faveur des handicapés (ASSONAMI), présidente en exercice du mouvement «Mission pour la paix des Premières Dames d'Afrique Centrale », marraine de la Décennie africaine des personnes handicapées pour l'Afrique Centrale (1999-2009), marraine du bateau Hipolito Micha, Membre du Bureau exécutif et Coordinatrice de l'Organisation des femmes du Parti Démocratique de Guinée Équatoriale (parti au pouvoir), ouf... Constancia est partout. Dure, Constancia a traité les bénéficiaires de dons offerts par la Chine d'ingrats, car« ce n'est pas une obligation pour elle de donner ou distribuer les dons... et elle ne cacha point son indignation devant l'absence de gratitude de la part de la population qui a si facilement oublié son aide qu'elle n'est en aucun cas obligée d'apporter, et son mari non plus» ! En sa capacité de présidente du CANIGE, Constancia avait reçu de la Chine de l'aide humanitaire pour les populations les plus défavorisées, dont 10 chaises roulantes, 4 stéthoscopes, etc... Comme le reste de la famille Obiang, Constancia bénéficierait de pots-de-vin et autres largesses de compagnies pétrolières. En 2001, Exxon a payé 175 000 dollars à 136
Constancia Nsue - en tant que représentante de l'entreprise personnelle d'Obiang, Abayak SA, pour le loyer d'un complexe qui loge le personnel et abrite les bureaux d'Exxon. Cette société a aussi payé un loyer au ministère de l'Agriculture pour occuper un de ses bâtiments, et 236 160 dollars à une société appartenant au ministère de l'Intérieur. Amerada Hess (une compagnie pétrolière américaine, ndlr) bat tous les records pour avoir loué une propriété immobilière à un parent d'Obiang âgé de 14 ans, pour 445800 dollars. Constancia est une femme très riche et très considérée, du moins auprès de la banque américaine RIGGS, dont la famille Obiang était le meilleur client. Celle qui veut mettre un terme à la féminisation de la pauvreté dans son pays avait, jusqu'à une époque récente, une limite quotidienne de $10 000 sur sa carte de crédit RIGGS. La banque a aussi accepté des versements en espèces de plus de 1,4 million de dollars dans des comptes au nom de Constancia Mangue Nsue Okomo, qui dispose aussi de cinq demeures, dont deux d'entre elles pour ses plus jeunes fils, à Rabat et à Casablanca. Comme dans les contes de sorcières et de fées, les pouvoirs de Constancia lui viendraient de sa mère, Mme Okomo Nsue, qui serait voyante et le marabout du président Nguema. Cette dernière a aussi deux magnifiques résidences à Casablanca, au nom de son plus jeune fils Candido Nsue Okomo, alias Taata... Obiang, qui n'a rien de «modeste », a acheté cash pour 2,6 millions de dollars une villa dans une banlieue chic de Washington en 1999. Constancia est aussi nationaliste. Sur son site, on peut lire que suite « aux nombreuses plaintes des femmes commerçantes au sujet de l'attitude de leurs collègues étrangers» - une attitude sur laquelle les officiels du district de Malabo insistent pour dénoncer les avantages que les étrangers obtiennent ainsi grâce à la corruption -, Constancia a reçu les femmes commerçantes le 15 janvier 2002. Ce fut l'occasion pour elle d'exprimer son indignation aux officiels de Malabo qui ne donnent pas priorité aux nationaux et ne montrent pas de solidarité à leur égard.
137
De son mari, bien entendu, Constancia ne pense que du
bien: « Son Excellence le président Obiang Nguema est avant tout un époux, un père de famille et un grand homme d'Etat du monde contemporain qui, non seulement veille et se préoccupe des problèmes de son peuple de Guinée Equatoriale, mais aussi du continent africain et du monde entier213. » Son despote de mari s'est entouré d'une «garde présidentielle» formée de 700 soldats marocains qui sèment l'effroi et hantent les prisons214. La plus épouvantable de cellesci, le bagne de Playa-Negra appelé aussi Black Beach, est située dans l'enceinte même du palais présidentiel... Y sont enfermés, en particulier, les opposants politiques incarcérés sans procès. La torture y est appliquée systématiquement: « Coups assénés à l'aide de bâtons, de fouets et de matraques sur la plante des pieds, le dos et les fesses, décharges électriques sur les parties génitales, et suspension des prisonniers par les bras ou les 215». On estime que 10% des suppliciés en meurent. « Le pieds groupe de hauts responsables gouvernementaux qui semblent contrôler l'appareil de sécurité, affirme Amnesty International, assistent souvent aux séances de torture, voire y participent activement. » En outre, les prisonniers, au mépris de toutes les conventions internationales, sont soumis au travail forcé et «contraints de travailler dans les plantations appartenant au président ». Les femmes sont violées, « obligées de danser nues devant les gardes de sécurité ». Sous la pression de l'Occident, Obiang est entré à son tour dans la ronde des « démocratisations» africaines et a procédé, en novembre 1991, à une modification de la Constitution afin d'y introduire le multipartisme. Cette réforme concède une très maigre liberté d'expression et d'association, sans pratiquement aucune garantie protégeant de l'emprisonnement les citoyens qui tenteraient d'exercer leurs nouveaux droits. La plupart des 213 Amina n0433, Mai 2006 214 Rapport d'Amnesty International cité par le Monde Diplomatique, de Silence, http://www.monde-iplomatique.[r/1994/01 /RAMONET /66#nb3#nb3 215Amnesty International La torture en Guinée Equatoriale.
138
Linceul
partis d'opposition ont d'ailleurs préféré demeurer dans la clandestinité. Mais des centaines d'opposants ont pris au pied de la lettre les nouvelles dispositions; à leur retour d'exil, ils ont été arrêtés sans inculpation. Dans ces conditions, les élections multipartites du 21 novembre 1993 (boycottées par 70 % des électeurs) ont été facilement gagnées par le dictateur qui a pu constituer un nouveau gouvernement au sein duquel le nombre des ministres originaires, comme lui, de Mongomo a été renforcé... Pendant la campagne, les assassinats politiques se sont multipliés. Les partis d'opposition ont été interdits d'accès aux médias et leurs meetings sabotés par la soldatesque, tandis que leurs militants étaient «régulièrement passés à tabac par les redoutables ninjas, sortes de tontons macoutes dirigés par le propre frère du général Obiang, qui remplacent peu à peu la garde prétorienne marocaine. »216. Obiang Nguema a remporté les élections présidentielles avec 97% des voix. Dans le gouvernement de 2005, aucun membre de l'opposition ne figure; on retrouve la sœur aînée de la première épouse du chef de l'Etat, Victoriana Nchama Nsue Okomo comme secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères. Le fils aîné du président Obiang, Teodoro Nguema Obiang (Teodorino), change de portefeuille et devient ministre d'Etat des Infrastructures et des Forêts, un nouveau département ministériel. Un autre fils du président, Gabriel Mbegha Obiang Lima, conserve son portefeuille de secrétaire d'Etat aux Mines et Hydrocarbures, un poste stratégique dans ce pays qui connaît depuis plusieurs années une croissance économique à deux chiffres en raison de son boom pétrolier. Une des filles du président, Anita Mbasogo, mariée à l'Ambassadeur équato-guinéen à Moscou aurait reçu un million de dollars en récompense de la libération des pilotes arméniens ayant participé à la tentative de coup d'Etat contre le régime Obiang en mars 2004. Quant au Président zimbabwéen Mugabe, il a lui aussi reçu sa récompense pour avoir fait échouer le coup d'Etat. Selon l'agence sud-africaine Washing 216
Le Monde Diplomatique.
Linceul de Silence, janvier
139
1994
Line217, 10 millions de dollars ont été payés sur le compte de Mugabe à la RIGGS Bank, et 10 autres millions seront versés sur le compte du gouvernement. Obiang avait déjà distingué Mugabe avec Ie Grand Collar of the Order of Independence en reconnaissance de la grande action du peuple et du gouvernement du Zimbabwe pour la défense des intérêts du peuple de Guinée Equatoriale. Il y a encore quelques années, vivre dans ce pays était particulièrement difficile: les élèves (sans livres) étant contraints d'acheter les ampoules de leurs écoles dans un état de délabrement avancé, les hôpitaux manquant de matériel et de ressources humaines, pendant que les nouveaux riches se font soigner à l'étranger. Les vrais cadres nationaux formés en Occident sont interdits de travailler sous prétexte d'avoir des idées de Blancs et dénommés «ennemis du peuple» par le régime en place parce qu'ils souhaitent voir leur pays se développer comme les autres pays de la sous-région. Ils sont obligés de quitter leur pays pour sauver leur peau. Seuls les cadres du clan de Mongomo et les personnes ayant un lien de parenté avec ce clan ont le droit de travailler dans ce pays. L'eau potable et l'électricité font défaut: Malabo (la seule ville du pays qui a de l'eau une heure par jour) est entouré des vieilles maisons de l'époque coloniale. Selon les membres du régime: «Celui qui veut vivre bien et dans le confort comme les blancs doit retourner chez les Blancs »...la population croupit dans la misère et la pauvreté, ne pouvant même pas débourser 1000 francs FCA (l,50 Euro) pour s'acheter un « Fansidar » anti-malaria218. Selon le département américain de la Justice, les détournements de fonds publics du pétrole en faveur d'Obiang Nguema et de sa famille ont permis à ces derniers d'acquérir des propriétés immobilières au Maroc. Teodoro Obiang Nguema Mbasogo dispose de deux palais à Rabat et d'une demeure à Casablanca. Un des palais, «monument au luxe 217 New Zimbabwe, 25 avril 2006 218 www.africatime.coml ge/nouvelle.asp?no _ nouvelle=199532&no
140
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stupide », est situé dans la zone du palais du Roi, avec un héliport et plusieurs piscines, comme on pourrait s'y attendre. L'autre palais est près de la mer, protégé par des militaires et disposant de personnel de service. Armengol Ondo Nguema (frère d'Obiang Nguema) dispose de trois demeures, toutes à Rabat. Manuel Nguema Mba (oncle d'Obiang), ministre de la Sécurité, dispose de deux demeures pour sa famille, à Rabat. Alejandro Evuna Owono Asangono, ministre de la Présidence, etc... Bref, tout le clan dispose de demeures à l'étranger. Ces dernières années, la Guinée Équatoriale, petit pays de 500.000 habitants, est devenue le troisième exportateur de pétrole d'Afrique sub-saharienne, delTière le Nigeria et l'Angola, ce qui, au vu du nombre d'habitants, en fait le pays le plus riche du continent. Toutefois, une fois déduites les sommes qui vont dans les poches de la famille et des amis du président, la Guinée continue d'être parmi les pays les plus pauvres. Près de la moitié des enfants de moins de cinq ans sont sousalimentés; d'importantes villes manquent d'eau potable et d'un système sanitaire digne de ce nom. Toutefois, le gouvernement devrait obtenir 1500 millions de dollars comme recettes de cette industrie, c'est-à-dire autour de 3000 dollars par habitant. Il s'agit, cependant, d'un chiffre provisoire. Pour l'Equato-Guinéen qui vit avec environ 2 dollars par jour, 3000 dollars représentent une fortune. Top of Form Top of Form Des entreprises américaines comme Chevron Texaco, ExxonMobil, Marathon et Amerada Hess ont payé plus de 4 millions de dollars pour couvrir les frais scolaires et de subsistance d'étudiants guinéens aux Etats-Unis. Selon le rapport du Sénat, la plupart de ces étudiants « sont des fils, ou de la parentèle de hauts fonctionnaires ou de personnes riches de Guinée Équatoriale ». Le rapport du Sénat décrit aussi des paiements faits par les compagnies pétrolières à des comptes d'Obiang ou d'autres membres de sa famille. Entre 1995 et 2004, des millions de dollars ont été déposés par des entreprises pétrolières américaines dans des comptes dont ceux de la famille Obiang - à travers des contrats immobiliers et autres 141
et certains de ces fonds ont été transférés à des comptes dans des paradis financiers et fiscaux. Parmi les bénéficiaires, entre autres, l'épouse du président, les ministres de l'Intérieur et de l'Agriculture, et au moins un général. Si, par hasard, le président ou sa famille ne sont pas propriétaires de quelque chose que vous voulez acheter, ils l'acquerront avant vous et vous le revendront avec un bon bénéfice. De l'autre côté du clan, on retrouve Celestina Lima, d'origine sao-toméenne. Elle est la mère de Gabriel Mbegha Nguema Lima. Gabriel, la trentaine et ministre actuel du pétrole, est très différent de son frère Téodorin219.En effet, il est considéré comme très travailleur et très intelligent, alors que son frère est perçu comme un playboy fêtard. Celestina Lima était fiancée au début des années 1970 à Ndong Nangale. Ce dernier, selon l'opposition, fut tué par Obiang Nguema qui prit Celestina comme deuxième femme. «M. Ndong Nangale fut arrêté, torturé et jeté en prison (à la sinistre Black Beach). Après, il fut assassiné par M. Obiang Nguema pour lui ravir sa fiancée et en faire sa deuxième épouse, profitant de l'absence de M. Macias Nguema qui était dans la région continentale du pays. Celestina Lima a joué un rôle important lors de la prise de pouvoir de Teodoro Obiang, s'entretenant sur le coup d'Etat à la télévision espagnole. Mère de quatre enfants du président, elle avait trouvé refuge à son domicile de Las Palmas en Espagne la veille du coup d'Etat.
219
Africa
Confidential
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QUATRIÈME
PARTIE
LES ILLUMINÉES
Agathe Habyarimana, la terreur de 1978 à 1994
L
e 19 janvier 2004, Agathe Habyarimana, la veuve de l'ancien président du Rwanda, dont la mort avait marqué le début du génocide rwandais en avril 1994, était présente à la cérémonie des vœux de l'Organisation internationale de la francophonie (OIP) à Paris. Dans un communiqué commun, la Fédération internationale des droits de l'homme et la Ligue des droits de l'homme se sont indignées de sa présence et ont souligné son rôle central dans la préparation méticuleuse du génocide. Récemment déboutée du droit d'asile politique en France, Agathe cherche un port d'accueil. Agathe Habyarimana, née Kanziga en 1953, est reconnue comme ayant été l'une des forces du pouvoir pendant les vingt ans de règne de son mari, le président Juvénal Habyarimana du Rwanda; les connexions de sa famille avec les puissants politiciens Hutu sont souvent considérées comme du capital politique pour Habyarimana22o. Bien née, Agathe a eu accès à l'éducation secondaire et supérieure. Originaire d'une grande famille du Nord du pays, elle est la descendante d'une «micro-dynastie Bahinza du Bushiru. Fille d'un « de ces petits lignages Abahinza du nord qui dirigèrent de petites principautés indépendantes jusqu'à la fin du XIXe siècle 220
G. Prunier, Grands Lacs
et, dans certains cas même, jusque dans les années 1920, elle et sa famille étaient très fières de leur lignage qui était vaste et bien connu221 ». Elle a apporté la légitimité à son mari, petit-fils d'un immigrant zaïrois, et sans aucune surface sociale; de même, il a ainsi acquis «le poids social [qui] lui donnait un rang certain dans le Nord qu'il allait favoriser outrageusement
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22?
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sur 1e pIan economlque» -. A gat he etaIt surnommee ' Kanjogera, nom d'une ancienne reine-mère qui avait fait assassiner le roi Mibambwe pour assurer le trône à son fils, le Mwami Yuhi Musinga (1896-1931). Son image dans l'histoire rwandaise est celle de Bloody Mary en Angleterre ou de la Reine Margot en France223. Agathe Habyarimana était au centre de la propagande antiTutsi, représentant la branche dure du pouvoir Hutu. Intime de l'exécutant principal de l'extermination des Tutsi, le colonel Bagosora, elle a été avec sa famille à l'origine de la création de Kangura, un journal extrémiste, et fut l'une des fondatrices de la Radio des Mille Collines, qui depuis sa création en août 1993, diffusait des appels au meurtre contre la population Tutsi et annonçait la prochaine éradication des «cafards Tutsi ». Elle incarnait et incarne toujours le régime raciste qui a minutieusement préparé pendant trois ans, et exécuté pendant trois mois, le plan d'extermination des Tutsi. Elle fut évacuée de Kigali vers Paris le 9 avril 1994 (soit trois jours après le déclenchement du génocide/24. Interrogé sur le rôle joué par Agathe Habyarimana, Sixbet Rusangamfura, un journaliste rwandais, a déclaré à Reporters Sans Frontières qu'elle était très influente. «Tous ceux qui 221
G. Prunier http://www.senate.be/www 17M! val=/pu b lications/view Pu bDoc& TID=! 67785 70&LANG=fr. 222www.unhcr.org/cgi-bin/tcxis/vtx!home/ opendoc.htm?tb l=RSDCO !&page=research&id=3 ae6a6c28. 223 Haut Commissariat aux Refugiés, http://www.unhcr.org/cgibin/texis/vtx!home/ opendoc.htm ?tb 1=RSDCO!& page=research&id= 3ae6a6c2 8. m http://\\ww.Iidiotduvillage.comlbreve.php3?id breve=39
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avaient affaire à ceux proches du pouvoir pouvaient sentir son influence et ses frères entouraient le président, omniprésents, en particulier Sagatwa, son secrétaire privé. Son autre frère, Protais, ancien préfet de Ruhengeri, s'était organisé de manière à obtenir toutes les informations, et un autre frère, Seraphin Rwabukumba, se chargeait du calendrier privé du président et même des rencontres officielles225. » Agathe ne pouvait ignorer la tragédie qui se préparait autour d'elle. Bien au contraire, elle jouait un rôle actif en tant que membre de 1'« Akazu» (petite hutte ou maisonnette). Elle
«apparaît comme l'égérie du pouvoir anti-tutsi
[00']
L'Akazu
était le noyau dur d'un véritable réseau de mise en coupe réglée du pays et de contrôle de toutes les activités des habitants au profit de l'entourage présidentiel. Les miettes étaient distribuées aux populations des régions de Ruhengeri et de Gisenyi qui constituaient sa clientèle élargie. Aux mains des Bakiga (les montagnards du Nord), le pays était dirigé comme une véritable entreprise privée dont les principaux responsables étaient trois des frères de la présidente, à savoir le colonel Elie Sagatwa, Protais Zigiranyirazo et Séraphin Rwabukumba226." Protais Ziriranyirazo, impliqué dans le génocide, et les extrémistes hutu bénéficiaient des encouragements plus ou moins officiels et des soutiens financiers de ce «Akazu, ce groupe famille qui dirige en sous main le Rwanda et qui est essentiellement animé par la belle-famille du président Habyarimana227...» Protais Zigiranyirazo aurait été impliqué dans des trafics de gorilles, dans le meurtre de l'Américaine Diane Fossey et dans d'autres opérations criminelles allant de la drogue au trafic d'or... Les réseaux de l'Akazu étaient présents dans tous les domaines de la vie politique et militaire. C'est ainsi que la Garde Présidentielle en était un des bras armés avec les Interahamwe, ces derniers dérivant de mouvements de
225www.reporter-ohne-grenzen.de/archiv2000/rb/rb03/rb03 Ilk. 226 Histoire du Rwanda 227Opcit
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ruanda2 .html -
jeunes supporters de football organisés en milice présidentielle à partir de 1992. Au sujet des Interahamwe, G. Prunier dit: «Les CDR et les Interahamwe, c'était qui... c'était Madame (Agathe Kanziga) et ses frères: les gens qui ont été vraiment au coeur du génocide... Bagosora était l'ultime point de résistance de Madame et de ses frères. Tant que Bagosora restait à son poste, Madame et ses frères Rwabukumba, Zigiranyirazo, gardaient un œil à l'intérieur du ministère de la Défense. Les milices ont été financées sur argent volé à l'intérieur du ministère de la . . 228 '+ c ".etaIt une d es c h oses que B agosora pouvaIt f aire. » D elense, Au sein de l'Akazu, on scellait des pactes, «on cultive le secret, on marie les enfants, on partage le gâteau, chaque citoyen rwandais est d'office militant du MRND, parti unique. Dix à cinquante familles constituent une cellule du MRND et élisent un comité de Cellule de cinq membres. Chaque Rwandais est obligatoirement membre d'une cellule et doit y être connu. Toutes les cellules d'une Commune sont fédérées dans un Conseil Communal et son Comité, dont le président est le bourgmestre, choisi et placé là par le MRND sans consultation électorale. Toutes les communes d'une préfecture dépendent d'un Conseil Préfectoral dirigé par le préfet, fonctionnaire très politique dont la nomination dépend du Comité Central du MRND. Un baron régional vient souvent compléter le tableau au côté du préfet, membre de, ou coopté par l'Akazu. Les dix préfectures du pays rapportent au gouvernement, mais d'abord au Conseil National de Développement qui fait les lois (70 personnes choisies pour leur fanatisme au parti-Etat) et au Comité Central du MRND qui est chargé d'élaborer la politique générale du pays (petit groupe émanant directement de l'Akazu). Tous trois sont contrôlés par le Président Juvénal Habyarimana. Le rôle de maîtresse femme d'Agathe est mis en évidence par G. Prunier, selon lequel «dans ce mariage (Agathe et le Général) on trouve le reflet des contradictions politiques de l'Akazu. Elle et ses frères étaient le coeur du système, le 228
G. Prunier, Grands Lacs 148
président n'en a été que la périphérie... quand le président avait des hommes, ces hommes mouraient. 229» Autour du président Habyarimana et de son épouse, on trouve, dans le réseau Zéro et les escadrons de la mort, le colonel Elie Sagatwa, chef d'état-major particulier du président, puis nommé président du conseil d'administration de la Banque Nationale du Rwanda, et le noyau dur de l'Akazu: Léon Mugesera, conseiller du président de la République et qui sera l'un des principaux artisans de l'idéologie du génocide, Casimir Bizimungu, ministre des Affaires étrangères, Protaïs Zigiranyirazo, autre beau-frère du président très influent, le député Boniface Rucagu, etc.230» En 1991, à l'instigation de l'Akazu, des militaires et des militants du MRND exterminent sans raison apparente plusieurs centaines de personnes, issues d'un petit groupe tutsi marginalisé du Nord-Ouest du Rwanda, les Bagogwe. Le régime encourage la délation; «la peur s'immisce partout, personne n'est tranquille et surtout pas celui qui n'a rien à se reprocher ». Dans les cellules, des listes sont dressées, de Tutsi, de tièdes, d'opposants, de militants des droits de l'homme, de gens qui chantent faux pendant la fête nationale ou qui restent dans leur lit douillet ce jour-là, etc. L'écrasement de l'individu est manifeste et permanent dans les collines, mais aussi dans tous les services publics et privés et même à l'étranger où les ambassadeurs sont de surcroît présidents de leurs cellules locales... «Si vous êtes directeur d'une école, d'une entreprise, vous êtes ipso facto responsable politique du MRND dans l'école ou l'entreprise. Au niveau diocésain, l'évêque était conçu comme le responsable du MRND pour toutes les paroisses et congrégations religieuses... Ces nominations (d'évêques) étaient téléguidées par Habyarimana et
229 audition de G. Prunier, http://www.grandslacs.net 230 J.P.Chrétien, Les médias du génocide, Reporters Editions Karthala
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sans frontières,
1995,
son Akazu, le groupe restreint dont le colonel Sagatwa Elie et Mme la Présidente faisaient partie23l. » Dans un pays où, selon le recensement de 1991, 90% de la population était d'obédience chrétienne (dont 63% de catholiques, 19% de protestants et 8% d'adventistes), la religion a servi plus qu'ailleurs au pouvoir à arriver à ses fins. Les fondateurs du nationalisme hutu moderne faisaient tous partie de la petite élite des « évolués », sortis des écoles catholiques et du séminaire... Le président Habyarimana, la plupart des militaires, des juges, des ministres et préfets étaient des catholiques232. Habyarimana consultait les évêques aussi bien que ses ministres avant de prendre des décisions, surtout avant 1990. L'élite religieuse catholique, presbytérienne et anglicane était bien au courant de ce qui se passait et de qui était derrière les violentes campagnes de déstabilisation233. .. Si son rôle est avéré, au nom de qui Agathe s'est-elle permis de décider du sort de ses compatriotes, d'être si sûre de son bon droit? Comme beaucoup d'extrémistes, Agathe, très croyante, avec confesseur personnel (Mgr Vincent Nsengiyumva, voir plus bas), s'est revêtue d'un épais manteau religieux pour justifier des actes innommables. Sa foi religieuse cohabitait avec la haine qui conduirait bientôt au génocide. L'archevêque de Kigali, Mgr Vincent Nsengiyumva (assassiné en juin 1994), était un proche et un homme de confiance du président. Nsengiyumva portait l'insigne du portrait d'Habyarimana épinglé sur sa soutane. Il avait aussi été un membre actif du comité central du MRND jusqu'à ce que le pape l'oblige à démissionner du comité en 1989. Que pouvait-elle confesser à Mgr Nsenguymva ? Que pouvait lui répondre ce dernier? Que Dieu lui pardonnait tous ses péchés? Qu'elle n'en avait commis aucun? On retrouve pêle-mêle dans l'entourage présidentiel un 231
Les Temps Modernes n0583, juillet-août 1995, Les politiques de Rwanda-Burundi 1994-1995, p.95 232 Jay Carey, Reconsidering Ecc/easia in Africa in the Shadow of citant A. Sibomana, Hope for Rwanda: Conversations with Laure and Herve Deguine 233 Saskia van Hoyweghen, Disintegration of Catholic Church in African A1Iairs No. 95.
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la haine, Rwanda, Guilbert Rwanda,
sorcier, Nathanaël Musaza, un pasteur des Adventistes du septième jour234... Le Président François Mitterrand devait savoir ce qu'il voulait dire lorsqu'il déclara: «elle a le diable au corps; si elle le pouvait, elle continuerait à lancer des appels aux massacres à partir des radios françaises. Elle est très difficile à contrôler235». L'orphelinat Sainte-Agathe, « accueillait pour l'essentiel des enfants de militaires rwandais morts au combat. Son personnel comptait une vingtaine d'employés, dont des femmes qui s'occupaient des enfants. Peu avant les événements du 6 avril 1994, que beaucoup pressentaient, Agathe Habyarimana a fait recruter du personnel supplémentaire, choisi parmi ses proches, qui s'est mis à travailler en parallèle avec le personnel ordinaire. Le 7 avril, tout le personnel féminin de l'orphelinat était réuni dans une salle commune. Des miliciens sont arrivés, accompagnés de gardes présidentiels. Ils ont été introduits dans les locaux par le chauffeur de l'orphelinat, cousin de la bellesœur d'Agathe Habyarimana (Agnès Sagatwa). Ce chauffeur a désigné les femmes tutsies ou hutues originaires du Sud, considérées comme traîtres: "Alice, c'est elle. Béatrice, c'est elle", etc. Les miliciens et les gardes présidentiels ont emmené trois de ces femmes à l'extérieur (dont Alice, assistante sociale, tutsie, et Béatrice). A Alice, ils ont dit: "Toi, tu mérites plus qu'un coup de machette ou une balle, nous allons te faire souffrir". Alice a reçu des balles dans diverses parties du corps, avant de mourir d'une balle dans la tête. Sept femmes en tout ont été liquidées avant l'évacuation (par la France) de l'orphelinat, arrivé en France le 12 avril »236. Pourtant, le rapport de l'Assemblée nationale française fait état de secours
intervenus « sans aucun lien avec Mme Agathe Habyarimana, malgré l'appellation qu'avait reçue l'orphelinat237 ». Agathe Habyarimana, Séraphin Rwabukumba, beau-frère du président, le colonel Théoneste Bagosora et l'universitaire 234 Les medias du génocide opcit 235 Assemblée Nationale France - Auditions Publiques 236 L'orphelinat Sainte-Agathe, "sauvé" par la France, 4 novembre, 237 www.assemblee-nat.tr/dossiers/rwanda! auditi 02 .asp.
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1996
Ferdinand Nahimana de l'ORINFOR auraient joué un rôle de premier plan dans le lancement de Kangura, devant en priorité resserrer les rangs autour du président Habyarimana sur base de l'idéologie ethniste en pourfendant les thèses soutenues par Kangura. Mais Kangura étant, aux yeux des extrémistes, un média de propagande peu efficace dans un pays où la majorité de la population est analphabète, des proches du clan présidentiel décident de fonder, en juillet 1993, Radio-MilleCollines. Au nombre des bailleurs de fonds figurent M. Félicien Kabuga, père d'une belle-fille du président-dictateur, et M. Alphonse Ntirivamunda, beau-fils de Juvénal Habyarimana. On cite également le nom de M. Séraphin Rwabukumba, beau-frère du chef de l'Etat. L'idéologue de la radio n'est autre que M. Ferdinand Nahimana238. Le gouvernement rwandais prévoit de lancer des poursuites judiciaires contre Agathe Habyarimana, veuve du président rwandais assassiné en 1994, Juvénal Habyarimana. Cette dernière serait le « numéro un » d'une liste, rendue publique par le gouvernement de Paul Kagamé, de « 300 hauts officiers et fonctionnaires compromis avec le régime de Habyarimana et ayant fui à l'étranger après la fin des massacres ». Le génocide rwandais a fait plus de 800000 victimes. Le Rwanda exige de Paris que lui soit livrée Agathe Habyarimana. Dans un rapport de l'Union Africaine, paru en 2000, on pouvait lire: «Mme Habyarimana aurait elle-même été impliquée dans certaines des premières décisions politiques prises avant le 9 avril, date à la laquelle elle fut au nombre des premières personnalités évacuées sur Paris par les Français ». Or les premiers massacres ont eu lieu quelque douze heures après l'assassinat du président Habyarimana. De même la Ligue des droits de l'homme et la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) ont, dans un récent communiqué, évoqué «le rôle» d'Agathe Habyarimana «dans l'animation des milices Interahamwe et de la radio des Mille Collines ». Le 28 juillet 1994, Agathe Habyarimana déclare:« La responsabilité des massacres interethniques actuellement menés au Rwanda ne 238http://www.afriquepluriel.ruwenzori.net/rwanda
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saurait incomber qu'aux seuls auteurs de l'attentat perpétré le 6 avril ».
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Simone Gbagbo
240
E
lle amena trois enfants dans son mariage avec Laurent Gbagbo avec lequel elle eut par la suite deux enfants. Elle n'est pas du même groupe ethnique que son mari ni de la même région. Ils partagent néanmoins nombre de valeurs et une idéologie commune, notamment un fidèle attachement au socialisme. Et puis le fait de détenir un doctorat et d'être en soi une femme politique influente en Côte d'Ivoire est une chose inhabituelle241». Voilà annoncée la couleur sur cette femme forte, intellectuelle, battante, anti-potiche. Le jour de sa prestation de serment, le président ivoirien Gbagbo trinquera à la santé de « celle qui a fait 60% du boulot ». Depuis janvier 2001, Simone Gbagbo est présidente du groupe parlementaire FPI à l'Assemblée nationale. Députée depuis 1995 et ancienne vice-présidente de l'Assemblée nationale, elle a un long parcours de militante, depuis 1966,
~ <~
239 http://www.abidian.net 240 http://www.simonegbagbo.ci
241http://www .premieredame-ci.
org
date de ses débuts à la Jeunesse Estudiantine Féminine Catholique et première responsable du FPI, alors mouvement clandestin dans les années 1980. Quand elle convoite, au lendemain du scrutin présidentiel, le siège de députée du quartier d'Abobo, l'ami qui lui suggère de quitter l'arène partisane s'attire cette réplique: «Rien ne m'interdit de me présenter. Ce n'est pas parce que je suis la femme du chef de l'Etat que je dois rester oisive. Laurent n'attend pas de moi que je m'efface242.» Simone Gbagbo ne laisse personne indifférent. Aucune Première Dame africaine n'a autant incarné l'image d'une femme de conviction, intelligente, travailleuse, dévouée à son pays qui «rêve d'un pays qui en a fini avec l'analphabétisme, les grandes pandémies tel le SIDA, un pays où chacun ira à l'école et où une fois sorti, il aura un emploi, un pays où chaque individu est convenablement soigné; un pays où la créativité des uns et des autres peut librement s'exprimer; où la pauvreté recule ». «Mon ambition, c'est de [me] retrouver dans un pays moderne, comme il en existe en Amérique, en Europe ou en
Asie. » Dans son programme, elle pense particulièrement à la femme. «Je rêve aussi d'un pays où les femmes se retrouvent avec les mêmes possibilités que les hommes ». Les problèmes de scolarisation de la petite fille, le mariage précoce et forcé, l'excision, le harcèlement sexuel, l'accès des femmes à la terre, etc. sont autant de questions qui l'intéressent particulièrement. Ces questions exigent pour leur résolution, outre les moyens et les textes de loi, beaucoup de sensibilisation auprès des populations pour que les mentalités changent. Hélas, son entêtement à servir de bras à la justice divine, parfois contre le gré de celle-ci, a écorné cette image, déjà ternie par l'extrémisme de ses prises de positions et déclarations intempestives sur les opposants, sur les étrangers, présumés ou réels, qui viennent voler le pain et les femmes des vrais Ivoiriens de teint bien noir. L'arrivée des «escadrons de la mort» en 2002 a achevé de souiller l'image de Simone et
242L'Express,
20 février 2003
156
d'entamer son capital de sympathie auprès des féministes du monde entier. Pour beaucoup, Simone n'est plus la robuste pasionaria militant pour un monde plus équitable, mais l'hommasse nationaliste et démagogue, la furie raide et brutale assoiffée de pouvoir qui ne recule devant rien, coupe tout ce qui dépasse, élimine ses opposants et qui a le culot de vouloir faire croire au peuple que Dieu a voulu cela. Affecté à la garde rapprochée de Simone, le capitaine Anselme Seka Yapo aurait orchestré l'un des escadrons de la mort qui sévissait à Abidjan entre 2002 et 2003. Selon l'avocat Ibrahima Doumbia, animateur du Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH), interviewé alors en 2002, il était « inconcevable» que toutes ces actions se fassent à l'insu de Simone. Même si aujourd'hui la Cour d'Appel de Paris243 a estimé que le couple Gbagbo avait été diffamé par le journal Le Monde, de lourds soupçons pèsent toujours sur le couple présidentiel, en particulier Simone et son entourage. Qui a ordonné et commis les nombreux assassinats recensés depuis le 19 septembre 2002? Le général putschiste Robert Guéï, sept de ses proches, le ministre de l'Intérieur Emile Boga Doudou, le Dr Benoît Dacoury-Tabley, frère de Louis des Forces Nouvelles, ami d'enfance et ex-compagnon de route de Laurent Gbagbo, Emile Téhé, fondateur d'un petit parti d'opposition, embarqué par des durs en uniformes de gendarme, le comédien Camara H... La liste est longue. Qui fait ça ? « Les escadrons de la mort », avait répondu le téméraire Ibrahima Doumbia, vice-président du MIDH. Même si «on ne peut leur imputer toutes les exécutions sommaires. Certaines sont le fait du policier du coin qui, faute de combattre sur le front, mène sa guerre ici. Convaincu de pouvoir, en toute impunité, butter un Burkinabé ou un Ivoirien du Nord. Les commandos de tueurs, eux, opèrent en plein couvre-feu. Le gars qu'on emmène pour interrogatoire, le corps abandonné sur un terrain vague. » Deux équipes distinctes sévissent. Très active au début du conflit, la première, composée de gendarmes, serait 243
4 mai 2006 157
dirigée par un aide de camp de Simone Gbagbo, la femme du président. Quant à la seconde, elle réunirait des civils opérant d'ordinaire en tenue militaire et aurait à sa tête un ancien garde du corps de l'actuel chef de l'Etat, d'ethnie bété comme lui. Les cibles visées? Des opposants notoires ou les complices supposés de l'ennemi. «Listes rudimentaires où peut être considéré comme un collaborateur, l'enseignant, le médecin ou le restaurateur qui persiste à travailler en zone rebelle.» Quiconque dénonce les sicaires du régime s'expose à des représailles définitives. Un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme corrobore les conclusions du MIDH et de la Lidho.244 Sur le site de la Première Dame ivoirienne245, on peut lire que Simone est une « intellectuelle », comme on dit en Afrique francophone de toute personne ayant été à l'université. On est également frappé par le religieux, avec ce message: «l'espoir renaît, les nuages sombres laissent apparaître les doux rayons du soleil, un jour nouveau! Le regard lointain, scrutons avec assurance et détermination l'horizon des défis à relever pour une Côte d'Ivoire prospère, unie et forte, bâtie sur le socle de l'Eternel. Car: Si l'Eternel ne bâtit la maison, ceux qui la bâtissent travaillent en vain. » Dans les activités montrées sur le site, la Première Dame «offre des dons à l'Eternel son Dieu pour implorer sa miséricorde et sa clémence envers le peuple ivoirien ». On peut aussi voir «la Première Dame de Côte d'Ivoire, au nom du peuple ivoirien, sous les pas de la musique chrétienne faire des offrandes à l'Eternel le Dieu de miséricorde et de grâce le 15 décembre 2004 », ou «en train de chanter, à l'église, les louanges de l'Eternel notre immense et glorieux Dieu ». Le site dit aussi: « Ses sources d'inspiration ont été nombreuses, mais la première fut sa foi solide de catholique et son activisme au sein de l'église catholique. » C'est en effet à travers l'église catholique qu'elle a commencé à être active politiquement. The Economist note: 244 L'Express, 6 février 2003 245http://www.simonq!bagbo.ci
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« le site montre son portrait, que survole une colombe. II liste
également les critères de citoyenneté dictés par la constitution ivoirienne... » Après que les rebelles se furent emparés de la moitié Nord du pays en 2002, Mme Gbagbo appela les femmes ivoiriennes à refuser d'accomplir leurs devoirs conjugaux si leurs époux étaient pour la paix avec les rebelles246, En effet, alors qu'à la mi-janvier (2003) la délégation du FPI participait à la rencontre de Marcoussis (France), censée ramener la paix, Simone menace: «Si nos hommes flanchent, ils ne nous trouveront pas dans leur lit au retour!». Elle se croit l'élue du Ciel. «Nous avons mis notre foi en l'Eternel Dieu. Nous nous sommes abandonnés à Dieu, et, comme Daniel, nous triompherons... Dieu n'aime pas les rebelles. Dans la Bible, les rebelles ont toujours été éliminés. Bientôt, ceux de Côte d'Ivoire le seront également »247,avant de prévenir que «notre pays est la cible de mystiques, en . partlcu I1er d es francs-maçons 248 ». Patronne de la section féminine de la Jeunesse étudiante catholique, croyante sans être dévote, Simone sillonnait la brousse et les bas quartiers urbains pour diffuser la bonne parole pendant sa jeunesse. Elle se veut l'inspiratrice de la foi des Ivoiriens. Les églises « charismatiques» et autres de style évangélique américain poussent pratiquement à chaque coin de rue dans les quartiers populaires de Yopougon, Abobo et ceux plus bourgeois de la Riviera et des Deux Plateaux depuis l'avènement au pouvoir du couple Gbagbo. Car là encore, c'est dans le sillage de Simone que les cultes charismatiques pénètrent au palais, avec des pasteurs autoprocIamés qui dirigent à la présidence les séances de prière quotidiennes. Moïse Koré, ancien international de basket-bail, vice-président de la Fédération ivoirienne et fournisseur en armements, épaulé par le jeune Ory Amour, qui est de tous les voyages présidentiels, il dirige l'Eglise Shekinah Gloris, avatar africain de la nébuleuse Foursquare, secte évangélique d'outre,
246 The Economist, Africa 's big ladies 247 Le Temps, 2 juin 2004 248 Le Nouveau Réveil, 19 septembre 2004
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Atlantique. «Le genre prédicateur américain, avec harangues, transes et guérisons. Présent lors de l'investiture de Laurent, Moïse Koré a eu l'immense mérite de prédire sa victoire. » Des déclarations telles que celle-ci ne sont pas sans rappeler saint-Georges et le Dragon ou les croisades: «Faisant retour sur ses racines religieuses, le 14 janvier 2001, Mme Simone Gbagbo décida d'aller prier pour la paix avec des disciples de l'Eglise du Christ d'Abidjan. Juste une semaine avant ce culte spécial, des forces rebelles d'origine inconnue avaient lancé une attaque à minuit et pris la télévision et la station de radio lors d'une tentative de coup d'Etat. Une sanglante bataille de sept heures se déroula dans le centre ville. La tentative fut écrasée mais les tensions étaient fortes. Les disciples se demandèrent si la Première Dame pourrait assister au culte. Serait-il prudent qu'ils y aillent? Voudraient-ils? Les disciples décidèrent de garder la foi et continuèrent de prier. Quant à la Première Dame, elle fut extrêmement heureuse d'être venue et déclara qu'elle aimerait voir Blaise (Compaoré ?) écrire un livre sur la foi. Des centaines de gens commencèrent ou reprirent l'étude de la Bible249.» Que devient le reste de la population ivoirienne qui n'est pas chrétienne? Heureux ceux qui sont du même bord religieux qu'elle: ils sont récompensés... sur terre! C'est ainsi qu'elle a inauguré un énième «centre médical de la foi» (Cocody-Angré). Le reportage est épique: ce serait en 1977 que «le Seigneur JésusChrist» aurait donné à la fondatrice du centre - chrétienne pratiquante du ministère d'évangélisation mondial Bethel de Côte d'Ivoire250 - la vision d'ouvrir un centre médical. Le Centre médical de la foi est un centre à caractère social et vise à apporter une aide médicale et spirituelle. «Heureuse, Mme Gbagbo a félicité Mme Essi qui suit selon elle l'exemple de Jésus-Christ251, en disant: "Le rôle du chrétien, c'est 249 èc"www.simonegbagbo.ci.Hillary Clinton d'Afrique, cité le 25 juin 2006 par www.ivoireverite.net/article.php?sid=3I9 - 84k. 250Le centre médical de la foi a pour président du conseil d'administration Jervis Witherspon, pasteur principal du ministère d'évangélisation mondial Bethel en Côte d'Ivoire. 251
Notre
Voie, 6 janvier
2006.
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d'évangéliser en suivant l'exemple du Seigneur Jésus qui a eu à nourrir des affamés, à soigner des malades, à délivrer des gens qui possédaient un esprit mauvais, à soulager des douleurs", [. . .] précisant qu'il est important pour le chrétien de réaliser les visions que "nous donne Jésus-Christ" ». Après les troubles de janvier 2006 suite à l'annonce de la fin du mandat des députés, Simone a reçu les femmes des FDS Forces de défense et de sécurité regroupées au sein de l'AEMCfs2 - et s'est permis d'interpeller le premier ministre d'alors (Banny) sur « les véritables missions qui l'attendent », notamment « sa déclaration de politique générale, le calendrier du désarmement, la loi du budget... il doit venir se prononcer devant l'Assemblée Nationale qui est l'émanation du peuple, d'autant plus que cette institution n'a pas été dissoute comme le prévoyait le Groupe de Travail International2S3.» Parlait-elle en tant que parlementaire, Première Dame, fille de gendarme? Car Simone passe indifféremment d'une fonction à l'autre. La presse fourmille de références à sa fougue, son francparler et son courage, sans parler de son autorité! Ne dit-on pas qu'elle a giflé l'ancien Premier ministre, Pascal Affi N'Guessan, patron du Front, coupable d'avoir endossé des accords de paix que Simone tient pour une «impasse absolue»? Viceprésidente de son parti, chef de file de son groupe parlementaire, Simone verrouille l'appareil. Elle ne sait pas faire semblant et aurait, au cours d'un déjeuner avec des journalistes ivoiriens et étrangers en 2001, fustigé le «traitement inéquitable» des événements, saluant l'envoyé spécial du Monde ainsi: Je vous serre la main sans aucun plaisir,. vous n'êtes pas le bienvenu2s4.Aujourd'hui, Simone dit ne pas se souvenir de cette phrase. Dans son dernier ouvrage intitulé Paroles d'Honneur, Simone réécrit l'histoire, comme le dit Jean-Pierre Bejo2SS: «Le pouvoir n'a pas de responsabilité dans l'affaire Kieffer. Ni 252 Association des épouses des militaires de Côte d'Ivoire. 253 La Voie, 27 janvier 2006. 254 L'Express, 20 février 2003 255La Dépêche Diplomatique
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dans l'affaire Probo Koala» (scandale des déchets toxiques, août 2006). Pire encore, c'est « un acte d'agression chimique contre notre pays [...] Les intentions sont incontestablement criminelles et visent à provoquer des mouvements insurrectionnels dans le pays ». Les responsables sont les « araignées de l'ombre. Ce sont les mêmes personnes qui ont fait le coup d'Etat en 1999, les mêmes qui sont revenus tenter
un nouveau coup d'Etat en septembre 2002 ». A quelques semaines des «Accords de Ouaga» entre le pouvoir et les ex-rebelles, Simone n'hésitait pas à écrire: «Ce sont toujours les mêmes qui nous font la guerre aujourd'hui. Car qui est Ouattara et qui est Soro Guillaume? [...] des chefs rebelles [...] reçus à bras ouverts par les dirigeants français [...]. Qui se ressemble s'assemble. Certains de ceux qui dirigent la France emploient des méthodes peu recommandables pour arriver à maintenir leur suprématie économique, coûte que coûte [...] Les idées de Laurent Gbagbo dérangent, son ouverture d'esprit, son désir de mieux-être pour l'ensemble de son peuple, son refus de la corruption dérangent [...] Il est devenu "le cauchemar" de Jacques Chirac, tout simplement parce qu'il dit NON à la mise sous tutelle, NON à la recolonisation de son pays. La Côte d'Ivoire était considérée comme un beau gâteau réservé. L'arrivée au pouvoir du "patriote résistant" Laurent Gbabgo, président atypique, a déjoué les plans de tout ce beau monde. Et "ils" ont orchestré des meurtres, réinventé pogroms et charniers, simplement parce que notre foi dans notre pays et notre éthique n'étaient pas 256 monnaya bl es ». Féministe? Solidaire des femmes? Pas vraiment. Celle qui avait dit: Au côté des hommes, j'ai mené des combats très durs contre le régime en place. J'ai fait six mois de prison. J'ai été battue, molestée, presque laissée pour morte. Après toutes ces , , , . epreuves, Il est nonna l qu on ne ba d me pas avec mOL.. 257 est aussi la même qui, après le viol de jeunes manifestantes par des militaires, a durement tranché: les manifestantes violées '
256
Ibid.
257 L'Express,
20 février 2003.
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n'auraient pas dû se trouver là où elles étaienp58. Une jeune manifestante, violée par des gendarmes, fut ensuite arrêtée et jugée pour trouble à l'ordre public. Condamnée par le Tribunal d'Abidjan à six mois d'emprisonnement, elle bénéficiera après quelques semaines de détention de la magnanimité de la présidence de la République. Il est difficile de comprendre la logique d'un tel système où le coupable est innocenté et la victime condamnée. Son bilan pour la femme rurale n'est pas plus brillant. Après des déclarations populistes en faveur des pauvres femmes des campagnes, elle a repris à son compte l'idée d'une banque rurale annoncée par l'épouse du général Guéï. Simone serait l'actionnaire principale de la Banque pour le financement agricole (BFA) ; pourtant, «elle n'a versé aucun centime. Tout le capital de 5 milliards de francs CFA ayant été débloqué par le Fonds de Régulation du Cacao (FRC) ». La filière cacao a été ruinée en cinq ou six ans de pouvoir, avec plus de 500 milliards de francs CFA pompés par le régime en place. La BFA qui n'était toujours pas déclarée à la commission bancaire en 2005 est contrôlée à hauteur de 50% par le FRe. Interrogée par l'Expresi59 après qu'un rapport de l'ONU ait mis en cause l'officier chargé de sa sécurité, Simone a fait les déclarations suivantes. Sur les femmes en politique, elle a dit: « Elles plaident plus facilement que les hommes pour la paix. Ce qui ne signifie pas qu'il n'y a pas de guerrières parmi nous. S'il faut se battre, je me bats. » Sur son rôle à la présidence, elle a dit: «... Ma position actuelle, je la dois à ma trajectoire, pas au poste de mon mari. C'est ce qui me distingue de Viviane Wade, la femme du président sénégalais, parvenue sur le devant de la scène grâce à son mari. Moi, je ne veux pas créer une fondation comme le font mes homologues. Les ONG sont là
pour ça. » Sur son ascendant supposé sur Laurent Gbagbo, elle a dit: « On me prête beaucoup d'influence. Je laisse dire. Mon mari a une très forte personnalité. Moi aussi, ce qui me donne un certain poids. Il m'écoute, c'est normal. Sans pour autant que 258 Interview avec TV5 Denise Epothé Durand. 259 L'Express, 20 février 2003
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j'intervienne dans la formation du gouvernement. Tous les ministres ont du respect pour moi. Et on me situe souvent audessus d'eux. J'ai la trempe d'un ministre. » Sur le pouvoir, elle a dit: «Je n'en ai pas autant qu'on le prétend. Pour autant, mieux vaut faire envie que pitié. J'aime écouter, mais je n'aime pas qu'on prenne les décisions à ma place. J'ai de l'estime pour Hillary Clinton. Je respecte les femmes de président qui osent exprimer leur point de vue. Je ne vois pas pourquoi les Premières Dames seraient les dernières. » C'est en vain qu'elle a brigué la présidence d'une alliance des Premières Dames engagées sur le front du SIDA en Afrique, qui a nommé Edith Lucie Bongo à sa tête... Depuis, la panthère blessée a léché ses blessures et s'est repliée sur le territoire ivoirien. Mais là encore, le rôle de Simone en tant que bienfaitrice a été remis en cause: «.. .Simone Gbagbo s'est emparée d'une noble cause: la guerre contre le SIDA. Elle profite ainsi d'un concours de beauté pour distribuer des préservatifs, adjure les hôteliers de faire de même et convainc les patrons ivoiriens de soutenir leurs employés infectés. » Mais cette médaille a son revers. Car la Première Dame a confisqué la croisade contre le VIR. «Elle étouffe les ONG locales, kidnappe les experts étrangers en visite et rafle les moyens », peste une activiste amère. A l'en croire, les deux tiers des 32 millions de francs CFA (près de 50000 euros) collectés l'an dernier (en 2002) à la faveur d'un Téléthon ont atterri dans les caisses de la cellule spéciale créée au sein de la présidence, au risque de financer voyages et missions. Quant au ministère délégué voué à ce combat, il n'aurait hérité que du solde. Un collectif d'associations de terrain attend toujours le rendez-vous demandé voilà des mois. « Pour elle, c'est un tremplin politique, un instrument de pouvoir parmi d'autres26o.» La ministre de la Lutte contre le SIDA, Christine Nebout-Adjobi, précédemment membre de l'équipe de Simone dans ses actions contre le SIDA, et l'une de ses « parentes », serait le moyen par lequel Simone aurait accès à la manne des bailleurs de fonds en la matière. Egalement très religieuse, Christine Adjobi a «dit une prière 260
Ibid.
164
afin que Dieu le Tout-Puissant brise le cœur de pierre des leaders politiques, de Côte d'Ivoire qui ne voient seulement que . A 261 Ieurs propres mterets» . Nationaliste, xénophobe, Simone ne se prive pas pour le montrer. Quand (en 2000) une équipe de femmes l'informe, par le biais d'un courrier déférent, de la naissance d'une association vouée à la lutte contre le SIDA, voici le commentaire que lui inspire le patronyme de la signataire, à consonance nordiste: «Encore une Dioula (originaire du Nord du pays)! Mais que font nos sœurs? » « Simone, soutient un intime déchu, voit la Côte d'Ivoire comme un champ de bataille entre l'islam et la chrétienté.», ce que certaines mauvaises langues veulent ramener dans la sphère privée, la deuxième «femme» officieuse du Président étant musulmane262. Elle déclare encore: «Si nous laissons les activités économiques aux étrangers, ils vont nous asphyxier263». Les propos rapportés par certains journaux de l'opposition sont effarants. Elle aurait qualifié le leader du parti d'opposition RDR (Alassane Ouattara) de «fils d'immigrés voltaïques », de «nègre américain» et sa femme de «juive blanche» 264.
Courant premier trimestre 2000, une coalition de femmes conduite par Simone Gbagbo et Geneviève Bro Grébé a même voulu instituer des conditions pour la future Première Dame. Devant Laurent Gbagbo à la bibliothèque (Abidjan-Plateau), elle a demandé que celle-ci soit de nationalité ivoirienne et de « teint noir265». Simone Gbagbo 261www.presidence.ci/ci/infos_
details.php?srub=magazine&idart=3650 27 avril 2006. 262Nanby Bamba, ex-journaliste à Africa No.1 263 L'intelligent d'Abidjan, 31 janvier 2005. 264 Le Patriote, 24 août 2004. 265 Le Patriote, 10 décembre 2004
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- 24k
a oublié l'époque du Front Républicain, lorsque son parti, le FPI, était allié au RDR. Quand on a fait campagne pour que la constitution stipule que la Première Dame soit ivoirienne et noire, quand on a affirmé qu'on préfère un Chinois à un Burkinabé à la tête du pays, peut-on encore être la Première Dame? Il faut croire que oui... En 2005, elle psalmodiait presque: «Dieu nous a donné un pays avec des frontières et nous a dit de mettre à sa tête l'un d'entre nous, pas un , etranger
266
».
Plus que la richesse ou les honneurs, c'est le goût de la puissance qui anime Simone. Conseillers, aides de camp, gardes du corps en treillis, site web, Madame dispose à la présidence d'un cabinet à sa dévotion. On y croise, entre autres parents, sa sœur Victoire. Simone ne s'en cache pas: «Il est vrai que je possède un cabinet. Il faut se souvenir que j'avais une activité politique par le passé. J'étais déjà une grande militante, voilà vingt ans. J'ai été la première secrétaire générale du FPI dans la clandestinité267 ». Elle est tantôt présentée comme le «Donald Rumsfeld ivoirien» (du nom du secrétaire d'Etat américain à la Défense qui serait, selon ses détracteurs, pour la guerre, rien que la guerre), tantôt comme une illuminée versée de façon fétichiste dans les croyances supranaturelles. Simone «se pose des questions sur la crédibilité des organisations de droits de l'homme dans le monde. Car nous avons vu dans cette crise comment elles ont été utilisées pour . attaquer Ia Cote d ' IvOIre et d Iscre' d Iter son gouvernement» 268 . Elle figurerait sur une liste de l'ONU répertoriant 95 personnalités ivoiriennes soupçonnées d'avoir violé les droits de l'homme depuis le début de la guerre civile en septembre 2000. Son beau-frère, Michel Legré, mis en examen et poursuivi pour « enlèvement et séquestration» de Guy-André Kieffer dans le cadre de l'enquête française, a été remis en liberté par le pouvoir ivoirien en 2006. A ce propos, dans Paroles d'honneur, Simone A
'
'
266 Le Courrier d'Abidjan, 13 septembre 2005. 267 L'Express, 20 février 2003. 268Le Temps, 14 avril 2004.
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dit: «J'ai essayé de savoir, de par moi-même, pourquoi Michel Legré avait fait toutes ces déclarations qu'on avait lues dans la presse. J'ai parlé longuement avec lui, sans rien y trouver de satisfaisant. L'enquête non plus, n'aura pas apporté les réponses que j'attends. Michel Legré a-t-il été manipulé? A-t-il fait preuve de mythomanie?» S.E.G. n'envisage pas que les hommes du pouvoir puissent avoir une quelconque responsabilité dans cette affaire269. Aujourd'hui encore, elle dit douter que l'armée ivoirienne ait bombardé les positions françaises en 2004 et que des Français aient été tués.
269
La Dépêche
Diplomatique.
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Janet Museweni
P
ourquoi parler de Janet Museveni? Après tout, son époux, Yoweri Museveni n'est pas le pire des chefs d'Etat africains, il n'est au pouvoir «que» depuis 1986, après avoir changé la constitution, et l'Ouganda a, jusqu'à une période récente, été le chouchou des bailleurs de fonds, en grande partie grâce à Museveni qui a redressé l'économie. Janet doit sa place dans cet ouvrage non seulement au fait qu'elle s'est mise sur le devant de la scène politique, mais aussi qu'elle l'a fait en brandissant son étendard religieux. Depuis 2006, Janet est députée, ayant battu M. Augustine Ruzindana, un poids lourd de l'opposition dans la circonscription de Ruhaama, bourgade lointaine du Sud-Ouest. Cheveux courts naturels, vêtements sobres, l'air sérieux, Janet inspire confiance, loin de l'extravagance d'autres Premières Dames dont les traits et la posture trahissent jusqu'aux excès de table et de lit. Janet est mère de quatre enfants (les trois filles Natasha, Patience, Diana et le fils Muhoozi Kainerugaba), ce qui est plutôt modeste pour la bonne chrétienne qu'elle est. Elle respire le linge de maison bien lavé et repassé, blanc et 100% coton, et l'eau de Javel ne doit jamais être bien loin. Le Sunday Vision dit d'elle: «Toujours l'image
de l'élégance, la Première Dame choisit des tailleurs-jupe simples pour son travail quotidien et les tenues traditionnelles (africaines) pour les occasions spéciales. Elle est une femme pratique. C'est la raison pour laquelle elle garde ses cheveux courts et faciles à gérer car cela lui permet de gagner du temps quand elle se prépare pour aller au travaie70 ». Née en août 1949 dans l'ouest de l'Ouganda, Janet Kataaha a épousé Yoweri Kaguta Museveni, président de l'Ouganda, en août 1973 à Londres où ils étaient tous deux étudiants. En 1979, à la chute d'Idi Amin Dada, le couple est revenu en Ouganda depuis la Tanzanie où il était installé. En 1981, Yoweri Museveni a lancé une guérilla contre le nouveau gouvernement de Milton Oboté et Janet s'est alors installée à Nairobi, au Kenya, jusqu'en 1983, puis à Goteberg, en Suède, où la famille vécut jusqu'en 1986. Effacée pendant les années de lutte de son mari, où elle s'est réfugiée à Londres, Janet est revenue sur le devant de la scène depuis que Museveni est au pouvoir et que sa rivale, Winnie Biyanyima, aujourd'hui l'épouse de Besigye, l'opposant le plus acharné de Museveni, a été chassée du palais. Le site de Janet nous dit qu'elle est titulaire d'une licence (Bachelor) en sciences de l'éducation de la Makerere University et d'un diplôme en développement de la petite enfance de Suède, qu'elle « aime la lecture et anime des forums sur différents sujets, en particulier les questions de développement social. Très impliquée dans différentes activités relatives à l'enfant et à la femme, la Première Dame a par exemple initié des actions pour mobiliser des ressources pour les orphelins et tous les enfants affectés par la guerre en 1985. C'est ainsi qu'elle a créé l'UWESO, Uganda Women's Effort to Save Orphans ». En outre, elle est la fondatrice de la stratégie nationale pour l'avancement des femmes rurales d'Ouganda, NSARWU, une ONG visant à renforcer le rôle économique des femmes rurales en Ouganda et de plusieurs autres activités concernant la femme et la jeune fille.
27Ûhttp://www.sundavvision.co.ug/detai CategorvId=300&newsId=4 74924.
I.phv?mainN ewsCategorv Id=7 &news
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Cependant, la réalité serait un peu moins prestigieuse. Selon d'autres sources, Janet, après des études de secrétariat au Pays de Galles financées par son cousin fortuné John Wycliffe Kazzora, chez qui elle avait vécu un temps, est rentrée en Ouganda au début des années 1970 où elle a travaillé comme hôtesse de sol pour la compagnie aujourd'hui défunte East African Airways271.Elle n'avait pu être hôtesse de l'air pour des raisons de santé. Elle a fréquenté l'école primaire de Kyamate et l'école secondaire de filles de Bweranyagye où ses résultats étaient médiocres, et évite soigneusement d'évoquer cette époque. Pendant l'exil suédois de Goteberg de 1983 à mai 1986, Janet et sa famille vivaient dans le même immeuble que les enfants d'Amelia Kyambadde, aujourd'hui secrétaire privée de Museveni. Janet Museveni est une « chrétienne dévouée qui croit en l'hospitalité, y compris aider les gens pour ce qui est de leurs besoins spirituels272». Elle s'est présentée aux élections législatives de 2006 et les a remportées contre un député de l'opposition. Sa décision aurait été directement inspirée par Dieu: elle «serait en train d'accomplir un destin directement confié par Dieu... faute de quoi elle s'attirerait les foudres divines »273. Comme dans d'autres pays africains, son adversaire est décrit comme le Diable. Pour couronner le tout, un pasteur ougandais avait prédit qu'un candidat aux présidentielles mourrait avant les élections (ce qui ne s'est pas produit). Le ton est donné: Janet est une dévote qui essaie de rendre chaque action officielle un peu plus conforme à la religion. 271http://en.wikipedia.org/wiki/Janet Kataha. 272Uganda Women's Efforts to Save Orphans http://wv.'W .uweso. org/j anet. php. 273 The New Times Kigali, 20 janvier 2006.
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Mais elle se serait jetée à corps perdu dans la religion en raison de problèmes de santé survenus au début des années 1980 et des infidélités de son mari. Janet la prude est si bigote qu'elle a fait interdire en 2005 la représentation de la pièce intitulée Monologues du vagin en Ouganda. II va sans dire qu'elle est s'est prononcée haut et fort contre l'homosexualité, qu'elle considère comme un signe d'impureté, le 12janvier 2000. Proche des églises américaines de type évangélique, Janet serait, sous son vernis de chrétienne modeste, également très affairiste et, selon des rumeurs têtues, elle serait actionnaire de plusieurs grandes entreprises (hôtellerie, télécommunications) dont Hotloaf Bakery, Simu telephone booth company, Garden City Complex, East African Airlines, Crane Bank et Imperial Resort Beach Hote1.274 Garden City, nouveau centre commercial, appartiendrait à Janet Museveni, et la source des fonds ayant servi à sa construction est toujours inconnue. Essentiellement fréquenté par des expatriés, Garden City offre tout ce qu'on trouve dans un centre commercial américain: outre l'inévitable beurre de cacahuètes, du fromage, du ketchup, des articles autrement introuvables en Ouganda, de même que des articles de luxe comme les écrans géants plasma et des vêtements chic. On passe du yaourt italien Parmalat à 3500 schillings (1,75 Euro) le pot au vin sicilien (28000 UGS)! La course de taxi est entre 3000 et 5000 UGS ; le salaire de base de 100000 UGS. On se rend vite compte que le compte n'est pas bon. Garden City aura dans sa version définitive une patinoire à glace, ce qui n'est pas sans rappeler la Côte d'Ivoire d'Houphouël. Kampala est, comme la plupart des villes africaines, un mélange de débrouillardise avec ses «boda-boda» (borderborder) ou taxis reliant les frontières ougandaise et kényane, ses échoppes et ses petits métiers traduisant le dynamisme d'une population voulant à tout prix survivre et s'en sortir, et de confort surprenant avec des hôtels 5 étoiles au luxe inouï, une 274
Wikipedia
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ville africaine avec une musique aux intonations congolaises et un soleil radieux, ville occidentalisée avec, au gré des progrès techniques, de nouveaux stands ici et là, qui pour un designated agent de téléphonie mobile, qui pour la dernière marque de climatiseurs. Il est certain que Garden City fait rêver la population de Kampala qui, éblouie devant tant de confort, oublie un peu la chaleur et la poussière et vit au rythme de mariages somptueux tous les samedis. La faussement modeste Mme Museveni n'a pas hésité, le 17 février 2002, à faire descendre d'avion des passagers de la British Airways en partance pour Londres, afin de prendre leur place. Elle ne dédaigne pas non plus les belles voitures et assume ses amitiés: En 1999 le leader libyen Mu'ammar Kadhafi a fait don d'une BMW de 100 000 dollars à Janet Museveni. «Le véhicule, un modèle 740 vert clair, est arrivé par avion à l'aéroport international d'Entebbe depuis la Libye275.» Ceci a été confirmé par Abbas Misurati de l'ambassade libyenne à Kampala selon lequel la voiture est un cadeau personnel de Kadhafi à la Première Dame. Que dire du scandale qui a éclaté en 2003, lorsque sa fille Natasha a utilisé l'avion présidentiel pour aller accoucher en Allemagne? Museveni, pourtant aguerri par la lutte dans le maquis, s'est abrité derrière la sécurité, disant craindre pour sa famille. Les coûts du voyage ont été estimés à environ 90 000 dollars, même si Museveni dit qu'ils se situent à 27 000 dollars. Il faudrait 85 ans à un Ougandais pour gagner de telles sommes. Comment Janet, si proche du peuple et si croyante, a-t-elle pu permettre de tels écarts? Ce cas illustre bien le problème des programmes de santé ne recevant pas assez de ressources pour avoir des structures dignes de ce nom, et des Premières Dames qui, par quelques actions d'éclat, font du saupoudrage. Combien de mères ougandaises meurent-elles en couches? Selon le New Vision276,chaque jour, 16 femmes en moyenne meurent suite à des problèmes liés à leur grossesse. Les complications de
275 New Vision (uotidien pro-gouvernemental), 276 18 mars 2007.
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mai 2000.
grossesse ont un impact sur la mère et le fœtus, bien que dans la plupart des cas ce soit le bébé qui meure. En visite en Inde, Janet s'est extasiée sur le microcrédit et la manière dont les banques étatiques ont été utilisées pour le développer à des taux d'intérêts abordables, contrairement à l'Ouganda277, une fois de plus, sans que cela fasse l'objet d'une politique concertée dans le pays pour voir dans quelle mesure les Ougandais pouvaient eux aussi bénéficier de tels programmes et de leur faisabilité. Bien entendu, les contraintes de la banque centrale d'Ouganda pour lutter contre l'inflation et maintenir la monnaie à des taux raisonnables lui sont parfaitement étrangères. Battant campagne pour son mari en 2000, Janet «réunissait [.. .] à Kampala plusieurs femmes éminentes du régime ou proches d'elle, et prit la tête d'une nébuleuse de groupes de soutien qui s'attira de nombreuses critiques, y compris celles de l'équipe de campagne officielle, pour ses discours ethnicistes, ses méthodes radicales et son zèle278.» L'équipe de Janet comprend des volontaires, essentiellement issus d'un petit groupe d'amis loyaux traînant dans le sillage de la Première Famille et des chrétiens Born Again (Renouveau Charismatique), et un deuxième groupe, plus formel, appelé «WORK» (Women's Organisation for the Return of Kaguta), qui inclut des femmes fortes telles que l'écrivain-activiste Maria Karooro Okurut. Les observateurs spéculent sur le fait que l'incursion de Janet dans la campagne de manière si agressive a été motivée par le constat pratique que la recette de y oweri Museveni ne suffisait plus à maintenir tous ses anciens ., . .279 partIsans co Iles . ' d ernere IUl Janet a émergé comme figure politique en 2001, lorsque pendant la cérémonie de célébration de la victoire du président à Nakaseke, elle a été célébrée par le député Tim Lwanga comme «le meilleur manager de personnel de l'Ouganda ». 277 http://cities.expressindia.com/fullstorv.php?newsid= 134431. 278 Politique Africaine na 95 citant A. Mwenda, The Monitor, Mrs Museveni forms own campaign team, 1erjanvier 01. 279 Charles Onyango-Obbo, The Monitor, 9 mai 2001
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Tout un groupe de personnes liées à Janet a également défilé, et Museveni les a chaudement remerciées pour leur contribution à sa victoire. Cette cérémonie, organisée avec «une efficacité nazie» selon l'un des invités, a également fait peu de cas de la Task Force officielle, dirigée par le vice-président du Mouvement, Haji Moses Kigongo, et le ministre des Collectivités Locales Bidandi Ssali. En tant que députée, Janet n'aurait pas eu beaucoup de soutien. Le jour où le parti l'a investie pour les élections, elle a organisé une grande fête à la mairie, aux frais de la présidence. Ruzindana, son rival, n'avait pas ces moyens et alla rencontrer les électeurs et leur demander leur soutien. Ruzindana avait rejeté les allégations de Janet selon lesquelles elle était l'envoyée de Dieu. Les habitants de Ruhaama ont contribué en chèvres, bœufs et poulets pour lui organiser une fête. Janet n'avait pas de soutien à Ntungamo et un journaliste canadien, Blake Lambert, eut des ennuis pour avoir dit qu'elle ne pourrait jamais gagner les élections parlementaires à Ruhaama où il avait passé une semaine. Il est évident que sa famille lui a donné un soutien logistique et matériel pour ces élections, malgré ses dénégations. La présence de son ex-rivale Byanyima aux côtés de Besigye a donné une touche personnelle aux élections. Cette dernière n'a pas hésité à menacer d'exposer les secrets d'alcôve de Museveni s'il n'arrêtait pas d'embêter son mari 280. Sa foi et l'utilisation de la religion dans les affaires publiques lui valent bien des critiques. Ses discours prônant l'abstinence, dans un pays où 66 % de la population âgée de 15 à 24 ans sont sexuellement actifs font dire à ses détracteurs que Janet est irréaliste, voire dangereuse. Elle reçoit des subventions du PEPFAR281,un programme de George Bush soutenu par des groupes baptistes américains. Bush se plaît également à citer le programme ABC282de Janet en exemple. PEPFAR «déverse 280 Andrew Cawthorne et Andrew Marshall, Reuters Nairobi, UGANDA-MAMAS 281 President's Emergency Plan for AIDS Relief. 282(Abstinence, Fidélité et Condom).
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d'énormes sommes d'argent dans des groupes basés sur la foi, sans aucune référence dans la gestion de la santé publique, aussi longtemps qu'ils promeuvent l'idéologie basée sur l'abstinence seule, interdisant l'utilisation de l'information sur le préservatif et sa fourniture aux adolescents ». Janet, «qui pense que l'on peut arrêter l'avancée du SIDA en disant aux étudiants que les préservatifs propagent la maladie et en faisant défiler des vierges dans les rues de Kampala », est loin de la réalité283.Les Américains remplissent les coffres de la Première Dame ougandaise, pour laquelle «améliorer la compréhension des mécanismes de réduction de la propagation du VIH consiste à dire aux étudiants que les préservatifs propagent la maladie ». Dans un pays où les gens sont pauvres, le programme ABC ne signifie rien. Son efficacité est de toutes façons remise en cause car ne permettant pas d'influencer le comportement sexuel des participants et pouvant les dissuader d'utiliser des moyens de contraception. En outre, il semblerait que les programmes basés uniquement sur l'abstinence échouent souvent et puissent avoir pour résultat une utilisation faible de moyens contraceptifs (et protégeant des MST) au sein de la jeunesse célibataire. L'Ouganda est le pays africain où furent enregistrés les premiers cas du SIDA. Le pays a, grâce à des campagnes publiques d'éducation agressives, réussi à faire baisser le taux d'infection dans les années 1990, pour atteindre le taux de 6% de nos jours, ce qui a donné lieu au « miracle ougandais », et le modèle ABC a été copié partout dans le monde. Cependant, plusieurs études suggèrent qu'en réalité le taux d'infection a baissé simplement parce que des centaines de milliers de malades du SIDA sont morts, et que ce taux de mortalité était plus élevé que celui des nouvelles infections. Janet continue de se battre pour le programme ABC, financé à hauteur de 8 millions de dollars par les Etats-Unis. D'après Human Rights Watch, l'Ouganda serait en train de retirer les
283 Jodi L. Jacobson, Equity (CHANGE).
fondatrice
et directeur
176
du Center for Health and Gender
informations sur les préservatifs des livres scolaires284. Le National Youth Forum, dirigé par Janet, est la figure de proue du programme ABC. A la journée du SIDA en 2004, elle s'est prononcée en faveur d'un «recensement des vierges» pour soutenir ses efforts pour l'abstinence, ce qui a donné lieu à des craintes dans la mesure où les enfants risquaient de subir des examens médicaux forcés ou seraient amenés à révéler des informations confidentielles sur leur sexualité. Janet critique également les groupes qui distribuent des préservatifs aux jeunes, disant qu'ils «les punissent en les faisant aller vers le sexe» et a déclaré «ce n'est pas dans nos lois que les enfants aient des relations sexuelles.» Les ONG qui promeuvent l'utilisation des préservatifs ont déclaré à Human Rights Watch craindre de provoquer la colère des leaders politiques s'ils continuaient leur travail, tandis que ceux qui nient l'efficacité du préservatif continuent de bénéficier du soutien inconditionnel du pouvoir. En 2005, l'agence américaine pour le développement USAID passait outre une décision défavorable de financement et accordait une subvention à une organisation de promotion de l'abstinence, Children's AIDS Fund, appartenant à Anita M. Smith, une proche de George Bush. Selon le Washington POSp85, «Natsios (USAID) a recommandé que le don soit approuvé de toutes façons car il offrait une opportunité unique d'accès à Janet Museveni.
»
D'après Human Rights Watch, le gouvernement sponsorise des rassemblements de jeunes et en profite pour pousser l'idée de l'abstinence; il en est de même pour les programmes d'organisations communautaires ou religieuses. Au moins une fois au cours de ces rassemblements, les participants ont entendu qu' « utiliser un préservatif avec une personne atteinte de ces maladies [sexuellement transmissibles] était équivalent à utiliser un parachute qui ne s'ouvre que 75% du temps. »En mélangeant les messages de santé avec la politique, les
284 Stephanie Nolen 285 Washington Post,
] 6 février
2006.
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participants sont également encouragés à promouvoir la candidature du président Museveni à un troisième mandat. Mais il semble que Janet ait vécu le calvaire des femmes de Barbe-Bleue: «A State House, la présidence, il y aurait une pièce qui est constamment fermée à clé, strictement interdite, 24 heures sur 24. La seule personne ayant les clés est le président Museveni. Un jour, Janet Museveni réussit à prendre les clés pour voir ce que son mari gardait et voulait que personne d'autre ne voie... elle ouvrit la pièce et manqua de s'évanouir. Il y avait là sur le sol quelque chose qui ressemblait à un autel traditionnel de fétiches, entouré d'os, de crocs d'animaux et d'autres gri-gri... avec au milieu une statue grandeur nature de... Yoweri Museveni286 ! »
286
Radio Katwe, An Intimate Look at Uganda 's First Lady, ] 6 février 2006. 178
CINQUIÈME PARTIE LES CONCUBINES
ET COURTISANES
Les épouses
Eyadema
nasSingbe Eyadema, qui a tenu le Togo pendant 38 ans, a eu plusieurs épouses et entre 40 et 100 enfants. Ses épouses les plus connues sont Badagnaki Hubertine Eyadema, Dagadji et Marna Lami Gnassingbe, encore surnommée «la Première Dame du Vatican ». Les autres sont Santana, Agbêrê, et bien d'autres encore. Eyadema a été source de dislocation de bien des familles au Togo, n' hésitant pas à arracher la femme qui lui plaisait à sa famille ou son mari. Selon Wikipedia, Eyadéma avait un culte de la personnalité extrême, dont un entourage de 1000 danseuses qui chantaient et dansaient ses louanges, des portraits dans la plupart des échoppes et boutiques, une statue de bronze dans la capitale, Lomé, des montres de 20 dollars américains à son effigie qui apparaissait et disparaissait toutes les 15 secondes, et même une bande dessinée le montrant comme Superman. Jusqu'à sa mort en 2005, Eyadéma a éliminé sans pitié ses opposants. Le 15 janvier 1963, il avouait, dans une interview aux journalistes Chauvel du Figaro et Pendergast de Time-Life, avoir tiré à bout portant sur le président Sylvanus Olympio. C'était une vaste conspiration, dans laquelle certains pays étrangers avaient des responsabilités. Arrivé au pouvoir par un coup d'Etat en 1967, Eyadema s'est maintenu au sommet de l'Etat contre vents et marées, nullement ébranlé par de violentes protestations en 1991 se soldant par les disparitions d'opposants. Eyadema et son clan ont tenu le pays grâce à une centralisation extrême et à la prédominance de son groupe ethnique minoritaire, les Kabye, dans le secteur public et en particulier l'armée. Il est intéressant de noter que sur le site des Premières Dames, Synergies africaines, la place réservée à la Première togolaise est vide. Et pour cause! Laquelle choisir?
G
La première épouse légitime, Badagnaki Hubertine, mère de Il enfants d'Eyadéma, aurait - ô surprise - été arrachée de force à son fiancé alors étudiant en France et aurait subi en silence son union avec Eyadema. Selon des rumeurs non confirmées, son frère, militaire, aurait été assassiné par les hommes de son propre mari. Après la mort de son mari, elle se serait, dans une confession publique dans son église, soulagé la conscience et aurait remercié Dieu de lui avoir donné le courage de «tenir toutes ces années auprès d'un homme qui n'était pas facile ». On s'en doute bien. Hubertine, selon ceux qui l'ont approchée, est une femme intelligente, simple et naturelle, qui n'a jamais aimé les artifices et les choses extravagantes. Cela ne l'a pas empêchée de bien profiter des avantages du pouvoir et de forger des liens solides par le biais d'alliances matrimoniales, notamment en mariant sa fille à un haut responsable du pouvoir. Elle était aussi celle qui a accompagné le général malade lors de son évacuation d'urgence dans l'avion où il devait succomber en 2005. Hubertine a été une épouse loyale et fidèle, malgré toutes les souffrances qu'elle a pu endurer auprès d'un tel homme, grand amateur de femmes. Les belles Togolaises, surtout de teint clair, ont toujours craint d'attirer son regard, ce qui pouvait leur valoir d'être immédiatement «invitées» au palais pour être consommées sans autre forme de procès, souvent dans le bureau même du général. Sa propre cousine, Mme Palli Tchalla, veuve d'un des collaborateurs d'Eyadema, aurait eu un petit garçon avec le dictateur que ce dernier a fièrement exhibé lors des luttes traditionnelles (Evala 2002). Hubertine a défrayé la chronique en 1998, accusée par la femme d'un autre dictateur, Mobutu, d'avoir «confisqué» les 17 coffres de bijoux que cette dernière lui avait confiés lors de son départ précipité du Zaïre (Congo) à la chute de Mobutu en 1997. L'ancienne épouse du président zaïrois, Bobi Ladawa Mobutu, aurait rencontré des difficultés à obtenir un visa pour se rendre à Lomé. Badagnaki Eyadéma aurait été difficile à joindre par téléphone pour converser avec Bobi.287 [...] L'affaire 287 La Lettre du Continent
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des bijoux, rapportée par Hounkali Elias et Amenouhou Edoh, journalistes au journal Le nouveau combat, a causé l'arrestation de ces derniers respectivement en août et novembre 1998. Hubertine Badagnaki a été distinguée dans l'ordre national du Mono pour avoir démontré un courage exceptionnel lors des attaques armées de dissidents le 25 mars 1993. Pendant que le régiment était encerclé et assiégé de grenades, balles, bazookas et lanceurs de roquettes, vous, Madame Hubertine Badagnaki Eyadema aviez été complètement abandonnée, luttant pour sauver la chère vie de votre fili88. Très considérée, Hubertine a conduit des délégations officielles, en Chine par exemple. Enfin, elle serait l'artisan de la paix au Togo aujourd'hui, car ce serait elle qui, lors de la crise de succession après la mort de son mari, a pesé de tout son poids pour faire entendre raison aux différents membres de la famille Eyadema et leur faire adopter une stratégie commune, avec le résultat que l'on connaît: la mise en place d'une dynastie.
Une autre de ses épouses, Massan Dagadji ou Dagagzi, aurait elle aussi été arrachée... cette fois-ci à son époux légitime, ce qui lui a valu d'être ignorée par le pape Jean-Paul II lors de sa visite en août 1985 au Togo. En effet, ce dernier aurait refusé de serrer sa main adultère, et ce, en direct sur la télévision nationale! Très belle femme, elle aurait été prise par Eyadema précisément parce qu'elle se serait vantée de ne jamais pouvoir vivre avec un tel personnage. La troisième, Marna Lami Gnassingbe, musulmane, faisait office de ministre non officiel des affaires caritatives.
288 AIlAfrica.com.
Africa - 4 avril 2003
183
Marna Lami a été très active sur le front caritatif, avec le don d'une mosquée en 2004 à sa communauté, la mosquée Al Nour. Larba Apoudjak, ministre chargée du secteur privé, représentante personnelle du chef de l'Etat, a assisté à la prière d'ouverture et «expliqué aux musulmans la place de choix que le Président Eyadèma accorde à la religion musulmane et sa contribution pour une liberté àe religion dans notre pays. Mme Apoudjak était accompagnée de Mme Mama Lami Gnassingbe, avec son Lami Gnassingbé venue époux le Général Eyadéma, au constater l'état final de la cours d'une cérémonie officielle mosquée qu'elle a fait (source et date inconnues) construire. Une manifestation de foi et de partage de croyance avec les autres musulmans du Togo ». Grande admiratrice de sa belle-mère, elle dit que c'est une «mère au foyer qui a forgé le destin de tout un peuple [.. .]. Maman N'Danidaha, mère du chef de l'Etat, [.oo] qui a su inculquer les notions de dignité, de patriotisme, de bravoure, de modestie à son fils qui fait aujourd'hui le bonheur de toute une nation. Que dis-je, de tout un continent289 ! La corpulente Lami affectionne les postiches châtain et les riches tenues de soirée même en plein jour, avec des épaules rehaussées un peu dans le style Tudor, hormis le tour de taille qui n'est pas vraiment celui d'une guêpe. Elle sent le bazin riche neuf qui crisse quand on marche, le satin rebrodé façon guipure Tata Neuf tex nouveau modèle. Sur son joli visage poupin, aucune trace de maquillage, hormis un soupçon de brillant à lèvres. Agbêrê Lamie aurait partagé la vie du général Eyadema entre 1993 et 2005, date de sa mort. Fille d'un imam, sa route aurait croisé celle du président à 17 ans, un jour où ce dernier 289
Amina
n0405,
2004
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rentrait à Lomé II. Ayant remarqué l'adolescente d'abord à sa sortie de cours du CEG Tokoin Centre, puis après une marche durant la grève générale illimitée, il envoie ses gardes mettre en place une surveillance rapprochée de celle-ci. Ses déplacements en zémidjan (petite moto ou scooter), sa correspondance avec son «copain» aux USA, tout y passe, à telle enseigne que le père, alerté, essaya de «moraliser» Gnass. En vain... Lamie finit par succomber aux charmes du sexagénaire président... Ancienne élève du lycée de Tokoin où elle a raté en juin 1997 son baccalauréat avant de se présenter par la suite à la faculté de Droit, Lamie a été conspuée par cet amphi de 800 personnes à cause du volume de sa poitrine. Au lycée, cette pauvre et naïve élève a fait convoquer à Lomé II son professeur d'allemand qui lui avait réclamé une fiche de permission. A 26 ans, elle avait deux enfants du président. Depuis quelque temps, cette fille apparaissait aux côtés du général président comme sa femme29o. Depuis toujours et surtout dans les années fastes de l'animation politique, le général Eyadema affectionnait les belles femmes. Une anecdote dit que le général levait simplement sa canne en direction d'une jolie danseuse et l'officier tout proche savait ce qu'il fallait faire l'animation terminée. D'autres historiettes veulent qu'il soit arrivé au général de lancer: envoyez-moi teint creur! c'est-à-dire « envoyez-moi une fille au teint clair ». Mais la jeune et belle Lamie était arrivée un peu trop tard dans une libido trop vieillie d'un général affaibli et mourant. Qui peut, dans ces conditions, en vouloir à la jeune dame d'avoir voulu donner du tonus à la virilité de son mari afin d'écourter des nuits bien longues, elle qui, à peine passé l'âge de la puberté, a atterri de force dans les bras d'un sexagénaire? Elle avait à peine 18 ans et une beauté qui ne pouvait laisser indifférents les hommes normaux. Eyadema était bien normal. . . Comme beaucoup de chefs d'Etat africains, Eyadema se rendait régulièrement à l'étranger (Israël et en Europe) pour se soigner, n'ayant pas confiance en ses propres hôpitaux. La 290
Gerson Kokou, 01 20.htm - 19k
www.batirletogo.orglFR/actualites/
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contid-2004-avril-
longue carrière de celui qui devait régner 38 ans et mourir au pouvoir a été entachée de nombreux assassinats contre ses opposants politiques. Parmi ses victimes les plus célèbres, Sylvanus Olympio, le président de la république en 1963... Tavio Amorin, premier secrétaire du Parti Socialiste Panafricain (PSP), membre du Haut Conseil de la République, secrétaire général du COD2 et membre fondateur du mouvement patriotique, meurt à Paris le 29 juillet 1992 après avoir été grièvement blessé à Lomé le 23 juillet de la même année. Selon la famille, ce sont deux hommes, Karéwè Kossi et Boukpessi Pangayou, tous deux de la police nationale, qui ont « tiré de sang-froid» sur Tavio et ont laissé sur les lieux de leur forfait, en guise de signature, leurs cartes d'identité ainsi que l'arme du crime. Le comité a adressé une lettre au président Eyadema pour lui faire part de sa décision de saisir la justice togolaise pour qu'elle l'aide à retrouver les auteurs de cet odieux assassinat. D'après la famille, ces hommes n'ont jamais été ni inquiétés, ni même convoqués par un juge pour les entendre. Selon Amnesty Intemationaf91, depuis 1990, les violations des droits de l'homme commises par les forces de sécurité togolaises - caractérisées par l'arrestation arbitraire, la détention sans inculpation ni jugement, la torture et l'exécution extrajudiciaire d'opposants présumés - sont en recrudescence. Les victimes de violations des droits de l'homme sont généralement ciblées du fait de leur origine ethnique et de leurs opinions politiques. Le 25 janvier 1993, par exemple, au moins 19 personnes ont été tuées lorsque l'armée a tiré sur une manifestation pacifique organisée par l'opposition. Jusqu'à maintenant, aucune enquête officielle n'a été ouverte. La même année, au moins 20 personnes, militaires et civils, furent tuées en mars 1993, et 21 prisonniers furent tués en août 1993. La liste est longue depuis... Celle des femmes et concubines aussI.
291
Rapports
1992,
1993,
1999, 2003,
2005
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Les épouses
Bokassa
Femme portant les couleurs de l'Empire en 1978 (effigie Bokassa
Timbre du couronnement de S.E.M. Bokassa ]er
et Catheriney292
ui n'a pas souvenir de Bokassa, de son sacre, de ses 17 ou 18 épouses et de ses 59 enfants? Renversé après 14 ans de règne, Jean-Bedel Bokassa, dictateur depuis 1972, mourut en 1996 dans le dénuement le plus complet. Bokassa,
Q
pour qui « un repas sans camembert ni beaujolais n'en était pas un », est mort à Bangui avec pour seul revenu sa retraite de l'armée française, privé de tous ses droits. Il y a eu beaucoup de femmes dans sa vie, la plupart d'entre elles contraintes au mariage, certaines dès l'âge de 14 ans. Pour quelques-unes d'entre elles, rares, ce fut un conte de fées (plutôt bref), cette fois-ci avec le véritable Barbe-Bleue. Des Ivoiriennes, des Gabonaises, des Bulgares, des Allemandes, des Françaises ont défilé dans sa vie. D'Annette Van Helst (belge) épousée à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, on ne sait presque plus rien. Lui a succédé Marguerite Green Boyanga, née vers 1923 à Cabinda, 292
http://mvsite.verizon.net/respzvir/iean-bedel-bokassalid
7 .htm 1
Angola, métisse anglo-angolaise (décédée en 1959). Ensemble, ils eurent un enfant, Georges Bokassa. Puis vint Martine Nguyen Thi Hue (née vers 1934, au Vietnam), rencontrée à Hanoï, et avec laquelle il s'installa à Saïgon-Cholon. Lui succéda Jacqueline Nguyen Thin Than (née au Vietnam, décédée à Toulon, France), précédemment mariée à Placide Adoum en 1956. Bokassa l'a épousée en 1957 et ils ont divorcé en 1961. Avec Bokassa, elle eut Jean-Claude Bokassa (né en 1957 ou 1958), Saint-Cyr Bokassa né en 1959 (décédé en 1996 en Côte d'Ivoire) et Nicole Bokassa née en 1961. Avec Astrid Elisabeth Van Erpe (née en février 1945 en Syrie), française, fille d'Albert Van Erpe (originaire de Wattrelos, France) et d'Hélène Rachel Lévy (du Caire, Egypte), Bokassa semble mener quelque temps une vie de famille rangée. Sa famille d'origine belge et française s'est installée à Bangui en 1949. Bokassa l'a épousée en 1962 et a divorcé d'elle en 1967, car elle ne pouvait pas avoir d'enfant. Mais aucune femme n'a surpassé Catherine Denguiade (née en 1949 au Tchad), épousée de force en juin 1964, à l'âge de 15 ans, et mère de sept enfants de Bokassa: Reine en 1965, SaintSylvestre en 1971, Dieu-Béni en 1971, Marguerite entre 1971 et 1975, Lucienne en 1970, Jean-Bedel Bokassa Jr. en novembre 1973 et Saint-Jean Bokassa en mars 1977. Catherine était de loin la préférée des épouses. Elle a subi son destin plus qu'autre chose. Bokassa l'avait remarquée sur le chemin de son école, alors qu'elle n'avait que 14 ans, et littéralement enlevée puis séquestrée. Ses parents n'eurent pas d'autre choix que de s'incliner devant le fait accompli. Catherine fut choisie pour devenir l'impératrice, en 1977, lors du couronnement de Bokassa comme empereur. Elle aurait essayé en vain de s'opposer au sacre de Bokassa, qui aurait même envisagé de l'écarter au profit de sa rivale bulgare Gabriella (voir plus loin). Loin de lui reprocher de n'avoir pas pu empêcher Bokassa de maltraiter la population de Centrafrique, notre préoccupation a été d'essayer de retracer sa vie avec cet homme et de poser la question de savoir pourquoi elle ne s'est pas enfuie. La cage était sans doute trop dorée, même si, peu avant la chute de 188
Bokassa, elle avait quitté le pays avec annes et bagages, bien remplis de bijoux et d'argent, ce que l'on peut comprendre, étant donné ses responsabilités familiales.. . Plus avisée que nombre de ses rivales et que Bokassa luimême, elle est l'une des rares épouses ayant réussi à vivre dans une certaine aisance, à Lausanne, après avoir quitté Bokassa, à tel point que l'Eglise catholique fit même appel à elle. En effet, en 1994, Francesco Cuccaresse, évêque de Pescara et « une des personnes les plus proches de Jean-Paul n293», a rencontré Catherine pour solliciter des fonds pour la construction d'un centre œcuménique à Gdansk en Pologne, pour lequel il fallait trouver deux millions de dollars pour compléter la portion déjà financée par le Vatican. Malgré tout l'éclat de Catherine, d'autres femmes ont été "épousées" pendant qu'elle était encore mariée à Bokassa et partageait sa vie, à commencer par Christine Tongui, avec laquelle il eut Nicaise en janvier 1967. Ce fut le cas de MarieJoëlle Aziza-Eboulia (née en 1955 à Libreville, Gabon), épousée à 15 ans le 18 février 1970 et qui a connu une fin tragique avec son suicide en 2001. Elle est la mère de Charlemagne, né en mars 1970, décédé en 2001, de Jean-Serge né en février 1972, de Marie-Béatrice née en juillet 1973, de Jean LeGrand né en octobre 1977 et de Diane-Caroline née en octobre 1979 à Bangui. Ensuite, une autre épouse fut MarieJeanne Nouganga, mère de Jean- Parfait en mars 1970; une autre encore, Éliane Mayanga, élève au Lycée Caron, à Bangui, épousée en 1971. Éliane donna naissance à Marie-Madeleine en mars 1972 puis quitta la République centrafricaine au cours de l'année. Alda Geday, la jeune Libanaise épousée en 1974 à l'âge de 18 ans (née en 1954 à Beyrouth au Liban), de 35 ans sa cadette, était la fille d'Adriano Geday banquier et également directeur de Casino à Bangui, la capitale, et de Rosine Orstein. Alda a donné naissance à Marie-Ange née en 1975 à Paris; elle était la plupart du temps enfermée à la villa, dont elle ne sortira qu'au bout d'un an pour rentrer au Liban. Sa fille Marie-Ange, dite 293
El Pais, 17 novembre
1994
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Kiki, est devenue une artiste peintre renommée au Liban, engagée dans le secteur caritatif pour les enfants atteints du cancer. Gabriella Drimbo (née en Roumanie), épousée en avril 1975, quitta le pays en novembre 1977. Elle donnera à Bokassa une fille, Anne de Berengo, en septembre 1976, née sous la supervision des meilleurs médecins du monde dépêchés à Bangui pendant que l'orchestre de l'armée jouait des airs de musique classique. Chantal Belleka (née en Centrafrique) fut la mère de MarieLaure née en octobre 1972 et de Marie-Claire née en juillet 1974. Marie-Charlotte Mathey fut celle de Jean-Paul-David né en juillet 1977. Uta (née en 1959 à Brema, Allemagne) rencontra Bokassa en 1977. Puis il y eut Brigitte (du Cameroun). Augustine Assemat, de Côte d'Ivoire, fut la mère de Jean Bedel Bokassa Jr. né en mars 1985. Certains enfants sont nés la même année. Comment leurs mères se sentaient-elles? A-t-on le droit de parler de ces femmes, pour la plupart des victimes? La Roumaine Gabriella Dimbri, Drimbo ou Dimbra, danseuse de ballet, «rencontrée» en 1975 lors d'une visite en Roumanie, et la seule femme dont Bokassa aurait été amoureux en dehors de Catherine (voir plus loin) était« une très belle femme mince, blonde avec de longs cheveux et des yeux bleus... Gabriella se languissait dans le palace de luxe que lui avait construit Bokassa; hystérique, il lui arrivait d'exiger que l'on rouvre un supermarché en pleine soirée pour acheter un paquet de petits-beurres... Gabriella ouvrait sa penderie pleine de bijoux et demandait si [Catherine] avait les mêmes294». La grande amitié entre Bokassa et le dictateur roumain Nikolai Ceausescu avait commencé dans les années 1970, avec des diamants que Bokassa offrit en cadeau, et « ils scellèrent cette amitié en 1973 avec la danseuse Gabrielle Drimba, qu'il avait 294 Stephen Smith, Geraldine Faes, Bokassa,
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un Empereur
Français
remarquée pendant un spectacle à Bucarest et ramenée dans la capitale dont les rues sont bordées de manguiers.295» Gabriella quitta la Centrafrique en 1977.
Timbre « Honneur à madame la présidente Catherine Bokassa, médaille d'or des mères », premier jour d'émis.sion du timbre le 28.05.1972 sur env. illustrée famille présidentielle.
Fils de chef, Bokassa a été formé à l'école missionnaire au début de la Deuxième Guerre mondiale et a rejoint l'armée. En 1950, il fut élevé au rang de sergent. Il survécut à la débacle de Dien Bien Phu et prit sa retraite comme capitaine. A l'indépendance du pays en 1960, son cousin le premier président, David Dacko, le nomma commandant des armées.
Pendant ses 14 ans de règne, Bokassa se fit une réputation de dictateur mégalomane incompétent. Rendu furieux par la recrudescence des vols à Bangui en 1972, avec ses troupes il battit en public 45 voleurs sur la place centrale de la capitale. Trois d'entre eux moururent, et les autres gravement blessés ont été exposés au soleil pendant six longues heures. En 1971, pour la Fête des Mères, Bokassa ordonna que toutes les mamans en prison soient libérées et que celles qui avaient été accusées d'infanticide soient exécutées. Deux d'entre elles le furent. Lorsqu'il était en colère, Bokassa était capable de tout. Michel Mounomboye, chef de la sécurité au moment où Bokassa est arrivé au pouvoir, a eu les yeux arrachés devant sa famille avant d'être exécuté. Lorsque le Lt Colonel Alexandre Banza, qui l'avait soutenu lors de sa prise de pouvoir, fut accusé en 1969 de planifier un coup d'Etat, il a été traîné de force devant un conseil des ministres où Bokassa lui taillada la peau 295Jurnalul Nacional www.jurnalul.ro/comentarii.read.php?id=85962
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avec un rasoir. Les gardes frappèrent Banza ensuite jusqu'à ce qu'il ait le dos brisé et le traînèrent dans les rues de Bangui où ils finirent par l'abattre. Lorsqu'il était mécontent de son gouvernement, Bokassa prenait les portefeuilles des ministres qu'il avait chassés et, à une certaine époque, il en avait 10 sous sa responsabilité. Président à vie, commandant en chef des armées et président du seul parti politique du pays, Bokassa exigeait de ses sujets une démonstration ostentatoire de leur dévotion, car, comme il le disait, «les miracles entrent dans moi. » Ses portraits géants s'affichaient dans Bangui la coquette, et, comme c'est le cas dans l'Afrique des dictateurs, même sur les chemises des hommes et le dos des longues jupes en pagne des femmes. Son règne devient de plus en plus brutal et culmine avec son couronnement en 1977. Mais tout cela n'était rien comparé à ce qui devait par la suite entraîner sa chute, vers la fin des années 1970. La Centrafrique d'alors n'avait que 2 millions d'habitants, pour la plupart analphabètes, pas de chemin de fer, pas d'accès direct à la mer et seulement 180 kilomètres de bitume. Au moins 90% de la population vivaient en dehors du circuit économique. Lors de son 53ème anniversaire, il inaugura la première station de télévision du pays, qui ne comptait en tout et pour tout que 40 postes. Il finançait son train de vie avec l'aide internationale (France, Afrique du Sud, Chine et Union Soviétique) ; la France couvrait les déficits budgétaires du pays. Rapidement, Bokassa prend le contrôle de la vie économique également, avec magasins et grandes sociétés pour lui et sa famille. Roger Okoa-Penguia, maire de Pissa, localité située à moins de dix kilomètres de Berengo, en venant de Bangui, se souvient de la ferme de Bokassa, à l'abandon depuis 26 ans. « J'ai été recruté dans la société Paysans centrafricains de Bokassa, à ma sortie du Lycée Boganda. Nous étions plus de 800 à travailler dans des secteurs aussi divers que l'agriculture, la pisciculture, la riziculture, l'élevage, les cultures maraîchères. Bokassa avait également monté à Berengo, et dans des localités environnantes, des usines: une usine de coco, une scierie, une menuiserie, une usine de clous, une confection de vêtements, 192
une usine de décorticage du riz, construite par les Allemands, et où tout le riz centrafricain pouvait être traité en trois mois, et une usine de décorticage et de torréfaction du café dernier cri, œuvre des Brésiliens. » Afin de mettre toutes ces personnes dans des conditions optimales, rien n'a été ménagé pour créer des structures d'appoint comme le complexe scolaire de Berengo composé d'une école maternelle, d'une école primaire et d'un lycée à cycle complet. Toujours à l'intérieur du camp, séparés de la cour impériale par une barrière, se trouvaient l'hôpital et le complexe commercial. Celui-ci était particulièrement fourni dès que la paie se profilait. «Bokassa était très malin. Il remplissait sa buvette, sa boucherie, et comme ça, les employés dépensaient une bonne partie de leurs salaires chez lui », se souvient Roger Okoa-Penguia. «A ces moments-là, le camp prenait des allures de lupanar 296». Devant 3500 invités en provenance de 43 pays, dans Bangui la poussiéreuse, par une température de 40 degrés et une humidité à 90%, Bokassa, 56 ans, vêtu d'une aube, réplique du costume du maréchal Ney au sacre de Napoléon, avec une cape de velours et d'hermine, se fait sacrer empereur: «Majesté Impériale Bokassa Premier ». Catherine, 28 ans est faite impératrice. Le jeune prince héritier Jean-Bedel Bokassa, habillé d'un costume d'officier de la marine blanc, trône sur un énorme coussin. Une entreprise deux fois centenaire, basée à Guiselin, celle-la même qui avait brodé les uniformes de Napoléon, confectionna 13 costumes pour Bokassa, y compris sa robe de couronnement, rebrodée de 785 000 perles, 1 220000 perles de cristal, pour un coût de 145000 dollars (de 1977). La couronne royale est venue de Paris, du joaillier Arthus-Bertrand, qui l'orna d'un diamant de 138 carats, pour 2 millions de dollars. Son sceptre et le diadème de Catherine firent monter la facture des bijoux à 5 millions. Lanvin, maison de haute couture à Paris, confectionna la robe en lamé or de Catherine, rehaussée de 935 000 sequins et de pièces d'or, pour un coût de 72 000 dollars (de 1977). Catherine, dans une longue 296
Mutations,
25 mai 2005.
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robe d'or brodée de rubis, avec, sur sa tête une couronne en or, était suivie de dames d'honneur, en robes fuchsia et roses tirées des scènes d'Autant en emporte le vent. Pour ce qui est de la nourriture, 240 tonnes de victuailles et de boissons ont été transportées pour la fête, dont des Château-Lafitte Rothschild et des Château Mouton-Rothschild 1971. Pour l'apéritif, il y avait du caviar sur un plateau si lourd que deux chefs étaient nécessaires pour le transporter. Pour le dessert, un gâteau vert à sept étages, avec une demi-douzaine de colombes survolant les plats. Le revenu annuel par habitant était alors de 120 dollars. Pour la cérémonie du sacre, 65 000 bouteilles du meilleur champagne furent servies par des serveurs et maîtres de Paris. Pour le transport, il y eut 60 nouvelles Mercedes, expédiées par bateau au Cameroun et ensuite par avion jusqu'à Bangui. Le couronnement a coûté environ 20 millions de dollars dans un pays où le PIE en 1977 était de 250 millions de dollars, provenant du bois, du coton et des diamants. Bokassa jura de défendre la constitution qu'il avait lui-même suspendue lors de son coup d'Etat en 1966297. Le jour du sacre, les jets d'eau sont colorés et pleins de mousse; des chevaux des haras du Pin en Normandie, transportés en Afrique à bord d'un Transall pour tirer le carrosse de l'empereur, souffrent de la chaleur. Devant toute la population revêtue du costume local unique aux couleurs du parti unique, majoritaire à 100% aux élections, une centaine de journalistes, 2000 invités et 30 000 Banguissois, la cérémonie peut commencer. « L'initiale B de l'empereur est partout, sur les murs, dans les rues, sur le palais, sur les multiples arcs de triomphe à la gloire de César, à chaque carrefour. Ce décor superbement kitsch, nous le devons à Olivier Brice, un artiste français. Les hussards de la garde impériale habillés de vert et de plumet blanc précèdent le carrosse de Napoléon... Enfin, le dernier à descendre, Bokassa en longue aube brodée de perles blanches. Il porte sur le front la couronne de lauriers d'or de César Imperator. L'empereur prête serment, et, d'un geste qui 297
Times Magasine,
19 décembre
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laisse sans voix l'assistance, prend la couronne et se la pose luimême sur la tête, s'autoproclamant empereur d'Afrique298 ». Le tyran gouvernait seul, après avoir aboli l'Assemblée nationale. La dictature opprimait les gens; Bokassa, catholique, respectait cependant l'Église - celle-ci jouait de son influence pour libérer des prisonmers et tenter d'améliorer le sort des plus pauvres. Peu de choses suffisaient pour être embarqué: un murmure, une parenté avec un dissident. Pour le sacre, selon un témoin, « tout missions catholiques et le monde - villages, congrégations, protestantes - devait donner de l'argent au MESAN (le parti . umque ) pour ce Ia. 299 ». Bokassa décide qu'à compter du 15 janvier 1979, les élèves porteront l'uniforme pour les distinguer des délinquants. Or le monopole de la vente et de la fabrication de ces uniformes est détenu par une entreprise qui appartient à Bokassa. D'autre part, la plupart des parents d'élèves sont des fonctionnaires, qui, comme si souvent, n'ont pas reçu leur salaire, et ne peuvent pas faire face à cette taxe imprévue. Le 18 janvier, les enfants descendent dans Le trône, en forme la rue, attaquent le centre de Bangui d'aigle géant, a une et on assiste à «de nombreuses envergure de 13,6 pieds, avec 800 plumes dorées scènes de pillage. Cette explosion de et un siège sculpté dans violence spontanée a été presque le ventre d'un oiseau300 immédiatement maîtrisée; le 19, ils attaquent le magasin le Pacifique qui appartient à l'impératrice. Les enfants lancent des cailloux, l'armée tire sans sommation. Les parents des victimes sortent 298Alerte rouge Sacre de Bokassa http://membres.lvcos.[r/ seoina!?-e/alerte. htm 299 Père Wirth, Spiritain 300http://en.wikipedia.org/wiki/lmage:Bokassa.ipg
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les arcs dans les quartiers du nord de la ville: au moins cent soldats sont tués par des flèches empoisonnées. Il s'ensuit une répression aveugle et folle dans la nuit du 19 au 20 janvier. » Le lendemain, «on entendait alors des tirs de mortiers sur les quartiers proches de l'aéroport, où de véritables combats ont eu , . 301 l' leu, ma gre e couvre-leu. » I l I La disparition des enfants pris dans la rafle du 18 avril (que Rattenfanger Maidou, Premier ministre, tente d'expliquer ainsi: ayant pris peur, ils auraient traversé l'Oubangui, d'où apparence de disparition, puisqu'ils seraient rentrés à Bangui deux jours plus tard) va déclencher la fureur des parents. Peu à peu le public acquiert la certitude que Bokassa a mis la main au massacre et occulte avec force dans ce moralisme dramatisé ce qui l'y a contraint. Giscard d'Estaing suspend l'aide militaire de la France à la Centrafrique, suivi des Etats-Unis. Le 16 août, une commission d'enquête clôt ce deuxième acte commencé dans la rue, où l'ennemi est parvenu à transformer en pleurnicheries diffamatoires ce qui était une ébauche d'offensive gueuse, par un rapport estimant quasi-certaine la participation de Bokassa au massacre, où il y aurait eu entre «50 et 200 morts »302.Environ 30 enfants auraient été transportés dans la cour du palais et forcés à se coucher sur le sol. Bokassa aurait forcé son chauffeur à leur rouler dessus, ce que ce dernier refusa. Bokassa prit alors lui-même le volant et les écrasa.3D3 Cannibalisme? Bokassa aurait tué un de ses ministres et l'aurait fait servir pour le dîner auquel il avait convié d'autres ministres. C'est seulement après le dîner que ces derniers ont su ce qu'ils venaient de manger. A sa chute, son cuisinier Philippe Lengis déclara avoir été forcé à maintes reprises de préparer des repas contenant de la chair humaine. On a raconté, sinon prouvé, qu'il se livrait à l'anthropophagie ou qu'il faisait dévorer des hommes par ses lions ou ses crocodiles. Pour revenir à l'histoire de ses femmes, il quitta l'Indochine dans les années cinquante après y avoir eu une fille. Pendant 301 http://www.teleologie.org 302 http://www.teleologie.org/OT/textes/AS/}a8.htm 303 The Voice of Russia
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plusieurs années, il chercha sa fille. Deux femmes différentes se présentèrent en Centrafrique, prétendant être Martine Nguyen. Au lieu d'emprisonner la fausse Martine, il l'adopta. Il donna les deux Martine en mariage. Le mari de la fausse Martine, officier de l'armée, a été impliqué dans une tentative de coup d'Etat des années plus tard et tué. Elle-même a été assassinée par les gardes du corps de Bokassa un an plus tard. Le mari de la vraie Martine a été tué par les ennemis de Bokassa après le coup de 1979. Bokassa, non content d'être un époux infidèle, était également jaloux et violent avec ses femmes. Astrid se souvient, selon Geraldine Faes et Stephen Smith304,« avoir été sérieusement tabassée par Bokassa, en visite au Gabon» où elle avait fini par s'installer pour échapper à ce mari dont elle vivait séparée depuis six ans. Les auteurs rapportent aussi que Bokassa avait placé « chez ses femmes comme dans tout le pays [...J des mouchards. Le 28 septembre 1977, trois amants supposés de Gabriella et de Martine Ndouta, sa dame de compagnie, sont arrêtés et emprisonnés à Ngaraba le 5 octobre 1977. Ils seront exécutés à coups de chaîne l'année suivante305 ». Catherine, 28 ans, ne « pouvait rien faire sans autorisation un jour elle m'a dit qu'elle viendrait bien assister à ma messe à Damara un jour, mais que cela ne lui serait pas permis306 ». Juillet 1973. Il convoque dans son bureau le jeune chauffeur de son épouse Catherine. Bokassa attend de ses chauffeurs qu'ils lui signalent tous les mouvements aussi bien des ministres que des membres de la famille présidentielle et bientôt impériale. Or, le malheureux a omis de rapporter une visite de Catherine à une de ses amies. C'est d'autant plus regrettable que Bokassa n'apprécie pas du tout cette amie. Le chauffeur reçoit un tel coup de canne qu'il en meurt. Mais la jalousie de Bokassa aurait été justifiée. En effet, Catherine aurait eu une aventure avec le président français 304 Geraldine Faes, Stephen Smith, Bo/wssa 305Faes, Smith, ibid 306 Ibid
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J"', Un Empereur
Français
Giscard d'Estaing, qui l'aurait faite avorter dans une clinique chic de Neuilly en 1974. Le ressentiment de Bokassa vis-à-vis de celle qui lui avait donné sept enfants était d'autant plus grand que Catherine était partie de Bangui peu avant la chute de celuici, emportant bijoux et argent dans ses malles. Elle ne serait jamais venue en aide à Bokassa après sa chute. JeanBarthélémy Bokassa, beau-fils de Catherine, décrit les bijoux
ainsi: « la lumière l'éblouit, ainsi qu'elle éclaire des milliers d'objets précieux épars dans la pièce. Des fIots d'objets en or et en diamants, des montres de grands créateurs, des bijoux sertis des pierres les plus précieuses... ses malles sont remplies des joyaux de la famille »307. Le despote n'acceptait même pas la popularité de certains artistes comme celle de Prince Mayo, chouchou des Centrafricains, en qui le dictateur vit un futur rival porté par la masse populaire. Les concerts de Prosper Mayélé et de Centrafrican Jazz drainent une foule innombrable aux dancings Dragon rouge, Rex et Tara Tara. De plus, parmi les fidèles fanatiques, l'on remarque la présence active dans les concerts des mouvements de femmes: Lumière Sabona, Amie Mocaf et des supporters de l'équipe de football Tempête Mocaf, alliée à l'orchestre. Quelle popularité auprès des Centrafricains! A chaque fois la sonorité de la guitare de Prince Mayo envoûte les fanatiques et attire vers lui les fleurs du mal. L'une des maîtresses du dictateur Bokassa, dénommée Chantal, admire Prosper Mayélé et de ce fait donne une occasion au despote de briser la carrière de l'artiste308. En 1983 quand la famille se reconstitue à Abidjan où l'empereur est assigné à résidence à Cocody, tous les enfants sont là, de Georges, l'aîné, au dernier. C'est le premier contact véritable avec leur père pour nombre de ces enfants qui le découvrent sous un autre jour. «Il était très nerveux, buvait énormément. Son comportement était anormal. Il n'a jamais accepté sa chute. Pour avoir du caractère et de l'autorité, il en 307Jean-Barthélémy Bokassa, Les Diamants 308http://maziki.ftee.fr/artistes.htm
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de la Trahison.
avait. Ça nous saturait. On se retrouvait par moments ensemble et il se livrait, à des explications,. nous aidait à nous resituer, à . 309 nous ad apter a notre nouveau tram d e VIe .» Marie-Joëlle Azizet, l'une de ses épouses, métisse gabonaise, n'avait également que 14 ans lorsque Bokassa s'en éprit. Le président Bongo aurait même assisté à son mariage. Exilée à Abidjan avec ses cinq enfants, Charlemagne, JeanCharles, Marie-Béatrice, Jean LeGrand, Diane-Caroline, elle continua à partager son époux avec l'impératrice Catherine et Suzanne, une Ivoirienne. Les enfants avaient un précepteur à la maison qui se chargeait de maintenir leur niveau puisqu'ils ne pouvaient pas sortir. Ils étaient logés décemment et mangeaient à satiété. Houphouët-Boigny, qu'ils considéraient comme un grand-père, veillait à ce qu'au-delà de la liberté d'aller et venir, ils ne manquent de rien. Malheureuse, étant passée brutalement de l'opulence à la misère de l'exil gabonais en 1985, avec l'incapacité pour son fils « d'aller à l'école tant les conditions de misère sont indicibles », Marie-Joëlle finit par se suicider en 2001. Son fils Charlemagne, atteint de troubles mentaux, devint dépressif après sa disparition. En 1998, sans abri, il traînait dans les stations de métro de Paris et à la gare de Lyon, où l'attendait toujours un repas chaud de l'association humanitaire «Amis de la Rue ».310 Il est assez facile de comprendre comment 17 épouses ont associé leur destin à un tel individu, la plupart d'entre elles, les Centrafricaines du moins, ayant été contraintes de le faire. Que dire des Occidentales? La Libanaise Alda Geday, dont le père était banquier et directeur du Casino à Bangui, n'avait que 18 ans à l'époque. Fille de bonne famille, on ne saurait dire qu'elle était dans le besoin. Est-ce son père qui l'a forcée? Bokassa avait souhaité épouser Catherine religieusement, or, raconte le Père Joseph Wirth, «il était déjà marié religieusement - une fois, et voulait faire déclarer le mariage invalide; il faisait pression sur l'Église pour cela. Oui... Rome a 309Mutations, 25 mai 2005 310 El Clarin, Ex-dictatores en desgracia, 30 novembre http://www.clarin.comldiario/l998/l1/30/i-03801d.htm.
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fait venir un évêque pour l'enquête, je fus nommé son secrétaire. Comme il refusait de montrer son livret militaire (qui contenait des indications privées), l'enquête fut arrêtée, le . 311 manage ne f ut pas ce' Ie' bre» . ' D'après son fils Jean-Serge, Bokassa séparait souvent leur mère de ses enfants. «La plupart des enfants de mon père n'ont pas grandi avec leurs mères. Quand il avait un enfant avec une femme, il prenait J'enfant et laissait tomber la mère. Ce n'était , ., . 312 pas f aCI1e pour ceux- la car certams n ont connu que le pere .» ' Des maîtresses, Bokassa en a eu à la pelle. Des villas restées célèbres ont été construites à Bangui et Berengo pour héberger ces dernières. Le palais et les résidences de Bokassa ont été pillés. Aujourd'hui, l'ex-impératrice Catherine vit à Bangui.
311Jérôme Levie, Entretien avec le Père Joseph Wirth, c.s.sp. 312Junior Binyam, Mutations, 25 mai 2005
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L(es) épouse
(s) Mobutu
L
'image que l'ont retient du Zaïre de Mobutu est celle du gaspillage, du pillage de l'économie malgré tout le potentiel du pays. Vaste pays de 2 millions de km2 pour 62 millions d'habitants, le Zaïre a de l'or, du diamant, du cuivre, des ressources naturelles dont le majestueux fleuve Congo (Zaïre), capable de fournir de l'électricité à toute l'Afrique. Le pays s'est endetté auprès de la communauté internationale pour financer le train de vie d'un despote et de sa cour. Le pays d'Afrique disposant du plus grand potentiel de développement était aussi « un des plus pauvres de la planète: un revenu annuel par habitant de 100 dollars, quand la Banque mondiale fixe la limite de la pauvreté à 370 dollars3l3 ». Le général Mobutu, au pouvoir depuis les années 1960, jusqu'à sa chute en 1997, renverse le président Joseph Kasavubu en 1965. Il fait écraser une révolte estudiantine en 1969. Les cadavres des étudiants abattus sont jetés dans les fosses communes et 12 étudiants seront condamnés à mort. L'université sera fermée pendant un an et ses 2000 étudiants enrôlés dans l'armée ou, selon la télévision nationale, ils apprennent à , '" obelr et a fienner l eurs gueul es.314 » Il Instaure un régime autoritaire à parti unique, le Mouvement populaire pour la révolution, et en devient le maréchal-président. Un de ses souhaits est que le pays retrouve sa culture profonde; c'est alors la zaïrianisation (décolonisation culturelle). Il renomme le pays Zaïre en 1971 ; il impose un costume traditionnel, crée une version zaïroise du costume '
313 Didier Numengi, Le Monde Diplomatique, 314 Wikipedia
novembre
1995
occidental: l'abacost (à bas le costume) et il oblige les Zaïrois à choisir un nom africain (non chrétien), ce qu'il fait lui-même en devenant Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Zabanga, c'està-dire « Mobutu le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l'arrêter ». Son programme d'africanisation, cette révolution culturelle, ainsi que le culte de la personnalité seront clairement inspirés des régimes communistes (Mobutu sera d'ailleurs un des derniers dirigeants à être invités par Ceausescu). Elu à la présidence de la République en 1970, réélu en 1977 et 1984 (99,99% des voix), alors qu'il avait été élevé à la dignité de maréchal du Zaïre en 1982, Mobutu doit affronter une opposition menée par LaurentDésiré Kabila, dans un contexte de crise économique, depuis 1986. Sa première épouse, Marie-Antoinette, avait été donnée en mariage à Joseph-Désiré Mobutu le 26 juin 1955. Elle avait à peine 14 ans; elle était enceinte de son premier enfant, JeanPaul (connu, au temps de l'authenticité, sous le nom de Nyiwa), qui naîtra le 17 décembre 1955. Marna Antoinette aura quatre garçons et cinq filles pendant ses vingt-deux années d'union avec Mobutu. Marna Mobutu est morte en 1977 à l'âge de 36 ans. Après la mort de Marie-Antoinette, survenu le 22 octobre 1977, Mobutu Sese Seko attend trois ans pour se remarier avec sa concubine de longue date, Bobi Ladawa (dont il aurait eu quatre enfants du vivant de Marie-Antoinette, bien que cela fût démenti). Le leTmai 1980, un jour avant l'arrivée du pape JeanPaul II à Kinshasa, il convola en justes noces avec celle qui avec sa sœur jumelle - devait rester à ses côtés jusqu'à sa chute en 1997. Bobi et sa jumelle Kossia, métis italiennes par leurs grandsparents mais bien ancrées dans la tradition zaïroise, auraient eu une grande influence sur Mobutu. Elles auraient joué un rôle néfaste, réussissant à «emprisonner» le Président dans son palais de Kawele, le coupant ainsi des réalités du pays315.
315Pierre Janssen, A la cour de Mobutu
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Le Zaïre a tout connu, la grandeur et la déchéance des dernières années avant la chute de Mobutu, où les billets de banque étaient appelés prostate par dérision pour le mal dont souffrait le président et l'inflation qui atteignit 8828% en 1993 et 6030% en 1994. Entre 1993 et 1995, la monnaie est passée de 3 zaïres pour 1 dollar américain à 9 700 pour 1 dollar. En 1985, Mobutu, en visite aux Etats-Unis, loua deux« voitures club Amtrak bourrées de caviar et de champagne pour emmener son entourage de 50 personnes à Washington et revenir à New y ork316». Son palais dans le Nord du Zaïre, recouvert de marbre, était aussi appelé le Versailles de la jungle. En 1980, les femmes chantaient ses louanges - « Dieu t'a choisi parmi tous pour nous aider» - lors de la deuxième visite du pape Jean-Paul II dans le pays. Mobutu, qui avait africanisé son prénom de Joseph-Désiré, n'hésitait pas à recevoir le père de tous les chrétiens huit ans après. Selon la journaliste Michaela Wrong, «alors que de nombreux hommes mariés cherchent des aventures avec des femmes complètement différentes de leurs épouses en apparence, Mobutu opta pour la vraie familiarité. Kossia, qui n'était rien de moins que la jumelle identique de Bobi Ladawa, devint sa maîtresse. Beaucoup de Zaïrois, perplexes car ils ne pouvaient jamais savoir laquelle des deux, femme ou maîtresse, était perchée au bras de Mobutu pendant les cérémonies officielles, pensaient que l'arrangement représentait une sorte de talisman porte bonheur pour le superstitieux Mobutu [...] C'était un moyen de tenir à distance l'esprit en colère de sa première femme... Avec une jumelle de chaque côté, Marie. . . , A ntomette ne pouvaIt 1 attem d re 317. .. » Une autre possibilité concernant ce ménage à trois, selon Michaela Wrong, est que «le Président se sentait obligé de coucher avec la sœur de sa femme pour éviter d'être cocufié, car quiconque épouserait la jumelle de Bobi Ladawa serait, de fait, en train de savourer une relation sexuelle avec la Première
316 Times, 4 novembre 1985 317 Michaela Wrong, In thefootsteps
of Mr. Kurz, p. 229
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Dame 318...»
En apparence, c'était un mariage à trois
confortable. Un négociant en diamants se souvient avoir été invité à dîner à Gbadolite avec Mobutu et les deux femmes qui furent dans le passé extraordinairement belles, leurs traits désormais rendus flous par des couches et des couches de graisse - assises de chaque côté, discutant des détails domestiques sans tension visible... Mais les deux sœurs étaient inévitablement en compétition pour capter l'attention de Mobutu, joignant leurs forces quand c'était nécessaire pour défendre les intérêts des enfants de Bobi Ladawa contre les demandes rivales des enfants de Marie-Antoinette. Il y avait un problème de rivalité entre elles, mais elles étaient des femmes intelligentes et à un moment donné elles se sont rendu comptes qu'il fallait mieux unir leurs forces... La jumelle, Kossia Ladawa, donna deux enfants au dictateur. Toujours selon Pierre Janssen, Mobutu offrait exactement les mêmes cadeaux à Kossia, et la Première Dame et la maîtresse avaient chacune leur cabine identique sur le bateau du maréchal. Bobi Ladawa et sa jumelle, c'est tous les excès de Mobutu: les déjeuners de chez Lasserre ou Lenôtre transportés par avion depuis Paris, Fauchon, Hédiard, le champagne rosé, les bijoux, les dépenses délirantes alors que le Zaïre se décomposait lentement. Pour les quarante ans de Bobi Ladawa en 1989, au Cap Martin avec près de 400 invités, Mobutu aurait exigé que l'on serve 400 bouteilles de ses deux grands crus préférés, le petrus et le cheval-blanc, et qu'elles soient toutes millésimées 1949, l'année de naissance de son épouse. Au même moment, la tuberculose « frappe annuellement un vingtième des Zaïrois. Chaque enfant fait, en moyenne, six crises de diarrhée par an; un sur deux est en permanence porteur de plasmodium falciparum, l'agent pathogène du paludisme; un sur quatre fait un épisode fébrile tous les quinze jours, soit une moyenne annuelle de dix par enfant et par an... A Kinshasa, peuplée d'environ trois millions d' habitants, l'espérance de vie oscille entre quarante et quarante-cinq ans, et plus de mille personnes meurent chaque jour. Les morgues des 318
Ibid, In the footsteps of Mr. Kurtz, p. 230 204
hôpitaux n'y suffisent plus. La mort, circonstance de grandiose cérémonie dans les traditions zaïroises, ne suscite plus guère d'émotion. La crise a gagné la cellule familiale. Les dépenses d'habitat, vestimentaires ou de scolarité disparaissent des budgets. Les ménages consacrent les neuf dixièmes de leurs revenus à la nourriture, bien que la consommation moyenne journalière par personne ne soit que de 1 545 calories, très en dessous du niveau minimal requis (2500 calories)319». Une autre anecdote rapporte qu'en visite à Paris en 1992, Mama la présidente en profite pour aller déjeuner chez Lasserre, l'une des deux cantines parisiennes du maréchal. Le vieux René Lasserre offre une bouteille de Dom Pérignon à Madame, avec un petit mot d'amical souvenir pour Monsieur. La présidente mange des cuisses de grenouilles, son plat favori. Les bêtes sont grassouillettes, et la note salée. Selon Pierre Janssen, l'ex-gendre belge de Mobutu32o, les enfants de Bobi Ladawa vivaient dans des appartements de 400m2 et conduisaient des Mercedes de 100 000 dollars à Bruxelles. «Le dressing de Madame la présidente méritait réellement un détour. Long d'une cinquantaine de mètres, il pouvait s'enorgueillir de recevoir les griffes les plus prestigieuses de la haute couture française et internationale. Plus d'un millier de robes et d'ensembles réalisés sur mesure! Bien entendu, comme toute tenue exige les bijoux assortis, le dressing se prolongeait par une salle des coffres qui renfermait vingt mallettes pleines à craquer de parures étincelantes. Quand elle voyageait, Marna Bobi Ladawa emportait toujours un minimum de 100 malles. Des Vuitton à 10 000 dollars l'unité, ou des Morabito en crocodile à 20000 dollars pièce. Toutes étaient frappées de ses initiales, BL, ou du sigle P.F. Ce qui signifiait Président Fondateur. Pour les initiés. Mobutu, lui, se contentait de bagages spécialement conçus à son intention par son tailleur attitré, Francesco Smalto. »
319 Didier Numengi, A la cour de Mobutu 320Ibid
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Qui est Bobi Ladawa? Toute-puissante, elle aurait fait ramper des personnalités telles que Joseph IIeo Songo Amba, un opposant (ancien Premier ministre du président Joseph Kasavubu en 1960, puis ministre de la Défense et de la Justice) qui l'aurait suppliée «à coup de rosaires, de se faire l'interprète de l'Union sacrée auprès de Mobutu ». Dirigeant du Parti démocrate social chrétien (PDSC), IIéo Songo Amba était un vétéran qui fut Premier ministre en 1960 après la destitution de Patrice Lumumba. Ce parti était soutenu par l'Eglise catholique et la démocratie chrétienne internationale. Bobi, c'est aussi un «modèle de Mercedes-Benz, aussi appelée Libinza ; les Mercedes étaient les voitures officielles du Zaïre. Elle a donné son nom à divers centres sociaux du pays, comme il se doit. C'est aussi la belle-mère de l'ex -chef rebelle Jean-Pierre Bemba, qui a épousé sa fille Lilya. Anecdote: alors que tout le Zaïre s'africanisait avec l'Authentification et dansait sur la musique de Rochereau-Tabu Ley, Sam Mangwana et Luambo Makiadi, alias Franco, en 1978 ce dernier se retrouve en prison parce que Mobutu lui aurait reproché de chanter une chanson intitulée Les fleurs du maz321.Selon une autre version cependant, un ministre se serait senti attaqué par les textes de deux chansons, Hélène et Jackie. Gracié par le président, il sort au bout d'un mois. Quelque temps après, Franco composait Papa pour... les trois ans d'union de Mobutu avec Bobi. En 1980, il reçoit le titre de Grand Maître de la musique moderne zaïroise, qu'il partage avec Pépé Kalé. Il avait alors changé de style, passant de la critique à l'éloge... Bobi est restée auprès de son homme jusqu'au bout. En mai 1997, à la chute de Mobutu, lorsque les généraux de l'armée viennent l'informer qu'il n'y a plus rien à faire, que l'armée n'est plus capable d'assurer sa protection à Kinshasa (la capitale), « avant de monter dans l'avion, Maman Bobi-Ladawa s'adresse au général Mahele: «Donat, c'est comme cela que vous remerciez votre papa? Voici, le pays vous appartient ». Mahele, qui est fiché par la famille présidentielle comme un traître, est condamné à mourir. De fait, il sera exécuté, et 321
http://maziki.free.fr/artistes.htm
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sauvagement déchiqueté par plusieurs rafales, aux petites heures du samedi 17 mai 1997 au camp Tshatshi322». En 1998, Bobi Ladawa avait elle aussi créé une fondation avec son fils Nazanga, pour des opérations de charité aux EtatsUnis et en Afrique pour les jeunes Africains. A la mort de Mobutu, Bobi avait des semaines durant essayé d'avoir un visa pour se rendre à Lomé. Badagnaki Eyadema, l'épouse du président togolais, aurait été «aux abonnés absents» pour son ancienne amie au sujet des 17 coffres de bijoux (Cf. Eyadema). En 1992, Bobi a été dénoncée devant la commission de réconciliation pour détournement d'un don de 1 million de dollars à la fondation Maman Mobutu. Mme Mpnga Mwakana, présidente du comité permanent de la fondation Maman Mobutu, a transmis par lettre n° 00704 du 05 juin 1989 Général Sediza Mr N.C.B. DAVENRUBT un chèque d'un million de dollars américains daté du 5 juin 1989, don de Mr N.F. Oppenheimer à la fondation Maman Mobutu. La fondation n'entra jamais en possession dudit montant. Dans sa réponse Bobi fit connaître par une lettre non datée, ni signée: (1) que ce don était destiné aux œuvres sociales qui portent son nom. Elle ajoute que sur ordre du chef de l'Etat, deux comptes ont été ouverts à la Banque du Zaïre dont l'un en Zaïres (compte n° 12211199/8283) et l'autre en dollars, (compte n° 12011/70/8280), tous deux intitulés RM/œuvres SocialesMarna Bobi Ladawa. La commission a demandé le transfert dans le compte Fondation Maman Mobutu, du montant de 1 000000 de dollars abusivement logé dans Ie compte des œuvres sociales Maman Bobi Ladawa ; et (2) la débaptisation de la Fondation Maman Mobutu au profit de fondation MarieAntoinette Gbiatene, pour la distinguer des Œuvres Sociales Maman Bobi Ladawa323. Celle qui adorait le parfum Je reviens de Worth, un parfum chaud, évocateur de souvenirs et, surtout, de retour, a, dans la 322
http://www.lepotentiel.comlafficher article.php?id edition=&id 323Rapport de la Commission Sociale et Culturelle, août 1992, http://www.grandslacs.net/doc/3407 .pdf
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article=6226
précipitation de son départ lors de la chute de Mobutu, oublié ses précieux flacons au palais. Elle n'y « reviendra» plus, à sa grande déception.
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Les épouses
Amin Dada
vant sa mort, le souci principal d'Idi Amin était sa virilité. Dans son exil saoudien, Big Daddy mangeait trente oranges par jour, parce que cela était censé aider. Cela lui valut le sobriquet de Docteur Jaffa à Djedda 324. Entre 300 et 500 000 Ougandais ont été tués ou ont tout simplement disparu pendant la période allant de 1971 à 1979, où a sévi Idi Amin Dada, dictateur sanguinaire aussi célèbre pour sa cruauté que pour ses extravagances matrimoniales. Les femmes qui ont partagé sa vie sont danseuses, « intellectuelles », étudiantes ou encore employées dans l'administration, toutes exceptionnellement belles et jeunes. Lorsqu'une femme lui plaisait, Amin l'épousait. II voyait une belle femme en passant dans sa voiture? Il s'arrêtait tout simplement et l'emportait avec lui, qu'elle soit mariée ou non325.L'homme qui, en 1972, interdit les mini-jupes et les perruques aux filles, en était grand amateur. Beaucoup de ses victimes furent torturées, dynamitées en groupe ou tuées à coups de massue, leurs corps jetés aux crocodiles du Nil, leurs restes encombrant les turbines du barrage hydroélectrique d'Owen Falls, ou brûlés dans la savane, ou encore laissés aux vautours. D'autres infortunés furent fusillés publiquement, couverts d'un tablier blanc pour que le sang soit ainsi mieux visible. D'autres, encore, furent maintenus la tête sous l'eau jusqu'à la noyade, étouffés par leur sexe coupé enfoncé dans la gorge, ou écrasés par des chars à l'intérieur des
A
casernes326.
324Die Weltwoche, http://www.weltwoche.ch/artikeIl? AssetID=513 325 East Afhcan, 18 août 2003 326 Michel Faure, l'Express, 28 août 2003
8&CategorvID=60
Aujourd'hui, l'Ouganda se demande si Amin a été responsable de toutes ces tueries. A la chute du tyran en 1979, l'économie du pays était détruite. Amin, c'est aussi l'expulsion de 60 000 Asiatiques en 1972, pour la plupart des citoyens ougandais, après un songe où il aurait reçu l'ordre de le faire et de rendre le contrôle de l'économie aux Ougandais. Le raid israélien sur Entebbe, les insultes à l'Occident, les conseils à Richard Nixon lui souhaitant un « prompt rétablissement» suite à l'affaire du Watergate, et autres bouffonneries, c'est Idi Amin. Il fait des déclarations publiques pour chanter les louanges d'Adolf Hitler, « un grand homme et un grand conquérant» qui avait « agi avec justice », disait-il, en tuant 6 millions de juifs. Idi Amin, c'est la honte de l'Afrique, c'est un King-Kong haineux en déséquilibre sur l'Empire State Building. Pendant ses discours où, exaspéré de ne pouvoir comprendre tout ce qui était écrit, il jetait le papier pour parIer directement à son public et se lançait dans des diatribes virulentes contre ses ennemis, « les hommes accompagnés de belles femmes (petites amies ou épouses) se voyaient brutalisés et séparés de leurs compagnes. Ils étaient battus et fouettés pendant que les soldats violaient les femmes dans les petites allées du stade327». En 1978, Idi Amin convoqua un rassemblement à Kampala et invita deux religieux et l'archevêque Luwum à y participer. Ensuite, certains « suspects» ont été montrés et appelés à lire des « confessions» impliquant les trois hommes. L'archevêque sourit doucement et secoua sa tête, n'en croyant pas ses oreilles lorsqu'il entendit son nom mentionné comme l'un des agents que Milton Obote, le président en exil, avait choisi pour préparer un coup d'Etat. Aux cris des soldats d'Amin «Kill them ail ! » un Amin magnanime déclara que, en toute justice, il y aurait un «jugement militaire en règle ». Le rassemblement devait être ce qui se rapprochait le plus d'un tribunal. Le lendemain, Radio Uganda annonçait que les prisonniers avaient été tués lorsque la voiture qui les transportait était entrée dans un autre véhicule et s'était renversée; les victimes, d'après la 327
ibid
210
radio, avaient essayé de prendre le contrôle du véhicule en maîtrisant le chauffeur afin de s'échapper. .. 328 Personne n'échappait aux escadrons de la mort. Le chief justice Benedicto Kiwanuka a été traîné hors de la Cour Suprême par des soldats et n'a jamais été revu. Le vicechancelier de l'université de Makerere a lui aussi disparu. Amin aurait aussi tué et démembré Kay, la plus vive de ses nombreuses épouses, et ses restes furent jetés dans le coffre de la voiture de son amant, qui a également été tué. Des histoires comme celle-ci, l'Ouganda d'Idi Amin Dada en a des centaines. Des femmes enceintes de huit mois éventrées, violées, des enlèvements, des disparitions, des arrestations arbitraires, des cruautés innombrables: la liste est longue. Quel genre d'homme était Idi Amin? Au nombre de ses excentricités, il s'adressa une fois à l'Assemblée générale des Nations Unies en luganda, dialecte ougandais. Il aimait se promener en ville en jeep ou à vélo, et participait à des tournois de boxe, danse et natation. Du haut de son 1,92 m, il a lancé un défi au président tanzanien Julius Nyerere pour un combat de boxe au moment où les relations entre les deux pays étaient tendues. Le dictateur avait offert d'entrer sur le ring avec une de ses mains attachée dans le dos. Bien avisé, Nyerere refusa l'offre. Alors Amin déclara que si Nyerere avait été une femme, il l'aurait épousé, car le leader tanzanien étaitjoli329. Misogyne, grossier, Amin, lors de sa visite d'Etat en Angleterre pour le jubilé d'argent de la Reine, a osé lui demander de lui envoyer sa « culotte de 25 ans» (pour marquer les célébrations). De même, vers la fin de 1972, alors que ses alliés israéliens lui refusaient un escadron pour aller bombarder le Kenya et la Tanzanie, Amin conseilla au Premier ministre israélien Golda Meir de « fourrer sa culotte» et d'aller vite se faire voir à Washington. Quelles femmes ont partagé sa vie? Polygame avec cinq épouses, il divorça une fois de trois d'entre elles dans un 328 Times Magazine, 28 février 329 East African, ibid
1978
211
communiqué à la radio nationale. Après en avoir épousé une, il répéta la cérémonie pour les présidents de l'OUA qui se réunissaient à Kampala. A sa mort, Sarah, sa plantureuse femme qui l'avait quitté et vivait à Londres depuis de nombreuses années, a pris sa défense, disant qu'il n'était pas tout ce que l'on disait sur lui. «Il était super, un homme bien, un bon mari, un père aimant et un grand père formidable» ditelle à ses funérailles. La princesse Elizabeth Bagaya de Toro, étudiante à l'étranger, se laisse persuader de rentrer au pays. Quand le président Obote, l'ennemi de sa famille, est enfin renversé par Amin, elle revient au pays. Le nouveau président, dont on dit qu'il est amoureux d'elle, la nomme bientôt ministre des Affaires étrangères. Puis elle tombe en disgrâce, sans doute pour avoir repoussé ses avances. En novembre 1974, son ancien protecteur l'accuse d'avoir fait l'amour avec un Blanc dans les toilettes de l'aéroport d'Orly, à l'occasion de sa visite officielle en France. Puis une photo d'elle, ravissante et nue, orne la première page du quotidien du pays, le seul autorisé et très officiel The Voice of Uganda. «Quelle honte!» tonne l'éditorial. La jeune femme réussit à s'enfuir au Kenya et échappe ainsi, probablement, au sort de son prédécesseur, Michael Odonga, dont on retrouvera le corps, dépecé par les , ,330 croco d 1les, sur les nves d u Iac v lctona ,
,
'
Comme Henry Kyemba le dit dans son livre33!, « l'histoire entre Amin et ses femmes est bizarre, comique et brutale ». Idi Amin a eu cinq femmes, 30 maîtresses et 34 enfants, Mais cet homme terrifiant a été proprement largué par trois de ses épouses (Malyamu, Kay et Nora) le même jour, à la même heure, en même temps, d'un commun accord, à l'occasion d'une fête qu'elles osèrent organiser pour leurs amants. Elles dirent alors à Amin de rester avec Madina, sa quatrième épouse. En effet, Amin, infidèle et volage, avait tellement de maîtresses
330 Michel Faure, L'Express, 331 "State ofBlood"
28 août 2003
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que ses femmes, se languissant dans les deux palais présidentiels, avaient toutes pris des amants. Amin n'a bien entendu jamais digéré cet affront et devait prendre sa revanche mille fois! Le lendemain de l'incident, le 26 mars 1974, Amin divorça du trio Malyamu, Kay et Nora, à la radio nationale à la musulmane en disant: «je divorce d'avec toi, je divorce d'avec toi, je divorce d'avec toi », par communiqué public. Il accusa Malyamu et Nora de faire des affaires alors qu'il était celui-là même qui leur avait donné des commerces arrachés aux Indiens. Kay fut chassée avec fracas sous le prétexte qu'elle était l'une de ses cousines. Par la suite, Amin devait s'arranger pour qu'il n'arrive que des malheurs aux trois audacieuses. Maryamu ou Malyamu, la première, était la sœur de l'ancien ministre des Affaires étrangères Wanue Kibedi. Beauté sculpturale de 1,80 m, elle était à la pointure du puissant jeune champion de boxe (Amin). Très posée, fière et d'une grande maturité, elle n'avait qu'une vingtaine d'années lorsque Amin lui fit la cour dans les années 1950. Bien qu'il ne fût pas un beau parti pour la famille Kibedi, Malyamu s'est quand même unie à celui dont elle s'était entichée... Il ne devait l'épouser légalement qu'en 1966, après avoir eu plusieurs enfants avec elle et payé la dot à la famille Kibedi. Malyamu, qui avait divorcé d'Amin lors d'une déclaration publique en même temps que deux de ses coépouses, comme nous l'avons dit, a été arrêtée à Tororo près de la frontière kényanne. Un an plus tard, sa voiture est entrée en collision avec, ô surprise, celle des gardes du corps d'Amin, lui causant de multiples blessures dont une fracture d'un membre et lui valant une hospitalisation. Idi Amin, sans lui demander son avis, la fit transférer à un hôpital privé à ses frais alors qu'elle n'en avait peut-être pas les moyens, puis retransférer à un hôpital public, la livrant à la curiosité publique. Il en a profité pour l'insulter copieusement sur son lit d'hôpital et lui dire de «faire attention car elle n'avait pas beaucoup de chance, et qu'elle devrait peut-être consulter un marabout pour connaître la cause de ses multiples infortunes ». Malyamu s'enfuit à Londres, abandonnant sa multiple progéniture à ses coépouses.
213
Amin, furieux, fit piller le magasin qu'il lui avait donné suite au départ des Indiens et obligea le père de Malyamu à s'en occuper. Selon Kyemba, le pauvre vieillard terrorisé allait chaque matin balayer le magasin dévasté où il n'y avait rien à vendre. Kay Adroa, «une belle et intelligente étudiante de l'université de Makerere et fille d'un religieux », a été la deuxième épouse d'Amin. Il commença à sortir avec elle avant même d'avoir officialisé sa relation avec Malyamu. D'après Kyemba, qui assista à la cérémonie de mariage, elle était une fille calme et digne. Pour son mariage, c'était habillée tout en blanc et Amin en officier de l'armée. La romance avait éclos peu avant, lorsque, en 1966, l'Assemblée nationale avait accusé Amin de voler l'or du Congo. Il réagit en allant se cacher avec Kay. On pense que celle-ci a été tuée lorsque son amant Mbalu Mukasa a essayé de la faire avorter. Son corps a été retrouvé démembré et Amin ne montra aucune surprise ni aucun regret lors de l'annonce de sa mort. Au contraire, il fit venir ses jeunes enfants de 4 à 8 ans devant son corps et leur cria dessus, leur disant quelle mauvaise femme leur mère Kay était. Selon d'autres sources, Kay et Amin étaient séparés depuis environ un an avant sa décapitation. Après sa répudiation, le père de Kay, le Révérend Adroa, souhaitant préserver la réputation de sa famille, essaya d'intercéder en sa faveur auprès d'Amin, le suppliant de la reprendre. Amin, ne sachant pas qu'elle était enceinte, accepta de lui construire une maison à Arua, sa ville natale. Selon Kyemba, elle était réticente à y aller, et Amin lui rendit visite plusieurs fois, ce qui ne fit que durcir son attitude vis-à-vis de lui. Il prit l'habitude de passer devant son appartement, dans l'espoir de la surprendre avec son amant. Début août 1974, elle fut arrêtée pour possession d'arme et de munitions. Il est évident que c'était Amin qui en avait donné l'ordre car c'était lui qui lui avait donné l'arme. Elle fut amenée au poste de police où Amin lui rendit visite. Ils se disputèrent à
travers les barreaux de la cellule et elle lui jeta à la face: « tu ne peux pas me faire arrêter pour possession d'une arme et de
munitions que tu as toi-même laissées dans ma maison! » Amin 214
lui cria en retour qu'elle était une prostituée méritant une punition. Après ces vifs échanges, Amin partit, laissant Kay derrière les barreaux jusqu'au matin suivant, où elle fut libérée. Peu après, le dimanche 13 août, elle mourut dans des circonstances horribles. Enceinte, son petit ami médecin et elle décidèrent de faire un avortement. Cela causa sa mort et le médecin l'aurait découpée en morceaux, chirurgicalement aux articulations, et aurait transporté les morceaux dans le coffre de sa Citroën. Il fut pris par les agents de sécurité et les morceaux furent recousus pour que Kay ait des funérailles respectables. Amin n'assista pas à celles-ci. Amin était une telle caricature du continent et de ses maux, « géant noir avec un revolver à culasse d'ivoire », que personne ne voulait vraiment faire la part des choses. Concernant le meurtre présumé de Kay, il aurait fait recoudre ses membres n'importe comment devant ses enfants pour leur donner une leçon. Selon d'autres versions, il aurait conservé certains des membres, comme il le faisait parfois pour ses opposants, dans le congélateur de State House. Et on dit que parfois il se régalait des restes de ses victimes au cours d'un rituel bizarre d' immortalisation.
332
Nora, épousée à peine un an après, était de la tribu de Milton Oboté, le président, ce qui semblait être un gage de nonhostilité de la part d'Idi Amin envers Oboté. Elle continua à mener ses affaires et dut divorcer pour cette raison. Elle se réfugia au Congo, puis l'on perdit sa trace. Comme beaucoup de dictateurs, Amin avait un côté enfantin cherchant la reconnaissance, l'amour qu'il n'avait jamais eu enfant. Amin n'aurait jamais connu son père et serait le fruit d'une brève aventure entre sa mère et un coupeur de canne à la plantation Lugazi à 50 kilomètres à l'est de Kampala. Il souffrait de voir sa mère se décarcasser à couper de la canne à sucre. Son père, alcoolique, aurait battu sa mère sans arrêt. Il 332 Charles Onyango-Obbo, août 2003
The East Aftican (Nairobi),
215
The Untold Story. ] 8
arrêta ses études au cours élémentaire ou standard three. Le peu que l'on sait de l'enfance et de la jeunesse d'Amin, on le doit au récit qu'en a fait son premier biographe, un journaliste britannique, David Martin, dans General Amin (paru à Londres, en 1974). Amin était ce que les Ougandais des autres régions appellent un Nubien, un terme impropre, mais qui désigne là-bas un type du Nord, d'origine nilotique et généralement musulman, à la peau très noire. Son père était un Kakwa et sa mère une Lugbara, deux tribus voisines sur la rive ouest du grand fleuve. La mère, séparée du père alors qu'Amin était encore enfant, était connue comme sorcière. Elle suscitait l'inquiétude, sinon le respect. Elle s'établit avec son fils dans la région de Lugazi, au nord du lac Victoria, où vivaient des gens de son peuple qui travaillaient dans les champs de canne à sucre appartenant à l'une des plus riches familles indiennes du pays, les Metha. Puis elle s'installa dans une ville de garnison, à Jinja, toujours sur la rive nord du grand lac africain, où stationnait un régiment, le 4ème, des King's African Rifles (KAR). Un caporal, un certain Yasefi Yasin, devint le jeune amant de la sorcière vieillissante. Quand il l'abandonna, il mourut quelques jours plus tard, brutalement, d'un mal mystérieux333. Madina Amin, sa quatrième épouse, était danseuse lorsqu'elle le rencontra, dans le groupe Heart of Africa troupe. Selon ses dires, c'est pendant un concert qu'Amin la remarqua et demanda à lui parler. Cela se produisit début 1971. Selon H. Kyemba334, « il aurait été impossible de ne pas la remarquer, Madina était tout simplement un canon. Bien qu'elle ait pris quelques kilos à présent, sa forme était 333Michel Faure, l'Express, 28 août 2003 334Henry Kyemb~ State a/Blood
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outrageusement sexy sous n'importe quel critère de beauté... Elle avait les hanches étroites, des seins bien formés et était une danseuse férocement agile. » Une fois, en voyage à Moyo, Amin s'est déshabillé en présence de Kyemba et a sauté dans son lit. Alors que Kyemba sortait, un garde du corps fit entrer Madina dans la pièce. Bien que Madina soit la femme du chef, Amin aimait taquiner ses ministres en leur disant qu'ils pouvaient la prendre s'ils le souhaitaient. Un ministre qui essaya de le faire fut transféré dans un autre ministère puis renvoyé. En septembre 1972, alors que Milton Oboté essayait d'attaquer le pays à partir de la Tanzanie, Amin annonça son mariage avec Madina. Il dit que les Baganda lui avaient offert Madina pour tout ce qu'il avait fait pour eux depuis qu'il avait pris le pouvoir. Plus tard, lorsqu'il envoya des lettres de divorce à ses trois femmes - Malyamu, Nora et Kay, ces dernières, la veille du jour où elles furent chassées, osèrent organiser une fête pour leurs amants et, grande classe, dirent à Amin qu'il pouvait rester avec Madina. Advertisement
Sa cinquième épouse, Sarah Kyolaba, est également un personnage extraordinaire, qui encore aujourd'hui prend la défense du dictateur. Après une douzaine d'années de mariage, Sarah et Idi Amin auraient pris la fuite ensemble pour la Libye en 1979, lors de la chute du dictateur. Elle quitta Amin en 1982 et demanda l'asile politique en Allemagne, où elle travailla quelque temps comme mannequin pour la lingerie et suivit une formation d'esthéticienne. Sarah et Amin ne se sont plus jamais revus. Sarah, danseuse du Régiment suicide mécanisé, basé dans la ville de Masaka, a tapé dans l'œil d'Amin dans les années 1970 alors qu'elle avait à peine 18 ans (et lui 30 ans de plus) et vivait avec un jeune homme. Vers Noël 1974, Sarah, appelée aussi Suicide Sarah, a accouché d'un bébé à l'hôpital Namirembe 217
(Mengo), mais Amin la fit transférer à l'unité des personnalités (VIP) de l'hôpital Mulago. Sur son ordre, Kyemba fit une déclaration selon laquelle le bébé était celui du président, sans mentionner le nom de la mère. Amin fit ensuite renvoyer Sarah au domicile de son petit ami, mais la faisait régulièrement chercher pour lui rendre visite à sa résidence. Plus tard, en avril 1975, le petit ami de Sarah, qui était le père de l'enfant, refusa de la laisser aller chez Amin pour satisfaire ses désirs. Et voilà que, «son amant disparut, probablement tué, et Amin revendiqua la paternité du bébé »335. D'après Henry Kyemba336,« Sarah était amenée à Kampala. Elle savait parfaitement que Amin avait tué son amant mais elle ne pouvait rien y faire.» Sarah lui aurait donné une fille, Hasafa, bien que, selon d'autres sources, Amin aurait toujours déploré le fait qu'ils n'aient pas eu d'enfants ensemble. En effet, il aurait été très affecté par la suite du fait que Sarah ne lui ait pas donné d'enfant.337 Malgré la tragédie de son histoire, Sarah est non seulement restée avec Amin jusqu'en 1982, bien au-delà de sa chute qui s'est produite en 1979, mais continue, encore à ce jour, à le défendre. Aurait-elle pu partir? Le souhaitait-elle seulement?
335
M. Faure, L 'Express, 28 août 2003
336 Henri Kyemba, State of Blood 337 http://www.monitor.co.ug/special articles/amin8.
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php
218
amin/
En 1975, elle devint officiellement la cinquième épouse d'Amin, celui-ci profitant également du sommet de l'OUA pour l'épouser en grande pompe. Il organisa deux réceptions successives, d'après lui à la demande générale. Le banquet du mariage coûta 2 millions de livres sterling et le garçon d'honneur ou témoin était le leader palestinien Yasser Arafat; Amin coupa le gâteau de mariage avec une épée. Le colonel Kadhafi était également de la fête. Pendant ces joyeuses festivités, «on ne trouvait plus ni lait, ni œufs, ni poulets, sinon au marché noir. Pas davantage de sel, Sarah Amin338 ou, certains jours, de pain, et de moins en moins de médicaments. L'électricité était souvent coupée, l'essence rationnée, les canalisations d'eau fuyaient, les pièces de rechange manquaient, au point que la moitié du parc automobile du pays, disait-on, était hors d'usage. Dans la gare routière de Kampala, des autobus restaient immobiles, en attente de réparations. Pendant quelques semaines, fin 1975, la production de bière fut interrompue faute de pouvoir remplacer une machine allemande qui fermait les capsules. Les casernes étant au bord de la mutinerie face à cette pénurie du breuvage préféré des soldats, les allocations de devises nécessaires parvinrent finalement de la Banque centrale à la brasserie. Le dentifrice ou la lessive, en revanche, ne revinrent jamais sur les étagères vides des magasins, de même que l'huile, la farine ou le savon. Le sucre ou le café, que produisait l'Ouganda, étaient également introuvables et ce n'était pas le décret, signé en juin 1975, nationalisant toutes les terres agricoles, qui allait arranger les choses
»339.
338 New Vision, Ouganda 339M. Faure, l'Express, 28 août 2003,
219
Sarah, qui vit désormais à Londres, est encore une belle plante. Souvent vêtue de robes moulantes, elle tient un restaurant et appelle Amin Doctor. Elle trouve triste que le gouvernement ougandais n'ait pas permis le retour d'Amin dans le pays avant sa mort. «Il avait le droit d'être enterré en Ouganda parce qu'il était Ougandais », dit-elle. «Je voyais quelque chose de différent en lui... La presse a détruit sa réputation, ils ne firent jamais un reportage positif sur Idi Amin. Tout ce qu'ils disent de lui, qu'il est une bête - je ne l'ai jamais vu en lui ». Sarah Amin est organisatrice de mariages de luxe d'Ougandais aisés; elle pense qu'Amin a permis à tous les Ougandais d'apprendre à faire eux-même des choses... que tout le monde peut devenir un leader. .. « J'ai beaucoup appris de lui pour ce qui est de la confiance en soi et l'initiative34D»dit-elle. «Je pense que l'on se souviendra de lui comme un héros, pas seulement pour les Ougandais mais aussi pour toute l'Afrique.
Il est un vrai héros africain qui est venu 30 ans trop tôt. » Au début, «il ne montra pas que je l'intéressais. Il était du genre naturel. Il avait sa chaleur que chaque homme a lorsqu'il approche une femme. Je revois tout cela et pense: Oh mon Dieu, comment cela s'est-il produit? J'étais juste une jeune fille toute simple et il y avait tant de belles femmes adultes. Je crois que je suis l'une des personnes les plus chanceuses au monde de m'être mariée à Idi Amin, et d'avoir eu cette fonction à mon âge» . Sarah a nié les informations selon lesquelles Amin la battait: « Je ne sais pas ce qu'Amin a fait, j'ignore s'il a fait ces choses que les gens disent, je ne l'ai jamais vu faire quelque chose de mauvais. Je pense que beaucoup de gens mentent et qu'il y a beaucoup de politique en dessous. Mais il ne m'a jamais frappée, cela ne s'est jamais produit. Pouvez-vous voir des cicatrices sur moi? [NDLA : difficile, après 20 ans...] Si un homme fort comme Amin vous frappe, vous devez avoir des traces quelque part, car c'était un boxeur... » 340
MirroLco.uk - News - All News Archive MY IDI WAS NO MONSTER...
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Amin «me dit qu'il n'était pas juste de le quitter à ce moment là parce que nous avions de jeunes enfants et il ne savait pas comment ils se comporteraient sans moi ». Son ingénuité, réelle ou feinte, lui a valu de figurer dans la très savante thèse de doctorat en philosophie intitulée Fin de la Peur341citant Patricia Pearson, selon laquelle les femmes sont aussi agressives que les hommes et qu'un « nombre incalculable de femmes dans l' histoire, qualifiées de freaks of nature par les historiens, dont toute une brochette de femmes puissantes, se sont distinguées par des régimes sinistres, ou par leurs qualités de combattantes, leur sadisme, ou des héroïnes légendaires telles que Cléopâtre, Lucrèce Borgia, Boadicée, et Elisabeth I, Katharine la Grande et Jeanne D'Arc, Catherine de Médicis, jusqu'à la criminelle Madame Mao, la femme d'Idi Amin Sarah Kyolaba, etc. » Aucune de ces femmes n'était étrangère au règne cruel ou à l'agression instrumentalisée. Etaient-elles anormales parce qu'elles opéraient au sommet de la hiérarchie politique, utilisant la violence pour survivre dans un monde masculin? Pas vraiment.342 Sarah aurait-elle dirigée la violence contre elle-même? Pour Patricia Pearson, la violence féminine n'est pas souvent prise en compte car les femmes la dirigent contre elles-mêmes par l'autodestruction, sous forme d'automutilations, se tailladant avec des rasoirs, devenant boulimiques, ou montrant des signes de dépendance ou de manque de confiance en soi. Aujourd'hui, Sarah dit que sa vie est rangée: «Je suis installée et heureuse; pour les Ougandais de Londres, je suis toujours la Première Dame et les gens me respectent pour cela. 341
Carl von Ossietzky Universitat Oldenburg, Ende des Schreckens Gewalt in der niederldndischen Literatur von Frauen] 990-] 999, http:// docserver. bis.uni -olden burg.del publikationenl dissertation/200 5/kunendO5/pdf/kunend05. pdf 342Pearson J998: 15, Ordinary women have proven to be just as militaristic, supporting the continuance of war, shaming men who would dodge the draft, screaming for blood in a mob, fighting alongside their brothers and sons when they could, acting as snipers, as fighter pilots, as guerrilla soldiers and terrorists.
221
Les gens me regardent de manière différente, ils pensent que j'ai quelque chose à offrir à la société et quand j'interviens, ils se sentent plus sûrs d'eux. Ils pensent: si cette Dame est avec nous, alors nous pouvons vivre ensemble et construire notre communauté dans ce pays343. » En 1999, Sarah a été condamnée à payer une amende de 1 000 livres sterling et à deux ans de prison avec sursis à East London pour manque d'hygiène dans son restaurant africain connu pour ses ragoûts de cabri et de pattes de bœuf. Ce manquement concernait le contrôle des rats et des souris. Un contrôleur d'hygiène fit une inspection dans le restaurant à Forest Gate le 5 novembre 1997. Il fut si choqué par ce qu'il vit qu'il ordonna immédiatement sa fermeture. Il n'y avait ni savon, ni serviettes, ni eau chaude ou aération, et il vit une chose grise poilue dans un coin, qui était en fait une souris en décomposition.
343www.mirror.co.uk/news!allnews!page.cfm?objectid= II&siteid=50143 -
222
133 04625&method=fu
Les femmes
de Charles Taylor
harles Taylor, ancien chef de guerre puis président du Liberia, a marqué l'histoire de son pays et celle d'Afrique de l'Ouest par sa brutalité, sa cruauté et sa mainmise sur les richesses naturelles telles que le bois, l'or et les diamants. La guerre civile au Liberia a fait environ 300000 mOlts et un million de déplacés (sur une population totale de trois millions). En exil au Nigeria de 2003 à début 2006, Charles Taylor avait envahi le Liberia en décembre 1998, à partir de la Côte d'Ivoire, «avec quelques centaines d'hommes344 ». Il a régné huit ans sur le Liberia d'abord en seigneur de guerre sanguinaire, puis six ans comme président. Soupçonné de protéger et de travailler avec des membres d'Al Qaïda, Taylor a déstabilisé toute l'Afrique de l'Ouest. En 2001, l'ONU l'accuse d'alimenter le conflit en Sierra Leone - ravagée par une autre guerre civile entre 1991 et 2002, qui a fait entre 100000 et 200000 morts - en profitant du trafic d'armes et de diamants avec les rebelles. Le Nigeria lui avait accordé l'asile à la condition qu'il arrête d'envoyer ses sbires violer et piller. ,. . , . 345 A pparemment ce Ia n a jamais cesse. Se 1on Tune, 1e procureur en chef Alan White aurait affirmé avoir la preuve que Taylor était derrière la tentative d'assassinat du président guinéen Lansana Conté. En outre, Tay lor aurait fait passer de l'argent d'Al Qaïda à un homme qui s'est ensuite déclaré candidat à l'élection présidentielle au Liberia. Les hostilités déclenchées dans le nord du Liberia par Taylor dès 1989 « ont plus ressemblé à une lutte d'extermination qu'à une guerre civile. Son armée, composée parfois d'enfants,
C
344
345
Marc Epstein, L'Express, 3 août 1990 Simon
Robinson,
Time,
29 mai 2005.
recrutés dès l'âge de 8 ans, et de nombreux jeunes adolescents, a torturé et tué tout ce qui n'était pas Mano ou Gio, les deux tribus de son clan. A l'issue de sept années de guerres tribales et de plusieurs centaines de milliers de morts (on estime qu'un tiers de la population a disparu), Taylor a finalement été élu président en juillet 1997, avec 75% des voix, sous la surveillance d'impartiaux observateurs américains menés par Jimmy Carter 346»...Selon le Règlement 874/2005 de l'Union Européenne du 9 juin 2005347,26 personnes ont fait l'objet de restrictions, au nombre desquelles se trouve le gel des fonds et des ressources économiques: Agnes Reeves Taylor, née le 27 septembre 1965, de nationalité libérienne, ex-épouse de l'ancien président Charles Taylor, ancienne représentante permanente du Liberia auprès de l'Organisation maritime internationale; ancienne haut responsable du gouvernement libérien. Jewel Howard Taylor (alias Howard Taylor), née le 17 janvier 1963, passeport diplomatique libérien nOD/003835-04 (validité 4 juin 2004 -3 juin 2006), épouse de l'ancien président Charles Taylor. Tupee Enid Taylor, née le 17 décembre 1960 ou 1962. Passeport diplomatique libérien nOD/002216, et ex-épouse de l'ancien Président Taylor. Charles "Chuckie" Taylor (Junior), fils de l'ancien président Charles Taylor et, bien entendu, Charles Ghankay Taylor (alias Charles McArthur Taylor). Dates de naissance: 1er septembre 1947 et 28 janvier 1948.
346L'Express,
24 septembre 1998 347http://europa.eu.int/eurlex/lex/Lex 61 Ofr00050007. pdf
UriServ/site/fr/oj/2005/1_146/1_14620050
224
Jewel, Bijou en anglais, troisième épouse de Taylor, est peut-être la plus connue des trois. C'est peut-être aussi la plus intelligente de toutes les Premières Dames, car elle a demandé et obtenu le divorce de ce tyran, juste avant qu'il ne soit extradé pour être jugé pour ses crimes contre l'humanité en Sierra Leone. Il sera jugé pour au moins 17 chefs d'accusation, dont des campagnes de torture, viols et mutilations en Côte d'Ivoire, au Liberia et en Sierra Leone. Jewel est une intellectuelle, comme on aime dire en Afrique. Economiste ou comptable de formation selon les sources, elle travaillait pour des organismes internationaux avant de rencontrer son mari, le rebelle playboy pour lequel elle est tombée raide d'amour. Femme à la personnalité chaleureuse et pleine de charisme, on se demande comment elle a pu épouser cet homme et partager sa vie - officiellement - pendant huit ans. Au nom de l'amour? Le couple s'est marié en janvier 1997, lorsque Taylor était encore à la tête d'une campagne de rebelles et six mois avant de devenir président. Ils ont un fils. La vie de Jewel auprès de Charles n'a pas été de tout repos. L'homme était infidèle et les disputes fréquentes à Executive Mansion. Charles n' a-t-il pas déclaré en 2003, à la radio, qu'il avait le droit d'avoir quatre épouses et allait bientôt épouser une nouvelle femme? Il rétorqua à tous ceux qui le critiquaient qu'ils essayaient d'introduire la culture occidentale au Liberia, et que ce serait une injure à la gent féminine de son pays s'il refusait cette nouvelle épouse... Et de citer l'exemple du président défunt William Tolbert qui, bien que pasteur, avait d'après lui plusieurs épouses.
225
Jewel avait l'allure fière et peut être considérée comme loyale à son mari, tout au long de son règne du moins. Elle a été gouverneur-adjoint de la National Bank of Liberia et a souvent occupé le devant de la scène. C'est ainsi qu'elle a visité la Howard University en 2003 et plaidé pour la reconstruction du pays après ce qu'elle a appelé une guerre civile dévastatrice, qui a affecté chaque partie du pays. Elle a remis à l'audience des copies de l'Agenda pour la Reconstruction et la Construction du Pays avant d'inviter le public à aider en matière d'éducation, de bien-être et de santé de l'enfant, domaines d'intérêt particulier pour elle. Déjà en août 1999, elle visitait les EtatsUnis et était reçue par Mme Khadijah Farrakhan de Nation of Islam. Elle avait plaidé pour une aide pour le Liberia, des livres pour les enfants, des fournitures médicales et autres aides, sans oublier de mentionner que le Liberia était mûr Mariage de Jewel avec Taylor pour l'investissement. en janvier 199i48. Tout en essayant de passer pour «chrétien plein de compassion, père de sept enfants et grand-père de trois (en 2001) », Taylor a maintenu une petite armée de combattants dans les zones rurales et des partisans dans les services publicsclés, y compris son épouse, devenue députée. Certains de ses partisans et lui-même ont reconnu qu'ils étaient fréquemment en contact. Jewel, qui a remplacé Agnes Reeves Taylor dans la vie de Charles Taylor, l'a accompagné dans son exil nigérian en août 2003, où elle a passé environ neuf mois dans leur résidence 348BBC 226
surveillée de luxe de Calabar, au Nigeria, avant de rentrer au Liberia à la mi-2004. Certaines sources disent qu'elle en avait assez des infidélités de Charles, qui non seulement avait emporté dans ses bagages pour l'exil de nombreuses concubines, mais avait trouvé le moyen de tomber amoureux de la fille du gouverneur de l'Etat de Calabar ! Les sanctions de l'ONU l'empêchèrent de sortir du pays, « pour liens continus avec Charles Taylor ». Ceci fut vécu par Jewel comme une injustice. Elle ne put se rendre au Ghana pour y assister à un programme de formation de la Banque mondiale pour le nouveau parlement. Lorsque les avoirs de Taylor ont été gelés, Jewel aurait vendu leur propriété que les Nations Unies voulaient saisir, ainsi que deux générateurs Caterpillar de la résidence White Flower de Taylor à un homme d'affaires libanais. Jewel aurait exigé de recevoir en espèces les 38 000 dollars que représentait la valeur des générateurs en question349. Il semble en effet qu'elle ait été fortement motivée à vendre la plupart des biens de son mari, pour s'occuper de leur ferme à Maleke, Bong County. Jewel a réussi sa reconversion, étant désormais sénateur (depuis octobre 2005) du comté de Bong, où vient de s'installer Mittal Steel, géant mondial du fer et de l'acier. Jewel avait d'abord réussi à obtenir le divorce en citant les sanctions des Nations Unies et l'exil illimité de son mari au Nigeria. Le document de divorce disait: «Les circonstances actuelles, y compris J'imposition d'une interdiction de voyager, le bannissement de Taylor du Libéria et son isolement ad infinitum ont dénié [Jewel] de la vie conjugale [...] de telle sorte que le mariage est devenu impossible [...] il est par conséquent prudent de décider de la dissolution dudit manage ». Mais cela suffit-il pour faire oublier que Madame le sénateur était First Lady lorsque son dictateur d'époux, Charles, régna sur le pays de manière si brutale? Sa présence était « constante, même après qu'il ait été détrôné de manière peu cérémonieuse 349
http://www.theperspective.org/forumlieweltavlor.html
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de l'Executive Mansion et exilé à Calabar, au Nigeria350». Celle qui a implicitement reconnu qu'il utilisait les enfants soldats dort-elle bien la nuit? « Les enfants qui étaient blessés au front étaient transportés [à la charge de Taylor] à Abidjan. Il voulait leur donner les meilleurs soins car il estimait que ces gars donnaient leurs vies pour lui. Et c'est la personne que l'on veut désormais démoniser et faire passer pour un méchant? Ce n'est . pas pOSSIbl e 351.» Déjà en 2003, peu avant la chute de Taylor, Jewel distribuait de l'aide alimentaire aux orphelins de Monrovia: encore un paradoxe où l'épouse panse les plaies causées en grande partie par l'époux. Jewel, après sa victoire aux élections, a déclaré: « Je suis la première femme qui change de catégorie, passant de celle de First Lady à celle de sénateur, alors, j'estime que c'est une occasion historique352». Elle aurait par ailleurs de nouveau rencontré l'amour, en la personne de Melee Kerme, homme d'affaires local qui apparemment ne se laisse pas intimider par son lourd passé. Devenir le nouvel époux de l'ex-femme de l'ancien président, avec lequel elle entretiendrait toujours des relations, et le père adoptif du fils de Charles Taylor ne doit pas être toujours facile. En effet, encore en mars 2006, trois hommes, membres du NPp353 de Taylor ont été arrêtés pour «avoir organisé des rencontres secrètes à la résidence de Madame Jewel Howard Taylor de Congo Town, pour renverser le gouvernement de Madame Ellen Johnson Sirleaf, alors en visite officielle aux Etats-Unis ». En outre, Jewel a été placée en isolement lors de l'arrivée d'hommes bizarres de Calabar (où son ex-mari était en résidence surveillée), venus la voir à la demande de Taylor «avec un message spécial de ce dernier 354». 350 Tewroh-Wehtoe Sungbeh. 28 novembre 2005 351 The Analyst. 22 mars 2005, http://www.analystnewspaper.comljewel_vomits.htm 352 www.ovationinternationa1.coml?action=ViewlssueArticle&id -15k 353National Patriotic Party 354Cholo Brooks, The Liberian Times, 20 mars 2006.
228
article=34
La Coalition pour la justice internationale accuse Taylor d'avoir essayé de déstabiliser le Liberia, d'influencer les élections (de 2005) et d'établir une armée régionale. En 2005, Jewel a marqué son étonnement lorsqu'elle avait été interrogée par une radio locale sur son interdiction de voyager: « Je ne me souviens pas avoir violé les droits d'individus lorsque mon époux était président, qu'est-ce que j'ai fait pour être sur la liste de l'ONU des personnes interdites de voyager? » Jewel a oublié tous les crimes de son ex-mari, et le fait que, pendant que des milliers de Libériens souffraient, elle et Charles vivaient dans un luxe inouï dans leur Executive Mansion. Taylor avait, ainsi que sa clique, le contrôle de tout et percevait au moins 15% de sociétés telles que Freedom Gold, dans laquelle il est associé à l'évangéliste américain Pat Robertson355.En 2000, elle visita Virginia Beach avec son mari, à l'invitation de l'évangéliste et de son ami Jimenez qui « ne croyaient pas les rapports du département d'Etat accusant Taylor de soutenir la guerre en Sierra Leone [...] mais fréquentaient Taylor parce qu'il avait besoin de Jésus ». Jewel aurait été une femme battue. Après un séjour exagérément prolongé aux Etats-Unis en 2001, Charles a déclaré qu'ils étaient «heureux ensemble et qu'elle avait juste un petit . . pro bl erne car dlaque de flen du tout 356 ». ' En mars 2006, Jewel Howard-Taylor a exprimé sa déception concernant une soi-disant conversation téléphonique qu'elle aurait eue avec son ex-mari au sujet de la demande d'extradition du gouvernement. Elle n'en revenait pas que cette demande d'extradition ait été faite, «en contradiction totale avec l'engagement qu'elle avait reçu de la Présidente Ellen Johnson-Sirleaf », ce qui fait supposer que la question avait été discutée entre les deux femmes avant les élections. Rien de bien précis, mais il faut reconnaître que l'ex-femme de Taylor, Jewel, a été élue au parlement libérien au cours des mêmes élections ayant porté Johnson Sirleaf au pouvoir357. 355Colbert King, Washington Post, 22 septembre 2001 356 The Perspective, 2 janvier 200 I. 357 The New York Times, Extraditing Charles Taylor, 22 mars 2006
229
Ce n'est un « secret pour personne que Jewel avait apporté son soutien inconditionnel à la présidente Ellen Sirleaf-Johnson pour les élections de novembre 2005, quelles que soient les disputes derrière les portes fermées »358.. .et la déception de Jewel Howard-Taylor doit être prise en compte pour ce qui est des conséquences pour le gouvernement qui a ainsi fait des compromISSIOns. Jewel aurait préféré que la question de l'extradition de Taylor, «si sensible, soit portée devant le peuple libérien à travers ses représentants valables de même que devant des interlocuteurs régionaux et internationaux ». Assimilant le procès « au fait d'ouvrir une boite de Pandore », Jewel a estimé qu'il n'y avait pas qu'une seule personne responsable de la guerre359. La candidate Sirleaf lui aurait promis de ne pas s'impliquer directement dans le sort de l'ancien chef d'Etat exilé.
La première épouse, Agnes Reeves, n'est pas en reste. Première Dame pendant la guerre, elle a joué un rôle beaucoup plus actif que les autres, n'hésitant pas à mettre la main à la pâte si nécessaire, et aurait personnellement décidé de l'exécution de certaines personnes. C'est ainsi qu'elle aurait ordonné celle de Gabriel Gbolleh, un ancien enseignant, fondateur du Liberia Unification Party. Sa dureté a été démontrée à maintes reprises. La mine de Bong (Bang Mines), appartenant à des Allemands, a été détruite par Taylor et ses hommes, accompagnés d'Agnes. Toutes les installations, y compris le centre médical, y sont passées. Agnes, une jeune étudiante brillante et « avec un plan pour le NPLF (National patriotic front of Liberia, ndlr), rêvait d'un nouveau Libéria ». On retrouve sa trace déjà au Ghana, lorsque Taylor a fui les Etats-Unis et fait des allers-retours entre la Libye et le Burkina-Faso. Le tribunal spécial de Sierra Leone a auditionné des centaines de personnes et recueilli certains témoignages mettant 358 Ekena Wesley, The Pers/Jective, Atlanta, Georgia, 25 mars 2006 359http://www.lexpress.fr/info/quotidien/actu.asp?id=3116.
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en cause l'ex-First Lady: Agnes aurait également été membre, en fait Commander, du NPFL, à l'origine de la mort ou de l'exil de milliers de Libériens pendant les années 1990. Elle aurait joué un rôle dans le massacre de Carter Camp en 1994, le viol et l'assassinat de cinq sœurs catholiques à Gardnersville, etc. Partie prenante des affaires économiques de son mari, Agnes serait ou aurait été, jusqu'à une période récente, membre du conseil d'administration de LPRC, la société de raffinage du pétrole ayant le monopole de l'importation de produits pétroliers, et source de revenus extrabudgétaires. Par ailleurs, le commerce des pavillons libériens, très lucratif, n'aurait aucun secret pour elle, (alors) représentante permanente du Liberia auprès de l'IM0360. Un bon «tiers des fonds générés par les pavillons va directement dans les poches du président 361 T ay Ior ».
En mai 2001, un groupe de femmes et mères l'invitèrent à une réunion à Harbel et lui demandèrent d'intercéder auprès de son époux pour qu'il ouvre la route afin qu'elles puissent retrouver leurs époux et familles à Monrovia. Plusieurs maris étaient à Monrovia lorsque les batailles éclatèrent dans leurs zones. Agnes aurait répondu à cela: « Le Libéria est votre pays. Vous êtes chez vous partout au Libéria ». Les femmes la huèrent et sortirene62. Agnes adressa une lettre musclée à la publication The Perspective363en janvier 2004 en réponse à un article affirmant que l'ancien gouvernement du Liberia (donc Taylor) a été représenté par une des multiples épouses du leader exilé comme employée rémunérée du Bureau of Maritime Affairs ». Pour Agnes, c'était en tant « qu'ex -épouse de l'ancien président du Libéria ayant occupé ces fonctions pendant les quatre dernières années ». Y a-t-il un crime à être une ex-épouse d'un leader? Cela signifie-t-il que je n'ai aucun droit en tant que 360 International Maritime Organisation 361 Global Witness "The pivotal role Convenience in Regional Conflict". 362 363
Human
Rights
Watch
of Libéria's
http://ww.hrw.org/reports/1991/Libéria/
http://wv..W.theperspective.org/2004/jan/agnesreevestaylor.html
231
Forests
and Flag
- 113 k
of
Libérienne? Non seulement je suis extrêmement qualifiée pour le poste, mais j'ai de l'expérience et ai bien travaillé. Puis elle conclut par ces mots: J'ai vécu en Grande Bretagne pendant les cinq dernières années, quatre d'entre elles au service de mon pays... en tant que Permanent Representative, poste diplomatique qui n'affecte nullement les ressources du Maritime Programme,' c'est tout simplement une représentation auprès de l'IMO ». Or, Taylor avait l'habitude de nommer des fidèles à des postes-clés, et c'est ainsi qu' Agnes Reeves-Taylor, son exépouse, avait été bombardée représentante permanente du Liberia auprès de l'IMO.
Agnes a utilisé l'expression «crimes supposés» en parlant de son ex-mari, ce qui lui a valu une descente en flammes du rédacteur de The Perspective et a créé des interrogations. Comment pouvait-elle dire que Charles Taylor n'avait pas commis de crimes contre l'humanité au Liberia? Des milliers de jeunes Libériennes ont été violées, enrôlées de force dans les combats. Ce n'était pas le cas d'Agnes qui n'était pas du tout une victime. Utas Mats364,qui a travaillé sur le rôle et la place des femmes et des jeunes dans la guerre du Liberia, indique que certaines jeunes femmes qui combattirent eurent la possibilité de retourner la situation en leur faveur. Elles étaient la plupart du temps des «commandos et dans certains cas des officiers supérieurs. Avec les biens pillés, elles ont pu créer des affaires et avec leurs contacts dans l'Establishment du NPLF, elles avaient des big men qui les soutenaient. Par exemple, une femme très connue, Martina Johnson, générale du NPLF, et l'un des cerveaux de l'opération Octopus du NPLF devint chef de la sécurité de l'aéroport international de Robertsfield. Julia Rambo, Agnès Taylor, Ruth Attila... » A un moment donné, Agnes aurait été la plus grande propriétaire de bus de Monrovia (une quinzaine), ARBECO en 364 Utas
Mats, Sweet
Battlefields
Victimicy, Girljriending, d'Uppsala,2003
~
Soldiering,
Youth and the Liberian Civil War. ISBN 91-506-1677-3 Université
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abrégé pour Agnes Reeves et Bell Company. Ben Dunbar était Ie directeur de Liberia Petroleum Refining Company (LPRC), une société de raffinage dont Agnes était aussi membre du conseil d'administration. Selon Jeune Afrique, «le registre maritime libérien, le deuxième au monde après Panama en termes de tonnage, était une vache à lait. [...] La gestion du registre avait été confiée, à la fin de 1999, à Liberian International Ship and Corporate Registry (LISCR), une autre entreprise basée aux États-Unis. Afin de disposer d'un accès direct aux recettes du registre, il nommait des proches dans ces sociétés et aurait, selon les experts, ainsi détourné plusieurs millions de dollars des coffres du LISCR, avant de les investir dans l'immobilier, à l'étranger. Depuis son exil, écrivent-ils, il a tenté de vendre plusieurs propriétés, notamment le bâtiment qui abritait l'ambassade du Libéria en Afrique du Sud.365» Agnes a organisé un symposium à Londres pour annoncer le panafricanisme de Charles et sa crédibilité en la matière366. Mais elle aussi a fini par quitter Taylor, après que Victoria Refell fut entrée dans la vie de celui-ci qui aurait déclaré à ce moment-là que des gens comme lui ne pouvaient pas épouser des femmes comme Agnes, « trop intelligente, indépendante et forte ». Apparemment, elle n'était pas légalement mariée à Charles Taylor. Taylor s'est donc entiché de Victoria Refell, une grande femme dominatrice libério-américaine qui aimait les longues perruques hirsutes, avait de longs ongles vernis spectaculaires et un maquillage voyane67. Comme les autres femmes de Taylor, elle joua un rôle important et fut même ministre de l'Information en 1995-1996 puis membre du conseil d'Etat, et enfin conseiller du président Taylor vers 1998.
365 Darren Madiba, Jeune Afrique, 28 mars 2004. 366Giving nationalism a horrible name 7 février 2006 367 Howard French, A continent for the taking
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Quant à Enid Tupee Taylor, sa deuxième épouse dont il a divorcé en 1996, elle n'aurait même pas signé les papiers du divorce que Taylor convolait déjà avec Jewel. Son histoire est intéressante. Loin d'être une potiche, Enid est celle qui en septembre 1985, comme dans certains films américains, avait aidé Taylor à s'enfuir de la prison où il était détenu aux EtatsUnis (House of Corrections de Plymouth, Massachusetts) pour avoir détourné près d'un million de dollars. Tupee a été aussi présidente honoraire de la LF A, la fédération libérienne de Football.
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BIBLIOGRAPHIE
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20.Mohamed Saliou Camara, His master's voice, mass communication and single party politics in Guinea under Sékou Touré 21.C. Toulabor, «La dérision politique en liberté à Lomé », in Politique africaine 43, 1991 22.Michaela Wrong, In thefootsteps of Mr. Kurtz 23.Martin Meredith, Mugabe - Power and plunder in Zimbabwe
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NOTES
L'auteure de cet ouvrage a pris des notes et collecté des informatÎons sur ce sujet pendant 27 ans. Elle a séjourné dans tous les pays sans jamais obtenir d'interviews directes avec les intéressées, et pour cause! Elle espère cependant avoir ouvert le débat qui donnera à celles-ci l'opportunité non pas de se justÎfier, mais de s'expliquer. Certains proches, croyant que les interviews serviraient à glorifier la Première Dame, ont même proposé d'organiser des séances filmées du sujet, à condition qu'un questÎonnaire écrit leur soit envoyé au préalable. D'autres, espérant un gain financier, sont même allés préparer un scénario pour le documentaire, où la dame en questÎon poserait dans son jardin pour montrer sa proximité avec la nature, puis serait filmée «dans la simplicité au cours d'un repas avec sa famille» ou dans sa cuisine, et enfin, «au travail », dans sa fondation, où, lunettes sévères sur le nez, son joli front plissé par l'effort de réflexion, Madame la présidente plonge dans ses dossiers caritatifs. Ce qui frappe lors d'entretiens avec les proches des Premières Dames, c'est le manque de recul par rapport aux actions de ces dernières. Toutes les personnes interrogées, à une ou deux exceptÎons près, trouvent les actions des Premières Dames justifiées, réussies, voire excellentes. Elles sont toutes « bonnes, altruistes et soucieuses du bien-être du peuple ». On les comprend, étant pour la plupart des parents ou amis, employés, dépendant des largesses de leur patronne.
Il a donc fal1u interroger l'homme de la rue, le pauvre anonyme et bénéficiaire supposé qui, lui, en avait des choses à dire! Ceci est la première partie d'un travail qui couvrira prochainement d'autres pays africains, qui n'ont pu être inclus dans cet ouvrage faute de temps.
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TABLE
DES MATIÈRES
1èrePartie - LES MÈRES DE LA PATRIE
Il
De Marie-Thérèse Houphouët-Boigny, l'icône absolue, à ses pâles copies D'Andrée Touré aux deux Madame Conté (Henriette et Kadiatou )
39
2èmePartie - LES NOUVELLES
63
MÈRE TERESA
13
Chantal Compaoré Chantal Biya
65 75
3ème Partie
91
- LES INFRÉQUENTABLES
Maryam Abacha Lucy Kibaki Grace Mugabe (Marufu) Les épouses Nguema (oncle et neveu) Constancia Nsue Obiang, épouse de Théodore Obiang, neveu de Nguema
93 103 113 127
4èmePartie
143
-
LES ILLUMINÉES
135
Agathe Habyarimana, la terreur de 1978 à 1994 Simone Gbagbo Janet Museweni
145 155 169
5èmePartie LES CONCUBINES
179
Les Épouses Eyadema Les Épouses Bokassa L(es) épouse (s) Mobutu Les épouses Amin Dada Les femmes de Charles Taylor. Notes
ET COURTISANES
181 187 201 209 223 237
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