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Cours et questions de révision Licence SVT 1re, 2e et 3e années • CPGE • CAPES
ÉVOLUTION Synthèse des fai...
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Cours et questions de révision Licence SVT 1re, 2e et 3e années • CPGE • CAPES
ÉVOLUTION Synthèse des faits et théories
Francine Brondex
ÉVOLUTION Synthèse des faits et théories
ÉVOLUTION Synthèse des faits et théories Cours et questions de révision Francine Brondex Agrégée de sciences de la Vie et de la Terre
Préface de Pierre Capy Directeur de recherche au CNRS
Conseillers scientifiques : Pierre Capy, directeur de recherche au CNRS Sandrine Heusser, professeur à l’ENS de Lyon Pascal Tassy, professeur de paléontologie au Museum national d’Histoire naturelle Irène Till-Bottraud, directeur de recherche au CNRS
Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour obtenir les autorisations de reproduction nécessaires pour cet ouvrage. Toute omission qui nous sera signalée se verra rectifiée dans la prochaine édition.
Illustration de couverture : Lionel Auvergne
Ce pictogramme mérite une explication. Son objet est d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit, particulièrement dans le domaine de l’édition technique et universitaire, le développement massif du photocopillage. Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s’est généralisée dans les
établissements d’enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres et de revues, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publication est interdite sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20 rue des GrandsAugustins, 75006 Paris).
© Dunod, Paris, 2003 pour la nouvelle présentation © Dunod, Paris, 1999 ISBN 2 10 008201 9
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Préface
L’évolution est au centre de toutes les questions posées dans le domaine des sciences de la vie, ce que résumait Theosodius Dobzhansky par: «Nothing make sense except in the light of evolution». La théorie de l’Évolution est relativement simple et accessible dans son principe à un large public, par rapport à d’autres théories qui demandent de solides connaissances dans le domaine concerné. C’est probablement une des raisons de son succès. Nous pouvons tous en débattre, que l’on soit scientifique ou non. À ce titre, la publication de L’origine des espèces en novembre 1859 par Charles Darwin fut au centre de nombreux débats passionnés entre religieux, politiques, journalistes et scientifiques. Depuis 150 ans, les échanges se sont calmés, même si de temps en temps des résurgences créationnistes voient le jour. Toute personne qui désire aborder l’évolution des êtres vivants se doit d’avoir une vision large dans la mesure où plusieurs niveaux d’analyse et disciplines sont concernés. Ainsi, l’ouvrage de Francine Brondex présente l’évolution à travers différentes lorgnettes telles que la paléontologie, la génétique moléculaire, la génétique des populations et l’écologie. De plus, cette présentation s’appuie sur l’histoire des idées, les faits et les observations, les hypothèses, les théories mais également les controverses. Pour paraphraser le titre du film d’Étienne Chatilliez, Francine Brondex met bien en évidence que l’histoire de la vie et sa compréhension ne sont pas de longs fleuves tranquilles et réguliers dont il est facile de remonter le cours.
VI
Préface
Les mécanismes de l’évolution sont loin d’être tous compris et de nombreuses controverses subsistent. L’avènement de nouvelles techniques, les programmes de séquençage de génomes entiers tels que ceux de l’homme ou d’organismes modèles parmi lesquels les bactéries, la levure Saccharomyces cerevisiae, la crucifère Arabidopsis thaliana, le nématode Caenorhabditis elegans et la célèbre mouche Drosophila melanogaster ouvrent de nouveaux champs de recherche sur l’évolution des génomes. Ainsi, bien que la variabilité génétique entre individus soit la matière première à partir de laquelle il peut y avoir évolution, les mécanismes de sa genèse et de son maintien ne sont pas tous maîtrisés. L’analyse des génomes dans leur totalité, ce que l’on commence à baptiser l’«ère de l’après génome», permettra d’envisager l’évolution des gènes dans un contexte plus général intégrant leur environnement génomique. Ces développements récents montrent que l’évolution est un domaine de recherche en perpétuels mouvements nécessitant une adaptation des idées et des théories. L’ouvrage proposé ici est un remarquable travail de synthèse qui s’adresse à un très large public, soucieux d’aborder, sans trop de détails, les théories et mécanismes de l’évolution. C’est une mine d’informations simplement et clairement présentées qui sera sans aucun doute une référence pour de nombreux étudiants. Pierre Capy
Table des matières
AVANT-PROPOS CHAPITRE 1 • UN APERÇU DE L’HISTOIRE DE LA VIE
1
1.1 Les premières traces de vie: le monde des procaryotes
1
1.1.1 1.1.2 1.1.3 © Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
XI
Les isotopes, traces des processus vivants Les gisements de fer, marques de l’apparition de la photosynthèse Les stromatolithes, indices de la nature des êtres vivants
1.2 Des premières cellules eucaryotes aux faunes diversifiées 1.2.1 1.2.2 1.2.3
Les premiers restes d’eucaryotes La faune d’Ediacara, un ensemble d’animaux à corps mou La faune de Burgess, témoin d’une explosion de la diversité au début du Cambrien
1.3 De nouveaux milieux de vie: les premiers êtres vivants terrestres 1.4 Vers les Oiseaux: des maillons intermédiaires? 1.4.1 1.4.2
Un fossile célèbre: Archaeopteryx litographica D’autres spécimens, nouveaux éléments de la généalogie
2 3 5 8 8 9 11 14 16 17 18
VIII
Table des matières
1.5 Des extinctions massives: l’exemple de la crise Crétacé/Tertiaire 1.5.1 Les données paléontologiques: données et ampleur de l’extinction 1.5.2 La bataille des scénarios: la prépondérance de l’astéroïde? 1.5.3 Les conséquences de la crise
20 22 23
Questions de révision
25
CHAPITRE 2 • FAITS ET OBSERVATIONS D’ÉVOLUTION
27
2.1 Une lignée paléontologique: la famille des Équidés 2.1.1 Étude de quelques exemples 2.1.2 Interprétation
27 28 31
2.2 Une «lignée» actuelle: les Vertébrés 2.2.1 Description de quelques exemples 2.2.2 Interprétation 2.2.3 Conclusion
33 33 38 39
2.3 La diversité phénotypique intraspécifique 2.3.1 Mise en évidence du mélanisme industriel 2.3.2 Hypothèse explicative 2.3.3 Conclusion
40 40 41 43
2.4 La diversité moléculaire intraspécifique 2.4.1 Étude de la diversité intraspécifique des protéines 2.4.2 Étude de la diversité intraspécifique de l’ADN 2.4.3 Variabilité entre les populations 2.4.4 Conclusion
43 43 47 50 51
Questions de révision
52
CHAPITRE 3 • ÉMERGENCE DES THÉORIES DE L’ÉVOLUTION
53
3.1 La conception du vivant avant les théories de l’évolution
53
3.2 Une évolution linéaire: l’évolution selon Lamarck 3.2.1 Des observations à l’idée d’évolution 3.2.2 Les mécanismes d’évolution selon Lamarck 3.2.3 Conséquences: dynamique de l’évolution et diversité
55 55 57 59
3.3 Une évolution diversifiante: l’évolution selon Darwin 3.3.1 Des observations à l’idée d’évolution 3.3.2 Les mécanismes d’évolution selon Darwin 3.3.3 Conséquences: dynamique de l’évolution et diversité
62 62 66 69
20
Table des matières
IX
3.4 Conclusion et théorie synthétique
69
Questions de révision
70
CHAPITRE 4 • MÉCANISMES DE L’ÉVOLUTION DARWINIENNE
71
4.1 Mécanismes de variation à l’échelle moléculaire
71
4.1.1 4.1.2 4.1.3
Les mutations ponctuelles L’impact évolutif des mutations Les modifications de plus grande ampleur
4.2 Mécanismes de transmission des variations 4.2.1 4.2.2
Mécanismes d’hérédité à l’échelle cellulaire Hérédité, héritabilité et transmission
4.3 Mécanismes de fixation des variations 4.3.1 4.3.2 4.3.3 4.3.4
Mise en évidence de l’action de la sélection Le point de vue de la génétique des populations: la fixation des allèles La notion de valeur sélective ou fitness La sélection sexuelle
4.4 Mécanismes de spéciation
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
4.4.1 4.4.2 4.4.3
De l’espèce à la spéciation La séparation géographique: la spéciation allopatrique L’unité de lieu: la spéciation sympatrique
71 74 75 85 85 87 90 90 93 98 100 101 101 102 104
Question de révision
106
CHAPITRE 5 • DES PHÉNOMÈNES BIOLOGIQUES À LA LUMIÈRE DE L’ÉVOLUTION
107
5.1 Les classifications évolutives: les phylogénies
107
5.1.1 5.1.2
Le calcul d’un indice global: la méthode phénétique Les caractères pris individuellement: la méthode cladiste
5.2 Une éthologie évolutive: la behavioural ecology 5.2.1 5.2.2
Le sex-ratio dans le filtre évolutif Généralisation
Questions de révision
108 116 121 122 124 127
X
Table des matières
CHAPITRE 6 • VERS DE NOUVELLES THÉORIES ?
129
6.1 L’importance du hasard: la théorie neutraliste
129
6.1.1 6.1.2 6.1.3
Théorie neutraliste de l’évolution moléculaire Un modèle mathématique simple Une approche expérimentale de la dérive
6.2 Autres limites de l’action de la sélection 6.2.1 6.2.2
La sélection n’est pas omnipotente: les contraintes du développement Le déroulement de l’histoire de la vie: l’importance de la contingence
6.3 Le niveau d’action de la sélection: gène égoïste et conflits évolutifs 6.3.1 6.3.2 6.3.3
La sélection sur les gènes: le gène égoïste La sélection de parentèle: les sociétés d’insectes Réplicateurs et conflits évolutifs
6.4 Le problème de l’optimisation: paysages évolutifs et ESS 6.4.1 6.4.2
L’interaction entre les loci: les paysages adaptatifs L’interaction entre les individus: les stratégies évolutivement stables (ESS)
129 133 134 136 136 138 140 140 142 145 146 147 148
6.5 L’interaction entre espèces: la coévolution
151
6.6 La dynamique de l’évolution: gradualisme ou équilibres ponctués
153
6.6.1 6.6.2
Le passage progressif d’une espèce à l’autre: le gradualisme 154 L’alternance de phases de stabilité et d’évolution rapide: les équilibres ponctués 155
Questions de révision
157
CONCLUSION
161
ÉLÉMENTS DE RÉPONSE
163
BIBLIOGRAPHIE
169
GLOSSAIRE
177
INDEX
183
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Avant-propos
L’idée d’évolution fait couler beaucoup d’encre depuis deux siècles et de nombreux ouvrages lui sont consacrés. Cependant, il m’a paru utile de fournir une synthèse destinée à un public possédant une culture en biologie, mais pas nécessairement en évolution. Ce livre, en traitant des bases de l’évolution à travers un large éventail de sujets, fournit les moyens d’aborder des ouvrages plus spécialisés, grâce en particulier à un grand nombre de références bibliographiques. C’est pourquoi les étudiants de premier cycle, de classes préparatoires ou préparant les concours du CAPES ou de l’agrégation y trouveront un outil pratique. Il peut également servir de complément et de synthèse à des cours sur les théories et les mécanismes de l’évolution pour des étudiants de second cycle. La démarche de cet ouvrage, qui se veut concret, se fonde sur des observations, des expériences… qui permettent de dégager les principes et les théories, à l’intérieur des différentes parties comme sur l’ensemble. J’ai retenu, en effet, trois éléments de l’évolution: les faits (chapitres 1 et 2), les mécanismes biologiques (chapitre 4) et théoriques (chapitres 3 et 6), et les trajectoires de l’évolution à travers les reconstructions phylogénétiques (chapitre 5). Enfin, je voudrais remercier toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à la réalisation de ce livre et plus particulièrement
XII
Avant-propos
les chercheurs et enseignants qui ont accepté de relire et corriger le manuscrit: Sandrine Heusser, Pascal Tassy, Irène Till-Bottraud et tout spécialement Pierre Capy. Je tiens aussi à remercier Marguerite-France Brun-Cottan et, plus personnellement, Pierre Commenville.
Chapitre 1
Un aperçu de l’histoire de la vie
Objectifs Le but de ce chapitre est de retracer les grandes étapes de l’histoire de la vie et ses transitions, en montrant les changements qu’ont subi les faunes et les flores au cours du temps. Le problème de l’origine de la vie ne sera pas abordé ici.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
1.1
LES PREMIÈRES TRACES DE VIE: LE MONDE DES PROCARYOTES
Rechercher les premières traces de vie, explorer les séries géologiques très anciennes pose des problèmes méthodologiques importants. Les terrains les plus vieux, datés de – 4,5 milliards d’années (giga-années, notées Ga) à – 540 millions d’années, sont très souvent métamorphisés. Ils ont été portés à des conditions de pression et de température telles qu’aucun fossile ne pourrait y être conservé. De plus, pour la plupart d’entre nous, un fossile est une dent, un os ou une coquille conservée. Or, certains êtres vivants, comme les bactéries, les unicellulaires, ne possèdent pas de telles structures susceptibles d’être conservées. C’est sans doute la raison pour laquelle le Précambrien a été déclaré et même défini comme azoïque, c’est-à-dire sans vie.
1 • Un aperçu de l’histoire de la vie
2
Pourtant, des événements qui ont eu lieu à cette époque ont laissé des traces qui subsistent aujourd’hui. Grâce à des techniques et des méthodes d’investigation indirectes, il est possible de retrouver ces traces, signes de la présence des premiers êtres vivants.
1.1.1 Les isotopes, traces des processus vivants Le carbone existe naturellement sous deux formes, deux isotopes: le carbone 12 et 13 (12C et 13C respectivement), qui ne se désintègrent ni l’un ni l’autre, ils sont stables. Encart 1.1
Les isotopes Un atome possède Z électrons et un noyau formé de Z protons et N neutrons. Z est le numéro atomique caractéristique d’un atome. Par exemple: carbone Z = 6, uranium Z = 92. Un atome peut exister sous plusieurs formes ou isotopes. Les isotopes possèdent le même nombre d’électrons, mais diffèrent par le nombre de neutrons. La neutralité est ainsi conservée. Le 12C possède 6 neutrons, 6 protons. Le 13C possède 7 neutrons, 6 protons. L’ 238U possède 146 neutrons, 92 protons. La différence de masse est négligeable entre les isotopes d’atomes lourds comme l’uranium (elle sera de 1/238). Par contre, la différence de masse est significative pour les atomes légers comme le carbone, dans ce cas 1/12. Certains isotopes sont stables et coexistent naturellement, comme 12C et 13C. D’autres sont radioactifs et se désintègrent. Par exemple, le carbone 14 se désintègre en un atome d’azote 14 et 1 électron. Ces derniers sont utilisés en datation. ➤ Principe général
Le carbone 12 est un peu plus léger, d’1/12 par rapport à son isotope le 13C. Par conséquent, il est incorporé un peu plus vite dans les réactions chimiques, a fortiori dans les processus complexes comme la photosynthèse, par exemple. Comme à chaque étape le carbone 12 réagit un peu plus rapidement, il se trouve en quantité plus importante dans l’amidon, la cellulose et tous les autres composés organiques: un rapport 12C/13C légèrement en faveur du 12C est ainsi spécifique des êtres vivants. Ainsi, la matière organique est plus riche de 8 à 35 ‰ par rapport à la matière minérale environnante, CO2 ou carbonates. Cette différence est maintenue dans les roches formées à partir d’organismes comme le pétrole.
1.1 Les premières traces de vie: le monde des procaryotes
3
➤ Données géologiques
La formation d’Isua au Groenland est la plus ancienne connue avec un âge de – 3,8 Ga. Les roches qu’on y trouve ont subi un métamorphisme important, néanmoins il est possible de déterminer leur nature. Ainsi, certaines couches sont composées de graphite, c’est-àdire de carbone pur. Ce graphite est plus riche en carbone 12 qu’en carbone 13. La teneur en 12C est ainsi de 29 à 46 ‰, contre 11 ‰ dans les calcaires de cette même formation. Que peut-on en déduire pour le graphite d’Isua? Le graphite d’Isua est lui aussi enrichi en 12C par rapport aux carbonates, de 18 à 35 ‰. Le graphite d’Isua et la matière organique sont donc enrichis en 12C par rapport à la matière minérale selon un même ordre de grandeur. En extrapolant les causes actuelles au Précambrien, il faut conclure que le graphite correspond à de la matière organique fossile. Il nous indique ainsi qu’il existait des êtres vivants à cette époque. Malheureusement, il n’est pas possible de déterminer leur nature avec ces seules données géochimiques. Mais ce rapport isotopique est le signe le plus ancien de la présence de vie sur Terre.
1.1.2 Les gisements de fer, marques de l’apparition de la photosynthèse
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
➤ Principe général
Actuellement, l’atmosphère contient 21% d’oxygène. Or O2 est un oxydant puissant (la rouille est une oxydation bien connue): à l’air libre les formes réduites ne peuvent se maintenir. Des minerais réduits comme l’uraninite (UO2) ou la pyrite (FeS2) ne peuvent se mettre en place. Actuellement, ils ne se forment que dans des milieux très particuliers, pauvres en oxygène, à forte profondeur océanique par exemple. Leur présence ou leur absence peut nous renseigner sur la teneur en O2 de l’atmosphère à un instant donné. Cependant, seuls les sédiments continentaux formés, par exemple, dans des lacs peuvent fournir des informations. Ces milieux sont en contact avec l’atmosphère et la composition des sédiments est effectivement représentative de celle-ci. À l’inverse, des milieux marins profonds et confinés, donc mal oxygénés sont systématiquement réducteurs, quelle que soit la composition de l’atmosphère. ➤ Données géologiques
L’uraninite et la pyrite sont plutôt abondantes dans les dépôts marins et continentaux anciens, antérieurs à – 2 Ga. Des formations de la
1 • Un aperçu de l’histoire de la vie
4
région de Johannesburg en Afrique du Sud sont très anciennes: entre – 2,5 et – 2,7 Ga. Les terrains sont composés de sables, de conglomérats déposés en strates entrecroisées. Ce type de dépôt correspond à une zone où le courant est assez fort. Les sables et les conglomérats se déposent dans un contexte de delta. De tels milieux sont bien aérés; pourtant certaines couches montrent de fortes teneurs en pyrite et uranium réduit, ce qui indique une atmosphère dépourvue d’oxygène. Les très faibles teneurs en minerai oxydé (Fe2O2 par exemple) à cette époque le confirment. La pyrite et l’uranium réduits se raréfient à partir de – 2 Ga. La figure suivante montre l’évolution de la quantité du minerai de fer oxydé (Fe2O2) dans les gisements du monde (Fig. 1.1). Quantité de Fe2O3 (tonnage) 1014 1012 1010 108 106 104 102 Temps (Ga) –4
–3
–2
–1
0
Figure 1.1 Évolution des quantités de fer oxydé à l’échelle mondiale au cours du temps (d’après Demounem R., Gourlaouen J. et Périlleux E. – Sciences de la vie et de la terre, Enseignement obligatoire Terminale S, Nathan, Paris, 1994).
Les tonnages sont bien connus: c’est en effet la forme de minerai de fer la plus rentable, car la plus riche en fer. À – 2 Ga, les quantités de fer sont énormes: elles constituent 80% des réserves mondiales. ➤ Interprétation
Fe2O2 ne peut se former que dans un environnement oxydant, et O2 est un très bon candidat oxydant. Si des minerais réduits indiquent une absence d’oxygène, inversement de grandes quantités de minerai oxydé signalent une atmosphère qui contient de l’O2. Ainsi, il est très
1.1 Les premières traces de vie: le monde des procaryotes
5
probable qu’à partir de – 2 Ga, de l’oxygène est produit en grande quantité et est piégé sous forme de minerai de fer. Ce phénomène existait sans doute localement avant même – 2 Ga, car la présence de sulfates (soufre oxydé) ou de fer oxydé est attestée dans les très anciennes formations comme celle d’Isua, au Groenland. Seul un processus biochimique peut expliquer une telle libération d’oxygène: la photosynthèse. Enfin, lorsque l’ensemble des matériaux oxydables a été converti, l’oxygène produit s’est accumulé dans l’atmosphère. Dans les écosystèmes actuels, le bilan énergétique est équilibré: la photosynthèse est compensée par la respiration, la biomasse ne s’accumule pas, pas plus que l’oxygène. Pourquoi alors n’est-ce pas le cas vers – 2 Ga? Une part de la biomasse produite est piégée par fossilisation, elle échappe à l’utilisation par respiration, c’est pourquoi le bilan est positif en faveur de la production d’oxygène. La vie est présente depuis environ – 3,8 Ga, la photosynthèse productrice d’oxygène est importante depuis – 2 Ga. Mais les informations indirectes des isotopes et du minerai de fer n’apportent rien quant à la nature des êtres vivants de cette époque.
1.1.3 Les stromatolithes, indices de la nature des êtres vivants
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
a) La formation de North Pole (Australie)
Les terrains de North Pole de l’Ouest australien font partie des plus anciens connus (– 3,5 Ga), mais avec la particularité de ne pas avoir été métamorphisés (Fig. 1.2). Au sommet de la série, dans les terrains les plus jeunes, on trouve des coulées de basalte, qui ont été datées à – 3,5 Ga. En dessous, des sédiments sableux nous indiquent un milieu marin côtier. La stratification est d’abord entrecroisée, signe d’un courant fort et variable. Puis elle devient horizontale, ce qui signifie un milieu plus calme. Les modalités de dépôt ainsi mises en évidence confirment la proximité des côtes. La strate suivante est le niveau à stromatolithes, qui s’accompagnent de gypse et de silex. Le gypse se forme dans un milieu à très faible épaisseur d’eau, avec une évaporation intense (d’où le nom générique de ce type de roches: les évaporites). À – 3,5 Ga, le site de North Pole était donc dans une lagune fermée, avec peu d’eau. Quant aux stromatolithes, ils sont de nature carbonatée et forment des couches, ou lamines concentriques, de quelques centimètres à plusieurs dizaines de centimètres. Des dépôts marins puis des basaltes terminent la succession stratigraphique.
6
1 • Un aperçu de l’histoire de la vie
Nature des roches
Milieu
Coulées de basalte datation = – 3,5 Ga ± 0,1
Stratification croisée
Sédiments sableux
Milieu côtier
Gypse Silex Stromatolithes
Lagune fermée
Stratification horizontale
Argiles Milieu côtier Stratification entrecroisée
Sédiments sableux
Stratification horizontale
Coulées de basalte
Figure 1.2 Colonne stratigraphique du gisement de North Pole (d’après Demounem R., Gourlaouen J. et Périlleux E. – Sciences de la vie et de la terre, Enseignement obligatoire Terminale S, Nathan, Paris, 1994).
b) Les stromatolithes actuels de la baie des requins (Shark Bay, Australie)
La baie des requins en Australie a un niveau d’eau très bas; le sable du fond est recouvert régulièrement par des formations minérales en forme de champignons. En y regardant de plus près, on s’aperçoit qu’il s’agit de concrétions de carbonates. Une coupe dans ces champignons révèle une organisation étrange: des lamines de teintes différentes et de quelques centimètres se superposent. Shark Bay et North Pole sont
1.1 Les premières traces de vie: le monde des procaryotes
7
tous deux des milieux lagunaires peu profonds. Les stromatolithes sont aussi tout à fait semblables, c’est précisément la raison pour laquelle ils ont reçu le même nom. Des procaryotes photosynthétiques, les Cyanobactéries, sont à l’origine des stromatolithes actuels. Les Cyanobactéries vivent en colonies sur des supports rocheux, leurs sécrétions y forment un voile, dans lequel le calcaire précipite à cause de la photosynthèse (Encadré 1.2). Comme les conditions extérieures ne sont pas constantes (elles sont plus ou moins favorables aux bactéries), elles ne provoquent pas une précipitation uniforme. Les lamines reflètent ainsi les changements de conditions. Les Cyanobactéries sont donc à l’origine des stromatolithes actuels. Par analogie, on considère que les stromatolithes du Précambrien ont aussi été construits par les mêmes procaryotes. Des analyses microscopiques appuient cette hypothèse puisque des filaments de cellules procaryotes, reconnaissables notamment par leur taille, ont été observés dans les silex de North Pole. Encart 1.2
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
L’équilibre des carbonates et la photosynthèse En milieu aqueux, le calcium se trouve en permanence en équilibre. Il peut être sous la forme soluble (Ca2+) ou précipiter en calcaire (CaCO3) selon l’équation suivante: CaCO3 + CO2 + H2O ↔ 2 (HCO3–) + Ca 2+ Cet équilibre peut être déplacé vers la précipitation ou vers la solubilisation en fonction des conditions physiques et/ou chimiques du milieu. La photosynthèse peut modifier ces conditions puisque, en présence de lumière, elle intervient sous la forme: nCO2 + nH2O ↔ CnH2nOn + nO2 En consommant l’eau et le dioxyde de carbone, la photosynthèse déplace l’équilibre vers la précipitation. Ainsi, les Cyanobactéries entraînent la concrétion du calcaire sur le voile qu’elles forment. Les stromatolithes sont particulièrement abondants jusqu’à – 2 Ga, mais ils subsistent dans toutes les époques géologiques, y compris de nos jours. Ils témoignent de la présence des Cyanobactéries depuis – 3,5 Ga. Les procaryotes restent les seuls êtres vivants connus jusqu’à – 1,5 Ga, c’est-à-dire pendant les trois quarts de l’histoire de la Terre.
8
1.2
1 • Un aperçu de l’histoire de la vie
DES PREMIÈRES CELLULES EUCARYOTES AUX FAUNES DIVERSIFIÉES
1.2.1 Les premiers restes d’eucaryotes Faire la différence entre une Escherichia coli, cellule procaryote, et une cellule de pancréas, ou n’importe quelle cellule eucaryote est aujourd’hui chose facile. Le microscope et des critères simples permettent une détermination aisée, et surtout les cellules sont facilement disponibles. En revanche, les archives fossiles anciennes ne regorgent pas de tels documents. Pourtant, l’analyse microscopique de roches anciennes permet de trouver des cellules conservées. Dans les roches sédimentaires de Gunflint (Ontario et nord du Minnesota) datées de – 1,9 Ga, de nombreuses formes cellulaires ont été retrouvées. Ces cellules fossiles sont sphériques ou filamenteuses, et les plus grandes ne dépassent pas 10 µm. Aux alentours de – 1,4 milliard d’années, dans d’autres endroits du monde, on trouve des cellules fossiles d’un diamètre de 30 à 35 µm, alors que les bactéries ne dépassent pas la taille de 10 µm. Ces cellules fossiles possèdent une paroi complexe, et ont été appelées Acritarches. Une telle organisation est inconnue chez les procaryotes. Il a même été possible de déterminer la nature des composants de la paroi: certains de ces composés chimiques sont connus chez les eucaryotes mais pas chez les procaryotes. Alors qu’à Gunflint, seuls des procaryotes ont été retrouvés, les Acritarches sont parmi les premières cellules eucaryotes des archives fossiles. Ils sont parfois rapprochés d’un groupe d’algues unicellulaires actuelles, les Dinoflagellés, et faisaient vraisemblablement partie du phytoplancton. Cependant, les limites du groupe restent floues. Les Acritarches sont surtout abondants à partir de 900 à 850 millions d’années et disparaissent pratiquement vers 600 millions d’années. Les plus anciennes cellules soupçonnées d’être eucaryotes sont un peu plus vieilles puisqu’elles ont été retrouvées dans des roches de – 1,8 Ga. Selon Maynard Smith et Szathmary (1997), le cours de l’évolution peut être découpé selon de grandes transitions, dont celle de la cellule procaryote à la cellule eucaryote. Si elle est visible dans les restes fossiles, les mécanismes de sa réalisation restent quant à eux incomplètement connus, même si l’hypothèse de l’endosymbiose semble faire consensus (Encadré 1.3). Une autre transition importante peut être datée, celle du passage d’êtres unicellulaires à des organismes composés de nombreuses cellules. Deux gisements sont particulièrement importants et célèbres: Ediacara (Australie) et Burgess (Colombie britannique).
1.2 Des premières cellules eucaryotes aux faunes diversifiées
9
Encart 1.3
Des procaryotes aux eucaryotes: l’endosymbiose Comprendre la transition des cellules procaryotes aux cellules eucaryotes, c’est notamment expliquer leurs différences: une membrane qui apparaît, les introns et les organites (chloroplastes et mitochondries) qui ne sont présents que chez les eucaryotes, par exemple. Comment les cellules ont-elles acquis des organites? Les mitochondries comme les plastes possèdent un génome circulaire et une machinerie enzymatique indépendante de synthèse des protéines. Leurs ribosomes ont une densité et une séquence plus proches de ceux des bactéries que des eucaryotes. En définitive, les caractères des organites sont proches de ceux des bactéries. Lynn Margulis a émis l’hypothèse suivante dans les années 1970: et si un eucaryote avait phagocyté une bactérie libre photosynthétique ou capable de respiration aérobie? Les deux cellules commencent alors une relation durable de symbiose. La cellule hôte profite de la photosynthèse, de la respiration et la cellule phagocytée bénéficie de la protection. Peu à peu la bactérie phagocytée perd l’aptitude à la vie libre. En effet, des gènes indispensables au fonctionnement du symbionte ont été transférés vers l’hôte. Cette hypothèse de l’endosymbiose est de plus en plus largement acceptée. On a même retrouvé les groupes procaryotes d’origine. Ainsi les chloroplastes descendraient de Cyanobactéries et les mitochondries de bactéries pourpres.
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1.2.2 La faune d’Ediacara, un ensemble d’animaux à corps mou Longtemps, aucun fossile ne fut trouvé dans les étages du Précambrien, l’explication admise était l’absence d’animaux et de végétaux à cette époque. Cette interprétation est devenue caduque depuis les années 1950, période à laquelle la première faune d’êtres pluricellulaires fut découverte en Australie, à Ediacara dans des terrains datés d’environ – 650 millions d’années. 1 400 spécimens regroupés en 31 espèces et 21 genres, ont été extraits. Les animaux d’Ediacara demeurent cependant énigmatiques (Fig. 1.3). Certains comme Mawsonites (Cnidaire Scyphozoaire, méduse) ont pu être inclus de façon nette dans des groupes connus. Tous les phylums ne sont pas représentés à Ediacara: la faune de l’époque comportait
1 • Un aperçu de l’histoire de la vie
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Praecambrium
1 cm 1 mm
Spriggina 5 mm
Tribrachidium
Mawsonites
Figure 1.3 Quelques exemples d’animaux de la faune d’Ediacara à partir de fossiles et reconstitution (d’après Enay, Devillers et Mahé).
essentiellement des diblastiques (méduses…), des Annélides, des Arthropodes et des Échinodermes. Tribrachidium est considéré comme un Échinoderme. D’autres, comme Spriggina, ont un statut ambigu: possédant à la fois des caractères d’Annélide et d’Arthropode, il est impossible de le classer de façon certaine. Pour beaucoup, enfin, le rattachement à un groupe connu est tout à fait impossible. C’est le cas de Praecambrium qui ne ressemble en rien à quelque chose de connu. Toutes ces formes ont été retrouvées dans d’autres gisements sur les autres continents, notamment en Sibérie. Ainsi, les fossiles d’Ediacara nous indiquent que les Métazoaires existent depuis au moins 650 millions d’années. Il est très difficile de dire si les êtres pluricellulaires sont
1.2 Des premières cellules eucaryotes aux faunes diversifiées
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apparus plus tôt. Les premiers restes connus sont ceux d’algues pluricellulaires datant d’environ –1 Ga, mais la première faune diversifiée est bien celle d’Ediacara. Les liens avec les faunes suivantes sont inexistants: les animaux d’Ediacara ne réapparaissent pas plus tard, les formes sont très différentes et il n’y a aucun passage progressif. De même, les données restent maigres quant à l’organisation de l’écosystème édiacarien, on en est donc réduit à des spéculations. Peut-être n’y avait-il pas de prédateurs, ce qui aurait permis un tel développement des animaux à corps mou et donc sans défense? Quoi qu’il en soit les fossiles nous permettent de remonter à l’origine de quelques groupes animaux, tels les Arthropodes, les Annélides… et surtout de la dater à 650 millions d’années, au moins. À l’inverse, de nombreux groupes sont absents à Ediacara, les Mollusques, les Vertébrés… Les faunes du début du Cambrien présentent cette transition importante: la présence de squelettes et donc de minéralisation. C’est la faune de Burgess qui va nous renseigner sur leur apparition.
1.2.3 La faune de Burgess, témoin d’une explosion de la diversité au début du Cambrien
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«[Le schiste de Burgess] est une icône et un symbole pour ma profession, et j’écris pour faire partager l’émotion que ces êtres étonnants et beaux peuvent nous inspirer à nous, paléontologistes […] » (Gould)
Stephen Jay Gould est sans doute celui qui a le plus contribué à faire connaître le gisement de Burgess et ses fossiles au grand public. Un paléontologue américain, C.D. Walcott, découvre le site en 1909, dans les Rocheuses canadiennes à l’Est de la Colombie britannique. La formation, schisteuse, est située au col qui donne son nom à la faune, à 2 400 m d’altitude. Le milieu était marin, sans doute bien aéré et éclairé, conditions propices à la vie, mais pas à la fossilisation. Le scénario qui a présidé à la conservation des animaux n’est pas connu exactement: une coulée de boue pourrait avoir tout emporté dans une zone anoxique, il y a environ 500 millions d’années. Walcott proposa une première interprétation des animaux fossiles de Burgess, et les rangea tous dans des phylums connus (Arthropodes et Annélides essentiellement). L’étude fut ensuite reprise par trois chercheurs britanniques, H. Whittington, D. Briggs, et S.C. Morris à partir de 1971, et n’était pas encore terminée en 1989. Leurs conclusions se révélèrent plus surprenantes que celles de leur prédécesseur. La figure
1 • Un aperçu de l’histoire de la vie
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Marrella
Canadaspis
Nectocaris Pikaia
Aysheaia
Figure 1.4
Opabinia
Reconstitution de quelques espèces du schiste de Burgess (d’après Elmi et Babin).
suivante (Fig. 1.4) montre quelques espèces de la faune de Burgess, que Gould n’hésite pas à qualifier d’«étranges merveilles». Si elles nous apparaissent étranges, ces créatures ont aussi attiré l’attention des paléontologues. Canadaspis est placé dans l’embranchement des Arthropodes, et même rangé au sein des Crustacés. Marrella est considéré comme faisant partie des Arthropodes, mais il est qualifié d’unique en son genre puisqu’il n’a pu être rapproché d’une classe connue (Trilobites, Arachnides, Crustacés ou Insectes par exemple). Aysheaia est quant à lui orphelin, son statut taxonomique n’étant pas encore déterminé. Opabinia et Nectocaris sont chacun à l’origine d’un nouvel embranchement, ils ne pouvaient être rapprochés d’aucun phylum connu. Ces espèces sont assez représentatives de l’originalité de la faune de Burgess, quelques-unes peuvent être rangées dans des classes connues (Canadaspis), ou dans des embranchements connus, mais pour lesquels il faut créer une classe (Marrella). Enfin, une grande partie des espèces ne peut être classée dans des unités systématiques
1.2 Des premières cellules eucaryotes aux faunes diversifiées
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existantes, leur statut est indéterminé ou de nouveaux embranchements ont été créés pour eux. Au total, 73 000 spécimens étaient dégagés dans les années 1980. Les schistes de la passe de Burgess renferment, selon Gould, 20 Arthropodes inconnus «uniques en leur genre» qui constituent à eux seuls des classes. Huit nouveaux embranchements ont été déterminés dont certains noms de genres, comme Hallucigenia, sont éloquents quant à l’impression des paléontologues à leur égard. Anomalocaris est l’animal le plus grand de la faune et illustre bien un problème général posé par tous ces organismes. Il porte des appendices très semblables à ceux des Arthropodes, mais le reste de son corps n’a rien de commun avec les autres représentants de cet embranchement. Comment classer ces organismes étranges qui portent simultanément des caractères uniques et des caractères partagés avec des groupes connus? Toujours est-il que, selon Gould:
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«le schiste de Burgess présente une gamme de disparité anatomique qui n’a jamais été égalée depuis et que n’approche pas la totalité des animaux actuels vivants dans les océans actuels.»
La disparité, au sens de l’auteur, réside dans la diversité à l’échelle des embranchements et non pas des espèces. L’explosion de diversité commence à la base du Cambrien, les schistes de Burgess, bien qu’un peu plus tardifs, en témoignent. Les lacunes des archives fossiles ne permettent pas d’affirmer si les représentants de la faune existaient déjà au début du Cambrien. De plus, la faune de Burgess serait une simple monstruosité zoologique si elle était unique, mais les mêmes espèces ont été retrouvées en plusieurs endroits du monde, aux ÉtatsUnis (Idaho, Utah), au Groenland et en Chine notamment. Sur les 73 000 spécimens, 14% des animaux présentent des parties dures, un squelette comme la carapace des Crustacés actuels. L’acquisition du squelette durci est donc une transition importante de cette période géologique. Elle pourrait être rapprochée de la relative complexité écologique du monde de Burgess. Divers indices apportent des informations, parmi eux les appendices des Arthropodes expliquent leur mode de vie: leur partie externe est développée et robuste, l’animal était vraisemblablement capable d’une nage active ou de marcher sur le fond. Les appendices de la tête se terminent par une pince, il est raisonnable de penser que l’animal pouvait attraper et se nourrir de grosses pièces de nourriture. À partir de telles conclusions, les trois paléontologues ont reconstitué un écosystème qui comprend en particulier des animaux mangeurs de sédiments sur le fond, ou en suspension, mais aussi des prédateurs. Si une telle interprétation était
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1 • Un aperçu de l’histoire de la vie
retenue, la faune de Burgess serait aussi la manifestation d’une transition écologique importante: celle de l’apparition des prédateurs. Il reste une espèce représentée sur la figure précédente, Pikaia gracilens, à laquelle une place privilégiée est toujours réservée: classée tout d’abord dans les Annélides, les paléontologues ont interprété plus récemment (dans les années 1980) les zigzags visibles sur le dessin par des muscles en chevron. Ils ont vu dans l’axe qui parcourt l’animal dans le sens antéro-postérieur, une chorde, structure rigide qui soutient le corps. Ces organes sont caractéristiques des Chordés, dont le groupe le plus connu est celui des Vertébrés. Les premiers Vertébrés datent de l’Ordovicien moyen, mais Pikaia est le premier Chordé connu. Presque tous les embranchements actuels étaient donc présents dans la faune de Burgess, tous sont apparus très précocement et apparemment assez rapidement (à l’échelle des temps géologiques). Nombre d’entre eux présents à cette époque ont disparu par la suite, nous reviendrons sur les implications en termes de processus et de dynamique évolutifs dans le dernier chapitre. Enfin, l’histoire des interprétations de Burgess n’est pas terminée, les spécimens étant étudiés à nouveau par d’autres paléontologues. La vie a été d’abord aquatique, des stromatolithes à Burgess, tous les fossiles étaient des êtres vivant dans l’eau. Aujourd’hui, le milieu terrestre est largement peuplé, la transition vers son occupation s’est également opérée à l’ère primaire.
1.3
DE NOUVEAUX MILIEUX DE VIE: LES PREMIERS ÊTRES VIVANTS TERRESTRES
Le milieu aérien a ses contraintes propres. Ainsi, la poussée d’Archimède est beaucoup plus faible que dans l’eau, par conséquent, le milieu est moins «portant». Concrètement, il est plus difficile d’avoir un port dressé pour les plantes, de se soutenir et de se déplacer pour les animaux sur la terre ferme. Le milieu aérien est aussi un milieu «dilué», les ions minéraux sont en concentration très faible. Par conséquent, les végétaux rencontrent une grande difficulté d’approvisionnement puisqu’ils prélèvent leurs nutriments sous forme minérale directement dans le milieu. Enfin et surtout, par définition, ce milieu est pauvre en eau, les êtres vivants risquent donc la dessiccation. C’est en Écosse, au début du siècle, que les restes des premiers végétaux et animaux terrestres ont été retrouvés. La tourbière de Rhynie, à l’ouest d’Aberdeen fut découverte en 1913. Elle date du Dévonien
1.3 De nouveaux milieux de vie
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inférieur (environ 400 millions d’années), à cette époque elle constituait aussi un milieu marécageux. Elle fait partie d’un plus vaste ensemble de formations qui ont pour point commun des matériaux détritiques (grès, sables) toujours continentaux. La couleur des grès a donné son nom à cet ensemble: le continent des vieux grès rouges. Les sédiments détritiques proviennent de l’érosion d’un relief, en effet, la chaîne calédonienne était alors en cours de démantèlement. Une activité volcanique provoquait parallèlement la circulation d’eaux riches en silice qui ont pétrifié les plantes de cette région. En 1917, R. Kidstone et W. Lang ont décrit ce qui reste une des plus ancienne plante vasculaire terrestre: Rhynia major (Fig. 1.5).
Sporange
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2,5 cm
Partie végétative aérienne
Rhizome (souterrain) Figure 1.5 Reconstitution de Rhynia major, plante terrestre du continent des vieux grès rouges, Dévonien inférieur.
Son organisation générale est simple: Rhynia est constitué d’un rhizome horizontal, qui laisse partir à intervalles réguliers des tiges dressées de quelques décimètres. Elles ne sont pas feuillées, mais l’épiderme porte des stomates. Les tiges sont souvent ramifiées, à leur
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1 • Un aperçu de l’histoire de la vie
extrémité se trouve un sporange, tissu fertile. Rhynia a été rattaché au grand groupe des prêles et des fougères, les Ptéridophytes. Les bonnes conditions de fossilisation ont même permis d’obtenir des coupes dans les tiges de Rhynia. Au centre de la tige, se trouvent des cellules aux parois épaissies, formant des tissus lignifiés. La lignine est une nouveauté cruciale pour la vie terrestre. La paroi des cellules qui en est imprégnée est particulièrement rigide. Si la pression osmotique à l’intérieur de la cellule est suffisante, elle est dite turgescente. Cette pression contre les parois cellulaires provoque le redressement de la tige, un peu comme un tuyau d’arrosage se relève lorsque l’on ouvre le robinet. C’est aussi pourquoi les plantes se flétrissent quand elles manquent d’eau. La lignine permet ainsi de résoudre le problème du soutien. De plus, les tissus lignifiés sont des vaisseaux conducteurs, comme dans les plantes actuelles, le xylème transporte la sève brute, le phloème, la sève élaborée. Le xylème assure donc les transferts depuis les parties souterraines et jusqu’aux organes aériens, les ions minéraux captés dans le sol sont distribués dans toute la plante. Rhynia possède aussi des stomates qui sont les lieux d’échange des gaz, entrée du dioxyde de carbone et sortie de la vapeur d’eau de la transpiration. Ils ont la propriété de pouvoir être ouverts ou fermés, la plante peut ainsi contrôler ses pertes en eau. Rhynia est un des premiers cas connu de plante terrestre, même si elle vivait encore dans un milieu humide. Elle est aussi un des premiers végétaux qui possède des tissus conducteurs et de la lignine. Il y a donc coïncidence entre de nouveaux caractères et un changement de milieu. Deux autres groupes ont «réussi» le passage à la vie terrestre à cette époque. Les Arthropodes ont plusieurs représentants sur les continents. Les grès de Rhynie témoignent aussi de leurs débuts avec de nombreux Insectes, Acariens et Araignées. Les fossiles d’Ichthyostega datent aussi de la charnière entre Silurien et Dévonien, vers – 400 millions d’années. Ichthyostega est le premier exemple d’Amphibien capable de vivre en milieu terrestre, en tout cas partiellement. Les animaux ne se sont pas contentés du milieu terrestre, mais il a fallu plusieurs centaines de millions d’années pour que l’air soit aussi occupé.
1.4
VERS LES OISEAUX: DES MAILLONS INTERMÉDIAIRES?
Retracer l’histoire de la vie a consisté ici à dater de grandes transitions ou l’apparition de grandes catégories. La recherche de l’origine des Oiseaux ne procède pas autrement, mais les fossiles montrent aussi un
1.4 Vers les Oiseaux: des maillons intermédiaires?
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lien avec les Reptiles. Deux ans après la parution de «L’origine des espèces», en 1861, un fossile, maintenant célèbre, a été sorti du calcaire de Bavière: Archaeopteryx, et dont seulement six spécimens ont été mis à jour. Il a longtemps été le seul fossile tenant des Sauriens et des Oiseaux. Ces dernières années ont été riches en découvertes de nouveaux spécimens.
1.4.1 Un fossile célèbre: Archaeopteryx litographica En 1861, le calcaire de Solnhofen en Bavière délivra une plume datant du Jurassique (150 millions d’années). Peu après, le squelette entier de son propriétaire fut dégagé. Le calcaire au grain particulièrement fin laisse apparaître des détails très précis et particulièrement précieux pour la description et la classification d’Archaeopteryx. Il étonna car il tenait de l’Oiseau et du Reptile, plus précisément des Dinosaures. Sans entrer dans le détail de la description anatomique, quelques traits marquants peuvent être soulignés (Fig. 1.6) Crâne, dilaté à l’arrière, aminci en avant Aile d’Oiseau, plumes asymétriques
Dents
Côtes grêles sans apophyses uncinées
Clavicules fusionnées (fourchette)
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Pas de bréchet Queue longue Bassin d’un Oiseau coureur
3 doigts libres, bien développés + griffes
Os pubien allongé vers l’arrière
Pattes postérieures longues ~ 4 cm
Caractères de Reptile
Caractères d’Oiseau
Figure 1.6 Reconstitution du squelette d’Archaeopteryx et indication des caractères aviens et reptiliens (d’après Chaline).
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1 • Un aperçu de l’histoire de la vie
Des Sauriens, et contrairement aux Oiseaux, Archaeopteryx a conservé des dents sur ses mâchoires. Il possède aussi 3 doigts indépendants, alors que le dernier segment de la main des Oiseaux est soudé. À l’inverse, comme les Oiseaux, il porte des plumes que n’ont pas, bien sûr, les Reptiles. Plus encore, celles-ci sont asymétriques par rapport à l’axe central creux qu’est le rachis: le bord d’attaque (antérieur) est moins large que le bord de fuite. Cela confère à la rémige les propriétés aérodynamiques nécessaires pour le vol battu: la pénétration dans l’air est meilleure. Chez les Tétrapodes, la ceinture osseuse qui est rattachée aux membres postérieurs est divisée en trois parties, l’os pubien est généralement le plus antérieur. Archaeopteryx a un os pubien allongé vers l’arrière, caractéristique propre aux Oiseaux. Les Oiseaux ont des os dits pneumatiques, qui contiennent des espaces emplis d’air. La densité s’en trouve diminuée, le vol est d’autant moins difficile. On a longtemps pensé qu’Archaeopteryx avait lui des os pleins. Un article récent dément cette affirmation (Britt et al., 1998): des orifices dans les os crâniens, typiques des os pneumatiques ont en effet été mis en évidence. En revanche, Archaeopteryx ne possède pas d’alula comme les Oiseaux modernes. L’alula est un petit ensemble de plumes, soudé au pouce. Elle est fondamentale pour le vol à vitesse réduite et donc en particulier au moment de l’atterrissage. En effet, lorsque la vitesse diminue, l’écoulement de l’air sur l’aile devient turbulent, la portance diminue, l’oiseau risque le décrochage. L’alula permet de contrôler le flux de l’air et par conséquent d’empêcher le décrochage. Les Oiseaux ont un sternum particulièrement développé et parcouru par une carène médiane, le bréchet, qui n’apparaît pas chez Archaeopteryx. Enfin, les Oiseaux à l’inverse d’Archaeopteryx ont des côtes particulières avec des apophyses, qualifiées d’uncinées, qui relient les côtes entre elles et confèrent une meilleure résistance, en particulier lors du choc de l’atterrissage.
1.4.2 D’autres spécimens, nouveaux éléments de la généalogie Il a fallu attendre plus d’un siècle pour que de nouvelles espèces avec des caractères d’Oiseaux et de Dinosaures soient mises à jour. La Chine est une région du monde particulièrement riche, puisque 4 espèces ont été découvertes dans une région rurale du nord-est du pays. Le village de Sihetun était, entre le Jurassique et le Crétacé, il y a plus de 120 millions d’années, un lac entouré d’une végétation dense. La présence de tufs et d’autres roches volcaniques indique une violente
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1.4 Vers les Oiseaux: des maillons intermédiaires?
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éruption à cette époque. Les gaz et les cendres ont tué et emprisonné Poissons, plantes, Insectes et Reptiles. Les conditions étaient idéales pour la fossilisation: les cendres mêlées à l’argile du lac ont créé un environnement anoxique et empêché la décomposition, leur grain était suffisamment fin pour conserver les détails. Caudipteryx zoui et Protarchaeopteryx robusta sont les derniers spécimens extraits, en 1997. Tous deux ressemblent beaucoup à Archaeopteryx: leurs mâchoires sont garnies de dents, ils possèdent des plumes sur les pattes antérieures et la queue. Celle-ci est longue, elle compte plus de 20 vertèbres, ce qui n’est pas le cas chez les Oiseaux. Quelques caractères les rendent plus archaïques qu’Archaeopteryx, notamment les plumes qui sont toutes symétriques. Il est probable qu’ils n’aient pas été capables de voler. Leurs pattes antérieures relativement courtes, les postérieures étant plus longues, confirment qu’ils devaient plutôt être de bons coureurs. Les plumes ne servaient pas au vol. Comme elles semblent réparties sur tout le corps, elles jouaient probablement le rôle d’isolant, et donc de régulateur thermique. Il faut parcourir le monde pour retrouver la trace d’autres espèces. Eoalulavis, daté de – 115 millions d’années, provient des Pyrénées espagnoles, et ressemble davantage aux Oiseaux. En particulier, il est le seul fossile à avoir une alula, ce petit groupe de plumes stabilisantes. À l’opposé, Unenlagia, un Dinosaure, a été trouvé en Patagonie. Il ne volait certainement pas, mais il est intéressant car l’anatomie de son bras lui permet des mouvements de haut en bas, base du vol battu. Dans le désert de Gobi, de 80 millions d’années, a été découvert Velociraptor. Il possède toutes les caractéristiques d’un Dinosaure. De petite taille, il était un prédateur rapide. Il était efficace pour saisir ses proies grâce à un poignet capable de pivoter. Un tel poignet flexible est typique des Oiseaux car nécessaire pour voler. Si l’origine des Oiseaux est bien à rechercher chez les Dinosaures, elle sera certainement trouvée parmi ces petits carnivores, bipèdes, les Théropodes. Les fossiles d’Archaeopteryx et des autres espèces nous permettent de reconstituer l’émergence des Oiseaux et de la dater. Mais surtout, ils signent un lien de parenté entre les Dinosaures et les Oiseaux, c’est-à-dire une évolution d’un groupe à un autre. La succession chronologique reste cependant peu claire. Ainsi, les datations des terrains chinois sont encore peu précises, ils sont vraisemblablement plus anciens que 120 millions d’années. Les deux espèces qui en sont issues, plus primitives qu’Archaeopteryx, sont apparemment et paradoxalement plus récentes.
20
1.5
1 • Un aperçu de l’histoire de la vie
DES EXTINCTIONS MASSIVES: L’EXEMPLE DE LA CRISE CRÉTACÉ/TERTIAIRE
L’extinction des espèces est un processus normal et continu: à toutes les époques géologiques des espèces disparaissent. Mais il existe des phases de disparitions brutales et massives. Sur une courte période de temps, le pourcentage d’espèces décimées est très important. La crise la plus profonde s’est déroulée à la transition Permien/Trias, pendant laquelle 95% des espèces ont disparu. Néanmoins, la plus documentée est la crise Crétacé/Tertiaire, il y a 65 millions d’années, elle est aussi la plus médiatisée puisqu’elle a touché les Dinosaures.
1.5.1 Les données paléontologiques: données et ampleur de l’extinction Les chiffres et les données paléontologiques restent entachés d’incertitude. En effet, ils sont dépendants des conditions de fossilisation. Qu’une lacune de fossilisation survienne et il devient impossible de reconstituer les faits historiques durant cette période. Si l’espèce n’est pas retrouvée après la lacune, à quel moment s’est-elle éteinte? Sur quelle durée l’extinction s’est-elle prolongée? Plus les fossiles sont rares et plus l’incertitude est grande. Ainsi les données sont encore plus difficilement interprétables pour les Vertébrés, dont les os et les dents sont particulièrement peu répandus, que pour les domaines océaniques où la sédimentation et la fossilisation sont presque continues. Les chiffres suivants restent donc des estimations. En domaine océanique, les micro-organismes planctoniques sont les plus touchés, 80 à 90% d’entre eux disparaissent (Fig. 1.7). Chez les Vertébrés, les Reptiles géants (mosasaures et plésiosaures) sont anéantis alors que les Poissons résistent plutôt bien. Certains groupes sont rescapés et profitent même de la crise: des algues unicellulaires, les Dinoflagellés, et les espèces benthiques de Foraminifères (unicellulaires vivant dans un squelette calcaire) survivent et, mieux, se répandent. Les faunes terrestres sont aussi durement touchées. D’une manière générale, les animaux de plus de 25 kg sont tous affectés. Les Dinosaures, bien sûr, sont entièrement décimés, de même que les gros Reptiles volants (ptérosaures). Les petits Reptiles, comme les lézards et les serpents, traversent la crise. Il existe pourtant une exception à la règle de la taille, les Crocodiliens traversent également cette mauvaise période. Les autres Vertébrés des eaux douces, Amphibiens, Poissons et
1.5 Des extinctions massives
21
tortues en font autant. Chez les Mammifères, alors que les Marsupiaux sont durement touchés, les Placentaires survivent tous. Il faut rappeler qu’ils étaient tous de petite taille. Enfin, le devenir de certains groupes reste plus mystérieux, on ne sait pas à quel point les Oiseaux ont été affectés. Les végétaux semblent plus épargnés, mais ils possèdent des formes de résistance comme les spores ou les graines.
Position relative par rapport à la limite C/T (en cm)
Tertiaire
100
Mammifères
50
Limite C/T 0
Crétacé terminal
max: 18 ng/g
0,01 0,1 © Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Dinosaures
– 50
1
10
100
0
100% 0
200 400 600
Nombre d’individus par cm2 Abondance en iridium (ng/g échelle logarithmique)
Figure 1.7
Importance relative Densité de Foraminifères des Dinosaures et planctoniques Mammifères dans les écosystèmes continentaux
Quelques événements de la limite Crétacé/Tertiaire.
Devant l’ampleur de la crise, de nombreux scénarios ont été échafaudés, nous n’en développerons qu’un seul ici, celui de l’astéroïde.
22
1 • Un aperçu de l’histoire de la vie
1.5.2 La bataille des scénarios: la prépondérance de l’astéroïde? a) L’iridium signe de l’impact?
La couche sédimentaire qui marque la limite Crétacé/Tertiaire est un lit d’argile assez fin, de quelques centimètres à quelques décimètres. Le taux d’iridium mesuré dans ces argiles est de 5 à 50 ng/g d’argile, teneur 100 fois plus élevée que celle des calcaires voisins. Le taux étonnamment haut a été retrouvé dans différents sites mondiaux de la même époque. L’iridium est, en effet, un élément normalement très rare dans la croûte terrestre. Il est, par contre, 1 000 à 10 000 fois plus abondant dans les météorites. Le flux d’iridium sur la Terre par le biais de la pluie météoritique normale est constant: il s’accumule au rythme de 6 à 10 ng/cm2/millions d’années. Inversement, connaissant la teneur en iridium des argiles, il devrait être possible de déduire la durée de la crise. C’est ce qu’a cherché à faire, à la fin des années 1970, une équipe de Berkeley menée par le prix Nobel de physique Luis Alvarez. La teneur exceptionnelle en iridium des argiles devrait faire conclure à une durée de 5 à 10 millions d’années (Fig. 1.7). Or, l’épaisseur de la couche d’argile et d’autres méthodes de datation montrent que les argiles se sont déposées en moins d’un million d’années. Quelle autre hypothèse pourrait expliquer la richesse en iridium à la limite Crétacé/Tertiaire? Si le temps de dépôt est si court, alors l’iridium s’est déposé en quantité beaucoup plus importante que la normale durant cette période. L’impact d’un astéroïde géant contre la Terre peut libérer autant d’iridium sous forme de poussières. En effet, lors du choc, l’énergie est suffisante pour pulvériser l’astéroïde. Toute la matière, dont l’iridium, constituant l’astéroïde se serait alors répandue sous forme de poussières à la surface de la Terre. Un objet d’une dizaine de kilomètres de diamètre est estimé nécessaire pour libérer la quantité totale d’iridium, extrapolée à partir des teneurs locales. Le lien avec la crise se précise. À ce stade, les poussières forment une couche opaque qui interdit la photosynthèse. Par conséquent, les herbivores sont touchés puis les carnivores. Le même processus en chaîne agit dans les océans et sur les continents. b) Le cratère du golfe du Mexique
Des données, minéralogiques en particulier, viennent soutenir la thèse de l’astéroïde. Mais le cratère potentiel de l’astéroïde n’a été découvert qu’en 1991, dans la presqu’île du Yucatán au Mexique. La petite ville
1.5 Des extinctions massives
23
de Chicxulub a donné son nom au cratère. Situé sous 1 km de sédiments, il n’est pas visible de la surface. Des méthodes géophysiques ont néanmoins permis sa mise en évidence. Les anomalies de champ de pesanteur révèlent un déficit de matière. Les profils sismiques permettent de reconstituer des discontinuités telles que des failles ou des changements de roches. En effet, les ondes sismiques se propagent différemment selon la nature des roches. Les profils sismiques confirment la présence d’une structure concave en profondeur. Des carottes de forages effectuées sous les sédiments ont remonté en particulier une roche dont les minéraux ont fondu. Cette roche est caractéristique d’un impact et résulte de la fusion de la croûte terrestre lors du choc. Il est, de plus, possible de dater ce type de roche par la méthode des isotopes; l’âge calculé est très proche de 65 millions d’années. Si l’impact d’un astéroïde géant semble se confirmer, les conséquences sur les écosystèmes restent difficiles à démontrer. Un volcanisme intense et une baisse importante du niveau de la mer sont d’autres événements contemporains à caractère catastrophique, qui ont pu interférer avec l’arrivée de la météorite.
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1.5.3 Les conséquences de la crise Une crise telle que celle qui marque la limite Crétacé/Tertiaire provoque un remaniement complet des faunes mondiales. Une majorité d’espèces disparaît, c’est la partie la plus visible, mais aussi la plus brutale. Certains groupes, à l’opposé, survivent et connaissent même par la suite une explosion de diversité (ou radiation). Ainsi, au Crétacé, les Mammifères étaient de petite taille, inférieure à celle d’un rat, à l’exception de quelques espèces de la taille d’un blaireau (le Marsupial Didelphodon, par exemple). Rares, le plus souvent nocturnes, ils vivaient à l’écart des prédateurs potentiels qu’étaient les Dinosaures. Surtout, la diversité était très faible, les grands herbivores et les Mammifères aquatiques n’existaient pas. Au Tertiaire, ils vont se diversifier rapidement puisqu’au début de l’Éocène (– 55 millions d’années), la majorité des ordres est présente. Les Placentaires sont les grands bénéficiaires de la radiation. Ils acquièrent tous les modes alimentaires, de locomotion et aussi un très large éventail de tailles. Au Paléocène, le Titanoides d’Amérique du Nord avoisine 100 kg. Ils colonisent quantité de niches écologiques laissées vacantes par la disparition d’autres animaux. Pourquoi les Dinosaures ont-ils disparu et pas les Mammifères? Le scénario de la météorite explique au moins partiellement cette survie
1 • Un aperçu de l’histoire de la vie
24
– 4,5.109
Formation du système solaire
–4 1res TRACES DE VIE AU GROENLAND
– 3,5
–1
PRÉCAMBRIEN
– 600 Gisements de fer
– 540
1ers EUCARYOTES
– 400
1res FAUNE et Continent FLORE TERRESTRES des Vieux Grès Rouges
}
Extension des Acritarches 1res ALGUES PLURICELLULAIRES
– 0,65 – 0,59
Faune de Burgess
– 500
PRIMAIRE
ARCHÉEN
Stromatolithes abondants
– 300 – 250
1re FAUNE PLURICELLULAIRE EDIACARA (AUSTRALIE)
– 200 0
– 100
Crise Permien/Trias SECONDAIRE
–2
PROTÉROZOÏQUE
–3
Série et Stromatolithes de North Pole (Australie)
*
– 65 * TERTIAIRE
Figure 1.8
0
– 150
Archaeopteryx
Crise Crétacé/Tertiaire Radiation des Mammifères
– 55
Récapitulation chronologique des grandes étapes et transitions affectant les êtres vivants.
différentielle. Les poussières ont obscurci le ciel, les plantes ne pouvaient donc plus effectuer de photosynthèse. À la suite de quoi, les herbivores, puis les carnivores qui s’en nourrissent meurent à leur tour. Par contre, les stocks de matière organique morte sont toujours présents. Les décomposeurs eux survivront, tout comme ceux qui les mangent. Les vers et les insectes qui vivent dans l’humus, par exemple, passent la crise et continuent de servir de nourriture aux petits Reptiles et Mammifères. Mais on ne sait pas complètement si la survie est ainsi sélective ou aléatoire.
Questions de révision
25
Les archives fossiles varient au cours du temps: le Précambrien ne nous livre que des restes de procaryotes, les premiers êtres terrestres datent du Dévonien… De telles données de la paléontologie suggèrent que la vie évolue dans le temps et qu’on peut la considérer dans une dimension historique. La figure suivante (Fig. 1.8) est une récapitulation de ces grandes dates de l’histoire de la vie. Il est même possible de mettre en relation des changements avec le milieu de vie: ainsi, les premières plantes terrestres ont des organes, des composés chimiques que les végétaux aquatiques n’ont pas. Par ailleurs, des fossiles tels qu’Archaeopteryx possèdent des caractères propres à deux groupes (Oiseaux et Dinosaures en l’occurrence). Ces spécimens sont le signe d’un lien de parenté entre les deux groupes et d’une transformation de l’un à l’autre. D’autres observations anatomique, paléontologique, moléculaire… vont apporter de nouvelles informations en faveur de l’évolution.
QUESTIONS DE RÉVISION
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1.1 Établir la succession des fossiles (Archeopteryx, Velociraptor, Eoalulavis, Protarcheopteryx, Caudipteryx) du plus proche des Sauriens au plus proche des Oiseaux, et mettre en relation avec leur âge. Les deux résultats vous semblent-ils en accord? Quelle explication peuton proposer? 1.2 Parmi les propositions suivantes, déterminer celles qui soutiennent directement l’hypothèse d’endosymbiose, celles qui sont en contradiction, justifier: a) Paramecium bursaria, un protiste, vit actuellement avec des symbiontes d’algues vertes du genre Chlorella dans ses cellules. b) Une enzyme de la photosynthèse, la Rubisco, est codée pour moitié par des gènes nucléaires, pour moitié par des gènes du chloroplaste. c) Les mitochondries ont une double membrane possédant des caractéristiques bactériennes (lipides et protéines particuliers).
Chapitre 2
Faits et observations d’évolution
Objectifs
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Ce chapitre présente quelques faits biologiques qui apportent des arguments en faveur de l’évolution. Ces observations illustreront des transformations d’êtres vivants, et expliqueront en quoi elles entraînent leur adaptation. Elles mettront aussi en évidence la variabilité des populations et des individus, condition a priori nécessaire au processus d’évolution. Les mécanismes mis en jeu seront étudiés ultérieurement.
2.1
UNE LIGNÉE PALÉONTOLOGIQUE: LA FAMILLE DES ÉQUIDÉS
Actuellement, la famille des Équidés ne compte plus qu’une petite dizaine d’espèces d’un seul genre (Equus). Les zèbres (3 espèces), l’onagre de Perse, l’hermione et le kiang d’Asie sont parmi les dernières espèces sauvages. Pourtant, de nombreuses espèces se sont succédées et côtoyées dans la famille du cheval. Son histoire se reconstruit grâce aux parties qui se fossilisent le mieux: les os et les dents. Les molaires nous racontent ce que les anciens chevaux mangeaient, les os des
28
2 • Faits et observations d’évolution
pattes nous disent comment ils se déplaçaient et plus encore… Dans un premier temps, décrivons quelques spécimens d’Équidés.
2.1.1 Étude de quelques exemples Dire que le cheval est un animal de grande taille (plus d’un mètre au garrot), qu’il vit dans des prairies où il se nourrit essentiellement de graminées et qu’il est capable d’avoir une course très rapide n’apprendra rien à personne. Mais ses ancêtres possédaient-ils les mêmes caractéristiques? La comparaison se fera grâce aux informations venues du passé, les dents et les os. Les molaires de cheval actuel montrent une table d’usure, avec crêtes et vallées remplies de cément. La croissance est continue, compensée par l’usure; un cheval qui ne broute pas pourrait avoir le palais transpercé par ses dents devenues trop grandes. Contrairement aux carnivores, comme le chien ou aux omnivores comme l’homme, les prémolaires ont les mêmes caractéristiques que les molaires (Fig. 2.2 B). Les dents broyeuses sont alors plus nombreuses. La patte, quant à elle, ne comporte qu’un doigt développé (III) et des ébauches des doigts II et IV (Fig. 2.1). Le pied est particulièrement long par rapport aux autres segments. Le corps ne repose que sur ce dernier (voir le paragraphe 2.2 pour une description plus précise). À l’opposé, l’histoire commence avec Hyracotherium (ou Eohippus) qui vivait à l’Éocène, c’est-à-dire entre – 53 et – 34 millions d’années. Sa taille ne dépassait pas celle d’un renard. L’axe de sa patte passe par le doigt III qui est aussi le plus développé. Ce caractère définit le groupe des Périssodactyles dont font partie, en plus des Équidés, les tapirs et les rhinocéros. Les distinctions anatomiques entre ces familles sont plus difficiles à décrire. Les molaires portent deux paires de tubercules, mais pas de table d’usure. Elles ressemblent plus aux nôtres qu’à celle du cheval. La croissance des dents est, comme la nôtre, limitée. La main possède quatre doigts qui touchent tous le sol. L’organisation générale des pattes, qui dénote une posture semblable à celle d’un lapin, est caractéristique des animaux sauteurs, avec notamment une forte bascule du bassin. Les reconstitutions du milieu de l’époque ont montré que Hyracotherium vivait en forêt et se nourrissait des feuilles des arbres. Au Miocène (– 24 à – 5,3 millions d’années), apparaissent des molaires à table d’usure, avec des crêtes et des vallées contenant du cément, signes d’une croissance continue. Des fragments de squelettes ont aussi été retrouvés. Le pied est tridactyle, le doigt III est plus développé que les II et IV qui n’atteignent plus le sol. Le spécimen, un peu
2.1 Une lignée paléontologique: la famille des Équidés
A
29
B
ACTUEL
Equus
11 cm III
MIOCÈNE
Merychippus
IV
II
8 cm
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III
Eohippus (Hyracotherium)
ÉOCÈNE V IV
III
II
4 cm
Main
Pied
Figure 2.1 A. Pattes droites de quelques Équidés, vue de face. B. Comparaison de la taille des différentes espèces, à partir de reconstitutions qui sont à la même échelle (d’après Devillers et Mahé).
30
2 • Faits et observations d’évolution
Face externe
A Vue de dessus Vue par la face externe
Hyracotherium
Miohippus
Merychippus
mangeurs de feuilles ÉOCÈNE
OLIGOCÈNE
Pliohippus (identique à Equus)
Espèces
brouteurs MIOCÈNE
PLIOCÈNE
Dates
B Hyracotherium (Eohippus)
Miohippus
Merychippus Espèces
ÉOCÈNE
OLIGOCÈNE
MIOCÈNE Dates
Figure 2.2 A. Molaires supérieures droites de quelques Équidés (à la même échelle). B. Molaires et prémolaires de 3 Équidés, la flèche indique l’avant de la mâchoire. Les prémolaires sont de plus en plus semblables aux molaires (d’après Devillers et Mahé).
plus grand que le précédent, a été appelé Merychippus. Parallèlement, de nouveaux biotopes sont apparus au Miocène. En effet, les milieux ouverts comme la savane ou les steppes, qui n’existaient pas auparavant, augmentent en surface. Les graminées dominent ces écosystèmes. Plus riches en silice que les feuilles des arbres, elles constituent une nourriture plus dure pour les herbivores. Au Pliocène (– 5,3 à – 1,65 millions d’années), le principal Équidé est Pliohippus. Ses caractéristiques sont pratiquement semblables à
2.1 Une lignée paléontologique: la famille des Équidés
31
celles du cheval. Par contre, sa taille correspond plutôt à celle d’un poney. Il vit lui aussi dans des prairies, se nourrit de graminées et se déplace par la course.
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2.1.2 Interprétation Les modifications subies par les Équidés au cours du temps sont corrélées avec un changement de milieu de vie. Les espèces les plus anciennes, forestières, possèdent des dents «généralistes» à tubercules. À l’inverse, les dents des espèces de prairie sont particulièrement efficaces pour la mastication des graminées, dominantes dans les milieux steppiques. L’abrasion, due à la forte teneur en silice, est compensée par une couronne plus haute associée à une croissance continue. De même, les pattes plus allongées, plus redressées, la diminution du nombre de doigts permettent une course plus rapide (voir aussi paragraphe 2-2, page 33) dans les milieux ouverts. Mais surtout, le cheval actuel mesure près de 1 m de plus au garrot et pèse 27 fois plus lourd qu’Hyracotherium. Il ne parviendrait pas à se maintenir sur une patte semblable à celle de son ancêtre car les articulations ne supporteraient pas le poids du corps. Une patte plus rigide et plus redressée permet d’éviter l’effondrement mais aussi d’être apte à la course. Les dents et les pattes sont donc plus adaptées aux milieux ouverts dans lesquels vivent les espèces plus récentes. Les Équidés montrent des changements anatomiques corrélés à une plus grande adaptation au milieu de vie. C’est la définition même de l’évolution biologique. Si on la refuse, il faut faire l’hypothèse que chaque espèce d’Équidé a été créée pour un milieu donné et que ces créations se sont répétées au cours du temps après la disparition d’espèces plus anciennes. La comparaison du cheval et de ses ancêtres nous offre un fait d’évolution. Si les espèces se sont transformées au cours du temps, alors elles sont apparentées et dérivent les unes des autres. Hyracotherium et les autres sont les ancêtres du cheval actuel. On parle alors de lignée évolutive. Peut-on aussi en tirer des informations sur le déroulement, la dynamique de l’évolution? D’après cet exemple, l’évolution paraît se dérouler dans une seule direction, selon des grandes tendances irréversibles et continues: allongement des pattes, augmentation de la taille, diminution du nombre de doigts. Autrement dit, il semble que l’évolution se fasse de façon linéaire, un peu comme si Hyracotherium était le grand-père de Merychippus et ainsi de suite. Cependant, les quatre espèces considérées sont loin d’être les seules, de nombreuses autres ont été mises à jour.
32
2 • Faits et observations d’évolution
Elles forment bien souvent des branches qui se sont éteintes dans lesquelles la taille augmente ou diminue, des types de dents apparaissent qui ne se retrouvent plus ailleurs ou ultérieurement. L’évolution n’est donc pas aussi simple: l’arbre phylogénétique des Équidés (Fig. 2.3), qui donne les successions temporelles et les relations de parenté, contient de nombreuses autres espèces montre de multiples ramifications débouchant sur des impasses. Amérique du Nord
Eurasie
Mégahippus
us
• Merychippus
Archaehippus
OLIGOCÈNE
- 25
• Miohippus Mesohippus Haplohippus
- 35
ÉOCÈNE
Epihippus
Orohippus
• Hyracotherium - 55
Temps (millions d’années)
•
Chevaux mangeurs de feuilles et marcheurs Chevaux brouteurs (de Graminées) et coureurs Espèces décrites
Figure 2.3 Arbre phylogénétique des Équidés (d’après Devillers et Mahé).
rio n
p hi St y l o pus hip ino
S
n Hippario
rion
s
ipp
MIOCÈNE
Néo hippa
P l i oh i p p u
P r otoh
Astrohippus
•
Equus
pa
• Equus Dinohippus Nannihippus Pseudo hip parion
-5
PLIO. QT.
Amérique du Sud
Anchitherium
2.2 Une «lignée» actuelle: les Vertébrés
33
On ne s’est focalisé ici que sur une petite partie de la famille et l’information fournie par les quatre espèces n’est pas exhaustive. Par conséquent l’image qu’elle donne de l’évolution est déformée. Les études paléontologiques se heurtent souvent à ce genre de problèmes. Grâce aux fossiles, il est possible de reconstituer une séquence temporelle et d’y retrouver la trace de l’évolution, mais les informations ne sont jamais complètes à cause de la rareté des fossiles. L’étude des organismes actuels, plus aisée, peut nous apporter des informations supplémentaires.
2.2
UNE «LIGNÉE» ACTUELLE: LES VERTÉBRÉS
Les Vertébrés, les Tétrapodes notamment, montrent des organisations et des modes de vie différents. En particulier, tous les modes de locomotion sont représentés: marche, course chez les Mammifères terrestres, saut chez les Amphibiens, vol chez les Oiseaux et les Chiroptères (chauves-souris), nage chez le dauphin… En parallèle avec cette diversité des moyens de locomotion, existet-il une diversité des membres locomoteurs? Si tel est le cas, cette diversité correspond-elle à des adaptations? De plus, si cette diversité existe, pourquoi maintenir ces organismes dans une même unité taxonomique?
2.2.1 Description de quelques exemples
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a) Les Mammifères terrestres et la marche
Le premier point commun des membres postérieurs du chien, de l’homme et du cheval est leur organisation générale (Fig. 2.4). En effet, tous sont subdivisés en trois parties: cuisse, jambe et pied. De même, trois parties se retrouvent dans le membre antérieur: bras, avant-bras, main. Le troisième segment est lui-même composé de trois parties: tarse, métatarse, orteils (carpe, métacarpe, doigts pour la main). Cette organisation est en fait typique des membres pairs des Tétrapodes (comme le confirmeront les exemples suivants). L’archétype de ce membre, dit chiridien, (Fig. 2.5) présente trois parties, séparées par des articulations: le stylopode (cuisse ou bras), le zeugopode (jambe ou avant-bras), l’autopode (pied ou main). Une des caractéristiques des membres des Vertébrés est l’unité, par rapport à ce type. Par ailleurs, les trois organismes utilisent tous la marche, mais peuvent atteindre des vitesses différentes. L’homme se déplace naturellement
34
2 • Faits et observations d’évolution
10 cm Stylopode
16 cm
Zeugopode
Autopode
Homme
Chien
Cheval
Figure 2.4 Comparaison des membres postérieurs de Mammifères terrestres (d’après Beaumont et Cassier).
Membre postérieur
Fémur Fibula Tibia Tarsiens
Membre antérieur
Humérus Ulna
Stylopode
cuisse bras
Zeugopode
jambe avant-bras
Radius Carpiens
Tarse (cheville) Carpe (poignet) Métatarse (plante) Métacarpe (paume)
Métatarsiens Métacarpiens Phalanges
Figure 2.5
Autopode pied main
Orteils Doigts
Membre chiridien: membre pair des Tétrapodes (d’après Beaumont et Cassier).
au pas. Le chien peut utiliser le trot, c’est-à-dire la semi-course. Le cheval peut courir jusqu’au galop facilement. Les trois segments du membre chiridien sont présents, cependant leur longueur, absolue et
2.2 Une «lignée» actuelle: les Vertébrés
35
relative, varie. Le membre est plus allongé chez le cheval que chez le chien et l’homme. La jambe (fibula et tibia) est réduite; inversement, le pied est plus allongé, relativement aux autres parties ce qui permet une enjambée plus grande. La position de certains segments change elle aussi: le pied est d’autant plus relevé que la vitesse de déplacement est importante. Il est à plat chez l’homme, dit plantigrade. Le métatarse et le métacarpe sont relevés chez le chien, le corps repose sur les phalanges, il est digitigrade. Chez le cheval, seule la dernière phalange touche le sol, il s’agit d’un onguligrade. Tout comme un sprinter, il ne s’appuie que sur l’extrémité du pied. Enfin, le nombre de doigts varie. Au nombre de cinq chez l’homme et le chien, un seul doigt surdéveloppé est présent chez le cheval, deux autres très atrophiés sont encore visibles. b) La grenouille et le saut
Chez la grenouille et les autres animaux sauteurs, comme la gerboise, le membre postérieur est modifié (Fig. 2.6). Les trois segments sont approximativement de la même longueur: le pied ainsi que la jambe (tibia et fibula) sont allongés. La fibula est soudée au tibia. Les possibilités de mouvement sont réduites à la flexion et l’extension. Au repos, le membre est replié sous le corps. Au moment du saut, il se déplie comme un ressort et s’étend au maximum.
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Phalange
Tibia Métatarse Tarse Fibula
Fémur
0,5 cm Figure 2.6 Membre postérieur de grenouille (d’après Beaumont et Cassier). 0,5 cm
c) Les Oiseaux, les chauves-souris et le vol
Le membre antérieur est le plus modifié chez ces animaux (Fig. 2.7). Il est aussi divisé en trois parties, séparées par des articulations qui correspondent à l’autopode, au zeugopode et au stylopode, et qui sont
36
2 • Faits et observations d’évolution
AUTOPODE
ZEUGOPODE
Métacarpe Phalange Carpe
1,5 cm
STYLOPODE
Ulna Radius
Humérus
Insertion des rémiges
Oiseau (poule)
AUTOPODE
Phalange
ZEUGOPODE
I
Métacarpe
Carpe Radius Ulna
STYLOPODE
Humérus
II
III
IV V 2,5 cm
Surface alaire
Chauve-souris (roussette) Figure 2.7 Comparaison des membres antérieurs d’Oiseau et de chauve-souris (d’après Beaumont et Cassier).
approximativement de la même longueur. En particulier, le segment distal est aussi développé que les autres. Chez les Oiseaux, seuls trois doigts, dont un réduit, subsistent et sont soudés entre eux. La main est malgré tout allongée. La surface portante est formée par les plumes du vol, les rémiges. Celles-ci s’insèrent sur les segments de la main et l’ulna.
2.2 Une «lignée» actuelle: les Vertébrés
37
Chez les chauves-souris, les cinq doigts sont présents, les différentes parties de la main sont allongées. Quatre d’entre eux soutiennent la surface portante, formée d’un repli cutané. L’organisation est similaire pour ces deux types d’animaux. Pourtant, ils n’appartiennent pas à la même classe. Dans les deux cas, le caractère principal est l’allongement de la main, qui soutient la surface portante. d) Le dauphin et la nage
Chez cet animal marin, les membres postérieurs sont très réduits et les membres antérieurs modifiés (Fig. 2.8). La forme générale de ces derniers rappelle une nageoire de Poisson. L’humérus, l’ulna et le radius sont raccourcis, soudés. La main, elle, est développée, avec une augmentation du nombre de phalanges. La locomotion proprement Humérus Radius Carpe
Phalange
Humérus
Ulna Métacarpe
Ulna
Radius 5 cm STYLOPODE
AUTOPODE
ZEUGOPODE
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Dauphin
Ichthyosaure
Pièce basale
Rayons osseux
Téléostéen Figure 2.8 Comparaison des organes de locomotion d’animaux nageurs (d’après Beaumont et Cassier).
38
2 • Faits et observations d’évolution
dite, c’est-à-dire la propulsion, n’est pas réalisée par ces organes. La queue remplit ce rôle grâce à sa grande surface, les membres participant seulement à la direction et à l’équilibration. La ressemblance avec une nageoire de Poisson ne concerne que la forme1. L’organisation de son squelette est en effet différente; la subdivision fondamentale en trois parties n’est pas présente. À l’inverse l’ichthyosaure, Reptile fossile, présente des membres antérieurs proches du type chiridien, avec humérus, radius, ulna. La similitude se perd pour les segments les plus distaux. Là encore, des animaux qui pratiquent le même mode de locomotion possèdent des membres de même forme.
2.2.2 Interprétation L’observation des membres locomoteurs de Vertébrés Tétrapodes nous donne principalement deux informations: – Tout d’abord, il existe une grande diversité de formes, entre les espèces (diversité interspécifique): le membre d’un cheval a une organisation différente de celle d’un dauphin. Cette diversité de structures correspond à une diversité de fonctions. En effet, chaque organisation permet de réaliser efficacement un mode de locomotion donné. Autrement dit, chaque structure est adaptée à un type de déplacement correspondant au mode de vie de l’animal. – Malgré ces différences, tous ces membres peuvent être regroupés sous le même «type», celui du membre chiridien; la subdivision en trois parties et certains éléments squelettiques sont présents systématiquement. Ces organes sont qualifiés d’homologues. Tous les animaux qui possèdent un tel squelette sont regroupés au sein des Vertébrés Tétrapodes. Au XIXe siècle, Geoffroy Saint-Hilaire énonçait le principe des connexions, autre définition des caractères homologues: à l’intérieur d’un même plan d’organisation, deux organes sont homologues s’ils ont les mêmes connexions avec les organes voisins, quelles que soient leur forme ou leur fonction. Longtemps, les anatomistes n’ont pas interprété cet état de fait. Chaque espèce était perçue comme le fruit d’une création propre. Selon son mode de vie, elle était pourvue d’un membre adapté. Cependant, il existe des espèces antérieures et disparues présentant 1. Les Téléostéens ont effectivement des éléments osseux différents. D’autres Poissons, comme le cœlacanthe, ont des nageoires beaucoup plus proches du type chiridien.
2.2 Une «lignée» actuelle: les Vertébrés
39
déjà une telle organisation (l’ichthyosaure, par exemple). Faut-il voir dans ces successions d’espèces une série de créations? Une autre interprétation possible des homologies, ainsi que l’a proposé Darwin, est de les inscrire dans une histoire. Chaque espèce de Tétrapode descend d’un ancêtre commun et hypothétique. Cet ancêtre possède un membre de type chiridien. Au cours de nombreuses générations, un processus d’évolution entraîne une transformation des organismes qui se spécialisent dans un mode de vie. Les membres se différencient petit à petit, s’adaptant ainsi. La notion d’homologie a alors une définition «historique»: elle concerne des organes de différents êtres vivants, hérités d’un ancêtre commun qui ont subi une modification et une spécialisation au cours du temps. Les ailes des Insectes et des Oiseaux remplissent la même fonction de vol et possèdent une forme similaire. Cependant les squelettes de ces deux membres ne possèdent pas les mêmes éléments. Par opposition à l’homologie, on parle alors d’analogie ou de convergence pour qualifier deux organes qui ont la même fonction sans posséder d’éléments fondamentaux communs, et sans dériver d’un organe ancestral commun.
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2.2.3 Conclusion L’analyse des squelettes des membres de Vertébrés Tétrapodes a permis de mettre en évidence leur unité comme leur diversité. Il est possible d’inscrire ces caractéristiques dans une perspective évolutive. Les éléments identiques sont hérités d’un ancêtre commun. Les différences se sont faites au cours du temps par spécialisation. Pourtant toutes ces données et interprétations ne nous renseignent pas sur les mécanismes d’une telle évolution, sur ses causes, ou encore sur sa dynamique… C’est pourquoi nous étudierons ces processus dans les chapitres suivants. Les ressemblances décrites sont interprétées comme le signe d’une parenté entre les Vertébrés. Il doit être possible alors de placer ceux-ci dans un arbre qui, au-delà de la systématique, reflète aussi une généalogie. Dans ces exemples, les membres apparaissent adaptés à un mode de locomotion. L’adaptation reste simple à définir: ces portions de squelette ont toutes une organisation interne, une structure permettant de réaliser efficacement une fonction, en l’occurrence un mode de locomotion. Dans l’interprétation darwinienne, l’adaptation est le résultat d’un processus d’évolution. Comment apparaît-elle? Quels sont les
40
2 • Faits et observations d’évolution
mécanismes de ce processus évolutif? Nous tenterons également de répondre à cette question dans les chapitres suivants. Enfin, nous venons de voir comment une diversité entre espèces donne des arguments en faveur de l’évolution. Existe-t-il aussi des variations au sein d’une espèce? Quelles informations peut-on en tirer?
2.3
LA DIVERSITÉ PHÉNOTYPIQUE INTRASPÉCIFIQUE
Peu de populations sont aussi remarquables que celles de la phalène du bouleau (Biston betularia) pour l’étude des processus d’évolution. L’exemple est à juste titre très utilisé. Pour l’écologiste, une population est un ensemble d’individus de la même espèce, limité dans l’espace. Dans le cadre de ce chapitre, seule la variabilité phénotypique et sa signification évolutive seront étudiées.
2.3.1 Mise en évidence du mélanisme industriel La phalène du bouleau est un papillon de nuit qui passe la journée posé, immobile, les ailes ouvertes sur les troncs de bouleau. Au début du XIXe siècle, il est de couleur gris clair, blanchâtre. En 1848, un spécimen sombre, presque noir, fut recensé près de Manchester. L’Angleterre comptait alors de nombreux collectionneurs de papillons, toujours à la recherche de cas particuliers. Cette forme sombre du papillon s’échangea d’abord très cher, du fait de sa rareté, puis son cours baissa durant le XIXe siècle. Trouver des individus noirs devenait de plus en plus fréquent, non pas que les chasseurs étaient plus habiles, leurs proies étaient tout simplement plus nombreuses. Dans les régions industrielles de l’Angleterre, la forme sombre était devenue la plus fréquente, vers Londres et Manchester par exemple. Toutefois, dans les zones rurales, comme le Dorset, la forme grise dominait toujours (Fig. 2.9). C’est ce phénomène que l’on nomme mélanisme industriel. Par ailleurs, dans les zones urbaines, les rejets industriels, notamment de dioxyde de soufre, tuent les lichens, clairs, qui poussent sur les troncs des bouleaux. Ceux-ci sont, par conséquent, plus sombres dans ces zones industrialisées. Le phénomène est aggravé par les dépôts de suie sur les arbres.
2.3 La diversité phénotypique intraspécifique
41
Forme claire Manchester
Birmingham Londres Forme sombre
Dorset
Proportion de la forme claire
Proportion de la forme sombre
Figure 2.9 Les deux types de phalènes du Bouleau et leur répartition en Angleterre au XIXe siècle (d’après Devillers et Mahé).
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2.3.2 Hypothèse explicative Les bouleaux qui portent des lichens sont grisâtres. Lorsque les papillons y sont posés, il est difficile de discerner la forme grise, alors que les individus noirs se repèrent plus facilement. L’inverse se produit sur les bouleaux des régions industrielles, sans lichen, plus sombres. La couleur des papillons leur permet de se camoufler sur le tronc des arbres et d’échapper ainsi aux Oiseaux, prédateurs de la phalène. On peut émettre l’hypothèse que, dans les zones industrialisées, la forme sombre plus difficile à repérer subit une pression de prédation moindre. Cette forme est devenue plus abondante en conséquence de l’industrialisation. Dans les zones rurales, la situation est inverse. Les papillons clairs, mieux camouflés, se font aussi moins chasser et restent les plus nombreux. Des études ultérieures ont cependant montré que cette explication était trop simple. D’autres facteurs influencent la proportion d’individus gris ou noirs dans une population. Ils ne seront pas développés ici.
42
2 • Faits et observations d’évolution
Encart 2.1
Expérience visant à tester l’hypothèse Kettlewell, dans les années 1950, mit au point l’expérience suivante de capture-marquage-recapture pour tester l’hypothèse. Protocole: après avoir capturé de nombreux individus, noirs comme gris, il les marque. Puis, il les relâche dans deux régions: l’une urbaine (près de Birmingham), l’autre rurale (dans le Dorset). Il dispose en même temps des pièges aux deux endroits pour recapturer les papillons. Les résultats obtenus sont donnés dans le tableau ci-dessous. Tableau 2.1 Nombre et pourcentage d’individus relâchés puis recapturés par Kettlewell, dans deux zones, rurale et industrielle Nombre d’individus relâchés
Pourcentage d’individus recapturés vivants
Birmingham Noirs Gris
447 137
27,5 13
Dorset Noirs Gris
473 296
0,3 12,5
Lieu
Pensez-vous que ces résultats confirment ou infirment l’hypothèse formulée précédemment? Le plus faible taux de recapture des individus gris en zone urbaine indique une plus forte mortalité (dans l’hypothèse où les deux types d’Insectes se capturent aussi bien). De même, dans le Dorset, rural, les individus noirs sont moins recapturés; ils subissent une plus forte mortalité. Des observations sur le terrain montrent aussi que les individus noirs se font plus manger que les individus gris en zone non polluée. Inversement, les papillons gris subissent une plus forte prédation en zone polluée. Ces résultats confirment l’hypothèse formulée précédemment. Les individus noirs, mieux adaptés aux arbres d’un milieu industrialisé, échappent plus souvent à leurs prédateurs que les gris en zone urbaine. De la même manière, les individus gris présentent une meilleure adaptation au milieu rural.
2.4 La diversité moléculaire intraspécifique
43
2.3.3 Conclusion Deux sortes d’individus, de couleurs différentes, se trouvent dans les populations naturelles: il existe une diversité du phénotype au sein de l’espèce c’est-à-dire une variabilité entre les individus. Cependant, seule la couleur est prise en compte dans cette étude et l’existence d’une variabilité sur ce caractère n’est en rien une preuve d’un polymorphisme sur tous les traits de l’espèce. Des changements dans l’abondance relative des deux formes peuvent survenir. Les variations dans les populations de phalène sont exceptionnellement rapides. En effet, il suffit de quelques années pour que les individus noirs supplantent les individus gris. La situation inverse peut aussi se produire car les changements dépendent du milieu. La forme dominante est celle qui se repère le moins dans un environnement donné: elle y est plus adaptée. Il est possible d’observer ici un processus d’évolution, au sens de changements adaptatifs. Les variations touchent les individus, qui sont noirs ou gris. Elles se répercutent à l’échelle de la population, au travers des proportions de chaque type. Ces données nous permettent d’énoncer une nouvelle définition de l’adaptation: un individu peut être plus ou moins adapté, par rapport à son milieu. On ne peut déterminer, dans l’absolu, un degré d’adaptation: cela dépend du milieu dans lequel vit l’individu. Un individu sombre est plus adapté, au milieu industrialisé, par exemple. La couleur des papillons est un caractère facilement visible, mais la diversité se retrouve aussi à d’autres niveaux plus difficilement observables.
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2.4
LA DIVERSITÉ MOLÉCULAIRE INTRASPÉCIFIQUE
2.4.1 Étude de la diversité intraspécifique des protéines a) L’utilisation de l’électrophorèse
Les molécules ne sont pas accessibles directement à la simple observation. L’électrophorèse a été développée dans le but de les séparer en fonction de leur taille et de leur charge électrique. Son principe est connu depuis la fin du XIXe siècle, mais il faut attendre les années 1960 pour que R.C. Lewontin et J.L. Hubby (1966), aient l’idée de l’utiliser pour l’étude des populations naturelles.
44
2 • Faits et observations d’évolution
Encart 2.2
Principe de l’électrophorèse Les protéines sont des molécules chargées négativement le plus souvent (dans une zone de pH physiologique), elles ont donc la propriété de se déplacer dans un champ électrique. Par ailleurs, il est possible de les extraire des cellules. Les protéines extraites sont déposées sur un support poreux, gel d’agarose ou papier par exemple, qui est lui-même placé dans une solution tampon, conductrice (Fig. 2.10). On applique alors un champ électrique. Les molécules se déplacent en fonction de leur charge, de leur poids et de leur encombrement. En effet, le support forme un réseau de fibres, de cellulose dans le cas du papier. Les molécules, sous l’effet du champ électrique, migrent dans cette trame: si le volume est grand, la migration est lente. Après un temps de migration donné, les différentes protéines sont séparées: plus leur vitesse de déplacement est importante, plus elles sont éloignées du point de dépôt. –
– Tampon
Tampon Plaques Échantillon
Gel
Gel
+
+ Tampon Vue frontale
Figure 2.10
Vue latérale
Matériel et principe de l’électrophorèse (d’après Freifelder).
Il s’agit ensuite de repérer les molécules sur le support. On peut par exemple visualiser des enzymes en exploitant leurs propriétés catalytiques. Le substrat de l’enzyme, déposé sur le support, réagit uniquement dans les zones où se trouve l’enzyme. La présence de celle-ci sera signalée par une réaction colorée.
2.4 La diversité moléculaire intraspécifique
45
b) Application à l’étude des populations
Dans une population donnée, des échantillons sont prélevés sur plusieurs individus. Les protéines de chacun subissent alors une électrophorèse. Cette démarche a été appliquée par exemple à l’estérase 6, une enzyme, dans des populations de drosophiles. Après broyage des individus chez la drosophile (afin d’avoir suffisamment de protéines), en suivant le protocole décrit ci-dessus, les résultats sont les suivants: ➤ Résultats
Bande d’une enzyme
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11 12 Piste d’un individu
Figure 2.11
Gel d’électrophorèse enzymatique, chaque bande correspond à la présence de l’enzyme.
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➤ Observation
Dans cette population, il existe trois types d’individus, présentant respectivement: – une bande à faible distance, c’est-à-dire une enzyme à faible vitesse de migration (piste n° 1), – une bande à grande distance, c’est-à-dire une enzyme à grande vitesse de migration (piste n° 4), – les deux bandes (piste n° 2). Il faut noter que seule une enzyme monomérique donne de tels résultats. ➤ Interprétation
Puisque le substrat déposé est spécifique d’une enzyme, les deux bandes ne peuvent être celles de deux enzymes différentes utilisant le même substrat. Les deux bandes correspondent à deux formes de la
46
2 • Faits et observations d’évolution
même protéine, ou deux allèles1. La population est qualifiée de polymorphique: un gène possède plusieurs formes ou allèles. Un locus est considéré comme polymorphe s’il possède au moins deux allèles dont le plus répandu se trouve chez moins de 95% des individus. Les individus à une bande ne possèdent donc qu’un des deux allèles, «lent» (noté L) ou «rapide» (noté R): ils sont homozygotes. Ceux qui montrent deux bandes possèdent les deux allèles: ils sont hétérozygotes. Le polymorphisme s’exprime à l’échelle d’une population qui se compose de plusieurs sortes d’individus différant par leur combinaison allélique. Il est possible de quantifier un polymorphisme. Pour un locus donné, on calcule la fréquence de chaque génotype (LL, LR, et RR) et de chaque allèle dans la population. Fréquence génotypique: nombre d’individus RR dans la population f ( RR ) = --------------------------------------------------------------------------------------------------------nombre total d’individus dans la population Fréquence allélique: 2 × nombre d’individus RR + nombre d’individus RL f ( R ) = -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------2 × nombre total d’individus dans la population Pour les fréquences alléliques, on compte le nombre d’allèles par individu. Comme les individus sont diploïdes, ils possèdent deux allèles, différents ou non, le dénominateur est donc multiplié par deux. Les individus RR possèdent deux copies de R, contrairement les individus RL qui n’en portent qu’une. Calculer les fréquences des génotypes et des allèles dans l’échantillon présenté ci-dessus (Fig. 2.11). Les fréquences alléliques sont: f(L) = f(R) = 0,5; et les fréquences des génotypes: f(RR) = f(RL) = f(LL) = 0,333. ➤ Limites
Comme il est impossible de faire des prélèvements sur tous les individus d’une population, l’ensemble des individus échantillonnés peut ne pas être exactement conforme à la population complète. Le hasard peut faire qu’uniquement des hétérozygotes sont capturés, alors que les homozygotes sont présents. Cet exemple est un cas extrême mais des problèmes de ce type peuvent arriver, en particulier lorsque l’échan1. Le terme allèle désigne en fait deux ou plusieurs formes d’un même gène. Par extension, on utilise ce terme pour la protéine codée par ce gène.
2.4 La diversité moléculaire intraspécifique
47
tillon contient peu d’individus. En général, on calcule une probabilité d’erreur qui dépend de la taille de l’échantillon et des fréquences des différentes classes d’individus. Si p est la fréquence de l’allèle L, q celle de l’allèle R, N la taille de l’échantillon, la variance est: pq σ 2 = -------2N La variance, et donc la probabilité d’erreur, diminue quand la taille de l’échantillon augmente. ➤ Conclusion
À l’intérieur d’une population, tous les individus n’ont pas le même génotype, il existe une diversité intraspécifique à l’échelle des protéines. D’autres molécules sont des constituants essentiels des êtres vivants, parmi elles l’ADN, support de l’hérédité. Les protéines sont synthétisées à partir de l’ADN, il ne serait pas étonnant de trouver un polymorphisme similaire au niveau de l’ADN.
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2.4.2 Étude de la diversité intraspécifique de l’ADN L’ADN est aussi une molécule chargée négativement. Il est donc possible de l’utiliser dans des études d’électrophorèse, de la même manière que les protéines. L’ADN se déplace essentiellement en fonction de son encombrement. Selon le même principe que précédemment, les fragments les plus courts migrent le plus loin. La présence de l’ADN peut être révélée grâce au BET (bromure d’ethidium), composé qui possède la double propriété de s’intercaler entre deux brins d’ADN et d’être fluorescent en lumière ultraviolette. Il suffit donc d’éclairer le gel sous UV, après avoir ajouté le BET: seules les zones où se trouve l’ADN sont fluorescentes. Comment, pratiquement, met-on en évidence un polymorphisme au niveau de l’ADN? Les procaryotes possèdent des enzymes qui ont la propriété de couper la molécule d’ADN au niveau d’une séquence spécifique. Par exemple EcoRI, qui provient de la bactérie Escherichia coli, reconnaît la séquence GAATTC et la coupe systématiquement lorsqu’elle la rencontre. Ce type particulier de protéine est appelé enzyme de restriction. En mélangeant une solution d’ADN à plusieurs enzymes de restriction, celui-ci est découpé en plusieurs fragments (qualifiés de fragments de restriction) de longueurs différentes. La figure suivante (Fig. 2.12) montre le résultat de l’électrophorèse de l’ADN du bactériophage λ digéré par EcoRI.
48
2 • Faits et observations d’évolution
Figure 2.12 Électrophorèse des fragments de restriction du phage λ par Eco RI. La migration se fait de la droite vers la gauche (d’après Freifelder, source: Arthur Landy et Wilma Ross).
L’enzyme a découpé 6 fragments qui migrent à des distances plus ou moins grandes en fonction de leur taille. Chaque bande correspond à un fragment d’une longueur donnée. On utilise alors le même protocole que celui des protéines sur un échantillon d’individus d’une population. La figure suivante (Fig. 2.13) montre un exemple imaginaire d’une telle électrophorèse. 0
1
2
3
4
5
6
7
10 kB 7 kB
5 kB 4 kB 3 kB 2 kB 1 kB 0,5 kB 0: Échantillon étalon dont les fragments sont de longueur connue 1 à 7: Échantillons de différents individus traités par la même combinaison d’enzymes
Figure 2.13 Gel d’électrophorèse de fragments de restriction, pour plusieurs individus d’une population.
2.4 La diversité moléculaire intraspécifique
49
➤ Observation
L’individu 1 montre des bandes correspondant à des fragments de 10, 5, 2 et 1 kilobases (1 000 bases = kb), l’individu 3 possède seulement les fragments 10, 5 et 3kb. Sur ce gel, 4 profils différents se distinguent: tous les individus n’ont pas la même combinaison de fragments d’ADN. ➤ Interprétation
Pour le même morceau d’ADN extrait, les individus ne possèdent pas les mêmes fragments de restriction, donc les enzymes n’ont pas coupé aux mêmes endroits. Or une enzyme reconnaît toujours la même séquence et les échantillons ont été traités par la même combinaison d’enzymes. Par conséquent, les séquences diffèrent d’un individu à l’autre. Il est possible de reconstituer les fragments propres à chaque individu (Fig. 2.14). Individus
Reconstitution des fragments des échantillons
1
5
2
1
2
5
2
1
3 5
5
10 3
3
7 10
• 5
2
4
7
•
Séquence identique pour tous les individus: site monomorphe
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• Séquence reconnue chez l’individu 5 et non chez l’individu 3: elle est donc différente pour les deux individus Figure 2.14 Reconstitution des différents types de fragments. Les chiffres sont les tailles des fragments (en kilobases).
Tous les individus d’une population ne possèdent pas les mêmes séquences au sein leur génome. Il existe bien un polymorphisme au niveau de l’ADN. Cette méthode d’étude porte le nom de RFLP (polymorphisme de longueur des fragments de restriction). Elle n’est pas la seule qui permette d’étudier la diversité génomique: d’autres sont basées directement sur la comparaison des séquences d’ADN. Chaque profil de restriction correspond à une succession donnée de nucléotides, donc à un allèle. Ici aussi, il est possible de quantifier le
50
2 • Faits et observations d’évolution
polymorphisme en mesurant la fréquence de chaque allèle dans la population, de la même façon que pour les protéines. ➤ Conclusion
L’ADN présente aussi un polymorphisme au sein d’une population. Les mêmes questions peuvent se poser pour l’ADN et les protéines: Comment cette diversité apparaît-elle et se maintient-elle? A-t-elle une signification adaptative?
2.4.3 Variabilité entre les populations Comme nous l’avons vu précédemment, il est possible de mesurer des fréquences alléliques dans une population. Ainsi, les fréquences des trois allèles A, B et O des groupes sanguins ont été estimées dans plusieurs populations humaines (Fig. 2.15). Chaque point correspond O 4• 5 • 3•
7 19 • 14 • 10 17• • • 18 • • 13•0 • 2 • 16 • 12 • 9 ••8 6 15 •• •20 11 1
B
A
Figure 2.15 Fréquences des allèles A, B et O pour quelques populations humaines (d’après Jaquard). Populations. AFRIQUE: 1, Pygmées; 2, Abyssins; 3, Ouganda. AMÉRIQUE: 4, Indiens (Colombie britannique); 5, Indiens Navaho; 6, Blancs (Minnesota); 7, Esquimaux (baie d’Hudson). ASIE: 8, Persans; 9, Pakistanais (Penjab); 10, Hindous (Madras); 11, Musulmans (Madras); 12, Chrétiens (Madras); 13, Japonais. AUSTRALIE: 14, Aborigènes (Ouest); 15, Aborigènes (Est). EUROPE: 16, Français (ensemble); 17, Espagnols (ensemble); 18, Basques (Français + Espagnols); 19, Anglais; 20, Russes.
2.4 La diversité moléculaire intraspécifique
51
à une population. Dans ce diagramme, plus un point est éloigné d’un sommet, plus la fréquence de l’allèle correspondant est faible. Ainsi, chaque point est à une distance du côté AB égale à la fréquence de O, par exemple. Toutes les populations ne sont pas regroupées en un même point, les fréquences des allèles sont donc différentes dans chacune d’entre elle avec des compositions alléliques variées. Ces mesures nous montrent qu’il existe une diversité génétique intraspécifique entre les populations. De plus, il est peu probable que les populations aient toujours eu cette structure génétique. On peut supposer au contraire que ces compositions ont varié au cours du temps. ➤ Conclusion
Les fréquences alléliques ne sont pas constantes au cours du temps: elles peuvent être modifiées. Ces modifications ont-elles lieu au hasard?
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2.4.4 Conclusion La variabilité des molécules entre les individus existe bien. Ce polymorphisme est même quantifié sous la forme des fréquences alléliques variables d’une population à une autre. Celles-ci peuvent en particulier changer dans le temps. En 1966, Lewontin et Hubby écrivaient: «La description de la variation génétique existant dans une population constitue la donnée fondamentale des travaux sur l’évolution.» En effet, si les êtres vivants n’avaient aucune possibilité de varier, s’ils étaient tous identiques, aucun processus d’évolution ne pourrait avoir lieu. À la lumière de ce chapitre, quel bilan pouvons-nous faire sur la notion d’adaptation? Un individu est plus ou moins adapté à son milieu et/ou son mode de vie. L’adaptation est une notion relative à un environnement donné, comme les phalènes vis-à-vis des milieux urbains ou ruraux, ou les ancêtres du cheval entre prairies et forêts. L’adaptation est réalisée par des organes, ou de façon plus générale des caractères phénotypiques, en adéquation avec leur fonction et le mode de vie. Les membres de dauphin sont adaptés à la vie aquatique et la nage. Souvent les variations des molécules n’ont pas de conséquence visible au niveau de l’individu. Quelle est la relation des changements des molécules avec l’adaptation? Quelle est sa signification évolutive éventuelle? Ces questions seront abordées dans le chapitre 4.
52
2 • Faits et observations d’évolution
Au début du XIXe siècle, la plupart des données décrites dans ce chapitre n’étaient pas connues. Pourtant, certains scientifiques ont proposé l’idée d’une évolution. Comment s’est construit leur raisonnement? Sur quelles informations? Quels mécanismes avançaient-ils?
QUESTIONS DE RÉVISION 2.1 Reconstituer le gel d’électrophorèse que l’on obtiendrait avec une enzyme formée de deux chaînes peptidiques identiques (homodimérique) mais possédant deux allèles. 2.2 Donner quelques exemples d’analogies et d’homologies. 2.3 Quelles sont les conséquences possibles de l’existence d’homologies et d’analogies pour la systématique? 2.4 Au XXe siècle, des mesures ont été prises pour diminuer les rejets industriels. La crise de l’industrie a accentué ce processus. Que peuton attendre de la proportion de phalènes noires et grises?
Chapitre 3
Émergence des théories de l’évolution
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Objectifs Le but de ce chapitre est de montrer, schématiquement, la transition, dans l’histoire de la biologie, entre une vision fixiste des espèces et l’idée d’un vivant qui évolue. Nous examinerons donc la conception du vivant au XVIIIe siècle et montrerons comment cette perception s’est modifiée. Ces bases théoriques et certains des mécanismes proposés restent d’actualité; il convient donc de les comprendre afin de mieux intégrer les connaissances actuelles. Autant que possible, les mêmes thèmes seront traités pour les différentes théories: diversité du vivant, mécanismes et dynamique de l’évolution.
3.1
LA CONCEPTION DU VIVANT AVANT LES THÉORIES DE L’ÉVOLUTION
Il ne s’agit pas ici de détailler l’histoire des sciences naturelles ou d’envisager une étude épistémologique de la biologie, mais de donner quelques clés pour comprendre la vision du vivant avant l’idée d’évolution et l’importance des théories qui l’expriment.
54
3 • Émergence des théories de l’évolution
Toute l’appréhension du monde naturel (vivant et minéral) au siècle se faisait dans un cadre religieux. Une discipline lui était consacrée, la théologie naturelle. Son postulat de base est le suivant: toute manifestation vivante est le résultat de l’œuvre d’un Créateur. L’abbé Paley décrit l’Argument from design par la métaphore de la montre: «je me retrouve sur une plage déserte et y découvre une montre, j’observe ses rouages, ses mécanismes, sa complexité. Alors, je ne peux admettre qu’elle soit le fruit du hasard, ce qui serait trop improbable. Elle ne peut qu’être le résultat du travail intentionné d’un artisan, d’une finalité». C’est cette idée d’intention qui est contenue dans le terme de design. Par analogie, les objets biologiques montrent une telle complexité, une telle adéquation à leur fonction (un œil pour la vision, ou même un individu entier comme une plante et la réalisation de toutes ses fonctions vitales, par exemple) qu’ils ne peuvent qu’être le résultat d’une Création par un être supérieur, intentionné, et s’inscrire dans une œuvre harmonieuse. Les naturalistes de l’époque s’attachent à retrouver cette harmonie en observant la nature. De plus, le concept d’espèce se fondait avant tout sur la ressemblance entre individus, Lamarck, dans sa Philosophie zoologique nous livre une définition classique: XVIIIe
«On a appelé espèce, toute collection d’individus semblables qui furent produits par d’autres individus pareils à eux.»
Chaque espèce est totalement disjointe d’une autre. Cette distinction de l’esprit humain correspond effectivement à une discontinuité biologique. Chaque espèce est définie par un «type», servant à sa description et tous les individus de l’espèce sont conformes à ce type. Il n’y a pas de différences entre les individus d’une espèce autre que celles qui relèvent de la monstruosité. Chaque espèce a été créée une fois et définitivement par le Créateur, elle ne varie alors plus au cours de son histoire. Cependant, de nouvelles données viennent perturber cette conception. Les estimations de l’époque se basaient sur les récits bibliques et donnaient un âge d’environ 6 000 ans. La jeunesse de la Terre était un argument de plus contre l’évolution: comment la vie aurait-elle pu acquérir tant de complexité en si peu de temps? Buffon, et d’autres ont démontré que la Terre était beaucoup plus vieille que l’on ne le pensait. De quelques milliers d’années, elle passait à quelques centaines de milliers, voire quelques millions d’années1. Ce changement d’échelle 1. C’est l’ordre de grandeur auquel avait abouti Buffon, mais il n’osa pas le publier.
3.2 Une évolution linéaire: l’évolution selon Lamarck
55
de temps ouvrait la possibilité d’une réflexion sur les changements des êtres vivants. Par ailleurs, la paléontologie se développe au XVIIIe siècle. En recherchant des fossiles, les paléontologues voient des espèces apparaître puis disparaître en suivant une série stratigraphique. D’après les idées de l’époque, les espèces ne changent pas. Elles ne peuvent pas non plus être détruites par le Créateur, il ne retire pas la vie qu’il a donnée. Comment donc peuvent-elles disparaître? Les passions se déchaînent sur ce sujet. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que des scientifiques proposent une vision différente du monde vivant. La recherche de précurseurs ayant exprimé l’idée d’une évolution est remontée jusqu’à Aristote. Sans rentrer dans ce débat, nous nous contenterons ici d’un premier auteur qui développera clairement cette conception du vivant, le Français Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829).
3.2
UNE ÉVOLUTION LINÉAIRE: L’ÉVOLUTION SELON LAMARCK
Jean-Baptiste de Lamarck s’intéressa tardivement à l’histoire naturelle, en commençant par la botanique, discipline dans laquelle il fut assistant au Muséum national d’Histoire naturelle, dirigé alors par Buffon. En 1793, âgé de 49 ans, il est nommé professeur chargé des «animaux inférieurs», dans cette même institution. Le but avoué de ses recherches était de construire un vaste système d’explication du monde, vivant en particulier, qu’il exprime dans la Philosophie zoologique son ouvrage majeur, publié en 1809.
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3.2.1 Des observations à l’idée d’évolution On ne dispose pas du détail des réflexions, des observations et des données qui ont permis à Lamarck d’énoncer des principes d’évolution. Son raisonnement semble d’ailleurs assez empirique. Cette idée lui serait venue rapidement, elle apparaît dans ses écrits entre 1799 et 1800, alors qu’il étudie les animaux «sans vertèbres» selon sa propre dénomination, en particulier les Mollusques actuels et fossiles. ➤ Des observations paléontologiques à la transformation
des espèces
Lamarck remarque qu’il peut faire coïncider des formes différant peu les unes des autres et une échelle de temps. En effet, une forme
56
3 • Émergence des théories de l’évolution
donnée persiste un temps donné avant de disparaître, laissant place à une autre forme, proche morphologiquement, mais pas tout à fait identique. Lamarck se pose alors la question courante à son époque: quels sont les processus sous-jacents à ces successions de formes? À l’instar de ses collègues, il imagine une réponse. Et une réponse originale: les formes de Mollusques semblent montrer une continuité, deux espèces proches dans le temps différant très peu. C’est donc qu’il se produit une transformation d’une forme en une autre au cours du temps. Les extinctions correspondent donc à des transformations: une espèce, en se transformant, disparaît et permet l’apparition d’une autre espèce, sans qu’aucune Création n’intervienne. ➤ Diversité spécifique, échelle de complexité et transformation
des espèces
De plus, la comparaison de l’organisation et des propriétés de l’ensemble des animaux, ont inspiré à Lamarck deux grandes questions. Selon lui, les organismes vivants pouvaient se ranger sur une chaîne linéaire de complexité décroissante, il le démontre dans le chapitre VI de la Philosophie zoologique, qui suit cette phrase d’introduction: «Parmi les considérations qui intéressent la Philosophie zoologique, l’une des plus importantes est celle qui concerne la dégradation et la simplification que l’on observe dans l’organisation des animaux, en parcourant d’une extrémité à l’autre la chaîne animale, depuis les animaux les plus parfaits jusqu’à ceux qui sont les plus simplement organisés.»
La question elle-même a été posée dans l’avertissement de ce même ouvrage: «Comment, en effet, pouvois-je envisager la dégradation singulière qui se trouve dans la composition de l’organisation des animaux, […], sans rechercher à quoi peut tenir un fait si positif et aussi remarquable, un fait qui m’est attesté par tant de preuves?»
Autrement dit, existe-t-il des causes (autres que divines) de cette échelle du vivant et quelles sont-elles? Par ailleurs, les naturalistes avaient remarqué la grande diversité des espèces sur l’ensemble du globe et l’adaptation de toutes ces formes à leurs conditions de vie. En marge de cette explication, Lamarck essayait de comprendre l’origine de cette richesse et comment ces espèces s’adaptaient à leur environnement. La question était détournée par la plupart des scientifiques, puisqu’on l’a vu, ils répondaient que chaque espèce était créée déjà adaptée à son environnement.
3.2 Une évolution linéaire: l’évolution selon Lamarck
57
Il est sans doute le premier à exprimer une réponse: ces différentes formes animales qui se succèdent dans le temps et montrent une organisation de plus en plus complexe dérivent les unes des autres, par filiation directe, grâce à de petites variations qui s’accumulent (Fig. 3.1). «Les conditions nécessaires à l’existence de la vie se trouvant complètes dans l’organisation la moins composée, mais aussi réduite à leur plus simple terme, il s’agissoit de savoir comment cette organisation, par des causes de changemens quelconques, avoit pu amener d’autres moins simples et donner lieu aux organisations, graduellement plus compliquées, que l’on observe dans l’étendue de l’échelle animale.»
Les formes simples se transforment en espèces plus complexes, l’évolution remonte l’échelle de la complexité. Deux questions subsistent: – Comment se maintient une diversité de formes si celles-ci se transforment en d’autres, sans subsister (extinction des espèces fossiles)? Il faut noter que cette diversité correspond à une richesse spécifique, c’est-à-dire à un nombre d’espèces différentes. – Quelle est la nature de ces variations, comment apparaissent-elles, comment se transmettent-elles? Lamarck ne se posait peut-être pas ces questions en ces termes. Mais il y réfléchissait et a proposé des mécanismes qui procèdent de l’évolution.
3.2.2 Les mécanismes d’évolution selon Lamarck
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a) L’environnement comme cause des variations
Ses conceptions sont développées dans le chapitre VII de la Philosophie zoologique intitulé «De l’influence des circonstances sur les actions et les habitudes des Animaux, et de celle des actions et des habitudes de ces cors vivans, comme causes qui modifient leur organisation et leurs parties.» Ce titre nous donne déjà des indications pour appréhender les explications de l’auteur. Ce qui est appelé aujourd’hui l’environnement, ou «facteurs écologiques» (la température, par exemple) et désigné par Lamarck comme «circonstances», peut modifier les habitudes, les besoins des animaux. Pour satisfaire ceux-ci, les êtres vivants utilisent davantage certains organes. En conséquence de quoi, ces organes se développent et deviennent plus complexes. À l’inverse, la modification des besoins peut conduire à abandonner l’usage d’autres
58
3 • Émergence des théories de l’évolution
organes qui se réduisent alors. L’environnement extérieur est donc cause de la modification orientée des animaux. «Première loi: Dans tout animal qui n’a point dépassé le terme de ses développemens, l’emploi plus fréquent et soutenu d’un organe quelconque [en réponse à un changement du milieu], fortifie peu à peu cet organe, le développe, l’agrandit, et lui donne une puissance proportionnée à la durée de cet emploi; tandis que le défaut constant d’usage de tel organe, l’affoiblit insensiblement, le détériore, diminue progressivement ses facultés, et finit par le faire disparoître. Deuxième loi: Tout ce que la nature a fait acquérir ou perdre aux individus par l’influence des circonstances où leur race se trouve depuis longtemps exposée, et, par conséquent, par l’influence de l’emploi prédominant de tel organe, ou par celle d’un défaut constant d’usage de telle partie; elle le conserve par la génération aux nouveaux individus qui en proviennent, pourvu que les changemens acquis soient communs aux deux sexes […]. »
Lamarck énonce là les deux lois des mécanismes de transformation: – les changements dans l’environnement sont la cause des variations des organes, par le biais de l’usage accru ou diminué de ceux-ci en réponse aux changements; – ces changements survenus dans deux individus qui se reproduisent sont transmis à leurs descendants. C’est l’hérédité des caractères acquis. Les modifications qui surviennent lors de la vie d’un individu, par action du milieu extérieur, sont transmises à leurs descendants. Ces lois du changement sont considérées comme des évidences par Lamarck. Pour les illustrer, il donne de nombreux exemples. Les Vertébrés qui vivent dans un milieu sans lumière, comme la Taupe, ont des yeux atrophiés: «Or, les animaux qui font partie d’un plan d’organisation, dans lequel les yeux entrent nécessairement, en ont dû avoir dans leur origine. Cependant, puisqu’on en trouve parmi eux qui sont privés de l’usage de cet organe, et qui n’en ont plus que des vestiges cachés ou recouverts, il devient évident que l’appauvrissement et la disparition même de l’organe dont il s’agit, sont les résultats pour cet organe, d’un défaut constant d’exercice.»
Lamarck n’insiste pas seulement sur le défaut d’usage qui entraîne l’atrophie. Il cite aussi d’autres exemples pour lesquels l’emploi fréquent développe l’organe considéré. Le plus célèbre est celui de la girafe, obligée de brouter le feuillage des arbres, dont les pattes antérieures
3.2 Une évolution linéaire: l’évolution selon Lamarck
59
sont devenues plus longues que les postérieures et le cou s’est allongé démesurément. Pour Lamarck, ces observations sont des preuves directes du fait que les animaux se transforment selon les mécanismes qu’il propose. Cependant, a posteriori, des failles apparaissent dans le raisonnement du naturaliste. b) Hypothèses et problèmes
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
L’un des postulats du chercheur français est la tendance des êtres vivants à changer spontanément. C’est un fait en soi qu’il n’est pas nécessaire de démontrer, selon lui. De plus, cette évolution spontanée se ferait dans le sens d’une complexité croissante. Par ailleurs, dans sa deuxième loi, Lamarck pose comme principe la transmission aux descendants des modifications apparues chez un individu, ensuite il ne vérifie pas cette propriété. Les problèmes majeurs de la théorie de Lamarck, qui nous semblent évidents actuellement, sont l’effet de l’environnement sur les variations et l’hérédité des caractères acquis. En termes actuels, Lamarck confond phénotype et génotype. Les modifications qui surviennent au cours de la vie d’un individu en réponse aux conditions du milieu existent. Mais elles touchent seulement le phénotype, il s’agit de la plasticité phénotypique, et elles ne sont pas transmises aux descendants. Weismann, biologiste de la fin du XIXe et début du XXe, coupa la queue à des souris. Il les fit se reproduire. Il obtint des petits naissant avec une queue. Il montra ainsi que ces variations ne se transmettent pas et ne s’inscrivent pas dans un processus d’évolution. Seules des variations qui se transmettent de génération en génération entrent dans un processus d’évolution. On sait aujourd’hui qu’elles ne sont pas induites par l’environnement.
3.2.3 Conséquences: dynamique de l’évolution et diversité Lamarck ne considère que la richesse spécifique, c’est-à-dire la diversité interspécifique. Il apporte deux types de réponses à la question de son origine et de son maintien. Des conditions écologiques très différentes règnent sur l’ensemble de la Terre. Des milieux tropicaux aux zones arctiques, la température varie en fonction de la latitude, par exemple. Comme les animaux se modifient en réponse à l’environnement, il existe au moins autant de formes que de conditions.
60
3 • Émergence des théories de l’évolution
«Il est évident que toute la surface du globe offre […] une diversité des circonstances qui sont partout en rapport avec celle des formes et des parties des animaux, indépendamment de la diversité particulière qui résulte du progrès de la composition de l’organisation dans chaque animal.» «Mais dans les différens points de la surface du globe qui peuvent être habités, la nature et la situation des lieux et des climats y constituent, pour les animaux comme pour les végétaux, des circonstances différentes dans toutes sortes de degrés. Les animaux qui habitent ces différens lieux doivent donc différer les uns des autres non seulement en raison de l’état de composition de l’organisation de chaque race [degré de complexité dans la chaîne des êtres vivants], mais, en outre en raison des habitudes que les individus de chaque race y sont forcés d’avoir.»
De plus, Lamarck se demande comment sont apparues les formes vivantes et si elles continuent d’apparaître. Selon lui, les formes les plus simples (unicellulaires) apparaissent par génération spontanée et ce de façon permanente au cours du temps. «[…]La Nature a commencé, et recommence encore tous les jours, par former les corps organisés les plus simples, et elle ne forme directement que ceux-là, c’est-à-dire, que ces premières ébauches de l’organisation, qu’on a désignées par l’expression de générations spontanées.»
Chacun de ces nouveaux ensembles d’êtres vivants entre dans le processus d’évolution. À un instant donné, on peut observer différentes séries qui sont parvenues à des stades de complexité différents dans la chaîne. Ceci se traduit par une diversité de formes, occupant différentes positions sur l’échelle du vivant (Fig. 3.1). L’évolution se fait de façon continue des formes simples aux plus complexes, reconstituant ainsi la chaîne du vivant. Selon l’environnement, les successions évolutives sont différentes (Fig. 3.1, Environnements 1 et 2). Les échelles de temps considérées sont très longues. En effet, selon l’intuition de Lamarck, l’environnement doit exercer une pression constante, rester inchangé pendant un temps suffisant pour que les changements puissent avoir lieu. Ceux-ci sont progressifs, lents, se font par accumulation de petites variations, non visibles à l’échelle de la vie humaine. La dynamique de l’évolution selon Lamarck est donc lente, graduelle, continue. Il n’est pas possible, par contre, de dire comment change la diversité, elle peut rester constante, augmenter, mais pas diminuer au cours du temps. «Dans chaque lieu où des animaux peuvent habiter, les circonstances qui y établissent un ordre de choses restent très longtemps les mêmes, et n’y changent réellement qu’avec une lenteur si grande que l’homme ne sauroit les remarquer directement.»
3.2 Une évolution linéaire: l’évolution selon Lamarck
Complexité
61
ENVIRONNEMENT 1
Temps Actuel
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Complexité
ENVIRONNEMENT 2
Actuel
Temps
Générations spontanées de formes simples Formes animales (espèces, embranchement…)
Figure 3.1
Récapitulation de l’évolution selon Lamarck.
Des formes simples (×) apparaissent de façon continue dans le temps. L’évolution commence vers une plus grande complexité mais toujours selon la même succession (×, , , …) .
62
3 • Émergence des théories de l’évolution
À la même époque, dans le courant du XIXe siècle, un autre homme propose l’idée d’une évolution des êtres vivants. Il fait des observations similaires, mais développe des arguments plus convaincants, notamment auprès des éleveurs. L’Anglais Charles Darwin est alors amené à envisager des mécanismes différents.
3.3
UNE ÉVOLUTION DIVERSIFIANTE: L’ÉVOLUTION SELON DARWIN
De nombreux ouvrages sur Darwin sont encore publiés chaque année. Aussi, nous ne nous étendrons pas sur une biographie détaillée. Cependant, quelques éléments de sa vie permettent de comprendre le développement de ses idées.
3.3.1 Des observations à l’idée d’évolution a) Voyage d’un naturaliste et histoire des espèces de pinsons
Fils de médecin, Darwin est passionné assez tôt par l’histoire naturelle, l’observation et la collection d’animaux et de végétaux. La profession de naturaliste n’existant pas, il commence des études de médecine avant de se décider à devenir pasteur. Il est sans doute proche des conceptions de la théologie naturelle, citée plus haut. Une opportunité change radicalement sa vie et sa vision du vivant: en 1831, il se voit proposer d’un voyage autour du monde sur le Beagle. Les observations qu’il y fait, en particulier celle des célèbres pinsons des Galápagos sont à l’origine de sa théorie de l’évolution, publiée en 1859, dans «L’origine des espèces». En 1835, le Beagle fait escale dans les îles Galápagos, à l’ouest de l’Amérique du Sud. L’archipel, distant d’environ 100 km du continent, est constitué de nombreuses petites îles; la plus grande, Isabela, dépasse à peine 50 km de long. Sur ces îles, Darwin dénombre 14 espèces de pinsons, dont 13 sont endémiques. ➤ Observations
1. Les différentes espèces sont très proches, morphologiquement, les unes des autres (Fig. 3.2; dans certains cas, il a fallu l’intervention d’un ornithologiste, John Gould, pour en faire des espèces distinctes et non pas des variétés) et, dans une moindre mesure, de l’espèce continentale.
3.3 Une évolution diversifiante: l’évolution selon Darwin
63
2. La répartition est particulière: chaque île possède un ensemble caractéristique d’espèces (Tab. 3.1).
Ile
Geospiza fortis
Geospiza fuliginosa
Geospiza difficilis
Geospiza scandens
Geospiza conirostris
Platyspiza crassirostris
Camarhynchus psittacula
Camarhynchus pauper
Camarhynchus parvulus
Cactospiza pallida
Cactospiza heliobates
Répartition de quelques espèces de pinsons aux Galápagos (d’après Skelton).
Geospiza magnirostris
Tableau 3.1
Wolf
A
—
—
A
—
—
—
—
—
—
—
—
Pinta
A
A
A
B
A
—
A
A
—
—
—
—
Genovesa
A
—
—
B
—
A
—
—
—
—
—
—
Fernandina
A
A
A
C
—
—
A
B
—
A
A
A
Santiago
A
A
A
C
B
—
A
C
—
A
B
—
Santa-Fé
A
A
A
—
—
—
—
C
—
A
—
—
Floreana
—
A
A
—
C
—
A
C
A
A
—
—
Espanola
—
—
A
—
—
B
—
—
—
—
—
—
— : absence
A, B, C : présence, chaque lettre correspond à une sous-espèce
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3. Chaque espèce possède des caractères propres. Le bec, en particulier, est adapté à un milieu et un mode d’alimentation donné (Fig. 3.2)
Geospiza magnirostris
Figure 3.2
Certhidea olivasca
Deux espèces de pinsons des Galápagos (d’après Darwin).
4. Pour une espèce donnée, ces caractères peuvent varier en fonction de la localisation, c’est-à-dire de l’île (Fig. 3.3).
64
3 • Émergence des théories de l’évolution
Pinta
Genovesa
Maschena
Équateur
Santiago Daphne Santa Cruz
Fernandina
Santa Fé Isabela Los Hermanos
San Cristóbal
Geospiza fortis Geospiza fuliginosa
Floreana 0
50 km
91° W
Española 93° W
92° W
Fréquence (%) Santa Cruz
40
Daphne
Los Hermanos
30 20 10 0
3
4
5
6
7
8
3
4
5
6
7
8
3
4
5
6
7
Épaisseur du bec (mm)
Figure 3.3 Histogrammes de distribution de l’épaisseur du bec chez deux espèces de Pinsons sur trois îles et leur localisation dans l’archipel (d’après Blondel).
5. Enfin, Darwin remarque que la migration et les déplacements entre les îles et le continent sont réduits pour ces oiseaux. Au contraire, les oiseaux marins qui couvrent de telles distances ne montrent pas les caractéristiques citées précédemment; il n’y a pas de différences entre les oiseaux marins des îles et ceux du continent. ➤ Interprétation
Darwin refuse l’idée selon laquelle chaque espèce aurait été créée indépendamment dans chaque île. Il propose le scénario suivant: une espèce ancestrale, continentale, a colonisé une fois les îles. Puis, elle s’est transformée, en s’adaptant aux conditions de chaque île (3 et 4), c’est-à-dire en se différenciant sur chaque île (1 et 2). Cette différenciation aboutit à l’apparition d’autant de nouvelles espèces, qui
3.3 Une évolution diversifiante: l’évolution selon Darwin
65
restent cependant assez semblables (1). L’événement de passage des pinsons du continent aux îles est rare (5). Les échanges entre populations continentales et insulaires le sont aussi, ce qui facilite la différenciation. De ses observations réalisées lors du voyage du Beagle, Darwin acquiert la conviction d’une évolution: les espèces dérivent les unes des autres par transformation. b) Un autre argument: la sélection artificielle
Dans le premier chapitre de L’origine des espèces, Darwin s’intéresse aux espèces domestiques aux pratiques des éleveurs leur permettant de créer de nouvelles races ou variétés. Il choisit l’exemple des pigeons domestiques, particulièrement frappant: «On pourrait aisément rassembler une vingtaine de pigeons tels que, si on les montrait à un ornithologiste, et qu’on les lui donnât pour des oiseaux sauvages, il les classerait certainement comme autant d’espèces bien distinctes.»
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Pourtant, les croisements entre variétés produisent des hybrides viables et féconds; ces variétés ne sont pas donc des espèces distinctes. L’interfécondité est en effet un critère de détermination des espèces. L’opinion de la plupart des naturalistes est de faire dériver toutes ces races, si différentes d’apparence, d’une seule espèce, le biset (Columba livia), dont elles sont malgré tout assez proches dans l’ensemble. Darwin énumère les suppositions qu’il faudrait faire pour soutenir l’hypothèse alternative d’une origine multiple: «Il faudrait admettre, non seulement que des hommes à demisauvages ont réussi à apprivoiser complètement plusieurs espèces, mais que, par hasard ou avec intention, ils ont choisi les espèces les plus extraordinaires et les plus anormales; il faudrait admettre, en outre, que toutes ces espèces se sont éteintes depuis ou sont restées inconnues. Un tel concours de circonstances extraordinaires est improbable au plus haut degré.»
L’hypothèse initiale d’une espèce ayant subi des modifications importantes et ainsi donné naissance à de nombreuses variétés semble plus plausible. Formulé autrement, il s’agit de l’hypothèse de descendance avec transformation à partir d’une espèce ancêtre. Quels sont les mécanismes invoqués pour expliquer de telles transformations? Darwin constate l’importance de la variabilité: les différences sont nombreuses entre les individus au sein d’une espèce ou même d’une variété. C’est la première fois qu’une telle diversité intraspécifique est soulignée. L’origine, les causes de ces variations restent obscures, mais celles-ci se transmettent de génération en génération, héritées par les
66
3 • Émergence des théories de l’évolution
descendants des parents. Ensuite, la sélection exercée par l’Homme joue sur l’accumulation de ces variations: «Le pouvoir de sélection, d’accumulation que possède l’Homme, est la clef de ce problème; la Nature fournit les variations successives, l’Homme les accumule dans certaines directions qui lui sont utiles.»
Ici apparaît un point important: les variations préexistent au tri que l’Homme effectue sur elles, par la sélection. Les caractères ainsi maintenus et même accentués de génération en génération conduisent à des formes, des variétés ou des races nouvelles. Dans ce chapitre, Darwin soulève déjà le problème de la nature de ces variations, de leurs causes et de leurs mécanismes.
3.3.2 Les mécanismes d’évolution selon Darwin a) Aspect démographique: loi de Malthus et compétition
Darwin aborde ensuite des considérations démographiques, en appliquant à l’ensemble du vivant la loi énoncée par l’économiste Malthus. Selon celle-ci, en conséquence de la reproduction de chaque individu, l’effectif d’une population est en progression géométrique, c’est-à-dire exponentielle. Quelques exemples théoriques sont donnés. À partir d’un couple d’éléphant se reproduisant entre 30 et 90 ans, donnant à chaque fois six petits et vivant jusqu’à 100 ans, Darwin calcule que la population atteint 19 millions d’individus en environ 750 ans. Un tel taux de multiplication devrait aboutir à des surpopulations, or cellesci ne se produisent pas. Les individus produits en «surnombre» interagissent, entrent en compétition, notamment pour se procurer des ressources (alimentaires par exemple) car elles sont en quantités finies. Cette compétition a été désignée par la célèbre formule «lutte pour l’existence» (struggle for life). «Aussi, comme il naît plus d’individus qu’il n’en peut vivre, il doit y avoir, dans chaque cas, lutte pour l’existence, soit avec un autre individu de la même espèce, soit avec des individus d’espèces différentes, soit avec les conditions physiques de la vie.»
Quelles sont alors les conséquences évolutives de cette «lutte pour l’existence»? b) La sélection naturelle «Faut-il donc s’étonner, quand on voit que des variations utiles à l’Homme se sont certainement produites, que d’autres variations, utiles à l’animal dans la grande et terrible bataille de la vie, se produisent
3.3 Une évolution diversifiante: l’évolution selon Darwin
67
dans le cours de nombreuses générations? Si ce fait est admis, pouvons-nous douter (il faut toujours se rappeler qu’il naît beaucoup plus d’individus qu’il n’en peut vivre) que les individus possédant un avantage quelconque, quelque léger qu’il soit d’ailleurs, aient la meilleure chance de survivre et de se reproduire? […] J’ai donné le nom de sélection naturelle ou de persistance du plus apte à cette conservation des différences et des variations individuelles favorables et à cette élimination des variations nuisibles.
Deux points sont combinés pour expliquer les mécanismes d’évolution: – il existe, spontanément, dans les populations des différences entre les individus; – si certains des individus subissent des modifications qui leur donnent un avantage dans la compétition, alors ils survivront mieux, se reproduiront mieux, laissant par conséquent plus de descendants. Si ces descendants portent eux aussi la modification avantageuse, par le mécanisme de reproduction différentielle, ce caractère touchera tous les individus de la population après un certain nombre de générations (Fig. 3.4).
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Apparition (aléatoire) d’un variant dans la population. La variation est transmissible aux descendants.
Ils sont devenus majoritaires dans la population.
Figure 3.4
La variation est avantageuse. Les individus qui la portent laissent plus de descendants.
Résumé de la variation et de la sélection dans une population.
68
3 • Émergence des théories de l’évolution
Darwin donne aussi quelques exemples de ce que peut être un facteur de la sélection naturelle. En particulier, les prédateurs peuvent être une forme de pression de sélection: chez la proie, toute variation améliorant les capacités pour leur échapper (mimétisme, aptitude à la course…) est avantageuse et donc sélectionnée. c) Synthèse: quatre propositions résument les mécanismes
L’évolution selon Darwin peut être résumée par quatre assertions synthétiques: – Il existe une variabilité, des différences, au sein des populations naturelles, entre les individus d’une même espèce. Celle-ci est transmissible des parents aux enfants (voir plus loin le problème de la transmission entre générations des variations). – Les ressources du milieu sont limitées par rapport à la tendance à l’accroissement de l’effectif de la population. Comme les ressources sont insuffisantes pour que tous les individus en aient une part suffisante, il en résulte une compétition entre eux (principe de Malthus). – Il existe un avantage lié à certaines de ces variations, rendant les individus qui les portent plus efficaces dans la compétition; ceux-ci survivent et se reproduisent mieux. – La sélection naturelle effectue alors un tri entre les individus. Ceux qui portent des variations favorables laissent plus de descendants, portant eux-mêmes cette modification. Ainsi, les individus porteurs de ce caractère sont de plus en plus nombreux dans la population. La variabilité et l’apparition de caractères nouveaux sont donc à la base de toute évolution; les différences qui en résultent concernent les individus au sein des populations. La diversité existe dans une espèce et est importante. Par opposition à Lamarck, dans la théorie avancée par Darwin, les variations apparaissent de façon aléatoire chez les individus. Elles ne sont pas dues à l’environnement mais elles préexistent au tri par sélection. Darwin, en 1859, ne connaissait pas les lois de l’hérédité. Il ne pouvait donc pas expliquer la nature de la variabilité, son apparition et son mode de transmission et de maintien. Nous avons vu quelle était la nature de la diversité, à différentes échelles. Comment peut-on répondre, à la lumière des connaissances actuelles, aux questions de l’apparition, de la transmission et du maintien des variations? Ces mécanismes ont aussi des conséquences sur la diversité (interspécifique), la dynamique de l’évolution, ou encore l’apparition des espèces.
3.4 Conclusion et théorie synthétique
69
3.3.3 Conséquences: dynamique de l’évolution et diversité Tout d’abord, selon le schéma de Darwin, le taux d’apparition des variations est constant au cours du temps, puisque celles-ci sont aléatoires. Elles sont peu importantes, ce sont de petites modifications qui apparaissent puis se maintiennent. L’évolution procède par petits changements accumulés progressivement, graduellement. C’est pourquoi la dynamique de l’évolution est qualifiée de gradualiste. Comment peut-on aboutir alors à des espèces distinctes, montrant des différences marquées? Il faut prendre en compte l’importance du temps: à partir d’une espèce souche, considérons deux populations soumises à des sélections différentes. Les modifications retenues par sélection naturelle s’accumulent au cours des générations, différenciant progressivement ces deux groupes, en variété d’abord puis en espèces. C’est le principe de divergence associé à celui de descendance avec modification, comme le nomme Darwin.
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«Nous voyons donc ici, […], l’action de ce qu’on peut appeler «le principe de la divergence», en vertu de ce principe, des différences à peine appréciables d’abord, augmentent continuellement, et les races tendent à s’écarter chaque jour davantage les unes des autres et de la souche commune.»
Ainsi, selon le principe de divergence, une espèce ancestrale peut donner naissance à plusieurs espèces descendantes. La diversité spécifique, le nombre d’espèces dans ce cas, a donc tendance à augmenter. Une représentation en arbre permet de synthétiser les mécanismes, la dynamique et la diversité au cours du temps. Enfin, Darwin se pose le problème du progrès au cours de l’évolution. La sélection a tendance à produire des organismes de plus en plus perfectionnés; cependant, il constate la persistance d’animaux simples, comme les Infusoires (Protistes). Pour expliquer cela, Lamarck propose la génération spontanée continue de formes simples. Le scientifique anglais n’a pour sa part pas de réponse.
3.4
CONCLUSION ET THÉORIE SYNTHÉTIQUE
Au début du XXe siècle, la génétique formelle, avec les expériences de Morgan sur la drosophile par exemple et la génétique des populations se développent. Plusieurs personnalités d’horizons scientifiques divers tentent d’intégrer ces connaissances nouvelles dans une théorie dite
70
3 • Émergence des théories de l’évolution
synthétique de l’évolution: Dobzhansky (un généticien), Mayr (un ornithologiste), Simpson (un paléontologue), Stebbins (un botaniste), Ford (un entomologiste), Huxley (un théoricien) sont les principaux participants de cette théorie qui fera référence entre les années 1950 et 1980. Elle repose en grande partie sur les bases théoriques de Darwin, et y ajoute de nouvelles données biologiques sur les mécanismes, mécanismes que nous développons dans le chapitre suivant.
QUESTIONS DE RÉVISION 3.1 Préciser la notion de diversité dans les deux théories: à quels niveaux est-elle prise en compte (intraspécifique, spécifique…) ? 3.2 Quels sont les deux points de vue quant à l’origine des êtres vivants? 3.3 Quelles sont les principaux points communs et différences entre les théories de Lamarck et Darwin?
Chapitre 4
Mécanismes de l’évolution darwinienne
Objectifs
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Ce chapitre présente les mécanismes biologiques de l’évolution darwinienne à partir des quatre points théoriques développés dans le chapitre précédent. Ainsi, nous poserons donc les questions suivantes: quelle est l’origine de la variation? Quelles sont les règles de l’hérédité? Comment agit la sélection? Nous éluciderons ces mécanismes aux différentes échelles: moléculaire, individuelle et populationnelle.
4.1
MÉCANISMES DE VARIATION À L’ÉCHELLE MOLÉCULAIRE
4.1.1 Les mutations ponctuelles a) Mise en évidence: exemple de l’anémie falciforme
Afin de rappeler la notion de mutation ponctuelle, nous utiliserons l’exemple de l’anémie falciforme ou drépanocytose. La drépanocytose est une maladie génétique affectant l’hémoglobine. Celle-ci est une protéine constituée de deux chaînes α et deux chaînes β. Les sujets atteints ont des globules rouges déformés, en forme de faucille, d’où
72
4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
le nom de la pathologie. La figure suivante (Fig. 4.1) représente un gel d’électrophorèse réalisée avec les chaînes β de l’hémoglobine d’individus sain (dite HbA) et malade (dite HbS). Sens de migration
Individu sain
Individu malade
Figure 4.1 Gel d’électrophorèse d’hémoglobine (chaîne β) d’individus sain et malade. Les deux individus sont homozygotes, un hétérozygote aurait un profil avec les deux bandes.
Comme nous l’avons vu au chapitre 2, un tel profil nous apprend que l’hémoglobine du sujet sain migre plus vite. Cette différence de vitesse de migration traduit une différence de structure entre les deux molécules. Le séquençage des deux allèles de la protéine a montré que seul le remplacement d’une adénosine par une thymine au début de la chaîne β les distinguait (Fig. 4.2). La protéine contient, par conséquent, une valine à la place d’un glutamate en position 6. L’hémoglobine S a tendance à se polymériser et à s’agréger en fibres qui sont responsables de la déformation des hématies. L’oxygène se fixe alors beaucoup plus mal. Hémoglobine A
Val-His-Leu-THr-Pro-Glu-Glu-Lys-
Hémoglobine S
Val-His-Leu-THr-Pro-Val-Glu-Lys1
2
3
4
5
6
7
8
Figure 4.2 Séquences des 8 premiers acides aminés des chaînes β des hémoglobines A et S.
La mutation responsable de l’anémie falciforme est qualifiée de ponctuelle car elle ne touche qu’une seule base. Dans ce cas, une base est remplacée par une autre, il s’agit d’une substitution. Mais la substitution n’est pas le seul type de mutation ponctuelle possible. De plus,
4.1 Mécanismes de variation à l’échelle moléculaire
73
dans le cas de la drépanocytose, le changement de l’ADN se traduit par une altération du phénotype, puisque la molécule d’hémoglobine et sa capacité à transporter de l’oxygène sont perturbées. Toutes les mutations touchent-elles le phénotype? Quelles sont les conditions pour qu’elles entrent dans un processus évolutif? b) Différents types de mutations ponctuelles
Les maladies de l’hémoglobine fournissent d’autres exemples de mutations ponctuelles. Certaines β-thalassémies sont dues à une délétion. À la position 6, le nucléotide adénosine (A) disparaît, toute la séquence est décalée (Fig. 4.3). À l’inverse, une base peut être gagnée, c’est une insertion. Hémoglobine A (chaîne β) GUG
CAC
CUG
ACU
CCU
GAG
GAG
AAG
Val
His
Leu
THr
Pro
Glu
Glu
Lys
Hémoglobine b0 thal (chaîne β) GUG
CAC
CUG
ACU
CCU
Val
His
Leu
THr
Pro
G-GG AGA Gly
Arg
AGU Ser
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Figure 4.3 Comparaison des débuts de séquences de l’hémoglobine A et β0 thal (chaînes β).
Les mutations spontanées sont le plus souvent dues à des erreurs de la machinerie enzymatique de la réplication lors des divisions cellulaires. En effet, l’ADN polymérase charge parfois une mauvaise base, mais un tel événement est très rare: le taux de mutation par base par réplication est estimé à 10 –9, tout type de mutation confondu. Cependant, toutes les mutations n’ont pas autant de chances d’apparaître. Les transitions échangent une purine avec une purine (A ↔ G) ou une pyrimidine avec une pyrimidine (C ↔ T) par opposition aux transversions qui sont les autres combinaisons d’échange. Les transitions sont beaucoup plus fréquentes que les transversions. Une réversion est une mutation qui rétablit une séquence originale. Événement inverse et successif d’une première mutation, il est aussi extrêmement rare. De plus, les mutations ne se produisent pas de façon orientée en réponse aux changements de l’environnement. Le taux de mutation peut augmenter en situation de stress, en particulier chez les bactéries (voir TaMaRa, 1996). En cas de stress ultraviolet par exemple, les mutations sont éventuellement plus nombreuses, mais la mutation
74
4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
«résistance au rayonnement» n’a pas une plus grande probabilité d’apparaître que n’importe quelle autre.
4.1.2 L’impact évolutif des mutations Nous nous restreignons ici à l’impact sur le phénotype et sur l’évolution par sélection. Toutes les mutations, quelle que soit leur taille, requièrent des conditions pour s’exprimer à l’échelle du phénotype et entrer dans le processus évolutif. Tout d’abord, comme le code génétique est redondant, un même acide aminé peut être désigné par plusieurs triplets. Par exemple, la sérine est codée par UCU, UCC, UCA, UCG (code ARNm). Dans ces cas, la troisième base change et l’acide aminé dans la protéine reste le même. On connaît ainsi une hémoglobine A* en 6e position, le triplet GAG est transformé en GAA. Or, ces deux triplets sont traduits en glutamate et la protéine résultante ne change pas. A fortiori, son fonctionnement ne sera pas changé, ni amélioré, ni altéré. Ces mutations sans conséquences sur le phénotype sont dites silencieuses. Par contre, une substitution peut faire apparaître un codon stop; la mutation est dite alors non-sens. Une autre β-thalassémie est causée par une substitution en position 39, qui conduit à un triplet AUG, codon stop. La synthèse de la protéine est donc arrêtée prématurément. Une mutation peut aussi changer le sens du triplet, comme dans le cas de la drépanocytose, c’est une mutation faux-sens. Enfin, les délétions ou les insertions provoquent un décalage du cadre de lecture et toute la fin de la protéine est changée. Toutes ces mutations ont un effet sur le phénotype. Elles peuvent donc donner prise à la sélection et participer au processus d’évolution. En général, seule une faible fraction du génome est réellement codante1, le reste correspondant à des séquences intercalantes. Chez les eucaryotes, les gènes eux-mêmes sont fragmentés en introns (non conservés dans l’ARNm) et exons. Si une mutation intervient dans des zones non codantes, introns ou séquences intergéniques, elle n’aura, là encore, aucune conséquence sur les molécules synthétisées (à condition qu’elle soit ponctuelle, voir les effets de la transposition). Elles sont donc tout aussi silencieuses et sans effet évolutif. Cependant, les régions non codantes sont parfois porteuses d’informations; en effet, les séquences qui régulent l’expression des gènes en font 1. C’est le cas chez l’homme, alors que chez les bactéries pratiquement tout l’ADN est codant.
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4.1 Mécanismes de variation à l’échelle moléculaire
75
partie. Une mutation qui touche ces séquences n’est pas silencieuse, les modifications liées aux éléments transposables illustreront l’importance des promoteurs et des diverses régions régulatrices. Les organismes diploïdes possèdent deux copies de chaque gène. Or la probabilité qu’une mutation affecte les deux copies est pratiquement nulle. Dans le cas d’une variation défavorable, il est possible que la copie non modifiée produise une quantité suffisante de la protéine. À l’échelle de l’individu, le phénotype n’est donc pas altéré et la mutation est dite récessive. Dans ce cas, seuls les homozygotes ont un phénotype modifié. Par exemple, la drépanocytose n’est mortelle que pour les homozygotes s/s. Chez les organismes haploïdes, il n’existe qu’un jeu de chromosomes et donc une seule copie de gène par individu, toutes les mutations sont exprimées et visibles au niveau du phénotype, sous réserve qu’elles touchent un gène fonctionnel. Tous les individus mutants ont un phénotype modifié. Chez les organismes à reproduction sexuée, les gamètes sont les seules cellules qui participent à la construction de l’embryon, donc de la génération suivante. Les cellules qui se divisent puis se différencient et donnent les gamètes appartiennent à la lignée germinale. Par opposition, toutes les autres cellules sont dites somatiques, par exemple celles qui se divisent et se différencient dans l’intestin. Une mutation touchant une cellule somatique ne sera jamais transmise à la génération suivante, elle ne pourra jamais entrer dans un processus d’évolution. Apparaître dans la lignée germinale est donc une condition nécessaire pour être transmis de génération en génération et avoir un effet évolutif. Néanmoins, cette proposition n’est exacte que chez les animaux, où les cellules de la lignée germinale sont déterminées très précocement, au cours du développement embryonnaire. En revanche, chez les végétaux, comme les cellules sexuelles dérivent de cellules somatiques, il n’y a pas de lignée germinale proprement dite. Les cellules somatiques qui subissent des mutations les transmettront.
4.1.3 Les modifications de plus grande ampleur a) Les modifications chromosomiques
Quelques maladies chromosomiques sont très connues: la trisomie 21 correspond par exemple à un chromosome 21 surnuméraire. Tout comme les mutations ponctuelles, les modifications chromosomiques sont dues à des pertes de fragments appelées délétions, des ajouts de fragments appelées insertions, des inversions de fragments, ou enfin des échanges de portions entre chromosomes, on parle alors de translocations. Les mécanismes d’apparition ne seront pas abordés ici.
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4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
b) La transposition
Barbara McClintock, dont les travaux n’ont longtemps suscité que le doute, a suspecté l’existence de fragments d’ADN mobiles au sein du génome du maïs dans les années 1940. Elle a finalement reçu le prix Nobel en 1983. Les grains sont pourpres chez la souche sauvage, ce qui est dû à la présence d’un pigment anthocyane. Ils sont blancs chez un mutant à cause d’une déficience d’une des enzymes de la synthèse de l’anthocyane. Sur certains épis, les grains sont blancs tachés pourpres. Les cellules qui les constituent ont des génotypes et des phénotypes différents. Cette diversité est due à une mutation somatique, de type réversion, dans une cellule-mère qui se transmet dans toute la lignée clonale. Cependant, une réversion est un événement beaucoup trop rare pour se manifester plusieurs fois sur un même épi. B. McClintock a mis en évidence que le déplacement de petits fragments de génome était responsable de la réversion. On sait maintenant que la mutation «pourpre» vers «blanc» est due à l’insertion d’un élément transposable, et la mutation réverse correspond à la perte de cet élément mobile. Les éléments transposables sont présents chez tous les organismes vivants, mais ont été plus particulièrement étudiés chez les bactéries, les plantes, les Insectes et les Mammifères. Ils peuvent occuper de 3 à 50% de la totalité du génome. Les éléments transposables possèdent la même organisation générale: une région centrale codante, flanquée de chaque côté de séquences répétées, orientées dans le même sens (directes) ou non (inversées) (Fig. 4.4). On distingue deux classes d’éléments transposables sur la base de leurs mécanismes de déplacement: les éléments qui passent par un intermédiaire ARN (classe I ou rétrotransposons) et ceux qui utilisent un intermédiaire ADN (classe II ou transposons). Les premiers sont plus longs (jusqu’à 10kb) que les transposons qui ne dépassent pas 3kb. Les rétrotransposons sont éventuellement encadrés par des LTRs (Long Terminal Repeats) qui peuvent atteindre plusieurs centaines de paires de bases. La partie codante comporte plusieurs gènes qui s’apparentent à ceux des rétrovirus tels que le VIH (gènes gag, pol). Le gène pol code pour plusieurs protéines, dont une intégrase nécessaire à l’intégration de l’élément, mais également une transcriptase qui permet de transcrire l’ARN en ADN. Les transposons (classe II) ont une structure simple. Les deux séquences, courtes et inversées, encadrent une séquence codante réduite, codant une seule protéine: la transposase. Elle est nécessaire aussi bien à l’excision qu’à l’insertion dans une autre position. Les transposons (classe II) les plus connus
4.1 Mécanismes de variation à l’échelle moléculaire
77
Classe II = Transposons (jusqu’à 3 kb) Transposase
Exemples: – IS des bactéries – P, hobo, mariner de la drosophile – Ac du maïs
Classe I = Rétrotransposons (jusqu’à 10 kb) Rétrotransposons à LTR gag
pol
Reverse transcriptase intégrase
Exemples: – Gypsy et copia de la drosophile – Ty de la levure
Rétrotransposons sans LTR gag
pol
Exemples: – I de la drosophile – LINEs des Vertébrés
Séquences répétées Séquence codante
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Figure 4.4
Organisation des différents types d’éléments transposables (d’après Capy).
sont les éléments IS des bactéries, l’élément Ac du maïs, les éléments P, hobo, mariner de la drosophile. Les éléments IS font partie du groupe des éléments transposables dont les mécanismes de déplacement sont connus (Fig. 4.5 page suivante). La transposase reconnaît les séquences répétées au site donneur et coupe de part et d’autre à bouts francs (1). Elle reconnaît aussi une courte séquence au site receveur où elle effectue une coupure décalée (2); elle y insère alors l’élément transposable (3). Une ADN polymérase, repérant un trou sur les brins, ajoute les nucléotides manquants; c’est pourquoi la séquence receveuse est dupliquée. Tous les éléments transposables dupliquent ainsi un site cible, qui sont de courtes séquences de 2 à 10 pb, lors de leur insertion. Enfin, une ligase referme la chaîne. La transposition des éléments de classe II (transposons), qui est le résultat d’une excision et d’une insertion, peut être précédée de la réplication de l’élément transposable: le site donneur conserve ou non une copie. Les éléments transposables de classe I sont d’abord
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4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
(1) Site donneur
(2) Site receveur
Séquences répétées
Quelques pb 3’
Coupures à bouts francs
3’
Coupure décalée
(3) Insertion Quelques Quelques kb pb 3’
Figure 4.5 Étapes simplifiées de la transposition d’un élément IS d’Escherichia coli.
transcrits en ARN, puis subissent une transcription réverse en ADN et sont enfin insérés au site cible. Dans ce cas, le mécanisme de transposition est de type copier/coller. Ainsi, le nombre de copies au sein du génome peut augmenter très vite. Par exemple, le génome humain contient plus de 1 000 voire 10 000 éléments LINEs dont certains sont responsables de cancers. ➤ La transposition, source de diversité
Si l’élément transposable s’insère dans un exon, la synthèse de la protéine n’est en général plus possible. La transcription peut être arrêtée à cause de l’élément et, même si elle est menée à terme, la séquence est beaucoup trop altérée pour que la molécule soit fonctionnelle. L’effet peut être similaire lorsque la transposition se fait dans un intron: la transcription est stoppée. Elle peut aussi se poursuivre à terme, mais l’épissage ne se fait pas. Cependant, la transposition ne produit pas que des mutations délétères, lorsqu’elle a lieu dans les régions non codantes et régulatrices, en général en amont des gènes eux-mêmes. En modifiant ces séquences, l’insertion d’un élément transposable peut changer complètement la régulation de l’expression du gène. Les éléments transposables possèdent eux-mêmes des séquences régulatrices qui interfèrent avec celles de l’hôte. La synthèse et la maturation des ARN d’une partie des rétrotransposons sont contrôlées par des séquences répétées ou LTR (Long Terminal Repeats). Une fois le rétrotransposon inséré dans une
4.1 Mécanismes de variation à l’échelle moléculaire
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région régulatrice des gènes de l’hôte, les signaux des LTR interagissent avec celle-ci. Nous développerons plus loin un exemple sur l’action conjointe des duplications et de la transposition. ➤ Les éléments transposables à l’origine de recombinaisons
Des éléments transposables ont été trouvés à proximité des inversions et des délétions chromosomiques. Comme les éléments transposables sont présents en plusieurs exemplaires sur chaque chromosome, ils peuvent être à l’origine d’événements de recombinaisons intrachromosomiques, au même titre que des gènes homologues. En fonction de l’orientation des éléments transposables, ces remaniements conduisent soit à des délétions, soit à des inversions (Fig. 4.6). A. Éléments transposables dans le même sens A
B
C
B A C B
Conséquence: délétion de la région B A C
B. Éléments transposables en sens inverse
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A
B
C
A
D
E
B C
E
D
Conséquence: inversion de la région BCD A
D
C
B
E
Figure 4.6 Événements de recombinaisons dus à des éléments transposables, A. Délétion (éléments dans la même orientation) B. Inversion (éléments en orientation inverse).
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4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
Les éléments transposables sont vraisemblablement à l’origine de la plupart de ces événements. Par exemple, l’élément hobo de la drosophile a fréquemment été trouvé aux bornes des inversions chromosomiques. Ces événements de recombinaisons chromosomiques ainsi que les insertions et les délétions sont susceptibles de déplacer des gènes vers des régions de faible transcription (zone d’hétérochromatine) ou d’amener des gènes sous la dépendance de séquences régulatrices différentes, promoteur ou répresseur. Ils peuvent donc avoir des conséquences évolutives. Ainsi, un mutant de drosophile, appelé Antennapedia, a des pattes à la place des antennes (voir Encart 4.1, Gènes homéotiques et duplication). La mutation, notée Antp73b, est dominante. Elle est causée par une recombinaison entre deux exemplaires de l’élément Doc qui provoque une inversion du fragment de chromosome du gène antennapedia. Son promoteur se retrouve par conséquent sous le contrôle de celui d’un autre gène rfd (responsible for dominant phenotype). Antennapedia est alors surexprimé, ce qui conduit à la modification spectaculaire du phénotype. Les éléments transposables sont donc une source importante de variabilité génétique, en modifiant plus spécifiquement la régulation de l’expression des gènes. Leur importance évolutive provient aussi du fait qu’ils induisent des mutations relativement fréquentes. Le taux est d’environ 10 –3 à 10 –4 mutations par gène et par cycle de réplication, contre 10 –6 pour des mutations ponctuelles spontanées «classiques». On estime que 80% des mutations chez la drosophile ont pour origine les éléments transposables. c) La duplication
L’hémoglobine est aussi connue comme exemple de phénomène de duplication. Elle est constituée de quatre chaînes protéiques et les quatre sous-unités correspondent à deux séquences différentes: la globine α et la globine β chez l’adulte. Au niveau chromosomique, il existe deux loci correspondant aux deux sous-unités qui sont respectivement le locus α et β. Chez l’Homme, le locus α est situé sur le chromosome 16; on y trouve en fait plusieurs séquences dont la succession de bases est très similaire (Fig. 4.7). Par exemple, les gènes α1 et α2 codent pour la même chaîne α. De même, au locus β (sur le chromosome 11), on trouve plusieurs séquences très semblables. Seuls certains des gènes reconnus aux deux loci sont fonctionnels et leur expression varie au cours du développement. La structure en 4 sous-unités est conservée à tous les âges, l’embryon (avant 8 semaines), exprime les
4.1 Mécanismes de variation à l’échelle moléculaire
81
globines ε et ζ. Chez le fœtus, les deux chaînes utilisées sont les globines α et γ. Enfin, l’adulte synthétise les globines α et β (Tab. 4.1). Chromosome 16 5′
ζ
Ψζ
Chromosome 11 ε
Ψα2
γG
5′
Figure 4.7
γA
Ψα1
Ψη
α2
α1
δ
θ1
β
3′
3′
Loci des globines α et b (d’après Freifelder).
L’hémoglobine de l’embryon et celle du fœtus ont plus d’affinité pour l’oxygène. Or, celui-ci lui est apporté par le biais du placenta avec l’hémoglobine maternelle. Seule la plus grande affinité de l’hémoglobine fœtale permet de prélever l’oxygène. Par contre, les gènes notés ψ ne sont pas fonctionnels, on parle alors de pseudogènes. Lorsque plusieurs gènes de séquences très semblables coexistent à un même locus, on parle de famille multigénique.
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Tableau 4.1
Récapitulation des fonctions des gènes de globines. Embryon
Fœtus
Adulte
locus α
ζ
α1 α2
α1 α2
locus β
ε
γA γG
βδ
Comment se forment de telles familles? Selon un scénario vraisemblable, à l’origine, un gène a subi une duplication: un deuxième exemplaire du gène apparaît. Un événement de recombinaison inégale est vraisemblablement le point de départ des duplications, processus dont les éléments transposables peuvent être la source. En effet, il se produit lorsque plusieurs séquences identiques sont présentes sur un chromosome. L’appariement se fait alors de façon décalée (Fig. 4.8). À l’issue d’une recombinaison inégale, un chromosome a subi une délétion, l’autre une duplication. Ce phénomène peut alors se répéter sur chacune des copies. Par exemple au locus α où se trouvent 4 gènes fonctionnels et 3 pseudogènes, 6 duplications sont opérées. Ensuite, la
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4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
Appariement décalé de chromosomes homologues Séquences identiques Chromosome 1
Gène
A
Chromosome 2 A
B B
A
B
Conséquence: duplication du gène A
Figure 4.8
B
Recombinaison inégale à l’origine d’une duplication.
copie non fonctionnelle accumule des mutations, alors que la copie utilisée varie peu. Par la suite, la nouvelle copie peut éventuellement acquérir une fonction. C’est le cas dans la famille des globines: chaque copie fonctionnelle est utilisée à un stade de développement donné. Encart 4.1
Gènes homéotiques et duplication Chez la drosophile, les cellules du goût sont situées sur les pattes. En 1894, Bateson découvrit, dans une population naturelle, une drosophile avec des pattes à la place des antennes. Lorsqu’il déposa du sucre sur les pattes-antennes, la mouche dévagina sa trompe, comme si on avait déposé du sucre sur des vraies pattes. Les récepteurs et les circuits nerveux fonctionnaient, bien que mal placés: ce type de mutation touche la signalisation de la place de l’organe plutôt que sa fonction. Bateson inventa donc le terme homéotique pour qualifier des individus mutants qui possèdent un organe à la place d’un autre, mais fonctionnel. Un gène homéotique est donc défini négativement: muté, il donne un phénotype homéotique. Dans l’exemple précédent, lorsque le gène antennapedia est muté, l’individu porte des pattes à la place des antennes.
4.1 Mécanismes de variation à l’échelle moléculaire
83
La fonction des gènes homéotiques consiste, schématiquement, à contrôler et à déclencher la construction des organes au bon endroit lors du développement embryonnaire: les antennes sur la tête, les pattes sur le thorax, par exemple. Organisés en complexes, ces gènes sont alignés sur des zones restreintes d’un ou de plusieurs chromosomes. La drosophile possède 8 gènes, organisés en deux complexes: Antennapedia (Ant-C) et bithorax (bx-C), (Fig. 4.9). lab
Pb
Dfd
Scr
Antp
complexe Antennapedia Figure 4.9
Ubx
abdA
AbdB
complexe bithorax
Complexes homéotiques de la drosophile.
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lab, labial; Pb, Proboscipedia; Dfd, Deformed; Scr, Sex comb reduced; Antp, Antennapedia; Ubx, Ultrabithorax; abdA et B, abdominal A et B.
La figure suivante (Fig. 4.10) compare les phénotypes de quelques mutants homéotiques et de différents insectes. Le mutant «perte de fonction» du gène Ultrabithorax (Ubx–) perd les balanciers et possède 4 ailes. L’organisation ressemble à celle de la libellule, par exemple. Or, les insectes à 4 ailes sont considérés comme plus anciens. La délétion du complexe Antennapedia donne une tête et un abdomen corrects, mais un thorax sans aile. On retrouve le phénotype d’insectes Aptérygotes (sans ailes) comme japyx, plus anciens encore. La délétion des deux complexes donne une tête suivi de la répétition du premier segment thoracique. Ce phénotype est équivalent à celui des Péripates, arthropodes rares et encore plus primitifs. Les phénotypes de certains mutants homéotiques qui ont subi une délétion des gènes ressemblent à ceux d’insectes considérés comme plus primitifs. La perte de fonction de gènes homéotiques a entraîné l’apparition de phénotypes anciens. Le raisonnement inverse a été fait pour reconstituer l’évolution des insectes. La première étape est une duplication de gènes homéotiques. En mutant, la copie acquiert une nouvelle fonction et peut signaler un nouveau segment. L’apparition d’un nouveau gène homéotique peut être, par conséquent, corrélée avec celle d’un nouvel organe. L’organisation en complexe, c’est-à-dire en famille multigénique, appuie cette hypothèse.
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4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
MUTATION
PHÉNOTYPE DU MUTANT
bxC – AntpC –
EXEMPLES D’INSECTES Péripate (pas d'illustration)
AntpC –
Japyx Aptérygote tête
thorax
abdomen
Ubx –
Libellule Odonate Balancier «Sauvage»
«Mouche» Diptère
Figure 4.10 Comparaison de certains insectes et de mutants homéotiques de drosophile. Ubx: Gène Ultrabithorax. AntpC: Complexe Antennapedia. bxC: Complexe Bithorax.
Il est intéressant de remarquer que les mutations homéotiques ont des conséquences phénotypiques importantes, comme la modification d’un organe. Des changements de grande ampleur peuvent donc survenir au niveau du phénotype en un temps relativement bref.
➤ De l’interaction entre duplication et transposition
Duplication et transposition s’associent parfois et provoquent des nouveautés évolutives comme en témoigne l’exemple du gène slp (sex limited protein) de la souris, qui code une protéine du système d’histocompatibilité. Ce gène est issu d’une duplication du gène C4 (d’une protéine du complément) qui est probablement ancienne
4.2 Mécanismes de transmission des variations
85
puisqu’elle existe aussi chez plusieurs Vertébrés, dont l’homme et le rat. Pourtant, seul le gène de la souris subit une régulation par les androgènes. Ce contrôle de l’expression a pour origine la présence d’une séquence LTR en amont du gène. Ainsi, une duplication crée un nouveau gène potentiel. Celui-ci acquiert éventuellement une fonction par modification de la régulation de son expression par insertion d’éléments transposables. Toute modification du génome, quels que soient son ampleur et son effet, ne peut participer aux processus évolutifs que si elle se conserve dans le temps. Il faut qu’elle se transmette de génération en génération.
4.2
MÉCANISMES DE TRANSMISSION DES VARIATIONS
Le zoologiste de la fin du XIXe siècle, Weismann, a été le premier à distinguer soma et germen. Un organisme croît par le soma et transmet de l’information à la génération suivante via le germen. En termes modernes, le germen correspond à l’information (portée par l’ADN) contenue dans les cellules sexuelles. Les cellules de notre corps, base de notre phénotype, constituent le soma qui disparaît avec l’individu. Si la mitose contribue à la croissance du soma, la méiose est la base de la transmission de l’information du germen chez les organismes à reproduction sexuée.
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4.2.1 Mécanismes d’hérédité à l’échelle cellulaire Les divisions cellulaires assurent, entre une cellule mère et des cellules filles, le transfert des chromosomes et, avec eux, les modifications apparues par mutation. Elles sont aussi les occasions privilégiées pour que des mutations surviennent. En effet, comme nous l’avons vu, les erreurs sont souvent introduites lors de la réplication. Seuls les événements survenus lors de la méiose se transmettront à la génération suivante. La méiose entraîne, en plus de ces modifications, des changements supplémentaires, dus aux brassages des chromosomes. Le tableau suivant (Tab. 4.2) oppose mitose et méiose, et montre comment leurs modalités ont des conséquences sur le contenu informatif des cellules. La mitose est entièrement conservatrice. La méiose assure la transmission de l’information entre générations, mais elle induit aussi un
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4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
Tableau 4.2
Comparaison des divisions de mitose et de méiose et de leurs résultats. Mitose
Méiose
Cellules
Cellules somatiques
Cellules sexuelles
Résultat cellulaire
2 cellules-filles
4 cellules-filles
Ploïdie
Cellules-filles diploïdes
Cellules-filles haploïdes
Brassage intrachromosomique
Pas de brassage
Crossing-over
Brassage interchromosomique
Pas de brassage
Ségrégation aléatoire
changement dans la quantité d’ADN: c’est le passage de l’état diploïde à l’état haploïde. Les chromosomes étant répartis aléatoirement dans les gamètes, il s’opère un premier brassage qui est interchromosomique. Cette transition s’accompagne aussi de remaniements des chromosomes par le biais des crossing-over. Comme dans le cas des transpositions, de nouvelles associations d’allèles sont créées, mais les allèles eux-mêmes restent identiques. Certains gamètes bénéficient de combinaisons plus avantageuses en termes adaptatifs. Imaginons, chez l’ours polaire, deux gènes hypothétiques qui codent pour la couleur et l’épaisseur de la fourrure. L’association des allèles «blanc» et «épais» est plus avantageuse que toute autre combinaison (pour deux loci à deux allèles blanc/noir, épais/mince)1. Cependant, la loterie recombinatoire a lieu à chaque génération et détruit les bonnes comme les mauvaises associations. À ce titre, le débat sur l’intérêt de la sexualité et des événements de recombinaison reste très ouvert dans la communauté scientifique (voir Gouyon et al., 1993). Mitose et méiose assurent la transmission du génome nucléaire, mais les mitochondries et les chloroplastes contiennent eux aussi de l’ADN. Le mode d’hérédité est tout autre: la cellule œuf hérite des mitochondries et des plastes maternels présents dans le gamète femelle. Sauf cas exceptionnel, le génome des organites se transmet par la voie femelle.
1. Sous réserve qu’ils soient exprimés, ils doivent être dominants ou à l’état homozygote.
4.2 Mécanismes de transmission des variations
87
4.2.2 Hérédité, héritabilité et transmission a) Apprentissage et hérédité
Depuis le début de l’ouvrage, l’expression de transmission à la génération suivante est préférée à héréditaire. Héréditaire sous-entend un mécanisme génétique, or un trait n’a pas nécessairement besoin d’être codé par un gène pour être transmis. Ainsi, le chant des Oiseaux résulte à la fois de l’apprentissage et de caractères innés. Les jeunes Oiseaux réagissent aux cris et chant de leurs parents dès le plus jeune âge. Des jeunes élevés dès leur naissance en caisson insonore, donc sans aucune stimulation de leurs parents, n’émettent que des sons rudimentaires et très stéréotypés à l’âge adulte, et ne chantent jamais. De plus, les chants d’une même espèce varient d’une population à une autre comme autant de dialectes. Un petit né dans une population et élevé dans une deuxième, chante à l’âge adulte comme tous les individus de sa population d’adoption. Le chant des Oiseaux a donc deux composantes. La première est innée: avant l’acquisition de la maturité sexuelle, tous les jeunes individus ont un registre de vocalise de base. La seconde est le résultat d’un apprentissage: par imitation des parents et des adultes voisins, le jeune apprend le chant propre de l’espèce et de la population. Le déterminisme de la première reste mal connu, mais l’acquisition finale du chant nécessite un apprentissage. Quoi qu’il en soit le chant dans son ensemble est transmis rigoureusement, aux variations individuelles près, de génération en génération. Un trait transmis par apprentissage peut donc tout aussi bien donner prise à la sélection.
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b) Héritabilité, action de l’environnement
Morgan, généticien du début du XXe siècle, recherchait déjà l’action des gènes par des croisements de drosophiles, mais il ne pouvait analyser que la couleur des yeux ou la forme des ailes. Plus généralement, la génétique s’intéresse au génotype des individus, mais elle n’a longtemps eu accès qu’au phénotype. Or les relations entre les deux sont rarement simples. La variation d’un caractère résulte-t-elle d’une variation génétique? Pour un génotype donné, le phénotype est-il le même dans différents environnements? Un caractère présente un déterminisme génétique plus ou moins complexe. Mais des jumeaux, des clones qui se développent dans des environnements différents auront des phénotypes différents. Le phénotype est déformable en fonction du milieu extérieur; cette propriété est appelée plasticité phénotypique. Un génotype donné peut conduire à une gamme plus ou moins étendue de phénotypes appelée norme de réaction. Pour un développement plus complet sur la plasticité phénotypique, on pourra
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4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
consulter en particulier l’ouvrage de J. Blondel. On ne tient plus compte de la transmission par apprentissage. Le phénotype (P) dépend à la fois du génotype (G) et de l’environnement (E), relation qui est résumée par l’équation suivante: P = G + E. Elle peut être étendue aux variances1: σ2P = σ2G + σ2Ε + covariance (G, Ε). Or, la composante environnementale de la variation phénotypique n’est pas transmise. Elle ne peut subir les effets de la sélection et donc entrer dans un processus d’évolution. Par contre, la possibilité de développer un ensemble de phénotype à partir d’un seul génotype est sans doute un avantage évolutif. La manière dont la plasticité phénotypique interfère dans les processus évolutifs reste mal connue. Les pinsons de Darwin aux Galápagos sont toujours étudiés, en particulier le pinson à bec moyen (Geospiza fortis): tous les individus sont capturés, marqués, mesurés (Grant, 1997). Lors des années de grande sécheresse, jusqu’à 85% des individus meurent. Les Oiseaux qui survivent sont plus grands et ont un plus gros bec. Lorsque les pluies sont très faibles, les plantes produisent peu de graines, nourritures des Oiseaux. Les pinsons qui ont un gros bec ont la capacité de casser les plus grosses graines, ils ont donc accès à une ressource supplémentaire. Ils survivraient mieux aussi parce que leur grande taille leur permettrait d’avoir accès à la nourriture aux dépens des plus petits. Avant même de chercher à démontrer ces hypothèses, il faut vérifier que la taille du corps et celle du bec sont bien transmissibles. Le concept d’héritabilité est utilisé à cette fin. Soit un caractère quantitatif, la taille corporelle, le poids, la taille du bec par exemple. Le plus souvent, ce caractère varie dans la population selon une loi normale. Celle-ci est caractérisée par une valeur moyenne et une variance qui correspond à l’intervalle de variation du caractère dans la population. Ainsi, dans la population humaine, la taille moyenne des hommes est de 1,75 m environ, mais certaines personnes mesurent plus de 2 m et d’autres moins de 1,60 m. La variation d’un caractère ( s 2tot ) est décomposée en: variation génétique ( s 2g ) et variation due à l’environnement ( s 2e ). L’héritabilité au sens large, H2, est la part de cette variation qui est d’origine génétique: s 2g 2 s 2g = -------------H = -----2 2 s 2tot s g + s e 1. Soient deux variables aléatoires X et Y: var(X + Y) = var(X) + var(Y) + cov(X,Y).
4.2 Mécanismes de transmission des variations
89
Comme il est difficile de mesurer les parts génétiques et environnementales de la variation, on utilise en général une autre définition de l’héritabilité. On réalise une régression de la taille des enfants sur la taille moyenne de leurs parents, ou de tout autre caractère (mesure de l’héritabilité au sens strict, h2). On obtient une droite dont la pente est l’héritabilité. Si la pente est 1, la variation du caractère est entièrement déterminée génétiquement. Elle est généralement comprise entre 0 et 1 et correspond bien à la part de variation d’origine génétique (Fig 4.11). L’héritabilité (h2, au sens strict) a été estimée à 0,74 pour l’épaisseur du bec chez les pinsons, ce qui peut être traduit par: 74% de la variabilité observée est d’origine génétique. L’héritabilité est un concept souvent utilisé abusivement. Si la variabilité génétique est nulle, dans une population composée uniquement d’homozygotes par exemple, alors s2g = 0 et par conséquent H2 = 0. La nullité de l’héritabilité ne signifie pas, dans ce cas, que le caractère n’est pas déterminé génétiquement. De même, si l’environnement est très stable, s2e est faible, l’héritabilité est forte. Pourtant le caractère peut très bien être sensible aux conditions environnementales. L’héritabilité dépend de la population considérée et ne dit rien de plus que la part de variation d’origine génétique dans la situation observée. Elle n’est pas le degré de déterminisme génétique dans l’absolu.
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Valeur du caractère pour les descendants
Droite de pente 1 h2 = 1
•• • • •• • •• • • • • • • • • •• • • • • •• h2
Valeur moyenne du caractère mère + père 2
pour les parents
Figure 4.11 Droite de régression entre la valeur du caractère des descendants en fonction de la valeur moyenne des parents.
90
4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
L’héritabilité n’en reste pas moins un outil utile dans l’étude de l’évolution. L’idée a, en effet, été développée par les agronomes pour l’amélioration des caractères économiquement intéressants, la sélection artificielle ne pouvant s’exercer que sur la part génétique de la variation. De même, la sélection naturelle ne touche que la part transmise des variations, par le biais de l’ADN ou par apprentissage.
4.3
MÉCANISMES DE FIXATION DES VARIATIONS
4.3.1 Mise en évidence de l’action de la sélection Les guppies (Poecilia reticulata) sont des petits poissons appréciés des aquariophiles car leur élevage est facile, leur reproduction rapide et ils sont très colorés. En fait, les mâles le sont beaucoup plus que les femelles. Ils arborent des points et des taches variables en taille, couleur, position Nombre de taches par poisson (•) (moyenne) Longueur des taches (mm) (o) (moyenne) 11
10 1,5 9
8
7
1,0
A
B
C
D
E
Sites de prédation croissante
Figure 4.12 Le nombre (•) et la longueur (ο) des taches des guppies mâles diminuent en fonction de l’intensité de la prédation. Données récoltées dans 5 cours d’eau du Venezuela, l’intensité de prédation augmente de A à E (d’après Krebs et Davies, © Blackwell, 1993).
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4.3 Mécanismes de fixation des variations
91
et réflexivité. Des études en laboratoires ont montré que les femelles étaient plus attirées par les mâles avec des taches brillantes et de couleur orange. Pourtant dans l’habitat naturel du guppy, les rivières d’Amérique centrale, la coloration varie d’un cours d’eau à l’autre (Fig. 4.12). Or, les guppies servent de nourriture à d’autres espèces de poissons, et une corrélation a été établie entre l’intensité de la prédation et les caractéristiques des taches de couleur (Fig. 4.12). Endler (1980) a émis l’hypothèse de deux pressions de sélection opposées: d’une part, les prédateurs favorisent des mâles capables de se camoufler, donc plutôt ternes, d’autre part, les femelles sont plus attirées par des mâles colorés. Le chercheur a élaboré un protocole expérimental pour tester l’effet de la prédation. Il a utilisé des étangs artificiels dont le fond a été tapissé de gravier imitant ainsi les rivières naturelles. Il y a réparti des guppies des deux sexes, provenant de plusieurs rivières, donc de colorations variées. Les étangs ont d’abord été laissés libres de toute prédation pendant six mois. Puis Endler a reconstitué trois situations existant en conditions naturelles: un témoin sans prédation, un véritable prédateur (Crenicichla alta), ou un faux prédateur (Rivulus hartii), un poisson en réalité inoffensif pour les guppies. Enfin, le nombre et la taille des taches ont été mesurés après 5 mois, soit trois à quatre générations et de nouveau après 9 autres mois (Fig. 4.13). Au total, une dizaine de générations se sont succédées durant l’expérience. Quel est l’intérêt des étangs avec des prédateurs inoffensifs? Que faut-il vérifier pour être sûr que l’on observe bien un processus d’évolution sous pression de sélection? Est-ce le cas ici? Les résultats confirment-ils l’hypothèse que les prédateurs exercent une pression de sélection? Quelle autre expérience en milieu naturel peut-on faire pour compléter ces résultats? En présence de prédateurs, le nombre de taches par individu est plus faible. Ce résultat confirme donc que les prédateurs exercent une pression de sélection en faveur des individus moins colorés et donc plus difficiles à repérer. Les poissons mis en présence d’un faux prédateur sont aussi colorés que si ce dernier était absent. Ces étangs témoins montrent que ce n’est pas la seule présence d’une autre espèce qui influe sur la coloration. De plus, l’expérience s’étale sur de nombreuses générations, les changements de coloration sont donc effectivement transmis entre générations et sont triés par un processus de sélection. Le nombre de générations est suffisant pour montrer que la variation de la coloration est héritable. Si on n’avait que deux générations, il faudrait calculer l’héritabilité définie précédemment. Enfin,
92
4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
Nombre de taches par poisson (moyenne)
14
Début de l’expérience
Introduction des prédateurs
13 12 11 10 9
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
20 Temps (mois)
Figure 4.13 Nombre de taches par poisson en fonction du temps, avec prédateur véritable ( ), avec prédateur inoffensif ( ), sans prédateur ( ) (d’après Krebs et Davies, © Blackwell, 1993).
Endler a aussi mené une expérience de transfert de populations en milieu naturel: il a déplacé 200 individus ternes d’une rivière où se trouvait le prédateur réel Crenicichla alta, vers une autre rivière isolée, où ne vivaient ni guppies ni prédateurs. Deux ans plus tard, les mâles étaient beaucoup plus colorés. Ce travail met en lumière quelques-unes des méthodes pour mettre en évidence l’action de la sélection naturelle dans des populations naturelles. Le début du travail a consisté à faire une corrélation entre un trait et un facteur de l’environnement, soupçonné d’être le facteur de la sélection. L’élaboration de l’hypothèse, «la prédation exerce une sélection», permet de faire des prédictions qui peuvent être testées par des dispositifs expérimentaux. «Si on laisse évoluer des individus de colorations diverses sous des pressions de prédation différentes, alors après plusieurs générations, on devrait retrouver des individus d’autant plus ternes qu’ils sont soumis à une prédation forte». Perturber des populations en les déplaçant, ou récréer des conditions artificielles sont deux voies complémentaires pour vérifier ou infirmer des prédictions.
4.3 Mécanismes de fixation des variations
93
La situation n’est malheureusement pas toujours aussi simple et les sources d’erreur ne sont pas rares. Endler s’est focalisé sur la pression exercée par la présence ou l’absence de prédateur, mais l’attirance des femelles est une autre composante de la sélection subie par les mâles de guppies. Deux forces de sélection opposées sur un même caractère conduisent généralement à un compromis chez l’individu, celui-ci est alors en situation de «trade-off» (voir paragraphe 5.2). La sélection exercée sur les guppies par la présence ou l’absence de prédateur est simple: elle est constante au cours du temps et favorise toujours des individus ternes. Si au contraire, l’environnement et la pression de sélection sont fluctuants, il peut être très difficile de la détecter. Encore une fois, la qualité de l’échantillonnage est déterminante: prélever un ensemble d’individus non représentatif retire toute signification aux résultats. Par ailleurs, certains traits sont liés, et sélectionner pour le caractère A entraîne obligatoirement l’évolution conjointe du caractère B, même si celui-ci n’est pas directement soumis à sélection. Ce phénomène, appelé auto-stop, provoque la confusion: on risque d’attribuer à B la même pression de sélection qu’à A. L’auto-stop est connu pour les gènes qui sont liés physiquement ou génétiquement (linkage). Une approche alternative consiste à se focaliser sur les gènes, non plus sur les caractères phénotypiques. La variation est suivie par les allèles et leur fréquence.
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4.3.2 Le point de vue de la génétique des populations: la fixation des allèles Comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, il est possible de quantifier le polymorphisme génétique dans une population en mesurant les fréquences alléliques. La génétique des populations a développé une formalisation de l’évolution à l’échelle du génome en la considérant comme la variation des fréquences alléliques au cours du temps, au sein d’une population. Celle-ci peut être décomposée en plusieurs étapes: apparition d’un nouvel allèle (mutation), dynamique de sa fréquence et éventuellement remplacement d’un autre allèle (fixation du nouvel allèle dans la population). Des forces de différentes natures tendent à modifier la fréquence d’un allèle dans la population et éventuellement à le fixer: la sélection, la migration (mouvements d’allèles entre populations via les individus), la dérive (événements aléatoires). Nous reparlerons de la dérive dans le dernier chapitre. Les développements suivants montrent l’effet des forces de sélection sur les fréquences alléliques.
94
4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
a) L’équilibre de Hardy-Weinberg
La génétique des populations se démarque de celle de Mendel car, au lieu d’étudier la transmission des allèles et de prédire le génotype d’individus, elle s’intéresse à l’abondance des allèles et des génotypes au sein des populations. Reprenons l’exemple du chapitre 2, pour les deux allèles R et L, les fréquences génotypiques sont (N est le nombre total d’individus de la population): nombre d’individus LL f ( LL ) = ------------------------------------------------------N nombre d’individus RL f ( RL ) = ------------------------------------------------------N nombre d’individus RR f ( RR ) = -------------------------------------------------------N Les fréquences alléliques se calculent de la même façon: p = f(L) × nombre d’individus LL + nombre d’individus RL = 2-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------2N = f ( LL ) + 1--- f ( RL ) 2 q = f(R) 2 × nombre d’individus RR + nombre d’individus RL = ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------2N = f ( RR ) + 1--- f ( RL ) 2 Il est facile de vérifier dans les deux cas que la somme des fréquences est égale à 1. Ces équations sont généralisables à tout locus autosomal à deux allèles. Recherchant la dynamique des fréquences génotypiques, le mathématicien G. Hardy et le médecin W. Weinberg sont parvenus au même modèle, publié en 1908. Ce dernier aboutit à l’équilibre des fréquences génotypiques au cours des générations. Mais un ensemble d’hypothèses contraignantes doit être vérifié pour que l’équilibre s’établisse et soit stable: 1. Les espèces doivent être diploïdes et avoir une reproduction sexuée. 2. Toutes les rencontres se font au hasard: les gamètes s’unissent indépendamment de leur génotype (pangamie). De même, les individus ne font pas de choix préférentiel en fonction du phénotype ou du génotype (panmixie). 3. La population a un effectif infini.
4.3 Mécanismes de fixation des variations
95
4. Aucune migration ne se fait depuis ou vers la population. Ainsi, il n’y a pas ajout ou retrait d’un génotype. 5. Aucune mutation n’apparaît. 6. La méiose entraîne une ségrégation aléatoire des allèles. 7. La probabilité de transmettre ses gènes est la même pour tous les génotypes: il n’y a pas de biais dû à la sélection qui conduirait à des différences de fécondité. Sous cette liste d’hypothèses, on peut considérer que: – la formation d’un zygote de génotype donné est le résultat d’un tirage aléatoire dans des urnes imaginaires contenant les gamètes (2, 3 et 6); – l’ensemble des combinaisons possibles des gamètes est réalisé (3); – la constitution génotypique des adultes reproducteurs est identique à celle des zygotes (4, 5 et 7). Par conséquent, pour obtenir les fréquences génotypiques à la génération suivante, il suffit de calculer les probabilités d’association des gamètes. La probabilité d’avoir le génotype LL, notée P(LL) (quel que soit le stade considéré) est la probabilité d’associer un spermatozoïde L et un ovule L. Comme le tirage est indépendant et les fréquences alléliques identiques pour les deux sexes, P(LL) = p × p = p2. Le calcul peut être répété pour tous les génotypes.
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Spermatozoïdes Ovules
L(p)
R(q)
L(p)
p2
pq
R(q)
qp
q2
Les fréquences génotypiques des adultes reproducteurs sont les suivantes: f(LL) = P(LL) = p2 f(RL) = P(RL) = pq + qp = 2pq f(RR) = P(RR) = q2 Vérifions que les fréquences génotypiques restent les mêmes à la génération suivante. Les fréquences alléliques sont toujours p et q chez les adultes reproducteurs: f(L) = f(LL) + 1--- f(LR) = p2 + pq = p(p + q) = p 2
96
4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
Par conséquent, elles sont aussi p et q dans les gamètes. La génération suivante s’établit donc avec le même tirage que décrit précédemment. La population est à l’équilibre de Hardy-Weinberg, qui est le point de départ des raisonnements qui suivent. b) L’effet de la sélection
L’absence de sélection est une des hypothèses du modèle de HardyWeinberg. Quelle est l’évolution des fréquences alléliques si l’on introduit des paramètres de sélection? Soit un locus à deux allèles, A et a, initialement à l’équilibre. À la génération 0, leur fréquence est respectivement p0 et q0. Comme la population est à l’équilibre, les génotypes, à la naissance, ont donc les fréquences suivantes: AA
Aa
aa
p02
2p0q0
q02
Un coefficient de sélection absolu w (ou valeur sélective) est introduit pour chaque génotype, w1 pour AA, w2 pour Aa, w3 pour aa. La valeur sélective est en fait décomposée en deux autres paramètres: w = vf où v est le pourcentage d’individus d’un génotype donné qui survivent entre la naissance et la reproduction: c’est la viabilité, et f est la fécondité, c’est-à-dire le nombre de descendants laissés par un individu d’un génotype donné. On formalise ainsi les composantes de la sélection détaillées par Darwin. Des coefficients relatifs dont la somme est 1, w(AA) = w1/(w1 + w2 + w3) par exemple, sont aussi parfois utilisés. Dans le modèle avec sélection, celle-ci agit entre les stades zygote et adulte, pendant la phase diploïde (la valeur sélective est alors réduite à la survie). Les autres hypothèses du modèle de Hardy-Weinberg sont conservées et on considère de plus que les valeurs sélectives sont constantes au cours du temps. Les fréquences de chaque génotype au stade adulte sont donc: AA w1 ⋅ p 0
2
Aa
aa
w2 ⋅ 2p0q0
w3 ⋅ q02
À la génération suivante, on peut alors calculer p1.
4.3 Mécanismes de fixation des variations
97
2 f ( AA ) 0 + 1--- f ( Aa ) 0 p 0 ⋅ w 1 + 1--- ( 2 ⋅ p 0 ⋅ q 0 ⋅ w 2 ) 2 2 p1= --------------------------------------------- = ---------------------------------------------------------------w w 0 ( p0 ⋅ w1 + q0 ⋅ w2 ) = p----------------------------------------------w où w est la somme des fréquences génotypiques. Diviser par w sert à normaliser, pour que p + q = 1: 2
2
w = p0 ⋅ w1 + 2 ⋅ p0 ⋅ q0 ⋅ w2 + q0 ⋅ w3 À un pas de temps quelconque, t: pt ( pt ⋅ w1 + qt ⋅ w2 ) p t + 1 = -------------------------------------------w 2
2
w = p t ⋅ w 1 + 2p t ⋅ q t ⋅ w 2 + q t ⋅ w 3 L’évolution de la fréquence allélique est suivie grâce au signe de ∆p = pt + 1 – pt pt ⋅ ( pt ⋅ w1 + qt ⋅ w2 )
∆p = ------------------------------------------------- – p t
w
2
2
1 [ p t ( p t ⋅ w 1 + q t ⋅ w 2 ) – p t ( p t ⋅ w 1 + 2p t ⋅ q t ⋅ w 2 + q t ⋅ w 3 )] ∆p = --d’où:
w
1 ⋅ p t ⋅ q t [p t ( w 1 – w 2 ) + q t ( w 2 – w 3 ) ] ∆p = --© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
w
Y = [ pt ( w1 – w2 ) + qt ( w2 – w3 ) ] Le signe de ∆p est déterminé par le terme entre crochets, noté Y, il dépend des valeurs relatives de w1, w2 et w3. Si le génotype AA est plus avantageux que Aa, lui-même plus avantageux que aa, c’est-à-dire w1 > w2 > w3, alors Y > 0 et ∆p > 0, et p tend vers 1. L’allèle A est fixé au bout d’un certain nombre de générations, et a est éliminé de la population. Inversement, si w3 > w2 > w1, alors c’est a qui est fixé et A éliminé. Dans les deux cas précédents, un des deux allèles est fixé, la population tend au monomorphisme. Considérons un cas différent, cette fois, c’est l’hétérozygote le plus avantageux: w2 > (w1 et w3). Le signe de Y dépend alors aussi de la valeur de p.
98
4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
w3 – w2 Y = 0 ⇔ p = péqui = ------------------------------------w1 – 2 ⋅ w2 + w3 – si p < péqui , Y > 0, p augmente vers péqui – si p > péqui , Y < 0, p diminue vers péqui péqui est un point d’équilibre stable, pour lequel les deux allèles sont maintenus. La population est polymorphe à ce locus. Encart 4.2
Exemple de l’anémie falciforme La drépanocytose est un exemple de système génétique à 1 locus autosomal à deux allèles. Les homozygotes HbS/HbS meurent avant l’âge adulte, alors que les hétérozygotes ne présentent aucun symptôme car ils possèdent les deux formes d’hémoglobine. Dans la plupart des populations humaines, la fréquence de HbS est très faible. Pourtant, dans certaines populations africaines, 1 à 2% nouveau-nés sont homozygotes, ce qui correspond à une fréquence de 10 à 15% pour l’allèle HbS. De plus, il a été démontré que la fréquence était élevée dans les régions touchées par le paludisme. Comment expliquer une fréquence si élevée pour un allèle létal récessif? Les individus hétérozygotes touchés par le paludisme survivent mieux que les homozygotes HbA/HbA. La cause est encore mal connue mais il est probable que le parasite, dont le cycle se déroule en partie dans les hématies, se développe moins bien dans les cellules déformées. Quoi qu’il en soit l’anémie falciforme constitue, dans les régions de paludisme, un des rares cas connus d’avantage des hétérozygotes, ce qui explique que l’allèle HbS ne soit pas éliminé, ou ne reste pas à très faible fréquence.
4.3.3 La notion de valeur sélective ou fitness Reprenons la description de la sélection du chapitre 3. Nous sommes amenés à considérer que, dans une population, la reproduction est différentielle: certains individus laissent plus de descendants que les autres. De manière générale, ces individus ont une meilleure survie et/ou une meilleure fécondité que les autres. C’est cet avantage relatif que contient le concept de fitness (ou valeur sélective). Elle peut être définie selon
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4.3 Mécanismes de fixation des variations
99
des angles différents, comme le nombre de descendants d’un individu qui survivent jusqu’à l’âge adulte par rapport à celui laissé par les autres individus. Elle est aussi la contribution qu’apporte un individu au patrimoine génétique de la génération suivante. Sous forme mathématique, il s’agit des coefficients de sélection. La valeur sélective pose également un problème méthodologique car elle est difficile à mesurer. On peut compter, par exemple, le nombre total de descendants laissés par un individu durant toute sa vie (LRS pour Lifetime Reproductive Success). Mais cet indice ne tient pas compte de l’histoire des descendants qui peuvent être nombreux à la naissance et subir une forte mortalité avant leur propre reproduction. De plus, c’est une mesure absolue qui n’est pas reliée au nombre de descendants des autres individus dans la population. La valeur sélective s’applique toujours à un individu et relativement aux autres. Pourtant, selon une conception courante, les individus agissent et évoluent dans le sens du bien de l’espèce, assurant ainsi la perpétuation. En suivant cette idée de sélection de groupe, un oiseau qui réduit la taille de sa nichée lorsque les conditions sont difficiles, diminuerait la compétition vis-à-vis de ses conspécifiques, comme un sacrifice pour le groupe. Pourtant, certains comportements sont en contradiction, la reproduction des lions (Panthera leo) est une bonne illustration. Ils vivent en groupes composés de 3 à 12 femelles adultes, 1 à 6 mâles adultes et plusieurs jeunes. Les femelles restent dans leur groupe natal, contrairement aux mâles qui le quittent à 3 ans. Après une période de vie nomade, quelques individus prennent le contrôle d’un nouveau groupe, en remplaçant le vieux mâle. Si des petits sont présents, les nouveaux mâles dominants les tuent. L’intérêt de ce comportement pour le groupe ou la pérennité de l’espèce est inexistant puisque des jeunes sont tués. En revanche, les femelles redeviennent plus rapidement réceptives, les mâles peuvent copuler plus rapidement et laisser leurs propres descendants. Cet exemple est tout à fait généralisable. Si un individu a un comportement qui lui permet de laisser plus de descendants mais qui nuit à l’intérêt du groupe, il a néanmoins une valeur sélective plus élevée. En effet, sous réserve que ses descendants héritent de ce trait, ils se reproduisent plus efficacement. Aussi, même si le comportement est défavorable au groupe, il se répand dans la population. Comment réinterpréter, à la lumière de l’exemple des lions, le comportement de l’oiseau qui réduit la taille de sa nichée? Si un oisillon ne reçoit pas une quantité suffisante de nourriture, ses chances de survie sont faibles. Lorsque les conditions sont défavorables, il est difficile pour les parents de trouver de la nourriture pour eux-mêmes et leurs petits. Des petits moins nombreux seront mieux
100
4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
nourris et auront une plus grande chance de survie. Au final, le nombre de descendants arrivé à l’âge adulte sera plus grand. Encart 4.3
Modes d’action de la sélection Les principaux modes d’action de la sélection sont généralement représentés par les schémas de la figure suivante (Fig. 4.14), qui sont des courbes de distribution d’un caractère pour une espèce. La sélection stabilisante (ou normalisante) ne retient que les individus les plus proches de la moyenne, les autres ne se reproduisent pas ou beaucoup moins. Après quelques générations, la moyenne reste la même mais avec une variation plus faible. La sélection directionnelle favorise les individus situés d’un côté de la moyenne, toujours le même. La moyenne est alors déplacée de ce côté, la variation reste inchangée. Enfin, la sélection disruptive se rencontre lors de choix d’habitats différents par deux groupes. Elle ne retient que les individus des extrémités du spectre, et élimine les individus moyens. La distribution devient bimodale, avec deux sous-moyennes.
Temps t0
Temps t1
Fréquence dans la population
Valeur du caractère (taille…)
Moyenne Variance Sélection stabilisante
Sélection directionnelle
Sélection disruptive
Figure 4.14 Les modalités de la sélection: courbe de distribution normale d’un caractère dans une espèce avant et après sélection (d’après Devillers et Mahé).
4.4 Mécanismes de spéciation
101
4.3.4 La sélection sexuelle
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La valeur sélective d’un individu est fonction de plusieurs pressions de sélection. Dans l’expérience des guppies, la coloration des mâles dépend de l’attirance des femelles et de la discrétion vis-à-vis des prédateurs. En quoi l’attirance des femelles est-elle une pression de sélection? Les mâles ont le potentiel pour féconder plusieurs femelles en une saison de reproduction car leur production de gamètes n’est pas limitante. Cependant, ils entrent en compétition avec les autres mâles pour accéder aux copulations. À l’inverse, les femelles ne peuvent avoir qu’un nombre limité de descendants à cause du petit nombre de gamètes qu’elles produisent, et éventuellement des périodes de gravidité et d’allaitement. L’anisogamie est à l’origine de cette asymétrie: les gamètes mâles sont de petite taille et réclament un faible investissement énergétique par cellule alors que les gamètes femelles, immobiles et emplis de réserves, sont beaucoup plus coûteux. Par conséquent, plusieurs mâles se présentent pour une femelle, à qui revient la possibilité de trouver le meilleur partenaire parmi eux. «Meilleur» peut avoir plusieurs sens comme la bonne santé, la capacité de défendre un territoire, par exemple. La compétition entre mâles s’exprime donc dans les signaux qu’ils envoient aux femelles pour influencer ce «choix». La sélection sexuelle, résultat de cette compétition, favorise les mâles les plus voyants, brillants, caractères qui expriment une bonne santé ou tout ce qui peut faire la qualité d’un partenaire. Mais la sélection sexuelle peut aussi conduire à des extravagances telles que la queue du Paon ou les bois du cerf d’Irlande fossile (le Megaloceros) qui pouvaient atteindre 2,5 m de large. Il s’agit du moins d’une explication possible pour ces organes apparemment aberrants.
4.4
MÉCANISMES DE SPÉCIATION
4.4.1 De l’espèce à la spéciation «Je suis pleinement convaincu que les espèces ne sont pas immuables; je suis convaincu que les espèces qui appartiennent à ce que nous appelons le même genre descendent directement de quelque autre espèce ordinairement éteinte […]. » (C. Darwin).
Cette introduction à L’origine des espèces rappelle qu’il existe un lien de parenté entre les espèces, conséquences des processus évolutifs. Comment se déroule l’apparition d’une nouvelle espèce? Nous
102
4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
rechercherons dans ce paragraphe le lien entre les mécanismes individuels (variation, hérédité et sélection) et le début d’une espèce dans le temps. L’espèce est une sorte de Graal de la biologie tant les différentes définitions se sont accumulées. Pour Linné et la plupart des naturalistes du XVIIIe siècle, elle est le résultat d’un acte de création et peut faire l’objet d’une systématique sur la base de critères morphologiques. Darwin voit en elle un simple découpage arbitraire, puisque les êtres vivants sont en perpétuelle évolution. Les individus d’une même espèce peuvent se reproduire entre eux, ce qu’ils ne font pas avec ceux des autres espèces. Cette idée d’interfécondité apparaît déjà dans les écrits de Buffon au XVIIIe siècle. E. Mayr la développera dans les années 1940 pour donner une définition populationnelle de l’espèce encore très largement utilisée: «Les espèces sont des groupes de populations naturelles réellement ou potentiellement capables de se croiser et qui sont isolés des autres groupes ayant les mêmes propriétés.»
L’idée d’espèce repose sur l’interfécondité entre les individus qui la composent et l’isolement reproductif vis-à-vis des autres espèces. Les individus conspécifiques ne sont parfois que potentiellement interféconds, lorsque les populations sont éloignées géographiquement, par exemple. Néanmoins, la définition de Mayr n’est pas toujours facilement utilisable, car faire des croisements en laboratoire s’est révélé être difficile. De plus, les espèces sans reproduction sexuée et fossiles ne peuvent être testées. En revanche, cette définition permet d’appréhender l’espèce dans un cadre dynamique et évolutif. Deux populations d’une même espèce donnent naissance à deux espèces filles si une barrière de reproduction (ou isolement reproductif) se met en place. La spéciation est effective lorsque des individus, pris dans deux populations et mis ensemble, sont dans l’impossibilité de se reproduire. En d’autres termes, la spéciation a lieu lorsque le flux de gènes, même potentiel, qui existait du fait de l’interfécondité s’arrête. L’isolement reproductif naît des différences accumulées, de la divergence évolutive entre les populations. La compréhension des mécanismes de spéciation repose sur deux questions: quelles sont les bases biologiques (comportementale, cellulaire…) des barrières de reproduction? Par quelle séquence d’événements s’établit l’isolement reproductif? Nous nous focaliserons ici sur la deuxième question.
4.4 Mécanismes de spéciation
103
4.4.2 La séparation géographique: la spéciation allopatrique a) Variation géographique au sein d’une espèce
Le geai des chênes (Garrulus glandarius) est une espèce très ubiquiste, présente notamment en Europe, au Japon en Afrique du Nord. Pas moins de 28 sous-espèces ont été décrites sur la base de critères morphologiques. Or il n’y a pas de chevauchement de leur aire de répartition, la figure 4.15 détaille la distribution des sous-espèces de geai dans l’aire méditerranéenne. Les sous-espèces sont discernables sur la base de critères morphologiques et l’interfécondité reste la règle. Une espèce présente souvent de telles variations géographiques: on observe des différences morphologiques entre des populations séparées dans l’espace. Les sousespèces sont un exemple parmi d’autres de variation géographique au sein d’une espèce. b) Principes de la spéciation allopatrique
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Les grimpereaux sont des petits passereaux qui chassent les insectes sur le tronc des arbres. Les deux espèces, grimpereau des bois (Certhia
Figure 4.15 Répartition des sous-espèces de geai dans la zone méditerranéenne. Chacune est désignée par une nomenclature trinomiale, Garrulus glandarius par exemple (d’après Blondel).
104
4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
familiaris) et grimpereau des jardins (C. brachydactyla) se ressemblent beaucoup mais ont des aires de répartition un peu différentes. Au quaternaire, la descente des glaciers depuis le nord a séparé l’espèce en deux groupes qui, réfugiés de part et d’autre du glacier, ont évolué indépendamment. Seuls la forme des doigts, des différences subtiles des plumes des ailes et le chant distinguent les deux espèces. Au retrait du glacier, les aires se sont à nouveau étendues, mais les deux ensembles n’étaient plus interféconds. Les deux espèces étaient nées. La séparation géographique de deux sous-ensembles d’une espèce est à la base de la spéciation allopatrique. L’aire de répartition peut être scindée par un événement majeur comme la descente d’un glacier ou la formation d’un bras de mer qui provoque la naissance d’une île. Si l’espèce colonise de nouveaux milieux, par exemple de part et d’autre d’une chaîne de montagne, les populations sont durablement séparées. Les deux sous-ensembles évoluent alors indépendamment et dans des directions différentes par les processus évolutifs décrits précédemment. En effet, puisque les variations apparaissent aléatoirement, il n’y a pas de raison pour qu’elles soient les mêmes dans les deux populations. Si les pressions de sélection des deux milieux sont différentes, alors les variations retenues ne sont pas non plus identiques. Puisque les populations n’échangent pas d’individus par migration, il ne peut y avoir mélange des variations et homogénéisation. En résumé, les populations entrent en divergence évolutive. Lorsque celle-ci est suffisamment grande, les barrières reproductives se sont mises en place. Les deux sous-ensembles sont devenus deux espèces. Si la séparation géographique disparaît, (le glacier se retire par exemple), les deux espèces restent différentes. La sélection agit également en renforçant les barrières de reproduction. Lorsque la séparation géographique s’efface, les croisements sont parfois encore possibles, mais produisent des hybrides stériles ou ayant une valeur sélective (fitness) très réduite. Le croisement est alors très contresélectionné et se réalise rarement de fait après quelques générations. c) Effet fondateur
Il est des cas où seul un petit nombre d’individus est séparé de la population d’origine, lors d’une migration par exemple. Lorsqu’on tire quelques boules dans un sac qui en contient de toutes les couleurs, la probabilité est grande de n’obtenir qu’un nombre restreint de couleurs. De même, le petit groupe d’individus n’est pas représentatif de l’ensemble de la population, comme s’il était déjà différencié. De plus, aux processus de sélection s’ajoute une évolution aléatoire
4.4 Mécanismes de spéciation
105
due au petit nombre, la dérive, que nous détaillerons dans le dernier chapitre. Dans ce cas de figure, le temps requis pour la spéciation est réduit. Ainsi, les pinsons des Galápagos ont subi un effet fondateur. Quelques individus des genres continentaux (Geospiza par exemple) ont migré sur les îles. Ils ont colonisé toutes les niches écologiques et de nombreuses espèces se sont différenciées à partir de quelques-unes. C’est un exemple de radiation adaptative.
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4.4.3 L’unité de lieu: la spéciation sympatrique L’isolement reproductif n’est pas forcément la conséquence d’un isolement géographique. Plusieurs modèles expliquent la transition de populations en espèces dans une même région. Nous n’en donnerons qu’un exemple ici: lorsqu’un remaniement génomique majeur isole immédiatement le ou les mutants. Les spartines sont des graminées de marais littoraux. Jusqu’au XIXe siècle, Spartina maritima vivait en Europe, S. alterniflora en Amérique. En 1870, une troisième espèce, S. anglica est recensée en Angleterre. Les caryotypes des trois espèces sont différents: l’espèce américaine possède 2n = 62 chromosomes, l’espèce européenne en a 2n = 60, enfin, S. anglica compte 2n = 122 chromosomes. Les bateaux transatlantiques ont transporté accidentellement les graines de l’espèce américaine jusqu’en Angleterre. Les deux espèces se croisèrent, les hybrides étaient viables mais stériles. En effet, la méiose ne peut avoir lieu car les chromosomes n’ont pas leurs homologues pour s’apparier (Fig. 4.16). Les hybrides se sont néanmoins reproduits par multiplication végétative. Lors de mitoses, les chromosomes n’ont pas subi de ségrégation, par conséquent, leur nombre a doublé. Chaque chromosome a donc maintenant un homologue et les cellules peuvent effectuer des méioses. La reproduction sexuée est restaurée et l’hybride est devenu la nouvelle espèce S. anglica. Elle porte les jeux de chromosomes des deux espèces mères, c’est pourquoi elle est qualifiée de polyploïde. Certains estiment que 80% des plantes à fleurs sont polyploïdes. Si ce mode de spéciation est probablement courant chez les végétaux, c’est grâce à leur aptitude à la multiplication végétative qui écarte les problèmes lors de la méiose. Au XIXe siècle, l’idée d’évolution a vu le jour, en proposant des principes théoriques. Puis les connaissances en biologie cellulaire, moléculaire ou des populations sont venues appuyer ces bases théoriques
106
4 • Mécanismes de l’évolution darwinienne
Hybride viable mais non fécond (méiose impossible)
Caryotype 2n = 4 Espèce 1
Hybride polyploïde (méiose possible)
Gamètes n=2
n=1
Espèce 2
n=3
2n = 6
Mitose : Méiose la non-ségrégation entraine un doublement Gamète du nombre de chromosomes : polyploïdie n=3
Caryotype 2n = 2
Figure 4.16
Polyploïdie et spéciation chez les végétaux.
(parfois de façon incomplète). Cet ensemble forme actuellement un cadre scientifique qui permet d’étudier des phénomènes biologiques dans le filtre de l’évolution.
QUESTION DE RÉVISION 4.1 La sélection ne retient que les individus qui portent les caractères avantageux. Par conséquent, au bout de quelques générations, la population devrait être uniforme avec des individus qui portent tous les caractères optimisés. Pourtant, dans les populations naturelles, on observe toujours un polymorphisme, phénotypique et génotypique. Quels éléments pourraient expliquer ce paradoxe?
Chapitre 5
Des phénomènes biologiques à la lumière de l’évolution
Objectifs
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Les théories et mécanismes décrits précédemment font l’objet d’un large consensus à l’heure actuelle. Cet ensemble forme un cadre théorique et fournit des hypothèses de travail. Ce chapitre a pour but de montrer, à travers deux exemples, de quelle façon la théorie de l’évolution est appliquée: comment la classification et le comportement sont étudiés à la lumière de l’évolution.
5.1
LES CLASSIFICATIONS ÉVOLUTIVES: LES PHYLOGÉNIES
Deus creavit, Linnaeus disposuit, «Dieu crée, Linné dispose», Carl von Linné, qui a élaboré au XVIIIe siècle une classification toujours en vigueur, voyait dans la diversité l’œuvre du Créateur. Loin de toute idée d’évolution ou de parenté entre les espèces, il cherchait déjà à regrouper les espèces qui se ressemblent le plus. L’évolution a mis en lumière la relation de filiation entre les taxons. L’idée est alors née d’une classification qui refléterait ces relations, la phylogénie. Le principe
108
5 • Des phénomènes biologiques à la lumière de l’évolution
de base de toute classification est conservé: les espèces qui se ressemblent le plus sont à regrouper. Dans le cas des phylogénies, les espèces sont plus similaires parce qu’elles sont plus apparentées. Sous cette idée simple se cachent des problèmes méthodologiques: comment définir la ressemblance pour pouvoir construire des arbres généalogiques? Un taxon est alors un groupe monophylétique, c’est-à-dire composé d’un ancêtre commun et de la totalité des espèces qui en descendent.
5.1.1 Le calcul d’un indice global: la méthode phénétique a) Principe
Au début des années 1960, un mathématicien anthropologue, R.R. Sokal, et un spécialiste des bactéries, P.H.A. Sneath, jetaient les bases de la méthode phénétique. Ils eurent l’idée de rechercher un indice global de ressemblance entre les espèces. À partir de l’ensemble des caractères et particularités de chacun, il faudrait les quantifier, puis calculer un indice qui les synthétiserait. Ainsi, plus les espèces sont éloignées taxonomiquement, plus l’indice est grand et plus elles sont éloignées dans l’arbre. En résumant l’ensemble des caractères à un seul chiffre, les calculs se trouvent diminués de façon importante. b) Quel type de données?
La phénétique nécessite des données quantifiables et surtout des caractères continus. Elle s’est d’abord portée sur des données biométriques comme la longueur des os par exemple. Les molécules ont par la suite fourni un important réservoir de données. Avec l’avènement du séquençage, il a été possible de comparer des protéines dans un premier temps, puis l’ADN de différentes espèces. En effet, de nombreuses enzymes du métabolisme, comme le cytochrome c, utilisé historiquement, ou l’hémoglobine, molécule du transport de l’oxygène, sont présentes chez de très nombreuses espèces. La comparaison des séquences d’hémoglobines a révélé à la fois des acides aminés communs, en majorité, mais aussi différents pour un certain nombre de positions. Si la plus grande partie de la séquence est commune, il est peu probable que ce soit dû à une convergence. Les protéines (ou les gènes) sont donc homologues, il est possible de les comparer. Zuckerkandl et Pauling ont alors émis l’hypothèse suivante dans les années 1960: plus les gènes de deux espèces portent de différences nucléotidiques, plus elles sont séparées depuis longtemps. Autrement
5.1 Les classifications évolutives: les phylogénies
109
dit, il est possible de reconstituer la généalogie grâce aux différences de séquences. Dans l’optique phénétique, il s’agit de compter le nombre de nucléotides ou d’acides aminés différents pour avoir un indice de dissemblance. L’encart suivant (Encart 5.1) donne le principe de détermination de la séquence de nucléotides. L’hémoglobine, une des premières molécules dont la séquence d’acides aminés a été déterminée, fut tout naturellement une des premières à être utilisée pour construire un arbre. c) Préparation des données moléculaires et construction d’une matrice
Encart 5.1
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Principe du séquençage de l’ADN Sanger, chimiste de formation, reçut le prix Nobel à deux reprises, tout d’abord pour une méthode de séquençage des protéines puis, vingt ans plus tard, pour une technique de séquençage de l’ADN qui porte son nom. Cette dernière utilise l’électrophorèse pour trier des molécules d’ADN selon leur taille. Certains gels ont une résolution très fine: des fragments différant d’une paire de base sont séparés sur des gels d’acrylamide. Par ailleurs, il est possible de synthétiser in vitro de l’ADN grâce à une enzyme extraite de la bactérie Escherichia coli: l’ADN polymérase. Pour réaliser ce travail, l’enzyme doit avoir un brin matrice, des désoxynucléotides A, T, C et G et une amorce libre en 3’. Cette dernière est marquée par ajout d’un phosphate radioactif (32P) en 5’. Cet isotope permet de repérer les bandes d’ADN. Le gel est laissé à l’obscurité au contact d’un papier contenant des sels d’argent Ag+. Les électrons libérés par la radioactivité du 32P provoquent la précipitation des sels d’argent aux endroits où se trouve l’ADN et marquent ainsi sa présence par une bande. C’est un deuxième mode de révélation avec celui du BET (voir chapitre 2). Tout le principe de la méthode de Sanger réside dans l’ajout au mélange de didésoxynucléotides. Ceux-ci sont incorporés à la molécule par l’enzyme, mais l’absence d’un groupement OH empêche de fixer le nucléotide suivant et l’élongation s’arrête. On réalise en fait quatre préparations contenant chacune tous les éléments nécessaires et un seul type de didésoxynucléotide:
110
5 • Des phénomènes biologiques à la lumière de l’évolution
ddATP ou ddCTP ou ddGTP ou ddTTP. De plus, chacun d’entre eux est en excès par rapport au dXTP correspondant: par exemple, ddATP est en concentration plus importante que dATP. En probabilité, il va être incorporé à toutes les positions où on attend dATP. On obtient alors des fragments de longueurs différentes, dont la synthèse a été arrêtée à chaque A. Les quatre types de préparation sont mis à migrer sur un même gel, afin de séparer les fragments. Chaque bande correspond à une position dans la molécule. La bande la plus éloignée du puits est la position 1 en 3’. On lit la lettre en regardant dans quelle colonne se trouve la bande: en position x, elle est dans la colonne du ddATP. La base en x est donc tout simplement A.
➤ Alignement des séquences
La figure suivante (Fig. 5.1) montre les séquences de la première moitié de la chaîne α de l’hémoglobine pour l’homme et le requin. La molécule du requin a 7 acides aminés de plus au total. Chaque lettre correspond à un acide aminé. Certains sont communs aux deux molécules (des exemples ont été marqués). On ne sait pas a priori si la position 21 de l’homme est bien homologue à la position 21 du requin. Dans le cas contraire, il faut décaler les séquences afin de mettre en vis-à-vis les sites homologues. C’est le but de l’opération d’alignement des molécules. Pour trouver le meilleur alignement, il faut choisir celui qui comporte le plus grand nombre de positions pour lesquelles l’acide aminé sera identique, notées ensuite sites similaires. Pour cela, on peut décaler les séquences ou introduire des espaces. La figure suivante (Fig. 5.2) montre deux alignements possibles. Le premier ne contient pas d’espace ajouté, il conduit à 25 sites similaires. Le deuxième contient un espace, le nombre de sites similaires passe à 26, il est meilleur. En définitive, un indice de qualité de l’alignement est calculé en tenant compte à la fois du nombre des sites similaires et du nombre d’espaces introduits. Cette manipulation revient donc à chercher les sites homologues, en les alignant. Si les acides aminés y sont identiques, ils ont été conservés de l’ancêtre commun. S’ils sont différents, il s’est produit une substitution. Si un espace a été introduit, une délétion ou une insertion a eu lieu. ➤ Nombre des différences, construction d’une matrice
La matrice regroupe les indices de différence (ou de similitude) des espèces prises deux à deux, pour les données morphologiques et moléculaires.
50
60
70
Séquence d’acides aminés de la chaîne α de l’hémoglobine d’homme et de requin. Chaque lettre correspond à un acide aminé.
Figure 5.2
* : Introduction d’un espace.
Deux alignements pour les chaînes α des hémoglobines de requin et d’homme. Les tirets représentent des sites où les acides aminés sont identiques.
STSTSTSDY-A--RAELA-LSKVLAQN-EAF-----A---TVYAA--S--KDYK-FTAAAPSI-A--A--VT--AK-CD
VLSPADKTNVKAAWGKVGAHAGEYGAEALERMFLSFPTTKTYFPHF*DLSHGSAQVKGHGKKVADALTNAVA
Alignement 2:
STSTSTSDY-A--RAELA-LSKVLAQN-EAF-----A---TVYAA--S--KDYKDFTAAAPSI-A--A--VT--AK-CD
VLSPADKTNVKAAWGKVGAHAGEYGAEALERMFLSFPTTKTYFPHFDLSHGSAQVKGHGKKVADALTNA VA
Alignement 1:
Figure 5.1
26
25
Nombre de similitudes
STSTSTSDYSAADRAELAALSKVLAQNAEAFGAEALARMFTVYAATKSYFKDYKDFTAAAPSIKAHGAKVVTALAKACD
40
Requin
30
VLSPADKTNVKAAWGKVGAHAGEYGAEALERMFLSFPTTKTYFPHFDLSHGSAQVKGHGKKVADALTNAVA
20
Homme
10
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5.1 Les classifications évolutives: les phylogénies 111
112
5 • Des phénomènes biologiques à la lumière de l’évolution
Une fois que toutes les séquences sont alignées, on compte le nombre d’acides aminés communs deux à deux. Entre le requin et l’homme, les molécules d’hémoglobine diffèrent de 79 acides aminés. Autrement dit, 56% des sites sont différents (en prenant la molécule de l’homme comme référence). L’indice global de différence est donc: nombre d’acides aminés différents D = ---------------------------------------------------------------------------------nombre total d’acides aminés Seuls les 141 sites communs sont pris en compte. L’ensemble des indices est porté dans une matrice (Tab. 5.1).
Poulet
Ornithorynque
Kangourou
Bœuf
Singe Rhésus
Homme
Carpe
Triton
Requin
Matrice des indices de différence (D) de séquences de l’hémoglobine entre 8 espèces.
Carpe
Tableau 5.1
60,3
59,5
58,9
56,7
56,7
53,2
56
56
53,2
51,1
52,5
49,6
46,1
48,2
48,2
44,7
47,5
44,7
42,6
43,3
42,6
33,3
29,1
27
24,8
24,8
32,6
31,2
26,2
27,7
18,4
18,4
19,1
11,3
12,1
Triton Poulet Ornithorynque Kangourou Bœuf Singe Rhésus
2,8
d) Construction de l’arbre
Enfin, l’étape finale est la représentation de la matrice sous forme d’arbre. La première méthode développée est celle des distances moyennes ou UPGMA (Unweighted Pair Group Method of Arithmetic averages). On prend dans la matrice les deux espèces pour lesquelles D est le plus petit: ici, l’homme et le singe rhésus, avec D = 2,8. Chacune des deux branches menant aux espèces aura une longueur de D/2, c’est-à-dire 1,4 (Fig. 5.3).
5.1 Les classifications évolutives: les phylogénies
Homme
113
Singe Rhésus
D/2 = 1,4
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Figure 5.3
Construction des deux premières branches de l’arbre.
L’homme et le singe sont maintenant considérés comme un groupe en soi. On reconstruit alors une matrice en prenant les distances moyennes: par exemple, la distance entre le bœuf et le groupe homme/singe est la moyenne des distances homme/bœuf et singe/ bœuf; soit (11,3 + 12,1)/2 = 11,7. On répète alors les opérations: 1. recherche de l’espèce qui est à la plus faible distance (d) du groupe formé, ici par l’homme et le singe rhésus; 2. construction d’une nouvelle branche. Les deux sous-branches ont comme longueur d/2; 3. construction d’une nouvelle matrice avec les moyennes des distances. La méthode UPGMA est largement abandonnée aujourd’hui. En répartissant les différences de façon égale sur les deux branches, elle fait donc l’hypothèse que l’évolution se déroule à la même vitesse sur les deux branches après divergence des deux espèces. C’est l’hypothèse dite de l’horloge moléculaire. On peut l’exprimer encore d’une autre manière: le taux de mutation (nombre de mutations par unité de temps) est égal et constant dans les deux branches. Des études plus poussées ont révélé ultérieurement que cette hypothèse n’était pas toujours vérifiée. Ainsi, les gènes mitochondriaux de la souris évoluent plus vite que ceux des autres Rongeurs. D’autres méthodes de reconstruction d’arbre ont été développées, qui n’imposent pas des longueurs de branches égales et réalisées uniquement par informatique. e) Limites
Le développement du séquençage de l’ADN a permis de gagner en quantité d’informations. En effet, le code génétique est redondant: une mutation sur le 3e codon peut ne pas entraîner de changement d’acide aminé et donc être invisible au niveau de la protéine. Cependant, le nombre de nucléotides n’est pas infini. Si le nucléotide d’origine est A, les mutations s’accumulent, par exemple, A
114
5 • Des phénomènes biologiques à la lumière de l’évolution
donne T puis C, G, T, et enfin A. La séquence est revenue à l’original. On ne peut accéder qu’aux séquences actuelles et non à la suite des mutations qu’elles ont subies. Or, l’information intéressante est précisément le nombre des mutations. La figure suivante (Fig. 5.4) donne 2 scénarios possibles aboutissant au même état, c’est-à-dire deux séquences identiques au site considéré. 1.
A
→
T
→
A
2 mutations
2.
A
→
A
→
A
0 mutation
Figure 5.4
Deux histoires évolutives pour un même résultat: une séquence identique.
Lorsque deux sites de deux molécules portent le même nucléotide, il n’est pas possible de savoir si 0, 2 ou plus, mutations ont eu lieu. Il n’est pas possible d’affirmer si l’identité de séquence est le résultat d’une convergence (les mutations se sont succédées pour revenir au point de départ), ou si la séquence est restée inchangée. Le graphe suivant (Fig. 5.5) résume ce phénomène de saturation: le nombre de différences observé ne reflète plus le nombre réel de mutations, après un temps donné. Des modèles d’évolution probabilistes ont été développés afin de prévoir le nombre «réel» de mutations connaissant le nombre de différences observées (Encart 5.2). Nombre de différences observées
Nombre réel de substitutions
Figure 5.5 Représentation du problème de la saturation: nombre de différences observées en fonction du nombre réel de mutations.
5.1 Les classifications évolutives: les phylogénies
115
Encart 5.2
Probabilité de substitution et modèles d’évolution.
A
C
Transitions Transversions G
T
Purines
Pyrimidines
Figure 5.6
Deux types de mutations.
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Comme nous l’avons vu au chapitre 4, les mutations purines/ purines et pyrimidines/pyrimidines sont appelées transitions, les autres transversions. Plusieurs modèles d’estimation du nombre de mutations à partir du nombre de différences observées ont été élaborés. Jukes et Cantor ont construit un modèle dans lequel toutes les substitutions ont la même probabilité d’occurrence, α. A a autant de chance de muter en T qu’en C ou en G. Pour cette raison, on parle de modèle à un paramètre. On s’est ensuite aperçu que les transitions étaient plus fréquentes que les transversions. Kimura a développé un modèle où les probabilités de deux types de substitutions sont pondérées: c’est un modèle à deux paramètres (α et β). La pondération est choisie a priori ou en fonction des données de la matrice (détails des modèles dans Solignac et al.).
Avec l’augmentation très importante du nombre de séquences disponibles, les phylogénies moléculaires ont connu beaucoup de succès. Bien souvent, les résultats sont en accord avec les classifications classiques. Mais des résultats plus étranges ont aussi émergé et le groupe des Rongeurs a été plusieurs fois remanié. Une étude de 1991 de D. Graur se base sur des gènes nucléaires de 4 espèces. Les résultats montrent que la souris est plus proche des Primates que du cochon d’Inde. Mais les auteurs n’ont travaillé que sur 4 espèces. C’est le plus souvent dans ce cas que se produisent les rapprochements aberrants. La démonstration, apportée par Felsenstein en 1978, est maintenant connue sous le nom d’attraction des longues branches. En effet,
116
5 • Des phénomènes biologiques à la lumière de l’évolution
si deux espèces évoluent beaucoup plus vite que les autres, alors elles se retrouvent groupées dans la phylogénie, quelles que soient les relations de parenté sous-jacentes. Le problème revient au phénomène de convergence: plus le nombre de mutations est grand, plus la probabilité de réversion ou de convergence est grande. L’utilisation d’un grand nombre d’espèces y pallie partiellement: les comparaisons multiples permettent de faire la différence entre convergence et réelle identité. Ainsi, les gènes nucléaires du cochon d’Inde évoluent plus vite, ce qui le place plus près de la racine dans l’arbre. Mais le nombre d’espèces ne fait pas tout. Dans un travail ultérieur basé sur le génome mitochondrial de 16 espèces (d’Erchia, 1996), le cochon d’Inde est plus proche des Primates que de la souris. Malgré un nombre plus élevé d’espèces, la plus grande vitesse d’évolution des gènes mitochondriaux de la souris perturbe les résultats. Si les mutations peuvent s’accumuler à des vitesses différentes selon les espèces, alors l’hypothèse de l’horloge moléculaire est fausse. En effet, il apparaît maintenant qu’elle est plutôt l’exception que la règle. De même, toutes les molécules n’évoluent pas à une vitesse identique. Des molécules qui accumulent les mutations à un rythme rapide sont relativement vite saturées et sont donc inutilisables pour étudier des séparations anciennes. L’arbre universel du vivant, construit avec des molécules des bactéries aux Mammifères, a utilisé des séquences d’ARN ribosomique très conservées (Philippe, 1995). Inversement, des molécules très stables n’ont pas assez de sites différents pour discriminer des espèces séparées récemment. En définitive, le choix du marqueur moléculaire doit se faire en fonction de l’échelle de temps pris en compte. Le principe même du phénétisme, c’est-à-dire l’utilisation d’un indice de similitude globale, a été très discuté. Le calcul de l’indice se fait sur tous les caractères sans distinction. Il ne tient pas compte les différences entre homologies, qui reflètent effectivement une parenté, et convergences, qui correspondent à un bruit parasite et donc à une perturbation. Les critiques viennent souvent des tenants de l’autre façon de construire des arbres phylogénétiques: la cladistique.
5.1.2 Les caractères pris individuellement: la méthode cladiste À l’inverse de la méthode phénétique, la cladistique repose sur l’analyse caractère à caractère. Elle exige des caractères formalisés en caractères discrets (dont les nucléotides font partie). Tous les caractères n’apportent pas une information pertinente. Ainsi, on ne peut pas
5.1 Les classifications évolutives: les phylogénies
117
rassembler Oiseaux, Insectes et chauves-souris parce qu’ils ont des ailes. Celles-ci sont apparues indépendamment plusieurs fois, elles constituent des convergences. Le cladisme fait donc une première distinction entre les caractères qui sont partagés car hérités d’un ancêtre commun et les caractères partagés par hasard, que sont les convergences et les régressions. Les premiers sont les homologies et sont effectivement utiles pour l’analyse phylogénétique puisqu’ils sont les signes d’une filiation. À l’inverse, les seconds, convergences et régressions (les homoplasies), constituent un bruit qui perturbe la construction des arbres. Les caractères sont aussi rangés dans une matrice et l’information est codée sous forme binaire: présence ou absence du caractère (Tab. 5.2). Tableau 5.2 Tableau de quelques caractères pour quatre espèces, une case gris foncé signifie que le caractère est présent. Truite
Grenouille
Lézard
Lapin
1. vertèbres 2. amnios 3. 4 pattes
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4. poils
La présence des vertèbres est commune à toutes les espèces, elle n’apporte aucune information pour les regrouper. Il s’agit d’un caractère primitif, apparu avant la séparation des groupes considérés. Par contre, seuls les Reptiles et les Mammifères ont un amnios; sur la base de cette information, il faut les rassembler. Hennig, un entomologiste allemand, fut le premier, dans les années 1960, à faire la distinction entre ces deux types de caractères. Seuls les caractères partagés et dérivés (synapomorphies) sont réellement intéressants pour discriminer des espèces. Les caractères partagés mais primitifs (symplésiomorphies), communs à toutes les espèces, ne permettent aucun regroupement. Cependant, il n’est pas toujours facile de reconnaître l’état ancestral ou dérivé d’un caractère. Ainsi, l’homme a 5 doigts, le cheval un seul: – Hyracotherium avait une patte postérieure à 4 doigts, Merychippus n’en avait plus que 3. Le cheval n’a qu’un seul doigt parce qu’il y a eut perte successive chez ses ancêtres, c’est donc un état dérivé.
118
5 • Des phénomènes biologiques à la lumière de l’évolution
– Lors du développement, l’embryon de cheval a d’abord 5 ébauches de doigts. Seul le bourgeon du doigt III se développe en un doigt achevé. La transition au cours du développement de 5 à 1 doigt indique aussi que le cheval possède l’état dérivé du caractère. – Les Amphibiens ont 5 doigts développés. Il faut, là, utiliser des connaissances déjà acquises en zoologie: on sait qu’ils sont plus anciens que les Mammifères. L’état 5 doigts apparaît encore une fois comme ancestral. Hennig avait énoncé ces trois principes qui doivent aider à distinguer si un caractère est à l’état ancestral ou dérivé: – Critère paléontologique: la paléontologie nous offre des images du passé dans lesquelles se sont inscrits les changements des caractères et de leurs états. Le critère repose sur la double équivalence: ancien = primitif et récent = évolué qui n’est pas toujours vraie. De plus, le critère est auxiliaire puisqu’il ne s’applique qu’à des groupes monophylétiques, ce qui est précisément ce que l’on cherche. – Critère ontogénique: «l’ontogénie récapitule la phylogénie» est l’axiome implicite et modifié, emprunté à Haeckel, du deuxième principe. Si les embryons passent par les différents stades de l’évolution, ils reconstituent la succession des caractères et de leurs états. Si le caractère est partagé par les embryons, alors il est ancestral. Il existe bien sûr des exceptions à la règle, c’est le cas de la néoténie. Ainsi, l’axolotl conserve ses branchies larvaires à l’âge adulte, caractère primitif d’après le critère ontogénique. Il fut rangé par Haeckel dans un groupe d’Amphibiens primitifs, alors que l’ensemble des autres caractères le rapproche des salamandres. – Comparaison extragroupe: certains taxons, dits extragroupes, sont connus pour être plus anciens que les espèces considérées et reconstituent aussi l’état ancestral. Cependant, pour qu’ils puissent fournir l’information, ils doivent être moins apparentés avec chacune des deux espèces, que celles-ci entre elles. Il est possible, voire préférable, d’utiliser plusieurs extragroupes. L’état «ancestral» ou «dérivé» est relatif à chaque référence. Ainsi, avoir un membre pentadactyle est ancestral pour l’homme par rapport au cheval, puisque la diminution du nombre de doigts est secondaire. Par contre, le même caractère est dérivé pour l’homme par rapport aux Poissons, qui ne le possèdent pas. Pratiquement, les cladistes ne cherchent pas les synapomorphies caractère par caractère en utilisant les principes de Hennig, mais lors de la construction de l’arbre. Pour 2 espèces, 1 seul arbre est possible; pour
5.1 Les classifications évolutives: les phylogénies
119
3 espèces, il y a 3 arbres; pour 4, c’est déjà 15 possibilités. Chercher la phylogénie revient à trouver le meilleur arbre pour décrire le jeu de caractères. Le critère choisi est de minimiser le nombre de transformations évolutives nécessaires pour décrire l’arbre: c’est le principe de parcimonie. Suivre le principe de parcimonie équivaut aussi à maximiser le nombre de caractères dérivés hérités d’un ancêtre commun. La figure suivante (Fig. 5.7) montre 6 arbres envisageables avec les 4 espèces du tableau 5.2 et le nombre de transformations associées. L’arbre 1 nécessite 4 transformations seulement, il sera retenu comme le meilleur. Les théorèmes de la cladistique sont contenus dans l’application du principe de parcimonie. Le caractère 1 «vertèbre» est commun à toutes les espèces, la transformation «apparition des vertèbres» a lieu P
A
R
M
P
R
A
M
4
P
M
A 2 4
2
1
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
R
P
2 3
2 3
3
Arbre Nombre de transformations
1
1
1
2
3
4
5
5
A
R
4
2
M 4 2 3
R
A
P 3
M
A
P
R
4 2
2
3
3 2
2
1 3
1 Arbre Nombre de transformations
3 1
4
5
6
6
6
5
Figure 5.7
6 arbres construits à partir du tableau 5.2 (page 117), avec le nombre de transformations requises. Chacune des transformations est représentée par un tiret. P, Poisson; A, Amphibien; R, Reptile; M, Mammifère. 1, vertèbre; 2, amnios; 3, pattes; 4, poils.
M 4
120
5 • Des phénomènes biologiques à la lumière de l’évolution
une fois quel que soit l’arbre. Par conséquent, les caractères ancestraux ne faisant pas changer le nombre de transformations d’un arbre à l’autre, ils ne sont donc d’aucune utilité pour choisir entre eux. Par ailleurs, il est possible de faire l’hypothèse que le caractère 3 «4 pattes» est une convergence entre Mammifères, Amphibiens d’une part et Reptiles d’autre part, puisque les serpents n’ont pas de pattes. Il faudrait choisir l’arbre 4. Par conséquent, il faudrait aussi faire l’hypothèse que l’amnios est une convergence. Or, au total l’arbre 4 implique 5 transformations, contre 3 seulement pour l’arbre 1. L’hypothèse de départ est alors considérée comme fausse. ➤ Limites
L’hypothèse de parcimonie est elle aussi très discutée. L’évolution procède-t-elle bien par le chemin le plus simple, avec un minimum de transformations? Cette question particulièrement difficile reste sans réponse définitive. Néanmoins, les transformations multiples doivent vraisemblablement être nettement minoritaires par rapport aux transformations directes pour que le principe de parcimonie s’applique. Alors le nombre de caractères informatifs sera suffisant pour discriminer les arbres. De même, conduire une analyse sur des caractères nombreux et fins peut seul garantir des résultats robustes. Ainsi, les Cétacés ont des membres postérieurs très réduits, voire absents. Si le dauphin est intégré dans le tableau précédent avec une absence du caractère «4 pattes», celui-ci est en contradiction avec le caractère «amnios» (Tab. 5.3). Le premier caractère conduit à grouper dauphin et truite, et le second dauphin avec le lapin et le lézard. Avec ce seul jeu de données, il ne serait pas possible de faire la différence. Cependant, l’analyse un peu plus fine du squelette du dauphin révèle qu’il possède un membre antérieur chiridien et la présence d’une ceinture pelvienne, sur laquelle s’insèrent normalement les membres postérieurs. La ceinture est rattachée à la colonne vertébrale, ce qui n’est pas le cas chez la truite. Ajoutons les caractères «ceinture pelvienne attachée à la colonne» (4). Il apparaît alors que le dauphin peut être regroupé avec le lapin. Utiliser des caractères fins permet donc de repérer les homoplasies, convergence ou réversion. Plus le nombre de caractères appartenant à des organes et des systèmes différents est grand, plus on a de chances de s’approcher de la phylogénie «vraie». Une phylogénie, qu’elle soit cladiste ou phénétique, s’appuie nécessairement sur un nombre fini de
5.2 Une éthologie évolutive: la behavioural ecology
121
caractères. Elle n’est que la généalogie sur cet ensemble de caractères, en omettant tous les autres. Tableau 5.3
Tableau des caractères modifié à partir du tableau 5.2 (p. 117). Truite
Grenouille
Lézard
Dauphin
Lapin
1. Vertèbres 2. Amnios 3. 4 pattes 4. Ceinture 5. Poumons alvéolaires
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5.2
UNE ÉTHOLOGIE ÉVOLUTIVE: LA BEHAVIOURAL ECOLOGY
N. Tinbergen, prix Nobel en 1973 avec K. Lorenz et K. von Frisch, retenait quatre manières d’appréhender un comportement, qui pourraient être quatre façons de se demander pourquoi les oiseaux chantent: – Comment le chant se met-il en place au cours du développement? Quelle sont les causes et les mécanismes ontogéniques? Tous les jeunes possèdent une vocalise de base, puis apprennent un chant plus complexe en imitant le père, le voisin ou même d’autres espèces (voir paragraphe 4.2.2). – Quels sont les stimuli qui déclenchent le chant? Quelle est la chaîne de causes environnementales et physiologiques à l’origine du chant? La photopériode, le taux de testostérone qui augmente et constitue un stimulus cérébral sont quelques-uns des facteurs provoquant le chant. – Comment le chant est-il apparu dans l’histoire des oiseaux? Quelles sont les causes phylogénétiques? Il est probable que les oiseaux plus primitifs poussaient des cris simples. Les chants plus complexes ont vraisemblablement évolué à partir de ces formes ancestrales de communication. – Quelle est l’intérêt du chant pour la reproduction? Quelle est la valeur sélective du chant? Le chant permet d’attirer les femelles et d’orienter leur «choix».
122
5 • Des phénomènes biologiques à la lumière de l’évolution
Les deux premières questions relèvent des causes immédiates contrairement aux deux dernières qui correspondent à des causes ultimes. Les causes immédiates regroupent les raisons physiologiques (hormonales par exemple), environnementales ou le déroulement du développement d’un comportement. Les causes ultimes se placent dans le cadre de l’évolution: les élucider revient à rechercher l’histoire évolutive ou la signification en termes de valeur sélective du comportement. La behavioural ecology est la version anglaise consacrée de l’écologie comportementale, dont le but est de rechercher les causes ultimes du comportement: quel est l’intérêt évolutif d’un comportement? L’idée de comportement a été au fil du temps élargie aux paramètres démographiques comme le sex-ratio, rapport du nombre de mâles au nombre total d’individus, que nous allons aborder selon l’angle de l’écologie comportementale.
5.2.1 Le sex-ratio dans le filtre évolutif Les éleveurs le savent bien, un seul bélier ou un seul taureau suffit pour féconder tout le troupeau; il n’est en rien nécessaire d’avoir autant de mâles que de femelles pour assurer la descendance. De même, chez de nombreuses espèces, un mâle contrôle plusieurs femelles, en «harem». Ainsi, la situation est extrême pour les cerfs ou les éléphants de mer pour lesquels seule une très faible fraction de mâles, les vainqueurs des combats pour obtenir les femelles, accède à la reproduction. Du point de vue de la population, quelques mâles pour de nombreuses femelles seraient suffisants pour assurer la perpétuation, voire même plus efficaces. En effet, un seul mâle (ou quelques-uns) suffit pour féconder toutes les femelles. Si elles sont plus nombreuses que dans une population à sex-ratio équilibré, le nombre total de descendants est plus grand. Pourtant, la plupart des populations ont un sex-ratio équilibré. Fisher est le premier, en 1930, à proposer un argument théorique démontrant que le sex-ratio est soumis à la sélection. Considérons une population dans laquelle les mâles sont en majorité. Comme ils sont plus nombreux, plus de mâles sont disponibles pour les femelles et inversement, la compétition est plus intense entre eux. Si une femelle variante a la possibilité de ne faire que des femelles, ses filles sont assurées de trouver un partenaire. En revanche, les fils ont des difficultés à trouver une femelle. Par conséquent, une femelle qui n’a que des filles laisse plus de descendants. Le nombre de femelles augmente dans la
5.2 Une éthologie évolutive: la behavioural ecology
123
population et donc le sex-ratio tend vers 50%. Le phénotype «faire des femelles» devient moins avantageux et la proportion de mâles à l’équilibre est de 50%. Le raisonnement est le même si le déséquilibre au départ est en faveur des femelles. Cet argument est connu comme «l’avantage du plus rare», le sexe le plus rare est favorisé par la sélection et augmente en fréquence jusqu’à l’équilibre (sélection fréquence dépendante). Comme dans l’exemple du lion décrit au chapitre 4, la reproduction de l’individu prime, même si le comportement nuit à l’intérêt du groupe. Cependant, chez les Mammifères en particulier, le déterminisme du sexe est chromosomique. Par le jeu de la ségrégation lors de la méiose, chaque chromosome, X ou Y par exemple, a une chance sur deux d’être transmis. Par ce mécanisme, les populations de nouveau-nés devraient contenir 50% de chaque sexe et un biais ne peut pas apparaître a priori. Il s’agit des causes immédiates qui n’intéressent pas directement l’écologie comportementale. Or l’observation montre que certaines espèces ont effectivement des biais. Par exemple, l’homme présente un sex-ratio légèrement en faveur des mâles à la naissance, qui est rééquilibré par la suite du fait d’une plus forte mortalité infantile des garçons. Il existe des variants dont certains sont sélectionnés puisqu’on les observe. Le cadre théorique est complètement darwinien: on constate un trait particulier, un biais de sex-ratio. Des variants sont apparus, leur caractère était transmissible, ils ont envahi la population. Quelle pression de sélection a agi? Encart 5.3
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Sex-ratio et Local Mate Competition (LMC) (d’après Werren 1980). Nasonia vitripennis, une petite guêpe parasitoïde d’environ 3 mm, pond ses œufs dans les pupes d’une mouche (Sarcophaga bullata). Les 20 à 40 œufs se développent en se nourrissant de la larve de mouche. Seulement 1 à 3 mâles sont conçus et naissent dans chaque «portée»; le sex-ratio moyen calculé est de 8,7%. Le (ou les) mâle sort le premier et contrôle l’orifice par où émergeront à leur tour les femelles. Il féconde alors toutes les femelles, qui sont aussi ses sœurs, qui sortent. Et il est le seul à le faire. La reproduction s’effectue donc entre frères et sœurs puisqu’il est extrêmement rare qu’un mâle d’une autre larve vienne et entre en compétition, leurs ailes n’étant pas dévelop-
124
5 • Des phénomènes biologiques à la lumière de l’évolution
pées. Si un mâle peut féconder plusieurs femelles, celles-ci ne copulent qu’une seule fois. Considérons alors deux stratégies, les femelles laissent 30 œufs par larve: – une femelle laisse 50% de mâles et de femelles. – une femelle laisse seulement un mâle et le reste de femelles. Quel est le nombre de petits-enfants de chaque femelle? Quelle est la stratégie la plus avantageuse en terme de valeur sélective? Quelle est la différence avec la situation décrite par Fisher? La première aura 30 × 15 = 450 petits-enfants, qu’un seul mâle féconde toutes les femelles ou que chaque mâle en féconde une. La seconde aura 30 × 29 = 870 petits-enfants, le mâle féconde toutes les femelles. Une seule femelle pond dans une pupe. Les mâles qui entrent en compétition sont frères, ils ne rencontrent pas d’autres mâles, la compétition n’a pas lieu à l’échelle de la population, d’où le nom de compétition locale pour la reproduction (LMC en anglais). Plutôt que d’entretenir la compétition entre frères, ne faire qu’un mâle et dédier le reste de ses gamètes aux femelles permet de laisser plus de descendants.
5.2.2 Généralisation L’écologie comportementale recherche les causes ultimes des comportements. Elle prend comme postulat qu’un comportement résulte de l’action de la sélection naturelle et cherche à déterminer les pressions en jeu. Les guppies du chapitre 4 sont plus ou moins colorés selon les cours d’eau. Quelles sont les forces de sélection qui gouvernent la coloration? Dans ce cas, deux pressions sont en jeu: être plus coloré permet d’attirer les femelles et de mieux se reproduire. Mais le petit poisson est aussi plus visible pour ses prédateurs. Coloré, il gagne un bénéfice pour la reproduction, mais il subit un coût sur sa survie. La coloration sera par conséquent un compromis entre ces deux pressions opposées. On parle plus couramment de compromis (ou trade-off) pour ce genre de situation. La valeur sélective (ou fitness) est l’intégration des coûts et des bénéfices en terme de survie et de fécondité. La valeur sélective est maximale lorsque la différence «bénéfice moins coût» est maximale. Une stratégie comportementale est alors équivalente à une décision économique, ce qui n’implique en aucun cas une décision consciente. Le «simple» fait qu’il existe une variabilité du comporte-
5.2 Une éthologie évolutive: la behavioural ecology
125
ment est suffisant pour qu’émergent des stratégies avantageuses. Le problème peut être posé de façon légèrement différente. Un individu a une quantité d’énergie finie à «investir» dans ses fonctions vitales comme se nourrir, acquérir un territoire, nourrir ses petits, entrer en compétition pour les femelles par exemple. Toute l’énergie qu’il consacre à la défense du territoire ne peut l’être à se nourrir, un compromis émergera dans l’efficacité de la réalisation de ces fonctions (Encart 5.4). Encart 5.4
Le repas du crabe: la démarche de l’écologie comportementale Certains crabes côtiers (en particulier Carcinus maenas) se nourrissent de moules dont ils cassent la coquille avec leurs pinces. Comment le crabe «choisit-il» la taille de ses proies? Hypothèse. Un grand coquillage apporte plus de nourriture mais il faut plus de temps pour le casser. Inversement, les petits sont faciles à casser mais ont peu de chair. Prédiction. On s’attend à ce qu’un crabe préfère les moules de taille intermédiaire qui maximisent le rapport apport nutritif/ temps passé. La quantification a été réalisée: le maximum du Fréquence dans le régime (%)
Rendement énergétique (—) Calories obtenues/temps passé (J/s) 1,5
50 1
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40 30
0,5
20 10 0
1
2 Taille des moules (cm)
3
4
Figure 5.8 Retour énergétique en fonction de la taille de la proie et distribution des tailles de moules dans le régime d’un crabe (d’après Krebs et Davies, © Blackwell, 1993).
126
5 • Des phénomènes biologiques à la lumière de l’évolution
taux de retour énergétique est reçu pour une taille d’environ 3 cm (Fig. 5.8). Test. La taille des proies du crabe a été mesurée ainsi que la fréquence de chacune dans le régime (Fig. 5.8). Ces données confirment l’hypothèse. La démarche: élaboration d’une hypothèse, formulation de prédictions de préférence quantifiées à partir d’un modèle puis test de ces prédictions par des expériences ou des manipulations de terrain est la plus couramment suivie. Les prédictions s’expriment souvent en termes de coûts et de bénéfices, même si elles ne touchent pas directement la fitness.
Cependant, il est facile de comprendre qu’un comportement est important pour la reproduction et la survie d’un individu: si une antilope se nourrit au milieu des lions, sa survie s’en trouvera gravement affectée. Par contre, il est plus difficile d’imaginer comment un comportement peut être variable et surtout transmis, prérequis nécessaire à la sélection. Nous avons vu au chapitre précédent qu’un comportement n’a pas besoin d’être codé génétiquement pour être transmis. Par ailleurs, des données expérimentales, notamment sur les oiseaux migrateurs, montrent qu’un déterminisme génétique participe à l’élaboration d’un comportement. La fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla) vit du nord de l’Europe au Cap-Vert; or les populations d’Allemagne migrent mais pas les populations africaines. La question est de savoir si le comportement de migration a une base génétique. Les oiseaux migrateurs ont en captivité une période d’intense agitation à l’automne, période normale de leur migration. Il s’agit d’un caractère relativement facile à étudier et qui permet de distinguer les phénotypes migrateurs ou non. Pour cela, des chercheurs (Berthold in Krebs et Davies) ont croisé des individus d’Allemagne et du Cap-Vert. Les descendants de première génération sont élevés isolés en captivité, ne subissant donc aucun apprentissage. Les populations d’hybrides contenaient 40% d’individus avec une période d’agitation automnale; les deux types de comportements ont été transmis. Le déterminisme est complexe: plus d’un gène impliqué. Sinon seul le comportement dominant subsisterait en première génération d’hybride. L’exposé sur la «behavioural ecology» ne serait pas complet s’il ne faisait pas état des modélisations de la théorie des jeux ou de la théorie du gène égoïste. C’est ce à quoi s’attache le dernier chapitre.
127
Questions de révision
QUESTIONS DE RÉVISION 5.1 Terminer l’arbre de l’hémoglobine avec la méthode UPGMA. 5.2 Quel est le bilan des intérêts et des problèmes propres aux deux méthodes, cladiste et phénétique? 5.3 On a cherché à déterminer la taille de couvée optimale chez la mésange charbonnière (Parus ater), celle qui lui permet de maximiser sa fitness, c’est-à-dire le nombre de jeunes arrivés à l’âge adulte. Pour cela, on a effectué des manipulations de la taille de couvées et mesuré la survie des jeunes par le taux de recapture. En parallèle, on a mesuré la distribution réelle des tailles de couvées (Fig. 5.9): a) Que peut-on dire de la comparaison des deux résultats? b) Sachant qu’élever des jeunes demande un gros investissement énergétique et affecte par conséquent la survie des parents, imaginer une explication aux différences observées. Nombre de couvées observées 140 Taux de recapture par couvée ( ) ≈ taux de survie
·
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120 100
1,0
80
0,8
60
0,6
40
0,4
20
0,2
1 2 3
4 5 6 7 8
9 10 11 12 13 14
Nombre d’oisillons de la couvée
Figure 5.9 Distribution des tailles de couvées observées chez la mésange charbonnière et survie des jeunes en fonction de la taille de couvée (d’après Krebs et Davies, © Blackwell, 1993).
Chapitre 6
Vers de nouvelles théories ?
Objectifs
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Quels sont les points forts de la théorie de Darwin que les scientifiques retiennent aujourd’hui? Si les principes émis (variation, hérédité, sélection) restent toujours d’actualité, de nouvelles connaissances sont venues compléter, préciser ou, à l’inverse, limiter le corpus théorique. Dans ce chapitre, nous préciserons en particulier les limites de l’action de la sélection, la dynamique de l’évolution et les interactions entre espèces.
6.1
L’IMPORTANCE DU HASARD: LA THÉORIE NEUTRALISTE
6.1.1 Théorie neutraliste de l’évolution moléculaire «Je crois que la plupart des gènes mutants détectés par les seules techniques biochimiques de la génétique moléculaire sont sélectivement neutres, c’est-à-dire que du point de vue de l’adaptation, ils ne sont ni plus, ni moins avantageux que les allèles qu’ils remplacent.» (Kimura, 1997).
130
6 • Vers de nouvelles théories ?
En 1967, à une réunion du Genetics Club au Japon, Motoo Kimura, mathématicien de formation, présentait le résultat de ses recherches sur l’évolution à l’échelle moléculaire. Ses conclusions sont basées sur deux observations principales. – Tout d’abord, la vitesse d’évolution, mesurée par le taux de substitution des acides aminés (nombre d’acides aminés changés/molécule/ année), semble constante pour une protéine donnée dans différentes lignées et au cours du temps. Ce phénomène appelé horloge moléculaire n’est pas, rappelons-le, valable pour tous les gènes. Pour le démontrer, Kimura a comparé la chaîne α de l’hémoglobine (Fig. 5.1, page 111) chez plusieurs espèces de Vertébrés. Il est possible de porter le nombre d’acides aminés qui diffèrent entre les espèces prises deux à deux en fonction du temps de divergence de leur lignée, donnée connue grâce à la paléontologie. Le graphe obtenu est une droite, dont la pente est par définition constante. Or, le taux de substitution est représenté par cette pente. Il ne dépend donc ni du temps, ni de la lignée. Si l’évolution des molécules était réglée par la sélection, le taux de substitution n’aurait pas de raison d’être le même ni dans les différentes lignées ni au cours du temps. Si la chaîne α de l’hémoglobine avait été soumise à sélection, la pente n’aurait pas été constante. – Par ailleurs, les techniques d’électrophorèse ont mis en évidence un polymorphisme moléculaire important dans les populations naturelles. Or, la sélection aurait tendance à faire diminuer ce polymorphisme. Quelques hypothèses (avantage de l’hétérozygote, sélection disruptive…) ont été avancées pour résoudre le paradoxe, mais elles ne satisfont pas le chercheur japonais. De plus, le polymorphisme observé au niveau des molécules n’a pas toujours d’effet sur le phénotype, il ne peut donc donner prise à la sélection. La théorie de Kimura minimise le rôle de la sélection à l’échelle moléculaire. La précision est d’importance, la théorie neutraliste n’a en effet pas vocation à s’appliquer à l’échelle du phénotype. Les allèles ont toujours été considérés comme plus ou moins avantageux les uns par rapport aux autres. Kimura affirme que la majorité d’entre eux est sélectivement neutre, sans effet sur la fonction de la protéine ou le phénotype en général. C’est le cas par exemple des mutations silencieuses évoquées au chapitre 4. Une majorité de mutations neutres impose à la molécule un processus évolutif qui n’est pas contrôlé par la sélection. Dans ces conditions, quelle est la force d’évolution? Chaque étape d’évolution correspond à une substitution: un allèle apparaît puis se répand ensuite dans la population jusqu’à une fréquence de 1,
6.1 L’importance du hasard: la théorie neutraliste
131
l’allèle est fixé. Pour des allèles neutres, la fixation est aléatoire. La variation des fréquences alléliques se fait en régime de fluctuation aléatoire ou dérive (Fig. 6.1). Un allèle peut cependant tout aussi bien être éliminé, c’est même le cas de la majorité des allèles neutres. Fréquence des allèles 1
Allèle fixé
Temps
0 Apparitions d’allèles
Allèle éliminé
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Figure 6.1 Variations aléatoires des fréquences des allèles neutres au cours du temps. La majorité est éliminée, certains sont fixés (d’après Kimura).
Comment se déroule la variation aléatoire des fréquences alléliques? Considérons une urne qui contient 500 boules dont la moitié est blanche, l’autre moitié noire, mélangées de façon homogène. On tire 10 boules. Alors que la proportion totale de chaque couleur est égale, les tirages peuvent aussi bien donner 1 boule blanche pour 9 noires, ou l’inverse, ou 5 de chaque ou encore toute autre combinaison. Le tirage aléatoire d’un petit nombre de boules n’est pas forcément représentatif de l’ensemble de l’urne. Il y a un effet d’échantillonnage. À l’inverse, plus le nombre de boules sorties est grand, plus le tirage a des chances de se rapprocher de 50/50. De même, la formation des zygotes correspond à un tirage aléatoire dans l’urne imaginaire des allèles disponibles formée par l’ensemble des gamètes. Si le nombre de zygotes viables est restreint, alors l’échantillonnage peut ne pas être représentatif du pool de gènes (Fig 6.2). Dans le cadre de la génétique des populations, on s’éloigne des hypothèses requises pour l’équilibre de Hardy-Weinberg car l’effectif de la population n’est plus infini.
132
6 • Vers de nouvelles théories ?
Adultes f (blanc) = 3 8
Génération n
Gamètes f (blanc) = 3 8
Échantillonnage au hasard Zygotes f (blanc) =
6=3 8 4
Génération n + 1 Adultes 3 f (blanc) = 4 Figure 6.2 Variations aléatoires de fréquences alléliques lors de l’échantillonnage génétique de la formation des gamètes et des zygotes.
Encart 6.1
Aspect mathématique: probabilité de substitution Soit un locus à deux allèles, A et a. Le taux de mutation (nombre de mutations par gène par génération) à ce locus est u (passage de A en a). La population compte N individus diploïdes, il y a donc 2N copies de gènes, tous allèles confondus. Le nombre total d’allèles mutés est 2Nu, à un temps donné. En l’absence de sélection, si on considère l’ensemble des copies de gènes, la probabilité que l’une d’entre elle soit fixée par tirage aléatoire est 1/2N. Par conséquent, la probabilité qu’un allèle mutant soit fixé est 2Nu ⋅ 1/2N = u. Elle ne dépend que du taux de mutation et non de la taille de la population.
Par conséquent, le polymorphisme observé est maintenu par l’équilibre entre apparition et fixation aléatoire des allèles, c’est-à-dire entre mutations et dérive. À chaque instant, les mutations produisent de
6.1 L’importance du hasard: la théorie neutraliste
133
nouveaux allèles qui alimentent le polymorphisme tandis que d’autres disparaissent à cause de la dérive (Fig. 6.1). Par ailleurs, la dérive n’est pas incompatible avec la sélection. En effet, dérive et sélection sont deux forces qui font varier les fréquences alléliques et qui peuvent s’opposer. La variation est fonction du rapport entre leurs intensités.
6.1.2 Un modèle mathématique simple Lorsqu’on lance un dé, il est impossible de prévoir le résultat. De même, si les allèles sont tirés au hasard, la composition génétique exacte de la population à la génération suivante ne peut être connue à l’avance. À défaut de prévoir celle-ci, des modèles, qualifiés de stochastiques, donnent la probabilité attachée à un événement particulier: la probabilité d’avoir une fréquence égale à une certaine valeur à la génération t + 1 étant donné la composition génétique à la génération t. Le locus considéré est autosomal à 2 allèles, A et a, chez une espèce diploïde. La fréquence de l’allèle A à la génération t est p. L’effectif de la population est constant, à N individus, et le sex-ratio (proportion de mâles) est équilibré. La population n’est pas soumise à la sélection, seule la dérive agit. Le tirage aléatoire a lieu pour la formation des zygotes, dans l’ensemble des gamètes. Comme ce dernier est très grand, le processus est équivalent à un tirage avec remise. On s’intéresse au nombre d’allèles A dans l’ensemble des zygotes, à la génération suivante (t + 1). Il peut prendre toutes les valeurs entre 0 (aucun allèle A n’a été transmis) et 2N (tous les individus sont homozygotes pour l’allèle A). Le nombre d’allèles A dans la population suit une loi binomiale de paramètres p et 2N, B (2N, p). La probabilité d’avoir k allèles A dans la population est:
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
2N
P(k) =
C
2N
k
C
k
× pk × (1 – p)2N – k
2N! = -----------------------------k! ( 2N – k )!
Dans ce cas, la fréquence de l’allèle A dans la population est de k/2N. On peut calculer la probabilité pour tous les événements, pour toutes les valeurs de k (entre 0 et 1), et en tracer une distribution (P(k) en fonction de k). Il est donc possible d’établir la distribution des probabilités associées aux différentes valeurs de k à t + 1, sachant p à t, mais pas au-delà. En revanche, il est impossible de prévoir p à t + 1, ni même si la fréquence de A va diminuer ou augmenter. Mais il
134
6 • Vers de nouvelles théories ?
est possible de calculer la variance (écart à la moyenne) de la distribution, à la génération t: p(1 – p) V = ------------------2N La variance diminue lorsque l’effectif de la population augmente: la distribution est d’autant plus étalée que la population a un petit effectif. Plus la population est petite, plus la dérive est importante. Le processus est dynamique, le tirage aléatoire se répète à chaque génération, mais les fréquences alléliques ne varient pas nécessairement. En effet, si p = 0 ou p = 1, la situation est bloquée: un des deux allèles a disparu et les fréquences ne peuvent bien sûr plus fluctuer. Ces états sont dits absorbants. Soit une population de 20 individus, la fréquence de A est 0,5 à l’instant t. Quelle est la probabilité que cette fréquence reste la même à la génération suivante? Une fréquence de 0,5 signifie k = 0,5 × 2 × 20 = 20 allèles A. Dans la population à la génération suivante, on calcule P (20) avec la formule précédente. P (20) = 0,125. La population a seulement un peu plus d’une chance sur 10 de rester avec la même structure génique, ce qui est faible.
6.1.3 Une approche expérimentale de la dérive Entre 1955 et 1956, Dobzhansky et Pavlovsky ont construit une expérience pour tester l’hypothèse de l’action de la dérive (Fig. 6.3). La théorie neutraliste prédit, pour un allèle neutre, que la dérive est d’autant plus forte que la taille de la population est faible, alors qu’une grande population devrait se retrouver à l’équilibre de Hardy-Weinberg. Les deux chercheurs ont utilisé des populations de Drosophila pseudoobscura. Les drosophiles ont la particularité d’avoir des inversions chromosomiques facilement repérables sur leurs chromosomes géants (polyténiques). Les deux allèles du locus choisi sont deux inversions PP (Pikes Peak) ou AR (Arrowhead), dont on suppose qu’ils sont neutres. Le protocole consiste à laisser évoluer des populations de mouches, pendant 18 mois dans un environnement stable. Dix d’entre elles comptent 4 000 mouches (notées grandes) et dix autres sont constituées de 20 individus (notées petites); les fréquences de départ sont égales pour les deux allèles. Après 18 mois, les effectifs sont du même ordre pour les deux types populations avec plusieurs milliers d’individus.
6.1 L’importance du hasard: la théorie neutraliste
Fréquence de l’allèle PP
PETITES POPULATIONS
50
50
50
40
40
40
30
30
30
20
20
20
10 juin 1955
Figure 6.3
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
GRANDES POPULATIONS
135
octobre
10 novembre 1956
octobre
10 juin 1955
Fréquences de l’allèle PP pour les différentes populations en fonction du temps, selon les deux groupes: 10 grandes et 10 petites populations (d’après Devillers et Mahé).
Tracer les distributions des fréquences alléliques. Ces résultats sontils en accord avec les résultats précédents sur l’action de la dérive? Les fréquences de l’inversion PP sont comprises entre 20 et 35% pour les grandes populations, et entre 16 et 47% pour les petites. La variance est plus grande pour les petites populations, comme prévu par les modèles d’évolution par dérive. Les petites populations semblent donc bien en régime de dérive. Cependant, l’effectif n’est pas constant comme dans le modèle «binomial»; de très faible, il remonte à plusieurs milliers. La dérive est réellement efficace au tout début de l’expérience. Elle entraîne des fluctuations importantes qui perdurent par la suite; il s’agit d’un effet fondateur. Le principe de l’effet fondateur était déjà mentionné par E. Mayr dès 1942 pour son rôle dans la spéciation (décrit au chapitre 4). Un petit groupe d’individus, éventuellement non représentatif de la population d’origine, évolue en régime de dérive. La différenciation et donc la spéciation se produit alors rapidement. Des processus moléculaires sont susceptibles de se répercuter à d’autres niveaux. Les variations des fréquences alléliques ne dépendent pas que de la sélection, particulièrement dans les petites populations. Les limites de l’action de la sélection et le rôle du hasard se manifestent aussi à l’échelle des individus et des espèces.
136
6.2
6 • Vers de nouvelles théories ?
AUTRES LIMITES DE L’ACTION DE LA SÉLECTION
Une fois l’idée d’évolution acceptée, les scientifiques ont tenté de chercher la signification évolutive de tout trait. Dès lors deux postulats n’étaient plus à démontrer: 1. Tout organe ou caractère a une utilité adaptative. 2. Les espèces que nous côtoyons actuellement sont celles qui ont réussi à résister à la sélection au cours de l’histoire de la vie. Gould et Lewontin (1979) ont cherché à montrer les limites du raisonnement qui consiste à ériger la sélection comme omnipotente.
6.2.1 La sélection n’est pas omnipotente: les contraintes du développement Les crânes des jeunes Mammifères sont parcourus de sutures. Elles rendent le crâne déformable et certains y ont vu une très belle adaptation à la parturition. Il est indiscutable que les sutures facilitent, voire même sont indispensables à la mise bas. Mais les crânes des Oiseaux et des Reptiles portent aussi des sutures, bien que les jeunes sortent d’un œuf. Les sutures ne sont pas une acquisition propre des Mammifères, sélectionnée à cause de la parturition. Il s’agit plus vraisemblablement d’un trait général du groupe formé par les Sauropsidés et les Mammifères. Gould et Lewontin qualifient de raisonnement panglossien la recherche systématique de l’utilité d’un caractère ou d’un organe. Pangloss est le philosophe mentor de Candide créé par Voltaire pour parodier Leibniz. «[Pangloss] prouvait admirablement qu’il n’y a point d’effet sans cause […]. Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement: car tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes; aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, aussi avons-nous des chausses.» (Voltaire in Gould et Lewontin, La Recherche, décembre 1982).
À l’instar de Bernardin de Saint-Pierre pour qui le melon a des dessins de tranches pour être mangé en famille, les biologistes cherchaient systématiquement l’utilité adaptative, postulée a priori, des organes. Les sutures du crâne étaient forcément une adaptation à la parturition. Pourtant les sutures du crâne des Mammifères ont été héritées de leurs ancêtres et la fonction dans la parturition ne s’est révélée que plus tard. De même, l’existence de glandes mammaires
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6.2 Autres limites de l’action de la sélection
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chez les femelles a une utilité adaptative claire: la lactation. En revanche, les mâles ne portent des structures mammaires que parce qu’elles appartiennent au plan de développement des Mammifères, elles ne lui sont d’aucune utilité. Le développement impose ainsi des contraintes, des organes subsistent parce qu’ils font partie du plan d’organisation sans que leur utilité soit nécessaire à invoquer. De la même façon, le déroulement temporel du développement influe sur la présence d’organes. L’axolotl (Ambystoma mexicanum) est un Amphibien qui ne subit pas de métamorphose dans la nature. La maturité sexuelle a lieu lors du stade larvaire. Les gonades sont fonctionnelles mais le reste du corps conserve une forme juvénile. Cette différence de développement entre les gonades qui atteignent normalement la maturité et le reste du corps qui reste larvaire est appelée néoténie. L’axolotl «adulte» respire par des branchies externes comme le têtard. Ces branchies ne sont pas une adaptation à un mode de vie mais sont dues à un arrêt du développement. D’une façon générale, le développement impose des contraintes physiques et phylétiques à l’apparition des variations et à la sélection naturelle. Les êtres vivants sont notamment soumis aux contraintes de diffusion, de dynamique des fluides. Un Vertébré monté sur des appendices à roues n’apparaîtra jamais car le sang ne circule pas dans un organe en rotation. Les animaux sans système circulatoire comme les Acœlomates (Nématodes) ont une taille limitée1 par la possibilité de diffusion des gaz respiratoires vers les cellules les plus profondes. Aux contraintes physiques s’ajoutent des contraintes «phylétiques»: un organisme qui appartient à un embranchement donné subit les contraintes de son plan d’organisation. Les Tétrapodes ont des poumons et les Mammifères qui vivent en milieu aquatique doivent remonter respirer à la surface; ils n’ont pas développé des branchies. Une fois les grands plans d’organisation établis, les variations ne peuvent se faire que dans leur cadre. Certains (Gould, 1991) estiment que la majorité des plans d’organisation sont apparus au début du Cambrien. La faune de Burgess témoigne de cette diversité, plus importante à cette époque que maintenant. La phase de diversification importante – l’apparition de nouveaux plans d’organisation – ne s’est déroulée qu’à cette période. Le reste de l’évolution s’est fait selon des variations autour d’un nombre restreint de thèmes. Tous les traits ne sont pas apparus à la suite d’un long processus de sélection, tous les caractères ne sont pas explicables en terme d’utilité 1. Les possibilités de diffusion dépendent en fait du rapport surface sur volume.
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6 • Vers de nouvelles théories ?
adaptative. Ils peuvent ne résulter que de contraintes architecturales ou développementales. À une autre échelle, les plantes et les animaux qui se côtoient aujourd’hui sont-ils le produit d’une longue accumulation régulière d’améliorations? Sont-ils les vainqueurs de la lutte pour la vie?
6.2.2 Le déroulement de l’histoire de la vie: l’importance de la contingence Afin de répondre aux questions, nous allons reprendre une succession d’événements qui se sont déroulés à la fin du Crétacé (et qui ont été détaillés dans le chapitre 1). Au Mésozoïque (Secondaire), les Dinosaures dominent le milieu terrestre. Diversifiés, ils occupent des niches écologiques variées; en particulier nombre d’entre eux sont des prédateurs. À l’inverse, les Mammifères confinés à de petites tailles présentent une diversité restreinte. À la fin du Crétacé, survient une catastrophe majeure, dont un astéroïde pourrait bien être responsable. Les Dinosaures et bien d’autres groupes disparaissent. Les Marsupiaux, répandus à l’ère secondaire, sont actuellement très minoritaires car ils ont été touchés par la crise. Les Mammifères Placentaires, eux, survivent à l’épisode et connaissent une importante radiation au début du Tertiaire. Ils occupent d’ores et déjà des habitats très différents, terrestres comme aquatiques, couvrent tous les modes de vie et d’alimentation ou presque. De plus, les Mammifères étaient plus diversifiés au début du Tertiaire qu’actuellement. En effet, les Multituberculés, groupe comparable aux Rongeurs actuels et florissant au début du Tertiaire, disparaissent dans le courant de cette ère. Ainsi, l’importance actuelle des Mammifères, en particulier des Placentaires, dépend d’un grand nombre d’événements qui n’ont pas toujours été soumis à sélection comme la disparition totale des Dinosaures et partielle des Marsupiaux. Les raisons d’une telle spécificité des extinctions restent mal comprises: elle pourrait être le résultat d’une loterie aléatoire. Mais les Mammifères ont aussi vraisemblablement survécu à cause de leur petite taille ou parce qu’ils dépendaient moins des plantes photosynthétiques. Ces caractères n’étaient pas particulièrement issus d’une réussite évolutive dans les conditions «normales» du Crétacé. La composition des faunes actuelles, par exemple l’importance des Mammifères, résulte d’une cascade d’événements sans action de la sélection, c’est-à-dire de contingence historique. Gould (1991) la définit de la manière suivante: «Les explications historiques prennent la forme de la narration: E, le phénomène à expliquer, apparut parce que D survint auparavant,
6.2 Autres limites de l’action de la sélection
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précédé par C, B et A. Si aucun de ces stades précoces ne s’était produit, ou était apparu de façon différente, alors E n’existerait pas (ou serait présent sous une forme substantiellement différente, E’, requérant une explication différente). Ainsi E prend tout son sens et peut être rigoureusement expliqué comme aboutissement de la séquence allant de A à D.»
La contingence se situe quelque part entre l’aléatoire et le déterminisme. Dans un jeu de dé, on tire une première fois la série 1, 2, 3, 4, 5. En jouant une deuxième fois, si la série 1 à 4 dans l’ordre est à nouveau tirée, il n’y a qu’une chance sur six d’obtenir 5. Dans une série contingente, si 1 à 4 se répète, l’événement «5» se réalisera obligatoirement, même si l’aléatoire a joué dans une étape quelconque du début de la série. Néanmoins, le déroulement de la série ne suit pas une loi déterministe comme «pour obtenir le terme suivant, ajouter 1 au dernier terme». Dans ce cas, reprendre la série à 1 entraîne obligatoirement 2 puis 3, 4 et 5. Si la série est contingente, on ne retrouvera pas la même série à partir de 1: le résultat est imprévisible a priori. Pour Gould, une histoire biologique strictement contrôlée par la sélection serait déterministe. Afin de distinguer la contingence du déterminisme, il propose l’expérience mentale qui consiste à rembobiner un film. Si l’histoire n’est pas la même au deuxième passage, la contingence a joué. Supposons que l’on remonte l’histoire jusqu’à la fin du Crétacé ou même jusqu’à la faune de Burgess. Alors que 20 types d’Arthropodes y vivaient, 4 subsistent actuellement sans que leur avantage sélectif sur les 16 autres soit manifeste. De nombreux plans d’organisation ont disparu par une élimination apparemment aléatoire. Là joue le hasard dans la contingence: certains groupes s’éteignent et pas d’autres, comme le résultat d’une vaste loterie. L’élimination aléatoire joue donc un rôle important dans la composition des faunes et des flores au cours du temps. Les grandes extinctions comme celle de la fin du Permien ont vu la disparition de 95% des espèces, il est vraisemblable que l’échantillonnage qui en résulte soit au moins partiellement aléatoire. Se pose alors la question: y aurait-il des Vertébrés si Pikaïa, le petit Cordé de Burgess, avait fait partie des organismes éliminés? Il est malheureusement impossible de répondre à une telle question, car on ne sait pas si Pikaïa était le seul Cordé du début du Cambrien et s’il est réellement à l’origine de la lignée des Vertébrés. On entre alors dans le domaine des spéculations, notamment parce que les données fossiles ne sont pas exhaustives. Il ne sera jamais possible non plus de rembobiner le film pour comparer les histoires… De plus, la contingence a
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6 • Vers de nouvelles théories ?
des limites. Les ailes sont apparues indépendamment chez les Insectes, les Oiseaux et les Mammifères. Quels que soient les aléas de l’histoire et le poids de la contingence, il est très probable que le vol serait apparu au moins une fois. Si un organe ou un comportement est à la fois possible et avantageux, il y a fort à parier qu’il finira par se réaliser. Les convergences sont les signes de tels caractères. Par contre, il est impossible de dire dans quel taxon il se construira. En fait, l’existence des taxons est plus soumise à la contingence que celle des organes. Admettre que la sélection n’est pas omnipotente ne signifie pas l’exclure, elle reste un élément central de l’évolution. Mais la question de son niveau d’action mérite d’être précisée.
6.3
LE NIVEAU D’ACTION DE LA SÉLECTION: GÈNE ÉGOÏSTE ET CONFLITS ÉVOLUTIFS
6.3.1 La sélection sur les gènes: le gène égoïste «Nous sommes des machines à survie – des robots programmés à l’aveugle pour préserver les molécules égoïstes connues sous le nom de gènes.» (R. Dawkins, Le gène égoïste, 1976).
Prise hors de son contexte, cette phrase de la préface du gène égoïste de Richard Dawkins est particulièrement provocatrice. Au chapitre 4, nous avons démontré que l’unité de sélection n’était pas le groupe mais plutôt l’individu. R. Dawkins, éthologue à Oxford, va plus loin: et si le gène était l’unité de sélection? La nature chimique des premiers composés à l’origine de la vie reste encore inconnue. Mais il est une de leurs propriétés sur laquelle on s’accorde, celle d’être des réplicateurs. Les premières molécules avaient la propriété de faire des copies d’elles-mêmes, tout comme le fait l’ADN par réplication au cœur des cellules. Deux molécules filles d’ADN sont pratiquement identiques, les erreurs de la machinerie enzymatique sont très rares. Cependant, les copies des premières molécules comme celles de l’ADN contiennent des erreurs en quantité variable. Une entité capable de construire des copies d’elle-même plus ou moins fidèles est un réplicateur. À ce titre, l’ADN est bien un réplicateur, même si la fabrication des copies est indirecte puisqu’elle est réalisée par de nombreuses enzymes. Certaines des erreurs, ou variations, confèrent à la molécule la faculté de se répliquer plus rapidement que les autres; elle laisse un nombre de copies plus élevé. Si le nombre de molécules est limité dans le milieu, alors le réplicateur variant aura
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6.3 Le niveau d’action de la sélection
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tendance à remplacer les autres. On retrouve le principe de la sélection sur un objet autre que l’individu, le réplicateur. L’ADN est logé au cœur des cellules qui forment un individu. Pourtant des séquences d’ADN, comme les transposons, les séquences répétées (microsatellites…), les introns n’ont pas de fonction claire. F. Crick et L.E. Orgel les ont qualifiées d’«ADN égoïste, parasite ultime». Elles n’existent que grâce à leur propriété de se répliquer et ne sont utiles qu’à ellesmêmes. Dawkins remarque aussi la différence fondamentale qui existe entre gène et individu. Un individu ne subsiste que le temps de sa propre vie, l’association de gènes qu’il forme est tout aussi éphémère puisqu’elle est remise en jeu par la reproduction sexuée, en particulier par la loterie recombinatoire. À l’inverse, un gène est potentiellement immortel car il est transmis de génération en génération sous la forme de copies identiques de lui-même, aux mutations près. Plus précisément, seule l’information génétique portée par l’ADN est transmise. De même, si le support physique d’un livre (le papier) disparaît, l’information qu’il contient subsiste dans les autres exemplaires. Le terme de gène contient l’idée d’information plus que celle de fragment physique d’ADN. Parce que le gène a une durée de vie beaucoup plus longue que l’individu, il est selon Dawkins un meilleur candidat pour être l’unité de sélection. Il serait simpliste de croire que la sélection choisit directement le meilleur allèle pour un gène donné. Avec les organismes, la réplication des gènes passe par la reproduction de l’individu. Imaginons un nouvel allèle à un locus quelconque. S’il améliore la survie et/ou la fécondité de l’individu, celui-ci laissera plus de descendants, ou selon le point de vue du gène, plus de copies de l’allèle. Il est sélectionné. Toutefois, la façon dont un gène améliore la valeur sélective individuelle n’est très probablement pas simple. Il est facile de comprendre que de plus grandes pattes rendent la fuite d’une proie plus efficace et donc augmentent sa survie. Il est moins facile de comprendre comment un gène contrôle la taille des pattes. Or, la sélection ne peut agir que sur les effets des gènes, c’est-à-dire le phénotype. On retrouve le problème des relations entre génotype et phénotype. Un des moyens de connaître l’effet d’un gène est de le muter. Il existe par exemple un gène ob qui, lorsqu’il est muté chez la souris, provoque un phénotype obèse. La tentation est grande de parler alors du «gène de l’obésité». Pourtant il n’est pas nécessairement seul à agir dans le déterminisme de l’obésité.
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6 • Vers de nouvelles théories ?
Il est possible de faire abstraction du déterminisme génétique exact. En général, tout gène ou allèle qui augmente, seul ou à plusieurs, la valeur sélective de l’individu est mieux transmis. C’est pourquoi les visions de la sélection individuelle et du gène ne sont, dans la plupart des cas, pas contradictoires. Ainsi, un individu «cherche» à maximiser la transmission de ses propres allèles, à l’instar du lion qui, en pratiquant l’infanticide, augmente le nombre de ses descendants mais aussi la transmission de ses propres allèles. Cette proposition n’implique nullement par son abus de langage une décision consciente, il s’agit simplement d’une propriété émergente de l’évolution. On devrait alors s’attendre à n’observer que des comportements, similaires à ceux du lion, qui privilégient la reproduction et/ou la survie de l’individu aux dépens de celle des autres. De tels comportements sont qualifiés d’égoïstes. Pourtant, les marmottes poussent un cri d’alarme à l’approche d’un prédateur qui avertit les autres individus et permet leur fuite, au risque de se faire lui-même repérer. De même, les abeilles, les fourmis forment des sociétés dans lesquelles un seul individu, la reine, monopolise la reproduction, les ouvrières n’y ont pas accès. À l’opposé des comportements égoïstes, ceux-ci sont qualifiés d’altruistes parce qu’ils augmentent la survie et/ou la reproduction d’autres individus aux dépens de l’individu qui les pratiquent. Ces définitions sont uniquement éthologiques et ne se préoccupent pas des motivations subjectives ou morales. Les comportements altruistes semblent paradoxaux dans la théorie du gène égoïste, comment les explique-t-elle?
6.3.2 La sélection de parentèle: les sociétés d’insectes Les fourmis, les abeilles vivent en société dans lesquelles le partage des tâches est strict. D’un côté, la reine accapare la reproduction, ses phéromones stérilisent les ouvrières. De l’autre, des ouvrières sont dédiées aux tâches de fonctionnement de la colonie, stockage de la nourriture, élevage des larves. Les abeilles meurent après avoir piqué, elles vont jusqu’à se tuer dans la défense de la colonie. Comment expliquer l’abandon de la reproduction par l’immense majorité des individus si la sélection favorise ceux qui laissent plus de descendants? Darwin était déjà conscient du paradoxe, il écrit dans L’origine des espèces: «[les fourmis ouvrières constituent] une difficulté particulière qui, au premier abord, [lui] parut insurmontable et réellement fatale à l’ensemble de [la] théorie.»
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6.3 Le niveau d’action de la sélection
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Les animaux sociaux vrais ou eusociaux remplissent trois critères: – l’élevage des jeunes est assuré en coopération par plusieurs individus autres que la seule mère; – certaines catégories d’individus sont stériles; – les générations sont chevauchantes, les individus de tous les âges, mère et enfants, vivent en même temps. Les eusociétés se retrouvent chez les Hyménoptères (abeilles, fourmis, guêpes), les Isoptères (termites) mais aussi parmi les pucerons, les Coléoptères. Seuls les cas de quelques espèces de rats-taupes sont connus chez les Vertébrés. Hamilton en 1964 invoqua une prédisposition génétique à l’apparition des eusociétés, explication toujours d’actualité. Les Hyménoptères ont un mode particulier de déterminisme du sexe: un gamète non fécondé, haploïde, se développe en mâle. À l’inverse, une femelle est diploïde car elle est construite à partir d’un zygote, fruit de la fécondation entre deux gamètes. Ce système est dit haplo-diploïde. Le déterminisme le plus fréquent, dont celui des Mammifères, est diplo-diploïde: les deux sexes sont issus de fécondation. Par conséquent, les degrés de parentés génétiques diffèrent. Il faut ajouter qu’une reine ne s’accouple qu’une seule fois en général. Le coefficient d’apparentement, noté r, est de 3/4 pour deux sœurs contre 1/4 entre frères et sœurs dans un système haplo-diploïde (Encart 6.2). Dans un système diplo-diploïde, il n’y a pas d’asymétrie: r vaut 1/2 quelle que soit la relation frères-sœurs envisagée. Ces valeurs ne sont pas valables si les individus sont demi-frères ou demi-sœurs. Quel que le soit le système, le coefficient d’apparentement entre parents et enfants vaut 1/2. En d’autres termes, une abeille ou une fourmi partage plus de gènes avec sa sœur (3/4) qu’avec sa mère ou sa fille (1/2). Ainsi, participer à l’élevage de ses sœurs assure une meilleure transmission de son patrimoine génétique, plus efficace que de pratiquer sa propre reproduction. Hamilton a proposé l’idée d’une sélection de parentèle (kin selection), orientée sur le niveau de sélection du gène. Elle favorise la transmission des gènes d’un individu à travers sa propre reproduction mais aussi lorsqu’il améliore celle d’apparentés, frères, sœurs et même cousins. En effet, par la reproduction de ses apparentés, les copies des gènes qu’il partage avec eux se transmettent. La valeur sélective est mesurée non plus seulement sur la descendance de l’individu mais aussi sur celle des apparentés. Elle est qualifiée d’inclusive fitness, valeur sélective généralisée aux apparentés. Ainsi, deux abeilles sœurs ont un fort coefficient d’apparentement. Il devient donc plus favorable de participer à l’élevage des sœurs que de tenter une reproduction individuelle.
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6 • Vers de nouvelles théories ?
Néanmoins, l’haplo-diploïdie ne constitue qu’une prédisposition et ne peut expliquer seule l’eusocialité. En particulier, on peut remarquer que tous les Hyménoptères ne sont pas eusociaux, et que les termites comme les rats-taupes ne sont pas haplo-diploïdes. Encart 6.2
Coefficient d’apparentement r Le coefficient d’apparentement a plusieurs définitions: proportion d’allèles identiques par descendance entre deux individus, probabilité pour deux individus d’hériter de leurs parents des mêmes lots chromosomiques. Seuls les pleins frères ou sœurs, qui partagent les deux parents, nous intéressent ici. Dans un système diplo-diploïde, les individus possèdent chacun deux jeux de chromosomes. La moitié des chromosomes vient de la mère et la probabilité que les mêmes allèles soient transmis à deux sœurs (ou frères) est 1/2, de même pour les chromosomes du père. Le coefficient r est la somme de ces deux contributions. Le résultat est le même si on considère deux frères, deux sœurs ou un frère et une sœur. Au total, r = (1/2) ⋅ (1/2) + (1/2) ⋅ (1/2) = 0,5. Dans un système haplo-diploïde, la probabilité de transmission d’un même chromosome à une fille reste 1/4 côté maternel. Mais elle est de 1 pour le père qui n’a qu’un jeu de chromosome et participe toujours de moitié au génome de ses filles. Dans ce cas, le coefficient d’apparentement entre sœurs est r = (1/2) ⋅ (1/2) + (1/2) ⋅ 1 = 0,75. Par contre, un frère et une sœur ne partagent que les gènes de la mère. Puisqu’un mâle se développe à partir d’un ovule non fécondé, la part paternelle est nulle: r = (1/2) ⋅ (1/2) + (1/2) ⋅ 0 = 0,25. Quel que soit le système, une fille reçoit la moitié de ses gènes de sa mère: r = 1/2 entre une mère et une fille.
La règle de sélection de parentèle est généralisable à d’autres comportements apparemment défavorables aux individus, comme le cri d’alarme des marmottes, même si le système de déterminisme du sexe ne constitue pas une prédisposition. En effet, Hamilton a formalisé la sélection de parentèle en une règle qui porte son nom. Le maintien d’un comportement altruiste par la sélection de parentèle dépend
6.3 Le niveau d’action de la sélection
145
de trois facteurs: le coût (C) subi par l’individu qui pratique l’acte altruiste – c’est le nombre de descendants directs qu’il n’aura pas, le bénéfice (B) retiré par celui qui en profite mais aussi le degré de parenté génétique mesuré par r. Coût et bénéfice sont mesurés par le nombre de descendants. Le comportement est favorisé si les copies de gènes se transmettent mieux par les apparentés (Br) que par la reproduction propre (C). L’équation qui conditionne le maintien d’un comportement altruiste par la sélection de parentèle est la suivante: Br – C > 0. Avec un fort coefficient d’apparentement, même si le bénéfice est faible, il peut être évolutivement intéressant de s’occuper d’apparentés. À travers la reproduction d’autres qui lui sont apparentés, un individu améliore la transmission de ses allèles. Selon la sélection de parentèle, un individu qui transmet au mieux des copies de ses gènes est sélectionné.
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6.3.3 Réplicateurs et conflits évolutifs Quelles que soient les conclusions sur le niveau d’action de la sélection, celle-ci s’applique en théorie à toute entité qui possède les propriétés suivantes: reproduction, variation, hérédité. Le monde vivant en est riche à toutes les échelles: ADN, organites, cellules, individus… Toute variation qui améliore le nombre de réplicats (ou de descendants) se répand dans la population de gènes, de cellules ou d’individus. Pourtant, il arrive que la transmission plus efficace d’un gène altère la reproduction de l’individu, par exemple. Il y a alors une situation de conflit évolutif. Les mâles de souris homozygotes pour le gène t (t/t) meurent très jeunes ou sont stériles. Le gène t est létal récessif. Paradoxalement, la fréquence de l’allèle t dans les populations naturelles est élevée, entre 10 et 20%. Lorsqu’on analyse les gamètes d’un hétérozygote (t/+), 95% d’entre eux contiennent l’allèle t, 5% seulement sont «sauvages» (+), des proportions très éloignées des 50/50 attendus lors une ségrégation aléatoire durant une méiose (Fig. 6.4). Le gène t est appelé pour cette raison distorteur de ségrégation. Les gamètes porteurs de l’allèle t diminuent la viabilité des autres gamètes par un mécanisme encore mal connu. L’allèle t assure ainsi sa transmission quasi certaine. C’est pourquoi il se maintient à une haute fréquence malgré un effet phénotypique grave à l’état homozygote. Un gène qui augmente le nombre de ses copies à la génération suivante est sélectionné, même s’il altère la reproduction de l’individu. Il y a bien
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6 • Vers de nouvelles théories ?
A a
t +
t t
A
a
t
+
50%
50%
> 95%
< 5%
Méiose normale
Figure 6.4
Distorsion de ségrégation
Individus
Gamètes
Mort ou stérilité
Distorsion de ségrégation par le gène t.
conflit évolutif entre le gène et l’individu. Cependant, pour qu’un tel système se maintienne, il faut aussi que la fécondité de l’hétérozygote ne soit pas altérée par la perte de la moitié de ses gamètes. Sans cela l’allèle, même surreprésenté dans les gamètes, est mal transmis. C’est le cas si la production de gamètes n’est pas limitante, or les distorteurs sont généralement observés chez les mâles. Gène et individu sont deux niveaux de sélection différents. Chacun a un fonctionnement d’entité égoïste puisque peuvent être sélectionnés ceux qui augmentent leur reproduction aux dépens de celle des autres. Pourtant, ces deux niveaux ne sont pas indépendants. En effet, la transmission des gènes est conditionnée par la reproduction des individus. L’individu lui-même est un ensemble de gènes susceptibles d’influer sur sa valeur sélective. Or chaque niveau de sélection est soumis à des interactions entre ses membres. Comment les interactions entre gènes et entre individus influencent-elles la valeur sélective?
6.4
LE PROBLÈME DE L’OPTIMISATION: PAYSAGES ÉVOLUTIFS ET ESS
Intuitivement, la sélection devrait conduire à des caractères optimisés. Il n’en est rien puisque, pris individuellement, certains traits sont loin d’être parfaits. L’écologie comportementale nous a déjà apporté une réponse: les caractères ne sont pas indépendants, ils sont reliés par des compromis (trade-offs), et améliorer un trait peut obliger à en sacrifier un autre (voir chapitre 5). La théorie des paysages adaptatifs est la prise en compte de l’effet de plusieurs loci sur la valeur sélective.
6.4 Le problème de l’optimisation: paysages évolutifs et ESS
147
6.4.1 L’interaction entre les loci: les paysages adaptatifs Il serait impossible de représenter un phénotype par l’action conjointe de tous ses gènes, ne serait-ce que parce qu’il dépend aussi de l’environnement. C’est la théorie qui nous vient en aide. Le paramètre de fitness moyenne de la population est l’intégration de l’effet de l’ensemble des gènes et de leurs allèles. Notée w , elle est la moyenne des fitness de chaque individu de la population. Pour un locus à 2 allèles, dans une population initialement à l’équilibre de Hardy-Weinberg, la fitness moyenne peut s’écrire (comme nous l’avons vu au chapitre 4): w = p2w1 + 2pqw2 + q2w3 Pour n loci, le calcul est le même, la fitness moyenne est la somme des valeurs sélectives de chaque génotype pondérée par sa fréquence. On peut alors construire la figure représentant w en fonction des fréquences alléliques à chaque locus. Pour 2 loci, on obtient une surface (Fig. 6.5), cas le plus simple de paysage adaptatif. Pour n loci, le résultat est une hypersurface à n dimensions que l’on ne peut représenter graphiquement. La valeur sélective moyenne n’est pas identique pour toutes les combinaisons alléliques. Pour certaines, la fitness est élevée, la surface
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w = moyenne des fitness des individus de la population
«Pic adaptif»
0
1
Fréquence de l’allèle A1
1 Fréquence de l’allèle A2
Figure 6.5
Fitness moyenne en fonction des fréquences alléliques à 2 loci: cas simple de paysage adaptatif.
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6 • Vers de nouvelles théories ?
fait un pic. Le paysage adaptatif obtenu est déterminé pour une population donnée dans un environnement donné et avec un ensemble de loci donné. La hauteur et la localisation des pics sont déterminées par l’environnement. Si celui-ci change, le paysage est modifié. L’interaction éventuelle entre les gènes (indépendance, épistasie…) modifie aussi la répartition des pics et des vallées. La sélection naturelle est une force qui conduit les génotypes à un pic adaptatif. Cependant, le paysage est hérissé de nombreux pics et vallées. Une fois engagé sur l’un d’eux, il devient très difficile de passer sur un autre même s’il est plus élevé. Pour cela, il faudrait passer par une vallée, c’est-à-dire subir une baisse de fitness et par conséquent risquer de se faire éliminer. La structure génétique initiale de la population donne la localisation à l’origine sur le paysage. La sélection conduit au pic le plus proche même s’il n’est pas le plus haut. La sélection ne conduit donc pas nécessairement à l’optimisation car elle est contrainte par la composition génétique initiale. Le passage d’un pic à l’autre peut néanmoins se réaliser en particulier à la suite d’un effet fondateur. L’échantillonnage conjugué à l’effet de la dérive peut entraîner un petit groupe vers un point éloigné de la composition initiale de la population et lui faire «grimper» un autre pic. Si la valeur sélective individuelle dépend des différents caractères et loci, elle dépend aussi du comportement des autres individus. Les modèles inspirés de la théorie des jeux décrivent cette interaction.
6.4.2 L’interaction entre les individus: les stratégies évolutivement stables (ESS) À l’origine, la théorie des jeux a été développée pour prédire le fonctionnement de systèmes économiques. Le mathématicien J. von Neumann et l’économiste O. Morgenstern l’ont publiée en 1953. Chaque situation est considérée comme un jeu régi par des règles. Celles-ci donnent les gains du joueur en fonction de ce qu’il a joué, mais aussi de ce que les autres ont joué. Chaque joueur cherche à maximiser ses gains. Pour cela, il suit une stratégie, c’est-à-dire un ensemble de décisions prises a priori, avant de jouer, connaissant les règles du jeu ou toute autre information. L’inconnu réside dans la stratégie suivie par les autres joueurs et dont dépendent les gains. La théorie des jeux a ensuite été appliquée à l’évolution par Maynard Smith en 1982. Le gain d’un individu est sa valeur sélective, mesurée par exemple par le nombre de ses descendants. Elle dépend de la façon dont l’individu se comporte mais aussi du comportement des autres.
6.4 Le problème de l’optimisation: paysages évolutifs et ESS
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La question est de savoir quelle est la «meilleure» stratégie pour obtenir la plus grande fitness. Le dilemme du prisonnier illustre bien l’esprit de la théorie des jeux. Deux individus sont inculpés pour un délit et emprisonnés séparément, ils ne peuvent donc communiquer: – s’ils avouent tous les deux, ils sont condamnés à un an de prison. Le gain d’un individu qui joue Avouer (A) face à un individu jouant A aussi est noté G (A, A); il est négatif G (A, A) = – 1; – s’ils nient tous les deux, ils sont libérés, G (N, N) = 0; – si l’un nie et l’autre avoue, celui qui nie est condamné à 10 ans de prison G (N, A) = – 10, celui qui a avoué est libéré et récompensé G (A, N) = 1. La matrice suivante résume les gains et stratégies: A
N
A
–1
+1
N
– 10
0
La stratégie optimale pour les deux joueurs serait de nier ensemble. Mais nier lorsque l’autre avoue est très désavantageux G (N, A) = – 10, d’autant qu’avouer si l’autre nie est avantageux G (A, N) = 1. Il est important de se rappeler qu’un joueur ne sait pas ce que va faire l’autre. Imaginons une population d’individus qui nient systématiquement pris deux à deux dans le dilemme. Si un individu choisit d’avouer, il gagne plus: G (A, N) = 1 contre G (N, N) = 0. À l’inverse, si les individus de la population avouent systématiquement, un individu qui choisit de nier est désavantagé. G (N, A) = – 10 contre G (A, A) = – 1. La stratégie «Avouer» est stable mais pas optimale. L’idée de stratégie évolutivement stable (Evolutionarily Stable Strategy ou ESS) reprend des arguments similaires, elle est la stratégie optimale pour l’individu compte tenu de celle des autres. Une stratégie est une ESS si, lorsque la population l’a adoptée, aucune autre stratégie déviante ne peut l’envahir. Maynard Smith a développé les conditions mathématiques pour qu’une stratégie S soit ESS (notée alors S*). Soit G (X, Y), le gain d’un individu qui joue X dans une population jouant Y: S* est ESS si, quelle que soit S ≠ S*: (1) G(S, S*) < G(S*, S*), (2) si G(S, S*) = G(S*, S*), alors G(S, S) < G(S*, S).
150
6 • Vers de nouvelles théories ?
(1) Dans une population qui suit la stratégie S*, le gain d’un individu qui joue S face à S* est plus petit que le gain d’un individu S* qui rencontre un autre individu S*. Si un individu a une fitness plus faible que celle des autres individus de la population, il est rapidement éliminé, tout comme sa stratégie. (2) Le 2e cas envisage l’égalité des gains des individus jouant S et S* dans une population ayant adopté la stratégie S*. La stratégie S* est néanmoins stable si, dans une population S, la stratégie S* envahit. Ces conditions sont applicables à des stratégies discrètes comme avouer/nier, se battre/fuir… Le sex-ratio (nombre de mâles sur le nombre total d’individus) est un exemple de stratégie non discrète: a priori la stratégie ESS peut prendre n’importe quelle valeur entre 0 et 1. Au chapitre 5, nous avons vu qu’un sex-ratio de 0,5 , équilibre entre mâles et femelles, est la valeur optimale pour un individu; c’est le principe de Fisher. La théorie des jeux en donne une démonstration. Les conditions ne sont plus exprimées de la même façon. L’ensemble des gains est décrit par une fonction continue de fitness g (s, s*) qui donne la valeur sélective d’un individu qui joue S dans une population S*. La recherche de l’ESS consiste à étudier cette fonction, l’ESS correspond au maximum. On obtient le système suivant (les variables continues de stratégies sont notées en minuscules): ( 1 ) ∂ g ( s, s * ) = 0 --------------------- s = s* ∂s 2 g ( s, s * ) ( 2 ) ∂---------------------≤ 0 ∂ s 2 s = s* La fonction de fitness dépend éventuellement de plusieurs variables. L’extremum est donné par la valeur (s*) qui annule la dérivée partielle par rapport à s (1). Il faut aussi vérifier que l’extremum est bien le maximum, par la deuxième condition sur la dérivée seconde (2). Pour chercher le sex-ratio ESS, la fitness est mesurée par le nombre de petits-enfants laissés par une femelle. Elle se décompose en deux termes qui correspondent aux enfants laissés d’une part par les fils et d’autre part par les filles de la femelle en question: g ( x, x* ) = D ⋅ ( 1 – x ) ⋅ 1 ⋅ D + D ⋅ x ⋅ ( 1 – x* ) ⋅ D ------------------x* Lorsque la population est infinie, toutes les femelles produisent un sex-ratio x* sauf la femelle dont on calcule la valeur sélective qui a un sex-ratio de x dans sa descendance. D est le nombre d’enfants, il est constant. La femelle a D(1 – x) filles. Ces dernières ont une probabi-
6.5 L’interaction entre espèces: la coévolution
151
lité 1 de se reproduire, car un mâle peut féconder plusieurs femelles, elles sont ainsi sûres de trouver un partenaire (ce modèle ne fonctionne pas dans les systèmes monogames stricts). Elles ont à leur tour D descendants. Le cas des mâles est un peu plus compliqué: ils sont en compétition pour accéder aux femelles. La probabilité d’obtenir une femelle est identique pour tous les mâles, elle est le rapport entre les proportions des deux sexes (1 – x*)/x*. ∂g ( x, x* ) ( 1 – x* ) ---------------------- = ------------------- – 1 = 0 ⇔ x* = 1/2 ∂x x* La condition sur la dérivée s’écrit simplement, le sex-ratio ESS est bien 0,5 comme le prédit le principe de Fisher. Nous avons jusqu’ici récapitulé les précisions majeures sur l’action de la sélection: neutralisme, contingence, interaction entre gènes et entre individus. Intéressons-nous maintenant à l’interaction entre les espèces.
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6.5
L’INTERACTION ENTRE ESPÈCES: LA COÉVOLUTION
Les passiflores (genre Passiflora), plantes grimpantes tropicales, ont la particularité d’accumuler dans les feuilles et les pousses des composés toxiques qui les protègent de la voracité des insectes. Seules les chenilles des papillons du genre Heliconius se développent sur ces plantes. La spécialisation des larves est rendue possible par la présence d’enzymes digestives qui dégradent les composés toxiques. Chaque espèce d’Heliconius est dépendante d’une espèce de passiflore pour l’alimentation de ses chenilles. Mais les relations entre les deux espèces ne s’arrêtent pas à cette seule interaction. Les femelles d’Heliconius déposent des œufs jaune clair sur les feuilles de passiflore. Elles ne pondent pas sur des feuilles qui portent déjà des œufs. À l’instar de l’oiseau qui réduit la taille de sa couvée en conditions difficiles (voir chapitre 4), le papillon évite ainsi une compétition forte entre les larves qui se traduirait par une moins bonne survie de ses propres descendants. Or, certaines espèces de passiflores portent sur leurs feuilles des nectaires jaunes ressemblant aux œufs de papillons. Une femelle de papillon évitera de pondre sur une feuille qui porte de tels points jaunes. En 1964, P. Ehrlich et P.H. Raven ont proposé l’idée de coévolution pour expliquer le cortège d’espèces d’Heliconius chacune spécialisée sur une espèce différente de passiflore. Les enzymes de dégradation
152
6 • Vers de nouvelles théories ?
spécifiques des Heliconius sont une adaptation qui leur permet de se spécialiser sur une ressource inutilisée par les autres insectes (les feuilles de passiflores). Du point de vue de la plante, le papillon peut être considéré comme une pression de sélection car l’invasion par des chenilles va parfois jusqu’à détruire un plant entier de passiflore. Tout trait qui permet d’éviter la ponte est favorable pour la plante, tout caractère qui permet une meilleure utilisation de la plante est avantageux pour l’insecte. Selon Ehrlich et Raven, la coévolution est «l’évolution de deux ou plusieurs taxons liés par des relations écologiques étroites, mais isolés génétiquement. Ces taxons exercent entre eux des pressions de sélection telles que l’évolution de chacun dépend partiellement de celle des autres». Un processus d’adaptation réciproque entre deux espèces qui entretiennent des relations écologiques, comme les passiflores et les Heliconius est appelé coévolution (au sens large). Les deux espèces exercent des pressions de sélection l’une sur l’autre. Ainsi, entre un hôte et un parasite, l’hôte évolue vers une plus grande résistance, le parasite vers un contournement des résistances. Il est alors une situation où toute nouvelle adaptation d’une espèce provoque une pression supplémentaire pour l’autre. En 1973, van Valen publie le modèle de la Reine rouge du nom d’un personnage du roman de Lewis Carroll De l’autre côté du miroir. La reine rouge oblige Alice à courir de plus en plus vite pour simplement rester en place, comme sur un tapis roulant en sens contraire. De même, la coévolution entraîne l’apparition conjointe de nouveaux caractères mais aucune des deux espèces ne prend l’avantage, ou alors de façon transitoire. La coévolution est une théorie utile pour expliquer certains traits chez deux espèces en interaction. Toutes les formes d’interactions écologiques prêtent-elles à coévolution? Le couple d’espèce doit subir des relations étroites et durables. Des relations étroites signifient des relations spécifiques (entre un hôte et un parasite par exemple) ou spécialisées (entre un prédateur et sa proie par exemple) pour qu’un changement chez l’une puisse entraîner un changement chez l’autre. Des relations sur plusieurs générations sont nécessaires pour que la sélection puisse agir. Les interactions sont soit antagonistes – proie/ prédateur, hôte/parasite, plante/herbivore – soit mutualistes. Dans cette dernière catégorie entrent les relations plante/pollinisateur ou plante/disperseur de diaspores. Par exemple, le casse-noix (Nucifraga caryocatactes) et le pin arole (ou cembro, Pinus cembra) sont coadaptés. Les graines de l’arole sont particulièrement riches (6 700 cal/g). L’oiseau, qui se nourrit presque exclusivement des graines de pin arole,
6.6 La dynamique de l’évolution
153
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en cache d’énormes quantités comme réserves, presque toute la production annuelle. Il a ainsi à disposition des graines toute l’année. Mais pour diverses raisons, un tiers des caches environ ne sont pas utilisées et assurent la dispersion et la régénération du pin. La nature des relations introduit une différence entre les coévolutions antagonistes et mutualistes. Le casse-noix et l’arole profitent tous deux de la relation, aucun d’eux ne dépassera l’autre, brisant ainsi l’interaction. En revanche, les intérêts de l’hôte et du parasite sont clairement opposés. Cependant, dans la course, le parasite a toujours une innovation d’avance à laquelle tente de répondre l’hôte. Si l’hôte prend l’avantage, alors le parasite est éliminé: la course est terminée par la victoire de l’hôte. La situation est sans doute peu courante car la résistance a un coût: toute l’énergie qui lui est consacrée ne l’est pas à acquérir de la nourriture, par exemple. Néanmoins, les effets de la coévolution sont parfois difficiles à mettre en évidence. Dans le cas des relations entre passiflores et Heliconius, les nectaires attirent les fourmis et les guêpes, qui se nourrissent aussi des larves d’Heliconius. Quelle est la pression de sélection qui pousse les femelles d’Heliconius à ne pas pondre sur les feuilles à nectaires: évitent-elles les prédateurs ou une supposée compétition? De plus, la coévolution ne peut, seule, expliquer l’ensemble des traits d’une espèce, d’autres pressions de sélection sont nécessairement en jeu. La coévolution ne s’applique qu’à un nombre limité de traits mais aussi à un nombre limité d’espèces, qui entretiennent des relations écologiques privilégiées. Après avoir considéré de l’échelle des gènes aux relations entre espèces, ce dernier paragraphe s’attache à revoir le déroulement de l’histoire de la vie, plus précisément le rythme de l’évolution.
6.6
LA DYNAMIQUE DE L’ÉVOLUTION: GRADUALISME OU ÉQUILIBRES PONCTUÉS
Au chapitre 3, nous avons vu que les processus évolutifs tels que Darwin les concevait conduisent à une évolution lente et graduelle par l’accumulation de petites différences. Depuis les années 1970, une polémique s’est ouverte autour de la question suivante: les mécanismes de petite ampleur (mutations) suffisent-ils pour rendre compte de l’évolution de plus grande ampleur, c’est-à-dire l’apparition des espèces au sein des familles, ordres…? Comme nous allons le voir, la dynamique de l’évolution est au centre du débat.
154
6 • Vers de nouvelles théories ?
6.6.1 Le passage progressif d’une espèce à l’autre: le gradualisme Décrire une espèce fossile est parfois difficile, notamment parce que le critère d’interfécondité n’est pas applicable. Les paléontologues utilisent les données disponibles: les critères biométriques. Ainsi, la hauteur et l’épaisseur d’un tour de coquille ont été mesurées chez des ammonites du Jurassique (Fig. 6.6).
Subdivisions stratigraphiques (temps)
Sommet du Callovien moyen
Z. zugium Z. crassum
Z. obductum
Z. jason
Z. medea Base du Callovien moyen
Zugokosmoceras enodatum Épaisseur du tour
0,30
0,40
0,50
0,60
0,70
0,80
0,90
Hauteur du tour
Figure 6.6 Évolution des distributions du rapport épaisseur/hauteur du tour des ammonites du genre Zugokosmoceras, au Jurassique (d’après Devillers et Mahé).
Les distributions du rapport entre ces deux dimensions sont suivies pour les époques stratigraphiques fines, au sein de l’étage du Callovien. Les schémas montrent des changements progressifs de la moyenne. Lorsque deux distributions sont suffisamment différentes (au sens
6.6 La dynamique de l’évolution
155
statistique), les paléontologues ont décidé qu’elles correspondaient à deux espèces distinctes. Au sommet de la série, Zugokosmoceras obductum a donné naissance, tout aussi progressivement, à deux espèces. L’apparition de deux ou plusieurs espèces à partir d’une autre préexistante est une spéciation par cladogenèse. Le remplacement d’une espèce par une autre est une spéciation par anagenèse. L’un comme l’autre terme ne préjugent pas de la dynamique. Ces ammonites du Jurassique illustrent deux aspects de l’évolution darwinienne qui vont de pair. D’une part, la formation des espèces est une extrapolation des processus à l’échelle moléculaire: une accumulation continue de petits changements sur un grand laps de temps conduit à de grands changements. Les changements de faible ampleur suffisent à expliquer l’apparition des espèces. D’autre part, l’évolution est par conséquent graduelle: les variations sont petites, elles s’accumulent lentement et de façon continue. Chez les ammonites considérées, l’index biométrique (E/H) change ainsi. Comme les spéciations sont le résultat de l’accumulation de différences, elles s’étalent et se succèdent régulièrement dans le temps. Cependant, il n’est pas rare de trouver des discontinuités dans les séries fossiles. Pour les tenants du gradualisme, l’absence de fossilisation durant ces périodes suffit à expliquer de telles discontinuités. Par ailleurs, l’anagenèse sous-entend une spéciation sympatrique sous l’effet d’une pression de sélection qui varie au cours du temps, alors que les exemples actuels tendent à démontrer que l’allopatrie est plus répandue. Ces constatations ont amené deux paléontologues américains, N. Eldredge et S. J. Gould à récuser le modèle gradualiste.
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6.6.2 L’alternance de phases de stabilité et d’évolution rapide: les équilibres ponctués Si la question centrale de leurs travaux était le découplage entre mécanismes de faible ampleur et apparition des espèces, les deux paléontologues ont, à l’origine, transposé le modèle de spéciation allopatrique dans le temps. Pour cela, ils se sont appuyés sur l’évolution de Trilobites. Phacops est un genre de Trilobite du Dévonien moyen, trouvé dans le centre et l’est des États-Unis (Fig. 6.7). ➤ Observations
Les deux zones correspondent à deux milieux marins distincts, respectivement une mer épicontinentale et une mer marginale. Phacops voyait grâce à deux grands yeux composés disposés latéralement sur la tête, et constitués de plusieurs rangées d’ommatidies. Le nombre de rangées est précisément le critère de distinction des espèces. Trois
156
6 • Vers de nouvelles théories ?
CENTRE des États-Unis
EST des États-Unis
Mer Épicontinentale Mer marginale
Taghanic C1
C 5
4
B1
Tioughnioga
B
3
A
Cazenovia
A1
A
2 15 A Subdivisions temporelles
16
B
2 1 18 B
18
17 16-15 Nombre de rangées d’ommatidies
Figure 6.7 A. Le trilobite Phacops B. Les successions de formes au Dévonien (d’après Devillers et Mahé).
espèces se succèdent avec 18 puis 17 et enfin 15 rangées. Dans les terrains du centre des États-Unis, les trois formes se trouvent dans des strates superposées et distinctes, sans jamais coexister. À l’inverse, dans la partie est, la forme à 17 rangées (B) est contemporaine de celle à 18 (A et A1). Plus tard (à l’époque dénommée Taghanic), les formes à 17 et 15 rangées (B et C) vivent ensemble. ➤ Interprétation
Le scénario de Eldredge et Gould implique des spéciations allopatriques par fondation. Une population fondatrice à 18 rangées (A1) se sépare de la population originelle (A). À partir d’elle, se différencie l’espèce B, à 17 rangées (1). Plus tard, l’espèce B colonise l’ensemble des deux milieux (3), A s’éteint. Les mêmes étapes se répètent pour l’espèce C: elle se différencie directement (sans intermédiaire à 16 rangées) à partir de B dans la zone est, puis elle colonise la partie centrale et élimine B (5). Le modèle n’est alors pas en contradiction avec la théorie synthétique, se rapprochant de celui de Mayr, pour des espèces fossiles.
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Questions de révision
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Eldredge et Gould ont ensuite étendu leurs conclusions au tempo de l’évolution. Les caractères ne se transforment pas lentement mais se remplacent brutalement. Par conséquent, les spéciations s’opèrent sur des temps brefs, à l’échelle géologique. L’anagenèse est exclue de ce modèle. Seules subsistent les cladogenèses, qui sont alors des spéciations rapides (à l’échelle géologique) et allopatriques. Une fois réalisées, les espèces ne subissent pratiquement pas d’évolution: elles restent stables. L’évolution générale n’aurait donc pas une dynamique lente et graduelle. Au contraire, elle se ferait par des phases de stabilité ponctuées de phases d’évolution rapide, accompagnée de spéciations. Une dynamique en équilibres ponctués impose un découplage entre mécanismes microévolutifs (mutation/sélection) et macroévolutifs (spéciations). D’une part, les mutations sont de petites variations du matériel génétique qui apparaissent à un taux constant; de l’autre, les caractères phénotypiques comme les espèces sont remplacés de façon brutale. Cependant, les auteurs ne proposent pas de mécanismes alternatifs clairs pour lier les deux phénomènes. La génétique vient récemment d’alimenter le débat. En particulier, les mutations dans les gènes homéotiques sont capables de provoquer des changements importants dans le développement ou la morphologie en un temps bref. Quoi qu’il en soit, pour élucider la question du rythme de l’évolution, il faudrait suivre des lignées paléontologiques sur un grand laps de temps, dans des conditions continues de sédimentation et de fossilisation, et sur l’aire de répartition entière, ce qui est pratiquement impossible. Un autre problème méthodologique est d’établir des espèces uniquement sur des critères morphologiques. Enfin, le problème récurrent des relations génotype/phénotype est contenu dans la question du lien micro/macroévolution: l’accumulation de mutations peut être lente et régulière sans pour autant que les changements phénotypiques suivent la même dynamique, puisque toutes ne s’expriment pas. D’une façon générale, une des difficultés de l’évolution est de faire le lien entre les mécanismes aux différentes échelles: comment relier mécanismes moléculaires et mécanismes de spéciation dans l’histoire de la vie?
QUESTIONS DE RÉVISION 6.1 Construire un modèle pour chercher le sex-ratio ESS produit par une femelle dans un cadre de la LMC (défini au chapitre 5). La fitness est mesurée par le nombre de petits-enfants. La population restreinte a
158
6 • Vers de nouvelles théories ?
un effectif N, chaque femelle laisse D descendants. (N – 1) femelles ont des portées à sex-ratio s*, 1 femelle «joue» s. a) Quel est le nombre de petits-enfants laissés par une femelle qui produit un sex-ratio S, dans une population où toutes les autres femelles jouent S*, G (s, s*)? Calculer d’abord le sex-ratio s’ de la population de descendants, puis procéder comme le modèle de base. b) Quel est le sex-ratio ESS? Que vaut-il quand N tend vers l’infini?
6.2 Chez les Mammifères notamment, le sexe est déterminé par les chromosomes X et Y, la femelle est XX et le mâle XY. On observe parfois chez la drosophile (le déterminisme est identique) des populations où les femelles sont très majoritaires. a) Comment peut-on interpréter cet état de fait en termes de distorteur? b) Quels sont les réplicateurs en conflit?
6.3 a) Que nous dit le graphe de la figure 6.8? log (longueur du bois / m)
0,40
0,38
0,36
0,34 0,46 A
0,48 B
log (longueur 0,50 du crâne / dm)
Figure 6.8 A. Reconstitution du cerf Megaloceros. B. Taille des bois en fonction de la longueur du crâne pour différentes espèces de cerfs, échelle logarithmique (d’après Devillers et Mahé).
Questions de révision
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b) Quelle est l’explication adaptative des bois des cerfs? Pensez-vous qu’elle s’applique aux cas extrêmes comme celui du Megaloceros, un très grand cerf fossile qui portait des bois immenses? c) Quelle autre explication basée sur des contraintes du développement peut-on tirer du graphe?
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Conclusion
En guise de conclusion, il semble intéressant de soulever quelques questions générales, comme autant de pistes de réflexion. Faut-il penser comme T. Dobzhansky que «rien n’a de sens en biologie qu’à la lumière de l’évolution», en recherchant, par exemple, l’adaptation d’une structure à sa fonction, la valeur adaptative d’un comportement ou l’histoire évolutive qui a conduit à une composition faunistique ou à l’aire de répartition d’une espèce? Une telle démarche conduit-elle nécessairement à sombrer dans «l’adaptationnisme» acharné dénoncé par Gould et Lewontin? L’évolution est-elle une montée inexorable vers le plus complexe? Il faudrait être de mauvaise foi pour nier qu’entre les procaryotes du Précambrien et les Oiseaux actuels, il ne s’est pas accompli une augmentation de complexité, ne serait-ce que par l’existence d’organes, de communication entre les cellules… Mais qu’est-ce au juste que la complexité? La difficulté à trouver une définition simple et surtout opérationnelle (quantifiable en particulier) rend toute réponse à la question bien peu satisfaisante. Et puis faut-il voir une marche déterministe de l’évolution vers le progrès et la complexité? Il ne faut pas oublier que certains parasites ont perdu nombre d’organes par rapport au plan d’organisation de leur embranchement tout en étant malgré tout, et même grâce à cela, adaptés à leur mode de vie. Et Escherichia
162
6 • Conclusion
coli, au génome si condensé, capable de réaliser une division toutes les demi-heures, n’est-elle pas adaptée à un cycle de vie rapide? Ce qui effrayait le plus les contemporains de Darwin était l’irruption du hasard dans le monde vivant, alors qu’ils étaient habitués à un monde déterminé et finalisé puisque créé par Dieu. Là encore la définition même de hasard est une vaste question. Néanmoins, les phénomènes aléatoires biologiques ne peuvent être niés: substitutions des nucléotides, recombinaisons… Aucune causalité extérieure ne peut être invoquée pour leur direction. Il faut ajouter dérive, tout phénomène d’échantillonnage, la contingence. Cependant, le hasard n’a pas un champ d’action totalement libre: des contraintes diverses (du développement, du plan d’organisation…) et l’action de la sélection viennent limiter son emprise.
Éléments de réponse CHAPITRE 1 1.1 Du «plus Saurien» au plus «Oiseau»: Velociraptor – 80 × 106
Caudipteryx – 120 × 106
Protarcheopteryx – 120 × 106
Archeopteryx Eoalulavis – 150 × 106 – 115 × 106
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Tout ce passe comme si les spécimens les plus proches des Dinosaures étaient les plus récents, ce qui paraît contradictoire. La première explication possible est un problème de datation des roches dans lesquelles ont été trouvés les fossiles. Une deuxième possibilité est que les nouvelles espèces ont continué de coexister avec les anciennes pendant plusieurs millions d’années. Toutes ne se sont pas fossilisées à la même époque, donnant une image déformée de la succession. Ces deux réponses ne sont ni complètes ni définitives. 1.2 a) L’existence d’endosymbioses actuelles corrobore tout à fait l’hypothèse de l’origine des eucaryotes par endosymbiose. b) On pense que des gènes du symbionte ont été transférés à l’hôte. Une des conséquences est que l’association est alors obligatoire. c) On a longtemps pensé que la membrane extérieure des organites était le reste de la membrane de la vésicule de phagocytose, donc d’origine eucaryote. Elle a en fait des caractéristiques procaryotes, et serait plutôt la membrane extérieure d’une bactérie Gram – (ce qui coïncide avec les groupes de bactérie d’origine supposée).
CHAPITRE 2 2.1
1 et 2: homozygotes 3: hétérozygote (3 combinaisons de sous-unités). 1
2
3
164
Éléments de réponse
2.2 Homologies: éléments du squelette des Vertébrés (la colonne vertébrale, les ceintures, le crâne). Les deux premiers arcs branchiaux des Poissons et les os de l’oreille moyenne des Mammifères (voir Beaumont et Cassier pour plus de précisions). Au sein des Arthropodes, les appendices (pattes, pièces buccales…). Chez les Mollusques, les coquilles, les cavités palléales… Analogies: l’aile des Insectes et des Oiseaux. L’œil des Insectes, des Mollusques et des Vertébrés. Les pattes de la sauterelle et de la grenouille. 2.3 La systématique consiste à ranger dans des catégories des êtres vivants qui se ressemblent. Il existe des organes très semblables, comme les ailes, qui ne correspondent pourtant pas à une même appartenance systématique. Autrement dit, on risque de ranger dans un même ensemble des organismes qui n’ont rien à voir, à cause de ces convergences. 2.4 Comme l’industrialisation recule, les lichens peuvent à nouveau pousser sur les bouleaux, les dépôts de suie disparaissent. Dans ces conditions, les individus gris sont favorisés. La proportion de ceux-ci augmente dans la population.
CHAPITRE 3 3.1 Lamarck ne s’interroge que sur l’origine de la diversité des espèces. En plus de cette question, Darwin est le premier à prendre en compte la variabilité individuelle, point de départ des mécanismes évolutifs. 3.2 Lamarck propose une génération spontanée des organismes les plus simples, qui se déroule en permanence et depuis les premiers temps de la vie. Darwin n’apporte lui pas de réponse. 3.3 Outre les différences évoquées dans les deux premières questions, les deux auteurs n’ont pas la même idée de l’origine des variations. Pour Lamarck, l’environnement est la cause des variations qui sont orientées par lui. Pour Darwin, les variations préexistent entre les individus et sont triées par la sélection. En revanche, les deux auteurs s’accordent bien sûr sur la transformation des êtres vivants et les relations de parentés entre espèces. Dans les deux théories, la dynamique est lente et graduelle. Lamarck postule l’hérédité des caractères acquis. Darwin n’est pas convaincant sur les explications de l’hérédité (il ne disposait pas de connaissances de génétique). On considère qu’il admet aussi l’hérédité des caractères acquis.
CHAPITRE 4 4.1 Plusieurs parties de ce chapitre permettent d’expliquer, partiellement, le maintien de la diversité. L’avantage de l’hétérozygote laisse dans la population les deux allèles, et donc le locus polymorphe. Par ailleurs, les sélections disruptives et directionnelles n’entraînent pas de diminution de la variabilité.
165
Éléments de réponse
De plus, la variation est alimentée à chaque pas de temps par l’apparition de mutations, même si elles sont rares, mais aussi par les migrations qui amènent des individus de populations de structures génétiques différentes.
CHAPITRE 5 5.1. Carpe
Triton Ornithorynque Poulet Kangourou
Bœuf
Singe rhésus Homme
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22,9
29,6
26,1
16
13,7
9,3
5,8
1,4
Requin
Figure E.1 Arbre obtenu par la méthode UPGMA sur la matrice de données du tableau 5.1.
5.2 Nombre et temps de calculs: le calcul d’un indice global permet la construction d’un arbre unique quel que soit le nombre d’espèces étudiées. Par contre, la méthode cladiste compare un nombre d’arbres qui augmente de façon exponentielle avec le nombre d’espèces: le nombre de calculs devient vite très grand et on ne peut étudier plus de 20 à 30 taxons simultanément.
166
Éléments de réponse
Choix des caractères: alors que la phénétique utilise tous les caractères sans distinction, la cladistique choisit entre homologies et homoplasies. Hypothèses: les deux méthodes ont leur propre hypothèse forte. La cladistique fait l’hypothèse que l’évolution procède par le chemin le plus simple, c’est le principe de parcimonie. La phénétique utilise tous les caractères sans distinction des homologies et des homoplasies. La méthode UPGMA considère que l’évolution se fait toujours à la même vitesse à tout instant et pour toute espèce, c’est l’horloge moléculaire. Les deux hypothèses se font lors de la construction de l’arbre et il faut noter que certaines méthodes actuelles en phénétique s’affranchissent de l’horloge moléculaire. 5.3 a) L’optimum théorique est entre 10 et 12 jeunes. La distribution des
tailles de couvées observées montre bien un maximum proche, mais légèrement inférieur (8 jeunes). b) Une explication possible est la suivante: l’optimum théorique est estimé pour une seule couvée et pas sur la vie entière des parents. Il s’agit d’intégrer les coûts de l’élevage en terme de diminution de survie des parents. L’optimum théorique de la fitness sur toute la vie est le maximum de la différence «bénéfice – coût», ce qui peut conduire à une taille de couvée optimale plus petite.
Coût ou bénéfice
Bénéfice brut maximum
Coût: mortalité des parents
Bénéfice net (BB – C) maximum
Bénéfice (brut): nombre de jeunes , survivant jusqu’à l’âge adulte
C1 C2 Taille de couvée
Figure E.2 La taille de couvée théorique optimale est déterminée par la différence maximale entre les coûts et les bénéfices des parents sur l’ensemble de leur vie.
167
Éléments de réponse
CHAPITRE 6 6.1 Le principe de calcul de la fitness reste le même. Comme la population n’est pas infinie, les proportions de mâles (s’) et de femelles (1 – s’) de la population doivent être calculé en en tenant compte. Le nombre de mâles est la somme du nombre des fils des (N – 1) femelles en proportion s* et des fils en proportion s de la femelle qui nous intéresse:
( N – 1 )s* + s nombre de mâles s′ = ---------------------------------------------------------- = ------------------------------N nombre total d’individus 1 – s′ ⋅ D ⋅ D + ( 1 – s ) ⋅ 1 ⋅ D ⋅ D w ( s, s* ) = s ⋅ -----------s′ 1 2 2 = s --- – 1 ⋅ D + ( 1 – s ) ⋅ D s′ ∂ ---s N–1 ∂w s′ ------- = ------- – 2 = 0 ⇔ s* = ------------∂s 2N ∂s Lorsque N tend vers l’infini, s* tend vers 1/2, conformément au modèle fisherien.
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6.2 a) De même que le gène t, le chromosome X (ou un gène qu’il porte) peut être un distorteur de ségrégation. Si les spermatozoïdes porteurs de X sont majoritaires, les femelles qui naissent sont plus nombreuses que les mâles. b) Le chromosome X améliore sa transmission lorsque les femelles sont plus nombreuses; la situation est exactement inverse pour le chromosome Y. Mais les gènes des autosomes des femelles sont aussi plus mal transmis: c’est à nouveau l’avantage du plus rare ou ici le désavantage du sexe majoritaire. Les gènes autosomaux subissent une pression de sélection: ceux qui inhibent la distorsion sont à nouveau mieux transmis (voir Atlan et Gouyon, 1994; Atlan, 1998).
6.3 a) La taille des bois est liée à celle du crâne, plus l’animal est grand plus ses bois le sont: on parle de relations allométriques. b) En général, les bois sont considérés comme le résultat de la sélection sexuelle et servent dans les combats entre mâles. Les bois immenses du Megaloceros devaient être si encombrants qu’ils auraient dû être contre-sélectionnés. c) Les relations allométriques imposent une contrainte lors du développement. Si l’évolution conduit à une plus grande taille, alors les bois seront aussi plus grands. Les grands bois sont une conséquence du développement, pas un trait sélectionné.
Bibliographie
OUVRAGES GÉNÉRAUX
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GOUYON P. H. et al. — Les avatars du gène, Belin, Paris, 1997. MAYNARD-SMITH J., SZATHMARY E. — The major transitions in Evolution, Oxford University Press, Oxford, 1997. MAYR E. — Populations, espèces et évolution, Hermann, Paris, 1974. SKELTON P. — Evolution, a biological and palaeontological approach, Addison Wesley, The Open University, 1993. SOLIGNAC M., PÉRIQUET G., ANXOLABÉHÈRE D., PETIT C. — Génétique et évolution, Hermann, Paris, 1995. SELOSSE M.-A. — La symbiose, Vuibert, Paris, 2000.
CHAPITRE 1 Des ouvrages pour approfondir ➤ Généralités
JAEGER J.-J. — Les mondes fossiles, Odile Jacob, Paris, 1996. ➤ Données indirectes sur l’apparition de la vie
THOMAS P. — Origine et histoire de la Terre, in Enseigner la géologie Collège-Lycée, Nathan, Paris, 1992.
170
Bibliographie
➤ Stromatolithes
GROVES D., DUNLOP J., BRICK R. — Les premières traces de vie, in «Les animaux disparus», Pour la Science, Belin, Paris, 1983. ➤ À l’origine des eucaryotes et grandes transitions
SÉLOSSE M.-A., LOISEAUX-DE GOËR — La saga de l’endosymbiose, La Recherche, 296, 1997. ➤ La faune de Burgess
GOULD S. J. — La vie est belle, Seuil, Points sciences, Paris, 1991. ➤ Le continent des vieux grès rouges
GALL J. C. — Environnements sédimentaires anciens et milieux de vie. Introduction à la paléoécologie, Doin, Paris, 1976. ➤ Oiseaux et Dinosaures
ACKERMAN J. — Dinosaurs take wing, National Geographic Society, Washington, 194, 1, 1998. ➤ Crise Crétacé/Tertiaire
DOSSIER LA RECHERCHE — La météorite, les Dinosaures et le plancton, La Recherche, 293, 1996.
Autres références utilisées CHALINE J. — Paléontologie des Vertébrés, Dunod, Paris, 1987. DEMOUNEM R., GOURLAOUEN J., PÉRILLEUX E. — Sciences de la vie et de la Terre, Terminale S, Nathan, Paris, 1994. DEVILLERS C., MAHÉ J. — Mécanismes de l’évolution animale, Masson, Paris, 1980. DOBZHANSKY T., PAVLOVSKY O.A. — Indeterminate outcome of certain experiments on Drosophila populations, Evolution, 11, 311-319, 1957. ELMI S., BABIN C. — Histoire de la Terre, Masson, Paris, 1994. ENAY R. — Paléontologie des invertébrés, Dunod, Paris, 1990. GHEERBRANT E. — L’essor des mammifères à l’aube du tertiaire, Pour la Science, 213, 1995. MARGULIS L. — Symbiosis in cell evolution, W.H. Freeman, San Francisco, 1981. MAYNARD-SMITH J., SZATHMARY E. — The major transitions in Evolution, Oxford University Press, Oxford, 1997.
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QIANG J., CURRIE P.J., NORELL M.A., JI S.A. — Two feathered dinosaurs from northeastern China, Nature, 393, 753-761, 1998. STANLEY S.M. — Earth and life through time, W.H. Freeman and Co., New York, 1989.
CHAPITRE 2 Des ouvrages pour approfondir ➤ Anatomie comparée
BEAUMONT A., CASSIER P. — Biologie animale (Les Cordés, anatomie comparée des vertébrés), Dunod, Paris, 1997 CLACK J. — Les premiers Tétrapodes vivaient dans l’eau, La Recherche, Paris, 1997. DUBOULE D., SORDINO P. — L’origine des doigts, La Recherche, Paris, 1997. ➤ Polymorphisme
HARTL D. L. — Génétique des populations. Médecine-Sciences, Flammarion, Paris, 1994. SOLIGNAC M., PÉRIQUET G., ANXOLABÉHÈRE D., PETIT C. — Génétique et évolution, Hermann, Paris, 1995.
Autres références utilisées FREIFELDER D. — Biologie moléculaire, Masson, Paris, 1990.
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KAPLAN J.-C., DELPECH M. — Biologie moléculaire et médecine, Médecine-Sciences, Flammarion, Paris, 1994. KETTLEWELL H.B.D. — Evolution of melanism, Clarendon Press, Londres, 1973. KETTLEWELL H.B.D. — Selection experiments on industrial melanism in the Lepidoptera, Heredity, 9, 323-342, 1955.
CHAPITRE 3 DARWIN C. — Autobiographie, Belin, Paris, 1958. DARWIN C. — L’origine des espèces, Flammarion, Paris, 1992. DARWIN C. — Voyage d’un naturaliste autour du monde, Reinwald, Paris, 1883.
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Bibliographie
LAMARCK J.-B.-P.-A. — Philosophie zoologique, Engelmann, Paris 1960. LE GUYADER H., GÉNERMONT J. — L’évolution: une histoire des idées, Pour la Science, janvier 1997. MAYR E. — Histoire de la biologie, Fayard, Paris 1989.
CHAPITRE 4 Des ouvrages pour approfondir ➤ Éléments transposables
BAZIN C. et al. — Séquences d’ADN mobiles et évolution du génome. Pour la Science, janvier 1997. ➤ Duplication et gènes homéotiques
CHALINE J., MARCHAND D. — Quand l’évolution change le temps des êtres, La Recherche, 316, 1999. GILBERT S. F. — Biologie du développement, de Boeck Université, Bruxelles, 1996. ➤ Sélection naturelle
BAUCHAU V., LESSELLS K. — La sélection naturelle, principe nécessaire et suffisant, La Recherche, 296, 1997. ENDLER J. A. — Natural selection in the wild, Princeton University Press, 1986. ➤ Spéciation
BLONDEL J. — Biogéographie, approche écologique et évolutive, Masson, Paris, 1995. MAYR E. — Populations, espèces et évolution, Hermann, Paris, 1974. SKELTON P. — Evolution, a biological and palaeontological approach, Addison Wesley, The Open University, 1993. ➤ Génétique des populations
SOLIGNAC M., PÉRIQUET G., ANXOLABÉHÈRE D., PETIT C. — Génétique et évolution, Hermann, Paris, 1995. MAYNARD-SMITH J. — Evolutionnary genetics, Oxford University Press, Oxford, 1989.
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Autres références utilisées CAPY P. et al. — D’où viennent les gènes vagabonds? La Recherche, 307, 1998. ENDLER J.A. — Natural selection on color patterns in Poecilia reticulata, Evolution, 34, 76-91, 1980. GRANT P. — La sélection naturelle et les pinsons de Darwin, Pour la Science, janvier 1997. STRYER L. — Biochemistry, W.H. Freeman, New York, 1988. TaMaRa — Du nouveau sur l’origine des espèces, La Recherche, 291, 1996.
CHAPITRE 5 Des ouvrages pour approfondir ➤ Phylogénies
DARLU P., TASSY P. — La reconstruction phylogénétique: concepts et méthodes, Masson, Paris, 1993. PHILIPPE H. — Intérêts et limites des phylogénies moléculaires, Pour la Science, janvier 1997. TASSY P. — L’avènement de la cladistique, Pour la Science, janvier 1997. TASSY, P. — L’arbre à remonter le temps, Diderot, Paris, 1998. ➤ Écologie comportementale
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KREBS J.R., DAVIES N. B. — An introduction to behavioural ecology, Blackwell, Oxford, 1993.
Autres références utilisées D’ERCHIA
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FISHER A. — The genetical theory of natural selection, Oxford University Press, Oxford, 1930. FELSENSTEIN J. — Cases in which parsimony or compatibility methods will be positively misleading, Systematic Zoology, 27, 401-410, 1978. GRAUR D. et al. — Is the guinea-pig a rodent?, Nature, 351, 649-651, 1991. HENNIG W. — Phylogenetic systematics, University of Illinois Press, Chicago, 1979.
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PHILIPPE H. et al. — Que savons-nous de l’histoire évolutive des eucaryotes? L’arbre universel du vivant et les difficultés de la reconstruction phylogénétique. Médecine-Sciences, 11, 8, 1995. TASSY P. — Un arbre pas comme les autres, La Recherche, 296, 1997. WERREN J.H. — Sex ratio adaptations to local mate competition in a parasitic wasp, Science, 208, 1157-1158, 1980.
CHAPITRE 6 Des ouvrages pour approfondir ➤ Théorie neutraliste
KIMURA M. — La théorie neutraliste de l’évolution moléculaire, Pour la Science, janvier 1997. KIMURA M. — Théorie neutraliste de l’évolution, Flammarion, Paris, 1990. ➤ Contingence historique et contraintes du développement
GOULD S. J. — La vie est belle, Seuil, Paris, 1991. GOULD S. J., Lewontin R. — L’adaptation biologique, La Recherche, 139, 1982. GOUYON P.-H. — Le finalisme revisité, Pour la Science, janvier 1997. ➤ Niveau d’action de la sélection
ATLAN A., GOUYON P.-H. — Les conflits intragénomiques, MédecineSciences, 10, 1994. CHAPUISAT M., KELLER L. — Les fourmis sont-elles encore en froid avec Darwin?, La Recherche, 296, 1997. DAWKINS R. — Le gène égoïste, Odile Jacob, Paris, 1996. JAISSON P. — La fourmi et le sociobiologiste, Odile Jacob, Paris, 1993. ➤ ESS et paysages évolutifs
MAYNARD-SMITH, J. — Evolution and the theory of games, Cambridge University Press, Cambridge, 1982.
Autres références utilisées ATLAN A. — La guerre froide des chromosomes sexuels, La Recherche, 306, 1998. CARTON Y. — La coévolution, La Recherche, 202, 1988. COMBES C. — Parasitisme et évolution, Pour la Science, janvier 1997.
Bibliographie
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Glossaire
Allopatrique: qualifie une spéciation qui a lieu à cause d’une séparation géographique de population. Altruisme: comportement d’un individu qui augmente la fitness d’un ou de plusieurs autres individus aux dépens de la sienne. Anagenèse: Passage continu d’une espèce à une autre, descendance avec modification dans une lignée. Analogie: Des organes analogues sont des organes non apparentés, mais de fonction semblable. Les structures sont semblables, mais ne possèdent pas d’éléments fondamentaux communs. (synonyme: convergence) Ancêtre commun (à deux espèces): taxon hypothétique possédant tous les caractères communs à ces deux espèces, tous les caractères à l’état primitif d’un groupe d’espèces. Barrière de reproduction: mécanisme biologique qui empêche la reproduction entre individus de populations différentes, constituant par conséquent deux espèces distinctes. Caractère: tout attribut observable, qu’il soit moléculaire, anatomique, physiologique, morphologique… Cladisme: méthode de phylogénie basée sur l’étude des caractères pris individuellement et l’utilisation des seuls caractères dérivés partagés.
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Glossaire
Cladogenèse: formation de deux ou de plusieurs espèces à partir d’une seule espèce ancêtre. Cladogramme: arbre dichotomique phylogénique résultant d’une étude cladistique. Coévolution: évolution conjointe, apparition d’adaptations réciproques chez deux ou plusieurs espèces qui ont des interactions durables (parasitisme, prédation…) et constituent des pressions de sélection réciproques. Conflit évolutif: deux sortes de réplicateurs sont en conflit lorsqu’une meilleure transmission de l’un altère celle de l’autre. Convergence: voir analogie. Délétère: qualifie un allèle défavorable pour l’individu, et susceptible d’être contre-sélectionné. Dérive: la dérive provoque la fixation aléatoire des allèles dans des petites populations (par échantillonnage non représentatif des allèles). Agit plus particulièrement sur des allèles neutres mais peut s’opposer à la sélection. Diversité interspécifique: différences morphologiques, anatomiques, génétiques entre espèces. Diversité intraspécifique: différences, variabilité entre les individus au sein d’une espèce. Effet fondateur: modification profonde et rapide de la composition génétique d’un petit nombre d’individus par rapport à une population d’origine, sous l’effet d’un échantillonnage non représentatif et d’une évolution rapide à cause de la dérive. Endémique: se dit d’une espèce qu’on trouve seulement en une région du globe. Endosymbiose: symbiose dans laquelle l’un des organismes vit à l’intérieur des cellules de l’autre. Les eucaryotes auraient acquis leurs organites par endosymbiose avec des bactéries. Équilibres ponctués: théorie selon laquelle des phases de stabilité évolutive alternent avec des phases d’évolution rapide accompagnées de spéciation. Espèce: les espèces sont des groupes de population réellement ou potentiellement capables de se croiser et qui sont isolés des autres groupes ayant les mêmes propriétés (Mayr, 1942). État (d’un caractère): forme que peut prendre un caractère, peut être primitif ou dérivé.
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Glossaire
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Eusociété: société animale qui possède trois critères: générations chevauchantes, élevage des jeunes par coopération de plusieurs individus et absence de reproduction pour une partie des individus. Extinction: disparition d’une ou de plusieurs espèces, ou de tout autre taxon de rang supérieur. Peut aussi s’appliquer à des populations. Si elle touche une majorité d’espèces en un temps bref, l’extinction massive est qualifiée de crise. Fécondité: nombre de descendants laissé par un individu pendant une durée donnée. Fitness moyenne: moyenne des fitness des individus d’une population. Fitness: capacité individuelle à survivre et à produire des descendants (fécondité). Fixation: remplacement d’un allèle par un autre dans une population, lorsqu’il a atteint une fréquence 1. Flux de gènes: transfert de gènes entre populations par la dispersion des gamètes ou des jeunes, la migration des adultes. Gradualisme: conception d’une dynamique de l’évolution lente, procédant par accumulation continue de petites variations. Héritabilité: part de la variance phénotypique totale due à la variabilité génétique, équations au chapitre 4. Homéotique (gène): gène qui, s’il est muté, conduit à un phénotype mutant homéotique, d’un point de vue fonctionnel. En général, ces gènes spécifient la formation et la localisation des organes. Homéotique (mutant): mutant portant un organe fonctionnel mais situé à la mauvaise place (patte à la place des antennes, par exemple). Homologie: des organes homologues sont des organes apparentés, présentant des éléments structuraux communs, n’ayant pas nécessairement la même fonction. Homoplasie: ensemble des convergences et des régressions qui constituent un bruit pour la reconstitution des phylogénies. Horloge moléculaire: hypothèse selon laquelle une molécule donnée évolue à la même vitesse dans toutes les lignées. Interfécondité: deux individus sont dits interféconds s’ils peuvent se reproduire et former des hybrides non stériles. Caractérise les individus d’une même espèce. Isolement reproductif: voir barrière de reproduction.
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Glossaire
Macroévolution: évolution au-delà du niveau de l’espèce: apparition et disparition des espèces au sein des genres, des familles…, changement de formes des organismes, description et processus. Monomorphisme: une population est monomorphique si elle ne possède qu’une seule forme d’un caractère (un allèle à un locus, par exemple). Monophylétique (groupe): ensemble composé d’un ancêtre commun et de toutes les espèces qui en descendent. Norme de réaction: intervalle de variation d’un caractère (phénotype) codé par un génotype donné et mis dans des environnements différents. Représentée par le graphe: valeur du caractère en fonction du paramètre de l’environnement (longueur de l’aile d’une drosophile en fonction de la température par exemple) Pangamie: rencontre et fécondation au hasard des gamètes. Panmixie: rencontre et accouplement au hasard des individus. Parcimonie (principe de): principe utilisé en cladistique, selon lequel le critère de choix entre plusieurs arbres est de minimiser le nombre de transformations évolutives nécessaires pour décrire un arbre. Phénétisme: Méthode de systématique phylogénétique basée sur le calcul d’un indice global de différence (distance) entre les espèces ou de similitude. Phylogénie: méthode systématique de construction d’arbres évolutifs montrant les relations entre un ancêtre commun et les espèces qui en dérivent. Plasticité phénotypique: pour un génotype donné, le phénotype réalisé peut varier en fonction des conditions environnementales dans les limites de la plasticité phénotypique, représentée par une norme de réaction. Polymorphisme: lorsqu’un trait phénotypique existe sous plusieurs états ou qu’un gène a plusieurs allèles. Un locus est dit polymorphique si on y trouve plusieurs allèles dont le plus représenté a une fréquence inférieure à 95%. Polyploïdie: lorsqu’un individu possède plus de deux jeux de chromosomes. Le polyploïde a un nombre de chromosomes multiple du nombre haploïde (n) et supérieur à 2. Population: ensemble d’individus de la même espèce, limité dans l’espace, même si la taille et la nature de la zone sont définis arbitrairement pour l’étude.
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Radiation: période de diversification intense pour un groupe, par augmentation du nombre d’espèces, les Mammifères eu début du Tertiaire, par exemple. Réplicateur: toute entité qui a la propriété de faire des copies d’ellemême avec plus ou moins d’erreurs. Similitude (indice de): indice synthétique représentant le degré de ressemblance global entre deux espèces, utilisé pour les phylogénies phénétiques. Spéciation: formation d’une ou de plusieurs nouvelles espèces à partir d’une autre. Stratégie évolutivement stable (ESS): stratégie qui, si elle est adoptée par l’ensemble des individus de la population, ne peut être envahie par aucune autre. Sympatrique: se dit d’une spéciation qui se déroule avec coexistence dans un même lieu des deux populations. Symplésiomorphie: caractère partagé mais primitif. Synapomorphie: caractère dérivé, partagé. Taux d’évolution (vitesse d’évolution): nombre de mutations fixées par unité de temps et de longueur de molécules (par gène, par site ponctuel) Trade-off: la quantité d’énergie disponible pour un individu est limitée. Aussi si l’allocation pour une des composantes (survie, par exemple) de la fitness augmente et induit un bénéfice, elle provoque aussi un coût sur une autre composante (fécondité, par exemple). Valeur sélective: voir Fitness.
Index
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A Acritarches 8, 24 adaptation 51 à une fonction 38 au milieu de vie 31 définition 39, 43 réciproque 152 allèle neutre 130 Ambystoma mexicanum 137 ammonites 154 anagenèse 155, 157 analogie 39 Archaeopteryx 17-19, 24, 25 axolotl 137
B barrières reproductives 102, 104 Biston betularia 40 Burgess 8, 11-14, 24, 137, 139
C Carcinus maenas 125 casse-noix 152, 153
Certhia familiaris 103 brachydactyla 104 Chordé 14 cladogenèse 155, 157 coévolution 151-153 Columba livia 65 comportement altruiste 142, 144, 145 égoïste 142 conflits évolutifs 145 continent des vieux grès rouges 15, 24 contingence 138-140, 162 convergence 39, 108, 114, 116, 117, 120, 140 crise 21-23 Crétacé/Tertiaire 20, 24 Cyanobactéries 7, 9
D Darwin 62-66, 68-70, 102, 142, 153, 162 Dawkins 140, 141
184
Index
dérive 93, 131-135 dilemme du prisonnier 149 disparité 13 distorteur de ségrégation 145 diversité 60 de l’ADN 47 des membres locomoteurs 33 des protéines 43 explosion de 13, 23 interspécifique 38, 40, 56, 59, 68 intraspécifique 43, 47, 65 membres de Vertébrés 39 moléculaire 43 spécifique 56 Dobzhansky 70, 134, 161 duplication 80-85
E Ediacara 8-11, 24 effet fondateur 104, 105, 135 Ehrlich 151, 152 Eldredge 155-157 électrophorèse 43-45, 47, 48, 72, 109, 130 élément transposable 76-81, 85 endosymbiose 8, 9 enzyme de restriction 47 équidés 27-32 équilibre de Hardy-Weinberg 94, 96, 131, 134, 147 équilibres ponctués 153, 155 Escherichia coli 8, 47, 109, 161 ESS 148-151 eusociété 143 extinction 20, 56, 57, 138, 139
F famille multigénique 81, 83 fauvette à tête noire 126 Fisher 122, 124, 150, 151 fitness 98, 104, 124, 149, 150 fonction de 150 inclusive 143 moyenne de la population 147
fixation 93, 131, 132 des allèles 93 fréquence allélique 46, 50, 51, 93-97, 131, 133, 135, 147 génotypique 46, 95
G Garrulus glandarius 103 geai des chênes 103 gène égoïste 126, 140 homéotique 82, 83, 157 génération spontanée 60, 61 Geoffroy Saint-Hilaire 38 Gould 11-13, 136-139, 155-157, 161 gradualisme 69, 153-155 grimpereau des bois 103 des jardins 104 groupe monophylétique 108 guppies 90-93, 101, 124
H Hamilton 143, 144 Heliconius 151-153 Hennig 117, 118 hérédité apprentissage et 87 des caractères acquis 58, 59 mécanismes 85 héritabilité 87-91 homologie 38, 39, 108, 110, 116, 117 horloge moléculaire 113, 116, 130
I Ichthyostega 16 interfécondité 65, 102, 103, 154 iridium 21, 22 isolement reproductif 102, 105 isotope 2
K Kettlewell 42 Kimura 129, 130
Index
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L Lamarck 54-61, 68, 69 Lewontin 43, 51, 136, 161 Linné 102, 107 loi de l’hérédité 68 de Malthus 66, 68 lutte pour l’existence 66
M
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Maynard Smith 8, 148, 149 Mayr 70, 102, 135, 156 McClintock 76 Megaloceros 101 mélanisme industriel 40 membre chiridien 33, 34, 38, 39 minéralisation 11 monomorphisme 97 mutation délétère 78 faux-sens 74 impact évolutif 74 neutre 130 non-sens 74 ponctuelle 71-73, 75, 80 récessive 75 réverse 76 silencieuse 74, 130 somatique 75 spontanée 73 taux 73, 80, 113, 132
N Nucifraga caryocatactes 152
O organites 9, 86
P Passiflora 151 passiflores 152, 153 paysage adaptatif 146-148 Phacops 155, 156 phalène du bouleau 40, 41, 51 pin arole 152, 153
pinsons des Galápagos 62-64, 88, 89, 105 Pinus cembra 152 plasticité phénotypique 59, 87, 88 Poecilia reticulata 90 polymorphisme 43, 51, 130, 132, 133 au niveau de l’ADN 47, 49 de longueur des fragments de restriction 49 génétique 93 locus 46, 98 moléculaire 130 population 46 quantifier 46, 50 Polyploïdie 106 Précambrien 1, 3, 7, 9, 25, 161 principe de parcimonie 119, 120 des connexions 38
R radiation 23, 24, 105, 138 recombinaison 79-82, 86, 141, 162 Reine rouge (modèle) 152 réplicateur 140, 141, 145 Rhynia major 15, 16 Rhynie 14
S saturation 114 sélection 74, 87, 93, 96, 126, 130, 133, 135, 141, 142 artificielle 65, 66, 90 de groupe 99 de parentèle 142-145 fréquence dépendante 123 mise en évidence 90 modes d’action 100 naturelle 66-69, 90, 92, 148 niveau d’action 140, 145 pression de 68, 91, 93, 101, 104, 123, 152 sexuelle 101 sex-ratio 122, 123, 150, 151
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Index
spéciation 101, 102 allopatrique 103, 104, 155, 157 sympatrique 105, 155 stromatolithes 5-7, 14, 24 Sylvia atricapilla 126 symplésiomorphie 117 synapomorphie 117, 118
T théologie naturelle 54, 62 théorie des jeux 126, 148, 150 neutraliste 129 synthétique 69 Tinbergen 121
trade-off 93, 124, 146
U UPGMA 112, 113
V valeur sélective 96, 98, 99, 101, 124, 141-143, 146 van Valen 152 variabilité entre les individus 43 entre les populations 50 géographique 103 phénotypique 40
xw<<x<wx<wx
048201 - (II) - (0,5) - OSB 100° - TYP - CHD Achevé d’imprimer sur les presses de SNEL Grafics sa Z.I. des Hauts-Sarts - Zone 3 Rue Fond des Fourches 21 – B-4041 Vottem (Herstal) Tél +32(0)4 344 65 60 - Fax +32(0)4 289 99 61 septembre 2006 — 38837 Dépôt légal : mai 2003, suite du tirage : septembre 2006 Dépôt légal de la 1re édition : octobre 1999 Imprimé en Belgique
SCIENCES SUP Francine Brondex
ÉVOLUTION Synthèse des faits et théories Cet ouvrage présente l’ensemble des connaissances relatives à l’Évolution, abordées dès les premières années d’études universitaires (Licence SV/ST, classes préparatoires BCPST). L’auteur décrit les faits, puis les mécanismes, de l’évolution en s’appuyant sur une démarche expérimentale. Les principes et les grandes théories sont ainsi mis en évidence, expliqués et discutés, sur la base des acquis les plus récents. Le cours est illustré de nombreuses figures, d’exemples et de rappels historiques sur la genèse d’une découverte. Il est complété par des questions de révision, accompagnées d’éléments de réponse. En fin d’ouvrage, un glossaire regroupe les définitions des termes les plus importants.
FRANCINE BRONDEX agrégée de sciences de la Vie et de la Terre (École Normale Supérieure, Ulm), est professeur en classes prépas vétérinaire au lycée Masséna de Nice.
MATHÉMATIQUES
PHYSIQUE
CHIMIE
SCIENCES DE L’INGÉNIEUR
INFORMATIQUE
SCIENCES DE LA VIE
SCIENCES DE LA TERRE
ISBN 2 10 008201 9
http://www.dunod.com