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DANS LA MÊME COLLECTION
Guide du vin, Librio no 396 Les élections, mode d 'emploi, librio no 522 Dieux et héros de la mythologie grecque, Librio n° 593 Fêtes et célébrations. Librio n° 594 Le vin et ses plaisirs. Librio no 603 La généalogie, mode d'emploi, Librio no 606 Génération manga, Librio n° 619 Dictionnaire des instruments de musique, Librio n° 620 Les rois de France. Librio n° 650 Guerres et conflits du XJt!' siècle, Librio no 651 Dieux et pharaons de l'Égypte ancienne, Librio no 652 Séries télé, Librio no 670 Abrégé d'histoire de l'art. Librio no 714
Bernard Klein
Histoire romaine De la légende d'Énée à la dislocation de l'Empire
$brio Inédit
Cartographe : Carl Voyer
© E.J .L., 2005
Sommaire Introduction ..... ... ................. ............................... .........
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1. Légendes et histoire des origines de Rome .. ... .. .
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1) La légende d'Énée et des Troyens, ancêtres des Romains ............................................................... 2) La légende de Romulus, fondateur de Rome ... 3) La Rome des rois (vmc-v1c siècle) ............. .........
10 12 15
II. La République et les citoyens romains .. ... ... .. ... .
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1) Les conflits entre les patriciens et les plébéiens (509-367) .............................................................. 2) S.P.Q.R: les institutions du Peuple romain (mer:• siècle) .............. ......... ........................ ....... ... ... ... 3) :Ë.tre citoyen dans une République aristocratique (JV'-Ier siècle) ........................................ ......... 4) Les Romains et leurs dieux ...............................
21
Ill. La République conquérante (V:-Ier siècle) .........
39
1) L'émergence d'une puissance régionale (509272) ...................................................................... 2) Le duel Rome-Carthage (272-201) .................... 3) La naissance d'un empire (201-50) ................... 4) L'armée romaine ................................................. 5) La force de mobilisation romaine .. ........... ... ..... 6) Une culture virile et militaire ............................
42 40 43 47 48 50
IV. Le dernier siècle de la République (133-30) ....
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1) La prospérité de l'Italie romaine ....................... 2) Mutations sociales et culturelles ............... ........
53 55
18
27 33
5
3) L'amorce d'une crise sociale et politique ......... 4) Les Gracques (133-121) ... ... .. ... ... ... .. . .. ... ... ... .. ... .. 5) Le temps de Marius et Sylla {121-78) ... ..... ... ....
6) Le temps de Pompée et de César (78-50) ......... 7) La guerre civile et la dictature de César (49-44) 8) Le second triumvirat et le triomphe d'Octave
57 58 60 62 66
(44-30) ··································································
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V. L'Empire et les empereurs ...................................
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1) Auguste fondateur du « principat » (29 av. J.-C.14 apr. J.-C.) ........................................................ 2) La succession impériale (14-235) ...................... 3) Le pouvoir impérial ............................................ 4) Les élites et le pouvoir ....................................... 5) La vie politique sous l'Empire ...........................
71 75
77 79 82
VI. L'Empire-monde ..................................................
83
Organisation et administration de l'Empire ..... L'intégration des vaincus ................................... La «romanisation» et la vitalité des cités ....... Rome, capitale du monde .................................. La défense de l'Empire .. ........... ............ ........ ... ...
83 88 91 93 96
1) 2) 3) 4) 5)
VII. Crise et redressement de l'Empire romain (235-395) .. ........ ... .... ..... ... ... .. ...... ... ..... .... ....... ... ....
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1) De nouveaux périls extérieurs et la défense de l'Empire .. .. .. .. .. ... .... ... .. .. ... .. .. .. ... ........... ... ..... ... ..... 99 2) Un nouveau style de gouvern ement .................. 102
3) Les réformes et les changements de société .. .. 105 4) La christianisation de l'Empire .........................
108
Conclusion : chute ou survie de l'Empire romain ? (395-476) ......................................................................
111
Annexes ...................................................................... .. Chronologie .................................................................. Index des noms propres et des notions ................... .. B'bl. 1 1ograph'1e .............................................................. ..
115 117 123 126
Introduction
Longtemps la lecture de Cicéron, de Tite-Live, d'Ovide, de Virgile, de Sénèque, de Tacite, de Suétone ou de Plutarque a nourri la réflexion e t l'imaginaire des Européens. L'histoire de Rome a été une réserve inépuisable d 'exemples contradictoires: idéal du civisme, modèle de République mais aussi de régime a utoritaire, admiration pour la rigueur du droit romain ou les idées « révolutionnaires» . Certains personnages réels ou légendaires de cette histoire ont inspiré poètes, dramaturges, peintres ou hommes politiques, tels Didon et Énée, les Sabines, Brutus, les Gracques, Spartacus, César et Cléopâtre, Titus et Bérénice. D'au tres, comme Caligula ou Néron, suscitent encore des échos plus ou moins scand aleux, sans parler des images persistantes comme les jeux du cirque forcément « cruels » ou les orgies forcément «romaines». Au-delà de ces clichés, l'histoire de Rome, tout comme le latin et le grec, disparaît pourtant peu à peu de no tre horizon culturel et n'est plus ce réservoir de modèles ou de contre-m odèles qu'elle a longtemps été. L'Histoire elle-même a cha ngé ses méthodes et son approche : ce sont les caractères spécifiques de Rome qui font l'objet du travail des historiens, sans jugement de valeur, du moins en p rincipe. Malgré tout, se pencher sur cette histoire romaine peu t encore susciter l'intérêt, ne serait-ce que la constitution d'un empire qui a réussi l'intégration des vaincus, non que cet empire soit un « modèle » à suivre, en ces temps d e mon-
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dialisation et de construction européenne, mais il offre au moins matière à réflexion. Dans le cadre de cet ouvrage, nous n'aurons évidemment pas l'ambition d'exposer tous les aspects d'une histoire qui court sur plus de mille ans. Nous tenterons d'en éclairer quelques-uns : les origines légendaires, la nature et le fonctionnement des institutions sous la République et sous l'Empire, les causes du succès des conquêtes et du maintien dura ble d'un empire immense. Nous insisterons davantage sur une période clef de l'histoire romaine qui voit la chu te de la République et son remplacement par le régime impérial.
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Légendes et histoire des origines de Rome
À la fin du rer siècle av. J.-C. 1, sous le règne d'Auguste, deux grands écrivains latins évoquent à leur manière les origines de Rome. Tite-Live écrit sa grande histoire romaine, Ab Urbe condita ( « Depuis la fondation de la Ville ») : ses premiers livres sont consacrés à la fondation de Rome par Romulus et à l'histoire de ses modestes débuts. De son côté, Virgile compose son épopée, L'Énéide, qui raconte les aventures du héros troyen Enée venu en Italie. Ces œuvres, écrites plusieurs siècles après les faits qu'elles prétendent évoquer, mêlent des éléments propres aux Romains et aux Latins et d'autres empruntés aux Grecs. Les légendes romaines font de Rome une colonie d'Albe la Longue et de Romulus le fondateur de la Ville en 753 2• Les légendes inspirées des Grecs font des Romains les descendants des Troyens, menés en Italie par Énée, après la prise de Troie datée par les Grecs de 1193 ou 1184. Énée y aurait fondé Lavinium et son fils, Albe la Longue. Les deux légendes sont ensuite associées. Romulus est en effet un fils d'un roi d'Albe: les Romains en font tantôt le petit1. Les dates jusqu'à Auguste (27 av. J.-C.) seront entendues comme avant J.-C., les dates après la mort d'Auguste (14 apr. J.-C.) seront comprises comme après J.-C., sauf indications contraires. 2. Ce n'est que l'une des dates retenues par les Anciens. Dans la suite, nous conserverons les datations traditionnelles qui viennent essentiellement de Tite-Live, bien qu'eUes soient souvent douteuses jusqu'au v< siècle au moins.
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fils d'Énée, tantôt son descendant plus lointain pour mieux respecter la chronologie, puisque quatre siècles séparent Énée de Romulus ... La légende d'Énée est d'actualité au temps d'Auguste. Comme fils adoptif de Julius Cresar (Jules César), Auguste appartient à la famille patricienne des Julii qui prétend descendre d'un certain Iule, fils d'Énée et petit-fils de Vénus. Maître du pouvoir à Rome, Auguste appuie sa propagande sur cette merveilleuse filia tion. Cependant la légende d'Énée a été introduite à Rome depuis bien longtemps, au moins depuis le IV' siècle, quand Rome entre en contact direct avec les cités grecques d'Italie du Sud. Pour les Romains, se rattacher à une légende grecque est un moyen d'affirmer une parenté entre Grecs et Romains. Comme le monde grec a été conquis par Rome, les Grecs eux-mêmes adoptent l'idée que les Romains sont leurs parents, ce qui permet de mieux admettre leur soumission. C'est l'objet d'un ouvrage du Grec Denys d'Halicarnasse, lui aussi de l'époque d'Auguste, entièrement consacré à démontrer que les Romains sont en fait des Grecs et non des Barbares.
1) La légende d'Énée et des Troyens, ancêtres des Romains Énée appartient à la fam ille royale de Troie. Il est le fils de la déesse Vénus et d'Anchise, lui-même petit-fils de Zeus. Lorsque Troie est prise par les Achéens, Énée fuit sa patrie sur l'ordre de Vénus. Il emmène son fils Ascagne (appelé Iule par Virgile) et porte son vieux père Anchise sur ses épaules, ce qui fait de lui le modèle de la piété à l'égard des dieux et de la piété filiale. Énée emporte aussi les statues des Pénates et de Pallas-Athéna, les protecteurs des Troyens. Ces objets sacrés doivent rendre aux Troyens la domination sur le monde. Les Romains prétendent les conserver dans leur temple de Vesta, la déesse protectrice du foyer de la cité. Avant d'arriver en ItaHe, Énée er re de longues années sur la mer, ses îles et ses rivages. Débarqué en Afrique, il est accueilli par Didon, reine de Carthage. Ds tombent
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amoureux mais Énée doit repartir sur l'ordre de Jupiter. Désespérée, Didon le maudit avant de se suicider et la déesse Junon, protectrice de Carthage, prend parti contre le héros troyen. Énée se rend ensuite en Sicile puis en Italie, à Cumes, une cité grecque. Il y rend visite à la Sibylle, la prophétesse d'Apollon. Grâce à elle, il descend aux Enfers où il peut revoir son père Anchise, mort entretemps. Celui-ci lui montre les âmes des futurs grands hommes de l'histoire de Rome, cité destinée à conquérir le monde: « D'autres [que les Romains) sauront, avec plus d'habileté, assouplir et animer l'airain et, je le crois volontiers, tirer du marbre des statues vivantes, mieux f aire les plaidoiries, et mieux décrire au compas le mouvement des cieux et dire le cours des constellations. Toi, Romain, souviens-toi de régi r les peuples sous ton Empire : tes arts à toi seront d'imposer les conditions de la paix, d'épargner les vaincus et de dom pter les orgueilleux. » Virgile, Énéide, VI, 848-853
Énée repart pour ses pérégrinations. TI arrive enfin au Latium où il rencontre Latinus, le roi des Latins. Il épouse sa fille Lavinie, mais ce mariage rend furieux Turnus, roi des Rutules et prétendant de Lavinie. Il s'attaque à Latinus et Énée, avec de nombreux alliés. Énée est inquiet, mais le dieu Tibre lui apparaît en songe pour le rassurer : « ô rejeton de la race des dieux, toi qui nous ramènes la ville de Troie sauvée de l'ennemi [ ... ),voici sur le sol laurentin et dans les terres latines qui t 'attendaient, la demeure qui t'était fixée. [... )Apprends que tu vas trouver, sous les yeuses du rivage, une truie énorme, avec les trente petit s qu'elle a mis au monde, couchée, toute blanche, sur le sol, et ses bla ncs nourrissons autour de ses mamelles. Ce sera là l'emplacement de ta ville, le t erme fixé à tes fatigues, c'est là qu'au bout de trois fois dix ans, Ascagne fondera Albe au nom clair. ))
Virgile, Énéide, VIII, 37-50
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Énée voit en effet la truie et comprend que sa destinée est presque accomplie. Le sol laurentin est le territoire de Lavinium qu'il doit fonder et les trente petits cochons évoquent les peuples latins au nombre de trente eux a ussi. Il passe alors par le site de la future Rome: il y trouve des Arcadiens, d'autres Grecs installés sur le Palatin dont il fait ses a lliés. Vénus lui vient au ssi en aide : elle demande au dieu forgeron Vulcain de lui fabriquer une armure et un magnifique bouclier dont le décor évoque les succès des Romains et du futur Auguste. La guerre est pleine de péripéties. Au cours d'une ultime bataille, Énée est blessé d'une flèche à la cuisse que son fidèle médecin Iapix ne parvient pas à soign er . Vénus accourt lui apporter une herbe miraculeuse qui le guérit. Le comba t reprend et Énée tue Turnus. Enfin victorieux, il peu t fonder Lavinium, dont le nom honore son épouse. À son tour, son fils Ascagne-Iule fonde Albe la Longue qui devient la capitale des trente peuples latins. Tre ize rois succèdent à Ascagne. Le dernier d'entre eux, Amulius, prend le pouvoir en chassant son frère Numitor. Il tue les fils de Numitor et impose à sa fille Rhéa Silvia de devenir prêtresse de Vesta, et donc de rester vierge. Mais Rhéa Silvia, « visitée » par le dieu Mars, met au monde des jumeaux, Romulus et Remus. C'est ainsi que les légendes d'Énée et de Romulus sont reliées.
2) La légende de Romulus, fondateur de Rome Quoique incrédule lui-même, Tite-Live nous raconte comment les jumeaux furent sauvés d'une mort presque certaine: « [Amulius] donne l'ordre d'enchaîner la prêtresse [Rhéa Silvia], de la mettre en prison et de jeter ses enfants dans le courant du fleuve. Par un hasard providentiel, le Tibre était
en crue et s'étalait en nappes d'eau dormantes ; le lit régu lier du fleuve était inaccessible mais les porteurs crurent que ces eaux stagnantes étaient suffisantes pour noyer les nouveaunés. lis s'imag inent donc exécuter l' ordre du roi, en déposant les enfants dans la première étendue d'eau venue, à l'endroit
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où se trouve aujourd 'hui le figuier de Rumina, qui aurait porté, dit-on, le nom de Romulus. L'endroit était alors désert et inhabité. Selon la légende, le berceau où les enfants étaient exposés commença par f lotter puis s'immobilisa quand l'eau se reti ra ; une louve, que la soif avait fait descendre des collines voisines, accourut vers eux, attirée par les cris des enfants ; se couchant, elle leur présenta délicatement ses mamelles, si bien que le berger du roi - du nom de Faustulus rapporte-t -on - la trouva en train de les lécher. JI les emmena à sa bergerie et les donna à élever à sa femme Larentia . D' autres prétendent que Larentia était une prostituée, sUrnommée la "louve" par les bergers: ce serait l'origine de la légende miraculeuse. » Tite-Live, Histoire romaine, 1, 4, 3-8
Romulus et Remus sont élevés par mi les bergers. Un jour, on leur révèle leur origine royale : aussitôt, ils éliminent Amulius et rétablissent leur grand-père Numitor sur le trône d'Albe. Mais Albe est trop peuplée : les jumeaux décident alors de partir fonder une nouvelle ville sur les lieux de leur enfance. Mais lequel des deux en sera le fondateur et le roi ? «Comme ils étaient jumeaux et qu 'on ne pouvait les départager en fonction de l'âge, les jeunes gens vou lurent que les dieux protecteurs des lieux désignassent, par le vol des oiseaux, celui qui donnerait son nom à la ville nouvelle et qui régnerait sur la ville, une fois qu' elle serait fondée ; pour observer les oiseaux, Romulus se plaça sur le Palatin, Remus sur l'Aventin. D'après la tradition, Remus fut le premier à constater un augure 1 sous la forme de six vautou rs ; la nouvelle s' en répandait déjà quand le double se montra à Romulus. Chacun d'eux fut proclamé roi par ses partisans. Les uns faisaient valoir la priorité dans le temps, les autres le nombre des oiseaux pour revendiquer la royauté. On discute, on en vient aux mains ; la colère monte et dégénère en lutte meurtrière. Dans la bagarre, Remus tomba, blessé
1. Équivalent d'auspices : ce sont les signes envoyés par les dieux, sous la form e de vols d'oiseaux. Venant de gauche (si nister), le présage est défavorable ; venant de droite, il est favorable.
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à mort. Il existe une autre version des faits plus répandue : pour se moquer de son frère, Remus aurait franchi d'un saut les murailles qu'il venait d'élever. Romulus l'aurait tué sous le coup de la colère, en ajoutant cet avertissement : " qu'il en soit de même à l'avenir pour tout homme qui franchira mes murailles! " Romulus resta donc seul maître du pouvoir et la ville, une fois fondée, prit le nom de son fondateur. »
Tite-Live, Histoire romaine, 1, 6, 4 - 7, 2
Romulus fonde sa ville sur le Palatin. ll en a tracé la limite sacrée, à l'aide d'une chanue: cette limite est le pomérium, que nul ne peut franchir armé, comme le montre le sort de Remus. Afin d'accroître la population, Romulus crée un asile sur la colline du Capitole pour y attirer criminels et esclaves fugitifs. Une foule d'hommes se rassemblent, mais il faut encore leur fournir des épouses. Les peuples voisins, sollicités, refusent d'accorder leurs filles à cette bande inquiétante. Romulus imagine une ruse : à son invitation, les Sabins viennent assister à un spectacle de courses de chevaux au Grand Cirque. Les Romains en profitent pour enlever par surprise les filles des Sabins et ils les convainquent de les épouser. Furieux, les Sabins, sous les ordres du roi Titus Tatius, attaquent Rome, prennent le Capitole alors que les Romains tiennent toujours le Palatin. Une bataille s'engage dans la plaine intermédiaire, le site du futur forum romain : voulant empêcher leurs parents et leurs maris de s'entre-tuer, les Sabines accourent et s'interposent entre Romains et Sabins. Émus par ces femmes, les combattants font la paix et les deux peuples décident de s'unir : Romulus et Titus Tatius règnent conjointement sur Rome. Après avoir établi les premières institutions de Rome et longuement guerroyé avec les voisins de Rome, Romulus disparaît au cours d'un orage au champ de Mars. Les Romains pensent qu'il est monté au ciel et devenu dieu sous le nom de Quirinus. Sa cabane sur le Palatin est pieusement conservée jusqu'à l'époque d'Auguste, du moins les Romains l'identifient-ils ainsi. Toutes ces légendes font partie de l'identité romaine, telle qu'elle se dessine progressivement à partir du W: siècle et se cristallise dans les œuvres littéraires du 1er siècle. En 14
ce sens, elles sont aussi « historique».
«
réelles » que n'importe quel fa it
3) La Rome des rois (vuf-vf si ècle)
Selon la tradition romaine, trois rois d'origine romaine ou sabine succéderaient à Romulus : Numa Pompilius, un Sabin qui est le fondateur du calendrier et des principales institutions religieuses ; Tullus Hostilius qui mène de nombreuses guerres et détruit Albe ; enfin, Ancus Martius qui fixe les règles de la guerre juste. Ensuite viendraient trois rois étrusques : Tarquin l'Ancien ; Servius Tullius qui réforme de fond en comble les institutions et l'organisation du peuple ; enfin, Tarquin le Superbe, le dernier roi de Rome. Aussi bien le nom des rois, leur nombre que le contenu de leur œuvre sont sujets à discussion. L'archéologie et une nouvelle manière d'étudier les sources littéraires ont cependant permis de mieux interpréter tous ces récits, élaborés plus tôt qu'on ne le pensait. La situation de Rome en Italie explique aussi les influences multiples qui s'y croisent. Elle se trouve au contact de quatre aires de civilisation :
Le Latium Rome appartient à la ligue des trente peuples latins don t elle partage la langue. lls célèbrent un culte commun à Jupiter: son temple se situe da ns les monts Albains, là où les légendes placent Albe la Longue. Cette subordination à une confédération explique que les Romains se soient imaginé qu'Albe était plus ancienne que Rome. lls l'ont donc considérée comme leur métropole 1, alors qu'il n'y a sans doute jamais eu de ville à Albe mais seulement un san ctuaire confédéral. Les Latins développent à peu près au même moment que les Étrusques, à partir du VIlle siècle, une civilisation fondée sur l'agriculture et sur des centres 1. Cité mère qui envoie un groupe de ses citoyens fonder une nouvelle cité, appelée colonie.
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urbains. Ces villes s'organisent en cités 1 , avec un roi ou des magistrats et un peuple de citoyens. Des fouilles récentes· au nord du Palatin laissent penser que Rome a pu être un centre urbain important dès la fin du vme siècle, c'està-dire à peu près à la date de la fondation légendaire de Rome par Romulus. Le monde sabin
Rome est en relation directe avec le monde sabin des Apennins. Les Sabins, qui font partie du groupe des peuples samnites et ombriens, restent des peuples de pasteurs sans villes importantes. Ils ont besoin du sel, nécessaire à l'élevage, que l'on trouve à l'embouchure du Tibre près d'Ostie. La route qui va des montagnes aux salines, la via salaria, passe par Rome où elle franchit le Tibre. Les contacts, tantôt belliqueux, tantôt pacifiques, entre Romains et Sabins, trouvent un écho dans les légendes des Sabines et de Titus Tatius. L'Étrurie L'Étrurie commence au-delà du Tibre et les cités étrusques de Caeré, Tarquinia et Véies sont les voisines de Rome. Aux VIf et VIe siècles, les Étrusques, unis dans une confédération de douze villes, étendent leur domination vers le sud jusqu'en Campanie. Ils soumettent Rome et une partie du Latium. Or l'archéologie montre que le site de Rome connaît une évolution décisive au moment où les Romains sont dirigés par les trois rois étrusques (de 616 à 509). Un grand égout à ciel ouvert, la cloaca maxima, draine la zone marécageuse entre le Palatin et le Capitole; le forum y est aménagé à la fin du VIf siècle comme centre politique, avec la regia (la maison du roi), une zone cultuelle et un lieu destiné au sénat et à l'assemblée du peuple. Au cours du VIe siècle, une immense muraille est édifiée. La superficie de la ville est alors de 400 hectares,
la plus vaste d'Italie. La tradition en attribuait la construc1. Une cité est un État, formé d'une communauté organisée de citoyens. Celle-ci est établie sur un territoire dont le centre politique et religieux est une ville.
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tion au roi Servius Tullius. Des temples monumentaux de type étrusque sont élevés au pied du Capitole, avant celui de Jupiter sur la colline elle-même. L'art de Rome est alors inspiré de l'art étrusque, lui-même influencé par les Grecs. Les Romains empruntent également l'alphabet étrusque. La chronologie traditionnelle coïncide donc avec des transformations urbaines importantes. Voilà pourquoi les Romains ont pensé que leurs rituels de fondation (prise d'auspices et tracé du pomérium) leur ont été transmis par les Étrusques alors que l'Étrurie et le Latium ont évolué en même temps.
Le monde grec Enfin, Rome n'est qu'à une vingtaine de kilomètres de la mer : comme le monde étrusque, elle a été très tôt ouverte à l'influence directe des Grecs qui fondent leurs premières colonies en Italie du Sud au début du VIif siècle. La période étrusque est donc très faste pour les Romains. Rome a alors une organisation civique complexe, avec un sénat, une assemblée populaire et un roi qui cumule les pouvoirs religieux, militaires et politiques. Mais le dernier roi, Tarquin, dit le Superbe O'orgueilleux), se serait montré tyrannique. La chute de la royauté nous est racontée par les Romains comme la conséquence d'une affaire de mœurs dans la famille royale. La jeune Lucrèce est violée par Sextus, le fils du roi Tarquin. Elle se suicide, après avoir fait promettre à son époux Tarquin Collatin de la venger. Collatin et quelques aristocrates, dont Junius Brutus, chassent Tarquin en 510. Us proclament la Liberté et la République : les deux hommes en auraient été les deux premiers consuls en 509. Le titre de roi sera désormais synonyme de tyrannie à Rome. La même année le temple de Jupiter sur le Capitole est achevé : il sera le dieu protecteur de la République.
II
La République et les citoyens romains 1) Les conflits entre les patriciens et les plébéiens (509-367)
L'histoire des deux premiers siècles de la République repose encore sur les récits très tardifs de Tite-Live et de Denys d'Halicarnasse. Elle est pleine de péripéties et de luttes internes, dont le détail est souvent douteux et sujet à des discussions acharnées entre spécialistes. Nous nous contenterons ici d'expliquer les principes fondateurs de la République romaine et de ses institutions. Les patriciens au pouvoir La chute de la royauté à Rome s'est traduite par la transmission des pouvoirs du roi à des magistrats élus annuellement par le peuple : la République ·(res publica) est en effet littéralement la« chose du peuple». Le peuple romain (populus) comprend alors deux catégories de citoyens: les patriciens et les plébéiens. Les patriciens sont les descendants des patres, les membres du sénat de l'époque royale, auxquels s'adjoignent encore quelques familles au ye siècle. Chaque famille forme une gens 1 qui comprend aussi un grand nombre de dépendants, les clients, lesquels cultivent les terres des patriciens. L'autre partie de la population romaine est formée des plébéiens, exclus de l'exercice du pouvoir. Ces plébéiens sont les citoyens qui n'appartien1. Famille au sens large qui comprend Lous ceux qui portent le même gentilice (le nom de famille).
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nent pas au patriciat : ce sont, pour la plupart, de petits propriétaires qui cultivent eux-mêmes leurs terres, les autres vivant à Rome de l'artisanat. Aux débuts de la République, les patriciens monopolisent les magistratures, notamment le consulat 1• Ils prétendent aussi être les seuls à maîtriser le droit, qui est oral, et à pouvoir exécuter les rites religieux. Les débuts de la République sont marqués par les revendications des plébéiens qui cherchent d'abord à limiter les abus de pouvoir des patriciens puis réclament l'accès aux magistratures. À ces conflits politiques s'ajoutent certainement des tensions économiques: nos sources évoquent des problèmes d'endettement et d'esclavage, de disette, de manque de terres.
Le tribunat de la plèbe Même s'ils n'exercent pas le pouvoir, les plébéiens sont citoyens, donc soldats. lis sont indispensables à la cité qui est alors en guerre perpétuelle. Aussi, en cas de conflit avec les patriciens, les plébéiens font une sorte de grève, en se retirant sur le mont Sacré à quelques kilomètres de Rome, ou bien sur l'Aventin. Ce sont les « sécessions » de la plèbe qui ponctuent les débuts de l'histoire intérieure de Rome. À la suite du premier de ces conflits, en 494, les plébéiens décident de créer leurs propres institutions: les édiles de la plèbe, pour les questions de ravitaillement, et les tribuns de la plèbe (deux puis dix), pour se protéger des abus de pouvoir. Les tribuns peuvent bloquer les décisions d'un magistrat et ont le droit de punir d'une amende et même de mort. lis bénéficient d'une protection religieuse, la « sacro-sainteté >> : quiconque porte la main sur eux est déclaré sacer, c'est-à-dire propriété des dieux, maudit en quelque sorte. Édiles et tribuns de la plèbe sont élus par une assemblée, appelée le concilium plebis (la« réunion de la plèbe»), qui ne rassemble que les seuls plébéiens. Cette assemblée peut voter des décisions, appelées « plébiscites», qui son t des lois valables pour la plèbe. La plèbe élève aussi son propre temple sur l'Aventin, dédié à Cérès, 1. Ou, plus exactement, les magistratures supérieures, quelle qu'en soit la dénomination : on pense en effet que le titre de consul apparaft plus tardivement.
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Liber et Libera : cette triade est comme la réplique plébéienne de la triade du Capitole (Jupiter, Junon et Minerve). ll y a donc en quelque sorte deux séries d'institutions parallèles, celle de la plèbe et celle du peuple. Loi écrite et droit d'appel
Les plébéiens obtiennent en 451-449 une première grande victoire, avec la publication par écrit des lois rédigées par une commission spéciale, les décemvirs. Cet ensemble forme la loi des XII tables exposées sur le forum. Le simple fait de les publier est une limite imposée au pouvoir des magistrats. Au même moment, le droit d'appel (la provocatio) est confirmé, même si la tradition le fait remonter à 509: aucun magistrat ne peut plus punir un citoyen à Rome sans qu'il puisse faire appel au peuple pour le juger. Ce droit est d'abord exercé par l'intermédiaire d'un des tribuns de la plèbe, dont le banc est placé significativement tout près de la prison des condamnés à mort : un tribun peut opposer son veto à toute exécution. Il faut toutefois attendre la loi Valeria de 300 pour que le droit d'appel soit applicable hors de Rome et puisse être exercé sans l'intermédiaire d'un tribun. Loi écrite et droit d'appel sont les aspects essentiels de la Liberté pour les simples citoyens, plus encore que l'exercice des droits politiques. L'accès des plébéiens au consulat Les patriciens refusaient aux plébéi~ns l'accès au consulat pour des motifs religieux : les consuls, en tant que successeurs des rois, détiennent en effet le droit d'auspices. Selon eux, ce droit ne peut se transmettre qu'aux patriciens. Après un siècle de luttes obscures et de subterfuges divers, les plébéiens finissent par obtenir l'accès au consulat par la loi Licinia-Sextia de 367. Une autre loi de 342 stipule même que l'un des deux consuls sera obligatoirement plébéien. Par la suite, les autres magistratures (dictature, censure, préture, questure) s'ouvrent aux plébéiens, suivies par la plupart des prêtrises. Au me siècle, les institutions de la plèbe sont progressivement intégrées dans celles du peuple. Les plébiscites seront reconnus comme des lois valables pour tout le peuple, d'où le rôle grandissant des tribuns de la plèbe dans le domaine législatif.
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2) S. P.Q.R : les institutions du Peuple romain (m e-1 "' siècle)
L'année 367 a été considérée par les Romains comme un tournant. La réconciliation des patriciens et des plébéiens permet l'émergence d'une élite un peu plus large. Les institutions et la carrière des honneurs se stabilisent au me siècle et un équilibre satisfaisant s'instaure entre les trois pouvoirs complémentaires : les magistrats, le sénat et le peuple. La République ne connaît plus de crises internes très graves avant le Ile siècle. Les consuls et les autres magistrats
Les principaux magistrats à Rome sont les deux consuls. En effet, les consuls succèdent au roi dans tous ses pouvoirs, à l'exception de certaines compétences religieuses, dévolues à un prêtre dénommé rex sacrorum, « roi des rites sacrés». Ils exercent un pouvoir très fort, l'imperium : il s'agit du pouvoir de commander et punir les citoyens, à l'intérieur de Rome (imperium domi = « à la maison ») et à l'extérieur (imperium militièe). Le costume du consul et tout l'apparat solennel qui l'entoure sont l'héritage du roi étrusque. Il porte la toge prétexte, qui est une toge à bande pourpre et s'assied sur une chaise spéciale, dite curule. Comme le roi, chaque consul est précédé de douze licteurs qui portent les douze faisceaux, composés de baguettes entourant une hache. Les baguettes symbolisent le droit de punir, la hache celui de faire appliquer la peine de mort. Tout un personnel de hérauts (prèecones) et d'appariteurs (viatores) l'escorte et fait le vide autour de lui quand il s'avance. Lorsqu'il exerce ses fonctions judiciaires, il prend place sur un tribunal surélevé. Son attitude, ses gestes, l'expression de son visage doivent traduire toute la solennité et le caractère terrible du pouvoir qu'il exerce. L'autre face du pouvoir consulaire est liée à la religion. C'est le droit de prendre les auspices, c'est-à-dire de consulter Jupiter dont l'approbation est nécessaire pour être investi de l'imperium, pour partir à la guerre ou pour toute action politique, comme le vote d'une loi. Enfin, les consuls sont les magistrats «éponymes» de Rome: ils donnent leur nom à l'année. On comprend donc que, pour les aristocrates, la Liberté ait été la limitation de ce pouvoir ((royal ». n s'agissait en
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effet d'empêcher quiconque d'exercer, seul, un pouvoir aussi fort sa vie entière et par l'effet de l'hérédité. La Liberté, de ce point de vue, consiste à limiter à une année le pouvoir suprême (l'annalité), à instaurer l'égalité de pouvoir des deux consuls (la collégialité) et l'élection par le peuple. Ces trois critères définissent la notion de magistrature. Seule la dictature échappe à ces critères, mais elle est rarement exercée après le 1ve siècle. Comme on l'a vu, ceux qui n'exercent pas le pouvoir ont voulu se protéger des abus possibles par le droit d'appel et le tribunat de la plèbe. De là découle un autre point essentiel qui est la nette distinction entre les domaines civil et militaire. L'imperium s'exerce en effet différemment à l'intérieur de la Ville et à l'extérieur. Dans la Ville, l'imperium domi est limité par le droit d'appel au peuple: les faisceaux des consuls n'y comportent donc pas de hache. L'espace de la ville est un espace civil et paisible, où les citoyens portent la toge bla nche. À l'extérieur de la Ville, les consuls exercent l'imperium militiaz (militaire) qui leur permet de commander l'armée. Ils y conservent le droit de punir de mort les citoyens (civils) sans possibilité d'appel jusqu'à la fin du tl/ siècle et jusqu'en 195 pour les soldats. Mais, dès que le consul rentre à Rome et franchit le pomérium, il perd son imperium militiaz. De même, les soldats ne peuvent entrer en armes à l'intérieur de Rome, sauf à l'occasion d'un triomphe. D'autres magistratures sont héritées qu temps des rois ou sont créées sous la République. Outre les édiles et les tribuns de la plèbe, il s'agit des questeurs, des édiles curules, des préteurs et des censeurs. Contrairement aux consuls, ils ont des tâches spécialisées et n'on t pas le pouvoir de l'imperium, à l'exception des préteurs, mais I'imperium des préteurs est inférieur à celui des consuls. Les censeurs, créés en 443, sont chargés de recenser les citoyens et de dresser la liste officielle des sénateurs, l'album sénatorial. C'est la raison pour laquelle la censure est devenue une magistra-
ture très prestigieuse que seuls d'anciens consuls peuvent revêtir. Lorsque les guerres menées par Rome se dérouleront sur des théâtres d'opération lointains, l'habitude ser a prise de prolonger d'une ou de plusieurs années l'imperium d'un consul (ou d'un préteur): il prend alors le titre de
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proconsul (ou de propréteur) et n'a que des compélences militaires. Enfin, des lois fixent les règles concernant l'âge et )es intervalles entre deux magistratures. Les magistrats romains à la fin de la République dans l'ordre du cursus honorum théorique Magistrats (nombre) Dictateur Un seul, avec un maitre dela cavalerie.
Censeur Deux
Consuls Deux
Prêteurs Huit (en 80 av. J.-C.).
Conditions et mode de désignation
Pouvoirs et fonctions
Avoir été consul. Nommé par un consul sur ordre du sénat, pour six mois au maximum.
24 faisceaux et 24 licteurs. lmperium (domi et militi;e) supérieur à tous les ma~strats. Dirige 'État et commande l'armée.
Avoir été consul. ~tre âgé de 44 ans au moins. Élus par les comices centuriates, tous les cinq ans, pour dix-huit mois. L'un est patricien, l'autre plébéien.
Pas de faisceaux. Po/estas (seulement pouvoir civil). Recensement des citoyens, liste des sénateurs (lectio) et des chevaliers, gestion des biens et travaux publics.
Avoir été préteur. ~tre âgé de 42 ans au moins. Élus par les comices centuriates pour un an. Au moins un plébéien parmi les deux consuls.
12 faisceaux et 12 licteurs. lmperium (domi et militi;e). Dirigent l'État et commandent l'armée (jusqu'en 80). Droit de convoquer le peuple et le sénat, de proposer des lois.
Normalement avoir été questeur. ~tre âgé de 39 ans au moins. Élus par les comices centuriates pour un an.
2 faisceaux à Rome (pour les préteurs chargés de la justice) ; 6 faisceaux dans les provinces (gouverneurs de Sardaigne, Sicile et Espagne). lmperium do mi et militi;e. Peuvent remplacer les consuls à Rome en leur absence.
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Édiles
Normalement avoir été ~uesteur.
Quatre (deux édi- tre âgé de 36 ans au les de la plèbe et moins. deux édiles curu- Élus par les comices tributes pour un an. les). Tribuns de la plèbe Dix
Questeurs Dix (en 80 av. J.-C.).
Pas de faisceaux. Potestas. Surveillance des marchés, approvisionnement, entretien des rues, organisation des jeux.
Ëtre plébéien. Peuvent être élus directement sans avoir été questeurs (mais ils le sont généralement). Élus par les comices tributes pour un an.
Potestas, sacro-sainteté. Pouvoir de s'opposer à toute décision d'un magistrat ou du sénat (veto, intercessio). Droit de convoquer la plèbe (en fait les comices tributes) et de proposer des plébiscites qui ont force de loi ; d'infliger des amendes et la peine de mort. Défense des citoyens (jus auxilii).
Dix ans de service miJitaire (deux au 1er siècie) ; être chevalier. Ëtre âgé de 30 ans au moins. Élus par les comices tributes pour un an.
Pas de faisceaux. À Rome, gestion du Trésor public, des archives, adjoints des consuls (deux par consul). Un questeur dans chaque province.
Le sénat
Le sénat est un héritage de l'époque royale: c'était le conseil du roi composé des patres (les pères des familles « patriciennes»), c'est-à-dire de l'aristocratie romaine. Sous la République, c'est une assemblée de 300 membres (600 à partir de Sylla). ll est composé des anciens magistrats. La liste officielle en est dressée tous les cinq ans par les censeurs qui peuvent en exclure les membres qu'ils jugent indignes. Le sénat ne peut se réunir que dans un espace religieusement inauguré, un templum1 : il dispose sur le forum 1. Inaugurer : prendre les augures, acte nécessaire pour consacrer religieusement un lieu. Un templum est un espace inauguré, de forme rectangulaire et orienté selon les directions cardinales (nord-sud). Le mot français << temple » désigne la demeure (c:Edes en latin) d'un dieu. La curie est un templum mais pas un temple (c:Edes).
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d'un bâtiment spécial appelé la curie mais peut se réunir dans un temple, par exemple dans celui de Jupiter au Capitole. Le sénat a des compétences multiples. Il autorise les nouveaux cultes, l'édification des temples ou décide des mesures religieuses à prendre en cas de crise. Il contrôle les finances de l'État et vote les sommes allouées aux magistrats qui doivent ensuite rendre des comptes. ll reçoit ou envoie les ambassades : il est donc responsable des affaires extérieures, même si un traité doit être approuvé par un vote du peuple. La force du sénat est d'être une assemblée permanente qui est corn posée des anciens magistrats, donc de l'aristocratie de Rome. Il dispose ainsi d'une très grande autorité, I'auctoritas. Il doit être consulté par les magistrats pour toute affaire importante et ses avis, décrets ou sénatus-consultes, une fois votés, ont un grand poids et presque force de loi. Le peuple et les comices
Le troisième pouvoir à Rome est exercé par l'ensemble des citoyens qui forment le peuple, le populus. Convoqué par un magistrat, le peuple se réunit en assemblées appelées comices pour les élections des m agistrats et le vote des lois. Il existe deux types de comices, les comices tributes et les comices centuriates, dans lesquels les citoyens sont répartis différemment. En effet, chaque citoyen est recensé de deux manières par les censeurs. Il est inscrit dans l'une des trente-cinq tribus (chiffre atteint en 241), selon son origo, c'est-à-dire la région dont sa famille est originaire. Les noms d'un citoyen comportent toujours la mention de sa tribu. Chacune des tribus correspond à une partie du territoire romain: quatre d'entre elles, dites urbaines, regroupent les citoyens de la ville de Rome, les trente et une autres, dites rustiques, les citoyens répartis sur le reste du territoire. Le citoyen est, d'autre part, classé, selon sa fortune, dans l'une des cinq classes et l'une des cent quatre-vingt-quinze (ou cent quatre-vingt-treize) centuries pour déterminer ses obligations fiscales et militaires. La première classe regroupe les propriétaires les plus riches ; les plus modestes sont
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répartis da ns les quatre autres classes par degré de fortun e. Les plus pauvres sont« hors classe» et ceux qui n'ont rien du tout, les «prolétaires», sont regroupés dans une seule centurie. La première classe comprend un peu plus de la moitié des centuries : dix-huit centuries de citoyens capables de payer un cheval et son équipemen t, les « chevaliers », e t quatre-vingts centuries de fantassins. Cette double répartition des citoyens est très importante pour comprendre le mécanisme du vote. Le droit de vote aux comices peut être exercé par tout citoyen, mais les votes sont comptés par tribu ou par centurie, qui compten t chacune pour une voix. Dans le cadre des comices tributes, il faut que dix-huit tribus sur trente-cinq votent dans le même sens pour qu'une loi soit votée. Or, certaines tribus comportent un très grand nombre de citoyens, par exemple les quatre tribus urba ines, et d'autres beaucoup moins. Dans le cadre des comices centuriates, l'inégalité est p lus flagrante encore: il suffit que la première classe vote dans le même sens pour atteindre la majorité puisqu'elle comporte quatre-vingt-dix-huit centuries sur cent quatre-vingtquinze. Il est rar ement nécessaire de faire voter les centuries des classes inférieures, sauf en cas de désaccord entre les plus riches, puisque le vote s'interrompt dès que la majorité est atteinte. Pour nous ce système paraît injuste, mais les Romains estiment que l'influence politique doit être proportionnée à la participation à l'effort collectif: les plus riches ont plus de poids dans les comices, mais ils paient aussi plus d'impôts et serven t plus souvent dans l'armée ; les très pauvres n'ont pratiquement aucun poids, mais ne paient pas d'impôts et ne servent pas dans ]'armée jusqu'au ne siède. Les comices tributes sont convoqués ordinairement sur le forum , dans un lieu appelé Je comitium, aménagé en face du sénat. lis ont surtout pour fonction de voter des lois, notamment ceUes proposées par les tribuns de la plèb e. Les comices centuriates ne peuvent se réunir qu'en dehors du pomérium, car leur organisation est liée à l'armée. Un enclos, appelé les séepta, est aménagé à cet effet sur le champ de Mars. Leur rôle principal est d'élire les magistrats qui exercent un imperium (consuls et préteurs)
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ainsi que les censeurs. Ils votent également des lois, mais de plus en plus rarement après 2ll8. Ils jugent les citoyens passibles de mort (justice limitée à la haute trahison au fr siècle). Le peuple réuni en comices exerce donc deux pouvoirs essentiels: l'élection des magistrats et le vote des lois. En ce sens, on peut dire que la République est une forme de démocratie. La formule qui désigne Rome, lorsqu'elle agit en tant qu'État, est « senatus populusque Romanus >> (S.P.Q.R.), «le sénat et le peuple romain)), Cependant, ce sont les magistrats qui ont le rôle actif: ils sont les seuls à pouvoir convoquer le peuple ou le sénat et les seuls à pouvoir proposer une loi. Les comices ne délibèrent pas : ils ne peuvent que répondre par oui ou par non. Cependant. celui qui propose la loi doit la faire afficher vingtquatre jours à l'avance, la présenter au sénat et peut convoquer au forum une assemblée informelle (qu'on appelle contio) pour l'expliquer et la justifier.
3) P.tre citoyen dans une République aristocratique (IV ef er siècle) Les citoyens romains bénéficient tous de la protection de la loi et des droits civils (mariage, propriété, transactions commerciales) mais n'exercent pas les mêmes droits
politiques. La citoyenneté
La pleine citoyenneté est réservée à l'homme adulte (plus de 17 ans) et marié. Les enfants sont en effet sous la tutelle du père et les filles passent de celle de leur père à celle de leur époux. Comme dans les cités grecques, la citoyenneté s'acquiert par la naissance quand un enfant est fils de citoyens mariés légalement: il est alors dit ingénu (de naissance libre). L'originalité de Rome par rapport aux Grecs est d'accorder assez facilement la citoyenneté. En effet, les esclaves affranchis dans les règles par un maître romain deviennent automatiquement citoyens. La citoyenneté peut être aussi octroyée à des étrangers (des« pérégrins )), selon
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le terme romain), individuellement ou même collectivement quand Rome décide d'annexer un territoire. Cette citoyenneté acquise peut être incomplète, par exemple sans le droit de vote (sine suffragio ). L'ingénuité reste une condition nécessaire pour exercer la plupart des fonctions publiques : les affranchis et les étrangers naturalisés en sont donc exclus. S'il est propriétaire, les devoirs du citoyen sont nombreux et prenants. Tout citoyen est mobilisable de 17 ans à 60 ans, même si les levées se font généralement parmi les juniores de 17 ans à 46 ans plutôt que parmi les seniores. Comme Rome ne connaît pratiquement aucune année de paix durant toute la République, peu échappent au service militaire. Au ne siècle, le nombre de campagnes annuelles auxquelles un citoyen est astreint est limité à seize, ou peut-être vingt. Jusqu'à la fin du me siècle, les guerres ont lieu en Italie, sauf rares exceptions : le soldat devait donc normalement pouvoir rentrer dans son foyer en hiver, la saison militaire allant du printemps à l'automne. L'exercice du droit de vote aUK comices prend également beaucoup de temps. Il faut se déplacer plusieurs fois à Rome, car les votes de loi et les élections n'ont pas lieu en même temps. Les procédures de vote sont longues et compliquées. À la fin de la République, un citoyen peut être convoqué une vingtaine de fois dans l'année, pour une durée de quarante à soixante jours. n est évident que seuls les plus riches, ou ceux qui résident à Rome, sont à même de venir régulièrement. Les ordres à Rome Tous les citoyens sont électeurs mais ils ne sont pas tous éligibles, car les fonctions les plus importantes sont de fait et de droit réservées aux plus honorables et aux plus riches. Or, à Rome, la hiérarchie sociale est déterminée par l'exercice des fonctions publiques qualifiées d'« honneurs » (honores). Parmi les citoyens les plus riches, les censeurs choisissent ceux qu'ils jugent dignes d'être inscrits dans les centuries de chevaliers. Ce nom vient du fait qu'ils servaient à l'origine dans la cavalerie. Pour être chevalier, il faut en
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outre posséder une fortune minimale de 400 000 sesterces et être de naissance libre. Il s'agit d'un groupe de quelques milliers de citoyens qui forme l'ordre équestre. Les officiers supérieurs de l'armée et les membres des jurys sont choisis parmi eux. Seul un chevalier peut être élu aux magistratures. Une fois élu magistrat, en général comme questeur, il devient sénateur après sa sortie de charge et appartient désormais à l'ordre sénatorial, le plus élevé en dignité. À l'intérieur du groupe des sénateurs, il existe encore une hiérarchie déterminée selon les magistratures revêtues et selon l'ordre d'ancienneté: en tête, les anciens censeurs et les consulaires (anciens consuls), puis les anciens préteurs et ainsi de suite jusqu'aux sénateurs les plus récents. L'ordre de prise de parole au sénat suit ce classement. Les consulaires, parce qu'ils ont exercé le pouvoir suprême, forment le groupe dirigeant de la République. Comme il n'y a que deux consuls par an, ils ne sont que quelques dizaines.
lA noblesse romaine L'appartenance à l'ordre équestre et à l'ordre sénatorial n'est pas héréditaire, mais un fils de chevalier ou un fils de sénateur a des chances sérieuses de suivre les pas de son père. La notion d'hérédité n'est cependant pas absente à Rome. En effet, les patriciens le sont de naissance et tout descendant de patricien ou d'un consul est considéré comme noble. Comme, depuis 367, les riches plébéiens peuvent se faire élire consuls, se forme la noblesse plébéienne. Le premier d'une famille à avoir été consul est appelé «homme nouveau», mais ses descendants sont nobles. Des mariages se nouent entre nobles patriciens et nobles plébéiens, que plus grand-chose ne distingue, si ce n'est l'accès à certains sacerdoces pour les patriciens. Une famille noble se distingue des autres familles par le grand nombre d'« images» des ancêtres qu'elle fait défiler lors des funérailles. En voici la mise en scène décrite par Polybe: «Après l'enterrement et la célébration des rites, on place l'image du défunt à l'endroit le plus en vue de sa maison,
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dans une châsse de bois. Cette image est un masque d'une extrême ressemblance, tant pour le modelé que pour les couleurs. [ ... ] Lorsqu'un membre illustre de la famille vient à disparaître, on fait entrer les images dans son convoi, portées par les hommes dont la taille et l'allure générale paraissent le plus ressemblantes. Ces figurants revêtent en outre une toge bordée de pourpre s'ils représentent un consul ou un préteur, une toge pourpre s'il s' agit d'un censeur, une toge brodée d'or s'il s'agit d'un homme qui avait obtenu le triomphe et accompli quelque exploit comparable. Ils s'avancent majestueusement sur des chars ; ils sont précédés par les faisceaux, les haches, les autres insignes habituels des magistrats, selon l'importance des honneurs que chacun avait eus de son vivant dans la cité ; une fois arrivés aux rostres 1 , ils s' asseyent tous à la fi le sur des chaises d'ivoire. Il n'y a guère de plus beau spectacle à contempler pour un jeune homme épris de gloire et de vertu : qui ne serait inspiré en voyant les images des hommes dont la valeur est glorieuse, toutes réunies, pour ainsi dire vivantes et animées ? Quel plus beau spectacle que celui-là pourrait-on montrer ? » Polybe, Histoires, VI, 53-54
:Ë.tre noble est un atout majeur pour être élu à son tour au consulat. La noblesse ne se renouvelle que lentement et se ferme peu à peu : au me siècle, six fammes ont exercé quatre-vingt-trois consulats ou dicta tures sur un total de deux cents envir on et on ne compte ensuite qu'une poignée d'hommes nouveaux tels Caton l'Ancien, Marius et Cicéron. La compétition est cependant rude car tout dépend de l'élection. Certaines familles disparaissent des fastes consulaires 2 , provisoirement ou sur plusieurs générations, d'autres dominent la scène pendant un temps, comme, par exemple, les Fabii, les Claudii, les Comelii, les JEmilii ou les Crecilii Metelli.
l. La tribune du forum : son nom vient des éperons (rostres) qui l'ornaient à la suite de la victoire de Rome sur Antium. 2. Liste des consuls, année par année. Les fastes sont le calendrier officiel romain.
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La campagne électorale
Pour ceux qui aspiren t à faire une carrière de magistrat, si possible jusqu'au consulat, la citoyenneté est un « métier» à temps plein. Il leur faut d'abord faire dix ans de service militaire (deux ans seulement à la fin de la République). Pour être élu à chaque magistrature, il faut faire une campagne électorale. Chaque chef de famille a son réseau de clients 1 à qui elle doit soutien et protection comme « patron » en échange de leur fidélité. Le soutien d'autres sénateurs, des chevaliers et des autres citoyens riches, qualifiés d'« amis» et dont le poids est déterminant dans les comices centuriates, est indispensable. La maison d'un sénateur, sa domus, doit être ouverte: chaque matin, le maître reçoit dans son atrium 2 ses clients et amis qui viennent lui faire leur salutatio. Lui-même rend visite à quelqu'un de plus influent. Après cela, il descend au forum, accompagné par le maximum d'amis et d'obligés. n lui faut rendre des services, écrire des billets de recommandation ou de remerciemen t, recevoir le soir pour des banquets, siéger régulièrement a u sénat et surtout participer aux procès comme juge, témoin, accusateur ou avocat. La période de l'histoire romaine de 367 jusqu'à la victoire sur Carthage a été idéalisée par les Romains qui on t connu le temps des troubles civils du Ier siècle. Le régime républicain est alors aristocratique (gouvernement des meilleurs) parce qu'il accorde une place prédominante à l'élite de la société (nobles, sénateurs, chevaliers), même s'il a tendance à devenir oligarchique (gouvernement par un petit nombre) lorsque la noblesse se ferme. La grande affaire des Romains est alors la guerre, qui est aussi principal sujet politique. L'ambition de tout aristocrate est d'être élu consul, de mener une guerre victorieuse et de mériter un triomphe. Les victoires apparaissent tout de même comme le fruit d'une entreprise collective, commune à tous les citoyens 1. La plupart des clients sont les affranchis d'un maître, mais ce sont aussi tous les gens à qui il a rendu un service, par exemple comme avocat qui se dit aussi « patron ». Certains grands personnages ont des rois ou des peuples entiers dans leur clientèle. 2. Pièce à ciel ouvert qui sert à la réception des visiteurs.
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O: SAEI'TA (Enclos IIO.!Jr lfl comi
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Le centre de Rome à la fin de la RépubHque.
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romains. Malgré les inégalités sociales, les nobles et les sénateurs en général sont tenus à un certain type de comportement : austérité des mœurs, frugalité, modestie du train de vie et respect à l'égard des simples citoyens, qui sont soldats et électeurs. Jusqu'à la fin du mc siècle, la grande majorité des citoyens romains est encore formée de paysans propriétaires exploitant leurs terres. La fortune des sénateurs est sans doute bien supérieure, mais l'écart n'est pas encore considérable. Rome connaît alors un certain consensus et une relative homogénéité sociale.
4) Les Romains et leurs dieux À Rome, comme dans toute cité antique, religion, pouvoir et politique sont indissociables. Comme on l'a vu, tout acte public nécessite un acte religieux. La religion y concerne donc la collectivité tout entière. Le culte a pour objectif de s'assurer de la bienveillance des dieux, de faire régner la pax deorum, la paix entre les dieux et la cité, et d'assurer la victoire. Les nombreux rites sont sous la responsabilité des magistrats et des prêtres de Rome. Ces derniers sont regroupés en collèges ou en «compagnies» (appelées « sodalités »). IJs sont recrutés d'abord par cooptation, puis par l'élection par les comices tributes pour les quatre grands collèges, suivant une procédure compliquée. lls sont choisis parmi les citoyens les plus éminents, souvent des sénateurs, certains patriciens, d'autres plébéiens depuis qu'ils ont obtenu l'accès aux sacerdoces. Les prêtres romains sont des hommes comme les autres. Il n'y a pas de caste entièrement consacrée au culte d'un dieu : même les Vestales n'exercent leur sacerdoce, qui les contraint à la virginité, que pendant trente ans. En fait, tous les citoyens romains sont en quelque sorte prêtres, puisque chaque père de famille est tenu d'assurer les cultes familiaux. Les prêtres des quatre collèges majeurs sont essentiellement chargés d'assister ou de conseiller les magistrats dans leurs actes religieux. Ceux des sodalités n'ont pour rôle que d'exécuter certains rites, souvent très anciens, une ou deux fois dans l'année.
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Les principa ux collèges de prêtres romains Collèges Composition Le collège - Neuf pontifes en 300 des pontifes (puis quinze depuis 81 et dix-neuf sous l'Empire), dont le grand pontife qui préside le collège ; - le rex sacrorum (roi des rites sacrés) et son épouse, la regina sacrorum;
Rôle(s) - Conseiller les magistrats, le sénat et les autres prêtres sur les règles des rites à accomplir. - Établir le calendrier religieux. - Surveiller les temples et autres lieux sacrés (autels, bois sacrés, nécropoles etc.). - Exécuter certains rites ou être présent à certaines cérémonies.
- trois flamines majeurs, de Jupiter, Mars et Quirinus et leurs épouses, les flaminiques ; - douze flamines mineurs ; - six Vestales, présidées - S'occuper de J'entretien par la grande Vestale. du foyer public de Vesta. Le collège Neuf augures en 300 (puis des augures quinze depuis 8 J et dix-neuf sous l'Empire).
- Assister les magistrats pour la prise des auspices. - Exécuter les rites nécessaires pour inaugurer un templum (=un espace sacré orienté selon les quatre directions cardinales).
Le collège Dix puis quinze prêtres des Dix, puis (depuis 81 ). Quinze chargé des rites (decemviri puis quindecemviri sacris faciundis)
- Garder et consulter, sur ordre du sénat, les Livres sibyllins (recueil d'oracles d'une prophétesse d'Apollon appelée la Sibylle).
Le collège des Trois puis Sept chargé des banquets (septemviri epulonum)
Organiser les banquets sacrés et les jeux publics.
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Trois puis sept prêtres (collège créé en 196).
-S'occuper en général des cultes d'origine étrangère.
f Les saliens
Vingt-quatre prêtres, en deux " compagnies " : les douze saliens du Palatin et les douze saliens du Quirinal.
Les fétiaux
Peut-être vingt et agissant Annoncer les décisions par deux. diplomatiques du sénat et exécuter les rites nécessaires à la déclaration de guerre (pour qu'elle soit « juste , ) et à la conclusion des traüés.
Les luperques
Peut-être vingt-quatre en deux « compagnies».
Exécuter les rites des Lupercales du 15 février: sacrifice d'un bouc et d'un chien ; course autour du Palatin vêtus d'un pagne en peau de bouc ; ils frappent de leur fouet hommes, femmes, bétail, le sol, les maisons afin d'en éliminer les souillures.
Les frères arvales
Douze.
Exécuter les rites en l'honneur de Dea Dia au mois de mai
Exécuter les danses guerrières ouvrant ct fermant la sajson de la gue1-re ( 19 mars et 19 octobre), en l'honneur de Mars. Les saliens portent des lances et des boucHers sacrés de Mars dont l'un est tombé miraculeusement du ciel.
Les dieux des Romains sont innombrables : dieux célestes, dieux infernaux, dieux liés aux activités humaines, aux lieux (les Pénates pour la maison, les Lares pour le foyer domestique, les carrefours ou le terroir... ), divinités propres à chaque personne vivante (le Génie de chacun) ou morte (les dieux Mânes). Pour qu'un dieu soit romain et bénéficie d'un culte public, il faut qu'il soit reconnu officiellement. Les Romains lui consacrent alors toujours un lieu avec au moins un autel, parfois une demeure (iedes, que nous traduisons par « temple »). Ce lieu devient sacer, «consacré», c'est-à-dire sa propriété inaliénable. Les magistrats qui partent en guerre fon t souvent le vœu d'ériger un
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temple à une divinité s'ils obtiennent la victoire : de nombreux temples sont ainsi élevés à Rome, surtout à partir des guerres puniques. Enfin, le sénat peut décider d'installer un nouveau dieu à Rome comme Esculape venu de Grèce, à la suite d'une épidémie, ou Cybèle venue d'Asie en 204. Le sacrifice
Élever un temple ou un autel ne suffit pas. Il faut aussi consacrer au dieu au moins un jour de « fête » dans l'année pour célébrer son culte. Le rite essentiel est le sacrifice. Il prend généralement la forme d'une offrande d'une ou de plusieurs victimes animales, mâles pour les dieux masculins, femelles pour les dieux féminins, blanches pour les dieux célestes, sombres pour les dieux d'en bas. Ce sacrifice s'accompagne d'offrandes de vin et d'encens, de prières et de formules précises à prononcer. La victime est partagée entre le dieu qui reçoit les entrailles brûlées sur l'autel et les hommes qui consomment la viande, sauf pour les dieux infernaux et les dieux Mânes. En ce cas, la victime est entièrement brOlée pour le dieu : c'est l'holocauste. Les jeux romains
Parfois, le culte prend la forme de grandes fêtes (les ludi : les «jeux » ). Les jeux sont des réjouissances collectives partagées par les dieux et les citoyens: ils comprennent des spectacles, des sacrifices ett une procession des statues des dieux (la pompa) qui assistent aux jeux dans leur loge. Les spectacles les plus anciens sont les courses de chars au Grand Cirque (jeux du cirque, circenses). Au tif siècle apparaissent les jeux scéniques, dans des théâtres provisoires jusqu'à la construction de celui de Pompée dans les années 50. Plus tard sont instituées des chasses d'animaux sauvages (venationes ). Les jeux de gladiateurs (les mu nera) apparaissent au me siècle. Ils sont initialement privés et offerts au cours des funérailles des nobles, mais entrent ensuite dans le programme de certains jeux en l'honneur des dieux. Les jeux les plus importants sont célébrés en l'honneur de Jupiter, d'Apollon, de Cybèle, de Cérès et de Flore.
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La piété romaine
La piété consiste à veiller à ce que les rites institués soient scrupuleusement accomplis et le calendrier religieux respecté. Elle n'est donc pas une affaire de croyance mais de pratique. Chacun est libre de penser ce qu'il veut des dieux, du moment qu'il accomplit ses devoirs religieux dans le cadre de ses fonctions publiques, ou tout simplement comme père de famille. ll arrive parfois que les dieux se manifestent d'eux-mêmes par des signes divers, bizarres ou effrayants, que les Romains appellent des « prodiges » (coups de foudre, pluies de pierres, statues qui suent, naissances d'animaux monstrueux, ou tout simplement défaites ... ). Sur ordre du sénat, il faut alors interpréter ce signe, savoir quel dieu, connu ou encore inconnu, est mécontent et pourquoi. Généralement, la cause réside dans une faute, un oubli ou une négligence commis dans un rite: il suffit alors de le recommencer. Parfois, il est nécessaire d'instituer un nouveau culte. Comme la religion a une incidence directe sur la vie publique, les Romains ont tendance à l'utiliser contre leurs adversaires politiques. ll suffit, en effet, qu'un augure observe un signe défavorable pour qu'une réunion des comices soit annulée ou bien que des rites n'aient pas été accomplis selon les règles pour qu'une élection soit invalidée. Les Romains se sont aussi trouvés confrontés à d'autres dieux, d'autres types de relation à la divinité comme les cultes initiatiques, dits cultes à «mystères», de myste qui signifie «initié». En 186, le sénat ordonne de punir sévèrement les adeptes du culte initiatique de Bacchus (Dionysos). Ses adeptes bouleversent en effet les normes de la cité et de la société, en réunissant indistinctement citoyens, étrangers, esclaves, hommes mûrs, jeunes gens et femmes au cours de cérémonies nocturnes et secrètes où régnaient, ~sait-on, l'ivresse et les excès sexuels en tout genre. À la fin de la République, un grand nombre de cultes paraissent négligés, voire oubliés. Certains sacerdoces restent même non pourvus, comme celui de flamine de Jupiter. Ces phénomènes ont fait penser à une crise de la religion romaine. rn fait, il faudrait plutôt penser à une coexistence de diférents modes religieux, panni lesquels le ritualisme romain reste vivant jusqu'à une période très tardive. 37
Principaux dieux des Romains sous la République Divinités Équivalent grec romaines Apollon Apollon Bellone Castor et Pollux Cérès
Castor et Pollux Déméter
Diane
Artémis
Esculape
Asclépios Pan
Faunus Flore Grande Mère
Cybèle
Hercule
Héraklès
Janus Junon
Héra
Jupiter Caoitolin Liber
Zeus Dionysos
Mars Minerve Neptune
Arès
Pal ès
Pan
Athéna Poséidon
Quirinus
Attributions, fonctions, champs d'activité et protections oarticulières Guérison, prophéties, mise en ordre, victoire. Guerre, relations avec l'étranger. Guerre. Cavaliers. Artistocrates Croissance des végétaux (céréales). Matrones (femmes mariées). Procréation, forêts, nature sauvage. Femmes. Guérison. Médecins et malades. Marges des terres cultivées. Floraison. Fertilité, maîtrise de la nature sauvage. Rome et les Romains comme« Trovens ». Succès dans les entreprises risquées. Hommes entreprenan.ts, négociants. Commencements, passages. Accouchements. Rome et les Romains. Les femmes. Souveraineté. Rome et les Romains. Germination. Passage des enfants à l'âge adulte (prise de la toge virile). Guerre. L'armée. Techniques. Rome et les Romains, artisans. Mer et eaux sou ten·aines, guetTes sur mer. Marins et marchands oui naviguent. Santé des troupeaux. Bergers et bouviers. Fête le 21 avril, jour anniversaire de Rome. Activités civiques. Le peuple romain (=ensemble des citoyens). Assimilé à Romulus. Son temple abrite le trésor public de Rome.
Saturne
Cronos
Vénus
Aphrodite
Amour, victoire. Couples, Rome comme mère d'Énée.
Vesta Vulcain
Hestia Héphaïstos
Feu du foyer. Rome et les Romains. Feu, forge. La colonie d'Ostie, oort de Rome.
rn La République conquérante (ve-t r siècle)
La guerre est une situation normale dans le monde antique, en particulier dans le monde des cités. Rome ne fait pas exception à la règle, mais ce qui est remarquable, c'est qu'une cité ait pu créer u n empire immense et durable. 1) L'émergence d 'une puissance régionale (509-272) Jusqu'au milieu du rvt' siècle, Rome n'est qu'une cité parmi d'autr es. Elle a cependant l'avantage d'appartenir à la ligue des trente peuples latins qu'elle parvient progr essivement à contrôler. La grande affaire est alors de combattre les peuples des Apennins (Volsques, Éques, Marses) qui descendent vers les plaines. Rome dispute aussi le contrôle de la basse vallée du Tibre aux cités voisines. La plus puissante d'entre elles, Véies, est prise par Camille, en 396. C'est à ce moment que les Gaulois envahissent l'Italie. Ds prennent Rome en 390, après avoir battu les Romains à plate couture sur l'Allia. Selon les récits légendaires romains, le Capitole n'aurait pas été pris grâce à l'alerte Providentielle des oies de Junon, lors d'une tentative d'assaut nocturne des Gaulois. Vraie ou fausse, cette belle histoire a servi à atténuer l'humiliation de la défaite et à prouver que Rome n'avait pas perdu la protection des dieux. Les Gaulois ne se retirent qu'après avoir obtenu le Paiement d'un lourd tribut. Les Romains parviennent
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néanmoins à les cantonner au nord de 11talie, devenue la «Gaule cisalpine». La muraille royale est renforcée: Rome ne sera plus prise par une armée étrangère avant huit cents an s. Un premier tournant se dessine autour des années 340320. En 338, Rome bat une coalition de cités latines et dissout la ligue la tine. Certaines cités sont annexées à Rome et prennent le nom de municipe 1• D'au tres, malgré leur titre d'allié, lui sont en fait soumises. Définitivement maîtresse du Latium et de ses côtes, elle entreprend pour la première fois des opérations dans la riche plaine de Campanie et s'allie avec la cité grecque de Naples. C'est la période dite des «guerres samnites» (343-290), du n om des peuples des montagnes qui sont ses plus coriaces adversaires. Rome prend alors le contrôle de l'intérieur des terres. Tarente et les autres cités grecques du sud de l'Italie se sentent menacées. En 280, elles appellent a u secours le roi d'Épire, Pyrrhus, un émule d'Alexandre le Grand. Pyrrhus remporte bien deux victoires, mais au prix de très lourdes pertes, les fameuses« victoires à la Pyrrhus ». Malgré ses éléphants de guerre, il est finalement vaincu par Curius Dentatus et préfère quitter l'Italie. Tarente capitule enfin en 272. La défaite de Pyrrhus a un énorme retentissement dans le monde grec. En une soixantaine d'années, les Romains se sont rendus maîtres de l'ensemble de l'Italie péninsulaire qu'ils contrôlent fermement par un réseau de colonies et de grandes routes stratégiques, dont la première est la via Appia en 312.
2) Le duel Rome-Carthage (272-201) Depuis 272, Rome est devenue une puissance à l'échelle de la Méditerranée. Elle se heurte alors à Carthage, qui domine la mer et les iles de Méditerranée occidentale. La première guerre punique (264-241) a pour enjeu et théâtre 1. Collectivité locale intégrée à l'ager romanus majs qui conserve ses institutions propres, toul en ayant reçu la citoyenneté romaine, ,c omplète ou non.
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Territoire romain
ala fin du Ill• siècle D
D
Territoire des alliés italiens (socii) Cités gre
Mer Adriatique
Mer Tyrrhénienne
Mer Ionienne
lOO km
Carte de l'Italie.
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d'opération la Sicile. Rome doit combattre sur mer et, contre toute attente, elle réussit à vaincre les Carthaginois au cours de plusieurs batailles navales. Carthage est forcée à conclure la paix en 241. Elle cède à Rome la Sicile qui devient la première province 1 romaine outre-mer. Les Romains n'ont cependant pas réussi à abattre la puissance de Carthage: une tentative d'expédition en Afrique a mê me tourné au désastre au cours de la guerre. La famille carthaginoise des Barcides, dont le chef est Hamilcar, le père d'Hannibal, entreprend après 241 d'édifier un véritable empire en Afrique et en Espagne. Rome s'en inquiète et la guerre reprend en 218. Cette fois-ci, le chef carthaginois Hannibal décide de mener son armée en Italie. Les Romains subissent deux défaites écrasantes, au lac Trasimène (21 juin 217) puis à Cannes (2 août 216). Rome paraît perdue. Pourtant, Hannibal ne cherche pas à la prendre et ne parvient pas à détacher des Romains leurs principaux alliés sauf au sud de l'Italie. Il faut cependant encore quatorze ans de guerre pour que Rome en finisse. Après une période de stratégie prudente, qui consiste à éviter une bataille rangée avec Hannibal, les Romains reprennent le contrôle de la Sicile en 211-21 O. Syracuse, malgré le génie d'Archimède qui aurait inventé des machines de guerre redoutables, est prise et pillée par Marcus Claudius Marcellus. Après avoir porté les opérations en Espagne, les Romains débarquent enfin en Afrique, sous la conduite de Publius Cornelius Scipion qui, vainqueur d'Hannibal lui-même à Zama (202), y gagne son glorieux surnom d'« Africain », le premier surnom de type triomphal dans l'histoire de Rome. En 201 , la paix est conclue : Carthage est privée de l'essentiel de ses territoires en Afrique au profit du roi des Numides, perd l'Espagne et n'est plus qu'une puissance mineure.
1. Une province est l'aire de compétence d'un magistrat romain; le mot finit par désigner un territoire administTé par un gouverneur romain.
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3) La naissance d'un empire (201-50)
La défaite de Carthage ouvre une nouvelle phase (201-133). Au cours de la guerre contre Hannibal, Rome avait non seulement subi des défaites, mais son existence même avait été menacée. Le sénat cherche dés01mais à empêcher tout développement d'un ensemble puissant en Méditerranée. À cela s'ajoutent l'ambition des aristocrates romains et l'intérêt de tous pour les profits de la guerre. De leur côté, les Grecs font appel à Rome pour intervenir dans leurs propres conflits. Cette conjonction de facteurs externes et internes conduit Rome à mener une politique belliciste quasi permanente, que l'on a parfois qualifié d'« impérialiste». Scipion l'Africain qui, avec sa famille, domine la vie politique romaine, est le représentant de cette tendance. Peu de Romains s'y opposent, excepté Caton l'Ancien. En 200, Rome déclare la guerre au roi Philippe V de Macédoine, puis en 192 au roi séleucide Antiochos III le Grand. Rome se pose en « libératrice » des cités grecques, la principale justification de ses guerres. En 188, le traité d'Apamée fait de Rome l'arbitre de tout l'Orient : elle favorise ses alliés, le roi attalide de Pergam e et la cité de Rhodes, intervient dans les conflits qui opposent les rois séleucides de Syrie et lagides d'Égypte. Quand le nouveau roi de Macédoine, Persée, entreprend une grande politique d'alliances en Grèce et en Asie, Rome s'y oppose et il est vaincu à Pydna en 168 par Paul Émile (Lucius JEmilius Paullus). La monarchie macédonienne est abolie. Après une troisième guerre, la Macédoine est finalement transformée en province en 147 et les cités de Grèce sont, de fait, assujetties. Rome passe progressivement d'une domination indirecte à la conquête de territoires. Le nombre de provinces se multiplie. Elle parvient, au prix de guerres longues et pénibles, à conquérir l'Espagne, avec la prise et la destruction de Numance en 133. Elle détruit Carthage en 146 et crée la province d'Afrique. En 133, le roi Attale III de Pergame meurt et lègue son royaume à Rome qui accepte l'héritage et en fait la province d'Asie. La Gaule du Sud est également conquise à la fin du siècle. En l'espace de deux
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générations, un nouvel empire est né. Les généraux romains ont remporté une foule de victoires qui leur valent souvent le triomphe, décrété par le sénat.
Frise du temple d'Apollon, Sosianus, vers 30 av. J.-C., palais des conservateurs. L'un des plus splendides a été celui de Paul ÉmHe en
167: « La pompe triomphale fut répartie sur trois journées. La première suffit à peine à voir défiler les statues, les tableaux, les colosses pris à l'ennemi, que transportaient deux cent cinquante chars. Le lendemain, on vit passer sur un grand nombre de chariots les plus belles et les plus riches armes des Macédoniens, tout étincelantes d'airain et de fer fraichement fourbi. [ ... ] Derrière les cha riots pleins d'armes venaient trois mille hommes qui portaient de l'argent monnayé dans sept cent cinquante vases du poids de trois talents, dont chacun était tenu par quatre d'entre eux. D'autres portaient des cratères d'argent, des vases en forme de cornes, des coupes et des gobelets, tous disposés artistement pour la vue et admirables par leurs grandes dimensions et l'épaisseur de leurs ciselures. Le troisième jour, dès l'aurore, des trompettes ouvrirent la marche, faisant entendre pour rythmer le pas non pas un air de procession ni de parade, mais un de ceux par lesquels les Romains s'excitent au combat. Derrière eux s'avançaient cent vingt bœufs engraissés, aux cornes dorées, parés de bandeaux et de guirlandes. Ceux qui les conduisaient étaient des jeunes gens, ceints pour le sacrifice de tabliers ornés
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d'une frange brodée; ils étaient suivis d'enfants qui portaient pour les libations des vases d'argent et d'or. Venaient ensuite ceux qui portaient l'or monnayé, distribué, comme l'argent, dans des vases du poids de trois talents, dont le nombre se montait à soixa nte-dix-sept. [ ... ] C'était ensuite le char de Persée, ses armes et, posé sur ses armes, son diadème. [ ... ] Derrière ses enfants et les gens qui étaient à leur service venait Persée lui-même, vêtu d'un manteau sombre et chaussé à la mode de son pays [ ... ]. Il était suivi du chœur de ses amis et de ses familiers, visiblement accablés de douleur [ ... ]. Immédiatement après ce groupe, on portait quatre cents couronnes d'or que les cités (de Grèce] avaient envoyées avec des ambassades à Paul Émile. Enfin lui-même s'avançait monté sur un char magnifiquement décoré, et l'homme, même en dehors de tout cet apparat, méritait d'attirer les regards, vêtu d'une robe de pourpre brodée d'or et tenant dans sa main droite une branche de laurier. Toute l'armée portait aussi des lauriers; elle suivait le char du général, rangée par compagnies et bataillons, en chantant tour à tour des airs nationaux mêlés de traits satiriques, des péans de victoire et des couplets célébrant les exploits de Paul Émile. » Plutarque, Vies parallèles, Paul Émile, 32-34
La dernière période (133-50) voit les conquêtes romaines s'étendre jusqu'aux limites du monde connu. Elles se font sous la conduite de généraux qui ambitionnent désormais un pouvoir personnel : Pompée soumet tout l'Orient dans les années 60 et César les Gaules dans les années 50. Seuls les Parthes réussissent à vaincre les Romains. Rome a donc vaincu presque tous ses ennemis et a constitué un immense empire. Ce succès de Rome humilie les Grecs mais les fascine aussi. L'historien grec Polybe, venu en otage à Rome avec Paul Émile, justifie ainsi la rédaction de son histoire au milieu du ne siècle : «Se pourrait-il en effet qu'on soit assez borné, assez indifférent pour refuser de s'intéresser à la question de savoir comment et grâce à quel gouvernement l'État romain a pu, chose sans précédent, étendre sa domination à presque toute la terre habitée et cela en moins de cinquante-trois
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Rome et ses possessions en 201 avantJ.<.
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l'Empire de Rome en 44 avant J.<.
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Conquêtes depuis 44 ou transformations de royaumes-dients en provinces
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...
Atlantique
500km
Les conqu ê tes de R o me.
Principales batailles
ans ? 1 [ ... ] Les Romains, eux, ont forcé non pas quelques contrées mais presque tous les peuples de la terre à leur obéir, si bien qu'il n'est personne aujourd'hui qui puisse leur résister et que, dans l'avenir, nul ne peut espérer les surpasser. » Polybe, Histoire, 1, 1, 5-2, 7
Les interrogations de Polybe sont encore les nôtres : à quoi attribuer ce prodigieux succès ?
4) L'armée romaine Une première réponse, apparemment évidente, serait la qualité de l'armée romaine. Au VIe siècle, l'armée romaine est recrutée parmi les citoyens riches, capables de payer leur équipement. Il n'y a alors qu'une seule «légion», une unité lourde comparable à la phalange grecque ou macédonienne. Elle comporte peut-être 6 000 hommes, répartis en soixante centuries, armés de boucliers ronds de bronze et de lances longues d'arrêt (l'hasta). Les citoyens les plus pauvres fournissent l'infanterie légère et les plus riches la cavalerie. Cette phalange est dédoublée en deux légions au ve siècle. À la fin du rif siècle, l'armée romaine se transforme. Elle est alors constituée de quatre légions plus légères (deux par
consul). C'est donc une armée plus nombreuse et recrutée parmi des citoyens moins aisés, à laquelle s'ajoutent les contingents d'alliés. D'après Polybe, la légion du ue siècle a un effectif de 4 200 fantassins: 3 000 soldats armés lourdement, 1 200 vélites armés à la légère et 300 cavaliers. La légion change aussi d'organisation. Elle est subdivisée en soixante manipules. Chaque manipule comprend deux centuries de soixante hommes chacune et devient l'unité tactique fondamentale, avec son enseigne qui est l'instrument de liaison et de commandement. L'intérêt de cette nouvelle organisation tactique de la légion dite « manipu l. C'est-à-dire de 220 à 167.
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laire »est sa grande souplesse par rapport à la phalange. Sur le terrain, les troupes forment trois lignes : chaque manipule est séparé de son voisin par un intervalle permettant des assauts et des retraites alternés de chaque ligne. Pendant la deuxième guerre punique, une nouvelle unité apparaît, la cohorte, composée de trois manipules (six centuries). Cette unüé plus importante est capable d'exécuter des opérations autonomes. L'armement du légionnaire évolue aussi. Il est constitué d'un bouclier long, rectangulaire ou ovale (le scutum), d'une lance de jet (le pilum) et d'une épée courte (le gladius). La longue lance rusparaît. L'armement défensif continue d'être différent selon les classes censitaires: cottes de mailles pour les plus riches, plaques pectorales pour les plus pauvres. Les Romajns ont montré leur capacité à évoluer et à adapter tactique et armement face aux différents adversaires qu'ils ont eu à combattre. Ils sont passés maîtres dans l'art du siège. Leur capacité à fabriquer une artillerie de siège, à élever des fortifications au tour d'une ville assiégée et à érufier rapidement un camp fortifié pour leurs légions fait l'admiration des Anciens. Pourtant, expliquer la supériorité des Romains sur les ennemis par la qualité de leur armement et l'excellence de leur tactique s'avère insuffisan t. En effet, il n'y a pas d'écart « technologique» dans l'Antiqwté entre les adversaires. Du reste, les Romains euxmêmes passent pour avoir emprunté à leurs adversaires telle arme ou telle organisation. Inversement, Hannibal a équipé son armée à la romaine.
5) La force de mobilisation romaine En fait, la supériorité militaire est d'abord une question de ressources, humaines et matérielles. Or Rome a toujours pu aligner un nombre important de soldats dans ses guerres. Cette capacité s'explique par deux phénomènes: l'augmentation du nombre de citoyens romains et l'intégration des vaincus dans l'armée romaine. Pendant les deux siècles où elle n'est qu'une puissance régionale, Rome 48
mbat au sein de la confédération latine. À partir du ~ siècle, les Ro~ains. int_ègren~ dans leur corps civique une partie des vamcus Italiens: 1ls annexent leurs territoires et y c~ée~t de nou~el~es tribus ju~qu'en 241. Rome agrandit ams1 son temt01re propre, 1ager romanus , et accroit du même coup le nombre de ses citoyens mobilisables. Cette capacité à étendre la citoyenneté est unique dans le monde antique: Athènes à son apogée ne comptait pas plus de 40 000 citoyens, alors que les citoyens romains étaient déjà 300 000 en 264. Cependant, Rome n'annexe qu'une partie de l'Italie. Elle préfère généralement imposer aux vaincus un traité (un fœdus): ils deviennent ainsi ses alliés, dits « fédérés» ou «associés » (socii), soumis à des obligations militaires et fiscales. Certains sont spécialisés dans la cavalerie comme les Campaniens, d'autres dans la marine, comme les cités grecques d'Italie du Sud. Rome s'est ainsi constitué une énorme réserve mobilisable d'environ 600 000 hommes, d'après les chiffres fournis par Polybe pour 225. Avec les citoyens romains, cela fait donc 900 000 hommes. Évidemment, Rome ne mobilise qu'une partie de ces hommes pour une guerre et n'a pas toujours l'avantage numérique sur le terrain de bataille. C'est même rarement le cas: par exemple, l'armée des Scipion à la bataille de Magnésie du Sipyle en 189 ne compte que quatre légions et moins de 30 000 hommes contre plus de 70 000 pour l'armée du roi Antiochos Ill. L'avantage principal pour Rome est, en fait, de pouvoir surmonter un désastre, même lorsque les pertes sont énormes ou de combattre dans plusieurs secteurs d'opération à la fois. On voit bien que la supériorité de Rome est étroitement liée à des facteurs originaux qui la distinguent des autres cités: sa conception «ouverte» de la citoyenneté et sa politique à l'égard des cités et des peuples italiens, à qui elle laisse leur autonomie tout en les intégrant à son système militaire.
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Vers 509
Superficie de l'ager romanus
Nombre de citoyens romains
983 km 2
130 000 2
En340
3 098 km
En328
6039km 2
150 000
En296
2
262 000
En264 Vers 200
7 688 km
27 000 km
2
37 000 km
2
214 000 312 000
En 169-168 En 115-114 En90
292 000
394 000 55 000 km
2
En 70-69
910 000
6) Une culture virile et militaire Les Romains se distinguent encore par l'importance des valeurs guerrières dans leur société et leurs mentalités. C'était déjà l'opinion de Polybe, pour qui la force des Romains venait de leur « constitution » et de leurs « vertus». Rome a conservé bien plus longtemps que les Grecs l'idéal du citoyen-soldat. Son armée garde un caractère civique et une cohésion sans doute supérieurs à une armée de mercenaires qui formaient l'essentiel des armées hellénistiques. Cependant, lorsque les guerres s'éloignent de l'Italie, certains citoyens deviennent pratiquement des soldats de métier. Voici comment l'un de ceux-ci se présente en 171 : «Je me présente, Quirites: je suis Spurius Ligustinus, de la tribu Crustumina, originaire de Sabine. Mon père m'a laissé une terre d'un jugère et une petite maison où je suis né et où j'ai grandi. J'y habite encore aujourd'hui. Quand j'ai été en âge de me marier, mon père m'a donné pour épouse la fille de son frère : elle ne m'apportait rien d'autre que sa condition de femme libre et ses qualités de cœur, sans parler de sa fécondité qui aurait comblé même une famille riche. Nous avons six fils et deux filles qui sont déjà
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mariées. Quatre de mes fils ont pris la toge virile, les deux autres portent encore la toge prétexte. J'ai commencé mon service militaire sous le consulat de Publius Sulpicius Galba et Gaius Aurelius Cotta. J'ai servi pendant deux ans comme simple soldat dans l'armée qui fit la guerre contre Philippe en Macédoine ; en récompense de ma bravoure, Titus Quinctius Flamininus me donna, l'année suivante, le commandement du 1oe manipu le des hastats 1 • Après la défaite de Philippe et des Macédoniens, nous avons été rapatriés et libérés du service. Je me suis aussitôt porté volontaire pour partir en Espagne sous les ordres du consul Marcus Porcius Caton . [ ... ]Il m'a promu premier centurion hastat de la première centurie. Ma troisième campagne, je l'ai faite à nouveau comme volontaire dans la guerre contre les Étoliens et le roi Antiochus. Manius Acilius m'a élevé au grade de premier centurion de la première centuries des principes. Après l'expulsion du roi Antiochus et la capitulation des Étoliens, nous avons été rapatriés. J'ai par la suite encore servi deux ans comme légionnaire. Je me suis battu deux ans en Espagne, la première fois sous les ordres de Quintus Fulvius Flaceus, la seconde fois sous Tiberius Sempronius Gracchus. Flaccus m'a ramené à Rome avec ceux qui devaient figurer à son triomphe, pour récompenser ma bravoure. Je suis reparti en Espagne à la demande de Tiberius Sempronius Gracchus : en quelques années j'ai été quatre fois centurion primipile et j'ai été récompensé trente-quatre fois pour ma bravoure; j'ai reçu six fois la couronne civique. En tout j'ai servi vingt-deux ans dans l'armée et j'ai plus de cinquante ans. » Tite-Live, Histoire romaine, XLII, 34
Les Romains valorisent à un point extrême le courage
viril (la virtus) et la discipline. Tout Romain devait connaître l'histoire terrible du consul Titus Manlius Torquatus qui, en 340, aurait fait exécuter pour indiscipline son propre fils, pourtant vainqueur en combat singulier. Peine de mort (pour désertion ou fuite devant l'ennemi), bastonnade, coups de verges ou amendes punissent les fautes des soldats. Inversement, les soldats obtiennent des récompen1. Premier grade du centurionat. Le plus haut est celui de primipile.
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ses honorifiques. Les simples soldats peuvent recevoir des plaques appelées « phalères », des colliers et des bracelets ; les officiers sont honorés de couronnes diverses, selon l'exploit récompensé. Cette culture virile et militaire se constate aussi dans l'acharnement des Romains à ne jamais reconnaître une défaite et à combattre jusqu'à la victoire : un traité avec l'ennemi ne se conçoit que s'il est vaincu. L'aristocratie romaine en est aussi imprégnée. L'éducation des jeunes aristocrates comprend une intense préparation physique et technique. Pour faire une carrière politique, il faut dix années de service militaire et avoir fait preuve de courage et d'aptitude au commandement. La gloire d'un homme et d'une famille réside dans les commandements militaires et les victoires: un homme illustre (vir illustris) est un homme de guerre et si possible un triomphateur (vir triumphalis). Cette gloire militaire est rappelée lors des funérailles, fait l'objet d'inscriptions sur les temples votifs édifiés par les généraux vainqueurs ou est ·commémorée par les monuments honorifiques qui se multiplient à Rome depuis le ~siècle sous la forme d'abord de statues, de colonnes puis d'arcs de triomphe. La guerre est, enfin, une grande source de profits, sous la forme du butin et des prisonniers réduits en esclavage. Depuis les années 210, des tonnes d'or et d'ar gent, des milliers d'objets précieux et d'œuvres d'art sont emportés à Rome, frui ts du pillage en Sicile, en Grèce, en Macédoine et en Asie. Les revenus tirés de la guerre et des impôts sur les vaincus sont tels que les citoyens sont exemptés du tributum, l'impôt foncier, à partir de 167. · Ainsi l'ampleur des effectifs mobilisables, le consensus autour des vertus militaires, les intérêts conjugués de l'aristocratie et des simples citoyens font de Rome une machine de guerre redoutablement efficace, plus encore que les qualités, certes indéniables, de l'organisation de son armée, de son armement ou du « génie » éventuel de ses chefs.
IV
Le dernier siècle de la République (133-30) J) lA prospérité de l'Italie romaine
L'Italie et Rome connaissent une prospérité croissante au cours des trois derniers siècles avant notre ère. La guerre permanente et la conquête d'un empire ont également contribué à ces changements importants dans la société et l'économie qui se traduisent à la fin du Ile siècle par des tensions et des crises. L'Italie est une des régions méditerranéennes les plus peuplées et les plus urbanisées de l'époque, avec environ 5 millions d'habitants vers 225 ert 7,5 millions à la fin du fr siècle. La population urbaine de Rome s'accroît dans des proportions gigantesques: peut-être 200 000 habitants au me siècle, 400 000 au If siècle et près du million à l'époque de César. TI n'y eut pas de vilJe plus importante dans cette partie du monde avant Londres au ~ siècle. Cette croissance urbaine est due à l'immigration de citoyens, d'étrangers et d'esclaves. Rome est devenue une ville géante, une « mégapole » et une ville cosmopolite qui concurrence Alexandrie d'Égypte. La société et l'économie se diversifient. Les grands proPriétaires fonciers privilégient les activités spéculatives : la culture de la vigne et l'élevage s'étendent au détriment des ~tures céréalières. Leurs domaines sont organisés autour dune ou de plusieurs villëE (fermes) et le travail est assuré Par des troupes de nombreux esclaves. Le vin italien s'exP<>rte de plus en plus, par exemple vers la Gaule, et concur-
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renee les vins grecs. Les activités artisanales et commerciales se développent, en particulier en Campanie autour du port de Pouzzoles, devenu le principal port de Rome malgré son éloignement, le port d'Ostie étant difficile d'accès pour les navires de mer. La céramique italienne est fabriquée en masse et s'exporte sous forme de petite vaisselle ou d'amphores. Rome ne crée qu'au me siècle son propre système monétaire de bronze (as et sesterce) et d'argent (denier), mais il devient ensuite le système dominant. Certains Romains, souven t des chevaliers, se spécialisent dans l'affermage des impôts (les «publicains») et des travaux publics, le commerce ou la banque. Au If siècle, Rome est devenue le centre de l'économie d'échanges du monde méditerranéen : la ville se transforme rapidement avec la construction d'immenses entrepôts et d'aqueducs (le premier en 312). Les grandes familles rivalisent pour élever des temples, des portiques et des basiliques sur le forum ou le champ de Mars. Les sénateurs eux-mêmes s'enrichissent, même si la loi leur interdit, en principe, de faire du commerce maritime. Ils étendent leurs domaines fonciers, profitent des guerres et des gouvernements des provinces, parfois exploitées de manière éhontée. Au rer siècle, la fortune et l'avidité de Crassus, l'allié de César et de Pompée, sont devenues légendaires: « On regarde comme principales preuves de sa cupidité la manière dont il s'enrichit et l'énormité de sa fortune. Ne possédant' pas au début plus de 300 talents 1 , ensuite, lors de son consulat, il offrit à Hercule la dîme de ses biens et fournit à chaque Romain trois mois de vivres à ses frais, et pourtant, lorsqu'il fit pour lui-même l'inventaire de sa fortune avant son expédition contre les Parthes, il trouva qu'il possédait 7 100 talents. la plus grande partie de ces richesses, il la tira du feu et de la guerre, en faisant des malheurs publics la principale source de ses gains. En effet, quand Sylla, après avoir pris la ville, mit en vente les propriétés de ses victimes [ ... ],Crassus ne se lassa ni d'en recevoir en dons 1. Unité grecque valant 24 000 sesterces (ou 6 000 deniers).
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ni d'en acheter. En outre, voyant qu'à Rome les incendies d'immeubles et les écroulements causés par le poids et le nombre des étages était un fléau endémique, il acquit des esclaves architectes et maçons. Lorsqu'il en eut plus de 500, il se mit à acheter les bâtiments incendiés et les maisons voisines que les propriétaires, par crainte d'un sinistre possible, lui cédaient à bas prix, de telle sorte que la plus grande partie de Rome passa en sa possession. [ ... ]Il possédait un très grand nombre de mines d'argent, des terres d'un immense rapport et des cultivateurs sur ces domaines; cependant l'on peut dire que ce n'était rien en comparaison de la valeur de ses esclaves, tant il en avait et de toutes espèces : lecteurs, secrétaires, argentiers, régisseurs, maîtres d'hôtel. Il présidait en personne à leur formation et les instruisait avec un soin attentif, convaincu que le premier devoir du maître est de veiller sur ses esclaves comme sur des instruments vivants de l'économie domestique. » Plutarque, Vies parallèles, Crassus, 2, 3-7
2) Mutations sociales et culturelles L'enrichissement s'accompagne d'un raffinement de la vie quotidienne qui atteint un degré extrême chez les aristocrates, aussi bien dans l'agencement des demeures urbaines (domus), des jardins dans la périphérie de Rome, des villas de plaisance à la campagne ou au bord de la mer que dans l'art de la table ou le mobilier. Cette célèbre anecdote concernant Lucullus (mort en 57) en est une illustration : «Une fois qu'il dînait seul, on ne lui avait apprêté qu'un unique service et un modeste repas. Il se fâcha et fit appeler le serviteur préposé à cet office. Celui-ci lui dit qu'il n'avait pas cru, puisqu'il n'y avait pas d'i nvités, qu'il fût besoin de mets somptueux. "Que dis-tu ? s'écria Lucullus, ne savais-tu pas qu'aujourd'hui Lucullus dîne chez Lucullus?"» Plutarque, Vies parallèles, Lucullus, 40, 3
Les mœurs changent. L'amour devient un art chanté par les poètes du :rer siècle, sur le mode sentimental (les Bucoliques de Virgile), moqueur (les Satires d'Horace), polisson
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(L'Art d'aimer d'Ovide) ou érotique pour ne pas dire pornographique (certains poèmes de Catulle). Tout en restant condamné ou moqué, l'adultère est courant chez les hommes et les femmes gagnent une liberté jamais vue auparavant. La prostitution, tant féminine que masculine, s'éttend. Il est de bon ton, ou presque, d'avoir un mignon, un jeune esclave d'origine grecque et les mœurs dites « grecql!.les » se répandent dans l'aristocratie romaine. Ces évolutions sont en effet attribuées par les conservateurs à l'influence des Grecs, en particulier d'Asie. Caton l'Ancien, censeur en 184, s'indigne du luxe importé d'Asie et de la décadence des mœurs qui en découle selon lui. Le vieil idéal de l' austérité des mœurs est bien loin, s'il a jamais existé. Toutefois, le luxe, le raffinement, les mœurs libres qui caractérisent un Sylla, un Lucullus ou un César ne les empêchent pas d'être de grands généraux et des meneurs d'hommes. En effet, les Romains font une nette séparation entre le negotium, c'est-à-dire le temps de la guerre ou de la politique qui exige retenue, dureté et sérieux et l'otium, le temps du repos qui, dans le cadre privé, autorise relâchement, légèreté et frivolité, du moment que les plaisirs ne déteignent pas sur le comportement public. L'influence culturelle grecque est en fait très ancienne à Rome. Elle s'est d'abord répandue par l'intermédiaire des Étrusques, puis des cités d'Italie du Sud, enfin elle est venue directement de Grèce ou d'Asie. Lorsque la littérature latine naît au me siècle, elle apparaît très dépendante de l'hellénisme. Livius Andronicus, un jeune Grec cultivé vendu comme esclave à Rome après la prise de sa cité en 272, traduit l'Odyssée et des tragédies pour le public romain. Ensuite, des auteurs latins adaptent des tragédies ou des comédies grecques, tels Nrevius, Ennius, Plaute et Térence. À partir du me siècle, les aristocrates romains parlent le grec et au rer siècle bon nombre d'entre eux séjournent à Athènes pour leurs études. En 167, Paul Émile ramène à Rome la bibliothèque grecque du roi Persée, la seule chose, dit-on, qu'il ait gardée pour lui au titre du butin. La littérature latine arrive à maturité au rer siècle av. J.-C.: c'est le temps de Lucrèce pour la philosophie, de
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catulle, Virgile ou Ovide pour la poésie, de Salluste et TiteLive pour l'histoire, de Cicéron pour l'art oratoire. Ce dernier, né en 106 et mort en 43, est aussi pour les Romains }'un des plus grands écrivains de son temps: ou tre ses discours, ils ont conservé nombre de ses traités (De l'orateur, Des lois, De La République, les Tusculanes, Des devoirs) qui adaptent la philosophie grecque à la pensée latine. Les aristocrates son t fiers d'être reconnus pour leurs talents oratoires et littéraires, comme Caton l'Ancien, Jules César avec ses Commentaires sur la guerre des Gaules ou Térentius Varron avec son savant traité sur la langue latine. Cette floraison littéraire se poursuit jusqu'au début du ne siècle apr. J.-C. avec les poètes Lucain, Martial et Juvénal, le philosophe Sénèque ou les historiens Tacite et Suétone.
3) L'amorce d'une crise sociale et politique Tous ces chan gements s'accompagnent de mutations sociales et politiques qui annoncent une crise interne à la République. La vie politique se concentre davantage encore entre les mains des riches et de la noblesse qui se ferme presque complètement. Les liens entre citoyenneté, vie politique et service militaire se distendent à cause de l'accroissement du nombre de citoyens et leur dispersion dans toute 11talie. La classe moyenne des petits propriétaires, par excellence citoyens-soldats, semble avoir eu tendance à se réduire. La cause en serait leurs longues absences lors des guerres, entraînant endettemen t, ven te de leurs propriétés et émigration à Rome. Le problème de la terre et de la petite propriété est surtout lié à l'enjeu de l'exploitation des terres confisquées en Italie. Elles sont en Principe propriété collective de Rome - c'est l'ager publicus. En fait, cette terre est exploitée par une minorité de riches Romains, qui, moyennant un loyer modique, en sont les principaux « possesseurs» et la font cultiver par des C:Sclaves. Les citoyens romains pauvres, mais aussi les Italiens, en sont de fait exclus. Le fossé se creuse entre les plus riches et les plus pauvres. À tout cela s'ajoutent de gl"andes révoltes d'esclaves en Sic ile puis en Italie. La plèbe
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urbaine pauvre est endettée et mécontente des loyers élevés; en outre, elle se sent manipulée par les hommes politiques. Comme, depuis la fi n du Ile siècle, le recrutement de l'armée se fait de plus en plus sur le mode du volontariat et sans tenir compte du classement censitaire, les prolétaires sans ressources y deviennent nombreux et attendent de leurs chefs victorieux, les imperatores, butin, récompenses et distribu tions de terres. Enfin, Rome est restée une cité, alors qu'elle est à la tête d'un empire immense. Malgré la multiplication des magistratures et des tribunaux, les institutions romaines s'avèren t inadaptées. Après le nf siècle, l'extension de la citoyenneté marque le pas en Italie : les Romains maintiennent la plupart des Italiens dans la sujétion parce qu'ils y ont intérêt et p arce qu'ils n e peuvent franchir le pas vers la constitution d'un État territorial italien. Le seul modèle possible est alors le royaume de type hellénistique que la noblesse romaine rejette. En effet, conserver le système républicain étendu à toute l'Italie pose des problèmes insolubles car il 1 n existe pas dans l'Antiquité de démocratie représentative: un citoyen doi t exercer personnellement ses droits. Enfin, le comportement de « prédateurs >> de nombreux magistrats lors de leurs gouvernements de province et des armées romaines en campagne risquent de pousser les peuples soumis à la révolte. Les mutations culturelles, sociales, économiques se conjuguent aux problèmes n és du succès de la conquête elle-même. Tout cela aboutit à une longue période de crise et de guerres civiles mais aussi à la recherche de solution politiques nouvelles. 4) Les Gracques (133-121)
En 133, Tiberius Sempronius Gracchus, un me mbre d'une illustre famille de la noblesse plébéienne, est élu tri· bun de la plèbe. Il cherche à résoudre le problème de la répartition des terres publiques et de la diminution du nombre de petits paysans. Pour cela, il veut limiter l'accu· pation des terres de l'ager publicus à 500 jugères par pos·
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sesseur, c'est-à-dire environ 125 hectares. ll fait voter en ce sens une loi, la lex sempronia, qui prévoit de recenser les terres publiques par un collège spécial de trois magistrats, le triumvirat agraire, et de redistribuer les terres ainsi récupérées à des citoyens pauvres qui recevraient des lots inaliénables. TI espère ainsi reconstituer une classe moyenne de paysans-citoyens et retrouver le fonctionnement d'une République idéale. Mais la loi suscite l'opposition acharnée de la majorité des sénateurs. Contrairement aux règles, Tiberius Gracchus, déjà élu triumvir agraire, décide de se présen ter une nouvelle fois au tribunat de la plèbe, craignant de voir sa loi vidée de toute substance. Au cours des émeutes qui éclatent alors, il est assassiné au Capitole par Scipion Nasica, à la tête d'une foule de sénateurs et de leurs clients. Dix ans plus tard, en 123, son frère Caius Sempronius Gracchus est à son tour élu tribun de la plèbe pu is réélu, cette fois légalement, car il fait passer une loi en ce sens. Caïus amplifie les projets de son frère. TI réactive l'application de la loi agraire, fonde des colonies, favorise les chevaliers aux dépens des sénateurs et fait voter une loi frumentaire prévoyant la distribution à bas prix de blé à la plèbe urbaine. Cette politique suscite à nouveau une féroce opposition et un climat d'émeutes à Rome. En 121, le consul Opimius est chargé par le sénat d'éliminer Caïus Gracchus, avant qu'il ne soit élu une troisième fois. TI est tué avec plusieurs centaines de ses partisans. Les Anciens datent le début de la crise de la République en 133. Accusés de démagogie et de vouloir exercer une lyrannie fondée sur la plèbe, les Gracques avaient semblé menacer la puissance et la richesse de l'oligarchie demiDante. Un conflit politique avait dégénéré en violences et en assassinats. La question agraire et les lois frumentaires en faveur de la plèbe deviennent des enjeux fondamentaux. D'une manière un peu simplifiée, on oppose alors les popuOes « populaires ») aux optimates (les « meilleurs ») : populares s'appuient davantage sur la plèbe, notamlne':lt urbaine, dont ils prétendent défendre les intérêts ; les oprrrnates représentent plutôt la noblesse conservatrice qui
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s'oppose à un pouvoir personnel mais sait aussi manipuler la plèbe ou les soldats.
5) Le temps de Marius et Sylla (121-78) De 121 à 107, la noblesse, au sein de laquelle domine la puissante famille des Crecilii Metelli, parvient à restaurer un ordre précaire.
Marius En 108, Caius Marius, un homme nouveau, est élu consul pour 107. ll a accusé les Metelli et la noblesse en général d'incompétence dans la guerre menée contre le roi numide Jugurtha, en Afrique. Chargé de la guerre, il est rapidement vainqueur et devient très populaire. Marius est consul tous les ans de 104 à 100. Il vainc les Teutons et les Cimbres, peuples germaniques qui ont envahi la Gaule et l'Italie. L'agitation reprend à Rome à propos des distributions de terres pour les vétérans de Marius. Ce dernier finit cependant par condamner une politique trop démagogique et par se retirer. La guerre sociale
En 91, Livius Drusus, un noble élu tribun de la plèbe, propose une nouvelle loi de grande envergure: il s'agit encore de récupérer des terres au détriment de leurs possesseurs romains et italiens, contre la promesse d'accorder à tous les Italiens la citoyenneté romaine. Drusus est assassiné et sa législation abolie. Or, au même moment, un préteur est tué par les habitants d'une petite ville d'Italie : c'est le signal d'une grande révolte des alliés italiens, la guerre sociale (de socius, cc allié»). La crise est très grave: Rome doit combattre jusqu'en 89. Pour diviser les Italiens, une loi accorde en 90 la citoyenneté aux peuples restés fidèles. Après la guerre, ce sont finalement tous les Italiens de la péninsule qui deviennent citoyens romains. L'Italie est enfin unifiée, mais au prix d'une terrible guerre qui laisse des traces durables dans les mémoires.
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La première guerre civile En 88, le roi du Pont, Mithridate, fait massacrer o 8 000 Italiens ef entreprend de détruire l'Empire de Rome en Asie Mineure. La conduite de la guerre contre Mithridate est d'abord attribuée au consul Lucius Cornelius Sylla, un patricien ambitieux, qui avait été l'un des lieutenants de Marius. Ce dernier, pourtant âgé de 70 ans, réussit à priver SyUa de son commandement par un vote populaire et à se le faire confier. Sylla refuse de céder: il marche sur Rome avec son armée, ce qui est un sacrilège jamais vu dans la Ville. Il chasse Marius et ses partisans et part aussitôt pour l'Orient. Ses adversaires reprennent Rome en 87: les partisans de Sylla sont massacrés ou doivent s'enfuir auprès de lui en Orient. Marius, consul pour la septième fois en 86, meurt dès le 13 janvier, mais les marianistes conservent le pouvoir à Rome. Entre-temps, Sylla est vainqueur de Mithridate, avec qui il conclut la paix en 85. Il revient en Italie avec son armée en 83 et l'emporte sur ses adversaires politiques au prix d'une sanglante guerre civile. Les proscriptions de Sylla Rentré à Rome en novembre 82, Sylla fait d'abord exécuter des centaines d'Italiens qui avaient combattu pour les marianistes. li procède ensuite à l'extermination légale de ses adversaires romains, parmi lesquels plusieurs cen-
taines de sénateurs et chevaliers et plusieurs milliers de citoyens. Il dresse à cet effet des listes de proscription : les proscrits sont privés de tous leurs droits civiques et donc livrés à la mort sans autre jugement. Leurs biens sont confisqués et leurs fils et petits-fils exclus de la citoyenneté. Les têtes des proscrits sont exposées au forum et leurs cadavres privés de sépulture. Les proscriptions et la « cruauté » de Sylla laissent un souvenir terrible. Nombre de ses partisans, sincères ou non, en profitent aussi pour s'enrichir en acquérant à bas prix les propriétés des prosCrits.
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La dictature de Sylla À la fin de l'année 82, Sylla se fait nommer dictateur avec des pouvoirs extraordinaires : il est officiellement chargé de faire les lois et de réformer la République. Il double le nombre des sénateurs qui passe de 300 à 600. Les nouveaux sénateurs sont évidemmen t choisis parmi ses partisans. Il édicte des règles strictes pour le cursus honorum, sépare l'exercice des magistratures à Rome des promagistratures dans les provinces et affaiblit le pouvoir du tribunat de la plèbe. Il crée des tribunaux permanen ts pour les crimes publics. Il célèbre un triomphe grandiose sur Mithridate en 81 et organise des jeux extraordinaires pour célébrer sa victoire. Il donne des terres en Italie à ses 120 000 vétérans. Sylla se faü passer pour le protégé de Vénus et prend le surnom de Felix, qui signifie« heureux», c'est-à-dire favori des dieux. Il entreprend de grands travaux au Capitole, détruit par un incendie pendant la guerre civile. Il agrandit le pomérium et fait ainsi figure de nouveau fondateur de la Ville. Jamais depuis le temps des rois un homme n'avait eu autant de pouvoir à Rome. Pourtant, Sylla abandonne la dictature à la fin 81 et se contente du consulat pour 80. Le 1er janvier 79, il redevient simple citoyen et se retire en Campanie. Pour les uns, c'est un monarque manqué qui n'a pas pu ou pas su conserver le pouvoir; pour les autres, c'est un homme qui a voulu sincèrement restaurer une République aristocratique. Sylla meurt en 78 et des funérailles solennelles et publiques lui sont faites mais, aussitôt, les luttes politiques reprennen t de plus belle, détruisant rapidement son œuvre de restauration.
6) Le temps de Pompée et de César (78-50)
La trentaine d'années qui s'écoule de la mort de Sylla à la dictature de César voit le blocage des institutions de la République et la multiplication de troubles intérieurs, compliqués par des périls extérieurs. L'Espagne, restée aux mains de marianistes regroupés autour de Sertorius, devien t une sorte d'État romano-ibère indépendant. En 74, 62
la guerre reprend contre Mithridate du Pont en Asie, dont est chargé Lucius Licinius Lucullus. Malgré ses succès, il mécontente ses soldats pour avoir fait régner une discipline sans complaisance, ainsi que les publicains d'Asie pour avoir voulu une administration plus juste. En 73, une grande révolte d'esclaves en Italie, sous la conduite du gladiateur Spartacus, tient tête aux Romains. Les pirates pullulent à ce point en Méditerranée que l'insécurité est permanente depuis des décennies. [A gloire de Pompée
Pompée, un jeune homme de noblesse récente, a été l'un des lieutenants de Sylla dans la guerre civile de 83-82. À peine âgé de 25 ans et sans avoir jamais été élu magistrat, il est chargé d'éliminer les marianistes en Sicile et en Afrique. ll réussit très bien et obtient même le triomphe ! Pompée mène alors une carrière en dehors des cadres normaux mais toujours couronnée de succès. ll termine ainsi la guerre contre Sertorius en 72 et écrase les dernières bandes de Spartacus en 71. ll est enfin élu au consulat pour 70, avec le riche Marcus Licinius Crassus. Les deux hommes restaurent la puissance du tribunat de la plèbe, ce qui les rend populaires et inquiète la noblesse. En 67, une loi confie à Pompée un commandement extraordinaire sur toute la Méditerranée pour combattre les pirates. ll accomplit brillamment sa mission, ce qui lui vaut de recevoir en 66 le commandement contre Mithridate à la place de Lucullus. Ce n'est qu'une promenade militaire. Mithridate, déjà très affaibli, est éliminé en 65. Pompée parcourt tout l'Orient jusqu'au Caucase, une des limites du monde habité. D supprime le royaume séleucide et annexe la Syrie, prend Jérusalem et assujettit la Judée, réorganise les provinces, établit ou confirme partout des rois ou des princes comme alliés et sujets de Rome. Ceux-ci deviennent également ses clients. Pompée, surnommé Magnus,« le Grand», comme Alexandre, est donc l'homme fort de la République.
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L'ascension de César Pendant ce temps, la vie politique à Rome reste agitée. En 63, Cicéron, le célèbre orateur, est consul. li déjoue une conjuration organisée par un aristocrate ruiné, le patricien Catilina. Le sénat, par le vote d'un sénatus-consulte ultime, autorise Cicéron à le faire exécuter. Lors de cette séance, un a utre patricien, Caïus Julius Cresar (Jules César) s'oppose à l'exécution des complices de Catilina. César (né en 100) cherche alors à gagner les faveurs de la plèbe. En 69, il a réhabilité la mémoire de Marius lors des funérailles de sa tante Julia, épouse de Marius. Édile en 65, il a organisé des jeux splendides. En 63, il est élu grand pontife et réside désormais dans la domus publica près du forum. Devenu populaire mais sans beaucoup de poids au sénat, il s'allie avec Crassus et mène des intrigues tortueuses. Préteur en 62, il est propréteur en Espagne l'année suivante et y montre ses qualités militaires. Il lui manque encore le consulat et un grand commandement provincial pour, éventu ellement, rivaliser avec la gloire de Pompée. Le premier triumvirat
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Lorsque Pompée rentr.e d'Orient en 62, auréolé de ses victoires, beaucoup pensent qu'il pourrait être un nouveau Sylla, mais il reste dans la légalité. Il congédie ses légions et attend patiemment 61 pour célébrer son triomphe sur « le monde entier». Il espère jouer . un rôle par son influence politique, mais les conservateurs s'opposent à la ratification de ses actes et à la distribution de terres à ses vétérans. César offre alors son alliance à Pompée. En 60, les deux hommes forment, avec Crassus, le ' « premier triumvirat» : c'est une entente officieuse entre les trois hommes afin de se soutenir mutuellement et de se partager les commandements. Elle est renforcée par le mariage entre Pompée et Julia, fille et enfant unique de César. Les trois hommes dominent désormais la vie politique, malgré l'opposition de la noblesse conservatrice, incarnée par Caton le Jeune. César, consul en 59, fait ratifier les actes de Pompée en Orient. En 58, il reçoit les Gaules cisalpine e t transalpine comme proconsul. Il saisit la première occasion pour intervenir en Gaule chevelue et la conquérir. Il
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ntretient une intense propagande à sa gloire à Rome. ~oJ11111e Pompée, il prétend avoir atteint les limites du monde en franchissant le Rhin et même l'Océan, après ses deux débarquements en Bretagne (en 55-54). La guerre des Gaules est aussi pour lui le moyen d'amasser une énorme fortune. En 56, l'accord entre les trois hommes est renouvelé. pompée et Crassus sont à nouveau consuls en 55 et font voter une loi qui prolonge de cinq ans le commandement de César en Gaule. À l'issue de leur année de consulat, Pompée reçoit le proconsulat d'Espagne et Crassus obtient celui de Syrie dans la perspective d'une campagne contre les Parthes. Crassus est vaincu et tué en 53 à la bataille de Carrhre, laissant Pompée et César face à face. Les deux imperatores, bien qu'en principe am is et alliés, rivalisent sur tous les plans. Pompée fait construire sur le champ de Mars un immense théâtre, le premier à Rome, qui comporte aussi un jardin et une curie pour les réunions du sénat. César entreprend de construire une nouvelle basilique sur le forum et fait reconstruire sur le champ de Mars les sëEpta O'enclos abritant les réunions des comices), soignant ainsi son image (( démocratique». n projette la construction d'un nouveau forum et dépense des dizaines de millions de sesterces pour acheter les terrains.
Lll rupture entre César et Pompée L'agitation et la corruption à Rome sont alors à leur comble. En janvier 52, Clodius, qui est extrêmement populaire pour avoir fait voter en 58 une loi instituant des distributions gratuites de blé à la plèbe, est pratiquem ent maitre de la rue. Il est assassiné par Milon, un partisan de la noblesse. La plèbe se soulève et organise des funérailles à Clodius en plein forum, faisant de la curie son hOcher funéraire. Les sénateurs, qui craignent une véritable révolution, se résolvent à confier Je pouvoir à Pompée pour qu'il rétablisse l'ordre. Il est élu consul unique en mars 52. Ds le pensent moins dangereux que César, qui soutenait Clodius et qui est devenu plus populaire que Pompée. En St, César, définitivement vainqueur des Gaulois, réclame
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au sénat soit la prolongation de son proconsulat, soit le droit de se présenter au consulat en restant absent de Rome. li prétend que, sans cela, sa sécurité et sa dignité sont menacées. Le sénat refuse, espérant que César cédera. César franchit le Rubicon avec son armée en janvier 49. C'est la guerre civile.
7) La guerre civile et la dictature de César (49-44) Le sénat confie à Pompée la conduite de la guerre pour sauver la République. Apparemment, le rapport de force est défavorable à César, mais Pompée choisit de gagner la Grèce, d'où il espère rassembler tous les princes et peuples qu'il avait soumis en Orient. Une majorité de sénateurs le rejoignent, parmi lesquels Cicéron et Caton. César se rend donc maître de l'Italie et, au lieu de poursuivre Pompée, s'empare aussitôt de l'Espagne pour l'empêcher de disposer de l'armée puissante qui s'y trouve. En 48, César part en Grèce et l'emporte sur Pompée lors de la bataille de Pharsale (9 août), malgré l'infériorité en nombre de ses soldats (22 000 contre 47 000). Pompée s'enfuit en Égypte et, avant que César n!y arrive à son tour, se suicide. César séjourne longtemps en Égypte, où il rétablit sur le trône la reine Cléopâtre VII, devenue sa maîtresse. En 47, il mène une campagne éclair contre le roi du Pont Pharnace, vaincu à Zéla. li y prononce sa fameuse formule : « Veni, vidi, vici '' («Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu »). En 46, il se rend en Afrique et l'emporte, à Thapsus, sur une armée levée par les partisans de Pompée; il en profite pour vaincre le roi numide Juba et créer une nouvelle province. Il se rend enfin à Rome pour y célébrer quatre triomphes, non sur ses adversaires romains mais sur les Gaules, l'Égypte, le Pont et l'Afrique. Au début de 45, il doit à nouveau combattre en Espagne où il vainc, à Munda, les fils de Pompée, qui avaient réussi à y rassembler une nouvelle armée. Il célèbre son cinquième triomphe.
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uz politique de César Durant toutes ces a nnées de guerres, jusqu'en 45, César ne fait que de très courts séjours à Rome (onze jours en 49 et pas un seul en 48) mais il y contrôle les institutions. À ses propres a mis s'ajoutent en effet des indécis et de nombreux partisans de Pompée qu'il gagne par sa clémence et l'offre de son amitié. Tous ne suiven t pas l'exemple héroïque de Caton le Jeune qui se suicide après la défaite de Thapsus. César multiplie les magistratures et augmente le nombre des sénateu rs, ce qui lui p ermet d'y placer ses fidèles. Il s'attache la plèbe par un mora toire des dettes, des distributions d'argent et des jeux magnifiques. n cumule les pouvoirs, en mu]tipliant les entorses a ux règles : il est à la fois consul et dic tateur, et se fait nommer, en 46, dictateur pour dix ans. Depuis 45, il déploie une intense activité. Il réforme les institutions, la fiscalité, le calendrier (le calendrier romain devient le cale ndrier dit julien qui est encore le nôtre), distribue des terres à ses vétérans, fonde pour eux des colonies et accorde généreusement la citoyenneté romaine, par exemple aux Gaulois de la vallée du Pô. Un biographe décrit ainsi la foule des projets de César en 44 : «De plus, en ce qui concerne 1'embellissement et l'enrichissement de Rome, ainsi que la protection et l'agrandissement de l'Empire, il formait chaque jour de plus nombreux et de plus vastes projets : il se proposait avant tout de construire un temple de Mars, le plus vaste qu i fût au monde, en comblant et nivelant la pièce d' eau sur laquelle il avait donné le spectacle d'une naumachie, et un théâtre immense, adossé à la roche Tarpéienne 1 ; de condenser le droit civil et de choisir dans la multitude énorme des lois éparses ce qu'il y avait de meilleur et d'indispensable pour le rassembler en un tout petit nombre de livres ; de mettre à la disposition du public des bibliothèques grecques et latines aussi riches que possible (il avait confié à Marcus Varron le soin d'acquérir et de classer les livres); de dessécher les marais Pontins ; d'ouvrir un débouché au lac Fucin ; de 1
1. Au sud du Capitole.
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construire une route allant de la mer Adriatique jusqu'au Tibre en franchissant la crête des Apennins ; de percer l'isthme de Corinthe ... » Suétone, Vie de César, 43
César, roi de Rome ? Depuis la fin de l'année 45, des honneurs extraordinaires s'accumulent sur César: droit de porter en permanence le costume triomphal, de s'asseoir sur une chaise d'or et titre de père de la patrie. Son nom est donné à un mois de l'année (Julius =juillet). Il poursuit la construction de son nouveau forum, le forum julium, avec un temple dédié à Vénus Genetrix, la déesse à l'origine de sa famille. Une statue équestre de César en orne le centre. En février 44, en se faisant nommer dictateur à vie, César montre qu'il ne songe pas à abandonner le pouvoir. Veut-il alors être roi? Quand les sénateurs viennent lui faire part de nouveaux honneurs, il les reçoit assis, ce qui marque une attitude royale. Il n'a pas hésité à faire venir à Rome la reine Cléopâtre, dont une statue est placée dans Je temple de son forum. Le 15 février 44, lors de la fête des Lupercales, le consul Marc Antoine, un de ses fidèles, lui pose sur la tête une couronne en forme de diadème, symbole de la royauté de type hellénistique. Les spectateurs se divisent et César finit par repousser la couronne. Il projetait alors une expédition contre les Parthes, qui, selon les Livres sibyllins, ne pouvaient « être vaincus que par un roi ». Le bruit court donc que César veut se faire attribuer officiellement le titre de roi, lors de la séance du sénat qu'il a convoqué le 15 mars à la curie de Pompée, sur le champ de Mars. L'assassinat de César Une conjuration pour l'assassiner se forme parmi ses adversaires mais aussi parmi certains de ses amis, déçus ou exaspérés par son attitude. Soutenue par Cicéron, elle est dirigée par Marcus Junius Brutus (un descendant de ce Brutus qui avait chassé Tarquin de Rome) et Caïus Cassius Longinus, tous deux sincèrement attachés à l'idée de
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la restauration de la République. Le 15 mars (les ides de Mars), César tombe, frappé de trente-cinq coups de poignard, au pied de la statue de Pompée. Le sénat proclame aussitôt l'amnistie générale, tout en ratifiant les actes de César, pour éviter un retour à la guerre civile. Cependant, ses funérailles sont l'occasion d'une émeute populaire suscitée par Antoine: la foule dresse son bûcher funéraire sur le forum même et lui voue ensuite un culte spontané. Une comète apparue à ce moment-là passe pour être l'âme de César montée au ciel: il est donc devenu divus, le second homme de l'histoire romaine à avoir été divinisé après Romulus. César laisse un souvenir contrasté dans la mémoire romaine. D'un côté, il est considéré comme celui qui a été le fossoyeur de la République et de la Liberté. De l'autre, sa personnalité fascinante, son génie de stratège militaire, la largeur de ses vues, sa clémence lui valent une admiration quasi universelle, même parmi ses adversaires. L'idée de la nécessité d'un pouvoir de type monarchique a fait cependant son chemin. La noblesse romaine a été incapable de maintenir le bon fonctionnement des institutions et d'empêcher troubles populaires et guerres civiles. Dans les années 50, Cicéron lui-même songeait à un «prince», le premier des citoyens, qui garantirait un ordre social équilibré, unissant sénateurs, chevaliers et notables des municipes italiens. En tout cas, la solution ne pouvait venir de la noblesse en tant que groupe. Elle va rapidement sombrer, décimée par les dernières guerres civiles.
8) Le second triumvirat et le triomphe d'Octave (44-30) À la mort de César, ses meurtriers Brutus et Cassius ne peuvent rétablir le fonctionnement de la République. lls s'enfuient de Rome pour lever une armée. À Rome, le nouvel homme fort est Marc Antoine, mais il doit tenir compte d'un tout jeune homme : Caius Octavius. Celui-ci, né en 63, est le petit-neveu de César qui l'a adopté dans son testarnd'ent rédigé en septembre 45. Le voilà donc héritier une énorme fortune et surtout des noms de César: il
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s'appelle désormais Caïus Julius Cresar comme son père adoptif 1• Octave sait habilement manœuvrer: il s'allie d'abord à Cicéron qui croit pouvoir le ma nipuler contre Antoine et reçoit un premier imperium du sénat. Ille trahit bientôt pour se rapprocher d'Antoine et de Lépide, un autre ami de César. Les trois hommes s'accordent pour prendre le pouvoir. En 43, ils form ent un triumvirat officiel, avec les pleins pouvoirs et un imperium permanent. Lépide est en outre élu grand pontife. Les triumvirs dressent, comme autrefois Sylla, des listes de proscription et font exécuter bon nombre de leurs adversaires, dont Cicéron, adversaire acharné d'Antoine qu'il avait attaqué dans ses derniers discours, les Philippiques. E ntre-temps, Jules César a été divinisé officiellement par le sénat : Octave, désormais fils du divus Julius, s'en proclame le vengeur, attirant à lui les faveurs des vétérans de son père et de la plèbe d e Rome. Comme signe de sa détermination, il fait le vœu d'élever un nouveau forum avec un temple dédié à Mars Ultor (Vengeur) en plein centre de Rome. En 42, Antoine et Octave battent ensemble l'année de Brutus et de Cassius, à Philippes, en Macédoine, puis se partagent les années e t les provinces. Antoine s'installe à Alexandrie en Égypte, où il vit avec la reine Cléopâtre, bien qu'il ait épousé, en 40, Oètavie, la sœur d'Octave. Il contrôle tout l'Orient romain, mais a le droit de lever des troupes en Italie. Octave res te à Rome et domine tout l'Occident depuis 36, après avoir éliminé Sextus Pompée, dont la Botte est vaincue par Agrippa à la bataille de Nauloque, et privé Lépide de l'Afrique. L'entente entre Antoine et Octave n'avait jamais été parfaite. ils finissent par rompre en 32 et à s'affronter dans une nouvelJe guerre civile. Octave est vainqueur à la bataille navale d'Actium en 31 et conquiert l'Égypte en 30, contraignant Antoine e t Cléopâtre au suicide. il est désormais le seul maître de Rome et de son Empire.
1. Nous conserverons par commodité son nom d'Octave jusqu'à ce qu'il reçoive son surnom d'Auguste en 27 av. J.-C.
v L'Empire et les empereurs 1) Auguste fondateur du« principat» (29 av. J.-C.-14 apr. J.-C.)
Octave retourne à Rome seulement en 29. ll y célèbre un triomphe grandiose mais tâche désormais d'effacer le souvenir d'un pouvoir né des guerres civiles et souillé du sang des proscriptions. Il ferme le temple de Janus, signifiant ainsi que le temps de la paix, intérieure comme extérieure, est venu. Il abandonne ses pouvoirs triumviraux et se contente du consulat à partir de 28. Sa propagande insiste sur l'idée d'un retour à la concorde et d'une restauration de la Res publica. En quelques années, par touches successives, il établit les bases légales de son pouvoir qui sont celles d'un nouveau régime.
Les pouvoirs d'Auguste En janvier 27 av. J.-C., il opère un partage des provinces entre le sénat et lui-même : au sénat sont attribuées dix provinces; les autres, celles qui comportent les armées, sont confiées à Octave. Il détient désormais un imperium Proconsulaire permanent, qu'il n'est pas obligé de renouveler chaque fois qu'il franchit le pomérium. Prétendant avoir ainsi restauré la République, il reçoit en récompense du sénat le surnom d'Augustus, qui signifie à la fois • gl'and » et «sacré». Depuis 30, il porte officiellement le Prénom d'Imperator, dont nous avons tiré le mot « empereur». Octave se nomme donc à partir de 27 Imperator 71
Cœsar Augustus: ces trois noms deviendront par la suite la titulature officielle de l'empereur. En 23, il reçoit du sénat et du peuple la puissance tribunicienne à vie, formellement renouvelée chaque année. Sans être tribun de la plèbe, il en détient tous les pouvoirs, ce qui lui permet notamment de faire voter des lois par le peuple. Il n'est donc plus contraint de revêtir chaque année le consulat comme il le faisait depuis 28 pour pouvoir agir sur les institutions de Rome. En 12, à la mort de Lépide, il est élu grand pontife, donc chef de la religion romaine officielle. Auguste est encore chargé depuis 22 de la cura annonœ, c'est-à-dire du soin (cura) de se charger de l'approvisionnement (annona) en blé de Rome, ce qui fait de lui le protecteur de la plèbe. À plusieurs reprises, il revêt les pouvoirs des censeurs (la « puissance censoriale ») et procède à l'épuration du sénat. L'autorité d'Auguste
Néanmoins, les bases institutionnelles ne sont pas suffisantes pour comprendre la nature du pouvoir qu'exerce Auguste. Lui-même prétend n'avoir jamais eu plus de pouvoir légal (potestas) qu,e les autres magistrats et affecte n'être que le premier des sénateurs et des citoyens, c'està-dire le princeps (le «prince »). En revanche, il déclare l'avoir emporté sur tous en auctoritas, en« autorité». Cette notion signifie le poids personnel qu'acquiert un homme, à la fois par ses qualités personnelles (ses «vertus »), son ascendance glorieuse et ses actions éclatantes. Il insiste aussi sur la faveur que lui accordent les dieux. Depuis 36, Auguste s'est mis sous la protection d'Apollon, à qui il attribue ses victoires, notamment celle d'Actium. Il lui consacre un temple au Palatin. Auguste est aussi le fils de César divinisé et descendant de Vénus, l'ancêtre des Julii : cette double ascendance divine est l'un de ses thèmes de propagande favoris, repris par tous les poètes du temps, tels Virgile, Horace et Ovide. La personne même d'Auguste passe pour être surhumaine. Son Génie protecteur est honoré officiellement par les Romains en association avec le culte des Lares des carrefours, comme s'il protégeait l'ensemble des citoyens. Comme pour César, les honneurs exceptionnels se sont accumulés sur Auguste. Le sénat
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donne son nom à un mois de l'année (Augustus =août) qui suit celui de son père, Julius (=juillet). En 27 av. J.-C., il vote en son honneur un bouclier, destiné à orner la curie, qui men tionne les quatre vertus d'Auguste : le courage viri l (virtus), la piété à l'égard des dieux et de son père (pietas), la clémence à l'égard de ses adversaires (clementia), la justice accordée à tous (justifia). En 2 av. J.-C., il reçoit enfi n le titre honorifique de Père de la Patrie, ce qui fait de lui un nouveau Romulus, le fondateur de Rome.
Auguste cuirassé (Prima Porta), Musée du Vatican.
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Le consensus autour d'Auguste
Auguste a ainsi créé progressivement une véritable monarchie, mais, contrairement à César, il a tenu à sauvegarder les apparences de la République. li laisse fonctionner magistratures, sénat et comices, et, surtout, prend soin d'avoir un comportement public irréprochable. Pourtant, il s'agit d'une mpture fondamentale avec la République : Auguste détient, seul, des pouvoirs qui sont permanents et leur exercice repose sur une autorité surhumaine, indépendante des seules institutions du peuple romain. Auguste a eu aussi la chance de vivre longtemps. Cinquante-sept ans de pouvoir, dont quarante-quatre ans sans rival, lui ont permis d'inscrire son œuvre dans la durée. Par sa politique équilibrée, il a satisfait la plupart des acteurs de la vie politique. Héritier de César, il s'est assuré le dévouement des soldats par des récompenses sous formes de dons de terres et d'argent et il a mené une politique militaire active avec la conquête des régions danubiennes. Reprenant en partie la politique des «populaires », il s'attache la plèbe de Rome, en lui assurant des distributions gratuites de blé. Par une meilleure administration de l'Empire, il s'assure le soutien des provinciaux. Par une politique conservatrice en matière de mœurs et de restauration de la religion traditionnelle, il rassure les élites. Il procède à une épuration du sénat, il organise l'ordre sénatorial et l'ordre équestre sur de nouvelles bases et renforce leur place dans la société. Ce qui reste de la noblesse romaine est soit acquise à Auguste, soit résignée. Pour ses contemporains et les historiens de l'Antiquité, Auguste met fin à un siècle de crises. Le retour à la paix civile depuis 30 av. J.-C. est un soulagement pour tous. En 17 av. J.-C., Auguste organise des Jeux séculaires, une fête religieuse extraordinaire qui célèbre l'avènement d'un nouveau siècle : « Ô Dieux, accordez de bonnes mœurs à la jeunesse docile; dieux, accordez le repos à la vieillesse apaisée; donnez à la race de Romulus la richesse, des enfants, la gloire ! Qu'il obtienne de vous ce qu'il demande par le sacrifice de
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bœufs blancs, l'illustre descendant 1 de Vénus et d'Anchise, vainqueur sur le champ de bataille, clément pour l'ennemi vaincu [ ... ] Déjà la Bonne Foi, la Paix, l'Honneur, la Pudeur d'autrefois, la Vertu méconnue osent revenir et l'heureuse Abondance reparaît ayec sa corne pleine. » Horace, Chant séculaire
Par cette prière, chantée lors de ces jeux, le poète fait d'Auguste l'instrument de la providence divine: l'âge d'or est revenu. Ce fut l'apogée de son règne.
2) La succession impériale {14-235) Auguste a cherché très tôt à assurer sa succession, ce qui montre qu'il souhaitait fonder un régime destiné à lui survivre. N'ayant qu'une fille et aucun enfant de sa seconde épouse Livie, il le choisit parmi ses parents les plus proches. Il se trouve que ceux qu'il désigne meurent avant lui : son neveu Claudius Marcellus, son gendre Agrippa et ses petits-fils Caius et Lucius. Finalement, il choisit Tibère, fils de sa femme Livie et de Tiberius Claudius Nero. Il l'adopte en 4 apr. J .-C. Tibère est alors un homme mûr et expérimenté de 46 ans. Il reçoit l'imperium proconsulaire et la puissance tribunicienne, ce qui fait de lui pratiquement le collègue d'Auguste.
Lll première succession impériale Auguste meurt le 19 août 14 apr. J.-C. C'est un moment décisif, puisque, officiellement, la République n'avait jamais été abolie. En théorie, le pouvoir pouvait repasser entièrement aux magistrats, au sénat et aux comices. Mais, les consuls, suivis par les sénateurs et l'ensemble des soldats présents à Rome, prêtent serment de fidélité à Tibère. Le testament d'Auguste est lu au sénat : il désigne Tibère et livie comme ses héritiers. Tibère préside les funérailles &randioses d'Auguste, reconnu ensuite comme divus par le
lD s'agit évidemment d'Auguste. 75
sénat qui a voté sa consecratio 1• Les sénateurs ne peuvent que s'incliner, car Tibère dispose de la force militaire et de la légitimité conférée par Auguste. Il reçoit par la suite la plupart des titres et des pouvoirs de son père adoptif. Cependant, il en refuse certains, comme celui de porter le prénom d'Imperator et attend quelques mois avant d'accepter le grand pontificat. Les dynasties impériales Cette succession réussie est le second acte de naissance du régime impérial. Dès lors, il n'y eut plus de remise en cause sérieuse de la monarchie impériale ni de la légitimité dynastique. Certes, il n'y aura jamais dans l'Empire romain de succession héréditaire de droit, mais l'appartenance à la famille impériale est l'un des meilleurs titres de légitimité. C'est ainsi que Tibère, Caligula, Claude et Néron arrivent au pouvoir en tant membres de la famille des Julii, alliée aux Claudii, que nous nommons les Julio-Claudiens. Cela n'empêche pas une féroce compétition dans la famille elle-même. Suétone nous raconte que Claude aurait été empoisonné par son épouse Agrippine. Elle était soucieuse de porter rapidement au pouvoir son fils Néron, né d'un autre mariage, aux dépens de Britannicus, fils de Claude et de Messaline. Après la chute des Julio-Claudiens, tous les empereurs tenteront d'imposer leurs fils, lorsqu'ils en ont, comme successeurs et de créer ainsi leur dynastie. Vespasien, victorieux de ses compétiteurs en 69, fonde la dynastie flavienne (69-96) et Septime Sévère, arrivé lui aussi au pouvoir après une guerre civile, fonde la dynastie des Sévères (193-235). Lorsque l'empereur n'a pas de fils, comme c'est le cas de Nerva à Antonin, il choisit la voie de l'adoption et de l'association au pouvoir de son vivant. La propagande impériale insiste alors sur le principe du choix du « meilleur », alors qu'en réalité chacun s'efforce de choisir l'un de ses plus proches parents. Pour renforcer encore sa légitimité, 1. Décision qui consiste à reconnaître comme appartenant au monde des dieux un lieu, un homme, ou un objet: pour l'empereur, c'est reconnaître son caractère divin.
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chaque nouvel empereur demande au sénat de diviniser }'empereur défunt: ce que nous appelons la dynastie des Antonins (96-192) est une succession de divus en divus de Nerva jusqu'à Marc Aurèle. Ce dernier est le seul à avo ir eu un fils, Commode, qui ait survécu à l'enfance : il lui succède tout naturellement, malgré ses graves défauts de caractère que lui prêtent toutes nos sources.
1.Jt rôle de l'armée Quel que soit le mode de succession, l'armée joue toutefois un rôle primordial. Depuis Auguste, un empereur est toujours acclamé imperator par une troupe, avant d'être investi de ses pouvoirs légaux par le sénat et le peuple à Rome. Bien évidemment, en cas de crise, lorsqu'un empereur est assassiné et qu'il n'y a plus de successeur dans sa famille qui paraisse légitime, l'armée joue un rôle d'autant plus direct. Ainsi, en 68-69, à la mort de Néron, quatre empereurs se succèdent et se disputent le pouvoir: Galba, proclamé par l'armée d'Espagne, Othon par les prétoriens à Rome, Vitellius par l'armée des Germanies et Vespasien par celle d'Orient. À la mort de Commode, assassiné en 192, s'ouvre une nouvelle crise qui ne s'achève qu'en 197, quand Septime Sévère, proclamé par l'armée du Danube, a éliminé Didius Julianus en 193, Pescennius Niger en 194 et Clodius Albinus en 197. Finalement, c'est la victoire qui légitime : elle est en effet considérée comme le signe de la faveur des dieux. Jusqu'au début du me siècle, la seule condition pour être empereur est d'être sénateur ou apparenté à un empereur. Même le préfet du prétoire, pourtant l'homme le plus puissant de l'Empire après l'empereur, ne peut prétendre être revêtu de la pourpre, n'étant que chevalier. Ce n'est qu'en 217 que, pour la première fois, un Préfet du prétoire devient empereur. 3) Le pouvoir impérial Les bases institutionnelles du pouvoir impérial sont l'imperium proconsulaire, la puissance tribunicienne, la puissance censoriale et le grand pontificat. Tous ces pouvoirs
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sont attribués à l'empereu r par des votes du séna t et des comices. Depuis Vespasien , le vote d'une loi, dite lex de imperio, suffit à conférer à l'empereur tous les autres droits et privilèges qui lui permettent d'agir pratiquement dans tous les domaines, sans être limité par la loi. L'empereur contrôle toutes les institutions de différentes manières. Comme grand pontife et membre de tous les collèges de prêtres, il veille au recrutement des prêtres publics. Il peut peser sur l'élection des magistrats, passée des comices au sénat depuis Tibère, en recommandant des candidats qui sont obligatoirement élus. C'est de toute façon lui qui dresse la liste officielle des sénateurs, l'album sénatorial, et il est libre d'y inscrire qui il veut par la procédure dite de l'adlection. L'empereur est le chef de l'armée romaine. Les légions et la plupart des provinces de l'Empire ne peuvent être dirigées qu'en son nom par des légats. Tous les soldats et les officiers lui prêtent serment de fidélité. Bien entendu, toutes les grandes décisions concernant la guerre et la paix lui reviennent. Depuis Claude, seul l'empereur peut célébrer le triomphe, même si ce sont ses légats qui remportent la victoire. Le costume impérial habituel, hors de Rome, est le manteau militaire pourpre du général, le paludamentum. L'empereur a aussi le droit de porter à Rome le costume du triomphateur, une toge pourpre brodée d'or. La couleur pourpre finit par être la couleur impériale par excellence et l'expression « revêtir la pourpre» signifie revêtir le pouvoir. L'empereur est devenu la principale source de la loi et du droit de Rome. Il peut faire une proposition au séna t qui l'approuve et la transforme en sénatus-consulte qui a force de loi ; envoyer des instructions, sous forme de lettre (epistula), à ses légats; répondre à n'importe quelle requête juridique de la part d'un particulier: sa réponse par écrit, que l'on appelle un rescrit, devient la base de la jurisprudence. Parallèlement, l'empereur développe son activité de juge à Rome et dans les provinces. Bien entendu, il délègue ce pouvoir à ses représentants, ~ais il peut se saisir de n'importe quelle affaire ou bien être saisi en appel. L'empereur est protégé par la loi de majesté, qui rend passible
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de la peine de mort tout complot, toute atteinte physique ou même verbale à sa personne. S'il s'agit d'un sénateur, celui-ci est normalement jugé par le sénat, mais l'empereur peut le présider ou lui transmettre ses instructions. Le pouvoir impérial se traduit aussi par le développement du cérémonial. Ses entrées à Rome (l'adventus) sont solennisées. Il monopolise la cérémonie du triomphe et ses funérailles prennent un caractère grandiose. Des fêtes célèbrent son anniversaire, celui des membres de sa famille et celui de son avènement. Le culte impérial se développe à Rome et dans les provinces. 4) Les élites et le pouvoir
Les empereurs ont dû s'entourér de proches collaborateurs pour s'occuper de la correspondance, des archives, des affaires financières et de la gestion de leurs immenses domaines. lls les choisissent d'abord parmi leurs affranchis et esclaves. Ainsi s'organise, surtout à partir de Claude, une chancellerie impériale composée de plusieurs bureaux (correspondance grecque et latine, archives, réception des requêtes) et une administration financière. La puissance et la richesse acquises par les affranchis de Claude choquent les sénateurs mais ils n'y peuvent rien.
Us chevaliers À partir des Flaviens et surtout des Antonins, les chefs
de service, qui ont le titre de procurateur, sont choisis parmi les chevaliers : ce sont désormais des hommes hono-
rables, appartenant au second ordre de l'État, et c'est le signe que l'administration impériale n'est plus une structure domestique. Des chevaliers sont également nommés depuis Auguste à la tête des services fiscaux dans les proVinces. Une véritable carrière équestre s'organise, un peu sur le modèle de la carrière sénatoriale. La plus haute charge équestre est celle du préfet du prétoire qui comlllande la garde impériale. Bien que chevalier, il est le second de l'empereur. Souvent au nombre de deux, pour éviter qu'ils ne deviennent dangereux, les préfets du pré-
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toire sont membres du conseil du prince. À leurs compétences militaires s'ajoutent des fonctions administratives et surtout judiciaires qui s'affirment nettement sous les Sévères. Le sénat et les sénateurs
L'empereur ne peut cependant gouverner l'Empire avec son seul personnel d'esclaves et d'affranchis ou même de chevaliers. La Res publica sous l'Empire n'est pas une fiction totale : le peuple est certes écarté, mais le sénat et les magistratures subsistent. L'empereur lui-même détient un pouvoir légal qui est une sorte de magistrature. Les élites romaines sont encore pénétrées de l'idée que la gestion de l'État fait partie de leurs devoirs et même de leur identité sociale. Sous l'Empire comme sous la République, la place dans la société est déterminée par la place prise dans les affaires publiques. L'honorabilité provient d'abord des honneurs exercés, puis de la naissance, des vertus personnelles et enfin de la richesse. Même si les sénateurs ne doivent plus leur carrière aux suffrages du peuple mais à la faveur impériale, ils continuent à jouer un rôle effectif. Le sénat se rassemble régulièrement à la Curie et vote les propositions du prince. Il a même acquis de nouvelles compétences : élire les magistrats à la place des comices, investir l'empereur de ses pouvoirs, le diviniser ou condamner sa mémoire à sa mort' . Tout cela confère à ses membres le prestige de participer à la direction de l'Empire. En tant que magistrats, les sénateurs exercent des activités judiciaires ou administratives et président les jeux publics. Certains de ces sénateurs sont des amici, des « amis » du prince, et font partie du conseil impérial ; ils accompagnent parfois l'empereur en campagne ou en voyage, et, en ce cas, ils prennent le titre decornes(« compagnon»), mot qui a donné« comte ». Un loyal serviteur du prince peut faire une brillante carrière et obtenir des honneurs tels que les ornements triom1. C'est la damnatio memori<E : les portraits de l'empereur sont détr uits, ses noms sont martelés sur les inscriptions, ses actes en principe annulés.
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phaux 1 et des statues honorifiques. Comme légats de l'empereur, ils exercent encore sous l'Empire les principales responsabilités militaires jusqu'au me siècle. Ils seront alors concurrencés par les chevaliers.
L'ordre sénatorial sous l'Empire Les sénateurs formen t toujours l'élite de la société. Auguste a redéfini l'ordre sénatorial, nettement distingué de l'ordre équestre. C'est désormais un ordre héréditaire auxquels appartiennent les sénateurs, leurs épouses et leurs enfants qui portent tous le titre de clarissime 2 • Pour en être membre, il faut posséder une fortune d'au moins un million de sesterces et être un citoyen romain de naissance libre et honorable. Les hommes portent comme signe distinctif une large bande de pourpre, dite « laticlave », sur leur tunique par opposition à la bande étroite ( « angusticlave ») qui distingue les chevaliers. Les fils de sénateurs sont destinés à entrer dans la carrière sénatoriale, il leur faut toutefois être auparavant élus questeur, normalement à 25 ans. L'empereur renouvelle l'ordre sénatorial en y faisant entrer des chevaliers ou des notables provinciaux. L'ordre sénatorial intègre d'abord de nombreux Italiens puis des notables originaires d'Occident (Gaule narbonnaise, Bétique puis Afrique) puis, de plus en plus, d'Orient (Grèce, Asie et même Syrie). À la fin du ne siècle, la moitié des sénateurs est d'origine provinciale. Les sénateurs sont obligés de résider à Rome et d'investir une partie de leur fortune en terres italiennes. Le groupe des six cents sénateurs fonne ainsi une élite sociale à l'échelle de tout l'Empire, dans laquelle s'effacent les distinctions entre vainqueurs et vaincus. lis partagent la même culture, le même genre de vie, les mêm es mentalités. Leur richesse est souvent considérable et se chiffre à 20 ou 30 millions de sesterces pour un sénateur moyen, mais à plus de 300 millions pour le 1. Tous les insignes du triomphateur ( toge triomphale, sceptre, couronne), mais sans la cérémonie du ttiomphe réservée à l'empereur. 2: ~itre honorifique qui signifie « très brillant ». Les hommes sont cla11Sszmi viri, les femmes clarissimag feminag, les garçons clarissimi pueri et les filles clarissimag puellag.
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sénateur Sénèque, le philosophe et précepteur de Néron. Leur influence reste grande grâce à leurs nombreux clients. lis sont souvent les patrons de leur cité d'origine et le deviennent d'autres communautés grâce à leurs gouvernements provinciaux. 5) La vie politique sous l'Empire
L'expression « vie politique » peut paraître inadaptée, voire incongrue, puisque l'empereur détient un pouvoir quasi sans limites. n doit cependant veiller à s'assurer des appuis. Sa popularité auprès de l'armée est un élément essentiel. L'empereur doit au moins se montrer att entif aux affaires militaires et aux besoins des soldats. Depuis l'avènement de Claude, l'habitude est prise de verser aux prétoriens, plus tard à l'ensemble de l'armée, une somme d'argent appelée le donativum. La popularité auprès de la plèbe de Rome est moins importante, mais elle peut compter occasionnellement. L'empereur doit surtout tenir compte des élites et, tout particulièrement, des sénateurs. Ceux-ci attendent de lui qu'il se comporte à Rome en civil plus qu'en militaire, en prince et non en maître (dominus). li faut aussi qu'il fasse preuve des vertus d'Auguste, qu'il soit accessible et qu'il n'abuse pas de son pouvoir. Il est tenu de respecter et de consulter le sénat et de garantir aux sénateurs leur sécurité. C'est le portrait idéal du « bon prince » pour les sénateurs. Leurs favoris ont été Trajan et Marc Aurèle. Un empereur qui mécontente les sénateurs peut certes régner longtemps mais il est à la merci d'un complot. Ces complots échouent souvent mais a boutissen t parfois à la chute de l'empereur régnant, par une rébellion comme pour Néron en 68, par l'assassinat pour Caligula en 41, Domitien en 96 et Commode en 192. Cette vie politique ne concerne cependant que la ville de Rome et les armées romaines. Jusqu'en 235, il n 'y a que deux guerres civiles qui aient provoqué quelques destructions ou massacres dans les provinces. Les provinciaux ne jouent pas de rôle direct dans la succession impériale. Il Y a eu toutefois quelques révoltes parmi lesquelles celles des Gaulois, des Bretons et des Juifs- les plus importantesqui furent finalement réprimées.
VI
L'Empire-monde 1) Organisation et administration de l'Empire Rome domine un empire dont les dimensions dépassent tout ce que le monde méditerranéen avait connu jusque-là. Pourtant, les moyens mis en œuvre pour le contrôler et l'administrer apparaissent comme singulièrement légers au regard de son immensité.
provinces L'Empire est divisé en une quarantaine de provinces. ~Jepuis Auguste, les provinces sont partagées entre le sénat . Dix provinces, dites sénatoriales, sont sous nominale du sénat qui y envoie des proconsuls, une année de gouvernement. n s'agit des provinces plus anciennes, les plus urbanisées et elles n'abritent d'armée importante. Les autres provinces, dites impésont sous l'autorité directe de l'empereur. Elles ont armée ou sont considérées comme peu civilisées. envoie dans la plupart d'entre elles des sénaqui portent le titre de légat d'Auguste propréteur et sont en place plusieurs années, de deux à quatre ans général. Les plus importantes de ces provinces, une ...._.,.."'_abritent une armée de deux ou trois légions : leurs sont des sénateurs consulaires de haut rang, pour leur aptitude au commandement militaire et fidélité à l'empereur. Les autres, un peu moins impor, mais qui peuvent comprendre une légion, sont 83
Qltalie
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-
Provinces sénatoriales
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Camp de légion
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gouvernées par des sénateurs un peu plus jeunes et qui ne sont que d'anciens préteurs. Enfin, quelques provinces, mineures sauf l'Égypte, sont gouvernées par des chevaliers qui dépendent encore plus étroitement de l'empereur. Le r6le des gouverneurs Chaque gouverneur s'entoure d'une petite équipe de conseillers, choisis parmi ses parents, ses amis et les notables locaux: ils l'assistent surtout dans ses tâches de juge. n dispose également d'un bureau, un officium, composé de militaires détachés de l'armée, d'esclaves et d'affranchis pour la rédaction de sa correspondance, la réception des requêtes et les archives. En dehors de l'aspect militaire, les tâches des gouverneurs des provinces sénatoriales el impériales sont de même nature. Le gou verneur se déplace dans sa province pour y tenir des assises judiciaires. n visite les cités dont il surveille la bonne gestion et noue des relations avec les notables. U intervient en cas de désordres. En plus des gouverneurs, il n'y a qu'une poignée d'autres sénateurs dans les provinces, les légats et les questeurs dans les provinces sénatoriales et les légats de légion dans les provinces impériales. Les procurateurs L'administration financière de l'Empire est confiée à des chevaliers, qui on t le titre de procurateurs et sont nommés directement par l'empereur. Les plus importants sont chargés de recouvrer les revenus provenant des impôts directs ou indirects dans les p rovinces impériales. D'autres, y compris dans les provinces sénatoriales, sont chargés de la aestion des domaines impériaux, des mines ou des carriè~. Cette administration financière est totalement indépendante des gouverneurs et est contrôlée par des bureaux centraux à Rome. Enfin, d'autres procurateurs gèrent la Pe>ste publique (le cursus publicus). Ces procurateurs disposent d'un personnel d'esclaves et d'affranchis comme caissiers, archivistes ou secrétaires par exemple.
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Un État sous-administré L'administration romaine est extrêmement légère, pour un empire peuplé de cinquante à soixante-dix millions d'habitants. Le personnel dirigeant en fonction n'excède pas quatre cents personnes en même temps : environ deux cents sénateurs, dont à peine un peu plus de cent dans les provinces, et au maximum cent quatre-vingt-deux procurateurs dans la première moitié du me siècle. S'y ajoutent tout au plus quelques milliers d'affranchis et d'esclaves dans des bureaux ainsi que les soldats détachés de l'armée auprès des différents responsables. On a pu estimer que le nombre de « fonctionnaires » dans l'Empire romain était vingt fois moins élevé que dans la Chine impériale à la même époque. L'Empire romain n'est donc pas un État bureaucratique, mais est-il pour autant sous-administré ? Comment s'expliquent la relative efficacité du système et sa longue durée? Des objectifs restreints Tout d'abord, les objectifs de l'administration romaine se résument à peu de chose: maintenir l'ordre, surveiUer la bonne gestion des cités, arbitrer d'éventuels conflits entre communautés, rendre la justice et prélever les impôts. En ce qui concerne les impôts, les cités ellesmêmes son t responsables de leur levée, ce qui soulage d'autant l'administration romaine. Pour leurs affaires internes, ces cités s'autogouvernent: elles ont leurs magistrats et leur conseil (la curie en Occident, la boulè en Orient) ; les décurions, les notables locaux membres des curies, assurent sur leur propre fortune les dépenses les plus lourdes. Ainsi, l'État romain contrôle plus qu'il ne gère son empire, « délocalisant >> en quelque sorte une partie de ses tâches qui reposent sur les cités.
La. centralisation L'efficacité de l'administration romaine réside aussi dans la centralisation et la qualité des communications. L'empereur et ses services centraux de Rome sont ten us au courant de ce qui se passe dans l'Empire par une intense circulation d'écrits entre Rome et les provinces: corres-
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pondance des gouverneurs et des procurateurs, requêtes des communautés ou des particuliers, archives des recensements. Les Romains ont aménagé à cet effet un réseau de routes assez dense et bien entretenu et le service de la poste publique achemine rapidement le courrier. L'empereur et l'administration centrale ont aussi une relative bonne connaissance des ressources. Pour assurer la bonne rentrée et l'assiette des impôts, d ont le principal est le tributum (l'impôt sur la terre), Auguste avait lancé d'énormes opérations de recensement non seulement de l'ensemble des citoyens romains mais aussi des terres et des sujets de Rome. Un écho de ces opérations se trouve dans les Évangiles : « Or, il advint, en ces jours-là, que parût un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de tout le monde habité. Ce recensement, le premier, eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, en Judée, à la ville de David, qui s'appelle Bethléem - parce qu'il était de la maison de David afin de se faire recenser avec Marie, sa fiancée qui était enceinte.
Évangile de l uc, 2, 1-5
Par la suite, il y eut des révisions du cens plus ou moins regulières et réalisées régionalement : nous en connaissons ainsi une dizaine d'Auguste aux Sévères pour les Germanies et les Gaules (en deux cent cinquante ans). Les Romains ont donc pu tenir leur empire avec une 6c<momie remarquable de moyens. On estime parfois que Rome n'aurait guère pu aller plus loin, faute de ressources financières. Certains historiens jugent que l'économie antique était restée une économie peu développée, avec très peu de surplus, et pensent que les prélèvements fiscaux Etaient pratiquement à leur maximum, comme le montrent Par exemple les difficultés que semble avoir eu l'Empire à augmenter les effectifs des soldats en cas de danger. D'autres historiens sont moins pessimistes.
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2) L'intégration des vaincus L'empire de Rome s'est forgé sous la République pour l'essentiel. Le régime impérial a fait, quant à lui, un extraordinaire effort d'intégration des vaincus.
Le droit du vainqueur Rome s'est évidemment d'abord imposée par la force. Dans l'Antiquité, le droit du vainqueur est reconnu par tous. Accepter la défaite, c'est accepter la soumission au vainqueur. Seule sa clémence permet d'éviter que tout un peuple ou une cité ne disparaisse: ville pillée ou même détruite, territoire confisqué, population réduite en esclavage. Ainsi, les Romains se sont montrés impitoyables envers les révoltés comme Capoue pendant la guerre contre Hannibal ou Corinthe lors de la dernière guerre de Macédoine. Cependant, même en cas de révolte, Rome sait jouer de la carotte et du bâton. Sous l'Empire, les cités gauloises révoltées en 68-69 sont pardonnées. Quand Titus, au nom de Vespasien, mate la révolte des Juifs commencée sous Néron, il prend Jérusalem et détruit le Temple mais, finalement, les Juifs conservent la plus grande partie de leurs droits, garantis par les anciens traités et élargis par César. Les colonies romaines L'un des moyens de domination de Rom e a été l'établissement dans les provinces de colonies de citoyens romains, le plus souvent formées de vétérans de l'armée. Lorsqu'une colonie est fondée, le territoire indigène est confisqué, remodelé par un nouveau tracé afin de former des parcelles régulières (ce que l'on appelle la centuriation) et enregistré dans un cadastre. Les parcelles sont attribuées aux colons qui résident dans la ville construite au centre du terroir. Les colons ont leurs propres institutions locales, mais les colonies dépendent directement de Rome et n'appartiennent pas à la province. Elles bénéficient de ce qu'on appelle le jus italicum, le droit italique: comme les cités italiennes, elles sont exemptées du tribut. Les indigènes ne sont pas forcément chassés mais doivent se contenter des
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, terres laissées vacantes et n'ont pas d'institutions indépendantes. Cependant, la plupart des colonies romaines hors d'Italie ont été fondées de Jules César à Tibère et le mouvement s'arrête pratiquement après Trajan. Elles se concentrent surtout dans certaines provinces, en Narbonnaise (Aix, Fréjus, Lyon par exemple), en Bétique et en Afrique. Ailleurs, elles sont plus rares et dispersées : elles servent de points d'appui et de contrôle de l'administration romaine. La plupart des vaincus conservent leur territoire, même si Rome s'en réserve la propriété éminente née de la victoire.
us statuts accordés par Rome L'acceptation de la défaite n'explique pas l'adhésion des vaincus. Celle-ci résulte de l'habileté des Romains qui accordent aux rois, cités et peuples soumis un statut par traité qui varie selon la manière dont ils sont passés sous la domination de Rome. Ceux qui ont été des alliés fidèles dans les guerres sont libres et parfois exemptés du tribut. Le gouverneur de la province ne peut, en principe, y intervenir. Ceux qui ont été soumis par la guerre ont un statut variable : certains bénéficient de la même indulgence que les alliés, d'autres sont dits tributaires ou stipendiaires et doivent verser de lourds impôts. Tous cependant gardent une certaine autonomie. Si les royaumes-clients, nombreux en Orient, finissent par disparaître après les Fla-
viens, les cités subsistent et même se multiplient. L'extension de la citoyenneté romaine Les Romains vont plus loin encore. En effet, la citoyenneté romaine est accordée de plus en plus largement aux provinciaux à partir de César. Certains empereurs sont plus généreux que d'autres, comme Claude ou Vespasien. L'extension de la citoyenneté se fait selon des modalités V&riables. Elle peut être accordée à des individus, à une COllectivité, lorsqu'elle s'est transformée en cité et s'est • romanisée», ou même à une province entière. Cela peut le faire par étapes. Ainsi, certaines cités reçoivent ce qu'on appelle le droit latin et deviennent des municipes : leurs lnagistrats deviennent automatiquement citoyens romains
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alors que le reste de la population reste pérégrine (étrangère). Par la suite, le municipe peut recevoir le droit romain et toute la population libre devient citoyenne. Le degré suprême de promotion est de recevoir le titre de colonie romaine, parfois même avec le jus italicum . La citoyenneté romaine est également attribuée aux pérégrins qui servent dans les unités auxiliaires de l'armée. Cette idée d'intégration des vaincus, associée à l'éloge de Rome et du régime impérial, est exprimée dans un discours prononcé par un rhéteur grec du rre siècle : « Et voici ce qui, dans votre régime politique, mérite tout particulièrement l'attention et l'admiration : c'est le caractère grandiose de votre conception, qui n'a absolument aucun équivalent. Vous avez divisé en deux parts toute la population de l'Empire- en disant cela, j'ai désigné la totalité du monde habité; la part la plus distinguée et noble et la plus puissante, vous l'avez faite, partout, dans son ensemble, citoyenne et même parente; l'autre, sujette et administrée. Ni mer ni distance terrestre n'excluent de la citoyenneté, et entre l'Asie et l'Europe il n'y a pas de différence sur ce point. Tout est mis à la portée de tous; nul n'est étranger s'il mérite une charge ou la confiance. [ ... ] Vous ne divisez pas aujourd'hui les races en Grecs et Barbares [ ... ] ; non, vous l'avez remplacée par la division en Romains et nonRomains.»
klius Aristide, Éloge de Rome, 59-60; 63
Ce processus d'intégration s'achève en 212, quand l'empereur Caracalla d~cide d'accorder la citoyenneté à tous les habitants libres de l'Empire. Cette mesure étend par conséquent le droit romain à tout l'Empire. L'intégration des élites Les Romains se sont toujours appuyés sur les élites locales qui trouvent leur intérêt dans cette protection. Mieux que cela, les Romains les intègrent progressivement parmi leurs cadres dirigeants. L'élite dirigeante - sénateurs, comme on l'a vu, mais aussi chevaliers et officiers de l'armée- finit par émaner de l'Empire en son entier. L'origine
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des empereurs reflète cette évolution : les Julio-Claudiens appartiennent à la vieille noblesse romaine ; les Flaviens à une famille de notables italiens ; Trajan, Hadrien et Antonin à des familles de colons romains d'Espagne ou de Gaule ; Septime Sévère, enfin, est le premier empereur dont la famille est d'origine pérégrine, punique qui plus est...
3) La « romanisation >> et la vitalité des cités La période de l'Empire romain correspond à une phase d'extension extraordinaire du modèle politique de la cité et du mode de vie urbain qui ont pu s'épanouir grâce à la paix romaine. Rome favorise sa diffusion parmi les peuples réputés barbares en Occident, en Afrique, en Asie Mineure et même en Égypte sous les Sévères. Cette politique rapproche ces peuples de la civilisation gréco-romaine. Le «Roman way oflife » s'impose partout en Occident, comme en témoignent les monuments de type romain : forums, temples, théâtres, amphithéâtres, thermes. La langue latine se généralise, d'abord dans les élites, puis dans les couches populaires. Les langues indigènes résistent parfois longtemps mais finissent par disparaître. Les Orientaux, Grecs ou non-Grecs, sont aussi influencés par Rome, par exemple avec l'adoption des jeux de gladiateurs, même si
le grec reste la langue principale en Orient. Après 212, le droit romain s'impose même en Orient. Or le droit, qui est devenu une véritable science et qui est l'un des traits majeurs de la civilisation romaine, est inséparable du latin qui s'étend ainsi dans une partie des élites hellénophones. Cette évolution est très largement spontanée, mais elle est également encouragée par les autorités romaines comme le raconte Tacite, lorsqu'il évoque l'œuvre de son beau-père Agricola, en Bretagne, sous le règne de Domitien: « L'hiver suivant fut consacré aux mesures les plus salutaires. En effet, pour accoutumer au repos et au loisir, par l'appât des plaisirs, ces hommes dispersés, grossiers, et par
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là même portés à guerroyer, il les encouragea à titre privé et les aida par des subventions publiques à construire des temples, des forums, des maisons, louant les plus actifs et réprimandant les plus paresseux : ainsi la rivalité d'honneur remplaçait la contrainte. De plus, il faisait donner une éducation libérale aux fils des notables, déclarant préférer les qualités naturelles des Bretons aux talents acquis des Gaulois, si bien que ces gens qui, récemment encore, rejetaient la langue de Rome, désirèrent acquérir son éloquence. Notre costume lui-même fut à l' honneur, et l'on vit de nombreuses toges ; peu à peu on céda aux séductions des vices : portiques, bains, banquets raffinés. Dans leur inexpérience, ils parlaient de civilisation, alors que c'était un élément de leur esclavage. » Tacite, Vie d'Agricola, XXI
Ce qu'on appelle la « romanisation » est donc un phénomène complexe qui joue sur les plans politique, social, culturel. Elle est fondée sur les cités qui forment le tissu vivant de l'Empire. En témoigne une véritable explosion du nombre des inscriptions dans les villes de l'Empire au Ile siècle. Il s'agit, pour la plupart, de textes gravés sur des statues honorifiques ou des monuments construits par les décurions, les riches notables membres du conseil local. Ces textes rappellent les bienfaits de magistrats sous forme de jeux, de distributions d'argent ou de blé, de constructions de bâtiments. Chaque cité est fière de son passé et de sa parure monumentale et rivalise avec les voisines. Leurs dirigeants s'efforcent d'exercer avec faste leurs magistratures et de mériter ainsi les honneurs qui leur sont votés. Ces bienfaiteurs, « évergètes », selon le terme grec, ont également les yeux tournés vers Rome. Nombre d'entre eux manifestent leur loyauté à l'égard de l'empereur par l'érection d'une statue ou d'un arc. Les cités envoient aussi des ambassades à Rome pour solliciter quelque privilège ou arbitrage de la part de l'empereur. n'est pas de cité qui n'ait un temple dédié au culte de Rome et des empereu rs divinisés. Certaines ont même l'honneur d'abriter le temple commun à une confédération de cités, voire à une province
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ou à un ensemble de provinces. Les délégués des cités s'y réunissent une fois par an et élisent un grand prêtre de Rome et d'Auguste à qui revient la charge et l'honneur suprême de célébrer le culte impérial. L'élu y consacre des sommes énormes pour que les jeux soient les plus magnifiques possible. Le sort de la population plus modeste est certes moins enviable. Toutefois, la plèbe des villes bénéficie de l'évergétisme des notables et d'un confort de vie certain. Le prélèvement fiscal romain pèse surtout sur la terre et donc sur les propriétaires. Il reste toutefois tolérable. Même les petits paysans libres sont capables de s'enrichir, notamment dans certaines régions où les empereurs favorisent l'exploitation des terres incultes de leurs immenses domaines, comme en Afrique. La législation impériale des Antonins améliore aussi la condition des esclaves, en restreignant les droits des maîtres.
4) Rome, capitale du monde L'essentiel des dépenses de l'État romain est consacré à l'armée et à la défense de l'Empire. Le reste est destiné aux dépenses fastueuses à Rome.
Le « peuple-roi » Une grande partie de la plèbe de Rome est privilégiée. Elle reçoit: des distributions gratuites de blé aux frais de l'État : Auguste a fixé le nombre des bénéficiaires à 200 000. Ce privilège est réservé à ceux qui sont citoyens romains, domiciliés légalement à Rome et inscrits officiellement sur des listes. Cette plèbe dite « frumentaire » reçoit aussi des distributions d'argent (les « congiaires ») à l'occasion des avènements impériaux, d'une victoire ou d'une fête célébrant par exemple les dix années de règne. Outre les jeux réguliers, toujours organisés par les magistrats, les empereurs offrent au peuple de Rome des jeux extraordinaires. Auguste et ses partisans ont construit à Rome deux nouveaux théâtres qui s'ajoutent à celui de Pompée. Ves-
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pasien construit un immense amphithéâtre, le Colisée 1, pour les jeux de gladiateurs et les chasses d'animaux sauvages. Auguste et Trajan embellissent et agrandissent le Grand Cirque qui peut désormais accueillir plus de 300 000 spectateurs. Les empereurs poursuivent donc la politique de séduction de la plèbe élaborée sous la République. Bien que privée de ses droits politiques, la plèbe de Rome est considérée comme la représentante de l'ensemble du peuple romain : elle est la figure concrète du peuple-roi. « Le pain et le cirque», selon les mots du poète Juvénal, lui sont dus au titre de la victoire de Rome sur le monde. Les spectacles sont l'expression visible, théâtralisée, de la domination universelle de Rome. Par exemple, les animaux sauvages exotiques dans les chasses symbolisent l'univers. Les jeux rassemblent aussi l'ensemble de la société romaine: l'empereur, les sénateurs, les chevaliers, les simples citoyens, chacun rangé à sa place car l'ordre des spectateurs doit aussi refléter l'ordre de la société. C'est également l'occasion d'un dialogue entre l'empereur et le peuple sous forme d'acclamations généralement. Parfois, la plèbe exprime son opinion au théâtre ou au cirque par son silence, des huées ou, plus rarement, de véritables émeutes. L'urbanisme Auguste a donné à Rome un visage digne d'une capitale par ses nombreuses restaurations et constructions nouvelles : outre les édifices de spectacle, il a construit des portiques, des temples, un nouveau forum avec un temple de Mars. C'est aussi lui qui a organisé une véritable administration urbaine. Le préfet de l'annone est chargé de l'approvisionnement en blé, le préfet des vigiles du service d'incendie et le préfet de la Ville de la police. Un curatew· des eaux entretient les aqueducs. Ses successeurs poursu ivent et complètent son œuvre. Claude puis Trajan aménagent de nouveaux ports à Ostie. Titus, Trajan et Caracalla 1. U est appelé « Colisée » à cause de la statue colossale qui se trouve tout près : c'était celle de Néron, transformée en celle du cüeu Soleil après sa chute.
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édifient des thermes de plus en plus grands et somptueux. Domitien, Vespasien et Trajan aménagent chacun un nouveau forum: l'ensemble des forums dits impériaux, depuis celui de César jusqu'à celui de Trajan , compose un centre monumental grandiose. Hadrien construit le Panthéon avec son extraordinaire coupole et le temple de Vénus et Rome, le plus grand de la ville. Une « ville-monde » Rome est la capitale du monde habité, l'œcumène. Comme elle est la capitale politique et administrative, c'est un va-et-vient incessant de fonctionnaires et d'ambassades venus de tout l'Empire ou de l'extérieur. Le Palatin est devenu le lieu de résidence de l'empereur parce que Auguste y avait choisi sa maison, tout près de la cabane qu'on disait êtte celle de Romulus et d'un nouveau temple magnifique dédié à Apollon. Domitien crée ensuite un véritable palais, avec une partie officielle, comprenant d'immenses salles de réception, et une partie privée. Ce palais s'étend sur toute la colline: le mot «palais » est du reste . dérivé du nom de la colline (Palatinus!palatia). Depuis César et Auguste, Rome concentre aussi un grand nombre de bibliothèques privées et publiques, grecques et latines. Elle est le centre intellectuel et culturel du monde méditerranéen, même si Athènes ou Alexandrie gardent une certaine importance. La population de Rome atteint son apogée sous Trajan, dépassant probablement le million d'habitants. Des communautés d'origine étrangèr e s'y sont établies, venues surtout d'Orient (Grecs, Syriens et Juifs par exemple) et tous les dieux de l'Empire s'y côtoient. C'est une ville cosmopolite, une « ville-monde » vers où tout semble converger. 5) La défense de l'Empire Les frontières de l'Empire se sont stabilisées dès l'époque d'Auguste qui a conquis les régions danubiennes mais a échoué en Germanie. Ses successeurs se contentent d'annexer les royaumes-clients ou de réaliser quelques conquêtes
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périphériques : ainsi Claude commence la conquête de la sretagne. Seul l'empereur Trajan renoue avec une politique offensive de grande envergure: il conquiert d'abord l'Arabie et la Dacie, puis se lance dans une guerre contre le royaume des Parthes. Victorieux, il annexe, en 114-117, l'Arménie, l'Assyrie et la Mésopotamie, mais il meurt avant d'avoir pu consolider ses conquêtes orientales et son successeur }ladrien y renonce. La dernière conquête romaine durable est réalisée par Septime Sévère, avec l'annexion de la HauteMésopotamie en 198-199. Pour l'essentiel, la stratégie romaine est donc défensive, ce qui n'exclut pas des campagnes au-delà des frontières. Le devoir de l'empereur est d'assurer la paix aux frontières et de se faire respecter des voisins. L'Empire romain dispose d'une armée désormais permanente que l'Qn peut qualifier de professionnelle. Elle est constituée, pour une moitié, d'une trentaine de légions (environ 150 000 hommes) et, pour l'autre, de troupes dites auxiliaires (150 000 à 200 000 hommes). Elle est pour l'essentiel échelonnée le long des frontières, dans de vastes camps pour les légions et des fortins pour les plus petites unités. Les légions sont des unités lourdes, de 5 000 à 6 000 hommes, recrutés parmi les citoyens romains. Ce recrutement se fait de plus en plus localement, dans les provinces où sont stationnées les légions, et a tendance à devenir héréditaire. Les légionnaires font un service de vingt ans. Les unités auxiliaires sont des corps de troupes de 500 ou de 1 000 hommes, recrutés d'abord parmi les pérégrins et même chez les peuples barbares alliés. Ce sont souvent des unités spécialisées: cavaliers, archers, méharistes, frondeurs. Leur service est plus long que celui des ·onnaires. À la fin de leur service, ils obtiennent la éitoyenneté romaine s'ils ne l'ont pas déjà acquise. À ces troupes provinciales s'ajoute la garde impériale préto'enne, une troupe d'élite de 5 000 puis 10 000 hommes. Enfin, l'Empire dispose de flottes en Méditerranée et sur grands fleuves. La cohésion de l'armée repose sur son encadrement. Son chef est l'empereur : il nomme tous les gouverneurs de Province, qui sont aussi les chefs d'armées, et les officiers
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supérieurs (légats de légion, tribuns de légion, préfets des unités auxiliaires et des flottes). Gouverneurs et légats de légion sont choisis parmi les sénateurs, ainsi qu'un tribun par légion, les autres officiers supérieurs parmi les chevaliers, autrement dit parmi les élites sociales et politiques de l'Empire. D'autre part, l'armature de l'armée est formée des centurions dont le très long service les fait circuler d'unité en unité, contribuant ainsi à la cohésion de l'ensemble. L'efficacité de l'armée romaine repose toujours su r une organisation remarquable et une véritable culture militaire qui se transmet de génération en génération.
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Crise et redressement de l'Empire romain (235-395) 1) De nouveaux périls extérieurs et la défense de l'Empire
Depuis le règne de Marc Aurèle, des dangers nouveaux apparaissent sur les frontières de l'Empire. lls s'aggravent au début du me siècle, alors que Rome fête avec faste son millénaire le 21 avril 248.
Us frontières menacées En Europe, face aux frontières du Rhin et du Danube, le monde barbare est en plein bouleversement. Les Goths en effet, migré de Scandinavie vers la mer Noire et provoqué ainsi des déplacements de peuples qui se pressent vers les frontières de l'Empire romain, par manque de terres. Au début du IIf siècle, certaines tribus germanis'unissent en confédérations plus puissantes, tels les et les Alamans. Les Goths soumettent des peuples , notamment les Sarmates, et deviennent ainsi plus 'l""'.avull.al)Jc~. D'autres peuples éloignés sont poussés vers tels les Vandales, les Lombards, les Burgondes. même moment, en Orient, une nouvelle dynastie, celle Perses Sassanides, renverse la vieille dynastie parthe Arsacides vers 224 et se montre plus menaçante. Dans confins désertiques d'Afrique et d'Arabie, certaines tris'affranchissent de la tutelle romaine et opèrent des '""'L.·;t!,s Depuis les années 230, l'Empire est pratiquement
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toujours en guerre. Au milieu du me siècle, les Barbares parviennent à pénétrer loin à l'intérieur des terres et y pillent de nombreuses villes. Rome elle-même est menacée dans les années 260. Le danger vient surtout de la simultanéité des incursions barbares et des complications internes. En effet, les usurpations se multiplient et les empereurs se succèdent à une cadence rapide. L'Empire se divise même entre plusieurs empereurs.
Le redressement L'Empire se montre pourtant capable de réagir, au prix d'un gros effort militaire et financier et de réformes importantes. À partir des années 260, les sénateurs sont exclus de tous les commandements militaires et de la plupart des gouvernements de province. lls sont remplacés par des chevaliers, cette fois des militaires de carrière. Les empereurs sont désormais issus de l'armée et choisis par elle seule. C'est l'ère des empereurs-soldats, originaires pour la plupart des régions danubiennes. Le redressement commence à partir de 268 avec les empereurs Claude II, Aurélien et Probus. ll se confirme avec Dioclétien. L'Empire a rétabli la sécurité de ses frontières et n'a perdu que quelques régions : la Dacie au-delà du Danube et quelques secteurs frontaliers. Les réformes militaires
Ce rétablissement s'accompagne de réformes militaires d'envergure. L'armée romaine est renforcée: elle passe d'environ 350 000 hommes (vers 211) à 450 000 hommes, peut-être davantage. Pour en assurer le recrutement, le métier de soldat devient officiellement héréditaire et les propriétaires romains doivent fournir des recrues à l'armée au titre de leurs obligations fiscales. Les troupes qui accompagnent l'empereur, le comitatus, sont distinguées depuis le me siècle de celles qui défendent les frontières. Elles forment une masse de manœuvre capable de se porter sur un secteur menacé. Ce comitatus comprend surtou t des unités de cavalerie d'élite. Constantin réorganise le dispositif militaire global : les troupes du comitatus, dont les effectifs sont augmentés, sont installées dans des villes de 100
}'intérieur et sont mieux payées que les troupes des frontières, appelées limitanei, à partir de 363. Les comitatenses sont commandés par deux généraux en chef, le maître de la cavalerie et le maître de l'infanterie. On estime parfois que ce redéploiement a affaibli l'efficace défense frontalière organisée par Dioclétien. Au w siècle, l'Empire procède au recrutement de plus en plus massif de Barbares qui sont intégrés dans l'armée. En effet, les Barbares vaincus, tout en restant extér~urs à l'Empire, sont soumis par des traités à l'obligation de fournir des contingents militaires : il s'agit alors de « fédérés » (de fœdus, «traité»). D'autres Barbares sont installés à titre individuel dans des régions frontalières comme colons et, en échange de leurs terres, doivent servir comme soldats, sans compter de nombreux volontaires qui peuvent s'engager directement. Par ailleurs, Constantin autorise les propriétaires romains à payer une taxe en or en remplacement des recrues, ce qui diminue le recrutement parmi les Romains. À la fin du 1\f siècle, on peut même dire que les meilleures troupes romaines sont constituées de Barbares, en particulier germaniques. Peu à peu ces Barbares, notamment les Francs, atteignent les commandements supérieurs.
De nouveaux périls À partir des années 350, la situation se dégrade à nou-
sur l'ensemble des frontières: Saxons sur les côtes de Bretagne et de Gaule, Francs et Alamans sur le Rhin, Goths sur le Danube, Perses en Orient. L'empereur Valentinien _,._ ,,Ju·-.-375) parvient à contenir ces peuples et même à pénétrer en Germanie, y semant la dévastation et la terreur. Mais, en 375, un nouveau facteur bouleverse les régions biermes : les Huns, venus d'Asie centrale, soumettent partie des Goths (les Ostrogoths) et repoussent les les Wisigoths, vers le Danube. En 376, les Wisigoths ·- -.....,•• u ..... l'empereur Valens de les accueillir dans l'Empire femmes et enfants. Valens accepte, mais les Wisipeut-être au nombre de 200 000, sont humiliés et ~: par les Romains et se révoltent. Valens réunit son _,..,..rn.. .:.~ pour les mater. À la stupéfaction générale, il est • .. ,...,.LI;;,:)
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vaincu et tué à la bataille d'Andrinople le 9 août 378. L'empereur Théodose conclut avec eux un traité en 382: les Wisigoths sont autorisés à s'installer au sud du Danube en échange de la fourniture de contingents militaires. Pour la première fois, un peuple entier est installé officiellement dans l'Empire, tout en gardant ses lois et ses chefs. Ils n'en sortiront plus. Pourtant, les Wisigoths se montrent fidèles à Théodose et ne paraissent pas être encore un danger très préoccupant.
2) Un nouveau style de gouvernement Avec les empereurs-soldats du me siècle et surtout le règne de Dioclétien, le régime impérial connaît une inflexion sensible qui rompt définitivement avec l'esprit du principat. Le sénat de Rome ne joue plus aucun rôle dans la désignation de l'empereur ni dans son investiture: il se contente d'acclamer chaque nouvel empereur. Les empereurs cherchent à asseoir leur légitimité sur la faveur des dieux ou même une origine divine : le dieu Soleil Invaincu (Sol invictus) pour Aurélien et Probus, Jupiter et Hercule pour Dioclétien, Apollon pour Constantin avant qu'il ne devienne ouvertement chrétien entre 312 et 324. Lorsque, après Constantin, tous les empereurs sont chrétiens, à l'exception de Julien, c'est le dieu chrétien qui est considéré comme la source de leur pouvoir sur terre. La sacralisation de l'empereur
L'empereur se fait maintenant appeler officiellement maître (do minus) et porte un diadème, l'insigne de la royauté. n n'est plus le ((premier», le prince, mais le maître absolu de tous les Romains qui sont ses sujets. Sa personne et tout ce qui le touche sont considérés comme sacrés. On ne peut saluer l'empereur qu'en se prosternant et en baisant le bas de son manteau: c'est ce que l'on appelle «l'adoration de la pourpre». Lorsqu'il réunit son conseil, assis sur un trône surélevé, tout le monde doit rester debout pendant que des notaires prennent en note les décisions et que le silence est imposé dans tout le reste
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du palais. Dans l'art officiel, le visage de l'empereur est représenté entouré d'une auréole de lumière. Les statues impériales, parfois gigantesques, les montrent avec des traits qui ne cherchent plus à offrir une ressemblance mais à exprimer leur puissance, au point que nous avons des difficu ltés à attribuer tel portrait à tel empereur. Cette sacralisation de l'empereur, y compris chez les empereurs chrétiens, vise surtout à imposer le souverain à l'armée qui continue de jouer un rôle fondamental a u w siècle.
succession impériale La question de la succession impériale se pose toujours. Dioclétien imagine un système original, la Tétrarchie : il s'agit d'un collège de quatre empereurs, deux Augustes et deux Césars. Les Césars sont choisis en dehors de tout [A
\
Tête colossale de Constantin, vers 315 apr. J.-C.
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lien familial et sont destinés à succéder aux deux Augustes. En 305, Dioclétien et son collègue Maximien abdiquent et une seconde tétrarchie est mise en place : les deux Césars Constance Chlore et Galère deviennent Augustes et deux nouveaux Césars sont nommés. Or Maximien et Constance Chlore ont chacun un fils, Maxence pour l'un, Constantin pour l'autre. Dès 306, à la mort de son père, Constantin se fait proclamer empereur de lui-même, suivi par Maxence. Le système tétrarchique se décompose. Après plusieurs guerres civiles, Constantin finit par l'emporter sur tous ses rivaux et à être le seul Auguste en 324. Il impose le retour à la succession dynastique. Après la famille de Constantin (jusqu'en 363), c'est celle de Valentinien et de Théodose qui règne durablement, ce qui n'exclut pas les tentatives d'usurpation. Les capitales impériales Le système tétrarchique avait eu aussi comme avantage de partager les tâches et les secteurs frontaliers entre quatre empereurs légitimes. Constantin et ses successeurs choisissent des co-empereurs dans leur famille : il est très rare qu'il n'y ait qu'un seul empereur au IV' siècle. La division entre Orient et Occident devient habituelle, et même officielle, lorsque, en 324-330, Constantin fonde une nouvelle capitale, Constantinople. ll s'agit véritablement d'une «seconde Rome» puisqu'elle reçoit peu à peu les mêmes privilèges que Rome et abrite un second sénat. Cette division devient permanente à partir de 395. Les empereurs ont été également amenés à résider dans des villes proches des frontières qui deviennent, pour un temps plus ou moins long, des capitales impériales, telles Cologne, Trèves, Milan et même Lutèce (pour quelques années sous le --.. . César Julien) en Occident, Sirmium ou Siscia près du Danube, Nicomédie ou Antioche en Orient. Les emperew·s ne vont pratiquement plus à Rome qui reste cependant la capitale symbolique de l'Empire.
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3) Les réformes et les changements de. société
Les empereurs procèdent à de grandes réformes administratives et fiscales qui ont des conséquences importantes sur la société et l'économie. L'alourdissement de la bureaucratie Les anciennes provinces sont divisées en provinces plus petites, une centaine, mais regroupées dans une douzaine de grandes circonscriptions appelées diocèses. Chaque province et diocèse a une administration plus étoffée, avec des fonctionnaires dont la carrière est organisée sur le mode militaire. Sous Constantin, un troisième échelon est organisé, les préfectures du prétoire, au nombre de trois sous ses successeurs. Les préfets du prétoire, qui ont perdu leur rôle militaire, puisque les cohortes prétoriennes sont dissoutes en 312, ont désormais un rôle administratif, fiscal et judiciaire et supervisent chacun un immense territoire formé de plusieurs diocèses. Au niveau central, les services impériaux sont également réorganisés avec la création de quatre grands dignitaires qu'on peut qualifier de ministres. Le maître des offices est à la tête de la chancellerie impériale ; il commande t la nouvelle garde impériale (les scholes palatiet la «police secrète» (les agentes in rebus), chargée arrestations voire des exécu tions de personnages ; il est aussi responsable des relations diplomaavec les rois et chefs barbares. Le questeur du palais chargé de rédiger les discours de l'empereur et de préses projets de lois. Le comte des largesses sacrées responsable des revenus et des dépenses du trésor cenc'est-à-dire des« largesses» de l'empereur aux soldats, -'"'''~., .... chrétienne, au peuple de Rome ou de Constan- ........w.:;. Le comte de la «chose privée» (res privata) est à tête de l'administration des immenses domaines impé-
L'efficacité et la qualité de cette bureaucratie alourdie sujettes à discussions. Les contemporains ne cessent se plaindre de la tyrannie et de la corruption des fonc. Les puissants s'en sortent bien mais les hum-
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bles sont contraints de se mettre sous leur protection, leur « patronage». À vrai elire, on ne sait trop si la corruption est plus importante qu'avant ou bien tout simplement p lus ouvertement dénoncée, en particulier par les nombreuses lois des empereurs soucieux de remédier aux abus. Pour payer l'armée et l'administration, la fiscalité est peut-être accrue et, sûrement, rendue plus efficace. Dioclétien lance une énorme opération de recensement des hommes et des terres afin de mettre à jour les registres fiscaux. Le gros de l'impôt repose toujours sur la terre et les privilèges fiscaux de l'Italie sont abolis. Comme auparavant, la responsabilité de la levée de l'impôt principal incombe aux assemblées des cités de l'Empire, les curies. Leurs membres sont responsables sur leur fortune de la rentrée des impôts.
Le sort des plus pauvres Afin de rendre stables les revenus de l'État, de multiples lois fixent la condition de chacun. Les colons, c'est-à-dire les paysans libres qui exploitent les terres des grands propriétaires, ne peuvent plus quitter leur terre: leur condition devient héréditaire. Quoique toujours de condition libre, ils dépendent plus étroitement des propriétaires qui abusent de leur position. La distance sociale déjà grande entre les hommes libres de condition modeste, les humiliores (les « humbles » ), et les riches, notables locaux ou membres des ordres supérieurs, les honestiores (les « h onnêtes gens »), devient donc juridique. La torture judiciaire, réservée dans le droit romain d'autrefois aux esclaves, est désormais applicable aux humiliores. Constantin met fin à un siècle de perturbation monétaire en créant une nouvelle monnaie d'or, le solidus (le « sou ») : c'est une monnaie qui \ a un très fort pouvoir d'achat et est réservée au paiement des soldats et aux plus riches. Les plus pauvres doivent se contenter de monnaies dépréciées. Le devenir des sénateurs Une autre mutation sociale touche l'élite de la société. Constantin puis son fils Constance II décident de confier à nouveau aux sénateurs toutes les fonctions administra·
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tïves qu'ils avaient perdues au profit des chevaliers et leur en attribuent certaines qu'ils n'avaient jamais exercées. Pour cela, il leur faut augmenter considérablement le nombre de sénateurs qui passent de 600 à 2 000, auxquels s'ajoutent ceux du nouveau sénat de Constantinople, d'abord de 300 membres puis lui aussi de 2 000. Ces nouveaux sénateurs sont recrutés dans l'ordre équestre, qui finit par disparaître, et parmj les notables locaux. Les membres de l'ordre séna torial, toujours héréditaire, ne sont plus soumis à l'obligation de résidence à Rome. La carrière sénatoriale est entièrement transformée et devient celle de fonctionnaires impériaux et non plus de magistrats. n ne reste plus que trois échelons de magistrature, questure, préture et consulat, réservés à une très petite minorité de sénateurs. Leur rôle se résume en frut à organiser les jeux à Rome ou à Constantinople. Le consulat reste, cependant, très prestigieux car il donne toujours son nom à l'année et les empereurs le revêtent encore de temps à autre. L'ordre sénatorial devient une véritable aristocratie d'Empire élargie, mais celle-ci se fractionne en aristocraties régionales qui peuvent avoir des intérêts divergen ts. Tous ces changements ont modifié deux aspects fondamentaux qui caractérisaient l'Antiquité gréco-romaine. D'une part, la distinction juridique entre hommes libres et esclaves s'estompe au profit d'une opposition entre riches et pauvres. D'autre part, le service de l'État distingue totalement le service armé du service civil, sauf en la personne de l'empereur. En effet, si l'ordre sénatorial a été réhabilité par Constantin, les sénateurs restent exclus de l'armée. C'est là une rupture fondamentale: le service armé, la militia, n'est plus l'affaire des citoyens en leur ensemble ni des élites sociales, c'est celle de professionnels de la guerre. Les soldats forment une véritable société à part, avec de nombreux privilèges. Quand, au 'J'! siècle, cette armée se COnfondra pratiquement avec les Barbares, le fossé s'apProfondira encore avec la société «civile». Les Barbares SOnt paradoxalement plus « antiques » que les Romains : chez eux, un homme libre est par définition un guerrier, COmme autrefois les citoyens romains. Se forme ainsi peu
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à peu une nouvelle aristocratie fondée sur le métier des armes qui annonce celle du Moyen Âge.
4) La christianisation de l'Empire
Une autre révolution touche également la religion. En effet, en moins d'un siècle, de 312 à 392, le christianisme devient la religion de l'État romain. Au me siècle, le christianisme s'est répandu dans l'Empire, surtout en Orient, en Asie Mineure, en Syrie, et en Égypte, mais aussi en Afrique, dans le sud de l'Espagne et à Rome. La religion chrétienne est alors illicite car, contrairement à la religion juive, elle n'est pas la religion d'un peuple particulier. Le christianisme brise la solidarité religieuse qui unit d'une part la communauté civique locale, d'autre part les Romains et l'empereur autour du culte impérial, puisque les chrétiens ne reconnaissent pas d'autres dieux que le leur. Trois empereurs tentent de leur imposer le retour aux cultes traditionnels, Dèce en 249-250, Valérien en 257-258 et Dioclétien en 303-305. Il s'agit pour eux de restaurer la piété et la religion, fondements de la société et de l'ordre du monde. lis échouent, malgré l'emploi de la torture et les peines de mort. De nombreux chrétiens résistent au péril de leur vie à ces trois persécutions : ce sont les martyrs, les « témoins », dont la mort est jugée glorieuse et la mémoire honorée par l'Église chrétienne. L'empereur Galère met fin aux persécutions officielles en 311, peu avant sa mort. C'est alors le moment de l'ascension de Constantin, le premier empereur converti au christianisme. Le dieu des chrétiens passe pour lui avoir donné la victoire en 312 contre son rival Maxence, lors de la bataijle du Pont Milvius qui lui livre Rome. Seul au pouvoir depuis 324, il favorise ouvertement le christianisme et le clergé chrétien. n réunit le premier concile œcuménique de l'Église en 325, à Nicée, pour mettre fin aux querelles théologiques sur la nature du Christ qui divisent les chrétiens. Sans oser supprimer la religion traditionnelle, il en interdit certaines pratiques et confisque les biens des temples au profit du fisc impérial. Ses sucees-
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seurs sont tous chrétiens, sauf Julien qui tente vainement de restaurer le paganisme. li faut attendre les empereurs Gratien et Théodose pour que l'empereur renonce au titre de grand pontife qui sera plus tard repris par l'évêque de Rome ... En 392, Théodose interdit toute forme de culte traditionnel, qu'il soit public ou privé : l'État romain est alors devenu officiellement chrétien. D'un côté, les empereurs romains ont trouvé dans le christianisme une religion qui pouvait sembler adaptée à l'universalisme de l'Empire et de leur autorité: un Dieu, un empire, un empereur. Dès l'époque de Constantin, l'empereur intervient directement dans les affaires de l'Église et prétend être l'instrument de Dieu sur terre. De l'autre, le christianisme, précisément parce qu'il s'adresse à l'humanité tout entière et en même temps à chaque individu, sans se préoccuper forcément de l'État terrestre, est aussi un germe de dislocation. Enfin, contrairement à la religion traditionnelle, la religion chrétienne n'était pas consubstantielle à la cité, la forme jugée la plus éminente du vivre ensemble de l'Antiquité. Les religions du monde antique ne disparaissent cependant pas d'un seul coup : elles restent, surtout en Occident, la religion des paysans, des pagani, d'où le terme de « païen » et de paganisme pour désigner les fidèles de ces religions polythéistes. n n'en reste pas moins qu'un autre des piliers du monde antique s'est écroulé, car ces formes
de religion n'ont plus de lien avec le monde de la cité. Cette révolution religieuse avait été préparée par de longs siècles d'évolution des mentalités dans l'Empire.
Conclusion Chute ou survie de l'Empire romain ? (395-476)
Bien que l'idée en soit encore largement répandue, l'Empire romain n'a connu ni chute ni décadence. L'image d'un empire décadent, depuis les Sévères, voire depuis les débuts du régime impérial, est une idée popularisée au XVIIIe siècle. D'une certaine manière, elle reprend le pessimisme d'un Tacite qui gardait la nostalgie de la République. Le suicide de Caton le Jeune et la mort de Cicéron étaien t devenus emblématiques de la chute de la République et de la fin de la Liberté à Rome. L'histoire qui allait suivre restait marquée par cette tare originelle : l'Empire, en tant que régime ne pouvait représenter qu'un pis-aller, u ne forme d'esclavage volontaire. L'acceptation de cette situation ne pouvait se comprendre, aux yeux des Anciens, que parce que les mœurs avaient changé, en particulier dans l'élite dirigeante: la virtus s'était effacée au profit d'une vie «efféminée», où tous les plaisirs étaient permis. C'est ainsi que l'idée d'une décadence politique était étroitement associée à celle d'une décadence morale et, pendant longtemps, l'Empire, tout particulièremen t sa période finale, dite le« Bas-Empire», fu t mal considéré. Pourtant, cette image persistante des «Romains de la décadence», ivrognes et goinfres, passant leur vie dans les orgies, n'a
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guère de fondement réel et repose sur des sources mal comprises. Du reste, le moment où les mœurs avaient été les plus libres correspond plutôt aux deux derniers siècles de la République. Déjà, Auguste avait mis un frein à cette liberté par des lois sévères sur l'adultère. Après les Flaviens, les mœurs s'assagissent et le rapport au corps se modifie: la morale chrétienne n'est que l'une des manifestations de ces changements et non leur cause. De même, la corruption et la vénalité des sénateurs ou des fonctionnaires romains ne semblent pas avoir été plus fortes au rif ou au if siècle qu'auparavant. La longue période qui s'étend du me au début du VIe siècle est caractérisée par des changements majeurs. Ce n'est plus tout à fait l'Antiquité mais ce n'est pas encore le Moyen Âge. Ce sont des siècles créatifs: rassemblement des lois romaines dans des codes, celui de Théodose II d'abord et celui de Justinien, épanouissement de la littérature et du premier art chrétiens. n est cependant vrai que l'Empire s'est disloqué. Après la division permanente entre Empire romain d'Occident et Empire romain d'Orient en 395, la partie occidentale résiste mal aux pressions des Barbares. Celles-ci viennent d'ailleurs autant de l'intérieur, de la part des peuples installés officiellement à titre de fédérés, que d'invasions extérieures. En 407, les Vandales, les Alains et les Suèves pénètrent en Gaule puis en Espagne. Les Vandales s'installent en Afrique à partir de 429. Rome est mise à sac une première fois en 410 par Alaric, le roi des Wisigoths, et à nouveau en 455 par le roi des Vandales, Genséric. Les empereurs d'Occident ne parviennent cependant à se maintenir jusqu'en 476 qu'au prix de concessions de plus en plus grandes aux peuples qu'ils utilisent les uns contre les autres. En revanche, la partie orientale de l'Empire reste pratiquement intacte et dure encore mille ans: c'est ce que l'on appelle l'Empire byzantin. L'Empire romain n'a donc pas «chuté» mais s'est rétréci et l'unité du monde méditerranéen s'est brisée, essentiellement pour des raisons internes. Les forces centrifuges l'emportent dans l'esprit des aristocraties sénato-
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riales locales : en Occident, elles préfèrent un roi, certes barbare, mais proche et efficace, à un empereur lointain. Cette aristocratie se fond d'ailleurs assez vite dans l'aristocratie germanique en Gaule, moins facilement en Espagne pour des raisons religieuses, et, de leur côté, les Germains se romanisent et se latinisent. L'étendue et la puissance de l'Empire romain ont fasciné le monde depuis les Grecs jusqu'aux dictateurs du x.xe siècle: faut-il pour autant penser que la forme d'État la meilleure est forcément celle de l'empire universel ? On serait plus nostalgique des traits de civilisation qui ont caractérisé la Grèce et Rome : la ville, le droit, la cultur e littéraire. Mais ces traits perdurent en Orient avec Constantinople e t même en Occident, de manière plus discrète, par l'intermédiaire de l'Église. Les Arabes, qui se lancent à la conquête de la Syrie, de l'Égypte, de l'Afrique et de la Perse au vne siècle, sont eux aussi les continuateurs de ce type de civilisation.
Annexes Chronologie Index des noms propres et des notions Bibliographie
Chronologie
Des origines à 509 Chronologie traditio nnelle 1184 :chute de Troie 753: fondation de Rome selon Varron 753-715: Romulus 7 15-662: Numa Pompilius 672-640: Tullus Hostilius 640-6 16: Ancus Martius 616-578: Tarquin l'Ancien 578-534 :Servius TulJius 534-510: Tarquin le Superbe 509 : Naissance de la République
Chronologie d'après l'archéologie X: siècle : présence de tombes sur le site du forum vnf siècle :cabanes sur le Palatin 775 :début de la colonisation grecque en I talie
vers 625 : premier aménagement du forum vf siècle : construction de la muraille servienne
La République romaine Événements intérieurs 494-493 : création du tribunal de la plèbe 451-450: loi des xn tables 449 : loi reconnaissant l'appel au peuple 443 :création de la censure 378: nouvelle enceinte de Rome 367 :loi donnant aux plébéiens l'accès au consulat 312 : premier aqueduc de Rome 304 :affichage du calendrier religieux romain 289 : premier monnayage romain (monnaie de bronze: l'as)
Événements extérieurs 499 :victoire de Rome sur les Latins au lac Régille 493 : traité entre Rome et les Latins if siècle :guerres contre les Volsques et les Éques 396: prise de Véies par Camille 390 : prise de Rome par les Gaulois 343-341 : première guerre samnite 338 : dissolution de la ligue latine 326-304 : deuxième guerre samnite 312 : via Appia, de Rome en Campanie 298-290 : troisième guerre samni te
11 7
280-275 : guerre contre Pyrrhus 272 : capitulation de Tarente 264 : premier combat de gladia- 264-24 1 : première guerre punique teurs 241 : le nombre de tribus romai- 241 : la Sicile, première province nes atteint 35 romaine 240 : première représentation 218-201: deuxième guerre punid'une pièce de théâtre de Livius que 212-205 : première guerre de Andronicus à Rome Macédoine 202 : victoire de Zama sur Hanni204 : installation de la déesse Cybèle à Rome bal 202-183: Scipion l'Africain, prin- 20 1 : traité avec Carthage cipal personnage de la Républi200-196 : deuxième guerre de Macédoine (Philippe V) que 197 : organisation des provinces 184 : censure de Caton J'Ancien 180 : loi Villia annalis réglemen- d'Espagne 196 : Flamininus proclame la tant le cursus honorum liberté des cités grecques J88 : paix d'Apamée imposée à Antiochos m 172-168 : troisième guerre de Macédoine (Persée) 167 : les citoyens romains exemp- 168 : victoire de Pa ul Émile à Pydna sur Persée tés de l'impôt du tributum 147: la Macédoine, province romaine 146: prise et destruction de Carthage 146 : révolte des Grecs ; destruction de Corinthe 133 : tribunat de la plèbe de 133 : prise de Numance par SeiTiberius Sempronius Gracchus pion Émilien 133 : legs du royaume d'Attale Ill à Rome 123-121 : tribunats de la plèbe de 121-118 : conquête de la Gaule Caius Sempronius Gracchus du Sud 106, 104-100 : les six consulats de 121 -106 : guerre contre le roi des Marius Numides Jugurtha en Afrique ; 104-101 :révoltes d'esclaves en victoire de Caïus Marius en 106 Sicile et Italie du Sud 102-101: victoires de Marius sur 91-89 : guerre « sociale » les Cimbres et les Teutons 90 : loi Julia accordant la citoyenneté romaine aux alliés restés fidèles (étendue à tous les alliés italiens ensuite)
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88 : premier coup d'État de Lucius Cornelius Sylla 83-80 : retour de SyUa et dictature de Sylla 73-71: révolte de Spartacus 70 : consulat de Pompée et de Crassus 63 : consulat de Cicéron 60 : entente entre Pompée, César et Crassus (« premier triumvirat») 59 : consulat de César 55 : consulat de Pompée et Crassus 52 : assassinat de Clodius; Pompée consul unique 49-45 : guerre civile (bataille de Pharsale en 48) 49-44 : dictatures de César 43: triumvirat formé par Antoine, Octave et Lépide 43 : mort de Cicéron 42 : bataille de Philippes 40 : partage du monde entre Antoine et Octave 31 : victoire d'Octave sur Antoine et Cléopâtre à Actium
88-85 : campagne de SyUa contre Mithridate du Pont 80-72 : guerre contre Sertorius en Espagne 74: legs du royaume de Nicomède IV de Bithynie à Rome 67: commandement de Pompée contre les pirates 66-63 : campagnes de Pompée en Orient 64 : province de Syrie 58-51 : conquête de la Gaule par César 53 : défaite et mort de Crassus à Carrhre face aux Parthes 47: victoire de César sur Pharnace du Pont 46: victoire de César sur Juba
30 : conquête de l'Égypte
L'Empire romain Les p rincipaux empereurs Les Julio-Claudiens 27 av. J.-C.-14 apr. J.-C.: Auguste 14-37: Tibère 37-41 :Caligula 41-54: Claude 54-68 : Néron
La crise d e 68-69 Galba (juin 68-janvier 69) ; Othon (janvier-avril69) ; Vitellius 1 Ùanvier-décembre 69) Les Flaviens 69-79 : Vespasien 79-81 : Titus 81-96: Domitien
Événements majeurs 9 apr. J.-C. : désastre de Varus en Germanie 21 : révolte des Trévires et Éduens en Gaule 43 : début de la conquête de la Bretagne 66-70: révolte des Juifs 69-70 : révoltes en Gaule
70 : prise de Jérusalem par Titus vers 74: droit latin conféré aux provinces ibériques 80 : inauguration du Colisée
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Les Antonins 96-98 : Nerva 98-11 7 : Trajan 117-138 : Hadrien 138-161 : Antonin 161-180: Marc Aurèle (et Vérus 161-169) 180-192: Commode La crise de 193 Pertinax ~anvier-mars 193); Didius Ju ianus (mars-juin 193) ; Pescennius Niger (193- 194) ; Albinus (193- 197) Les Sévères 193-211 :Septime Sévère 211-217: Caracalla (et Geta jusqu'en 212) 217-218: Macrin 218-222: Élagabal 222-235 : Sévère Alexandre La •• crise » du m" siècle (235-283) 235-238 : Maximin le Thrace 238-244 : Gordien ill 244-249: Philippe l'Arabe 249-251 : Trajan Dèce
253-260 : Valérien 260-268 : Gallien 268-270 : Claude II le Gothique 270-275 : Aurélien 276-282 : Probus 282-283 : Carus L'Antiquité tardive 284-305 : Dioclétien et Maximien (286-305) 305-31 1 : Galère 306-337 : Constantin 308-324 : Licinius 337-361 : Constance li 361-363: Julien 364-375: Valentinien l" 364-378: Valens 379-395: Théodose 395-423 : Honorius (Occident)
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101-105: guerres contre les Daces ; province de Dacie 106 : province d'Arabie 114-117 : guerre contre les Parthes 127 : mur d'Hadrien en Bretagne 166-180 : guerres de Marc Aurèle contre les Germains et les Sarmates 193-197 : succession de guerres civiles
195-198 : dernières conquêtes romaines (Mésopotamie) 212: édit de Caracalla accordant la citoyenneté romaine à tous les habitants libres de l'Empire 224 : nouvelle dynastie perse des Sassanides 248 : fêtes du millénaire de Rome 249-250 : persécution de Dèce contre les chrétiens 250 : début des incursions des Goths 257-258 : persécution de Valérien contre les chrétiens 260 : défaite et capture de Valérien face aux Perses 260-270 : menaces généralisées sur les frontières 260-274 : "empire des Gaules ,. 274: réunification de l'Empire par Aurélien 284-305 : grandes réformes de Dioclétien 303-311 : persécutions contre les chrétiens 310 : création du solidus d'or (le sou) 324 : réunification de l'Empire par Constantin 325 : 1cr concile œcuménique de l'Église à Nicée 361-363: tentative de restauration du paganisme par Julien 378: Valens vainc u et tué à Andrinople par les Goths
395-408 : Arcadius (Orient) 408-450 : Théodose ll (Orient) 425-455: Valentinien III (Occident)
450-467: Marcien (Orient)
467-474: Léon 1er (Orient) 474-491 : Zénon (Orient) 475-476 : Romulus Augustule, dernier empereur d'Occident 491-518 : Anastase (Orient) 527-565 : Justinien (Orient)
379: les empereurs renoncent au grand pontificat 395 : partage de l'Empire 31 décembre 406 : grande invasion de la Gaule 409 : invasion de l'Espagne 410 : pillage de Rome par le Wisigoth Alaric 416 : installation officielle des Wisigoths en Aquitaine 429 : les Vandales passent en Afrique 438 : code Théodosien 451 : victoire d'.!Etius sur Attila en Gaule 455 : prise et pillage de Rome par Je Vandale Genséric 476 : le roi barbare Odoacre règne en Italie 482 : avènement du roi des Francs Clovis 533: code de Justinien
Index des noms propres et des notions
affranchi, 27, 28, 31, 79, 80, 85, 86, 99. ager romanus, 40, 49, 50. Albe laLongu e,9, 11, 12, 13, 15. allié, 11, 12, 40, 42, 43, 47, 49, 54,60, 63, 65,76,89,97, 118. Antoine, 68, 69, 70, 119. Apollon, 11, 34, 36, 38, 72, 96, 102. auctoritas, 25, 72. augure, 13, 24, 34, 37. Auguste, 6, 9, 10, 12, 14, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 79, 81, 82, 83, 87, 93, 94, 96, 103, 104,1 12, 119. auspices, 13, 17, 20, 2 1, 34. Brutus (Marcus Junius), 7, 17, 68, 69, 70. Camille, 39, 117. Capitole, 14, 16, 17, 20, 25, 39, 59, 62, 67. Carthage, 5, 10, 11 , 31 , 40, 42, 43, 118. Caton l'Ancien ou le Censeur, 30, 43, 56, 57. Caton le Jeune, 64, 67. censeur, censure, 20, 22, 24, 25, 27, 28, 29, 30, 56, 72, 117, 118.
centurion, 98. César, 6, 7, 10, 45, 53, 54, 56, 57, 62, 64, 65, 66, 6~ 68, 69, 7~ 72, 74, 88, 89, 96, 103, 104, 119. chevalier, 26, 28, 29, 31, 54, 59, 61, 69, 77, 79, 80, 81, 85, 90, 94, 98, 100, 107. Cicéron, 7, 30, 57, 64, 66, 68, 69, 70, 119. cirque, 7, 14, 36, 94. citoyenneté, 27, 28, 31 , 40, 49, 57, 58, 60, 61 , 67, 89, 90, 97, 11 8,120. clarissime, 81. Claude, 76, 78, 79, 82, 89, 94, 97, 100, 119, 120. Cléopâtre, 7, 66, 68, 70, 119. client, 18, 31 , 59, 63, 82, 89, 96. Clodius, 65, 77, 119. collèges de prêtres, 34-36, 78. colonie, 9, 15, 17, 40, 59, 67, 88, 89, 90. comices, 25, 26, 27, 28, 37, 65, 74, 75, 78, 80. comices centuriates, 25, 26, 31. comices tributes, 25, 26, 33. consecratio, 76. Constantin, 100, 101, 102, 104, 105, 106, 107, 108, 120, 126.
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Constantinople, 104, 105, 107, 113. consul, consulat, 17, 19, 20, 21, 22, 25, 2~ 29, 30, 31, 34, 47, 51, 54, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 71, 72, 75, 78, 82, 83,107,117, 118, 119. Crassus, 54, 55, 63, 64, 65, 119. curi~ 24, 25, 65, 68, 73, 80, 86, 106. cursus honorum, 23, 62, 118. décurion, 86, 92. dictateur, 62, 67, 68, 113. dieux romains. Dioclétien, 100, 101 , 102, 103, 104, 106, 108, 120. édile, 19, 22, 64. Énée, 5, 7, 9, 10, li , 12. évergétisme, 93. fastes, 30. gens, 13, 18, 31, 37, 44, 45, 92, 106, 112, 121. Gracques (Caïus Gracchus), 59. Gracques (Tiberius Gracchus), 58, 59. grand pontificat, 76, 77, 121. Hannibal, 42, 43, 48, 88, 118. homme nouveau, 29, 60.
imperator, 58, 65, 71, 76, 77. imperium, 21 , 22, 26, 70, 71, 75, 77. inaugurer, 24, 34. ingénu, ingénuité, 27, 28. Italie, 5, 9, 10, 11, 15, 16, 17, 28, 39,40, 42,49, 50, 53, 54, 56, 57, 58, 60, 61, 62, 63, 66, 69, 70, 81, 91, 106, 117, 118, 121. jeux (ludi), 7, 34, 36, 62, 64, 67, 80, 91, 92, 93, 94, 107.
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Jupiter, 11 , 15, 17, 21, 25, 34, 36, 37, 102. jus italicum, 88, 90. Latins, 9, ll , 12, 15, 39, 56, 117, 126. Latium, 11 , 15, 16, 17, 40. Lavinium, 9, 12. Légats de légion, 85, 98. Légion, 47,48,49,64, 78,83,97, 98. Lépide, 70, 72,119. loi des XII tables, 20, 117. Lucullus, 55, 56, 63. magistrat romain, 23. manipule, 47, 48, 60, 70. Marius, 6, 30, 60, 61, 64, 118. métropole, 15. municipe, 40, 69, 89, 90. Noble, noblesse, 29, 30, 31, 33, 36, 57, 58, 59, 60, 63, 64, 65, 69, 74, 90, 91. Numitor, 12, 13. Octave (voir Auguste).
optimales, 59. ordre équestre (voir Chevalier). ordre sénatorial (voir Sénateur). Palatin, 12, 13, 14, 16, 35, 72, 96, 105, 117. patricien, 5, 10, 18, 19, 20, 21, 24, 29, 33, 61, 64. patron, 31, 82, 106. Paul Émile, 43, 44, 45, 56, 118. pérégrin, 11 , 27, 90, 9 1, 97. peuple (populus), 18, 20, 21, 94, 105. piété, 10, 37, 73, 108. plèbe, 19, 20, 22, 26, 57, 59, 60, 62, 63, 64, 65, 67, 70, 72, 74, 82, 93, 94, 117, 118. plébéien,5, 18, 19,20,2 1, 29,33, 58, 117. Pomérium, 14, 17, 22, 26, 62, 71.
Pompée, 6, 36, 45, 54, 62, 63, 64, 65,66, 67, 68,69, 70,93, 11 9. populares, 59. préfet du prétoire, 77, 79. préteur, 22, 26, 29, 30, 60, 64, 85. prêtres, 12, 33, 34, 35, 78. prince, princeps, 63, 66, 69, 72, 80, 82, 102. principat, 6, 71, 102. proconsul,23, 64, 65, 66, 71 , 75, 77, 83. procurateur, 79, 85, 86, 87. prodige, 37. province, 42, 43, 54, 58, 62, 63, 66, 70, 71 , 78, 79, 82, 83, 85, 86, 88, 89, 92, 93, 97, 100, 105, 118, 119, 120, 127. provocatio (droit d'appel), 20. puissance tribunicienne, 72, 75, 77. Pyrrhus, 40, 11 8.
70, 71, 72, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 85, 102, 104, 107, 112. sénateurs, 22, 29, 31 , 33, 54, 59, 61 , 62, 65, 66, 67, 68, 69, 72, 75, 76, 78, 79, 80, 81 , 82, 83, 85, 86, 90, 94, 98, 100, 106, 107, 11 2. Sibylle, 11, 34. Spartacus, 7, 63, 119. SyUa, 6, 24, 54, 56, 60, 61 , 62, 63, 64, 70, 119.
Sacer, 19, 29, 33, 35, 37.
Tarente, 40, 118. Tarquin l'Ancien, 15. Tarquin le Superbe, 15, 117. Temple, 10, 15, 17, 19, 24, 25, 34, 35, 36, 52, 54, 67, 68, 7 1, 72, 88, 91' 92, 94, 96, 108. Templum, 24, 34. Théodose, 102, 104, 109, 112, 120, 121. Tibère, 75, 76, 78, 89, 119. Titus Tatius, 14, 16. Trajan, 82, 89, 91, 94, 96, 97, 120. tribu, 25, 26. tribun de la plèbe, 58, 59, 60, 72. Tribut, tributum , 39, 52, 87, 88, 89, 118. triomphe, 6, 22, 30, 31, 44, 52, 62, 63, 64, 66, 69, 71 , 78, 79, 8 1.
Sacrifice, 35, 36, 44. Sénat, 16, 17, 18, 21, 22, 24, 25, 26, 27, 29, 31 , 34, 35, 36, 37, 43, 44, 59, 64, 65, 66, 68, 69,
Vespasien, 76, 77, 78, 88, 89, 94, 96, 11 9. Vesta, 10, 12, 33, 34.
Remus, 12, 13, 14. rescrit, 78. res pub/ica, 18, 71 , 80. Rome(laville), 9, 14, 15, 16, 17, 22, 32 (plan) 55, 56, 57, 64, 94, 95 (plan), 11 2. Romulus, 5, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 16, 69, 73, 74, 96, 117, 121. Sabins, 14, 16.
Bibliographie
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$brio 0720 Composition PCA - 44400 Rezé Achevé d'imprimer en France (Ligugé) par Aubin en mai 2007 pour le compte de E.J.L. 87, quai Panhard-et-Levassor, 75013 Paris EAN 9782290348291 Dépôt légal mai 2007 l" dépôt légal dans la collection :jumet 2005
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