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LES CLASSIQUES FRANÇAIS Publiés sous ...
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^^! J *JL» y-d'A #1^ u
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ST.
MICHAEL'8 COLLEGE
TnnnNTn
k_
CûnadÀ
LES CLASSIQUES FRANÇAIS Publiés sous la direction de
M.
H.
WARNER ALLEN
JEAN-JACQUES ROUSSEAU
Le portrait de Jean-Jacques Rousseau en volume a
été
tête
reproduit d'après une photographie
de ce
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Tous droits réservés
Dans une édition des Classiques Français publiée par une maison anglaise et destinée aux lecteurs des deux côtés de la Manche, aucun livre n'a meilleur Elle droit à une place que la Julie de Rousseau. est la manifestation la plus sensible de l'engouement que les Français du XVIII e siècle eurent pendant longtemps pour les idées et la littérature anglaises ; le modèle qui l'inspira est anglais ; l'un des peron y parle sonnages principaux est un Anglais assez souvent des mœurs anglaises ; 1 enfin, l'auteur venait de Genève, cette ville dont on a pu dire que le caractère de ses habitants a quelque chose ;
d'anglais. 2 est, donc, en quelque sorte un lien c'est comme un docudeux littératures ment qui témoigne une ancienne alliance entre les génies des deux pays.
Ce roman
entre
les
;
La première page même de
ce petit livre, sur
trouvent réunis des noms anglais et français et qui nous avertit que cette œuvre française a été réimprimée à Londres, nous rappelle ce XVIII e siècle où tant de livres français ont vu le laquelle
se
jour sur
les
bords de
la
Tamise
et
où une foule
d'écri-
vains français, exilés après la Révocation de l'Edit
de Nantes, servaient 1
vi.
comme
Voir, Nouvelle Héloïsc;
i.
5. 2
Doudan,
Lettres.
V
44,
intermédiaires entre ii.
9,
iv.
II, V.
I,
2,
AVANT-PROPOS
vi
D'humbles
deux nations qui se connaissaient mal.
auteurs, oubliés aujourd'hui, Desmaizeaux,
Armand
de la Chapelle, Le Clerc, Coste, en disséminant de chaque côté du détroit par leurs adaptations et leurs traductions, leurs biographies et leurs vulgarisations, leurs lettres et leurs journaux, des connaissances à la fois plus exactes et
plus larges, ont préparé le
chemin pour les écrivains de plus ample génie qui ne tardèrent pas à les suivre et posèrent les premiers fondements de cette bonne entente qui règne actuellement entre deux voisins faits pour se comprendre.
Mais jusqu'au commencement du XVIII e siècle un brouillard épais couvrait la Manche et cachait chacune des deux nations aux yeux de l'autre. L'impartialité nous force à dire que l'ignorance était plus
complète du côté
L'exil avait
français.
déjà forcé des Anglais cultivés, les Cavaliers de Charles L, à affronter les dangers de la mer ; des
poètes tels que Waller et Cowley, avaient séjourné en France, d'où ils avaient rapporté une grande admiration pour le théâtre de Corneille, les
romans de Mademoiselle de Scudéry et pour toute Mais la littérature de l'hôtel de Rambouillet. l'hégémonie de
la
langue française et
la
supériorité
incontestée de sa littérature sur celles des autres nations
continentales
empêchaient
les
Français
d'acquérir une connaissance de l'anglais et d'imaginer qu'il pourrait y avoir des œuvres de goût composées dans cette langue. Perrault ne se
doutait pas, lorsqu'il prit parti pour les modernes contre les anciens, qu'il pût tirer quelques-uns de ses
meilleurs exemples
voisine. livre
Comment
qu'il a
pu
Conducteur four
de
avoir entre le
la
de l'île douté quand un
littérature
s'en serait-il les
mains, Le Fidèle
Voyage d'Angleterre,
écrit par
— AVANT-PROPOS
vii
Coulon et publié à Paris en 16154, débute par un Advis au Lecteur ainsi conçu " Mon cher lecteur, il n'y a que sept lieues de traject le sieur
:
de France en Angleterre faire si tu
veux veoir
:
Tu
n'auras
-pas
chemin à a esté
cette isle qui autrefois
tenue par les anciens pour le bout du monde, les Poètes
Latins la
nommant
la dernière
Thulê
Elle a esté
!
autrefois le séjour des anges et des saints et à présent elle
est
Dans
l'enfer
cette isle
des
démons
et des
parricides.
.
abominable tu pourras remarquer
vestiges de l'ancienne piété et les
remuements
bouleversements de la brutalité d'un
.
.
les
et les
peuple enragé
quoique stupide et septentrional."
Et
le
Fidèle
Conducteur de nous
raconter
les
merveilles de ce pays étrange, depuis la pierre précieuse, l'Agate, qui " brûle
en l'eau et
s'éteint
l'huile," jusqu'aux caykes, oiseaux qui,
poussent sur des arbres
dans
en Ecosse,
!
Ajoutons qu'un ambassadeur de Louis XIV., ayant reçu l'ordre en 1663 de renseigner son maître sur l'histoire littéraire de l'Angleterre, cite seulement Bacon, Morus, Buchanan et " un nommé Miltonius qui s'est rendu plus infâme par ses dangereux écrits que les bourreaux et les assassins de leur roi." 1 Même au commencement du XVIII e siècle le plus grand poète anglais figure dans un Guide d'Angleterre comme " Un certain Shakespeare " dont Monsieur Addison a continué et perfectionné l'œuvre Trois auteurs surtout ont travaillé à dissiper en France cette ignorance des choses d'Angleterre Murait, un Suisse, dont les lettres admirables étaient connues et admirées par Rousseau 2 Voltaire, dans Les lettres philosophiques ; enfin, l'Abbé Prévost. !
:
;
1
2
Jusserand, Shakespeare en France, p. IOJ. Nouvelle Héloise, vi. 7.
J. J.
AVANT-PROPOS
viii
Le second anglaises
a préconisé la philosophie et la science 1
;
et Prévost initia la
France
à la création
du génie littéraire anglais au XVIII e siècle Par ses traductions le roman de mœurs. des romans de Richardson, surtout de la Clarisse, il donna aux romanciers de son pays de nouveaux la
plus originale
—
modèles d'où
le
génie français à su tirer des chefs-
d'œuvre.
Le succès du roman bourgeois fut immédiat et complet en France. " Sans Paméla nous ne saurions ici que lire ni que dire," écrivait Crébillon à Lord Chesterfield et Diderot, dans son fameux Eloge de ;
Richardson, s'écrie
O
"
Richardson, Richardson, seras ma lecture dans Forcé par des besoins pressants, mais tu me resteras ; tu me je vendrai mes livres resteras sur le même rayon avec Moïse, Homère, ." Euripide et Sophocle. Tous les romanciers de l'époque imitaient Richardson ou s'inspiraient de lui ; Crébillon fils, Marmontel et Diderot lui-même, avec une foule d'auteurs moins connus, se plongeaient dans l'analyse psychologique, la peinture des détails domes-
homme
unique tous les temps
à
:
mes yeux, tu
!
:
.
tiques, l'enseignement la
.
ou plutôt
la
prédication de
vertu, qui sont les traits caractéristiques
du brave
du
style
libraire londonien.
Rousseau n'échappa pas à la manie générale de son temps. Il lisait avec plaisir tous les auteurs anglais ; ne propose-t-il pas Robinson comme lecture unique et complète pour le jeune Emile ? n'écrit-il pas à " Le Essai sur l'homme Voltaire après avoir lu poème de Pope adoucit mes maux et me porte à la patience ? " Et il ajoute dans la Nouvelle Hélo'ise
V
1 N'oublions pas que La Fontaine " L'Anglais pense profondément," &c.
:
avait déjà écrit;
AVANT-PROPOS
ix
de bon qu'on ne soit tenté de faire en de Pope. 1 Il fit connaissance avec Richardson par la traduction de son ami Prévost et déclara tout de suite qu'il n'y avait pas de roman " égal à Clarisse ni même approchant," 2 exprimant ainsi une admiration qu'il garda jusqu'à la fin de qu'il n'y a rien
quittant
le livre
sa vie.
Rien d'étonnant dans cet enthousiasme.
Com-
ment Rousseau n'aurait-il pas admiré un romancier qui écrit, non pour amuser, mais " afin de cultiver les
principes de
la
vertu et de
esprits des jeunes gens des
ment lui
dans
la religion
deux
sexes
?
"
3
les
Com-
goûté cette forme épistolaire, " J'aurais fait une fort jolie conversaposte ? " 4 Enfin, comment Rousseau,
n'aurait-il pas
qui
a dit,
tion par
la
qui se donnait pour mission de prêcher un nouvel Evangile à un siècle méchant et perverti, aurait-il
pu résister commode,
d'employer cette forme où il pouvait caser toutes les digressions, morales, économiques ou politiques qu'il lui plaisait d'ajouter aux tableaux épars d'une histoire suivie et passionnée ? Pour être romancier à la façon de Richardson on ne cessa pas d'être prédicateur. C'était le seul genre de roman qui convenait à Rousseau. Car, malgré le mot, vrai dans un sens, d'un critique contemporain, 5 Jean-Jacques n'était pas à la tentation
ce
romancier.
meuble
à tiroirs
trop peu capable d'objectiver ne savait pas sortir de lui-même pour camper devant ses lecteurs des personnages distincts, rattachés à leur créateur par un fil invisible. La forme du roman par lettres, cependant, permet à ses idées
1
3 5
;
Il était
il
Partie IL, Lettre xviii. Voir Pamela, Avertissement.
M. Faguet
français."
l'appelle,
Voir XVIII.
"J.
Siècle.
2
J.
Lettre sur 4
les
Spectacles.
Les Confessions.
Rousseau, romancier
JFJNT-PROPOS
x
un auteur de cacher
cette faiblesse et de se mettre
tout entier dans chacun de ses personnages ; le lecteur apprend par l'en-tête de chaque épître quel est celui qui parle et, comme les spectateurs du
Guignol,
il
tromper sans remarquer que
se laisse
la
voix ne varie pas. Ainsi, lorsqu'en 1756, " dans la plus belle saison de l'année, au mois de juin, sous des bocages frais, au chant du rossignol, au gazouillement des ruisseaux," 1 dans cet été naissant qui devait être pour lui l'été de Saint-Martin, Rousseau se mit à penser à l'amour et à l'amitié, " ces deux idoles de son cœur," ce fut sous forme de lettres qu'il jeta ses
pensées éparses sur
le
papier
;
et plus tard, lorsque
mauvaise saison commençait à le renfermer au logis, s'avisant de la contradiction manifeste entre
la
les
principes sévères qu'il avait professés et le recueil
d'épîtres amoureuses qu'il s'occupait de rédiger, prit encore
exemple sur Richardson
mêla
il
son roman des leçons morales Julie fille, vaincue par l'amour, serait opposée à Julie femme, rachetée par la religion ; en face des mœurs dissolues de l'époque se dresserait un tableau de bonheur conjugal ; la haine réciproque des philosophes et des chrétiens serait adoucie en montrant " à chaque parti le mérite et la vertu dans l'autre, dignes de l'estime publique et du respect de tous les mortels." 2 et
à
:
N'était-ce pas
là le
vrai
programme d'un Richard-
son français ? Ceux qui
—
connaissent Clarisse malgré et, l'opinion d'un critique 3 très versé dans la littérature
d'Outre-Manche, lisent le 1
2 3
il y a encore des Anglais qui chef-d'œuvre de Richardson se plairont à
—
Confessions, Pte.
Confessions, ix. J.
Texte,
J.
II.
Liv. ix.
1757.
J. Rousseau
et le
cosmopolitisme littéraire.
AVANT-PROPOS
xi
découvrir d'autres analogies entre les deux romans. Clarisse et sa confidente, Miss Howe, sont les protodans types des " deux inséparables " de Rousseau ;
l'un et l'autre cas les infortunes de l'héroine vien-
nent de l'opposition d'un " père barbare " à un mariage ; les parents de Julie rappellent ceux de le père dur et emporté, la mère bonne Clarisse milord Bomston fait penser au mais incolore Mais la peinture de la vie colonel Morden.
—
;
ordinaire, le milieu bourgeois
où
se passe l'action,
l'atmosphère réaliste qui enveloppe l'histoire, si différente de cet empyrée romantique où planent e les personnages du roman hércique du XVII siècle, depuis UAstrée française jusque à la Parthénisse voilà le plus fort lien entre les deux
anglaise
—
ouvrages. 1
Si,
comme on
l'a
pour créer
dit,
le
roman bourgeois il fallait une âme bourgeoise,2 le XVIII e siècle a produit, en Richardson et Rousseau, deux
écrivains tout désignés
pour lancer
la
nouvelle
école.
n'est pas simplement en donnant droit au roman bourgeois que Rousseau a naturalisé en France des idées et des sentiments étrangers Il avait dans jusque-là à la littérature française. son âme des éléments particuliers, éléments dé-
Mais ce
de
cité
ployés avec toute leur force dans
la
Nouvelle Héldise
peu communs au tempérament français. En imprimant sur la littérature son cachet personnel, il a élargi ou égaré, c'est la conscience littéraire du pays selon les opinions et fait sortir l'esprit français du cadre étroit du
et qui étaient, avant lui,
—
—
classicisme.
On peut remarquer, en outre, que Rousseau pense Voir la Seconde Richardson en écrivant son roman. Lettre xviii. Partie III., &c. Préface 2 Texte, J. J. Rousseau, p. 293. 1
à
;
AVANT-PROPOS
xii
Rousseau
il chante ses protrouve dans les mouvements de son propre cœur une matière inépuisable, il étale son moi ; il sent fortement le rapport entre l'homme et la nature ; il voit et comprend l'homme non comme être raisonnable, dirigeant, maître de l'univers, mais comme formant partie de l'univers, comme partageant le sort de tout ce qui naît, croît, tombe et s'en va. De là, son affection pour le " grand être " * qui l'enveloppe de là,
pres peines,
est surtout lyrique
:
il
;
que
beauté et la jeunesse passent avec la rapidité de l'astre 2 et que nous ne sommes tous qu'une poussière qui périt. aussi,
mélancolie, car
sa
Tout
cela était
il
sait
la
peu français avant l'avènement de s'était déjà exprimé dans
Rousseau, mais tout cela la littérature anglaise.
Le
théâtre de Shakespeare
comparé au théâtre de Racine, qu'est-ce sinon dividualisme sans tradition opposé et de généralisation
du
à l'esprit
classicisme
?
l'in-
d'ordre
Sidney dans
Astrophel and Stella, Shakespeare dans
les
Sonnets
— combien d'autres encore! — avaient déjà épanché
écrits les douleurs de leur cœur ; sentiment de la nature qui anime les premiers vers de Milton avait été oublié par ses successeurs, Thomson l'avait ravivé au XVIII e siècle en chantant les fleurs, les ruisseaux et les montagnes, l'année pâle qui descend, les feuilles qui ne cessent de tomber et le vent qui sanglote parmi les arbres dénudés. 3 Quant à la mélancolie, c'était un sentiment particulièrement britannique, et depuis le poète saxon qui rappelait au lecteur la maison étroite et basse qui l'attend depuis son
dans
et
leurs le
si
1
2
3
Voir, Lettres à M. de Maleshcrbes, iii. Nouvelle Héloïse, Partie I, Lettre xxvi. Voir, par exemple, The Seasons : Autumn.
AVAN7-PR0P0S entrée dans
en
le
monde, jusqu'à Young qui s'écriait " Heureux ceux qui ne se réveil-
se réveillant
lent plus
!
"
2
xiii
1
:
les
poètes anglais s'étaient toujours
occupés de la courte durée de cette vie et de tout ce qui nous attend dans le mystère de l'au-delà. C'est qu'ils étaient tous nourris de la Bible car être religieux n'empêche pas d'être pessimiste ; au contraire, beaucoup de gens et Rousseau, sans doute, était du nombre trouvent dans la religion un refuge contre la pensée terrible de l'immense nuit qui engouffre l'humanité et devant laquelle ils se ferment les yeux en murmurant, " Oh horrible " horrible ;
—
—
!
!
trop horrible
!
Or, Jean-Jacques, qui faisait des Ecritures son de chevet, buvait aux mêmes sources d'inspiration que les Anglais et devint, en quelque sorte, plus anglais que français car la Bible n'a jamais Il a, donc, versé toute cette été un livre français. 3 il émotion dans le roman a entouré l'intrigue d'une atmosphère et d'un décor ; par là, il a fait un livre plus beau, plus artistique, que la thèse morale de Richardson et, en même temps, il a rendu le roman capable d'exprimer tous les mouvements de la conscience moderne. C'est seulement depuis lui que nous voyons de grands poètes quitter la lyre pour prendre la simple plume du prosateur. Est-il besoin de rappeler l'importance de Rousseau livre
;
;
Nouvelle Héldise dans la littérature franJean-Jacques n'est-il pas père de tous les romantiques et n'ont-ils pas tous appris de lui à se confesser dans leurs livres, à vivre leurs romans et à trouver dans leurs tristesses passées un sujet de
de
et
çaise
la
?
1 Voir la traduction de Longfellow a house made," &c.
2 3
Night Thoughts. J. Weiss, cité Texte. J.
J.
:
"For
J. Rousseau,
thee
was
AVANT-PROPOS
xiv
Sans l'exemple des Confessions, Chateau? briand nous aurait-il si longuement entretenu de
poésie
lui-même dans les Mémoires d''Outre-Tombe ? Comparez le Lac de Lamartine avec la dernière lettre de la Partie IVe de la Julie ; vous verrez combien les paroles du prosateur retentissent aux oreilles du poète. Le " faible cœur " de Musset aurait-il découvert tant de douceur dans les chagrins passés, aurait-il
laissé
éclater
toute sa peine devant
les
amour perdu, si Rousseau n'avait pas plaisir amer du souvenir et " combien la
débris d'un
enseigné le présence des objets peut ranimer puissamment les sentiments violents " ? Et Madame de Staël dans Delphine ; Hugo dans La Tristesse d'Olympo ;
George Sand dans
premiers romans
ses
autres, ne sont-ils pas ciples
de Jean- Jacques
tous ?
les
me
Je
dire qu'en inoculant ainsi
à
;
et les
enfants et
les dis-
garderai bien de
l'esprit
français
un
principe étranger Rousseau lui a rendu service. Il a prêté, peut-être, à un vieux corps un renouvellement de force et de vivacité mais, en même temps,
physionomie de la littérature française il a donné quelque chose de cosmopolite ses continuateurs se sont éloignés de plus en plus du XVII e siècle, si bien qu'on a pu écrire récemment et non sans raison que " l'esprit français qui fut le plus logique, le à la
;
plus unitaire et
le
plus classique
aujourd'hui en proie
du monde ...
est
manie d'exotisme." 1 On croirait presque que les contemporains de Rousseau comprenaient toute l'importance du nouveau roman, tant ils l'attendaient avec impatience, tant ils mettaient d'empressement à le lire dès sa publication. Bien que Rousseau l'eût composé dans la solitude de l'Ermitage, tout Paris en 1
Jean
à la pire
Florence, article
Phalange, 15 Juillet, 1908.
sur
G.
B.
Shaw dans La
AVANT-PROPOS
xv
Il l'avait lu à la duchesse de en avait fait une copie pour cette Madame d'Houdetot qui, par la passion qu'elle lui inspira, avait ajouté tant de chaleur et de réalité à son récit ; on causait déjà du livre à la Cour et St. Lambert avait communiqué le manuscrit au roi de Pologne. Tout cela fut cause que dans les premiers mois de 1761 " les libraires de la rue St. Jacques et celui du Palais-Royal étaient assiégés de gens qui en demandaient des nouvelles. Il parut enfin et son
causait d'avance.
Luxembourg
;
il
contre l'ordinaire, répondit à l'empresse-
succès,
ment avec lequel il avait été attendu." l Nous connaissons tous l'histoire de cette grande dame qui, oubliant le bal de l'Opéra et son carrosse qui attendait à la porte, passa toute la nuit à lire la Nouvelle Héloïse? Toutes les femmes de l'époque dévoraient le roman avec délices ; elles étaient convaincues, surtout, de la réalité de l'histoire ; Madame de Polignac écrivit à Madame de Verdelin
montrer le Rousseau reçut des lettres de deux jeunes dames qui voulaient l'assurer que les " deux inséparables " existaient en leurs propres Le livre avait tout autant de succès personnes.
pour
la
prier d'engager l'auteur à lui
portrait de Julie
;
et
—
auprès des
hommes
et leur semblait tout aussi vrai
:
" Ce n'est pas ainsi," dit Duclos, " qu'on imagine." Il en fut de même à l'étranger et surtout en Allemagne ; rappelons simplement pour mémoire que c'est en lisant la Nouvelle Hélo'ise que Kant à oublié, pour la seule fois de sa vie, sa promenade habituelle. Cependant, ce livre si attendu, si important, le seuls, quelques étudiants de public ne le lit plus ;
Pourquoi ? C'est surtout parce qu'à l'intrigue du roman se mêlent tant de
littérature le goûtent.
1
Confessions, xi.
"
Ibid.
— AVANT-PROPOS
xvi
On y de l'agriculture, de l'éducation des enfants, des devoirs des parents, de l'économie domestique on discute pour et contre le duel, pour et contre la musique italienne on décrit les mœurs parisiennes, digressions, tant de thèses supplémentaires
!
traite
;
;
du Haut- Valais du théâtre et de l'opéra
celles des habitants
un
tableau
du XVIII e
;
on nous à Paris.
fait
Les
naturellement raisonneurs en outre, de plus de loisirs que leurs descendants actuels, ne se rebutaient pas devant ces longueurs et ne se plaignaient pas de ces interruptions au cours du roman. Nos goûts, nos lecteurs
siècle,
et moralistes, jouissant,
exigences sont tout autres aujourd'hui.
Ajoutons aussi que la sensibilité larmoyante qui forme un trait distinctif de la Julie n'est plus à la mode. Nous avons les larmes plus difficiles. Nous comprenons avec peine des gens qui mouillent non seulement leurs mouchoirs mais même leurs gilets avec des " torrents de larmes délicieuses." De plus, à un siècle matériel et froid, la rhétorique du livre semble exagérée ; on y apostrophe un peu trop la " vertu, le ciel, l'humanité et les amis ; les " y sont semés d'une main généreuse.
O
Nous nous proposons comme but dans notre édition de rendre ce " recueil de lettres " plus
en retranchant
lisible,
plupart des digressions pour concentrer l'intérêt sur les personnages. Nous troula
—
verons notre justification s'il nous en faut une dans quelques-unes des notes ajoutées par l'auteur " On voit qu'il lui-même, celle-ci par exemple :
manque
ici
plusieurs lettres intermédiaires, ainsi
qu'en beaucoup d'autres endroits. Le lecteur dira qu'on se tire fort commodément d'affaire avec de pareilles omissions et je suis tout-à-fait de son avis." x 1
Partie V. Lettre
vi.
note.
AVANT-PROPOS
xvii
C'est ainsi que nous omettons toute la cinqu-
ième
partie,
où Rousseau, suspendant complètement de " montrer aux gens aisés que la
l'action, s'efforce
vie rustique et l'agriculture ont des plaisirs qu'ils ne
savent pas connaître."
roman
IV. Lettre
lerie (Partie le
x
est la belle scène
La
vraie fin artistique
parmi
rochers de Meil-
Si
Rousseau, contre étendu au delà,
xvii.).
jugement de son ami Duclos,
c'est qu'il voulait faire la
du
les
s'est
leçon à son siècle
— leçon,
malheureusement, trop peu écoutée. Notre petit volume sera, donc, comme un recueil des airs d'opéra de Lulli ou de Rameau d'où les récitatifs
monotones
entendra
les
le
délicieuses
le lisant,
atténué
;
l'on
accords grêles et fluets des épinettes,
on verra passer des dames de poudrés,
En
seraient exclus.
l'écho des vieilles discussions sera
jadis,
teint relevé par des
cheveux
les
mouches
—
figures
!
Mais un scrupule nous arrête. Faisons-nous bien de remettre en circulation ce livre qu'on a appelé " un interminable défilé de nuages parés de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel," ce livre, plein " d'un céleste jargon," qui " avilit les
grâces de l'amour "
?
2
critique contemporain dans le
Romantisme, où
il
mœurs
et flétrit les
C'est ainsi qu'en parle
une
belle
déploie tout
passionné, sans lequel, disait Goethe,
un
étude sur
ce les
parti-pris
idées ne
peine d'être exposées. Sans partager ses opinions sur la Nouvelle Hélo'ise, nous sommes assez enclins à accorder que l'esprit
valent pas
la
il voile romantique en général est nuisible un manteau poétique de belles paroles :
sous
;
le réel il
stitue la sensibilité à la vertu et pousse à l'état
1
2
Seconde Préface. Pierre Lasserre, Le Romantisme Français.
sub-
d'un
AVANT-PROPOS
xviii
Sterne qui, parce qu'il a pleuré, est convaincu de âme ; 1 il est trop individual-
l'immortalité de son
iste—la société ne peut pas permettre à toutes les âmes qui se croient " extraordinaires " d'enfreindre
communes
les règles
;
il
fait
de l'homme un être
2 plutôt que par la raison. Cet esprit est aussi mauvais pour les nations que l'Allemagne avant Iéna, pour les individus ; plongée dans des rêves romantiques, entrainée à sa
guidé par
ses sensations
ruine par une femme, en est une preuve. Nous sommes tentés d'ajouter que la France de 1870 en
une autre
est
;
d'après l'aveu d'un témoin
com-
Français de l'époque 1850-70 étaient romanesques et sentimentaux ; l'âme faible et féminine de Musset leur était échue en partage.
pétent, 3
les
Remarquons encore que ce sont surtout les femmes qui admirent Rousseau et son roman. Pour n'en citer que quelques-unes, nous avons Mademoiselle de Lespinasse, Madame Roland (" la fille de Jean-Jacques "), Charlotte Corday, Madame de Genlis, Madame de Staël, George Sand, George Eliot et, de nos jours, Madame Macdonald, qui a montré son admiration en réhabilitant la mémoire 4 Ce de son héros dans un livre plein de recherches. soupçonner fait chœur féminin autour de Rousseau qu'il y a en lui quelque chose qui fait appel surtout à l'âme des femmes, quelque chose de passionel, d'instinctif et de trop sensible pour s'adapter à ce monde Et voici Madame de Staël qui affermit nos brutal. soupçons en nous rappelant qu' " une sensibilité rêveuse et profonde est un des plus grands charmes 1
Voyage Sentimental, chap.
lxii.
2
Cf. Rousseau Juge de J. J.,
3
Arvèdu Barine, Alfred de Musset, p. 8. Voir son J. J. Rousseau: a Nc-.u Sludy
4
I906.
ii.
in
Criticism.
AVANT-PROPOS
xix
de quelques ouvrages modernes et ce sont les femmes qui, ne connaissant de la vie que la faculté d'aimer, ont fait passer la douceur de leurs impressions dans le style de quelques écrivains." 1 Elle reproche aux Grecs de ne pas être abattus par la pensée de la mort, de ne pas connaître le découragement profond, de ne pas savoir peindre les " passions secrètes," de ne pas être lyriques. C'est à dire, elle trouve, la littérature grecque trop masculine. C'est précisément parceque Rousseau et ses disciples sont abattus par la douleur et se plaisent à rappeler leurs souffrances que leurs écrits sont féminins. Les passions secrètes et les doléances de l'âme ne sont saines ni pour l'individu ni pour la société pour devenir philosophe et être un citoyen utile il faut apprendre à ;
;
vaincre.
les
Mais tout
cela ne nous empêchera pas d'étudier l'œuvre d'art qui s'appelle la Nouvelle Hêloïse avec plaisir et avec profit. Soyons prévenus et ajoutons
au
livre
On
notre propre morale, plus saine et plus forte. pas forcé, après la lecture d'Hamlet,
n'est
d'imiter
la
mollesse
du
héros.
Soit dit aussi en faveur de Rousseau que si, en matière de moralité, il prend parfois l'ombre pour la il donne souvent sa sympathie aux gens aux choses qui la méritent ; si les nobles de l'ancien régime s'étaient conduits comme Wolmar envers leurs inférieurs la Révolution n'aurait peut-
substance, et
être pas éclaté.
comme de tout grand nous sommes forcés de prendre parti pour ou contre lui il ne nous permet pas de rester froids. La
lecture de Rousseau,
écrivain, est stimulante
;
;
1
De
la Littérature, Pte.
I.
chap.
ix.
AVANT-PROPOS
xx
Ecoutons, comme conclusion, ce qu'a dit de JeanJacques la femme la plus éminente parmi celles que A l'âge de trente ans, nous avons citées plus haut. après avoir lu les œuvres de Rousseau, elle écrivit Son génie " a donné à tout mon être intellectuel :
moral une secousse électrique, éveillant en moi de nouvelles perceptions, faisant pour moi des hommes et de la nature un nouveau monde de pensées et de sentiments. ... Le vent de son inet
spiration, soufflant avec force, a tellement ravivé facultés que j'ai pu moi-même donner une forme plus nette à des idées qui, jusque-là, demeuraient au fond de mon âme comme des Ahnungen obscurs." l Cela n'a pas empêché George Eliot d'écrire plus tard ce merveilleux Middlemarch, dont l'inspiration est fortement réaliste et où elle regarde le monde à travers les lunettes d'un désillusionnement philo-
mes
sophique et doux.
FRANK
A.
HEDGCOCK.
Paris, Octobre 1908.
1
Cité Leslie Stephen, George
Eliot, p.
34.
Le lecteur est averti que toutes les notes explicatives au bas de la page sont de Rousseau lui-même.
PREMIERE PARTIE LETTRE PREMIÈRE DE SAINT-PREUX A JULIE Il faut vous fuir, mademoiselle, je le sens bien
:
dû beaucoup moins attendre ou plutôt il fallait ne vous voir jamais. Mais que faire aujourd'hui ? comment m'y prendre ? Vous m'avez promis de l'amitié voyez mes perplexités, et conj'aurais
;
;
seillez-moi.
Vous savez que je ne suis entré dans votre maison que sur l'invitation de madame votre mère. Sachant que j'avais cultivé quelques talents agréables, elle a cru qu'ils ne seraient pas inutiles, dans un lieu dépourvu de maîtres, à l'éducation d'une fille qu'elle adore.
un
si
Fier, à
mon tour, d'orner de quelques fleurs j'osai me charger de ce dangereux
beau naturel,
ou du moins sans
soin, sans
en prévoir
redouter.
Je ne vous dirai point que je commence prix de ma témérité j'espère que je ne
à
payer
le
le péril,
le
:
m'oublierai jamais jusqu'à vous tenir des discours
vous convient pas d'entendre, et manquer au respect que je dois à vos mœurs encore plus qu'à qu'il ne
votre naissance et à vos charmes.
Si je souffre, j'ai
A
OU
JULIE,
2
du moins
consolation de souffrir seul, et je ne
la
voudrais pas d'un bonheur qui pût coûter au vôtre.
Cependant je vous vois tous
les jours, et je m'apery songer, vous aggravez innocemment des maux que vous ne pouvez plaindre, et que vous devez ignorer. Je sais, il est vrai, le parti que
çois que, sans
prudence au défaut de l'espoir ; de le prendre, si je pouvais accorder en cette occasion la prudence avec l'hondicte en pareil cas et je
me
nêteté
la
serais efforcé
comment me
mais
:
où elle quelque utilité
croit de
monde
cher au
mère du
plaisir
à ce qu'elle a
Comment
?
décemment
maîtresse
la
offert l'entrée,
me
retirer
elle-même m'a m'accable de bontés, où elle
d'une maison dont
de plus
frustrer cette tendre
de surprendre un jour son époux les études qu'elle lui cache à
par vos progrès dans ce dessein
rien dire traite la
?
Faut-il quitter impoliment sans lui
?
?
faut-il lui déclarer le sujet
même
et cet aveu
homme
part d'un
ne peuvent
lui
dont
la
Je ne vois, mademoiselle, qu'un c'est que de l'embarras où je suis
à
;
que
ma
vous
re-
?
moyen de
;
me
ma
naissance et la fortune
permettre d'aspirer
plonge m'en retire
de
ne l'offensera-t-il pas de
la
peine,
sortir
main qui m'y ainsi que ma
moins par pitié pour moi vous daigniez m'interdire votre présence. faute,
vienne de vous
Montrez ma
;
et qu'au
lettre à vos parents, faites-moi refuser
votre porte, chassez-moi
comme
il
vous plaira
;
je
puis tout endurer de vous, je ne puis vous fuir de
moi-même. Vous, me chasser moi, vous fuir et pourquoi ? Pourquoi donc est-ce un crime d'être sensible au mérite, et d'aimer ce qu'il faut qu'on honore ? !
!
LA NOUVELLE HÉLOÏSE Non, yeux
belle Julie
jamais
;
;
mon cœur
n'eussent égaré
ils
3
vos attraits avaient ébloui
mes sans
qui les anime. C'est cette union touchante d'une sensibilité si vive et d'une inaltérable douceur ; c'est cette pitié si tendre à
l'attrait plus puissant
tous
maux
les
d'autrui
c'est cet esprit juste et ce
;
goût exquis qui tirent leur pureté de celle de l'âme ce sont, en un mot, les charmes des sentiments, ;
bien plus que ceux de
personne, que j'adore en
la
Je consens qu'on vous puisse imaginer plus
vous.
belle encore
mais plus aimable et plus digne du
;
cœur d'un honnête homme, non,
Julie,
il
n'est pas
possible.
J'ose
me
quelquefois que
flatter
une conformité
le
ciel
a
mis
secrète entre nos affections, ainsi
qu'entre nos goûts et nos âges.
Si jeunes encore,
rien n'altère en nous les penchants de la nature, et
toutes
nos
semblent
inclinations
se
rapporter.
Avant que d'avoir pris les uniformes préjugés du monde, nous avons des manières uniformes de sentir
de voir
et
pourquoi
et
;
imaginer dans nos cœurs ce j'aperçois dans nos
jugements
n'oserais-je pas
même ?
concert que
Quelquefois nos
yeux se rencontrent quelques soupirs nous échapquelques larmes furtives pent en même temps ;
;
.
.
.
ô Julie
!
si
cet accord venait de plus loin ...
si
humaine pardon je m'égare j'ose prendre mes .... Ah vœux pour de l'espoir l'ardeur de mes désirs prête à leur objet la possibilité qui lui manque. Je vois avec effroi quel tourment mon cœur se prépare. Je ne cherche point à flatter mon mal je voudrais le haïr, s'il était possible. Jugez si mes
le ciel
nous avait destinés !
.
.
.
toute
la
force
:
!
;
;
OU
JULIE,
4
sentiments sont purs par
demander.
viens vous
source du poison qui
la sorte
de grâce que
je
peut,
la
Tarissez,
me
se
s'il
nourrit et
me
Je ne j'implore vos tue.
veux que guérir ou mourir ; et rigueurs comme un amant implorerait vos bontés.
mon
Oui, je promets, je jure de faire de
mes
pour recouvrer centrer au fond de mon âme
ma
côté
ou conle trouble que j'y mais, par pitié, détournez de moi ces sens naître yeux si doux qui me donnent la mort dérobez aux miens vos traits, votre air, vos bras, vos mains, vos blonds cheveux, vos gestes trompez l'avide imprudence de mes regards ; retenez cette voix touchante qu'on n'entend point sans émotion soyez, hélas une autre que vous-même, pour que mon cœur puisse revenir à lui. Vous le dirai-je sans détour ? dans ces jeux que l'oisiveté de la soirée engendre, vous vous livrez devant tout le monde à des familiarités cruelles vous n'avez pas plus de réserve avec moi qu'avec un autre. Hier même, il s'en fallut peu que, tous
efforts
raison,
:
;
;
;
!
;
me
par pénitence, vous ne baiser
:
n'eus garde de m'obstiner.
prendre un heureusement je
laissassiez
vous résistâtes faiblement
;
Je sentis à
mon
trouble
que j'allais me perdre, et je m'arrêtai. du moins je l'eusse pu savourer à mon gré,
croissant
Ah
!
si
ce baiser eût été
mort
le
De
mon
hommes.
grâce, quittons ces jeux qui
des suites funestes. n'ait
dernier soupir, et je serais
plus heureux des
Non,
il
peuvent avoir
n'y en a pas
un qui
son danger, jusqu'au plus puéril de tous.
tremble toujours d'y rencontrer votre main, et ne
sais
comment
il
arrive
que
je la
Je je
rencontre tou-
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
A
jours.
peine se pose-t-elle sur
tressaillement
ou plutôt et,
me
saisit
le délire
:
je
le
;
ne
jeu
la
mienne qu'un
me donne
vois, je
5
la fièvre
ne sens plus rien
;
moment d'aliénation, que dire, que où me cacher, comment répondre de moi
dans ce
faire,
?
Durant nos
lectures, c'est
Si je vous vois
un
un
autre inconvénient.
instant sans votre
mère ou
sans
votre cousine, vous changez tout à coup de main-
vous prenez un air si sérieux, si froid, si que le respect et la crainte de vous déplaire m'ôtent la présence d'esprit et le jugement, et j'ai peine à bégayer en tremblant quelques mots d'une leçon que toute votre sagacité vous fait suivre avec peine. Ainsi, l'inégalité que vous affectez tourne vous me à la fois au préjudice de tous deux désolez et ne vous instruisez point, sans que je puisse concevoir quel motif fait ainsi changer tien
;
glacé,
:
d'humeur une personne aussi raisonnable. vous le demander, comment pouvez-vous
J'ose
être
si
en public, et si grave dans le tête-à-tête ? Je pensais que ce devait être tout le contraire, et qu'il fallait composer son maintien à proportion du nombre des spectateurs. Au lieu de cela, je vous vois, toujours avec une égale perplexité de ma part, folâtre
ton de cérémonie en particulier, et le ton familier daignez être plus égale, devant tout le monde peut-être serai-je moins tourmenté. Si la commisération naturelle aux âmes bien nées
le
:
peut vous attendrir sur les peines d'un infortuné auquel vous avez témoigné quelque estime, de légers changements dans votre conduite rendront sa situation
moins violente,
et lui feront supporter
plus paisiblement et son silence et ses
maux.
Si sa
OU
JULIE,
6
retenue et son état ne vous touchent pas, et que vous vouliez user du droit de le perdre, vous le pouvez sans qu'il murmure il aime mieux encore :
périr par votre ordre que par
un transport
cret qui le rendît coupable à vos yeux.
que vous ordonniez de point
à
me
téméraire
;
mon sort,
indis-
Enfin, quoi
au moins n'aurai-je
reprocher d'avoir pu former un espoir et si vous avez lu cette lettre, vous avez
tout ce que j'oserais vous demander, quand
fait
même
je n'aurais
point de refus
LETTRE
à craindre.
II
DE SAINT-PREUX A JULIE
Que
je
me
suis
première lettre je
n'ai
fait
!
que
abusé,
les
votre disgrâce, et je
mademoiselle,
dans
ma
de soulager mes maux, augmenter en m'exposant à sens que le pire de tous est de
Au
lieu
Votre silence, votre air froid et m'annoncent que trop mon malheur. Si vous avez exaucé ma prière en partie, ce n'est que pour mieux m'en punir. Vous retranchez en public l'innocente familiarité dont j'eus la folie de me mais vous n'en êtes que plus sévère dans plaindre
vous déplaire. réservé, ne
;
le particulier
;
et votre ingénieuse rigueur s'exerce
également par votre complaisance et par vos refus. Que ne pouvez-vous connaître combien cette vous me trouveriez trop froideur m'est cruelle !
puni.
Avec quelle ardeur ne voudrais-je pas
re-
venir sur le passé, et faire que vous n'eussiez point Non, dans la crainte de vu cette fatale lettre !
vous offenser encore,
je n'écrirais
point celle-ci
si
LA NOUVELLE HÉLOÏSE ma
doubler
faute, mais la réparer.
vous apaiser, dire que faut-il protester
que ce
n'était pas
pour
Faut-il,
moi-même
m'abusais
je
7
ne veux pas re-
je n'eusse écrit la première, et je
?
de l'amour que
Moi, je prononcerais cet pour vous ? odieux parjure ? Le vil mensonge est-il digne d'un cœur où vous régnez ? Ah que je sois malheureux, pour avoir été téméraire, je ne serai s'il faut l'être j'avais
.
.
.
!
;
ni
ni lâche, et le crime
menteur
ma plume
commis,
ne peut
Punissez-moi, vous
le
mon cœur
que
a
désavouer.
le
devez
mais
;
si
vous n'êtes
impitoyable, quittez cet air froid et mécontent qui
me met à la
au désespoir
mort, on ne
lui
quand on envoie un coupable montre plus de colère. :
LETTRE
III
DE SAINT-PREUX A JULIE
Ne
vous impatientez pas, mademoiselle
;
voici la
dernière importunité que vous recevrez de moi.
Quand
je
commençai de vous aimer, que
loin de voir tous les
maux que
je
j'étais
m'apprêtais
!
Je
ne sentis d'abord que celui d'un amour sans espoir, que la raison peut vaincre à force de temps ; j'en connus ensuite un plus grand dans la douleur de vous déplaire, et maintenant j'éprouve le plus cruel de tous dans le sentiment de vos propres peines. O Julie
!
je
le
vois
avec amertume,
troublent votre repos vincible
vos
:
;
mais tout décèle à
agitations
secrètes.
mes
plaintes
vous gardez un silence in-
Vos
mon cœur yeux
attentif
deviennent
8
JULIE,
sombres, rêveurs,
fixés
égarés s'échappent sur
OU
en terre
moi
;
quelques regards
vos vives couleurs se
;
une pâleur étrangère couvre vos joues abandonne une tristesse mortelle vous accable et il n'y a que l'inaltérable douceur de votre âme qui vous préserve d'un peu d'humeur. Soit sensibilité, soit dédain, soit pitié pour mes je souffrances, vous en êtes affectée, je le vois crains de contribuer aux vôtres, et cette crainte m'afflige beaucoup plus que l'espoir qui devrait en car ou je me trompe naître ne peut me flatter moi-même, ou votre bonheur m'est plus cher que fanent
la
;
;
gaieté vous
;
;
;
;
le
mien.
Cependant, en revenant à mon tour sur moi, je commence à connaître combien j'avais mal jugé de mon propre cœur, et je vois trop tard que ce que j'avais
d'abord pris pour un délire passager fera le ma vie. C'est le progrès de votre tris-
destin de
m'a
tesse qui
non, jamais les
de
fait sentir celui
mon
mal.
charmes de votre
esprit,
toutes
grâces de
les
votre ancienne gaieté, n'eussent produit
semblable
que
votre
un
abattement.
effet
N'en
si
vous pouviez voir quel
ces huit jours
de langueur ont allumé
doutez pas, divine dans
de
celui
à
embrasement
Jamais,
feu de vos yeux, l'éclat de votre teint,
le
Julie,
âme, vous gémiriez vous-même des maux vous me causez. Ils sont désormais sans
mon
remède, et
je sens avec désespoir
que
le
feu qui
me
consume ne s'éteindra qu'au tombeau. qui ne peut se rendre heureux peut N'importe ;
au moins mériter de d'estimer faire la
un homme
l'être, et je saurai
à
vous forcer
qui vous n'avez pas daigné
moindre réponse.
Je suis jeune et
peux
LA NOUVELLE HÉ LOI SE mériter
un jour
considération dont je ne suis
la
En
pas maintenant digne.
rendre je
le
ici
attendant,
il
faut vous
perdu pour toujours, et que malgré moi. Il est juste que je
repos que
vous ôte
9
j'ai
peine du crime dont je suis seul vivez tran;
porte seul
la
coupable.
Adieu, trop belle Julie
reprenez votre enjouement ; dès demain vous ne me verrez plus. Mais soyez sûr que l'amour ardent et pur dont j'ai brûlé pour vous ne quille, et
s'éteindra de
ma
vie,
que
mon
digne objet, ne saurait plus
cœur, plein d'un si partagera
s'avilir, qu'il
uniques hommages entre vous et la ne verra jamais profaner par qu'on vertu, et d'autres feux l'autel où Julie fut adorée. désormais
ses
PREMIER BILLET DE JULIE N'emportez pas l'opinion d'avoir rendu votre Un cœur vertueux saurait
éloignement nécessaire. se vaincre
craindre.
ou se taire, et deviendrait peut-être .vous pouvez rester. Mais vous .
a
.
RÉPONSE Je
me
suis
tu longtemps
fait parler à la fin. la
;
Si l'on
vos froideurs m'ont
peut
se vaincre
pour
vertu, l'on ne supporte point le mépris de ce
qu'on aime.
Il
faut partir.
SECOND BILLET DE JULIE Non, monsieur, après ce que vous avez paru que vous m'avez osé dire, un homme
sentir, après ce
JULIE,
io tel
que vous avez
OU part point
feint d'être ne
;
il
fait plus.
RÉPONSE
qu'une passion modérée dans Demain vous serez contente, quoi que vous en puissiez dire, j'aurai moins que de partir.
Je
n'ai rien feint
un cœur au et,
fait
désespoir.
TROISIÈME BILLET DE JULIE Insensé
!
si
mes jours
te sont chers, crains d'at-
Je suis obsédée, et ne puis ni vous Attendez. parler ni vous écrire jusqu'à demain. tenter aux tiens.
LETTRE
IV
DE JULIE A SAINT-PREUX Il faut donc l'avouer enfin, ce fatal secret trop mal déguisé Combien de fois j'ai juré qu'il ne sorti!
rait
de
danger est
La mon cœur qu'avec la vie m'échappe, et me l'arrache
perdu.
!
;
Hélas
!
tienne en
l'honneur
il
j'ai
trop tenu parole
:
est-il
que de survivre à l'honneur ? Que dire ? comment rompre un si pénible silence ? ou plutôt n'ai-je pas déjà tout dit, et ne tu en as trop m'as-tu pas trop entendue ? Ah Dès le vu pour ne pas deviner le reste premier jour que j'eus le malheur de te voir, je sentis le poison qui corrompt mes sens et ma raison et tes yeux, tes je le sentis du premier instant
une mort plus
cruelle
!
!
.
.
.
;
;
n
LA NOUVELLE HÉLOÏSE plume
sentiments, tes discours, ta
criminelle, le
rendent chaque jour plus mortel. Je n'ai rien négligé pour arrêter le progrès de Dans l'impuissance de ré-
cette passion funeste. sister, j'ai
voulu
me
garantir d'être attaquée
fois j'ai
jours
ma
tes
;
Cent voulu me jeter aux pieds des auteurs de mes cent fois j'ai voulu leur ouvrir mon cœur
poursuites ont trompé
;
vaine prudence.
ils ne peuvent connaître ce qui s'y passe voudront appliquer des remèdes ordinaires à un mal désespéré ma mère est faible et sans autorité ; je connais l'inflexible sévérité de mon père, et je ne ferai que perdre et déshonorer moi, ma famille, et toi-même. Mon amie est absente, mon frère n'est plus je ne trouve aucun protecteur au
coupable
:
;
ils
;
;
monde
contre l'ennemi qui
en vain
le
le
ciel,
me
poursuit
;
j'implore
sourd aux prières des
ciel est
Tout fomente l'ardeur qui me dévore à moi-même, ou plutôt tout me livre à toi la nature entière semble être ta complice tous mes efforts sont vains, je t'adore en dépit de moi-même. Comment mon cœur, qui n'a pu résister dans toute sa force, céderait-il maintenant à demi ? comment ce cœur, qui ne faibles.
;
tout m'abandonne ;
;
rien dissimuler, te cacherait-il le reste de sa
sait
faiblesse
était
?
celui
Ah
!
qu'il
le
premier pas, qui coûte
ne
fallait
m'arrêterais-je aux autres
pas je
me
me
faire
Non
?
;
;
le plus,
comment
de ce premier
sens entraîner dans l'abîme, et tu
rendre aussi malheureuse qu'il te plaira.
Toutefois, si
pas
si
tu n'es pas
le
dernier des
.
peux .
.
hommes,
quelque étincelle de vertu brilla dans ton âme, y reste encore quelque trace des sentiments
s'il
OU
JULIE,
12
d'honneur dont tu m'as paru pénétré, puis-je te pour abuser de l'aveu fatal que mon délire m'arrache ? Non, je te connais bien tu
croire assez vil
;
ma
soutiendras garde,
tu
deviendras
faiblesse, tu
protégeras
ma
personne
me
sauve-
mon
contre
Tes vertus sont le dernier refuge de mon innocence mon honneur s'ose confier au tien, tu ne peux conserver l'un sans l'autre âme généreuse, ah conserve-les tous deux et, du moins pour l'amour de toi-même, daigne prendre pitié de moi. O Dieu suis-je assez humiliée ? Je t'écris à genoux; je baigne mon papier de mes pleurs; j'élève à toi mes timides supplications. Et ne pense pas cependant que j'ignore que c'était à moi d'en recevoir, et que, pour me faire obéir, je propre cœur.
;
;
!
;
!
n'avais qu'à me rendre avec art méprisable. Ami, prends ce vain empire, et laisse-moi l'honnêteté :
j'aime
mieux
être ton esclave, et vivre innocente,
dépendance au prix de mon désque d'amour, que de respects, ne dois-tu pas attendre de celle qui te devra son retour à la vie Quels charmes dans la douce union de deux âmes pures tes désirs
que d'acheter honneur.
ta
Si tu daignes m'écouter,
!
!
vaincus seront
la
source de ton bonheur, et
les
dont tu jouiras seront dignes du ciel même. Je crois, j'espère qu'un cœur qui m'a paru mériter tout l'attachement du mien ne démentira pas la générosité que j'attends de lui ; j'espère encore que, s'il était assez lâche pour abuser de mon égarement et des aveux qu'il m'arrache, le mépris, l'indignation, me rendraient la raison que j'ai plaisirs
perdue, et que
je
ne
serais pas assez lâche
moi-même
LA NOUVELLE HÉLOÏSE pour craindre un amant dont seras vertueux, ou méprisé
Tu
j'aurais à rougir. je serai respectée,
;
Voilà l'unique espoir qui
guérie.
13
me
ou
reste avant
celui de mourir.
LETTRE V DE SAINT-PREUX A JULIE Puissances du
ciel
!
j'avais
donnez-m'en une pour
une âme pour
l'âme, viens soutenir la
mienne prête
Charme inexprimable de
la
de
la
à
transports,
que vos
vie
de
défaillir.
vertu, force invincible
voix de ce qu'on aime, bonheur,
la
douleur,
Amour,
la félicité.
traits sont
poignants
plaisirs,
qui peut
!
comment suffire au en soutenir l'atteinte ? Oh torrent de délices qui vient inonder mon cœur ? comment expier les alarmes d'une craintive amante ? non ma Julie à genoux ma Julie verser Julie !
.
.
.
!
;
des pleurs
!
.
.
.
qui l'univers devrait des
à
celle
hommages, supplier un
homme
qui l'adore de ne
pas l'outrager, de ne pas se déshonorer lui-même Si je pouvais
m'indigner contre
toi, je le ferais,
!
pour
frayeurs qui nous avilissent. Juge mieux, beauté pure et céleste, de la nature de ton empire. Eh si j'adore les charmes de ta personne, n'est-ce tes
!
âme
pas surtout pour l'empreinte de cette
tache qui l'anime, et dont tous divine enseigne suites
?
?
Tu
les traits
crains de céder à
Mais quelles poursuites peut redouter qu'elle inspire
?
Est-il
la
mes pour-
qui couvre de respect et d'honnêteté tous
ments
sans
portent
un homme
celle
les senti-
assez vil
sur la terre pour oser être téméraire avec toi
?
i
JULIE,
4
OU
Permets, permets que je savoure
inattendu d'être aimé
du monde, combien
Que
.
.
.
aimé de
je te vois
de feu
tères
.
.
Trône
.
au-dessous de moi
je la relise mille fois, cette lettre
ton amour et
bonheur
le
celle
!
adorable où
en carac-
tes sentiments sont écrits
où, malgré tout l'emportement d'un
;
cœur agité, je vois avec transport combien, dans une âme honnête, les passions les plus vives gardent encore
le saint
après
avoir
caractère de la vertu
lu
cette
touchante
Quel monstre,
!
lettre,
pourrait
abuser de ton état, et témoigner par l'acte
le
plus
marqué son profond mépris pour lui-même ? Non, chère amante, prends confiance en un ami fidèle qui n'est point fait pour te tromper. Bien que ma raison soit à jamais perdue, bien que le trouble de
chaque instant, ta personne pour moi le plus charmant, mais le plus sacré dépôt dont jamais mortel fut honoré. Ma flamme et son objet conserveront ensemble une inaltérable pureté. Je frémirais de porter la main sur tes chastes attraits plus que du plus vil inceste ; et tu n'es pas dans une sûreté plus inviolable avec
mes
sens s'accroisse à
est désormais
ton père qu'avec ton amant.
Oh
!
si
jamais cet
amant heureux s'oublie un moment devant toi !.. Non, L'amant de Julie aurait une âme abjecte quand je cesserai d'aimer la vertu, je ne t'aimerai plus à ma première lâcheté, je ne veux plus que .
!
;
tu m'aimes. Rassure-toi donc, je t'en conjure au
tendre et pur amour qui nous unit ; t'être garant de ma retenue et de c'est à lui
quoi
tes
de
te
mon
iraient-elles
de
respect
;
Et pourplus loin que mes
répondre de lui-même.
craintes
nom du
c'est à lui
LA NOUVELLE HÉLOÏSE désirs si
bonheur voudrais-je
à quel autre
?
tout
mon cœur
suffit à
et
n'avons
il
est vrai
première et l'unique
la
fois
l'honneur qui nous conduit
;
de
expérience des passions
nulle
aspirer,
peine à celui qu'il goûte
Nous sommes jeunes tous deux, aimons pour
15
?
nous la vie,
mais
:
un guide trom-
est-il
peur ? a-t-il besoin d'une expérience suspecte qu'on n'acquiert qu'à force de vices ? J'ignore si je m'abuse, mais il me semble que les sentiments droits sont tous au fond de mon cœur. Je ne suis point un vil séducteur comme tu m'appelles dans ton désespoir, mais un homme simple et sensible, qui montre aisément ce qu'il sent, et ne sent rien dont il doive rougir. Pour dire tout en un seul mot, j'abhorre encore plus le crime que je n'aime Je ne
Julie.
sais,
l'amour que tu
de
la
vertu, et
fais si
non, je ne
tes
j'en suis pénétré, plus
toi
?
Ah
!
si
âme honnête Pour moi, plus
charmes.
mes sentiments
je n'aurais pas fait
ne ferais-je pas maintenant pour
de
même
tout autre qu'une
peut sentir assez tous
Quel bien, que
pas
sais
naître est compatible avec l'oubli
s'élèvent.
pour lui-même,
me
rendre digne
daigne te confier aux feux que tu
crois que tu sais si bien purifier que je t'adore pour respecter à jamais le précieux dépôt dont tu m'as chargé. Oh quel Vrai bonheur, gloire de ce cœur je vais posséder qu'on aime, triomphe d'un amour qui s'honore, combien tu vaux mieux que tous ses plaisirs
m'inspires, et
;
qu'il suffit
!
!
!
JULIE,
i6
LETTRE
OU VI
(Fin d'une lettre de Julie à sa cousine Claire.)
ma
Reviens,
Claire,
reviens
tarder.
sans
regret aux leçons que je prends sans
toi,
J'ai
et j'ai
notre maître n'est peur de devenir trop savante il est vertueux, pas seulement un homme de mérite et n'en est que plus à craindre. Je suis trop conà son âge et au tente de lui pour l'être de moi :
;
:
nôtre, avec
aimable,
il
l'homme le vaut mieux
plus vertueux, être
deux
LETTRE
VII
filles
quand
il
est
qu'une.
RÉPONSE DE CLAIRE Je t'entends, et tu
me
fais
Ta
non que je que tu l'imagines.
trembler
croie le danger aussi pressant
;
modère la mienne sur le présent, mais m'épouvante et, si tu ne peux te vaincre, Hélas combien je ne vois plus que des malheurs. de fois la pauvre Chaillot m'a-t-elle prédit que le premier soupir de ton cœur ferait le destin de ta crainte
l'avenir
;
!
vie
!
Ah
cousine,
!
si
ton sort s'accomplir cette
femme
jeune encore, faut-il voir déjà ?
Qu'elle va nous manquer,
habile que tu nous crois avantageux
de perdre Il l'eût été peut-être de tomber d'abord mais nous sommes trop en de plus sûres mains instruites en sortant des siennes pour nous laisser gouverner par d'autres, et pas assez pour nous !
;
LA NOUVELLE HÉ LOI SE
17
elle seule pouvait nous gouverner nous-mêmes garantir des dangers auxquels elle nous avait exet nous Elle nous a beaucoup appris posées. :
;
avons, ce
La
âge.
semble, beaucoup pensé pour notre vive et tendre amitié qui nous unit
me
presque dès éclairé
le
le
berceau nous
pour
a,
cœur de bonne heure
sur
ainsi
dire,
toutes
les
nous connaissons assez bien leurs signes et leurs effets ; il n'y a que l'art de les réprimer qui nous manque. Dieu veuille que ton jeune philo-
passions
:
sophe connaisse mieux que nous cet art-là Quand je dis nous, tu m'entends c'est surtout !
;
de
que
toi
je parle
toujours dit que
car,
:
mon
pour moi,
me
étourderie
la
bonne m'a
tiendrait lieu
que je n'aurais jamais l'esprit de savoir aimer, et que j'étais trop folle pour faire un jour Ma Julie, prends garde à toi ; mieux des folies. elle augurait de ta raison, plus elle craignait pour tout ce ton cœur. Aie bon courage cependant
de
raison,
;
que le sagesse et l'honneur pourront faire, je sais que ton âme le fera et la mienne fera, n'en doute Si pas, tout ce que l'amitié peut faire à son tour. nous en savons trop pour notre âge, au moins cette étude n'a rien coûté à nos mœurs. Crois, ma chère, qu'il y a bien des filles plus simples qui sont moins nous le sommes parce que honnêtes que nous ;
:
nous voulons c'est le
l'être
moyen de
;
et,
quoi qu'on en puisse dire,
l'être plus
sûrement.
Cependant, sur ce que tu me marques, je n'aurai pas un moment de repos que je ne sois auprès de toi fait
car,
;
si
tu crains le danger,
chimérique.
facile
:
deux mots
Il est
à ta
vrai
il
que
n'est pas tout à
le
préservatif est
mère, et tout est
fini.
B
Mais
OU
JULIE,
18
comprends, tu ne veux point d'un expédient tout tu veux bien t'ôter le pouvoir de succomber, mais non pas l'honneur de combattre. encore si la moindre lueur O pauvre cousine je te
qui
finit
:
enfant unique,
à
L'espères-tu
.
tu
?
.
.
?
.
.
.
.
.
!
Le baron d'Etange
consentir à donner
un
.
?
.
son
petit bourgeois sans fortune
Qu'espères-tu donc
.
sa fille,
!
que veux-
Ne crains Pauvre, pauvre cousine ma part ton secret sera gardé !
.
rien toutefois de
de
.
Bien des gens trouveraient plus
par ton amie.
honnête
.
.
;
le
révéler
peut-être
:
auraient-ils
Pour moi, qui ne suis pas une grande raisonneuse, je ne veux point d'une honnêteté qui j'imagine que trahit l'amitié, la foi, la confiance chaque relation, chaque âge a ses maximes, ses que ce qui serait prudence à devoirs, ses vertus d'autres, à moi serait perfidie, et qu'au lieu de nous rendre sages, on nous rend méchants en confondant raison.
;
;
tout
Si
cela.
crons
s'il
;
ton amour est
est
extrême,
nous
faible,
c'est
l'exposer
le
vainà
des
moyens viode tenter que
tragédies que de l'attaquer par des lents
et
;
ceux dont
il
ne convient
elle
à l'amitié
peut répondre.
tu n'as qu'à marcher droit
Tu
garde.
Mais, en revanche,
quand tu
verras, tu verras ce
duègne de dix-huit
seras sous
que
c'est
ma
qu'une
ans.
LETTRE
VIII
DE SAINT-PREUX A JULIE
Quels
sont,
l'amour
!
belle
Julie,
mon cœur
a
les
plus
bizarres qu'il
caprices de
n'espérait,
et
LA NOUVELLE HÉ LOI SE n'est
content
pas
!
dites, et je soupire
quand
encore,
!
Vous m'aimez, vous me le Ce cœur injuste ose désirer
n'a plus rien à désirer
il
19
;
il
me
punit
de ses fantaisies, et me rend inquiet au sein du bonheur. Ne croyez, pas que j'aie oublié les lois qui me sont imposées, ni perdu la volonté de les mais un secret dépit m'agite en non observer :
;
voyant que ces lois ne coûtent qu'à moi, que vous qui vous prétendiez si faible êtes si forte à présent, et que j'ai si peu de combats à rendre contre moi-
même, tant je vous trouve attentive à les prévenir. Que vous êtes changée depuis deux mois, sans que rien
changé que vous
ait
ont disparu
ni d'abattement
toutes
;
reprendre leurs postes
ranimés
;
la rose
!
Vos langueurs dégoût
plus question de
n'est
il
:
;
grâces
les
sont venues
tous vos charmes se sont
qui vient d'éclore n'est pas plus
les saillies ont recommencé que vous vous vous avez de l'esprit avec tout le monde folâtrez, même avec moi, comme auparavant ; et,
fraîche
;
;
;
ce qui m'irrite plus que tout le reste, vous
un amour
éternel d'un air aussi gai
disiez la chose
du monde
la
me
que
si
jurez
vous
plus plaisante.
Dites, dites, volage, est-ce là le caractère d'une
passion violente réduite à se combattre elle-même et
si
vous aviez
le
moindre
n'étoufferait-elle
trainte
?
désir à vaincre, la con-
pas
au
moins l'enjoue-
que vous étiez bien plus aimable ment ? Oh quand vous étiez moins belle que je regrette cette pâleur touchante, précieux gage du bonheur d'un et que je hais l'indiscrète santé que vous amant !
!
!
avez recouvrée aux dépens de j'aimerais
mieux vous
mon
repos
voir malade encore
!
Oui,
que cet
OU
JULIE,
20
content, ces yeux brillants, ce teint
air
Avez-vous
m'outragent. n'étiez pas ainsi
oublié
qui
fleuri,
sitôt
quand vous imploriez ma
que vous clémence ?
que cet amour si vif est devenu tranquille en peu de temps Mais ce qui m'offense plus encore, c'est qu'après
Julie, Julie,
!
vous être remise vous en s'il
défier, et
à
vous en restait
ma
honorez
vous
ma
discrétion, vous paraissez
que vous fuyez à
les
craindre.
retenue
mon
et
?
dangers
comme
Est-ce ainsi que inviolable
respect méritait-il cet affront de votre part
Bien
?
départ de votre père nous ait laissé plus de liberté, à peine peut-on vous voir seule. Votre Inseninséparable cousine ne vous quitte plus. siblement nous allons reprendre nos premières
loin
que
le
manières de vivre et notre ancienne circonspection, avec cette unique différence qu'alors elle vous était à charge, et qu'elle vous plaît maintenant. .
Enfin, quoi qu'il en soit de
mon
.
.
sort, je sens
que
une charge au dessus de mes forces. Julie, la garde de vous-même, je vous rends un dépôt trop dangereux pour la fidélité du dépositaire, et dont la défense coûtera moins à votre cœur
j'ai pris
reprenez
que vous n'avez
feint
de
le craindre.
comptez sur vous, Je vous le dis sérieusement ou chassez-moi, c'est-à-dire ôtez-moi la vie. J'ai :
pris
ment
un engagement téméraire. je l'ai pu tenir si longtemps
J'admire ;
je sais
que
comje le
mais je sens qu'il m'est impossible. On mérite de succomber quand on s'impose de si Croyez-moi, chère et tendre périlleux devoirs. sensible qui ne vit que pour cœur ce croyez-en Julie,
dois toujours
vous
;
;
vous serez toujours respectée
:
mais je puis
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
21
un instant manquer de raison, et l'ivresse des sens peut dicter un crime dont on aurait horreur de Heureux de n'avoir point trompé sang-froid. votre espoir, j'ai vaincu deux mois, et vous me devez
le
prix de deux siècles de souffrances.
LETTRE IX DE JULIE A SAINT-PREUX J'entends
les plaisirs
;
du
vice et l'honneur de la
vertu vous feraient un sort agréable. votre morale lassez
?
.
.
.
Eh
!
mon bon
bien vite d'être généreux
!
Est-ce
là
ami, vous vous
Ne
l'étiez-vous
que par artifice ? La singulière marque d'attachement que de vous plaindre de ma santé Serait-ce que vous espériez voir mon fol amour achever de la détruire, et que vous m'attendiez au moment de vous demander la vie ? ou bien, comptiez-vous de me respecter aussi longtemps que je
donc
!
ferais
peur, et de vous rétracter
sacrifices
un
quand
je devien-
Je ne vois pas dans de pareils mérite à tant faire valoir.
drais supportable
?
Vous me reprochez avec la même équité le soin que je prends de vous sauver des combats pénibles avec vous-même, comme si vous ne deviez pas Puis vous vous rétractez plutôt m'en remercier. de l'engagement que vous avez pris comme d'un devoir trop à charge
;
en sorte que, dans
la
même
vous vous plaignez de ce que vous avez trop de peine, et de ce que vous n'en avez pas assez. Pensez-y mieux, et tâchez d'être d'accord avec lettre,
OU
JULIE,
22
vous pour donner à vos prétendus griefs une couleur
moins
frivole
ou plutôt, quittez toute cette
;
dis-
Quoi
simulation qui n'est pas dans votre caractère.
que vous puissiez dire, votre cœur est plus content du mien qu'il ne feint de l'être ingrat, vous savez :
trop qu'il n'aura jamais tort avec vous
même
lettre
vous n'auriez pas tant d'esprit
En
tranquille.
Votre
!
vous dément par son style enjoué, et si
vous étiez moins
voilà trop sur les vains reproches
passons à ceux qui me regarqui vous regardent dent moi-même, et qui semblent d'abord mieux ;
fondés.
Je
le sens
bien, la vie égale et douce
menons depuis deux mois ne
que nous
s'accorde pas avec
ma
déclaration précédente, et j'avoue que ce n'est pas
que vous êtes surpris de ce contraste. Vous m'avez d'abord vue au désespoir, vous me
sans raison
trouvez
à
présent trop paisible
mes sentiments d'inconstance
Ah
caprice.
sévèrement
?
!
mon ami, Il
ne
le
;
de et
vous accusez
là
mon cœur
de
jugez-vous point trop
faut plus d'un jour
pour
le
con-
Attendez, et vous trouverez peut-être que ce cœur qui vous aime n'est pas indigne du vôtre. Si vous pouviez comprendre avec quel effroi j'éprouvai les premières atteintes du sentiment qui naître.
m'unit
me
à
du trouble qu'il dut maximes si plus pur me paraissait le
vous, vous jugeriez
causer
:
j'ai
été élevée dans des
que l'amour le comble du déshonneur. Tout m'apprenait ou me faisait croire qu'une fille sensible était perdue au mon premier mot tendre échappé de sa bouche sévères,
;
imagination
troublée
l'aveu de la passion
;
confondait et j'avais
une
le si
crime
avec
affreuse idée
LA NOUVELLE HÉLOÎSE
23
de ce premier pas, qu'à peine voyais-je au delà nul jusqu'au dernier.
intervalle
L'excessive défiance
les combats de moi-même augmenta mes alarmes de la modestie me parurent ceux de la chasteté je pris le tourment du silence pour l'emportement des désirs. Je me crus perdue aussitôt que j'aurais parlé et cependant il fallait parler ou vous perdre. ;
;
;
Ainsi, ne
pouvant plus déguiser mes sentiments,
tâchai d'exciter
la
je
me
générosité des vôtres, et,
vous qu'à moi, je voulus, en intéressant honneur à ma défense, me ménager des ressources dont je me croyais dépourvue. je n'eus pas J'ai reconnu que je me trompais vous n'eûtes parlé que je me trouvai soulagée et pas répondu que je me sentis tout à fait calme deux mois d'expérience m'ont appris que mon cœur trop tendre a besoin d'amour, mais que mes
fiant plus à
votre
;
;
:
sens n'ont
aimez
aucun besoin d'amant.
la vertu,
découverte.
avec quelle joie je
Jugez, vous qui cette heureuse
fis
Sortie de cette profonde ignominie
où mes terreurs m'avaient plongée, je goûte le Cet état fait plaisir délicieux d'aimer purement. mon humeur et ma santé le bonheur de ma vie à peine puis-je en concevoir un s'en ressentent plus doux, et l'accord de l'amour et de l'innocence ;
;
me
semble être
le
paradis sur la terre.
et, quand je ne vous craignis plus pris soin d'éviter la solitude avec vous, ce fut autant
Dès
lors je
;
car vos yeux et vos pour vous que pour moi soupirs annonçaient plus de transports que de sagesse et si vous eussiez oublié l'arrêt que vous ;
;
avez prononcé vous-même, je ne l'aurais pas oublié. Ah mon ami, que ne puis-je faire passer dans !
JULIE,
2+ votre
âme
sentiment de bonheur et de paix qui que ne puis-je vous la mienne
le
règne au fond de
apprendre
OU !
tranquillement du plus délicieux
à jouir
état de la vie
Les charmes de l'union des cœurs
!
nulle joignent pour nous à ceux de l'innocence crainte, nulle honte ne trouble notre félicité ; au
se
:
sein des vrais plaisirs
de l'amour, nous pouvons
parler de la vertu sans rougir.
Je ne
mon
quel triste pressentiment s'élève dans
sais
et
sein,
me
crie
que nous jouissons du
seul
Je n'entrevois dans l'avenir qu'absence, orages, troubles, la moindre altération à notre situacontradictions
temps heureux que
le ciel
nous
ait destiné.
:
tion présente
me
Non, quand un je
ne
paraît ne pouvoir être
qu'un mal.
doux nous unirait à jamais, du bonheur n'en deviendrait pas
lien plus
sais si l'excès
Le moment de la possession est la ruine. une crise de l'amour, et tout changement est dangereux au nôtre. Nous ne pouvons plus qu'y
bientôt
perdre.
Ah
!
.
que notre l'âme
.
.
puisse notre sort, tel qu'il est, durer autant vie
L'esprit s'orne, la raison s'éclaire,
!
se fortifie, le
notre bonheur
cœur
jouit
:
que manque-t-il
à
?
La Lettre XII. renferme un plan de lectures suivies pour Ce plan a pour principe de " peu lire et penser
Julie.
beaucoup aux lectures." Surtout, dit Saint-Preux, il ne faut pas chercher dans les livres les règles de la vertu. Le bon n'est que le beau mis en action et le goût se perfectionne par les mêmes moyens que la sagesse; une âme bien touchée des charmes de la vertu doit à proportion être aussi sensible à tous les autres genres de beauté.
La
lettre finit ainsi:
—
LA NOUVELLE HÉLOÏSE .
Hors
.
.
Pétrarque,
le
du théâtre
et les maîtres
Tasse,
le
le
25
Métastase,
français, je n'y
mêle
ni
d'amour, contre l'ordinaire des Qu'apprendrionslectures consacrées à votre sexe. Julie, notre nous de l'amour dans ces livres ? Ah cœur nous en dit plus qu'eux, et le langage imité des
poète,
ni
livres
!
bien froid pour quiconque est passionné d'ailleurs ces études énervent l'âme, la
livres est
lui-même
:
jettent dans
Au
ressort.
lui
et
mollesse,
la
ôtent tout son
contraire, l'arnour véritable est
un
feu
dévorant qui porte son ardeur dans les autres sentiments, et les anime d'une vigueur nouvelle. C'est
qu'on a dit que l'amour faisait des héros. que le sort eût placé pour le devenir, et qui aurait Julie pour amante
pour
cela
Heureux
celui
!
LETTRE
XIII
DE JULIE A SATNT-PREUX Je vous rien ne
le
disais
me
bien que nous étions heureux
;
mieux que l'ennui que Si nous j'éprouve au moindre changement d'état. avions des peines bien vives, une absence de deux l'apprend
jours nous en ferait-elle tant sais
que
mon ami
partage
partage parce que je
lui-même
:
je
Je dis nous, car je
?
mon
la sens, et
il
impatience la
;
il
la
sent encore pour
n'ai plus besoin qu'il
me
dise ces
choses-là.
Nous ne sommes soir
;
il
à la
campagne que
la ville, et
cependant
mon
d'hier au
où je vous verrais à déplacement me fait déjà
n'est pas encore l'heure
OU
JULIE,
26
Si vous trouver votre absence plus insupportable. ne m'aviez pas défendu la géométrie, je vous dirais
que
mon
intervalles
inquiétude est en raison composée des du temps et du lieu ; tant je trouve que
l'éloignement ajoute au chagrin de l'absence J'ai apporté votre lettre et votre plan d'études !
deux m'en touche extrêmement. mon ami, que vous sentez le véritable amour,
pour méditer l'un première
fois la
Je vois,
et l'autre, et j'ai déjà relu
la fin
:
puisqu'il ne vous a point ôté le goût des choses
honnêtes, et que vous savez encore dans la partie plus sensible de votre cœur faire des sacrifices à
En
la la
employer la voie de l'instruction pour corrompre une femme est de toutes les séducet vouloir attendrir sa tions la plus condamnable maîtresse à l'aide des romans est avoir bien peu de
vertu.
effet,
;
ressources en soi-même.
vos leçons
la
Si
vous eussiez plié dans
philosophie à vos vues,
si
vous eussiez
maximes favorables à votre intérêt, en voulant me tromper vous m'eussiez mais la plus dangereuse de bientôt détrompée
tâché
d'établir
des
;
vos séductions est de n'en point employer.
moment que que ment,
et
la soif
d'aimer s'empara de
j'y sentis naître le besoin
mon
Du cœur,
d'un éternel attache-
ne demandai point au ciel de m'unir à un homme aimable, mais à un homme qui eût l'âme car je sentais bien que c'est, de tous les belle agréments qu'on peut avoir, le moins sujet au je
;
dégoût, et que les
la
droiture et l'honneur ornent tous Pour avoir
sentiments qu'ils accompagnent.
ma préférence, j'ai eu, comme Salomon, avec ce que j'avais demandé, encore ce que je
bien placé
ne demandais pas.
Je tire
un bon augure pour
LA NOUVELLE HÉLOISE mes
vœux de
autres
27
l'accomplissement de celui-là, mon ami, de pouvoir vous
et je ne désespère pas,
rendre aussi heureux un jour que vous méritez de l'être.
J'ai
.
.
.
interrompu
ma
pour m'aller promener
lettre
dans des bocages qui sont près de notre maison. O mon doux ami je t'y conduisais avec moi, ou !
mon
plutôt je t'y portais dans
Je choisissais
sein.
que nous devions parcourir ensemble nos j'y marquais des asiles dignes de nous retenir cœurs s'épanchaient d'avance dans ces retraites délicieuses; elles ajoutaient au plaisir que nous goûtions elles recevaient à leur tour un d'être ensemble nouveau prix du séjour de deux vrais amants, et je m'étonnais de n'y avoir point remarqué seule les les
lieux
;
;
;
beautés que j'y trouvais avec
Parmi
charmant,
toi.
bosquets naturels que forme ce lieu
les
en
il
dans lequel je
est
me
raison, je destine
un
plus charmant que les autres,
plais
davantage, et où, par cette à mon ami.
une petite surprise
Il
ne sera pas dit qu'il aura toujours de
et
moi jamais de générosité malgré
faire sentir,
les
:
c'est là
la
que
déférence, je
veux
lui
préjugés vulgaires, combien
cœur donne vaut mieux que ce qu'arrache Au reste, de peur que votre imagination vive ne se mette un peu trop en frais, je dois vous prévenir que nous n'irons point ensemble
ce que le
l'importunité.
dans
A
le
bosquet sans
propos
d'elle,
l'inséparable cousine. il
décidé,
est
si
cela
ne vous
fâche pas trop, que vous viendrez nous voir lundi. Ma mère enverra sa calèche à ma cousine ; vous
vous rendrez chez
amènera
;
elle
vous passerez
à la
dix heures
;
elle
vous
journée avec nous, et
OU
JULIE,
28
nous nous en retournerons tous ensemble
main après J'en étais je
le
lende-
le dîner. ici
n'avais pas
ma
de
lettre
pour vous
quand
la
j'ai réfléchi
remettre
les
que
mêmes
commodités qu'à la ville. J'avais d'abord pensé de vous renvoyer un de vos livres par Gustin, le fils du jardinier, et de mettre à ce livre une couverture de papier, dans laquelle j'aurais inséré ma mais, outre qu'il n'est pas sûr que vous lettre vous avisassiez de la chercher, ce serait une imprudence impardonnable d'exposer à de pareils hasards le destin de notre vie. Je vais donc me contenter de vous marquer simplement par un ;
rendez-vous de lundi, et je garderai la pour vous la donner à vous-même. Aussi bien j'aurais un peu de souci qu'il n'y eût trop de commentaires sur le mystère du bosquet.
billet
le
lettre
LETTRE XIV DE SAINT-PREUX A JULIE
Qu'as-tu voulais
toutes
mes
insensé.
facultés sont
Tu voulais
mortel.
C'est
les aigris.
tes lèvres
;
il
me
Mes
sens
sont altérés,
mes maux du poison que j'ai
fait
il
tu suis
troublées par ce baiser
soulager
fermente,
tue, et ta pitié
O
!
ou plutôt
ivre,
tu
qu'as-tu fait, ma Julie ? ah récompenser, et tu m'as perdu. Je
fait,
me
embrase
!
mon
Cruelle
!
cueilli sur
sang
;
il
me
mourir.
souvenir immortel de cet instant d'illusion, de
délire
et
t'effaceras
d'enchantement, jamais, jamais tu ne mon âme et, tant que les charmes de
de
;
LA NOUVELLE HÉLOLSE Julie
29
y seront gravés, tant que ce cœur agité
me
fournira des sentiments et des soupirs, tu feras le supplice et le bonheur de
ma
vie
!
.
.
.
Je reçois ton billet, je vole chez ta cousine ; nous nous rendons à Clarens, je t'aperçois, et mon sein palpite
doux son de
le
;
tion nouvelle j'avais
grand besoin de
mon
pour cacher
le jardin, l'on
able témoin
transporté, et
diversion de ta cousine
trouble à ta mère.
que
trois
On
parcourt
me
rends en
devant ce redoutcommence à baisser, nous
je n'ose lire
le soleil
;
la
y porte une agita-
comme
dîne tranquillement, tu
secret ta lettre
fuyons tous
ta voix
t'aborde
je
;
dans
le bois le reste
de
ses rayons,
même un doux que le mien. En approchant du bosquet, j'aperçus, non sans une émotion secrète, vos signes d'intelligence, vos
et
ma
paisible simplicité n'imaginait pas
état plus
sourires mutuels, et le coloris
de
tes joues
prendre
En
y entrant, je vis avec surprise ta cousine s'approcher de moi, et, d'un air plaisamment suppliant, me demander un baiser. Sans rien
un nouvel
éclat.
comprendre mante amie
à ce mystère, j'embrassai cette char;
et,
tout aimable, toute piquante
connus jamais mieux que les sensations ne sont rien que ce que le cœur les fait être. Mais que devins-je un moment après quand je sentis ... la main me tremble ... un doux frémissement ... ta bouche de roses ... la bouche de qu'elle est, je ne
Julie ... se poser, se presser sur la mienne, et
n'est pas plus vif ni plus à l'instant
même
se
m'embraser.
mon
Non, le feu du ciel prompt que celui qui vint Toutes les parties de moi-
corps serré dans tes bras
!
rassemblèrent sous ce toucher délicieux.
Le
feu s'exhalait avec nos soupirs de nos lèvres
mon cœur
brûlantes, et
fermer
.
.
tes
tomber en
ment les
Ainsi
mon bonheur
sais-je ce
moment. peut plus
mourait sous
frayeur éteignit
la
ne fut qu'un
.
Une
faveur
!
Non, garde
.
.
.
.
.
ils
percent,
me
rendraient furieux.
même.
Je ne te vois plus
sans cesse unie à
que
!
suis
ta rigueur
l'état
où
mon
mais
;
jusqu'à
Un
seul,
la
un
comme
autrefois
je te sens et te
comme
touche
un instant. que m'annonce un transport
sein
quelque sort ne
ils
un égarement dont je ne puis le même, et ne te vois
réprimante et sévère
je
ne
Je ne suis plus
plus revenir.
dont
un tour-
brûlent
;
ils
O Julie
reçue ne
sont trop acres, trop
ils
moelle ...
plus la
j'ai
tes baisers, je
pénétrants
jeté dans
éclair.
c'est
L'impression profonde que s'effacer.
horrible
m'a
poids de
qui m'est arrivé depuis ce fatal
saurais supporter ...
seul
le
.
défaillance.
le plaisir, et
A peine
se
quand tout à coup je te vis pâlir, beaux yeux, t'appuyer sur ta cousine, et
volupté
la
OU
JULIE,
30
tu fus
plus maître, quelque traitement
me
destine, je ne puis plus vivre dans
je suis, et
je sens
j'expire à tes pieds ...
qu'il faut enfin
ou dans
que
tes bras.
LETTRE XV DE JULIE A SAINT-PREUX Il est important, mon ami, que nous nous séparions pour quelque temps, et c'est ici la première épreuve de l'obéissance que vous m'avez promise. Si je l'exige en cette occasion, croyez que j'en ai des
LA NOUVELLE HÉLOÏSE raisons très fortes
:
il
31
faut bien, et vous le savez
pour m'y résoudre quant à vous, vous n'en avez pas besoin d'autre que ma volonté. Il y a longtemps que vous avez un voyage à faire en Valais. Je voudrais que vous puissiez l'entretrop,
que j'en
prendre
à
aie
;
présent qu'il ne fait pas encore froid.
.
.
.
Tâchez donc de partir dès demain vous m'écrirez à l'adresse que je vous envoie, et vous m'enverrez la vôtre quand vous serez arrivé à Sion. Vous n'avez jamais voulu me parler de l'état de :
vos affaires
;
mais vous n'êtes pas dans votre patrie
:
que vous y avez peu de fortune, et que vous ne faites que la déranger ici, où vous ne resteriez pas sans moi. Je puis donc supposer qu'une partie je sais
de votre bourse
est
dans
la
mienne, et
je
vous
que renferme cette boîte, qu'il ne faut pas ouvrir devant le porteur. Je n'ai garde d'aller au-devant des difficultés je vous estime trop pour vous croire envoie
un
léger
acompte dans
celle
;
capable d'en
faire.
Je vous défends, non seulement de retourner sans mon ordre, mais de venir nous dire adieu. Vous
pouvez
écrire à
ma mère ou
à
moi, simplement pour
nous avertir que vous êtes forcé de partir sur le champ pour une affaire imprévue, et me donner, si
vous voulez,
jusqu'à
votre
quelques
retour.
avis
Tout
sur
cela
mes doit
lectures être
fait
naturellement et sans aucune apparence de mystère. Adieu, mon ami ; n'oubliez pas que vous emportez le
cœur
et le repos de Julie.
OU
JULIE,
32
LETTRE XVI RÉPONSE relis
Je
votre terrible lettre, et je frissonne à chaque J'obéirai pourtant, je
ligne.
l'ai
promis, je
le dois
;
Mais vous ne savez pas, non, barbare, vous ne saurez jamais ce qu'un tel sacrifice coûte j'obéirai.
mon
à
cœur.
l'épreuve c'est
Ah
vous n'aviez pas besoin de le rendre sensible :
un raffinement de cruauté perdu pour votre
âme impitoyable
me
de
!
du bosquet pour me ;
et je puis
au moins vous défier
rendre plus malheureux.
Vous recevrez votre boîte dans vous l'avez envoyée. probre à la cruauté ;
si
je
mon sort, je ne vous ai mon honneur. C'est un qui me reste) dont hélas de
!
le
même
état
où
C'est trop d'ajouter l'op-
vous
ai laissée
maîtresse
point laissée l'arbitre de
dépôt sacré (l'unique, la fin de ma vie
jusqu'à
nul ne sera chargé que moi seul.
Julie renvoie la boîte qui contient somme originale. Elle défend à son amant de lui parler d'honneur en un pareil cas. Puisque Saint-Preux est tout à sa maîtresse son honneur est le sien ; un cœur peut donner à un cœur qu'il aime sans
Avec la Lettre XVII.
cette fois le double de la
l'offenser.
Saint-Preux s'en va faire un voyage dans les montagnes. Il le père de Julie rentre chez lui. est agréablement surpris du progrès de sa fille et demande des renseignments sur son professeur. Lorsqu'il apprend que Saint-Preux n'est pas noble, il veut savoir combien il Sa femme explique qu'un tel arrangeest payé par mois. ment n'était même pas proposable, et que Saint-Preux avait Le baron d'Etanges toujours refusé le moindre présent. n'est pas content de cette situation car il ne veut pas être
Pendant son absence
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
33
redevable à un roturier. Il décide, alors, qu'on offrira un paiement au précepteur de sa fille et, s'il refuse, qu'on le congédiera. Le baron a ramené avec lui un vieil ami qui lui a sauvé la vie à la guerre; c'est M. de
Wolmar.
La
à Julie, lui rend paysages du Haut-
Lettre XXIII., de Saint-Preux
compte de son voyage
et décrit les
Valais, avec les mœurs des habitants. Dans la Lettre XXIV., il refuse toute idée de rémunération en acceptant de l'argent, dit-il, il se rendrait égal à Abelard il aurait séduit le cœur de celle qu'on le payait pour instruire. ;
;
LETTRE XXV DE JULIE A SAINT-PREUX
... est
Je l'avais trop prévu
passé
comme un
éclair
le
;
temps du bonheur
celui
;
des disgrâces
commence, sans que rien m'aide à juger quand il une finira. Tout m'alarme et me décourage sans langueur mortelle s'empare de mon âme ;
;
sujet bien précis de pleurer, des pleurs involontaires
s'échappent de mes yeux
maux
l'avenir des
inévitables
:
;
je
ne
lis
pas dans
mais je cultivais
l'espérance, et la vois flétrir tous les jours. sert, hélas
!
coupé par
le
d'arroser le feuillage
pied
Je le sens,
mon
quand
Que
l'arbre est
?
ami,
le
poids de l'absence m'ac-
Je ne puis vivre sans toi, je le sens ; c'est ce qui m'effraye le plus. Je parcours cent fois le jour les lieux que nous habitions ensemble, et ne t'y cable.
trouve jamais
;
je t'attends à
ton heure ordinaire
l'heure passe, et tu ne viens point.
que j'aperçois
me
portent
Tous
les
:
objets
quelque idée de ta c
JULIE,
34
OU perdu.
Tu
Ton cœur seul Ah si tu savais
peut
présence pour m'avertir que je
t'ai
n'as point ce supplice affreux.
que je te manque. quel tourment c'est de rester quand on se sépare, combien tu préférerais ton état au mien Encore si j'osais gémir, si j'osais parler de mes peines, je me sentirais soulagée des maux dont je te dire
!
pire
!
pourrais
me
plaindre
:
mais, hors quelques soupirs
ma
exhalés en secret dans le sein de étouffer
larmes
Le
mon
;
tous il
les
autres
faut sourire
pis est
que tous
je
maux
me
cousine,
il
faut
mes
contenir
meurs.
aggravent sans cesse
me mon
plus grand mal, et que plus ton souvenir
me
désole, plus j'aime à
ami,
quand
ces
faut
il
;
mon doux ami
le
;
Dis-moi,
combien un cœur combien la tristesse fait
sens-tu
languissant est tendre, et
fermenter l'amour
rappeler.
?
Je voulais vous parler de mille choses
;
mais,
outre qu'il vaut mieux attendre de savoir positive-
ment où vous
êtes,
il
ne m'est pas possible de con-
tinuer cette lettre dans l'état où je l'écrivant.
Adieu,
mon ami
;
me
trouve en
je quitte la
plume,
mais croyez que je ne vous quitte pas.
BILLET J'écris,
par un batelier que je ne connais point,
ce billet à l'adresse ordinaire, pour donner avis
que
j'ai
choisi
mon
asile
à
Meillerie, sur la rive
opposée, afin de jouir au moins de
dont
je n'ose
approcher.
la
vue du
lieu
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
35
LETTRE XXVI DE SAINT-PREUX A JULIE
Que mon état est changé dans peu de jours Que d'amertumes se mêlent à la douceur de me rapprocher de vous Que de tristes réflexions m'assiègent Que de traverses mes craintes me font prévoir O Julie que c'est un fatal présent du ciel qu'une âme sensible Celui qui l'a reçu doit s'attendre à n'avoir que peine et douleur sur la Vil jouet de l'air et des saisons, le soleil ou terre. les brouillards, l'air couvert ou serein, régleront sa destinée, et il sera content ou triste au gré des Victime des préjugés, il trouvera dans vents. d'absurdes maximes un obstacle invincible aux justes vœux de son cœur. Les hommes le puniront d'avoir des sentiments droits de chaque chose, et d'en juger par ce qui est véritable plutôt que par ce qui est de convention. Seul il suffirait pour faire sa propre misère, en se livrant indiscrètement aux attraits divins de l'honnête et du beau, tandis que !
!
!
!
!
!
les
pesantes chaînes de
l'ignominie.
Il
se souvenir qu'il est
nécessité l'attachent
la
cherchera
à
suprême sans son cœur et sa raison
la félicité
homme
:
seront incessamment en guerre, et des désirs sans
bornes
lui
prépareront d'éternelles privations.
où me plongent le mes sentiments qui m'élèvent, ton père qui me méprise, et toi qui fais le charme le tourment de ma vie. Sans toi, beauté fatale,
Telle est
la
situation cruelle
sort qui m'accable et et et
je n'aurais jamais senti ce contraste
de grandeur au fond de
mon âme
insupportable et de bassesse
OU
JULIE,
36 dans
ma
fortune
mort content,
j'aurais
;
occupé sur
j'avais
vécu tranquille et
serais
sans daigner remarquer quel rang la
Mais
terre.
t'avoir
vue
et
ne pouvoir te posséder, t'adorer et n'être qu'un homme, être aimé et ne pouvoir être heureux, habiter
semble
mêmes
les .
!
.
.
O
ô destinée que
lieux et ne pouvoir vivre en-
Julie, à qui je
ne puis renoncer
ne puis vaincre
je
!
!
quels combats
affreux vous excitez en moi, sans pouvoir jamais
surmonter mes désirs ni mon impuissance Depuis que Quel effet bizarre et inconcevable je suis rapproché de vous, je ne roule dans mon esprit que des pensées funestes. Peut-être le séjour il est où je suis contribue-t-il à cette mélancolie triste et horrible ; il en est plus conforme à l'état !
!
;
de
mon
un
plus agréable.
la
côte et
âme, et
je
n'en habiterais pas
Une file environne mon
si
de rochers
patiemment
stériles
borde
habitation, que l'hiver
rend encore plus affreuse. Ah je le sens, ma Julie, fallait renoncer à vcus, il n'y aurait plus pour !
s'il
moi d'autre séjour ni d'autre saison. Dans les violents transports qui m'agitent, je ne je cours, je monte avec saurais demeurer en place ;
ardeur, je m'élance sur
objets la
moi.
On
jaune et
rochers, je parcours à
les
environs, et trouve partout dans
même
horreur qui règne au dedans de
grands pas tous les
les
n'aperçoit plus de verdure, l'herbe est
flétrie, les
arbres sont dépouillés, le séchard
et la froide bise entassent la neige et les glaces
toute
la
nature est morte
l'espérance au fond de
Parmi
les
mon
à
1
et
mes yeux, comme
cœur.
rochers de cette côte, 1
;
Vent du nord- est.
j'ai
trouvé, dans
LA NOUVELLE HÉLOISE un
37
abri solitaire, une petite esplanade d'où l'on
à plein la ville heureuse où vous habitez. Jugez avec quelle avidité mes yeux se portèrent Le premier jour je fis mille vers ce séjour chéri. mais efforts pour y discerner votre demeure ;
découvre
éloignement
l'extrême
mon
m'aperçus que à
mes yeux
les
rendit
vains,
imagination donnait Je courus chez
fatigués.
le
et
curé
le
je
change
em-
prunter un télescope, avec lequel je vis ou crus voir votre maison ; et depuis ce temps je passe les jours entiers dans cet asile à contempler ces murs
renferment
qui
fortunés
la
ma
de
source
vie.
m'y rends dès le matin, et n'en Des feuilles et quelques bois reviens qu'à la nuit. secs que j'allume servent, avec mes courses, à me garantir du froid excessif. J'ai pris tant de goût Malgré
la saison, je
pour ce
sauvage que j'y porte
lieu
même
de l'encre
du papier et j'y écris maintenant cette lettre sur un quartier que les glaces ont détaché du
et
;
rocher voisin. C'est
là,
ma
que ton malheureux amant
Julie,
achève de jouir des derniers peut-être en ce monde. les airs et les
murs
dans ta chambre. encore
;
tes
il
goûtera
plaisirs qu'il
C'est de
là
qu'à travers
ose en secret pénétrer jusque
Tes
traits
charmants
le
frappent son cœur
tendres raniment
regards
il il entend le son de ta douce voix ; ; chercher encore en tes bras ce délire qu'il
mourant ose
éprouva dans
âme
O
le
bosquet.
Vain fantôme d'une
agitée qui s'égare dans ses désirs
!
.
.
.
amante aveuglée tu cherches un chimérique bonheur pour un temps où nous ne serons plus tu regardes un avenir éloigné, et tu ne vois pas que !
;
OU
JULIE,
38
nous nous consumons sans
cesse, et
que nos âmes,
épuisées d'amour et de peines, se fondent et coulent
comme
l'eau.
reviens,
ma
il en est temps encore, de cette erreur funeste. Laisse
Reviens,
Julie,
là tes projets, et sois
dans
les
bras de ton
notre être fuite et
viens, à
;
heureuse.
Viens, ô
mon âme
témoin de nos serments, jurer de vivre
mourir l'un
!
ami réunir les deux moitiés de la face du ciel, guide de notre
à l'autre.
Ce
et
n'est pas toi, je le sais,
de l'indigence. quel trésor nous Soyons heureux et pauvres, ah aurons acquis Mais ne faisons point cet affront à
qu'il faut rassurer contre la crainte !
!
l'humanité, de croire qu'il ne restera pas sur
un
la terre
deux amants infortunés. J'ai le pain gagné par mon des bras, je suis robuste travail te paraîtra plus délicieux que les mets des
entière
asile
à
;
festins.
Un
apprêté
repas
jamais être insipide
?
Ah
!
par
l'amour peut-il
tendre et chère amante,
n'être heureux qu'un seul jour, veux-tu quitter cette courte vie sans avoir goûté
dussions-nous
le
bonheur
?
vous Je n'ai plus qu'un mot à vous dire, ô Julie connaissez l'antique usage du rocher de Leucate, !
dernier refuge de tant d'amants malheureux. lieu-ci lui ressemble à bien des égards
:
la
Ce
roche est
escarpée, l'eau est profonde, et je suis au désespoir.
LETTRE XXVII DE CLAIRE A SAINT-PREUX
Ma douleur me laisse à peine la force de vous écrire. Vos malheurs
et les
miens sont au comble.
L'aim-
LA NOUVELLE HÉ LOI SE
39
able Julie est à l'extrémité, et n'a peut-être pas
deux jours
à vivre.
L'effort qu'elle
commença
éloigner d'elle
pour vous
fit
santé
d'altérer sa
;
la
première conversation qu'elle eut sur votre compte avec
son
y porta de nouvelles attaques
père
:
d'autres chagrins plus récents ont accru ses agitations, et votre dernière lettre a fait le reste.
en fut
si
tomba
nuit dans d'affreux combats, elle
d'une fièvre ardente qui n'a
l'accès
menter sans
Dans
cet état elle vous
elle
nomme
en
chaque instant, et
à
On
est occupée. ;
pour
et je vois
;
moment
le
serait pas fâchée
Venez donc,
que
le
si
éloigne son père
prouve assez que
cela
tante a conçu des soupçons
demandé avec inquiétude retour
:
danger de
de vous voir
elle
ne
ici.
sans différer.
ce bateau
J'ai pris ;
il
pour votre retour,
ne perdez pas un moment,
même
sa fille effaçant
toute autre considération,
ordres, servez-vous-en
plus tendre
m'a
elle
vous n'étiez pas de
exprès pour vous porter cette lettre
la
qu'aug-
transport.
le
avec une véhémence qui montre
autant qu'il est possible
ma
hier dans
fait
donné
cesse, et lui a enfin
parle de vous
combien
Elle
vivement émue, qu'après avoir passé une
si
est à vos
et surtout
vous voulez revoir
amante qui fut jamais.
LETTRE XXVIII DE JULIE A CLAIRE
Que ton absence me rend amère la vie que tu m'as Une passion plus rendue Quelle convalescence terrible que la fièvre et le transport m'entraîne à !
!
OU
JULIE,
4o
ma
Cruelle
perte.
besoin de toi
me
être ne
que
ce
ton
.
!
Le malheureux
mon
cœur,
que
lui.
tout
?
.
...
traînée,
!
.
.
!
.
le
suivre
De
qui
Grand Dieu
tu savais
si
!
... et de quel
!
m'enlever
!
me
que
!
plains-je
!
.
plus
savait
s'il
en-
serais
je
Je frémis.
.
.
.
mon
?
fois
serait-ce,
en deviendrait furieux,
il
faudrait partir. ...
il
plus
j'ai
indigne cœur m'en dit cent
.
.
Oh
m'ose proposer
M'enfuir
.
quand
quittes
reverras-tu jamais.
l'insensé
.
me
tu
!
tu m'as quittée pour huit jours, peut-
;
.
.
mon père m'a donc vendue il fait de sa il s'acquitte à une marchandise, une esclave car, il paye sa vie de la mienne mes dépens Enfin
!
fille
!
barbare
Mérite-t-il.
!
beaucoup
!
;
.
.
Père
Quoi
.
!
veut unir
il
quel mal m'a-t-elle
fait
m'a trop aimée,
elle
elle
:
.
Mais ma mère,
son ami, voilà son crime.
tendre mère
.
jamais.
survivrai
c'est le meilleur des pères
!
sa fille à
!
n'y
je
dénaturé
et
mériter
ma Ah
bien,
sens
le
.
!
!
je
?
.
.
.
m'a
perdue.
que
Claire,
ferai-je
Avant
lettre.
de retour
sois
honorée.
.
est venue.
être
.
.
.
.
.
.
.
.
qui
C'en
que deviendrai-je
?
Je ne que tu
ne vient point.
sais la
comment
reçoives
sait
?
.
.
Hanz
?
t'envoyer cette .
avant que tu
fugitive, errante, dés-
est fait, c'en est fait, la crise
Un jour,
une heure, un moment, peut-
qui est-ce qui
sait éviter
son sort
?
Oh
!
dans quelque lieu que je vive et que je meure, en quelque asile obscur que je traîne ma honte et mon Hélas désespoir, Claire, souviens-toi de ton amie. !
la
Ah
misère et l'opprobre changent !
si
changé.
jamais
le
mien
t'oublie,
il
les
cœurs.
.
.
.
aura beaucoup
LA NOUVELLE HÊLOÏSE
41
LETTRE XXIX DE JULIE A CLAIRE Reste, ah
ne reviens jamais
reste,
!
:
Je ne dois plus te voir soutiendrais-je ta vue ?
trop
tard.
Où
étais-tu,
ange tutélaire
Quoi
ma douce
Tu
?
amie,
ma
pressé
Pouvais-tu
?
l'instant le plus
comment
;
sauvegarde,
m'as abandonée, et
ce fatal voyage était-il
!
tu viendrais
me
nécessaire
si
laisser à
dangereux de
j'ai
mon péri
ou
!
si
moi-même dans Que de vie ?
ma
regrets tu t'es préparés par cette coupable négli-
gence
Ta et
seront éternels ainsi que
Ils
!
mes
perte n'est pas moins irréparable que
la
pleurs.
mienne,
une autre amie digne de toi n'est pas plus que mon innocence.
facile
à recouvrer
Qu'ai-je dit, misérable
me
taire.
crie
?
faute
Que
Je ne puis ni parler ni
r
sert le silence
me
L'univers entier ne
Ma
?
objets
?
honte
le
remords
ma
n'est-elle pas écrite sur tous les
ne verse
Si je
quand
reproche-t-il pas
mon cœur
Et
dans
le tien, il
ne te reproches-tu que ne me rien, facile et trop confiante amie ? Ah trahissais-tu ? C'est ta fidélité, ton aveugle amitié, faudra que j'étouffe.
toi,
!
malheureuse indulgence qui m'a perdue. Quel démon t'inspira de le rappeler, ce cruel qui Ses perfides soins devaient-ils fait mon opprobre ? me redonner la vie pour me la rendre odieuse ? qu'un reste de Qu'il fuie à jamais, le barbare qu'il ne vienne plus redoubler mes pitié le touche c'est ta
!
;
qu'il renonce au tourments par sa présence Que féroce de contempler mes larmes.
plaisir
;
dis-je,
JULIE,
42 hélas
il
!
le suis
OU
coupable
n'est point
;
tous mes malheurs sont
;
de nous
;
c'est le
faire accuser autrui
moi
ouvrage, et je
Mais
n'ai rien à reprocher qu'à moi.
corrompu mon âme
c'est
mon
seule qui
le vice a
premier de
déjà
ses effets
de nos crimes.
Non, non, jamais il ne fut capable d'enfreindre Son cœur vertueux ignore l'art ses serments.
Ah
abject d'outrager ce qu'il aime.
doute
sans
!
mieux aimer que moi, puisqu'il sait mieux Cent fois mes yeux furent témoins de se vaincre. les siens étincelaient ses combats et de sa victoire du feu de ses désirs, il s'élançait vers moi dans il
sait
;
l'impétuosité d'un transport aveugle,
il
s'arrêtait
une barrière insurmontable semblait m'avoir entourée, et jamais son amour impétueux, tout à coup
;
J'osai trop
mais honnête, ne l'eût franchie.
con-
Je me sentais troubler de ses transports, ses soupirs oppressaient mon cœur je partageais ses tourments en ne pen-
templer ce dangereux spectacle.
;
sant que les plaindre.
Je
le vis,
dans des agitations
mes
convulsives, prêt à s'évanouir à
être l'amour seul m'aurait épargnée
;
Peut-
pieds.
ô
ma
cousine
que me perdit. Il semblait que ma passion funeste voulût couvrir, pour me séduire, du masque de toutes
!
c'est la pitié
Ce
vertus.
jour
d'ardeur de des pères
;
maternel
;
horreur.
accomplis,
même
le suivre.
c'était
il
m'avait pressée avec plus
C'était désoler
plonger
le
si
le
meilleur
poignard dans
le sein
ce projet
avec
L'impossibilité de voir jamais nos
vœux
je
le
résistai,
je
mystère qu'il
rejetai
fallait lui faire
impossibilité, le regret d'abuser
et
se les
tendre après avoir
un amant
flatté
de cette si
soumis
son espoir, tout
LA NOUVELLE HÉ LOI SE abattait
mon
tout aliénait
raison
aux auteurs de mes
même.
ma
courage, tout augmentait
ma
;
il
jours, à
donner la mort amant, ou à moi-
fallait
mon
Sans savoir ce que je
propre infortune.
43 faiblesse,
ma
faisais, je choisis
J'oubliai tout, et ne
me
souvins
c'est ainsi qu'un instant d'égareque de l'amour ment m'a perdue à jamais. Je suis tombée dans l'abîme d'ignominie dont une fille ne revient point et si je vis, c'est pour être plus malheureuse. Je cherche en gémissant quelque reste de consolation sur la terre je n'y vois que toi, mon aimable amie ne me prive pas d'une si charmante ne m'ôte pas les ressource, je t'en conjure douceurs de ton amitié. J'ai perdu le droit d'y prétendre, mais jamais je n'en eus si grand besoin. :
;
;
;
;
Que
la pitié
ouvrir ton
supplée
âme
à
larmes de ton amie
;
Viens,
à l'estime.
mes
plaintes
;
ma
garantis-moi,
s'il
se
peut,
mépris de moi-même, et fais-moi croire que pas tout perdu puisque ton
chère,
viens recueillir les
cœur me
du
je n'ai
reste encore.
Dans sa réponse (Lettre XXX.) Claire plaint la chute de son amie, qui était " si digne d'être sage." Il ne faudrait pas cependant avoir des regrets plus grands que la faute si Julie a été vaincue, elle a, du moins, bien combattu. Mieux vaut donc se taire et " effacer à force de vertus une faute qu'on ne répare point avec des larmes." ;
LETTRE XXXII DE JULIE A SAINT-PREUX Il fut
un temps, mon aimable ami, où nos
étaient faciles et charmantes dictait
coulait
;
le
lettres
sentiment qui
avec une élégante simplicité
:
les il
JULIE,
44
OU
n'avait besoin ni d'art ni de coloris, et sa pureté faisait
toute
plus
hélas
:
effet
sa !
il
Cet heureux temps n'est et pour premier ;
parure.
ne peut revenir
d'un changement
si
cruel, nos
cœurs ont déjà
cessé de s'entendre.
Tes yeux ont vu mes douleurs tu crois en avoir la source ; tu veux me consoler par de vains discours, et quand tu penses m'abuser, c'est toi, :
pénétré
mon
qui t'abuses.
ami,
Crois-moi,
crois-en le
cœur tendre de ta Julie mon regret est bien moins d'avoir donné trop à l'amour que de l'avoir privé de son plus grand charme. Ce doux enchantement de vertu s'est évanoui comme un songe nos feux ont perdu cette ardeur divine qui les animait ;
:
en les épurant nous avons recherché le plaisir, et le bonheur a fui loin de nous. Ressouviens-toi de ces moments délicieux où nos cœurs s'unissaient d'autant mieux que nous nous respections davantage, où la passion tirait de son propre excès la force de se vaincre elle-même, où l'innocence nous consolait ;
de
la
contrainte, où les
hommages rendus à l'honneur Compare
tournaient tous au profit de l'amour.
charmant à notre situation présente que de mortelles que d'effroi que de sentiments immodérés ont perdu alarmes Qu'est devenu ce zèle de leur première douceur sagesse et d'honnêteté dont l'amour animait toutes les actions de notre vie, et qui rendait à son tour l'amour plus délicieux ? Notre jouissance était paisible et durable, nous n'avons plus que des ce bonheur insensé ressemble à des transports Un accès de fureur plus qu'à de tendres caresses. livrés aux feu pur et sacré brûlait nos cœurs
un que
état
si
:
d'agitations
!
!
!
!
:
;
LA NOUVELLE HÉ LOI SE erreurs des sens,
amants vulgaires
;
45
nous ne sommes plus que des trop heureux si l'amour jaloux
daigne présider encore à des
mortel peut goûter sans
lui
que
plaisirs
le
plus vil
!
Voilà, mon ami, les pertes qui nous sont communes, et que je ne pleure pas moins pour toi que pour moi. Je n'ajoute rien sur les miennes, ton cœur est fait pour les sentir. Vois ma honte, et
gémis
tu
si
aimer.
sais
mes pleurs ne
Ma
faute est irréparable,
tariront point.
couler, crains d'attenter à de
mon
tout
pire de
O si
toi qui les fais
justes douleurs
espoir est de les rendre éternelles
mes maux
serait
d'en être consolée
;
:
;
le
et c'est
degré de l'opprobre de perdre avec l'innocence le sentiment qui nous la fait aimer. Je connais mon sort, j'en sens l'horreur, et cepen-
le
dernier
dant poir
il ;
me
une consolation dans mon désesc'est elle est douce Depuis l'attends, mon aimable ami.
reste
elle est
unique, mais
:
de toi que je que je n'ose plus porter mes regards sur moi-même, je les porte avec plus de plaisir sur celui que j'aime. Je te rends tout ce que tu m'ôtes de ma propre estime, et tu ne m'en deviens que plus cher en me forçant à me haïr. L'amour, cet amour fatal qui
me
perd
quand
je
te
donne un nouveau prix
me dégrade
;
:
tu t'élèves
ton âme semble avoir profité
de tout l'avilissement de la mienne. Sois donc désormais mon unique espoir c'est à toi de justifier, couvre-la de l'honnêteté de s'il se peut, ma faute que ton mérite efface ma honte tes sentiments ;
;
;
;
rends excusable, à force de vertu,
la
perte de celles
que tu me coûtes. Sois tout mon être, à présent le seul honneur qui me que je ne suis plus rien :
JULIE,
46 en
reste est tout
toi
;
OU
tant que tu seras digne de
et,
respect, je ne serai pas tout à fait méprisable.
Quelque regret que je
ne saurais
le
j'aie
au retour de
ma
dissimuler plus longtemps
mes
visage démentirait
discours, et
ma
;
santé,
mon
feinte con-
Hâtede reprendre mes la démarche dont
valescence ne peut plus tromper personne. toi donc, avant
que
je sois forcée
occupations ordinaires, de faire
je vois clairement que ma nous sommes convenus mère a conçu des soupçons, et qu'elle nous observe. :
Mon père homme
n'en est pas
là, je
l'avoue
:
ce fier gentil-
même
qu'un roturier puisse Mais enfin tu sais ses être amoureux de sa fille. il te préviendra si tu ne le préviens résolutions n'imagine pas
;
;
et
pour avoir voulu
te conserver le
même
notre maison, tu t'en banniras tout à
ma mère
moi, parle à
temps
;
accès dans
fait.
Crois-
tandis qu'il en est encore
feins des affaires
qui t'empêchent de con-
tinuer à m'instruire, et renonçons à nous voir
si
pour nous voir au moins quelquefois car si l'on te ferme la porte, tu ne peux plus t'y mais si tu te la fermes toi-même, tes présenter souvent,
:
;
visites seront
avec
un peu
pourras
les
en quelque sorte à ta discrétion, et, d'adresse et de complaisance, tu
rendre plus fréquentes dans la suite ou qu'on le trouve mauvais.
sans qu'on l'aperçoive
Je te dirai ce soir
les
moyens que j'imagine d'avoir
d'autres occasions de nous voir, et tu conviendras
que l'inséparable cousine, qui causait autrefois tant de murmures, ne sera pas maintenant inutile à deux amants qu'elle n'eût point dû quitter.
LA NOUVELLE HÉ LOI SE
47
Les parents de Julie partent en voyage. Pendant leur absence, Julie rendra visite au père de son amie Claire Les deux amants auront ainsi des à la campagne. occasions de se voir pendant une quinzaine de jours.
LETTRE XXXVIII DE SAINT-PREUX A JULIE
Non,
ne m'est pas possible de ne te voir Julie, il chaque jour que comme je t'ai vue la veille faut que mon amour s'augmente et croisse incessamment avec tes charmes, et tu m'es une source il
;
inépuisable de sentiments nouveaux que je n'aurais
pas
même
Que de cœur
âme
Quelle soirée inconcevable
imaginés.
délices inconnues tu
fis
O tristesse enchanteresse
!
attendrie
!
!
éprouver
à
!
mon
ô langueur d'une
combien vous surpassez
les
turbu-
lents plaisirs, et la gaieté folâtre, et la joie emportée, et tous les transports offre
aux
qu'une ardeur sans mesure Paisible et amants
désirs effrénés des
!
pure jouissance qui n'a rien d'égal dans la volupté des sens, jamais, jamais ton pénétrant souvenir ne
Dieux quel ravissant mon cœur ou plutôt quelle extase, de voir deux beautés si touchantes s'embrasser tendrement, le visage de l'une se pencher sur le sein de l'autre, de
s'effacera
!
!
spectacle,
leurs douces larmes se confondre, et baigner ce sein
charmant comme fraîchement éclos tendre
;
la !
rosée
je lui trouvais je
intéressant que l'amour sorte de
du
humecte un
ciel
d'une amitié
J'étais jaloux
ne
même,
mal de ne pouvoir
sais
lis
si
de quoi de plus
et je
me
t'offrir des
voulais
une
consolations
aussi chères, sans les troubler par l'agitation
de mes
JULIE,
48
OU
Non, rien, rien sur la terre n'est un si voluptueux attendrissement que vos mutuelles caresses et le spectacle de deux amants eût offert à mes yeux une sensation moins transports.
capable d'exciter
;
délicieuse.
Ah
qu'en ce
!
moment
cette aimable cousine,
si
j'eusse été
Julie
amoureux de
n'eût pas existé
!
Mais non, c'était Julie elle-même qui répandait son charme invincible sur tout ce qui l'environnait. je Je te trouve trop parfaite pour une mortelle .
.
.
;
t'imaginerais
d'une espèce plus pure, si ce feu ma substance ne m'unissait
dévorant qui pénètre à la tienne, et ne
même.
.
.
me
faisait sentir qu'elles
sont
la
.
Dis-moi comment il se peut qu'une passion telle que la mienne puisse augmenter. Je l'ignore, mais Quoique tu me sois présente dans je l'éprouve. tous les temps, il y a quelques jours surtout que ton image, plus belle que jamais,
tourmente avec une temps ne me dérobe
me
poursuit et
me
activité à laquelle ni lieu ni ;
et je crois
que tu
me
laissas
dans ce chalet que tu quittas en finissant Depuis qu'il est question de ce ta dernière lettre. rendez-vous champêtre, je suis trois fois sorti de
avec
la
elle
ville
chaque
;
fois
mes pieds m'ont porté des
chaque fois la perspective d'un séjour si désiré m'a paru plus agréable. Je trouve la campagne plus riante, la verdure
mêmes
côtés,
et
plus fraîche et plus vive,
l'air
plus pur, le ciel plus
chant des oiseaux semble avoir plus de tendresse et de volupté ; le murmure des eaux inspire une langueur plus amoureuse, la vigne en serein
;
le
fleurs exhale
au loin de plus doux parfums
;
un
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
49
ou fascine charme mes sens on dirait que la terre se pare pour former à ton heureux amant un lit nuptial digne de la beauté qu'il adore et du feu qui le consume. O secret embellit tous les objets ;
Julie
ô chère et précieuse moitié de
!
hâtons-nous d'ajouter
temps
la
à
mon âme
!
ornements du prin-
ces
présence de deux amants
fidèles.
Portons
dans des lieux qui n'en offrent qu'une vaine image ; allons animer toute elle est morte sous les feux de l'amour. la nature trois jours encore ! trois jours d'attente Quoi sentiment du
le
plaisir
:
!
!
Ivre d'amour, affamé de transports, j'attends ce
moment
Ah
!
une douloureuse impatience. heureux si le ciel ôtait de la ennuyeux intervalles qui séparent de
tardif avec
qu'on
serait
vie tous les
pareils instants
XXXIX. pauvre
fille,
protégée.
!
Julie envoie à Saint-Preux la lettre d'une Fanchon Regard, qu'elle avait autrefois
Fanchon
allait
épouser bientôt un paysan
nommé Claude Anet. Mais celui-ci, afin d'avoir une somme d'argent dont avait besoin sa fiancée pour payer Julie prie son son loyer, s'est engagé comme soldat. amant
d'aller trouver le capitaine de la troupe, d'obtenir
la libération
du jeune homme.
Saint-Preux part tout de que
suite bien qu'il doive ainsi renoncer au rendez-vous
Julie lui a promis.
Dans
la
Lettre
XL1V.
Julie envoie ses remerciements
à Saint-Preux pour la commission heureusement effectuée. Elle lui annonce, en même temps, l'arrivée à Vevai de mylord Bomston, anglais avec qui Saint-Preux a fait autrefois connaissance. Dans sa réponse Saint-Preux explique les circonstances Il loue les qualités de la rencontre entre lui et Bomston.
de l'anglais qui, bien que mélancolique et réservé, est sincère et d'esprit cultivé.
OU
JULIE,
50
(Fin d'une lettre de Julie à Saint-Preux, XLVI.). J'ai entendu, non sans quelque battement de cœur, proposer d'avoir demain deux philosophes à souper l'un est mylord Edouard ; l'autre est un :
dont la gravité s'est quelquefois un peu dérangée aux pieds d'une jeune écolière ; ne le sage
connaîtriez-vous point
?
tâcher de garder demain
Exhortez-le, je vous prie, à
décorum philosophique
le
un peu mieux qu'à son
ordinaire.
J'aurai soin
d'avertir aussi la petite personne de baisser les yeux, et d'être
aux
siens le
moins
jolie qu'il se
pourra.
LETTRE XLVII DE SAINT-PREUX A JULIE
Ah
mauvaise, est-ce
!
m'avais promise
?
là la
Premièrement
ta parure, car
à tes
engagements
?
tu n'en avais point, et tu n'es
si
loisir
dangereuse. si
modeste,
si
mon
contraventions
et voiles tes attraits !
que tu ménages
Que de
cœur
doux,
circonspection que tu
est-ce ainsi
sais
bien que jamais tu
Secondement, ton maintien propre à laisser remarquer
toutes tes grâces.
réfléchi, plus spirituel
Ton
si
à
parler plus rare, plus
encore qu'à l'ordinaire, qui
nous rendait tous plus attentifs, et
faisait
voler
cœur audevant de chaque mot. Cet air que tu chantas à demi-voix, pour donner encore plus de douceur à ton chant, et qui, bien que français, plut à mylord Edouard même. Ton regard timide et tes yeux baissés, dont les éclairs l'oreille et le
inattendus
me
Enfin, ce je ne
jetaient dans sais
un
trouble inévitable.
quoi d'inexprimable, d'enchan-
LA NOUVELLE HÉ LOI SE
51
que tu semblais avoir répandu sur toute ta faire tourner la tête à tout le monde, sans paraître même y songer. Je ne sais, pour moi, comment tu t'y prends mais si telle est ta manière d'être jolie le moins qu'il est possible, je t'avertis que c'est l'être beaucoup plus qu'il ne faut pour avoir des sages autour de toi. Je crains fort que le pauvre philosophe anglais n'ait un peu ressenti la même influence. Après teur,
personne pour
;
avoir reconduit ta cousine,
encore fort
éveillés,
comme
nous étions tous
nous proposa d'aller chez
il
lui
de la musique et boire du punch. Tandis qu'on rassemblait ses gens, il ne cessa de nous parler de toi avec un feu qui me déplut et je n'entendis pas ton éloge dans sa bouche avec autant de plaisir que tu avais entendu le mien. En général, j'avoue que je n'aime point que personne, excepté ta cousine, me parle de toi il me semble que chaque mot m'ôte une partie de mon secret ou de mes plaisirs et, quoi que l'on puisse dire, on y met un intérêt si suspect, ou l'on est si loin de ce que je sens, que je n'aime écouter là-dessus que moi-même. Ce n'est pas que j'aie comme toi du penchant à la jalousie je connais mieux ton âme j'ai des garants qui ne me permettent pas même d'imaginer ton changement possible. Après tes assurances, je ne te dis plus rien des autres prétendants mais faire
;
;
;
:
;
;
celui-ci,
Julie
!
.
.
.
des conditions sortables ... les
préjugés de ton père.
de
ma
vie
un mot de
;
.
.
Tu
me
sais
dire
bien qu'il s'agit
un mot
là-dessus
:
Julie, et je suis tranquille à jamais.
J'ai passé la nuit à
musique
.
daigne donc
italienne, car
entendre ou exécuter de il
s'est
trouvé des duos, et
la il
JULIE,
52
OU
ma
a fallu hasarder d'y faire
partie.
Je n'ose te
parler encore de l'effet qu'elle a produit sur
moi
;
peur que l'impression du souper d'hier ne se soit prolongée sur ce que j'entendais, et que je n'aie pris l'effet de tes séductions pour le charme de la musique. j'ai
peur,
j'ai
.
Tout
.
.
mieux éclairci demain car nous avons pour ce soir un nouveau rendez-vous de mylord veut la rendre complète, et il musique a mandé de Lausanne un second violon qu'il dit ceci sera
;
:
être assez entendu.
Je porterai de
mon
côté des
scènes, des cantates françaises, et nous verrons. Lettre XLVIII., écrite après un concert chez Bomston comparaison entre la musique italienne et la musique française, dans laquelle celle-ci est assez malmenée. Lettre L., reproche à Saint-Preux d'avoir trop bu à souper et d'avoir tenu des propos étranges et peu dignes ;
de
lui.
Dans
sa
réponse Saint-Preux promet de ne plus boire
de vin.
LETTRE LUI DE JULIE A SAINT-rREUX Ainsi tout déconcerte nos projets, tout trompe notre attente, tout trahit des feux que
dû couronner tristes
!
victimes d'un
nous sans cesse au l'atteindre
?
moqueur plaisir
Cette noce
devait se faire à Clarens contrarie,
il
eût
1
;
espoir, toucherons-
qui fuit, sans jamais trop vainement désirée le
mauvais temps nous
faut la faire à la ville.
nous y ménager une entrevue 1
le ciel
Vils jouets d'une aveugle fortune,
Celle de Claire avec
;
Nous devions
tous deux obsédés
M.
d'Orbe.
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
53
d'importuns, nous ne pouvons leur échapper en
même
temps, et
dérobe
est celui
joindre
!
moment où
le
où
il
l'un des
Enfin un favorable instant
la plus cruelle des
deux
se
de
le
est impossible à l'autre se
présente
mères vient nous l'arracher
;
;
et
s'en faut que cet instant ne soit celui de la perte de deux infortunés qu'il devait rendre heureux Loin de rebuter mon courage, tant d'obstacles l'ont irrité je ne sais quelle nouvelle force m'anime,
peu
!
;
mais
je
et, si
me
sens
une hardiesse que
tu l'oses partager, ce
je n'eus jamais
soir, ce soir
même
;
peut
acquitter mes promesses, et payer d'une seule fois toutes les dettes de l'amour. •
mon
Consulte-toi bien,
point
il
t'est
doux de
ami, et vois jusqu'à quel
vivre
car l'expédient
;
si
la
que
propose peut nous mener tous deux à la mort tu la crains, n'achève point cette lettre ; mais si pointe d'une épée n'effraye pas plus aujourd'hui
je te
:
ton cœur que ne l'effrayaient jadis Meillerie, le
balancé.
mien court
le
même
les
gouffres de
risque et n'a pas
Ecoute.
ma chambre, et, quoique je voumalade depuis trois jours lusse absolument la soigner, on l'a transportée mais, comme elle est mieux, ailleurs malgré moi peut être elle reviendra dès demain. Le lieu où l'on mange est loin de l'escalier qui conduit à l'appartement de ma mère et au mien à l'heure du souper toute la maison est déserte hors la cuisine et Enfin la nuit dans cette saison la salle à manger. son voile peut est déjà obscure à la même heure dérober aisément dans la rue les passants aux spectateurs, et tu sais parfaitement les êtres de la maison. Babi, qui couche ordinairement dans
est
;
:
;
;
JULIE,
54 Ceci
suffit
OU
me faire entendre. Viens cette ma Fanchon, je t'expliquerai le
pour
après-midi chez
reste et te donnerai les instructions nécessaires
que
si
je
ne
le puis, je les laisserai
entrepôt de nos
comme
où,
lettres,
prévenu, tu trouveras déjà celle-ci
en
important pour
est trop
:
par écrit à l'ancien je
t'en
ai
car le sujet
:
l'oser confier à
personne.
Oh comme je vois à présent palpiter ton cœur Comme j'y lis tes transports, et comme je les parNon, mon doux ami, non, nous ne quittage !
!
!
terons point cette courte vie sans avoir
goûté
le
bonheur
:
un
instant
mais songe pourtant que cet
instant est environné des horreurs de la
mort
;
que
l'abord est sujet à mille hasards, le séjour dangereux,
que nous sommes d'un péril extrême nous sommes découverts, et qu'il faut que tout nous favorise pour pouvoir éviter de l'être. Ne nous abusons point je connais trop mon père
la retraite
perdus
;
si
;
pour douter que je ne te visse à l'instant percer le cœur de sa main, si même il ne commençait par car sûrement je ne serais pas plus épargnée moi et crois-tu que je t'exposerais à ce risque si je n'étais sûre de le partager ? Pense encore qu'il n'est point question de te fier :
;
à
ton courage
défends
;
même
arme pour
il
n'y faut point songer
expressément
ta défense, pas
;
d'apporter
même
ton épée
et je te
aucune :
aussi
car, si nous bien te serait-elle parfaitement inutile sommes surpris, mon dessein est de me précipiter ;
dans et
de t'enlacer fortement dans les miens, ainsi le coup mortel pour n'avoir séparer de toi, plus heureuse à ma mort
tes bras,
de recevoir
plus
à
me
que
je
ne
le fus
de
ma
vie.
LA NOUVELLE HÊLOÏSE
55
J'espère qu'un sort plus doux nous est réservé ; je et la fortune se sens au moins qu'il nous est dû Viens donc, âme de lassera de nous être injuste. mon cœur, vie de ma vie, viens te réunir à toi;
même
;
recevoir fices
le
du tendre amour
sous les auspices
prix de ton obéissance et de tes sacri-
viens avouer,
;
c'est
viens
même
au sein des
plaisirs,
que
qu'ils tirent leur plus
de l'union des cœurs
grand charme. Lettre L1V., est écrite dans
même
cabinet
le
où Saint-Preux l'attend, et où, comme il dit, il bonheur d'avoir trouvé de l'encre et du papier!
de Julie a eu le
LETTRE LV DE SAINT-PREUX A JULIE
Oh
!
ma douce amie mourons, la bienQue faire désormais d'une mon cœur
mourons,
aimée de
!
!
jeunesse insipide dont nous avons épuisé toutes les Explique-moi, si tu le peux, ce que j'ai ?
délices
senti
dans cette nuit inconcevable
;
donne-moi
d'une vie ainsi passée, ou laisse-m'en quitter une qui n'a plus rien de ce que je viens d'éprouver avec toi. J'avais goûté le plaisir, et croyais con-
l'idée
cevoir le bonheur.
Ah
n'avais
je
!
senti
qu'un
vain songe, et n'imaginais que le bonheur d'un Mes sens abusaient mon âme grossière ; enfant. je
ne cherchais qu'en eux
trouvé que leurs
plaisirs
commencement des de
la
nature
!
le
O
miens.
divine Julie
bien suprême, et
j'ai
que le chef-d'œuvre unique
épuisés n'étaient
!
laquelle tous les transports
possession délicieuse à
du
plus ardent
amour
JULIE,
56
suffisent à peine
sports
que
Non,
!
OU
ce ne sont point ces tran-
je regrette le plus
:
ah
non, retire
!
s'il
faut ces faveurs enivrantes pour lesquelles je mais rends-moi tout ce qui donnerais mille vies
le
;
Rendsâmes que tu m'avais
n'était point elles, et les effaçait mille fois.
moi
cette étroite union des
annoncée, et que tu m'as
moi
bien
fait
goûter
;
rends-
si
de nos cœurs trouvé sur ton sein :
si
doux rempli par les effusions rends-moi ce sommeil enchanteur
cet abattement
rends-moi ce réveil plus
;
délicieux encore, et ces soupirs entrecoupés, et ces
douces larmes, et ces baisers qu'une voluptueuse faisait lentement savourer, et ces gémissements si tendres durant lesquels tu pressais
langueur nous
sur ton cœur ce cœur
fait
pour s'unir
à lui.
Dis-moi, Julie, toi qui, d'après ta propre sensibilité, sais si bien juger de celle d'autrui, crois-tu que ce que je sentais auparavant fût véritablement de l'amour ? Mes sentiments, n'en doute pas, ont depuis hier changé de nature ; ils ont pris je ne sais quoi de moins impétueux, mais de plus doux, de
Te
plus tendre et de plus charmant.
souvient-il
de cette heure entière que nous passâmes à parler paisiblement de notre amour et de cet avenir obscur et redoutable par qui le présent nous était trop de cette heure, hélas dont une légère empreinte de tristesse
encore plus sensible courte,
rendit
entretiens
les
quille, et
si
touchants
j'étais près
pourtant
et ne désirais rien
!
;
;
je
de
J'étais
?
toi
:
n'imaginais pas
tran-
je t'adorais
même
une
autre félicité que de sentir ainsi ton visage auprès du mien, ta respiration sur ma joue, et ton bras
autour de
mon
cou.
Quel calme dans tous mes
LA NOUVELLE HÉ LOI SE
57
Quelle volupté pure, continue, universelle sens il Le charme de la jouissance était dans l'âme !
!
;
Quelle difféil durait toujours. rence des fureurs de l'amour à une situation si n'en sortait plus,
paisible
que
C'est
!
je l'ai
première
la
fois
éprouvée auprès de
toi
;
de mes jours et cependant,
juge du changement étrange que j'éprouve, c'est de toutes les heures de ma vie celle qui m'est la plus chère,
et
la
que
seule
longer éternellement.
Julie,
voulu pro-
j'aurais
dis-moi donc
ne t'aimais point auparavant, ou
si
si
maintenant
je je
ne t'aime plus. Si je ne t'aime plus
cessé d'exister
?
Quel doute
?
ma
et
Ai-je donc
!
vie n'est-elle pas plus dans
le mien ? Je sens, je sens que tu m'es mille fois plus chère que jamais et j'ai
ton cœur que dans trouvé dans
mon
pour pour
te chérir plus
sentiments plus paisibles,
mais
plus
toi des
espèces
;
abattement de nouvelles forces tendrement encore. J'ai pris
affectueux
et
sans s'affaiblir,
il
est vrai,
de plus de différentes
ils
se sont multipliés
:
les
douceurs de l'amitié tempérèrent les emportements de l'amour, et j'imagine à peine quelque sorte
d'attachement qui ne m'unisse pas
à toi.
O ma
ô mon épouse, ma sœur, ma charmante maîtresse que j'aurai peu dit pour ce que je douce amie !
!
sens, après avoir épuisé tous les
au cœur de l'homme
noms
les
plus chers
!
Une lettre (LVI.) de Claire apprend à sa cousine qu'une querelle est survenue entre Lord Bomston et SaintPreux à propos de Julie. Celle-ci écrit à son amant et lui
défend de se battre à cause
d'elle.
OU
JULIE,
58
LETTRE
LVIII
DE JULIE A MYLORD EDOUARD
Ce
je
vous
me
pour
n'est point
que
écris
plaindre de vous, mylord,
puisque vous m'outragez,
;
bien que
j'aie
Comment
concevoir qu'un honnête
homme
déshonorer sans sujet une famille estimable tentez donc votre vengeance, légitime
;
cette lettre vous
de perdre une malheureuse
vous
si
qui ne
se
un amant aimé si
est
mort Cet amant
personne doux.
il
;
;
la
maître de
à votre
vous aime et qu'il périr de votre
celui
est
honoriez de votre amitié
il
;
en
est vertueux.
main
;
même
ôter.
lui
mon cœur
seule pourra briser
facile
consolera
met
que vous voulez
l'honneur
Concroyez
la
Oui, mylord, vos imputations étaient justes
ma
faut
voulût
?
donne un moyen fille
jamais de vous avoir offensé, et qui discrétion
il
avec vous des torts que j'ignore.
;
et
j'ai
de
un nœud que vous
est digne, puisqu'il
Cependant il va du sang à
je sais qu'il faut
je sais que sa valeur même le que dans un combat, si peu redoutable pour vous, son intrépide cœur ira sans crainte chercher le coup mortel. J'ai voulu retenir ce
l'honneur outragé
perdra
;
;
je sais
zèle inconsidéré
;
j'ai fait
Hélas
parler la raison.
!
en écrivant ma lettre j'en sentais l'inutilité et, quelque respect que je porte à ses vertus, je n'en attends point de lui d'assez sublimes pour le ;
détacher
d'un
d'avance du
faux
plaisir
de votre ami
;
point
d'honneur.
Jouissez
que vous aurez de percer
mais sachez,
moins vous n'aurez pas
celui
homme
le sein
barbare, qu'au
de jouir de mes larmes,
LA NOUVELLE HÉ LOI SE de contempler
et
mon
Non,
désespoir.
par l'amour qui gémit au fond de
mon
59 j'en jure
cœur, soyez
témoin d'un serment qui ne sera point vain je ne survivrai pas d'un jour à celui pour qui je respire ; et vous aurez la gloire de mettre au tombeau d'un :
coup deux amants infortunés, qui n'eurent
seul
point envers vous de tort volontaire, et qui se plaisaient à vous honorer.
On
mylord, que vous avez l'âme belle et le s'ils vous laissent goûter en paix une vengeance que je ne puis comprendre, et la douceur de faire des malheureux, puissent-ils, quand je ne
cœur
dit,
sensible
serai plus,
et
:
vous inspirer quelques soins pour un père
une mère inconsolables, que qui
enfant
douleurs
leur
reste
va
perte du seul
la
livrer
à
d'éternelles
!
Lord Bomston ayant reçu la lettre de Julie, fait des excuses publiques à Saint-Preux. L'amitié entre les deux devient plus étroite, et l'anglais se décide à intervenir en Une faveur de Saint-Preux auprès du baron d'Étanges. lettre (LXII.) de Claire raconte à son amie le résultat de Bien que Bomston ait offert de faire à sa démarche. Saint-Preux une situation au moins égale à celle de Julie, le baron a repoussé avec colère toute idée d'union avec un simple roturier.
LETTRE
LXIII
DE JULIE A CLAIRE
Tout
ce que tu avais prévu,
ma
chère, est arrivé.
Hier, une heure après notre retour,
le
ne
mon
père entra
chambre de ma mère, les yeux étincelants, visage enflammé, dans un état, en un mot, où je
dans
la
l'avais
jamais vu.
Je
compris d'abord qu'il
OU
JULIE,
6o
venait d'avoir querelle, ou qu'il allait et
ma Il
conscience agitée
commença
me
fit
chercher
la
;
trembler d'avance.
par apostropher vivement, mais en
général, les mères de famille qui appellent indis-
crètement chez sans nom, dont et
déshonneur
elles le
des jeunes gens sans état et
commerce
n'attire
qui
écoutent.
à celles
les
que honte Ensuite,
voyant que cela ne suffisait pas pour arracher quelque réponse d'une femme intimidée, il cita sans ménagement en exemple ce qui s'était passé dans notre maison, depuis qu'on y avait introduit un prétendu bel esprit, un diseur de riens, plus propre
corrompre une fille sage qu'à lui donner aucune bonne instruction. Ma mère, qui vit qu'elle gagnerait peu de chose à se taire, l'arrêta sur ce mot de corruption, et lui demanda ce qu'il trouvait dans la conduite ou dans la réputation de l'honnête homme dont il parlait, qui pût autoriser de pareils soupçons. Je n'ai pas cru, ajouta-t-elle, que l'esprit à
et le mérite fussent des titres d'exclusion dans la société.
maison, pas
A si
qui
l'entrée
reprit-il
d'une
faudra-t-il
?
A
des
mœurs
gens
ouvrir
votre
n'en obtiennent
sortables,
madame,
colère, qui puissent réparer l'honneur
en
fille
donc
les talents et les
quand
ils
l'ont offensé.
Non,
dit-elle,
mais à des gens de bien qui ne l'offensent point. Apprenez, dit-il, que c'est offenser l'honneur d'une
maison que d'oser en solliciter l'alliance sans titres pour l'obtenir. Loin de voir en cela, dit ma mère, une offense, je n'y vois, au contraire, qu'un témoignage d'estime. D'ailleurs, je ne sache point que celui contre qui vous vous emportez ait rien fait de semblable
à
votre égard.
Il l'a
fait,
madame,
et
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
61
mais je veillerai, si je n'y mets ordre n'en doutez pas, aux soins que vous remplissez si mal. Alors commença une dangereuse altercation qui
fera pis encore
m'apprit que
:
bruits de ville dont tu parles mes parents, mais durant laquelle
les
étaient ignorés de
ton indigne cousine eût voulu être Imagine-toi
terre.
la
à cent pieds sous
meilleure et
la
plus abusée
des mères faisant l'éloge de sa coupable fille, et la de toutes les vertus qu'elle a perdues, louant, hélas !
dans
les
termes
les
plus honorables, ou, pour
dire, les plus humiliants
figure-toi
;
un
père
mieux irrité,
prodigue d'expressions offensantes, et qui, dans tout son emportement, n'en laisse pas échapper une qui marque le moindre doute sur la sagesse de celle que le
remords déchire et que
présence.
Oh
conscience
avilie,
!
la
honte écrase en
sa
quel incroyable tourment d'une
de
reprocher des crimes que
se
la colère et l'indignation
ne pourraient soupçonner
!
que celui d'une fausse louange et d'une estime que le cœur rejette en secret Je m'en sentais tellement oppressée, que, pour me délivrer d'un si cruel
Quel poids accablant
et insupportable
!
supplice, j'étais prête à tout avouer,
m'en eût laissé le temps emportement lui faisait
si
mon
père
mais l'impétuosité de son
;
redire cent fois les
mêmes
Il choses et changer à chaque instant de sujet. remarqua ma contenance basse, éperdue, humiliée,
mes remords. S'il n'en tira pas la conséquence de ma faute, il en tira celle de mon amour et, pour m'en faire plus de honte, il en outragea l'objet en des termes si odieux et si méprisants que je ne pus, malgré tous mes efforts, le laisser pour-
indice de
;
suivre sans l'interrompre.
OU
JULIE,
6z Je ne
ma chère, où je trouvai tant de harmoment d'égarement me fit oublier
sais,
diesse, et quel
ainsi le devoir et la
un
modestie
mais
;
j'osai sortir
si
instant d'un silence respectueux, j'en portai,
comme tu vas voir, assez rudement la peine. Au nom du ciel, lui dis-je, daignez vous apaiser jamais un homme digne de tant d'injures ne sera dangereux pour moi. A l'instant, mon père, qui ;
crut sentir
un reproche
mots, et dont
à travers ces
la
fureur n'attendait qu'un prétexte, s'élança sur
ta
pauvre amie
reçus
un
pour
:
la
première
livrant à son transport avec celle
avait coûtée,
qu'il lui
ma
fois
de
le
seul
ne fut pas
soufflet qui
vie je se
et,
;
une violence égale
me
il
ménagement, quoique ma mère
à
maltraita sans
se fût jetée entre
deux, m'eût couverte de son corps, et eût reçu quelques-uns des coups qui m'étaient portés. En reculant pour
mon qui me
et
les éviter, je fis
visage alla fit
la
triomphe de nature.
larmes, celles de
je
tombai,
pied d'une table
Ma
ma mère
la colère et
chute,
mon
l'émurent
;
commença
air
m'ayant
assise
soin
sur une chaise, si
je n'étais
ils
mes
sang,
il
me
releva
d'inquiétude et d'empressement
avec un
deux avec
le
saigner.
Ici finit le
celui de
un faux pas,
donner contre
et,
;
recherchèrent tous
point blessée.
Je n'avais
qu'une légère contusion au front et ne saignais que du nez. Cependant je vis au changement d'air et de voix de mon père, qu'il était mécontent de ce 11 ne revint point à moi par qu'il venait de faire. des caresses,
la
changement
si
dignité paternelle ne souffrait pas
brusque
mais
;
avec de tendres excuses
;
il
revint à
un
ma mère
et je voyais bien,
aux
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
63
regards qu'il jetait furtivement sur moi, que
la
moitié de tout cela m'était indirectement adressée.
Non, ma
chère,
chante que
n'y a point de confusion si toud'un tendre père qui croit s'être
il
celle
Le cœur d'un père sent qu'il pour pardonner, et non pour avoir besoin de pardon Après le souper, l'air se trouva si froid que ma mère fit faire du feu dans sa chambre. Elle s'assit mis dans son tort.
est fait
mon père à prendre une chaise pour me placer entre eux, quand, m'arrêtant par ma robe, et me à l'un des coins de la cheminée, et
l'autre
j'allais
;
tirant à lui sans rien dire,
Tout cela se fit de mouvement
si
si
espèce de repentir j'étais sur ses
fallait
me
sentais
mes ne
le
genoux,
tenir
Tout
attitude.
moment il
flancs avec
d'après.
ne pouvait plus s'en dédire
pour
embrassée
la
dans
cela se faisait
de temps en temps
sais
une sorte une Cependant
et par
involontaire, qu'il en eut
ce qu'il y avait de pis
et,
m'assit sur ses genoux.
il
promptement,
contenance,
gênante
cette
en silence
mais
:
ses bras se presser
un soupir
assez
mal
;
il
je
contre
étouffé.
Je
quelle mauvaise honte empêchait ses bras
paternels de se livrer à ces douces étreintes.
Une
certaine gravité qu'on n'osait quitter, une certaine
confusion qu'on n'osait vaincre, mettaient entre
un
charmant embarras que la pudeur et l'amour donnent aux amants tandis qu'une tendre mère, transportée d'aise, dévorait en secret un si doux spectacle. Je voyais, je sentais tout cela, mon ange, et ne pus tenir plus longtemps à l'attenpère et sa
fille
ce
;
me gagnait. Je feignis de me retenir, un bras au cou
drissement qui je jetai,
pour
glisser
de
;
mon
OU
JULIE,
64 père
je
;
able,
et
baisers et
penchai
mon
visage sur son visage vénér-
dans un instant
mes
fut couvert de
il
inondé de mes larmes
je sentis à celles
;
qui lui coulaient des yeux qu'il était lui-même soulagé d'une grande peine
Douce
nos transports.
manquas
seule à
mon cœur
scène de la nature
ma
vie
Ce
ma mère
:
le
faire
de cette
moment de
!
matin,
la
il
ma mon
lassitude et le ressentiment de
père est entré dans ;
pour
plus délicieux
chute m'ayant retenue au levée
vint partager
et paisible innocence, tu
un peu
lit
tard,
ma chambre avant que je fusse côté de mon lit en s'informant
s'est assis à
tendrement de mains dans les
ma
santé
siennes,
il
il
;
a pris
s'est
une de mes
abaissé jusqu'à la
en m'appelant sa chère fille, et témoignant du regret de son emportement. Pour moi, je lui ai dit et je le pense, que je serais
baiser plusieurs fois
me
trop heureuse d'être battue tous
les
jours au
prix, et qu'il n'y a point de traitement
même
rude qu'une seule de ses caresses n'efface au fond de mon cœur. Après cela, prenant un ton plus grave, il m'a remise sur le sujet d'hier, et m'a signifié sa volonté
en
termes
honnêtes,
mais
déclaré dès
mon
arrivée,
et
Vous
précis.
m'a-t-il dit, à qui je vous destine
si
;
je
savez,
vous
l'ai
ne changerai jamais
Quant à l'homme dont m'a parlé mylord Edouard, quoique je ne lui dispute point le mérite que tout le monde lui trouve, je ne sais s'il a conçu de lui-même le ridicule espoir de s'allier à moi, ou si quelqu'un a pu le lui inspirer mais, quand je n'aurais personne en vue, et qu'il d'intention sur ce point.
;
LA NOUVELLE HÊLOÏSE aurait
sûre que je n'accepterais jamais
vous défends de
65
guinées de l'Angleterre,
toutes les
de
le voir et
un
tel
soyez
gendre.
Je
de votre vie, sienne que pour
lui parler
pour la sûreté de la Quoique je me sois toujours senti peu d'inclination pour lui, je le hais, surtout à présent, pour les excès qu'il m'a fait commettre, et et cela autant
votre honneur.
ne
pardonnerai jamais
lui
A
ces mots,
se
brutalité.
ma réponse, même air de sévérité qu'il venait Ah ma cousine, quels monstres
et presque avec le
de
ma
est sorti sans attendre
il
reprocher.
!
d'enfer sont ces préjugés qui dépravent leurs cœurs, et font taire à
Voilà,
ma
Claire,
chaque instant
comment
s'est
les la
la
!
passée l'explica-
tion que tu avais prévue, et dont je n'ai
prendre
meil-
nature
pu com-
me
cause jusqu'à ce que ta lettre
l'ait
Je ne puis bien te dire quelle révolution
apprise.
en moi, mais depuis ce moment je me il me semble que je tourne les yeux avec plus de regret sur l'heureux temps où je vivais tranquille et contente au sein de ma famille, et que je sens augmenter le sentiment de ma faute avec celui des biens qu'elle m'a fait perdre. s'est faite
trouve changée
;
Dis, cruelle, dis-le-moi,
l'amour
Ah
si
tu l'oses, le temps de
serait-il passé, et faut-il
ne
se plus revoir
?
sens-tu bien tout ce qu'il y a de sombre et d'horrible dans cette funeste idée ? Cependant !
l'ordre de
amant
mon
père est précis,
est certain.
le
danger de
Sais-tu ce qui résulte en
mon moi
de tant de mouvements opposés qui s'entre-détruisent ? Une sorte de stupidité qui me rend l'âme presque insensible, et ne me laisse l'usage ni des
passions,
ni
de
la
raison.
Le moment E
est
— OU
JULIE,
66 critique, tu
me
l'as
dit et je le sens
ne fus jamais moins en état de voulu tenter vingt saurais tracer toi,
;
cependant
conduire.
fois d'écrire à celui
m'évanouir
je suis prête à
me
deux de
ma douce amie
chaque
à
suite.
Il
ne
je
J'ai
que j'aime,
ligne, et n'en
me
reste
que
daigne penser, parler, agir
;
je remets mon sort en tes mains pour moi quelque parti que tu prennes, je confirme d'avance je confie à ton amitié ce tout ce que tu feras pouvoir funeste que l'amour m'a vendu si cher. Sépare-moi pour jamais de moi-même, donne-moi la mort s'il faut que je meure, mais ne me force pas à me percer le cœur de ma propre main. ;
;
:
Claire par l'intermédiaire de son fiancé, M. d'Orbe, venir Saint-Preux chez elle; elle lui expose l'état actuel des choses, et, après une scène déchirante, l'engage Sa lettre à Julie (LXV.) à partir avec Lord Bomston.
fait
finit ainsi
:
Un moment
après, je les ai
entendus descendre
Je suis sortie sur le palier pour Ce dernier trait manquait à les suivre des yeux.
précipitamment.
mon
genoux en baiser mille fois les marches, et d'Orbe pouvoir à peine l'arracher de cette froide pierre qu'il pressait de son corps, de la tête et des bras, en poussant de longs gémissements. J'ai senti les miens près d'éclater malgré moi, et je suis brusquement rentrée, de peur de au
trouble.
milieu
de
J'ai
donner une scène
A
vu
l'insensé se jeter à
l'escalier,
à
toute
quelques instants de
tenant son mouchoir sur
la
maison.
là,
ses
M. d'Orbe yeux.
est
C'en
revenu est fait,
LA NOUVELLE HÉ LOI SE m'a-t-il dit, lui,
Edouard de
ils
lui,
homme
l'y
En
sont en route.
votre ami a trouvé
la
67
arrivant chez
A^ylord couru au-devant
chaise à sa porte.
attendait aussi
;
il
a
et le serrant contre sa poitrine
:
" Viens,
infortuné, lui a-t-il dit d'an ton pénétrant,
viens verser tes douleurs dans ce
cœur qui
t'aime.
Viens, tu sentiras peut-être qu'on n'a pas tout
perdu sur la terre, quand on y retrouve un ami tel que moi." A l'instant il l'a porté d'un bras vigoureux dans la chaise, et ils sont partis en se tenant étroitement embrassés.
FIN DE LA PREMIERE PARTIE
SECONDE PARTIE LETTRE PREMIÈRE DE SAINT-PREUX A JULIE J'ai pris et quitté cent fois la
plume,
j'hésite dès le
premier mot, je ne sais quel ton je dois prendre, et c'est à Julie que je ne sais par où commencer Ah malheureux je veux écrire que suis-je ;
!
!
!
donc plus ce temps où mille sentiments délicieux coulaient de ma plume comme un intarissable torrent ces doux moments de confiance et d'épanchement sont passés, nous ne devenu
n'est
Il
?
!
sommes
sommes
plus l'un à l'autre, nous ne
mêmes,
et je ne sais plus à qui j'écris.
vous recevoir mes lettres les
parcourir
?
les
circonspectes
assez
une ancienne
amour
éteint
reculé
que
et
si
doux,
à
vos yeux daigneront-ils
?
?
Oserais-je ?
ou méprisé
?
mon
ciel
!
de
vous écrivis
effroyable misère
d'exister, et je suis
tissement
l'espoir
;
je
ces jours
commençais je n'ai plus
y garder encore
Oserais-je y parler d'un et ne suis-je pas plus
premier jour où
Quelle différence, ô
les
trouverez-vous assez réservées,
familiarité
le
plus
Daignerez-
si
Hélas
!
tombé dans
de vivre animait
!
je
l'anéan-
mon cœur
devant moi que l'image de
?
charmants
la
mort
;
;
et trois ans d'intervalle ont fermé le cercle fortuné 68
LA NOUVELLE HÉLOÏSE Ah que ne me survivre à moi-même
de mes jours. de
les ai-je
!
Que
!
69
terminés avant
mes
n'ai-je suivi
pressentiments après ces rapides instants de délices où je ne voyais plus rien dans la vie qui fût digne
de
prolonger
la
à ces trois ans,
Sans doute,
!
ou
les
mieux ne jamais goûter perdre.
la
il
fallait la
ôter de sa durée la félicité
que
:
la
borner valait
il
goûter et
Si j'avais franchi ce fatal intervalle,
si
premier regard qui me fit une autre âme, je jouirais de ma raison, je remplirais les devoirs d'un homme, et sèmerais peut-être de quelques vertus mon insipide carrière. Un moment j'avais évité ce
Mon
d'erreur a tout changé.
ce qu'il ne fallait point voir enfin son effet inévitable.
;
œil osa contempler cette vue a produit
Après m'être égaré par
degrés, je ne suis qu'un furieux dont le sens est aliéné,
un
lâche esclave sans force et sans courage,
qui va traînant dans l'ignominie
sa
chaîne et son
désespoir
Mais
toi,
Julie,
ô toi qui sus aimer une
fois,
comment ton tendre cœur a-t-il oublié de vivre ? comment ce feu sacré s'est-il éteint dans ton âme pure ? comment as-tu perdu le goût de ces plaisirs que
célestes
rendre
?
toi seule étais
Tu me
avec opprobre, tu
capable de sentir et de
chasses sans pitié, tu
me
livres à
mon
me
bannis
désespoir
;
et
tu ne vois pas, dans l'erreur qui t'égare, qu'en
me
rendant misérable tu t'ôtes
Ah
!
le
bonheur de tes jours vainement un !
Julie, crois-moi, tu chercheras
cœur ami du tien mille t'adoreront sans le mien seul te savait aimer. Réponds-moi maintenant, amante abusée ou trompeuse, que sont devenus ces projets formés autre
doute,
;
OU
JULIE.
7o
avec tant de mystère
Où
?
rances dont tu leurras
Où
sont ces vaines espé-
souvent
si
ma
crédule sim-
union sainte et désirée, doux objet de tant d'ardents soupirs, et dont ta plume et sur la foi Hélas ta bouche flattaient mes vœux ?
plicité
?
est cette
!
de
promesses
tes
d'époux
me
et
hommes.
ma
faute
Ai-je
?
sacré
heureux des ne m'abusais-tu que pour
douleur plus vive et
tion plus profonde
ma
nom
ce
à
croyais déjà le plus
Dis, cruelle,
rendre enfin
aspirer
j'osais
ai-je attiré
?
manqué
mon
humilia-
mes malheurs par
d'obéissance, de docilité,
de discrétion ? M'as-tu vu désirer assez faiblement pour mériter d'être éconduit, ou préférer mes fougueux désirs à tes volontés suprêmes ? J'ai
Tu pour te plaire, et tu m'abandonnes de mon bonheur, et tu m'as perdu Ingrate, rends-moi compte du dépôt que je t'ai rends-moi compte de moi-même, après confié avoir égaré mon cœur dans cette suprême félicité que tu m'as montrée et que tu m'enlèves. Anges
tout
fait
!
te chargeais
!
;
du
ciel, j'eusse
méprisé votre sort
plus heureux des êtres. rien,
valle je
.
Hélas
.
.
j'eusse été le
;
!
je
ne
suis plus
un instant m'a tout ôté. J'ai passé sans interdu comble des plaisirs aux regrets éternels :
touche encore au bonheur qui m'échappe ...
touche encore, et je le
perds pour jamais
le
pouvais croire
si
!
les restes
vaine ne soutenaient. ...
que
mon
œil égaré
servîtes-vous
mon
gretté la vie
quand
O
je
!
si
d'une espérance
rochers de Meilleric,
mesura tant de
désespoir
Ah
!
j'y
?
que ne moins re-
fois,
J'aurais
n'en avais pas senti
le prix.
LA NOUVELLE HÉLOJSE
LETTRE
71
III
DE MYLORD EDOUARD A JULIE
Votre cousine vous
dira des nouvelles de votre
Je crois d'ailleurs qu'il vous écrit par cet ordinaire. Commencez par satisfaire là-dessus
ami.
votre empressement, pour cette lettre
demande toute votre Je connais
lire
ensuite posément
car je vous préviens
;
les
peu d'années mes dépens, et ;
hommes
j'ai
que son sujet
attention. ;
j'ai
vécu beaucoup en
acquis une grande expérience à
chemin des
passions qui m'a Mais de tout ce que j'ai observé jusqu'ici je n'ai rien vu de si extraordinaire que vous et votre amant. Ce n'est pas que vous n'ayez ni l'un ni l'autre un caractère marqué dont
conduit à
la
c'est le
philosophie.
on puisse au premier coup ences, et
il
se pourrait
vous définir vous
fît
prendre pour des âmes com-
munes par un observateur cela
même
d'ceil assigner les différ-
bien que cet embarras de superficiel.
Mais
c'est
qui vous distingue, qu'il est impossible
de vous distinguer, et que les traits du modèle commun, dont quelqu'un manque toujours à chaque individu, brillent tous également dans les Ainsi chaque épreuve d'une estampe a ses vôtres. défauts particuliers qui lui servent de caractère
;
en vient une qui soit parfaite, quoiqu'on la trouve belle au premier coup d'ceil, il faut la conLa première sidérer longtemps pour la reconnaître. fois que je vis votre amant, je fus frappé d'un sentiment nouveau qui n'a fait qu'augmenter de jour en jour, à mesure que la raison l'a justifié. A votre
et
s'il
JULIE,
72
OU
égard ce fut toute autre chose encore, et ce sentiment fut si vif que je me trompai sur sa nature. Ce n'était pas tant la différence des sexes qui produisait cette impression, qu'un caractère encore
marqué de perfection que indépendamment de l'amour.
plus
cœur
le
sent,
même
Je vois bien ce que vous seriez sans votre ami, je ne vois pas de même ce qu'il serait sans
vous
lui ressembler,
mais
Après un tort que
:
il
beaucoup d'hommes peuvent monde.
n'y a qu'une Julie au
ne
je
me
pardonnerai jamais,
votre lettre vint m'éclairer sur mes vrais sentiments. Je connus que je n'étais point jaloux, ni par conséje connus que vous étiez trop quent amoureux il vous faut les prémices d'une aimable pour moi âme, et la mienne ne serait pas digne de vous. Dès ce moment je pris pour votre bonheur mutuel un tendre intérêt qui ne s'éteindra point. Croyant ;
;
lever toutes les difficultés, je
fis
auprès de votre
père une démarche indiscrète, dont
le
mauvais
succès n'est qu'une raison de plus pour exciter mon Daignez m'écouter, et je puis réparer encore zèle.
tout
le
J'ai
mal que
sidérable,
ancêtres.
commode
vous
je
ai fait.
.
.
.
duché d'York une terre assez conqui fut longtemps le séjour de mes Le château est ancien, mais bon et
dans
;
le
environs sont
les
ables et variés.
bout du parc,
La
solitaires,
rivière d'Ouse,
mais agré-
qui passe au
une perspective charun débouché facile aux denrées.
offre à la fois
mante Le produit de la terre suffit pour l'honnête entretien du maître, et peut doubler sous ses yeux. L'odieux à la
vue, et
préjugé n'a point d'accès dans cette heureuse conl'habitant paisible y conserve encore les trée ;
LA NOUVELLE HÉLOÏSE mœurs
73
simples des premiers temps, et l'on y trouve
une image du Valais décrit avec des traits si touCette terre est chants par la plume de votre ami !
vous daignez l'habiter avec lui ; et que vous pourrez accomplir ensemble tous
à vous, Julie, c'est là les
si
tendres souhaits par où finit la lettre dont je
parle.
Venez, modèle unique des vrais amants, venez, fidèle, prendre possession d'un lieu fait pour servir d'asile à l'amour et à l'innocouple aimable et cence.
.
.
.
pesez attenVotre sort est en vos mains, Julie tivement la proposition que je vous fais, et n'en examinez que le fond ; car d'ailleurs je me charge ;
d'assurer d'avance et irrévocablement votre
ami
je me charge aussi de l'engagement que je prends de la sûreté de votre départ, et de veiller avec lui à là celle de votre personne jusqu'à votre arrivée vous pourrez aussitôt vous marier publiquement car parmi nous une fille nubile n'a sans obstacle nul besoin du consentement d'autrui pour disposer d'elle-même. Nos sages lois n'abrogent ;
:
;
point celles de
la
nature
;
et
s'il
résulte
de cet
heureux accord quelques inconvénients, ils sont beaucoup moindres que ceux qu'il prévient. J'ai laissé à Vevai mon valet de chambre, homme de confiance, brave, prudent et d'une fidélité à toute épreuve. Vous pourrez aisément vous concerter avec lui de bouche ou par écrit à l'aide de Regianino,
que ce dernier sache de quoi il s'agit. Quand nous partirons pour vous aller joindre, vous ne quitterez la maison paternelle que sous conduite de votre époux.
sans il
et la
sera temps,
JULIE,
74
OU
Je vous laisse à vos réflexions ; mais, je le répète, craignez l'erreur des préjugés et la séduction des
mènent souvent au
scrupules, qui
vice par le
chemin
Je prévois ce qui vous arrivera si vous rejetez mes offres. La tyrannie d'un père
de l'honneur.
que vous Votre extrême vous douceur dégénère quelquefois en timidité Il serez sacrifiée à la chimère des conditions. faudra contracter un engagement désavoué par le cœur. L'approbation publique sera démentie incessamment par le cri de la conscience vous serez intraitable vous entraînera dans l'abîme
ne connaîtrez qu'après
chute.
la
:
;
honorée et méprisable
:
vaut mieux être oubliée
il
et vertueuse.
—Dans
le doute de votre résolution, je vous de notre ami, de peur qu'un refus de votre part ne vînt détruire en un instant tout l'effet de mes soins.
P.S.
écris à l'insu
LETTRE
IV
DE JULIE A CLAIRE
Oh
!
ma
chère, dans quel trouble tu m'as laissée
hier au soir
!
et quelle nuit j'ai passée
en rêvant
à
Non, jamais tentation plus jamais je dangereuse ne vint assaillir mon cœur cette fatale lettre
!
;
n'éprouvai
de
pareilles
n'aperçus moins fois,
le
agitations,
moyen de
ma
volonté
;
jamais
les apaiser.
une certaine lumière de sagesse
dirigeait
et
dans toutes
les
et
je
Autre-
de raison
occasions
em-
barrassantes, je discernais d'abord le parti le plus
honnête, et
le
prenais
à
l'instant.
Maintenant,
LA NOUVELLE HÊLOÏSE avilie et
toujours vaincue, je ne
des passions contraires
que
le
choix de
ses fautes
aveuglement, que
fais
que cœur n'a plus
faible
et tel est
mon déplorable
par hasard à prendre
vertu ne m'aura point guidée,
Tu
moins de remords.
et je n'en aurai pas
mon
;
je viens
si
le meilleur parti, la
quel époux
mon
:
75
flotter entre
me
père
destine
;
tu
sais
sais
quels
Veux-je être vertueuse, m'imposent des devoirs opVeux-je suivre le penchant de mon cœur, posés. Hélas qui préférer d'un amant ou d'un père en écoutant l'amour ou la nature, je ne puis en éviter de mettre l'un ou l'autre au désespoir me sacrifiant au devoir, je ne puis éviter de comet, quelque parti que je prenne, mettre un crime il faut que je meure à la fois malheureuse et coupl'amour m'a donnés.
liens
l'obéissance et la foi
!
!
;
;
able.
Ah chère et tendre mon unique ressource, !
sauvée de
la
mort
du
et
amie, toi qui fus toujours et qui m'as tant
de
fois
désespoir, considère aujour-
mon âme, et vois si jamais me furent plus nécessaires.
d'hui l'horrible état de tes
secourables soins
Tu
sais si tes avis
seils
sont suivis
sont écoutés
bonheur de ma Prends donc
l'amitié.
tu m'as réduite
supplée à
mon
tu
;
sais si tes
con-
tu viens de voir, au prix du ; vie, si je sais déférer aux leçons de
;
pitié
de l'accablement où
achève, puisque tu as
courage abattu
qui ne pense plus que par
toi.
;
commencé
;
pense pour celle Enfin, tu
lis
dans
cœur qui t'aime tu le connais mieux que moi. Apprends-moi donc ce que je veux, et choisis à ma place, quand je n'ai plus la force de vouloir ni ce
la
:
raison de choisir.
généreux Anglais
Relis la lettre de ce
•
OU
JULIE,
76
mon
mille fois,
Ah
ange.
laisse-toi
!
;
tableau charmant du bonheur que l'amour,
me promettre
peuvent
la vertu,
relis-la
toucher au
encore
!
la paix,
Douce
union des âmes, délices inexprimables même au sein des remords, dieux que seriez-vous pour mon cœur au sein de la foi conjugale ? Quoi et ravissante
!
!
en mon pouvoir ? Quoi je pourrais expirer d'amour et de joie entre un époux adoré et les chers gages de sa et tendresse Et j'hésite un seul moment je ne vole pas réparer ma faute dans les bras de et je ne suis pas celui qui me la fit commettre déjà femme vertueuse et chaste mère de famille Oh que les auteurs de mes jours ne peuvent-ils que ne me voir sortir de mon avilissement peuvent-ils être témoins de la manière dont je le
bonheur
et l'innocence seraient encore !
!
.
.
.
!
!
!
.
.
.
!
!
mon
saurai remplir à
tour
ont remplis envers moi
les .
!
ingrate et dénaturée, qui
.
devoirs sacrés qu'ils
Et
.
les
les
tiens,
fille
remplira près d'eux,
? Est-ce en plongeant le d'une mère que tu te pré-
tandis que tu les oublies
poignard dans pares à
le sein
devenir
le
?
Celle qui déshonore sa famille
apprendra-t-elle à ses enfants à l'honorer
?
Digne
objet de l'aveugle tendresse d'un père et d'une
mère
abandonne-les au regret de t'avoir couvre leurs vieux jours de douleur et
idolâtres,
fait naître
;
d'opprobre ... et acquis à ce prix
Mon
Dieu,
que
;
abandonner toi-même
parents, et
si
tu peux, d'un bonheur
m'environnent
d'horreurs
furtivement
quitter famille
jouis,
!
!
son
pays
à
fois
la
et toi,
;
déshonorer
!
sa
père, mère, amis,
ma douce amie
!
et
LA NOUVELLE HÉLOÏSE mon
dès
jour voir
tous
la fois
les
.
:
je m'égare.
!
force et troublent
courage et
Ou
seule.
.
un
seul
.
ta
qu'aucun des biens qui Hélas
77 à peine,
Que de que jamais. elle malheureuse amie maux dont elle a le choix, sans
non
!
tourments déchirent sent à
dont
toi,
quitter, te perdre, ne te plus
te
fuir,
Ah
.
.
.
!
enfance, je puis rester éloignée
te
;
!
mon cœur
bien-aimée de
toi, la
!
lui resteront
la
console.
Tant de combats passent ma
ma
raison
je
;
perds à
la fois le
Je n'ai plus d'espoir qu'en toi choisis, ou laisse-moi mourir.
le sens.
Claire répond (V.) qu'elle ne saurait donner un avis les circonstances. Elle est trop intéressée pour être une bonne conseillière. Mais son affection pour Julie est résolue Si à partager son sort. est si forte qu'elle son amie part en Angleterre elle l'accompagnera, dûtelle par cette action faire le désespoir de sa famille.
dans
Que
Julie,
donc,
avant
réfléchisse
de
prendre
une
décision qui aura de graves conséquences pour bien des personnes.
BILLET DE JULIE A CLAIRE Je t'entends, amie incomparable, et je te remercie. Au moins une fois j'aurai fait mon devoir, et ne serai pas
en tout indigne de
toi.
LETTRE
VII
DE JULIE A SAINT-PREUX
Et
toi aussi,
de
mon
mon doux
cœur, tu viens
ami le
!
et toi l'unique espoir
percer encore quand
il
se
meurt de la
OU
JULIE,
78 tristesse
préparée aux coups de
J'étais
!
me
fortune, de longs pressentiments
annoncés
mais toi pour qui je qui et
me
il
viennent de toi
Ah
:
ceux
les
souffre
me
sont seuls insupportables,
!
.
.
.
!
m'est affreux de voir aggraver mes peines par
celui
qui devait
me
douces consolations flattai
!
promises qui s'évan-
Combien de
que ta force animerait
ton mérite effacerait lèveraient
mon âme
Que de
rendre chères.
les
je m'étais
ouissent avec ton courage
me
avaient
les
supportés avec patience
je les aurais
;
ma
faute,
abattue
!
fois
je
ma
langueur, que
que
tes vertus re-
Combien de
fois
mes larmes amères en me disant Je pour lui, mais il en est digne je suis coup-
j'essuyai
souffre
:
;
able, mais
il
est
vertueux
;
mille ennuis m'assiègent,
mais sa constance me soutient, et je trouve au fond de son cœur le dédommagement de toutes mes Vain espoir que la première épreuve a pertes détruit Où est maintenant cet amour sublime !
!
qui
tous les sentiments et faire éclater
sait élever
vertu
Où
?
sont
ces
fières
maximes
?
la
Qu'est
devenue cette imitation des grands hommes ? Où que le malheur ne peut ébranler, et qui succombe au premier accident qui le sépare de sa maîtresse ? Quel prétexte excusera désormais ma honte à mes propres yeux, quand je ne vois plus dans celui qui m'a séduite qu'un homme sans courage, amolli par les plaisirs, qu'un cœur est ce philosophe
lâche, abattu par les premiers revers,
qui renonce à
O me de
la raison sitôt qu'il a
qu'un insensé besoin d'elle
?
dans ce comble d'humiliation devais-je voir réduite à rougir de mon choix autant que
Dieu
ma
!
faiblesse
?
LA NOUVELLE HÉLOÏSE Regarde
quel point tu t'oublies
à
79 ton âme
:
égarée et rampante s'abaisse jusqu'à la cruauté
tu m'oses faire des reproches
moi ... de
!
tu t'oses plaindre de
!
ta Julie Barbare comment remords n'ont-ils pas retenu ta main f comment les plus doux témoignages du plus tendre !
.
!
.
.
.
!
.
.
tes
amour qui
fut jamais t'ont-ils laissé le courage de
m'outrager cœur, que
Ah
?
le
mon
tu pouvais douter de
si
!
tien serait méprisable
Mais non, tu
!
n'en doutes pas, tu n'en peux douter, j'en puis et dans cet instant même, où je ton injustice, tu vois trop bien la source du premier mouvement de colère que j'éprouvai de défier ta fureur
;
hais
ma
vie.
Peux-tu t'en prendre à moi, si je me suis perdue par une aveugle confiance, et si mes desseins n'ont point réussi
Que
?
tu rougirais de tes duretés
si
tu
connaissais quel espoir m'avait séduite, quels projets j'osai
former pour ton bonheur et
comment
ils
espérances
!
se
évanouis
sont
Quelque
le
avec
jour, j'ose
m'en
mien, et
mes
toutes flatter
en-
en savoir davantage, et tes regrets me vengeront alors de tes reproches. Tu sais la défense de mon père tu n'ignores pas les discours core, tu pourras
;
publics
j'en prévis les conséquences, je te les
;
exposer, tu
les sentis
conserver l'un
comme
à l'autre,
il
nous
fallut
;
et
fis
pour nous
nous soumettre au
sort qui nous séparait.
donc
t'ai
Je
pour qui grat
!
c'est
ne croit
de
me
chassé,
comme
tu l'oses dire
l'être, et
voir
!
amant sans délicatesse ? pour un cœur bien plus honnête
l'ai-je fait,
qui mourrait mille
avilie.
Dis-moi,
Mais Inqu'il
fois plutôt que que deviendras-tu
JULIE,
80
OU
quand je serai livrée à l'opprobre pouvoir supporter Viens, cruel,
ma
de
puis te
si
le
spectacle de
Espères-tu
?
mon déshonneur
?
tu le crois, viens recevoir le sacrifice
réputation avec autant de courage que je Viens, ne crains pas d'être désal'offrir.
voué de
qui tu fus cher.
celle à
déclarer à la face
du
des
ciel et
Je suis prête à tout ce
hommes
que nous avons senti l'un pour l'autre ; je suis à te nommer hautement mon amant, à j'aime mourir dans tes bras d'amour et de honte
prête
:
mieux que le monde entier connaisse ma tendresse que de t'en voir douter un moment, et tes reproches me sont plus amers que l'ignominie. Finissons pour jamais ces plaintes mutuelles, je
conjure
t'en
Dieu
!
;
me
elles
sont insupportables.
comment peut-on
se
quereller
O
quand on
s'aime, et perdre à se tourmenter l'un l'autre des
moments où l'on a si grand besoin de consolation ? Non, mon ami, que sert de feindre un mécontentement qui n'est pas ? Plaignons-nous du sort, et non de l'amour. parfaite
jamais
;
Jamais
il
ne forma d'union
si
n'en forma de plus durable.
il
sauraient plus
Nos âmes trop bien confondues ne
nous ne pouvons plus vivre éloignés l'un de l'autre, que comme deux parties d'un même Comment peux-tu donc ne sentir que tes tout. peines ? comment ne sens-tu point celles de ton
se séparer
amie
?
;
et
comment
n'entends-tu point dans ton sein
tendres gémissements
ses
douloureux que
tes
cris
tu partageais mes maux,
que
les tiens
Tu
mêmes
trouves
ton
Combien
?
emportés ils
!
ils
sont plus
Combien,
si
te seraient plus cruels
!
sort
déplorable
!
Considère
LA NOUVELLE HÉLOÏSE de
celui
sexe et
ne pleure que sur
ta Julie, et
sidère dans nos
du
communes la
Con-
elle.
mon
infortunes l'état de
juge qui de nous est
tien, et
Dans
plaindre.
81
force
des
le
plus à
affecter
passions,
d'être insensible, en proie à mille peines, paraître
joyeuse et contente agitée
;
avoir l'air serein et l'âme
;
dire toujours
autrement qu'on ne pense
déguiser tout ce qu'on sent et
mentir par modestie fille de mon âge.
toute
voilà l'état habituel de
:
.
.
.
Rappelle donc ta fermeté, sache supporter fortune, et sois dire, l'amant
que
homme.
Sois encore,
Ah
Julie a choisi.
!
si
je
si
l'in-
j'ose le
ne
plus digne d'animer ton courage, souviens-toi
me
deux fois. Non, mon respectable ami, ce
n'est point toi
à
du
déshonore pas
dans cette lettre efféminée que
je
que veux
jamais oublier, et que je tiens déjà désavouée par
toi-même. je
;
suis
mérite que pour
moins de ce que je fus un jour ne toi j'aie cessé de l'être ;
je reconnais
;
être fausse par devoir,
;
J'espère, tout avilie, toute confuse
suis, j'ose
espérer que
point des sentiments
si
mon que
bas,
que
souvenir n'inspire
mon
image règne
encore avec plus de gloire dans un cœur que je pus
enflammer, et que avec
ma
Heureux dans précieux sensibles.
ami
je n'aurai
faiblesse, la lâcheté
ta
disgrâce,
me
reprocher, l'a
causée.
tu trouves le plus
dédommagement qui soit connu des âmes Le ciel dans ton malheur te donne un
et te laisse à douter
si
ce qu'il te rend ne vaut
pas mieux que ce qu'il t'ôte.
homme
point à
de celui qui
Admire
et chéris cet
trop généreux qui daigne aux dépens de
son repos prendre soin de tes jours et de ta raison.
JULIE,
82
Que
tu serais
faire
pour
toi
ému !
si
OU
tu savais tout ce qu'il a voulu
Mais que
d'animer ta recon-
sert
naissance en aigrissant tes douleurs
besoin de savoir
à
quel point
naître tout ce qu'il vaut
comme
il
le
;
et tu
mérite, sans l'aimer
?
Tu
n'as pas
t'aime pour con-
il
ne peux l'estimer
comme
tu le dois.
LETTRE X DE SAINT-PREUX A CLAIRE
... Je ne vous parlerai point de l'effet que produisit moi cette séparation imprévue je ne vous dirai rien de ma douleur stupide et de mon insensé dévous n'en jugerez que trop par l'égaresespoir ment inconcevable où l'un et l'autre m'ont entraîné. Plus je sentais l'erreur de mon état, moins j'imaginais qu'il fût possible de renoncer volontairement à Julie, et l'amertume de ce sentiment, jointe à l'étonnante générosité de mylord Edouard, me fit naître des soupçons que je ne me rappellerai jamais sans horreur, et que je ne puis oublier sans ingratitude envers l'ami qui me les pardonne. En rapprochant dans mon délire toutes les circonstances de mon départ, j'y crus reconnaître un dessein prémédité, et j'osai l'attribuer au plus vertueux des hommes. A peine ce doute affreux me fût-il entré dans l'esprit que tout me sembla le confirmer. La conversation de mylord avec le baron d'Étange, le ton peu insinuant que je l'accusais d'y avoir affecté, la querelle qui en dériva, la défense de me voir, la résolution prise de me faire
sur
;
;
LA NOUVELLE HÊLOÏSE partir
la
;
83
diligence et le secret des préparatifs,
moi
l'entretien qu'il eut avec
la
enfin la
veille,
rapidité avec laquelle je fus plutôt enlevé
mené
tout
:
me
semblait prouver, de
la
qu'empart de
mylord, un projet formé de m'écarter de Julie, et retour que je savais qu'il devait faire auprès
le
me
moi, de
d'elle achevait, selon
déceler le but de
Je résolus pourtant de m'éclaircir encore
ses soins.
mieux avant
d'éclater
bornai à examiner
;
et
me
dans ce dessein je
choses avec plus d'attention.
les
Mais tout redoublait mes de l'humanité ne
ridicules soupçons, et le
d'honnête en ma faveur, dont mon aveugle jalousie ne tirât quelque indice de trahison. A Besançon je sus zèle
lui inspirait rien
me communiquer
qu'il avait écrit à Julie sans
sa
ment
Je me tins alors suffisamconvaincu, et je n'attendis que la réponse,
dont
j'espérais
lettre, sans
m'en
parler.
bien
le
trouver mécontent, pour
avoir avec lui l'éclaircissement
Hier au
que
je méditais.
nous rentrâmes assez tard, et je sus qu'il y avait un paquet venu de Suisse, dont il ne me parla point en nous séparant. Je lui laissai le
temps de
soir
l'ouvrir
murmurer en
quelques
l'oreille
attentivement.
phrases
interrompues,
heureuse ... je plains
de ma chambre mots je prêtai disait-il en Julie
je l'entendis
;
lisant
Ah j'ai
respecte
votre erreur ...
;
!
!
voulu
vous
votre
vertu
A
mots
ces
.
.
.
et
rendre mais
je
d'autres
semblables que je distinguai parfaitement, je ne fus plus maître
bras
;
j'entrai
de moi
;
je pris
ou
plutôt
comme un
furieux.
j'ouvris
mon
épée sous
j'enfonçai
Non,
je
la
mon
porte
;
ne souillerai
point ce papier ni vos regards des injures que
me
OU
JULIE,
84
pour
dicta la rage
le
porter à se battre avec moi
sur-le-champ.
O
ma
cousine
hommes
sur les
écouter
sa
surtout que je pus re-
c'est là
!
connaître l'empire de les
plus sensibles,
D'abord
voix.
prendre à mes discours, et délire
:
mais
que
desseins secrets
de Julie
trahison
la
veulent
pour un vrai
les prit
dont
qu'il tenait encore, et
fureur.
ils
ne put rien com-
il il
quand
l'accusais,
je
les
je lui reprochais, cette lettre
dont
Il sourit,
puit
me
il
je lui parlais
enfin le sujet de
connaître
sans cesse, lui firent
ma
même
véritable sagesse,
la
dit froidement
:
Vous avez perdu la raison, et je ne me bats point contre un insensé. Ouvrez les yeux, aveugle que vous
êtes,
ajouta-t-il
d'un ton plus doux, est-ce
bien moi que vous accusez de vous trahir sentis
dans l'accent de ce discours
qui n'était pas d'un perfide
me remua
le
cœur
;
:
je
et je
Je
?
sais
quoi
son de sa voix
le
je n'eus pas jeté les
que tous mes soupçons se commençai de voir avec effroi
siens
les
ne
yeux sur
dissipèrent,
mon
extra-
vagance. Il
s'aperçut à l'instant de ce changement,
tendit la
main
:
Venez,
me
n'eût précédé
ma
vu de ma
A présent
dit-il
;
si
il
me
votre retour
ne vous aurais que vous êtes raisonnable, lisez cette lettre, et connaissez une fois vos amis. mais l'ascendant que Je voulus refuser de la lire tant d'avantages lui donnaient sur moi le lui fit exiger d'un ton d'autorité que, malgré mes ombrages dissipés, mon désir secret n'appuyait que vie.
justification, je
;
trop.
Imaginez en quel état
je
me
trouvai après cette
— LA NOUVELLE HÉLOÏSE
85
lecture, qui m'apprit les bienfaits inouïs de celui
que
calomnier avec tant d'indignité.
j'osais
de regrets et
tion,
de toute
ma
mot.
reçut
Il
me
Je
cœur chargé d'admirade honte, je serrais ses genoux
précipitai à ses pieds
et, le
:
force sans pouvoir proférer
mon
repentir
comme
un
seul
avait reçu
il
mes outrages, et n'exigea de moi, pour prix du pardon qu'il daigna m'accorder, que de ne m'opposer jamais au bien qu'il voudrait me faire. Ah !
qu'il fasse désormais ce qu'il lui plaira
son
:
âme
sublime est au-dessus de celle des hommes, et il n'est pas plus permis de résister à ses bienfaits qu'à ceux de la Divinité. Ensuite
il
me
remit
les
saient à moi, lesquelles
deux il
lettres qui s'adres-
me
voulu
n'avait pas
donner avant d'avoir la sienne, et d'être instruit de la résolution de votre cousine. Je vis, en les lisant, quelle amante et quelle amie le ciel m'a données je vis combien il a rassemblé de sentiments et de vertus autour de moi pour rendre mes remords plus amers et ma bassesse plus mépri;
sable.
.
P. S.
Que
tables ! sa
.
.
— Des
Claire,
lettre.
prêt
résigné,
mots d'ici
.
.
.
que
nœuds abhorrés et signifient ces mots à
je
-peut-être ?
m'attends à tout
supporter
mon
sort.
inévi-
sont dans
Ils
je
suis
Mais
ces
;
jamais,
quoi qu'il arrive,
je
je n'aie
eu l'explication de
ces mots-là.
ne partirai
Une lettre (XI. ) de Julie exhorte Saint-Preux à déployer tous ses talents afin de dompter la fortune et surmonter les obstacles qui les séparent. Elle lui donne des conseils contre les dangers d'une ville telle que Paris, et finit ainsi
:
JULIE,
86
Ne
l'oublie
dont
toi, et
le
OU
donc jamais, cette cœur ne sera point à
Julie
qui fut à Je ne
d'autre.
puis rien te dire de plus, dans la dépendance où le ciel
Mais après t'avoir recommandé de te laisser de la mienne le en mon pouvoir. J'ai consulté,
m'a placée.
la fidélité,
il
est juste
seul gage qui soit
non mes
mon esprit égaré ne les connaît cœur, dernière règle de qui n'en
devoirs,
plus, mais
mon
saurait plus suivre
;
et voici le résultat
de
ses in-
Je ne t'épouserai jamais sans le consentement de mon père, mais je n'en épouserai spirations.
jamais
un
autre sans ton consentement
donne ma parole
elle
;
il
m'y
manquer.
ce
que
je t'en
donc sans inquiétude sur en ton absence. ?; Va, mon
Sois
je puis devenir
1
aimable ami, chercher sous
amour
:
sera sacrée, quoi qu'il
n'y a point de force humaine qui puisse
arrive, et faire
me
un
cort
digne
les
de
auspicesjdu tendre le
Ma
couronner.
destinée est dans tes mains autant qu'il a dépendu
de moi de l'y mettre, et jamais que de ton aveu.
LETTRE
elle
ne changera
XII
DE SAINT-PREUX A JULIE Julie, laisse-moi respirer sang, tu
me
lettre brûle
;
fais tressaillir,
comme
tu fais bouillonner tu
ne
fallait
fais
palpiter
mon ;
ton cœur du saint amour de
vertu, et tu portes au fond céleste.
me
ta la
du mien son ardeur Mais pourquoi tant d'exhortations où il que des ordres ; Crois que si je m'oublie
— LA NOUVELLE HÉ LOI SE
87
au point d'avoir besoin de raisons pour bien faire, ta seule volonté au moins ce n'est pas de ta part ;
me
suffit.
Ignores-tu que je serai toujours ce qu'il
te plaira, et
que
je ferais le
pouvoir te désobéir tule
si
tu
me
t'aime ainsi
?
même
avant de
commandé, parce que
l'avais
Mais
plus que toutes choses. je
mal
Oui, j'aurais brûlé
?
Ah
!
fille
sais-tu bien
le
Capi-
je t'aime
pourquoi
incomparable
!
c'est
parce que tu ne peux rien vouloir que d'honnête, et que l'amour de la vertu rend plus invincible celui
que
j'ai
pour
tes
charmes.
Je pars, encouragé par l'engagement que tu viens de prendre, et dont tu pouvais t'épargner le détour ; car promettre de n'être à personne sans
mon
con-
sentement, n'est-ce pas promettre de n'être qu'à moi ? Pour moi, je le dis plus librement, et je t'en donne aujourd'hui ma foi d'homme de bien, qui
ne sera point violée. J'ignore dans pour te complaire,
la carrière
je vais m'essayer
fortune
m'appelle
;
mais
jamais
quel sort
à les
où la
nœuds de
l'amour ni de l'hymen ne m'uniront à d'autres qu'à Julie d'Ëtange ; je ne vis, je n'existe que pour elle, et mourrai libre ou son époux. Adieu ; l'heure presse, et je pars à l'instant.
Suivent de longues lettres sur Paris sur le théâtre société et le ton qui y règne (XVII.) sur l'Opéra (XVII.); sur les Parisiennes (XXI.); (XXIII.). Ces epîtres sont des plus intéressantes comme documents pour l'étude des mœurs de l'époque aussi bien que pour celle des idées de Rousseau, mais elles avancent très peu l'action du roman. :
La
De son
;
côté Julie apprend à son
amant
le
mariage de
JULIE,
88
OU
Claire (XVIII.); elle a épousé M. d'Orbe. Elle lui envoie un cadeau dont elle annonce l'arrivée prochaine dans la lettre suivante.
LETTRE XX DE JULIE A SAINT-PREUX
Mon s'est
ami,
M. d'Orbe un paquet qu'il à l'adresse de M. Silvestre,
remis à
j'ai
chargé de t'envoyer
chez qui tu pourras
le
retirer
d'attendre pour l'ouvrir que tu
mais je t'avertis
;
sois seul et
dans ta
chambre tu trouveras dans ce paquet un petit meuble à ton usage. C'est une espèce d'amulette que les amants :
La manière de
portent volontiers. bizarre
il
;
s'en servir est
faut la contempler tous les matins
quart d'heure jusqu'à ce qu'on
se
un
sente pénétré
alors on l'applique sur ses d'un attendrissement cela sert, yeux, sur sa bouche, et sur son cœur dit-on, de préservatif durant la journée contre le ;
:
mauvais
air
du pays
galant.
On
attribue encore à
de talismans une vertu électrique très singulière, mais qui n'agit qu'entre les amants
ces sortes
fidèles
;
c'est
de communiquer
à l'un l'impression
des baisers de l'autre à plus de cent lieues de
Je ne garantis pas le succès de l'expérience ; je seulement qu'il ne tient qu'à toi de la faire. Tranquillise-toi sur les
mais
le
partis
comme tu nom ne fait
ou
dants,
:
les vois plus, je
ne
deux galants ou préten-
voudras
les
appeler, car désor-
plus rien à la chose.
qu'ils aillent
là.
sais
en paix.
les hais plus.
Ils
Depuis que
sont je
ne
LA NOUVELLE H E LOI SE
89
LETTRE XXII DE SAINT-PREUX A JULIE
Depuis
ta lettre reçue je suis allé tous les jours
M.
chez
Silvestre
toujours
n'était
demander
mortelle impatience,
Enfin
inutilement.
A
peine
l'ai-je
le port, sans
le petit
point venu j'ai
la
fait
le
huitième
eu dans
paquet.
voyage sept reçu
j'ai
le
fois
paquet.
mains, que, sans payer
les
m'en informer,
sans rien dire à per-
comme un étourdi moment de rentrer chez moi,
sonne, je suis sorti
voyant que
le
Il
d'une
dévoré
et,
;
et,
;
ne
j'enfilais
avec tant de précipitation des rues que je ne con-
qu'au bout d'une demi-heure, cher-
naissais point,
chant
la
trouvé
rue de
dans
Tournon où Marais,
le
J'ai été obligé
Paris.
à
je loge, je
l'autre
me
suis
de pour
extrémité
de prendre un
fiacre
promptement c'est la première fois que cela m'est arrivé le matin pour mes affaires je ne m'en sers même qu'à regret l'après-midi pour quelques visites car j'ai deux jambes fort bonnes dont je serais bien fâché qu'un peu plus d'aisance revenir plus
;
:
;
dans
ma
fortune
J'étais fort
me
fît
négliger l'usage.
embarrassé dans
mon
fiacre
avec
mon
paquet je ne voulais l'ouvrir que chez moi, c'était ton ordre. D'ailleurs une sorte de volupté qui me ;
laisse
oublier la
munes me plaisirs.
la fait
commodité dans
les
choses
rechercher avec soin dans
com-
les vrais
Je n'y puis souffrir aucune sorte de disveux avoir du temps et mes aises
traction, et je
pour savourer tout ce qui me vient de toi. Je tenais donc ce paquet avec une inquiète curiosité
JULIE,
90 dont
n'étais pas le maître
je
palper à travers contenir
mouvements
Ce
l'une à l'autre.
comment
brûlait les mains
n'est pas qu'à son
la vérité
mais
;
volume, à quelque
lettre, je n'eusse le
moyen de
concevoir
tu pouvais avoir trouvé l'artiste et l'occa-
Voilà ce que je ne
?
conçois pas encore
un miracle de l'amour
c'est
me
continuels qu'il faisait de
son poids, au ton de ta
soupçon de
m'efforçais de
je
;
enveloppes ce qu'il pouvait
les
et l'on eût dit qu'il
;
à voir les
sion
OU
mon cœur
enchante
raison, plus
il
plaisirs qu'il
me donne
plus
;
il
passe
:
ma
et l'un des
;
de n'y rien com-
est celui
prendre. J'arrive enfin, je vole, je m'enferme dans ma chambre, je m'assieds hors d'haleine, je porte une main tremblante sur le cachet. O première influ-
ence du talisman
j'ai
!
chaque papier que
senti palpiter
j'ôtais,
trouvé tellement oppressé que
un moment
respirer Julie
!
.
.
.
ô
ma
me
et je
j'ai
suis
été
Julie
forcé de
leur rendent le premier
.
.
.
déchiré ... je
le voile est
!
à
bientôt
sur la dernière enveloppe.
te vois ... je vois tes divins attraits
mon cœur
mon cœur
ma bouche
!
et
hommage, mes
genoux fléchissent. Charmes adorés, encore Qu'il est une fois vous aurez enchanté mes yeux prompt, qu'il est puissant, le magique effet de ces traits chéris Non, il ne faut point, comme tu prétends, un quart d'heure pour le sentir ; une minute, un instant suffit pour arracher de mon .
.
.
!
!
me mon bonheur
sein mille ardents soupirs, et
image faut-il soit
celle
que
de
la joie
mêlée d'une
si
de posséder un cruelle
rappeler avec ton passé. si
amertume
Pourquoi
précieux trésor ?
Avec
quelle
LA NOUVELLE HÉLOÏSE violence
me
il
91
rappelle des temps qui ne sont plus
!
je crois Je crois, en le voyant, te revoir encore me retrouver à ces moments délicieux dont le ;
souvenir
que
Hélas
fait
ciel
le
un
!
instant
de l'absence qui
l'a
maintenant m'a donnés
me
suspendue, et je
dont on n'interrompt
et
toute
;
ma
vie, et
sa
colère.
dans
ravis
désabuse
ranime et
se
malheur de
le
douleur
la
en m'ôtant l'erreur ces malheureux tourments que pour les Dieux quels torrents de
s'aigrit
suis les
leur rendre plus sensibles.
comme !
flammes mes avides regards puisent dans cet objet ô comme il ranime au fond de mon inattendu cœur tous les mouvements impétueux que ta !
O Julie, s'il était vrai présence y faisait naître qu'il pût transmettre à tes sens le délire et l'illusion !
Mais pourquoi ne le ferait-il pas ? Pourquoi des impressions que l'âme porte avec tant des miens
!
!
.
pas
n'iraient-elles
d'activité
Ah
.
chère amante
aussi
où que tu
!
loin
sois,
qu'elle
?
quoi que tu
fasses au moment où j'écris cette lettre, au moment où ton portrait reçoit tout ce que ton idolâtre
amant adresse à ta personne, ne sens-tu pas ton charmant visage inondé des pleurs de l'amour et de ne sens-tu pas tes yeux, tes joues, ta comprimés, accablés de mes ardents baisers ? ne te sens-tu pas embraser tout entière du feu de mes lèvres brûlantes ?
la tristesse
?
bouche, ton
sein, pressés,
.
Ciel! qu'entends-je
mon
serrons, cachons
Maudit
soit le cruel
ports
doux
si
ou vivre
!
.
?
.
.
Quelqu'un trésor ...
vient. ..
.
un importun
.
.
Ah! !
.
.
.
qui vient troubler des transPuisse-t-il ne jamais
loin de ce qu'il
aime
!
aimer
.
.
.
OU
JULIE,
92
LETTRE XXIV DE JULIE A SAINT-PREUX je le vois bien, l'heureuse Julie t'est tou-
Oui, oui,
Ce même
jours chère. tes
yeux
se fait sentir
feu qui brillait jadis dans
dans ta dernière lettre
retrouve toute l'ardeur qui m'anime, et
la
:
j'y
mienne
Oui, mon ami, le sort a beau nous séparer, pressons nos cœurs l'un contre l'autre, conservons par la communication leur chaleur
s'en irrite encore.
naturelle contre le froid de l'absence et
du
déses-
que tout ce qui devrait relâcher notre attachement ne serve qu'à le resserrer sans cesse. depuis que j'ai reçu Mais admire ma simplicité cette lettre, j'éprouve quelque chose des charmants et ce badinage du talisman, effets dont elle parle quoique inventé par moi-même, ne laisse pas de me Cent fois le séduire et de me paraître une vérité. poir,
et
;
;
jour,
quand
comme que tu
si
je suis seule,
un
je te sentais près
tiens
mon
tressaillement
me
saisit
Je m'imagine
de moi.
si folle que je que tu lui fais ma bouche croit
portrait, et je suis
crois sentir l'impression des caresses
et des baisers les recevoir,
douces
que tu
mon
illusions
des malheureux
lui
donnes
ô chimères
!
!
;
tendre cœur croit
ah
!
s'il
!
les
goûter.
O
dernières ressources
se peut,
tenez-nous lieu
Vous êtes quelque chose encore à ceux pour qui le bonheur n'est plus rien. Quant à la manière dont je m'y suis prise pour avoir ce portrait, c'est bien un soin de l'amour mais crois que s'il était vrai qu'il fît des miracles, de
réalité
!
;
ce n'est pas celui-là qu'il aurait choisi.
Voici le
LA NOUVELLE HÉ LOI SE mot de ici un
Nous eûmes
93
quelque temps peintre en miniature venant d'Italie il avait des lettres de mylord Edouard, qui peut-être en les lui donnant avait en vue ce qui est arrivé. M. d'Orbe voulut profiter de cette occasion pour avoir le portrait de ma cousine je voulus l'avoir aussi. Elle et ma mère voulurent avoir le mien, et à ma prière le peintre en fit secrètement une seconde Ensuite, sans m'embarrasser de copie ni copie. l'énigme.
y a
il
;
;
d'original, je choisis subtilement le plus ressemblant
des trois pour te l'envoyer.
C'est une friponnerie dont je ne me suis pas fait un grand scrupule ; car un peu de ressemblance de plus ou de moins n'importe guère à ma mère et à ma cousine mais les hommages que tu rendrais à une autre figure que ;
la
mienne
seraient
une espèce
mon
d'infidélité d'autant
mieux que veux point, comme que ce soit, que tu prennes du goût pour des charmes que je n'ai pas. x\u reste, il n'a pas dépendu de moi d'être un peu plus soigneusement vêtue mais on ne m'a pas écoutée, et mon père lui-même a voulu que le portrait demeurât tel qu'il est. Je te prie au moins de croire qu'excepté
plus dangereuse que
moi
;
portrait serait
et je ne
;
la coiffure, cet
mien, que orné
ma
le
ajustement n'a point été pris sur
peintre a tout
fait
de
le
sa grâce, et qu'il a
personne des ouvrages de son imagination.
LETTRE XXVIII DE JULIE A SAINT-PREUX
Tout est perdu
!
tout est découvert
plus tes lettres dans
le lieu
où
!
Je ne trouve
je les avais cachées.
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
94
y étaient encore hier au soir. que d'aujourd'hui.
Elles
être enlevées
pu
Elles n'ont
Ma
mère
seule
peut les avoir surprises. Si mon père les voit, c'est Eh que servirait qu'il ne les vît fait de ma vie !
pas,
!
Ah Dieu ma mère Comment soutenir Que ne puis-je me cacher au sein de Tout mon corps tremble et je suis
faut renoncer. ...
s'il
Où
m'envoie appeler. ses regards
la terre
!
.
? .
.
un pas.
hors d'état de faire
mère éplorée .
.
.
.
.
ô
.
.
La honte, l'humilia.
j'ai
tout mérité
la
mon
cœur, quels déchirements
Elle voudra savoir ...
il
douleur,
les
rais
.
!
.
avis. .
.
quoi
s'il
.
!
.
Qui
mentir
faudra tout dire
Ne
gianino sera congédié.
nouvel
je
;
larmes d'une
Mais
Elle m'attend, je ne puis tarder davantage.
.
Ah
?
...
tion, les cuisants reproches
supporterai tout.
!
fuir
sait !
.
.
si .
m'écris
plus
jamais ...
mentir
à
.
.
.
.
!
.
Re-
.
jusqu'à Je pour-
ma mère
!
.
.
.
faut nous sauver par le mensonge, adieu,
nous sommes perdus
!
FIN DE LA SECONDE PARTIE
TROISIEME PARTIE LETTRE PREMIÈRE DE
MADAME d'oRBE A SAINT-PREUX
Que de maux vous causez à ceux qui vous aiment Que de pleurs vous avez déjà fait couler dans une !
famille infortunée dont vous seul troublez le repos
Craignez d'ajouter
le deuil à
nos larmes
;
!
craignez
mort d'une mère affligée ne soit le dernier du poison que vous versez dans le cœur de sa fille, et qu'un amour désordonné ne devienne enfin pour vous-même la source d'un remords éternel. L'amitié m'a fait supporter vos erreurs tant qu'une que
la
effet
ombre
d'espoir pouvait les nourrir
;
mais
comment
une vaine constance que l'honneur et la raison condamnent, et qui, ne pouvant plus causer que des malheurs et des peines, ne mérite que le tolérer
nom
d'obstination
Vous savez de dérobé
si
?
quelle manière le secret de vos feux,
longtemps aux soupçons de
ma
tante, lui
Quelque sensible que soit un tel coup à cette mère tendre et vertueuse, moins irritée contre vous que contre elle-même, elle ne s'en prend qu'à son aveugle négligence elle fut dévoilé pas vos lettres.
;
déplore
sa
est d'avoir
pour
Julie
fatale
illusion
:
sa
plus
cruelle
peine
pu trop estimer sa fille, et sa douleur un châtiment cent fois pire que
reproches. 95
est ses
OU
JULIE,
96
L'accablement de cette pauvre cousine ne saurait Il faut le voir pour le comprendre. Son cœur semble étouffé par l'affliction, et l'excès des sentiments qui l'oppressent lui donne un air de s'imaginer.
que des cris aigus. Elle se genoux au chevet de sa mère, fixé en terre, gardant un profond
stupidité plus effrayante tient jour et nuit à l'air
morne,
l'œil
silence, la servant avec plus d'attention et
que jamais, puis retombant d'anéantissement qui autre personne.
de
la
à l'instant
prendre pour une
ferait
la
Il est très clair
mère qui soutient
de vivacité
dans un état
que
maladie
c'est la
de
les forces
la fille
éteints,
pâleur,
sa
avec laquelle
elle
rend.
les soins qu'elle lui
tante s'en aperçoit aussi
si
yeux
me
son extrême abattement,
feraient craindre qu'elle n'eût grand besoin
elle-même de tous
et
;
l'ardeur de la servir n'animait son zèle, ses
pour
Ma
et je vois à l'inquiétude
;
me recommande
en particulier
la
cœur combat de part et d'autre contre la gêne qu'elles s'imposent et combien on doit vous haïr de troubler une union si santé de sa
fille,
combien
le
charmante. la
Cette contrainte augmente encore par le soin de dérober aux yeux d'un père emporté, auquel une
mère tremblante pour
les
jours de sa
On
cacher ce dangereux secret.
garder en la
sa
se fait
fille
une
présence l'ancienne familiarité
;
veut loi
de
mais
si
tendresse maternelle profite avec plaisir de ce
prétexte, une
fille
confuse n'ose livrer son cœur
à
des caresses qu'elle croit feintes, et qui lui sont
d'autant plus cruelles qu'elles elle osait
y compter.
père, elle regarde sa
En
lui seraient
douces
si
recevant celles de son
mère d'un
air
si
tendre et
si
LA NOUVELLE HÉ LOI SE
97
cœur lui dire par ses yeux que ne suis-je digne encore d'en recevoir autant de vous Madame d'Étange m'a prise plusieurs fois à part ; et j'ai connu facilement, à la douceur de ses réprimandes et au ton dont elle m'a parlé de vous, que Julie a fait de grands efforts pour calmer envers nous sa trop juste indignation, et qu'elle n'a rien épargné pour nous justifier l'un et l'autre à ses dépens. Vos lettres mêmes portent, avec le caractère d'un amour excessif, une sorte d'excuse qui ne lui a pas échappé elle vous reproche moins l'abus de sa confiance qu'à elle-même sa simplicité à vous humilié, qu'on voit son
Ah
:
!
!
;
l'accorder.
vertu
que
même.
c'est
vous
Elle
qu'aucun autre résisté que vous
;
assez
elle s'en
prend de vos fautes
fille
homme amoureux
sage, et
Mais que
sert
un moment de
de revenir sur
le passé
?
Il
de cacher sous un voile éternel cet odieux
mystère, d'en effacer, vestige, et
point
de corrompre,
de déshonorer sans scrupule
toute une famille pour satisfaire s'agit
à la
qu'une probité trop vantée, qui n'empêche
peut, une
fureur.
pour croire mieux
à votre place n'eût
Elle conçoit maintenant, dit-elle, ce
point un honnête s'il
estime
homme
laissé
se peut,
s'il
de seconder
la
jusqu'au moindre
bonté du
de témoignage sensible.
concentré entre
six
personnes sûres.
ciel
qui n'en a
Le secret est Le repos de
tout ce que vous avez aimé,
les jours d'une mère au désespoir, l'honneur d'une maison respectable, votre propre vertu, tout dépend de vous encore tout vous prescrit votre devoir vous pouvez ré;
:
parer
le
mal que vous avez
fait
;
rendre digne de Julie, et justifier
vous pouvez vous sa faute
en renonG
JULIE,
98 çant il
à elle
et
;
votre cœur ne m'a point trompée,
si
n'y a plus que
puisse
la
répondre
Fondée sur
OU
à
grandeur d'un tel sacrifice qui celle de l'amour qui l'exige.
l'estime
que
sentiments, et sur ce que
j'eus la
toujours pour vos
plus tendre union qui
fût jamais lui doit ajouter de force,
votre
nom
démentir
j'ai
tout ce que vous devez tenir
me
osez
:
trop présumé de vous, ou soyez
j'ai
si
promis en
aujourd'hui ce que vous devez être.
Il faut immoler votre maîtresse ou votre amour l'un à l'autre, et vous montrer le plus lâche ou le plus vertueux
hommes.
des
Cette mère infortunée a voulu vous écrire avait
même commencé.
O Dieu
poignard vous eussent portés
Que le
elle
;
que de coups de
ses plaintes
amères
!
touchants reproches vous eussent déchiré
ses
cœur
!
!
Que
ses
pénétré de honte
!
humbles prières vous eussent J'ai mis en pièces cette lettre
accablante que vous n'eussiez jamais supportée
:
je
pu souffrir ce comble d'horreur de voir une mère humiliée devant le séducteur de sa fille vous n'ai
:
moins qu'on n'emploie pas avec vous de pareils moyens, faits pour flétrir des monstres, et pour faire mourir de douleur un homme sensible. Si c'était ici le premier effort que l'amour vous eût demandé, je pourrais douter du succès et balancer sur l'estime qui vous est due mais le sacrifice que vous avez fait à l'honneur de Julie en quittant ce pays m'est garant de celui que vous allez faire à son repos en rompant un commerce Les premiers actes de vertu sont toujours inutile. êtes digne au
:
les
plus pénibles, et vous ne perdrez point
d'un effort qui vous
a tant coûté,
le
prix
en vous obstinant
à soutenir
LA NOUVELLE HÉ LOI SE
99
une vaine correspondance dont
les risques
sont terribles pour votre amante,
ments nuls pour tous
dédommage-
les
deux, et qui ne fait que tourments de l'un et de l'autre. N'en doutez plus, cette Julie qui vous fut si chère ne doit rien être à celui qu'elle a tant aimé
prolonger sans fruit
les
les
:
vous vous dissimulez en vain vos malheurs
vous
;
la
moment que vous vous séparâtes d'elle, ou plutôt le ciel vous l'avait ôtée même avant qu'elle se donnât à vous car son père la promit dès son retour, et vous savez trop que la parole de cet
perdîtes au
;
homme
inflexible
De
irrévocable.
est
quelque
manière que vous vous comportiez, l'invincible sort s'oppose à vos vœux, et vous
L'unique choix
jamais.
de
la
ne
la
posséderez
vous reste
qu'il
à faire est
un abîme de malheurs
précipiter dans
et
d'opprobres, ou d'honorer en elle ce que vous avez
du bonheur perdu, du moins dont vos
adoré, et de lui rendre, au lieu la
sagesse,
la
paix, la sûreté
fatales liaisons la privent.
Que vous
seriez
l'état actuel
ment où
la
doux
que tous
!
vous pouviez contempler
!
ses
le
remords
que
!
L'amitié
même
en
voir
;
et son
que l'amour
cœur malade ne et la douleur.
le
que
je
!
si
;
à
peine
goûte à
qu'est
ce caractère aimant et sensible, ce goût choses honnêtes, cet intérêt
si
seul qui les
la
plus rien sentir
sait
Hélas
Que
charmants et
si
est attiédie
partage-t-elle encore le plaisir
!
sont languis-
ses grâces
sentiments
l'avilisse-
honte
et la
fondent tristement dans
se
absorbe
si
de cette malheureuse amie, et
réduisent
son lustre est terni santes
que vous vous con-
attristé,
sumeriez en regrets,
si
devenu pur des
tendre aux peines et
aux
OU
JULIE,
ioo
plaisirs d'autrui
?
Elle est encore, je l'avoue,
douce, généreuse, compatissante
tude de bien
faire
ne saurait
;
l'aimable habi-
s'effacer
en
ce n'est plus qu'une habitude aveugle, réflexion. elle
ne
Elle fait toutes les
plus avec le
les fait
ments sublimes s'est
mêmes
même
zèle
se sont affaiblis, cette
Ah
quelle
!
âme vous avez
LETTRE
mais
;
sans
choses, mais ;
ces senti-
flamme divine
amortie, cet ange n'est plus qu'une
naire.
elle
un goût
femme
ôtée à
ordi-
vertu
la
!
II
DE L'AMANT DE JULIE A MADAME d'ÉTANGE
Pénétré d'une douleur qui doit durer autant que moi, je me jette à vos pieds, madame, non pour vous marquer un repentir qui ne dépend pas de mon cœur, mais pour expier un crime involuntaire en renonçant à tout ce qui pouvait faire la douceur de ma vie. Comme jamais sentiments humains n'approchèrent de ceux que m'inspira votre adorable fille, il n'y eut jamais de sacrifice égal à celui que je viens faire à la plus respectable des mères
:
mais
m'a trop appris comment il faut immoler le bonheur au devoir ; elle m'en a trop courageusement donné l'exemple, pour qu'au moins une fois je ne sache pas l'imiter. Si mon sang suffisait pour guérir vos peines, je le verserais en silence et me plaindrais de ne vous donner qu'une si faible preuve Julie
de le
mon
zèle
:
mais briser
le
plus doux, le plus pur,
plus sacré lien qui jamais ait uni deux cœurs, ah
c'est
un
effort
faire, et qu'il
que l'univers entier ne m'eût pas n'appartenait qu'à vous d'obtenir.
!
fait
LA NOUVELLE HÉLOISE Oui, je promets de vivre temps que vous l'exigerez
loi
loin d'elle aussi long-
m'abstiendrai de la
je
;
voir et de lui écrire, j'en jure par vos jours précieux, si
nécessaires à la conservation des siens.
soumets, non sans ce
effroi,
Je
me
mais sans murmure, à tout
que vous daignerez ordonner
d'elle et
de moi.
Je dirai beaucoup plus encore ; son bonheur peut me consoler de ma misère, et je mourrai content si
vous le
donnez un époux digne
lui
l'aimer que toi ce qui
Madame,
!
me manque
pour Julie
;
s'il
n'a
il
Ah
d'elle.
!
qu'on
Je saurai mieux aura vainement tout
trouve, et qu'il m'ose dire
:
mon
cœur,
il
n'aura rien
que ce cœur honnête et tendre. Hélas je n'ai rien non plus. L'amour qui rapproche tout n'élève point la personne il n'élève que les sentiments. Ah! si j'eusse osé n'écouter que les miens pour vous, combien de fois, en vous parlant, ma bouche eût prononcé le doux nom de mère Daignez vous confier à des serments qui ne seront :
mais
je n'ai
!
:
!
un homme qui n'est point trompeur. pus un jour abuser de votre estime, je m'abusai
pas vains, et à Si je le
premier moi-même.
Mon
cœur
sans expérience
ne connut le danger que quand il n'était plus temps de fuir, et je n'avais point encore appris de votre fille
cet art cruel de vaincre l'amour par lui-même,
qu'elle
m'a depuis si bien enseigné. Bannissez vos en conjure. Y a-t-il quelqu'un
craintes, je vous
au monde
à qui
son repos, sa
soient plus chers qu'à
mon cœur
moi
?
son honneur Non, ma parole et
félicité,
vous sont garants de l'engagement que
mien.
nom de mon illustre ami comme au Nulle indiscrétion ne sera commise, soyez-
en sûre
;
je
prends au
et je rendrai le dernier soupir sans
qu'on
JULIE,
102
OU Calmez
sache quelle douleur termina mes jours.
qui vous consume, et dont la mienne s'aigrit encore ; essuyez des pleurs qui m'arrachent l'âme ; rétablissez votre santé ; rendez à la plus
donc
celle
tendre
qui fut jamais
fille
renoncé pour vous elle
;
vivez, enfin,
malgré
les
pour
bonheur auquel elle a vous-même heureuse par le
soyez
;
lui faire
aimer
encore un sort assez beau pour
Ah
la vie.
mère de
erreurs de l'amour, être
!
Julie est
de vivre.
se féliciter
LETTRE V DE JULIE A SON AMANT
Elle
Mes yeux ont vu fermer les siens ma bouche a reçu son dernier soupir
n'est plus.
pour jamais
mon nom
;
;
fut le dernier
mot
qu'elle
prononça
Non,
dernier regard fut tourné vers moi.
;
son
ce n'était
pas la vie qu'elle semblait quitter, j'avais trop peu su la lui rendre chère s'arrachait.
moi
c'était à
;
me
Elle
voyait
sans
seule qu'elle
guide et sans
espérance, accablée de mes malheurs et de
mes
mourir ne fut rien pour elle, et son cœur n'a gémi que d'abandonner sa fille dans cet état. Qu'avait-elle à reElle n'eut que trop de raison. fautes
:
gretter sur la terre valoir à ses
de
ses
yeux
le
?
Qu'est-ce qui pouvait ici-bas
prix immortel de sa patience et
vertus qui l'attendait dans le ciel
?
Que
lui
au monde, sinon d'y pleurer mon Ame pure et chaste, digne épouse, et
restait-il à faire
opprobre
?
mère incomparable, tu la gloire et
de
vis
la félicité
;
maintenant au séjour de et moi, livrée au
tu vis
!
repentir et au désespoir, privée à jamais de tes soins,
LA NOUVELLE HÉLOÏSE de
de
tes conseils,
au bonheur,
que peine
vie n'est plus
tendre mère, hélas et
lui
verser
Dieu
mes pleurs
ma ma
;
mère,
bien plus morte que toi
!
?
Où
viens-je
mes gémissements ? causés que j'en rends le
et pousser
C'est le cruel qui les a dépositaire
ne sens
quel transport égare une infortunée
!
oublier ses résolutions
fait
Ma
et douleur.
je suis
!
je
;
morte
ma honte
ne vois plus que
je
;
103
je suis
l'innocence
à la paix, à
plus que ta perte
Mon
douces caresses,
tes
C'est avec celui qui fait les malheurs
!
Oui, oui, barbare, de ma vie que j'ose les déplorer partagez les tourments que vous me faites souffrir. Vous par qui je plongeai le couteau dans le sein maternel, gémissez des maux qui me viennent de !
moi
vous, et sentez avec
qui fut votre ouvrage.
l'horreur d'un parricide
A
quels yeux oserais-je
paraître aussi méprisable que je le suis
?
Devant
qui m'aviiirais-je au gré de mes remords ? Quel autre que le complice de mon crime pourrait assez les
connaître
C'est
?
mon
plus insupportable sup-
de n'être accusée que par mon cœur, et de voir attribuer au bon naturel les larmes impures qu'un cuisant repentir m'arrache. Je vis, je vis en plice
les
der-
sa pitié
pour
frémissant la douleur empoisonner, hâter
ma
niers jours de
triste
En vain
mère.
moi l'empêcha d'en convenir
;
en vain
elle affectait
d'attribuer le progrès de son mal à la cause qui l'avait le
produit
même
en vain
;
langage
déchiré de regret je
;
et,
garderai jusqu'au
abrégé
O
la vie
de
vous que
ma
rien n'a
:
pour
cousine gagnée a tenu
pu tromper mon cœur
mon tourment
tombeau
éternel,
l'affreuse idée d'avoir
celle à qui je la dois.
le ciel suscita
dans sa colère pour
me
OU
JULIE,
104
rendre malheureuse et coupable, pour
la
dernière
recevez dans votre sein des larmes dont vous
fois
Je ne viens plus, comme autrefois, partager avec vous des peines qui devaient nous être êtes l'auteur.
communes.
Ce
sont
les
soupirs d'un dernier adieu
qui s'échappent malgré moi.
C'en est fait l'emune âme livrée au reste de mes jours à ;
pire de l'amour est éteint dans
Je consacre le meilleure des mères ; je saurai lui sacrifier
seul désespoir.
pleurer
la
des sentiments qui lui ont coûté
la
vie
trop heureuse qu'il m'en coûtât assez de
;
les
je serais
vaincre,
pour expier tout ce qu'ils lui ont fait souffrir. Ah si son esprit immortel pénétre au fond de mon cœur, il sait bien que la victime que je lui sacrifie !
Partagez un
n'est pas tout à fait indigne d'elle.
que vous m'avez rendu nécessaire. S'il vous reste quelque respect pour la mémoire d'un nœud si cher et si funeste, c'est par lui que je vous conjure de me fuir à jamais, de ne plus m'écrire, de ne plus aigrir mes remords, de me laisser oublier, s'il se peut, Que mes yeux ne ce que nous fûmes l'un à l'autre. vous voient plus que je n'entende plus prononcer votre nom que votre souvenir ne vienne plus agiter effort
;
;
mon cœur.
J'ose parler encore au
qui ne doit plus être
à
;
nom d'un amour
tant de sujets de douleur
n'ajoutez pas celui de voir son dernier
Adieu donc pour
Ah
!
fille
Mais
M.
le
la
insensée
dernière !
.
.
.
fois,
et cher.
.
.
.
Adieu pour jamais.
père de Julie exige qu'elle épouse son ami,
Wolmar. Sous son impulsion, son amant de lui rendre sa liberté. de
vœu méprisé.
unique
Julie
demande
à
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
105
BILLET DE JULIE A SAINT-PREUX Il est temps de renoncer aux erreurs de et
d'abandonner un trompeur espoir
la jeunesse,
ne serai
je
;
Rendez-moi donc la liberté que je vous ai engagée et dont mon père veut disposer, ou mettez le comble à mes malheurs par un refus qui nous perdra tous deux sans vous être d'aucun usage. jamais à vous.
Julie d'Étange.
LETTRE X du baron d'étange a saint-preux dans laquelle était le précédent billet S'il peut rester dans l'âme d'un suborneur quelque
sentiment d'honneur et d'humanité, répondez à ce billet le
d'une malheureuse dont vous avez corrompu
cœur, et qui ne
serait plus
si
j'osais
soupçonner
qu'elle eût porté plus loin l'oubli d'elle-même.
m'étonnerai peu que
la
même
apprit à se jeter à la tête
prenne encore
à
Je philosophie qui lui
du premier venu,
désobéir à son père.
lui
ap-
Pensez-y
J'aime à prendre en toute occasion les douceur et de l'honnêteté, quand j'espère qu'elles peuvent suffire ; mais, si j'en veux bien user avec vous, ne croyez pas que j'ignore comment se venge l'honneur d'un gentilhomme offensé par un
cependant.
voies de la
homme
qui ne
l'est pas.
OU
JULIE,
io6
LETTRE
XI
RÉPONSE
Épargnez-vous, monsieur, des menaces vaines qui ne m'effraient point, et d'injustes reproches qui ne peuvent m'humilier. Sachez qu'entre deux personnes du même âge il n'y a d'autre suborneur que l'amour, et qu'il ne vous appartiendra jamais d'avilir
un homme que votre fille honora de son Quel sacrifice osez-vous m'imposer, titre l'exigez-vous
maux
qu'il faut
veux respecter
quel
à
Est-ce à l'auteur de tous mes
?
immoler
le
estime. et
mon
dernier espoir
père de Julie
;
?
Je
mais qu'il daigne
mien s'il faut que j'apprenne à lui obéir. Non, non, monsieur, quelque opinion que vous
être le
ayez de vos procédés,
ils
ne m'obligent point
à re-
noncer pour vous à des droits si chers et si bien mérités de mon cœur. Vous faites le malheur de ma vie. Je ne vous dois que la haine, et vous n'avez rien à prétendre de moi.
consentement.
Un
autre
la
Ah
Julie a parlé
;
voilà
mon
qu'elle soit toujours obéie
!
possédera
:
!
mais j'en serai plus digne
d'elle.
Si votre fille eût daigné me consulter sur les bornes de votre autorité, ne doutez pas que je ne lui eusse appris à résister à vos prétentions injustes.
Quel que
soit
l'empire dont vous abusez, mes droits
sont plus sacrés que
les
vôtres
;
la
chaîne qui nous
borne du pouvoir paternel, même devant et quand vous osez réclamer les tribunaux humains la nature, c'est vous seul qui bravez ses lois. lie est la
;
N'alléguez pas non plus cet honneur
si
bizarre et
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
107
délicat que vous parlez de venger nul ne l'offense que vous-même. Respectez le choix de Julie, et votre honneur est en sûreté car mon cœur vous honore malgré vos outrages ; et, malgré les maximes gothiques, l'alliance d'un honnête homme n'en déshonora jamais un autre. Si ma présomption
si
;
;
ma vie, je ne la défendrai Au surplus, je me soucie fort
vous offense, attaquez jamais contre vous.
peu de
savoir
homme il
;
en quoi consiste l'honneur d'un gentilà celui d'un homme de bien,
mais quant
m'appartient, je
sais le
défendre, et
le
conserverai
pur et sans tache jusqu'au dernier soupir. Allez, père barbare et peu digne d'un nom si doux, méditez d'affreux parricides, tandis qu'une fille tendre et soumise immole son bonheur à vos préjugés. Vos regrets me vengeront un jour des maux que vous me faites, et vous sentirez trop tard que votre haine aveugle et dénaturée ne vous fut pas moins" funeste qu'à moi. Je serai malheureux, sans doute
;
mais
si
jamais
la
voix du sang s'élève
au fond de votre cœur, combien vous le serez plus encore d'avoir sacrifié à des chimères l'unique fruit de vos entrailles, unique au monde en beauté, en mérite, en vertus, et pour qui le ciel, prodigue de ses
dons, n'oublia rien qu'un meilleur père
!
BILLET INCLUS DANS LA PRÉCÉDENTE LETTRE le
droit de disposer d'elle-
main
sans consulter son cœur.
Je rends à Julie d'Étange
même,
et
de donner
sa
S.-P.
OU
JULIE,
io8
LETTRE
XII
DE JULIE A SAINT-PREUX Je voulais vous décrire la scène qui vient de se passer, et qui a produit le billet que vous avez dû recevoir ;
mais
mon
père a pris
n'a fini qu'un
mesures
ses
moment
avant
justes qu'elle
si
départ du courrier.
le
Sa lettre est sans doute arrivée à temps à il
n'en peut être de
même
de
celle-ci
poste
la
;
votre résolu-
:
tion sera prise, et votre réponse partie avant qu'elle
vous parvienne inutile.
mais
;
J'ai fait
le sort
tout détail serait désormais
ainsi
mon
nous accable
nous serons séparés
;
vôtre
;
;
;
jamais,
à
d'horreur, je vais passer dans
pu
O
vivre dans les tiens
Providence
!
...
il
vous ferez
l'honneur nous trahit
devoir
pour comble
et,
les.
.
O devoir
!
!
le
.
Hélas
.
!
j'ai
quoi sers-tu
à
?
faut gémir et se taire.
La plume échappe de ma main. J'étais incoml'entretien de ce modée depuis quelques jours ;
matin m'a prodigieusement agitée ... la tête et le cœur me font mal ... je me sens défaillir ... le ciel aurait-il pitié de mes peines ? Je ne puis me soutenir ... je suis forcée à me mettre au lit, et me console dans l'espoir de n'en point relever. Adieu, .
mes uniques amours.
.
.
Adieu, pour
cher et tendre ami de Julie.
Ah
!
la si
dernière
je
vivre pour toi, n'ai-je pas déjà cessé de vivre
LETTRE DE JULIE A
?
XIII
MADAME D'ORBE
Il est donc vrai, chère et cruelle amie, que tu rappelles
à
la
vie
et
fois,
ne dois plus
à
mes douleurs
?
J'ai
me vu
LA NOUVELLE HÉLOÏSE l'instant
heureux où
des mères
rejoindre
j'allais
la
109
plus tendre
inhumains m'ont enchaînée pour la pleurer plus longtemps et quand le désir de la suivre m'arrache à la terre, le regret de te tes soins
;
;
m'y retient. Si je me console de vivre, par l'espoir de n'avoir pas échappé tout entière mort. Ils ne sont plus, ces agréments de mon
quitter c'est
à la
dont
mon cœur
que
visage
m'en
a payés
cher
si
maladie
la
;
Cette heureuse perte ralentira l'ardeur grossière d'un homme assez déje sors
pourvu de se souciera
à
mon
pour m'oser épouser sans mon trouvant plus en moi ce qui lui plut, il
délicatesse
Ne
aveu.
a délivrée.
peu du
reste.
je saurai rebuter cet le
Sans manquer de parole
père, sans offenser l'ami dont
silence
;
mais
importun
mon
tient la vie,
il
ma bouche
:
gardera
aspect parlera pour moi.
Son dégoût me garantira de
sa tyrannie, et
trouvera trop laide pour daigner
me
il
me
rendre mal-
heureuse.
Ah
un cœur
chère cousine, tu connus
!
plus con-
stant et plus tendre qui ne se fût pas ainsi rebuté.
Son goût ne c'était moi
se
bornait pas aux traits et à
la figure
;
non pas mon visage c'était par tout notre être que nous étions unis l'un à l'autre et tant que Julie eût été la même, la qu'il aimait et
;
;
beauté pouvait
fuir,
l'amour fût toujours demeuré.
Cependant il a pu consentir l'a dû puisque j'ai pu l'exiger. .
retient par leur parole
cœur
.
.
O
Qui
ceux qui veulent
Ai-je donc voulu retirer le
?
l'ingrat
mien
!
.
.
.
est-ce
Il
qui
retirer leur ?
.
.
.
l'ai-
faut-il que tout me rappelle Dieu incessamment un temps qui n'est plus, et des feux je fait
?
!
qui ne doivent plus être
!
J
'ai
beau vouloir arracher
no mon cœur
de
OU
JULIE,
image chérie
cette
je l'y sens
;
trop
je le déchire sans le dégager, fortement attachée et mes efforts pour en effacer un si doux souvenir :
ne font que
graver davantage.
l'y
Oserai-je te dire
de s'éteindre avec
un
de ma fièvre, qui, loin me tourmente encore plus
délire
elle,
depuis ma guérison ? Oui, connais et plains l'égarement d'esprit de ta malheureuse amie, et rends grâces au
ciel d'avoir
préservé ton cœur de
Dans un des moments où j'étais le plus mal, je crus, durant l'ardeur du redoublement, voir à côté de mon lit cet infortuné, non tel qu'il charmait jadis mes rel'horrible
qui
passion
gards durant
le
donne.
le
court bonheur de
Il
prit
se
dégoûter de
où
;
l'état
ma
de baisers et de larmes.
si
A
terrible,
présence
m'élancer vers lui
ma
présence
;
il
la
la
couvrait
que
me
inattendue.
Je
donnait voulus
me retint tu l'arrachas de me toucha le plus vivement,
on
;
et ce qui
;
et sans
craindre
son aspect j'éprouvai
cette vive et délicieuse émotion sa
mais pâle,
une de mes mains elle était, sans
communication d'un venin
quelquefois
vie,
et le désespoir dans les yeux.
mal en ordre, il était à genoux
défait,
ce furent ses gémissements que je crus entendre à
mesure
qu'il s'éloignait.
Je ne puis te représenter l'effet étonnant que ce fièvre a été longue et rêve a produit sur moi.
Ma
violente
;
j'ai
sieurs jours
ports
;
;
perdu
j'ai
la
connaissance durant plu-
souvent rêvé
à lui
mais aucun de ces rêves n'a
dans mes translaissé
dans
mon
imagination des impressions aussi profondes que Elle est telle qu'il m'est imcelle de ce dernier. possible de l'effacer de
ma mémoire
et
de mes sens
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
A
chaque minute,
le voir
dans
la
à
même
chaque instant, attitude
;
son
ni
me
il
semble
son habille-
air,
ment, son geste, son triste regard, frappent encore mes yeux je crois sentir ses lèvres se presser sur ma main je la sens mouiller de ses larmes les sons de sa voix plaintive me font tressaillir je le vois entraîné loin de moi, je fais effort pour le retenir encore tout me retrace une scène imaginaire avec plus de force que les événements qui me sont :
;
;
;
;
réellement arrivés.
longtemps hésité à te honte m'empêche de te la
J'ai la
mon
de bouche
faire
;
;
mais
agitation, loin de se calmer, ne fait qu'aug-
menter de jour en
jour, et je ne puis plus résister
au besoin de t'avouer
ma
pare de moi tout entière
de perdre
ainsi la raison,
reste ne sert plus qu'à
si
confidence
faire cette
folie.
Ah
Que ne
!
puisque
qu'elle s'em-
!
puis-je achever
le
peu qui m'en
me tourmenter
!
Je reviens à mon rêve. Ma cousine, raille-moi, tu veux, de ma simplicité ; mais il y a dans cette
vision je ne sais quoi de mystérieux qui la distingue
du délire ordinaire. Est-ce un pressentiment de la mort du meilleur des hommes ? Est-ce un avertissement qu'il n'est déjà plus
me
guider au moins une
?
fois,
Le
ciel daigne-t-il
et m'invite-t-il à
me fit aimer ? Hélas l'ordre de mourir sera pour moi le premier de ses bienfaits. J'ai beau me rappeler tous ces vains discours dont la philosophie amuse les gens qui ne sentent rien ils ne m'en imposent plus, et je sens que je les méprise. On ne voit point les esprits, je le veux croire mais deux âmes si étroitement unies ne sauraient-elles avoir entre elles une communication suivre celui qu'il
!
;
;
OU
JULIE,
ii2
immédiate, indépendante du corps et des sens ? L'impression directe que l'une reçoit de l'autre ne peut-elle pas
de
la
transmettre au cerveau, et recevoir
par contre-coup
lui
sensations qu'elle lui a
les
Pauvre Julie, que d'extravagances Que les passions nous rendent crédules et qu'un cœur vivement touché se détache avec peine des données
?
.
.
.
!
!
erreurs
mêmes
qu'il aperçoit
!
LETTRE XIV RÉPONSE
Ah
fille
!
trop malheureuse et trop sensible, n'es-tu
donc née que pour
? Je voudrais en vain tu semblés les chercher
souffrir
t'épargner des douleurs
;
sans cesse, et ton ascendant est plus fort
mes
soins.
A
que tous
tant de vrais sujets de peine n'ajoute
pas au moins des chimères
;
et,
puisque
ma
discré-
tion t'est plus nuisible qu'utile, sors d'une erreur
qui te tourmente sera-t-elle encore
que ton rêve
:
peut-être
moins
n'est point
un
l'ombre de ton ami que tu et
la
cruelle.
rêve
;
as vue,
triste
vérité te
Apprends donc que ce n'est point mais
sa
personne,
que cette touchante scène, incessamment pré-
sente à ton imagination, s'est passée réellement dans ta
chambre
le
surlendemain du jour où tu fus
le
plus mal.
La
veille
je
t'avais
d'Orbe, qui voulut
me
quittée assez tard, et
M.
de toi cette quand tout à coup nous
relever auprès
nuit-là, était prêt à sortir,
vîmes entrer brusquement et
se précipiter à
nos
LA NOUVELLE HÉLOÏSE pieds ce pauvre malheureux dans pitié.
Il
un
113
état à faire
avait pris la poste à la réception de ta
Courant jour et nuit, il fit la route en trois jours, et ne s'arrêta qu'à la dernière poste en attendant la nuit pour entrer en ville. Je te dernière lettre.
ma
l'avoue à
M. d'Orbe la
honte, je fus moins prompte que
au cou
à lui sauter
sans savoir encore
:
raison de son voyage, j'en prévoyais la consé-
Tant de
quence.
souvenirs amers, ton danger, le
désordre où je
sien, le
le voyais, tout empoisonnait douce surprise et j'étais trop saisie pour lui faire beaucoup de caresses. Je l'embrassai pourtant avec un serrement de cœur qu'il partageait, et qui se fit sentir réciproquement par de muettes
une
si
que les cris et les pleurs. Son premier mot fut Que fait-elle ? Ah ! que Donnez-moi la vie ou la mort. fait-elle? Je étreintes, plus éloquentes :
compris alors qu'il était instruit de ta maladie ; et, croyant qu'il n'en ignorait pas non plus l'espèce, j'en parlai sans autre précaution
danger. il
fit
un
Sitôt qu'il sut cri et se
que
que d'exténuer
le
c'était la petite vérole,
trouva mal.
La
fatigue et l'in-
somnie, jointes à l'inquiétude d'esprit, l'avaient jeté dans un tel abattement qu'on fut longtemps à le faire revenir. le fit
A
peine pouvait-il parler
;
on
coucher.
Vaincu par
dormit douze heures de qu'un pareil sommeil devait plus épuiser que réparer ses forces. Le lendemain, nouvel embarras il voulait te voir absolument. Je lui opposai le danger de te causer une révolution il offrit d'attendre qu'il n'y eût
suite,
mais
la
nature,
avec
tant
il
d'agitation,
;
;
plus de risque, mais son séjour
même
en était un
H
OU
JULIE,
ii4 terrible.
éloquence,
me
trop l'exercer à
comme
encore cent
de
J'essayai
coupa durement
fois
sentir
N'espérez pas
ruine.
vous
fîtes à
me
il
;
Gardez votre barbare
d'un ton d'indignation
dit-il
ma
faire
lui
le
la parole.
mon
exil
du bout du monde pour
c'est
;
me chasser
je viendrais
:
la voir
un
seul
Mais je jure par l'auteur de mon être, ajouta-t-il impétueusement, que je ne partirai point Éprouvons une fois si je vous d'ici sans l'avoir vue.
instant.
rendrai pitoyable, ou
Son
si
me rendrez parjure. M. d'Orbe fut d'avis de
vous
parti était pris.
les moyens de le satisfaire pour le pouvoir car renvoyer avant que son retour fût découvert il n'était connu dans la maison que du seul Hanz,
chercher
:
dont
j'étais sûre, et
gens d'un autre
nous l'avions appelé devant nos le sien. 1 Je lui promis
nom que
qu'il te verrait la nuit suivante, à condition qu'il
ne
qu'un instant, qu'il ne te parlerait point, j'en repartirait le lendemain avant le jour
resterait
et qu'il
:
exigeai sa parole.
mon
mari avec
Alors, je fus tranquille
lui, et je
;
retournai près de
je laissai toi.
Je te trouvai sensiblement mieux, l'éruption était le médecin me rendit le courage et achevée :
et Je me concertai d'avance avec Babi redoublement, quoique moindre, t'ayant encore
l'espoir. le
;
embarrassé tout
le
la tête, je pris ce
monde
et faire dire à
son hôte, jugeant qu'avant
moins en état de toutes les peines
le
temps pour écarter mari d'amener
mon
la fin
de
reconnaître.
du monde
l'accès tu serais
Nous eûmes
à renvoyer ton désolé
père, qui chaque nuit s'obstinait à vouloir rester.
On
1 voit dans la quatrième partie stitué était celui de Saint-Preux.
que
ce
nom
sub-
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
115
Enfin
je lui dis en colère qu'il n'épargnerait la peine de personne, que j'étais également résolue à veiller,
et qu'il savait bien, tout père qu'il était,
que
sa
tendresse n'était pas plus vigilante que la mienne. partit
Il
regret
à
nous
;
restâmes
d'Orbe arriva sur les onze heures, avait laissé ton ami dans la rue je :
par
je le pris
En
main
:
tremblait
il
passant dans l'antichambre
quèrent
de
la
M.
seules.
me
l'allai
dit qu'il
chercher
comme la
;
feuille.
les forces lui
man-
respirait avec peine, et fut contraint
il
;
et
s'asseoir.
Alors, démêlant quelques objets à la faible lueur
d'une lumière éloignée
fond soupir,
en heure
ma
fois
:
reconnais
je
avec un pro-
Oui,
dit-il
les
mêmes
lieux.
vie je les ai traversés ... à la
Une même
avec le même mystère j'étais tremcomme aujourd'hui ... le cœur me palpitait de même ... O téméraire j'étais mortel, et j'osais goûter. Que vais-je voir maintenant dans ce même asile où tout respirait la volupté dont mon âme était enivrée, dans ce même objet qui .
.
.
.
.
.
blant
!
.
.
.
et partageait
faisait
un
trépas,
appareil
mes transports de
douleur,
l'image
?
vertu
la
la beauté mourante Chère cousine, j'épargne à ton pauvre cœur
heureuse et
!
détail de cette attendrissante scène. se tut
;
jeta à
genoux
il
l'avait ;
promis
:
élevait les
;
et ses cris.
une de fureur
tes ;
Sans
mains
le voir, ;
les baisers
Il
;
à
il
le
te vit, et
mais quel silence
baisait tes rideaux
il
mains et les yeux gémissements il avait peine il
du
mal-
!
Il se
en sanglotant
;
poussait de sourds
contenir
sa
douleur
tu sortis machinalement
il s'en saisit avec une espèce de de feu qu'il appliquait sur cette
n6
OU
JULIE,
main malade
t'éveillèrent
mieux que
l'avais
reconnu
plaintes,
et,
;
l'arrachai
je
malgré de
espérant éluder l'idée d'une le
prétexte du délire.
tu ne m'en disais rien, je je défendis à
résistance
sa
chambre
la si
et
ses
à l'instant,
courte apparition par
Mais voyant ensuite que crus que tu l'avais oubliée
;
Babi de t'en parler, et
m'a tenu parole.
bruit et la
le
Je vis que tu
voix de tout ce qui t'environnait.
je sais qu'elle
Vaine prudence que l'amour a fait que laisser fermenter un plus temps d'effacer
déconcertée, et qui n'a souvenir qu'il n'est partit
Il
comme
!
il
l'avait
promis, et je lui
jurer qu'il ne s'arrêterait pas au voisinage.
ma
chère, ce n'est pas tout
;
il
fis
Mais,
faut achever de te
dire ce qu'aussi bien tu ne pourrais ignorer long-
temps. il
Mylord Edouard
se pressa
:
il
;
il
le joignit à
;
Dijon,
L'infortuné avait gagné
et le trouva malade.
petite vérole
deux jours après
passa
pour l'atteindre
la
m'avait caché qu'il ne l'avait point
eue, et je te l'avais
mené
Ne
sans précaution.
pouvant guérir ton mal, il le voulut partager. En me rappelant la manière dont il baisait ta main, je ne puis douter qu'il ne se soit inoculé volontairement. On ne pouvait être plus mal préparé ;
mais
c'était
heureuse.
l'inoculation
Ce père de
de
l'amour,
la vie l'a
tendre amant qui fut jamais
:
fut
elle
conservée au plus il
est
guéri
et,
;
suivant la dernière lettre de mylord Edouard,
ils
doivent être actuellement repartis pour Paris. Voilà, trop aimable cousine, de quoi bannir les
terreurs funèbres qui t'alarmaient sans sujet.
De-
puis longtemps tu as renoncé à la personne de ton
ami, et sa vie est en sûreté.
Ne
songe donc qu'à
LA NOUVELLE HÉLOISE
117
conserver la tienne, et à t'acquitter de bonne grâce
du
sacrifice
que ton cœur
promis
a
Cesse enfin d'être
paternel.
l'amour
à
jouet d'un vain
le
Tu
espoir et de te repaître de chimères.
te presses
sois plus beaucoup d'être fière de ta laideur humble, crois-moi, tu n'as encore que trop sujet de l'être. Tu as essuyé une cruelle atteinte, mais ton visage a été épargné. Ce que tu prends pour des cicatrices ne sont que des rougeurs qui seront bientôt effacées. Je fus plus maltraitée que cela, et cependant tu vois que je ne suis pas trop mal encore. Mon ange, tu resteras jolie en dépit de :
toi, et l'indifférent
n'ont
pu
Wolmar, que trois ans d'absence, amour conçu dans huit jours,
guérir d'un
s'en guérira-t-il
en
te
ta seule ressource est
désespéré
voyant à toute heure ? O si de déplaire, que ton sort est
!
LETTRE XV DE JULIE A SAINT-PREUX
C'en Je ne
est trop, c'en est trop. suis
point
résistance est épuisée. forces
;
ma
témoignage.
Ami, tu
as vaincu.
l'épreuve de tant d'amour
à
J'ai fait
conscience m'en
Que
le
ciel
ne
;
ma
usage de toutes mes
rend
consolant
le
me demande
point
Ce triste compte de plus qu'il ne m'a donné cœur que tu achetas tant de fois, et qui coûta si !
cher au tien, t'appartient sans réserve
du premier moment où mes yeux restera jusqu'à
mon
bien mérité pour
aux dépens de
le
dernier soupir.
;
il
fut à toi
te virent,
Tu
l'as
il
le
trop
perdre, et je suis lasse de servir
la justice
une chimérique vertu.
n8
OU
JULIE,
Oui, tendre et généreux amant, ta Julie sera elle t'aimera toujours ; il le faut,
toujours tienne, je le
veux,
l'amour
t'a
Je te rends l'empire que C'est
je le dois.
donné
ne te sera plus ôté.
il
;
en vain qu'une voix mensongère murmure au fond de mon âme elle ne m'abusera plus. Que sont les vains devoirs qu'elle m'oppose contre ceux d'aimer Le plus à jamais ce que le ciel m'a fait aimer ? ;
sacré de tous, n'est-il pas envers toi
que cœur ne
tout promis
à toi seul
j'ai
mon
fut-il pas
ton inviolable
pour qui
la
rend
à
?
Ah toi,
n'est-ce pas
?
premier
vœu de
de ne t'oublier jamais
fidélité n'est-elle pas
mienne
me
le
?
dans
!
mon
un nouveau
?
et lien
transport d'amour
le
seul regret
d'avoir
est
combattu des sentiments si chers et si légitimes. Nature, ô douce nature reprends tous tes droits ; Les j'abjure les barbares vertus qui t'anéantissent. !
que tu m'as donnés seront-ils plus trompeurs qu'une raison que m'égara tant de fois ? Respecte ces tendres penchants, mon aimable ami ; tu leur dois trop pour les haïr mais souffressouffre que les droits en le cher et doux partage penchants
;
;
et de l'amitié ne soient pas éteints par ceux de l'amour. Ne pense point que pour te suivre j'abandonne jamais la maison paternelle n'espère point que je me refuse aux liens que m'impose une autorité sacrée ; la cruelle perte de
du sang
;
l'un des
auteurs de mes jours m'a trop appris à
craindre d'affliger l'autre.
Non,
celle
dont
il
attend
désormais toute sa consolation ne contristera point son âme accablée d'ennuis ; je n'aurai point donné la
je
mort
à tout ce qui
connais
mon
me donna
la vie.
crime et ne puis
Non, non
le haïr.
;
Devoir,
LA NOUVELLE HÊLOÏSE
119
honneur, vertu, tout cela ne me dit plus rien mais pourtant je ne suis point un monstre ; je suis Mon parti est pris, je ne faible et non dénaturée. ;
Qu'un
veux désoler aucun de ceux que j'aime.
père esclave de sa parole et jaloux d'un vain titre dispose de ma main qu'il a promise ; que l'amour seul dispose
mon cœur
de
que mes pleurs ne
;
cessent de couler dans le sein d'une tendre amie.
Que
je sois vile et
malheureuse
mais que tout ce
;
qui m'est cher soit heureux et content possible.
Formez tous
que votre bonheur
mon
me
trois
ma
s'il
est
seule existence, et
fasse oublier
ma
misère et
désespoir.
LETTRE XVI RÉPONSE
Nous
ma
renaissons,
Julie
;
tous les vrais senti-
ments de nos âmes reprennent leur cours. La nature nous a conservé l'être, et l'amour nous rend à
la
En
vie.
m'ôter
pouvoir
mieux que mien.
mune
doutais-tu
L'osas-tu
?
cœur ? cœur que
ton
toi, ce
Va,
je
croire,
le ciel a fait
pour
Je les sens joints par une existence qu'ils ne peuvent perdre qu'à la mort.
pend-il de nous de les séparer, ni vouloir
?
de
connais
le
même
tiennent-ils l'un à l'autre par des
le
comDéde
le
nœuds
que les hommes aient formés et qu'ils puissent si le sort cruel nous rompre ? Non, non, Julie refuse le doux nom d'époux, rien ne peut nous ôter il fera la consolation de nos celui d'amants fidèles tristes jours, et nous l'emporterons au tombeau. Ainsi nous recommençons de vivre pour recom;
;
OU
JULIE,
120
mencer de
souffrir, et le
sentiment de notre exis-
tence n'est pour nous qu'un sentiment de douleur.
sommes-nous
que
Infortunés,
devenus
Com-
?
que nous fûmes ? Où est cet enchantement de bonheur suprême ? Où sont ces ravissements exquis dont les vertus animaient nos feux ? Il ne reste de nous que notre amour l'amour seul reste, et ses charmes se sont Fille trop soumise, amante sans courage, éclipsés.
ment avons-nous
cessé d'être ce
;
tous
un cœur moins pur
!
égarée
perd
maux nous viennent de
nos
Hélas
ont chassé tendresse
Tu
sagesse.
la
tien qui nous
le
remplissent en
voulu concilier
as
amour
avec l'indomptable
filiale
livrant à la fois à tous tes penchants, tu les
au lieu de
les
moins
du
sentiments droits qui
les
;
c'est l'honnêteté
Oui,
!
erreurs.
tes
t'aurait bien
la
en te confonds ;
accorder, et deviens coupable à force
de vertu. O Julie, quel est ton inconcevable Par quel étrange pouvoir tu fascines ma empire même en me faisant rougir de nos feux, raison !
!
tu te
encore estimer par tes fautes
fais
;
Des remords toi que j'aimai ... !
...
Le
cœur
?
.
.
.
crime
.
qui m'appartient,
que
d'en sentir
toi
à
?
.
.
.
.
.
.
ne puis cesser d'adorer approcher de ton pourrait-il toi
Cruelle
.
.
était-ce
me
tu
forces de t'admirer en partageant tes remords.
en
!
je
me
rendant, ce cœur
le
rends-le-moi
tel
me
fut
faire
en-
qu'il
donné.
Que tendre ...
moi moi
m'as-tu dit ?
un !
.
.
?
.
.
.
qu'oses-tu
Toi, passer dans
.
autre
te
posséder
!
.
me
les bras .
.
d'un autre
N'être
plus
!
à
... ou, pour comble d'horreur, n'être pas à
seul
?
Moi, j'éprouverais cet affreux supplice
!
LA NOUVELLE HÉLOÏSE ... je te verrais survivre à toi-même
!
121
.
.
j'aime mieux te perdre que te partager le
me
ne
ciel
nœud
fût avilie dans ce
!
.
.
.
funeste abhorré par l'amour
et réprouvé par l'honneur, j'irais de la
plonger un poignard dans
le sein
cœur d'un sang que
chaste
A
l'infidélité.
;
Que
.
.
un courage digne des avant que ta main se
donna-t-il
transports qui m'agitent
Non
.
.
mienne
j'épuiserais
;
te
ton
n'aurait point souillé
ce pur sang je mêlerais celui qui
brûle dans mes veines d'un feu que rien ne peut éteindre, je tomberais dans tes bras
mon
sur tes lèvres tien.
.
.
expirante
Julie
.
éteints par les horreurs
!
de
yeux si doux mort ... ce sein,
... ces la
!
ma
ce trône de l'amour déchiré par à gros bouillons le
souffre
porte
!
je rendrais
;
dernier soupir ... je recevrais le
sang et
la vie
peine de
la
!
ma
voudrais que tu ne fusses plus
.
main, versant
.
Non, vis Non,
.
lâcheté. ;
mais
et je
ne puis
je
t'aimer assez pour te poignarder.
O
si
détresse
tu connaissais l'état de ce cœur serré de jamais
!
ne brûla d'un feu
il
si
sacré
jamais ton innocence et ta vertu ne lui furent
;
si
amant, je suis aimé, je le sens ; qu'un homme, et il est au-dessus de la force humaine de renoncer à la suprême Une nuit, une seule nuit a changé pour félicité. jamais toute mon âme. Ote-moi ce dangereux suis
chères.
Je mais je ne
souvenir,
suis
et
fatale règne
je
de son ombre objet adoré
encore
une
éternels
!
suis
vertueux.
au fond de
!
le
reste
s'il
heure
Mais cette nuit
mon cœur, de ma vie.
et va couvrir
Ah
!
Julie
!
faut être à jamais misérables,
de
bonheur,
et
des
regrets
OU
JULIE,
122
Écoute
Pourquoi voudrions-
celui qui t'aime.
nous être plus sages nous seuls que tout
hommes,
le reste
des
une simplicité d'enfants de chimériques vertus dont tout le monde parle et serons-nous que personne ne pratique ? Quoi meilleurs moralistes que ces foules de savants dont Londres et Paris sont peuplés, qui tous se raillent et suivre avec
!
de
la
conjugale,
fidélité
comme un scandaleux à redire
jeu il
;
regardent l'adultère
et
Les exemples n'en sont point n'est pas même permis d'y trouver ?
et tous les honnêtes gens se riraient ici
;
de celui qui, par respect pour le mariage, résisterait au penchant de son cœur. En effet, disent-ils, un tort qui n'est que dans l'opinion n'est-il pas nul quand il est secret ? Quel mal reçoit un mari d'une
infidélité
qu'il
ignore
De
?
com-
quelle
une femme ne rachête-t-elle pas ses quelle douceur n'emploie-t-elle pas à fautes ? Privé d'un bien prévenir ou guérir ses soupçons ? et ce imaginaire, il vit réellement plus heureux prétendu crime dont on fait tant de bruit n'est qu'un lien de plus dans la société. A Dieu ne plaise, ô chère amie de mon cœur, plaisance
;
que je veuille rassurer le tien par ces honteuses maximes je les abhorre sans savoir les combattre ; et ma conscience y répond mieux que ma raison. Non que je me fasse fort d'un courage que je hais, mais ni que je voulusse d'une vertu si coûteuse je me crois moins coupable en me reprochant mes !
:
fautes qu'en
regarde
m'efforçant de
comme
le
les
justifier
;
et
je
comble du crime d'en vouloir
ôter les remords.
Je ne
sais
ce
que
j'écris
:
je
me
sens l'âme dans
LA NOUVELLE HÉLOÏSE un
état affreux, pire
avant d'avoir reçu ta
que
si
où
j'étais
L'espoir que tu
lettre.
rends est triste et sombre
même
celui
123
il
:
me
éteint cette lueur
tes attraits pure qui nous guida tant de fois que plus touchants ;
s'en ternissent et ne deviennent je te vois
;
tendre et malheureuse
mon cœur
;
inondé des pleurs qui coulent des yeux, et
je
est
me
reproche avec amertume un bonheur que je ne puis plus goûter qu'aux dépens
du
tien.
Je sens pourtant qu'une ardeur secrète m'anime encore et me rend le courage que veulent m'ôter sais-tu de combien remords. Chère amie, ah de pertes un amour pareil au mien peut te dédommager ? Sais-tu jusqu'à quel point un amant qui
les
!
ne respire que pour toi peut te faire aimer la vie ? Conçois-tu bien que c'est pour toi seule que je vivre, agir, penser, sentir désormais
veux
source délicieuse de
mon
Non,
?
être, je n'aurai plus
d'âme
que ton âme, je ne serai plus rien qu'une partie de toi-même, et tu trouveras au fond de mon cœur une si douce existence que tu ne sentiras point ce que la tienne aura perdu de ses charmes. Eh bien nous serons coupables, mais nous ne serons nous serons coupables, mais nous point méchants !
;
aimerons toujours
la
vertu
:
loin d'oser excuser
nos fautes, nous en gémirons, nous
ensemble, nous
les
rachèterons,
à force d'être bienfaisants et bons.
que
ferais-tu
?
que peux-tu
pleurerons
les
s'il
Julie
faire
?
possible,
est !
Tu
ô Julie ne peux
à mon cœur ; n'a-t-il pas épousé Ces vains projets de fortune qui m'ont
échapper
!
le tien si
sièrement abusé sont oubliés depuis longtemps. vais
m'occuper uniquement des
soins
que
?
grosJe
je dois
JULIE,
i2 + à
mylord Edouard il veut m'entraîner en Angleil prétend que je puis l'y servir. Eh bien ;
terre
!
;
je l'y suivrai je
OU
me
:
mais je
me
déroberai tous
rendrai secrètement près de
;
ans
;
Si je
ne
j'aurai
du
toi.
puis te parler, au moins je t'aurai vue
les
moins baisé tes pas un regard de tes yeux m'aura donné dix mois de vie. Forcé de repartir, en m'éloignant de celle que j'aime, je compterai pour me consoler les pas qui doivent m'en rapprocher. Ces fréquents voyages donneront le change à ton malheureux amant il croira déjà jouir de ta vue ;
;
en partant pour
t'aller
voir
;
le
souvenir de ses
transports l'enchantera durant son retour le sort cruel, ses tristes ans
fait
perdus
;
;
malgré
ne seront pas tout
à
n'y en aura point qui ne soient
il
marqués par des qu'il passera près
plaisirs,
de
moments
courts
et les
toi se multiplieront sur sa vie
entière.
LETTRE XVII DE MADAME D'ORBE A L'AMANT DE JULIE
Votre amante
n'est plus
;
mais
j'ai
retrouvé
amie, et vous en avez acquis une dont
le
mon
cœur peut
vous rendre beaucoup plus que vous n'avez perdu. Julie
est
l'honnête
mariée,
homme
et
digne
de
rendre
heureux
qui vient d'unir son sort au sien.
Après tant d'imprudences, rendez grâces au ciel qui vous a sauvés tous deux, elle de l'ignominie, et vous du regret de l'avoir déshonorée. Respectez ne lui écrivez point ; elle vous son nouvel état en prie. Attendez qu'elle vous écrive c'est ce ;
;
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
Voici le temps où je vais
qu'elle fera dans peu.
connaître vous, et
125
vous méritez l'estime que j'eus pour
si
cœur
votre
si
sensible
est
à
une amitié
pure et sans intérêt.
LETTRE
XVIII
Dans une longue mais
très belle lettre Julie raconte à circonstances de son mariage avec M. de Wolmar, et le prie de ne plus penser à elle. Elle lui Nous commençons rappelle l'histoire de leurs amours. au point où M. de Wolmar entre en scène:
Saint-Preux
les
—
Mon chez
une
père, en quittant le service, avait
lui
de Wolmar
M.
la
:
de vingt ans,
liaison
lui
rendaient cet ami
cher, qu'il ne pouvait se séparer de lui.
Wolmar
avançait en âge
et,
;
amené
vie qu'il lui devait, et
M.
si
de
quoique riche et de
ne trouvait point de femme qui lui convînt. Mon père lui avait parlé de sa fille en homme qui souhaitait de se faire un gendre de son ami il fut question de la voir, et c'est dans
grande naissance,
il
:
ce dessein qu'ils firent le voyage ensemble. destin voulut
que
je plusse à
M.
Mon
de Wolmar, qui
Ils se donnèrent secrètede Wolmar, ayant beaucoup d'affaires à régler dans une cour du Nord où étaient sa famille et sa fortune, il en demanda le temps, et partit sur cet engagement mutuel.
n'avait jamais rien aimé.
ment
leur parole
;
Après son départ,
et
M.
mon
père nous déclara à
ma
mère et à moi qu'il me l'avait destiné pour époux, et m'ordonna d'un ton qui ne laissait point de réplique à
ma
Ma
timidité de
me
disposer à recevoir
mère, qui n'avait que trop remarqué
sa
main.
le
penchant de
mon
cœur, et qui
se sentait
pour
OU
JULIE,
126
vous une inclination naturelle, essaya plusieurs d'ébranler cette résolution
poser, elle parlait de manière à
de
la
fois
sans oser vous pro-
:
donner
à
mon
père
considération pour vous et le désir de vous
connaître
mais
:
la qualité
qui vous manquait
le
rendit insensible à toutes celles que vous possédiez et,
convenait que
s'il
remplacer,
la
;
naissance ne les pouvait
prétendait qu'elle seule pouvait les
il
faire valoir.
L'impossibilité qu'elle eût
dû
d'être
éteindre.
Une
irrita
des feux
flatteuse illusion
me
je perdis avec elle la mes peines supporter. Tant qu'il me fût resté
soutenait dans force de les
heureuse
;
quelque espoir d'être à vous, peut-être aurais-je triomphé de moi il m'en eût moins coûté de vous résister toute ma vie que de renoncer à vous pour jamais et la seule idée d'un combat éternel m'ôta ;
;
le
courage de vaincre.
tristesse et l'amour consumaient mon cœur tombai dans un abattement dont mes lettres se Celle que vous m'écrivîtes de Meillerie sentirent. à mes propres douleurs se joignit y mit le comble c'est Hélas le sentiment de votre désespoir.
La
;
je
;
!
toujours l'âme la plus faible qui porte
les
peines
de toutes deux. Le parti que vous m'osiez proL'infortune poser mit le comble à mes perplexités. de mes jours était assurée, l'inévitable choix qui me restait à faire était d'y joindre celle de mes parents ou
la
vôtre.
horrible alternative
terme
;
:
Je ne pus supporter cette de la nature ont un
les forces
tant d'agitations épuisèrent les miennes.
Le ciel parut Je souhaitai d'être délivrée de la vie. avoir pitié de moi : mais la cruelle mort m'épargna
LA NOUVELLE HÉLOÏSE me
pour
Je vous
perdre.
127
guérie, et je
vis, je fus
péris. Si je
ne trouvai point
bonheur dans mes
le
fautes,
Je sentais que vertu, et qu'il ne
je n'avais jamais espéré l'y trouver.
mon cœur
était
fait
pour
pouvait être heureux sans faiblesse
non par erreur
et
l'excuse de l'aveuglement.
espoir
;
Il
je
;
succombai par
je
n'eus pas
même
ne
me
aucun
restait
ne pouvais plus qu'être
je
;
la
elle
infortunée.
L'innocence et l'amour m'étaient également nécesne pouvant les conserver ensemble, et
saires
;
voyant votre égarement,
mon
dans
Mais à-
il
n'est pas
vprtn
la
me
choix, et
e\\f
•
l'ab_a ndonnent
;
ne consultai que vous
je
perdis pour vous sauver.
,
qu'o n pense de reno ncer \-£}nt> r Uj tnnrmpntp longtemps ppiiy, qni si
facile
>
et ses charmes, qui font les dél ices
des âmes pures, font le premier supplice
yfu*
du méchant
enc ore et n'e n saurait pJus_Jouir. Coupable et non dépravée, je ne pus échapper aux remords qui m'attendaient l'honnêteté me fut qui
les
ajrr\e
;
chère
même
après l'avoir perdue
quand tout
ma et
l'univers
mieux
pas
douleur
en qui
honte, pour
en eût été témoin,
sentie.
comme un
le
ma
ne m'en fut pas moins amère
être secrète,
l'aurais
;
Je
me
;
et
je
ne
consolais dans
blessé qui craint la gangrène,
sentiment de son mal soutient l'espoir
d'en guérir.
Cependant
cet état d'opprobre m'était odieux.
A force de vouloir étouffer le reproche sans renoncer au crime,
il
m'arriva ce qu'il arrive à toute
âme
honnête qui s'égare et qui se plaît dans son égarement. Une illusion nouvelle vint adoucir l'amer-
tume du
repentir
;
j'espérai tirer
de
ma
faute
un
I
moyen de
la réparer, et j'osai
mon
contraindre
former
père à nous unir.
le
projet de
Le premier
de notre amour devait serrer ce doux lien demandais au ciel comme le gage de mon
fruit
:
je le
retour à
vertu et de notre bonheur
la
comme une
je le désirais
pu
OU
JULIE,
128
le
craindre
son prestige consolait de
ma
dais, et faisait
l'espoir
Sitôt
mon
ma
de
que
commun
;
place aurait
tendre amour, tempérant par
le
:
murmure de
le
ma
autre à
d'une
si
me
conscience,
la
faiblesse par l'effet
que
chère attente
le
j'en atten-
charme
et
vie.
marques sensibles de en présence de
j'aurais porté des
état, j'avais résolu d'en faire,
toute
ma
une déclaration publique
famille,
à
M.
Perret. 1
Je suis timide, il est vrai ; je sentais tout mais l'honneur même ce qu'il m'en devait coûter :
animait
une
mon
fois
courage, et j'aimais mieux supporter
confusion que j'avais méritée, que de mon cœur.
la
nourrir une honte éternelle au fond de
me
Je savais que
mon
mon amant
cette alternative n'avait rien d'effra-
;
yant pour moi
;
père
et,
visageais dans cette
donnerait
la
mort ou
de manière ou d'autre, j'enla fin de tous mes
démarche
malheurs.
Tel était, mon bon ami, le mystère que je voulus vous dérober, et que vous cherchiez à pénétrer avec une si curieuse inquiétude. Mille raisons me forçaient
à
réserve
cette
avec
un homme
aussi
emporté que vous, sans compter qu'il ne fallait pas armer d'un nouveau prétexte votre indiscrète importunité.
Il
était
éloigner durant une 1
si
à
propos surtout de vous
périlleuse scène, et je
Pasteur du
lieu.
savais
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
129
bien que vous n'auriez jamais consenti à m'abandonner dans un danger pareil s'il vous eût été connu.
Hélas
je fus
!
Le
espérance.
crime
le
si
douce
conçus dans
ne méritais pas l'honneur d'être mère
je
;
encore abusée par une
ciel rejeta des projets
mon
attente resta toujours vaine, et d'expier ma faute aux dépens de
;
me fut refusé ma réputation. il
Dans
le désespoir que j'en conçus, l'imprudent rendez-vous qui mettait votre vie en danger fut une témérité que mon fol amour me voilait d'une si
douce excuse
succès de désirs le soin
Je
je m'en prenais à moi du mauvais mes vœux, et mon cœur abusé par ses :
ne voyait dans l'ardeur de les contenter que de les rendre un jour légitimes.
les
crus
fut la source
un du
instant accomplis
plus cuisant de
:
cette erreur
mes
regrets
;
et
l'amour exaucé par la nature n'en fut que plus cruellement trahi par la destinée. Vous avez su x quel accident détruisit, avec
dans
mon
sein,
le
dernier
le
germe que je portais fondement de mes
Ce malheur m'arriva précisément dans temps de notre séparation comme si le ciel eût
espérances. le
:
voulu m'accabler alors de tous les maux que j'avais mérités, et couper à la fois tous les liens qui pouvaient nous unir.
Votre départ fut la fin de mes erreurs ainsi que de mes plaisirs je reconnus, mais trop tard, les chimères qui m'avaient abusée. Je me vis aussi :
méprisable que je
heureuse que
l'étais
devenue, et aussi malavec un amour
je devais toujours l'être
sans innocence et des désirs sans espoir qu'il m'était
impossible d'éteindre. 1
Tourmentée de
mille vains
Ceci suppose d'autre lettres que nous n'avons pas. I
— OU
JULIE,
130
doulou-
regrets, je renonçai à des réflexions aussi
reuses qu'inutiles je songeasse
:
ne
je
moi-même,
à
que
valais plus la peine je
ma
consacrai
vie à
Je n'avais plus d'honneur que plus d'espérance qu'en votre bonheur,
m'occuper de vous. vôtre,
le
me venaient de vous étaient dont je crusse pouvoir être encore émue. L'amour ne m'aveuglait point sur vos défauts,
et les sentiments qui les seuls
mais
il
me
que
sion,
les
je
rendait chers
;
et telle était son illu-
vous aurais moins aimé
été plus parfait.
si
vous aviez
Je connaissais votre cœur, vos je savais qu'avec plus de courage
emportements que moi vous aviez moins de patience, et que les maux dont mon âme était accablée mettraient la vôtre au désespoir ; c'est par cette raison que je vous cachai toujours avec soin les engagements de ;
mon
père
;
et, à
notre séparation, voulant profiter
mylord Edouard pour votre fortune et vous en inspirer un pareil à vous-même, je vous flattai d'un espoir que je n'avais pas. Je fis plus connaissant le danger qui nous menaçait, je pris la
du
zèle de
;
seule précaution qui pouvait nous en garantir
vous engageant avec
ma
parole
ma
;
qu'il m'était possible, je tâchai d'inspirer à vous la confiance, à
que
je n'osasse
moi de
la
et,
liberté autant
de
fermeté, par une promesse
enfreindre et qui pût vous tranquil-
un devoir puéril, j'en conviens, et cependant je ne m'en serais jamais départie. La vertu est si nécessaire à nos cœurs, que, quand on a une fois abandonné la véritable, on s'en fait ensuite
liser.
une
C'était
à sa
mode,
et l'on
y tient plus fortement peut-
être parce qu'elle est de notre choix.
Depuis longtemps
je pleurais
.
.
.
en secret
la
meil-
LA NOUVELLE HÉ LOI SE
131
des mères, qu'une langueur mortelle consumait insensiblement. Babi, à qui le fatal effet leure
ma
de
chute m'avait forcée à
amours
et lui découvrit nos
me
et
cant
acheva d'ôter
la tristesse
;
cousine qu'elles
Le témoignage
surprises.
convain-
était
ma mère
à
trahit
A peine
fautes.
ma
eus-je retiré vos lettres de chez
furent
me
confier,
mes
le
peu
de forces que son mal lui avait laissé. Je faillis expirer de regret à ses pieds. Loin de m'exposer à la mort que je méritais, elle voila ma honte, et se contenta d'en gémir vous-même, qui l'aviez si ;
cruellement abusée, ne pûtes
devenir odieux.
lui
Je fus témoin de l'effet que produisit votre lettre sur son cœur tendre et compatissant. Hélas elle !
bonheur
désirait votre
d'une à
fois.
jamais
.
.
ordonné.
sert
Le
?
mien.
de rappeler une espérance en avait autrement
ciel
fille si
un époux
fléchir
peu digne
Accablée d'une
si
gémissante étouffa
je
;
me
jamais.
les
le
fallait,
semblait
tristesse
la
voix de
la
n'eut
nature
Je cause de tant de
et renoncer à vous
sans doute
favoriser
attendrit l'âme,
l'endurcit.
la
voulus étouffer enfin l'odieuse passion
assez de quoi pleurer le reste de incessamment de nouveaux
Tout
;
murmures de l'amour.
les avait attirés, Il
mon âme
cruelle perte,
dans une espèce d'horreur
maux qui
sévère, et de laisser
d'elle.
plus de force que pour la sentir
pris
Elle tenta plus
Elle finit ses tristes jours dans la douleur
de n'avoir pu
une
Que
.
éteinte
et le
ma
;
ma vie sujets
pour
n'avais-je pas
sans chercher
de
larmes
résolution.
une profonde
Si
?
la
affliction
Le souvenir de ma mère mourante
effaçait le vôtre
;
nous étions éloignés
;
l'espoir
JULIE,
132
OU
m'avait abandonnée. Jamais mon incomparable amie ne fut si sublime ni si digne d'occuper seule
mon cœur
tout
sa vertu, sa raison,
;
son amitié,
tendres caresses, semblaient l'avoir purifié
ses
vous crus oublié, tard
crus guérie.
Il était
;
je
trop
que l'abattement du désespoir. un malade qui cesse de souffrir en tom-
éteint n'était
Comme bant en
ranime
faiblesse se
à
de plus vives douleurs,
bientôt renaître toutes
je sentis
père m'eut annoncé
de Wolmar.
me
me
ce que j'avais pris pour la froideur d'un
;
amour
mon
je
Ce
le
fut alors
miennes quand
les
prochain retour de
que
l'invincible
M.
amour
rendit des forces que je croyais n'avoir plus.
Pour
première
ma
de
en nettement que jamais ne me serait rien, que j'étais déterminée à mourir fille, qu'il était maître de ma vie, mais non pas de mon cœur, et que rien ne me ferait changer de volonté. Je ne vous parlerai ni de sa colère ni des traitements que j'eus à soufla
face à
fois
mon père je M. de Wolmar ;
vie j'osai résister
lui protestai
ma timidité surmontée Je fus inébranlable m'avait portée à l'autre extrémité et si j'avais le
frir.
:
;
ton moins impérieux que
mon
père, je l'avais tout
aussi résolu.
que
vit
Il
j'avais
pris
mon
et
parti,
Un
gagnerait rien sur moi par autorité. je
me
quand tout
à
coup
je vis à
ne
instant
mais que mes pieds le
crus délivrée de ses persécutions
devins-je
qu'il
;
plus sévère des pères attendri et fondant en larmes
Sans
me
genoux,
me
permettre de et, fixant ses
me
lever,
:
me
?
serrait les
yeux mouillés sur les miens, il que j'entends encore Ma fille, respecte les cheveux
dit d'une voix touchante
au-dedans de moi
il
LA NOUVELLE HÉLOÏSE blancs de ton malheureux père
ne
;
descendre avec douleur au tombeau, qui te porta dans son sein
ah
;
le
pas
fais
comme
celle
veux-tu donner
!
mort à toute ta famille ? Concevez mon saisissement.
133
la
Cette attitude, ce
me
ton, ce geste, ce discours, cette affreuse idée,
me
bouleversèrent au point que je
aller
laissai
demi-morte entre ses bras, et ce ne fut qu'après bien des sanglots dont j'étais oppressée que je pus lui répondre d'une voix altérée et faible O mon père j'avais des armes contre vos menaces, je n'en :
!
ai
point contre vos pleurs
mourir votre
Nous
;
c'est
vous qui ferez
fille.
deux tellement
étions tous
agités
que nous
ne pûmes de longtemps nous remettre. Cependant, en repassant en moi-même ses derniers mots, je
conçus qu'il était plus instruit que
me
cru, et, résolue de
je n'avais
prévaloir contre lui de ses
propres connaissances, je
me
préparais à lui faire,
au péril de ma vie, un aveu trop longtemps différé, quand, m'arrêtant avec vivacité comme s'il eût prévu et craint ce que ainsi
j'allais lui dire, il
me
parla
:
" Je
sais
quelle fancaisie indigne d'une
temps de
sacrifier
au devoir et
bien
fille
née vous nourrissez au fond de votre cœur
:
il
à l'honnêteté
est
une
passion honteuse qui vous déshonore et que vous
qu'aux dépens de ma vie. que l'honneur d'un père et le vôtre exigent de vous, et jugez-vous vous-même. " M. de Wolmar est un homme d'une grande ne
satisferez
Écoutez une
naissance,
peuvent
jamais
fois ce
distingué
la soutenir,
par
toutes
qui jouit de
les la
qualités
qui
considération
OU
JULIE,
134 publique et qui
la
Je lui dois la vie
mérite.
savez les engagements que qu'il allé il
;
vous
Ce
pris avec lui.
j'ai
faut vous apprendre encore, c'est qu'étant
dans son pays pour mettre ordre à
s'est
trouvé enveloppé dans
tion, qu'il
y
perdu
a
la
ses affaires,
dernière révolu-
lui-même
ses biens, qu'il n'a
en Sibérie que par un bonheur singulier, et qu'il revient avec le triste débris de sa
échappé
à
l'exil
fortune, sur la parole de son ami, qui n'en
jamais à personne.
manqua
Prescrivez-moi maintenant
dirai-je
Monsieur,
:
je
vous
tandis que vous étiez riche
vous n'avez plus rien veut point de vous j'énonce
mon
je ?
me
ai
promis
mais
:
à
ma
fille
présent que
rétracte, et
ma
fille
ne
pas ainsi que
Si ce n'est
refus, c'est ainsi
la
Lui
réception qu'il faut lui faire à son retour.
qu'on l'interprétera
:
vos amours allégués seront pris pour un prétexte, et ou ne seront pour moi qu'un affront de plus nous passerons, vous pour une fille perdue, moi pour un malhonnête homme qui sacrifie son devoir et ;
un
sa foi à
vil intérêt, et joint l'ingratitude à l'in-
Ma
fidélité.
fille, il
est trop
tard pour finir dans
l'opprobre une vie sans tache
d'honneur
ne
s'abandonnent
;
soixante ans
et
pas
en
un quart
d'heure.
" Voyez donc, continua-t-il, combien tout ce que vous pouvez me dire est à présent hors de voyez si des préférences que la pudeur propos désavoue, et quelque feu passager de jeunesse peu;
vent jamais être mis en balance avec
le
devoir d'une
compromis d'un père. S'il n'était question pour l'un des deux que d'immoler son bonheur à l'autre, ma tendresse vous disputerait un
fille
et l'honneur
LA NOUVELLE HÉLOÏSE doux
si
sacrifice
;
mon
mais,
parlé, et, dans le sang
135
enfant, l'honneur a
dont tu
toujours
sors, c'est
qui décide."
lui
Je ne manquais pas de bonnes réponses à ce discours ; mais les préjugés de mon père lui donnent des principes
différents des miens,
si
que des raisons
me semblaient sans réplique ne l'auraient pas même ébranlé. D'ailleurs, ne sachant ni d'où lui qui
venaient
ma
sur
les
lumières qu'il paraissait avoir acquises
conduite, ni jusqu'où
elles
pouvaient
aller
;
craignant, à son affectation de m'interrompre, qu'il
n'eût déjà pris son parti sur ce que j'avais à lui dire
et,
;
que
plus que tout cela, retenue par une honte
pu
je n'ai jamais
vaincre, j'aimai
me
ployer une excuse qui
qu'elle était plus selon sa lui
manière de penser.
déclarai sans détour l'engagement
pris avec vous
;
je protestai
querais point de parole, arriver, je
me
ne
mieux em-
parut plus sûre, parce
que
et
je
que
Je
j'avais
ne vous man-
que, quoi qu'il pût
marierais jamais sans votre con-
sentement.
En effet,
je
m'aperçus avec joie que
ne
lui déplaisait pas
sur
ma
:
promesse, mais
il il
me
parole
la foi
comme une
de
mon scrupule reproches
vifs
n'y objecta rien
gentilhomme plein d'honneur haute idée de
fit
a
;
tant
un
naturellement une
des engagements, et regarde la
chose toujours sacrée
!
Au
lieu
donc de s'amuser à disputer sur la nullité de cette promesse, dont je ne serais jamais convenue, il m'obligea d'écrire un billet, auquel il joignit une Avec quelle lettre qu'il fit partir sur-le-champ. agitation n'attendis-je point votre réponse
bien
je
fis
de
vœux pour vous
!
com-
trouver moins de
OU
JULIE,
136
que vous ne deviez en avoir
délicatesse
Mais
!
je
vous connaissais trop pour douter de votre obéissance, et je savais
que plus
serait pénible, plus
vous seriez prompt
La réponse
poser.
ma
maladie
après
:
vint
Au
mon
moins
plus
père
me
me
vous l'im-
mes
que
mot
le terrible
m'avait dit lui donnait sur mes volontés, jurer que je ne dirais rien à
détourner de m'épouser
le
paraîtrait
lui
un
quelque prix que ce
Vous
savez,
le
M.
Wolmar
de
soit,
ami,
ma
santé,
fatigue et les injures de
résister
aux intempéries des passions,
trop sensible cœur qu'est et de
mon
à
meure de douleur.
mon
la
maux
cela et,
faut que ce mariage
il
contre
mon
fit
qui pût
car, ajouta-t-il,
;
qu'il
me
il
concerté entre nous,
jeu
s'achève ou que je
craintes
resta plus d'excuses.
déclara qu'il n'en recevrait
et avec l'ascendant
;
exigé vous
à
fut cachée durant
rétablissement
ne
il
me
elle
;
mon
furent confirmées, et
le sacrifice
corps et de
la
robuste
si
l'air,
ne peut
et c'est
dans
source de tous
mon
les
Soit que
âme.
de longs chagrins eussent corrompu mon sang, soit que la nature eût pris ce temps pour l'épurer d'un levain funeste, je fin
me
incommodée à la la chambre de pour vous écrire un mot, et
sentis fort
En
de cet entretien.
mon père je m'efforçai me trouvai si mal qu'en
sortant de
rne mettant au
lit
j'espérai
ne m'en plus relever. Tout le reste vous est trop mon imprudence attira la vôtre. Vous connu ;
vîntes
je
;
vous
vis, et
rêves qui vous offraient
Mais quand
délire.
que
je
crus n'avoir fait si
souvent
j'appris
à
qu'un de
ces
moi durant mon
que vous étiez venu,
vous avais vu réellement, et que, voulant
partager
le
mal dont vous ne pouviez
me
guérir,
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
137
vous l'aviez pris à dessein,
je ne pus supporter cette voyant un si tendre amour survivre à l'espérance, le mien, que j'avais pris tant de peine à contenir, ne connut plus de frein, et se ranima bientôt avec plus d'ardeur que jamais. je vis qu'il fallait aimer malgré moi, je sentis qu'il fallait être coupable que je ne pouvais résister ni à mon père ni à mon amant, et que je n'accorderais jamais les droits de l'amour et du sang qu'aux dépens de l'honnêteté. Ainsi tous mes bons sentiments achevèrent de s'éteindre, toutes mes facultés s'altérèrent, le crime perdit son horreur à mes yeux, je me sentis tout autre au dedans de moi enfin, les transports effrénés d'une passion rendue furieuse
dernière épreuve
et
;
;
;
par
me
obstacles
les
jetèrent dans le plus affreux
désespoir qui puisse accabler une
pérer de
la
remords qu'à
réveiller les
Mon
m'égarer. raison ne
sophes souillé les
;
Votre
vertu.
âme
les
j'osai déses-
:
plus propre
lettre,
à
prévenir, acheva de
était si corrompu que ma aux discours de vos philodes horreurs dont l'idée n'avait jamais
put
cœur
résister
mon esprit osèrent s'y présenter.
La volonté
combattait encore, mais l'imagination s'accoutu-
mait
à les voir
et
;
si
mon
crime au fond de
je
ne portais pas d'avance
cœur,
le
je n'y portais plus ces
résolutions généreuses qui seules peuvent lui résister.
M.
.
de
.
.
Wolmar
arriva, et
mon
changement de laissa
pas respirer.
finir,
et
ma
visage.
Le
ne
deuil de
douleur était
à
rebuta pas du
se
Mon
père
ne
ma mère
l'épreuve
me
allait
du temps.
Je ne pouvais alléguer ni l'un ni l'autre pour éluder
ma
promesse
;
il
fallut l'accomplir.
Le
jour qui
JULIE,
138
OU
moi me parut vu les apprêts de ma sépulture avec moins d'effroi que ceux de mon mariage. Plus j'approchais du moment fatal, moins je pouvais déraciner de mon cœur mes elles s'irritaient par mes premières affections Enfin, je me lassai de efforts pour les éteindre. combattre inutilement. Dans l'instant même où j'étais prête à jurer à un autre une éternelle fidélité, mon cœur vous jurait encore un amour éternel, et je fus menée au temple comme une victime impure qui souille le sacrifice où l'on va l'immoler. Arrivée à l'église, je sentis en entrant une sorte d'émotion que je n'avais jamais éprouvée. Je ne
devait m'ôter pour jamais à vous et à le
ma
dernier de
vie.
J'aurais
:
sais
quelle terreur vint saisir
mon âme
simple et auguste, tout rempli de
dans ce lieu
la
majesté de
qu'on y sert. Une frayeur soudaine me fit frissonner tremblante et prête à tomber en défaillance, j'eus peine à me traîner jusqu'au pied de celui
;
la
Loin de me remettre,
chaire.
trouble augmenter durant
me
apercevoir
laissait
être épouvantée.
profond
silence
modeste et
Le
recueilli, le
citait à l'attention et
sentis
objets,
c'était
mon
et
;
s'il
pour en
jour sombre de l'édifice, le leur
maintien
cortège de tous mes parents,
mon
à ce qui s'allait passer
je
cérémonie
spectateurs,
des
l'imposant aspect de
les
la
un
vénéré père, tout donnait
de solennité qui m'exau respect, et qui m'eût fait air
la seule idée d'un parjure. Je crus voir l'organe de la Providence et entendre la voix de
frémir à
Dieu dans
le
sainte liturgie.
du mariage,
si
ministre prononçant gravement la
La
pureté, la dignité, la sainteté
vivement exposées dans
les
paroles
LA NOUVELLE HËLOÏSE
139
de l'Écriture, ses chastes et sublimes devoirs si importants au bonheur, à l'ordre, à la paix, à la durée du genre humain, si doux à remplir pour euxmêmes tout cela me fit une telle impression, que ;
intérieurement une révolution subite.
je crus sentir
Une
puissance inconnue sembla corriger tout à
coup
le
désordre de mes affections et
selon la loi
du devoir
les rétablir
L'œil éternel
et de la nature.
qui voit tout, disais-je en moi-même, tenant au fond de volonté cachée à
la
lit
main-
mon cœur il compare ma le ciel réponse de ma bouche ;
:
et la terre sont
témoins de l'engagement sacré que
prends
seront encore de
;
le
ils
ma
je
fidélité à l'ob-
Quel droit peut respecter parmi les hommes quiconque ose violer le premier de tous ? J'envisageai le saint nœud que j'allais former comme un nouvel état qui devait purifier mon âme
server.
.
et la rendre à tous ses devoirs.
me demanda parfaite à
bouche
et
je
si
celui
Quand
le
.
.
pasteur
promettais obéissance et fidélité
que
mon cœur
j'acceptais le
pour époux,
promirent.
ma
Je le tiendrai
jusqu'à la mort.
De
retour au logis, je soupirais après une heure
de solitude sans peine
et
de recueillement. Je l'obtins, non empressement que j'eusse
et quelque
;
d'en profiter, je ne m'examinai d'abord qu'avec
répugnance, craignant de n'avoir éprouvé qu'une fermentation passagère en changeant de condition, et de j'avais
me été
retrouver aussi peu digne épouse que fille
mais dangereuse. Je
me
peu Je
sage.
L'épreuve était sûre,
commençai par songer
à
vous.
rendais le témoignage que nul tendre souvenir
n'avait profané l'engagement solennel
que
je venais
JULIE,
140
de prendre.
OU
ne pouvais concevoir par quel
Je
prodige votre opiniâtre image m'avait pu
laisser si
longtemps en paix avec tant de sujets de me la rappeler je me serais défiée de l'indifférence et de l'oubli, comme d'un état trompeur qui m'était trop peu naturel pour être durable. Cette illusion n'était guère à craindre je sentis que je vous ;
;
aimais autant et plus peut-être que je n'avais jamais
Je vis que je pour penser à vous d'oublier que j'étais la femme d'un autre. En me disant combien vous m'étiez cher, mon cœur était ému, mais ma conscience et mes sens étaient tranquilles ; et je connus dès ce moment que j'étais réellement changée. Quel torrent de pure joie vint alors inonder mon âme Quel sentiment de paix, effacé depuis si longtemps, vint ranimer ce cœur flétri par l'ignofait
mais je
;
le sentis sans rougir.
n'avais pas besoin
!
minie, et répandre dans tout
nouvelle
!
Je crus
me
mon
commencer une autre vie. Douce vertu, je la recommence pour toi
;
me
la
rendras chère
consacrer.
Ah
;
j'ai
!
c'est à
une sérénité
être
sentir renaître
;
et
consolante
c'est toi
que
toi
je crus re-
je la
trop appris ce qu'il en coûte
pour t'abandonner une seconde fois Dans le ravissement d'un changement si grand, prompt, si inespéré, j'osai considérer l'état où
à te perdre,
si
qui
veux
!
j'étais la veille
je frémis
;
de l'indigne abaissement
où m'avait réduite l'oubli de moi-même et de tous les dangers que j'avais courus depuis mon premier égarement.
A
danger dont et
.
.
l'instant,
.
pénétrée
d'un
j'étais délivrée, et
de sûreté où
je
me
vif
de
sentiment
l'état
du
d'honneur
sentais rétablie, je
me
pros-
LA NOUVELLE HÉ LOI SE ternai contre terre, j'élevai vers le ciel
suppliantes, j'invoquai l'être dont
il
141
mes mains
est le trône,
ou détruit quand il lui plaît par nos nous donne. Je veux, lui dis-je, le bien que tu veux, et dont toi seul es la source. Je veux aimer l'époux que tu m'as donné. Je veux être fidèle, parce que c'est le premier devoir qui lie la famille et toute la société. Je veux être chaste, parce que c'est la première et qui soutient
propres forces
la liberté qu'il
vertu qui nourrit toutes
établi, et
Je remets
aux
la
la raison
nature que tu as
que
je tiens
sous ta garde et
mes
de
toi.
désirs
Rends toutes mes actions conformes
ta main.
ma
de
règles
mon cœur
Je veux tout
les autres.
ce qui se rapporte à l'ordre de
volonté constante, qui est
tienne
la
et
;
en à
ne
permets plus que l'erreur d'un moment l'emporte sur le choix de toute ma vie. Après cette courte prière, la première que j'eusse avec un vrai zèle, je
faite
affermie dans et
si
doux de
je devais
mes les
résolutions, suivre,
que
me il
sentis
me
je vis
tellement
parut
si
facile
clairement où
chercher désormais
besoin pour résister à
mon
la force dont j'avais propre cœur, et que je
ne pouvais trouver en moi-même. seule
découverte
déplorai le triste
manquer à
fait
si
sans
Je tirai de cette une confiance nouvelle, et je aveuglement qui me l'avait fait
longtemps. religion
;
Je n'avais jamais été tout mais peut-être vaudrait-il
mieux n'en point avoir du tout que d'en avoir une cœur
extérieure et maniérée, qui sans toucher le
de se borner à des formules, de croire exactement en Dieu à certaines heures
rassure la conscience et
;
pour n'y plus penser
le reste
du temps.
Scrupu-
JULIE,
142
OU
leusement attachée au culte public,
pour
rien tirer
bien née, et à réfléchir,
la
pratique de
ma
me livrais à mes et me fiais à ma
n'en savais
je
vie.
me
Je
penchants raison
sentais
j'aimais
;
ne pouvant
;
accorder l'esprit de l'Évangile avec celui du monde,
un milieu qui maximes
ni la foi avec les œuvres, j'avais pris
ma
contentait
vaine sagesse
j'avais des
;
pour croire et d'autres pour agir un lieu ce que j'avais pensé dans
j'oubliais dans
;
dévote à
et philosophe
l'église
je n'étais rien nulle part
;
l'autre
au
mes
j'étais
;
logis.
Hélas
!
prières n'étaient
que des mots, mes raisonnements des sophismes, et je suivais pour toute lumière la fausse lueur des feux errants qui me guidaient pour me perdre. Je ne puis vous dire combien ce principe intérieur qui m'avait manqué jusqu'ici m'a donné de mépris pour ceux qui m'ont si mal conduite. Quelle était, je
vous prie, leur raison première
base étaient-ils fondés
porte au bien
la
détruire
?
beauté de
je tire la
commune.
et sur quelle
?
heureux instinct
une violente passion
:
a sa racine dans le
pour
Un
?
s'élève
;
me elle
même instinct que ferai-je De la considération de l'ordre ;
la
vertu, et sa bonté, de l'utilité
Mais que
fait
tout cela contre
mon
m'importe le plus, de mon bonheur aux dépens du reste des hommes, ou du bonheur des autres aux dépens du mien ? Si la crainte de la honte ou du châtiment intérêt particulier
?
m'empêche de mal
et lequel au fond
faire
qu'à mal faire en secret,
me dire comme à ;
et
si
le
la
non
mon
profit, je n'ai
vertu n'a plus rien à
je suis surprise
Sparte,
Enfin, que
pour
le délit,
en faute, on punira, mais
caractère et l'amour
la
maladresse.
du beau
soient
LA NOUVELLE HÉLOÏSE empreints par
ma
j'aurai
fond de mon âme, longtemps qu'ils ne seront
nature au
la
règle aussi
point défigurés.
143
Mais comment m'assurer de con-
server toujours dans sa pureté cette effigie inté-
parmi les êtres sensibles, de modèle auquel on puisse la comparer ? Ne sait-on pas que les affections désordonnées corrompent le jugement ainsi que la volonté, et que la conscience rieure qui n'a point,
modifie insensiblement dans chaque dans chaque peuple, dans chaque individu,
s'altère et se siècle,
selon l'inconstance et la variété des préjugés
Adorez l'Etre d'un
mon
éternel,
?
digne et sage ami
;
vous détruirez ces fantômes de raison qui n'ont qu'une vaine apparence, et fuient comme souffle
une ombre devant l'immuable vérité. Rien n'existe que par celui qui est c'est lui qui donne un but à la justice, une base à la vertu, un prix à cette courte vie employée à lui plaire c'est lui qui ne cesse de crier aux coupables que leurs crimes secrets :
;
ont été vus, et qui
dire au juste oublié
sait
un témoin
vertus ont
c'est lui, c'est sa
;
inaltérable qui est le vrai
dont
nous
mêmes.
.
.
portons
tous
d'ailleurs
aux vertus qu'il aime non par choix. Si tous ;
suit sans contrainte
l'étaient pas, car
celui qui reconnaît
hommes
modèle des perfections une image en nous-
.
Un incrédule,
ne
Tes
:
substance
;
il
il
heureusement né, fait le
ses désirs
et
sont droits,
les suivrait
pourquoi
de
père
il
même
se gênerait-il
sert le
se livre
bien par goût et
?
les
s'ils
Mais
commun
des
une plus haute destination l'ardeur de la remplir anime son zèle et, suivant une règle plus sûre que ses penchants, il sait faire se
croit
:
;
le
OU
JULIE,
144
bien qui lui coûte, et sacrifier
cœur
à
sacrifice
appelés.
du
loi
la
Tel
devoir.
de son
les désirs
mon
est,
ami, le
héroïque auquel nous sommes tous deux L'amour qui nous unissait eût fait le
charme de notre vie. Il survécut à l'espérance il il supporta toutes le temps et l'éloignement ;
brava les
;
Un
épreuves.
sentiment
point périr de lui-même
immolé qu'à
la
;
il
si
parfait ne devait
était
digne de n'être
vertu.
tout est changé entre nous ; Je vous dirai plus faut nécessairement que votre cœur change. :
il
Julie de la
Wolmar
n'est plus votre ancienne Julie
;
révolution de vos sentiments pour elle est inévi-
et il ne vous reste que le choix de faire honneur de ce changement au vice ou à la vertu. J'ai dans la mémoire un passage d'un auteur que " L'amour, dit-il, est privé vous ne récuserez pas de son plus grand charme quand l'honnêteté l'abandonne. Pour en sentir tout le prix, il faut que le cœur s'y complaise, et qu'il nous élève en élevant Ôtez l'idée de la perfection, vous l'objet aimé.
table,
:
ôtez l'enthousiasme
;
ôtez l'estime, et l'amour n'est
Comment une femme
plus rien.
un homme pourra-t-il
qu'elle
honorer lui-même
un
craint de s'abandonner à
bientôt
ils
se
honorera-t-elle
mépriser
doit
vil
Comment
?
qui
celle
n'a
corrupteur
mépriseront mutuellement.
?
pas
Ainsi
L'amour,
ce sentiment céleste, ne sera plus pour eux qu'un
honteux commerce.
Ils
auront perdu l'honneur,
et n'auront point trouvé la félicité."
mon ami
leçon,
;
c'est
x
Voilà notre
vous qui l'avez dictée.
Jamais nos cœurs s'aimèrent-ils plus délicieusement, 1
Voyez
la
première partie, Lettre
XXIV.
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
145
que temps heureux où cette lettre fut écrite ? Voyez donc à quoi nous mèneraient aujourd'hui de coupables feux nourris aux dépens des plus doux et jamais l'honnêteté leur fut-elle aussi chère
dans
le
transports qui ravissent l'âme
qui nous est
L'horreur du vice
!
deux s'étendrait
naturelle à tous
si
complice de nos fautes
nous nous pour nous être trop aimés, et l'amour
bientôt sur haïrions
le
dans
s'éteindrait
les
Ne
remords.
;
vaut-il
pas
mieux épurer un sentiment si cher pour le rendre durable ? Ne vaut-il pas mieux en conserver au moins ce qui peut s'accorder avec l'innocence ? N'est-ce pas conserver tout ce qu'il eut de plus
charmant
Oui,
?
mon bon
nous aimer toujours
Oublions tout âme. tout.
.
.
digne ami, pour
et
faut renoncer l'un à l'autre.
l'amant de mon douce qu'elle console de
reste, et soyez
est
si
.
vous perdez une tendre amante, vous gagnez
Si
une
le
Cette idée
il
fidèle
amie
;
et,
quoi que nous en ayons
dire durant nos illusions, je doute
ment vous parti
soit
désavantageux.
que moi,
je
Tirez-en
le
même
vous en conjure, pour devenir
meilleur et plus sage, et pour épurer par des
chrétiennes
pu
que ce change-
leçons
de
mœurs
Je ne heureuse que vous ne soyez heureux
les
serai jamais
la
philosophie.
que jamais qu'il n'y a point de bonheur sans la vertu. Si vous m'aimez véritablement, donnez-moi la douce consolation de voir que nos cœurs ne s'accordent pas moins dans aussi, et je sens plus
leur retour au bien qu'ils s'accordèrent dans leur
égarement.
.
.
.
JULIE,
146
OU
Réduit au désespoir par la lettre de Julie et par la nouvelle de son union avec M. de Wolmar, Saint-Preux Il expose dans une lettre pense à mettre fin à ses jours. à son ami Bomston toutes les raisons qu'on peut avancer en faveur du suicide. L'Anglais répond par une autre qui énumère les raisons contre. Il offre à Saint-Preux une alternative c'est de partir sur la flotte anglaise, qui, sous les ordres du commodore Anson, va faire le tour du :
L'amant de
globe.
Julie accepte.
LETTRE XXVI DE L'AMANT DE JULIE A MADAME D'ORBE le Je pars, chère et charmante cousine, pour faire tour du globe ; je vais chercher dans un autre hémisphère la paix dont je n'ai pu jouir dans
celui-ci.
Insensé que je suis
l'univers sans trouver
cœur
;
je vais
un
chercher un
puisse être loin de vous
volontés d'un ami,
!
je vais errer
dans
pour y reposer
mon
!
lieu
au
asile
mais
monde où
je
faut respecter les
il
d'un bienfaiteur, d'un père.
Sans espérer de guérir, il faut au moins le vouloir, puisque Julie et la vertu l'ordonnent. Dans trois heures je vais être à la merci des flots ; dans trois jours je ne verrai plus l'Europe je serai
dans trois mois
;
dans des mers inconnues où régnent d'éter-
Qu'il dans trois ans peut-être. le plus Hélas de ne vous plus voir car, quoi grand péril est au fond de mon cœur nels orages
.
;
serait affreux
!
.
.
!
:
de
mon
sort, je l'ai résolu, je le jure,
qu'il
en
vous
me verrez digne de paraître me reverrez jamais.
soit
à vos yeux,
ou
vous ne
Mylord Edouard, qui retourne à Rome, vous remettra cette lettre en passant, et vous fera le
LA NOUVELLE HÉLOÏSE me
détail de ce qui
âme, et vous devinerez aisément ce
Vous connûtes
dira pas.
de ce que
ne vous
je
mylord, vos yeux
Votre amie
mère
d'être
inexorable t-il
un
Il
!
a
.
ainsi
sa colère
finir,
je
.
.
.
?
Adieu, charmantes
sens.
le
Adieu,
Adieu, beautés incomparables.
cousines.
pures et célestes âmes. ables amies,
!
!
que vous le bonheur Ciel donc l'être ? ma mère, pourquoi vous donna-
donc
O
.
dans
fils
faut
reverront
Ah
moi-même.
pas
dis
ne vous
qu'il
mienne, jugez aussi
la
Elle devait
!
.
les
147
Vous connaissez son
regarde.
Adieu, tendres et insépar-
femmes uniques
de vous
est le seul objet
Faites
mutuellement
sur la terre.
Chacune
digne du cœur de l'autre. la
Daignez
bonheur.
votre
vous rappeler quelquefois
mémoire d'un
infor-
tuné qui n'existait que pour partager entre vous tous les sentiments de son âme et qui cessa de jamais.
.
.
matelots voiles
vaste,
moment
au
vivre
;
.
s'éloigna
qu'il
J'entends
le
signal
je vois fraîchir le
et
de
vous.
les
cris
vent et déployer
Si
des les
monter à bord, il faut partir. Mer mer immense, qui doit peut-être m'engloutir
:
il
faut
dans ton
sein, puissé-je
calme qui
fuit
mon cœur
retrouver sur tes agité
!
FIN DE LA TROISIÈME PARTIE
flots le
QUATRIEME PARTIE Les années se sont écoulées. Julie a trouvé la paix du cœur dans son union avec M. de Wolmar, à qui elle a donné deux enfants. Elle ne peut pas s'empêcher, cependant, de penser quelquefois à Saint-Preux, non pas avec amour, mais avec des larmes de pitié, de regret, de repentir. Sans doute il a péri dans le long et périlleux voyage qu'il a entrepris. Madame d'Orbe se trouve veuve et mère d'une petite Invitée par
sa cousine, elle viendra vivre avec propriété sur les bords du lac de Genève et près de Vevai. Elle a reçu par l'intermédiaire de Bomston des nouvelles de Saint-Preux. On a reconnu son vaisseau tout près de l'Europe il y a deux mois. Sans doute il est déjà arrivé au port. fille.
elle à Clarens,
LETTRE
III
DE L'AMANT DE JULIE A MADAME D'ORBE
Ma
cousine,
ma
bienfaitrice,
mon
amie, j'arrive
un cœur
des extrémités de la terre, et j'en rapporte
tout plein de vous. j'ai
parcouru
les
J'ai passé
quatre
deux hémisphères
fois la ligne ;
j'ai
vu
;
les
quatre parties du
monde
;
entre nous
fait le
tour entier du globe, et
n'ai
j'en ai mis le
pu vous échapper un moment.
fuir ce qui la
;
j'ai
mer
nous
est cher
et les vents,
et partout
où l'on
nous
;
On
a
beau
son image, plus vite que
suit
se porte, 148
diamètre
au bout de l'univers
;
avec soi l'on y porte
LA NOUVELLE HÉLOÏSE ce qui nous fait vivre.
J'ai
149
beaucoup
souffert
;
vu souffrir davantage. Que d'infortunés j'ai vus mourir Hélas ils mettaient un si grand prix à la vie Peut-être et moi je leur ai survécu étais-je en effet moins à plaindre les misères de mes compagnons m'étaient plus sensibles que les miennes je les voyais tout entiers à leurs peines ; ils devaient souffrir plus que moi. Je me disais Je suis mal ici, mais il est un coin sur la terre où je suis heureux et paisible, et je me dédommageais au bord du lac de Genève de ce que j'endurais sur l'Océan. J'ai le bonheur en arrivant de voir confirmer mes espérances mylord Edouard m'apprend que vous jouissez toutes deux de la paix et de la santé, et que, si vous en particulier avez perdu le doux titre d'épouse, il vous reste ceux d'amie et de j'ai
!
!
!
!
.
.
.
;
:
:
;
mère, qui doivent
suffire à
votre bonheur.
Je suis trop pressé de vous envoyer cette lettre,
pour vous
faire à présent
commode. une légère
Je
me
détail de
mon
voyage
;
ici de vous en donner pour exciter que pour satis-
contente
idée, plus
faire votre curiosité.
J'ai
au trajet immense dont suis
un
d'en avoir bientôt une occasion plus
j'ose espérer
revenu dans
parti, le seul
le
que
même le
mis près de quatre ans
je viens
de vous parler, et
vaisseau sur lequel j'étais
commandant
ait
ramené de
son escadre.
vu d'abord l'Amérique méridionale, ce vaste le manque de fer a soumis aux Européens, et dont ils ont fait un désert pour s'en assurer l'empire. J'ai vu les côtes du Brésil, où Lisbonne et Londres puisent leurs trésors, et dont les peuples misérables foulent aux pieds l'or et les J'ai
continent que
— JULIE,
ISO
OU
diamants sans oser y porter la main. J'ai traversé les mers orageuses qui sont sous le
paisiblement
cercle antarctique
;
j'ai
trouvé dans
fique les plus effroyables tempêtes. Il
continue
le récit
de ses voyages
la .
.
mer
Paci-
.
et finit ainsi:
vu dans mes compagnons de voyage un fier, dont l'exemple et la liberté rétablissaient à mes yeux l'honneur de mon espèce, pour lequel la douleur et la mort ne sont rien, et qui ne craint au monde que la faim et l'ennui. J'ai vu dans leur chef un capitaine, un soldat, un pilote, un sage, un grand homme, et, pour dire encore plus peut-être, le digne ami d'Edouard Bomston mais ce que je n'ai point vu dans le monde entier, c'est quelqu'un qui ressemble à Claire d'Orbe, à Enfin
j'ai
peuple intrépide et
;
Julie d'Étange, et qui puisse consoler de leur perte
un cœur qui
sut les aimer.
Comment
ma
vous parler de
de vous que
dois
je
guérison
apprendre
à
C'est
?
connaître.
la
Reviens-je plus libre et plus sage que je ne suis parti
J'ose le croire et ne puis l'affirmer.
?
même savez
image règne toujours dans
pas
est possible qu'elle s'en efface
s'il
empire
est plus
dans
semble que
digne d'elle
elle
illusion,
comme
mon Cœur
sa
le
;
et,
si
je
:
La vous
;
mais son
ne
me
fais
règne dans ce cœur infortuné vôtre.
Oui,
ma
cousine,
il
me
vertu m'a subjugué, que je ne suis
que le meilleur et le plus tendre ami qui que je ne fais plus que l'adorer comme ou plutôt il me semble vous l'adorez vous-même que mes sentiments ne se sont pas affaiblis, mais rectifiés et, avec quelque soin que je m'examine, pour
elle
fut jamais,
;
;
LA NOUVELLE HÉLOÏSE trouve aussi purs que l'objet qui
je les
Que
151
les inspire.
puis-je vous dire de plus jusqu'à l'épreuve qui
peut m'apprendre
à juger de moi ? Je suis sincère veux être ce que je dois être mais comment répondre de mon cœur avec tant de raisons de m'en défier ? Suis-je le maître du passé ? Puis-je empêcher que mille feux ne m'aient autre-
et vrai
je
;
:
dévoré
fois
Comment
?
distinguerai-je
par
seule imagination ce qui est de ce qui fut
comment me
du motif
peut-être il
représenterai-je amie celle que je ne
qu'amante
jamais
vis
Quoi que vous pensiez
?
l'approuviez.
Je
mon
secret de
honnête et raisonnable
est
la
et
?
;
il
empressement,
mérite que vous
réponds d'avance au moins de
mes intentions. Souffrez que je vous voie, et m'examinez vous-même ou laissez-moi voir Julie, et je saurai ce que je suis. Je dois accompagner mylord Edouard en Italie. ;
et je ne vous verrais Je passerai près de vous point Pensez-vous que cela se puisse ? Eh si !
!
!
vous aviez
barbarie de l'exiger, vous mériteriez
la
de n'être pas obéie. vous
bonne
Mais pourquoi
N'êtes-vous pas cette
?
et compatissante
daigna m'aimer dès
même
l'exigeriez-
Claire, aussi
que vertueuse
sa plus
et sage, qui
tendre jeunesse, et qui
doit m'aimer bien plus encore aujourd'hui lui
dois
amie, un
tout si
?
Non, non, chère
et
que je charmante
cruel refus ne serait ni de vous ni fait
pour moi il ne mettra point le comble à misère. Encore une fois, encore une fois en ;
vie, je déposerai
verrai,
mon cœur
vous y consentirez.
consentira.
à vos pieds.
ma ma
Je vous
Je la verrai, elle y Vous connaissez trop bien toutes deux
mon
respect pour
paraître. ses
de
Elle a déploré
charmes sa
vertu
P. S.
Vous savez
elle.
ah
!
me
yeux en
m'offrir à ses
à
OU
JULIE,
52
i
si
je suis
homme
sentant indigne d'y
longtemps l'ouvrage de une fois l'ouvrage
si
qu'elle voie
!
?
—Mylord
Edouard
est
retenu pour quelque
temps encore ici par des affaires s'il m'est permis de vous voir, pourquoi ne prendrais-je pas les devants pour être plus tôt auprès de vous ? ;
LETTRE DE M. DE
WOLMAR
Quoique nous ne nous
IV
A L'AMANT DE JULIE connaissions pas encore, je
chargé de vous écrire. La plus sage et la plus chérie des femmes vient d'ouvrir son cœur à son
suis
heureux époux. Il vous aimé d'elle, et il vous offre et la paix y régnent
;
l'hospitalité,
l'estime,
votre cœur
et, s'il
;
venez sans crainte. sans y laisser
croit digne d'avoir été sa
L'innocence
maison.
vous y trouverez l'amitié, Consultez confiance. la
n'y a rien
Vous ne
là
qui vous effraye,
partirez point d'ici
un ami.
Wolmar. P. S.
—Venez,
mon ami
;
nous vous attendons
avec empressement. Je n'aurai pas vous nous deviez un refus.
la
douleur que Julie.
Une
lettre (V.) de
précédent
et
Madame
d'Orbe renferme
le billet
souhaite la bienvenue à Saint. Preux.
LA NOUVELLE HÊLOÏSE
LETTRE
153
VI
DE SAINT-PREUX A MYLORD EDOUARD Je
me
lève au milieu de la nuit
pour vous
écrire.
Mon Je ne saurais trouver un moment de repos. cœur agité, transporté, ne peut se contenir au dedans de moi qui l'avez
si
;
il
cher dépositaire des premiers depuis
Vous
de s'épancher.
a besoin
souvent garanti du désespoir, soyez
le
goûtés
plaisirs qu'il ait
longtemps.
si
vue, mylord mes yeux l'ont vue entendu sa voix ses mains ont touché les miennes elle m'a reconnu elle a marqué de la joie à me voir elle m'a appelé son ami, son cher ami elle m'a reçu dans sa maison plus heureux l'ai
Je
I
!
J'ai
;
;
;
;
;
que
;
je
même
ne fus de toit, et
ma
vie, je loge avec elle sous
maintenant que
je
un
vous écris je
suis
succéder
elles
à trente pas d'elle.
Mes se
idées sont trop vives
pour
présentent toutes ensemble
;
se
elles
se
;
nuisent
mutuellement. Je vais m'arrêter et reprendre haleine pour tâcher de mettre quelque ordre dans
mon
A
récit.
peine après une
si longue absence m'étais-je de vous aux premiers transports de mon cœur en embrassant mon ami, mon libérateur et
livré près
mon
père, que vous songeâtes au voyage d'Italie. Vous me le fîtes désirer dans l'espoir de m'y soulager enfin du fardeau de mon inutilité pour vous. N pouvant terminer sitôt les affaires qui vous rete-
naient à Londres, vous me proposâtes de partir le premier pour avoir plus de temps à vous attendre
OU
JULIE,
154 ici.
demandai
Je
la
permission
venir
d'y
je
;
quoique Julie s'offrît d'avance à mes regards, en songeant que j'allais m'approcher d'elle je sentis du regret à m'éloigner de vous. Mylord, nous sommes quittes, ce seul sentiment
l'obtins, je partis
vous
et,
;
a tout payé.
ne faut pas vous dire que, durant toute
Il
que de
route, je n'étais occupé
voyage
mais une chose
;
commençai de
même
voir sous
de
l'objet
à remarquer, c'est que un autre point de vue
objet qui n'était jamais sorti de
mon
la
mon je
ce
cœur.
Jusque-là je m'étais toujours rappelé Julie brillante
comme
autrefois
jeunesse
;
du
j'avais
des
charmes
toujours vu
feu qu'elle m'inspirait
;
de
première
sa
ses
beaux yeux animés
ses
traits chéris n'of-
mes regards que des garants de mon bonheur, son amour et le mien se mêlaient tellement avec sa figure, que je ne pouvais les en séparer. Maintenant j'allais voir Julie mariée, Julie mère, fraient
à
indifférente.
Julie
Je
m'inquiétais
change-
des
ments que huit ans d'intervalle avaient pu sa
beauté.
trouvait être
?
ment que
Elle avait eu la petite vérole
;
faire à
elle s'en
changée à quel point le pouvait-elle imagination me refusait opiniâtre:
Mon
des taches sur ce charmant visage
j'en voyais
un marqué de
;
et sitôt
petite vérole, ce
n'était plus celui de Julie. Je pensais encore à l'entrevue que nous allions avoir, à la réception
qu'elle m'allait faire.
Ce premier abord
se pré-
mon esprit sous mille tableaux différents, moment qui devait passer si vite revenait
sentait à
et ce
pour moi mille
Quand
fois le jour.
j'aperçus
la
cime des monts,
le
cœur
LA NOUVELLE HÉ LOI SE me
me
battit fortement, en
La même des
La même
d'Europe.
côtes
arrivée
disant
autrefois
Meillerie
à
est là.
elle
:
chose venait de m'arriver en
155
mer
à la
vue
m'était
chose
en découvrant
la
Le monde n'est du baron d'Etange. jamais divisé pour moi qu'en deux régions ; celle où elle est, et celle où elle n'est pas. La première s'étend quand je m'éloigne, et se resserre à mesure que j'approche, comme un lieu où je ne dois jamais arriver. Elle est à présent bornée aux murs de sa maison
chambre.
Hélas
ce lieu seul est habité
!
tout
;
le
reste de l'univers est vide.
Plus
de
j'approchais
ému.
sentais
plus
Suisse,
la
L'instant où des hauteurs
je
me
du Jura
de Genève fut un instant d'extase de ravissement. La vue de mon pays, de ce pays si chéri, où des torrents de plaisirs avaient inondé mon cœur l'air des Alpes si salutaire et si je découvris le lac
et
;
le doux air de pur parfums de l'Orient
la patrie,
;
;
plus suave que les
cette terre riche et fertile,
ce paysage unique, le plus beau dont l'œil fut jamais frappé
n'avais rien trouvé d'égal dans le tour
l'aspect
de
humain
ce séjour charmant auquel je
;
d'un peuple heureux et
du
la saison, la sérénité
du monde
libre, la
douceur
climat, mille souvenirs
délicieux qui réveillaient tous les sentiments j'avais
goûtés
;
tout cela
me
jetait
ports que je ne puis décrire, et semblait à la fois la jouissance
En
ma
descendant vers
pression c'était
de
nouvelle
un
resserrait
le
certain
cœur
je
me
rendre
côte je sentis une imn'avais
mouvement et
me
vie entière.
la
dont
que
dans des trans-
aucune idée
d'effroi
troublait
qui
;
me
malgré moi.
OU
JULIE,
156
Cet
effroi,
croissait à
dont je ne pouvais démêler mesure que j'approchais de la
mon empressement
ralentissait
cause,
la
ville
d'arriver,
il
:
et
fit
enfin de tels progrès, que je m'inquiétais autant de
ma
que
diligence
En
lenteur.
j'avais
entrant
de
ma
sensation
que
jusque-là
fait
Vevai,
à
la
j'éprouvai ne fut rien moins qu'agréable
respirer
dant
d'une voix altérée et trem-
parlais
je
;
J'eus peine à
blante.
sa
M.
de Wolrnar
On me
femme.
;
me
faire
de cinq cents
livres
dit qu'il
restaient à faire
;
entendre en deman-
car je n'osai jamais
demeurait
Cette nouvelle m'ôta de dessus
me
je fus
:
d'une violente palpitation qui m'empêchait de
saisi
et,
la
prenant
pour un
un poids
poitrine les
deux
me
répit, je
nommer
à Clarens.
lieues qui
réjouis
de
mais un autre temps j'appris avec un vrai chagrin que madame d'Orbe était à Lausanne. J'entrai dans une auberge pour il me fut reprendre les forces qui me manquaient je suffoquais impossible d'avaler un seul morceau en buvant, et ne pouvais vider un verre qu'à plusieurs reprises. Ma terreur redoubla quand je vis mettre les chevaux pour repartir. Je crois que j'aurais donné tout au monde pour voir briser une ce qui m'eût désolé dans
;
:
;
roue en chemin.
mon Je ne voyais plus Julie me présentait que des ;
imagination troublée ne objets confus universel.
;
mon âme
Je connaissais
la
était
dans un tumulte
douleur et
le
je les aurais préférés à cet horrible état.
que
celle
trajet, et je
Enfin
;
je
ma vie éprouvé d'agitation plus où je me trouvai durant ce court suis convaincu que je ne l'aurais pu
puis dire n'avoir de cruelle
désespoir
supporter une journée entière.
LA NOUVELLE HÉLOÏSE En
arrivant, je
fis
un
sentant hors d'état de faire
M.
de Wolmar.
On
femme.
et,
me
pas, j'envoyai le à parler
promenade avec sa vinrent par un autre
Il était à la
les avertit, et ils
yeux
côté, tandis que, les dais dans
;
qu'un étranger demandait
postillon dire à
157
arrêter à la grille
fichés sur l'avenue, j'atten-
des transes mortelles d'y voir paraître
quelqu'un.
A
peine
m'eut-elle
Julie
A
reconnut.
l'instant
s'élancer dans
mes
même
A
saillir
chose. je
;
me
me
aperçu
voir,
bras, ne fut
qu'elle
s'écrier,
pour
ce son de voix je
elle
me
me
courir,
qu'une
sens tres-
O
retourne, je la vois, je la sens.
mylord ô mon ami ... je ne puis parler. Adieu crainte adieu terreur, effroi, respect humain. Son regard, son cri, son geste, me rendent en un moment la confiance, le courage, et les !
.
.
.
;
forces.
Je puise dans ses bras la chaleur et la vie
je pétille
de
joie
en
la
serrant dans les miens.
;
Un
un long silence étroitement embrassés, et ce n'est qu'après un si transport sacré nous tient dans
doux
saisissement que nos voix commencent à se confondre et nos yeux à mêler leurs pleurs. M. de Wolmar était là je le savais, je le voyais mais :
;
pu
Non, quand l'univers entier réuni contre moi, quand l'appareil des tour-
qu'aurais-je se fût
voir
?
ments m'eût environné, je n'aurais pas dérobé mon cœur à la moindre de ces caresses, tendres prémices d'une amitié pure et sainte que nous emporterons dans le ciel !
Cette première impétuosité suspendue, madame de Wolmar me prit par la main, et, se retournant vers son mari, lui dit avec
une certaine grâce d'inno-
JULIE,
158
OU
cence et de candeur dont je me sentis pénétré Quoiqu'il soit mon ancien ami, je ne vous le présente pas, je le reçois de vous, et ce n'est qu'honoré :
de votre amitié qu'il aura désormais la mienne. Si nouveaux amis ont moins d'ardeur que les anciens, me dit-il en m'embrassant, ils seront anciens à leur tour, et ne céderont point aux
les
autres.
Je
reçus
cœur venait de
ses
embrassements,
s'épuiser, et je
ne
fis
que
mais
mon
les recevoir.
Après cette courte scène, j'observai du coin de qu'on avait détaché ma malle et remisé ma chaise. Julie me prit sous le bras, et je m'avançai avec eux vers la maison, presque oppressé d'aise de
l'œil
voir qu'on y prenait possession de moi. Ce fut alors qu'en contemplant plus paisible-
ment
ce
visage
que j'avais cru trouver une surprise amère et douce
adoré,
enlaidi, je vis avec
qu'elle était réellement plus belle et plus brillante
formés encore
;
point qui n'a blancheur.
mieux d'embon-
Ses traits charmants se sont
que jamais.
La
elle a pris fait
un peu
plus
qu'ajouter à son éblouissante
petite vérole n'a laissé sur ses joues
que quelques légères traces presque imperceptibles. lieu de cette pudeur souffrante qui lui faisait autrefois sans cesse baisser les yeux, on voit la
Au
sécurité de la vertu s'allier dans son chaste regard à sa contenance, non douceur et à la sensibilité un air plus moins modeste, est moins timide
la
;
;
libre et des grâces plus franches ont succédé à ces
manières contraintes, mêlées de tendresse et de et si le sentiment de sa faute la rendait honte alors plus touchante, celui de sa pureté la rend ;
aujourd'hui plus céleste.
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
A
peine étions-nous dans
parut, et rentra le
moment
Qui pensez-vous
pas seule.
159
salon qu'elle dis-
le
d'après.
Elle n'était
amenait avec
qu'elle
Mylord, c'étaient ses enfants ses deux enbeaux que le jour, et portant déjà sur leur physionomie enfantine le charme et l'attrait de leur mère Que devins-je à cet aspect cela ne peut ni se dire ni se comprendre il faut le elle
?
!
fants plus
!
!
;
Mille mouvements contraires m'assaillirent
sentir.
à la fois
;
partager
mille cruels et délicieux souvenirs vinrent
mon
cœur.
sentais déchirer
O spectacle
!
ô regrets
Je
!
de douleur et transporter de
me
joie.
Je voyais, pour ainsi dire, multiplier celle qui me fut si chère. Hélas je voyais au même instant la trop vive preuve qu'elle ne m'était plus rien, et !
mes pertes semblaient se multiplier avec elle. Elle me les amena par la main. Tenez, me
dit-
d'un ton qui me perça l'âme, voilà les enfants de votre amie ils seront vos amis un jour soyez elle
:
le leur
;
dès aujourd'hui.
Aussitôt ces deux petites
créatures s'empressèrent autour de moi,
mains,
les
caresses,
mon
et
m'accablant
de
leurs
me
prirent
innocentes
tournèrent vers l'attendrissement toute Je les pris dans mes bras l'un et
émotion.
l'autre
;
et
les
pressant
contre
ce
cœur
agité
:
Chers et aimables enfants, dis-je avec un soupir, vous avez à remplir une grande tâche. Puissiezvous ressembler
à
ceux de qui vous tenez
puissiez-vous imiter leurs vertus, et faire
par
les
la vie
;
un jour
vôtres la consolation de leurs amis infor-
Madame de Wolmar enchantée me sauta au cou une seconde fois, et semblait me vouloir payer par ses caresses de celles que je faisais à ses tunés
!
deux
OU
JULIE,
i6o
Mais quelle différence du premier em-
fils.
brassement
à celui-là
Je l'éprouvai avec surprise.
!
une mère de famille que j'embrassais ; je la voyais environnée de son époux et de ses enfants ce cortège m'en imposait. Je trouvais sur son C'était
;
visage
un
d'abord
air
de dignité qui ne m'avait pas frappé
me
je
;
de
sentais forcé
nouvelle sorte de respect
lui
porter une
familiarité m'était
sa
;
quelque belle qu'elle me parût, bord de sa robe de meilleur cœur dès cet instant, en un mot, je connus que sa joue qu'elle ou moi n'étions plus les mêmes, et je commençai tout de bon à bien augurer de moi. M. de Wolmar, me prenant par la main, me conduisit ensuite au logement qui m'était destiné. Voilà, me dit-il en y entrant, votre appartement il ne sera plus il n'est point celui d'un étranger et désormais il restera vide ou celui d'un autre
presque
charge
à
;
j'aurais baisé le :
:
;
;
Jugez si ce compliment me fut mais je ne le méritais pas encore assez
occupé par vous. agréable
;
M.
pour l'écouter sans confusion. sauva l'embarras d'une réponse.
un tour de
homme
Là
jardin.
trouvai plus à
mon
instruit
aise
fit
et,
si
que
il
ma
droiture,
père à son enfant, et
j'ai la
ne
s'est
Wolmar me
bien que
prenant
d'estime dans l'impossibilité de
mylord,
de
m'invita à faire
le
je
me
ton d'un
de mes anciennes erreurs, mais
plein de confiance dans
comme un
il ;
Il
pas trompé
;
me
il
me
mit
parla
à force
démentir.
Non,
je n'oublierai
point
la
sienne et la vôtre à justifier.
Mais pour-
mon cœur se resserre à ses bienfaits Pourquoi faut-il qu'un homme que je dois aimer quoi faut-il que soit le
mari de Julie
?
?
LA NOUVELLE HÊLOÏSE Cette journée semblait destinée d'épreuves que
161
à tous les
genres
pouvais subir.
Revanus auprès de madame de Wolmar, son mari fut appelé pour quelque ordre à donner et je restai seul avec elle. Je me trouvai alors dans un nouvel embarras, le plus pénible et le moins prévu de tous. Que lui je
;
dire
comment débuter
?
Oserais-je rappeler nos
?
anciennes liaisons et des temps
mémoire
Laisserais-je
?
oubliées ou que je ne
si
présents à
penser que je
m'en
souciasse plus
ma
eusse
les
Quel
?
supplice de traiter en étrangère celle qu'on porte au fond de son cœur Quelle infamie d'abuser de !
pour lui tenir des discours qu'elle ne doit plus entendre Dans ces perplexités je perdais toute contenance le feu me montait au l'hospitalité
!
;
visage le
je n'osais ni parler ni lever les
;
moindre geste
;
et je crois
que
yeux, ni faire
je serais resté
cet état violent jusqu'au retour de son mari,
ne m'en eût
Pour
tiré.
elle, il
même
maintien et
les
ton
;
seulement
Elle conserva
mêmes manières
avait auparavant, elle continua de
même
elle
ne parut pas que
ce tête-à-tête l'eût gênée en rien. le
dans
si
me
qu'elle
parler sur le
je crus voir qu'elle essayait
d'y mettre encore plus de gaieté et de liberté, jointe à un regard, non timide et tendre, mais doux et
affectueux,
rassurer
et
à
comme pour m'encourager sortir
à
me
d'une contrainte qu'elle ne
pouvait manquer d'apercevoir. Elle
me
en savoir j'avais
parla de
mes longs voyages
:
elle voulait
ceux surtout des dangers que courus, des maux que j'avais endurés car les détails,
;
elle n'ignorait pas, disait-elle,
devait le
dédommagement.
que son amitié m'en
Ah
!
Julie, lui dis-je
L
OU
JULIE,
i6z
avec
tristesse,
avec vous Indes
?
aller à
il
moment que
n'y a qu'un
me
voulez-vous déjà
;
Non pas, mon tour.
en
dit-elle
riant,
mais
donné une
Je lui dis que je vous avais
je suis
renvoyer aux j'y
veux
relation de
mon voyage, dont je lui apportais une copie. Alors, elle me demanda de vos nouvelles avec empresseJe lui parlai de vous, et ne pus le faire sans
ment.
lui retracer les
que elle
peines que j'avais souffertes et celles Elle en fut touchée
vous avais données.
je
commença d'un ton
me montrer
propre justification, et à
sa
avait
dû
Wolmar qui me
faire
tout ce qu'elle avait
confondit,
qu'elle
c'est
comme
s'il
qu'elle
M.
fait.
rentra au milieu de son discours
présence exactement
:
plus sérieux à entrer dans
de
et ce
;
continua en
n'y eût pas été.
sa Il
ne put s'empêcher de sourire en démêlant mon étonnement. Après qu'elle eut fini, il me dit :
Vous voyez un exemple de ici.
Si
la
franchise qui règne
vous voulez sincèrement être vertueux, ap-
prenez à l'imiter
:
c'est la seule prière et la seule
Le premier
leçon que
j'aie à
le vice est
de mettre du mystère aux actions inno-
centes
et
;
vous
faire.
quiconque aime
tard raison de se cacher.
morale peut tenir celui-ci
:
Ne
lieu
fais ni
à se cacher a tôt
Un
de tous
sa
seul les
autres,
c'est
dis jamais rien
hommes
ce
;
comme
Romain qui
le
voulait
maison fût construite de manière qu'on
ce qui s'y
ou
précepte de
que tu ne monde voie et entende et, ne
veuilles que tout le pour moi, j'ai toujours regardé
estimable des
pas vers
plus
que
vît tout
faisait.
J'ai, continua-'i-il,
deux
partis à vous proposer
:
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
163
choisissez librement celui qui vous conviendra le
mieux,
mais
prenant
la
dit
en
la
choisissez
main de serrant
voici le cher lien
ou
l'un
femme
sa
comme mieux
elle,
traitez-la tou-
comme
Mais vivez dans ou devant voilà tout ce que je
de vous.
si
j'étais présent,
moi comme si je n'y étais pas vous demande. Si vous préférez le dernier vous le pouvez sans inquiétude car, comme :
;
parti, je
réserve le droit de vous avertir de tout ce qui déplaira, tant
que
en
plus vous serez familier avec
;
je penserai
le tête-à-tête
;
me
;
Em-
qu'elle soit indissoluble.
;
telle
il
Notre amitié commence
:
brassez votre sœur et votre amie
jours
Alors,
l'autre.
et la mienne,
je
ne
dirai rien
me me
vous serez sûr
de ne m'avoir point déplu. y avait deux heures que ce discours m'aurait mais M. de Wolmar commençait ;
Il
fort embarrassé
à prendre
une
étais déjà
presque accoutumé.
si
grande autorité sur moi, que
j'y
Nous recommen-
çâmes à causer paisiblement tous trois, et chaque que je parlais à Julie je ne manquais point de l'appeler madame. Parlez-moi franchement, dit enfin son mari en m'interrompant dans l'entretien de tout à l'heure disiez-vous madame ? Non, dis-je un peu déconcerté mais la bienséance. fois
;
.
;
La
bienséance, reprit-il, n'est que le
.
.
masque du
où la vertu règne elle est inutile je n'en veux point. Appelez ma femme Julie en ma présence, ou madame en particulier, cela m'est indifférent. Je commençai de connaître alors à quel homme j'avais affaire, et je résolus bien de tenir toujours mon cœur en état d'-être vu Hf Ini.
vice
!
;
Mon
corps, épuisé de fatigue, avait
%?£$&
t^X
bésjo
3ARY
}
\
— JULIE,
i6 4
mon
OU
de repos je trouvai Après tant d'années d'absence et de douleurs, après de si longues courses, je me disais dans une sorte de ravissement
de nourriture, l'un
et
et
l'autre
esprit
;
table.
à
:
Je suis avec Julie, je table avec elle, elle
me
la vois, je lui parle
me
;
je suis à
voit sans inquiétude, elle
reçoit sans crainte, rien ne trouble le plaisir
que
nous avons d'être ensemble. Douce et précieuse innocence, je n'avais point goûté tes charmes, et ce n'est
que d'aujourd'hui que
sans souffrir
Le
en
soir,
me
retirant,
chambre des maîtres de entrer ensemble
:
et ce
moment ne
de
journée.
la
Voilà, mylord,
mière
je
commence
d'exister
!
entrevue,
je
je
pour moi
comment désirée
s'est
la
le plus
agréable
passée cette pre-
passionnément et
si
la
y vis mienne,
je les
;
gagnai tristement
fut pas
devant
passai
maison
la
si
cruellement redoutée.
Madame d'Orbe, Madame de Wolmar impressions sur Saint-Preux. Elle le trouve moins timide et craintif, plus sûr de lui et plus homme du monde. Quant aux sentiments qu'elle éprouve pour son ancien amant elle dit: "Loin que l'attachement que Dans une
lettre à
lui confie ses
sens pour lui m'effraye, je crois que s'il m'était moins cher, je me défierais plus de moi mais je l'aime aussi tendrement que jamais, sans l'aimer de la même
je
;
manière."
Elle continue ainsi
:
Ce qui redouble ma confiance dans l'opinion que nous avons toutes deux de lui, c'est que M. de Wolmar la partage, et qu'il en pense par lui-même, depuis qu'il l'a vu, tout le bien que nous lui en avions dit.
Il
m'en
a
beaucoup parlé
ces
deux
LA NOUVELLE HÉLOÏSE soirs,
en
du
se félicitant
faisant la guerre
de
ma
165
me
parti qu'il a pris, et
Non, me
résistance.
disait-
il hier, nous ne laisserons point un si honnête homme nous lui apprendrons à en doute sur lui-même mieux compter sur sa vertu et peut-être un jour jouirons-nous avec plus d'avantage que vous ne pensez du fruit des soins que nous allons prendre. ;
;
Quant
commence
à présent, je
déjà par vous dire
que son caractère me plaît, et que je l'estime surtout par un côté dont il ne se doute guère, savoir la Moins il me froideur qu'il a vis-à-vis de moi. témoigne d'amitié, plus il m'en inspire ... je lui ai ravi son bien, il ne me le pardonnera pas sitôt. Il ne m'en aimera que plus tendrement, quand il sera parfaitement convaincu que le mal que je lui ai S'il fait ne m'empêche pas de le voir de bon œil.
me me
un fourbe un monstre. quoi nous en sommes
caressait à présent, caressait jamais,
Voilà,
ma
commence
Claire, à
à croire
nos cœurs et mari.
Mais
ces détails plaisir à
les
il
serait
que
bénira
le ciel
tu ne mérites pas que
;
et
ne
;
et je
droiture de
mon
bien bonne d'entrer dans tous
m'entre tenir avec toi
plus rien dire
la
intentions bienfaisantes de
je suis
:
s'il
;
serait
il
si
:
j'ai
j'aie
tant de
résolu de ne te
tu veux en savoir davantage,
viens l'apprendre. P.S.
—Tu
Wolmar
me
avec
força de lui faire.
sut essuyer
que
sais
je
quelle
indulgence
M. de
reçut l'aveu tardif que ce retour imprévu
ne
mes pleurs
Tu vis
avec quelle douceur
ma honte. comme tu l'as
lui eusse rien appris,
raisonnablement conjecturé,
soit
qu'en
effet
il
Soit
et dissiper
assez il
fût
touché d'une démarche qui ne pouvait être dictée
OU
JULIE,
i66
que par
non seulement il a continué de moi comme auparavant, mais il semble
le repentir,
vivre avec
avoir redoublé de soins, de confiance, d'estime, et
me dédommager
vouloir
1? vis résolu à laisser
mon
de
résolus
d'égards de la
force
à
confusion que cet aveu m'a coûté.
.
que
Sitôt
.
.
venir notre ancien maître.
côté de prendre contre
moi
meilleure précaution que je pusse employer
je
Je la
ce
;
mon mari même pour mon confident, de n'avoir aucun entretien particulier qui ne lui fût rapporté, et de n'écrire aucune lettre qui ne lui mais quand j'ai voulu lui porter fût montrée
fut de choisir
.
ma
lettre,
.
.
s'est
il
complaisance de ajouté en
me
moqué de moi,
la lire.
serrant la
.
.
et n'a pas
Julie
.
main
et
me
Julie
!
!
eu
la
a-t-il
regardant avec
bonté, vous abaisserez-vous à des précautions
peu dignes de vous jamais
Ma
à
ce
que vous
êtes, et
si
n'apprendrez-
vous estimer votre prix
?
chère amie, j'aurais peine à dire
comment
prend cet homme incomparable, mais je ne sais Malgré que j'en plus rouger de moi devant lui. aie, il m'élève au dessus de moi-même, et je sens qu'à force de confiance il m'apprend à la mériter. s'y
LETTRE IX DE
MADAME d'oRBE A MADAME DE WOLMAR
Tiens, cousine, voilà ton esclave que je te renvoie. ai fait le mien durant ces huit jours, et il a porté
J'en
ses fers
pour
de
si
servir.
bon cœur qu'on voit qu'il est tout Je l'ai donc gardé sans scrupule.
fait .
.
.
LA NOUVELLE HÉLOÏSE Mais rait
toi, sais-tu
bien pourquoi notre ami s'endu-
paisiblement
si
avec moi, et
ici
me
Premièrement,
?
il
était
prétends que c'est déjà beaucoup
je
pour prendre patience. et
167
Il
rendait service dans
Une
s'ennuie point à cela.
m'épargnait des tracas affaires ; un ami ne
mes
troisième chose que tu
quoique tu n'en fasses pas semblant, c'est qu'il me parlait de toi ; et si nous ôtions le temps qu'a duré cette causerie de celui qu'il a passé ici, tu verrais qu'il m'en est fort peu resté pour as déjà devinée,
mon
Mais quelle bizarre fantaisie de pour avoir le plaisir d'en parler ? Il est contraint bizarre qu'on dirait bien.
compte.
s'éloigner de toi
Pas
si
en ta présence
;
faut qu'il s'observe incessam-
il
moindre indiscrétion deviendrait un crime, et dans ces moments dangereux le seul devoir mais loin se laisse entendre aux cœurs honnêtes de ce qui nous fut cher, on se permet d'y songer Si l'on étouffe un sentiment devenu encore.
ment
;
la
:
coupable, pourquoi se reprocherait-on de l'avoir eu tandis qu'il ne l'était point ? Le doux souvenir
d'un bonheur qui fut légitime peut-il jamais être Voilà, je pense, un raisonnement qui criminel ? t'irait Il a
mal, mais qu'après tout
recommencé pour
amours écoulée une seconde
anciennes
;
il
peut
se
permettre.
de
ainsi dire la carrière
sa fois
première
jeunesse
dans nos entretiens
renouvelait toutes ses confidences
;
il
;
ses
s'est il
me
rappelait ces
temps heureux où il lui était permis de t'aimer il peignait à mon cœur les charmes d'une flamme Sans doute il les embellissait. innocente. Il m'a peu parlé de son état présent par rapport à toi, et ce qu'il m'en a dit tient plus du respect et ;
OU
JULIE,
168
de l'admiration que de l'amour
en sorte que je le beaucoup plus rassuré sur son cœur
vois retourner
que quand
il
Ce
est arrivé.
qu'il est question
de
;
n'est pas qu'aussitôt
toi l'on n'aperçoive
au fond de
cœur trop sensible un certain attendrissement que l'amitié seule, non moins touchante, marque pourtant d'un autre ton mais j'ai remarqué depuis longtemps que personne ne peut ni te voir ce
;
ni
penser
à toi
de sang-froid
;
et
si
sentiment universel que ta vue inspire
l'on joint au le
sentiment
doux qu'un souvenir ineffaçable a dû lui laisser, on trouvera qu'il est difficile et peut-être plus
impossible qu'avec
vertu
la
autre chose que ce qu'il
est.
la plus austère
Je
l'ai
soit
il
bien questionné,
je l'ai examiné autant m'a été possible je ne puis bien lire dans son mais je puis te âme, il n'y lit pas mieux lui-même répondre au moins qu'il est pénétré de la force de ses devoirs et des tiens, et que l'idée de Julie méprisable et corrompue lui ferait plus d'horreur à concevoir que celle de son propre anéantissement. Cousine, je n'ai qu'un conseil à te donner, et je te
bien observé, bien suivi qu'il
;
:
;
prie d'y faire attention
évite les détails sur le
;
passé, et je te réponds de l'avenir.
Quant faut
raisons
imaginables, je
boudé, baisé, serais
dont tu me parles, il n'y Après avoir épuisé toutes les
à la restitution
plus songer.
mise à genoux
m'a pas
l'ai
prié,
je lui ai pris les
même
s'il
écoutée
;
m'eût il
pressé,
conjuré,
deux mains,
a poussé
je
me
ne l'humeur et
laissée faire
:
il
l'opiniâtreté jusqu'à jurer qu'il consentirait plutôt à
ne te plus voir qu'à
Enfin,
dans
se dessaisir
de ton portrait.
un transport d'indignation, me
le
LA NOUVELLE HÉLOISE cœur
faisant toucher attaché sur son
d'un ton
m'a-t-il dit
si
ému
Le
:
en
qu'il
169
peine, le voilà ce portrait, le seul bien qui
qu'on m'envie encore
et
me
reste,
soyez sûre qu'il ne
qu'avec
arraché
jamais
sera
!
voilà,
respirait à
me
Crois-moi,
vie.
la
soyons sages et laissons-lui le portrait. t'importe au fond qu'il lui demeure ? tant
cousine,
Que
pour lui s'il s'obstine à le garder. Après avoir bien épanché et soulagé son cœur, il m'a paru assez tranquille pour que je pusse lui parler de ses affaires. J'ai trouvé que le temps et la raison ne l'avaient point fait changer de système, pis
ambition à passer sa vie mylord Edouard. Je n'ai pu qu'ap-
et qu'il bornait toute son
attaché
à
proaver un projet caractère, et
si
du même
avis,
av?it gardé le silence.
idée
:
à la
la
Il
conduite assez
convenable
si
à
son
reconnaissance qu'il doit
m'a dit que tu M. de Wolmar me vient dans la tête une singulière de ton mari et
exemple.
à des bienfaits sans
avais été
honnête,
si
digne de
Il
mais que
soupçonne qu'il a sur notre ami quelque vue secrète qu'il ne dit pas. Laissonsla manière dont le faire, et fions-nous à sa sagesse à d'autres indices, je
:
prend prouve assez que, si ma conjecture est juste, il ne médite rien que d'avantageux à celui pour lequel il prend tant de soins.
il
s'y
.
.
.
Saint-Preux décrit dans une longue lettre à mylord l'organisation de la maison des Wolmar, la bonté des propriétaires envers leurs domestiques et les moyens qu'ils ont imaginés pour rendre heureux tout Cette lettre, bien qu'intéressante, le monde autour d'eux. nous ne pourrait pas trouver place dans notre édition aimons mieux donner une longue citation de celle qui suit, la fameuse '• Lettre de l'Elysée."
Bomston
;
JULIE,
170
OU
LETTRE
XI
DE SAINT-PREUX A MYLORD EDOUARD
Non, mylord,
je
ne m'en dédis point, on ne voit
rien dans cette maison qui n'associe l'agréable à l'utile,
aux
mais
les
soins qui
occupations utiles ne se bornent pas
donnent du
profit, elles
comprennent
encore tout amusement innocent et simple qui nourrit le goût de la retraite,
du
modération, et conserve
qui s'y livre une
âme
saine,
un cœur
à celui
libre
Si l'indolente oisiveté
du trouble des
n'engendre que
charme des doux
l'ennui, le
On
vie laborieuse.
travail,
de
la
passions.
la tristesse
loisirs est le fruit
et
d'une
ne travaille que pour jouir
;
cette alternative de peine et de jouissance est notre
véritable vocation.
Le
ment aux travaux
passés
repos qui sert de délasseet
d'encouragement à l'homme que
d'autres n'est pas moins nécessaire à le travail
même.
Après avoir admiré l'effet de la vigilance et des soins de la plus respectable mère de famille dans l'ordre de sa maison, j'ai vu celui de ses récréations dans un lieu dont elle fait sa promenade favorite, et qu'elle appelle son Elysée. Il y avait plusieurs jours que j'entendais parler de cet Elysée dont on me faisait une espèce de
Enfin, hier après dîner, l'extrême chaleur
mystère.
dehors et le dedans de la maison presque également insupportables, M. de Wolmar proposa à sa femme de se donner congé cette après-midi et, au lieu de se retirer comme à l'ordinaire dans la
rendant
le
;
chambre de
ses
enfants jusque vers le soir, de venir
LA NOUVELLE HÉLOÏSE avec nous respirer dans
verger
le
;
171
elle y consentit,
et nous nous y rendîmes ensemble.
Ce
quoique tout proche de
lieu,
tellement caché par
maison, est
la
couverte qui l'en sépare,
l'allée
qu'on ne l'aperçoit de nulle part. L'épais feuillage qui l'environne ne permet point à l'œil d'y pénétrer, et il est toujours soigneusement fermé à la clef. A peine fus-je au dedans, que, la porte étant masquée par des aunes et des coudriers qui ne que deux étroits passages sur les côtés, je ne
en
me
retournant par où
cevant point de porte,
tombé
j'étais
me
je
entré
laissent vis plus
et,
n'aper-
là
comme
;
trouvai
des nues.
En entrant dans ce prétendu verger, je fus frappé d'une agréable sensation de fraîcheur que d'obscurs ombrages, une verdure animée et vive, des fleurs éparses de tous côtés, un gazouillement d'eau le chant de mille oiseaux, portèrent à imagination du moins autant qu'à mes sens ;
courante, et
mon
mais en
même
sauvage,
le
temps
je crus voir le lieu le plus
plus solitaire de la nature, et
semblait d'être
le
il
me
premier mortel qui jamais eût
pénétré dans ce désert.
Surpris,
saisi,
transporté
d'un spectacle si peu prévu, je restai un moment immobile, et m'écriai dans un enthousiasme inOh Tinian ô Juan-Fernandez * volontaire BeauJulie, le bout du monde est à votre porte !
!
!
:
!
coup de gens
le
avec un sourire
;
trouvent
bien vite à Clarens plus 1
ici
:
voyons
longtemps chez vous. Iles
comme
vous, dit-elle
les ramènent charme tiendra
mais vingt pas de plus
désertes de
la
si le
C'est
ici
le
même
mer du Sud, célèbres dans
voyage de l'amiral Anson.
le
OU
JULIE,
172
verger où vous vous êtes promené autrefois et où
ma
vous vous battiez avec
Vous savez que
pêches. les
arbres
l'état
où
il
est
m'en
car
?
il
a
est
j'en suis la surintendante, et laisse l'entière disposition.
vous en a coûté que de
charmant,
il
est vrai,
je n'y vois point
fermé la
la
porte
;
la
fait
voilà
coûté pour
le
bon de vous
mon
que
Ma
que
la
que
mari m'en
Ce
ne
lieu est
mais agreste et abandonné
venue
tout
je
ne
le reste
;
nature a tout
;
Vous avez
sais
comment
et
vous-même
n'eussiez jamais su faire aussi bien qu'elle. vrai, dit-elle,
mettre
dire
foi, lui dis-je, il
négligence.
de travail humain.
l'eau est
nature seule a
peu
Le
paré, fleuri, arrosé.
frais, vert, habillé,
qu'il
assez
point d'eau.
qu'il n'y avait
Que pensez-vous dans
donnant
clairsemés,
assez
d'ombre, et maintenant
coups de
cousine à
l'herbe y était assez aride,
fait,
;
Il est
mais sous
ma
que je n'aie ordonné. Encore un coup, devinez. Premièrement, repris-je, je ne comprends point comment avec de la peine Les et de l'argent on a pu suppléer au temps. Quant à cela, dit M. de Wolmar, vous arbres. remarquerez qu'il n'y en a pas beaucoup de fort direction, et
.
.
il
n'y a rien
là
.
grands, et ceux-là y étaient déjà.
commencé
De
plus, Julie a
longtemps avant son mariage et presque d'abord après la mort de sa mère, qu'elle ceci
vint avec son père chercher
ici la
Eh bien
solitude.
!
puisque vous voulez que tous ces massifs, ces grands berceaux, ces touffes pendantes, ces bosquets dis-je,
si
et
bien ombragés, soient venus en sept ou huit ans,
que
l'art s'en soit
mêlé, j'estime que,
enceinte aussi vaste vous avez
deux mille
fait
si
dans une
tout cela pour
écus, vous avez bien économisé.
Vous
LA NOUVELLE HÉLOÏSE ne surfaites que de deux mille écus,
m'en
Comment,
a rien coûté.
rien
173
dit-elle
il
;
Non,
?
ne
rien
;
moins que vous ne comptiez une douzaine de journées par an de mon jardinier, autant de deux ou trois de mes gens, et quelques-unes de M. de Wolmar lui-même, qui n'a pas dédaigné d'être quelquefois mon garçon jardinier. Je ne comprenais rien à cette énigme mais Julie, qui jusquelà m'avait retenu, me dit en me laissant aller Avancez, et vous comprendrez. Adieu Tinian, adieu Juan-Fernandez, adieu tout l'enchantement Dans un moment vous allez être de retour du bout à
;
:
!
du monde. Je
me
mis à parcourir avec extase ce verger
métamorphosé
;
et
si
je
ainsi
ne trouvai point de plantes
exotiques et de productions des Indes, je trouvai
du pays
celles
disposées et réunies de manière à
produire un effet plus riant et plus agréable.
Le
gazon verdoyant, mais court et serré, était mêlé de serpolet, de baume, de thym, de marjolaine, et d'autres
herbes odorantes.
mille fleurs des champs,
On
parmi
y voyait
briller
lesquelles l'œil en
démêlait avec surprise quelques-unes de jardin, qui semblaient croître naturellement avec les autres. touffes soleil,
Je
rencontrais
obscures,
comme
dans
de temps en temps des
impénétrables la
aux
plus épaisse forêt
étaient formées des arbres
du
rayons ;
du
ces touffes
bois le plus flexible,
dont on avait fait recourber les branches, pendre en terre, et prendre racine, par un art semblable à ce que font naturellement les mangles en Amérique.
Dans
les
lieux plus découverts je voyais çà et
là,
sans ordre et sans symétrie, des broussailles de roses,
i
JULIE,
74
OU
de framboisiers, de groseilles, des fourrés de lilas, de noisetier, de sureau, de seringat, de genêt, de trifolium, qui paraient la terre en lui donnant l'air Je suivais des allées tortueuses et
d'être en friche.
irrégulières bordées de ces bocages fleuris, et cou-
vertes de mille guirlandes de vigne de Judée, de vigne vierge, de houblon, de liseron, de couleuvrée,
de clématite, et d'autres plantes de cette espèce, parmi lesquelles le chèvrefeuille et le jasmin daigCes guirlandes semblaient naient se confondre. jetées négligemment d'un arbre à l'autre, comme j'en avais remarqué quelquefois dans les forêts, et formaient sur nous des espèces de draperies qui nous garantissaient du soleil, tandis que nous avions sous nos pieds un marcher doux, commode et sec, sur une mousse fine, sans sable, sans herbe, et sans Alors seulement je découvris,
rejetons raboteux.
non
sans surprise,
que
ces
ombrages verts
et touffus,
qui m'en avaient tant imposé de loin, n'étaient
formés que de ces plantes rampantes et parasites, qui, guidées le long des arbres, environnaient leurs têtes et
du plus
épais feuillage, et leurs pieds
de fraîcheur.
J'observai
même
d'une industrie assez simple on avait racine sur les troncs des arbres
à
d'ombre
qu'au fait
moyen prendre
plusieurs de ces
plantes, de sorte qu'elles s'étendaient davantage
en
Vous concevez bien que les fruits ne s'en trouvent pas mieux de toutes ces mais dans ce lieu seul on a sacrifié additions l'utile à l'agréable, et dans le reste des terres on a faisant
moins de chemin.
;
pris
un
tel soin
des plants et des arbres, qu'avec ce
verger de moins
la
récolte en fruits ne laisse pas
d'être plus forte qu'auparavant.
Si vous songe?.
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
175
combien au fond d'un bois on est charmé quelquefois de voir un fruit sauvage et même de s'en rafraîchir, vous comprendrez le plaisir qu'on a de trouver dans ce désert ce qui
artificiel
quoique clairsemés
et mûrs,
donne encore
des fruits excellents
de mauvaise mine
et
de
le plaisir
la
;
recherche et du
choix.
Toutes
ces
routes
petites
étaient
bordées
et
traversées d'une eau limpide et claire, tantôt cir-
culant parmi l'herbe et imperceptibles,
les fleurs en filets presque en plus grands ruisseaux
tantôt
courant sur un gravier pur et marqueté qui rendait l'eau plus brillante.
On
lonner et sortir de
la
voyait des sources bouilterre,
et
quelquefois des
canaux plus profonds dans lesquels paisible
réfléchissait
à
prends à présent tout
l'œil
l'eau
objets.
les
calme et
com-
Je
le reste, dis-je à Julie
;
mais
eaux que je vois de toutes parts. Elles viennent de là, reprit-elle en me montrant le côté où était la terrasse de son jardin. C'est ce même ces
.
.
.
ruisseau qui fournit à grands frais dans le parterre
un
jet d'eau
dont personne ne
Wolmar ne veut
mon
père qui
pas
l'a fait faire
nous venons tous
les
se soucie.
le détruire, :
M.
de
par respect pour
mais avec quel plaisir
jours voir courir dans ce verger
cette eau dont nous n'approchons guère au jardin le
jet
coule l'eau
d'eau joue pour ici
de
pour nous.
la
les
Il est
étrangers, vrai
que
le
!
ruisseau
j'y ai réuni
fontaine publique, qui se rendait dans
le
grand chemin, qu'elle dégradait au pré judice des passants et à pure perte pour tout le
lac par le
monde. Elle faisait un coude au pied du verger entre deux rangs de saules ; je les ai renfermés dans
JULIE,
176
mon
encL-intc,
et
OU
conduis
j'y
la
même
eau par
d'autres routes.
Je vis alors qu'il n'avait été question que de faire serpenter ces eaux avec économie en les divisant et réunissant à propos, en épargnant la pente qu'il était possible,
pour prolonger
le
plus
le circuit et se
le murmure de quelques petites chutes. Une couche de glaise couverte d'un pouce de
ménager gravier le lit
du
lac et
parsemée de coquillages formait Ces mêmes ruisseaux, courant
des ruisseaux.
par intervalles sous quelques larges tuiles recouvertes de terre et de gazon au niveau du sol, forà leur issue autant de sources artificielles. Quelques filets s'en élevaient par des siphons sur des lieux raboteux et bouillonnaient en retombant. Enfin la terre ainsi rafraîchie et humectée donnait
maient
sans cesse de nouvelles fleurs et entretenait l'herbe
toujours verdoyante et belle. Plus je parcourais cet agréable
asile,
plus
je
augmenter la sensation délicieuse que j'avais cependant la curiosité me éprouvée en y entrant J'étais plus empressé de voir tenait en haleine. les objets que d'examiner leurs impressions, et j'aimais à me livrer à cette charmante contemplaMais madame tion sans prendre la peine de penser.
sentais
:
de Wolmar, me tirant de ma rêverie, me dit en me Tout ce que vous voyez prenant sous le bras et, quoi n'est que la nature végétale et inanimée qu'on puisse faire, elle laisse toujours une idée de Venez la voir animée et solitude qui attriste. sensible, c'est là qu'à chaque instant du jour vous :
;
lui
Vous me préun ramage bruyant et
trouverez un attrait nouveau.
venez, lui dis-je
;
j'entends
LA NOUVELLE HÊLOÏSE confus, et j'aperçois assez peu d'oiseaux
177 :
je
com-
prends que vous avez une volière. Il est vrai, ditelle ; approchons-en. Je n'osai dire encore ce que
de
je pensais
la volière
que chose qui au
assortie
me
;
mais cette idée avait quel-
déplaisait, et ne
Nous descendîmes par où
verger,
me semblait point
reste.
je trouvai
mille détours au bas
toute l'eau réunie en
un
du joli
ruisseau coulant doucement entre deux rangs de vieux saules qu'on avait souvent ébranchés. Leurs têtes creuses et demi-chauves formaient des espèces de vases d'où sortaient, par l'adresse dont j'ai parlé, des touffes de chèvrefeuille, dont une partie s'entrelaçait autour des branches, et l'autre tombait
avec grâce
le
long du ruisseau.
Presque
à
l'ex-
trémité de l'enceinte était un petit bassin bordé d'herbes, de joncs, de roseaux, servant d'abreuvoir à
la
volière,
précieuse et
si
et
dernière station de cette eau
si
bien ménagée.
Au delà de ce bassin était un terre-plein terminé dans l'angle de l'enclos par un monticule garni d'une multitude d'arbrisseaux de toute espèce ; les plus petits vers
grandeur
à
le
haut, et toujours croissant en
mesure que
le sol s'abaissait ce qui plan des têtes presque horizontal, ou montrait au moins qu'un jour il le devait être. Sur le devant étaient une douzaine d'arbres jeunes encore, mais faits pour devenir fort grands, tels
rendait
;
le
que
le hêtre, l'orme, le frêne, l'acacia. C'étaient bocages de ce coteau qui servaient d'asile à cette multitude d'oiseaux dont j'avais entendu de loin le
les
ramage et c'était à l'ombre de ce feuillage comme un grand parasol qu'on les voyait voltiger, ;
sous
M
JULIE,
178
OU comme
courir, chanter, s'agacer, se battre
nous avaient pas aperçus.
Ils
s'enfuirent
s'ils si
ne
peu
à
notre approche, que, selon l'idée dont j'étais pré-
venu,
je les crus
comme
mais
d'abord enfermés par un grillage
;
nous fûmes arrivés au bord du bassin,
j'en vis plusieurs descendre et s'approcher de nous
deux communiquait du bassin à la volière. M. de Wolmar, faisant le tour du bassin, sema sur l'allée deux ou trois poignées de grains mélangés qu'il avait dans sa poche et, quand il se sur une espèce de courte allée qui séparait en terre-plein
le
et
;
fut retiré, les oiseaux accoururent et se mirent à
manger comme des est
charmant
si familier que manège. Cela Ce mot de volière
poules, d'un air
bien qu'ils étaient
je vis
faits à ce
m'écriai-je.
!
m'avait surpris de votre part
maintenant
non pas hôtes leurs
je vois
des
* ils
prisonniers.
sont
;
mais
je l'entends
que vous voulez des hôtes et
répondit Julie
? ;
:
ici les
Qu'appelez-vous
c'est
tribut pour en être soufferts quelquefois. bien, repris-je sont-ils
;
mais
emparés de ce
?
je n'ai
pas ouï
dire qu'on ait jamais rien tenté de pareil
;
n'aurais point cru qu'on
je
y pût
avais la
preuve sous mes yeux.
La
le
patience et
temps, dit
Ce
Fort
comment ces maîtres-là se lieu ? le moyen d'y rassem-
bler tant d'habitants volontaires
fait ce miracle.
des
nous qui sommes les maîtres, et nous leur payons :
réussir,
M.
si
et je
n'en
de Wolmar, ont
sont des expédients dont
les
1 Cette réponse rrest pas exacte, puisque le mot d'hôte est corrélatif de lui-même. Sans vouloir relever toutes les fautes de langue, je dois avertir de celles qui en erreur. peuvent induire
LA NOUVELLE HÊLOÏSE
179
gens riches ne s'avisent guère dans leurs
Toujours pressés de les
moyens
seuls
plaisirs.
jouir, la force et l'argent sont
connaissent
qu'ils
ont des
ils
:
oiseaux dans des cages, et des amis à tant par mois. Si jamais des valets approchaient
de ce
lieu,
verriez bientôt les oiseaux disparaître
;
vous en
et
s'ils
y
sont à présent en grand nombre, c'est qu'il y en a toujours eu. On ne les fait pas venir quand il n'y
en a point mais il est aisé, quand il y en a, d'en attirer davantage en prévenant tous leurs besoins, en ne les effrayant jamais, en leur laissant faire leur couvée en sûreté et ne dénichant point les petits car alors ceux qui s'y trouvent restent, et ceux qui ;
;
Ce bocage existait, du verger Julie n'a fait 'que l'y renfermer par une haie vive, ôter celle qui l'en séparait, l'agrandir, et l'orner de nouveaux plants. Vous voyez, à droite et à gauche de l'allée qui y conduit, deux espaces remplis d'un mélange confus surviennent restent encore. quoiqu'il fût séparé
;
d'herbes, de pailles et de toutes sortes de plantes.
semer chaque année du blé, du mil, du du chènevis, des pesettes, 1 généralement de tous les grains que les oiseaux aiment, et l'on n'en moissonne rien. Outre cela, presque tous les jours, été et hiver, elle ou moi leur apportons à manger et quand nous y manquons, la Fanchon y Elle y fait
tournesol,
;
supplée d'ordinaire.
comme
vous voyez.
Ils
ont l'eau à quatre pas,
Madame
de
Wolmar
pousse
l'attention jusqu'à les pourvoir tous les printemps
de petits
tas
de
crin,
de
paille,
de
laine,
de mousse,
et d'autres matières propres à faire des nids. le
Avec
voisinage des matériaux, l'abondance des vivres 1
De
la vesce,
JULIE,
180
OU
grand soin qu'on prend d'écarter tous
et le
ennemis, 1 l'éternelle tranquillité dont les
à pondre en un lieu commode où manque, où personne ne les trouble.
porte
leur
comment
la
enfants, et
les
jouissent
ils
rien ne
Voilà
patrie des pères est encore celle des
comment
peuplade
la
se soutient et se
multiplie.
Ah
vous ne voyez plus rien
dit Julie,
!
ne songe plus qu'à le zèle
soi
:
!
chacun
mais des époux inséparables,
des soins domestiques,
la
tendresse paternelle
perdu tout cela. Il y a être ici pour livrer ses yeux
et maternelle, vous avez
deux mois qu'il fallait au plus charmant spectacle et son cœur au plus doux sentiment de la nature. Madame, repris-je ce sont assez tristement, vous êtes épouse et mère ;
vous appartient de connaître. Aussitôt M. de Wolmar, me prenant par la main, me dit en la serrant Vous avez des amis, et ces des
plaisirs
qu'il
:
amis ont des enfants
;
comment
nelle vous serait-elle étrangère
regardai Julie
;
l'affection pater-
Je le regardai, je tous deux se regardèrent, et me
rendirent un regard
si
?
touchant, que,
les
embrassant
l'un après l'autre, je leur dis avec attendrissement Ils
me
sont aussi chers qu'à vous.
Je ne
:
par
sais
un mot peut ainsi changer une moment, M. de Wolmar me un autre homme, et je vois moins en lui le
quel bizarre effet
âme
;
paraît
mais, depuis ce
mari de celle que j'ai tant aimée que le père de deux enfants pour lesquels je donnerais ma vie. Je n'ai qu'un seul reproche à faire à votre Elysée, .
.
.
ajoutai-je en regardant Julie, mais qui vous paraîtra 1
Les
enfants.
loirs,
les
souris,
les
chouettes, et surtout les
LA NOUVELLE HÉLOÏSE grave
c'est
;
un amusement
d'être
181
A
superflu.
quoi bon vous faire une nouvelle promenade, ayant de l'autre côté de la maison des bosquets si char-
mants
et
négligés
si
embarrassée
un peu
Il est vrai, dit-elle
?
mais j'aime mieux ceci. Si vous aviez bien songé à votre question avant que de la faire, interrompit M. de Wolmar, elle serait plus ;
qu'indiscrète. Jamais ma femme depuis son mariage n'a mis les pieds dans les bosquets dont vous parlez. J'en sais la raison quoiqu'elle me
toujours
l'ait
apprenez
Vous qui ne l'ignorez pas, où vous êtes ils sont
tue.
à respecter les lieux
plantés par
les
nourrir
oiseaux.
;
mains de la vertu. Enthousiasmé d'un séjour si charmant, je les priai le soir de trouver bon que, durant mon séjour chez eux, la Fanchon me confiât sa clef et le soin de les
au grain dans Je ne
clef.
de peine celle
de
:
M.
.
.
Aussitôt Julie envoya
ma chambre
sais il
.
me donna
et
sa
le sac
propre
pourquoi je la reçus avec une sorte sembla que j'aurais mieux aimé
me
de Wolmar.
je me suis levé de bonne heure, et avec l'empressement d'un enfant je suis allé m'enfermer dans l'île déserte. Que d'agréables pensées j'espé-
Ce matin
rais
porter ce lieu solitaire, où le doux aspect de
seule nature devait chasser de
mon
cet ordre social et factice qui
m'a rendu
heureux
!
Tout
vrage de celle qui
me
de moi
n'ait
si
mal-
ce qui va m'environner est l'ou-
plerai tout autour
main
la
souvenir tout
touché
air qu'elle a respiré
;
si ;
Je la contemne verrai rien que sa
chère. je
que
ses
je respirerai avec la rosée
un
je baiserai des fleurs
;
pieds auront foulées
fut
;
son goût dans ses amusements
me
OU
JULIE,
i82
rendra présents tous
comme
verai partout
charmes, et je
ses
elle est
au fond de
la
trou-
mon
cœur.
En entrant dans l'Elysée avec ces dispositions, me suis subitement rappelé le dernier mot que me dit hier M. de Wolmar à peu près dans la même
je
Le souvenir de ce seul mot a changé surle-champ tout l'état de mon âme. J'ai cru voir l'image de la vertu où je cherchais celle du plaisir cette image s'est confondue dans mon esprit avec place.
;
traits
de
première
fois
les
madame de Wolmar
son absence, non se
montre
à
telle
me
j'aime encore à
la
femme
au
milieu
et,
;
retour, j'ai
représenter, mais telle qu'elle
mes yeux tous
cru voir cette vertueuse,
pour la vu Julie en qu'elle fut pour moi et que
mon
depuis
si
Mylord,
les jours.
charmante,
de
ce
même
j'ai
chaste et
si
cortège
si
qui
Je voyais autour d'elle ses trois aimables enfants, honorable et précieux gage de
l'entourait hier.
l'union conjugale et de
la
tendre amitié,
lui faire et
recevoir d'elle mille touchantes caresses. à ses côtés le
heureux,
grave Wolmar, cet époux
digne de
Je voyais si
chéri,
si
Je croyais voir son œil pénétrant et judicieux percer au fond de mon
cœur
et
si
m'en
l'être.
faire rougir
encore
;
je croyais
en-
bouche des reproches trop mérités et des leçons trop mal écoutées. Je voyais
tendre
à sa
sortir
de
suite cette
sa
même Fanchon
Regard, vivante
preuve du triomphe des vertus et de l'humanité sur le plus ardent amour. Ah quel sentiment !
coupable eût pénétré jusqu'à inviolable escorte
?
Avec
elle à
travers cette
quelle indignation j'eusse
étouffé les vils transports d'une passion criminelle et
mal éteinte
!
et
que
je
me
serais
méprisé de
LA NOUVELLE HÉLOISE souiller
183
d'un seul soupir un aussi ravissant tableau
d'innocence et d'honnêteté
mémoire
les
discours
!
qu'elle
Je repassais dans ma m'avait tenus en
puis, remontant avec elle dans un avenir contemple avec tant de charmes, je voyais cette tendre mère essuyer la sueur du front de ses
sortant
;
qu'elle
enfants, baiser leurs joues enflammées, et livrer ce
cœur
fait
nature.
pour aimer au plus doux sentiment de n'y avait pas jusqu'à ce
Il
qui ne rectifiât en moi trouble des passions
la
d'Elysée
de l'imagination, et calme préférable au
les écarts
mon âme un
ne portât dans
nom
les
plus séduisantes.
Il
me
peignait en quelque sorte l'intérieur de celle qui l'avait
agitée disais
dans
:
trouvé ; je pensais qu'avec une conscience on n'aurait jamais choisi ce nom-là. Je me La paix règne au fond de son cœur comme
nommé.
qu'elle a
l'asile
j'ai rêvé Je m'étais promis une rêverie agréable plus agréablement que je ne m'y étais attendu. ;
je
dans
passé
J'ai
l'Elysée
deux heures auxquelles
ne préfère aucun temps de
ma
vie.
avec quel charme et quelle rapidité
En
voyant
elles s'étaient
écoulées, j'ai trouvé qu'il y a dans la méditation
des pensées honnêtes une sorte de bien-être que les c'est celui de se méchants n'ont jamais connu Si l'on y songeait sans avec soi-même. prévention, je ne sais quel autre plaisir on pourrait ;
plaire
égaler à celui-là.
Comme M.
il
.
.
.
que j'y songeasse, venu me joindre et m'avertir que
se faisait tard sans
de Wolmar
est
thé m'attendaient.
C'est vous, leur
Julie
et
le
ai-je
dit
en m'excusant, qui m'empêchiez d'être
avec vous
:
je fus
si
charmé de ma
soirée d'hier
JULIE,
i8 4
OU
que j'en suis retourné jouir ce matin mais, puisque vous m'avez attendu, ma matinée n'est pas perdue. C'est fort bien dit, a répondu madame de ;
Wolmar
mieux
vaudrait
il
;
jusqu'à
s'attendre
de déjeuner ensemble. Les étrangers ne sont jamais admis le matin dans ma chambre, et déjeunent dans la leur. Le les valets en sont déjeuner est le repas des amis
midi que de perdre
le plaisir
;
importuns ne s'y montrent point, on y dit tout ce qu'on pense, on y révèle tous ses secrets on n'y contraint aucun de ses sentiments on peut s'y livrer sans imprudence aux douceurs de la
exclus, les
;
;
confiance et de
moment où
seul
familiarité.
la il
C'est presque le
permis d'être ce qu'on est
soit
que ne dure-t-ii toute
la
journée
!
Ah
un vœu bien intéressé La première chose que j'ai
ai-je été prêt à dire, voilà
mais
me
je
suis tu.
retranchée avec l'amour
quelqu'un en
face,
:
Julie,
!
à
!
Louer
louange.
a été la
moins que ce ne
soit
sa
maîtresse, qu'est-ce faire autre chose sinon le taxer
de vanité
?
Vous
savez, mylord,
de Wolmar qu'on peut
non
je l'honore
;
La
silence.
c'est à
madame Non,
trop pour ne pas l'honorer en
voir, l'entendre, observer sa conduite,
n'est-ce pas assez la louer
M.
si
faire ce reproche.
Wolmar apprend
?
femme
Saint-Preux amours. En épousant Julie il l'avait trouvée accablée et malheureuse; il l'a ramenée au bonheur et à l'innocence. Il veut à présent entreprendre la guérison de Saint-Preux en qui il a toujours reconnu de hautes qualités car il n'y a rien de bien qu'on n'obtienne pas des belles âmes de
qu'il connaît depuis
à sa
longtemps
et à
l'histoire de leurs
;
avec de
la
confiance et de la franchise.
LA NOUVELLE HÊLOÏSE Les
l'appellent ailleurs
affaires
il
;
185
part, confiant
sa
garde de Saint-Preux. Nous citons la fin d'une lettre (XII.) dans laquelle Julie raconte à son amie, Madame d'Orbe, la bonté et la confiance de son mari.
femme
à la
Plus je veux sonder l'état présent de plus j'y trouve de quoi est pur,
ma
et,
;
mon
âme,
Mon
cœur
dans tout ce qui se passe en
vis-à-vis
sincérité
la
rassurer.
conscience est tranquille, je ne sens ni
trouble ni crainte
moi,
me
de
mon
me
mari ne
que certains souvenirs involontaires ne me donnent quelquefois un attendrissement dont il vaudrait mieux être mais bien loin que ces souvenirs soient exempte produits par la vue de celui qui les a causés, ils me semblent plus rares depuis son retour, et quelque coûte aucun
effort.
Ce
pas
n'est
;
doux
qu'il
me
soit
de
le voir, je
ne
sais
par quelle
en un m'est plus doux de penser à lui mot, je trouve que je n'ai pas même besoin du secours de la vertu pour être paisible en sa présence, bizarrerie
:
quand l'horreur du crime
et que, les
il
sentiments qu'elle
a détruits
n'existerait pas,
auraient bien de
la
peine à renaître.
Mais,
mon
ange, est-ce assez que
mon cœur me
quand la raison doit m'alarmer ? J'ai perdu Qui me repondra que le droit de compter sur moi. ma confiance n'est pas encore une illusion du vice ? Comment me fier à des sentiments qui m'ont tant rassure
de
fois
abusée
?
Le crime ne commence-t-il
toujours par l'orgueil qui et braver des périls
fait
mépriser
?
?
Pèse toutes ces considérations,
que quand
pas
tentation
où l'on a succombé n'est-ce pas
vouloir succomber encore
verras
la
elles
seraient
ma
cousine
;
tu
vaines par elles-
OU
JULIE,
i86
mêmes,
elles
sont assez graves par leur objet pour
Tire-moi donc de l'incertim'ont mise. Marque-moi comment je dois me comporter dans cette occasion délicate car mes erreurs passées ont altéré mon jugement mériter qu'on y songe.
tude où
elles
;
et
me
choses. est s'y
rendent timide à me déterminer sur toutes Quoi que tu penses de toi-même, ton âme
calme et tranquille, j'en suis sûre mais peignent tels qu'ils sont
toujours
émue comme une onde Je n'ose plus
et les défigure.
que
les
;
la
:
je vois ni
de ce que
agitée, les
me
je sens
;
fier à
objets
mienne,
confond
rien de ce
malgré de
et,
si
longs repentirs, j'éprouve avec douleur que le poids
d'une ancienne faute
est
un fardeau
qu'il faut porter
toute sa vie.
LETTRE XV DE SAINT-PREUX A
MYLORD EDOUARD
de Wolmar partit hier pour Étange, et j'ai peine à concevoir l'état de tristesse où m'a laissé son départ. Je crois que l'éloignement de sa femme
M.
m'affligerait
contraint silence
moins que
qu'en
sa
le
Je me sens plus même un morne mon cœur un effroi
sien.
présence
règne au fond de
:
;
en étouffe le murmure et, moins troublé de désirs que de craintes, j'éprouve les terreurs du crime sans en avoir les tentations. Savez-vous, mylord, où mon âme se rassure et perd ces indignes frayeurs ? auprès de madame de Wolmar. Sitôt que j'approche d'elle, sa vue apaise secret
;
LA NOUVELLE HÉLOÏSE mon est
mon
trouble, ses regards épurent
du
l'ascendant
inspirer
aux autres en
le
et le repos qui
pour moi, journée
Ce
Malheureusement dans
ses amis, et la
me
les
la
moments
voir je souffrirais
qui contribue encore à nourrir je
pas toute
la livre
que je suis forcé de passer sans moins d'être plus loin d'elle.
dont
toujours
sentiment de son innocence
de vie ne de
Tel
cœur.
semble
qu'il
est l'effet.
sa règle
à la société
sien,
187
mélancolie
la
un mot qu'elle me dit départ de son mari. Quoique jusqu'à
sens accablé, c'est
hier après le
cet instant elle eût fait assez
bonne contenance,
longtemps des yeux avec un air attendri, que j'attribuai d'abord au seul éloignement de cet heureux époux mais je conçus à son discours que
elle le suivit
;
une autre cause Vous voyez comme
cet attendrissement avait encore
qui ne m'était pas connue.
nous vivons, cher.
Ne
me
qui m'unit à
lui, aussi
l'amour, en
ait
coûte quand
la
est
vous savez
dit-elle, et
croyez pas pourtant que
s'il
m'est
sentiment
le
tendre et plus puissant que S'il nous en
aussi les faiblesses.
douce habitude de vivre ensemble
interrompue, l'espoir assuré de
Un
bientôt nous console.
reprendre
la
état aussi
permanent et dans une
peu de vicissitudes à craindre absence de quelques jours nous sentons moins la peine d'un si court intervalle que le plaisir d'en
laisse
envisager
;
la
fin.
L'affliction
mes yeux vient d'un qu'elle soit relative à
que vous
sujet plus grave
M.
;
lisez
dan=
et,
quoi-
de Wolmar, ce n'est point
son éloignement qui la cause. Mon cher ami, ajouta-t-elle d'un ton pénétré, n'y a point de vrai
bonheur sur
la terre.
J'ai
il
pour
mari
OU
JULIE,
i88 le
au devoir qui nous
se joint
n'a point d'autres désirs
lie, il
doux des hommes,
plus honnête et le plus
un penchant mutuel
que
les
miens
j'ai
;
des enfants qui ne donnent et ne promettent que
des plaisirs à leur mère
il
:
n'y eut jamais d'amie
plus tendre, plus vertueuse, plus aimable que celle
mon cœur
dont
jours avec elle
;
vous-même contribuez
rendre chers en justifiant sentiments pour vous
;
si
mon
bien
un long
tout nous prospère
;
régnent dans notre maison zélés et fidèles
sortes
;
d'attachement
de
la
concourir
à
les
et fâcheux procès le
meilleur
l'ordre et la paix
nos domestiques sont
;
;
nous jouissons de
la
bien-
Favorisée en toutes choses
fortune, et des
mon
me
nos voisins nous marquent toutes
veillance publique. ciel,
;
à
estime et mes
prêt à finir va ramener dans nos bras des pères
mes
est idolâtre, et je vais passer
bonheur.
hommes,
Un
je vois
du
tout
chagrin secret, un
seul chagrin l'empoisonne, et je ne suis pas heureuse.
Elle dit ces derniers
mots avec un soupir qui me je vis trop que je n'avais
perça l'âme, et auquel
aucune part. Elle n'est pas heureuse, me dis-je en soupirant à mon tour, et ce n'est plus moi qui l'empêche de l'être Cette funeste idée bouleversa dans un instant !
toutes
les
mençais
miennes, et troubla
à jouir.
le
repos dont je
com-
Impatient du doute insupport-
able où ce discours m'avait jeté, je la pressai telle-
ment d'achever de m'ouvrir son cœur, qu'enfin dans le mien ce fatal secret et me permit
elle versa
le révéler. Mais voici l'heure de la promenade. Madame de Wolmar sort actuellement du gynécée pour aller se promener avec ses enfants ;
de vous
LA NOUVELLE HÉLOÏSE elle
vient de
me
le faire dire.
189
mylord
J'y cours,
:
vous quitte pour cette fois, et remets à reprendre dans une autre lettre le sujet interrompu dans je
celle-ci.
LETTRE XVI DE MADAME DE
WOLMAR
A SON MARI
Je vous attends mardi, comme vous me le marquez, et vous trouverez tout arrangé selon vos intentions.
Voyez, en revenant,
madame d'Orbe
;
elle
dira ce qui s'est passé durant votre absence
:
vous
j'aime
mieux que vous l'appreniez d'elle que de moi. Wolmar, il est vrai, je crois mériter votre estime
;
mais votre conduite n'en est pas plus convenable, et vous jouissez durement de la vertu de votre
femme.
LETTRE XVII DE SAINT PREUX A MYLORD EDOUARD
compte d'un danger que nous courûmes ces jours passés, et dont heureusement nous avons été quittes pour la peur et un peu de fatigue. Ceci vaut bien une lettre à part en la lisant, vous sentirez ce qui m'engage à vous
Je veux, mylord, vous rendre
:
l'écrire.
Vous savez que la maison de madame de Wolmar du lac, et qu'elle aime les promenades sur l'eau. Il y a trois jours que le désœuvrement n'est pas loin
JULIE,
190
OU
où l'absence de son mari nous de
la soirée
nades pour
laisse et la beauté nous firent projeter une de ces prome-
le
lendemain.
nous rendîmes au rivage avec
des
filets
;
Au
lever
du
soleil
nous
nous prîmes un bateau
pour pêcher,
rameurs,
trois
un
domestique, et nous nous embarquâmes avec quelques provisions pour
pour
dîner.
le
tirer des besolets
;
*
mais
J'avais pris elle
me
tuer des oiseaux à pure perte et pour
fit
un
fusil
honte de
le seul plaisir
du mal. Je m'amusais donc à rappeler de temps en temps des gros sifflets, des tiou-tious, des
de
faire
2 et je ne tirai qu'un seul une grèbe que je manquai. Nous passâmes une heure ou deux à pêcher à cinq cents pas du rivage. La pêche fut bonne mais, à l'exception d'une truite qui avait reçu un coup d'aviron, Julie fit tout rejeter à l'eau. Ce sont, dit-elle, des animaux qui souffrent délivrons-les jouissons du plaisir qu'ils auront d'être échappés au péril. Cette opération se fit lentement, à contre-cœur, non sans quelques représentations et je vis aisément que nos gens auraient mieux goûté le poisson qu'ils avaient pris que la morale qui lui sauvait la vie. Nous avançâmes ensuite en pleine eau puis, par une vivacité de jeune homme dont il serait temps de guérir, m'étant mis à nager? je dirigeai tellement au milieu du lac que nous nous trouvâmes bientôt
crenets, des sifflassons
coup de
;
fort loin sur
;
;
;
;
;
Le besolet Oiseau de passage sur le lac de Genève. bon à manger. Diverses sortes d'oiseaux du lac de Genève, tous très bons à manger. 3 Terme des bateliers du lac de Genève; c'est tenir la rame qui gouverne les autres. 1
n'est pas 2
LA NOUVELLE HÉLOÏSE à
191
du rivage. Là j'expliquais à du superbe horizon qui nous montrais de loin les embouchures
plus d'une lieue
Julie toutes les parties
entourait.
Je lui
du Rhône, dont l'impétueux cours
s'arrête tout à
coup au bout d'un quart de lieue, et semble craindre de souiller de ses eaux bourbeuses le cristal azuré du Je lui faisais observer
lac.
les
mon-
redans des
tagnes, dont les angles correspondants et parallèles
forment dans l'espace qui
les
du
.
fleuve qui le remplit.
.
un
sépare
digne
lit
.
Tandis que nous nous amusions agréablement à ainsi des yeux les côtes voisines, un séchard, qui nous poussait de biais vers la rive parcourir
opposée,
s'éleva,
trouva frêle
si
considérablement
fraîchit
quand nous songeâmes
et,
;
revirer, la résistance se
à
forte qu'il ne fut plus possible à notre
bateau de
la
vinrent terribles
vaincre. il
:
fallut
Bientôt
les
regagner
ondes dela
rive
de
Savoie, et tâcher d'y prendre terre au village de
Meillerie qui était vis-à-vis de nous, et qui est
presque
le seul lieu
un abord commode. renforçait,
rendait
bateliers, et
d'une
file
de cette côte où la grève offre Mais le vent ayant changé se
nous
inutiles
faisait
les
efforts
dériver plus bas
de
nos
le
long
de rochers escarpés où l'on ne trouve
plus d'asile.
Nous nous mîmes au
même
tous aux rames
;
et
presque
instant j'eus la douleur de voir Julie
du mal de cœur, faible et défaillante au bord du bateau. Heureusement elle était faite à l'eau et cet état ne dura pas. Cependant nos efforts saisie
croissaient avec le la
danger
;
le soleil, la
fatigue et
sueur nous mirent tous hors d'haleine et dans un
JULIE,
192
épuisement
excessif
c'est
:
OU alors
tout son courage, Julie animait caresses compatissantes
elle
;
que, retrouvant le
nôtre par
ses
nous essuyait indis-
mêlant dans un vase de peur d'ivresse, elle en offrait alternativement aux plus épuisés. Non, jamais votre adorable amie ne brilla d'un si vif éclat que dans ce moment où la chaleur et l'agitation avaient animé son teint d'un plus grand feu et ce qui ajoutait le plus à ses charmes était qu'on tinctement
à tous le visage, et
du vin avec de
l'eau
;
que tous ses soins elle que de comUn instant seulement deux passion pour nous. planches s'étant entr'ouvertes, dans un choc qui nous inonda tous, elle crut le bateau brisé et dans une exclamation de cette tendre mère j'envoyait
si
bien à son
air attendri
venaient moins de frayeur pour
;
O mes enfants Pour moi, dont l'imagination va toujours plus loin que le mal, quoique je tendis distinctement ces mots
faut-il
ne vous voir plus
:
!
?
connusse au vrai l'état du péril, je croyais voir de moment en moment le bateau englouti, cette beauté si touchante se débattre au milieu des flots, et la pâleur de la mort ternir les roses de son visage. Enfin
force
à
de travail nous remontâmes
à
Meillerie, et, après avoir lutté plus d'une heure à
dix pas
En
du
rivage, nous
abordant, toutes
parvînmes
les
à
prendre terre.
fatigues furent oubliées.
Julie prit sur soi la reconnaissance de tous les soins
que chacun danger
s'était
elle n'avait
donnés
;
et
comme
songé qu'à nous,
au fort du
à terre
il
lui
semblait qu'on n'avait sauvé qu'elle.
Nous dînâmes avec l'appétit qu'on gagne dans un violent travail. La truite fut apprêtée. Julie
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
193
qui l'aime extrêmement en mangea peu ; et je compris que, pour ôter aux bateliers le regret de
man-
leur sacrifice, elle ne se souciait pas que j'en geasse
beaucoup moi-même.
Mylord, vous
dit mille fois, dans les petites choses
grandes cette
les
Après
ayant
besoin
d'être
proposai un tour de promenade. le
vent,
le soleil, et
comme
ma
songeait à
raccommodé, je Julie m'opposa
lassitude.
mes vues ; ainsi je répondis à tout. Je dis-je, accoutumé dès l'enfance aux pénibles et
mon
loin de nuire à
;
dans
peint toujours.
se
continuant d'être forte et
le dîner, l'eau
bateau
le
âme aimante
l'avez
ma
santé
ils
J'avais suis, lui
exercices
l'affermissent,
dernier voyage m'a rendu bien plus robuste
A
encore.
l'égard
du
soleil et
votre chapeau de paille et des bois
;
;
n'est question
il
quelques rochers
;
du
vent, vous avez
nous gagnerons des abris
que de monter entre
et vous qui n'aimez pas la plaine
en supporterez volontiers la fatigue. Elle fit ce que je voulais, et nous partîmes pendant le dîner de nos gens.
Vous savez qu'après mon il
y
exil
du
Valais je revins
a dix ans à Meillerie attendre la
mon
permission de
que je passai des jours si tristes et si délicieux, uniquement occupé d'elle, et c'est de là que je lui écrivis une lettre dont elle fut
retour.
si
C'est
touchée.
la retraite isolée
là
J'avais toujours désiré
qui
me
de revoir
servit d'asile au milieu des
où mon cœur se plaisait à converser en lui-même avec ce qu'il eut de plus cher au monde. L'occasion de visiter ce lieu si chéri dans une saison plus agréable, et avec celle dont l'image l'habitait jadis avec moi, fut le motif secret de ma promenade.
glaces, et
N
JULIE,
194
me
OU
un plaisir de lui montrer d'anciens monuments d'une passion si constante et si mal-
Je
faisais
heureuse.
Nous y parvînmes
après une heure de
par des sentiers tortueux et insensiblement
entre
les
n'avaient rien de plus
du chemin.
En
frais,
arbres
qui,
et
incommode que
marche montant
les
rochers,
la
longueur
approchant et reconnaissant mes
me mon
anciens renseignements, je fus prêt à
mal et
;
mais je
me
surmontai, je cachai
nous arrivâmes.
Ce
lieu
solitaire
trouver trouble,
formait un
réduit sauvage et désert, mais plein de ces sortes de
beautés qui ne plaisent qu'aux âmes sensibles, et
Un
paraissent horribles aux autres.
par
la
torrent formé
fonte des neiges roulait à vingt pas de nous
une eau bourbeuse et charriait avec bruit du limon, du sable et des pierres. Derrière nous une chaîne de roches inaccessibles séparait l'esplanade où nous étions de cette partie des Alpes qu'on nomme les Glaciers, parce que d'énormes sommets de glaces qui s'accroissent incessamment les couvrent depuis le commencement du monde. Des forêts de noirs sapins nous ombrageaient tristement à droite.
grand bois de chênes torrent
;
Un
gauche au delà du et au-dessous de nous cette immense était à
plaine d'eau que le lac forme au sein des Alpes nous
du pays de Vaud, dont la cime du majestueux Jura couronnait le tableau. Au milieu de ces grands et superbes objets, le petit terrain où nous étions étalait les charmes d'un séjour riant et champêtre quelques ruisseaux séparait des riches côtes
;
filtraient à travers les rochers, et roulaient sur la
verdure
en
filets
de
cristal
;
quelques
arbres
LA NOUVELLE HÉLOISE nôtres
humide
la terre
;
d'herbe et de
195
penchaient leurs têtes sur
sauvages
fruitiers
fleurs.
les
et fraîche était couverte
En comparant un
séjour aux objets qui l'environnaient,
il
si
doux
semblait
que ce lieu dût être l'asile de deux amants échappés au bouleversement de la nature. Quand nous eûmes atteint ce réduit et que je l'eus quelque temps contemplé Quoi dis-je à Julie en la regardant avec un œil humide, votre cœur ne vous dit-il rien ici, et ne sentez-vous point quelque émotion secrète à l'aspect d'un lieu si plein de vous ? Alors, sans attendre sa réponse, je seuls
:
la
!
conduisis vers le rocher, et lui montrai son chiffre
gravé dans mille endroits,
Pétrarque et du Tasse j'étais
après
et
plusieurs
relatifs
à
la
les traçant. En les revoyant longtemps, j'éprouvai combien
en si
vers
situation
des objets peut ranimer puissamment
de où
moi-même la
présence
les
senti-
ments violents dont on fut agité près d'eux. Je lui dis avec un peu de véhémence O Julie, éternel charme de mon cœur voici les lieux où soupira jadis pour toi le plus fidèle amant du monde ; voici le séjour où ta chère image faisait son bonheur, :
!
et préparait celui qu'il reçut enfin
On la
verdure et
les
compartiments, formait point
le
;
ne tapissaient point ces cours de ces ruisseaux n'en
fleurs
oiseaux n'y faisaient
les divisions, ces
point entendre leurs ramages le
de toi-même.
n'y voyait alors ni ces fruits ni ces ombrages
corbeau funèbre, et
;
l'aigle
le
vorace épervier,
terrible des Alpes,
faisaient seuls retentir de leurs cris ces cavernes ; d'immenses glaces pendaient à tous ces rochers ; des festons de neige étaient le seul ornement de ces
arbres
tout respirait
;
l'horreur des frimas
me
OU
JULIE,
196
;
rigueurs de l'hiver et
ici les
feux seuls de
les
mon cœur
rendaient ce lieu supportable, et
les
jours entiers
penser à
la
pierre où je
s'y passaient à
Voilà
toi.
m'asseyais pour contempler au loin ton heureux
séjour
sur celle-ci fut écrite la lettre qui toucha
;
ces cailloux tranchants ton cœur burin pour graver ton chiffre ;
;
me
servaient de
ici
je
passai le
torrent glacé pour reprendre une de tes lettres
qu'emportait un tourbillon
;
je vins
là
et
relire
que tu m'écrivis voilà le bord où d'un œil avide et sombre je mesurais la profondeur de ces abîmes enfin ce fut ici qu'avant mon triste départ je vins te pleurer mourante et Fille trop constamjurer de ne te pas survivre. ment aimée, ô toi pour qui j'étais né, faut-il me baiser mille fois la dernière
;
;
retrouver avec toi dans le
temps que
continuer
J'allais
;
approcher du bord, la
main,
les
mêmes
lieux, et regretter
gémir de ton absence mais Julie, qui, me voyant
j'y passais à
la serra sans
!
s'était effrayée et
mot
dire en
me
Allons-nous-en,
bras
:
voix
émue
;
l'air
me tirant me dit-elle
vue et
la
mon
ami,
.
.
saisi
regardant avec
un soupir
tendresse et retenant avec peine
tout à coup détournant
m'avait
.
;
puis
par
le
d'une
de ce lieu n'est pas bon pour moi.
Je partis avec elle en gémissant, mais sans lui répondre, et je quittai pour jamais ce triste réduit
comme
j'aurais quitté Julie
Revenus
lentement
au
elle-même. port
détours, nous nous séparâmes. seule, et je continuai
savoir
où
j'allais.
de
A mon
après
quelques
Elle voulut rester
me promener
sans trop
retour, le bateau n'étant
pas encore prêt ni l'eau tranquille, nous soupâmes
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
197
l'air rêveur, mangeant peu et parlant encore moins. Après le souper, nous fûmes nous asseoir sur la grève en attendant le moment du départ. Insensiblement la lune se
tristement, les yeux baissés,
me
leva, l'eau devint plus calme, et Julie
Je lui donnai
partir.
la
proposa de
main pour entrer dans
le
en m'asseyant à côté d'elle, je ne Nous gardions un songeai plus à quitter sa main. profond silence. Le bruit égal et mesuré des bateau
et,
;
rames m'excitait bécassines, 1
me
Le chant
à rêver.
retraçant
les
assez gai des
d'un autre Peu à peu
plaisirs
âge, au lieu de m'égayer, m'attristait. je
sentis
augmenter
Un
accablé.
doux rayons de dont l'eau
la
brillait
dont
mélancolie
la
fraîcheur de
ciel serein, la
j'étais
l'air,
les
lune, le frémissement argenté
autour de nous,
le
plus agréables sensations, la présence
objet chéri, rien ne put détourner
concours des
même de cet de mon cœur
mille réflexions douloureuses.
Je commençai par me rappeler une promenade semblable faite autrefois avec elle durant le charme
de nos premières amours. délicieux
qui
remplissaient
retracèrent pour l'affliger
notre
jeunesse,
lettres,
nos
;
Tous
les
alors
mon âme
tous
études,
nos rendez-vous, nos
les
nos
sentiments s'y
événements de entretiens,
plaisirs, ces foules
nos
de
mon bonheur passé tout revenait, pour augmenter ma misère C'en présente, prendre place en mon souvenir. petits objets qui m'offraient l'image
de
;
1 La bécassine du lac de Genève n'est point l'oiseau Le chant plus qu'on appelle en France du même nom. vif et plus animé de la nôtre donne au lac, durant les nuits d'été, un air de vie et de fraîcheur qui rend ses rives encore plus charmantes.
JULIE,
198 est
disais-je
fait,
OU
en moi-même
ces temps,
;
ces
ont disparu pour et nous ils ne reviendront plus ; jamais. Hélas vivons, et nous sommes ensemble, et nos cœurs
temps heureux ne sont plus
ils
;
!
sont toujours unis
!
Il
me
semblait que j'aurais
porté plus patiemment sa mort ou son absence, et
que
j'avais
moins souffert tout
Quand
passé loin d'elle.
le
temps que
je gémissais
j'avais
dans l'éloigne-
de la revoir soulageait mon cœur qu'un instant de sa présence effacerait j'envisageais au moins dans les toutes mes peines mais se possibles un état moins cruel que le mien
ment, je
me
l'espoir
;
flattais
;
:
trouver auprès
d'elle, niais la voir, la
toucher, lui
en la possédant voilà pour moi
parler, l'aimer, l'adorer, et, presque la sentir
encore,
à jamais
;
dans des accès de fureur et de rage m'agitèrent par degrés jusqu'au désespoir.
ce qui
qui
me
perdue
jetait
Bientôt je commençai de rouler dans mon esprit des projets funestes, et, dans un transport dont je frémis en y pensant, je fus violemment tenté de la précipiter avec moi dans les flots, et d'y finir dans
ma
mes longs tourments. Cette la fin si forte, que je fus obligé de quitter brusquement sa main pour passer à la pointe du bateau. Là mes vives agitations commencèrent à prendre un autre cours un sentiment plus doux s'insinua
ses
bras
vie et
horrible tentation devint à
;
mon
âme, l'attendrissement surmis à verser des torrents de larmes ; et cet état, comparé à celui dont je sortais, n'était pas sans quelque plaisir. Je pleurai
peu
à
monta
peu dans
le désespoir, je
me
Quand je fortement, longtemps, et fus soulagé. me trouvai bien remis, je revins auprès de Julie
;
LA NOUVELLE HÉLOÏSE je repris sa
main.
Elle tenait son
sentis fort mouillé.
vois
Ah.
lui dis-je
!
que nos cœurs n'ont jamais
Il est vrai,
dit-elle
199
mouchoir
cessé
;
je le
tout bas,
je
de s'entendre
d'une voix altérée
!
mais que
;
ce soit la dernière fois qu'ils auront parlé sur ce ton.
Nous recommençâmes ment,
alors
à
causer tranquille-
au bout d'une heure de navigation nous arrivâmes sans autre accident. Quand nous fûmes rentrés, j'aperçus à la lumière qu'elle avait les yeux et
rouges et fort gonflés
miens en meilleur
;
état.
ne dut pas trouver
elle
Après
journée, elle avait grand besoin de repos retira, et je fus
Voilà,
mon
me
ami,
sans exception,
j'ai
les
de cette
les fatigues ;
elle se
du jour de ma
vie où,
coucher. le
détail
senti les
émotions
les
plus vives.
me rendra tout vous dirai que cette aventure m'a plus convaincu que tous les arguments de la liberté de l'homme et du mérite de la
J'espère qu'elles seront la crise qui à
fait
à
vertu.
moi.
Au
reste,
Combien de gens
je
sont faiblement tentés et
succombent Pour Julie, mes yeux le virent et mon cœur le sentit, elle soutint ce jour-là le plus grand combat qu'âme humaine ait pu soutenir ; elle vainquit pourtant. Mais qu'ai-je fait pour rester si loin d'elle ? O Edouard quand séduit !
!
par ta maîtresse tu sus triompher à désirs et des siens, n'étais-tu toi j'étais
perdu peut-être.
périlleux, le
mienne.
la fois
de tes
qu'un homme ? Sans Cent fois dans ce jour
souvenir de ta vertu m'a rendu
la
— JULIE,
200
OU
La cinquième partie renferme encore des lettres de Saint-Preux sur le ménage des Wolmar et devient un Rousseau développe vrai traité d'économie domestique. ses idées sur la question des terres, sur la mendicité, sur son la tempérance, sur l'éducation des enfants, &c. roman est quelquefois un supplément au Discours sur l'Inégalité et quelquefois un prélude à Y Emile. ;
L'âme de
Julie est à présent tranquille
;
à la crise sur-
venue au milieu des rochers de Meillerie a succédé le calme. Elle n'a qu'une seule tristesse: son mari est athée, mais Un autre projet la préelle espère le ramener à Dieu. occupe; c'est d'unir les deux amis qu'elle aime de tout cet effet elle écrit ainsi à Madame d'Orbe son cœur.
A
:
Je soupçonne que tu as aimé, sans le savoir, bien plus tôt que tu ne crois, ou du moins que le même
penchant qui me perdit t'eût séduite si je ne t'avais prévenue. Conçois-tu qu'un sentiment si naturel et si doux puisse tarder si longtemps à naître ? conçois-tu qu'à l'âge où nous étions on puisse im-
punément
se
familiariser avec
un jeune homme
aimable, ou qu'avec tant de conformité dans tous
nos goûts celui-ci seul ne nous eût pas été
Non, mon ange si
je
commun
?
tu l'aurais aimé, j'en suis sûre,
;
ne l'eusse aimé
la
première.
Moins
faible et
que moi Mais quel penchant eût pu vaincre dans ton âme honnête l'horreur de la
non moins
sensible, tu aurais été plus sage
sans être plus heureuse.
trahison et de l'infidélité pièges de l'amour
?
L'amitié te sauva des
tu ne vis plus qu'un ami dans
;
l'amant de ton amie, et tu rachetas ainsi ton cœur aux dépens du mien.
Ces conjectures ne sont pas même si conjectures que tu penses et, si je voulais rappeler des temps ;
qu'il faut oublier, l'intérêt
il
me
serait aisé
de trouver dans
que tu croyais ne prendre qu'à moi seule
LA NOUVELLE HÉLOISE un
intérêt
non moins
vif
201
pour ce qui m'était cher.
N'osant l'aimer, tu voulais que
je l'aimasse
tu
:
jugeas chacun de nous nécessaire au bonheur de et ce cœur, qui n'a point d'égal au monde, ; nous en chérit plus tendrement tous les deux. Sois sûre que, sans ta propre faiblesse, tu m'aurais mais tu te serais reproché été moins indulgente
l'autre
;
de jalousie une juste sévérité. Tu ne te sentais pas en droit de combattre en moi le penet, craignant d'être chant qu'il eût fallu vaincre perfide plutôt que sage, en immolant ton bonheur
sous le
nom
;
au nôtre, tu crus avoir assez fait pour la vertu. Ma Claire, voilà ton histoire voilà comment ta tyrannique amitié me force à te savoir gré de ma ;
Ne
honte, et à te remercier de mes torts.
pas pourtant que je veuille t'imiter en cela suis pas plus disposée à suivre le
mien
:
et
comme
je n'ai plus,
ciel, tes
ne
ton exemple que toi
tu n'as pas à craindre
grâce au
crois je
;
mes
fautes,
raisons d'indulgence.
Quel plus digne usage ai-je à faire de la vertu que tu m'as rendue, que de t'aider à la conserver ? Il faut donc te dire encore mon avis sur ton état
La longue absence de
présent.
notre maître n'a
pas changé tes dispositions pour lui
ta
:
liberté
recouvrée et son retour ont produit une nouvelle
époque dont l'amour
Un
a su profiter.
sentiment n'est pas né dans ton cœur s'y
cacha
à l'aise.
si
longtemps n'a de
me
le dire.
presque nécessaire pour ;
cessait
que
se
nouveau celui qui
mettre plus
Fière d'oser te l'avouer à toi-même, tu
t'es pressée
cent
fait
;
le
Cet aveu
te semblait
rendre tout à
fait
inno-
en devenant un crime pour ton amie, il et peut-être ne d'en être un pour toi ;
OU
JULIE,
202 t'es-tu livrée
au mal que tu combattais depuis tant
d'années, que pour
mieux achever de m'en
tout cela,
J'ai senti
ma
chère
alarmée d'un penchant qui
me
me
je
;
guérir. suis
peu
de sauve-
servait
garde, et que tu n'avais point à te reprocher.
Cet
hiver que nous avons passé tous ensemble au sein
de
paix et de l'amitié m'a donné plus de con-
la
en voyant que, loin de rien perdre
fiance encore,
de ta gaieté, tu semblais l'avoir augmentée.
Je
vue tendre, empressée, attentive, mais franche dans tes caresses, naïve dans tes jeux, sans mystère, sans ruses en toutes choses ; et dans tes plus vives t'ai
agaceries la joie de l'innocence réparait tout.
Depuis notre entretien de l'Elysée contente de
toi
:
je
ne
tu te plais seule autant qu'avec ton amie pas changé de langage, mais d'accent teries sont plus timides si
souvent
:
on
dirait
suis plus
trouve triste et rêveuse
je te
;
;
tu n'as
;
tes plaisan-
tu n'oses plus parler de lui
:
que tu
crains toujours qu'il ne
t'écoute; et l'on voit à ton inquiétude que tu attends
de
ses
nouvelles plutôt que tu n'en demandes.
Je tremble, bonne cousine, que tu ne sentes pas tout ton mal, et que le trait ne soit enfoncé plus
avant que tu n'as paru
le
craindre.
sonde bien ton cœur malade répète,
si,
sans risque et
si
la
Crois-moi,
dis-toi bien, je le
être, on peut demeurer longtemps avec ce qu'on aime,
quelque sage qu'on puisse
me
confiance qui
danger pour
toi.
Vous
précisément ce qui rend Il
;
perdit est tout à
fait sans
êtes libres tous deux, c'est les
occasions plus suspectes.
n'y a point dans un cœur vertueux de faiblesse
qui cède au remords est toujours
assez
;
et je conviens avec toi
forte
contre
le
crime
:
qu'on mais,
LA NOUVELLE H Ë LOI SE qui peut dant regarde les hélas
Il
se garantir d'être faible
!
suites,
songe aux
effets
faut s'honorer pour être honorée.
peut-on mériter pour soi-même ?
le
et
203
ce
que
morale et
de
loi
la
honte.
Comment
respect d'autrui sans en avoir
où
s'arrêtera dans la route
vice celle qui fait le premier pas sans effroi
la
Cepen-
?
de
je dirais à ces
?
du
Voilà
femmes du monde pour qui
ne sont rien, et qui n'ont que l'opinion d'autrui. Mais toi, femme la
religion
vertueuse et chrétienne, toi qui vois ton devoir et qui l'aimes, toi qui connais et suis d'autres règles
que
jugements publics, ton premier honneur
les
que te rend ta conscience et c'est celui-là de conserver. Veux-tu savoir quel est ton tort en toute cette affaire ? c'est, je te le redis, de rougir d'un sentiment honnête que tu n'as qu'à déclarer pour le
est celui
;
qu'il s'agit
rendre innocent.
Madame d'Orbe ne nie pas les soupçons de son amie. Elle sent qu'elle aime Saint-Preux mais croit que le cœur de celui-ci est donné tout entier à la mémoire de Julie d'Étanges. Elle s'en remet aux conseils de Madame de Wolmar dans une lettre (II. de la sixième partie) dont nous citons quelques pages :— L'amant fis mon frère de ton ami, tu le sais. mon amie me fut comme le fils de ma mère. Ce ne fut point ma raison, mais mon cœur qui fit Je
de
ce choix.
J'eusse été plus sensible encore,
que
je
ne l'aurais pas autrement aimé. Je l'embrassais tn embrassant la plus chère moitié de toi-même ; j'avais
pour garant de
leur propre vivacité.
la
pureté de mes caresses
Une
fille
traite-t-elle ainsi
OU
JULIE,
2o 4 ce qu'elle aime
Non,
Julie
timide
la
;
s'annonce par
en faveurs
le
?
toi-même
traitais-tu
ainsi
?
l'amour chez nous est craintif et réserve et la honte sont ses avances ; il ;
ses refus
les caresses,
et sitôt qu'il transforme
;
il
en
sait
bien distinguer
le
L'amitié est prodigue, mais l'amour est avare.
prix.
J'avoue que de trop étroites liaisons sont tou-
où nous étions, lui et moi deux le cœur plein du même objet, nous nous accoutumâmes tellement à le placer entre nous, qu'à moins de t'anéantir nous ne pouvions
jours périlleuses à l'âge
;
mais, tous
même
plus arriver l'un à l'autre
;
dont nous avions
douce habitude, cette
pris
la
la
familiarité, dans tout autre cas
ma
familiarité
si
dangereuse, fut
Nos sentiments dépendent de nos idées et quand elles ont pris un certain cours, elles en changent difficilement. Nous en avions trop dit sur un ton pour recommencer sur un autre nous étions déjà trop loin pour revenir sur nos pas. L'amour veut faire tout son progrès alors
sauvegarde. ;
;
lui-même la
il
;
n'aime point que l'amitié
moitié du chemin.
et j'ai lieu
de
Enfin, je encore,
le croire
de baiser coupable sur
la
l'ai
lui
épargne
dit autrefois,
on ne prend guère bouche où l'on
même
en prit d'innocents.
A
l'appui de tout cela vint celui que le ciel
destinait à faire le court le sais, cousine,
il
attentif, complaisant
ton ami
on a
a le
;
bonheur de
ma
était jeune, bien fait, :
il
libre, la passion
;
et
qui s'adresse
toujours quelque chose de contagieux.
rendis
donc du mien tout ce
qu'il
en
Tu
honnête,
ne savait pas aimer
mais c'était moi qu'il aimait
cœur
vie.
comme quand à
nous
Je lui
restait
à
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
205
bonne pour ne Avec cela, qu'avais-je à redouter ? J'avoue même que les droits du sexe, joints à ceux du devoir, portèrent un moment préjudice aux tiens, et que, livrée à prendre
;
et sa part fut encore assez
de regret
lui pas laisser
mon
nouvel
qu'amie
état,
je
à
son choix.
fus
d'abord
mais en revenant
:
deux cœurs au lieu d'un depuis que je suis restée double dette.
.
;
et je n'ai pas oublié
;
seule chargée
le suis
d'une autre manière
mes
affections sont plus vives
plus
pénétrantes. ai-je plus
change
;
de cette
tendre et sensible aussi
je suis
mais je
animés
rapportai
.
.
Oui, chère amie, bien que toi
épouse
plus
à toi je te
;
:
tiennes sont
les
Peut-être avec des sens plus
de ressources pour leur donner
le
même gaieté qui coûte l'innod'autres me l'a toujours conservée.
et cette
cence à tant
Ce n'a pas toujours été sans peine, il faut l'avouer. Le moyen de rester veuve à mon âge, et de ne pas sentir
quelquefois que
moitié de
comme
?
;
ne te crois
jours ne sont que la
les
comme
Mais,
tu
C'est alors que l'enjouement vient à et fait plus peut-être fait les
l'as
et
dit,
un grand moyen car, avec toute ta bonne contenance, pas dans un cas fort différent du mien. la sagesse est
tu l'éprouves,
d'être sage je
vie
la
pour
graves leçons de
la
secours,
Combien de
la raison.
où
mon
vertu que n'eussent fois
peut s'échapper à soi-même, j'ai chassé des idées importunes en méditant des tours pour le lendemain combien dans
le silence
de
la nuit,
l'on ne
!
de
fois j'ai
une
saillie
toujours,
sauvé
les
dangers d'un tête-à-tête par
extravagante
quand on
!
Tiens,
est faible,
ma
chère,
il
y a
un moment où
la
JULIE,
2o6
gaieté devient sérieuse
point pour moi
:
;
OU moment ne
et ce
que
voilà ce
viendra
je crois sentir, et
de
quoi je t'ose répondre. Après cela, je te confirme librement tout ce que je t'ai dit
dans l'Elysée sur l'attachement que j'ai bonheur dont j'ai joui
senti naître, et sur tout le
Je m'en livrais de meilleur cœur au charme de vivre avec ce que j'aime, en sentant que Si ce temps eût duré je ne désirais rien de plus.
cet hiver.
toujours, je n'en aurais jamais souhaité
un
autre.
Ma gaieté venait de contentement, et non d'artifice. Je tournais en espièglerie je sentais
plaisir
le
qu'en
me
de
lui sans cesse
je
ne m'apprêtais point de pleurs.
me
Il
;
reste à te déclarer
Tu
affaire.
ma
connais à présent
bien et peut-être mieux que
honneur,
mon
bonheur,
.
de m'occuper
bornant à .
rire
.
résolution sur cette
mon
intérieur aussi
moi-même
te sont chers
mon
:
autant qu'à
moi et dans le calme des passions la raison te fera mieux voir où je dois trouver l'un et l'autre. je t'en remets Charge-toi donc de ma conduite ;
;
l'entière
Rentrons
direction.
dans
notre
naturel, et changeons entre nous de métier
;
état
nous
nous en tirerons mieux toutes deux. Gouverne ; c'est à toi de vouloir ce que je dois Tiens mon faire, à moi de faire ce que tu voudras.
je serai docile
âme
à
:
couvert dans
rables d'en avoir
la
deux
tienne
;
que
sert
aux insépa-
?
Cependant, Saint-Preux est avec mylord Bomston en L'Anglais a besoin des conseils de son ami, car il s'est engagé dans des aventuras amoureuses (racontées dans Les Amours Je mylord Bomston, appendice à la Italie.
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
207
a eu des relations avec une marquise italienne et avec une fille infortunée, Laure Pisana. Celle-ci, tirée de la misère et élevée dans un couvent par ses soins, a conçu une vraie affection pour son bienfaiteur. Bomston pense à l'épouser. Saint-Preux, qui voit toutes les conséquences funestes qui pourraient s'ensuivre d'un tel mariage, obtient de Laure de prendre le voile. Son ami accepte cette solution d'un problème difficile. Il écrit à Wolmar son approbation de la conduite et du caractère de Saint-Preux le mari de Julie pourra lui confier en toute sécurité l'éducation de ses enfants. Hélas! tous ces projets pour l'avenir sont interrompus; la lettre suivante de Fanchon Anet a Saint-Preux explique de quelle façon tragique. Julie).
Il
;
LETTRE IX DE FANCHON ANET A SAINT-PREUX
Ah
!
ah
monsieur,
mon
!
bienfaiteur,
charge-t-on de vous apprendre
!
.
.
me
que
Madame
.
.
.
.
pauvre maîtresse ... O Dieu je vois déjà votre frayeur mais vous ne voyez pas notre désolation ... je n'ai pas un moment à perdre il faut vous dire ... il faut courir ... je voudrais déjà
ma
!
.
.
.
;
vous avoir tout dit
.
.
.
Ah
!
que deviendrez-vous
quand vous saurez notre malheur ? Toute la famille alla dîner hier à Chillon. baron, qui
château
allait
de
Blonay,
partit
l'accompagna quelques pas long de
la
M.
le
en Savoie passer quelques jours au
digue.
;
après
le
puis on se
Madame d'Orbe
et
dîner.
On
promena
le
madame
la
marchaient devant avec monsieur. Madame suivait, tenant d'une main Henriette et de l'autre Marcellin. J'étais derrière avec l'aîné. Monbaillive
seigneur
le
bailli,
qui s'était arrêté pour parler à
quelqu'un, vint rejoindre
la
compagnie, et
offrit
le
madame.
bras à
Marcellin
Pour
prendre
le
elle
me
tombe dans
un faux pas,
fait
un
Je pousse
l'eau.
Ah
misérable, que n'en
!
restée
!
.
.
Hélas
.
perçant
cri
en serrant l'autre entre
:
part
que n'y
!
retenais l'aîné qui
je
mère
voulait sauter après sa
fils,
autant
fis-je
!
en
;
pied lui manque,
le
madame se retourne, voit tomber son comme un trait, et s'élance après lui. suis-je
renvoie
court à moi, j'accours à lui
il
:
courant l'enfant il
OU
JULIE,
208
.
elle
.
.
ses bras
.
.
.
se
débattait
On
n'avait là
du temps pour les remais la mère ... le Qui saisissement, la chute, l'état où elle était . sait mieux que moi combien cette chute est dangeni gens ni bateau,
tirer
.
.
fallut
il
L'enfant est remis
.
;
.
reuse
!
.
Elle
.
.
A
naissance.
resta
demanda son
fils
.
joie elle l'embrassa
.
reprise
l'eut-elle
qu'elle
Avec quels transports de
.
!
longtemps sans con-
très
peine
.
Je
crus sauvée
la
mais
;
sa
qu'un moment. Elle voulut être ramenée ici ; durant la route elle s'est trouvée mal Sur quelques ordres qu'elle m'a plusieurs fois. donnés, je vois qu'elle ne croit pas en revenir. Je vivacité ne dura
suis
malheureuse,
trop
Madame d'Orbe monde
est
est plus
n'en
elle
dans une agitation ...
tranquille de toute la maison quiéterais-je je
?
vous perds,
.
.
Ma
.
tienne
dans
de
lui.
.
.
.
.
épreuve
de
chambre.
S'il
nous donne
rance, je vous le marquerai.
!
le
quoi m'in-
ah de personne. !
si
!
.
.
.
bon Dieu vous sou-
le
cette la
De
.
je n'aurai plus besoin
cher monsieur, que
sort
.
pas.
Tout
Je suis la plus
bonne maîtresse
O mon médecin
reviendra
changée qu'elle.
.
.
.
Le
Adieu. ...
Je cours au-devant quelque bonne espéSi je
ne dis rien.
.
.
.
LA NOUVELLE HÉLOÏSE
209
LETTRE X DE MADAME d'oRBE A SAINT-PREUX
Mort
de Julie
C'en est fait, homme imprudent, homme infortuné, malheureux visionnaire Jamais vous ne la re!
verrez ...
le voile.
.
.
Elle vous a écrit. ses
Julie n'est.
.
Attendez
dernières volontés.
devoirs à remplir sur
.
.
.
honorez vous reste de grands
Il
sa lettre
:
la terre.
LETTRE
XII
DE JULIE A SAINT-PREUX Cette lettre était incluse dans la précédente
Il faut renoncer à nos projets.
mon bon ami murmure il Nous songions ;
pas bonne.
prévenue
Tout
à
nous réunir
C'est
un
sans doute
;
ce
:
cette réunion n'était
bienfait il
du
ciel
me suis longtemps fait illusion. me fut salutaire elle se détruit
que
je
;
n'en
gllilift et
qui
fit
j
ai
'ai
plus
l'avoir
Cette au
illu-
moment
Vous m'avez crue Rendons grâces à celui
besoin.
cru l'être.
durer cette erreur autant
me
de
prévient des malheurs.
sion
Je
changé,
est
changement sans vient d'une main plus sage que nous. souffrons
:
qu'elle
était
voyant si près de l'abîme, la tête ne m'eût point tourné ? Oui, j'eus beau vouloir étouffer le premier sentiment qui m'a fait o utile
:
qui
sait
si,
"
vivre,
s'est
il
réveille
me me
mon
concentré dans
moment
au
cœur.
Il
qu'il n'est plus à craindre
quand mes forces m'abandonnent ranime quand je me meurs. Mon ami, je soutient
cet aveu sans honte
moi
OU
JULIE,
2io
fut involontaire
innocence
il
;
il
fais
ce sentiment resté malgré
;
;
il
coûté
rien
n'a
tout ce qui dépend de
;
s'v ;
ma
mon
à
volonté fut
pour mon devoir si le cœur qui n'en dépend pas fut pour vous, ce fut mon tourment et non pas mon crime. J'ai fait ce que j'ai dû fairej_la vertu :
me
reste sans tache, et l'amour m'est resté sans
—
remords;
m'honorer du passé mais qui m'eût pu répondre de l'avenir ? Un jour de plus peut-être, Qu'était-ce de la vie entière et j'étais coupable Quels dangers j'ai courus sans passée avec vous ? J'ose
:
!
le savoir
exposée craintes les
!
à quels
Sans
!
que
dangers plus grands
doute
je croyais sentir
épreuves ont été
trop revenir.
faites
mais
;
Mon
ami, je pars au
contente de vous et de moi
;
ce départ n'a rien de cruel. fices, je
ce n'est
pouvaient
elles
restait-il d'utile le ciel
Je prévois vos douleurs, je trop et
à plaindre, je le sais
affliction est la plus
;
ne m'ôte
mon honneur
moment
avec
je pars
les sens le
à
favorable, joie, et
Après tant de
compte pour peu celui qui me que mourir une fois de plus.
avec moi.
être
pour
N'ai-je pas assez vécu pour le bon-
heur et pour la vertu ? Que me En me l'ôtant, à tirer de la vie ? plus rien de regrettable, et met couvert.
j'allais
moi les pour vous. Toutes
sentais
je
sacri-
reste à faire
;
:
vous restez
sentiment de votre
grande peine que j'emporte
Mais voyez
aussi
que de consolations
je
LA NOUVELLE H Ê LOI SE
211
laisse Que de soins à remplir envers celle qui vous fut chère vous font un devoir de vous conserver pour elle Il vous reste à la servir dans la meilleure partie d'elle-même. Vous ne perdez
vous
!
!
de Julie que ce que vous en avez perdu depuis longTout ce qu'elle eut de meilleur vous reste. Venez vous réunir à sa famille. Que son
temps.
cœur demeure au milieu de qu'elle être.
la
Que
tout ce
Le nœud de votre union formé par
son ouvrage. elle
vous.
aima se rassemble pour lui donner un nouvel Vos soins, vos plaisirs, votre amitié, tout sera fera
revivre
;
elle
ne mourra qu'avec
le
dernier de tous.
Songez liez pas ce
perdre
la
que vous moitié de
server l'autre à
et
vous reste une autre Julie, et n'oub-
qu'il
;
tous deux de
mes
enfants.
sa vie,
unissez-vous pour con-
c'est le seul
me
Chacun de vous va
lui devez.
moyen qui vous
survivre, en servant
Que ne
ma
puis-je inventer des
reste
famille
nœuds
plus étroits encore pour unir tout ce qui m'est
cher Combien vous devez l'être l'un à l'autre Combien cette idée doit renforcer votre attachement mutuel Vos objections contre cet engagement vont être de nouvelles raisons pour le former. !
!
!
Comment sans
vous
pourrez-vous jamais vous parler de moi attendrir ensemble Non, Claire et
Julie seront
!
bien confondues, qu'il ne sera plus possible à votre cœur de les séparer. Le sien vous si
rendra tout ce que vous aurez senti pour son amie ; en sera la confidente et l'objet vous serez
elle
heureux par
:
celle
d'être fidèle à celle
tant de regrets et
qui
vous restera,
sans
cesser
que vous aurez perdue, et après de peines, avant que l'âge de
JULIE,
212
OU
vivre et d'aimer se passe, vous aurez brûlé d'un feu
légitime et joui d'un bonheur innocent. C'est dans ce chaste lien que vous pourrez sans distractions et sans craintes vous occuper des soins
que
je
vous
laisse, et
après lesquels vous ne serez
plus en peine de dire quel bien vous aurez fait
Vous le savez, il existe un homme digne du bonheur auquel il ne sait pas aspirer. Cet ici-bas.
homme
est votre libérateur, le
vous a rendue.
mari de l'amie
qu'il
Seul, sans intérêt à la vie, sans
attente de celle qui tion, sans espoir,
la suit, sans plaisir, sans
consola-
sera bientôt le plus infortuné
il
Vous lui devez les soins qu'il a pris de vous et vous savez ce qui peut les rendre utiles. Souvenez-vous de ma lettre précédente. Passez vos jours avec lui. Que rien de ce qui m'aima ne des mortels.
le
quitte.
Il
vous a rendu
montrez-lui-en l'objet et
le
goût et
la
vertu,
Soyez chrétien
le prix.
pour l'engager à l'être. Le succès est plus près que vous ne pensez il a fait son devoir, je ferai le ma conmien, faites le vôtre. Dieu est juste fiance ne me trompera pas. Je n'ai qu'un mot à vous dire sur mes enfants, :
:
e sais quels soins va vous coûter leur éducation ; Je mais je sais bien aussi que ces soins ne vous seront
pas pénibles.
Dans
les
moments de dégoût
séparables de cet emploi, dites-vous
enfants de Julie
M.
;
il
:
in-
Ils_sonxifiS
ne vous coûtera plus rien.
de Wolmar vous remettra
les
observations que
mémoire et sur le caractère de mes deux fils. Cet écrit n'est que commencé je ne vous le donne pas pour règle, et je le soumets N'en faites point des savants, à vos lumières. j'ai faites
sur votre
:
LA NOUVELLE HÉLOÏSE faites-en
hommes
des
bienfaisants
Parlez-leur quelquefois de leur s'ils lui
étaient chers.
.
.
213
mère
.
et .
.
justes.
vous savez
Dites à Marcellin qu'il
.
ne m'en coûta pas de mourir pour lui. Dites à son frère que c'était pour lui que j'aimais la vie. Dites-leur. ... cette
me
Je
En
lettre.
sens fatiguée.
faut finir
Il
mes enfants,
vous laissant
m'en sépare avec moins de peine
je
je crois rester
;
avec eux.
Adieu,
mon doux ami. Hélas comme j'ai commencé. J'en dis en ce moment où le cœur ne déguise Eh pourquoi craindrais-je d'ex-
adieu,
.
.
.
!
j'achève de vivre
trop peut-être plus rien.
.
.
.
!
primer tout ce que qui te parle
Quand
;
je sens
je suis déjà
tu verras cette lettre,
visage de ton amante, et son
mon âme
Mais
plus.
Ce
?
dans
les
les
n'est plus
moi
bras de la mort.
vers rongeront le
cœur où tu ne
existerait-elle sans toi
Non,
?
seras
sans
ne te quitte pas, je vais t'a.tiendre. La vertu qui nous sépara sur la terre nous unira dans le séjour éternel. trop heureuse Je meurs dans cette douce attente toi
quelle
félicité
goûterais-je
?
je
:
d'acheter au prix de
ma
vie le droit^
toujours sans crime, et de te
le dire
de t'aimer
encore une
fois ;
LETTRE
XIII
DE MADAME d'oRBE A SAINT-PREUX J'apprends que vous commencez
à
vous remettre
assez
pour qu'on puisse espérer de vous voir bientôt
ici.
Il
faut,
mon
ami, faire effort sur votre faib-
LA NOUVELLE HÊLOÏSE
2i + lesse
il
;
l'hiver
faut tâcher de passer les
achève de vous
les
fermer.
monts avant que Vous trouverez
en ce pays l'air qui vous convient vous n'y verrez que douleur et tristesse, et peut-être l'affliction commune sera-t-elle un soulagement pour la vôtre. La mienne pour s'exhaler a besoin de vous moi seule je ne puis ni pleurer, ni parler, ni me faire entendre. Wolmar m'entend, et ne me répond La douleur d'un père infortuné se concentre pas. en lui-même il n'en imagine pas une plus cruelle ; il ne la sait ni voir ni sentir il n'y a plus d'épanche;
:
;
:
ments pour
les
Mes
vieillards.
enfants m'atten-
drissent et ne savent pas s'attendrir.
au milieu de tout
le
monde
;
Je suis seule
un morne
silence
Dans mon stupide abatteje plus de commerce avec personne
règne autour de moi.
ment
je n'ai
;
qu'assez de force et de vie pour sentir les
n'ai
horreurs de
ma
la
mort.
Oh
!
venez, vous qui par-
venez partager mes douleurs ; venez nourrir mon cœur de vos regrets, venez tagez
perte,
l'abreuver de vos larmes, c'est
que
me
la seule
consolation
l'on puisse attendre, c'est le seul plaisir qui reste à eoûter.
FIN
—
—
Jean- Jacques Rousseau, né
Genève, 17 12
à
;
mort
à Ermenonville, 1778. Discours
sur
les
Arts,
1750.
Discours sur l'Inégalité, 1755. Lettre sur les Spectacles, 1758.
La
Nouvelle Héldise. 1761.
L'Emile, 1762.
Le
Contrat Social, 1762.
Les
Confessions,
1781-88.
Correspondance inédite, publié par Bosscha, 1858;
Streckeisen-Moultou, 1861
;
par
par H. de Roth-
schild, 1892.
Le
dictionnaire de la musique
Les Dialogues
;
La bibliographie suivante pourraient
Grimm.
Le Devin
est
du Village. solitaire,
VOLTAIRE.
— Mémoires.
Correspondance littéraire Lettres
sur
Bernardin de
St. Pierre.
Madame
STAËL.
;
voir Février, 1761.
Nouvelle
la
Mélanges, éd. Beuchot,
DE
livres qui
lui être utiles.
d'Épinay.
—
&C.
forcément incomplète, mais
pour indiquer au lecteur quelques
surfit
Madame
:
Rêveries d'un promeneur
t.
— Essai sur
Lettres
ouvrages de J. J. Rousseau. 215
Héloïse
voir
;
xl.
sur
le
J. J. Rousseau.
caractère
et
les
——— BIBLIOGRAPHIE
2i6
MusseT-PaTHAY.
— Histoire
de
vie
la
et
ouvrages
des
de
J, J. Rousseau, 1821.
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—
Écrivains).
La
RlTTER.
Famille de J.
Rousseau,
J.
velles Recherches sur les Confessions,
1878.
Nou-
La
Jeunesse
1880.
de J. J. Rousseau, 1896.
— Documents — Voltaire Brunel. — La Nouvelle A. JaNSEN.
Maugras.
et
sur J. J. Rousseau, 1885. J. J. Rousseau, 1886.
Héloïse
Madame
et
d'Houdetot,
1888.
Mugnier. J.
— Madame
Texte.
— J.
politisme
au
Sainte-Beuve.
J.
t.
J. J. Rousseau, 1891. les
origines
du
cosmo-
1895.
du
lundi,
ts.
ii.
iii.
xv.
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critiques, t, iii.
X VIII«
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et et
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Causeries
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Nouveaux BruneTIÈre.
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1906. F. A.
Imprimerie Ballantyne, Hanson, &> Cie.
Edimbourg
<5h
Londres
H.
LES CLASSIQUES
FRANÇAIS Pîtbliés sotis la direction de
H. Warner Allen
ATALA, RENÉ, et LE DERNIER ABENCÉPréface du Par Chateaubriand. RAGE. Vicomte Melchior de Vogué, de l'Académie Française.
CONTES CHOISIS DE BALZAC. Paul Bourget, de lAcadémie
PAUL ET VIRGINIE. Préface du
Pierre.
Vogué, de l'Académie
COLOMBA.
Préface de
Française.
Par Bernardin de St. Vicomte Melchior de Française.
Par Prosper Mérimée.
Préface
dAuGUSTiN Filon.
ADOLPHE. de
Par Benjamin Constant. Préface de l'Académie Française.
Paul Bourget,
LE ROMAN D'UN JEUNE Par Octave Feuillet. Filon.
LA MARE AU DIABLE. Préface de Louis
HOMME PAUVRE. Préface
Par
dAuGUSTiN
George Sand.
Corniquet.
PROFILS ANGLAIS. Par C Préface d André Turquet.
A. Sainte-Beuve.
LES MAXIMES DU DUC DE LA ROCHE-
FOUCAULD.
Préface de
LA TULIPE NOIRE. Préface çaise.
Par
Paul Souday.
Alexandre Dumas,
d'ÉMlLE Faguet, de l'Académie Fran-
LETTRES CHOISIES DE SÉVIGNÉ.
Préface de
MADAME DE
Charles Boreux.
LE BARBIER DE SÉVILLE ET LE MARIAGE
DE FIGARO.
Par Beaumarchais.
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de Jules Claretie, de l'Académie Française.
CARACTÈRES
(Pages
DE LA
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BRUYÈRE. Préface d'AuGUSTiN Filon. LETTRES PERSANES (Pages Choisies). Montesquieu.
Préface
Par
d'ÉMiLE Faguet, de
l'Académie Française.
CONTES CHOISIS DE VOLTAIRE. de
ORAISONS FUNÈBRES. de
Préface
Gustave Lanson. Par Bossuet.
Préface
René Doumic.
LES ÉPÎTRES-LES SATIRES DE BOILEAU. Préface d' Augustin Filon.
POÈMES (1822-65) DE VICTOR HUGO. de L.
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JULIE; Par
Préface
Aguettant.
J.
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Frank
A.
Hedgcock.
En
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Jules
de
Claretie,
FONTAINE. de
l'Académie
Française.
CHANSONS DE BÉRANGER.
Préface
Comte Serge Fleury. ESSAIS CHOISIS DE MONTAIGNE.
du
Préface
d'ÉMiLE Faguet, de l'Académie Française.
PROSE ET VERS DE LAMARTINE. de
Préface
René Doumic.
LA PRINCESSE DE CLÈVES.
Par
Madame
de La Fayette.
PENSÉES
DE PASCAL.
BOUTROUX. 2
Préface
d'ÉMiLE
ROUSSEAU, JEAN JACQUES, 1712-1778
FQ 2039 .A2 H3-
Julie, ou, La Nouvelle Heloise,