La Mer d'Aral
Biologie, Ecologie, Agronomie Collection dirigée par Richard Moreau professeur honoraire à l'Université de Paris XII, et Claude Brezinski, professeur émérite à l'Université de Lille Cette collection rassemble des synthèses, qui font le point des connaissances sur des situations ou des problèmes précis, des études approfondies exposant des hypothèses ou des enjeux autour de questions nouvelles ou cruciales pour l'avenir des milieux naturels et de l'homme, et des monographies. Elle est ouverte à tous les domaines des Sciences naturelles et de la Vie.
Déjà parus René JACQUOT, Souvenirs d'un forestier français au Maroc (19521968),2008. Bonaventure DOSSOU- YOVO, L'Accès aux ressources biologiques dans les rapports Nord-Sud. Jeux, enjeux et perspectives de la protection internationale des savoirs autochtones, 2008. André G. RICO, Connaître la vie pour saisir lefutur, 2008. Jean-Louis LES PAGNOL, La mesure. Aux origines de la science, 2007. Emmanuel TORQUEBIAU, L'agroforesterie, 2007. Jean-Jacques HERVE, L'agriculture russe, 2007. Jean-Marc BOUSSARD, Hélène DELORME (dir.), La régulation des marchés agricoles internationaux, 2007. Jacques CANEILL (dir.), Agronomes et innovation, 2006. Gabriel ROUGERIE, Emergence et cheminement de la biogéographie, 2006. Ibrahim NAHAL, Sur la pensée et l'action. Regards et réflexions, 2006. Maurice BONNEAU, La forêt française à l'aube du XXlè siècle, 2005. Alain DE L'HARPE, L'espace Mont-Blanc en question, 2005. René LE GAL, Comprendre l'évolution,2005. Dr Georges TCHOBROUTSKY, Comment nousfonctionnons, 2005. Jean TOTH, Le cèdre de France, 2005. France Pologne pour l'Europe, Les enjeux de la Politique agricole commune après l'élargissement du rr mai 2004,2005. Louis CRUCHET, Le ciel en Polynésie. Essai d'ethnoastronomie en Polynésie orientale, 2005.
René Létolle
La Mer d'Aral Entre désastre écologique et renaissance
L'HARMATTAN
@ L'HARMATTAN, 5-7, rue de l'École-Polytechnique;
2008
http://www.librairieharmattan.com
[email protected] harmattan
[email protected] ISBN: 978-2-296-07719-5 EAN : 9782296077195
75005
Paris
A Christiane
Introduction
« A toucher
trop vite à un fleuve, et à un
fleuve du Delta, on s'expose coûteux mécomptes... »
aux plus graves
et
Lv AUTEV, 1899, Lettres du Tonkin, 1931.
L
A CATASTROPHE de la Mer d'Aral, Aralskoe More en russe, Aral tenizi en kazakh, Aral dengizi en ouzbek, a fait, dans les années 1990 à 2000 environ, les beaux jours des journaux, revues et reportages télévisuels, qui présentaient des paysages désolés de plages blanchies de sel sur lesquelles gisaient des carcasses de bateaux de pêche échoués, et le pauvre visage d'enfants et de leurs mères atteints de maladies variées. Venant après la disparition de l'URSS, ces documents illustraient à l'évidence le rapport entre une gestion délirante de l'économie agricole en Asie Centrale et l'impact d'une telle politique sur le milieu naturel, mais aussi sur la population des rives d'un grand lac, ignoré jusque là des media, et vivant, comme tous les habitants de pays arides, dans des conditions climatiques et économiques difficiles. Le régime soviétique avait fait de l'Asie Centrale sa source essentielle de coton, et contraint, bon gré mal gré, une bonne part des populations locales à se concentrer sur cette production. On a beaucoup écrit depuis sur cette stratégie et ses conséquences humaines, écologiques et économiques. Cette politique ne se préoccupait pas du «bonheur des peuples », tant proclamé depuis plus de cinquante ans. L'assèchement de l'Aral était le moindre souci des autorités soviétiques.
9
L'Aral fut voici cinquante ans, le quatrième lac mondial par sa surface, mais, situé dans une région aride (45DN, 65 DE en moyenne) avec une profondeur très faible, une vingtaine de mètres en moyenne, ce grand lac était particulièrement sensible à son alimentation et eut une histoire compliquée depuis la dernière glaciation ( terminée vers 10500 ans BP: avant le présent), tant dans son alimentation que dans ses fluctuations. Paradoxalement, situé au milieu d'immenses territoires arides ou semi-arides, on aurait pu penser qu'il constituât une sorte d'étape pour les voyageurs. En fait ses rivages furent quasiment déserts pendant des millénaires, itinéraires et cultures se concentrant sur les vallées des deux fleuves qui l'alimentaient. Seuls, les deltas de ceux-ci étaient habités, et furent durant toute l'histoire l'objet de convoitises de la part des tribus errantes à la recherche de terres de pacage permanentes. Nous donnerons un aperçu des multiples incursions que subirent ces deltas, marquées à chaque fois de destructions, et sans cesse d'un travail de fourmis de remise en état. Notre époque a vu sans doute la crise la plus importante, qui n'est pas terminée.
Figure 1. La mer d'Aral en Asie Centrale.
10
Avec Monique Mainguet, nous avions publié en 1993 un gros livre sur cette mer d'Ara}!, malheureusement épuisé, qui traitait des problèmes généraux non seulement de la Mer d'Aral, mais de l'Asie Centrale exsoviétique en général, dénommé aussi occasionnellement « Touranie », du nom d'une peuplade antique qui habita la contrée voici plus de deux millénaires, issue du plateau iranien. Ce nom a l'avantage de ne pas avoir de connotation politique. Il nous a paru nécessaire, quinze années plus tard, de faire le point sur ce qu'est devenue la Mer d'Aral, en nous restreignant cette fois à celle-ci seule, et en évitant les redites autant que faire se peut. La « catastrophe de l'Aral », en fait, était programmée depuis longtemps (dès la fin du XIXe siècle), dans des projets plus ou moins chimériques, liés essentiellement à la production de coton, en territoire russifié. Il fallait beaucoup d'eau pour cela, en fait, beaucoup moins que celle qui fut en fait prélevée sur les tributaires du grand lac. Maintenant, il est trop tard, les dégâts sont irréversibles, à l'échelle du siècle, compte tenu de la démographie galopante de la Touranie et des impératifs financiers des nouvelles républiques: vendre du coton pour faire rentrer des devises...
Population en M hts Irrigation en Mha Prélèvements en km3 M=million;
1960 14.1
1970 20.0
1980 26.8
1990 33.6
2000 41.5
4.51
5.15
6.92
7.60
7.99
60.61
94.56
120.69
116.27
105,0
1 km3= 1 milliard de m3
Tableau 1 : Evolution de la consommation
d'eau pour l'agriculture en Touranie;
d'après G. Rollet al, Internet.
I «Aral
», R. Létolle
et M. Mainguet,
Springer-Paris,
357 p., 1993;
édition
augmentée chez Springer« Der Aral See », 5l7p., 1996. La copie intégrale du livre (éd. française) est donnée sur le site: ensmp.frl
~hydro/invites.htm
». Voir aussi: «The
Aral Sea,
selected bibliography»,
allemande
« http://www.cig.
J. Nihoul
et al,
ed. ,Noosphere, Moscou, 2002; et NihoulJ. et al., 2004-. , "Dying and dead seas." Nato sc. Series 36, Kluwer pub!., et les sites Cawater-info.net et Unesco water portal (Lake. net), riches en infOlmations diverses. Pour les cartes, la meilleure qui soit présentement disponible en France est celle de l'US Air Force ONC F5 (au millionième), dans son édition la plus récente.
11
Depuis une trentaine d'années, beaucoup de travaux scientifiques ont été publiés, et encore plus de rapports administratifs, sans parler de centaines d'articles de presse. L'énorme développement d'Internet a mis à disposition des quantités de rapports jusqu'alors impossibles à trouver. Beaucoup de ces documents sont sans intérêt, ou d'une banalité désolante, en particulier ceux qui ressassent pour la nième fois des affirmations sans base sérieuse. Un tri a donc été nécessaire. D'autre part, nous avons réduit la bibliographie à un strict minimum, avec le recours aux articles publiés sur Internet, en priant le lecteur de se reporter à notre livre de 1993 pour des textes plus anciens. Des informations inédites ont pu être recueillies auprès de divers spécialistes des problèmes de l'Aral. Quant au sort des populations affectées par la disparition du lac Aral, maintenant presque complète, l'information les concernant est encore sporadique, les progrès de leur santé restent bien minces. Treize ans après le premier livre, on verra que l'affaire de l'Aral n'est pas terminée, et que les blessures faites à l'environnement et à la population sont loin d'être cicatrisées... Nous avons conservé les noms traditionnels français des sites, villes etc. car beaucoup ont changé depuis l'indépendance et ne figurent que sur les cartes très récentes. De surcroît, la graphie change parfois d'un état à l'autre...
12
',:.<
N
i 2
Figure 2. Carte
de l'Aral en 1950; en grisé le lac en mai 2008.
13
1
L'Aral
et l'Asie centrale
E
NTRE LA MER CASPIENNE et l'énorme complexe montagneux qui s'étire depuis le Caucase jusqu'au centre de l'Asie (Kopet Dag, Pamir, Tian Chan, Karakorum...) s'étend une vaste région aux reliefs modérés, dépassant rarement mille mètres au sud du Kazakhstan, (fig.2) et formant d'immenses plateaux désertiques ou steppiques à peine entaillés par les vallées de rivières, le plus souvent à sec l'été. Immense masse d'eau, à peu près à mi-chemin des hauts plateaux et les chaînes de la Chine orientale, Mongolie et du monde occidental d'autre part: Europe, Proche Orient, Russie, Caspienne- les distances étant dans tous les cas de l'ordre de 500 km entre les rivages du lac et ces limites géographiques, l'Aral aurait pu être un barrage pour les grandes migrations historiques venues de l'Est, Aryens, Turks, Mongols, ou au contraire une étape. En fait, c'est plutôt la seconde hypothèse qui est vraie. Les migrateurs venus des confins orientaux s'arrêtèrent plus ou moins longtemps, parfois pendant plusieurs générations, non pas tant sur les rivages de l'Aral luimême, mais dans les deltas et sur les rives des deux fleuves qui l'alimentaient. Et ce scénario se répéta des dizaines de fois durant des millénaires. A l'époque de sa splendeur, l'Aral, « Sineie more» la «Mer Bleue» des Russes, était le quatrième plus grand lac du monde, derrière la Caspienneelle aussi un lac. L'Aral, centré sur le 46e degré de latitude nord, 65° de longitude est, avec une superficie de 66 500 km2 (240 km sur 310), un volume de 970 km3 avait une profondeur moyenne de 30m. Son niveau de base était - en moyenne- de 53m asl (<
15
sujet à des variations irrégulières précision depuis plus d'un siècle.
de plusieurs
mètres,
mesurées
avec
Figure 3. Relief et toponymie.
Le point le plus profond se trouve dans une fosse occidentale orientée NS, atteignant -16 m absolus. La partie Est ne dépassait pas 26 m de profondeur. La profondeur moyenne était d'environ 30 m. Ainsi, l'Aral se présentait comme une flaque d'eau gigantesque, avec un rapport surface /profondeur très faible, d'environ 5.10-6, donc infiniment plus faible que celui de ses congénères géants Oacs américains, ou de l'ancien continent (Baikal, Victoria, Tanganyika). On voit donc que son étendue dépendait de manière critique de l'importance de l'évaporation vis à vis des apports d'eau: précipitations (entre 10 et 15 cm annuels) et, surtout de celui de ses deux
16
seuls tributaires
Darya et le Syr Darya, qui lui apportaient entre 45 et 80 km3 d'eau par an les deux tiers pour le premier nommé. L'équilibre hydrique du lac était donc fragile. Compte tenu de la variabilité de ces divers paramètres, un bilan moyen peut être établi comme suit en l'absence de tout émissaire de surface Oac endoréique) : Entrées
issus des montagnes
(rivières,
lointaines,
précipitations,
sources
l'Amou
-
sous lacustres)
= Sorties
(évaporation,
infiltration,
embruns)
~
KI!
Figure 4. Le bassin versant de l'Aral. Noter le débouché
17
vers la Caspienne.
Embruns et surtout infiltrations étaient évaluées à 5% du bilan global, et non mesurées. Dans son état de 1960, on l'a dit, il n'y avait pas d'émissaire, et le plus gros de l'eau arrivant à l'Aral s'évaporait, phénomène reconnu très vite par les hydrologues russes dès les années 1880. Dès cette époque, divers auteurs russes « s'indignèrent» de ce gaspillage naturel d'eau venue par l'Amou Darya et le Syr Darya : ces deux fleuves apportaient jadis en effet chaque année entre 50 et 75 km3 (milliards de m3) d'eau au lac, constituant plus de 90% de son alimentation. L'Amou Darya, constituait plus des deux tiers des apports, et le Syr Darya, le reste: il n'y avait pas d'autre apport que quelques milliers de m3 annuels de ruisseaux temporaires, au nord du lac. Compte tenu de la grande capacité évaporatoire du lac, liée à son très grand rapport surface/volume2, et à l'intensité considérable de l'évaporation potentielle, les fluctuations interannuelles du niveau du lac de l'ordre de quelques mètres s'expliquaient aisément, et, de là, au cours du temps, les variations notables du tracé de la côte Est, très basse. Contact entre le lac et le champ de dunes très mobiles du Kyzyl Kum, ce rivage comportait beaucoup d'îles très plates -en fait des dunes ennoyées, qui frangeaient le littoral Est en guirlandes formant un véritable labyrinthe. Cette côte portait de véritables fourrés, aujourd'hui séparés par les chenaux sableux désormais asséchés, à croûte gypseuse, mais où une végétation arbustive adaptée et abondante tend à effacer la limite passée entre eau et sol. La limite supérieure des lits de coquilles littorales (Cardium) marque seule aujourd'hui l'altitude qu'a atteint la Mer d'Aral, voici plus d'un demi-siècle: le niveau s'est abaissé depuis de 28 mètres. Les terrains d'origine marine, d'âge secondaire et tertiaire, affleurent partout sur le pourtour du lac, hors des zones de sédimentation deltaïque géologiquement récente (moins de deux millions d'années). Une mer peu profonde, dite sarmatienne, voici cinq millions d'années, exista sur l'emplacement de l'Aral, avant que son fond ne s'exhausse et donne
naissance à la grande dépression touranienne
-
tel est le nom donné à la
grande cuvette, marquée de reliefs mineurs, que nous dénommons communément « Asie Centrale », terme discuté, on l'a vu (Gorshenina, 2007), et dont l'Aral occupe le centre. La trace de l'ancien rivage de 1960, se trouve à plus de 100km en deça de la côte actuelle, mal définie et perpétuellement changeante.
2
A l'échelle, une flaque de I m de diamètre aurait moins de O.2mm de profondeur!
18
Les terrains plus récents ne sont pas d'origine dépôts alluviaux, lacustres ou fluviatiles, ou éoliens.
Les origines
lointaines
de la Mer
manne,
mais sont des
d'Aral
L'Aral occupe (occupait) une dépression formée à l'ère tertiaire (plus de 3 millions d'années) par la déformation des couches sédimentaires déposées par un ancien océan, la Thetys des géologues, (dont la Caspienne, la Mer Noire et la Méditerranée sont les vestiges), formée lors du rapprochement de l'Mrique et de l'Inde avec le socle asiatique ancien. Les basses vallées de l'Amou Darya, du Syr Darya, ses deux tributaires, et l'Aral lui-même ont une origine tectonique lointaine, datant de la fin de l'ère tertiaire, suite à la poussée tectonique du sous-continent indien vers le Nord. Celle-ci a abouti à la surrection de la ceinture montagneuse du sud-est, chaînes de l'Altaï, de l'Alaï, du Pamir et de ses annexes, de la longue chaîne du Khopet Dag au sud-ouest de la dépression aralienne, et qui se poursuit par le Caucase de l'autre côté de la Mer Caspienne. Le centre de cette dépression, déjà mise en évidence par Humboldt au début du 18e siècle, comporte peu de chaînes plissées, la plus notable étant celle du Khopet Dag, au sud-ouest de la Touranie. Il y a eu façonnage de cette cuvette depuis environ 2 millions d'années, par les rivières issues de la ceinture montagneuse, et aussi par l'action érosive des vents issus de la calotte glaciaire du pôle nord, qui transportèrent les particules arrachées de la cuvette touranienne vers le sud et le sud ouest. Elles se déposèrent en donnant une ceinture de loess,roche meuble très fertile en présence d'eau, et qui fut donc un des territoires occupés par les sédentaires depuis la plus haute antiquité. Les deux grands fleuves qui alimentèrent la future dépression de l'Aral en eau commencèrent à la combler. L'Amou Darya a accumulé plus de 100 m d'alluvions dans la partie haute de son delta, à 100-200 km au sud de son apex, et dont malheureusement on ne connaît pas le détail des forages, qui ne furent jamais publiés. Ce qu'on sait, c'est qu'il existe des passées de sable, de cailloutis, témoignages de variations importantes du débit, ainsi que des passées gypseuses, preuves d'évaporation intense dans des lacs deltaiques. La stratigraphie des alluvions du Syr Darya, est également mal connue; mais il y a des raisons de penser que son premier cours le faisait se déverser au même
19
endroit que l'Amou Darya, avant que sous la poussée tectonique continue venue du sud, son cours soit rejeté vers sa position actuelle au NE de l'Aral, et occupât divers lits asséchés depuis très longtemps, tel la Yani Darya, dont nous reparlerons, qui fut à l'époque historique un bras latéral important du Syr Darya se déversant dans le coin sud-est du lac depuis plus de 12 000 ans.
EJ B
--
SOEI
frontiére$ çou!'$
Kazakstan
ancien$
Am! H!6{} Aral 200G
CI
r
Ara! il 72 m
1'
[
Uzbekistan
Turkmenistan
Figure 5. L'Ouzboy et ses rapports avec la Mer Caspienne et l'Aral.
Il est incontestable pour les géologues que le premier tributaire de l'Aral au cours de la formation de la "cuvette tectonique de l'Aral" fut en fait le Syr Darya, alors que l'Amou Darya se déversait à la fois dans la dépression aralienne en cours de « façonnage », et surtout vers la mer Caspienne, par des chenaux fossiles, tell'Ouzboy (figures 5 et 6). L'Aral comporte alors une annexe occidentale, le lac Sary Kamysh3 (fig.7), dépression de même nature hydrogéologique que l'Aral, elle aussi façonnée par les vents arctiques. Elle fut remise en eau dans les années 1960, comme réceptacle des eaux de drainage du delta, mais ne sera pas étudiée ici.
3 Ce «lac»
a fait l'objet d'une monographie
Nauk ed. (en russe); cfLétolle
et Mainguet,
par A.S. Kes ( dir.) «Lac Sary Kamysh », 1991, 1997.
20
Il faudra attendre des forages scientifiques relativement profonds pour en savoir plus sur l'histoire très ancienne de l'Aral. Le seul document que connaisse l'auteur est inédit, et correspond à un forage d'exploration réalisé par une équipe française, de 30 m de profondeur au NE de Noukous, et qui a atteint le préquaternaire4 (avant 2 millions d'années). Il n'a montré qu'une alternance de marnes, de silt et de sable, dépôts deltaïques correspondant à des épisodes où la vitesse de sédimentation, fonction des apports hydriques de l'Amou Darya, et dont l'étude fine n'a pas encore été entreprise.
Figure 6. L'Ouzboy
vu vers l'est, au SW du lac Sory Komysh.
Lors des périodes glaciaires successives, depuis près de trois millions d'années, les vents dits "catabatiques", froids et secs, descendus de la calotte glaciaire sibérienne dont la limite sud ne se trouvait qu'à quelques centaines de km au nord de l'Aral, contribuèrent à éroder les premiers sédiments du 4 Communiqué
par L.Le Callonnec;
cf Guichard,
2002.
21
et al., Cahiers d'Asie Centrale,IO,
295-304,
paléolac. Celui-ci était entièrement gelé pendant l'hiver, et ne devait alors contenir que peu d'eau, puisque les précipitations sur la périphérie montagneuse y restaient stockées, contribuant au développement puis au maintien d'énormes calottes glaciaires à l'Est et au SE de la Touranie, et le débit de nos deux fleuves devait être très réduit. Donc non seulement, les sédiments qu'ils apportaient étaient beaucoup moins abondants, mais le vent hivernal sibérien entretenait et accentuait la dépression aralienne, y arrachant les particules du sédiment aralien non consolidé pour le déposer au long de la barrière montagneuse du sud de la Touranie, et y formant les déserts sableux du Karakoum, et, plus loin encore, le loess fertile des oasis du Sud Turkmenistan, du Kirghizstan et de l'Ouzbekistan. Les exemples contemporains d'érosion des dépressions désertiques sont multiples, depuis celui du bassin de Qattara en Egypte, de Tarfaya au Maroc, des salars argentins etc. jusqu'à celui de l'Aral actuel, où le vent exporte annuellement vers le sud-ouest des dizaines de millions de tonnes de sédiments exondés. Les alternances dégel-réchauffement sur les reliefs subsistants contribuaient, et contribuent toujours, à la démolition des affieurements rocheux et combinaient leur action à l'évacuation par le vent. Les formes en cuvette arrondie des bassins de l'Aral Nord, bien net sur les cartes géographiques sont un argument morphologique important quant à la véracité du scénario « érosion éolienne» présenté ci-dessus. On a de bons arguments pour estimer que les ergs actuels du Karakoum, au SO de l'Aral, et du Kyzyl Koum, à l'est et au SE se sont ainsi formés et façonnés avec du matériel éolien venu du Nord, pendant la dernière époque glaciaire, entre 100 000 et 12000 ans avant notre ère, comme le montre la répartition des aires sableuses en Touranie5. A l'ouest comme à l'est de l'Aral, les reliefs préexistants ont fait barrière au mouvement vers le sud des sables, le sable s'accumulant au nord de ceux-ci, et laissant au contraire au sud des zones dénudées, qui permettent d'ailleurs de retrouver les traces d'anciens cours d'eau depuis longtemps asséchés. Seuls de ceux-ci, dans la région étudiée, l'Amou Darya a maintenu constamment son cours malgré les apports sableux nordiques. D'autres, comme l'Akcha Darya, bras mort oriental de l'Amou, et la Yani Darya ( cf. fig. 5) ont eu peine à maintenir leur cours, et n'ont été ranimés que par les travaux de l'homme, aussi loin dans le temps que l'indiquent les documents archéologiques.
5 Cf Mainguet
et al., 2002, Le système régional d'action éolienne du bassin de l'Aral...
Comptes rendus Geoscience
334,475-780.
22
Figure 7. Le lac Sary Kamysh (1992) : longueur: 80 km ; à gauche, bras de l'Amou, en haut (sud) le désert du Karakoum.
le Daryalyk,
La fin de la dernière glaciation, vers Il 000 ans BP (<
23
sur place. Les reportages écrits, photographiques ou télévisuels insistent évidemment davantage sur les malheurs de la population péri-aralienne, qui sont essentiels, que sur les aspects géographiques particuliers de la région aralienne. Il y a certes beaucoup d'images des régions dévastées et leurs habitants, en particulier sur Internet, mais peu montrent la variété des paysages araliens, d'autant qu'une visite complète de la Mer d'Aral est devenue quasi-impossible avec la dégradation des rapports entre l'Ouzbekistan et le Kazakhstan, qui en interdit aujourd'hui une circumnavigation complète. Car l'Aral fut partagé de manière autoritaire à l'ère soviétique, entre ces deux pays.
24
2
Le climat et la biomasse
L
A POSITION géographique de la mer d'Aral implique un climat de type continental accentué: la dépression «touranienne», en effet, est ceinte sur trois côtés par des chaînes de montagne élevées: au sud, et au sud ouest par le Caucase, les monts du Khopet-Dag à la frontière iranienne, le Karakoram et l'Himalaya au sud-est et au sud, le Tian Chan et ses chaînes satellites à l'est, barrières aux vents de mousson issus de l'Océan indien... Ce n'est que vers le nord-ouest et le nord que la dépression de l'Aral est ouverte sur l'Océan mondial. De sorte que le lac ne reçoit -ne recevait- que le « résidu» de dépressions venues de la Méditerranée, passant au dessus de la Caspienne qui ne les nourrissait guère, mais plus essentiellement les vents sibériens d'hiver et l'humidité issue de l'Océan arctique. Néanmoins, ceux-ci ont perdu l'été, pendant toute la traversée nord-sud de la Sibérie, l'essentiel de leur humidité. On peut suivre aisément les mouvements de l'atmosphère aralienne sur les clichés quotidiens infra-rouges de la NOAA, relayés par le site internet SMIS-IKI russe. Néanmoins, l'essentiel des apports pluviaux se produisait en hiver, sous forme d'un peu de neige. Celle-ci fond en avril mais peut subsister jusqu'en mai dans les lieux abrités. La région aralienne proprement dite montre une pluviométrie comprise entre 10 cm et 15 cm annuels dans les meilleures années, ce qui la classe dans la zone climatique désertique. Un peu de précipitations en fin d'été provenait (et provient toujours) des vents dits « catabatiques » descendant des hauts sommets de la ceinture montagneuse du sud-est.
25
Comme on l'a signalé, ce sont les deux fleuves, d'origine orientale qui apportaient, estime t-on, 95% de l'alimentation en été lors de la fonte des neiges sur la Haute Asie. L'essentiel des pluies se produit à la fin du printemps et en automne, sous forme de précipitations orageuses.
o
,"-,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,.
400
km ""'".,~~""',"',"''''','''','''-'''''''''''
26
A: moyenne des précipitations annuelles en mm ; B: évaporation réelle annuelle en mm; C (page suivante): évaporation potentielle en mm (celle observée sur terrain nu ( pas de transpiration par les végétaux) ; D : humidité relative de l'air en été ( % de la saturation: à peu près,
en mm de mercure,
la valeur
de la température.
Figure 8. Paramètres
. .)
climatiques de l'environnement
péri-aralien.
Les vents dominants viennent du nord-est, de la calotte glaciaire arctique. Des vents locaux créent de fréquentes tornades (soukhovei) pouvant éroder transporter et redéposer des quantités considérables de sable et de poussières, jusqu'à 40 cm d'épaisseur en terrain meuble. On a signalé l'action érosive de ces tornades sur les fils électriques, et le blocage de routes 27
et de voies ferrées par les amas de sable mobile, qui peuvent se déplacer de plusieurs mètres par jour. . . Ce climat continental très chaud l'été Oes températures sous abri peuvent dépasser 40°C. en été, ce qui implique une très forte évaporation) ; les hivers sont très froids Gusqu'à -40°C), et l'Aral gelait entièrement dès décembre (c'est toujours le cas aujourd'hui, malgré que la salinité soit maintenant très élevée)6. On a beaucoup disserté sur l'évolution des températures depuis cinquante ans, certains auteurs arguant d'une augmentation moyenne de celles-ci. En fait, il est certain que l'évaporation a beaucoup diminué, du fait essentiellement de la diminution de la surface d'eau libre de l'Aral, et aussi de l'augmentation énorme de sa salinité. Mais l'influence d'un lac sur le climat des régions côtières est limitée: un lac comme le Léman a une influence jusqu'à quelques kilomètres de ses rives, la Méditerranée jusqu'à 100 km; l'Aral devait être un cas intermédiaire. Ce qui paraît plus sûr, c'est que l'évaporation des eaux de l'Aral formait au dessus du lac une sorte de coussin défléchissant les vents humides venus sporadiquement de l'ouest vers le sud-est et la région de Tachkent. L'évaporation, dont l'intensité est mal connue, dépassait vraisemblablement 1,2 m de hauteur d'eau moyenne annuelle (ce qui, compte tenu de la faible tranche d'eau de l'Aral, explique la rapidité avec laquelle l'Aral a vu son niveau s'effondrer). Sur l'Aral résiduel, les photos infra-rouges quasi quotidiennes montrent bien cet «effet moyen », la couverture nuageuse, quand elle est présente, tend à se dissiper au dessus de la nappe liquide ou la glace l'hiver). La végétation naturelle suit bien entendu la zonation climatique du nord au sud (fig. 9). Nous aurons l'occasion de revenir à plusieurs reprises sur celle-ci, que les « aménageurs » n'ont pas toujours suivie. On constate sur la figure 9 qu'aux alentours immédiats de l'Aral, la côte ouest (Oust Ourt) est caractérisée par Artemisia, arbuste adapté aux terrains calcaires, la côte est (ancienne) par des halophytes. Chacune de ces aires se couvre au printemps d'éphémères, graminées et plantes à bulbes (tulipes sauvages, par exemple). De cette végétation, qui ne dure que quelques semaines, ne subsiste que des espèces très profondément enracinées, dont « l'herbe à chameau », ressource essentielle des nomades.
6 Gel de l'eau de l'Aral vers -1°C quand la salinité était de 1O-12g/1 , -2°C vers 35g/l, lOOg/1...
28
-5° vers
Les conditions climatiques anciennes indiquent que les terres avoisinant la Mer d'Aral ne présentaient pas un caractère désertique accentué (c'étaitet c'est encore- à peu près le climat qui règne au sud du chott El Djerid, en Tunisie méridionale, et au sud de l'Atlas saharien), et que les « déserts» aux alentours n'étaient pas de «vrais» déserts, tel le Tanezrouft au Sahara, ou plus près de l'Aral, le Taklamakan en Chine.
[[ill steppe $~che à gramiooos et stipa
[]
~
steppe a artemisia
halophytes
prail1éalpine [fJj st~ Art.ter~aealbae DO sables il saxaoul ~ tougaî'et irrig. st.a ephemeres li1illiiI forêt prairie de hte mont. sous arbrisseaux !i!!I et éphémères ~<",. glaciers, rochers .
o. .
km
!
600
.-
.
parcs naturel$ (p) et lac$ (L)
75"E
Figure 9. Carte des formations botaniques
SOON
g
de la Touranie.
De fait, le paysage naturel du « Pri-Aral » (tel est le nom donné par les géographes soviétiques à la région de l'Aral) était plutôt celui d'une steppe à graminées que d'un désert proprement dit. La plus célèbre de ces plantes est le saxaoul Haloxylon ammodendmm (fig.l 0) arbuste à croissance lente pouvant atteindre plusieurs mètres de hauteur, aux rameaux verts sans feuilles, les écailles des rameaux assurant la fonction chlorophyllienne.
29
Cet arbuste ne vit qu'en Asie, selon une bande latitudinale allant de la Mer Caspienne jusqu'au Sin Kiang, en Chine. C'était la ressource alimentaire essentielle des troupeaux itinérants, là où l'herbe était trop rare; le saxaoul était aussi la ressource essentielle en bois de chauffage pour l'hiver, et de construction pour les abris permanents ou temporaires des populations de pasteurs itinérants. L'occupation russe puis soviétique a considérablement réduit les aires à saxaouls, malgré des programmes gigantesques de reboisement, heureusement poursuivis aujourd'hui.
Figure 10. Un saxaoul, vestige d'une forêt anéantie,
(photo de 1914).
D'autres arbres caractéristiques sont le Tcherkez (Salsola richteri), et le Khandym (Calligonum caput mortuum), au port comparable à celui du saxaoul. Sur les rives des fleuves (tougaï), on trouvait abondance de Populus diversifàlia, Salix, Tamaris, Eleagnus hortensis, le Kendir (Apocynum sibiricum), dont les fils
30
servaient à tisser d'excellents filets de pêche. On tente aujourd'hui de protéger et de régénérer ces peuplements, avec un certain succès, avec l'aide d'organisations occidentales. Dans les premières années de l'assèchement de l'Aral, qui fut surtout sensible sur la côte est, vu la très faible pente du profil des profondeurs, les vents dominants du nord-est déplacèrent des quantités importantes de particules du sédiment fin non encore consolidé, sable mais aussi les sels solides abandonnés lors de l'évaporation: gypse (CaS04), halite (NaCl):sel gemme, mais aussi sels toxiques, tels la thenardite (Na2S04), toxique et agressive pour les poumons, cause de la plus grande partie des troubles respiratoires constatés au Khorezm. On a signalé que ce transport éolien se manifestait jusqu'à la Mer Caspienne, et peut-être même jusqu'en Géorgie, au delà du Caucase, où il aurait endommagé les plantations d'orangers. Les mêmes vents survolent maintenant, vu le déplacement du rivage, l'ex-partie centrale de l'Aral, et transportent donc les sels à l'ouest du Khorezm, au dessus du plateau d'Oust Ourt. La déflation peut enlever jusqu'à 50 cm annuels de sédiment meuble, ce qui est un obstacle à la reconquête des sols émergés par la végétation, en dénudant les jeunes racines. S'y ajoute l'action des fouisseurs, petits rongeurs et insectes. . . Les rives de l'Aral proprement dit étaient plus contrastées. Celles de l'Est de l'Aral, comme celles de ses tributaires et de leurs innombrables chenaux, étaient jadis de véritables forêts vierges, le tougaï, bénéficiant des nappes phréatiques alimentant leurs rives. De nombreuses espèces tempérées ou semi-tropicales y prospéraient, telle un peuplier, toujours abondant, et qui existe depuis l'ère tertiaire. Des centaines d'espèces animales et végétales étaient caractéristiques du tougaï. De vastes clairières sur les rives et dans les deltas, sans doute formées à la suite de feux de forêts, naturels ou provoqués, abritaient une végétation propice aux herbivores, eux-même proies de carnivores tels le tigre de Sibérie, dont le dernier fut observé en 1944 sur l'Amou Darya. En fait, la plus grande partie de ces oasis fluviatiles étaient, avant les Russes, propriété des seigneurs locaux, aussi bien ceux du Khorezm (delta de l'Amou Darya, au sens large), que ceux moins connus, qui régnaient sur le delta du Syr Darya. La chasse y était interdite et punie de mort.. .Par contre, la pêche était florissante, et l'esturgeon, entre autres, venait frayer dans les bras du delta de l'Amou.
31
La rive ouest, limite escarpée du plateau de l'Oust-Ourt, a toujours présenté une végétation de « causse », sans écoulements de surface (c'est une région de karsts, encore incomplètement explorés) à couverture essentiellement de graminées, à la végétation explosive après les pluies de printemps, régressant en quelques semaines au début de l'été. Terre de pacages itinérants, totalement déserte en hiver, elle est toujours le domaine d'une petite antilope aa saïga), massacrée au temps soviétique par les militaires des champs de manœuvre et d'essai d'armes variées, mais dont les troupeaux se sont vite reconstitués. Les troupeaux de chameaux sauvages y sont maintenant confinés dans des réserves. La rive nord présente un peu les mêmes caractères, mais bénéficiant d'un relief beaucoup plus varié, possède de nombreuses vallées alluvionnaires où un peu d'eau peut circuler, même en été; cela permit très tôt, dès le Paléolithique, à des populations pastorales de s'y fixer. D'autre part, disposant de baies abritées, elle permit l'établissement de minuscules ports de pêche, qui restèrent très longtemps à l'écart des routes caravanières. Les rives est et sud étaient très différentes. Disposant de l'eau apportée par les innombrables chenaux des deltas des deux fleuves, elles étaient, comme les rives amont de ceux-ci, couvertes d'une végétation touffue de tougaï (fig.ll), entre des chenaux à faune piscicole abondante. Les nombreuses îles constellant ces rives présentaient les mêmes caractères, dans la mesure où, vu leur faible élévation, elles n'étaient en communication que par les chenaux divagants ou des pistes suivant les itinéraires des bêtes sauvages. La population permanente, sujets des khans de Khiva, Otrar et autres capitales disparues, y était très clairsemée. Les routes des caravanes passaient très au large, à la limite des zones désertiques, à une centaine de kilomètres à l'intérieur des terres, où leur tracé au cours des siècles est restée marquée par les ruines des forteresses en pisé, aujourd'hui objets de recherches archéologiques intenses. Les travaux de « mise en valeur» de l'époque soviétique n'ont laissé que des lambeaux de ces anciens paysages, aujourd'hui classés comme réserves naturelles (quelques dizaines de milliers d'ha), mais où les braconniers, surtout pêcheurs, s'en donnent à cœur joie. Le rivage est bien loin aujourd'hui, au delà de l'horizon...plus ennoyé épisodiquement par les crues de l'Aral. Ces régions étaient un patchwork de bois, de fourrés, de clairières, de tourbières, sans villages permanents (du fait des inondations saisonnières), sans autre moyen de subsistance que la pêche et la chasse.
32
Nous verrons que dès la conquête russe, dans les dernières décades du XIXe siècle, la situation changea, surtout dans le delta de l'Amou Darya : extension des terres irriguées, construction ou rectification de canaux, ouvertures de routes... repoussant toujours davantage vers les rives du lac les zones sauvages. Alors que le delta du Syr Darya demeura pendant longtemps
dans son état « presque» naturel
débit du fleuve beaucoup plus faible que
-
celui de l'Amou Darya, 30%), état politique beaucoup plus instable, et climat
plus rude qu'au Khorezm
-
les Russes ne firent que continuer au Sud de
l'Aral ce qui avait été entrepris des siècles, voire des millénaires, dans un but essentiel pour eux, la culture du coton, qui ne vient pas dans la partie nordest de l'Aral.
Les déserts Bien
qu'en
historiquement
dehors -
du
cadre
et jouent encore
-
strict
de notre
étude,
ils jouèrent
un rôle essentiel dans l'isolement de la
Mer d'Aral et des royaumes qui s'y créèrent successivement, n'étant facilement accessibles qu'en suivant les cours des deux fleuves: il n'existe pratiquement pas d'oasis dans les deux grands déserts, celui du Kyzyl Koum ae désert rouge) au SE et celui du Kara Koum (désert noir) au SW, et les quelques petits massifs montagneux arides qui émergent des sables ne donnent que de maigres sources. Ces noms: «rouge» et «noir» n'ont en fait n'a pas de rapport avec la couleur de leur sable. Mais les dunes vives actuelles restent modestes par rapport aux grands alignements de dunes mortes, -aujourd'hui couverts de végétation- quand le pacage ne l'a pas détruite- et qui sont toujours fréquentées par les pasteurs itinérants. Les Soviétiques dans leur tentative de «conquête des déserts », suppléèrent à l'absence de sources et de puits par la création de milliers de forages dans les nappes profondes souvent de plus de SOm, et dont la plupart sont abandonnés, ou ont créé paradoxalement des micro-oasis bienvenues au voyageur (cf. chap. suivant). En fait, ces zones sableuses furent mises en place pendant les glaciations, sous l'influence des vents issus de la calotte polaire qui couvrait la plus grande partie de l'Asie septentrionale7. En période interglaciaire (depuis 10 000 ans environ), ces zones sableuses progressaient du nord vers le sud, mais furent stabilisées dès que l'érosion éolienne, qui les nourrissait de particules
7 Cf Mainguet
et al., op. cit.
33
arrachées au sol (y compris celui de la mer d'Aral, alors asséchée), diminua fortement d'intensité. La végétation conquit alors les champs de dunes et les stabilisa. Aujourd'hui, la plupart des champs de dunes possède une couverture végétale de graminées, souvent accompagnées dans les interdunes d'une végétation arbustive relativement fournie ( saxaoul et autres espèces à longues racines8), là où l'eau de fonte des neiges, stockée dans les sables, peut alimenter les racines.. Mais des millénaires de pâture intensive, moutons et chameaux, ont en maints endroits décapé un revêtement végétal fragile, remettant en mouvement un sable jusqu'alors stabilisé. Les petits ergs mobiles, cauchemar des cheminots (chemins de fer) et cantonniers (routes), peuvent progresser de plusieurs mètres par an. L'établissement de fermes d'élevage des moutons, autour des innombrables forages profonds effectués dans les régions sableuses (plus de 20 000 dans le Kyzyl Koum, paraît-il), a contribué largement à cette destruction du couvert végétal, parfois sur plusieurs kilomètres de rayon. Les autorités, avec beaucoup de retard, tentent de remédier à ce gaspillage d'une eau fossile fort précieuse.. .Mais les pasteurs prennent en général grand soin des forages encore fonctionnels, indispensables à leurs troupeaux autant qu'à eux-mêmes (fig. 12).
Figure 11. Le tougaï riverain d'un bras du Syr Darya.
8 Celles du saxaoul atteindraient
20 ill de profondeur...
34
Figure 12.Un camp de nomades ouzbek dans le Kyzyl-Kum. Situé à proximité de la frontière Ouzbek-kazakh, ilsne peuvent plus désormais passer la frontière...
35
3
Géographie
de l'Aral
L
ES LACS sont des « êtres» fragiles, et bien peu de grands lacs traversent les âges sans être comblés de sédiments, et/ ou vidés par l'approfondissement de leur exutoire. Un grand lac ne «vit» guère plus de quelques millions d'années, et si le lac Baikal9 est considéré comme le plus vieux du monde, l'Aral, lui, peut (pouvait) se prévaloir d'être sans doute le plus jeune des très grands lacs mondiaux. La carte de la fig.2 (introduction) montre la morphologie du lac vers 19501o.La Grande Mer au sud comportait deux bassins principaux, une « fosse» ouest de 250 km sur 45 km, orientée NS, bordée à l'ouest sur toute sa longueur par la falaise limitrophe du plateau de l'Oust-Ourt, le « Tchink », «falaise» dans les diverses langues locales. C'est l'objet topographique le plus marquant de toute la région. Le tchink atteint sur la côte l'altitude maximale de 250 m. Il est formé par l'empilement des couches sédimentaires déposées au fond de la mer qui précéda, à l'ère tertiaire, l'exondation de la Touranie : calcaires crayeux, grès, marnes et argiles. Les calcaires reposent sur une semelle d'argile peu stable, ce qui provoque d'énormes effondrements très spectaculaires que nous visiterons au chapitre suivant. En arrière, vers l'ouest, la steppe s'étend à perte de vue, à la surface à peine ondulée du plateau de l'Oust Gurt, percé d'innombrables gouffres karstiques. Elle est couverte au printemps de pâturages que fréquentent les troupeaux d'antilopes saïga. La «fosse» marine au pied du Tchink (<
9 cf. L. T ouchart, Le lac Baikal, L'Harmattan, 1998. JOUne carte bathymétrique au millionième, avec isohypses tous les mètres, puis deux mètres en profondeur, est disponible sur Internet, aux sites spécialisés des universités de Bielenfeld et Neuchatel.
37
est un terme sans doute excessif, mais usuel en géologie), suit en fait le grand accident tectonique, double réseau de failles, qui détermine à l'ouest l'escarpement du Tchink, et, à l'Est, la ride de l'île de V ozrojdenie. Les sédiments de cette fosse, à très grande profondeur, sont un piège à hydrocarbures, aujourd'hui exploités. La profondeur maximale de l'eau était de 61 m environ (c'est à dire à -15 m environ par rapport au zéro m des cartes marines)ll. Le bassin Est de l'Aral, de 150 km W-E sur 200 km N-S, au fond très plat, atteignait à peine 27 m de profondeur, 4m aujourd'hui. La pente du fond était très faible ( 20 m sur 150 km), et montrait une légère inflexion en talus de la pente vers -10m (par rapport au rivage de 1960), correspondant au rebord d'un delta ancien du Syr Darya . Cette côte Est était frangée d'un réseau de dunes englouties dont les sommets formaient une guirlande d îles basses, ne dépassant guère 5 m d'altitude, et dont certaines étaient habitées de hameaux de pêcheurs, les seuls sédentaires de cette rive. Ils étaient ainsi à l'abri des bêtes fauves du delta (dont les tigres) et de pillards éventuels. Lors de transgressions de quelques mètres du niveau du lac, ces îles étaient à la limite d'être ennoyées. Ces deux bassins principaux étaient séparés par la ride NS de l'archipel de Vozrojdenie (Résurrection, en russe), jadis lIe Nicolas 1er (fig. 13). C'est une presqu'île depuis 2002, formée des mêmes terrains que la rive ouest, et limités par des failles déterminant des falaises de faible hauteur, une vingtaine de m. La grande île Vozrojdenie, dont nous parlerons longuement plus loin, formait jadis un plateau bordé d'une petite falaise, homologue du Tchink de la rive ouest de l'Aral, creusé de cuvettes très peu profondes creusées par l'érosion éolienne, et était entourée de bancs de sables immergés ou formant des îlots sableux très bas -dont l'île Constantin, que les Soviets oublièrent de rebaptiser après 1920....
lIOn utilisera la notation négatives.
internationale
« asl » (above sea level), y compris pour les altitudes
38
Figure 13. La mer d'Aral vue vers le Nord en 2000 ; le lac Sary Kamysh en bas à gauche; en brun: le delta de l'Amou Darya.
L'archipel se continuait à terre vers le N par la presqu'île de Koulandy, de même structure géologique, et dont l'isthme la reliant à la terre ferme est recouvert par un erg étroit. Le sable en provient du Nord, issu d'un autre petit erg occupant la vallée fossile d'une rivière disparue depuis très longtemps: on trouve dans toute la région steppique de l'arrière pays Nord beaucoup de tels petits ergs, résidus de ceux formés par les vents dits « catabatiques » issus de la calotte glaciaire. Ils constituent en été une réserve d'eau issue de la fonte des neiges hivernales. En 2008, Vozrojdenie et Koulandy n'étaient séparés que par un détroit de quelques 20 kilomètres de long et 300 m de large dans sa partie la plus étroite (cf. fig.14) dont la profondeur dépassait rarement un mètre. La morphologie de ce canal indique qu'il s'agit de la vallée fluviatile d'un très ancien cours du Syr Darya, datant de l'époque glaciaire ( plus de 12 000 ans), ou beaucoup plus. On y reviendra.
39
Plus à l'Est, un golfe dépendant de la grande Mer, ne dépassait guère 22m de profondeur et est donc complètement émergé aujourd'hui. Il était séparé de la terre ferme par une grande île de 50km sur 10 km (BarsakelmesI2), de même constitution géologique que l'île Vozrojdenie ou que la rive de l'Oust Ourt à l'ouest, et également bordée sur la quasi totalité de son périmètre par une falaise d'une cinquantaine de mètres de hauteur. Barsakelmes apparaît maintenant comme un plateau étendu, très peu ondulé, bordé de falaises identiques à celles de l'Oust Ourt, et couvert d'herbes. Il n'y avait voici 30 ans qu'une station zoologique, où travaillaient des prisonniers politiques. Certains y sont encore... Abandonnée depuis qu'elle est devenue presqu'île, Barsakelmes est restée parc naturel protégé. Au nord de Barsakelmes subsiste aujourd'hui une plaine marécageuse, avec d'immenses nappes de gypse, où serpentent les modestes chenaux du trop plein de la Petite Mer, que nous allons retrouver au nord-est, retenue par le nouveau barrage terminé en 2005. La rive nord de ce golfe est formée par l'ex-île de Kokaral, bordée d'une falaise d'une trentaine de m de haut, et qui se raccorde en pente douce au nord par une steppe maigrichonne formant le rivage sud de la « Petite Mer» (Maloye more, en russe), parsemé de lagunes gypseuses bordant cette «petite mer» aujourd'hui en cours de réhabilitation.
Figure 14 a. Le détroit reliant les deux bassins de l'Aral sud (2005).
12« Dont
on ne revient
jamais
»
40
Figure 14 b. Le détroit, avril 2008 (entre 300 et 400 m de large à cette époque; réf. P. Zavialov)
La Petite Mer, au Nord-Est de l'ancien Aral, dont le niveau est donc aujourd'hui maintenu artificiellement, est formée de trois petits bassins plus ou moins circulaires ne dépassant pas 27 m de profondeur. Elle est bordée sur son rivage nord par une modeste falaise souvent pittoresque, coupée de ravins profonds, le plus souvent asséchés, et a environ 30 m de haut. Cette côte, comme celle qui la prolonge à l'Est, est interrompue aussi par les débouchés des vallées de ruisseaux venus du nord, résidus d'un système hydrographique puissant voici quelques millénaires, alimentés chichement en eau au printemps lors de la fonte des neiges. Cette côte est parfois bordée d'escarpements spectaculaires que nous décrirons au chapitre suivant. C'est dans cette région qu'on trouve les reliefs bordant l'Aral les plus hauts (plus de 300 m) et les plus accentués. Beaucoup de fonds de vallées sont occupés, comme on l'a vu pour Koulandy, par des cordons de dunes, qui stockent l'eau pendant l'été et permettent ainsi de conserver une couverture herbacée non négligeable, et même parfois quelques bosquets, malgré la surexploitation de l'époque soviétique. La plus caractéristique de ces vallées, et la plus large, quelques km, est celle qui débouche à Akespe, ancien petit port de pêche sur le golfe de ButakofT. La Petite Mer communiquait avec la Grande Mer par le détroit de Berg- du nom du géographe qui fit la première monographie complète de l'Aral. Ce détroit ne dépassait pas 13 m de profondeur en 1960, et nous en reparlerons longuement. La Petite Mer se prolongeait vers le NE par le long golfe de Sarichaganak, ou golfe d'Aralsk, très peu profond, à l'extrémité duquel fut fondé le premier poste russe en 1849, devenu depuis Aralsk. C'est aussi un reste de vallée fluviatile de la fin de l'époque glaciaire. Depuis 2004,
41
la Petite Mer est devenue un lac artificiel, indépendant des restes de la Grande Mer, en cours de réaménagement comme le delta du fleuve Sir Darya qui l'alimente et qui constitue son seul apport en eau douce. Au sud de Barsakelmes, enfin, se trouve le bassin sud-est de l'Aral, de loin jadis le plus vaste, avec une dimension de 200 km sur 175 km, et qui est passé de 26m de profondeur à moins de 4 m aujourd'hui. Ses côtes Est et Sud, très basses, étaient formées par le talus d'accumulation au cours des derniers millénaires des alluvions de l'Amou Darya et du Syr Darya, prolongement de leur delta aérien, surmontées de dunes de sable parfois fixées, parfois mobiles, alimentées par le désert du Kyzyl Koum dont elle constituaient la limite Ouest.. L'ancien rivage a reculé vers l'Ouest de plus de 100 km. Cette côte Est indécise était frangée d'îles basses, souvent dunes noyées, sites de petits villages de pêcheurs, et qui forment aujourd'hui des buttes très plates à végétation assez fournie, où subsistent quelques habitations de pêcheurs reconvertis en pasteurs. Tout le rivage sud de l'Aral était très plat, indécis, variant horizontalement de plusieurs km en quelques années avec les oscillations du niveau de la mer. Il était couvert d'étangs et de marécages alimentés par les multiple bras changeants du delta de l'Amou Darya, jadis jungle impénétrable et refuge d'innombrables espèces animales - comme de fuyards humainsl3. Iles basses, baies et presqu'îles disparaissaient et apparaissaient d'année en année, avec les variations métriques du niveau de l'Aral et les divagations perpétuelles des chenaux dans les bas cours des deux fleuves14. Autrefois domaine privé des anciens khans, l'époque soviétique entreprit d'assécher ces territoires: on y reviendra. Seuls témoignages d'un ancien relief préquaternaire, quelques parsèment l'étendue presque plate du delta de l'Amou Darya au l'Aral. La plus marquante est celle de Mouynak, l'ancien port du sud, une île avant 1930, rattachée par l'alluvionnement vers 1940, et terminait au Cap Tigrovir où existait une station hydrographique. buttes, et le modeste massif de Beltau à l'est du delta de l'Amou,
buttes sud de encore qui se Ces (fig.15)
13Wood H., The shores of Lake Aral., Smith, Elder and Co.1876. 14A la différence de l'Amou Dalya, le Syr Dalya, au NE a perdu ses deux bras ouest du delta, le Kuwan Dalya et la Yani Darya, 1880, réactivés comme canaux de drainage dans les années 1950, mais ne parvenant plus à l'Aral. Ils alimentent aujourd'hui des prairies (interdunaires) et quelques cultures au SE du delta actuel et étaient encore fonctionnels dans les années 2000.
42
témoignent d'une époque lointaine ou le plateau de 1"Oust Ourt s'étendait loin vers l'Est, bien avant l'époque quaternaire, et où l'Amou Darya ne se jetait pas encore dans l'Aral. Les anciennes côtes accores, celles des îles devenues désormais des collines ou des coteaux, présentent toutes les caractéristiques d'une importante action éolienne, qui fut en partie masquée par les dépôts deltaïques du Sir Darya et de l'Amou Darya, ou des dépôts d'éboulis de pente. La rive Sud de l'Aral a toujours été indécise, ainsi qu'en témoignent les cartes existant depuis les années 1750, où elles commençaient à être exactesl5.
KARA KOU/'1 (zOUNGAOUZ)
.
o
50
100
km g
Figure 15. Hypsométrie détaillée du delta de l'Amou Darya. Ellemontre la tendance du fleuve à se tourner vers l'Ouest. La lagune Borsa Kelmes au NW. sur le plateau « dont on ne revient jamais» est sans rapport avec l'TIedu même nom dans l'Aral) ; elle est entièrement couverte de sel gemme (halite. NaCl) et alimente des sources salées du Tchink au SE.
15 Voir
chap.
10.
43
Mise à part la fosse ouest, le fond de l'Aral présente donc une morphologie de cuvettes sub-circulaires peu profondes juxtaposées et parfois coalescentes. Elles témoignent, on l'a vu, d'un refaçonnage, depuis plus de deux millions d'années, pendant les époques glaciaires, du fond préquaternaire,.. Le modelage en falaises « molles» de tous ces reliefs, avec des piémonts de débris là où ils n'ont pas été retravaillés par la mer, montre que l'érosion a été lente, en tous cas à l'échelle des temps géologiques. Néanmoins, les orages estivaux, rares mais violents peuvent éroder brutalement les reliefs, et expliquent l'aspect abrupt de nombreux ravins qui parsèment les falaises, spécialement sur les côtes ouest et nord de la mer d'Aral. C'est un agent géologique dont l'importance a été négligée par les aménageurs de l'époque soviétique.
L'alimentation
de l'Aral
et sa régression
Le climat de la région aralienne, on l'a vu, est continental accentué: hiver très froid et sec WAral gèle toujours malgré sa salinité aujourd'hui élevée), et les fleuves sont couverts parfois de plus d'un mètre de glace, été chaud (plus de 40°C) et see. La pluviométrie, on l'a vu, est de l'ordre de 10 à 15 cm par an, au printemps, avec des orages brutaux en fin d'été. Il semble que depuis quelques années, les conditions climatiques deviennent plus contrastées, sans que l'accord soit unanime. A part les modestes apports atmosphériques et les déversements des aquifères littoraux (quelques km3 annuels, peut-être 10), l'essentiel des apports était donc dû aux deux fleuves Amou Darya et Syr Darya16 (fig.16) L'Amou Darya, issu du Khjirgizstan, forme sur 700 km la limite entre l'Ouzbekistan et le Turkmenistan, et ne reçoit dès lors plus d'affiuent. Jadis, un puissant cours d'eau, le Zerafchan, né dans le beau lac de montagne Alexandre, et passant à Samarcande et Boukhara, dont il est la ressource en eau principale, s'épuisait après cette ville, et n'a rejoint depuis plusieurs siècles l'Amou Darya qu'en de très rares crues exceptionnelles. Le delta de l'Amou (fig.IS et 17), qui sera au cœur de notre récit, aboutissait à l'Aral, mais a une histoire «mouvementée», qui sera donnée au chapitre 7.
16
A titre de comparaison,
815 km, débit
moyen
annuel
voici quelques valeurs pour des fleuves français; ;24 km3 ; Dordogne;
44
460km,
5.4 km3.
Rhône:
longueur
500Q
m3ts
,~
Figure 16. Hydrogrammes
naturels
h'
t,,,
h'
"'''' ""
de l' Amou Darya (à gauche)
~i'~'",;
Ù'"
et du Syr.
Le Syr Darya , Iaxartes des Grecs puis Sihoun des Arabes' naît au sud du grand lac de montagne Issyk-Koul en Kyrgyzistan, où il porte le nom de Naryn. Plusieurs barrages de montagne retiennent son eau (Rogun, un des plus importants au monde), avant que le cours ne traverse la grande vallée tectonique du Ferghana, sorte de Limagne très fertile, où il est barré à nouveau, formant le lac Kairakkoum. Comme l'Amou, il pénètre alors la grand dépression touranienne, est retenu à nouveau près de Tachkent 0acs de Chardara, et Aidarkoul) avant de former, 1000 km plus loin, le second delta alimentant l'Aral. Le Syr reçoit très peu d'affluents sur sa rive droite, torrents semi-permanents, issus d'une chaîne de montagne: le Karataou (2178 m), riche en minerais. Au nord de Kzyl Orda, il recevait jadis une rivière longue de près de 2000 km, le Chou (Tchou), jadis issue du lac Issyk Koul. Le Tchou se perd dans le désert au NE de l'Aral dans une immense étendue gypseuse, un peu à l'est de la station spatiale de Baikonour. Il se jetait dans le Syr Darya en amont de Kazalinsk (fig.17). Cette jonction a dû fonctionner à l'époque historique, mais n'a jamais été encore étudiée en détail. De ces deux fleuves, le Syr Darya était le plus complètement équipé, au sens technologique; l'Amou Darya ne l'est pas encore, compte tenu des problèmes frontaliers entre les divers états qu'il traverse; de toute manière, la Mer d'Aral ne bénéficiera sûrement pas des futurs accords de partage. Hormis ces grands cours d'eau (sont-ce des fleuves, ou des rivières ?), pas d'autres apports de surface à l'Aral que de rares ruisseaux temporaires au 45
printemps, steppiques
tous apportant l'eau de fonte de la neige hivernale du sud Kazakhstan.
sur les collines
Tous furent utilisés à diverses reprises pour l'irrigation de prames, et réaménagés pendant l'époque soviétique Aucun n'atteignait la mer d'Aral à l'époque historique. L'Akcha Darya se détache vers l'est du cours principal de l'Amou à Tourtkoul, et alimente près du petit massif de roches primaires, dit du Sultan Quiz Dag ~ieu de pèlerinage), plusieurs petits lacs, véritables oasis. Shaw en 1872, voyant depuis l'Amou Darya ces collines vertes brillant au soleil, imagina qu'il s'agissait de forêts, alors qu'il s'agit de roches vertes (serpentine) : ce massif est le seul formé de roches de l'ère primaire, donc très anciennes, dans un rayon de près de 1000 km. Il porte un lieu de pèlerinage célèbre.
r
1 l 1 l 1 1 1"
1 1
\
\
~
1 I
I
...---.........
C.(fi"fdm:
.
...~~
l)~Q~
L1SHty Kàmi,h
TURKMENISTAN Figure 17. Schéma du delta des fleuves et leurs bras « fossiles»; avec les barrages et les rapports avec le lac Sary Kamysh.
46
Syr Darya-Naryn
Amou Darya Altitude de la source en m
4900
3800 ?
Longueur totale en km
2540 1960)
3019
Surface théorique du basin versant en km2 Débit minimal à l'Aral en m3/sec Débit moyen m3/sec (cours moyen, 1960)
309000
219000
Charge minérale dissoute 1960) en g/l Id (1995) Charge minérale en suspensions
65
20
1950
250
0.6
0.4
3
1.5-3
1/3.5g-1
0.5-2
Tableau 2. Principales caractéristiques
la disparition contemporaine
des deux fleuves.
de l'Aral
L'abaissement du niveau de l'Aral (fig. 18) a été suivi depuis 1960 par tout un réseau de satellites, qui ont permis de quantifier les caractéristiques précises de la masse d'eau, résumées dans le tableau 2, ainsi que le niveau moyen de l'Aral. Ces valeurs moyennes sont établies à partir des mesures obtenues par des radars satellitaires, et rapportées à une surface zéro dite du « géoide de référence ». Les volumes ont été calculés à partir des données bathymétriques données par les cartes marines d'une part, l'altitude des rivages temporaires déterminée par radar d'autre part. Ont servi en particulier les mesures obtenues par le centre d'études spatiales de Toulouse17. La précision indiquée est de l'ordre de 0,5 m, correspondant aux erreurs analytiques, et tiennent compte du « bruit de fond» lié aux vagues, marées etc. Ces données permettent de suivre la descente du niveau de la Mer, en les comparant avec des données obtenues à terre du fait que le niveau de l'eau n'est jamais « horizontal », au sens commun du terme, du fait de la rotation de la Terre.
17Et aimablement
communiquées
parJF.
Crétaux.
47
.... ~
E'"
:F~~~~~==-~=~= "ô ,
~'-
,"
j
"
,
.
L,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,.,,.,.,,,,,,,,.,,,.,,,.,,,.,,,.,""""",,",,,,,,,,,,,,,,,,,,,,",",",,,,,,,,,"',,,,,',,"»"","""''''''''"".~".",."'.,,,.,,' .,,\\,~ ~,[G'> l';'t\\ Nt)? i(~K' Yl,') ,,'<:,(H h(,~' ,,\,-,.! :,KH ;,KW, )y~, :,)t'"
';C'$
Figure 18. Baisse du niveau de j'Aral de 1993 à 2007.
D'autre part, les bassins désormais séparés, ou communiquant de manière épisodique, n'ont aucune raison d'être au même niveau (ceci s'observe bien aujourd'hui, entre le bassin ouest et le bassin central, par exemple). De sorte que la précision instantanée est de l'ordre de 0,5 m, suffisante pour qu'on puisse apprécier les variations de niveau liées aux vidanges des barrages sur les deux fleuves. Ces données permettent également de spéculer sur l'importance de l'évaporation, en gardant à l'esprit que celle-ci diminue fortement aux grandes salinités, jusqu'à disparaître au delà de 250 g de sel par litre, auquel cas au contraire l'eau salée « pompe» l'humidité de l'air. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet à propos de l'avenir de la Mer d'Aral.
y a-t-il eu un plus grand Aral? Si l'Aral diminue année après année, compte tenu de ses caractéristiques de «flaque pelliculaire », on peut se demander quelles dimensions, à l'inverse, il a pu atteindre dans le passé. Pour cela, on dispose du bilan en eau évoqué plus haut, qui montre que l'évaporation est le facteur limitant la croissance du lac. Nous suivrons en détail dans le chapitre V l'évolution des
48
caractéristiques de l'eau de l'Aral. On sait depuis le milieu du XXe siècle que l'Aral a subi dans le passé de grandes variations de son niveau, comme en témoignent toute une série de terrasses, au-dessus comme au dessous de l'altitude de référence du zéro de l'Aral de 1960, soit 53 m a.s.!. (ce qui était le cas depuis 50 ans), preuve que dans le passé, des régressions du lac ont été au moins aussi importantes que l'actuelle. Nous donnons ci-dessus dans le tableau 3 le détail de l'hypsométrie du lac, qui permet au lecteur d'apprécier le faible rapport volume/ surface, facteur essentiel de sa réponse aux variations des entrées/ sorties de l'eau. Ces terrasses sont liées à des époques où le niveau du lac était relativement stable.
H
V
S
H
V
S
Baisse en m 0
km3
km2
km3
Km2
953.3
57342
Baisse en m 17
205.9
0.5
925.1
5..5810
17.5
1
897.5
54695
1.5
870.4
2
V
S
H
V
S
Km2
Km2
2088
Baisse en m 51
Km3
29786
Baisse Km3 en m 34 27.9
4.1
660
191.3
28579
34.5
26.8
2034
51.5
3.8
623
18
177.3
27405
35
25.8
1986
52
3.5
587
53754
18.5
163.9
26172
35.5
24.9
1941
52.5
3.2
555
843.7
52986
19
151.1
24924
36
23.9
1900
53
2.9
524
2.5
817.4
52339
19.5
139.0
23581
36.5
23.0
1859
53.5
2.7
496
3
791.3
51818
20
127.6
21307
37
22.0
1819
54
2.5
469
3.5
765.5
51321
20.5
117.4
19682
37.5
21.1
1780
54.5
22
444
4
740.0
50845
21
107.9
18327
38
20.3
1740
55
2.0
421
4.5
714.7
50367
21.5
99.0
16962
38.5
19.4
1701
55.5
1.8
398
5
689.7
49321
22
90.9
15539
39
18.6
1662
56
1.6
377
5.5
665.2
48503
22.5
83.5
13992
39.5
17.7
1623
56.5
1.4
357
6
641.1
47853
23
76.9
12313
40
16.9
1585
57
1.3
336
6.5
617.4
47252
23.5
7l.1
10851
40.5
16.2
1546
57.5
1.1
316
7
593.9
46645
24
66.0
9643
41
15.4
1507
58
0.9
296
7.5
570.7
45986
24.5
61.5
8558
41.5
14.6
1467
58.5
0.8
276
49
H
8
547.9
45352
25
57.5
7461
42
13.9
1425
59
0.7
257
8.5
525.4
44716
25.5
54.0
6469
42.5
13.2
1381
59.5
0.5
238
9
503.2
44060
26
51.0
5382
43
12.5
1334
60
0.4
219
9.5
481.3
43370
26.5
48.6
4343
43.5
11.9
1288
60.5
0.3
200
10
459.8
42119
27
46.6
3670
44
1l.3
1245
61
0.2
181
10.5
439.0
41162
27.5
44.8
3432
44.5
10.6
1208
61.5
0.1
116
11
418.6
40358
28
43.2
3222
45
10.0
1179
62
0.1
116
11.5
398.7
39592
28.5
41.6
3043
45.5
9.5
1152
62.5
0.0
63
12
379.0
38852
29
40.1
2870
46
8.9
1125
63
0.0
16
12.5
359.8
38103
29.5
38.7
27771
46.5
8.3
1098
63.5
0.0
I
13
340.9
37345
30
37.3
2680
47
7.8
1071
64
0.0
I
13.5
322.5
36541
30.5
36.0
2597
47.5
7.3
1044
64.5
0.0
I
14
304.4
35685
31
34.7
2515
48
6.8
1017
65
0.0
I
14.5
286.8
34795
31.5
33.5
2435
48.5
6.3
990
65.5
0.0
0
15
269.6
33848
32
32.3
2356
49
5.8
963
15.5
253.0
32849
32.5
31.1
2281
49.5
5.3
936
16
236.8
31889
33
30.0
2212
50
4.8
746
16.5
221.1
30917
33.5
28.9
2147
50.5
4.5
700
Tableau 3. Paramètres morphométriques en m correspond
du "Grand Aral". la profondeur (H=O)
à 53 m au dessus du zéro de la Baltique à Kronstadt.
Elles correspondent, pour les plus basses, à des encoches d'abrasion en certains points de la falaise du tchink, là où l'action érosive de l'eau pouvait s'exercer sur des roches tendres (craie) (fig. 19). Ailleurs, il s'agit de dépôts sédimentaires, galets et sables, à pente plus marquée, avec parfois des restes de sol subaériens : rubéfaction, traces de racines ete. La plus profonde actuellement détectée, dite de Paskewich, correspond à peu près à l'altitude du niveau de l'eau observé en 2006.La plus haute terrasse se trouve à l'altitude
50
de 72 m. Très dégradée, longtemps discutée, son existence ne fait plus de doute maintenant. Les calculs montrent que cette altitude correspond d'ailleurs exactement aux dimensions maximales que l'Aral pourrait atteindre, compte tenu de son bilan en eau: plus le lac s'étend, plus il s'évapore...Voyons de plus près ces possibilités d'extension. Si on se donne une fourchette des apports, entre époques humides et sèches: apports évoluant entre 75 km3 et 55km3 par an, par exemple, et une fourchette pour l'évaporation, de 0.9m à 1.25 m de tranche d'eau, ce qui paraît raisonnable en moyenne, on peut atteindre au maximum 70 plus ou moins 5 m, précisément le niveau auquel se place la terrasse supérieure.
Figure 19. Biseaux d'érosion
lacustre sur la falaise de craie (SW de l'Aral) ; voir photo de couverture.
au cap
Aktioumsik
Mais c'est aussi, à un ou deux mètres près, l'altitude du «col» - si on peut dire - qui sépare l'Aral (des années 1950) de la vallée qui, vers l'ouest, conduisait jadis les eaux de l'Amou Darya vers la mer Caspienne ~it fossile de l'üuzboy), et aujourd'hui, les canaux d'irrigation du nord du Turkmenistan (fig.20 : le col apparaît bien aussi sur la fig.15, au niveau du mot « Tchink »).
51
La coïncidence presque parfaite entre les possibilités de l'évaporation et la morphologie du sud de l'Aral n'est sans doute pas fortuite. Notre Aral « maximal à 70-75 m d'altitude» n'a pas d'exutoire possible vers l'est. Mais en 1875 encore, l'Aral possédait une baie, Aiboughir, devenue plus tard le lac Soudoche dont le rivage sud atteignait presque ce « col» en 1950. Le rivage sud d'Aiboughir se trouvait à 61 m d'altitude, variant de deux mètres suivant les époques, ceci donc presque à l'altitude, à quelques mètres près, et à proximité (quelques km), du nord du «seuil», de ce «barrage», en quelque sorte, formé de matériaux fluviatiles de l'Amou Darya épandus en éventail vers le nord-ouest. Au nord de ce seuil l'écoulement se fait vers l'Aral, au sud -ouest, vers le lac Sary Kamysh, cette gigantesque annexe « fossile» de l'Aral et de là vers la grande vallée de l'Ouzboy. Etant ainsi posé le cadre de « l'aiguillage» de l'Amou Darya vers le nord ou vers l'ouest, nous allons examiner le scénario probable - ou possible- de la mise en place du lac Aral aux temps anciens et des péripéties de son histoire.
Figure 20. Le delta de l'Amou Darya avec la baie fossile de Soudotche et les bras anciens coulant vers l'ouest. La fig.23 est prise vers l'ouest depuis le ({K» de Daryalik.
52
Un scénario pour la naissance et la croissance de la Mer d'Aral. On aura noté plus haut que la poussée vers le nord des chaînes himalayennes avait causé des accidents tectoniques (faillesI8) ayant abouti à définir la structure grossièrement rectangulaire de l'Aral, qui furent façonnée ensuite par les actions éoliennes; ces actions ont aussi guidé l'écoulement des fleuves apportant l'eau depuis la ceinture montagneuse allant du Caucase au Pamir et aux Monts Célestes. On peut reconstituer les grandes lignes des évènements qui ont suivi. Dans un premier temps, à la fin de l'ère tertiaire et au début du Quaternaire, le Syr Darya se déversait au N de la dépression aralienne, a rempli le bassin Est, puis s'est ouvert le passage que nous avons observé entre la presqu'île de Koulandy et le môle que formait alors V ozrojdenie, et il a rempli la fosse ouest. Ce passage, invisible voici quelques années, se retrouve aujourd'hui à l'air libre (fig.14), sous forme d'un chenal d'une trentaine de km de longueur et de 300 à 400 m de largeur, pour une profondeur moyenne de un à deux mètres, au début de 200819. A cette époque lointaine, le delta de l'Amou Darya, au sud, n'était pas encore constitué, et le fleuve s'écoulait d'une part, peut-être un peu par la vallée de l'Akcha Darya, son bras oriental, formant un lac très peu profond dans une dépression au nord-est de la ville de Noukous (cf carte), près du gros village de Taktakoupir, au sud du petit massif collinaire de Beltau, dont nous parlerons au chapitre suivant. Il se joignait à cet endroit au bras le plus méridional du Syr Darya de l'époque ~a Yani Darya). Mais l'essentiel de l'eau de l'Amou allait, vers l'ouest et la Mer Caspienne, grâce au lac Sary Kamysh et à l'Ouzboy, ce vestige de l'ancien lit d'avant les glaciations, dont le cours s'étend sur 700 km. L'Ouzboy? Un mot encore sur cette rivière fantôme2o. Branche occidentale du delta de l'Amou Darya, elle fonctionna de manière continue pendant des millénaires, déversant d'une une bonne part du débit de l'Amou Darya vers la Mer Caspienne, au Quaternaire, puis sans doute intermittente dès que le delta actuel de l'Amou Darya fut constitué. L'ancienneté de 18 Celles-ci jouent encore aujourd'hui, comme le montrent les fréquents tremblements de terre en Touranie. Des mesures précises du niveau du sol montrent que celui subit des déplacements verticaux pouvant dépasser lcm par an, du fait de cette poussée himalayenne vers le nord (tectonique « globale ») 19 Etudié par P. Zavialov, 2005, in "Physical oceanography of the dying Aral Sea", Springer ed . Ce chenal a tous les caractères d'un ancien lit fluviatile, comme le Bosphore.. . 20 Voir les excellentes photos satellite (prises en 2002) données sur «Google Earth », dont la résolution atteint palfois mieux que 10m au sol.
53
l'Ouzboy, et la longue durée de son fonctionnement sont attestées par les caractéristiques de son lit et de sa vallée aujourd'hui pratiquement asséchée21. La morphologie de sa vallée indique sans doute possible que cette rivière morte a fonctionné (épisodiquement) pendant peut-être plusieurs millions d'années. Son étude sur le terrain n'a pas été reprise depuis les années 1960, en particulier du fait des difficultés d'accès, pistes difficiles sauf l'été, et innombrables tracasseries administratives du côté turkmène. Parvenu à la Caspienne dans des marécages salins inondés lors de la fonte des maigres neiges hivernales, son embouchure fut sans doute découverte par un certain Patrocle, lors d'une expédition sur la Caspienne racontée par Hérodote, et vraisemblablement utilisée à toutes époques par les marchands bactriens, puis arabes, allant en Occident depuis Boukhara, et réciproquement. Depuis l'Amou Darya, il remplissait d'abord le lac Sary Kamysh (fig.7), puis, de là, gagnait la baie de Krasnovodsk sur la Caspienne. Les déviations du lit de l'Amou Darya vers l'Aral, qu'elles soient naturelles ou provoquées par l'homme (voir chapitre 8) provoquaient épisodiquement son assèchement. Sa vallée sub-fossile est parfaitement conservée dans la traversée du désert du Karakoum, où elle forme des lagunes permanentes. La toponymie dans le coin SE de la carte de la fig.20 correspond aux sites anciens fortifiés. Noter le « couloir» et les possibilités d'écoulement de l'Amou vers le nord ou l'ouest. Nous estimons le débit de l'Ouzboy, aux était encore fonctionnel, à environ 10-15 km3 actuelle, ou de la Dordogne). C'est autant d'eau l'Aral, donc une des causes des régressions de ce
temps médiévaux, quand il par ann (celui de la Seine qui ne parvenait pas alors à lac.
Nous avons tenté de représenter, sous forme de « bande dessinée» (fig.21), ce qu'a pu être la mise en place de la structure hydraulique de la mer d'Aral et de ses annexes. Les rapports de ce lac avec l'Ouzboy et de là, la mer Caspienne sont admis par la totalité des chercheurs depuis deux siècles, et les divergences d'opinion qui subsistent concernent surtout les modalités historiques du détournement -ou non- de l'Aral vers la Caspienne, et surtout du rôle que l'homme a joué dans celui-ci. Voici donc une tentative de reconstitution de la mise en place de l'Aral, et de son évolution, en partant
21 Voir Létolle, 2000, Studia iranica, 29, 195-240; et Létolle, Micklin, Aladin, P1otnikov ,2007, Quaternary international. 173-, 125-136 (bib!.)
54
d'une époque ( pré-quaternaire, pour être prudent) d'un lac endoréique Pré-Aral, dont on ne sait rien- jusqu'à aujourd'hui...
- le
Au départ, donc, le delta de l'Amou Darya n'existait pas encore sous sa morphologie actuelle: le plateau d'Oust Ourt se continuait à l'Est par les collines de Beltau, et on a évoqué plus haut les buttes, restes de fragments de cette « digue naturelle» (cf. fig.IS) sous forme de quelques hauteurs de terrains tertiaires qui émergent des alluvions plus récentes et sont très visibles dans le paysage du delta. On trouve à leur base des restes de cordons littoraux, non étudiés, et correspondant à des transgressions anciennes.
Au cours des temps, à la fin de l'ère tertiaire - jusqu'à un ou deux millions d'années avant le présent - l'érosion progressive et presque complète de la barrière collin aire entre le Paléo-Aral au Nord et la vallée de l'Amou Darya, évoquée plus haut, et défléchissant le « Paleo-Oxus » vers le sud-ouest et la Caspienne a enfin permis au fleuve un passage direct vers le lac. A quelle époque? Peut-être un million d'années, peut-être moins.. .On n'en sait rien, faute de recherches géomorphologiques détaillées à ce sujet23. Peu à peu, les alluvions créant le delta nord de l'Amou Darya ont colmaté le débouché occidental de l'Amou Darya vers le Sary Kamysh et l'Ouzboy, faisant de ce fait monter progressivement le niveau du lac, et créant par la réunion des petits bassins alors plus ou moins séparés, (correspondant à peu près à ceux de l'Aral 2008), le grand lac dont l'Aral des années antérieures à 1960 donne une idée. L'exhaussement continuel de la «digue» ouest, par l'apport continuel des alluvions de l'Amou Darya (3 cm d'épaisseur moyenne par an)24, qui construisait peu à peu son delta, provoquait année après année la montée des eaux du lac et le débordement vers le SW du lac par dessus la dite digue en formation, matériaux meubles que la montée des eaux du lac érodaient facilement, facilitant ainsi le débordement de l'Aral dans cette direction. Dans cette compétition, le lac Aral de l'époque, gagnait peu à peu en superficie surtout vers l'est (fig.21). Mais soumis à une évaporation intense, comme on l'a vu plus haut, et compte tenu de l'apport en eau des deux fleuves, il ne pouvait grandir indéfiniment, sur une topographie très plate. On peut calculer que, même 23 Il y a des évidences
radiochronologiques
pour ce scénario:
Chalov
et al., Geochem.
Intem.,12, 1431-1438,1966; voir« Aral », Létolle et Mainguet, 1989, p.61. 24 L'Amou Dalya contient environ 3 g par litre de suspensions; avec un débit moyen de 60 km3 par an, cela représentait environ 200 millions de tonnes de dépôt solide annuel.
55
pour un apport atteignant 100 km3 par an
-
ce qui est considérable mais
plausible en période de déglaciation, - le niveau maximum pouvant être atteint est de l'ordre de 75m asl.. Dans ce «combat» entre l'exhaussement du delta par apport de matériel alluvionnaire «neuf », et celui de l'eau arrivant du sud, l'équilibre fut donc atteint quand l'altitude de l'exutoire atteignit 72 m asl, altitude, comme on l'a vu, de la plus haute terrasse de l'Aral donc, qui correspond précisément à l'altitude maximale que le lac pouvait atteindre. Il n'a sans doute fallu que quelques millénaires pour que cette terrasse se constitue. Ce fut l'époque dite du « Big Aral» de Boomer et al. (2000). Ce stade correspond vraisemblablement à l'époque du maximum de la dernière déglaciation, commencée vers 10 000-12000 ans avant notre ère, et qui se poursuivit pendant plusieurs millénaires. Le scénario présenté dans la figure 21 a pu se répéter plusieurs fois...
56
7 0:
Etat
initial
le « Paleo-Oxus I:
Fonte
(âge pré- glaciaire)
des glaciers:
l'Aral
II:
le delta de l'Amou
III
L'Oxus
IV:
Le remblaiement
continue
Darya
se remplit,
à développer
V:
et/ou
Sécheresse?
Le passage
VII: Kamysh,
Etat
ouest de l'Aral
et s'écoule
vers l'ouest,
recevant
le fiyr et l'Amou
insz!fJisamment
l'Aral
vers l'Ouzboy. le passage
vers le Sary Kamysh.
se remplit.
s'accentue
vers l'ouest,
se rétrécit à la baie Soudotche, l'Amou
largement
et restreint
se déverse presque
le Daryalyk l'essentiel entièrement
(déversoir de l'Amou
vers l'ouest) y creuse son va vers l'Aral.
vers l'ouest,
l'Ouzboy
fonctionne,
que l'eau du fiyr.
vers le Sary Kamysh
actuel:
mais
son delta,
prélèvements:
ne reçoit pratiquement
déborde
vers le nord et l'ouest
du delta de l'Amou
du fiyr et de l'Aral
VI:
creuse lafosse
le Sary Kamysh
progresse
lit. ; le déversoir
l'Aral
: le ,~r Darya
Il.
pour
se colmate; résiduels que l'Ouzboy
Figure 21. Reconstitution
ce lac s'assèche se déversent
et l'Amou
vers l'Ara4
se déverse entièrement
ce dernier
donne
un peu
redevienne fonctionnel.
des rapports Amou Darya- Aral.
57
vers l'Aral. d'eau
au Sary
La trace de l'ancien exutoire de ce «Big Aral» correspond à la baie d'Aiboughir, peu profonde, et qui se terminait au temps de ButakofT, vers 1850, au pied de l'éperon du plateau d'Oust Ourt ( le «cap Duana ») qui porte les restes de la cité ancienne (XlIIe-Xve s.) de Vazir-Devkesken près de Khiva (fig. 22).Cette baie est aujourd'hui occupée par des marais (fig.23) et le lac Soudotche, très peu profond, atU0urd'hui artificiellement recréé. Depuis lors, la sédimentation importante du delta de l'Amou n'a cessé de «mieux» colmater ce goulet, comme, d'ailleurs, elle a colmaté, près de Tourtkoul, le départ de l'ancien bras Est de l'Amou, l'Akcha Darya, premier débouché de l'Amou Darya vers le nord, et encore fonctionnel, dont la vallée était largement utilisée par les pasteurs au XVe siècle de notre ère (et réanimé au XXe)25.
Figure 22. La citadelle de Vazir, N.E de Khiva, sur le rebord (éperon du {( cap Dyana»),
25Yagodin v., 2002, Contribution
à la géographie...
58
Cah. Asie Centrale,
du Tchink
11-49.
L'épaisseur des sédiments du delta quaternaire de l'Amou Darya étant de l'ordre de 100m (forages), on voit que quelques millénaires ont pu suffire à réaliser la topographie du sud de l'Aral, et àjustifier une histoire hydraulique passablement compliquée, que les aménagements du XXe siècle n'ont fait que bouleverser, pourrait-on dire... Les « paléohydrologues » sont relativement d'accord sur ce scénario; reste qu'il faudra des années de recherche pour le confirmer et le préciser.
Figure 23. Vue du départ du Daryalyk vers l'ouest, depuis la limite Nord des sables du Karakoum . Le rebord du Tchink portant le site de Vazir est au fond à droite. La photo est prise depuis le Kde Darya Lyksur la figure 20.
En tous cas, l'Aral n'a pu atteindre cette hauteur de 70-75 m pendant l'époque historique, disons depuis 3000 ans. L'Aral n'ajamais dépassé la cote 59 m, comme le prouvent les données archéologiques (recueillies par BorofIka, 2004 et Yagodin, 2002), et il n'y a pas de traces sur le terrain
59
il
comme quoi la baie d'Aiboughir, cartographiée avec précision seulement depuis 1850 par Boutakoff, comme la série de petits lacs qui lui ont succédé (lac Sudoche...) se soient déversés vers le lac Sary Kamysh pendant les deux derniers millénaires: il aurait fallu que l'apport des fleuves approchât 100 km3 par an, au moment de la déglaciation voici environ la 000 ans, ce qui aurait laissé des traces sur tout le pourtour de l'Aral, ce qui n'est pas le cas. Le rôle de l'homme dans la diversion (partielle) de l'Amou Darya vers la Caspienne est primordial, depuis l'antiquité classique jusqu'à nos jours.
Pourquoi les sables éoliens n'ont-ils pas comblé l'Aral? Les ergs sableux entourent l'Aral de trois côtés (le quatrième à l'ouest, Oust Gurt ayant perdu sa couverture sableuse depuis très longtemps, balayée par les vents sibériens dont la limite Sud ne se trouvait, pendant les maxima glaciaires, qu'à quelques centaines de km au nord du lac Ara126). L'Aral ne contenait alors sans doute que peu d'eau, car les précipitations qui alimentaient les deux grands fleuves en époque tempérée, restaient stockées sous forme de glace dans les très hauts massifs d'Asie Centrale: Pamir, Alai, Tian Chan, Karakorum...). Nous avons évoqué précédemment l'érosion éolienne qui transportait vers le sud les particules ayant constitué, au cours du Quaternaire, les grands ergs du Kyzyl Koum et du Karakoum et, plus loin, la ceinture de loess qui festonne la limite de la ceinture montagneuse de la Touranie. Au nord de l'Aral ne subsistent que de petits ergs, presque entièrement érodés, au sable mouvant: sur la route de la Volga à l'Aral, le petit erg de Sam qui vit des caravanes entières englouties, fut redouté jusqu'au XXe siècle commençant. Le vent emporta aussi, plus tard, les sédiments araliens anciens, dont il ne reste rien en surface, sinon quelques éléments très douteux.. Les grands ergs ont fossilisé les tracés fluviaux anciens, et seul l'Amou Darya a bien résisté à l'engloutissement. Les bras d'une moindre puissance, comme le Kuwan Darya, la Yana Darya ( bras anciens méridionaux du delta du Syr Darya)27, l'Akcha Darya, déjà évoqués, et peutêtre le Syr Darya lui-même, se sont péniblement rétablis après la 26 Mainguet
M., Létolle R., Dumay F., 2002.Le système régional d'action
éolienne du bassin
de l'Aral. CR Geoscience 334, 475-480,2002. 27Le Kuwan Darya est un bras du Syr Darya, qui se détache du cours principal Grda et sejettait dans la fosse ouest de l'Aral, au SW de Novokazalinsk. et alimente des prairies au travers des dunes du Kyzyl Koum.
60
près de Kzyl
Il a été remis en eau
déglaciation, entre les faisceaux de dunes. Plus tard, les hommes les y ont aidés28. Mais pourquoi la cuvette de l'Aral n'a t-elle pas été comblée elle aussi par les sables éoliens issus du Nord? Vraisemblablement parce qu'il n'y a pas, au sud, de barrière de reliefs suffisants pour freiner le mouvement du sable. Seules les montagnes encerclant très au sud la grande dépression aralienne (Khopet Dag etc.) furent, comme atÜourd'hui, une barrière suffisante contre la progression des sédiments éoliens, dont les éléments les plus fins ont constitué la ceinture de loess fertile qui cerne l'Asie centrale exsoviétique (fig.24). Nous avons abandonné un instant les terrasses araliennes englouties avant 1960. Certes, elles signalent des régressions anciennes du lac. Mais pourquoi et comment se sont-elles produites? Sont-elles liées à des causes naturelles, (climatiques: époques de sécheresse accentuée) ou anthropiques (prélèvements pour l'irrigation, détournement de l'Amou Darya vers l'Ouzboy via la Caspienne, comme on l'estime généralement) ? Il y a, on le verra, dispute entre les deux écoles de pensée. Comme toujours, la réalité doit être à mi-chemin. En tous cas, ces terrasses représentent des époques où le niveau de l'Aral était à peu près stationnaire.. .Le problème des régressions anciennes de l'Aral, pratiquement jamais abordé jusqu'à la fin du XXe siècle a exercé la sagacité des chercheurs soviétiques pendant une vingtaine d'années, et a repris son actualité avec la catastrophe actuelle, et la venue de chercheurs de nombreux pays, hydrologues, micropaléontologistes et archéologues. La découverte d'anciennes cités jadis englouties a renouvelé le problème. Il justifiera un chapitre entier. En attendant, nous convions le lecteur à une visite « touristique» de l'Aral, un «tour du lac », qui lui permettra de se faire une idée de l'état actuel de la « Mer d'Aral »29
28 Voir: FAO, Dtyland
development
and combating
desertification,
1995,203
p: analyse de
120 ouvrages relatifs à ces problèmes. ( existe en français) 29Voir le site Orexca : nombreuses illustrations et cartes détaillées du sud de l'Aral.
61
$CoIlu\<>s d' Oula\rt"u
,.." W
48N
44N
, !TIITJ
4
....
.0 5~
~
I f.. 71:"°",<".><>4<:;, 8;r>aloud '"
66~ 1
~
(3349m)60 E
~O'"
'
g
Figure 24. Le mouvement des sables autour de l'Aral: l :Aral 1950; 2 : régions de dunes; 3 : rivières fossiles ou temporaires; 4 : mouvement du sable; 5: zones d'accumulation actuelles,
62
4
Un voyage
autour du lac
I
L N'Y A GUÈRE de spectacles grandioses sur l'Aral, et leur accès, facile voici dix ans, l'est beaucoup moins aujourd'hui, du fait de la fermeture de la frontière entre Kazakhstan et Ouzbekistan, frontière que le régime soviétique fit passer dans la plus grande largeur de l'Aral, coupant d'ailleurs en deux l'île de V ozrojdenie (Resurrection), dont il sera longuement question plus loin dans ce livre. Ce n'est, dans un univers où les platitudes des fonds asséchés et d'anciens rivages abandonnés prédominent, que dans quelques lieux très précis que le voyageur ressentira des impressions inédites. Pour fixer les idées, disons qu'une «circumnavigation» d'une contrée bien plus proche de nous, et surtout beaucoup plus accessible, telle que le pourtour du chott El Djerid en Tunisie, apportera des impressions assez proches de celles qu'on éprouve sur le pourtour de l'ex-mer d'Arapo. On ne s'étonnera pas cependant que les anciens voyageurs aient pu s'extasier, après la pénible traversée du plateau désolé de l'Oust Ourt, sur la vision à l'infini de la superbe "Mer Bleue" :« Sineie more» en russe -elle l'est encore-, que le célèbre explorateur de l'Himalaya Sven Hedin, au tournant du XXe siècle commençant, longea quelque temps et trouva, lui, maussade et sans intérêt: «Pendant de longues heures, j'attends avec impatience l'apparition de cette nappe d'eau. Enfin, je vais voir autre chose que du sable, autre chose que cette infinie perspective jaune! Hélas! la plus profonde désillusion m'attendait. Sur le bord de la mer c'est toujours la même aridité désertique. Nulle part un rocher pittoresque, nulle part un horizon intéressant: rien que des dunes, et encore des dunes. L'été,
30Ce récit est une synthèse de plusieurs"
circumnavigations"
63
récentes de l'Aral.
desséchés par le soleil, les sables s'envolent sous la poussée des vents et sans cesse resserrent le domaine du lac, constituant ici des bancs, là de longues sèches qui peu à peu ferment les baies déjà ouvertes et en tracent de nouvelles. Jusqu'à une très grande distance du rivage, la profondeur est très faible: cinquante cm à un mètre; pour abréger leurs étapes, les caravanes passent à gué les golfes situés en travers de leur route » Hedin exagérait.. .Son itinéraire le faisait passer à Aralsk, alors ensemble de quelques cahutes auprès du terminus provisoire du chemin de fer transaralien depuis l'Oural, alors en cours de construction, fond de golfe au littoral bosselé et parsemé de flaques blanchies par le gypse.. Le voyageur suisse H.Moser31, lui aussi, après s'être extasié devant la richesse faunistique du delta du Syr Darya, fut déçu quand il arriva à la baie d'Aralsk: «Là, sauf quelques mouettes qui planent au-dessus de la vaste nappe d'eau, tout est mort et d'une infinie tristesse: ni montagnes ni végétation ne viennent varier la nudité de cette solitude... ». D'autres ont aimé l'abord du lac, comme le peintre Vereschaguine, qui avait écrit en 1873 : « ... Cependant nous avancions vers le sud: le steppe (sic) devenait un peu moins nu. Nous vîmes quelques buissons, puis une échancrure de rivage, puis un ruban d'eau bleu sombre. Nous étions au bord de la mer d'Aral, à quatre vingt cinq kilomètres du fort Kazale32... Sur la grève étaient posés de grands oiseaux au plumage noir sur le dos, blanc sous le ventre; les mouettes volaient ou nageaient, et des bandes de canards barbotaient joyeusement dans les petites baies et les mares du littoral... ». Mais Aralsk, même aujourd'hui, n'est guère un site pour touristes avides de beaux paysages... Notre «circumnavigation» (Fig.25), dans le sens des aiguilles d'une montre, suivra la rive escarpée de l'ouest, puis les échancrures de l'ex-côte nord, et redescendra par l'ex- rive Est, suivant approximativement la limite du « désert» de Kyzyl Koum, avant de rejoindre le delta de l'Amou Darya au sud-est. En gros, la ligne de côtes d'avant 1960 peut être divisée diagonalement en deux parties NW' -SE: l'une, escarpée, de Muynak à Aralsk, à l'ouest et au nord-ouest, est bordée de falaises; l'autre, à l'est, est basse et sablonneuse. En fait, désormais, la totalité des rivages est ourlée par la zone émergée, sable gris jaunâtre avec ça et là, un tapis de coquilles de Cardium, et des mares (solontchaks) desséchées où se déposent les sels.
31 H. Maser, 1882, A travers l'Asie Centrale, Plon, 381 p. ; B. Vereschaguine, l'Asie Centrale, revue" Le tour du monde",p.200. 32Futur Kazalinsk, près de l'embouchure principale du Syr Darya .
64
1873, Voyage ds
Nous partirons de la capitale de la région (oblast) du Karakalpakistan, Noukous, au sein de la platitude- apparemment très verte au printemps- du glacis de l'énorme delta de l'Amou Darya. Noukous est une très grande ville, capitale de la république autonome du Khorezm, très soviétique (elle fut créée en 1932 sur l'emplacement d'un ancien fort khivien), très développée par le régime soviétique qui en fit une sorte de «vitrine ». Larges avenues, énorme faculté des sciences, banlieues interminables où les immeubles HLM voisinent avec des bicoques habitées par de pauvres gens immigrés de leur campagne dévastée. On reviendra sur cet aspect du « Pri-Aral ».kazakhouzbek.
Figure 25. L'itinéraire. Tiret: parcours; croix: frontière
Plus de 100 km nous séparent de Koungrad, dans une mosaïque de terres verdoyantes ~e coton), parmi de vastes étendues blanchâtres: le gypse, ressuyé d'anciennes terres de broussailles et d'herbes du fait de l'évaporation des eaux d'irrigation. Des canaux de toutes dimensions, parfois délabrés, parfois en état. Ca et là, des bâtiments agricoles abandonnés...
65
On parvient à Koungrad, gare immense qui paraît morte, wagons rouillés; énormes bidonvilles qui évoquent ceux d' Mrique du nord ou du Proche-Orient, ponts effondrés sur les bras secondaires de l'Amou Darya. Le delta du fleuve est à peine marqué de quelques buttes de terrains anciens, que nous avons signalées précédemment, souvent surmontées de ruines de tous âges, et d'où l'on voit à l'ouest, le rebord bien net du plateau de l'Oust Ourt: le Tchink33, jaunâtre, et qui se perd à l'horizon. Celui-ci, en grande partie désertique, où l'herbe peut survivre quelques semaines avant de se dessécher, se poursuit pratiquement sans interruption depuis la vallée de l'Ouzboy, par 57 °30' N et 42°30' W, encerclant la dépression du lac Sary Kamysh, lançant un éperon vers le SE près de l'ancienne ville de Urgench,(fig.III-lO) et portant les ruines, déjà évoquées, de l'ancienne capitale, Vazir) qui domina un temps la partie ouest du delta de l'Amou Darya. Sur plus de 200 km, avant qu'on atteigne Muynak (Mouinak),
l'escarpement du Chink ravins creusés horizontaux.
dans
(<
falaise ») se verra loin à l'ouest, entaillé de
la roche,
essentiellement
faite de bancs
calcaires
Ce n'est qu'au vOlsmage de l'ancienne île, où la cité et ancien port désormais célèbre, Mouynak (figure 26), fut bâtie dans les années 1930 sur une langue de sable émergeant de la platitude du delta, où le rebord du Chink s'abaisse quelque peu .Les abords du bourg sont parsemés de canaux et de mares couverts de roseaux où pullulent oiseaux et moustiques. Un énorme panneau de style soviétique annonce la ville. A l'ouest de la ville, sur le haut de la modeste falaise d'où la vue s'étend à l'infini sur le fond desséché de l'Aral, pourtant bien vert..., le gigantesque monument à la mémoire des combattants de la guerre 1941-1945.
33Le « tchink»
est le nom de tous les escarpements
falaise ouest de l'Aral.
66
de Touranie
; avec une majuscule,
c'est la
Figure 26. Vue aérienne
de Mouinak
(1991).
On visite l'hôpital, bien tenu, où le directeur est tout fier de nous montrer la photo de la reine de Suède, qui vient de visiter l'établissement; dans les salles, des mères en fichu veillent sur de jeunes enfants alités. Puis visite de la conserverie, qui tourne au ralenti, et dont le directeur nous montre, dans une vitrine, les boîtes de ses produits, expédiés dans toute l'Asie Centrale. Passage à l'ancien port de pêche d'Ouchsay (Uchsaj), qui était désert lors d'un précédent voyage voici quelques années avec ses hangars à poissons comme le village qui paraît abandonné. Aujourd'hui, il est envahi par les ouvriers du gaz. On accède au plateau par une vallée que parcourait la route ancienne, fort raide, des caravanes venant de la Volga et de l'Oural. Le chemin de fer «transaralien », aujourd'hui désaffecté, faute de trafic, l'utilisa en 1970. De là haut, on voit jusqu'à l'horizon l'étendue jaunâtre du fond asséché de l'Aral, où pointent les derricks de forage, à l'époque de ce voyage en période de reconnaissance géologique. Nous faisons vers l'ouest une courte excursion sur le sommet quasiment plat du plateau d' Oust-ourt jusqu'au village de Komsomolsk-na-Oust-ourt, jusqu'à la voie du chemin de fer transcaspien, qui se perd de chaque côté, à l'horizon, dans une poussière jaune. Il y a quelques arbres, et, à quelque
67
distance paraît-il, un camp de concentration ouzbèke. Sans nous attarder, par prudence, nous retrouvons la piste qui longe le tchink (fig.27).
Figure 27. Le !chink près du cap Aktioumsik.
Un des aspects les plus spectaculaires de cette falaise, est celui de couches de terrains tertiaires bariolées, subhorizontales, de calcaire et d'argile, allant de l'Eocène jusqu'au Pliocène. Il y a très peu de vallées transversales, de thalwegs, en fait pas du tout de réseau fluviatile .Mais en beaucoup d'endroits existent d'énormes éboulements, avec des blocs atteignant des dimensions hectométriques (fig. 28). Certains sont anciens, et s'expliquent par des glissements des couches supérieures sur une semelle argileuse de l'éocène, accentués par les tremblements de terre qu ne sont pas rares dans la région (fig. 29). D'autres sont très récents, provoqués par d'anciens essais d'explosifs. Sur le plateau d'une horizontalité parfaite, on trouve sous forme de pyramides de roche broyée surmontant des puits où il est imprudent de s'aventurer, résultats d'expériences d'explosion souterraine, ayant traversé toute l'épaisseur de la falaise. L'âge des arbustes qui ont pris racine sur ces pyramides permet de dater ces traces d'expériences souterraines d'une quarantaine d'années. Le plateau herbeux est très légèrement vallonné et se perd à l'ouest dans l'Oust-Ourt. Il était voici quelques années jonché d'une quantité de matériels militaires abandonnés,
68
qui ont fait le bonheur de ferrailleurs clandestins ~a zone étant en principe interdite sans laisser-passer spécial), couvert d'une herbe abondante au printemps, montre des phénomènes karstiques nombreux, dolines et avens, encore très mal connus, avec parait-il, de véritables lacs souterrains... et des poissons. La petite antilope saïga se rencontre assez fréquemment, en troupeaux itinérants, qui se sont reconstitués depuis le départ des militaires. Ici et là des tombes sarmates, simples rectangles de dalles de calcaire dressées, témoignent de la fréquentation pluri-millénaire de l'Oust Ourt par les bergers. Ceux-ci sont peu nombreux aujourd'hui. La piste continue vers le nord, s'écartant parfois un peu du rebord de la falaise. Le plateau de l'Oust Ourt, à notre gauche, est largement couvert d'herbe et est légèrement vallonné. Quelques incursions nous amènent vers un puits, et, plus loin, vers la ruine d'un mausolée entouré de quelques tombes. Il y a là une petite équipe d'archéologues de Noukous qui travaillent sous le soleil déjà bien chaud, à dégager un squelette qu'entourent divers objets, fragments de céramique; mais cette tombe a dans le passé été victime de prédateurs...
Figure 28. Bloc de falaise écroulé sur le tchink. environ 30 m de haut.
69
Figure 29. Coupe géologique du Tchink.Lesblocs effondrés vers l'est sont emballés dans des argiles paléocènes (début de l'ère tertiaire) qui glissent vers la Mer d'Aral; largeur de la coupe, entre un et trois km.
A quelques kilomètres à l'ouest de la piste du bord de la falaise, on voit les pylônes de la ligne à haute tension qui suit le tracé du pipe-line qui amenait le gaz naturel de Gazli, près de Boukhara, (et qui exporte maintenant celui de l'Aral).
Figure 30. Saiga courant sur l'extrême bord du tchink.
Des fragments de route goudronnée qui s'enfoncent vers l'Oust Gurt, accompagnés d'un cortège de poteaux télégraphiques désuets d'où pendent les fils: témoignage de sites interdits à l'époque soviétique, où il n'est pas 70
prudent de s'aventurer parfois.. .
aujourd'hui.
Notre petit compteur
Geiger s'affole
Voilà un troupeau de gazelles, qui s'enfuient devant nos voitures.. .Pas question de les rattraper sur ce terrain cahoteux. L'une reste à la traîne, épuisée, et se couche (fig.30). C'est une femelle, haletante, qui est pleine. Ses yeux se ferment à demi. Nous lui donnons à boire, ce qu'elle accepte volontiers, puis se relève et repart au petit trot rejoindre ses congénères. En 1998, la frontière avec le Kazakhstan était déserte, marquée par une épave d'avion bimoteur aujourd'hui disparue, et, en contrebas, par la station militaire (fig.31) et le petit port artificiel de cap Dyana, en relation avec l'île V ozrojdenie, toujours invisible, et dont nous reparlerons en détail. Atteinte depuis le plateau par une piste acrobatique en ciment, il ne restait voici quelques années de la station que des ruines de casernes et de bâtiments en partie détruits, et les traces de remblaiement d'entrées de tunnels au pied de la falaise. Il y eut un petit port qui devait desservir la station secrète de V ozrojdenie, comme en témoigne une ancre, trop lourde pour être emportée en souvenir. On se baigne, bien que l'eau fasse seulement 13 degrés. ..L'eau est claire ici, ce qui n'est pas le cas partout sur l'Aral... Sur le haut du cap, les restes d'un autre avion de transport écrasé. Aujourd'hui, la frontière est fermée, une station météo a été érigée du côté ouzbek, avec des postes militaires de part et d'autre de la frontière. On distingue maintenant vaguement à l'horizon l'étendue blanchâtre du gypse des nouveaux rivages de l'île Vozrojdenie, à quelque 30 km de Cap Dyana. Les levers de soleil y sont superbes.. .Nos visas pour le Kazakhstan nous permettent de franchir une frontière entre ce qui était voici vingt ans deux « républiques sœurs », mais dont les intérêts sont a~ourd'hui divergents. On ne passe plus, sans autorisation spéciale.. .ce qui ne gêne guère paraît-il, les contrebandiers. . .. Remontant vers le nord, la falaise s'infléchit peu à peu vers le nord-est, la piste traverse maintenant de petites vallées plongeant abruptement vers la mer, et où coule un peu d'eau, parmi quelques restes de neige (on est en mai.. .). De temps à autre, on trouve de petits enclos carrés de pierre brute, qui sont des tombes sarmates, plus anciennes que celles visitées auparavant. Peu à peu se distinguent au nord-est, à l'horizon, les profils violacés des anciens caps de la côte nord encerclant le golfe de Tchernitchev, d'un bleu profond frangé de rivages très blancs de gypse. Une vipère s'est accrochée à une roue d'une de nos jeeps.
71
La falaise s'abaisse peu à peu sur une large vallée occupée par un modeste ruisseau, encore en eau au mois de mai, et qui débouche sur la baie, où l'on découvre les restes d'une ancienne colonie de vacances. Un vieux kazakhe solitaire y a établi son gîte, vivant de sa chasse. C'est le premier humain que nous rencontrons depuis notre montée sur le Tchink, plus de 250 km plus au sud.. ..Sur toute cette longueur, court toujours à quelques kilomètres sur notre gauche la ligne sans fin des poteaux électriques qui s'écarte maintenant progressivement de la piste longeant le Tchink. La végétation devient plus dense.
Figure 31. Restes d'installations militaires au cap Dyana.
Les fonds de cette baie sont suffisants pour que la tranche d'eau y demeurât importante en 2005 (15 m). En 2002, une importante expédition financée par l'INT AS34 y a établi son camp et mené à partir de cet endroit des recherches approfondies en hydrologie, en sédimentologie, en botanique etc, travaux en cours ayant déjà permis nombre de publications. Un forage de plus de 11m a pu être effectué dans le sédiment de la baie, et les datations et résultats sur les fossiles recueillis (plancton essentiellement) permettent d'établir une synthèse provisoire de l'histoire des régressions et transgressions de l'Aral depuis la fin de la dernière glaciation: on y reviendra. Les carottages pratiqués ici dans les années 1980 par le sédimentologiste ouzbek v.I. 34 Intas : Organisme international
chargé des projets sur la gestion des eaux en Asie Centrale.
72
Rubanov, le fondateur de la géologie aralienne biomasse) ne dépassaient pas alors 4 m.
( qui n'avait pas étudié la
Poursuivant la route vers l'Est maintenant, on parvient à la presqu'île de Koulandy, à la végétation peu fournie, et dont les roches prolongent vers le nord les terrains les plus anciens de Vozrojdenie qu'on devine au loin par les reflets blancs du gypse sur fond de ciel bleu. En 2006,au delà d'une marge sableuse désespérément plate, Koulandy n'est plus séparée de cette île que par le canal de quelques hectomètres de large, que nous avons évoqué dans le chapitre précédent, et dont la profondeur moyenne est de lm environ, et ne dépasse pas aujourd'hui 3 m. Cette relique d'un lit ancien du Syr Darya vers le bassin ouest de l'Aral, a été étudiée par Zavialov, (2005) qui a modélisé les courants alternatifs d'est en ouest et inversement, et se fermera vraisemblablement dans quelques années ( cf. fig.14). Mais on ne peut pas y accéder pour l'instant en voiture, les terres émergées étant traîtresses. Les falaises sont maintenant jaune sale, émoussées, et dominent d'une trentaine de mètres l'immensité horizontale et blanche de gypse de l'ancien rivage, s'étendant jusqu'à l'horizon, et des plages avec de véritables tapis de coques, et parfois, de poissons momifiés dans le gypse.. La partie nord de la presqu'île est couverte d'un petit erg dont les dunes sont canalisées par le lit fossile d'un ancien petit tributaire issu du nord, et accueille à l'est le modeste village de Koulandy, jadis siège d'un petit port de pêche dont les installations ont disparu, démantelées par les ferrailleurs, et où le villageois subsistants vivent de l'élevage des chevaux et des chameaux. Ils bénéficient d'un forage profond dans les terrains aquifères crétacés, offert par les USA, qui déverse une eau un peu salée dans de petits étangs très pittoresques où s'ébattent des troupeaux de chevaux, noirs sur fond de sable jaune, et qui autorisent un bain fort apprécié, car le soleil « tape» très fort. Des villageois souriants prennent le frais à l'ombre. Il n'y a pas ici de pêcheurs, le hameau étant désormais trop loin de la mer, et chaque semaine, un camion apporte d'un village situé à 50 km au nord-ouest vivres et eau potable. Le village bénéficie aussi d'un relais de télévision et... d'une petite mosquée, don de l'Arabie saoudite. Koulandy marquait l'entrée d'une large baie, Tchebas, aujourd'hui presque fermée, dont le rivage ouest est formé par le petit erg signalé cidessus, et au nord et à l'est, par de modestes collines arrondies, relativement fournies en végétation. Depuis la fin 2004, la baie Tchebas est séparée du reste de l'Aral et va devenir un bassin évaporitique permanent dans très peu
73
de temps. Quelques épaves y subsistaient encore voici quelques années. Au fond de la baie, l'embouchure d'un autre modeste ruisseau apporte un peu d'eau jusqu'en juin, donnant une prairie marécageuse assez inhabituelle dans la région. En mai, la neige vient de finir de fondre. Il y a même un pont, et une fermette (avec l'électricité !) dont les habitants à notre approche courent se cacher... Enfin, rassurés, ils ressortent. Une jeune femme nous indique le chemin à suivre nous conseillant d'éviter de continuer sur le rivage boueux, mais de suivre la ligne à haute tension venue d'Aralsk... Ne suivant pas le conseil de la paysanne, nous nous engageons sur une mauvaise piste qui longe une côte relativement abrupte festonnée de terrasses jaunâtres. Le terrain que nous parcourons est tourbeux, avec de gigantesques roseaux et un étang où pullulent d'innombrables oiseaux, mouettes, cigognes et une foule d'autres oiseaux aquatiques. .. Nous tentons de passer quand même, et nous nous embourbons... Un de nos 4x4 va tirer l'autre hors de la vase.. .Nous devons finalement revenir en arrière, jusqu'à la fermette, avant d'escalader un arrière pays qui devient montueux, et apparemment plus verdoyant. Notre itinéraire suit maintenant une côte abrupte (fig.32), puis pénètre une vallée nettement plus marquée, qui se perd vers le nord, trace d'un ancien affiuent disparu de l'Aral. Les escarpements se prolongent jusqu'à l'horizon, preuve que les falaises de la côte ne sont pas dues, au moins entièrement, à l'érosion marine. Nous revenons prendre la piste plus sûre indiquée par la paysanne, et qui passe plus au large de la côte. La falaise a maintenant des formes arrondies, beaucoup moins spectaculaires que sur la rive ouest de l'Aral, et le paysage vallonné s'étale jusqu'à l'horizon vers le nord. La fonte des neiges permet sur ses hauteurs (près de 200 m) l'établissement de prairies temporaires relativement importantes, drainées par des ruisselets, dans un paysage qui, au mois de mai, n'est pas sans évoquer un peu le Connemara d'Irlande ( !); les troupeaux de moutons, avec parfois quelques vaches, sont assez nombreux. Cela, hélas, ne durera guère, l'été approche et les troupeaux vont partir en transhumance vers le nord dès juin. Du haut de la presqu'île (l87 m) apparaît au loin vers l'est la Petite Mer d'Aral, enclose au sud par l'ancienne île Kokaral, qui se perd dans la brume jaunâtre, avec, très loin un hameau de quelques maisons, toujours habitées, dont les toits brillent au soleil, sur l'isthme étroit qui, très tôt après le début de la régression, relia au " continent" l'île Kokaral qui s'étend au delà de l'horizon. La piste, très mauvaise, descend vers la baie Tchevtchenko. Le rivage émergé de la baie la plus occidentale de la Petite Mer apparaît, plate forme presque horizontale se perdant dans le lointain. L'herbe n'existe qu'en bandes concentriques, parallèles à l'ancien rivage, et correspondant sans doute à des zones où circule un peu d'eau souterraine. A quelques kilomètres, on devine des lagunes desséchées, brillant au soleil. Le rivage
74
nord de Kokaral se laisse distinguer au loin, masse informe beaucoup moins spectaculaires que la falaise du Tchink.
jaunâtre
Figure 32. Falaise de la côte sud de la baie Boutakoff, vue vers l'est.
Nous longeons maintenant la rive nord, bordée d'une falaise moins haute que le Tchink des jours précédents, rouge et jaune. Elle est très découpée en reliefs ruiniformes, formant des pinacles vertigineux, vus de près.. Sur la rive, les bancs de coquilles de Cardium alternent avec des passées de gypse. Mais attention aux fondrières qui nous ont valu quelque frayeur la veille... Kokaral au sud, se perd à l'horizon brumeux et jaunâtre. On retrouvera l'île sur sa face Est au sud d'Aralsk. Une piste acrobatique nous permet de gagner le sommet du plateau nord, où nous retrouvons, après la traversée d'un petit torrent sur un ponceau - miracle de la civilisation! -, le paysage vallonné et presque verdoyant observé après Tchebas. Nous campons là, sous un vent violent. Une vallée profonde s'enfonce vers le nord; des escarpements lointains: c'est le relief le plus important (400 m) dans un rayon de 200 km, au delà duquel commence l'immensité kazakhe, et, à quelque cent km, la petite ville de Tchelkar sur la voie ferrée. Les vallées secondaires sont relativement boisées
75
d'arbustes modestes... splendides. . .
Les levers de soleil sur le mIrOir de l'Aral
sont
Sur près de 200 km, nous n'avons pas rencontré plus de dix personnes, en trois ou quatre lieux différents. Les bergers sont en ce moment plus au nord, à la recherche de pâtures toutes fraîches..Aujourd'hui, direction Akespe, presque un chef-lieu, qu'on peut atteindre facilement depuis Aralsk, plus à l'est. La steppe est toujours vallonnée et relativement verte. Nous nous rapprochons peu à peu de la côte, toujours abrupte, entièrement percée d'innombrables ravins sans eau apparente. La petite Mer d'Aral, grise, à l'horizon. Il y a des citernes au bord de la piste, les bergers y abreuvent leurs troupeaux. On nous dit que dans un mois, la verdure aura pratiquement disparu. . . A l'horizon, la pointe qui ferme presque le bassin le plus occidental de la Petite Mer se termine par une falaise abrupte d'une vingtaine de m de hauteur, gris-jaune, et qui se prolonge vers le sud par une longue bande de sédiments, à peine visible au ras de l'eau. Elle ferme presque entièrement la partie ouest de la Petite mer, la baie Chevchenko35. L'estran, vaseux, nous contraint à poursuivre la route par le sommet de la falaise. La presqu'île a un sommet parfaitement plat, avec de vastes mares asséchées et de petits champs de dunes qui prolongent celui qu'on va voir un peu plus tard sur la cote N de la baie. Le tchink ici aussi est très spectaculaire, avec de hautes falaises ruiniformes, et de profonds ravins abrupts qui entament la muraille haute d'une cinquantaine de mètres (fig. 33).
35 C'était
avant la fermeture
de la Petite Mer (2004) qui a recouvert
émergée.
76
aujourd'hui
cette zone
Figure 33. Falaise
de la baie
Chevtchenko
(Petite
mer).
Une végétation arbustive assez fournie couvre ces approches d'Akespe dans une large vallée où se répand un petit erg issu du nord, et creusée par une rivière disparue. C'est la terminaison d'une étendue sableuse qui s'étend assez loin vers le Nord, les «sables de Barsouki », reste d'un grand erg quaternaire, qui envoie ses digitations jusqu'à la côte de l'Aral. Nous voici maintenant à l'extrême nord de la Petite Mer. Plus à l'est, apparaît la baie Boutakoff, qui prolonge ici aussi une ancienne vallée ayant également canalisé du nord au sud une étroite bande de dunes, entrecoupée de prairies témoignant d'un inféroflux non négligeable; des troupeaux y paissent. Le plateau se termine abruptement sur la Petite Mer par un abrupt de quelques dizaines de mètres, éventré par de nombreux vallons secs, et agrémenté d' « obélisques» croulants de roches jaunes et rouges, grès et calcaires donnant d'énormes éboulis. Akespe (fig.34) est, toutes proportions gardées, un gros village, jadis notable port de pêche. Les maisons, basses comme partout ici, aux toits presque plats, sont pratiquement matelassées de fagots qui les protègent des vents d'hiver venus de Sibérie. Le château d'eau, sorte de grand bidon cylindrique perché sur un haut mât, est vide, et la citerne souterraine qui en tient lieu est sous clé : pas question de gaspiller l'eau, comme c'était le cas à Koulandy. Les villageois nous observent, puis engagent la conversation.
77
Quelques barques subsistent sur l'ancienne plage, ayant suivi la récession du lac. Quelques vaches paissent une herbe maigre. Un peu au nord du village, un cimetière kazakhe, sans doute récent, dans une enceinte carrée de grès rouge, avec de petites" chapelles" rondes aux angles, donne un bon aperçu de l'architecture funéraire locale, très différente de ce qu'on peut observer dans des sites plus fréquentés. Les enfants sortent de l'école; ils sont une bonne douzaine et nous examinent avec curiosité; malheureusement, pas de bonbons à leur offrir. Le maître nous fait visiter la classe, simplement meublée, décorée de dessins des enfants et de cartes géographiques du monde. Certaines sont en anglais, offertes par une association étrangère: à Akespe, proche d'Aralsk, les visiteurs de pays étrangers ne sont pas rares. La plage, déserte, est frangée de cordons d'une végétation maigrelette, en bandes parallèles au rivage, et qui correspondent à des zones d'exfiltration de l'eau souterraine du plateau. Un vieux monsieur, ancien infirmier de la marine à Vladivostok, nous parle de l'état inquiétant des femmes enceintes - beaucoup de fausses couches, d'accouchements prématurés, de décès de nourrissons36. Il accuse le fait que trop de ces femmes, par négligence sans doute, boivent l'eau courante qui contient trop de sels de magnésium... et non celle de la réserve. Nous emmenons notre passager une trentaine de km au nord jusqu'à la petite ville ferroviaire de Saxaoulski, (réparation de locomotives) où il doit acheter des médicaments. Crevaison, au bord d'un immense solontchak... Et notre invité s'aperçoit qu'il a oublié sa liste de médicaments! Aralsk est trop loin pour qu'on fasse appel fréquemment aux médecins de la ville, et le brave homme fait ce qu'il peut.
36La situation s'est améliorée depuis ce voyage (1997).
78
Figure
34. La « rue)} principale
de Akespe.
Saxaoulski est une agglomération noirâtre, siège d'un atelier de réparation de locomotives. Elle a l'air misérable, avec ses rues encombrées de déchets. Un chien crevé. Des gosses nous jettent des pierres. On ne s'attardera pas, et, au travers d'une campagne bosselée où de minces ruisselets permettent un peu de verdure, nous campons au bord d'un solonchak entouré par un véritable tapis d'herbes et de fleurs, dont beaucoup de petites tulipes rouges, qui disparaîtront dans quelques jours. Un cube énorme de béton gît là, loin de tout; témoignage.. .de quoi, au fait? Au matin, nous gagnons le petit port de pêche asséché d'Aktioubek, davantage marqué que Akespe par la civilisation de cartons et planches de réemploi, qui lui donne un aspect de bidonville. La côte est maintenant une petite falaise jaunâtre, assez molle, d'une douzaine de mètres de hauteur, surmontée de petits amas de sable, restes de dunes balayées par le vent, avec une végétation d'herbes dures, et qui s'abaisse aux abords de la «grande» ville: Aralsk! Les cargos échoués des photos de 1991 ont disparu, démantelés. Du sable, du sable, et peu de buissons. Les routes goudronnées, apparaissent, comme la voie ferrée où halètent les lourdes locomotives diesel tirant lentement de longs convois de fourgons
79
et de citernes. Le trafic est intense. On retrouve la halte de chemin de fer que décrit Nourpeissov dans son livre (voir la bataille d'Aralsk au chapitre 9). On passe de la steppe jaunâtre, rase et clairsemée, aux petites maisons basses des faubourgs, avec leur cour où se trouvent presque toujours un petit arbre et quelques fleurs (fig.35). Le vent, jusqu'alors violent, est tombé, mais la poussière voltige de partout. Le centre ville se distingue par la quasi-absence d'immeubles à étages, jamais plus de deux. Gare cependant monumentale et décrépite, avec un large faisceau de voies, dont peu sont occupées, et une immense place vide, derrière, ancienne mare saumâtre comblée. Du monde dans les rues; marché animé apparemment bien pourvu en légumes, poisson et divers comestibles. Le carrelet est roi ; il y en a de très gros. Cinéma a côté, avec film d'Alain Delon (il y a aussi une marque de cigarettes qui porte son nom)...Plus loin, une sorte de souk où on trouve de tout, étoffes, gâteaux, Coca-Cola et imitations, quincaillerie, disques pirates chinois...et beaucoup de monde et de voitures -anciennes- dans les rues, alors qu'il n'y avait presque personne dans les faubourgs. C'est le matin, presque tout sera désert l'après-midi. Hôtel pour les touristes, grande entrée et capitonnages rouges de rigueur, personnel revêche. Mais chambres à peine aménagées, baignoire emplie d'un liquide rougeâtre; le robinet voudra bien cracher quelques litres d'un liquide cette fois jaunâtre.. Nous allons prendre une douche dans une sorte d'appentis de planches disjointes. Longue discussion avec le gardien. C'est la première fois qu'il voit des Français.. .Voici l'ancien port, maintenant bien célèbre, quai et hangars abandonnés et squelettes de grues, boue et quelques épaves subsistantes, maintenant soigneusement conservées, y compris dans le chenal ouvert dans les dernières années de survie, tout cela illustré par des dizaines de photographes. Nous décrirons ultérieurement l'épopée de la Petite Mer depuis 1970 et les efforts pour sa réhabilitation. Mais, en 2006, l'eau est encore à 20 km au sud, où s'ouvre un horizon de poussière gris jaune, avec, sur la droite, quelques mamelons dénudés et une petite mosquée. De l'autre côté de la ville, un cimetière envahi par le sable...Le jaune est la couleur dominante, partout, en ville comme au dehors.. . Petite visite encore au marché, près de la gare monumentale, et qUI évoque un peu les souks des pays musulmans, avec beaucoup de monde.
80
Figure
35. Entrée
d' Aralsk.
Le maire d'Aralsk nous reçoit, et nous explique la manière dont il espère sauver «sa» Petite Mer. Cet homme est un colosse, ingénieur pétrolier de formation - et aussi propriétaire d'une fabrique de chaussures; on sent qu'il a foi dans son projet de construction du barrage, en dépit des bien modestes moyens dont dispose sa communauté. Il va nous emmener visiter le chantier le lendemain, à quelque cent kilomètres au sud ouest de la ville. On quittera donc Aralsk vers le sud, laissant à gauche le bloc des casernes où les familles des militaires de Vozrojdenie attendaient maris et pères, en longeant l'ex-golfe d'Aralsk , sur la piste du sud qui traverse diverses lagunes résiduelles blanches de gypse, piste renforcée de diverses ferrailles
- dont
des radiateurs
de chauffage-,
avant
de s'engager
dans l'erg
qui longe le golfe, relativement bien fourni de végétation. Des arbustes (Artemisia), sur des hectares, semblent couverts de givre: c'est en fait du gypse souillé par le vent... Petite écart vers un camp de pêcheurs qui logent dans une roulotte à demi enfoncée dans l'eau, dont le niveau va et vient selon l'ouverture du barrage que nous allons visiter. Bref coup d'oeil sur le grand lac d'eau douce Kamylsibas, alimenté par un bras du Syr Darya" et où les pêcheries sont actives. Village de Bugun construit sur les dunes autour de sa lagune et sur la frange nord du delta: marais, canaux envahis de végétation, personne dehors à cette heure matinale. Des tombes, bien entretenues, dans les dunes autour du village. Enfin, voici le cours du Syr Darya, tumultueux et jaune-vert, enfoncé de quelques mètres dans des alluvions très instables, que nous traversons sur un étroit pont de bateaux, au dessus d'un déversoir à demi effondré- tout ceci sera restauré en 2005... A droite, les ruines de la tour métallique portant le phare qui signalait jadis l'embouchure du fleuve sur l'Aral. Et on parvient à
81
la grande digue qui, depuis 1992, sépare la Petite Mer de la Grande Mer. On en reparlera longuement dans ce livre: aujourd'hui (2008), elle est en béton, et a beaucoup changé depuis la frêle jetée de sable d'il y a quelques années (fig. 36) mais le paysage ambiant est resté le même. Du côté Est, le marais, touffu, en cours d'aménagement et d'assainissement; au sud, l'étendue plate et quasi désertique de l'ancien lit, où serpente le flot du trop plein de la Petite Mer, au nord, l'étendue de l'eau en ce moment couleur vert pistache. A quelques km vers l'ouest, au delà de la piste qui forme le sommet du barrage, nous allons jeter un coup d'œil sur la modeste falaise jaunâtre (toujours le jaune...) de Kokaral, qui se perd vers l'horizon, et qu'on devine sur la figure 36. Des ouvriers s'affairent à colmater des brèches dans le sable qui constitue l'essentiel du matériau de la digue, en y apportant des fagots de bois mort: le vent de la nuit a fait s'écrouler une partie de la chaussée, qui est une simple trace dans le sable sur le sommet de la digue. Un orage s'approche. Le maire expose ses espoirs d'un financement convenable: il a peu de moyens, son matériel de travaux publics est périmé; surtout, il n'a pas l'appui des autorités administratives au dessus de lui. Il « croise les doigts» pour que sa frêle digue de sable tienne jusqu'à ce que des moyens modernes lui soient alloués. Il devra attendre plusieurs années et la catastrophe qui coûta la vie à deux ouvriers pour qu'il soit entendu...
Figure 36. La première digue de la Petite Mer (état en 1999)
82
Déjeuner à proximité, dans un petit village agricole. Nous sommes reçus royalement par la municipalité locale. A l'heure des toasts notre compagnon de voyage, diplomate de l'ambassade de France, assure M. le Maire qu'il a tout son appui pour l'obtention des crédits internationaux et la réalisation d'une digue « en dur ». La promesse sera tenue. Re-traversée du Syr-Darya sur un autre pont de bateaux; le fleuve aux eaux grises et boueuses et au courant rapide paraît bien modeste: il est vrai que loin en amont, le grand barrage de Chardara, à la frontière de l'Ouzbekistan, retient une bonne part des eaux de fonte des neiges dans le lointain Tian Chan. Nous parvenons, sortant d'une campagne maintenant bien cultivée, à Novokazalinsk, ville de 30 000 habitants, sans caractère, au quadrillage de rues avec arbres plutôt malingres. La gare est le monument le plus caractéristique. L'activité y est intense. Hôtel aux fanfreluches rouges toujours, d'énormes portraits de sommités, et t01.~ours une eau jaunâtre dans les lavabos aux robinets détraqués - comme les chasses d'eau, qui fonctionnent au goutte à goutte. Il faut enjamber les tuyaux du chauffage dans les escaliers... Une inspection rapide des arrières de l'hôtel fait penser aux taudis qui formaient, jadis, la "zone" parisienne... Un seul endroit pour abreuver les voitures en essence, sur la grand route Aralsk-Kzylorda, à partir d'un camion citerne privé: le réseau officiel ne fonctionne pas. Dans un garage sommaire, on nous répare deux de nos roues de secours abîmées sur les pistes caillouteuses. Prudence désormais! Nous parvenons, après la traversée d'une campagne presque riante, à Kazalinsk, la première ville construite par les Russes après la conquête, beaucoup plus intéressante que sa voisine, et paraissant plus vivante. Les quais du Syr Darya forment une promenade ombragée agréable. Mais détail: beaucoup des arbres qui longent plus loin la route ont disparu, abattus clandestinement par les habitants ... pénurie de bois de chauffage, avec les systèmes de chauffage urbains déficients et la pénurie de charbon... A notre gauche, à quelque 150 km, en remontant le Syr Darya, (fig.37) se trouve dans la steppe la célèbre base de Baikonour.. .Nouvelle traversée du Syr, toujours sur un pont de bateaux. Bien que nous soyons en saison des crues (mai), le débit du fleuve reste modeste, confisqué par le grand barragefrontière en amont. La route, peu fréquentée, s'écarte du fleuve et s'enfonce dans une campagne touffue, un tougaï - espace de fourrés - en manteau d'Arlequin avec des parties déboisées pour les cultures entourant les
83
hameaux. Partout, des fossés, tous mal entretenus. route goudronnée.
Des enfants jouent sur la
Nous gagnons vers l'ouest l'ancien rivage par un mauvais chemin dans les fourrés. On le franchit sans que la végétation change réellement d'aspect, sinon que les arbres se font plus rares. La platitude autour de la piste sommaire qui court sur l'ancien fond du lac, est couverte d'arbrisseaux variés et de hautes herbes. Diverses expéditions allemandes étudient régulièrement l'évolution du couvert végétal et de la faune qui, progressivement, le colonise. Deux écologistes kazakhs nous accompagnent, de même qu'une voiture de la police de Novokazalinsk, car nous nous rapprochons de la zone frontière, avec ses passeurs clandestins plus ou moins paisibles, paraît-il. Nous approchons de l'ancienne île de Kaskagulan, et son village de pêcheurs, reconvertis en chasseurs, au moins ceux qui sont restés près de leur pittoresque cimetière Les lapins paraît-il abondent. Au delà, l'horizon sans fin vers l'ouest, où il n'est pas prudent de s'aventurer...
Figure 37. Les méandres du Syr Darya près de Kazalinsk. vus d'hélicoptère.
Nous reprenons la piste vers le sud. Le Kyzyl Kum s'annonce par de petites dunes isolées, qui finissent par former de véritables cordons, parfois couverts de buissons, et dont les couloirs qui les séparent sont fréquemment
84
marécageux. L'eau provient de l'éventail inextricable de petits chenaux issus de l'apex du delta. On parvient enfin dans un petit village ( Zouarbalek) où l'eau issue d'un bras sud du Syr Darya forme un petit lac où pêchent une nuée de gamins. C'était jadis le point le plus oriental du rivage de l'Aral, mais rien ne permet ici non plus de l'identifier. Les poissons semblent en mauvaise santé, beaucoup font du sang par l'anus... Un poste de police au village, où les uniformes nous quittent: on en retrouvera d'autres plus loin vers le sud. Il n'y a que quelques maisons basses, éparses, des arbres rabougris, des meules de paille, quelques champs. Nous naviguons maintenant au GPS, la carte au 500 OOOedonnant des tracés de la piste parfois inexacts de 5 km. On nous conseille vivement de contourner l'ancien golfe par l'est, la descente vers le sud au travers des fonds émergés du golfe étant problématique. A quelques km à l'est nous trouvons une sorte de minaret, en fait une tour de guet, restaurée. On est ici à un lieu de passage des anciennes caravanes, et les premiers explorateurs russes y sont venus voici cent cinquante ans, Ella Maillart aussi, dans les années 1930, en plein hiver, et elle y a beaucoup souffert. Nous suivons maintenant une mauvaise piste longeant plus ou moins, au travers de dunes pas très hautes, une ligne à haute tension en partie détruite. Tous les dix ou quinze km, une micro-oasis de quelques hectomètres de diamètre, autour d'un forage désaffecté d'où coule inutilement l'eau limpide de la nappe crétacée... Une faune abondante de petits rongeurs et d'oiseaux. On campera là, calfeutrés contre les premiers moustiques de la saison. Quelques tombes dans les dunes annoncent un village: en fait, une mare issue d'un forage, un bâtiment administratif vide et un certain nombre de granges et étables basses. Personne. Il y a une pompe préhistorique, toujours bien entretenue, sur un forage ancien. Plus un brin d'herbe aux alentours (fig.38). Quelques habitants apparaissent et nous indiquent la route - une mauvaise piste sableuse vers le sud ouest.. .Les dunes entre lesquelles elle sinue sont basses et portent de nombreuses touffes d'herbe coriace (Agrostis). Au bout d'une cinquantaine de kilomètres, nous voyons au loin des taches vertes: une petite oasis avec quelques arbres, un vrai jardin, avec des légumes! et trois bâtisses. Cet endroit doit être Aran-Kourgan. Les restes de la ligne à haute tension s'arrêtent ici. Il y a une station météo en bois avec un équipement désuet mais bien entretenu. Le préposé nous montre son installation. Il expédie matin et soir ses observations. A côté, son habitation de bois, un large balcon avec ses deux femmes assises et une ribambelle de gamins. Un peu plus loin, le poste de police avec quelques uniformes désoeuvrés, qui examinent rapidement et tamponnent nos papiers. Nos voitures à plaque diplomatique semblent les impressionner... Notre garde 85
nous quitte; maintenant nous voyagerons sans escorte jusqu'à la frontière ouzbèke. Un camion arrive du sud, avec à son bord un couple et deux enfants. La police s'occupe d'eux, tandis que nous allons visiter, à quelque distance, les restes complètement détruits d'un "camp de travail", qui se situait à l'époque près du rivage. On nous raconte qu'il a subsisté quelque temps après l'indépendance, que les prisonniers ont tout détruit quand ils sont partis, tout, y compris la ligne électrique Déjeuner à l'ombre des arbres, pour une fois. Et nous repartons vers le sud suivant les traces du camion: il en passe deux ou trois par jour: émigrants du Karakalpak. Les contrebandiers utilisent des pistes situées plus à l'est, sans gardes, sinon des patrouilles épisodiques. On nous a confié que ces pistes sont minées Le météorologiste nous dit que les derniers étrangers qu'il a vus, c'était quatre ans plus tôt, des Hollandais de l'ONU passant en hélicoptère... (souvenir de 1997). Il nous conseille de ne pas essayer de gagner le nouveau rivage à l'ouest: pas de piste, sol instable, et c'est trop loin pour qu'on vienne nous chercher en cas de besoin, même avec l'aide de la radio de bord. Reprenons la piste vers le sud. Les dunes, de plus en plus hautes, une vingtaine de mètres, s'organisent peu à peu en longs cordons qui s'anastomosent, et les creux sont fréquemment humides, parfois avec de l'eau libre frangée de gypse, de sorte qu'on ne s'aventure pas en dehors des traces du camion. De temps à autre, encore, un forage abandonné qui créée à ses alentours une mini-oasis. Il paraît qu'il y a plus de 50 000 forages comparables dans tout le Turkestan, dont plus des deux tiers sont aujourd'hui abandonnés: plus de troupeaux, jadis menés par des bergers" non-volontaires". Le soir tombe.
86
Figure 38. Pompe et forage
Nous suivons buissons, que la soigneusement la marques de roues, méandre d'un des occidental du Syr fut coupé ou remis
dans le Kyzyl Koum.
quelque temps une très longue lagune, bordée de hauts piste finalement traverse. Un d'entre nous inspecte trace devant les voitures Nous suivons lentement les et nous nous apercevons finalement que la lagune est un chenaux latéraux de la Yani Darya (fig.39), l'ancien bras Darya, qui s'en détache en amont de Kzyl- Orda, et qui en eau à diverses époques, au temps des khans locaux.
Figure 39. Bras asséché de la Yani Darya.
87
Nous campons dans un méandre asséché, ou presque, car sa surface gypseuse, assez lisse, est parsemée de "choux fleurs" de gypse, dépassant l m de haut, preuve de remontée d'eau dans les fissures de la croûte solide. La végétation est de plus en plus touffue, avec de superbes Ombellifères. Le sable est truffé de coquilles de Cardium. jusqu'à environ six mètres au dessus du niveau du gypse, preuve de l'avancée de l'Aral jusqu'en ce point dans des temps pas très reculés, géologiquement parlant. Nous sommes près de l'ancien archipel Akpeti - notre camp de la nuit devait d'ailleurs se trouver sur une de ses îles, d'après le GPS. Aucune trace d'ancienne activité humaine, de pacage... il est vrai que cette région était "zone interdite" aux temps soviétiques. Au matin, les sacs de couchage sont couverts de givre...Nous décidons de faire une reconnaissance vers l'ouest, car nous ne sommes pas très loin du rivage de 1960. Mais, au bout de quelques kilomètres, la piste étroite, boueuse, entre les roseaux qui cachent les abords, s'arrête au bord d'un chenal d'eau immobile. Par prudence, nous revenons sur nos pas et retrouvons la piste « principale », en fait une simple trace où le vent a déjà fait disparaître les traces des camions de la veille... Plus au sud, la région devient une vraie jungle! Oiseaux par centaines- dont l'''oiseau bleu" celui des légendes ?)- petits quadrupèdes traversant vivement la piste, lapins, et même un renard... Un gros champignon sur le sable! Encore un forage abandonné, créant cette fois une véritable prairie. Petit détour vers le point culminant de la région, marqué par une petite tour en treillis rouillé, pour une fois à sa place sur la carte, mais d'où l'on ne voit rien d'autre que le moutonnement des dunes avoisinantes. Le sable est devenu plus rouge. La route monte légèrement, car on approche du relief que constitue le petit chaînon de Beltau, prolongement occidental du Tchink de l'Oust Ourt dont il est séparé par le delta de l'Amou Darya. .. ..Et voilà la pluie. Prudence, car les interdunes sont parsemés de gypse «frais »,... Le mouvement des dunes, plus hautes, semble s'orienter vers le sud. Et l'on parvient enfin, sur le rebord du plateau de Beltaou, haut d'une centaine de mètres, et qui tombe en pente douce, arrondie, sur la large vallée est-ouest où s'écoulait voici quelques millénaires le bras oriental de l'Amou Darya, l'Akcha Darya, où furent retrouvées les traces les plus anciennes de l'activité agricole du Pri-Aral, trois mille ans avant notre ère. Nous sommes désormais en Ouzbekistan, et n'avons pas vu la moindre trace de la frontière. La vallée se perd vers l'est dans une fine brume de poussière; au sud, à une dizaine de kilomètres, se devine la limite nord des
88
sables du grand désert du Kyzyl Koum... Il y a quelques millénaires, un bras de l'Amou Darya se déversait dans cette plaine, y formant un lac. A l'ouest, au delà de la crête chauve adoucie de la petite chaîne du Beltau, se devine la verdure de l'est du delta irrigué de l'Amou Darya. Une cabane de berger apparaît sur un petit col, avec une petite mare entourée d'herbe qui marque, paradoxalement venant d'un" désert", la limite avec la plaine, grisâtre et poussiéreuse devant nous. Au pied de la colline, aisément descendue, des étangs marquent la limite extrême vers l'est de l'épandage des eaux de drainage de la région de Taktakoupir, à l'est de Mouynak, vers laquelle nous nous dirigerons maintenant. Le fond presque plat de la vaste dépression qui s'étend devant nous est formé d'une terre marneuse, avec à peine quelques tas de sable non consolidé. Il est cependant accidenté de nombreux chenaux aux rebords émoussés, parfois profonds de quelques mètres. Herbe sèche rare, nombreuses plantes épineuses. Ca et là, quelques ruines, des tombes, de petits mausolées en ruine, témoignage d'une région jadis habitée. Des serpents courent sur le sol.. Une tour isolée apparaît: c'est une autre tour de guet du moyen-âge, d'où l'on surveillait la venue d'éventuels pillards venus de l'est, et récemment étudiée par les archéologues locaux. Nous nous rapprochons de la civilisation: fossés pleins d'eau, et pas de ponts, ce qui pose quelques problèmes. Nous parvenons enfin au canal de fuite principal des terres irriguées, où la végétation est enfin abondante, et qui longe le rebord du Beltau. Quelques habitations modernes, et, peut-être, un monastère musulman. On hèle un habitant qui nous observe de l'autre côté, stupéfait de voir surgir ces deux voitures d'un désert vide. Et l'on retrouve, après plusieurs centaines de km, le bonheur d'une route goudronnée... En fait, nous avons franchi la frontière dans une zone apparemment non surveillée, en permanence tout au moins. Nous n'avons vu personne jusqu'à cette heure... La route, en très bon état, suit le pied de la colline de Butentaou, dont le sommet porte une station de télécommunications et des antennes de télévision. Les villages se succèdent maintenant, proprets, parmi jardins et vergers, tout cela étant encore bien poussiéreux. Une noce! On s'arrête et on est accueillis à bras ouverts, invitéssurprise arrivés de... Mouinak, mais par le grand tour !! Et, en plus, venant d'Europe. Quelques bouteilles de vin français soigneusement conservées jusqu'ici seront notre présent aux jeunes mariés. Depuis ce village, petite incursion vers le nord, en longeant la terminaison ouest du Beltau, aux pentes abruptes, en suivant l'ancien bras oriental de l'Amou, ici canalisé, dans une végétation touffue avec beaucoup d'arbres. Les rivages du lac Karateren, tout en longueur, reconnu par les Russes dès le milieu du XIXe siècle, sont couverts de roseaux de plusieurs 89
mètres de haut, comme l'était le lac Soudotche, à l'ouest du delta. Un chenal modeste évacue l'eau vers le nord, lui aussi noyé dans une brousse épaisse. Inutile d'aller plus loin, l'horizon est parfaitement plat sur 180 degrés, avec seulement ici et là quelques petits cordons de dunes en formation. (Le rivage, jadis à proximité, se trouve à...150 km au nord.). Retour vers Taktakoupir au sud par une route rectiligne, au travers d'une campagne bien cultivée, où le coton prédomine largement. Beaucoup de monde dans les champs. Un vieux biplan passe au ras de la route, vaporisant des nuages d'insecticide. Taktakoupir est un petit chef-lieu propret, aux avenues bordées d'arbres déjà anciens. Dernière crevaison. Le soir tombe. On arrivera sains et saufs, à la nuit, à Noukous (Fig. 40). Hors l'avenue magistrale, aux beaux immeubles modernes, hôtel, université, administrations, la ville, aérée, comporte surtout des maisons basses, derrière les rangées d'arbres qui longent les rues. Mais il manque parfois les plaques d'égouts sur les trottoirs, créant des puits dangereux non signalés la nuit. Un ami karakalpak nous dit « Tout ça, dans 20 ans, sera un champ de ruines ».. .Pas d'eau à l'hôteL.. Mais il y a à proximité de bons petits restaurants en plein air, où le mouton griIIé est délicieux. Un coIIègue khorezmien nous reçoit royalement: lui est archéologue, sa femme est spécialiste des lacs. Ils nous piloteront dans Noukous. Nous visitons le musée des «œuvres interdites par Staline », créé par Savitsky, (et qui fut présentée au vieux château de Caen voici quelques années) avec une belle collection ethnographique, et dont la conservatrice nous fait les honneurs: peu d'européens encore viennent le visiter, et encore moins de Français. Le lendemain, nous allons visiter, après la traversée de l'Amou Darya sur le gigantesque barrage de Takiatash" aux eaux jaunâtres,la ville de Khodjeli, sur la rive gauche de l'Amou Darya37, au marché très animé. L'abondance des légumes et des fruits ne reflète pas la désolation des campagnes que nous avons traversées à l'aller. On retrouve ici l'atmosphère des villes orientales. Plus loin les fouilles archéologiques sont très actives sur la petite colline nommée Giaur Kala, homonyme de celle située à Merv, au Turkmenistan. On creuse, on restaure, et les archéologues nous expliquent leurs trouvailles dans cette ville qui fut, un temps, capitale du Khorezm. Tout près, une mosquée ancienne, en cours de restauration, un cimetière aux tombes très caractéristiques, souvent très décorées, et qu'on restaure également. A quelques kilomètres, c'est la frontière du Turkmenistan, où nous ne pouvons aller, faute de visa pour ce pays, et, juste
37 Nombreux
sites internet:
appeler:
Noukous, Khodjeili...
90
derrière, le site de Kounya Urgench38, la « vieille Urgench », qui fut détruite par Tamerlan...
Figure 40. L'avenue principale de Noukous.
Nous remontons quelques dizaines de kilomètres vers le sud pour visiter les ruines d'anciennes forteresses khorezmiennes de tous âges qui parsèment le pourtour du petit massif montagneux de Sultan Dag (cf. fig.41 et 42) ; il n'y a pas grand chose à voir pour des non-spécialistes, que ces ruines de murailles de pisé millénaires, solitaires et impressionnantes dans leur désert, dans lesquelles nous campons à l'abri d'un vent glacial. Le matin, un épais brouillard cache le paysage, mais le soleil le dissipe vite, et nous pouvons contempler, à l'ouest, la plaine du delta, toute verte jusqu'à l'infini brumeux, et à l'est les franges du désert du Kyzyl Koum. Le lit réanimé de l'Akcha Darya passe à nos pieds, gros ruisseau d'une dizaine de mètres de large, aux rives garnies d'une épaisse végétation de tougaï où se dissimule toute une faune...
38
A ne pas confondre
avec l'actuelle Urgench,
près de Khiva, en terre ouzbek;
site un beau livre, édité au Turkmenistan..
91
il existe sur ce
Le voyage se tennine, retour à Noukous et à la civilisation. .Plus de deux mille km de circumnavigation de l'Aral, sans grands problèmes, avec des contacts humains toujours intéressants. Populations tranquilles, apparemment en bonne santé et nourris convenablement mais les malades sont à l'intérieur des maisons, et nous n'avons guère vus que ceux des hôpitaux de Mouinak et Aralsk: hôpitaux bien tenus, mais au matériel désuet. . .. Sans doute, les scènes filmées voici quelques années font- elles partie d'un passé déjà lointain...
-
Toutefois, il est bien clair que tous ces gens, dans les rares villages traversés, ont un " standard de vie" bien modeste, à la limite de la misère, sans qu'on voie d'amélioration sensible se dessiner. Quant au point de vue du touriste" ordinaire", hormis les scènes de la vie courante, le tour de l'Aral n'est guère propice à des contemplations inédites, si ce n'est celle des écroulements du tchink à l'ouest. Et, en fait, les autorités ne semblent guère favoriser le développement du tourisme39. Celui-ci est, pour l'instant, canalisé vers Khiva et Urgench et quelques citadelles anciennes du désert proche (voir chap. suivant). Mais l'étude détaillée de ces sites anciens, qui méritent le voyage, sortent du cadre de notre présente randonnée...
Figure 41. Le château
de Ayak Kala: à l'horizon, la partie SW du delta de l'Amou Darya.
39 Des courageux témoignent: cf les beaux albums de N. Descottes «Mer d'Aral », Ass. «Vue d'ailleurs », ed. ;V. Robinot, «Aralsk »,2000, Vue d'ailleurs, 2003 Hazan ed., Wortldkerros (travelpood.com, 2006), et quelques autres sites.intemet.
92
Figure 42. Ruine d'un
château
sur l' Akcha
93
Darya
( Angka
Kala)
5
L'irrésistible disparition
de l'Aral
Le déséquilibre du bilan aralien
de l'eau
La stabilité de l'Aral, lac endoréique, dépendait de l'équilibre « moyen» entre les entrées: précipitations, rivières, sources souterraines, et les sorties: évaporation, embruns, infiltrations par le fond. Les termes essentiels en région aride étaient, bien entendu, l'évaporation et les apports fluviatiles. Jadis, l'équilibre «moyen» autorisait des fluctuations à très court terme de l'ordre de Im- les marées étaient insensibles- et de 2 à 3 m pour des périodes de plusieurs années, selon la pluviosité et l'insolation40. La combinaison des apports en eau de surface importants en été, minimaux en hiver, explique que dans son état d'avant 1960 la Mer d'Aral présentait aussi une variation saisonnière entre 0.5 m et 1 m, qui existe toujours mais avec moins d'ampleur, compte tenu que les apports de surface sont, depuis cinquante ans, déterminés par l'action humaine. De là l'existence d'îles temporaires sur la côte est, la plus basse. Deux stations hydra-météorologiques suivaient le niveau du lac, la première au cap Tigravir, au N de Mouinak, l'autre sur la rive Est où Tilho avait, dans les années 1870, érigé une borne repère. Depuis les années 1920, on y enregistrait également les variations de la salinité, celles de la faune et de la flore lacustres.
40
A noter que sur un grand lac, tel le Léman
simplement
le vent font que le niveau
de l'eau
ou l'Aral, la rotation
n'est pas horizontal.
95
de la Terre
ou tout
C'est évidemment la chute des apports fluviatiles qui a provoqué la régression de l'Aral (Fig. 43), et non pas la modification de quelque paramètre climatique que ce soit. Nous aurons l'occasion de discuter la théorie qui fait des variations climatiques des derniers millénaires (<
2tJ~M
var niveau
f
160
+,J I I +
ftO
t;;
,
80
~ +f!JD5 +
I/O f)
I
.f 1,'1911N
,If f899
l;f)
8 \, tt
de l'Aral
'+
'
I /
1
~ ~ ~ ~ ~ ~. - -
~ ~
~ ~ ~ '"
~
~ ....
~"'"
""
Figure 43. Variation du niveau de l'Aral sur 120 ans {niveau moyen donné comme 51.5 m)41.Sur l'espace d'un siècle. la variation a été de +/- 1 m environ.
Figure 44. Evolution de la surface de l'Aral.
41 Berg (Oeuvres complètes,
vo1.3, 1959), donne ces indications
antérieures: vers 1875: hautes eaux; 1825: faible maximum; 1860-1880: basses eaux.
96
minimum;
qualitatives pour des époques
1835-1850:
hautes
eaux;
1860:
Depuis les années 1950, les travaux d'irrigation en Touranie reprirent, après la pause imposée par la guerre et les besoins de la reconstruction en Russie d'Europe. En 1960 fut mis en service le canal du Sud Karakoum, qui prélèvera à l'Amou Darya, près de la frontière afghane, 10 milliards de m3 nets par an, ce qui correspond pratiquement à 90% de la consommation de la république turkmène: l'irrigation de ce pays désertique devait y développer la culture du coton - menée, selon les experts, en dépit du bon sens42. Peu après, entrèrent progressivement en service les stations de pompage du moyen cours pour l'irrigation de la région boukhariote, car l'affluent de l'Amou Darya, le Zerafchan s'était révélé depuis longtemps insuffisant. Il s'y ajouta ensuite de nouveaux prélèvements au niveau de Chardzou, plus près de l'Aral, et en Ouzbekistan, destinés à irriguer d'une part les abords du fleuve, ensuite toute la partie aval de la vallée de l'Amou Darya. Par ailleurs, on construisit dans les années 1950-1960 le grand barrage de terre de Chardara sur le Syr Darya, à la frontière de l'Ouzbekistan et du Kazakhstan, capable d'emmagasiner plus de 10 km3 au moment des crues de printemps. Ce barrage permit l'ennoiement d'une dépression voisine, celle de Aidarkoul, sur les franges du désert de Kyzyl Koum, sur l'emplacement d'un ancien lac salé grand comme le lac Léman, mais, en contrebas du fleuve, ce qui ne permet pas la restitution de l'eau au Syr Darya en période d'étiage43 !. Les eaux des deux fleuves étant basses en été, époque où le « roi coton» a le plus besoin d'eau, la construction d'une série de grands barrages en amont, tel celui de Nurek dans le Pamir tadjik, le plus haut du monde, fut réalisée44, dans une région de tremblements de terre fréquents et très intenses, qui provoquèrent en 1911 l'écroulement d'une montagne, créant le lac de Sarez, grand comme le lac d'Annecy, et qu'on surveille attentivement. De son côté, toute la vallée du Syr Darya fut barrée de la même façon. Les divers plans quinquennaux successifs prévoyaient que n'arriverait à l'Aral que juste de quoi irriguer les deltas. Les derniers barrages construits sur l'Amou furent celui du défilé de Tyouyayoumoun ( « la tête du chameau »), à 100 km en amont de Noukous, et celui de Takyatash, en plaine près de cette ville, ce qui nécessita l'établissement de plus de 70 km de digues.
42 Un proverbe
local dit-on, prétend
que «là où un peu d'eau fait du bien, beaucoup
est
encore mieux »... Les experts ont établi que les arrosages étaient en excès de plus de 50%. On a prétendu aussi que plus de la moitié des 4 millions de tonnes de coton brut produits en Asie Centrale étaient utilisés par l'Armée Rouge... 43 De ce fait, le lac Aidarkoul est devenu un lieu de récréation, et sur ses rives orientales.. .les riches de Tachkent ont fait construire de somptueuses datchas.... H Encore plus haut dans le Pamir, celui de Rogun, dont la construction,
commencée
en 1985,
fut interrompue en 1991 et reprise en 2004, à la suite d'un accord entre le Tadjikistan nations voisines. Construction discutée, du fait de tremblements de terre.
97
et les
De 1960 à 1970, le niveau de l'Aral ne se modifia guère malgré toutes ces retenues, les eaux souterraines des deltas agissant comme «tampons », mais la situation s'aggrava brusquement en 1970. L'abaissement du niveau de l'Aral ne fut pas pris au sérieux par le pouvoir central, mais commença à causer des problèmes, tarissement des puits, échouages dans les chenaux d'accès des deux ports Mouinak-Ushay et Aralsk, d'où nécessité de recreusement - aux frais des institutions locales d'ailleurs... L'abaissement de l'Aral provoqua par contrecoup le dessèchement des lacs, des deltas, ressource piscicole non négligeable. En 1980 il devint tel qu'on dut creuser un nouveau chenal entre les ports et la haute mer, et draguer le détroit de Berg (12,5m de profondeur en 1960), entre l'ex-île de Kokaral et le delta du Sir (cf. chap.15), avant qu'on y creusât qu'en 1992 un canal de 5 km sur 200 m de large et 2 m de profondeur. . . Les problèmes posés par la baisse progressive de l'Aral étaient bien connus des spécialistes locaux, agronomes et hydrologues, qui exposaient avec beaucoup de précautions oratoires dans leurs revues spécialisées les craintes que la régression de l'Aral provoquaient chez eux, alors que les techniciens se vantaient de leurs exploits. Quelques publications occidentales, dans les années 1980, commencèrent à évoquer les problèmes matériels créés par la situation, mais on ignorait tout des problèmes sanitaires aujourd'hui bien connus, liés aux poussières provenant des aires asséchées et à l'eau de boisson devenue toxique. Jusqu'alors, seule l'armée américaine surveillait de très haut ce qui se passait: il y avait eu déjà en 1960 l'affaire de Gary Powers, pilote de l'U2 qui photographiait de 20 km d'altitude les installations militaires secrètes de l'île Vozrojdenie et du site de lancement de missiles de Baikonour, 100 km à l'est de Kazalinsk (cf. chapitre 14), et qui fut poursuivi et finalement abattu par un missile soviétique dans la région de Sverdlovsk en Sibérie. Les satellites US prirent le relais, donnant des images d'une précision inégalée sur les progrès de l' assèchemen t de l'Aral. En 1987, la visite de l'Aral était encore interdite aux Occidentaux... L'ère Gorbatchev et la « glastnost» révélèrent la la catastrophe économique et humaine qui sévissait depuis une dizaine d'années en Asie centrale, et dont l'affaire de l'Aral n'était qu'un volet, car s'y ajoutaient les innombrables problèmes environnementaux liés aussi bien à l'industrie qu'à l'agriculture, et, surtout aux installations militaires. On y reviendra.. . . Le tableau 4 suivant, d'après l'Intas (2004), complète les données présentées au chap. II, avec l'évolution annuelle du niveau de l'Aral en fonction des apports: on constate que jusque en 1970, la variation saisonnière du niveau était assez constante.
98
Quand tous les travaux évoqués, et beaucoup d'autres moins importants, furent terminés dans les années 1970-80, le niveau de l'Aral s'abaissa très vite. Jusqu'alors, on l'a vu, la perte d'une partie de son alimentation avait été compensée par une augmentation des apports venant de la nappe phréatique des deltas, et le niveau de l'Aral n'avait guère changé. Mais la descente s'accéléra (fig.43, et tableau 4) avec les conséquences que l'on verra sur la végétation côtière, les lacs des deltas, la pêche....
Epoque (d'après INTAS, 2004) 1941-45 1946-50 1951-55 1956-60 1961-65 1966-70 1971-75 1976-79 1980-84 1985-89 1990-94 1995-2000
Niveau le plus bas en m a.s.!.
Niveau le plus haut en m. a.s .!
Apport fleuves min/an en km3
Apport fleuves maxi an en km3
52,67 52,68 52,82 53,13 52,54 51,29 49,81 47,03 42,75 39,08 36,9 33,98
52,97 53,03 53,13 53,46 52,98 51,69 50,38 47,68 45,75 41,10 38,24 36,5
58,6 40,4 28,5 35,2 8,2 7,4 1,8 0,6 Il,41 5,17
76,2 64,4 48,6 81,2 49,5 19,3 10,05 21,8 32,34 28,53
Tableau 4. Variation du niveau de l'Aral avec les apports fluviatiles.
Dans les années qui suivirent, après 1990, on tenta bien de relever un peu les apports des deux fleuves, mais le développement toujours croissant des irrigations en amont, pour le coton essentiellement, ne permit que de ralentir l'abaissement du niveau. Le tableau 5 ci-après donne une extrapolation des caractéristiques de l'Aral jusqu'en 20 Il. L'évaporation de l'eau du lac, désormais bien supérieure à la totalité des apports, réduisit donc d'une part la masse d'eau, d'autre part sa surface, de sorte, que, action en retour, couplée avec l'augmentation de la salinité, l'évaporation diminua, et que l'abaissement du niveau perdit de la vitesse. Tout ceci, non seulement effaça pratiquement toute activité piscicole, mais contraignit à supprimer les liaisons par bateau entre le nord et le sud. L'abaissement du niveau de base a eu aussi une conséquence importante sur 99
la nappe aquifère littorale, provoquant évidemment son épuisement impliquant donc la survie des espèces végétales jusqu'à une vingtaine de km du littoral ancien. Ceci, combiné avec l'arrivée d'eaux fluviales elles-mêmes de plus en plus salées (cf. infra), mais à un moindre degré, provoqua au total la disparition de l'eau potable dans les puits. Conséquence accessoire: l'abaissement du niveau de base des chenaux fluviaux accéléra l'écoulement vers le lac, avec affouillement au pied des barrages, à Noukous45 pour l'Amou Darya, à Novokazalinsk pour le Syr, et donc accélérant encore l'abaissement du niveau des aquifères deltaïques. La descente
se poursuit
régulièrement,
printemps au moment des lâchers
-
avec une légère remontée
au
modestes- des grandes crues. La Petite
Mer devint autonome en 1990. Dans une première étape, on dragua le détroit de Berg pour permettre le passage des bateaux, puis, le niveau continuant de baisser, on renonça. A la suggestion de Nikola Aladin, un biologiste qui étudiait depuis plusieurs années l'évolution de la biomasse de l'Aral, on construisit une première digue barrant l'ancien détroit, de manière à conserver l'eau du Syr Darya pour la Petite Mer. Cette première digue, en sable, fut rapidement détruite. Réparée et renforcée, la seconde digue fut détruite à son tour par une tempête en avril 2002. Elle fut reconstruite en béton en 2004 et nous en reparlerons longuement au chap. 14.
45 Où, incidemment,
dès 1932 Ella Maillart voyait déjà un géologue s'activer...
100
%
Volume
%
Niveau en m a..s.!
Année
Sal,
Rapport Salinité
Surface de
En
de
%de
Volume/ g/I
km2 1960
km3
1960
surface
1960
53.4
67500
100
1089
100
0.016
10
100
53.4
61381
100
1007
100
0.0164
10
100
Petite Mer
53.4
6.118
100
982
100
0.0134
10
100
1971 (Grande Mer)"
51.1
60.200
89
940
86
0.0156
II
110
1976(Grande
48.3
55700
83
763
70
0.0140
14
141
39734
59
332
33
0.0086
39.32
36307
60
332
34
0.0091
28
280
40.2
2804
46
23
28
0.0082
28
280
33395
49
260
24
0.0078
36.5
30340
49
235
23
0.0077
48
480
41.2
3055
50
25
30
0.0082
22
220
17158
25
108
10
0.0063
14293
23
85
8
0.0059
1960 (mer entière)" Grande
Mer
Mer)"
1989 (mer entière) Grande
Mer
Petite Mer 1996 (mer entière)' Grande
Mer
Petite Mer 2003 (mer entière)' Grande
Mer
30.4
Grande Petite
Merd Mere
600 200
47
23
28
0.0080
20
10033
15
92
8
0.0092
190
27.3
6113
10
53
5
0.0087
45.1
3920
64
39
48
0.0099
2011 (grande Mer (extrapolén)
480
80 (ouest) 2865
40.4
Petite Mer
Jusqu'à 150 (est),
1900 15
150
1- la Relation surface/volume (a: valeurs depuis sources variées; b: moyenne annuelle; c: I cc janvier; d : Grande mer coupée en deux parties ouest et est; e :après finition du barrage de la Petite Mer, 2005 ; 2-. Les variations concomitantes de la salinité.
Tableau 5. Evolution des paramètres
101
généraux de l'Aral.
Le tableau 6 montre l'influence de l'abaissement les nappes phréatiques:
Syr Daria Abaissement niveau 0.5-0.7 m
Amou Darya Abaissement niveau 0.5m
Distance au rivage 0,6 km lkm 10km 100 km
0.9-1.5 m 1,2-2,8 m 1,7-5,9 m
du niveau de l'Aral sur
0,5-2 m 0.5-2,4 km 2,5-4 m 4-7 m
Tableau 6. Baisse de la nappe phréatique
Distance au rivage 0.50.6km 0-6 km 3km 6km 10 km
littorale
Les tableaux 7 et 8 ci-dessous donnent pour mémoire, les quantités d'eau fluviale apportées à l'Aral, tirées de deux auteurs différents:
Années 1926-60 1951-60 1961 1962
1969 1970
Amou Darya 46.7 46 38.30 28.4
70.6 31.5
Syr Darya 14.7 15.1 10.5 5.8
Total km3 61.4 61.1 48.8 34.2
17.5 9.8
88.1 41.3
Tableau 7. Données de la station de KyzylJar, 30 km nord de Noukous, en km3 par an
102
Amoli Darya
Syr Darya
1960-69 total 1970-79 total
346 157
200 ? 100 ?
1980-85 total 1986-90 total
28 JO
10 ?? 5 ?
1991-95 total 1996-2000 total
69.5 30.5
JO? 10??
Total 1960-2000 Total général
641
335?? 1000 km3
Tableau 8. Quantités d'eau apportées
à l'Aral,
compilées par Stavisky (Internet), en km3
La fig. 45 illustre l'évolution des divers paramètres hydrologiques, auxquels on a ajouté l'évolution de la salinité moyenne, facteur important de l'évolution de la biomasse, qui sera étudiée ultérieurement. On signalera simplement ici qu'en 2007, la salinité du bassin ouest aurait atteint 180 g /1, mais cette valeur n'est pas représentative de l'Aral «moyen », dont les eaux ne sont plus homogènes.. .En effet, la masse d'eau unique des années 19501960 n'existe plus, et se partage en une série de bassins plus ou moins indépendants, qui ont chacun leurs caractéristiques propres, et d'ailleurs changeantes avec 1- la saison 2- leurs tributaires, comme on le verra ultérieurement. En quelques mots, disons que l'île de Barsakelmes devint une presqu'île au printemps 1997, et que ce fut le tour de l'archipel Vozrojdenie en juin 2002.
103
90
.
salinité en 9 par I.
80 70
.--..
60 ..
50
+ niveau en m a.s.l.
.-..
t.
. -. +..
#.
.... 8 .......
.."'. .. ++-+.\ +++
.
40
I
. surface en km2 x1000 . volume en km3/20
données aprés 1989 pour le bassin SW seul; valeurs avant 1960 non représentées
.
..
...
.+.
.8. .-.
\8,
30 ~ 20
,,/ \ ......' ....
'"
.-.-
. ...xx"'"
1:0
o 1940
1950
1960
1970
1980
1990
2000
2010
Figure 45. Evolution du niveau. du volume, de la surface et de la salinité.
En 2006, le bassin Est de la Grande Mer était réduit à une flaque de 140 km sur 30 km et de 4m de profondeur maximale. Il est relié par un étroit goulet au bassin ouest. Celui-ci, dont le rapport superficiel volume est beaucoup plus petit, donc moins sensible à l'évaporation, évoluera donc séparément, alimenté, comme il l'est aujourd'hui, par quelques m3/sec du trop plein du lac qui a été reconstitué sur la région de Mouinak et du lac Sudotche à partir d'eaux résiduelles issues du delta de l'Amou Darya, et d'un peu d'eau du bassin Est. Il évoluera lentement, isolément, vers un état semblable à celui de la Mer Morte... Le bassin Est, qui reçoit les eaux résiduaires de l'est du delta, région de Tourtkoul et de Taktakoupir, par le biais du petit lac Karateren, n'aura qu'un faible apport du trop-plein de la Petite Mer, devenue depuis 2004 un lac autonome et vraisemblablement, après la fonte des neiges, pourra déverser son trop-plein - si on peut direvers le bassin Ouest.. .La Petite Mer, elle survivra... .Nous développerons ultérieurement les projets d'aménagements futurs.
104
6
L'évolution de la salinité
S
I L'ÉVOLUTION de la masse d'eau de l'Aral frappe les esprits, par l'énormité des quantités évaporées ( mille milliards de m3 en 30 ans) et les dégâts qui s'en sont ensuivis, l'évolution de la «qualité}) de cette eau, donc de sa chimie, a beaucoup moins attiré l'attention des média, sinon par certaines de ses conséquences: disparition de la biomasse lacustre, donc de la pêche, développement des orages « salés }).Rappelons ici que l'eau contenait en moyenne de 10 à 12 g de sels dissous par litre, et n'était donc pas potable, à la différence de celle des deux fleuves alimentant le lac: la salinité du Syr Darya était de 0,2g par litre et celle de l 'Amou Darya de 0.3 g/l, devenues respectivement vers l'an 2000 3 et I g/l, descendues légèrement depuis. Les chevaux refusaient de boire cette eau, les chameaux y répugnaient, et seuls les moutons, paraît-il, acceptaient de boire l'eau de l'Aral... Bien évidemment, les zones complètement asséchées, les solonchaks au sol gypseux quasiment stérile (fig.46), sont complètement désertées - sauf par les foreurs pétroliers... Le bilan global du lac montrait qu'une infiltration de quelques km3 par an (sur plus de 50 000 km2) suffisaient à équilibrer jusqu'en 1960 le bilan global de la salinité du lac L'analyse chimique de l'eau de l'Aral montre qu'elle était au départ d'une grande banalité, riche en sulfate et carbonate de calcium. Connaissant la composition chimique des substances dissoutes et la quantité d'eau, ainsi que celles des apports, il est possible de calculer la quantité de matière dissoute apportée par l'eau chaque année, et la masse totale contenue dans le lac. On peut noter que ce calcul est possible aussi pour les matières en suspension, sable et argile, mais dans ce cas on doit tenir
105
compte des dépôts dans les deltas. Les documents chiffrés qui suivent permettent au lecteur intéressé de reconstituer l'évolution de la chimie de l'eau de l'Aral. A peu près homogène voici 20 ans, elle ne l'est plus maintenant que la Mer est pratiquement scindée en plusieurs bassins indépendants. L'évolution de la salinité globale est donnée jusqu'à 2002 sur la fig.47. En effet, la composition évolue constamment, et désormais différemment dans les divers domaines de l'Aral résiduel, compte tenu de leur séparation, et on la connaît mal. La Petite Mer, réalimentée depuis 2004, a une salinité totale de l'ordre de 20g/l, qui ne doit pas être différente dans sa composition relative de celle qu'elle avait à l'origine. On ne dispose pas de résultats d'analyse pour le bassin Est; elle doivent atteindre, voire dépasser 130 g/l de sel en 2008; les dernières valeurs publiées pour le bassin ouest datent maintenant de 200546.
Figure 46. Un solonchak (mare asséchée)
46 Zavialov P., Physical Friedrich]. et Oberhansli
oceanography of the dying Aral Sean Springer, H.,J1. Mar. systems, 47, 77-88. 2004.
106
144 p; 2005
et
Le bassin ouest, lui, selon N. Aladin, a une salinité qui dépasse 180 g par litre fin 2007. (Mer Morte pour comparaison: 350...). Voici donc quelques données chimiques (résultats compilés de sources variées, dont Blinov)47 (tableaux 9 a et b) :
En g. par I.
Vol. en km3
Calcium CaH
Sulfate SOr
Chlorure CI.
Sodium Na++
Potassium K+
Magnesium MgH
Carbonate HC03'
1070
0.556
3.13
3.50
2.25
0.126
0.56
0.289
0.17
Avant 1960 1977
0.64
5.03
5.45
2.90
1985
0.87
6.96
7.85
5.65
1.20
0.18
1.22
0.17
1998
210
1.20
13.49
18.46
11.8
0.78
2.46
0.194
2002
155
1.04
16.8
31.06
18.4
1.45
3.83
0.54
Mg
Na+k
83.1
11.2
43.7
0.470
62
19.0
61.0
0.482
138
80.5
25.8
109.2
0.708
127.8
74.2
315.2
1.639
800-
357.4 60(}-
150
100-
450-
225-
700
400
80
350
1.88
HC03°
SO,
CI
Ca
1911-1960
153.5
104.9
74.1
1961-1970
124.8
131.0
85
1971-1980
110.7
243.8
1981-1985
145.3 15(}
619.3
En mg/1
Total g.1
Amu Dalya
1985-2(}(}(}OO
Syr Dalya 1911-1960
186.1
164.4
40.3
87.6
20.6
43.8
0.543
1961-1870 1971-1980
179.0 190.1
465.4 579.2
105.8 168.1
92.8 112.0
54.0 76.0
158.5 187.1
1.055 1.312
1981-1985
184.5
922.7
187.1
131.1
89.5
328.7
1.844
200
1400
400
170
150
600-570
2.92-2.62
1985-2000°
Tableau 9 a et b. Aral: chimie du lac et des fleuves (Mt=106t)
17 Et pour les apports des fleuves selon Bortnik Y.N. et Tchistiaev C.P. 1991: Hydrometeorologie et hydrochimie de l'Aral, Gidrometizdat SPB p 110-112 pour les résultats jusqu'à 1985, en italique, extrapolation des données précédentes
107
On peut, à partir de ces données, déterminer substances dissoutes (tableau lO) : décade
A.D. km3 d'eau
1960-1969 1970-1979 1980-1989 1990-2000 total
361 157 38 100 656
Teneur may. en sels en g/I 0,3 0,5 0,8 2.25
Apport total de sels en Mt 108 78.5 30.4 225 442
les apports globaux en
S.D. km3 d'eau
Teneur may. en sels en g/I 0.95 l,OS 1.72 2.90
130 80 70 60 340
Tableau 10. Apports chimiques globaux
1000
milliequivalents per litre
700 500 300 200
20
10
/
5
years 1998 2002
Figure 47. Evolution de la composition chimique moyenne. Après 2002, elle diffère légèrement
108
d'un bassin à l'autre
Apport total de sels en Mt 124 84 120 174 502
L'évolution ultérieure de ces courbes doit prendre une forme en S avec le temps qui passe, car l'évaporation diminue avec la salinité totale. Celle-ci se «nourrit» des quelques apports nouveaux - évalués, selon les auteurs, entre 5 et l 0 km annuels d'eau infiltrée dans le sous-sol - à composition chimique moyenne inconnue- à laquelle s'ajoutent, les quelques km3 apportés par les cours d'eau aériens subsistants, ce qui ne permet pas de bilan chimique complet des apports. Globalement, en pleine eau, l'Aral perd les sels parvenus à leur point de précipitation, d'abord le carbonate de calcium, puis le gypse, puis, dans le cas précis de la Grande Mer, et selon la séquence indiquée sur la fig. 48, la mirabilite Na2S04, 10 H20: nous aurons l'occasion de revenir sur ce sel curieux. Les sels les plus solubles ne commenceront à précipiter que lorsque l'Aral aura perdu, globalement, 95 % de son eau. Ceci ne concerne pas les lagunes séparées, qui ont un fonctionnement autonome. Même dans les cas extrêmes, il subsiste un reliquat de sels dissous (dans les « eaux-mères », qui non seulement ne s'évaporent plus, mais piègent au contraire l'humidité de l'air. ..). Après un certain nombre de calcul, et en tenant compte des diverses incertitudes, on peut conclure qu'environ 1,1 :!: 0.3 milliard de tonnes de sels ont été apportés par les fleuves entre 1960 et 2000, et que le stock total de sels dissous, qui était de Il milliards de tonnes en 1960 n'avait guère changé en 2002. Mais il n'avait pas la même composition, ceci étant dû à la précipitation rapide du carbonate de calcium et du gypse. Au temps de sa splendeur, l'Aral était déjà saturé en CaC03, (calcite),qui précipitait en nuages blanchâtres dans les bouches des deltas; la plus grande partie était mobilisée par la biomasse - coquilles de Cardium, qui jonchent aujourd'hui par milliards les zone émergées. Partant d'une salinité totale de 10 g/l environ, et malgré l'apport d'eau peu salée des fleuves (3 g/l) pour fixer les idées), l'évaporation a d'abord fait monter cette salinité à 25g/l, valeur pour laquelle a commencé la précipitation du gypse (CaS04, 2H20) : l'eau résiduelle s'enrichit alors en sodium, magnésium ete. Le dépôt de gypse, indique que la salinité a dépassé ces 25 g/l .il est le plus spectaculaire car il forme des croûtes qui se disjoignent et se ressoudent avec les mouvements de l'eau, et finissent par former dans les baies créées par l'abaissement du niveau de l'eau de véritables« sebkhras» (nommées localement solonchaks - le terme «SOl'» s'appliquant aux lacs salés à eau encore libre, recouvrant de l'eau résiduelle. C'est le gypse qui est le composant essentiel des immenses «playas », stade final des sebkhras
109
asséchées (fig.46). On peut estimer qu'entre 500 et 600 millions de tonnes de carbonate ont déjà été déposés, ainsi qu'entre 1,5 et 2 milliards de tonnes de gypse. On peut noter ici que les apports de substances dissoutes à l'Aral ont considérablement diminué, malgré une augmentation très nette de la salinité des fleuves, et le transport éolien vers les bassins résiduels d'une partie des sels déjà déposés. L'augmentation constatée en potassium pose un problème. Elle devrait se paralléliser avec celle du sodium, ayant des propriétés chimiques semblables, mais il semble qu'elle augmente plus vite. On pourrait imaginer qu'il se produit un lessivage des terres irriguées pour le coton, qui furent abondamment traitées d'engrais potassiques. Mais les données chimiques obtenues par les chercheurs de l'Université de Lausanne ne montrent pas d'augmentation notable de la teneur en potassium des eaux du delta de l'Amou Darya, qui devraient être à l'origine de cette augmentation. Elle est en tous cas très insuffisante pour expliquer l'augmentation spectaculaire observée. Quelle va être l'évolution l'Aral actuel ?
ultérieure
de l'eau des divers bassins de
L'eau continuant donc de se concentrer (fig.48), et en l'absence d'apports extérieurs notables, elle était parvenue désormais (décembre 2007) bien au-dessus de 100 gll, dans le bassin ouest, et 160 gll. dans le bassin Est48, valeur pour laquelle commence en hiver le dépôt de mirabilite (Na2S04,l OH20); mais la concentration totale de sels varie constamment en surface d'un site à l'autre, et ce n'est que dans le fond du bassin ouest que les caractéristiques chimiques sont à peu près homogènes. Celui-ci, encore relativement profond, avait en 2006 une salinité de l'ordre de 80 g par litre, avec une halocline et une thermocline49 marquées vers 20 mètres de profondeur, de même (figure 49). En dessous, l'eau ne contient pas d'oxygène dissous et, au contraire, de l'hydrogène sulfuré, preuve que cette eau ne se renouvelle que très lentement5o. On retrouve en plus petit un phénomène bien connu dans la Mer Noire et dans la Mer Morte.
48valeur indiquée en aout 2006 par Nikola Aladin.dépassée depuis. 49 la halocline correspond à une variation brutale en profondeur thermocline est l'équivalent pour la température. 50P. Zavialov, 2003, Geophys. Letters, 30, 13,2.
110
de la teneur
en sel, et la
500 400 300
Limite de la 205011
dessication de l'Aral
en 2008
*= état de l'Aral-sud 0,3
1 fraction
restante
Figure 48. Evolution
0.1 de l'eau
0.01 du bassin
des dépôts
avec
SW depuis
la concentration
0.001 1960
des saumures
Les études hydrochimiques menées récemment par les auteurs cités sur le bassin ouest51 indiquent que celui-ci est alimenté essentiellement par le canal séparant encore la presqu'île de Koulandy de Vozrojdenie, et que cette eau se mélange difficilement avec l'eau existant déjà dans le bassin ouest. Les simulations sur ordinateur (Zavialev, 2005)52 montrent aussi que des renversements périodiques de courant peuvent se produire dans ce chenal, sans doute parce que le bassin est, défavorisé par son rapport surface/ volume, s'évapore plus vite que le bassin ouest... Mais JF. Cretaux (corn. pers.) montre, par la mesure précise des niveaux dans les bassins E et W qu'en 2007, l'eau s'écoulait du premier vers le second Les hydrologues ont là un intéressant petit problème à étudier.
51
Cf Friedrich].,
Oberhansli
HJ!. Marine systems, 47, 1-4 et 77-88, 2004, Peter Zavialov P.,
Physical oceanography of the dying Aral Sea. Springer UK, 158 p, 2005.Voir CLlMAN, Climan.gfz. Posdam.de. 52 CfZavialov, op. cit.
111
aussi Ie site de
tèmpératuf$
$alinit<êglkg SI) !}
!let
6'5
[
"
I
r
~
!
1 t )
j
l
I
{ j Mi
t
(J
~ r 'I..
1
41J1
rl
I !
2Il
25
0
!10-2003 j
I/ l' i
,11
i
J-;#-~
1
-'--17'"
I
x\
Il ~ \ -~--l
I!' \ \.
!
{I
.
\
,
,")
~
HI
/ 1-:?002 1 (10-2005 t
Of-?OO
l,
\
~ \\~.
!
I
.I~
\1\\
l
~21)
1tI
t'~'T""~rl'~~T'A
J
( .\:-'-"" \ \~
~..
l
fi
,
04-2[004J/
I
.!."""~'~
10-2005
toJOt4
i
t
~
tOO G
100
"~rj::~~~:~"
1 - 002 10
95
l;
1
j
06-20041
~
!-
I t I
roo
1
!
I
~
-~..~ ~ I I }"-"" ",--,_",--"."_""_"."_",,,__,,,,,,,_J
<:::
I tel
i
.
\
.r
~
I
l''
tI
L -Hi
Figure 49. Evolution entre 2004 et 2005 des paramètres
de l'eau du nord du bassin W de l'Aral. (Friedrich et al., 2004)
Mais revenons à la mirabilite, qui va nous éclairer sur le passé de l'Aral. Comme son nom l'indique, c'est un minéral étonnant. Encore dénommée sel de Glauber, du nom du chimiste qui étudia jadis ses propriétés, c'est un sulfate de sodium très hydraté, très soluble (300g/1 à 36°C), beaucoup moins à froid La mirabilite se décompose à partir de 37°C en se dissolvant complètement dans son eau de constitution, et, une fois desséchée, donne la forme anhydre poudreuse nommée thenardite,qui, transportée par le vent est un des facteurs essentiel des maladies respiratoires, digestives et rénales, dont souffrent les riverains de l'Aral. La mirabilite se dépose déjà en hiver dans les lagunes périphériques de l'Aral aa salinité moyenne, dans le nord de la Grande Mer, dépassait 85 g/l déjà en 2003). Elle peut subsister si, par exemple, son dépôt hivernal est recouvert d'une couche de vase le préservant des chaleurs excessives. C'est ce qui a été bien étudié jadis dans le grand lac salé actuel de l'Utah, aux USA, et l'énorme lac fossile de Bonneville. Pour qu'on observe un dépôt de mirabilite "fossile", il faut donc que l'eau sursalée se concentre dans une lagllne où l'eau, déjà très évaporée Gusqu'à 100 g/l de sel environ) n'y parvienne qu'au travers d'un étroit goulet
112
- pour éviter la redissolution quasi-immédiate -, qu'elle y ait le temps de s'évaporer, que la température s'abaisse suffisamment pour que la mirabilite précipite en hiver ,et que le retour de l'eau au printemps, depuis le lac, soit suffisamment modéré pour ne pas redissoudre la totalité du sel déposé l'été précédent, toutes conditions demandant des circonstances particulières. Certaines lagunes littorales récentes du sud et de l'est de l'Aral montrent désormais ce minéral. Il faut aussi que la température ne dépasse pas trop 38°C, à laquelle la mirabilite se décompose... Or les conditions indiquées ci-dessus viennent justement d'être réalisées dans la baie Tchebas, au nord de la grande Mer, où le niveau de l'eau en été 2005, et encore au printemps 2008, était précisément au ras du fond du goulet subsistant.. L'intérêt de cette observation est que cette baie est une de celles où le géochimiste Rubanov, découvrit, dans les années 1980, recouverte par lm environ de dépôts silteux53 subactuels, une couche continue de mirabilite d'au moins 1,5 m d'épaisseur - son carottier ne lui permettant pas alors de descendre plus profondément. Le dépôt ancien de mirabilite prouve donc qu'à une certaine époque, au moins, dans le passé, le niveau de l'Aral descendit déjà de 22 à 23 m (par rapport au niveau de 1960), atteignant le goulet de la baie Tchebas, pendant un temps assez long pour que plus d'un mètre de mirabilite se formât, et s'y stabilisât, avec un apport d'eau, saisonnier peut-être, qui s'est poursuivi sans doute pendant plus d'un siècle. On peut noter qu'en 2006, le niveau moyen, variable, de l'Aral était encore descendu (et continuera), asséchant le goulet de la baie Tchebas, qui n'avait plus, fin 2006, qu'environ l à 2m de profondeur. Il va donc maintenant se dessécher entièrement en quelques années si le niveau de l'Aral résiduel continue de baisser, ce qui est probable54. On a donc une preuve péremptoire que l'Aral, dans le passé, a subi au moins une régression de la même importance que celle qui se produit actuellemen t. Ce genre de dépôt est très intéressant pour la reconstitution de l'histoire passée de l'Aral. Rubanov, qui fut sans doute le meilleur connaisseur de l'Aral dans les années 1970-1990, découvrit par carottage dans les parties profondes des grandes baies de l'Aral, (figure 50) sauf dans le grand bassin Est, sous environ l m de sédiments détritiques, sable, argile, marne, une 53 Le "silt" est un dépôt détritique
très fin, formé de particules
témoigne d'une sédimentation tranquille. 54 En 2007 a été établi un petit canal depuis la« Petite Mer» ne fera que retarder le dépôt de mirabilite.
113
de quartz
pour alimenter
et d'argile, et qui cette baie.. .Cela
couche de ce minéral d'au moins un mètre. Le sédiment recouvrant ces dépôts put être daté par le radiocarbone du milieu du dernier millénaire, et ceci correspond, on le verra, à divers évènements historiques ayant abouti à la dérivation des deux fleuves hors de l'Aral. Le dépôt découvert dans la fosse ouest par Rubanov, à une profondeur beaucoup plus grande qu'à Tchebas, indique qu'à une époque différente du dépôt de cette baie, peut-être plus récente, le même phénomène de dépôt de la mirabilite se produisit, mais cette fois avec un niveau de l'eau encore inférieur aux 22m évoqués ci dessus. ].F.Cretaux, on l'a vu, a montré récemment55 par des mesures d'altitude très précises, que le bassin Est se déversait, peut-être sporadiquement, avec son excès de sel, dans le bassin Ouest: ce qui peut expliquer que ce bassin Est ne comporte pas, lui, de dépôts de mirabilite, mais par contre de la tourbe.En dehors de cette arrivée par le détroit de Koulandy (voir figure 14) l'alimentation du bassin ouest ne pouvait se faire qu'avec un peu d'eau arrivant du sud depuis des apports modestes du delta de l'Amou Darya; ou du nord, depuis les ruisseaux temporaires arrivant à la baie Tchebitchev, et sans intervention d'eau provenant du NE, c'est à dire du Syr Darya : celui-ci ne parvenait plus au bassin Est de la grande Mer. Nous verrons ultérieurement que ces circonstances ont dû se réaliser au Moyen Age, ce qui ne signifie pas que ce dépôt profond soit de cette époque: il est peut être plus ancien, mais on ne dispose pas pour l'instant de forages plus profonds que ceux de Rubanov voici près de 30 ans....
55 A paraître
dans Aquatic Geochem., 2009 (J.F. Cretaux R. Létolle, S. Calmant: et régressions de l'Aral ( titre provisoire)
114
Mirabilite
Figure 50. Dépôts
anciens
de gypse
(J), de mirabilite (2) ; rivage de 1950 (3).
Le sud du bassin Est comporte, lui. seulement du gypse et de la tourbe pouvant dater du Moyen-Age...
Comment un dépôt de sels si solubles a t-il pu se maintenir quand l'eau est « revenue» après les évènements historiques ayant abouti à la dérivation des deux fleuves hors de l'Aral.? Tout d'abord, la mirabilite se dissout et s'infiltre sous la surface des sédiments du fond et y recristallise. Mais vraisemblablement les premiers dépôts limoneux accompagnant le retour de l'alimentation en eau, après la régression, n'ont pu empêcher une certaine disparition de la mirabilite,
115
éminemment supérieure.
soluble,
De l'état actuel
mals
ont
dû
vite
"imperméabiliser"
sa partie
de l'eau de l'Aral, de 2007 vers le futur
On peut dès à présent anticiper, au plan limnologique, l'avenir de ce qui reste de la Mer d'Aral; réservant les conclusions économiques pour le chapitre 15. Il n'y a pas de raisons que le schéma d'ensemble du système aralien subisse des modifications notables d'apports fluviatiles au lac dans le futur sauf dans la Petite Mer, maintenant système autonome (cf chapitre 15). En dépit de la protestation désespérée de quelques associations, l'Aral finira tout doucement son existence de «mer morte». Si on ne procède pas à divers travaux projetés actuellement (cf. fig.l05), visant à conserver au moins le bassin ouest, l'évaporation continuera, mais sera beaucoup plus lente, du fait de la salinité croissante, et dans une trentaine d'années ou plus, le lac, réduit à la partie centrale de la fosse ouest, ne recevra plus guère que les eaux résiduaires issues de la partie ouest du delta de l'Amou Oac Sudoche, ex-baie d'Aiboughir), le drainage issu de la région de Noukous et quelques ruisselets temporaires issus du NW, et un peu d'eau du bassin Est. La salinité ne devrait guère dépasser 200g/1. Le lac pourrait alors précipiter des sels encore plus hygroscopiques que la mirabilite, sans qu'on puisse encore déterminer leur séquence exacte (cf. figure 48 ci-dessus). Mais les apports souterrains d'eau, en fait encore très mal connus, peuvent jouer alors un rôle prépondérant. . . Le bassin Est de la grande Mer va évoluer encore plus vite, compte tenu de son rapport surface/profondeur très grand. Il ne recevra pratiquement plus d'eau de la Petite mer, maintenant pilotée par son nouveau barrage (cf. chap.15), le trop plein, canalisé entre Kokaral et Barsakelmes, s'infiltrant jusqu'au sud de Koulandy. L'écoulement épisodique du bassin Est vers Koulandy peut jouer alors un rôle de stabilisateur, en évacuant l'eau très salée vers le bassin ouest. Par contre, des apports par les écoulements et les sous-écoulements des polders récemment créés au nord-est de l'ancien delta de l'Amou, lui apporteront un peu d'eau peu salée. Il est vraisemblable qu'une lagune très salée, mais moins que le bassin ouest, persistera, avec formation de marécages, semblables à ceux, fossiles, que Rubanov découvrit en carottage précisément à cet endroit (cf.fig.50), avec quelques centimètres
116
de dépôt de tourbe (fragments de roseaux), des carbonates de calcium et du gypse, preuve qu'à l'époque de cette régression, l'eau n'était pas très salée en cette région sud de l'Aral. L'Aral parviendra t-il au stade de la « Mer Morte» du Proche-Orient? Vraisemblablement pas, car l'ancienne Mer d'Aral recevra proportionnellement chaque année plus d'eau, ce qui ne lui permettra pas d'arriver à la salinité de celle-ci, soit 315 g/l. Il est trop tôt pour déterminer l'évolution de son bassin ouest, compte tenu des aménagements actuels qui se font aussi bien dans l'ancien delta de l'Amou Darya que dans celui du Syr Darya. (cf.chap.15). Comme on l'a vu, la quantité d'eau contenue dans l'Aral dépendait essentiellement de l'apport des eaux de surface. Celui-ci tendant vers zéro, les origines secondaires deviennent essentielles. La première est due aux précipitations (qui diminuent, puisque la surface du lac diminue constamment, et les infiltrations depuis les alluvions des deltas. On a vu plus haut l'importance de l'abaissement de la nappe phréatique. Les mesures dans les puits des deltas montrent que le niveau de cette nappe a baissé au même rythme que celui du lac, avec une variation saisonnière de l'ordre de lm. Diverses études théoriques (Renard et Bendung, 2002) indiquent que la contribution peut être évaluée à 10 km3 annuels, plutôt moins. Celle des nappes plus profondes, des terrains crétacés ou tertiaires sous-jacents, est encore inconnue, quelques km3 annuels au maximum, sans doute. Ces apports diffus devraient permettre le maintien, dans le bassin Est, de conditions un peu meilleures que celles qu'on peut prévoir pour le bassin Ouest, surtout s'il continue de se déverser, même sporadiquement, vers le bassin ouest. Mais, de toute manière, le « fonctionnement hydrologique» de l'Aral futur ne pourra pas être comparé à celui que le lac avait lors de ses grandes régressions naturelles.. .que nous allons étudier maintenant.
117
7
Les régressions du passé
O
N VIENT de voir que la présence de mirabilite dans les sédiments «profonds» de l'Aral, la présence de terrasses côtières jadis « ennoyées », sont des arguments objectifs et définitifs pour des régressions importantes de l'Aral dans le passé. Que peut-on tirer de l'étude des archives, récits de voyage et souvenirs légués aux historiens? La récolte est bien maigre... S'ajoutent évidemment les bribes d'information tirées de textes anciens. En fait, jusqu'à l'arrivée des Russes au XIXe siècle, la région aralienne était « terra incognita» ou presque. Le désert de ses rivages septentrionaux, infestés de bandits traquant les caravanes, l'impénétrabilité des « tougai» des deltas arrosés par les fleuves, infestés de fauves, de « monstres» et de chasseurs insoumis, faisaient que ses rives n'étaient pas fréquentables. D'autre part, les voyageurs ne fréquentaient
parlèrent
-
pas les rives de l'Aral, et ne
très brièvement- de l'Aral que par ouï-dire. De temps à autres, un
historien découvre dans les archives encore inexploitées des medersas et des mosquées de Touranie des bribes de texte qui apportent une information précieuse malgré leur brièveté. L'Aral était sûrement connu de tous les habitants du Khorezm, voire de toute la Touranie, mais ils ne le fréquentaient pas, et les maigres informations que les chroniqueurs pouvaient acquérir des pêcheurs et des chasseurs ne méritaient que de très brèves allusions, généralement relatives d'ailleurs au détournement ou à l'assèchement des bras de leur delta... Depuis une centaine d'années, quelques érudits curieux se sont posé la question de savoir si l'Aral, jadis, avait régressé, voire disparu. Beaucoup de
119
témoignages, depuis le Moyen Age, évoquent le lit de l'Amou Darya se déversant dans la Caspienne (l'Ouzboy)56. Hérodote évoque le périple d'un marin, Patrocle s, qui aurait visité son embouchure vers 450 avant notre ère à la recherche de la voie maritime vers l'Orient: ce marin a dû connaître la baie de Krasnovodsk sur la Caspienne, où se jetait le fleuve par le biais de son ancien lit de l'Ouzboy, qui était peut-être une voie commerciale depuis les riches oasis du sud-est de la Touranie jusqu'à la Caspienne, et, de là, vers la Mer Noire. L'Aral devait donc recevoir beaucoup moins d'eau. Nous l'avons admis dans la reconstitution présentée au chap. III. On a de bonnes raisons de penser, après les recherches approfondies de 1'«Expédition du Khorezm », dans les années 1950-1980, dirigée par Tolstov 57, que les rives de l'Ouzboy étaient habitées à l'époque des Parthes, puis à deux reprises au Moyen Age (tombes, forts, ruines de mosquées, de villages, de forteresses). On manque encore, hélas, de datations absolues (radio carbone) pour préciser encore plus finement ces époques. En tous cas, l'Aral ne recevait alors au mieux qu'une partie de son alimentation ultérieure. Idrisi, vers 1150, mentionne brièvement un grand lac qui ne peut être que l'Aral. Les arguments prouvant l'existence de dessications historiques importantes, ne manquent pas: témoignage douteux de Zemarchos au Se siècle: la destruction par Gengis Khan des barrages sur l'Amou au XIIIe siècle, qui ne furent pas reconstruits pendant près d'un siècle; puis par Gengis Khan au XVe. Le sultan Babur, écrivant ses mémoires vers 1500, signale que le Syr Darya « de son temps se perdait dans les sables au delà de la ville de Turkestan58 » Le récit deJenkinson de 1558 montre que le lac Sary Kamysh contenait de l'eau douce lors de son passage, donc que l'Amou coulait encore vers l'ouest; mais le fleuve recommençait déjà à couler vers le Nord. A d'autres époques, divers voyageurs signalent que l'Amou, coule bien vers le nord. Toutes ces bribes de renseignements ne permettent cependant pas d'établir une chronologie. On y reviendra. 56Voir R. Létolle, 2000 : l'Ouzboy,
Studia iranica 29,195-240,
et RL et al. 2007, Quaternary
International (173, 125-136). Des témoignages littéraires peu connus furent donnés par A. Suavi : «A propos de la mer d'Aral », Bull. Soc fr. geographie, IV, 528-536, 1873. 57Voir V.Cermanov, 2002, Cah.Asie Centrale, 10, 193-216. 58 On peut penser qu'il formait un vaste lac, peu profond, au NE de la ville de Kzyl Orda (cf. fig.17), encore en eau au XIXe siècle, où se trouvent aujourd'hui de vastes étendues de gypse et des marécages, plus de 30 000km2, ce qui peut correspondre à plusieurs dizaines d'années de dépôts. A cette époque encore récente, le Tchou, rivière issue du Kirghizistan actuel, devait atteindre le Syr Darya à cet endroit; il se perd aujourd'hui dans le sable à quelque 150 km de Kzyl Orda.
120
Depuis qu'on a accès directement aux fonds asséchés de l'Aral, d'autres observations directes ont fait progresser les connaissances. D'abord la découverte de souches de saxaoul (figure 51), datées par le radiocarbone de quelques siècles, puis la découverte du site de Kerderi (= mer en kazakh) :
Figure 51. Souches de saxaoul trouvées au nord de l'ancienne TIeBarsakelmes
En 2000, des archéologues kazakhs ont découvert par 46 oN et 61 DE ~a position précise du site reste confidentielle) les restes d'une ville, au SW du nouveau barrage de la Petite Mer, à une vingtaine de mètres en dessous du niveau 1960 de l'Aral. Deux autres ont été trouvées en 2001 une vingtaine de km plus à l'ouest (figure 52). Le site comporte une enceinte rectangulaire, avec une digue, et on y a trouvé des tombes, mais aussi de nombreux restes d'animaux et d'humains « disposés chaotiquement », témoignant d'une mort soudaine, sans doute par noyade lors d'une inondation brutale. Des outils, des meules, à demi enterrées dans le sable ont été découvertes à quelque distance. Sur une
121
modeste éminence, dans un terrain par ailleurs complètement plat
-
et pas
encore complètement asséché, on a trouvé les restes d'un mazar, sorte de chapelle votive, entourés de tombes. Des fragments de sculpture et des carreaux de céramique ornementés ont permis de dater le mazar du XIIIe ou XIVe siècle. Un historien kazakh , Bouniatov, a décrit une expédition du Shah du Khorezm au XIIe siècle, qui « serait passée par le fond désséché de la Mer d'Aral» pour attaquer les villes des Oghuzz, Djent et Djenkent , dans le delta du Syr Darya.(cf.. chap. suivant) et aurait détruit celle de « RabatTogan », qui pourrait être Kerderi59...Il est vraisemblable d'ailleurs, que l'occupation du site a été épisodique pendant plusieurs siècles, jusque dans les années 1600. Les études archéologiques sont actuellement en cours. L'utilisation par les autochtones, sans doute karakalpaks, de terres nouvellement émergées, dura cependant un temps assez long pour qu'ils y construisent des villages. On attend impatiemment le résultat des recherches actuelles sur ce premier témoignage archéologique des régressions de l'Aral, avec les nombreuses souches de saxaoul trouvées à l'aval du nouveau barrage. Un second site, et une ville complète auraient été découverts à une vingtaine de km à l'ouest de Kerderi, également sur une légère éminence de quelques mètres au dessus de la plaine...
Figure 52. Le site de Kerderi : restes d'une chapelle du XVe siècle
59Voir sur Internet nombre de photos:
Aladin_Aral
122
(NXPowerlite)[pdf].
Rubanov, puis Maev et al., et d'autres depuis, obtinrent depuis les années 1980, des datations par le radiocarbone (C 14) sur des échantillons de coquilles (Cardium), et quelques restes végétaux obtenus en carottage (fig. 53). On a ainsi la preuve absolue que le lac Aral existait voici plus de 7000 ans. Aucun de ces sondages, obtenus avec des moyens modestes, n'atteignit le substratum géologique (à noter la divergence entre les résultats de Rubanov et ceux de Ferronsky, sans doute obtenus avec des moyens techniques plus performants).
âge années BP /
8000
/"
D
7000
/
/,'
/
/
500.0 4000 3000 2000 1000
r;:i'
~.... /
/
/~
./~
.
++-'
~ I
,,'
l
++-...."
/ .'
+-+-+-.,
I
....
l.
f"
I
et al. ,2001 I FERRONSKY o souches de saxaoul autres: RUBANOV et al,1986
profondeur
dans
lesédiment 2
1
3
4
Figure 53. Relation des datations absolues au C 14 avec la profondeur des carottages
Ces auteurs, analysant les résultats sédimentologiques de leurs carottages, trouvèrent des traces de sédiments anciens contenant du gypse et de la mirabilite, minéraux qui ne peuvent se former qu'à partir d'une eau déjà fortement évaporée, donc dans un lac nécessairement plus petit que l'Aral de 1960. Ils ont présenté voici quelques années leur reconstitution des phases de régression, basées sur leurs propres découvertes et datations de 123
sédiments. Il Y a un accord global sur les époques présentent (fig. 54).
de régression
Om
1 H(' It,!"
_ _ __ _
_.. _. ,_..
__w w
__
,,_
tm
"
~--,,-.-,
------..-..--------
,
2 rn
A ,,___
--_00_'-
t:1ti(!lIIIMïf
3m
RUBANOV 1987
I
J HW!}') .-,,--~.._,~,..........
~()~'" IlliJli'J5
Figure 54 c. Chronologie
."-'
a"j,>,
de Rubanov
et de tourbe correspondent
124
(1987). Les niveaux
aux régressions
de gypse
qu'ils
t;!, M
gyps:
1951 Ih "'"
I.., ....
dM
1
gypse!
N ,.,..tl'\
:z .... .~
M ""I M "'"
of-
4-
-
<1'> F>
~
12
~ ~
.,...
"io.I :r;
f'j;!;ardis Qxieu"1
.., r... ;;J '"
(\J
"'"
..,.. UJ '"
à
~ ~ <~ ....' '"" ~
~
,1'\
"fr----..:i''---
it'! .CO:
%
~
.... .....
;p
(niveau de l'eau)
:z "'!: "'I;
~"" -' -"
rI "" ...., 1"'1I
!1}
.J
""
+t;
.10"
t'.) \0 (niveau de l'eau)
+
ç,
-
'!'
,,~ h
+<:r
".
t-
+
B
tQ
MAEV 1991
+1'-
Fig. 54 b. Chronologie de Maeev et al(1991). Les nombres la marge d'incertitude
sur les niveaux atteints
125
donnent
R'iQniSisloHtrapIroo SorNI 20(8),
-
"""."mm
~
~
-~
.Î..
..,
~ ",."
¥. ..
c
'.'
~... "'"
-
f
,,/'
""-'--"".!
r~
::;: El
."~."~.«'" ~.
~ ...
- ;;.?J} f -.. '-,
"'''!
.......
,..(
~ ~
i;tt
}'
~
:::'" ~.'
'-~"
".. { .I"";'" /'j. ;J'" ".
'
~
=""
..",#
.'"
~_.~.= ""-
.....
"".
'"
~ ;s. '
~....",
.
D
~~
-:L'.;l"~. :j
~, .à
)
"",
.~;;;:".-_.
f
I
...
.":"' --~ -~'+, , '""
~
J,
'\
""
',~
1 1
.....
.1
h", !Ji.
j J
.M #
-t."""'~.....
r - IJ~!L
""I.
"
..~
.rit
.ri''''''''''''
~
" /' "'"
K)Ige e t a l 19 95 .
.
*
'
"
Fig. 54 c. Reconstitution Les croix représentent
de la chronologie post-glaciaire de l'Aral, Klige 1995. les incertitudes sur la chronologie (barre verticale)
et sur les hauteurs atteintes ( barre horizontale). En haut à gauche.
positionnement
des épisodes définis par Sorrel dans la baie de Tchernitchev 60
50 Rubanov Y.Let al. Geologie de l'Aral ( en russe), 248 p.Tachkent, 1987; Maev E.G. et al, 1991, The Aral sea in the Holocene, Ac. Sei. Moscou; Klige R.K. et aL, 1995, Geojournal, 1995,43-46. ; Ferronsky et al, 2003, Water Resources, 30, 252.
126
Ces valeurs ont permis de proposer une chronologie provisoire des régressions, attribuées unanimement au déficit d'alimentation en eau du lac. Borofika N et al6I donnent des valeurs un peu différentes et suggèrent aussi une époque de stagnation à 42-43 m entre 4000 et 3000 avo JC (âge du bronze).Mais, en dehors de la régression actuelle, dont les causes sont bien connues: apport très diminué des cours d'eau, l'accord n'est pas réalisé quant aux causes des régressions anciennes: déviation des fleuves ou changement climatique? Cette dernière explication a été récemment relancée par Ph. Sorrel62, et reprise par Austin et al. (op. cit.). Une équipe mixte internationale (2002-2006), a porté ses efforts sur une analyse très fine et détaillée de carottes prélevées au fond du golfe de Tchebitchev, au NVV du bassin ouest de l'Aral, et ont mené une étude multidisciplinaire les amenant à préciser la chronologie des évènements dans le dernier millénaire. Elle corrèle les variations de niveau du lac avec des évènements climatiques observés sur tout l'Ancien Continent. Nous pensons, attendant de nouvelles preuves, que les variations climatiques, correspondant à peu près aux « petits âges de glace» connus en Europe occidentale, ont dû jouer un rôle dans les régressions de l'Aral, mais sont très insuffisantes pour que le changement ait provoqué d'énormes perturbations dans le régime des cours d'eau. Le fait que pendant les époques de régression de l'Aral, l'agriculture se soit largement développée, sur le delta du Daryalyk63 et le pourtour du lac Sary Kamysh aux époques où le niveau de l'Aral était bas indiquerait que les apports d'eau douce depuis l'Amou Darya étaient conséquents dans les zones nouvellement irriguées, et que les prélèvements sur le fleuve avaient été augmentés, au détriment du lac Aral lui-même, provoquant ainsi la baisse de son mveau. D'autre part, le site que cette équipe a étudié forme une cuvette de dimensions modestes au fond de la baie Tchebitchev, séparée du bassin ouest de l'Aral par un seuil de quelques mètres de haut, au temps des grandes régressions, ce qui fait que le site du carottage n'a peut-être pas été le plus
[il Geoarcheology, 2006, 721-734: Voir aussi P. Austin et al., 2007, Quaternary Research, 67,383-393. 62 "The Aral Sea, a palaeoclimate archive", these, Lyon, 2006, 139 P et Paleogeog..., 2006,234,2-4,304-327; voir les divers sites" CLIMAN"( gfz.postdam.de sur internet) 63 Nom du bras le plus occidental du delta de l'Amou Dalya, alimentant le lac Smy-Kamysh, aujourd'hui évacuateur d'eaux de drainage vers celui-ci .Cf Tsevinskaia et al., ]l. Arid environments, 2002, 51, 363-381.
127
propice à des études intéressant l'Aral entier, d'autant que le matériel recueilli ne comporte ni gypse, ni mirabilite, attestés dans beaucoup d'autres sites. La discussion ne fait donc que s'amorcer. Mais les déviations de l'Amou Darya vers la Caspienne sont suffisamment prouvées, historiquement et archéologiquement, pour qu'on doive considérer celles-ci comme la cause essentielle des régressions de l'Aral. Dans leurs dernières publications6+, les auteurs, qui corrélaient essentiellement les variations du niveau de l'Aral avec des évènements climatiques, ont largement réintroduit les déviations de l'Amou Darya dans leur synthèse. Quoi qu'il en soit, on commence à disposer de renseignements plus précis sur les régressions, provoquées ou non par l'homme, qu'a subies l'Aral pendant les deux derniers millénaires au moins. On attend impatiemment le résultats de plusieurs études en cours sur les sédiments anciens, et ceux des archéologues, pour préciser la chronologie et l'importance des régressions passées de l'Aral, qui sont maintenant reconnues par tous, quel que soit la cause (ou les causes) de celles-ci.
64 Oberhansli
H et al., 2007, Climate variability during the past 2000 year... drainage systems, 21,167-183
128
in Irrigation
and
8
L'Aral
avant
les Russes
S
IDES TRACES de présence humaine très anciennes (Paléolithique) ont été trouvées dans le piémont de la ceinture montagneuse de la Touranie, les premières manifestations d'une présence organisée, avec des débuts de sédentarité, puis l'apparition de l'irrigation, furent découvertes dans le sud ouest de la Touranie, au pied de la chaîne du Khopet Dag et dans les deltas intérieurs du Tedjen et du Mourgab65, modestes rivières issues du sud-ouest de la Touranie, puis dans les vallées montagneuses du sud de celle-ci, aux alentours de la frontière entre le Tadjikistan et l'Afghanistan. Autour de l'Aral, on a trouvé des traces de campements le long de la vallée de l'Ouzboy, signe que le fleuve était fonctionnel au Paléolithique (fig.55). Au troisième millénaire avant notre ère, un évènement important, dans la steppe au nord de l'Aral, depuis le lac Baikal jusqu'à la Volga, fut la domestication du cheval, et, plus à l'est, du chameau. Cette avancée "technique" fut le moteur de la progression rapide des migrateurs, et des "invasions" qui atteignirent vraisemblablement l'Europe occidentale, préludant à la diaspora millénaire des peuples de l'Est vers des contrées moins hostiles. L'invention de l'étrier augmenta la mobilité des cavaliers. Celle de l'attelage, et du chariot - la roue étant peut-être introduite depuis la Mésopotamie à partir des vieux établissements existant déjà au sud ouest de la Touranie, facilita considérablement le déplacement de populations entières. Les chariots à deux grandes roues - tels les tombereaux- semblent 65 voir S.Gorshenina et C. Rapin,:« De Kaboul à Samarcande », colI. Découvertes, Gallimard, 2001.; les« Cahiers d'Asie Centrale »nolO« Karakalpaks et autres gens de l'Aral », 2002, la totalité des articles, ; voir aussi: R. Grousset, 1965 : L'empire des steppes, Payot, 656 p.
129
être apparus plus tard: ils permettaient sans s'enliser.
de traverser des terrains marécageux
La présence de ces populations vagabondes, attestée par des tombes et des restes de foyers, a été récemment observée sur les rivages nord de l'Aral par Borofika et a166.Cette culture s'est étendue peu à peu jusqu'au sud de la Mer d'Aral, où elle est connue sous le nom de «culture d'Andronovo », du nom d'un site du NW du Kazakhstan, Elle est datée d'entre 1700 et 1200 aV.n.e. On a trouvé à Tazabagyab et à Kokcha, dans le delta de l'Amou Darya, des tombes à toit de bois contenant des ossements de chevaux et des fragments de char. Preuve d'une occupation déjà sédentaire, ou semisédentaire, peut-être notée dans les textes perses les plus anciens (Avesta). On pense qu'entre 2000 et 700 aV.n.e., la région a subi une sécheresse plus marquée, et que cette civilisation locale s'est superposée à celle de cultivateurs plus ou moins sédentaires venus du sud. Il paraît probable que les nomades avaient besoin de points fixes pour satisfaire certains besoins alimentaires, tels le blé ou du fourrage pour les bêtes, ainsi que cela s'est toujours fait depuis (les nomades possédaient encore des propriétés à la périphérie des oasis au XIXe siècle)67. A l'age du Bronze, donc, des populations sans doute émigrées de la moyenne vallée de l'Amou Darya et du Zerafchan occupaient des milliers d'hectares, essentiellement dans les vallées de l'Akcha Darya et de la Yani Darya, bras anciens des fleuves et déjà cités, et succédaient à des populations néolithiques (fig.55 a). Elles pratiquaient déjà une irrigation très sophistiquée, cultivant céréales: blé, millet, avoine, et coton, légumes, utilisant déjà la noria et la chigir, système à balancier pour relever l'eau, creusant des canaux atteignant des dizaines de km de long et jusqu'à 45 m de large (Andrianov, 1985)68, On utilisait déjà des boudins de roseaux pour colmater les brèches et détourner les eaux. Selon Andrianov, cela impliquait déjà l'existence d'un état centralisé, dès le premier quart du premier millénaire avant notre ère. Dans les Asvesta, écrits indiens du 14e s. avant notre ère, et dans les RigVeda, hymnes datant peut-être de 1500 ou 1200 aV.n.e., écrits en Vieil Iranien, incluant les sermons de Zoroastre (VIle s. avo n.e.), il est fait allusion à des combats entre les Arya ( agriculteurs sédentaires) protégés par le roi de 66 Boroffka N et al., 2006, Geoarchaeology, 721-734. 67 voir Yagodin V.N, Betts A., : Ancient Khorezm, éditions Unesco, Tachkent ,2006 ; et sites comme Karakalpak.com, entre autres. 68voir "HistOlY of irrigation and drainage in the USSR", 1985, voU, 264p. Unesco, Delhi, Pub!. Unesco..
130
Chorasmie et les Toura69 (nomades). Un peu après cette époque, une invasion par des peuples non identifiés, issus de l'est, détruisit ce système. Une récente exégèse des Asvesta pourrait indiquer qu'un voyageur (inconnu) aurait évoqué une rivière qui serait l'Ouzboy... Le nord du delta du Syr Darya a donné civilisation de pasteurs, sans doute issue du Iénisséi; des kourganes70 qui a laissé le plus de traces dans l'Aral. Les rivages de l'Est de l'Aral n'ont pas donné permanentes à l'époque.
quelques traces d'une mais c'est la civilisation les steppes au nord de de traces de résidences
A partir du 7e s. avant notre ère, nous avons les témoignages des premiers historiens grecs, et surtout d'Hérodote. Les Grecs parlent des Scythes, les Perses des Saces ou Saka, les Chinois des Wou Soun. L'archéologie montre que la civilisation de ces peuples dérive de celle d'Andronovo, et a assimilé les cultures locales et nord-caucasiennes. Les explorations des archéologues soviétiques leur ont fait considérer que le Khorezm était alors une mosaique de petites principautés, avec, peut-être, un chef unique; mais on ne dispose pas de textes écrits en chorasmien, qui était sans doute une langue indo-européenne. Les Perses conquirent toute la partie occidentale de la Touranie, sans doute jusqu'au Syr Darya et le Khorezm passa sous leur domination. Cyrus le Grand (vers 558-528) avait atteint le Khorezm et détruit l'ancienne Samarcande. Darius III (521-486) étendit l'empire perse au delà du Syr Darya, annexa le delta de l'Amou Darya, et, à l'est, ce qui devint le pays de Chach (Tachkent). La cité de Kat, à quelques 30 km au N. de l'actuel Noukous.
69 D'ou le nom de« Touranie}} donné à «l'Asie Centrale}} 70 Tumulus recouvrant les tombes de chefs nomades, système pratiqué dans les régions des steppes pendant plusieurs millénaires; voir V. Schiltz, Les Scythes et les nomades des steppes, Gallimard, 1994.
131
ŒZJ h~""" CJ ,,,,,,,,,.. ~ ,;t,,"'oIHhIO'"
~J (. ~
~A,;. ,}t
to \ ,h,' '
'
,"to
OU"OI
",
l~
~, œ E.3
dBl'.g. du SCO"'" ."" s,,,, inigués (v.""es 1970: ",ohOOlog'ques
dispa,"S)
,
~':;:bi
/~6'"
iZJ
,ites du "é, Ivè siècle
~
sites du v'-
Vlllè sièdé
"'\
g Figure 55. Domaines d'occupation
permanente
péri-maliens:
les envahisseurs viennent toujours du nord-est".
Turtkulet, à 7 km du fleuve, devint chef-lieu de la Satrapie de Khorasmie71. Kat conserva son statut de "capitale" pendant près d'un millénaire, jusqu'au développement de la cité de la (Vieille) Ourgench, plus à l'ouest dans le delta de l'Am ou Darya. Tout le territoire au nord et à l'ouest, dans la vallée de l'Ouzboy, restait l'apanage des tribus nomades. Selon Hérodote, Parthes et Khorezmiens étaient réunis dans la même section de l'armée de Xerxès; mais Barthold72 doute fort qu'ils appartinssent réellement à celle-ci. Tout le nord de l'Aral était fréquenté de nomades, comme en témoigne le site de Ouigarak, à 50 km au SE d'Aralsk: les Saura mates
71Suite aux divagations
de l'Amou, les très modestes restes de Kat se trouvent maintenant
la rive droite de l'Am ou. n Barthold., dans "Encyclopédie
de l'Islam », lere éd., articles Kat, Khwarzem,
etc.. ,et aussi la seconde édition, en ligne sur internet.
132
sur
Khiva, Aral,
(Sarmates) occupaient un immense territoire allant des montagnes Chan jusqu'à la Hongrie: les Scythes leur sont apparentés73.
du Tian
Plus tard, Darius III fut vaincu par Alexandre le Grand à Arbeles (331 avo n. e.), qui laissa le Khorezm indépendant. Alexandre reçut au printemps de 328 (Arrien, IV, 15,4-5) la visite du roi khorezmien Pharasmanes, accompagné de 1500 cavaliers, preuve d'une organisation déjà importante; ce roi aurait affirmé que son royaume s'étendait jusqu'à la Crimée. Quinte Curce (VIII, I, 8) ne parle, lui, que d'un ambassadeur. Après la mort d'Alexandre, et la constitution sur les débris de l'empire d'Alexandre des royaumes gréco-bactriens, on perd la trace historique du royaume du Khorezm, mais l'archéologie a permis de retrouver entre autres des cités de l'époque, Kalali-Gir, Chirik-Robat, du 5e au 2e S. aV.n.e., de Tok Kala à14 km au NNE de Noukous, fondée entre le IV et le lIe s. avant notre ère.?"". Après 240 la capitale est Koy Krylan Kala, et le Khorezm est intégré au royaume Koushan. On a identifié deux capitales, Toprak Kala et Janbas Kala (peut-être y eut-il deux états coexistants ?), qui firent l'objet d'intenses recherches archéologiques au temps soviétique. Le Khorezm dépendit ensuite de la Perse, puis du royaume Parthe75 Certains des travaux antiques d'irrigation ont pu être reconstitués et datés. Le réseau semble avoir été saccagé au milieu du 1er s. de n. e., comme celui de la région de Boukhara sur le Zerafchan. La citadelle de Kat fut, selon Al Birouni, reconstruite en 304 de notre ère. Les royaumes gréco-bactriens, issus du bref empire d'Alexandre, influencèrent ceux qui naissaient, vivaient et mouraient à leur périphérie:ce fut le cas de Samarcande, Tachkent et du Khorezm, lequel fut conquis successivement par une invasion de "Tokhariens", puis de "Huns hephtalites", dont on sait peu de choses, même s'ils prirent le pouvoir au
73 Voir Schiltz, Grousset
«
des steppes », J.P. Roux (<
civilisations, Fayard, 1997; Barthold W.,1945: Histoire des turcs Maisonneuve 200 p. ; aussi: nombreuses entrées dans «Wikipedia ») 74 Cf. entre autres livres de Golovkina et al. (Tolstov) en français
d'Asie
histoire et Centrale,
(<
»,
Maisonneuve ed. , 1955) , P. Briant, 1984, « L'Asie Centrale et les royaumes proche-orientaux du premier millénaire », Ed. Recherches sur les civilisations, les mémoires en russe de Tolstov et al., et d'Andrianov ( Ac. Sc. URSS, et «History of irrigation and drainage in the USSR, vol.l,1985, UNESCO.. 75 Voir la récente monographie de Khozhadianov G: The militmy architecture of ancient Chorasmia, Ed. De Boccard, Paris, 259 p. , 2006, et aussi: Helm S., Yagodin V.N., ,1997 : Excavations.. .Rev Iran. , 1997,35,43-65.
133
Khorezm ou le déléguèrent à des vassaux autochtones. Un grand empire "kouchane" dont ne savait encore rien voici quelques années, sinon que ses maîtres venaient du Sin Kiang, perdura jusqu'à la fin du 4e siècle, disparaissant sous la poussée d'une nouvelle vague d'envahisseurs orientaux, peut-être déjà les Huns.. Une dynastie dite des Mrigides, développa considérablement l'irrigation entre les deux fleuves araliens. Un Chinois, Tchang Tsian, selon Barthold, aurait, voyage dans la région de l'Aral de 138 à 126 de notre ère.
effectué un long
Les Huns envahirent à nouveau le Khorezm vers 400 de notre ère. Des bribes de récits indiquent qu'entre ceux-ci et l'empire byzantin existaient des rapports - liés, bien entendu, au commerce de la soie chinoise. Un empire turc76 s'établit en 552 à l'est de l'Amou Darya; et sa langue était différente de celle des précédents envahisseurs venus de l'est. Peut-être que la première allusion à l'Aral date du récit de voyage de l'ambassadeur byzantin Zémarchos, vers 420 selon Ménandre, qui négocia sur les rives d'un "fleuve" bordé de peupliers, et qui, au retour, longea pendant "plusieurs jours un grand lac asséché". L'Aral? Les érudits du XXe siècle ont discuté à perte de vue l'interprétation de quelques lignes, certains pensant qu'il a pu s'agir des lagunes du nord de la Caspienne, par où Ménandre est revenu à Byzance. Au quel cas, on aurait là le premier témoignage historique d'un assèchement du Lac D'autres vagues de nomades turcs leur succédèrent, jusqu'à l'arrivée des Arabes, qui, de génération en génération, progressaient lentement du Sud au Nord, et prirent Khiva en 712, amenant la religion musulmane avec eux. Mais ils ne purent alors s'emparer ni de Boukhara ni de Samarkand., et ne tentèrent pas d'envahir les petits états semi-nomades de l'est de l'Aral. Ils n'imposèrent pas leur religion, mais continuèrent leur progression vers l'Est, jusqu'à la vallée du Tchou où ils battirent à Talas, en 751 l'armée chinoise venue s'opposer à eux. Parmi les prisonniers, des artisans qui leur apportèrent le secret de la fabrication du papier et bien d'autres encore...
76Les "Tou Kie" des annales chinoises. On note que les vagues successives d'envahisseurs
de la
Touranie, toujours des habitants des steppes, proviennent de l'ouest de la Chine actuelle; dans la plupart des cas, ces peuples, blonds ou bruns, aux yeux bridés ou non, étaient poussés hors de leurs zones de pâturages par d'autres, encore plus orientaux, en particulier chinois Le phénomène se sera répété une dizaine de fois avant l'invasion arabe, venue du sud-ouest, et, qui est, elle, bien documentée.
134
Al Biruni, vers 1030, donne une histoire des Afrigides qui régnaient encore lors de la conquête arabe en 712. Il fait remonter la généalogie des familles régnantes à la fondation de l'état du Khorezm dès 1292 avo n.e., ce qui parait aventureux (ce serait un millénaire avant la conquête par les Séleucides iraniens); et en tous cas, ne peut correspondre à une même dynastie; sa chronologie des époques plus récentes coïncide souvent avec celle donnée dans les archives chinoises, basées sur des rapports fréquents avec le royaume. Le voyageur Ibn Fadlan77 passa en 912 à Khiva, traversant en hiver l'Amou Darya recouvert d'un mètre de glace, avant de continuer son voyage vers la Volga et le royaume khazar. Al Idrisi dans un ouvrage précieux, donne en 1150 quelques informations sur ce qui est vraisemblablement l'Aral: c'est le seul ouvrage ancien qui soit réellement utilisable pour l'histoire de notre lac...78 On voit alors apparaître dans l'histoire une nouvelle nappe d'envahisseurs nomades, les Ghouzz, déjà évoqués, qui nous intéressent particulièrement car leur domaine est plutôt centré sur le bas Syr Darya, où on a retrouvé les restes de l'une de leur villes principales, Djent (Djankent), que visita en 1873 le peintre Vereschaguine, accompagnant l'armée d'invasion russe. Celui-ci dit qu'il ne trouva que des tas de briques réutilisés par les rares habitants, dans "des buissons épineux infestés de serpents".Ces ruines font l'objet actuellement (2007) d'une nouvelle étude par les archéologues de l'université de Kzyl Orda, assistés d'une équipe italienne, en relation avec les récentes découvertes de Kerkeri au centre de l'Aral. Les Karakalpaks (<
77Ibn Fadlan: Voyage chez les Bulgares de la Volga; Actes Sud, 1999. 78La« géographie» d'Al Idrisi a été publiée en CD par la Bibliothèque
Nationale;
trad. E. de
la Vaissière. Quelques autres citations: Al Mukkadasi ( 985) décrit la digue détournant le gros de l'Amou vers l'Ouzboy; en 139 de l'Hegire Marashi décrit aussi l'Ouzboy ; Abul Ghazi, qui règne de 1642 à 1663, écrit que le cours a changé 30 ans avant sa naissance... 79 Article « Karakalpak », Ene. Islam, 1ere éd. P.781. Ils nomadisaient jusqu'à l'Oural. Une partie remonta ultérieurement le cours du fleuve jusqu'à Tachkent puis au Ferghana. Les Kazakhs les contraignirent peu à peu à abandonner leur territoire, et ils émigrèrent vers le sud, jusqu'à la Yani Darya. Anticipant quelque peu, disons qu'au début du XIXe siècle, le khan de Khiva ayant conquis la petite principauté de Koungrad (100 km au nord de Noukous actuel) ne parvint pas à les soumettre et en 1855 ils se proclamèrent indépendants, se mirent sous la protection de la Russie qui les annexa purement et simplement après la prise de Khiva en
135
manuscrit du Moyen-âge une allusion à une expédition contre des nomades, traversant le NE de l'Aral asséché... Le Khorezm
capitale Urgench
avait été unifié en un seul état en 996, avec comme (<
principautés, l'autre étant fondations, et qui grandit Darya pour atteindre le ambitions - conquérir la Gengis Khan.
vieille ») - jusqu'alors,
il était formé de deux
celle de Kat ( Khat, Kant), dont il ne reste que des peu à peu sur la rive est de l'Aral, dépassant le Syr lac Balkach. Le Kkhoremshah avait de grandes Chine; malheureusement pour lui, il se heurta à
Pour une banale histoire de marchands mongols allant au Khorezm, et retenus à Otrar, groupe d'oasis situé près du cours moyen du Syr Darya, (dont on a reconstitué ces dernières années le réseau d'irrigation), étape importante dans un chapelet de cités marchandes jalonnant le fleuve entre le Ferghana et les plaines kazakhes. Le Khorezm venait de les conquérir. Le prétentieux Koremshah voulut en remontrer à Gengis Khan. Il perdit tout. Ces marchands furent assassinés. Gengis Khan, le nouveau maître d'Otrar, qui avait conquis avec ses Mongols toute l'Asie septentrionale et la moitié de l'Europe, furieux, envahit en 1221 le royaume de Khorezm et détruisit la totalité des villes, Kat, Urgench la Vieille, Vazir, les canaux et le système d'irrigation, de sorte que l'Amou Darya regagna son ancien lit de l'Ouzboy, et que, par voie de conséquence, l'Aral s'assécha partiellement Oe Syr Darya continuant de l'alimenter). On a trouvé lors des fouilles archéologiques, des lits entiers de squelettes, modestes restes des populations massacrées. Les champs cultivés du delta devinrent des pâtures pour la cavalerie mongole. Gengis Khan poursuivit le Khorezmshah pendant plusieurs années, jusqu'en Europe, ses hordes pillant et massacrant partout. On a quelques témoignages de voyageurs arabes sur ces ravages, les campagnes jusqu'alors bien cultivées devenues de maigres pâtures avec de maigres troupeaux et une population clairsemée s'enfuyant à la vue d'étrangers.. .Cela dura plus d'un siècle. Mais plus tard, le Khorezm se releva. Urgench fut rebâtie plus loin, en amont du delta de l'Amou Darya (<
136
1873 IV, 528-
Pendant les époques paisibles - il Y en eut- la partie « haute» du delta de l'Amou Darya était bien cultivée, ainsi que les rives de l'Akcha Darya ; le reste des côtes de l'Aral, vraie forêt vierge avec tigres et chevreuils, propriété « privée» des shahs ou hobereaux locaux, leur était réservée pour la chasse aux loups et aux tigres etc.. Les braconniers capturés ayant la tête tranchée. Les pêcheurs étaient autorisés. Tout au long du Moyen Age, et jusqu'à l'orée du XIXe siècle, les propriétés étaient défendues des pillards insoumis, surgissant des déserts alentours, par d'innombrables châteaux, construits, en pisé comme les cahutes des paysans. Il n'est pas possible ici de développer les innombrables trouvailles faites depuis près d'un siècle, qui ont éclairé une histoire déjà relativement bien connue à partir des récits des chroniqueurs arabes.so Et l'Aral? Un écrivain persan, Hamdallah (Kazwini) avait écrit au XIIIe siècle que le lac faisait 300 parasanges (I p= 6,4 km) de tour et se trouve à 300 p. de la Caspienne: ces valeurs sont presque exactes. Mais les commerçants européens, qui fréquentaient assidûment le Khorezmsl, comme le montre le "guide de voyage pour commerçants" de Pigoletti de 1339, ne s'écartaient pas de la voie séculaire de la Volga à Khiva (fig.56), loin des rivages désertiques de l'Aral, infestés de pillards, et du bas-delta de l'Amou, non défriché, qui n'intéressaient ni les commerçants ni les religieux européens. Au 14e siècle, donc, les Gouzz furent remplacés dans le delta du Syr par les ancêtres des Karakalpaks, qui beaucoup plus tard le furent à leur tour par les Dzoungares, peuple d'origine mongole. A chaque nouvelle invasion, les survivants des ethnies en place durent aller vers l'ouest et le nord de l'Aral, où elles se diluèrent dans les tribus, ou y créèrent de nouveaux noyaux de population, conservant leurs propres coutumes.
80 Voir
par
exemple,
outre
R. Grousset,
L'empire
des steppes,
Payot;
Kamev
A., le
Turkmenistan, Carthala, 2005; Piotrovsky B.B. et al., Ourartou etc..., Maisonneuve, Paris, 1954 ; Khozhaniyazov G., 2005 :The military architecture of ancient Chorasmia, 259 p., ed. De Boccard, Paris, et les nombreux ouvrages classiques d'histoire et d'archéologie de l'Asie Centrale, en russe. Nombreux sites internet sur l'histoire du Khorezm (cfYagodin ci-dessus). 81 Kounya-Ourgench
(Gourgandj),
ville capitale, est fréquemment
citée dans les chroniques
russes du XIIIe et XIVe siècles; cf Barthold, V. V., La découverte de l'Asie, 16 Payot, 1947. Voir aussi :J. Richard, Au delà de la Perse et de l'Arménie. L'Orient latin et la découverte de l'Asie intérieure, 2005, Brepols, ed. .218 p.
137
Un siècle après Gengis Khan, Timurleng- Tamerlan pour nous- envahit à nouveau le Khorezm, en 1379 puis en 1388, détruisant à nouveau le système des canaux du delta et les villes. L'Amou fut à nouveau détourné vers la Caspienne, le lac Sary Kamysh à nouveau empli à ras bords et l'Aral en partie asséché. Clavijo, ambassadeur espagnol auprès de Timour Lang, écrit en 1404 que l'Ouzboy coule toujours. Les dégâts furent moindres que ceux provoqués jadis par Gengis Khan.
\
1JZ12œ304~
(~
s~
sm
7CE]
.~ ~~O","'k
~
.
I;.hyouyouk
/i.- .~ t ,'"
f:-,IeleyouJou
00
~.a..
'
'\
\
ef(j
J
'O'v,S'I:'
Erg:dè.:. Sam'::\'::~
{-~ «~W
~
O"!\ '. Kouttam
\
' \,
YoUseyoulak-' \ Jouklodvi. Youkdudoukt-.
\,
,,', \\ \ '1\ " ~ "'"",.,. ",,1111 ,I,um,u,,,.,:,.
o(
S. (51:\1'
. "I.""""'" Jl!LLyouloksii "I>{" I .... \ I
a"
I
o
100km
\
J I
\
\,ChemlOksii
--~" Kyoungchragy 1: escarpement de "Oust Ourt; 2: points d'arrivée 3: caravanserail; 4: cimetière; 5: pistes; 6: site d'étape; 7: chantier de fouill.es.
Figure 56. la {(carte
routière» de la Caspienne à Khiva
A ce stade de l'histoire, on peut se référer aux documents cartographiques de l'époque, d'abord à l'Atlas Catalan de 1375 (cf. chap. X), puis aux diverses cartes inspirées de Ptolémée. On note avec intérêt que
138
sur ces cartes, l'Amou Darya se jette dans la Caspienne, auprès de laquelle existe un petit lac avec la mention Kitay De fait, il est fait allusion dans les chroniques chinoises de toutes époques à un lac occidental, sans qu'il soit possible de déterminer s'il s'agit de l'Aral ou de la Caspienne. Le récit d'Hamdallah est sans équivoque, ainsi que celui d'Idrisi 82. Nos chroniqueurs occidentaux ne font jamais allusion à l'Aral. Pourtant, nombre de ceux-ci, marchands et ecclésiastiques, ont connu le Khorezm. La papauté, créa même à Urgench la Vieille un évêché catholique, qui perdura plus d'un siècle. A l'époque des invasions mongoles, qui parvinrent jusqu'aux portes de Vienne, rois et papes avaient tenté (et réussi) de s'attirer les bonnes grâces des successeurs de Gengis Khan, afin de compenser la pression arabe.Ils y réussirent donc, pendant près d'un siècle. Malheureusement les archives donnent fort peu d'information sur cet évêché, et pas du tout sur l'Aral.83. Urgench était bien connue en Occident (<
82En CD Rom, 83 Voir
Bibliothèque
nationale.
J. Richard,
2005, Au delà de la Perse..., Brepols ed., qui donne des documents peu connus: une seule allusion géographique, dans une lettre du baron arménien Constant de 1248 ( p.167): « Nous avons traversé un des fleuves du Paradis, celui que l'Ecriture appelle Gihon [Amou Darya], qui est plus grand que ceux que nous avons vus, et dont le lit s'étend de toute part sur une grande journée de marche... »
139
Après Tamerlan, et jusqu'à la conquête russe, l'histoire de l'Aral et de sa proche contrée (<
140
9
L'arrivée
des Russes
L
'OCCIDENT, longtemps après, revint vers la Touranie et l'Asie Centrale, après que les Russes se fussent débarrassés de la tutelle mongole au XVe siècles4.. Les premiers contacts eurent lieu au NE de la Caspienne avec les tribus Nogaï - issues de la Horde d'Or - dès le 15e siècle. On possèdait les récits de plusieurs voyages, de Plan Carpin à Rubrouck et Marco Polo, et, de source musulmane, d'assez nombreux témoignages, dont celui de Ibn Battuta. Aucun n'évoque l'Aral. C'est du côté des Russes que les connaissances vinrent surtout, témoignages, d'abord, de marchands «faisant» la route du fleuve Oural à Ourgentch, rebâtie après les destructions de l'époque mongole. Le Khanat de Khiva, aussi nommé « Khorezm », fut le plus ancien des trois khanats ouzbeks existant entre 1512 et 1920 au sud de la mer d'Aral. Ayant à ce moment sa capitale à Ourgench, suite au changement brutal du cours de l'Amou Darya qui lui a été fatale, le Khorezm déplace en 1598 sa capitale à Khiva, petite forteresse de l'époque. Quelques siècles durant, Khiva devient un des centres du monde islamique, avant de devenir partie intégrante de l'empire russe en 1873. En 1603, les cosaques de l'Oural, non encore sous le joug russe, envahirent le Khorezm, mais furent anéantis par le khan Arab-Mohamed. Les Russes boutèrent de chez eux les tribus asiatiques, où règnait la zizanie: Ivan le terrible prit Kazan en 1552, puis Astrakhan en 1554, où une
84 Voir pour l'historique:
S. Gorshenina,
2003: Explorateurs
533 p. et C. Poujol, : La Russie et l'Asie Centrale,
141
en Asie Centrale,
Olizane
1985, Central Asia survey, p.147 fT.
ed.,
forteresse fut construite en 1589. Ce fut le premier pas vers la mainmise russe sur la Caspienne et son au-delà. Un élément intéressant pour l'histoire de l'Aral proprement dit est le récit de voyage de l'AnglaisJenkinson en 1558-1559, qui, pour le compte de la "Compagnie Moscovite" londonienne, ira d'Astrakhan à Boukhara par une route caravanière peu classique, depuis la presqu'île de Manghislak en passant par l'Oust Ourt, Ourgench et Khiva. Il fait étape peu avant Ourgench au bord d'un grand lac" à l'eau claire et fraîche"; il ne peut s'agir que du lac Sary Kamysh, qui ne pouvait alors qu'être alimenté par l'Ouzboy...donc par l'Amou Darya. Jenkinson écrit d'ailleurs: «In time past, theredidjàll into this guifè thegreat river Oxus, which has his springs in the mountaines if Paropanisus in India ». Il atteignit trois jours après Vazir, alors capitale du Khorezm, que nous avons évoquée au chapitre précédent Plus loin, il découvre un fleuve coulant impétueusement, qu'il traverse pour gagner Boukhara, et apprend que le flot va à nouveau vers le nord depuis peu de temps. Ceci indique que l'Aral avait commencé à se remplir à nouveau... Jenkinson visita Khiva, essaya de se renseigner sur les mines d'or légendaires qui devaient se trouver beaucoup plus loin au sud-est8S, passa l'hiver à Boukhara, où il put faire libérer quatre esclaves et revint en 1559 avec des représentants des khans de Boukhara et Khiva. Mais ce voyage n'eut pas de suite commerciale, à la différence de ceux qu'il avait entrepris chez des peuples plus nordiques. . . La Russie entra alors en scène par la grande porte. Depuis les années 1550, les Cosaques pénétraient de plus en plus profondément au coeur de l'Asie, élargissant le domaine moscovite, et nul doute que certains d'entre eux firent étape sur les rives nord de l'Aral. Derrière eux, petit à petit s'installent des colons, et à proximité, de petits forts de terre et de bois tenus par les garnisons tsaristes. En 1615, les Russes fondent Gouriev, à l'embouchure du fleuve Oural, porte de l'Asie Centrale; en 1627 fut publiée la première carte raisonnablement exacte de la Mer d'Aral (cf. fig. 66, chap.IO, un peu plus récente). Compte tenu des moyens de l'époque, on évaluait les distances en journées de cheval, on s'orientait sur le soleil et les étoiles. Les émissaires du tsar recueillaient auprès des voyageurs tous les renseignements possibles, sur les points d'eau, les marécages à éviter... On savait que chevaux et chameaux
85Voir L. Boulnois, 19 L'or d'Erket, L'ethnographie, soie », Olizane, Genève (2< ed.)
142
81,9-50,1985.;
et 1987, « La route de la
n'aiment guère boire l'eau de la «Mer supportent mieux.
Bleue »86, alors que les moutons la
Les échanges commerciaux Russie-Turkestan augmentèrent, et la route de la Volga-Oust Ourt se doubla peu à peu de celle qui, de l'Oural, sur le futur site de Orenbourg, atteignait l'angle nord est de l'Aral, et de là, remontant la vallée du Syr, parvenant à Boukhara. A noter qu'à cette époque, le gouvernement tsariste s'intéressait assez peu au Khorezm, qu'il laissait aux marchands, mais aux ressources plus lointaines, dont l'or... La conquête complète des routes de Boukhara devint un des buts secrets de la grande Catherine et de son conseiller Saint-Génie, dans le cadre de l'expansion russe: vers la mer Noire d'un côté, la mer Caspienne et les riches oasis du sud de la Touranie de l'autre. Pourtant diverses missions diplomatiques ou commerciales visitèrent de plus en plus souvent Khiva, Boukhara pour le rachat des esclaves russes fournis par les razzias des peuples nomades semi-indépendants, Kirghiz, Kazakhs et Turkmènes (cf Barthold, op. cit., p. 207 fI). L'Asie centrale commença à être cartographiée par des professionnels, mais, en l'absence de moyens techniques permettant de mesurer convenablement latitudes et surtout longitudes, à la fin du XVIIe siècle ces cartes restaient encore très approximatives (voir chapitre 10). On savait désormais en Russie que deux fleuves alimentaient le lac, tout en ignorant leur origine, et que « le fleuve Darya» (sic) charriait de l'or provenant d'une contrée mystérieuse, Erketi, qui fut recherchée en vain pendant plus d'un siècle87, dans les hautes vallées du Zerafchan, très au sud de la Mer d'Aral. Pierre le Grand poursuivit l'entreprise de Catherine, et envoya plusieurs expéditions vers la Caspienne et la Touranie, à la recherche de l'or. au delà de l'Aral, de Khiva et de Boukhara, suivant des récits de voyageurs. Ces mines existent réellement, mais se trouvent bien plus loin. Il expédia un de ses officiers, Bekowitch, vers Khiva, d'abord en suivant depuis la Caspienne le lit asséché de l'Ouzboy, cela sans succès, faute de points d'eau où se ravitailler, puis, en 1717, par l'Oust Ourt. Ce fut un désastre complet88.
86Ce qui peut expliquer la désaffection des caravaniers pour les routes tangentes à l'Aral... 87 CfBoulnois, «L'or d'Erket» », op.cit. 88 Cf R. Létolle, 2000, Studia iranica, 29, 192-240, et Cah. d'Asie Centrale" 1998, 5-6, 259284.
143
1000
I;
Samara
1585;2
Saratov
1590 ;3-Tsarits)"
1589;
4- Nouvelle
Sarai;
5 Ancienne
Sara!;
6
Astrakhan: 1586; 7 :Itli Saljany 1830; 12 Recht Ouralsk 1617; 17 :Oufa 1831 ; 22 Petropavlovsk
(capitale Kalmouk);8 :Kizlar; 1560; 9 Derbent 1597; 10 Bakou 1804-; II 1722-1735; 13 Achoukala 1781,1830; Astrabad 1723-1730; Gouricv 164-5 ; 1585; 18 Samarsk 1727; 19 Orenbourg 174-0; 20 Orsk 1735; 21 Aktioubinsk 1680; Yamichevsk 1715; Semipalatinsk 1718 ;25 Akmolinsk 1824- ;26 Irguiz 1825; 27Tourgay 184-5; 28 Novo Alckandrovsk 1820-184-0; 29 Fort Alexandrovsk 1839; 30 Tchoykalkovsk vers 1835; 31 Bishaki vers 1850; 32 Fort Bekovitch 1720; 33 Krasnovodsk (1859); 34Mikhailovsk 1856; 35 Fort Gesli-Ata vers 1870; 36 Fort IIte Disha vers 1870; 37 Kyzyl AnNatl877 ; 38 Tcharkish-Jar vers 1850; 39 Fort Tchinovi-Apolonova (vers 1860); 4-0 Djan ; 4-1 Fort Raim 184-7; 4-2 Fort Aralsk( nOI, Kazalinsk) 1850; 4-3 Fort Mailibask 1851 ; H Fort Chodcha Nidas 1852; 4-5 Karmatchi ( fort n02) 1852,4-6 Perovsk ( Kzyl Orda) 1853 ;4-7 Djoulek 1853; 4-8 Otrar; 4-9 Turkestan 1864-; 50 Tashkent 1864-; 51Fort Sousak 1864-; 52 Tchoulak Kourgan 1864-; 53 Aoulié Ata 1864-; 54- Merkc Tourgan 1850; 55 Tchaldivar vcrs 1860; 56 Pichpek (Frunze) 1874-; 57 Vcrnye (Almaty) 1850; 58 IIisk ( Fort Tchunski) 1863; 60 Kouldja (1871-1881); 61 Fort Naryn 1864-; 62 1864-; 59 Borokhoudzir Khodjcnd 1869; 63 Khokand 1876; 64- Samarkand 1868 ;65 Fort Kara Ata 1864-; 66 Boukhara 1867; 67 Pamirski Post 1890; 68 Termez 1882; 69 Kaki 1867; 70 Chardzou 1867; 71 Petro Alexandrovsk 1874-; 72 Kat 1875; 73 Noukous 1874-; 74- Ourgench 1875; 75 Khiva 1875; 76 Kyzyl Kala 1876; 77 Merv 1884-; 78 Mcroutcha 1885; 79 Pendeh 1885; 80 Serachs 1882 ;81 Rouchnabad 1882; 82 Derbent Nefte 1882; 83 Ashkabad 1882; 84- Geok Tepe 1881; 85 Fort Orenbourgskoie 1882; 86 Fort Poltavskoie 1882; 87 Fort Chodsakala 1877; 88 Fort Douslouchoum 1865; 89 Tehat 1865; 90 Iagly Choum 1860 ;91 Sairam 1864-; 92 Khopal 184-6; 93 Sergiopol 1831; 94- Lcpsinsk 1850; 95 KctmenTube 1864-; 96 Tougoustaourou 1864-; 97 Kourtkal 1864-; 98 Temirskoie Vers 1810; 99 Oust Kajouk 1864-; 100 Yassougoum 1864-; 101 Fort Ikchavdari 1864-; 102 Bazar Klitch kala 1874-; 103Eschak Riaouat 1870; lM Kyzyl Riaouat 1867 ; 105 Agrabad 1867.
Figure 57. L'expansion
russe en Asie centrale
144
Le khan suggéra à Bekovitch, parvenu aux portes d'Ourgentch, de disperser ses troupes afin qu'elles puissent disposer de plus de fourrage pour leurs bêtes, puis attaqua chaque détachement ainsi affaibli et les anéantit. Bekowitch fut pris, assassiné, son cadavre bourré de paille envoyé au khan de Boukhara. Les Russes n'oublieront jamais. Trois survivants seulement purent regagner la Russie, dont le guide turkmène.. . Dans les années qui suivirent, l'emprise russe, tout en s'étendant vers l'est, fortifia sa position face aux états musulmans. Orenbourg, sur le fleuve Oural fut fondée en 1734 par le général Kirilov, grâce à qui la carte de l'Aral se perfectionna peu à peu: il créa dès 1750 à Orenbourg un bureau de renseignements qui ne devint officiel qu'en 1799. Kirilov eut la haute main sur toutes les affaires sibériennes de la Russie, lança reconnaissance sur reconnaissance dans la steppe. Il organisa de multiples expéditions, tant privées que gouvernementales, le plus souvent punitives, contre les Tatars qui attaquaient constamment les caravanes. Il eut même le projet de fonder une ville sur l'emplacement de l'actuelle Aralsk. Potocki89, qui guerroya longtemps entre Volga et Caucase raconte: «Je me suis entretenu avec le Cosaque Jouravliev qui a été encore à Khiva pendant quinze ans. La plus curieuse partie de ses récits est une navigation sur le lac Aral. Il s'est échappé avec plusieurs prisonniers de sa nation et a passé trois mois sur le lac. Il voulait trouver la rivière Ogdournak, dont la source se rapproche de celle du Iemba90, et il l'avait trouvée lorsque les Tatars l'ont repris. Jusqu'alors il leur avait échappé, parce qu'il avait des voiles dont les naturels du pays ne connaissent point l'usage. Souvent les gens de Khiva lui ont dit: « Si l'ancien canal du fleuve Amou existait encore, nous ne garderionspas un seul Russe; tous échapperaientpar la mer Caspienne.» : ces propos semblent ne devoir laisser aucun doute sur l'existence de cet ancien canal: l'Ouzboy ! Mais une des plus spectaculaires expéditions, plus tard, fut celle de Mouraviev, qui remonta en 1819 toute la vallée de l'Ouzboy, ce cours mythique de l'Amou vers la Caspienne. Il offrit donc un itinéraire possible, plus court, de la Caspienne au Khorezm, que la pénible traversé de l'Oust Ourt depuis l'Oural. Les Occidentaux suivaient avec intérêt ces avancées dans une Asie nouvelle pour eux, redécouvrant Hérodote et autres auteurs anciens. Ainsi, Montesquieu, dans «L'esprit des lois91 » - 1748 - évoque-t-illa 89« Au Caucase et en Chine », 1798 : ed Phoebus, 1991. p.169 90 L'Emba, fleuve caspien au SE de l'Oural. 91Encyclopédie de l'Islam, lere éd., IV, XXI, ch.6.
145
voie fluviale de l'Ouzboy, et Gibbon, dans sa « Chute de l'empire romain» (1778), reprendra brièvement la discussion. Les meilleures cartes de l'époque avaient été compilées par D'Anville (cf. chapitre suivant) La fondation sur le fleuve Oural en 1734 du poste d'Orenbourg, point de contact stratégique entre la Russie et l'Asie Centrale, marqua une étape importante vers la mainmise de la Russie sur l'Aral. Ce n'était pas tant le lac lui-même que visait l'Empire, que l'assurance de sécurité sur les routes gagnant les émirats de Khiva, Samarcande et Boukhara. Le général Kirilov, avec de faibles moyens, tenta de rallier la multitude de petits chefs nomades du vaste territoire correspondant au Kazakhstan actuel, avec même la promesse de « construire une ville nouvelle» sur le delta du Syr Darya. Tout cela finalement en vain; mais l'acquis fut une bonne connaissance du territoire des Kirghiz-Kazakhes. Kirilov mourut en 1735. Pendant tout le XVIIIe siècle, des émissaires russes continuèrent d'aller à Khiva (Rukhavkin, 1753-54), sous le prétexte de négocier la libération des esclaves russes92. En fait, ils eurent peu de succès mais rapportèrent une moisson de renseignements géographiques. Les cadeaux pleuvaient sur le khan de Khiva : un émissaire lui offrit ainsi un orgue péniblement apporté depuis Moscou. Les armes, en particulier les fusils, étaient appréciées. Les postes frontières russes venaient au contact de ceux du khanat de Khiva d'une part, et d'autre part de ceux du Khanat de Kokand- qui revendiquait la souveraineté sur la vallée de l'IIi, du Tchou et du bas Syr Darya. C'était là un objet permanent de frictions, concernant les limites territoriales imprécises entre les deux états, spécialement à propos des terres de parcours des bergers nomades. En 180 l, le tsar Paul 1er lança en plein hiver une expédition de conquête vers Ak Djoupas, hameau de pêcheurs et futur site d'Aralsk. On voulait reconnaître la route de Indes. Mais, mal équipée, la troupe dut faire demi-tour en subissant de lourdes pertes. L'assassinat de Paul 1er donna le signal d'un retour comparable à la retraite de Russie de Napoléon...La leçon sera retenue. En 1825, le colonel Berg explora à fond le territoire entre la Caspienne et l'Aral, ce qui permit d'établir des postes russes le long de la rive est de la Caspienne, et une série de puits qui furent forés sur le plateau d'Oust Ourt jusqu'à l'Aral (fig.57). Dans ce territoire quasi-désert, on pensait
92voir V.V. Barthold,
La découverte
de l'Asie, augmenté
1947.
146
par B. Nikitine, chap. 17, Payot éd.
trouver une voie d'accès moins « encombrée» pistes d'Orenbourg au Syr Darya.
de nomades pillards que les
A Orenbourg, sur l'Oural, existait depuis 1730 le service spécialisé que le général Kirilov avait fondé, rassemblant toutes les observations relatives à l'Asie Centrale, et qui perdura jusqu'à la conquête de Tachkent en 1865, avant d'être intégré aux services généraux de l'Etat Major russe. C'est au travail de fourmi de Kirilov que les Russes durent une connaissance détaillée de l'Asie Centrale, bien avant les conquêtes. En 1839, une autre expédition militaire commandée par le général Perowski, mal équipée pour l'hiver, se termina en catastrophe sans même avoir atteint l'Aral; la plupart des soldats périrent de faim et de froid. Mais on s'inquiétait de plus en plus à Moscou des incursions anglaises, venues des Indes. Les Anglais voyaient dans l'Asie Centrale un débouché prometteur pour leurs productions industrielles, en particulier les armes à feu et les étoffes. Les Russes s'inquiétaient de ces infiltrations qui gênaient leur lente progression vers le sud. Parmi les « espions» anglais qui se renseignaient sur la Touranie, Abbott ramena de Khiva des informations, fut capturé par des Turkmènes, en réchappa par miracle. Autre miracle, on a retrouvé ses notes ces dernières années. Il fut suivi en 1840 par un autre officier, Shakespear (sans e) qui revint aux Indes sans problème. Mais ces reconnaissances laissaient l'Aral de côté: le lac leur était d'ailleurs inaccessible. Les marchands russes, eux, fréquentaient de plus en plus ce coin d'Asie, ramenant le coton de Boukhara et du Khorezm, une caravane de plus de mille chameaux l'emportant chaque année vers Tsaritsyn (VolgogradY)3. Les explorateurs (fig.58) précisaient leurs cartes, les enrichissaient. De sorte que dans les années 1830, la Russie connaissait déjà assez bien tout le territoire, en tous cas aux alentours des pistes et des cours d'eau. Sur le plateau d'Oust Ourt, les Russes creusèrent une file de nouveaux puits, construisirent des fortins de plus en plus rapprochés du Khorezm.. .L'explorateur Lepchine publia en 1840 un gros livre « Description des hordes kirghizes-kazakhes », où il parle abondamment de l'Oust Ourt et de l'Ara194. Il est notamment frappé par le spectacle du Tchink occidental, et indique les routes menant de Orenbourg à Khiva : 93 La charge d'un chameau était d'environ 200 kilos; cette quantité servit de base }) ultérieurement à la définition de la « balle de coton 94 L'original fut publié en français (5I4p, chez Arthus-Bertrand, éditeur à Paris, et est disponible intégralement sur Google) ; voir aussi le long compte-rendu par E. Thouvenel de ce livre dans la « Revue des deux mondes}) 28, 1841, cf « fr.Wikisource.org.)
147
« .. .Par la route de Boulhara,
qui a une branche à droite, prenant vers le goijè nord-est (
Severovostotchnoi) de la mer d>.Aral ( goijè d>.Aralsk), appelé dans le pays Saratchaganak
et de ce
goijè en longeant le rivage en droite ligne, au sud. Après qu'on a traversé le lit du rani Dary~ près du puits Koum Biat~ on se dirige vers la ville Nouvelle Ourgenrlja, située près de Khiva.
Ou par le rivage occidental de la mer d>.Aral. Cette dernière route passe par les retranchementsd'llets, traverseles rivièresllek, Kobda, Oui~ et lefleuve Emba, d'où les uns vont prendre l'ancienne route des Nogaïs, et par ce chemin gagnent les mines de l'ancienne Ourghenrlja.
D'autres gravissent l'Oust Ourt près des ravins Kourçai, et vont au sud-est en se rapprochant peu à peu de la mer d>.Aral; puis ils longent le rivage même, traversant les mines de Devlett- Ghirei et Kara-Ghumbet, la lande Ksoula pjoul.
laissant à gauche le goijè Sara-Maçat
et bientôt entrant dans
Alors descendant de l'Oust Ourt, ils gagnent au sud-est la ville Kj;:;;yl
Korlja, située sur la rive gauche de l>.AmouDaria dans les états de Khiva... »
C'est toujours la route utilisée, que suit le chemin de fer actuellement abandonné95.
Figure 58. Principales expéditions russes autour de l'Aral au XIXe siècle
95 Un accord signé fin 2007 avec le Turkmenistan frontière iranienne
à Gourgaud
va prolonger
près de la Caspienne.
148
la ligne vers le SW jusqu'à
la
Butakoff
(1849)
L'expédition de Alexei Butakoff de 1849 est l'acte essentiel de la connaissance de l'Aral, car elle pennit de synthétiser les découvertes précédentes. Les Russes installèrent une première pêcherie sur le site d'Aralsk en 1839, qui périclita immédiatement. En 1847, l'année russe construisit son premier fort, en terre, Fort Raim, sur une petite île du delta du Syr Darya, avec une garnison, à 60 km du rivage de l'Aral ( site de Kazalinsk). Les Russes furent déçus par la faible profondeur des eaux du Syr Darya à ses bouches, due à la barre sableuse. Néanmoins, ce fut de cet endroit que partit l'expédition de circumnavigation de l'Aral, dirigée par l'officier de marine Butakoff (fig. 59) avec son lieutenant Pospeloff. Dès le printemps suivant, commença la circumnavigation. On découvrit la grande île de Barsakelmes, on rectifia la carte fantaisiste de la côte NW et on suivit la côte occidentale, découvrant que la plus grande profondeur de l'Aral se trouvait là (69 m). Butakoff découvrit alors que Kokaral était une île. Il vit des caravanes longer le haut de la falaise du Tchink, et découvrit l'archipel Nicolas 1er (devenu après 1922, V ozrojdenie: Résurrection). Il observa le premier que les petites falaises portaient les traces d'érosion marine en biseau, quelques mètres au dessus du niveau présent, indiquant que l'Aral avait régressé depuis.
Figure 59. Timbre soviétique émis pour le 150eanniversaire de l'expédition Butakoff.
149
Au Sud, une petite île sablonneuse fur baptisée Constantin, du nom du tsarevitch96, et deux îles très basses Bellingshausen et Lazareff, du nom du célèbre explorateur des mers antarctiques et de son lieutenant., qui marquent l'allongement du "horst" centré sut la ligne NS de Mouinak à Koulandy. On ne trouva sur ces îles aucune trace de présence humaine, mais des troupeaux d'antilopes peu farouches, descendant de celles qui y furent emprisonnées lors de la remontée du niveau de l'eau, au XVIIIe siècle, et dont les matelots, pour renouveler leurs provisions, firent un véritable carnage. L'expédition passa ensuite beaucoup de temps à cartographier, à bord de ses canots, la rive indécise du delta de l'Amou Darya. Butakoff explora en canot l'ancienne baie Aiboughir, dans la dépression qui cerne au SW l'escarpement du Tchink et qui s'était révélée impraticable à ses voiliers. Il avait eu l'espoir d'y trouver là un passage vers l'Ouzboy, espoir vain depuis des millénaires, comme on l'a vu précédemment. Les tracés existants du rivage variaient beaucoup du fait de fonds très modestes (l à 3 m), conséquence des variations du niveau général du lac. On reconnut qu'un bras occidental de l'Amou Darya venait s'y jeter, mais était inaccessible lui aussi aux navires de l'expédition. Butakoff avait la consigne de se méfier des Karakalpaks, habitants dispersés sur tout le pourtour est et sud-est du lac, réputés chasseurs redoutables, et que le khan de Khiva n'avait jamais pu faire passer sous sa gouvernance. Butakoff tenta à nouveau sa chance plus à l'est, et put remonter le chenal principal de l'Amou jusqu'à une barre rocheuse que les navires ne purent franchir, faute de bras suffisants pour les haler. Au retour, Butakoff découvrit le lac Karateren, couvert de roseaux, au pied du petit chaînon du Beltau, prolongement oriental ancien du Tchink à l'est du delta, que nous avons évoqué au chap II. Remontant vers le nord, il passa beaucoup de temps à explorer avec ses chaloupes le dédale des chenaux de l'archipel Akpeti, partie ennoyée de sables du Kyzyl Koum., où l'eau s'enchevétrait avec la végétation de tougaï touffue, et que nous avons déjà signalée dans le chapitre 4.
9liNotons ici encore que cette île échappa au
" rebaptême"
révolution bolchevique.
150
général des topographies
après la
Aucune trace d'activité humaine sur cette rive, alors que quelques hameaux de pêcheurs avaient été visités sur la rive nord: c'étaient les mêmes que ceux qu'on voit aujourd'hui, mais loin de l'eau. Les pêcheurs s'aventuraient peu au large, avec leurs barques de roseaux: ils craignaient les tempêtes brutales venues du nord-est, et les petites vagues violentes. Ils connaissaient l'île Barsakelmes, celle" dont on ne revient jamais", mais pas Vozrojdenie, alors invisible même depuis le modeste point culminant du Tchink occidental. Butakoff hiverna un peu au sud de Fort Raim, auquel il signala sa position. Ses chaloupes terminèrent le relevé de la pointe est de l'Aral, aux rives toujours plates et au tougai touffu, où ses hommes rencontrèrent des tigres...97. Il semble qu'il ait perdu un homme, victime de ces derniers... Il rentra à St Petersbourg, où ses travaux lui valurent de monter en grade. Ses découvertes et la carte qui en dériva (fig. 70) lui valurent la renommée auprès de toutes les sociétés de géographie du monde. La dite carte n'a subi depuis que des modifications mineures. Il lança en 1850 la première chaloupe à vapeur, suédoise, amenée en pièces détachées depuis l'Oural, sur le Syr Darya. Fort Raim fut un lieu de déportation pour les opposants au pouvoir tsariste; le plus célèbre d'entre eux fut le jeune peintre Chevtchenko, déporté en semi-liberté- qui y demeura trois ans et fit une série d'aquarelles qui sont les meilleurs documents98 de l'époque sur l'Aral.
Les Karakalpaks
(<
bonnets noirs ») avaient conservé leurs coutumes
ancestrales depuis le 13< s. (et jusqu'à nos jours: importance de la pêche, endogamie), et occupaient un vaste territoire allant bien au delà du Syr Darya vers le NE, mais avaient été refoulés en 1825 vers le bas Syr Darya et sa branche SE Yani Darya par les Dzoungares, une mosaïque de peuples d'origine mongole, fédérés pour la première fois par Gengis Khan, puis réunifiés à nouveau plus tard par Tamerlan. Ils étaient alors essentiellement formés de groupes turcs, éleveurs dans le Kyzyl Koum, à l'est de l'Aral, et se révoltèrent plusieurs fois entre 1807 et 1811 contre le khan de Khiva, qui prétendait régner sur l'est de la mer d'Aral- ceci, sans doute déjà à l'instigation des Russes. Pour les punir, on coupa l'arrivée de l'eau du Syr vers la Yani Darya; ce sera à nouveau le cas en 1830; mais déjà, l'eau de ce bras du Syr Darya n'arrivait que rarement à l'Aral. 97Le dernier tigre d'Asie Centrale soviétique aurait été tué au Tadjikistan
près de Douchambé
en 1943 ; des chasseurs kazakhs en auraient observé un en 1944 au nord est de Kzyl Orda.... 98 Des reproductions en sont données sur Internet, site du musée de Kiev dont Chevtchenko était originaire.
151
Figure 60. Clair de lune sur Kokaral (Chevtchenko,
vers 1850)
Peu à peu cependant, saison d'été après saison d'été, l'armée russe remontait le cours du Syr Darya., bien loin de l'Aral maintenant, vers un objectif: Tachkent et Samarkand: buts géopolitiques, face à l'emprise croissante des Anglais maîtres de l'Inde et qui peu à peu « diffusaient» vers le nord.. .En fait, au delà de l'Asie centrale, les Russes visaient une voie d'accès vers la mer ouverte, c'est à dire l'Océan indien... Fort Raim avait été abandonné et remplacé en 1851 une centaine de km en amont par Kazalinsk, au bord du Syr Darya, avec une forte enceinte fortifiée et des batteries de canons. Ce fut le Fort nOl, d'abord nommé Aral. Mais les Russes, sous la direction de Perowsk, n'en restèrent pas là. L'année suivante, ils créèrent le fort n02 (Karmitchi, devenu Djouzali), 100 km plus haut encore, et, en 1853, le fort n03 (Ak Meched), rebaptisé Perowsk en 1855, puis Kzyl Orda en 1919. Des villages de cosaques furent immédiatement établis à proximité, permettant le ravitaillement des troupes régulières. Mais un aventurier, Yakoub Bey ~ieutenant du Khan de Boukhara, qui se créera plus tard un royaume à cheval sur l'Ouzbekistan, le Kirghizstan et le Sinkiang actuels), et qui était plus ou moins soutenu par les Anglais, voyant ces empiètements successifs des Russes, sur un territoire qu'il revendiquait, attaqua les troupes russes et après avoir détruit une centaine des nouveaux hameaux reprit Ak Meched aux Russes après de sanglants combats. Une première contre-offensive de ceux-ci échoua, faute de canons pour faire sauter les remparts de terre battue, mais le général Perowsk reprit la ville à la 152
fin de l'année avec de lourdes pertes, fit un massacre de la population, dispersa l'armée de Yakoub Bey, et annexa par la même occasion, toute la vallée jusqu'à la future Kzyl Orda. Ses patrouilles précisèrent les itinéraires possibles vers Tachkent. L'année suivante, en 1854, Butakoff remonta en bateau tout le Syr Darya jusqu'à proximité de Tachkent, malgré le harcèlement des cavaliers de Yakoub Bey et conclut que le fleuve ne pourrait pas permettre un trafic lourd, du fait des variations importante du niveau de l'eau et de la variabilité des bancs de sable. En charge de toutes les affaires navales, Butakoff créa un début de marine militaire: coques et machines à vapeur étant amenées démontées depuis Orenbourg. Les chaudières furent d'abord alimentées de bois de saxaoul, puis de charbon amené depuis le bassin du Donetz à travers l'Oust Ourt ( plus de 2000 km!), avant qu'on découvrît, dans la montagne du Karataou, à l'est du Syr Darya, le ( mauvais) charbon nécessaire. Entre temps, des milliers d'hectares de saxaoul furent brûlés, au grand dam des éleveurs locaux.
l'après Butakoff Le reste de l'histoire, la conquête du Semirichtié (aujourd'hui le Kirghizistan), de Tachkent, de la vallée du Ferghana, de Samarcande (1866), de Boukhara (1868) et du Pamir (1875), ne nous concernent pas ici99. On dira seulement qu'en 1870, les Russes sont maîtres de toutes les côtes de l'Aral, sauf celles du sud et du sud-est, toujours terres du Khan de Khiva, toujours soumis aux pressions de son voisin du sud, le khan de Boukhara. En 1854, le premier cité demanda l'assistance des Russes - qui refusèrent- contre ses turbulents sujets turkmènes. Il leur coupera en 1856 l'eau de la branche Daryalik au SW de l'Amou Darya, qui irriguait les prairies de ces nomades. En 1864, le linguiste hongrois Vambéry, déguisé en pèlerin, visita une partie du delta, suivi en 1874 par l'Anglais H. Wood, qui remonta l'Amou Darya jusqu'au défilé de Tyouyamouyoun, à l'amont de Khiva. Les Karakalpaks du bas delta (Koungrad), accablés d'impôts, se révoltent en vain. Les Russes refusent à nouveau d'intervenir. Mais en 1870, ils se sont installés, à partir de Boukhara, sur la rive droite de l'Amou Darya (fort de Petro-Alexandrovsk, devenu ensuite Tourtkoul à l'ère soviétique), à
99
Cf «Explorateurs
l'Asie Centrale
en Asie centrale », S. Gorshenina, 2003, Olizane, 534 p. et« De la Tartarie à
", thèse Univ. Paris X, 2007.
153
quelques km de Khiva qui est proche de l'autre rive.. Les officiers y amènent leurs épouses. . . Diverses expéditions scientifiques terrestres entreprirent à cette époque l'exploration détaillée du « Pri-Aral» 0e «pourtour» de l'Aral) (figure 58). Dès 1880, l'Aral était bien connu, et E. Reclusloo pouvait en donner une monographie qui, près de 130 ans après, n'a pas une ride, même pour ce qui concerne son assèchement. . . Les Russes s'installèrent alors solidement en Asie Centrale. C'était le premier grand pas vers le sud, pour l'accès vers un océan libre de glaces, et qui impliquait un conflit grandissant avec les Anglais, installés depuis longtemps en Inde, et qui étaient influents dans tout le Moyen Orient: c'était le début du « Great game ». Dès 1865, la première ligne maritime réunit Akjoupas (future Aralsk) au delta de l'Amou, et, jusqu'en 1878, elle transporta chaque année de 615 à 4480 passagers, et de 500 à 3000 t de marchandises. Après une reconnaissance avec le bateau à vapeur « Samarcande» en 1874, la flotte comprenait maintenant six vapeurs armés de canons, et dix barques. Noukous, alors groupe de quelques bicoques auprès desquels les Russes avaient construit leur premier fortin était le terminus de la ligne. Après la conquête du Khorezm, on put joindre Fort Petro-Alexandrovsk, puis, après le pénible passage des rapides de Tyouyamouyoun ,"la tête du chameau", Chardzou sur le cours moyen de l'Amou. De là, un service hebdomadaire gagnait Termez en amont, et chaque quinzaine, Petro-Alexandrovsk en aval. Le service était évidemment déficitaire, et pris en charge par l'Etat. Les épouses des militaires russes utilisèrent la longue ligne maritime de Petro-Alexandrovsk à Fort Raim, et de là, celle du Syr Daria jusqu'à l'embarcadère de Tachkent pour y passer leurs vacances auprès de la "entry" russe Il leur fallut pour cela trois longues semaines d'un voyage inconfortable et non dénué d'incidents, échouages et pannes. L'expérience ne fut pas renouvelée... En 1882, tout service avait cessé entre Noukous et Akjoupas, devenue Aralskoe More. Nous avons signalé déjà le témoignage du peintre Vereschaguine, célèbre par ses tableaux décrivant la guerre contre les khanats orientaux, qui passa en 1873 par Akjoupas, alors formée de quelques cabanes, et nous donna, on l'a vu, un des très rares témoignages de l'époque sur la baie.
100 E. Reclus,
Geographie
Universelle
t. V,« L'Asie
154
russe », p.374 seq.
Mais bien auparavant, en 1872, prenant prétexte de la délivrance de Russes encore asservis à Khiva, trois colonnes, l'une partie de la rive de la Caspienne - et qui faillit mourir de soif, la seconde depuis le Syr Darya à travers des parties encore inconnues du Kyzyl Koum, et la troisième de Petro-Alexandrovsk, future Tourtkoul et tête de pont russe sur le bas Amou Darya, s'étaient dirigées vers Khiva, où, après une brève bataille pour l'honneur, le Khan accepta toutes les exigences russes, le protectorat bien sûr, l'annexion à la Russie du bas delta de l'Amou, encore essentiellement terrain de chasse privé du roi, et l'installation de colons russes sur les terres cultivées ou cultivables. Harcelée par les cavaliers turkmènes, qui se battaient pour leurs terres de pâture situées sur la rive gauche de l'Amou, à l'ouest de Khiva, l'armée russe en fit une véritable hécatombe. On dispose de plusieurs récits de cette conquête et on s'en émut en Europe... Divers voyageurs de diverses nationalités sillonnèrent le territoire aralien, complétant et rectifiant les cartes existantes, aidés de la photographie (Fig.51 ).
Figure 61. Première
photo connue du Tchink (falaise W de l'Aral, 1861) ; le paysage n'a pas changé...
Bonvalot et Capus, deux Français, traversèrent le delta de l'Amou Darya en 1882, puis le sud de l'Oust Ourt jusqu'à la Caspienne, et leurs 155
récits, qui mériteraient leur voyage lOI.
réédition, donnent quantité de détails pittoresques
sur
En 1891, tous les territoires au nord et NE de l'Aral furent réunis sous une seule administration dite du « territoire des Steppes », le Khorezm étant devenu protectorat de la Russie, comme Boukhara au sud-est, annexée en 1868. Dès lors, la Russie était maîtresse de toute la Touranie, ayant en même temps conquis tout le territoire du Turkmenistan actuel, le Ferghana, délimité, non sans mal dans ses frontières avec la Chine, et une véritable frénésie d'organisation commença. La Russie se préoccupait essentiellement déjà de se procurer du coton, d'abord pour la fabrication d'explosifs ("le fulmicoton"), ensuite pour l'industrie textile: la Guerre de Sécession américaine avait pratiquement interdit l'importation du coton américain, et la Russie avait été contrainte de se procurer, à prix d'or, du coton égyptien et indien. Le delta de l'Amou Darya, à la terre fertile - une seconde Egypte-, a t-on écrit, comme la région de Boukhara, et les oasis du sud en général, se prêtaient fort bien au développement d'une culture stratégique. L'état russe entreprit dès la chute de Khiva, d'en faire le cadastre exact, de réparer, rénover et développer le réseau d'irrigation. Le déboisement des tougai riverains devint systématique - d'autant que dès 1880, on l'a vu, la ligne de bateaux à vapeur, partant d'Aralsk, allait désormais jusqu'à Khiva, non sans mal d'ailleurs. Ces bateaux, peu puissants, ne pouvaient toujours pas franchir seuls le rapide de Tyouyamouyoun à 100 km au sud de Khiva, et devaient être halés. Plus tard d'ailleurs, le trafic sur l'Amou Darya restera toujours modeste, presque nul vers le sud, mais exportant du coton vers le nordJ02, avant la construction du chemin de fer Orenbourg-Samarcande, celui-ci atteignant Akjoupas en 1906, qui n'est alors formé que de quelques baraques, près de la plage, autour des voies. Le chemin de fer n'atteindra Tachkent qu'en 1914. Une exposition se tint à Tachkent en 1882, montrant les résultats déjà obtenus dans le développement du Turkestan Russe (appellation officielle). Ce qui est relatif à l'Aral est peu de chose, sinon que les projets de capture des eaux de surface pour l'irrigation ont bien avancé, quoique bien peu soit réalisé encore sur le terrain: peu ou pas de machines à vapeur, difficultés à trouver des travailleurs, et surtout un coulage effréné. Moser raconte dans
101
G. Bonvalot, Du Kohistan à la Caspienne, Plon ed. , 1883; G. Capus, A travers le
royaume de Tamerlan...Hennuyer, Paris, ed.,1892.Voir Gorshenina S., «Explorateurs en Asie Centrale », Olizane, 2003, pour une quantité de détails sur l'exploration de l'Aral des origines à nos jours. 102L'essentiel étant transporté par le Transcaspien jusqu'à Krasnovodsk et de là, vers la Russie
156
son livrelO3 les difficultés considérables qu'il rencontra pour développer ses cultures, qu'il dut finalement abandonner. Néanmoins, le travail des ingénieurs affectés à l'aménagement du delta de l'Amou Darya se révéla efficace: suppression des chenaux inactifs, rectifications de tracé, nettoyage des berges: tous travaux effectués manuellement, le roseau restant avec la boue le matériau de base. Les premières machines à vapeur n'apparurent que vers 1910 au SW de Tachkent, et au Khorezm vers 1930. En fait, les successeurs du général Kaufmann, premier gouverneur de l'Asie russe, ne s'occupèrent guère de développement, faute de crédits pour une part, mais surtout par incompétence des administratifs, souvent nommés en Asie comme punition.. .De sorte que la production aralienne du coton, considéré comme le meilleur d'Asie, végéta jusqu'à la Grande Guerre. La mer d'Aral n'apparaissait qu'à peine à l'exposition, sinon dans des projets d'assèchement du lac -déjà !-pour récupérer des terres supposées fertiles. Ces projets eurent la vie dure, jusqu'en 1914 au moins, quoique les vrais experts s'en soient souvent moqués. En 1906, le niveau de l'Aral était monté de plus d'un mètre, ennoyant des lagunes desséchées au sud d'Aralsk. La même année, le géographe Berg fit une étude complète du lac, et publia en 1908 la première monographie détaillée de l'Aral, fruit de plusieurs années de travail sur place. Il confirma la totalité des observations de Butakoff, en particulier tout ce qui permettait de penser que le niveau de l'Aral avait beaucoup varié dans le passé. En 1911, un premier projet de rétablissement de l'Ouzboyl04 n'eut pas de suite. En fait, il y eut à cette époque un réel engouement pour le problème de cette rivière mystérieuse, en particulier chez les érudits, linguistes et historiens, dont BartholdlO5, le plus connu et sans doute le meilleur chercheur de la moindre information dans les textes anciens. Le point central de ces discussions était celui-ci: cette vallée, indubitablement témoin d'une rivière fossile importante issue de l'Aral, avait-elle été peuplée dans le passé, et avaitelle servi de voie commerciale aux temps antiques, voire à l'ère chrétienne? Il y avait très peu de ruines, surtout des tombes, qui témoignaient d'une occupation à deux époques au moins. Mais pas de traces de ville ou de village, pas de traces d'irrigation, sinon dans les parties du cours proches du Khorezm et autour de l'ancien lac Sary Kamysh... Il existe une forteresse 103Moser H. L'irrigation en Asie Centrale, Paris, Ed. indust. et agricoles ed. 1895. 104Nous avons consacré trois articles à ce problème. Rappelons que Pierre le Grand était passionné
par l'énigme de l'Ouzboy, voie supposée du trafic de l'or depuis l'Orient; cf aussi BOWnois«< L'or d'Erket »). \05Voir ses articles dans l'encyclopédie de l'Islam (lere édition).
157
mystérieuse, à Igdy, 150 km au nord d'Ashkabad dont on pense qu'elle est d'époque parthe.. ..Beaucoup plus tard, les grandes archéologiques soviétiques des années 1930 à 1970 (Tolstov, apporté des éléments nouveaux à ce problème passionnant, maintenant pour sa résolution complète l'emploi de méthodes modernes...
aujourd'hui expéditions Kes...) ont qui attend de datation
En 1914, le trafic sur le Syr Darya était insignifiant (fig.52). Sur l'Amou Darya, la situation était un peu meilleure; mais les crues, tourbillons, les bancs de sable changeants, faisaient qu'on mettait près d'un mois pour aller de Chardzou, alors bourgade boukharienne sur l'Amou Darya, au débarcadère de Khiva. Le coton de Boukhara, très prisé en Russie, avait dès la conquête de la ville pris le chemin de la Russie par bateau sur l'Amou, puis sur l'Aral jusqu'au chemin de fer d'Aralsk vers la Russie, tout juste installé. L'ouverture du chemin de fer transcaspien, voie stratégique ouverte depuis la Caspienne jusqu'à Boukhara, puis Tachkent, porta un coup très dur à l'exportation du coton par la voie aralienne...
Figure 62. Canonnière
russe sur l' Amou Darya (1887)
158
En 1914 encore, W oiekoff, dans une monographie de qualité sur le Turkestan russel06, montrait qu'à l'époque, dans un contexte colonialiste comparable à celui, ailleurs, des Anglais et des Français, la mise en valeur se faisait sans brutalité excessive - selon les critères de l'époque; en particulier, il n'y avait pas, ou peu, de spoliation, et on touchait le moins possible aux habitudes des «indigènes », de sorte qu'il y eut peu d'émeutes: l'administration russe au Khorezm se montra moins arbitraire que celle des khans de Khiva, réduits à la figuration... La première guerre mondiale toucha peu le Khorezm et l'Aral. Il y avait bien là, comme ailleurs en Touranie, des mouvements clandestins « de libération» Signalons toutefois l'épisode guerrier, fin 1919, très peu connu, qui opposa, aux portes d'Aralsk, les troupes « blanches» de l'ataman Doutoff aux, soldats bolcheviks venus de Tachkent et commandés par Frounze, et où intervinrent les canons de deux canonnières rouges embossées à quelques km du portlOï, et qui fit passer définitivement l'Asie centrale aux mains des Rouges.
106Woiekoff A(19l4, ed. Française): Le Turkestan 11lsse,Armand Colin. 107Voir« Aral Sea, the forgotten battle of Aralsk"19l9, par l'auteur, Histoire contemporaine de l'Asie Centrale, Littérature abondante en anglais sur Internet.
Chuvin
159
in " Hydrologie.org" ,et" ed., 376 p., 2008.
P. et coll., Fayard
10
Courte
histoire
de la cartographie
de l'Aral
L
ES PROGRÈS de la connaissance de l'Aral, et de l'avance russe vers la Touranie se suivent sur les cartes, mieux qu'au travers de récits toujours elliptiques. Berg (1908)108 doit être le premier à avoir tenté un historique des découvertes relatives à l'Aral. Il publia une série de cartes anciennes, montrant l'évolution des connaissances - et en tous cas des idées- sur le sujet. Récemment Gorshenina (2007)IŒ) a repris et complété ce travail dans une optique différente. Nous présentons ici quelques cartes qui témoignent de l'évolution, au cours des siècles, des idées que l'on se faisait de l'Asie Centrale et de ses lacs - dont l'Aral. La cartographie est indissociable de la découverte, et, pour les Européens, elle reflète l'état des connaissances. C'est surtout après les invasions mongoles, à une époque où les marchands occidentaux, voire les missionnaires chrétiens, fréquentaient de plus en plus la Caspienne et, éventuellement, la Touranie, qu'on éprouva le besoin de synthétiser les connaissances sur des cartes. Les musulmans furent spécialement les précurseurs (cf. Idrisi, XIe siècle)lIO. L'Aral était vraisemblablement connu 108Berg L, Oeuvres complètes, vol.2, Ac. Sc. Moscou, 1953 (en russe). 109Gorshenina S., 24-7-2007.:" De la Tartarie à l'Asie Centrale..." Thèse Un. Paris 1. I10Dont nous avons donné un extrait dans «Aral », Springer éd.
161
depuis longtemps des occidentaux, ce qui n'apparaît guère dans les ouvrages que nous avons cités précédemment, mais n'avait aucun intérêt pour eux. Mais citons W oiekofi111 : « Ibn Roustam, qui vivait au commencement du Xe siècle décrit assez exactement les rives est et ouest de l'Aral de son temps. La ville de Ket, actuellement Cheil-AbbasAbasVali, dans la division de l'Amou Daria, sur la rive droite de l'Amou, était la capitale du Klwvarezm (sic). Masoudi, dans son encycloPédie publiée en 95~ écrit que la rivière de Balkh se déverse dans l'Aral, le plus grand lac de la Terre Il compte trente journées de " marche du nord au sur4 et six de l'est à l'ouest. En 1051, Istakri parle d'un lac salé dans lequel se déverse le .pjeihoun (c'est le nom de l'Amou à cette éPoque) et, à quatre jours de là, le lac reçoit la rivière de Chach (Tachkent) c'est évidemment le ~r. Sur la carte de cet auteur, la Caspienne et l'Aral sont séParés, et, "d'après lui, il y a vingt jours de route entre les deux lacs. Les travaux des auteurs musulmans étaient connus des Vénitiens des XIIIe et XIVe siècles, surtout de Marion Sanudo. Ils connaissaient l'existence de l'Aral. Mais au XVe siècle, la géographie de Ptolémée fit traduite en latin et, dès lors, les habitants de l'Europe centrale et occidentale, s'en tenant à lui, n'admirent plus l'existence de l'Aral. Le khan Abdoul Gazi, de Khiva, qui vivait de 1603 à 1663, écrit que l'Amou se déverse dans l'Aral qu'il est lepremier à appeler de ce nom. »112 En 1552, le tsar Ivan IV de Moscou ordonna de mesurer les terres et de fàire des cartes. Le travail fit publié en 1627, sous le nom de Pistsovia Knigi. Il contient aussi des données sur les pays limitrophes de la Russie. Il s'agit naturellement de renseignements oraux. Nous lisons entre autres: « De la Caspienne à l'Aral il y a 250 verstes à l'orient. Dans l'Aral l'eau est salée. De l'Araljusqu'à nrgiz ily a 280 verstes. »
La figure 63 est un fragment du célèbre Atlas Catalan (XIVe S.)113,où l'on reconnaît la Mer Caspienne et l'Oxus. La côte Est de la Caspienne était bien connue au Moyen Age des marchands venant de la Mer Noire, sauf dans sa partie NE, et en particulier, l'embouchure de l'Ouzboy dans la baie de la future Krasnovodsk (Turkmenbashi en 2008), fréquentée depuis des siècles... L'Aral était vaguement connu des anciens cartographes, un lac situé quelque part à l'est de la Caspienne, protégé par des journées de marche dans les déserts. S'y jetaient un ou deux fleuves, ou aucun, l'Amou Darya (Oxus) débouchant dans la Caspienne. Les marchands gênois connaissaient parfaitement cette côte dont ils avaient déjà dressé les portulans, où on voit
III Woiekoff A., Le Turkestan russe, Armand Colin, 1914 (pas de version russe) 112On peut noter que nous n'avons pas cité ces auteurs, difficiles à trouver... 113Extrait d'un CD de la Bibliothèque Nationale de France.
162
distinctement l'embouchure de l'Ouzboy, mais pas l'arrière-pays, les « cartographes de salon» l'ignoraient encore.
alors que
Figure 63. Extrait de l'Atlas catalan; Caspienne,
Amou Darya, « flum d'orgunzi n...
Rien de nouveau pendant deux siècles. La figure 64 de Mercator (1630) montre également l'Oxus, selon un tracé toujours fantaisiste. Un certain nombre de villes, telle Kat (Cant), peuvent y être trouvées, avec des cours d'eau plus ou moins fanraisistes. Mais la mer d'Aral n'existe pas. D'autres cartes de la même époque s'approchent davantage de la réalité.
163
Figure 64. Extrait de la carte
de Mercator
(1630)
La figure 65 (carte de Witsen, 1687, faite à la main), en dépit de nombreux défauts, se révèle beaucoup plus exacte. L'Oxus et le Iaxartes y sont clairement distingués, ainsi que les villes de Tachkent et Boukhara. Samarcande est représentée en gros caractères, au nord d'un lac, qui est l'Aral, donc pas en place. Du lac s'échappent les deux bras d'un fleuve allant à la Caspienne, et l'Ardok, déjà signalé sur des cartes plus anciennes, se jetant dans un petit lac" Kitai". L'Oxus n'a aucun rapport avec ce lac, et se jette dans la Caspienne; il est considéré comme la frontière avec la Perse. On voit ici la confusion qui existait, le cartographe tentant de concilier des renseignements contradictoires, d'origine variée. On connaît vaguement l'existence d'autres lacs plus à l'est, dans le pays des Kalmouks, peut-être le Balkash.. . En fait, la totalité des cartes avant 1650 AD se copient de génération en génération, rajoutant au gré de leur information tel ou tel détail, ville, lac ou cours d'eau, s'arrangeant pour tenter de donner de la cohérence à leur dessin. Dans l'ignorance où l'on était de la mesure des longitudes (qui 164
nécessitait de disposer de «garde-temps» précis et fidèles- et les horloges étaient loin de l'être; de plus, les montres n'existaient pas encore), c'est surtout sur ce point que ces cartes sont en défaut: l'estimation des distances d'est en ouest se faisaient en journées de piéton, cavalier ou caravanier. Pour les latitudes, les erreurs étaient moins criantes, du fait que les observations était faites quand le soleil indiquait le midi locaL..
Figure 65. Fragment de la carte de Witsen (copie de 1704)
Des bribes de renseignements étaient aussi extraits des récits de voyageurs, et des géographes arabes, traduits en masse dès la Renaissance. Quelques points fondamentaux ressortent cependant de leur examen: la présence de deux fleuves irriguant un territoire s'adossant à la Chine, la localisation assez précise des deux villes-phares, Boukhara et Samarcande. La Caspienne, pourtant connue des Romains, n'apparut vraiment qu'au XVIe siècle, sous une forme fantaisiste, d'abord ouverte sur l'Océan vers le nordll4, et ne fut proprement cartographiée qu'un siècle après, quoique les portulans génois aient représenté cette côte avec exactitude un siècle plus tôt: il est vrai que ces documents restaient soigneusement à l'abri des regards indiscrets...
114Quoiqu'elle
ne l'était pas sur les cartes dites de Ptolémée, beaucoup
165
plus anciennes.
L'existence des deux grands fleuves Amou et Syr était connue depuis longtemps. On les faisait, tous deux se jeter à l'ouest dans une mer qui fut d'abord la Mer Noire, puis la Caspienne (Mare hyrcanum) ; on a vu que ce qui était l'Amou faisait frontière avec la Perse. Ca et là existaient des lacs, grands et petits, dont, vers le nord, ce lac Kitai (de Chine), faussement interprété au XIXe siècle comme un avatar de l'Aral, mais correspondant plutôt au Lac Balkash, plus loin au nord-est. On doit noter d'ailleurs que le lac qu'on assimile à l'Aral, entre les deux fleuves, est selon les époques, représenté de plus ou moins grande dimension- ce qui pourrait correspondre aux épisodes de régression ou d'extension de l'Aral. Nous y avons fait allusion lors de la discussion de la carte accompagnant le récit de Jenkinson (chapitre 8). La première carte montrant réellement l'Aral, encore sous le nom de «Lac de Kitai» était un autre document du à Mercator, de 1628 (Gorshenina, 2007), donc plus ancienne que celle illustrée par la figure 64, ensuite suivie par celle de Witsen (1687) , avec les rivières du Turkestan coulant vers la Caspienne. La mer d'Aral était déjà bien pourtant bien connue des Russes, en tous cas sur ses rives nord-est et ouest, fréquentées par Cosaques, Kazakhs alliés du Tsar et marchands russes. On ne peut rejeter l'idée qu'il y ait eu longtemps confusion entre l'Ouzboy-frontière et l'Atrek, petit fleuve côtier faisant aujourd'hui frontière entre la Perse et le Turkmenistan. Mais la première carte donnant une représentation relativement réaliste de l'Asie Centrale est due à Remesov (fig.66, carte dessinée à la main et non imprimée) en 1697, avec une position correcte de l'Aral à l'est du plateau de l'Oust Ourt, des deux fleuves et des grandes villes au long de ces cours d'eau une représentation assez convenable des reliefs; la toponymie est relativement exacte. Les longitudes, qu'on ne sait pas encore déterminer exactement, sont cependant « écrasées ». En fait, les Occidentaux ouest de l'Aral, et encore...
n'ont encore connaissance
alors que du rivage
Avec le début du XVIIIe siècle, et jusqu'au début du XIXe, l'Aral est bien identifié et un grand progrès est apparu avec les cartes de Strahlenberg (1730), prisonnier suédois qui fut détenu en Sibérie pendant 20 ans et finit par s'en échapper, emportant avec lui les secrets qu'il avait patiemment accumulés. Tout y était ou presque. Un peu après, Kirilov, (figure 67), le gouverneur de la région trans-ouralienne, utilisa tous les documents
166
disponibles, dont ceux de Strahlenberg, pour faire exécuter un atlas des steppe asiatiques, presque parfait. La Caspienne a désormais un contour correct, l'Aral y est correctement alimenté par ses deux fleuves; beaucoup d'îles y sont dessinées. Il est remarquable que l'Ouzboy soit pratiquement représenté partout, de manière souvent assez fantaisiste, avec des cours parfois redoublés etc. alors qu'il faudra attendre le début du XIXe siècle pour que son ancien lit fût parcouru par Mouraviev en 1819. La mention « cours ancien» ou « chenal asséché» y est en général appliqué. L'origine de l'Ouzboy dans le Khorezm est généralement indiquée correctement, alors que l'embouchure va diversement à Turkmenbashi (ex-Krasnovosk) ou au golfe de Kara Bogaz. Pierre le Grand, lors de son voyage à Paris, avait apporté à l'Académie Française les cartes nouvelles de la côte est de la Caspienne, ainsi que celles de l'arrière pays, donc pratiquement toute la Touranie jusqu'à la ceinture montagneuse. Ces documents firent le bonheur du grand géographe français d'Anville, qui profita des indications personnelles que lui donna le Tsar, lui permettant de définir correctement enfin sur ses cartes les rives de la Caspienne, mais pas encore tout à fait celles de l'Aral. (Voltaire en parle). Montesquieu, dans « L'esprit des lois» et Gibbon, dans «Ascension et chute de l'empire romain », évoquent la curiosité que constitue l'Ouzboy, supposée déjà être l'ancien itinéraire des bateliers gagnant l'Amou Darya depuis la Caspienne. D'Anville, cartographe officiel du Roi de France, doté de moyens d'information exceptionnels, tira parti de toutes les informations disponibles pour construire la carte la plus satisfaisante de l'époque. Il est surprenant qu'aucun progrès sensible ne soit apparu après Kirilov jusqu'à la fin du XVIIIe, siècle, même si les patrouilles russes s'aventuraient sur pratiquement tout le pourtour du lac, et les marchands et diplomates se rendaient à Khiva et Boukhara, en général pour négocier la libération de pnsonmers.
167
....
~r~~'-~- ~ , ".. ,.1ft . ~"'"
"
.H'" ['
L ,'M t}. -.,4.'(",.. >;1.,
d
r
.
"......... .
..,' ",,-
.~
f1~~flt t~-it _ ~.t~>':~K.r~.w"1œ IH . I. ~I<"'f'?~
. tH!"
~ w"
:t.i'f..4,., ..; t!Ot_ '" "..
~f''''''
""-u
Figure 66. Fragment de la carte de Remezoff (copie de 1704), (Nord en bas)
De cette époque jusqu'au milieu du XIXe siècle, l'Aral sera représenté en général en forme de "S" allongé du Nord au sud, sauf sur certaines cartes européennes dont les auteurs n'avaient pas eu accès aux dernières découvertes russes. La cote ouest et le Tchink restent fantaisistes, accidentées de golfes profonds, alors que ce sont en réalité des baies largement ouvertes, à peine marquées. Ce n'est qu'avec la publication de la carte de Butakoff que les cartographes de l'Europe occidentale rectifieront leurs tracés. 168
Figure
67. Une
carte
de Kirilov
(1734)
Sous-produits de l'expédition avortée de Bekowitch à Khiva (1717), existent des brouillons de cartes, datés de 1730, retrouvés par Berg en 1939 (fig.68), et qui ont dû être utilisés par Kirilov. Ces brouillons durent servir à l'établissement des premières cartes russes de l'ère moderne; peut-être firentelles partie de celles que Pierre le Grand apporta à Paris? Les reconnaissances de plus en plus profondes des Russes en Touranie permirent de rectifier et préciser les rivages Est de l'Aral. Arrowsmith donna la première carte moderne de l'Aral, immédiatement imité par Panzner (fig. 69), mais où la côte ouest, et surtout la côte nord, sont encore fantaisistes.
Diverses cartes s'inspirèrent de celles-ci toujours une forme de losange à l'Aral
1840,etc...). Le lieutenant v.v.
en les schématisant, (Lamarche, 1835,
donnant Klaproth,
Berg (sansrapport avecL.s. Berg)avait pourtant
déjà levé le tracé du Tchink et rectifié en 1825-6 le tracé de la côte ouest, faisant disparaître des îles et golfes imaginaires; mais ses relevés devaient être classés « secrets» par l'armée... Eversmann (1825-26) explora soigneusement les côtes Est, puis Basiner (1842) et Danilevski (1842) complétèrent le tracé des rivages. En 1826, les topographes Sagorski, Duhamel et Anjou opérèrent le nivellement du lac, trouvant une altitude de
169
35,66m asl, pour le niveau de l'eau, ce qui n'est pas si mal (altitude en 1900 : 53 m) compte tenu des moyens techniques employés baromètre). Les grandes îles V ozrojdenie et Barsakelmes étaient inconnues à l'époque. La première n'était pas visible sous l'horizon en regardant vers l'est, la seconde étant cependant connue des riverains puisque son nom signifie «l'île dont on ne revient jamais ». Mais Kokaral, bien visible depuis l'embouchure du Syr Darya n'était pas considérée comme une île, compte tenu de l'étroitesse du détroit la séparant de la presqu'île voisine de Karatyup, pas encore explorée.
.~
~"
"
Figure 68. Brouillon de carte
issu de l'expédition
170
de Bekowitch.
g Figure 69. Carte de Panzner, 1819
Humboldt, dans ses «Fragments de géologie et de climatologie asiatiques », de 1832, donne une carte de l'Aral, que lui-même n'a pas visité lors de sa mission, où il mentionne franchement que les contours de la côte nord sont pratiquement inconnus. Finalement, les expéditions de Butakoff de 1848 et 1849 completèrent le relevé de l'Aral. Sa carte (fig.70) ne subit depuis lors que peu de changement depuis, sauf dans les golfes d'Akpeti au SE, la baie d'Aralsk au N et celle d'Aiboughir, aux fonds très peu marqués et sensibles aux faibles variations du niveau du lac. Il est curieux que les côtes nord de l'Aral, pourtant les plus proches de la Russie, aient été les dernières connues. L'explication peut être recherchée dans le fait que les explorateurs suivaient essentiellement les pistes des caravanes, suivant le Tchink à l'ouest, ou la route depuis l'Oural jusqu'à Ak Julpas Oa future Aralsk), d'où une piste descendait plein sud vers Khiva au travers du Kyzyl Koum, loin du rivage qui était difficilement accessible au
171
travers des fourrés. Le nord de l'Aral ne comportait commerCIaux.
pas de tels itinéraires
Les déserts de l'arrière pays demeurèrent à peu près inexplorés avant la conquête complète du pays, et firent l'objet des travaux des topographes russes de la deuxième moitié du XIXe sièclel15. Le régime soviétique fit effectuer après 1930 un relevé détaillé des fonds et des rivages sur la base du 1/200 OOOe: ces cartes demeurèrent inaccessibles au public jusqu'à la fin des années 1990. Après la deuxième guerre mondiale furent dressées les cartes géologiques, pédologiques etc.. .difficilement disponibles aujourd'hui. Les cartes anciennes sont avidement recherchées par les collectionneurs, mais on trouve aux Etats Unis des spécialistes qui les vendent, fort cher, y compris les cartes de l'époque soviétique. La plupart de ces documents sont reproduits sur Internet, au moins en partie.
115References: Berg L.S,1908). In "Complete works" (1960),vo1.3: Otherk istorii issledovaniie aralskogo more (( Histoire de la Mer d'Aral) pp.162-250; Gorshenina S., 2007. De la Tartarie à l'Asie Centrale. Thèse, Université Paris I. ; Kniajetskaia KA., 1964. The destiny of a map (in russian). Izdat. Social Econom. Lit. Mysl, Moscow, 120 p.; Létolle R., 1998. Les expéditions de Bekovitch-Tcherkassy en Turkestan ( 1714-1717) et le début de l'infiltration russe en Asie Centrale. Cahiers d'Asie Centrale, 5-6,259-284; nous donnons d'autres cartes dans Hydrologie.org.
172
"'::! ~
~
StJHYEY OF TnI':
;;~ ~ ~#-\ iPir A~j\t JlY
C\'''''~ "'n'"r "\.,l!u.t"loJl Lnp""l.RU,.,,~ X WM,uB+IJ. '''-:1'.
.;,
Figure 70. Première carte
173
de Butakoff
11
La Mer d'Aral au XXe siècle
D
Ès LA CONQUÊTE par les Russes, plusieurs milliers de sujets russes (dont des Tatars), furent installés en Boukharie (surtout dans l'enclave russe de Kagan) et à Khiva. Dès 1875, on avait exilé dans le Khorezm les Ouraltsis, cosaques turbulents qui survécurent surtout de chasse et de pêche. Ils y ont conservé leurs coutumesl16. S'y ajoutèrent des groupes religieux, Vieux Russes, mennonites, qui subsistaient encore dans les années 1930 (cf. E. Maillart, 1932),et qui furent souvent des agriculteurs et éleveurs modèles!!7. On vit arriver aussi, bon gré mal gré, des immigrants variés, en dehors des Vieux-Russes: des Moldaves déplacés de leur contrée natale et les Allemands de la Volga, ainsi que des déportés politiques russes. Certains s'installèrent à Mouynak, alors encore une île déserte, et dans celles qui frangeaient la rive Est du lac, où on retrouve aujourd'hui leur cimetières, et leurs jolies maisonnettes de bois vert et rouge, dont beaucoup sont aujourd'hui abandonnées. Les Russes confisquèrent l'essentiel des domaines du khan, qui devinrent domaine impérial. Leur centre administratif fut installé au bord du Syr Darya à Tourtkoul, alors Petro-AlexandrofT, 100 km en amont de Noukous, alors un hameau, et où ils érigèrent un fort. Ils pouvaient ainsi surveiller depuis la rive droite le khan, toujours résidant à Khiva, à 20 km à l'ouest du fleuve. Dès la mainmise russe sur le Khorezm en 1872, donc, on entreprit des travaux. Il fallait d'abord construire des forts, opérer des recensements, dresser un cadastre, et terminer l'exploration du delta, fort complexe. 116Kalbanova, Cah. Asie Centrale, 10,2002, p. 239 117Woiekoff A., Le Turkestan russe, Armand Colin, 360 p.,1914, l'état général de la région à l'orée de la première guerre mondiale.
175
donne une bonne idée de
L'histoire de celle-ci a retenu quelques noms, le géologue Barbot de Marny (famille d'origine française immigrée au XVIIIe s. , et spécialiste de la Mer Caspienne), Hellmann, Severtseff, Smirnoff, et surtout Tilho, qui fit la premières carte détaillée de la rive Est et érigea la borne qui servit à déterminer les oscillations du niveau du lac. Mentionnons ici le géologue américain E. Huntington qui fit un long séjour sur l'Aral et l'Ouzboy en 1904. En fait, la cartographie à grande échelle du Khorezm ne fut terminée qu'en 1960. On commença à creuser de nouveaux canaux, pour rationaliser l'irrigation et augmenter la production du coton. Le bas-delta de l'Amou Darya resta essentiellement le domaine des chasseurs, artisans-pêcheurs et, dans les « interfluves », d'éleveurs de chèvres et de moutons, pratiquant une sorte de transhumance. La guerre de 1914 se manifesta d'abord par la réquisition de milliers de chevaux, non sans protestations véhémentes des nomades du nord, puis leur embrigadement forcé, qui conduisit à des émeutes réprimées avec brutalité. Beaucoup s'enfuirent dans la steppe ou le tougai, ou désertèrent, ce qui amena de nouvelles répressions.Le gouverneur général du Turkestan, Kouropatkine, continua la réquisition des chevaux en été 1916 pour la remonte de la cavalerie et établit la corvée générale des paysans, puis des citadins, pour des travaux locaux d'intérêt militaire. Des marins de l'Aral furent mobilisés dans la flotte impériale. Des émeutes éclatèrent, qui furent rudement réprimées par le général (plus tard rallié aux bolcheviks, et finalement éxécuté par ceux-ci. Après la prise du pouvoir par les Rouges à Tachkent en octobre 1917 et non sans difficultés, et avec l'établissement de soviets (assemblées) mixtes indigènes-colons par les Bolcheviks, le contrôle communiste devint définitif sous la direction de Frounzé. La mer d'Aral joua un certain rôle: la ligne du transaralien fraîchement inaugurée en 1914 et le télégraphe qui l'accompagnait, furent l'enjeu de combats féroces en 1917-18 entre les troupes blanches du général Wrangel et les Rouges, commandés par Frounzé, venus de Tachkent, qui se voyaient coupés de la Russie. Une bataille décisive eut lieu à l'hiver 1917 aux alentours d'Aralsk, avec l'appui des canonnières passées aux Bolcheviks1l8. Il y eut apparemment peu de remue-ménage au Khorezm, sinon des incursions de pillards, turkmènes et autres, profitant du retrait des troupes russes. La production de coton de Boukhara et Khiva (ensemble) en 1919 tomba à 18% de celles de 1913 Oes surfaces à 38%), les petits producteurs se consacrant aux céréales pour survivre; lesexportations vers la Russie la même
118Voir, de l'auteur,
dans « Hydrologie.org. "
sur internet pour des détails.
176
année ne furent que de 5% de celles de 1917, les chiffres étant de 10% pour le karakoul et 17% pour la laine. La révolution d'octobre n'a guère laissé de traces dans l'histoire de l'AralII9. L'écrivain kazakh Nourpeissov, dans « Les cendres de l'été »120, montre bien quelle était l'atmosphère entre l'Oural et l'Aral pendant la guerre Rouges-Blancs, et décrit la bataille d'Aralsk, gagnée par les Rouges, et dont il reste peu de traces dans l'histoire soviétique. La fin de la guerre civile russe n'a pas laissé non plus de traces écrites connues relatives à l'Aral. Le territoire aralien était très mal tenu par les Rouges qui avaient finalement pris le pouvoir dans presque tout le Turkestan, au détriment des autorités autochtones qui s'étaient constituées dès novembre 1917. Les basmatchis, troupes errantes de pauvres paysans armés, dépossédés par les premières nationalisations des terres, ne firent guère d'incursions sur les terres du delta de l'Amou. A la fin de 1918, des musulmans plus ou moins favorables aux Blancs, rallièrent de guerre lasse les bolcheviks, dans leur désir d'indépendance. En fait, beaucoup se méfiaient du nouveau régime; leur attente d'une nouvelle indépendance fut déçue, et leurs mouvements nationaux furent écrasés en 1919-20. Les ralliés au communisme survivants resteront, résignés, "compagnons de route" jusqu'en 1937, et furent alors assassinés. Une des premières actions des gouvernements nouveaux en 1992 fut d les réhabiliter. En 1919, l'Armée Rouge occupa le Khorezm, qui fut alors administrativement considéré comme indépendant, à la demande des Karakalpaks qui s'estimaient brimés par la fraction turkmène de la population. Khiviens et Boukhariotes avaient détrôné leur khan. Le 2 septembre 1920 Kouybytchev prit Boukhara qui devint République autonome (et République d'Ouzbékistan le 19 septembre 1924), avec l'adjonction de Tachkent et Samarkand). Khiva ne suivit qu'en 1923. Au nord-est de l'Aral, tout le territoire russe fut rattaché à la république kazakhe, primitivement déclaré république autonome, avant d'être incluse 119Le récent et magistral ouvrage de Buttino M. (2003) , "La revoluzione capovolta", qui ne parle guère de l'Aral, fait un point complet des événements politiques de cette période; la thèse de S Gorshenina ( Univ. Paris I, 2007) apporte beaucoup de renseignements inédits sur l'histoire politique générale de la région, des avancées de la conquête russe, et des progrès de la cartographie de l'Asie centrale. Voir aussi P.Chuvin, R. Létolle, S.Peyrouse, Histoire de l'Asie Centrale contemporaine, Fayard, 2008. 120Roman, ed. Gallimard.
177
dans la jeune URSS. En 1924, Staline, Commissaire du Peuple aux nationalités, procéda à des rectifications de frontière entre les nouvelles républiques soviétiques, basées en principe sur l'occupation ethnique. Quand le pays des Karakalpaks devint république autonome de la jeune URSS, le nord de l'Aral devint une partie de la nouvelle République du Kazakhstan (1920). On sait les problèmes que posa la délimitation des frontières des nouvelles républiques dans les années 20, sous la direction de Staline, commissaire aux nationalités. Les Karakalpaks se plaignirent amèrement que la frontière fût fixée sur le cours de l'Amou Darya -alors qu'ils en occupaient tout le bas delta- , les divagations du fleuve emportant leurs terres fertiles de la rive droite du fleuve, pour en déposer autant du côté de la république nouvelle-née du Turkmenistan. On leur attribua donc une partie beaucoup plus grande du delta, selon un découpage très compliqué qui subsiste aujourd'hui. Enfin, en 1932 on créa la République autonome des Karakalpaks, rattachée en 1936 à l'Ouzbékistan.
Le "développement"
après la révolution
d'octobre
Des survivants des purges bolchevik, beaucoup furent déportés vers le nord, au Kazakhstan, où les Soviets mettaient en place une industrie minière et métallurgique qui sera considérable. Divers témoins étrangers, ingénieurs recrutés pour les travaux d'irrigation, très tôt repris, ou journalistes, souvent américains, ont raconté dès 1937, bien avant Soljenitsine, que ces esclaves couchaient en hiver dans les tranchées qu'ils creusaient. Les journalistes étrangers étaient soigneusement pilotés loin de ces chantiers vers d'autres, exemplaires; mais tous ces voyageurs n'étaient pas dupes: André Gide,Jules Moch, et quelques autres, en étaient. Les expatriés forcés, quoique théoriquement libres, eurent le même sort que les prisonniers politiques des goulags. L'élevage transhumant, ressource essentielle du reste du " Pri-Aral", fut réglementé, avec d'énormes surfaces de pacage centrées sur de nouveaux hameaux créés grosso modo à 50 km les uns des autres. Les grandes transhumances saisonnières du passé, du sud vers le nord au printemps et réciproquement en automne, furent interdites: obligation fut faite aux nomades, par nature indépendants, de vaquer selon des parcours prescrits par avance, et qui ne correspondaient pas aux trajets séculaires Allant à l'encontre des pratiques immémoriales des nomades, cela ne se fit pas sans 178
mal, et l'armée rouge intervint souvent, les armes à la main: il y eut beaucoup de morts parmi les nomades, soit dans des combats désespérés, soit par suite du froid hivernal et de famines. Alors que jadis, les nomades passaient l'hiver dans des sites abrités du vent, près de sources pérennes, ils devaient demeurer sur les lieux de pacage, gelés à coeur. Tout le sud du Kazakhstan actuel subit ainsi des pertes considérables en vies humaines et en bétail jusqu'au milieu des années 1930, atteignant plusieurs centaines de milliers d'âmes. Cela s'ajoutait aux réquisitions forcenées du bétail, menées dans les années 1916 à 1918. Mentionnons encore les «basmatchis », très rapidement évoqués au chap.9, troupes irrégulières formées essentiellement de paysans dépossédés et révoltés, soutenus clandestinement par ce qui restait du clergé musulman, et qui firent régner l'insécurité chez les Bolcheviks121 jusque dans les années 1934-35, où les derniers furent refoulés dans les hautes vallées du Pamir par les chars du général Tougatchevski. Leur action paraît avoir été minime à proximité de l'Aral. Ils harcelèrent un temps, sans succès les nouvelles autorités de Khiva, avant de se retirer vers Boukhara. Maintenant maîtres absolus de la totalité du Turkestan, les Russes pouvaient envisager un développement global de l'agriculture, et spécialement celle du coton: n'a t-on pas dit que 90% de la consommation allait à l'équipement de l'armée impériale? Le coton du Khorezm était proclamé depuis des siècles «le meilleur au monde »... Les remarquables travaux de nivellement effectués depuis 1873 jusqu'à la guerre de 1914 par les topographes militaires russes, et ceux de remise en état du système d'irrigation en cours de modernisation furent repris ou corrigés. Diverses expéditions entre 1920 et 1940 complétèrent la carte existante et précisèrent la nature des sols pour la mise en oeuvre de la planification de l'agriculture. Les regroupements forcés, (y compris pour les pêcheurs de l'Aral) amenèrent le redécoupage des domaines en kolkhoses et sovkhoses remplaçant les anciennes limites fixées par le cadastre impérial dans les années tsaristes: elles sont demeurées identiques aujourd'hui, à quelques différences près. Après la période de troubles, révoltes urbaines et campagnardes, sauvagement réprimées, qui dura jusqu'en 1924 au moins, celle des grands travaux commença donc. Pour ce qui concerne les alentours de la mer d'Aral, la priorité était de poursuivre le travail de mise en place d'un réseau moderne d'irrigation dans le delta de l'Amou Darya, devenu pour une grande partie République autonome des Karakalpaks. Le delta du Syr Darya n'était pas prioritaire car ne pouvant produire de coton. 121En 1922,22
komsomols (Ueunesses communistes)
179
furent tués par eux à Urgentch.
Le Syr Darya ne faisait à l'époque l'objet d'aucun aménagement, sinon dans la haute vallée du Ferghana,.dont l'équipement moderne avait commencé bien avant la révolution. En fait, le programme de grands travaux projetés à l'époque tsariste fut réanimé par Staline avec le démarrage du premier plan quinquennal en 1928. Staline était un fanatique de telles entreprises (figure 71). On ressortit les études de l'époque impériale, leurs auteurs, ingénieurs de l'époque tsariste, furent extraits de leur résidence surveillée et on les remit au travail. Nous nous restreindrons région aralienne.
ici aux travaux qui concernent
directement
la
Pratiquement, toutes les études de base avaient été effectuées en 1914, et le gouvernement soviétique, ordonna de les reprendre et de les finaliser; dès le 17 mars 1918, Lénine avait pris un décret attribuant 50 millions de roubles-or pour le développement de l'irrigation en Asie centrale... .Mais ce ne fut que dans les années 1930, quand Staline eût maté les oppositions et « rétabli l'ordre» que des travaux significatifs furent entrepris, malgré qu'on ait exhibé dès 1925 des matériels de terrassement importés d'Amérique...
Figure 71. Image de propagande
pour la construction du canal Aral-Caspienne.
180
Figure 72. Staline et ses plans d'aménagement
des fleuves
On commença par la reprise des travaux sur les hauts affiuents de l'Amou et du Syr Darya, loin de l'Aral, malgré les harcèlements des basmatchis. Ils étaient destinés d'une part à la production d'énergie hydroélectrique, d'autre part à l'irrigation de terres fertiles, dont certaines, riches en souvenirs archéologiques, avaient déjà été cultivées des siècles, voire des millénaires plus tôt, et étaient devenues souvent une brousse, terrain de chasse au tigre. La main d'oeuvre ne manquait pas, avec l'affiux de prisonniers politiques issus de la nouvelle URSS entière, sous les ordres d'ingénieurs surtout recrutés aux Etats Unis, encore. Les quelques témoignages que ceux-ci ont laissé sont d'ordre purement technique. Le choix stratégique de la région était dû au fait que le coton du Khorezm était considéré comme le meilleur, avec celui de Boukhara, où on remit en état le réseau d'irrigation ancien, dont l'entretien était abandonné depuis 1914. Tous ces travaux ne ponctionnaient encore guère le débit des fleuves, et la mer d'Aral ne s'en ressentit guère. On reprit les études du promoteur du canal du Sud Karakoum, Rizenkampf, sous la direction de celui-ci. Le nivellement du trajet prévu montra que l'écoulement naturel de l'eau, prélevée à Termez, juste après la frontière afghane était possible. D'autres études furent lancées, sur l'aménagement du Naryn (haut Syr Darya) et de ses affiuents, prélèvements sur le moyen Amou Darya (région de Chardzou =Turkmenabad). Staline
181
tenait beaucoup à un projet de canal partant du Khorezm et suivant le cours de l'Ouzboy, pour fertiliser le désert du Nord Karakoum, et permettre la navigation depuis la Caspienne jusqu'au coeur de la Touranie: le vieux rêve de Pierre Ier...Sans parler de l'aménagement de l'IIi, de l'Oural etc...(fig. 72); nous y reviendrons. Mais, finalement, avant 1941, le gros effort d'équipement concerna surtout le Ferghana122, les régions de Tachkent et de Samarcande. Les grands projets sur le Khorezm durent attendre la fin de la guerre, pour la reprise des études complémentaires et surtout la reconstitution des parcs de machines de terrassement, réaffectées a la fin de la guerre à l'ouest de l'URSS pour la reconstruction. Les profondes transformations du monde péri-aralien, causes de la catastrophe, datent donc essentiellement des années d'après 1950. Le premier plan quinquennal de 1928 ne concernait que la partie amont du delta de l'Amou, dans les districts de Khiva, de Tourtkoul exPetropavlovsk, et d'Ourgench. On acheta des machines de terrassement, des camions etc. aux Etats Unis, qui fournirent aussi les directeurs techniques pour la mécanique. L'enthousiasme bien réel des jeunes ingénieurs russes sous leurs ordres leur permit de réaliser une bonne part des nouveaux canaux du Khorezm dès avant 1941. Mais pour d'autres, les vrais fanatiques, beaucoup plus était possible: " Conquérir le désert" devint un slogan officiel. Un énorme travail de creusement ou de remise en état des canaux fut effectué, et se poursuit d'ailleurs encore, spécialement dans la partie turkmène du delta. En amont, les projets d'irrigation « lourde », tous repris d'ailleurs des travaux des ingénieurs impériaux, fleurirent: équipement de la vallée du Zerafchan, travaux de nivellement pour le creusement des futurs canaux d'irrigation. En fait, tous ces travaux ne furent effectivement réalisés, que très lentement en fait au début, en raison du manque de moyens mécaniques et des perpétuelles attaques des «basmatchis ». La propagande célébra les premières réalisations- en fait, la reprise de travaux entrepris sous l'Empire- et l'enthousiasme des travailleurs - on ne parlait évidemment pas des rafles effectuées par les gardes rouges jusque dans des villages écartés de plus de cent km des chantiers. Des thuriféraires occidentaux, et spécialement 122On fit grand tapage publicitaire sur le canal du Sud Ferghana, creusé en quelques mois par plus de 100000 terrassiers...ce qui n'avait rien d'extraordinaire compte tenu de la friabilité des sols. Souffrant de nombreuses malfaçons, il ne put être inauguré qu'après la 2e guerre mondiale.
182
français, célèbrèrent pendant des décades ces travaux, oubliant- ou ignorantque les machines étaient américaines, que beaucoup d'ingénieurs venaient également d'Amérique, que tout cela était payé cash avec l'or sibérien.., et qu'ailleurs dans le monde, des réalisations techniques analogues s'effectuaient, sans travail forcé. Le récit d'Ella Maillart, qui traversa le Khorezm en 1932123, donne quelques indications sur l'état des lieux, et surtout de la population, misérable, au long de l'Amou Darya : elle rencontra les ingénieurs qui devaient étudier le futur barrage de Tyouyamouyoun sur le fleuve, et ceux qui devaient construire la capitale nouvelle, Noukous, sur l'emplacement d'un ancien fort impérial .Elle fit, en plein hiver, la traversée du désert entre cet endroit et Kazalinsk, sur le Syr Darya, avec des familles qui fuyaient vers le nord, supposé plus accueillant. Son récit est saisissant. La même année, le journaliste communiste Vaillant-Couturier publia un très long reportagel24 enthousiaste sur les réalisations déjà effectuées qu'on lui fit visiter. Il nous donne un compte-rendu peu connu de son passage près de l'Aral qui mérite d'être cité: « ... La vue du désertfitigue lesyeux. Le sable lèche la steppe en langues de flammes Entre la ligne de IJeaudJunfleuve et la lignede.fèu de la voie, notre ombrepasse J'
sur de larges roches rondes et lisses comme des ventres. Tchelkar et son lac salé [ville ferroviaire dans le désert à 150 km au NW d'Aralsk). Dans le village kazak où nous descendons, Bouchrabey, secrétaire du Parti, prévenu par la TSF, nous accueille fraternellement. C'est un homme jaune, petit, à la fice large, à la peau si bien tendue en arrière qu'elle ne laisse presque pas de lumière pour lesyeuxJ aux oreilles percées pour des bouclesJ mais qui porte la moustache à la Charlot. Tchelkar est la seule ville dJun territoire de 6 millions dJhectaresJ et c'est la capitale de 36 écoles; l'analphabétisme y est liquidé. Les Kazaks y ont la radio. Le Club des cheminots est dans une ancienne église orthodoxe et l'on installe lejardin dJerifànts dans la mosquée. Par « soubotnik» les ouvriers de Tchelkar se sont plantés un parc, les seuls arbres du désert. Ils ont fiit venir des karagatchs du TIzibet et les karagatchs ont apporté sur leurs racines, dans la terre sèche, des graines de fleurs qu'on n'avait jamais vues. Si bien que le sable est maintenant plein d'herbes et de fleurs immigrées. Nous nous envolons avec les premières alouettes du matin. « Plus loin», c'est le mot d'ordre du désert et des nomades. Des yourtes, des croûtes de sel plus nombreuses, entre lesquelles des artémises, la seule verdure de rannée, rampent comme des moisissures bleues. Et puisJ plus rien,jusqu'à la mer d~ral:
Kasakstan (sic).
123Voir ses livres« Des monts célestes aux sables rouges» ed. 124« Les bâtisseurs de la vie nouvelle»
et« Croisières et caravanes », Payot,
3 fascicules, Bureau d'éditions, Paris, 300 p. vers 1933.
183
La mer d'Aral, partie obscure de la géographie de mon enjànce, m'apparaît bien comme on me l'avait montrée avec sa couleur conventionnelle et ses bords décalqués. Vers le go!fè de Mali Sari Tagansk125, une barque à voile triangulaire suit un chenal bleu entre des kolkhoses de Pêcheurs. Un trois-mats àflamme rouge stationne au milieu des barques. Une piste où rampent des caravanes s'erifOncedans le désert. Du matériel arrive et de la nourriture s'en va. Le désert, encore. «Plus loin.. . C'est le mot d'ordre du socialisme en marche. »
Faire fleurir
le désert...
On prétendait faire pousser n'importe où à peu près n'importe quoi, avec des variétés adaptées à la sécheresse - c'était l'époque où les théories du célèbre 'Jardinier" Mitchourine régnaient en maître sur les projets agricolesl26. Ainsi, on créa en 1933 à Tchelkar, station du chemin de fer à 150 km au NW d'Aralsk, celle que justement visita Vaillant-Couturier, une station agronomique où l'on sema, dans une plaine gypseuse et stérile depuis toujours, blé, légumes et fourrage, sans engrais ni arrosage... Le résultat fut si catastrophique que la station, comme d'autres du même genre, fut vite abandonnée, et les paysans et ingénieurs, considérés comme responsables, furent déportés. Le développement de la quasi-monoculture du coton au Khorezm, sur des terres dont certaines étaient exploitées depuis longtemps, ne posait guère d'autre problème que le rassemblement forcé des travailleurs agricoles dans les sovkhoses, qui durent abandonner leur mode de vie traditionnel largement basé sur le clan familial. WolokoW127 décrit bien l'atmosphère des années 1930-40 dans les steppes: faute de témoignages précis sur le Pri-Aral, on peut se rapporter à cet auteur. Les récits de Maillard et Vaillant Couturier, qui montrent deux facettes opposées de la situation en 1932 méritent d'être comparésl28.
125Golfe d'Aralsk (Sarisaganak). 126Repris après 1940 par le sinistre biologiste Lyssenko.... 127-S. Wolokow, Images de la steppe russe et l'opinion publique française au 20" siècle. 113123, in « L'homme et la steppe », M. Perrot et D. Pitavy, actes du coll. 1997, Univ de Dijon. 128 Voir aussi Ch. Steber, 1939: L'Asie centrale soviétique et le Kazakhstan, Ed. sociales internationales.
184
L'Aral après la " grande
guerre
patriotique"
L'invasion de la Russie par l'Allemagne en 1942 arrêta complètement les projets en cours. L'URSS transféra en Asie Centrale de nombreuses industries, et la guerre donna un coup de fouet à l'équipement lourd du Kazakhstan et de l'Ouzbekistan. Mais qu'était devenu l'Aral pendant ce temps là ? La pêche manquait de main d'oeuvre, mais il y avait une grosse activité ferroviaire à Aralsk (doublement des voies), du fait du transfert de nombre d'industries stratégiques vers Tachkent (aviation, moteurs etc..). Des usines de traitement du coton furent installées au Khorezm, et les paysannes y remplacèrent les hommes mobilisés...Les chevaux furent réquisitionnés, et des cavaliers turkmènes se retrouvèrent à Berlin en 1945, parmi les chars Staline.. . Dès la fin de la guerre, après l'énorme effort de reconstruction de la Russie dévastée, où l'essentiel du matériel lourd de terrassement de l'Asie Centrale avait été transféré, celui-ci revint en partie vers les chantiers abandonnés en 1941. Une partie des dommages de guerre dûs par l'Allemagne permit de rééquiper à partir de 1948 les usines de traitement du coton avec du matériel neuf, et les travaux de développement de l'irrigation reprirent lentement sur l'Aral, se bornant essentiellement à la remise en état des installations négligées depuis la guerre. On commença à réétudier et mettre en oeuvre les projets d'utilisation de l'eau des deux grands fleuves, négligés depuis la guerre: irrigation complète du Ferghana, de la vallée du Zerafchan, de la région de Tachkent, de la vallée de l'IIi en Khirghizie...Restaient à "mieux irriguer" les basses vallées des deux fleuves et la ceinture fertile du Sud Turkmenistan. Staline y tenait beaucoup. Le dictateur supervisait tous les programmes, des plus modestes aux plus faramineux. Les grands projets d'irrigation étaient sa passion. C'est lui qui avait fait progresser, dès avant la « grande guerre patriotique », les travaux du canal Mer Blanche-Lac Ladoga-MoscouVolga-Caspienne avec la liaison Don-Volga: possibles avec l'emploi de l'abondante main d'oeuvre forcée apportée par les camps de concentration. Pour l'Asie Centrale, il avait lu l'exposé des travaux du brillant archéologue S.P. Tolstov129 sur les anciens systèmes d'irrigation du Khorezm, dont celui-ci avait donné les caractéristiques. Staline fut constamment obnubilé par le projet de remettre en eau le lit ancien de
129voir Germanov,2002,
Cahiers d'Asie centrale,IO,
185
193.
l'Ouzboy. Ce projet était en compétition avec celui du Sud Karakoum, que Staline fit mettre en sommeil en 1950, contre l'avis de ses conseillers. Les caractéristiques de l'Ouzboy étaient maintenant bien connues, et le Conseil des ministres d'URSS fit paraître en septembre 1950 un décret" sur la construction du grand canal turkmène Arnou-Darya-Krasnovodsk et sur l'irrigation des terres de la plaine caspienne du Turkmenistan occidental, du bas Arnou Darya et des parties occidentales du désert de Karakoum." Ce décret prévoyait la construction d'un canal de 1100 km de long (pour une dénivellée de 90 m environ), de barrages sur l'Arnou Darya à Touyayoumoun et près de Takyatashl30 pour régulariser les crues, de deux autres barrages sur le cours de l'Ouzboy avec écluses pour la navigation, création de réserves d'eau et de 3 stations hydroélectriques donnant 100.000 kw de puissance, outre des dérivations latérales pour l'irrigation.
Figure 73. Le canal sud Turkmène en construction
Plus de 5000 forçats travaillèrent sur le canal; beaucoup de spécialistes estimaient -sans trop en parler- que les buts projetés étaient hors d'atteinte avec les caractéristiques prévues. Aussi, dès la mort de Staline, les travaux sur
130Le premier se trouve à une centaine de km en amont de Noukous; le second, à quelques km de cette ville, fut réalisé en 1958, servant à distribuer l'eau et régulariser l'irrigation dans le bas delta du fleuve.
186
l'Ouzboy furent abandonnés, et l'effort reporté vers le canal Sud turkmène, dont les travaux reprirent (fig. 73). Mais l'idée du canal de l'Ouzboy n'a jamais été complètement abandonnée: nous le verrons réapparaître sous une forme voisine dans les années 2000, sous la pression du nouveau maître du Turkmenistan indépendant, le « Turkmenbashi }) Nyazov, dictateur néostalinien décédé fin 2006131.
Le début
de la fin pour
l'Aral
Il fallut dix ans pour que le canal turkmène atteigne la capitale Ashkabad puis Nebit-Dag Les travaux s'arrêtèrent là à la mort de Staline. Il ponctionne depuis lors environ 10 km3 par an, au détriment de l'Aral. Depuis l'indépendance, il a été prolongé, longeant de loin le rivage de la Caspienne, jusqu'à la frontière iranienne où n'y coule qu'un filet d'eau, compte tenu que la ressource prélevée par le Turkmenistan est entièrement utilisée avant ce point. Les travaux sont aussi abandonnés. En même temps que le canal sud Turkmène (canal Lénine) était entrepris un autre prélèvement pour irriguer la basse vallée du Zerafchan, coupée par la frontière uzbek-turkmène. Mais là, des pompes géantes devaient refouler l'eau depuis le fleuve jusqu'à des réservoirs à l'entour de Boukhara.. L'Amou Darya a alors perdu les deux tiers de son débit naturel. Enfin, last but not least, plus près de l'Aral, le barrage de Tiouyamouyoun (1976), en terre, dans le défilé frontière entre le Karakalpakistan et le Turkmenistan, et réserve générale d'eau d'irrigation pour TOUT le delta de l'Amou, retint ce qui restait de l'Amou Darya (fig.74). L'eau fut en ce point partagée entre la partie turkmène du delta et le Karapalkak, république autonome de l'Uzbekistan. Ne s'écoula plus dans le lit de l'Amou Darya et vers l'Aral que des eaux de drainage issues de la partie sud du delta, et le trop plein des lacs de retenue amont. Peu à peu, les apports des fleuves à l'Aral diminuaient (fig.75). Du côté du Syr Darya, qui apportait beaucoup moins d'eau à l'Aral, la capture du fleuve suivit une progression identique. Toutes les rivières affiuentes du Naryn furent barrées, et deux grands lacs de retenue créés: le 131CfLetolle,
«le lac de l'âge d'or », sur Internet.
187
(Hydrologie.org.)
Kairakkum à l'amont de Kodjent, et Chardara, au NW de Tachkent. Près de là, une ancienne sebkhra, l'Aidarkoul ( cf fig. 82)132, grande comme le lac Léman, fut utilisée comme réceptacle des grosses crues, mais son niveau fait que l'eau est définitivement perdue pour l'irrigation...et pour la Mer d'Aral aussi. Les aménagements du cours inférieur du Syr Darya n'ont été repris, avec des fonds internationaux, qu'à partir de 2006... L'apport d'eaux de drainage issus des zones proches des fleuves, restituées "après usage", sciemment ou non, ne représente finalement que quelques km3 par an. Mais chargées en substances chimiques variées, naturelles (dissolution du gypse) ou synthétiques (restes de pesticides, engrais...) ces eaux ont contribué à faire monter la salinité des fleuves en aval: de I g à plus de 3 g par litre pour le Syr, de 0,5 à 1,5 pour l'Amou. Directement consommables par l'homme jadis, elles ne le sont plus théoriquement aujourd'hui, (norme de potabilité: 19/1itre).
132Voir Létolle et Touchart,«
Grands lacs d'Asie», L'Harmattan,
188
1998.
"
ARAL
,
Plat."u
','
.'
,
, '
, . .
d.
. "
.'
KOUM . '
'KIZil"
. '.
. . ,
. .
. ,
. . EiOiIMarais lrJi!iISabl. __ Canal d'irr;gat;on Coilee","r d. dramage _.- Frontier< Ouzbokistan. iii SovkhOze Gork, lit Kolkhoze Bogolon
_
Turkmén;...n
Figure 74. Le réseau
.'
complet de canaux d'irrigation vers 1975
L'assèchement de l'Aral, qu'on privait de son alimentation en eau, n'est donc pas, finalement, le résultat de travaux intéressant le «Pri-Aral », luimême, mais la conséquence de prélèvements excessifs en amont. La diminution progressive de la masse d'eau apportée au lac, peu sensible d'abord dans les années 1960- I 970, avec la mise en service des premières retenues et des premiers "gros" prélèvements, est allée en progressant de manière fulgurante par la suite ( fig. 75). La teneur en sel dissous augmentait avec la diminution du débit, non seulement dans les cours d'eau, mais aussi dans les nappes phréatiques, dont l'écoulement est infiniment plus lent. D'autres conséquences sont la mobilisation des sédiments récents par l'érosion éolienne de lacs et marais nouvellement asséchés, abaissement du 189
niveau de la nappe phréatique d'où remontée par capillarité des sels vers la surface, érosion accrue des chenaux dont le niveau de base s'est abaissé.
débit annuel km3 par an
crue
70
6C 5C 4()
.,
2ü
" 1û (} 1960
1965
1910
1975
HH30
1985
199Q
1995
2000
Figure 75. Variation du débit total des fleuves à l'Aral.
Ce développement
faramineux de l'irrigation a t-il eu des résultats?
Le Khorezm avait conservé jusqu'aux années 1950 une structure agricole de type «villageois» relativement proche de la traditionnelle. On remania alors le découpage des parcelles, d'une surface rarement supérieure jusqu'alors à un ha, pour en faire d'énormes champs de plus d'un km2, permettant l'utilisation de machines modernes à semer et récolter blé ou coton. Les canaux secondaires et tertiaires, aux rives herbues et buissonnantes, furent arasés pour laisser la place à des aqueducs préfabriqués de béton. Les hameaux furent regroupés en « agrovilles », aux bâtiments de quatre étages en béton, ou en villages centrés sur le sovkhose. Mais tous ne bénéficiaient pas de logements modernes, dont la construction ne dépendait pas des services administratifs agricoles. D'où la fréquence des masures, inspirées de la structure des yourtes traditionnelles, autour des nouvelles agglomérations.
190
",--~~''~'
rr""~--"---''''''~~''-'-
~~--''--'''''
de coton brut i pn.,duc.tbn d{!l'Asie C~ntm!e
st.
~
..! , r 1>
r ,t
"'fi mlW
d" tonnes
~.','
"~~
41.
:;} ,
t,'. 2 I" ). .~
t
--'
,
""
'1 ">'. i ,\.j
'",/,,,,.,.,'
mort d~ $tii\!im~~'
"$ux,,,m~ ". .., p.an qumquenna!",
r(!1lolution\
~ ')
flJ
r.-~~==::::::i:~.1~:~__-"
.'
v
f\1
""iii,'
'
,/
I
"
i ,{. " (m ) ">, '1 (lQ. '1 53 'i
.
\i
"
M 4Q
,
\.
"It,
'~ W
49
~ 4{\
.j
<,'
!
\.
'1
I
~ 41
'\ \ i"
~~=~:~~~~~~~~~=~".'-.:::!~
3(}
1
\(1\
t,.\,.~
t-iL '
'1330 StJ1900 it! 20 30 4t! 50 80 to 80
., d'",au t\ . 1.
'"'" {km31>ô\i1}
.j
\\ .\ \t",-
'
gUMf'(i mond, û!e' l
.j
''
.t~. f
am\t$"'s
"
l'
,.Î;. ~-' -- ~~ if1tYQ.{!~,,!Q. ~filJ._
.
~ .,
'~-'''''''''--'~--r''
liîI?rlÎ~êq.:~lU.;r[4ŒIjj [
--j 37
2ô
3$
.0
'.j
ntv~a(t de l'Aral
......l 9{.\ 20{.\{}
Figure 76. Evolution de la production du coton, en fonction de divers paramètres
Tout fut fait pour une augmentation importante des récoltes. Le coton, certes, mais aussi les céréales pour alimenter la Russie d'Europe, sempiternellement déficitaire depuis toujours (fig.76): non seulement en coton, mais aussi en céréales: là, c'est le Kazakhstan qui devait fournir: mais l'épisodes des « terres nouvelles », dû à Khrouchtchev, sort du cadre de notre étude. Mais en dépit de statistiques triomphantes de la production, il apparut que si celle-ci augmentait en chiffres bruts, le rendement par hectare ne progressait pas, malgré des arrosages continuels, le déversement de tonnes d'engrais et de pesticides. Très vite, on s'aperçut, au Khorezm comme ailleurs, que les arrosages excessifs ennoyaient et tuaient les racines, et que pendant les chaleurs de l'été, la capillarité ramenait vers la surface une eau déjà chargée de sels, surtout de gypse dissous asphyxiant les racines subsistantes. La pyramide administrative, de Moscou à Tachkent et de là à Noukous, puis Tchimbai et autres chefs-lieux secondaires, exigeait du rendement, du rendement. Les paysans, lassés de leurs efforts stériles, ne voyant pas de progrès dans leur situation sociale, se préoccupèrent de plus en plus de leur lopin particulier, quitte à tricher ensuite sur les poids de fibres livrés à l'administration: des mauvaises langues ont dit que jusqu'à 25% des récoltes ensilées étaient représentés par des feuilles, tiges ou racines...
191
En tous cas, c'est en 1975 que les autorités décidèrent d'abaisser les normes de production, dans toute l'Asie Centrale. On tenta aussi la culture du riz, qui supporte un peu mieux le sel que le coton, dans la basse vallée du Syr Darya, essentiellement après la rupture des années 1960 d'avec la Chine. Toutefois, cela fut assez rapidement abandonné. Et le maïs fut assez souvent remplacé dans le Pri-Aral par le sorgho, qui supporte beaucoup mieux le sel. La baisse de l'apport d'eau annuel à l'Aral ne se manifesta pas dès la mise en service des grosses dérivations, car le sous-sol des régions côtières, saturé d'eau, agit comme régulateur en en relargant une partie. Les habitants des ports commencèrent à manifester leur inquiétude lorsque, le niveau du lac s'abaissant de 2 ou 3 m, des difficultés apparurent pour l'accostage des bateaux de pêche. On dut draguer des chenaux, devenus célèbres depuis que les reportages télévisés se sont multipliés. Néanmoins, à mots couverts, dès 1968, les revues spécialisées comme «Problèmes du développement des déserts» (en russe), manifestèrent, dans le déluge de louanges obligées au régime, quelques inquiétudes discrètes. Dans un premier temps, le coton du PriAral était chargé à Mouinak, pour être transporté à Aralsk et de là vers la Russie. En 1978, les difficultés d'approche du port de Mouinak réduisaient déjà de 20 fois les masses transportées par rapport à 1960. Le port d'Aralsk dut être fermé en 1979. En fait, la construction du chemin de fer trans-Oust-Ourt vers 1970, prolongement de celui construit pendant la 2e guerre mondiale depuis Gouriev, sur l'Oural, pour desservir les champs de pétrole du 'Nouveau Bakou»- NE de la Caspienne- avait déjà pris le relais, de l'Oural jusqu'à Tourtkoul et Chardzou en amont. Cette voie est désormais (provisoirement?) abandonnée, et l'Ouzbekistan a raccordé en 2002 le Khorezm à Samarcande, à travers le désert du Kyzyl Koum, évitant la traversée d'une partie du Turkmenistan, pays hostile à l'Ouzbekistan pour des raisons de partage de l'eau de l'Amou Darya,jusqu'à la mort en 2006 de son dictateur... Celui-ci avait fait construire dans les sables du désert, il y a quelques années, une voie ferrée directe entre sa capitale Ashkabad et la partie turkmène du delta de l'Amou. Le trafic y est nul, ou presquel33.
133 Information
de P. Chuvin.
192
Réalimenter
l'Aral?
Dès les années 1970, donc, quand l'abaissement du niveau devint appréciable, dépassant les fluctuations épisodiques connues, les riverains avaient commencé à s'inquiéter. Leurs représentants aux instances politiques, et jusqu'au Soviet suprême de l'URSS, demandèrent timidement quelles mesures les technocrates moscovites et leurs épigones des républiques asiatiques comptaient prendre pour rendre la situation plus tenable: les approches des ports devenaient impraticables, compte tenu de la faible tranche d'eau des avant-ports d'Aralsk , d'Ushay et de Mouinak, sans parler de ceux des petites agglomérations, comme Bugun ou Akespe: cela contraignait déjà à des travaux de surcreusement des chenaux d'accèsd'ailleurs à la charge des communautés locales. Ces plaintes ne furent guère entendues. Au contraire, les prélèvements sur les fleuves augmentaient sans cesse, avec la mise en service de nouvelles dérivations, canal sud turkmène, réseaux d'irrigation de la région de Boukhara, Ferghana etc. A défaut de
changer complètement les conditions culturales
-
stratégie impensable en
URSS- le seul remède envisagé pour se débarrasser des remontées était d'arroser encore plus pour les entraîner en profondeur.
des sels
Résumons donc: on sacrifia l'Aral et la pêche, dont nous n'avons pas encore parlé, au coton; mais celui-ci n'en profita pas longtemps, car les sols se salinisèrent et très vite, sa production diminua... Politique de Gribouille que les spécialistes étrangers des terres arides visitant la Touranie ne manquaient pas de signaler à leur retour134. Le coton, le coton, quoi qu'il arrive, et tant pis pour l'Aral! Pas question, donc, de diminuer les prélèvements sur les fleuves.. .Les commissions scientifiques, et l'Académie des sciences de l'URSS en tête commencèrent à manifester diplomatiquement leur inquiétude. Mais en 2006, à part l'abandon de centaines de milliers d'hectares devenus improductifs, on n'avait pas de solution pour 1- redémarrer une agriculture viable et 2- pour restaurer la Mer d'Aral.. En 1976, on pensa trouver la solution géniale: réalimenter l'Aral avec l'eau des fleuves sibériens!
134L. Kehren, de l'Orstom, retour d'Asie Centrale, témoigne des inquiétudes locaux sur l'avenir des cultures dont ils avaient la responsabilité, dès 1960.
193
des agronomes
Le plan
Davidoff
C'était un des projets faramineux lancés par l'ingénieur Davidoff en 1940, qui préconisait de fertiliser l'Asie Centrale avec l'eau des grands fleuves sibériens. L'idée, en fait, était beaucoup plus ancienne et avait été évoquée, en passant, par des gens sérieux, comme Woiekoff135, dès avant 1914, et reprise par d'autres dès les années 1930]36. Khrouchtchev, quant à lui, n'était pas très chaud relativement à l'expansion effrénée de l'irrigation en Asie Centrale... D'autant que les travaux pharaoniques nécessaires à une telle dérivation auraient demandé plus de 20 milliards de dollars de l'époque. .. Il s'agissait de barrer le fleuve sibérien l'Obi et son gros affiuent l'Irtych près de leur confluent, créant un lac de 25000 km2 à 80m d'altitude, dont l'eau serait remontée par pompage jusqu'à l'altitude de 113 m, le point le plus bas de l'ensellement au travers des collines marquant la limite entre la Sibérie et le Kazakhstan, la dépression de Tourgaï (Fig.77). De cet endroit, par un canal de 220 km, on aurait déversé l'eau en suivant le cours de rivières semi-permanentes alimentant des lacs temporaires, jusqu'au Nord de la mer d'Aral. Le projet prévoyait une largeur de Il am, permettant un débit de 27 km3 par an, et ultérieurement élargi à 220m, pour un débit de 60 km3 annuels! Davidov prévoyait d'irriguer 20 000 km2 autour de la mer d'Aral, plus 100 000km2 de steppes kazakhes, 40 000 km2 sur l'Oust Ourt, 80 000 km2 dans le désert du Karakoum. Des centrales électriques sur l'Ouzboy, remis en eau, produiraient 18 milliards de KwH par an... Il ne semblait pas y avoir de difficultés techniques majeures, et l'examen du projet fut approuvé dans l'enthousiasme en 1976 par le Comité Central du Parti Communiste d'URSS. Plus de 120 instituts et bureaux d'études travaillèrent sur le projet. Les travaux devaient commencer en 1980. On parla même d'utiliser des explosions nucléaires pour faire sauter des collines (des essais avaient été faits au nord des monts Oural de Russie)... Dès le début, des voix s'élevèrent contre le projet: d'abord les représentants des habitants de la région à ennoyer, dont les terres étaient parmi les plus fertiles de Sibérie; et, ensuite, plus important vis à vis du pouvoir central, l'Académie des Sciences de l'URSS, qui démontra que les 135Woiekoff:
«Le Turkestan
russe », Armand
Colin, 1914, mériterait
cent ans après... 136 Mikhailov N., 1936. Nouvelle géographie de l'URSS, Payot, Ringuet, L'avenir de l'Asie russe, Flammarion, 1951, pl17-118.
194
d'être réédité, près de
270 p. et
F. Leprince-
pertes par infiltration dans le parcours de l'eau seraient énormes (il n'était pas question de cimenter 2200 km de lit - surtout si le canal devait être élargi plus tard.)137 D'autres s'élevaient contre le prix à payer: 53 milliards de dollars (de 1990), et non plus vingt! - ce qui mettait le prix de revient d'une eau destinée finalement à s'évaporer, à un niveau faramineux. On rétorqua (un certain Gerardi, responsable de l'eau en Sibérie en 1982, et chaud partisan du Sibaral) que des centrales électriques pourraient être construites sur le canal, et que des excédents pourraient servi à l'irrigation des plaines traversées, avec, en prime, la remise en eau de l'Ouzboy, le vieux projet de Staline. Voropaiev, président de l'Académie des Sciences de l'URSS, lui opposa un non catégorique. Gerardi disait que le canal serait amorti en 10 ans, qu'il était demandé par le gouvernement ouzbek- ce que celui-ci démentit. Le ministère soviétique de l'eau (Minvodkhoz) continua néanmoins ses études, malgré que le Il e plan (1981-85) et le 12" plan quinquennal (1986-90) n'en parlassent plus. Finalement, Gorbatchev déclara en août 1986 que le projet était définitivement abandonné138.. .Le tout nouveau ministre de l'écologie, N. Glazovsky interdit fermement la poursuite des travaux théoriques. Il le repéta dès 1988 en Asie Centrale, malgré de nombreuses protestations de certains politiques ouzbèkes. Pourtant, une association «écologique» (?) plaide toujours pour le projet Sibaral.. .Et il semble que Poutine ait été, après son intronisation à la présidence de la Russie, intéressé par sa reprise; mais l'eau sibérienne aurait été facturée aux états de Centre-Asie, qui refusèrent13lJ.
137 H.
Alleg, «Etoile rouge et croissant vert », ed. Temps actuels,267 p.,1983, quoique fervent
admirateur du système soviétique, discute raisonnablement du plan Sibaral... 138 Nombreux sites, dont «Social recognition of the Aral Sea problem...» sur Internet: unu/un.press. 139Voir détails dans]. Allouche,« Continuité et discontinuité dans la politique de l'eau en Asie centrale, Cahiers d'Asie centrale, 13-14,285-300,2004.
195
8Djezkagan
8Ak
Bakou
Figure 77. Projet « Sibaral })de réalimentation
de l'Aral depuis la Sibérie
Résumons maintenant les divers aspects de la catastrophe de l'Aral. Certains sont locaux ou régionaux, d'autres concernent toute l'Asie centrale, à régime climatique aride, et mise en culture: 1- Tout d'abord le lac lui-même: les apports très diminués sur un lac endoréique, donc assèchement progressif, disparition de la faune et de la flore lacustre du lac et conséquences sur la pêche, disparition de la biomasse riveraine, abaissement de la nappe phréatique littorale, mobilisation des sels asséchés par le vent... 2- Les deltas: de la même façon, abaissement de la nappe phréatique, surcreusement et assèchement des chenaux, naturels ou artificiels, remontée par capillarité vers la surface des sels dissous, salinisation de l'eau des puits...
196
3- Des effets généraux, propres à toutes les surfaces mises en culture, à irrigation excessive et à drainage insuffisant: remise en solution des sels du sous-sol, remontée capillaire du fait de l'évaporation et imperméabilisation des couches superficielles du sol. Ceci, sans rapport direct avec l'assèchement de l'Aral, se produit partout où l'irrigation est excessive et le drainage insuffisant.14o Nous devons nous intéresser maintenant aux conséquences de la catastrophe de l'Aral sur la biomasse, tant aquatique qu'aérienne...Et sur l'homme en particulier. On a déclaré parfois que l'assèchement de l'Aral avait modifié le climat régional: modification du système des vents; diminution de la pluviométrie... sur la foi de statistiques insuffisantes. Néanmoins, on peut penser que l'évolution de l'Aral, malgré ses dimensions importantes, reste un facteur secondaire par rapport à l'étendue du continent asiatique: les statistiques mét éorologiques des stations kazakhes, turkmènes et ouzbèkes, plus ou moins éloignées de l'Aral, ne montrent pas de variations significatives par rapport à celles d'avant 1950.. .Les tornades de poussière sableuses ou gypseuses sont devenues plus importantes dans le «Pri-Aral» depuis l'assèchement, essentiellement parce que les surfaces récemment exondées, non encore colonisées par la végétation, sont beaucoup plus sensibles aux vents que celles qui existaient avant 1950, comme le montrent les photos météorologiques des satellites spécialisés. La région péri-aralienne, en fait, a combiné tous les facteurs de dégradation écologique et économique, dont nous allons étudier l'évolution.
140Voir sur Internet
les sites des universités allemandes
de pédologie au Khorezm
(INTAS
etc.)
197
qui ont effectué de nombreuses
études
12
L'évolution de la biomasse
lacustre
N
ous AVONS RASSEMBLÉdans ce chapitre ce qui concerne les effets de la dessication de l'Aral, d'abord sur la biomasse lacustre, sur l'évolution de laquelle les études sont incontestablement les plus précises et les mieux hiérarchisées, ensuite sur la biomasse des rives, avant de voir l'évolution des terres agricoles et l'impact sur la population et l'activité humaine, qui feront l'objet d'un chapitre séparé. Jusqu'aux années 1950, l'Aral proprement dit, et ses rives, avaient gardé leurs caractères originaux: population très faible, formée essentiellement de quelques chasseurs et pêcheurs, dans une vaste oasis cernée de steppes et de déserts, là où n'arrivait pas l'eau des deltas. Quelques zones arrosées naturellement, puis artificiellement, assuraient des récoltes suffisantes pour la vie des habitants et quelques exportations de laine (cachemire) et de coton, fort appréciées jusqu'en Europe. Elles n'empiétaient pas sur les parties marécageuses des deux deltas, périodiquement inondés et impraticables la plus grande partie de l'année. La mécanisation des transports et de l'agriculture et surtout l'indifférence des pouvoirs publics centraux (républiques ouzbek, kazakh et turkmène, Union soviétique) au sort des milieux naturels ont joué un rôle essentiel dans la dégradation du Pri-Aral, s'ajoutant au facteur majeur de l'assèchement, lié, lui, à la politique globale d'irrigation de l'Asie Centrale dans son ensemble.
199
la biomasse lacustre L'évolution de la biomasse de l'Aral, lac oligotrophel41, depuis cinquante ans représente une expérience unique, en vraie grandeur, des transformations de la faune et de la flore d'un grand lac en voie d'assèchement, ainsi que de la « résurrection» qu'a subie la Petite Mer depuis dix ans environ. Le «marquage» biologique naturel qui a été minutieusement suivi depuis vingt ans demande un exposé relativement aride, dont l'essentiel est tiré des nombreuses études très fouillées menées essentiellement par le zoologiste Nikola Aladin et son équipe de St Petersbourg depuis le début des années 1980, ainsi que celles de divers microbiologistes et algologues. On donnera ici un aperçu relativement détaillé de l'évolution de la flore et de la faune aquatique, car la destruction du biotope aralien est sans doute l'expérience de destruction « en vraie grandeur» la plus complète qui ait été involontairement réalisée. Depuis quelques années, d'autres spécialistes s'intéressent à la flore et à la faune (macro- et micro-j, aquatiques et aériennes, du lac résiduel et des deltas. Pendant les épisodes glaciaires l'Aral ne contenait que des mares hypersalées et des marais. Après la déglaciation, la flore et la faune lacustre furent réintroduites, amenées par les deux fleuves, et d'abord par le Syr Darya. Les plus anciens apports "marins"142 se produisirent par le biais de l'Ouzboy Wancien débouché de l'Aral vers la Caspienne) vers 5000 ou 7000 B.P, aux temps du « Grand Aral» Oac Sary Kamysh + Aral), dont le niveau dépassait alors +58-60 m asl). On ne peut négliger des apports d'œufs de poissons ou de crustacés transportés par la boue des pattes d'oiseaux migrateurs, connu en d'autres points du globe. Contrairement à une croyance classique, il n'y eut jamais de phoques dans la Mer d'Aral. En fait, on avait observé... des loutres! L'écosystème présentait une faible diversité et productivité. Après de premières études dès 1820, reprises en 1872, puis en 1911 par K. HulsenI43,
HI «pauvre en substances nutritives» 142La Caspienne était, comme l'Aral, depuis longtemps indépendante de la Mer Noire, et sa salinité proche de l'actuelle ( lOg/I) 143 «Rapport scientifique sur l'expédition du lac Aral », Izv soc. Russe de géographie du Turkestan,8,1-64.
200
dont on sait peu de choses, Zenkevich donna une première synthèse (traduite en anglais) en 1957144. L'Aral a toujours été oligotrophe (<
Figure 78. L'esturgeon
de l'Aral
La plus grande diversité biologique se trouvait dans les chenaux des deltas et leurs approches, là où la nourriture était, de loin, la plus abondante. Ailleurs, la plus grande partie du monde végétal, production primaire, était formé de Zostères, Posidonies et autres plantes aquatiques, favorisées par la grande transparence des eaux Gusqu'à 27 m de profondeur) et la faible concentration en phosphore et azote. Le développement maximal du
IH Zenkevitch L., 1957. Caspian and Aral seas. In Mem. Geai; Soc. America, 67, 891-916 ; Belayev G.M., Mileikovsky S.A., 1971, ln memoriam... Mar. Bio!', 11,4,299-305.
201
phytoplancton se faisait près du fond. Les diatomées (Andreev et Andreeva, 2001)145.
étaient
abondantes
Dans les années 1990, les macrophytes (CharacéesI46) disparurent pratiquement; les zostères diminuant beaucoup. La transparence de l'eau était tombée à 4-10 m., ce qui diminua considérablement la production primaire, modifiant le cycle de la matière organique d'un lac oligotrophe. L'histoire récente de la Mer comprend avant l'actuel trois périodes critiques où les évolutions furent différentes, selon N. Aladin et ses collègues: La première crise de 1957-1960 volontaire ou non de nouvelles espèces.
fut associée
à l'introduction,
La seconde, de 1971 à 1976, voit la salinité de l'Aral passer au dessus de 12-14 g/l, amenant la disparition des espèces d'eau douce. La troisième crise commença en 1986 quand la salinité dépassa 23-25 g/l et dura jusqu'à la partition du lac en deux en 1989. A- La première introduction d'espèces exotiques eut lieu à la fin des années 1920, quand on lança le programme de pêche industrielle de l'alose et de l'esturgeon, introduits depuis la Caspienne et qui ne s'adaptèrent pas. De plus, certains parasites des branchies et des œufs passèrent sur l'espèce locale d'esturgeon, causant des épizooties. Après la deuxième guerre mondiale, un plan général de développement de l'élevage piscicole, Aral et lacs des deltas compris, fut lancé. On estimait que des poissons « brouteurs » de végétation aquatique, tels la carpe chinoise, qui prospéra d'ailleurs dans les lacs des deltas, augmenteraient le rendement de la pêche, par rapport aux espèces endémiques mangeuses de plancton et limivores (mangeurs de faune benthique).Ce fut un échec. Mais l'introduction du hareng de la Baltique, de 1954 à 1959, fut un succès, quoique ce poisson fit des ravages dans le plancton, dont la biomasse estivale baissa d'un facteur 10, tombant de 160 mg/m3 à 10-15 mg/m3. Les espèces abondantes de zooplankton disparurent presque. Diverses espèces de poissons furent alors introduites accidentellement. Par exemple, six espèces de gobies, ainsi que l'ablette et l'hippocampe envahirent la totalité de la mer d'Aral. Pendant l'acclimatation 145Andreev NI et aI., 1992. The fauna of the Aral Sea in 1989. Int]l Salt lake Res., I et II,103116. 141iGroupe de plantes aquatiques
voisines des Algues.
202
des poissons "planctonivores", la crevette Palaemon elegans fut introduite accidentellement et devint concurrente de l'amphipode14ï local Dikerogammarus aralensis qu'elle fit disparaître. Mais les plus grosses transformations se produisirent avec le début des prélèvements d'eau sur les fleuves au détriment de l'Aral... On s'empressa alors d'introduire des espèces euryhalines capables de supporter de larges augmentation de la salinité... Au début des années 1960 on introduisit depuis la mer d'Azov le ver polychète Nereis dwersicolor,qui devint abondant en 1963, et le bivalve Abra ovata, elle, en 1967.A la fin des années 1960 et au début des années 1970, fut introduit le Copépode euryhalin Calanipeda.qui réussit et devint le composant essentiel du plancton, supplantant le dominant ancien Arctodiaptomus. Des larves d'un crabe furent trouvées alors dans le sud de l'Aral. Ces espèces euryha1ines introduites permirent de conserver le plancton, nourriture de la majorité des poissons jusque vers le milieu des années 1970 quand la salinité arriva au seuil de 12-14 g par litre, au dessus duquel la plupart des espèces ne pouvait se maintenir. Les larves de poissons en particulier se montrèrent particulièrement vulnérables, comme les alevins d'esturgeon; l'augmentation pourtant faible de la salinité tua en une décade plus de 50-70% des poissons et invertébrés nageurs. La biomasse représentait alors 27 g par litre, composée pour les 2/3 par les mollusques et 1/3 par le larves de chironomes. B- À la fin des années 1970 on introduisit la plie de la Mer d'Azov, devenue ubiquiste. et pêchée dès 1981. Après 1981 l'abondance de ce poisson en fit l'essentiel de la pêche commercialisée. Des 20 poissons aborigènes, seule l'épinoche euryhaline demeura. Au début des années 1980, à côté de l'épinoche et de la plie ne demeuraient que l'atherine Oe « prêtre» ou faux éperlan) et les gobies importés. A la fin des années 1980 les introductions, naturelles ou importées, s'arrêtent. c- En 1989 la salinité de l'Aral au moment de sa division en deux lacs était de l'ordre de 28-30 g/l , leur flore et leur faune étaient encore identiques, comprenant 7 espèces de poissons, 10 espèces communes de plancton et Il espèces communes de benthos. L'évolution actuelle constitue une quatrième étape, à l'aube de laquelle les deux lacs, Grande et Petite Mers, héritèrent d'une faune commune.
147 Petit crustacé
(crevette)
203
Le zooplancton comprenait Il espèces (5 Rotifères, 1 Cladocère148, 5 Copépodes). Le zooplancton comprenait aussi des larves d'invertébrés benthiques, et des Protozoaires tintinnidés149. Les Bivalves étaient représentés par 2 espèces, l'Abra récemment introduite et, Cerastoderma isthmicum ~a « coque ») plus ancien. Les Gastéropodes comprenaient deux espèces euryhalines d'Hydrobies. Le ver polychète, Nereis et un ostracode, Cyprideis torosa survivaient. Les décapodes ne comportaient plus que deux espèces, la crevette Palaemon eleganset le crabe Rhithropanopeus.. Au moment de la coupure en deux de la Mer d'Aral, subsistaient encore six poissons, l'épinoche, le hareng, la plie, et 3 espèces de gobies. En 1989 la Petite Mer se stabilisa à +40 m asl, puis commença à se déverser vers le sud, risquant, par érosion, de se vider complètement dans la Grande Mer. Après la construction de la digue en 1992 (cf chapitre 14) et la remontée de la Petit Mer, les roseaux (Phragmites australis) se remirent à croître dans le delta du Syr, restituant un milieu favorable aux hydrobiontes et amphibiontes. L'augmentation du niveau de la Petite Mer et la baisse concomitante de salinité y favorisa le redémarrage de la biomasse. Ainsi, deux espèces de petits crustacés, Moina mongolicaet Evadne anonyx réapparurent. Moina et Evadne dans la Petite Mer proviennent d'oeufs « dormants »; qui ne tombent pas au fond mais demeurent sur le littoral., et peuvent supporter des dizaines d'années de froid et de dessication. Ils peuvent être transportés avec la poussière pendant les orages à partir d'autres lacs salés. En effet après la reproduction parthénogénétique de ces Cladocères, harengs et ablettes les exterminent avant qu'elles aient pondu. Ces espèces réapparaissent à chaque printemps, leurs oeufs provenant de mares voisines. Deux espèces nouvelles d'Ostracodes,
jamais rencontrées encore dans l'Aral apparurent en 1995 - Eucyprisir!flata et Heterocyprissalina) s'ajoutant au Cyprideis torosa rescapé. Amenées par le vent, elles indiquent que dorénavant les changements de faune s'opèrent par les apports éoliens. Depuis lors, l'évolution des deux bassins, Petite Mer et Grande Mer, fut différente:
14BPetit crustacé porteur
d'une carapace
bivalve, ex :la Daphnie.
des Ostracodes. 149Protozoaire seCl"étant une coque.
204
Les Cladocères
font partie
l - Dans le grand Aral, après la séparation de 1989, la salinité augmentant rapidement fit disparaître la plupart des espèces d'origine marine. De Il espèces d'invertébrés planctoniques seul salina, qui tolère d'énormes variations de salinité, est localement abondante.. De 8 espèces zoobenthiques, ne subsistèrent que deux espèces du petit gastéropode Caspiohydrobia et les ostracodes Cyprideis torasa et Eucypris iriflata. L'algue Dunaliella, arrivée d'étangs voisins, est devenue l'espèce végétale dominante. Le Rotifèrel5o halophile Braehionus plieatilis survécut. Le cladocère Moina mongoliea, la crevette Artemia salina, l'infusoire Fabrea salina apparurent, sans doute amenés par le vent. M Mongoliea devint un composant permanent du plancton estival mais ne colonisa pas la totalité du grand Aral. Artemia salina apparutl5I . II - En 1998, dans le grand Aral, seules cinq espèces de poissons subsistaient: le hareng de la Baltique, la plie Platiehthysflesus luseus, l'atherineI52 Atherina b(!)Jerieaspia et les deux gobies Neogobiusfluviatilis et Potamosehistuseaucasieus. La composition du plancton avait changé. Une espèce jusque là dominante, Aetinocyclus ehrenbergii, disparut, remplacée par des diatomées comme Amphora eqffèqfOrmis. En 1997, le crustacé dominant Calanipeda aquaeduleis disparut, et apparurent Moina salina et Artemia parthenogenetiea, beaucoup plus tolérantes à une salinité élevée. Depuis 2000, Artemia constitue 99% de la biomasse zooplanctonique subsistante.
150Les Rotifères sont des animaux pluricellulaires aquatiques microscopiques, très résistants à la dessication. 151Petit crustacé supportant des salinités très élevées, jusqu'à 300g de sel par litre... 152Petit poisson des eaux saumâtres, encore nommé le «joel» ou le «prêtre»
205
Figure 79. Artemia salina (1mm de long)
On trouvait encore ces dernières années le mollusque bivalve Syndosmya segmentum,le petit crustacé Ostracode Cyprideirtorosa, et des larves du Diptère Chironomus salinarius dans le bassin ouest.. Dans le bassin Est, le benthos a disparu. Depuis 2002, seuls le flet (poisson plat, comme la sole) et l'atherine (qui ressemble au hareng) ont été rencontrés dans le bassin Ouest, et aucun poisson dans le bassin Est. Des sept espèces de poissons encore présentes en 1989, aucune ne subsistait à l'automne 2003, quand la salinité atteignit 80 g/l dans le bassin ouest. Depuis 2000 Artemia salina représente 99% de la biomasse. En 1999-2002, 159 espèces d'algues planctoniques étaient répertoriées, soit deux fois plus qu'auparavant. En 2005, on trouvait encore les algues vertes Vaucheriadans le bassin ouest, Cladophoradans le bassin est. Des algues planktoniques ont subsisté jusqu'à des salinités de 135 g-l, (Euglènes), à une profondeur allant jusqu'à 15-25 cm, et plus rien en dessous. Sapozhnikovet Simakova (Geophys.Res. Abstr., 8,141, 2006) disent que c'est la première fois qu'on trouve des microalgues à une telle salinité. III - Dans la Petite Mer, le niveau se stabilisa d'abord à + 40 m asl puis continua à monter. L'eau commença à recouler vers la Grande Mer par le canal creusé peu avant (cf chap. 15 et 16) pour permettre le passage des bateaux entre Aralsk et Muynak (L'érosion dans les alluvions menaçait de drainer la Petite Mer, ce qui justifia la construction en 1992 de la première digue - dont nous reparlerons, qui fut détruite et réparée à plusieurs reprises, 206
et qui permit de faire remonter le niveau de la Petite Mer à 42.8 m asl et d'abaisser sa salinité de 29.2 g/l à 18.2 g/l.). La biodiversité augmenta, le delta du Syr Darya commença à être reconquis par les roseaux (Phragmites australis), où recommencèrent à nicher oiseaux et loutres. IV - Deux espèces de Cladocères réapparurent. E. anonyx qui avait disparu à l'été 1988 quand la salinité était montée à 25g/1, réapparut, sans doute à partir d'oeufs dormants;. Moina mongolica, qui supporte des salinités de 0 to 97 g/l et se trouvait avant 1960 dans le plancton d'été, partout dans l'Aral, ne fut alors observé que sporadiquement, sans œufs dormants sur les rivages: il est possible qu'ils aient été détruits par les harengs et les ablettes, gros consommateurs, et que Moina mongolica qui se reproduit dans les mares et étangs voisins sans poissons, soit amenés par le vent dans la Petite Mer au moment de la dessication de ces plans d'eau. Le zooplancton actuel comprend neuf espèces euryhalines communes dans la région araliennes, deux envahisseurs anciens (P camptonyx)E. anonyx) et un envahisseur récent, Calanipeda aquae duIci. Le benthos montre deux nouvelles espèces, les ostracodes Eurypris iriflataet Heteroryprissalina, s'ajoutant au survivant C. Torosa. Ils apparurent dans le golfe NE de l'Aral en 1995 après le remplissage de la Petite Mer. Tous deux donnent des kystes supportant le gel et la dessication comme Moina mongolica,et sont facilement transportés par le vent. Vers 2000, la salinité de la Petite Mer était redescendue à 18 g/l, et les larves de Chironomes, qui étaient originellement le composant principal du zoobenthos réapparurent. En 2000 encore, on constata que la distribution verticale du benthos de la Grande Mer s'était modifiée en 30 ans. La biomasse benthique avait augmenté près des rives, mais disparu au large, ce qu'on attribua à l'accumulation de matière organique dans les fonds, avec la disparition de l'oxygène dissous du fait de l'absence nouvelle des courants profonds. En 2002, on constata que les Diatomées avaient plus qu'à moitié disparu, et que la diversité du plancton animal était devenue très basse. Dans très peu d'années, Artemia sera le seul animal pluricellulaire de l'Aral sud. La Petite Mer, pendant tout ce temps, avec sa salinité de l'ordre de 20g/l, aura à peu près gardé sa flore et sa faune des années 70-80. La réapparition des frayères dans le delta du Syr, et la régulation de la salinité
207
de l'eau, maintenant acquise depuis la reconstruction de la digue, devrait permettre la réhabilitation de modestes zones de pêche.153
La biomasse des rives On a vu précédemment que les rives de toute la partie ouest et nord des rives de l'Aral étaient quasi-désertiques, à l'exception des ravines gardant un certain inferoflux pendant l'été. Dans les deltas, au contraire, existait une végétation luxuriante, alimentée par la nappe phréatique des fleuves. L'élément caractéristique était le «tougaï », terme local pour «fourré », réduits de 1300 000 à 50 000 ha. De nombreuses espèces végétales (plus de 300) y prospéraient, roseaux atteignant 6 m de hauteur, clématites géantes, peupliers (dont l'espèce est attestée par les fossiles depuis l'ère tertiaire), nombreuses plantes volubiles; les roselières se réduisirent de 600 000 à 30 000 ha. Les tourbières, nombreuses, disparurent. Les interfluves comprenaient aussi des prairies, plus ou moins marécageuses (hydromorphes), dont la surface s'est réduite de 630 000 ha à 85 000 ha de roselières. Au cours de l'histoire, avec le creusement de canaux artificiels et l'approfondissement des canaux naturels, ces prairies devinrent des aires de pacage pour les rares établissements agricoles. On a pu suivre avec la régression, l'évolution de ces différents territoires, où disparut 153Voici quelques reférences importantes
(outre les articles sur Internet) :
Aladin N.V, et a1.l995 Problèmes biologiques de la Mer d'Aral et du PriAral,; inst. Zoologique Ac. Sc de Russie, 3 vol. (en russe); Aladin et al. Conf. Nato Tachkent, 1-5 oct. 2007 ( internet). Aladin N.V., AA Filippov, LS. Plotnikov, AN. Egorov. 2000. Modern ecological state of the Small Aral Sea In: Ecological Research and Monitoring of the Aral Sea Deltas. A basis for restoration. Book 2. UNESCO Aral Sea Project. 1997-2000 Final Scientific Report, 2000. P.73-81. Andreev N.L, Andreeva S.1., 2001. Modern crisis of the Aral Sea ecosystem as model of biotas evolution. In: Evolution oflife on the Earth. II International symposium, November 12152001, Tomsk, 41-43. (en russe) Orlova M.L, 1993. Materials to the general evaluation of the productional-destructional processes in coastal zone of the northern part of the Aral Sea. 2. About some properties of functioning of the ecosystem in the district of Syrdarya's delta and in shallow areas of the sea gulf. In: Russian Academy of Sciences, Proceedings of the Zoological Institute, St Petersburg, Vol. 262, 47-64. (en russe) Petr T., 2002. Fisheries in irrigated areas of Central Asia;, FAO, et rapports attenants (intemet) Spiridova LV., 1990. Regime of biogenic substances. Balance of biogenic substances. In: Hydrology and hydrochemistlY of the USSR seas. Vol. 7: The Aral Sea, 114-140. (en russe)
208
d'abord la strate herbacée, puis les buissons, et enfin les arbres, laissant place à des étendues plus ou moins vastes de sol sableux et gypseux où l'érosion éolienne a fait des ravages Wabrasion a atteint jusqu'à 50 cm, selon la cohésion des sols). On considère que près de deux millions d'hectares de pacages et de fourrés ont ainsi disparu, remplacés par des espèces de type désertique, telle saxaoul, formant des monticules qui contribuent un peu à maintenir en place le sol dénudé (figure 80) ; la surface des solonchaks, plaines gypseuses temporairement noyées sous un peu d'eau, avait, en 2002, augmenté de 85 000 à 273000 ha, dépasse aujourd'hui 500 000 ha.
Figure 80. « Forêt)} récente de saxaouls stabilisant les dunes
Sur 173 espèces animales recensées, 33 survivaient en 1991. Une autre statistique indique qu'entre 1960 et 2000 le nombre d'espèces de mammifères est passé de 70 à 32, et de 310 à 160 pour les oiseaux. Notons que les roselières des anciens marécages, comme celles apparues sur le trajet nouveau des bras résiduels de l'Amou sur les terres nouvellement émergées, sont fréquemment l'objet d'incendies provoqués (fig.8l), permettant au printemps la repousse rapide d'un couvert herbacé où on mène les troupeaux, depuis la disparition des anciens herbages des deltas. 209
Les Pouvoirs publics chargés de la réhabilitation des terres dévastées, comme des « terres nouvelles », tentent de décourager les pasteurs de paître les nouvelles végétations (en particulier les graminées printanières dont le faisceau racinaire contribue à stabiliser les sols récemment émergés) et d'incendier les herbes sèches dont ils pensent que cela facilite la repousse des jeunes pousses. Tout ceci sans beaucoup de succès jusqu'ici (fig. 81).
Figure 81. Incendie de broussailles sur l'ancien delta de l'Amou (1990)
Un mot sur les anciens lacs des deltas. Ceux de l'Amou Darya passèrent de 400 000 ha en 1960 à 200 000 ha en 1990, se transformant en solonchaks. Un gros effort a été fait pour les reconstituer. A défaut d'eau de rivière, toujours «confisquée» par les pouvoirs publics, on a récupéré aujourd'hui les eaux de drainage, et dans une certaine mesure, les eaux usées des agglomérations possédant le tout-à-l'égout, après un traitement sommaire.On a ainsi réalimenté certains des lacs anciens (fig.82), certains agrandis par surélévation des berges aval. En particulier dans des parties de l'ancien fond de l'Aral, on en a créé de nouveaux, très peu profonds, fermés par des digues de sable. L'eau apportée s'épure en partie au contact de l'air et permet l'élevage de poissons qui sont d'ailleurs pêchés et consommés. Il n'est pas certain que les services de santé s'assurent toujours de leur qualité. En tout cas, ces travaux, d'initiative locale ou régionale, permettent la
210
reconquête de zones abandonnées par excès de remontées des sels, et fournissent du travail, par la pêche et l'entretien des étangs. En parallèle avec cet effort, il faut signaler un début de réhabilitation du tougaï là ou c'est possible, c'est à dire là où le niveau de la nappe phréatique ne s'est pas trop abaissé; par suite de l'érosion du lit des chenaux que l'abaissement du niveau de base a créée. Il s'agit d'un travail de longue haleine... Dans la partie nord-est de l'Aral, la structure végétale du delta du Syr Darya fut moins touchée, parce qu'elle ne fut pas l'objet de destructions comparables à celles effectuées au sud de l'Aral; la population y était d'ailleurs beaucoup moins dense. Le parti-pris ouzbek de continuer à utiliser la plus grande partie de l'eau de l'Amou Darya pour l'irrigation n'a pas été celui du Kazakhstan indépendant, dont les projets de développement sont modestes et intégreront la gestion des eaux de la Petite Mer. On peut penser que les lâchers périodiques du barrage Kokaral vers le bassin est de la Grande Mer, diminueront en grande partie quand le réaménagement de l'irrigation du delta du Syr,jusqu'alors bien négligé, sera achevé, dans quatre ou cinq ans.
Figure 82. Lac artificiel
sur le delta de l'Amou Darya
211
13
Les activités
autour
La pêche
O
N A VU
humaines
de l'Aral
dans l'Aral précédemment que la pêche, relativement active dans les lacs
et dans les bras des deltas, n'avait pas été une préoccupation essentielle des conquérants russes, surtout intéressés par le coton du Khorezm. La pêche était restée une activité locale, et les pêcheurs, d'ailleurs mal équipés, se risquaient rarement loin des rives de l'Aral, dont ils craignaient les tempêtes soudaines et brutales. Ils disposaient d'ailleurs de peu de bois propice à la construction de barques solides. Jusqu'alors, les pêcheurs fréquentaient surtout les bras des deltas du sud (fig.83), craignant les vagues courtes et rageuses du lac qui retournaient leurs barques faites de bric et de broc... Les prises se montaient là à quelques centaines de tonnes par an, et servaient à la consommation locale (une partie cependant, séchée, était exportée vers le villages loin des côtes, ou stockée pour l'hiver, quand le lac et les cours d'eau étaient gelés).Les pêcheurs de la partie nord de l'Aral, et surtout ceux de la Petite Mer, ramenaient aussi bon an mal an quelques centaines de tonnes de poisson. L'esturgeon était surtout pêché dans le bas cours de l'Amou Daria. Le caviar de l'Aral dont on disait que c'était le meilleur du monde, était exporté l'hiver jusqu'à la table des tsars et des la classe la plus riche, dans des chariots remplis de glace. ...
213
Figure
83. Pêcheurs
traditionnels
sur l' Amou Darya (1940)
Sous la direction du Ministère des pêches de l'URSS, on entreprit l'exploitation «socialiste» de l'Aral. Les espèces endémiques de poissons étaient déjà bien connues des Russes: l'esturgeon de l'Aral, le belouga, un peu différent de celui de la Caspienne, venaient frayer dans les chenaux des deltas et la pêche y était bonne, de l'ordre de 50 tonnes par an, et donnait 10% de la production russe de caviar. Le poisson, séché dans les petits ports de la côte nord, était expédié essentiellement vers la région de Tachkent et de Khiva. On raconte que pendant la guerre entre les Blancs et les Rouges, en 1920, la pénurie de charbon contraignit à utiliser le poisson séché resté "en rade" comme combustible pour les locomotives sur la ligne du Transcaspien! Et Aralsk expédia du poisson vers la vallée de la Volga, en proie à la famine (fig.84). Dans les années 1950 n'étaient commercialisés, en dehors d'une consommation locale de l'ordre de quelques milliers de tonnes, que 40 à 50 t d'esturgeons, brochets et gardons.. .Puis la production augmenta beaucoup, essentiellement à destination des grandes villes de
Russie... Un premier projet soviétique consista, on l'a vu, à introduire de nouvelles espèces, pour la plupart issues de la Caspienne. La première conserverie fut installée à Mouynak en 1936. On construisit une flottille avec l'intervention des ateliers de chemin de fer d'Aralsk. On aménagea à Ushay, près de Muynak, et à l'abri des tempêtes hivernales, un nouveau port avec des hangars de séchage du poisson. Il deviendra le plus important de tout l'Aral.
214
Cela fonctionna assez bien. Des conserveries furent établies aussi à Aralsk, les installations se modernisèrent entre 1970 et 1975 avec un matériel importé d'Allemagne de l'Est. La production totale, lacs compris, évoluait entre 30 000 et 60 000 tonnes annuelles, avec une moyenne de 40 000, dont 25 000 pour le sud, celle des lacs comprise, soit 98% de la production ouzbek; 98% étaient commercialisables..(A titre de comparaison, les prises du seul port français de Boulogne tournent autour de 50 000 tonnes par an).
n, \
!\ ~''''~
{"'"
",,,.'
$
t , ~.~'\
}",~
« Au président de la république de FSFSR, le camarade V.I. Lenine, les pêcheurs l'Aral ont expédié quatorze wagons de poissons obtenus surtout par le concours chaleureux de Bugun. Le président des pêcheurs dc l'Aral, Medetbaev. »'5'
du bassin de des pêcheurs
Figure 84. La stèle de la gare d'Aralsk
15f Ce convoi télégramme aujourd'hui
secourait
les victimes
de la famine
de Lénine existe dans ses « Œuvres dans un jardin public d'Aralsk.
215
d la vallée de la Volga, en 1920. Le complètes », année 1920.La stèle serait
Les fluctuations de production étaient essentiellement dues, dans un milieu aquatique peu productif (oligotrophe), à celles de l'état du lac, tant au point de vue apports nutritifs que de la température, spécialement aux époques de frai. Le lac artificiel Sary Kamysh, au SW de l'Aral, fut lui aussi exploité de manière semi-industrielle, jusqu'à ce que, par suite de pollution, par les pesticides essentiellement, elle fût interdite en 1990, ce qui n'empêche pas les braconniers turkmènes de continuer leur pêche et même de la vendre sur les marchés... On a estimé à 60 000 personnes en 1950 -ce qui semble considérable- les Araliens vivant de la pêche. A Mouynak en 2000, elles n'étaient plus que 150, outre les amateurs et braconniers pêchant sur la glace des lacs en hiver (fig. 85)...
Figure 85. Pêcheurs sur la glace près de Mouinak
Aralsk avait une certaine activité de constructions navales. Après l'assèchement du port, elle se reconvertit en atelier de réparations des vedettes de la Marine soviétique, amenées de Vladivostok en train... Activité qui ne dura guère.
216
Mais le port le plus actif était celui de Uchjaly (fig. 86), près de Mouinak, compte tenu de la proximité, relative de Noukous et d'une région très peuplée, alors qu'Aralsk devait consacrer l'essentiel de sa production à l'exportation. De là l'installation à Aralsk, et aussi à Mouinak, d'usines de traitement et de conserveries. Avec la régression de l'Aral, et en grande partie du fait de l'assèchement des frayères, et accessoirement des difficultés d'accès aux ports malgré des efforts onéreux pour draguer les chenaux d'accès, la pêche industrielle devint non seulement difficile, mais surtout beaucoup moins rentable, de sorte qu'on en vint, lorsque les bateaux ne purent plus sortir en 1982, à importer du poisson pour alimenter les conserveries: de la Caspienne, depuis Krasnovodsk, par le chemin de fer transcaspien jusqu'à Chardzou, puis par le transaralien de cette ville jusqu'à Koungrad, et de là, par camion frigorifique jusqu'à Mouynak ! On dit même que le trajet de Krasnovodsk à Mouynak fut aussi effectué par camion à travers le désert du Karakoum, dans les années 1990...
Figure 86. Le port de Uchjaly en pleine activité (extrait de film vers 1950: nous n'avons pas trouvé de document de meilleure qualité...)
217
Aralsk fut même alimenté, dit-on, par du poisson amené en wagons frigorifiques depuis les ports de la Baltique. On a prétendu aussi qu'une partie de la production de conserves était expédiée jusqu'à ... VIadivostokJ55! Les deux conserveries vivotèrent jusqu'à leur fermeture en 2002 ; elles étaient encore alimentées par la petite production locale des gens retournés à la pêche artisanale dans les lacs résiduels du delta de l'Amou au sud, dans la Petite Mer au nord, aidés par des associations caritatives, dont des pêcheurs danois: un million de dollars en dix ans aidèrent ceux de la Petite Mer. La conserverie d'Aralsk fut fermée définitivement en 2002 après le décès de son directeur, qui se battit jusqu'à sa mort pour qu'elle continuât...II disparut avec sa vieille Lada en traversant un lac gelé au sud de la ville La réalisation du barrage de Kokaral (cf. chapitre IS) et le redémarrage d'une pêche notable dans la Petite Mer pourrait redonner, espère t-on, une certaine activité à la conserverie d'Aralsk. Pour Mouynak, les plus optimistes espèrent la même chose à partir de la pêche lacustre et dans l'Amou, où la production est descendue de 7000-8000 t dans les années 1970 à 3000, puis 1000 t dans les années 1990. Cette pêche se pratique encore dans le lac artificiel de Tyouyamouyoun, au sud de Noukous, d'où le poisson peut remonter jusqu'à 1000 km du delta, là ou se trouvent les frayères. Néanmoins, cette pêche sert beaucoup plus à maintenir sur place une petite population désorientée et sans avenir, qu'à apporter une ressourcel56 de caractère commercial. Les pêcheries ont été privatisées, et un système de fermes aquicoles - initiative privée- se met lentement en place dans le delta de l'Amou. Pour le Syr Darya, la pêche industrielle en lac continue, voire se développe, dans le lac d'eau douce Kamysylbas, situé entre Aralsk et NovoKazalinsk, dans une installation qui vient d'être modernisée avec des crédits étrangers. La «renaissance» de la Petit Mer, dont nous reparlerons plus loin, permettra incontestablement de stabiliser une population jusqu'ici désespérée. Que faire des eaux hypersalées des deux lagunes résiduelles du sud Aral? On a parlé d'y favoriser le développement d'Artemia salina (cf. chapitre 12), la petite crevette qui tolère de très hautes salinités, et est élevée avec succès dans la Mer Morte par des Israéliens: desséché, ce crustacé est utilisé pour la nourriture des poissons d'appartement. Les sociétés contactées
155D'où, inversement, on les ramena par le train à Aralsk pour faire travailler le chantier naval de petites embarcations à réparer I!! 156Pavlovskaya LP, Fishery in the lower Amu Darya 1995, internet; et Petr T., FAO, 1995, Internet
218
(dont une belge?) ont donné un verdict négatif: non rentable. Et l'eau, paraît-il, n'est pas encore assez salée pour qu'on reprenne les études...
L'agriculture L'agriculture traditionnelle dans les grandes propriétés dès l'antiquité, se pratiquait autour des « châteaux »de terre battue qui constellent les deltas, et
qui étaient, depuis l'antiquité, les résidences des propriétaires. La cour intérieure de ces enceintes fortifiées servait de refuge lors des invasions ou des incursions des pillards venus des déserts. Dans le delta de l'Amou, les canaux d'irrigation se trouvent à un niveau inférieur à celui des parcelles cultivées, de sorte qu'il fallait, de toute éternité, hisser l'eau, soit par des « chigir », sortes de balancelles avec des seaux, soit avec des norias, aux godets de céramique, actionnées par des chameaux ou des ânes (figure 87). Après les récoltes, faute de moyen pour évacuer l'eau en excès, on laissait celle-ci s'évaporer. Mais les sels remontant par capillarité, et en particulier le gypse, que le coton tolère très mal, venaient former une croûte en surface, qu'on retirait pour la rejeter... dans le canal d'irrigation... Quand on décida de mettre en culture pour le coton des surfaces très importantes de terres de pacage et autres, on se heurta très vite au problème, et après les statistiques triomphantes des premières années, les autorités durent admettre l'écroulement des rendements en coton... Traditionnellement vouée à une polyculture de subsistance (avec deux récoltes, et même, les bonnes années, trois), la seule culture" de masse", du delta de l'Amou, réalisée toutefois en petites parcelles, fut longtemps un coton à longues fibres, particulièrement prisé, dont le Khorezm était très fier. .. Les aménagements fluviaux avaient été essentiellement dédiés, dès 1930, au développement de cette culture. Le coton, qui ne supporte pas le gel (le Khorezm est à la limite nord de la zone climatique du coton), devait être semé en mai, et abondamment fourni en eau, engrais et pesticides pour fleurir et mûrir avant les premières gelées, dès septembre, ce qui justifie les mobilisations de toute la population, écoliers inclus au moment de la cueillette, même aujourd'hui. Cela n'était pas particulier au Khorezm, tout le Turkestan « cotonnier» y était astreint. En 1970, les surfaces « utiles» du delta de l'Amou Darya, qui étaient d'environ 1 million d'hectares en 1880, avaient plus que doublé depuis 1950 ; elles étaient les suivantes: 728 000 ha de pâtures, 420 000 ha de terres à fourrage, plus 1 300 000 ha de tougai,
219
700 000 de buissons (terrains de chasse et aussi pâtures), et entre 1 et 3 millions d'ha de cultures vivrières et coton, partie turkmène du delta incluses.
Figure 87. Puisage traditionnel par noria de l'eau d'irrigation (vers 1910)
Peu ou pas d'assolement ni de rotation des cultures, mais pratique constante de lajachère. Les engrais devaient être achetés par les kolkhoses et sovkhoses. La réparation des machines agricoles se faisait aussi, moyennant finances, dans les «Stations de moteurs », aujourd'hui cimetières d'engins abandonnés, faute de pièces de rechange. Des 1 500 000 habitants, (dont 600 000 au Karakalpakistan seul - ou 475000, selon les sources, et 30% dans les villes), 38% étaient agriculteurs, dont 50% se consacraient exclusivement au coton sur 65% des aires irriguées. Sur le reste, ils cultivaient blé, sorgho, millet, pratiquant l'élevage du mouton (peu de bovins), autour de leurs villages, de pisé pour la plupart. 220
Dans beaucoup de cas, les paysans vivaient de la production de leur parcelle familiale, comme partout en URSS, d'où peu à peu, après Staline, venait une bonne part de leur subsistance et de leur revenu, à la faveur des marchés des centres urbains, où ils apportaient, et apportent toujours, fruits et légumes. Ceci constitue d'ailleurs une partie importante de l'alimentation urbaine. Après une croissance fulgurante depuis les années 1950, la production du coton commença à péricliter à la fin des années 1970. Les pertes de production par rapport au rendement théorique étaient estimées à 10% en 1958 passant à 80% en 2005...En 2001, 173 000 ha seulement étaient ensemencés dans le « Pri Aral »157... L'Ouzbekistan était encore en 2006 officiellement le 4e producteur mondial de coton (récolte de 2007: 3,2 millions de balles de 200 kg, comme en 2006) et le 2e pays exportateur158 (figure 76). La part aralienne est tombée la même année à 70 000 t de fibre, et à 210000 t de graines (pour l'huile), au Karakalpakistan et à 285 000 t pour le reste du Khorezm : la productivité du coton (3-4 t/ha), serait tombée à 1-1.5 t/ha, chiffres officieux, non seulement par suite de la dégradation des terres, mais aussi du fait de la pénurie d'engrais et d'un minimum de pesticides, trop chers, que les coopératives paysannes qui ont succédé au système sovkhose-kolkhose ne peuvent acheter 159.La qualité du coton s'est détériorée: depuis la fin des années 1950 jusqu'au début des années 80, la densité spécifique de la fibre de coton brut s'est abaissée de 0,7 à 0,4. D'autre part, mais cela n'est pas propre au Khorezm, l'Etat ouzbek impose des quotas de production difficiles à atteindre, et, de surcroît, a le monopole de l'achat des récoltes à des tarifs trop bas, qui contraignent les paysans des anciens kolkoses à des acrobaties pour surVIVre. . . Ceux des paysans, qui sont devenus indépendants ou réunis en petits syndicats, renoncent donc de plus en plus au coton, les frais divers, dont leurs salaires misérables, dépassant largement maintenant leur revenu. Les 157 Voir le rapport déjà ancien de d'évaluation... » : sur FAO.org. 158 Selon certaines sources officieuses,
la FAO
(18
/12/2000)
«mISSIOn
FAO/PAM
l'Ouzbekistan serait descendu au 7" rang des exportateurs; fin 2007, les rapports économiques du FAO et du FBI ne donnaient plus les statistiques de production des anciens états de la Touranie depuis 2004. 159 Tout ceci n'est pas propre au Khorezm, mais à tout l'Ouzbekistan, où l'Etat, qui a le monopole du commerce du coton, ne répercute pas sur les producteurs une partie suffisante de ses bénéfices. C'est, du témoignage d'un Français qui a tenté en vain sa chance là-bas, une des causes essentielles de problèmes de l'agriculture ouzbèke.
221
autorités exercent une pression continue et veillent, comme aux temps soviétiques, à ce que les quotas sont bien appliqués. Pour survivre, beaucoup de paysans ont décidé de revenir aux céréales dont le sorgho, qui permet de nourrir quelques bêtes et tolère bien le sel. D'autres émigrent massivement, et c'est toujours vrai en 2008, vers les banlieues de Tachkent et Boukhara. En 2001, seulement 173 000 ha auraient été semés en coton dans le delta de l' Amou Daria. Les pertes économiques par rapport aux prévisions administratives se monteraient alors à 115 millions de dollars et les « pertes sociales »- dont la définition est peu claire- à 28,8 millions de dollars par an. Du coté kazakh de l'Aral, où le coton n'est pas cultivé au long du Syr Darya, le climat y étant peu propice, la production de riz et de viande semble s'être stabilisée aux valeurs de 1975.160 Moins atteint que le delta de l'Amou, celui du Syr Darya comprend - comprenait- beaucoup moins de travailleurs agricoles, et surtout ne produisait pas de coton (climat trop froid). Les rares documents disponibles semblent indiquer que les paysans, aussi démunis financièrement que ceux du delta de l'Amou, ont pris eux-même en charge la distribution de l'eau, avec la bénédiction du pouvoir central. La pisciculture reste active, et est un des programmes qui bénéficieront dans les prochaines années du «renflouement» de la Petite Mer. Quant à la pêche, malgré diverses proclamations, elle ne permettra pas la réouverture des usines de traitement, celui-ci restant artisanal. Sans doute, pour cette revendication comme pour beaucoup d'autres, les autorités et associations locales, qui ont gardé le souvenir de réalisations grandioses jadis financées par le pouvoir central, devront faire par leurs propres moyens... On ne sait rien des productions agricoles dans la partie turkmène du delta, au SE de l'Amou Darya...Secret d'état, jusqu'en 2007, et statistiques controuvées, quand elles sont disponibles... Une production naturelle, souvent négligée des statistiques, est la récolte des roseaux des marais, moissonnés régulièrement pour fournir d'une part du fourrage pour l'hiver, mais aussi de la matière première des usines de papier et de carton de Kzyl Orda. Il existait, parait-il plus de ISO sous- produits chimiques variés créés. Ces usines ont bien entendu fermé depuis longtemps. Du million d d'hectares de roseaux, dont 280 000 pour le delta de l'Amou et 20000 pour le Syr, plus des trois quarts avaient disparu, et de là la chimie 160 Cf statistiques de la FAO sur Internet; le riz avait été introduit au moment du «froid» entre la Chine et l'URSS, puis négligé ensuite. Une bonne introduction aux problèmes agricoles en Ouzbekistan se trouve dans: newletters.worldbank. infoshop/eca...
222
industrielle à partir de ce matériau. La production était tombée de 34 t/ha en 1970 à moins de 0,1 en 1990. Elle semblerait repartir. Quels remèdes à cette" dégringolade" ? Aucun n'apparaît clairement. Il n'y a pas d'argent, l'eau d'irrigation est trop chère. Des tentatives sont faites pour régénérer le tougaï, avec un certain succès, mais l'eau disponible est rare, et il y a toujours apport de restes de défoliants et de pesticides propagés par intercommunication des lacs. On en a créé de nouveaux dans le delta, et le poisson y vient bien, des experts français y travaillent. On a aussi créé plus de 320 000 ha de polders nouveaux sur les fonds récemment émergés. Quelques sédentaires sont revenus à la pêche un siècle après leurs ancêtres, qui est - en principe- sévèrement contrôlée...Un peu d'élevage, volaille, chèvres et moutons, permet aux plus pauvres de survivre...
l'élevage En 1978 750000 ha de prairies humides étaient déjà abandonnées et le rendement en fourrage était tombé de 3-4/ha à 1,3-1,5 t/ha. Le résultat est donné dans les tableaux ci-joints pour ce qui concerne la production de moutons: on voit que la laine" ordinaire" fut peu touchée, les troupeaux de moutons "ordinaires" paissant essentiellement dans les zone déjà semidésertiques, non touchées par le déssèchement du delta. La production de laine astrakhan du Khorezm est la plus touchée. En fait, elle manque de main d'œuvre et le produit se vend mal, trop cher, et est concurrencé par des produits synthétiques aa Namibie, second producteur mondial, a depuis quelques années arrêté l'élevage des moutons astrakhans). La production de rats musqués pour la fourrure passa de 70 000230 000 peaux en 1950-1960 à 9,000 en 1968, et à 72 (?) en 1978. Elle a un peu repris en 1995, mais n'atteint guère que quelques milliers de peaux par an.
223
En milliers
1981
1986
1988
Chèvres et moutons ensemble
moutons astrakhan
Karakalpak
288.7
Khorezm
253.4
467.2
~
463.9
378.5
342.8
162.0
150.0
128.8
Tableau 11 a. Statistiques de l'élevage
Production
République
1971-75
1976-80
1981-85
1986
1987
L'line en tonnes
Ouzbekistan
16085
19047
24097
23541
24347
Karakalpak Khorezm Ouzbekistan
1215 484 2274
1488 324 2329
2172 495 2308
1827 506 1640
1730 477 1380
Karakalpak Khorezm
III 63
167 9
163 8
132 12
125 10.5
Peaux d'astrakhan, milliers
Tableau 11 b. Statistiques de production de la laine
Les quelques données ci-dessus concernent la partie ouzbèke du «Priaral". On ne sait pratiquement rien des productions agricoles dans la partie turkmène du delta de l'Amou Darya, ni dans celui du Syr Darya, entièrement kazakhe: l'état des sols, tel qu'il apparaît sur les photos des satellites, laisse supposer une régression comparable à celle du Khorezm.
L'artisanat Traditionnellement, et depuis l'antiquité, l'artisanat, qui s'est bien rétabli depuis l'indépendance, a fourni des produits de base locaux: outils et étoffes.
224
Mais il existait jadis, « un artisanat de luxe », qui fournissait étoffes de coton et de soie, en particulier le calicot, étoffe destinée aux exportations, ou, plus grossière, aux populations locales et aux nomades qui trouvaient au Khorezm les matières que la steppe ne pouvait leur fournir. On travaillait aussi le cuir et le fer: fabrication d'armes de poing et de fusils; on fabriqua même au XIXe siècle un canon dans les forges de Khivalfil .. .Ces activités disparurent avec l'ère soviétique mais pourraient reprendre si elles étaient encouragées. Une des chances du Khorezm est en effet le tourisme; Khiva, entièrement restaurée, est un site de réputation mondiale, et les « tours opérators» ont découvert l'énorme potentiel que représente la visite des innombrables sites archéologiques qu'on commence à mettre en valeur.
Le sort des villes Noukous, capitale construite ab nihilo, créée en 1930, n'avait encore que 50 000 habitants en 1990, et 200 000 en théorie en 2005, sans doute du fait de l'arrivée de paysans sans emploi. Le régime voulait en faire un exemple pour le monde, avec de superbes monuments publics. Elle montre encore quelques restes de sa splendeur déchue: ainsi, le superbe Musée d'art modernelfi2, déjà évoqué, où sont montrées, entre autres, les, œuvres d'artistes maudits sous le régime stalinien. Mais les bâtiments publics se sont fortement dégradés, en partie faute d'entretien, mais surtout parce que la remontée des sels depuis le sous-sol ne fut pas prise en compte lors de la construction et que le béton se délite sous la corrosion due au gypse «grimpant ». Les plaques d'égouts ont disparu, (comme parfois les poteaux d'éclairage urbain.. .). Mais les monuments anciens sont eux-mêmes soumis à cette attaque insidieuse: ceci n'est pas d'ailleurs propre au Khorezm ... Quant aux petites villes, centres agricoles et commerciaux, comme Koungrad (Kungrat : 50 000 habitants), qui fut jadis à l'origine d'une dynastie du Khorezm, laquelle dura jusqu'en 1920, ou Tchimbai (30 000 habitants) (fig. 88), elles vivotent tant bien que mal, rassemblant aujourd'hui dans les immenses bidonvilles de leurs banlieues les populations en quête de survie. Ourgench, la vieille capitale, célèbre par son minaret isolé (et
Cf site « advantouLcom » 162Cf« Noukous», sur Internet. 161
225
restauré) possède encore près de 100 000 âmes, mais aucune industrie importante. Khiva, ancienne capitale aux constructions de pisé, était déjà très dégradée lors de la conquête russe. Là aussi, les buildings soviétiques se détériorent de plus en plus. Les égouts ne sont plus curés et servent de dépotoirs... Depuis plus de trente ans, la restauration des anciens monuments, toujours en cours, a fait cependant de Khiva un des points forts des circuits touristiques occidentaux en Asie Centrale. Les agences de voyage proposent désormais des détours vers le désert. L'Unesco doit, en principe, accorder son label "Patrimoine de l'humanité" aux châteaux féodaux qui constellent la rive droite de l'Amou Darya et sa frange désertique. Pour la partie turkmène du delta, on n'a pratiquement aucun renseignement officiel sur l'évolution des villes, ce qui s'y passe. Le parcours des rares touristes autorisés évite soigneusement les régions à problèmes. Les mauvaises relations diplomatiques de l'Ouzbekistan avec le Turkmenistan, jusqu'à ces derniers mois en tous cas, interdisent de compléter les circuits touristiques par la visite de sites spectaculaires, comme les ruines de la Vieille Ourgench, ou Vazir (fig.22), par exemple, et les anciennes citadelles de la vallée de l'Ouzboy, au sud du lac Sary-Kamych, bordé de roseaux et refuges d'innombrables oiseaux. Quant à la partie kazak de l'Aral, elle n'a pas jusqu'à présent attiré beaucoup de visiteurs, sinon des curieux ou des scientifiques. Les ruines anciennes du delta du Syr Darya, peu nombreuses et peu étidiées encore, ne sont pas encore mises en valeur. Certains paysages mériteraient d'être mieux connus; mais l'équipement hôtelier est encore très sommaire, sinon nul. L'accueil des populations locales est en général très cordial...
226
Figure 88 a. Environs
de Tchimbai (NWde Noukous) :
irrigation; noter les champs gypsifiés...
Raisons « administratives» de la crise écologique
de l'Aral
Un rapport de l'INT AS163 (2004) pour la Banque Mondiale, signé de plusieurs spécialistes locaux, mérite d'être largement cité en conclusion. Il insiste sur les causes profondes, purement administratives, de la catastrophe de l'Aral. Il rappelle diverses estimations des pertes économiques dans le bassin de l'Aral, en rapport avec le développement de l'irrigation et le déclin de l'Aral. Les chercheurs de l'Institut des problèmes de l'eau de l'Ac. des Sciences d'URSS (Problemsqfthe Aral Sea 1973) estimaient déjà voici 35 ans que les changements de l'Aral, du fait des prélèvements nouveaux sur les fleuves, aboutiraient à une diminution globale du revenu entre 15 et 30 millions de roubles. Ils concluaient à un maintien nécessaire du débit à l'Aral. En fait, les pertes annuelles dans le seul cours inférieur de l'Amou Darya se montaient en 1980 à 92.6 millions de roubles au moins (Gerasimov et al. 1983). Selon le rapport, les dommages à la nature et à l'économie régionale devraient aussi inclure le coût des mesures prises pour réduire la crise de l'Aral. Le coût de ces mesures devait être évalué au total à au moins 163 International ofthefirmer
Soviet
Association Union
fir (NIS)l
the promotion
of co-operation
227
with
scientists from
the New
Independent
States
37 milliards de roubles, et non à 30-100 millions de roubles. Les pertes économiques réelles devaient être vraisemblablement plus fortes, du fait de celles du revenu agricole, et de celles liées à la détérioration de la santé et aux frais médicaux en rapport. Le gouvernement central soviétique comprenait alors ISO ministères, dont une bonne dizaine avait leur mot à dire sur l'agriculture. S'ajoutaient à ceux-là les ministères spécialisés des diverses républiques, et des services trans-ministériels pour des affaires spécialisées (transports, irrigation). Bien sûr, en dernier recours, c'est Moscou qui tranchait les innombrables conflits entre administrations. Pour celles-ci, l'essentiel était de remplir les états de production qui remontaient vers le haut de la hiérarchie. De là, le fait de se heurter constamment dans les documents publiés à des données contradictoires, ou fausses (n'a t-on pas déclaré que sur les balances, on pesait tiges, feuilles et inflorescences du coton ensemble, voire avec le camion en plus ?) Dans le cas du delta de l'Amou Darya, les aménageurs régionaux étaient pris entre les désirs des autorités de niveau hiérarchique varié qui avaient besoin de résultats pour la propagande soviétique, et des conditions naturelles difficiles: saison froide très longue, écoulement des eaux insuffisant etc.. .Cela les avaient conduits à « mettre en valeur» des terres jusque là improductives- car négligées depuis toujours par des générations de paysans, qui y trouvaient terrains de pacage transhumant, ou de chasse. Il fallait bien entendu de l'eau, faute de précipitations suffisantes, d'où l'extension galopante des réseaux d'irrigation. Conséquence: salinisation des sols et des eaux de drainage, inadaptation des pratiques de labour, avec charrues soussoleuses détruisant le frêle maillage de la matière organique- pauvre- du sous-sol et de là effet augmenté de l'érosion éolienne, d'autant qu'on négligeait souvent la rotation pluri-annuelle des cultures: le coton succède encore généralement au coton. Une cause connexe de la désertification était - et est encore !- le mauvais choix des cultures: le coton, principal accusé, demande beaucoup d'eau, de chaleur, d'engrais et d'insecticides. Pour ces derniers, régnait l'adage: « Là où un peu fait du bien, beaucoup fait mieux.. .». De là, l'excès de nitrate et de pesticides dans les eaux, de surface comme souterraines. Le rapport cité insistait également sur l'absence d'études scientifiques et économiques préliminaires à la réorganisation de la politique agricole après 1960. De toute manière, sur l'Aral comme ailleurs, le pouvoir central n'aurait pas tenu compte de conclusions allant à l'encontre de ses désirs...
228
Le rapport contestait aussi la conception et la mauvaise qualité des travaux de terrassements pour l'irrigation: pertes par infiltration et alluvionnement. Comme pour le choix des cultures, imposé par la hiérarchie politique, la conception et la réalisation des ouvrages n'étaient pas supervisés par des services indépendants du pouvoir donneur d'ordres. De là, sont issues beaucoup des conséquences néfastes de la culture imposéeprincipalement du coton - sur l'environnement matériel des deltas. Au plan des revenus économiques, là encore, le rapport insistait sur le choix des cultures: aux productions traditionnelles de fruits, légumes, on avait
substitué une quasi-monoculture du coton dont la population
-
comme
l'administration locale d'ailleurs, ne tirait qu'un maigre profit, les prix de vente étant imposés d'en haut ~a situation n'a d'ailleurs pas changé depuis l'indépendance, mais ceci est une autre histoire.. .). Enfin, le rapport insistait sur le fait que les conséquences de la « réorganisation» de l'agriculture péri-aralienne sur le devenir de la mer d'Aral fussent complètement négligées par le pouvoir central. On doit penser qu'en haut-lieu, le ministère de l'agriculture imposa sa politique de production à tout prix. N'oublions pas que Krouchtchev avait un problème majeur à résoudre: donner à manger à la population des villes soviétiques (de là, la politique des «terres nouvelles» à blé dans les steppes du Kazkhstan, qui fut rapidement un fiasco), en parallèle avec celui du coton, nécessaire à l'habillement des millions de soldats soviétiques.. .La disparition de la pêche sur l'Aral était le moindre souci des autorités des année 1960-1970. Quant à l'impact environnemental et sanitaire des transformations subies par les deltas, il était tout simplement ignoré... Aujourd'hui, la production de coton et sa commercialisation sont une des principales préoccupations du gouvernement ouzbek: on sait que celuici, qui a le monopole de la commercialisation, impose des quota aux producteurs, comme iIleur impose ventes et achats à des prix bas imposés à des « coopératives» dont il a la direction.. Pris à la gorge, les paysans « trichent» autant qu'ils le peuvent, cultures clandestines, fausses déclarations.. .et émeutes, durement réprimées, comme il s'en est produit récemment en Ferghana. Faute de moyens mécaniques pour la récolte, les écoliers et étudiants sont t0tU0urs mobilisés pendant trois semaines pour la récolte...On n'a pas vraiment d'informations sur la situation dans le delta de l'Amou Darya, mais il n'y a aucune raison de penser qu'elle soit différente de celle du Ferghana... Les statistiques de production du coton ont apparemment disparu depuis 2004 des données de la Banque Mondiale, mais l'Ouzbekistan reste le premier (ou le second ?) exportateur de coton
229
brut (peu ou pas d'industrie de transformation), que producteur au 70 rang mondial en 2007.
mais a rétrogradé
en tant
Le futur du Khorezm est imprévisible. Au nord de l'Aral, on ne peut guère espérer de progrès économiques qu'avec les futures jonctions Chine Kazakhstan, pipelines et voies ferrées. La base spatiale de Baikonour vit au ralenti.. .Et les épandages volontaires de substances toxiques subsistent (fig.88 bis).
Fig. 88 b. Epandage
de déchets radioactifs 150km SEde l'Aral (Muruntau)
230
14
Les impacts sur la santé
L
E PLUS GROS PROBLÈME lié à la disparition de l'Aral, en tous cas tel qu'on l'a vu en occident, est la dégradation de la santé des habitants de ses rives, et particulièrement de ceux du delta de l'Amou Darya. On se souvient qu'une grande partie de l'émotion soulevée dans les années 1990 par les reportages sur la région venait de la présentation d'enfants hâves, de femmes enceintes gisant sur de mauvais lits d'hôpitaux, de nouveaux nés souffrants de malformations...Il Y en a encore. Beaucoup de jeunes mères ont toujours des accouchements difficiles. Des centaines de publications traitent depuis plus de vingt ans des problèmes de santé, sans qu'il y ait encore beaucoup de synthèses réellement utilisables. Cela tient en particulier au fait que de très nombreux organismes, étatiques ou privés, agissent chacun de leur côté, vu l'impéritie des pouvoirs politiques. Et la coupure de l'Aral en deux, par une frontière restée théorique jusqu'en 1991, n'a pas facilité la collaboration entre Kazakhstan et Ouzbekistan, surtout depuis quelques années. On recommandera la lecture de divers articles de Sophie Hohmann sur plusieurs sites internet en appelant « Hohmann + Ouzbekistan» sur Google164., et le livre de Fayzieva (2003)165. L'état sanitaire du "Pri-Aral" n'a jamais été très bon; les statistiques de morbidité et de mortalité révèlent qu'elles étaient souvent parmi les plus mauvaises de toute l'Asie centrale soviétique, bien avant 1970. Dès le début 164Voir aussi sur Internet
les rapports
de Kaipbergenov,
1980, Kotliakov,
1991, Seljunin,
1989 etc., Khanin etc.. Pour une étude globale de la santé en Ouzbekistan, voir aussi Hohmann S., 2004, Cahier d'Asie Centrale, 13-14, 121-161. 165Fayzieva D. ed. (2203): "Environmental health in the Aral sea basin", Wit Press Canada).
231
de l'assèchement de l'Aral, on a accusé les poussières soulevées par les vents dominants du Nord -Est, sur les zones fraîchement émergées. En fait, depuis des siècles, l'atmosphère était soumise à ces vents, attaquant les innombrables solonchaks aes lagunes salées de l'ancien delta du Syr Darya), où les vents peuvent décaper jusqu'à 40 cm de sol meuble en un an. Mais c'est surtout la mauvaise qualité de l'eau de boisson, une alimentation insuffisante et mal équilibrée, et le manque d'hygiène qui ont créé la plus grande partie des maladies observées, si bien rénales que digestives, et leurs complications. Le système centralisé de distribution d'eau ne fournissait que 75% de la population du bas Syr Darya de Kzyl Ordajusqu'à l'estuaire, et 33% de celle du Karakalpakistan. Les normes bactériologiques n'étaient atteintes que dans 25 à 45% des cas, et 90% de la population rurale prenait leur eau au printemps et en été dans les systèmes d'irrigation, sans aucun traitement. Seules les plus grandes villes possédaient (et possèdent encore) châteaux d'eau et station de traitement de l'eau, qui fonctionnent vaille que vaille. Certaines ont été remplacées grâace à des crédits internationaux. Mais toute l'Asie Centrale a souffert aussi, plus que d'autres régions productrices de coton, des rares précipitations estivales, qui ramènent les poussières toxiques au sol (au Ferghana ou en Transcaucasie). Elle a souffert de la pollution massive par les insecticides, herbicides et défoliants utilisés de manière de plus en plus importante dans la culture du coton, même si certains produits, tel « l'agent orange» déversé par tonnes, sont abandonnés depuis 10ngtemps...A cela s'ajoutèrent les dégâts variés apportés par la dessication de l'Aral et des aquifères périphériques de surface ou souterrains, et par la voie aérienne. Des pollutions d'origine industrielle paraissent mineures dans ce contexte. Le Karakalpakistan a été la région la plus touchée, semble t-il, de toute l'Asie Centrale. A cela il faut ajouter, aujourd'hui encore, les poussières apportées de loin par le vent dominant. Une fois connue la catastrophe, ou du moins ses aspects les plus spectaculaires, on a bien sûr accusé tout de suite l'assèchement de l'Aral. En fait, la pollution de l'eau "potable" est -était- aussi liée à l'excès de "salinité banale"lfifi de l'eau des deltas, où l'eau du lac proprement dit n'intervient pas. Les problèmes de santé touchaient la plus grande partie de la population paysanne de T ouranie, sauf peut-être les régions les plus arides où l'irrigation 166La norme internationale de sodium, calcium, autorisation spéciale.
de potabilité et de 19/1 de sels dissous ( chlorure, sulfate, carbonate
potassium).
Elle est dépassée
232
dans certaines
eaux commerciales
par
n'existe pas: en fait, l'excès d'irrigation et l'énorme évaporation qui s'ensuit, libèrent partout en Asie centrale, les sels dissous en profondeur, les font remonter en surface où le vent les capturent... Mais il y a des causes locales aux problèmes de santé qui sont liées au sous-développement de la région, sur lesquels il faut insister encore: intrinsèques: alimentation mal équilibrée et souvent insuffisante, cauchemar des pays pauvres; hygiène déplorable; et extrinsèques: mauvaise qualité de l'eau de boisson. Les poussières nocives apportées par le vent dominant du nord-est ne sont peut-être qu'un facteur secondaire: là, c'est l'assèchement de l'Aral qui est vraiment en cause. La pénurie de personnel médical, le manque de moyens techniques et de médicaments, a joué aussi un rôle important dans le mauvais état de santé des populations araliennes. Examinons
ces différents facteurs:
L'état général de l'habitat: Qu'il s'agisse d'habitations traditionnelles en torchis, inspirées de la yourte ancestrale, ou en parpaings de ciment (Fig.89) les animaux domestiques y vaquent souvent encore librement; les ménagères jettent leurs ordures à proximité immédiate des logis, tous facteurs aggravant un milieu pathogène (souvenons-nous de la propagande scolaire après 1870 dans notre pays, visant à introduire de bonnes habitudes domestiques: ici aussi, il faudra du temps...). Le froid est un facteur aggravant. Dans les villes comme Noukous ou Mouinak, qui disposaient d'un système de chauffage urbain collectif, l'entretien et le fonctionnement de celui-ci fut réduit, faute de crédits, et les installations parfois ferraillés clandestinement. Les égouts, non entretenus, sont une cause de maladies le plus souvent négligées (typhoide.. .). Les poussièreséoliennes(on a estimé à 45 millions de tonnes la quantité des poussières déjà amenées sur le seul delta de l'Amou Darya): l'inhalation permanentes de poussière chargées de sels (sulfate de sodium et de magnésium en particulier) ont été reconnues comme facteur essentiel de troubles respiratoires, rénaux et de grossesse, aboutissant à des proportions très élevées de déformations congénitales et de troubles de croissance chez les nouveaux-nésI67.
167 Il semblerait
que les pesticides
amenés
au lac par les eaux rejetées
dans les deltas, et
désormais soumises à une évaporation intense, soient repris par les vents et contribueraient maintenant à l'action nocive des poussières...
233
figure
89. Une maison de paysan: noter la cabane
des WC au premier plan)
L'alimentation ins1fiJisante,souvent déséquilibrée, en particulier au niveau des protéines (viande). Depuis l'indépendance, le pouvoir d'achat aurait encore baissé, du fait du chômage, de 2.5 fois depuis 1990 et serait descendu en-dessous du niveau de 1975. L'eau de boisson: prélevée dans des puits contaminés par l'abaissement des nappes phréatiques, source essentielle pour la majorité des villages, trop chargé en sels minéraux d'une part, contaminée par les déjections animales d'autre part (figure 90).Rappelons que la norme européenne est, en principe, de zéro bactérie par litre. S'ajoutent les polluants dissous, PCBs et autres. Le sang des enfants contient 20 fois plus de DDT et dérivés que celui des enfants suédois. Aujourd'hui encore, 65% de l'eau des canalisations est au delà des normes chimiques, et 35% au delà des normes bactériologiques. On dit que 150.000 tonnes de toxiques ont encore été apportés par l'eau de l'Amou Darya ces dix dernières années...Il semble toutefois que cet apport ait diminué sensiblement, du fait que l'emploi de ces produits, chers, s'est restreint dans les terres irriguées à l'amont des fleuves...
234
L'lrygiène: la vaccination contre des maladies telles la tuberculose n'était pas effectuée de manière systématique, et les injections de rappel souvent négligées. D'autre part, l'hygiène corporelle l'était aussi: toilette corporelle insuffisante, déjections incontrôlées dans la région sud du lac, 50 % des enfants sont anémiques, et 87 % des bébés le sont aussi. . Les troubles se présentent chez les femmes, quel que soit leur âge, et sont sensibles chez 70 % des femmes enceintes du Karakalpakstan - et aussi de la région de Kzyl Orda, au 3e trimestre de la grossesse. Asthme, cancers ( de l'œsophage, du foie, en augmentation de 200%, de la gorge: 20%), allergies, avortements spontanés, maladies des reins, très nombreuses, et du foie ont abaissé l'âge moyen du décès de 64 à 51 ans.
figure 90. Abreuvoir et ... fontaine (delta de l'Amou Darya)
Le sang, les systèmes endocriniens et immunitaires sont tous affectés, mais les maladies respiratoires sont aujourd'hui moins nombreuses. On trouve encore des traces de pesticides ~indane) dans le sang, bien que l'apport par l'eau des fleuves ait considérablement diminué depuis 1990.
235
L'anémie a augmenté ces 15-18 dernières années. Quand elle est sévère, se produisent de complications, si bien pendant la grossesse que pendant l'accouchement. 5% des nouveaux-nés souffrent d'anomalies génétiques à la naissance. On craint que celles-ci soient désormais héréditaires. La mortalité maternelle au Karakalpakstan en 1998 était de 60.6 pour 100 000 et de 24 pour 1000 chez les bébés. L'anémie n'est pas le seul problème. Les maladies de la thyroide et des reins sévissent également au Karakalpakistan. "Dans la période de 1981 à 1987, on estime que les cancers du foie ont atteint un vertigineux 20% ceux de la gorge 25%, et que la mortalité infantile a atteint 20%", a déclaré une doctoresse du pays. Globalement, une recherche sur 5000 femmes nubiles karakalpak, menée par une équipe internationale, a montré chez elles: 8799% d'anémies, 90% de complications pendant la grossesse et à la naissance, 30% de troubles rénaux pendant la grossesse, 15% d'avortements, 23% de troubles thyroïdiens. A Mouynak, Médecins Sans Frontières, actifs dans la région depuis 1997, signalent que le nombre de tuberculeux a augmenté de près de 70%. Il y en aurait plus de 100 000 dans le delta. Les bactéries de la tuberculose sont devenues résistantes aux antibiotiques. Thierry Coppens, chef de mission de MSF en Ouzbekistan, déclarait en 2003 que 30% des nouveaux cas de tuberculose résistaient aux médicaments. Un programme de recherches sur ce s~et a été lancé en 2004. Un traitement en essai doit être poursuivi pendant deux ans, mais risque de provoquer des troubles secondaires... Un médecin a dit d'une manière très brutale que l'absence ou le mauvais entretien systématique des WC était un facteur essentiel des épidémies: « Donnez-leur du papier hygiénique et vous verrez les statistiques de morbidité et de mortalité s'effondrer ». Les timides tentatives d'enseignement scolaire de l'hygiène sont restées longtemps sans effet. Depuis IS ans la bronchite
60 fois. O. Antaniyazova
-
chronique
a augmenté
trente fois, l'arthrite
une doctoresse du pays à qui a été décerné le prix
Goldman pour les problèmes écologiques- a déclaré que 99% des femmes en âge de procréer, avaient des problèmes pendant leur grossesse. Le sida, lui aussi, fait des ravages...
236
Kazakhstan (total)
Taux de naissance p. mille Mortalité p.l 00000 Circulation sang-uine Maladies pulmonaires accidents Mal. Infectieuses et parasitaires Mort. avant 1 an pour 1000
14.6 ( 37.2 en 1960) 1001 500 71 140 34
Région de Kazalinsk 23.3 ( 36.8 en 1960) 860 357 170 67 64
Karakalpakistan
21.3 ( 31.9 en 1960) 852 365 107 60 78
19.2
22.7
Tableau 12. Statistiques des morts en 2000
La partie kazakh de l'Aral, bien que moins touchée, a subi cependant le même "choc" que les Karakalpak. Peu de documents chiffrés, mais la comparaison avec le Kazakhstan entier montre que les maladies pulmonaires et infectieuses ont beaucoup augmenté, et la fécondité diminué. En fait, les statistiques pour la province de Kzyl Orda, sur le Syr Darya mais en dehors du domaine étudié, sont nettement plus mauvaises que celles pour la région d'Aralsk, sans doute parce que l'effort médical a surtout porté depuis plus de dix ans sur le Pri Aral. Voyons, après cette longue litanie, quelle était la situation présente en 2008 ; Un habitant du Karakalpak a dit :" Un des points essentiels est que les communautés locales n'ont jamais été partie dans la définition des urgences, leur surveillance, le planning des actions à mener. II y a tant de programmes, d'experts et d'organisations... Ils viennent régulièrement, se remplacent, sans contact réel avec les populations. Nous sommes devenus une zone eXpérimentale. Aider la région est devenu un métier, les habitants n'ont rien à dire sur les programmes. Exactement comme quand il fut décidé de planter le coton, d'utiliser les pesticides, et de pomper les rivières pour l'irrigation. Maintenant, on a décidé de laisser mourir l'Aral, Personne ne nous a demandé la permission, ni même demandé notre avis..." II y a beaucoup de vrai dans ces propos. 237
Un médecin travaillant au Karakalpakstan a déclaré que l'année 2000 fut la plus dramatique depuis 1970, et que la cause essentielle des troubles était désormais la qualité de l'eau, que cela était l'affaire des autorités centrales de Tachkent et non des locales, qui n'ont guère de moyens d'action. La totalité des aquifères du delta de l'Amou est polluée, et il faudra des années pour que ceux-ci soient, en quelque sorte, «nettoyés ». Mais il arrive trop peu d'eau désormais depuis l'Amou Darya pour que cela soit réalisé avant disons, un demi-siècle. La solution est l'apport par pipelines d'eau peu polluée encore, depuis le barrage de Tyouyamouyoun, et desservant la totalité du delta, partie turkmène y comprise. C'est la solution qui semble devoir être généralisée dans la partie kazakh de l'Aral, à partir du Syr Darya, mais quand?
Figure 91. Village de Bugun (côte N de l'Aral). sans réseaux d'eau ni d'égouts
La situation sanitaire s'est cependant légèrement améliorée ces dernières années. Mais l'eau de boisson n'est toujours pas à la norme OMS pour 1/3 de la population (2 ou 3 g/l de sels). Toutefois, les villages de la région Aralsk-Kazalinsk sont désormais raccordés à de l'eau du Syr Darya traitée; mais celle-ci reste cependant toujours au dessus de la norme de 19/1. D'autre part, il y a toujours peu d'égouts (dans les villes, 50% seulement de la
238
population y est raccordée), et encore moins de stations d'épuration en état satisfaisant. Le déversement à ciel ouvert, sans traitement, reste encore pratiqué dans 95% des villages. Beaucoup de villes et villages ont, du fait des conditions de vie, perdu une bonne partie de leur population, tant par suite de maladies chroniques ou non, que par suite des départs, faute de travail: abandon de la pêche et industries connexes, et abandon d'une partie des terres agricoles.. .Ces départs ont été depuis, un peu compensés par l'arrivée, à Mouynak, de personnel pour le fonctionnement de la nouvelle station de pompage de gaz dans le pipeline de l'Oust Ourt. Ces employés bénéficient, eux, de bien meilleures conditions de vie que les paysans dont il a été question plus haut.
Politique et sanitaire Un médecin américain, S. Wells, dans le cadre d'une étude de l'OTAN, a alerté les autorités ouzbek sur le risque de transmission héréditaire des dommages rénaux créés par l'utilisation - qui reste toujours importante- des pesticides dans la culture du coton ( celle-ci reste, en dépit de l'abandon d'une bonne part des emblavements, un des objets essentiels de l'exportation de la partie ouzbek du delta), prônant leur abandon; à quoi il lui fut répondu qu'on ne voyait pas d'alternative à l'utilisation de ces produits: l'exportation du coton est la principale source de devises de l'Ouzbekistan, et l'Etat, sans trop le dire, considère que la production du Khorezm, quoique relativement modeste, doit financer les besoins de la province... En fait, l'essentiel du financement pour la résolution des problèmes de santé au Khorezm est le fait d'organisations étrangères, depuis la Banque Mondiale jusqu'à de modestes associations caritatives. Les gros investissements, tels l'installation de pipelines d'eau potable, sont financés par des groupes de banques, depuis le Qatar jusqu'au Japon, en passant par les Etats-Unis et l'Europe. Agissant sans beaucoup de coordination, ces organismes tentent, et même réussissent, à améliorer un peu la situation. Par exemple, la Croix Rouge et le Croissant Rouge dans leur zone d'activités ont adopté comme stratégie d'améliorer la nourriture, estimant que c'était un bon moyen de réduire l'impact de la tuberculose pulmonaire. Plus de 100 000 familles reçoivent ainsi désormais farine, riz et huile de table. Cet apport à la nourriture des populations est considéré comme un des moyens de lutte des plus efficaces contre la tuberculose.
239
L'enseignement de l'hygiène s'est aussi révélé un facteur primordial. On a introduit en plusieurs sites l'usage de trousses de test de la contamination bactérienne, bon marché et d'usage facile afin que les habitants testent euxmêmes leur milieu. Entamée en 2004 sur une cinquantaine de villages, le test doit se poursuivre sur une population de 200 000 Karakalpaks. Des cours et conférences sur l'hygiène se multiplient: protection des sources d'eau, sa conservation dans des récipients clos, la faire bouillir pour la boisson ou la désinfecter à l'eau de Javel; nettoyer fréquemment les cuisines; se laver les mains le plus souvent possible, spécialement lors de soins aux nourrissons, à l'aide de savon fourni gratuitement, séparer les ordures ménagères des déjections, et enterrer celles-ci à l'écart des habitations et écoles, nettoyer régulièrement les lieux d'aisance et les désinfecter; entretenir soigneusement les pompes et puits, et éviter à l'eau de stagner autour... Bref, enseigner et rendre habituels des gestes hygiéniques qui étaient enseignés dans nos écoles primaires au XIXe siècle... Des organisations japonaises de l'Unicef ont observé que ces simples mesures avaient réduit la mort des nouveaux nés de 47%, des petits enfants de 52%, et que l'ajout de fer dans la nourriture des fillettes depuis l'âge de 12 ans et des femmes enceintes augmentait leur taux d'hémoglobine de 30 %, et réduisait considérablement, de 50%, le taux de morts-nés et d'enfants mourant en bas âge. Tout ceci, a permis dans les zones traitées, encore insuffisamment étendues, et à défaut de ressources vivrière souvent insuffisantes, d'abaisser en certains endroits la mortalité juvénile d'un facteur cmq. Une étude menée sur 881 personnes prises au hasard dans trois communautés, mais en fonction de leur origine ethnique, de la distance à la mer d'Aral a montré que les gens n'avaient qu'une idée très floue de leurs maladies, et que le moral était un facteur important de leur état. De là l'importance de soigner autant leur moral que leur physique. Après 15 ans de de missions d'assistance, l'Aral demeure cependant en position critique. « Trop de participants, arrivant trop tard, avec trop peu de ressources, et parfois avec des intentions politiques cachées «pas toujours bienveillantes» a t-on écrit. Selon des experts, l'Aral est un effectivement un exemple classique où trop de joueurs entrant en jeu trop tard, avec trop peu de ressources mais dans beaucoup de cas avec des intentions cachées qui n'ont rien à voir avec la protection de l'environnement. C'est l'avis des organisations internationales, qui ayant une vue globale des problèmes, constatèrent que leurs possibilités n'étaient pas à la hauteur de la situation.
240
S'ajoute à cela le fait que leurs crédits étaient insuffisants et arrivaient longtemps après les décisions d'aide, quand ils n'étaient pas détournés. A vrai dire, la communauté internationale ne peut guère être blâmée. La chape de plomb du pouvoir soviétique a toujours empêché les actions extérieures, alors qu'il a toujours ignoré sur son immense territoire les problèmes d'hygiène. Les pouvoirs locaux, même quand ils étaient compétents, étaient astreints au laisser-faire. Médecins sans frontières (MSF) déplore que des millions de dollars étaient dépensés sans résultats humanitaires probants. «Sans doute », dit Barbara Britton, de l'United States Agency for International Development (USAID), Ie plus gros contributeur à l'aide humanitaire, « parce que le problème est si gigantesque que si tout le monde veut aider, beaucoup d'organismes ne savent pas par où commencer. .. » On doit se souvenir que le Monde ne fut au courant du problème qu'après 1991, soit trente ans après le début de l'affaire - la région était interdite aux gens de l'extérieur, soviétiques y compris- et qu'à ce moment là, la crise aralienne était parvenue à son climax... Les nouveaux pouvoirs nationaux, souvent issus du sérail, prenant la relève - si l'on peut dire- du pouvoir central, n'avaient alors ni les capacités en hommes, médecins, techniciens, ni l'argent nécessaire pour entreprendre les actions nécessaires, liées indirectement au problème du coton, donc de l'eau. Ce n'est plus le cas pour le Kazakhstan et l'Ouzbekistan, comme on vient de le voir. Mais même aujourd'hui, l'aide internationale doit tout d'abord passer les barrières des nouvelles administrations. Son action fut, et demeure encore en ordre dispersé, ceci s'ajoutant aux longs délais de déblocage des crédits. Des organisations régionales ne sont pas absentes: Le «Centre karakalpak pour la santé de la reproduction et l'environnement» travaille depuis dix ans, avec peu de moyens à l'éducation des femmes et des enfants: plus de 200 personnes y travaillent sur une foule de plus de la 000 personnes, avec des résultats prometteurs. L'IF AS a créé le Social Assistance Fund (SAF). Des micro-crédits ont été attribués pour créer des emplois. Un expert doute du succès de telles opérations.
On a donc travaillé
-
et on travaille encore- chacun de son côté. Pas de
plan d'ensemble. Les deux états ouzbek et kazakh n'ont commun de travail, et les autres états de l'ex-CEI se Pourtant les cinq nouveaux états de la CEI avaient créé Sea Rehabilitation Fund (IFAS) in 1993 pour coordonner
241
pas de programme moquent de l'Aral. l'International Aral les projets relatifs à
l'eau et à l'agriculture. En 1995, leurs dirigeants participèrent à une réunion des Nations Unies à Noukous (Ouzbekistan), où ils décidèrent d'unir leurs efforts. Sans succès. Par exemple, les Ouzbeks ayant la responsabilité de la gestion de l'eau furent accusés de proposer un programme d'irrigation de leur seul territoire, à quoi ils répondirent en accusant les Kazakhs de vouloir se réserver l'eau du Syr Darya avec le futur barrage de la Petite Mer. Depuis, rien de réellement constructif, sinon un accord pour l'utilisation conjointe des eaux du Sir Darya.... De toute cela, il ressort que la région sinistrée est loin d'être sortie de sa "galère". Comme le montre Hohmann, non pas qu'elle soit moins bien traitée que les autres contrées de Touranie, mais parce que le mal est en profondeur, si on peut dire: des habitudes héritées du passé, un enseignement très déficient de l'hygiène et, des conditions de vie le plus souvent déplorables, forment un substratum culturel et sociologique qu'il faudra de nombreuses années à convertir aux règles modernes de santé, si cela toutefois reste encore possible. Il n'y a pas beaucoup de raisons d'être optimiste à moyen terme.. . Tant que les populations n'auront pas d'eau réellement consommable, tant que les résidus de pesticides emmagasinés dans les sols n'auront pas été évacués vers «l'égout» aralien, tant que les états responsables n'auront pas enfin mis en œuvre les moyens nécessaires pour secourir les Araliens en danger - ce qui implique non seulement des mesures écologiques, une surveillance médicale complète, une éducation sérieuse, la reconstruction des adductions d'eau (on a entrepris la construction d'un réseau de pipelines prenant l'eau au niveau du barrage de Tyouyamouyoun pour amener dans le delta une eau relativement peu polluée; il atteint la ville de Koungrad, mais beaucoup reste à faire), des installations sanitaires, mais aussi des emplois, les choses n'avanceront pas. Les organisations étrangères, privées ou publiques, font ce qu'elles peuvent, avec des moyens relativement modestes, voire dérisoires, alors que les gouvernements, ouzbek et kazakh, ne tiennent pas les promesses faites depuis dix ans. Ils en ont pourtant les moyens financiers. Bref, les «Araliens » ne les intéressent pas!
242
Guerre
bactériologique
Le problème
et « Résurrection»
:
de l'île Vozrojdenie
En 1936, l'île de V ozrojdenie, entièrement déserte (figure 92), fut attribuée à l' «Institut scientifico-médical» de l'Armée Rouge, à Sverdlovsk, spécialisé dans la guerre bactériologique. La température estivale très élevée, jusqu'à 60°C, devait empêcher en cas de contagion, la dispersion de bactéries pathogènes. En 1937 le patron Veliknov fut arrêté et le groupe dispersé. Le site ne fut réoccupé qu'en 1952, et massivement: construction de deux ports et deux aérodromes, village avec cinéma, casernes, et maisons individuelles avec douches pour les chercheurs, les officiers et leurs familles, une école, un hôpital (c'était la moindre des précautions !), dénommé Kantubek, du nom d'un village de la rive nord de l'Aral- pratique usuelle des Soviets pour égarer d'éventuelles recherches. La direction du Centre et la plupart des familles résidaient à Aralsk. A noter que les installations militaires et les camps de «travailleurs» que nous avons visités au chapitre 4 dépendaient aussi d'Aralsk.16s. Près de 1500 personnes travaillèrent à Vozrojdenie, la base arrière se trouvant dans le faubourg sud d'Aralsk, où elle vient d'être détruite. Une véritable flottille de guerre joignait Aralsk et Cap Dyana à l'île, interdisant son approche169. En 1960, les USA lancèrent des campagnes de reconnaissance sur les installations militaires secrètes de Sibérie, recherchant une base secrète « Aralsk7 », et surveillant le site tout nouveau d'essais de missiles de Baikonour, près d'Aralsk. Partant du Pakistan, on utilisa un avion spécial, le Lockheed U2, qui survolait à très haute altitude (21 km) l'Asie Centrale, se posant ensuite en Norvège. C'est à ce moment que les USA découvrirent la base de Vozrojdenie. Un pilote, Gary Powers, la photographia le 5 mai 1960, on l'a vu précédemment (chap.V), fut poursuivi en vain par un avion russe, mais abattu par un missile. Les USA en savaient assez, et en apprirent davantage encore quand les premiers satellites d'observation entrèrent en service peu de
16SA noter que les installations militaires et les camps de « travailleurs)} que nous avons visités au chap.3 dépendaient aussi d'Aralsk. 169 On trouvera beaucoup de détails sur les sites Internet américains en cherchant «Vozrozhdenie» ; Google Earth donne d'excellentes photos satellite des installations. A noter que les installations militaires et les camps de « travailleurs » que nous avons visités au chap IV dépendaient aussi d'Aralsk.
243
temps après. L'affaire de l'U2 déclencha une crise entre l'URSS et les USAanecdote de Khrouchtchev tapant avec sa chaussure sur sa table à l'ONU)...
Figure 92. La première photo satellite de Vozrojdenie (1964), avec les routes et l'aéroport)
On testa aussi à V ozrojdenie du matériel, des équipements et des armes conventionnelles pour les régions désertiques, (cf. guerre afghane), et une grande variété de bactéries pathogènes, dont on cherchait à « améliorer» les caractéristiques, virulence, résistance aux antibiotiques, possibilités de dispersion. En fait, beaucoup d'indices, morts suspectes chez les hommes et animaux riverains de l'Aral, morts de poissons, laissent à penser que les précautions prises n'étaient pas parfaites, Les essais sur le terrain étaient pratiqués dans la partie sud de l'île (fig.94), compte tenu des vents dominants du nord, ainsi que les abris pour les animaux d'expérience, du cobaye au cheval en passant par le chimpanzé. Des incidents se produisirent: essaims d'insectes sur des cadavres d'animaux morts, bidons mal enterrés... Tout cela raconté à un journaliste par un ancien du site...plusieurs reportages télévisés, montrent les installations, largement pillées dans les années 1990.
244
Figure
93. Une des premières
vues des installations
de Vozrojdenie
En juillet 1971, trois cas présumés de variole furent détectés à Aralsk. La première victime fut une technicienne des pêches de 24 ans revenant d'une mission scientifique en bateau au sud de V ozrojdenie, à un moment où le vent souillait du nord. Elle mourut d'hémorragies multiples, après avoir communiqué sa maladie à son frère puis à d'autres; au total 10 personnes furent atteintes dont deux (trois?) moururent. Des informations non confirmées parlent d'un essai raté avec 400 g de toxine variolique. Cela déclencha une vaste enquête et une importante campagne de vaccination antivariolique dans la région. Il semble aujourd'hui qu'il se soit agi d'une fausse alerte] 70. En 1988, alors que le programme de guerre bactériologique était officiellement clos, on commença à enterrer dans des bidons de métal inoxydable le matériel pathogène, spécialement l'anthrax, provenant des «usines à germes» de Sverdlovsk, dans l'Oural, il y eut un accident de train en 1988 à Aralsk, où transitaient 200 tonneaux d'anthrax qu'on devait enterrer à Vozrojdenie, etc... Mais l'activité continua jusqu'en 1991, date où l'île fut complètement évacuée, avec abandon de tout le matériel, bateaux 170 Ref: ZeIikoff A An epidemiological
analysis of the 1971 smallpox
outbreak
in Aralsk...
Microbio. 29,2, 97-108,2003. Voir aussi entre autres: CNS occasional paper 9. sur internet
245
Critical rev.
compris. En janvier 1992, le Soviet Suprême du Kazakhstan, tout juste indépendant, déclara le site définitivement fermé. Elstine, un peu pris de court, confirma en avril cette décision, promettant la décontamination complète des installations, travail qui fut inspecté en 1995 par des spécialistes américains. En 1992 en effet, K. Alibekov, un spécialiste de la guerre biologique, passa aux USA et révéla que des tonneaux de bacilles de l'anthrax avait été enterrés sur Vozrojdenie. Les services US purent déterminer la position de ces fosses avec l'aide de photos satellites17l. Les experts américains les retrouvèrent sur le terrain, ainsi que des spores viables du bacille (fig.93). Cependant, bravant les interdictions, les ferrailleurs étaient arrivés pour déménager, sans autre précaution, des tonnes de matériel encore intact. Le problème de la frontière entre les deux pays, jusqu'alors théorique, se posa, d'autant que lorsque Vozrojdenie fut rattachée à la terre ferme en 2002, les Ouzbeks vinrent aussi à la curée, et que les prospecteurs de pétrole étaient entre temps arrivés en hélicoptère depuis Mouynak. Une nouvelle inspection en 1998 montra que les bidons enterrés contenaient de spores encore vivantes. Les Etats-Unis passèrent alors un accord avec le Kazakhstan et l'Ouzbekistan pour une désinfection complète, et amenèrent une centaine de spécialistes de la décontamination sur l'île. L'attentat du Il septembre 2001 à New York, et celui aux spores du charbon qui s'ensuivit, accéléra les travaux de décontamination, en principe terminés aujourd'hui. Un groupe de surveillance est installé au Cap Dyana (cf chap.3), et sur l'exîle, dont l'accès reste absolument prohibé, en principe, mais relativement aisé depuis Mouynak, au sud. Diverses compagnies pétrolières effectuent des forages de grande profondeur. On est peu renseigné sur les résultats mais des permis ont été pris. Des contingents militaires ouzbeks et kazaks veillent sur ces nouvelles terres émergées, d'autant que la délimitation frontalière entre les deux pays des parties nouvellement émergées n'est pas encore réglée. Hydrocarbures obligent. . .
171 Ce que peut faire le lecteur en utilisant les excellentes documents de Google Earth en haute résolution (quelques mètres sur Vozrojdenie)... On trouvera beaucoup de détails sur les sites Internet américains traitant du problème..
246
Figure 94 a. Anciens terrains d'expérimentation
sur Vozrojdenie
Fig. 94 b. Bâtiments à Vozrojdenie ; au fond, les casernes
247
15
L'état des lieux en 2008
D
EPUIS 1991, les organismes de gestion de l'eau en Touranie, qu'ils soient nationaux ou internationaux, n'ont guère réussi à obtenir une régulation de la distribution des débits des deux fleuves, les besoins des cinq états étant très différents (par exemple, production d'électricité en hiver pour le Kirghizstan et le Tadjikistan, irrigation pour le Kazakhstan, l'Ouzbekistan et le Turkmenistan. C'était jusqu'à présent une véritable cacophonie entre les gouvernements, les agences internationales, tel l'IF AS, et les donneurs étrangers, par exemple la Banque Mondiale et la Banque Européenne. Divers auteurs ont donné une excellente synthèse de cet état de faitl72. Dans tous les cas, augmenter la « ration» de l'Aral a toujours été exclue, en tous cas depuis 1995. Le poids des populations périaraliennes est nul dans toutes les discussions. Les autorités locales et régionales, après des années de bataille stérile les Russes, arguant de l'indépendance des nouveaux états, se refusent à toute action - se sont donc résignées à voir l'Aral disparaître peu à peu. Les rapports tendus entre Kazakhstan et Ouzbekistan (frontière des deux états sur la presqu'île Vozrojdenie, problème de contrebande au travers du Kyzyl Koum, des réfugiés politiques de part et d'autre) ne facilitent pas les accords. Seul le problème des apports du Syr Darya à la petite mer semblent être 172 Deux recueils récents traitent de ces problèmes: « Water related vision for the Aral sea basin», Unesco, Paris 2002; et « Extreme hydrological events in Aral and Caspian sea region », Rus. Ac. Of Sciences, Moscou, 544 p., oct. 2006 (ces deux ouvrages sont bilingues russe/anglais). Pour des nouvelles récentes, voir le site" usembassy.uz", et allouche @mit.edu. Cf aussi Dukhowny v., Geoph. Res. Abstr., 10,,583,2008.
249
réglés depuis la reconstruction de la digue de Kokaral, dans la mesure où l'accord plus général sur la gestion des grands fleuves et la répartition de leur eau entre les cinq états de l'ex-URSS sera respectél73. Les innombrables projets de réhabilitation de l'Aral, plus utopiques les uns que les autres que nous avions évoqué dans « Aral» sont archivés. Seuls, certains rêveurs kazakhs évoquent encore le projet Sibaral, dont la Russie, bien entendu, ne veut surtout pas entendre parler, pour des quantités de raisons. On a aussi proposé en 1990 de détourner une partie de la Volga vers l'Aral, au travers du plateau de l'Oust Ourt, pompant l'eau avec l'électricité produite par une centrale nucléaire à créer. Rêverie ou plaisanterie? Un fantaisiste a suggéré de répandre du charbon sur les glaciers de Touranie, pour accélérer leur fonte et augmenter ainsi le débit des fleuves! D'autres imaginent de réanimer le projet "Sibaral" pour ralentir la remontée du niveau général des océans suite au "réchauffement climatique" prévu de la planète...Les Sibériens russes et kazakhes y sont totalement opposés.
la renaissance de la Petite Mer Au Nord, la réhabilitation de la Petite Mer est le seul projet raisonnable, en cours de réalisation avec l'aménagement du bas-delta du Syr Darya. On a vu que les terres nouvellement asséchées se couvraient peu à peu de végétation spontanée (fig.95). Les travaux des écologistes, en particulier ceux de l'Université de Bielefeld, de celle de Bonn, en Allemagne, et d'Austin au Texas, montrent que le nouveau désert, 1'« Aralkum» comme disent les Araliens, ne demande qu'à reverdir, certes très modérément.
173L'Afghanistan, qui depuis les années 1920, a des droits reconnus sur une partie de l'eau de l'Amou Dalya, ne les a encore jamais fait valoir, mais des discussions officieuses sont en cours avec le Turkmenistan et l'Ouzbekistan. Et, par ailleurs, le Kazakhstan doit trouver un accord avec la Chine quant au devenir des eaux de l'Irtych, principal affiuent de l'Ob.. .de sorte que beaucoup de problèmes vont encore se poser en Asie Centrale.
250
Bre.cide SWet aL, 5MBF, . 2000
Progrès de la couverture en Salicorna europea suivant le rivage.
interfl8t
-
~
BO
0;
I;L)
...
60
1989
-ë
~3tI Z
S
0
(.\
:5
côte ancienne
fO
distance
21)
15
en km
19BO 25 côte récente
Figure 95. Progression en dix ans de la Salicorne, espèce
halophile, depuis le rivage
de Chénopodiacée
N'y avait-il pas, lors de la dernière régression, loin des côtes de 1960, des bosquets de très vieux saxaouls dont on retrouve aujourd'hui les souches, là où il y avait l'eau voici quarante ans? Encore faut-il que les incendies, naturels ou provoqués, épargnent la végétation nouvelle, qui se peuple de toute une population animale, modeste encore, mais active. On constate que les arbres et arbustes nouveaux, spontanés ou replantés, abritent peu à peu, des espèces courantes plus fragiles. Les animaux suivent rapidement: insectes, puis araignées, oiseaux variés, puis reptiles et petits mammifères, souvent fouisseurs - ceux-ci sont nuisibles pour le couvert végétal qu'ils contribuent par leurs terriers à déstabiliser quand le vent souille. Diverses tentatives, donc, ont réussi à réinstaller des espèces rustiques, saxaoul et armoises entre autres, qui diminuent l'érosion éolienne et facilitent l'installation d'espèces plus fragiles. La croûte gypseuse, plus difficilement coloniséee et stabilisée par la végétation nouvelle que les sols sableux, est souvent abrasée, le matériel étant transporté vers l'ouest par les vents d'hiver. Obstacle majeur: le pacage illégal des petits éleveurs des anciens rivages qui vandalisent ces plantations, spontanées ou non, et/ou les saccagent avec leurs véhicules en hors-piste. Les autorités sont pratiquement désarmées, quand elles-mêmes ne participent pas à ces destructions. Diverses organisations ont abandonné le terrain, découragées.
251
On doit cependant saluer la république autonome du Karakalpakistan, qui a réaménagé de grands étangs, telle Sudoché, pour la pisciculture, et en a créé de nouveaux, dans l'anciens delta et au delà, au large de Mouinak, dans les terres nouvellement émergées, comme le montrent les photos satellitaires (fig.96).
Figure 96. Les lacs nouveaux (L)de delta de l'Amou Darya ; d'après photo IRbasse résolution de la NASAdu 7-12-2007. On voit aussi distinctement
le canal résiduel entre les deux bassins sud de l'Aral.
Quadrillage tous les degrés.174 Nord en bas.
17+Ces photos sont publiées chaque jour depuis 1997 su le site russe « SMIS IKI ».
252
Que deviendra alors le résidu «liquide» de l'Aral? Nous avons déjà évoqué cette question. En fait, on parle souvent d'un devenir «à la Mer Morte», mais l'Aral, pris dans son ensemble, recevra toujours beaucoup plus d'eau que celle-là, ne serait-ce que par les apports de la nappe phréatique, évalués, en gros à 4 ou 5 km3 par an175. Le bassin Est recevra une partie du trop plein de la Petite Mer, et aussi un peu d'eau depuis le lac Karateren, au nord-est de Noukous, soit quelques km3 annuels en tout; cela peut suffire pour y maintenir une sebkhra permanente, très peu profonde, mais allant presque à sec comme les chotts nord-africains. Le bassin Ouest, recevant très peu d'eau provenant de la vidange des étangs karakalpaks, avec un rapport surface évaporatoire/ profondeur moins «défavorable» que celui du bassin Est, si on peut dire, verra sa salinité augmenter plus lentement désormais, compte tenu de la baisse de l'évaporation, puis se stabilisera aussi longtemps que se déposera la mirabilite, au seuil de 150 g de sels par litre. On a prévu de barrer le détroit qui, sur une longueur d'une trentaine de km, une largeur de quelques hectomètres, et une profondeur ne dépassant guère 2 m, réunit encore les deux bassins sud (fig. 105). Des reconnaissances récentes (fin 2007 et printemps 2008) montrent que le courant va d'est en ouest, au moment de la fonte des neiges. La descente du niveau se ralentit (évaporation plus faible, du fait de la surface toujours plus restreinte des bassins, et de l'augmentation de la salinité). Dans le bassin Est, le Kazakhstan laisse le trop plein de la Petite Mer (voir ci-dessous) s'écouler vers les bassins du sud Aral, en quantité insuffisante pour simplement maintenir leur niveau; d'autant qu'il semblait, fin 2007, qu'une dérivation de ce modeste flot ait été réalisée vers l'ancienne baie Tchebas, au sud-ouest de la Petite Mer, sans doute pour lui conserver quelque existence, mais sans espoir de la revivifier. Cette situation pourrait durer un siècle, jusqu'à ce que la quantité d'eau résiduelle des deux bassins de l'Aral du Sud ne soit plus que de quelques % de ce qu'elle était en 1960, et si les conditions climatiques et l'apport d'eau des rivages ne changent pas. Au delà de 300g par litre de sels, le sel gemme (NaCI) pourrait précipiter, et, dans une phase ultime, ce qui est convenu d'appeler les sels « déliquescents» (cf fig.48). On pourrait peut-être envisager (dans 100 ans ?), leur eXploitation, comme cela se pratique sur la Mer Morte ou la lagune du Kara Bogaz, à 400 km au sud-ouest de l'Aral, qui présente, elle, de bien meilleures caractéristiques pour atteindre des salinités très 175Voir par exemple Benduhn 2005, Hydrolog. 9,10629,2007.
Sei, 50.6,
et Renard, 1119-1135
2004,JI.
Marine syst., 35-50;
, et Alekseeva
253
Gascoin. et Renard,
et al, 2007, Geoph.
Res. Abstracts,
élevées. Mais les barrages ne seront alors sans doute plus fonctionnels et vraisemblablement, par suite du réchauffement planétaire inéluctable, il y aura moins de glace sur les monts du Pamir et du Tian Chan pour alimenter, l'été, des fleuves assoiffés... Et les hommes, dans tout cela? "Current activities are localisedand driven by the initiatives if people within the region- theproblems if theAral Sea have droppeddown on the international communiry's list if priorities."dit un rapport de la Banque Mondiale. On peut estimer que dans les vingt ans à venir, la pêche en lac d'un côté, la pisciculture de l'autre, permettront à une certaine population de se maintenir. Le tourisme ne sera jamais qu'une ressource très secondaire. Mais parler de développement est totalement irréaliste. Seul peut-être, le futur pipeline chinois qui doit passer près d'Aralsk permettra à cette ville de maintenir une certaine activité. Bien entendu, ce scénario tiendra aussi longtemps que le système hydraulique de toute l'Asie Centrale sera en état. Sinon, les fleuves retrouveront bien plus tôt le chemin de l'Aral, mais il n'y aura plus d'hommes autour pour voir le lac ressusciter. . ..L'Aral sera mort, et bien mort. Sauf une petite partie, par l'opération, réalisée, et très médiatisée, construction du barrage de la Petite Mer. . .
La restauration
de la
de la Petite Mer
Avant 1960, la Grande Mer et la Petite Mer communiquaient par le "détroit de Berg" (figure 97) Au début des années 1980, on creusa un canal de 4 km de long et 2m de profondeur pour permettre le passage (difficile) des bateaux (figure 98) Le canal devait être constamment dragué, et l'abaissement du niveau de l'eau l'oblitéra rapidement. A la fin des années 1980, le biologiste Aladin suggéra de construire une digue barrant l'ancien détroit entre l'ex-île de Kokaral et le delta du Syr Darya" pour préserver ce qui restait de la Petite Mer. Le projet enthousiasma le maire d'Aralsk Aleshbaï qui, sur des crédits locaux (2 millions de dollars US), réalisa ce travail avec les « moyens du bord ».
254
Figure 97. Vue vers l'W depuis la navette spatiale (1987) ;
le sud à gauche,
la Petite Mer à droite, le détroit de Berg au centre.
La trace blanche est celle de l'avion régulier de Tachkent
Hélas! Une tempête détruisit la fragile digue (fig.lOO et 101), faisant deux morts et détruisant le matériel de chantier. Le maire d'Aral fut démis de ses fonctions, lui qui plaidait depuis longtemps pour des crédits permettant de construire une digue en dur. Sa ténacité, et celle d'une association locale, Aral Tenesi et son animatrice, Z.Makhambetova, dont le père, ancien pêcheur de l'Aral, était parti sur le lac Balkash, fit qu'après un intense lobbying, le projet obtint, de sources variées depuis la Banque Mondiale jusqu'à des particuliers, pour environ 85 millions de dollars de crédits. Le gouvernement kazhakh participa avec beaucoup de réticence, mais se félicita bruyamment du succès de l'opération. En trois ans, la digue fut terminée, avec de profondes fondations, un noyau de sable et de calcaire provenant de la falaise de l'ex-île de Kokaral, et un système de vannes et d'évacuateurs de crues perfectionné176. La construction du barrage, long de Il 500 m, large de 300 ill à la base et 8 m au sommet, avec une hauteur maximale de 8 m au sommet, ne posa aucun problème technique (fig.l 02). 176 Voir
exposé
détaillé
sur le site http://www.cig.ensmp.fr/~hydrolinvites.htm;
hydrologie.org.
255
faire:
On construisit une route vers Kokaral, où des carrières avaient été ouvertes, ainsi qu'une petite mosquée pour remercier Allah et les ouvriers musulmans.
Figure 98. Creusement
du premier canal du détroit de Berg vers la Petite Mer.
Le remplissage commença en automne 2005 et fut achevé en avril 2006, permettant presque aussitôt la reprise de la pêche.
256
Figure 99. La première digue en sable (2001).
Au fond, le golfe d'Aralsk. Noter les fuites du barrage, évaluée à 10% du débit du Syr Darya..Au fond à droite, incendies de prairie.
Figure 100. La digue brisée (vue satellite 2003)
Ce fut un événement qui eut un retentissement mondial dans la presse, en dépit de l'importance relativement très modeste de l'ouvrage, qui ne posa aucun problème technique: revêtement de ciment avec une pente suffisamment faible pour amortir le choc des vagues, 9 portes métalliques à commande électrique pour la régulation du trop plein, déflecteurs de courant
257
pour éviter le ravinement la Grande Mer, au sud.
du terrain meuble en cas de décharge rapide vers
Figure 101. La digue brisée (2002). Le nord est à gauche
Des injections de ciment furent faites pour étanchéifier sableux très perméable.
le soubassement
C'était une victoire, d'ailleurs bien amère, pour les défenseurs de l'Aral: on en sauvait au moins une partie! Les travaux se sont poursuivis par la remise en état des écluses dans le bas cours du Syr Darya, des canaux d'irrigation, prélude au réaménagement du cours inférieur du fleuve après accord avec l'Ouzbekistan, qui gère en amont le barrage de Chardara, et de longues conversations diplomatiques qui ont enfin abouti en 2005. Un consortium pour le partage entre l'Ouzbekistan et le Kazakhstan des eaux du Syr Darya fut mis en place sous la houlette de la Banque Mondiale, après de très longues discussions. En fait, un des arguments les plus puissants qui amenèrent les bailleurs de fonds, et spécialement la Banque Mondiale, à financer la plus grande partie des travaux, fut que l'abaissement du niveau de l'Aral allait provoquer 258
dans les alluvions non consolidées du delta du Syr Darya, encore relativement peu touché par les aménagements soviétiques, un ravinement et un abaissement de la nappe phréatique comparable à celui qui a été évoqué pour l'Amou, et qui assécha un nombre élevé de puits. Le projet de mise en valeur de ce delta, dans une région déshéritée, fut sans doute un argument plus fort que le sauvetage des pêcheries de la Petite Mer, qui, finalement, concernait une population restreinte, quoique plus intéressante aux yeux des journalistes se pressant à Aralsk, que les travailleurs agricoles du delta...
Figure 102. Le nouveau barrage vu de l'aval
Il faut noter que diverses associations, danoises, hollandaises etc. interviennent régulièrement pour aider ces pêcheurs de la Petite Mer à améliorer leurs techniques et tirer le meilleur profit de leur pêche. Celle-ci leur permet de survivre et de maintenir leurs traditions, mais une partie de leurs ressources vient de l'élevage (cf chap. IV). Les villages voisins de la ville d'Aralsk ont été entre temps dotés de pipe-lines d'eau potable, fournie par une centrale moderne de traitement de l'eau du Syr Darya installée à N ovokazalinsk. La réussite du barrage a redonné du cœur aux riverains de la Petite Mer. On parle de rouvrir la conserverie d'Aralsk, mais cet espoir est vain: la production sera toujours trop faible pour qu'on y investisse, et Aralsk est trop loin des lieux de consommation intéressants: on n'est plus à l'époque soviétique, où l'on faisait venir de Vladivostok, par le Transsibérien, des coques de petits navires à réparer. Les autorités d'Aralsk demandent aussi qu'on relève de 2 m le niveau de la Petite mer, afin que l'eau - dont le rivage
259
est stabilisé à 20 km au sud de la ville, y parvienne à nouveau ce qui est, pour l'instant, refusé par les autorités régionales, qui souhaitent gérer sagement les nouvelles infrastructures d'irrigation du bas delta du Syr Darya. A défaut, on parle aussi de creuser en 20 I 0 un canal entre Aralsk et le rivage nord du nouveau lac. Un autre projet est de barrer l'entrée même du golfe d'Aralsk (Sarychaganak), et d'y détourner une partie du débit du Syr Darya.. .Mais pour quel trafic? Et qui paiera les travaux, puis l'entretien? Sûrement pas les revenus de la vente de quelques dizaines de tonnes de poisson: les premières statistiques de pêche publiées dans la presse n'ont pas grand chose à voir avec la réalité... De toute manière, la ville d'Aralsk du XXle siècle ne sera jamais plus celle des années 1950...
Etdans le Sud aralien ? Le Turkmenistan prévoyait, contre l'opinion des spécialistes, de créer au sud du lac Sary Kamysh un vaste lac rassemblant les eaux de drainage de son propre territoire, « le lac d'or », projetant d'y créer une nouvelle oasis; les travaux devaient coûter 20 milliards de dollars. La mort récente du potentat Nyazov a fait arrêter, semble t-il, les travaux177. Le gouvernement central ouzbek, de son côté; ne paraît guère s'intéresser à la restauration des terres et des eaux (un projet de canal rassemblant les eaux de drainage de toute la partie ouzbek de l'Amou Darya, estimé lui aussi à 20 milliards de dollars, a été abandonné, et les autorités locales doivent se débrouiller pratiquement toutes seules. Il semble qu'on s'intéresse surtout en haut lieu à l'exploitation des hydrocarbures au long de la zone productrice connue depuis longtemps qui va de Gazli (NW de Boukhara) à V ozrojdenie, et qui se développe favorablement. Un accord entre diverses compagnies (Uzbekneftega, Lukoil, Petronas (Russie), Korea National Oil Co, China National Petroleum Co), signé en 2005 a été réalisé pour ré-explorer en détail la partie ouzbek de l'Aral. Mouinak peut en espérer une certaine revitalisation: des installations de traitement du gaz avant son envoi vers le Nord s'y sont installées, sur l'ancien cap Tigrovir, procurant quelques emplois. Mais il reste pourtant de plus en plus à Mouinak de coquettes maisonnettes de bois peinturlurées aujourd'hui abandonnées, ou ré-occupées par des nomades paissant leurs troupeaux dans le voisinage de la ville, ou des projets touristiques inachevés. (fig. 103).
177Voir « le lac d'or », site Hydrologie.org.
260
Figure 103. Hôtel en construction
à Mouinak,
(1991), détruit
depuis...
Le tourisme? Les possibilités en sont grandes, encore peu exploitées, à l'exception de centres illustres comme Khiva ou la Vieille Urgench. Le réseau routier est en général en bon état, l'équipement hôtelier progresse, mais n'existe pas sur la majeure partie du territoire, où les voyages relèvent encore un peu de l'aventure... Quant aux ressources agricoles du delta... L'état des eaux et des sols ne paraît pas pouvoir s'améliorer de si tôt, hélas.. .D'autre part, le barrage de Tyouyamouyoun, à l'orée du delta de l'Amou, a arrêté le dépôt des sédiments qui enrichissaient son delta. Il est victime d'un alluvionnement important (rappelons que la charge solide de l'Amou est en moyenne de 3 g de sédiment par m3 d'eau), de l'ordre de 200 000 t par an, qui diminue sa capacité; rien n'avait été prévu pour son décolmatage. Des soutirages périodiques sont effectués, mais l'eau correspondante est pratiquement perdue pour l'irrigation et se perd dans des étendues stériles où, cependant, elle contribue à alimenter la pousse des végétations nouvelles de type semi-désertique... Et le gouvernement ouzbek n'aide guère à survivre une population désemparée, qui fuit, quand elle le peut, vers les bidonvilles urbains.
261
Conclusion
L'avenir
de l'Aral?
L
A MER D'ARAL est morte des suites d'une politique forcenée de développement agricole, dans une région fragile à tous points de vue, à une époque où la «conservation du milieu naturel» était le moindre souci d'un gouvernement autoritaire. Toutes les régions de l'URSS ont pâti, peu ou prou, des excès de la «mise en valeur» de terres que des millénaires d'une gestion avisée, en dépit de crises politiques innombrables et d'invasions destructrices, avaient exploité en général avec sagesse. Avec la conquête russe, dans le années 1890, a commencé la destruction de systèmes naturels fragiles. Les quelques protestations timides issues de la «base» ne furent jamais écoutées, quand elles ne furent pas réprimées. La figure 104 montre bien comment en un siècle la figure de l'Asie Centrale fut changée, modestement d'abord, et, de plus en plus vite avec l'accroissement des moyens techniques, malgré les intermèdes de la révolution d'octobre et de la seconde Guerre mondiale. La disparition progressive de la Mer d'Aral fut sans doute un des premiers signaux, dès l'époque de Khrouchtchev, qu'une catastrophe se préparait: pas seulement celle d'un lac ignoré de tous, ou presque, mais celle de l'éclatement de l'URSS, sous Gorbatchev...
263
Figure 104. Evolution Je carré
des régions
de 100 km de côté
irriguées
représente
(en gris) sur un siècle: un million
d'hectares
Quelques reportages sur le dessication de l'Aral avaient paru avant 1985 dans des revues et journaux français, sans créer beaucoup d'émotion, mais le déclic se produisit quand une expédition de journalistes russes remonta en 1988-1891 l'Amou Darya depuis l'Aral jusqu'à la frontière afghane, découvrant la désolation des ports asséchés de Ushaly et de Mouinak, le très mauvais état sanitaire des populations, puis l'étendue des énormes espaces gypsifiés par les remontées des eaux salinesl78, et des surfaces ainsi stérilisées. Plus du tiers des surfaces nouvellement irriguées étaient devenues stériles en quelques années, où ne pouvaient se développer que des plantes "halophytes" dépourvues de tout valeur économique. Ils découvrirent aussi le mauvais état du matériel agricole, faute de pièces détachées, en dépit de la multiplication des "stations de moteurs", souvent mal gérées par du personnel incompétent et en tous cas peu motivé. Ils découvrirent enfin l'énorme gâchis d'eau, s'infiltrant dans des canaux d'irrigation non imperméabilisés, et des aqueducs non entretenus, créant des étendues évoluant rapidement là aussi en plaines de gypse. Tout cela dérivait d'erreurs de conception, de malfaçons, et de l'indifférence des paysans, dans des sovkhoses gigantesques où le personnel perdait en transport des milliers 178Dans la littérature
professionnelle,
ne manquaient
pas les études spécialisées.
Ainsi, était
bien connu le phénomène d'accumulation du gypse dans la zone racinaire, imperméabilisant le sous-sol, retenant les eaux infiltrées ce qui, contraignait à surcreuser les fossés de drainage, mais ceux-ci, manquant de pente, ne faisaient que répercuter plus bas le phénomène de salinisation. Peu à peu, la couche de gypse s'épaississait et remontait vers la surface. On a pu démontrer qu'en vingt ans, dans le sous-sol d'un champ mal drainé pouvait se former jusqu'à lm de gypse impropre à la culture...
-
264
d'heures, avant de regagner leurs agrovilles ou leurs villages, où, à défaut d'eau vraiment potable, les paysans disposaient à tout le moins d'électricité, de la d'écoles et de... télévision. Et les paysans, ne tirant aucun bénéfice des cultures collectives, préféraient s'occuper de leur lopin individuel, progressivement rétabli sous les gouvernements de Krouchtchev et même de Brejnev. La culture du coton, à l'amont de l'Aral, devait se poursuivre, faute de mieux. L'Ouzbekistan était toujours, en 2007, le 5e producteur mondial. Mais l'Etat ouzbek a conservé le monopole de la commercialisation du coton, et les paysans des kolkhoses n'en tirent aucun profit individuel. La pêche, et les autres produits agricoles du Khorezm, servent avant tout à la consommation locale. Les taxes sur l'exploitation croissante du gaz du fond ouest de l'Aral vont aussi à l'Etat. Le tourisme, par contre, peut s'y développer, on l'a vu, avec l'ouverture aux voyagistes de zones jusqu'ici inexploitées, comme le sud-ouest de l'Oust-Ourt, la vallée de l'Ouzboy ou les « châteaux du désert ». Au nord de l'Aral, on ne peut guère s'attendre à grands progrès. La pêche restera artisanale, quoi qu'en disent les autorités locales. Le réaménagement des irrigations dans le delta du Syr Darya n'apportera pas de grands profits. Seul peut-être, le développement des transferts d'hydrocarbures Caspienne-Chine est susceptible d'apporter des revenus nouveaux. Et le tourisme ne restera dans cette partie de l'Asie qu'une activité très secondaire. Tout ce qu'on peut espérer pour les populations futures de l'Aral, c'est que l'aide socio-médicale y reste active et efficace, et que les actions humanitaires étrangères soient réellement relayées par les autorités nationales. . . La pêche et les activités portuaires faisaient vivre environ 50 000 habitants, groupés pour l'essentiel autour d'Aralsk et de Mouinak. Les activité agricoles, y compris l'élevage, peut-être 50 000, si on ne tient pas compte des cultures dans les deltas, kolkhosiens et sovkhosiens des terres irriguées et des pâtures créées sur les anciens tougaï, non touchés par l'assèchement direct du lac, mais par l'augmentation de la salinité des pluies dissolvant les sels formés sur les terres émergées issues de cet assèchement. On a beaucoup discuté de ses conséquences sur les conditions climatiques générales du « Priaral », migration des zones cycloniques et anticycloniques et de leurs trajectoires. Mais rien de significatif n'a encore été réellement démontré: certes, un "lac" modifie quelque peu le climat de ses rives, on l'a
265
dit; mais en dépit de ses dimensions primitives, l'influence de l'Aral sur le climat de son arrière-pays, le Pri-Aral, n'ajamais été vraiment prouvée. Il est difficile de séparer, dans les statistiques médicales, les causes directes de mortalité et de morbidité, par ingestion et respiration de sels toxiques et surtout de magnésium, en regard des causes liées au mode de vie: nourriture inadaptée ou déséquilibrée, excès de sels dans la boisson, carences alimentaires, mauvaises habitudes hygiéniques d'où une série de maladies contagieuses, et non du métabolisme; manque de soins adaptés Certes, il y a encore beaucoup de maladies chroniques des reins et du tube digestif autour de l'Aral. En fait, la part de ces maladies liées aux conséquences de l'assèchement du lac est difficile à faire. L'inhalation de poussières créées par le dessèchement du lac a pratiquement disparu, mais les séquelles pulmonaires ont persisté, entraînant des troubles chez les enfants devenus adultes. La perte de leur outil de travail a amené des contraintes supplémentaires à la vie des riverains, ce qui a conduit beaucoup d'entre eux à migrer, d'une part vers les villes plus éloignées des anciens rivages - bidonvilles de Noukous par exemple, voire très loin, à Tachkent ou dans le nord Kazakhstan, pour tenter d'y refaire leur vie, quand ils y trouvent du travail. Les mieux accrochés à l'Aral ont évolué de diverses façons. Certains se sont reclassés dans les transports, chemins de fer et voirie (Saksaulski, Aralsk), voire l'hôtellerie, les états ayant depuis 1960 bien développé le réseau routier, et investi dans le tourisme. Certains ont trouvé du travail dans les entreprises de recherche et d'exploitation du gaz naturel, de Mouinak jusqu'à Aralsk. Les gens des deltas sont revenus à l'élevage extensif, quand c'est possible, ou à la pêche dans les lacs nouveaux ou subsistant dans les deltas: le Karakalpakistan, décidant de ne plus rejeter à l'Aral que les trop pleins de ses lacs, a encouragé la pêche artisanale, souvent pratiquée aussi illégalement; les autorités fermant plus ou moins les yeux. Dans la partie kazakhe de l'Aral, sur la petite Mer, quelques pêcheurs ont survécu (outre ceux pratiquant dans les lacs du delta du Syr), souvent aidés par des ONG, très présentes, en particulier danoises; mais la production leur permet tout juste de survivre: un élevage artisanal nomade a repris les anciens sovkhoses et les terres de parcours, le plus souvent à titre familial.
266
La ville de Mouinak a perdu les deux tiers de ses habitants. La côte ouest de la baie est aujourd'hui déserte. Au village de Ushali, près de Mouinak, jadis port de pêche actif, ne subsiste que des maisons vides et des hangars à poisson abandonnés qui jouxtent les installations gazières. L'été, des incendies de broussailles et des champs de roseaux, permettent au printemps la poussée d'herbe bien verte où paissent quelques troupeaux de moutons. Au large de l'ex-cap Tigrovir, avec sa station météo abandonnée, on voit les derricks de forage de la Société Uzgaz, autour de la piste, qui, escaladant tout droit la falaise, parvient au village de Komsomolsk na Ust Urt, sur la voie ferrée abandonnée, et qui ne survit que grâce aux installations nouvelles des gaziers. Plus à l'ouest, sur le plateau, existeraient les nouveaux camps de concentration créés depuis l'indépendance... Beaucoup des enfants malades de l'Aral, qu'ont filmé toutes les télévisions du monde dans les années 80 et 90 sont morts, soignés trop tard.... Depuis, un gros effort a été fait du côté santé surtout grâce à des aides internationales, dont, au Khorezm, celle de" Médecins sans frontières", et de nombreuses autres organisations caritatives. Depuis, les populations locales ont appris de celles-ci les précautions à prendre dans leur vie quotidienne, quand elles le peuvent. Le parti de voir la Mer d'Aral disparaître à peu près complètement est désormais acquis chez les gouvernants, même si quelques «illuminés» croient encore à une renaissance de la Mer d'Aral.. .Les jeunes générations n'ont jamais connu autre chose que les désolations actuelles, et imaginent mal la situation d'antan, que les vieillards tendent à présenter comme une sorte d'âge d'or... L'eau a disparu, mais le pétrole est arrivé. vaille. Quel profit en tirent les vrais habitants capitalisme, étatique ou privé, qui a succédé réellement modifié la politique d'exploitation pays fragile?
Le coton continue, vaille que de régions dévastées? Et le au régime soviétique, at-il insensée des ressources d'un
Le Turkmenistan, qui n'a jamais eu d'accès direct à la mer d'Aral, est toujours à la recherche de ressources aquifères nouvelles. Toutes les ressources souterraines sont mobilisées -et souvent gaspillées- faute d'une gestion rationnelle. L'Ouzbekistan oppose une fin de non-recevoir à la renégociation de la part turkmène de l'eau de l'Amou Darya, ce qui créée de graves difficultés diplomatiques entre les deux états; et l'Afghanistan commence à réclamer maintenant de son côté sa part de l'Amou Darya (sans
267
parler de l'eau du Tedjen et du Mourgab, jadis affluents de l'Amou Darya, qui représentent dans les meilleures années Ikm3 au total). Le Kazakhstan et l'Ouzbekistan ont choisi des politiques différentes concernant l'Aral. Au nord, la mise en service de la nouvelle digue donnera un peu de confort aux pêcheurs, et on peut espérer que les aménagements prévus dans la basse vallée du Syr Darya. se feront « en douceur ». Au Karakalpakistan, pseudo-république autonome de l'Ouzbekistan, où le coton est resté la production imposée par un état tout puissant, on a cependant rétabli un certain nombre de lacs dans le delta, qui, ré empoissonnés, ont permis à la pêche de reprendre179. Par ailleurs, dans les zones nouvellement émergées, des digues ont été construites qui ont permis l'établissement de lacs nouveaux, autour de Mouynak et au large de cette ville, où la pêche a aussi repris, quoique jusqu'ici dans des proportions modestes, bien inférieures à ce qu'elle était jadis, mais qui permet à une petite population de pêcheurs de survivre, plus ou moins illégalement. La conserverie est fermée depuis plusieurs années, et la ville a perdu les deux tiers de sa population. Les apports d'eau à l'Aral ne sont plus maintenant que l'inféro-flux dans les alluvions passées d l'Amou Darya. Le sacrifice quasi-total de la Mer d'Aral est désormais confirmé par la politique des deux états araliens, malgré les protestations de quelques associations écologiques kazakhes. Nous avons évoqué plus haut la stratégie de réaménagement du Kazakhstan, en accord avec l'Ouzbekistan pour la gestion du réservoir de Chardara, et la ventilation des flux vers les terres irriguées et réaménagéeslBo. Un accord durable paraît réalisé pour l'utilisation raisonnée de l'eau du Syr Darya. Mais le Tadjikistan, qui possède son bassin d'alimentation, lui doit l'essentiel de son électricité, et stocke donc beaucoup d'eau dans ses grands barrages pour l'hiver, rechigne encore à un partage équitable. Dépendant de l'Ouzbekistan sur presque tous les points, cet état, dont l'exportation de l'eau est une ressource essentielle, devra finir par céder à ses puissants voisins. Enfin, le Tadjikistan vient de redémarrer, avec l'aide de la Banque Mondiale, les travaux de construction du barrage de Rogun sur le très haut Amu Darya, arrêtés depuis quinze ans.. .Pour ce fleuve, la situation est aussi complexe. D'abord, le Turkmenistan dépend à plus de 90% de son prélèvement près de la frontière afghane. L'Ouzbekistan ne cédera pas à ses
179Un de ceux-ci a vu sa digue s'écrouler dès sa mise en eau; les dégâts ont été réparés depuis. 180P. Micklin, 2007:" The Aral sea disater", in Ann. Rev. Earth and planet.sci., 35, 47-72.
268
demandes, ayant lui-même de gros besoins pour la région de Boukhara- l'eau est pompée dans le fleuve. . .. L'Afghanistan n'a pas encore fait valoir ses droits Bref, le partage des ressources en eau du bassin aralien est des plus compliqués diplomatiquement; il n'y a aucun espoir que l'Aral soit pris en compte dans ce partage, et retrouve dans un avenir prévisible, ne serait-ce qu'une partie de son eau... Quel avenir, donc, pour l'ancienne mer d'Aral? La réussite de l'Opération « Petite Mer}) a provoqué l'élaboration d'un projet raisonnable de gestion globale des restes de l'Aral, illustré par la fig 105 et le tableau 13, légèrement modifiés d'après Micklin181, un expert de l'Aral, déjà cité: Micklin a calculé que l'alimentation du bassin W, piloté par les apports du lac Adzhibay (extension du lac Sudotche existant, et déjà réhabilité), devrait le stabiliser vers 45 g/l de salinité, ce qui pourrait permettre l'élevage de certaines espèces de poissons tolérantes Bien que certaines évaluations soient douteuses le projet ne pose guère de problèmes, sinon de financement (comme toujours), en particulier pour le canal cimenté devant atteindre le lac «rénové}) Adzhibay), et les écluses adjacentes. De toute façon, ces travaux, s'ils sont réalisés, n'apporteront pas un plus économique Oa salinité du bassin Est n'atteindra jamais la valeur de celle de la Mer Mortel82, ce qui aurait permis l'exploitation de sels, tels la mirabilite). Nous l'avons vu précédemment, on ne peut guère envisager comme ressource nouvelle pour la région que le tourisme dans le sud de l'Aral, basé essentiellement sur les trouvailles archéologiques: elle ne sera sans doute jamais très importante, si la circulation entre Karakalpakistan et Turkmenistan ne s'améliore pas, ce qui n'est guère prévisible dans le contexte actuel des relations ouzbèkes-turkmènes. Au nord comme au sud, de vastes espaces ont été déclarés parcs nationaux, mais il faudra attendre des dizaines d'années avant que le tourisme international s'y intéresse 183.
182 -Rappelons
que celle-ci ne reçoit pratiquement
plus d'eau
(précipitations
et quelques
sources) ; sa salinité, de 315g/1, fait qu'elle n'évapore pas mais au contraire, piège l'humidité atmosphérique.. . 183En 1910 fut créé au SW de Chardzou, en plein désert du Karakoum, la réserve de Repetek sur le chemin de fer transcaspien.
Véritable jungle aujourd'hui,
269
elle est difficilement
accessible
sÎJ'
~,
G\)" rivage petite mer 47 m asl vannes de contrôle l
rivagede 1960
.
47'~
61 "
~~,t
53 m asl "'-~ 46. digue et écluse
44-"
I), $0.
Figure 105. Aménagements
km 4
D
-
de régulation réalisés
et en projet ( d'après des données de Micklin, 2007).
Dans le nord de l'Aral, on ne peut guère attendre beaucoup de progrès du passage du futur pipeline Kazakhstan-Chine, sauf si les chemins de fer transasiatiques en projet développent le commerce inter-états. L'avenir de la région du « Pri-Aral » paraît donc bouché. Le pétrole et le gaz ne profiteront guère à la région. Ceci explique la migration diffuse de
aux touristes (quoiqu'elle soit prévue dans des circuits touristiques montre ce que peut réaliser le respect des écosystèmes naturels.
270
turkmènes),
mais elle
population depuis le delta de l'Amou Darya vers les régions plus prospères de Boukhara, Samarkand et Tachkent, voire Kzyl Orda et Astana. Dans le nord, un certain développement de l'agriculture dans la basse vallée du Syr Darya est programmé, avec l'aide de la Banque Mondiale.
Niveau asl en ID
Surf. km2
Volume km3
Apport km3
Départ km3
Salinité g/I
Petite Mer
47
4310
46.5
4.5
1.4
7.6 ?
Bassin W
33
6203
85
7.35
3.05
Bassin E
28.7
5710
21
2.95 + 1.03
0
45 (en 2050) 365
Lac Adzhibay
53
1472
6.23
8.26
7.35
Env.2
Tableau 13. Caractéristiques
du plan de sauvetage
Les autorités locales et régionales, après des années de bataille stérile les Russes, arguant de l'indépendance des nouveaux états, se refusant à toute action - se sont donc résignées à voir l'Aral disparaître peu à peu. Les rapports tendus entre Kazakhstan et Ouzbekistan ( frontière des deux états sur la presqu'île V ozrojdenie, problèmes de contrebande, de passage de réfugiés politiques de part et d'autre) ne facilitent pas les accords. Seul le problème des apports du Syr Darya à la petite mer semblent être réglés depuis la reconstruction de la digue de Kokaral, dans la mesure où l'accord plus général sur la gestion des grands fleuves et la répartition de leur eau entre les cinq nouveaux états sera respecté car le projet est piloté par la Banque Mondiale. Les innombrables projets de réhabilitation de l'Aral, plus utopiques les uns que les autres sont archivés. Une autre menace se profile maintenant en Asie Centrale: l'assèchement du lac Balkash, au NE de l'Aral. Présentant les mêmes caractères généraux que l'Aral (endoréisme, faible rapport volume/superficie, avec un seul tributaire, l'Ili, issu du Sin kiang chinois, son sort dépend essentiellement maintenant des prélèvements que la Chine fera en amont sur ce cours d'eau. Il semble en 2008 que les conversations Chine271
Kazakhstan sur l'Aral.. écologiques qui ne fut Brejnev.. .
soient plus constructives que cel1es qui traînent depuis vingt ans .En tous cas, les partenaires sont conscients des conséquences et humaines que leur politique de développement entrainera, ce jamais le cas dans l'ex-URSS de Staline, Khrouchtchev et
Voici terminé ce voyage dans le temps et l'espace. La mer d'Aral aura vécu pendant quelques centaines de mil1iers d'années, s'étendant et rétrécissant au hasard des périodes plus humides ou plus sèches, reflet des fluctuations climatiques des plus intenses (glaciations et aridisation) aux plus tempérées, point focal géographique qui vit d'innombrables invasions humaines, venues de l'est, du sud, et, finalement, depuis un siècle et demi, de la Russie. Le sensationnalisme des premiers visiteurs d'Aralsk et de Mouinak (ah !ces épaves échouées sur le sable, et la foule de moutards hâves et déguenillés.. .), appuyé par des reportages souvent fort bien faits, a procuré au monde la vision apocalyptique d'une terre desséchée. Vision prémonitoire de la Terre entière? N'ayons pas peur de dire qu'en termes de dégâts humains et matériels, la « catastrophe de l'Aral» était peu de chose par rapport à tel1e inondation ou tremblement de terre en Chine, au Pakistan ou au Bengladesh, ou tel tsunami en Indonésie. Après tout, pourrait-on dire, et comme nous l'avons il1ustré, ce n'est pas la première fois que l'Aral s'assèche. Peut-être que cinquante ans après le début de la catastrophe, le point le plus frappant est le manque -ou plutôt la faiblesse- des réactions des populations concernés. Premièrement, les gouvernements locaux se moquent de l'Aral, détournent volontiers les crédits que la communauté internationale, bonne fil1e, leur accorde; et cela est vrai à tous les niveaux de la hiérarchie. Ensuite, beaucoup des responsables administratifs sont encore issus de la nomenklatura, et leurs épigones plus jeunes ont été élevés dans le sérail.. ..URSS, « le paradis des travail1eurs... » Le fait que de plus en plus d'habitants émigrent de leurs campagnes vers les bidonvil1es urbains, et, de là à ceux des capitales, prouve à l'évidence que les « efforts »- et il y en a, de la part des ONG en particulier, restent en grande partie stériles. Quel avenir attend les enfants guéris par « Médecins sans frontières» ou la Croix rouge? Pourquoi ces états nouveaux, que le pouvoir soviétique tenait fermement dans son étreinte, se battent-ils comme des chiffonniers pour de l'eau et de l'électricité, au lieu de travail1er ensemble? Les optimistes qui pensent toujours à la possibilité de réalimenter l'Aralon a vu précédemment quelques projets plus ou moins farfelus- ont le droit
272
de rêver: les sommes gigantesques à dépenser pour réparer cinquante dégâts, si c'était possible, ne le seront évidemment pas. Alors?
IL N'Y A PAS D'AVENIR
POUR LA MER D'ARAL...
Coucher du soleil sur le Tchink
273
(1992)
ans de
Mes remerciements vont à ma fèmme Christiane, puis à N. Aladin, r. ArthusBertrand, H Benr!joudi, N. BorqjJka, R. Cagnat, P. Chuvin, J. F Cretaux, E. Galimov, N. Glazovsky t, s. Gorshenina,P. Hubert, L. Kehren,J. Lambert, L. Le Callonnec, M Mainguet, Ph. Micklin, R. Moreau, J.Nihoul, C Rapin, Ph. Renard, F Slawny, L. Touchart, V. Schiltz, N. ;Zpvialev, pour leur aide et leurs avis, et le prêt de divers documents photographiques, ainsi qu'à tous ceux qui, à des titres divers, ici et là-bas, des chatifJèurs aux administratifs, des bibliothécaires aux guides, ont permis la réalisation de ce
livre.
Bibliographie
complémentaire N TROUVERA une bibliographie abondante sur divers sujets abordés dans Mainguet M., 1999 , Létolle et Mainguet, 1993-1995 et Létolle et Touchart, 1998. Cf aussi Thurman (internet).Nous avons recensé depuis plus de deux mille publications récentes dont beaucoup inédites sur papier (en particulier les sites internet: FAO) FMI, Banque mondiale)Banque asiatiquepour le développement)BERD) PNUD)UNEp, FAO) ministères américains du Commerce)de tAgriculture) CIA) USAID) Bisnis) ICID) Eurasianet) IPWR.com) Caci analYst) Cenasia, et sites des agences gouvernementales locales)etc.) et qu'il n'est pas possible de citer ici.
O
Références:
Agarwal A., 1996. The curse of the white gold: the Aral Sea crisis. Excellent Printing House, New Delhi. Aizen V., Aizen E, 1997. Hydrological cycles on the north and south peripheries of mountain-glacial basins of central Asia. Hydrological Processes. Il: 5, 451-469. Aizen V, Aizen E, Glazirin G, Loaiciga H.A. 2000. Simulation of daily runoff in Central Asian alpine watersheds. Journal of-Hydrology, 238: 1-2, 15-34.
277
Akichev K.A., 1990. Les nomades à cheval du Kazakhstan dans l'antiquité. in "Colloque d'Alma-Ata", Francfort Ed., CNRS, Paris, 15-18. Akramov S. M. et coll., 1958. Geografiia Sel'skovo Kozia'istva. (Samarkanddskoii i Bulharoskoii oblastei), Izdattel'stvo Akad. Nauk Uzb., 2 vol, 342 & 314 p. Akhmedsafin LM., Sidikov JS., Shapiro S.M., 1985. Podzemii i solevoii stok v basseinie Aralskogo Moria: sostoianie i prognoz. Alma Ata Nauk, 160 p. Aladin N.V.,Klebovitcha V.v (ed.).,1989. Gidrobiologitcheskie problemi aralskogo more. Trudy zoolog. Inst., tome 199, 148 p. Aladin N.V., Plotnikov I.S., Potts W.T.W.1995. The Aral Sea dessication and possible ways of rehabilitating and conserving its Northern part. Environmetrics voI6,17-29. Alekhin O.A., Brajnikova L.v., 1964. Bilan chimique des bassins fluviaux d'URSS (en russe), Izdat Nauk, 144 p. Alexandrov I.G., 1923. Proekt orosheniia yugo-vostochnoi Fergany (obshchaia skhema) Moscou, Izd.,TES. Alleg H., 1983. Etoile rouge et croissant vert. Messidor ed. colI. Temps actuels, Paris. Allschin B., 1984. South asian archaeology, Cambridge University Press. Andrianov B.V., 1969. Drevnie orositeln'i sistemi priaral'ia. Nauka, Moscou, 260 p. Andrianov B.v., 1985. in Shepta q. v; chap. 1,3,4,5,6. Andrianov, B.V., 1995. The history of economic development in the Aral region and its influence on the environment. Geojournal, 35-1, 11-16. Anquetil P., 1999. Les routes du coton.JC. Lattès, Paris. Arkhipov S.A. 1998. Stratigraphy and paleogeography of the Sartan Glaciation in west Siberia. AUSO: Quaternary International. 45 46: 29- 42. Askar-FA, 1994. Soil properties as affected by desertification process of the lower Amu-Darya in Central Asia. Egyptian-journal-of-Soil-Science. 34: 3, 195-207. Atlaseco 1998, 1999,2000,200 I. Ed : Le nouvel observateur. Atkinson D., 1984. The end of the russian land commune, 1905-1930. Stanford.
Babaev Zh.G, 1996. Degradation of the tugais in the middle course of the Amu Darya River. Problems of Desert Development. 1,27-32. Babaev AG, 1989. Vegetative development of sands and sandy soils in central Asia. Problems of Desert Development. 6, 1-5.
278
Babaev AG., Z.G. Freikin, 1977.Pustyni SSSR vchera, segodnia, zavtra. Ilym, Achkabad. Babaev AG, Nikolaev VN, Orlovskii NS, 1991. Current status and prospects for use of natural forage lands and dry farming in the Aral Sea basin. Problems of Desert Development. 6, 1-7. Babkin AV. 1998. A study of variations of the Aral Sea state under water influx fluctuations. Russian Meteorology and-Hydrology; 2: 72-77. Baitulin 1.0.1995. Appraisal of the biodiversity of central Asia from the viewpoint of combatting desertification. Problems of Desert Development. 2, 65-67. Bajirov D.M., 2002. Economie kazakhe, mode d'emploi. Autrement n° 132, p.99-104. Bajpakov K.M., 1990. La ville et la steppe au Moyen-Age (d'après les matériaux du Kazakhstan et du Semireche). in Francfort Ed., CNRS, Paris, 49-52. BabuT Nama, 1532. Le livre de Babur, trad.J.L. Bacque-Grammont, Pub. Orientalistes de France, (1980), 480 p. Balland P., 1989 et 1997, Herodote. Paris. Baranski N., 1956. Géographie économique de l'URSS. Ed. Langues étrangères, Moscou. Barel Y., 1968. Le développement économique de la Russie tsariste. Mouton ed. Paris, 272 p. Barfield T j., 1993. The nomadic alternative. Prentice Hall éd., Englewood USA, 254 p. Barthold v.v., 1945. Histoire des Turcs en Asie Centrale. Maisonneuve, Paris, 176.p. Barthold v.v., 1965. Histoire de l'irrigation au Turkestan. Oeuvres Complètes, vol. III, 95-233.Nauka, Moscou. ( en russe) Beaumont-P, 1993. Drylands: environmental management and development. xix + 536 pp.; Routledge, Londres. Becker S., 1968. Russia protectorates in Central Asia, Bukhara and Khiva, 1865-1924.417 p.Cambridge U. Press. Benson L, Svanberg I., 1998. China's last nomads: the history and culture ofChina's Kazaks. M.E. Sharpe, London ed., 254 p. Beresnev E .N. 1995.Tending as a method to improve natural grazelands in the Aral Sea area. Problems-of-Desert-Development., 1,27-29. Bernard P., Grenet F (ed.).1991. Histoire et cultes de l'Asie Centrale préislamique. CNRS ed. Paris. Besenval R., Isakov A, 1989.Sarazm et les débuts du peuplement agricole dans la région de Samarkand. Arts asiatiques, 44. Bessey E.A, 1905. Vegetationsbilder aus Russisch-Turkestan. in G. Karsten et H. Schvenk, "Vegetationsbilder", 3e série, n02, l,na, 1-123. 279
Blanc E. 1893-94. La colonisation russe en Asie Centrale. Ann. Geog. III, 346-370 ( 1ere partie) (avec bibI. russe importante) Blanc E., 1916. La colonisation et la mise en valeur de la Sibérie et de la steppe asiatique. Ann. Géog., 25, 124-142. Blanc E., 1916. Le nouveau réseau des chemins de fer de l'Asie russe. Ann. Géog., 25, 263-290. Blanc E., 1917 .Le futur réseau des vois navigables de l'empire russe. Ann. Géog, 26, 134-137. Bogdan H., 1993. Histoire des peuples de l'ex-URSS. Perrin ed. Paris" 444p. Bo1ikhovskaya N.S., 1991. Paleogeography, stratigraphy and genesis of the loess paleosol formation of Northern Eurasia (palynological data). GeojournaI. 24: 2, 181- 184. Bos M.G. (ed.), 1998. The interrelationship between irrigation, drainage and the environment in the Aral Sea basin. Nato series n 2/22, Kluwer, 240 p. Bouchet B., 1991. Tribus d'autrefois, kolkhoses d'aujourd'hui. ln Roy, Des ethnies aux nationsen Asie centrale, Edisud, 55-69. Bougaev V.A, 1946. Climat de l'Asie Centrale et du Khazakhstan. Izd. Ak. Nk. Ouzb., Tachkent, 230 p. (en russe). BoureninV.I.; Ivanov AI., Soskov Yu.D, Naser-Daoud. 1988 Droughtresistant fodder plants. Sbornik Nauchnykh Trudov po Prikladnoi Botanike,Genetike I Selektsii. 120: 5-11. Breckle S., Veste M., Wucherer W., ed., 2000. Sustainable land use in deserts. Springer V., 390 p. Brezhnev, L.I., 1979: Virgin lands: two years in Kazakhstan, 1954-55 , traduit du russe (Telina, Novi Mir, 1978), Pergamon Press, Oxford. Bronger A, 1998. Pleistocene climatic history of East and Central Asia based on paleopedological indicators in loess paleosol sequences, in: Reconstruction and climatic implications of Paleosols. XIV Intern. Congo Int. Union for Quaternary Research, Berlin 1995. Catena, 34: l 2, 1- 17. Bronger A; Winter R; Sedov S; Catt JA (ed.); 1998. Weathering and clay mineral formation in two Holocene soils and in buried paleosols in Tadjikistan: towards a Quaternary paleoclimatic record in Central Asia. Catena. 1998, 34: 1- 2. Brower D.R., Lazzerini EJ. ed., Russia's Orient: imperial borderland and peoples, 1700-1917. Budnikova- T.I, Gel'-dyyeva G.v., Uvarova AK.1996. Monitoring of natural complexes and terrain development on the dry floor of the Aral Sea: Mapping-Sciences-and-Remote-Sensing. 33(3): 181-188.
280
Burenin VI.; Ivanov A.I.; Soskov Yu. D.; Naser Daud. 1998. Drought resistant fodder plants. Sbornik Nauchnykh Trudov po Prikladnoi Botanike, Genetike i Selektsii. 120: 5-11. Burnaby F. A ride to Khiva. Harper, New York, 400 p. Buttino M., 1990. Study of the economic crisis in Turkestan, 1917-1920. Central Asia Survey, 9, 4, 59-74. Buttino M., 1991. Turkestan 1917: la révolution des Russes. Cahiers Monde russe et sov., 22, 61-78 Buttino M. 2003. La rivo1uzione capovolta. L'ancora del mediterraneo, Naples, ed.,492 p.
Cachin M., 1988. Carnets 1921-1933. Ed. du CNRS, Paris. Cagnat R., 1999. La rumeur des steppes. Payot, Paris.254 p. Cagnat R., Jan M., 1990 . Le milieu des empires. Robert Laffont ed., Paris. (1ere édition 1981) Camena d'Almeida H., 1932. L'Asie centrale russe. ln Géographie Universelle, tome, p. 267-319. Cariou A., 1997. Les campagnes en Ouzbekistan. Mem. DEA Géographie univ. Paris IV,juin 97, 82 p. (bibI importante). Cariou A, 2002.L'évo1ution géographique récente des zones rurales de piémont et de montagne en Ouzbekistan. Cahiers Asie Centrale, nOlO, 167176. Carmont J. 1967. Peut-on fertiliser les zones arides? Diagrammes n° 130,59 p. Carrère d'Encausse H., 1977. Bolchevisme et nation. Fond national des Sc. politiques, Paris. Carrère d'Encausse H., 1978. L'empire éclaté. Flammarion, Paris. Carruthers D., 1949. Beyond the Caspian. A naturalist in Central Asia. Oliver &Boyd, ed. Edimbourg. Chambre. H., 1959. L'aménagement du territoire en URSS. Introduction à l'étude des régions économiques. Mouton, Paris, ed. Castagné , 1925. Les Basmatchis. Ernest Leroux, Paris, 80 p. Chembarisov E.I, 1989. Runoff and mineralization of water of large collectors in central Asia. Water-Resources. 1989, 16: 1,36-40. Chembarisov VE., Chembarisova E.I, 1999. Contemporary status of surface water quality of the Aral Sea basin., lASH pub. 259, 255-259. Cherdantsev G.N., 1911. Vodnoe pravo Turkestana v ego nastoiashchem i proektakh blizhaishchago. Tipografii Turkestanskogo tovarishchestva pechatnogo dela, Tachkent. Cherednichenko, VP. 1970. Wind regimen and dynamics of shifting sands in northern Zaunguz'ye. Problems of Desert Development, (1), 40-49. 281
Chicherin EV., 1963. The soviet irrigation picture. Water and water engineering, 67, 45-46. CISST AT 2000. Commonwealth of independent states, Digest of provisional statistical results., 384 p. Cissstat, 2001. id. Disquette, 336 p. Clouet Y, Dolle V., 1998. : Aridité, oasis et petite production, exigences hydrauliques et fragilité sociale: une approche par analyse spatiale et socioéeconomique. Sécheresse, 9: 2, 83-94. Conquest R., 1995. La grande terreur (1990) et Sanglantes moissons ( 1985), Bouquins, rééd. 1048 p.Laffont, Paris. Conolly V., 1967. Beyond the Urals: economic development in Soviet Asia. Oxford Univ. Press, New York. Coquin F.X, 1969. La Sibérie. Peuplement et immigration paysanne au XIXe siècle. Institut des études slaves, Paris. Cordier B. de, 1996. Conflits ethniques et dégradation écologique en Asie centrale. La vallée de Ferghana et le nord du Kazakhstan.,CentralAsian-Survey., 15: 3-4, 399-411.
Danmoto Y; Hayashida N.; Otsubo Y; Iida H., 1999. Applicability survey of a dry farmland water resources monitoring system in Pakistan and Kazakhstan; in " Irrigation under conditions ofwater scarcity. VoI1B. 17th ICID Int. Congo on Irrigation and Drainage, 169-179. Davis AP., 1932. Irrigation au Turkestan. Civil Engineering, 2, l, 2-5. Davies R.W., 1980. The socialist offensive. The collectivization of soviet agriculture, 1929-1930. Harvard Un. Press, 491 p. Davies R.W., 1980. The collective farm, 1929-1930. Harvard Univ. Press. De La Vaissière E., 2002. Histoire des marchands sogdiens. De Boccard, Paris, 412 p. Dor R. Mokeev A 2000.Centra1 Asia Survey441-463 Dikariova T.V.; Gibert J. (ed.); Mathieu J. (ed.); Fournier F., 1997. Responses of riparian ecosystems of dewatering of the Aral sea in the vicinity of the Tedgen and Murgab rivers.in " Groundwater surface water ecotones: biological and hydrological interactions and management options". 208-211; Cambridge University Press. Dimeyeva L.A; Kuznetsov L.A, 1999. Flora of the Aral Seaside Belt. Botanicheskii-Zhurnal. 1999, 84: 4, 39-52. Djalalov A; Mirkhodjiev M., 1999. Utilization of mineralized return waters and their influence on the quality of lands and yield capacity. In: Irrigation under conditions of water scarcity. Vol ID. 17th ICID Int. Congress on Irrigation and Drainage, 107-118. 282
Dor R., 1997. Herodote. Dresch]., 1956. Le Kyzyl Koum et la sédentarisation des nomades. Bull. Ass. Geog. Fr., 257-8, 98-108. Dukhovny V.; Soko10v V., 1996. Water sources management strategy for the Aral basin: problems in preparation. [email protected]. Dukhovny V; Sokolov V, Perrier A. 1996. The basic idea and principles of water strategy for Aral Sea Basin. : Sustainability of irrigated agriculture irrigation planning and management: measures in harmony with the environment. Volume 1 C. Trans. 16th Intern. Congress on Irrigation and Drainage, Cairo, Egypt, 105-115. Dukhovny VA., Umarov P.D., 2000. The land salinization and drainage problem in Central Asia. In" Role of drainage and challenges in 21st century". Vol. I Proc. 8th ICID Int. Drainage Workshop, 329-337. New Delhi. Dukhovny V.; Yakubov K., 2000. Return waters of the Aral Sea Basin and possibilities of their utilization on the basis of the "Green Desert" programme. In Role of drainage and challenges in 21 st century. Vol. III. Proc. 8th ICID Int. Drainage Workshop, 329-337. New Delhi. Dukhovny VA. et al., 1998. Approaches to the procedure of funding by countries of water management system facilities on transboundary rivers. USAID task order 813, 34 p. Dzhogan L.Ya., 1989. Evaporation from irrigated fields in Central Asia.Water-Resources. 16: 3, 234-240; Traduit de Vodnie Resursy, (1989), No.3,37-43.
Egretaud M., 1959. L'orient soviétique. Ed. Sociales, Paris, 280 p. Ellis C., 1963. The british intervention in Transcaspia, 1918-1919. Univ. California Press, 220 p. E1piner L.I., 1995. Medico-ecological problems in the eastern Aral land. Geojournal 35 ; 43-46. Etat du Monde (L') 1997, 1998, 1999, 2000, 2001, 2002. Ed. La Découverte.
Fa1kus M.E., 1972. The industrialisation of Russia 1700-1914. Mc Millan ed., 100 p. FallotJ.M.; Barry R.G.; Hoogstrate D. 1997. Variations of mean cold season temperature, precipitation and snow depths during the last 100 years in the former Soviet Union (FSU). Hydrological Sciences Journal. 2: 3, 301327;
283
FAO, 1997. Irrigation in the countries of the former Soviet Union in figures. Water Reports. 1997, No. 15, ix + 226 pp. FAO 2000. The State of Food and Agriculture X4400/E Agriculture Series, 356 p. FAO 1992 The use of saline waters for crop production. Irrigation and Drainage Papers, 147 p. FAO 1995. Design and optimization of irrigation distribution networks. Irrigation and Drainage Papers 44,261 p. FAO 1994. Arid zone hydrology for agricultural development. Irrigation and Drainage Papers 37, 383 p. FAO 2000. Materials for subsurface land drainage systems Irrigation and Drainage Papers X7089/E , 200 p. Fedorova T.K., 1973. Régularités de l'acquisition de la chimie des lentilles d'eau douce des déserts. Nedra , Moscou, 130 p. Ferrari M., Miller J. Russell G.L., 1999. Modeling the effects of wetlands, flooding and irrigation on river flow: application to the Aral Sea; Warer Resources Research, 35,6, 1869-1876. Fet V., Atamuradov K., eds., 1994. Biogeography and ecology of Turkmenistan. Kluwer pub., 616 p. Filanovitch M., 1997. L'urbanisme dans le Mawarannahr et le Turkestan, Cahiers d'Asie Centrale, 3-4, p.178-180. Filippov A.A., 1997. Macrozoobenthos in the inshore zone of the northern Aral Sea. International Journal of Salt Lake Research. 5(4): 315327. Fisher H.H.,1927. Famine in soviet Russia 1919-1922. N.Y. Fourniau v., 1985. Irrigation et nomadisme pastoral en AC: la politique d'implantation des Ouzbeqs au XVIe siècle. Central Asia Survey, 4,2. Fourniau V., 1994. Histoire de l'Asie Centrale. Que Sais-Je, PUF n02824. Fournier F., 1997. Responses of riparian ecosystems of dewatering of the Aral sea in the vicinity of the Tedgen and Murgab rivers. in Dikariova T.v.; water ecotones: biological Gibert], Mathieu J. (ed.); Groundwater-surface and hydrological interactions and management options. 208-211; Cambridge University Press. Francfort H.P., Lecomte O., 2002. Irrigation et société en Asie Centrale des origines à l'époque achéménide. Annales, 57,3, 625-664. Francfort H.P. (ed), 1990. "Nomades et sédentaires en Asie Centrale". Actes coll. franco-soviétique, Alma-Ata (1987), CNRS, Paris, 240 p. Fravkova G.V., Aristanov E., 1987. Reakchiia liminitcheskik sistem na antropogennnoe vosdeïstvie ( na primere Daouykoulskogo vodokranilichtcha). Izdat. Fan Ouzb., Tachkent, 136 p.
284
François-Poncet). ( ed.), 1998. Le grand retour de l'Asie Centrale. Les rapports du Sénat, voI.412. Frederichsen H., 1992. Drought planning and water efficiency applications in water research. World bank techno Paper 185.
Gault P., 1893. Le coton au Turkestan russe. La Revue scientifique, p.241-242. George P., 1947. L'URSS. P.U.F., 630 p. George P., 1956. L'oasis de Tachkent. Bull. Ass. Geog. Fr., 257/8,8597. George P., 1958. Les méthodes de la reconstruction agricole en URSS. Ann.Géog.,247-258. Germanov v.A., 2002. S.P. Tolstov ou l'histoire à travers l'archéologie et l'ethnographie. Cahiers d'Asie centrale, 10 p.203-2 JO. Gibert.] (ed.); Mathieu.] (ed.); Fournier F. , 1997. Groundwater-surface water ecotones: biological and hydrological interactions and management options. Giese E, 1996. Auswirkungen makroekonomischer Fehlentscheidungen auf die Entstehung von Armut: das Beispiel der mittelasiatischen RepubIiken der ehemaligen Sowjetunion. Schriften-Zentrums Regionale Entwicklungsforsch.,Justus Liebig Univ. Giessen. 67, 225-248. Giese E, 1997 .Die okologische Krise der Aralseeregion. GeographischeRundschau. 49(5): 293-299. Gillham F.E.M., et al., 1995. Cotton production prospects for the next decade. World bank techno Paper 287, 277 p. Gintzburger G.,Toderich K. N., Mardonov B. K., Mahmudov M., 2003. Rangelands of the arid and semi-arid zones in Uzbekistan. Cirad Icarda , Montpellier; 432 p. Glantz M.H., Figueroa, 1997. Does the Aral sea merits heritage status? Global environment change, 7,4,357-380. Glazyrin G.E.; Tashmetov H.K.; Osterkamp W.R., 1995. Sediment yield alteration of mountain rivers and climate change in central Asia.in "Effects of scale on interpretation and management of sediment and water quality", IAHS Press, 187-190. Glazovskaia M.A, 1996. Central asian landscape-geochemical arena of accumulation and translocation of pedogenic carbonic compounds. . Eurasian soil science, 29, I, 19-29.; importantebiblio. Goldenchtein Y, 1995. Samarcande, Boukhara, Chakrhrisiabz, Khiva. ACR ed. Courbevoie. 192 p. ( excellent résumé historique) Golosomenie T.I. (ed.), 1949. Arbres et buissons d'URSS. Izd. Ak. Nk. URSS, Moscou, (en russe). 285
Gorbunov AP., Seversky E.V., 1999. Solifluction in the mountains of Central Asia: distribution, morphology, processes. Permafrost and Periglacial Processes. 10: 1,81-89. Gorshenina S., 2000 La route de Samarkande: l'Asie Centrale dans l'objectif des voyageurs d'autrefois. Olizane, Genève, 247 p. Gorshenina S., 2003. Explorateurs en Asie Centrale. Olizane, Genève, 533 p. Gorshenina S., Rapin CI., 2001. De Kaboul à Samarcande, les archéologues en Asie Centrale. Gallimard archéologie 411, 160 p. Goulyamov G. 1957. Histoire de l'irrigation au Khorezm de l'antiquité à nos jours. Tachkent (en Russe) Grenet F., 1999. " Asie Centrale", in Encyclopedia Universa1is ( CD) Grigoryev AA, Zhogova M.L. 1994. Thick eolian dust deposits in the Circumaral region in 1985-1990 . Dokl.Ak. Nauk, Ser. GeoI. 324; 4, 196199. Groshev AA, 1985, Irrigation au sud Kazakhstan au moyen age. Alma Ata, en russe. Grousset R., 1982. L'empire des steppes. Payot, 4e ed. Grubov v.I., 1999. Plants of central Asia, voU, Science publishers, Enfield USA, 188 p. Gryaznova T.P.1990. Prediction of contemporary geomorphological processes on dried-up bottom of the Aral Sea according to data from remote investigations. : Problems ofDesert-Development. 1990, No.6, 57-62.
Hall AS., 1975. The standard handbook oftextiles.720 p., Chapman & Hall, Londres. Hamann B., 1999. Chinese agriculture and Kazakh pastoralism along the Southern fringe of the Dsungarian basin, Xinjiang/China. Quarterly Journal ofInternational Agriculture. 38: 2, 165-171. Haupt F.,1999. Depend or survive - sanitation and hygiene promotion in the Aral Sea disaster zone. : Waterlines. 9; 18(1): 30-32. Hay J., 1998. Sustainable development in Central Asia. Akiner S. (ed.); Tideman S (ed.); xx + 239 pp.; Central Asia Research Forum Series. Curzon Press Ltd; Richmond; UK. Hiebert F.T., 1994. Origins of the Bronze age oasis civilization in Central Asia. Peabody museum of Archaelogy, Cambridge Mass., 192 p. Heller M., Nekrich A 1982. L'utopie au pouvoir. Paris Heller M., 1999. Histoire de la Russie et de son empire. Flammarion, Paris, 986 p. Hiebert F.T., 1994. Origin of the Bronze age oasis civilization in Central Asia. Am. School Prehist. Res., Harvard Univ. Bull n° 42. 286
Holt P.M., Lambton AK.S., Lewis B., 19xx.The Cambridge history of Islam, vol. lA: Central is1amic lands from preislamic times to the first world war. Cambridge U. Press. Hubert P., 2000. Eaupuscule. Ed. CD ROM coédité par Universités Paris VI (Lab. Geol. Appl.), Paris XI, INRA, GREF Hutchens AO., 1998. Syr Darya Basin water and hydropower O&M financial analysis. USAID task order 813, 28 p. Hutchens AO., 1999. Irrigation management transfer issues in Turkmenistan. USAID 813, 23 p. (internet) Hutchinson C.F. 1995. Implications of the disintegration of the former Soviet Union for desertification control. Desertification in developed countries: why can't we control it? Proceedings of the International Symposium and Workshop in Tucson, Arizona, USA, October 1994. 289302. Kluwer Academic Publishers; Dordrecht.
Idrisi Al, 1150. Récréation de celui qui désire parcourir les pays. CDRom Bibliothèque Nationale,2000. Ikramov R.K.; Maticic (ed.); Hacek, 1996. Water resource and drainage management on irrigated lands. : Drainage and the environment. Proceedings (supplement) 6th ICID drainage workshop, Ljubljana, Slovenia, 158-163. International Commission on Irrigation and Drainage (ICID); New Delhi; India, 1996. Agriculture, water and environment in the Aral Sea Basin. : Sustainability of irrigated agriculture irrigation planning and management: measures in harmony with the environment. Volume I C. Transactions of the 16th International Congress on Irrigation and Drainage, Cairo, Egypt, 1996. 1996, 313- 324; 10 ref. I.NTAS, 1999. SIC ICWC resources management. 15 articles, 2 volumes. Cf info @sicicwc.aral-sea.net Iskanderov T.A; Talalaev KI.; Chernova N.Y.; Buravlev V.A, 1995. The quality of the water from ground and surface sources of Turkmenistan's Aral Sea coast Problems of Desert Development. 4, 29-42. Ismaiylov G.Kh.; Kovaleva N.G., 1994. An economic and mathematical model of irrigated farming with special reference to the Aral Sea. Water-Resources, 21: 6, 665-676. Ismaiylov G. Kh.; Solodennikov D.F., 1993. Water management aspects of the problem ofwater supply in the Aral Sea basin., 20: 6, 661-670.
Jacquesson S., 2002.Parcours ethnographique Cahiers Asie centrale, na 10,51-92. 287
dans l'histoire des deltas,
Jan M.,1992. Le voyage en Asie Centrale.Bouquins,1820 p. Laffont Jalgaseaev J, 1995. Rastitel'nost ioujnogo priaralia i ee ismeneniia.154 p., Izdat Bilym, Noukous. Jasny N., 1949. The socialized agriculture of the USSR. Plans and performance. Stanford. Jaubert de Passa M., 1845. Recherche sur le arrosages des peuples anciens. Mém. Soc. Royale et Centrale d'Agriculture. 4 vol., rées. Les Editions d'Aujourd'hui" Paris, 1981. Jensen S.; Mazhitova Z.; Zetterstrom R.,1997. Environmental pollution and child health in the Aral Sea region in Kazakhstan. Science of the Total Environment. 206(2-3): 187-193. Joffe M., 1995. Autocracy, capitalism and empire: the politics of irrigation. Russian review, 54. Johnson S. H. III, 1999. Dashowuz irrigation management study. USAID 813, 44 p. Johnson S., 1998. Economics of water user associations: the case of Maktaral region, southern Kazakhstan., USAID 813, 23 p. Jurgen P., 1991. Le village en Asie Centrale aux XVe et XVIe siècles. Cahiers Monde russe et sov., 32,1, 9-16. Jurgen P., 1997. La propriété foncière des cheikhs Juybari. Cahiers d'Asie Centrale, 3-4, 183-202.
Kaboulov S.K., 1991. "Changements dans les phytocenoses désertiques lors de l'aridisation''. Tachkent, 237 p. (en russe). Kamalov S. K., V. N. Iagodin and lu. F. Buriakov, eds. 1982. Arkheologiia Priaral'ia, Tashkent: Fan. 1:1982 127p., 2:1984 120p., 3:1986 132 p. Karakalpakskii filial AN UzSSR, Institut istorii, iazyka i literatury. Karezj., 1979. The economics of communist agriculture, Bloomington, Indiana. 300 p. Karimov 1., 1997: L'Ouzbekistan à la veille du XXle siècle, pub!. Ouzbekiston Press, 270 p. Kasymova V., 1999. National constraining factors to the agreement on water and energy use in the Syr Darya basin (the Kyrgyz republic). USAID task order 813, 22p. Kauschik D., 1970.Central Asia in modern times. Ed. Progrès, Moscou. Kazakhstan statisticalyearbook, 1996-1998. Kendirbai G., 2002. Land and people. The russian colonization of the Kazak steppe. Klaus Schwarz Verlag, Berlin, 75 p. Kerblay B.,1985. Du mir aux agrovilles. IMSECO ed., Paris, 422 p. (recueild'articlesconcernanttoute l'URSS)
288
Keyser D.; Khabibullayev A; Moustafaev K.1999.- Research for rehabilitating the Aral Sea region. Nature and Resources. 35(2): 26-37. Khabibullaev AM., 1993. Ecological problems of the Aral Sea basin and concepts for their solution. Problems of Desert-Development. 5, 1-3. Khabarov AV., 1995. Genesis of sandy soils of arid and subarid zones. Eurasian Soil Science. 27: 5, 33-45. Khachaturian v.K. 1994. Ecological problems of irrigated crop farming. Problems ofDesert-Development. 1,8-16. Khalmuratov P., 1989. Sand massifs of the ustyurt plateau and their rational eXploitation/ C. Sci, Noukous, 108. En russe) Khanazarov AA; Novitskii Z.B.; Koksharova N.E., 1989: Some features of the technique for creating protective forest stands on the dried out bottom of the Aral Sea. Lesnoe Khozyaistvo. 6, 11-13. Khanazarov AA; Novitskii Z.B., 1990. Foresters and the Aral Sea. Lesnoe-Khozyaistvo.35-37. Khamraev N.R., 1995. A project for irrigating the arid territories of central Asia. Problems of Desert Development. no. 6, 45-56. Kharin N.G., 1997. Social aspects ofland degradation in Central Asia. Desertification Control Bulletin. 31, 55-59. Kharin NG, 1996. Strategy to combat desertification in Central Asia. Desertification-Control-Bull., No. 29, 29-24. Khrouchtchev N., 1961. Rapport d'activité au 22e Congrès du PCUS, Etudes soviétiques, 164, suppl. Kiessling K.L., 1998. Conference on the Aral Sea women, children, health and environment. Ambio. 27(7): 560 -64 Kilmartin M.P., 1998. Annual runoff computations for main rivers of Central Asia for 1996-2000. Proceedings of Headwater '98, 4th International Conference on Headwater Control, Merano, Italy,223-232, Balkema; Rotterdam. Kingston-Mann E., 1981. Marxism and rural russian development problerms and evidence, experience and culture. Oxford Univ. Press, 237 p. Kirmani S, Le Moigne G, 1997. Fostering riparian cooperation in international river basins. World Bank Technical Paper. No. 335, vii + 19 pp. Kirsta B.T., 1988. Removal of salts by the Karakum Canal on the Turkmen plains. Problems of Desert Development. no. 1,9-15. Kitamura Y; Yano T; Yasuda S, 2000. Irrigation-induced salinization of agriculturallands and its remedial measures in the Aral Sea Basin. In "Role of drainage and challenges in 21st century". Vol. 1. Proc. 8th ICID Int. Drainage Workshop 2000, 539-554; Int. Com. Irrigation and Drainage,New Delhi.
289
Klige R.K, Liu Hong, Selivanov AO, 1996. Regime of the Aral Sea during historic time. Water Res., 23, 375-380. Klotzi S., 1994. The water and soil crisis in Central Asia, a source for future conflicts? ENCOP occasional papers Il (internet) Kodzanijazov G., 2002. Les fortifications karakalpaks aux 17 et 18e siècles. Cah. Asie Centr., 10, 139-166. Kohl H. 1984. Central Asia, Paleolithic beginnings to the Iron Age. Ed. Rech. sur les Civilisations, Paris. Koksharova N.E.; Novitskii Z.B., 1988. Protection forestry on the dried out bed of the Aral Sea. : Lesnoe Khozyaistvo. 5, 36-39. Korovine E.P.,1961. La végétation de l'Asie centrale et du sud Kazakhstan. Fan, Tachkent, vol.I., 452 p. Koslov V.I., Koslov V.V, 1991. Ethnodemografitcheskie problemy bassenia aralskogo more. Doklady, ser. Geog., 4, 96-102 Kounin, V.N., Morozov, AT., Chesmakov V.M., Izdat. Ak Nauk URSS, 1963, Lentilles d'eau douce dans le désert. 380 p. ( en russe) Kounin, V.N.,1959. Les eaux locales des déserts et le problème de leur utilisation. Izdat. Akademii Nauk URSS, 280 p. ( en russe). Koutchkin A, 1962. Sovetizatsya Kazakhskogo Aula. Moscou. Kouzmina Zh.V., Treshkin S. E. 1997. Soil salinization and dynamics of riparian woodland vegetation in the southeastern Caspian sea region and in the Aral sea coastal region. Pochvovedenie, 726-734. Kovda V.A, Lobova E.Y., 1977. Sols des régions arides, géochimie, utilisation. Nauka, moscou, 268 p. (en russe) Kulik K.N.; Petrov V.I., 1991. Phyto-ecological conditions in the driedup Aral seabed and plant-based reclamation in the area. Vestnik Sel'skokhozyaistvennoi Nauki,Moskva. 7, 73-77. Kul'chik, I. G., Andrei Fadin A, Sergeev V., 1996 . Central Asia after the Empire. London/Chicago: Pluto Press. 103p. Kudat A, Keyder C., Peabody S., 2000. Social assessment and agricultural reform in Central Asia and Turkey. World Bank. Kurochkina L.Y., 1978; Psammophilous vegetation of Kazkhstan deserts. Nauka ed., Alma-Ata, 186p. Kurochkina L.Y., 1995. Trends and consequences of desertification in central Asia. Problems-of-Desert-Development. 1996, No.2, 57-64. Kurochkina L.Ya.; Whitehead E.E. (ed.); Hutchinson C.F. (ed.); Timmermann B.N. (ed.); Varady R.G., 1988. Vegetation changes due to grazing in the northern deserts of Asia. : Arid lands: today and tomorrow. 851-855 Westview Press, Inc.; Boulder, Colorado. Kust G.S., 1997: The main tendencies in the dynamics of soil salinity within delta areas of the Amu Darya and Syr Darya Rivers in conditions of active modern desertification. Pochvovedenie. 1997, No.7, 870-883. 290
Kitamura y.; Yano T.; Yasuda S., 2000. Irrigation induced salinization of agricultural lands and its remedial measures in the Aral Sea Basin. In" Role of drainage and challenges in 21st century". Vol. I. Proc.8th ICID International Drainage Workshop, New Delhi, 539-554. Kust G.S., Zhukova LK, 1994. Methane emission from desertifying soils of the Aral Sea region. : Problems of Desert Development. No.2, 71- 73. Kuzmina Zh.Y.; Treshkin S.E., 1997. Soil salinization and dynamics of riparian woodland vegetation in the southeastern Caspian sea region and in the Aral sea coastal region. Pochvovedenie. 1997, No.6, 726-734.
Latchininsky A, Gapparov F.A, 1996. Les conséquences du déssèchement de la Mer d'Aral sur la situation acridienne dans la région. Sécheresse, 2,7,109-113. Lavrov AP., 1991. Sols sablonneux du Sud-Est du Kara-Koum. Probl. Ovs. Pustyn, 5,73-75 (en russe). Lazarev K.G., 1957. Gidrokimitcheskii otcherk ravninOï tchasti tetcheniia reki. 110 p. Amu Darii. Izdat Ak Nauk, Moscou Lecomte O., 1998. Il y a 4000 ans au Turkmenistan, le complexe culturel de Geoktchiktepe. L'archéologie, nov., 54-66. Leroy-Beaulieu A 1878-1882. L'empire des tsars et les Russes. Réed. Bouquins, Laffont, 1991, 1392 p. Lessar P.M., 1884. Les sables du Karakoum. Izv. Soc. Imp. Geog.,20, 2. ( en russe) Létolle R, Touchart L., 1998. Grands lacs d'Asie. L'Harmattan, 252 p. Létolle R., Mainguet M., 1993. Aral. Springer ed., Paris. Létolle R., Mainguet M., 1995. Der Aral See: eine okologische Katastrophe. Springer, Heidelberg. 518 p. Létolle R., Mainguet M., 1997. Histoire de la Mer d'Aral (Asie centrale) depuis le Dernier Maximum Glaciaire Bull. Soc. Geol. Fr. n° de mai. Levine M., ed. 1999. Late prehistoric eXploitation of the Eurasian Steppe. Oxbow books, Oxford, G.B. Lewin M., 1968. Russian peasant and soviet power. A study of collerctivization. Londres Lioubimtseva E., Arid environments, chap 12, (internet) Lisistina G.N., 1985. in Shepta, q.v., chap. 3 Lisistina GN., 1965. Formation et développement de l'irrigation au Sud turkestan, Pub. Ak. Nauk, Moscou. Moscou (en russe) Lisistina G.N., 1969. The earliest irrigation in Turkmenia. Antiquity, 43, 279-288.
291
Litvinovich AV.; Pavlova O. Yu.; Osipov AL, 1998. Contents and reserves of sulfur in industrially polluted soils. Agrokhimiya. 1998, No. 12, 64-70. Lobov AL., Khun L., Tsytsarin AG. 1995.Anthropogenic metamorphization of salt composition of Aral Sea waters. Water Resources, 22: 3, 330-335. Longworth P., 1970. The cossacks. Five centuries of turbulent life in the russian steppes. New.Y ork. LoubèsJ.P., 1999. Architecture et urbanisme de Tourfan. L'Harmattan, Paris. Loutniki P., 1954. Le Tadjikistan soviétique. Ed. Langues étrangères, Moscou. Lyonnet B., 1991. Les nomades et la chute du royaume gréco-bactrien. in Bernard et Grenet, p.153-162. Lyubovskii L, Kats 0, 1990.. The Fergana Canal. Melioratsi., No.2, 2-3.
McGinty B.K., 1998. Geographical and socio-economic dimensions of the Aral Sea crisis and their impact on the potential for community action.. Journal of Arid Environments. 39: 2, 225-238. Mackenzie D., 1966. Kaufman of Turkestan: an assessment of his administration 1867-1881. Slavic review, 266-286. Maillart E., 1943. Des monts célestes aux sables rouges. Payot, Paris; rééd. , 1990. Mainguet M. 1991 . Desertification. Springer ( Heidelberg) ; 2e éd. 306 p. Mainguet M. 1999. Aridity. Springer, Heidelberg., 300 p. Mainguet M., 1995. L'homme et la sécheresse. Masson, Paris. Mainguet M., 2003. Les Pays secs: environnement et développement. Ellipses, Paris, 160 p. Malysheva T.L, Sokolova T.A, Morgun E.G. 1999. Clay mineralogy of soils and sediments from the dried bottom of the Aral Sea. : Moscow University Soil Science Bulletin. 54: 1,8-16 (en russe). Mandych AF. (ed.), 1995. Enclosed seas and large lakes of eastern Europe and Middle Asia., SPB Acad. Publ., Amsterdam. Mamedov AM., 1985. in Shepta, q.v., chap. 7. MarabiniJ., 1969. Cavaliers rouges et dragons d'acier. Solar, Paris. Marco Polo, Il millione Mardeiev M, 1990. Almaqning bergmaghi bar. Tachkent (cité par Thurman, 1999)
292
Martemjanov V., 1997. Final report on the Tashkent Workshop 19-20 June 1996. viii + 159 pp: Natural Resources Institute (NRI); Walker SH (ed.); Chatham; UK Mavlianov G.A., 1958. Types génétiques des loess et sols loessiques d'Asie Centrale et méridionale et propriétés géotechniques. Ak. Nauk. Uzb, Tachkent, 610 p. (en russe) Mc Kinney D., Ximing Cai, Lasdon L.S., 1999. Integrated water resources management model for the Syr Daria Basin. USAID task order 813,64 P (Internet) Mc Creery S., 1994. Environmental policy in the Soviet union and postsoviet republics: a case study of environmental ans social aspects of water resource management in the Aral Sea. Master thesis, Michigan state University, 150 p. McGinty H.K., 1998. Combating desertification: connecting science with community action. Journal of Arid Environments. 39: 2, 97-340. Medvedev J. et R., 1977. Khrouchtchev, les années du pouvoir. Maspero, Paris. Medvedev Z.A., 1987. Soviet agriculture, W.W. Norton & Co, New York. Men'shikov S.F., 1994. The Aral Sea in the Turan natural system. Problems of Desert Development., No.2, 13-18 Mercier E., 1936. URSS réflexions. Ed. Centrer polytechnicien d'études économiques. Mertsalov V.S., 1953. The economic situation. In "The USSR today and tomorrow, Proc. Conf. Inst. for the study of the history and culture of thr USSR, 63-83. Micklin P., 1978. Irrigation development in the USSR during the 10th five-year plan (1976-1980). Sov. Geog.,Janvier, 1-24 (abondante bibI.) Micklin P., 1986. The status of the soviet union's water transfert projects before their abandonment in 1985-86. Sov. Geog., 27, 287-329. Micklin P.,1988. Dessication of the Aral sea, a water management disaster in the Soviet Union. Science, 241, 1170-1176. Micklin P.,1991. Touring the Aral: visit to an ecological disaster zone. Post Soviet Geography, 32, 90-105. Micklin-P, 1998. International and regional responses to the Aral crisis: an overview of efforts and accomplishments.Post Soviet Geography and Economics. 39(7): 399-416. Micklin P.P., 2000. Managing water in Central Asia. Royal inst. Intern. Affairs. Mikhailov N., 1936. Nouvelle géographie de l'URSS. Payot, 271 p. Mikhailov VN.; Gurov F.N, 2000. On the causes of the Aral Sea level fall. : Vestnik Moskovskogo Universite ta Seriya 5: Geografiya. (4): 7 12. 293
Mikhailov VN., Kravtsova VI., Gurov F.N., Markov D.V, Gregoire M. 2001. Assessment of present day state of the Aral. Vestnik Mosk. Univ. ser,6,1421. Miller R.F., 1970. Thousand tractors. The MTS and the development of controls in soviet agriculture. Harvard U. Press, 439 p. Minashina N.G. 1996. Soil environmental changes and soil reclamation problems in the Aral Sea basin. Eurasian Soil Science., 28: Il, 184-195. Minashina N.G. 1996. Effectiveness of drainage in developing saline soils under irrigated agriculture during the last thirty years. Eurasian Soil Science., 28: 2, 77-90. Miroshinchenko Yu-M.,1996 The formation of aftermath on the pastures of Central Asia, North Africa, and Mongolia. Problems-of-DesertDevelopment. No.5, 57-62. Mirza Siradj ad Din Hakim, 1912. Souvenirs de voyage pour les gens de Boukhara. Trad. de S.A Dudognon, Actes Sud ( 1999),427 p. Mitchell M.,1952 Histoire maritime de la Russie,Les deux rives,Paris ed.431 p. ed anglaise, Sidwick etJackson,LondresJ Mitrany D. 1951. Marx against the peasant. Mitrofanov V.P.; Petr T. (ed.); FAG Fisheries Report. No. 512, 40-79. Moch,].,1925. La Russie des Soviets. Ed. de l'Ile de France, 208 p Moch]., 1956. L'URSS les yeux ouverts. Robert Laffont, 325 p. Moch]. 1956. Notes et études documentaires. L'information française, Paris, nOs 2156 et 2159, mars; Mongaït A, 1959. L'archéologie en URSS, Ed. langues étrangères, Moscou. Monzie de A, 1931. Petit manuel de la Russie nouvelle, Firmin Didot, Paris, 338 p. Moorhouse G., 1993.Le pèlerin de Samarcande. Phebus, Paris. Morris M., 1994. Fisheries in arid countries of Central Asia and in Kazakhstan under the impact ofirrigated agriculture.In Petr,T. Moser H., L'irrigation en Asie Centrale. Soc. Editions scientifiques, Paris, 379 p. Mukhammedjanov AP., 1985. in Shepta, q.v., chap. 7,8. Moukhitdinov N., 1997.F1ore et faune des déserts du Kazakhstan, in « L'homme et le steppe », Perrot M. et Pitavy D., eds, Editions Universitaires de Dijon ( EUD)., p. 72-80.. Muller H.,1993. Uzbekistan. World Bank report 0821132832-8.
Nakayama Y; Sotaro Tanaka; Toshiro Sugimura; Kunihiko Endo, 1997. Analysis of hydrological changes in lakes of Asian arid zone by satellite
294
data. : ED: Cecchi G; Engman E.T; et al: Earth Surface Remote Sensing Proc SPIE conference London 1997.201-210. Nepromov S.M., 1940. Histoire de l'irrigation au Turkmeniistan. Tachkent.(en russe) Newey W.W. 1992. Biogeography, vegetation, soils ans animal life. Chap 4 in "Post Soviet republics systematic geography", 53-75., Hodder et stoughton, ed. Londres. Nikitine B.P. 1934. Le coton en URSS. Supplément au "Bull. Quotidien de la Société d'études et d'informations économiques",t. à part, 39 p. Nikolaenko V.A., 1989. Classification of Central Asian reservoir waters according to chemical composition and their evaluation for irrigation; Water-Resources. 1989, 15: 2,181-187. Nikolaev V.N., 1994. Rational use of rangeland resources in the Aral Sea basin. Problems of Desert Development. 4, 40-44. Nolde B., 1952-3. La formation de l'empire russe. Institut d'études slaves, 2 vol. Novitskii-ZB, 1990. Primary plant succession on the Opecchan Plain of the former Rybatsk Bay of the Aral Sea. : Uzbekskii-Biologicheskii-Zhurnal. 6, 43-46.
Ogar N. P., 1995. Anthropogenic Dynamics of Vegetation of Central Asia,.Symposium on the Aral Sea and The Surrounding Region, UNEP, Irrigated Agriculture and the Environment, paper 2-7. O'Hara S.L.2000. Central Asia's water resources: contemporary and future management issues. International Journal of Water ResourcesDevelopment. 16: 3,423-441. O'Hara S.L, 1997. Irrigation and land degradation: implications for agriculture in Turkmenistan, Central Asia. Journal-of-Arid-Environments. 37: 1, 165-179. O'Hara S.L; Wiggs G.F.S.; Mamedov B; Davidson G; Hubbard R.B., 2000. Exposure to airborne dust contaminated with pesticide in the Aral Sea region. Lancet British edition. 2000,355: 9204, 627-628. Observatoire géopolitique des drogues, 1993. La drogue, nouveau désordre mondial. Pluriel, Hachette ed., p.99-1 05. Haron A.H., 2000. Forestry problems related to air pollution in Central Asia. Air pollution and the forests of developing and rapidly-industrializing regions. Report-No.4 of-three IUFRO Task Force on-Environmental Change, 101-120. O'Hara S.L., 2000. Central Asia's water resources: contemporary and future management issues. International Journal of Water Resources Development. 16: 3, 423-441 295
Ohte, N., Oki, T. and Morimoto, M. (1995): A strategy for water budget in the Aral Sea basin by atmospheric water balance, Proceedings of the "Forum on The Caspian, Aral and Dead Seas" held by IETC, UNEP Tech. Publication, No.4, 101-113. Ohte, N., Oki, T. and Morimoto, M. (1996): Large scale estimation of water budget in the Aral Sea basin by atmospheric water balance, Proceedings of the International Conference on Water Resources & Environment Research: Towards the 21st Century, Kyoto, 221-228. Omarov, A. 1997.The Kazakhstan railways history (ed. bilingue), A. Bayouir jene Co, Almaty, 288 p. Organisation météorologique internationale, 1994. Irrigation et drainage, in " Guide des pratiques hydrologiques",n 0 168, 741-748. OrIova M.I.; Rusakova O.M.,1999. Characteristics of coastal phytoplankton near Cape Tastubec (northern Aral Sea), September 1993. IntJournal Salt Lake Res.; 8 (1): 7-18. OrIovskii N.S., 1994. Droughts and desertification: possibilities of their forecast. Problems of Desert Development 5, 14-25. Ososkova T., Gorelkin N., Chub v., 2000. Water resources of Central Asia and adaptations measures for climate change. Env. Monitoring and assessment, 61, 161-166. Osses L.u., 1989. Lossboden der VR China und SoV\jet Zentra1asiens und ihre Genese. Osteuropastudien der Hochschu1en des Landes Hessen, 1 Giessener Abhandlungen zur Agrar und Wirtschaftsforschung des Europaischen Ostens. No. 164, 177 pp. Ostrovskii L.A., Fomin V.M., 1969. Podzemnie vodi ravninnoi tchasti Srednei Asii. 212 p., Izdat « Nedra »,Moscou.
Padalko V.v. 1999. The role of Russian ideas in the development of afforestation in the mountains of Central Asia. Lesnoe Khozyaistvo. No. l, 16-18. Pallot, J. 1995. Agriculture and rural development. Chapter 7 in The Post-Soviet Republics: A Systematic Geography. ed D. J. B. Shaw, 101-16. Longman Scientific & Technical. Palvaniyazov M, 1989. Effect of dust storms on habitat of some mammals in the coastal zone of the Aral Sea.Problems of DesertDevelopment. l, 49-53. Pankova E.I., 1992. Desert soil salinization and correlation with climate aridity and continentality. Problems of Desert Development. No.3, 47-53. Pankova KI., Aidarov I.P.,lamnova LA, A.P. Novikova, Blagovolin N.S., 1996. Salinisation naturelle et anthropique des sols du bassin de l'Aral.
296
188 p. Ac. russe des sciences agronomiques, Moscou. (en russe, abondante bibliographie) Pankratova r.v., 1988. Role of vegetation in the water budget on the sandy shore of Barsakel'mes Island. Problems of Desert Development. l, 6267. Paraillous E., 1989. Les anciens systèmes d'irrigation de la Mer d'Aral. Etudes rurales, 115-119, 177-198. Parfenova N.r., Reshetkina N.M., 1993. A scientific basis for regulating the water and salt regime of irrigated land. Vestnik Sel'skokhozyaistvennoiNauki-Moskva. 2, 43-55.(en russe) Paris G., 1982. Le cotonnier et ses produits. Maisonneuve et Larose, Paris. Pascal P., 1971, La révolte de Pougatchev, Julliard, coll. Archives n042. Pavlovskaia L.P. 1990. Struktura ribnogo naseleniia v Konchev'ik sbrosak orosite1bnbix sistem. 110 p. Izdat « Fan », Tachkent. Percheron M. 1936. Tour d'Asie. Denoël et Steele ed ., Paris-Bruxelles, 258 p. Perminov V.M.; Reva Yu.A; Tsytsarin A.G., 1995. Analysis of the seasonal variations in the Aral Sea level under conditions of a strongly disturbed hydrological regime. Water Resources. 22: 3, 323-329. Perrot M, Pitavy D. ed; 1999. L'homme et la steppe. CoIl de Dijon, 1416 mai 1997. Recueil d'articles sur la steppe Ed. universitaires de Dijon.; Petr T., Mitrofanov V.P., 1998. The impact on fish stocks of river regulation in Central Asia and Kazakhstan. Lakes and Reservoirs: Research and Management. 3(3-4): 143-164. Petrov M.P., 1957. La phyto-amélioration des déserts de sable en URSS. Ann. Géog. 66, 397-410. Petrov M.P., 1962 Géographie des déserts de l'Asie Centrale. Ann. Géographie (Paris),13l-155. Petrov M.P, et al., 1972 Déserts du Turkmenistan et leur mise en oeuvre économique, bibliographie 1950-1965, Ak.Nauk Achkabad, 434 p. (en russe) Petrov M.P., 1971. Composition of eolian dust in southern Turkménia. Int. Geol. Rev., 13 (8), 1178-1182. Petrov M.P., 1973. " Les déserts du Monde ". Nauka, Leningrad, 435 p. (en russe). Petrov M.P., 1954 .La phytoamélioration des déserts de sable. Ann.Geogr., Paris, 66e année, n0353, 397-410. Petrova A.v., 1982. Changements liés a l'érosion éolienne dans le contenu en humus et azote des chernoziems calcaires. Agrokhim., l, 76-80 (en russe).
297
Philips E.D., 1966. Les nomades de la steppe, Sequoia ed. Paris, Bruxelles. Pierce R.A, 1960. Russian Central Asia, 1867-1917. A study in colonial rule. Un. Clifornia Press, Berkeley. Pilniak Boris, 1931. La septième république. Ed. Reider. Pimbert M.P, 1997. Social change and conservation: environmental politics and impacts of national parks and protected areas. In Ghimire K.B. (ed.); 353p. Earthscan Publications Ltd; Londres. Pineau Ch., 1965. Nikita Serguivitch Krouchtchev.Perrin ed., Paris, 286 p. Plisak R.P., N.P. Ogar and G.M. Sultanova,1989: Productivity and structure of desert zone meadows. Alma-Ata, Nauka, 186 p. Plisak R.P. , N.P. Ogar,1992: Influence of straggle lakes of the arid zone on vegetation. Alma-Ata, Gylym, 230 p. Plit F. Plit]., Zakowski W.,1995. Dryland development and combating desertification. FAO Environment and energy pap.14. Plotnikov YA, 1990. Landscape structural analysis of condition of relief formation in reclamation landscapes in the southern Aral region. Probl. Osv. Pustyn, 6" 73-78. Plusquellec H., Burt C., Wolter H., 1994. Modern water control in irrigation. World bank techno Paper 246.98 p. Popov K.P., 1996. On the soil moisture in the arid zone. Problems of Desert Development. No.6, 59- 62. Popov V.A, 1990. Problema aral i landchaft'i delt'i amidarii. 112 p.Izdat « Fan» Ouzb. Tachkent. Popova O.A; Reshetnikov YS.; Kiyashko V.l.; Dgebuadze YY; Mikheev V. Ruffe, 1998. Lakes from the former USSR: Variability within the largest part of its natural range. Journal of Great Lakes Research. 24(2): 263-284. Portal R., 1960. La Russie industrielle de 1881 à 1927. Les cours de Sorbonne, CDU, Paris. Poslavsky V.V. ed., 1960. Irrigation development in the Soviet Union from 1949 to 1959. USSR Com. irrigation and drainage, Ciprovodhoz Moscou. Pozdnysheva D.P. 1992Present-day exogenic processes in the Aral Region of Kazakhstan. Geomorfologiya. 2, pp 91-98. Poujol C., 1987. Thèse 3e cycle.,Paris Poujol C., 2000. Le Kazakhstan. PUF, Que Sais-je? Ptichnikov AV., 1991. The study of desertification processes in the Aral Sea region from space imagery.Mapping Sciences and Remote Sensing.. 28(4), pp 312-322. Prevost V., 1986. Géographie des textiles. Masson, Paris 2e éd. 298
Prozorova M.L, 1988. Investigation of young ecotone ecosystems of irrigation regions of Central Asia. Problems of Desert Development. 4, 2430. Ptichnikov AV., 1994. Regional features of landscape dynamics in the Aral area deserts under the effects of desertification. Problems of-Desert Development. 2, 1-6.
Rabkin F.S., Alpayev AA, Sozinov V.A, 1996. Prospects and effective directions for oil and gas in the Aral oil-gas region. Izv. Ak. Nk. Kaz. SSR , 2, 39-48 (trad. Petrol. Geol., 1996). Rachkovskaya, KI. (1993) Vegetation of Gobi desert of Mongolia. Sankt-Petersburg, Nauka, 134 p. Ecology and wildlife management in Mongolia. (1992) Transactions, Puschino, 228 p. Radvanyi]., 1988. Le géant aux paradoxes, Ed. Sociales, Paris. RadvanyiJ., 1990. L'URSS: régions et nations. Masson ed., Paris. Ramazanov A, Nasonov. V, 1991. Prospect for development of irrigated agriculture in the Aral Sea basin. Problems of Desert Development. No.6, 21 23. Rafikov AA 1994. Main stages of anthropogenic desertification in the Southern Aral Sea area. Problems of Desert Development.3, 15-21. Razakov R.M., 1990. Ecological activities in the Aral Sea coastal region: Investigations and programme of action. Melioratsiya i V odnoe Khozyaistvo. No. 1,6-8. Remnick D., 1990. Soviet's poverty first casualties. Washington Post Weekly, 11-17/06/90,8-9. République du Kazakhstan, 1998. Statistical yearbook 1994-1997, 380 p. Rosen S., Strickland]., 1998. Mter the state farm: a water user association in Kazakhstan. USAID task order 813, 22 p. Roubanov V.Let al., 1982. Géologie de la mer d'Aral FAN, Tachkent, 248 p. (en russe) Rubanov V.L, 1984. Su'lfatonosv'ie osadki aralskogo moria, ik stroenie I sostav. Liol. I poleznie iskopaemie , I, II 7-125 (in russian) Rubanov LV., 1977. Ozernopotchvennoe solenakoplenie v Uzbekistane (Saline lacustrine sediments ofUzbekistan) Fan, Tachkent. 158 p. Roux J.P., 1997 . L'Asie Centrale, histoire et civilisations. Fayard, Paris, 528 p. RouxJ.P. 1991.Tamerlan. Fayard éd., Paris. Roy O., 1997. La nouvelle Asie Centrale. Ed. du Seuil, Paris.
299
Saej H., Van Berkel MJ., Global water crisis, the major issue of the 21st century a growing and explosive problem. European water and pollution control, 5, 4, 26-40. Saifulin R. et al., 1998. Management of water resources in Uzbekistan and ways ofraising its efficiency. USAID task order 813, 73 p. Safarov LS., 1993. Environmental and economic aspects of irrigation and amelioration development in arid regions. Problems of Desert Development. 1,68-69. Said Alim Khan, 1929. La VOlX de la Boukharie opprimée. Maisonneuve ed., Paris, 71 p. Saidrakhman M., 1999. Concept of the strategy for development of proper water ecology relations in the Aral Sea Basin.in "Irrigation under conditions of water scarcity. Vol lB. 17th ICID Int. Congo Irrigation and Drainage, 203-216. Saiko T.S., 1998. Geographical and socio-economic dimensions of the Aral Sea crisis and their impact on the potential for community action. : Journal of Arid Environments. 39(2): 225-238. Saiko T.A.; Zonn LS.,2000. Irrigation expansion and dynamics of desertification in the Circum-Aral region of Central Asia. : AppliedGeography. 20(4): 349-367. Salman S.M.A; Boisson de Chazournes L., 1998. International watercourses: enhancing cooperation and managing conflict. Proceedings of a World Bank Seminar. World Bank Technical Paper. (414): 223 p. Sanin S.A, 1988. Agrochemical evaluation of irrigation deposits of Central Asian irrigation systems. Problems of Desert Development. 4, 14-23. Sapir J. ed., 1990. L'URSS au tournant. Une économie en transition. L'Harmattan, Paris. Sapir J., 1984. Travail et travailleurs en URSS. La Découverte, Paris. Sarybaev K., 2002. L'agriculture irriguée dans le delta de l'Amou Daria à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Cah. Asie Centrale, 10, 167-175. Sattarov.D.S.; Sektimenko V.E.; Popov V.G., 1991. Soil cover of Priaralie as related to the Aral Sea drying. Pochvovedenie. 10, 5-9. Shaukhamanov S.S., 1996. The influence of anthropogenic desertification on the productivity of pasture lands. Problems-of-DesertDevelopment. 1996, No.2, 81-83. Scheumann W., Schiffler M., 1999. Water in the Middle East. Springer, Heidelberg. Scheumann W.,1997. Managing salinization. Springer, Heidelberg, 274 p. Selivestov y. P., 1991. Aeolian relief of the northern margins of Inner Asia. Problems of Desert Development. l, 16-21. 300
Sergiev Y.P., Vezr S.A, Elpiner I.I., Vinogradov Y.G., 1993. Medikoekologischie problemi aralskogo krisisa. Ed Viniti, Moscou, 101 p. ( en russe) Shaporenko S.I, 1995.Lake Balkash. in : " Enclosed seas and large lakes of Eastern Europe and Middle Asia", ed. Mandych AF., SPB Ac. Press, Amsterdam, p. 155-197. Sharmanov A 1998. Anaemia in Central Asia: Demographic and Health Survey experience. Food and Nutrition-Bulletin. 19(4): 307-317. Shaukhamanov S.S, 1996.The influence of anthropogenic desertification on the productivity of pasture lands. Problems of Desert Development. 1996, publ. 1997, No.2, 81-83; traduit de Problemy Osvoeniya Pustyn (1996) no. 2, 67-69. Shaw DJ.B.,1995. Environment and human heritage. in "Post Soviet republics systematic geography", 1-21., Hodder et Stoughton, ed. Londres. Shaw, D. J. B. 1999. Population: Urban and rural life. Chapter 7 in Russia in the modern world: A new geography., 152-82. Blackwell.Shaw, D.
J.
B. 1999.
Saving
the environment.
Chapter
6 in Russia
in the modern
world: A new geography., 127-51. Blackwell. Sheehy A, 1967. Irrigation in the Amu Darya basin: progress report., Central Asia Review, XV,4, 342-353. Shepta B. G.. ed., 1985. History of irrigation and drainage in the USSR. USSR Com. Drainage and irrigation, UNESCO, Delhi. Skosyrev P., 1958. Turkmenistan. Ed. Langues étrangères, Moscou. Small E.E., Sloan L.C., Nichka D., 2001. Changes in surface air temperature caused by dessication of the Aral Sea. JI. of climate. 14-3- 284299 Small E.E., Giorgi F., Sloan L.C, Hostetler S., 2001. The effects of dessication and climatic change on the hydrology of Aral. JI of climate, 14,3, 300-322. Smalley, I., 1997. Thick loess deposits reveal Quaternary climatic changes. Endeavour 21 (I): 9-11. Smedema L., 2000. Irrigation induced river salinization: five major irrigated basins in the arid zone. vii + 87 pp.; 12 ref. : International Water Management Institute; Colombo; Sri Lanka. Smirnov V.Y., 1999.Dust storms in the vicinity of disappearing water pools. Russian Meteorology and Hydrology. 2, 53-61. Smith D.R., 1995. Environmental security and shred water ressources in post soviet Central Asia. Post soviet Geog., 36,6, 351-370. Soliejitsine A, 1991. Une journée d'Ivan Denissevitch. 180 p ; Presses Pocket, Paris. Souvarine B., 1930. Le plan quinquennal, Bull. Communiste 31, in Souvarine, L'URSS en 1930, Ivrea éd. Paris, p.279-344.
301
Souzek S., 2000. An history of Central Asia. Cambridge
Un. Press, 369
p. Spooner B. 1990. Deserts. In Climates of the world, vol. 7, Elsevier Amsterdam. Spoor M., 1998. The Aral Sea Basin crisis: transition and environment in former Soviet Central Asia. Development-and-Change. 1998, 29: 3, 409435. Starodoubtsiev V.M, Niekrasova T.F., 1983. Changements du milieu naturel dans le bassin de l'ni dus au développement hydrologique. Probl. Ov. Pust., 1,25-33. Steber Ch. 1939. L'Asie Centrale soviétique et le Kazakhstan. Editions sociales internationales. Stein C., 1997. Zum Stand der Transformation des Agrarsektors in Usbekistan. Zeitschrift-fur-Wirtschaftsgeographie. 41 (2-3): 162-173. Steiner K.G., Derpsch R., Koller K.H., 1998. Sustainable management of soil resources through zero tillage. : Agriculture and Rural Development. 5: 1,64-66. Sukkikh- VI, 1991. Problems of forestry in Central Asia and Kazakhstan. Lesnoe-Khozyaistvo.6,2-7. Suslov S.P., 1964. Physical geography of asiatic Russia. Freeman & Co, San francisco, 550 p Szuppe M., 1996. En quête des chevaux turkmènes..., Cahiers d'Asie Centrale, 1-2,91-111.
Taaffe R., 1962. Transportation and regional specialization: the example of Soviet Central Asia. Annals of the Ass. Of Amer. Geographers, 52, l, 80-98. Tanton T.W., 1999. Heaven Worsening of the Aral Basin crisis: Can there be a solution? : Journal of Water Resources Planning and Management. 125(6): 363-368. Tesson P., Telmon P., 2001. La chevauchée des steppes. Robert Laffont ed., Paris, 250 p. Thurman M., 1995. Irrigation in management in Uzbekistan: economic efficiencies, costs and posssible solutions. Central Asia Monitor, n04 (internet) Thurman M., 1999. Modes of organization in Central Asia irrigation in the late 1920s and 1930s. Internet: home pages.infoseek.coml ~miablikl atraf-muhit Thurman M., 1999 . Perspective on nomads, development and desertification in Central Asia (internet, Central Asia Monitor supp.) p. Thurman M., 2000. Aral sea bibliography. Il (mikethurman.netl casia), internet 302
Tleyouv R.T., 1991. Le nouveau régime de l'Aral et son influence sur l'ichthyofaune. (en russe).,190 p.Izdat. FAN, Tachkent Togan Z.W., 1953. Soviet cultural policy in Central Asia. In "The USSR today and tomarrow, Proc. Conf Inst. For the study and culture of thre USSR., Munich,42-48. Tolstov S.P., et Kes , 1960. Nizovie Amou Daria, Sary Kamych, Ouzboï, histoire formirovanie i sacelenia. Izdat. Ak Nauk URSS, 343 p. Tolstov S.P., 1954. Le Kharezm ancien. ln Piotrovski B.B. et al., " Ourartou etc. ", Maisonneuve ed., p 152-166. Tsvetsinskaya E.A., Vainberg B.L, Glushko E.v., 2002. An integrated assessment oflandscape evolution, long term climate variability and land use in the Amudarya Prisarykamysh delta.]. Arid environment, 51, 363-381. Tsigelnaya LD., 1995. 1995. Issyk Koul. In Mandych, ed., 199-229. Tsutsui H, 1994. World irrigation IV. Irrigation and environment Aral Sea basin in Central Asia. : Journal of Irrigation Engineering and Rural Planning. No. 26, 15-30. Tyouremouratov YT, Tadjitdinov M.T., Boutov K.N., 1968. trostnik b delte Amu-Darii i pperspektivi ego ispolzovaniia. 115 p. Izd. Karalkakapia, Noukous. Tubert ( général), 1951. L'Ouzbekistan, république soviétique. Ed. du Pavillon, Paris. Turnbull M., 1991. Soviet environmental policies and practices. The most critical investment. Dartmouth press, 215 p. Tursunov AA, 1995. On the forecast of climate changes in Central Asia. Problems-of-Desert-Development. 1995, No. S, 1-14.
Umali D.L., 1993. Irrrigation induced salinity: a growing problem for development and the environment. World Bank techno Paper 215, 78 p. Unesco Division of water Science, 2000. Water related vision for the Aral sea basin, 120 p plus trad. russe, 127 p. United States Department of Agriculture, 1992 Potential New Crop: Kenaf, Commercial Fiber & Pulp Source :Janv 1979 - Juin 1992, National Agricultural Library, Baltimore. USAID, 1997. Environmental policy and technical projects, Delivery order and final report. 46 p.
Vaillant -Couturier P., 1932. Les bâtisseurs de la vie nouvelle. 2e fasc. : Au pays de Tamerlan, 98 p., Bureau d'éditions, Paris. Vakiev A., 1992. VozdeiistvÎe Teknogenn'ik faktorov na rastitel'nii pokrov Karalkappakii. Izdat « Fan », Tachkent. 303
Van Tjuil W., 1993. Improving water use in agriculture. World Bank techno Paper 201. 55 p. Varady KG., 1988. Vegetation changes due to grazing in the northern deserts of Asia. In: Kurochkina et al.(ed.); Arid-Iands:today and tomorrow. 851-855; Westview Press, Ine.; Boulder, Colorado. Vatnik S., 1993. Uzbekistan. An agenda for economic reform. World bank report 0821132673-2. Vereschaguine B. Voyage dans l'Asie Centrale. Le tour du monde, 193272. Vignacourt B. de, 1967. L'agriculture soviétique, de Lénine à Brejnev. Les sept couleurs ed., Paris, 213p. Vinogradov G.N., Kovalev P.A, 1936. Raionrovanie hydrotechnik melioratsi polivnoi zany d'Asie Centrale. Irrigatsiia i gidrotekhnika, 4, 49-52 et 5, 60-63. Vitkovskaya T.P., 1990. Takyrs as geomorphological elements of a local catchment area and their role in provision of water in deserts. Problems-ofDesert-Development. 6, 46-50. Volinov AM., Zabelik V.A, Kouiatkoun AK., Lioukejeva M.S., 1980, Irrigation agricole en Asie Centrale et au Kazkhstan. Kolos, Moscou, 239 p. (en russe) Vucinich W.S. ed., 1972. Russia and Asia. Essays on the influence of Russia on the Asian people. Stanford University Press.
Waltham T., Sholclji L, 2001. The demise of Aral Sea. An environmental disaster. Geology today, 17,6,218-224. Warren A, Agnew C., 1988. An assessment of desertification and land degradation in arid and semi-arid areas. Int. Inst for Env. and Dev. pap.2, Ecology & Conservation Unit, Univ. College, Londres. Wegerich K., 2002. Natural drought or human made water scarcity in Uzbekistan? Cent. Asia and the Caucasus, 2,14. Werth N., 1984. La vie quotidiennne des paysans russes de la révolution à la collectivisation. Hachette, Paris. Wetherald KT., Manabe S, 1999. Detectability of summer dryness caused by greenhouse warming. Climatic Change. 43: 3, 495-511. Wolf J., Mahmood S, 1997.Water disinfection project addresses Aral Sea Crisis. Water Engineering and Management. 144(10): 18-20. Wolff P., 1996. Impressions and findings on a study tour to Karakalpaka in Central Asia, in Bos, ed., 35-43. Wolfson Z., 1994. The geography of survival; ecology of the post-soviet area. Armonk ed., New York.
304
Wolikow S., 1999. Images de la steppe russe et l'opinion publique française au XXe siècle, in "L'homme et la steppe", M. Perrot et D. Pitavy, ed. Ed. Univ. Dijon. World bank, 2000. Rural development, natural resources and the environment, lessons of experience in Eastern Europe and Central Asia. Warld Bank. World Health Organization, 1998. Annuaire de statistiques sanitaires mondiales.950 p. WrightJ.F., 1902. Russia colonization ofSiberia. 639 p, 2 vol., NY.
Zadneprovski Yu.T., 1981. Histoire des oaSIS da l'Asie Centrale primitive. KSIA, Moscou Zakirov R.S., 1980. Shifting sands of the deserts of the USSR; stabilization and afforestation. UNEP, VINITI, Moscou. Zakirov R.S., 1982. Prevention of sand drifts. Centre of international projects, GKNT, Moscou. Zalewsky Bronislav, 1865, La vie des steppes. inJan (q.v.) Zetterstrom R.; Saugstad L.F., 1999. Child health and environmental pollution in the Aral Sea region in Kazakhstan. In" Developmental psychoneurology: with special reference to the influence of environmental factors". Acta Paediatrica, supplement 1999, 88: 429, 49-54. Zhumachov AP., 1996. Conditions écologiques et géographiques et types de déserts en Asie Centrale. Ylim, Achkabad, 316 p. Zohn I.S., Nikolaev V.N., Orlovskii N.S., Swinchov I.P., 1982. Combating desertification in the USSR. 120 p. UNEP, Moscou. Zolotokrylin AN. 1996. Sand storms on Turan lowland. Izv. Akad. Nauk Ser. Geogr. 6: 48-54 ( en russe) Zolotokrylin AN.; Khmelevskaya L.V.,1999. Atmospheric circulation and precipitation in Aral Sea basing in the recent century. Izv.Akad.NaukSer.Geog. 5,430-33. Zolotokrylin AN., Tokarenko AA, 1991. About variations of climate in the Aral region during the last 40 years. Izv.Akad.Nauk-Ser.Geog. 4:69-75.
305
Liste des figures
Introduction Figure 1. La mer d'Aral en Asie centrale. Figure 2. Carte de l'Aral en 1950
10 13
Chap. 1 : L'Aral et l'Asie Centrale Figure Figure Figure Figure Figure
3. Relief et toponymie 4. Le bassin versant de l'Aral. 5. L'Ouzboy et ses rapports avec la Mer Caspienne et l'Aral. 6. L'Ouzboy vu vers l'est 7. Le lac Sary Kamysh
Chap. 2 : Le climat Figure Figure Figure Figure Figure
16 17 20 21 23
et la biomasse
8. Paramètres climatiques de l'environnement péri-aralien. 9. Carte des formations botaniques de la Touranie. 10. Un saxaoul, vestige d'une forêt anéantie Il. Le tougaï riverain d'un bras du Syr Darya 12. Un camp de nomades ouzbek dans le Kyzyl-Kum
307
27 29 30 34 35
Chap. 3 : Géographie Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure
de l'Aral
13. La mer d'Aral vue vers le Nord 39 14. Le détroit reliant les deux bassins de l'Aral .4 15. Hypsométrie détaillée du delta de l'Amou Darya 43 16. Hydrogrammes naturels de l'Amou Darya et du Syr Darya 45 17. Schéma du delta des fleuves et de leurs bras« fossiles » 46 18. Baisse du niveau de l'Aral de 1993 à 2007. .4 19. Biseaux d'érosion lacustre sur la falaise d'Aktioumsik 5l 20. Le delta de l'Amou Darya avec la baie fossile de Soudotche 52 21. Reconstitution des rapports Amou Darya-Aral.. 57 22. La citadelle de Vazir, N.E de Khiva 58 23. Vue du départ du Daryalyk vers l'ouest, depuis la limite Nord..59 24. Le mouvement des sables autour de l'Aral.. 62
Chap. 4 : Circumnavigation Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure
de l'Aral
25. L'itinéraire ... 26. Vue aérienne de Mouinak (1991). 27. Le tchink près du cap Aktioumsik. 28. Bloc de falaise écroulé sur le tchink 29. Coupe géologique du Tchink 30. Saiga courant sur l'extrême bord du tchink. 31. Restes d'installations militaires au cap Dyana. 32. Falaise de la côte sud de la baie BoutakofT, vue vers l'est. 33. Falaise de la baie Chevtchenko (petite Mer) 34. La « rue » principale de Akespe 35. Entrée d'Aralsk. 36. La première digue de la Petite Mer (état en 1999) 37. Les méandres du Syr Darya près de Kazalinsk 38. Pompe et forage dans le Kyzyl Koum. 39. Bras asséché de la Yani Darya 40. L'avenue principale de Noukous. 41. Le château de Ayak Kala. 42. Ruine du château de Angka Kala sur l'Akcha Darya
308
65 67 68 69 70 70 72 75 77 79 81 82 84 87 87 91 92 93
Chap.5:
L'irrésistible
disparition de l'Aral
Figure 43. Variation du niveau de l'Aral sur 120 ans 96 Figure 44. Evolution de la surface de l'Aral... 96 Figure 45. Evolution du niveau, du volume, de la surface et de la salinité. 104
Chap. 6 : L'évolution Figure Figure Figure Figure Figure
46. 47. 48. 49. 50.
de la salinité
Un solonchak 106 Evolution de la composition chimique moyenne, après 2002. ..108 Evolution des dépôts avec la concentration des saumures lll Evolution entre 2004 et 2005 des paramètres de l'eau 112 Dépôts de gypse (I), de mirabilite (2) ; rivage de 1950 (3). 115
Chap. 7 : Les régressions du passé Figure 51. Souches de saxaoul Figure 52. Le site de Kerderi: restes d'une chapelle du XVe siècle Figure 53. Relation des datations absolues au C 14 avec la profondeur Figure 54 a. Chronologie de Rubanov (1987) Figure 54 b. Chronologie de Maeev et al. (1991) Figure 54 c. Reconstitution de la chronologie post-glaciaire de l'Aral, Klige (1995)
Chap. 8: L'Aral avant
9: L'arrivée
126
les Russes
Figure 55. Domaines d'occupation permanente péri-araliens Figure 56. La« carte routière» de la Caspienne à Khiva
Chap.
121 122 123 124 125
132 138
des Russes
Figure 57. L'expansion russe en Asie centrale 144 Figure 58. Principales expéditions russes autour de l'Aral au XIXe siècle .148 Figure 59. Timbre soviétique émis pour le 1500 anniversaire de l'expédition Butakoff. 149 Figure 60. Clair de lune sur Kokaral 152
309
Figure 61. Première photo connue du T chink Figure 62. Canonnière russe sur l'Amou Darya (1887)
Chap. 10: Une courte Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure
63. 64. 65. 66. 67. 68. 69. 70.
histoire de la cartographie
71. 72. 73. 74. 75. 76. 77.
de l'Aral
Extrait de l'Atlas catalan Extrait de la carte de Mercator (1630) Fragment de la carte de Witsen Fragment de la carte de Remezoff(1697) Une carte de Kirilov (1734) Brouillon de carte issu de l'expédition de Bekowitch. Carte de Panzner (1819) Première carte de Butakoff(1849)
Chap. 11 : la mer d'Aral Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure
155 158
au début
163 164 165 168 169 170 171 173
du XXe siècle
Image de propagande de Staline (canal Aral-Caspienne) Staline et ses plans d'aménagement des fleuves Le canal sud Turkmène en construction Le réseau complet de canaux d'irrigation vers 1975 Variation du débit total des fleuves à l'Aral... Evolution de la production du coton Projet « Sibaral » de réalimentation de lAral depuis la Sibérie.
180 181 186 189 190 191 196
Chap. 12 : la biomasse et son évolution Figure Figure Figure Figure Figure
78. 79. 80. 81. 82.
Chap.13
L'esturgeon de l'Aral Artemia salina. «Forêt» récente de saxaouls stabilisant les dunes Incendie de broussailles sur l'ancien delta de l'Amou (1990) Lac artificiel sur le delta de l'Amou Darya
: les activité
humaines
201 206 209 210 211
autour de l'Aral
Figure 83. Pêcheurs traditionnels sur l'Amou Darya (1940) Figure 84. La stèle de la gare d'Aralsk..
310
214 215
Figure Figure Figure Figure Figure
85. Pêcheurs sur la glace près de Mouinak 2l6 86. Le port de Uchjaly en pleine activité (extrait de film) 217 87. Puisage traditionnel par noria de l'eau d'irrigation (vers 1910).220 88 a. Environs de Tchimbai 227 88 b. Epandage de déchets radioactifs 230
Chap. 14 : Les impacts sur la santé Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure
89. Une maison de paysan 90. Abreuvoir et... fontaine (delta de l'Amou Darya) 91. Village de Bugun (côte N de l'Aral) 92. La première photo satellite de Vozrojdenie 93. Une des premières vues des installations de Vozrojdenie 94 a. Anciens terrains d'expérimentation sur Vozrojdenie 94 b. Bâtiments à Vozrojdenie
234 235 238 244 245 247 247
Chap. 15: L'état des lieux en 2008 Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure
95. Progression en dix ans de la Salicorne 96. Les lacs nouveaux (L) de delta de l'Amou Darya 97. Vue vers l'W depuis la navette spatiale (1987) 98. Le premier canal du détroit de Berg vers la Petite Mer. 99. La première digue en sable (2001). 100. La digue brisée (vue satellite 2003) 101. La digue brisée (2002) 102. Le nouveau barrage vu de l'aval.. 103. Hôtel abandonné à Mouinak (1991)
25l 252 255 256 257 257 258 259 261
Conclusion Figure 104. Evolution des régions irriguées (en gris) sur un siècle: Figure 105. Aménagements de régulation réalisés
311
264 270
Liste des tableaux Tableau Tableau Tableau Tableau Tableau Tableau Tableau Tableau Tableau Tableau Tableau Tableau Tableau Tableau
1 : Evolution de la consommation d'eau. 2. Principales caractéristiques des deux fleuves. 3. Paramètres morphométriques du "Grand Aral" 4. Variation du niveau de l'Aral avec les apports fluviatiles. 5. Evolution des paramètres généraux de l'Aral. 6. Baisse de la nappe phréatique littorale 7. Données de la station de KyzylJar. 8. Quantités d'eau apportées à l'Aral 9 a et 9 b. Aral: chimie du lac et des fleuves 10. Apports chimiques globaux Il a. Statistiques de l'élevage Il b. Statistiques de production de la laine 12. Statistiques des morts en 2000 13. Caractéristiques du plan de sauvetage
313
11 .4 50 99 lOl 102 102 l03 107 108 224 224 237 271
Table des matières
Introduction
...
9
1 ; L'Aral enAsie centrale..
15
Chapitre 2; Le climat et la biomasse
25
Chapitre 3 ; Géographiede l'Aral
37
Chapitre 4 : Le vqyageautour du lac
63
Chapitre 5 ; L'irrésistible disparitionde l'Ara!...
95
Chapitre
Chapitre 6 : L'évolution de la salinité
105
Chapitre
7 : Les régressionsdu passé
119
Chapitre 8 ; L'Aral avant lesRusses
129
Chapitre 9 : L'arrivée des Russes
141
Chapitre
10: Une courtehistoirede la cartographiede l'Aral
161
Chapitre
Il : La mer d'Aral au XX' siècle
175
Chapitre
12 : L'évolution de la biomasselacustre
199
Chapitre
13 : Les activitéshumaines
213
Chapitre
14 : Les impacts sur la santé
231
Chapitre
15: L'état des lieux en 2008
249
Conclusion...
263
Remerciements
275
Bibliographie
complémentaire
277
Liste des figures
307
Liste des tableaux
313
L.IIARMATTAN.ITALIA Via Degli
Artisti
15;
10124
Torino
L'IIARMATTAN HONGRIE Konyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L'IIARMATT AN BURKINA FASO Rue 15.167 Route du Pô Patte d'oie 12 BP 226 Ouagadougou 12 (00226) 76 59 79 86 ESPACE L'IIARMATTAN KINSHASA Faculté des Sciences Sociales, Politiques et Administratives BP243, KIN XI; Université de Kinshasa L'IIARMATTAN GUINÉE Almamya Rue KA 028 En face du restaurant le cèdre OKB agency BP 3470 Conakry (00224) 60 20 85 08 [email protected] L'IIARMATTAN CÔTE D'IvOIRE M. Etien N'dah Ahmon Résidence Karl / cité des arts Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03 (00225) 05 77 87 31 L'IIARMATTAN MAURITANIE Espace El Kettab du livre francophone N° 472 avenue Palais des Congrès BP 316 Nouakchott (00222) 63 25 980
L'IIARMATTAN
CAMEROUN Olympia face à la Camair BP 11486 Yaoundé (237) 458.67.00/976.61.66
Immeuble
[email protected]
Achevé d'imprimer par Corlet Numérique - 14110 Condé-sur-Noireau
W d'Imprimeur: 56175 - Dépôt légal: decembre 2008 - Imprimé en France