LE JUDÉOCHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS ACTES DU COLLOQUE DE JÉRUSALEM 6-10 JUILLET 1998
LE JUDEO-CHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS ACTES DU COLLOQUE DE JÉRUSALEM 6-10 JUILLET 1998 Publiés sous la direction de SIMON C.MIMOUNI en collaboration avec F. STANLEY JONES
publié avec le concours de T Association des anciens et amis de l'École biblique
Tous droits réservés. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou repro ductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur et de l'éditeur, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. © Les Éditions du Cerf, 2001 (29, boulevard La Tour-Maubourg 7 5 3 4 0 Paris Cedex 07) ISBN 2-204-064459 ISSN 0750-1919
M e s chers Collègues, Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue, et de vous dire tout le plaisir que j'éprouve à vous accueillir en cette bonne ville de Jérusalem, qui a vu la naissance du christianisme il n'y a pas loin de deux mille ans. Et aussi le plaisir que j'ai à vous recevoir précisément ici, dans cette École biblique et archéologique française de Jérusalem fondée il y a plus d'un siècle par le Père Marie-Joseph Lagrange. Cela n'a été possible que grâce à la générosité des institutions qui ont assuré à notre Colloque des conditions de travail optimales, j e veux dire l'Ambassade de France en Israël et l'Institut français de Tel-Aviv, le Consulat général de France de Jérusalem et le ministère des affaires étrangères de la France, sans oublier ceux dont la caution scientifique nous a été aussi précieuse que le soutien matériel : le Centre de recherche français de Jérusalem, le Centre national de la recherche scientifique, la Claremont Graduate University, l'École pratique des Hautes études-Section des sciences religieuses, le Centre d'études des Religions du Livre, la California State University et, bien sûr, l'École biblique et archéologique française. Peut-être souhaitez-vous savoir par quelles médiations nous nous retrouvons tous aujourd'hui en ce lieu mémorable. L'idée de ce Colloque a pris naissance, du moins pour ma part, au cours d'une conversation avec F. Stanley Jones en juin 1990, lors d'une réunion qui se tenait à D o l e dans le Jura, dans le cadre des rencontres annuelles de l'Association pour l'étude de la littérature apocryphe chrétienne. En octobre 1994, lors d'un entretien, François Blanchetière, alors Directeur du Centre de recherche français de Jérusalem, m e proposait d'organiser un Colloque sur le judéo-christianisme ancien, ici, à Jérusalem. J'acceptai volontiers, tout en y associant naturellement F. Stanley Jones. Sans trahir un secret, j e crois savoir que cette idée mûrissait dans l'esprit de François Blanchetière, à qui j e voudrais rendre un amical hommage, depuis son arrivée à Jérusalem à la tête de ce Centre. Le séminaire organisé alors par lui, durant
l'année 1991-1992, eh collaboration avec l'Université hébraïque, le Studium Biblicum Franciscanum et l'École biblique et archéologique française, qui s'est concrétisé par la publication d'un volume en 1993 *, ne devait en être qu'une première étape. Passons sur diverses péripéties qui tiennent aux hasards de la vie et des carrières des uns et des autres, toujours est-il que cette idée fut réactivée au cours d'une discussion que j ' e u s avec Etienne Nodet et Justin Taylor en octobre 1996 ici même, qui m e proposaient d'organiser ce Colloque dans le cadre de l'École biblique et archéologique française. Ce que j'acceptai volontiers, non sans oublier d'y associer encore mon ami F. Stanley Jones. C'est donc tout naturellement que, lors de son arrivée à la direction de cette m ê m e École biblique et archéologique française, Claude Geffré devait prendre, au nom de son institution, la responsabilité de ce projet. Voilà, brièvement résumées, la genèse de ce Colloque et les raisons pour lesquelles nous nous retrouvons maintenant ici, huit ans après l'émergence de cette idée, c o m m e quoi il faut parfois donner le temps au temps et surtout ne jamais perdre espoir... Je me souviens que, lors de notre première conversation sur ce sujet, Stanley et moi étions d'accord sur de nombreuses questions touchant à ce que l'on appelle le judéo-christianisme, du moins dans les grandes lignes. Mais nous convenions aussi que de nombreuses et sérieuses divergences traversaient le monde de la recherche dès qu'il s'agissait de judéo-christianisme. Il faut bien reconnaître qu'aucun consensus ne s'est fait jour depuis les travaux de Ferdinand Christian Bauer qui remontent à la première moitié du x i x siècle, pour ne pas parler de ceux de John Toland qui, eux, relèvent du xvnr siècle . L'histoire est certes une, mais force est de reconnaître que sa compréhension à travers ses explications et ses interprétations sont multiples. Ce qui peut aisément se comprendre lorsqu'on réalise que nos sources sont déjà, elles-mêmes, des interprétations. Il n'empêche que, à la suite des travaux de ces x i x et x x siècles, les reconstructions historiques ne devraient plus être nécessairement plurielles. Elles le sont cependant, surtout quand il s'agit du christianisme dans ses premiers développements, car le judéo-christianisme fait partie intégrante de ces développements. A u point qu'on peut presque affirmer que le christianisme tout court est issu du judéochristianisme à une date qu'on ne saurait situer qu'au milieu du c
1. F. BLANCHETIÈRE-M. D . HERR, AUX origines juives du christianisme, Jérusalem, 1993. 2. On peut se demander quelles sont les raisons de cette absence de consensus. On pourrait être tenté de l'attribuer, comme certains n'ont pas hésité à le faire, à un malentendu, c'est-à-dire à une mauvaise façon de poser la question — en d'autres termes, à dire que la question n'existe pas.
n siècle, en tout cas pas avant l'échec de la révolte de Simon Ben K o s i b a h e n 135. C'est pour débattre de ces questions non seulement difficiles mais aussi délicates, surtout qu'elles peuvent avoir une incidence théologique, que nous sommes réunis en cette cité de Jérusalem, où un certain Jésus de Nazareth, en Galilée, a vécu ses derniers jours avant d'être exécuté, pour des raisons sans doute plus politiques que religieuses — mais n'est-ce là peut-être qu'un avis personnel ? Nous sommes dans cette ville de Jérusalem qui a vu aussi la naissance, en ses multiples composantes, de la première communauté des disciples de Jésus, qui se trouve être à l'origine de bien des doctrines et institutions de ce qui deviendra par la suite, après bien des péripéties, le christianisme. Il est vrai que ce christianisme, depuis qu'il a été déclaré universel, ne cesse de se débattre, pour se construire — voire se reconstruire — des origines qui puissent être plus acceptables aux yeux de tous, surtout à partir du moment où il lui a été donné pour mission de s'imposer à tous, au-delà des divergences culturelles et linguistiques. Voilà près de dix ans, en ces lieux mêmes, lors d'un travail académique, j'ai élaboré une définition du judéo-christianisme ancien : « Le judéo-christianisme ancien est une formulation récente désignant des chrétiens d'origine juive qui ont reconnu la messianité de Jésus, qui ont reconnu ou qui n'ont pas reconnu la divinité du Christ, mais qui tous continuent à observer la Torah. » J'ai publié cette définition une première fois dans une revue en 1 9 9 1 , une seconde fois dans un livre qui vient de paraître . U n e telle définition convient sans nul doute pour la période qui débute en 135, notamment s'il s'agit des courants nazoréen, ébionite et elkasaïte qui commencent à se développer de manière plus ou moins autonome lors de la séparation progressive d'avec le judaïsme, dont les prémices remontent aux années 100-120. Mais cette définition est-elle opératoire pour la période antérieure ? Autrement dit, peut-on l'utiliser pour définir de manière globale le mouvement des disciples de Jésus où coexistent non sans heurts certains qui sont d'origine juive et d'autres qui sont d'origine païenne — ces derniers ayant été à l'origine des « sympathisants » au judaïsme. Je pense que oui, à condition de l'aménager quelque peu sur le plan de la terminologie, et aussi à condition de définir les divers courants composant le mouvement des disciples de Jésus. Il est largement admis maintenant que, jusqu'à la fin du n siècle, 1
1. S. C. MIMOUNI, « Pour une définition nouvelle du judéo-christianisme ancien », dans New Testament Studies 38 (1998), p. 161-186. 2. S. C. MIMOUNI, Le Judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 39-72.
voire après, il est impossible de parler d'un christianisme uniforme ou univoque, mais plutôt d'un christianisme multiforme ou plurivoque — l a situation est d'ailleurs identique en ce qui concerne le judaïsme. Avant 7 0 , dans le mouvement des disciples de Jésus, on distingue, en effet, plusieurs grands courants que l'on peut décliner de la manière suivante : • les pétriniens (c'est-à-dire se rattachant à la mission de Pierre, l'apôtre du Seigneur — originaire de Galilée), à la fois de langue araméenne et de langue g r e c q u e ; • les jacobiens (c'est-à-dire se rattachant à la mission de Jacques, le frère du Seigneur — originaire de Jérusalem), uniquement de langue araméenne ; • les pauliniens (c'est-à-dire se rattachant à la mission de Paul — originaire d'Antioche), uniquement de langue g r e c q u e ; • les johanniens, enfin, de langue grecque mais sans doute aussi de langue araméenne, dont la figure marquante est un certain Jean et l'aire de développement l'Asie Mineure, non sans être passés par la Samarie . Dans le Nouveau Testament, on trouve les uns et les autres sous l'appellation générique de nazoréens (selon l'araméen) et de chrétiens (selon le grec), mais aussi sous les noms d'hellénistes pour les partisans de Pierre et d'hébreux pour les partisans de J a c q u e s — s e l o n une formulation plus tardive . Certains critiques considèrent que la communauté de Jérusalem a d'abord été sous l'influence du courant pétrinien, avant de passer sous l'influence du courant jacobien ; d'autres, estimant qu'il s'agit là d'une construction théologico-littéraire de Luc, sont opposés à cette perspective, faisant alors de Jacques, le frère du Seigneur, le fondateur de cette communauté — la question est débattue. Quoi qu'il en soit, après 135, les courants pétrinien et jacobien seront à l'origine de ce qui deviendra le judéo-christianisme, tandis que les courants paulinien et johannique seront à l'origine de ce qui 1
1. Les expressions littéraires les plus anciennes de ce courant sont l'Évangile selon Marc et l'Évangile selon Matthieu. Pour certains critiques, la source Q provient aussi de ce courant—c'est le cas par exemple de F. Vouga. 2. Les expressions littéraires les plus anciennes de ce courant semblent avoir disparu, sauf peut-être l'Épître de Jacques. 3. Les expressions littéraires les plus anciennes de ce courant sont les œuvres de Paul et de Luc. 4. L'Apocalypse de Jean représente aujourd'hui la production littéraire la plus importante de ce courant, non sans oublier l'Évangile selon Jean qui a plus tard été récupéré par les johanniens. 5. Les noms de Galiléens et d'Hérodiens, que l'on trouve aussi dans le Nouveau Testament, renvoient à une désignation géographique pour le premier et à une désignation politique pour le second, mais nullement à des désignations religieuses.
deviendra le pagano-christianisme. La différence essentielle entre les courants pétrinien et jacobien est fonction de leur rapport au christianisme paulinien : les pétriniens sont plus proches des pauliniens que lesjacobiens. Entre 7 0 et 135, on distingue désormais, bon gré mal gré, plusieurs groupes parmi les chrétiens d'origine juive. Si l'on se fonde sur les caractéristiques établies ultérieurement par les Pères de l'Église, ils se répartissent en deux branches : • une première, qui a été qualifiée d'« orthodoxe » par les hérésiologues chrétiens, que l'on connaît sous le nom de « nazoréens » — e n fait des pétriniens et des jacobiens propauliniens — reconnaissant Jésus dans sa messianité et dans sa divinité ; • une seconde, qui a été qualifiée d'« hétérodoxe » par les hérésiologues chrétiens, que l'on identifie sous les noms d'« ébionites » et d'« elkasaïtes » — e n fait des jacobiens antipauliniens — , reconnaissant en Jésus un prophète ou un messie, mais ne l'identifiant jamais à Dieu. Le groupe nazoréen (de langue araméenne) a vraisemblablement disparu vers la fin du rv ou le début du V siècle, peut-être en se fondant dans la « Grande Église ». Les groupes ébionite et elkasaïte (de langue araméenne) ont subsisté bien après la naissance de l'Islam — au moins jusqu'au v n r siècle. Il n'est pas impossible, suivant une suggestion du Père Bargil Pixner, que le groupe ébionite puisse être issu d'une scission d'avec le groupe nazoréen, qui aurait été provoquée dans la communauté de Jérusalem par Théboutis après l'élection de Simon à la succession de Jacques — donc avant 70. Avant 135, il m e semble possible de dire que tout le mouvement des disciples de Jésus est judéo-chrétien, la composante païenne n'étant pas encore définitivement autonome, du moins pas c o m m e elle le sera par la suite. Sans vouloir déjà ouvrir le débat sur ces épineuses questions, sachez, chers Collègues, que j e ne propose nullement de désigner par l'expression judéo-chrétien le mouvement des disciples de Jésus jusqu'en 135. Il m e semble qu'il est préférable de l'utiliser en revanche pour désigner les courants de chrétiens d'origine juive, qui ont existé de manière très interstitielle après 135. Pour la période antérieure, à défaut du terme de chrétien, il semble que seul le terme de nazoréen soit à m ê m e de recouvrir les réalités du mouvement des disciples de Jésus en toutes ses composantes, à moins qu'il faille cependant maintenir le premier pour rendre compte aussi de manière correcte du courant paulinien, voire du courant johannique. Autorisez-moi enfin à exprimer un souhait que j'emprunte à François Blanchetière : l'histoire des origines du christianisme e
nécessite, en cette fin du x x siècle, un certain nombre de travaux récapitulatifs à buts essentiellement méthodologiques. J'en vois principalement trois : 1. un répertoire de la documentation potentielle, d'ordre littéraire c o m m e d'ordre non littéraire ; 2. un répertoire de la bibliographie existante en vue d'une intégration sur les réseaux informatiques ; 3. un inventaire historiographique à des fins épistémologiques. Ces travaux, dont la réalisation n'est guère évidente, nécessitent, à n'en point douter, des collaborations internationales, qui pourraient être maintenant facilitées par les multiples accès informatiques. Sur c e s perspectives, j e vous souhaite un studieux et agréable séjour en ces murs construits, il convient de le rappeler, sur les restes du Martyrium dédié à Etienne dans la première moitié du v siècle ! c
SIMON C. MIMOUNI
INTRODUCTION F. STANLEY JONES
Jewish Christianity is a subject discussed by many disciplines but o w n e d by none. Traditional Church History passes summarily over this peculiar primal phase to reach the heart of its subject, the rising Great Church. Jewish Christianity is thereby quickly relegated to the sidelines and reappears only among a plethora of other esoteric heresies of little true consequence for Church History. Creeping awareness of the ever-shrinking body of early "orthodox" or "proto-orthodox" witnesses to "Christianity," however, is leading to greater apprecia tion of the "heretical" sidelined groups. S o m e are suggesting that despite their diversity, these groups actually stand in the center of the stage. Early "gnostics," for example, are being appreciated as wellintentioned early Christian philosophical teachers. Other groups disinherited by the heresiologists are also being welcomed back as legitimate bodies for historical investigation. Interest in the early Jewish Christians should rise as part of this reformation of Church History. It has, to some extent. Over the last three-hundred years, however, knowledge of early Jewish Christianity has posed a pecu liarly strong deconstructive challenge to Church History. Conse quently, not even on the waves of the new revision has Church History made the study of Jewish Christianity a true part of its disci pline. Church History has not accepted ownership. Traditional N e w Testament scholarship, another possible proprietor, must address certain aspects of Jewish Christianity, but in general it finds itself unable to cope with the later patristic and Jewish sources. Furthermore, it has found little reason to expend great effort to reconstruct a movement that left few or no writings intact within the N e w Testament itself. Scholars of Second Temple Judaism also discuss Jewish Chris tians among several other groups of the late period, but these scholars can hardly be characterized as owners of the subject "Jewish Christia nity." The same applies to Talmudic scholars, w h o similarly have something to say about the Jewish Christians. In view of the ocean of
the Talmud, however, is it reasonable to expect these scholars to claim ownership of the subject "Jewish Christianity"? Jewish Christianity is a subject discussed by many fields but owned by none. Perhaps owing to this situation, one currently finds a tendency to create a new field to fill the role of owner, e.g., Archaeology of Jewish Christianity. Or, are efforts by Messianic Jews indicative that this religious group is the proper proprietor of the subject "Jewish Chris tianity"? What the appearance of such fields signifies is the same as what any honest international overview of research into Jewish Christia nity reveals : There are several dimensions to the subject of Jewish Christianity, and more dimensions are still coming to light. A n y given researcher may be able to work in only a few of these dimensions. This state of research should not discourage the individual scholar from working even more vigorously within his or her particular specialization. Only so will the reality of the phenomenon of Jewish Christianity continue to emerge. After discussions during the organizational phase of this Collo quium, it was decided not to send out a description or definition of Jewish Christianity with the call for papers. Instead, representatives from the various directions of research were invited to present their perspectives on the subject matter. The reader with historical knowledge about the different disciplines will be able to trace in the essays the clear influence of various approaches and schools of thought. Individual and group discussions at the Colloquium were an opportunity for the various traditions to enter into direct dialogue with each other. The edited papers partially reflect the dialogue that ensued. Through the assembly of the papers in this volume, the reader may grasp the breadth and variety of material, approaches, and outcomes. Thanks to the generous support of the numerous sponso ring organizations, new vistas will be opened for the consolidation of this variety in future studies of Jewish Christianity.
C'est une grande joie et un grand honneur pour moi d'accueillir au n o m de tous les professeurs de l'École biblique et archéologique française de Jérusalem les participants de ce colloque sur le judéo-christianisme. Je n'ai pas à retracer la longue genèse de cette Rencontre internationale dont le Professeur Simon C. Mimouni fut l'artisan infatigable. Mais en votre n o m à tous, j e tiens à lui rendre hommage. Grâce au concours de nombreuses instances diplomatiques et universitaires, ce projet longuement mûri a pu aboutir. Je voudrais seulement souligner la portée hautement symbolique du lieu où nous nous retrouvons près de quarante ans après le colloque qui s'est tenu à Strasbourg en 1964 dans le cadre du Centre d'Études supérieures spécialisé d'Histoire des religions animé par le doyen Marcel Simon. Depuis plus d'un siècle, en fidélité à l'intuition de son fondateur, le Père Lagrange, l'École biblique n'a cessé de mener de front des recherches tout à la fois exégétiques, épigraphiques, géographiques et archéologiques sur la terre m ê m e de Jésus en vue d'une meilleure intelligence de la naissance du christianisme en continuité et en rupture avec le judaïsme. Et il y ajuste un an, en juillet 1997, j'avais l'honneur d'accueillir pour une session spéciale dans ce même lieu des chercheurs venus du monde entier à l'occasion du Congrès international qui célébrait le cinquantième anniversaire de la Découverte des manuscrits de la Mer Morte. C'est dire assez que le n o m de l'École biblique se trouve nécessairement associé au renouveau de notre connaissance des origines du christianisme, en particulier du milieu essénien, à la suite de la découverte de Qoumran. La question tellement complexe du judéo-christianisme demeure toujours ouverte et il est encore difficile de parvenir à une définition qui puisse faire l'unanimité parmi tous les chercheurs. C o m m e l'évoquait déjà Marcel Simon en 1968, l'extrême difficulté d'une définition du judéo-christianisme provient en particulier du fait que « le premier des termes peut être entendu soit en un sens ethnique, soit en un sens précisément religieux ». Mais selon le jugement très averti du Professeur F. Stanley Jones, le judéo-christianisme n'est
justement la propriété d'aucune discipline qu'il s'agisse des historiens de l'Église primitive, des exégètes du Nouveau Testament ou des spécialistes du judaïsme rabbinique ou du Talmud. C'est précisément la chance de ce colloque international de réunir non seulement des spécialistes venus d'Amérique, d'Europe et d'Israël mais surtout des représentants de diverses disciplines, l'exégèse critique, l'histoire des origines chrétiennes, l'histoire des judaïsmes, l'épigraphie, la patristique et m ê m e la théologie. Nous ne parviendrons sans doute pas à une définition du judéochristianisme qui fasse l'unanimité parmi tous les chercheurs. Mais nous aurons déjà fait un grand pas si nous faisons un bilan plus détaillé des consensus déjà acquis et un meilleur repérage des chantiers qui demeurent toujours ouverts. Et au moment d'ouvrir ce grand débat d'ordre académique, qu'il m e soit permis de rappeler qu'il se déroule au cœur m ê m e de Jérusalem, la ville sainte du peuple d'Israël et du nouveau peuple de l'Église. Cela m'invite à souligner la très grande actualité historique et religieuse de ces recherches hautement spécialisées sur ce mouvement des disciples de Jésus de Nazareth qui est à l'origine de ce qui deviendra la Grande Église. D'une part, la nouvelle Europe qui est en train de naître sous nos yeux s'interroge toujours sur ses sources et nous parlons souvent sans un discernement suffisant de sa composante judéo-chrétienne comme d'une composante essentielle. D'autre part, en cette fin du x x siècle, le destin deux fois millénaire du judaïsme et du christianisme a connu un tournant décisif. Je suis convaincu que l'étude la plus poussée du judéo-christianisme ancien n'est pas sans incidence sur l'avenir du dialogue entre les fils d'Abraham. e
LA CONTRIBUTION DU DOYEN MARCEL SIMON À L'ÉTUDE DU JUDÉO-CHRISTIANISME FRANÇOIS BLANCHETIÈRE
Résumé Disciple de Charles Guignebert et de Hans Lietzmann, Marcel Simon a largement contribué au renouveau des études sur le judéo-christianisme dans le monde francophone par sa thèse Verus Israel. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l'Empire romain (135-425), et par ses multiples études regroupées dans Recherches d'histoire judéo-chrétienne et Le Christianisme antique et son contexte religieux. Scripta varia. En 1964, le Doyen Simon organisait, dans le cadre du Centre d'Histoire des religions de V Université de Strasbourg, le colloque Aspects du judéo-christianisme, qui a réuni les meilleurs spécialistes de Vépoque sur la question. Il apparaît maintenant intéressant d'évaluer avec notre recul la pertinence du travail de ce Maître. Summary Student of Charles Guignebert and Hans Lietzmann, Marcel Simon contributed greatly to the renewal of studies on Jewish Christianity through his thesis Verus Israel: A Study of the Relations between Christians and Jews in the Roman Empire (135-425) and his many studies collected in Recherches d'histoire judéo-chrétiennne and Le Christianisme antique et son contexte religieux. Scripta varia Under the auspices of the Centre d'Histoire des religions of the University of Strasbourg, Dean Simon organized the colloquium Aspects du judéo-christianisme in 1964. It called together leading specialists of the time on the question. To evaluate the pertinence of this master's work from our distance promises to be interesting.
N o u s sommes redevables à l'École de Tubingen de deux choses parmi bien d'autres : l'une heureuse, la reconnaissance et le début de la réhabilitation d'un pan entier de l'histoire du christianisme primitif, Vecclesia ex circumcisione ; la seconde, de l'avis de beaucoup moins heureuse, la dénomination « judéo-chrétien » pour désigner les fidèles de cette m ê m e ecclesia ex circumcisione. Or, le renouveau des études relatives à Vecclesia ex circumcisione hébréophone ou araméophone aussi bien qu'hellénophone a été marqué durant les décennies de l'immédiat après-guerre par un ensemble de spécialistes d'une grande qualité. Les énumérer reviendrait à évoquer entre autres les participants au Colloque réuni dans le cadre du Centre d'Histoire des religions de l'Université de Strasbourg du 23 au 25 avril 1964 dont notre Colloque aujourd'hui constitue en quelque sorte le lointain écho. Dans le monde francophone, deux hautes personnalités dominent alors en ces domaines : le D o y e n Marcel Simon et le Père Jean Daniélou, dont les noms sont indissociables tant leurs champs d'investigation étaient pour une part contigus et tant leurs positions et leurs critères étaient divergents. A v e c le recul de plus de trente années, l'opportunité m'est offerte aujourd'hui de faire le point et de tenter de dégager très partiellement l'apport de Marcel Simon à l'étude du judéo-christianisme, non sans empreindre cet exposé à la fois de piété filiale envers celui à qui je dois tant, mais aussi de cet esprit critique dont il a fait montre et qu'il m'a inculqué.
Éléments de biographie Alsacien de vieille souche, né en 1907 dans une vallée des V o s g e s du sud, non loin de ce pays des trois frontières aux confins de la France, du Land de Bade et de la Suisse alémanique, Marcel Simon connaissait parfaitement la complexité des problèmes de sa province et plus particulièrement l'importance du judaïsme alsacien. C'est là vraisemblablement que se trouve l'origine de sa sensibilité aux problèmes du religieux. Sa formation suit la voie royale : lycées de Thann et Louis-le-Grand à Paris, École normale supérieure de la rue d'Ulm où il se lie d'une amitié indéfectible avec H.-I. Marrou, École 1. La liste des publications scientifiques de M. Simon figure dans le volume de Mélanges qui lui ont été offerts, voir Paganisme, judaïsme, christianisme. Influences et affrontements dans le monde antique. Mélanges offerts à M. Simon, Paris, 1978, p. 371-387 ; elle est à compléter avec la liste établie par F. BLANCHETIÈRE, « Obituary », dans Numen 34 (1987), p. 141-142. La plupart des articles de M. Simon ont été repris, soit dans Recherches d'histoire judéo-chrétienne, Paris, 1962, soit dans Le Christianisme antique et son contexte religieux. Scripta varia, 2 volumes, Tubingen, 1981.
française de R o m e (1932-1934) — où il retrouve ce dernier — , pensionnaire de l'Institut français de Berlin (1934-1936), ce qui lui permet d'étudier auprès de H. Lietzmann tout en assistant à la montée en puissance du nazisme, avant de revenir enseigner au lycée Fustelde-Coulanges à l'ombre de la cathédrale de Strasbourg, lycée dont l'entrée jouxte le portail fameux pour ses deux statues de l'Église et de la Synagogue. Entre-temps, Marcel Simon a entrepris sa thèse sous la direction de Charles Guignebert, une thèse qu'il soutiendra après la guerre avec H.-I. Marrou pour rapporteur — C. Guignebert étant décédé entretemps en 1939. Les circonstances m'ont aidé dans le choix de c e sujet d'étude — écrit-il en ouvrant l'Avant-propos à son Verus Israël. A u moment où la question juive brutalement soulevée par l'antisémitisme raciste revêtait devant la conscience moderne une si douloureuse actualité, il m'a paru intéressant d'en fixer les aspects à une étape précise de son développement, aux origines de la société chrétienne...
Lorsque, au sortir de la période terrible de la seconde guerre mondiale et, après l'exil à Clermont-Ferrand, l'Université réintègre ses pénates au Palais universitaire de Strasbourg, M. Simon est appelé à prendre la responsabilité de l'Institut d'Histoire des religions dans le cadre de la faculté des Lettres et du département d'Histoire. Il succède alors et, par-delà la seconde guerre mondiale, à Prospère Alfaric...
Les principaux travaux de Marcel Simon sur le judéo-christianisme. Entre sa thèse soutenue au lendemain de la Libération et sa retraite en 1980, et indépendamment de son enseignement aux futurs historiens en formation à l'université de Strasbourg, M. Simon est revenu à maintes reprises sur les origines chrétiennes et plus particulièrement sur la question du judéo-christianisme. Ce sont ces principales contributions qu'il s'agit d'analyser présentement. Ainsi donc, au point de départ, la thèse publiée en 1948 : Verus Israël. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans VEmpire romain (135-425), un essai qui vient combler une lacune, c o m m e le souligne M. Simon dans son introduction. Il précise alors son projet en ces termes : Il n'est pas dans m o n intention d'étudier les rapports de filiation et de dépendance qui unissent le christianisme ecclésiastique au judaïsme, d'établir c e que le premier doit au second [ . . . ] ; il ne s'agit pas davantage de refaire, depuis la prédication de Jésus jusqu'à l'établissement d'une
Église pleinement indépendante, l'histoire de la séparation... Je me propose de faire le tableau des rapports entretenus dans l'Empire romain par les deux religions, chrétienne et juive, coexistant comme deux grandeurs distinctes... Je voudrais, en d'autres termes, tenter sur le plan des relations entre judaïsme et christianisme ce que d'autres ont fait pour le conflit entre christianisme et paganisme. Aujourd'hui, l'importance de la matrice juive dans l'engendrement du proto-christianisme est devenue doctrina commuais, on en était loin il y a encore cinquante ans lorsque étaient rédigés les dix points de Zeelisberg, à l'heure où Jules Isaac dénonçait Y enseignement du mépris... Relisons ces quelques lignes empruntées aux Réflexions sur le judéo-christianisme rédigées en 1975 pour l'Hommage à Morton Smith : C'est à partir du judaïsme dans son ensemble, c'est-à-dire des tendances diverses qui l'animaient, ou plutôt qui le composaient, qu'il faut essayer de comprendre le christianisme naissant dans son ensemble, qu'il s'agisse de sa forme paulinienne ou de son rameau judéo-chrétien. Ce dernier en particulier semble avoir emprunté certains traits aussi bien au judaïsme officiel qu'à des milieux plus marginaux, voire franchement sectaires, sans qu'on puisse le rattacher de façon précise et exclusive à l'un ou aux autres *. On ratifiera sans peine ces affirmations, sans pour autant accepter de parler de judaïsme officiel analogue au Normative Judaism de G. F. Moore, ou de parler de judaïsme « marginal », « sectaire » ou « ésotérique » — expressions sans fondement historique à l'époque, nous le savons aujourd'hui. Salué à sa parution c o m m e un maître livre, traduit en anglais en 1986, Verus Israël demeure aujourd'hui encore, cinquante ans plus tard et après quatre rééditions, un ouvrage de référence. Ayant fait paraître entre-temps, en 1952, Les premiers chrétiens dans la collection « Que sais-je ? » et, en 1958, Saint Stephen and the Hellenists in the Primitive Church, il publie en 1962 ses Recherches d'histoire judéo-chrétienne qui regroupent dix études publiées antérieurement dans diverses revues, dont une parue dans les Mélanges Franz Cumont, contribution en l'honneur d'un savant dont M. Simon ne parlait jamais sans évoquer les fructueux contacts que, jeune chercheur, il avait eus avec lui à Rome. Marcel Simon revient sur le problème de la définition du judéochristianisme à l'occasion du Colloque organisé par ses soins à Strasbourg en 1964 et publié sous le titre Aspects du judéo-christianisme. Il présente alors une communication introductive sous le titre :
1. M. SIMON, op. cit., Tubingen, 1981, vol. 2, p. 615.
« Problèmes du judéo-christianisme », occasion pour lui de remarques historiographiques et de précisions méthodologiques. Profitant de la réédition de son Verus Israel en 1964, M. Simon ajoute un important Post-scriptum de trente-cinq pages, occasion pour lui de répondre aux quelques objections formulées par ses recenseurs et de préciser ses positions : L'accueil fait à Verus Israel par la critique savante a été, dans l'ensemble, favorable et bienveillant — reconnaît M. Simon. En particulier, presque personne, que j e sache, n'a contesté le bien-fondé de ma thèse centrale : le judaïsme, très loin d'avoir achevé son repli, a été pour le christianisme, tout au long de la période envisagée, un concurrent réel, actif, souvent efficace.
J'ajouterai toutefois cette précision : M. S. Taylor a publié à Leyde en 1995, dans la série des « Studia Post-Biblica », sous le titre AntiJudaism and Early Christian Identity, A Critique of Scholary Consensus, une version légèrement remaniée de sa thèse d'Oxford, rédigée sous la direction de Martin Goodman, dans laquelle elle s'en prend vigoureusement à ce qu'elle appelle « the Conflict Theory » de M. Simon. J'ai dit ailleurs ce que j e pense de cet important travail . Je m e contenterai donc de préciser ici que M. S. Taylor a sans aucun doute prêté au D o y e n Simon des positions qu'il me paraît difficile de retrouver dans son Verus Israel, et si sa critique est pertinente, elle ne saurait concerner M. Simon qui aurait été fort étonné de se retrouver « chef d'école ». Indépendamment des pages insérées dans Le Judaïsme et le Christianisme antique en 1968, un manuel destiné à des étudiants débutants et plusieurs fois réédité, M. Simon revient une dernière fois sur l'historiographie de la définition du judéo-christianisme en 1975 dans ses « Réflexions sur le judéo-christianisme » publiées dans l'Hommage à Morton Smith, occasion pour lui d'une sorte de bilan. On pourra retrouver de façon pratique ses articles les plus significatifs regroupés en deux volumes de 850 pages à l'initiative de Martin Hengel sous le titre Le Christianisme antique et son contexte religieux. Scripta varia, publiés à Tubingen dans les « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » en 1981. l
1. F. BLANCHETIÈRE, « La vitalité et le prosélytisme juifs, causes ou non de F antijudaïsme chrétien ancien ? Que penser de la thèse du Verus Israël de M . Simon », dans Aux sources de V'antijudaïsme chrétien, ir-nr siècles, Jérusalem, 1995, p. 169-183.
L'apport de Marcel Simon à l'étude du judéo-christianisme. Tentons donc de dégager de cette importante contribution scientifique quelques principes directeurs. J'en retiendrai présentement quatre qui m e paraissent déterminants. Subsidiairement, il m'apparaît de quelque intérêt, avec le recul du temps, d'instaurer une comparaison entre M. Simon et J. Daniélou travaillant sur ce que l'un et l'autre appellent le judéo-christianisme. Fondamentalement, M. Simon s'est voulu historien. Relisons ce qu'il écrivait encore dans FAvant-propos de son Verus Israël, à l'aube de sa carrière d'enseignant-chercheur : Quant à moi, je ne devais être qu'historien. Je me suis astreint à la plus stricte objectivité. Elle est la loi de toute recherche historique ; l'histoire religieuse n'y échappe pas. Pour ceux qui l'ont fréquenté au quotidien, tout le D o y e n Simon est dans ces quelques mots. L e chercheur soucieux du document patiemment recherché, commenté avec acribie, éclairé par les apports d'une large et solide érudition acquise au contact des anciens aussi bien que des modernes, n'hésitant pas à solliciter des avis. Qu'on se penche sur ses recherches autour du concept d'hérésie et sur les hérésies anciennes, sur ses lectures répétées des décisions du « concile de Jérusalem » de A c 15, sur sa magistrale étude comparatiste, Hercule et le christianisme, publiée à Strasbourg en 1955 — sans oublier ses réflexions méthodologiques relatives à l'histoire comparée des religions. Historien, assurément. Mais, sans vouloir instruire à son égard un procès d'intention, il faut reconnaître que sa conception générale de l'histoire du proto-christianisme reste indirectement marquée par une approche très traditionnelle, par une conception que résume l'expression praeparatio evangelica, bref une approche largement remise en question aujourd'hui. Marcel Simon est par ailleurs maintes fois revenu sur le problème de la définition qu'il donnait du judéo-chrétien s'arrêtant à un critère objectif : la pratique des observances ou mitzvot. Ainsi en 1962, dans FAvant-propos à ses Recherches d'histoire judéo-chrétienne, il écrit: Le terme judéo-chrétien est susceptible de plusieurs acceptions différentes. Dans son sens le plus précis, il s'applique à ceux des fidèles de l'Église ancienne qui s'efforçaient de concilier leur foi au Christ avec une stricte observance de la Loi mosaïque. Le terme « judéo-chrétien » apparaît assurément dans Verus Israël avec une pluralité de sens, et d'abord pour traduire les rapports entre ces deux systèmes que sont le judaïsme et le christianisme, ainsi que
l'exprime le sous-titre de l'ouvrage ; parfois, et dans un sens plus restrictif, il semble être alors l'équivalent d'« é b i o n i t e ». Mais, dans un chapitre spécial, M. Simon prend soin de distinguer à propos de judéo-chrétien une acception qu'il appelle « ethnique » pour définir les chrétiens issus d'Israël, d'une seconde qu'il dit « plus proprement religieuse », s'appliquant à des « chrétiens dont la religion reste mêlée d'éléments judaïques et qui, en particulier, continuent de se plier à tout ou partie des observances ». Et de s'interroger : « Comment délimiter, dans le christianisme antique, directement issu du judaïsme, ce qui est original et spécifiquement chrétien, et ce qui est héritage juif ? » En effet, si, pour les premiers hérésiologues chrétiens, les judéo-chrétiens sont hérétiques, pour Marcion en revanche, lui qui dissocie l'Évangile de la Loi, selon l'expression de Tertullien dans le Contre Marcion, I, 19, c'est la « Grande Église » qui est judéo-chrétienne : 1
Certains groupements, dont rien par ailleurs ne permet de suspecter l'orthodoxie [...], organisent délibérément et obstinément leur observance chrétienne, leur cycle de fêtes et certaines de leurs pratiques rituelles en fonction de modèles juifs et de normes synagogales alors que les judaïsants ajoutent simplement aux manifestations de la vie cultuelle chrétienne la pratique de rites juifs, au jeûne ecclésiastique les observances alimentaires mosaïques, à la fréquentation de l'église, celle de la synagogue . 3
Il faut considérer les judaïsants c o m m e un courant qui tend à reconnaître à la Synagogue une autorité permanente, à la différence d'autres courants au sein des disciples du Nazaréen qui l'ont déjà répudiée. Il s'agit donc chez les judaïsants d'une «juxtaposition, inconséquente et incohérente, d'éléments juifs et d'éléments chrétiens. Elle est essentiellement spontanée et populaire ». En résumé, pour M. Simon, la pierre de touche du judéo-chrétien, c'est la praxis et non la doxa, l'homme qui vit et non les idées. Ces lignes empruntées au Post-scriptum de 1964 sont de ce point de vue dénuées de toute ambiguïté : 4
En fait le critère le plus sûr, sinon absolument le seul, dont nous disposions pour caractériser et délimiter le judéo-christianisme reste encore l'observance. Au même titre que le judaïsme, le judéo-christianisme est d'abord une orthopraxie. Il se distingue par une attitude fondamentalement légaliste et par son attachement à une observance non pas simplement apparentée dans son esprit, mais bien identique à celle du judaïsme
1. M. SIMON, Verus Israel. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l'Empire romain (135-425), Paris, 1948 ,1964 , p. 86-89. 2. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 277-278. 3. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 356. 4. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 347. 1
et qu'il retient en totalité ou en partie. Cette position peut, à coup sûr—et logiquement elle devrait toujours —, s'accompagner de particularités doctrinales... Elle peut aussi s'exprimer dans des catégories de pensée originales. Mais ni les unes ni les autres ne sont toujours nécessairement présentes . !
M ê m e position exprimée au Colloque de Strasbourg : Le critère de l'observance me paraît incontestablement le plus sûr [...] ; comme le judaïsme [...] est, dans le pharisaïsme ou ailleurs, essentiellement une orthodoxie, h est légitime de chercher aussi du côté de la pratique ce qui peut caractériser le judéo-christianisme à toutes les étapes de son développement et sous tous ses aspects . 2
On aura en revanche plus de difficulté à suivre M. Simon lorsqu'il cherche à répondre à la question : « Comment délimiter l'observance à partir de laquelle on pourra définir le judéo-christianisme ? » « Il m e s e m b l e — r é p o n d M. Simon — que nous disposons à cet égard d'une pierre de touche assez sûre qui est le "décret apostolique" consigné au chapitre 15 des Actes des A p ô t r e s . » Il m e paraît personnellement plus sûr d'emboîter le pas à R. E. Brown qui fait du respect plus ou moins strict des mitzvot le principe de sa classification des judéo-chrétiens . Ajoutons que, pour M. Simon, 135 constitue une date clé, mais pour de tout autres raisons que celles retenues par J. Daniélou. Et à l'affirmation de J. Daniélou : « La période judéo-chrétienne va des origines du christianisme au milieu du second siècle e n v i r o n », répond cette autre de M. Simon, tout aussi catégorique : « L'existence d'une période judéo-chrétienne aux origines du christianisme semble n'être qu'une vue de l'esprit . » Il est essentiel de rappeler ce que beaucoup oublient, à savoir que M. Simon d'intention entend s'en tenir au créneau chronologique qu'il s'est fixé, soit de 135 à 4 2 5 , ainsi qu'il le réaffirme avec insistance dans le Post-scriptum rédigé en vue de la réédition de Verus Israel . Il n'aborde pas ce que Daniélou dénomme la période judéochrétienne de l'histoire de l'Église ancienne qui se clôt avec les premiers apologistes. D'ailleurs, son sujet, tel qu'il le définissait dans 3
1. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 509. 2. M. SIMON, « Problèmes du judéo-christianisme », dans Aspects du judéo-christianisme (Colloque de Strasbourg, 1964), Paris, 1965, p. 7. 3. M. SIMON, op. cit., dans Aspects du judéo-christianisme (Colloque de Strasbourg, 1964), Paris, 1965, p. 7. 4. Voir R . E. BROWN-J. P. MEIER, Antioche et Rome, berceaux du christianisme, Paris, 1988, p. 20-28. 5. J. DANIÉLOU, Théologie du judéo-christianisme, Paris, 1958 ,1991 , p. 39. 1
6. M . SIMON, op. cit., Tubingen, 1981, vol. 1, p. 71. 2
7. M . SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 509.
les premières phrases de son Avant-propos à Verus Israël citées il y a un instant, le lui imposait parce que, ainsi qu'il l'écrit en substance, si, après 135, le judaïsme cesse de poser un problème dam- l'Église, « il continue d'en poser u n p o u r l'Église, du d e h o r s ». C'est là encore un critère d'historien. Enfin, M. Simon avance une ferme taxinomie des témoins, définissant ainsi les critères en fonction desquels l'historien moderne pourra faire appel à ses devanciers pour tenter de reconstituer les rapports entre juifs et chrétiens durant les premiers siècles du mouvement issu de Jésus de Nazareth. Et d'abord, dissocier ceux qui ont une connaissance directe —généralement ceux qui ont vécu en P a l e s t i n e — d e s autres hérésiologues qui cherchent à remplir les cases d'un classement élaboré de longue date, à tout le moins depuis le Syntagma de Justin. 1
Les principales sources, écrit M. Simon, peuvent ici se répartir en deux groupes : d'une part les catalogues d'hérésies qui commencent avec Irénée [ . . . ] ; d'autre part, une série de témoignages moins apprêtés, ceux en particulier de Justin Martyr, d'Origène, d'Eusèbe et de saint Jérôme. Cette opposition correspond en gros à une différence d'origine géographique : les auteurs du premier groupe sont surtout — Épiphane mis à part—des Occidentaux, de naissance ou de résidence, et n'ont de ce fait, pour la plupart, qu'une connaissance indirecte du judéo-christianisme. Le second groupe, au contraire, est constitué d'écrivains orientaux. Leurs témoignages offrent cet avantage incontestable d'être de première main et indépendants les uns des autres . 2
U n exemple vaut mieux que de longs discours. A v e c Origène, nous abordons toute une série d'auteurs qui se situent dans l'orbite de la bibliothèque de Pamphile à Césarée-Maritime, des érudits vivant en Palestine et souvent au contact direct avec les milieux juifs. Pas plus que Justin, Origène n'évoque directement les nazaréens, s'il faut en croire de Lange. Son témoignage n'en est pas moins capital . Dans son Contre Celse, en effet, pour réfuter les affirmations de Celse concernant « les croyants venus du judaïsme », il précise : Celse « n'a pas remarqué que ceux des juifs qui croient en Jésus n'ont pas abandonné la Loi de leurs Pères, car ils vivent en conformité avec elle » (Contre Celse H, 1). Ainsi, deux éléments les définissent : leur croyance en Jésus et leur pratique des mitzvot c o m m e tous les juifs. Il ajoute pourtant une précision importante : « ils doivent leur appellation à la pauvreté de leur interprétation de la Loi », d'où leur nom d'ébionites. Cette référence à l'herméneutique c o m m e critère de différenciation au sein du poikilon que constitue, selon Philon ou 3
1. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 91, n. 6. 2. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 281. 3. On pourra se reporter à la communication de G. DORTVAL à ce Colloque. 2
Josèphe, le judaïsme à la veille de la Grande Révolte n'est pas à sousestimer. Or, après avoir proposé plusieurs interprétations plus ou moins méprisantes que rappelle M. Borret *, Origène dans la suite de son travail va distinguer soigneusement deux courants ébionites en fonction de leur christologie : « ceux qui admettent c o m m e nous que Jésus est né d'une vierge, ceux qui ne le croient pas né de cette manière, mais c o m m e le reste des hommes » (Contre Celse V, 61 et 62). Ce qui conduit M Simon à ce commentaire : Le plus clairvoyant des auteurs chrétiens est sans conteste Origène. Lui du moins a nettement vu et dégagé les rapports qui unissaient l'ébionisme d'une part au judaïsme, d'autre part à l'Église primitive... C'est là l'exacte perspective historique, méconnue de la plupart des hérésiologues anciens . 2
Venons-en rapidement à la seconde série de témoins, cette longue tradition hérésiologique qui prend ses racines sans doute chez Justin, au long de laquelle on va trouver les noms d'Irénée, de Tertullien, d'Hégésippe dans la mesure où Eusèbe nous a conservé ses idées, d'Eusèbe lui même, de Philastre de Brescia, d'Épiphane, de Jérôme, de D i d y m e l'Aveugle, d'Augustin d'Hippone, etc., et jusqu'au M o y e n  g e par le canal d'Isidore de Seville, sinon m ê m e jusqu'à nos jours : des auteurs qui « se démarquent les uns les autres de façon assez servile... La préoccupation doctrinale y est dominante. Les hérésies qui s'y trouvent étudiées le sont essentiellement sous leurs aspects intellectuels, c o m m e des systèmes théologiques, des écoles, et accessoirement c o m m e des groupes religieux, des É g l i s e s ». Dans quelle mesure les auteurs du rv siècle parlent-ils du judéochristianisme, et de quel judéo-christianisme ? La question n'était pas sans importance il y a quarante ans. Elle reste d'actualité si j ' e n juge par le titre de plusieurs des communications présentées au cours de ce colloque. C o m m e l'écrit avec pertinence J. E. Taylor : « Behind the patristic term "Ebionites" lurks the "Jewish-Christian" groups of modern scholarship, and yet the tendency manifested by the Church Fathers to mass these groups together in a precise identifiable heresy needs today to be r e s i s t e d ». Cela m'amène à rappeler que M. Simon n'a pas manqué, à maintes reprises, d'exprimer ses plus fermes réserves quant aux positions de J. Daniélou et des ses épigones c o m m e R. N. Longenecker, bref face à ceux qui font de l'orthodoxie le critère de définition du 3
1. M. BORRET, Origène. Contre Celse, Paris, 1967, p. 278 (SC 132). 2. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 286. 3. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 281. 4. J. E. TAYLOR, « The Phenomenon of Early Jewish-Christianity : Reality or Scholary Invention », dans Vigiliae Christianae 44 (1990), p. 324. 2
judéo-christianisme : c'est que Daniélou travaillait en patrologue, en historien des doctrines soucieux de comprendre l'évolution du dogme. M. Simon aurait sans aucun doute souscrit à c e qu'écrit S. C. Mimouni : Daniélou est plus intéressé par ce que les judéo-chrétiens ont transmis à la théologie chrétienne que par les judéo-chrétiens eux-mêmes, ceux de l'histoire. C'est là une lacune malheureuse de ce magnifique livre qui considère uniquement les idées et non pas les personnes. Théologie, soit. Mais que vaut la théologie sans l'histoire ? 1
Conclusion : qu'est-ce qu'un judéo-chrétien ? A u terme de cette rapide relecture des travaux de M. Simon, il apparaît bien que l'expression moderne « judéo-chrétien », amphibologique à souhait, inadéquate certes, problématique, mais aujourd'hui couramment reçue, peut désigner selon les auteurs : — un chrétien d'ascendance juive — sens ethnographique ; — un membre de la communauté primitive de Jérusalem—point de vue chronologique et géographique ; — un chrétien de culture juive réfléchissant ses convictions en fonction de ses propres referents culturels ataviques, sémitiques aussi bien qu'hellénistiques — point de vue culturel ; — « un judéo-chrétien est un h o m m e qui se sent, qui veut être et qui est en fait, dans les/différentes manifestations de sa vie religieuse, à la fois juif et chrétien », qu'il s'agisse d'un juif converti ou d'un gentil gagné à l'observance — sens « r e l i g i e u x » ; — un chrétien cherchant à allier un judaïsme de stricte observance à sa fidélité à Jésus messie, mais non fils de D i e u — é b i o n i t e s et autres sectes apparentées (H. J. S c h œ p s ) — sens doctrinal. D ' u n autre point de vue, le judéo-christianisme constitue une entité propre qui (1) se différencie au sein du judaïsme des débuts de notre ère c o m m e un courant, une hairesis parmi d'autres au sein desquelles il se recrute, et (2) se distingue du christianisme paulinien ou d'expression hellénistique (a) par son enracinement juif et son herméneutique de l'Écriture, (b) par sa pratique des mitzvot, (c) par sa façon de penser et de s'exprimer plus fonctionnelle que spéculative, plus historique que métaphysique, (d) par sa conscience de constituer le Verus Israel, l'Israël authentique de l'ère eschatologique c o m m e déjà la communauté / Yahad essénienne. 2
1. S . C . MIMOUNI, « Le judéo-christianisme ancien dans l'historiographie du xrx et du x x siècle », dans Revue des études juives 151 (1992), p. 427. 2. M . SIMON, op. cit., dans Aspects du judéo-christianisme (Colloque de Strasbourg, 1964), Paris, 1965, p. 1-2. e
Nantis de ces quelques principes méthodologiques fermes que nous pouvons retrouver dans l'œuvre scientifique de M. Simon, et éclairés par son exemple, nous pourrons continuer d'explorer ce domaine que, conformément à l'usage, j'appellerai ici le judéo-christianisme dont les historiens du mouvement chrétien ne tiennent pas encore suffisamment compte.
LE ROMAN PSEUDO-CLÉMENTIN DEPUIS LES RECHERCHES D'OSCAR CULLMANN PIERRE GEOLTRAIN
Résumé Le livre de Cullmann (1930) marque une date dans les études sur le judéo-christianisme. Cet auteur prend pour fondement de son travail un corpus précis (Homélies et Reconnaissances du PseudoClément) et, après avoir rendu compte des travaux de ses prédécesseurs les plus importants, de Cotelier (1672) et Dodwell (1689) à Waitz (1904), Heintze (1914) et Schmidt (1929), pose à son tour le cadre théorique d'une reconstitution de /TÊcrit fondamental (la Grundschriftj. Partant de cette reconstitution, il esquisse alors une histoire de cette forme de judéo-christianisme qu'il compare, d'une part, avec ce qu 'il nomme le « gnosticisme juif » et, d'autre part, avec le christianisme ancien. Les divers aspects de cette recherche ont eu une postérité dont sont évoquées les principales figures (notamment Thomas, Rehm, Schoeps, Strecker et Jones) en regroupant les positions prises par les uns et les autres sur les questions essentielles, tant littéraires qu 'historiques. Summary The monograph by Cullmann is a landmark among the studies on Jewish Christianity. It is, for its time, a precise inventory of previous research concerning the documents that might underlie the pseudoclementine novel. In its turn, it pursued the theoretical task of reconstituting a Fundamental or Basic Writing (Grundschrift). Using this literary analysis, Cullmann then sketched a history of a particular form of Jewish Christianity that he compares with "Jewish gnosticism" and re-situates in the ancient history of Christianity. Since then, the various aspects of this research have been taken up and
discussed by a certain number of scholars (Thomas, Rehm, Schoeps, Strecker and Jones) whose positions are mentioned here with reference to their most notable studies. Finally, information is provided about projects currently underway : editions, commentaries, translations, synopsis. Pour mémoire, il convient de préciser que le Roman pseudoclémentin est la part la plus importante d'un ensemble d'écrits apocryphes attribués à Clément de Rome qui nous donne un récit romancé de c e qu'aurait été sa vie. Après la disparition de sa mère et de ses frères puis de son père, Clément — sur les conseils de Barnabe — se rend à Césarée où il rencontre Pierre dont il devient le disciple. A u cours de ses pérégrinations à la suite de Pierre, Clément retrouve sa mère, ses frères et son père, les uns et les autres devenus chrétiens (d'où le titre de Reconnaissances, au sens de « retrouvailles », donné à l'une des versions de ce roman). Le Roman nous est parvenu sous deux formes : 1. Les Homélies, en grec, sont réparties en vingt livres et sont précédées de trois documents : Lettre de Pierre à Jacques (« évêque » de Jérusalem) ; Engagement solennel (à ne pas divulguer le contenu des livres) ; lettre de Clément à Jacques (annonçant la mort de Pierre et l'installation de Clément c o m m e évêque de Rome). 2. Les Reconnaissances, divisées en dix livres, dans une traduction latine du début du V siècle due à Rufin d'Aquilée. Selon c e dernier, l'ouvrage qu'il a traduit existait en grec sous deux formes qui ne concordaient pas en certains passages \ Tels sont les documents qui sont à l'origine d'un délicat problème littéraire que les recherches vont transformer en un immense puzzle, en tentant de retrouver l'état antérieur et les sources de chacune des pièces du dossier et en faisant intervenir dans le débat un certain nombre de textes et témoignages extérieurs au corpus clémentin mais qui, de toute évidence, sont à mettre en rapport avec lui (par exemple les Actes de Pierre, les Anabathmoi Jacobou, cités par Épiphane, et le Liber legum regionum de Bardesane ). e
1. Nous possédons également deux abrégés (Épitomés) des Homélies ainsi que plusieurs fragments d'une précieuse version syriaque des Homélies et des Reconnaissances. 2. Dans l'état actuel des éditions, les références sont faites au corpus de Berlin : B. REHM-G. STRECKER, Die Pseudoklementinen, I. Homilien, Berlin, 1992 3
( G C S 42) ; B. REHM-G. STRECKER, Die Pseudoklementinen, 3
Ruflns Ubersetzung, Berlin, 1994 ( G C S 51). Les fragments syriaques n'ont pas été republiés depuis W . FRANKENBERG, Die syrischen Clementinen mit griechischem Paralleltext, Leipzig, 1937 (TU 48/3).
LE ROMAN PSEUDO-CLÉMENTTN DEPUIS LES RECHERCHES...
I. Les thèses d'Oscar Cullmann. L'ouvrage qu'Oscar Cullmann a publié en 1930 a marqué une date dans les études sur le judéo-christianisme \ Cette étude représente, à l'époque, un inventaire précis de la recherche antérieure sur les documents qui seraient à la source du Roman pseudo-clémentin et pose à son tour le cadre théorique d'une reconstitution possible d'un Écrit fondamental ou Écrit de base (Grundschrift). S'appuyant sur une analyse littéraire extrêmement précise et détaillée, O. Cullmann a esquissé ensuite l'histoire d'une forme particulière de judéo-christianisme qu'il compare avec le « gnosticisme juif » et replace dans l'histoire ancienne du christianisme. L'étude du problème littéraire est d'abord une excellente mise au point sur les travaux de ses prédécesseurs depuis le milieu du xrx siècle. Si O. Cullmann est tributaire de ses devanciers, il n'en mène pas moins une analyse critique et avance une solution. Il affirme d'abord la nécessité de postuler l'existence d'une source commune aux Homélies et aux Reconnaissances, ces dernières ayant mieux conservé le plan général du Roman, tandis que les Homélies ont reproduit plus fidèlement les doctrines trouvées dans leur source. La reconstruction de l'écrit de base se fonde sur la réunion des passages communs aux deux éditions du Roman. Ainsi redécouvert, l'écrit de base ferait apparaître l'existence de trois « sources » que j e ne fais qu'énumérer sans donner l'argumentation détaillée dont O. Cullmann nourrit sa démonstration. 1. Il y aurait au départ les Prédications de Pierre, source judéochrétienne dont le contenu peut être reconstitué grâce à la table des matières conservée en Reconnaissances III, 75. Les Prédications de Pierre auraient été remaniées un siècle plus tard sous la forme d'un Itinéraire de Pierre, dans le but de livrer au public l'enseignement secret de Pierre en lui donnant un cadre narratif. 2. U n e Apologie juive d'origine orientale, dont le plan est facilement décelable (discussion sur le polythéisme, sur le fatalisme et sur la providence), est adjointe à Y Itinéraire de Pierre. 3. U n « cadre romanesque », enfin, aurait été emprunté aux romans grecs. Ces sources sont reprises par un judéo-chrétien, écrivain de talent, qui fait de Y Écrit de base le premier roman chrétien. Telle est la thèse de O. Cullmann à qui l'on doit reconnaître une perspicacité et une e
1. O. CULLMANN, Le Problème littéraire et historique du Roman pseudoclémentin. Étude sur le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme, Paris, 1930.
rigueur d'autant plus remarquables qu'on ne possédait, en 1930, d'édition scientifique ni des Homélies, ni des Reconnaissances, et que les fragments syriaques n'étaient pas publiés. La seconde thèse de O. Cullmann portait sur un problème d'histoire : « le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme ». C'est sans doute la partie la plus datée de son ouvrage, marquée par une tendance de la Religionsgeschichte de l'époque à réunir des phénomènes divers et dispersés dans le temps et l'espace sous un terme général (comme « gnose » ou « tendance gnostique ») insuffisamment défini. Mais l'effort comparatiste garde sa valeur. Il est facile de juger sereinement plutôt que sévèrement l'entreprise, soixante-dix ans plus tard, alors que nous connaissons les documents de Qumrân et de Nag-Hammadi. Ces découvertes n'ont pas confirmé toutes les hypothèses de O. Cullmann lorsqu'il avait vingtsept ans, mais elles ont rendu justice à son intuition. Il avait pressenti plus que d'autres l'extraordinaire diversité des représentations, expressions, tentatives d'élucidation qu'avait produites le judaïsme dans sa traversée d'une crise socioculturelle peut-être sans précédent dans son histoire, et que le judaïsme, c o m m e le christianisme ancien à sa suite, ne pouvait être appréhendé que dans la multiplicité de ses manifestations. C'est bien ainsi que J. Thomas — auteur plus souvent pillé que cité — avait compris O. Cullmann : « Documents particuliers, Écrit fondamental, recensions extérieures qui donnèrent naissance aux Homélies et aux Reconnaissances, développent en effet un ensemble de théories à tendance nettement judéo-chrétienne. Ils témoignent, chacun à son compte, d'un ébionisme particulier *. »
II. L'évolution de la recherche depuis 1930. Nous nous limiterons aux travaux de quelques auteurs qui nous paraissent les plus significatifs, dans la mesure où, de manière directe ou indirecte, ils prennent position sur les thèses avancées par O. Cullmann . Si l'hypothèse d'un écrit de base est généralement reçue, la valeur de son contenu et la personnalité de son auteur donnent lieu à des jugements fort divers. 2
1. Voir J. THOMAS, Le Mouvement baptiste en Palestine et en Syrie (150 av. J.-C.-300ap. J.-C), Gembloux, 1935, p. 174. 2. Voir pour plus de précisions F. S. JONES, « The Pseudo-clementines : A History of Research », dans The Second Century. A Journal of Early Christian Studies 2 (1982), p. 1-33 ; 3 (1983), p. 63-96.
LE R O M A N PSEUDO-CLÉMENTIN DEPUIS LES RECHERCHES...
Pour B . Rehm \ l'éditeur de Y Écrit de base est un compilateur de matériaux hétérogènes qui ne modifie que peu ses sources. Loin d'être judéo-chrétien, c'est un écrivain catholique, influencé par son environnement syrien. H. J. S c h œ p s partage cet avis, tandis que G. Strecker fait de cet auteur un compilateur de grand style qui n'est ni catholique, ni judéo-chrétien. N o u s sommes fort loin des vues de O. C u l l m a n n — o ù il est fait référence à un grand écrivain judéo-chrétien — et nous verrons bientôt que des chercheurs ont récemment tenté de poser différemment la question de cet Écrit de base. Qu'en est-il des sources de cet écrit ? Les Prédications de Pierre sont pour B . R e h m une pure fiction, qui a dupé bien des chercheurs m o d e r n e s . G. Strecker, au contraire, retient la thèse qui fait des Prédications de Pierre une source dont o n pourrait retrouver les doctrines . À l'opposé, J. Rius-Camps, à la suite d'une patiente enquête de critique textuelle, affirme que les Prédications de Pierre sont une tardive réélaboration ébionite de Y Écrit de base . Pour sa part, J. Wehnert, se fondant sur une analyse du vocabulaire et de sa répartition dans le Roman pseudo-clémentin, doute de la possibilité de reconstituer Y Écrit de base et pense que la relation entre les différents documents est une pure création littéraire de l'auteur des Homélies . Aucun accord général donc sur les Prédications de Pierre. Quant au remaniement que serait Y Itinéraire de Pierre, il n'en est m ê m e plus question. Seul H. J. Schoeps en avait accepté l'hypothèse, sans toutefois l'inscrire dans une vue d'ensemble. C e qui est aujourd'hui généralement retenu, c'est non pas un remaniement de l'écrit de base, mais la connaissance par les divers auteurs et par leur source commune des Actes apocryphes de Pierre, non sous la forme où ils nous sont parvenus, mais plus vraisemblablement sous celle qui circulait en Syrie. L'existence de l'« Apologie j u i v e » ne soulève pas de grands débats. B . Rehm soutient qu'elle appartient à l'écrit de base alors que 2
1. B. REHM, « Zur Entstehung der pseudoclementinischen Schriften », dans Zeitschrift fur die neutestamentliche Wissenschaft 3 7 ( 1 9 3 8 ) , p. 7 7 - 1 8 4 . 2 . H . J. SCHOEPS, Théologie und Geschichte des Judenchristentums, Tubingen, 1 9 4 9 , p. 3 8 - 4 1 . 2
3 . G . STRECKER, Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1 9 8 1 , p. 2 5 6 - 2 5 9 (TU 7 0 ) .
4 . B. REHM, op. cit., dans Zeitschrift fur die neutestamentliche
( 1 9 3 8 ) , p. 1 4 6 . 2
5 . G . STRECKER, op. cit., Berlin, 1 9 8 1 , p. 1 3 7 - 1 4 0 (TU 7 0 ) .
6. J. RIUS-CAMPS, « Las Clementinas. Bases filologicas para une nueva interpretacion », dans Rivista Catalana de Teologia 1 ( 1 9 7 6 ) , p. 7 9 - 1 5 8 . 7. J. WEHNERT, « Literarkritik und Sprachanalyse. Kritische Anmerkungen zum gegenwartigen Stand der Pseudoklementinen-Forschung », dans Zeitschrift fiir die neutestamentliche
Wissenschaft 1A ( 1 9 8 3 ) , p. 2 6 8 - 3 0 1 .
G. Strecker attribue la discussion entre Pierre et Appion, dans son état actuel, à l'auteur des Homélies. Enfin, l'emprunt à la littérature hellénistique du « cadre romanesque » n'a jamais fait problème, et les études se sont multipliées de tous côtés sur ce type de littérature . Mais il ne s'agit évidemment pas d'une « source », au sens documentaire du terme. Si ce rapide survol laisse entrevoir tant d'incertitudes quant aux sources et à leur attribution à tel auteur ou rédacteur présumé, cela ne tient pas seulement aux arguments tant de fois repris et tant de fois retournés, mais tout autant à l'hypothèse générale que chacun s'est forgée pour expliquer l'œuvre telle que nous la lisons avec ses contraintes de langue et de style, de m ê m e qu'à l'idée que chacun se fait d'un vraisemblable ou invraisemblable «judéo-christianisme ». Sans doute pour sortir des impasses faut-il à la fois en venir à une autre pratique des textes, telle que F. S. Jones, J. Rius-Camps ou J. Wehnert l'ont illustrée de manières diverses, en ne se posant pas d'abord le problème des sources et en élargissant au contraire le corpus de textes qu'on peut considérer c o m m e liés « par le fond » à la littérature pseudo-clémentine, à la condition d'en faire une analyse rigoureuse et fine dont F. S. Jones a donné deux beaux exemples : d'une part en démontrant que les versions latines et syriaques ont quasi la m ê m e valeur par rapport au texte grec qu'elles ont traduit ; d'autre part en reprenant l'étude approfondie des Reconnaissances 1,27-71, qui lui permet de conclure au caractère judéo-chrétien de ce célèbre t e x t e . Enfin, nous savons qu'il a repris la question de l'influence de Bardesane sur certaines traditions des Pseudo-clémentines et notamment du traité de Bardesane, Liber legum regionum, traduit du syriaque en grec et connu d'Eusèbe. 1
Chacun se réjouira de voir ainsi les études pseudo-clémentines emprunter de nouvelles voies pour répondre à d'antiques questions.
III. Sur les travaux en cours. L'Association pour l'étude de la littérature apocryphe chrétienne (AELAC) développe depuis plusieurs années un projet international sur le Roman pseudo-clémentin qui réunit plusieurs chercheurs.
1. Voir notamment l'article de J. WEHNERT, « Abriss der Entstehungsgeschichte des pseudoklementinischen Romans », dans Apocrypha 3 (1992), p. 211-235. 2. F. S. JONES, « Evaluating the Latin and Syriac Translations of the PseudoClementine Recognitions », dans Apocrypha 3 (1992), p. 237-257. 3. F. S. JONES, An Ancient Jewish Christian Source on the History of Christianity. Pseudo-Clementine Recognitions, I, 27-71, Atlanta, Géorgie, 1995 (Texts and Translations 37, Christian Apocrypha Series 2).
LE ROMAN PSEUDO-CLÉMENTIN DEPUIS LES RECHERCHES.
Plusieurs chantiers ont été ouverts à la suite des rencontres qui se déroulent à D o l e tous les deux ans. À la suite de la dernière rencontre, en juin 1998, on peut préciser les chantiers ouverts dans les domaines des éditions, des études et des traductions. 1. Les éditions : — Franz Xaver Risch (Berlin) travaille à F édition des Épitomés, à partir des dossiers laissés par F. Paschke. — F. Stanley Jones (Long Beach, CaUfornie) a entrepris une nouvelle édition du syriaque, à partir de l'édition de W. Frankenberg. — Valentina Calzolari-Bouvier (Genève) poursuit son étude des manuscrits arméniens, témoins indépendants du syriaque et du latin, qui suggèrent l'existence d'un original grec perdu, différent de celui utilisé par Rufin d'Aquilée et plus proche du syriaque que du latin. — Albert Frey (Genève) et d'autres chercheurs collationnent, à titre expérimental, une bonne part des manuscrits latins non retenus par B. Rehm dans son édition des Reconnaissances, afin de vérifier la pertinence des choix et de la reconstitution de la tradition manuscrite telle qu'elle figure dans l'édition de Berlin. 2. Les études : — Enrico Norelli (Genève) et Jurgen Wehnert (Gôttingen) préparent une synopse des textes grecs, latins et autres qui composent le Roman pseudo-clémentin. — Jurgen Wehnert (Gôttingen), pour sa part, achève un commentaire fort riche des Homélies qui comprendra quelque 1 2 0 0 pages. — F. Stanley Jones (Long Beach, Californie) a terminé un ouvrage sur les Pseudo-clémentines qui se compose d'une introduction, d'un choix de textes et de leur traduction. 3. Les traductions : — André Schneider (Neuchâtel) et Luigi Cirillo (Naples) viennent de publier une traduction française des Reconnaissances, accompagnée d'une introduction et d'une annotation succinctes — Alain Le Boulluec (Paris) et d'autres sont en train de préparer une traduction française des Homélies, qui sera également accompagnée d'une introduction et d'une annotation succinctes . 2
1. A . SCHNEIDER-L. CIRILLO, Les Reconnaissances du Pseudo-Clément. Roman chrétien des premiers siècles, Turnhout, 1999. 2. Elle paraîtra dans le volume II des Écrits apocryphes chrétiens, actuellement en préparation sous la direction de P. Geoltrain et J.-D. Kaestli.
IV. Conclusion. Ces travaux que nous venons d'évoquer, menés par des chercheurs de divers pays qui échangent entre eux questions et hypothèses, témoignent d'un renouveau certain des études sur le Roman Pseudo-clémentin. Nul doute que nous pourrons dans un proche avenir en apprécier les résultats, tant en ce qui concerne le problème littéraire posé par cet ouvrage que sur la question, qui reste encore ouverte, de l'histoire du judéo-christianisme ancien.
LA CRUCIFIXION COMME PEINE CAPITALE DANS LE JUDAÏSME ANCIEN EMILE PUECH Centre national de la recherche scientifique, Paris
Résumé // est assez régulièrement affirmé que la peine capitale par suspension sur le bois ou crucifixion était romaine et non pas juive, et que, quand les juifs avaient le « droit de glaive » - ce qui n'aurait pas été le cas à Vépoque de Jésus -, les malfaiteurs étaient lapidés avant d'être pendus, morts, sur le bois. Sans doute connaît-on quelques crucifixions à la romaine par les juifs, mais ce mode d'exécution n'en demeurerait pas moins romain, spécialement en temps de crise. Compte tenu des différentes traductions et interprétations de Dt 21, 22-23 depuis la Septante et des témoignages limpides des manuscrits de la mer Morte, une telle position est-elle encore tenable ? La réponse devrait permettre de réexaminer toutes les données textuelles du procès de Jésus sous un jour nouveau.
Summary It is usually believed that capital punishment by hanging on the tree or crucifixion was a Roman, but not a Jewish, practice, and that when the Jews had the « jus gladii » - which could not have been the case in the time of Jesus -, the criminal was stoned to death before being hung upon the tree. Indeed, there are some known cases of crucifixion carried out by the Jews according to the Roman method, but this manner of capital punishment remained a typical Roman method, particularly during times of crisis. Considering the different translations and interpretations of Deut 21: 21-23 since the Septuagint as well as the clear witness of the Dead Sea Scrolls, we must ask whether such a position can be held. The answer to this question should permit us to reexamine the textual data of the trial of Jesus from a new perspective.
Le procès de Jésus et sa condamnation à la peine capitale par crucifixion sont depuis longtemps au centre de débats passionnés. On a m ê m e suspecté les Évangiles, et Jean en particulier, d'avoir, pour des motifs polémiques et idéologiques, exagéré la responsabilité des grands prêtres et du sanhédrin et d'avoir atténué celle du pouvoir de l'occupant romain, le préfet Ponce Pilate, arguant que le supplice de la croix, courant dans le monde païen environnant, hellénistique et romain, serait étranger à la législation juive . 1
C'est e n effet c e que semble appuyer Flavius Josèphe dans le Testimonium Flavianum : 2
Vers la même époque parut Jésus, homme sage si toutefois il faut l'appeler homme. En effet, il était faiseur d'oeuvres prodigieuses, un maître d'hommes qui accueillirent la vérité avec joie, et il entraîna beaucoup de juifs et aussi beaucoup du [monde] grec. Le Christ [= le Messie], c'était lui. Et sur la dénonciation des premiers d'entre nous, Pilate l'ayant condamné à la crucifixion, ne cessèrent pas ceux qui l'avaient d'abord aimé. Car il leur apparut le troisième jour, à nouveau vivant, les divins prophètes ayant prédit ces choses et mille autres merveilles
1. Pour un état de la question, voir M . HENGEL, La Crucifixion dans l'Antiquité et la Folie du message de la croix, Paris, 1981. Voir aussi J. BAUMGARTEN, « Hanging and Treason in Qumran and Roman Law », dans Eretz Israel 16 (1982), p. 7*-16* ; H. W. KUHN, « Die Kreuzesstrafe wâhrend der fruhen Kaiserzeit. Dire Wirklichkeit und Wertung in der Umwelt des Urchristentums », dans Aufstieg und Niedergang derRômischen Welt H 25.1, Berlin-New York, 1982, p. 648-793. Voir encore C. PERROT, Jésus, Paris, 1998, p. 110 : « La condamnation à la crucifixion est romaine, et non pas juive. Chez ces derniers, du moins quand ils avaient "le droit de glaive", ce qui n'était pas le cas à l'époque de Jésus, les malfaiteurs étaient lapidés avant d'être juchés, morts, sur le gibet en bois. Les esséniens étaient plus cruels, et, après une lapidation [sic], ils prévoyaient d'attacher au bois l'homme encore vivant. Par ailleurs, on connaît quelques exemples de crucifixions à la romaine, opérées par des juifs. Ainsi, vers l'an 88 avant J.-C., le roi Alexandre Jannée fit crucifier huit cents juifs au centre de Jérusalem. Ce mode d'exécution n'en demeure pas moins romain surtout, sous la responsabilité de Pilate en la circonstance. La crucifixion était assez courante à l'époque, surtout en cas de crise ». 2. Le Testimonium Flavianum est objet de controverses entre les partisans de l'authenticité, de l'interpolation chrétienne pure et simple ou de remaniements chrétiens. Comme l'a montré É . NODET, « Jésus et Jean-Baptiste selon Josèphe », dans Revue biblique 92 (1985), p. 321-348, le texte reçu est beaucoup plus vraisemblable que les atténuations ou interpolations supposées : voir par exemple A.-M. DUBARLE, « Le témoignage de Josèphe sur Jésus d'après la tradition indirecte », dans Revue biblique 80 (1973), p. 481-513, et « Le témoignage de Josèphe d'après les publications récentes », dans Revue biblique 84 (1977), p. 38-55 ; R. E. BROWN, The Death of the Messiah. From Gethsemane to the Grave. A Commentary on the Passion Narratives in the Four Gospels, t. I, New York, 1994, p. 373-376. La phrase ô Xpiorôç OUTOC fjv est indispensable pour comprendre Tc5v xpLonavcàv orrô ToOôe (hvo\iao[Lévov... TÔ <j>v\ov, et l'identification de « Jacques, frère de Jésus, dit le Christ » TOÛ \eyo\ievov xP °v Antiquités juives XX, § 200. Pour d'autres témoignages anciens non chrétiens, voir H. W. KUHN, op. cit., dans Aufstieg und Niedergang derRômischen Welt U 25.1, Berlin-New York, 1982, p. 654-669. lGT
à son sujet. Et jusqu'à présent encore, la race des chrétiens, dénommée d'après lui, n'a pas disparu (voir Antiquités juives X V m , § 63-64). Ou Tacite lorqu'il rapporte les représailles de Néron contre les chrétiens rendus coupables de l'incendie de R o m e en 6 4 : Il infligea des tourments raffinés à ceux qui étaient détestés par leurs abominations et que la foule appelait chrétiens. Le fondateur de cette dénomination, c'est le Christ qui, sous le principat de Tibère, avait été livré au supplice par le procurateur Ponce Pilate. Réprimée alors, cette détestable superstition déferlait à nouveau, non seulement en Judée, origine de ce mal, mais encore dans Rome (Annales XV, 44,4-5). Mais une telle présentation qui va contre les données bibliques et d'autres encore est-elle recevable ? Il n'est donc pas inutile de rouvrir le dossier sur la peine capitale de la suspension sur le bois, que les manuscrits de la mer Morte ont quelque peu étoffé.
La loi de Deutéronome 21,22-23 et son contexte biblique. La punition capitale par suspension sur le bois est traitée en Dt 2 1 , 22-23 à la suite de la lapidation du fils rebelle et, de quelque manière, en lien avec elle, puisque le texte hébreu (= TH) introduit le cas par o i , suivi par la plupart des témoins manuscrits, à l'exception d'un manuscrit hébreu, du samaritain, du codex Basiliano-Vaticanus gr. 2 1 0 6 , de la Vulgate et du Rouleau du Temple (11Q19 LXIV 6) qui garde le seul vacat fermé (setumah ) . C'est dire que les deux traditions sont fort anciennes et remontent au moins aux m - n
avant J.-C. L'ajout du waw pourrait être considéré comme
lior, reliant c e dernier cas aux précédents après un court vacat et un verbe coordonné et finissant par waw. ,,
Quoi qu'il en soit, Dt 2 1 , 2 2 (... Di)-23b forme une inclusion voulue avec Dt 21,1a : - v. 1 : rrnzn *?su nrwrb 'p ]ra jrh* mrr im rraïKn bhn œar -o - v. (22)23b : n W ? 'p ]ra "ptfa* mrr KO* -jna-TK na maori ita (.ma rrrr vu) Cette inclusion entend souligner la pureté du peuple et de la terre que Dieu a donnée à son peuple, pureté qui s'applique à tous les cas traités dans c e chapitre 21 : du meurtrier inconnu, des femmes captives, du droit de l'aîné, du fils rebelle et du coupable de peine 1.11Q19 LXIII8-9 a unepetufrah au lieu d'une setumah en Dt 21,9-10. Le plus ancien exemplaire du Rouleau du Temple, 4Q524 14, porte une séquence quelque peu différente : 14,1 : fin de Dt 21,21 ; 14,2-4 : Dt 21,22-23 (moins la finale 23b à moins d'une correction marginale) ; 14,5 : Dt 22,11 ; et 14,5-6 : Dt 21,21 (doublet ou?).
capitale, puisqu'elle touche à la légalité de la survie du peuple dans sa terre et à la bénédiction de la promesse. Le cas de la peine capitale par suspension sur le bois suit celui de la lapidation du fils rebelle et dévoyé, débauché et buveur, traité ici c o m m e celui qui frappe ou maudit ses parents en E x 2 1 , 15.17 ou c o m m e l'adultère en Dt 2 2 , 2 2 - 2 4 et Lv 2 0 \ Mais, dans c e dernier cas du chapitre, sur quel(s) membre(s) de phrase est-il mis l'accent : sur la forme de mort du coupable o u sur le traitement de son cadavre ? Selon la réponse plus ou moins consciente des auteurs, la traduction du passage diverge passablement. Toutefois, la plupart suivent l'interprétation de la traduction grecque qui a choisi la deuxième r é p o n s e . 2
'Edv 8è yéi/r)Tai ev TLVL d|iapTia Kpi|j.a 8avdTou m i àTToOdi/rj Kal Kpe|idoT)Te avrov èm Çvkov oi)K èmKoi|JX|()r|(7eTai TÔ atô|ia avrov èm TOÛ ÇÛXOU àXXà Ta<j>f\ Qâtyere aurbv ev rr\ fpépa €Keivr\ OTL K6KaTr)pa|j.évoç UÏTÔ Oeoî) Trdç Kpep.d|jL6voç èm £ûXoir Kal où |juaveîT6 TT)V yfjy, r\v KÛpioç ô 0£Ôç oov ôiôœoiv aoi èv KXf|p(p. 23
Et s'il y a chez un h o m m e une faute de peine de mort, et qu'il soit m i s à mort et que vous le suspendiez sur le bois, son cadavre ne passera pas la nuit sur le bois mais vous l'ensevelirez sans faute ce jour-là, car est maudit de Dieu quiconque est suspendu sur le bois, et vous ne souillerez pas la terre que le Seigneur ton Dieu te donne en héritage . 23
Toutefois le T H (y compris le texte massorétique [= TM]) semble pouvoir, et devoir, être compris différemment : 22
Yv bu ma rrt>m m m mo CDBCBQ «on Ena rrrr rhhp *o Kinn DTD xrapn -rap o ysn în^n: vb
S'il y a un coupable de peine capitale et qu'il soit mis à mort, tu le suspendras sur le bois.
1. Voir R. DE VAUX, Les Institutions de l'Ancien Testament, 1.1, Paris, 1958, p. 244-245. 2. Voir, dernièrement encore, par exemple E . NIELSEN, Deuteronomium, « Handbuch zum Alten Testament », 1/6, Tubingen, 1995, p. 208. 3. Voir C. DOGNIEZ - M . HARL, La Bible d'Alexandrie. Le Deutéronome. Traduction du texte grec de la Septante, introduction et notes, Paris, 1992, p. 248 s. De même encore Philon d'Alexandrie, De specialibus legibus, 3,151-152 dvaaKoXomCeiv « empaler » (un cadavre) comme châtiment supplémentaire (voir |ieTeajpr oavraç... KoXaa0évTaç dits de pendus une fois châtiés). U semble que cette lecture reflète T interprétation indulgente et « adoucie » de Dt 21,22-23 qui avait cours chez les pharisiens de l'époque. La Bible de Jérusalem et la Traduction œcuménique de la Bible Usent aussi l'apodose au v. 23, le v. 22 en entier étant la protase.
Son cadavre ne doit pas [ou Tu ne laisseras pas son cadavre ] passer la nuit sur le bois mais tu dois l'ensevelir ce jour même, car est une malédiction de Dieu quiconque est suspendu [sur le bois, avec les LXX\ et tu ne souilleras pas ta terre, celle que Yhwh ton Dieu te donne en héritage . 2
Pour cela, il suffit de comprendre le troisième verbe rrtro c o m m e un wayyiqtol avec un waw d'apodose, et le deuxième, n o m (avec Vathnah du T M ) , c o m m e un weqatal dans la seconde protase coordonnée à la première au yiqtol, soulignant - après la matière, la faute de peine capitale - la conséquence immédiate de la culpabilité établie : l'exécution - litt. « et qu'[en conséquence] il soit condamné / il soit e x é c u t é , alors tu le suspendras sur le bois. Son cadavre... ». Cette faute non spécifiée mérite, non une lapidation non explicitée c o m m e dans le cas précédent, mais la mort par suspension sur le bois ou crucifixion qui est la plus cruelle des peines et n'a donc rien à voir avec la pendaison du cadavre. L'exposition du condamné mourant à petit feu sur le bois a davantage encore valeur d'exemplarité. Cette manière de comprendre devient alors un parfait correspondant de « tous les hommes de sa ville le lapideront jusqu'à ce que mort s'ensuive », rai D ' n i a TTI? ta Tram du cas précédent (Dt 2 1 , 2 1 ) auquel c e dernier est relié dans le T H . Si, dans le cas du 3
1. Sens théoriquement possible, mais toutes les versions, y compris 11Q19 (voir ci-dessous), ont lu la troisième personne. 2. Notre traduction, voir É . PUECH, « Notes sur 11Q19 LXIV 6-13 et 4Q52414,24. À propos de la crucifixion dans le Rouleau du Temple et dans le judaïsme ancien », dans Revue de Qumrân 69 (1997), p. 109-124, spécialement p. 117. Nous avons été agréablement surpris de trouver cette même interprétation déjà proposée indépendamment par A. DUPONT-SOMMER, « Observations nouvelles sur l'expression "suspendu vivant sur le bois" dans le Commentaire de Nahum (4QpNah I 8) à la lumière du Rouleau du Temple (HQTemple Scroll LXIV 6-13) », dans Comptes rendus de l'Académie des inscriptions et belles lettres, 1972, p. 709-720, spécialement p. 711. Voir aussi celle de M. J. BERNSTEIN, « *bn urtm ntep o (Deut 21,23) : A Study in Early Jewish Exegesis », dans Jewish Quarterly Review 74 (1983), p. 2145, spécialement p. 23, qui hésite entre deux traductions du TM : « Should a man be guilty of a capital offense, and he be put to death, and you (or, "then you shall") hang him on a tree, you shall not allow his corpse to remain (or, "his corpse shall not remain") overnight on the tree, but (or, "for" = o ) you shall certainly bury him on that day, for Co) a curse of God is [a] hanged [one], and (or, "so that") you shaU not render unclean the land which the Lord your God is giving you as an inheritance ». Mais É . DHORME, La Bible. L'Ancien Testament, 1.1, Paris, 1956, p. 572, comprend « . . . et a été mis à mort, tu le pendras à un arbre », sans la nuance des deux protases supposant la mort avant la pendaison, de même H. COUSIN, « Sépulture criminelle et prophétique », dans Revue biblique 81 (1974), p. 375-393, spécialement p. 377. 3. Voir la nuance des révisions grecques A-Z : icai ôavaTwftf) « et qu'il soit condamné à mort... », et celle de 6 : Kal àTroOaveîTai. 4. Même construction que précédemment : Dt 21,10-12 : npe?m.. . m m .. .Ksn -o mam ...nnp'n m ou Dt 21,15-16 : ...ter *b ... o n rrm ...pm o , « si..., alors il adviendra... il ne pourra pas... ».
fils rebelle, il n'est dit mot de l'ensevelissement, c'est que celui-ci avait lieu, selon l'usage, dans les heures qui suivaient la mort par lapidation. Mais dans le cas du suspendu vivant sur le bois, le supplice cruel entraînant une mort lente pouvait se prolonger dans la nuit, voire bien davantage . C'est pourquoi il était nécessaire de préciser ce point, à savoir que l'ensevelissement doit avoir lieu avant la nuit, supposant au besoin le crurifragium ou une mise à mort précipitée ou anticipée. Dans le cas contraire, cette loi ne dirait rien sur le mode de mort, comparée à Dt 2 1 , 21a, car la pendaison d'un cadavre ne peut être tenue pour une aggravation de la peine de mort ou châtiment supplémentaire, contrairement à ce qu'en pense P h i l o n . Elle ne serait qu'une infamie ou une honte pour l'exemplarité. Ainsi en est-il des deux meurtriers d'Ishba'al par David (2 S 4 , 1 2 ) et des cinq rois par Josué à Maqqéda (Jos 10, 24-27), pendus après exécution. Dans ce cas, il n'est point question d'une loi double, mais des deux temps dans l'exécution de la peine capitale, c o m m e il en est dans l'exécution du roi de A ï capturé vivant et exécuté par suspension sur le bois jusqu'au soir : 1
fyn p inte^ na I T T I WDVT ms cran K I : D I m i n ru? iv p?n te nte Jos 8 , 2 9 (et v. 2 3 T Î )
Dans le cas du suspendu sur le bois comme de celui du fils rebelle, l'objet de la loi est certainement la condamnation à mort du coupable et, à cause de sa gravité, la suspension sur le bois - non la lapidation du cas précédent - avec, c o m m e conséquence, la mort et l'ensevelissement avant la nuit pour motif de malédiction et de pureté de la terre, non le sort destiné au cadavre comme aggravation de la peine après l'exécution capitale, ainsi qu'on l'estime s o u v e n t . L'absence de waw devant fx\ *b (Dt 2 1 , 2 3 - de m ê m e devant tor *b au v. 16) confirmerait cette interprétation plus qu'elle ne s'y oppose, en faisant de n^m l'apodose de la conditionnelle, et de la phrase suivante un ordre complémentaire dans la mise à mort avant la nuit et en inclusion avec 2 1 , 1 , c o m m e on l'a souligné ci-dessus. 3
1. Jusqu'à deux ou trois jours, voir par ex. J. KLAUSNER, Jésus de Nazareth. Son temps, sa vie, sa doctrine, Paris, 1 9 3 3 , p. 5 1 1 ; voir aussi H . W. KUHN, op. cit., dansAufstieg und Niedergong derRômischen Welt H 2 5 . 1 , Berlin-New York, 1 9 8 2 , p. 7 5 1 - 7 5 2 . 2 . Et bien des modernes, par ex. R. VICENT S AERA, « La halaka de Dt 2 1 , 2 2 - 2 3 y su interpretacion en Qumran y en Jn 1 9 , 3 1 - 4 2 », dans D. MUNOZ LEON ( É D . ) Salvacion en la Palabra. Targum-derash-berith. En memoria del Profesor Alejandro Diez Macho, Madrid, 1 9 8 6 , p. 6 9 9 - 7 0 9 . 3 . Malgré O. BETZ, « Jesus and the Temple ScroU », dans J. M. CHARLESWORTH ( É D . ) , Jesus and the Dead Sea Scrolls, New York, 1 9 9 2 , p. 9 0 , ou L . Rosso, « Deuteronomio 2 1 : 2 2 . Contributo del Rotolo del Tempio aUa valutazione di una variante medievale dei Settanta », dans Revue de Qumrân 9 ( 1 9 7 7 - 1 9 7 8 ) , p. 2 3 1 2 3 6 , spécialement p. 2 3 2 , ou C. PERROT, op. cit., Paris, 1 9 9 8 , p. 1 1 0 , etc.
L ' e x p r e s s i o n p bu ma rr^ro e s t a l o r s l e p e n d a n t e x a c t d e cnnan ... vram ( 2 1 , 2 1 ) et p n bv r t a ybn *b celui de roi dans les autres cas comparables, Dt 1 3 , 1 1 ; 1 7 , 5 , . . . ; 2 1 , 2 1 . La traduction de l'hébreu (TH), habituellement retenue par les modernes d'après les versions anciennes (grecques et Vêtus latina), ne va pas sans quelque difficulté. N o n seulement le TM se prête à une autre compréhension, c o m m e on vient de le voir, mais encore le Targum Neofiti et le Targum Onqelos semblent l'avoir compris en c e s e n s p u i s q u ' i l s rendent p bv ina rr^m r e s p e c t i v e m e n t par acrp bv rrrr p ^ m et VG*TX bv rrrr irfaffn, précisant donc que la suspension sur le gibet est bien une crucifixion sur le bois / sur la croix c o m m e exécution de la sentence \ de m ê m e encore le Targum de Ruth 1 , 1 7 à propos des quatre modes d'exécution : wrp r c r t ^ i . 4 En effet, la traduction par Krr ^ bv nbx c o m m e en Gn 4 0 , 1 9 ne peut aisément se comprendre d'une pendaison post mortem du cadavre, puisque le Targum Pseudo-Jonathan (= Jonathan B e n Uziel) doit pour cela préciser la lapidation d'abord et la suspension sur le bois ensuite : rarp bv rrrr p ^ p D i r a i wn* nfaDK, de m ê m e encore en N b 2 5 , 4 ( m t e m ) . En Dt 2 1 , 2 2 , le Targum Neofiti doit avoir la même interprétation qu'en N b 2 5 , 4 où il comprend : « Prends tous les chefs du peuple et constitue-les en sanhédrin devant Y h w h pour qu'ils soient juges. Quiconque mérite la peine capitale, ils le crucifieront sur la croix et on enterrera leur cadavre au coucher du soleil » - bo rr i m 2
p ^ rïrop rrnncn p b^ p n prm mp p-irœa p r r crpro WÛD W I myo *stXQ an p r t a rr pnpi m*7* bv rrrr, pour rendre le TH n» np CDQD t n -m mrr ? orna yprn D O T '©m à propos d'un empalement ( ?) 1
de vivants, de même le Targum Jonathan IV. En effet, une crucifixionpendaison post mortem sur le gibet ne fait pas beaucoup de sens
1. Le Targum samaritain peut se comprendre de la même manière : e a o TT ]K mrp bs rrrr n^ro bopm bvp ( p / ) p œ s (mn/) w , ce dernier membre en apodose. 2. Le texte a été édité par E. LEVINE, The Aramaic Version of Ruth, Rome, 1973, p. 18-41, qui, p. 60 s., en ferait une halakhah sadducéenne dérivée du TH dans leur polémique antipharisienne. Mais Kcrp nybx ne peut se référer à la strangulation (npïi) comme le suppose J. BAUMGARTEN, « Does tlh in the Temple Scroll Refer to Crucifixion ? », dans Journal of Biblical Literature 91 (1972), p. 472-481, spécialement p. 475 s., qui n'admet pas que la « pendaison » pour que mort s'ensuive soit une crucifixion, mais qui en reste à la strangulation, un des quatre modes de mise à mort selon l'interprétation (pharisienne) de la Loi (Mishnah) sans fondement mosaïque mais reposant sur la seule tradition rabbinique récente. En faveur de la crucifixion, voir encore J. LEMOINE, Les Sadducéens, Paris, 1972, p. 272. 3. D. RffiDER, Pseudo-Jonathan. Targum Jonathan Ben Uziel on the Pentateuch, Jerusalem, 1974, p. 284 et 232. L'hébreu i?pm « empaler » de Nb 25, 4 est rendu par TTapaÔ€iy|idTiaov « infliger un châtiment exemplaire » (LXX), àvàwr\£ov « crucifier » (A), Kpéfiaaov « suspendre » (E) et rCcoiSn « exposé » (Peshitta), ce qui donne quelque ancienneté à la tradition du Neofiti. 4. La tradition juive ancienne reconnaît donc au sanhédrin le pouvoir de condamner
comme exécution d'une peine capitale et n'ajoute rien à la sévérité de la sentence . D e son côté, la version syriaque, qui n'est pas nécessairement un midrash, ainsi que certains l'ont é c r i t , a nettement retenu la m i s e à mort par le supplice de la crucifixion . 3 u i g n A ^ n X m T<û3jjd « et il sera suspendu sur le bois et il mourra ». Il en est de m ê m e de quelques manuscrits grecs portant l'inversion (Parisinus graecus 3, Vaticanus graecus 1238, Barberinus graecus 475) KOX Kpe|id(TTyrai airrôv èm £u\ou Kal àTroOàvr), de m ê m e encore Procope (928 A ) rapportant le commentaire d'un exégète chrétien qui estime que les deux verbes forment un husteronproteron : l'homme est suspendu sur le bois et y meurt, et enfin un manuscrit éthiopien (signalé par Dillmann ) . D'autres manuscrits omettent Km àrroQàvr\ c o m m e répétition inutile en comprenant certainement la suspension sur le bois c o m m e l'exécution de la peine de mort. Enfin, la Vulgate respecte l'ordre de l'hébreu mais traduit : quando peccaverit homo quod morte plectendum est et adiudicatus morti [« et condamné à mort »] adpensus fuerit in patibulo soulignant elle aussi la deuxième protase et l'apodose avec ina rrtro l
Il est clair que ces diverses versions anciennes témoignent de deux manières différentes de comprendre la peine capitale par suspension sur le bois dont une est véhiculée par le Targum du Pseudo-Jonathan et Josèphe reflétant l'interprétation rabbanite ayant remplacé la crucifixion ou mort sur le gibet par la strangulation-pendaison (M Sanhédrin VII, 1) ou encore par la traduction la plus courante de la mise à mort (par lapidation) avant la pendaison du cadavre, comme
un coupable à la peine capitale. Le sanhédrin que présidait le grand prêtre était alors sous influence sadducéenne. 1. La tradition qui ne considère pas la « suspension sur le bois » comme la peine elle-même ou l'exécution capitale, y voit seulement une aggravation infamante, la mort étant alors donnée par quelque autre supplice, lapidation..., l'exposition du cadavre n'ayant qu'un caractère exemplaire de la condamnation capitale. Cette lapidation non indiquée est une interprétation arbitraire d'après une tradition rabbinique tardive déjà connue de Josèphe (Antiquités juives IV, § 2 0 2 ) , mais que rien ne permet de lire dans ces passages bibliques. 2 . Par exemple M . GOSHEN, dans Y. YADIN, The Temple Scroll, 1.1, Jerusalem, 1 9 8 3 , p. 3 7 5 . 3 . Voir L. Rosso, op. cit., dans Revue de Qumrân 9 ( 1 9 7 7 - 1 9 7 8 ) , p. 2 3 1 - 2 3 6 . De son côté, dans son commentaire, É . NODET, Les Antiquités juives, vol. ïï. Livres TV-V, Paris, 1 9 9 5 , p. 8 6 , estime que Philon, par sa traduction àvaoKokomCeiv « empaler, crucifier » (De specialibus legibus HI, § 1 5 1 ) , a lu Kal Kpe[iàor|Te... Kal àTTo9dvnr). Cela est loin d'être prouvé, voir plus haut, n. 3 , p. 4 4 . Le même auteur estime que Flavius Josèphe se rattache implicitement au groupe de ceux qui connaissent la crucifixion (voir p. 8 5 - 8 6 ) - cela est plus que douteux, et les notes des p. 8 5 - 8 6 ne sont pas sans contradictions. 4 . Voir R. WEBER, Biblia sacra juxta Vulgatam versionem. I Genesis-Psalmi, Stuttgart, 1 9 6 9 , p. 2 6 4 .
le rapporte R. Eliézer à propos de tout homme condamné à la lapidation, mais que d'autres sages réservent aux seuls hommes blasphémateurs et idolâtres (M Sanhédrin VI, 4 et Antiquités juives IV, § 202). L'autre interprétation suppose la mise à mort par crucifixion. Laquelle de ces deux manières a le plus de chances de refléter la pratique primitive ? Est-il exact que l'Ancien Testament ne connaît pas le supplice de la mort par crucifixion ou suspension sur le b o i s ? La Bible connaît la suspension sur le bois de sept descendants de Satil, vivants, 2 S 2 1 , 9 (TH TOI nm ... fxn ... nirpn, et L X X rai efry Xiaoav... rai eneoav... rai 6 0 a v a T c a ô r | a a v ) e t c e l l e d u r o i d e A ï e n Jos 8, 2 9 dans une formulation très proche de celle de Dt 2 1 , 2 2 : p n p r f a ] na r m IXBTT m* racn «roi min m? IU yu bu rfrn "un -po na laissant supposer là encore que yu bu THR rr^ro en Dt 2 1 , 2 2 renvoie au coupable vivant, non à son cadavre qui n'est mentionné qu'ensuite, lors de la mort du suspendu, yun bu mfa] ]*x\ vb tout comme en Jos 8 , 2 9 . Dans le cas contraire, le texte n'aurait-il pas dû porter r t a m rr^m ( . . . K T T ou) ma f^n *b fu bu ? Le pronom ne peut, semble-t-il, se rapporter qu'au coupable passible de peine capitale et condamné qui doit être exécuté, ce qu'affirme l'apodose et que confirme la mention tardive du cadavre dans la phrase, voir la même construction dans le Targum Neofiti en N b 2 5 , 4 (ci-dessus) où le sens ne fait pas difficulté. D e ces exemples, on peut rapprocher 2 S 2 1 , 9 et N b 2 5 , 4 où le verbe up* évoquerait tout autant la crucifixion que l'empalement . À propos de l'exécution capitale d'Aman, le livre d'Esther comprend lui aussi un passage évoquant le supplice infamant réservé à un vivant (Est 7 , 1 0 et 8 , 7 rfrn - aTaupoûv), alors que, par la suite ( 9 , 1 3 - 1 4 ftn - fin bu tx?) 1
1. Comme récrit R. DE VAUX, op. cit., 1.1, Paris, 1958, p. 245 : « attesté chez les Perses (empalement ou crucifixion), sporadiquement chez les Grecs, fréquemment chez les Romains », de même H . W . KUHN, op. cit., dans Aufstieg undNiedergang der Rômischen Welt U 25.1, Berlin-New York, 1982, p. 682 s. La première mention en Palestine se trouve chez Flavius Josèphe à propos de la persécution d'Antiochus IV Épiphane ! Voir aussi TB Sanhédrin 46b : pendre après exécution ou crucifier à la manière de l'État (romain). 2. LXX : « le roi de Aï, il suspendit sur un bois / poteau fourchu », eKp€|iaaev èm £û\ou 8I8I>|JLOU. Rien ne prouve que ce « plus » ait transformé une pendaison en crucifixion, il l'explicite (malgré J. MOATTI-FINE, La Bible d'Alexandrie. Jésus (Josué). Traduction du texte grec de la Septante, introduction et notes, Paris, 1996, p. 138), voir la Peshitta rCm Jn A ^ . cnSn i et le Targum Jonathan II \zrbx bv ±>x - dans D. SPERBER, Targum Jonathan. The Bible in Aramaic, II. The Former Prophets, Leyde, 1959, p. 14. 3. L'empalement était pratiqué par Darius, voir l'inscription de Behistun 48 (voir J. C. GREENFIELD - B. PORTEN, The Bisitun Inscription of Darius the Great. Aramaic Version, Text, Translation, and Commentary, London, 1982, p. 40 s.). Mais D. ARNAUD, « Religion assyro-babylonienne », dans Annuaire de l'École pratique des Hautes Études. Section des sciences religieuses 96 (1987-1988), p. 177, proposerait aussi bien le sens de « crucifier » que celui d'« empaler ».
les dix fils d'Aman comptent parmi les cinq cents autres victimes, mais seuls leurs cadavres sont pendus (pendant deux jours), dans ce cas non c o m m e peine capitale ou aggravante, mais uniquement pour montrer au peuple que m ê m e les fils du scélérat sont bien morts. En conséquence, on n'a pas à craindre de vengeance ou de représailles de la part de sa descendance. D e u x autres cas de suspension post mortem sur le bois sont mentionnés en Jos 10,26-27 et 2 S 4 , 1 2 , mais ce n'était pas une pratique habituelle ou la seule en usage. En effet, en faveur de la crucifixion, on peut invoquer encore la pratique du percement des mains et des pieds en Ps 2 2 , 1 7 en Usant ' T TOC (avec un manuscrit hébreu et les L X X dipu^av, de r r o / II TD), non la leçon fautive du T M n * o « c o m m e un lion » (confusion de waw I yod), et, en faveur de l'empalement ou crucifixion, Esd 6 , 1 1 : « on arrachera de sa maison une poutre et, suspendu, il y sera exterminé » (Tfa) Rnorv pppn ) ; zaqipu en akkadien est le verbe de l'empalement, alors qu'en syriaque c'est celui de la crucifixion. En outre, la crucifixion est un supplice déjà connu en CanaanPhénicie, plus précisément à Sidon au Bronze récent, d'après une tablette en médio-assyrien retrouvée à Ugarit (RS 86.2221+) traitant de « la crucifixion des blasphémateurs » \ Cette pratique « sidonienne » explique parfaitement la crucifixion précédée de toitures chez les Carthaginois auprès desquels peut-être les Romains apprirent à la connaître , et la pratique en Israël par la suite. Il apparaît donc que la suspension sur le bois c o m m e peine capitale n'est pas sans fondement dans la Bible mais qu'elle jouit m ê m e de quelque antériorité et d'une pratique assez constante. C'est dans le cadre d'une exécution par suspension sur le bois et d'un texte hébreu de Dt 2 1 , 2 2 à interprétation moins unifiée qu'il paraît, c o m m e le montrent les versions, qu'il faut situer, semble-t-il, la tradition juive ancienne connue des textes qumraniens touchant à ce sujet. 2
Les manuscrits de la mer Morte. Le Rouleau du Temple : 4Q52414,2-4
11Q19IXW6-13.
1. Voir D . ARNAUD, « Religion assyro-babylonienne », dans Annuaire de VÉcole pratique des Hautes Etudes. Section des sciences religieuses 9 6 ( 1 9 8 7 - 1 9 8 8 ) , p. 1 7 6 s., et « Religion assyro-babylonienne », dans Annuaire de l'École pratique des Hautes Études. Section des sciences religieuses 1 0 4 ( 1 9 9 7 ) , p. 2 0 1 . 2 . Voir M . HENGEL, op. cit., Paris, 1 9 8 1 , p. 3 7 et 4 4 , et H . W. KUHN, op. cit., dans Aufstieg und Niedergang der Rômischen Welt II 2 5 . 1 , Berlin-New York, 1 9 8 2 , p. 6 8 4 : inconnue chez les Romains avant 2 1 7 av. J.-C.
de quelques lignes dans deux des trois copies retrouvées du Rouleau du Temple (= RT). La copie la mieux conservée 11Q19 date de l'époque hérodienne, des environs du début de l'ère chrétienne, tandis que celle de 4 Q 5 2 4 , très fragmentaire, date du troisième quart du il siècle avant J.-C. D ' a u moins un siècle antérieure, cette dernière ne doit pas être très éloignée de l'original \ Le passage (col. L X I V ) du RT suit la séquence de Dt 2 1 . e
Tom nm nenin -oa i£> TOI? na crtrcm -pin ers TVTV uns ntp-frg? *a ans am s *?i? ncn fin *?i? m a nnrrtrn mzn rno costao
an e n a rrrr o (vacat) fin M ] TTÏIK t>rr nom nor f in *?i? irriK oa ror^rn ^tner D K O > TOI? n« crRian -[in o Kinn orn {n}n"impn nap o fin *?i? n o r t a ybn a-fri mn*»! (vacat) im uni^n m Koon a-fri fin *?i? n^n moaro D7rî?K ^ î p n
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(vacat) nbm UDb ]ma (vaotfjs'il
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arrive que quelqu'un espionne contre s o n peuple, livre son peuple à une nation étrangère et fasse du mal à son peuple, vous le suspendrez sur le bois, et il mourra. C'est sur la parole de deux témoins ou sur la parole de trois témoins qu'il sera mis à mort et ceux-là mêmes le suspendront [[sur]] le bois. (vacat) S'il arrive qu'un homme coupable de la peine capitale s'enfuie au milieu des nations et maudisse son peuple, ( 1 1 Q 1 9 : et) les fils d'Israël, vous le suspendrez lui aussi sur le bois et il mourra. Et leur cadavre ne passera pas la nuit sur le bois, mais vous devez les ensevelir le jour m ê m e , car sont maudits de Dieu et des hommes ceux (litt. : celui qui est) qui sont suspendus sur le bois et tu ne souilleras pas la terre que je te donne en héritage (vacat). 8
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Sans changer le fond de la loi, ce passage se contente non de réinterpréter mais d'expliciter la compréhension du paragraphe du Deutéronome quelque peu laconique concernant les cas de peine capi-
1. Pour 1 1 Q 1 9 , voir Y. YADIN, op. cit., 3 volumes, Jerusalem, 1 9 8 3 . Pour 4 Q 5 2 4 , voir É . PUECH, Qumrân Grotte 4-XVIII. Textes hébreux (4Q521-4Q528, 4Q5764Q579), (Discoveries in the Judaean Desert XXV) Oxford, 1 9 9 8 , p. 8 5 - 1 1 4 . 2. A la différence d'unepetufrah en LXIH 8-9 au lieu d'une setumah en Dt 2 1 , 9 - 1 0 . 3 . Pour la lecture de la troisième personne, voir É . PUECH, op. cit., dans Revue de Qumrân 6 9 ( 1 9 9 7 ) , p. 1 1 2 - 1 1 6 , où nous avons montré que la lecture « mon peuple » (ligne 7 [ 3 fois] et ligne 1 0 ) proposée par E . QIMRON, « Further New Readings in the Temple Scroll », dans Israel Exploration Journal 3 7 ( 1 9 8 7 ) , p. 3 1 - 3 5 , et E . QIMRONF. GARCIA MARTÎNEZ, The Temple Scroll. A Critical Edition with Extensive Reconstructions, Beersheba-Jerusalem, 1 9 9 6 , n'est pas à retenir, et qu'il faut garder celle de l'éditeur, Y. YADIN, op. cit., 1.1, Jérusalem, 1 9 8 3 : iQi? « son peuple ».
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taie visés. Il distingue deux cas de crimes majeurs ou deux exemples de la m ê m e l o i : 1) le cas d'un informateur agissant contre son peuple, d'un traître livrant son peuple à une nation étrangère et de quelqu'un faisant du tort à son peuple (ou malfaiteur), et 2) le cas d'un criminel coupable de la peine capitale et évadé au milieu des nations où il maudit son peuple, les fils d'Israël. Dans le premier cas, c'est sur l'accusation de deux ou trois témoins que l'informateur, le traître ou le faiseur de tort à son peuple sera condamné au supplice sur le bois pour qu'il y meure, et c e sont ces m ê m e s témoins qui exécuteront la sentence. La formulation de cette éventualité, inconnue c o m m e telle du texte biblique, tire son o r i g i n e d e L v 1 9 , 1 6 , l O ) o r a b'Di -[^n a*?, d e D t 2 1 , 22a(3-b, 1
yu bu na rv^m nom , de Dt 17,6, non nor cru? rrc/ro n unuOTD*B bu (manuscrits + L X X *s bu) et Dt 17,7a, vmù mt&tro in rmn anvn T , 2
ainsi que de Dt 1 9 , 1 5 , rvrbo
bu TU uns
'a bu norr nm «en tan
nui crp uns. Dans le second cas, l'auteur explicite l'accusation du crime de peine capitale par aggravation d e circonstances, fuite c h e z l'ennemi, idolâtrie et malédiction de son peuple, le peuple élu, et, en conséquence, bien que n o n explicité, de D i e u lui-même. Il s'agit d'une reformulation bien circonstanciée de D t 2 1 , 2 2 anticipant son interprétation d e la malédiction dans l e s suites d e la m i s e à mort. Enfin, les lignes 11-13a reprennent D t 2 1 , 2 3 en ajustant la nouvelle formulation aux deux cas précédents (voir nontaa, {n }D"rmpn et urrb* ^tanpa toutefois sans l'accord de *nta au singulier comme en Dt 2 1 , 2 3 ) . L'addition de criznro dévoile l'intention de l'auteur qui, semble-t-il, attribue une double signification à l'expression deutéronomique « car un suspendu est une malédiction de Dieu » o nbn nrfak rbbp. On peut donc comprendre : littéralement, « car sont maudits de Dieu et des hommes ceux qui sont suspendus sur le bois » (comparer avec L X X : ÔTL K€KaTr]pa|iévoç ÙTTÔ Geoû Trdç Kp€|ià\ievoç èm £ûXou, repris par Ga 3 , 13 : é T U K O T O p c t T o ç Trdç ô Kp6|id(i6voç é m £û\ou), ou encore « car ils maudissaient Dieu et 3
1. Voir aussi M . BERNSTEIN, « Midrash halakhah at Qumran ? 1 lQTemple 64,613 and Deuteronomy 21:22-23 », dans Gesher 7 (1979), p. 145-166, spécialement p. 149, d'après citation, cette étude ne nous ayant pas été accessible. 2. Contrairement à Dt 2 1 , 2 2 , RT écrit fsn bs avec l'article mais on ne peut rien tirer de cette variante, voir déjà Jos 8 , 2 9 : ysn bs dans un contexte identique : « sur le bois / une potence ». 3. En lisant un participe pu 'al et comprenant un génitif subjectif en nrh* rbbp de Dt, et moins vraisemblablement en lisant un participe polel ("^rpa) et un génitif objectif « puisque ceux qui maudissent Dieu et les hommes sont suspendus sur le bois », voir M . J. BERNSTEIN, op. cit., dans Jewish Quarterly Review 74 (1983), p. 39.
LA CRUCIFIXION DANS LE JUDAÏSME ANCIEN
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les hommes ceux qui sont suspendus sur le bois », c o m m e renvoi à « et qu'il maudit son peuple, les fils d'Israël » . Autrement dit, les criminels fuyards qui maudissent leur peuple doivent être suspendus sur le bois et en conséquence, par l'application du châtiment de la Loi, « ils sont maudits de Dieu et des hommes » (voir aussi 4Q171 (pPs 37, 22) 1-10 iii 11-13 : « et ceux qui sont maujdits par lui seront retranchés, ce sont les brutes de Fal[liance, les im]pies qui seront détruits pour toujours »). La finale reprend Dt 2 1 , 2 3 ]ra -ptfa* mm nam -pen* nu KDDTI K*TI rf?ra en la modifiant un peu, en supprimant le suffixe à « terre » et en opérant un changement de personne, "ow remplaçant -prf** mm pour suivre la phraséologie du RT et la suppression du tétragramme. À moins d'une longue addition marginale ou d'une haplographie, la plus ancienne copie du RT (4Q524) n'atteste pas cette finale de 11Q19 LXIV 11-13 rfm ... Vmpn o parallèle à Dt 21,23a(3-b, mais elle continue avec une citation de Dt 2 2 , 11 qu'on devait probablement lire en 11Q19 L X V [ 0 7 ] . On pourrait avoir affaire soit à une interversion de séquences en 4 Q 5 2 4 14 et en 11Q19 L X I V L X V [07], soit à un doublet ( ?) au fragment 14. L'état du texte ne permet pas une identification certaine qui pourrait expliquer ou appuyer cette interversion ( ?) dans l'une ou l'autre copie. Le sens adversatif en uara era (avec le suffixe de la troisième personne) doit être sûrement expliqué par Lv 19, 16 "pn $b "|0)QJn où Dieu s'adresse aussi à Moïse à la première personne. À l'appui de ce sens, on peut invoquer encore les emplois qumraniens de X-n : 1QS V I I 1 5 - 1 6 nsm b^i -fr w n (seul sens possil
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ble), et'Ton "fr ermn BTW. Contrairement à ce qui pourrait paraître, la lecture 'QJJ ne justifierait pas davantage la sévérité de la peine à rencontre de quiconque ferait du tort à Israël. Il est bien évident que, dans les deux cas envisagés : 1) T espionnage-information contre son peuple, la trahison de son peuple, le tort fait à son peuple, et 2) le coupable de peine capi-
1.4Q524 14,4 : *aner n& ms r» ne connaît pas encore la correction-addition du copiste intervenue en 11Q19 LXIV 10 *»ner "n na TOI? na par insertion du petit waw dans l'intervalle des deux mots. Le waw a très vraisemblablement un sens explicatif, « c'est-à-dire », non de copule comme si la copie 11Q19 en était venue à distinguer le milieu essénien (TOI? nu) du reste d'Israël faner 'an nai). 2. D'après la proposition de l'éditeur, Y. YADIN, op. cit., t. H, Jérusalem, 1983, p. 292. H est plus que probable que les estimations de l'éditeur sont plus exactes que le calcul surprenant de la nouvelle édition critique prévoyant 29 lignes, de préférence à 28 à la col. LXV pour y lire Dt 22,2-5, voir p. 7 et p. 90. Dans cette édition pirate de 4Q524 (citée n° 3 p. 51, comparer p. 5 : « an unauthorized publication » citée ensuite comme « anonyme »), l'auteur semble ignorer 4Q524 14,1 et 5-6 ! 3. De nombreux manuscrits hébreux, samaritains et versions lisent ~psn qui doit certainement être la leçon originale.
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tale qui passe à l'ennemi (transfuge, déserteur, renégat) et maudit son peuple, il s'agit d'un israélite, un juif qui trahit son peuple et passe à l'ennemi et que, c e faisant, il offense Dieu, son Dieu. Il en est de même en L v 1 9 , 1 6 où le discours s'adresse à Moïse et aux israélites. Il est évident enfin que le traître, espion, etc., peut aussi être un transfuge et maudire son peuple. (Sans le dire, l'exécution de cette peine capitale suppose en vigueur la procédure d'extradition entre les nations et le peuple de Dieu !) U n e lecture et le sens non adversatif de -a, c o m m e le propose Qimron, affaibliraient beaucoup le sens du passage puisque le non-juif au milieu d'Israël ne serait ni un renégat, ni un traître et que sa fuite chez les nations pour sauver sa vie et maudire Y h w h ne pourrait être qualifiée d'idolâtrie. Aussi la lecture mu qu'imposent la graphie matérielle en 11Q19 et 4 Q 5 2 4 14 ainsi que la structure du passage et ses sources, est-elle celle qui rend le mieux compte de la sévérité de la peine envisagée contre un juif qui trahit son Dieu et son propre peuple, le peuple de D i e u . L'ancienne tradition juive, à l'origine de l ' e x é g è s e de Dt 2 1 , 22-23 et conservée dans le RT dont la composition peut être datée vers le milieu du n siècle avant J.-C. (4Q524), expose clairement l'exécution du coupable vivant par la suspension sur le bois n O m f i n bv rm nartfjrn . C'est aussi une des manières de comprendre le TH, c o m m e nous l'avons suggéré, mais qui va à rencontre de la tradition juive rabbanite et du courant pharisien plus tardif , en partie du moins en réaction contre l'accusation de la condamnation du Messie Jésus (M Sanhédrin VII, 1). Il est à noter que, dans tous les cas, le complément n u rr^m en Dt 2 1 , 2 2 ou rrrr en araméen et TTTK 1
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1. Voir par exemple les traités de Sfiré, stèle III 1-7, 19-20, H. DONNERW. RÔLUG, Kanaanàische und aramàische Inschriften, Wiesbaden, 1966, n° 224, et notre récente traduction, « Les traités araméens de Sfiré », dans Traités et serments dans le Proche-Orient ancien, « Cahiers Évangile », Supplément au cahier 81, Paris, 1992, p. 101-102 et p. 104. 2. C'est pour ce type de motivation que prêtres, scribes et pharisiens, et la foule après eux, ont demandé la crucifixion de Jésus en l'année 30, voir ci-dessous. 3. On ne peut affirmer que le RT postule une halakhah différente de celle du TH/TM qui se référerait à la seule exposition du cadavre, en altérant la séquence de l'exécution et en transformant nom en n(i)cn (L. Rosso, op. cit., dans Revue de Qumrân 9 (19771978), p. 232). Le temps converti de l'hébreu biblique est rendu par un hébreu qui a évolué au point de le remplacer par un inaccompli coordonné. La finale du TH sur la sépulture et la pureté n'oblige pas à lire une exécution différente du coupable. 4. Avec Y. YADIN, op. cit., t. H, Jérusalem, 1983, p. 289, et 1.1, Jérusalem, 1983, p. 373 s. Mais en M Sanhédrin VU, 3 (décapitation, strangulation), TB Sanhédrin 45b46, Sifré Dt 21, 22 (édition Finkelstein, p. 254), le Targum palestinien du PseudoJonathan comprennent : « il doit être mis à mort par lapidation et ensuite ils le pendront sur le bois », glose explicative suivant l'interprétation reçue dans le rabbinisme tardif, opposée au Targum Neofiti et au Targum Onqelos. Mais il n'est pas question de lapidation dans ces passages, malgré C. PERROT, op. cit., Paris, 1998.
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( 2 fois en RT) renvoie certainement au coupable vivant aon EPR p rrnn " Q 2 - rno COSCBO (Targum Onqelos par exemple), non à irfrzû qui ne vient qu'ensuite. U n autre point mérite un commentaire. Contrairement au TH qui porte l'expression difficile urb* ïbbp, le RT emploie deux fois le verbe bbp, une fois dans la clause explicative de la descente du cadavre c o m m e en TH, et l'autre dans l'exploitation d'un cas de condamnation à la crucifixion. L'éditeur a suggéré que le RT interprétait l'expression biblique, la première fois c o m m e génitif objectif « et qu'il maudit son peuple » (ligne 10), et la deuxième fois c o m m e génitif subjectif « maudit de Dieu et des hommes » (lignes 11-12). En effet, l'expression biblique urb* rfcbp « une malédiction de Dieu » a été comprise de plusieurs façons, soit comme génitif subjectif par la Septante, Paul en Ga 3 , 1 3 \ le Targum Neofiti : « car maudit devant Dieu quiconque est crucifié » ybs *?D onp vsb DTTK, tous trois transformant le substantif en participe passif et considérant la malédiction c o m m e la conséquence de la suspension sur le bois. Mais une autre série de sources rabbiniques, Josèphe, Symmaque, la Peshitta et le Targum Pseudo-Jonathan la comprennent comme génitif objectif, non sans quelque difficulté d'ailleurs, que ce soit pour le passage de « la malédiction de Dieu » à « maudissant Dieu / blasphémateur », et de la clause de la descente du cadavre au motif de la suspension sur le bois. Autrement dit, si le coupable doit être crucifié parce qu'il a maudit Dieu, nulle explication n'est alors donnée pour la descente du gibet avant la nuit et pour la pureté de la terre. Cette compréhension ne confirmerait-elle pas, au départ, l'interprétation du RT de crucifier un h o m m e vivant ? D ' o ù l'embarras des sources qui, c o m m e Josèphe reprenant une tradition rabbinique de son temps, insèrent la lapidation : « celui qui blasphème Dieu, après avoir été lapidé, sera pendu toute la journée et enseveli sans honneur et en cachette » (Antiquités juives IV, § 202), ou une particule « car à cause d'un blasphème » (8ia, S ) , ou une périphrase (Onqelos) « car, parce qu'il a péché devant Dieu, w il a été crucifié » 2bvx\* tnp arn bv . *?IDPI
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L'interprétation de cette expression dans les traductions et la tradition ancienne n'est visiblement pas plus unifiée que celle du v. 2 2 sur
1. Aquila et Théodotion, ÔTL Kcrràpa 6eoO Kpe\iâ[i€voç, « car une malédiction de Dieu est le suspendu », voir Jérôme dans son Commentaire sur Ga 3,13, citant ces traductions : quia maledictio Dei est (qui) suspensus (est) qui ne correspondent pas précisément à la Septante, ni à la Vulgate quia maledictus a Deo est omnis qui pendet. U est difficile de dire quelle tradition suivent ces deux traductions. 2. Voir encore le Targum Pseudo-Jonathan, R. Eliézer : « parce qu'à cause d'un blasphème de Dieu il a été pendu », divergeant de R. Méir : « parce qu'un pendu est une offense à Dieu » (TB Sanhédrin 45b), voir M. J. BERNSTEIN, op. cit., dans Jewish Quarterly Review 74 (1983), p. 26, p. 35-37.
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le m o d e d ' e x é c u t i o n . Il e s t clair q u e l e RT lisant DvrfrR bbïpn (ligne 12) comprend D t 2 1 , 2 3 c o m m e un génitif subjectif, rejoignant ainsi les L X X , le Targum Neofiti et l'exégèse chrétienne, tradition qui remonte au moins au m - n siècle avant J.-C. Mais si, pour la tradition des L X X , la suspension sur le bois est l'origine de la malédiction, il n'en est pas de même dans le RT où les coupables sont maudits à cause de la gravité de leurs crimes et blasphèmes, lesquels entraînent la crucifixion, d'où l'explicitation de la ligne 10 « et qu'il maudit son peuple, les fils d'Israël », et la malédiction ensuite. Tout autant que le motif de descente du cadavre pour cause de pureté, l'interprétation par le génitif objectif appuierait la lecture de la crucifixion de l'homme vivant dans la ligne du RT et de traditions anciennes, et elle expliquerait l'insertion d'une lapidation-strangulation à une étape ultérieure explicitant l'interprétation des L X X . e
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Pesher de Nahum - 4Q169 3-4 i 6-8. ER
Dans la première moitié du I siècle avant J . - C , ce type d'exécution capitale est encore connu par le Pesher de Nahum 4Q169 3-4 i 6-8 qui se situe dans l'intervalle de ces deux copies du RT \ Le passage semble viser la crucifixion, vers 88 avant J . - C , de quelque huit cents pharisiens par le roi hasmonéen Alexandre Jannée, suite à leur trahison pour avoir fait appel au païen Démétrius HI Eucairos. On a affaire à un règlement de comptes de partis politico-religieux, et celui qui a le pouvoir, ici le sadducéen Jannée, accuse l'autre de trahison contre la nation juive. 6
jnnn T S D bv n o s crn mo» nbr? im rrpbnn Tznrn rrrafp] nTOn ?? TOK] v
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Ceci s'interprète au sujet du Lionceau Furieux, [qui fut Y instrument de la colère divine ( ?) en exécutant les venjgeances contre les Chercheurs 2
1. D est clair maintenant que ce passage du RT ne peut faire allusion à l'incident de Démétrius H I Eucairos et Alexandre Jannée, malgré Y. YADIN, « Pesher Nahum (4QpNahum) Reconsidered », dans Israel Exploration Journal 21 (1971), p. 1-12, p. 9, et J. FrrzMYER, « Crucifixion in Ancient Palestine, Qumran Literature, and the New Testament », dans Catholic Biblical Quarterly 20 (1978), p. 493-513, spécialement p. 504, qui datent cette composition en gros du temps de Jannée. 2. Restauration préférable compte tenu de la longueur des lignes et du sens. Y. YADIN, op. cit., dans Israel Exploration Journal 21 (1971), p. 11, propose[mD [DSDD suivi par J. FTTZMYER, op. cit., dans Catholic Biblical Quarterly 20 (1978), p. 501, mais sa restauration est beaucoup trop courte ainsi que l'a bien vu M . P. HORGAN, Pesharim : Qumran Interpretations of Biblical Books, Washington, 1979, p. 178. Dans notre proposition on pourrait (et devrait ?) ajouter deux à trois mots dans la restauration de la lacune de la ligne 8 pour une largeur régulière de la colonne, mais qui ne changeraient pas le sens fondamental, par ex. [mran w i TO mo voir 4Q541, ci-dessous. m
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d'Allégements, qui suspend (= crucifie) des hommes vivants [sur le bois c o m m e (on) faisait] en Israël depuis les temps anciens, car du suspendu (= crucifié) vivant sur le bois il (en) est parlé (dans l'Écriture) . 1
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En ce sens, le pesher suit ou, à l'évidence, connaît la même justice pénale que celle retenue par le RT. Mais le sadducéen Jannée applique une interprétation de Dt 2 1 , 22-23 qui est bien plus ancienne et indépendante de la halakhah essénienne, puisant à une interprétation juive d'origine commune ainsi que le pesher le reproche à Jannée (voir encore Josèphe, Antiquités juives XIII, § 3 8 0 - 3 8 2 , Guerre des Juifs I, § 97). 3
1. Y. YADIN, op. cit., dans Israel Exploration Journal 21 (1971), p. 4-5, p. 1011, a bien compris que le sens de ce passage ne peut être négatif, ainsi qu'on l'avait jusqu'alors restauré. Aussi A. Dupont-Sommer a-t-il, par la suite, changé son interprétation du passage en adoptant la proposition de Yadin (voir n. 8), voir A. DUPONTSOMMER, « Le Commentaire de Nahum découvert près de la mer Morte (4QpNah). Traduction et notes », dans Semitica 13 (1963), p. 55-88. Il est certain que les esséniens et le judaïsme ancien (du moins l'important courant sadducéen, pour ne pas dire plus) lisaient en Dt 21 la crucifixion-suspension sur la croix d'hommes vivants, non de cadavres, malgré J. BAUMGARTEN, op. cit., dans Eretz Israel 16 (1982), p. 7*-16*, une influence de la perduellio romaine est assez peu vraisemblable au II siècle av. J.-C. ou auparavant, et déjà du même, op. cit., dans Journal of Biblical Literature 91 (1972), p. 472-481, qui en reste à la pendaison, variante de la strangulation, un des quatre modes de mise à mort selon l'interprétation (pharisienne) de la Loi - Mishnah - sans fondement mosaïque. 2. Renvoyant manifestement à Dt 21,22-23, la seule lecture paléographiquement possible est *n[i]p (pu 'al) non mp' habituellement retenu à la suite de H. BARDTKE, Die Handschriftenfunde am Toten Meer. Die Sekte von Qumrân, Berlin, 1958, p. 298, et J. M. ALLEGRO, Qumrân Cave 4, Discoveries in the Judaean Desert of Jordan V, Oxford, 1968, p. 39, car on devrait avoir des traces du yod ! Il est donc inutile de faire appel au sens actif du participe passif n^n « pendu-suspendant », comme le propose J. BAUMGARTEN, op. cit., dans Eretz Israel 16 (1982), p. 14* ; voir à ce sujet les remarques linguistiques et exégétiques de M. J. BERNSTEIN, op. cit., dans Jewish Quarterly Review 74 (1983), p. 33. Une lecture R-fn n'est pas davantage acceptable, voir F. GARCIA MARTINEZ, « 4QpNah y la Crucifixion. Nueva hipôtesis de reconstrucciôn de 4Q169 3-4 i 4-8 », dans Estudios biblicos 38 (1979-1980), p. 221-235, de plus l'auteur Ut le début de la ligne négativement, suivi par R. VICENT SAERA, op. cit., dans D. MUNOZ LEON (ÉD.) Salvacion en la Palabra. Targum-derash-berith. En memoria del Profesor Alejandro Diez Macho, Madrid, 1986, p. 702 s. A. DUPONTSOMMER, op. cit., dans Comptes rendus de l'Académie des inscriptions et belles lettres (1972), p. 715, lit encore *np' mais au sens « dont parle l'Écriture ». 3. « Devenu maître de la ville [de Bethumma] et de ses ennemis, Alexandre Jannée les ramena à Jérusalem où il les traita de la manière la plus cruelle. Au cours d'un banquet donné à la vue de tous, avec ses concubines, il fit crucifier (àvacr Taupaxjai) huit cents d'entre eux, puis, tandis qu'ils vivaient encore, il fit égorger sous leurs yeux leurs femmes et leurs enfants. C'était se venger de tout le mal qu'on lui avait fait, mais une vengeance trop inhumaine... car ses ennemis... avaient fait appel à l'étranger... et ils l'avaient abreuvé d'outrages et de calomnies de toute sorte ». Ce qui fait dire à ce même Josèphe, dans les Antiquités juives XX, § 199, que « le grand prêtre Anan... suivait la doctrine des sadducéens qui, dans leurs jugements, sont cruels au-delà de tous les juifs » - soulignant ainsi la différence d'interprétation E
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Que ce fût là une pratique assez courante en Israël à une époque ancienne, on l'a montré ci-dessus, et pour cette époque, on en a d'autres exemples en dehors d'une halakhah essénienne, en plus des traditions conservées dans les Targums signalés plus haut. Les traditions rabbiniques rapportent que le sage propharisien S i m o n ben Shétah, frère d'Alexandra, fit crucifier à Ascalon vers 75 avant J.-C. (peu après la mort du sadducéen Jannée en 7 6 avant J.-C.) quatrevingts sorcières c o m m e vengeance des décisions du sanhédrin (M Sanhédrin VI, 4, TJ Hagigah II, 2, 77d, Josèphe, Guerre des Juifs I, § 113, Antiquités juives Xffl, § 410-411) \ Déjà un siècle auparavant, sous le gouverneur Bacchidès en 162, le grand prêtre Alcime avait fait crucifier à Jérusalem soixante juifs pieux en un seul jour, 1 M 7 , 1 6 s., voir Josèphe, Antiquités juives XII, § 256, Genèse Rabbah 65, 2 2 (avec le verbe r t e ) et déjà 4 Q 5 4 1 . Enfin, des témoignages de crucifixion d'époque hérodienne ont été retrouvés dans un ossuaire inscrit au nord de Jérusalem sur les ossements d'un certain Yohanan fils de Hizqiel . Le clou transperçant le calcanéum et le bois à chaque extrémité du clou ne sont pas sans rappeler les récits évangéliques . Or nul besoin n'était de clouer les pieds (et les mains) d'un cadavre en suivant une interprétation tardive de Dt 2 1 , 2 2 - 2 3 ! 2
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halakhique. Mais on ne peut en faire pour autant une forme d'exécution inconnue de la Loi juive, comme l'écrit par exemple G. VERMES, The Dead Sea Scrolls in English, Baltimore, 1962, p. 61 et 231, « une nouveauté sacrilège ». 1. Voir M. HENGEL, op. cit., Paris, 1981, p. 106 s. Les « sorcières » seraient un nom de code pour désigner des prêtres sadducéens. Les pharisiens avaient donc aussi recours à la vengeance sanglante par la crucifixion. 2. Voir aussi Assomption de Moïse 8, 1, mais il est question d'un roi païen qui fera crucifier les circoncis. 3. Voir V TSAFERIS, « Jewish Tombs at and near Giv'at ha-Mivtar, Jerusalem », dans Israel Exploration Journal 20 (1970), p. 18-32 ; pour la lecture du nom propre, voir É . PUECH, « Inscriptions funéraires palestiniennes : tombeau de Jason et ossuaires », dans Revue biblique 90 (1983), p. 483-533, spécialement p. 505 s., mais on ne peut suivre les lectures bïpm et les explications de J. NAVEH, « The Ossuary Inscriptions from Giv'at ha-Mivtar », dans Israel Exploration Journal 20 (1970), p. 33-37, le premier éditeur, et de Y. YADIN, « Epigraphy and Crucifixion », dans Israel Exploration Journal 23 (1973), p. 18-22, « fils du pendu », ^îp^n p , ou de J. A. FrrzMYER, op. cit., dans Catholic Biblical Quarterly 20 (1978), p. 494-498. Ce Yohanan pourrait être un descendant de la famille sacerdotale des ^Kprrr qui prenait son service entre rrnns et p \ 4. Il n'y a pas d'accord entre ostéologues sur le brisement volontaire du tibia et des deux péronés dans ce cas précis, mais le crurifragium est une pratique connue. 5. Sans doute, dans ce dernier cas, rien ne prouve qu'on ait affaire à une crucifixion d'un juif par un juif, mais rien ne s'y oppose, bien au contraire.
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4QApocryphe
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Lévi -4Q54L
Qu'il ne s'agisse pas là d'une interprétation secondaire du texte mosaïque à propos d'une peine capitale ni d'une pratique récente exclusivement essénienne, ou sadducéenne mais aussi bien pharisienne, cela paraît aller de soi. On en trouverait au moins une autre preuve dans un fragment du manuscrit araméen 4Q541 (Apocryphe de Lévi ) 24, manuscrit certainement préqumranien, le texte devant dater de la fin du n r siècle ou du début du II siècle avant J.-C. \ certainement antérieur aux exécutions d'Alcime : b
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[prt> $b H ]iw0 iai?]n b*i bv fl^ra ^aann 1* [ r\±> ]jr(3]Kî I«^OD ] r » ][ M ]..[ * ipnsfe [pn b* ï|Pt> a^rn asra Ta ^rfrran bx) run wv **D jrn "rai i p n na anpn ^ M O I
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Ne fais pas de deuil avec des sacs [sur...] et ne co[mmet]s pas [de fautes qui ne soient pas. ^ajchetées, qu'elles soient des faute[s ]ca[chées ]au[ssi bien que si elles étaienjt des fautes dévoilées et je [te pro]mets [...] Recherche, scrute et connais ce que demande l'agitateur (?) (KÏP) et ne le repousse pas au moyen de l'épuisement et la crucifixion (trtrn K E T O Ta) comme [pein]e (capitale) [ne prononce pas ( ?) ] et n'approche pas de lui de clou. 4
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L'association du mot « clou » aux termes de pendaison / crucifixion, d'épuisement par les supplices et tortures (d'un agitateur ?) qu'on cherche à supprimer, semble désigner, on ne peut plus clairement, le supplice de la crucifixion c o m m e couronnement d'une longue série de toitures reprenant la logique connue de Ps 2 2 , 1 7 et annonçant l'interprétation du RT. C e texte est un chaînon supplémentaire parmi les autres attestations, car la défense à cette haute époque d'une telle pratique suppose l'existence assez coutumière des faits, y compris ou d'abord dans le milieu sacerdotal, et probablement m ê m e à rencontre d'un grand prêtre, vu le contenu assez 3
1. Voir É . PUECH, « Fragments d'un apocryphe de Lévi et le personnage eschatologique. 4QTestLévi " ( ?) et 4QAJa », dans J. TREBOLLE BARRERA - L. VEGAS MONTANER (ED.), The Madrid Qumran Congress. Proceedings of the International Congress on the Dead Sea Scrolls, Madrid 18-21 March 1991, Madrid, 1992, t. II, p. 449-501, spécialement p. 475 s. Voir maintenant É . PUECH, Qumran Cave 4, XXII, Textes araméens, première partie (4Q529-4Q549), (Discoveries in the Judaean Desert XXXI) Oxford, 2001. 2. Lire probablement ainsi lafinde la ligne 4 : b*] fijp KSTTC? Ta TiVinon bm na anp[n] b& won [ ? p n avec très vraisemblablement un rappel ou renvoi à Dt 21, 22-23. Le mot ter au sens habituel de « colombe » convient-il, ou faut-il y voir un hébraïsme de T/hr, « agitateur » ? Ce dernier sens conviendrait avec le fragment 9 en particulier. 3. Voir Josèphe, Guerre des Juifs H, § 308 : Kai GTCLVÇXÙ TTpooriXaiaai, « et fit clouer sur une croix », de même en Guerre des Juifs V, § 451. c
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explicite du fragment 9 K Cet exemple rejoint la coutume sacerdotale mise en œuvre par A l c i m e et la pratique sadducéenne notée à propos d e Jannée dans l e r siècle avant J.-C. (voir l e Pesher de Nahum 4 Q 1 6 9 ) , pratique qu'on retrouve encore attestée dans l e Targum ancien de Ruth de tendance sadducéenne 1 , 1 7 . Tous c e s textes araméens et hébreux anciens, préqumraniens et qumraniens, ainsi qu'une coutume qui a laissé des traces archéologiques et écrites dans des textes juifs contemporains et postérieurs, qu'ils soient de tradition sadducéenne, essénienne ou même pharisienne, éclairent d'un jour nouveau les interprétations divergentes d'un même TH original, Dt 2 1 , 2 2 - 2 3 , dont on pouvait avoir quelque idée dans les traductions anciennes et les données des historiens anciens, mais qui s'opposent à l'interprétation « officielle » de la tradition retenue dans les écrits rabbiniques plus tardifs. Ils expliquent bien mieux, et même parfaitement, le procès et la crucifixion de Jésus tels que les décrivent les Évangiles et les données anciennes. 2
La condamnation de Jésus à la crucifixion. Il n'est pas question, dans les limites de cette communication, de reprendre l'étude du procès de Jésus . Nous nous limiterons à quelques remarques dans le prolongement de l'enquête précédente. 3
1. Voir encore dans la même ligne, le Testament des XII Patriarches, Lévi 4 , 4 et 14, 2 qui font allusion à la culpabilité des grands prêtres, une interpolation chrétienne est discutée mais est loin d'être prouvée après 4Q540-541, peut-être dans la ligne de Za 12,9-10. 2. À ce sujet, voir dernièrement F. MANNS, « Le Targum de Ruth - Ms Urbinati 1. Traduction et commentaire », dans Liber annuus 44 (1994), p. 253-290, spécialement p. 258 (quatre exécutions capitales : la lapidation, la crémation, l'épée et la crucifixion, différant ainsi de M Sanhédrin VU, 1 : strangulation). Pour le texte, voir E. LEVINE, op. cit., Rome, 1973, En effet, on n'a pas affaire nécessairement à une tradition pharisienne ou mishnaïque ! Voir aussi D. MERINO, « El suplicio de la cruz en la literatura judia intertestamental », dans Liber annuus 26 (1976), p. 31-120, spécialement p. 86-91, et J. HEINEMANN, « The Targum of Ex. X X I I , 4 and the Ancient Halakha », dans Tarbiz 38 (1968-1969), p. 294-2% [hébreu], spécialement p. 295-296 où l'auteur est d'avis que la « suspension sur le bois » du Targum de Ruth reprend une très ancienne halakhah. 3. Voir à ce sujet R. E. BROWN, op. cit., 1.1, New York, 1994, p. 312-313. Voir aussi S . LÉGASSE, Le procès de Jésus, 1.1. L'Histoire, Paris, 1994 et t. II. La Passion dans les quatre Évangiles, Paris, 1995, même si l'on ne partage pas toutes ses analyses. On ne peut suivre non plus les conclusions de É . NODET, « Les dernières vingtquatre heures de Jésus », dans M. QUESNEL - Y.-M. BLANCHARD - C . TASSIN ( É D . ) ,
Nourriture et repas dans les milieux juifs et chrétiens de VAntiquité. Mélanges offerts au Professeur Charles Perrot, Paris, 1999, p. 155-169, sur le procès ou mieux l'absence de procès (une fiction) devant le sanhédrin pendant la Pâque. Malgré son jugement hypercritique, les traditions évangéliques, qui ont gardé bien plus de souvenirs des derniers jours de Jésus que ne le croit l'auteur, ne parlent pas d'un repas (pascal ou
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Dans les discours des Actes, Pierre martèle à plusieurs reprises que Jésus est mort cloué sur une croix sous la responsabilité « des juifs » : - 2, 23b : Hommes d'Israël, [...] Jésus le Nazaréen, [...] vous l'avez supprimé en le crucifiant par la main des impies (ôtà x p o ç àvopcov TTpoa7rr|ÇavT6C àveiXare). - 2,36 : Ce Jésus que vous avez crucifié (TOUTOV TÔV' Iriaouv ôv ûjieîç èaravçxbaare). - 3 , 1 3 - 1 7 : L e Dieu d'Abraham [...] a glorifié son serviteur Jésus que vous, vous avez livré et renié devant Pilate alors qu'il était décidé à le relâcher. Mais vous avez renié et chargé (fJTT|aaa6e) le Saint et le Juste en réclamant la grâce d'un assassin. Vous avez fait mourir (QLTT€KT€Î.~ verre) le prince de la vie. [...] "Cependant, frères, je sais que c'est par ignorance que vous avez agi, ainsi que vos chefs (fipxovreç). - 4 , 1 0 : Sachez-le bien, vous tous, ainsi que tout le peuple d'Israël, c'est par le nom de Jésus Christ le Nazaréen, celui que vous, vous avez crucifié (èoTaupoKTaTe) et que Dieu a ressuscité des morts... - 5 , 3 0 : Le Dieu de nos pères a ressuscité ce Jésus que vous, vous aviez fait mourir en le suspendant au gibet (ôv tyieic ôiexeiplaaaBe Kp€(iàaavT€ç è m Çvkov). - 10, 39 : Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu'il a fait dans le pays des juifs et à Jérusalem, lui qu'ils ont supprimé en le suspendant sur le bois (ôv Kai àveîXav KpepdaavTeç èîrl ÇùXou). a
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Il en va de m ê m e pour Etienne dans son discours devant le sanhédrin : 7 , 5 2 : « le juste, celui-là m ê m e que maintenant vous venez de trahir et d'assassiner (TTOOSOTCU Kal <j>oveîç eyéveoQe) » ; et pour Paul: 1 3 , 2 7 - 2 9 : ^ n effet, les habitants de Jérusalem et leurs chefs ont accompli sans le savoir les paroles des prophètes qu'on lit chaque sabbat. Sans trouver en lui aucun motif de mort, ils l'ont condamné demandant à Pilate de le faire périr. ^Et ayant accompli tout ce qui était écrit de lui, ils le descendirent du gibet et le déposèrent dans un tombeau ( ^ a l jiTjôepiav alTiav GavaTou eupôvreç frrffJavTO ITiXdTov àvaipeBt\vai avrôv ^cbc ôè è-réXeaav TrdvTa Tà Trepl airroû yeypa|i(i€va Ka0e\6vTeç arrô TOU £vXou). 28
On retrouve la m ê m e affirmation en 1 Th 2,15 : « Ceux-là (les juifs) ont tué (OLTTOKT£ivdVTCÛV) l e Seigneur Jésus et les prophètes. » Dans son kérygme pascal, la communauté judéo-chrétienne a donc lu l e s événements de la Passion sur l e fond scripturaire de D t 2 1 , 2 2 - 2 3 dans ses diverses c o m p o s a n t e s : l e m o t i f de mort (roo DS2?D - a l r i a v GavdTou - A c 1 3 , 2 8 ) \ la condamnation à mort ( 2 , 2 3 b ; 5 , 3 0 ; 1 0 , 3 9 ; 1 3 , 2 8 ) par les juifs, spécialement leurs chefs
non) suivi d'une réunion du sanhédrin le jeudi soir ! On préfère suivre les analyses de R. E . Brown, plus proche des textes et ne cherchant pas à échafauder hypothèses sur hypothèses. 1. Sur l'innocence de Jésus, voir Mt 27,3-4 ; 19,23-24 ; Le 23,15-16 ; 22,47 ; 1 P 2,22, et la condamnation attribuée à l'erreur ou à l'ignorance, Ac 3,17 ; 13,27 ;
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(3, 17 ; 13, 27), la crucifixion c o m m e peine de mort (2, 23b.36 ; 4 , 1 0 ; 5 , 3 0 ; 1 0 , 3 9 ; 1 3 , 2 8 - 2 9 ) , enfin la descente de la croix et l'ensevelissement (13, 29). Bien que dans un vocabulaire quelque peu différent de celui des L X X , ces traditions judéo-chrétiennes attestent certainement l'interprétation de la mort du coupable par crucifixion, selon la tradition du TH avec protase et apodose au v. 2 2 (ci-dessus) qui était connue des textes qumraniens, de versions grecques, de la Peshitta, de la Vulgate, du Targum Neofiti et du Targum Onqelos \ U n e m ê m e version des faits est celle qui ressort des récits de la Passion dans les Évangiles : 1. Accusation de blasphème au cours du (ou des deux) procès devant le sanhédrin (grands prêtres, scribes et anciens) : a. Recherche de témoins : plusieurs déposent faussement mais leurs témoignages ne concordaient pas (Me 14, 55-59) ou les deux faux témoins en Mt 26, 5 9 - 6 2 : « Or, les grands prêtres et le Sanhédrin tout entier cherchaient un faux témoignage contre Jésus, en vue de le faire mourir ; et ils n'en trouvèrent pas, bien que de faux témoins se fussent présentés en grand nombre. Finalement il s'en présenta deux, qui déclarèrent : "Cet homme a dit : Je puis détruire le Temple de Dieu et le rebâtir en trois jours". Se levant alors, le Grand Prêtre lui dit : "Tu ne réponds rien ? Qu'est-ce que ces gens attestent contre toi ?" », et Le 2 2 , 7 1 . Cette recherche de témoins rappelle les deux ou trois témoins de la tradition du RT. b. L'accusation contre le Temple sur lequel est invoqué le N o m (Me 1 4 , 5 8 - 5 9 ; Mt 2 6 , 6 1 ) et de prétention messianique, de Christ, le fils du Béni qui s'érige en juge eschatologique, assis à la droite de la Puissance (Me 1 4 , 6 1 - 6 3 ; Mt 2 6 , 6 3 - 6 4 ; Le 2 2 , 6 7 - 7 0 ) passent pour blasphèmes qui méritent la mort (Me 1 4 , 6 4 ; Mt 2 6 , 6 5 - 6 6 ; 2 7 , 1 . 3 ) . C'est ce que signifie la réponse des juifs : « N o u s avons une loi et d'après cette loi il doit mourir, il s'est fait Fils de Dieu » (Jn 1 9 , 7 ) , ou le fait que le grand prêtre déchire ses vêtements (Mt 26, 65 ; M e 14, 63 ; M Sanhédrin VI, 5). Mais on peut discuter longuement sur l'accusation de blasphème, Jésus n'ayant pas prononcé le N o m ou incité à l'idolâtrie. 2
1 Co 2,8. D'après d'autres passages (Mt 11,19 ; Le 7,34), Jésus accusé d'être glouton et ivrogne aurait dû être lapidé d'après la loi deutéronomique précédente, Dt 21,18-21. 1. Voir par exemple M. Wnxox, « "Upon the Tree" - Deut 21:22-23 in the New Testament », dans Journal of Biblical Literature 96 (1977), p. 85-99. 2. Voir dernièrement D. L. BOCK, « Key Jewish Texts on Blasphemy and Exaltation and the Jewish Examination of Jesus », dans Seminar Papers, SBL Annual Meeting 1997, Atlanta, Géorgie, 1997, p. 115-160.
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2. Cette condamnation pour « blasphème selon la loi mosaïque » renvoie à Dt 2 1 , 22-23, et l'issue ne peut qu'être la crucifixion selon l'interprétation assez communément reçue de la loi à cette époque, c o m m e nous l'avons montré ci-dessus. En effet, cette condamnation pour blasphème est doublée d'une trahison du peuple : « Si nous le laissons faire, tous croiront en lui, et les Romains viendront et détruiront notre lieu saint et notre nation. L'un d'eux, Caïphe, qui était le grand prêtre de cette année-là, leur dit : "Vous n'y entendez rien. Vous ne voyez pas qu'il vaut mieux qu'un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière" » (Jn 1 1 , 4 8 - 5 0 ; 18, 14 ; Mt 2 7 , 1 - 3 ) et elle ne relève pas du cas d'idolâtrie et donc de la lapidation (suivie de la pendaison du cadavre) (Dt 13, 7-12 et 17, 2-7, M Sanhédrin VI, 4). Sans doute le sanhédrin, composé des grands prêtres pour la plupart sadducéens, des scribes et des anciens (Me 15, 1), avait-il encore le droit non seulement d'instruire le cas mais aussi de condamner à mort un coupable selon la Loi \ En effet, une baraïta du TJ Sanhédrin 1,1 rapporte que le sanhédrin s'est vu retirer le droit de prononcer des peines capitales quarante ans avant la destruction du Temple de Jérusalem . Cela nous ramène à l'année 30, précisément celle de la condamnation de Jésus à la crucifixion. Sans le dire, c'est sans doute à cause de ce faux jugement et de la collusion avec le pouvoir romain que c e droit lui a été retiré . D'après une information récente, un taîmud de Vilnius, découvert il y a peu, mais copié vers 1150 et non suspect d'interpolation chrétienne, rapporterait au traité Sanhédrin 37b que le sanhédrin procéda à la condamnation de Jésus et qu'il requit contre lui la peine de mort et la crucifixion selon toutes les normes de la halakhah . Cette affirmation, qui va dans le sens de tous les passages du Nouveau Testament, contredit l'interprétation officielle juive selon laquelle le procès, la condamnation et la crucifixion de Jésus auraient été, uniquement, l'œuvre des Romains. Cela pourrait expliquer aussi l'absence de la mention des « pharisiens » dans le procès de J é s u s et la condamnation à la crucifixion selon l'interprétation reçue de 2
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1. J. KLAUSNER, op. cit., Paris, 1 9 3 3 , p. 4 8 4 , rappelle l'habitude romaine de confier l'instruction au gouvernement local. Or le Temple et le gouvernement local étaient aux mains des grands prêtres (sadducéens). 2 . Voir M . SCHWAB, Le Talmud de Jérusalem, t. X , Paris, 1 8 8 8 , p. 2 2 8 . Le sanhédrin avait au moins dans certains cas le droit de condamner à la lapidation. 3.Semblablement, après la lapidation de Jacques, le frère de Jésus dit le Christ, et la réaction des observants, le grand prêtre Anne le Jeune fut déposé par le roi Agrippa (Josèphe, Antiquités juives X X , § 2 0 0 ) . 4 . Voir I. WEINER, Yom shishi du 3 0 octobre 1 9 9 2 , et La Terre sainte, janvierfévrier 1 9 9 4 , p. 5 2 - 5 3 .
5. Excepté Jn 1 8 , 3 en référence à Jn 1 1 , 4 7 , cette absence pourrait être expliquée par le changement intervenu dans la coutume pharisienne qui ne pratiquait certainement
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Dt 2 1 , 22-23 à cette époque encore. Dans le Dialogue avec Tryphon (CVIH, § 2), Justin rapporte une version semblable concernant « un certain Jésus, Galiléen, nous l'avions crucifié, disaient-ils, mais ses disciples, pendant la nuit, l'ont dérobé du Jombeau dans lequel on l'avait placé après sa déposition de la croix ». Mais les Évangiles s'accordent aussi sur un procès devant Pilate auquel le sanhédrin et les grands prêtres en tête livrèrent Jésus, le roi des juifs, accusé de sédition contre le pouvoir romain (Me 1 5 , 1 - 1 5 ; Mt 27, 11-26 ; voir aussi le Testimonium Flavianum et Tacite), et Le 22, 1-6 ; 23, 1-25 : « Nous (le conseil des Anciens du peuple, les grands prêtres et les scribes) avons trouvé cet homme excitant notre nation à la révolte, empêchant de payer les tributs à César et se prétendant Christ Roi » ( 2 3 , 2 ) , « il soulève le peuple enseignant par toute la Judée depuis la Galilée, où il a commencé, jusqu'ici » ( 2 3 , 5 ) , etc. Or la Galilée est connue, à cette époque, pour être un foyer de révolte antiromaine. C'est un malfaiteur ( K O K Ô V TTOLWV - Jn 18,30). Mais des deux charges, blasphème et prétentions messianiques, Pilate n'interroge, on le comprend, que sur cette dernière sans trouver un motif suffisant de condamnation. C'est cependant le jugement-condamnation du sanhédrin et des grands prêtres agissant par jalousie qui va s'imposer (voir les cris « crucifie-le ») et que Pilate va devoir accepter devant les risques d'agitation croissante avant la fête de la Pâque K D e là, les scènes de moquerie : la couronne d'épines, le manteau pourpre et le titulus « Jésus (le Nazaréen), roi des juifs » en plusieurs langues (Jn 19,19-22 et parallèles) qui insistent sur le dernier motif de condamnation retenu, motif politico-religieux pouvant invoquer la collusion avec le pouvoir romain (Jn 19,12-16). D'où la réponse de Jésus à Pilate : « Aussi celui qui m'a livré à toi porte un plus grand péché » (Jn 19,11), visant certainement en premier le grand prêtre Caïphe . Indiscutablement, l'affaire Jésus portait plus ombrage à l'autorité du Temple qu'à Rome. 2
3. Crucifié la veille de la Pâque qui était un sabbat (Jn 18, 28 ; 19, 14 ; M Betsah V, 2, TB Sanhédrin 43a) \ la loi de Dt 2 1 , 23
plus la crucifixion lors de la rédaction des Évangiles. Cette enquête répond aux interrogations de certains exégètes-historiens, voir X . LÉON-DUFOUR, « Passion », dans Dictionnaire de la Bible. SupplémentVl ( I 9 6 0 ) , col. 1 4 8 7 . 1. Malgré S . LÉGASSE, op. cit., 1.1. L'Histoire, Paris, 1 9 9 4 , p. 117. La crucifixion n'a certainement pas eu lieu pendant la fête,pas davantage les réunions du sanhédrin, les accusations des grands prêtres, etc. Les Evangiles n'obligent pas une telle lecture pour le moins surprenante. 2 . C'est le grand prêtre qui a envoyé la bande armée et soudoyé Judas le traître (Jn 1 8 , 2 s.), voir P. GRELOT, Les Juifs dans l'Évangile de saint Jean. Enquête historique et réflexion théologique, Paris, 1 9 9 5 , p. 9 8 s. et p. 1 5 8 s. 3. « La veille de la Pâque, Jésus fut suspendu (sur le bois). Quarante jours avant que l'exécution ait lieu, un hérault s'avança et cria : "Il va être lapidé parce qu'il a
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exigeait la descente du corps et l'ensevelissement avant la nuit, ce qu'obtint de Pilate Joseph d'Arimathie, membre du sanhédrin, qui, avec N i c o d è m e , déposa Jésus déjà mort dans un tombeau, neuf (Me 15, 4 2 - 4 7 ; Mt 27, 57-61 ; Le 2 3 , 5 0 - 5 6 ; Jn 19, 3 8 - 4 2 ) . Contrairement à la coutume païenne de laisser les corps sur le gibet en pâture aux rapaces et charognards \ la loi juive d'éviter une impureté de la terre en ensevelissant le corps avant la nuit (Dt 2 1 , 2 3 ) est sans doute liée aussi, outre le soin dû au corps chez les juifs, au pouvoir purificateur de la terre d'Israël d'après Dt 3 2 , 4 3 auquel se rattache la pratique permettant aux ossements du condamné de rejoindre le tombeau familial lors de la réinhumation (ossuaire de Gib at ha-Mibtar, M Sanhédrin VI, 5 ) . c
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En conclusion, il apparaît clairement que l'interprétation qumranienne de Dt 2 1 , 2 2 - 2 3 connue par le RT, le Pesher de Nahum et indirectement déjà par Y Apocryphe de Lévi ( 4 Q 5 4 1 ) n'est pas isolée mais qu'elle dépend d'une interprétation juive ancienne, principalement sacerdotale, dont témoignent encore les crucifixions par A l c i m e mais qu'appliquaient également les courants sadducéen et pharisien dont des traces nous ont été conservées par des écrits juifs (anciennes versions, Targums, Flavius Josèphe) et des passages du Nouveau Testament à propos de la crucifixion de Jésus. Il n'était pas sans intérêt de relever cet accord halakhique des sadducéens et des esséniens d'une part à propos de Dt 2 1 , 2 2 - 2 3 , accord qui s'explique aisément par leur origne sacerdotale commune, des « fils de Sadoq », ainsi que, d'autre part, d'un courant pharisien, même si les pharisiens avaient tendance à assouplir leur interprétation de la L o i . Sur ce 3
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pratiqué la sorcellerie, séduit et égaré Israël. Quiconque a quelque chose à dire en sa faveur, qu'il s'avance et témoigne pour lui". Mais comme rien n'a été produit en sa faveur, il fut suspendu la veille de la pâque ». Cette baraïta retient la peine de lapidation réservée aux faux prophètes-magiciens et celle de la suspension-crucifixion du traître, rejoignant par là la tradition du talmud de Vilnius (n. 64). 1. Voir par exemple Aristophanes, Thesmophories 1029 : le crucifié est livré aux bêtes et aux oiseaux. 2. Voir É . PUECH, « Les nécropoles palestiniennes au tournant de notre ère », dans Les Quatre Fleuves 15/16 (1982), p. 35-55, p. 48, et C. PERROT, op. cit., Paris, 1998, p. 115. Même si cette précision peut revêtir une dimension théologique, elle n'en garde pas moins un souvenir de la pratique juive de l'époque, qu'un condamné ne peut rejoindre le tombeau familial lors de la première sépulture. 3. Pour d'autres points communs de halakhah fondés sur la Loi de Moïse, voir E. QIMRON-J. STRUGNELL, Miqsat ma 'asé ha-Torah. Qumrân Cave 4- V, (Discoveries in the Judaean Desert X) Oxford, 1994. 4 . C'est le reproche que font à plusieurs reprises les esséniens aux « Chercheurs d'Allégements » rnp'xKn) 'Erin, voir ci-dessus 4Q169 (pNah) 3-4 i 6-8, etc. On peut aussi comparer l'adoucissement du mode d'exécution d'après l'inscription sur la mosaïque de la synagogue d'En Gaddi. Voir J. NAVEH, On Stone and Mosaic. The
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sujet, ils suivaient probablement l'interprétation connue des L X X , et ils finirent par remplacer la crucifixion par la lapidation ou strangu lation avant pendaison (M Sanhédrin VI-VII) K Ces divers témoignages textuels permettent, semble-t-il, une meilleure approche des motifs de condamnation de Jésus à la crucifixion qui n'était pas une punition exclusivement romaine opposée à la lapidation juive, c o m m e on le dit souvent. Ils ajoutent beaucoup plus de poids que ne le conteste une critique rationaliste à la valeur historique de données des Évangiles.
Aramaic and Hebrew Inscriptions front Ancient Synagogues, Jérusalem, 1978, p. 107-109 : rraiG? mnn p rrrr -npm. 1. On ne peut s'appuyer sur Mt 2 3 , 3 4 : «... vous en tuerez et mettrez en croix...» pour trouver une attestation de la mise à mort avant pendaison. La coordination « et » (icat) entre les deux verbes est ici un sémitisme et équivaut à un gérondif participe : « ...vous en tuerez en les crucifiant... ». Si on veut garder l'autre traduction, ce passage refléterait alors la nouvelle pratique juive, postérieure à la crucifixion de Jésus.
THE "PLÊTHOS" OF JESUS' DISCIPLES JUSTIN TAYLOR
École biblique et archéologique française, Jérusalem
Résumé Dans le Nouveau Testament, le mot grec plêthos peut être employé, non pas au sens d'une foule indéterminée, mais en référence à un groupe qui est bien défini. Dans ce dernier sens, Vexpression se réfère souvent aux disciples de Jésus pendant son ministère, mais surtout après sa résurrection. Les disciples sont ainsi considérés comme formant une corporation constituée, capable d'agir et de prendre des décisions importantes. Dans des contextes analogues, polloi ou d'autres expressions comparables peuvent aussi se trouver. Plêthos et polloi reviennent dans d'autres textes paléochrétiens avec une acception similaire. On fait la comparaison avec l'emploi de rôb et rabbîm dans des textes de Qumrân. Summary In the New Testament, the Greek word plêthos is sometimes used, not in the sense of an indeterminate crowd, but in reference to a group that is well defined. In this latter sense, it is not infrequently used of Jesus' disciples, both during his ministry and especially after his resurrection. The disciples so referred to are considered as a constituted corporation which is capable of acting and accepting responsibility in important matters. In analogous contexts, polloi or comparable expressions are also found. Plêthos and polloi occur in other early Christian texts in a similar sense. The comparison is drawn with the occurrence of rob and rabbîm at Qumran. M y subject today is the use of the Greek work plêthos in the N e w Testament, especially in Acts, and in other early Christian literature, to denominate the community of Jesus' disciples. It is a word that has interesting connexions with Qumran, and, I would suggest, with ancient Jewish Christianity.
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I. "Plethos" in the New Testament The word plethos occurs, among other places, in the context of the summary in Acts 4 on the sharing of goods, in v. 32: "of the plethos of those w h o became believers was one heart and soul". In the N e w Testament, the word is usually taken to mean a "crowd", and indeed there are contexts where such a translation is perfectly apt. But this is not always so. A crowd is by nature indeterminate. W e note here, however, that the word is used of a group that is not numerically defined, but is not at all indeterminate: it consists of those w h o have become believers. This is in accordance with the meaning of the word in Greek literature and in inscriptions, where the term designates a quantity of persons or things, which is large but capable of being numbered; it can also have a quasi technical meaning as a consti tuted corporation (see the usual dictionaries). The usual term to desig nate collectively a crowd of indeterminate size is ochlos, often with an idea of conftision or agitation (see turbd). One of the intriguing things to emerge from a close study of the early chapters of Acts, especially by comparing the Western and Alexandrian texts, is the oscillation of the use of plethos to mean now a determinate group now a vague "multitude". What is the meaning of this "great number" {plethos)^ which is both well defined and at the same time able to turn into a crowd for later redactors of Acts? A n important link emerges here with Qumran. In the Qumran Community Rule (1QS), the qualified community is precisely designated by the expression "the multitude" (ha-rob), standing for the body of the members of the Community, w h o hold fast to the covenant ( 5 : 2 ) . There is an interesting alterna tion in this document between this term and that of ha-rabbim, liter ally "the many". In the principal text of the Community Rule, those w h o join the Community are "answerable to the Sons of Zadok, the priests w h o keep the covenant, according to the Multitude (ha-rob) of the men of the Community w h o hold fast to the covenant. According to their order shall g o forth the determination of the lot about everything concerning Torah, property, and judgment..."; at the same place of manuscript B of 1QS 5:2, those w h o join the Community are said to be "answerable to the authority of the Many (ha-rabbim) about everything concerning Torah [and property...]". The rabbim occur in similar contexts in the Damascus Document. Rabbinic sources also use the term ha-rabbim in connexion with the 1
1. In Philo's definition of the Essenes, Quod omnis probus, § 75, he speaks of a "plethos of more than 4000 members"; it is not clear whether he has a more precise technical meaning in mind.
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brotherhoods (haberim) in a qualitative sense ("qualified, notable members") rather than quantitative. There are indications that the word plethos may have a quasi technical meaning also in early Christian contexts: Mark 3:7-8 twice employs the expression "a very great number" (polu plethos) for the great crowds which c o m e to Jesus from everywhere. The term does not recur in Mark, and Matt does not use it at all, nor do the Pauline epistles. It occurs twice in John, once (21:6) in a passage which has a parallel in Luke (5:6). B y contrast, it occurs 8 times in Luke and 16 times in Acts (17 times in the Western Text, but absent from Acts 7-13); it looks then as if it belongs to Luke's vocabulary. At Jesus' Messianic entry into Jerusalem, Matt 21:8 and Mark 11:9 mention an imposing crowd accompanying him, but Luke 19:37 has "the great number (plethos) of the disciples", making a distinction between them and the onlookers (v. 39 ochlos). He has in mind the community of disciples, and not just a crowd, whereas the other evangelists have considerably inflated the scale of the demonstration. In Acts 6:2a, at the institution of the Seven, the "great number" of the disciples is convoked by the T w e l v e (or, as suggested by certain variants, convokes them), and is invited to choose seven persons for a new task. The expression recurs in v. 5, to indicate the approbation of the participants. It is clearly a question of an organized body competent to act, but the final redaction tends to make it a large assembly convoked by the Twelve. In Acts 15:12, during the Jerusalem assembly, the "great number" keeps silent after Peter's speech. Here too it is the group of the disciples (described as "apostles and brethren of Judaea" in 11:1). Later, the emissaries from Jerusalem arrive in Antioch, assemble the "great number" and hand over the letter (15:30). It is now a question of instructions given to the particular community of the disciples at Antioch. Later still, at Ephesus, Paul goes to the synagogue, but, when he is contradicted before the "great number" (Acts 19:9), he leaves, taking his disciples with him. Here the term designates the assembly in the synagogue, distinct from Paul's o w n disciples. This assembly, which Paul addressed over a period of three months, has a definite constitution and cannot be an undifferentiated crowd. Finally, when Paul is convoked before the Sanhedrin, what he has to say causes the division of the "great number" (Acts 23:6); it is evidently a regularly constituted assembly, consisting of Pharisees and Sadducees. This brief investigation leads to a fairly clear result. The term plethos, employed by itself, designates in the first place an organized assembly, of limited dimension. It is possible to add a nuance. In the 1
1. See S. LffiBERMAN, "The Discipline in the So-Called Dead Sea Manual of Discipline," in Journal ofBiblical Literature 71 (1952), p. 199-206, at p. 201.
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first part of Acts, centred on Peter, it is a question of the assembly of the disciples in general, or of a particular assembly. In the second, properly Pauline, part, the word occurs less frequently, but it appears to designate a Jewish assembly of limited size, synagogue or sanhedrin, in which only one part is favourable to Paul, w h o provokes a division of the plethos. This is in striking contrast to Acts 4:32 Western Text, which emphasizes that there was no division in the plethos of the disciples. In the course of the redaction of the B o o k of Acts, the term seems by and large to have lost its earlier, quasi tech nical meaning, and allowed itself to be used in the wider sense of a crowd. Applied to the disciples of Jesus, the "great number" refers to a definite community, of those who, as in Acts 4:32, have entered into the group of believers — this is the force of the aorist tense, rather than the present tense of the verb "to believe". In that case, w e can interpret fairly simply the passage of Acts 5:14 which speaks of "great numbers of men and w o m e n " w h o were being added to the Lord. It is a question of the — somewhat unexpected — addition of groups (plethe) of men and groups of women. The special mention of w o m e n is interesting. In Acts 8:3 and elsewhere, the mention of persecutions against men and of women suggests that the latter have a juridical entity, which was not to be taken for granted in the Roman world or in ordinary Jewish culture, where, except in certain cases of widowhood, a woman was generally identified in terms of her father, husband, brother or son. Josephus never speaks of any special posi tion of women, but Philo (Vita contemplativa § 3 2 f., 68 f., 83-87) provides a parallel case, the groups of female virgins, w h o m he calls "Therapeutrides". In particular, these take part equally with similar masculine groups ("Therapeutae"), though separately, in the Sabbath assemblies and celebrations every fifty days; these groups of men and w o m e n are of Essene type. Once again, Qumran is not far away. The Rule of the Congregation or First Annexe to the Community Rule ( l Q S a 1:11-12) seems to attribute a personal juridical status within the community to a married woman, enabling her to testify and vote at meetings. W e have seen that the term ha-rabbim is more or less 1
1. The same may be true of Flavius Josephus. In Jewish Antiquities XIII § 408, Alexandra Salome, who succeeded her husband Alexander Jannaeus, restored the customs of the Pharisees, and ordered the "great number" to obey them; she was loved by the "great number," as she deplored the faults of her husband, who had persecuted the Pharisees. This passage is usually understood in the light of the deve lopment of the Pharisaic tendency at the moment when Josephus is writing: Alexandra ordered "all the people" to follow them. It could all the same refer to more limited groups, among whom the Pharisees were one (with the special feature of oral rather than Biblical traditions).
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interchangeable in 1QS with ha-rdb. The corresponding Greek term (hoipolloi) also occurs in related texts. Most often it has its ordinary meaning "the many", but sometimes it has an identifiable technical sense. This is well illustrated in Jewish War II § 124, when Josephus explains that the Essenes reside "many" in all the towns. These "towns" are no doubt rural villages, close to cultivated land, a link which is essential for communities which place great value on the precepts (e.g. tithing) that are connected with the land. W e recall that, according to M Megillah 1:3, a "large town" (as opposed to a "village") is defined as a settlement where ten men can always be found with sufficient leisure to constitute a minyan for prayer. S o the reference is likely to be not do much quantitative as — in some way — qualitative. Likewise, Paul speaks in 2 Cor 2:6 of blame inflicted by the "many", though using another term (hoipleiones); it is a question of a definite disciplinary act performed by those competent to inflict it, and not by a crowd, a fact which shows that even with Paul at Corinth w e are still in the primitive environment. A further interesting example is provided by the narrative of Jesus' Last Supper: in Matt 26:28 and Mark 14:24, he speaks of his blood "shed for the many", whereas in Luke 22:20 it is "shed for you" (like the bread "given for you" in v. 19), that is to say, for a very limited group of twelve. The term "many" means "you" first of all, but also similar groups, limited in membership if unlimited in number.
II. "Plethos" in other early Christian literature. The term plethos to mean a definite group, and indeed one that is qualified to give judgment, like the rob at Qumran, is found in other early Christian writings outside the N e w Testament. Thus Clement of Rome, Epistle to the Corinthians § 54, explains that whoever has provoked an uprising (stasis; Messianic agitation?) or divisions is invited to pronounce his o w n exclusion, declaring that he will do all that the plethos may order! Again, Ignatius of Antioch, in the Epistle to the Magnesians 6.1 and in the Epistle to the Trallians 8.2, uses plethos to designate the community legally constituted; in the Epistle to the Smyrnians 8.2, he makes a notable distinction between plethos and ekklesia, the latter being the assembly convoked by the proclamation of the Good N e w s : the plethos is constituted by the presence of the episkopos, the ekklesia by the presence of Christ. He has in mind, of course, the same body of people, but viewed according to distinct formal aspects. Of very great interest is the use of the term plethos in a document which has been called the Ecclesiastical Constitution of the
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Apostles. Our attention will be given chiefly to N o . 16. This rule deals with the choice of an episkopos in an exceptional circumstance, namely where there is oligandria ("fewness of men"), so that there is not a plethos of those able to vote. A s w e have it, this rule is frag mentary; it may originally have begun by prescribing the normal way of making the choice, presumably by the plethos (the corresponding section of the Apostolic Tradition of Hippolytus [2] prescribes: Episcopus ordinetur electus ab omnipopulo). In the situation foreseen in this rule, "they" are to write to the neighbouring ekklesiai, where there is pepeguia ("permanence", here the converse of oligandria), so that three chosen men, may be sent from there to inquire into the fitness of the candidate. The rule goes on to specify the qualities required (which, no doubt, would be the same, whether the situation of the community were one of oligandria or of pepeguia). The word plethos strikes the eye. It is a question of those w h o are competent to vote concerning an episkopos; in the case supposed, of oligandria, they do not number even twelve, which appears to be the minimum normally required. This seems to be the best w a y of taking the difficult expression entos dekaduo andron, as can be seen from the Ethiopic, Arabic, S a h i d i c . The final sentence (16:2) foresees, but wishes to avoid, a case where an episkopos would be "confuted (eilenchtheis; see 1 Tim 5:20; 2 Tim 4:2; Titus 1:9,13; 2:15) by the many". That this sense was not apparent to the ancient translators is clear from the apparatus criticus to p. 25 of Schermann's edition. Already, A. Harnack perceived the equivalence of plethos and hoi polloi (see also hoi pontes at the end of 1 8 : 4 ) ; however, writing before the publication of the Essene literature, he could not make any connection with ha-rabbim there. A. Faivre notices several points in 2
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1. The document is found in several ancient collections of canonico-liturgical documents. The Greek text has been known since 1 8 4 3 , and the edition used here is by T. SCHERMANN, Die allgemeine Kirchenordnung, friihchristliche Liturgien und kirchliche Uberlieferung, I. Die allgemeine Kirchenordnung des zweiten Jahrhunderts, Paderborn, 1 9 1 4 , p. 1 2 - 3 4 . An ancient Latin version has survived in part among the "Verona fragments" (E. HAULER, Didascaliae Apostolorum Fragmenta Veronensia Latina, accedunt Canonum qui dicuntur Apostolorum et Aegyptiorum Reliquiae, vol. I, Leipzig, 1 9 0 0 ) . There are also other ancient versions, notably Ethiopic, Arabic and Sahidic, which include substantial developments (English traduction by G. HORNER, The Statutes of the Apostles, or Canones Ecclesiastici, London, 1 9 0 4 ) . For a recent study see A. FATVRE, "Le texte grec de la Constitution ecclésiastique des Apôtres 1 6 - 2 0 et ses sources," in Revue des sciences religieuses 5 5 ( 1 9 8 1 ) , p. 3 1 - 4 2 . For most of this century, it has been practically neglected, but it attracted the attention of A. HARNACK, Die Quellen der sogenannten apostolischen Kirchenordnung, nebst einer Untersuchung uber den Ursprung des Lectorats und der anderen niederen Weihen, Leipzig, 1 8 8 6 , p. 5 5 - 5 6 , who concluded that it drew on two sources which could date from the period 1 4 0 - 1 8 0 . 2 . See G. HORNER, op. cit., London, 1 9 0 4 , p. 1 3 3 , 2 3 9 , 3 0 1 .
3 . See A. HARNACK, op. cit., Leipzig, 1 8 8 6 , p. 10, n. 2 5 .
THE "PLÊTHOS" OF JESUS' DISCIPLES
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c o m m o n with the Qumran documents: the conjunction of the numbers 12 and 3 (see 1QS 3:1-4); the unlettered bishop and the "simple priest" of Cairo (Damaecus) Document 13:2-6; die strong interest in discipline and judgment. He does not, however, make the identification of the plethos or hoipolloi with ha-rob and ha-rabbim in 1QS. There seems to be a more general analogy with the groups of a minimum number of ten mentioned in the Qumran literature. In 1QS 6:2-6, wherever there are ten men w h o share the ideal of the Community, there is to be a priest w h o m they are to consult and w h o is to pronounce a benediction at the beginning of the common meal. The rule that every group of ten is to have a priest to give judgments is also in Cairo (Damaecus) Document 13:1-3, and that prescribing the priestly benediction at every c o m m o n meal of at least ten, is in l Q S a 2:18-22. In making this comparison, I would emphasize the common requirement of a minimum number to constitute the group, irrespective of whether that number be ten or twelve. T o return to our document, the same use of plethos, to denote those qualified to choose officers of the community, is found in the first rule on the deacons (20:2,3). On the other hand, the word seems to have another sense where it occurs in the rule on the presbyters: obviously, in 18:1, where it refers to the host of angels, but also in 2 and 3, where the plethos is the object of the ordering activity of the presbyters, and could be translated as "the crowd". B y contrast, in 4, the presbyters collectively are to pass judgment, and the document uses of them expressions — to hen poiesantes and meta ises boules — which recall those applied to the plethos in Acts 4:32 (kardia kai psuche mia) and 5:12 (homothumadon). N o . 16 is missing from the "Verona fragments", but in 20:2,3 para/apo tou plethous is translated a multitudine. The word plethos does not occur in the Didache. On the other hand, a number of the directives in that document are addressed in the second person plural. It occurs often in the Apostolic Constitutions (II 21,8; 22,12.13; 34,3; 49,3.5; III 19,1; V 7,15; 14,13; VI 12,12; 2 2 , 3 ; 2 8 , 1 ; VII 35,3; VIII 1,6; 12,15.21.22.23), but never with a sense approaching that which w e have seen in Ecclesiastical Constitution of the Apostles 16 and 20. It does not appear in the Greek of other surviving canonico-liturgical documents. This is comparable to the disappearance of the special sense of the word in the history of the redaction of Acts. W e have already noted the correspondence between the use of a word in the Ecclesiastical Constitution of the Apostles and in the Pastoral Epistles. Schermann's notes point out, what every reader can 1. See A. FATVRE, op. cit., in Revue des sciences religieuses 55 (1981), p. 37-40.
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easily see, that there are many contacts between this document and, especially, 1 Tim and Titus (also other early Christian literature). The hypothesis that will spring spontaneously to mind is, of course, that the author of the Ecclesiastical Constitution of the Apostles drew on the Pastorals, and this is the v i e w of A. Faivre. On the other hand, for A. Harnack close examination of the corresponding passages suggests rather that the Ecclesiastical Constitution of the Apostles and the Pastorals represent t w o independent recensions of c o m m o n material. Notably, he w r i t e s : "Man hat den Eindruck, dass der Verfasser der Pastoralbriefe und unser Verfasser ungefahr zu derselben Zeit geschrieben haben, dass die kirchlichen Verhaltnisse, unter denen sie standen, ungefahr die gleichen waren, dass ihnen derselbe Complex von kirchenrechtlichen Ordnungen in den Grundziigen und zum Theil in einem gegebenen Wortlaute feststand, dass sie aber auf diesem Fundament ganz selbststandig ihre Anweisungen concipiert haben." I would draw attention to one case of especial interest. According to Ecclesiastical Constitution of the Apostles 16:1, an episkopos must enjoy a g o o d reputation on the part of the Gentiles (ei tis phemen kalen echein apo ton ethnon). There is an obvious correspondence with 1 Tim 3:7: dei de ton episkopon kai marturian kalen echei apo ton exothen. The expression in Ecclesiastical Constitution of the Apostles is more specific than that in 1 Tim and could be regarded as a gloss; on the other hand, it would find a natural Sitz im Leben in a Jewish community in the Diaspora. In conclusion, it seems that there is ample evidence for taking the Greek expression to plethos in Acts 4:32 and certain early Christian texts, as well as associated terms such as hoipolloU in a quasi tech nical sense as designating the body of those w h o had become believers in Jesus. This body is seen to act in ways that befit a consti tuted corporation, and not simply a vague "multitude". The terms themselves and the corresponding realities have their counterparts in Qumran literature and comparable texts. They constitute a valuable clue — one among many — for identifying the particular Jewish environment in which Christianity began. 1
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1. See A . FATVRE, op. cit., in Revue des sciences religieuses 5 5 ( 1 9 8 1 ) , p. 3 3 . 2 . See A . HARNACK, op. cit., Leipzig, 1 8 8 6 , p. 5 2 - 5 3 .
3 . See A . HARNACK, op. cit., Leipzig, 1 8 8 6 , p. 5 3 .
JAMES, THE BROTHER OF JESUS, WAS NEVER A CHRISTIAN ETIENNE NODET
École biblique et archéologique française, Jérusalem
Résumé Le terme « chrétien », forgé par les Romains hors Judée, désignait à Vorigine des révoltés juifs messianisants. Il s'attacha ensuite aux disciples de Paul. À Jérusalem, Jacques le Juste, qui ne pouvait reconnaître en Jésus le Messie qu'avec sa famille il attendait, fut un personnage considérable, grandi par son martyre sous le grand prêtre sadducéen Anân. Il y a de bonnes raisons pour l'identifier avec le Maître de Justice, persécuté par le Prêtre Impie. Summary fi
The word Christian" was first coined by Roman authorities to qualify Jewish messianizing rebels outside Judea. Later it was stuck to Paul's disciples. In Judea, James the Righteous could not recognize Jesus as the Messiah expected by the Nazoreans. He was a prominent sectarian, even more renowned after his execution by the high priest Anon, a Sadducee. It is suggested to identify him with the Teacher of Righteousness, killed by the Wicked Priest. The title of this paper falls into two questions: W h o was James? What can be said of the name "Christian" by the time of the first disciples? The second question has been dealt with e l s e w h e r e , so after a summary of the results w e shall focus on the first, about which two books were published recently, by Pierre-Antoine Bernheim and Robert E i s e n m a n . 1
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1. É . NODET-J. TAYLOR, The Origins of Christianity. An Exploration, CollegeviUe, Minnesota, 1 9 9 8 . 2 . P.-A. BERNHEIM, Jacques, frère de Jésus, Paris, 1 9 9 6 ; R . EISENMAN, James the Brother of Jesus. The Key to Unlocking the Secrets of Early Christianity and the Dead Sea Scrolls, New York, 1 9 9 6 .
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I. The first Christians. According to Acts 11:26, some disciples were called "Christians" for the first time at Antioch. The Western Text (WT) wording is instructive: [Barnabas and Paul] having arrived, during an entire year they were in agitation; then for the first time the disciples were called Christians. The first thing to note is that the name christiani is of Latin, not Greek, formation, and that the formulation of the sentence in Acts has an official ring about i t . The name may well be of popular origin, but it is likely that its use here, with its juridical coloring, comes more immediately from the Roman authority. It is given (imposed) for the first time at Antioch, and it will mark its bearers as criminals. Probably it already did so before it was applied to the disciples of Jesus. A n y h o w it was not a self-definition of the disciples and did not c o m e from Jerusalem. The connection of "Christian" with Jesus, therefore, is not direct. Pilate's title on Jesus' cross mentions "Nazorean" and "King of the Jews", but not "Christ". The name "Christian" appears in the sequel of agitations, and this provides a clue. In the first year of his reign ( 4 1 ) , Claudius, according to Suetonius {Claudius, § 25), expelled Jews from Rome, w h o were stirring up constant tumults at the instigation of "Chrestus" (impulsore Chresto). A m o n g these Jews was Aquila, before his meeting with Paul at Corinth (Acts 18:1 f.); and both belonged to the same movement. Nothing suggests that this Chrestus was Jesus. He was the Messiah about to come, and the tumults were created by messianizing people. A good context in Roman history is the over whelming Jewish disturbances provoked by Caligula when he ordered that his statue be erected in the Jerusalem Temple. On the other hand Paul was a zealot, and quite probably a specialist of distur bances, unlike Barnabas, a disciple of Peter. During Barnabas' Antioch mission, when he felt unable to keep the situation under control, he went to Tarsus and called Paul for help. T o sum up, the name "Christian" was — and remained — 1
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1. Manuscript D: o\)ve%i)8T|aav, against the other witnesses cn)vf|%9r|aav ("they joined"). 2 . See E. PETERSON, "Christianus," in Miscellanea Giovanni Mercati (Studi e Testi, 1 2 1 ) , Rom, 1 9 4 6 , p. 3 5 5 - 3 7 2 , who emphasizes that the form of the term, desi gnating "partisan of X" (for example "Herodians"), suggests a derivation from a proper name (real or supposed by the authorities), here Christus/Chrestus (persona lized equivalent of Messiah). 3 . Dio Cassius, Historia 6 0 . 6 . 6 , reports these events at the beginning of the reign of Claudius ( 4 1 ) and states that the emperor wished to expel all the Jews, but could not do so without risk, and only forbade assemblies. See J. MURPHY-O'CONNOR, St. Paul's Corinth. Texts and Archaeology, Collegeville, Minnesota, 1 9 9 0 , p. 1 3 8 - 1 4 8 . The date of 4 9 , adopted by many commentators, is based on a rather uncertain text in Orosius, Historia 7 . 6 . 1 5 - 1 6 . 2
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connected with Paul, and later with Rome, as shown by Josephus' notice about Jesus. W e may add that these messianic agitations provided a g o o d opportunity for intercourse between Jews and Gentiles, with the c o m m o n goal to escape Roman authority (and taxes). This was of course superficial, which is suggested by Acts 11:23 f., when Barnabas, "filled with Holy Spirit and with faith" urged the people "to remain profoundly attached to the Lord". In other words, he wanted more than casual demonstrations and uprisings. This short explanation of the word "Christian" may seem some what one-sided. It is intended to sharpen the contrast between Paul and James.
II. James and the Sadducee Anan. For the sake of clarity, w e begin with Josephus' account of James' execution, the only event recorded of Anan's short tenure, in 6 2 (Jewish Antiquities 20:197-203): And now Caesar, upon hearing the death of Festus, sent Albinus into Judea as procurator. But the king [Agrippa] deprived Joseph of the high priesthood and bestowed the succession of that dignity on the son of Anan, who was also himself called Anan. Now the report goes that this elder Anan proved a most fortunate man, for he had five sons, who had all performed die office of a high priest to God, and he had himself enjoyed this dignity a long time formerly, which had never happened to any other of our high priests. This younger Anan who, as we have told you already, took the high priesthood, was a bold man in his temper, and very inso lent. He was also of the sect of the Sadducees, who are very rigid in judging offenders, above all the rest of the Jews, as we have already observed. When, therefore, Anan was of this disposition, he thought he had now a proper opportunity [to exercise his authority]. Festus was now dead and Albinus was upon the road. So he assembled a sanhedrin of judges, and brought before them the brother of Jesus, who was called Christ, whose name was James, and some of his companions. And when he had formed an accusation against them as breakers of the law, he deli vered them to be stoned. But as for those who seemed the most equitable of the citizens, and such as were the most uneasy at the breach of the laws, they disliked what was done; they also sent to the king [Agrippa], desiring him to send to Anan that he should act so no more, for that what he had already done was not to justified. Nay, some of them went also to meet Albinus, as he was upon his journey from Alexandria, and informed him that it was not lawfiil for Anan to assemble a sanhedrin without his consent. Whereupon Albinus complied with what they said, and wrote in anger to Anan, and threatened that he would bring him to punishment for what he had done; on which king Agrippa took the high priesthood from
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ETIENNE NODET him, w h e n he had ruled but three months, and made Jesus, the son of Damneus, high priest. 1
This passage is difficult, for two main reasons: first, nothing is said of the accusation itself, which should have been serious enough to provoke an official trial with a sanhédrin; second, the serious, moderate people get uneasy about this trial, but do not say it was just a disguised murder with fake accusation. Then Anan is removed for formal, political reasons, and not because there were no grounds to condemn James. On the other side, Albinus cannot have been upset if Anan only put to death some marginal, dangerous zealots. N o w , it has to be stressed that Anan was a Sadducee. The Sadducees are often defined according to Acts 5:17 as the milieu of the high priests; but this verse has a significant anachronism, for the high priest w h o puts the apostles in prison is the same Anan! Some add, relying upon Zechariah, that the Sadducees were the last repre sentatives of the Sadocide high priests w h o ruled till the Maccabaean crisis, but this view cannot be reconciled with the books of 1-2 Maccabees (and Daniel). But let's focus upon the Sadducees. If w e follow Josephus the picture looks quite different. To put it shortly, they appeared seemingly toward the end of the 2nd c. B C , so after the Pharisees, whose oral traditions were connected with Babylonia. They can be called "reformers", for they wanted to rely upon the authority of the Bible exclusively, and discussed harshly with their teachers to make sure that every law be connected with Scripture. In this context, the very fact that a Sadducee became a high priest was really unusual. A tentative explanation could be that Agrippa tried to get control of the pretensions of the zealots, who were very religious people, by promoting a very religious high priest, admittedly not from the most popular school. Incidentally, w e may note that for the moderate people opposing Anan's deed Josephus' wording corres ponds to his definition of the Pharisees (Jewish Antiquities 18:19), where he says that no Sadducee could ever rule against Pharisaic views. Though he does not elaborate on Anan's case, one may imagine that it was in his mind when he wrote his definitions. Anyway, Josephus changed his mind about him, for in the Jewish War, Anan is no less than his model (4:162-192). He mentions him as a high priest, in the broad sense of belonging to a family which had several high priests, but he does not allude to his effective tenure in 6 2 nor to the events connected to the Galilee war. Thus Anan was actually a prominent personality, and if Josephus changed his views
1. After the translation of W . WHISTON-P. L . MAEER, The New Complete Works of Josephus, Grand Rapids, Michigan, 1999, p. 656.
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about him, this was because of his new goals when he wrote the Jewish Antiquities and Life. With this background w e can consider Jame's trial itself, and may surmise it was performed according to strictly biblical laws. N o w in the Pentateuch w e find only two specific accusations which lead to stoning: the "stubborn and rebellious son" accused by his parents (Deut 21:18-21), and blasphemy (Lev 24:15-17). The former case cannot fit, for James and his companions were most probably adult people, but the latter can, and is quite interesting, for the reference verse is ambiguous: "Whoever distincly utters the name of God shall be put to death". The Greek tradition (Philo, LXX: 6vo|nd^a)v) as well as the Manual of Discipline (1QS 6:27 s.) understand "in any circum stances", but the Hebrew word (nqb) and biblical context suggest more specifically a definite blasphemy, as understood by Josephus (Jewish Antiquities 4:202) and rabbinic tradition. It may not be exag gerated to conclude that James' official trial was not the outcome of casual coarse speech, but the consequence of an utterance of the name of God deemed to be a serious, public blasphemy. Incidentally, it is to be noted that Josephus, when he expounds the Law, begins with the commandment to build up a shrine in the holy city. This is obvi ously connected with the commandment of pilgrimages three times a year, for in Josephus' v i e w the goal of the whole Law is to organise the people (politeia). In fact, the next positive precepts he mentions are these pilgrimages, but immediately before them he speaks of blas phemy and its punishment (Jewish Antiquities 4:201-203). Thus for him a serious blasphemy, which may cause scandals and uprisings — and endanger the people — , seems to be connected with the Temple and the crowded pilgrimages. This makes a good sense, for he indicates often that the main opportunities for disturbances were these huge festal gatherings, which all the rulers were afraid of, Romans as well as Jews. A s for James' trial, Josephus backs the side of the "moderate" people, but he was hardly fond of James himself during his life. The same way he speaks of John the Baptist: the marginal preacher was of no interest for him but after his death John's reputation grew up significantly among people w h o never were close to him. The same can be said of James: he became more renowned as a martyr. In other words, James may have been dangerous for Anan, but to have him put to death eventually proved to be a mistake. According to John 11:59 the high priest made the same mistake with Jesus: he underestimated the power of martyrdom. The main conclusions w e can extract from Josephus' story are first that James could be deemed a serious opponent to the high priest Anan, and second that neither he nor his companions are called "Christians", though James was the brother of Jesus, called Christ. In
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other words, they seem unrelated to the messianising events at Rome and Antioch. T o learn more about him, w e have to gather information from other sources.
III. Who was James? In the N e w Testament, James' position is difficult to assess. On one side, he belongs to Jesus' family, and more generally to the Nazorean milieu, w h o opposed his mission. This mission, Jesus' public life, began with the baptism of John. This step was Jesus' personal deci sion, unconnected with any family tradition, but a reminder of his origin appears on Pilate's title. Nothing is known of the historical relationship between James and John, but some signs of rivalry between their followers are discernible, as w e shall see. But on the other side, the book of Acts shows James' unmistakable authority after Jesus disappeared, though he was never his disciple and nothing is said of his promotion as a ruler. A s for his views (Acts 15), he expects the end of the w o r l d — a n d the M e s s i a h — t o c o m e soon, and has some precepts for the Gentiles w h o look for God, but his keyword remains "no confusion between Jews and Gentiles". Moreover, he does not prompt the gentile God-fearers to become Jews, hence "no circumcision". It is to be stressed that he never speaks of Jesus, for he cannot have been the expected Messiah. All this has nothing to do with the story of the first Pentecost (Acts 2), but seems closer to the mind of the disciples by the time of the Ascension. In other words, Jesus for James cannot be recognised as Messiah unless he comes back and wins ("restore the kingdom to Israel"), which may imply the judgment of the wicked. In the N e w Testament nothing is said of James after the Jerusalem meeting of Acts 2 1 , but Eusebius gives an account of his life and death according to Hegesippus (Ecclesiastical History 2.23.3-4). James was a permanent nazir from birth like Samuel or John the Baptist, but unlike the latter he never took baths, nor got anointed. S o he was unconnected to John's movement, and he had no messianic symbols, for "messiah" means "anointed". "Nazir" and "Nazorean" are similar in Greek, with a possible word play or pun. But for some unknown reason he was entitled to get into the Temple, and had received linen garments to this effect. There he was praying God to forgive the people for their sins. This is meaningful in the context given by Josephus, for around 6 2 violence was growing in Judaea, and especially religious violence with the zealots and sicarii. A n y h o w James' priestly activity, where no sacrifice is mentioned, may suggest the Day of Atonement. This is not quite clear, but Josephus' account, which implies a formal blasphemy, provides a
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clue, if James did utter publicly the name of God, praying for atone ment. Hegesippus adds interesting details. One day of Passover, there was an uproar among the Jews, for many people were believing in Jesus. They came to James, w h o s e righteousness was famous, and urged him to tell the people that Jesus was not the Messiah. They put him on top of the Temple, so that everyone could hear his statement, but he declared: "I see the heaven opened and the son of man standing at the right hand of God." S o he sees the impending final judgment, which can be deemed messianic, but interestingly enough he does not speak of Jesus or messianizing activities. Then the Jews said: "Even the righteous one went astray." And they climbed up to the roof and threw him down. But he was still alive, and they wanted to stone him. Before dying he prayed: "Forgive them, Father, for they do not know what they are doing." This story looks awkward, but if w e remove the question about Jesus, which can be termed Christian editing (in the footsteps of the Acts narratives), the general outline becomes clear: James was stoned for he was proclaiming the end of the world and praying at the Temple in a way the ruling Jews could not accept. This has nothing to do with Jesus or Christianity. About the stoning, there is a duplication: throwing down is the legal stoning witnessed by rabbinic tradition (M Sanhedrin VI:4). W e may conclude that some formal blasphemy lies behind Hegesippus' story. T o g o a step further, w e may tentatively follow Eisenman's theory, which rely upon some Qumran documents. In a lengthy, polemical book, he strives to prove that James was simply the Teacher of Right eousness (rnwrh sdq). Here is an outline of his reasoning: 1. the accepted paleographical datings of the Dead Sea Scrolls are not beyond doubts, and it is necessary to improve them by considering their content; 2. in this respect, some documents are obviously ancient, for many copies were found but others should have been written later, for only one copy was extent, and there is no ground to surmise that literary activity stopped before the site of Qumran was abandoned, around 70; 3. in spite of a noticeable chronological exten sion, all the documents betray the same marginal Jewish culture; 4. now, all the pesher documents, which are actualising interpreta tions of Scripture, belong to the second category, thus they should be dated around the end; 5. this fits their content, for some of them allude to "the last priests of Jerusalem", to "invading troops w h o worship their insigna", to Roman taxes, to the plundering of the Temple, etc. According to the more ancient texts, the leader of the group (pqyd, mbqr) is also called Teacher of Righteousness, and the priests sons of Sadoq will rise at the end of times to judge everyone: to justify the righteous and condemn the wicked (1QS 5:2.9). S o m e statements are
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more specific: according to Convenant Document 6:5, these priests are the opponents of the priests functioning at Jerusalem; lQpHab mentions an argument between the Teacher of Righteousness (termed high priest in 4QpPs 37 3:13-17) and the Preacher of Deceit w h o "rejects the Torah in the congregation" as well as the Wicked Priest. Then the struggle becomes more serious: according to lQpHab 11:4-8, "the Wicked Priest chased the teacher of righte ousness to swallow him, in his venomous wrath, in his house of exile; at the end of the rest feast of the day of atonement, [the wicked priest] appeared to them to swallow them up, throwing them down on the fast day, the sabbath of their rest". From the Temple point of view, this Teacher of Righteousness, a would-be high priest, came on one Day of Atonement with some companions, and aroused a violent opposition from the Temple authorities, w h o threw them down, that is to say had them legally stoned. In this respect, the Wicked Priest of the Pesher "rejected the Torah in the congregation" (officially). Thus there was a formal blas phemy, which is now clear: the Teacher of Righteousness wanted to act as high priest on that day, and uttered the name of God. A s for this Y o m Kippur itself, it was probably computed after the Jubilee calendar, different from the Jerusalem official calendar, so that the arrest and judgment could take place that very day, which may well have been close to Passover. If Eisenman' system of datings can be accepted, the identification of James the Righteous and the (last) Teacher of Righteousness is almost perfect and quite striking, and Josephus and the pesharim help understanding one another. At any rate James is thus connected to a milieu, and one may discern h o w he may have been dangerous for Anan, here in the position of the Wicked Priest, and h o w he became even more dangerous as a martyr. He never was a zealot or a messianizing "brigand" (^rjaTrjc;).
IV. The importance of James. Let's begin with a word about James' posterity. The sources are scanty, but Eusebius indicates twice that the Jerusalem Christians (read "Nazoreans") till 135 were circumcised, observant Jews {Eccle siastical History 3.35; 4.5.2). They were sometimes persecutions against their leaders ("bishops"), w h o were supposed to be possible davidide messiahs. Hegesippus, quoted by Eusebius, gives a list of these "bishops", called desposunoi, for example from Jesus' family. But Eusebius has obviously a "Christian" bias, derived from Acts, where it is suggested that Paul's disciples (the "Christians") are the true Nazoreans. In fact, nothing indicates that Jesus was the first
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Nazorean: Joseph's whole family w a s Nazorean, and probably too the whole village of Nazareth, which never accepted Jesus' mission. Later, these Nazoreans, and other similar groups (Ebionites), disap peared. T o put it otherwise, James' posterity never had his calibre. James was killed by a religious high priest in the name of the Torah, but he was interceding for the whole people in the name of the same Torah. This w a y he could be viewed as a true martyr, and even as the suffering servant of Isaiah 5 3 , rejected by the ones he wanted to save ("He was wounded for our transgressions, bruised for our iniq uities..."). This outstanding position had some interesting conse quences, for Paul's Christianity was the enemy of James' supporters, as the Pseudo-Clementine literature makes clear. In the N e w Testa ment, which is quite Pauline, James' martyrdom is not directly mentioned, for he could not be accepted as the Suffering Servant, but it appears as a hidden pattern. This pattern can be seen in the stoning of Stephen. At the first glance some problems are conspicuous: several repetitions, a trial for an undefined blasphemy and a lynching by the crowd. W e follow here Boismard-Lamouille's analysis, slightly edited, which shows that the trial is a secondary feature (Document P is the source, Act I, II, III are three redactional stages): 1
Document P
Act I
Act II
Act HI (Act 6-7)
(6:8) And Stephen, full of grace and power, did great wonders and signs among the people. (9) Then some of those of the syna gogue of the Freedmen [... ] ... Freedmen, and of the Cyrenians, and arose and disputed with Stephen. (10) But of the Alexandrians, and of those from they could not withstand the wisdom and Cilicia and Asia, arose and... the Spirit with which he spoke. (lObis — WT) Unable to face the truth, (11) they secretly instigated men, who said: "We have heard him speak blasphemous words against Moses and God." I (12a) And they stirred up the people and I the elders and the scribes. I (12b) And they came upon him and seized him and brought him I before the sanhedrin. (13) And they set up false witnesses who said: "This man never ceases to speak words against this place and the Law." (14) For we have heard him say that this Jesus of Nazareth will destroy this place and will change the customs which Moses delivered to us.
1. See M.-É. BOISMARD-A. LAMOUILLE, Les Actes des deux Apôtres I, II, III
(Études bibliques-Nouvelle série 12-14), Paris, 1990, vol. m, p. 104-109 : they use some features of the Western Text.
ETIENNE NODET
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(15) And gazing at him, all who sat in the sanhedrin saw that his face was like the face of an angel. (7,1) And the high priest said: "Is this so?" (2-53) [Stephen's speech Act I, then twofurther stages Act II-III]. (54) Now when they heard these things they were enraged, and they ground their teeth against him. (55) But he, full of the Holy Spirit, gazed into heaven and saw the glory of God, and Jesus standing at the right had of God. (56) And he said: "Behold, I see the heavens opened, and the Son of man standing at the right hand of God." (57) But the people, upon hearing this (57) But they (AT), stopped their ears (WT), shouted aloud and all rushed upon and rushed together upon him, (58a) him, (58a) then they cast him out of the city and cast him out of the city. (58b) And the witnesses laid down their and stoned him. garments at the feet of a young man named Saul, (59a) and they were stoning Stephen. I (59b) He was praying and saying: "Lord I Jesus, receive my spirit". I (60a) And he knelt down and cried with a loud voice: I "Lord, do not hold this sin against them". I (60b) And when he had said this he fell I asleep. (8:1a) And Saul was consenting to his death. (8: lb) And on that day a great persecution arose against the church of Jerusalem, and they were all scattered throughout the region of Judea and Samaria, except the apostles. (2) Devout men buried Stephen, and made great lamentation over him. | (3a) But Saul laid waste the church. (3b) Entering house after house, he dragged off men and women, and committed them to prison. The passage is complicated, but the distinction between a sponta neous lynching by the crowd — the primitive story — and a formal trial for blasphemy puts s o m e order. The trial, which is almost complete, with the unanimous judgment, is concluded with the execution by the witnesses. The most striking difference between the lynching and the trial lies in the accusations: the first mentions s o m e statements against the Temple and the Law, which has nothing to do with a blasphemy against M o s e s and God. But if w e focus upon the trial itself with the high priest and a sanhedrin (putting together the three stages A c t I-III), which includes Stephen's speech against the shrine, the formal blasphemy remains unclear, for it w o u l d imply definite utterances. W e may note s o m e observations: first, that with the trial are added many people (v. 9 ) , which suggest a pilgrimage. Second, the final
JAMES WAS NEVER A CHRISTIAN
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prayer of Stephen is interesting (v. 60a) if w e remove the Christian interpretation, it looks like the intercession of the high priest for the people on the Day of Atonement, possibly with the name of God. S o there is a hint at a formal blasphemy, which has nothing to do with false witnesses. This indicates that the editor of this stage did use a source, but without understanding the legal point. A third observa tion is that the high priest in charge mentioned in the context is Anan (Acts 4:6, at the trial of Peter and John), which is an anachronism, for the only high priest Anan before James was the father of our Sadducee, w h o was removed in 15 (Jewish Antiquities 18:26-34). S o it appears that this trial of Stephen is really similar to James' with Anan. But it was added to a first story of stoning. W e may definitely conclude, therefore, that Stephen's trial is actually a projection of James'. Smaller details confirm this: the name of Stephen does not appear in the trial; Stephen's burial by pious men and not by disciples hardly fits Stephen's time, but concords with James' burial as mentioned by Hegesippus. This way Stephen becomes, instead of James, a prominent figure of the suffering servant.
V. P a u s i s . It is generally taken for granted that Stephen's trial and death depend on Jesus'. The next step would be to test the reverse hypothesis. In the Synoptics Jesus' trial is difficult to assess: 1. it takes place on a Passover night; 2. the blasphemy is not apparent; 3. the result is not a stoning, but a crucifixion which looks very Roman; 4. John does not know of it.
L'ÉVANGILE DE JEAN ET LES SAMARITAINS MARDE-ÉMILE BOISMARD
École biblique et archéologique française, Jérusalem
Résumé Depuis longtemps nombre d'auteurs admettent que VÉvangile selon Jean fut écrit pour les Samaritains. En faveur de cette thèse, on peut apporter une interprétation nouvelle de Jn 1, 19 - 2, 5. Les Samaritains vénéraient deux illustres personnages : Moïse le prophète et Joseph le roi. En Jn 1, 45, Jésus est désigné comme le nouveau Moïse annoncé par Dt 18,15.18, et comme le « fils de Joseph », qui a même portée que l'expression juive « fils de David ». Joseph est donc celui que pouvaient attendre les Samaritains. C'est presque la seule représentation de Jésus que l'on trouve au niveau le plus ancien de l'Évangile johannique. y
Summary For a long time now, a number of authors have contended that the Gospel of John was written for the Samaritans. In support of this theory, we may bring forward a new interpretation of John 1:19-2:5. The Samaritans venerated two illustrious personages: Moses the prophet and Joseph the king. In John 1:45, Jesus is designated as the new Moses, foretold by Deut 18:15.18, and as the "son of Joseph", which has the same meaning as the Jewish expression "son of David". Thus, Joseph could be the one whom the Samaritans were awaiting. This is just about the only representation of Jesus that one find at the earliest level of the Johannine Gospel. U n certain nombre d'auteurs ont déjà émis l'hypothèse que l'Évangile de Jean aurait été écrit pour convertir les Samaritains à la foi chrétienne . J'ai moi-même soutenu cette thèse dans mon livre intitulé l
1. Voir, entre autres : J. BOWMAN, « Samaritan Studies. I. The Fourth Gospel and the Samaritans », dans Bulletin of the John Rylands Library 40 (1958), p. 298-308 ; W. A. MEEKS, The Prophet-King. Moses Traditions and the Johannine Christology,
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L ' É V A N G I L E D E JEAN E T L E S S A M A R I T A I N S
l
Moïse ou Jésus ? . Je vais reprendre ici un chapitre de ce livre, mais en le résumant et en présentant les arguments de façon plus logique, et donc, j e crois, plus convaincante. En Dt 1 8 , 1 5 , Moïse promet aux Hébreux : « Yahvé ton Dieu suscitera pour toi, du milieu de toi, parmi tes frères, un prophète c o m m e moi, que vous écouterez. » Cette promesse est reprise aux versets 18-19 ; c'est Dieu lui-même qui parle à Moïse en ces termes : « Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi ; j e mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que j e lui ordonnerai. Si un homme n'écoute pas mes paroles, que ce prophète aura prononcées en mon nom, alors c'est moi-même qui en demanderai compte à cet homme. » Dieu a donc promis à son peuple de lui envoyer un prophète semblable à Moïse. Ce thème tient peu de place dans le reste de la Bible, sinon chez le prophète Jérémie qui, au début de ses oracles, compare clairement sa mission par Dieu à celle de M o ï s e . En revanche, l'idée que Jésus fut c o m m e un nouveau Moïse tient une grande place dans l'Évangile de Matthieu, dans l'Évangile de l'enfance de Luc, et surtout dans l'Évangile de Jean. C'est cet Évangile seul qui va nous retenir. 2
I. Le nouveau Moïse dans l'Évangile selon Jean. a) Jésus est le Prophète par
excellence.
À deux reprises, Jésus est reconnu comme étant le Prophète. Il n'est pas seulement un prophète, il est le Prophète par excellence, et les commentateurs reconnaissent d'ordinaire que ce titre renvoie au prophète semblable à Moïse annoncé par Dt 18, 18. C'est spécialement clair en Jn 6 , 1 4 . Après le signe de la multiplication des pains, au
Leyde, 1967 (surtout p. 250-254) ; G. W. BUCHANAN, « The Samaritan Origin of the Gospel of John », dans J. NEUSNER (ÉD.), Religions in Antiquity. Essays in Memory ofErwin Ramsdell Goodenouth, Leyde, 1968 ; E . D. FREED, « Samaritan Influence in the Gospel of John », dans Catholic Biblical Quarterly 30 (1968), p. 580-587 ; E . D. FREED, « Did John write his Gospel partly to win Samaritan Converts ? », dans Novum Testamentum 12 (1970), p. 241-256. 1. M.-É. BOISMARD, Moïse ou Jésus ? Essai de christologie johannique, Louvain, 1988. — Traduit en anglais par B. T. Viviano sous le titre Moses or Jesus. An Essay inJohannine Christology, Louvain, 1993. 2. Jr 1, 4-10. Voir P. E . BROUGHTON, « The Call of Jeremiah. The Relation of Deut 18 : 8-22 to the Call of Jeremiah », dans Australian Biblical Review 6 (1938), p. 37-46, et W. L. HOLLADAY, « The Background of Jeremiah's Self-Understanding : Moses, Samuel, and Psalm 22 », dans Journal of Biblical Literature 83 (1964), p. 153-164.
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MARIE-ÉMILE BOISMARD
cours duquel Jésus a nourri la foule dans le désert, c o m m e l'avait fait Moïse, la foule enthousiaste déclare : « Celui-ci est vraiment le Prophète qui vient dans le monde. » D e même, en Jn 7, 4 0 - 4 1 , en entendant l'enseignement de Jésus, la foule de Jérusalem déclare : « Celui-ci est vraiment le Prophète », tandis que d'autres affirment : « Celui-ci est le Christ. » Jésus est donc le Prophète par excellence, le prophète semblable à Moïse, celui qui doit venir dans le monde selon la promesse faite par Dieu en Dt 1 8 , 1 8 - 1 9 . b) Les citations
implicites.
L'évangéliste a voulu montrer que Jésus était c o m m e un nouveau M o ï s e en lui attribuant des paroles qui reprennent des paroles que la Bible dit avoir été prononcées par Moïse. Il en existe un assez grand nombre, mais pour ne pas allonger cet exposé, j e n'en citerai que la plus significative. En Jn 12, 4 8 - 5 0 , c'est Jésus lui-même qui se compare au prophète semblable à M o ï s e annoncé par D t 18, 18-19, mais en inversant les choses. Il dit d'abord, au v. 4 8 : « Celui qui m e rejette et ne reçoit pas m e s paroles a qui le juge ; la parole que j'ai dite, celle-là le jugera au dernier jour. » C'est le thème de Dt 1 8 , 1 9 , lu probablement d'après le Targum : l'homme qui n'écoutera pas les paroles du Prophète, la Parole de Dieu lui en demandera compte. Puis Jésus poursuit, au v. 4 9 : « Car j e n'ai pas parlé de moi-même, mais celui qui m'a envoyé, le Père, lui m'a donné commandement de ce que j e dirai et de ce dont j e parlerai. » C'est exactement le thème de Dt 18, 18 : « et il leur parlera c o m m e j e lui en ferai commandement ». Dans le texte johannique, ce thème du commandement donné par D i e u au Prophète est repris au v. 5 0 : « Et j e sais que son commandement est vie éternelle. » Puis l'ensemble est repris sous une forme moins stricte : « Donc, ce dont j e parle, c'est c o m m e m e l'a dit le Père qu'ainsi j e parle. » Jésus aurait donc reconnu lui-même qu'il était le Prophète par excellence, le prophète semblable à Moïse annoncé par Dt 1 8 , 1 8 - 1 9 .
c) Venons-en maintenant au texte qui va revêtir pour importance majeure, celui de Jn 1, 45.
nous
une
Philippe, qui vient d'être appelé comme disciple par Jésus, rencontre Nathanaël et lui dit : « Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, et les prophètes, nous l'avons trouvé : c'est Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth. » On a beaucoup discuté sur le texte biblique auquel fait allusion l'expression « Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, et les prophètes », mais en oubliant trop souvent de le replacer dans le contexte général du quatrième Évangile. Certains ont prétendu que Jean ne visait là aucun texte biblique particulier, la juxtaposition des
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deux expressions « la Loi et les prophètes » reprenant une formule courante dans le Nouveau Testament pour désigner l'ensemble de la Bible. Mais cet argument ne tient pas. Dans le texte johannique, l'expression « les prophètes » est au nominatif et elle vient en parallèle, non pas avec « la Loi », mais avec Moïse. Or le couple « Moïse et les prophètes » ne se Ut ailleurs dans le Nouveau Testament que chez Luc ; on ne peut donc pas parler d'une formule stéréotypée reprise par Jean. Pour expliquer ce texte, il faut d'ailleurs tenir compte de Jn 5 , 4 6 , où Jésus reproche aux juifs : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez aussi en moi, car il a écrit à mon sujet. » Il s'agit bien d'un texte précis, écrit par Moïse, et qui annonçait la venue de Jésus. Or ce texte précis ne peut être que Dt 1 8 , 1 8 - 1 9 que, nous venons de le voir, Jésus s'applique à lui-même en Jn 12, 4 8 - 5 0 . On peut d'ailleurs le prouver d'une autre façon. En Jn 1, 19-21, les juifs de Jérusalem envoient vers le Baptiste une délégation pour lui demander qui il est. D reconnaît d'abord qu'il n'est pas le Christ, puis qu'il n'est pas Élie, enfin qu'il n'est pas le Prophète. Nul ne conteste que ce dernier titre désigne le Prophète par excellence, celui qui ait été annoncé en Dt 18, 18. En opposition à cette triple négation du Baptiste, nous avons ensuite la double scène dans laquelle Jésus est identifié de façon positive. A u v. 4 1 , André rencontre son frère Simon et il lui déclare : « N o u s avons trouvé le Christ. » A u v. 4 5 , Philippe rencontre Nathanaël et il lui déclare : « Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, nous l'avons trouvé... » Il s'agit du Prophète annoncé par Dt 1 8 , 1 8 . Le Baptiste n' est ni le Christ, ni le Prophète par excellence ; c'est au contraire Jésus qui est le Christ et ce Prophète dont M o ï s e a écrit dans la Loi. Pour l'Évangile selon Jean, et il s'agit ici des couches les plus anciennes, Jésus est donc avant tout le Prophète par excellence annoncé par Dt 1 8 , 1 8 - 1 9 .
II. Les traditions samaritaines. a) D e u x textes samaritains identifient explicitement le Taheb, le personnage eschatologique qu'attendaient les Samaritains, avec le prophète semblable à M o ï s e annoncé par Dt 1 8 , 1 8 - 1 9 , mais ils sont tardifs : un auteur samaritain du xrv siècle et une hymne liturgique du x v n siècle. En revanche, dans l'ouvrage le plus ancien de la littérature samaritaine que nous possédions, le Memar Marqah, qui remonte au IV siècle *, l e Taheb n'est jamais mis en relation avec Dt 1 8 , 1 8 - 1 9 . Bien mieux, Marqah affirme à plusieurs reprises qu'il c
e
e
1. Voir J. MACDONALD, Memar Marqah. The Teaching of Marqah. Edited and Translated, 2 volumes, Berlin, 1963.
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n'y aura jamais plus de prophète aussi grand que Moïse. On en a donc conclu que le Taheb samaritain n' avait jamais été mis en relation avec la promesse de Dieu faite en Dt 18, 18-19. Cette position fut combattue toutefois par F. Dexinger en 1985. Selon lui, c o m m e le prouvent des textes retrouvés à Qumrân, dès le I siècle avant notre ère les Samaritains donnaient une importance spéciale au texte de Dt 18, 18-19 puisqu'ils l'avaient dédoublé dans leur Pentateuque : l'une des deux occurrences se lisait à sa place normale, et l'autre après Ex 20, 2 1 , en conclusion de l'épisode racontant le don de la Loi par l'intermédiaire de Moïse. On sait par ailleurs que les Samaritains ne retenaient que le Pentateuque c o m m e Écriture inspirée ; ils devaient donc avoir recours au seul Pentateuque pour fonder leurs espérances eschatologiques, et le texte de Dt 18, 18-19 était le premier qui se présentait à l'esprit. er
b) Mais envisageons le problème sous un angle un peu différent. Dans les traditions samaritaines, deux personnages de la Bible revêtaient une importance exceptionnelle. Le jpremier était M o ï s e ; le second était le patriarche Joseph, le père d'Ephraïm et donc l'ancêtre des tribus du nord, qui formeront plus tard le peuple samaritain. Moïse était évidemment tenu pour le Prophète par excellence. Quant au patriarche Joseph, on lui donnait le titre de roi en se fondant sur les récits de la Genèse. En Gn 37, Joseph raconte à sa famille un rêve qu'il aurait eu : les gerbes de ses frères se prosternent devant la sienne et ceux-ci lui demandent, au v. 8 : « Voudrais-tu donc régner sur nous en roi, ou dominer en maître ? » Oui, Joseph deviendra roi, mais en Egypte. Après avoir expliqué le rêve de Pharaon concernant les sept vaches grasses et les sept vaches maigres, Joseph se trouve investi par celui-ci des pleins pouvoirs sur l'Egypte : « C'est toi qui seras mon maître du palais, et mon peuple se conformera à tes ordres ; j e ne te dépasserai que par le trône... Vois, j e t'établis sur tout le pays d'Egypte » (Gn 4 1 , 40-43). En forçant quelque peu les textes, les Samaritains fondaient sur cet épisode la royauté de Joseph. C'est ce qu'admet Marqah lorsqu'il écrit : « Joseph vint : il fut récompensé avec un royaume après la servitude » (Memar Marqah 4 , 1 2 ) . Deux personnages de la Bible dominent donc tous les autres, M o ï s e le Prophète et Joseph le Roi. Pour les exalter, Marqah les place souvent côte à côte : « Le Taheb viendra en paix pour régner sur le lieu que Dieu a choisi pour les gens pieux. Joseph vint, il fut récompensé par un royaume après la servitude, et ceux qui l'ont opprimé ont recherché ses faveurs... Il n'y a personne c o m m e Joseph le Roi, et personne c o m m e Moïse le Prophète. Tous deux ont possédé une 1. F . DEXINGER, Der Taheb. Ein « messianischer » Heilsbringer der Samaritaner, Salzbourg, 1986.
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condition élevée : M o ï s e a possédé la prophétie et Joseph a possédé la bonne montagne [c'est-à-dire le Garizim], Il n'y a personne de plus grand que c e s deux-là » (Memar Marqah 4 , 1 2 ) . On lit un texte analogue dans le Durran, un recueil de textes liturgiques incorporés dans le Defter et qui furent composés par Amram Darah *, un contemporain de Marqah : « Et après sa mort, Joseph fut glorifié, ses ossements furent rapportés par le grand Prophète [c'està-dire Moïse] qui avait été appelé "dieu" par celui qui règne. D e u x h o m m e s en qui D i e u s'est complu : Joseph le Roi et M o ï s e le Prophète » (Durran 22).
m. Retour sur Jn 1,45. Ces traditions samaritaines nous invitent à revenir sur le texte de Jn 1 , 4 5 . Philippe dit à Nathanaël : « Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, et les prophètes, nous l'avons trouvé : c'est Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth. » Nous avons vu que, en désignant Jésus c o m m e « celui dont M o ï s e a écrit dans la Loi », Philippe le tenait pour le Prophète semblable à M o ï s e annoncé par Dt 1 8 , 1 8 - 1 9 . Jésus est donc c o m m e un nouveau Moïse. Les textes samaritains que nous venons de lire nous invitent alors à nous demander si l'expression « le fils de Joseph » n'aurait pas un double sens, c o m m e cela arrive souvent dans l'Évangile selon Jean : son sens normal et naturel, mais aussi un sens analogue à celui que revêt l'expression « fils de David » dans la tradition judéenne : descendant et héritier du patriarche Joseph. Poursuivons alors la lecture de l'Évangile selon Jean. A u v. 4 9 , c'est au tour de Nathanaël de déclarer solennellement à Jésus : « Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d'Israël. » Philippe l'a appelé « fils de Joseph » ; Nathanaël le proclame « roi d'Israël ». On se rapproche déjà des traditions samaritaines faisant du patriarche Joseph un roi. Mais poursuivons encore la lecture de l'Évangile selon Jean. La scène qui suit cet épisode est le signe des noces de Cana (Jn 2 , 1 - 1 1 ) . Les organisateurs de la noce sont dans l'embarras parce qu'ils n'ont plus de vin. Marie en informe Jésus : « Ils n'ont pas de vin. » Celui-ci semble la rebuter en disant : « Qu'y a-t-il entre toi et moi, femme ? M o n heure n'est pas encore venue. » N'essayons pas d'approfondir le sens de ce verset difficile. Constatons simplement qu'ensuite Marie renvoie les serviteurs de la noce à Jésus en leur disant : « Tout ce qu'il vous dira, faites-le. » Et Jésus va changer l'eau en vin. Or cette parole prononcée par Marie est une citation littérale de Gn 4 1 , 5 5 . Les Égyptiens n'ont plus de pain. Ils viennent s'en plaindre au Pharaon qui les 1. Voir A . E . COWLEY, The Samaritan Liturgy, vol. I, Oxford, 1 9 0 9 .
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renvoie à Joseph en leur disant : « Tout ce qu'il vous dira, faitesle. » Le parallélisme de situation est évident. Grâce à cette citation de Gn 4 1 , 5 5 , Jésus est explicitement comparé au patriarche Joseph. D e m ê m e que celui-ci avait procuré du pain à ceux qui n'en avaient pas, ainsi Jésus procure du vin à ceux qui n'en ont plus. Je rappelle aussi que, selon les traditions samaritaines, Joseph avait été institué roi sur le pays d'Egypte précisément lorsqu'il avait été chargé par Pharaon de procurer du pain aux Égyptiens qui en étaient privés. Or, Jésus accomplit le miracle de Cana aussitôt après qu'il a été reconnu « roi d'Israël » par Nathanaël. Étant donné tout ce contexte, il m e semble plus que probable que, en Jn 1,45, l'expression « fils de Joseph » a un double sens : Jésus est bien le fils naturel de Joseph, son père, mais il est aussi le descendant et l'héritier royal du patriarche Joseph, le roi de la tradition samaritaine.
IV. Le titre «filsde Joseph ». N o u s allons voir d'ailleurs maintenant qu'en donnant ce titre à Jésus, l'évangéliste ne l'invente pas : il est fort bien attesté dans les traditions rabbiniques, et peut-être aussi dans les traditions samaritaines. a) Partons des données les plus sûres : celles de la tradition rabbinique. L'attente eschatologique de deux messies est fort bien attestée, soit à Qumrân, soit dans la tradition rabbinique. À Qumrân, ils ne sont pas nommés ; mais dans la tradition rabbinique, l'un était appelé « fils de David » et l'autre « fils de Joseph » ou encore « fils d'Éphraïm ». On lit par exemple, dans le Targum sur Ct 4 , 2 , un texte il est vrai tardif: Tes deux sauveurs qui doivent te délivrer, le Messie fils de David et le Messie fils d'Éphraïm, sont comme Moïse et Aaron. U n texte plus ancien, et qui se présente c o m m e traditionnel, nous est donné dans le Talmud de Babylone : Nos maîtres nous ont transmis : le Messie fils de David, qui doit être révélé bien vite, de notre temps, Dieu lui dira : « Demande-moi quelque chose et je te le donnerai... » Lors donc qu'il vit que le Messie fils de Joseph était tué, il dit en sa présence : « Maître du monde, je ne te demande que la vie... » 1
1. TB Soucca 52a (baraitah). — Traduction chez M.-J. LAGRANGE, Le Messianisme chez les juifs, Paris, 1909, p. 252.
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L'ÉVANGILE D E JEAN ET LES SAMARITAINS
Les deux messies doivent donc avoir un sort différent. Seul le Messie fils de David est appelé à régner sur le monde eschatologique, tandis que le Messie fils de Joseph sera tué en menant le grand combat qui doit précéder l'avènement du monde nouveau. Mais le texte le plus ancien, et pour nous le plus intéressant, nous a transmis une parole attribuée à Rabbi Dosa, un rabbin de l'époque tannaïte qui aurait vécu, soit à la fin du r siècle, soit au milieu du n . Il s'agit dans c e texte d'une controverse sur l'interprétation traditionnelle de l'oracle de Za 12, 10 (« Ils regarderont vers celui qu'ils ont transpercé ») : e
Il y avait controverse entre Rabbi Dosa et nos maîtres. L'un disait : « C'est à propos du Messie fils de Joseph qui doit être tué. » Et un autre disait : « C'est à propos du mauvais penchant qui doit être tué. » Pour celui qui dit : « C'est à propos du Messie fils de Joseph qui doit être tué », cela concorde bien avec ce qui est écrit : « Et ils regarderont vers moi qu'ils ont transpercé, et ils pleureront sur lui comme on pleure sur le bienaimé . » 1
U n e tradition rabbinique, qui remonte au moins au début du n siècle, connaît donc l'existence d'un Messie fils de Joseph, qui doit être mis à mort, et cet événement tragique sera la réalisation de l'oracle de Za 12, 10 : « Ils regarderont vers celui qu'ils ont transpercé. » D e u x questions se posent alors à propos de cette tradition : d'où peut provenir ce titre de « fils de Joseph », et était-il déjà connu à l'époque néo-testamentaire ? e
b) L e titre « fils de Joseph » ne peut s'être développé que dans la tradition samaritaine. À l'analogie du titre « fils de David », il suppose en effet un milieu qui donnait au patriarche Joseph une importance exceptionnelle et surtout qui le considérait c o m m e roi. Mais le personnage de Joseph ne tient pas une place spéciale dans les traditions judéennes et, de plus, il n'a jamais été considéré c o m m e roi. M ê m e la bénédiction de M o ï s e concernant Joseph n'a pas une portée monarchique : « Premier-né du taureau, à lui la gloire. Ses cornes sont cornes de buffle dont les coups frappent les peuples jusqu'aux extrémités de la terre. Telles sont les myriades d'Éphraïm, telles sont les myriades de Manassé » (Dt 3 3 , 17). Cet oracle veut simplement affirmer la victoire de Joseph et de ses descendants sur leurs ennemis, c o m m e la bénédiction parallèle de Gn 4 9 , 2 2 - 2 6 dont elle dépend. On lui opposera l'oracle de Gn 4 9 , 1 0 , où il est prophétisé : « Le sceptre ne s'éloignera pas de Juda, ni le bâton de chef d'entre ses p i e d s . . . » Cet oracle a une portée royale, mais il concerne Juda et non Joseph. 1. TB Soucca 52a (baraitah). — Traduction chez M.-J. LAGRANGE, op. cit., Paris, p. 252.
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En revanche, nous l'avons vu plus haut, la tradition samaritaine donnait une place exceptionnelle au patriarche Joseph, qu'elle considérait avec M o ï s e c o m m e la principale figure de l'histoire ancienne d'Israël, et elle lui donnait le titre de roi. C'est en ce sens que nous orientent les textes samaritains euxmêmes. Il est vrai que le Taheb, le personnage eschatologique de la tradition samaritaine, n'est jamais appelé « fils de Joseph » dans les textes qui nous sont parvenus \ Mais rapprochons l'un de l'autre deux passages du MemarMarqah : N o u s s o m m e s les fils de Joseph selon le jugement ; allons-nous laisser son royaume ? C e ne serait pas juste ( 4 , 6 ) .
Dans ce premier passage, on a bien l'expression « fils de Joseph » et elle est liée au thème de la royauté ; mais elle est employée dans un sens collectif. C'est tout le peuple samaritain qui est dit « fils de Joseph » en tant qu'il est héritier du royaume qu'avait possédé Joseph. Le Taheb viendra en paix, il régnera sur le lieu que D i e u a choisi pour ce bon peuple. Joseph vint : il fut récompensé avec un royaume après la servitude ( 4 , 1 2 ) .
Le Taheb doit régner, et son royaume sera la continuation de celui que Joseph avait reçu. Si donc l'expression « fils de Joseph » peut s'appliquer, collectivement, aux Samaritains en tant qu'héritiers du royaume de Joseph, c o m m e le disait le texte précédent, à plus forte raison est-elle valable du Taheb, le futur roi des Samaritains, et donc l'héritier par excellence de la royauté dont Joseph avait été investi. Concluons donc en disant que le titre « fils de Joseph », pour désigner l'héritier du royaume eschatologique, ne peut être né et s'être développé que dans les milieux samaritains. Il fut repris dans la tradition rabbinique, mais quelque peu déformé : ce « fils de Joseph » ne régnera pas ; il sera mis à mort. C'est seulement le « fils de David » qui pourra être le roi du royaume nouveau. c
c) Dans la première moitié du n siècle, Rabbi Dosa, nous l'avons vu, se fait l'écho d'une tradition rabbinique selon laquelle le Messie fils de Joseph serait mis à mort, accomplissant ainsi en sa personne l'oracle de Za 12, 10 : « Ils regarderont vers celui qu'ils ont transpercé. » À quand remonte cette tradition ? Certains indices permettent de penser qu'on en trouve un écho dans le quatrième Évangile. Il est remarquable en effet que lui seul rapporte l'épisode suivant.
1. Sur le Taheb dans les traditions samaritaines, voir F. DEXINGER, op. cit., Salzbourg, 1986.
L'ÉVANGILE DE JEAN ET LES SAMARITAINS
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U n e fois que Jésus est mort sur la croix, au lieu de lui briser les jambes, un des soldats romains lui perce le côté avec sa lance. Ainsi se réalise, selon l'évangéliste, l'oracle de Za 12, 10 : « Ils verront celui qu'ils ont transpercé » (Jn 19, 37). Cet oracle est cité encore deux fois dans le Nouveau Testament, en Mt 24, 30 et A p 1,7. Mais dans ces deux passages, il est couplé avec une citation de D n 7 , 1 3 et concerne alors le retour eschatologique du Christ. Jn 1 9 , 3 7 est donc le seul texte du Nouveau Testament qui mette Za 1 2 , 1 0 en relation avec la mort du Christ, du Messie. Or, le lecteur de l'Évangile, connaissant les traditions johanniques, n'a certainement pas oublié que ce Jésus qui meurt sur la croix n'est autre que le descendant et l'héritier royal du patriarche Joseph (Jn 1 , 4 9 et Jn 2 , 5 ) , et donc « le fils de Joseph » (Jn 1,45). L'évangéliste a d'ailleurs pris soin de le rappeler. La croix sur laquelle Jésus meurt porte l'inscription : « Jésus le Nazôréen, le roi des juifs » (Jn 1 9 , 1 9 ) . C'est donc en tant que roi que meurt Jésus. Ce thème de la royauté du Christ avait tenu une place prépondérante dans le récit johannique de la comparution de Jésus devant Pilate. A v e c les synoptiques, Jean suppose que Jésus reconnaît sa royauté devant Pilate (Jn 18, 33.37), mais seul des quatre évangélistes il termine la scène sur ce dialogue entre Pilate et les juifs : « Pilate leur dit : "Crucifierai-je votre roi ?" Les grands prêtres répondirent : "Nous n'avons pas d'autre roi que César." Alors il le leur livra pour être crucifié » (Jn 1 9 , 1 5 - 1 6 ) . Il est vrai que, en Jn 1 8 , 3 3 c o m m e en Jn 1 9 , 1 9 , Jésus est désigné c o m m e « le roi des juifs », mais c'est parce que Jean suit ici les données de la tradition synoptique. En revanche, lors de l'entrée solennelle à Jérusalem, le jour des rameaux, selon Jn 1 2 , 1 3 Jésus est acclamé c o m m e « roi d'Israël » tandis que, selon Mt 2 1 , 9 et M e 11, 10, c'est c o m m e descendant de David. Dans le texte johannique, on rejoint la confession de Nathanaël en Jn 1 , 4 9 : « Rabbi, tu es le fils de Dieu, tu es le roi d'Israël. » C'est bien le roi d'Israël, le fils de Joseph, qui meurt sur la croix. U n e étude de la structure de l'Évangile confirme le lien étroit qui existe entre le début du ministère de Jésus et sa mort. Jésus commence son ministère public en accomplissant le miracle de l'eau changée en vin, lors de noces célébrées à Cana de Galilée (Jn 2 , 1 - 1 1 ) . Marie, la mère de Jésus, est présente à ces noces et c'est elle qui sert de « médiatrice » entre les gens de la noce et Jésus. Lorsque Jésus meurt sur la croix, au terme de sa vie terrestre, Marie est encore présente, et Jésus lui confie un rôle particulier en la constituant « mère » du disciple bien-aimé, lequel est le type de tous ceux qui seront ses disciples en croyant en lui (Jn 1 9 , 2 5 - 2 7 ) . Dans les deux scènes, Jésus s'adresse à sa mère en lui donnant le titre de « femme », et ce sont les deux seuls passages de l'Évangile où Marie apparaisse. Nous
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sommes certainement en présence d'une « inclusion » voulue par l'évangéliste. Or, l'épisode des noces de Cana est immédiatement précédé par le récit de la vocation de Nathanaël (Jn 1, 45-51) auquel il est intimement lié puisque, nous l'avons vu, c'est c o m m e « fils de Joseph » (Jn 1 , 4 5 ) , c o m m e « roi d'Israël » (Jn 1 , 4 9 ) , que Jésus accomplit le miracle sur la demande de sa mère. Par ailleurs, le récit de Marie présente au pied de la croix est immédiatement suivi par l'épisode du coup de lance donné par le soldat romain dans le côté de Jésus, épisode dont le sens est donné par la citation de Za 12, 10 (Jn 19, 31-37). Ces deux épisodes sont, eux aussi, étroitement liés puisque c'est le disciple que Jésus aimait, à qui Jésus remet sa mère selon Jn 1 9 , 2 5 - 2 7 , qui peut témoigner du coup de lance donné par le soldat romain (Jn 19, 35). Tous ces épisodes sont liés et nous avons donc une double inclusion en forme de chiasme : au récit de Jésus changeant l'eau en vin aux noces de Cana, sur la demande de sa mère (Jn 2 , 1 - 1 1 ) , correspond celui de Jésus en croix qui remet sa mère au disciple bien-aimé (Jn 19, 25-27). A u récit de la vocation de Nathanaël, dans lequel Jésus est reconnu c o m m e « fils de Joseph » et c o m m e « roi d'Israël » (Jn 1, 45.49), correspond l'épisode du coup de lance qui fonde l'oracle de Za 1 2 , 1 0 : « Ils verront celui qu'ils ont transpercé » (Jn 1 9 , 3 7 ) . C'est donc en tant que « fils de Joseph » que Jésus, mourant sur la croix, accomplit l'oracle de Za 12, 10. C'est, déjà constituée, la tradition dont, plus tard, Rabbi D o s a se fera l'écho. Mais il est temps de conclure. L'Évangile selon Jean, certainement dans sa couche la plus ancienne, présente Jésus, et c o m m e le prophète semblable à Moïse annoncé par Dt 1 8 , 1 8 - 1 9 , et c o m m e le « fils de Joseph », c'est-à-dire le descendant et l'héritier du patriarche Joseph. C'est donc lui qui rassemble en sa personne les deux personnages de la Bible que vénéraient les Samaritains : il est à la fois Moïse le Prophète et Joseph le Roi. Les Samaritains peuvent donc le reconnaître pour le personnage eschatologique qu'ils attendaient. On parle beaucoup de judéo-christianisme, mais ne faudrait-il pas aussi explorer maintenant la piste d'un samaritano-christianisme ?
PAUL DE TARSE. ÉLÉMENTS POUR UNE RÉÉVALUATION HISTORIQUE ET DOCTRINALE 1
SIMON C.MIMOUNI
École pratique des Hautes Études, Section des sciences religieuses, Paris
Résumé Paul de Tarse est diversement apprécié par les chercheurs. Il est temps de ne plus porter sur lui un jugement de valeur, d'autant qu 'on éprouve maintes difficultés à situer sa pensée. Il s'agit de montrer ici que Paul n 'a été qu 'un juif de son temps et de son espace, et non pas un fondateur ou un inventeur du christianisme. Il va donc falloir replacer Paul dans les problématiques juives d'avant la destruction du Temple de Jérusalem en 70, et par conséquent le distinguer des représentations pauliniennes de la fin du r siècle ou du début du ir, surtout sur les plans rituel et doctrinal Ainsi, après un état des recherches pauliniennes, Paul est présenté face aux problèmes rituels et doctrinaux de son temps. Summary Paul of Tarsus has been variously evaluated by scholars. The time has come to stop making value judgments about him, particularly because one meets many difficulties in situating his thought. It must be shown that Paul was only a Jew of his time and of his world, not a founder or inventor of Christianity. Paul must be placed back into the Jewish situation prior to the destruction of the Temple in 70. Consequently, he must be distinguished from the representations of him at the end of the first century and the beginning of the second, particularly with regard to ritual and doctrine. After research into Paul is
1. Dans cette recherche, sont employés de manière systématique les termes Messie pour Christ, et Torah pour Loi.
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reviewed, Paul is presented from doctrinal problems of his time.
the perspective
of ritual
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Paul de Tarse a souvent été considéré par les chercheurs de confession juive qui ont étudié sa vie et son œuvre c o m m e un apostat, un renégat ou un traître ayant renié l'héritage spirituel de ses Pères, fondé sur la Torah. Colette Kessler, dans une contribution remarquable \ est revenue récemment sur cette manière de concevoir la position de Paul dans le judaïsme de son temps, en particulier en ce qui concerne son attitude à l'égard des autorités religieuses de Jérusalem. Le temps est venu, semble-t-il, tout au moins pour les historiens, de ne plus porter un regard subjectif sur Paul, d'autant qu'on éprouve les plus grandes difficultés à positionner, de façon générale et unanime, le personnage historique dans son contexte culturel et religieux. Dans cette contribution, on va tenter de montrer que Paul ne doit être considéré que c o m m e un juif de son temps et de son espace, et nullement c o m m e un fondateur ou un inventeur de religion — la religion chrétienne en l'occurrence — , c o m m e d'aucuns tentent régulièrement de l'affirmer . Pour ce faire, il convient de replacer Paul dans les problématiques juives d'avant la destruction du Temple de Jérusalem en 7 0 , et par conséquent de le distinguer des représentations pauliniennes de la fin du I siècle ou du début du II , surtout sur les plans rituel et doctrinal. Il est nécessaire, en effet, de distinguer entre le Paul de l'histoire et le Paul de la tradition, surtout à la suite de l'article de Charles Kingsley Barrett, qui est un des tout premiers à avoir thématisé cette distinction avec une réelle pertinence . Dans le cadre de cette contribution, il n'est possible d'esquisser que les grandes orientations d'un travail en cours sur Paul de Tarse. Raison pour laquelle on ne va donner, la plupart du temps, que quelques éléments de recherche et de réflexion. Ainsi, après une mise en situation historique assez brève de Paul de Tarse, on va le présenter, d'une part, face aux problèmes rituels et, d'autre part, face aux problèmes doctrinaux. Ces différents problèmes sont abordés à partir de ce que Paul appelle la Torah, qui doit être tour à tour perçue c o m m e un ensemble de préceptes rituels et de préceptes doctrinaux. Auparavant, il convient de souligner combien les travaux sur Paul 2
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1. C.KESSLER,« Saint Paul. Un point de vue juif », dans Études, 1997,p. 189-205. 2. A titre d'exemple, on peut citer H. MACCOBY, Paul et l'invention du christianisme, Paris, 1987, dont le travail présente plus d'intérêt éventuellement pour la connaissance du mouvement ébionite que pour celle de Paul de Tarse. 3. C. K . BARRETT, « Pauline Controversies in the Post-Pauline Periods », dans New Testament Studies 20 (1973-1974), p. 229-245.
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et son œuvre épistolaire sont nombreux, paraissant à un rythme incessant, au point que m ê m e un recenseur aussi spécialisé et compétent que Jean-Noël Aletti a, par moments, de la peine à suivre la production . Les publications d'ordre historique et exégétique relatives à Paul sont, à n'en point douter, en constante progression sur le plan quantitatif c o m m e qualitatif depuis au moins une bonne décennie. Il n'en demeure pas moins cependant que l'ouvrage de Ed Parish Sanders, publié en 1 9 7 7 , peut être encore estimé c o m m e une contribution majeure, d'autant que cette dernière a été une des toutes premières, du moins en milieu chrétien, à se trouver en faveur d'une évaluation nettement plus positive du judaïsme au I siècle. Ce n'est d'ailleurs pas sans raisons que cet ouvrage a été considéré par nombre de recenseurs c o m m e une « ligne de partage des eaux » — selon l'expression de l'un d'entre eux — dans le domaine des études pauliniennes. Les chercheurs de confession juive — c o m m e on l'a déjà d i t — o n t toujours été réservés, pour ne pas dire hostiles, à l'égard de Paul, alors qu'ils ont manifesté, en revanche, une attitude bien plus sympathique à l'égard de J é s u s . D'une certaine façon, ce paradoxe s'explique aisément par le fait que, si Jésus a, la plupart du temps, été situé dans le judaïsme, ce n'a été que rarement le cas pour Paul que ces critiques ont toujours eu tendance à placer hors du judaïsme, suivant en cela, de manière paradoxale, les théologiens chrétiens dans leur grande majorité . Indépendamment de l'origine confessionnelle de leurs auteurs, il faut en effet avouer tout d'abord que, durant longtemps, la plupart des 1
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1. J.-N. ALETTI, « Bulletin paulinien », dans Recherches de science religieuse 67 (1979) ; 68 (1980) ; 69 (1981) ; 71 (1983) ; 73 (1985) ; 75 (1987) ; 77 (1989) ; 79 (1991) ; 81 (1993) ; 83 (1995) ; 87 (1999), p. 77-105. 2. E . P. SANDERS, Paul and Palestinian Judaism. A Comparaison of Patterns of Religion, Philadelphie-Londres, 1977 (voir, à titre d'exemple, l'intéressante recension critique de J. MURPHY-O'CONNOR, dans Revue biblique 85 (1978), p. 122-126). 3. Le cas le plus flagrant est celui de Joseph Klaussner, professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem, qui a commis un premier ouvrage fort positif sur Jésus (voir J. KLAUSSNER, Jésus de Nazareth. Son temps, sa vie, sa doctrine, Paris, 1933) et un second ouvrage en revanche très négatif sur Paul (voir J. KLAUSSNER, Von Jésus zu Paulus, Jérusalem, 1950 [J. KLAUSSNER, From Jesus to Paul, New York, 1971]). Le premier est d'ailleurs toujours actuel et utile, ce qui n'est pas du tout le cas pour le second. On peut encore citer, parmi bien d'autres, l'ouvrage de H. J. SCHOEPS, Paulus. Die Théologie des Apostels im Lichte der jiidischen Religionsgeschichte, Tiibingen, 1959 (= H. J. SCHOEPS, Paul. The Theology of the Apostle on the Light of Jewish Religious History, Philadelphie, 1961), et celui de A . F. SEGAL, Paul the Convert. TheApostolate and Apostasy of Saul the Pharisee, New Haven-Londres, 1990. 4. S. MEISSNER, Die Heimholung des Ketzers. Studien zurjiidischen Auseinandersetzung mit Paulus, Tubingen, 1996, a récapitulé les principales positions des spécialistes juifs de Paul.
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travaux sur Paul ont souffert d'une tendance soit à l'apologétique, soit à la polémique. Tous cependant se sont rejoints sur un point : ils ont estimé Paul c o m m e un chrétien dont l'objectif a été d e sortir le mouvement des disciples de Jésus du judaïsme, afin d e fonder une nouvelle religion. U n e telle perspective se révèle maintenant erronée, du fait m ê m e qu'elle ne cadre nullement avec, d'une part, l'histoire générale et, d'autre part, l'histoire du judaïsme. Elle apparaît simplement c o m m e le reflet des représentations que s'est données, à partir des années 150, le christianisme alors en gestation \ sans doute à la suite de la crise marcionite dont les conséquences ont été bien plus considérables qu'on ne se l'imagine généralement. Quoi qu'il en soit, d'un point de vue déontologique, les historiens devraient essayer d e se limiter à rendre les actions et les paroles de Paul dans leur contexte, sans porter un quelconque jugement de valeur — c o m m e ils le font d'ailleurs, pour la plupart, depuis plus d'une vingtaine d'années.
I. Mise en situation historique de Paul de Tarse. Parmi les personnalités importantes du mouvement de Jésus à ses débuts, Paul de Tarse présente la particularité d'être non seulement le plus remarquable, mais aussi le plus accessible, grâce à ses propres écrits qui permettent de brosser un autoportrait du personnage . D'autre part, les Actes des Apôtres, qui datent des années 80, donnent aussi un reflet indirect et différent sur c e personnage, qui peut être parfois contradictoire ou complémentaire de ce qui est rapporté dans les lettres authentiques — d'où évidemment l'intérêt. Paul est un juif originaire de la cité de Tarse, le grand comptoir de la Cilicie, à proximité de l'embouchure du Cydnos, fleuve navig a b l e . Il appartient donc au judaïsme de la Diaspora de l'Empire romain, plus précisément aux communautés juives florissantes d'Asie Mineure. Les approches critiques sur l e personnage historique sont 2
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1. Soulignons qu'eUe a été acceptée sans ambiguité par le judaïsme, du fait qu'elle permet probablement de marquer une rupture nette et précise avec le christianisme. 2. H. D. S AFFRAY, « Aspects autobiographiques dans les Épîtres de 1* apôtre Paul », dans M . - F . BASLEZ-P. HOFFMANN-L. PERNOT ( É D . ) , L'Invention de l'autobio-
graphie,?^, 1993, p. 133-138. 3. Il convient de préciser que, si les lettres authentiques (Rm, 1 Co, 2 Co, Ga, Ph, 1 Th, 2 Th, Phm) livrent un portrait du Paul de l'histoire, celles qui ne le sont pas (Col, Eph, 1 Tm, 2 Tm, Tt) donnent un portrait du Paul de la tradition, d'autant plus intéressant qu'il date de la génération suivante (vers 70-80). 4. On accepte généralement de situer sa naissance au début de notre ère, entre 5 et 10. J. MURPHY-O'CONNOR, Paul. A Critical Life, Oxford, 1996, la situe en 7 avant notre ère et fait de Paul un contemporain de Jésus.
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nombreuses, une des meilleures est sans nul doute celle tentée par Joseph Mélèze-Modrzejewski dans un article publié en 1989, mais assez souvent ignoré des chercheurs . Les conclusions de cette étude sont les suivantes : Paul est un juif de la Diaspora romaine dont le statut est complexe du fait qu'il relève de « trois entités différentes et inégales : un peuple (ethnos, natio) ; une "patrie naturelle", la cité de Tarse [...] et une "patrie civique" aux dimensions du monde civil i s é . . . ». Autrement dit, outre son appartenance à la nation juive, Paul, citoyen d'une cité grecque, bénéficie en outre du droit de cité romaine. Paul est donc citoyen romain, et fils de citoyen romain, c o m m e il l'affirme lui-même en A c 22, 25-28. C'est pourquoi, semble-t-il, il ajoute à son n o m hébraïque, Saul, le cognomen romain Paul, sous lequel on le désigne habituellement. D'après A c 2 2 , 3 et 26, 5, Paul aurait passé sa jeunesse à Jérusalem, où il aurait été disciple de Rabban Gamaliel, un grand sage pharisien des premières décennies du I siècle de notre è r e . D e plus, il est nécessaire de rappeler deux éléments fondamentaux : (1) d'une part, Paul s'exprime en grec, lit la Bible dans cette langue et l'interprète selon des règles en vigueur dans les communautés juives hellénophones ; (2) d'autre part, il parle aussi l'araméen, Ut la Bible en hébreu et connaît son interprétation araméenne, celle sans doute du courant pharisien. Avant sa dite « c o n v e r s i o n », Paul semble avoir été un des opposants farouches aux disciples de Jésus, notamment à ceux originaires de la Diaspora romaine (c'est-à-dire les hellénistes dont il est question dans les Actes des Apôtres — voir A c 6 , 1 - 7 ) . Après sa conversion, il a naturellement rejoint ce groupe, devenant alors un missionnaire itinérant. Force est de souligner, avec A. F. Segal, que cette conversion n'a nullement été pour Paul un changement de religion mais, à l'intérieur du judaïsme, de mouvement : autrement dit, de pharisien il est devenu chrétien . l
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l.J. MÉLÈZE-MODRZEJEWSKI, « L e s tourments de Paul de Tarse», dans J.-L. HAROUEL (ÉD.), Histoire du droit social Mélanges en hommage à Jean Imbert, Paris, 1989, p. 397-412, surtout p. 398-403. 2. Voir J. MÉLÈZE-MODRZEJEWSKI, op. cit., dans J.-L. HAROUEL (ÉD.), Histoire du droit social. Mélanges en hommage à Jean Imbert, Paris, 1989, p. 403. 3. D s'agit de Gamaliel l'Ancien, petit-fils de Hillel, qui a reçu la charge de nasi' environ soixante ans avant la destruction du Temple et a porté le premier le titre de rabban. 4. En réalité, il s'agit d'une reconnaissance de la messianité de Jésus qui repose sur une révélation personneUe rendue, d'un point de vue littéraire, sous la forme d'un récit de vocation. 5. Au sujet des heUénistes, voir M . BODINGER, « Les "hébreux" et les "hellénistes" dans le livre des Actes des Apôtres », dans Henoch 19 (1997), p. 39-58. 6. Voir A. F. SEGAL, op. cit., New Haven-Londres, 1990.
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Lorsque Paul décide de porter la « Bonne Nouvelle » aux païens, c'est-à-dire la manifestation du Messie Jésus en ce monde, c'est essentiellement à des prosélytes ou à des sympathisants au judaïsme qu'il s'adresse. Il ne faudrait surtout pas croire, en effet, que Paul s'est tourné vers les païens en général, c'est-à-dire vers ceux qui sont étrangers en tout point au judaïsme — tous les témoignages convergent dans le sens contraire : (1) à Philippes, en Macédoine, Paul trouve refuge chez une dénommée Lydie, originaire de Thyatire en Asie Mineure, une sympathisante (littéralement une « adoratrice de Dieu » ) — v o i r A c 1 6 , 1 1 -15 ; (2) à Corinthe, en Achaïe, Paul, devant l'opposition des juifs, se tourne vers les païens, quittant la synagogue, il se rend chez un certain Titius Justus, également un sympathisant (littéralement un « adorateur de Dieu ») — voir A c 1 8 , 7 En R m 1 1 , 1 3 , quand Paul se déclare l'apôtre des païens, c'est de ceux qui gravitent autour des communautés juives qu'il s'agit, et non pas des païens en général, pour qui le discours de Paul est sans aucun doute totalement incompréhensible — la seule fois où il semble s'y être risqué, l'échec a été c o m p l e t , et vivement ressenti comme tel . Ces sympathisants, gardant leur identité nationale ou ethnique, présentent la caractérisque de ne pas être intégrés mais seulement associés à la nation juive. L'attitude de Paul à l'égard des juifs qui ne reconnaissent pas la messianité de Jésus a évolué au cours de sa carrière de missionnaire. Il est même, dans un cas au moins, d'une sévérité extrême : en 1 Th 2 , 1 3 - 1 6 , lors d'un de ces excès dont il est coutumier, il en vient à vouer ses coreligionnaires juifs à la colère d i v i n e — q u i ne serait pas nécessairement le jugement eschatologique, mais un simple 2
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1. Auparavant, Paul en est arrivé à prononcer la phrase suivante : « Que votre sang vous retombe sur la tête ! J'en suis pur et désormais c'est aux païens que j'irai » (voir Ac 18,6). Phrase fameuse, aux mots très durs, prononcée sous le coup de la colère, qui n'a été que trop mal comprise. Ces païens à qui Paul veut adresser désormais son message messianique sont, à l'évidence, soit des prosélytes, soit des sympathisants au judaïsme. D'ailleurs, tout de suite après avoir prononcé cette phrase quelque peu malheureuse — mais combien compréhensible de la part d'un juif « en colère » s'adressant à des juifs qui lui paraissent rester « obtus » à ses propos —, il quitte la synagogue et se rend justement chez un sympathisant : Titius Justus, dont le nom a d'autre part été quelque peu malmené par la tradition manuscrite. 2. La réaction des païens au discours de Paul à Athènes devant l'Aréopage (Ac 17, 16-34) est hautement significative de leur incompréhension à l'égard des idées juives lorsqu'ils ne sont pas déjà des sympathisants au judaïsme. 3. Voir I T h 3 , 1 . 4. Au sujet de ce passage, voir en dernier lieu S. LÉGASSE, « Paul et les juifs d'après 1 Thessaloniciens 2, 13-16 », dans Revue biblique 104 (1997), p. 572-591, qui le considère comme authentique et non pas comme interpolé.
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châtiment d i v i n . Paul est par conséquent à considérer c o m m e le témoin d'un conflit « interjuif », mais nullement c o m m e à l'origine de l'antijudaïsme développé par la suite dans le christianisme, encore moins de l'antisémitisme, m ê m e si ses propos ont été récupérés au cours de l'histoire dans de telles perspectives . En résumé, Paul est un juif de la Diaspora romaine qui a reçu à Jérusalem une formation religieuse relevant du courant pharisien. Il est donc le produit à la fois d'un judaïsme palestinien plus ou moins marginal et d'un judaïsme diasporique . En rejoignant le mouvement des disciples de Jésus, il est devenu missionnaire itinérant et fondateur de communautés . 2
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II. Paul et les problèmes rituels. Nombreux sont ceux qui ont tendance à penser que les paroles de Jésus sont aussi claires que celles de Paul sont déroutantes et énigmatiques, et cela au moins dès le début du u s i è c l e . Il est certain que les positions de Paul, notamment quant aux problèmes rituels, ont dû heurter la plupart des juifs, au nombre desquels il faut compter aussi certains des personnages importants du mouvement des disciples de Jésus, en particulier Jacques le Juste . Pour un juif originaire de la Palestine c o m m e de la Diaspora, les paroles de Paul peuvent en effet déconcerter et même parfois rebuter. Il est cependant possible qu'elles se comprennent mieux si l'on accepte de replacer Paul dans le cadre de certains courants du e
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1. C'est du moins l'opinion avancée par E. W. STEGEMANN, « Remarques sur la polémique antijudaïque dans 1 Thessaloniciens 2, 14-15 », dans D. MARGUERAT (ÉD.), Le Déchirement. Juifs et chrétiens au premier siècle, Genève, 1996, p. 99-112 : il considère que l'emploi du terme ôpyf| (= colère) en 1 Th 2,16 ne renvoie pas nécessairement au jugement eschatologique car il n'est pas accompagné d'un mot typique le définissant comme, par exemple, en Rm 1,18, où il est question de « la colère de Dieu ». 2. À ce sujet, voir notamment D. A. HAGNER, « Paul's Quarrel with Judaism », dans C. A. EVANS-D. A. HAGNER (ÉD.), Anti-Semitism and Early Christianity. Issues of Polemic and Faith, Minneapolis, Minnesota, 1993, p. 128-150. 3. Ces conclusions rejoignent plus ou moins celles de C. TASSIN, « Paul dans le monde juif du r siècle », dans J. SCHLOSSER (ÉD.), Paul de Tarse, Paris, 1996, p. 171-193. 4. Paul affirme son rôle de fondateur des communautés de Galatie (voir Ga 1,6-9), de Philippes (voir Ph 1, 5), de Thessalonique (voir 1 Th 1, 9) et de Corinthe (voir 1 Co 3 , 6 et 2 Co 10,16). 5. En 2 P 3,16, il est rapporté que « dans toutes les lettres où il traite de ces sujets, il se trouve des passages difficiles dont les gens ignares et sans formation tordent le sens, comme ils le font aussi des autres Écritures pour leur perdition ». 6. Les paroles de Jésus, rapportées par exemple en Mt 5,17, « Ne croyez pas que je sois venu abolir la Loi... », peuvent apparaître en opposition avec celles de Paul sur ce même sujet.
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judaïsme de la Diaspora romaine, en particulier ceux d'Asie Mineure *, qui semblent avoir été mieux disposés à l'égard des païens gravitant autour de leurs communautés : non seulement les prosélytes, mais aussi les sympathisants . C o m m e le souligne D . Boyarin, Paul, par son refus de prescrire aux chrétiens d'origine païenne l'observance d'un certain nombre de règles rituelles, ne ferait que suivre une tendance de la Diaspora romaine de son temps consistant à suivre une interprétation spiritualisante et éthicisante de ces dernières . Parmi les problèmes rituels abordés par Paul dans ses écrits, c'est essentiellement de la circoncision qu'il est question. Cette dernière est importante, car elle soulève notamment la problématique de l'identité juive au I siècle de notre ère, qui se trouve en corrélation étroite avec les conditions de la participation à l'Alliance, et d'une certaine manière à la R é d e m p t i o n . Il conviendrait cependant de ne pas omettre que Paul s'est aussi affronté à la question des règles de pureté alimentaire . Ces problèmes rituels ont été source de conflits entre Paul et les autres grandes figures du mouvement des disciples de Jésus. A u regard de la documentation, il semble que tous les conflits qui ont opposé Paul aux autres partis constituant ce mouvement aient porté principalement sur des divergences d'interprétation de la Torah et de leurs conséquences d'un point de vue rituel. Ces conflits apparaissent bien souvent, en effet, c o m m e des luttes entre chrétiens 2
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1. Voir, pour une première approche, P. TREBICO, Jewish Communities in Asia Minor, Cambridge, 1991. Voir aussi N. BELAYCHE, « Des dieux au divin ? Sur des appellations impersonnelles de divinités gréco-romaines », dans D. HOE, Le Divin. Discours encyclopédique. Actes du Colloque de Mortagne-au-Perche. 3-4 avril 1993, Paris, 1994, p. 79-96, pour comprendre ce que Ton peut appeler le paganojudaïsme — un syncrétisme païen intégrant des éléments juifs, d'ordre essentiellement nominal. 2. Ces courants relativement peu connus commencent à attirer l'attention des chercheurs. À ce sujet, voir notamment I. LEVINSKAYA, «God-Fearers : The Bosporan Kingdom », dans The Book of Acts in Its Diaspora Setting, Grand Rapids, Michigan,^ 1996, p. 105-116, qui montre, à partir de l'étude des communautés juives dans le royaume du Bosphore, combien juifs et païens — du moins certains d'entre eux — ont été mêlés sur le plan religieux (voir également I. LEVINSKAYA, « Inscriptions from the Bosporan Kingdom », dans The Book of Acts in Its Diaspora Setting, Grand Rapids, Michigan, 1996, p. 227-246). 3. Voir D. BOYARIN, A Radical Jew : Paul and the Politics of Identity, Berkeley, Californie, 1994. 4. À ce sujet, voir notamment J. M. G. BARCLAY, « Paul and Philo on Circumcision : Romans 2.25-9 in Social and Cultural Context », dans New Testament Studies 44 (1998), p. 536-556. 5. En Rm 14,14-15, Paul paraît même favorable à la nourriture végétarienne, proscrivant la viande, qui est souvent cause de conflits quant aux règles de la cashrout (voir aussi 1 Co 8,13). Il s'oppose aussi au vin, dont la production et la consommation sont, comme on le sait, très réglementées du point de vue de la halakhah.
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d'origine juive et chrétiens d'origine païenne. D e plus, il conviendrait sans doute de les percevoir aussi entre juifs qui souhaitent faciliter l'accès de la nouvelle croyance messianique aux païens et ceux qui s'y refusent, essentiellement d'ailleurs pour des raisons halakh i q u e s — c e s derniers considérant que le Messie n'est pas venu abolir laTorah . Pour Paul, tous ceux qui sont « baptisés » dans le Messie forment une seule communauté. C o m m e il le dit : « Il n'y a plus ni juifs, ni grecs, il n'y a plus ni esclave, ni libre, il n'y a plus l'homme et la femme, car tous, vous n'êtes qu'un en Jésus le Messie » (Ga 3, 28). Au-delà de l'aspect rhétorique de cette formulation, il est bien évident que, de c e point de vue, Paul diverge de manière radicale avec Jacques le Juste, pour qui l'Israël des temps derniers ne peut être composé que de juifs qui ont reconnu en Jésus le Messie en tant qu'envoyé eschatologique de Dieu. Les conséquences de ces divergences sont essentiellement d'ordre halakhique. Pour Jacques, contrairement à Paul, il n'est pas question que les juifs puissent partager la table avec les païens, m ê m e si les uns et les autres reconnaissent en Jésus le Messie. Le conflit d'Antioche (rapporté en Ga 2, 11-21) et la réunion de Jérusalem (rapportée en Ga 2 , 1 - 1 1 et A c 1 5 , 1 - 3 5 ) , que l'on date des années 4 8 - 4 9 ou 4 9 - 5 0 , peuvent être considérés c o m m e les deux premiers épisodes connus de la longue saga de l'opposition qui s'est développée à l'intérieur m ê m e du mouvement des disciples de Jésus, entre deux t e n d a n c e s : l'une maximalisant la portée de l'observance de la Torah, avec Jacques et Pierre c o m m e figures principales, et l'autre la valeur de la croyance au Messie, avec essentiellement Paul . 1
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1. Pour le judaïsme ancien, seuls les membres d'Israël sont tenus d'observer la Torah pour être fidèles à l'Alliance. Pour les non-juifs, il suffit, en revanche, d'observer ce que l'on a coutume d'appeler « les lois noachiques » pour avoir part au monde futur ; ces dernières ont été d'abord au nombre de trois (interdiction d'adorer les idoles, de l'immoralité, de consommer de la viande étouffée et du sang — voir Ac 15,20.29 ; 21,25), avant de passer à sept (l'obligation d'instituer un système judiciaire, l'interdiction du blasphème, de l'inceste, de l'adultère, du meurtre, du vol et l'interdiction de consommer un membre arraché à un animal vivant — voir TB Sanhédrin 56a). 2. Ces éléments ont déjà été développés dans S. C. MIMOUNI, « Origines du christianisme » (Résumé des conférences intitulées : « Recherche sur les communautés nazoréennes de Palestine » (suite/Il) et « L'enfance de Jésus dans la littérature chrétienne des premiers siècles (suite/ni) »), dans École pratique des hautes études. Section des sciences religieuses, Annuaire. Résumés des conférences et travaux, t. CV, 1996-1997, Paris, 1998, p. 325-326 — ils sont repris ici sous une forme sensiblement modifiés. 3. Les autres péripéties ont été conservées dans les lettres pauliniennes, notamment en Ph 3 et en 2 Co 10-13.
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Ces deux événements représentent, en effet, les premières traces connues d'un débat d'interprétation de la Torah en fonction de la reconnaissance du M e s s i e — d é b a t qui ne va cesser de se développer, de manière parfois très vive, durant plus d'une décennie, entre Paul et ses opposants. D n'est, par conséquent, pas inutile d'en retracer à grands traits seulement les principales étapes qui suivront le conflit d'Antioche et la réunion de Jérusalem, à partir de l'analyse proposée notamment par Maurice Goguel \ C'est à Éphèse — de 52-53 à 54-55 — que se serait produite, en effet, la première tentative de certains chrétiens d'origine juive pour combattre l'influence de Paul dans les communautés fondées par lui. Par la suite, la tendance à la judaïsation de ces communautés se serait étendue, d'une part, à la G r è c e — e n 5 4 — e t , d'autre part, à la Galatie — en 56. L'Épître aux Philippiens permet de percevoir quelque peu les traces des événements d'Ephèse — du moins si l'on accepte que les faits rapportés en Ph 1, 12-18 aient été rédigés dans la grande métropole d'Asie Mineure. Malheureusement, les informations sont trop sommaires pour que l'on puisse savoir de manière plus exacte si le mouvement de contestation, qui s'est développé à Éphèse, a été provoqué par des personnes venues de l'extérieur ou par des membres des communautés chrétiennes de la cité aussi nombreuses que diversifiées . En tout cas, il semble n'y avoir eu à Éphèse qu'une première escarmouche relativement confuse, puisque Paul a été surpris ensuite par la campagne plus systématique entreprise par les partisans des partis se rattachant à Jacques et à Pierre pour détacher de lui les communautés de Grèce et de Galatie. A v e c Maurice Goguel, on doit préciser que la tactique des partis jacobien et pétrinien ne paraît pas avoir été la m ê m e dans les deux cas : « insinuante et enveloppée en Grèce, elle a été plus directe en Galatie ». Selon ce critique, il y a suffisamment d'analogies entre les deux campagnes pour qu'on puisse y reconnaître les grandes lignes d'un plan destiné à judaïser les communautés pauliniennes. En revanche, ajoute-t-il, il est très difficile de reconnaître quel rôle ont 2
1. Voir M. GOGUEL, Jésus et les origines du christianisme. La naissance du christianisme, Paris, 1955 , p. 331-343. 2. Si ces personnes étaient venues de l'extérieur, elles auraient pu alors avoir été les mêmes que celles qui, par la suite, se sont trouvées à l'œuvre en Grèce et en Galatie, ou au moins auraient appartenu au même groupe. Ce que rapporte Paul, en 1 Co 16,9, des « adversaires nombreux » auxquels il se heurte à Ephèse, est apparemment un argument en défaveur d'une telle éventualité, car il se pourrait bien que ces opposants n'aient pas été seulement des ennemis de l'extérieur mais aussi de l'intérieur, du fait même que les premiers auraient bénéficié de nombreux appuis dans la ville, où l'on compte à ce moment des communautés fondées par Pierre (voir 1 P 1 , 1 ), par Jean (voir Ap 2,1 -7) et par Paul (voir Ac 19,7), sans compter celles des baptistesjohannites(voir Ac 19,1-3). 2
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joué, chacun de son côté, Jacques et Pierre. Un fait cependant lui paraît certain : entre 4 8 - 4 9 et 58, date où Paul s'est rendu pour la dernière fois à Jérusalem, l'attitude de la communauté de cette ville a nettement évolué : elle est devenue « de plus en plus défiante et hostile à son égard ». Le changement de cette communauté, que l'on peut percevoir très précisément en 58, autorise à penser, par conséquent, qu'elle n'est sans doute pas entièrement étrangère aux campagnes antipauliniennes qui se sont déroulées en Grèce et en Galatie au cours des années précédentes. Les deux crises de Grèce et de Galatie montrent à l'évidence que les divergences de vue, qui ont éclaté au cours du conflit d'Antioche, n'ont guère été surmontées, dans le fond, par la réunion de Jérusalem, s'aggravant encore dans les années qui ont suivi. Certains historiens ont eu tendance à considérer que le conflit d'Antioche, la réunion de Jérusalem, l'incident d'Éphèse ainsi que les crises en Grèce et en Galatie devraient être appréciés c o m m e les étapes d'une campagne systématique de judaïsation, inspirée et organisée par Jacques et dirigée par Pierre — le principal argument à cette hypothèse serait le voyage de Pierre à Corinthe et en Galatie \ Or, c o m m e l'a fort bien souligné M. Goguel, ce voyage ne repose en fait sur aucun élément réellement fondé, il n'y a donc pas lieu de faire appel à l'hypothèse d'une campagne de judaïsation . Le conflit d'Antioche et la réunion de Jérusalem ont eu, on le constate, une incidence considérable sur les rapports entre les deux tendances principales — les jacobiens / pétriniens d'une part et les pauliniens d'autre part — , qui donneront par la suite naissance au judéo-christianisme et au pagano-christianisme. Les événements d'Éphèses, c o m m e ceux de Grèce et de Galatie, révèlent que, malgré les concessions faites apparemment par quelques-uns des dirigeants de la communauté de Jérusalem lors de la réunion de conciliation en 4 8 - 4 9 ou en 49-50, ces derniers n'ont sans doute pas renoncé pour autant à l'idée que l'observance de la Torah puisse demeurer toujours nécessaire au salut des fidèles — juifs ou païens — reconnaissant en Jésus le M e s s i e . Il est possible, en outre, que l'attitude tranchante et véhémente de 2
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1. Voir par exemple H . LIETZMANN, « Die Reisen des Petrus », dans Sitzungsbericht derBerlinerAkademie der Wissenschaften, 1930, p. 153-156. 2. Voir M. GOGUEL, « L'apôtre Pierre a-t-il joué un rôle personnel dans les crises de Grèce et de Galatie ? », dans Revue d'histoire et de philosophie religieuse 14 (1934), p. 461-500. 3. Sur ces questions, la bibliographie est relativement importante. Voir par exemple R. KJEFFER, Foi et justification à Antioche. Interprétation d'un conflit (Ga 2, 11-21), Paris, 1982. Voir aussi P. ROLIN, « Pierre, Paul et Jacques à Jérusalem », dans Foi et Vie. Cahier biblique 36 (1997), p. 99-114.
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Paul dans certaines de ses lettres à la suite de ces divers événements ait fourni à ceux qui sont demeurés insatisfaits par l'accord de 4 8 - 4 9 ou de 4 9 - 5 0 une raison de le considérer c o m m e rompu par lui, le précipitant, lors de sa visite à Jérusalem en 58, dans les turpitudes des prisons et des procès qui vont le conduire de Jérusalem à R o m e (aux dires en tout cas de A c 2 1 , 2 7 - 2 8 , 3 1 ) . 1
m. Paul et les problèmes doctrinaux. On a souvent pensé que, du point de vue doctrinal, Paul a été un innovateur dont la pensée présente des différences notables avec les idées du judaïsme de son temps. On a m ê m e été jusqu'à avancer que le paulinisme n'est, dans sa forme, qu'une adaptation chrétienne des religions à mystères, estimant alors que cette adaptation a été un des facteurs fondamentaux du christianisme considéré c o m m e religion nouvelle . Dans la réalité, Paul semble n'avoir développé qu'une pensée doctrinale tout à fait conforme au milieu dont il est originaire, c'està-dire selon des idées qui ont cours à son époque dans la Diaspora romaine de langue grecque ; telles qu'on les rencontre, par exemple, dans l'œuvre de Philon d'Alexandrie, avec certes des différences non négligeables mais qui s'expliquent amplement par le fait que Paul a reçu sa formation intellectuelle en Asie Mineure dans un premier temps, en Palestine dans un second temps et non pas en E g y p t e . C'est ce vers quoi s'orientent d'ailleurs les recherches actuelles. J. D. G. Dunn, par exemple, dans un ouvrage important où Paul est réintroduit dans son temps et dans son espace, considère que le natif de Tarse n'a pas abandonné le judaïsme, bien au contraire il a essayé de trouver un chemin pour ses coreligionnaires juifs en fonction du Messie et de la Torah dans le cadre d'Israël . Parmi les problèmes doctrinaux pris en considération par Paul dans 2
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1. Voir notamment son attitude en Ga, en 1 Co et en 2 Co. 2. C'est la position, après bien d'autres, de C. GUIGNEBERT, « Le mystère paulinien », dans Le Christ, Paris, 1943, p. 323-362 (pagination selon la réimpression de 1969). 3. Au sujet des rapprochements entre Philon et Paul, voir P. BORGEN, Philo, John and Paul. New Perspectives on Judaism and Early Christianity, Atlanta, Géorgie, 1987. Voir aussi D. BOYARIN, op. cit., Berkeley, Californie, 1994, p. 14, qui considère que « les convergences entre Philon et Paul suggèrent un background commun à leur pensée dans le monde intellectuel du moyen platonisme éclectique du judaïsme de langue grecque du r siècle ». Contre une telle perspective, voir J. M. G. BARCLAY, op. cit., dans New Testament Studies 44 (1998), p. 536-556, qui estime, en se fondant sur une analyse de Rm 2, 25-29, que l'interprétation de Paul est révolutionnaire car ne se rattachant à aucune forme du judaïsme de son temps. 4. J. D . G. DUNN, The Theology of Paul the Apostle, Grand Rapids, Michigan,
PAUL. ÉLÉMENTS POUR UNE RÉÉVALUATION
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ses écrits authentiques, il ne peut être question ici que de son attitude par rapport à la Torah. V a être abordé toutefois aussi, dans un second temps, le problème de la pensée de Paul sur le devenir après la mort.
A. Paul et la Torah. Étant donné la place relativement centrale qu' occupe la Torah dans le judaïsme du I siècle et celle qu'elle occupera par la suite, il paraît nécessaire de préciser l'attitude de Paul à son égard et de tenter d'éclaircir quelque peu sur ce point la nature du contentieux qui l'oppose à certains autres courants juifs de son époque. Outre des considérations générales sur la question de Paul et la Torah, la densité de sa pensée sur ce point et surtout l'importance des interprétations de sa pensée obligeront à se concentrer, à titre de simple exemple, sur R m 10, 1-4. Auparavant, il conviendra de situer quelque peu la perception de la Torah dans le judaïsme ancien. er
1. La Torah dans le judaïsme
ancien.
Il n'est évidemment pas possible d'examiner en détail la position des divers courants juifs à l'égard de la Torah. Aussi, après quelques considérations générales, il va être essentiellement question de la position pharisienne, celle qui a sans doute exercé une influence sur Paul. D'un point de vue général, il apparaît nécessaire que la Torah, dans les milieux exégétiques, ne soit plus comprise et interprétée c o m m e un corps législatif rigide et froid auquel il faut se plier et dont le rôle n'est, en dernier ressort, que de manifester les manquements. Pour le judaïsme, en effet, la Torah n'est nullement considérée en premier lieu c o m m e une somme de prescriptions, mais plutôt c o m m e une somme d'instructions de Dieu à son Peuple, le signe de l'Élection, le signe de l'Alliance. A u I siècle, plusieurs interprétations de la Torah ont cours, variant suivant les divers courants, dont certains sont plus marginaux que d'autres. Venons-en maintenant à la compréhension pharisienne de la Torah. On va se limiter ici à quelques remarques d'ordre général, en renvoyant parfois, quand cela est possible, à certains passages des Épîtres de P a u l . 1. La Torah est considérée c o m m e une forme révélée de la volonté er
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1998. Voir aussi J. L . MARTYN, Theological Issues in the Letters ofPaul, Edimbourg, 1997. 1. Sur ce point, nous sommes largement redevable à la contribution de A. RAKOTO-
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sainte de Dieu dont l'appropriation distingue Israël des Nations (voir PirqeiAbotlY, 19) \ 2. Pour les pharisiens, c o m m e pour l'ensemble du judaïsme ancien, la Torah du Sinaï est identique à la sagesse préexistante à la création du monde. 3. Pour les pharisiens, c o m m e également pour l'ensemble du judaïsme ancien, l'homme et le monde sont conçus à partir de la Torah et en vue d'elle. À l'image de cette dernière, qui est constituée de 613 commandements, l'homme est fait de 248 membres et de 365 artères (voir Targum du Pseudo-Jonathan sur Gn 1,27). 4. Les pharisiens soulignent le fait que la Torah est praticable par l'homme tout en tenant compte de la réalité de la tentation et de la faiblesse humaine ainsi que de la possibilité du repentir . 5. Les pharisiens s'efforcent de se conformer à l'existence de sainteté de la Torah en s'acquittant, dans la vie quotidienne, des lois de pureté lévitiques originellement prévues pour le service des prêtres au Temple. 6. Pour les pharisiens, c o m m e pour l'ensemble du judaïsme ancien, la Torah a été donnée à Israël pour pouvoir vivre devant Dieu et ne pas périr dans l'impiété. 7. Pour les pharisiens, c o m m e pour l'ensemble du judaïsme ancien, la Torah est le critère par lequel Israël et les Nations seront jugés au dernier jour, il est parfois précisé que les « Œuvres de la Torah » seront sérieusement prises en considération par Dieu en vue de la justification de l'homme (voir PirqeiAbot III, 16). Ces quelques remarques sur la Torah dans la pensée pharisienne invitent simplement à prendre acte, à l'intérieur m ê m e de ce courant, de la multiplicité des interprétations dans des domaines et des situations les plus divers. Elles montrent, s'il le faut encore, l'intérêt porté par les pharisiens à la Torah, au m ê m e titre que les sadducéens se focalisent sur le Temple et les chrétiens sur le Messie. 2
2. Paul et la Torah : considérations
générales.
L'attitude de Paul à l'égard de la Torah est le sujet le plus complexe et le plus difficile de la pensée paulinienne. Il a d'ailleurs été abondamment traité du fait de ses implications théologiques depuis les ouvrages pionniers de H. Ràisànen et de
HARBMTSIFA, « Paul aux prises avec le judaïsme : la question de la Loi et l'exemple de Romains 10,1-4 », dans Foi et Vie. Cahier biblique 32 (1993), p. 92-95. La question a été abondamment traitée au cours des dernières décennies ; voir en dernier lieu C . FOCANT (ÉD.), La Loi dans l'un et l'autre testament, Paris, 1997. 1. VoirRm2,17-20 ; 3 , 2 ; 9,4. 2. Voir Ph 3,6-7 ; Rm 2,17-26 ; Rm 7,13-24.
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E. P. Sanders, publiés l'un et l'autre en 1983 \ qui ont remis en cause l'interprétation luthérienne de l'Epître aux Romains, celle mettant au centre de la théologie paulinienne la justification par la foi en l'opposant à la justification par la loi (et notamment par les œuvres de la l o i ) . En 1993, Didier Luciani a présenté un excellent état de la question sur Paul et la Torah, mettant en valeur l'abondance et la richesse de la recherche . Malgré une approche essentiellement théologienne, cette contribution rend d'inestimables services aux historiens. Depuis lors, les travaux n'ont évidemment pas cessé de paraître, tant sous forme d'ouvrages que d'articles — le dernier en date, qu'il semble important de signaler, est le recueil collectif édité, en 1996, par James Douglas Grant D u n n . Globalement, on peut dire que l'attitude de Paul à l'égard de la Torah est conditionnée par son intime conviction que le Messie est dorénavant à considérer c o m m e le médiateur unique du salut. On avance souvent que, pour Paul, la Torah ne saurait être un m o y e n de salut, puisque le Messie est le seul moyen de salut. Cela n'est qu'en partie exact, car sa position à ce sujet est loin d'être aussi tranchée au regard des nombreuses nuances qu'il apporte selon qu'il s'adresse à des croyants originaires du judaïsme ou du paganisme. Sans compter aussi que, d'une part, Paul envisage la Torah de manière positive et, d'autre part, de manière négative : c'est ce qui apparaît en tout cas à la lecture de certains passages de son œuvre. En R m 7 , 1 2 et en R m 7 , 1 6 , Paul précise : « La Torah est bonne », « La Torah est sainte ». D e même, il est rapporté qu'il a soutenu, d'une part : « Je crois tout ce qui est écrit dans la Torah et les Prophètes », en A c 2 4 , 1 0 , et, d'autre part : « Car je prends plaisir à la Torah de Dieu en tant qu'homme intérieur », en A c 2 4 , 2 2 . En R m 7, 7-9, cependant, Paul affirme : « Je n'ai connu le péché que par la Torah... Car sans la Torah, le péché est chose morte ». En G a 2 , 1 9 , i l avance: « C'est par la Torah que j e suis mort à la Torah » ; de m ê m e en Ga 2 , 2 1 : « Si par la Torah on atteint la justice, c'est donc pour rien que le Messie est mort. » 2
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1. H. RÀISÀNEN, Paul and the Law, Tubingen, 1983 ; E. P. SANDERS, Paul, the Law and the Jewish People, Philadelphie, 1983. 2. Cette remise en cause remonte à F. C. BAUR, Paulus derApostel Jesu Christi, Tubingen, 1845, dont l'interprétation, marquée par l'idéalisme et le libéralisme du xix siècle, se trouve aux antipodes de celle de Luther. À ce sujet, voir P. BONNARD, « Où en est l'interprétation de l'Epître aux Romains », dans Revue de théologie et de philosophie 83 (1951), p. 225-243. 3. D. LUCIANI, « Paul et la Loi », dans Nouvelle revue de théologie 115 (1993), p. 40-68. 4. J. D . G . DUNN (ÉD.), Paul and the Mosaic Law, Tubingen, 1996. Voir aussi J. MASSONET, « Paul et la Torah », dans J. SCHLOSSER (ÉD.), Paul de Tarse, Paris, 1996, p. 195-206. e
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Certains exégètes ont tendance à considérer que la pensée de Paul sur ce point est remplie de contradictions. Car il semble à la fois défendre et rejeter la Torah. En tout état de cause, Paul paraît avoir été fort tourmenté par l'observance de la Torah : ce que les pharisiens appellent « le joug des commandements » (voir Ga 5 , 1 ) . Il s'agit là d'un sentiment que beaucoup de juifs soumis à la Torah partagent, et cela m ê m e jusqu'à nos jours. D e fait, Paul semble avoir beaucoup souffert que, au nom de la Torah, on puisse vouloir exclure tous les non-juifs de la Rédemption — son esprit d'ouverture n'a pu accepter une telle réalité, surtout après sa reconnaissance de la messianité de Jésus. Il est important de souligner combien la pensée de Paul ne progresse que par la lecture et l'observance de la Torah. Toutes ses affirmations s'appuient sur des versets de l'Écriture qu'il enfile les uns à la suite des autres, « c o m m e les perles d'un collier ». En d'autres termes, avec C. Kessler, il est possible d'affirmer : « Sans l'Écriture [...], sans sa connaissance approfondie, on ne peut comprendre le fondement m ê m e de la pensée de P a u l ». Pour le natif de Tarse, la croyance en la messianité de Jésus — sa mort expiatoire et sa résurrection — est prouvée par l'Écriture, elle n'a un sens que par l'Écriture. Paul l'affirme d'ailleurs de manière fort explicite en 1 Co 15, 3-4 : « Le Messie est mort selon les Écritures.. . Il est ressuscité au troisième jour selon les Écritures. » Ainsi, pour lui, il y a continuité entre la Torah et le Messie. Toute croyance au Messie ne peut reposer que sur la Torah, c'est ainsi qu'il conviendrait de comprendre R m 3, 31 : « Enlevons-nous par la croyance [au Messie] toute valeur à la Torah ? Bien au contraire, nous confirmons la Torah ! » D'une certaine façon, Paul semble donc mettre en question la Torah, sans pour autant rompre avec l'exégèse pharisienne, c'est ce qu'on va pouvoir constater maintenant à partir de l'exemple de Rm 10,1-4. 1
3. Paul et la Torah : l'exemple
de Rm
10,1-4.
Andrianjatovo Rakotoharintsifa s'est intéressé tout récemment au difficile et délicat passage de R m 1 0 , 1 - 4 , mettant à profit les résultats des recherches les plus actuelles, surtout celles de l'aire germanophone . Rappelons que l'Épître aux Romains est censée contenir nombre d'incompréhensions autant pour les juifs que pour les chrétiens, ce 2
1. VoirC. KESSLER, op. cit., dans Études, 1997, p. 195. 2. A. RAKOTOHARINTSIFA, op. cit., dans Foi et Vie. Cahier biblique 32 (1993), p. 89-100.
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qui ne l'empêche pourtant pas déjouer un rôle décisif dans les discussions contemporaines sur les thèmes de la Torah et dans les rapports parfois épineux entre christianisme et judaïsme. Or, c o m m e on va le voir, replacés dans leur contexte, les propos de Paul sont logiques, d'une logique évidemment toute messianique, si l'on peut dire \ Cette lettre a été écrite sans doute vers 5 6 ou 57 à Corinthe, et adressée à la communauté de Rome. Cette dernière, qui n'a pas été fondée par Paul mais peut-être par la mission palestinienne, lui apparaît importante pour la réalisation d'une nouvelle mission à destination de l'Espagne (voir R m 15, 23-28), c o m m e l'ont été pour lui auparavant les communautés d'Antioche, d'Éphèse et de Corinthe. En d'autres termes, il espère surtout pouvoir collaborer avec cette communauté, afin d'être envoyé par elle en Espagne, c'est-à-dire d'être soutenu, d'un point de vue financier, dans sa mission en cette région . À Tanière-plan de cette missive, outre l'hostilité entre partisans et opposants au Messie Jésus, se trouve la mésentente entre les disciples de Jésus originaires de la Palestine et ceux originaires de la Diaspora dont Paul est le champion. La source de cette mésentente est sans nul doute l'enseignement de Paul sur la Torah en fonction de la manifestation messianique, et ses implications relatives au statut théologique d'Israël à la suite de l'ouverture du salut aux païens reposant non plus sur l'observance de la Torah mais sur la croyance au Messie. Ainsi, la communauté de R o m e semble être divisée non pas entre les chrétiens d'origine juive et ceux d'origine païenne, mais plutôt entre ces derniers et les juifs qui ne reconnaissent pas la messianité de Jésus. Cette situation, au demeurant paradoxale, peut se comprendre si l'on accepte de voir dans ces chrétiens d'origine païenne d'anciens prosélytes ou sympathisants au j u d a ï s m e . 2
3
1. Deux ouvrages sont parus récemment sur la question de la Loi dans l'Épître aux Romains : M. QUESNEL, Les Chrétiens et la Loi juive. Une lecture de VÉpître aux Romains, Paris, 1998, et J.-N. ALETTI, Israël et la Loi dans la Lettre aux Romains, Paris, 1998. Ces deux recherches mettent en œuvre les méthodes d'analyse fondées sur la rhétorique gréco-romaine, déjà utilisées dans un travail plus ancien de J.-N. ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? Clefs pour interpréter VÉpître aux Romains, Paris, 1991. De plus, il convient de souligner que ces études examinent l'Épître aux Romains plutôt dans le cadre du judaïsme, et non dans celui d'un christianisme qui n'existe pas encore. 2. H donne même à son message messianique une formulation plutôt palestinienne, en insistant, par exemple, sur la filiation davidique du Messie (voir Rm 1,3-4). 3. À la suite du décret d'expulsion de l'empereur Claude en 49, il est possible que les chrétiens d'origine juive soient devenus minoritaires à Rome, même si Aquile et Prisca ont rejoint la ville (voir Ac 18, 2 et Rm 16, 3). Autrement dit, le rapport de forces a changé, et les chrétiens d'origine païenne s'opposent désormais aux juifs non messianistes.
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Les chapitres 9 à 11 de l'Épître aux Romains portent sur le devenir d'Israël à la suite de la venue du Messie, d'où le titre qu'on leur donne généralement : « Le mystère d'Israël ». Dans ces chapitres, Paul développe l'argumentation suivante : si les juifs ne peuvent s'autoriser d'aucune supériorité à l'égard des païens, c o m m e il est dit en R m 1 , 1 8 - 4, 25, les païens ne doivent pas non plus à leur tour faire « les fiers » devant Israël *. En d'autre termes, selon Paul, l'endurcissement temporaire d'Israël ne contredit nullement leur fidélité à Dieu, mais ouvre paradoxalement le chemin du salut des païens, avec en conclusion l'affirmation que, à la fin des temps, tout Israël sera sauvé grâce à la miséricorde insondable de D i e u . Parmi les multiples propositions de structures de R m 9-11, celle de Christophe Senft paraît la plus adéquate . On se permet donc de la reprendre, selon le résumé qu'en donne A. Rakotoharintsifa : « Après l'aveu de sa douleur et de sa tristesse face à l'incrédulité de son peuple qui est le bénéficiaire historique des faveurs de Dieu ( 9 , 1 - 5 ) , Paul a recours à la notion d'élection pour déterminer la situation actuelle d'Israël ( 9 , 6 - 2 9 ) , mais ensuite il revient longuement au centre m ê m e de la justification par la foi (9, 30 - 1 0 , 21). Il tente de nouveau d'argumenter à partir de la théologie du reste et y ajoute l'idée d'exciter la jalousie d'Israël par sa mission parmi les païens ( 1 1 , 1 - 1 6 ) , puis il retourne au cœur de la foi c o m m e seul fondement du salut pour les juifs et les païens ( 1 1 , 1 7 - 2 4 ) . Il cherche enfin à introduire le mystère apocalyptique du salut de tout Israël pour montrer que son élection n'est pas abrogée et que son endurcissement est seulement momentané (11, 25-31), mais en définitive, il rejoint le pivot de toute l'Épître aux Romains : la miséricorde infinie de Dieu qui justifie l'impie, donc aussi l'Israël incrédule ( 1 1 , 3 2 ) . » 2
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1. M. REMAUD, « "Leur voix a retenti par toute la terre..." Allusions à quelques traditions juives dans Romains 9-11 », dans Cahiers de Ratisbonne 2 (1997), p. 78-102, dans une contribution remarquable, relève quelques traditions pharisiennes qui sont sans doute sous-jacentes à Rm 9-11. 2. Voir en tout dernier lieu E. W. STEGEMANN, « Le sujet de l'Épître aux Romains et Romains 9-11 », dans D. MARGUERAT (ÉD.), Le Déchirement. Juifs et chrétiens au premier siècle, Genève, 1996, p. 113-125, qui interprète Rm 9-11 de la manière suivante : le refus de la reconnaissance du Messie Jésus par Israël n'est que provisoire, mais laisse un espace permettant aux païens d'entrer dans l'alliance du salut (en s'appuyant sur le passage de Rm 11,11-12) — autrement dit, « le verdict divin sur son peuple ne sera pas le jugement, mais la miséricorde » (d'après D. MARGUERAT ( É D . ) , op. cit., Genève, 1996, p.
15).
3. C. SENFT, « L'élection d'Israël et la justification (Romains 9 à 11) », dans L'Évangile, hier et aujourd'hui. Mélanges à F.-J. Leenhardt, Genève, 1968, p. 131-142. 4. Voir A. RAKOTOHARINTSIFA, op. cit., dans Foi et Vie. Cahier biblique 32(1993), p. 97. 5. C. PERROT, L'Épître aux Romains, Paris, 1988, p. 46-50 (Cahiers Évangile n° 56), donne une structure du texte qui n'est pas inintéressante. Trois mouvements,
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Relevons, avec Charles Perrot, que l'expression « Tout Israël » — de R m 11, 2 6 — répercute d'abord celle du Deutéronome pour dire : « l'Israël dans sa perfection première, manifestée dans la sainte communauté du désert (Dt 1, 1 ) ». Chez Paul, une telle expression correspond sans aucun doute à l'unité du Peuple de Dieu, d'un point de vue collectif et non pas individuel. Elle équivaut, en effet, au plérôme de R m 11, 12, afin de désigner la totalité plénière d'Israël dans sa dimension historique, pourtant divisé à cette époque en de multiples courants, notamment entre les juifs reconnaissant le Messie et les autres . R m 1 0 , 1 - 4 fait partie d'un ensemble d'arguments où Paul repense (1) les avantages théologiques d'Israël, (2) son refus du Messie Jésus et (3) la fiabilité de la Parole de Dieu à la lumière de la croyance messianique. Dans ce passage, il constate, d'une part, l'obtention de la justification par les païens à partir de la croyance messianique et, d'autre part, l'échec d'Israël dans sa quête de la justification par le m o y e n de la Torah. Il relève à cet effet que la piété centrée sur la Torah et la recherche de la vie juste au sein de l'Alliance n'ont nullement permis à Israël de reconnaître la messianité de Jésus, qui est devenue une sorte de pierre d'achoppement, un scandale. Une analyse plus avancée permet de constater que, en R m 10, 1, Paul exprime aux disciples de Jésus son v œ u le plus profond et l'objet de son intercession auprès de Dieu, à savoir que l'ensemble de la nation juive parvienne au salut ; tandis que, en R m 1 0 , 2 - 3 , il précise que les juifs, malgré leur zèle pour Dieu, ne parviennent pas à la connaissance et persistent à chercher leur propre justification, ne se soumettant pas réellement à celle de Dieu ; et que, en R m 1 0 , 4 , enfin, il relève que la venue du Messie a mis fin à toute justification fondée sur la Torah. En d'autres termes, selon Paul, le salut pour Israël est le passage de l'observance de la Torah à la croyance au Messie. À cette fin, il souligne la faillite de la Torah, mais considère que l'intervention de Dieu est nécessaire pour contourner l'obstacle de la Torah et rendre possible le salut de son peuple en passant par la reconnaissance du Messie. Bref, Israël, qui ne connaît ou ne reconnaît pas son Messie, ne peut parvenir au salut tant qu'il reste enfermé dans sa propre « justification » de salut, en continuant de considérer l'observance de la Torah c o m m e le principe du salut. 1
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allant « de la désolation à l'espoir et de l'espoir à la certitude du salut », sont distingués : en 9,1-33, premier mouvement, constat et questions ; en 10,1 - 1 1 , 2 4 , deuxième mouvement, de l'espoir à la possibilité du salut ; en 11, 25-36, dernier mouvement, le mystère du salut d'Israël. 1. C. PERROT, op. cit., Paris, 1988, p. 50 {CahiersÉvangile n° 56). 2. Il ne faut donc surtout pas identifier ce « Tout Israël » à l'Église, qui n'existe d'aiUeurs pas encore comme telle, tout au moins d'un point de vue théologique.
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Pour comprendre ces passages, il convient aussi de ne pas oublier les réflexions juives sur le jugement dernier qu'on ne peut ici que mentionner. D'autre part, si Paul prend soin de préciser que la manifestation du Messie abroge l'observance de la Torah « pour la justification de tous ceux qui croient » (Rm 10, 4), c'est uniquement afin d'éviter aux chrétiens d'origine païenne de penser que l'échec d'Israël dans la poursuite de l'observance de la Torah est définitif. En effet, plus loin, il affirme que la croyance justifiante—c'est-à-dire la croyance messianique — vient directement de l'écoute de la prédication apostolique (Rm 1 0 , 9 - 1 8 ) , non pas de l'étude et de la pratique de la Torah. Pour Paul, il ne semble pas faire de doute que, avec le Messie, une nouvelle situation et une nouvelle époque de l'histoire du salut soient réellement arrivées. En somme, pour le natif de Tarse, l'avenir d'Israël ne se trouve plus dans l'observance de la Torah, mais dans la croyance au Messie. C est la raison pour laquelle il oppose la « loi » à la « foi » — selon une terminologie largement utilisée par les théologiens chrétiens. À souligner que, pour Paul, la « fin » de la Torah, selon son expression utilisée en R m 1 0 , 4 (xéXoç [...] vô^ou), permet désormais aux juifs et aux païens d'avoir accès au salut, sans aucune distinction. Autrement exprimé, pour Paul, l'authentique voie d'accès à Dieu ne peut venir que de la croyance au Messie : le Messie sauve, et non plus la Torah (voir aussi l'argumentation développée en R m 3 , 2 1 - 3 0 ) . D'une manière générale, le thème de l'abrogation de la Torah paraît pouvoir être lu c o m m e corollaire de la doctrine messianique développée par Paul. C o m m e les autres apôtres et les premiers disciples, Paul croit en effet que, par sa mort et sa résurrection, Jésus est devenu le Messie rédempteur qui « libère de la Torah ». Ainsi, selon lui, le « Royaume de Dieu » est inauguré, ce qui lui permet notamment de dénoncer aussi l'observance « des mois, des saisons, des années » (voir Ga 4, 10-11), autrement dit du rythme liturgique traditionnel. Il n'est pas sans intérêt de souligner que la position de Paul pourrait se fonder sur ce qui a été appelé par certains critiques « la doctrine pharisienne — ou rabbinique — des temps, ou des éons », que l'on trouve exposée dans quelques passages de textes que l'on range parmi les littératures apocryphe et talmudique, l'une et l'autre étant certes plus tardives que les Epîtres du natif de Tarse. Cette doctrine, d'après Hans Joachim Schoeps qui a été un des principaux critiques à la mettre en relation avec la pensée de Paul, s'énoncerait a i n s i : « Depuis la création du monde, il y a eu deux 1
1. Voir H. J. SCHOEPS, op. cit., Tubingen, 1959, p. 95-110. On la trouve aussi
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mille ans de chaos, puis deux mille ans de régime de la Torah débutant au Sinaï, auxquels succéderont deux mille ans d'âge m e s s i a n i q u e . » Autrement dit, de l'âge du chaos on est passé à l'âge de la Torah et on passera à l'âge du Messie. On la trouve mentionnée, sous des formes diverses, dans des passages de la littérature apocryphe, notamment en / / Baruch ( 3 0 , 1 - 4 ) ou en IVEsdras (7, 26-33), qui sont des apocalypses juives de la fin du I siècle, où il est question cependant de l'ère messianique plus que d'abrogation de la Torah — cette dernière, à la limite, pouvant être considérée c o m m e sous-entendue. On la rencontre aussi, sous une forme moins elliptique, dans des passages de la littérature talmudique, notamment en TB Sanhédrin 97a, TB Abodah zarah 9a, TJ Megillah 70d. Dans ce temps messianique, « les mitzvot seront rendues caduques » (d'après TB Niddah 61b), selon une des formulations talmudiques traditionnelles — en d'autres termes, les mitzvot auront perdu leur signification « au temps à venir ». U n maître du ir siècle, en Qohelet Rabbah XII, 1, affirme cette doctrine en ces termes : « D e s années arrivent où tu diras : "Je n'ai pas de volonté, je n'ai pas de choix, les jours du Messie sont là" ; à ce moment-là, il n'y aura plus ni mérite, ni faute . » Ce maître semble exprimer ainsi une opinion apparemment courante chez les sages de cette époque, suivant laquelle, à l'ère messianique l'« ancienne Torah » cesserait d'être en vigueur, car l'instinct du mal n'aurait plus d'emprise sur l ' h o m m e ; dès lors, Dieu accorderait une « nouvelle Torah » (une Torah hadashah), voire un « renouveau de la Torah » (un Hiddoush ha-Torah). On peut évidemment se demander si les sages, en s'exprimant ainsi, ont voulu parler de toute la Torah (écrite et orale) ou seulement de la halakhah. On peut se demander aussi, avec C. Kessler, si les sages n'ont pas cherché à signifier tout simplement, « en se fondant sur Jr 3 1 , 3 1 - 3 3 , que le sens véritable de la Torah sera enfin "inscrit dans les cœurs", en d'autres termes que c'est Dieu lui-même qui orientera les cœurs pour que les enfants d'Israël accomplissent la Torah en vérité, en plénitude, dans toute son exigence de justice et d ' a m o u r ». Quoi qu'il en soit, toutes ces spéculations pharisiennes ou rabbiniques, dont la datation est d'ailleurs difficile, ne sont peut-être pas l
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exposée dans l'ouvrage de L . BAECK, The Pharisees and Other Essays, New York, 1961, p. 72-73. 1. Voir H. J. SCHOEPS, op. cit., Tubingen, 1959, p. 95, n. 2. 2. Traduction d'après C. KESSLER, op. cit., dans Études, 1997, p. 200. 3. Doctrine fondée sur Ez 11,19 et Jl 3. 4. Voir C. KESSLER, op. cit., dans Études, 1997, p. 200.
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sans rapport avec ce que dit Paul en 1 Co 6 , 1 2 : « Tout m'est permis, mais tout ne m e convient pas. Tout m'est permis, mais moi j e ne m e laisserai asservir par rien », et plus directement encore, quand en Ga 6, 2 il parle de « la Torah du Messie », ou en R m 3, 27, lorsqu'il est question de « la loi de la foi ». Paul, en tout cas, semble rejoindre d'une certaine façon les spéculations pharisiennes — ou rabbiniques — lorsqu'il parle de la Torah et du Messie, et surtout du rapport entre l'observance de la Torah et la croyance au M e s s i e . C'est ce qu'il semble vouloir exprimer en Ga 4, 10-11, quand il dénonce le calendrier liturgique, le considérant dorénavant c o m m e relevant du p a s s é . L'étude de R m 10, 1-4 dans son contexte historique, littéraire et culturel, qui n'a pu être ici qu'esquissée, montre que, à la différence des autres courants religieux du judaïsme de l'époque, Paul envisage la Torah non pas à partir des traditions interprétatives successives, mais à partir de la croyance messianique, tout en se fondant sur ces dernières pour montrer que Jésus est le Messie attendu par Israël . l
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B. Paul et le devenir après la mort. Dans un ouvrage remarquable sur la résurrection, Marie-Émile Boismard a analysé la pensée de Paul sur le devenir après la mort \ en se fondant essentiellement sur un travail de Jacques Dupont paru en 1952 . Marie-Émile Boismard est parvenu à distinguer, en la matière, pas moins de quatre phases d'évolution dans la pensée de Paul, qu'il convient d'examiner brièvement. 5
1. Ces spéculations pharisiennes sur le rapport entre l'observance de la Torah et la croyance au Messie, et notamment sur la signification de la Torah lors de l'avènement du Messie, ne paraissent pas inconnues à Paul — même s'il est difficile de fonder cette affirmation sur des preuves certaines d'un point de vue chronologique. 2. Sans doute Paul se situe-t-il à une époque où il croit proche la Parousie — la seconde. 3 . Voir l'analyse plus globale — et très herméneutique — de ce passage proposée par M. QUESNEL, op. cit., Paris, 1 9 9 8 , p. 7 7 - 9 2 . Voir aussi J.-N. ALETTI, op. dr., Paris, 1 9 9 8 , p. 2 0 1 - 2 3 1 .
4 . M.-É. BOISMARD, Faut-il encore parler de « résurrection » ? Les données scripturaires, Paris, 1 9 9 3 (voir la recension critique de P. GRELOT, dans Esprit et Vie 1 0 5 ( 1 9 9 5 ) , p. 5 7 7 - 5 8 3 , et celle de J. MURPHY-O'CONNOR, dans Revue biblique 1 0 3 ( 1 9 9 6 ) , p. 4 4 3 - 4 4 6 ) .
Voir aussi P. MASSET, « Faut-il encore parler de "résurrection" ? À propos d'un livre récent », dans Nouvelle revue de théologie 1 1 8 ( 1 9 9 6 ) , p. 2 5 8 - 2 6 5 . 5. J. DUPONT, EYN XPIETQI. L'union avec le Christ suivant saint Paul, BrugesLouvain-Paris, 1 9 5 2 .
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(1) Tout d'abord, en 1 Th 4, 13-18, Paul semble n'envisager le royaume eschatologique que c o m m e un royaume terrestre \ Selon Paul, dans la mort, l'homme tout entier disparaît, et c'est ainsi qu'il revient à la vie ; Paul précise même que, si des croyants « s'endorment » avant la Parousie, lorsque le Messie reviendra pour inaugurer le « Royaume de Dieu », ils ressusciteront aussi. Il dépend ici en tout point de la tradition juive ordinaire, développée en D n 1 2 , 1 - 3 et ailleurs. 2
(2) Plus tard, en 1 Co 1 5 , 2 2 - 2 8 , outre la résurrection du Messie, deux moments sont distingués par P a u l : d'une part, lors de la Parousie, le temps de la résurrection de ceux qui croient au Messie et celui de l'établissement d'un règne terrestre du Messie sur la terre ; d'autre part, le temps de la f i n , lorsque le Messie remettra sa royauté entre les mains de son Père et celui de l'établissement d'un royaume de Dieu dans le c i e l . 3
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(3) Plus tard encore, en 1 Co 1 5 , 3 5 - 5 7 , Paul abandonne l'idée du règne terrestre du Messie pour ne retenir que le règne céleste où les élus rejoindraient les astres . En 1 C o 1 5 , 5 1 - 5 4 , le terme « Parousie » n'est plus utilisé par Paul. Le royaume eschatologique est renvoyé au ciel où gravitent les astres qui, selon une conception assez courante à l'époque, sont considérés c o m m e des êtres vivants (voir IV M 1 7 , 5 ) . Marie-Émile Boismard montre également que, en 1 Co 1 5 , 3 5 , Paul ne songe nullement à une âme immortelle qui retrouverait un corps, mais qu'il reste dans la perspective juive déployée en D n 12, 1-3 — celle adoptée en 1 Th : ce qui va ressusciter, c'est l'homme dans sa totalité et non seulement le corps. 6
(4) Enfin, en 2 Co 3 et 5, Paul paraît se rallier aux idées platoniciennes en les aménageant quelque peu dans la ligne de pensée de certains courants juifs : l'être est alors composé d'un corps corruptible et d'une âme immortelle déjà vivifiée par l'Esprit du Messie,
1. VoirM.-É. BOISMARD, op. cit., Paris, 1993, p. 41-46. 2. Ce passage ferait partie d'une lettre qui aurait été reprise dans 1 Co, mais lui serait antérieure. 3. VoirM.-É. BOISMARD, op. cit.,Paris, 1993, p. 47-52. 4. M.-É. BOISMARD, op. cit., Paris, 1993, p. 49, propose de traduire l'expression xô TÉÀ,oç de 1 Co 15,24 par « la fin », et non par « le reste ». 5. Une telle tradition se retrouve aussi en Ap 19-21, non sans un certain aspect millénariste. 6. VoirM.-É. BOISMARD, op. cit.,Paris, 1993,p. 53-67.
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cette dernière trouvant une nouvelle demeure après la mort dans un corps céleste qui l'attend \ Ainsi, en 2 C o 5 , 1 - 1 0 , pour rendre compte de la résurrection individuelle, Paul déploie une perspective proche des idées platoniciennes : puisque le corps est appelé à être corruptible, il convient de posséder une âme, distincte de lui, qui, elle, sera incorruptible, puisque par le baptême elle a revêtu le Messie, de par l'Esprit vivifiant. A u sujet du devenir du corps après la mort, Paul met en opposition le corps terrestre et le corps céleste que retrouve le chrétien après la mort (voir 2 C o 5, 1). Cette anthropologie semble provenir des milieux pharisiens, du moins si l'on en croit Flavius Josèphe qui rapporte : « Ils pensent [...] que toute âme est incorruptible et que celle des bons seulement passe dans un autre corps tandis que celle des mauvais subit un châtiment éternel . » Paul n'aurait donc fait que reprendre la croyance des pharisiens, en la transposant : pour eux, l'âme juste doit retrouver un corps sur la terre ; pour lui, elle retrouve un corps dans les cieux — dans un cas c o m m e dans l'autre, cependant, elle passe d'un corps dans un autre . 2
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Marie-Émile Boismard, fort justement, souligne que la pensée de Paul a évolué. En 1 Th, il n'envisage pas de terme au royaume terrestre du Messie. En 1 C o 15, 2 2 - 2 8 , le royaume aura une fin : il sera remplacé par le « Royaume de Dieu ». En 1 C o 15, 35-57, il abandonne l'idée d'un royaume terrestre du Messie, puisque résurrection des morts et transformation en gloire de tous les hommes doivent se produire au m ê m e moment, lors du retour du Messie (voir 1 Co 15, 51-54). En 2 Co 3 et 5, enfin, il se détourne de l'anthropologie juive au profit d'une anthropologie grecque de type platonicien, qui lui fera concevoir une eschatologie individuelle. D'après certains critiques, il est impossible que Paul, en moins de dix ans, ait pu réaliser un tel itinéraire intellectuel. Michel Quesnel, par exemple, dans sa recension, considère que, si personne ne peut douter que la pensée de Paul soit évolutive, il est, en revanche, invraisemblable que, en moins de dix ans, il ait réalisé une évolution aussi considérable . Sans entrer dans une discussion détaillée, disons qu'un tel parcours ne semble nullement impossible pour un homme, surtout pour un penseur du niveau de Paul. On peut considérer que sa prise de conscience de sa croyance en la messianité de Jésus a attiré son attention 4
1. VoirM.-É. BOISMARD, op. cif.,Paris, 1993, p. 103-117. 2. Voir Flavius Josèphe, Guerre des Juifs H, § 163. 3. Cette anthropologie se trouve aussi dans YAscension d'Isaïe — en 6,16. 4. Voir M. QUESNEL, dans Cahiers Évangile n° 95 (1996), p. 65-66.
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sur nombre de conséquences, et cela de manière sans aucun doute progressive. Le point de départ de la pensée de Paul sur ses représentations après la mort est celui de la tradition juive ordinaire telle qu'on la trouve en D n 1 2 , 1 - 3 , non sans reprendre la perspective de Gn 2 , 7 et 3 , 1 9 — après un temps de persécution et de détresse, les justes (corps et âme sans distinction aucune) se réveilleront de leur sommeil d e mort après avoir reposé « au pays de la poussière » (voir D n 1 2 , 2 ) . Le point d'arrivée de sa pensée semble être assez similaire de certaines idées qui ont cours dans des milieux de tendance pharisienne, mais aussi dans des milieux grecs relevant des philosophies platonicienne et pythagoricienne. Entre c e s deux points, la réflexion intellectuelle de Paul ne paraît pas sortir des idées circulant dans le monde juif, m ê m e si, en 1 C o 1 5 , 3 5 - 5 7 , une influence grecque se fait sentir — cette dernière s'explique facilement par l'intermédiaire de la Diaspora romaine dont Paul est i s s u . 1
IV. Conclusion. Le caractère exceptionnel de Paul doit être saisi à travers le fait qu'il a prêché la croyance en la messianité de Jésus, et non pas la foi en Jésus-Christ, c'est-à-dire la foi en un être humain et en un être divin — c o m m e le diront un peu plus tard certains disciples de Paul, notamment ceux qui ont écrit les lettres dites « Pastorales ». Autrement exprimé, Paul est à considérer c o m m e un « envoyé », un « missionnaire » qui porte la bonne nouvelle, à savoir que le Messie est enfin arrivé et que dorénavant il faut vivre en fonction de cet événement et non plus seulement en fonction de la Torah. D e manière sensiblement plus générale, et en partant du point de vue de l'auteur des Actes des Apôtres, Paul paraît pouvoir être aussi compris à la lumière des récits sur les hellénistes, sur Etienne et sur Philippe, qui sont rapportés en A c 6-8. Auquel cas les témoignages relatifs à Paul ne représenteraient plus alors qu'une illustration, parmi d'autres, de la diffusion du mouvement des disciples de Jésus dans les communautés juives de la Diaspora romaine, et surtout dans les 2
1. n n'est pas nécessaire de penser que Paul a modifié son discours parce qu'il s'adresse à partir d'un certain moment plus à des païens qu'à des juifs. De toute façon, les païens touchés par son message sont ceux qui connaissent déjà plus ou moins les idées juives relatives aux perspectives eschatologiques. Voir A . F . SEGAL, « Paul's Thinking about Resurrection in Its Jewish Context », dans New Testament Studies 44 (1998), p. 400-419, contribution qu'il n'a pas été possible d'utiliser ici. 2. Voir Y. REDALIÉ, Paul après Paul. Le temps, le salut, la morale selon les Épîtres à Timothée età Tite, Genève, 1994.
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milieux de prosélytes et de sympathisants au judaïsme, plus d'ailleurs chez les seconds que chez les premiers, qui gravitent autour d ' e l l e s . D'un tout autre point de vue, il convient de souligner que Paul n'a nullement « déjudaïsé » le message de Jésus, c o m m e on le dit parfois : il l'a seulement recueilli et transmis selon les normes du judaïsme de la Diaspora romaine, et non plus, c o m m e avant lui, selon les normes du judaïsme de la Palestine . Ce qui ne l'empêche pas d'utiliser dans sa dialectique les règles exégétiques pharisiennes originaires de la Palestine. Raison pour laquelle il apparaît important de ne pas oublier que Paul, d'une certaine façon, a relevé tout au long de sa vie de deux courants de pensée : celui des pharisiens, dans lequel il a été formé, et celui des nazoréens, auquel il a été converti à la suite de la révélation messianique dont il a été bénéficiaire « sur le chemin de Damas ». Ainsi, Paul a développé une pensée relativement cohérente au regard de ses origines et de sa formation. Son ouverture aux païens n'a été que le fruit d'une réflexion sur les conséquences de sa reconnaissance de la manifestation du Messie Jésus en ce monde — une réflexion, plutôt universaliste, qui a toujours eu cours dans le judaïsme, du moins depuis la période perse. D'autre part, durant son existence de missionnaire itinérant nazoréen, Paul vivra avec un double problème : il est contesté à l'intérieur du mouvement des disciples de Jésus ; il est incompris à l'extérieur de ce mouvement — c'est-à-dire par les autres courants du judaïsme. Ainsi, cet homme a été aussi bien encensé par ses partisans que rejeté par ses ennemis, ceux de l'intérieur c o m m e ceux de l'extérieur — souffrant en quelque sorte de son « écharde dans la chair », selon l'expression qu'il rapporte lui-même en 2 C o 1 2 , 7 . l
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D'origine juive, Paul est demeuré juif tout au long de sa vie, d'autant que, pour lui, il n'y a aucune contradiction entre le fait d'être juif et le fait de reconnaître la messianité de Jésus — bien au contraire ! Son rapport à la Torah montre qu'il a sans aucun doute été observant, m ê m e après son ralliement au mouvement des disciples de Jésus. Ce qui ne l'a nullement empêché, pour autant, en juif de la 1. De la sorte, on pourrait avancer que les principales étapes connues du développement du groupe des juifs chrétiens originaires de la Diaspora romaine, attestées par Luc, sont : ( 1 ) les hellénistes ; ( 2 ) Etienne ; ( 3 ) Philippe ; ( 4 ) Paul. 2. A ce sujet, voir M. SACHOT, L'Invention du Christ. Genèse d'une religion, Paris, 1 9 9 8 , p. 9 2 - 1 0 0 . e
3 . Sans compter que la figure de Paul sera récupérée au n siècle par les marcionites comme par les gnostiques, au point que, à Torée du m siècle, Tertullien pourra le qualifier d'« apôtre des hérétiques », tout en dénonçant avec vigueur cette annexion (voir Contre Marcion m, 5 , 4 ) . e
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Diaspora romaine, d'interpréter la Torah dans un sens bien plus favorable à l'ouverture aux païens que ne le sont, selon toute apparence, les juifs de la Palestine dont les règles identitaires paraissent d'ailleurs relativement différentes . Selon lui, pour ceux qui sont originaires du judaïsme, il ne peut y avoir d'opposition entre Torah et Messie, il y a m ê m e complémentarité. Autrement exprimé, la croyance au Messie ne saurait être en contradiction avec l'observance de la Torah. C'est avec cette grille de lecture qu'il faudrait sans doute reprendre l'étude de l'Épître aux Romains — surtout les chapitres 9 à 11 — dans laquelle Paul se défend des graves accusations portées contre lui par ses opposants, qui sont, dans ce cas précis, non seulement des chrétiens d'origine juive, mais aussi des juifs ne reconnaissant pas la messianité de J é s u s . D e toute façon, force est de souligner que l'attitude de Paul à l'égard de ses coreligionnaires a évoluée au gré des circonstances — dans la l Épître aux Thessaloniciens, il s'en prend violemment à eux, alors que, dans l'Épître aux Romains, il les défend sans aucune ambiguïté face aux chrétiens d'origine païenne qui tendent à plus se démarquer du judaïsme . l
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A u risque sans doute de choquer, il est difficile de ne pas reconnaître que, du point de vue du judaïsme de son temps, Paul a été sans nul doute un des plus grands « génies religieux », surtout pour avoir osé interpréter la Torah en fonction de la croyance messianique en Jésus, interprétation qui l'a conduit à l'ouverture du message chrétien non seulement aux juifs mais aussi aux païens — notamment en réduisant, pour ces derniers, les difficultés d'ordre rituel . D e ce point 5
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1. En Palestine, l'identité juive au I siècle repose sur la patrilinéarité, alors que, en Asie Mineure, elle est matrilinéaire, comme le montre le cas de Timothée rapporté en Ac 16, 1-3. Les arguments développés par I. LEVINSKAYA, « Diaspora Jews in the Book of Acts », dans The Book of Acts in Its Diaspora Setting, Grand Rapids, Michigan, 1996, p. 1-17 (surtout p. 12-17), en faveur de la matrilinéarité paraissent plus convaincants que ceux avancés par S. J. D. COHEN, « Was Timothy Jewish (Acts 16 :1-3) ? Patristic exegesis, Rabbinic Law, and Matrilineal Descent », dans Journal of Biblical Literature 105 (1986), p. 251-268, en faveur de la patrilinéarité. 2. D est accusé notamment d'être l'ennemi de la nation juive et de méconnaître l'élection particulière dont elle est l'objet de la part de Dieu. À ce sujet, voir S. C. MIMOUNI, op. cit., dans École pratique des hautes études. Section des sciences religieuses, Annuaire. Résumés des conférences et travaux, t. CV, 19%-1997, Paris, 1998, p. 326-328. 3. Sans doute aussi au fur et à mesure qu'il se rend compte que le temps de la Parousie n'est pas si proche qu'il se l'est imaginé lors de son ralliement au courant messianiste. 4. Voir R. PENNA, « L'évolution de l'attitude de Paul envers les juifs », dans A. VANHOYE (ÉD.), L'Apôtre Paul. Personnalité, style et conception du ministère, Louvain, 1986, p. 390-421. 5. Parmi les grandes figures du mouvement des disciples de Jésus avant 70, il est
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de vue, il semble avoir été le premier penseur juif à avoir considéré que la Torah peut être, doit être, aménagée, voire dans une certaine mesure abrogée, lors de l'avènement des temps messianiques — les rabbins du n siècle le suivront quelque peu sur cette voie, on peut d'ailleurs penser que d'autres, avant lui, ont pu l'emprunter . C o m m e c'est déjà le cas en partie dans l'historiographie américaine, Paul doit retrouver sa place dans les études juives anciennes, car, pour la connaissance des communautés juives de la Diaspora romaine, il représente, de par ses lettres, une documentation très précieuse — notamment sur le plan des pensées et des mentalités — qui n'est hélas que fort rarement prise en considération par les spécialistes en ce d o m a i n e . Ajoutons que, si Paul a su parler à chacun — aux juifs c o m m e aux païens — le langage qu'il est censé pouvoir comprendre, c'est peutêtre qu'il a suivi un des enseignements rapporté au nom de Hillel : « Quand vous arriverez dans une ville, comportez-vous selon les coutumes de cette ville » (Genèse Rabba 4 8 ; Exode Rabba 47). À n'en point douter, c'est ce qu'il a fait, avec évidemment plus ou moins de succès selon les lieux. Le chercheur moderne doit cesser de se laisser leurrer par les multiples interprétations du discours de Paul qui, de fait, s'est voulu simplement compréhensible par tous, autant des juifs que des païens — surtout que ces derniers, il ne semble pas inutile de le rappeler une dernière fois, paraissent n'avoir été en réalité que des prosélytes ou des sympathisants au j u d a ï s m e . En définitive, Jésus est apparu sans aucun doute à Paul, c o m m e le Messie envoyé par Dieu à la fois aux juifs et aux païens, c'est-à-dire comme le Sauveur qui apporte le Salut tant aux juifs qu'aux païens c
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apparemment le seul à être allé aussi loin dans l'interprétation de la Torah au regard de la venue du Messie. 1. En ce qui concerne la conception universaliste dans le judaïsme par rapport à la conception particulariste, dont l'histoire reste à écrire, voir pour une première approche A. F. SEGAL, « Universalism in Judaism and Christianity », dans T. ENGBERG-PEDERSEN (ÉD.), Paul in His Hellenistic Context, Minneapolis, Minnesota, 1995, p. 1-29. 2. n est symptomatique de constater que L. H. SCHIFFMAN, Texts and Traditions. A Source Reader for the Study of the Second Temple and Rabbinic Judaism, Hoboken, New Jersey, 1998, dans un recueil de textes, au demeurant fort utile, ignore totalement les Épîtres de Paul. 3. En Rm 15,27, la répartition avancée par Paul, entre les païens qui apportent des « biens temporels » aux juifs tandis que ces derniers leur fournissent des « biens spirituels », est classique pour les communautés juives de la Diaspora romaine. Il s'agit d'ailleurs d'un cas d'évergétisme qui serait à rapprocher de celui mentionné en Le 7,5. En Rm 16,4, Paul se plaît à souligner la dette des chrétiens d'origine païenne à l'égard de Prisca et Aquile, chrétiens d'origine juive.
PAUL. ÉLÉMENTS POUR UNE RÉÉVALUATION
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(voir R m 10, 1 2 - 1 3 ) . En grand esprit, fort de cette vision œcuménique, au sens propre et premier du terme, il a pensé pouvoir réaliser l'unité des juifs et des païens autour de cette croyance au Messie Jésus, dont la Parousie en ce monde lui a semblé fondamentale — de ce point de vue, il faut bien avouer qu'il semble avoir totalement échoué ! 2
1. Une telle idée n'est pas tellement atypique pour un personnage qui est originaire d'une région où vivent ensemble, apparemment en bonne entente, juifs et païens — contrairement d'ailleurs à la situation qui prévaut en Egypte, où les juifs sont victimes, vers la même époque, d'un violent sentiment judéophobe de la part des païens. 2. La bibliographie figurant dans cette contribution n'est nullement exhaustive, elle est plutôt indicative dans un champ de recherche où les publications foisonnent.
CONSTRUCTING THE MATRIX OF JUDAIC CHRISTIANITY FROM TEXTS
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WILLIAM L. PETERSEN
Pennsylvania State University
Résumé Bien qu 'on ait souvent défendu la thèse selon laquelle des preuves textuelles manquent à l'appui d'une reconstruction de la théologie du tout premier judéo-christianisme, en rapport avec ses croyances, ses pratiques et son contexte social, dans cette étude on tente de prouver qu'une telle thèse résulte d'une impression erronée. L'erreur provient sans doute d'un certain nombre de circonstances, qui rendent l'étude du judéo-christianisme apparemment difficile et rébarbative. En fait, il existe de nombreux textes, aussi bien dans le Nouveau Testament lui-même que dans les variantes connues, ainsi que dans les sources patristiques, où Von retrouve quantité d'éléments à propos du judéo-christianisme — mais ces textes ont le plus souvent été ignorés. Summary Although it has often been maintained that we lack sufficient textual evidence to construct the theology, beliefs, practices, and social context of earliest Judaic Christianity, this essay argues that this impression is mistaken. This notion is the result of various circumstances which have made the study of Judaic Christianity seem unattractive and difficult. There are, however, numerous texts — in the New Testament itself, in its apparatus, and in patristic sources — which allow us to discern much about Judaic Christianity. More often
1. This study was completed while Fellow-in-Residence, 1997-98, at the Netherlands Institute for Advanced Studies (NIAS), in Wassenaar, the Netherlands. The kindness of the staff at NIAS and the excellent surroundings provided an ideal atmosphere for work. I especially appreciated the collegiality of the other five members of our team working on the text of the Gospel of John in the Diatessaron.
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than not, however, these texts have been ignored. This essay seeks to remedy that oversight.
I. The problem. One of the most embarrassing features of research into early Chris tianity is the short shrift given Judaic Christianity. W. H. C. Frend's justly-praised The Rise of Christianity is representative. Although more than a thousand pages in length, the index of this standard work contains n o entry for the subject, and Frend's chapters flow from "Jesus o f Nazareth" (chapter two) to "Paul and the First Expansion, 30-65" (chapter t h r e e ) . A similar situation prevails in the Patrology of J. Quasten. Although its four volumes contain over 2,000 pages, not a single article is devoted to an Eastern Father. A n d while the more recent Patrologie of B . Altaner and A . Stuiber includes articles on Aphrahat and Ephrem (both of w h o m betray the imprint of Judaic Christianity), the presence o f these t w o lone Eastern fathers only highlights the imbalance between Graeco-Roman Christianity and Judaic Christianity. What can explain this dearth o f tools and studies? W h y has this crucially important subject — which encompasses the genesis o f Christianity and its most ancient theology — been so ignored? The reasons are numerous and not hard to discover. First, there is the theological problem created by acknowledging Judaic Christi anity as the earliest legitimate form of Christianity. Such an acknow ledgement challenges the legitimacy of all Christian groups extant 1
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1. W. H . C. FREND, The Rise of Christianity, Philadelphia, 1 9 8 4 . 2 . The closest one comes to a treatment of Judaic Christianity is in Frend's fourth chapter ("The Christian Synagogue, 7 0 - 1 3 5 " ) , but even here the focus is on Greek sources and on the relationship between Hellenistic Jews and Gentile Christians. In the "Bibliography" at the end of this chapter, Frend notes that the period is "lengthy and difficult" (p. 1 5 1 ) ; but then he cites only one study (he terms it "key") for this "lengthy" period — J. DANIELOU, The Theology of Jewish Christianity, London, 1 9 6 4 (original French edition: Paris, 1 9 5 8 ) — w h o s e defects he also enumerates. One might have hoped that more attention would have been given to such a "lengthy and difficult"—not to mention important—period. The fact that Frend can find only one study — and a flawed one, at that — for this period reinforces our point. 3 . J. QUASTEN, Patrology, 4 vols., Utrecht, 1 9 5 0 (originally published without vol. 4 ) — reprinted and augmented with a fourth volume, Westminster, Maryland, 1983-1986. 4 . B. ALTANER-B. STUIBER, Patrologie,
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Freiburg, 1 9 8 0 .
5 . For information on Eastern Fathers, one must turn to specialized studies: for the Syrian Fathers: A. BAUMSTARK, Geschichte dersyrischen Literatur, Bonn, 1 9 2 2 ; for Arabic Writers: G. GRAF, Geschichte der christlichen arabischen Literatur, 5 vols., Vaticana, 1 9 4 4 - 1 9 5 3 (StudieTesti 1 1 8 , 1 3 3 , 1 4 6 , 1 4 7 , 1 7 2 ) .
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today, for they also claim to be the direct heirs of earliest Christi anity. In the early centuries of Christianity, when Judaic Christianity still existed, the Great Church's response was destruction and perse cution. After it had been exterminated, the Great Church simply passed over Judaic Christianity in silence. Another very significant reason for ignoring Judaic Christianity has been anti-Semitism. Whether sacred (and it infects the N e w Testament as well as all Christian groups) or secular, it has profoundly colored virtually every corner of Western scholarship, especially church history and N e w Testament studies. It is selfevident that a person steeped in anti-Semitism is hardly likely to investigate Judaic Christianity. And in the unlikely event that such a person should undertake an investigation, the result would be nothing more than the distillate of two millennia of prejudice. Another reason for neglecting Judaic Christianity has been academic hegemony. Almost without exception, Western historians and philosophers have regarded Christianity as a point on the straight line of Western civilization, a line which stretches from Athens and Plato to Rome and Aquinas and, finally, to Marburg and Tillich. Judaic Christianity — which is Semitic in language, character, sensi bility, theology, and history — is incompatible with this neat, linear schematic; consequently, it has been marginalized. Another reason for ignoring Judaic Christianity is less sinister. Since Christianity became so preponderantly a Western religion, students (some of w h o m later become scholars) are much more likely to learn Greek and Latin rather than Hebrew and Syriac. Editions, monographs, and tools (such as concordances) are much more likely to concern themselves with Augustine or Aquinas rather than 1
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1. This sort of tension between Judaic Christianity and other forms of Christianity — especially Western, Gentile, Pauline Christianity — is nothing new: St. Paul's numerous attempts to legitimize his vocation (compare Rom 1:1; 1 Cor 1:1; Gal 1:2, 11-12; etc.), and the antipathy with which he regards the "leaders" and "pillars" in Jerusalem (Gal 2:2,6,9), are the first hint of the danger Judaic Christia nity poses to Western (and, therefore, Pauline) Christianity. 2. To "Judaize" was tantamount to heresy. It is not by chance that only fragments of the Judaic Christian gospels (the Gospel according to the Ebionites; the Gospel according to the Hebrews; the Gospel according to the Nazoraeans) survive — the documents must have been subject to systematic destruction (compare the systematic destruction of copies of the Diatessaron by the bishop of Cyrrhus, Theodoret, in the early fifth century [Haereticarum fabularum compendium 1.20 {Patrologia Graeca 83:372)]). The Church historian Socrates Scholasticus recounts the measures John Chrysostom {Historia ecclesiastica 6.11 [Patrologia Graeca 67:805A]) and Nestorius {Historia ecclesiastica 7.29 [Patrologia Graeca 67:697C]) took against the Quartodecimans (a group which foUowed the Judaic-Christian practice of keeping Passover).
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Aphrahat or Ephrem. This is, of course, a vicious circle, for the tools necessary to make a field attractive to the aspirant will never b e created unless someone is brave enough to enter the field and start creating them. Finally, there is one more reason for the scant attention accorded Judaic Christianity, and that is the alleged lack o f information — especially textual information — about it. This can best be illus trated by an example. A recent monograph lamented the fact that the Judaic-Christian gospels "tell[s] us nothing about Jewish-Christian relations"; the monograph drew attention to the fact that these frag ments contained no "criticism of the temple cultus." Both o f these assertions are simply false. Fragment six (in Hennecke-Schneemelcher's numbering ) of the Gospel according to the Ebionites, transmitted by Epiphanius, reads as follows: 1
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As their [the Ebionites'] Gospel mentioned [previously] says: "I have come to abolish sacrifices, and if you do not cease from sacrificing, the wrath will not cease from you." (Epiphanius, Panarion 30.14.5) . 3
It is self-evident that this fragment contains criticism of the Temple cultus. It is also obvious that this fragment tells us much about "Jewish-Christian relations," for normative Judaism at this time required Temple sacrifices; yet, in this fragment, Jesus directs his followers to cease from sacrificing. Nevertheless, the monograph's author overlooked this evidence. Once again, w e find ourselves confronted with a vicious circle: (1) the perception that there i s a dearth o f evidence guides the scholar's intuition; (2) this perception encourages a careless, cursory reading of documents; (3) the cursory, insensitive reading of the texts means that the scholar finds "nothing" — which merely reconfirms the perception that there is a dearth of evidence. This entire process reinforces the impression
1. J. T. SANDERS, Schismatics, Sectarians, Dissidents, Deviants: The First One Hundred Years of Jewish-Christian Relations, Valley Forge, Pennsylvania, 1993, p. 57 and 81, respectively. 2. W . SCHNEEMELCHER-R. M C L . WILSON ( E D . ) , New Testament Apocrypha,
vol. 1,
Cambridge, 1991, p. 170 (= W. SCHNEEMELCHER (ED.), Neutestamentliche Apokryphen, vol. 1, Tttbingen 1990, p. 142); the fragment is number seven in J. K. ELLIOTT, The Apocryphal New Testament, Oxford, 1993, p. 15; in E . KLOSTERMANN, Apocrypha, H. Evangelien, Berlin, 1929 , p. 14, it is fragment number five; A. RESCH, Agrapha: Aussercanonische Schriftfragmente, Leipzig, 1906, p. 227-229 (reprint, Darmstadt, 1967), designates the fragment as "Apokryphon 11." 3. K . HOLL, Epiphanius (Ancoratus und Panarion), vol. 1: Ancoratus und Pana rion haer. 1-33, Leipzig, 1915, p. 354, lines 6-8 (GCS 25). 3
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that reconstructing the matrix of Judaic Christianity is "diffi cult" because of a lack of textual sources. But the reality — as this example concerning the Temple cultus and sacrifices makes patently clear — is quite different. A rich, largely untapped — often, simply ignored — mass of textual evidence is at our disposal. W e must, however, train ourselves to recognize these sources, for unless w e do, w e cannot use them. Let us n o w consider some texts that have significance for the study of Judaic Christianity, but which have been ignored in modern discussions, either because their value was unrecognized, or because they were simply unknown to researchers. For convenience, the texts are divided into two categories: first w e will consider the N e w Testa ment itself; second, w e will examine some patristic materials. 2
II. The New Testament It is well-known that certain passages in the N e w Testament are congenial with a Judaic-Christian perspective; the "Sermon on the Mount" (especially Matt 5:18-7:12) is an example. But if one reads a synopsis with a sharp eye, many additional texts can be found which seem to reflect a Judaic-Christian perspective; as such, they help us to understand this most ancient form of Christianity, and assist us in reconstructing its ideas, beliefs, and practices. Five examples are presented below.
1) Matthew
18:12-14
and Luke
15:3-6.
The "Parable of the Lost Sheep" needs no introduction. It is set out below, in parallel columns. The "core" of the parable (which is found in Matt vv. 12-13, and Luke vv. 4-6) is, rather like a fine painting, both preceded and followed by a "frame," which serves to highlight the parable and complement it. In the text below, the "core" of the parable — the artistic creation itself, the painting — is set in bold type, while the surrounding "frame" is set in normal type, and enclosed by lines.
1. "Matrix" is used not in its French sense, but in its English sense, where the word suggests the parameters, the outlines, the components of something: the sociological, philosophical, political, and cultural specifics which shape a particular person, event, or movement. For example, among the elements of the matrix within which St. Augustine decided to become a Christian were his difficult relationship with his mother, his experience of Manichaeism, his ambition, his excessively scrupulous conscience, and his status as a provincial from North Africa. 2. To paraphrase W. H. C. FREND, op. cit., Philadelphia, 1984.
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Matthew 18
Luke 15
(2) And calling a child to him, he put him in the midst of them, (3) and said, 'Truly I say to you, unless you turn and become like children..: (6) "But whoever causes one of these little ones believing in me to sin, it would be better... (10) See that you do not despise one of these little ones; for I tell you that their angels in heaven always behold the face of my Father who is in heaven." [11: om.]
(1) And all the tax collectors and sinners were drawing near to hear him. (2) And the Pharisees and the scribes murmured, saying: "This man receives sinners and eats with them." (3) But he told them this parable, saying:
(12) "What do you think? If a man has a hundred sheep, and one of them has gone astray, does he not leave the ninety-nine on the hills and going, seeks the one that went astray?
(4) "What man of you, having a hundred sheep, and losing one of them, does he not leave the ninety-nine in the wilderness, and go after the one that is lost, until he finds it? (5) And when he finds it, he puts it on his shoulders rejoicing. (6) And when he comes home, he calls together the friends and neighbors, saying to them, 'Rejoice with me, for I found my sheep which was lost'
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(13) And if he finds it,
truly, I say to you, he rejoices over it
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more than over the ninety-nine that never went astray. (14) So it is not the will of your Father who is in heaven that one of these little ones should perish."
(7) I tell you that thus will be the joy in heaven over one sinner repenting than over ninety-nine righteous men who have no need of repentance."
Before presenting our conclusion, three points must be made. (1) The "core" of the parable — set in bold type — is essentially identical in both gospels. This agreement means that the same literary source must lie behind both gospels — at least for the "core" of the parable. (2) The "frame" of the parable — that is, the introduction and the conclusion — is, nevertheless, very different in each gospel. In Matthew, the parable is told to the disciples. The point being addressed is the fate of the "little ones," and the necessity of "not
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leading little ones astray ". The purpose of the parable is apparently to instruct the disciples h o w to care for the "little ones." In Luke, the parable is addressed to the Pharisees (not the disciples), w h o have criticized Jesus for associating with "tax collectors and sinners". The purpose of the parable is to defend Jesus' actions. The role of the shepherd is here taken on by Jesus; the "tax collectors and sinners" with w h o m he is associating are the "lost sheep." T o summarize, then: in each parable, the audiences are entirely different, the matter which precipitates the telling of the story is entirely different, and the final concluding point is entirely different. (3) Although the "core" of the parables is virtually identical, our interpretations of each parable are entirely different. H o w can this be? If the cores are essentially identical, should not the interpretations also be identical? The answer to this puzzling disjunction lies in the "frames," for these are what control our interpretations, by means of allegorical identifications. In Matthew, the parable is framed by a discourse about "little ones." The "top" of the frame (Matt 18:2-5) reads as follows: 1
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And calling a child to him, he put him in the midst of them, and said, "Truly, I say to you, unless you turn and become like children, you will never enter into the kingdom of the heavens. Whoever humbles himself like this child, he is the greatest in the kingdom of heaven... [v. 10]. See that you do not despise one of these little ones..." Then comes the core of the parable. But it is followed by the "bottom" of the frame (v. 14), which reiterates the theme found in the "top" of the frame: "So it is not the will of your Father w h o is in heaven that one of these little ones should perish." This consistency between the "top" and "bottom" of the frame betrays the insistence of the redactor in pressing this allegorical identification: you are given the "key" before the parable is related, and then are reminded once again after the parable has been told, lest you forget. The disciples (or their successors), w h o are the audience for the parable,
1. In form-critical terms, the Matthean version is "parenesis," while the Lucan version is a "confrontation story." 2. Allegorical identifications are generaUy regarded — correctly, in your author's opinion — as the product of later redaction. In its earliest form, the audience would have instinctively and intuitively understood the meaning of the parable; no "cue cards" would have been necessary for that audience. Only later, when the original meaning had become obscured or obsolete would it have become necessary to supply allegorical "tags" for the characters. An excellent example of this phenomenon is the "Parable of the Sower" (see the remarks of V. TAYLOR, The Gospel according to St. Mark, London, 1966 , p. 250-262, especially p. 258). 2
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are placed in the role of the shepherd; the "little ones" are the "lost sheep." In Luke, the "top" of the frame also stipulates the allegorical iden tifications necessary for its interpretation of the parable. The "lost sheep" is the group with w h o m Jesus is eating, namely, the "sinners" (vv. 1, 2); Jesus is placed in the role of the shepherd. Here too, as in Matthew, the allegorical identification made in the "top" of the frame is restated in the "bottom" of the frame, after the parable has been told: in v. 7 w e are reminded of the shepherd's j o y over the retrieval of even one "sinner." What can explain these divergent "frames"? W h y do w e have what is obviously the same parable placed in such different and contradic tory settings? In order to answer that question, one must recall the title of the parable, even in modern times: it is the "Parable of the Lost Sheep." If one were living in Jerusalem about the year 7 0 C.E. and hearing the parable without the Matthean and Lucan "frames," then h o w would one interpret it? What tools would one use to determine the meaning of the parable? Since no "New Testament" would have existed, one would have taken to the Hebrew Bible as a guide for decoding the meaning of the words "lost sheep." In the Hebrew B i b l e , w e find the following references: probaton planwmenon Israel (Jer 27:17 [MT 50:17]); probata apolwlota egenethe ho laos mou (Jer 27:6 [MT 50:6]); pontes hws probata eplanethen (Isa 53:6); eplanethen hws probaton apolwlos (Ps 118:176 [MT 1 1 9 : 1 7 6 ] ) . If Jesus ever spoke of "lost sheep" to a first-century Jewish audi ence, then the words would have immediately evoked this image, so prominent in the Hebrew Bible: the "lost sheep" is Israel, God's chosen people, w h o repeatedly stray, but w h o m He never abandons as irretrievably lost. To modern Christian ears, this identification sounds strange, even unlikely, for one is so familiar with the image of Jesus, a child on lap, speaking of the "lost sheep." Therefore, it may be beneficial to see if there is additional evidence to confirm that the image of the "lost sheep" was known and used in N e w Testament times. T o achieve this confirmation, w e may turn to the N e w Testament itself. There w e discover a striking fact: every single use of the phrase 1
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1. We cite from the Septuagint, for it is the text known to and most frequently used by the New Testament authors; using the Hebrew text would make no difference, and lead to the identical conclusions. 2. See also Jer 23:1 and Isa 13:14; in neither case, however, is the sheep explicitly "lost" or "astray"; rather, these texts speak of sheep without anyone to gather them, or the "scattering" of the sheep.
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"lost sheep" in the N e w Testament, except for — ironically enough! — the "Parable of the Lost Sheep," references Israel and the Jews. Other than the parable w e are examining, the image of the "lost sheep" occurs only twice in the entire N e w Testament. At Matt 10:5-6, Jesus sends out of the T w e l v e with these instructions: "Do not g o into the way of the Gentiles, and do not enter the city of the Samaritans; but g o only to the lost sheep of the house of Israel." The only other use of "lost sheep" also c o m e s from Jesus' lips, which suggests a connection between him and this phrase. The usage occurs in the story of the "Canaanite (or Syrophoenician) Woman" (Matt 15:21-28), w h o begs Jesus to heal her sick daughter. At the beginning of the story, Jesus s i m p l y — o n e might even say, c r u e l l y — ignores her (Matt 15:23). When she persists in b e g g i n g — s o much so that the disciples ask him to do something — Jesus responds tartly: "I was sent only to the lost sheep of the house of Israel" Both of these usages are entirely consistent with the repeated use of the image of the "lost sheep" in the Hebrew B i b l e . This consistent pattern, in which the words "lost sheep" are associ ated with Israel, only highlights h o w exceptional — indeed, how bizarre—the associations made by the Matthean and Lucan versions of the "Parable of the Lost Sheep" are. W e are still left with the question as to why, if the image of the "lost sheep" were so clearly linked with Israel and the Jews, did Matthew and Luke find it necessary to supply a new interpretation for the "Parable of the Lost Sheep"? There are four possibilities: (1) there was no interpretative framework in " Q " ; independently of each other, Matthew and Luke invented his own; (2) "Q" had some interpretative framework, but neither Matthew nor Luke transmitted it, and each independently invented his own. 1
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1. The same association ("lost sheep" = Israel, Jews) is also found in Rabbinic sources (see infra, p. 136, n. 1); these are, of course, hard to date, but since many of the references are from relatively early Rabbis, it suggests that the traditional typo logy of the Hebrew Bible, which equated the "lost sheep" with Israel and the Jews, continued to be known and used not only through the intertestamental period (and, therefore, during the time of Jesus), but even beyond, into the first centuries of the Christian era and into the Rabbinic period. Likening the Jews to "sheep" (who require a shepherd, but who are not explicitly "lost") is a metaphor also found in the Qumran texts (for example, CD XIII9 [ E . LOHSE, Die Texte aus Qumran, Munich, 1986\p.94-95]). 2. For the purposes of this study (but without any profound partisanship), we adopt the "Four Source" hypothesis of the origins of the synoptic Gospels; if, however, one prefers to adopt the Griesbach hypothesis, then one merely substitutes "the sources) behind Matthew" for "Q," and has Luke alter Matthew's frame. Mutatis mutandis, our arguments are applicable to either solution of the synoptic problem. (However, see infra, p. 139, n. 2, for an instance where Marcan priority seems likely.)
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(3) Matthew preserves the original "Q" framework, while Luke has invented his own; (4) Luke preserves the original "Q" framework, while Matthew has invented his own. Of these possibilities, the first or second seems the most likely: in " Q " the parable had no interpretative framework or, if it did, neither gospel has transmitted it. The parable stood on its own, replete with its implicit message — namely, that the centre of Christian Heilsgeschichte was the rescue of Israel, the "lost sheep" — which was unpleasant for Gentile Christians, as well as inapplicable to them. Therefore, either to provide an intelligible interpretation for Gentiles (who, generally speaking, would have been oblivious to a typology based on the Hebrew Bible), or to universalize an ethnocentric, antiuniversalist saying of Jesus, Matthew and Luke fitted "frames" around the parable in order to obscure its earlier message and to proffer new interpretations which were congenial for the new Gentile audience. A critic might point out that no such "retro-fitting" seems to have been carried out in the other two instances where the words "lost sheep" are used in the N e w Testament: when Jesus sends out the Twelve, and when Jesus refuses to heal the Canaanite woman's daughter. But such a claim founders on the facts. The sending out of the T w e l v e "only to the lost sheep of the house of Israel" is corrected by the utterly fictitious "Great Commission" (Matt 28:19: "Go and make disciples of all nations..."). The purpose of the "Great Commission" is simple: as Jesus' last utterance on earth, it super cedes evidence anywhere else in Matthew (for example Matt 10:5-6) which might suggest that Christianity was not, from the time of the death / ascension of Jesus, a universal religion. 1
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1. For Griesbachians, read: "in the sources incorporated into Matthew, the parable had..." 2. The utterance of the Trinitarian formula by Jesus in this passage is profoundly anachronistic and contradicts the actions of Peter in Acts 10:48 (where Peter "ordered [Cornelius* household] to be baptized in the name of Jesus"). Furthermore, had Jesus uttered a command to "make disciples of all nations," then why is this defi nitive, Dominical statement never appealed to in the first Kirchenkampf, the battle between Paul and the "Judaizers"? Why, indeed, does Peter not cite it in Acts 11:16 when he seeks to justify his baptism of Gentiles? (Instead, Peter offers a vague appeal to Jesus' nebulous prediction that "John baptized with water, but you will be baptized with the Holy Spirit.") And why, if the risen Lord instructed his disciples to "baptize all nations," does the news that non-Jews can be baptized come as a surprise to the primitive church in Jerusalem: "When they heard [Peter's account] they were silenced. And they praised God, saying, 'Then God has given even to the Gentiles the repentance that leads to life'" (Acts 11:18)? Against this, however, one must also recall that the Trinitarian formula occurs in the baptismal liturgy of the Didache (7), whose date is usually given as early second century.
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A s for the story of the "Canaanite Woman," note that Jesus eventu ally does heal her daughter. Therefore, although the statement is allowed to stand, Jesus' o w n act "corrects" it. Finally, it must be noted that the Gospel of Thomas, which indis putably contains a layer of Judaic-Christian traditions (for example, logion 14, about the world having c o m e into being for the sake of "James the Just"), contains a "Parable of the Lost Sheep" (logion 107) in precisely the form we suggested it originally had: devoid of the "frames" which lead the interpreter's mind away from the associa tion one finds in every other N e w Testament usage of the "lost sheep" image. Thomas, then, is indisputable evidence that the parable circu lated in early Christianity—apparently in Judaic-Christian c i r c l e s — without an interpretive "frame" — j u s t as w e hypothesized. 1
2) Luke 6:4. Because it is a variant reading, not printed as part of the text, the logion in Codex Bezae Cantabrigiensis at Luke 6:4 is often over looked. After v. 4, and in place of v. 5 (which Codex Bezae transposes to a position after v. 10), w e read the following: Te aute hemera theasamenos tina ergazomenon tw sabbatw anthrwpe, ei men oidas tipoieis makarios ei- ei de me oidas, kaiparabates ei tou nomou. f
eipen autw epikataratos
On the same day, seeing someone working on the Sabbath, he said to him: "Man, if indeed you know what you are doing, you are blessed; but if you do not know, you are cursed and a transgressor of the Law." The c o m m o n impression is that Judaic-Christianity was nomocentric — that is, it advocated strict adherence to the Jewish Law. This v i e w has been reinforced both in antiquity by the portrayals of Judaic Christians, such as James the J u s t , and in modern scholar ship. But the reality appears much more complex. Recall that the Judaic-Christian gospel fragment from Epiphanius introduced at the beginning of this chapter (the one in which Jesus demands that one cease from sacrificing) requires violating the Jewish Law, not obeying it. Here, in this logion in Codex Bezae, one also finds an implied criticism of the Jewish Law as practiced by the Jews, similar to that found in Epiphanius' fragment. The Bezae logion consists of 2
3
1. For a more detailed examination of this parable and its Judaic-Christian context (including Rabbinic evidence), see W . L. PETERSEN, 'The Parable of the Lost Sheep in the Gospel of Thomas and the Synoptics," in Novum Testamentum 23 (1981), p. 128-147. 2. See Flavius Josephus, Antiquitates judaicae 20.197-203. 3. For example, see J. T. SANDERS, op. cit., VaHey Forge, Pennsylvania, 1993, p. 2 4 , 3 9 , 8 1 , et passim.
THE MATRIX OF JUDAIC CHRISTIANITY
137
two finely balanced "if - then" clauses: the first clause offers the option of breaking the Law, provided that you "know what you are doing"; otherwise, says the second clause, you are a "transgressor of the Law." The logion is not mindlessly "pro-"nomian; the situation is much more complex than that. This suggests several possibilities: that Judaic Christianity itself made more subtle discriminations within the Law — regarding some parts of it as obsolete or corrupt, and other parts as still binding — than modern scholarship generally recognizes; that Judaic Christianity was not monolithic, but was divided (as w e know it was [Ebionites, Nazoraeans, Elkesaites, etc.]) into various sects, each of which had its o w n attitude towards the Law, with some groups perhaps being stricter, and others less so.
3) Matthew
8:4.
This is the first of three related logia. In the story of the "Cleansing of the Leper" (Matt 8:4; N.B., this is another Matthean variant!), w e find an interesting variant. According to the text of Nestle-Aland , Jesus says: 27
hypage seauton deixon tw hierei kaiprosenegkon Mwyses, eis martyrion autois.
to dwron ho
prosetaxen
"Go, show yourself to the priest, and offer the gift that Moses commanded, in a witness to them." The variant is found in many witnesses to the Diatessaron; elsewhere, your author has suggested that this is the reading of Tatian's second-century harmony. From the conjunction of Ephrem Syrus's Commentary on the Diatessaron (mid-fourth century; in both the original Syriac as well as the Armenian translation), Romanos Melodos (early sixth century), Isho'dad of Merv's commentary on Matthew (ninth century; he sometimes cites the Diatessaron by name), the Middle Dutch Liège Harmony (thirteenth century), and the Old Italian Venetian Harmony (thirteenth/fourteenth century), w e may reconstruct the Diatessaron's reading as: 1
"Go, show yourself to the priests, and fulfill the Law" The Diatessaron — composed about 172 C E . — apparently contained a Dominical command to "fulfill the Law" in Matt 8:4. This explicit requirement is absent from the more recent manuscript tradition.
1. See W. L. PETERSEN, The Diatessaron and Ephrem Syrus as Sources of Romanos the Melodist, Louvain, 1984, p. 80-83 (CSCO 475), or W. L. PETERSEN, Tatian 's Diatessaron: Its Creation, Dissemination, Significance, and History in Scholarship, Leiden, 1994, p. 22-24.
138
WILLIAM L. PETERSEN
W e know that the Diatessaron was popular among Judaic Chris tians. W e also know that, generally speaking, Tatian accurately reproduced the text current in the mid-second century. Critics have sometimes suggested that the terms "Law," found in the Matthean version of this episode, and the phrase "what M o s e s commanded," found in the Diatessaron, are synonymous. This suggestion founders upon the distinction frequently made, in both Jewish and Christian sources, between the "Law" (nomos, twrh) and a "commandment" (entole, mswh). The ancients did not speak imprecisely of such matters, and w e , therefore, should be sensitive to those places where "Law" is substituted for some other term, and vice-versa. One cannot deny the fact that, according to the text of Tatian, a version of the "Healing of the Leper" circulated in the second century with a Dominical order to "fulfill the Law. ' 1
2
3
9
4) John
8:11.
This theme of Jesus requiring — with, perhaps some modifica tion — obedience to the Law crops up again, in almost identical words, in a little-known source. In 1891, F. C. Conybeare discovered a very ancient Armenian manuscript of the N e w Testament. N o w housed in the Matenadaran in Erevan and catalogued as M S 2 3 7 4 , it is dated to 9 8 9 C . E . It is the oldest Armenian manuscript with the pericope adulterae, and its version of this story is quite different from that transmitted in our Greek and Latin codices. For example, instead of ending with the familiar "Neither do I condemn you; g o , and sin no more" (v. 11), the story in the Armenian manuscript concludes thus: 4
5
"Go in peace, and present the offering for sins, as in their law is written."
This is a striking climax to a story which, since its first unam biguous mention, has been the quintessential antinomian passage in the N e w Testament. Its import — in the standard version — was 6
1. The most obvious evidence is found in Epiphanius, Panarion 46.1.8-9, where he observes that "the Diatessaron" was referred to by some as "[the Gospel] accor ding to the Hebrews." 2. This is demonstrated by the parallels between the Diatessaron and other secondcentury writers and texts, such as Justin Martyr, the Gospel of Peter, the Gospel of Thomas, the Judaic-Christian gospel fragments, etc. (see W. L. PETERSEN, op. cit., Leiden, 1994, p. 14-22). 3. See Matt 22:36 where, as in later texts in the Hebrew Bible, a "commandment" is only a component of the larger, overarching "Law." 4. F. C . CONYBEARE, "The Last Twelve Verses of St. Mark's Gospel," in Expositor 2 (1895), p. 401-421. 5. The manuscript was formerly catalogued — and is sometimes referenced — as manuscript 229. 6. For a more detailed examination of John 8:11, see: W. L. PETERSEN, "OUDE
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THE MATRIX OF JUDAIC CHRISTIANITY
regarded as s o devastating to morals that Augustine reports some pious folk even excised the episode from the g o s p e l . In the Arme nian version, the word "their" m a y well be a tell-tale trace o f a redactor's hand, and it is possible that this concluding line w a s altered so as to make the story more palatable to those who, elsewhere (cp. Augustine's report), were excising the entire story from John. But the word "their" can also be read in the Sitz-im-Leben o f ancient Judaic Christianity, where the Judaic Christians—former J e w s — h a d been expelled from their synagogues (cp. Luke 6:22: "exclude you"); nevertheless, they still sought to b e "good Jews" by following the Law. Regardless o f h o w one resolves the matter o f "their," what is striking about this variant is the utter novelty o f concluding this supremely anri-nomian story by having Jesus order the woman, in the "punch line" of the story, to take any sort of action in accordance with the "Law." 1
5) Matthew
19:17.
At Matt 19:17 (N.B.: the reading is once again found in Matthew), one finds Jesus' answer to the "(Rich) Young Man" w h o has asked what "good deed" he must d o to have eternal l i f e . In the standard Greek text, Jesus replies "Why do you ask m e about what is good? One there is w h o is good. If you would enter life, keep the commandments" There is, however, a very interesting variant, preserved only in the East. Instead o f the standard "If y o u would enter life, keep the commandments" Ephrem's Commentary on the Diatessaron, Aphrahat, the Sinaitic Syriac (the Curetonian is lacking at this point), and the Georgian version all read: "If you would enter life, do the Law." Taking these last three readings collectively, it would seem that in 2
EGWSE [KATA JKRINW]. John 8:11, the Protevangelium lacobU and the History of the Pericope adulterae"
in W . L. PETERSEN-J. S. V O S - H . J. DE JONGE ( E D . ) , Sayings
of Jesus, Canonical and Non-Canonical: Essays in Honour of Tjitze Baarda, Leiden, 1997, p. 191-221. 1. Augustine, De adulterinis coniugiis 7.6: "certain persons of scant faith — or better, I believe, enemies of the true faith — fearing that their wives be given impu nity in sinning, removed from their manuscripts the Lord's act of kindness towards the adulteress, as if [the Lord] had given permission to sin" (I. ZYCHA, SanctiAureli AugustinU sec. 5, pt. 3, Vienna, 1900, p. 387-388 [CSEL41]); your author's transla tion. 2. The question put to Jesus and his reply offer a strong argument that—at least in this pericope — Mark's version of the story antedates Matthew's: the unpalatable theological inference to be drawn from Jesus' answer in Mark 10:18 — namely, that Jesus is not God — is cleverly doctored away by Matthew's version of the question and Jesus' answer.
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some quarter of early Christianity there was a clear tendency to have Jesus end his interactions with people — the leper in Matt 8:4, the adulteress in John 8:11, the "(Rich) Young Man" in Matt 19:17 — with an injunction to "fulfill / do the Law." Although these injunc tions are conspicuously absent in later Western texts, they are found in some early and Eastern texts. But note also: the injunction to "fulfill / do the Law" is sometimes balanced with a critique of the Law, as w e saw in the logion from Codex Bezae and in the JudaicChristian gospel fragment about ceasing from sacrificing. The issue is not simply one of obedience to the Law; it is much more subtle than that.
III. Patristic evidence. It is not just within the apparatus of the N e w Testament or hidden in the redactions of the gospels that untapped evidence for recon structing the matrix of Judaic Christianity lies. It is also found in patristic texts. Consider a single example, drawn from "the Persian Sage," Aphrahat. W e know little of Aphrahat's life, other than that he was a slightly older contemporary of Ephrem. Since Ephrem died in 3 7 3 , one might presume that Aphrahat died about 3 5 0 C.E. Despite the strenuous attempts of older scholars to make Aphrahat conform with the symbol of N i c a e a , it is clear that Aphrahat knew and subscribed to many non-Nicene, Judaic-Christian traditions. For example, he seems to have observed the Quartodeciman Easter and been a chialist. The most striking example of Aphrahat's ties with Judaic Christianity is, however, found in a remarkable passage in the only work of his which has been transmitted, his Demonstrations. 1
2
1. Examples of these attempts to make Aphrahat "orthodox" by the standards of Nicaea and Chalcedon include: N. ANTONELLI, Sancti Patris Nostri Jacobi Episcopi Nisibeni Sermones..., Rome, 1 7 5 6 ; J. FORGET, De Vita et Scriptis Aphraatis, Sapientis Persae, Dissertatio Historico-Theologica..., Louvain, 1 8 8 2 ; A. HUDAL, "Zur Christologie bei Afrahates Syrus," in Theologie una Glaube 3 ( 1 9 1 1 ) ; J. ORTIZ DE URBINA, Die Gottheit Christi beiAfrahat, Rome, 1 9 3 3 . Perhaps the most perverse of these is Forget, whose work, R. MURRAY, Symbols of Church and Kingdom, Cambridge, 1 9 7 5 , p. 2 , observed, "horrifies us today by unabashedly wringing a whole list of post-Tridentine controversial theses out of the Persian Sage." Ortiz de Urbina's work is, however, equally appalling: P. BRUNS,£>as ChristusbildAphrahats des persischen Weisen, Bonn, 1 9 9 0 , p. 1, n. 3 , is excessively charitable when he writes that it "entspricht wegen seines stark apologetischen Ansatzes nicht mehr der heutigen dogmengeschichtlichen Fragestellung". 2 . For a list of agreements between Aphrahat and Judaic Christianity, see W. L. PETERSEN, "The Christology of Aphrahat, the Persian Sage: An Excursus on the 17th Demonstration," in Vigiliae Christianae 4 6 ( 1 9 9 2 ) , p. 2 4 9 - 2 5 0 et passim. 1
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THE MATRIX OF JUDAIC CHRISTIANITY
The Demonstrations — which were written in Syriac in 3 4 3 - 4 4 C.E. — consist o f a series of questions put to Aphrahat by Christians in his Syrian community, to which he gives answers. In the seventeenth Demonstration, Aphrahat is asked h o w Christians should respond to Jews w h o claim: You [Christians] worship and serve a man who was begotten, and a son of man who was crucified, and you call a son of man "God." And although God has no son, you say about this crucified Jesus that he is the Son of God... Therefore, you are opposing God in that you call a man God. (Demonstrations 17.1.) It is the answer o f Aphrahat which deserves our utmost attention. Before citing it, one should bear in mind what F. C. Burkitt said of Aphrahat: It is necessary to emphasize beforehand the official position and the unblemished repute of Aphraates... Later generations of Syriac writers... all alike, both Nestorian and Monophysites, testify to the orthodoxy of this fourth century Father. 1
Aphrahat's reply is simply astonishing. H e writes: (17.2)... while we grant to [the Jews] that he is a son of man, and at the same time we honor him and call him God and Lord, it is not in any strange fashion that we so call him, nor do we apply to him a novel name, which they [the Jews] themselves do not use. Yet it is a sure thing with us that Jesus our Lord is God, the Son of God, and the King, the King's Son, Light from light, Creator and Counselor, and Guide, and Way, and Redeemer, and Shepherd, Gatherer, and Door, and Pearl, and Lamp; and by many names is he surnamed. But we shall leave all of them aside, and prove concerning him that he is the Son of God and "God" who comes from God. (3) The venerated
name of Godhead
has been applied
also to
righteous
men, and they have been held worthy to be called by it. And the men with whom God was well pleased, them he called "My sons" and "My friends." When he chose Moses his friend and his beloved and made him
chief teacher and priest unto his people he called him God. For he said to him: "I have made you a God unto Pharaoh" [Exod 7:1]. And he gave him His priest for a prophet, "And Aaron your brother shall speak for you to Pharaoh, and you shall be unto him a God, and he shall be unto you an interpreter." Thus not alone to the evil Pharaoh did He make Moses God, but also unto Aaron, the holy priest, He made Moses God. (4) Again, hear concerning the title Son of God, as we have called Him. [The Jews] say that "though God has no son, you make that crucified Jesus the firstborn son of God." Yet He [God] called Israel, "My first born', I have said unto you, let My Son go to serve me... Out of Egypt I have called my Son" . . . So also we call the Christ the Son of God, for through
1. F. C. BURKITT, Early Eastern Christianity, London, 1904, p. 82.
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him we have gained the knowledge of God; even as He called Israel "My firstborn son," and as He said concerning Solomon, "He shall be to me a son." And we call him God, even as He surnamed Moses by His own name... (5) For the name of Godhead is given for the highest honor in the world, and with whomsoever God is well pleased, He applied it to him...
( 6 ) . . . Though He is the great King, He grudges not the name of Kingship to men. And though He is the great God, yet He grudged not the name of Godhead to the sons of flesh... ( 7 ) . . . no one should suppose that there is another afterwards...
God either before or
(8) Now by these things the stubborn will be convinced that it is nothing strange that we call Christ the Son of God... And they will be forced to admit that the name of Godhead also belongs to him [Christ], for He [God] also associated the righteous in the name of God. (Demonstra
tions 17.2-8.)
1
In short, Jesus is a man, like M o s e s or Solomon, upon w h o m God chose to bestow the names "god" and "son," just as God had bestowed these honorific titles upon other mortals w h o pleased him: upon Moses, Solomon, and even upon the Jews collectively, as "sons of God." It is hard to imagine anything further from the Nicene formulation than Aphrahat's Christology; indeed, there is — from the standpoint of Nicaea or Chalcedon — nothing "orthodox" about this theology. This explains why scholars have felt such unease about Aphrahat, and why his works have either been ignored or obfuscated. The Oxford Dictionary of the Christian Church provides us with a marvelous example of this double-talk: "[Aphrahat's] writings s h o w . . . that, at least in intention, he was orthodox in his theology." When Aphrahat's Demonstrations were first published, the great Theodor Noldeke — perhaps because he was a grammarian, and not a t h e o l o g i a n — s a w quite clearly what Aphrahat was saying. Noldeke wrote: "Damit wird also die Gottheit Christi fur nicht viel mehr als einen Ehrentitel erklart." Indeed, that is Aphrahat's understanding. A s Burkitt observed o f this passage: "It is not exactly what w e are accustomed to read in the Fathers"; Burkitt went on to note that it was "surprising [to find this sort o f statement]... in the middle o f the 2
3
l . I . PARISOT, Aphraatis Sapientis Persae p. 7 8 5 - 8 0 1 (PS 1); your author's translation.
Demonstrationes,
2 . F . L . CROSS-E. A. LIVINGSTONE ( E D . ) , Oxford Dictionary 2
Paris, 1 8 9 4 ,
of the
Christian
Church, Oxford, 1 9 7 4 ; p. 6 9 , Oxford, 1 9 8 3 (revised reprint), p. 6 9 , italics added; Oxford, 1 9 9 7 , p. 8 2 , this phrase continues to stand, unchanged. 3 . Review of W . WRIGHT, "The Homilies of Aphraates...," in Gôttingische 3
GelehrteAnzeigen
( 1 8 6 9 ) , p. 1 5 2 4 .
THE MATRIX OF JUDAIC CHRISTIANITY
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1
fourth century." The explanation for its unusualness is that it is a relic from primitive, Semitic, Judaic Christianity. Can Aphrahat's striking Christology be confirmed from other sources — thus showing that his views were shared by other Judaic Christians? Y e s , w e can find the same theology in other contempora neous Judaic-Christian sources. Consider the following quotation, from another work which is distinctly Judaic Christian in outlook : the Pseudo-Clementine Recognitions 2.41.3-42.1: 2
(2.41.3) Thus, although there are many that are called gods, yet there is one who is greater than all of them, namely the God of the Jews, who is also called God of Gods. (4) For not everyone who is called "god" is necessarily God. Indeed, even Moses is called the god of Pharaoh, and it is certain that he was a man; and Judges were called gods, and it is evident that they were mortals... (42.1) Therefore, the name god is applied in three ways: [1] either because he is truly [God], or [2] because he is the servant of Him who truly is [God], or [3] for the honor of the one who sent him, that his authority may be full, this one is called [god], which is [the name of] He who sends h i m . . . 3
Here w e find the same theology — indeed, the same example of M o s e s is used — as w e saw in Aphrahat. And it is another JudaicChristian source. This same idea can even be found in yet another source which had contact with Judaic Christianity, namely Justin Martyr, in his Dialogue with Trypho, 1 2 6 . 1 - 2 7 . 4 . In Aphrahat w e have stumbled upon one of the most ancient Christologies extant. Notice h o w it scrupulously preserves Jewish mono theism; notice how it also preserves Jesus' full humanity. Aphrahat's Christology is certainly pre-Nicene, and it is certainly Semitic. In contrast to the Nicene Christology (which is ontological, speculative, and relies on the concepts of Greek philosophy [logos, homoousios, etc.]), this Semitic Christology is titular, functional, and justifies itself by citing passages from the Hebrew B i b l e . 4
5
1. F. C. BURKITT, op. cit., London, 1 9 0 4 , p. 9 3 .
2 . The Judaic-Christian nature of the Pseudo-Clementines is universally acknow ledged; see, for example, G. STRECKER, Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1 9 8 1 . 3 . B. REHM-G. STRECKER, Die Pseudoklementinen, II. Rekognitionen, Berlin, 1 9 9 4 , p. 7 6 (GCS 5 1 ) ; your author's translation from the Latin text (the original Greek is lost; the variants of the ancient Syriac translation need not be addressed in this context). 4 . E. J. GOODSPEED, Die altesten Apologeten: Texte mit kurzen Einleitungen, Gottingen, 1 9 1 4 , p. 2 4 6 - 2 4 7 (reprint, Gottingen, 1 9 8 4 ) . 5 . For a more detailed analysis of this passage in Aphrahat, its Judaic-Christian context, and scholarship on it, see W . L. PETERSEN, op. cit., in Vigiliae Christianae 4 6 2
2
( 1 9 9 2 ) , p. 2 4 1 - 2 5 6 .
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IV. C o n c l u s i o n . Our brief exploration has shown that many texts and documents lie ready for use in constructing the matrix — that is, the theology, prac tices, and cultus — of ancient Judaic Christianity. T w o very impor tant issues which w e have not discussed are the matter of method and the question of the criteria by which something is judged Judaic Christian or not. But these omissions are remedied in part by other chapters in this book and also by the criteria and methods implicit in our examples above. The task w e set for ourselves was more limited: it was to demonstrate that numerous texts — texts which have almost always been ignored—are available and are invaluable resources for constructing the matrix of Judaic Christianity. It is, however, up to scholars to recognize these texts, read them intelligently, and then use them responsibly.
TROISIÈME PARTIE ANALYSES
REFLECTIONS ON THE ROLE OF JEWISH CHRISTIANITY IN SECOND-CENTURY ANTIOCH CLAYTON N. JEFFORD
School of Theology, Saint Meinrad, Indiana
Résumé Au ir siècle, il est difficile de synthétiser l'histoire de l'église d'Antioche, d'autant que très peu de documents historiques ont été conservés. Les écrits d'Ignace d'Antioche à Sérapion d'Antioche témoignent de trois éléments qui ont perduré dans la communauté tout au long du ir siècle, à savoir le judaïsme, le mysticisme et le docétisme. Des textes de la littérature apocryphe chrétienne apportent quelques éclaircissements sur les relations entre ces groupes, et particulièrement comment elles étaient perçues par les évëques d'Antioche. Ils nous informent également sur le rôle croissant de la femme dans la communautéjusqu 'à l'époque de Jean Chrysostome. Summary The church in second-century Antioch is difficult to summarize, but it was certainly more than has been preserved by the historical record alone. As suggested from the literary witness from Ignatius to Serapion, the presence of three elements within the community — Judaism, mysticism, and docetism — persisted throughout the century. Early Christian apocryphal texts throw some light upon the relationship of these groups to each other, especially as they were seen by Antioch's bishops. So too, they introduce us to the rise of women's leadership within the community until the time of Chrysostom.
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C L A Y T O N N. JEFFORD
From archeology and literature w e have learned much about ancient A n t i o c h . S o too, the origins of the Antiochene church have been illuminated in recent y e a r s . In the following review I divide the data into four categories: (1) historical records from outside the main line Christian community, (2) historical records from within the community, (3) literary records from within the community, and (4) literary records from outside the community, so-called pseudepigraphical literature. 1
2
Historical Records from Outsiders. A s noted by G. D o w n e y in 1961, sources about Antioch are not "abundant until the fourth century of our era." Important inscrip tions are f e w in number due to earthquakes and fires that ravaged the ancient city. Hints about the early city appear in the works of Flavius J o s e p h u s , and much later, in the writings of Libanius, especially his Antiochikos. T o these texts, scholars sometimes add the singular Misopogon of the emperor Julian, penned during his stay in A n t i o c h . But mostly w e depend upon the Chronographia of Ionnas M a l a l a s , written during the sixth century. Malalas has preserved official records and local sources, including oral traditions and secondary renderings. Even before the end of the first century, Judaism in Antioch w a s under attack. Privileges and citizenship equal to those o f the Greeks were bestowed upon the Jews by Seleucus I. In result, local jealousies and discontent led to anti-semitic riots, destruction of synagogues, and death for Jewish residents. Such events, dated to the year 4 0 and the Jewish wars of 6 6 - 7 3 , undoubtedly spurred the Antiochene church to separate from the synagogue as much as p o s s i b l e . It is little wonder that Acts recalls h o w it was here that the disciples of Jesus were first called "Christians" by outsiders. Separation meant preser vation. A s W. A. Meeks and R. L. Wilken observe: "It was in Antioch 3
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1. See G. DOWNEY, A History of Antioch in Syria from Seleucus to the Arab Conquest, Princeton, 1 9 6 1 . 2 . See already C. KRAELING, "The Jewish Community at Antioch," in Journal of Biblical Literature 5 1 ( 1 9 3 2 ) , p. 1 3 0 - 1 6 0 .
3 . Flavius Josephus, Jewish War 7 . 3 7 - 6 2 ; see W . A. MEEKS-R. L . WELKEN, Jews and Christians in Antioch in the First Four Centuries of the Common Era, Missoula, Montana, 1 9 7 8 , p. 1-6. 4 . January 3 6 3 . 5. G. DOWNEY, op. cit., Princeton, 1 9 6 1 , p. 3 8 - 4 0 .
6. See C. N. JEFFORD, "Ignatius of Antioch and the Rhetoric of Christian Freedom," in C. N. JEFFORD (ED.), Christian Freedom, New York, 1 9 9 3 , p. 2 5 - 2 6 . 7. Acts 1 1 : 2 6 . The term does not come from Jews, who would have seen it as blasphemous irony.
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JEWISH CHRISTIANITY IN ANTIOCH 1
that they first stood out from Judaism as a distinct sect." Likewise, Ignatius early uses the term %pianavio|i6<;, and Theophilus begins his works with a defence against the slur that outsiders intended through use of the name "Christian." Antioch was clearly a Roman axis in the second century. The emperor Trajan (98-117) established his winter headquarters against the Parthians there. A year later (December 115) the city expe rienced one of its most devastating earthquakes, an event witnessed by the emperor and his armies for d a y s . According to Malalas, the survivors erected a temple to Zeus Soter in the suburb of Daphne in gratitude for their l i v e s , while local Christians became the anvil upon which the hammer of retribution struck. Charged as disrupters of local worship of the traditional gods, the Christian situation resem bled that of Nero's burning Rome. In response to the earthquake, Malalas recalls h o w Ignatius was arrested by Roman authorities. This is not entirely accepted by modern scholars, of course, many of w h o m place the arrest some years earlier. But through the eyes of Malalas, w e are led to believe that, at least in Antioch, Jews and Christians were not clearly distinguished by civil authorities. Local autho rities may simply have snatched Ignatius as that person w h o m they perceived to be the most anti-religious (that is non-pagan) figure of authority in order to suffer individual persecution on behalf of the less visible, collective, Jewish messianic community. The resulting irony would hold little parallel in Christian history. 2
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1. W . A. MEEKS-R. L. WILKEN, op. cit., Missoula, Montana, 1978, p. 16. 2. Ignatius of Antioch, AdMagn. 10.1,3; Ad Phld. 6.1; AdRom. 3.3; see elsewhere Mart. Pol. 10.1. 3. Theophilus of Antioch, AdAutolicus 1. 4. For a general survey of the period, see G. DOWNEY, Ancient Antioch, Princeton, 1963, p. 97-109. 5. G. DOWNEY, op. cit., Princeton, 1961, p. 211-219; see Malalas, Chro nicle 270.17'-23. 6. See Malalas, Chronicle 275.3-10; Dio Cassius, Historia 68.24-25; Juvenal, Satire 6.411(7). 7. Malalas, Chronicle 275.9-10. 8. A G e o ^ v i a ("sign of divine anger") according to Malalas. 9. Unlike Malalas, Eusebius of Caesarea (Historia ecclesiastica 3.36) and Jerome (De virus illustribus 16) make no connection between the earthquake and the arrest of Ignatius. 10. As W . H. C. FREND, Martyrdom and Persecution in the Early Church, Grand Rapids, Michigan, 1965, p. 186, claims, "[djuring the second century the term for Jewish proselyte 0eoaepr|<; became interchangeable with xpiaxiavoq in Antioch..." (see Theophilus of Antioch, AdAutolicus 3.4). On the meaning and function of the term OeooePife ("God worshippers") in ancient literature, see P. R. TREBILCO, Jewish Communities in Asia Minor, Cambridge, 1991, p. 145-166. 11. Ignatius was not the only Christian from the region to be persecuted during this period, of course. Malalas records that other martyrdoms occurred within Antioch itself, and offers the single name of Drosis (or Drosina), who was burned to death
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At Trajan's death in 117, Hadrian assumed the throne ( 1 1 7 - 3 8 ) . Familiar with Antioch from his days as governor of the province, he continued many of Trajan's policies, such as the construction o f temples, aqueducts, and street projects, which he himself left to his successor, Antoninus Pius (138-61). A s with Trajan before, tragedy struck Antioch during the reign o f Pius. This time a fire ravaged the city, though the boundaries o f the blaze are uncertain. In any case, building projects flowed in the wake of the conflagration. With the reign o f Marcus Aurelius ( 1 6 1 - 8 0 ) warfare returned to what had become a tranquil city. T o counter the Parthian rebellions under Vologases III, Aurelius dispatched Lucius Verus to Antioch in 162. Verus quickly became the object of ridicule by the Antiochenes because of his seeming lack of concern for issues of state. Worse yet, his forces contracted a n e w plague (perhaps smallpox) which, upon their return to R o m e in 166, they spread throughout the e m p i r e . Several years later (175), the governor o f Syria, Avidius Cassius, proclaimed himself emperor and established Antioch (together with Cyrrhus) as one of two centers of revolt against the empire. With the murder o f Cassius, Aurelius banned public meetings and festivals in the city. Eventually he relaxed these bans and reengaged in the cons truction of local public works. Little is known o f Antioch during the reign o f Commodus ( 1 8 0 - 9 2 ) , except that he restored the religious games and festivals that Aurelius had revoked. Public offices were established in support of the games, positions by which wealthy Antiochenes could display power and influence. Persian blood and wealth took prominence through these offices. With the investment o f public funds, the ancient Syrian festival o f the Maiouma in honor of Dionysus and Aphrodite was revived. State moneys for supplies, animals, actors, and dancers for the festival were made available. The roots of pagan religion resprouted with vigor. The close of the century reflected the struggles of the empire gene rally. After the brief rule o f Pertinax (193), Didius Julianus (193) 2
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(Chronicle 2 7 7 . 9 - 1 0 ) . In any case, the persecution appears to have lasted only a short time, since Ignatius himself observes that his successor was elected in his absence; see J. MOFFATT, "Ignatius of Antioch: A Study in Personal Religion," in Journal of Religion 1 0 ( 1 9 3 0 ) , p. 1 6 9 , p. 1 7 3 . 1. See G . DOWNEY, op. cit, Princeton, 1 9 6 1 , p. 2 1 9 - 2 2 4 .
2 . The fire is recorded only in the emperor's biography, Scriptores Augustae, Antoninus Pius 9 . 2
Historiae
3 . S e e G . DOWNEY, op. cit, Princeton, 1 9 6 1 , p. 2 2 5 - 2 2 9 .
4 . Scriptores Historiae Augustae, Verus 7 . 1 - 1 0 . G . DOWNEY, op. cit, Princeton, 1 9 6 1 , p. 2 2 7 , supports the date of 1 6 5 for the initiation of the disease. 5. See G . DOWNEY, op. cit, Princeton, 1 9 6 1 , p. 2 2 9 - 2 3 5 . 6 . See G . DOWNEY, op. cit, Princeton, 1 9 6 1 , p. 2 3 6 - 2 4 3 .
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rose to power, but was quickly opposed by the governor of Syria, Pescennius Niger, w h o established Antioch as his headquarters. In response, the emperor sought to sway the "pleasure-loving" Antiochenes with favors and construction of the Plethrion, a structure designed for wrestling competitions. His death in Rome, however, left Pescennius in complete control of the city until his defeat in 194 at the hands of Septimius Severus (193-211). His troops routed, Pescennius was captured and executed. The citizens of Antioch surrendered to Septimius. A s punishment for Antioch's support of Pescennius, Septimius divided the province into two regions (ca. 195) and elevated the rival city of Laodicea to the status of provincial capital. The games of Antioch were moved to Issus, the site of Septimius' victory. N o w reduced to a mere village (K(6|LITI), the population was completely humiliated. Only in 197, when Septimius engaged the Parthians in warfare, did Antioch return to imperial favor as headquarters for the war. B y the end of the century, public works were initiated and the former rights of the city were restored.
Historical Records from Insiders. Our primary resource from within the church is Eusebius of Caesarea, of course, w h o records the episcopal succession within Antioch during the second century. Scattered throughout his Eccle siastical History, the lineage is consistent, After Evodius in the first century, the bishops were Ignatius, Hero(n/s), Cornelius, Eros, Theophilus, Maximums, and Serapion in chronological order. Eusebius offers little detail about this succession, apart from reflections on Ignatius and notes concerning Theophilus and Serapion. It seems reasonable to accept the outline as fact. T o Eusebius, w e add a second voice, the witness of John Chrysostom. His homilies offer a later vision into the Antiochene situa tion, particularly as it reflected the subsequent church. But, of course, Chrysostom primarily reflects his contemporary situation, and there fore has limits. The history of the second-century Antiochene church is most unclear. Like most churches of the period, Christians probably divided into small "house churches." A m o n g these, theology and liturgy undoubtedly varied. In some groups the strictures of Judaism 1
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1. Eusebius of Caesarea, Historia ecclesiastica 3.22.1; 3.36.1-3.39.1; 4.20.1; 4.24.1; 5.19.1-4; 5.22.1; 6.11.4; 6.12.1-6.13.1. 2. See G.DOWNEY, op. cit, Princeton, 1963, p. 120-134; G. DOWNEY, op. cit., Prin ceton, 1961, p. 272-305.
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CLAYTON N. JEFFORD
remained; in others, thaumaturgy and mysticism grew (as illustrated by Ignatius); in yet others, gnostic teachings and doceticism reigned. N o decisive evidence supports the idea that Antioch's Christians were governed by a single, hierarchical structure at the beginning o f the century. Early heresiologists are quick to associate the rise o f gnosticism with Antiochene personalities. Nicolaus of Antioch, listed as one of the original Jerusalem deacons in A c t s , soon w a s charged as the founder of the Nicolaitan heresy o f proto-gnosticism. Vilified in Revelation for its sensual nature and worship o f i d o l s , the associa tion of this heresy with Antioch indicates a popular v i e w that the city loved frivolity and speculation. The Antiochene mind w a s indeed open to possibilities. Irenaeus and Justin Martyr offer the ancient tradition that linked Antioch with gnostic ideas through Simon Magus of Samaria, a figure believed to stand near the roots o f later gnostic speculation. Accordingly, Simon's student, Menander, w a s active in Antioch as well. H e is identified by Justin as one w h o taught that his followers would never die, some o f w h o m a g r e e d . Although, as R. Grant has so eloquently stated: "Obviously others do not; they are d e a d . " Ultimately, Menander became the teacher of the infamous Saturn i n u s . While the philosophical systems of these two men were most dissimilar, their teachings clearly influenced the Antiochene church. The theology o f Saturninus, that the "unborn and incorporeal" Christ came to destroy evil and only assumed the appearance of humanity, offered a means by which early gnostic ideas entered the church from within its o w n w a l l s . T o this same tradition w e add the names of Basilides, w h o continued to Alexandria, and Cerdo (Kerdon), w h o 1
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1. So G . DOWNEY, op. cit, Princeton, 1 9 6 1 , p. 2 7 9 .
2 . See the brief review of D . S. WALLACE-HADRILL, Christian
Antioch,
Cambridge, 1 9 8 2 , p. 2 0 - 2 6 .
3 . Acts 6 : 5 . 4 . Rev 2 : 6 , 1 5 .
5 . Justin Martyr, Apology 1 . 2 6 . 4 . 6. Irenaeus, Adversus haereses 1 . 2 3 . 1 ; see Justin Martyr, Apology 1.26.4; Eusebius of Caesarea, Historia ecclesiastica 2 . 1 3 - 1 4 , 3 . 2 6 (also Acts 8 : 9 - 2 4 ) . 7. Justin Martyr, Apology 1 . 2 6 . 4 . 8. R. M. GRANT, Greek Apologists of the Second Century, Philadelphia, 1 9 8 8 , p. 4 9 . 9 . Irenaeus, Adversus haereses 1 . 2 3 . 5 - 1 . 2 4 . 2 ; Justin Martyr, Apology 1 . 2 6 . 4 . The work of Menander undoubtedly took place within the first century during the time of the bishop Evodius. 1 0 . Eusebius of Caesarea, Historia ecclesiastica 4 . 7 . 3 ; see G . DOWNEY, op. cit., Princeton, 1 9 6 3 , p. 1 3 1 . 1 1 . Irenaeus, Adversus haereses 1 . 2 4 . 3 .
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JEWISH CHRISTIANITY IN ANTIOCH 1
settled in R o m e under the influence of Marcion. Despite resistance by men like Ignatius, gnostic teachings persisted in Antioch through out the century. Nothing remains from Ignatius' successor, H e r o . A s to bishop Cornelius, w h o followed Hero, Jerome dates the accession to the year 128 and his successor, Eros, to the year 1 4 2 . These specific dates, while dubious, help to place Cornelius and Eros within a range of events in Antioch, the period of Hadrian and Antoninus Pius. W e know that during these years the city flourished with strong govern ment support until the devastating fire under Pius's reign. Unlike the earthquake of 115, nothing from the historical record indicates that Christianity came under suspicion as a result of the fire, but the possi bility remains. Antiochene Christianity regained prominence under bishop Theophilus. Active around the year 170, his third volume was in the process of production when Marcus Aurelius died in March 1 8 0 . The persecutions of Christianity by Aurelius are widely acknow ledged, though documentation for Antioch is scant. W e assume that the church under Theophilus came under pressure. If so, then a curious situation existed for the civil authorities, for the church there was under competing influences. On the one hand, Theophilus represented Christianity in a Jewish vein. At the same time, the popularity of the docetic teachings of Saturninus (also Tatian?) had gained extensive audiences. Undoubt edly, the civil authorities were ill-equipped to distinguish between factions, and likely persecuted all parties without specific prejudice. A s Theophilus notes, the title "Christian" remained a "damned (or evil) name" during his r e i g n . Eusebius writes that Theophilus, like Serapion after him, was active in the fight against h e r e s y . Heretics were everywhere, "defi ling the pure seed of apostolic teaching." Like his contemporaries, Theophilus writes against Marcion and composes a second work against Hermogenes, a tractate since lost to history. The bishop Maximums followed Theophilus. Known primarily for his involvement in the paschal controversy, his memory has added nothing to our historical knowledge. Serapion, on the other hand, closed the century on a helpful note. He confronted Montanism, docetism, and Jewish extremism. 2
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1. Irenaeus, Adversus haereses 1.27.1-4. 2. The letter of Ignatius to Hero is widely considered to be spurious and unreliable. 3. Based upon Jerome's edition of the Eusebian Chronicle. 4. Theophilus of Antioch, AdAutolicus 3.27-28. 5. Theophilus of Antioch, AdAutolicus 1.1; see Tacitus, Ann. 15.44.2 (reference to those Nero punished for the fire of Rome). 6. Eusebius of Caesarea, Historia ecclesiastica 4.24.1.
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CLAYTON N. JEFFORD
Eusebius refers to three specific letters by Serapion. The first was directed against Montanism; the second offered a warning concer ning use of the Gospel of Peter. Eusebius associates the Gospel text with the community at Rhossos, a site that was close enough to attract Serapion's attention and yet distant enough that it was not yet popular in Antioch. Finally, Eusebius refers to a lost letter to Domnus who, during "the persecution," fell into a certain Jewish "will-worship" (eBeAoOpTioKeiav). It is in this passage that w e find Serapion at odds with Judaism. Literary evidence suggests that Serapion attempted to extend the influence of the Antiochene church over the somewhat syncretistic community at Edessa to the northeast. If true, then Christianity at Antioch had established itself as a dominant force by the end of the century. The edict of Septimius Severus that conversions to Judaism and Christianity (ca. 201) were forbidden would have brought pres sure to bear upon the church at Antioch. Indeed, sporadic persecution eventually arose within the city as a result of the edict. 1
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Literary Records from Insiders. The N e w Testament preserves only rudimentary evidence concer ning Antioch. But it is consistent with later attestation — Christian Antioch was a setting of great struggle. A primary cause was the rela tionship of Christian Jews with Christianity's m o v e to abandon its Jewish roots. A second was Judaism's appeal to proselytes within the city, witnessed from Paul to Serapion to Chrysostom. 3
Paul the
Apostle.
Paul clearly enjoyed Antioch as a platform for missionary journeys. Seen from his writings, Antioch in the mid-first century was already at struggle. In Galatians he rebukes Cephas w h o , on the one hand, had chosen to eat with non-Jewish Christians despite his alle giance to Jewish tradition, yet w h o subsequently separated himself from them when challenged from Jerusalem. Under pressure, Cephas chose tradition over innovation. This episode, when combined with 4
1. Eusebius of Caesarea, Historia ecclesiastica 6.12.1-6 (see Col 2:23). 2. See B. H. STREETER, The Four Gospels, London, 1924, p. 72-76. On the influence of Antioch upon Christianity's roots at Edessa, see H . DRIJVERS, "Syrian Christianity and Judaism," in J. LIEU-J. NORTH-T. RAJAK (ED.), The Jews Among Pagans and Christians in the Roman Empire, London-New York, 1992, p. 124-146. 3. S e e E . M . SMALLWOOD, The Jews Under Roman Rule, Leiden, 1976, p. 361-363, p. 508. 4. Gal 2:1-14.
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1
A c t s , provides a tentative sketch of the times. It seems that the PaulCephas confrontation led the Jewish church of Jerusalem to issue an "apostolic decree" to guide Christians in Antioch with respect to ethical and liturgical affairs. This edict in hand, the church in Antioch became a closed chapter in the history of church struggles, at least as Acts wishes its readers to view the situation. Support for this v i e w presumably is provided by Paul's decision — all things in harmony — to depart the city soon thereafter. But while this rosy picture of Utopian harmony is certainly implied by Acts, little true evidence supports the scenario. Paul either departed with his work completed or, more likely, decided that his "new gospel" message had finally put him into a compromising posi tion. Perhaps it w a s better to leave than to fight further. If so, w e can better understand the problems that Ignatius faced as he guided the Antiochene church at the beginning of the second century.
Bishop
2
Ignatius.
Ignatius w a s concerned for three primary issues: (1) so-called "Judaizers", (2) false doctrines (mostly docetic teachings), and (3) church leadership. I have argued elsewhere that a key to the context in which Ignatius confronts these issues may be derived from three sets of materials: (1) his o w n letters, (2) the Gospel of Matthew, and (3) the Didache. Ignatius likely knew something of the Didache tradition, if not the final form of the text, at least much o f the mate rials preserved there. Likewise, while he does not make extended quotation o f Matthew, he clearly respects its authority and assumes that his readers do as well. Finally, the Didache and Matthew clearly share much in common, either through sources or authorship. With Ignatius as the anchor by which to locate all three texts at Antioch, I have proposed that the Didache, Matthew, and Ignatius arose within a c o m m o n sphere of influence. In specific, the Didache represents 3
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1. Acts 15:1-41. 2. What little we know with certainty about second-century Antioch from Chris tian literature is revealed by W. A. MEEKS-R. L. WELKEN, op. cit., Missoula, Montana, 1978, p. 19-23; does Leviticus Rabba 5.3 offer help here? 3. See C. N. JEFFORD, The Sayings of Jesus in the Teaching of the Twelve Apostles, Leiden, 1989, p. 118-129; C. N. JEFFORD, "Presbyters in the Community of the Didache" mStudiaPatristicall (1989), p. 122-128; C.N. JEFFORD, "Did Ignatius of Antioch Know the Didache" in C. N. JEFFORD (ED.), The Didache in Context, Leiden, 1995, p. 330-351. 4. Already in 1948 Robert Grant had argued for a close link among the Didache, Theophilus, and the Apostolic Constitutions based upon the "strong Jewish influence on liturgical practice at Antioch"; see R. M. GRANT, "The Early Antiochene Anaphon," in Anglican Theological Review 30 (1948), p. 91-94 (see p. 94 for quota tion).
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C L A Y T O N N. JEFFORD
the essential teachings o f the earliest Antiochene church which existed within a Jewish tradition, Matthew preserves a reflection o f that same community in transition toward a non-Jewish orientation, and Ignatius led an emerging thrust of the non-Jewish church to sepa rate itself from the Jewish tradition. Swept toward his eventual martyrdom in Rome, Ignatius writes of the peace that has been reported from A n t i o c h . The nature o f this peace, whether new or simply restored, is nowhere described. W e may surmise, however, that the peace of Antioch was quite likely to have been associated with the departure of Ignatius himself. Obviously, Ignatius w a s a man o f conviction, a leader of firm opinions w h o defied challengers to his beliefs and authority. But most of all, h e clearly resented Judaeo-Christianity. H e warned against Jewish teachings and lifestyles, "old fables," and those w h o inter preted Judaism as part o f the Christian m e s s a g e . Indeed, in light of his hostility toward "things Jewish," it i s probable that his very presence in Antioch led to inner-church struggles between ethnic perceptions of the gospel. H e undoubtedly brought attention to himself before the local civil authorities. If so, his removal from authority may have provided the very opportunity that the church needed to provide order among its members. This conclusion is speculative, of course. At the same time, it fits the guidelines of community struggle reflected by Paul's letter to the Galatians and b y Acts. Ironically, Ignatius ultimately w a s most concerned to offer what the author o f Acts likewise desired — to present the reader with a whitewashed perception that the Christians of Antioch, though once in struggle, finally were restored to peace and tranquility. Yet this was only an illusion, for neither in the case of Acts nor of Ignatius did the restless spirit o f the Antiochene church stay quiet for long. 1
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1. See Ignatius of Antioch, Ad Phld. lOA;AdSmyrn.\\A-2\AdPol. 7.1. 2 . As J. LIEU, Image and Reality, Edinburgh, 1 9 9 6 , p. 4 1 , observes: "If conflict within the church at Antioch had been partly responsible [...] this too would colour his view of whether opposition was as dangerous from within as threatening from without..." 3 . For an excellent discussion of Ignatius and his view of Judaism, see J. LIEU, op. cit., Edinburgh, 1 9 9 6 , p. 2 3 - 5 6 . W . A. MEEKS-R. L . WILKEN, op. cit., Missoula,
Montana, 1 9 7 8 , p. 2 0 , see a distinction here between Judaeo-Christianity, "Chris tians adopting Jewish practices," and Jewish-Christianity, "those of Jewish origins," though the evidence for such a distinction is less than clear. 4 . See, for example, Ignatius of Antioch, Ad Magn. 8 . 1 - 2 ; Ad Phld. 6 . 1 .
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JEWISH CHRISTIANITY IN ANTIOCH
Bishop
Theophilus.
The writings of Theophilus inform us of the thought that reigned in the late second-century Antiochene church. Perhaps because of his late conversion, Theophilus found heresy everywhere. His works formed part of an anti-heretical library from which Irenaeus himself drew. Undoubtedly he was well-respected by his peers as an apolo gist. Prominent in his refutation of false thinkers and errant doctrines, Theophilus was concerned that the nature of God as triune creator and logos be correctly interpreted by the Antiochene community. His emphasis upon the humanity of Jesus of Nazareth, the "hall-mark of Antiochene theology," was clearly grounded in his deep aversion to the claims of local docetic g n o s t i c i s m . From his letters To Autolycus, w e acquire some feel for his under standing of the Christian situation. H e took pride in the name "Chris tian," having converted through a reading of scripture. While he lambasted idolatry and pagan superstition, he paid homage to the Jewish roots of the Christian faith. For him, the prophets of Israel were inspired by the spirit of G o d . H e interpreted the early chapters of Genesis, and praised God's handiwork in the raising of Israel to a place of prominence in history, prophecy, and poetry. Testimony from pagan sources he counted as the confirmation of Jewish contri butions to our knowledge of God. Theophilus wrote on the value of the Jewish Torah as a means to Christian living. God's revelation to ancient Judaism guided humanity toward hospitality, repentance, righteousness, chastity, and forgiveness. God's hand was in the leadership of M o s e s and the building of the Temple. All of this must serve for the correct understanding of the antiquity of Christianity. A s he himself states: "in light of all of these facts, one sees the anti quity of the prophetic literature and the divine nature of our doctrine, that the doctrine is not new, nor our teachings mythical or incor rect...". The theological positions and liturgical v i e w s of Theophilus like wise were highly influenced by Jewish perspectives. As W. A. Meeks and R. L. Wilken observe: "Almost everything in his exegesis can be paralleled in Jewish haggadic literature." His reliance upon Jewish hermeneutical principles in the exegesis of 1
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D. S. WALLACE-HADRUX, op. cit. Cambridge, 1982, p. 67-68, p. 26. Theophilus of Antioch, AdAutolicus 1.1,1.12. Theophilus of Antioch, Ad Autolicus 1.14. Theophilus of Antioch, AdAutolicus 2.9. Theophilus of Antioch, Ad Autolicus 3.9-14 and 29. Theophilus of Antioch, AdAutolicus 3.29. R . M. GRANT, op. dr., in Anglican Theological Review 30 (1948), p. 91-94. W . A. MEEKS-R. L. WILKEN, op. cit., Missoula, Montana, 1978, p. 21, as cited y
158
CLAYTON N. JEFFORD
scripture became the eventual standard of textual analysis in the local Christian community, the so-called Antiochene school o f biblical interpretation. Contrary to the letters o f Ignatius, some half a century later Theophilus felt enough confidence in the Jewish roots of Christianity to claim them as the justification for the antiquity o f the faith itself. H e cited Jewish scripture and used it as a foil against non-Jewish philo sophies and practices. Nowhere was Judaism condemned or chas tized. On the contrary, all things Jewish seemed sufficient for his defence of the Christian faith. He was very close to Judaism, though with some specific Christian adaptation to his b e l i e f s . D o e s this mean that Christianity in Antioch at this late second-century date remained under the aegis of its Jewish roots or, instead, was Theophilus alone under such influence? Despite the fears and efforts o f Ignatius at the beginning of the century, Theophilus seems to have adopted Jewish norms as the standard of the community. This was not an adoption of Jewish elements merely as a basis for theology, however, but their use as a clear counter to a certain "anti-Marcionist thrust." It suggests that, as with Ignatius before, Theophilus operated somewhere between Jewish norms and docetic teachings. 1
2
Bishop
Serapion.
Though only fragments remain from Serapion, something may be gleaned about his situation. A s bishop he was in touch with numerous figures o f authority in Asia M i n o r . H e rejected the so-called "new prophecy" movement or M o n t a n i s m , and did not accept the autho rity of the Gospel of Peter, primarily because it was associated with the teaching o f Marcion and was linked to docetic teachers. T w o points are curious, however. First, when he knew the Gospel through report only, he had endorsed it based upon its association with the apostle Peter. Second, he actually found most of the work to be accep table. W e assume that Serapion's basic theology was anti-docetic, 3
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from R . M. GRANT, "Theophilus of Antioch to Autolycus," in Harvard Theological Review40 ( 1 9 4 7 ) , p. 2 2 7 - 2 5 6 , based upon the research and examples of Ginzberg. At the same time, W . A. MEEKS-R. L . WILKEN, op. cit. Missoula, Montana, 1 9 7 8 , p. 2 2 - 2 3 , fervently argue that church and synagogue in second-century Antioch were not in close association themselves. Instead, the connection was through ideas, not through institutional relationship. 1. R. M. GRANT, "The Problem of Theophilus," in Harvard Theological Review 4 3 9
( 1 9 5 0 ) , p. 1 7 9 - 1 9 6 (especiaUy p. 1 9 3 ) . 2 . W . A. MEEKS-R. L . WILKEN, op. cit., Missoula, Montana, 1 9 7 8 , p. 2 1 .
3 . Thus his reference to Claudius Apollinarius, bishop of Hierapolis (Fragment 1). 4 . Serapion of Antioch, Fragment 1. 5 . Serapion of Antioch, Fragment 2.
JEWISH CHRISTIANITY IN ANTTOCH
159
anti-prophetic, and anti-ascetic. Like Theophilus, he endorsed Jewish-Christian elements which remained within the Antiochene church. At least from his view, the Jewish nature of Christianity was alive and well in Antioch at the close of the second century.
Literary Records from Outsiders. W e conclude with materials that were rejected by mainline Chris tian tradition. These are divided into three categories: (1) connection with Qumran, (2) gnostic schools of thought, and (3) three other works. The first two categories are treated only briefly, with a focus upon the final topic.
Connection
with
Qumran.
Qumran is mentioned here only briefly as it relates to the situation in Antioch. A n early consideration of this topic came already in 1960 from V. C o r w i n . She was convinced that the so-called "party of the right" against which Ignatius wrote bore the distinctive marks of Essene Judaism. The Essenes of Palestine, perhaps en route toward Asia Minor after the destruction of Qumran, dissatisfied with rabbinic tradition and Hellenistic Judaism that they encountered, naturally found themselves attracted to Christian enclaves around Antioch. Traditional elements of Essene thought, exemplified in a fanatical desire to "keep the Sabbath," the observation of a "reformed Jewish calendar," a uniquely Jewish form of community meal, and a specific emphasis upon priesthood and prophecy, were among the very complaints that Ignatius directed against the so-called "Judaizers." From such elements Corwin has made a "presumptive identification" between the Essenes and that element of the Antio chene community which Ignatius so detested. A s the leader of a "centrist party," he sought to include all such extreme "rightists" into the larger Christian community through a rather universalistic theo logy. It was the theology of a cosmic Christ which offered hope for those w h o stood apart, in this case, the separatist Jewish Christians. Indeed, w h o stood apart more within Christian circles than those w h o were guided by the sectarian tendencies of Qumran belief? It is not m y intention to review, challenge, or reflect upon Corwin's extended argument here. But the image provides an intriguing possi bility for Jewish Christianity at Antioch, and deserves further more 1
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3
1. V. CORWIN, St. Ignatius and Christianity in Antioch, New Haven, 1960. 2. V. CORWIN, op. dr., New Haven, 1960, p. 61.
3. See V. CORWIN, op. cit., New Haven, 1960, p. 61-65, for the basic argument.
160
CLAYTON N. JEFFORD
detailed exploration in light of the recent resurgence of study in the Dead Sea Scrolls literature. 1
Gnostic Schools of
Thought
A further word must be said about the rise of gnostic thought in the sphere of Antioch. Gnostic authors clearly had great historical influence upon Christianity in the region, though the connection with things Jewish remains unclear. W e begin with Menander, w h o s e simple system of creation reflected what later became standard gnostic cosmogony. For him, the world came into existence through the work of angels w h o ultima tely descended from the divine First Principle. There is some parallel here to contemporary Jewish arguments that the world came into being through a creative agent, either Wisdom or Sophia. This process ultimately was Christianized through literature such as the Gospel of John. Menander taught that salvation from the corrupt world of angels was possible to the extent that one received his o w n special teaching or knowledge (yvoxriq) and accepted baptism into himself. R. M. Grant argues that this claim was offered in response to the perceived failure of salvation which apocalyptic and prophetic Chris tianity promised through faith and baptism into Christ, a view illus trated in Ignatius' idea of the eucharistic bread as "the medicine of immortality." T o accept this argument, on the one hand, Menander's claims may have originated in response either to Judaism or Christia nity. But more likely, they were a response to Jewish Christianity itself. W e m o v e to Saturninus, w h o s e anti-Jewish polemic was clearly directed by the events of the Bar Kochba revolt of 1 3 2 - 1 3 5 . 2
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1. An observation offered already by J. H. CHARLESWORTH, "Qumran, John and the Odes of Solomon," in J. H. CHARLESWORTH (ED.), John and the Dead Sea Scrolls, London, 1972, p. 136; see also R. M. GRANT, "Jewish Christianity at Antioch in the Second Century," in Judéo-christianisme. Recherches historiques et théologiques offertes en hommage au cardinal Jean Daniélou, Paris, 1972, p. 101. 2. For a more detailed review of this issue, see R. M. GRANT, op. cit., in Judéochristianisme. Recherches historiques et théologiques offertes en hommage au cardinal Jean Daniélou, Paris, 1972, p. 97-108. 3. Irenaeus, Adversus haereses 1.23.5. 4. Ignatius of Antioch, Ad Eph. 20.2. 5. R. M. GRANT, op. cit., in Judéo-christianisme. Recherches historiques et théo logiques offertes en hommage au cardinal Jean Daniélou, Paris, 1972, p. 98-99. 6. See once more the discussion of R. M. GRANT, op. cit., in Judéo-christianisme. Recherches historiques et théologiques offertes en hommage au cardinal Jean Daniélou, Paris, 1972, p. 102-105. There are those who would place Saturninus late in the first century, of course.
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JEWISH CHRISTIANITY IN ANTIOCH
According both to his teachings and those of Basilides, v i e w s which were essentially a gnostic revision of Jewish scripture, the failure of the archons to create humanity through an attempt to replicate the shining image of the Supreme Power was salvaged only through the intervention of the Power itself, which sent a divine spark into each mortal so that humanity would not flop about like worms. Ultima tely, the Supreme Power sent a savior (Jesus?) w h o came to destroy the archons and evil humanity, on the one hand, and to inform with knowledge and save worthy humanity, on the other. A s Irenaeus observes, the followers of Saturninus were a s c e t i c s , and therefore presumably opposed marriage and procreation as signs of the failed attempts at creation by the archons and their leader, the god of the Jews. Both Saturninus and Basilides saw within Judaism, its tradi tions, and its teachings the seeds of the inadequacy of the human enterprise and the attempt of the Jewish god to subjugate all nations. Neither Saturninus nor Basilides were specifically mentioned by Theophilus some years later. Yet it is clear that Theophilus chose to employ a specifically Jewish tone in opposition to such teachers. This explains the rise of Jewish sympathies in the mainline church of Antioch toward the end of the century, that is, the reemergence of Judaic tradition as a drawn sword against the divergent interpreta tion of Jewish scripture by gnostic thinkers. Theophilus, and Serapion after him, likely represented a backlash against speculative ideas among the ecclesiastical hierarchy of the community. Thus, Jewish Christianity flourished at Antioch largely due to the threat which existed in the form of Antiochene gnostic teaching. 1
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Three Other
Works.
Numerous texts from pseudepigraphical literature are available for consideration. Of these, I select t h r e e . Though no one of these offers final clarity for us, the combined witness may suggest some insight. 4
1. On this interpretation of Basilides, see Epiphanius, Panarion 24.5.2. 2. Irenaeus, Adversus haereses 1.24. 3. Thus the conclusions of R. M. GRANT, op. cit., in Judéo-christianisme. Recherches historiques et théologiques offertes en hommage au cardinal Jean Daniélou,Paris, 1972, p. 105-108. 4. To the following texts one might easily add others, such as 4 Maccabees, Ascen sion of Isaiah, Odes of Solomon (so J. DANIÉLOU, A History of Early Christian Doctrine, London, 1964, vol. I, p. 12-14, p. 21, p. 40-43), Apocalypse of Peter, and Acts of Apollonius (so R. M. GRANT, Greek Apologists of the Second Century, Phila delphia, 1988, p. 141-143).
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CLAYTON N. JEFFORD
1. W e begin with the so-called Preaching of Peter, a text preserved in part by Clement o f Alexandria. While W. Schneemelcher rejects any idea that the text was known by Theophilus, there is yet some reason to believe that our Antiochene bishop w a s wellacquainted with the ideas of the w o r k . T o be certain, much of the apologetic focus o f the writing is in accord with his theology. The Preaching is distinctly monotheistic in its rejection of polytheism, yet also contends against elements o f invalid Jewish worship. It views Jewish scripture as the basis for church faith, with a claim to origina lity in the words of the Lord and a p o s t l e s . T w o passages in the Preaching offer ideas that have close parallels, if not quotations, in Theophilus. In one section the Prea ching disparages the false worship o f pagans and Jews a l i k e . Worship of numerous animals and their images, o n the o n e hand, worship of angels and seasons, on the other, are strictly prohibited as invalid. In the second passage the Preaching draws upon the prophetic scriptures as validation o f the passion and resurrection o f Christ as a justification for faith. Both the prophecy and fulfillment of such events were of divine substance. In these two places, o n e might suggest that similar prohibitions as the basis for faith in Theo philus have been derived from the Preaching. These are not quotations of course and parallel ideas abound in the literature. But the near proximity o f such themes within Theophilus' writings argues that w e should not dismiss the possibility. In any case, the presence o f the Preaching reenforces the idea that Theo philus did not stand as a lone Antiochene voice in his support of 1
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1. For relevant passages, see Clement of Alexandria, Stromata 1.29.182; 2.15.68; 6.5.39-41, 43; 6.6.48, 58; 6.15.128; Eclogae propheticae 58. See P. NAUTIN, "Les citations de la Prédication de Pierre dans Clément d'Alexandrie, Strom. VI, V.39-41," in Journal of Theological Studies 25 (1974), p. 98-105; W . SCHNEEMELCHER, "The Kerygma Petri," in W . SCHNEEMELCHER-R. M C L . WILSON
(ED.), New Testament Apocrypha, Cambridge, 1992, vol. H, p. 34-42. 2. So G . QUISPEL-R. M. GRANT, "Note on the Petrine Apocrypha," in Vigiliae Christianae 6 (1952), p. 31-32, P. NAUTIN, op. cit., in Journal ofTheological Studies 25 (1974), p. 98 ; see W . SCHNEEMELCHER, op. cit., in W . SCHNEEMELCHER-
R. McL. WILSON (ED.), New Testament Apocrypha, Cambridge, 1992, vol. II, p. 35. 3. W . SCHNEEMELCHER, op. cit., in W . SCHNEEMELCHER-R. McL. WILSON ( E D . ) ,
New Testament Apocrypha, Cambridge, 1992, vol. H, p. 36-37. 4. Clement of Alexandria, Stromata 6.5.39-41. 5. Clement of Alexandria, Stromata 6.15.128. 6. See Theophilus of Antioch, AdAutolicus 1.20,2.2 together with 1.14 respecti vely; so G. QUISPEL-R. M. GRANT, op. cit., in Vigiliae Christianae 6 (1952), p. 31. 7. R. M. GRANT, op. cit., Philadelphia, 1988, p. 39-40, clearly associates the Prea ching with the genre of second-century apologetic texts, specifically Aristides. G. QUISPEL-R. M. GRANT, op. cit., in Vigiliae Christianae 6 (1952), p. 31-32, also see allusions to the Apocalypse of Peter in Theophilus' writings under the assumption that the bishop accepted this text as scripture.
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JEWISH CHRISTIANITY IN ANTTOCH
Jewish traditions behind the theology and liturgical practices o f the church. Indeed, he seems to have represented a strong contemporary tradition that searched Jewish texts and themes as substantiation for what the church had become in Asia Minor. It was an evolution which, of course, had both supporters and detractors. 2. W e turn to the so-called Gospel of Peter. A s already observed, Serapion refers to this text as a resource at Rhossus, a community over which he presumably served as regional authority. H e endorsed the text initially but, after its docetic associations were explained to him, he rejected its authority. Yet he admitted that "mosdy it c o m e s from the Savior's word (Xoyoq), but some things were a d d e d . . . " . Recent debate argues against Serapion's claim that there was any docetic sense to the writing. A s J. D . Crossan observes, the charge of docetism undoubtedly lay more with the interpreters than with the text itself. "Docetism is sometimes in the eye of the beholder." With no evidence that docetism existed as a working school of interpreta tion by the end o f the second century, it is likely that the idea arose in scattered pockets of interpretation, perhaps as an avenue through which Jewish Christianity could protect the concept of m o n o t h e i s m . Yet, the anti-Jewish tone of the Gospel seems to argue against any Jewish-Christian r o o t s . For the moment, w e must simply note that Serapion, like Theophilus, had basic sympathies for a Jewish inter pretation o f Christianity and rejected the so-called docetic elements of the Gospel of Peter. At the same time he approved of the bulk of the text as dependent upon the life of the Savior. With respect to the dependence of the Gospel upon the teachings of the Savior, there is a second consideration to be raised. Crossan, with 1
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1. So identified already by H . B. SWETE, ETATTEAIONKATA nETPON: The Akhmim Fragment of the Apocryphal Gospel of St. Peter, London, 1893, p. X I ; see B. A. JOHNSON, "The Gospel of Peter: Between Apocalpyse and Romance," in Studia Patristica 16 (1985), p. 170-174, and J. LIEU, op. cit., Edinburgh, 1996, p. 259-261. 2. Eusebius of Caesarea, Historia ecclesiastica 6.12.6. 3. See, for example, the rejection of docetic elements in the text by C. MAURERW.
SCHNEEMELCHER,
"The
Gospel
of
Peter,"
in
W.
SCHNEEMELCHER-
R. McL. WILSON (ED.), New Testament Apocrypha, Cambridge, 1992, vol. I, p. 220-221 ; J. W . MCCANT, 'The Gospel of Peter: Docetism Reconsidered," in New Testament Studies 30 (1984), p. 258-273. 4. J. D . CROSSAN, The Cross That Spoke, San Francisco, California, 1988, p. 11-12 (quotation on p. 12); see also the discussion of docetism by N. BROX, "'Doketismus' —eine Problemanzeige," in Zeitschriftfur Kirchengeschichte 95 (1984), p. 301-314. 5. N. BROX, op. cit., in Zeitschrift fur Kirchengeschichte 95 (1984), p. 314. 6. So
C.
MAURER-W.
SCHNEEMELCHER, op.
cit.,
in W . SCHNEEMELCHER-
R. McL. WILSON (ED.), New Testament Apocrypha, Cambridge, 1992, vol. I, p. 221, in reaction to the conclusions of J. DENKER, Die theologiegeschichtliche Stellung des Petrusevangeliums, Bern-Frankfurt, 1975, p. 87-92.
164
CLAYTON N. JEFFORD 1
K o e s t e r before him, has attempted to provide a cogent rationale to include the Gospel into the mainstream background of our canonical gospels. If so, w e may be forced to recognize that the Gospel of Peter served an acceptable role within certain early Christian communities prior to the subsequent charge o f docetism by later detractors. For if docetism can be dismissed as a consideration, then the argument for any specific function of the work within Jewish Christianity is lost. But our concern is not with the earliest use of the Gospel, only with why certain Christians chose to interpret it docetically. T h e text began with a strong anti-Jewish bias and surely appealed to portions of the community that held similar views. A later docetic interpreta tion would have offered an avenue by which Jewish Christians could accept the teachings within the context of a monotheistic understan ding of the life of Jesus and, at the same time, rebuff the world o f firstcentury Judaism. T o reject the Gospel based upon its docetic teachings, therefore, w a s to reject an interpretation which Jewish Christianity may have supported. Perhaps a movement within the Antiochene church wished to undermine Jewish Christianity in the eyes of Serapion and worked to that end, as witnessed by the rejection of the Gospel of Peter. It is interesting that Serapion agreed to reject the Gospel in light of these added, docetic passages, yet found much value within the writing itself. 3. W e conclude with the well-known Acts of Paul and Thecla, attested already by Tertullian by the end of the second c e n t u r y . 1 am convinced that w e are referred to Syrian Antioch here, not to Pisidian Antioch, though ultimately our author is not concerned to make a distinction between the c i t i e s . This is true even if the Acts is simply "Thecla folklore." W e first encounter Antioch in any meaningful sense only with Thecla's near martyrdom. Upon entry into the city with Paul, Thecla is recognized and embraced by the Syrian Alexander, a leader of the Antiochenes w h o greatly desires her but w h o m she rebuffs on the street. In public humiliation, Alexander drags her to the governor w h o condemns her to death among the wild beasts. The Greek version records that Alexander himself is responsible for the arrangement of 2
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1. See H . KOESTER, "Apocrypha and Canonical Gospels," in Harvard Review 73 (1980), p. 126-130. 2. Tertullian, De baptismo 17.
Theological
3. W . SCHNEEMELCHER, "Acts of Paul," in W . SCHNEEMELCHER-R. McL. WILSON
(ED.), New Testament Apocrypha, Cambridge, 1992, vol. H, p. 220. 4. See the discussion of W . RORDORF, 'Tradition and Composition in the Acts of Thecla: The State of the Question," in Semeia 38 (1986), p. 43-52. 5. Section 26.
165
JEWISH CHRISTIANITY IN ANTIOCH 1
such games within the c i t y . A s already noted, the "games" were long favored in A n t i o c h . When Antiochenes responded well to Rome, the city received building projects and festivities, events associated with local religious customs and popular entertainment. When Antio chenes rebelled, such favors were denied. Games consistently served as reward and punishment by the secular authorities and served as a primary focus of community life. Thus, the setting of Syrian Antioch, while not conclusive, does seem appropriate. W e consider then the rise of the cult of St. Thecla, whose origins are clearly traced to the region of Seleucia in S y r i a . The cult was well oriented toward the near martyrdom of Thecla in Antioch if w e can indeed associate this scene with S y r i a . The roots of Thecla's veneration ran early and deep. B y the fourth century, even Chrysostom makes specific mention against the movement among local Antiochene w o m e n w h o lauded Thecla's sacrifices. This suggests that the rise of w o m e n ' s issues within the church of western Syria already was evident in the second-century, and that such activity found fertile soil within the circles of Antiochene Christianity. There is no reason to deny that Antioch's divergent theological and ecclesiastical speculations provided ample room for the role of w o m e n within the growth of community leadership. Ultimately resisted by a male-dominated hierarchy, the female side of Christian leadership persisted within Antiochene circles into the fourth century. It is difficult to know the extent to which the rise of a w o m e n ' s movement within the Syrian church was associated with Jewish Christianity specificially. There is reason to believe that the function of w o m e n within the synagogue offered a favorable context for such leadership. At the same time, the responsibility of w o m e n for house hold management was established by social custom. Such duties were translated easily into the setting of the "house church." It must be 2
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1. This is consistent with the reading of Alexander in Section 3 0 . 2 . See the mockery of this widely-recognized feature of Antiochene life later in Julian, Misopogon 3 4 4 . 3 . See D . R . MACDONALD, The Legend and the Apostle, Philadelphia, 1 9 8 3 , p. 9 2 - 9 4 . The cult clearly peaked later in the fifth-sixth centuries, as attested by the homily of Pseudo-Chrysostom, Panegyricus in Thecla; see D . R . MACDONALDA. D. SCRIMGEOUR, "Pseudo-Chrysostom's Panegyric to Thecla: The Heroine of the Acts of Paul in Homily and Art," in Semeia 3 8 ( 1 9 8 6 ) , p. 1 5 1 - 1 5 9 . 4 . Is even the reference in Ignatius of Antioch, Ad Rom. 5 . 2 an allusion to the Thecla narrative? 5 . Chrysostom, Horn. 25 in Acta 4 . 6. See the fine review of R. ALBRECHT, Das Leben der heiligen Makrina aufdem Hintergrund der Thekla-Traditionen, Gottingen, 1 9 8 6 , p. 2 7 4 - 2 9 3 . She notes that already by the end of the second century pilgrims arrived in the region in response to the Thecla tradition (see p. 2 8 7 ) .
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CLAYTON N. JEFFORD
sufficient simply to state that the Acts of Paul and Thecla suggests a clear second-century context within the Antiochene church by which later claims among w o m e n leaders were founded. The association of the cult with the role of w o m e n within the synagogue in general and, subsequently, within the Jewish Christian community appears likely. 1
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Conclusions. A s Meeks and Wilken observe: "From Ignatius to John Chrysostom... attacks on Judaism and on 'Judaizing' Christians grow in both ferocity and specificity." On the one hand, this seemed particu larly true at Antioch. At the same time, the region showed a sympa thetic ear for the Jewish tradition, both theologically and liturgically. The history of persecution at Antioch, from the earthquakeinspired riots under Trajan to the edict against conversions by Septimius Severus, appears to indicate imperial resistance to the growth of Christianity. But was this sword so careful to distinguish between Jews and Christians or among the theological factions which existed in tension at Antioch? Ignatius may have been arrested in response to an earthquake for reasons of religious security (so Malalas), but he may as likely have been the most visible instigator of discord between Jewish and non-Jewish Christianity. A s he himself acknowledges, peace returned after he departed. Theophilus, on the other hand, took hold of Jewish elements and undoub tedly brought the Judeo-Christian heritage together in a more meaningful way. Yet, while Theophilus probably claimed broad support, it is not certain that he had local Christianity under complete control. For here was a place and time in which the city was proclaimed a rival capital to R o m e by Avidius Cassius, the festival of the Maiouma was revived under local pagan influence, gnostic teachings flourished under Saturninus, and the voice of female autho rity claimed cultic rights through the figure of Thecla. It is no wonder that Theophilus sought security in the pseudo-Petrine tradition, illus trated by his use of M a t t h e w , the Preaching of Peter, and perhaps the Apocalypse of Peter. 3
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1. Quite likely, women found a voice through their involvement in the gnostic side of Christianity, so S. HEINE, Women and Early Christianity, London, 1987, p. 130-146. 2. See, for example, B . BROOTEN, Women Leaders in the Ancient Synagogues, Chico, California, 1985; K. J. TORJESEN, When Women Were Priests, San Franscisco, California, 1993, p. 16-20, p. 38-46. 3. W . A. MEEKS-R. L. WILKEN, op. cit., Missoula, Montana, 1978, p. 2. 4. Theophilus of Antioch, Ad Autolicus 3.13-14.
JEWISH CHRISTIANITY IN ANTIOCH
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From the beginning, docetism in Antioch grew and flourished. A s argued by Corwin, sectarian teachings from Qumran could have provided fuel for such speculation; as argued by Grant, docetic theo logy could have protected Jewish sensitivity concerning mono theism. At the beginning of the century, Ignatius already was forced to resist Judaizers and docetists. Is it any wonder that Serapion, a century later, found himself at odds with a strong Jewish voice on the right, die claims of false prophecy on the left, and detractors against Jewish docetism all around? Indeed, was he to accept or, instead, to reject the Petrine tradition suggested by the Gospel of Peter which had so faithfully served his predecessor, Theophilus? Perhaps w e must conclude with the rhetorical question of whether Antiochene Christianity during the years of Serapion at the end of the century looked any different from its roots during the years of Ignatius at the beginning. In the mix of Jewish tradition, docetic interpretation, and mystical theology which was Antiochene Christianity during the second century, the forces of conflict evolved and held tenaciously to convinced audiences which may have formed the most diverse composition of Christian faith in history.
UNE APPROCHE ÉPISTÉMOLOGIQUE ET CHRISTOLOGIQUE DES PROBLÈMES POSÉS PAR LE TESTIMONIUM FIA VIANUM (FLAVIUS JOSÈPHE, ANTIQUITÉS JUIVES XVIH, § 63-64) SERGE BARDET
Université d'Évry II
Résumé Résumant les conclusions d'un travail antérieur, il est constaté ici que le débat sur l '(in jauthenticité du Testimonium Flavianum n 'a pu donner lieu à un consensus durable, faute d'arguments réellement convaincants et parce que la question, contaminée par des enjeux qui la dépassent, est posée de manière insoluble. A l'examen, l'hypothèse d'une interpolation chrétienne aux ir-ur siècles apparaît bien improbable. On tâche alors d'éclairer la question par ce qu 'on peut reconstituer des convictions religieuses de Josèphe et de la christologie de son temps.
Summary As stated in a former work, the issue of the (un)authenticity of the Testimonium Flavianum cannot open on a lasting accord for lack of really convincing arguments and because, polluted by stakes that go beyond its proper case, it is put in an insolvable way. Under consideration, that a christian monk has interpolated such a text in the II orIir century is much unlikely (though frequently, but uncritically assumed). So it is attempted to enlighten the question by reconstituting as far as possible Josephus' religious convictions and the christology that was professed at that time. nd
d
Court passage dans l'œuvre volumineuse de Flavius Josèphe, le Testimonium Flavianum (Antiquités juives XVIII, § 63-64) provoque, depuis la Renaissance, des polémiques—parfois âpres — où dominent alternativement le sentiment de l'authenticité, totale ou
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LE TESTIMONIUMFLAVIANUM
partielle, et celui de l'inauthenticité de ce témoignage sur Jésus et les chrétiens dans le siècle. Cet essai fait suite à un travail de thèse, qui n'est pas encore p u b l i é . Aussi rappellerons-nous d'abord un certain nombre de conclusions auxquelles nous sommes arrivé, en particulier sur l'absence d'élément probant dans la querelle de l'authenticité. Partant de ce constat de carence (alors que le débat est aussi pléthorique qu'interminable), nous tâcherons de cerner les raisons pour lesquelles un questionnement de ce genre ne peut pas déboucher sur une solution scientifique capable de recueillir un consensus durable : vices intrinsèques à la question posée, problèmes techniques et théoriques de l'interpolation. N o u s tâcherons alors d'aborder le problème par un autre biais et de définir — quel que soit l'auteur réel — un contexte intellectuel susceptible de rendre compte de l'état de la christologie qui résulte de l'examen du Testimonium. 1
Il n'y a pas de démonstration probante dans la querelle de l'(in)authenticité du Testimonium Flavianum. La principale objection à l'authenticité joséphienne du Testimonium, la plus forte pour ceux qui l'avancent, c'est l'impossibilité formelle, absolue que Flavius Josèphe, juif pharisien (il y a aujourd'hui consensus là-dessus), ait pu écrire ô X p i o x ô ç o w o ç rçv, c'est-à-dire « il [Jésus] était le Messie ». Si telle était la seule traduction défendable, la cause serait entendue. Malheureusement, il n'en est rien : déjà C. Guignebert, farouchement convaincu de l'interpolation, reconnaissait (sauf pour ce passage !) que Christos est très rapidement employé c o m m e n o m propre . É. Nodet, plus récemment, pouvait ainsi arguer que Christos devait être lu c o m m e un sobriquet, dont Josèphe pouvait repérer les connotations religieuses, mais dont il savait pertinemment que son lecteur romain les ignorait et qu'il utilisait le terme c o m m e un simple anthroponyme . À défaut 2
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1. S. BARDET, « Flavius Josèphe et les Français. Études d'histoire et d'epistemologie — 1 8 3 8 - 1 9 8 9 », Paris, 1 9 9 4 (Thèse préparée sous la direction de P. VidalNaquet). 2 . Voir C. GUIGNEBERT, dans Revue de l'histoire des religions 9 4 ( 1 9 2 6 ) , p. 2 1 7 , qui affirme — dans le cadre de la recension de P. L. COUCHOUD, Le Mystère de Jésus, Paris, 1 9 2 4 : « Christus, pour Pline, comme pour Tacite et Suétone, c'est un nom propre. » Apparemment, ce qui vaut pour ces trois-là ne vaut pas pour Josèphe et son lecteur... 3 . É. NODET, « Jésus et Jean Baptiste selon Josèphe », dans Revue biblique 92 ( 1 9 8 5 ) , p. 3 2 1 - 3 4 8 et p. 4 9 7 - 5 2 4 .
É. Trocmé, dans la série télévisée Corpus Christi, avance la même explication
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SERGE BARDET
d'être stricto sensu probante, l'hypothèse est restée inattaquée ; et voici annulé l'argument supposé définitif. Passons rapidement sur le reste du texte : l'incise « é i y e dvSpa » peut évidemment suggérer sans discrétion que Jésus est personne divine incarnée. Mais la m ê m e expression se retrouve dans la bouche du pharisien Gamaliel ( A c 5, 39) à propos de l'agitateur Theudas et des chrétiens : il pourrait tout aussi bien s'agir d'un topos de la rhétorique pharisienne du I siècle que d'une formule plus ou moins allusive . La résurrection de Jésus peut être celle du Sauveur ; mais elle peut aussi se concevoir c o m m e un fait rapporté à un juif (Josèphe), qui ne croit pas nécessaire d'insister parce que la chose est en soi plausible : tant les synoptiques que Josèphe lui-même prouvent que la chose ne passait pas pour une impossibilité hic et nunc dans le monde juif . Quant aux arguments sur le ton du passage (qui furent le terrain quasi indisputé des défenseurs de l'authenticité partielle ou totale), pas un ne résiste à un examen précis. La critique interne n'a donc rien prouvé en réalité ; nous allons voir que la critique externe n'est pas beaucoup plus efficace. Toutes les argumentations fondées sur la composition (insertion manifeste, théorie des GopvPoi...) sont aujourd'hui tombées. Mais on continue à soutenir qu'un texte c o m m e le Testimonium aurait encouru la censure impériale et que, par conséquent, Josèphe n'aurait pas pris le risque de l'écrire. On remarquera en préambule qu'un tel argument serait encore plus valide pour une interpolation du m siècle, lorsque les persécutions sont beaucoup plus nombreuses et systématiques à rencontre des chrétiens, qu'en 93 (ou dans les années qui suivent) à l'égard d'un auteur juif qui, par ailleurs, avait donné des gages de fidélité. Mais surtout, il faut être clair : malgré son épouvantable réputation, Domitien était un gestionnaire conséquent de l'État et, sous son règne c o m m e celui de ses prédécesseurs julio-claudiens ou flaviens, les cas repérables de censure autoritaire er
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avec une traduction légèrement différente (le Peint ou Barbouillé, comme un mur / « le Pommadé »). 1. Comparer précisément avec Flavius Josèphe, Contre Apion I, § 232 : le devin Aménophis « semblait avoir participé à une nature divine par sa sagesse et sa prescience de l'avenir ». On peut aussi penser aux remarques de J. DANIÉLOU, Théologie du judéo-christianisme, Paris, 1991 , p. 203, à propos de l'essor et de la diffusion de Fangélologie dans le judaïsme à cette époque. 2. Voir Me 6 , 1 5 = Le 9, 8 (résurrection possible d'Élie : nous laissons volontairement de côté Fhypothèse d'une résurrection de Jean le Baptiste, qui, isolée, pourrait être le fruit d'une mise en perspective des chrétiens) ; Flavius Josèphe, Antiquités juives LX, § 182-183 (résurrection de l'homme jeté dans le tombeau d'Elisée), XVIII, § 14 ; Guerre des Juifs H, § 114-116 (les pharisiens croient à la résurrection dès maintenant des hommes vertueux) et même Contre Apion H, § 218 (yevéoOat nakiv). 3. D est évidemment très difficile de mesurer l'autocensure ; mais les assertions de 2
LE TESTIMONIUM
FLA
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VIANUM
ne concernent que les atteintes à la personne du prince, à ses proches ou à sa famille et à sa politique. Aucun de ces trois griefs ne pouvait être sérieusement invoqué contre le Testimonium. Bref, l'insertion du Testimonium dans les Antiquités juives ne déroge ni aux pratiques de la compilation, ni à la mode des mirabilia, ni même, d'une certaine façon, à la floraison de (<|>iXo)oo(|>oi dans la littérature gréco-latine du I siècle, ni surtout aux limites de la liberté politique. La question du silence des témoins n'est pas plus probante : primo, à l'époque où le faux a pu être forgé, personne, ni adversaire, ni apologiste, ne demandait un témoignage concernant V existence de la secte ou de Jésus au temps des o r i g i n e s . Car un faussaire n'agit pas gratuitement : il répond à l'attente d'une communauté . D'autre part, on a pris l'habitude de conclure du Contre Celse d'Origène que le Testimonium n'existait pas, au moins sous sa forme actuelle, au milieu du nr siècle, puisque l'auteur y affirme que Josèphe « ne croy[ait] pas que Jésus fut le Christ ». Or : (1) l'argument est abusivement sélectif, puisque le m ê m e Origène répète en substance la m ê m e assertion dans son Commentaire de Matthieu : Josèphe « ne recfevait] pas l'idée que Jésus fut le Christ » : voilà une singulière insistance à employer une singulière formule, pour quelqu'un qui ne Usait rien ; (2) l'argument est spécieux, car si, dans le passage déjà évoqué du Contre Celse, Origène dit que Josèphe « aurait dû » (Ôéov a w ô v eineïv) lier la mort de Jacques et la chute du Temple (et donc que Josèphe n'opère pas le lien), il affirme au livre suivant que Josèphe le fait, citations à peu près exactes à l appui : il apparaît donc qu'Origène peut très bien faire tenir à un texte réel le propos qui l'arrange ; (3) l'argument ne vaut rien parce que la m ê m e idée exactement se lit sous la plume de Théodoret de C y r , qui, écrivant au V siècle, lisait forcément le Testimonium sous sa forme eusébienne — que Théodoret veuille conserver à Josèphe son statut de témoin externe, c'est très probable ; mais la contorsion apologétique vaut aussi bien pour Origène. Passons rapidement sur la supposée difficulté qu'il y aurait à er
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Tacite (Annales TV, 3 3 . 4 ) ne sont pas forcément vérifiées par les faits et sentent l'effet rhétorique. 1. G. Ricciorn, Flavio Giuseppe, lo storico giudeo-romano, Turin-Milan, 1 9 4 9 , p. 1 5 0 , repris en France par L. PRÉCHAC, « Réflexions sur le Testimonium Flavianum », dans Bulletin de l'Association Guillaume-Budé, 4 série, n° 1, 1 9 6 9 , E
p. 1 0 5 - 1 0 6 .
2 . Voir. C . BESSY-F. CHATEAURAYNAUD, Experts etfaussaires, Paris, 1 9 9 5 , p. 2 2 7 . 3 . Origène, Contre Celse 1 , 4 7 : Kaixoi yé àmarêbv x KocaÔeÇàuevoç eîvai Xpiatoç. 5. Comparer avec Origène, Contre Celse 1 , 4 7 et II, 1 3 . 6. Théodoret, Commentaire de Daniel XII, 1 4 (PG LXXXI, col. 1 5 4 4 B ) .
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SERGE BARDET
interpoler le passage dans tous les manuscrits (la tradition se résume à trois manuscrits tardifs) ou, inversement, à la tentative d'attaquer le Testimonium en invalidant le passage du livre X X où il est question de Jacques, « frère de Jésus, dit le Christ » : il n'y a pas un argument qui vaille pour déclarer ce passage interpolé. Dans les années 1970, S. Pines en Israël, A.-M. Dubarle en France à sa suite, remirent à l'honneur une voie de recherche considérablement discréditée par la hardiesse de R. Eisler : l'exploitation des « sources indirectes », à savoir les compilateurs orientaux du M o y e n  g e , en particulier l'évêque melchite Agapios (qui écrit en 9 4 1 , en arabe), et les chroniqueurs Kédrénos (vers 1100, en grec) et Michel le Syrien (avant 1200, en syriaque) . Ces travaux cherchaient à reconstituer un texte original par la comparaison croisée de toutes les versions anciennes connues, supposées indépendantes les unes des autres (il importe à la méthode de raisonner sur des intersections et non sur des contaminations) et aboutissaient à conforter en substance les tenants d'une interpolation modérée : le texte arabe ne comportait ni l'incise e l y e dvôpa, ni l'affirmation franche que Jésus était le Christ (« peut-être était-il le Christ »), ni la dénonciation à Pilate par les notables juifs, qui sentait l'imputation du déicide. N o u s ne partageons nullement l'engouement qui suivit ces publications : (1) Agapios était melchite, fidèle à la double nature du Christ, dans un contexte de conflit avec les jacobites, plus ou moins proches du monophysisme : la disparition de l'incise siye dvôpa pouvait être intéressée, et le reste de la transcription s'en trouvait s u s p e c t ; (2) il ne nous semble pas que la version de Kédrénos soit légitimement rattachée à la famille orientale : l'examen critique de son texte permet au contraire de rattacher ce moine byzantin à la tradition eusébienne ; (3) le contexte, d'abord sassanide, puis musulman nous pousse à suspecter la possibilité d'une réécriture par (auto)censure : quoiqu'on s'accorde généralement à souligner la tolérance de l'Islam alors et en ce lieu, on ne peut ignorer le massacre des moines de Dayr Sam' an par l'émir Sa'ad-al-Dawla en 985, ni la présentation des guerres contre Byzance c o m m e un djihad : rituel politique autant qu'on voudra, ce rituel est précisément le signe qu'une forte pression sociale s'exerçait et qu'elle devait être sensible aux chrétiens ; (4) dans ce contexte, il est impossible d'affirmer que le travail de critique textuelle mené 1
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3
1. Flavius Josèphe, Antiquités juives XX, § 2 0 0 . 2. S. PINES, An arabic version of the « Testimonium Flavianum » and its implications, Jérusalem, 1 9 7 1 ; A . - M . DUBARLE, « Le Témoignage de Josèphe sur Jésus d'après la tradition indirecte », dans Revue biblique 8 0 ( 1 9 7 3 ) , p. 4 8 1 - 5 1 3 et « Le Témoignage de Josèphe sur Jésus d'après des publications récentes », dans Revue biblique 8 4 ( 1 9 7 7 ) , p. 3 8 - 5 8 .
3 . Ces points sont d'ailleurs honnêtement soulignés par A . - M . DUBARLE, op. cit., dans Revue biblique 8 0 ( 1 9 7 3 ) , p. 4 8 8 - 4 8 9 et p. 5 0 2 .
LE
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TESTIMONIUMFLAVIANUM
alors tant à Bagdad que dans les régions de Damas ou Antioche sur le texte coranique n' a pas pu influencer F attitude critique des copistes chrétiens, soit incités à « rendre vraisemblable » l e témoignage de Josèphe, soit tentés eux-mêmes de le faire ; (5) enfin et surtout, de ce qu'un certain nombre de textes, une fois comparées leurs divergences, permettent de façonner un « moyen terme », il ne s'ensuit pas forcément que c'est le véritable texte : sur un texte aussi court, aussi normalisé par le dogme et la convenance, et, en l'occurrence, dans un milieu aussi limité que la Syrie septentrionale, la critique et la normalisation du texte avaient toutes chances d'aboutir au m ê m e résultat en substance, ces opérations eussent-elles été faites indépendamment. Reste une dernière tentative : à la suite de H. S. J. Thackeray , É. Nodet tente d'établir un lien entre les récits d e Josèphe (dont l e Testimonium) et l e texte occidental des Actes des Apôtres, pour supposer que l'un et l'autre auteur se fait l'écho d'une polémique sur le rôle du baptême et la place de Jean le Baptiste . Il montre comment les divergences entre la Guerre des Juifs H et les Antiquités juives XVIII, loin d'être hasardeuses, se prêtent à une lecture e n miroir, dans laquelle un texte laisse nécessaire le report aux indices laissés par l'autre, ce qu'il appelle « une signalisation de type midrashique » : o n voit ainsi apparaître une sorte de troisième texte, un architexte qui lui-même se prête à une opposition avec les Actes des Apôtres, Josèphe cherchant « à réaliser un effet historiographique sans rapport avec l e Nouveau Testament ». Dans c e cadre, la fonction du Testimonium ne serait pas d'attester d'un certain Jésus, mais : (1) de « couvrir » le sanhédrin et d'accréditer « une opinion autorisée des juifs, que c'est Pilate qui [F]a crucifié » ; (2) par un procédé purement rédactionnel, de dissocier Jésus et Jean l e Baptiste, en plaçant le premier avant le second. L e corollaire de cette hypothèse, c' est que, pour une part au moins de son propos, Josèphe s'adresse plus à un public juif (et chrétien ?) en diaspora qu'à un public proprement romain. Cette construction a le double avantage : (1) d'apporter aux tenants de l'authenticité une argumentation positive qui leur faisait jusqu'alors cruellement défaut ; (2) mais aussi d'utiliser implicitement une théorie de la discordance productive, plus féconde à vrai dire que la vieille pratique historienne de la conciliation des divergences. Sa double faiblesse est évidemment : (1) d'être par nature hypothétique et, e n tant qu'elle repose sur une analyse purement 1
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3
1. Voir P. GEOLTRAIN, « Débat récent autour du Testimonium Flavianum », dans Revue de l'histoire des religions 1 8 5 ( 1 9 7 4 ) , p. 1 1 2 - 1 1 4 . 2 . H . S . J. THACKERAY, Josephus, the Man and the Historian, New York, 1 9 2 9 . 3 . É . NODET, op. cit., dans Revue biblique
p. 4 9 9 - 5 2 3 pour l'essentiel.
92 ( 1 9 8 5 ) , p. 3 2 2 , p. 3 4 6 - 3 4 8 et
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SERGE BARDET
textuelle destinée à mettre au jour une lecture cachée, quasi condamnée à cette nature ; (2) d'être d'autant moins probante que É. Nodet s'est absolument refusé à toute démarche de validation historienne \ L'ambition de ces pages pourrait bien être d'apporter quelque contrepoint à son entreprise ; mais sans visée probante.
Pour esquisser une théorie des querelles de facto sans solution. On voit donc que tous les arguments ou ont été réfutés (et devraient, à ce titre, être inutilisables), ou fonctionnent dans le régime du non-démontrable / non-réfutable . Nous allons donc tenter de montrer que la querelle présente, plus qu'aucune autre qui lui soit comparable, un certain nombre de caractéristiques qui sont peut-être susceptibles de nous amener à esquisser une typologie de la « querelle insoluble » ou de la « querelle sans clôture possible », dont elle serait exemplaire. 2
a) Le Testimonium est un objet
étrange.
D e fait, qu'il s'agisse du Testimonium, de la querelle de Glozel (qui, du fait d'une certaine activité éditoriale — et parfois judiciaire — , n'est que dans un demi-sommeil et peut se réveiller à tout m o m e n t ) ou de la querelle du Suaire de Turin (qui relevait jusqu'il y a peu de la classique « guéguerre » entre positivistes et fidéistes, mais que les récentes analyses au carbone 14 ont fait changer de nature pour des raisons que nous expliquerons dans un des prochains paragraphes), le problème naît de ce qu'on est confronté à un objet qui ne se conforme pas à la logique des cadres de connaissance admis en général, mais que ces m ê m e s cadres se révèlent à l'expérience impuissants à classer dans les catégories des faux ou des erreurs. Autrement dit, cet objet se révèle inapte à faire progresser la science parce que — eu égard aux critères de validation dont elle dispose — il est aberrant ; mais la science se révèle inapte à traiter son cas de 3
1. Voir É . NODET, op. cit., dans Revue biblique 92 (1985), p. 322, n. 3 et p. 513. Son hypothèse amène évidemment à prendre en compte le double récit (lucanien et joséphien) du recensement de Quirinius, pour supposer un dédoublement artificiel des événements de 4 avant notre ère par Josèphe, qui déplacerait ainsi la date d'annexion de la Judée à la date communément admise (mais fausse) de 6 de notre ère : nous nous sommes trouvé en position de tenter cette démonstration historienne dans notre thèse inédite : S. BARDET, op. cit., Paris, 1994, p. 198-327. 2. Nous en avons omis beaucoup ici en raison de leur caractère ponctuel, voire anecdotique ; voir notre thèse inédite : S. BARDET, op. cit., Paris, 1994. 3. L'activité cyclique, comme eruptive, aisément verifiable à propos du Testimonium, pourrait également être une caractéristique de ces querelles.
LE TESTIMONIUMFLAVIANUM
175
manière à obtenir un consensus durable (il n' y a pas de science rationnelle sans consensus), parce qu'il y a toujours quelque chose qui résiste à l'explication qui en est proposée.
b) La question, posée de manière binaire, est bloquée aux deux extrémités par des enjeux souvent extrinsèques, mais qui excèdent infiniment Venjeu intrinsèque. C e genre de querelle répond à une typologie assez pauvre : la question posée appelle une réponse par oui / non (ou authentique / faux), dont on n'arrive pas à sortir. Car la résolution du problème posé est rendue impossible par des points de blocage aux deux « sorties » : il y a un conflit apparemment irréductible entre une des réponses supposées et un système de connaissances ou de pensée, et c e conflit est d'autant plus difficile à formuler et à désamorcer que le système est étranger à un strict corpus de connaissances. Dans le cas de Glozel, ce n'est pas tellement la nouveauté de la découverte qui est en cause, c'est le schéma général de la « révolution néolithique moyen-orientale » : la découverte récente d'inscriptions préhistoriques au bord de l'Euphrate a été accueillie avec prudence, mais sans drame ; la m ê m e découverte au bord de F Allier était scandaleuse, inassimilable, par aucune théorie : ici, l'enjeu est essentiellement scientifique et la seule issue simple était de conclure au faux, m ê m e si la réponse ne rend pas compte de toutes les données du problème, d'où l'impossibilité de la faire entériner par un réel consensus. Dans le cas du Suaire de Turin, ou bien les rationalistes admettent l'authenticité d'un objet que (à tort ou à raison : c'est devenu secondaire quand on est pris dans ce type de querelle) on charge de fournir la preuve physique du miracle ; ou bien les chrétiens fidéistes acceptent de perdre le seul et unique lien direct tangible qui leur reste avec le Christ : ici encore, le deuil chrétien est l'issue la moins compliquée en théorie, mais l'ampleur de ce travail de deuil laisse facilement entrevoir que la querelle peut très bien fonctionner encore longtemps c o m m e « baume » — il est très probable que la dimension passionnelle est consubstantielle à ce type de querelle. Le cas du Testimonium, cas d'école s'il en est, est noué par rien moins que trois grands enjeux, qui concourent à un brouillage rendant impossible toute sortie économique de la querelle : (1) tout d'abord, il représente le m ê m e type de lien au Christ que le Suaire (mais, à des moments où la partie rationaliste est infiniment plus virulente et 2
1. Encore ne faut-il pas négliger l'incroyable poids des mesquineries et des vanités personnelles, qui, fort heureusement, ne pèsent pas de la même manière sur la querelle du Testimonium. 2. Sur la force passionnelle de ce hen, voir plus bas, p. 183-184.
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SERGE BARDET
agressive qu'aujourd'hui, que se développe un débat potentiellement comparable avec le Suaire) ; (2) il a permis, au moins en France, l'expression de clivages identitaires, non seulement entre les grandes confessions, mais à l'intérieur de ces confessions ; (3) et particulièrement au sein de l'Église catholique, ces clivages (dont le Testimonium n'est plus que Y emblème) recoupent les grands clivages épistémologiques qui déchirent l'Église depuis la crise moderniste et progressiste jusqu'à Vatican II, date à laquelle, c o m m e par miracle, les positions savantes exprimées s'unifient dans une Église conciliée . Il y a donc eu sur l'un des ces trois enjeux extinction simultanée de la querelle et des causes de la querelle (au sein de l'Église catholique), ce qui montre que le désamorçage du conflit est probablement la seule façon de sortir d'une querelle stérile ; c'est à quoi nous tâcherons de contribuer à la fin de cet article. On voit donc dans les trois cas qu'une question ponctuelle bute sur un enjeu majeur (et, encore une fois, le Testimonium fait figure de cas d'école, eu égard à la disproportion entre l'enjeu philologique et le triple enjeu identitaire) : il s'ensuit, un peu c o m m e dans le cas d'une attaque virale, l'érection d'une sorte de barrière sanitaire autour des grands corps de savoirs ou de doctrine par Y inactivation du discours scientifique, ainsi que nous allons le voir. Car ces deux premières conditions sont nécessaires, mais non suffisantes, m ê m e si les autres en découlent souvent . l
2
c) L'argumentaire
tend à
dysfonctionner.
On assiste parfois au retour d'arguments déjà objectivement et rationnellement réfutés. Ainsi L. Herrmann n'hésite pas à reprendre c o m m e une évidence le poussiéreux argument des 0ôp\)fk)i, cette vieille lune inventée par Tannegui Lefèvre au x v n siècle et réfutée depuis par F. Corssen et M. Goguel au moins. Les auteurs de l'Union rationaliste, virulents dans les années 1930 et 1950, étaient spécialistes de ce genre de récupérations. 3
e
1. Nous pensons l'avoir clairement montré dans notre thèse inédite : op. cit., Paris, 1994, p. 137-168 en particulier. Sur le lien entre la réactivation de ce type de quereUe et le regain d'actualité des enjeux qui leur sont attachés, voir thèse inédite : S. BARDET, op. cit., Paris, 1994, p. 178-197, à propos de la version slave du Testimonium. 2. De ce fait, il est possible d'envisager, par référence au « discontinuisme » de T. S. Kuhn, l'hypothèse optimiste que, quelle que soit la réponse qui viendra un jour, ces « questions sans clôture » sont des symptômes de dysfonctionnements des théories qui s'accumulent avant le prochain bond. L'hypothèse pessimiste est qu'il n'y a pas de réponse possible et que de fausses questions sont un déchet inévitable dans l'activité scientifique. 3. L. HERRMANN, « Christos », dans Latomus 109 (1970), p. 97-98.
LE TESTIMONIUM
FLA
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Chaque fait ou assertion est potentiellement réversible. Pour l'un, Josèphe ne peut avoir parlé d'une secte encore insignifiante ; pour l'autre, il était précisément frappé par son extension à partir de rien. La mention d'un auditoire grec prouve pour L. Herrmann (encore lui) que l'auteur est un chrétien qui imagine la secte d'après l'Église de son temps ; tel autre sait en tout cas qu'une telle erreur ne peut être le fait d'un chrétien. Tel voyait dans l'esprit mondain et flagorneur qu'on a généreusement prêté à Josèphe la preuve qu'il n'aurait pas parlé de chrétiens au risque de déplaire ; tel autre y voyait la certitude qu'il avait voulu complaire à la curiosité de son public... Ainsi certains, commentant la formule ô Xeyôjievoç ô X p i a x ô ç (Antiquités juives XVIH, § 200), concluent qu'une telle tournure ne peut pas être née sous la plume d'un interpolateur chrétien, incapable de la distanciation qu'elle suppose. Or, une telle formule existe en fait dans le Nouveau Testament (Mt 1,16). Une telle erreur, venant de spécialistes, et parfois de clercs, est intéressante. Car par sa fausseté même elle montre qu'on pouvait, symétriquement, aussi bien (et donc aussi gratuitement) assurer que la formule est joséphienne parce qu'elle ne « fait pas » chrétienne, ou qu'elle n'est pas joséphienne parce qu'elle est chrétienne. C'est précisément cette apparence de bon sens dans l'erreur qui montre que, quelle que soit l'option choisie pour argumenter, en réalité on ne montrera rien (inversement, dans des controverses qui se prêtent à l'expertise scientifique, telles les affaires de Glozel ou du Suaire de Turin, cette expertise devient impuissante à opérer la clôture du débat : la force du « ressac périodique » est telle que la mesure scientifique est banalisée, c o m m e happée par le statut de simple assertion).
d) L'auto-alimentation
de la
querelle.
Le Testimonium (mieux encore que la querelle de Glozel ou du Suaire de Turin, qui se prêtaient au moins à l'extension de la fouille ou à l'application de nouvelles techniques d'expertise) montre à quel point l'absence de donnée nouvelle externe n'est en rien un obstacle à la poursuite et au recommencement de la controverse : plus le dossier est chargé et complexe, plus il offre de prises pour faire renaître l'argumentation. Arrivée à un certain point (et à condition de répondre à un enjeu, qui n'a pas besoin d'être explicite, m ê m e pour les acteurs, mais qui leur sert de moteur), la controverse nourrit la controverse.
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e) Le Testimonium échappe rienne.
par définition
à la validation
histo-
En bonne méthode, la critique historique appuie son expertise sur l'insertion de l'objet étudié dans un réseau d'autres objets, de constatations ou de déductions. « U n texte coupé de sa genèse, des institutions dans lesquelles il a été produit, et des effets qu'il est supposé avoir eus sur le monde, est soit apocryphe, soit énigmatique, mais ne peut être validé c o m m e un texte authentique \ » Or, ici, ce qui est précisément en cause, c o m m e en accusation, c'est sa genèse et par conséquent les institutions dans lesquelles il a été produit ; quant à son contexte, il en est coupé par l'effet (essentiellement rhétorique, car il y a très peu d'arguments positifs pour isoler le Testimonium du reste des Antiquités juives) du doute : c o m m e c'est ce qui permet l'expertise qui est précisément l'objet de l'expertise, il est pratiquement impossible de faire déboucher le processus d'expertise sur un verdict — il devient « un événement sans fin ». Inclausibile, inclaudibile.
Que vaut l'hypothèse d'un faux antique ? D e fait, le « faux philologique » est d'une nature très particulière : contrairement au faux esthétique ou archéologique, il n'est pas matériel et ne se prête ni à une analyse chimique, ni à un examen microscopique, ni à une datation par des moyens physiques (toutes expertises qui, on l'a vu, sont parfois happées par le tourbillon de la polémique, mais représentent malgré tout de sérieux arguments). U n texte littéraire ou historique (ou théologique a fortiori) compte par son contenu, et son authenticité n'est pas verifiable par les m ê m e s procédures : celles dont dispose le critique sont essentiellement intellectuelles (on sait bien que les manuscrits ne sont pas autographes). Or, sauf cas flagrants d'anachronisme, d'illogisme ou de discordance syntaxique (qui sont en réalité les principaux outils de la critique depuis l'Antiquité), toutes ces procédures échappent et à la possibilité d'une reproduction expérimentale, et — le plus souvent — à une quantification autre que statistique, e t — c e qui est bien plus grave — à l'incertitude importante que font peser et l'énorme déperdition de sources depuis l'Antiquité, et l'incertitude fondamentale du comportement humain. Encore faut-il fonder ces procédures sur des catégories valides : s'il s'agit d'une interpolation chrétienne en l'occurrence, de quoi
1. C . BESSY-F. CHATEAURAYNAUD, op. cit., Paris, 1 9 9 5 , p. 2 0 8 .
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parle-t-on ? On peut construire une typologie préalable qui montre que le m ê m e acte peut être très différent selon l'hypothèse qu'on retient : Soit...
faut-il parler de...
Il faut alors y voir...
Remarques corollaires
... fraude (cons- ... (1) un acte ad Un tel acte pose les cience d'un mal maiorem dei gloriam. problèmes sousmineur) ? estimés (et pourtant énormes) : 1) de la contrefaçon sérieuse (« impassible ») par interpolation (et non par simple création littéraire) ; 2) de la une interconscience identitaire polation du fraudeur. volontaire ou bien de... soit (2) un acte volon- Un tel acte pose le taire, par indifférence problème de la probaà la notion d'authenti- bilité qu'un auteur cité du texte, à la indifférent à ces notions correspondance entre soit par ailleurs celui un texte et un auteur qui plonge des généradonné, qui « signe » : tions de savants dans le texte aurait dû l'incapacité de parler de Jésus, on prouver durablement ... réfection l'améliore... P(in)authenticité de ce (inconscience texte. ... soit (3) un acte invo- La sobriété et la neutradu « mal ») ? ... ou lontaire : une glose lité stylistique du texte, bien... — par Ou bien de...
une transmission défectueuse incontrôlée :
... déformation?
exemple — ainsi
que
l'absence
s'explipasse dans le texte par d'ampliation distraction du copiste. quent : il n'y a pas de volonté de contrefaire. Mais toute la notice ne peut pas passer pour une glose. (4) Un acte de négli- Les parentés avec le gence d'un scribe ou style d'Eusèbe (eioéxi d'un compilateur Te vvv) s'expliquent ; isolé, mais assez mais le commentaire influent pour provo- littéral devient par quer la normalisation ailleurs un exercice d'après sa leçon périlleux. (Eusèbe) nous fait héritiers d'un texte transformé.
Tableau!.
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Donc tout pose des problèmes, que la tradition savante a sousestimés. Dans la réalité, les études privilégient les hypothèses (1) et (3), qui sont plausibles, mais qui ne se justifient par aucune évidence autre qu'a priori. La plupart des auteurs ne se demandent m ê m e pas si leur choix est valide pour l'antiquité paléochrétienne. Or il y a un lien difficilement contestable entre les catégories psychologiques que l'on présuppose (souvent implicitement) et le type de réponse que l'on peut apporter à la question de l'authenticité du texte incriminé et étudié : ainsi Origène et Eusèbe, dont la propension à recopier en substance est pourtant avérée *, sont-ils renvoyés le plus généralement au statut de fraudeurs (É. R e u s s ) ou, pour Origène, à celui de créateur de gloses ultérieurement insérées (C. Martin ). Mais la question de la fraude littéraire à époque ancienne a tout d'une évidence, nous voulons dire d'une idée arbitraire que nul ne met en cause. 2
3
A ) L'idée d'une imitation parfaite dans le monde antique n' est pas a priori à exclure, puisqu'on connaît l'exemple de Platon, dont on sait la ductilité dans l'écriture et dont on sent bien à de multiples reprises qu'il imite le style des personnages qu'il fait revivre ; on regrette souvent de n'avoir plus les moyens de comparer l'original à sa douce caricature (?) ; on se mord pourtant les doigts de les avoir, quand il s'agit du discours de Lysias cité ou pastiché dans le Phèdre : on est dans l'incapacité de démontrer s'il s'agit d'un faux ou d'une citation . Mais l'exemple de Platon est bien dangereux : s'il montre que ce n'est pas stricto sensu impossible, il exige pour le Testimonium un interpolateur d'un talent comparable à celui de Platon ; car il n'y a pas, à notre connaissance, de troisième cas pour servir à la comparaison. B i g r e . . . Y a-t-il par ailleurs dans l'Antiquité les traces d'une réflexion littéraire qui justifierait l'hypothèse d'une pratique d'imitation efficace et bien établie (car il est hors de doute qu'on n'arrive pas de chic à une imitation réussie) ? Naturellement, on trouvera sans difficulté une doctrine de Yimitatio. Mais, si l'on y regarde de plus près, on verra que le terme recouvre un ensemble de pratiques qui sont en réalité à l'opposé de ce que nous appelons imitation, pastiche ou mystification. Cicéron pose le problème dans des termes qui ne 4
1. Voir par exemple F. BOVON-P. GEOLTRAIN (ÉD.), Écrits apocryphes chrétiens, 1.1, Paris, 1997, p. 5 et p. 14-17. 2. É . REUSS, « Flavius Joseph [sic] », dans Nouvelle revue de théologie (Strasbourg) 4 (1859), p. 312-319. 3. C. MARTIN, « Le Testimonium Flavianum. Vers une solution définitive », dans Revue belge de philologie et d'histoire 20 (1941), p. 460. 4. Platon, Phèdre 230e-234c. Voir G. GENETTE, Palimpsestes, Paris, 1982, p. 106, et la notice de L. ROBIN, Platon. Œuvres complètes, t. IV, III partie. Phèdre, Paris, 1933, qui renvoie déjà chaque camp aux faiblesses et aux vices de son raisonnement. e
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résument pas la question, mais en font partie : comment s'égaler aux plus grands, par définition (pour lui) gens du passé ? Il conclut à l'impossibilité et déplace le problème vers le recours palliatif à la traduction \ Mais sa théorie de la traduction vise à assurer la gloire du traducteur par le moyen de l'embellissement qu'il apporte et de l'émulation qui l'aiguillonne : le traducteur reste donc lui-même, et c'est le texte qui s'aliène par la traduction ; une théorie de l'émulation débouchant inévitablement sur une théorie de l'innovation, on est donc à l'opposé de l'exigence de « trace nulle » qui caractérise aujourd'hui, sinon tous les traducteurs, du moins l'imitateur-faussaire. A v e c Sénèque, l'imitation devient une « digestion » du textesource, qui participe à l'élaboration du style qui caractérise un écrivain . En imaginant une « généalogie esthétique » de chaque écrivain, il esquisse une théorie de l'influence stylistique et prépare une réflexion sur les thèmes de la transmission à la postérité (qui deviendra fondamentale avec Pétrarque et les auteurs de la Renaissance italienne) et de la variatio, exercice pour acquérir l'art de bien dire (technique illustrée par Érasme). Or, dans ces conditions, on fonctionne sous le régime du plagiat (on part d'un texte ancien, dont on conserve les matériaux, et on dissimule ses emprunts) et non du pastiche (on part d'un sujet nouveau, anachronique, et on dissimule cette étrangeté). Le premier repose sur la duplication de structures, de motifs ou d'éléments verbaux ; le second « met son point d'honneur à devoir [à la lettre du texte, mais aussi à sa structure et à ses motifs] littéralement le moins p o s s i b l e ». En d'autres termes, l'imitation reste toujours référentielle : elle « se réclame d e . . . », elle ne « se fait pas passer pour... » (Josèphe et ses secrétaires ne font eux-mêmes pas autre chose en citant copieusement des tournures thucydidéennes ou sophocléennes). La théorie ne connaît apparemment guère de progrès jusqu'à Jean de Salisbury (xn siècle), et le basculement vers 2
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1. Cicéron, De finibus I, XXXIV 154-155. Quintilien X, 5.5 conclut de même ; seul apport intéressant notre propos : il théorise (VIH, 2.19, à propos de Virgile et de la « noble simplicité d'Homère ») l'inclusion dans l'œuvre nouvelle de caractéristiques, plus morales que véritablement stylistiques, remarquables dans l'œuvre première. À la translatiez Macrobe, Saturnales VI, 2.1 et 30, ne propose que d'ajouter la substitution de synonymes (immutano verborum). Arator, au vr siècle, est encore dans la droite ligne de Macrobe (voir P. ANGELUCCI, Teoria e prassi del rapporto con i modelli nella poesia esametrica latina, Rome, 1990, p. 47 et suivantes). 2. Sénèque, Lettre à Lucilius 84,3-7. Dans sa Lettre à Lucilius 114,17, il évoque l'imitation par la reproduction des tics d'un auteurs, les archaïsmes de Salluste en l'occurrence. 3. G . GENETTE, op. cit., Paris, 1982, p. 85.
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une théorie moderne du pastiche n'apparaît pas avant le De arte poetica de M. G. Vida en 1 5 2 7 ! Il ne nous reste guère, il est vrai, que des éléments de théorie romaine et occidentale. Mais en pratique, y avait-il, en particulier dans le monde grec ou hellénisé de la Méditerranée orientale, des artisans de l'écriture capables de fabriquer une imitation trompeuse ? D e s faux, on en connaît dès le IV siècle, en particulier de faux traités : on ne peut pas dire qu'ils soient très convaincants aujourd'hui . Les écoles des sophistes entraînent leurs élèves à des écrits « à la manière de... » ; le genre fera florès au début du x x siècle. On y rit (par connivence) plus qu'on ne s'y trompe : il est vrai que leur fonction n'est en général pas d'abuser le lecteur ; mais le faux Rimbaud de 1949 a été immédiatement démasqué. Il est cependant tout à fait exact que les lettres et discours de Platon, de Lysias, de Démosthène ou d'Eschine qui ont fréquemment passé pour authentiques dans l'Antiquité peuvent encore semer le doute chez les savants philologues d'aujourd'hui. Aelius Aristide, qui avait analysé l'art des clausules chez Démosthène (et s'en servait pour l'imiter), et Denys d'Halicarnasse, qui — c o m m e certains experts en art d'aujourd'hui — explique qu'on « sent » ou qu'on ne « sent pas » la grâce (xdpiç) de Lysias dans tel ou tel t e x t e , montrent par le développement de leurs moyens de détection des faux que les faussaires avaient eux-mêmes une certaine finesse. Car il y a une corrélation entre l'expertise critique et l'expertise du faussaire ; dans la mesure où — Irénée, par exemple, en témoigne — on voit, dès la fin du n siècle, s'exercer une réflexion critique sur le corpus et la composition des textes admissibles par l'Église, on peut envisager un progrès corrélatif des techniques de pieuse fabrication . D'autre part, il y avait probablement quelque chose de flaubertien dans la vie d'un moine savant : il s'imprégnait de toute une littérature, qu'il lisait et ressassait, 1
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1. Sur ces questions, voir M. BIZER, La Poésie au miroir. Imitation et conscience de soi dans la poésie latine de la Pléiade, Paris, 1995, p. 13-50. 2. A fortiori, on peut se demander si l'interpolation d'un passage (par conséquent au contact direct de l'œuvre authentique) n'est pas un exercice encore plus périlleux que la fabrication d'une œuvre entière. 3. Pour Démosthène, HI, 448, voir F. BLASS, Attische Beredsamkeit, 1875 ; Denys d'Halicarnasse, 1,17.19-20.15. Laproximité (à tous les sens du terme) est néanmoins un facteur déterminant dans la conviction qu'on peut acquérir : Charles Dickens passe pour avoir immédiatement décelé que George Eliot était en réalité une femme : eût-il pu le prouver ? 4. Cela dit, G. BARDY, « Faux et fraudes littéraires dans l'Antiquité chrétienne », dans Revue d'histoire ecclésiastique 32 (1936), p. 276-277, évoque des procédés d'authentification matérielle (sceaux, type d'écriture ou de support...); mais Fauthentification littéraire, stylistique, reste très mdimentaire : Eusèbe, Histoire ecclésiastique VI, 2 5 . 7 , 1 0 , prône la vérification du nombre des lignes ou des stichoi d'un texte.
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peut-être jusqu'à la nausée... ou la digestion, Vincorporation . Il n'est donc pas impossible qu'un personnage (judéo-)chrétien et cultivé, ancien élève (ou professeur) d'une école de rhétorique, ait pu fabriquer un faux de bonne tenue. Reste qu'on se trouve dans une aporie critique incontournable : nous n'avons pas un exemple probant, alors que, en pratique, un faux talentueux est toujours le produit d'un long entraînement, et par conséquent d'une production constituée en série cohérente . Soit qu'il n'y en ait pas parce que, en réalité, la capacité de contrefaçon des anciens n'était pas à la hauteur des méthodes critiques contemporaines, soit qu'il y ait des faux si talentueux que nous ne pouvons pas les prouver, nous n'avons aucune attestation claire et vérifiable d'un faux démasqué récemment (et par conséquent après avoir durablement trompé la critique) qui nous permettrait d'étalonner réellement la capacité des anciens à produire une imitation qui ne se dénonce jamais c o m m e telle (ce que, dans le tableau I, nous appelons « contrefaçon impassible »). 2
B ) C o m m e le pastiche, m ê m e si c'est à un moindre degré, la fraude met en jeu une définition identitaire du fraudeur, à qui elle permet, soit préalablement, soit a posteriori, de se définir (individuellement, ou plutôt, en l'occurrence, collectivement) et de définir Josèphe de manière opposée : la définition s'opérerait ici (et à l'inverse de c e qui se passe pour l'écrivain moderne) par « vampirisation », en investissant le texte de Josèphe pour l'incorporer à son groupe, par contamination du reste de l'ouvrage. Il faut néanmoins que la coupure identitaire soit suffisamment nette pour se penser et suffisamment contrariante pour que sa réduction soit perçue c o m m e un enjeu justifiant la fraude . 3
1. Il n'est d'aiUeurs pas impossible que le conditionnement qui en résultait suffise à expliquer les lectures et citations abusives qu'on relève ici ou là (et en particulier chez un esprit exalté comme Origène), voire (et on peut penser au Testimonium) certains phénomènes de réécriture limitée. 2 . On comprend bien que Reboul et Muller, ou Proust, d'abord comme talentueux potaches, puis comme jeunes gens de plume à l'abri du besoin, aient eu le temps de s'entraîner, même dans le cadre d'une société marchande. On comprend également qu'un peintre dont la carrière ne connaît pas le cours espéré utilise son savoir et son expérience pour détourner à son profit les travers de cette même société marchande. Mais une activité aussi gratuite et parfois futile que Y entraînement à la contrefaçon est-eUe compatible avec la vie, qu'on imagine sérieuse, austère et soumise à justification, des monastères ou des assemblées chrétiennes ? 3 . Pour ces questions, on peut prendre appui sur C . BESSY-F. CHATEAURAYNAUD, op. cit., Paris, 1 9 9 5 , p. 1 6 2 - 1 6 6 . Sur le fraudeur comme individu aliéné à une explication du monde ou à une définition extérieure de lui-même, qui n'a plus à s'interroger mais à conformer lui-même et le monde à une identité à laquelle il adhère, voir, à propos de l'URSS, ce qu'écrit J.-P. VERNANT, Entre mythe et politique, Paris, 1 9 9 6 , p. 6 1 2 in fine.
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Or, « on l'a dit, le christianisme connaît une immense nostalgie de l'incarnation [ . . . ] : comment accepter cette terrible suspension de la visibilité essentielle ? ». D e fait, on pourrait très bien analyser l'interpolation chrétienne c o m m e un mode de consolation, de réassurance, visant à recréer une certaine « visibilité », fût-ce par la « vue de l'esprit ». Mais alors l'interpolateur, en compensant ou en consolant son deuil, s'abandonne à un point de vue purement égocentrique (même s'il s'agit d'un ego collectif : le terme ne se prête pas à un néologisme pluralisant) : « nous voulons que notre Sauveur soit indéfiniment rappelé, donc présent au premier chef dans le récit de ce temps et de c e heu où il s'incarna (les Antiquités juives) ». Et on voit bien tout ce qu'une telle démarche a d'incompatible avec celle du pastiche, de la « contrefaçon impassible » ; et c'est probablement pourquoi l'on repère si facilement les interpolations dont le M o y e n  g e se rendit si couramment coupable, alors que (indépendamment d'une plus grande proximité dans le temps) les exercices d'école ou les faux lucratifs auxquels se livraient les imitateurs de l'époque hellénistique ne mettaient pas e n j e u des ressorts intimes si puissants. Si l'on présuppose par ailleurs une coupure simple Josèphele-juif / l'interpolateur-chrétien (Eusèbe, par exemple), il est effectivement inutile de se poser beaucoup plus de questions. Mais si l'on suppose (sur un certain nombre d'indices que nous verrons infra, p. 190 et p. 194-199) que la rédaction du Testimonium est en tout état 1
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1. A. BOUREAU, L'Événement sans fin. Récit et christianisme au Moyen Âge, Paris, 1993, p. 44. 2. Et de ce point de vue, le Testimonium pourrait en partie correspondre à la caractéristique de la majorité des faux, d'être des transformations d'objets préexistants ; mais le travail du faussaire s'exerce alors sur des objets tenus au départ pour insignifiants : les Antiquités juives répondent mal à une telle définition. 3. Et en ce cas, une teUe démarche nous semble suffisante pour balayer tous les scrupules qui auraient pu naître chez un éventuel interpolateur préoccupé de la question du lien entre l'établissement d'un faux et le risque du mensonge : on sait que, pour des raisons pratiques évidentes en temps de persécution, les premiers Pères de l'Église (ceux qui comptent, précisément, pour l'époque à laquelle peut intervenir une éventueUe interpolation) ont une attitude assez souple. Mais même si l'on considère la position d'Augustin d'Hippone, qui écrivait très postérieurement et dans un tout autre contexte (De mendacio 3.3 : « Mentir, c'est parler contre sa pensée avec l'intention de tromper »), la condamnation globale du mensonge est nuancée de degrés variables selon le type de mensonge. Or une interpolation comme le Testimonium serait plutôt faite avec l'intention d'éclairer : faire un faux de cette sorte serait donc un petit mensonge formel pour une grande révélation de vérité. Origène, qui dénonce « l'audace perverse » de ceux qui récrivent les Écritures, aurait-il vu de la perversité à l'idée d'« exporter » les Écritures dans la littérature profane ? Si nous renvoyons ces considérations en note, c'est que (contrairement à P. Geoltrain — partisan résolu de l'interpolation totale — qui nous les a opportunément suggérées ?) nous les tenons pour incapables de contrebalancer les difficultés techniques et psychologiques que rencontre l'hypothèse d'une interpolation chrétienne totale.
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de cause ancienne et qu'elle intervient à une époque où c e s coupures identitaires étaient des moins nettes, la pertinence d'une telle coupure est des plus sujettes à caution. On peut « recycler » l'hypothèse (1) en une hypothèse (2) (voir tableau I) ; mais la question de la vraisemblance technique se pose alors de nouveau avec une redoutable acuité. C) Par ailleurs, les m ê m e s auteurs savants négligent totalement les problèmes de transmission et de pratique littéraire que pose pourtant inéluctablement chacune des options préalablement définies. Ainsi, il est certain que depuis Eusèbe, le texte n'a pas bougé : c e privilège confère au Testimonium un statut assez voisin de celui des textes saints canoniques. Mais auparavant ? Faut-il lui supposer l'instabilité moyenne de tout texte antique ? Ou l'instabilité extrême des textes apocryphes ? Si l'on suppose une interpolation chrétienne, on suppose un acte qui vise à conférer au texte de Josèphe une dignité d'histoire sainte : en c e cas, la transmission doit avoir été surveillée et, dès lors, être restée stable ; on s'interdit donc, en bonne logique, d'attaquer le « chaînon eusébien ». Si l'on émet l'hypothèse qu'Eusèbe a transmis un texte que (quelles qu'en soient les raisons) il a modifié, c'est que le texte n'était pas garanti par une aura particulière ; certes, en c e cas on peut encore supposer (et resterait à la prouver) une interpolation hétérodoxe, mais la pente logique d'une telle hypothèse est inéluctablement de conclure à l'authenticité du Testimonium. En outre, la question de Y attribution d'une œuvre, si légitime qu'elle semble au premier abord, n'est pas aussi forte et évidente qu'il y pourrait paraître : on voit bien, par le travail de réécriture quasi permanent des textes scripturaires au r siècle, ou des matériaux apocryphes, qu'elle n'est pas une préoccupation universellement partagée. La transmission du texte (avec le problème qui en découle de la mise en forme finale : on sait que Josèphe avait des secrétaires — des nègres — responsables de la rédaction d'une section : quelle était leur latitude ? Question importante quand on dispute sur le choix d'un mot plutôt que d'un autre. Révisions posthumes ; par qui ? Respect de la lettre du texte ; validité absolue ou relative du distinguo glose / texte au cours du temps...), cette transmission peut s'en trouver notablement modifiée. La démarche d'attribution est fort 1
1. fl semble bien que cette instabilité ait caractérisé dès l'origine la transmission de la Guerre ; c'est du moins ce qu'indique un papyrus conservé à Vienne (Pap. Grœc. Vindob. 29810 = Guerre des Juifs n, § 576-584) et daté du début du m siècle : voir H . SCHRECKENBERG, Die Flavius-Josephus Tradition in Antike und Mittelalter, Ley de, 1972, p. 54-55 et É . NODET, « Le texte des Antiquités de Josèphe », dans Revue biblique 94 (1987), p. 324, n. 4. e
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approximative et relativement secondaire jusqu'au XLX siècle, époque à laquelle elle passe pour cruciale aussi bien chez les historiens de l'art que chez les philologues. Le Testimonium et l'énorme littérature dont il est le prétexte sont un bon exemple de c e que C. Ginzburg, analysant le tour pris par les sciences humaines au xrx siècle, a nommé le « paradigme indiciaire » : recherche appliquée et subtile de traces, de signes qui (comme des emblèmes) permettraient de mettre au jour des pans entiers de réalités, d'histoires « secrètes o u c a c h é e s » : de c e point de vue, R. Eisler est un bon emblème de cette recherche. Et précisément, dans le cas du Testimonium, l'idée fondatrice de c e « paradigme indiciaire » — que c'est dans le détail révélateur, le relâchement de la conscience, le petit conditionnement impossible à maîtriser, qu'on trouvera la solution — o b l i g e à une approche très complexe, foisonnante, tâtonnante, contradictoire selon qu'on partira d'un détail ou de l'autre et a pour résultat de nourrir la logique de c e que nous venons de définir c o m m e une « clôture i m p o s s i b l e ». e
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D ) Arrivé à c e point, autorisons-nous un bref retour en arrière. N o u s avons, après d'autres, envisagé la possibilité que, par mégarde ou par indifférence à la paternité littéraire, et le primat étant donné au traitement du sujet, un copiste ait intégré soit des gloses marginales, soit un commentaire de son c r u . Évoquant la parole par laquelle Jésus fonde l'organisation ecclésiale (« Tu es Pierre, et sur cette pierre j e bâtirai m o n église »), F. B o v o n et P. Geoltrain ont cette formule problématique : « un prophète s'estimant inspiré, prononça pour la première fois la fameuse sentence ». La formule est problématique en c e sens qu'elle cherche à résoudre à peu de frais la question de la conscience qu'avait Finterpolateur de commettre un texte qui n'appartenait pas à l'ouvrage parvenu jusqu'à lui, en supposant qu'il se sentait légitimé par son propos et par celui qui le missionnait pour le tenir . Dans cette hypothèse, évidemment, l'interpolation chrétienne du Testimonium est un acte rendu plausible par sa légitimité au regard de son propos, voire par l'indifférence qu'aurait éprouvée l'interpolateur à l'égard de toute autre considération. 3
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1. C . GINZBURG, Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, Paris, 1 9 8 9 , p. 1 3 9 - 1 8 0 .
2 . Voir plus haut, p. 1 7 4 - 1 7 8 . 3 . Voir plus haut, tableau I (hypotheses 2 et 3 ) . 4 . F . BOVON-P. GEOLTRAIN ( E D . ) , op. cit., 1.1, Paris, 1 9 9 7 , p. X X I X — c'est nous
qui soulignons. 5. S'agissant du texte matthéen, la position de l'interpolateur n'est d'ailleurs pas la même que s'agissant d'un texte extérieur à la Bonne Nouvelle, le rôle de l'inspiration n'étant pas le même : les Évangiles ne sont pas œuvre littéraire selon la norme traditionnelle, ils sont une parole qui s'actualise dans le progrès de la Révélation.
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Néanmoins, cette formule n e v a pas de soi : dès les années 2 0 0 , Tertullien témoigne que le faux, fût-il bien intentionné, est dépisté et réprimé par les autorités chrétiennes compétentes, puisqu'on s'aperçoit bien vite que V Évangile de Pierre est l'œuvre d'un prêtre d'Asie, et qu'on l e lui fait a v o u e r . C'est bien de fraude et d'une usurpation d'autorité que parle Tertullien. L e prêtre s'était vraisemblablement « estimé inspiré » ; reste que le sentiment d'un méfait ne lui était pas étranger. Origène lui-même, mis en cause à propos du Testimonium, évoque « l'audace perverse » de ceux qui amendent à leur gré le texte é v a n g é l i q u e . Que c e s réflexions soient extensibles ou non au Testimonium, voilà c e qu'on ne saurait préjuger. On peut essayer de s'en tirer en disant de l'interpolation c e qui peut être dit de l'apocryphe : c'est quelque chose c o m m e du légendaire (par la contingence formelle) qui dirait quelque chose de vrai (par la substance) . En d'autres termes, de m ê m e que les apocryphes amèneraient à condamner de mauvaises greffes sur un bon fond, et par une sorte d e conséquence logique à légitimer leur réécriture selon une orthodoxie supposée originelle , o n pourrait imaginer une « bonne greffe » destinée à rendre compatible avec la vraie foi un ouvrage non seulement extérieur à elle, mais encore qui ne lui ferait pas la place qui convenait dans l'histoire de la Judée, ouvrage de « mauvais fond » par conséquent. U n e telle conception laisse ainsi place à la théorie de la réécriture du Testimonium, plus ou moins sensible chez G. Bardy et M. Goguel. L'ennui est qu'une telle façon de voir n'apparaît pas avant la fin du rv siècle, puis nous la constatons avec Grégoire de Tours, c e qui nous mène tout droit à l'anachronisme. Quoi qu' il en soit, on ne peut pas jouer sur tous les tableaux et il faut distinguer : soit un copiste (probablement sous une pression, dont il l
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1. Tertullien, Du baptême XVII, 5. Comme on en trouverait facilement d'autres exemples, on peut imaginer que ledit prêtre ait avoué quoiqu'il fût innocent : cela ne changerait rien à la démarche et à la préoccupation de l'Église concernant les faux. Pour un exemple concret de cette préoccupation concernant le même apocryphe, voir F. BOVON-P. GEOLTRAIN ( É D . ) , op. cit., t.1, Paris, 1997, p. 242-243, où l'ouvrage est
daté de la première moitié du ir siècle. 2. Origène, Commentaire de Matthieu XV, 14 (écrit sous Philippe l'Arabe, donc entre 244 et 249). On peut même songer aux imprécations du scribe qumranien de / Hénoch 104, 10-11 (dès le n siècle avant notre ère ?), contre « les pécheurs [qui] altèrent et récrivent les paroles de vérité ; ils en changent la plupart, ils mentent et forgent de grandioses fictions, ils rédigent des Écritures en leur nom » (A. DUPONTSOMMER - M . PHILONENKO (ÉD.), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p. 619-620) ; mais il nous est impossible de savoir précisément à quelles pratiques il est fait allusion : en tout cas pas à de subtiles et très ponctuelles interpolations ou contrefaçons. e
3. Voir F. BOVON-P. GEOLTRAIN ( É D . ) , op. cit., 1.1, Paris, 1997, p. X L m .
4. VoirF. BOVON-P. GEOLTRAIN ( É D . ) , op. cit.,t. I, Paris, 1997,p.LIV,etÉ. JUNOD,
« La littérature apocryphe chrétienne constitue-t-elle un objet d'études ? », dans Revue des études anciennes 43 (1991), p. 406.
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est conscient ou non, peu importe) commet sciemment un faux, mais un faux intégral, parce qu'une force supérieure le légitime ; soit, trouvant une glose, il juge secondaire ou non avenue la question de la paternité du texte — il y avait donc un texte et la démarche est d'un tout autre ordre ; soit, trouvant un texte inacceptable, il le rend acceptable (thèse de G. Bardy et M. Goguel, mais aussi de S. Pines et A.-M. Dubarle) et l'approprie à sa foi. Mais, contrairement à ce qu'on pourrait croire, il n'y a pas une différence de degré, il y a une différence de nature entre une théorie de l'authenticité foncière avec interpolation limitée, une théorie supposant la réécriture et la théorie de l'interpolation pure et simple. Aujourd'hui, l'attribution reste fondamentale quand il s'agit de la valeur marchande d'un tableau, mais les philologues ont nettement tendance à en relativiser l'importance. Pourquoi la question restet-elle figée dans les m ê m e s termes lorsqu'il s'agit spécifiquement du Testimonium ? N e serait-ce pas parce qu'elle est bloquée par des enjeux tout autres que philologiques ? Nous aurions pu ajouter à notre analyse de la fraude que l'émotion (non point esthétique, ici, mais confessionnelle, identitaire, idéologique...) inhibe l'expertise, fûtelle fondée sur les dehors de la méthode critique. On raisonne le plus généralement selon un préjugé (d'autant plus prégnant qu'il est presque toujours implicite) : le texte aurait une fonction. Or, si un texte n'a pas d'autre fonction que sa fonction « intrinsèque » (donner à lire) ou « générique » (« donner un renseignem e n t » d'ordre historique = la fonction minimum, quasi incompressible dans un ouvrage historique), s'il ne « sert à rien » pour le reste, il n'y a pas forcément de « marqueurs » (stylistiques, idéologiques ou identitaires) particulièrement nets concernant l'auteur : quand on « donne un renseignement », on est souvent sobre, quasi extérieur à son propos. Dans cette hypothèse, on comprend bien la démarche de Josèphe qui signale (1) la concomitance des événements considérés avec Jésus dit Christ et (2) une brève typologie des (judéo- ?)chrétiens. Toujours dans cette hypothèse, on comprend mal la démarche d'un 1
1. Noter cependant un contre-exemple isolé en France, avec A. PAUL, Intertestament, Paris, 1975, p. 22-23 (« Cahiers Évangile », n° 14). Mais de ce texte assez curieux, on retire l'impression que l'auteur traite le Testimonium comme une sorte de relique : peu importe, après tout, que la relique soit authentiquement la trace du grand personnage, si elle produit ce qu'on attend d'elle — non, ici, des miracles, mais du sens. On comprendrait alors pourquoi il refuse aussi clairement l'objectivation du texte que représente la recherche d'une authenticité définissable : on est dans le régime de l'emprise. Voir C. BESSY-F. CHATEAURAYNAUD, op. cit., Paris, 1995, p. 215.
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interpolateur chrétien : le compte rendu des événements lui fait penser que c'est au m ê m e moment que vivait Jésus ? Le début du Testimonium peut le laisser penser, mais la suite rend la supposition impossible : l'interpolateur ferait bel et bien c o m m e si l'auteur était juif. Mais F interpolateur, hypothèse jamais envisagée, en vertu du préjugé ci-dessus évoqué, pourrait être un juif (ou un judéo-chrétien vivant dans la conscience d'une unité fondamentale) : un secrétaire exécuteur testamentaire (habilité à réviser le texte), un éditeur ultérieur, Josèphe lui-même lorsque l'ébullition religieuse qui agitait les juifs lui en fit ressentir le b e s o i n . . . Et le texte, s'il est de Josèphe, peut avoir une utilité qui n'est pas celle qu'on avait d'abord cru. Car présupposer l'utilité ou l'inutilité : (1) occulte un certain nombre d'hypothèses possibles et (2) préoriente vers une réponse : auteur « fonction » Flavius Josèphe
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« inutile »
« utile »
authenticité.
Primitivement : fonction de témoignage externe. Indéfendable, donc rapidement récusée. Substitut récent : texte à fonction polémique (antilucanienne ?).
un chrétien
Glose copiée par confusion : Faux pieux : pleine authenticité partielle. forgerie (fonction probable : assurer la « tradition memoriale »)• 1
Tableau II. La réponse est déjà en gésine dans le présupposé : il suffit, pour l'actualiser, de le faire réagir à un type d'argumentation. Or, on l'a vu, les argumentations sont souvent des « objets ready-made », prêts à fonctionner à vide, m ê m e après réfutation éventuellement.
La foi de Josèphe et le contenu réel du Testimonium. Par ailleurs, il est probablement illusoire de s'épuiser à rechercher des indices chronologiques externes. La résolution du problème au moyen d'un raisonnement chronologique est en réalité extrêmement fuyante, sous des dehors très simples d'un point de vue logique.
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Selon l'expression de É .
( 1 9 9 1 ) , p. 4 0 3 .
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op. cit., dans Revue des études anciennes 4 3
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L'interpolation éventuelle est (selon toute vraisemblance) postérieure à la mort de Josèphe ; elle est au plus tard contemporaine d'Eusèbe ; la question de savoir si elle est antérieure ou postérieure à Origène peut se discuter : la plupart des commentateurs penchant pour l'inauthenticité penchent également pour une interpolation postérieure à Origène. Or on se heurte en réalité à des difficultés logiques : a) Plus le texte de Josèphe est récent (c' est-à-dire plus on se situe à une date ancienne), moins il est connu, moins il est significatif pour l'essentiel du monde romain \ et plus l'interpolation (fraude ou réfection) est facile. L'inverse en découle logiquement. b) Mais le plus ancien ouvrage antichrétien connu est le Discours véritable de Celse, qui date probablement des années 178-180 : peut-on imaginer une politique d'interpolation(s) antérieurement à l'émergence d'un tel contexte ? Il y avait à l'évidence des polémiques, et des textes (les apocryphes c o m m e les canoniques) ont pu y répondre. Mais fabriquer une interpolation antérieurement à l'apparition d'une politique éditoriale et intellectuelle agressive relèverait du « complot chrétien », faribole symétrique du « complot juif ». c) Or, théologiquement, le Testimonium (qu'il en soit l'expression, ou qu'il en fasse état de l'extérieur) laisse percer une christologie et une phraséologie extrêmement archaïques, étrangères et à la pensée johannique et par ailleurs au paulinisme : on n'y trouve exprimée ni sotériologie, ni e s c h a t o l o g i e ; aucune allusion au groupe ternaire, ni a fortiori à la Trinité, ni à la naissance virginale ; aucune expression de la préexistence messianique ; ëiye âvSpa, dans le contexte du judaïsme pharisien du I siècle, peut très bien se comprendre sans recourir à l'hypothèse de la divinité de J é s u s . Il n'a probablement en commun avec Jn 1 et 14 (noyau ancien de l'Évangile) qu'un écho de Sg 6 , 1 2 , ce qui n'arien d'étonnant s'agissant d'un pharisien du I siècle c o m m e d'un chrétien d'origine juive. On ne peut naturellement pas s'attendre à ce qu'une notice aussi brève que le Testimonium tienne lieu d'un traité de théologie. Néanmoins la somme des absences est remarquable et ne nous paraît pas dépourvue de signification. 2
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1. Mouvement retracé par G . BARDY, « Le souvenir de Josèphe chez les Pères », Revue d'histoire ecclésiastique 43 (1948), p. 179-191. 2. E exprime donc à ce titre une christologie qui ne tiendrait pas compte de Matthieu. 3. Lequel, soit dit en passant, n'est identifié ni par Bethléem, ni par Nazareth, contrairement à bien d'autres chez Josèphe : si, comme il est probable, ces deux lieux résultent d'une construction visant à conformer Jésus aux prédictions messianiques, leur absence du texte est normale s'agissant de Josèphe, elle est plus surprenante s'agissant d'un interpolateur chrétien. Par ailleurs, l'absence totale d'aUusion angélologique claire pourrait éventuellement fournir un alibi à Origène.
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Mais si on a affaire à une théologie archaïque, il faut plutôt supposer soit une insertion très ancienne, antérieure au ir siècle, ce qui, évidemment, ne va pas sans problèmes, s'agissant de Josèphe, mort vers 100 ; soit une interpolation émanant d'un milieu hétérodoxe continuant de professer une théologie archaïque — il est frappant qu'une telle hypothèse n'ait jamais été soulevée à notre connaissance. Par ailleurs, m ê m e si la chose est impossible à démontrer, il est fort probable que la théologie personnelle de Josèphe (comme de bien d'autres...) s'est reconstruite et fixée dans les années consécutives à la prise de Jérusalem, et que rien, par la suite, n'a été suffisamment puissant pour la faire évoluer notablement (il aurait fallu un « contrechoc » comparable à la défaite et à l'incendie du Temple) : la providence reste du côté romain. Or, on écrit souvent que Josèphe ne peut ou ne veut pas mettre en évidence pour un public romain un terme aussi politique, aussi gros d'agitations diverses que le terme Christos I Messie. Mais on oublie ce faisant que, y compris au sein du judaïsme, les notions évoluent avec le temps et l'histoire. Historiquement, à la fin du r siècle, ce sont les chrétiens qui ont le plus bruyamment revendiqué le terme, et qui l'ont très largement dépolitisé, en partie probablement pour avoir la paix avec les autorités romaines. Ce sont les Romains eux-mêmes qui ont forgé à partir de Christos l'appellation Christiani : qu'aurait eu à leur apprendre le Testimonium ? Christos est, après 7 0 , un terme essentiellement chrétien. Naturellement, le messianisme existe encore dans les milieux piétistes du judaïsme (et jusqu'à Simon Bar Kochbah). Mais c'est précisément là que Josèphe le masque sous une terminologie assez convenue du « brigandage » : est-ce que le messianisme a encore un sens à l'intérieur du judaïsme pour un Flavius Josèphe, qui raisonnait forcément sous l'influence des représentations de type royal-hellénistiqùe véhiculées par la tradition pharisienne ? D n'est pas certain du tout que Josèphe ne dessine pas en creux un projet de judaïsme détaché d'une problématique messianique (ou infléchi vers un autre messianisme) : le roi d'Israël que la providence a favorisé, c'est Vespasien (et elle lui a donné des successeurs effectifs : Titus, Domitien). D è s lors, il n'y a plus de place pour un messie «traditionnel» (c'est-à-dire issu de la tradition des Psaumes de Salomon et des écrits ultérieurs). Dans ces conditions, l'épisode de l'apparition (très certainement messianique) de Simon Bar G i o r a s pourrait, ad usum Judœorum, signifier l'échec historique de ce modèle, et l'abandon du terme Christos I Mashiah à Jésus, dont l'échec historique est signifié à l'intérieur m ê m e du Testimonium par 1
1. Flavius Josèphe, Guerre des Juifs VII, § 2 9 - 3 4 . Voir P. VIDAL-NAQUET, DU bon usage de la trahison, Paris, 1 9 7 7 , p. 9 3 .
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sa crucifixion, représenter d'autre part une sorte de renoncement au terme, de désolidarisation entre messianisme et judaïsme (car nous ne croyons absolument pas, pour un certain nombre de raisons, au « silence de Josèphe » sur la question messianique, mais au contraire à une réflexion entre les lignes, implicite). Il faut donc se demander dans quelle mesure le Testimonium Flavianum n'est pas un élément (de polémique ? de différenciation typologique ?) interne au judaïsme, ou plus exactement à une nébuleuse de confessions qui n' auraient pas encore pleinement conscience d'une coupure totale et irréversible. Car, en cas d'interpolation, la question de l'identité culturelle est double : il y a celle de l'interpolateur ; mais il y a aussi celle de l'auteur ainsi utilisé. Or, concernant Josèphe, la coupure nous-chrétiens / lui-juif n'est pas une donnée aussi évidente et fixe qu'on semble l'admettre traditionnellement : Jérôme l'inclut dans l'histoire chrétienne de la littérature . Jérôme est certes postérieur à la date éventuelle d'interpolation ; il lit donc le texte sous sa forme « eusébienne ». Néanmoins, la question demeure : pourquoi christianiser un texte qui ne présente pas de solution de continuité, de coupure nette, d'incompatibilité monumentale, avec le corpus chrétien ? A u x premiers siècles, les chrétiens ne récrivent pas les hérésiarques : ils les combattent et/ou les passent sous silence, c e qui constitue les deux grandes modalités de la censure. Évidemment, une telle objection n'exclut pas en principe la possibilité qu'un commentaire, une glose ait été insérée par erreur o u confusion. Mais le Testimonium ne ressemble pas tout entier à une glose : à quoi limeraient les détails biographiques, s'ils étaient de la main d'un chrétien, à l'usage de chrétiens ? Et si le texte est destiné à des non-chrétiens, alors c e s détails biographiques sont forcément le centre de l'interpolation frauduleuse, mais on vient de voir tous les problèmes que cela pose. Peut-on arguer de la tonalité antijudaïque que recèlerait la phrase mentionnant une responsabilité directe des dirigeants du judaïsme dans l'arrestation, donc dans l'exécution, de Jésus ? L'antijudaïsme est bien plus violent dans la Prédication de Pierre 4 a b , avec laquelle le Testimonium n'a par ailleurs aucune thématique commune en c e domaine. Il est plus violent dans Y Évangile selon Thomas 4 3 qui, à ce m ê m e moment et coup sur coup, énonce une formule ternaire de type paulinien, mais selon l'ordre de Mt 2 8 , 19 (Évangile selon Thomas 44), et affirme l'antériorité de Jean le Baptiste par rapport au l
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3
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1. Jérôme, De vins illustribus 13 (PL XXUI, col. 629-631). 2. Voir plus haut, p. 187. 3. Voir F . BOVON-P. GEOLTRAIN ( É D . ) , op. cit., 1.1, Paris, 1997, p. 16-17. 4. Voir F . BOVON-P. GEOLTRAIN ( É D . ) , op. cit., 1.1, Paris, 1997, p. 42.
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Christ : le moins qu'on puisse dire, c'est que l'interpolateur du Testimonium n'a pas eu la m ê m e attention ! D'autre part, l'argument de l'antijudaïsme doit être manipulé avec prudence : le(s) milieu(x) johannique(s) est (sont) à la fois à l'origine du courant antijudaïque et éminemment de culture juive. Il s'ensuit que ce qui marque une rupture théologique se caractérise aussi par une communauté de culture. D'autre part, si la polémique antijuive s'illustre, c o m m e dans A c 7 , 1 - 5 3 \ par une attaque contre la concentration du culte à Jérusalem et au Temple, notre hypothèse précédente , nous laisse à croire qu'une telle attaque ne devait plus guère (quant au fond) chagriner le Josèphe des années 93-94. 2
Qui peut avoir écrit ce texte ? Qui a écrit le Testimonium ? Josèphe ou un autre ? La question est apparemment légitime ; mais elle ne trouve pas de réponse. D e deux choses l'une : ou bien nous possédons (exactement ou pour l'essentiel) un texte original et authentique, mais rien n'est moins certain, et nous ne trouvons pas de consensus pour savoir à qui l'attribuer ; ou bien nous l'avons perdu et non seulement nous n'en sommes pas certains, mais (sauf découverte fortuite d'un papyrus très ancien) nous ne le reconstituerons jamais. Tâchons donc de poser autrement la question et demandons-nous quelle peut être la signification d'un tel texte. La thèse de l'interpolation chrétienne (totale ou partielle), longtemps la seule alternative à l'authenticité joséphienne, ne convainc pas forcément de sa pertinence, pour toutes sortes de raisons que, à la suite de É. Nodet, nous avons tâché de faire ressortir, mais aussi parce que, à l'époque qui nous occupe, la multiplicité des courants au sein d'un judaïsme catastrophé c o m m e au sein d'un christianisme bourgeonnant (et m ê m e à l'intersection de l'un et de l'autre) fait que l'on peut parler à la fois de culture commune (entre les confessions) et de culture plurielle (au sein d'une confession donnée). Mais on peut, sans risque excessif, poser par hypothèse que, si le Testimonium est une interpolation chrétienne, il doit être à un degré ou à un autre le reflet de la conception que l'interpolateur se fait du Christ et de l'Église (même dans le cas d'une démarche de contrefaçon, si problématique soit-elle, il n'aura pas glissé d'élément qu'il jugeait étranger à sa foi, ou dont il n'aurait pas pu connaître une formulation anachronique) ; si le Testimonium est bien de Josèphe (ou d'un éventuel continuateur juif), il est plus que probable qu'il
1. On trouve le même genre de diatribe dans Y Évangile des Ébionites — voir F . BOVON-P. GEOLTRAIN ( E D . ) , op. cit., 1.1, Paris, 1 9 9 7 , p. 4 5 3 .
2 . Voir plus haut, p. 1 9 1 .
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dépend d'une source qui lui aura transmis une certaine christologie. Risquons donc une autre formulation, qui pourrait être : dans quel contexte et dans quel milieu un tel texte prend-il la signification la plus éclairante ? Peut-on chercher à délimiter le(s) milieu(x) susceptible(s) d'avoir produit un tel texte ? On peut écarter les milieux gnostiques tels ceux qui sont à l'origine de Y Évangile selon Thomas (probablement de la première moitié du n siècle, vers 140 ?), lequel atteste de l'incompatibilité entre la foi de c e s milieux et la mention de la Passion et de la résurrection telles qu'on les trouve dans le Testimonium et contient de surcroît une mention explicite et complète de la cohérence des trois personnes \ Par ailleurs, il n'y a pratiquement aucune communauté de vocabulaire, de terminologie entre le Testimonium et les textes apocryphes ou patristiques (à l'exception d'Eusèbe, mais o n a v u comment on pouvait l'expliquer) qui émanent des différents milieux susceptibles de l'avoir forgé à l'exception précisément des plus anciens textes conservés et de la Vie de Jésus en arabe — un texte dont un des manuscrits connus, apparemment le seul, porte la date de 1 2 9 9 ! A u contraire, on remarque une certaine homogénéité avec une certaine terminologie évangélique. D e u x explications possibles a priori : (1) C'est parce que l'interpolateur supposé a voulu imiter le style évangélique, dont il était nourri. Mais dans c e cas, pourquoi les écrits apocryphes seraient-ils beaucoup plus étrangers aux styles évangéliques que le Testimonium ? (2) Si le Testimonium est plus proche des Évangiles que des apocryphes, c'est parce que son auteur partageait intimement leur culture, qu'il était leur contemporain, c e qui n'est plus le cas des auteurs d'apocryphes. V Évangile des Ébionites est un texte du n siècle, vraisemblablement antérieur au Diatessaron de Tatien (rédigé vers 165 ou vers 175, mais, semble-t-il, d'après une première entreprise anonyme, connue par Justin, que M.-É. Boismard date de 140 environ ). Épiphane nous en conserve quelques passages, dont (selon toute apparence) l'incipit e
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1. Voir F . BOVON-P. GEOLTRAIN ( É D . ) , op. cit., 1.1, Paris, 1 9 9 7 , p. 2 8 , n. 4 et p. 4 2
(logion 4 4 ) . 2 . Voir F . BOVON-P. GEOLTRAIN ( É D . ) , op. cit., 1.1, Paris, 1 9 9 7 , p. 2 3 4 - 2 3 7 : insis-
tance sur le verbe « voir » (ch. 5 0 , 3 et 5 2 , 1 , 3 ) ; utilisation de la formule caractéristique «jusqu'à maintenant » (ch. 5 1 , 9 ) ; « sans aucun doute il est le messie » (ch. 5 0 , 5 ) ressemble étrangement aux versions arabes du Testimonium, étudiées par S. Pines et A.-M. Dubarle. 3 . Voir M.-É. BOISMARD, Le « Diatessaron » de Tatien à Justin, Paris, 1 9 9 2 . Sur l'antériorité de Y Évangile des Ébionites par rapport au Diatessaron, voir D. A. BERTRAND, « L'Évangile des Ébionites : une harmonie évangélique antérieure au Diatessaron », dans New Testament Studies 2 6 ( 1 9 8 0 ) , p. 5 4 8 - 5 6 3 .
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èyévETÔ xiç à v f i p ô v ô p m i îriaoïx;... (= « Il y eut un h o m m e du n o m 1
de J é s u s . . . »). Si la tournure est chère à Luc, on aura reconnu aussi sa parenté avec le début du Testimonium.
Or, si c'est bien sur le début
de la carrière du Christ que c o m m e n c e l'auteur ébionite, Épiphane respecte bel et bien l'ordre du texte en recopiant ensuite l e passage qui concerne Jean le Baptiste : e y e v e x o l a x i v v r i c BarcxiCtov, K a i èÇnXOov Tipôç a w ô v tjMxpioaîoi... (= « V o i c i que Jean baptisait ; des phari2
siens vinrent à lui se faire b a p t i s e r . . . »). On peut tirer de c e s extraits trois enseignements : (1) l'auteur utilise des tournures qui l'apparen3
tent principalement à Luc ou M a r c et au Testimonium Luc et c o m m e l'auteur du Testimonium,
4
; (2) c o m m e
il procède par insertion de
notices à l'endroit où cela lui paraît le plus opportun ; (3) C o m m e l'auteur du Testimonium,
il évoque la carrière de Jésus
avant
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d'évoquer Jean le B a p t i s t e . On peut dessiner un certain nombre de correspondances entre Josèphe, certains Évangiles et différents milieux sectaires des premiers siècles de notre ère. Ainsi, on a l'habitude d'affirmer (et, à propos du Testimonium,
on entend généralement par là que le rédac-
teur était donc Josèphe) que, dans les Évangiles, l'apparition de Jésus aux disciples est exprimée, de manière quasi technique, par le verbe 6
(5àvT|, qui est celui du
Testimonium.
1. Épiphane, Panarion XXX, 13,2. 2. Épiphane, Panarion XXX, 13,4. 3. Le 1,5 ; 2 , 1 ; Me 1,4.9. À noter que cette tournure semble convenir plutôt à un personnage suscité (un prophète ; ou le Christ, a fortiori dans la perspective adoptianiste qui est celle de Luc) qu'à un personnage qui serait là comme un autre (voir Le 2,25 et 36, à propos d'Anne et de Siméon). 4. On trouve la même conjonction dans le noyau ancien de Y Histoire de l'enfance de Jésus 16 et 19, rédigé en milieu ébionite : voir F. BOVON-P. GEOLTRAIN (ÉD.), op. cit., 1.1, Paris, 1997, p. 193 et p. 203. 5. L'homélie pseudo-clémentine H, 15-18 sur les syzygies, dans lesquelles la première apparition est la face mauvaise ou inaboutie de la seconde, semble bien montrer que la question dépasse largement le cadre de la rhétorique, mais prête également à aborder la question du messianisme d'une manière très polémique. 6. Verbe auquel correspondent des précédents grecs et hellénistiques (Aristote, Paradoxes 39, à propos de la métamorphose d'Apollon en serpent ; Aelius Aristide 51, 22k) ; deux séqueUes dans le grec d'époque romaine (Appien, Guerres syriennes 21, § 96 et Guerres civiles H, 130, § 542) ; un précédent vétéro-testamentaire, dans la version de la Septante (1 R 3,16) ; pour les occurrences néo-testamentaires... et de Flavius Josèphe : Le 2 4 , 3 4 ; Ac 9 , 1 7 ; 13,31 ; 2 6 , 1 6 ; 1 Co 15,5-8 ; 1 Tm 3, 16 ; He 9, 28 à propos de Jésus ; Mt 17, 3 = Me 9, 4 = Le 9, 31 ; Le 1, 11.22.43 ; Ac 2, 3 [auquel est très semblable Flavius Josèphe, Antiquités juives H, § 70] ; 7.2 ; 26, 30-35 ; Ap 11, 19 ; 12,1-3 à propos de Moïse, d'Élie, de l'Esprit saint ou du Dragon. Mais la forme ne se rencontre plus dans les textes apocryphes ou sectaires postérieurs à Flavius Josèphe. Il paraît donc logique de supposer que la tournure passive (il y a un spectacle, mais le spectateur est l'agent, en tant qu'il est témoin, annonciateur et interprète de sa vision) est sortie de l'usage à la fin du r siècle (eUe ne se rencontre pas dans Jean) et fut remplacée par l'idée d'appa-
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Certes. Mais le terme ètyâvr\ (+ datif) n'est pas sans intérêt : m ê m e s'il est l'un des plus couramment employés dans la littérature postérieure, il permet d'intéressantes constatations. Dans Matthieu, il exprime par trois fois l'apparition de l'ange à Joseph et une fois celle de l'étoile apparue aux rois mages Marc (dans un passage qui appartient probablement au dernier stade de rédaction) l'utilise pour l'apparition à Marie de M a g d a l a . Luc, enfin, évoque ainsi l'hypothétique apparition d'Élie aux foules (en la personne de J é s u s ) . En ce sens, le terme ne se rencontre ni dans Jean, ni dans le reste du Nouveau Testament : il est donc (dans cette acception, assez rare auparavant) un terme purement « synoptique ». Naturellement, on le rencontre au m ê m e moment et ensuite un peu partout, dans toutes sortes de textes émanant de tous les milieux, y compris juifs ; mais le vocabulaire utilisé pourrait focaliser notre attention en priorité sur certains milieux qui, à l'instar de Paul et Luc, insistent sur l'importance du témoignage dans le développement de la foi chrétienne. La formule nàXiv Çœv renverrait plutôt à la terminologie lucanienne (Le 2 4 , 5 , isolé parmi les évangélistes dans l'emploi du terme TÔV Çôvxa ; A c 1,3 et 2 5 , 1 9 ) , et plus encore à leur source commune, Jb 14, 1 4 . Mais elle se rencontre aussi dans les Oracles sibyllins TV, 187, un passage authentiquement juif, probablement écrit dans les années 8 0 de notre ère, soit en Asie Mineure, soit en Syrie, en tout cas au Proche-Orient, à propos de la résurrection des morts au 2
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rition et par F affirmation qu'il y avait bien un objet qui se donnait à voir (iôelv, verbe à l'actif : « voir » ; <|)aivéa0ai, verbe au moyen : « se manifester »). 1. Mt 1,20 ; 2,7.13.19. Voir aussi Mt 6,5.16.18 et Mt 23,28, à propos des pharisiens qui veulent offrir aux autres une pieuse apparence. 2. Me 16,9. 3. Le 9,8. Voir le même verbe, à propos du même Élie, dans Flavius Josèphe, Antiquités juives VIE, § 319. Sur ce type de tournure conçu comme caractéristique de Luc (par opposition à ctyOn), voir F. BOVON, Luc le théologien, Genève, 1988 , p. 132 — qui ne nous convainc d'ailleurs pas entièrement : voir le relevé plus haut, p. 195, n.5. 4. Par ailleurs, un certain nombre de termes employés dans le Testimonium, et pas des moins commentés, coïncident avec un vocabulaire spécifiquement ou essentiellement lucanien : la seule attestation néo-testamentaire de l'adjectif rcapdôoÇoç se rencontre en Le 5,26 (noxx\vi\q renvoie dans le Nouveau Testament à un autre cercle : pour un emploi paulinien, on relève cinq emplois dans l'Épître de Jacques, qui n'est pas antérieure à 80 de notre ère et nous oriente du côté des observants dont est issu le courant dit proto-catholique) ; Trcrôouai se rencontre quinze fois, six fois chez Paul et neuf fois chez Luc (à l'exclusion des trois autres Évangiles). Ajoutons, à propos du participe àyam\aaviEq, que H. SCHLIER, Religionsgeschichtliche Untersuchungen zu den Ignatiusbriefen, Giessen, 1929, p. 175-186, voit dans la forme passive du même participe pour désigner le Christ un caractère archaïque dont témoigneraient YAscension d'haïe et YÉpître de Clément de Rome, en LIX, 2-3. J. DANIÉLOU, op. cit., Paris, 1991 , p. 75, y voit l'expression d'un « fonds judéo-stoïcien ». 2
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retour de Dieu. Par la suite, seuls les termes à v d a x a a i ç ou à v i a x r p i se rencontrent . À en croire Eusèbe et Jérôme, Ignace d'Antioche nous a conservé un court passage de la Doctrine de Pierre, où Jésus ressuscité avertit Pierre et les disciples qu'il n'est pas devenu « un démon sans corps », et qu'on peut le toucher (oi)K eijii 8ai^iôviov à a œ f i a x o v ) . Certes, la transmission est des plus indirectes, mais elle ne paraît pas susciter le doute. Les deux compilateurs nous indiquent qu'Ignace est mort martyr dans les deux premières décennies du n siècle. Qu'on accepte cette date ou que, c o m m e un certain nombre d'auteurs modernes, on veuille la reculer d'une décennie, voire vers 165, on se trouve en tout cas devant un texte très ancien, contemporain ou presque de Josèphe et qui, tout en procédant évidemment du vaste courant docète, fait indirectement écho au e ï y e â v ô p a du Testimonium. Il faut ensuite remarquer que nous ne pouvons certes plus le caractériser à partir des infimes débris qui nous restent, mais que — à en croire Jérôme (et donc c o m m e pour Y Évangile des Ébionites) — on a affaire à un texte émanant des milieux judéo-chrétiens (Origène, en tout cas, le situe déjà clairement en dehors de l'orthodoxie ). La discussion sur la nature (humaine ? plus qu'humaine ?) de Jésus dans le Testimonium permet également le rapprochement avec Y Évangile selon Thomas (texte peut-être composé à Édesse, vraisemblablement de la première moitié du n siècle, avec des éléments très anciens, relevant de la tradition des logia de Jésus élaborée au r siècle) : le texte copte, qui reprend le schéma (mais pas la terminologie) de Mt 16, 13-17, M e 8, 2 7 - 3 0 et Le 9, 18-22, le qualifie de 1
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1. Outre un emploi dans 2 M 7, 9 (où il est employé conjointement avec àviaxàvca), àvafhoûv est également utilisé par les auteurs chrétiens à partir du n siècle (y compris par Eusèbe, Préparation évangélique 3, 2, qui cette fois au moins n'a pas normalisé selon sa phraséologie ; mais jamais dans le Nouveau Testament) : dans l'hypothèse d'une interpolation chrétienne du Testimonium, le recours à la périphrase que nous lisons est plutôt étrange. 2. Ignace d'Antioche, Lettres aux Smyrniotes III, 1-2. Voir par ailleurs dans F. BOVON, op. cit., Genève, 1988 , p. 145, l'hypothèse (récusée dans le compte rendu) de E. KRÂNKL, Jesus der Knecht Gottes. Die heilsgeschichtliche Stellung Jesu in den Reden der Apostelgeschichte, Ratisbonne, 1972, p. 167 et suivantes, selon laqueUe on trouverait dans Luc deux types d'apparitions, caractérisées par la présence corporelle jusqu'à l'Ascension et par une présence incorporelle, beaucoup plus fugitive ensuite. 3. Origène, Traité des principes, Préface, 8. On peut très bien récuser l'hypothèse judéo-chrétienne et ne voir dans ce fragment que l'expression d'un platonisme diffus et ambiant. D n'en reste pas moins que la formule nous renvoie—encore une fois — à Le 24, 39, et que supposer ici l'expression banale d'un lieu commun d'origine grecque au sein d'une vaste « nébuleuse intellectuelle », c'est rendre par contrecoup Flavius Josèphe susceptible — aussi bien qu'un autre — d'avoir écrit dans le Testimonium une formule qui trouverait des échos dans la tradition heUénistique. e
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philosophos ; on a vu pourtant que le Testimonium ne pouvait pas lui être apparenté. Mais le terme, scruté en pure perte la plupart du temps par les commentateurs du Testimonium, n'est pas un terme indifférent : il faut d'abord le replacer dans son contexte juif, où il s'insère dans une série bien répertoriée, avec les prophètes et les scribes . Joint à celui de ôiôdoKaAx)ç, le terme donne du Jésus évoqué par le Testimonium l'image d'un formateur, d'un maître défini par sa relation d'enseignement avec ses disciples, c e qui est précisément une image que Luc développe plus que les autres sources néo-testamentaires . On peut se demander si c e s rapprochements ne témoigneraient pas de c e que le Testimonium s'intègre dans la vaste polémique (ou, pour employer un terme plus neutre, Y interrogation croisée) sur l'incarnation et la nature de Jésus (dieu ? démon ? prophète ? être charnel ? être spirituel ?) qui marque les r et n siècles, échange « multilatéral », à plusieurs parties : juifs d i v e r s , chrétiens orthodoxes et hétérodoxes (judéo-chrétiens, gnostiques, docètes...), et païens probablement, se différenciant les uns des autres par tout un réseau de nuances. Quantifier des comparaisons hétérogènes entre elles n'aurait pas grand sens, mais on peut en dégager quelques enseignements : il ressort que le Testimonium semble à peu près totalement étranger à Jean et (sauf coïncidence formelle) aux gnostiques (ce qui est assez normal, si l'on met en relation c e que nous venons de supposer sur les sentiments de Josèphe à l'égard du messianisme d'une part, et les liens qui unissent la gnose juive et le messianisme apocalyptique d'autre part ), à l'exception de c e que nous pouvons saisir d'une secte, certes gnosticisante, mais avant tout judéo-chrétienne, c o m m e 2
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1. Évangile selon Thomas 1 3 . Voir F . BOVON-P. GEOLTRAIN (ÉD.), op. cit., 1.1, Paris, 1 9 9 7 , p. 3 6 . 2 . Série exprimée par Mt 2 3 , 3 4 et évoquée par 1 Co 1 , 2 0 . 3 . Voir F . BOVON, op. cit., Genève, 1 9 8 8 , p. 1 6 2 : compte rendu de G. W. H. LAMPE, « The Lucan Portrait of Christ », dans New Testament Studies 2 ( 1 9 5 5 - 1 9 5 6 ) , p. 1 6 0 - 1 7 5 . Sur la christologie ébionite, fixant à Jésus un rôle d'enseignement et non une mission sotériologique, voir J. DANIÉLOU, op. cit., Paris, 1 9 9 1 , p. 9 5 . A vrai dire, ce type de portrait existe aussi chez Lactance, chez qui, néanmoins, ce pourrait être un héritage de la catéchèse essénienne transmise aux sectes judéochrétiennes des I et n siècles : voir M. PHILONENKO, « Magister Iustitiae », dans Paganisme, judaïsme, christianisme. Influences et affrontements dans le monde antique. Mélanges offerts à M. Simon, Paris, 1 9 7 8 , p. 2 2 7 - 2 3 1 . 4 . La question du corps au moment de la résurrection (sera-t-il le même ou un autre ?) est clairement posée dans YApocalypse syriaque de Baruch (II Baruch) XLLX, 2 - 3 , texte postérieur à 7 0 et certainement achevé au début du règne de Trajan, 2
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soit vers 1 0 0 - 1 1 5 . Voir A . DUPONT-SOMMER - M. PHILONENKO ( É D . ) , op. cit., Paris,
1 9 8 7 , p. CXXUetp. 1 5 2 3 . 5. Et on pourrait y ajouter la théologie trinitaire et le rôle structurant de l'angelologie (en plein essor déjà dans le judaïsme du I siècle), le tout manquant au TestimoER
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les ébionites. Parmi les grands auteurs du Nouveau Testament, c'est avec les synoptiques (Luc, encore plus particulièrement que Marc ou Matthieu) que le Testimonium semble le plus « en phase » (soit par coïncidence, soit par opposition) : on peut relever simplement, outre ce que nous avons souligné, l'absence de préexistence *, la prééminence de la résurrection sur la Passion, la mise en avant du terme Christos et de la figure prophétique au détriment de toute allusion à la filiation, la compatibilité du Testimonium avec l'adoptianisme, autant de points de rupture entre Paul et L u c qui situent le Testimonium dans un champ de pensée cohérent avec la réflexion lucanienne. N o u s voulons dire que c'est avec ce genre de cercles, lucanien en l'occurrence, ou judéo-chrétien (du type des ébionites), que l'auteur du Testimonium peut soit tirer son information, soit nouer un dialogue m ê m e implicite (soit consensuel, soit contradictoire si c'est Josèphe qui en est l'auteur) : il n'a « rien à dire » aux cercles pauliniens ou johanniques, faute de terrain de réflexion commun. Cette absence de tout rapprochement pertinent avec P a u l pourrait être un élément supplémentaire qui concourrait à dater notre texte des années 9 3 (terminus post quem) à 140-150 environ. Ainsi, les ébionites, évoqués ci-dessus, peuvent se définir c o m m e une secte (ou une sensibilité sectaire) phariséo-chrétienne ou plus 2
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nium et constituant un pôle théologique cohérent selon J. DANIÉLOU, op. cit., Paris, 1991 , p. 40-42, qui s'appuie sur les exemples de Y Ascension d'haïe (à laquelle il attribue une date nettement plus précoce — voir F. BOVON-P. GEOLTRAIN (ED.), op. cit., 1.1, Paris, 1997, p. 505 : 80-90 contre 115 environ) et du Testament de Lévi. 1. Voir B . M. F. V A N IERSEL, Der Sohn in den synoptischen Jesusworten, Ley de, 1961 (compte rendu de F. BOVON, op. cit., Genève, 1988 , p. 156 : si Ton accepte l'idée qu'il y a eu un stade très ancien de la christologie, encore sensible chez Luc dans les Actes, où l'intronisation comme Messie n'était pas antérieure à la résurrection, idée d'ailleurs conservée par les ébionites, alors il y avait un terrain de discussion commun avec Josèphe). 2. Voir P. VIELHAUER, « Zum Paulismus der Apostelgeschichte », dans Aufsâtze zum Neuen Testament, Munich, 1965, et E . HAENCHEN, Die Apostelgeschichte neu Ubersetzt und erklârt, Gôttingen, 1956 (compte rendu de F. BOVON, op. cit., Genève, 1988 , p. 135 : « Si l'on demande comment une christologie aussi simple peut apparaître dans un écrit aussi récent [...], les auteurs dont nous parlons répondent ainsi : Luc s'inscrit dans un courant chrétien populaire, juif hellénistique, peu marqué par les génies créateurs que furent Paul ou Jean [...]. Ces auteurs [parlent] d'un chrétien de la fin du I siècle..., d'un pagano-chrétien archaïsant, etc. On aimerait des précisions »). Voir aussi F. BOVON, op. cit., Genève, 1988 , p. 192, à propos de la figure privilégiée du Christ-prophète, à comparer avec celui des ébionites, adoptianistes et antitrinitaires, dessiné par J. DANIÉLOU, op. cit., Paris, 1991 , p. 88-95, d'après les Homélies clémentines 1,19. 3. L'antipaulinisme est par ailleurs un point commun aux différents groupes appelés judéo-chrétiens. 4. Mais il aurait été plausible dès les années 80. 5. Selon P.-T. CAMELOT, Ignace d'Antioche. Lettres, Paris, 1969 (SC 10). 2
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SERGE BARDET 1
probablement esséno-chrétienne à tendance gnostique (par son dualisme), apparue probablement très t ô t . Ils prônaient vraisemblablement une v i e pauvre et un régime végétarien. Ils faisaient de Jésus et de Jacques deux fils charnels de Joseph et semblent avoir participé de la doctrine elkasaïte (mise par écrit dès 116-117 ?) doublement pertinente à notre propos, parce qu'elle était centrée sur la question du baptême et de la transmigration des corps appliquée à la personne du Christ, dont tous ne semblent pas avoir accepté la divinité . Dans le contexte d'un judaïsme en quête d'une forme à donner à son renouveau, d'un christianisme protéiforme, d'un voisinage constant avec un paganisme ambiant (qui diffuse ses idées philosophiques, mais aussi ses modèles littéraires, prégnants aussi bien chez Josèphe que chez les auteurs canoniques, sectaires ou apocryphes, m ê m e si les modalités de l'imprégnation et l'expression de c e s modèles ne sont pas toujours identiques), il est possible d'envisager que le Testimonium témoigne d'une certaine contiguïté entre judaïsme et christianisme, mais aussi bien qu'il émane d'un milieu assez composite pour laisser le savant moderne dans le plus grand embarras. D e c e point de vue, le Testimonium correspondrait bien à l'une des caractéristiques de la production faussaire : c o m m e le développement des méthodes critiques, elle culmine avec les périodes de crise (se définir ou se redéfinir une identité religieuse est au plus haut point un moment de crise). Mais cette crise, Josèphe lui-même la vivait intimement. 2
3
2
1. J. DANBÉLOU, op. cit., Paris, 1 9 9 1 , p. 3 5 - 3 6 , p. 9 6 (où il suppose le ralliement
consécutif aux événements de 7 0 ) et p. 1 0 1 pour la qualification de « prégnostiques ». 2 . Voir Épiphane, Panarion X X I X , 5 , 4 - 5 — traduction dans F . BOVON-P. GEOLTRAIN ( É D . ) , op. cit., 1.1, Paris, 1 9 9 7 , p. 8 5 7 .
3 . Sur ce groupe, voir F . BOVON-P. GEOLTRAIN ( É D . ) , op. cit., 1.1, Paris, 1 9 9 7 ,
p. 1 7 2 4 (index thématique, « ébionites »).
HEGESIPPUS AS A SOURCE FOR THE HISTORY OF JEWISH CHRISTIANITY F. STANLEY JONES
California State University, Long Beach
Résumé La question d'Hégésippe comme témoignage du judéo-christianisme est examinée ici de manière systématique. Les fragments conservés des Hypomnemata révèlent qu Hégésippe a bénéficié d'informations orales de la part d'un évêque chrétien palestinien d'origine païenne, dans une perspective de compréhension historique du martyre. Cet évêque, de son côté, aurait reçu ces dites informations, toujours oralement, de la part de judéo-chrétiens qui, dans la seconde moitié du ir siècle, développaient une tradition sur la famille de Jésus dans un souci de l'autorité ecclésiastique. Jules l'Africain et d'autres documents sur les judéo-chrétiens témoignent et éclaircissent l'information d'Hégésippe sur le judéo-christianisme à la fin du ir siècle. y
Summary This paper systematically reframes the specific question of Hegesippus as a witness to Jewish Christianity. The preserved fragments of the Hypomnemata reveal that Hegesippus likely obtained his material orally from a gentile Christian Palestinian bishop with a historically understandable martyrological interest. This bishop, in turn, received his accounts orally from Jewish Christians who, in the latter half of the second century and with a concern for church authority, fostered information about relatives of Jesus. Julius Africanus and other sources on the Jewish Christians document and illuminate the ultimate home (and referent) of Hegesippus's information in late second century Jewish Christianity.
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F. STANLEY JONES
I. The Problem and Its Significance. The question of the value of Hegesippus as a source for the history of Jewish Christianity is fundamental to the study of ancient Jewish Christianity. The account of James's presence in the temple and of his martyrdom that led to the war provides a lynchpin for historical imagination at a critical juncture. Further stories about relatives of Jesus offer a bridge for reconstructions of Jewish Christianity that connects the earliest period with the second century. Hegesippus's accounts have essentially served to provide the basic framework for the study of Jewish Christianity. Other fragmentary evidence about Jewish Christianity is largely simply plugged into this framework. The question of the reliability of Hegesippus's material on Jewish Christianity is not a new one. Eusebius seems to have sensed the significance of this question. H e attempted to resolve it by fudging the date of Hegesippus. Where required, Eusebius dates Hegesippus to the first generation after the Apostles (Historia ecclesiastica 2.23.3). At another point, however, Eusebius cites Hegesippus to demonstrate that he was active in the last years of Hadrian's reign (Historìa ecclesiastica 4.8.2). Finally, to help verify later events, Eusebius states that Hegesippus sojourned in Rome until the episcopate of Eleutherus (ca. 174-189 C.E.; Historia ecclesiastica 4 . 1 1 . 7 ) . Another tactic employed by Eusebius to bolster the historicity of Hegesippus is to cite Clement of Alexandria as an independent witness to the material on James (Historia ecclesiastica 2.23.19 in reference to Historia ecclesiastica 2.1.3-5). Modern secondary literature also contains many statements pertaining to the historicity of Hegesippus's account, particularly the historicity of the report on James. Detailed studies devoted exclusively to this question are, however, few. Hegesippus is one of those figures w h o falls between the traditional disciplines of N e w Testament studies and church history. On the one hand, N e w Testament scholars writing on Hegesippus are often out of their element when 1
2
1. Accurate observation of the progressive modification of Eusebius's dating of Hegesippus is found in the literature. See, for example, C. H. TURNER, "Apostolic Succession: A. The Original Conception, B. The Problem of Non-Catholic Orders," in H. B. SWETE (ED.), Essays on the Early History of the Church and the Ministry, London, 1918, p. 93-214, especially p. 207; W. TELFER, "Was Hegesippus a Jew?," in Harvard Theological Review 53 (1960), p. 143-153, especially p. 145-146. 2. On the question of the relationship between the accounts in Clement of Alexandria and Hegesippus, see F. S. JONES, 'The Martyrdom of James in Hegesippus, Clement of Alexandria, and Christian Apocrypha, Including Nag Hammadi: A Study of the Textual Relations," in Society of Biblical Literature. 1990 Seminar Papers, Atlanta, Georgia, 1990, p. 322-335, especially p. 328. In actuality, Clement was probably dependent on Hegesippus and thus cannot lend historical credibility to Hegesippus's report.
HEGESIPPUS AS A SOURCE
203
dealing with reports from the later centuries. Traditional church historians, o n the other hand, have avoided side currents in the church, particularly early ones. Perhaps this situation partially explains w h y there has not been a monograph on Hegesippus for well over a century. Nor is there a usable collection of fragments of Hegesippus. Judgments on the historicity of Hegesippus's accounts, for example the account of James, have accordingly varied wildly. T o mention only the extremes, is Hegesippus "solid history," or is his report "eine phantastische Legende ohne jeden geschichtlichen Wert"? The t w o traditional fields of N e w Testament and church history are currently being bridged. Advances have also occurred in each of these fields, not least because of interaction between the two. It is from this perspective that hope arises for progress in the evaluation of Hegesippus as a source for the history of Jewish Christianity. 1
2
3
II. Preliminary Issues concerning Hegesippus and His Hypomnemata. Certain preliminary matters may be dealt with here in a cursory way. There is some confusion, first of all, over the name "Hegesippus." S o m e scholars have found possible support for the historicity of the material on Jewish Christianity in die supposition that "Hegesippus" is nothing other than "merely a Graecized form of his
1. See H. DANNREUTHER, DU témoignage d'Hégésippe sur VÉglise chrétienne aux deux premiers siècles, Nancy, 1 8 7 8 , and beyond that only C. M. A. LAVIGERIE, De Hegesippo Disquisitio, Paris, 1 8 5 0 . The best collections and treatments are T. ZAHN, Forschungen zur Geschichte des neutestamentlichen Kanons und der altkirchlichen Literatur, pt. 6 , 1 . Apostel und Apostelschuler in der Provinz Asien, EL Briider und Vettern Jesu, Leipzig, 1 9 0 0 , p. 2 2 8 - 2 7 3 , and H. J. LAWLOR, Eusebiana: Essays on the Ecclesiastical History of Eusebius Bishop ofCaesarea, Oxford, 1 9 1 2 , p. 1 - 1 0 7 . 2 . T. NICKLIN-R. O. P. TAYLOR, "James, the Lord's Brother," in Church Quarterly Review 1 4 7 ( 1 9 4 8 ) , p. 4 6 - 6 3 , especially p. 5 5 .
3 . E . MEYER, Ursprung und Anfange des Christentums, Stuttgart, 1 9 2 2 , vol. 3 , p. 7 3 - 7 4 , n. 2 ; see the agreement of G . KITTEL, "Die Stellung des Jakobus zu Judentum und Heidenchristentum," in Zeitschriftfur die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der àlteren Kirche 3 0 ( 1 9 3 1 ) , p. 1 4 5 - 1 5 7 , especially p. 1 4 5 . Compare R. M . GRANT, Eusebius as Church Historian, Oxford, 1 9 8 0 , p. 7 0 : "useless for historical purposes." M . HENGEL, "Jakobus der Herrenbruder — der erste 'Papst'?," in E . GRÀBER-O. MERK (ED.), Glaube und Eschatologie: Festschrift fur Werner Georg Kummel zum 80. Geburtstag, Tubingen, 1 9 8 5 , p. 7 1 - 1 0 4 , especially p. 7 5 , mediates: "eine komplizierte, naiv-bizarre judenchristliche Legende von geringem historischem Wert," which is along the lines of J. DONALDSON, A Critical History of Christian Literature and Doctrine from the Death of the Apostles to the Nicene Council, vol. 3 , The Apologists Continued, London, 1 8 6 6 , p. 1 9 5 , who calls Hegesippus's work "a gossipping book."
204
F. S T A N L E Y J O N E S
1
original name J o s e p h . " There i s , however, n o real justification for this v i e w , and reference to Paulys
Realencyklopiidie
and other
indexes confirms that "Hegesippus" i s a well-known Greek n a m e .
2
There i s also confusion over the date of Hegesippus's writing. A current leading church historian states that Hegesippus published his work "toward 1 5 0 . "
3
A dominant German N e w Testament 4
scholar says it w a s "urn 1 7 0 . " Neither bother to explain h o w H e g e sippus could then refer to Eleutherus as bishop o f R o m e . Earlier English scholarship had postulated composition much prior to publi 5
6
cation or publication in s t a g e s . The most straightforward dating, however, properly places the work without further
specification
under Eleutherus (ca. 174-189 C.E.), w h o m Hegesippus describes as bishop (Historia
ecclesiastica
4.22.3).
7
1. E . B . NICHOLSON, The Gospel according to the Hebrews, London, 1879, p. 65; compare J. J. GUNTHER, "The Family of Jesus," in The Evangelical Quarterly 46 (1974), p. 25-41, especially p. 28, n. 8. 2. G. WISSOWA-W. KROLL (ED.), Paulys Realencyclopàdie der classischen Altertumswissenschaft, Stuttgart, 1912, half volume 14, cols. 2610-2612, where one finds six entries for other persons with the name Hegesippus. Professor Michel Tardieu has kindly referred me to the indexes of the Supplementum Epigraphicum Graecum where one finds a series of witnesses to the name Hegesippus (eleven instances complete, or virtually complete, and several more fragmentary cases), mostly from mainland Greece. These inscriptions leave no doubt that "Hegesippus" was an estab lished and recognized Greek name. There is no evidence here that any of its bearers were Jewish. Compare also K. F. NÔSGEN, "Der kirchliche Standpunkt Hegesipps," in Zeitschrift fur Kirchengeschichte 2 (1878), p. 193-233, especially p. 195, who cites the name against the supposition of the Jewish heritage of Hegesippus. The modern confusion about the name "Hegesippus" seems to derive from the eventual attribution of the Latin paraphrase of Josephus Jewish War to "Hege sippus." Whatever the exact origin of this relatively late attribution may be (see K. MRAS, "Die Hegesippus-Frage," in Anzeiger der ôsterreichischen Akademie der Wissenschaften, philosophisch-historische Klasse 95 (1958), p. 143-153, especially p. 144-145), it hardly provides a historical basis for the interpretation of Hege sippus* s name. 3. T. D. BARNES, Constantine and Eusebius, Cambridge, Massachusetts-London, 1981, p. 133. 4. M. HENGEL, op. cit., in E . GRABER-O. MERK ( E D . ) , Glaube und
Eschatologie:
Festschrift fur Werner Georg Kummel zum 80. Geburtstag, Ttibingen, 1985, p. 75. 5. W. MILLIGAN, "Hegesippus (1)," in W. SMITH-H. W A C E ( E D . ) , A Dictionary
of
Christian Biography, 4 vols., London, 1877-1887, vol. 2, p. 875-878, especially p. 876. 6. J. DONALDSON, op. cit., vol. 3, The Apologists Continued, London, 1866, p. 185. 7. So, correcdy, T. ZAHN, op. cit., pt. 6, I. Apostel und Apostelschuler in der Provinz Asien, II. Brtider und Vettern Jesu, Leipzig, 1900, p. 250; A . HARNACK, Geschichte der altchristlichen Uteratur bis Eusebius, 2d ed., enl., 2 pts., Leipzig, 1958, vol. 1, p. 484; J. B . LIGHTFOOT, The Apostolic Fathers, 2d ed., 2 pts., 5 vols., London, 1889-1890, vol. 1.1, p. 203. "Circa 180" is a date often found in the litera ture, for example, A . HILGENFELD, Die Ketzergeschichte des Urchristenthums, Leipzig, 1884, p. 31 ; W. TELFER, op. cit., in Harvard Theological Review 53 (1960), p. 145; A . L E BOULLUEC, La Notion d'hérésie dans la littérature grecque
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HEGESIPPUS AS A SOURCE
The question of where one finds the actual text of Hegesippus is somewhat more complex. Eusebius's reliability as an excerptor has been doubted, often in combination with the thesis that Epiphanius also had access to Hegesippus. Arguments concerning this point presented elsewhere cannot be repeated in extenso h e r e . In short, Epiphanius does not seem to have had access to Hegesippus apart from Eusebius, and Eusebius seems to have cited a non-interpolated Hegesippus relatively intact. Establishment of the text of Eusebius's Church History must, however, carefully consider the ancient Latin and Syriac versions of this work. Furthermore, theories about the dependence of other writings on Hegesippus, such as Clement of Alexandria, the Pseudo-Clementine Recognitions, and the Second Apocalypse of James, also deserve greater attention. Finally, there is the thesis already found in Eusebius (Historia ecclesiastica 4.22.8) that Hegesippus was of Jewish heritage or that he was a Jewish Christian. This view seems to be outmoded in the light of current knowledge about the diversity of the Christians in the second century. The notion of a Jewish Christian visiting the congregation in Corinth in the second half of the second century and finding everything in order (Historia ecclesiastica 4.22.2) hardly fits with the v i e w that Hegesippus was a Jewish Christian. That Hegesippus was competent in Hebrew or Aramaic (Historia ecclesiastica 4.22.8) is belied by his use of the Hebrew plural "Rachabim" as a personal name (Historia ecclesiastica 2 . 2 3 . 1 7 ) . Furthermore, 1
2
3
4
5
(ir-nr siècles), 2 vols., Paris, 1985, vol. 1, p. 94, but reference to the tradition in the Chronicon Paschale, that Hegesippus died under Commodus (so W. TELFER, op. cit., in Harvard Theological Review 53 (1960), p. 145), does little to secure this more precise dating. 1. See F. S. JONES, op. cit., in Society of Biblical Literature. 1990 Seminar Papers, Atlanta, Georgia, 1990, p. 323-327. 2. See the review in F. S. JONES, op. cit., in Society of Biblical Literature. 1990 Seminar Papers, Atlanta, Georgia, 1990, p. 328-334. With regard to the fragment ascribed to Hegesippus in a church historical epitome and previously published from Codex Barrocianus 142 and Paris Greek 1555A, I have furthermore been able to collate the text in manuscript Athos Vatopedi 286. The excerpt is found in folio 96 verso and, apart from punctuation, differs from Barrocianus 142 only in the spelling of Hegesippus (hegisippos) and the omission of de in the final clause. 3. So many modern scholars from F. C. BAUR, Das Christentum und die christliche Kirche der ersten drei Jahrhunderte, Tubingen, I860 , p. 84, onwards. 4. For convincing arguments against the view that Hegesippus was a Jewish Christian, see especially W. TELFER, op. cit., in Harvard Theological Review 53 (1960), p. 143-153. Compare already A. RTTSCHL, Die Entstehung der altkatholischen Kirche: Eine kirchen- und dogmengeschichtliche Monographie, Bonn, 1857 , p. 267. 5. The Syriac and Latin versions do not support the supposition that the text has been corrupted here with a later gloss, as suggested by Eduard Schwartz in the apparatus of E. SCHWARTZ-T. MOMMSEN (ED.), Eusebius Werke, vol. 2, Die Kirchengeschichte, UberdieMàrtyrerinPalàstina,3pts.,Levpng, 1903-1909(GCS9). 2
2
206
F. STANLEY JONES
Hegesippus's curt report that "Vespasian immediately besieged them [sc. the Jews]" (Historia ecclesiastica 2.23.18) seems to reflect an outsider's stance, as does also his remark about there being various opinions "among the circumcision" {Historia ecclesiastica 422J).
III. The Nature of the Hypomnemata
and Hegesippus's Method.
A s concerns the nature of Hegesippus's work, Eusebius's most explicit statement leads one to believe that the Hypomnemata belongs among the literature o f the heresiologists (Historia ecclesias tica 4.7.15 - 8.2). The extant fragments furthermore preserve repeated appeals to tradition against the heresies (for example, Historia ecclesiastica 4.22.2, 3 , 4 - 6 , 9, and the text witnessed by Stephen Gobarus). There are thus g o o d indications that Hegesippus should indeed be understood as standing in the tradition of Justin's Syntagma, if indeed he did not actually use the Syntagma. Postulations that the Hypomnemata was a church h i s t o r y or an a p o l o g y are little more convincing than the suggestion that the work belongs to no known literary g e m e . The Hypomnemata was a heresiological work. Hegesippus's distinctive method was apparently to track the true tradition through lists o f bishops. He can be observed following this method in the accounts of both R o m e (Historia ecclesiastica 4.22.3) and Corinth (Historia ecclesiastica 4.22.2), for which he explicitly lists the bishop Primus. Eusebius's summary that Hegesippus asso ciated with very many bishops on his trip to Rome (Historia eccle siastica 4.22.1) thus seems to reflect Hegesippus's o w n c o n c e r n . 1
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1. Use of the Syntagma by Hegesippus is advocated by A . HARNACK, Zur Quellenkritik der Geschichte des Gnosticismus, Leipzig, 1873, p. 36-41, Marcion, das Evangelium vom fremden Gott, Leipzig, 1924 , p. 9*-10*, p. 315*, and P. Nautin (as reported in A . LEBOULLUEC, op. dr., Paris, 1985, vol. 1, p. 92, n. 208). Correct place ment of the work among the heresiologists is found in J. QUASTEN, Patrology, 4 vols., Utrecht, 1950-1986, vol. 1, p. 284-287; B. ALTANER-A. STUTOER, Patrologie: Leben, Schriften und Lehre der Kirchenvàter, Freiburg, 1978 , p. 109-110, and A . LE BOUL 2
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LUEC, op. cit., Paris, 1985, vol. 1, p. 95.
2. So Jerome, De viris illustribus 22, and, more recently, T. HALTON, "Hegesippus in Eusebius," in Studia Patristica 17 (1982), p. 688-693. 3. So H. J. LAWLOR, op. cit., Oxford, 1912, p. 2-3, and N. HYLDAHL, "Hegesipps
Hypomnemata," in Studia Theologica 14 (1960), p. 70-113, especially p. 113. 4. So P. VffiLHAUER, Geschichte der urchristlichen Literatur: Einleitung in das Neue Testament, die Apokryphen und die Apostolischen Water, Berlin-New York, 1978, p. 769. 5. The precise origin of Hegesippus's use of the word diadoche is a fascinating question mat cannot be pursued in this context.
HEGESIPPUS AS A SOURCE
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IV. Origin and Character of Hegesippus's Information on Jewish Christianity. It is therefore likely that Hegesippus proceeded in the same way with regard to Palestine. His question accordingly was, "Who were the bishops and what was their succession?" He is, moreover, likely to have posed this question to a bishop. Following the analogy of Corinth and Rome, die bishop sought out by Hegesippus is likely to have been gentile Christian. This conclusion can probably be supported by ascription of at least some of the misunderstood Semitic words and phrases to this gentile Christian bishop (for example, oblias in Historia ecclesiastica 2.23.7), w h o with an apparently impressive air of authority pawned his specious translations onto an eager Hegesippus. What is interesting about the answer Hegesippus received is that the answer only partially fits his question. He did receive information about James as a figure in the Jerusalem congregation and about Simeon and other leaders of congregations w h o were relatives of Jesus. The information concerning these figures is dominated by a feature, however, other than documentation of church leadership. The overriding concern of this material is actually martyrological. Alongside the martyrdom of James, Hegesippus received a report on the martyrdom of Simeon and a martyrological account of the descendants of Jude before Domitian. Since Hegesippus's interest was in the leadership of the churches by bishops and since he otherw i s e shows no interest in martyrs, it is the suggestion of this paper that this distinctive martyrological accent should be taken as a guide to the nature of Hegesippus's source on Palestinian Christianity. Following the suggestion above that Hegesippus is likely to have consulted a gentile Christian bishop in Palestine, one may n o w ask why a Palestinian bishop in the second half of the second century would know stories about Palestinian martyrs. The answer to this question is not far to seek. At this point in the history of the church, bishops had largely not yet established their position of sole authority in the churches. It is true that the charismatic prophet and charismatic teacher as well as the philosophical teacher had generally fallen out of positions of leadership. But the documents from the Montanist Controversy and the Easter Controversy show that the bishops had not yet become completely autonomous. In both cases one finds the bishops referring to martyrs to bolster their authority (in the 1
1. On the development of Christianity in Palestine, see, for example, a recent summary by C. MARKSCHBES, "Stadt und Land: Beobachtungen zu Ausbreitung und Inkulturation des Christentums in Palàstina," in H . CANCIK-J. RÙPKE (ED.), Romische Reichsreligion und Provinzialreligion, Tubingen, 1997, p. 265-298.
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Montanist Controversy at Eusebius Historia ecclesiastica 5.16.12, 5.16.20-22, 5 . 1 8 . 6 - 1 0 , and in the Easter Controversy at Eusebius, Historia ecclesiastica 5.24.4-5). It is furthermore no accident that when Irenaeus travels as a presbyter to R o m e from Lyons, he takes along the recommendation not of the bishop but rather of the martyrs (in Eusebius, Historia ecclesiastica 5.4.1-2). A s the later crisis involved with the Decian persecution reveals, martyrs were even at this time considered to have an authority that essentially surpassed, in any event at least rivaled, the authority of the b i s h o p s . The suggestion of the present study is that when Hegesippus inquired about church leadership in the area of Palestine, the bishop responded from stories that he had collected about regional martyrs. A s will be seen, the bishop knew these stories apparently from contact with Jewish Christians in the area. He had collected them in the interest of bolstering his o w n status as a bishop. The heart of these Jewish Christian stories can probably again be distinguished from the bishop's martyrological concern. Underlying the martyrological concern is the essentially unrelated, but predom inant, motif of kinship with the Lord. Tied up with this distinctive motif of kinship with the Lord is the concept that this family was opposed by Jewish groups, a concept that Hegesippus himself seems to have systematically developed into a heresiological s c h e m e (as initially stated in the listing of the Jewish sects in Historia ecclesias tica 4.22.7 and repeated in the stories of James in Historia ecclesias tica 2.23.9, of Simeon in Historia ecclesiastica 3 . 3 2 . 3 , 4 . 2 2 . 4 - 5 , and of the descendants of Jude in Historia ecclesiastica 3.19.1-20.1). For the proposed scenario of a gentile Christian bishop drawing on tales from the Jewish Christians there is a ready analogy in Julius Africanus. Julius Afticanus, not much later, knows tales of Palesti nian Jewish Christians about the relatives of the Lord and their 1
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1. On the question of Montanist church hierarchy, see the discussion in G. BUSCHMANN, "Christou koinonos (MartPol 6,2), das Martyrium und der ungeklarte koinonos-Title der Montanisten," in Zeitschrift fur die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde derdlteren Kirche 86 (1995), p. 243-264. 2. Compare W. H. C. FREND, Martyrdom and Persecution in the Early Church: A Study of a Conflict from the Maccabees to Donatus, Oxford, 1965, p. 270, in refe rence to the situation depicted in the Martyrdom ofPerpetua and Felicitas: "Due respect was paid to Optatus and Aspasius, but their office was regarded mainly as one of administration. They had disciplinary functions directed to keeping the congrega tion free from compromise with the surrounding pagan world... But theirs was an auxiliary role compared with that of the martyr..." Similarly, A. JENSEN, God's Self Confident Daughters: Early Christianity and the Liberation of Women, Louisville, 1996, p. 124: "The fact remains that the highest 'representatives' of Christ at that time were not the priests and bishops but the martyresses and martyrs." 3. See especiaUy A. LEBOULLUEC, op. cit., Paris, 1985, vol. 1, p. 95-110, who has advanced the discussion in this respect.
HEGESIPPUS AS A SOURCE
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concern with genealogy. H e reports that the relatives of the Lord went out from the Jewish villages of Nazareth and Cochaba and traversed the rest o f the land explaining their genealogy; these relatives were called, and supposedly called themselves, desposynoi, doubtless reflecting both a claim to special status and recognition of this claim by others. This account by Julius Africanus provides an important pointer for the determination o f the historicity o f the Jewish Chris tian material in Hegesippus. A b o v e all, it seems to confirm, on the one hand, that the stories preserved in Hegesippus reflect living tradi tion among Palestinian Jewish Christians in the second half o f the second century (both Africanus and Hegesippus report stories about the relatives of J e s u s ) . On the other hand, the account in Julius Afri canus also seems to confirm the thesis above that Hegesippus received his material v i a a gentile Christian bishop: Precisely the emphasis in Julius Africanus on the claim to status of the living rela tives of Jesus in the late second century is missing in the material in Hegesippus. A gentile Christian hand has obviously been at work here to eliminate evidence o f the continuance o f the tradition o f the relatives o f Jesus. Hegesippus apparently suggests, to the contrary, that the relatives o f Jesus survived only (eti de periesan, Historia ecclesiastica 3.20.1) till the time of Trajan, when they led the churches not least as martyrs {Historia ecclesiastica 3.20.6). The perspective that Hegesippus has preserved some (selective) living tradition among Palestinian Jewish Christians in the second half o f the second century opens up a window for detailed evalua tion of the material on James, too. The picture of James corresponds in noteworthy w a y s with what can b e known about Syrian Jewish 1
2
1. Letter to Aristides, preserved in Eusebius, Historia ecclesiastica 1.7.11 -14 and through independent transmission; see W . REICHARDT, Die Briefe des Sextus Julius Africanus an Aristides und Origenes, Leipzig, 1909 (TU 34.3). 2. C. MARKSCHIES, op. cit., in H . CANCIK-J. RUPKE ( E D . ) , Romische
Reichsreligion
und Provinzialreligion, Tubingen, 1997, p. 280, writes: "Jedenfalls scheint Julius Africanus Kontakte mit Verwandten Jesu gehabt zu haben, die ursprunglich aus 'den judischen Dorfern Nazareth und Kochaba' stammten." A differing opinion is found in G. LUDEMANN, Paulus, der Heidenapostel, vol. 2, Antipaulinismus im fruhen Christentum, Gottingen, 1983, p. 178 with n. 57 (= G. LODEMANN, Opposition to Paul in Jewish Christianity, Minneapolis, Minnesota, 1989, p. 127 with n. 57 on p. 279). G. Ludemann states that Julius knew only a tradition that contained elements of quite different dates. He furthermore attributes large portions of the report to Julius's own redactional creativity; the tradition essentially contained only the connection of the family of the Lord with Nazareth and Cochaba (G. LUDEMANN, op. cit., vol. 2, Antipaulinismus im fruhen Christentum, Gottingen, 1983, p. 174-175 (= G. LUDEMANN, op. cit., Minneapolis, Minnesota, 1989, p. 124-125). This explana tion, however, leaves unexplained why Julius chose to refer to this tradition at all. The accompanying detailed report about Antipater, the father of Herod the Great, makes it likely that Julius had contact with relatives of the Lord either directly, through their circles, or through relatively direct mediation.
F. STANLEY JONES
210
Christianity of that time. James's vegetarianism (Historia tica
ecclesias
2.23.5) corresponds with Jewish Christian vegetarianism as 1
witnessed in the Syriac Didascalia, 3
and the Pseudo-Clementines.
the Gospel
of the
It also corresponds with the Jewish
Christian attitude against sacrifices found in the Gospel 4
Ebionites,
5
the Book of Elchasai,
and the
tians.
of
the 6
Pseudo-Clementines.
The avoidance of w i n e that Hegesippus ascribes to James ecclesiastica
2
Ebionites,
(Historia
2.23.5) is similarly witnessed for s o m e Jewish Chris
7
1. Didascalia 23, 24, 26. See R. H. CONNOLLY, Didascalia Apostolorum: The Syriac Version Translated and Accompanied by the Verona Latin Fragments, Oxford, 1929, p. 202, Unes 15-17; p. 203, lines 13-15; p. 204, lines 1-4; p. 205, lines 1-3; p. 240, line 24; p. 241, line 22, and P. DELAGARDE, Didascalia Apostolorum Syriace, Leipzig, 1854, p. 101, lines 20-22; p. 102, lines 1-3; p. 115, lines 8-9; A. VÔÔBUS, The Didascalia Apostolorum in Syriac, 2 vols., Louvain, 1979, p. 230, lines 16-18; p. 231, lines 13-15; p. 255, line 2 (CSCO 401,407). 2. As witnessed in Epiphanius, Panarion 30.22.4; compare Panarion 30.16.5. 3. For the Basic Writer, see the description of Peter's diet in Homilies 12.6.4 with its parallel Recognitions 1.6A. Epiphanius, Panarion 30.15.3, says the "Ebionites" are vegetarians and therefore portray Peter as such. It is only in the Homilies that one finds the more straightforwardly vegetarian statements; see Homilies 8.15.2-16.2, 3.45.1-2. 4. As witnessed in Epiphanius, Panarion 30.16.5. 5. At least according to Epiphanius, Panarion 19.3.6. 6. Particularly in the source of Recognitions 1.27-71; see Recognitions 1.37.2-4, 39.2, 48.5-6, 54.1, 64.1-2. A differently nuanced perspective against sacrifices is found in Homilies 3.45.1-3,2.44.2-3. 7. See Epiphanius, Panarion 30.16.1, Didascalia 24 (R. H. CONNOLLY, op. cit., Oxford, 1929, p. 204, lines 1-2; p. 205, lines 1-2; P. DELAGARDE, op. cit., Leipzig, 1854, p. 102, Unes 1-2; A. VÔÔBUS, op. cit., Louvain, 1979, p. 231, lines 13-14), and the other texts discussed by H. J. SCHOEPS, Théologie und Geschichte des Judenchristentums, Tubingen, 1949, p. 194-195. See also Peter's diet as described in the Pseudo-Clementine Basic Writing (Recognitions 7.6.4 with its parallel Homilies 12.6 A; compare Recognitions 9.6.6 with its parallel Homilies 15.7.6). Furthermore, James's avoidance of the pubUc baths (Historia ecclesiastica 2.23.5) corresponds with a discussion about baths in the Didascalia 2, 3 (R. H. CONNOLLY, op. cit., Oxford, 1929, p. 14, Unes 23-25; p. 15, Unes 19-20; p. 16, Unes 1-3; p. 17, Unes 1-2; p. 26, Unes 7-19; p. 27, Unes 8-20; P. DELAGARDE, op. cit., Leipzig, 1854, p. 5, Unes 17-20; p. 9, Unes 5-15; A. VÔÔBUS, op. cit., Louvain, 1979, p. 19, Unes 12-16; p. 26, lines 12-25) and the emphasis on separate bathing in the Pseudo-Clementines (Homilies 14.1.1-2). The Didascalia 21 also knows of fasts and prayers for Israel (R. H. CONNOLLY, op. cit., Oxford, 1929, p. 180, Une 29 through p. 181, Une 1; p. 183, Unes 7-8; P. DE LAGARDE, op. cit., Leipzig, 1854, p. 87, Unes 26-27; p. 89, Une 4; A. VÔÔBUS, op. cit., Louvain, 1979, p. 206, Unes 3-4; p. 207, line 25), which paraUel James's prayers for forgiveness of the people (Historia ecclesiastica 2.23.6). Such parallels raise the question of Jewish Christian use of oil (Historia ecclesiastica 2.23.5) and woolen garments (Historia ecclesiastica 2.23.6). Consideration should also be given to the fact that Philostratos says ApoUonios did not eat meat, did not drink wine, let his hair grow, wore linen, Uved in the temple, and did not use the baths (Life of Apollonius 1.8,16). Jewish Christians were doubtlessly influenced by such Hellenistic reUgious traditions.
211
HEGESIPPUS AS A SOURCE
The suggestion of this paper is thus that Hegesippus is a witness, first of all, to Jewish Christians in the second half of the second century. This thesis could be drawn into some doubt by the postulation that Hegesippus drew on or transcribed Jewish Christian docu ments. The pinnacle of such speculation is the view that Hegesippus used a written Hebrew or Aramaic source. Such a view would imply that large portions of Hegesippus's account are actually relics from a much earlier time. Besides the fact that in the flow of the above investigations, the supposition of such a written source no longer seems necessary, the analogous situation of Julius Africanus speaks clearly against this supposition. Julius Africanus received his information on the genealogy of Jesus orally. The Jewish Christian historical account about Antipater and Herod (quoted in Eusebius, Historia ecclesiastica 1.7.11-13) also apparently reached Julius orally. Nothing spoke against a similar scenario for Hegesippus, as proposed above: He received an oral account from a gentile Christian Palestinian bishop, who, with a martyrological interest, had collected oral stories from Palestinian Jewish Christians in the second half of the second century. 1
2
V . Conclusion* In conclusion, this paper set out to evaluate Hegesippus as a source for the history of Jewish Christianity. It is possible to peel off from the reports the veneer of both Hegesippus's interest in church leader ship and a second, martyrological layer. Once these two layers have been removed, Hegesippus can be appreciated as a witness, above all, to Jewish Christian ideas current in the second half of the second century. It becomes apparent that his images fit remarkably well with information on the Jewish Christians provided not much later by Julius Africanus. In investigations concerned with the history of Jewish Christianity generally and not merely with its history in the first and early second century, Hegesippus must therefore be w e l c o m e d as a very valuable witness to Jewish Christianity of the latter second century. Questions of whether elements of the material in these reports g o on back to earlier historical events, e.g., to an 1. So J. WEISS, Earliest Christianity: A History of the Period A.D. 30-150,2 vols., New York, 1959, p. 712, n. 7, and others. 2. See Justin Martyr, Dialogus cum Tryphone 52 for a Jew who also asserts that Herod was an Ashkelonite. On the oral basis of Julius's material, compare also G. LUDEMANN, op. cit., vol. 2, Antipaulinismus im fruhen Christentum, Gottingen, 1983, p. 173-174 (= G. LUDEMANN, op. cit, Minneapolis, Minnesota, 1989, p. 124-125).
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F.STANLEY JONES
actual martyrdom of Simeon under Trajan, can be best approached through larger reconstruction and evaluation of this late second century Jewish Christianity with its documented interested in the genealogy and descendants of the Lord. Where there is evidence from Josephus, as in the case of the death of James, the ultimate historical basis of the report preserved in Hegesippus must be v i e w e d as fairly thin (essentially only James's death at the hands of Jewish leaders). A similar judgment, though perhaps not quite as hard, falls from Josephus on the Jewish Christian report in Africanus about the history of Antipater and Herod.
ALCUNE RIFLESSIONI A PROPOSITO DI RECOGNITIONES1,27-71 : LA STORIA DELLA SALVEZZA CLAUDIO GIANOTTO
Università di Torino
Résumé Après avoir illustré les traits caractéristiques de l'histoire du salut dans le document pseudoclémentin de Reconnnaissances /, 27-77, traits qui sont parfois très différents par rapport à ceux du récit biblique (la création du monde et de l'homme ; le mythe de la chute des anges ; les trois personnages clés Abraham, Moïse et Jésus), on s'interroge sur le message de ce récit et ses implications. Cela permet de formuler quelques hypothèses sur le groupe qui est à l'origine du document : une communauté judéo-chrétienne, fidèle à l'observance de la Loi, dont le noyau central est identifié dans les dix commandements du Sinaï, et engagée dans la mission auprès des païens, mais sans vouloir leur imposer la circoncision et les autres préceptes mosaïques. Enfin, on relève que, dans son interprétation du rôle de Jésus, le document est conscient de représenter un modèle alternatif de christianisme, opposé à celui de Paul et de ses communautés surtout sur le plan sotériologique : Jésus sauve par son enseignement (donc non pas en premier lieu par sa mort et sa résurrection) et par sa mission prophétique, qui consiste dans l'abolition totale et définitive des sacrifices et dans la restauration (et non pas l'abrogation) de la Loi dans sa pureté originelle. Summary After expounding the typical features of salvation history in the document of Pseudo-Clementine Recognitions /, 27-71, which shows important differences compared with the biblical account (the creation of the world and of the man; the myth of the fallen angels; the three key characters of Abraham, Moses, and Jesus), the paper tries to outline the message of this salvation history and its implications.
214
CLAUDIO GIANOTTO
This allows us to advance a hypothesis concerning the group staying behind the document: a Jewish-Christian community, faithful to the practice of the Law, whose core is identified in the ten commandments of Sinai, and at the same time committed to the heathen mission, but unwilling to impose them neither circumcision nor the practices of the mosaic Law. Finally, the paper remarks that, in its interpretation of the role of Jesus, the document is aware of representing an alternative pattern of Christianity, opposed to that of Paul and his communities mainly on the basis ofsoteriology: Jesus saves through his teaching (and not chiefly through his death and resurrection ) and his prophetic mission, consisting in the total and final abolition of blood sacrifices and in the restauration (not abrogation) of the Law in its original purity.
1. Introduzione. Il documento di Recognitiones I, 27-71 contiene una sintesi della storia della salvezza dalla creazione fino all'avvento di Gesù (I, 27-43). Esso ripercorre, quindi, la storia dell'umanità primitiva (I, 27-32), per poi soffermarsi sulle vicende del popolo ebraico, da Abramo a M o s e (1,34-38) \ e infine passare al racconto della venuta di Gesù, il profeta annunciato da M o s e (I, 39-43). Si tratta di un racconto che non procede in m o d o regolare e sistematico, ma trasceglie alcuni episodi, ritenuti particolarmente significativi, e intorno ad essi organizza il proprio discorso, omettendo tutto il resto. Gli studiosi che si sono occupati di questo documento non hanno mancato di far notare i tratti peculiari di questa ricostruzione storica che, pur seguendo a grandi linee il racconto biblico, non manca tuttavia di rielaborarlo in modo originale. Il documento, che doveva già far parte dello scritto di base, viene collocato all'interno di una sezione dedicata all'istruzione di Clemente da parte di Pietro, istruzione che si svolge nel periodo di tempo venutosi a creare a motivo del differimento del dibattito tra Pietro e lo gnostico S i m o n e . 2
1. Accolgo la proposta di F. Stanley Jones e considero I, 33 un'interpolazione da parte dell'autore dello scritto di base; cfr. F. S. JONES, An Ancient Jewish Christian Source on the History of Christianity. Pseudo-Clementine Recognitions 1.27-71, Atlanta, Georgia, 1995, p. 153. 2. Cfr. F. S. JONES, op. cit., Atlanta, Georgia, 1995, p. 118-127; una traduzione inglese sia delle versioni latina e siriaca del documento sia dei frammenti armeni si trova alle p. 52-109.
215
A PROPOSITO DI RECOGNITIONES1,27-71
2. I tratti caratteristici. La creazione
del mondo e
dell'uomo.
Il documento si apre con il racconto della creazione del mondo e dell'uomo (Recognitiones I, 27-28). Per quanto riguarda la creazione del mondo, esso segue a grandi linee Gn 1, anche se la scansione dei sette giorni della settimana cosmica, tipica del racconto sacerdotale, viene lasciata c a d e r e . Per quanto riguarda, invece, la creazione dell'uomo, esso non si allinea più al racconto genesiaco. La fugace menzione dell'Eden ("paradisum fecit, quem et deliciarum locum nominavit": Recognitiones I, 28) risulta tanto più sorprendente, in quanto manca qualsiasi riferimento ad Adamo ed Eva, e in particolare all'episodio della trasgressione (Gn 3). N o n inficia l'assolutezza di questa affermazione la menzione dell'unzione profetica di Adamo in Recognitiones I, 47 perché, in realtà, essa fa parte di un'interpolazione dell'autore dello scritto di b a s e . È difficile stabilire se l'autore del documento seguisse tradizioni che non conoscevano i fatti dell'Eden (come, ad es., la tradizione E n o c h i c a ) , oppure se abbia eliminato volutamente quell'episodio per ragioni ideologiche, considerandolo, c o m e fa, ad esempio, l'autore delle Omelie pseudoclementine (Homiliae 3, 17.20-21), una falsificaz i o n e . Bisogna, comunque, notare che il documento giudeocristiano, a differenza dello scritto di base, si limita ad omettere l'episodio della trasgressione di Adamo, senza menzionare né utilizzare in alcun m o d o gli aspetti positivi del personaggio (ricettacolo dello spirito divino: Homiliae 8 , 1 0 ; creato dalle mani stesse di Dio: Homiliae 2, 5 2 ; primo profeta: interpolazione di Recognitiones 1,47). U n altro particolare, estraneo alla tradizione genesiaca, è la menzione della preesistenza dell'anima del primo u o m o ("cuius interna species est antiquior": Recognitiones I, 28). L'idea non doveva essere sconosciuta al giudaismo. Filone, nelle Quaestiones in Genesim, commentando Gn 3 , 2 1 (le tuniche di pelle), sembra lasciar intendere che l'anima preesistesse al corpo nel Paradiso . Flavio l
2
3
4
5
1. U documento conosce e utilizza, a questo proposito, materiali e tradizioni che si ritroveranno attestati nella letteratura rabbinica più tarda; cfr. H . J. SCHOEPS, "Die Urgeschichte nach den Pseudoklementinen", in Aus frìihchrìstlicherZeit Religionsgeschichtliche Untersuchungen, Tiibingen, 1950, p. 1-37, in particolare p. 4-7. 2. Cfr. F. S. JONES, op. cit, Atlanta, Georgia, 1995, p. 151-155. 3. Si vedano soprattutto il Libro dei Vigilanti ( 1 Enoc 6-36) e l'inizio del Libro dei Sogni (1 Enoc 85). 4. Come è noto, secondo la teoria delle sizigie le Pseudoclementine fanno risalire F origine del male alla prima donna, Eva, che sola peccò; cfr. in particolare Homiliae!, 15-18. 5. Così intende, ad es., G. QUISPEL, Makarius, das Thomasevangelium und das
216
CLAUDIO GIANOTTO
Giuseppe attribuisce questa credenza agli Esseni (Bellum iudaicum 2, 8, 11). Il tema fu poi particolarmente sviluppato nella mitologia gnostica, prima di essere formulato in m o d o organico da Origene nel suo De principiis. L'idea della preesistenza dell'anima di Adamo, che svolgerà un ruolo importantissimo nell'elaborazione della dottrina del vero profeta nello scritto di base, non viene altrimenti sfruttata nel nostro documento.
Il mito della caduta degli
angeli.
N e l presentare la storia primitiva, che va dalla creazione dell'uomo fino ad Abramo, l'autore segue lo schema cronologico delle genealogie, che desume dai primi capitoli della Genesi. Sono omesse completamente le vicende di Caino ed Abele e delle prime generazioni umane (Gn 4-5), per arrivare d'un balzo all'ottava generazione, nella quale è collocata una particolare ed originale versione del mito della caduta degli angeli (Gn 6 , 1 - 4 // Recognitiones 1,29,1-3). C o m e è noto, il giudaismo conosceva due versioni principali del mito: quella del Libro dei Vigilanti, il primo tomo del pentateuco enochico (1 Enoc) e quella del Libro dei Giubilei. Il Libro dei Vigilanti, che è attestato da alcuni frammenti qumranici, ma ci è giunto per intero soltanto in traduzione etiopica, è il risultato di un complesso processo di s t r a t i f i c a z i o n e c h e ha per così dire affastellato, sovrapponendole e intrecciandole, diverse varianti del mito, talvolta anche tra loro contraddittorie, sicché risulta difficile ricostruirne una versione unitaria. In ogni caso, il racconto parla di un gruppo di angeli che, di propria iniziativa o su istigazione del loro capo, scendono dal cielo, loro dimora abituale, per unirsi sessualmente con le donne, allettati dalla bellezza di queste ultime. Questa azione illecita degli angeli produrrà di fatto l'introduzione del male nel mondo (7 Enoc non conosce il peccato di Adamo ed Eva), i cui effetti si paleseranno proprio nel frutto di quella unione contaminante: i giganti, esseri mostruosi, che produrranno distruzione e morte tra gli uomini sulla terra. Si tratta, quindi, di un peccato di origine e responsabilità angelica, di cui gli uomini sono piuttosto le vittime che gli artefici. La seconda versione del mito si ritrova, invece, in Giubilei 4 , 1 5 . 2 2 ; 5 , 1 - 1 3 . Qui gli angeli vigilanti sono mandati sulla
Lied von der Perle, Leiden, 1967, p. 85: "Wie wir schon gezeigt haben, setzt dies Philos Exegese von Genesis 3,21 voraus: der dermatinos chiton ist der Kôrper. Das bedeutet dann aber auch, dafì die Seele préexistent im Paradiese lebte." 1. Cfir. P. SACCHI, "D Libro dei Vigilanti e l'apocalittica", in Henoch 1 (1979), p. 42-98; ora anche in P. SACCHI, L'apocalittica giudaica e la sua storia, Brescia, 1990, p. 31-78.
A PROPOSITO DI
RECOGNITIONES1,27-71
217
terra da D i o ( 5 , 6) e la loro missione consiste nell'insegnare agli uomini a "fare giustizia e rettitudine sulla terra" (4, 15). Durante la loro permanenza sulla terra, essi si uniscono alle donne, e da questa unione nascono i giganti. La differenza rispetto al racconto più antico, quello del Libro dei Vigilanti, non sta tanto nella trama del racconto stesso, che è praticamente identica, quanto piuttosto nella motivazione che spinge gli angeli a scendere sulla terra: nel primo caso, si tratta di una motivazione che è già fin dall'origine malvagia (l'unione con le donne, azione di per sé illecita se a compierla sono degli angeli); nel secondo caso, invece, la motivazione è buona (l'istruzione degli uomini), e soltanto per un concorso di circostanze, originariamente non previste, all'obiettivo originario si accompagna l'azione peccaminosa rappresentata dall'unione con le donne. Questa versione del mito è ripresa, c o n dovizia di dettagli, da Homiliae 8, 11-20 e Recognitiones 4 , 2 6 , dove viene interpretata in funzione demonologica, in quanto l e anime dei giganti, c h e continuano ad aggirarsi tra i mortali, non sono nient' altro che i demoni. H nostro testo (1,29) presenta una terza versione del mito, o meglio, una terza versione del racconto, che tende a demitologizzarlo, inserendolo più organicamente nella trama dei fatti storici. Qui non si parla più di angeli, m a di "homines iusti, qui angelorum vixerant vitam"; il loro peccato, di conseguenza, non consiste più semplicemente nell'unione con le donne, bensì in "promiscui et inliciti concubitus" e nello stravolgimento dello "status rerum humanarum et divinitus traditus vitae ordo". La conseguenza di queste unioni illecite e promiscue è la nascita dei giganti, i quali, secondo la prospettiva demitologizzante del racconto, sono presentati semplicemente c o m e uomini dalle dimensioni eccezionali, "quorum adhuc ad indicium in nonnullis locis ossa immensae magnitudinis ostenduntur", mentre si prendono esplicitamente le distanze dai miti greci, che invece li presentano c o m e "dracontopedes". In un breve commento dedicato a questo testo all'inizio degli anni ' 5 0 , H. J. Schoeps aveva segnalato come questa versione del mito della caduta degli angeli fosse da mettere in relazione con certe tradizioni, che interpretavano l'episodio di Gn 6 , 1 - 4 c o m e l'unione tra i discendenti di Setti e le figlie di C a i n o . L e attestazioni più antiche di queste tradizioni sono cristiane: si va dal cronografo Giulio Africano (sec. Ili) ad autori siri c o m e Afraate ed Efrem e alla raccolta di leggende della Caverna dei Tesori (redazione nel sec. V - V I ) , l
2
1. H. J. SCHOEPS, op. cit., in Aus fruhchristlicher Zeit. Religionsgeschichtliche Untersuchungen, Tubingen, 1950, p. 11 -12. 2. Cfr. il frammento tratto dalle Cronache di Giulio Africano riportato dal cronografo bizantino Sincello (fine sec. Vili): Chronographia, ed. W. DINDORF, Bonn, 1829, p. 34-35; Aphraates, Demonstrations 13, 5 (De sabbato: Patrologia
218
CLAUDIO GIANOTTO l
mentre le attestazioni giudaiche sono soltanto molto più tardive . Questa circostanza ha indotto alcuni studiosi a ritenere che anche le tradizioni soggiacenti fossero di origine cristiana . Più recentemente, invece, si è fatta strada l'ipotesi, a mio avviso più verosimile, che queste tradizioni fossero già diffuse all'interno del giudaismo antico, c o m e sembrano testimoniare i Targumim e Flavio G i u s e p p e . C'è chi ha m e s s o in dubbio che Recognitiones 1,29 fosse da collegare a queste tradizioni sull'unione tra i discendenti di Seth e le fighe di Caino , ma a m e pare che i collegamenti siano evidenti, anche se non è facile individuare rapporti di dipendenza precisi. Oltre al comune rifiuto dell'interpretazione a n g e l o l o g i a , va segnalata, innanzitutto, la collocazione dell'episodio nell'ottava generazione (7 Enoc e Giubilei collocano l'episodio al tempo di Iared, che sta nella sesta generazione della discendenza di Seth secondo Gn 5, o nella quarta della discendenza di Caino — con vocalizzazione diversa — secondo Gn 4 ) , collocazione che ben si adatta al contesto dell'unione tra i discendenti di Seth e le fighe di Caino, in quanto Gn 4, 17-24 elenca precisamente otto generazioni nella discendenza di Caino, della quale poi non si parla più; inoltre, il riferimento alla vita angelica degli uomini giusti prima del peccato trova un parallelo in 2
3
4
Syriaca 1, 549); 18, 9 (De virginitate et sanctitate: Patrologia Syriaca 1, 837); Ephrem, In Genesim 6, 3-6, ed. R . - M . TONNEAU, Leuven, 1955, p. 56-57 (Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 152); C. BEZOLD, Die Schatzhòhle, 2 vol., Leipzig, 1883 (trad, tedesca) e 1888 (testo siriaco con una traduzione araba), vol. H, p. 58-72 (testo siriaco); vol. I, p. 14-17 (trad, tedesca). Per una presentazione generale della documentazione, cfr. F. DEXINGER, Sturz der Gòttersòhne oder Engel vor der Sintflut? Versuch eines Neuverstàndnisses von Genesis 6, 2-4 unter Beriicksichtigung der religionsvergleichenden und exegesegeschichtlichen Methode, Wien, 1966, p. 106-116; L. R . WICKHAM, 'The Sons of God and the Daughters of Men: Genesis VI, 2 in Early Christian Exegesis", in Oudtestamentische Studien 79 (1974), p. 135-147; A . F. J. KLUN, Seth in Jewish, Christian and Gnostic Literature, Leiden, 1977, p. 48-80. 1. Cfr., ad es., Pirqe R. Eliezer 22; Cronaca di Yerahmeel 24, 11; H. J. SCHOEPS, op. cit., in Aus fruhchristlicher Zeit. Religionsgeschichtliche Untersuchungen, Tubingen, 1950, p. 11. 2. Cfr., ad es., A . F. J. KLUN, op. cit., Leiden, 1977, p. 79.
3. L'espressione chiave è bny 'Ihym, che si trova in Gn 6, 2. Essa può, infatti, essere intesa in senso angelologico (la LXX traduce con oi àyyeXoi xov Qeox> in 6 , 2 e con oi vidi xox> QEOV in 6,4), ma non necessariamente. I Targumim traducono con "figli dei nobili" (Targum Onqelos; Targum Pseudo-Jonathan) o con "figli dei giudici" (Targum Neofiti); analogamente intende R . Simeon b. Yohai in Genesi Rabbah 26, 5, 2, che arriva a maledire quanti intendono i bny lhym come "figli di Dio"; più ambigua l'interpretazione di Flavio Giuseppe in Antiquitates 1,72-74. Si vedano, in proposito, P. S. ALEXANDER, "The Targumim and the Early Exegesis of 'Sons of God' in Genesis 6", in Journal of Jewish Studies 23 (1972), p. 60-71; G. A . G. STROUMSA, Another Seed: Studies in Gnostic Mythology, Leiden, 1984, p. 129-131. 4. Cfr., ad es., A . F. J. KLUN, op. cit., Leiden, 1977, p. 67-68 (n. 95). (
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Afraate, che parla della verginità dei figli di Seth (Demonstrationes 1 8 , 9 ) , in Efrem, che cita il modo di vita angelico dei discendenti di Seth *, nella Caverna dei Tesori, che accenna alla purezza di vita dei Sethiti . Certo, l'accenno alla vita angelica dei discendenti di Seth potrebbe spiegarsi autonomamente, sia per Recognitiones 1,29 sia per le altre fonti sopra citate, c o m e un semplice residuo dell'interpretazione a n g e l o l o g i a dell'episodio; tuttavia, le coincidenze mi sembrano troppo numerose per non pensare all'esistenza di una tradizione comune. Una difficoltà potrebbe essere rappresentata dall'applicare la qualifica di vita angelica, c h e sembra presupporre per lo m e n o l'assenza dell'attività riproduttiva e della morte, ai discendenti di Seth. S e è vero che, per le vite estremamente lunghe assegnate ai patriarchi dalla tradizione biblica, non ci sono problemi ad immaginare l'assenza della morte per le prime otto generazioni , non altrettanto coerente sembra attribuire ai Sethiti l'assenza di attività riproduttiva, visto che tutti ebbero figli. Il problema non sembra turbare più di tanto gli autori cristiani; un segnale che, comunque, il problema era stato in qualche m o d o percepito ci viene dagli estratti del commento alla Genesi di Efrem riportato dalla catena siriaca di Giacomo di Edessa, dove si precisa che i discendenti di Seth avrebbero imitato la condotta di vita degli angeli soltanto "per quanto è possibile all'uomo" . D peccato che ha introdotto il male nel mondo, secondo questa versione del mito, consiste, dunque, c o m e si è detto, in un peccato di origine sessuale ("ad promiscuos et inlicitos concubitus declinarunt"), che sconvolge l'ordine stabilito da D i o non per l'unione illecita tra due classi di eseri, quelli angelici e quelli umani, che 2
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1. Nel commentario alla Genesi sopra citato, Efrem non fa esplicito riferimento alla vita angelica dei discendenti di Seth, ma semplicemente alla loro vita isolata, in una regione montuosa, senza contatto alcuno con i discendenti di Caino, abitanti invece della pianura (In Genesim 4,3; ed. R.-M. TONNEAU, p. 54); ma in una racolta catenaria, il riferimento alla vita angelica è esplicito (Sancti Patris nostri Ephraem syri, et Jacobi episcopi edesseni interpretationum in Genesim collectanea — Excerpta ex Catena Syriaca Severi monachi edesseni VI, in Sancti Patris nostri Ephraem syri opera omnia quae exstant Graece, Syriace, Latine, Romae, ex Typoc
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graphia Vaticana 1737, p. 145 C: gbw Ihwn m mr dély kd h^n mPkYt km dmsy Ibrné kd mynyn bryèh dhrmwn twr = si scelsero una dimora tranquilla, 3
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vivendo angelicamente, per quanto è possibile all'uomo, insediandosi sulla cima del monte Hermon). 2. Cfr., ad es., C. BEZOLD, op. cit., voi. I, Leipzig, 1883, p. 10.
3. Le Pseudoclementine, ad es., negano esplicitamente che la morte sia stata introdotta in seguito alla trasgressione di Adamo ed Eva (Homiliae 3, 20), come invece presuppone il racconto genesiaco (cfr. Gn 2,17; 3,19); inoltre, Recognitiones 4,12 sembra lasciar intendere che gli uomini avrebbero incominciato a morire soltanto a partire dai tempi di Enoc; cfr. H. J. SCHOEPS, op. cit., in Aus fruhchristlicher Zeit. Religionsgeschichtliche Untersuchungen, Tubingen, 1950, p. 10. 3
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4. Cfr. p. 218, n. 4: kd \fyn mPk'yt km dmsy Ibrné . 3
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avrebbero dovuto rimanere nettamente separate (cfr. il Libro dei Vigilanti), bensì per il sovvertimento degli ordinati rapporti matrimoniali, fino ad allora rigorosamente osservati da uomini giusti, con l'introduzione di rapporti illeciti e promiscui, che, nell'interpretazione di Efrem, diventano esplicitamente rapporti adulterini . Notiamo che la tendenza ad interpretare il primo peccato c o m e un peccato sessuale, esplicita nel caso del mito della caduta degli angeli nelle sue diverse versioni, si manifesta anche, nei primi secoli del cristianesimo, nelle interpretazioni encratitiche della trasgressione di Adamo ed Eva (Gn 3), secondo le quali il serpente-demonio avrebbe instillato nei protoplasmi il veleno della concupiscenza, inducendoli a mangiare il frutto dell'albero proibito . 1
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Abramo. Il peccato dei giusti si colloca nell'ottava generazione e Abramo compare nella ventunesima (I, 32). Nelle generazioni intermedie si colloca una serie di avvenimenti importanti: il diluvio, che D i o manda sulla terra per eliminare la malvagità diffusasi tra gli uomini in seguito alla generazione dei giganti, e per il conseguente spargimento di sangue; di qui la particolare enfasi data al precetto di astenersi dal sangue (XII generazione: 1 , 3 0 , 1 ) ; la diffusione nelle diverse regioni della terra dei tre figli di N o è e dei loro discendenti (XIII generazione: I, 3 0 , 2 ) ; l'erezione del primo altare ai demoni, dove si consumano sacrifici di sangue, e la costruzione del primo idolo (XIV e X V generazione: 1 , 3 0 , 4 - 5 ) ; la confusione delle lingue ( X V I generazione: 1 , 3 0 , 6 ) ; l'evoluzione degli insediamenti umani, la diversificazione delle culture, il riassetto dell'occupazione delle terre attraverso migrazioni di popoli (generazioni XVII-XIX: 1,30,7 - 3 1 , 2 ) ; il primo caso di incesto, che determina un sovvertimento dei tempi della vita e della morte, sicché capita che un figlio muoia prima del padre ( X X generazione: 1 , 3 1 , 3 ) . Nella ventunesima generazione entra in scena Abramo, discendente di Sem, figlio di N o è , capostipite del popolo ebraico (I, 32). È definito "vir quidam sapiens", ed interviene, dopo il giusto N o è
1. "Etenim filii Seth ad filias Cain accedentes, neglexerunt uxores suas quas prius duxerant sibi; et istae etiam pro nihilo putarunt curam sui, et modestiam quam usque ad illud tempus propter viros suos et cum viris suis servabant virorum suorum causa, abicere festinarunt. Propter nane luxuriam quae irrepsit in viros et uxores iUorum, dixit Scriptura: Corrupit omnis caro viam suam" (In Genesim VI, 3; versione latina di R.-M. TONNEAU, Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 153, p. 44). 2. Per una presentazione generale del problema e delle fonti, cfr. G . SFAMENI GASPARRO, Enkrateia e antropologia. Le motivazioni protologiche della continenza e della verginità nel cristianesimo dei primi secoli e nello gnosticismo, Roma, 1984, in particolare p. 56-79; p. 357-359.
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(I, 29), a salvare per la seconda volta il mondo, "diversis erroribus oppressus", dalla distruzione per m e z z o del fuoco (riferimento all'episodio del salvataggio degli abitanti di Sodoma da parte di Abramo: Gn 18,16-33). Rispetto al racconto biblico, manca qualsiasi accenno alla chiamata di Abramo (Gn 12). L'iniziativa non parte da D i o , bensì da Abramo stesso, il quale, essendo astrologo di professione, "ex ratione et ordine stellarum agnoscere potuit conditorem eiusque providentia intellexit cuncta moderali". Questa sua capacità sta alla base della sua sapienza, e gli consente di giungere alla conoscenza di D i o (la sua vita si divide in due parti: il periodo dell'ignoranza e il periodo della conoscenza: I, 34, 1) e ad instaurare con lui un particolare rapporto, grazie al quale riesce a salvare il mondo dalla distruzione. Il motivo che qui emerge, e che era già stato anticipato da un accenno alla funzione della luna e del sole in 1 , 2 8 , 1 , va senz' altro connesso con il più generale tema, caro all'apologetica del giudaismo ellenistico e anche del primo cristianesimo, secondo la quale l'uomo, sulla base della contemplazione del creato, è in grado da solo di giungere alla conoscenza del D i o creatore (cfr. Sap 1 3 , 1 - 9 ; R m 1,18-25). Manca, poi, ogni accenno alla promessa della posterità e della terra: ad Abramo appare un angelo, che gli illustra quello che i suoi discendenti riceveranno, precisando che le località nelle quali si insedieranno dovranno essere intese non tanto c o m e un dono, quanto piuttosto c o m e una restituzione ("non tam eis danda haec loca quam reddenda promisit": I, 32, 4), in quanto i discendenti di S e m erano stati ingiustamente allontanati dalle loro terre dai discendenti di Cam, provenienti da occidente, nel corso della diciannovesima generazione ( 1 , 3 1 , l ) . 1
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Mose. D a Isacco, il figlio che Abramo ebbe dalla sterile Sara nel periodo della conoscenza di D i o , discendono Giacobbe, i dodici patriarchi e i settantadue (Es 1, 1 - 5 ) , che si trasferiscono in Egitto in seguito ad una carestia. La permanenza in Egitto si protrae per 4 0 0 anni: è il 3
1. "Post haec stellis adornat caelum istud visibile. Solem quoque et lunam ponit in eo, ut alterius lumine dies, nox uteretur alterius, simulque ut essent indicio rerum praeteritarum, praesentium et futurarum. Pro signis enim temporum facta sunt ac dierum, quae videntur quidem ab omnibus, intelleguntur autem ab eruditis et intelligentibus solis" (Recognitiones 1,28,1). 2. In realtà, un qualche riferimento al tema deUa promessa esiste, in quanto l'angelo promette che ai discendenti di Abramo saranno restituite le loro terre; secondo la versione siriaca, inoltre, l'angelo conferma anche l'elezione di Abramo. 3. In Es 1,5 il Testo Masoretico ha, per i discendenti di Giacobbe, il numero di 70 (cfr. Gn 46, 27; Dt 10, 22), mentre la LXX ha 75 (anche in Gn 46, 27, ma non in Dt 10,22), numero ripreso nel discorso di Stefano (At 7,14).
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periodo dell'oppressione. Il popolo ebraico, esasperato, vuole ritornare in patria, m a gli Egiziani glielo impediscono. A questo punto, compare sulla scena Mose. La versione latina (insieme a quella armena) dice che il vero profeta apparve a Mose, il quale colpì gli Egiziani c o n dieci piaghe e poi condusse il suo popolo fuori dal p a e s e . La versione siriaca, invece, è lievemente diversa e afferma che Mose è il vero profeta, e che venne a soccorrere gli Ebrei, quando questi erano nell'afflizione, colpendo gli Egiziani con le dieci piaghe e liberando il suo popolo dall'oppressione. Il tema del vero profeta, c o m e è noto, è tipico dello scritto di base, e qui la sua menzione potrebbe essere dovuta ad un tentativo di armonizzazione da parte dell'autore. In ogni caso, la profezia è la caratteristica principale di questo personaggio. L'azione di Mose è duplice: egli Ubera il suo popolo dalla schiavitù d'Egitto (racconto del passaggio del Mar Rosso: 1 , 3 4 , 5 - 7 ) e, nel corso del viaggio di ritorno verso la terra dei Padri, gli trasmette la L e g g e al monte Sinai ( 1 , 3 5 , 2 ) . Il popolo, tuttavia, dimentico dei numerosi prodigi che avevano accompagnato la sua liberazione (le dieci piaghe: Es 7 , 1 4 - 1 2 , 3 4 ; il passaggio del Mar Rosso: Es 1 4 , 1 5 - 3 1 ; la manna: Es 16; l'acqua che sgorga dalla roccia: Es 17, 1-7; la nube e la colonna di fuoco: Es 1 3 , 2 1 - 2 2 ) , durante la permanenza di Mose sul monte si costruisce un vitello d'oro e lo adora. Questa è la riprova della sua incapacità di liberarsi delle cattive abitudini acquisite durante il soggiorno in Egitto, e della saggezza della decisione, presa da Mose, di non condurre direttamente nella Giudea il popolo per la via più breve, ma di guidarlo per lunghe peregrinazioni nel deserto. Il retaggio della lunga permanenza in Egitto è un "vitium idolis immolandi" difficile da sradicare. Mose, conscio della difficoltà dell'impresa, si limitò ad emendare una metà dell'errore: concesse agli Ebrei di continuare a compiere sacrifici, ma impose loro di offrirli al D i o unico soltanto, emanando altresì norme relative al luogo di culto. La correzione dell'altra metà dell'errore, vale a dire l'abolizione totale dei sacrifici cruenti, la lasciò ad un altro profeta c o m e lui, di cui annunciò la venuta in tempi successivi. Secondo la prospettiva di questo racconto, il nucleo fondamentale l
1. Il testo latino presenta una certa ambiguità ("apparuit verus propheta Moysi et Aegyptios quidem resistentes, ne Hebraeorum populus exiret ab eis et rediret ad patriam terram, decem plagis caelestibus adfecit, populum vero dei eduxit ex Aegypto": I, 34,4), in quanto non è chiaro quale sia il soggetto dei verbi, se il vero profeta o Mose; la stessa ambiguità sembra essere nella versione armena; cfr. F. S. JONES, op. cit. Atlanta, Georgia, 1995, p. 61; secondo la sua traduzione dal latino, il soggetto del verbo adfecit sembra essere lo stesso di apparuit (e quindi, il vero profeta), mentre Mose sarebbe il soggetto del verbo eduxit; secondo la sua traduzione dall'armeno, invece, il vero profeta sembra essere il soggetto di tutti i verbi. y
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della L e g g e trasmessa da Mose al suo popolo consiste nei dieci comandamenti, il più importante dei quali impone di adorare il D i o unico. Il resto delle norme legislative, in particolare quelle che riguardano il sacrifici e il luogo di culto, sono state promulgate da Mose successivamente, dopo l'episodio del vitello d'orò, e rappresentano una concessione, che ha per scopo di permettere l'emendamento di almeno una parte dell'errore del popolo ebraico; inoltre, la loro validità è limitata nel tempo, e terminerà con l'avvento del profeta annunciato da Mose, il quale porterà a compimento l'opera da lui intrapresa, correggendo l'altra metà dell'errore attraverso l'abolizione totale dei sacrifici cruenti . Il riferimento alle norme della L e g g e relative all'unicità del luogo di culto consente una digressione sul Tempio, la cui storia di saccheggi e distruzioni (riferimento probabile alla conquista di Gerusalemme da parte dei Babilonesi nel 5 8 7 - 5 8 6 a. C.) contiene un importante insegnamento: fintanto che aveva praticato il culto sacrificale, il popolo ebraico era stato in balia dei propri nemici; quando, invece, aveva cessato i sacrifici e, al loro posto, aveva praticato la misericordia e la giustizia, era stato liberato dalla schiavitù ed era potuto ritornare in patria (1,37). La lezione, però, non era stata capita, e il culto sacrificale era ripreso, con la costruzione di un nuovo Tempio. l
Gesù. Gesù è il profeta annunciato da Mose (Dt 1 8 , 1 5 . 1 9 ) , ed è venuto a completarne l'opera. C o m e era stato anticipato nella sezione dedicata a Mose (I, 36), la sua missione consiste nel decretare l'abolizione totale dei sacrifici "per misericordiam Dei" ( 1 , 3 9 , 1 ) : i sacrifici non sono necessari perché D i o è misericordioso, e c o m e tale vuole la misericordia al posto degli olocausti . Si coglie qui, da un lato, un'eco della polemica contro i sacrifici caratteristica della tradizione profetica (cfr., ad es., 1 S m 15, 2 2 - 2 3 ; Is 1, 11-14; Ger 7, 2 1 - 2 3 ; A m 5 , 2 1 - 2 3 ; O s 6 , 6 ; M i e 6 , 6 - 9 ) , che conferma la tesi, già espressa in precedenza (I, 36), secondo la quale il culto sacrificale, lungi dall'esssere stato istituito da D i o , di fatto era stata una concessione alla propensione del popolo all'idolatria, acquisita durante il 2
1. Le Pseudoclementine condividono il rifiuto dei sacrifici, ma lo fondano sulla teoria delle pericopi falsificate, che avrebbero alterato l'originaria rivelazione ricevuta da Mose sul Sinai (cfr. Homiliae 2,38; 3,45.52.56). D tema della provvisorietà di certe norme deUa Legge mosaica è utilizzato anche dagli apologisti cristiani (ad es., Iustinus, Dialogus 18-22; Tertullianus, Adversus ludaeos 6) e dagli gnostici (ad es., Lettera di Tolomeo a Flora). 2. n tema dell'abolizione dei sacrifici da parte di Gesù è presente anche nel giudeocristiano Vangelo degli Ebioniti (Epiphanius, Panarion 30,16,5).
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soggiorno in Egitto; e dall'altro, l o sviluppo di alcuni spunti di critica contenuti nella predicazione stessa di Gesù, così c o m e la conosciamo dai Sinottici, e nella sua proposta di una via di salvezza che scavalcava completamente la mediazione del sacerdozio e del Tempio. La funzione principale che si riconosceva ai sacrifici è quella espiatoria: e Gesù, proprio per impedire che, in seguito all'abolizione del culto sacrificale, il popolo ebraico pensasse che i peccati non potessero più essere espiati, all'annuncio della misericordia di D i o affiancò l'istituzione di un altro rito espiatorio, il battesimo di acqua nel suo nome, col quale si poteva ottenere la remissione di tutti i peccati. D lavacro battesimale, unito ad una condotta di vita perfetta, secondo la Legge trasmessa a Mose sul Sinai, avrebbe assicurato la salvezza ( 1 , 3 9 , 2 ) . Le credenziali del profeta Gesù sono i miracoli e i prodigi da lui compiuti, che sono analoghi a quelli compiuti dal profeta Mose. M a c o m e nel caso del primo profeta, anche al secondo il popolo non diede retta; anzi l o calunniò, dicendo di lui cose false, e alla fine l o mise a morte sulla croce. A questo punto il testo dice: "quod tamen factum (scil. la morte in croce) virtute eius conversum est in bonum" (I, 4 1 , 2). S e si segue la versione latina di Rufino, il seguito non consente di capire bene in quale m o d o il profeta Gesù, attraverso la sua potenza, abbia potuto mutare in bene il delitto della crocifissione. La traduzione siriaca, invece, permette una spiegazione più chiara. Insieme c o n Gesù, soffre l'universo intero: i prodigi che accompagnano la sua morte (l'oscuramento del sole; lo sconvolgimento delle stelle; il mare che si agita e i monti che franano; i sepolcri che si scoperchiano; il velo del Tempio che si lacera) turbano il popolo ebraico e lo costringono ad interrogarsi su quel profeta. Quindi, alcuni incominciano a credere in lui, anche se altri, indifferenti a tutto quanto è successo, perseverano nella loro incredulità . M a anche l'ostinazione del popolo ebraico a non credere al profeta Gesù fa parte di un disegno provvidenziale: è necessario che, per colmare il numero fatto vedere ad Abramo (probabile allusione a Gn 1 5 , 5 : "Poi lo fece uscir fuori e gli disse: 'Guarda in cielo e conta le stelle, se le puoi contare'; e soggiunse: T a l e sarà la tua discendenza'"), al posto degli ebrei increduli l'annuncio cristiano sia rivolto ai pagani. Credendo al profeta Gesù, dunque, i pagani diventano discendenti di Abramo. l
1. In L 4 1 , 4 , la versione latina dice semplicemente che il popolo non fu per nulla turbato dagli avvenimenti ("et tamen cum omnis mundus commotus sit, ipsi etiamnunc ad inquisitionem tantarum rerum nullatenus commoventur"); la versione siriaca, invece, afferma che la nazione intera fu turbata da quegli eventi portentosi e costretta ad interrogarsi sulla cosa, mentre le menti di alcuni soltanto rimasero indifferenti a tutto quello che era successo; cfr. F . S . JONES, op. cit. Atlanta, Georgia, 1995, p. 71-72. t
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3. Il messaggio e le sue implicazioni. L'elemento che più colpisce in questa sintesi della storia della salvezza sono le reticenze e i silenzi su certi fatti che, nella parallela storia biblica, hanno una precisa rilevanza. L'esempio più emblematico è il silenzio assoluto sulla trasgressione di Adamo ed Eva nell'Eden, sostituita, per spiegare l'origine del male nel mondo, da una particolare versione del mito della caduta degli angeli che, diversamente da quella del Libro dei Vigilanti, non esonera in alcun m o d o l'uomo dalle sue responsabilità; il racconto cambia, ma la morale resta la stessa di Gn 3: l'uomo è Ubero e la responsabiUtà del male è tutta sua. Anche la struttura di questa "storia della salvezza" presenta alcuni tratti caratteristici: si nota una particolare insistenza sulla storia primitiva (I, 27-31 // Gn 1-11), che, all'interno del racconto, ha un'estensione pari a circa la metà della storia ebraica propriamente detta (1,32-38); quest'ultima, poi, si concentra su alcuni personaggi fondamentali: Abramo, M o s e e Gesù, disinteressandosi praticamente di tutto il resto; il riassunto, condensato in poche righe (1,38), degli avvenimenti che vanno dall'insediamento nella terra di Canaan all'istituzione della monarchia, caratterizzato, tra l'altro, da una critica a quest'ultima soprattutto a motivo della costruzione del Tempio, non cambia sostanzialmente il quadro. Questi tratti caratteristici orientano questa storia in senso universalistico, secondo il modello della storiografia giudaico-ellenistica. La storia del popolo ebraico è inserita nel contesto della storia universale e quelli che erano i suoi tratti distintivi tradizionali appaiono sfumati: Abramo è un astrologo che, da solo, attraverso lo studio delle stelle, giunge alla conoscenza del vero Dio; non si parla della sua vocazione (episodio cui sono tradizionalmente coUegati i temi dell'elezione e della promessa) né dell'istituzione deUa circoncisione, segno caratteristico dell'appartenenza al popolo eletto; si sottolinea la distinzione tra il nucleo fondamentale della Legge, trasmesso da D i o a M o s e sul Sinai e consistente nei dieci comandamenti, e il complesso di norme provvisorie, riguardanti in particolare i sacrifici e il luogo di culto, promulgate successivamente da M o s e in seguito all'episodio del vitello d'oro, nel tentativo di contenere ed imbrigliare, in qualche modo, la propensione del popolo ebraico all'idolatria. Il fatto che il documento accetti la missione ai pagani, che giustifica con un ragionamento non dissimile da queUo di Paolo in R m 9-11 (il completamento del numero dei discendenti fatto vedere ad Abramo), induce a pensare che questo racconto sia una riscrittura, in forma sintetica, della storia sacra per gli usi di una comunità mista, aperta ad accogliere nel suo seno anche dei pagani. D'altro lato, la struttura stessa di questa storia, che culmina con l'avvento di Gesù, il profeta annunciato da Mose, dimostra che i cristiani che vi si
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riconoscono si considerano c o m e i destinatari del piano salvifico divino manifestato originariamente attraverso la rivelazione del Sinai, e quindi sono il vero giudaismo. In I, 4 3 , 2, d'altra parte, si sostiene che la differenza tra questi cristiani e i Giudei si riduce ad un unico elemento: i primi credono che Gesù sia il profeta annunciato da M o s e , i secondi no ("de hoc enim solo nobis qui credimus in Iesum, adversus non credentes Iudaeos videtur esse differentia"). Questa affermazione perentoria sembra lasciare intendere che questi cristiani continuassero a comportarsi da Giudei a tutti gli effetti, comprese, quindi, le osservanze. È però improbabile che le osservanze fossero imposte anche ai p a g a n i . In questo senso depongono la distinzione tra un nucleo originario della Legge, consistente nei dieci comandamenti, e le norme sul culto sacrificale e sul santuario, successive e provvisorie; l'affermazione che, credendo all'annuncio salvifico del regno di D i o fatto da Gesù, i pagani possono diventare eredi di Abramo, senza altre restrizioni di sorta ( 1 , 4 2 , 1); inoltre, la menzione, in I, 4 2 , 2, delle difficoltà opposte, verosimilmente dai Giudei, alla missione ai pagani si capisce meglio se si presuppone che ai pagani non fossero imposte particolari osservanze rituali, ad eccezione, probabilmente, di alcune norme di purità, che nell'Israele antico erano imposte anche ai grym, e che sono riprese nel decreto apostolico di At 15. U n recente studio ha dimostrato, a m i o parere in modo c o n v i n c e n t e , che le quattro clausole del decreto rappresentavano le sole restrizioni, dal punto di vista delle osservanze, che la missione giudeocristiana, così c o m e ci è nota in particolare dalle Pseudoclementine, imponeva ai p a g a n i . E nel nostro documento sono riconoscibili tre di queste norme rituali: innanzitutto, l
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1. Il problema è controverso, in quanto il testo non è esplicito su questo punto. Alcuni studiosi ritengono che il gruppo giudeocristiano che sta alla base del documento di Recognitiones 1,27-71 appartenesse all'ala intransigente, e che quindi non soltanto continuasse a praticare le osservanze legali giudaiche, ma che le imponesse anche ai pagani convertiti: cfr., ad es., G. STRECKER, Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1981 , p. 250-251 ; J. L . MARTYN, "Clementine Recognitions 1,33-71, Jewish Christianity, and the Fourth Gospel", in J. JERVELL-A. MEEKS (ED.), God's Christ and His People. Studies in Honour of Nils Alstrup Dahl, Oslo, 1977, p. 271; R. E . VAN VOORST, The Ascents of James. History and Theology of a Jewish-Christian Community, Atlanta, Georgia, 1989, p. 174-178. Di opinione contraria sono, ad es., F. S . JONES, op. cit., Atlanta, Georgia, p. 164 (ritiene improbabile che le osservanze legali fossero imposte ai pagani convertiti); G. LUDEMANN, Paulus, der Heidenapostel, Bd. H: Antipaulinismus im fruhen Christentum, Gòttingen, 1983, p. 243-244 (ritiene che neppure il gruppo giudeocristiano che sta all'origine del documento praticasse le osservanze). 2. J. WEHNERT, Die Reinheit des "christlichen Gottesvolkes" aus Juden und Heiden. Studien zum historischen und theologischen Hintergrund des sogenannten Aposteldekrets, Gòttingen, 1997. 3. Cfr. Homiliae 7, 4, 1-5; 7, 8, 1-2; 8, 19, 1-4; Recognitiones IV, 36, 1-5; J. WEHNERT, op. cit., Gòttingen, 1997, p. 145-186. 2
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l'imposizione dell'astensione dal sangue alla dodicesima generazione ( 1 , 3 0 , 1 ) ; l'accenno all'offerta di sacrifici di sangue ai demoni nella quattordicesima generazione ( 1 , 3 0 , 4 ) , che richiama gli idolotiti del decreto apostolico; e infine la menzione del primo incesto nella ventesima generazione ( 1 , 3 1 , 3 ) , che richiama laporneia del decreto apostolico. Se il problema delle osservanze, sul quale il nostro testo non fornisce informazioni dirette, non può essere risolto in m o d o certo, il problema della soteriologia permette conclusioni più precise. L'elemento centrale dell'attività salvifica del profeta Gesù consiste nel completamento dell'opera iniziata da M o s e , attraverso l'abrogazione totale del culto sacrificale. L'abrogazione dei sacrifici lascia spazio all'abbandono fiducioso alla misericordia di D i o . Tuttavia, accanto a questa che rappresenta la pars destruens dell'attività salvifica di Gesù, si colloca anche una pars construens, che consiste precisamente nell'istituzione di un rito sostitutivo dei sacrifici cruenti: il battesimo d'acqua. In questa prospettiva, il battesimo, che nel contesto della polemica giudaico-cristiana veniva contrapposto alla circoncisione e la sostituiva nella nuova economia *, da rito di iniziazione diventa rito di espiazione. In quanto tale, è possibile che fosse un bagno purificatorio che veniva ripetuto più volte, c o m e sembrano indicare le notizie eresiologiche sugli Elchasaiti . La contrapposizione del battesimo ai sacrifici e non alla circoncisione potrebbe, inoltre, essere un indizio del fatto che la circoncisione continuava ad essere praticata, almeno nella sua parte giudaica, dalla comunità che sta all'origine del nostro documento. M a tutto questo non basta per il conseguimento della salvezza. Anche l'uomo deve fare la sua parte. Conformemente all'indirizzo generale del documento, che ritorna con particolare insistenza a sottolineare l'importanza della libertà e della responsabilità dell'uomo, per conseguire la vita immortale bisogna condurre una vita perfetta, vale a dire osservare la Legge promulgata da D i o sul Sinai e trasmessa a Mose, che consiste nei dieci comandamenti. In questo modo, lo schema soteriologico, tipico del giudaismo del secondo Tempio, che prevedeva la complementarietà di due momenti, quello espiatorio, incentrato sull'istituzione del Tempio, e quello dell'osservanza, incentrato sulla Legge, viene mantenuto, ma con mutamenti radicali nei contenuti: il sacrificio cruento del Tempio è sostituito dal lavacro battesimale, che acquisisce valenza espiatoria; e il sistema delle osservanze legali è sostituito dal richiamo alle norme etiche dei dieci comandamenti. In questo contesto, va notato che gli accenni alla passione e morte 2
1. Cfr., ad es., Iustìnus, Dialogus 18,2; 4 3 , 2 . 2. Cfr. mppolytas.RejutationeslX, 13,1 - 1 7 , 2 .
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di Gesù ( 1 , 4 1 ) e alla sua risurrezione ( 1 , 4 2 , 4 ) non contengono alcun riferimento
al valore espiatorio di quella morte o alla sua efficacia
salvifica: segno evidente che, secondo l'ideologia del documento, Gesù non salva attraverso la sua morte e risurrezione, m a soltanto attraverso la sua attività profetica. Questa conclusione non si fonda su di un argumentum
e silentio,
in quanto il documento
riconosce
esplicitamente alla morte di Gesù e ai prodigi che l'accompagnarono una funzione, che però non è quella sacrificale ed espiatoria: essi servirono a scuotere il popolo ebraico dalla sua indifferenza nei confronti di Gesù e indussero almeno alcuni ad interrogarsi sul significato di quei fatti e di quella persona ( 1 , 4 1 , 4 siriaco). D'altra parte, la menzione dell'eucaristia accanto al battesimo in 1 , 6 3 , 3 non implica necessariamente il
riconoscimento
anche alla prima della valenza
l
espiatoria propria del s e c o n d o . D'altro canto, se è vero che la caratterizzazione del ministero profetico di Gesù soprattutto c o m e intervento abrogatorio nei confronti del culto sacrificale può
ricollegarsi,
da una parte, ad una radicata tradizione di critica dei sacrifìci, iniziata dai profeti e rimasta viva a lungo nel giudaismo e, dall' altra, alla polemica contro il sacerdozio e il Tempio, inaugurata da Gesù e ripresa da certe correnti del primo cristianesimo, c o m e testimonia il discorso di Stefano in A t 7, non si può negare che ad essa sia sotteso, anche se in
1. n problema del significato e del valore annesso alla celebrazione della cena del Signore nel cristianesimo delle origini è molto complesso. Mi limito qui a rimandare al classico studio di H. LIETZMANN, Messe und HerrenmahU Bonn, 1926, in particolare le p. 238-255; come è noto, al termine deUa sua analisi delle fonti liturgiche relative alla messa, l'autore giunge a postulare un duplice modeUo di celebrazione della cena del Signore nel primo cristianesimo: da un lato, una celebrazione festosa di rendimento di grazie attraverso un pasto comune, in continuazione ideale con i pasti consumati insieme a Gesù durante la sua vita terrena; dall'altro, una celebrazione commemorativa dell'ultima cena, e quindi collegata strettamente con la morte di Gesù sulla croce, n primo modello è attestato in particolare dagli Atti degli Apostoli (la 'frazione del pane' nella primitiva comunità di Gerusalemme di At 2, 42; cfr. anche 20,11), dalle Pseudoclementine (il rimando è a Homiliae 14,1; il documento di Recognitiones 1,27-71 non è menzionato, perché Lietzmann è più interessato alla ricostruzione del rito che all'analisi dei suoi significati) e dagli Atti di Pietro 5; ad esso è del tutto estraneo qualsiasi riferimento alla morte di Gesù ("Und aus der paulinischen Feier trat auch das Gedenken an des Herrn Tod, welches diesem Typ von Hause aus voli fremd war": p. 249). Il secondo modeUo è invece proprio di Paolo e delle sue comunità; cfr. 1 Cor 11,23-26 ("Vielmehr finden wir diesen zweiten Typ zuerst in den paulinischen Gemeinden, und er ist auf hellenistischem Gebiet weitergebildet und hat zusammen mit dem Heidenchristentum schlieBlich den voUen Sieg davon getragen, wàhrend die Reste des ersten Typus uns vorzugsweise in der EinfluBsphàre des Judenchristentums begegnen": p. 253-254). Il documento giudeocristiano di Recognitiones I, 27-71 sembra precisamente documentare, anche se in forma indiretta, il primo modeUo di celebrazione della cena del Signore deUa tipologia di Lietzmann, vale a dire queUo che non faceva riferimento alla morte di Gesù. In proposito si veda anche H . KÓSTER, "Jesus' Presence in the Early Church", in Cristianesimo nella storia 15 (1994), p. 541-557, specialmente p. 550^551.
A PROPOSITO DI RECOGNFTIONES1,27-71
229
forma non esplicita e diretta, un ulteriore spunto polemico, e precisamente contro un modello alternativo di cristianesimo, in particolare quello di Paolo e della sua missione, che faceva leva sull'interpretazione in senso sacrificale ed espiatorio della passione, morte e risurrezione di Gesù. Nella prospettiva del nostro documento, una tale forma di cristianesimo si fondava su di un madornale fraintendimento di uno degli aspetti fondamentali dell'insegnamento di Gesù, il suo rifiuto radicale del culto sacrificale. In questo contesto, le considerazioni sulla cristologia più o meno alta del nostro scritto diventano secondarie. È vero che in I, 4 3 , 1 e I, 6 3 , 1 si parla di Cristo eterno, il che fa pensare ad una qualche concezione del Cristo preesistente. L'idea va probabilmente ricollegata alle concezioni giudaiche del messia preesistente, attestate, ad es., in 4 Esdra 7 , 2 8 ; 1 2 , 3 2 ; 1 3 , 2 6 e 2 Baruc 2 9 , 3 ; 3 0 , 1 , o al modello cristologico adozianista; ma si tratta di una prospettiva molto diversa da quella di Paolo o di Giovanni, e questo proprio per le differenti basi soteriologiche. Certo, da un punto di vista statico, ontologico, se si vuole, tra il Gesùpsilos anthropos che la tradizione eresiologica attribuisce alle sette giudeocristiane e il Cristo eterno del nostro documento c'è una grande differenza; ma da un punto di vista dinamico, del m o d o in cui Gesù opera la salvezza, le differenze sono molto più sfumate: se non si riconosce il valore sacrificale-espiatorio della sua morte e risurrezione, l'azione salvifica di Gesù si restringe al suo insegnamento o alla sua attività profetica; la sua venuta non ha superato l'efficacia della Legge, rendendola di fatto inutile, c o m e in Paolo, ma l'ha semplicemente riportata alla sua purezza originaria. L'azione salvifica di Gesù non sostituisce quella della Legge, ma le è complementare. 1
4. Osservazioni conclusive. L'analisi del tema della storia della salvezza ci ha permesso di delineare alcune caratteristiche del gruppo che sta all'origine del documento di Recognitiones I, 2 7 - 7 1 . La particolare insistenza sui tratti universalistici di questa storia e, per contro, l'attenuazione o addirittura il silenzio nei confronti dei tratti più tipicamente giudaici conferma c o m e il documento fosse il prodotto di una comunità giudeocristiana, la quale era fortemente impegnata nella missione ai pagani e, pur continuando a praticare le osservanze e i precetti della L e g g e c o m e tutti gli altri Giudei, tuttavia non li imponeva ai convertiti provenienti dal paganesimo. Questo impegno missionario, tuttavia, doveva essere rivolto anche ad un altro obiettivo: i Giudei, e 1. Cfr. Epiphanius, Panarion 3 0 , 1 8 , 6 .
230
CLAUDIO GIANOTTO
con la prospettiva di un certo successo, se non fosse stato per l'intervento improvvido deli inimicus homo, c o m e indica la parte del documento successiva a quella esaminata in questa relazione (1,53,4-71,6). L'episodio dell'uccisione violenta di Giacomo in seguito all'intervento di un personaggio non meglio identificato (homo quidam inimicus), ma sotto il quale si cela indubbiamente la figura di Paolo (I, 70, 1-8), indica che il documento, oltre che con i problemi della missione ai pagani e ai Giudei, si doveva confrontare anche con quelli interni al cristianesimo stesso. L'antipaolinismo, tuttavia, non si manifesta soltanto nell'episodio emblematico dell'uccisione di Giacomo; in realtà, esso è sottilmente sotteso all'intero documento. Il contrasto verte su due modelli alternativi di cristianesimo; uniti negli obiettivi (missione ai pagani senza l'imposizione della circoncisione e delle osservanze), essi divergono radicalmente sulle modalità per il conseguimento della salvezza. Come si è visto, si tratta della contrapposizione di due soteriologie, più che non di due cristologie, data la scarsa rilevanza della distinzione tra una cristologia alta e una cristologia bassa in questo contesto: da una parte, l'insistenza sull'eccezionalità e l'unicità dell'atto salvifico rappresentato dalla morte e risurrezione di Gesù, che rende inutile o indifferente l'osservanza della Legge; dall'altra, l'identificazione della valenza salvifica di Gesù nel suo insegnamento e soprattutto nella sua missione profetica, che consiste nell'abolizione totale e definitiva dei sacrifici, sostituiti dal lavacro battesimale, e nel ripristino della purezza originaria della Legge. 9
AUX ORIGINES DU ROMAN CLÉMENTIN. PROTOTYPE PAÏEN, REFONTE JUDÉO-HELLÉNISTIQUE, REMANIEMENT CHRÉTIEN BERNARD POUDERON
Université de Tours
Résumé Le Roman clémentin tel qu'il nous a été conservé est issu d'un ouvrage judéo-hellénistique lui-même héritier d'un récit païen. Les principaux personnages de Vintrigue des reconnaissances étaient déjà présents dans le roman juif (vers 100 de notre ère) : les deux jumeaux Nicète et Aquila ; leur mère adoptive, la Cananéenne Justa ; un Proto-Barnabé (le marchand de toiles de Rome) ; et même Clément (personnage inspiré du consul Flavius Clemens). Une analyse narratologique permet de distinguer les personnages du récit païen (r siècle de notre ère) : Faustus, Mattidie et leurs deux (ou trois) enfants ; les pirates et la femme qui recueillit les jumeaux ; peut-être aussi un Proto-Appion comme vieil ami de la famille et un Proto-Pierre comme auxiliaire des reconnaissances. y
Summary The Clementines stem from a Judish novel, which itself derives from a pagan recognition story. The main characters were still found in the Judish novel (about 100 A.D.): the twin brothers Nicetes and Aquilas, their adoptive mother the Canaanite Justa, a ProtoBarnabas (the merchant of Rome), and even Clement (a character inspired by the historical figure of Flavius Clemens). A narratological analysis allows to distinguish the characters of the pagan story (1st century A.D.): Faustus, Mattidia and their two (or three) children, the pirates and the woman who took in the twin brothers; perhaps also a Proto-Appion as the old friend of the family, and a Proto-Peter as the auxiliary of the recognition.
232
BERNARD POUDERON
Lors du récent Colloque de Lausanne sur la littérature apocryphe, nous avions déjà consacré une communication aux origines du Roman clémentin \ N o u s avions montré que sa source n'était pas un roman païen, c o m m e l'écrivait il y a plus d'un demi-siècle O. Cullmann, mais un roman juif reprenant une trame narrative païenne. Poussant plus loin encore notre investigation, nous avions tenté de montrer que son héros m ê m e , Clément, tirait son origine de la figure (historique) du consul Flavius Clemens, parent de l'empereur D o m i tien, exécuté en 9 5 pour « mœurs j u i v e s », et dont la popularité au sein des milieux juifs semble attestée par la célébration de son martyre dans la littérature rabbinique . N o u s nous proposons ici de prolonger notre enquête et de reprendre la question des origines du Roman dans son ensemble, en considérant c o m m e acquise l'hypothèse de l'intermédiaire juif. N o u s soumettrons donc à la critique (la vôtre et la mienne propre !) une seconde hypothèse, celle d'un fonds païen originel ; et nous nous efforcerons de déterminer si c e fonds se réduisait à un simple canevas (commun à de nombreux romans païens), ou s'il y eut véritablement un ouvrage littéraire païen unique à l'origine du roman 2
3
1. B. POUDERON, « Flavius Clemens et le Proto-Clément juif du Roman pseudoclémentin », dans Apocrypha 7 (1996), p. 63-79. Dans le cours de cette étude, nous nous référons continuellement aux études suivantes : W. HEINTZE, « Der Klemensroman und seine griechischen Quellen », dans Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur 40, 2, Leipzig, 1914, p. 1-144 ; O . CULLMANN, Le Problème littéraire et historique du Roman pseudo-clémentin, Paris, 1930 ; J. RIUS-CAMPS, « Las Pseudoclementinas : Bases fîlologicas para una nueva interpretacion », dans Revista Catalana de Teologia 1 (1976), p. 79-158 ; F. S. JONES, « The Pseudo-Clementines. A History of Research », dans The Second Century 2 (1982), p. 1-33 et p. 63-96 ; J. WEHNERT, « Abriss der Entstehungsgeschichte des pseudoklementinischen Romans », dans Apocrypha 3 (1992), p. 211-235. Nous empruntons nos traductions, pour les Homélies, à A. SIOUVILLE, Les Homélies clémentines, Paris, 1933 (parfois transformée), et pour les Reconnaissances, à A. SCHNEIDER-L. CIRILLO, Les Reconnaissances du Pseudo-Clément. Roman chrétien des premiers siècles, Turnhout, 1999. Le premier à avoir formulé l'hypothèse du roman juif (mais non du Clément juif à proprement parler) est W. BOUSSET, « Die Geschichte eines Wiedererkennungsmarchens », dans Nachrichten der Gesellschaft der Wissenschaften in Gôttingen Phil-Hist. Klasse, 1916, p. 469-551, spécialement p. 529-543. 2. D'après Dion Cassius (l'Epitome de Xiphilin), 67, 4 ; voir Suétone, Domitien 15. Les premiers historiens chrétiens rattachent à l'Église chrétienne l'épouse de Flavius Clemens, Flavia Domitilla, mais non le consul lui-même : Eusèbe, Histoire ecclésiastique m, 18, 4 ; Chronique ecclésiastique, année 96 (Helm, p. 192) ; Jérôme, Épître 108,7. 3. S'il faut bien voir Flavius Clemens dans le personnage de Keti'a bar Shalom, un noble romain exécuté pour son adhésion au judaïsme à l'époque des voyages à Rome des Tannaïtes (95 de notre ère?) : TB Abodah Zarah 10b (confirmé par TB Nedarim 50a-b) ; Midrash Rabbah H, Vaetchanan 24. (Voir notre article cité plus haut,n. 1.)
AUX ORIGINES DU ROMAN CLÉMENTIN
233
judéo-hellénistique. L'un des ressorts de notre démarche sera d'ordre narratologique : en effet, nous serons amené à considérer c o m m e originels les événements, les personnages et m ê m e les discours et débats dont la présence est nécessitée par le déroulement dramatique de l'intrigue. Restera donc à trouver dans le texte actuel du Roman clémentin les traces de leur appartenance au roman primitif ou à la version intermédiaire juive.
I. Préliminaires. V u l'importance que prendra dans la suite de notre étude l'hypothèse d'un intermédiaire juif entre le substrat païen et la rédaction chrétienne du Roman clémentin, il nous a paru utile de rappeler ce qui la fonde.
Le propagandiste
juif et le Clément
judaïsant.
Le personnage de Clément ne peut être ramené au compagnon de Pierre, converti par lui au christianisme selon une tradition attestée dès Irénée et Tertullien et devenu par la suite le deuxième ou le quatrième « évêque » de Rome. En effet, dans de nombreux passages du Roman, Clément ne se convertit pas au christianisme après la rencontre de Pierre en Palestine, mais au judaïsme à la suite de contacts avec un propagandiste anonyme, et cela dès son adolescence r o m a i n e . Il existe donc dans le Roman clémentin deux récits 2
1. Voir Irénée, Contre les hérésies m, 3, 3 (« Clément avait vu les apôtres euxmêmes et avait été en relations avec eux ») ; Tertullien, Praescr. 32,2 (« l'Église de Rome [rapporte que] Clément a été ordonné par Pierre »). 2. Homélies V, 28, 2 : « Jusqu'à présent, après avoir étudié à fond les systèmes d'un grand nombre de philosophes, je ne me suis rallié à aucun, sinon à celui des juifs. Car un négociant en toiles de cette nation, étant venu résider à Rome, m'a, par suite d'une heureuse rencontre, exposé avec beaucoup de simplicité la doctrine de l'unité divine » (dispute avec Appion ; pas de parallèle dans les Reconnaissances) ; comparer avec Homélies V, 26,3 : « Ayant appris d'un certain juif à penser et à agir comme il convient à Dieu » (même contexte). Il est vrai que Homélies IV, 7,2, identifie ce « barbare » à l'apôtre Pierre ; mais O. CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 120 (et nous avec lui) juge « évident » que l'expression rnvrcpooTYYopiavIléxpoo) (« du nom de Pierre ») est une addition du rédacteur chrétien pour adapter le texte initial (c'est-à-dire : juif) à son nouveau contexte : car ce n'est pas à Rome que Clément a rencontré Pierre, mais à Césarée ; et Appion, qui n'a pas revu Clément depuis fort longtemps (Homélies V, 29,1 ), ne peut évidemment pas faire allusion à la conversion de Césarée. Le Barnabe de Reconnaissances 1,7, n'est qu'une réplique du propagandiste anonyme de Homélies V, 28, 2 ; ce n'est d'ailleurs pas lui qui, à Rome, initie Clément à la doctrine de vérité, puisqu'il remet de lui-même cette initiation à la venue de Clément en Judée : Reconnaissances I, 11, 1 ; en fait, Clément sera initié par Pierre : Reconnaissances 1,14,1-2.
234
BERNARD POUDERON
de conversion parfaitement incompatibles l'un avec l'autre : la première a lieu à Rome, avant la fameuse dispute entre Appion et Clément sur le thème de l'adultère, et fait du jeune Clément un prosélyte du judaïsme ; la seconde est le fait de Pierre à C é s a r é e (ou éventuellement de Barnabe à Alexandrie ), et se situe donc après le départ de Clément pour la Palestine. La seule explication possible à cette contradiction insurmontable nous paraît être la suivante : un récit apologétique juif concernant un Clément juif (sans doute inspiré du personnage de Flavius Clemens) a été remanié par un auteur chrétien ayant à l'esprit le Clément chrétien . Le Roman clémentin serait donc d'abord l'adaptation au personnage de Flavius Clemens d'un récit didactique d'origine païenne, puis l'adaptation au personnage de Clément de R o m e du récit judéo-hellénistique concernant le Clément juif . Ce premier point est d'une telle importance qu'il importe d'en évaluer le poids. Les principales objections qui ont été soulevées contre notre hypothèse sont le fait de Luigi Cirillo et de F. Stanley J o n e s . La première est la suivante : le propagandiste juif anonyme d'Hom. V, 28, 1, n'est autre que Barnabe, le missionnaire « chrétien » du prologue des Reconnaissances. En fait, les deux personnages, m ê m e s'ils présentent d'évidentes similitudes , sont tout à fait 1
2
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6
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1. Clément est en effet « les meilleures prémices des Gentils sauvés par son [c'està-dire : de Pierre] ministère » : Épître de Clément à Jacques 3, 4. Voir Homélies IV, 7 , 2 : « Il [c'est-à-dire : Clément] s'est laissé entraîner par un barbare du nom de Pierre... » 2. Voir Homélies 1,13,3 (« Barnabe m'initia aux premiers éléments de la doctrine de vérité ») ; H, 4,1 (rappel de l'instruction préliminaire de Barnabe à Alexandrie) ; Reconnaissances 1,11,3 (Barnabe repousse l'initiation de Clément à son séjour en Judée, laissant pour ainsi dire le champ libre à Pierre). 3. L'explication que donne O. Cullmann est tout autre. Il y aurait eu deux Cléments : le Clément chrétien serait une création du rédacteur de Y Écrit fondamental (qui aurait combiné la figure de Clément romain à celle de Flavius Clemens) ; le Clément juif (un noble Romain anonyme) proviendrait d'un ouvrage apologétique juif en forme de dialogue. Notre objection est la suivante : Est-il possible qu'aient coexisté dans deux milieux différents deux figures littéraires si proches, l'une chrétienne et l'autre juive ? N'est-il pas évident que ces deux jeunes nobles Romains convertis sont une seule et même personne ? Voir notre démonstration plus bas. 4. Ce type d'emprunt (d'un univers religieux à l'autre) est bien attesté dans l'histoire de la littérature. L'un des exemples les plus fameux en est le Roman de Barlaam (fin du X siècle ?), qui n'est autre qu'une transposition de la vie de Bouddha (le Bodhisattva, devenu en arabe Budhasaf, puis Yudasaf, en géorgien Iodasaph, et en grec Ioasaph). Voir D. M. LANG, The Wisdom ofBalavhar. A Christian Legend of the Boudha, Londres-New York, 1957. 5. Lors d'une rencontre de l'Association pour l'étude de la littérature apocryphe chrétienne (AELAC), Dole, juin 1998. 6. Ce terme n'est jamais employé dans les écrits pseudo-clémentins. Voir plus bas, p. 253, n. 4. 7. Puisque, selon notre hypothèse, la figure de Barnabe (ou du missionnaire E
AUX ORIGINES DU ROMAN CLÉMENTTN distincts. L e juif des Homélies, propagandiste d'occasion
235
« marchand de toiles » de son état et
(il est venu s'installer à R o m e
pour
affaires), a rencontré Clément à R o m e par hasard, et l'a initié personnellement à la doctrine des juifs (à titre amical, pourrions-nous dire) \ tandis que le Barnabe des Reconnaissances,
un missionnaire fraîche-
ment débarqué tout exprès de Judée pour annoncer la B o n n e N o u v e l l e , proclame en public la venue du Fils de D i e u , déclenchant chez Clément une soif de vérité qui ne sera véritablement satisfaite 2
qu'en Palestine, auprès de Pierre . Que le rédacteur des Homélies
ait
pour ainsi dire dédoublé le personnage de Barnabe en deux figures distinctes, d'abord un missionnaire anonyme entendu à R o m e sur la 3
place publique, puis Barnabe lui-même rencontré à A l e x a n d r i e , ne change rien aux données du problème : la véritable initiation de 4
Clément sera le fait de Pierre, à Césarée . À cette double contradiction (incompatibilité des deux figures de missionnaires et des deux récits de conversions) s'ajoute la discordance des deux chronologies. En effet, si l'on prête foi aux confidences de Clément à Appion, Clément, après sa conversion « à la doctrine des juifs », reste à R o m e , y mène la vie d'un juif pieux (par anonyme d'Homélies I, 7) n'est que la réplique du propagandiste du roman juif primitif ; voir plus bas. 1. Voir Homélies V, 2 8 , 2 , et V, 2 6 , 3 (cités p. 233, n. 2). 2. Voir Reconnaissances 1,7,2-7 : « Un homme se présenta dans un des lieux les plus fréquentés de la ville pour s'adresser au peuple [...] ; l'homme qui parlait ainsi au peuple venait des régions orientales, il était d'origine hébraïque et se nommait Barnabe ; il disait encore qu'il était un de ses [c'est-à-dire : du Fils de Dieu] disciples, envoyé pour annoncer cette bonne nouvelle... » ; 1,9,1-2 : « Lorsqu'il eut prononcé ce discours, tous éclatèrent de rire ; de mon côté, rempli de je ne sais quel zèle et enflammé d'une religieuse ardeur... » ; 1,10,2-3 : « J'emmenai Barnabe chez moi malgré sa résistance et l'y installai [ . . . ] ; nous passâmes ainsi quelques jours ensemble, lui me faisant en peu de mots un exposé de la vérité, et moi l'écoutant avec plaisir » ; 1,11,3 : « H me dit : "Si tu veux vraiment voir notre patrie et apprendre ce que tu désires, embarque-toi donc maintenant avec moi"... » 3. Voir Homélies 1,7,1 : « Un jour enfin de cette même année [...], un homme se présenta en public criant à haute voix : "Romains, écoutez ! Le Fils de Dieu est présent en Judée" » ; I, 8, 1 : « Je me dis à moi-même : "Eh bien ! je me rendrai en toute hâte en Judée"... » ; 1,8,3 : « Je m'embarquai et gagnai le large ; mais, au lieu de me faire aborder en Judée, les vents contraires me poussèrent à Alexandrie » ; 1,9,1 « [les philosophes du pays] me conduisirent, disant : "U y a ici un homme qui non seulement l'a vu, mais est de ce pays ; il prétend même être l'un de ses disciples" » ; I, 14, 3 : « [Barnabe] me répondit : "Si tu veux voir notre pays et apprendre ce qui est utile, embarque-toi avec moi sur-le-champ ; si tu ne veux pas, je t'indiquerai aujourd'hui les signes auxquels tu pourras reconnaître mon domicile et celui de ceux que tu désires voir" [c'est-à-dire : Pierre et ses disciples]. » 4. Voir Homélies H, 4-5 (Clément initié par Barnabe à la doctrine de la prophétie, mais non à celle du vrai Prophète, qui seule permet d'accéder à la connaissance, et que livrera Pierre) ; Reconnaissances 1,14-15 (Pierre se propose d'initier Clément à la doctrine de vérité, dont il ne connaît jusqu'ici que les rudiments, exposés par Barnabe à Rome).
236
BERNARD POUDERON
exemple en s'abstenant de relations adultères), y fréquente Appion, mais conserve néanmoins ses inquiétudes jusqu'à tomber malade de désespoir métaphysique (d'où la méprise d'Appion, qui croit son jeune ami a m o u r e u x !) ; en revanche, si l'on suit la logique du prologue des Homélies et des Reconnaissances, Clément, tout juste éveillé à la doctrine de vérité par les propos de Barnabe (ou de son double anonyme romain), s'empresse de quitter R o m e pour la Palestine, où il recevra de la bouche de Pierre la véritable initiation . À ce point de contradiction, nul ne peut nier qu'il s'agit de deux récits différents, dont l'un (celui de la controverse avec Appion, hérité du roman juif primitif) a servi de modèle à l'autre. Le rédacteur clémentin a conservé le premier, vraisemblablement pour des raisons idéologiques (le judéo-christianisme « ébionite » étant considéré c o m m e le prolongement du judaïsme historique), et l'a inséré dans l'épisode si particulier de la controverse avec Appion, estimant sans doute que son lecteur n'acccorderait pas trop d'importance aux contradictions que nous avons signalées, et qu'il s'est d'ailleurs efforcé de dissimuler tant bien que m a l . La seconde objection est la suivante : le Clément juif n'apparaît que dans les Homélies (controverse avec Appion) et non dans les Reconnaissances : rien ne prouve donc qu'il figurât dans Y Écrit de base des deux versions du Roman clémentin. En fait, la controverse entre Appion et le Clément juif figurait bel et bien dans Y Écrit de base, non seulement parce que les personnages d'Appion et d'Annubion apparaissent dans les Reconnaissances, à savoir en Reconnaissances X , 5 2 , 2 s. (un passage repris des Homélies d'après Rufin, Préface à Gaudentius), mais surtout parce que les thèmes polémiques de cette controverse apparaissent dans la discussion finale entre Clément et Faustus au sein de passages des Reconnaissances que l'on ne rattache ordinairement pas à l'interpolation rufinienne. Par exemple, Homélies V, 12-13 (énumération des amantes de Zeus au sein de la lettre d'amour rédigée par Appion) dépend de la m ê m e source que Reconnaissances X, 2 2 (exposé de Clément) : une source plus complète que les deux écrits qui la reprennent , et qu'il faut nécessairement situer dans Y Écrit de base. 1
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1. Voir Homélies IV, 6 - VI, 26 (la controverse avec Appion) ; V, 2 (la langueur de Clément) ; V, 28 (l'aveu que fait Clément à Appion de sa conversion au judaïsme). 2. Voir Homélies 1,8,3 = Reconnaissances 1,12,1 (le départ précipité de Clément pour la Judée). 3. En accommodant la figure de son missionnaire chrétien à celle du propagandiste juif et en jouant sur l'ambivalence du terme « juif » (indication ethnique d'une part, religieuse de l'autre ; judaïsme stricto sensu d'un côté, judéo-christianisme de l'autre). 4. Les noms des amantes ne sont pas tout à fait les mêmes dans les deux passages ; voir notre communication au Colloque de Tours sur la littérature épistolaire : « La
237
A U X ORIGINES D U R O M A N CLÉMENTIN
La prosélyte
Justa et les deux
jumeaux.
U n constat identique peut être fait pour les doubles de Clément, à savoir les deux jumeaux Faustinus et Faustinianus : la Cananéenne (ou Syro-Phénicienne) Justa ne les éduque pas dans la foi chrétienne, mais dans la religion juive, qu'ils abandonnent pour le christianisme à la suite de leurs déboires avec Simon et surtout de leur rencontre avec Z a c h é e . Cette première conversion m e semble tout à fait inutile à l'intrigue, dans la mesure où Justa n'apparaît nulle part dans le cours du récit (comme hôtesse de Clément, Nicète et Aquila, elle est remplacée par sa fille Bérénice, qui est chrétienne ), et où l'adhésion des deux jumeaux aux thèses de Simon, essentielle à la progression dramatique (et spirituelle), ne réclame pas d'être précédée d'une conversion au judaïsme. Sur un plan plus général, la conversion au judaïsme stricto sensu (Justa, Clément, les deux jumeaux) occupe une place trop importante dans le récit pour qu' elle puisse être attribuée à un rédacteur chrétien ; elle est nécessairement le fait d'un rédacteur juif. La prise en compte de cet intermédiaire juif oblige donc à reconsidérer les hypothèses qui ont été avancées jusqu'à ce jour pour expliquer la genèse du Roman. La nôtre est que le roman chrétien (notre Roman pseudo-clémentin) s'est greffé sur un prototype juif, lui-même dérivé d'un roman païen de reconnaissances. 1
2
II. Le roman païen. Nul ne peut en effet nier que la trame narrative du Roman clémentin est celle des romans de reconnaissances de l ' é p o q u e ; on 3
littérature pseudo-épistolaire dans les milieux juifs et chrétiens des premiers siècles. L'exemple des Pseudo-Clémentines » (à paraître). 1. Homélies XIII, 7 , 3 : « Une femme de la plus haute distinction, nommée Justa, prosélyte de la religion juive, nous acheta, nous garda comme ses enfants et nous fit donner avec soin toute l'éducation hellénique. Ayant pris de la raison avec l'âge, nous aimâmes la religion... » (= Reconnaissances VU, 32,2) ; Homélies H, 20,1-3 et 21, 1 : « Cette femme, ayant embrassé le genre de vie prescrit par la Loi, acheta et éleva deux enfants, qui lui tinrent lieu de fils. Ceux-ci, élevés dès l'enfance avec Simon le Magicien, sont au courant de tout ce qui concerne le personnage [...]. Quand Zachée vint se fixer ici, ils le rencontrèrent et furent initiés par lui à la doctrine de vérité » (= Reconnaissances VU, 33,1). 2. Homélies m, 73, 2 ; IV, 1, 1-2 ; IV, 4, 1 ; IV, 6, 2 (pas de parallèle dans les Reconnaissances, qui ignorent le personnage de Bérénice). Voir G. STRECKER, Die Pseudo-Klementinen, m. Konkordanz zu den Pseudoklementinen, Berlin, 1989, p. 483 (BepviKTi). 3. Voir l'ouvrage fondamental de E . RHODE, Der griechische Roman und seine Vorlaufer, Leipzig, 1876 (Darmstadt, 1974 ) ; plus récemment, M. FUSILLO, // Romanzo greco. Polifonia ed Eros, Venise, 1989 (trad. fr. : Paris, 1991); 5
238
BERNARD POUDERON
ne peut e n aucun cas qualifier cette intrigue de typiquement juive ou chrétienne. Mais l'on ne peut pas non plus réduire le substrat païen à une simple trame, un canevas générique offert aux variations des auteurs. En effet, les deux versions actuelles du Roman clémentin conservent les traces d'une intrigue, d'un cadre, de personnages empruntés au monde païen, qui sont autant de vestiges d'un travail antérieur d'élaboration de la matière romanesque, dans la réalité concrète d'une œuvre littéraire.
L'époque. Ce roman originel peut être daté grosso modo de la période julioclaudienne. En effet, la famille dont il relate les tribulations est apparentée à l'empereur Tibère (14-37), présenté c o m m e étant le prince régnant Le principat de Tibère forme donc le terminus post quem de la rédaction du roman originel, qu'il faudrait situer approximativement dans la seconde moitié du r siècle (disons entre 4 0 et 1 0 0 ) . Ce cadre chronologique ne provient sans doute pas des remaniements juif et chrétien, puisque les deux personnages qui remplacent le (ou les) fils du vieux Faustus, à savoir Flavius Clemens pour le roman juif , et Clément de R o m e pour le roman christianisé , sont postérieurs de plusieurs décennies au protagoniste originel . 2
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A. BILLAULT, La Création romanesque dans la littérature grecque à Vépoque impériale, Paris, 1991 ; M . F. BASLEZ-P. HOFFMANN-M. TRÉDÉ ( É D . ) , Le Monde du roman
grec, Paris, 1992. Contiennent au moins un chapitre consacré au Roman clémentin les ouvrages de K . KERÉNYI, Die griechisch-orientalische Romanliteratur in religions geschichtlicher Beleuchtung, 1927 (réimpr. : Darmstadt, 1962), spécialement p. 67-94 ; de B. E. PERRY, The Ancient Romances. A Literary-Historical Account of their Origins, Berkeley-Los Angeles, Californie, spécialement p. 285-286 et 291-295 ; de J. R. MORGAN-R. STONEMAN (ÉD.), Greek Fiction. The Greek Novel in Context, Londres, 1994 ; et de P. BOULHOL, Avayvœpiojioç. La Scène de reconnaissance dans l'hagiographie antique et médiévale, Aix-en-Provence, 1996. 1. Homélies 1,6,1 (« sous le règne de Tibère César ») = Reconnaissances 1,6,1 ; Homélies TV, 1, 2 (« cet homme [c'est-à-dire : Clément] est de la famille de Tibère César »). 2. Le terminus ante quem est fourni par la rédaction juive, postérieure à l'exécution de Flavius Clemens et à l'activité d'Appion ; voir plus bas. 3. D'après la datation de G. TOWNSEND, « Some Flavian Connections », dans The Journal of Roman Studies 51 (1961), p. 58-62 : naissance vers 60, exécution en 95. 4. Chronologie difficile à établir : Lettre aux Corinthiens : vers 96/98, au lendemain de la persécution de Domitien ; charge épiscopale à Rome depuis la douzième année du règne de Domitien, soit en 92, jusqu'à la troisième de celui de Trajan (Eusèbe, Histoire ecclésiastique TU, 15 ; HI, 34), c'est-à-dire en 100 ; éventuelle collaboration avec Paul vers 50 (d'après Origène, Commentaire sur Jean 1, 29 = VI, 54, ou Eusèbe, Histoire ecclésiastique TU, 15, s'appuyant sur Ph 4,3). 5. Quelques éléments épars permettent de restituer la chronologie au sein de la
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L'intrigue. La trame narrative est celle des romans de reconnaissances : séparation des membres d'une m ê m e famille à la suite d'une double péripétie (d'abord un songe ou la menace d'un adultère, puis une tempête), longue quête des uns et des autres, événement providentiel engendrant
la
succession
des
reconnaissances,
dénouement
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h e u r e u x . L e s romans de l'époque offrent plusieurs exemples de 2
récits s i m i l a i r e s . L'intrigue des deux versions du Roman clémentin mérite un e x a m e n attentif, car elle est un des meilleurs témoins de c e que pouvait être le roman originel. On peut en effet considérer c o m m e ayant appartenu au roman originel les éléments proprement narratifs dont F absence rendrait l'intrigue inopérante ; ou bien encore (mais c'est là un critère beaucoup plus subjectif) ceux qui ne semblent pas résulter des remaniements successifs juif et chrétien, en tout premier lieu parce qu'ils n'auraient été d'aucune utilité apologétique, ou qu'ils ne se justifieraient pas par le changement de contexte. L e déplacement de l'intrigue de R o m e (ville d'origine de Faustus et de sa famille) en Palestine (lieu de retrouvailles des différents membres de la famille) peut fort bien avoir appartenu au roman
diégèse (en prenant comme base F année 30 pour la mort de Jésus, et en attribuant à la mission de Jésus une durée d'une à trois années) : — vers 35/37 : rencontre de Pierre et Clément (âgé de trente-deux ans au moment des faits), d'après Reconnaissances IX, 29, 1 (« voici que sept ans à peine sont écoulés depuis la venue du juste et vrai Prophète ») ; — vers 28/30 : Clément entend parler à Rome de la prédication de Jésus en Palestine, d'après Homélies 1,6,1 = Reconnaissances 1,6,1 ; — vers 15/17 : Faustus quitte Rome à la recherche de sa famille, d'après Homélies XII, 1 0 , 4 = Reconnaissances VII, 1 0 , 4 : « voici déjà vingt ans que ces événements se sont passés ». Clément est alors âgé de douze ans, d'après Homélies XII, 10, 2 = Reconnaissances VII, 10, 2 : « me laissant à Rome âgé de douze ans » ; — vers 11/13 : départ de Mattidie pour la Grèce, et naufrage, d'après Homélies XII, 9 , 3 = Reconnaissances VII, 9 , 3 : « de nouveaux messagers qui revinrent la quatrième année, rapportant qu'ils n'avaient vu ni ma mère, ni mes frères, et déclarant que ceux-ci n'avaient jamais résidé à Athènes... » ; — vers 3/5 : naissance de Clément (âgé de douze ans vers 15/17). Bien entendu, on peut aussi supposer que c'est le rédacteur chrétien qui a tenu à situer sous Tibère les tribulations de la malheureuse famille, pour les faire coïncider avec la mission de Jésus et celle de Pierre. Mais rien ne l'obligeait à faire débuter leurs malheurs si tôt, c'est-à-dire près de vingt ans avant la mort de Jésus ; quitte à faire des transpositions, il eût été plus simple de resserrer la chronologie du récit et d'en situer les principaux événements à la fin du règne de Tibère (disons vers 30 de notre ère). 1. La conversion familiale peut eUe aussi avoir un prototype païen, car plusieurs romans antiques ont un dénouement religieux : Héliodore, Les Éthiopiques (Théagène et Chariclée se marient et deviennent prêtre et prêtresse du soleil) ; Apulée, L'Âne d'or (Lucien devient fidèle d'Isis). 2. Voir A. BELLAULT, op. cit., Paris, 1991, p. 191-221.
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primitif \ En effet, les villes visitées par nos héros ne sont pas juives, mais phéniciennes, grecques ou romaines : Césarée, Tyr, Sidon, Béryte, B y b l o s , Tripoli, Orthosia, Antarados et Arados, Balania, Paltos, Gabala, Laodicée, puis A n t i o c h e . On peut de la m ê m e manière assigner au roman païen le désir manifesté par les fils de Faustus de visiter l'île d'Arados et ses merveilles artistiques . Reste alors à expliquer pourquoi les protagonistes ont quitté l'Italie pour gagner l'Orient. Faustus, c'est bien évident, était à la recherche de son épouse et de ses fils disparus sur la route d'Athènes, et sa quête pouvait le conduire dans n'importe lequel des points du bassin méditerranéen oriental. Quant à son dernier fils, s'il appartenait déjà au Roman, il a pu être guidé lui aussi par le désir de retrouver les siens, mais aussi être mû par son inquiétude et sa curiosité à découvrir les sagesses orientales, qu'elles fussent égyptiennes ou chaldéennes . 2
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Les
personnages.
Appartenaient donc nécessairement au roman primitif les personnages suivants : — le couple romain de noble origine, à savoir Faustus et Mattidie dans les Homélies clémentines ; 5
1. Sur l'attrait qu'exerçait la Phénicie, voir l'article de F. BRICQUEL-CHATONNET, « L'image des Phéniciens dans les romans grecs », dans M. F. BASLEZ-P. HOFFMANN-M. TRÉDÉ ( É D . ) , op. cit., Paris, 1992, p. 189-197, spécialement p. 189 : « La
Phénicie est l'objet de l'intérêt de presque tous les romanciers. » 2. J. Wehnert m'a conseillé de rattacher le lieu de la première mission de Pierre contre Simon (la Syro-Phénicie) à une tradition proprement pétrinienne, illustrée entre autres par AcPierre 5 : « Simon, que tu [c'est-à-dire : Pierre] as démasqué comme magicien et chassé de Judée » (d'après Ac 8, 9-24) — la seconde mission étant précisément la mission romaine rapportée par les Actes de Pierre. Mais la Judée (où Pierre est cantonné pour une douzaine d'années d'après Actes de Pierre 5) n'est pas la côte syro-phénicienne, et la conversion des juifs (l'objectif prioritaire assigné par Dieu aux disciples pour une douzaine d'années d'après Prédications de Pierre 6) n'est pas celle des Gentils. Rappelons que la conversion de Clément se situe sept ans seulement après la venue du Messie : Reconnaissances DC, 2 9 , 1 . 3. Remarque déjà présente chez O. CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 140. 4. D'après le prologue des Reconnaissances 1,5,1-2 : « Que faire donc ? Voici ce que je ferai : je me rendrai en Egypte et, là-bas, je deviendrai l'ami des hiérophantes ou prophètes qui gèrent les sanctuaires et je prierai un magicien gagné par eux à prix d'argent de faire venir pour moi une âme des enfers au moyen de ce qu'on appelle la nécromancie, feignant de vouloir la consulter à propos d'une affaire quelconque. En fait, voici quel sera l'objet de ma consultation : si l'âme est immortelle. » Le fait est que Clément passe par l'Egypte avant de rejoindre la Palestine : Homélies I, 8-9 (épisode absent des Reconnaissances). Ce type d'inquiétude est un thème des romans païens : Lucien, Ménippe 3-4 ; mais aussi Antonius Diogène, Merveilles d'au-delà de Thulé, chez Photius, Bibliothèque 166 (le motif d'un des voyages est « la recherche de nouvelles connaissances »). 5. B n'y a pas de raison majeure de supposer que tel ne fut pas leur nom dans le
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— les deux jumeaux, à savoir Faustinus et Faustinianus dans les Homélies ; — les pirates, dont le rôle narratif est de permettre la séparation de la mère et des enfants . Appartenaient vraisemblablement au roman primitif : — la femme syro-phénicienne qui recueillit les deux jumeaux (Justa dans les versions juive et chrétienne), permettant ainsi leur survie jusqu' au dénouement h e u r e u x ; — la veuve qui recueillit Mattidie après le naufrage sur l'île d'Arados, et dont le rôle dramatique est tout à fait semblable à celui de Justa ; — le frère adultère, qui est à l'origine de la première péripétie (l'embarquement pour la G r è c e ) — à moins qu'il ne fut une addition du rédacteur juif, désireux de donner à son lecteur un (bien triste) exemple de l'incontinence. Peuvent aussi avoir appartenu au roman primitif, sous une forme ou sous une autre : — un prototype du personnage de Clément, c'est-à-dire le fils cadet du couple Faustus-Mattidie, qui faisait peut-être déjà fonction de narrateur ; en effet, le caractère autobiographique du roman primitif semble assez nettement affirmée à la fois dans l'intrigue principale et dans l'intrigue secondaire des amours de Clément ; il aura 1
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roman originel. Contra : O. CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 134, qui rapproche les noms de Faustus et Mattidie de ceux de membres de la famille impériale sous les Antonins. De même, la noble origine des protagonistes n' a rien que de très banal dans les romans antiques ; voir B . P. REARDON, Courants littéraires grecs des ir et ur siècles après Jésus-Christ, Paris, 1971, p. 344. 1. Leur histoire peut être rapprochée de celle des Ménechmes, à ceci près que, chez Plaute, les deux jumeaux sont séparés, et que c'est l'un d'eux, Sosiclès, qui joue le rôle de Clément, en partant à la recherche de son frère perdu. Voir aussi le récit (daté du I siècle de notre ère) conservé dans la plus ancienne recension de la Vie d'Ésope : Vita G (dans l'édition de B . E. PERRY, Aesopica I, Urbana, 1952, p. 19-20 et p. 77). 2. Naufrage et piraterie sont des thèmes quasi obligés des romans antiques ; voir A. BIIXAULT, op. rif., Paris, 1991, p. 134-139 etp. 193-199. Sur l'événement séparateur et les auxiliaires de séparation, voir aussi P. BOULHOL, op. cit, Aix-en-Provence, 1996, p. 11-14. 3. L'adoption est un autre thème récurrent des romans et de la comédie antiques : Héliodore, Éthiopiques (Chariclée recueillie par Chariclès et Calasiris) ; Longus, Daphnis et Chloé (Chloé adoptée par Myrtalé et Lamon, Daphnis par Dryas et Napé) ; Plaute, Ménechmes (le marchand d'Épidamne). 4. Nous ne nions pas la contradiction signalée par W . HEINTZE, op. cit., dans Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur 40, 2, Leipzig, 1914, p. 116, et après lui par O. CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 136-138 : « Toute l'histoire de l'amour du beau-frère a été ajoutée par l'auteur de Y Écrit fondamental pour rendre hommage à la chasteté de Mattidie » ; voir plus bas p. 244, n. 3. 5. Sur la fiction autobiographique dans le roman antique, voir M. FUSILLO, op. cit., Venise, 1989, p. 166-178. ER
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tendance à se réduire fortement dans les parties proprement chrétiennes (intrigue de Pierre et S i m o n ) ; — un prototype du personnage de Pierre, c'est-à-dire le personnage qui accueillit notre cadet en Syrie et servit ensuite de lien entre les différents membres de la famille, recueillant les confidences des uns et des autres et permettant ainsi les reconnaissances successives ; quelle qu' ait pu être sa figure originelle, sa présence est indispensable à la progression dramatique ; — un prototype du personnage d'Appion, c'est-à-dire l'ami de la famille, qui joue un rôle essentiel dans ce « récit dans le récit » qu'est l'épisode des (pseudo-)amours de jeunesse de C l é m e n t . D'autres figures pourraient, elles aussi, dériver du roman païen : — Annubion, dans le rôle de l'astrologue égyptien qui révèle à Faustus la mort de son épouse et de ses e n f a n t s ; — Simon, dans le rôle du nécromancien, puisque aussi bien un personnage de ce type apparaît dans le prologue narratif du R o m a n . C'est sur la présence dans le roman païen d'un Proto-Clément et d'un Proto-Appion que nous nous arrêterons en premier lieu. Et d'abord, y avait-il dans le roman païen un troisième fils du couple Faustus-Mattidie ? À cette question, il a généralement été répondu par la n é g a t i v e . Parmi les arguments qui ont pu être avancés, nous retiendrons surtout des impossibilités qui sont intimement liées à l'intrigue principale, et ne peuvent être attribuées à la maladresse des remaniements successifs. 1
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1. La trame principale est un récit à la première personne, et le « porteur de regard » est très clairement le narrateur, c'est-à-dire Clément, n n'en va pas de même dans le récit secondaire, à savoir l'affrontement de Pierre et Simon : Clément n'est plus qu'un spectateur parmi d'autres, désignés coUectivement à la troisième personne, sous le regard d'un narrateur omniscient ; J. WEHNERT, op. cit., dans Apocrypha 3 (1992), cite quelques passages où Clément figure anonymement parmi les disciples de Pierre : Homélies VII, 12,2 - VIII, 1 , 1 ; VIII, 24,3 ; IX, 1,1 ; XI, 34,1 (= Reconnaissances-VI, 15,1). 2. En ce sens, Pierre est un « réunisseur » obligé ; sur ce rôle, voir P. BOULHOL, op. cit., Aix-en-Provence, 1996, p. 17-18. 3. Si du moins l'on admet que l'épisode (véritable « récit dans le récit ») appartenait au roman primitif. Sur la fiction épistolaire dans l'Antiquité grecque, voir en dernier heu N. HOLZBERG (ÉD.), Der griechische Briefroman, Tubingen, 1994. Sur les « récits dans le récit », voir M. FUSDLLO, op. cit., Venise, 1989, p. 142-165. 4. Homélies XIV, 11,2. Cet astrologue, que Faustus présente comme un compagnon de ses voyages, ne peut pas être purement et simplement identifié à l'Annubion compagnon de Simon (Homélies IV, 6,2, etpassim)—ou alors le hasard aurait (trop) bien fait les choses ! 5. Reconnaissances 1,5 (Clément manifeste son désir de consulter un nécromancien pour savoir si l'âme est ou non immortelle) ; à rapprocher des « expériences » que Nicète et Aquila attribuent à Simon : Homélies n, 29-32 (= Reconnaissances H, 13-16). 6. Voir en particulier les arguments développés par O. CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 135.
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— Mattidie, dans son départ précipité pour Athènes, emmène avec elle les deux jumeaux, mais laisse à son époux la garde de son plus jeune fils — ce que ne saurait faire une bonne mère ; — Faustus, quand il part à son tour à la recherche de Mattidie et des deux jumeaux, abandonne son fils, qui n'a que douze ans, aux mains de précepteurs ; — Faustus, quand il apprend que les deux jumeaux ont péri (et que son épouse l'a honteusement trompé), décide de rester en Syrie et de renoncer au monde, alors qu'il devrait savoir que son plus jeune fils l'attend à Rome. À ces arguments de simple vraisemblance peut en être opposé un autre, assez puissant, qui tient à la nécessité du récit. En effet, si le fils cadet n' avait pas été abandonné à R o m e d'abord par sa mère, puis par son père, le roman primitif aurait-il pu exister dans la forme qui fut la sienne ? Autrement dit, y aurait-il eu la cascade de séparations, de quêtes et de reconnaissances qui forment les ressorts narratifs de l'ouvrage ? L'abandon du cadet peut ainsi être considéré c o m m e un événement constitutif du récit, et non c o m m e le fruit d'un remaniement maladroit. Si donc il se trouve des invraisemblances dans le récit tel qu'il est constitué dans le Roman clémentin, elles peuvent résulter des lois du genre, et non de la maladresse des remanieurs juif et chrétien. Mais il est plusieurs manières de supposer en Clément (sous un autre nom, bien sûr) l'un des protagonistes du roman primitif. La première consiste à voir en lui le troisième fils de Faustus, celui dont la quête spirituelle amènera le cycle des reconnaissances (c'est l'intrigue de notre Roman clémentin). La seconde, conforme à l'intrigue traditionnelle des jumeaux séparés, consiste à faire du Proto-Clément l'un des deux j u m e a u x ; elle permet de sauvegarder l'un des principaux ressorts dramatiques du Roman, à savoir la séparation des frères, et de conserver à l'un des fils de Faustus le rôle de narrateur. Reconnaître en Clément un personnage du roman primitif oblige à voir dans Pierre un autre vestige de l'œuvre originelle. En effet, la présence d'un Proto-Pierre dans les Reconnaissances païennes est appelée par le rôle qu'il joue dans l'intrigue c o m m e « adjuvant » des protagonistes : d'abord, en recueillant le jeune Clément à son arrivée sur la terre de S y r i e , tout c o m m e Justa recueille les deux jumeaux ou la veuve syro-phénicienne leur mère Mattidie, et surtout en servant de 1
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1. Mattidie, dans sa fuite en Grèce, n'aurait donc emmené qu'un seul des deux jumeaux, le second restant avec son père, « pour sa consolation » (Homélies XII, 15,45 = Reconnaissances VII, 15,4). 2. Pierre devenant pour ainsi dire le « père » de Clément : Reconnaissances 1,25,1, et passim.
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lien entre les différents personnages : entre Mattidie et ses enfants ; entre Faustus et Mattidie. Si l'on supprime Pierre, l'intrigue est susceptible de ne pas fonctionner. On est donc tenté de dire qu'il y eut nécessairement un Proto-Pierre, parce que sans lui, il n'y avait pas de reconnaissances possibles. Mais de c e Proto-Pierre nous n'admettrons l'existence que s'il y eut aussi un Proto-Clément païen, tant paraissent forts dans le Roman les liens qui unissent Pierre à Clément ; or, si l'existence d'un Proto-Clément païen nous paraît maintenant possible, nous ne la jugeons pas pour autant assurée. Quant à Appion, il peut paraître bien hardi d'en faire un personnage du roman primitif, tant il semble naturel qu'il provienne du remaniement juif. Cela est vrai, mais en partie seulement. L'Appion qui provient du remaniement juif est celui qui débat avec Clément des religions juive et païenne—figure à peine remaniée de F Apion historique, le grammairien alexandrin « ennemi des juifs ». Mais il est un Appion qui semble tout à fait étranger à la matière apologétique, juive o u chrétienne, c'est celui qui est présenté c o m m e l'ami de Faustus et qui joue un rôle essentiel dans un chapitre que l'on peut fort bien rattacher au roman primitif, à savoir l'épisode de Clément amoureux. Si l'on admet qu'il y eut dans le roman païen originel l'ébauche du personnage de Clément, et qu'on rattache à ce personnage l'épisode des amours de Clément, alors (mais alors seulement) on doit ranger Appion (ou plutôt son prototype) parmi l'entourage du jeune Clément païen. 1
Le genre
didactique.
L'étude de l'intrigue pour elle-même ne nous oriente pas vers un romanesque de pur divertissement. En effet, elle semble illustrer deux thèmes qui reviennent souvent dans la bouche des protagonistes du Roman : les dangers de F adultère et la force de la providence d i v i n e . D'abord, c'est le désir coupable du frère de Faustus qui est à l'origine du d r a m e , et les divers personnages de la version christianisée s'étendent si abondamment sur le thème de la chasteté et de F adultère qu' il est difficile de ne pas y voir un des thèmes primitifs du 2
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1. Voir Homélies IV, 6, 2 : « Appion le Plistonice, alexandrin, grammairien de profession, qui était mon ami par mon père. » Sur le véritable Apion, voir A. SCHALIT, « Apion », dans Encyclopaedia Judaica, New York, 1971, t. HI, col. 178. 2. La TVXT| (ou la rcpovoia divine) et la fidélité (conjugale ou non) sont deux des principaux ressorts des romans antiques ; voir B . P. REARDON, op. cit., Paris, 1971, p. 309-403 et passim. 3. Voir Homélies XII, 15, 2-4 (= Reconnaissances VU, 15, 2-4). La version de Mattidie (amour coupable de son beau-frère, prétexte du songe pour le fuir) peut s'accorder avec celle de Faustus (amour coupable de Mattidie pour un esclave, révélé par l'horoscope : Homélies XIV, 6,2-3), quoi qu'en disent W . HEINTZE, op. cit., dans
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l
r é c i t . Ensuite, malgré les malheurs qui accablent successivement la famille (passion funeste, naufrage, piraterie), on pressent assez vite qu'il y aura un dénouement heureux, que les personnages e u x - m ê m e s 2
rattachent à l'action de la P r o v i d e n c e . Aussi ne nous paraît-il pas exagéré de parler de roman didactique. L e récit porterait deux discours, l'un moral, opposant les dangers de l'adultère aux vertus de la fidélité et posant le problème du relativ i s m e moral (l'idée de bien existe-t-elle par nature, ou est-elle un fruit 3
de la coutume ? ) , l'autre proprement philosophique, mêlant deux couples antagonistes voisins, à savoir le hasard et le déterminisme d'un côté, la providence et le libre arbitre de l'autre, nettement liés dans les diverses controverses qui opposent dans la version christia4
nisée Appion ou Faustus à Pierre ou C l é m e n t . Et s'il fallait rattacher c e roman à une é c o l e philosophique, c e serait au stoïcisme, grand défenseur du rôle de la providence divine et de la force toute puissante
Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur 4 0 , 2 , Leipzig, 1 9 1 4 , p. 1 1 7 , et O . CULLMANN, op. cit., Paris, 1 9 3 0 , p. 1 3 6 - 1 3 7 . En effet, on peut imaginer que, dans F esprit de Faustus, Mattidie, faute d'avoir pu séduire son beau-frère, a jeté son dévolu sur un simple esclave ; voir Homélies XTV, 7 , 2 - 4 , où Faustus lui-même reprend les deux versions. Il n'est pas non plus invraisemblable que Faustus, mari trompé, se soucie encore de sa femme ; outre le fait que ce genre de faiblesse est fréquent (dans la littérature !), on remarquera que Faustus, « fataliste », juge sa femme irresponsable (Homélies XIV, 7 , 2 ) et que, bon père, il a légitimement souci de retrouver ses deux fils disparus en même temps qu'elle. Le thème de la matrone amoureuse de son esclave pourrait paraître dériver de la Bible (Joseph et la femme de Potiphar), mais il existait aussi dans les romans païens : voir par exemple Xénophon d'Ephèse, Les Éphésiaques II, 5 , 1 - 4 (amour de Manto pour Habrocomès) ; Jamblique, Histoire de Babylone, fragment 3 5 [p. 2 7 - 2 9 Habrich = ESGI, 3 6 4 Hercher], cité par W . HEINTZE, op. cit., dans Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur 4 0 , 2 , Leipzig, 1 9 1 4 , p. 1 3 4 : SeorcÔTnç 8oi>Àx)a) Karnyopei èni uoi%eio; rnç oiiceiaç yanernç eCnynaauevTic, cbç ôvap TOirap év x ô XNÇ 'A^poôixnç iepcp èulyn. 1. Homélies IV, 2 0 - 2 1 (débat entre Clément et Appion) ; Homélies V, 3 - 2 7 (épisode des pseudo-amours de Clément) ; Homélies XIII, 1 3 - 2 1 = Reconnaissances VII, 3 8 (discours de Pierre sur la chasteté). Dans le plan (supposé) des Kérygmes (selon Reconnaissances HI, 7 5 ) , il n'est pas fait mention de l'adultère. 2 . Par exemple Homélies XV, 4 , 1-6 (dans la bouche de Pierre) : « Que tout soit gouverné par la Providence, c'est ce que j'affirme et conclus des divers événements de ta vie. [...] Un si merveilleux et si rapide concours de circonstances venant de toutes parts aboutir à un seul et même but consciemment voulu [il s'agit de la conversion de Clément] ne s'est pas produit, à mon avis, sans l'intervention d'une Providence » ; voir aussi Reconnaissances 1 , 2 1 , 4 et X, 5 2 , 4 . 3 . Homélies IV, 2 0 , 1 - 2 (débat entre Clément et Appion) ; Reconnaissances X, 5 , 1 (débat entre Pierre et Faustus). Dans la version christianisée, Faustus n'apparaît qu'en relation avec la controverse sur l'horoscope — sans doute un vestige du rôle tenu par Faustus dans le roman primitif. 4 . Par exemple Homélies XTV, 3 , 2 - 3 : « il n'y a ni Dieu, ni Providence, mais tout est soumis à l'horoscope [...]. Que tu pries ou ne pries pas, il te faudra nécessairement subir le sort marqué par ton horoscope » (= Reconnaissances VIII, 2 , 2 - 3 ) .
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du destin *, contre l'épicurisme matérialiste et athée — un d o g m e qu'il s'efforce de concilier tant bien que mal avec le respect de la 2
liberté i n d i v i d u e l l e . Quant à l'inquiétude métaphysique éprouvée par le narrateur, qui donne le branle au dénouement dans le récit christianisé, il est bien difficile de dire si elle appartenait o u non au roman originel. Mais il est loin d'être invraisemblable que oui. En effet, on trouve l'équivalent du prologue du R o m a n clémentin chez Lucien, Ménippe
6 (le
héros, saisi d'une crise de scepticisme religieux et en quête d'un guide spirituel, consulte différents philosophes, avant de livrer son 3
sort à un m a g e c h a l d é e n ) — une preuve que le thème n'était pas étranger au romanesque païen. Tout dépend, en fait, de la part de création (ou de créativité) qu'on attribue aux deux remanieurs successifs, 4
juif et chrétien, dans les parties narratives du R o m a n .
1. D'après Diogène Laërce, Vie et doctrines des philosophes illustres VII, 135 (« Dieu, l'Intelligence, le Destin, Zeus sont un seul être ») ; VU, 147 (« Dieu est un être vivant immortel [... ] ordonnant par sa providence le monde et les choses qui sont dans le monde ») ; VII, 149 (« toutes choses ont heu selon le destin » ; « la divination existe, puisqu'il y a une providence »). Déjà W. HEINTZE, op. cit., dans Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur 40, 2, Leipzig, 1914, p. 51-110, et O. CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 55, avaient mis en évidence la ressemblance frappante entre les matériaux utilisés à la fin des Reconnaissances et certains textes stoïciens. Mais notre démarche est tout autre : non pas rechercher l'origine des différents matériaux utilisés dans le Roman clémentin, mais suivre le cheminement et l'évolution de sa trame narrative (intrigue, personnages) depuis son substrat païen jusqu'à sa version christianisée. Parmi les passages qui ont subi l'influence du Portique, voir : Reconnaissances Vin, 19,6 ; 20,1 ; 3 4 , 8 (l'action du Logos dans le monde) ; Reconnaissances Vin, 26-27 (l'eau comme véhicule de la raison spermatique, par comparaison avec Diogène Laërce, VII, 136 ; Athénagore, Apologie 19, 4 — un thème distinct de celui de l'eau du baptême : Homélies XI, 19-33 = Reconnaissances VI, 4-14, mais peut-être contaminé par Gn 1,1). G. Dorival m'a fait remarquer avec pertinence que la Providence stoïcienne est essentiellement d'ordre cosmique et universel. C'est parfaitement vrai ; toutefois, la doctrine d'une providence individuelle est bien attestée chez les philosophes du Portique : Plutarque, Des notions communes 32 ; Épictète, Entretiens 1,14,12-14 (le daimon individuel) ; Diogène Laërce, VU, 88 (de même) ; Cicéron, De la nature des dieux II, 65,162-164 (providence générale et providence individuelle). 2. D'après Plutarque, Des contradictions des stoïciens 47, sur les thèses contradictoires de Chrysippe ; Épictète, Entretiens 1,7-20 ; 1,37-43 ; Cicéron, Defato 17-18 (39-42), sur la doctrine de Chrysippe. 3. Voir aussi Justin, Dialogue avec Tryphon 2,1 - 8 , 1 (l'inquiétude du jeune Justin le conduit auprès de différents maîtres philosophiques, avant qu'un vieillard chrétien ne le guide sur la voie de la vérité). 4. Les jugements diffèrent du tout au tout selon les critiques. Voir par exemple, d'un côté, O. CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 148-149 (qui insiste sur l'apport personnel du compilateur chrétien, c'est-à-dire l'auteur de la Grundschrift) et F . S . JONES, The Pseudo-Clementines Introduced, Selected and Translated (à paraître) : « while there can be no doubt that the basic author sometimes copied out passages from other works verbatim [...], he was also a creative author and is responsible for the fabrication of the entire novelistic framework » (d'après un document
AUX ORIGINES DU ROMAN CLÉMENTIN
La
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structure.
U n e fois admis que le roman originel était un ouvrage didactique, il reste à s'interroger sur les parts respectives qu'y tenaient la fiction et la démonstration. Certes, l'intrigue parlait pour ainsi dire par ellemême, montrant dans ses péripéties et son dénouement les dangers de l'adultère et les récompenses que la Providence accordait à celles et ceux qui avaient su faire preuve de v e r t u . Mais il nous semble que le récit s'interrompait parfois pour laisser place à un discours proprement didactique. A titre d'exemple, deux digressions importantes du Roman, le débat entre Clément et Appion et celui entre Clément et Faustus, contiennent des développements plus ou moins étrangers à l'apologétique juive ou chrétienne, qui pourraient éventuellement être considérés c o m m e des vestiges du roman primitif : ceux qui concernent l'adultère stricto sensu et le déterminisme—deux thèmes intimement liés à l'intrigue originelle. D e fait, il n'est pas impossible que la scène entre Clément et A p p i o n , dont la coloration juive est indubitable (personnage d'Appion, conversion de Clément au judaïsme, personnage de la chaste prosélyte juive, etc.), ait eu son prototype dans le roman païen, sous la forme d'un récit dans le récit (par une forme de « retour en arrière »), comportant entre autres l'épisode de Clément amoureux et l'échange épistolaire. D e même, le dialogue entre Faustus et Clément (puis son double Nicète) sur le déterminisme, qui s'insère si bien dans la trame narrative, peut lui aussi dériver d'une scène du récit primitif . Pareilles digressions ont leurs parallèles dans les romans grecs de la période et ne sauraient trop surprendre . Reste à évaluer la possibilité de les rattacher à la trame narrative ou à l'un des personnages du roman originel, à estimer leur importance dans le roman primitif, à apprécier en proportion l'originalité du remanieur juif, puis de son continuateur judéo-chrétien. Autant de points sur lesquels l
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distribué lors d'une rencontre de l'AELAC) ; et, de l'autre, J. WEHNERT, op. cit., dans Apocrypha 3 ( 1 9 9 2 ) , p. 2 1 1 - 2 3 5 : « que les auteurs et rédacteurs pseudo-clémentins aient été incapables de fondre en une véritable unité les différents matériaux narratifs, etc. » (d'après un document distribué lors d'une rencontre de l'AELAC). 1. Voir Reconnaissances V, 3 8 , 5 (dans la bouche de Pierre) : « En un mot, ce qui s'est passé pour votre mère peut servir d'exemple à cet égard ; toute cette opération de salut a été rendue possible pour elle en récompense de sa chasteté. » 2 . En Homélies IV, 6 - 7 . 3 . En Reconnaissances IX et X. Son caractère philosophique est fortement marqué ; les parallèles avec la discussion des Homélies entre Clément et Appion sont nombreux et font penser à une origine commune. 4 . Sur les digressions didactiques dans le roman grec, voir A. BILLAULT, op. cit., Paris, 1 9 9 1 , p. 2 6 5 - 3 0 1 (sont étudiées en particulier les digressions morales consacrées à l'amour) ; ainsi que M . FUSILLO, op. cit., Venise, 1 9 8 9 , p. 1 4 2 - 1 6 5 : sur les « récits dans le récit » ; p. 7 6 - 8 1 : sur le genre oratoire à l'intérieur du Roman ; et p. 8 8 - 9 2 : sur renonciation de forme épistolaire.
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BERNARD POUDERON
il est bien difficile de se prononcer, faute de certitudes sur l'origine exacte des deux scènes en question.
m. Le roman juif. L'existence d'un roman juif c o m m e prototype du Roman clémentin nous semble une certitude. Ce qui pose problème, en revanche, c'est la forme qui fut la sienne, les personnages qu'il mettait en scène, le message qu'il véhiculait. Datation
; milieu
d'origine.
L'ouvrage peut être daté avec relativement de précision. En effet, l'apparition en son sein des personnages de Clément et d'Appion situe nécessairement sa composition après 95 de notre ère : c'est entre 93 et 9 6 que parut le Contre Apion de Flavius Josèphe, qui popularisa la figure d'Apion c o m m e « ennemi des juifs » ; et c'est en 95 que fut exécuté Flavius Clemens, parent de l'empereur et consul, condamné pour « mœurs juives », et célébré c o m m e un martyr par la propagande rabbinique sous le n o m de Keti'a bar Shalom. La conjonction de ces deux personnages historiques à l'exclusion de tout autre au sein d'un m ê m e ouvrage donne à croire qu'ils étaient encore très vivants dans la mémoire populaire, et nous conduit à penser que la rédaction juive ne fut pas de beaucoup postérieure au début du n siècle : disons entre 100 et 115-117 (révolte de la diaspora et destruction de la communauté juive d'Alexandrie) ou 132-135 (seconde guerre de Judée et paganisation de Jérusalem). Quant à son milieu d'origine, la présence des personnages d'Appion et d'Annub i o n , l'épisode du séjour de Clément à A l e x a n d r i e ou encore la place occupée par la polémique contre la zoolâtrie égyptienne font nécessairement penser à l'Egypte plutôt qu'à la Syrie-Palestine. 1
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Uintrigue
; les
personnages.
L'intrigue reste la m ê m e que celle du roman originel. Mais certains personnages se voient attribuer une nouvelle personnalité et une nouvelle fonction.
1. Je mets à part l'empereur Tibère et Jésus, qui n'interviennent pas dans le récit, ou encore Annubion, Jacques frère du Seigneur, Jean Baptiste, qui sont des figures secondaires sur le plan strictement diégétique. 2. L'un et l'autre alexandrins. 3. Homélies 1,8,1 (écho de Homélies 1,5,1). 4. Par exemple Homélies VI, 23,1 ; X, 16,18 ; Reconnaissances V, 20.
AUX ORIGINES DU ROMAN CLÉMENTIN
249
Les deux jumeaux (Faustinus et Faustinianus) sont recueillis sur le territoire phénicien non par une quelconque femme de cœur, mais par une prosélyte du judaïsme, qui les élève à la fois dans la culture grecque et dans la foi j u i v e . Le n o m de Justa que porte cette femme évoque les nombreux Justus du judaïsme hellénistique — ce nom étant une transcription transparente de l'hébreu Josua (Josué, J é s u s ) . Leur frère Clément, dont nous ne savons pas s'il provient du roman païen originel ou s'il n'est que le dédoublement d'un des deux jumeaux, connaît à R o m e une évolution semblable à celle de ses frères : il se laisse convertir par un marchand de toiles, en qui il faut bien voir un propagandiste juif et non un missionnaire chrétien . D e plus, il semble s'être produit une confusion entre le personnage primitif, parent de l'empereur Tibère, et la figure historique de Flavius Clemens, parent de l'empereur Domitien : c'est du moins ainsi que nous expliquons l'attribution du nom de Clément au troisième fils de Faustus . Il est possible que le personnage du frère de Faustus ait été introduit par le narrateur juif, pour illustrer d'un (triste) exemple le thème de l'infidélité . Quant à l'ami de la famille, qui, semble-t-il, jouait un rôle dans l'épisode des amours de Clément, il se voit confondu avec la figure historique d ' A p i o n . Dans le roman juif, le déplacement de l'intrigue d'Italie en Palestine trouve sa pleine justification. Et l'on peut supposer que c'est parce que l'un des lieux originels du Roman était la Palestine qu'un juif a entrepris de judaïser le récit en plaquant le personnage de Flavius Clemens sur celui d'un des fils de Faustus. l
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Le contenu
apologétique.
Mais la principale nouveauté du Roman est l'élargissement de son contenu didactique. A u x deux problématiques originelles 1. Homélies H, 20, 1 (Reconnaissances VII, 33, 1) ; Homélies XIII, 7, 3 (Reconnaissances VII, 32,2). 2. Voir par exemple Paul, Col 4,11 (« Jésus, surnommé Justus »). 3. Homélies V, 26, 3 et 28, 2 (pas de parallèle dans les Reconnaissances). Voir encore : Homélies IV, 7, 2 (malgré la mention de Pierre, que Clément n'a évidemment pas pu rencontrer à Rome) ; ou même Homélies XX, 22, 2 = Reconnaissances X, 6 4 , 2 (Faustus ne veut plus voir ses fils, « pour la raison qu'ils sont devenus juifs »). On opposera cette dureté qu'Appion attribue à Faustus, refusant quasi viscéralement la conversion de ses fils au judaïsme, à l'ironie amusée avec laquelle il considère le recueillement et les prières de Pierre et de ses compagnons : Homélies XIV, 2-3 = Reconnaissances VIII, 1-2. 4. Voir B . POUDERON, op. cit., dans Apocrypha 7 (1996), p. 63-79. 5. Mais ce n'est pas certain, ni nécessaire ; voir plus haut, p. 244, n. 3. 6. Voir plus haut, notamment p. 242, n. 3.
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BERNARD POUDERON
(déterminisme, providence et libre arbitre d'une part ; fidélité conjugale et adultère d'autre part) se joignent des considérations d'ordre apologétique, concernant le polythéisme et la monarchie divine \ Cet élargissement s'est opéré par l'introduction dans l'intrigue du personnage d'Appion, dont le rattachement au roman juif semble ne pas faire de doute. En effet, les liens qu'entretient Appion avec l'intrigue principale sont d'ordre primaire, et non secondaire. Appion est lié à la fois au personnage de Clément (liens d'amitié avec sa famille, épisode des pseudo-amours de jeunesse) et aux deux problématiques originelles (déterminisme et adultère). Il ne faut donc pas voir dans le personnage d'Appion l'un des protagonistes d'un second ouvrage juif — en l'occurence un dialogue apologétique — , qui aurait été intégré au Roman clémentin par le rédacteur chrétien, c o m m e le croyaient O. Cullmann et avant lui W. H e i n t z e , mais bien la transformation et l'enrichissement par l'auteur du remaniement juif d'un personnage de l'intrigue originelle, pour en faire le porteparole de l'antijudaïsme hellénique et le faire-valoir du discours apologétique juif. Car enfin, si la controverse avec Appion n' avait pas appartenu au roman juif, qu'aurait donc contenu celui-ci qui fût typiquement juif, ou qui eût une quelconque portée apologétique ? Rien, que le récit des différentes conversions. La confrontation des deux figures du protagoniste de la controverse avec Appion et du héros-narrateur du roman juif fournit un argument d'une tout autre portée. En effet, si l'intrigue AppionClément provenait d'un ouvrage juif distinct du roman de reconnaissances judaïsé, combien serait-elle proche de celle du roman chrétien : lien avec la famille impériale, enfance à Rome, conversion à la religion juive après une longue et angoissante quête spirituelle, autant de traits que Cullmann attribue au protagoniste du prétendu dialogue apologétique juif, et que l'on retrouve dans la version juive du R o m a n . L'hypothèse d'un second ouvrage juif complique donc 2
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1. Ce thème est très présent dans les épisodes qui font intervenir Appion : Homélies IV, 16-25 O'immortalité des dieux du paganisme) ; Homélies V, 2-29 (idem) ; Homélies VI (contre l'allégorie) ; mais on les trouve aussi dans les discours de Pierre à Tripoli (Homélies Vffl à XI). 2. Voir W . HEINTZE, op. cit., dans Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literature, 2, Leipzig, 1914, p. 42-51 ; O . CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 55etp. 116-131 (spécialement p. 119: « l'auteur de YÉcritdebase doit donc avoir emprunté [les noms d'Athénodore, d'Appion et d'Annubion] à une autre source [...] dans laquelle les trois personnages discutaient, l'un sur la mythologie, F autre sur le fatalisme, le troisième sur la providence »). 3. Voir O . CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 119-120. n n'est que de comparer Homélies 1,1 -2 (inquiétude et quête spirituelle du jeune Clément dans l'intrigue principale) à Homélies V, 2-3 (même chose, intégrée au « récit dans le récit » qu'est l'épisode de la rencontre d'Appion, que O . Cullmann dit dépendre de la seconde source, à savoir l'apologie juive) : qui ne verrait qu'il s'agit du même récit ?
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AUX ORIGINES DU ROMAN CLÉMENTIN
inutilement le problème. Il suffit de dire que le Proto-Appion païen (l'ami de la famille) s'est vu chargé de représenter au sein du roman juif et sous le n o m d'Appion le point de vue païen, dans un débat théologico-philosophique sur la monarchie divine et le polythéisme, le fatalisme et la providence \ Que les thèmes et arguments de ce débat aient été o u non empruntés à une (ou plusieurs) source(s) juive(s) est une tout autre question, qui n'entre pas dans la problématique que nous avons choisie.
IV. Le roman chrétien. Le roman chrétien s'est vraisemblablement constitué par rédactions successives, dont J. Wehnert s'est efforcé de rendre compte dans ses travaux . Il n'est pas question pour nous de les reprendre et de distinguer entre les différentes couches rédactionelles, mais de considérer la matière commune aux Homélies et aux Reconnaissances dans son ensemble, sous l'appellation commode de « Roman clémentin ». 2
Datation. L'une des couches rédactionnelles du Roman clémentin, à savoir les Periodoi Petrou, peut être datée assez précisément. En effet, cet ouvrage est nécessairement antérieur aux deux écrits origéniens qui le citent, à savoir le Commentaire sur la Genèse et le Commentaire sur Matthieu, datés respectivement de 2 3 0 et 245 e n v i r o n . Les chercheurs ont mis en avant d'autres indices chronologiques : la reprise de passages du Livre des lois des pays de Bardesane , mort en 2 2 2 ; l'allusion à un épisode des Actes de Pierre , que l'on date approxima3
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1. Nous rejoignons sur ce point l'opinion de O. CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 119-122. 2. Entre autres dans l'article de J. WEHNERT, op. cit., dans Apocrypha 3 (1992), p. 211-235. 3. Voir O. CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 32-34 et p. 156. L'authenticité de ces deux passages origéniens a été contestée séparément ; mais il me paraît bien difficile de la dénier à l'un et l'autre à la fois. 4. Ou de son disciple Philippe. Voir F . S. JONES, op. cit., dans The Second Century 2 (1982), p. 20-24, citant G. STRECKER, « Die Pseudoklementinen und ihre Quellenschriften », dans Zeitschrift fiir die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde derâlteren Kirche 28 (1929), p. 233-235 ; G . STRECKER, « Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen », dans Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur 70 (1981), p. 256. Le passage en question figure en Reconnaissances IX, 19-29. 5. À savoir le miracle du vol de Simon, en Homélies H, 32, 29 et Reconnaissances HI, 4 7 , 2 , d'après Actes de Pierre 32 (= F . BOVON-P. GEOLTRAIN (ÉD.), Écrits
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BERNARD POUDERON
tivement de 180/190 ; une référence implicite à l'édit de Caracalla, promulgué en 2 1 2 ; la description de la hiérarchie des É g l i s e s , qui exclut une datation trop haute ; l'absence de références au Roman avant 2 3 0 ; l'allusion à une loi portée contre les m a g i c i e n s ; etc. Mais la prise en compte de l'existence d'éventuelles couches rédactionnelles antérieures aux Periodoi Petrou permet de remonter un peu au-delà de cette date : soit vers la fin du n ou le début du m siècle. 1
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L'addition
d'une seconde intrigue : le
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cyclepétrinien.
La christianisation de la matière clémentine s'est effectuée de plusieurs manières : d'une part en christianisant les personnages déjà existants, d'autre part en superposant à la première intrigue une seconde, d'origine chrétienne (la mission de Pierre), enfin en remplaçant le contenu didactique des deux versions antérieures par un enseignement nouveau, celui de la mouvance ébionite. Cette seconde intrigue a été empruntée à la tradition hagiographique de l'affrontement entre Pierre et Simon, illustrée entre autres par les Actes de Pierre. Elle a pour ainsi dire dévoré la première, l'apôtre Pierre prenant la place de Clément c o m m e protagoniste. Il n'est pas jusqu'à son rôle de narrateur que Clément ne finisse par perdre, puisque par endroits Clément est englobé dans une désignation collective à la troisième personne, et non à la première . L'auteur chrétien, c'est bien évident, s'est plus intéressé aux pérégrinations de Pierre qu'à celles de Clément. On peut donc supposer qu'il a laissé pratiquement inchangée l'intrigue du roman juif. Les seules modifications qu'il a introduites au sein de la première action sont celles que rendait nécessaires la nouvelle orientation religieuse du récit ; j e pense en particulier à la rencontre que fait Clément à R o m e du missionnaire chrétien, qui est un dédoublement de celle que faisait du propagandiste juif le Clément juif . Mais ce n'est pas lui qui 4
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apocryphes chrétiens, Paris, 1997,1.1, p. 1104). La datation de G. POUPON est moins précise : « du premier tiers du II au début du m » (voir F. BOVON-P. GEOLTRAIN (ÉD.), op. cit., Paris, 1997,1.1, p. 1043). 1. Reconnaissances DC, 2 7 , 6 (« les Romains ont soumis au droit de Rome presque tout l'univers et toutes les nations qui vivaient auparavant selon diverses lois ») ; l'édit de Caracalla accordait la citoyenneté à tous les habitants de l'Empire. Autre allusion possible à un fait historique : Reconnaissances 1,45, 3 : mention d'Arsace (c'est-à-dire : le dernier des Arsacides, Artaban V, mort en 224) comme roi des Perses. 2. En Épître de Clément à Jacques 5-6 (repris différemment en Homélies HI, 60-61 = Reconnaissances HI, 66) : l'évêque, les presbytres, les diacres. 3. En Homélies XX, 13,6=Reconnaissances X, 55,3 ; mais de quelle loi s' agiraitil ? 4. Voir plus haut et notamment p. 242, n. 1. 5. Comparer Homélies 1,7,1 (= Reconnaissances 1,7,2) à Homélies V, 2 8 , 2 . E
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AUX ORIGINES DU ROMAN CLÉMENTIN
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a superposé au motif originel du départ de Mattidie, à savoir le songe prémonitoire, un second motif en rapport avec le thème de la fidélité conjugale, à savoir les avances coupables du frère amoureux \ D e toute évidence, le rédacteur ébionite a délibérément conservé la coloration hébraïque du Roman en préservant certains des traits caractéristiques du roman juif (conversion romaine de Clément, éducation « à la juive » des deux jumeaux après leur adoption, haine d'Appion pour les juifs, dégoût de Faustus pour ses fils « parce qu'ils sont devenus juifs »), malgré leur incompatibilité avec le nouveau contexte qu'il s'était choisi, celui d'une conversion à la foi du Christ. Plutôt que de voir dans les contradictions qu'entraînait la superposition de deux récits le simple effet de la maladresse du rédacteur , il faut y déceler une revendication pleine et entière de l'héritage juif, la conversion au christianisme étant considérée c o m m e une autre façon d'adhérer au j u d a ï s m e : nulle part les disciples de Pierre ne sont qualifiés de chrétiens, ils sont simplement juifs, c'est-à-dire membres du véritable Israël . 2
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Les nouveaux personnages
au sein du cycle
clémentin.
A u sein de l'intrigue principale sont apparus de nouveaux personnages. Les uns appartenaient à la version juive et ont simplement été christianisés, c o m m e Clément et les deux jumeaux, dont nous avons vu qu'ils existaient déjà dans la version juive. D'autres sont nés du dédoublement de personnages existants, c o m m e Bérénice, qui est une réplique de sa mère la Syro-Phénicienne Justa, ou Barnabe (le missionnaire chrétien), qui est une réplique du propagandiste juif de Rome. Certains sont nés de la projection d'une figure chrétienne sur un personnage déjà existant ; par exemple, la figure de Pierre, selon toute vraisemblance, est partiellement issue d'un personnage du roman primitif : celui qui accueillit le plus jeune fils de Faustus à son arrivée en Palestine, puis servit de lien entre les différents membres de la famille. Enfin, l'apparition d'une seconde intrigue (le conflit entre Pierre et Simon) entraîna aussi celle de nouveaux personnages,
1. Voir plus haut et notamment p. 241, n. 4. 2. Sur laqueUe les jugements sont très partagés ; voir plus haut p. 246, n. 4. 3. Voir Homélies Vm, 6, 1 : « C'est pourquoi Jésus est caché aux yeux des Hébreux qui ont reçu Moïse pour docteur, et Moïse est voilé aux yeux de ceux qui croient en Jésus. Comme l'enseignement transmis par l'un et par l'autre est le même, Dieu accueille favorablement l'homme qui croit à l'un des deux. » Voir aussi Reconnaissances IV, 5,5 et 5,7-8. 4. Sur l'absence d'emploi du mot %pionavôç dans les écrits clémentins, consulter la Konkordanz de G. STRECKER, p. 401 (noms communs) et 517 (noms propres) ; en revanche, très nombreux sont les emplois du mot Xpiorôç. Voir aussi ce que dit Pierre du vrai juif en Homélies XI, 16,3-4.
254
BERNARD POUDERON
empruntés au Nouveau Testament, mais très tôt intégrés au cycle pétrinien : Simon, Corneille, Zachée, Bérénice, Lazare *.
Le nouveau fonds
polémique.
Cette seconde intrigue correspondait en fait à une nouvelle visée polémique. Le dessein du rédacteur ébionite n'était plus seulement d'illustrer la force de la providence divine et la nécessité (ou la beauté) d'une morale sexuelle exigeante, mais de présenter la doctrine de sa secte, tout en luttant contre les sectes rivales. La secte rivale par excellence, c'est la gnose « simonienne », au sens le plus large de ce terme, dont le « dithéisme » est clairement dénoncé par les hérésiologues contemporains . Mais certaines des attaques dirigées contre Simon pourraient viser Paul et le christianisme de la grande Église, jugé dithéiste par le rédacteur ébionite. Toutefois il faut bien se garder de ne voir que Paul en Simon : l'essentiel de la controverse opposant Pierre à Simon est bien dirigé contre le dualisme gnostique, et ses thèmes polémiques sont trop précis pour qu' on n' y voie que le déguisement d'attaques portées contre Paul et le christianisme de la « Grande Église ». Interrogeons-nous maintenant sur l'origine des discours de Pierre, qui sont un apport propre du rédacteur chrétien. Celui-ci nous suggère qu'il les a empruntés à un ouvrage ésotérique antérieur, les Kérygmes de Pierre, dont le Roman serait pour ainsi dire la version exotérique ; il nous en donne le p l a n et nous livre m ê m e la lettre d'envoi de l'ouvrage : YÉpître de Pierre à Jacques . Cette assertion a longtemps été tenue pour vraie, jusqu'à ce que J. Rius-Camps la réfute en s'appuyant essentiellement sur une analyse « philologique » des 2
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1. Simon : Ac 8,9-25 ; Actes dePierre, passim—Corneille : Ac 10,1-48 ; Constitution apostolique VII, 46, 3 — Zachée : Le 19, 1-10 ; Constitution apostolique VII, 4 6 , 3 — Bérénice (fille de la Cananéenne) : Mt 15,21-28 ; Résurrection de Barthélémy 8,1 (confondue avec l'hémorroïse de Mt 9,20-22) ; Actes de Pilate 7,1 — Lazare : Jn 11,1-44 ; Actes de Philippe 2 0 , 3 . 2. Ce terme péjoratif (et polémique) correspondant au jugement des hérésiologues, non à celui de la critique contemporaine : Justin, Contre Marcion — chez Eusèbe, Histoire ecclésiastique IV, 11, 8 ; Irénée, Contre les hérésies I, 27, 2 ; III, 12, 12. Dans l'hérésiologie, Simon est considéré comme le premier des gnostiques dualistes, et cela dès Justin, Apologie I, 26,4-5 ; 56, 1 + 58, 1 (Ménandre et Marcion, disciples de Simon) ; Irénée, Contre les hérésies I, 23, 5 (Ménandre, disciple de Simon ; allusion à sa distinction des deux essences divines, l'une « Puissance inconnue de tous », située dans la transcendance absolue, et l'autre créatrice, représentée par des anges). Rien n'empêche donc que derrière Simon se cachent Marcion et Apellès. 3. En Reconnaissances III, 74-75. 4. D'après Épître de Pierre à Jacques 1,2 ; 3 , 1 . Voir aussi Diamarturia 1,1 ; 2,1 ; Épttre de Clément à Jacques 20 ; Reconnaissances I, 17, 2 (le livre sur le vrai Prophète) ;V, 36,4.
AUX ORIGINES DU ROMAN CLÉMENTIN
255
l
passages c o n c e r n é s . Il ne nous appartient pas de trancher le débat, mais, fidèle à notre démarche, d'avancer un argument d'ordre narratologique en faveur de l'une ou l'autre thèse. Cet argument tient à la présence dans le Roman clémentin de l'apôtre Paul, désigné c o m m e « l'homme ennemi » : dans la première lettre d'envoi, celle de Pierre à Jacques ; dans le livre I des Reconnaissances (qui semble dépendre d'une autre source que le reste du Roman) ; et dans plusieurs autres passages e n c o r e . La cohérence que l'on observe dans les attaques portées contre Paul, telles qu'elles sont dispersées dans le Roman, mais aussi leur rareté, obligent à y voir le simple résidu d'un ouvrage antérieur, que nous ne nous risquerons pas à désigner. Le rédacteur ébionite les a insérées dans son roman pour que les attaques lancées contre le « dithéisme » simonien portent aussi sur Paul : dans sa lutte contre les adversaires de la monarchie divine, il faisait pour ainsi dire coup double. 2
V. Conclusion. Telles sont donc les conclusions auxquelles nous ont amené l'acceptation de l'hypothèse du Clément juif. Les pseudo-clémentines se sont constituées par couches successives, dont les principales sont un roman païen originel, sa refonte juive, introduisant le personnage de Clément, et le remaniement chrétien, doublant l'intrigue originelle d'une seconde, la controverse de Pierre et Simon, qui fait basculer le centre de gravité du Roman du personnage de Simon à celui de Pierre. Les personnages chrétiens proviennent pour la majorité d'entre eux du roman juif, soit par emprunt direct, soit par dédoublement de personnages existants : c'est le cas de Clément,
1. Voir J. RIUS-CAMPS, op. cit., dans Revista Catalana de Teologia 1 (1976), p. 79-158 ; F. S. JONES, An Ancient Jewish Christian Source on the History of Christianity, Pseudo-Clementine Recognitions 1. 27-71, Atlanta, Géorgie, 1995. 2. Épître de Pierre à Jacques 2,3 (« l'enseignement contraire à la Loi de l'homme ennemi ») ; Homélies H, 17,4 (le « faux Évangile prêché par un imposteur », opposé à l'Évangile prêché par Pierre) ; Homélies XVII, 14, 2 (« tu prétends savoir mieux que moi ce qui concerne Jésus pour l'avoir appris de lui-même dans une apparition » — u n e attaque adressée à Simon, mais qui vise en fait Paul) ; Homélies XVII, 19 (« si tu me traites de condamné [Kateyvoauévov], tu accuses Dieu qui m'a révélé le Christ », par allusion à Paul, Ga 2,11) ; Reconnaissances 1,70 (« l'homme ennemi » qui pousse à l'exécution de Jacques) ; Reconnaissances I, 71, 3-4 («l'homme ennemi » qui reçoit mission de persécuter les chrétiens) ; Reconnaissances III, 6 1 , 2 (passage obscur, à rapprocher cependant de Homélies II, 17,4, cité ci-dessus). Dans d'autres passages, c'est le Jésus (ou plutôt l'homme-Dieu) de Paul qui est visé à travers Simon : Reconnaissances II, 14-15 (prétention de Simon à une naissance virginale) ; Homélies XVI, 1 5 , 2 (Pierre réplique à Simon que Jésus ne s'est jamais lui-même proclamé Dieu).
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BERNARD POUDERON
d'Appion, de Bérénice (le double de Juste), de Nicète et Aquila. Les autres ont été empruntés au cycle pétrinien, tels Simon, Zachée, Corneille, et n'avaient pas de véritables correspondants dans le roman juif. La cause de ce bouleversement était la nécessité d'utiliser un support acceptable pour un enseignement difficilement acceptable, celui du judéo-christianisme ébionite. Le Roman clémentin (je veux dire le roman juif sur le Clément juif) offrait une base commode, d'abord parce qu'il était populaire (comme en atteste la multiplication des rédactions au fil des siècles), ensuite parce que son héros, Clément, était bien facile à christianiser : sous les traits du rédacteur de VÉpître aux Corinthiens, homonyme de Flavius Clemens, et disciple de Pierre par surcroît ! SOURCES ÉCRITES DU ROMAN CLÉMENTIN
A (première intrigue)
Roman païen de reconnaissances (I
er
siècle : milieu stoïcien ?) l'histoire d'une noble famille romaine frappée par le malheur : désir d'adultère, séparation forcée, tempête, dispersion ; puis sauvée par la providence divine : retrouvailles)
Roman juif (fin I
er
e
-début II siècle : origine : Alexandrie ?) (incluant les personnages de Clément (= le prosélyte Flavius Clemens) et d'Appion (= le grammairien alexandrin)
B ( s e c o n d e intrigue) Ouvrage(s) ébionite(s) ? Kérygmes de Pierres ?
v Tradition de Pierre et Simon Actes de Pierre
e
R o m a n p s e u d o - c l é m e n t i n (fin n - d é b u t m
Homélies
e
siècle)
Reconnaissances Traduction latine de Rufin d'Aquilée
LE REGARD D'ORIGÈNE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS GILLES DORIVAL
Université de Provence
Résumé Origène peut-il nous aider à faire progresser notre connaissance du judéo-christianisme ancien ? Les passages où il mentionne les ébionites et les elkésaïtes ont été souvent commentés. Sont moins connues en revanche les exégèses qu il attribue à son maître hébreu ou à des juifs qui sont manifestement hors de la mouvance rabbinique — ces dernières nous renseignent peut-être sur des interprétations judéochrétiennes. 5
Summary Can Origenes help us to increase our knowledge of ancient JudeoChristianism ? The place where he mentions Ebionites and Elkasaites have often been studied. But less well known are those commentaries he attributes to his Hebrew master or to Jews definitively foreign to any rabbinical field of influence. These last may give us informations on Judeo-Christian interpretations. Origène est un de nos plus anciens informateurs sur les juifs chrétiens . Irénée de Lyon, Tertullien, Clément d'Alexandrie, l'auteur de YÉlenchos (= Réfutation de toutes les hérésies), le précèdent de cinquante ans au plus. Où Origène donne-t-il ces informations ? Il n'a pas composé un traité en règle contre les hérésies et les sectes chrétiennes ; certes, nous possédons de lui Y Entretien avec Héraclide, où il réfute une hérésie apparue en Arabie selon laquelle l'âme meurt en m ê m e temps que le corps et revivra avec lui au moment de la l
1. Sur la question générale des rapports entre juifs et chrétiens chez Origène et la question plus particulière des juifs chrétiens, voir N. DE LANGE, Origen and the Jews. Studies in Jewish-Christian Relations in Third-Century Palestine, Cambridge, 1976, notamment p. 35-36.
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GILLES DORIVAL
résurrection ; certes, nous savons qu'il avait rédigé un Entretien avec le valentinien Candidus, sans doute un Entretien avec Bérylle de Bostra et un traité Des natures, dirigé contre les gnostiques ; mais il ne semble pas qu'Origène ait consacré aux juifs chrétiens un ou plusieurs ouvrages particuliers : dans ses œuvres, il est question d'eux à l'occasion. L'exposé le plus systématique qui nous soit parvenu est un fragment du Commentaire sur la lettre à Tite qui, précisément, commente Tite 3 , 10 (« L'homme hérétique, après une première et une deuxième admonestation, écarte-le ») ; il y a là en effet une bonne accroche pour un exposé hérésiologique en forme ; j ' aurai l'occasion de revenir sur cet exposé, dont Alain Le Boulluec a donné un excellent commentaire . Quels sont les juifs chrétiens que mentionne Origène ? Avant tout les ébionites, une seule fois les elkésaïtes ; il parle également d'un Évangile selon les Hébreux, qui semble avoir circulé dans un milieu judéo-chrétien ; il se réfère encore à des interlocuteurs hébreux, dont certains semblent être des juifs chrétiens. En revanche, Origène ne parle jamais des nazoréens, ni des nazaréens, ni des cérinthiens, ni des symmachiens, ni des autres sectes judéo-chrétiennes que nous fait connaître Épiphane de Salamine. Beaucoup de ces témoignages d'Origène ont été commodément réunis et commentés par A. F. J. Klijn et G. J. Reinink . Toutefois, j e n'ai pas retenu deux de leurs dix-neuf textes relatifs aux ébionites : (1) Le Traité des principes, Préface 8, donne une citation de la Doctrine de Pierre où le Sauveur déclare à ses disciples : « Je ne suis pas un démon incorporel » ; en effet, rien n'indique que cet écrit ait circulé dans des milieux judéo-chrétiens ; cette affirmation figure pour la première fois chez J é r ô m e . (2) Le Commentaire sur Matthieu X V I , 16, où il est question du texte de Za 9, 9 (« monté sur une ânesse et son petit ânon »), dans la Septante, Aquila, Théodotion, Symmaque et la cinquième édition ; aucune allusion aux juifs chrétiens ne figure dans ce texte, qui a été retenu sans doute parce qu'il y est question de pauvreté et qu'Origène a l'habitude de rapprocher les ébionites du mot hébreu signifiant pauvreté ; mais la pauvreté est ici celle de 2 Co 8, 9 (Jésus « de riche s'est fait pauvre pour nous, afin de vous enrichir de sa pauvreté »), un texte que les ébionites hostiles à Paul ne pouvaient pas citer. Origène fait également connaître deux passages de la littérature l
2
3
L A . L E BOULLUEC, La Notion d'hérésie dans la littérature grecque (irur siècles), Paris, 1985, p. 524-538. 2. A . F . J. KLUN-G. J. REININK, Patristic Evidence for Jewish-Christian Sects, Leyde, 1973, p. 23-25 (sur les ébionites), p. 60-61 (sur les elkésaïtes), p. 124-135 (textes et traductions). 3. Voir F . BOVON-P. GEOLTRAIN (ÉD.), Écrits apocryphes chrétiens, Paris, 1997, p. 463-465.
LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS
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pseudo-clémentine, dont on sait qu'elle est d'origine judéochrétienne : 1. Le chapitre 23 de la Philocalie, qui est consacré à la réfutation de l'astrologie et qui est essentiellement fait d'un long extrait du tome m du Commentaire de la Genèse, s'achève par une cinquantaine de lignes explicitement tirées du logos 14 des Periodoi de Clément de Rome. Cet ouvrage ne nous est pas parvenu, mais il a été utilisé par les Reconnaissances, œuvre connue seulement par la traduction latine de Rufin ; le passage cité par Origène correspond à Reconnaissances X, 1 0 , 7 - 1 3 , 1 . 2. La traduction latine du Commentaire sur Matthieu, séries 77 contient une citation de « Pierre chez Clément » : « les œuvres bonnes qui sont faites par les incroyants leur sont utiles en ce monde-ci, mais non en ce monde-là pour obtenir la vie éternelle ». Ce passage a un correspondant en Reconnaissances X, 2. En fait, ces deux textes ne peuvent entrer dans mon propos. D'abord, il n'est pas sûr que les deux citations reviennent à Origène lui-même : la première est souvent attribuée aux Philocalistes, la seconde au traducteur l a t i n . Ensuite, et surtout, aux yeux du citateur, quel qu'il soit, les deux extraits sont de Clément de Rome ; ils ne sont jamais mis en rapport avec un milieu judéo-chrétien ; à supposer m ê m e qu'Origène soit le citateur, ils attestent seulement que, vers 2 3 0 - 2 5 0 , la littérature que nous qualifions de pseudoclémentine était considérée c o m m e l'œuvre authentique de Clément de Rome. l
I. LES ÉBIONITES
A. Les textes. Sauf erreur, Origène mentionne les ébionites quatorze fois, dans des passages appartenant à dix œuvres différentes. Origène les appelle ébionéens f E p i œ v a ï o i ) . Je vais examiner ces passages selon l'ordre chronologique des œuvres d'Origène tel qu'il a été établi par P. N a u t i n . À chaque fois, j e proposerai un commentaire, qui s'efforcera de faire ressortir ce qu'Origène nous apprend des ébionites. Je récapitulerai sous forme d'un bilan toutes ces informations, en essayant de faire ressortir l'originalité d'Origène par rapport aux hérésiologues qui l'ont précédé. 2
1. Voir É. JUNOD, Origene. Philocalie 21-27. Sur le libre arbitre, Paris, 1976, p. 25-33 (SC226). 2. P. NAUTIN, Origène. Sa vie et son œuvre, Paris, 1977.
260 1. Traité des principes
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IV, 3 , 8 (24).
Le Traité des principes date de 229-230. Dans le traité consacré à l'inspiration des Écritures et à la manière de les comprendre, Origène distingue les Israélites corporels, dont le Pentateuque nous raconte l'histoire, des Israélites spirituels, qui renvoient à une histoire des âmes : Si ce que nous avons dit au sujet d'Israël, de ses tribus et de ses dèmes est frappant, lorsque le Sauveur dit : « Je n'ai été envoyé que pour les brebis perdues de la maison d'Israël » (Mt 15,24), nous ne comprenons pas cela comme les ébionites pauvres en intelligence, qui tirent leur nom de leur intelligence pauvre (car le pauvre est appelé ebiôn chez les hébreux), au point de concevoir que le Christ est venu à titre principal pour les Israélites charnels. Car « Non, les enfants de la chair, ceux-là ne sont pas les enfants de Dieu » (Rm 9,8). Ce passage mérite plusieurs commentaires. D'abord, Origène connaît l'étymologie du mot « ébionite », qui est effectivement fabriqué sur le mot hébreu signifiant « pauvre ». Ensuite, fidèle à luim ê m e , il donne à ce mot un sens spirituel : les ébionites ne sont pas des pauvres au sens matériel, mais au sens intellectuel, des pauvres par l'intelligence. Il nous apprend encore que les ébionites utilisaient l'Évangile selon Matthieu, sans toutefois dire, c o m m e Irénée {Contre les hérésies I, 26, 2 ; m, 11, 1), qu'ils se servaient de ce seul Évangile. Surtout, il nous fait connaître l'exégèse qu'ils donnaient de Mt 1 5 , 2 4 et leur oppose sa propre interprétation : selon eux, les brebis perdues de la maison d'Israël étaient à titre principal les juifs ; nous pouvons en conclure que, pour eux, le Christ était venu sauver à titre secondaire les païens. Origène, argumentant à partir de l'Apôtre, exclut radicalement toute interprétation corporelle de ce type : bien que le texte soit peu explicite, on peut penser que, pour Origène, les brebis perdues de la maison d'Israël forment une race d'âmes jouant un rôle dans l'histoire des âmes \ On remarque qu'Origène utilise contre les ébionites Paul, que ces derniers n' admettaient pas ; la réfutation origénienne ne les aurait sûrement pas convaincus.
1. La traduction de Rufin est fidèle à l'esprit d'Origène et elle est plus claire sur la fin que le passage grec, qui est peut-être abrégé : « Ayant donc appris de lui (F Apôtre) qu'il y a un "Israël selon la chair" (1 Co 10,18) et un autre selon l'esprit, quand le Sauveur dit : "Je n'ai été envoyé que pour les brebis perdues de la maison d'Israël" (Mt 15,24), nous ne prenons pas ces mots dans le même sens que ceux qui ont des pensées terrestres, c'est-à-dire les ébionites, qui par leur nom aussi sont appelés pauvres (car ebion en hébreu veut dire "pauvre") ; mais nous comprenons qu'il existe une race d'âmes qui portent le nom d'Israël, etc. » (IV, 3 , 8 (24)).
LE REGARD D'ORIGÈNE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS
261
2. Homélie 3 sur la Genèse 5. Les Homélies sur la Genèse semblent avoir été prononcées entre 2 3 9 et 2 4 2 . Elles sont connues par la traduction de Rufin. [...] Car nous devons réfuter au sujet de la circoncision de la chair non seulement les juifs charnels, mais aussi certains de ceux qui ont reçu le nom du Christ et qui, pourtant, pensent qu'il faut admettre la circoncision chamelle, comme les ébionites et ceux qui, semblables à eux par la pauvreté de l'intelligence, sont dans l'erreur. L'intérêt de ce texte est double. D'abord, il ne fait pas de doute qu'aux yeux d'Origène, les ébionites sont des chrétiens, m ê m e si, à cause de leur pratique de la circoncision, ils sont dans l'erreur. En second lieu, Origène connaît d'autres chrétiens qui pratiquent la circoncision ; malheureusement, il ne les nomme pas ; il peut s'agir de n'importe quel groupe judéo-chrétien, puisqu'il semble que les nazoréens, les cérinthiens, les elkésaïtes et les autres judéo-chrétiens pratiquaient la circoncision. Nous verrons que, dans d'autres textes postérieurs aux Homélies sur la Genèse, Origène parle de deux sortes d'ébionites : on peut faire l'hypothèse que les juifs chrétiens anonymes de notre texte deviennent par commodité l'une des deux sortes d'ébionites.
3. Homélie 19 sur Jérémie
12.
Origène a prononcé ses Homélies sur Jérémie dans les années 239-242. Dans le passage qui va suivre, il commente Jérémie 20, 2 (« Et (Paskhôr) battit Jérémie le prophète ») : Or il est écrit dans les Actes que quelqu'un « a battu » Paul sur l'ordre d'Ananias le grand prêtre ; c'est pourquoi Paul a dit : « Dieu va te frapper, rempart crépi » (Ac 23, 2-3) ; et aujourd'hui encore, commandés par un grand prêtre illégitime du Logos, les ébionites frappent l'apôtre de Jésus Christ par des paroles diffamatoires, et Paul dit à un tel grand prêtre du Logos : « Dieu va te frapper », et un tel grand prêtre du Logos, en surface « beau » (voir Mt 23, 27) et « rempart crépi », « à l'intérieur est plein d'ossements morts et d'impuretés de toute sorte » (Mt 23,27). Ce texte elliptique demande quelques éclaircissements. Selon Origène, les juifs de l'époque de Paul et les ébionites de son temps partagent une caractéristique : leur antipaulinisme. À l'époque de Paul, cet antipaulinisme s'est traduit par des coups donnés par les juifs à l'Apôtre ; deux siècles après, il s'exprime par des paroles qui diffament Paul. Origène n'en dit pas plus, mais nous savons par Irénée (Contre les hérésies I, 26) et Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique III, 27, 4) que les ébionites, qui rejetaient complètement les lettres de Paul, traitaient l'apôtre d'apostat de la Loi ;
262
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Origène fait au minimum allusion à cette injure qu'il considère évidemment c o m m e diffamatoire. Mais peut-être va-t-il plus loin et connaît-il les ragots antipauliniens dont parle Épiphane de Salamine (Panarion X X X , 16, 8 et 2 5 , 1) : les ébionites faisaient naître Paul d'un père et d'une mère grecs ; monté à Jérusalem, il aurait voulu épouser la fille du grand prêtre ; il serait alors devenu un prosélyte et se serait fait circoncire ; mais il n'aurait pas obtenu la jeune fille et, par colère, aurait écrit contre la circoncision, le sabbat et la Loi. L'expression « grand prêtre du L o g o s » appliquée au chef des ébionites est délicate à interpréter. S'agit-il du titre que portait réellement c e chef religieux ? Si tel était le cas, Origène nous donnerait un renseignement inédit. Mais il est plus probable que c e titre est une création d'Origène lui-même, destinée à faire pendant au titre de « grand prêtre » que porte Ananias ; plus exactement, Origène a sûrement en tête le verset 4 de A c 2 3 , où l'entourage d'Ananias dit à Paul : « Tu injuries le grand prêtre de Dieu. » Les mots « grand prêtre du L o g o s » font clairement écho à cette expression. On est toutefois surpris qu'Origène utilise le mot « L o g o s » pour parler des ébionites ; en effet, c e terme qui, depuis l'Évangile selon Jean, évoque la préexistence du Christ auprès de Dieu de toute éternité, ne paraît pas avoir été utilisé dans la théologie ébionite, bien au contraire : dans son Histoire ecclésiastique BŒ, 27, 3, Eusèbe de Césarée, qui peut tenir ses renseignements sur les ébionites d'une tradition remontant à Origène lui-même, explique qu'ils « ne reconnaissent pas que le Seigneur préexiste en tant que Dieu Logos et S a g e s s e ». Dans c e s conditions, on peut se demander si le mot « Logos » ne fonctionne pas c o m m e une sorte d'étiquette, qui permet de désigner quiconque se réclame de Jésus Christ. Le mot est d'ailleurs contrebalancé par l'adjectif « illégitime ». Ainsi, en utilisant le substantif « Logos », Origène reconnaît que les ébionites sont des chrétiens ; mais, en ajoutant l'adjectif « illégitime », il les range parmi les hérétiques. On peut sans doute aller un peu plus loin : pour Origène, le caractère illégitime (Tiapdvoixoç) des ébionites consiste dans le fait qu'ils continuent à vivre sous la Loi juive, et non sous celle de Jésus Christ. U n dernier trait mérite d'être relevé : Origène dirige contre les ébionites un verset de Matthieu, le seul Évangile reconnu par c e s derniers. Cela contraste avec le passage du Traité des principes analysé plus haut, où Origène utilisait Paul à leur encontre, c e qui ne pouvait les convaincre puisqu'ils n'admettaient pas l'Apôtre. 1
1. É . GRAPIN, Eusèbe, Histoire ecclésiastique, Paris, 1905, ad locum, traduit : « ils n'admettaient pas sa préexistence, quoiqu'il fût le Verbe divin et la Sagesse ». Mais on ne voit pas comment Jésus, s'il est le Verbe divin et la Sagesse, pourrait ne pas être préexistant.
LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS
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L'argumentation est donc plus serrée, et il y a peut-être m ê m e un trait d'ironie de la part d'Origène. 4. Homélie
1 surLuc
1.
Les Homélies sur Luc paraissent avoir été prêchées entre 239 et 242. N o u s les connaissons en latin, grâce à une traduction de Jérôme. Origène commente Le 1, 1 (« Beaucoup ont entrepris de mettre en ordre le récit relatif aux faits qui se sont avérés chez nous ») : L'Église a quatre Évangiles, l'hérésie un très grand nombre, parmi lesquels l'un est écrit selon les Égyptiens, un autre d'après les Douze Apôtres. Basilide lui aussi a osé écrire un Évangile et l'intituler de son nom. A u texte de Jérôme correspond en partie un fragment grec des chaînes, qui parle de « l'Évangile selon les Égyptiens », de « l'Évangile des D o u z e » et de « l'Évangile selon Basilide ». Le premier et le troisième de ces textes ne nous intéressent pas, puisqu'ils n'ont pas circulé dans des milieux judéo-chrétiens. En revanche, la question se pose de savoir si l'Évangile des Ébionites, dont sept fragments sont connus par Épiphane de Salamine, ne s'appelait pas « Evangile des D o u z e » ; en effet Épiphane explique que les ébionites utilisent un Évangile selon Matthieu incomplet, abâtardi et mutilé, où se trouve le passage suivant : Il y eut un homme du nom de Jésus — et il avait environ trente ans — qui nous choisit. Et il alla à Capharnaum et il entra dans la maison de Simon surnommé Pierre et, ouvrant sa bouche, il dit : « En passant le long du rivage de Tibériade, j'ai choisi Jean et Jacques, les fils de Zébédée, Simon, André, [lacune] Thaddée, Simon le Zélote, Judas l'Iscariote ; et toi Matthieu qui étais assis à la perception, je t'ai appelé et tu m'as suivi. Donc je veux que vous soyez les douze apôtres en témoignage pour Israël » (Panarion XXX, 13,2-3). Dans ce texte, où il y a une lacune de quatre noms d'apôtres, Matthieu apparaît c o m m e le porte-parole des D o u z e ; c'est en leur n o m qu'il s'exprime, à la première personne du pluriel (« il nous choisit ») ; et c'est aux D o u z e que Jésus confie la mission particulière de témoigner auprès d'Israël. Le titre d'« Évangile des D o u z e » convient donc bien à l'Évangile ébionite. Certes Origène n'affirme pas explicitement que ces deux textes n'en font qu'un, mais la confrontation entre lui et Épiphane permet de proposer cette identification.
264 5. Homélie
GILLES DORIVAL
17surLuc2.
Origène commente Le 2 , 2 4 : Syméon dit à Marie au Temple : ton enfant « sera un signe auquel il est contredit » (littéralement : « un signe contredit »). Il est contredit à tout ce que raconte l'histoire du Sauveur. La Vierge est mère, c'est un signe auquel il est contredit : les marcionites contredisent ce signe et affirment qu'il n'a pas du tout été engendré d'une femme ; les ébionites contredisent le signe, en disant qu'il est né d'un homme et d'une femme tout comme nous aussi nous sommes nés. Selon Origène, le miracle de la naissance virginale de Jésus est nié par les marcionites et les ébionites. Le Contre Marcion (IV, 7 , 1 ) de Tertullien permet d'éclairer ce qui est dit ici : selon Marcion, au heu de naître c o m m e les hommes, le Christ envoyé par le Dieu bon est descendu directement du ciel dans la synagogue de Capharnaum (Le 4 , 3 1 ) . Les ébionites représentent une autre forme de la négation de la naissance virginale, qui consiste à affirmer qu'il est le fruit de l'union conjugale de ses parents. Cette opinion d'Origène est corroborée par Irénée et l'auteur de VÉlenchos : le premier affirme que les ébionites voyaient en Jésus un pur homme, né de Joseph (Contre les hérésies m, 2 1 , 1) ; pour le second, ils avaient sur sa naissance la m ê m e opinion que Carpocrate et Cérinthe, qui faisaient de Jésus le fils de Joseph (Élenchos VII, 32-34). U n aspect étonnant de cette présentation hérésiologique mérite d'être relevé : d'après Irénée, les ébionites n'admettaient que le seul Évangile selon Matthieu ; Origène signale, on l'a vu, qu'ils utilisaient Matthieu, sans aller jusqu'à l'affirmation d'Irénée. Or, le chapitre 1 de Matthieu insiste sur la naissance virginale de Jésus, que les ébionites refusent. D è s lors, comment Matthieu peut-il être leur Évangile de référence ? Plusieurs hypothèses ont été avancées : le Matthieu des ébionites n'aurait pas contenu le récit de l'enfance de Jésus, dont il semble bien qu'il a été adjoint à l'Évangile en un second temps ; ou bien encore, il s'agirait du Matthieu hébreu ou araméen dont parle Papias, ce qui conviendrait bien à ce groupe araméophone ; ou encore, à en croire Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique III, 27), il s'agirait de Y Évangile selon les Hébreux ; le m ê m e renseignement se Ut chez Épiphane (Panarion X X X , 3 , 7 ) , qui identifie explicitement cet Évangile avec le Matthieu « e n lettres hébraïques » ; mais Origène, qui connaît et cite cet Évangile, ne le met jamais en relation avec les ébionites. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce problème.
LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS
6. Commentaire
265
sur la lettre aux Romains HI, 11.
Le Commentaire, qui a été écrit vers 2 4 3 , est connu par la traduction de Rufïn. Origène commente R m 3 , 3 1 : « Donc, abolissons-nous la Loi par la foi ? A Dieu ne plaise, mais nous conservons la Loi. » Le Sauveur dit dans les Évangiles : « Moïse a écrit à mon sujet » (Jn 5,46). Donc qui ne croit pas au Christ, au sujet duquel Moïse a écrit dans la Loi, détruit la Loi ; au contraire, qui croit au Christ, au sujet duquel Moïse a écrit, affermit la Loi par la foi, parce qu'il croit dans le Christ. Or nous disons que la foi intègre, pleine, parfaite, dans le Père, le Fils et l'Esprit saint est celle qui ne professe rien de divers, rien de différent ou d'étranger dans la Trinité. Car Marcion, qui dit qu'autre est le Dieu de la Loi, autre le Père du Christ, par sa foi ne conserve ni n'affermit la Loi, mais la détruit. Cela, Ébion le fait aussi ; cela, le font aussi tous ceux qui introduisent dans la foi catholique un élément de corruption. On retrouve ici le parallèle entre Marcion et les ébionites que faisait Y Homélie 17 sur Luc. Il y a cependant deux différences de taille : 1. Dans notre passage, les ébionites deviennent Ébion. Il est question de c e fondateur imaginaire des ébionites chez Tertullien (Sur la prescription des hérétiques X , 8 ; XXXIII, 3-5 et 11 ; Sur le voile des vierges 6 , 1 ; Sur la Chair du Christ 14 et 18), l'auteur de YÉlenchos (VII, 35, 1), le Pseudo-Tertullien (Contre toutes les hérésies 3 ; Chant I), Victorin de Poetovio (Commentaire sur VApocalypse XI), Alexandre d'Alexandrie (Lettre IX), Hilaire de Poitiers (Sur la Trinité 1,26 ; II, 4 et 23 ; VII, 3 et 7), Optât de Milève (Sur le schisme donatiste TV, 5), Épiphane de Salamine (Panarion X X X passim), etc. Mais notre passage est le seul de toute l'œuvre d'Origène où il soit question d'Ebion. D è s lors, il y a deux hypothèses : ou bien, dans le texte original, Origène parlait des ébionites, auxquels Rufîn, en bon hérésiologue convaincu que toute hérésie a un père, a substitué Ébion, ou bien l'ensemble de la phrase sur Ébion est une interpolation due à Rufin. Est-il possible de trancher entre ces deux hypothèses ? 2. Les ébionites sont mis dans le m ê m e sac que Marcion : c o m m e ce dernier, ils auraient professé que le Dieu de la Loi est autre que le Père de Jésus ; cela est évidemment faux. Mais peut-être que Rufin n'a pas reproduit toute la phrase qu'Origène consacrait aux ébionites. Peut-on reconstituer cette phrase ? On note qu'il y a un énorme paradoxe à affirmer que les ébionites détruisent la Loi, eux dont Origène nous montre dans d'autres passages que leur tort est de lui rester fidèles à la lettre. D è s lors, on doit faire l'hypothèse que la phrase : « Cela, Ébion le fait aussi » résulte d'une intervention de Rufin.
266 7. Commentaire
GILLES DORIVAL
sur Tite.
Il a sans doute été composé vers 2 4 3 . Le fragment qui suit est connu par VApologie pour Origène d'Eusèbe et de Pamphile, qui nous est parvenue en latin grâce à la traduction de Rufin. Origène commente Tite 3 , 1 0 (« L'homme hérétique, après une première et une seconde admonestation, écarte-le »). Il examine d'abord les hérésies sur Dieu le Père et conclut ainsi : Et s'il était vrai que celui qui pense sur Dieu le Père autrement que l'expose la règle de piété, celui-là seul devrait être tenu pour hérétique, assurément ce qui vient d'être dit suffirait. Mais en réalité la même et identique appréciation doit être portée aussi sur celui qui a pensé quelque chose de faux à propos de notre Seigneur Jésus Christ, soit en accord avec ceux qui disent qu'il est né de Joseph et Marie, comme le font les ébionites et les valentiniens, soit en accord avec ceux qui nient qu'il soit « premier-né », et Dieu de « toute la création » (Col 1, 15), et Verbe, et Sagesse qui est « commencement des voies » de Dieu, avant que quelque chose soit, « fondée avant les siècles », « engendrée avant toutes les montagnes » (Pr 8,22-25), mais qui disent qu'il est seulement un homme, soit en accord avec ceux qui confessent qu'il est Dieu, mais que cependant il n'a pas pris l'âme et le corps terrestre : eux qui, sous l'apparence de décerner au Seigneur Jésus une gloire prétendument plus grande, affirment que tout ce qui a été accompli par lui semble être accompli plutôt qu'il n'a été vraiment accompli ; et qui ne confessent pas qu'il est né d'une vierge, mais qu'il est apparu en Judée comme homme de trente ans. D'autres croient assurément qu'il a été engendré d'une vierge, mais ils assurent que la Vierge a plutôt pensé qu'elle avait enfanté, mais qu'elle n'a pas vraiment enfanté. Ils affirment encore que le mystère de la génération putative a échappé à la Vierge. Ce passage a été analysé par Alain Le Boulluec, qui en a bien dégagé l'aspect artificiel : aux deux premières hérésies qui consistent à nier la divinité de Jésus s'opposent les deux dernières qui nient son humanité ; les ébionites et les valentiniens, pourtant si éloignés les uns des autres, sont réunis artificiellement pour former la première hérésie, parce que, sur le point particulier de la naissance de Jésus, leurs doctrines se ressemblent ; la deuxième hérésie rappelle ce qu'Eusèbe dit de la seconde sorte d'ébionites (Histoire ecclésiastique III, 2 7 , 3 ) , ceux qui acceptent la naissance virginale, mais nient la préexistence du Logos ; certes, Origène ne dit pas que les hérétiques visés ici acceptent la naissance virginale ; il dit m ê m e qu'ils font de Jésus un simple homme ; mais le mouvement m ê m e du texte suggère que l'humanité à laquelle ils réduisent Jésus consiste dans le refus de lui attribuer les titres de Logos préexistant, de Premier-né et 1
1. A . L E BOULLUEC, op. cit., Paris, 1 9 8 5 , p. 5 2 6 - 5 3 0 .
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de Sagesse ; en d'autres termes, il se pourrait bien que la seconde catégorie d'hérétiques ait professé la naissance virginale.
8. Contre Celse II, 1. Le Discours vrai de Celse commence par deux prosopopées : dans la première, un juif s'adresse à Jésus et lui fait toutes sortes de reproches ; dans la seconde, le juif s'adresse à ceux qu'il appelle JcoAïxai, « concitoyens », et leur demande pourquoi ils ont abandonné la loi de leurs pères et se sont laissés séduire par Jésus. L e livre I du Contre Celse, composé par Origène vers 249, est consacré à l'examen de la première prosopopée ; le livre H, à celui de la seconde. A u début de ce livre, Origène affirme que la seconde prosopopée est dirigée, non contre les croyants issus des nations, mais « contre ceux du peuple des juifs qui ont cru en Jésus ». Cette affirmation est évidemment intéressante, car, dans les travaux consacrés aux juifs chrétiens, on ne retient pas d'ordinaire le Discours vrai parmi les sources qui nous font connaître ce courant. Si Origène a raison, il y aurait là une source à exploiter. Mais a-t-il raison ? En fait, Origène a été abusé par le mot TcoAIxai ; pour lui, ce mot indique que le juif et ses interlocuteurs ont part à la m ê m e citoyenneté : les icoAXxai ne peuvent être que des juifs chrétiens. Mais quand on lit les fragments de Celse, on se rend compte que, c o m m e le signale Origène lui-même dans le passage qui nous intéresse, ils visent les chrétiens en général, et, parmi eux, plutôt les pagano-chrétiens. Le juif parle de « concitoyens » parce qu'aux yeux de Celse, les juifs et les chrétiens ont la m ê m e origine ; dans la suite, Celse expliquera que les chrétiens ont fait sécession par rapport à leur origine juive. D'ailleurs, au fur et à mesure que le livre II avance, Origène se rend compte de son erreur et, au début du livre III, où il résume son livre H, il dit que la prosopopée du juif était dirigée « contre nous, les gens qui croyons en Dieu par le Christ ». Voici le passage sur les ébionites : Donc, ce que Celse dit à ceux qui, venus des juifs, croient, il faut le comprendre. Il dit qu'ils ont abandonné la loi de leurs pères parce qu'ils ont été séduits par Jésus, qu'ils ont été trompés de manière tout à fait risible et qu'ils ont été transfuges en passant à un autre nom et un autre genre de vie. C'est qu'il n'a pas du tout compris que ceux qui, venus des juifs, croient au Christ n'ont pas abandonné la loi de leurs pères ; en effet ils vivent selon elle, eux qui ont obtenu leur nom de la pauvreté interprétative de la Loi ; car Ébiôn est le nom du pauvre chez les juifs, et ceux qui, venus des juifs, ont reçu Jésus comme Christ sont qualifiés d'ébionites. Ce fragment ne nous apprend rien de neuf sur les ébionites ; il recoupe le passage du Traité des principes, qui est plus riche. En fait, l'intérêt de ce fragment, c'est qu'Origène, abusé par le mot
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« concitoyens », pense que Celse vise dans sa description les juifs chrétiens ; et il n'a pas de mal à lui rétorquer que les juifs chrétiens, les ébionites, n'ont pas abandonné la loi de leurs pères. Il estime ainsi le prendre en flagrant délit d'erreur et démontrer son incompétence. Mais en fait Celse ne songeait nullement aux ébionites, mais aux chrétiens en général, c'est-à-dire plutôt aux pagano-chrétiens.
9. Contre Celse V, 6 1 . Celse affirme que les juifs et les gens de la Grande Église ont le m ê m e Dieu. Cependant, il est au courant de l'existence d'autres chrétiens qui pensent qu'il y a un autre Dieu, opposé à celui-là, et que le Fils est venu de lui ; d'autres encore distinguent les psychiques et les pneumatiques ; d'autres se proclament gnostiques ; d'autres reçoivent Jésus, mais vivent selon la loi des juifs ; il y a encore les sibyllistes, les simoniens, les marcelliniens, les harpocratiens \ les disciples de Mariamme, les disciples de Marthe et les marcionites. C'est le passage relatif aux chrétiens juifs qui nous intéresse : Soit ! Certains aussi reçoivent Jésus ; à cause de cela ils se targuent d'être chrétiens ; mais ils veulent encore vivre selon la loi des juifs comme les foules des juifs ; or ces gens-là sont les deux types d'ébionites, ceux qui reconnaissent comme nous que Jésus est né d'une vierge et ceux qui ne le reconnaissent pas, mais affirment qu'il est né comme les autres hommes. Les mots en italiques ont Celse pour auteur : il connaît l'existence de chrétiens qui pratiquent la Loi juive. Soucieux de montrer qu'il en sait plus que Celse et qu'il est plus compétent que ce demi-compétent, Origène affirme que ces gens qui se targuent d'être chrétiens forment en fait deux groupes qui portent le m ê m e nom d'ébionites : le premier, qu'on peut qualifier d'orthodoxe, professe la naissance virginale de Jésus ; le second, hétérodoxe, fait de Jésus un h o m m e c o m m e les autres. En d'autres termes, la première sorte d'ébionites se caractérise par son orthodoxie (la naissance virginale) et son hétéropraxie (la pratique de la Loi juive) ; la deuxième sorte, par son hétérodoxie et son hétéropraxie. Origène est le premier parmi les écrivains chrétiens à parler des deux sortes d'ébionites ; il sera suivi sur ce point par Eusèbe de Césarée, qui dépend certainement de lui. Pour Irénée, les ébionites voyaient en Jésus un pur homme, né de Joseph (Contre les hérésies III, 2 1 , 1) ; l'auteur de VÉlenchos dit qu'ils ont sur sa naissance la m ê m e opinion que Carpocrate et Cérinthe, qui faisaient de Jésus le fils de Joseph (VII, 32-34). Ainsi les ébionites d'Irénée et de l'auteur de VÉlenchos peuvent être identifiés à la seconde sorte d'ébionites dont parle Origène. D è s lors, avec quel groupe faut-il
1. Erreur pour les carpocratiens ?
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identifier la première sorte d'ébionites ? D e u x hypothèses ont été avancées : 1. Ils pourraient être des juifs chrétiens faisant partie de la Grande Église ; certes, dans son Homélie 10 sur le Lévitique, Origène s'adresse « à ceux qui pensent que, en vertu du commandement de la Loi, il leur faut pratiquer eux aussi le jeûne des juifs » ; mais il n'est pas sûr que ces jeûneurs aient dans la réalité fréquenté la m ê m e église qu'Origène ; ils avaient peut-être leur lieu de culte spécifique ; de plus, le texte du Contre Celse est muet sur cette appartenance à la Grande Église. 2. Ils pourraient être un groupe de juifs chrétiens égyptiens ayant rejoint les ébionites et utilisant un Évangile favorable à la naissance virginale de Jésus et qui n'est pas nécessairement l'Évangile selon les H é b r e u x . Cette hypothèse manque de fondements dans le Contre Celse. On peut avancer deux autres propositions : 1. On pourrait les identifier avec les nazoréens ; certes, on peut être surpris qu'Origène ne les désigne pas par ce n o m ; mais ce dernier, qui existe dans le Nouveau Testament, ne réapparaît dans la littérature patristique qu'à la fin du rv siècle chez Joseph de Tibériade, Épiphane et Jérôme, sous la forme « nazoréens » ou « nazaréens » ; Epiphane souligne leur orthodoxie et leur hétéropraxie, ce qui peut correspondre à la description du Contre Celse. 2. A u contraire, on peut être sensible au fait qu'Origène énumère les ébionites parmi d'autres hérétiques et on peut tirer de ce fait que l'orthodoxie de la première sorte d'ébionites a des chances de se limiter à la naissance virginale de Jésus ; dans ces conditions, on pourrait les identifier aux elkésaïtes. Je reviendrai sur cette hypothèse quand il sera question des elkésaïtes. 1
2
e
3
10. Contre Celse V, 65. Celse critique les différents courants chrétiens « qui s e réfutent eux-mêmes très honteusement par leurs querelles ». Origène réplique : Étant donné que Celse dit que Von entendra tous ceux qui sont séparés à ce point dire : «r Le monde est crucifié pour moi et moi pour le monde » y
1. H. J. SCHOEPS, Théologie und Geschichte des Judenchristentums, Tubingen, p. 1 6 . 2 . A . F . J. KLIJN-G. J. REININK, op. cit., Leyde, 1 9 7 3 , p. 2 5 . 3 . Voir S . C. MIMOUNI, « Les nazoréens. Recherche étymologique et historique », dans Revue biblique 1 0 5 ( 1 9 9 8 ) , p. 2 0 8 - 2 6 2 . Le terme « Nazaréniens » (Nazareni) qui figure chez Tertullien, Contre Marcion IV, 8 , traduit le mot du Nouveau Testament NaÇapnvôç, qui signifie sans doute (mais cela est discuté) « originaire de Nazareth » ; les « Nazaréniens » doivent donc être distingués des nazoréens ou nazaréens. 1949,
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(Ga 6, 14), nous réfuterons ce propos lui aussi comme mensonger. En effet il y a des sectes qui n'admettent pas les Lettres de l'Apôtre, comme les deux types d'ébionites et ceux qu'on appelle encratites. Donc ceux qui ne se servent pas de l'Apôtre comme d'un bienheureux et un sage n'ont pas pu dire : « Le monde est crucifié pour moi et moi pour le monde. » Voilà pourquoi Celse ment en cela. Celse affirme que les différents courants chrétiens, quelle que soit leur désunion, ont un point commun, celui de se réclamer de Ga 6 , 1 4 . Origène n'a pas de mal à le prendre en flagrant délit d'incompétence, en faisant observer que les deux sortes d'ébionites et les encratites athétisaient Paul. Le refus ébionite de Paul figure déjà chez Irénée (Contre les hérésies 1,26).
11. Fragment 2 1 2 du Commentaire
sur Luc.
Le Commentaire sur Luc date de 2 4 9 ; les fragments qui figurent dans les chaînes sur Luc peuvent provenir soit de ce Commentaire, soit du Commentaire sur Matthieu (qui a été composé à la m ê m e époque), soit des Homélies sur Matthieu, soit encore des Homélies sur Luc (qui ont toutes été prononcées entre 239 et 242) ; toutefois, notre fragment commente Le 14, 19 (« J'ai acheté cinq paires de bœufs et j e pars les essayer »), qui est un verset absent de Matthieu ; il provient donc soit des Homélies sur Luc, soit plutôt du Commentaire sur Luc. Celui qui a acheté cinq paires de bœufs, celui-là n'avait pas essayé dès le début ce qu'il avait acheté ; or il est celui qui néglige la nature intelligible, mais qui philosophe sur les choses sensibles, comme les juifs ébionites. Il n'est pas sûr que le texte soit bien transmis : dans la première phrase, le grec o w œ ç n'offre pas un sens satisfaisant et doit sûrement être corrigé en o w o ç (« celui-là ») ; dans la dernière phrase, l'expression « les juifs ébionites » est tout à fait isolée chez Origène : faut-il lire « les juifs et les ébionites » ? En tout cas, les ébionites sont mis du côté du sensible, de la lettre, et non du côté de l'intelligible, du spirituel. L'invité de la parabole qui refuse d'aller au festin sous le prétexte d'essayer les cinq paires de bœufs qu'il a achetées est la figure de ces ébionites : il aurait dû essayer les bœufs (les choses sensibles) dès le début, avant de les acheter ; sa conduite l'empêche de se consacrer aux choses intelligibles, c'est-à-dire de se rendre au festin.
12. Commentaire Le Commentaire
sur Matthieu XI, 12. sur Matthieu a été écrit vers 249.
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Et il appela la foule et il leur dit : « Écoutez et comprenez, etc. » (Mt 15, 10). Nous apprenons clairement par ces mots un enseignement du Sauveur : quand nous lisons dans le Lévitique et dans le Deutéronome ce qui a trait aux nourritures pures et impures, à propos desquelles les juifs corporels (voir 1 Co 10,18) et les ébionites qui diffèrent peu de ces derniers nous font grief de violer la Loi, ne pensons pas que le but pour FÉcriture est le sens obvie à propos de ces prescriptions.
Ce texte est à la fois polémique et peu précis : les ébionites sont pratiquement mis dans le m ê m e sac que les juifs ; ces deux catégories s'en tiennent au sens littéral des prescriptions alimentaires du Pentateuque.
13. Commentaire
sur Matthieu XVI, 12.
Origène commente l'épisode des deux aveugles à la sortie de Jéricho (Mt 2 0 , 2 9 - 3 4 ) ; il rapproche de ce texte le récit de l'aveugle appelé Bartimée, c'est-à-dire fils de Timée, de M e 1 0 , 4 6 - 5 2 , qui se déroule lui aussi à la sortie de Jéricho. Pour comprendre le texte qui suit, il faut se rappeler que le n o m « Timée » est dérivé de xi^fj, l'honneur, le prix, la valeur. Et lorsque tu vois la foi relative au Sauveur de ceux qui, issus des juifs, croient en Jésus, qui pensent tantôt qu'il est né de Marie et de Joseph, tantôt de la seule Marie et de l'Esprit divin, sans cependant partager la théologie à son sujet, tu verras pourquoi cet aveugle dit : « Fils de David, prends pitié de moi » (Me 10, 47), lui que les « nombreuses gens » (Me 10, 48) réprimandent ; car nombreux sont ceux qui, sortant de Jéricho, sont issus des nations : ils réprimandent la pauvreté de ceux qui, issus des juifs, semblent avoir la foi. [...] Peut-être que, à cause de la valeur du patriarche Jacob et Israël, Timée est de manière figurée ce dernier ; quant à ceux qui possèdent la bonne naissance qui vient de lui, l'aveugle Bartimée les figure. [...] Ensuite, étant donné que les nombreuses gens le réprimandaient alors qu'il disait « Fils de David, prends pitié de moi », « afin qu'il se tût », je cherche si tu peux dire que les nombreuses gens qui réprimandent, « afin qu'il se taise », l'ébionite, c'est-à-dire le pauvre relativement à la foi en Jésus, ne sont pas ceux qui sont issus des nations, qui presque tous ont cru qu'il était né d'une vierge et qui réprimandent, « afin qu'il se taise », celui qui pense qu'il provient de la semence d'un homme et d'une femme, parce qu'il fait descendre sa race de David. L'intérêt de ce texte est de développer une interprétation allégorique de M e 1 0 , 4 6 - 5 2 : Timée, le père de l'aveugle, figure Jacob, dont l'autre n o m est Israël ; Bartimée l'aveugle est la figure de ceux qui sont issus des juifs et croient en Jésus, singulièrement les ébionites, dont le n o m indique la pauvreté d'interprétation ; les nombreuses
272
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gens qui sortent de Jéricho et réprimandent Bartimée sont les chrétiens issus des nations. U n autre intérêt du texte est que l'on retrouve les deux sortes d'ébionites, celle qui ne croit pas dans la naissance virginale de Jésus et celle qui y croit, mais dont Origène précise ici, et c'est une information nouvelle, qu'elle ne repose pas sur une théologie correcte. En quoi consistait cette théologie incorrecte ? Dans un premier temps, on peut être tenté de penser qu'elle portait sur l'Esprit saint, l'anaphorique cruTov de l'expression « théologie à son sujet » renvoyant à l'Esprit saint. Mais on peut aussi faire l'hypothèse que l'anaphorique renvoie plutôt à Jésus, pour deux raisons : le Commentaire sur Tite III, 11 parle d'hérétiques anonymes qui refusent la préexistence du Logos, mais acceptent probablement la naissance virginale ; ensuite, Eusèbe parle d'une deuxième sorte d'ébionites, qui acceptaient la naissance virginale, mais refusaient la préexistence du Logos, appelé aussi Premier-né et Sagesse (Histoire ecclésiastique III, 27, 3 ) . U n e dernière information intéressante est que, selon Origène, les chrétiens issus des nations ne professent pas tous la naissance virginale : un petit nombre d'entre eux n'y croient pas ; on comprend au passage que leur argumentation se fondait sur les généalogies de Jésus, puisque ces dernières le font descendre de David ; peut-être Origène pense-t-il ici aux disciples de Carpocrate et de Cérinthe. l
14. Commentaire
sur Matthieu,
séries 79.
Dans ce texte parvenu jusqu'à nous dans une traduction latine anonyme, Origène explique Mt 2 6 , 1 7 - 1 8 (« Or, au premier jour des A z y m e s , les disciples s'approchèrent de Jésus et lui dirent : "Où veux-tu que nous te préparions la Pâque pour la manger ?" Jésus leur dit : "Allez à la ville chez un tel et dites-lui, etc." »), qu'il met en relation avec M e 1 4 , 1 2 (« Et, le premier jour des A z y m e s , où la Pâque était immolée ») : Conformément à cela, peut-être que quelqu'un d'incompétent fera une recherche et tombera dans rébionitisme : du fait que Jésus a célébré à la manière juive la Pâque corporellement, tout comme le premier jour des Azymes est la Pâque, il dira qu'il convient que nous, les imitateurs du Christ, nous fassions de la même manière, sans prendre en considération le fait que Jésus, « comme la plénitude du temps était venu » et qu'il avait été envoyé, « naquit d'une femme, naquit sous la loi » (Ga 4,4), non pour
1. Attention : la deuxième sorte d'ébionites d'Eusèbe correspond à la première sorte d'ébionites du Contre Celse V, 61 et à la deuxième sorte d'ébionites du Commentaire sur Matthieu XVI, 12. A. ORBE, Cristologia gnostica, Madrid, 1976, p. 351-379, a montré que les ébionites qui reconnaissent la naissance virginale ne peuvent être apparus qu'après les ébionites qui la nient.
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laisser sous la loi ceux qui étaient sous la loi, mais pour les conduire hors de la loi. Ce texte est connu seulement en latin — ce qui explique sans doute la présence du mot « ébionitisme », absent ailleurs chez Origène. Il nous donne des informations qu'on trouve ailleurs chez Origène, sur l'interprétation corporelle, c'est-à-dire littérale, de l'Écriture par les ébionites. Mais il donne aussi un renseignement inédit sur l'argumentation ébionite : à l'appui de l'observance de la Loi juive, elle invoquait l'attitude de Jésus lui-même, qui a respecté la Pâque et la Loi. On note enfin qu'ici c o m m e ailleurs Origène réfute les ébionites à l'aide de Paul, ce qui ne pouvait guère les convaincre.
B. Bilan. U n e opinion admise est qu'Origène ne nous apprendrait rien sur les ébionites que nous ne sachions par les h é r é s i o l o g u e s . Est-elle exacte ? En fait, pour mesurer l'originalité d'Origène, il faut comparer ses renseignements à ceux que donnent ses devanviers, Irénée, Tertullien, Clément d'Alexandrie, l'auteur de YÉlenchos. G. Strecker a dégagé plusieurs de ces traits d'originalité : Origène ne reprend pas la comparaison stéréotypée des ébionites avec Cérinthe et Carpocrate ; il mentionne deux sortes d'ébionites ; il donne des informations sur leur interprétation littérale de la Bible (Commentaire sur Matthieu XI, 12), sur leur célébration de la Pâque (Commentaire sur Matthieu, séries 79) ; il note que « maintenant encore » les ébionites rejettent l'apôtre Paul (Homélie 19 surJérémie 1 2 ) . À ces traits d'originalité il faut en ajouter d'autres : 1. Sur l'origine du mot « é b i o n i t e s » : apparemment, dans le Commentaire sur les Romains III, 11, Origène commet l'erreur traditionnelle de donner aux ébionites c o m m e fondateur Ébion ; mais en fait il s'agit d'un texte trafiqué par Rufin et aligné sur les traités hérésiologiques ; partout ailleurs, Origène met en rapport les ébionites avec le mot hébreu signifiant « pauvre », et il y voit une pauvreté d'intelligence (Homélie 3 sur la Genèse 5 ; Traité des principes IV, 3 , 8 ; Commentaire sur Matthieu X V I , 12). 2. Sur les pratiques des ébionites, Origène, à la suite d'autres, nous dit qu'ils observent la Loi juive, la circoncision, les interdits alimentaires, la Pâque (Contre Celse II, 1 ; Commentaire sur Matthieu XI, 12). Ce qui est nouveau, c'est qu'il nous donne leur argul
2
1. C'est ce qu'on lit par exemple dans P. HUSSON-P. NAUTIN, Origène, Homélies surJérémie, t. H, Paris, 1977, p. 222, n. 2 (SC 238). 2. G . STRECKER, « On the Problem of Jewish Christianity », dans W . BAUER, Orthodoxy and Heresy in Earliest Christianity, Londres, 1972, p. 282 sq.
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mentation pour procéder ainsi : imiter le comportement de Jésus luim ê m e (Commentaire sur Matthieu, séries 79). 3. Sur l'exégèse des ébionites, Origène nous fait connaître leur interprétation de Mt 1 5 , 2 4 (Traité des principes IV, 3, 8) ; il signale leur antipaulinisme (Contre Celse V , 65), ce qui n'est pas nouveau, mais il est le premier à faire allusion aux propos diffamatoires que les ébionites tiennent sur Paul (Homélie 19 surJérémie 12). Contrairement à Irénée, qui affirmait que les ébionites utilisaient le seul Matthieu, Origène signale simplement leur utilisation de cet Évangile ; l'étude des passages d'Origène où ils font référence à Matthieu montre que leur Evangile n'était pas identique au Matthieu actuel ; notamment, il n'avait pas le récit de la naissance virginale ; il faut sans doute l'identifier avec Y Évangile des Douze dont parle Origène (Homélie 1 sur Luc l ) e t dont nous savons par Épiphane qu'il était mis sous la plume de Matthieu. 4. Sur la théologie des ébionites, dans les textes antérieurs écrits en 239 et 2 4 2 , Origène affirme qu'ils nient la naissance virginale de Jésus et disent qu'il est le fils de Marie et de Joseph (Homélie 17 sur Luc ; Commentaire sur Tite III, 11) ; cependant, dans un texte de la m ê m e époque (Homélie 3 sur la Genèse 5), Origène introduit une catégorie d'hérétiques anonymes, qu'il dit être semblables aux ébionites par la pauvreté de l'intelligence. Puis, dans un texte qu'on peut dater de 2 4 3 , Origène donne des précisions sur des hérétiques anonymes : ils nient la préexistence du Logos ; en revanche, ils pourraient avoir accepté la naissance virginale (Commentaire sur Tite III, 11). Enfin, dans les textes de la fin de sa vie (Contre Celse V, 61 et 65 ; Commentaire sur Matthieu X V I , 12), Origène distingue deux sortes d'ébionites : ceux qu'on peut appeler les ébionites au sens strict, qui refusent la naissance virginale ; et ceux qui l'acceptent, mais qui ont une théologie incorrecte. Je propose d'identifier cette deuxième sorte d'ébionites avec les hérétiques anonymes de Y Homélie 3 sur la Genèse et du Commentaire sur Tite III, 11. La confrontation entre tous ces textes permet d'établir que la théologie incorrecte du Commentaire sur Matthieu XVI, 12 a de bonnes chances de consister en une christologie refusant la préexistence du L o g o s c o m m e Dieu créateur, Premier-né et Sagesse, c'est-à-dire n'acceptant pas d'appliquer à Jésus Col 1, 15 — ce qui est normal puisqu'il s'agit d'un texte p a u l i n i e n — e t Pr 8 , 2 2 - 2 5 — c e qui est plus remarquable . 5. On pourrait être tenté de voir dans l'expression « grand prêtre 1
1. A . LEBOULLUEC, op. cit., Paris, 1 9 8 5 , p. 5 0 8 , n. 3 0 7 , suggère que les ébionites ne refusaient peut-être pas une telle application ; ce refus me paraît sûr dans le cas de TÉpître aux Colossiens et, par voie de conséquence, fortement probable dans le cas des Proverbes.
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du Logos » de VHomélie 19 sur Jérémie 12 le titre m ê m e que portait le chef des ébionites. En réalité, il n'en est rien (voir mon commentaire du passage).
H. LES ELKÉSAÏTES
A. Fragment d'une Homélie sur le Psaume 82. Origène parle des elkésaïtes (EÀxeaaiTœv) une seule fois, dans un fragment connu par Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique VI, 38. A u x § 34-38, Eusèbe présente les activités littéraires d'Origène sous le règne de Philippe I l'Arabe (février ou mars 244-août 249) : à cette époque, Origène, âgé d'environ soixante ans, autorise enfin les tachygraphes à prendre en notes les discours qu'il tenait devant le peuple ; il compose le Contre Celse, les tomes du Commentaire sur Matthieu et les tomes du Commentaire sur les Douze (perdus) ; il écrit à l'empereur, à son épouse, au pape Fabien et à bien d'autres ; il doit faire face à une hérésie apparue en Arabie, selon laquelle l'âme meurt en m ê m e temps que le corps et revivra avec lui au moment de la résurrection . C'est dans ce contexte qu'il est question de l'hérésie des elkésaïtes : er
l
C'est alors encore que l'hérésie dite des elkésaïtes donna l'exemple d'une autre perversion ; elle s'éteignit aussitôt qu'elle commença. Or Origène la mentionne dans l'homélie devant le peuple sur le psaume 82 où il dit ceci : « Quelqu'un est venu à présent qui est fier de pouvoir être l'ambassadeur d'une doctrine athée et tout à fait impie, qui est appelée des elkésaïtes, qui s'est dressée récemment contre les églises ; les mauvaises opinions que contient cette doctrine, je vous les exposerai, afin que vous ne soyez pas sa proie : elle rejette certaines parties de toute l'Écriture, elle se sert inversement de passages de tout l'Ancien Testament et de tous les Évangiles, elle rejette complètement l'Apôtre. Elle dit qu'il est indifférent d'apostasier et que celui qui comprend apostasiera de sa bouche dans les nécessités, mais non de cœur. Et ils apportent un livre, dont ils disent qu'il est tombé du ciel et que celui qui l'entend et qui croit en lui recevra la rémission des péchés, une rémission autre que la rémission qu'a remise Christ Jésus. »
1. Voir P. NAUTIN, op. cit., Paris, 1977, p. 94-96, qui discute avec beaucoup d'acuité la question de la réalité historique de ces renseignements.
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B. Commentaire du fragment L'origine de ce fragment ne fait pas de doute : il s'agit d'une homélie sur le psaume 82 ; Jérôme, Lettre 33, nous apprend qu'Origène avait consacré à c e psaume trois homélies ; notre fragment est le seul extrait qui subsiste de ces trois homélies. Eusèbe place notre homélie sous le règne de Philippe l'Arabe (244-249). Mais, se fondant sur une indication du Commentaire sur Romains IV, 1, Pierre Nautin pense que les cent vingt et une homélies sur les Psaumes ont été prononcées, dans l'ordre m ê m e des psaumes, entre 2 3 9 et 2 4 2 . Ce point de datation a son importance pour évaluer les renseignements qu'Origène donne sur l'apparition de l'hérésie des elkésaïtes : selon lui, elle est apparue « à présent » ( è m xoû rcapôvxoç), « récemment » ( v e a x m ) ; quel sens Origène donne-t-il à ces précisions chronologiques ? Vise-t-il les années 2 3 9 - 2 4 2 , ou une époque légèrement antérieure ? Peut-être veut-il simplement indiquer que les elkésaïtes se sont manifestés de son vivant ? En c e cas, le fragment d'Origène recouperait les renseignements que donne l'auteur de YÉlenchos, qui attribue la diffusion de la doctrine d'Elkhasaï à Alcibiade d'Apamée de Syrie, au moment où l'enseignement de Calliste (mort en 222) se répand dans tout l'univers : vraisemblablement les années 220-230. U n e question préliminaire se pose lorsqu'on veut confronter Origène et l'auteur de YÉlenchos : les elkésaïtes d'Origène sont-ils les m ê m e s que les disciples d'Elkhasaï dont parle l'auteur de YÉlenchos ? Trois différences d'orthographe séparent Origène et l'auteur de YÉlenchos : la lettre initiale est un - e chez le premier, un -r| chez le second ; la gutturale est un - K chez Origène, un -% chez l'auteur de YÉlenchos ; le premier a ensuite un - e , le second un - a . D e plus, chez le premier, il est question uniquement des elkésaïtes, chez le second, seulement d'Elkhasaï. Malgré ces différences, il est pratiquement certain qu'il s'agit bien du m ê m e groupe. Par prudence, cependant, j e parlerais des elkésaïtes à propos d'Origène, des disciples d'Elkhasaï dans le cas de l'auteur de YÉlenchos. Revenons au texte d'Origène. Lorsqu'il parle de « quelqu'un qui est venu » faire la propagande de l'hérésie, qui vise-t-il ? Certainement pas Elkhasaï lui-même, le fondateur plus ou moins mythique de l'elkésaïsme, mort depuis longtemps à l'époque d'Origène, c o m m e nous le verrons dans un instant. Origène peut viser Alcibiade ou un missionnaire envoyé par ce dernier. C o m m e la notice de l'auteur de YÉlenchos, le fragment d'Origène oblige à opérer une distinction entre la période de naissance de l'elkésaïsme et sa période de propagation. Mais le fragment d'Origène ne 1
1. P. NAUTIN, op. cit., Paris, 1 9 7 7 , p. 4 0 7 - 4 0 8 .
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permet pas d'aller plus loin pour établir une chronologie de l'elkésaïsme. Ici, il faut faire appel à l'auteur de YÉlenchos. Selon lui, Alcibiade est arrivé à R o m e avec un livre, dont il disait qu ' Elkhasaï 1 ' avait reçu des Sères du pays parthe ; ce livre, Elkhasaï l'a remis à un certain Sobiai ; il lui avait été dicté par un ange masculin, qui était le fils de Dieu, et qui était assisté par un être féminin, l'Esprit saint. Alcibiade ajoute : « une nouvelle rémission a été heureusement annoncée aux hommes la troisième année du règne de Trajan » ; si l'on accepte de se fier à l'auteur de YÉlenchos, la naissance de l'elkésaïsme peut donc être datée de l'année 100. U n dernier point de chronologie mérite d'être précisé : Eusèbe affirme que l'hérésie s'est éteinte aussitôt qu'apparue. On doit noter qu'Origène ne dit rien de tel, bien au contraire : s'il expose la doctrine elkésaïte, affirme-t-il, c'est pour armer ses auditeurs contre sa séduction ; donc, à l'époque d'Origène, elle représentait un danger, qui a disparu à l'époque d'Eusèbe. Ce dernier a sans doute raison en termes de propagande et d'expansion ; mais il a tort en ce qui concerne l'existence m ê m e des elkésaïtes : ceux-ci subsistaient à l'époque d'Épiphane et encore au quatrième siècle de l ' h é g i r e . Le fragment d'Origène met en valeur trois points de la doctrine elkésaïte : elle admet l'Ancien et le Nouveau Testament, à l'exception de l'Apôtre ; elle permet l'apostasie en cas de persécution ; elle ajoute aux Écritures un livre, qui vaut à celui qui croit en lui une rémission des péchés différente de celle de Jésus Christ. Apparemment, rien dans le vocabulaire utilisé ne permet de classer les elkésaïtes parmi les judéo-chrétiens ; toutefois, le fait qu'ils reçoivent les deux Testaments à l'exception de l'Apôtre prouve qu'ils appartiennent à un courant antipaulinien, ce qui est un indice en faveur soit de leur judéo-christianisme, soit de leur encratisme sévérien . Les choses sont beaucoup plus claires dans la notice de l'auteur de YÉlenchos : les disciples d'Elkhasaï vivent selon la Loi et ils reconnaissent la messianité, mais non la divinité, de Jésus. En deuxième lieu, à en croire Origène, la doctrine elkésaïte permet l'apostasie en cas de persécution. La notice de l'auteur de YÉlenchos ne dit rien de tel. A. F. J. Klijn et G. J. Reinink considèrent que ce point est difficile à expliquer dans le cadre de la doctrine elkésaïte et ils le mettent en relation avec la question du traitement à réserver aux lapsi dans l'église de Césarée : en permettant l'apostasie, les elkésaïtes auraient trouvé un bon biais pour assurer le succès de leur l
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1. Voir M. TARDffiU, Le Manichéisme, Paris, 1981 , 1997 , p. 12. Elkhasaï est selon lui un personnage mythique. 2. D'après Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique IV, 29,4-5, Sévère était un encratite dans la lignée de Tatien et il refusait les Actes des Apôtres et l'Apôtre.
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propagande . Cette explication n e paraît pas recevable. D'abord parce que la question des lapsi n'apparaît vraiment qu'après la persécution de D è c e , dix ans environ après la prédication d'Origène sur les Psaumes. Ensuite, le renseignement qu'il nous donne est en fait en cohérence logique avec la doctrine de la rémission des péchés des elkésaïtes, qui fait l'objet de la fin du fragment d'Origène. En troisième heu, les elkésaïtes ajoutent aux Écritures un livre tombé du ciel et qui vaut à celui qui croit en lui une rémission des péchés différente de celle de Jésus Christ. Ce renseignement recoupe la notice de l'auteur de YÉlenchos, qui est toutefois beaucoup plus prolixe. L e livre tombé du ciel a été en fait dicté à Elkhasaï par un ange, le fils de Dieu, assisté de l'Esprit saint, un être féminin, tous deux de dimensions extraordinaires. Pour obtenir la nouvelle rémission des péchés, il faut lire le livre et se faire baptiser une seconde fois ; il est possible qu'Elkhasaï n'ait demandé que la lecture du livre et que le baptême ait été une innovation d'Alcibiade : la notice de l'auteur de YÉlenchos paraît hésitante sur c e point. L'auteur de YÉlenchos ajoute d'autres points qu'Origène (ou Eusèbe) passe sous silence : la doctrine de la réincarnation du Christ à de très nombreuses reprises ; la pratique de formules incantatoires pour obtenir des guérisons ; le recours à l'astrologie. J'ai signalé que, dans toute l'œuvre parvenue jusqu'à nous, Origène ne parlait des elkésaïtes qu'à une seule reprise. Mais on ne peut pas ne pas poser la question : les elkésaïtes ne sont-ils pas une des deux formes des ébionites, dont il est question dans le Contre Celse ? D'après Origène, ceux-ci se divisaient sur la question de la naissance virginale de Jésus ; or, si l'on suit l'auteur de YÉlenchos, il semble bien qu'Alcibiade ou les disciples d'Elkhasaï affirmaient que Jésus était né d'une vierge : « Alcibiade dit que le Christ a été un homme c o m m e les autres, mais que c e n'est pas aujourd'hui pour la première fois qu'il est né d'une vierge, mais aussi auparavant» (Élenchos IX, 14) ; « Certains autres, c o m m e s'ils produisaient quelque chose de nouveau, alors qu'ils font des emprunts à toutes les hérésies, préparant un livre étranger qui tient son n o m d'un certain Elkhasaï, ces gens-là reconnaissent c o m m e nous que les principes de l'univers ont été faits par Dieu, mais ne reconnaissent pas que le Christ est un, mais que, si le Christ en haut est un, il a été transvasé dans des corps multiples souvent et aujourd'hui m ê m e en Jésus, que tantôt il est né de Dieu c o m m e nous le disons, tantôt il a été esprit, tantôt il est né d'une vierge, tantôt non » (Élenchos X , 29). Les deux fragments ne sont pas tout à fait cohérents, puisque le premier a l'air d'affirmer plusieurs naissances virginales du Christ, tandis que le second ouvre la possibilité de naissances normales à côté des naissances 1. Voir A. F. J. KLDN-G. J. REININK, op. cit., Leyde, 1973, p. 61.
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virginales ; mais l'important est que les disciples d'Elkhasaï admettent la naissance virginale . Il y a là un argument fort pour les identifier à ceux des ébionites qui admettent la naissance virginale de Jésus. Le fait qu'ils soient apparus « récemment » ne constitue pas un contre-argument, puisque Origène prononce son homélie sur le psaume 82 entre 2 3 9 et 2 4 2 , la période m ê m e où il parle ailleurs d'hérétiques anonymes : ce n'est qu'à la fin de sa vie — plusieurs années après notre h o m é l i e — q u ' i l parle de la deuxième sorte d'ébionites. Toutefois, pour confirmer cette identification, il faudrait que les elkésaïtes aient partagé la m ê m e christologie que les ébionites partisans de la naissance virginale, c'est-à-dire aient refusé d'appliquer Col 1, 15 et Pr 8, 22-25 à Jésus, c'est-à-dire d'admettre la préexistence du Logos c o m m e créateur, Premier-né et Sagesse. Or, nos sources ne disent rien de tel. On se gardera donc de conclure trop nettement. 1
m. LES HÉBREUX
A. \J Évangile selon les Hébreux. Origène fait allusion à ce texte deux ou trois fois, selon que l'extrait qui figure dans la version latine du Commentaire sur Matthieu X V , 14 est authentique ou non. Cet Évangile est connu également par Clément d'Alexandrie (Stromates H, 9 , 4 5 et V, 1 4 , 9 6 ) et, apparemment, par Jérôme. Faut-il identifier notre Évangile avec Y Évangile des Nazoréens ? Toute une partie de la critique moderne, dont Simon Mimouni, est partisan de cette identification . Pour ma part, j e remarque que les fragments de Y Évangile selon les Hébreux cités par Clément et Origène ne recoupent pas les fragments de Y Évangile des Nazoréens. Certes, Jérôme affirme que Y Évangile selon les Hébreux était lu habituellement chez ceux qu'il appelle les nazaréens ou nazoréens ; certes encore, il affirme que cet Evangile a souvent été cité par O r i g è n e . Mais rien ne prouve que les fragments qu'il donne proviennent de l'Évangile que lisaient Clément et Origène : ils peuvent venir d'un autre Evangile, écrit dans une langue 2
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1. Autre incohérence : la notice de Élenchos IX a l'air de croire que le livre est bien d'Elkhasaï, alors que celle de Élenchos X, 29 semble faire l'hypothèse d'une forgerie par les disciples d'Elkhasaï. 2. Voir la mise au point de S . C . MIMOUNI, Le Judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 215-222, où l'auteur donne sa préférence à la thèse qui confond les deux Évangiles. 3. Commentaire surÉzéchiel VI ; Les Hommes illustres H.
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sémitique et dont Jérôme nous apprend qu'il l'a traduit en grec et en latin \ La prudence méthodologique veut que l'on distingue deux textes : d'une part, Y Évangile selon les Hébreux que citent Clément et Origène ; d'autre part, Y Évangile hébraïque, en circulation chez les nazoréens et confondu avec le premier par Jérôme. Le titre d'Évangile selon les Hébreux est-il original ? En tout cas, c'est celui qui figure chez Clément et Origène. Le fait m ê m e que ces derniers le citent montre qu'il était en circulation à Alexandrie chez des juifs chrétiens probablement appelés hébreux. Cette dénomination rappelle celle de la Lettre aux Hébreux du Nouveau Testament et annonce Eusèbe de Césarée qui appelle hébreux les juifs chrétiens de son temps.
1. Commentaire
sur Jean II, 12.
Si l'on admet Y Évangile selon les Hébreux, où le Sauveur lui-même dit : « Récemment, ma mère, le Saint-Esprit, m'a pris par un de mes cheveux et m'a emporté sur la grande montagne du Thabor », on soulèvera la question de savoir comment l'Esprit saint qui est advenu par le Logos peut être la mère du Christ. Mais il n'est pas difficile d'interpréter cela de cette façon : si celui qui fait « la volonté du Père dans les cieux est son frère, sa sœur et sa mère » (Mt 12,50) et si le nom de « frère du Christ » s'applique non seulement à la race humaine, mais encore aux êtres plus divins que cette dernière, le fait que l'Esprit saint soit mère ne sera en rien plus étonnant que tout être appelé mère du Christ parce qu'il fait la volonté du Père dans les cieux. Souvent, on arrête le fragment à la fin de la première phrase et on fait dire à Origène le contraire de ce qu'il affirme en réalité : en effet, quand on se limite à la première phrase, on a le sentiment que, mis en présence d'un verset de Y Évangile selon les Hébreux où Jésus affirme que le Saint-Esprit est sa mère, Origène refuse l'idée selon laquelle l'Esprit saint puisse être la mère de Jésus. En fait, la seconde phrase oblige à voir les choses différemment : dans la première phrase, Origène écarte l'interprétation obvie du verset, parce que cette interprétation littérale contrevient à la saine doctrine, selon laquelle l'Esprit saint est advenu par le Logos, qui est le Christ ; et dans la seconde phrase, il montre qu'en vertu de Mt 1 2 , 5 0 , peut être appelé mère de Jésus tout être qui fait la volonté du Père qui est dans les cieux ; en ce sens, et en ce sens seulement, l'Esprit saint est mère de Jésus. Ainsi, l'intérêt de ce passage est double : d'abord, grâce à l'utilisation d'un verset de Matthieu, Origène donne un sens orthodoxe à un texte qui, pris isolément, pourrait être considéré c o m m e
1. P. NAUTIN, op. cit., Paris, 1 9 7 7 , p. 3 2 6 - 3 2 8 , a les plus grands doutes sur ce qu'il appelle les « vantardises » de Jérôme.
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hétérodoxe ; nous tenons là une bonne illustration du principe qui veut que l'Écriture explique l'Écriture. Ensuite, et surtout, en faisant ainsi, Origène « admet » un Évangile cjui ne fait pas partie des quatre Évangiles ; certes, il n'en fait pas un Évangile canonique ; mais il en fait un Évangile que j e qualifierai d'admissible, d'acceptable. Cela ne peut s'expliquer que si les hébreux étaient admis et acceptés dans l'église d'Alexandrie. Notons pour terminer qu'Origène paraît ignorer la raison linguistique pour laquelle l'Esprit saint peut être qualifié de mère par Jésus : le fait que l'hébreu rûah est le plus souvent féminin. Il y a là un argument pour dire que V Évangile selon les Hébreux a dû être rédigé en hébreu, au moins en partie. Cela signifie que son lieu de rédaction doit être situé en Palestine, d'où il est parvenu ensuite à Alexandrie. J'aurai l'occasion de revenir sur l'époque où peut être situé ce déplacement.
2. Homélie sur Jérémie XV, 4. Origène commente Jr 15, 10 (« Malheur à moi, mère, qui as-tu enfanté en moi ? »), qui est une prophétie que l'on doit appliquer au Sauveur : De quelle mère parle-t-il ? Parmi les femmes, ne peut-il pas parler et de son âme et de Marie ? Mais si on reçoit le verset : « Récemment, ma mère, le Saint-Esprit, m'a pris et m'a emporté vers la haute montagne du Thabor, etc. », on peut voir qui est sa mère. Ce passage cite le m ê m e verset que le passage précédent, sous une forme un peu moins complète et sans indiquer qu'il provient de VÉvangile selon les Hébreux. La mère à laquelle s'adresse Jésus, préfiguré par Jérémie, est soit Marie, qui a souffert au moment de sa mort, soit l'âme de Jésus, gui a souffert lors de la Passion, soit encore le Saint-Esprit, d'après Y Evangile selon les Hébreux, Ici Origène ne dit pas en quel sens l'Esprit saint est la mère de Jésus. Sans doute a-t-il encore en mémoire l'exégèse donnée dans le Commentaire sur Jean. Ce qu'on doit noter encore, c'est que le verset de Y Évangile selon les Hébreux n'est pas cité c o m m e doté d'une autorité incontestable ; c o m m e dans le passage précédent, il est simplement admissible.
3. Commentaire
sur Matthieu XV, 14.
Origène commente la péricope du jeune homme riche (Mt 19, 16-24). Il note que le verset 19, qui est une citation de Lv 1 9 , 1 8 (« Tu aimeras ton prochain c o m m e toi-même »), est absent des récits parallèles de Marc et de Luc. La question se pose donc de savoir s'il s'agit d'une parole authentique de Jésus.
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D est écrit dans un Évangile qui est dit selon les Hébreux (si cependant on convient de le recevoir non à titre d'autorité, mais à titre d'éclaircissement de la question posée) : « Un autre parmi les riches, dit l'Écriture, lui dit : "Maître, quel bien dois-je faire pour vivre ?" D lui dit : "Homme, fais la Loi et les Prophètes." D lui répondit : "Je l'ai fait." Il lui dit : "Va, vends tout ce que tu possèdes et partage-le parmi les pauvres, et viens, suismoi." Or le riche commença à se gratter la tête et cela ne lui plut pas. Et le Seigneur lui dit : "Pourquoi dis-tu : J'ai fait la Loi et les Prophètes ? En effet il est écrit dans la Loi : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, et voici que sont nombreux tes frères fils d'Abraham qui sont vêtus d'excréments, mourant de faim, et ta maison est pleine de nombreux biens, et rien du tout ne sort d'elle vers eux." Et se tournant vers Simon son disciple assis près de lui, il lui dit : "Simon, fils de Jonas, il est plus facile à un chameau d'entrer par le chas d'une aiguille qu'à un riche dans le royaume des deux" ». Donc il est vrai que le riche n'a pas accompli le commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », lui qui a méprisé beaucoup de pauvres et ne leur a distribué aucune de ses si grandes richesses. En effet il est impossible de remplir le commandement qui dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », et d'être riche et surtout d'avoir de si grandes possessions. Pour les spécialistes du Nouveau Testament, l'intérêt de c e passage est de nous faire connaître la péricope du jeune homme riche dans une rédaction où il y avait deux riches : ici, c'est le second qui intervient ; nous ignorons les propos que tenait avant lui le premier ; peut-être ces propos n'étaient-ils guère différents de ceux du jeune h o m m e riche de Matthieu. A u x yeux du commentateur de la péricope, la fine pointe du passage est que, dans VÉvangile selon les Hébreux, Jésus cite le commandement de l'amour du prochain ; certes, cet Évangile n'est pas canonique, mais son témoignage corrobore celui de Matthieu et suggère que Jésus a bel et bien prononcé le commandement de Lv 1 9 , 1 8 . Cependant, notre passage ne figure pas dans le texte grec du Commentaire sur Matthieu, mais seulement dans sa traduction latine ; c'est la raison pour laquelle on refuse souvent de l'attribuer à Origène et on préfère y voir une interpolation du traducteur et réviseur l a t i n . On peut ne pas être convaincu par cette argumentation : la manière dont la péricope est introduite, notamment la considération sur le caractère non impératif, mais seulement illustratif, de Y Évangile selon les Hébreux, rappelle les affirmations des passages précédents sur le caractère simplement admissible des versets qui en proviennent ; ensuite, la façon dont la péricope est commentée est bien dans la manière d'Origène ; l'interpolation, si interpolation il y l
1. Voir W . SCHNEEMELCHER-R. McL. WILSON (ÉD.), New Testament
Apocrypha.
I. Gospels and Related Writings, Cambridge, 1 9 9 1 , p. 1 3 7 ; F. BOVON-P. GEOLTRAIN ( É D . ) , op. cit., Paris, 1 9 9 7 , p. 4 4 2 .
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a, est remarquablement faite ; et l'interpolateur a bien mérité d'Origène. L'on a également mis en doute l'appartenance de la péricope à V Évangile selon les Hébreux, en se fondant sur le fait que la mise en valeur de Simon qualifié de « disciple » du Seigneur rappelle le fragment 15a de YÉvangile des Nazaréens, où Simon est également appelé « disciple » du Seigneur. Mais, dans la mesure où Jérôme confond les deux Évangiles, on pourrait faire l'hypothèse que le fragment 15a appartient en réalité à YÉvangile selon les Hébreux. Si, contrairement à l'opinion majoritaire actuelle, on admet la provenance origénienne de la péricope et son appartenance à YÉvangile selon les Hébreux, on formulera la conclusion suivante : d'abord, les hébreux de Palestine, puis d'Alexandrie, insistaient sur la pauvreté ; ensuite, leur Évangile n'était pas accepté par la « Grande Église », mais il n'était pas non plus écarté ; l'on avait le droit de l'utiliser pour les besoins d'une démonstration exégétique, ou, pour reprendre les analyses des deux fragments précédents, il était admissible, acceptable.
4. Bilan. Les hébreux de YÉvangile selon les Hébreux sont des juifs chrétiens de Palestine, puis d'Alexandrie ; ils font partie de la Grande Église ; ils insistaient sur la pauvreté ; leur Évangile n'est ni canonique ni extracanonique, il est acceptable pour les besoins de la droite exégèse. On doit noter encore qu'Origène ne dit pas, contrairement à Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique III, 2 7 , 4 ) , que cet Évangile était utilisé par la deuxième sorte d'ébionites ; en quoi il a probablement raison.
B. Les « hébreux » chez Origène. La question se pose à présent de savoir si, dans d'autres cas, chez Origène, le mot « hébreu », au singulier ou au pluriel, ne peut pas renvoyer à un ou des juifs chrétiens . Et, en cas de réponse positive, quelles informations Origène nous donne-t-il sur ces hébreux chrétiens ? Je partirai d'un texte d'Origene sur Ézéchiel ; connu par les chaînes, il provient soit de ses Homélies sur Ézéchiel, soit de son Commentaire. N o u s sommes entre 2 3 9 et 245. Origène vit alors à Césarée de Palestine. Il commente Ez 9, 3-4 (« Et la gloire du Dieu l
1. Voir G. BARDY, « Les traditions juives dans l'œuvre d'Origène », dans Revue biblique 3 4 ( 1 9 2 5 ) , p. 2 1 7 - 2 5 2 .
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monta depuis les Kheroubim, elle qui se trouvait sur eux, en direction de la cour de la maison. Et il appela l'homme revêtu jusqu'aux pieds, qui avait sur ses reins la ceinture. Et il dit : "Passe au milieu de Jérusalem et donne un signe sur les fronts des hommes qui gémissent et souffrent à cause des iniquités survenues au milieu d'elle" »). Origène cite le texte de la Septante (« donne un signe sur les fronts »), puis celui d'Aquila et Théodotion (« Signe du taw sur les fronts ») : Nous nous sommes informés auprès des hébreux pour savoir s'ils pouvaient dire quelque enseignement de leurs Pères au sujet du taw et nous avons appris ceci : l'un disait que le taw, parmi les vingt-deux lettres qui existent chez les hébreux, est la dernière en ce qui regarde l'ordre que les lettres ont chez eux ; donc la dernière lettre a été prise pour présenter la perfection de ceux qui, à cause de la vertu en eux, gémissent et souffrent pour les fautes commises parmi le peuple et qui compatissent avec les transgresseurs de la Loi. Un deuxième disait que le taw était le symbole de ceux qui observent la Loi, étant donné que la Loi chez les hébreux est appelée Thora et que la première lettre de la Loi est le taw, ainsi que de ceux qui vivent selon la Loi. Un troisième, un de ceux qui croient au Christ, disait, en parlant des anciennes lettres, que le taw ressemblait au tracé de la croix et était prophétisé à propos de ce qui se produit chez les chrétiens pour le signe sur le front : signe que font tous ceux qui croient, lorsqu'ils commencent une activité quelconque, et surtout des prières ou bien de saintes lectures . l
L'intérêt de ce texte est double : (1) Il en ressort que les hébreux sont avant tout des gens qui lisent et, sans doute, parlent l'hébreu ; les uns sont ce que nous appellerions aujourd'hui des juifs, tandis que d'autres sont des chrétiens. Où Origène les a-t-il rencontrés ? À Alexandrie ou à Césarée, ou encore ailleurs ? Comme les Homélies et le Commentaire sur Ézéchiel ont été composés à Césarée, la localisation palestinienne est la plus probable, sans qu' on puisse exclure les autres hypothèses ; il a pu aussi rencontrer certains hébreux à Alexandrie, d'autres à Césarée. (2) Les hébreux chrétiens, qui font du taw le symbole de la croix et la prophétie de la pratique du signe de croix, sont des adeptes du symbolisme, voire de l'allégorie. D e ce premier texte, il résulte que les hébreux dont parle Origène ou auxquels il fait allusion ne sont pas tous des chrétiens : par exemple, dans le prologue au Commentaire sur les Psaumes composé à Césarée de Palestine, Origène nous parle d'une interprétation des titres des psaumes qu'il tient du « patriarche » Ioullos et de « l'un de ceux qui sont appelés sages chez les juifs » ; il est clair que ces deux personnages, qui ne sont pas qualifiés d'hébreux, mais qui pourraient
1. Voir PG 13, col. 800-801. L'authenticité de ce texte paraît assurée.
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l'être, ne sont pas chrétiens . Dans Lettre à Africanus, qui date des dernières années de l'activité d'Origène, c e dernier raconte qu'il a rencontré plusieurs hébreux pour leur demander leur avis sur l'histoire de Suzanne. L'un d'entre eux est un juif : appelé chez les hébreux « fils de sage » et « élevé pour succéder à son père », c'est un rabbin. Quant aux autres hébreux consultés pour leur connaissance de la langue hébraïque ou des traditions d'interprétation de la Bible, il n'est pas totalement impossible qu'ils soient chrétiens, mais leur appartenance au judaïsme paraît probable . Dans d'autres textes exégétiques d'Origène, il est question d'un hébreu chrétien. D e u x interrogations peuvent être soulevées à ce sujet : 1. S'agit-il d'un seul et m ê m e personnage ? 2. En quoi consiste son e x é g è s e ? À la première question, j e répondrai qu'il n'est pas sûr que nous ayons affaire au m ê m e personnage : dans le Commentaire sur le Psaume / , composé à Alexandrie, Origène parle « d'une très belle tradition qui nous a été transmise par l'hébreu » ; dans le Traité des principes, qui date de la m ê m e époque, il fait part d'une interprétation de Is 6 , 3 , que lui a fait connaître celui qu'il appelle « notre maître hébreu » ; dans le fragment sur Ex 1 0 , 2 7 , qui a été rédigé à Alexandrie, Origène se réfère à un enseignement reçu de "l'hébreu" ; dans Y Homélie 13 sur les Nombres 5, qui relève de la période de Césarée, il est question de « l'explication d'un maître d'origine hébraïque venu à la foi » ; dans Y Homélie 20 sur Jérémie 2, Origène cite « une tradition hébraïque qui est venue jusqu' à nous par un h o m m e qui avait fui à cause de sa foi au Christ [...] loin de la Loi et qui est venu là où nous résidions ». Le parallélisme des expressions permet à coup sûr d'identifier l'hébreu des Psaumes avec l'hébreu du Traité des principes et avec l'hébreu du fragment sur l'Exode, ainsi que l'hébreu des Nombres avec l'hébreu de Jérémie. Mais le second, qui est décrit c o m m e un converti sans doute venu de Palestine jusqu'à Alexandrie, doit-il être identifié au premier, dont Origène ne nous dit rien de tel ? Cela n'est pas absolument certain, m ê m e si les contextes sont proches. N o u s verrons dans un instant l'incidence que cette remarque peut avoir pour notre sujet. Dans le Commentaire sur le Psaume 7, l'hébreu compare l'Écriture à une maison unique, où il y a de nombreuses pièces fermées à clé ; auprès de chaque porte, il y a une clé, mais c e n'est pas la clé qui correspond à la pièce : donc « il faut chercher la clé de la pièce que 2
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1. G. RIETZ, De Origenisprologis in Psalterio, léna, 1914, p. 13, et P. NAUTIN, op. dr., Paris, 1977, p. 278. 2. N . DE LANGE, Origene, Lettre à Africanus sur l'histoire de Suzanne, Paris, 1983, p. 536-543 (SC302). 3. VoirÉ. JUNOD, op. cit., Paris, 1976, p. 292 (SC 226).
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l'on veut ouvrir (un livre ou un passage biblique) auprès des autres pièces de la maison (ailleurs dans l'Écriture) ». Voilà en quoi consiste le travail de l'exégète. Il n'y a rien de spécifiquement chrétien dans cette tradition hébraïque, qu'Origène s'efforce d'ailleurs de christianiser en citant 1 C o 2 , 1 3 (il faut « rapprocher les choses spirituelles des choses spirituelles »). Il n'y a non plus rien de spécifiquement chrétien dans le commentaire que, à propos de Ëx 1 0 , 2 7 , faisait l'hébreu de l'épisode de 1 R 2, où David ordonne à Salomon de tuer Joab à cause de ses fautes contre Abner ; voici comment Origène explique le verset 6 (« Et tu feras descendre ses cheveux blancs en paix dans l'Hadès ») : « Il est évident que, c o m m e l'hébreu lui aussi nous l'a rapporté, Joab reposera en paix parce qu'il a été châtié, car il n'est plus redevable d'une épreuve et d'une punition après le départ d'ici-bas, puisque ici-bas il les a déjà reçues. » C o m m e le signale Éric Junod, l'hébreu transmet ici à Origène la doctrine rabbinique selon laquelle, en vertu du principe juridique qui veut que la mort éteint l'action de la justice, par la mort, l'homme expie son péché, m ê m e s'il ne s'est pas repenti au préalable . Enfin il n'y a rien de spécifiquement chrétien dans l'exégèse que le maître hébreu donnait de N b 2 2 , 4 (« À présent, cette communauté pourléchera tous ceux qui sont autour de nous, c o m m e le taurillon pourléche la verdure de la plaine »). Il expliquait que, si Balak compare Israël à un taurillon qui pourléche la verdure de la plaine, c'est parce que le taurillon se sert de sa langue c o m m e d'une faux pour couper tout ce qu'il trouve : tel le taurillon, Israël combat de la bouche et des lèvres, ses armes sont ses supplications. En revanche, une interprétation chrétienne figure dans le Traité des principes 1 , 3 , 4 ; Origène écrit : « Notre maître hébreu disait que les deux séraphins décrits dans le livre d'Ésaïe avec leurs six ailes en train de crier l'un à l'autre et de dire : "Saint, saint, saint, le Seigneur sabaoth" (Is 6 , 3 ) , devaient être interprétés du Fils unique de Dieu et de l'Esprit saint. » Il s'agit là d'une exégèse qu'on peut qualifier de judéo-chrétienne, puisqu'elle est le fait d'un hébreu, et dont la caractéristique principale est de relever de la méthode allégorico-typique . Autre interprétation d'inspiration chrétienne dans VHomélie 20 surJérémie 2, où Origène donne une « tradition hébraïque » d'interprétation de Jr 20, 7 ( « T u m'as trompé, Seigneur, et j'ai été trompé »). Je donne le début de cette longue tradition. L'hébreu disait 1
2
3
1. M. HARL, Origène, Philocalie 1-20, Sur les Écritures, Paris, 1983, p. 252 302). 2. Voir É . JUNOD, op. cit., Paris, 1976, p. 117 ( S C 226). 3. Voir G . STROUMSA, « Le couple de l'ange et de l'esprit. Traditions juives et chrétiennes », dans Savoir et salut, Paris, 1992, p. 23-41. (SC
LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS
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que « Dieu n'est pas un tyran, mais un roi ; et, étant roi, il ne fait pas violence, mais il persuade, et il veut que ses sujets se livrent d'euxm ê m e s "de leur plein gré" à son administration, pour que le bien de quelqu'un ne se fasse pas "selon la nécessité", mais de "son plein gré", ce que Paul savait quand, dans la Lettre à Philemon, il disait à Philemon au sujet d'Onésime : "Pour que ton bien ne se fasse pas selon la nécessité, mais de ton plein gré" (Phm 14) ». Dans la suite du texte, l'hébreu cite exclusivement l'Ancien Testament, et la tradition dont il se réclame n'arien de chrétien. Ce qui est intéressant, c'est donc le début du passage, où la comparaison de Dieu à un roi qui veut que ses sujets se livrent à son administration « de leur plein gré » est mise en relation avec un verset de Paul. Certes, on pourrait penser que la citation de Paul est due à Origène. Mais il semble bien que la comparaison de l'hébreu, avec son expression : « de leur plein gré », fasse explicitement référence au verset paulinien. Peut-être m ê m e peut-on suggérer que la tradition hébraïque se limitait à la comparaison entre D i e u et un roi, et que l'apport propre de l'hébreu a été la référence à Paul. Si cela est vrai, nous devons retenir que la méthode de l'hébreu repose sur l'allégorie et qu'elle interprète l'Ancien Testament à l'aide du Nouveau, notamment de Paul. C'est maintenant le moment de reprendre la question de l'unicité de l'hébreu chrétien. Si Origène parle de deux hébreux différents, alors l'un, celui qui s'est converti et est venu de Palestine à Alexandrie à cause de sa foi, n'a pas de rapports avec les hébreux de VÉvangile selon les Hébreux, qui sont installés en Egypte depuis quelque temps ; l'autre, en revanche, celui du Commentaire sur les Psaumes, du Traité des principes et du fragment sur Ex 1 0 , 2 7 , peut être un de ces hébreux ; grâce à lui, nous apprendrions que ce groupe d'hébreux chrétiens utilisait la méthode allégorique et citait l'apôtre Paul. Si, en revanche, Origène parle d'un seul et m ê m e personnage, alors il n'est pas sûr que l'on puisse mettre en relation notre hébreu converti et venu de Palestine avec les hébreux déjà installés à Alexandrie. Toutefois des considérations historiques et chronologiques peuvent nous aider à progresser. À quel moment l'hébreu a-t-il pu être contraint de quitter la Palestine pour l'Egypte ? On est tenté de mettre ce départ forcé en relation avec la Birkat ha-Minim et la détérioration des rapports entre juifs et chrétiens : dans les premières années du n siècle. U n h o m m e vivant à cette époque a-t-il pu être le maître d'Origène, dans les années 2 1 0 - 2 2 0 ? M ê m e en supposant un grand écart d'âge entre les deux hommes, cela est difficile. On peut toutefois supposer que le maître hébreu soit un réfugié de la seconde génération ; et Origène, lorsqu'il parle de la fuite de l'hébreu à cause de sa foi, utiliserait un raccourci d'expression. Cette hypothèse, qui ne peut être démontrée, a en sa faveur des arguments de vraisemblance historique, dont il faut se contenter. Si elle était vraie, elle e
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signifierait ceci : le maître hébreu d'Origène serait un membre de la communauté des hébreux d'Alexandrie, un groupe de juifs chrétiens venus de Palestine dans les premières années du n siècle, membres, en Egypte, de la Grande Église, et possédant leur Évangile, V Évangile selon les Hébreux. C e dernier, rédigé à l'origine en hébreu ou araméen, a été ensuite traduit en grec ; il est reconnu c o m m e acceptable par les pagano-chrétiens. Ces hébreux d'Alexandrie peuvent sans doute être regardés c o m m e d'anciens nazoréens de Palestine. En revanche, il semble bien que l'hébreu chrétien consulté par Origène à propos du « signe du taw » de Ez 9 , 4 , réside en Palestine : il ne fait pas partie des hébreux d'Alexandrie, et il ne faut pas l'identifier avec le maître hébreu d'Origène. C e dernier ne nous dit pratiquement rien de sa théologie, en dehors du fait qu'il manie le symbolisme et l'allégorie. Il est donc difficile de rattacher l'hébreu palestinien à un groupe judéo-chrétien connu. e
IV. CONCLUSION
Origène nous fait connaître trois groupes de juifs chrétiens : les ébionites, qu'il divise en deux sortes ; les elkésaïtes ; les hébreux d'Alexandrie. En outre, il nous parle d'un hébreu de Palestine, dont on ne sait s'il fait partie de l'un de ces trois courants ou s'il appartient à un groupe distinct. Origène donne des renseignements originaux sur les ébionites, notamment sur leur exégèse et leur théologie. Il est possible que les elkésaïtes aient quelque chose à voir avec la deuxième sorte d'ébionites. Les hébreux d'Alexandrie forment une communauté judéo-chrétienne que les historiens ont laissée dans l'ombre, malgré les informations qu' Origène donne sur elle. L'apport d'Origène pour la connaissance du judéo-christianisme est donc plus considérable qu'on ne le dit ordinairement. Surtout, il nous donne des renseignements plus fiables que les auteurs des traités d'hérésiologie. Je terminerai sur un v œ u : les Pères de l'Église grecs postérieurs à Origène nous donnent des informations sur l'exégèse juive ; j e pense à Grégoire de N y s s e , à D i d y m e d'Alexandrie, aux Antiochiens ; quand on regarde les choses de plus près, on se rend compte qu'il s'agit tantôt d'interprétations rabbiniques, tantôt d'interprétation de juifs chrétiens. U n travail d'ensemble serait nécessaire. Puisse-t-il intéresser les chercheurs !
NAZOREANS ON MOUNT ZION (JERUSALEM) B ARGIL PIXNER
Theological Faculty of the Hagia Maria Sion Abbey, Jerusalem
Résumé Le premier lieu de rassemblement de la communauté primitive de Jérusalem peut être localisé sur la colline au sud-ouest de la vieille ville. Du temps des apôtres jusqu'à la fin du iv siècle, il y a eu sur cette colline une présence judéo-chrétienne, qui n'a été interrompue que brièvement lors des événements de la première et de la deuxième révolte juive. Au retour de leur exil en TransJordanie, quelques judéo-chrétiens ont construit, au tournant du r-ir siècle, une synagogue-église à Vendroit de la « Chambre haute » (Ac 1, 13). Quelques traces de cette synagogue ont été conservées dans le lieu appelé « Tombeau de David » sous la « Chambre haute » de Vépoque médiévale. Après la destruction du Temple, les judéochrétiens ont transféré Vappellation « Sion » de la colline du nordest, où était le sanctuaire, à la colline du sud-ouest. Bien que les judéo-chrétiens du mont Sion aient été des nazoréens orthodoxes, ils ont rencontré une croissante opposition de la part des paganochrétiens. Lorsque la première église byzantine a été construite sur le mont Sion, sous Vévëque Cyrille autour de 382, les derniers nazoréens ont été absorbés par la Grande Eglise. Summary The first meeting place of the Primitive Community of Jerusalem can be localited on the South Western hill of the Old City. From Apostolic times until the end of the fourth century A.D. there was a JudeoChristian presence on this hill, only shortly interrupted in connection with the first and second Jewish revolts. Returning from their exile in Trans-Jordan some Judeo-Christians built a synagogue-church at the place of the "Upper Room " (Acts 1:13) around the turn of the first to the second century A.D. Some traces of this synagogue are
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preserved in the so-called "Tomb of David ' under the Gothic "Upper Room." After the destruction of the Temple the Judeo-Christians transferred the name "Zion "from the North Eastern hill, where the sanctuary stood, to their South Western hill. Although the JudeoChristians on Mount Zion were orthodox "Nazoreans" they met growing opposition from the Gentile Christians. When the first Byzantine church was built on Mount Zion under Bishop Cyril around 382 A.D. the last Nazoreans were absorbed in the Great Church.
I. Christian Mount Zion. 1. The Migration
of Mount
Zion.
A n astonishing phenomenon of Jerusalem's topography is the odyssey of Mount Zion from one hill to the other. Zion was origi nally a Jebusite fortress conquered by David around the year 1000 B.C. (2 Sam 5:7, 9). It stood on an elevated rock (swn — outstanding) over the Gihon fountain of David's City. W e can call it Zion I. There stood the tent, to which David had brought the Ark of the Covenant as a unifying symbol of the twelve tribes. For the pious king the abode in a tent was not proper for the God of Israel and he planned to build a more dignified temple to the north of it. His son Solomon executed the wish of his father by building there the temple and his royal palaces. With the passing of time the designa tion of Zion was transferred to it. During the next thousand years Mount Zion was where the Temple stood: it was the abode, where God lived in the midst of his people (Isa 60:14, A m o s 6:7, e t c ) . This identification with the Temple Mount is very clear in the First B o o k of the Maccabees (1 Mace 4:37; 4:60; 5:54; 7:33). W e may call it Zionll. The decisive moment in the history of the Jewish people came with the destruction of the Temple and its city by the Romans in the year 7 0 A . D . With that cataclysm the Temple Mount became an aban doned heap of rubble. But the idea of Zion outlasted the destruction of its established symbol. Round the turn of the first century A . D . the south-western hill of Jerusalem suddenly assumed the name Zion (Zion IE). I believe no other group can be seen responsible for the change of location but the group of messianic Jews, w h o saw in that 1
1.1 am using the biblical spelling "Zion," but in citations from the Greek Church fathers their spelling of "Sion" (Sion) will be used. My gratitude goes to Professor Rainer Riesner (University of Dortmund) for a critical reading of this article and his suggestions.
N A Z O R E A N S O N M O U N T ZION (JERUSALEM)
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hill the cradle o f their messianic movement, the place o f Christian origins. The messianic Jews, deeply immersed in the Zion tradition of their people, needed their o w n Mount Zion and dared to transfer its name to their hill. Their scheme did not apparently find the approval o f all Jewish believers in Jesus. One note of protest is presumably preserved in one o f the forty-two Odes of Solomon that were written around the turn o f the first century A . D . by a Christian w h o came, as it seems, from the Essene movement. He complains in Ode 4.1-3: No man can pervert your holy place, o my God, nor can he change it, and put it in another place. Because (he has) no power over it; For your sanctuary you designed before you made other places. The ancient one shall not be perverted by those who are inferior to it.
2. Modern Opposing
1
Voices.
Although the south-western hill of Jerusalem, Mount Zion III, has in ancient Jerusalem tradition been considered the location where the Christian church had its origin, there are several modern scholars who, for reasons of their own, deny it. In recent years it was especially Mrs. J. E. Taylor, a scholar from N e w Zealand, w h o wrote several critical articles against the Franciscan scholars B . Bagatti and E. Testa, w h o had upheld the ancient tradition and maintained that it was a Judeo-Christian community that occupied this hill almost unin terruptedly from the first century A . D . up to the end o f the fourth. Mrs. Taylor denies the existence o f practically all Judeo-Christian groups west of the Jordan. Doubts about the authenticity of the locality of the primitive Christian community are also raised b y K. Bieberstein and H. Bloedhorn in their otherwise very valuable book on the archaeology of Jerusalem. They maintain that it was only after the Council o f Constantinople (381 A.D.), where the doctrine of the Holy Spirit was defined and the Hagia Sion church built to commemorate that event, that Mount Zion was chosen as the place of the descent of the Holy Spirit upon the apostles. The scene of the Last 2
1. Translation by J. H. CHARLESWORTH, in J. H. CHARLESWORTH ( E D . ) , The Old
Testament Pseudepigrapha, vol. 2, London, 1985, p. 736. 2. See her doctoral thesis submitted to the University of Edinburgh in 1989, published as J. E. TAYLOR, Christians and the Holy Places: The Myth of Judeo-Chris tian Origins, Oxford, 1993. Against her extreme scepticism see C. DAUPHIN, "De FÉglise de la circoncision à l'Eglise de la gentilité : Sur une nouvelle voie hors de l'impasse," in Liber annuus 43 (1993), p. 223-242 ; A. STRUS, "Cristiani di origine Giudaica : Una esperienza sepolta? Dati archeologici ed apocrifi," in A. STRUS (ED.), Tra giudaismo e cristianesimo : Qumran — Giudeocristiani, Rome, 1995, p. 87-115.
292
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Supper and the apparition on Easter Sunday were added to it and much later also the Dormition of M a r y . A s for most other holy sites in Jerusalem there is indeed a lack of clear information during the first three centuries and only with the beginning of the Byzantines does such information b e c o m e available which, for the sanctuary on Mount Zion, is very sporadic and unclear and shows often a rather negative bias. Such reticence or bias can be explained by the fact, that soon after the Council of Nicea (325 A.D.) the occupants of Mount Zion had fallen into disgrace and therefore their sanctuary was avoided as semi-heretical. A s w e shall see later, during that period the orthodox writers of the church were looking askance on Mount Zion until, towards the end of the fourth century, its inhabitants became reconciled with the imperial church. If there is a lack of literary sources it does not mean (as an argumentum e silentio) that traditions that were recorded later were taken from the air. 1
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3
3. The Pre-Byzantine
Tradition.
Personally, I follow the opinion of those scholars w h o maintain that there was an almost uninterrupted presence of Jewish believers on Mount Zion from apostolic t i m e s . Jewish by birth and custom, they were more or less orthodox by faith. It was the Nazorean branch of Christianity. In m y opinion it was they w h o were responsible for the symbolic transfer of the name Zion from the hill of the Temple to their hill. For them it was "Nea Sion." W h o else could have been interested in adopting such an exclusive Jewish expression and trans ferring it to their o w n hill in Jerusalem? Not the orthodox Pharisaic Jews, w h o with all their hearts were attached to the Temple mount, even though, as Rabbi Aqiba noticed, wild foxes were living among 4
1. K . BIEBERSTEIN - H . BLOEDHORN, Jerusalem: Grundziige der Baugeschichte vom Chalkolithikum bis zur Fruhzeit der osmanischen Herrschaft, vol. II, Wies baden, 1994, p. 118-120. 2. Most of the sources are collected in D. BALDI, Enchiridion Locorum Sanc torum: Documenta S. Evangelii Loca Respicientia (Jerusalem, 1982 ), p. 473-531, and B. BAGATTI - E . TESTA, Corpus Scriptorum de Ecclesia Maire. I V : Gerusa lemme. La redenzione secondo la tradizione biblica dei Padri, Jerusalem, 1982, p. 312-357. 3. Most of the sources are collected in A. F. J. KLIJN - G. J. REININK, Patristic Evidence for Jewish-Christian Sects, Leiden, 1973. 4. B. PDCNER, "Die apostolische Synagoge auf dem Zion," in Wege des Messias und Stàtten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im Licht neuer archaologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 287-326; "Bemerkungen zum Weiterbestehen judenchristlicher Gruppen in Jerusalem," in Wege des Messias und Stàtten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im Licht neuer archaologischer Erkennt nisse, Giessen, 1996 , p. 402-411. 3
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NAZOREANS ON MOUNT ZION (JERUSALEM)
293
its ruins. Long after the Nazoreans had their new Mount Zion, Phari saic Jews kept to their traditional place on the Temple mount as it is expressed in the Shemoneh esre in its fourteenth and sixteenth invo cations. After 135 A . D . they were banished altogether from Jeru salem. Even less interested were the Romans, w h o founded the colony of Aelia Capitolina after 135 A . D . Even the Jewish scholar Josephus Flavius, w h o wrote his works foremost for Greeks and Romans, does not use the word Zion once in his books, which meant nothing to his Gentile readers. In his Jewish War he expresses the opinion that the fortress conquered and occu pied by King David stood on the high Western h i l l . Archaeologists proved him wrong for thinking the Jerusalem o f David w a s as large as the one of his time. This probably rather common ancient opinion seems to have influenced also the thinking of the first leaders of the Judeo-Christian church. James, the "brother of the Lord," and Simon Bar-Kleopha, his cousin, considered themselves as Davidites and might have been very proud to reside o n the very place where their ancestor had reigned. When the Pilgrim of Bordeaux in 3 3 3 A . D . visited the area behind "the wall of Sion," the remnants of "David's Palace" were shown to him (see below). It was the followers of the primitive Judeo-Christians w h o needed a Zion and called their hill N e a Sion. I lay special emphasis on the fact that even before the Byzantine period (325-635 A.D.) the location of Zion and the traditions attached to it were mentioned. It was the great church historian Bishop Eusebius of Caesarea (2607-340? A.D.), w h o wrote as early as 3 1 2 A . D . in his Demonstratio evangelica, commenting on Isa 2:4 : 1
The law issuing from Sion is quite different from the one given to Moses on Mount Sinai; it is the word of the Gospel, which went forth from Sion through our Savior Jesus Christ and his apostles and was propagated to all the nations. It is assured that it went forth from Jerusalem and from Mount Sion which is situated besides it (apo tes Ierousalem, kai tou toute prosparakeimenou Sion orous), where our Savior and Lord stayed many times and taught many doctrines. 2
In his Onomastikon Eusebius situates Mount Zion south of Golgotha and north of Hakeldama. S o there can be no doubt which Mount Zion he meant. When Eusebius says that Jesus stayed on Mount Zion and taught there, he can hardly be referring but to anything else as to a tradition in existence already before his time that Jesus held the Last Supper on Mount Zion. Later about 375 A . D . it is 3
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1. Flavius Josephus, Bellum judaicum 5 . 1 3 7 . 2 . See Eusebius, Demonstratio evangelica 1.4 (Patrologia Graeca 2 2 : 4 3 1 ) . 3 . E. KLOSTERMANN, Onomasticon, Berlin, 1 9 0 4 , p. 7 4 . 2 0 and p. 3 8 . 2 1 (GCS 1 1 ) .
4 . See R . RIESNER, "Der christliche Zion: vor- oder nachkonstantinisch?" in
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B ARGIL PDCNER
Epiphanius of Salamis w h o locates Jesus' Passah Meal on "the (with definite article!) mountain", which can only be Mount Z i o n . It seems that Mount Zion o n the South-Western Hill is even mentioned in an earlier work, namely the apocryphal Lives of the Prophets. This apocryphon is usually considered o f Jewish origin, but was later interpolated as being by die hand of Christians, probably as early as the second century A . D . In describing the life o f Isaiah, it comes to speak of his martyrdom and the place o f his burial: "His (Isaiah's) tomb is near the Tomb o f the K i n g s . . . For Solomon made the tombs, in accordance with David's design, east of Zion" (Vitae prophetarum 13). Knowing the approximate area of the Tomb of the Kings and o f Isaiah in the City o f David on the South Eastern hill, it seems that Mount Zion III, die South Western hill, is referred t o . Zion II, the Temple area, was far to the north. 1
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IL Literary evidence of a judeo-christian sanctuary on Mount Zion. 1. The Testimony
of Epiphanius
of
Salamis.
Epiphanius (315-403), later bishop of Salamis in Cyprus, was a native Palestinian. He was born in the south, near Beit Guvrin (Eleutheropolis), probably of a Judeo-Christian family (Patrologia Orientalis 8:406). He lays down his wealth of information about Jewish and Christian sects in his Panarion ( 3 7 5 A.D.) and in his work De mensuris etponderibus (392 A.D.). In this latter work there is a very interesting text with some relevance for our t h e s i s . H e writes that during a journey (130-31 A.D.) Emperor Hadrian (117-38 A.D.) came from Egypt and visited Jerusalem, which Titus, son o f Vespa sian, had destroyed in 7 0 A . D . Epiphanius continues: 5
And he found the entire city crushed to the ground, the Temple of God demolished, except for a few homes, and the small church of God (tes tou
F. MANNS - E. ALLIATA (ED.), Early Christianity in Context: Monuments and Docu ments, Jerusalem, 1993, p. 85-90. 1. Epiphanius, Panarion 51.27 (GCS 31:297-298). 2. B . PTXNER, "Epiphanius und das Abendmahl auf dem Zion," in Wege des Messias und Statten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im Licht neuer archdologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 424-425. 3
3. See D . R. A. HARE, in J. H . CHARLESWORTH ( E D . ) , The Old Testament
Pseud-
epigrapha, vol. 2, London, 1985, p. 380-382. 4. See J. JEREMIAS, Heiligengrdber in Jesu Umwelt, Gottingen, 1958, p. 79. 5. See also J. MURPHY-O'CONNOR, "The Cenacle — Topographical Setting for Acts 2:44-45," in R. BAUCKHAM (ED.), The Book of Acts in Its Palestinian Setting, Grand Rapids, Michigan, 1995, p. 303-321.
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theou ekklesias mikras), where the returning disciples, after the Savior left them from the Mount of Olives, went up to the upper room (hyperon [Acts 1:12-13]). It had been built on that part of Sion (Sion) that was left over from the city together with some dwellings and seven synagogues which remained on the mountain like cottages. Of these a single one remained up to the time of Bishop Maximos and Emperor Constantinos like a shelter left in a vineyard as Scripture says (Isa 1:8). 1
What Epiphanius writes here is most probably the tradition of the Judeo-Christians w h o had dwelled on Mount Zion. Their acceptance into the orthodox church toward the end of the fourth century, as w e shall see later, had been accomplished. Then their traditions became gradually also those of Christianity in general. At that time the remains of that ancient synagogue were still in existence, but it was no more considered a synagogue but a genuine church, indeed the "Mother of all Churches." For that reason Epiphanius calls it already a church, although before 130 A . D . there did not exist any churches anywhere in the world. If Epiphanius is correct, the "Mother of all Churches" had been built between 7 0 and 130 A . D . Later in the same description, I agree here with B. Bagatti, Epiphanius calls the same building a synagogue, as indeed it had been. The enigmatic remark of Epiphanius that the synagogue, formerly recognized, ceased existing, might indicate that soon after Nicea, in the years of Bishop Maximos and Emperor Constantinos, perhaps in the thirties, these Nazoreans of Mount Zion, w h o as Jewish believers had difficulty accepting the Council's decision on the Trinity, were ostracized, perhaps even anathematized as Arians or Semi-Arians. 2
2. Earlier
Sources.
It seems that already in Origen (185-255 A.D.) w e find an allusion to the location in Jerusalem where in his days Christians thought the Last Supper had taken place. In commenting on Matt 26:29 he wrote: "If then w e wish to receive the bread of benediction from Jesus... let us g o up into the city to the house of that person, where Jesus cele brated die Passover with his disciples... Jesus taught them to say the hymn to the Father, and from one high place pass to another (de alto transire in altum), since there are things that the faithful should not do in the valley. S o he ascended the Mount of O l i v e s . . . Jesus came with his disciples to the plot called Gethsemane from that location (ab illo capi loco) where he had eaten the Passover, since it was not admis sible that he would be taken prisoner in the very place where he had
1. See Epiphanius, De mensuris 1 4 (Patrologia Graeca 4 3 : 2 6 0 ) . 2 . B . BAGATTI, The Church from the Circumcision, Jerusalem, 1 9 7 1 , p. 1 1 7 - 1 1 8 .
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B ARGIL PEXNER 1
eaten the Passover". Apparently Origen had his o w n local know ledge and found the Cénacle in an upper part of the Holy City. In 333 A . D . an anonymous Pilgrim of Bordeaux, possibly of Judeo-Christian o r i g i n , came from France to Jerusalem. During his visit here he leaves the Temple area and descends to the Siloam Pool. Leaving Siloam he starts his ascent to Mount Zion: 2
In eadem ascenditur Sion et paret, ubifuit domus Caifae sacerdotis, et columna adhuc ibi est, in qua Christum flagellis ceciderunt. Intus autem intra murum Sion paret locus, ubipalatium habuit David. Etseptem synagogae, quae illicfuerunt, una tantum remansit, reliquiae autem arantur et seminantur, sicutlsaias propheta (Is 1:8) dixit. 3
On the way the pilgrim passes the ruins of the palace of Caiaphas and reaches a wall around Mount Zion (murus Sion), enters it, looks at what he is told are the ruins of the palace of David, and finds a syna gogue, apparently the same mentioned by Epiphanius. He leaves Mount Zion through the wall and takes the direction towards Nablus Gate (Damascus Gate). Combining this report with the information of Epiphanius w e can conclude that inside the walled Zion compound there was a sanctuary, a synagogue to Jewish eyes, a church to Chris tian eyes. A n important piece of evidence of such a sacred structure on Mount Zion is from Cyril (315-386 A.D.), a native of Jerusalem, w h o became its bishop. In 348 A . D . he held catechetical instructions in the Anastasis (Church of the Holy Sepulchre). During one of them he said: "We know, that the Holy Spirit, w h o has spoken through the prophets, descended on Pentecost upon the apostles in tongues of fire in Jerusalem, in the upper church of the Apostles (en te anotera ton apostolon ekklesia)". Instructing the catechumens he remarked that, while speaking of things relating to the passion he chose to speak near Golgotha, so it would be appropriate to speak about the Holy Spirit "in the upper church of the apostles." Since the Anastasis seemed to him lying lower, he evidently meant the church (or synagogue) on Mount Zion. The reason for not doing so might not only have been convenience, but rather the tension that existed at that time with the Nazoreans living there. 4
1. Origen, Commentarii inMatthaeum 8 6 {Patrologia Graeca 1 3 : 1 7 3 7 ) . 2 . See H . DONNER, Pilgerfahrt ins Heilige Land: Die àltesten Berichte christlicher Palastinapilger, Stuttgart, 1 9 7 9 , p. 4 1 - 4 2 . 3 . See Pilgrim of Bordeaux, Itinerarium 1 6 [ed. Geyer, 2 2 ] . 4 . Cyril of Jerusalem, Catecheses 1 6 . 1 4 {Patrologia Graeca 3 3 : 9 2 4 ) .
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III. Archaeological evidence. One of the locations, where a thorough archaeological excavation would be called for, is the area of the so-called "Tomb of David". Unfortunately to get permission to do so seems to be practically impossible for several reasons. There is an old controversy that must be jesolved: Was the Cenaculum building part of the Hagia Sion Church as the Dominican archaeologist L.-H. V i n c e n t of the Ecole Biblique maintained, or was it a building apart as the architect and archaeologist M. G i e s l e r of the Dormition Abbey insisted. The latter could point to the archaeological evidence revealed by the excava tions done by H. Renard, when he was excavating the foundations for the Dormition Abbey (1898) and his o w n excavations. It became clear that the position of the central axis of the Hagia Sion excluded the Cenacle building as part of the Byzantine basilica. Giesler also pointed out that the Madaba Mosaic Map (ca. 5 6 0 A.D.) showed clearly that next to the Hagia Sion Church stood another smaller sanc tuary, which he and many others identified as the Hyperoon, the Cenacle Church. Giesler pointed out that Vincent himself had found with the help of a precision instrument that there was a 1.5 degree difference between the alignment of the Hagia Sion basilica and the one of the Crusader church, which followed the lines of the much older synagogue-church, "the Mother of all Churches." M. Giesler's identification was confirmed by an archaeological dig (the only one ever made) by the Israeli archaeologist J. Pinkerfeld in 1951. During an artillery attack of the Jordanians a shell pierced a window in the eastern wall and burst in front of the cenotaph of David (the pseudo-tomb of David). During the repair work Pinkerfeld removed all the partly damaged plaster of the tomb and walls and also went about examining the soil beneath the cenotaph and along the eastern wall. He was wondering to what period the thick walls surrounding the tomb belonged. After digging through the Arab layer, he found that the tomb was standing on a Crusader layer, which was 12 c m below the present floor. 4 8 c m below he found a Byzan tine floor that consisted of colored mosaics. Then about 10 c m lower "another floor of plaster was found, quite possibly the remains of a stone pavement. It is certain that this floor belonged to the original building... This is evident from the section of the wall which shows at 1
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1. In L.-H. VINCENT - F.-M. Abel, Jerusalem nouvelle, vol. 2, Paris, 1922, p. 451-455, and plate LXIX. 2. M. GIESLER, "Sancta Sion und Dormitio Dominae: Dire Verbundenheit im Grundplan," in Das Heilige Land 79 (1935), p. 2-13. 3. H. RENARD, "Die Marienkirchen auf dem Berg Sion in ihrem Zusammenhang mit dem Abendmahlssaal, in Das Heilige Land44 (1900), p. 3-23. 4. M. GIESLER, op. cit., in Das Heilige Land 79 (1935), p. 8. ,,
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that level a foundation ledge projecting into the hall." Pinkerfeld finally drew the conclusion that the original building was probably a synagogue. Ostraca found in the lowest layer indicate that the postu lated synagogue must have been a Judeo-Christian o n e and later I argued that the direction of the niche (towards Golgotha) points to the same f a c t . The large ashlars of the ancient building, that were appa rently of second usage, must have c o m e from some Herodian building. T h e buildings o f origin might have been the Herodian Palace, today called the Citadel, or — I dare to suggest — the ruins of the Temple. It can be noticed that the corners of the blocks were damaged during the transport. The beautifully cut lowest ashlars are of almost uniform height (96 cm). Ashlars o f that same height and shape I found south o f the Wailing Wall amongst the heap o f stones from the inner part of the Jerusalem Temple. Besides the Madaba Map, which shows two different sanctuaries next to each other, there is another proof for this in the north-east corner of the cenacle building. A photo made by J. Pinkerfeld shows that the foundation stones form a straight vertical line, and are not interlocking in any way with another structure to the north. This proves that the Cenacle building was from the start a building by itself. Its ashlars therefore were not part of the Hagia Sion. Those w h o contest this are at a loss to explain what possible purpose the niche behind the "tomb o f David" could have served, if this room was just a corner o f the Hagia Sion. That niche can best be explained as one of three(?) original niches serving as a depository for Scripture scrolls (Torah, Prophets) as seen in the synagogues of Eshtemoa, Naveh and Dura Europos. That the oldest part o f the so-called Tomb o f David was originally a Judeo-Christian synagogue is maintained by scholars like E. P u e c h and S. C. M i m o u n i . When during the seasons around 1980 w e did our re-excavation on the southern slope of Mount Zion, w e found three superimposed gate s i l l s . The lowest w e identified as the "Gate of the Essenes" 2
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1. J. PINKERFELD, '"David's Tomb': Notes on the History of the Building," in Bulletin of the Louis Rabinovitz Fund for the Exploration of Ancient Synagogues 3 (1960), p. 41-43, especially p. 42. 2. See B. BAGATTI, op. cit., Jerusalem, 1971, p. 120-121. 3. B. PTXNER, "The Apostolic Synagogue on Mount Zion," in Biblical Archaeolo gical Review 16, no. 3 (1990), p. 16-35 and p. 60. 4. J. PINKERFELD, op. cit., in Bulletin of the Louis Rabinovitz Fundfor the Explora tion of Ancient Synagogues 3 (1960), plate IX : 2. 5. E. PUECH, "La synagogue judéo-chrétienne du mont Sion," in Le Monde de la Bible 57 (1989), p. 18-19. 6. S. C. MIMOUNI, "La synagogue 'judéo-chrétienne' de Jérusalem au mont Sion," in Proche-Orient chrétien 40 (1990), p. 215-234. See also S. C. MMOUNI, Le Judéochristianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 369-387. 7. B. PIXNER - D. CHEN - S. MARGALIT, "The 'Gate of the Essenes' Re-Exca-
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(ca. 3 0 B.C.E) of Flavius Josephus, the top one as a Byzantine Gate (ca. 4 5 0 A . D . ) . The middle sill was the most difficult one to ascribe. Ceramic material scratched from underneath the gate w a s late Roman (Aelia Capitolina). The builders o f that gate had used the same channel and the same street as those used by the builders of the Essene Gate. But it was o f very poor workmanship; the material had been gathered from somewhere else and was badly cut to fit their purpose. The socket for the gate post too was very primitive compared with the Essene Gate socket. In front o f that sill and behind it w e found two coins o f Emperor Heliogabalus (218-222 A.D.), which would indi cate that at that time there was some work done on the street and the channel beneath it. W e ascribed it to the wall (murus Sion), which the Pilgrim of Bordeaux (333 A.D.) found surrounding Mount Z i o n . Its poor quality would indicate that it could have been a protective wall (like a ghetto wall) for the inhabitants, possibly to grant the JudeoChristian community, as seems the case in Capharnaum, some protection from the Gentiles and later the powerful Byzantine Chris tians of the empire. 2
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IV. Historical reconstruction of Mount Zion. On the basis of literary and archaeological evidence available to us w e can attempt to reconstruct the history of the Nazoreans during the first four hundred years o f their existence on Mount Zion. Even though some of the evidence is inconclusive and must be considered hypothetical, the ensemble of the evidence allows us a clearer picture of the beginnings of Christianity.
1. Origin of the
Nazoreans.
I follow the opinion of those authors w h o believe that originally "Nazoreans" (nsrym, Nazoraioi) was the denomination of a clan w h o claimed to be descendants of David, to w h o m the family of Jesus also
vated," in Zeitschrift des deutschen Palastina-Vereins 1 0 5 ( 1 9 8 9 ) , p. 8 5 - 9 5 , and plates 8 - 1 6 ; D. CHEN - S. MARGALIT - B . PTXNER, "Mount Zion: Discovery of Iron Age Fortifications below the Gate of the Essenes," in H. GEVA (ED.), Ancient Jeru salem Revealed, Jerusalem, 1 9 9 4 , p. 7 6 - 8 1 . 1. Flavius Josephus, BeHum judaicum 5 . 1 4 5 . 2. See R . RIESNER, "Josephus' 'Gate of the Essenes' in Modern Discussion," in Zeitschrift des deutschen Palastina-Vereins 1 0 5 ( 1 9 8 9 ) , p. 1 0 5 - 1 0 9 . 3. B . PIXNER, "The History of the 'Essene Gate' Area," in Zeitschriftdes deutschen Palastina-Vereins
1 0 5 ( 1 9 8 9 ) , p. 9 6 - 1 0 4 .
4 . See S. LOFFREDA, Recovering Capharnaum, Jerusalem, 1 9 8 5 , p. 5 8 - 5 9 .
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b e l o n g e d . The enigmatic expression of Matt 2:23 that Jesus would be called the Nazorean (ho Nazoraios) w a s interpreted b y the Nazoreans themselves as originating from the prophecy o f Isa 11:1, that from the roots of Jesse a shoot (nsr) will grow up, as Jerome reports. Already in Qumran the prophecy had been interpreted messianically (4Q285 2-5). Julius Africanus informs us that the Nazoreans of the family of Jesus (desposynoi) came originally from the villages of Kokhaba and N a z a r a , bearing suspiciously messianic names, "village of the star" (kwkb [Num 24:17]) and "village of the shoot (nsr [Isa 11:1])." Putting things together it can be assumed that the Davidic families in the Babylonian diaspora kept track o f their genealogies; two are preserved in the gospels of Matthew (1:1-16) and Luke (3:23-38). When the Hasmoneans incorporated Galilee and the Batanea into their Jewish commonwealth, a part of these Davidites moved to Israel founding Kokhaba in the Batanea and resettling the abandoned village o f Galilee (after a settlement gap o f 6 0 0 years), which took their clan's name Nazara or Nazareth. I am of the opinion that in the Batanea the Nazoreans were influenced by Essene ideology and followed also their solar calendar system of 3 6 4 d a y s . While Jesus distanced himself from the restrictive Essene mentality and founded in Capharnaum his o w n haburah o f the T w e l v e and lived with them a normative Jewish life, his brothers remained loyal to their Essene practices. The most divisive difference between the Essenes and other Jewish groups lay in the fact that these followed a feast calendar which was different from that followed b y the majority of Jews. It seems that when Jesus' brothers went up to Jerusalem for their feasts, they celebrated them according to the solar calendar. A scholar like P. Sacchi sees also some Essene influences in the family of Jesus, especially in its calendar p i e t y . It is written that Jesus refused to g o with his brothers to their feast o f Tabernacles, because his time (kairos) had 2
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1. B. GARTNER, Die rdtselhaften Termini Nazoràer und Iskariot, Uppsala, 1957, p. 5-36 ; R. RIESNER, "Nazarener / Nazaret," in M. GÒRG - B. LANG ( E D . ) , Neues
Bibel-Lexikon, fase. 10, Solothurn-Dusseldorf, 1995, p. 908-912. 2. Since neser is written with a sade, it would be better to pronounce it neser. 3. Jerome, Commentarli in Isaiam 4 {Patrologia Latina 24:148; Patrologia Latina 22:574). 4. Eusebius, Historia ecclesiastica 1.7.14. 5. Flavius Josephus, Antiquitates judaicae 12:393 ff. 6. B. PIXNER, "Die Batanàa als judisches Siedlungsgebiet," in Wege des Messias und Stàtten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im lÀcht neuer archàologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 159-165. 7. B. PIXNER, "Jesus and His Community: Between Essenes and Pharisees," in J. H. CHARLESWORTH - L . L . JOHNS (ED.), Jesus and Hillel. Comparative Studies of Two Major Religious Leaders, Minneapolis, Minnesota, 1997, p. 193-224. 8. P. SACCHI, "Recovering Jesus' Formative Background," in J. H. CHARLES3
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not yet c o m e . H e went to Jerusalem on a later date, the official one of the Temple (John 7:2-5). The brothers celebrated most probably o n Mount Zion, where Essene practice w a s prevalent, making use of 1
the guest-house which Essenes offered to their friends. Could the surprising expression in Mark 14:14 "my guesthouse"
(katalyma
mou) mean that Jesus had made u s e of that guest-house together with members of his family in former years?
2. Jesus and the Essenes
on Mount
Zion.
I have excavated a gate of the Roman period on the south-western slope o f Mount Zion (see above), which Flavius Josephus judaicum
5:145) calls the "Gate o f the Essenes" (pule ton
(Bellum Essenon).
There is strong evidence that next to that gate w a s also an Essene Quarter. This w a s suggested earlier by scholars like J. B . L i g h t f o o t , 3
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E. Schiirer, and M.-J. L a g r a n g e , in recent times strongly defended 5
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by E. R u c k s t u h l , R. R i e s n e r , B . J. C a p p e r , and m y s e l f ,
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and also
accepted by leading scholars o f the Qumran-Studies like M. D e l c o r ,
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WORTH (ED.), Jesus and the Dead Sea Scrolls, New York, 1993, p. 123-139; "Qumran e le orìgini cristiane," in A. STRUS (ED.), Tra giudaismo e cristianesimo, Rome, 1995, p. 61-86. 1. Flavius Josephus, Bellum judaicum 2.124-25. 2. J. B. LIGHTFOOT, St. Paul's Epistles to the Colossians and Philemon, London, 1875, p. 94, n. 2. 3. E. SCHÛRER, Geschichte des jiidischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, vol. 2, Leipzig, 1907 , p. 657-658, n. 5. 4. M.-J. LAGRANGE, Le Judaïsme avant Jésus-Christ, Paris, 1931 , p. 317. 5. E. RUCKSTUHL, "Zur Frage der Essenergemeinde in Jerusalem und zum Fundort von 7Q5," in B. MAYER (ED.), Christen und Christliches in Qumran?, Regensburg, 1992, p. 131-138. 6. R. RIESNER, "Jesus, the Primitive Community, and the Essene Quarter of Jerusalem," in J. H. CHARLESWORTH (ED.), Jesus and the Dead Sea Scrolls, New York, 1993, p. 198-234 ; Essener und Urgemeinde in Jerusalem: Neue Funde und Quellen, Giessen, 1998. 7. B. J. CAPPER, "'With the Oldest Monks...': l i g h t From the Essene History on the Career of the Beloved Disciple?" in Journal of Theological Studies 49 (1998), p. 1-55. 8. B. PDCNER, "An Essene Quarter on Mount Zion?" in Studia Hierosolymitana I: Studi archeologici in onore di P. Bellarmino Bagatti, Jerusalem, 1976, p. 245-285; "Das Essener-Quartier in Jerusalem," in Wege des Messias und Statten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im Licht neuer archaologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 180-207; "Jerusalem's Essene Gateway: Where the Community Lived in Jesus' Time," in Biblical Archaeology Review 23, no. 3 (1997), p. 22-31, p. 64-66. 9. M. DELCOR, « À propos de l'emplacement de la porte des Esséniens selon Josèphe et de ses implications historiques, essénienne et chrétienne», in Z. J. KAPERA (ED.), Intertestamental Essays in Honour of Jézef Tadeusz Milik, Krakow, 1992, p. 25-44 4
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G. Boccacini, and É. Puech. Jesus and his disciples belonged to that group of Jews w h o followed the established practice of the Temple hierarchy and its lunar feast calendar, with one exception. Knowing of the decision of the central body of the Sanhédrin to do away with him before Passover (John 11:46-53; Matt 26:5; Mark 14:2) and desiring to celebrate a last Passover meal with his disciples (Luke 22:15), he decided to follow the Essene calendar, according to which the fifteenth of Nisan always fell on a Wednesday. H e did so in a guest-house (katalyma [Mark 14:16-17; Luke 22:12]) of the Essene quarter on Mount Zion. It was probably his brother James who, as in former years, had rented that upper room for the occasion. This may be hinted at in the fragment of the Gospel of the Hebrews about an apparition of the risen Lord to his brother. After Jesus was taken prisoner during the night to Wednesday, the trial of Jesus lasted over two days up to Friday. In this I am supporting the long chronology of the Passion as it was espoused by Mrs. A. Jaubert and defended by E. Ruckstuhl. Both were following an old tradition in the Syrian Didascalia Apostolica (5.12-18) and Epiphanius (Panarion 51.26-27.3), which ultimately, as E. Testa from the Studium Biblicum Franciscanum thinks, has its roots in the Passion liturgy of the Judeo-Christian community of Jerusalem. Very recently É. Nodet and J. Taylor from the École Biblique et Archéologique Française show some sympathy for the Last Supper according to the Essene calendar. S o w e can best explain the apparent contradiction between the Passover dating of the Synoptics and the one of John (18:28; 19:14, 31). It is my opinion that the former envision Passover according to the solar calendar practised on Mount Zion (on the eve of Wednesday), while John bases the sequence of events according to the lunar calendar used by the Jews following the 3
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1. G. BOCCACINI, Beyond the Essene Hypothesis: The Parting of the Ways between Qumran and Enochic Judaism, Grand Rapids, Michigan, 1998, p. 27-29. 2. É . PUECH, op. cit., in Le Monde de la Bible 107 (1997), p. 55. 3. Text in A. F. J. KLIJN, Jewish-Christian Gospel Tradition, Leiden, 1992, p. 79-86. 4. A. JAUBERT, La Date de la Cène : Calendrier biblique et liturgie chrétienne, Paris, 1957 (= The Date of the Last Supper, Staten Island, 1965). In 1977, whenl was visiting Professor Annie Jaubert at the Sorbonne, she strongly encouraged me to follow up with my investigations in the Essene Quarter of Jerusalem. Unfortunately, this highly gifted and very modest scholar died shortly after my stay in Paris. 5. E. RUCKSTUHL, Chronology of the Last Days of Jesus : A Critical Study, New York, 1965; E. RUCKSTUHL, "Zur Chronologie der Leidensgeschichte Jesu," in Jesus imHorizontderEvangelien, Stuttgart, 1988, p. 101-184. 6. E. TESTA, The Faith of the Mother Church: An Essay on the Theology of the Judeo-Christians, Jerusalem, 1992, p. 159-184. 7. É . NODET - J. TAYLOR, The Origins of Christianity: An Exploration, Collegeville, Minnesota, 1998, p. 88-126.
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Temple hierarchy. Their Passover meal took place on the eve of Shabbat (fifteenth of Nisan) in the year 3 0 A . D . , generally accepted as the year of the P a s s i o n . 2
3. The Nazoreans
of Jesus' Family in
Jerusalem.
It is an amazing fact that, after the departure of Jesus, there were members of the Nazorean family from Galilee w h o played such a prominent role during the early developing years of the church in Jerusalem (Acts 1:14). During the public Galilean ministry they stood outside the intimate circle of Jesus. There was James, "the brother of the Lord" (Gal 1:19), w h o was not one of the Twelve. Bishop Epiphanius says of him: "We know of his originating from the house of David, since he was a son of Joseph the Nazorean [of a first m a r r i a g e ] " . There was Simon Bar-Kleopha, his cousin; there was Mary, the mother of Jesus, and probably also James' brother Jude. James, not Peter, is considered the first bishop of the primitive community. Simon Peter, as most other apostles, left Jerusalem after the onset of the persecution in around 4 2 A . D . under Agrippa I (Acts 12:1 ff.). When Peter and several of the disciples came back to Jerusalem to decide on the Gentile believers (around 48 A.D.), it was James w h o added his decisive voice supporting the position of Paul and Barnabas (Acts 15:13-21). There is evidence for the view that during those days Mary, the mother of Jesus, died surrounded by a group of apostles, as the apocryphon Transitus Mariae, stemming from an old Jerusalem Judeo-Christian tradition, has it. Because of the prominence of these members of Jesus' family and other Nazoreans, it seems that in those days the Jews of Jerusalem started to extend the name "Nazorean" to all Jewish believers in the Messiah. S o even of the former Pharisee Paul it was said that he had become "a ringleader of the sect of the Nazoreans" (hairesis ton Nazoraion [Acts 24:5]). 3
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1. B . PKNER, "Das letzte Abendmahl Jesu," in Wege des Messias und Stâtten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im Lichtneuer archaologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 219-228 ;B.J*IXNER, With Jesus in Jerusalem: His First and Last Days in Judea, Rosh Pinna, 1998 . 2. See R. RIESNER, Paul's Early Period: Chronology, Mission Strategy, Theology, Grand Rapids, Michigan, 1998, p. 35-58. 3. See also R. J. BAUCKHAM, Jude and the Relatives of Jesus in the Early Church, Edinburgh, 1990, p. 315-370. 4. Epiphanius, Panarion 29.4.1-2 (Patrologia Graeca 41:594). 5. See F. MANNS, Le Récit de la Dormition de Marie : Vatican grec 1982, Jeru salem, 1989. 6. B . PIXNER, "Maria auf dem Zion," in Wege des Messias und Stâtten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im Licht neuer archaologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 348-357. 3
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4. The Proximity
ofNazoreans
and
Essenes.
Since it can n o w be said that there is a strong probability that in the first Christian century two religious communities, the Essenes and the Nazoreans, were living side by side on Mount Zion, it is legiti mate to find in this fact a possible point of contact between these two groups. Some structural similarities between them have indeed been baffling many scholars. Is Mount Zion (rather than Qumran) the area were these two religious communities came in contact with each other? W e may ask ourselves two questions: (1) W h y did the primi tive community on Zion adapt a social system, "the community of goods" (Acts 2:42; 4:32), not used anywhere else in the Christian world? Could it be, as B. J. Capper strongly argues, that having an eschatological outlook similar to that of the Essenes (the end of days being at hand) and living next to them, they adapted their social system of having everything in common, but on a more voluntary basis than the Essenes? (2) Where did that group of priests mentioned in Acts 6:7 c o m e from w h o joined the church? Of the three major reli gious groupings, Pharisees, Sadducees, and Essenes, it was the latter two w h o were composed to a large extent by kohanim, while the Pharisees were mostly lay people. It is almost absurd to think that this group of kohanim came from the Sadducees, the sworn enemies of the believers in Jesus the Messiah. So in all probability they must have c o m e from the Essenes, as many scholars have suggested after the Qumran f i n d i n g s . Then there is a strong likelihood that these priests believing in Jesus as the Messiah came from the Essene quarter on Mount Zion. It was in 6 2 A . D . that during an interstice between one governor and his successor, the Sadducean High-priest Ananus succeeded in having James, the brother of the Lord, lynched in the T e m p l e . His moral authority as the brother of Jesus, his piety, and his faithfulness to Jewish customs had made him "a bulwark around his p e o p l e " . With his death came a period wrought with grave danger from inside and outside. From the few references w e receive from the historian E u s e b i u s , w h o draws his information from Hegesippos, a JudeoChristian author of the middle of the second century, the election of James' successor was full of dire consequences. The body of electors 1
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1. B . J. CAPPER, "The Palestinian Cultural Context of Earliest Christian Commu nity of Goods," in R. BAUCKHAM (ED.), The Book of Acts in Its Palestinian Setting, vol. 4, Grand Rapids, Michigan, 1995, p. 323-356. 2. See H . BRAUN, Qumran und das Neue Testament, vol. 1, Tubingen, 1966, p. 153-154, for literature. 3. Flavius Josephus, Antiquitates judaicae 20.197-203. 4. Eusebius, Historia ecclesiastica 2.23.7. 5. Eusebius, Historia ecclesiastica 4.22.1.
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is said to have been composed of two groups: (a) the disciples that were still left over from the days of Jesus and (b) the blood relatives of Jesus. Group a seems to indicate, that the election must have been soon after the martyrdom of James; group b that the desposynoi (the Lord's relatives) must have been rather numerous in Jerusalem. Hegesippos reports that the body of electors met in a certain place — it was on Zion according the monk Alexander (ca. 5 4 0 ) — to choose the successor of James. It was Simon (or Simeon), the son of Kleopha (or Klopas [see Luke 24:18; John 19:25]), w h o had been a brother of Joseph of Nazareth, w h o was e l e c t e d . In a parallel passage Hegesippos tells us according to Eusebius: "After James, surnamed the just one (ho dikaios), suffered martyrdom like the Lord, w h o s e teachings he had propagated, again a cousin of his was installed as bishop, namely Simeon Bar-Kleopha". 1
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5. The Split in the Judeo-Christian
Community.
Here a very enigmatic personality enters the picture. His name is Thebuti. A man by that same rare name is also mentioned by Flavius J o s e p h u s . H e was a priest, whose son Jesus succeeded in paying off the General Titus after the capture of Jerusalem (70 A.D.) with precious gifts he retrieved from a secret hideout. The name Thebuti is unique and the time and circumstances are so bafflingly appro priate so that some scholars have suggested that the Thebuti of Josephus is the same personality as the Thebuti mentioned by H e g e sippos. In m y opinion this identification makes sense and could be the basis of a fascinating study. Thebuti the priest apparently survived the destruction of Jerusalem. He might have been one of the group of kohanim (Acts 6:7), that joined the church right in the beginning; perhaps he was even their leader. Hegesippos says, that this man originated from one of the seven Jewish sects. In enumerating them according to their favorable attitude towards the tribe of Judah and Christ, Hegesippos starts out with the Essenes and ends with the Phar i s e e s . Can w e assume that this Thebuti might have had an important position in the Essene community? His son got the treasures that "were similar to those used in the T e m p l e " perhaps from an Essene 4
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1. D . BALDI, Enchiridion Locorum Sanctorum. Documenta S. Evangelii Loca Respicientia, Jerusalem, 1 9 8 2 , p. 4 8 6 . 2 . Eusebius, Historia ecclesiastica 3 . 1 1 . 3 . Eusebius, Historia ecclesiastica 4 . 2 2 . 4 . 4 . Flavius Josephus, Bellum judaicum 6 . 3 8 7 . 5 . See N . HYLDAHL, "Hegesipps Hypomnemata," in Studia Theologica 1 4 ( 1 9 6 0 ) , p. 7 0 - 1 1 3 , especially p. 9 7 .
6 . Eusebius, Historia ecclesiastica 4 . 2 2 . 7 . 7. Flavius Josephus, Bellum judaicum 6 . 3 8 8 .
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hiding place mentioned in the Copper Scroll ( 3 Q 1 5 I I 3 - 4 ) under the Greek initials QE, the first two letters of his n a m e . Thebuti, so says Hegesippos, had expected to become bishop. The reasons for such aspirations might lie in Essene doctrine. B y the standards held by the Essenes it was the priests w h o were called to have precedence over other members (11 QMiqd 56.20-21; 57.12-13; 58.18; 59.13-23), even the Messiah of David (4QpIs 1.22-24). When Thebuti realized that once more a member of the family of Jesus was chosen bishop, he protested. The protest was directed against the strong influence o f the Galilean Nazoreans. The protest led to a schism. Hegesippos informs us that Thebuti caused the first rift in the church, which up until then "had been like an untouched virgin". Steeped in the basic doctrine of the uniqueness of God, the Essene believers in Jesus could not stomach the ideas that gradually became rampant in circles of the Nazoreans about the pre-existence of the Son of God. They revolted against the idea of the incarnation of God born of a virgin. For them, Jesus the son of God meant that he too like M o s e s had been adopted to b e the son o f God, namely during his baptism in the Jordan (adoptionism). It w a s mostly the Essene believers w h o joined this schism. T o identify themselves they used an expression, already used b y the Essenes (1QM 11.9, 13; 13.14, etc.), namely ebionim (°bywnym) — "the poor ones." They seem to have stuck to the ideal of the community of goods much longer than other g r o u p s . Their writings (for example, the Kerygmata Petrou) show a very strong bias against Paul. In time they issued a gospel, which bears their name. While the original gospel o f Mark and also the letters o f Paul d o not yet have any allusion to the virgin birth in Bethlehem, Luke and Matthew, w h o wrote after the Ebionite schism, bring the family tradition o f Jesus' youth story in opposition to Ebionite teaching. They show a marked anti-Ebionite pointe. Since it w a s especially the Essenes w h o joined the Ebionites (see below), could that be one reason that the canonical gospels have no word about them in a kind of damnatio memoriae! The initially promising Essene experience unexpectedly took an undesirable direction. S o I favour the suggestion of R. A. Fritz and S. C. M i m o u n i to reserve the name 1
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L B . PIXNER, "Unravelling the Copper Scroll Code: A Study in the Topography of 3 0 1 5 , " in Revue de Qumrân 1 1 ( 1 9 8 3 ) , p. 3 2 9 - 3 6 1 .
2. Eusebius, Historia ecclesiastica 4.22A. 3 . See Pseudo-Clement, Homilies 1 5 . 5 - 1 1 . 4 . R. A. PRITZ, Nazarene Jewish Christianity from the End of the New Testament Period until Its Disappearance in the Fourth Century, Jerusalem-Leiden, 1 9 8 8 . 5. S. C. MIMOUNI, "Les nazoréens : Recherche étymologique et historique," in Revue biblique 1 0 5 ( 1 9 9 8 ) , p. 2 0 8 - 2 6 2 .
NAZOREANS ON MOUNT ZION (JERUSALEM)
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Nazorean after the Ebionite schism for the Judeo-Christians w h o remained orthodox.
6. The Flight to Pella and the Return to Mount
Zion.
A few years after the Ebionite schism the great Jewish-Roman war erupted (66-70 A.D.). After the Roman legions under the command of Vespasian had conquered Galilee and were marching against Jeru salem, Simon Bar-Kleopha took his Nazoreans and fled with them into the region of Pella beyond the Jordan. W e get this information from E u s e b i u s and Epiphanius with the remark that the flight was undertaken on account of an oracle, which might be identical with the one in Mark 13:14 ff. Hoping that with the fall of Jerusalem and the Temple the parousia (return of Christ) would arrive, they fled and were moving "from place to place" in expectation of the return of the "Beloved One," as the Ascension of Isaiah (3.21-4.13) says. According to P. Riessler this is an Essene apocryphon with Christian redaction. W e n o w have an archaeological hint, even though not conclusive, regarding the year in which this flight might have taken place. During our excavation of 1983 under the annex of our abbey w e found in the Roman layer a street with a series of rather poor houses, one with a miqweh, a Jewish ritual b a t h . They were possibly dwellings of the impoverished Primitive Community. The coins found in the destruction layer of that area all stopped with the second year of the revolt (67-68 A.D.). Jerusalem had fallen and its Temple had been destroyed. Still the longed for parousia did not c o m e about. The Nazoreans realized then that they might have to wait a long time for it to happen. S o Simon Bar-Kleopha gathered his faithful and returned to Jerusalem, possibly in the fourth year of Vespasian, when Masada fell (73-74 A.D.). The Essene quarter and the Cenacle building lay in ruins. On the spot where the ancient Cenacle building had stood, they built their new community center as a bet-knesset, a synagogue with 1
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1. Eusebius, Historia ecclesiastica 3.5.3. 2. Epiphanius, Panarion 29 J J (GCS 25:330). 3. B. PTXNER, "Simeon Bar-Kleopha, zweiter Bischof Jerusalems," in Wege des Messias und Stdtten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im Licht neuer archaologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 358-364. 4. P . RIESSLER, Altjiidisches Schrifttum ausserhalb derBibel, Heidelberg, 1966 , p. 1300. 5. B. PTXNER, "Archàologische Bemerkungen zum Jerusalemer Essener-Viertel und zur Urgemeinde," in B. MAYER (ED.), Christen und Christliches in Qumran ?, Regensburg, 1992, p. 89-114, especially p. 105-111. 6. Eusebius, Historia ecclesiastica 3.11. 7. Eutychius, Annales (Patrologia Latina 111 :985). 3
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meeting and prayer hall. They laid the foundations of their synagogue not to face longer towards the Temple, as other synagogues are built, but towards "the place of the resurrection of the Lord", as Theodosius of Jerusalem says. This was apparently the new prayer direc tion for the Jerusalem Nazoreans. If w e accept the statement of Eusebius, they developed into a remarkably strong Jewish community up to the year 135 A . D . The "Herodian-type" large ashlars, which they used for their synagogue, I believe came from the ruins of the Temple rather than from the Upper Herodian palace, which by then had been occupied by the Tenth Legion (see above). This hill was their N e a Sion, and the synagogue took the ancient name, either Greek Hyperoon or Aramaic Alito. Although Simon Bar-Kleopha, already a very old man, was martyred, the community seemed to prosper under the thirteen bishops w h o followed. They all came from Jewish stock. The last one was Juda Kyriakos, whose name suggests that he too came from the desposynoi, w h o had been related to Jesus. Since these Nazorean Jews did not recognize the messianic claim of Bar Kochba and refused to take part in his revolt, they were perse cuted by him, as Justin Martyr relates. For that reason it is doubtful whether they too were ordered to leave the city with the belligerent Jews, or whether they were allowed to stay on. Emperor Hadrian (117-138 A . D . ) was known for his sense of justice; for example, he ordered a rescript to the governor of the province of Asia not to pay attention to frivolous accusations, but to treat all according to the rules of l a w . Those that stayed on or those that returned during the mild reign of Hadrian's successor Antoninus Pius (138-161 A.D.) did evidently take care of their sanctuary on Mount Zion, possibly accepting also the supervision of the new Roman bishop Marcus of the Aelia Capitolina. But after the Council of Caesarea (196 A.D.) w e hear of apparently Judeo-Christian (Quartodecimanian) opposi tion in Jerusalem against the bishops Narcissus and A l e x a n d e r . Guessing from coins found at the intermediate sills of the Essene gate excavations (see above) it was around the reign of Emperor Heliogabalus ( 2 1 8 - 2 2 2 A.D.) that a simple wall was erected around the compound of Mount Zion (murus Sion). It was meant to give some 1
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1. Theodosius of Jerusalem, De situ Hierusolimae 4 [ed. Geyer, 125]. 2. Eusebius, Demonstratio evangelica 3.5. 3. Eusebius, Historia ecclesiastica 3.32. 4. Eusebius, Historia ecclesiastica 4.5.1-4. 5. Eusebius, Historia ecclesiastica 4.5.3. 6. JustinMartyT,Apologia 1.31. 7. Justin Martyr, Apologia 1.65. 8. Eusebius, Historia ecclesiastica 4.6.4. 9. See B . BAGATTI, op. cif., Jerusalem, 1971, p, 10.
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protection to the shrinking number of Nazoreans. When Eusebius visited Mount Zion in his youth ca. 3 0 0 A . D . he found the place very isolated and he saw with his o w n eyes the area around that wall being ploughed b y veterans of the Roman l e g i o n s . Before the Byzantine period, their Jewish w a y of life and the autonomy of the Nazoreans was accepted by the other Christians. Eusebius called them their "brothers w h o guarded the throne of J a m e s " . But commenting on Isa 28:16 the Church historian formulated this strong criticism concerning Mount Zion: 1
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How simple minded and almost ridiculous is the misconception of those who in a corporeal way expect that a stone of those that are recognized to be very perfect and most praiseworthy (lithon tina touton de ton polytelon kaipolytimon einai nomizomenon) is to be inserted into the foundation of the material Sion (eis ta themelia
tes somatikes
Sion emblethesetai)
by
the intercession of the Lord himself; whoever puts his trust in that stone will not be confounded, as it is prophesied. Hence while rejecting such foolish and Jewish stories (tas moras toigaroun
kai Ioudaikas
diegeseis),
which the Apostle called "myths" (1 Tim 1:14), we accept the prophecies as worthy of God and divinely inspired. For he says: "Behold I place a stone into the foundation of Sion, etc." (Isa 28:11-17). 3
In the Patrologia Graeca of J. P. Migne the demonstrative pronoun touton remained untranslated, which shows the helplessness of the editor with this passage. Apparently Eusebius had been shown on Mount Zion a specific wall of revered stones. A s w e have seen the only outstanding building which stood there "like a cottage in a cucumber field" (Isa 1:8) was the Judeo-Christian synagogue, w h o s e walls were made up of mighty Herodian ashlars. They possibly had been salvaged from the ruins of the Temple and can still be admired today surrounding the pseudo-tomb of David. The fact that Eusebius speaks of a "Jewish story" might show that during his visit on Mount Zion it w a s one of the Judeo-Christians living there w h o had been boasting about the eschatological destiny of those stones. Against such "myths" the pupil of Origen gave his o w n "spiritual" — that is, allegorizing — interpretation of this prophecy.
7. Mount Zion and Its Inhabitants
Ostracized.
U p to the Council of Nicea (325 A . D . ) a modus vivendi was observed between the Gentile and Jewish Christians, but after that followed a very critical period. Either the Judeo-Christians were not invited to the council or they refused to attend. The strong sentiment 1. Eusebius, Demonstratio evangelica 7.1 (Patrologia Graeca 22:635). 2. Eusebius, Historia ecclesiastica 7.19. 3. Eusebius, Eklogae Propheticae 4.13 (Patrologia Graeca 22:1217).
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against the Jews in the fourth century was also extended to them. They were ostracized; they were considered outsiders, even heretics. Around 337 A . D . under Bishop Maximos and Emperor Constantine they seem to have been excommunicated (see above). U p until that period the synagogue on Mount Zion was recognized as orthodox, although an autonomous branch of the universal church, but with its refusal to accept the decision of Nicea, it was cut off. This was exactly what Epiphanius points out when he mentioned that originally Mount Zion was kept in high honor until it was "cut off' (tmetheisa) from the rest of Jerusalem. The various church fathers of that period refer repeatedly to the prophecy of Isa 1:8-9 : "And the daughter of Zion is left like a booth in a vineyard, like a lodge in a cucumber field. If the Lord of hosts had not left us a few survivors, w e should have been like S o d o m and become like Gomorrha." The Pilgrim of Bordeaux and Epiphanius (see above) mention that on Zion were originally seven synagogues, of these there is only one that remains "like a lodge in a cucumber field." In Epiphanius w e possibly can find an explanation to what they meant by the seven synagogues and the one left over. H e says that "there were seven sects (haireseis) in Israel, in Jerusalem and in Judaea," but now, he continues, "there are no more Scribes, no Phar isees, n o Sadducees, no Hemerobaptists or Herodians... few are the Nasareans... and the remnant of the O s s e a n s " . Of this seventh Jewish sect, the Osseans (that is, the Essenes), he adds that they later abandoned Jewish Law practices and joined the Ebionites. Did Epiphanius think that some Ebionites were the few survivors of the "seven synagogues" (that is, Jewish sects), occupying that "lodge in the cucumber field" (Isa 1:8) on Mount Zion? When the learned scholar Jerome ( 3 4 0 - 4 2 0 A.D.) was writing his comment on Micah's prophecy about Mount Zion at the end of days (Mic 3:9 - 4:13), he revealed a haughty contempt for these poorly educated Jewish believers on Mount Zion. Their number was dimini shing, while the Gentile church was growing. Expanding on Mic 4:7, "and the lame I will make a remnant and those w h o were cut off, a strong nation," he shows his one-sidedness by saying: "God will reign over them, namely the many Gentile nations and also over the lame remnants on Mount Sion, in the church (and) in the watchtower". From the top of that synagogue there must have been a beau tiful view all around, for the writers explain Zion as specula or arx 1
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1. Epiphanius, Panarion 2. Epiphanius, Panarion 3. Epiphanius, Panarion 4. Jerome, Commentarli
46.5.5 (Patrologia Graeca 41:485 ; GCS 31:208-210). 20.3.1-2 [Patrologia Graeca 41,271; GCS 25:228]. 20.3.3. in Michaeum 1.4 (Patrologia Latina 25:1188-89).
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(akra), so also Jerome: Sion, quae in arcem vel speculum vertitur. Recalling his visit on Mount Zion with Paula, the senator's daughter, Jerome writes in a slighdy sarcastic vein that these people were just after her m o n e y ; further on he cannot refrain from stating that Zion's hill w a s no more what it used to be, but w a s n o w indeed ploughed over and overgrown with brush (as mentioned in Micah's prophecy [Mic 3:12]): "And where once there were many houses and any numbers of berries, there is n o w just a small cottage, where a kind of food is served, which brings no relief to any s o u l " . If what happened to Jerome w a s annoying, the experience allotted to Gregory of N y s s a (331-396? A . D . ) w a s much worse. In his Letter 3 , written upon his return from Jerusalem where he went to make known the decisions taken during the Council of Constanti nople (381 A . D . ) on the doctrine concerning the Holy Spirit, he complains about the reception he received in Jerusalem. H e praises his visit to the other holy sanctuaries, "Bethlehem, Golgotha, Mount of Olives and the Anastasis," but leaves out Mount Zion. This must be intentional, since Gregory's interest w a s in the Holy Spirit w h o came down at Pentecost in "the upper church of the apostles" according to the testimony of the local bishop Cyril some 3 0 years earlier (see above). S o m e years after Gregory's visit in 386-87 A . D . the pilgrim Paula visited this place on Mount Zion (see below). In his Homily on Ecclesiastes Gregory shows that he had personal local knowledge of a holy place in Jerusalem called Mount Zion: Sion enim mons est Hierosolymarum qui super arcem eminet. The christological dissension was about the uniqueness of God and the heresy of Semi-Arianism, of which the Judeo-Christians had been accused. It is especially the last accusations in the letter against certain people w h o are suspected of millenarianism and of Jewish doctrines like the three resurrections, the thousand-year long feasting, the revival of Jewish sacrifices, the restoration of a terres trial Jerusalem which point to the Nazorean Jews on Mount Zion. In this I follow the interpretation of B. Bagatti and I. G r e g o against the 2
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Jerome, Epistulae 108.1 (CSEL 55:315; Patrologia Latina 22:884). Jerome, Commentarli inMichaeum 1.3 (Patrologia Latina 25:1184). Jerome, Commentata inMichaeum 1.3 (Patrologia Latina 25:1184-85). See P. MARAVAL, Grégoire de Nysse : Lettres, Paris, 1990, p. 32-38 (SC 363).
5. See P. MARAVAL, op. cit., Paris, 1990, p. 125 (SC 363).
6. Gregory of Nyssa, Homily on Ecclesiastes 1 [Patrologia Graeca 44:718]. 7. See P. MARAVAL, op. cit., Paris, 1990, p. 143 (SC 363).
8. See B . BAGATTI, op. cit., Jerusalem, 1971, p. 91-92. 9.1. GREGO, "San Gregorio di Nissa pelegrino di Terra Santa," in Salesianum 39 (1976), p. 109-125; I. GREGO, / Giudeo-cristiani nel N secolo, Jerusalem, 1982, p. 113-132.
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opinion of P. Maraval, w h o thinks of the heresy of Apollinaris of Laodicea. Especially interesting is the accusation of Gregory: "Do w e encourage people to set their hope in an earthly Jerusalem and to rebuild it with magnificent material s t o n e s ? " Was Gregory like Eusebius (see above) shown the Herodian stones of the synagoguechurch on Mount Zion? S o it is more likely that Judeo-Christians were the adversaries in the dispute with Gregory, but Maraval could be right that Bishop Cyril himself might have been involved in this dispute. It could indeed be that the radicalism of Gregory was most inappropriate in the e y e s of the Jerusalem bishop, since he himself was trying to reinsert the Nazoreans of Mount Zion into the community of the Church. D i d he succeed one year later in 3 8 2 A.D.? 2
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8. Reconciliation
with the Great
Church.
There is much uncertainty amongst scholars as to when the great basilica of the Hagia Sion was built, what church preceded it, and when and h o w the reconciliation between Jewish and Gentile Christians took place. I too am at a loss to figure out the exact sequence of events, but I will try to suggest m y o w n hypothesis. If Egeria's visit to Jerusalem was from 383 to 3 8 4 A . D . , as is accepted by most scholars, then the double sanctuary on Zion, which she finds there, must have been established before that date. It seems to m e that Egeria speaks of two sanctuaries, an old one and a new one. In m y opinion the visits of Egeria and later of Paula are essential for understanding the chronology of the sanctuaries on Mount Zion. Egeria writes in her ItineraHum, that on Good Friday (383? A.D.) she went with the people up to Mount Zion to pray before the column of flagellation. This must have been in a recently built church, not seen by Gregory of Nyssa, for visiting together with their bishop on Easter Sunday Egeria worshipped at the very site where Jesus appeared in the evening of the resurrection, "where there is n o w a church on Sion" (ubi ipsa ecclesia nunc in Syon est). On Pentecost Sunday, after bishop and people had prayed in the new sanctuary, "the presbyters (go) from here to that place which they had been reading about, for there is on Sion the very place, although it is from n o w on another church" (alia modo ecclesia est). In this case it might mean that what up until then was considered a synagogue, n o w is elevated to the honor of a church, 4
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1. P. MARAVAL, "La Lettre 3 de Grégoire de Nysse dans le débat christologique,' in Revue des sciences religieuses 61 (1987), p. 74-89. 2. P. MARAVAL, op. cit., Paris, 1990, p. 143 (SC
363).
3. P. MARAVAL, op. cit., in Revue des sciences religieuses 61 (1987), p. 88. 4. G.RÙWEKAMP, Egeria: Itinerarium—Reisebericht, Freiburg, 1995, p. 21-28. 5. Egeria, Itinerarium 39.5 [ed. Geyer, 88]. 6. In Egeria's Latin modo stands for "now."
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"where the big crowd was gathered with the apostles" and where what had been read from Acts (1:13) had happened. After the regular service takes place, the sacrifice is also performed there (offertur et ibi). From this it should be clear that both services were performed in t w o separate sanctuaries. It seems that only the presbyters had access to the ancient "upper church of the apostles." The Byzantine church visited by Egeria (383? A.D.) and by Paula (386-87 A.D.) could not have been the magnificent Hagia Sion. The latter saw, according to a letter of Jerome, the column of the flagella tion "supporting the church's portico" (columna ecclesiae porticum sustinens) and also "the place, where the Holy Spirit descended on the 120 believers," while in the great Hagia Sion this column had been transferred to the center of the church. There the column is seen later by the Pilgrim of P i a c e n z a and Arculfus. The earlier portico church, as w e may call it, must have been erected under the bishop Cyril (350-386 A.D.). The erection of such a sanctuary next to the ancient "church of the apostles" postulates some kind of reconciliation between the rest of the Nazoreans guarding this synagogue-church on Mount Zion and the Byzantine church in Jerusalem. Such a reconcili ation might be referred to in a sermon on the kapporet, the golden cover of the Ark of the Covenant, on a sixteenth of September, Y o m Kippur of the Jewish Year, published from a Georgian manuscript by M. van Esbroeck. Since Emperor Theodosius I (379-395 A.D.) was the sponsor of the portico church, in m y opinion it can only have been Cyril himself w h o held, perhaps with the preparatory help of his successor John, this sermon, and the year might then have been 382, rather than 3 9 4 as proposed by M. van Esbroeck. The possibility of a reconciliation was supplied by the arrival of Porphyrias, a refugee from Thessalonica. This well educated man was apparently a Judeo-Christian and became a member of the monastic group on Mount Zion. He is highly praised as an "Isra elite" during the sermon that the bishop held on the occasion of the inauguration of the "portico church." In all likelihood it was built in the form of an octagonal portico giving access to the ancient syna gogue-church. M. van Esbroeck writes: "L'allusion aux construc teurs permet de supposer qu'à l'ancienne église de Sion fut ajouté un 1
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1. Egeria, Itinerarium 43.3 [ed. Geyer, 93]. 2. Jerome, Epistulae 108.9. 3. Pilgrim of Piacenza, Itinerarium 22 [ed. Geyer, 173]. 4. Adamnanus, De locis Sanctis 1.18.1 [ed. Geyer, 243]. 5. M. VAN ESBROECK, "Jean II de Jérusalem et les cultes de S. Etienne, de la SainteSion et de la Croix," in Analecta Bollandiana 102 (1984), p. 99-133, especially p. 115-125. 6. M. VAN ESBROECK, Les Plus Anciens Homiliaires géorgiens, Louvain, 1975, p. 314-315.
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octogone supplémentaire, qui fait office de couronnement de la plus ancienne église de Jérusalem." Inserted as one pillar, "supporting the portico," was the column of flagellation, which had been brought from the house of Caiaphas, where the Pilgrim of Bordeaux had still seen it (see above). In the middle of the portico stood an altar, which for the benefit of the Judeo-Christian believers w a s called a kapporet. Several times during his sermon the bishop makes reference to it. The Kapporet portico as it is represented in the apsis mosaic of R o m e ' s Santa Pudentiana (around 4 0 0 A . D . ) did not stand very long. It seems that in the early years of the fifth century the successor of Cyril, Bishop John II (387-418 A . D . ) , started work on the then largest church of Jerusalem. The old Georgian liturgical calendar gives him the honor of having built the great Hagia S i o n . When he got into financial straits an incident came to his rescue. In 4 1 5 A . D . the relics of St. Stephen were discovered in Bet Gemal by the priest Lucian together with those of Gamaliel and A b i g o . Bishop John II pleaded with Lucian to hand over the relics of St. Stephen, for he needed "a strong o x to plough Mount Zion". What he meant was that he needed the attraction of this famous protomartyr of the Church in order to attract enough donors to build the huge and beautiful basilica of Hagia Sion. On 2 6 December 4 1 5 the relics were indeed brought into the ancient building, "the Mother of all the Churches," where they were placed in the old "church of the apostles." Whereas this synagogue-church remained an annex, as shown in the Madaba map, the Kapporet portico next to it was torn down and the Hagia Sion was erected with its eighty columns. The flagellation column was n o w transferred into the center of the new basilica (see above). In the north-western corner a place was reserved as a memorial of the house where Mary the mother of Jesus had passed away (koimesis, dormitio). The Hagia Sion was partly destroyed during the Persian invasion in 6 1 4 A . D . , was later in part restored by Patriarch Modestos according to the "Calendarium Ecclesiae Hierosolymitanae", and 1
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1. M. VANESBROECK, op. cit., mAnalecta Bollandiana 102 (1984), p. 125, n. 102. 2. See G. GARITTE, Le Calendrier palestino-géorgien du Sinaiticus 34 (X siècle), Bruxelles, 1958, p. 187. 3. See also A. STRUS, "Beit-Gemal può essere il luogo di sepoltura di Santo Stefano ?" in Salesianum 54 (1992), p. 453-478. 4. Epistula Luciani 6-8 (Patrologia Latina 41:813-815). 5. Tins title mater ecclesiarum is known first from an inscription (between 470 and 474 A.D.) in the church of St. Martin in Tours ( D . BALDI, op. cit., Jerusalem, 1982 ,p.483,n. 1). 6. This is shown by the plan of the church drawn according to the pilgrim report of Arculfus (ed. Geyer, p. 243). E
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7. D . BALDI, op. cit., Jerusalem, 1982, p. 490.
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was destroyed again by Sultan Haqim in 1009 A . D . The Crusaders included the ruins of the "church of the apostles" into their new church of "Sancta Maria in Monte Sion" and added today's "Cenacle" as an upper story, apparently having the g o o d luck in finding the approximate historical site for it. Since the relics of St. Stephen had vanished, the Crusaders erected instead at the spot a cenotaph in honor of King David. Since that pseudo-tomb of David is venerated by Jews, Christians, and Muslims alike, the ancient walls of the "church of the apostles" have providentially been preserved to this day. At the turn of the fourth to the fifth century the few Nazoreans left on Mount Zion were gradually integrated into the imperial orthodox Church. It is very regrettable that the Jewish branch of Christianity vanished. Squeezed between the anvil of Rabbinic Judaism and the hammer of Byzantine Christianity, the Nazoreans never had a chance to survive, although according to the Pilgrim of P i a c e n z a there were about 5 7 0 Judeo-Christians in Nazareth, and according to A r c u l f u s some of them remained apparently in Jerusalem until the second half of the seventh century. S o m e even survived in Arabia until the tenth century. It causes m e pain to think h o w generous the Messianic Jews behaved when they extended through Peter and James, the "brother of the Lord," their hand to the Gentile believers around Paul and Barnabas during the Apostolic Council of Jerusalem (Acts 15:4 ff.) and h o w narrow-minded the Gentile Christians behaved towards their Mother Church after they had reached a position of power with the ascent of the Constantinian dynasty. Their attitude is expressed in the uncompromising dictum of Jerome: "The Nazoreans are neither Jews, because they believe in Christ, nor are they Christians, because they live Jewish lives". With the demise of the Jewish branch of Christianity, the Church lost its counterbalance to the rather monolithic Hellenistic thought. 1
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1. See J. KRÛGER, "Der Abendmahlssaal in Jerusalem zur Zeit der Kreuzztige," in Ramisene Quartalschrift 92 (1997), p. 229-247. 2. Pilgrim of Piacenza, Itinerarium [ed. Geyer, 161]. 3. See S. C. MIMOUNI, "Pour une définition nouvelle du judéo-christianisme ancien," in New Testament Studies 38 (1992), p. 161-186, especially p. 180-182. 4. Adamnanus, De locis Sanctis 1.9.1-16 [ed. Geyer, 235-238]. 5. B . PIXNER, op. cit., in Wege desMessias undStàtten der Urkirche: Jesus unddas Judenchristentum im Licht neuer archaologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 411. 6. See D. FLUSSER, Jewish Sources in Early Christianity, Jerusalem, 1993, p. 88. 7. Jerome, Epistulae 112.13. 3
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V. Conclusion* There is reason to believe that since the times of Jesus up to the end of the fourth century there was practically always a presence of Judeo-Christians on Mount Zion, the south-western hill of Jeru salem. They were the guardians of the Hyperoon — shrine, of which the lower layers are still in existence today as part of the wall surrounding die so-called "Tomb of David." These Herodian ashlars belong to a building of the Roman period and not of the Byzantine Hagia Sion Basilica as some claim. What speaks against the thesis that those large ashlars are remains of the Hagia Sion is: (1) The Madaba Map shows two independent sanctuaries: the Hagia Sion and to the south of it the Hyperoon sanctuary. (2) The lowest layer (the original one) in J. Pinkerfeld's excava tion is late Roman, not Byzantine. (3) The shape of the foundations of the north-eastern corner of his excavation postulates an independent building. (4) L.-H. Vincent's discovery of a 1.5 degree divergence between the alignment of the Cenacle (and the Crusaders' church) wall and the one of the Byzantine Hagia Sion in H. Renard's excavation indicates that Cenacle and Hagia Sion were not one structure. (5) M. Giesler's research in finding the central axis of the Hagia Sion proves the same. All this goes to show that the building that up until this day exists underneath the Crusader Cenacle on Mount Zion is not only called, it is indeed "the Mother of all Churches."
UNE TRADITION JUDÉO-CHRÉTIENNE DANS LE TRAITÉ DES MYSTÈRES DE HILAIRE DE POITIERS FRÉDÉRIC M A N N S
Studium biblicum franciscanum, Jérusalem
Résumé Hilaire de Poitiers exploite au i\r siècle la gématrie, technique utilisée par les rabbins et le judaïsme hellénistique. Est-ce par le biais du judaïsme ou du judéo-christianisme que Hilaire a eu connaissance de cette technique d interprétation ? C'est à cette question que Von tente de donner une réponse dans cette contribution. y
Summary In the fourth century Hilary of Poitiers uses gematria, a technique used by the rabbis and Hellenistic Judaism. Did Hilary know this interpretative technique via Judaism or Jewish Christianity? The contribution attempts to answer this question. Pour Hilaire de Poitiers toute l'Écriture est orientée vers le Christ. Seule la lecture christologique de l'Écriture convient au chrétien. Dans le sommeil d'Adam, c'est la génération de l'Église qui est annoncée, dans le déluge la purification par le baptême, dans la bénédiction de Melchisédech sa sanctification, dans la justification d'Abraham son élection, dans la naissance d'Isaac sa séparation d'avec les méchants, et dans la servitude de Jacob son rachat est préfiguré. Le sens christologique révèle le sens plénier de l'Écriture. Les Patriarches et les Prophètes sont les affinements d'une seule et m ê m e figure dont le dessin se déroule depuis les origines de l'humanité jusqu'à leur achèvement en Jésus. Lorsqu'il commente les figures d'Abraham et de Sara, Hilaire a recours à des procédés de l'exégèse juive et judéo-chrétienne . l
1. J. DANIÉLOU, « Hilaire et ses sources juives », dans Hilaire et son temps. Actes
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On peut illustrer cette affirmation en approfondissant les chapitres XVII et XVH1 du Traité des mystères de Hilaire, où il est rapporté : XVII. Sarra est le type de l'Église, Agar de la Synagogue [...] or, il montre que la descendance appelée en Isaac est le Christ... XVIII. La lettre ajoutée au nom d'Abram représente le chiffre un, celle ajoutée au nom de Sara le chiffre cent. Et le Sauveur, « laissant les quatrevingt-dix-neuf autres brebis dans la montagne, s'en alla chercher celle qui était égarée ». Ainsi donc le chiffre un est ajouté dans la lettre au nom d'Abraham. Il n'y a en effet qu'un seul Seigneur Jésus-Christ, né de la Vierge et par lui seul tous les péchés des croyants sont effacés. Ainsi il préfigure en Abraham ce qu'il devait lui-même accomplir: celui-ci, par l'addition du chiffre un, est proclamé père des nations ; Lui, en assumant l'unité, est fait père et rédempteur des nations, parce qu'il a rendu la centième brebis à Sarra, c'est-à-dire à l'Église, prémices de la Jérusalem céleste Le changement des noms Abraham et Sarra est interprété en rapport avec la parabole de la brebis perdue. V alpha ajouté au nom d'Abram symbolise l'unique brebis égarée, c'est-à-dire l'humanité que le Christ réintègre à l'Eglise céleste représentée par Sarra. Dans son Commentaire de Matthieu, Hilaire reprend la m ê m e e x é g è s e . À propos de la brebis perdue, il explique que cette brebis symbolise l'humanité égarée par le péché d'un seul h o m m e et qui a été ramenée à Dieu par un seul h o m m e dans la personne du Verbe, tandis que les quatre-vingt-dix-neuf autres représentent les multitudes angéliques qui se réjouissent du salut de l'humanité. Ce chiffre est ajouté à Abram par une lettre et est consommé en Sara. Ainsi la création attend-elle la révélation des enfants de Dieu et demandet-elle dans les gémissements que le nombre qui a été ajouté à Abram par un alpha et qui a été consommé en Sara par un rho soit accompli conformément aux décrets célestes par l'accroissement des croyants. Si Hilaire exploite déjà ce thème dans son Commentaire de Matthieu, c'est qu'il l'a connu avant son exil en Orient. Quoi qu'il en soit il connaît les traditions juives sur Abraham et Sara et exploite la gématrie. 2
du Colloque de Poitiers, 29 septembre-3 octobre 1968, Paris, 1969, p. 143-147. Voir aussi J. DANIÉLOU, « Hilaire de Poitiers, évêque et docteur », dans Nouvelle revue de théologie 90 (1968), p. 531-541. 1. Hilaire de Poitiers, Traité des mystères X V I I - X V I H , trad. J.-P. BRISSON, Paris, 1947, p. 107-108 (SC 19). 2. Hilaire de Poitiers, Commentaire de Matthieu 16,6.
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Philon d'Alexandrie, qui écrit en grec, revient souvent sur le changement de nom d'Abraham et de Sara \ Dans le traité De mutatione nominum, en 1-2, il souligne qu'Abraham arriva à l'âge de quatre-vingt-dix-neuf ans, la centaine étant le symbole de la perfection et la décade celui du progrès. A u x paragraphes 66-76, il donne le sens du nom Abram, qui signifie « père qui s'élève », et du n o m Abraham, qui signifie « père élu du son ». Quant au n o m de Sara, qui bénéficia de l'addition de la lettre rho, il signifie « mon principat », tandis que Sarra signifie « princesse ». Dans son De Abrahamo 8 1 , Philon écrit : « On l'appelait de son permier nom Abram, mais ensuite Abraham. Pour l'oreille ce n'était qu'une lettre redoublée, un alpha, mais qui pour le sens montrait le changement d'une réalité et d'une doctrine très importantes. Abram s'interprète "père qui s'élève vers les phénomènes célestes" et Abraham "père élu du son". Le premier nom montre un h o m m e capable de connaître les astres et les phénomènes célestes et qui a le souci des croyances des Chaldéens c o m m e un père a le souci de ses enfants. Le second montre un sage. Par le son il signifie le langage articulé, par le père l'esprit souverain. Le langage intérieur est le père du langage proféré [...]. Le sage s'adresse de nombreux reproches concernant sa vie d'autrefois, c o m m e à quelqu'un qui a vécu une existence aveugle, appuyé sur le sensible, chose sans consistance ni stabilité. » Dans son De Cherubim 7, Philon répète : « Abram deviendra le sage, l'ami de Dieu, son nom étant changé en Abraham qui signifie "le père élu du bruit". Sara, au lieu d'être "commandement qui est de moi", deviendra Sarra dont la dénomination équivaut à "souveraine", c'est-à-dire qu'au lieu d'être la vertu spécifique et périssable elle est devenue générique et impérissable et qui brillera sur eux la réalité générique du bonheur, Isaac... » Justin de Naplouse, dans son Dialogue avec Tryphon 113, 2, est au courant de toutes ces spéculations sur le changement des noms. Il écrit : « V o u s faites de la théologie sur le point de savoir pourquoi a été ajouté un alpha au nom d'Abram et vous discutez bruyamment pourquoi un rho a été ajouté au n o m de Sara. » Ce témoignage permet de dater ces discussions de la période des îannaïm contemporains de Justin. L'affirmation de Justin est confirmée par les sources rabbiniques. Dans la Mekilta de R. Ismaël, Yitro 1,57a, et en T Berakhot 1,13, il est
1. Voir Philon d'Alexandrie, De mutatione nominum 8-9 ; De Abrahamo 81 ; De Cherubim 4-7 ; De gigantibus 14.15.
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rappelé que l'allongement du n o m est un signe d'honneur, tandis que l'abréviation du n o m est un signe de dégradation. Les textes rabbiniques de la période des amoraïm jouent sur la gématrie du n o m d'Abraham. En TB Nedarim 32b est rapportée une tradition de R. A m i bar Abba, qui affirme que la gématrie du nom d'Abram est de 2 4 3 , correspondant au nombre des membres du corps humain, tandis que celle du n o m d'Abraham est de 248, la lettre hébraïque he ayant la valeur de cinq. Cela signifie que pour le mérite de la circoncision Dieu accorda à Abraham la maîtrise sur les deux yeux, sur les deux oreilles et sur son membre viril. En TB Sabbat 105a, R. Johanan, au n o m de R. José ben Zimra, rappelle que le nom d'Abraham signifie « père des multitudes » (ab hamon). Puis il applique le principe du notaricon à cette expression, en prenant les lettres c o m m e initiales d'un mot. On obtient ainsi la phrase : « Père (ab) élu (bahur) des peuples (hamon), roi (melek) ancien (watiq) et fidèle (ne'eman). » Toutes ces spéculations sur le n o m d'Abraham témoignent de l'intérêt qu'on attachait à sa personne. Dans d'autres textes, l'expression « père des nations » est expliquée c o m m e père des p r o s é l y t e s . Le Targum Néophiti et le Targum Jonathan I sur Gn 12, 5 et sur Gn 2 1 , 33 connaissent la tradition d'Abraham père des prosélytes . Ainsi, dans le judaïsme palestinien et dans le judaïsme hellénistique, le changement de nom d'Abraham et de Sara a été l'objet de différents commentaires. Les milieux chrétiens ne resteront pas étrangers à ces commentaires. l
2
L'exégèse juive initiale a voulu souligner qu'Abraham, en donnant Isaac c o m m e fils à Sara, lui a donné un fils unique, un yahid, et lui a fourni l'occasion de remplir toute la mesure de sa fécondité parfaite. L'exégèse judéo-chrétienne, attestée par Justin, rappelle que Jésus était lui aussi un yahid, un fils unique, pour reprendre l'expression de Jn 1,18. L'Église des origines était vis-à-vis de Jésus dans le m ê m e rapport que Sara, la mère du peuple élu héritier des promesses divines, vis-à-vis d'Isaac, cette considération fondant dès lors son titre à être reconnue c o m m e « notre mère », selon l'expression de Ga4,26. Cette démonstration corroborait des vérités reçues qui bénéficiaient d'une solide base évangélique. Luc, en 1, 36, avait présenté l'annonciation à Marie sur le modèle de l'annonce faite à Sara. Paul, en R m 9 , 8 - 9 , rappelait que la véritable postérité d'Abraham venait de 1. TJ Bikurim 1,64a ; voir aussi Mt 3,9. 2. M. OHANA, « Prosélytisme et targum palestinien », dans Biblica 55 (1974), p. 317-332.
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Sara et, en Ga 4, 26, que la maternité de la Jérusalem d'en-haut est libre. L'exégèse judéo-chrétienne soulignait que la fécondité de l'Église s'expliquait par le fait de son alliance avec le Seigneur, né de Marie, qui par lui seul efface les péchés des croyants. C'est cette leçon que Hilaire de Poitiers retient. Les m ê m e s vérités sont révélées en figure dans l'Ancien Testament et ouvertement dans le Nouveau Testament. Par quel biais Hilaire a-t-il pris connaissance des traditions juives ? Ce problème complexe demeure ouvert à la discussion. Il faut rappeler cependant que le christianisme en Gaule a subi une forte emprise d'Irénée de Lyon et, par lui, une influence de l'Orient. Il ne peut pas être indifférent à un chrétien qui vit sous la Nouvelle Alliance de savoir que cette alliance a été révélée en figure dès le début de la révélation.
LES SYMMACHIENS DE MARIUS VICTORINUS ET CEUX DU MANICHÉEN FAUSTUS MICHEL TARDIEU
Collège de France, Paris
Résumé La préoccupation essentielle de Marius Victorinus dans ses commentaires aux Épîtres pauliniennes, et en particulier dans le Commentaire aux Galates, est d'établir une théologie du salut par la foi au Christ induens carnem et occultus. Les adversaires visés par la mise en place de ce double objet de foi sont des Symmachiani (même dénomination dans VAmbrosiaster, qui les décrit comme qui e x Pharisaeis originem trahunt). Ils ajoutaient à la dispositio, qui relève de la connaissance sensible, les observances juives, et concevaient Villumination seulement comme la connaissance in parte, puisque selon eux le Christ est Vâme du monde, et non pas Vintelligence. Les analyses de Marius Victorinus sur ces questions sont-elles tributaires de ses lectures, ou bien constituent-elles un précieux témoignage sur la doctrine de judéo-chrétiens romains contemporains de Vauteur ? Summary The main preoccupation of Marius Victorinus in his commentaries on the Pauline epistles, and particularly in In ad Galatas, is to establish a theology of salvation through faith in Christ induens carnem and occultus. The adversaries referred to in the establishment of this double object of faith are some Symmachiani (the same denomination in Ambrosiaster, who describes them as qui ex Pharisaeis originem trahuntj. They add to the dispositio, which raises from sensible knowledge, Jewish observances, and they conceive of the illumination only as knowledge in parte, since according to them Christ is the soul of the world. Do Marius Victorinus* s analyses on these questions derive from his readings, or are they rather a valuable witness to the doctrine of Roman Jewish Christians contemporary with the author?
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LES SYMMACHIENS DE MARIUS VICTORINUS.
Dans ses Recherches de 1971 sur la vie et les œuvres de Victorinus, Pierre Hadot reflétait une opinion commune lorsqu'il écrivait : « Ces Symmachiens étaient une secte judéo-chrétienne qui existait au i v siècle en Italie et en Afrique. Victorinus en a probablement connu à R o m e . » Trois ans plus tard, dans son « Qui est Symmaque ? », Dominique Barthélémy estimait qu'il s'agissait d'« une secte f a n t ô m e ». D e la bibliographie du sujet, le premier retenait uniquement le point de vue de H. J. Schoeps qui défend l'historicité des S y m m a c h i e n s ; le second, seulement celui de A. Schmidtke qui rejette cette historicité . U n réexamen du dossier peut-il conduire à un choix autre que les termes de cette alternative ? Les témoignages patristiques relatifs aux Symmachiens ont été rassemblés de façon exhaustive en 1893 par A. Harnack . Il concluait de son travail : 1. que le n o m de SymmachianU donné aux judéo-chrétiens ou « ébionites » romains du rv siècle, est « une preuve que Symmaque doit avoir joué un rôle important dans la secte et que son influence s'est exercée jusqu'en Occident, mais nous ne savons pas comment cela a eu lieu » ; 2. que l'originalité de Symmaque a été d'être « le seul chrétien de l'Antiquité à avoir traduit l'Ancien Testament et le seul ébionite dont l'œuvre a intéressé la Grande É g l i s e ». Alfred Schmidtke, qui reprend à fond en 1911 le dossier de A. Harnack, montre avec, m e semble-t-il, de bonnes raisons que l'ébionisme de Symmaque est un leurre et que, pareillement, le n o m « Symmachiens » est une invention hérésiologique. C e qu'Eusèbe — selon A. Schmidtke, recopiant Origène — dit dans YHistoire ecclésiastique VI, 17, à propos des Hypomnemata de Symmaque, doit être compris à travers la phrase parallèle d'Irénée, Contre les hérésies III, 11, 7, sur les emprunts ébionites à Matthieu : c'est en ayant recours à cet Évangile (Irénée : egrediens ex ; Eusèbe : e
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1. P. HADOT, Marius Victorinus. Recherches sur sa vie et ses œuvres, Paris, 1971, p. 292. 2. D . BARTHÉLÉMY, « Qui est Symmaque ? », dans Catholic Biblical Quarterly 36 (1974),p. 451-465, spécialement p. 461, n. 38 — article reproduit dans D . BARTHÉLÉMY, Etudes d'histoire du texte de l'Ancien Testament, Fribourg-Gottingen, 1978, p. 307-321. 3. H . J. SCHOEPS, Théologie und Geschichte des Judenchristentums, Tubingen, 1949,p. 126,138,305 ; voir également H . J. SCHOEPS, AusfruhchristlicherZeit.Religionsgeschichtliche Untersuchungen, Tiibingen, 1950, p. 82-119 (« Symmachusstudien »). 4. A. SCHMIDTKE, Neue Fragmente und Untersuchungen zu den judenchristlichen Evangelien. Ein Beitrag zur Literatur und Geschichte der Judenchristen, Leipzig, 1911, p. 236-237 (TU 37/1). 5. A. HARNACK, Geschichte der altchristlichen Literatur bis Eusebius, I. Die Uberlieferung und der Bestand, Leipzig, 1893, p. 209-212. 6. A. HARNACK, op. cit., Leipzig, 1893, p. 212. 7. A. SCHMIDTKE, op. cit., Leipzig, 1911, p. 236, n. 2.
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MICHEL TARDIEU 1
àrcoTeivôpBvoç jcpôç), et non pas en polémiquant c o n t r e , que Symmaque tente d'affermir l'hérésie ébionite (Irénée : confirmare doctrinam ; Eusèbe : a i p e a i v Kparùveiv). À l'aide d'autres exemples tirés d'Hippolyte de R o m e et de Philastre de Brescia, A. Schmidtke observe que c e verbe (Kponrùveiv / confirmare) sert chez les hérésiologues à « désigner la fondation et le développement d'une doctrine erronée en mettant en avant un chef de secte d'après lequel, par la suite, les adeptes de cette hérésie seront n o m m é s . . . D e la sorte, il résultait de la notice d'Eusèbe, autrement dit de son modèle Origène, que les ébionites étaient animés par Symmaque et que, par conséquent, ils devaient être aussi qualifiés de Symmachiens. D u fait de c e s confusions passant d'une génération à l'autre et recevant toujours de nouveaux embrouillaminis (Verschlingungen), il était également possible de décrire, en fin de compte, c o m m e Symmachiens aussi bien les nazaréens que les partisans d ' E l x a i ». 2
Par contre, la thèse que défend A. Schmidtke dans le cas particulier des Symmachiens de Marius Victorinus ne paraît guère fondée. Les deux notices relatives à ces judéo-chrétiens se trouvent dans le commentaire de Victorinus aux Galates, que j e cite d'après l'édition de Franco G o r i : 3
InadGalatasl,
19,4-9:
nam Iacobum apostolum Symmachiani faciunt quasi duodecimum, et hune sequuntur qui ad dominum nostrum Iesum Christum adiungunt ludaismi observantiam quamquam etiam Iesum Christum aliter fatentur : dicunt enim eum ipsumAdam esse et esse animam generalem et alia huiusmodi blasphemia. t
« C'est un fait que les Symmachiens font de Jacques un apôtre, pour ainsi dire le douzième, et c'est lui que suivent ceux qui ajoutent à notre Seigneur Jésus-Christ l'observance du judaïsme, quoique par ailleurs ils confessent Jésus-Christ autrement. Ils disent, en effet, que c'est lui Adam en personne et qu'il est une anima generalis, et autres blasphèmes de ce genre. » In ad Galatas 2,12,26-30 : Iacobus enim frater apud Hierosolymam
domini qui auctor est ad Symmachianos, sibi hoc adsumendum putavit, uti et f
primus Christum
1. A. SCHMIDTKE, op. cit., Leipzig, 1 9 1 1 , p. 2 3 6 , n. 2 : « Die Frage, ob hier von einer Polemik gegen Matth. [position que défendra D. BARTHÉLÉMY, op. cit., dans Catholic Biblical Quarterly 3 6 ( 1 9 7 4 ) , p. 4 5 1 - 4 6 5 ] oder von einer Berufung auf Matth. die Rede ist, muss im letzteren Sinne entschieden werden, da der Wortlaut sich offenbar anlehnt an Irenàus adv. haer. m 1 1 , 7 . » 2 . A. SCHMIDTKE, op. cit., Leipzig, 1 9 1 1 , p. 2 3 7 .
3 . F. GORI, Marius
Victorinus,
p. 1 1 9 - 1 2 0 (CSEL 8 3 / 2 ) .
Opera exegetica,
Vienne, 1 9 8 6 , p. 1 1 0 et
LES SYMMACHIENS DE MARIUS VICTORINUS..
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praedicaret et viveret ut Iudaei, omnia faciens quae Iudaeorum lex praecepit, id est quae sibi Iudaei observanda intellexerunt. « Jacques, en effet, le frère du Seigneur, qui est une autorité chez les Symmachiens, le premier à Jérusalem, estima qu'il fallait adopter la position suivante, consistant et à prêcher le Christ et à vivre comme les juifs, en faisant tout ce que la loi des juifs a prescrit, c'est-à-dire ce que les juifs ont compris devoir observer. » Pour A. Schmidtke, ces notices correspondent à une description du système elchasaïte circulant sous dénomination « symmachienne », c'est-à-dire « ébionite » ; quant à l'autorité quasi-apostolique conférée à Jacques, elle serait, selon ses vues, un thème appartenant aux Prédications — elchasaïtes — de Pierre ; il reconnaît, enfin, que l'identification du Christ à l'Adam cosmique est un trait commun aux elchasaïtes de YÉlenchos d'Hippolyte de Rome (IX, 13, 2-3) et aux elchasaïtes du Panarion d'Épiphane de Salamine (LBI, 1,8-9) *. Sauf erreur de ma part, il n'a jamais été démontré, y compris dans la recherche récente, que les Prédications de Pierre étaient « elchasaïtes ». D'autre part, l'équation « Christ = Adam » est indissociable d'un troisième terme : « Christ = Adam = anima generalis ». Or cette dernière expression n'est pas du vocabulaire religieux, mais philosophique. Philosophe de métier et de culture bilingue, Marius Victorinus est coutumier de ces transferts de terminologie, d'un domaine à l'autre. Anima generalis traduit le grec \|A)%fi yeviKri. Ce qui veut dire que l'âme en tant que genre ne comporte aucun caractère spécifique (specialis I elÔiKÔç) et englobe toutes les espèces. L'exemple qu'en fournit la logique stoïcienne est l'animal qui contient en lui-même les animaux particuliers . Dans sa version latine de VIsagoge de Porphyre, Marius Victorinus donne du genre les trois définitions suivantes : 1. « genre » se dit, en effet, d'un ensemble d'individus qui ont un rapport à tel autre de façon déterminée (genus namque dicitur quorumdam ad aliquid quodammodo habendum collectio) ; c'est en ce sens que l'on parle du Dardanidum genus (« race des Troyens ») ; 2. « genre » se dit encore du principe de la génération de chacun (uniuscuiusque nativitatis principium), qu'il s'agisse de celui qui engendre (aut a générante) ou bien qu'il s'agisse de l'endroit où l'on a été engendré (aut ab eo in quo quis genitus est) ; il n'y a pas d'exemple de ce cas de figure dans ce qui subsiste de VIsagoge victorinienne ; 3. « genre » se dit aussi de ce sous quoi les espèces sont rangées 2
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1. A . SCHMIDTKE, op. cit., Leipzig, 1911, p. 238-239. 2. Diogene Laërce, Vitae Philosophorum, VII 60, ed. H.S. Long, 322,22-323,2. 3. M. Victorinus, Isagoge, § 2, ed. P. Hadot, p. 371-372. 4. Les exemples, que fournit VIsagoge de Porphyre, sont pour l'anthroponymie :
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MICHEL TARDIEU
(cui supponuntur species), définition, précise Victorinus, qui est à l'imitation des significations précédentes (iuxta similitudinem forte superiorum appellatum). L'anima generalis des Symmachiens de Marius Victorinus n'est donc pas une formulation judéo-chrétienne, mais la transposition en logique porphyrienne de la doctrine prophétologique judéochrétienne. Dans sa notice sur les ébionites, Épiphane expose ainsi cette conception : Certains d'entre eux disent aussi que le Christ est Adam (comp. Marius Victorinus : dicunt enim eum ipsum Adam esse), le premier à avoir été façonné et rempli du souffle de Yepipnoia de Dieu. D'autres parmi eux disent qu'il est d'en haut, qu'il a été créé avant toutes choses, étant un pneuma et au-dessus des anges, qu'il domine toutes choses et qu'il est appelé Christ et que le monde d'ici-bas lui échoit . !
Suit chez Épiphane l'énoncé du Christ c o m m e anima correspondant au deuxième sens de genus dans VIsagoge nienne (uniuscuiusque nativitatis principium) :
generalis victori-
H vient ici-bas quand il veut, de même qu'il est venu aussi en Adam et qu'il s'est manifesté aux patriarches, revêtu corporellement ; étant venu en Abraham, Isaac et Jacob, il est venu lui-même aux derniers jours, il a revêtu le corps même d'Adam, s'est montré aux hommes, fut crucifié, se releva et remonta . 2
Cette formulation théologique de « l'âme générique » (anima generalis) du Christ est bien la preuve que les Symmachiens de Marius Victorinus ne sont pas autre chose que les ébionites de l'hérésiologie et que la description, succincte mais précise par sa terminologie philosophique, qu'en donne l'auteur latin dépend d'une source hérésiographique grecque. Étant donné que les deux notices de Victorinus interviennent dans le cadre de son commentaire aux Galates, cette source est à placer, selon toute vraisemblance, dans la tradition post-origénienne des commentaires aux Galates dont Jérôme retrace l'histoire littéraire dans le prologue de son propre commentaire composé à Bethléem en 3 8 6 - 3 8 7 . Cette histoire commence, dans la première moitié du nr siècle, avec les quinze livres en cinq tomoi du Commentaire aux Galates d'Origène, auquel s'ajoute le dixième les Héraclides par rapport à Héraclès ; pour la toponymie : Pindare est thébain, Platon athénien (I, 2-3, de l'édition de A. DE LIBERA-A.-Ph. SEGONDS, Porphyre, Isagoge, Paris, 1998, p. 2). 1. Épiphane, Panarion XXX, 3, 3-4. J'ai suivi le texte publié par K. HOLL, Epiphanius (Ancoratus und Panarion), vol. I, Ancoratus und Panarion Haer. 1-33, Leipzig, 1915, p. 3 3 6 , 4 - 337,1 ( G C S 25). 2. Épiphane, Panarion XXX, 3 , 5 (K. HOLL, op. cit., vol. I, Ancoratus und Panarion Haer. 1-33, Leipzig, 1915, p. 337,1-6).
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LES SYMMACHIENS DE MARIUS VICTORINUS.
livre de ses Stromates. Jusqu'à la première moitié du siècle suivant, on trouve les commentateurs grecs postorigéniens des Galates : Didyme, Apollinaire de Laodicée, Alexandre, Eusèbe d'Émèse, Théodore d'Héraclée. À la suite de quoi apparaît le premier commentateur latin, dont le texte est connu de Jérôme (et de nous), Y In ad Galatas de Marius Victorinus composé en 362-363 sous l'empereur Julien. Voici le début de l'exposé de J é r ô m e : 1
Utile existimoy aggrediar opus intentatum ante me linguae nostrae scriptoribus, et a Graecis quoque ipsis vix paucis, ut rei poscebat dignitas, usurpatum. Non quod ignorem Caium Marium Victorinum, qui Romae, me puero, rhetoricam docuit, edidisse Commentarios inApostolum ; sed quod occupatus Me eruditione saecularium litterarum, Scripturas omnino sanctas ignoraverit : et nemo possit, quamvis eloquens, de eo bene disputare, quod nesciat. Quid igitur, ego stultus aut temerarius, qui id pollicear quod Me non potuit ? Minime. Quin potius in eo, ut mihi videor, cautior atque timidior, quod inbecillitatem virium mearum sentiens, Origenis Commentarios sum secutus.
« Je crois utile d'entreprendre un travail qui n'a pas été abordé avant nous par les écrivains de notre langue et qui, pareillement de la part des Grecs eux-mêmes, n'a été traité comme l'exigeait la dignité du sujet que par bien peu d'entre eux. Non que j'ignore que Caius Marius Victorinus qui, dans ma jeunesse, enseignait la rhétorique à Rome, ait publié des commentaires sur l'Apôtre, mais c'est que, tout préoccupé qu'il était par la science des lettres profanes, il a été totalement ignorant des saintes Écritures et que personne, même s'il est éloquent, ne peut traiter correctement de ce qu'il ne connaît pas. Quoi ! suis-je fou ou téméraire de promettre ce que celui-là [= Marius Victorinus] n'a pas été capable de faire ? Nullement. Au contraire, je me trouve, quant à moi, plutôt bien trop prudent et timide, dès lors que, conscient de la faiblesse de mes forces, j'ai suivi les commentaires d'Origène. » Pour Jérôme, Marius Victorinus a écrit son Commentaire aux Galates dans l'ignorance de l'exégèse patristique grecque. Or, c o m m e j e crois l'avoir montré ailleurs sur un exemple précis, Marius Victorinus a été un plagiaire des Grecs dans VAdversus Arium . Je ne pense donc pas que, pour écrire ses commentaires aux Épîtres pauliniennes, et celui aux Galates en particulier, il ait procédé différemment, et Jérôme est bien naïf, ou de mauvaise foi, de prétendre qu'il est le premier auteur latin à avoir utilisé les Grecs pour commenter les Galates. 2
1. Jérôme, In ad Galates, Prologues, PL 26, col. 308 A 5-B 4 (pagination de l'édition de 1845) = PL 26, col. 332 B 6-333 A 1 (pagination de l'édition de 1884). Les phrases en italique sont autocitées par Jérôme, Épître 112, 4 (cette lettre de Jérôme à Augustin date du printemps 404). 2. Voir M. TARDIEU, Recherches sur la formation de l'Apocalypse de Zostrien et les sources de Marius Victorinus, Bures-sur-Yvette, 19% (Res Orientales IX).
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Dans Verus Israël (1948), ouvrage qui fait date dans les études sur le judéo-christianisme ancien, Marcel Simon consacre une page aux Symmachiens \ N'ayant lu (ou n'ayant pu avoir accès à) la Geschichte der altchristlichen Literatur de A. Harnack, ni le Beitrag de A. Schmidtke, l'auteur ignore le témoignage de Marius Victorinus et, du coup, surévalue Augustin en considérant celui-ci c o m m e un témoin direct de Symmachiens africains qui seraient, dit-il, « un rameau extra-palestinien du judéo-christianisme classique [...], leur nom leur venant peut-être simplement de ce qu'ils utilisaient la Bible de S y m m a q u e ». Nous allons voir qu'il n'en est rien, en examinant un témoignage négligé relatif aux Symmachiens, postérieur d'une vingtaine d'années seulement à celui de Marius Victorinus et qui appartient à la littérature manichéenne occidentale. L'analyse de Marcel Simon dans cette page a été faussée par suite d'une confusion d'auteur. Il attribue en effet à Augustin un témoignage essentiel qui appartient en fait aux Capitula de Faustus , évêque des manichéens d'Occident dans les années 360-390. Augustin, alors auditor, c'est-à-dire laïc, dans l'Église manichéenne, avait rencontré cet évêque à Carthage, c o m m e il le raconte lui-même dans les Confessions (V, 3 , 3 ) , à la vingt-neuvième année de son âge. L'événement se situe donc entre la fin de 3 8 2 et juillet-août 3 8 3 , date du départ d'Augustin à Rome. Dans les années qui suivirent, arrêté et condamné à l'exil dans une île , Faustus composa, sous forme de questions ou objections (propositiones) et de réponses (responsa), un recueil de Capitula dirigés, dit-il, contre « l e s erreurs de la 2
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1. M. SIMON, Verus Israel. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l'Empire romain (135-425), Paris, 1948 ,1964 (inchangée), p. 312. 2. M. SIMON, op. cit., Paris, 1948 ,1964 , p. 312. 3. Marcel Simon écrit en effet : « Augustin en parle comme s'il avait été en contact direct avec la secte » (p. 312). Cette phrase est justifiée par la note 8, rédigée ainsi : « Hoc si mihi Nazaraeorum objiceret quisquam, quos alii Symmachianos appellant (C. Faust. 19,4, PL, 42,349) ». Or mihi = Faustus, et non Augustin. Cette méprise de M. Simon n'est pas relevée dans S. C. MIMOUNI, Le Judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris 1998, p. 276 et n. 1, où il est dit qu'« en fait, il s'agit des manichéens dont un des noms est nazaréen ». Soyons clair : l'auteur de la phrase citée par M. Simon (p. 312, n. 8) est le manichéen Faustus, les gens dont il parle sont des judéo-chrétiens que lui-même, Faustus (et non Augustin), appelle nazaréens. 4. C'est ce qu'écrit Augustin, Contra Faustum V, 8 (ed. Joseph Zycha, p. 280, 15-19 [CSEL 25/1]). A. MANDOUZE, Prosopographie chrétienne du Bas-Empire, I. Prosopographie de VAfrique chrétienne (303-533), Paris, 1982, p. 392-393, place cette relégation de Faustus dans une île (in insulam relegatus est) en 386 comme conséquence de l'action entreprise contre les manichéens, après le consulat de Bauto, par le proconsul Messianus. 1
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superstition judaïque et la fausseté des semi-chrétiens » (erroribus ac Iudaicae superstitionis simul et semichristianorumfallacia) . En 387, l'ex-manichéen Augustin était baptisé dans la religion catholique par Ambroise de Milan (nuit du 2 4 au 25 avril). Ordonné prêtre en 391 et consacré évêque en 395, il prit le siège d'Hippone en 396. Quatre ou cinq ans plus tard, des fidèles lui portaient un exemplaire des Capitula de Faustus. À cette date, leur auteur est mort, puisque Augustin en parle au p a s s é . C'est pour répliquer à cet ouvrage de l'évêque manichéen, qu'il avait jadis tant admiré, qu'Augustin met à ce moment-là en chantier les trente-trois livres de son Contra Faustum, en prenant soin de citer au début de chaque livre, in extenso, le capitulum de Faustus qu'il entend réfuter. Le témoignage de Faustus sur les symmachiens se trouve au livre XIX, 4 du Contra Faustum d'Augustin. Ce témoignage est de première main, puisqu'il émane d'un auteur d'origine païenne, qui, nous dit-il, a été tenté par le judéo-christianisme avant de devenir manichéen : l
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quare indeficientes ego praeceptori meo refero gratias, qui me similiter labantem retinuit, ut essem hodie christianus. Nam ego quoque, cum capitulum hoc inprudens legerem, quemadmodum tu paene ieram in consilium Iudaeus fieri. « C'est pourquoi je n'ai de cesse de rendre grâces à mon précepteur : alors que pareillement je chancelais, il m'a retenu, de sorte que je suis devenu aujourd'hui christianus. Car, moi aussi, lorsque je lisais ce verset en toute ignorance, comme toi j'avais presque formé le projet de devenir juif . » 3
L'itinéraire religieux de Faustus est le décalque de celui de Mani, et probablement aussi de celui du « précepteur » (praeceptor), Adda : païen, puis judéo-chrétien, enfin manichéen. D'autre part, bien qu'originaire de Numidie et visiteur occasionnel des communautés manichéennes d'Afrique, Faustus exerçait ses activités à Rome. Les Symmachiens dont il parle sont donc, c o m m e ceux de Marius Victorinus, à situer à Rome, et non en Afrique, c o m m e le dit Marcel Simon.
1. Faustus, Capitula, cités dans Augustin, Contra Faustum I, 2 (ed. J. Zycha, p. 251,23 - 252,1 [CSEL 25/1]). 2. « Faustus quidam fuit gente Afer, civitate Mileuitanus » : Augustin, Contra Faustum 1,1 (ed. J. Zycha, p. 251,4 [CSEL 25/1]). 3. Faustus, Capitula, cités dans Augustin, Contra Faustum XIX, 5 (ed. J. Zycha, p. 501, 1-4 [CSEL 25/1]). Le précepteur (praeceptor) est Adda (latin : Adimantus), que je pense être Fauteur de la compilation des Kephalaia manichéens coptes de Berlin (voir mes « Principes de l'exégèse manichéenne du Nouveau Testament », dans M. TARDIEU (ÉD.), Les Règles de Vinterprétation, Paris, 1987, p. 133-134). Sur le nom « chrétien » comme autodénomination des manichéens, voir mon étude « Une définition du manichéisme comme secta christianorum », dans A. CAQUOTP. CANTVET (ÉD.), Ritualisme et vie intérieure. Religion et culture, Paris, 1989, p. 167-177. Le verset évangélique que Faustus rappelle au destinataire fictif (catholique) de ses Capitula est Mt 5,17.
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L'unique passage des Capitula s'énonce a i n s i :
de Faustus relatif aux Symmachiens
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et tamen hoc si mihi Nazaraeorum obiceret quisquam, quos alii Symmachianos appellant, quod enim Iesus dixerit non se venisse solvere legem, aliquantisper haesissem incertus, quid ei responderem. Nec inmerito ; veniebat enim corpore atque animo simul lege obsitus ac prophetis. Nam huiusmodi, quos aio, et circumcisionem portant et observant sabbatum et porcina ac reliquis abstinent huiusmodi, quae praecepit lex, sub christiani quamvis nominis professione decepti etiam ipsi, ut intellegi datur, hoc ipso capitulo, quo et tu, quia Christus non ad solvendam legem se venisse dixerit, sed ad inplendam.
«Et d'ailleurs, si quelqu'un des Nazaréens, que d'autres appellent Symmachiens, m'avait objecté qu'en effet Jésus a dit qu'il n'était pas venu abolir la Loi, j'aurais quelque temps été embarrassé, ne sachant pas bien quoi lui répondre. Et non sans raison. Car il était venu en étant, dans son corps comme dans son esprit, rempli de la Loi et des Prophètes. C'est un fait que ceux dont je parle et portent la circoncision et observent le sabbat et s'abstiennent de porc et autres aliments interdits par la Loi, abusés qu'ils sont, eux aussi, en raison, j'en conviens, de la profession du nom chrétien et comme on peut aisément le comprendre, par ce même verset par lequel toi aussi tu as été abusé et où le Christ a dit être venu non pour abolir la Loi mais pour l'accomplir . » 2
Trois remarques d'ordre onomastique, doctrinal et historique. a. Il importe d'abord de bien distinguer la dénomination que Faustus donne aux judéo-chrétiens (Nazaraei) de celle de Symmachiani, qui leur est donnée par d'autres (alii), c'est-à-dire par les nonmanichéens. Nazaraei est le calque latin du grec *NaÇapaïoi, qui est l'une des graphies oscillantes de la dénomination judéo-chrétienne commune (c'est-à-dire embrassant baptistes et non-baptistes) dans les sources manichéennes occidentales. La graphie *NaÇopeïç avec omicron est attestée au singulier dans les Kephalaia manichéens coptes de Berlin (Nazoreus : L X X X I X , 2 2 1 , 19.21.31 ; 2 2 2 , 1) ; la graphie *NaÇopaïoi avec omicron est attestée au singulier toujours dans le m ê m e Kephalaion (Nazoraios : 2 2 1 , 28). Dans leurs formation et utilisation anciennes, c'est-à-dire présyriaques et préarabes, ces multiples graphies ne dérivent pas du toponyme Nazaret, qui a pour ethnique Nazarënos, mais, c o m m e cela est bien c o n n u , du sémitique commun naçara (araméen) < nasaru (akkadien), qui 3
1. Faustus, Capitula, cités dans Augustin, Contra Faustum XIX, 4 (ed. J. Zycha, p. 500,3-13 [CSEL 25/1]). 2. Même adversaire fictif et même verset évangélique en débat qu'au capitulum précédent (voir plus haut, p. 329, n. 3). 3. État de la question dans S. C. MIMOUNI, « Les nazoréens. Recherche étymologique et historique », dans Revue biblique 105 (1998), p. 208-262.
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signifie « garder », « observer », d'où nasuraia, « les observants », en mandéen. Par conséquent, l'évêque manichéen Faustus désigne les judéo-chrétiens, qui sont les adversaires de fondation de l'Église manichéenne, en se servant d'abord de la dénomination qui est la leur chez ses coreligionnaires et dans les écrits de son praeceptor Adda, puis il utilise la dénomination non manichéenne (alii), c'est-à-dire chrétienne orthodoxe qui répond à l'usage local romain et qui est, c o m m e nous l'avons vu, une dénomination hérésiologique d'origine grecque : SymmachianU terme qui veut dire, non pas « ceux qui ont Symmaque pour Bible », mais « ceux qui suivent Symmaque ». b. D u point de vue de Faustus, les Nazaraei sont des chrétiens circoncis qui observent le sabbat et les interdits alimentaires des juifs. Ils sont donc dans la droite ligne du logion matthéen ( 5 , 1 7 ) , intervertissant — aux yeux des manichéens — les paroles de Jésus pour lui faire dire qu'il serait venu accomplir la Loi, et non l'abolir. Tel quel, ce logion est une absurdité d'un point de vue manichéen \ mais Faustus reconnaît que cette parole prêtée à Jésus est tout à fait à sa place en perspective judéo-chrétienne où e x é g è s e et pratique forment un tout logique, apparemment inattaquable. D ' o ù ce parallélisme qu'établit l'évêque manichéen entre les deux protagonistes du débat, d'un côté adversaires de fondation du manichéisme c o m m e le furent les judéo-chrétiens, de l'autre adversaires de circonstance c o m m e le sont les catholiques : Quare cum talibus essetmihi non pusillum, utdixi, certamen, donec capituli huius a me molestiam demolirer, tibi vero nequaquam congredi metuam nullis confiso viribus et inpudentia potius lacessenti, utfacilius temptari, me putem abs te quam cogi, ut credam dixisse Christum, quod nec te videam credidisse . 2
« C'est pourquoi avec de telles gens [les judéo-chrétiens], ça n'aurait pas été pour moi une mince affaire, comme je l'ai déjà dit, de me tirer de l'embarras que présente ce verset [Mt 5,17], mais avec toi [l'adversaire catholique fictif] je n'ai absolument pas à redouter d'engager le combat, puisque tu n'as aucune confiance en tes propres forces et que tu n'as à m'opposer rien de mieux que de l'impudence, de sorte que j'estime être plus volontiers provoqué par toi que contraint de croire que le Christ a dit ce que je ne vois pas que c'est ce que tu as cru toi-même. »
1. Parce qu'il énonce un enseignement de Jésus contraire aux antithèses évangéliques. Voir là-dessus mes « Principes de l'exégèse », dans M. TARDIEU (ÉD.), Les Règles de l'interprétation, Paris, 1987, p. 135. 2. Faustus, Capitula, cités dans Augustin, Contra Faustum XIX, 4 (ed. J. Zycha, p. 500,13-18 [CSEL 25/1]).
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L'enjeu de c e débat, que j'ai tenté de dégager ailleurs \ est la prise de conscience d'une détermination spécifique du fait chrétien et de l'appartenance chrétienne par rapport au judéo-christianisme. Cette prise de conscience historique avait amené Mani à rompre avec le judéo-christianisme baptiste babylonien de son milieu de formation. Elle a reçu son élaboration théologique dans l'apologétique de l'Église manichéenne naissante avec le Codex de Cologne, les Antithèses d'Adda et le corpus des Kephalaia. Elle est toujours à l'œuvre au IV siècle dans l'apologétique des Capitula de Faustus, mais la pointe de celle-ci, dirigée désormais contre ceux qui ont aboli la Loi c o m m e norme tout en la maintenant c o m m e texte à interpréter et que Faustus appelle semiiudaei ou semichristiani, est une critique acérée de l'illogisme catholique. e
c. Augustin, qui réplique en 400-401 aux Capitula de Faustus, n'en sait pas plus sur les Symmachiens que ce qu'il a lu chez Faustus. Il en parle une seule fois dans le Contra Faustum (XIX, 17), lorsqu'il commente le verset d e Ga 5, 2 (« Moi, Paul, j e vous le dis, si vous vous faites circoncire, Christ ne vous servira plus de rien ») et rappelle à cette occasion les décisions prises par l'assemblée de Jérusalem à la suite du conflit d'Antioche (Ac 1 5 , 1 - 3 5 ) : hoc igitur temperamentum moderamentunque spiritus sancti per apostolos operantis cum displicuisset quibusdam ex circumcisione credentibus, qui haec non intellegebant, in ea perversitate manserunt, ut et gentes cogèrent iudaizare. Hi sunt, quos Faustus Symmachianorum vel Nazaraeorum nomine commemoravit, qui usque ad nostra tempora iam quidem in exigua, sedadhuc tamen vel in ipsa paucitate perdurant . 2
« De ce fait, étant donné que cette mesure et règle de l'Esprit saint agissant par les apôtres [i.e. de ne plus imposer la circoncision aux païens, voir Paul, Ga 2, 14 ; Pierre, Ac 15, 10 ; Jacques, Ac 15, 19] déplaisait à certains croyants venus de la circoncision, ceux qui ne l'admettaient pas persistèrent dans l'absurdité de contraindre même les païens à judaïser. Ce sont ceux-là que Faustus a mentionnés sous le nom de Symmachiens ou Nazaréens, lesquels jusqu'à notre époque n'ont été, il est vrai, que peu nombreux mais qui, même en petit nombre, subsistent d'ailleurs encore. » Augustin assimile les Nazaraei/Symmachiani dont a parlé Faustus à la fois aux opposants pauliniens de Galates et aux opposants
l . M . TARDIEU, « L a foi hippocentaure», dans Saint Augustin, édité par P. RANSON, Les Dossiers H , Paris, 1 9 8 8 , p. 5 2 - 6 0 . 2 . Augustin, Contra Faustum X I X , 1 7 (ed. J. Zycha, p. 5 1 6 , 2 0 - 2 7 [CSEL 2 5 / 1 ] ) . A. SCHMIDTKE, op. cit., Leipzig, 1 9 1 1 , p. 2 3 8 , observe avec pertinence que la formulation contournée d'Augustin ( « qui usque ad nostra tempora iam cuidem exigua ») dérive d'Épiphane, Panarion X X , 3 , 3 .
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d'Antioche. U n e telle assimilation, évidemment étrangère à Faustus, est à restituer à la tradition latine des commentaires aux Galates, c'est-à-dire à l'Ambrosiaster et, avant lui, à Marius Victorinus \ Quatre ans après le Contra Faustum, dans son traité écrit contre le grammairien donatiste Cresconius (fin 405), Augustin parlera une seconde fois des Symmachiens mais ne fera ici aussi que répéter littéralement ce qu'il a lu chez Faustus . 2
Concluons. Les témoignages de Marius Victorinus et de Faustus sur les Symmachiens, si proches l'un de l'autre en raison de leur voisinage chronologique, de leur appartenance au m ê m e contexte romain et de leur visée polémique, ne doivent pas être confondus. Leur différence tient à la personnalité et à la religion de leurs auteurs. Ex-titulaire de la chaire publique de R o m e pour la rhétorique et la philosophie et converti récent, Marius Victorinus est l'ardent défenseur de l'orthodoxie romaine, d'abord contre l'hérésie arienne dans ses œuvres théologiques, puis contre l'hérésie judéo-chrétienne dans ses commentaires aux Épîtres pauliniennes. Faustus le manichéen est l'adepte de l'hérésie maudite venue de la Perse, il a rang d'évêque dans sa secte et il est de par sa formation rhétorique un adversaire farouche de l'Église catholique. En conséquence, les renseignements, de valeur inégale, que livrent ces témoignages ne peuvent être additionnés pour reconstituer un ensemble qui serait homogène du point de vue des doctrines et des comportements. Marius Victorinus recopie un auteur grec commentant, à la suite d'Origène, l'Épître aux Galates. Cette source perdue associait à la conception de Yauctoritas apostolique de Jacques le Juste — attestée dans les Prédications de Pierre — des éléments précis de doctrine prophétologique, qui étaient tenus pour hétérodoxes en christologie (quamquam etiam lesum Christum aliter fatentur) et qui sont
1. « Qui ad dominum nostrum lesum Christum adiungunt Iudaismi observantiam » (Marius Victorinus, In ad Galates 1, 1 9 , 5 - 6 , à propos des Symmachiens) ; comparer avec ce qui est dans le Prologue : « errare Galatas quod evangelium fidei, quae est in Christo, adiungantadludaismum » (F. GORI, op. cit., Vienne, 1 9 8 6 , p. 9 5 , 4 - 5 [CSEL 8 3 / 2 ] ) . Ambrosiaster, In ad Galates, Prologue : « sicut et Symmachiani, qui ex Pharisaeis originem trahunt, qui, servata omni lege, Christianos se dicunt » (PL 1 7 , col. 3 5 7 B 3 - 5 ) . 2 . « Sunt quidam haeretici qui se Nazaraeos vocant, a nonnullis autem Symmachiani appellantur » : Contra Cresconium I, 3 1 (ed. Petschenig, p. 3 5 5 , 2 7 - 2 8 [CSEL 4 2 ] ) = Faustus, Capitula, cités dans Augustin, Contra Faustum XIX, 4 : « Nazaraeorum quisquam, quos alii Symmachianos appellant » (ed. J. Zycha, p. 5 0 0 , 3 - 4 [CSEL 2 5 / 1 ]). Lorsque Augustin rédigera son De haeresibus, un an avant sa mort ( 2 8 août 4 3 0 ) , il ne se souviendra plus du tout de ces Symmachiens dont il avait vu le nom mentionné dans les Capitula de Faustus. Effectivement, les notices du De haeresibus consacrées aux judéo-chrétiens (IX : Nasoraei, X : Hebionitae, XXXII : Sampsaei / Elcesaei) les ignorent.
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inventoriés c o m m e « ébionites » dans l'hérésiographie grecque. Les m ê m e s éléments se retrouvent dans les Homélies et les Reconnaissances pseudo-clémentines. N o u s butons donc ici sur le problème de l'identification et de la transmission des matériaux judéo-chrétiens du corpus pseudo-clémentin et, par ricochet, sur celui de l'identification des opposants pauliniens chez les anciens commentateurs de l'Épître aux Galates. En tant que portant la dénomination de Symmachiens, les judéochrétiens de Marius Victorinus sont bien des fantômes qui n'ont jamais eu d'autre existence que littéraire, c'est-à-dire hérésiologique. L'intérêt du témoignage de Faustus est d'ouvrir d'autres perspectives. D'une part, il nous apprend qu'une vingtaine d'années après Victorinus, la dénomination de Symmachiens est toujours d'actualité en contexte romain et que c'est ainsi que les autorités catholiques de Rome désignent leurs judéo-chrétiens locaux, qui eux ne sont pas des fantômes. D'autre part, le nom de Nazaraei, « les observants », qu'il transmet également pour qualifier les m ê m e s gens, répond selon toute vraisemblance à une autodénomination, dès lors qu'elle est en usage par ailleurs dans les compilations des manichéens pour désigner leurs adversaires de fondation. Que ces judéochrétiens de R o m e se soient appelés aussi eux-mêmes Christiani n'est pas non plus à exclure, puisque, selon le mot de Faustus, ils sont « sous la profession du nom chrétien » (sub christiani nominis professione). D è s lors, le portrait pratique que Faustus donne de ces « chrétiens nazaréens », qui sont des non-juifs ayant adopté un comportement juif du fait de la circoncision et de l'observance de la Loi, correspond à celui que Victorinus fustige tout au long de son Commentaire aux Galates en les identifiant aux opposants pauliniens, mais qu'il caricature aussi en leur prêtant la christologie hérétique des ébionites.
JEWISH-CHRISTIANITY IN RABBINIC DOCUMENTS : AN EXAMINATION OF LEVITICUS RABBAH BURTON L. VISOTZKY
Jewish Theological Seminary of America, N e w York
Résumé L'utilisation de la littérature rabbinique comme source de Vhistoire de VAntiquité tardive nécessite une méthodologie particulière. Cela est spécialement vrai quand on essaie de connaître les aspects de V histoire du judéo-christianisme à partir de la documentation rabbinique. Il s'agit ici d'aborder l'examen du christianisme et/ou du judéo-christianisme dans Lévitique Rabbah, un midrash rabbinique des v-vr siècles. On montrera que peu de données — malgré les apparences — concernent réellement la question du judéo-christianisme dans les passages de Lévitique Rabbah qui vont être analysés.
Summary Great methodological care is needed in using rabbinic literature to learn the history of Late Antiquity. This is especially true in trying to learn aspects of Judéo-Christian history from rabbinic documents. A case in point is the treatment of Christianity and/or Judeo-Christianity in Leviticus Rabbah, a fifth to sixth century rabbinic midrash. The author examines texts that seem to have bearing on these subjects and concludes there is little secure data in Leviticus Rabbah pertaining to Jewish-Christianity.
I. Introduction. A small but significant number of texts in rabbinic literature consider Christianity. These were collected as early as seven
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centuries ago by the monk Raymundo Martini. Since that time Christian disputationists, inquisitors, censors, and now, scholars have repeatedly observed the phenomenon. In the last two centuries, Jewish scholars have also commented on Christianity in rabbinic literature. It is one thing, however, to note that the ancient rabbis consider Christianity, and another entirely to suggest that those same rabbis could recognize forms of Jewish-Christianity as distinct from Great Church or Orthodox Christianity. A great deal depends on us today as much as on the rabbis of old when w e consider the pheno menon: for h o w w e now define Jewish-Christianity will determine the extent to which the rabbis then knew of and responded to i t . In any consideration of rabbinic knowledge of either Christianity or Jewish-Christianity (or perhaps w e would be more accurate to make plurals of each of these collective nouns), one will of necessity be viewing one particular Jewish group's bias. W e may even g o so far as to say one will be viewing only one particular editor's bias — albeit an editor w h o is centrally located within the narrow band of the rabbinic Jewish community (itself by no means necessarily repre sentative of the broader Jewish community of antiquity, but available to us nevertheless through its literary legacy). Further, w e may well 2
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1. In his infamous Pugio Fidei, ca. 1280 C.E. See the edition by J. B . CARPZOV, Pugio Fidei, Leipzig, 1687, and the consideration of his work by S. LIEBERMAN, "Reymund Martini and his alleged Forgeries," in Historia Judaica 5 (1943), p. 87-102. 2. Of the modern Christian scholarship, the scholar who led the way in the twen tieth century is R. T. HERFORD, Christianity in Talmud and Midrash, London, 1903 ; H. STRACK, Jesus, die Haretiker und die Christen, Leipzig, 1910 and H. STRACKP. BILLERBECK, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrasch, 4 vols., Munich, 1922-1928. The latter remains an important compendium for the Rabbinic-Christian nexus. For a brief survey of what he appropriately calls "The Talmud in Controversy," see G. STEMBERGER, Introduction to the Talmud and Midrash, Philadelphia, 1992, p. 241-244. For modern Jewish scholarship see the bibliography in B . L. VISOTZKY, Fathers of the World: Essays in Rabbinic and Patristic Literatures,Tubingcn, 1995, p. 169-181. 3. Much of the material discussed here was first researched some thirteen years ago, while I was on a sabbatical at Clare Hall, the University of Cambridge. There I began to ponder the extraordinary difficulty of ferreting out useful text material and/or historic information about Jewish-Christianity from rabbinic literature. Indeed, much of the research for this paper has its origins in articles I wrote then and subsequently. This paper is primarily a reconsideration, with new foci, of B . L. VISOTZKY, "Prolegomenon to the Study of Jewish Christianities in Rabbinic Literature," in Association for Jewish Studies Review 14 (1989), p. 4 7 - 7 0 ; B . L. VISOTZKY, "Anti-Christian Polemic in Leviticus Rabbah," in Proceedings of the American Academy for Jewish Research 56 (1990), p. 83-100, and B . L. VISOTZKY, 'Three Syriac Cruxes," in Journal of Jewish Studies 52 (1991), p. 167-175, all of which have been reprinted in my Fathers of the World. Subsequent references to those works will include the pagination as collected in B . L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1995.
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be seeing a rabbinic reaction to: (a) a wholly imaginary Christianity, (b) a Christianity of antiquarian historical interest to the rabbinic author (based upon his scattered knowledge of the N e w Testament), or (c) a Christianity that is current, but local and possibly non-repre sentative of the Church in general or Jewish-Christianity in partic ular. Given the likelihood of Palestinian provenance to the midrashic sources under discussion, w e will be attempting to reconstruct what some local rabbi observed of some Palestinian form of Christianity or Jewish-Christianity. In a search for Jewish-Christianity this is good, since many of the known locales of those groups are in Roman Palestine and environs. Epiphanius suggests the towns of Beroea, the Decapolis, Pella and K o k h a b a . Nearby Antioch is also mentioned with frequency both in Rabbinic literature and in regard to JewishChristianity. A s w e narrow the focus of this paper to interpretation of given rabbinic texts, yet other locales will surface as possible sites of Jewish-Christian communities. Defining Jewish-Christianity must also be accomplished through an examination of the professed theology of a given group, because locale alone is hardly sufficient. Consideration of h o w a community v i e w e d Jesus as son of God and/or as Messiah, questions of dualist or trinitarian godhead, high and l o w Christologies must be weighed. Further, doctrinal issues such as the Passion, Resurrection, and Virgin Birth also must be part of any Jewish-Christian equation. From the "Jewish" side of the Jewish-Christian formula w e must add issues of law-observance. Matters such as circumcision, ritual immersion, food laws, observance of Sabbath and Festivals, keeping of fasts, offering of sacrifices and the possibility of distinctive clothing or garments must be factored. Other, more reliably "Chris tian" observances such as baptism (as distinct from miqvah immer sion), aspersion, the age of the one being baptized (whether at birth, age of reason, or at imminent death), the practice of exhomologesis, confession, chrism, and the drink of choice for the Eucharist celebra tion (whether wine or water), these too may be notable for distin guishing Great Church Christianity from Jewish-Christianity or for marking one group of Jewish-Christians from another. Every one of these factors must be on the screen when w e try to v i e w JewishChristianity in Rabbinic literature. 1
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1. Here I point out that the same phenomenon holds, mutatis mutandis, for forms of Babylonian (= Sassanian Empire) Christianity which may be discussed in Babylo nian Jewish sources not under consideration here, notably the Babylonian Talmud. 2. Epiphanius, Panarion 29.7 ; see B. L. VISOTZKY, op. cif., Ttibingen, 1995, p. 135-136. 3. For details, see B. L . VISOTZKY, op. cif., Tubingen, 1995, p. 136-140.
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Obviously when reading midrash and Talmud, the language of the Christians or Jewish-Christians there represented will be Hebrew or Aramaic. This, too, is in keeping with the patristic evidence for some of the Palestinian Jewish-Christian groups. This raises a larger meth odological question of the extent to which Great Church Christians, notably those w h o spoke Greek and Latin, marginalized Aramaic speakers, so that for the former any member of a Syriac Church might be considered some form of Jewish-Christian, or heretic or, for lack of a better term, Auslander. It is already clear from what w e know of Syriac Christianity that it w a s different from Greek and Western Christianity. This does not necessarily, however, indicate that it was Jewish-Christianity. S o affinities with Syriac Christianity may be natural for an Aramaic speaking rabbinic population without offering evidence for Jewish-Christianity, alas. Along these lines, it is unclear the extent to which rabbis could distinguish Great Church Christians from Judaisers, semi-proselytes of Christian origin (for example, certain of the God-Fearers) or other forms of Christians upon w h o m the heresiologists might frown. I suspect that to the vast majority of rabbis a Christian was a Christian, unless their observance patterns were near to perfectly congruent with that of the rabbinic Jewish community, in which case they were likely considered a Jew, albeit with a strange or discomfiting theology. Indeed, rabbinic terminology for all of these groups is notoriously opaque. They use terms such as mm, notsri, nokhrU mumar, meshu'mad, to which w e might add the censors' terms, 'aqum and even tsadduqi. W e should also add the possibilities of the termsphilosophos, 'aseret hashevatim and even mamzer. Whether in using these terms the rabbis are, in fact, making any fine distinctions among differing groups of Christians is doubtful, except for very rare c a s e s . It has also been long noted that Jewish-Christianity can be broken 1
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1. See G. STRECKER, "Zum Problem des Judenchristentums," in W. BAUER, Rechtglaubigkeit und Ketzerei im dltesten Christentum, Tubingen, 1964 , p. 245-287, with Bauer's general observations as the backdrop to the problem. 2. See the bibliography in B. L. VISOTZKY, op. cit, Tubingen, 1995, p. 133-134, n. 16; and p. 145-146, n. 50-51. 3. See B. L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1995, p. 144-145. Relevant contribu tions were made at the Colloquium by Liliane Vana and Moshe D. Herr. 4. A term often used in Greek papyri to indicate a monk. 5. See B. L. VISOTZKY, op. cit, Tubingen, 1995, p. 144-145, for the contexts in which these terms are possibly used to mean Jewish-Christians. 6. See n. 3 above and R. KIMELMAN, "Birkat Ha-Minim and the Lack of Evidence for an Anti-Christian Jewish Prayer in Late Antiquity," in E. P. SANDERS (ED.), Jewish and Christian Self-Definition, vol. 2, Aspects of Judaism in the GraecoRoman Period, Philadelphia-London, 1981, p. 226-244. 2
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into two distinct historical periods, early and l a t e . The early period is coterminous with the rise o f Christianity in the centuries covered by the N e w Testament. A s it were, all Christianity in those days was some form of Jewish-Christianity. Yet rabbinic literature, especially the midrash considered here, is contemporary in its redaction with the later period of Jewish-Christianity, viz., the fourth and fifth century. Since the midrash regularly quotes earlier sources, it is tempting to mine the midrash for hints about Jewish-Christianity in the middle period — otherwise a dark age. But the difficulty of establishing accurate dating for the transmitted rabbinic materials, to say the least of accurate attributions of those sayings to known named rabbis, precludes any contribution from rabbinics for the so-called middle period of Jewish-Christianity. A s w e will now see, it will be difficult enough to establish that the rabbis knew of Jewish-Christianity even in the later, better established period of midrashic redaction.
II. T e x t s . This pessimistic introduction to the messy business of sifting, if you permit the metaphor, through the sludge of Late Antiquity in the hopes of finding a gold nugget or two about Jewish-Christianity, should give us pause. There are certain collections within rabbinic texts which are nodes or encyclopedia-like entries regarding Christi anity. These loci collect material that is polemical against Christi anity, without particular distinction for the niceties o f the forms in which that Christianity was expressed. Thus it may be possible to find a series of texts where the general anti-Christian polemic may include some particularly anti-Jewish-Christian texts. In particular, two such nodes may be found among Palestinian rabbinic materials of the fifth century; one in Midrash Qohellet Rabbah and the other in the Pales tinian Talmud, tractate Berakhot. These fascinating texts have received attention elsewhere. 2
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1. See the discussion of J. MUNCK, "Primitive Jewish Christianity and Later Jewish Christianity: Continuation or Rupture?" in Aspects du judéo-christianisme : Colloque de Strasbourg, 23-25 avril 1964, Paris, 1 9 6 5 , p. 7 7 - 9 3 , at the last colloquy on Jewish-Christianity. 2 . For the notion of encyclopedic collection, see M . HIRSHMAN, "The Greek Fathers and the Aggadah on Ecclesiastes: Formats of Exegesis in Late Antiquity," in Hebrew Union College Annual 5 9 ( 1 9 8 8 ) , p. 1 5 5 . 3 . See B . L. VISOTZKY, "Overturning the Lamp," in Journal of Jewish Studies 3 8 ( 1 9 8 7 ) , p. 7 2 - 8 0 ; now in B . L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1 9 9 5 , p. 7 8 - 8 1 .
4 . See B . L. VISOTZKY, "Trinitarian Testimonies," in Union Seminary
Quarterly
Review 4 4 ( 1 9 9 0 ) , p. 3 1 - 5 3 ; now in B . L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1 9 9 5 , p. 6 5 - 6 8 .
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Instead, I wish to survey an entire rabbinic text for its anti-Chris tian polemic to see whether it is possible to discern Jewish-Christian materials therein. Unlike the studies in Qohellet Rabbah or the Jeru salem Talmud, which divorce the individual traditions from their broader rabbinic context, this study has the advantage of seeing h o w the polemic fits within the exegetical program of an important text of the rabbis. It allows us to see h o w little weight the rabbis actually give to their anti-Christian remarks and further to see h o w minus cule the contribution may be for the history of Jewish-Christianity. Given the strictures of m y methodological introduction, this is not surprising. But, sharing the assumption that every bit of knowledge contributes to our broader understanding of Jewish-Christianity, w e proceed with a survey of Midrash Leviticus Rabbah. This text is a classic of rabbinic expression. Faced with the mori bund cult of Leviticus, the rabbis of the fourth and fifth century used the central book of the Torah, Leviticus, as a pretext for advancing their o w n agenda and notions of h o w Jews should live in covenant with God. The redactor of Leviticus Rabbah, working in fifth century Christian Palestine, collected a miscellany of rabbinic texts related to, or attachable to the biblical book of L e v i t i c u s . Given the loose organizing principles of Leviticus Rabbah and given the possibility that there may be some thematic unity to certain of the chapters of Leviticus Rabbah, were Jewish-Christianity an issue for the redactor or his community of readers, one expects that he would have directly addressed i t — p o s s i b l y even in the encyclopedic-entry fashion of the roughly contemporary Qohellet Rabbah and the perhaps somewhat earlier Palestinian Talmud. In fact, Leviticus Rabbah addresses neither Jewish-Christianity nor Christianity in any systematic fashion. Rather, as given exegetical traditions happen upon it, the redactor takes up the gauntlet for anti-Christian polemic. All told, nine Leviticus Rabbah texts have some bearing on the subject, which w e will n o w briefly examine. 1
1. Leviticus Rabbah 6.6 (Margulies,
2
144-46) .
Now should people say to you, "Inquire of the ghosts and familiar spirits that chirp and moan; for a people may inquire of its divine beings—of the dead on behalf of the living — for instruction and message," surely, for one who speaks thus there shall be no dawn (Isa 8:19-20)...
1. See B . L. VISOTZKY, "Aggadic Exegesis: Some Redactional Principles of Levi ticus Rabbah," in Jonah Fraenkel Jubilee Volume, Jerusalem (forthcoming). 2 . This discussion is a reconsideration and expansion of B . L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1 9 9 5 , p. 9 5 - 9 7 .
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Of the dead on behalf of the living, R. Levi said: [This is analogous to] one who lost his son and went to inquire about him among the graves. A wise guy (pkh) asked him, "Your son whom you lost, is he dead or alive?" He answered, "Alive." The other said, "You cosmic fool! Is it the way of the dead to seek for them among the living? Do those who live need the dead?" Thus our God lives and endures for eternity... while the god[s] of the gentiles are [is] dead... Shall we abandon the Eternal one and bow to the dead?... Rabbi Shimeon b. Laqish said, "If this [dead god] cannot shed any light upon himself, how shall he shed light for others?" R. Abba b. Kahana said, "Darkness and gloom pervade this world, but not chaos and emptiness. Where will they pervade [the world]? In the great city of Rome..." This midrash may be straightforward exegesis of the Isaiah verses. Pagan cemeteries, pagan gods and pagan practices may be derided here by the rabbis, much as they were centuries earlier by Isaiah. However, the midrash might be anti-Christian polemic. Given the redactive date of Leviticus Rabbah this is certainly plausible. The polemic would then be against those w h o seek the possibly dead, possibly alive, "son" — a reasonable way for the rabbis to charac terize the scandal of crucifixion and resurrection. There is the ques tionable nature of the power of a g o d w h o could not prevent his o w n death. There seems to be allusion to Matt 5:14, "You are the light of the world," although, again, dismissively. Most telling is the question asked, "Is it the way of the dead to seek for them among the living?" which echoes the question in Luke 2 4 : 5 . Finally, there is the rabbinic observation, or perhaps messianic hope, that R o m e will be beset by darkness, gloom, chaos, and emptiness. All of this leans one toward considering this text an anti-Christian polemic. But can this text be referring to Jewish-Christianity? I am doubtful. The information about Christianity seems to be filtered through the lenses of rabbinic bias, but otherwise readily available to anyone w h o had access to the N e w Testament. The localization of Christianity in R o m e does not preclude Jewish-Christianity as the target of this alleged polemic, but neither does it argue in favor of it. There is otherwise no particular indicator of Jewish-Christianity in this midrash. 1
2
1. Thanks to my student, Roderick Young, for bringing this important parallel to my attention. 2. But, note that Jerome attributes commentary to Nazoreans on these verses. See A . F . J. KLUN, "Jerome's Quotations from a Nazorean Interpretation of Isaiah," in Recherches de science religieuse 60 (1972), p. 241-255, especially p. 244-245, which discusses our Isaiah text. Thanks to Ray Pritz for calling the Isaiah commen tary to my attention, and to William Petersen for the Klijn reference.
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2. Leviticus Rabbah 25.6 (Margulies,
1
580-81) .
2
Rabbi Ishmael recited, that the Blessed Holy One sought to remove priesthood from Shem, as it is written, "And Melchizedek, king of Shalem... who was a priest to El Elyon" (Gen 14:18). But once Melchi zedek blessed Abraham before he blessed the Omnipresent, Abraham asked him, "Does the blessing of the slave take precedence over the blessing of the Master?" Then the Omnipresent removed priesthood from Shem and gave it to Abraham... This passage is immediately followed by a discussion of the nexus of Abraham's circumcision with his privilege of priesthood. The point of the midrash: circumcision merits priesthood. N o circumci sion, no priesthood. Travers Herford and Marcel Simon have both demonstrated the anti-Christian polemic of this passage. Against gentile claims for the priesthood, particularly those of law-free Chris tianity, is the point that only the circumcised merit priesthood. Only circumcised Jews, then, can be true priests to God, runs the argument of this midrash. To the extent that Jewish-Christians may have been circumcised, this midrash either excludes them from the polemic or includes them as rightful priests along with the Jews. The unlikelihood of rabbinic Jews including Jewish-Christians as authentic priests also leads m e to assume that the rabbis preaching this text are ignorant of lawobservant Jewish-Christianity. Although this is an argument from silence, I must conclude that if the rabbis were eager to undermine Christian claims to priesthood, had they known of Jewish-Christi anity, those claims, too, would have been included in the polemic. Of course, it may be that the Jewish-Christian community did not prac tice circumcision. If this were the case, I cannot see h o w the rabbis (or w e ) can distinguish whether the target of this text is Christian or Jewish-Christian.
1. Following "Anti-Christian Polemic," in B . L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1995, p. 97. For thorough discussion see R . T. HERFORD, op. cit., London, 1903, p. 338-340; M. SIMON, Verus Israel : Etude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l'Empire romain (135-425), Paris, 1948, p. 110, n. 3-5, p. 111, n. 1-4; and, M. SIMON, "Melchisédech dans la polémique entre juifs et chrétiens et dans la légende," in Recherches d'histoire judéo-chrétienne, Paris, 1962, p. 101-126. 2. This phrase normally indicated materials of Tannaitic origin being used by Leviticus Rabbah. Here, however, there are no Tannaitic parallels, nor is our text found in the Munich manuscript of Leviticus Rabbah. B Nedarim 32b does quote R. Zechariah who quotes the text in the name of R. Ishmael. It is possible that Levi ticus Rabbah and B Nedarim both do draw from an otherwise lost early source.
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3. Leviticus Rabbah 27.8 (Margulies,
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1
641) .
The gentiles deride Israel and say, "You made the Golden Calf." So God investigated these charges and found them to be without substance... rather it was the sojourners [gerim] who ascended from Egypt with Israel... who made the Golden Calf... The background to this midrash may be found in charges brought against the law and the Jews in the Didascalia Apostolorum Syriace where the argument runs that "the second legislation was imposed for the making of the calf." The rabbinic response to this Aramaic charge is thus doubled: First, it was not Jews w h o made the Golden Calf, but others w h o claim to be Israel: the mixed multitude w h o ascended from Egypt pretending to be true Israel. Second, while the law was being given at Sinai, they were sinning with idolatry. True Israel performs all the law. The Didascalia Apostolorum clearly equates observance of the Second Legislation with the sin of the Golden Calf. The Second Legislation is not only punishment for the sin of the calf, but for the Didascalia Apostolorum, all w h o continue to observe the Second Legislation become guilty of the sin of calf w o r s h i p . Clearly, this text is itself polemical against law-observance and may well have as its target either the Jews or an earlier community of law-observant Jewish-Christians. B y the time the text appears in the Didascalia Apostolorum, however, w e may presume that if a law-observant segment of the Didascalia Apostolorum community still existed, it was under attack. T o the extent to which the rabbis know of the Didascalia Aposto lorum community, that group must be presumed non-observant. Whether this continues to qualify them for the rubric of Jewish-Chris tian is subject to discussion and debate. It seems that for the rabbis, the attack of the Didascalia Apostolorum against the Second Legisla tion was just another bout of Church antinomianism. T o that end, I am dubious that the rabbis could or did distinguish here between Chris tians and Jewish-Christians; all they saw was an attack against law observance. It was particularly visible to the rabbis because this 2
1. See in B. L . VISOTZKY, op. cit,
Tubingen, 1 9 9 5 , p. 9 7 - 9 9 .
2 . Didascalia Apostolorum Syriace 2 6 . See R. H. CONNOLLY, Didascalia Aposto lorum: The Syriac Version Translated and Accompanied by the Verona Latin Frag ments, Oxford, 1 9 2 9 , p. 2 2 4 , 2 2 2 , 2 3 2 . Syriac editions by P. DELAGARDE, Didascalia Apostolorum Syriace, Leipzig, 1 8 5 4 , p. 1 0 8 - 1 1 0 , and more recently by A . VOOBUS, The Didascalia Apostolorum in Syriac, 2 vols., Louvain, 1 9 7 9 , (CSCO 4 0 1 , 4 0 7 ) . F. Stanley Jones reminds me that the Didascalia Apostolorum community had its origins in a Greek speaking community. For the texts discussed here I would suggest that the rabbis could (a) well enough have heard these traditions in Greek or (b) know of the traditions only after the Syriac version was circulated and the community had evolved to exclude the Jewish-Christian observances against which it polemicizes. See in B. L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1 9 9 5 , p. 1 5 1 , n. 4 .
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attack was in Aramaic, a language they readily understood. Again, for us today this raises the question of Great Church perspectives on Jewish-Christianity. I do not believe that any Aramaic document must, by definition, be Jewish-Christian simply by virtue of not being Greek or Latin. 4. Leviticus Kabbah 19.2 (Margulies,
419-21)
\
Rabbi Alexandri ben Agri and Rabbi Alexandri the liturgical poet said, "If all of the gentiles in the world gathered to whiten the wing of a crow they could not. So too, if all of the gentiles of the world tried to uproot one word from the Torah they could not. From whom shall we learn this? Why from King Solomon. For when he wished to uproot a word from the Torah, it arose and accused him." R. Judah ben Levi says, "It was the yod of the word yarbeh (Deut 17:17) that accused him." Rabbi Shimeon ben Yohai said, "The book of Deuteronomy (Second Legislation) arose and bowed before God saying, 'Master of the Universe, Solomon attempted to uproot me and make me fraudulent (pilaster). For any testament (diatheke) which has two or three articles annulled is entirely nullified. Solomon seeks to uproot a yod. ... God replied, 'Go you, for Solomon and a hundred like him will be nullified while nary a yod of yours will ever be nullified.'" 2
3
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Jesus' logion of Matt 5:17-18 immediately comes to mind as the subject of this polemic. Solomon, son of David is being accused of overthrowing Torah, perhaps seeking to replace a Testament (diatheke). The rabbinic response echoes Jesus' o w n words when he says not one iota nor one crownlet on a letter shall pass from the law. But to contextualize this rabbinic polemic beyond the N e w Testa ment verses, w e again turn to the Didascalia Apostolorum. The Syriac text continues to argue for the necessity of only observing the Ten Commandments and not the Second Legislation: 4
For whereas He spoke the Ten Words, He signified Jesus: for Ten repre sents yod; but yod is the beginning of the name of Jesus (yeshu)... Jesus does not undo the law, but teaches what is the law and what is the Second Legislation. For He says, "I am not come to undo the law, nor the prophets, but to fulfill them" [Matt 5:17]. The law therefore is indis soluble; but the Second Legislation is temporary and is dissoluble. Now the law consists of the Ten Words and the judgments to which Jesus bore witness and said, "One yod shall not pass away from the law" [Matt 5:18].
1. See in B. L. VISOTZKY, op. cit. Tubingen, 1995, p. 99-101, for further discus sion. 2. Here following manuscript Paris 149 and the editio princeps. 3. "He shaU not have many (yarbeh) wives... nor amass silver and gold to excess." See, too, Deut 17:16. 4. Didascalia Apostolorum Syriace 26. y
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Now it is the yod which passes not away from the law, even that which may be known from the law itself through the Ten Words, which is the name of Jesus. T o the extent that Didascalia Apostolorum represents it, the law is fulfilled in Jesus, or yod. For the rabbis, their response is "him and a hundred like him shall pass away and nary a letter of Torah law shall pass away." It seems possible that the rabbis were aware o f or responding to the Didascalia Apostolorum''s argument. However, it also seems that the argument o f the Didascalia Apostolorum limits the extent o f the law. If Jewish-Christianity is law-observant, then this Didascalia Apostolorum text must argue against it. If JewishChristianity is not law-observant then I doubt whether the Leviticus Rabbah text before us can distinguish between Jewish-Christianity and any other form of law-free Christianity.
5. Leviticus Rabbah 14.5 (Margulies,
l
308) .
I have suggested elsewhere that this Leviticus Rabbah text offers a vulgar parody o f the Christian doctrines of virgin birth and imma culate conception. Since both o f these concepts stem from relatively late layers o f Christian doctrine and since, for the most part, Mariology seems not to have been among the identifying markers of Jewish-Christianity, w e may m o v e on.
6. Leviticus Rabbah 3.2 (Margulies,
2
60) .
"Those who fear God praise Him, All the seed of Jacob glorify Him" (Ps 22:24): R. Joshua ben Levi said, "This refers to the God-fearers." R. Samuel ben Nahman said, "This refers to righteous proselytes. (...) What does the text refer to when it says, 'All the seed of Jacob glorify Him' ? These are the Ten Tribes." 3
4
5
A s I have demonstrated elsewhere, I believe this phrase, Ten Tribes, can in certain contexts refer to law-observant JewishChristians. The problem for the rabbis w a s this, one born a Jew remains a Jew. This is particularly so when that person persists in lawobservance. When determining the fitness of a Jew, the rabbis usually did not judge b y theology, but b y observance patterns. Thus, a
1. See B. L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1995, p. 101-105. 2. See B. L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1995, p. 146-149. 3. For God-fearers see n. 2, p. 338, above. 4. The correct reading, see the Paris manuscript and the Oxford manuscript (Neubauer, 2335), ad loc. 5. See S. LDBBERMAN, Greek in Jewish Palestine, New York, 1942, p. 86-90. My debt to my teacher, S. Lieberman, is doubtless clear everywhere in this paper.
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law-observant Jewish-Christian, particularly one born a Jew, would have been a conundrum for the rabbis. They understood that these individuals were related to the rabbinic Jewish community and yet not of it. Hence they group these Jewish-Christians with other groups: the gentile God-fearers w h o had not converted to Judaism according to Jewish law and those others w h o had converted to Judaism according to Jewish law. If you will, the first were on the outside, not yet in. The second were on the inside, having entered from the outside. The Ten Tribes had begun on the inside, had at least one foot on the outside, and according to some rabbis, were entirely beyond the pale of rabbinic Judaism. Hence the tide Ten Tribes, those w h o had been Jews and n o w were lost. If I am correct in this definition of the Ten Tribes, Leviticus Rabbah here gives us the first evidence of Jewish-Christianity. There is possibly more.
7. Leviticus Rabbah 5.3 (Margulies,
l
104-5) .
"Ah, you who are at ease in Zion" (Amos 6:1): refers to the tribes of Judah and Benjamin. "And confident on the hill of Samaria" (ibid.): this refers to the Ten Tribes... "Cross over to Calneh and see" (ibid.): refers to Ctesiphon. "Go from there to Hammath" (ibid.): refers to the hot springs (hamat) of Antioch. "And go down to Gath of the Philistines" (ibid.): refers to the fortresses of Philistia. 2
If this text uses the phrase Ten Tribes to refer to Jewish-Chris tians, it locates communities in Antioch, on the Mediterranean coast and in the Sassanian capital of C t e s i p h o n . However, since the A m o s text which precipitates the identification begins with Samaria, w e should be cautious. It is likely that the rabbis are contrasting Judah and Benjamin on the one hand, with the exiled Ten Tribes dispersed throughout the diaspora, on the other. Although Antioch and Ctesi phon are possible locales for Jewish-Christianity w e should recall that sometimes a midrashic exegesis is just that, an exegesis. 3
8. Leviticus Rabbah 12.1 (Margulies,
4
254) .
This section of Leviticus Rabbah is a collection of rabbinic stories and exegeses about drinking. Our text comes in a lengthy set of fixed formula texts which speak of the evils of drink, which leads to death. 1. See B . L . VISOTZKY, op. cit., Ttibingen, 1 9 9 5 , p. 1 4 6 - 1 4 9 .
2 . Palestina, the southern coast area which was not under Jewish purview. 3 . Michel Tardieu reminds me that this is the birthplace of Mani (ca. 2 1 6 CE) and a known locus of the Jewish-Christianity which so influenced his thinking and prac tice. See B . L . VISOTZKY, "Rabbinic Randglossen to the Cologne Mani Codex," in Zeitschrifi fur Papirologie una* Epigraphik 5 2 ( 1 9 8 3 ) , p. 2 9 5 - 3 0 0 . 4 . See B . L . VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1 9 9 5 , p. 1 4 8 , n. 6 0 .
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"Just as the viper separates one from life and into death, so wine took the Ten Tribes into exile." T w o proof texts are offered, one from Isa 5:11 and a second from A m o s 6:6 which links the motif of the Ten Tribes back to the previous passage discussed. The link between wine and the Ten Tribes is found elsewhere in rabbinic literature and may possibly be an allusion to the wine of Eucharist. In any event, these last three texts all depend on the identification of the Ten Tribes with Jewish-Christianity. Although this is an iden tification which is personally attractive to m e , it remains a conjec ture difficult to substantiate. 1
9. Leviticus Rabbah 34.16 (Margulies,
2
812-13) .
"Men from your midst shall rebuild ancient ruins" (Isa 58:12). Rabbi Tarphon gave R. Aqiba six talents of silver. He said, "Buy for us a pro perty (ousia) that we may earn income from it and thus [have leisure] to study Torah together." Aqiba took the money and distributed it to the teachers of reading and the reciters of Mishnah and to those who studied Torah. After some time, Rabbi Tarphon met up with him and asked, "Did you buy the property we spoke about?" Aqiba replied, "Yes." He asked, "Is it worth anything?" He replied, "Yes." He asked, "Will you not show it to me?" So he took him and showed him the teachers of reading and the reciters of Mishnah and those who studied Torah — and all the Torah they had accumulated. Tarphon asked, "Does anyone labor without reward? Where is their receipt?" Aqiba replied, "With David, King of Israel, who wrote, 'He who gives freely to the poor, his righteousness lasts forever' (Ps 112:9)." There is no polemic in this lovely story. Indeed, it is heartily repeated in rabbinic literature for its uplifting moral — as the Pesiqta Rabbati states it:" 'Give freely to the poor' — so that your barns will be filled with grain in the Future to Come." Or, as it was told earlier in the Tosefta Pe'a that King Monbaz distributed the entire contents of his granaries during years of famine. When he was rebuked by his brothers he replied, "My fathers stored granaries for this world, I stored granaries for the World to Come." W e have here in Leviticus Rabbah a version of a folk-tale in which the giver of charity disperses funds meant for building in this world, in preference for a reward in the World to Come. This narrative finds a close parallel in the Syriac Acts of Thomas. In Act T w o , Thomas 3
4
1. Having been the one to originally suggest it. 2. See B . L. VISOTZKY, op. cif., Tubingen, 1995, p. 154-156. 3. Pesiqta Rabbati 25 (Friedmann, 126b-127a). 4. Pe'a 4.18 (Lieberman, 60); see also J Pe'a I, and B Babah Batrah 11a.
348
BURTON L. VISOTZKY
agrees to build a palace for King Gundaphar but instead spends the money on the poor. Gundaphar casts Thomas into prison, but that night the king's brother dies and when he gets to heaven sees a magnificent palace there, built in heaven by the very charity Thomas had dispersed on earth. The brother begs to return to earth where he tells Gundaphar of the heavenly palace Thomas has built. The king hears and believes, Thomas is freed from prison and the king and his brother are both baptized. 1
The parallels between the story in the Acts of Thomas and the Levi ticus Rabbah text seem fairly clear. I assume that either they borrow from one another or from a c o m m o n s o u r c e . There have been other affinities noted between the Syriac Acts of Thomas and rabbinic literature. The question facing us is the extent to which Jewish affinities with the Acts of Thomas indicate that the community which produced that work was, therefore, Jewish-Christian. Again, the problem of Aramaic interferes with our appreciation of just what constitutes Jewish-Christianity. Further, this particular parallel between Leviticus Rabbah and the Syriac Acts suffers from possible "contamination" from the world of folk-tale. It is possible that each text came to the story entirely independently of the other. 2
3
III.
Conclusions.
W e have n o w reviewed the nine texts in which Leviticus Rabbah considers Christianity. A s mentioned earlier, these texts constitute a minuscule proportion of the entire Leviticus Rabbah text. Nowhere in Leviticus Rabbah is there any sustained consideration of any form of Christianity. Five of the texts w e reviewed were polemical against Christianity. Of these, one seemingly drew only on N e w Testament
1. This summary from F. C. BURKITT, Early Eastern Christianity, London, 1904, p. 66. S e e W . WRIGHT, Apocryphal Acts of the Apostles, London, 1871, vol. 1: The Syriac Texts, p. 185-197, vol. 2: The English Translation, p. 159-169; A. F. J. KLIJN, The Acts of Thomas, Leiden, 1962, p. 73-79,200-222; A. F. J. KLIJN, "The Influence of Jewish Theology on the Odes of Solomon and the Acts of Thomas," in Aspects du judéo-christianisme : Colloque de Strasbourg, 23-25 avril 1964, Paris, 1965, p. 167-179. 2. One must note that there is a Greek recension of the Acts of Thomas (M. BONNET, Acta Philippi et Acta Thomae, 1903, p. 124-128 [reprint, Darmstadt, 1959]), a possible source as well, but in my opinion, a less likely source than the Syriac version. The legend does also appear as a folk-tale as early as the Ahiqar lite rature. See E . YASSIF, "Traces of Folk Traditions of the Second Temple Period in Rabbinic Literature," in Journal of Jewish Studies 39 (1988), p. 228-229. 3. S. BROCK, "Jewish Traditions in Syriac Sources," in Journal of Jewish Studies 30 (1979), p. 221, n. 31.
349
JEWISH-CHRISTIANITY IN LEVITICUS RABBAH 1
2
m o t i f s , one referred to later aspects of M a r i o l o g y , yet another referred to the Melchizedek traditions which do have a history in synagogue-church disputation, but do not necessarily indicate Jewish-Christianity. T w o of the texts w e reviewed seem to be in dialogue with the Didascalia Apostolorum Syriace, a text which itself may have inter course with some Jewish-Christian community early in its history. Whether these texts offer any fresh evidence for Jewish-Christianity outside of that context is doubtful. Three more t e x t s refer to the Ten Tribes, which perhaps may be a rabbinic appellation for some form of law-observant Jewish-Christianity. Finally, the last text w e consi dered has motif affinities with the Syriac Acts of Thomas. The sheer generosity of the story makes it appealing, but not necessarily instruc tive on the history of Jewish-Christianity in rabbinic literature. What Leviticus Rabbah teaches us about Jewish-Christianity is that the chimera remains elusive. 3
4
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1. Text 1 above. 2. Text 5 above. 3. Text 2 above. 4. Texts 3 and 4 above. 5. Texts 6,7, and 8 above.
LE DEUXIÈME VOLUME DE LA VERSION SYRO-PALESTINIENNE DE LA BIBLE MOSHE BAR-ASHER Université hébraïque, Jérusalem
Résumé La version syro-palestinienne de la Bible a été éditée et publiée par le Centre du Projet biblique de V Université hébraïque de Jérusalem, fondé et dirigé par le regretté M. Goshen-Gottstein. Il s'agit de deux volumes : (a) le premier contient les livres du Pentateuque et des Prophètes ; (b)le second, en préparation, contient les Hagiographes. Nous essayons de démontrer Vimportance scientifique de cette édition par Vanalyse de quelques exemples tirés de la version syropalestinienne du livre des Psaumes, dont nous avons le texte, d'une quarantaine de chapitres, par quelques fragments anciens et par /'horologion édité et publié en 1954 par M. Black. Notre étude se concentre sur des phénomènes linguistiques variés concernant le vocabulaire et la grammaire. Nous montrons comment beaucoup de traits linguistiques typiques au dialecte syro-palestinien ont été jusqu'à présent mal compris ou mal interprétés.
Summary The Syropalestinian version of the Bible was studied and printed by the Center of the Bible Project of the Hebrew University in Jerusalem, wich was established and directed by M. GoshenGottstein. Two volumes are refered to : (a) the first volume includes the books of the Torah and the Prophets ; (b) the second volume, which is in preparation, includes the books of the Writings. We are attempting to reveal the scientific importance of the edition through the analysis of several examples from the Syropalestinian version of the book of Psalms, a book from which we have some forty chapters that were taken from ancient fragments as well as from the horologion, that was published in 1954 by M. Black. Our research deals with various linguistic phenomenon from the vocabulary and from the grammar. We display how phenomenon characteristic of the Syropalestinian dialect were not understood correctly.
LA VERSION SYRO-PALESTINIENNE DE LA BIBLE
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I. Édition du centre du projet biblique de l'université hébraïque de Jérusalem.
a) Le premier volume. 1. Il y a vingt-cinq ans, M. Goshen-Gottstein et H. Shirun ont publié, dans le cadre du Centre du Projet biblique de l'Université hébraïque de Jérusalem, le premier volume de la version syro-palestinienne de la Bible (= S Y P ) qui, rappelons-le, est traduite de la Septante. Ce volume contient tous les fragments du Pentateuque et des Prophètes qui nous sont parvenus \ Les textes qui se trouvent dans cette édition ont été rassemblés à partir de livres syro-palestiniens édités dans diverses publications dont la majorité date de la fin du XIX et du début du XX siècle. À cela s'ajoutent d'autres fragments alors inédits qui ont été édités pour la première fois dans cette publication. e
e
2. Les innovations de cette publication ne tiennent pas seulement à l'édition de fragments inédits, mais aussi aux centaines de corrections que les éditeurs ont apportées aux premières publications dont l'établissement avait été quelque peu bâclé pour cause de précipitation mais aussi et surtout à cause de la méconnaissance du dialecte syro-palestinien . En outre cette publication fait apparaître des centaines de versets entiers ou fragmentaires du Pentateuque, des Prophètes et des Hagiographes insérés à date ancienne dans d'autres livres, surtout dans ceux du Nouveau Testament et des Pères de l'Église. Parfois on y trouve deux versions d'un m ê m e verset : l'une provenant du texte continu d'un fragment assez long de l'Écriture et l'autre consistant en une citation ou en une courte paraphrase insérée dans l'un des livres mentionnés ci-dessus. Ainsi, par exemple, une proposition tirée de Ex 15, 1, dont la version hébraïque est ntc nrci *o rb nrrm, « Je chanterai l'Éternel car 2
1. M . GOSHEN-GOTTSTEIN - H . SHIRUN, The Bible in the Sympalestinian Version, Part I. Pentateuch and Prophets, Jérusalem, 1973 [hébreu]. Rappelons que, dans cette édition, le syriaque est écrit en caractères hébraïques. 2. Voir M . BAR-ASHER, Palestinian Syriac Studies ; Source-Texts, Traditions and Grammatical Problems, Jérusalem, 1977, p. 7-12, § 211-213 [hébreu], où Ton trouvera un examen des différentes éditions de la littérature syro-palestinienne dans lequel on a pris soin de distinguer entre les bonnes et les mauvaises.
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MOSHE BAR-ASHER
il s'est couvert de gloire », et la version grecque dawpÉV TO> Kupico èvSo^coç y à p SeSo^acrrai, « N o u s chanterons le Seigneur, car glorieusement il s'est glorifié », est traduite, dans le texte syro-palestinien continu, de la manière suivante : ^ i c o a i c X m T
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3. Les principes de l'édition mentionnée ici ont été fixées par M. Goshen-Gottstein, l'un des grands spécialistes contemporains du texte de la Bible, dans le cadre de son œuvre colossale en vue de l'établissement d'une nouvelle édition de la Bible et dans le cadre d'autres publications bibliques . Quant à l'édition du texte à proprement parler, elle a été menée de façon remarquable, au terme d'un travail qui a duré de longues années, par H. Shirun que ses compétences, sa persévérance et sa connaissance du syro-palestinien destinaient tout naturellement à cette entreprise. Cette étude est pour moi l'occasion d'insister sur la valeur éminente de ses travaux que j'ai déjà mise en honneur dans une autre publication . 4
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1. Voir M. GOSHEN-GOTTSTEIN - H. SHIRUN, op. cit., Jérusalem, 1973, p. 24 [hébreu]. 2. Dans d'autres publications, nous avons expliqué l'évolution T j j t u e n Î J C J J par la transformation du sheva en une voyelle de plein droit et par le déplacement de l'accent de la dernière syllabe à la pénultième. Voir M. BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1977 [hébreu], p. 438-447, § 9.6 et en particulier § 631, p. 439-440 ; M. BAR-ASHER, « Le syropalestinien - Études grammaticales », dans Journal asiatique 276 (1988), p. 39-47 ; M. BAR-ASHER, « Palestinian Syriac and Samaritan Aramaic - A Comparative Study », dans M. BAR-ASHER et al. (ÉD.), Studies in Bible and Exegesis. Moshe Goshen-Gottstein : in Memoriam, Ramat-Gan, 1993, p. 58-61 [hébreu]. 3. Voir M. GOSHEN-GOTTSTEIN - H. SHIRUN, op. cit., Jérusalem, 1973, p. 27 [hébreu]. 4. Bien entendu, la plus grande réussite de ce projet est l'édition des livres d'Isaïe et de Jérémie parue après la mort de ce savant. Voir M. GOSHEN-GOTTSTEIN, The Book of Isaiah, Jérusalem, 1995, et C. RABIN - S. TALMON - E . Tov - G. MARQUIS,
The Book of Jeremiah, Jérusalem, 1997. 5. Voir M . BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1977 [hébreu], p. 12 et n. 73.
LA VERSION SYRO-PALESTINIENNE DE LA BIBLE
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4. Cette édition, qui regroupe l'ensemble des textes, a permis de mettre en évidence la totalité de c e qui nous est parvenu de cette version ou plus exactement de ces versions de la Bible en syro-palestinien. . Malheureusement d'importantes portions de cette traduction sont définitivement perdues. Le peu qui nous reste est cependant loin d'être négligeable et nous fournit un précieux témoignage des deux strates de la langue syro-palestinienne : la plus ancienne, employée c o m m e langue vernaculaire et cultuelle au cours de la deuxième moitié du I millénaire ; la plus récente, correspondant à la langue exclusivement cultuelle en usage aux x r et xiT s i è c l e s . 1
er
2
5. Les vestiges de la version syro-palestinienne de la Bible nous sont parvenus à travers divers écrits : 5.1. U n e infime partie des textes comportent des traductions continues de la Bible. Il s'agit alors de feuilles séparées (des palimpsestes pour la plupart), tirées de manuscrits qui contenaient un ou plusieurs livres de la version syro-palestinienne de la Bible, ce qui constitue un témoignage explicite du fait qu'il existait une traduction intégrale de la Bible dans cet idiome. Les textes de cette catégorie sont de l'époque la plus ancienne. 5.2. Une grande partie des textes proviennent de rituels qui contenaient un large assortiment d'extraits de l'Ancien et du Nouveau Testament ainsi que d'autres ouvrages. D e la première époque, il ne nous reste plus que quelques vestiges de rituels. Mais c'est la période postérieure qui fournit le plus gros contingent de rituels conservés en entier . A u cours de cette dernière époque, la plupart des indications destinées à l'utilisateur sont en arabe, la langue vernaculaire des chrétiens melkites. Dans les extraits de prières et les passages de l'Ancien et du Nouveau Testament, qui sont presque tous écrits en syro-palestinien, on discerne à cette époque des traces d'influence arabe et d'une pression grandissante du syriaque. Et dans les deux strates, l'impact du grec se laisse largement reconnaître. 3
1. Une partie des textes parallèles en syro-palestinien révèle qu'il y a eu des traductions différentes de la Bible, effectuées à diverses époques. Voir M. GOSHENGOTTSTEIN - H. SHIRUN, op. cit., Jérusalem, 1973 [hébreu], p. X de l'introduction en anglais, et la référence à l'article de S. Brock à la n. 7. Voir aussi l'exemple avancé plus avant au § 21. 2. Au sujet de la différence entre ces deux strates linguistiques, voir M . BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1977 [hébreu], p. 284-341, où l'on trouvera une étude in extenso. 3. Les chapitres n à rv de M . BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1977 [hébreu] traitent de l'ensemble des documents syro-palestiniens, en distinguant comme il se doit les deux périodes (strates) de l'histoire de ce dialecte. Voir aussi M . BAR-ASHER, « The Provenance of Palestinian Syriac Literature », dans Judea and Samaria Research Studies. Proceedings of the 4th Annual Meeting, 1994, Kedumim- Ariel, 1995, p. 209-221 [hébreu].
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MOSHE BAR-ASHER 1
Voici les rituels de la période tardive actuellement connus : le lectionnaire , qui contient des passages de l'Ancien et du Nouveau Testament ; l'évangéliaire , qui comprend uniquement des textes des quatre Évangiles canoniques ; l'horologion , qui fait essentiellement apparaître un grand nombre de psaumes avec quelques extraits de l'Ancien et du Nouveau Testament ; l'euchologion , qui contient lui aussi quelques passages bibliques. 2
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b) L e s e c o n d v o l u m e . 6. D y a longtemps déjà que le Centre du Projet biblique a dressé une première esquisse recouvrant une partie de l'édition du second volume de la version syro-palestinienne de la Bible. La formule adoptée était la même que pour le premier volume, en conformité avec les principes édictés par M. Goshen-Gottstein. Là encore, c'est à H. Shirun qu'a incombé la réalisation du projet. Malheureusement, la longue maladie et le décès du premier et la maladie du second ont entraîné la cessation complète du projet il y a de cela quelques années. En 1997, H. Shirun et son épouse, I. Shirun, ont mis à ma disposition le brouillon de l'édition inachevée ainsi qu'une somme de données supplémentaires - y compris du matériel que j'avais m o i - m ê m e rassemblé et fourni au Centre du Projet biblique, bien avant 1977. C'est sur la demande de H. et de I. Shirun ainsi que de S. Talmon, qui dirige actuellement le Centre du Projet biblique, que j'ai accepté de prendre la responsabilité de publier ce volume. J'ai commencé récemment à m'occuper des derniers préparatifs avant l'impression, ce qui m'a conduit à ajouter un grand nombre de données. Je ne m e suis pas départi du dessein de M. Goshen-Gottstein qui voulait appliquer au second volume la formule utilisée pour le premier. 7. Signalons en outre que ce volume fait apparaître le texte syropalestinien en caractères hébreux au lieu de l'estrangelo syriaque ou syro-palestinien. Certes cela est regrettable, puisque aussi bien toute transmission indirecte fait intervenir de nombreux détails incompréhensibles à qui ne connaît pas les règles de la transmission directe.
p.
1. Ils sont examinés dans les chapitres mentionnés dans la note précédente. 2. Voir M . BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1977 [hébreu], sources n°» 98-100, 107-109, ainsi que les renvois qui sont faits à d'autres chapitres. 3. Voir M . BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1977 [hébreu], sources n 84-93, 95-104. 4. Voir M . BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1977 [hébreu], sources n 101-102, 109-112. 5. Voir M . BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1977 [hébreu], sources n 103-104, 112-114. 08
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C'est ainsi que l'alphabet hébreu ne permet pas de faire comprendre les erreurs de copie dues à une similitude graphique entre les lettres c o m m e , par exemple, l e y o d h (j) et le sadhe (y) qui font apparaître la m ê m e composante graphique, de telle sorte que celle-ci ne diffère de celle-là que par un seul détail : l'adjonction d'un jambage descendant jusqu'en bas d e la ligne - un scribe oubliant d e marquer le jambage du sadhe en arrive par inadvertance à provoquer une confusion entre les deux lettres K Prenons un exemple. Dans l'horologion publié par M. Black en 1954, on trouve deux occurences du Ps 5 , 2 . Dans la première, le mot syro-palestinien qui transpose l e grec é v a m a c u (correspondant à l'hébreu nrmn du texte massorétique de la Bible hébraïque) figure sous la forme à u ^ i < , qui est l'impératif du scheme 'afel de la racine èicij . Dans la seconde occurence, on trouve en revanche la forme
3
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8. L e second volume regroupe tous les fragments des Hagiographes, notamment l e s Psaumes, les Proverbes et Job. Ici encore nous avons rassemblé tous les fragments publiés dans d'autres éditions et nous avons procédé à leur relecture. Naturellement, cette édition prend en compte les brèves citations figurant dans d'autres ouvrages. Et une fois de plus, n o s leçons diffèrent d e s leçons corrompues qui infestent les éditions précédentes, au point que des centaines et des centaines de corrections ont été nécessaires pour amender l e texte. E n outre, cette édition comprendra un fragment inédit de Job qui m'est parvenu récemment et que j'ai réussi à déchiffrer au prix de nombreux efforts . Il s'agit d'une très vieille feuille, seul vestige d'un manuscrit perdu, o ù l ' o n peut lire l e s passages de Jb 2 2 , 2 2 - 3 0 et de Jb 2 3 , 1 - 1 1 . 6
1. Cette question est traitée en M . BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1 9 7 7 [hébreu], § 5 1 , p. 3 3 6 - 3 3 7 ; voir aussi § 6 4 3 1 , p. 4 4 0 . 2 . M . BLACK, A Christian Palestinian Syriac Horologion (Berlin Ms. Or. Oct. 1019), Cambridge, 1 9 5 4 . 3 . Voir M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1 9 5 4 , p. 1 8 7 . 4 . Voir M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1 9 5 4 , p. 1 8 1 . 5 . Voir M . BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1 9 7 7 [hébreu], p. 4 4 0 ; M . BARASHER, op. cit., dans Journal asiatique 2 7 6 ( 1 9 8 8 ) , p. 4 4 - 4 6 .
6. La feuiUe a été gravement endommagée, mais des photographies d'une excel-
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MOSHE BAR-ASHER
c) L'importance d e l'édition. 9. Nous avons déjà rappelé que les versions syro-palestiniennes remontent à la traduction de la Septante, ce qui en limite la portée du point de vue de l'étude du texte de la Bible hébraïque. Il est rare que cette version se fasse l'écho d'une leçon intéressante, c o m m e cela a déjà été remarqué en d'autres occasions L'intérêt des documents syro-palestiniens touche essentiellement à la connaissance du lexique et de la grammaire de ce dialecte araméen. L'édition du Centre du Projet biblique en deux volumes présente le double avantage d'offrir de façon continue l'ensemble des textes syro-palestiniens de la Bible qui nous sont parvenus et de corriger des erreurs qui se sont introduites par centaines dans les éditions précédentes. C'est justement ce qui permet de bien connaître le dialecte. Nous voudrions illustrer ce dernier point à travers une série d'exemples divers que nous tirerons du livre des Psaumes tel qu'il figure dans notre édition. Mais auparavant quelques remarques s'imposent. 10. Les psaumes conservés en syro-palestinien actuellement connus sont contenus, pour la plupart, dans l'horologion édité par M. Black en 1954. Avec ce rituel, on dispose ainsi de quarante-quatre psaumes presque tous entiers . Signalons que, pour tous ces psaumes, le titre fait défaut, ce qui explique le décalage entre la numérotation des versets dans l'édition de M. Black et dans les psaumes de la Septante. D'ordinaire, les psaumes de l'horologion sont présentés avec 3 leur numéro, par exemple : ^è\Aè>n cnèAcfc icoaoa Acioàin , « Et tu réciteras le psaume trente-trois », ou J^C^JIW* ^TINT i ^ ^ n , « Et tu réciteras le psaume cinq ». 2
4
lente qualité ont été mises à ma disposition et m'ont permis de déchiffrer le texte dans sa quasi-intégralité. Je donne le déchiffrement de ce passage dans un article à paraître. 1. Voir M. GosHEN-GoTTSTEiN - H . SHIRUN, op. cit., Jérusalem, 1973 [hébreu], p. IX-X de l'introduction en anglais. Les conjectures auxquelles se livre M. GoshenGottstein au sujet des rapports avec les textes non grecs sont intéressantes, mais après vérification on ne trouve guère de rapports substantiels avec des versions non grecques. Sur une leçon particulière dans le texte syro-palestinien, voir M. BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1977 [hébreu], p. 4, n. 26 - elle concerne Dt 7,25. 2. Pour la liste des psaumes et des versets de psaumes contenus dans cet horologion, voir M. BLACK, op. cit., Cambridge, 1954, p. 455-456. On peut remarquer que, dans l'horologion, le mot « psaume » se dit i \zn ou yCiiNy 3. Voir M. BLACK, op. cit., Cambridge, 1954, p. 239. Ici comme en d'autres passages, le titre est en arabe. 4. Voir M. BLACK, op. cit., Cambridge, 1954, p. 181. Mais, ici comme en d'autres passages, le titre est en syro-palestinien. La graphie n est la scriptio defectiva de i n^a
L A V E R S I O N SYRO-PALESTTNIENNE D E L A BIBLE
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11. L'édition de M. Black a le mérite d'adjoindre au texte de l'horologion la traduction de longs passages de c e texte ainsi qu'une introduction détaillée comprenant notamment un glossaire qui concentre des données plus ou moins inédites dans le domaine du lexique, de la sémantique, de la graphie et de la grammaire. Mais, à maintes reprises, M. Black s'est trompé et a introduit des leçons corrompues qui l'ont empêché de reconnaître ou de faire connaître à ses lecteurs des faits de langue inconnus et intéressants. Parfois, il a suggéré des leçons indues à la place des formes sui generis figurant dans les manuscrits. Naturellement, nous ne pourrons présenter ici qu'une infime partie des faits de langue qu'il faudrait décrire et analyser sur de nouvelles bases, et encore le ferons-nous de la façon la plus concise qui soit.
II. Remarques linguistiques. a) Implémentation lexicale. 12. Presque tous les textes syro-palestiniens font apparaître des mots inconnus authentiquement araméens ou empruntés à d'autres langues ainsi que des acceptions nouvelles pour des mots connus par ailleurs ; parfois, on trouve aussi incidemment des idiomatismes spécifiques au dialecte. N o u s allons fournir quelques exemples qui ont partiellement échappé à l'attention de M. Black ou qu'il a mal interprétés. N o u s aimerions présenter en outre quelques faits qui se font jour à travers la version syro-palestinienne des Psaumes et dont l'intérêt est grand du point de vue de l'étude de c e dialecte et de l'araméen en général. rCxJiciD, « mule ».
13. L'expression pan pu T T S D OIOD rnn « N e soyez pas c o m m e un cheval, c o m m e un mulet inintelligent », du Ps 31 [32 *], 9, a été rendue c o m m e suit dans la Septante : |if) yiveoQe m ïrrrroç ko! f]|JUOVOç o i e OÙK èuTiv ovveoic En syro-palestinien, on Ut la formulation suivante : ^ n ^ i n ^ à ^ T < ^ La leçon de M. Black est certes correcte, mais il n'a pas su identifier le mot i<àujiciD, comme en témoigne son glossaire . Il est évident que 3
1. Chaque fois que la numérotation des psaumes varie du texte massorétique à la Septante, nous avons fait figurer entre crochets l'équivalence massorétique. 2. Voir M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1954, p. 212. 3. Voir M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1954, p. 59.
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MOSHE BAR-ASHER
le copiste a lu un resh à la place d'un dalath, or il faut lire r<àuj n od (forme définie de rGj *i cld). Ce mot araméen, qui est d'origine akkadienne \ est bien attesté dans la langue araméenne, y compris dans les Targumim bibliques. On en trouve une forme légèrement différente dans le Targum de Jonathan sur les Prophètes, dans le Targum des Psaumes, dans le Talmud de Babylone, en mandéen et en syriaque. On peut comparer, par exemple, les formes mTD traduisant "nsn e n Z a 1 4 , 1 5 , wirro traduisant rman en 1 R 1 , 3 3 e t i e r o pour nia en Ps 31 [ 3 2 ] , 9 ; de m ê m e en TB Hulin 7b, on peut relever l'expression iwnïpn W V T T O , « mules blanches ». Dans la Peshitto, on doit mentionner que la formule T T S D OICD y est traduite par rCàuTOD ^yrCn rCmcino i^yrC On peut également relever qu'en mandéen on trouve le terme kudania Il semble que la présence de ce mot dans la version syro-palestinienne reflète un usage propre à l'araméen de Palestine . Il s'agit d'un lexeme qui fait partie du lexique syro-palestinien. 3
r<î\ht, « gorge ». 14. Dans le Ps 5, 10 du texte massorétique, on peut lire la formulation suivante : Dana mns "Qp, que la Septante a traduite : Td(f)oç av60)Yl^évoç ô Xâpiry£ a i n w . Dans la version syro-pales5 4 tinienne, on trouve : ^nco^i^u j_iàv9 t_3xj . M . Black s'est trompé et a lu m t ^ J J , avec un dalath. Faisant remarquer que le texte est corrompu, il a suggéré la correction ^ncoj-Gxu^injai (prron 'Gtf), d'après le mot jjdjjj^jcunA q u i avait servi à rendre le grec tco Xâpiryyi \iov correspondant à l'hébreu "on ?, qui est dans le Ps 118 [119], 103. Dans le glossaire, M . Black a fait figurer la leçon corrompue en èï ^\hi avec un dalath, en y adjoignant cependant un point d'interrogation. 6
1
2
1. Voir K . BROCKELMANN, Lexicon Syriacum, Halle, 1 9 2 8 , p. 3 1 8 . 2. Voir E. S . DROWER - R. MACUCH, A Mandate Dictionary, Oxford, 1 9 6 3 , p. 2 0 5 . 3. En judéo-araméen de Palestine, ce mot n'est pas attesté en dehors de la littérature targumique, comme en témoigne M . SOKOLOFF, A Dictionary of Jewish Palestinian Aramaic, Ramat-Gan, 1 9 9 0 . 4. Il s'agit d'une forme du participe passif du schemepe 'al xuhs (p tih) > JJ ò\9. 5. Voir M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1 9 5 4 , p. 1 8 2 . 6. Voir aussi M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1 9 5 4 , p. 3 2 7 , correction de e
359
LA VERSION SYRO-PALESTTNIENNE DE LA BIBLE
Toute cette conjecture repose en fait sur une lecture erronée de sa part. Moyennant quoi, il n'a pas vu qu'il s'agissait du mot arabe bien connu frandjara, « gorge ». L'intrusion d'un mot arabe à c e stade tardif du dialecte n'a rien d'étonnant. D semble que la désignation authentiquement araméenne de « gorge » n'était pas connue à l'époque tardive , aussi lui a-t-on substitué le mot courant dans la langue vernaculaire du traducteur . 1
2
n^m\
« querelle
».
15. En deux passages des Psaumes, le mot grec à v T i X o y i a ( n n dans le texte massorétique), signifiant « querelle » ou « controverse », est rendu par le mot syro-palestinien m i \ Voici l e s p a s s a g e s en question : (1) en Ps 3 0 [ 3 1 ] , 2 1 , ^ ^LSIAT n , n n \ (= en grec : OTTÔ à i m X o y i a ç yXtoaaoiv et en hébreu : rrcncfr n n n ) ; (2) en Ps 54 [55], 10, ^ n n \ n ^ r t ^ u j i n x è o u ^ 3
4
r(àujT03T (=
en grec : Ô T L ÉT8OV à v o [ i i a v Kal à v T i X o y i a v èv TT\
TTÔXet et en hébreu : T i n n m oan 'rrm o ) .
En 1903, époque ou F. Schulthess a composé son dictionnaire, le mot C U J ± \ n'était pas connu. En 1954, M. Black l'a fait figurer
dans son glossaire, et l'a rapporté à la racine J D C I \ employé au schème 'qf'el, avec le sens de « il répondit » ou « il réagit » - bien que le verbe - I I \ T < soit dérivé de la racine . D C L \ le mot c u m \ témoigne en faveur d'un verbe secondaire n n \ Quant à la signification du mot, on peut suggérer l'évolution suivante : certains verbes et certains noms désignant la parole, le discours ou l'émission vocale ont parfois donné lieu au sens 5
1. Nous ignorons par quel mot le dialecte syro-palestinien désignait la « gorge ». Dans le Targum de Jonathan sur les Prophètes, le mot p~ia (gdrôn) est rendu par le mot pia (tfrôn) quand il est question du larynx : c'est ainsi que pian mp de Is 58,1 est traduit par "pnn ^r>«, alors que pna rmoa de Is 3, 16, expression où il est question du cou, est rendu par "IK*C* jono. La même traduction a été adoptée par le Targum judéo-araméen des Psaumes en ce qui concerne le verset 5, 10 : là, le mot Dma est traduit par prima. Quant à la Peshitto, elle a rendu par r C à i i ^ s j e mot en Is 58,1 et en Ps 5,10, alors qu'en Is 3 , 1 6 c'est le mot r C i qui est employé comme on peut s'y attendre. 2. Il est vraisemblable que le texte de Fhorologion édité par M. Black a été traduit à l'époque tardive de l'évolution du dialecte, quand les chrétiens melkites utilisaient déjà l'arabe comme langue vernaculaire. Pour ce mot d'origine arabe, voir C. RABIN, « Christian Palestinian Aramaic "Hangarta" », dans Journal ofTheological Studies 7(1956), p. 79. 3. Voir M. BLACK, op. cit., Cambridge, 1954, p. 227. 4. Voir M. BLACK, op. cit., Cambridge, 1954, p. 217. 5. Voir M. BLACK, op. cit., Cambridge, 1954, p. 54. L'éditeur a corrigé le texte en rCèïj moyennant l'escamotage du yodh qui suit le dalath.
360
MOSHE BAR-ASHER
secondaire de « querelle », de « litige », etc. Ce processus est attesté pour les racines ion ou oon. C'est ainsi que le syntagme hébreu unon et son parallèle araméen mon buo signifient « h o m m e querelleur », « h o m m e en proie à un litige ». À cette acception se rattache également le substantif n m , « paroles de querelle et de litige ». Signalons aussi à c e propos la racine sm dont dérivent le verbe j m n et le substantif i n : c'est ainsi que dans la Peshitto, Ex 32, 17 : n m n DOT b-\p na OTTT aoefa, « Josué entendit la voix du peuple en clameur », a été traduit par : crAo ^ C U C J A^UCCI àxD à o a ^ID T
Écarts par rapport
à la traduction
littérale.
16. N o u s avons déjà signalé que les versions syro-palestiniennes sont nettement et systématiquement tributaires des leçons de la Septante. Partout en effet où la Septante diverge du texte massorétique, la dépendance de la version syro-palestinienne reste une constante, qu'il s'agisse d'une autre version de la Bible hébraïque ou d'une interprétation que les traducteurs alexandrins ont introduite dans le texte massorétique. Entre autres exemples fournis par les Psaumes, citons l'expression nom W) crTSD, « les lionceaux sont dépourvus et affamés », du Ps 33 [34], 11. Le Targum judéo-araméen traduit ce verset de façon littérale en rendant le mot ETTSD par l'expression JYHK m , « fils de lions ». Il est bien entendu, que c e verset, en hébreu, prend une dimension métaphorique, c o m m e Abraham ibn Ezra l'a judicieusement fait remarquer dans son commentaire : « Il m e semble que ce sont les hommes, lesquels ressemblent à des lionceaux par la façon qu'ils ont de dévorer leur abondante nourriture. Tel est le sens de "les lionceaux sont dépourvus et affamés" » . La Septante a escamoté cette métaphore : T T X O I K J I O I èTrTa>xeixjai/ rai èTretvaaav, « des riches sont devenus pauvres et ils ont eu faim ». C'est précisément sur cette traduction que repose le commentaire de la version syropalestinienne : r u a s n n i n m ^ ^ r C ^ à i à O i , « des riches sont devenus pauvres et ils ont eu f a i m ». l
2
3
1. Voir le commentaire d'Ibn Ezra dans l'édition de Miqra 'ot-Guédolot. 2. Voir M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1954, p. 240. 3. À signaler que la Peshitto reprend la même traduction que ceUe de la Septante : c u a a ci c m narre èirC (= riches) t O i j à ^ .
LA VERSION SYRO-PALESTIMENNE DE LA BIBLE
361
Il serait faux pourtant de croire que la version syro-palestinienne adhère en tout point à la traduction de la Septante, et qu'elle en est la transposition littérale. Il n'est pas rare en effet que la version syropalestinienne, tout en respectant la formulation de la Septante, ait recours à des idiomatismes du dialecte au lieu de s'en tenir à une traduction-calque. On peut donner deux exemples très intéressants de cette méthode. 17. Le premier concerne l'expression c a n \ ^ nx.±j^çji, « disant en son cœur ». Dans le texte massorétique du Ps 4, 5, l'expression icbn "ion figure dans le syntagme ODQob2 n o n , « dites en vos cœurs ». Dans la Septante, elle est traduite littéralement par X é y e T e é v T C U C K a p S t a i ç v[iLùv et dans la Peshitto par yCLo^A^ n i m r C En revanche, la version syro-palestinienne a recouru à une traduction libre qui reflète à mon sens un idiomatisme syro-palestinien signifiant « songea en son cœur » : ^ r n n n \ n ^ n j e j u à o i T O I rC^LD \ « dans c e que vous pensez en vos cœurs ». À titre de comparaison, signalons qu'Abraham ibn Ezra a paraphrasé c e verset par : « Vous avez pensé du mensonge dans votre cœur ». 2
18. Le second concerne le mot yz^K, « sang », au pluriel. Dans le texte massorétique du Ps 5, 7, on rencontre le syntagme nominal t r m Bfa* , « h o m m e de sangs », au pluriel. Dans la Septante, il est rendu aussi par un pluriel : d v S p a a i | i d T u ) v . En revanche, dans la version syro-palestinienne, il est rendu par un singulier : K - i a ^ 3
rCl*TjrOl .
Il convient de souligner qu'en syro-palestinien c o m m e dans d'autres dialectes araméens, le substantif >nrC (toujours graphie de cette f a ç o n ) n'existe qu'au singulier . 4
5
1. Voir M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1954, p. 269. 2. Voir le commentaire d'Ibn Ezra dans l'édition de Migra 'ot-Guédolot. 3. Voir M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1954, p. 181. 4. En syro-palestinien, ce mot apparaît toujours avec un alaph avant le dalath (voir F. SCHULTHESS, Lexicon Syropalestinum, Berlin, 1903, s.v.). Il semble que la forme déterminée r O ^ n , qui était prononcée dma, a donné lieu à l'apparition d'une voyelle prothétique : I J T < / edrna (voir F. SCHULTHESS, Grammatikdes christlichpalàstinischenAramaisch, Tubingen, 1924, p. 28 ; M . BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1977 [hébreu], p. 479 ; C. MÛLLER-KESSLER, Grammatik des christlich-palàstinischen Aramaisch, Hildesheim-Zurich-New York, 1991, p. 64) ; à partir de là, la voyelle s'est propagée aussi au status absolutus : ^ i r C / edam. En syriaque et en judéo-araméen palestinien aussi le mot n'est employé qu'au singulier (voir M. SOKOLOFF, A Dictionary of Jewish Palestinian Aramaic, Ramat-Gan, 1990, s.v.). 5. Les exemples de ai au pluriel que Jastrow fait figurer dans son dictionnaire sont des calques de l'hébreu - leur authenticité est de ce fait douteuse.
362
MOSHE BAR-ASHER
Le m ê m e phénomène apparaît dans le Targum judéo-araméen sur les Psaumes : m CÉK, « homme répandant le sang », ainsi que dans l a P e s h i t t o : r
b) Remarques portant sur la graphie et la grammaire. 19. Le texte des Psaumes dans l'édition de M. Black et dans la nouvelle édition du Centre du Projet biblique de l'Université hébraïque de Jérusalem apporte des renseignements inédits concernant la graphie et la grammaire. Parfois un détail orthographique est susceptible de refléter une variante phonétique et m ê m e de soulever toute une question de grammaire syro-palestinienne. C'est ainsi que le mot mao, « sac », qui est courant en syro-palestinien, est toujours graphie avec un semkath, sauf une fois où il figure avec un sadhe, reflétant une prononciation emphatique du semkath due à l'assimilation régressive au qof: saq > saq. L e mot figure, par exemple, au Ps 2 9 [30], 12 : J X J ^ à A \ , n \ correspondant au grec : 8iéppr|£aç T Ô V adKKov LLOU et à l'hébreu : •pto nnns, « tu as déchiré m o n s a c » . Parmi la masse d'informations que nous avons recensée dans le cadre de notre travail en vue de l'édition du texte, nous nous contenterons de mentionner ici, à titre de spécimens, deux faits de grammaire. 2
20. L'agglutination de mots. On voit se manifester par endroits un phénomène d'agglutination de deux mots qui en arrivent à être prononcés et graphies en un seul mot. Généralement, l'édition de M. Black ne relève pas ce phénomène, et en certains endroits il a m ê m e échappé à l'attention de l'éditeur. Au Ps 3 , 2 : le syro-palestinien présente la leçon n\rn"n, correspondant au grec : T L 6TrXr|0ûv0r|(jav, « pourquoi se sont-ils amassés ? », et à l'hébreu i m no, « qu'ils sont nombreux ! ». M. Black a corrigé cette leçon en la remplaçant par la forme n \ m r O ^ qui lui a paru être la bonne, tout en signalant cependant la leçon du manuscrit . Or, il apparaît que les deux mots se sont agglutinés en un seul : masgu (< masPgo) . Aussi le scribe les a-t-il graphies c o m m e tels ! 3
4
5
1. Voir M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1954, p. 210. 2. Pour une raison inexplicable, cette donnée n'a pas paru importante à M. Black, qui ne Ta pas relevée dans son glossaire. 3. Voir M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1954, p. 148. 4. Cette translittération se fonde sur la conclusion en vertu de laquelle les deux voyelles [o] et [u] sont devenues deux allophones en syro-palestinien : [o] en syllabe fermée et [u] en syllabe ouverte (voir M. BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1977 [hébreu], p. 483-505). 5. Cette translittération se fonde sur les règles de Faraméen classique, dont raraméen biblique est un des représentants.
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LA VERSION SYRO-PALESTINIENNE DE LA BIBLE
A u Ps 118 [ 1 1 9 ] , 8 6 : le syro-palestinien présente la leçon j è u ^ o o , correspondant au grec (3of|0r|(j6v |ioi, « secours-moi », et à l'hébreu TXts, « aide-moi ». M. Black a lu . \ <m en deux mots sans s'aviser de la leçon du manuscrit \ Là encore, il apparaît que les deux mots A dm et J se sont soudés en un seul mot j à u ^ m . A u Ps 8 4 [85], 8 : le syro-palestinien présente la leçon ^ n n r C « fais-nous connaître », alors que le grec comporte S e l f ov f)ptv, « montre-nous », et l'hébreu wnn, « fais-nous voir ». Ici encore M. Black a lu ^ A i n K , sans s'aviser du fait que les deux mots ont été graphies en un s e u l . Il semble, en effet, que la séquence 'oda 'lan se soit agglutinée en udalan ou udelen .
Jau
2
3
4
5
21. Les alternances grammaticales. U n autre mérite de l'édition du Centre du Projet biblique de l'Université hébraïque tiendra à la présentation en parallèle des textes dont il a été question ci-dessus. En des centaines d'occurrences, cette présentation pourra faire apparaître, en effet, des alternances linguistiques d'un texte à l'autre. Ces alternances reflètent deux stades dans l'évolution du dialecte ou deux formes qui ont coexisté à la m ê m e époque. L'examen des textes parallèles des Psaumes livre des dizaines d'exemples de c e genre. Tel est donc l'un des avantages de cette édition. On ne donne ici qu'un exemple. Pour le Ps 16 [17], 5, on a trouvé dans un ancien texte publié par F. Schulthess en 1905, la leçon [J à A m n * ) ^ i u r<\i , « que mes pas ne soient pas bouleversés », traduisant le grec ïva p.f] aaX£u0ùxriv T a 8iapf||iaTâ |iou, alors que l'hébreu a la leçon " M B TDTQ] bn , « que mes pas ne flanchent pas ». Dans la version parallèle de l'horologion, éditée par M. Black, on peut lire la leçon JàûinmnÇ) ilurOi . 6
7
1. Voir M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1 9 5 4 , p. 3 2 5 . 2 . Le 'e n'était pas prononcé (voir M . BAR-ASHER, « A Syropalestinian Inscription from Tel-Yunis », dans Haaretz-Museum Annual 1 7 - 1 8 ( 1 9 7 5 ) , p. 1 8 - 1 9 , § e et M . BARASHER, op. cit., Jérusalem, 1 9 7 7 [hébreu], p. 3 6 7 - 4 2 0 , spécialement p. 4 0 4 ) . Peut-être s'est-il produit ici un phénomène d'haplologie, de sorte que les deux syllabes comportant ya se sont réduites en une seule syllabe : sayya ' yaû > sayyayati > sayyati ? 3 . Voir M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1 9 5 4 , p. 2 4 6 . 4 . Le [o] a été réalisé en [u] en syllabe ouverte (voir plus haut, p. 3 6 2 , n. 4 ) et le 'e n'a plus été prononcé (voir plus haut, p. 3 6 3 , n. 2 ) . 5. A supposer que le [a] a été prononcé [e], comme en témoignent les textes syropalestiniens de la période tardive (voir F. SCHULTHESS, op. cit., Tubingen, 1 9 2 4 , p. 2 0 ; M . BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1 9 7 7 [hébreu], p. 1 4 2 et en d'autres passages qu'on trouvera signalés dans l'index, p. 5 7 3 ; C. MULLER-KESSLER, op. cit., Hildesheim-Zurich-New York, 1 9 9 1 , p. 6 0 ) . 6 . Voir F. SCHULTHESS, Christlich-palàstinische Fragmente aus der Omajjaden Moschee zu Damaskus, Berlin, 1 9 0 5 , p. 3 3 . 7. Voir M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1 9 5 4 , p. 1 9 9 .
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MOSHE BAR-ASHER
Les deux formes verbales ^ L \ *I u et u correspondent à la 3 personne du féminin pluriel de l'inaccompli du 'etp 'el. La première forme ^ i ^ i p peut être interprétée de la manière suivante : le taw, qui est le morphème [t] du schème, et le zaïn, qui est la première consonne de la racine, sont intervertis en vertu du processus bien connu de la métathèse, de sorte que le taw s'est partiellement assimilé au z devenant sonore : [d]> [d] ; en outre, la désinence du féminin pluriel -an qui est caractéristique de la 3 personne du pluriel a subsisté. La deuxième forme yn:^ u se distingue de la première par deux caractéristiques : (1) le morphème [t] s'est entièrement assimilé au zaïn subséquent, yitza'zP'un > yizza'zPun ; (2) à l'époque tardive, la forme de la 3 personne du pluriel féminin ne se distingue pas toujours de la 3 personne du pluriel masculin, de sorte que -un tend à remplacer -an. Bien entendu, la prononciation de ces mots a dû différer de ce que nous venons de décrire : il est vraisemblable que ces verbes ont été prononcés yizdaze-an I yizzaze-on - en effet, il a dû se produire quelques changements phonétiques dans le dialecte, ainsi que nous l'avons mentionné déjà en d'autres lieux : (a) amuissement de la consonne pharyngale [ ' e ] / [ ' ] ; (b) réalisation du shewa qui suit le deuxième zaïn en une voyelle à part entière [ e ] ; (c) dans la forme en -un, le [u] est prononcé [o] en syllabe f e r m é e - il y a m ê m e des témoignages en faveur d'une pronociation [e] au lieu de [u] > [ o ] . La forme du n o m complément varie également d'une époque à l'autre. Dans le texte publié par F. Schulthess, nous avons trouvé J ci3 (< pus 'ati ) et dans celui publié par M. Black, J à i \ n m 3 (< pPsu"ati J, c'est-à-dire que nous avons affaire à deux variantes différentes du substantif à la forme absolue K N m a 3 (< *pus'a) en face de rC^nmS (< * p s u 'a). e
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1. Voir F. SCHULTHESS, op. cit., Tubingen, 1924, p. 22. 2. Voir plus haut, p. 363, n. 2. 3. Voir M. BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1977 [hébreu], § 9.3, p. 430-433 ; M. BAR-ASHER, « op. cit. », dans Journal asiatique 276 (1988), p. 42-44. 4. Voir plus haut, p. 362, n. 4. 5. Voir M. BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1977 [hébreu], § 6432, p. 445-447 ; M. BAR-ASHER, op. cit., dans Journal asiatique 276 (1988), p. 47-50. 6. Le mot revient à deux reprises dans ce verset. 7. Cette forme représente un état de la langue classique et non la prononciation effective. 8. Voir plus haut, p. 364, n. 7. 9. Voir plus haut, p. 364, n. 8.
LA VERSION SYRO-PALESTINIENNE DE LA BIBLE
365
III. C o n c l u s i o n . 22. La publication intégrale de l'édition du Centre du Projet biblique de l'Université hébraïque de Jérusalem vient offrir aux chercheurs spécialisés dans l'étude des versions en dialecte syropalestinien un instrument de travail de meilleure qualité que ceux qu'ils ont eus jusqu'à présent à leur disposition. Elle contient la totalité des textes de l'Ancien Testament en syro-palestinien dont certains sont inédits. Dans la mesure où nous avons réussi à les localiser, les versions parallèles des fragments sont présentées en synopse. D e s centaines et des centaines d'erreurs, qui amoindrissaient la qualité des éditions précédentes, ont été corrigées. En outre, cette nouvelle édition permettra aux linguistes de prendre connaissance de faits de langue dont on présumait auparavant l'existence et de découvrir des données inédites en ce qui concerne le lexique, la sémantique et la grammaire dont la présente étude a fourni quelques échantillons succincts . 1
1. Il convient d'indiquer la publication de C . MULLER-KESSLER - M . SOKOLOFF, The Christum Palestinian Aramaic Old Testament and Apocrypha Version from the Early Period. A Corpus of Christian Palestinian Aramaic-, I, Groningen, 1997.
TROIS REMARQUES SUR LA PESIQTA DE-RAV KAHANA ET LE CHRISTIANISME STÉPHANE VERHELST École biblique et archéologique française, Jérusalem
Résumé e
L'hypothèse d'un courant « nazoréen » même après le IV siècle est abordée à partir de la Pesiqta de-Rav Kahana, en développant un article de la Revue biblique, 1998, en corrigeant un article des Questions liturgiques, 1997, et en reprenant avec quelque détail un article de Liber Annuus, 7997. Dans chaque cas, j'observe que le rapport au judaïsme se centre non pas sur la pratique de la Torah mais sur le souvenir liturgique du Temple détruit Je propose aussi d'identifier deux « lieux saints » nazoréens au moins jusqu 'au V siècle : la Tombe de Jacques et le Kathisme. e
Summary The hypothesis of a "Nazorean" movement even after the 4th century is questioned in an short analysis of the Pesiqta de-Rav Kahana. This unfolds an article 0 / R e v u e biblique, 799S, corrects an article of Questions liturgiques, 7997, and repeats with some detail an article of Liber Annuus, 7997. In each cases, I point out that the éventuel Nazoreans do not focus on the Tora but on the Temple and his liturgical memory. I also propose to identify two Nazorean « holy places » until, at least, the 5th century : the Tomb of James and the Kathisma. Cette conférence présente quelques résultats d'une recherche sur la liturgie chrétienne de Jérusalem dans son rapport au judaïsme. Elle s'inscrit dans la suite de deux études relatives à deux textes géorgiens, qui apportent un éclairage tout particulier sur le nazaréisme *.
1. S. VERHELST, « Une homélie de Jean de Bolnisi et la durée du carême en Syrie-
LA PES1QTA DE-RAV KAHANA
367
Elles ont été suivies d'une étude parue dans Liber Annuus où, de manière analogue mais à partir de l'écrit rabbinique Pesiqta de-Rav Kahana, est abordé le délicat problème «judéo-chrétien» . La Pesiqta de-Rav Kahana (= PRK) est un recueil d'homélies pour les fêtes annuelles de la tradition juive rabbinique. L'ouvrage est généralement daté après le I V et avant le v r siècle, parce que les rabbins cités ne semblent pas postérieurs au IV siècle et que l'ouvrage ne fait aucune allusion, contrairement à un recueil comparable, la Pesiqta Rabbati, aux invasions de la Palestine du v n siècle. Plusieurs études, y compris par F. Manns r é c e m m e n t , ont insisté sur les éléments polémiques qui semblent affleurer dans la composition de l'ouvrage. Le présent travail s'inscrit dans cette ligne d'études, tout en essayant de trouver - par-delà l'aspect polémique évident, ou assez évident, de certains passages - des allusions qui tendraient à démontrer l'existence d'un courant « christianisant » au sein m ê m e du judaïsme représenté par ces sources. L e schéma de cet exposé, à défaut d'arriver à une conclusion parfaitement argumentée, se laissera donc aisément saisir : une remarque supplémentaire à propos de l'article paru dans la Revue biblique ; une simple remarque sur celui paru dans Liber Annuus ; et une remarque complémentaire, voire une rétractation, à propos du texte paru dans les Questions liturgiques. Il convient de préciser cependant qu'en plus de ces remarques isolées, j e m'efforcerai d'expliquer, avec tous les détails requis, le contexte dans lequel ces remarques s'insèrent. N o u s aurons ainsi un thème historique, suivi de deux thèmes proprement liturgiques, autrement dit seront abordées : (1) la question de la « Tombe de Zacharie » dans la vallée du Cédron ; (2) la question du début juif et chrétien de l'année liturgique en décembre-janvier ; (3) la question du cycle liturgique juif et chrétien des lectures du Deutéro-Isaïe. 1
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Palestine », dans Questions liturgiques 7 8 ( 1 9 9 7 ) , p. 2 0 1 - 2 2 0 ; S. VERHELST, « L'Apocalypse de Zacharie, Siméon et Jacques », dans Revue biblique 1 0 5 ( 1 9 9 8 ) , p. 8 1 - 1 0 4 .
La traduction de ces deux textes géorgiens a été assurée par un petit groupe qui s'est réuni sous la direction de Bernard Outtier, à qui je les avais proposés il y a deux ans comme simple exercice dans le cadre de l'Académie de langues du CNRS à Saintes. C'est aussi l'occasion de remercier Christian B. Amphoux, responsable de ces stages de langues sans qui l'idée même d'une telle rencontre n'aurait sans doute jamais été envisagée. Je profite encore de l'occasion pour remercier Moshé D. Herr des discussions que j'ai eues avec lui sur certains aspects des questions que je vais aborder. 1. S. VERHELST, « Pesiqta de-Rav Kahana, chapitre 1, et la liturgie chrétienne », dans Liber Annuus 4 7 ( 1 9 9 7 ) , p. 1 2 9 - 1 3 8 . 2 . F. MANNS, « La polémique contre les judéo-chrétiens en Pesiqta de-Rav Kahana 1 5 », dans Liber Annuus 4 0 ( 1 9 9 0 ) , p. 2 1 1 - 2 2 6 .
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STÉPHANE VERHELST
I. Une allusion à la « Fondation de Paul » dans Pesiqta de-Rav KahanaXY,!. Le premier texte auquel je m e réfère est intitulé « Apocalypse de Zacharie, Siméon et Jacques », et est tiré d'un recueil d'homélies appelé mravaltavi en géorgien . Il s'agit d'une collection d'homélies, en partie palestiniennes et en partie syriennes ; l'édition initiale pourrait avoir été faite à Antioche, mais il paraît clair que ce recueil était connu et utilisé à Jérusalem (où il existait un monastère important dès le v siècle), soit en géorgien, soit même en grec, qui est, autant qu'on puisse le savoir, le modèle des homélies. L Apocalypse de Zacharie apparaît dans deux manuscrits de cet homéliaire, c o m m e lecture liturgique pour une fête située le 2 6 décembre, qui est la fête de Jacques frère du Seigneur dans la tradition orientale jusqu'à aujourd'hui . Le modèle du texte est probablement grec et la traduction, d'après la forme du texte scripturaire qui estdté^d'qxèsdiflfâTents éléments lexicaux, a dû se faire vers le VI siècle. Il s'agit d'une lettre d'un certain Jean racontant quatre apparitions de Zacharie « grand prêtre de Dieu » et « père du Baptiste » (§ 57), apparitions qui ont pour fonction et pour résultat l'authentification de deux lots de reliques, qu'un certain Épiphane lui aurait envoyés depuis Jérusalem. Le heu de provenance exacte des reliques n'est pas précisé. Les reliques se révèlent être de Zacharie lui-même, Jacques frère du Seigneur et Siméon, le « témoin-martyr » de Le 2. On possède un important détail permettant de dater le terminus a quo de la rédaction de la lettre, et donc des apparitions : une référence au défunt Siméon le Stylite (mort en 458). Par ailleurs, la lettre demande à la fin (§ 67-71) la construction d'un sanctuaire sur le lieu où les reliques avaient été trouvées, mais il est assez clair que cette conclusion remonte à un état ultérieur de la lettre, qui à l'origine ne s'adressait qu'à É p i p h a n e . La construction de ce sanctuaire semble postérieure au passage du pèlerin Théodose qui fait allusion aux reliques mais ne mentionne pas encore le sanctuaire vers 518, et antérieure à la fin de l'épiscopat de Pierre en 552. La lettre de Jean daterait 1
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1. Étude de base de M . V A N ESBROECK, Les plus anciens homéliaires géorgiens. Étude descriptive et historique, Louvain-la-Neuve, 1 9 7 5 . 2. Le choix de cette date dépend d'une ancienne fête « judéo-pagano-chrétienne » du patriarche Jacob, signalée à Hébron par le Pèlerin de Plaisance, au vr siècle (30, § 2 ) , et confondu avec Jacques frère du Seigneur. Il est aussi vraisemblable que cette date dépende de la fête d'Etienne, le 2 6 décembre également. Je me contente d'observer ici cette rencontre, car pour l'expliquer, il faudrait entrer dans de trop nombreux détails. 3. Je suis désormais porté à penser que le Pierre qui accompagne le nom d'Épiphane pourrait être Févêque Pierre de Jérusalem ( 5 2 4 - 5 5 2 ) , ajouté par la même main que l'auteur de la conclusion.
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donc de l'époque allant de 4 5 8 à 5 1 8 , soit environ le troisième tiers du V siècle. La provenance des reliques peut être facilement retrouvée, puisque Théodose déjà reconnaît dans la vallée du Cédron un monument contenant les trois personnages des apparitions de Jean. Ceci nous conduit directement à la « Tombe de Zacharie » - elle porte encore ce n o m aujourd'hui - , où en effet des restes d'un sanctuaire byzantin ont été retrouvés (à l'occasion de la chasse aux trésors qui a suivi la découverte du Rouleau de cuivre de Qumrân) et sont toujours à peu près visibles in situ K Par ailleurs, des reliques de Jacques, Zacharie et Siméon à cet endroit étaient fort bien connues depuis qu'un texte latin avait été étudié par F.-M. A b e l . Si ce texte prétendait que trois apparitions de Jacques, permettant l'identification des reliques, s'étaient produites au début de l'épiscopat de Cyrille, soit au milieu du r v siècle, il est évident que ce récit est en fait postérieur au récit géorgien - l'un et l'autre traduisant un modèle grec - , car il prévoit la célébration de deux fêtes liturgiques les 1 décembre et 25 mai, pour l'invention des reliques et pour la dédicace du sanctuaire, fêtes dont le lectionnaire géorgien confirme en effet l'existence dans la liturgie de Jérusalem, en indiquant m ê m e le n o m du sanctuaire (la « Fondation de Paul »). Or c e s fêtes n'existent pas encore dans le texte géorgien qui vient d'être traduit. Par ailleurs, la tradition locale sur c e sanctuaire a continué de se développer, puisqu'on retrouve dans le synaxaire melkite de langue arabe (étudié par Mgr Sauget) un récit qui est en dépendance directe de l'Apocalypse latine. Ce récit arabe confirme non seulement que l'Apocalypse latine est plus tardive que l'Apocalypse géorgienne, mais suggère aussi que l'Apocalypse latine a en quelque sorte remplacé, c o m m e légende de fondation, l'Apocalypse géorgienne. Je reviendrai plus loin sur le problème de la localisation primitive de la tombe-mémorial de Jacques et Zacharie. Je voudrais apporter ici un autre témoignage qui n'avait pas été aperçu jusqu'à présent, et qui se trouve dans le récit rabbinique de la mort de Zacharie, assassiné par le roi de Juda entre l'autel et le vestibule, selon le récit de 2 Ch 24. La légende de la vengeance du sang de Zacharie par Nabouzaradan, « chef des bouchers » , comporte une variante textuelle qui e
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1. Je dois à E. Alliatta la précieuse remarque selon laquelle la cavité creusée sous le monolithe pyramidal doit évidemment être rattachée à la construction du sanctuaire, dont elle constitue la crypte où devaient se trouver le ou les reliquaire(s). 2. Voir F.-M. ABEL, « La sépulture de saint Jacques le Mineur », dans Revue biblique 16 (1919), p. 485-487. 3. Voir ce récit dans L. GINZBERG, The Legends of the Jews, t. IV, Philadelphie, 1913, p. 304 ; t. VI, Philadelphie, 1928, p. 396-397 ; S. H. BLANK, « The Death of Zacharias in Rabbinic Literature », dans Hebrew Union College Annual 12 (1937), p. 327-346, plus spécialement p. 338 et p. 339-346.
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n'apparaît pas dans les éditions traditionnelles, mais seulement dans l'édition Buber pour Lamentations Kabbah IV, 13 l'édition Mandelbaum pour PRK XV, 7 et l'édition Hirschman pour Qohelet Rabbah III, 1 6 . Voici une traduction de ce midrash . 2
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1. « À cause des péchés de ses prophètes, des crimes de ses prêtres, qui en pleine ville avaient versé le sang des justes ! » (Lm 4,13.) 2. Rabbi Youdan demandait à Rabbi Aha : « Où a-t-on tué Zacharie ? Dans le parvis des femmes ou dans le parvis d'Israël ?» Il lui dit : « Dans le parvis des prêtres. » 3. Et ils ne se comportèrent avec son sang ni comme avec celui d'un cerf ni comme avec celui d'une gazelle (Dt 12), car du sang du cerf et de la gazelle il est écrit : « Il versera son sang et le recouvrira de terre » (Lv 17, 13). Ainsi donc il est écrit : « Car son sang est au milieu d'elle (Jérusalem), elle l'a mis sur le roc nu » (Ez 24,7). Et tout ça pourquoi ? « Pour faire monter la fureur, pour tirer vengeance (j'ai mis son sang sur le roc nu, sans le recouvrir) » (Ez 24, 8 ) . 4. Et quand Nabouzaradan monta à Jérusalem pour la détruire, le Saint béni soit-il commanda à ce même sang, qui commença à bouillonner (DOT) [lire O O I N ] ) . Il lui dit : « Voici le temps de te rendre justice » . Lorsqu'il le vit, il leur dit : « Qu'est-ce que c'est que ce sang ? » Ils lui dirent : « C'est le sang des bœufs, des brebis, des béliers, que nous avons l'habitude de sacrifier sur l'autel. » 5
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1. S. BUBER, Midrash Eykha Rabba, Vilna, 1899, p. 148-149 (manuscrit de Rome, Casanata J.I.4,1378 ; manuscrit de Londres, BM 27089,1504). 2. B. MANDELBAUM, Pesiqta de-Rav Kahana According to an Oxford Manuscript with Variants from all Known Manuscripts and Genizoth Fragments and Parallel Passages with Commentary and Introduction, t. I, New York, 1962 \ 1 9 8 7 , p. 257-259. 3. M . G. HIRSCHMAN, Midrash Qohelet Rabbah : Chapters 1-4. Commentary (ch. 1) and Introduction, 2 volumes, New York, 1983 (The Jewish Theological Seminary of America, Ph.D.) ; vol. H, p. 301-307 (= Vaticanus Hebraicus 291.1 lb, 1417). 4. Certains manuscrits de Qohelet Rabbah renvoient à la Meguillat Eykha pour plus de renseignements. C'est un indice favorable à l'antériorité de Lamentations Rabbah IV, 13 (ici traduit) sur Qohelet Rabbah TU, 16. Le motif initial pour lequel la légende aurait été mise par écrit serait donc un commentaire de Lm 4,13. Pour une étude rrélimiiiaire du midrash, on doit aussi renvoyer à J. HEINEMANN, Aggadah and its Development, Jérusalem, 1974, p. 31-38 et p. 214-215 [en hébreu]. 5. M . G. HIRSCHMAN, op. cit., New York, 1983 : ajoute : « Ils entassèrent toute espèce de poussière par-dessus et construisirent toute espèce de construction », pa rbs m nsi? bD rbs TÊTU Les syntagmes kol afax et kol binian représentent une forme grammaticale rare, qui semble empruntée au grec (irac + substantif). 6. M . G. HIRSCHMAN, op. cit., New York, 1983 : ajoute : « et à bouillir » (rrmrïi). Certains manuscrits de Qohelet Rabbah sont plus longs : « et il monta pendant deux cent cinquante-deux ans, depuis Joas jusqu'à Sédécias. Que firent-ils ? Ils entassèrent toute espèce de poussière par-dessus et firent toute espèce de tas, mais il ne se reposait point et le sang bouillonnait et bouillait ». 7. On doit comprendre cette phrase yri [ÔIKV|] ' a a m KTIÏU? un, selon l'édition Hirschman, au heu de "|n r a n RTTO TVT, selon l'édition Buber. 2
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Aussitôt, il envoya chercher des bœufs, des brebis et des béliers, et ils les immolèrent devant lui, mais le sang était toujours bouillonnant. 5. Comme ils ne lui avouèrent pas, il les prit et les pendit au « gardon » . Il leur dit : « Dites-moi ce que c'est que ce sang ! » Ils lui dirent : « Puisque le Saint béni soit-il veut inculper (jnnn ?) le sang de nos mains, on va te le dire. Nous avions un prêtre, un prophète, un juge ; il prophétisait contre nous tout ce que tu es en train de nous faire ; mais nous ne l'avons pas cru ; nous nous sommes dressés contre lui et l'avons tué. » 6. Aussitôt il amena quatre-vingts jeunes prêtres qu'il égorgea par-dessus lui, à cause de lui (v^tf) ; mais le sang ne se figea pas ; il continuait de suinter (p2no), tant et si bien qu'il arriva à la tombe de Zacharie (rrpî 'atf rop ?). 7. À cet instant précis, il le morigéna et lui dit : « Eh quoi ! Est-ce là ta pensée que je perde tout ton peuple pour toi ? » Au même instant le Saint béni soit-il se remplit de miséricorde et dit : « Moi dont il est écrit "le Seigneur ton Dieu est un Dieu miséricordieux" (Dt 4, 31), je ne leur ferais pas miséricorde, alors que cette mauvaise graine, qui est de terre et de sang, qui est cruelle, qui est venue pour les détruire se remplit pour eux de miséricorde. Aussi, moi combien plus ! » 8. Au même instant, le Saint béni soit-il commanda à ce même sang, et il s'engloutit sur place (impos utaïï) ; c'est ce qui est dit : « et la mer apaisa sa fureur » (Jon 1,15) . 9. Rabbi Youdan dit : « Israël commit sept fautes en ce même jour : ils tuèrent un prêtre, un prophète, un juge, ils versèrent un sang innocent, ils rendirent impur le parvis et c'était un jour de Kippour et un sabbat. » l
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La « Tombe de Zacharie » au point 6, selon cette recension, peut difficilement ne pas être une allusion au monolithe pyramidal de la vallée du Cédron. La leçon du texte reçu lidemo au lieu de liqevaro, en citant Os 4 , 2 (w'damîm b'damîm naga û), paraît ultérieure. Quoi qu'il en soit, le point essentiel est l'ajout de Qohelet Rabbah au point 3 , ajout déplacé par certains copistes, dans ce m ê m e ouvrage, au paragraphe suivant . L'allusion à une « construction » signifierait en effet que le narrateur de la légende dans Qohelet Rabbah III, 16 et sans doute aussi dans les deux autres versions comportant la « Tombe de Zacharie », eût connu l'existence de la « Fondation de Paul » *, qui dès lors, à côté de sa fonction c o m m e homélie insérée dans Lamentations Rabbah, pourrait être le motif lointain de la mise t
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1. n s'agit du gradus latin, le tribunal. 2. « Pour détruire ma demeure » (Qohelet Rabbah). 3. Ceci est-il une allusion à Ex 15, 4 : « La mer des Roseaux l'a engloutie Cuoo) » ? 4. Voir plus haut, p. 370, n. 5. 5. Voir plus haut, p. 370, n. 6. 6. Il y a un souvenir de cette « construction » dans le bref résumé de Cantique
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par écrit du midrash. On se rappelle d'ailleurs que le 9 av, d'après certaines sources tant juives que chrétiennes , était une occasion pour les juifs, à l'époque byzantine, de se rendre à Jérusalem en pèlerinage. U n d e s résultats de l'étude de VApocalypse de Zacharie était l'hypothèse d'un déplacement de la tombe de Jacques signalée par H é g é s i p p e dans l e s ruines du Temple détruit, vers la t o m b e du Zacharie postexilique de la vallée du Cédron, selon une tradition qui est annoncée dès la fin du r v s i è c l e par Jérôme, tradition qui se concrétise à la fin du V è m e dans le récit des apparitions de Jean. 1
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L'influence de « Zacharie » sur la figure légendaire de Jacques est donc double : - L e souvenir du martyre de Zacharie dans le Temple est bien attesté non seulement par les sources rabbiniques, mais chrétiennes et m ê m e i s l a m i q u e s . Or le récit de son martyre selon 2 Ch 2 4 (et probablement différentes traditions aggadiques antérieures au midrash qui a été étudié) paraît être une source majeure du récit romancé du martyre de Jacques, qui surgit au i r s i è c l e . Il serait d'ailleurs intéressant de relire c e s deux récits de prophète-prêtre assassiné dans le temple en parallèle avec la curieuse histoire de la lapidation de Jérémie dans les Paralipomènes de Jérémie IX, sans 2
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Rabbah II, 4 : L.GRÛNHUT, Midrasch Schir Ha-Schirim, Jérusalem, 1897, p. 27-28 [d'après un manuscrit désormais perdu de la Gueniza du Caire, daté de 1147] - cité par J. HEINEMANN, op. cit., Jérusalem, 1974, p. 33 : après avoir tué Zacharie, son sang se mettant à bouillonner, « ils construisirent par-dessus une construction, mais il ne se corrigeait point ». 1. Pour les sources chrétiennes, voir J. JUSTER, Les Juifs dans VEmpire romain, Paris, 1914, t. n, p. 174-175, n. 2 et n. 5. Pour les sources juives, voir S . SAFRAI, « Ha-'aliah le-regel 1-yrushalaim le-'ahar hurban bayt sheni », dans E . OPPENHEIMER U. RAPPAPORT - D. SATRAN (Éd.), Peraqim be-tolodot Yerushalaim bimey bayt sheni (Mélanges A. Shalit), Jérusalem, 5741, p. 376-393. La présence juive à Jérusalem au début de l'époque byzantine est plus difficile à établir (voir néanmoins S. SAFRAI, « Qahela' qadisha' de-b-yrashalaim », dans Sion 22 (5717), p. 183-193). 2. Le JâmV al-bayân 'an tâ'wîl al-qur'ân de Abu Ja'far M. b. Jarîr al-Tabarî (839-922), éd. al-Halabî, Le Caire, 1954-1957, au livre 15, transmet deux recensions affabulantes de la légende de la mort de Zacharie comme cause de la chute du Temple, d'abord en citant Mûsâ b. 'Uqba al-Asadî (ca. 675-758), p. 32-33, ensuite Ibn Isb'aq (704-767), p. 41. Dans ce dernier cas, il est intéressant de noter que le Temple est supposé se trouver dans une vallée (fi l-biq*ah). Je dois à Madame Rosenkranz Verhelst ces précieux renseignements. 3. Ce récit, outre Hégésippe et la seconde Apocalypse gnostique de Jacques, est inséré dans Reconnaissances 1,70-71, passage sur lequel on peut désormais se référer à la contribution de C. Gianotto à ce volume. Sur le martyre de Jacques proprement dit, je remercie F. S. Jones de m'avoir rappelé son article : « The Martyrdom of James in Hegesippus, Clement of Alexandria, and Christian Apocrypha, Including Nag Hammadi : A Study of the Textual Relation », Society of Biblical Literature. 1990 Seminars Papers, Atlanta, Géorgie, 1990, p. 322-335 (voir aussi F. S. JONES, An Ancient Jewish Christian Source on the History of Christianity. Pseudo-Clementine Recognitions 1.27-71, AUanta, Géorgie, 1995, p. 142-145).
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parler m ê m e de la Passion d'Etienne \ qui, c o m m e Jacques, meurt dans le Temple entouré de deux témoins juifs. - Plus tard, à partir de la fin du r v siècle, la tombe du Zacharie postexilique est à l'origine de la localisation byzantine de la tombe de Jacques. La construction chrétienne sur la « Tombe de Zacharie » au début du V I siècle est donc une indication probable de la continuité de la tradition du mémorial de Jacques dans les ruines du Temple depuis Hégésippe jusqu'à cette époque, et c e déplacement de tradition concernant un lieu saint typiquement « judéo-chrétien » devra être rapproché du Kathisme dont il va être question plus loin. L'aspect « nazoréen » de c e dossier ne se limite d'ailleurs pas simplement à une question de lieu, car il y a dans Y Apocalypse de Zacharie des indices assez clairs qui situent ce texte dans le courant de l'apocalyptique juive, et le titre de « grand prêtre » qui est donné à Jacques n'a qu'un seul parallèle dans les sources connues : la notice d'Épiphane contre les Nazoréens. Ce sont autant d'éléments qui m'invitent à identifier l'auteur du texte c o m m e étant lui-même un Nazoréen. On devrait enfin relier c e document, sans parler des sources proprement apocryphes, à d'autres textes patristiques, en particulier quelques documents exhumés par M. van Esbroeck dans les années 1 9 8 0 . e
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II. Pesiqta de-Rav Kahana 1,1 et 3 et le début du cycle homilétique en décembre-janvier. Il convient de citer d'abord une étude de Léo Baeck : « In debates b e t w e e n Jewish scholars [au moment de la polémique antinestorienne sur le titre de Theotokos], it may well have been a thorny point whether the Song of Songs, which the Church also interpreted allegorically, does or does not tell how the Mother of God had crowned her
1. Dossier récemment repris par A . STRUS, « L'origine de l'apocryphe grec de la
passion de S. Etienne : À propos d'un texte de deux manuscrits récemment publiés », dans Ephemerides Liturgicae 112 (1998), p. 18-57. 2. M. VAN ESBROECK, Barsabée de Jérusalem. Sur le Christ et les Églises, Turnhout, 1982 (PO 41) ; M. VAN ESBROECK, « Jean II de Jérusalem et les cultes de S. Etienne, de la Sainte-Sion et de la Croix », dans Analecta Bollandiana 102 (1984), p. 99-134, spécialement p. 115-125 (« Du bienheureux Jean de Jérusalem. Panégyrique sur la sainte Église du Seigneur ») ; M. VAN ESBROECK, « L'homélie de Pierre de Jérusalem et la fin de l'origénisme latin en 551 », dans Orientalia Christiana Periodica 51 (1985), p. 33-59 ; M. VAN ESBROECK, « Un court traité pseudo-basilien de mouvance aaronite conservé en arménien », dans Le Muséon 100 (1987), p. 385-395.
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Son » *. L'auteur commente le § 3 du chapitre initial de la Pesiqta deRav Kahana et met en évidence la difficulté narrative de l'explication d'un verset du Cantique des Cantiques : « Venez contempler, filles de Sion, le roi Salomon, avec le diadème dont sa mère l'a couronné, au jour de ses épousailles, au jour de la joie de son cœur » (Ct 3 , 1 1 ) . Puisque, dès l'époque tanaïtique, le Salomon du Cantique est interprété du S B S , que faut-il penser de sa mère ? L e compilateur du recueil - au V siècle par exemple - n'aurait-il pas lui-même cité le rabbin du rv siècle qui apparaît ici, pour intervenir dans la polémique sur le titre de Marie Théotokos, polémique qui a éclaté au concile antinestorien d'Éphèse, en 4 3 1 ? C'est c e que viendrait confirmer l'observation suivante. On trouve dans la première section ( P R K 1 , 1 ) un midrash sur la Shekhinah remontant au cours de sept générations à partir du péché d'Adam jusque - d'après la recension de Beréshit Rabba XIX, 7 au péché des Égyptiens envers Abraham (= Gn 17-18), et redescendant au cours de sept générations, à partir des vertus d'Abraham (Gn 22) jusqu'à la Dédicace de la Tente par M o ï s e (Nb 7). Le thème est caractéristique des homélies de la fête dite de la Mémoire de Marie, qu'il serait peut-être plus simple d'appeler, à l'époque qui nous occupe, fête de l'Annonciation (la date du 25 mars ne s'est guère imposée avant l'époque de Justinien). Cette fête se situait, et se situe encore dans certaines traditions liturgiques, avant la fête de N o ë l , donc à l'époque de Hanukah. Or ledit mraval-tavi c o m m e n c e justement par des homélies pour cette fête. Si j e n'y ai pas trouvé d'homélies comportant la thématique des deux fois sept générations de l'histoire du salut, cette thématique, aboutissant dans le nouveau temple qu'est le sein de Marie mère de Jésus, est récurrente dans d'autres homélies mariales . Sous cette réserve, le parallèle avec la Pesiqta de-Rav Kahana ne se limite donc pas seulement au début chronologique du classement des homélies dans les deux recueils, mais s'étend au contenu m ê m e de certaines homélies caractéristiques. Il faut toutefois reconnaître que le début de PRK à Hanukah ne fait pas l'objet d'un consensus ; certains estiment que ce début aurait été à l'origine Rosh ha-Shanah, actuellement PRK XXIII, puisque Rosh ha-Shanah est le début de l'année dans la tradition rabbinique. Cette pétition de principe peut d'ailleurs s'appuyer sur un bon manuscrit, e
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1. L . BAECK, « Haggadah and ChristianDoctrine », dans Hebrew Union College Annual 23 (1950-1951), p. 549-560, spécialement p. 557. 2. On trouvera dans S. C. MIMOUNI, Dormition et Assomption de Marie. Histoire des traditions anciennes, Paris, 1995, p. 373-433, tous les éléments nécessaires à une étude préliminaire de cette fête. 3. J'en ai citées l'une ou l'autre dans S. VERHELST, op. cit., dans Liber Annuus 47 (1997), p. 129-138.
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o ù l e c l a s s e m e n t d e s h o m é l i e s c o m m e n c e e n e f f e t par R o s h ha-Shanah (manuscrit d'Oxford 1 dans l'édition de Mandelbaum). Mais un début à Hanukah est une lectio difficilior : pourquoi aurait-on déplacé ce début anormal à Hanukah, s'il avait été primitivement à R o s h ha-Shanah ? L'explication que l'on avance pour justifier le début du cycle à Hanukah est qu'il s'agit de la première fête qui tombe après le cycle de la lecture de la Torah (donc après la fête de Simhat Torah, 8 ou 9 jour de la fête de Sukkot). Mais ce cycle en Palestine était trisannuel, et il n'est m ê m e pas sûr que Hanukah soit la première fête annuelle dans ce cycle, qui ne comportait pas rigoureusement trois ans. Il faut donc admettre que l'éditeur de PRK a pris c o m m e m o d è l e de son calendrier des fêtes annuelles le modèle de lecture annuel de la Torah commençant après Simhat Torah, bien que dans ce modèle annuel le début de l'an soit Rosh ha-Shanah. Ce paradoxe est à la fois l'indice de l'origine palestinienne de ce cycle annuel et l'indice de sa transmission dans un milieu qui n'était pas le milieu rabbinique créateur, ou transmetteur, de la grande tradition aggadique conservée dans le Midrash Rabba et les autres midrashim classiques. En d'autres termes, ce premier parallèle entre les deux homéliaires suggère que les « nazoréens » attachaient une importance particulière à Hanukah, au Temple et à sa restauration, conclusion qui n'est pas sans rejoindre la première remarque de cet exposé K e
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1. Elle la rejoint peut-être encore par un autre côté, que je ne peux qu'évoquer ici. n serait en effet intéressant de montrer que l'Annonciation était célébrée, dans une tradition différente de la tradition des sources liturgiques (homéliaire, lectionnaire, etc.), non pas avant Noël mais le 15 août. Cette fête, d'après ces mêmes sources liturgiques, se célébrait au lieu dit du Kathisme, au troisième miUe de Jérusalem vers Bethléem. Or c'est exactement à cet endroit que le Protévangile de Jacques situe la naissance de Jésus. Par conséquent, de même que la fête de la naissance de Jésus aurait été déplacée du Kathisme à Bethléem et du mois d'août au mois de décembre, de même la fête de l'Annonciation aurait été déplacée du 15 août aux environs de Noël - les deux fêtes étant fondamentalement, comme encore aujourd'hui dans la tradition orientale, une même fête de l'Économie du Salut s'achevant dans l'Incarnation. En d'autres termes, le Kathisme pourrait être aussi ancien que le Protévangile de Jacques (c'est-à-dire les iT-uf siècles), auquel cas ce serait là un autre heu saint « nazoréen », qu'il serait intéressant de comparer à la tombe de Jacques-Zacharie. Le parallèle serait d'autant plus pertinent si l'on pouvait affirmer que le choix de la date du 15 août dépendait de la date du 9 av, mémoire du Temple détruit dans la tradition juive - voir A. LINDER, « The Destruction of Jerusalem Sunday », dans Sacris erudiri 30 (1987-1988), p. 253-292, qui apporte des éléments aUant dans ce sens. U existe un autre indice : le fait que la tradition copte fête l'Assomption le 9 du mois de mésoré, qui correspond au mois d'août. Du reste la thématique la plus récurrente de la fête du 15 août est précisément ceUe de Marie nouveau temple, au moment de son trépas (voir dans ce volume la polémique mariologique de Lévitique Rabbah, abordée dans la contribution de L. Visotzky).
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ni. Un cycle de lectures avant Pâques et avant Rosh ha-Shanah. La tradition juive a conservé jusqu'aujourd'hui un cycle de lectures discontinues de Is 4 0 - 6 6 , au cours de sept sabbats dits « de consolation » qui précèdent Rosh ha-Shanah et qui suivent Tishea be-Av. Le cycle complet comprend en fait dix semaines (ou m ê m e onze, avec le sabbat qui suit Rosh ha-Shanah), puisque le 9 av luim ê m e est précédé de trois sabbats dits « de réprimande », où la lecture des Haftarot est tirée de Jérémie (Jr 1,1 s., 2 , 4 s., L m 1 , 1 s . [ou Is 1 , 1 - 27 dans la tradition reçue]) L'origine de ce cycle, dont il y a peut-être quelque vague allusion dans Le 4 , 1 8 ou Y Apocalypse syriaque de Baruch , était restée problématique jusqu'à ce que N . G. Cohen, dans un article paru en m ê m e temps que le mien - dur hasard de la recherche scientifique - , vienne apporter des éléments décisifs en faveur de son attestation dans les écrits du juif alexandrin P h i l o n : « the vast majority of Philo's quotations from the Latter Prophets are found in one or another of the standard Haftaroth read today - and particularly, though not exclusively, in die special Haftaroth of "Admonition, Consolation and Repentance" » (p. 247). Il paraît désormais difficile d'affirmer c o m m e j e l'écrivais : « L'hypothèse d'une source c o m m u n e [avec le cycle de lectures d'Isaïe sept semaines avant Pâques dans le lectionnaire de Jérusalem] est difficilement contournable, m ê m e si l'on ne peut dire avec assurance que le cycle primitif se trouvait avant Pâque(s), c o m m e c'est le plus probable, et non avant Rosh ha-Shanah (PRK étant la première attestation de ce cycle dans la tradition rabbinique) » . Voici d'abord le tableau synoptique des lectures que l'on trouve dans le lectionnaire arménien, dans le lectionnaire géorgien et dans PRKXVI-XXII : 2
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1. On comparera les lectures tirées du début de Jérémie (notamment Jr 1,1-10 le lundi) dans la sixième semaine avant Pâques du lectionnaire : A. RENOUX, Le Codex arménien Jérusalem 121, Turnhout, 1971, t H, ti» 20, 21 et 23 (PO 36) et M. TARCHNiscHvnj, Le Grand Lectionnaire de l'Église de Jérusalem (V -vm siècle), Louvain, 1959, n" 371,376 et 385 (CSCO 189). 2. Voir par exemple C. PERROT, « Le 4, 16-30 et la lecture de l'ancienne synagogue », dans Revue des sciences religieuses 47 (1973), p. 324-337. 3. Voir P. BOGAERT, L'Apocalypse de Baruch, Paris, 1969,11, p. 153-154 et p. 164 (SC 144) : un cycle déjeune de quatre semaines avant le Yom Kippour serait un antécédent possible du cycle des sabbats de réprimande et de consolation, qui n'est pas attesté, d'après le consensus habituel, avant PRK. 4. N. G. COHEN, « Earliest Evidence of the Haftarah Cycle for the Sabbaths between 17 be-tamuz and Sukkot in Philo », dans Journal of Jewish Studies 48 (1997), p. 225-249. L'auteur annonce une étude plus vaste sur le sujet. 5. Voir S. VERHELST, op. cit., dans Questions liturgiques 78 (1997), p. 217. 6. Je cite, pour le lectionnaire arménien, l'édition de A. RENOUX, op. cit., Turnhout, E
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VII avant VI avant V avant IV avant III avant tf avant dernier e
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Lectionnaire arménien
Lectionnaire géorgien
Is 40, 1-8 Is 40, 9-17 Is 42, l-8a Is 43, 22 - 44, 8 Is 45, 1-13 Is 46, 3 - 4 7 , 4 Is 50,4-9a ; 52, 13 - 53, 12 ; 6 3 , 1 - 6 ; 60, 1-13
Is 40, 1-8 Is 40, 9 - 1 7 Is 42, 1-18 Is 42, 5-10 Is 57, 15 - 10 Is 43, 10-20 Is 50, 4-9 ; 52, 13 - 53, 12 ; 6 3 , 1 - 6 ; 5 7 , 1 - 4 et 59, 1 5 - 2 1 ; 60, 1-22
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PRK 16-22
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Is 40, Is 49, Is 54, Is 51, Is 54, Is 60, Is 61,
1 s. 14 s. 11 s. 12 s. 1 s. 1 s. 10 s.
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D e u x des péricopes de c e cycle seraient déjà citées par Philon. Sur six citations claires d'Isaïe, trois citations se rencontrent en effet dans le cycle juif de la tradition reçue (Is 5 0 , 4 et Is 5 1 , 2 pour le samedi V I ; Is 5 4 , 1 pour l e samedi HI). U n e autre citation philonienne, Is 1 , 9 , se retrouve pour l e samedi VIII selon cette m ê m e tradition ( P R K commentant en fait L m 1,1-2). Les deux autres citations sont Is 5 , 7 et 5 7 , 2 1 , mais il y a aussi deux allusions indirectes (Is 6 6 , 1 et 1 1 , 6 - 9 ) qui ne sont dans aucune Haftarah. Quant à Jérémie que j'ai cité plus haut, Philon cite trois fois c e livre, à quoi s'ajoute une allusion indirecte, et trois de c e s versets se retrouvent pour le samedi X avant Rosh ha-Shanah (Jr 2 , 3 ) o u l e samedi I X (Jr 3 , 4 et 2 , 1 3 ) , le dernier étant Jr 15, 10. On trouvera dans l'article de N . G. Cohen tous les détails
1971, t. II, p. 141-390 (PO 36) et, pour le lectionnaire géorgien, l'édition de M . TARCHNISCHVILI, op. cit., Louvain, 1959 et 1960 (CSCO 188-189 et 204-205). 1. Is 42,1-10 dans le manuscrit du Sinaï cité à la note du n° 22. Is 42,17 - 4 3 , 1 4 dans le manuscrit syro-palestinien. 2. Les manuscrits de Latal et de Kala renvoient à « Zatiki VI sabbato » (n° 461 en note, = 6 samedi de Pentecôte). 3. Is 43,15-20 dans le manuscrit du Sinaï cité à la note du n° 100. Le manuscrit syro-palestinien a Is 43,10-21. 4. On dispose fictivement, sur une même ligne, les lectures des vendredi et samedi avant Pâques. 5. Il y a quelques nuances de type hymnique dans cette lecture du samedi, voir e
A. RENOUX, op. cit., Turnhout, 1971, t. n, p. 303, n. 18 (PO 36).
6. Le lectionnaire de Latal se termine en Is 59, 20 (en corrigeant les références erronées de M . TARCHNISCHVILI - T. KLUGE - A. BAUMSTARK, « Quadragesima und
Karwoche Jerusalems im siebten Jahrhundert », dans Oriens Christianus 5 (1915), p. 201-233, spécialement p. 229). Cette lecture additionnelle du Vendredi saint n'est ni dans l'arménien ni dans le syro-palestinien (sur lequel voir le tableau de A. RAHLFS, « Die alttestamentlichen Lektionen der griechischen Kirche », dans Nachrichten v. d. Kôniglichen Gesell. d. Wiss. zu Gôtt. Philol.-Hist. Klasse 1915, Berlin, 1916, p. 28-136, spécialement p. 62-65, qui tient compte du manuscrit sinaïtique édité par A. S. LEWIS en 1897). 7. Le manuscrit de Latal a Is 60, 1-13 d'après CSCO 189, n° 727 en note ; M.
TARCHNISCHVILI - T . KLUGE - A. BAUMSTARK, op.
Christianus
5 (1915), p. 229, lisent Is 60, 1-7.
cit.,
dans
Oriens
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nécessaires \ dont on peut résumer le propos en disant que sur 13 citations claires des Prophètes (au sens de la deuxième partie du canon hébraïque), 10 sont des versets qui se trouvent aussi dans des Haftarot du cycle de lecture traditionnel, et que, sur 11 allusions indirectes (chiffre par le fait même approximatif), 5 seraient des références à des versets se trouvant dans des Haftarot. Mais le parallèle avec la Pesiqta de-Rav Kahana ne s'arrête pas là. Il se trouve en effet que pour le sabbat précédant Tishea be-Av, mémoire du Temple détruit, le compilateur juif mettait au début du recueil des homélies de ce sabbat (PRK XV, eykhah) un midrash sur A d a m expulsé du paradis (PRK XV, 1). Or c'est précisément ce thème que l'on peut lire dans une homélie géorgienne de Jean de Bolnisi pour le huitième dimanche avant P â q u e s , ainsi que dans certaines homélies de Sévère d'Antioche pour le m ê m e dimanche . Ces deux auteurs suivent ainsi un cycle de huit semaines de jeûne, calculé, c o m m e le disent explicitement Sévère et Égérie , en décomptant les samedis et dimanches (donc 8 x 5 = 4 0 , chiffre canonique). Par contre, dans la plupart des sources proto-byzantines, y compris les sources proprement liturgiques c o m m e la forme primitive de l'hymnaire géorgien ou le lectionnaire de Jérusalem (selon la recension arménienne), le carême a seulement sept semaines. Encore ne faut-il pas confondre le cycle déjeune de 8 x 5 jours et le cycle déjeune de 7 x 5 jours, auquel s'ajoute vers la fin du VI siècle une semaine d é j e u n e mitigé, la semaine dite de la tyrophagie, selon le système reçu dans les traditions syrienne et byzantine actuelles. C o m m e c e calcul n'aboutit qu'à 35 jours de jeûne au lieu de 4 0 , on trouve déjà chez Cassien, ancien moine de Bethléem à la fin du rv siècle, l'idée que 35 jours plus le Samedi saint, où le jeûne est exceptionnellement requis, constituent la « dîme de l'année ». Mais c e calcul est plutôt artificiel, et on se demande depuis longtemps, d'une part pourquoi l'on est passé du système primitif de six semaines (conservé en partie dans la tradition occidentale) au système de sept semaines, et d'autre part ce qui justifie la virulence de la polémique sur la semaine de la tyrophagie aux v n - v m siècles. Le parallèle avec le cycle juif permet non seulement d'insérer la tradition représentée par Égérie (à Jérusalem en 383-384), par Sévère (à Antioche entre 5 1 2 et 5 1 8 ) et par Jean de Bolnisi (vers la fin du 2
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1. Voir en particulier son tableau des p. 241-242. 2. C'est cette homélie qui est traduite dans l'article cité plus haut, p. 366, n. 1. 3. Au sujet de cette homélie cathédrale de Sévère d'Antioche, voir S. VERHELST, op. cit., dans Questions liturgiques 78 (1997), p. 201-220, les n 68 et 97 (voir aussi PO 8, p. 373-378 et PO 23, p. 81-83). 4. Égérie, Itinéraire 45, 1-2 et 27, 1, édité et traduit par P. MARAVAL, Égérie. Journal de voyage (Itinéraire), Paris, 1982 (SC 296). 08
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LA PESIQTA DE-RAV KAHANA e
VII siècle) dans le cadre d'une tradition qu'on peut se risquer à nommer « nazoréenne », mais permettrait aussi d'expliquer le passage du c y c l e primitif de six semaines (selon le calcul 6 x 7 jours = 4 2 , moins le premier et le dernier jours) à un cycle de huit semaines qui aurait été adopté dans ce m ê m e milieu nazoréen en voie d'assimilation, ou en voie de dissimilation, à l'Église grecque d o m i n a n t e . L e carême de sept semaines, dans cette perspective, apparaît c o m m e une sorte de compromis entre deux traditions, compromis qui, à Jérusalem tout au moins, s'est réalisé au début du v siècle d'après la datation du lectionnaire, mais ne semble pas s'être imposée partout, c o m m e en témoignent Sévère et Jean de Bolnisi. U n e importante variante manuscrite de PRK XXII, 5 suggère elle aussi que certains juifs suivaient un cycle de 4 0 jours d é j e u n e avant Pâques. Il s'agit d'une e x é g è s e sur le « vêtement rouge d'Édom » (= Is 6 3 , 2) - passage lu le vendredi avant Pâques - assimilé à la fin du règne de R o m e (allusion aux quatre royaumes impies de Daniel). L e manuscrit d'Oxford 1 déjà cité dit de la terre d'Israël qu'elle rendra ses morts (au Dernier Jour) plus tôt que les autres terres : « certains disent quarante jours, d'autres quarante ans » . Si cette thématique eschatologique doit être située dans le contexte de Pâque(s) plutôt que dans celui de R o s h ha-Shanah, les 4 0 jours deviennent très probablement une allusion aux 4 0 jours de jeûne avant Pâques (selon le comput des huit semaines ?). 1
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IV. C o n c l u s i o n . Ces trois remarques ne doivent pas être prises pour plus que ce qu'elles sont : l'observation d'une allusion à un événement historique et l'observation de deux parallèles liturgiques. Je pense néanmoins qu'il n'est pas trop tôt pour suggérer une direction de recherche dans le sens d'un christianisme « j u i f », se disant juif tout au moins, perdurant à l'époque byzantine, en Palestine, et contesté à la fois par les chrétiens à cause de leur attachement au Temple détruit, et par les
1. Je dirais à titre d'hypothèse que la différence entre chrétiens de la Gentilité et chrétiens de la Circoncision, à l'époque qui nous occupe, n'est plus guère qu'une différence culturelle entre un christianisme d'expression sémitique et un christianisme d'expression grecque. 2. Une filiation qumrânienne de cette histoire n'est pas à exclure : le Règlement
de la Guerre (1QM 2, 6-10) et le Document de Damas (CD, ms. B, II14) prévoient une guerre eschatologique de 40 ans, et on peut se demander s'il ne s'agit pas de la période indiquée dans le Livre des Jubilés 50,4. Voir ces sources et d'autres discutées par É . PUECH, La croyance des esséniens en la vie future : immortalité, résurrection,
vie éternelle ? Histoire d'une croyance dans le judaïsme ancien, II. Les Donnés qumrâniennes et classiques, Paris, 1993, p. 515-562 (notamment, p. 548 et 560).
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juifs à cause de leur conception de l'histoire du salut et de leur ouverture aux nations païennes. En dépit de la fragilité de ce point de départ, j e voudrais indiquer deux éléments (d'ordre méthodologique) supplémentaires. 1. Les sources liturgiques, à côté des sources archéologiques et littéraires, ont un double intérêt dans la recherche des éléments juifs ou judaïsants de la tradition chrétienne - ou dans la recherche des éléments chrétiens et christianisants de la tradition juive : - Elles sont plus conservatrices que n'importe quel document littéraire qui, s'il s'est conservé dans la tradition manuscrite, s'est conservé en général en vertu de son importance à une époque déterminée et dans un contexte de conflits d'orthodoxie déterminé. La liturgie est par essence « œcuménique », en ce qu'elle a le plus souvent traversé plusieurs couches d'orthodoxie différentes. - Elles n'en demeurent pas moins clairement identifiables, en ce qui concerne la liturgie chrétienne tout au moins, c o m m e étant la liturgie de l'évêque, du scriptorium duquel elles émanent, et une telle identification est une garantie d'authenticité bien souvent supérieure à une quelconque attribution d'auteur d'un document littéraire. 2. Puisque je viens d'évoquer les catégories si complexes d'orthodoxie et d'hétérodoxie - sans parler de la différence entre un document « patristique » et un document « apocryphe » - , les sources liturgiques permettent peut-être aujourd'hui, vingt-cinq ans après la disparition de Jean Daniélou, de reprendre le flambeau allumé par lui, flambeau que les controverses réellement byzantines sur la question de savoir si le judéo-christianisme est « orthodoxe » ou « orthopraxe », ont pratiquement réussi à éteindre. Je m'explique : la question essentielle dans l'interminable débat sur la définition du judéo-christianisme est de savoir si tel ou tel mouvement est fidèle à la pratique de la Torah. M a i s c e problème à l'époque byzantine n'apparaît nullement c o m m e un problème fondamental d'identité, alors que l'identité «judéo-chrétienne » semble se construire surtout, à cette époque, autour de la notion du Temple détruit (et secondairement, de son mémorial dans la pratique liturgique). U n tel point de départ mériterait d'être adopté dans la recherche d'une continuité qui irait de l'époque byzantine jusqu'à l'époque romaine. On retrouverait ainsi l'intuition fondamentale de Jean Daniélou, selon laquelle le judéo-christianisme, loin de s'identifier à la fidélité d'une certaine pratique de la Torah, doit se chercher dans un certain langage, dans des symboles et, en définitive, dans une certaine tradition.
QUATRIÈME PARTIE INTERPRÉTATIONS
RÉVISION DE LA THÉOLOGIE CHRÉTIENNE DU JUDAÏSME? CLAUDE GEFFRÊ
École biblique et archéologique française, Jérusalem
Résumé La déclaration du Concile Vatican II (Nostra aetate, n° 4) a représenté un tournant historique de l'Église catholique quant à son attitude à Végard du judaïsme. On a pu parler d'une révision de la théologie dite de la « substitution ». Le texte affirme la permanence d'Israël en vis-à-vis de l'Eglise et souligne volontiers que c'est en scrutant son propre mystère que l'Eglise découvre le lien spirituel qui la relie à la lignée d'Abraham. Plus de trente ans après, la réception de cette nouvelle interprétation de la continuité entre l'Ancienne et la Nouvelle Alliance est loin d'être achevée. On perçoit de mieux en mieux de part et d'autre les difficultés du dialogue judéo-chrétien. Loin défaire un bilan des débats toujours en cours, ma communication voudrait témoigner de la difficulté permanente du débat théologique entre juifs et chrétiens. En me tenant à distance tout à la fois d'une théologie judaïsante du christianisme et d'un certain triomphalisme chrétien, je voudrais seulement évoquer les ambiguïtés sous-jacentes à trois expressions qui reviennent souvent soit dans les documents officiels, soit dans les commentaires des théologiens. Que penser d'un patrimoine commun entre juifs et chrétiens ? Comment interpréter l'accomplissement de la Première Alliance en JésusChrist ? Comment entendre la situation de contestation réciproque d'Israël et de l'Église jusqu 'à l'achèvement du dessein de Dieu ? Un dialogue exigeant nous invite à ne pas confondre le dialogue avec le Peuple de l'Ancien Testament et celui avec le judaïsme postchrétien d'aujourd'hui. Summary The second Vatican Council's declaration (Nostra Aetate, n. 4) was a turning point in the history of the Catholic Church's attitude towards
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Judaism. It can be regarded as a revision of so-called "substitution" theology. The text affirms the permanence of Israel faceto-face with the Church and emphasizes that when the Church examines her own mystery, she discovers her spiritual link with the descendants of Abraham. More than thirty years later, this new interpretation of the continuity between the Old and New Covenants is far from fully received. On both sides, the difficulties of the JewishChristian dialogue are becoming more apparent. My communication is not intended to assess the continuing discussions, but rather to attest the permanent difficulty of theological discussion between Jews and Christians. While not wishing to associate myself either with a Judaizing theology of Christianity or with any Christian triumphalism, I woud like only to point out the underlying ambiguities in three expressions which often recur in the official documents or in the commentaries of theologians. How should we think of a common heritage between Jews and Christians? How should we interpret the fulfilment of the first Covenant in Jesus Christ? How should we understand the situation of mutual contention between Israel and the Church until God's plans have been finally accomplished? We must make a distinction between Dialogue with the People of the Old Testament and with Post-Christian Judaism today. La Déclaration du 28 octobre 1965 sur les relations entre l'Église et le judaïsme {Nostra aetate, n° 4) a représenté un tournant historique dans l'attitude de l'Église catholique à l'égard du judaïsme. On est passé du temps du mépris au temps du respect et de l'estime. U n des signes indéniables de ce changement, c'est l'absence de référence à la tradition, qu'il s'agisse des Pères de l'Église ou des documents du magistère. Le texte affirme la permanence d'Israël en vis-à-vis de l'Église et souligne que c'est en scrutant son propre mystère que l'Église découvre le lien spirituel qui la relie à la lignée d'Abraham. Durant ces trente dernières années, d'autres documents officiels sont venus compléter cette Déclaration initiale, n faut signaler le document romain de 1974, « Orientations et suggestions pour l'application de la Déclaration conciliaire Nostra aetate, n° 4 », et surtout le texte de 1985, « Notes de la Commission du Saint-Siège pour les relations avec le j u d a ï s m e ». Ce dernier document a déçu plusieurs interlocuteurs juifs dans la mesure où il favorisait trop une lecture typologique de l'Ancien Testament, où il ne mentionnait pas explicitement la responsabilité de l'Église dans le drame de la Shoah et n'abordait pas le rapport d'Israël à sa terre à propos de la création de l'État d'Israël. Il apparaissait donc c o m m e en retrait et m ê m e c o m m e 1
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1. VoirLa Documentation catholique, 19 janvier 1975, p. 59-61. 2. Voir La Documentation catholique, 21 juillet 1985, p. 733-738.
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un correctif par rapport au document publié en 1973 par le Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme \ Il faudrait encore mentionner plusieurs déclarations importantes du pape Jean-Paul H, en particulier son discours à la synagogue de R o m e du 13 avril 1 9 8 6 ; parmi les documents les plus récents, on doit signaler surtout le texte du 16 mars 1998 de la Commission vaticane pour les rapports avec le judaïsme sur la S h o a h . Il faudrait évoquer par ailleurs plusieurs événements qui ont très directement affecté les relations entre l'Église et le judaïsme. Je citerai seulement l'affaire du Carmel d'Auschwitz et la reconnaissance en 1993 de l'État d'Israël par le Vatican. Mais mon propos n'est pas de faire un bilan des relations entre l'Église et le judaïsme depuis le dernier concile. Plus de trente ans après, en dépit de tous les efforts dans le sens d'une meilleure compréhension mutuelle, j e voudrais plutôt m e faire l'écho d'une conscience plus lucide quant à la difficulté permanente du débat théologique entre juifs et chrétiens. Pour ne pas rester dans les généralités, j'évoquerai les ambiguïtés qui sont sous-jacentes à des expressions qui reviennent souvent, soit dans les documents officiels, soit dans les commentaires des théologiens. Cependant, il convient de rappeler au préalable pourquoi le mot « révision » que j'utilise dans le titre de cette communication n'est pas trop fort pour désigner l'évolution de la théologie chrétienne depuis seulement trois décennies. C'est un fait que, jusqu'à Vatican H, la théologie la plus officielle n'a pas remis en question la croyance selon laquelle le peuple juif était rejeté par Dieu, remplacé par l'Église, et ne survivait que pour témoigner, par son abaissement, de la gravité de sa faute. A u mieux, selon Augustin, si le peuple juif c o m m e « peuple errant sur la face de la terre » garde toujours un sens, c'est en tant qu'il favorise la diffusion des Écritures parmi toutes les nations. Ainsi, pour des motifs théologiques, une mentalité chrétienne antijudaïque s'est forgée au cours des siècles et a pu alimenter un véritable antisémitisme, m ê m e si celui-ci avait déjà ses propres causes. En très gros, il a fallu attendre la seconde moitié du x x siècle pour que l'Église prenne ses distances à l'égard d'une théologie de la « substitution » ou « du transfert d'alliance » et affirme la permanence d'Israël en vis-à-vis de l'Église dans le dessein de Dieu. Et j'ajouterai volontiers qu'il est certainement insuffisant de caractériser cette évolution par l'abandon d'une théologie dite de la substitution. Notre expérience historique d'un nouveau rapport au 2
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e
1. Voir La Documentation catholique, 6 mai 1973, p. 419-422. 2. Voir La Documentation catholique, 4 mai 1986, p. 433. 3. Voir La Documentation catholique, 5 avril 1998, p. 336-340 : « Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah. »
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judaïsme, surtout en lien avec cet événement majeur du siècle que fut le drame de la Shoah, inaugure un nouvel âge de la théologie chrétienne. Après des siècles d'hellénisation du christianisme, ce dernier est en train de redécouvrir ses racines juives. D'une part, une plus grande attention au monothéisme strict dont témoigne le judaïsme (comme d'ailleurs l'islam) invite les chrétiens à une réinterprétation exigeante de ces dogmes fondamentaux que sont l'incarnation et la Trinité. D'autre part, l'événement de la Shoah a représenté un saut qualitatif dans l'ordre de la violence humaine. Alors, la question radicale posée à la théologie chrétienne c o m m e à la théologie juive est celle-ci : Est-ce qu'un discours sur Dieu est encore possible après Auschwitz ? Enfin, on découvre avec une plus grande acuité que le dialogue avec le judaïsme a une valeur de paradigme pour le dialogue œcuménique et le dialogue interreligieux. La théologie des religions la plus récente ne pose pas seulement la question du salut en dehors de l'Église. Elle s'interroge sur la signification du pluralisme religieux. D e m ê m e qu'il y a un irréductible du judaïsme par rapport au christianisme, il y a un irréductible de chaque grande tradition r e l i g i e u s e . N o u s commençons tout juste à concevoir que la vérité chrétienne n'est pas nécessairement exclusive d'autres vérités dans l'ordre religieux. En dépit de cette mutation proprement historique, la nouvelle théologie chrétienne du judaïsme est encore en plein chantier. Je m e contenterai ici de souligner l'ambiguïté de trois expressions qui servent communément à exprimer depuis le Concile le type de rapport qui peut exister entre le christianisme et le judaïsme. Ainsi, que penser d'un patrimoine commun entre juifs et chrétiens ? Par ailleurs, comment entendre la notion d'accomplissement quand on dit que la Première Alliance a été accomplie en Jésus-Christ ? Enfin, comment interpréter la contestation réciproque d'Israël et de l'Église jusqu'à l'achèvement du dessein de Dieu ? N o u s constatons que la plupart des textes privilégient la relation entre le peuple de la Première Alliance et celui de la Nouvelle Alliance. Mais un dialogue exigeant nous persuade de mieux en mieux combien il est difficile d'en rester là si l'on veut affronter toutes les implications d'une véritable rencontre entre l'Église et le judaïsme vivant d'aujourd'hui. l
1. Je me permets de renvoyer à mon article : « La singularité du christianisme à Tâge du pluralisme religieux », dans J. DORÉ-C. THEOBALD (ÉD.), Penser la foi. Mélanges offerts à Joseph hfoingt, Paris, 1993, p. 359-364.
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Un patrimoine commun. L'idée et l'expression « patrimoine commun » se retrouvent deux fois dans le n° 4 de Nostra aetate : « D u fait d'un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux juifs, le Concile veut encourager et recommander entre eux la connaissance et l'estime mutuelles... » Et, plus loin : « L'Église qui réprouve toutes les persécutions contre tous les hommes, quels qu'ils soient, ne pouvant oublier le patrimoine qu'elle a en commun avec les juifs... » Si on cherche à expliciter ce patrimoine commun, on peut énumérer, selon les termes m ê m e s de Paul dans R m 9, 4-5 : « l'adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et les patriarches, [...] de qui est né, selon la chair, le Christ ». Et on précise que, m ê m e si les juifs en grande partie n'ont pas accepté l'Évangile, « ils restent encore, à cause de leur pères, très chers à Dieu dont les dons et l'appel sont sans repentance ». Concrètement, les chrétiens sont fils d'Abraham selon la foi ; ils partagent en effet avec les juifs la m ê m e foi au Dieu unique et créateur qui a créé l'homme à son image ; ils se réclament de l'alliance avec Moïse sur le Sinaï et ils reçoivent le m ê m e Décalogue ; enfin et surtout, juifs et chrétiens reçoivent en commun c o m m e Parole de Dieu l'Écriture du Premier Testament. C'est pourquoi le texte de Nostra aetate fait état dès le début de cette idée très profonde selon laquelle c'est en scrutant son propre mystère que l'Église découvre son lien spirituel avec la lignée d'Abraham. Ainsi, la relation de l'Église avec le judaïsme n'est comparable à aucune relation avec d'autres traditions religieuses. Cette nouvelle conscience des racines juives du christianisme conduira le pape Jean-Paul II à affirmer, dans son discours à la synagogue de R o m e : la religion juive ne nous est pas « extrinsèque », mais d'une certaine manière, elle est « intrinsèque » à notre religion. Cette idée de patrimoine ou d'héritage commun est incontestable. Elle nous suggère que la pérennité d'Israël n'est pas seulement un problème de relations extérieures entre l'Église et le judaïsme, mais un problème intérieur qui touche à l'essence intime de l'Église ellem ê m e tant que le dessein de salut de Dieu n' est pas achevé. Mais avec le recul et en tenant compte des réactions de nos interlocuteurs juifs, nous percevons plus lucidement les ambiguïtés de cette quasiévidence d'un « patrimoine commun ». 1. Tout d'abord, il y a une asymétrie fondamentale dans notre perception de cet héritage commun. Il est vrai que le christianisme ne peut se définir en dehors de ses racines juives. Mais le judaïsme n'a nullement besoin de se référer à Jésus-Christ et au christianisme pour se définir et se comprendre. M ê m e si c'est le plus difficile, les chrétiens devraient chercher à comprendre l'existence juive c o m m e les juifs la comprennent eux-mêmes. C o m m e nous l'avons vu, c'est à
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partir d'elle-même et de son propre mystère que l'Église parle du peuple d'Abraham et de son lien avec lui. Or un tel discours ne pourra jamais coïncider avec ce que les juifs disent sur eux-mêmes. On peut sans doute dire avec le cardinal Etchegaray que le christianisme a besoin du judaïsme pour définir sa propre identité . Mais pour prévenir toute désillusion dans le dialogue judéo-chrétien, il vaut mieux savoir dès le départ que la réciproque n'est pas vraie. 2. D apparaît que la plupart des documents officiels de l'Église identifient les juifs en général avec le peuple de l'Ancien Testament, ce que l'on pourrait désigner c o m m e le monde juif « t e x t u e l ». On est alors tenté de chercher à comprendre le dialogue avec le judaïsme à partir du dialogue interne que l'Église entretient entre le premier Testament et le Nouveau Testament. Et on parlera volontiers de la Bible hébraïque du premier Testament c o m m e d'un patrimoine commun aux juifs et aux chrétiens. Or cette confusion entre le dialogue interne à l'Église et le dialogue actuel de l'Église avec le judaïsme vivant d'aujourd'hui conduit à de graves malentendus. Il est en tout cas significatif que les textes de l'Église parlent toujours du judaïsme en général et ne parlent jamais explicitement du judaïsme rabbinique. Or, qu'il s'agisse du judaïsme de l'État d'Israël ou de celui de la Diaspora, le véritable interlocuteur de l'Église, c'est pourtant bien ce judaïsme rabbinique qui a pris forme après la destruction du Temple et qui a atteint son plein développement autour de l'an 600. Ce judaïsme qui dure jusqu'à nos jours est très différent du paradigme royal ou davidique de l'époque monarchique et du paradigme théocratique du judaïsme postexilique de la fin du v r siècle. C'est un judaïsme où l'étude quasi cultuelle de la Torah a remplacé le service du Temple, où le rabbin a remplacé le prêtre et où la synagogue a remplacé le Temple. On comprend alors combien il est difficile de définir sans plus le peuple juif c o m m e le peuple de l'Ancien Testament et de parler de « patrimoine commun » aux chrétiens et aux juifs à propos de la Bible hébraïque. Il y a toute la distance entre la Bible lue par les chrétiens à la lumière du Christ mort et ressuscité, et la Bible lue par les juifs à la lumière de la Torah orale et du Talmud. Ainsi, la manière dont toute une littérature chrétienne contemporaine parle volontiers des « racines juives du christianisme » présuppose une certaine identification entre le peuple de l'Ancien Testament et le judaïsme postchrétien. l
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1. Voir R. ETCHEGARAY, « Est-ce que le christianisme a besoin du judaïsme ? », Conférence prononcée le 8 septembre 1997 lors du Colloque organisé par l'International Council of Christians and Jews, dans La Documentation catholique, 19 octobre 1997. 2.J'emprunte l'expression à G. COMEAU, « L e dialogue avec le judaïsme aujourd'hui », dans Chemins de dialogue 11 (1998), p. 36.
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3. U n e conscience plus lucide des ambiguïtés de la notion de « patrimoine commun » nous invite à prendre plus au sérieux la différence du judaïsme contemporain par rapport au christianisme en dépit de la parenté indéniable qui repose sur la continuité entre l'Ancienne et la Nouvelle Alliance. On comprend mieux pourquoi la lecture typologique de l'Ancien Testament pratiquée par les chrétiens indispose le plus souvent les représentants du judaïsme vivant et pourquoi il n'est pas si évident d'affirmer que « quiconque rencontre Jésus-Christ rencontre le judaïsme » (Jean-Paul II à Mayence en 1980). Plutôt que de chercher une filiation entre l'Église et la Synagogue, il faut dire que la relation entre juifs et chrétiens est sous le signe de la fraternité. « Vous êtes nos frères aînés » a déclaré le pape en visite à la synagogue de Rome. Par rapport au judaïsme ancien, ou ce que certains proposent d'appeler le proto-judaïsme, le judaïsme rabbinique et le christianisme ont opéré une transformation profonde. Mais ce serait profondément injuste de mettre en question la continuité entre le judaïsme de l'Ancien Testament et le judaïsme rabbinique. On reconnaît là la thèse polémique d'André Paul qui parle du judaïsme rabbinique et du christianisme c o m m e de deux faux jumeaux, ce qui aboutit à disqualifier le judaïsme rabbinique . Indépendamment d'une certaine continuité d'ordre ethnique, ce serait oublier la descendance du judaïsme de toujours par rapport à Abraham et sa fidélité à l'alliance conclue avec Moïse. Et historiquement, c e serait méconnaître la lente mutation du judaïsme qui s'était opérée dès l'époque du Second Temple bien avant la destruction du Temple en 70. À l'inverse, sous prétexte d'un certain parallélisme entre la mutation opérée par le christianisme et par le judaïsme rabbinique à l'égard du judaïsme ancien, la théologie chrétienne ne peut accepter de voir dans les deux religions deux voies de salut parallèles. C o m m e nous le dirons plus loin, ce serait renoncer à l'unique médiation du Christ et méconnaître la nouveauté chrétienne c o m m e accomplissement de l'Ancienne Alliance. Il faut tenir à la fois que le christianisme n'accomplit pas le judaïsme et que cependant Jésus-Christ est l'accomplissement des Écritures. Tel est bien le défi auquel la théologie chrétienne est affrontée. Il y a un irréductible du judaïsme postchrétien qui n'est pas résorbé dans l'Église. Et en m ê m e temps, ce serait compromettre l'identité m ê m e du christianisme que de ne plus parler de l'Église c o m m e tout à la fois plérôme des nations et plérôme d'Israël. N o u s sommes donc invités à réinterpréter théologiquement la notion d'accomplissement ou de récapitulation. l
1. Voir A. PAUL, Leçons paradoxales sur les juifs et les chrétiens, Paris, 1992.
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Un accomplissement non totalitaire. La théologie de Vatican II représentait l'abandon d'une ecclésiologie de la substitution. A v e c le recul, nous constatons qu'il faut dépasser aussi une ecclésiologie de l'accomplissement, si nous entendons par là un accomplissement du judaïsme par le christianisme. Ce serait ne pas prendre vraiment au sérieux l'altérité du judaïsme dans sa différence avec le christianisme. Et c o m m e nous l'avons dit, c e serait identifier trop vite le peuple de l'Ancien Testament avec le judaïsme tel qu'il existe aujourd'hui. Mais cela ne nous conduit nullement à remettre en cause l'enseignement de l'Église sur le Christ c o m m e accomplissement des Écritures. N o u s sommes seulement invités à réinterpréter cet accomplissement dans un sens non totalitaire \ Et c o m m e j e le disais dès le début de cet exposé, la révision de la théologie chrétienne du judaïsme est d'un enjeu décisif non seulement pour l'œcuménisme confessionnel, mais aussi pour le dialogue interreligieux. Le « schisme originaire » que constitue la séparation de l'Église naissante et d'Israël est l'indice du dialogue originaire qui est inscrit dans l'acte de naissance du christianisme. Dans la ligne de l'enseignement de Vatican II, l'ensemble des théologiens s'accordent pour reconnaître que, en dépit de la « réprobation divine », Israël demeure toujours le dépositaire de l'élection et des promesses de Dieu. L'auteur de l'Épître aux Éphésiens nous dit bien que les juifs (c'està-dire les judéo-chrétiens) et les païens (c'est-à-dire les helléno-chrétiens) sont déjà réunis pour constituer un seul corps, l'Église : « de ce qui était divisé, il en a fait une unité » (Ep 2, 14-16). Mais dans l'Épître aux Romains, Paul, alors m ê m e qu'il dénonce l'endurcissement des juifs qui n'ont pas reconnu le Christ, respecte l'existence d'Israël au point d'affirmer le salut final du Tout Israël : « Et ainsi tout Israël sera sauvé » (Rm 11, 26). C'est bien reconnaître l'existence religieuse d'Israël dans son altérité ; et c'est reconnaître la nécessité mystérieuse pour l'Église de cet autre qu'est Israël . En d'autres termes, il est permis de dire qu'Israël représente un irréductible qui ne se laisse pas intégrer dans l'Église historique. Il faut m ê m e reconnaître que, à l'échelle de l'histoire, l'Église n'a pas l'espoir de convertir Israël c o m m e s'il s'agissait d'une simple secte 2
1. J'ai déjà utilisé plusieurs fois cette expression dans divers travaux sur la théologie des religions, en particulier dans « La vérité du christianisme à l'âge du pluralisme religieux », dans Angelicum 84 (1997), p. 178, où je renvoie aux réflexions suggestives de J. MOINGT, « Une théologie de l'exil », dans C. GEFFRÉ (ÉD.), Michel de Cerîeau ou la Différence chrétienne, Paris, 1991, p. 131-156. 2. Voir C. PERROT, « La situation d'Israël selon Paul », dans A. MARCHADOUR (ÉD.), Procès de Jésus, procès des juifs ? Éclairage biblique et historique, Paris, 1998, p. 133-151.
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déviante à convertir. Le défi théologique que constitue pour la pensée chrétienne la pérennité d'Israël, c'est précisément ce face-à-face mystérieux d'Israël et de l'Église jusqu'à ce que le dessein de salut de Dieu soit achevé. Mais, à partir de l'irréductibilité d'Israël, la théologie moderne aborde pour la première fois le pluralisme religieux c o m m e question théologique et s'efforce de faire droit à la part d'irréductible que comporte toute tradition religieuse digne de ce nom. On peut déceler en effet une sorte d'homologie structurelle entre le rapport que soutenait le christianisme naissant avec le judaïsme et le rapport du christianisme contemporain avec les grandes religions du monde. U n théologien luthérien, G. Siegwalt, exprime bien le problème auquel nous sommes affrontés : « L'irréductibilité du judaïsme pose à la théologie de la récapitulation de toutes choses dans le Christ un problème irréductible. Israël est aussi en cela un type : il est typique de l'irréductibilité également des autres religions c o m m e d'une manière générale de tout le réel. La théologie chrétienne ne peut que vivre avec ce problème. Il exprime qu'elle est une theologia viatorum, une théologie en route, non déjà le Royaume de Dieu, théologie de la foi, non de la vue. La théologie chrétienne doit encore endurer ce fait que la richesse d'Israël n'est pas encore pleinement engrangée dans la foi chrétienne . » On doit pouvoir tenir à la fois et sans contradiction que les promesses du peuple d'Israël trouvent leur accomplissement dans le peuple de la Nouvelle Alliance et que pourtant l'Église ne se substitue pas à Israël. Cela nous invite à penser ce que pourrait être un accomplissement non totalitaire. M ê m e si, c o m m e nous l'avons vu, il faut se garder d'identifier purement et simplement le rapport des deux Testaments et le rapport du judaïsme d'aujourd'hui avec le christianisme, l'unité plurale du premier et du second Testament demeure éclairante. Les chrétiens considèrent le Nouveau Testament c o m m e l'accomplissement de l'Ancien, mais cela n'a jamais signifié que celui-ci serait dépourvu de sens en dehors de cet achèvement. Ou bien il resterait à expliquer la vitalité permanente du judaïsme postchrétien. Et si toute la plénitude de l'Ancien Testament se retrouve dans le premier, il faudrait se demander pourquoi les chrétiens continuent de recevoir le premier c o m m e Parole de Dieu. En fait, on doit penser l'accomplissement des Écritures c o m m e une nouveauté qui n'abolit pas ce qu'a d'irréductible le premier Testament. Le Nouveau Testament doit plutôt être compris c o m m e la conscience de c e qui manque à l'Ancien pour parvenir à la plénitude. En reprenant une intuition de Michel de Certeau, nous sommes invités à repenser le concept l
1. Voir G. SIEGWALT, Dogmatique pour la catholicité évangélique, 1/2, GenèveParis, 1987, p. 451.
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d'accomplissement en termes de déplacement, de distance, d'écart, de rupture et m ê m e de conversion \ M ê m e s'il s'agit d'une simple analogie, le rapport subtil entre les deux Testaments nous introduit à une meilleure intelligence du rapport entre le judaïsme et le christianisme. À parler strictement, Jésus n'a pas voulu substituer une nouvelle religion à l'ancienne. Il a seulement fait un écart, un pas de côté. Dans sa mort, Jésus a fait tomber le mur qui séparait Israël des nations (Ep 2, 14). Il élargit à l'ensemble des nations païennes l'héritage qui était le monopole exclusif du peuple élu. On est alors tenté de considérer l'abandon progressif de la culture juive par la primitive Église (son passage aux barbares) c o m m e exemplaire quant au rapport actuel de l'Évangile à l'égard des autres religions et cultures. Le face-à-face du juif et du grec tel que l'envisage saint Paul est devenu au fil des siècles le faceà-face du juif et du chrétien. Mais à l'âge du pluralisme religieux, nous avons de plus en plus conscience que ce face-à-face risque de devenir stérile pour le judaïsme c o m m e pour le christianisme s'il ne prend pas en compte un tertium quid, l'autre ou le tiers absent qui n'est ni juif ni chrétien, qu'il s'agisse de cet homme nouveau qu'est le grec de la modernité (ou encore l'athée héritier des Lumières) ou qu' il s'agisse de tous les non-grecs qui appartiennent à d'autres cultures et d'autres traditions religieuses. Sous prétexte de réviser une fausse théologie du judaïsme qui a été dominante durant des siècles, nous ne devons pas céder aux illusions d'une théologie judaïsante du christianisme qui risque de compromettre la nouveauté chrétienne. C'est justement la fonction des nouvelles théologies non occidentales, surtout asiatiques, de nous inviter à dépasser l'alternative AthènesJérusalem pour prendre en compte ce tertium quid, à savoir l'autre non occidental. D e m ê m e que l'Évangile, selon sa vocation à l'universel, a surmonté la dualité du juif et du grec, il doit encore faire tomber le mur de séparation entre le grec et le barbare. Ainsi la présence permanente d'Israël au flanc de l'Église invite les théologiens à souligner sa non-catholicité , c'est-à-dire la limite à sa capacité d'intégration. L'Église que les hommes voient ne s'identifie pas au Royaume. Le Christ est bien le oui définitif de Dieu c o m m e réponse à l'attente immémoriale de l'homme, juif ou païen. Mais le Nouveau Testament, saint Paul en particulier, nous rappelle que la plénitude du Christ, c'est-à-dire tout à la fois le plérôme d'Israël et des nations, est encore à venir dans le Royaume de Dieu. La nouveauté propre de l'Évangile, c'est justement de mettre en question la prétention à l'exclusivité d'Israël pour faire advenir la plénitude du 2
1. Voir M. DE CERTEAU, La Faiblesse de croire, Paris, 1988, p. 222. 2. Voir H . URS VON BALTHASAR, De Vintégration, Paris, 1969, p. 161-166, qui a développé cette idée.
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Royaume de D i e u dans l'histoire. Comment n'exercerait-il pas la m ê m e fonction critique (krisis) vis-à-vis de la prétention de l'Eglise à l'exclusivisme et à l'absolutisme ? D e m ê m e que l'Église n'intègre pas et ne remplace pas Israël, j e crois pouvoir dire que le christianisme n'intègre pas et ne remplace pas les richesses authentiques des autres traditions religieuses. La théologie chrétienne est alors invitée à reconnaître un pluralisme religieux de droit et pas simplement de fait. Le dialogue judéo-chrétien est donc d'un enjeu théologique important pour le dialogue interreligieux en général. On ne peut renoncer à la notion fondamentale d'accomplissement, mais on doit l'entendre dans un sens non totalitaire. Pour la foi chrétienne, le Christ est bien celui qui récapitule toute vérité dans l'ordre religieux mais en respectant chacune dans ce qu'elle a d'unique et de différent. Il s'agit en effet d'une « semence de vérité » qui a pu être suscitée par l'Esprit m ê m e de Dieu. En tant que religion historique, le christianisme ne saurait avoir la prétention de totaliser à la manière d'un système conceptuel absolu toutes les vérités disséminées au cours de la très longue histoire religieuse de l'humanité. Ce serait comprendre la plénitude chrétienne selon un modèle hégélien de « réduction-intégration », c'est-à-dire à la manière d'un savoir absolu. On doit accorder qu'il y a plus de vérité d'ordre religieux dans le concert diversifié des religions que dans le seul christianisme. La permanence d'Israël en vis-à-vis de l'Église demeure une énigme qui nous interroge sur l'essence m ê m e de l'Église en tension vers le Royaume à venir. On parlera d'un destin commun en vue du salut de l'humanité. Comment penser ce face-à-face d'Israël et de l'Église sans aboutir à l'idée de deux voies parallèles de salut ? Faut-il accepter de parler d'une mystérieuse complémentarité ? La théologie tâtonne encore. Les documents officiels utilisent l'expression « contestation réciproque », ou mieux « émulation réciproque ». Comment faut-il l'entendre ? « La question décisive n'est pas : "Que peut être la Synagogue sans Jésus-Christ ?", mais bien : "Qu'est-ce que l'Église aussi longtemps qu'elle a en face d'elle un Israël qui lui est étranger ?" » (cardinal Etchegaray).
La contestation réciproque d'Israël et de l'Église. Dans cette conférence du 8 septembre 1997, lors du Colloque organisé par Y International Council of Christians and Jews, le cardinal Etchegaray déclarait : « Ce qui m e frappe, ce qui m e bouleverse aujourd'hui, c'est de voir la persistance du peuple juif malgré tous les pogroms, sa survivance après les fours crématoires. N ' y a-t-il pas là le témoignage irrécusable d'une vocation permanente, d'une
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signification actuelle pour le monde mais surtout au sein m ê m e de l'Église ? C'est bien plus que de découvrir la richesse d'un patrimoine commun, c'est scruter dans le dessein de Dieu la mission que le peuple juif a encore et toujours à remplir. Que signifie pour moi chrétien ce vis-à-vis permanent qu'est le juif ? Que signifie pour moi ce peuple juif qui ne cesse de faire ressortir en quelque sorte le temps de l'Ancien Testament dans un temps que j e croyais une fois pour toutes le temps du Nouveau Testament et de l ' É g l i s e ? » Ce type d'interrogation ne trouve pas immédiatement sa réponse dans les textes de Vatican II. M ê m e s'il représente une avancée considérable, le texte de Nostra aetate a tendance à parler des juifs, soit pour évoquer les racines de l'Église, soit pour se situer dans une perspective eschatologique où tous les peuples se retrouveront. Quant à la situation réciproque de l'Église et du peuple juif dans le temps présent, le Concile s'en tient aux généralités sur l'amour universel. Or la question théologique fondamentale, c'est de savoir ce que l'Église dit de la vocation d'Israël aujourd'hui et de son élection par Dieu. On serait tenté de penser que Nostra aetate demeure encore dans une perspective linéaire et non dialectique. Israël apparaît c o m m e une première figuration ou un premier degré de l'Église. Il y a donc un risque de confondre la catholicité de l'Église et la catholicité du Royaume. Pour parer à ce danger, nous avons déjà vu qu'il est souhaitable d'éviter le vocabulaire de la substitution. L'Église ne prend pas la place d'Israël. Elle n'est pas un nouvel Israël. Elle est simplement le nouveau peuple de Dieu. Il n'y a pas de retour d'Israël à l'Église avant la rédemption du monde, quand Dieu sera tout en tous. La vocation propre du christianisme en face d'Israël consiste dans « la réconciliation des païens avec Dieu, dans laquelle s'annonce la rédemption du m o n d e » . Et ainsi, l'Église qui est greffée sur l'olivier franc (Israël) « représente le peuple élargi de Dieu qui avec Israël forme l'unique peuple de D i e u ». Dans une première approche, on peut parler d'une communauté de destin entre Israël et l'Église, et d'une solidarité dans la m ê m e espérance messianique. Selon l'enseignement m ê m e de Paul, l'alliance et la promesse faites à Israël sont sans repentance de la part de Dieu. Il ne suffit pas d'évoquer la survie d'Israël malgré la dispersion et la persécution. On doit parler de cette vocation spéciale d'Israël qu'est la sanctification du Nom divin qui fait de la vie et de la prière du peuple juif une bénédiction pour tous les peuples (c'est un aspect très heureusement souligné par le document épiscopal français de 1973). Si le peuple juif a toujours été persécuté, ce n'est pas parce qu'une 1
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1. Voir La Documentation catholique, 19 octobre 1997. 2. Voir J. MOLTMANN, L'Église dans la force de l'Esprit, Paris, 1980, p. 197. 3. Voir F. MUSSNER, Traité sur les juifs, Paris, 1981, p. 23.
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malédiction pèserait sur lui. D faut plutôt y voir, dans le sens de Is 5 3 , un effet et un rappel de sa condition prophétique. Cependant, en dépit d'une évolution considérable concernant la pérennité d'Israël c o m m e peuple élu, nous sommes obligés de convenir d'un commun accord que nous sommes en désaccord sur la question du salut. Ce serait déjà beaucoup si, au point de vue du dialogue théologique, juifs et chrétiens pouvaient chercher à se comprendre les uns les autres tels qu'ils se comprennent eux-mêmes. Le texte de 1985, Notes pour les relations avec le judaïsme, précise au n° 7 : « En vertu de sa mission divine, l'Église qui est "moyen général de salut" et en laquelle se trouve "toute la plénitude des moyens de salut", par nature doit annoncer Jésus-Christ au m o n d e . . . Église et judaïsme ne peuvent donc être présentés c o m m e deux voies parallèles de salut et l'Église doit témoigner du Christ rédempteur à tous, dans le plus rigoureux respect de la liberté r e l i g i e u s e . » Il est donc difficile d'admettre que le judaïsme puisse être une voie de salut parallèle au christianisme. Ce serait compromettre l'unicité du Christ c o m m e médiateur entre Dieu et les hommes. Cependant, à partir de l'enseignement général de Vatican II sur les « valeurs salutaires » contenues dans les religions non chrétiennes, il est possible d'affirmer que l'élection permanente du peuple juif est désormais regardée c o m m e une source de grâce pour la communauté croyante toute entière. La pérennité d'Israël atteste que « le salut vient des juifs » (Jn 4 , 2 2 ) et, c o m m e nous l'avons vu, lapermanence de l'élection du peuple juif est un signe qui pousse l'Église à s'interroger sur elle-même, afin de mieux découvrir son être profond et ultime. Dieu a voulu élire un peuple particulier pour réaliser son dessein universel de salut. Et, alors qu'Israël n'a pu accueillir le salut que lui apportait le Christ, les Gentils ont pu, eux, accéder à ce salut : nous savons que le plan divin sera totalement accompli le jour où l'Israël de la Première Alliance aura rejoint l'Église et lui apportera sa richesse propre qu'elle possède depuis l'origine. Dans cette perspective, « l'attente messianique d'un avenir lointain devient une espérance présente en action » (J. Moltmann). Israël et l'Église ne sont pas des institutions complémentaires. La permanence c o m m e en vis-à-vis d'Israël et de l'Église est le signe de l'inachèvement du dessein de Dieu. Le peuple juif et le peuple chrétien sont ainsi dans une situation de contestation réciproque ou, c o m m e dit saint Paul, de « jalousie » en vue de l'unité (Rm 11, 14). Dans R m 11, Paul considère l'endurcissement des juifs en fonction du salut des païens : les juifs sont devenus « ennemis selon l'Évangile, à cause de vous [les païens] ». Et « l'endurcissement » d'Israël durera seulement «jusqu'à ce que soit entrée dans le salut l
1. Voir La Documentation catholique, 21 juillet 1985, p. 737.
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messianique la totalité des païens (Rm 11, 25) et qu'à la fin « tout Israël sera sauvé » (Rm 1 1 , 2 6 ) . Ainsi, l'ordre du salut est inversé. La réprobation temporaire d'Israël et l'élection de l'Église c o m m e nouveau peuple est commandée par la mission auprès des païens. Par leur non-reconnaissance du Messie, les juifs qui sont les premiers deviennent les derniers. Et les païens qui, selon l'espérance juive, ne devaient être sauvés qu'après la rédemption d'Israël, deviennent les premiers. Mais, quand la mission auprès des païens sera accomplie, alors Israël se convertira et reconnaîtra Jésus c o m m e le fils du Père. « Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire miséricorde à tous. » Dans L'Étoile de la rédemption, F. Rosenzweig lie la rédemption à la remise du Royaume par le Fils au Père, c'est-à-dire à l'obtention du salut pour toute créature. Dans cette dialectique d'Israël et de l'Église sur l'horizon de l'eschatologie, on peut dire que l'espérance messianique devient une tâche commune. Et sans aller jusqu'à en faire deux institutions complémentaires, il est possible de comprendre la vocation propre et d'Israël et de l'Église selon une sorte d'émulation réciproque. « Face au "déjà là" de l'Église, Israël est le témoin du "pas encore", d'un temps messianique non pleinement achevé. Le peuple juif et le peuple chrétien sont ainsi dans une situation de contestation ou plutôt d'émulation réciproque » (cardinal Etchegaray). La vocation de l'Église est d'annoncer aux nations que la rédemption de toute créature est déjà à l'œuvre. C'est pourquoi l'Église ne peut rester à l'intérieur de la clôture d'Israël. Elle doit rendre présente en paroles et en actes l'espérance du Royaume à venir. À la différence du juif qui est tourné vers l'intérieur, le chrétien est davantage l'homme du dehors tourné vers l'extérieur. C'est pourquoi d'ailleurs, à cause de ce processus d'extériorisation permanente, le christianisme est menacé par une conception historique et immanente du Royaume de Dieu. Mais c'est la mission de l'Église d'attester que la réconciliation du monde avec Dieu est déjà anticipée dans le cœur de ceux qui confessent Jésus c o m m e Messie. En cela, l'Église demeure un aiguillon dans le côté d'Israël. L'Église « excite » Israël à la foi selon le mot de Paul. D e son côté, Israël, qui est toujours l'héritier des promesses, peut être un aiguillon dans le côté de l'Église, mais pour autant qu'il demeure fidèle à sa vocation propre. Il excite l'Église à l'espérance. Selon l'intuition de F. Rosenzweig, l'existence du juif impose au christianisme l'idée qu'il est toujours en exode, qu'il n'est pas parvenu au terme et que, si le Royaume est advenu en Jésus-Christ, il n'a pas été manifesté dans sa plénitude. « Le judaïsme inculque au
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christianisme l'expérience de la non-rédemption du m o n d e . » Le salut est déjà advenu en Jésus-Christ. Mais il demeure un salut spirituel invisible. Israël rappelle à l'Église que le salut manifesté de manière visible dans l'histoire demeure encore une réalité à venir, une espérance messianique. Israël et l'Église sont partenaires dans un témoignage donné à l'espérance pour la rédemption du monde. Mais, dans ce face-à-face contemporain entre juifs et chrétiens, Israël n'exerce sa vocation prophétique que s'il est fidèle à sa vocation messianique. On rencontre alors le problème le plus délicat, à savoir le rapport du peuple d'Israël à sa terre, ce qui implique le débat brûlant sur le sionisme et l'État d'Israël. On doit reconnaître l'ambiguïté fondamentale de l'État d'Israël. D ' u n côté, l'État d'Israël est un signe qui indique la fin de la dispersion et le commencement du retour à la source. Le fait que l'existence juive puisse être vécue dans sa terre peut être interprété c o m m e un signe de la fidélité de Yahvé à son peuple. « Grâce au sionisme, l'originalité mystérieuse de l'existence juive est redevenue visible, surtout dans son extension irréductible à l'égard du judaïsme dit d'assimilation . » Mais d'un autre côté, l'État porte en lui le danger qu'Israël devienne un peuple c o m m e les autres. Certains juifs religieux vont jusqu'à faire de l'état de diaspora la seule existence conforme au destin du judaïsme. Et on connaît le mot terrible du professeur Leibovitz qui déclarait : « La glorieuse victoire militaire de la guerre des Six Jours fut en réalité une calamité pour l'État d'Israël. » Pour lui, l'important, « c'est la survie du peuple juif. Or celle-ci est quand m ê m e moins problématique qu'aujourd'hui celle de l'État d'Israël ». Le document romain de 1985 déclarait au n° 25 : « Les chrétiens sont invités à comprendre cet attachement religieux, qui plonge ses racines dans la tradition biblique, sans pour autant faire leur une interprétation religieuse particulière de cette relation. Pour ce qui regarde l'existence de l'État d'Israël et ses options politiques, celles-ci doivent être envisagées dans une optique qui n' est pas elle-même religieuse, mais se réfère aux principes communs du droit international . » L'impasse permanente du processus de paix entre Israël et la Palestine donne plutôt raison à la prudente retenue de ce texte. Ce retour peut constituer un danger pour la vocation messianique universelle du peuple juif si Israël devient une nation comme les autres et si, au lieu d'être une bénédiction pour les nations, il devient une malédiction pour un certain nombre d'hommes et de femmes. Et de fait, la réalisation historique de l'État d'Israël ne coïncide pas purement et 2
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Voir J. MOLTMANN, op. cit., Paris, 1980, p. 198. Voir F. MUSSNER, op. cit., Paris, 1981, p. 33. Voir F entretien publié par le journal Le Monde du 13 octobre 1992. Vbir La Documentation catholique, 21 juillet 1985.
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simplement avec le retour d'Israël en Terre promise. La promesse divine attachée à la terre m ê m e d'Israël n'est valable que si cette terre est sanctifiée par sa vocation spéciale et par le règne de la justice. Dans la vocation messianique commune d'Israël et de l'Église pour le monde, le rôle permanent du peuple juif jusqu'à ce que le dessein de Dieu soit achevé n'est pas directement lié à l'existence historique de l'Israël moderne. Beaucoup de juifs de la Diaspora et d'Israël m ê m e refusent d'identifier le sionisme et le messianisme.
E n guise d e conclusion. La théologie chrétienne est donc invitée à continuer à penser le mystère d'Israël. À la lumière de notre réinterprétation des notions de patrimoine commun, d'accomplissement, de contestation réciproque, nous pouvons conclure que le judaïsme n'est pas seulement une pédagogie envers le christianisme. C'est dans son altérité m ê m e qu'il doit être récapitulé dans le Christ. D e m ê m e qu'il y a dans l'Ancien Testament une Parole de Dieu qui est irréductible au Nouveau Testament, de m ê m e il y a un irréductible d'Israël dans cet espace commun qu'est l'attente du Royaume de Dieu. Cette attente doit conduire à une émulation réciproque d'Israël et de l'Église en vue d'une plus grande fidélité à leur vocation propre. Selon le mot de Jean-Paul II, « juifs et chrétiens doivent être une bénédiction les uns pour les autres avant de l'être pour les n a t i o n s ». 1
1. Cité par P. BEAUCHAMP, « Un livre et deux communautés », dans A . MARCHADOUR ( É D . ) , op. cit., Paris, 1 9 9 8 , p. 2 7 .
PRIMITIVE JEWISH CHRISTIANS IN THE MODERN THOUGHT OF MESSIANIC JEWS* GERSHONNEREL
Hebrew University of Jerusalem
Résumé Un nouveau phénomène religieux est observé dans le monde depuis près de deux siècles : Vapparition d'individus et d'organisations qui développent une identité unique parmi les juifs qui reconnaissent en Jésus le Fils de Dieu et leur Sauveur, et cela d'une manière significative. Ces croyants forgent leur identité dans l'héritage biblique des premiers disciples juifs de Jésus. Ils acceptent par conséquent l'état canonique des Écritures saintes comme un fait accompli. Cependant, tandis qu'ils se concentrent sur leur désir défaire renaître de nouvelles assemblées messianiques selon le modèle de la communauté de Jérusalem au r siècle, ils fournissent avec insistance leurs propres interprétations de l'Ancien et du Nouveau Testament, le faisant souvent en contraste avec les traditions théologiques et liturgiques des Églises des Gentils. De plus, ils pratiquent la circoncision et observent le sabbat, ainsi que les fêtes bibliques, notamment Pâque. Summary A new religious phenomenon has been observed in the last two centuries: Jewish believers in Jesus who resist the option of assimilation and endeavor to shape their national identity around the biblical heritage of the early Jewish followers of Jesus. Modern Jewish Jesusbelievers seek to restore the first century "authentic identity" of the primitive Jewish Church in Jerusalem, as reflected in the New
* I owe special thanks to Professor Gedalyahu G. Stroumsa from the Hebrew University of Jerusalem, for supervising my research on the topic of modern Jewish believers in Jesus.
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Testament These contemporary believers accept the canonical status of Holy Scriptures comprising the Old and New Testaments and make no attempts to canonize new texts. While focusing on reviving new messianic congregations, they also insist on providing their unique interpretations of Scripture. This they frequently do in contrast with the theological and liturgical traditions of the Gentile Churches. They perform circumcision, observe the Sabbath, and keep the biblical feasts, mainly Passover. Modern Jewish believers in Jesus (Yeshua) of Nazareth have appeared as a new religious, national, and social phenomenon during the nineteenth and twentieth centuries, mainly known by the designa tions "Hebrew Christians" and "Messianic Jews" (Yehudim Meshihiim). The foundation for their self-determination is the acceptance of the divinity of Jesus as son of God, as a personal savior, and also as king messiah of Israel and the redeemer of the w o r l d . Interestingly, the personal and collective identity of these modern Jewish believers in Jesus is greatly shaped around the early believers in Jesus, espe cially as they are portrayed in the N e w Testament. This phenomenon simultaneously covers many cities worldwide: London, Warsaw, Kishineff, Budapest, and Chicago, to mention only s o m e . However, more than in any other place in the world, in Jeru salem and in Eretz-Israel, the Land of Israel, modern Messianic Jews find a special motivation to relate to the early Jewish followers of J e s u s . This ancient heritage is grasped by them as the source of their faith. Specifically, the authentic beliefs of the first Jewish disciples of Jesus become for them the platform for constructing their o w n 1
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1. G . NEREL, Messianic Jews in Eretz-Israel (1917-1967): Trends and Changes in Shaping Self-Identity, Jerusalem, 1 9 9 6 (Ph.D.) (in Hebrew); see an English synopsis inMishkan 2 7 ( 1 9 9 7 ) , p. 1 1 - 2 5 . See also B. H. STOKES, Messianic Judaism: Ethnicity in Revitalization, Riverside, California, 1 9 9 4 (Ph.D.). 2 . 1 . STANFIELD, Messianic Jews in the 19th Century and the Founding of the Hebrew Christian Alliance" in England (1866-1871), Jerusalem, 1 9 9 6 (Master's Thesis) (in Hebrew). E. E. BARKER, Sect, Saints or Sinners: Current Perceptions of Messianic Judaism, Oxford, 1 9 9 5 (Dissertation for the Diploma in Jewish Studies, Oxford Center for Hebrew and Jewish Studies, Yarnton, University of Oxford). 3 . K . KJAER-HANSEN (ED.), Jewish Identity and Faith in Jesus, Jerusalem, 1 9 9 6 ; see also A. HORNUNG, Messianische Juden zwischen Kirche und Volk Israel, Basel, (<
1995.
4 . J. GARTENHAUS, Famous Hebrew Christians, Chattanooga, Tennesee, 1 9 7 9 ; G. H. STEVENS, Jewish Christian Leaders, London, 1 9 6 6 . See also H. SAMUEL (ED.), Saved to Serve, Ramsgate, n.d. [ 1 9 6 7 ? ] . 5. A. POLJAK, "The Christian Synagogue," in Jerusalem (Organ of the Jewish Christian Community and the Jerusalem Fellowship) 1 4 ( 1 9 4 7 ) , p. 3 . See Halapid (The Torch), holding the subtitle Organ of the Israeli Messianic Community, Being the Revived Primitive Messianic Church in Its Original Form 1 ( 1 9 6 0 ) , p. 2 (in Hebrew).
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identity. In their eyes, however, a genuine Messianic Jewish iden tity stands in complete contrast with the "unbiblical developments" to which they point within the history of both normative Judaism and traditional Christendom. Pursuant to adopting the ancient paradigm of the primitive Jewish disciples of Jesus, Messianic Jews practically regard themselves as belonging to a restorationist m o v e m e n t . However, they are not only laboring towards reviving some special characteristics of the early Jewish messianic community. They also wish to gain a unique "starting point" for introducing changes and new concepts within the universal body of believers in J e s u s . In general, it should be noted that Messianic Jews are not refer ring to the apostolic age as professional archaeologists or historians. They do not come, for example, with the tools of expert arthistorians or multi-lingual philologists, aiming at the reconstruction of an ancient fresco or at getting involved in a theoretical discussion regarding an ancient society. Rather, they use the elementary infor mation that is found in the N e w Testament, or in popular books on the early church history, adapting thence the data for their existential needs. Namely, while relying upon the scriptural apostolic prototype, they are reviewing the historical facts in order to create for them selves a modern ideological pattern for daily l i v i n g . 2
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1. J. FBELDSEND, Messianic Jews: Challenging Church and Synagogue, Kent, 1993, especially p. 55-60. K. KJAER-HANSEN - O. C. M. KVARME, Messianische Juden: Judenchristen in Israel, Neuendettelsau, 1983. 2. G. NEREL, "A Marginal Minority Confronting Two Mainstreams: Jewish Followers of Jesus Confronting Judaism and Christianity (1850-1950)," in S. VOLKOV (ED.), Being Diggerent: Minorities, Aliens and Outsiders in History, Jerusalem, 2000, p. 283-297 (in Hebrew). 3. A. SAPHIR, Christ and Israel: Lectures and Addresses, n.L, n.d. [end of nine teenth century], especially p. 138-191 —reprint by Yanetz, P.O. Box 151, Jerusalem [1982 ?]; D. SEDACA, "The Search for a Genuine Messianic Jewish Identity," in Kesher: A Journal on Messianic Judaism, 2 (1995), p. 23-26. 4. "Ungrateful Christendom," in The Hebrew Christian Witness, London, n.s., 11 (November 1873), p. 490-491; B. L. COHEN, "The Case for Messianic Jewish Halach^"mThe Messianic Jew 71, no. 1 (1998), p. 18-22. 5. Interestingly, this approach developped parallel to the visionary ideas of Theodor Herzl, founder of political Zionism, as expressed in his book Altneuland, where a revived Jewish life in the land of Israel is depicted. See G. NEREL, "Zion in the Theology of Leon Averbuch and Shabbetai Rohold," in Mishkan 26 (1997), p. 64-71.
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Primitive Jewish Christians in Personal Testimonies and Biographies. When Messianic Jews describe the way they adopted the faith in J e s u s , they often tell in their testimonies, or life stories, that they feel a unique linkage to the early Jewish disciples of J e s u s . The repeated references to the first believers in Jesus serve within these narratives as a unique means to safeguard for the individual an authentic Jewish identity. This in fact becomes for the convert an "identity anchor," to declare that the person experienced a spiritual transformation, yet not an ethnic or a national transition. Messianic Jews boast that through faith in Jesus they become "completed Jews" and so their Jewishness is fulfilled. The common ground they find with the early Hebrew Christian Church is based upon loyalty to the Jewish p e o p l e . B y following this pattern of thinking, Messianic Jews v i e w themselves as "free" of denomina tional identification and uncommitted to the Church dogmas. Espe cially in Eretz-Israel, for example, to become Anglicans, Baptists, Presbyterians, Calvinists, or Lutherans is basically rejected by most of t h e m . In the conversion narratives w e also observe a profound connec tion Messianic Jews make between the Old and N e w Testaments as God's whole word of promise. This is highlighted not only for the individual believer, but also for the nation of Israel. Through systematically uniting Old and N e w Testaments into one volume, they discover a special J e w i s h n e s s . They also relate to the Apostolic 1
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1. For the issue of "Conversion Accounts," see Y. ARIEL, "From Judaism to Chris tianity: The Autobiographies of Jewish Converts to Christianity in the Twentieth Century," in Proceedings of the Eleventh World Congress of Jewish Studies, Divi sion B, vol. 2, Jerusalem, 1994, p. 123-129 (in Hebrew). The autobiographies serve as a special source for "examination from below" of various patterns of collective consciousness. G. MIRON, "Autobiographies as Sources in Social History: German Jewry in Palestine / Israel as a Test Case," in Historia 2 (1998), p. LX (in Hebrew). 2. R. ROSEN (ED.), Jesus for Jews: A Messianic Jewish Perspective, San Francisco, California, 1987, especially p. 273-275, p. 300-301. 3. A. BERNSTEIN, Some Jewish Witnesses for Christ, London, 1909, especially p. 348, p. 455. 4. J. C. HEFLEY, The New Jews, London, 1974, p. 41, p. 75, p. 134. 5. See the testimonies of Shmuel Suran and Joseph Shulam in B. HOEKENDUK (ED.), Twelve Jews Discover Messiah, Eastbourne, 1992, p. 25-26, p. 43-44, p. 71. Elhanan Ben Avraham, in another testimony in the same collection, mentioned the following analogy: "We are somewhat like the returning salmon, which swims upstream until it reaches the upper course of the river where it was spawned. That involves swimming against the current" (see B. HOEKENDUK (ED.), op. cit., East bourne, 1992, p. 46). 6. L. WOLF, "Good News from the Tenach," in M . G. EINSPRUCH (ED.), A Way in the Wilderness, Baltimore, 1981, p. 38-44. W. KATIN, "The Bible — An Historical
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Scriptures as another stitch in the long chain of Hebraic continuity, going back to the Patriarchs of old. Consequently, Messianic Jews totally deny the feasibility of their assimilation or gentilization within Christendom. This Hebraic identity is understood to be rooted in the whole word of God, from Genesis to Revelation. Both Testaments are accepted as Jewish texts that stress the peculiar and never-changing position of Israel. At the same time, however, they also point to the fact that the early gentile church, unlike the "Church of the Circum cision," soon lost the true understanding of the Old Testament and that there was a paganizing of Christianity which was especially obnoxious to the J e w s . Namely, through basically proclaiming a sola scriptura attitude, they are aiming to highlight "Jesus the Jew," the seed of David and the seed of Abraham. For them the unity of scripture equals J e w i s h n e s s . In principle, therefore, Messianic Jews accuse and disregard those Gentile churches that to a large extent prefer to mini mize the Jewishness of Jesus and his teachings. To bridge themselves directly to the Eretz-Israeli Jewish Jesus and to the early Hebraic minded Jewish believers, as a matter of personal categorization, becomes for them a conditio sine qua non. 1
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Hebraisation of the New Testament Although modern Jewish believers in Jesus do accept the cano nical status of Holy Scriptures comprising Old and N e w Testaments as SLfait accompli, they make no attempts whatsoever to canonize new texts. At the same time, however, they also do not exclude any texts from these canonical writings. Throughout their hermeneutics Messianic Jews practice the following principle: "the Old Testament 5
Document," in M. G. EINSPRUCH (ED.), A Way in the Wilderness, Baltimore, 1981, p. 4-7. l . Z . LEVITT, Jews and Jesus, Chicago, 1977, p. 117-118. See S. TELCHIN, Betrayed, Grand Rapids, Michigan, 1981, p. 66-74, p. 80-89, p. 123. 2. G. CARLYLE, A Memoir ofAdolph Saphir, London, 1894, p.313-317. 3. Stated, for example, as follows: "the Bible, Old and New Testaments, are pure Jewish faith and not as some would have us think 'a goyish' (= Gentile / pagan) one. [We] could remain Jews and believe in Jesus" ( H . J. HAIMOFF, "Letter from Jeru salem," in Salvation [American Association for Jewish Evangelism] 7, no. 8 [August 1953], p. 3). 4. M. ROSEN, Y'shua: The Jewish Way to Say Jesus, Chicago, 1982, especially p. 106-113. See M. I. BEN-MEIR, From Jerusalem to Jerusalem, Jerusalem, 1977 (ms.). 5. See in the English synopsis of my dissertation "Messianic Jews in Eretz-Israel," in Mishkan 27 (1997), p. 25.
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is the ground for the N e w , and the N e w Testament is the key to the Old." Many modern Jewish believers in Jesus strongly insist on recon structing the Hebrew nomenclature of the N e w Testament. While endeavoring to re-dress the original text by Hebraic terms, and parti cularly by restoring Hebrew appellations, they are aiming towards de-hellenizing, as well as de-anglicizing, the N e w Testament. This becomes evident in t w o main currents, the Hebrew and the English translations of the N e w Testament. A n influential version of the N e w Testament in idiomatic Hebrew was produced in 1886 by Isaac Salkinson and David Ginsburg. This translation provided a pioneer attempt to use within the text a promi nent Hebraic appellation: the customary name of Matthew, the author of the first Gospel, was altered to Matityahu. This insertion of a significant Hebrew designation at the very beginning of the N e w Testament was intended to restore the Jewishness of the text. However, this was merely a preliminary step in such a direction. About a century later, Eric-Aaron Gabe revised the same text, strongly supporting this approach. Thus, for example, Gabe also asks the following question: "How shall the message of Jesus glow as fiercely in us as in the first Hebrew Christian disciples?" His crystal-clear solution is: "we need not invent new words, but only discover and use the terms enshrined in the text at our disposal. T o refer to our Savior as 'Rabbi' is to re-state an old truth, to reemphasize a neglected aspect and office of our Lord, to heal the spiritual schizophrenia of some Hebrew Christians — and appeal directly and immediately to the Jew of our day. It is to be again an Israelite indeed." 1
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1. As it was often explained, for example, by the late Haim Joseph Haimoff, a prominent Israeli Messianic Jew. See H. J. HAIMOFF, "Beginning at Jerusalem," in Salvation 3 2 , no. 1 1 ( 1 9 7 8 ) , p. 1 0 . See G. NEREL, "Rachel Bar-David: Mother of a Modern Israeli Messianic Jewish Tribe'," in The Messianic Jew 6 7 ( 1 9 9 4 ) , p. 6 6 - 7 0 . 2 . Concerning the question in which language Jesus spoke and taught see J. A. LUND, "The Language of Jesus," in Mishkan 1 7 - 1 8 ( 1 9 9 2 - 1 9 9 3 ) , p. 1 3 9 - 1 5 5 . 3 . See D. B. GWILYM-JONES, "The Salkinson-Ginsburg Hebrew New Testament," in The Lamp and the light 6 , no. 1 ( 1 9 8 4 ) , p. 1 4 . 4 . It should be noted, however, that within the bilingual Hebrew-Yiddish version of the New Testament, recently revised by Gabe, on the Hebrew side of the text Gabe uses the designation Mattityahu, while on the Yiddish side he still uses Mattya. Probably the reason for that is that Yiddish is increasingly losing its position as a spoken language. See J. QUINONEZ, "Yiddish-Hebrew New Testament," in Kesher 1 ( 1 9 9 8 ) , p. 1 1 8 - 1 2 1 .
5. Referring to Nathanael, when this disciple approached Jesus (John 1:49). 6. E . S. GABE, "Jesus and a True Israelite," in Good News 4 1 ( 1 9 9 1 ) , p. 7 - 1 3 (Johannesburg).
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During the 1970s M o s h e I. B e n - M e i r assisted some Catholic scholars in Israel in preparing a new Hebrew translation of the N e w Testament. In this version a further step was taken towards Hebra izing the Greek appellations. In all the Pauline episdes, for example, the name of the apostle Paul was altered to Sau&ShauL In this trans lation the same was done with the name of the apostle Peter, w h o s e name was changed either to Tzur> being the Hebrew synonym for rock, or to the Aramaic Kepha. In 1991 a similar step was taken by the "Bible Society in Israel" when an annotated version was published, based upon the contem porary Hebrew N e w Testament published in 1 9 7 6 . In this anno tated version the designation Shaul almost entirely replaces the name Polios. In particular, Shaul continues to be called Shaul also in the second part of the book of Acts and remains in the Hebraic conformity. A s regards Simon Peter, however, except for two instances, Peter in this annotated version is consistently changed into Kepha. This modern Hebraizing of Greek names of Jews, according to some critics, however, is merely a superfluous deed. The critics raise the argument that many Jewish priests and sages in the Second Temple period did in actuality bear Greek and Roman n a m e s . Yet in modern times, w e should note, precisely because of the "identity lacuna" of Messianic Jews, the Hebraisation of N e w Testament nomenclature is the opposite of excessiveness or an anachronistic approach. Namely, by adopting a Hebraic nomenclature Messianic Jews can easily emphasize both the Jewishness of the N e w Testament 2
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1. A Jerusalemite ( 1 9 0 5 - 1 9 7 8 ) who endeavored to restore "First Century Messianic Judaism" within modern congregations of Jewish believers in Jesus. See J. SHULAM, "The Man Moshe in His Generation," in Teaching from Zion 2 0 ( 1 9 7 9 ) , p. 2 - 4 . 2 . Y . BAUCHET-D. KINERETH, The New Testament in Contemporary Hebrew, Rome, 1 9 7 5 . See P. E . LAPIDE, Hebrew in the Church: The Foundation of JewishChristian Dialogue, Grand Rapids, Michigan, 1 9 8 4 , especially p. 1 0 0 - 1 1 5 , p. 1 3 4 - 1 7 6 .
3 . See The Anthology of the Gospels, Gent, 1 9 7 5 (in Hebrew). 4 . Annotated New Testament in Contemporary Hebrew, Jerusalem, 1 9 9 1 . 5 . M. BENHAYIM, "Modern Hebrew New Testament Published," in The Hebrew Christian 5 0 , no. 2 ( 1 9 7 7 ) , p. 6 6 - 6 7 .
6. However, in two notes to Gal 3 : 2 4 and 6 : 1 7 he is still called Polios. 7. In the first verse of both 1 and 2 Peter, as well as in the titles of these epistles. 8. See The New Covenant Aramaic Peshitta Text with Hebrew Translation, Jeru salem, 1 9 8 6 , especially p. 3 5 6 (edited by The Aramaic Scriptures Research Society in Israel). Interestingly, we should also note that the designation Mattityahu instead of Matthew was not used in any other Hebrew New Testament that was published after the "precedent" of the Salkinson-Ginsburg Hebrew translation. 9 . D . ROKEAH, 'The New Testament in Hebrew Garb," in Mishkan 2 0 ( 1 9 9 4 ) , p. 6 4 - 7 2 .
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and their personal Jewish identity. In fact many modern Messianic Jews w h o were given by birth a non-Jewish name, after believing in Jesus very rapidly drop their "gentile name" and adopt another biblical name, out of the same motivation. N o w to v i e w the other direction. In modern English translations of the N e w Testament initiated or published by Messianic Jews, w e observe an even more comprehensive approach. David Stern, for example, recently published in English the Jewish N e w Testament, aiming towards restoring the Jewishness o f the Gospel — not only for Messianic Jews, but also for Gentile Christians. Basically Stern focuses o n cosmetic changes, like using Yeshua instead of Jesus, and Yohanan instead of John, as well as using Hebraic terms like tzitzit instead o f "fringe" — particularly for the clarification of cultural and theological i s s u e s . Another reason for Hebraizing terms in the N e w Testament is to confute antisemitism. For example, by using the titles "Book of the Covenants" (Sepher Habritot) and "The Orthodox Jewish N e w Testament" (The Orthodox Jewish Brit Chadasha), the idea is, inter alia, to refute antisemitic claims as well as mutual prejudices. B y manifesting through the n e w translations that the N e w Testament is Jewish, Messianic Jews expect that Gentile Christians would perceive that the "Church of Uncircumcision" has not replaced the Jews as God's unique people, and that their o w n faith is far more Jewish than they may have thought. Jews in turn, would see, for example, that neither Jesus nor John's Gospel is antisemitic. Dealing systematically with the invalidation of antisemitism is often in the background of this literary w o r k . 1
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1. Thus, for example, "Martin" was dropped and "Moishe" adopted. See M. ROSEN-W. PROCTOR, Jews for Jesus, Old Tappan, New Jersey, 1 9 7 4 . 2. D. H. STERN, Restoring the Jewishness of the Gospel, Jerusalem, 1 9 8 8 . See also D. H. STERN, Messianic Jewish Manifesto, Jerusalem, 1 9 8 8 , especially p. 2 0 2 - 2 1 6 . 3 . S. PERLMAN, "What Is the Future of Messianic Language?", in The Messianic Jew (andHebrew
Christian) 6 6 ( 1 9 9 3 ) , p. 8 8 - 8 9 .
4 . Sepher Habritot: Hebrew-English Bible, Jerusalem, 1 9 9 7 (edited by The Bible Society in Israel and The Israel Association for the Dissemination of Biblical Writings); Sepher Habritot: Hebrew-Russian Bible, Jerusalem, 1 9 9 1 (edited by The Bible Society in Israel and "Yanetz"). 5. P. E. GOBLE, The Orthodox Jewish Brit Chadasha, New York, 1 9 9 6 . Within this translation words in Yiddish are extensively used, in certain instances even more than Hebrew words. The Yiddishizing tendency in this version seems to be an excep tional Diaspora phenomenon. 6. D. H. STERN, The Good News of Yeshua the Messiah, as Reported by Yochanan (John), Clarksville, Maryland, 1 9 9 1 . See D. H. STERN, op. cit., Jerusalem, 1 9 8 8 , p.250-253.
7. See, for example M. BENHAYIM, Jews, Gentiles, and the New TestamentAlleged Antisemitism in the New Testament, Jerusalem, 1 9 8 5 , p. 6 3 - 7 0 .
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The Apostle Paul: A National Jew and Supporter of Israel's Election. 1
Unlike the 'Tubingen S c h o o l , " Messianic Jews aim towards rediscovering Paul's emphatic Jewish identity. They reject the theories of those scholars w h o claim that the apostle Paul deserted his Jewishness and created a deep conflict between his teachings and the teachings of J e s u s . B y referring to chapter eleven in the Epistle to the Romans, Messianic Jews highlight Paul's vision that Israel's rejection is not total. Therefore the Gentiles, likened to the branches of a tree, should never boast against the Jews w h o are the roots of the tree. Israel still has a crucial future and a national c a l l i n g . ShaulPaul, for modern Jewish followers of Jesus, is a national and loyal Jew of Antiquity, faithfully defending the Hebraic-biblical heritage. Accordingly, his teachings, regarded as a model of Jewish dedication, are highly valued and frequently presented throughout their Scripture interpretations. Shaul-Pml is also viewed as the Jewish educator w h o introduced the God of Abraham, Isaac, and Jacob to the pagan world, combating Greek and other oriental philosophies. H e is commended for preaching the belief in a personal God, the creator of the heavens and the earth, and refusing to be allured from his Jewish monotheism by the subtleties of Greek speculation. Thus Paul's powerful Jewish patriotism is greatly valued by t h e m . In Paul's teachings Messianic Jews discover not only the path of personal salvation, but also a national hope and a special purpose for the entire people of Israel. They interpret Paul's words that "at this present time there is a remnant according to the election of grace" as referring to t h e m s e l v e s . However, although Messianic Jews view 2
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1. F . L. CROSS-E. A. LIVINGSTONE ( E D . ) , The Oxford Dictionary of the Christian
Church, London, 1 9 7 4 , p. 1 3 9 8 , s.v. 'Tubingen School." 2 . See particularly F . J. A. HORT, Judaistic Christianity, Cambridge-London, 1 8 9 4 ; J. KLAUSNER, From Jesus to Paul, London, 1 9 4 6 , p. 5 2 8 - 5 3 6 ; D. FLUSSER, Judaism and the Origins of Christianity, Jerusalem, 1 9 8 8 , p. 6 3 1 . 3 . A. POUAK, The Jewish Christian Calling, London, 1 9 4 6 , p. 8 - 9 . 4 . J. FISCHER, The Olive Tree Connection, Downers Grove, Illinois, 1 9 8 3 ; see C. SCHWARTZ, "Paul, A Witness for Christianity to Jews and Gentiles," in The Scattered Nation 1 ( 1 8 6 6 ) , p. 1 8 9 - 1 9 0 .
5 . L. LEVISON, Life of St. Paul, London, n.d. [ 1 9 1 7 ?], p. 1 6 7 - 1 7 1 . See also F. LEVISON, Christian and Jew: Leon levison 1881-1936, Edinburgh, 1 9 8 9 , p. 1 0 3 - 1 1 4 .
6. C. SCHWARTZ, "Hebrew Christian Alliance," in The Scattered Nation 1 ( 1 8 6 6 ) , p. 1 2 5 - 1 2 6 . A. POUAK, "Paul the Jew — and Jewry, "in Jerusalem 1 8 ( 1 9 4 8 ) , p. 4 - 7 .
7. Rom 1 1 : 5 . See M. SCHIFFMAN, Return of the Remnant: The Rebirth of Messianic Judaism, Baltimore, Maryland, 1 9 9 0 , especially p. 1 6 - 7 0 ; L. LEVISON, op. cit.,
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themselves as The Remnant, they still regard the rest of the Hebrew Nation as God's elect. While they are the first fruits, they also point to the eventual salvation of Israel as a w h o l e . Furthermore, within their hermeneutics Messianic Jews argue that "Israel" in the Pauline teachings cannot be used for the universal Church, as Scriptures retain a definite and irrevocable place for national Israel. In other words, Messianic Jews reinterpret the Pauline Epistles in order to fully reject the ancient "Replacement Theology" of Christi anity, claiming that the Church is Verus Israel. Specifically, in Messianic Jewish exegesis the Gentiles w h o become the followers of Jesus should rather be called "the children of Abraham by faith" and not referred to as Israel. The Gentile convert, however, is no longer a gentile in the sense of the word "pagan," but neither is he a Jew. Yet on the other hand, the spiritual status of the Gentile believer before God is completely equal to the Jewish follower of J e s u s . For Messianic Jews, therefore, Shaul-Pmxl — the "Apostle to the G e n t i l e s " — a l s o stands as a model of a faithful "Apostle to the Jews." In fact, they rehabilitate Paul w h o in their eyes is gentilized by churches that misunderstand him and thus falsely conclude that the "Jew of Tarsus" betrayed his p e o p l e . Messianic Jews claim that even in the new messianic dispensation God prevents the assimilation of Israel. Consequently, although the non-Jews participate in Israel's spiritual heritage (Morasha), they should neither annul Israel's unique calling nor modify the particular position of modern Jewish apostles of J e s u s . Within these circles the Apostle Paul is also especially compli mented for promoting the doctrine of Israel's election as a nation. When explaining, for example, the Epistle to the Ephesians, Messianic Jews interpret Paul in a new way. Namely, although Jesus 1
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London, n.d. [1917 ?], p. 176-179; C. SCHWARTZ, op. cit., in The Scattered Nation 1 (1866), p. 125. 1. See M. BENHAYIM, "'The Remnant' in Israel Today," in Christianity Today 27, no. 2, January 21 (1983), p. 12-15. 2. J. Jocz, "The Concept of the Remnant in Theological Perspective," in The Hebrew Christian 47, no. 4 (1974), p. 160-169. 3. D. C. JUSTER, Jewish Roots: A Foundation of Biblical Theology for Messianic Judaism, RockviUe, Maryland, 1986, especially p. 97-105. See A. P. GOLD-LEVIN, 'TmlmdmsGospel"mTheHebrew Christian 3, no. 1 (1930), p. 29-31. 4. T. ZARETSKY, "The Church Has Replaced the Jewish People — A Perspective," in Mishkan 21 (1994), p. 33-35. See R. PRITZ, "Replacing the Jews in Early Christian Theology," in Mishkan 21 (1994), p. 21-27. 5. H. L. ELLISON, The Mystery of Israel, Exeter, 1978. See also D. G . REID, 'The Misunderstood Apostle," in Mishkan 20 (1994), p. 3-12. See R. ROBINSON, "My Yiddishe Paul?" inMishkan 20 (1994), p. 13-22. 6. M. I. BEN-MEIR, HOW a Jew Explains Ephesians, Jerusalem, 1978, p. 66-67. See also P. LEVERTOFF, St. Paul: His Life, Works and Travels, London, 1907 (in Hebrew).
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did redeem the Gentiles and they too receive the blessing of election, this election of the non-Jewish believers does not, by any means, cancel or negate the election of Israel. The particular election of Israel is still an election within a broader election. This election of Israel is perpetual and is guaranteed by God. Thus God's elections are viewed as a "wheel within a wheel," as portrayed in the vision given to the prophet E z e k i e l . Israel's national election, therefore, is v i e w e d as everlasting. 1
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References to Primitive Jewish Christians within Corporate Entities of Messianic Jews. A salient feature of the modern Messianic Jewish movement is the formation of their particular ethnic and national corporate entities. Within these fellowships they frequently refer to the primitive Jewish church in Jerusalem in order to discover original and legitimate roots — as belonging to a Hebrew apostolic s u c c e s s i o n . Through associ ating themselves with that apostolic and authentic precedent they in fact demonstrate the rationale for organizing their o w n separate meetings and exclusive activities. Thus, for example, when "The Hebrew Christian Alliance" was established in London in 1866, the founders stated as follows: 3
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There are special ties which bind us together as descendants of Abraham. The invitation was addressed to Hebrew-Christians exclusively, in order to allow ourselves full freedom in speaking about our Jewish brethren. Our Gentile-Christian brethren cannot always understand the mind and manners of the Jews... We may boldly say that such a gathering of converted Jews exclusively had not been witnessed since the early days of the Christian Church. 5
1. M. I. BEN-MEIR, op. cit., Jerusalem, 1978, p. 16-17. See M. BENHAYIM, "Issues Facing the Messianic Jew Today," in O . C. M. KVARME (ED.), Let Jews and Arabs Hear His Voice, Jerusalem, 1981, p. 13-23. 2. Ezek 1:16. See also A. PALIAK, "Shaul Ish Tarsus," in Der Weg (Warsaw) 12 (1938), p. 10-11, and A. Paliak, "Von Unser Meschichischen Otzar: Die Didache," in Der Weg (Warsaw) 12 (1938), p. 16 (in Yiddish). 3. P. COHEN, The Hebrew Christian and His National Continuity, London, n.d., [1920 ?], especially p. 47-54, p. 97-98. See H. SAMUEL, "The Relationship of the Remnant to the Covenant," in The New Covenant: The Sense in Which the Jews Continue to Be the People of God, London, 1966, p. 14-16. 4.1. STANFIELD, op. cit., Jerusalem, 1996, p. 112-115 (Master's Thesis) (in Hebrew). As regards the issue of legitimation, see B . Z. SOBEL, Hebrew Christianity: The Thirteenth Tube, New York-Toronto, 1974, p. 216-219. 5. C. SCHWARTZ, "Hebrew Christian Alliance," in The Scattered Nation 1 (1866), p. 163-164. See A. SAPHIR, "The Everlasting Nation," in The Everlasting Nation 1 (1889), p. 8-9 and p. 138, and "The Hebrew Christian Prayer Union," in The Ever-
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This "Messianic Jewish Alliance of Great Britain" is still func tioning. The same pattern is also detected in Kishineff, in the congregation called "Israelites of the N e w Covenant," established by Joseph Rabinowitch in 1885, and regarded by the Russian authorities as a Syna gogue. Rabinowitch was baptized while adopting a creed written by himself in Hebrew, avoiding terms which characterize the dogmatics of the Gentile churches. Thus, for example, he intentionally did not use the term Trinity. Interestingly, when writing in his "private creed" concerning the unity of God, Rabinowitch omits mentioning that there are three persons of one substance in the g o d h e a d . In principle, most Messianic Jews, like Rabinowitch, refuse to accept the formulas of the three Symbols of the Early Church: the Nicene, Athanasian and Apostles' Creeds. These historical creeds are not regarded by Messianic Jews as binding or as precise and final expressions of faith. Modern Jewish Jesus-believers rather relate to the whole body of verses scattered in Scripture as a whole "compre hensive creed." Consequently, while recurrently ignoring those historical creeds, sometimes Messianic Jews are simply viewed by certain ecclesiastics as unyielding heretics w h o follow the paths of the E b i o n i t e s . However, Messianic Jews insistingly continue to explain Christological issues differently, without necessarily using traditional terms like personae and naturae. In specific, when referring to Christology, Messianic Jews merely use words and sentences quoted from the N e w Testament — relying upon the canonicity of die text and depending upon the vocabulary attributed to the first apostles. They thus openly aspire to develop nonconformist hermeneutics. With regard to financial matters, w e should also mention that 1
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lasting Nation 4 ( 1 8 9 2 ) , p. 2 8 0 - 2 8 2 . We should also note the following declaration which speaks for itself: "The ancient Hebrew Christian Church, though long disap peared in space, has, like a remote star, left its light behind to illuminate our path in the darkness that surrounds us, and to guide our little ship in its long and hazardous voyage it has set out to make" (see Hebrew Christian Association Record 5 (November 1 9 0 9 ) , p. 2 ) .
1. For an early account see "Autobiography of the Jewish Reformer in Bessarabia — Joseph Rabinowitsch, with an Introductory Preface by Franz Delitzsch," in Church and Synagogue 1, no. 2 (January 1 8 9 7 ) , p. 4 5 - 5 9 . 2 . K . KJAER-HANSEN, "Josef Rabinowitz the Herzl of Jewish Christianity," in Mishkan 1 4 ( 1 9 9 1 ) , p. 8 - 9 .
3 . K . KJAER-HANSEN, Joseph Rabinowitz and the Messianic Movement, Edin burgh-Grand Rapids, Michigan, 1 9 9 5 , p. 9 8 . 4 . See, for example, K . KJAER-HANSEN, op. cit., Edinburgh-Grand Rapids, Michigan, 1 9 9 5 , p. 1 1 3 - 1 1 5 and p. 2 0 3 .
5. H. D. LEUNER, "The Messianic Jew's Place in the Universal Church," in Torah and Other Essays, Ramsgate, 1 9 8 3 , p. 6 1 - 6 3 .
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Rabinowitch and his Kischineff congregation did not object to receive large amounts of contributions from different Gentile churches and missionary organizations in Europe and the U S A . This monetary dependence of modern Jewish followers of Jesus upon the material support of their Gentile brethren is found not only in Kischi neff. The vast dependence upon generous economic aid is uniquely justified by the precedent of the early Jewish church in Jerusalem which w a s given regular assistance from abroad through collec tions. It seems that this pattern would characterize many assemblies and organizations of modern Messianic J e w s . The repeated attempts of Messianic Jews to establish ideological links with the early Jewish Christian community in Jerusalem are manifest also on the global level. This was clearly expressed, for example, when the first International Hebrew Christian Conference was convened in London in 1925, with delegates from twenty-two countries. There it was unanimously felt that such a worldwide conference was the direct continuation of the first Hebrew Christian Conference held in the days of the Apostles as recorded in Acts 15. This modern conference, namely, "bridges the many centuries since apostolic days and gathering up the threads of operations dropped since the call of the Gentiles, is a trumpet call to all Hebrew Christians of to-day to continue the work of the Jewish Apostles." It seems also that modern Jesus-believing Jews frequently refer to the early Jewish church in reaction to the pressures, direct or indi rect, targeted at them by the Gentile Christians, namely, that they should not dare to take any actions that could be regarded as unloyalty or dissociation from the existing churches. D e facto, only individual Jewish believers are w e l c o m e as an extraneous minority within the Gentile churches. A s a corporate body, however, they are in prin ciple not w e l c o m e to revive the authentic Jewish church. Therefore whatever their designations, Jewish believers in Jesus often feel that 1
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1. K . KJAER-HANSEN, op. cit, Edinburgh-Grand Rapids, Michigan, 1995, p. 167. 2. See, for example, "The Hebrew Christian Alliance (of America) to 'The Churches of the Gentiles'," in The Hebrew Christian Alliance Quarterly, USA 7, no. 1 (January 1923), p. 1-2. 3. See G. NEREL, "Attempts to Establish a 'Messianic Jewish Church' in EretzIsrael," in Mishkan 28 (1998), p. 38. 4. Statement and Programme of the International Hebrew Christian Conference, Islington-London, 1925 (Bodleiana, Oxford, Dep. C.M.J., d. 21/8, Miscellaneous Papers, A/272). 5. As expressed by Samuel Schor, the President of the British Branch of the Hebrew Christian Alliance, in Report of the First International Hebrew Christian Conference, Held at Islington, London, London-Edinburgh, 1925, p. VI-VD, see p. 53-54.
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Gentile Christians relate to them suspiciously as sectarians w h o are "conspiring at divorcing" from the universal church. Despite the antagonistic v i e w s expressed by Gentile Christians against them, however, Messianic Jews consistently substantiate their rights to have separate g a t h e r i n g s — o f and for themselves. Thus not only individually but also corporately they grasp their unique identity through assertive ideological attachment to the first century Jewish church, where it was absolutely appropriate and normative to form exclusive Jewish congregations. 1
"The End of the Law of Moses"? Modern Messianic Jews express their loyalty to the Torah, the "Law" of M o s e s , through likening themselves to the Nazarenes of the primitive church w h o continued to observe the Pentateuch: by circumcising their children and observing the feasts of the Penta teuch. They hold the conviction that the Torah has a continuing validity regarding ethical issues and is valid for observing Hebraic national customs. Yet the Torah is no longer considered by them as providing external measures for receiving righteousness or means of salvation. The verse, "Messiah is the end of the law for righteousness to everyone w h o believes," as it appears in the Epistle to the Romans (10:4), is interpreted by them as follows: Messiah did not c o m e to put an end to the Torah in the sense of abolishing it. The Greek word telos is not presented as the "end" in the sense of annihilation of the Torah, but rather as the fulfilment and culmination of the Torah. Therefore Jewish believers in Jesus, contrary to what the historical churches 2
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1. As expressed, for example, in the following statement: "There is a very great principle to my mind that in Christ there cannot be Jew and Greek, and we can see even in the Hebrew Christian Alliance a tendency to regard the Gentile Christian as rather an inferior kind of being, just as the ordinary Englishman abroad regards the Hebrew Christian member of a Christian congregation in the same way... I should hesitate to weaken our witness to the unity of Christendom" (C. H. GILL, Director of Church Missions to Jews, to Weston, Bishop in Jerusalem, 29.3.1946. Bodleiana, Oxford, Dep. C.M.J., C.218 no. 99). 2. D. C. JUSTER, "Covenant and Dispensation," in Torah and Other Essays, Ramsgate, 1983, p. 56-58. See R. A. PRTTZ, Nazarene Jewish Christianity from the End of the New Testament Period until Its Disappearance in the Fourth Century, JerusalemLeiden, 1988, p. 109. 3. J. SHULAM-H. LECORNU, A Commentary on the Jewish Roots of Romans, Balti more, Maryland, 1998. 4. M. I. BEN-MEIR, "St. Paul and the Law," in The Sabbath Observer 7, no. 15 (July-September 1950), p. 113. See J. SHULAM, "The Early Church and the Jerusalem Temple," in Teaching from Zion 10 (1997), p. 17-27.
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taught for many centuries, still have the permission, and even the obligation, to continue and keep the God-given customs of the Jewish people. Thus, keeping the Jewish Sabbath, for example, in contrast to the Roman dies solis, has a special significance for them. Their firm argu ment is that "If G o d had desired us to keep the first day o f the week holy in memory of the resurrection of His Son, He would have made it clear by a definite 'Thus saith the L o r d ' . " However, it seems that only in the State o f Israel d o Messianic Jews observe merely the Sabbath and not Sunday. Israeli Messianic Jews, for example, hold their principal worship services on the Sabbath day, while Sunday is a regular working day for them and their children attend the State schools. In the Diaspora, however, Messianic Jews usually still keep both Saturday and S u n d a y . It should be also noted that besides performing circumcision and observing the Sabbath, Messianic Jews particularly emphasize the celebration o f the feast of Passover — according to the Jewish calendar. Namely, by practically avoiding the date of Sunday-Easter, Messianic Jews refer to the primitive Jerusalem church in order to justify the restoration of the biblical chronology in the celebration of P a s s o v e r . On that occasion they also practice the Communion, or the Lord's Supper, and prefer to use only the Passover matza, the unleavened b r e a d . Messianic Jews, in consequence, discover Christendom's greatest wrong to the Jews at the Council of Nicaea ( A . D . 325), when the Gentile church officially ceased to observe the Holy Days of Sabbath, Passover, Pentecost, and Tabernacles concurrently with the Syna gogue. The aim of Messianic Jews, therefore, is to reverse the gentilizing tendencies which have prevailed since Nicaea. Furthermore, 1
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1. T. SADAN, 'The Torah: What Do We Do with It?" in Teaching from Zion 5 , no. 2 ( 1 9 9 4 ) , p. 1 7 - 3 1 .
2 . M. I. BEN-MEIR, 'The Change of Sabbath," in The Sabbath Observer 7, no. 1 3 (January-March 1 9 5 0 ) , p. 9 7 - 9 8 . See A. WALDSTEIN, "The Sabbath," in Jerusalem 11 (February 1 9 5 3 ) , p. 3 - 7 .
3 . See A. G . FRUCHTENBAUM, Israelology : The Missing Link in Systematic Theo logy, Tustin, California, 1 9 9 4 , p. 5 9 4 - 6 0 1 , p. 6 6 5 - 6 8 0 . 4 . A. WALDSTEIN, "Passover and Easter," in Jerusalem 5 - 6 (February-March 1 9 4 7 ) , p. 2 - 3 . See D. ZION, "The Meaning of Passover," in Jerusalem 6 9 - 7 0 (JuneJuly 1 9 5 2 ) , p. 1-3. H. J. HAIMOFF, "Beginning at Jerusalem," in Salvation 2 2 ( 1 9 6 8 ) , p. 6 . 5 . Passover Hagadah, Jerusalem, 1 9 7 8 (edited by Messianic Assembly of Israel, Keren Ahvah Meshihit) (in Hebrew and English). See C. ROSEN-M. ROSEN, Christ in the Passover, Chicago, 1 9 7 8 ; see also E.-P. LIPSON, Passover Haggadah, San Fran cisco, California, 1 9 8 8 .
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they also request Gentile Christians to confess this wrong of Chris tendom as committed against Jesus himself. At the same time, however, Messianic Jews strongly insist that they do not require Gentile believers to observe the Jewish customs of die Torah, except for the specific rules which were agreed upon at the first Jerusalem council reported in the book of Acts. They have no intentions to judaize the Gentiles. In spite of that, however, the mutual recriminations of "judaizers" and "gentilizers" still are heard from time to time on both sides, either openly or behind the curtains. 1
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From Rome to Jerusalem: The Hebrew Catholics. The pattern of self-identification among modern Jewish believers in Jesus follows the direction of two "macro lines": within Protes tant circles and within a Catholic milieu. These trends usually take separate tracks, yet sometimes they also coincide and even form crossroads of mutual interests. Occasionally, Hebrew Catholics share with Messianic Jews the c o m m o n ideal of bridging the psycho logical and theological gaps between themselves and the Jerusalem first century disciples of J e s u s . It should be noted, however, that some Hebrew Catholics strongly claim that they have no intentions to revive the Church of the Circum cision because it practised two religions at one time. For them the Hebrew Catholic Community is not "Judaeo-Christian" but rather becomes an integral part of the Catholic Church. From the Catholic Church they expect to receive a new religious constitution and recog nition. Those Hebrew Catholics w h o prefer to join the Latin Church and object to being called "Messianic Jews" still endeavor to adopt a historical and genuine self-identity as Jewish followers of Jesus. At the same time, however, like the Messianic Jews, Hebrew Catholics openly struggle against their assimilation into the institutional 3
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1. M. J. LEVY, ' T O Atone for Christendom's Greatest Wrong to the Jews," in The Hebrew Christian 1, no. 4 (1929), p. 194-197. 2. See, for example, G. NEREL, 'The Formation and Dissolution of a 'Messianic Jewish' (Hebrew Christian) Community in Jerusalem in the 1920s," in Proceedings of the Twelfth World Congress of Jewish Studies (Jerusalem, forthcoming) (in Hebrew). 3. G. NEREL, op. dr., Jerusalem, 1996, especially p. 4-5, p. 154-166 and p. 303-310 (Ph.D.) (in Hebrew). See S. SCHOON, "Jewish Christians: At Home yet Doubly Alie nated," in D. BURRELL-Y. LANDAU (ED.), Voices from Jerusalem, New York, 1992, p. 96. 4. N. TEC, In the Lion's Den: The Life of Oswald Rufeisen, New York-Oxford, 1990, p. 240-241. 5. E . FRIEDMAN, Jewish Identity, Agra (India), 1974, p. 168-170.
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Gentile churches and denounce traditional Christian antisemitism. A s Jews, Hebrew Catholics too insist on maintaining a unique position among all other followers of Jesus, especially as belonging to the biblical and apostolic "Chosen P e o p l e . " Fundamentally, there are t w o major inclinations among Hebrew Catholics. On the one hand, some of them deliberately and officially subordinate themselves to the Roman ecclesiastic hierarchy. Others, on the other hand, still earnestly hope to renew the autonomous "Jerusalem influence" of the primitive Jewish Jesus believers within the church universal. For example, the modern Hebrew Church of Jerusalem, according to Rina G e f t m a n , one of the spokespersons of the group in Israel, has a special task: 1
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Jérusalem me paraît plus qu'une étape, elle est l'aboutissement de la route. Rome et Jérusalem sont comme deux pôles de l'histoire de l'Église ; mais Rome, malgré toute sa splendeur, me paraît plutôt sa ville d'exil. Dans l'Écriture nous ne trouvons aucune annonce eschatologique se rapportant à elle. Le fait que le pape siège à Rome me montre que l'Église se trouve encore dans une situation de non-plénitude. Pierre n'a pas abandonné Jérusalem pour venir se fixer à Rome . 3
In specific, the physical restoration of Israel and the rebirth of a Hebrew Church are essential parts of the "signs of the times" — signifying that the universal church is recovering that lost part of her, the Ecclesia ex Circumcisione. Hebrew Catholics, therefore, wish to recreate the early Jewish Church mainly as a new step to further ecumenical dialogue between Church and Synagogue. The reestablishment of early Jewish Christian legitimacy, according to them, would ultimately restore to the entire church its universality and u n i t y . Thus, both Messianic Jews and Hebrew Catholics are practically referring to the revival of the primitive Hebrew church as a means to rehabilitate the relationships between Jews and Jesus and between Jews and Gentiles. 4
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1. S. GuDOwrrz, "Israel and the Church," in Newsletter of the Association of Hebrew Catholics 33-34 (November, 1988-January, 1989), p. 4-5. 2. R . GEFTMAN, Sur tes murailles Jérusalem, Jerusalem, 1975. See also R. GEFTMAN, L'Offrande du soir, Paris, 1994, p. 96-100. 3. R . GEFTMAN, Guetteurs d'aurore, Paris, 1987, p. 225-227. 4. B. HUSSAR, Quand la nuée se levait, Paris, 1988, p. 126-128. 5. D. O. RUFEISEN, "Hebrew Christians between Early and Later Christian Traditions," in T. ELGVIN (ED.), Israel and Yeshua, Jerusalem, 1993, p. 49-55.
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The Authority of the Apostle James. While Messianic Jews express a profound desire not to become gentilized by any terminology or "heathen practices of churchianity," they also face accusations from Gentile ecclesiastical circles that through their "Jewish inclinations" they are holding a selfish agenda, namely, that they aspire to regain theological hegemony over Gentile believers, as it was in the first century. In fact, modern Jewish believers in Jesus do openly state that one of their main tasks is to counteract the apostasy that penetrated the Church. A s a matter of principle, Messianic Jews challenge the unbiblical traditions within the churches, like the sanctioning of the date of December 25, having Christmas trees, dressing up as Santa Clauses, and using colored Easter e g g s . Alongside this critical approach they mention the example of Ya akov (James), the brother of Jesus and the first bishop of the early church, w h o had undisputed authority to fix guidelines for the universal body of believers. Just as James gave instructions to the Gentile b e l i e v e r s , so also modern Jewish believers in Jesus want to renew a position of theological influence that is grasped as belonging naturally to the Jewish "mother church," mater omnium ecclesiarum. Almost all contemporary Jewish believers in Jesus adopt the dispensational interpretation that the historical phase of the "fulfill ment of the gentiles" (Rom 11:25) has arrived. Consequently, they argue, the end-time "Jewish Era," followed by a unique position of Messianic Jews, is already starting to be manifested throughout the universal church. N o wonder, therefore, that fears were expressed within ecclesiastic circles in reaction to the possibility of having either a modern influential Jewish "Bishop" in Jerusalem — or a recognized worldwide Messianic Jewish Church. Such a situation 1
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1. H. D. LEUNER, "Is the Term 'Hebrew Christian' Theologically Correct?" in The American Hebrew Christian 51, no. 2 (1966), p. 3-9. 2. See H. J. HAIMOFF, "Beginning at Jerusalem," in Salvation 13, no. 2 (1959), p. 7; 19, no. 3 (1965), p. 7; 22, no. 3 (1968), p. 9; 25, no. 2 (1971), p. 9. See M . I. BEN-MEIR, "Thoughts about Christmas," unpublished manuscript, n.d. 3. Acts 15. See "Yaakov, der Erster Bishap," in The Shepherd of Israel 22, no. 6 (1940), p. 2 (in Yiddish). See M . I. BEN-MEIR, "James and the Torah," in Teaching from Zion 21 (April 1979), p. 3 and p. 6. See also F. WRIGHT, "James, the Brother of Jesus," in The Journal of the Centre for Biblical and Hebraic Studies 1, no. 4 (1997), p. 12-15. 4. See A. POLJAK, "Letters from Jerusalem," in Jerusalem 14 (November 1947), p. 2-4. A. POLJAK, "Before the Foundation of the World," in Jerusalem 33-34 (1949), p. 1-7. 5. A. POLJAK, "The Olive Branch," in Jerusalem 35-36 (1949), p. 3-8. 6. For these reasons failed the attempts to establish a universal "Hebrew Christian Church" during the 1930s. See L. LEVISON, "The Hebrew Christian Church," in The
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was clearly seen, for example, in Mandatory Palestine in 1932 when the Archbishop o f Canterbury rejected the proposal o f the International Hebrew Christian Alliance to appoint a Hebrew Christian to the vacant post of bishop in Jerusalem. In the State o f Israel, too, when it was publicized that the first convention o f Messianic Jews in 1950 elected the former Rabbi Daniel Zion as " B i s h o p , " some Gentile Christians responded that this step o f "fanatic zealots" created an extreme judaizing p o l i c y . Such developments are grasped b y certain Gentile Christians as a "Messianic Jewish menace," namely, that Messianic Jews would increasingly raise claims towards renewing a theological supremacy on grounds o f spiritual primogeniture based o n the heritage o f the Apostle James. Thus, the option o f creating a renewed Messianic Jewish church, independent and authoritative, is viewed as dramati cally threatening to undermine the status quo of the traditional gentile theological prerogatives — not only in the Holy Land but in the worldwide Christian milieu as well. 1
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The Followers of Nicodemus. A m o n g both Messianic Jews and Hebrew Catholics w e observe those w h o were, or still are, controlled by strong feelings of insecurity because of fear of social bans and excommunications. In Eretz-Israel, for example, where a Jewish majority prevails, not every Jewish believer in Jesus is willing to expose himself as such in p u b l i c . W e know about "Secret Believers" particularly in Mandatory Palestine and during the first decades of Israeli statehood. Thus w e observe the existence o f the so-called "Nicodemus Jews," who, like Nicodemus (John 3:1-2) secretly believe in Jesus. For them, Nicodemus is a "legitimate" prototype believer. S o m e of them try even for decades to 5
Hebrew
Christian 5 ( 1 9 3 2 ) , p. 5 2 , p. I l l , p. 1 6 8 - 1 7 0 ; M. KLEREKOPER, "Should
There Be a Hebrew Christian Church?" in The Hebrew Christian Alliance
Quarterly
1 9 ( 1 9 3 5 ) , p. 1 2 - 1 3 .
1. L. LEVISON, "The Appointment of a Bishop in Jerusalem," in The Hebrew Christian 5 ( 1 9 3 2 ) , p. 1 0 . See also L. LEVISON, "Episcopal Notes," in Anglican Church Magazine 1 2 , no. 2 ( 1 9 3 2 ) , p. 2 2 3 5 .
2 . "Convention of Messianic Jews," in Jerusalem 5 3 (February 1 9 5 1 ) , p. 6 - 7 ; see A. WALDSTEIN, "The Jerusalem Conference of Messianic Jews," in Jerusalem 5 4 ( 1 9 5 1 ) , p. 2 - 1 1 . 3 . P . OSTERBYE, The Church inlsrael,
Lund, 1 9 7 0 , p. 1 5 8 - 1 5 9 , p. 1 6 8 - 1 7 1 .
4 . F. BRAUN, 'The Fight about Jewish Christianity and Its Message of the Kingdom," in Jerusalem 6 8 ( 1 9 5 2 ) , p. 2 - 5 . 5 . A. POLJAK, The Cross in the Star of David, London, 1 9 3 8 , p. 4 1 - 5 0 .
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keep their belief in Jesus secret and to live permanently with an underground mentality. In those times the main fear of the "Nicodemus Jews" was that they would not be tolerated by normative Jewish society. They dreaded the possibility of jeopardizing their positions at work and being socially stigmatized as "traitors." Thus, alongside those w h o publicly declared their faith in Jesus, many others endeavored to remain in the s h a d o w s . When w e examine the relationship between the "open" and the "closed" groups of Jewish believers in Jesus, it becomes evident that they are characterized by constant tensions. Usually, the "visible group" strongly criticizes the "clandestine group" as being "fainthearted and defeatists, avoiding the path of the primitive believers w h o openly confessed their faith and were not afraid to suffer torture and death." Those w h o lived such double lives also declared solemnly that "We must live like the early Christians in the catacombs." Conse quently they held clandestine meetings in private homes where no music was sounded, and the participants were instructed to c o m e at separate t i m e s . It should be noted, however, that the phenomenon of the crypto believers has almost completely disappeared within recent generations of Jewish Jesus-believers. 1
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The Flight to Pella — A Model to be Followed or a One Time Event? Towards the end of the British Mandate over Eretz-Israel in 1948 and the approaching establishment of a Jewish State, Jewish believers in Jesus w h o lived in the Land found themselves at a crucial cross road. They feared that within a Jewish State they would be perse cuted and harassed, particularly as they were closely linked to the "double British enemy," namely, the British missionaries and the British government. Modern Jewish Jesus-believers recalled by 6
1. H J . HAIMOFF, "Beginning at Jerusalem," in Salvation 21 (1971), p. 10. See also S. DONOHUE, "Let My People Live," in Moody Monthly 86 (1985), p. 26. 2. R . FRYDLAND, "Israel Minorities: Messianic Jews," in American Messianic Jewish Quarterly 64, no. 1 (1979), p. 21 and p. 24. See A. POUAK, "The Independent and the Secret Believers," in Jerusalem 11 (August 1947), p. 5. 3. D . L. BAKER, "The Christian Church in Israel," in The American Hebrew Chris tian 53, no. 1 (1968), p. 6. 4. M. E. BEN-MEIR, "A Call to the Secret-Believers," in TikvatZion: The Hope of Zion 15 (October 1931), p. 8-9. 5. M. BENHAYIM, "The Messianic Movement in Israel — A Personal Perspective (1963-1998)," in Mishkan 28 (1998), p. 13. See H . L. SIMON, 'The Young State of Israel," in The Hebrew Christian 30 (1957), p. 13. 6. K. CROMBIE, For the Love of Zion, London-Toronto, 1991, p. 216-218. See
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analogy the complex circumstances that the early church faced before the destruction of the Jerusalem Temple in A . D . 70. They, too, simi larly faced the question whether to remain in the Land and accept the future whatever may happen, or to leave the country as did the early Jerusalem community which fled to P e l l a . Unlike in the circumstances of A . D . 7 0 , there was no consensus within their circles in 1948 and the "Hebrew Christian Community of Palestine" split. The greater part, about 100 persons, followed the paradigm of the first century Jewish church and preferred not to remain within the anticipated chaotic situation. Eventually they were evacuated en masse, in a quasi military operation which was organized as a "spiritual D u n k i r k — a repeated rescue from danger," according to the Pella pattern. The operation, ciphered as "Operation Grace," was sponsored by the Jerusalem Anglican B i s h o p r i c and the International Hebrew Christian Alliance. Thus for a second time, after nineteen centuries, a corporate body of Jewish believers in Jesus again fled from Eretz-Israel, yet this time not to Transjordan but to Europe. All involved in organizing "Opera tion Grace" were strongly motivated by the association of ideas relating to a modern equivalent of the first-century Jerusalem community's "Exodus" to Pella. This cognitive juncture between the modern and ancient "flight events" was possible because it again uniquely occurred in Jerusalem. At the same time, however, a smaller group of about a dozen Messianic Jews refused to accept the correlation of events and totally separated the circumstances in the first century from the situation in the twentieth century. A m o n g them were Solomon Ostrovsky, Moshe Ben-Meir, Hayim Haimoff, and Abram Poljak, and they objected in principle to the evacuation operation. Those very few w h o remained in the Land were reinforced by other Messianic Jews w h o immigrated to the State of Israel. Together they formed a new foundation for local 1
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C. H. GILL, "Refugees from Palestine," in Jewish Missionary News 38, no. 7 (July 1948), p. 118. l . G . NEREL, op. cit., Jerusalem, 1996, p. 114-123 (Ph.D.) (in Hebrew). See R. A. PRITZ, op. cit. Jerusalem-Leiden, 1988, p. 122-127. 2. As reflected in the correspondence between Hugh Jones (Jerusalem) and C. H. Gill (London), key personalities of the "Church Missions to the Jews" (CMJ), dated 4.6.1948, CMJ Archives in 5 Yeshayahu Street, Jerusalem. 3. H. WESTON, "The Bishop's Letter," in Bible Lands 11, no. 19 (July 1948), p. 177-178. 4. H. SAMUEL, "News and Notes," in The Hebrew Christian 21 (1949), p. 76. 5. M. BENHAYIM, "TWO Who Were Twice Redeemed," in The Hebrew Christian 48 (1975), p. 112-113. See M. I. BEN-MEIR, "From Jerusalem to Jerusalem," Jeru salem, 1977 (ms.), p. 105. Among the Messianic Jews who were in the State of Israel in the early 1950s, only the seven children of Hayim Haimoff foUowed the footsteps of their father. y
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congregations of Israeli believers, gradually becoming a self-deter mined ideological minority on their own. Since 1948, Messianic Jews have developed numerous fellowships in the Land and the theme of corporate "Flight to Pella" has become a non-issue for them.
Dissemination of Belief in Jesus. Following the paradigm of the early apostles w h o widely spread the Gospel of Jesus, Messianic Jews apprehend that they too should openly speak up for their scriptural faith. While they emphasize that they are part and parcel of the Jewish "Elect Nation," they also recog nize that it is their special national task to share the belief in Messiah Yeshua with their p e o p l e . At the same time, however, they also proclaim that they have a universal commitment to approach the Gentile world, both to understand church history correctly and to get involved in a mutual process of reeducation. "To the Jew first," is their principal revivalistic motivation. Thus they wish to mirror the "typical zeal of the first messengers, apostles and evangelists w h o were J e w s . " For them this is not merely a pri vilege but rather a liability, following the explicit commandments o f Jesus himself to spread the message of his k i n g d o m . While they personally witness for Jesus and focus especially upon the indi vidual, they also have in mind the eventual salvation of the whole Jewish nation through belief in Jesus. A l l this Messianic Jews grasp within the entire Heilsgeschichte, the global redemption. Despite heavy pressures originating from institutions and indi viduals, Messianic Jews do not feel deterred by threats that their opponents make against them that they are "corrupt missionaries" and "soul hunters." Thus, for example, they openly distribute tracts and books and stimulate "evangelistic talks" in various public areas. 1
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1. See "Lausanne Consultation on Jewish Evangelism (LCJE) Conference State ment," in Mishkan 2 3 ( 1 9 9 5 ) , p. 7 0 . 2. A. G. FRUCHTENBAUM, "Jewish Evangelism and the Gentile World," in Mishkan 2 4 ( 1 9 9 6 ) , p. 5 4 - 6 3 .
3 . J. GARTENHAUS, Winning Jews to Christ, Grand Rapids, Michigan, 1 9 6 3 , p. 1 6 - 1 9 . See H . J. HAIMOFF, "Beginning at Jerusalem," in Salvation 2 0 , no. 9 ( 1 9 6 6 ) ,
p. 8. See also David Baron and the Hebrew Christian Testimony to Israel, London, 1 9 4 3 , p. 1 1 7 . 4 . See Matt 1 0 : 2 7 - 3 3 ; Mark 1 6 : 1 5 ; Acts 1:8; 1 0 : 4 2 .
5. C. ROSEN-M. ROSEN, Share the New Life with a Jew, Chicago, 1 9 7 6 , especially p. 1 4 . 6. See Religious Liberty and the Law: Proceedings of Symposia Sponsored by the Israel Interfaith Committee, the American Jewish Committee, and the United Chris tian Council in Israel, November 14,1979 and March 26,1980, Jerusalem, 1 9 8 0 . 7. M. BENHAYIM, "Tracting in Tel-Aviv," in The Hebrew Christian 5 9 , no. 1
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In their declared statements and writings as well as their deeds, Messianic Jews constantly emphasize that they have a civil and a natural human right to share their faith with others. In response to traditional rabbinic attacks against them, Messianic Jews frequently claim that they are not a part of The Mission, in the historic sense of propagating die idea of assimilation and the deser tion of Jewish heritage and identity. Messianic Jews explain that those w h o speak in the name of normative Judaism, like Shaul of Tarsus before he "saw the light," intentionally misrepresent them as being unethical and spread disinformation about them and their w i t n e s s . Therefore, modern Jewish Jesus-believers stress that for them the terminological difference between "mission" and "main taining a candlestick of witness" is rather a matter of substance and not solely an issue of s e m a n t i c s . Thus, they are fully convinced that their testimony for Jesus is empowered with no less spiritual authority than the confession of the primitive Jewish apostles. 1
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The Second Coming of Messiah: Imminent Eschatology. The model of the early Jewish believers w h o enthusiastically expected the imminent return of J e s u s — in fact not only in the first century but also in the second and t h i r d — s e r v e s for Messianic Jews as another significant pattern to follow. Within their hermeneutics modern Jewish believers teach that Israel's restoration to its Promi sed Land has clear eschatological implications, namely, that the inga thering of the Jews and the establishment of a sovereign state 5
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(1986), p. 6-7; V. SMADJA, Report from Jerusalem—September 98, Jerusalem, 1998, especially p. 2-3. See R. MEDOFF, "Missionaries in Israel," in Midstream 31, no. 7 (1985), p. 6. 1. E. PBLLISCHER, Freedom of Worship and the Messianic Jew in Israel, Mimeo graph, n.l.,n.d. [1978 ?]. 2. G . NEREL, op. cit., Jerusalem, 1996, p. 326-335 (Ph.D.) (in Hebrew). See J. GARTENHAUS, op. cit., Chattanooga, Tennesee, 1979, p. 17, p. 21-22. 3. Messianic Jews mainly oppose the prevalent myth in the Jewish community that Jews are being bribed into faith in Jesus. See D. BRICKNER, "An Ethical War: The Struggle for Integrity in Jewish Evangelism in North America," in Mishkan 19 (1993), p. 14-20. 4. See, for example, S. PERLMAN, "Coming Clean: Jewish or Christian? Messianic Jews and the Language of Disaffiliation," in Mishkan 19 (1993), p. 43-53. 5. This notion is also implicitly viewed within their concept of the Last Days. See Acts 2:17; Heb 1:1; 1 Pet 1:20; Jude 1:18. 6. D. FLUSSER, "The Reflection of Jewish Messianic Beliefs in Early Christianity," in Z . BARAS (ED.), Messianism and Eschatology, Jerusalem, 1983, p. 121-125 (in Hebrew).
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precedes the second coming o f Messiah and the inauguration o f his millennial kingdom on earth. To Messianic Jews the return o f Jesus is 'the theme o f all themes' and is expected to be the future climax of history. They anticipate that "Messiah will be seated on the throne of David in Zion, Israel's night of sorrow ended and Israel completes her m i s s i o n . " Just as this hope was "the mainstay of the early believers in all their sufferings and an incentive to holiness," the doctrine of Messiah's coming again is repeated within modern Messianic Jewish thought. A s a matter o f fact, they accept this eschatological event in a literal form and reject other interpretations that spiritualize the scriptures concerning the second c o m i n g . The Israeli victory in the 1967 Six-Day War and the reunification of Jerusalem were soon interpreted by Jewish believers in Jesus as a significant "sign of the times," preceding the second coming of Jesus and the establishment of his millennial kingdom in Zion. They believe that full Jewish hegemony in Jerusalem means the end of the "times of the Gentiles" (Kairoi Ethnon), and that Gentile global spiri tual leadership will begin to be replaced by Jewish disciples of J e s u s . Specifically, the conquest o f the Old City of Jerusalem by Israeli forces signifies a decisive turning-point for Israel and the nations. It is the visible sign that the times o f the nations are fulfilled, that God's grace will be turning away from them and turned towards Israel. Furthermore, Jerusalem's reunification symbolizes for them the approach o f the satanic Antichrist w h o will rule the world. Since for the first time in 1900 years Jerusalem is again in Jewish hands, this signifies for them God's "historical clock," leading towards the third 1
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1. A. A. ISAACS, "The Second Advent of Our Lord in Its Relation to Israel," in The Scattered Nation 1 ( 1 8 6 6 ) , p. 6 3 - 6 4 . See "The Second Coming of the Son of Man," in The Scattered Nation 4 ( 1 8 6 9 ) , p. 6 5 - 6 9 ; Report of the First International Hebrew Christian Conference, London, 1 9 2 5 , p. 1 1 1 - 1 1 2 , p. 1 7 5 - 1 7 9 . 2 . S.SCHOR, 'The Second Coming of Our Lord," in TheHebrew Christian l , n o . 3 ( 1 9 2 8 ) , p. 1 5 3 - 1 5 6 . Sec A Hymnal for Messianic Congregations in Israel, Jerusalem, 1 9 7 6 , p. 2 0 5 - 2 1 7 (in Hebrew).
3 . S. SCHOR, The Everlasting Nation and Their Coming King, Eastbourne, Sussex, 1 9 7 1 , p. 5 7 - 6 1 . See G. NEREL, "Continuity and Change Among Messianic Jews in Eretz-Israel: Before and Following the Establishment of the State of Israel," in The Messianic Jew (and Hebrew Christian) 6 6 , no. 3 ( 1 9 9 3 ) , p. 8 3 . 4 . A. W. KAC, "The Coming Again of Jesus the Messiah: WTry a Second Coming?" in A. W. KAC (ED.), The Messiahship of Jesus: What Jews and Jewish Christians Say, Chicago, 1 9 8 0 , p. 2 7 1 - 2 8 8 .
5. Luke 2 1 : 2 4 . See "The State of Israel: A Statement of Our Position," in The American Hebrew Christian 5 3 , no. 4 ( 1 9 6 8 ) , p. 5 . See M. I. BEN-MEIR, The Times of the Gentiles, n.d., ms. no. 6 3 , unpublished. 6. A. SPRINGER, 'The Times of the Gentiles," in Jerusalem 2 5 8 - 2 5 9 (June-July 1 9 6 8 ) , p. 1.
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World W a r . In their hermeneutics Messianic Jews consider the Six-Day War as also preceding the eschatological batde o f G o g and M a g o g which will introduce the millennial reign of Jesus in Zion over the whole world. Jerusalem will then become the center of the world, and God's promises to Abraham, Isaac, and Jacob will be completely fulfilled. It is expected that for one thousand years peace and tran quility will prevail under Messiah's reign, followed by a fourth World War and then finally the appearance o f a "new earth and new heavens." 2
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Conclusion. 1. Like the primitive Jewish Christians, contemporary Jewish followers of Jesus cannot b e described as a monolithic or stereo typed establishment. Unlike the situation for Antiquity, however, for modern times w e hold most precise evidence about a wide spectrum of various Jewish Jesus-believers. W e also have direct access to the original information that the modern believers produce about their thoughts and deeds. W e suggest, therefore, that when w e deal with this modern phenomenon, w e should rarely, if ever, use the terms Jewish Christianity or Messianic Judaism. Instead, w e should rather simply use the terms "Jewish YeshuaBelievers" or "Messianic Jews." The latter personalizing designa tions accurately reflect a reality to which w e are relating, mainly through the beliefs of individuals — and those groups that gather around t h e m . The usage o f such a "singular nomenclature" is also reasonable though w e are still aware o f the existence of the unions, alliances, and congregations established by various Jewish YeshuaBelievers. W e can hardly talk about dogmatic doctrines or homogenous groupings within the various circles of modern Jewish Jesusbelievers — as w e must also admit that "Judaism" and "Christianity" 4
l . A . SPRINGER, op. cit., in Jerusalem
2 5 8 - 2 5 9 (June-July 1 9 6 8 ) , p. 3 . See
A. SPRINGER, 'The Borders of the Land," in Jerusalem 2 4 9 (September 1 9 6 7 ) , p. 8 - 1 0 . 2 . A. SPRINGER, 'The World War, Gog and Magog," in Jerusalem 2 6 4 (December 1 9 6 8 ) , p. 3 - 6 . See S. OSTROVSKY, Israel Today and Tomorrow, Jerusalem, 1 9 9 5 , p. 3 1 - 3 2 .
3 . See Rev. 2 0 - 2 1 . See H. J. HAIMOFF, "Beginning at Jerusalem," in Salvation 2 3 , no. 8 (September 1 9 6 9 ) , p. 7 ; M. I. BEN-MEIR, The Lord Is Fighting for Israel, n.d. [ 1 9 6 9 ? ] , unpublished ms., p. 6 - 7 .
4 . See J. Jocz, "The Significance of the Hebrew Christian Position," in The Hebrew Christian 1 8 , no. 1 ( 1 9 4 5 ) , p. 1 1 - 1 4 ; J. Jocz, A Theology of Election, London, 1 9 5 8 .
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are complex categorizations. In fact, in modern times w e possess not only the knowledge concerning the exact origins of our sources, but also an abundance of private and public documents, as well as numerous photographs and artistic symbols. Accordingly w e are able to prepare a large, detailed, and multi-dimensional inventory of the whole data. In contrast with the relatively limited and indirect histor ical sources that exist about the primitive Jewish Christians, our research regarding the phenomenon of modern Jewish disciples of Jesus can be much more specific and penetrating. 2. The content of this article sometimes raises claims concerning the "danger" of creating anachronisms. A priori such arguments reason that it is totally anachronistic for Jewish believers in Jesus in the nineteenth and twentieth centuries to relate themselves so closely to the Jewish Christians of the first century. However, no one can deny the simple fact that this bridging-process is continually happening and is indeed shaping the present identity of modern Jewish followers of Jesus. Interestingly, at the same time w e also observe a similar phenomenon within Gentile Christian circles, namely among those w h o are increasingly searching for the original Jewish roots of their f a i t h . Another aspect also deserves attention. There exists a clear resem blance between the messianic movement of Jewish believers in Jesus and the modern Zionist movement. Basically both movements high light the idea of bridging a historical gap between modern times and biblical times. Namely, they consciously reject allegations that they maintain anachronistic approaches. On the contrary, contemporary Jewish Jesus-believers and mainstream Zionists raise the opposite argument that they still possess a natural right to bypass the last two millennia and directly relate to the pre-exilic period in Israel's history. These two movements, however, uphold at the same time both principles of restorationism and change. Physically they look for restoration of national entities and a territorial Homeland, while spiri tually they wish to create a "new Jew" and an alternative idealist society. Obviously, however, the ultimate goals of Herzlian Zionism and Messianic Jewish renewal differ in many w a y s . 3. During the last decade the question "Who is the Messiah?" is increasingly debated within Jewish circles, both in the State of Israel 1
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1. See S. C. MIMOUNI, Le Judéo-christianisme
ancien. Essais historiques, Paris,
1 9 9 8 , p. 4 0 - 4 1 .
2. See for example M.-J. DUBOIS, L'Exil et la Demeure: Journal de bord d'un chrétien en Israël, Jerusalem, 1 9 8 4 , p. 1 4 9 - 1 6 2 . 3 . G. NEREL, "Messianic Jews and the Modern Zionist Movement," in T. ELGVTN (ED.), Israel and Yeshua: Festschrift, Jerusalem, 1 9 9 3 , p. 7 5 - 8 4 .
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and in the Diaspora. This interest arose particularly since the adherents of Rabbi Menachem Mendel Schneerson, the Lubavitcher of Brooklyn, N e w York, claim that he is the Messiah. Even after his death in 1994, the Chabadniks, his followers, still believe that he will resurrect and soon return to redeem the w o r l d . Namely, the Chabad movement, a salient stream within normative Judaism, adopts the concept of a resurrected human messiah, and even attributes divinity to Schneerson as the creator of the world. Like the primitive Jewish Christians w h o challenged the Jewish world of their times, contemporary Jesus-believing Jews also chal lenge the messianic teachings of die Lubavitch m o v e m e n t . While even after the death of Schneerson his adherents widely spread his pictures and instructions, Messianic Jews regard the Lubavitcher as a false messiah like Bar Kochba and Shabbetai Zvi. In a general sense, the primitive Jewish Christians and the modern Messianic Jews on the one hand, and the followers of the Lubavitcher on the other, fervently stick to the prophetic chapter of Isaiah 5 3 . Yet from their differing standpoints they obstinately present two irreconcilable Messiahs. 4. Finally, contemporary Jesus-believing Jews do not regard themselves merely as "Dwarfs" w h o stand upon the shoulders of the "Giants" of the primitive Church of the Circumcision. They stress rather that with the historical knowledge of the recent two millennia, they are even more equipped with "panoramic perspectives" to eva luate and comprehend events of the past, present, and future. Occa sionally modern Jewish followers of Jesus also claim that they possess a wider spiritual outlook than their predecessors 2 0 0 0 years ago. Thus as a matter of fact they also stand as "Giants upon the shoulders of Giants" — interpreting and contextualizing anew the teachings of the Bible both for Jews and for non-Jews. 1
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1. See Chabad Press, Chabad Lubavitch Youth Organization, Montreal, Rosh Hashana 5 7 5 3 , 1 9 9 3 ; Y. KLEIN HALEVI, "Keeping the Rebbe Alive," in The Jeru salem Report (July 2 8 ) , 1 9 9 4 , p. 2 2 - 2 3 . 2 . S. PERLMAN, "What the Press Wrote About Schneerson," in K. KJAER-HANSEN (ED.), The Death of Messiah, Baltimore, 1 9 9 4 , p. 1-8; C. CALISE, "The Habad Move ment and Its Messiah," in K. KJAER-HANSEN (ED.), The Death of Messiah, Baltimore, 1 9 9 4 , p. 6 9 - 7 4 .
3 . E . KASHTAN, "A Dead Messiah and a True Messiah," A Supplement to Me'et Le'Et, Rishon Letzion, n.d. [ 1 9 9 5 ? ] (in Hebrew). See J. GUTWIRTH, Les Judéochrétiens d'aujourd'hui, Paris, 1 9 8 7 , p. 5 8 - 5 9 , p. 2 5 0 - 2 5 7 , p. 2 6 6 - 2 6 8 .
CONCLUSIONS FRANÇOIS BLANCHETIÈRE
L'historiographie du judéo-christianisme donne à constater une recrudescence périodique de la recherche qui a connu grosso modo trois grandes époques. Et d'abord la génération des pionniers durant l'ultime quart du XIX siècle, celle de l'érudition allemande, principalement autour de l'école de Tubingen, pionniers au nombre desquels on retrouve, entre autres, les noms de F. C. Baur, « l'inventeur » de ce concept, amphibologique et inadéquat, mais aujourd'hui reçu \ ainsi que ceux de A. Ritschl, de A. Hilgenfeld ou de G. Hoennicke, auxquels on peut adjoindre celui du Britannique F. J. A. Hort. Les lendemains de la Seconde Guerre mondiale constituent indéniablement un second moment important de cette recherche dont les principaux ténors apparaissent parmi les participants au Colloque de Strasbourg de 1964 rassemblés dans le cadre du Centre d'études supérieures spécialisé d'histoire des religions sur le thème « Aspects du judéo-christianisme ». Autour du doyen Marcel Simon, on retrouve les noms de J. Daniélou, A. F. J. Klijn, H. J. Schoeps, J. Munck, G. Quispel. À ces noms, il faut ajouter ceux de L. Goppelt, de G. Dix, de R. N . Longenecker et tout particulièrement ceux des Pères B . Bagatti et E. Testa, les fondateurs de l'école franciscaine de Jérusalem auxquels nous sommes redevables de la prise en compte de la dimension archéologique du problème. On constate aujourd'hui, après quelque trente années de moindre intérêt pour cette question, un renouveau dans l'approche du e
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1. Sur cette question de la terminologie, on pourra consulter pour plus ample information : S. C. MIMOUNI, « Les nazoréens. Recherche étymologique et historique », dans Revue biblique 105 (1998), p. 208-262 ; S. C. MIMOUNI, Le Judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 39-72 ; F. BLANCHETIÈRE, Judéo-chrétien ? Nazaréen ? Chrétien ? Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien (30-135), Paris, 2000. 2. Aspects du judéo-christianisme. Colloque de Strasbourg, 23-25 avril 1964, Travaux du Centre d'études supérieures spécialisé d'histoire des religions de Strasbourg, Paris, 1965.
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FRANÇOIS BLANCHETIÈRE
judéo-christianisme. Outre de multiples monographies ou autres articles de revues, en est l'illustration le Colloque international précisément tenu en juillet 1998 à Jérusalem dans le cadre de l'École biblique et archéologique française, Colloque dont ce volume rassemble les multiples communications. Parallèlement et dans la foulée du renouveau des études bibliques, plus spécialement celui de l'exégèse néotestamentaire, on assiste depuis au minimum quinze à vingt ans à un semblable regain d'intérêt pour la littérature dite apocryphe. En témoignent, entre autres, pour ne retenir que le monde francophone, la constitution de l'Association pour l'étude de la littérature apocryphe chrétienne (AELAC), la création d'une revue spécialisée, Apocrypha, l'édition des volumes de la collection « Apocryphes » dans l'intention de mettre dès que possible à la disposition de tous les textes étudiés sur nouveaux frais et par des spécialistes venus de différents pays, enfin la parution dans la prestigieuse « Bibliothèque de la Pléiade », sous la direction de F. B o v o n et P. Geoltrain, du premier volume des Écrits apocryphes chrétiens. Une mention toute spéciale doit être encore accordée au renouveau des études autour de la littérature pseudo-clémentine, un texte complexe, on le sait, mais capital pour l'approche du courant judéochrétien. On retiendra tout particulièrement le travail fondamental de F. S. J o n e s et la publication récente d'une traduction française . À tout ceci, dont l'importance ne saurait échapper, on se doit d'ajouter en toile de fond les révisions drastiques qu'a connues l'approche historique de l'histoire d'Israël de l'époque du Second Temple, histoire événementielle aussi bien qu'histoire des idées, reconsidération de la littérature rabbinique, apport des écrits de la mer Morte, de l'archéologie, etc. Il n'est pas exagéré de prétendre que les premières décennies du mouvement des disciples de Jésus de Nazareth constituent présentement un vaste chantier rendant tout effort de synthèse quasiment impossible. On constate une redéfinition des problématiques et des approches qui s'accompagne d'une « désacralisation », d'une « déconfessionnalisation » de l'histoire des origines chrétiennes tout à fait prometteuses. Il n'est pas exagéré d'affirmer avec D. Marguerat : « Notre image du matin de la chrétienté est à recomposer ; la tâche ne fait que c o m m e n c e r . » Si chantier il y a, on nous permettra de multiplier ici questions, 1
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1. F . S . JONES, An Ancient Jewish Christian Source on the History of Christianity. Pseudo-Clementine Recognitions 1,27-71, Atlanta, Géorgie, 1 9 9 5 . 2 . A. SCHNEDDER-L. CIRILLO, Les Reconnaissances du Pseudo-Clément, Turnhout, 1999.
3 . D . MARGUERAT, « Pourquoi lire les apocryphes ? », dans J . - D . KAESTLID . MARGUERAT (ÉD.), Le Mystère apocryphe. Introduction à une littérature méconnue, Genève, 1 9 9 4 , p. 1 4 4 .
CONCLUSIONS
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suggestions et pistes de recherche, pour certaines empruntées aux organisateurs du Colloque dans leur lettre d'invitation, pour d'autres formulées au cours du Colloque, les différentes communications rassemblées dans c e volume constituant autant d'illustrations de la diversité de la recherche en cours. L'historiographie du problème judéo-chrétien peut être considérée c o m m e désormais établie. Étant évaluée, avec le recul du temps, la contribution du doyen Marcel Simon toujours largement appréciée, il reste à procéder à une semblable évaluation de l'apport de J. Daniélou dont la Théologie du judéo-christianisme a été rééditée il y a moins d'une dizaine d'années. On nous permettra toutefois d'exprimer à propos de ce travail, toujours référencé c o m m e un classique, les plus fermes réserves, ainsi qu'il en est des travaux de B. Bagatti. U n premier ensemble de problèmes tourne autour de ces interrogations : Le recours au concept judéo-chrétien est-il adéquat, sinon que proposer ? En fonction de quels critères définir un judéo-chrétien ? Sur ce point grammatici certant et le consensus est loin d'être établi si l'on en juge par les diverses positions inventoriées ci-dessus en conclusion de ma propre intervention. Dans quelle mesure et en fonction de quels critères est-on fondé à discerner divers courants au sein du proto-judéo-christianisme ? Ceci nous conduit directement à un second ensemble de problèmes, celui des sources, de leur élaboration et de leur transmission. D n'est pas sans importance de souligner que nous risquons de nous retrouver au rouet, car nous définissons le concept judéo-chrétien sur la base de sources que nous qualifions de judéo-chrétiennes. .. Jésus aussi bien que ses premiers disciples sont tous juifs et apparemment juifs de Palestine, qu'ils soient de culture sémitique ou de culture hellénistique, parfois hommes à la double culture c o m m e c'est le cas pour un Saul-Paul ou un Barnabe ; quels sont les éléments qui spécifient le disciple du rabbi de Nazareth au sein du spectre des multiples courants composant le judaïsme palestinien du début de l'ère courante ? Sont-ce des idées, des pratiques, des interprétations ? D ' o ù une première remarque de F. S. Jones : « One of the big problem in the study of Judeo-christianisty (in m y judgment) is the difficulty of moving with the appropriate continuity from the canonical writings to the non-canonical writings » du fait de l'intervention a posteriori des hérésiologues, du fait aussi de la formation du « canon ». Comment est-on passé des premières sources discernables sous-jacentes aux écrits que nous lisons aujourd'hui : la source Q, le recueil des logia, celui des semeia, le «journal de voyage » ou diaire, le document en « nous », etc. Il ne saurait être question pour l'historien d'entériner sans réserve la dissociation entre
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FRANÇOIS BLANCHETIÈRE
ce qui est « canonique » et c e qui est « apocryphe », un principe de distinction encore largement en question au rv siècle, s'il faut en croire Eusèbe. Se greffe ici une autre question récurrente qui a suscité les interprétations les plus échevelées : Quel est le rapport éventuel, tant au niveau de la réflexion qu' à celui des institutions, sinon des personnes, entre le mouvement des disciples de Jésus de Nazareth et les courants qui nous ont laissé les manuscrits de la mer Morte ? Que penser des propositions de É. Nodet et de J. Taylor au Colloque et plus récemment dans deux ouvrages importants et dérangeants ? Dans la mise en œuvre des sources aussi bien que dans l'établissement de la chronologie du judéo-christianisme, ne serait-il pas indispensable de distinguer deux époques principales ? celle des origines d'une part dont le terme est, à n'en pas douter, 135, alors que Jérusalem la juive devient la polythéiste Colonia Aelia Capitolina, interdite d'accès aux juifs, et une seconde époque qui commence au cours du nr siècle. Les nazaréens dont témoignent Clément ou Origène, a fortiori ceux dont parlent Jérôme, Eusèbe ou Épiphane, sont-ils identiques à ceux sur lesquels nous renseignent Irénée ou surtout Hégésippe ? N'y-a-t-il pas anachronisme à reverser sur les premières générations les données trouvées dans les auteurs du IV siècle, à plus forte raison chez des auteurs plus récents, si l'on excepte peut-être Épiphane, d'origine juive ? D e c e point de vue, l'importance d'Hégésippe ne saurait être minimisée, c e qui rend urgente la poursuite des recherches entreprises autour de cet auteur énigmatique. Il en est de m ê m e du regain d'intérêt pour la littérature pseudo-clémentine. En résumé, il nous faut reconnaître que, sous peine de tout confondre, il y a lieu de tenir compte d'un processus évolutif, c'est-à-dire d'une possibilité de changements importants. A existé un proto-judéochristianisme, lui-même complexe, qui a ensuite évolué dans différentes directions. N o u s sommes donc en présence non d'un point sur un prisme, mais d'un faisceau lumineux diffracté, issu d'un point source, le rabbi de Nazareth. Autre problème d'importance : Sommes-nous fondés à parler d'une « théologie du judéo-christianisme » ? M ê m e si nous n'entendons pas emboîter le pas à Daniélou, il ne peut être en effet question d'envisager derrière lui une histoire de la pensée chrétienne qui aurait été successivement judéo-chrétienne, puis hellénistique, puis latine. La réflexion s'est manifestement développée de façon synchrone et vraisemblablement non sans interférences, et parmi les « hébreux », et parmi les « hellènes », quand elle ne s'est pas élaborée e
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E
1. É . NODET-J. TAYLOR, Essais sur les origines du christianisme, éclatée, Paris, 1 9 9 8 ; É . NODET, Baptême et résurrection. Le témoignage
Paris, 1 9 9 9 .
Une secte deJosèphe,
CONCLUSIONS
431
grâce à des hommes à la double culture, c o m m e Saul-Paul ou F auteur de FÉpître aux Hébreux, pour ne pas évoquer le « milieu johannique » cher à O. Cullmann. N o u s sommes enfin dans le plus urgent besoin de monographies tout à la fois récapitulant les acquis, mais surtout prospectives à propos des différents « c e n t r e s » judéo-chrétiens anciens, à commencer par Jérusalem : Si Jésus est un Galiléen et pareillement ses premiers disciples, comment expliquer que, au lendemain du drame du Golgotha, alors qu'ils avaient regagné leur Galilée, les disciples soient revenus à Jérusalem ? Que penser de Jacques « frère du Seigneur » ? Quels rapports entre Jacques et Pierre ? Est-il pertinent de continuer de parler de « l'Église de Jérusalem », laissant entendre qu'il n'y aurait eu qu'une seule communauté ? Comment envisager les rapports entre « hellènes » et « hébreux » ? La Galilée réhabilitée par les travaux les plus récents réclame de son côté une attention renouvelée, dès lors que l'on s'accorde à lui reconnaître un rôle fondamental dans l'histoire primitive du mouvement chrétien, en distinguant la période antérieure à 135 et l'époque contemporaine de l'installation des rabbis en Galilée, suite à la révolte de Bar Kochba. Et pareillement pour la Samarie manifestement liée à l'évolution du courant des « hellénistes », c o m m e cela semble discernable au travers des Actes des Apôtres et plus encore du quatrième Évangile. Antioche mérite tout autant attention. Nombre d'exégètes y localisent la « communauté matthéenne » et en font le milieu d'origine du premier É v a n g i l e . Soit, mais le milieu palestinien à l'époque de Yavné n'explique-t-il pas davantage F antijudaïsme virulent qui s'exprime dans Matthieu ? et de m ê m e les discussions relatives à « l'autorité » de Jésus, ou encore la mise en œuvre des principes herméneutiques juifs... Qui plus est, du fait de son rôle de « plaque tournante », la place d'Antioche doit être reconsidérée dans son rapport avec le reste de la Syrie, la constitution d'une Église syriaque spécifique distincte de la communauté présidée par Ignace, ou avec la haute Mésopotamie autour d'Édesse, ou bien encore avec F Anatolie et surtout l'Asie autour d'Éphèse. Il est en effet justifié de dire que le second siècle de l'histoire du mouvement des disciples de Jésus est avant tout asiate, soit directement en Asie, soit indirectement par l'influence des asiates à Rome, en Gaule et sans doute en Afrique . 1
2
1. Parmi les travaux les plus récents, citons ceux de W . D . DAVIES et D . ALLISON, de G . N . STANTON, OU, last but not least, D . SLIM, The Gospel of Matthew and Christian Judaism. The History and Social Setting of the Matthean Community, Edimbourg, 1 9 9 8 . 2 . F . BLANCHETIÈRE, Le Christianisme asiate auxir etur siècles, Lille, 1 9 8 1 .
432
FRANÇOIS BLANCHETTÈRE
Les premiers disciples du Nazaréen à Rome furent très probablement nazaréens ou, selon les dénominations reçues, judéo-chrétiens ou « craignants-Dieu ». D'un point de vue sociohistorique cela s'explique parfaitement. U n certain nombre d'indices nous amènent à conclure dans le m ê m e sens : les chapitres 9 à 11 de l'Épître aux Romains s'expliquent-ils s'ils ne s'adressent pas à des juifs d'origine, et de m ê m e les pages relatives à la circoncision et à la Loi ? Certains spécialistes donnent à penser que Flavius Josèphe aurait connu le christianisme à Rome. À quoi il faut ajouter les travaux d'Annie Jaubert sur Clément de Rome, et pareillement l'arrière-fond du Pasteur du Romain Hermas. Restent l'énigme d'Alexandrie et plus largement celle des prodromes du christianisme en Egypte, la personnalité d'Apollos l'Alexandrin, etc. En résumé, et pour reprendre un dit rabbinique, « hazeman ratz, vehamelacha merouba », « le temps court et la tâche est immense ». Pour concerter un travail qui dépasse les forces d'un seul ou m ê m e de quelques-uns, pourquoi ne pas faire appel aux moyens modernes de communication et d'échange, pourquoi ne pas mettre en place un site Internet, en attendant un troisième colloque sur le judéochristianisme ? 1
1. F. BLANCHETIÈRE, « GeoaePelç — ^oPaûufivoi TÔV Geôv — iovôaîÇovceç. De l'importance des "marginaux" », dans M . - A . VANNIER - O . WERMELINGER G. WURST (ÉD.), Anthropos laïkos. Mélanges Alexandre Faivre à Voccasion de 30 ans d'enseignement, Fribourg, 2000, p. 32-46.
Index général
I. CITATIONS DES ŒUVRES BIBLIQUES
Ancien Testament Genèse Gn Gn 1 Gnl-11 Gn 1,1 Gn2,7 Gn2,17 Gn3 Gn3,19 Gn3,21 Gn4 Gn4-5 Gn 4,17-24 Gn5 Gn6 Gn6,1-4 Gn6,2 Gn6,2-4 Gn6,4 Gn 12 Gn 12,5 Gn 14,18 Gnl5,5 Gn 17-18 Gn 18,16-33 Gn21,33 Gn22 Gn37 Gn37,8 Gn40,19 Gn 41,40-43 Gn41,55 Gn43,27 Gn49,10 Gn 49,22-26
157,216,219 215 225 246 121 219 215,220,225 121,219 215,216 218 216 218 218 218 216,217 218 218 218 221 320 342 224 374 221 320 374 90 90 47 90 91-92 221 93 93 Exode
Ex 1,1-5 Ex 1,5
221 221
Ex 7,1 Ex 7 , 1 4 - 1 2 , 3 4 Ex 10,27 Ex 13,21-22 Ex 14,15-31 Ex 15,1 Ex 15,4 Ex 16 Ex 17,1-7 Ex 20,15-16 Ex 20,21 Ex 21,15 Ex 32,17
141 222 285,286 222 222 351 371 222 222 352 90 44 360
Lévitique Lv Lvl7,13 Lv 19,16 Lvl9,18 Lv20 Lv 24,15-17
271,340 370 52-54 281,282 44 79
Nombres Nb Nb7 Nb22,4 Nb24,17 Nb25,4
285 374 286 300 47,49
Deutéronome Dt Dtl,l Dt4,31 Dtl0,22 Dt 12 Dt13,7-12 Dtl3,ll Dtl7,2-7 Dtl7,5 Dtl7,6
271,344 115 371 221 370 63 47 63 47 52
434
LE JUDÉO-CHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS
Dt17,16 Dt17,17 Dt 18,8-22 Dtl8,15 Dtl8,18 Dt 18,18-19 Dt18,19 Dt 19,15 Dt21 Dt21,l Dt21,la Dt 21,9-10 Dt 21,10-12 Dt21,16 Dt 21,18-21 Dt21,21 Dt21,22 Dt 21,22-23
344 344 87 86,87,223 86,87,89 87-91,96 223 52 43,51,57 46 43 43 45 46 62,79 43,46,45-47 49,52,54,62 41, 43-50, 54, 57-59,60-65 52,53,56,64,65 53 43 44 65 93
Dt21,23 Dt22,2-5 Dt22,ll Dt 22,22-24 Dt32,43 Dt33,17
Esther Est 7,10 Est 8,7 Est 9,13-14
49 49 49
1 Maccabees 1M 1M4,37 1M4,60 1M5,54 lM7,16s. 1M7,33
78 290 290 290 58 290
2 Maccabees 2M 2M7,9
78 197
Job Jb Jb 14,14 Jb 22,22-30 Jb 23,1-11
355 196 355 355
Josué Psaumes Jos 8,23 Jos 8,29 Jos 10,24-27
46 46,49,52 46,50
1 Samuel 1 S 15,22-23
223
2 Samuel 2S4,12 2S5,7 2S5,9 2S21,9
46,50 290 290 49
IRois 1R1,33 1R2 1R2,6 1R3,16
358 286 286 195
2 Chroniques 2Ch24
50
285,355,360,362 362 361 355 361 359 363 87 50,59 345 362 359 355,358 360 53 359 275 363 347 363 358 133
Proverbes
369,372
Esdras Esd6,ll
Ps Ps 3 , 2 Ps4,5 Ps5,2 Ps5,7 Ps5,10 Psl6[17],5 Ps22 Ps22,17 Ps22,24 Ps 29 [30], 12 Ps 30 [31], 21 Ps31[32],9 Ps 33 [34], 11 Ps37,22 Ps 54 [55], 10 Ps82 Ps 84 [85], 8 Ps 112,9 Ps 118 [119], 86 Ps 118 [119], 103 Ps 118 [119], 176
Pr Pr 8,22-25
274,355 266,274,279
INDEX GÉNÉRAL
Cantique des Cantiques Ct Ct3,11
374 374
Sagesse de Salomon Sg6,12 Sg 13,1-9
190 221
Isaïe Is Isl,l-27 Isl,8 Is 1,8-9 Isl,9 Is 1,11-14 Is2,4 Is3,16 Is5,7 Is5,11 Is6,3 Is 8,19-20 Is 11,1 Is 11,6-9 Is 13,14 Is 28,11-17 Is28,16 Is 40-66 Is40, l s . Is40,1-8 Is 40,9-17 Is42,l-8a Is 42,1-10 Is 42,1-18 Is 42,5-10 Is42,17-43,14 Is 43,10-20 Is 43,10-21 Is 43,15-20 Is 4 3 , 2 2 - 4 4 , 8 Is 45,1-13 Is 4 6 , 3 - 4 7 , 4 Is49,14s. Is50,4 Is50,4-9 Is50,4-9a Is51,2 Is51,12s. Is52,13-53,12 Is53 Is53,6 Is54,l Is54, l s . Is54, I l s . Is57,l-4 Is57,21
341,352 376 295,296,309,310 310 377 223 293 359 377 347 285,286 340 300 377 133 309 309 376 377 377 377 377 377 377 377 377 377 377 377 377 377 377 377 377 377 377 377 377 377 83,395,425 133 377 377 377 377 377
Is58,l Is58,12 Is 59,15-21 Is59,20 Is60, l s . Is60,1-7 Is 60,1-13 Is 60,1-22 Is60,14 I s 6 1 , 1 0 s. Is63,1-6 Is63,2 Is66,l
435 359 347 377 377 377 377 377 377 290 377 377 379 377
Jérémie Jr 285,352,376,377 Jr 1,1 s. 376 Jr 1,1-10 376 Jr 1,4-10 87 Jr2,3 377 Jr2,4s. 376 Jr2,13 377 Jr3,4 377 Jr 7,21-23 223 Jrl5,10 281,377 Jr20,2 261 Jr20,7 286 Jr23,l 133 Jr 50, 6 (LXX 27, 6) 133 Jr50,17 (LXX 27, 17) 133 Jr31,31-33 117
Lamentations Lm 1,1 s. Lm 1,1-2 Lm4,13
376 377 370
Ézéchiel Ez 1,16 Ez9,3-4 Ez9,4 Ezll,19 Ez 24,7 Ez24,8
409 283 288 117 370 370
Daniel Dn Dn7,13 Dnl2,l-3 Dnl2,2
78 95 119,121 121
436
LE J1JDÉO-CHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS
Osée Os 4 , 2 Os 6 , 6
371 223
Joël J13
117
Amos Am 5,21-23 Am 6,1 Am 6 , 6 Am 6,7
223 346 347 290
Jonas Jon 1,15
371
Michée Mi 3 , 9 - 4 , 1 3 Mi3,12 Mi 4 , 7 Mi 6,6-9
310 311 310 223
Zacharie Za9,9 Za 12,9-10 Za 12,10 Za 14,15
258 60 93-96 358
Nouveau Testament
Matthieu Mt
Mtl Mt 1,1-16 Mt 1,16 M t l , 20 Mt2,7 Mt2,13 Mt2,19 Mt2,23 Mt3,9 Mt5,14 Mt5,17 Mt 5,17-18 Mt5,18-7,12 Mt6,5
10, 87, 139, 155, 166,186,190,196, 199,260, 262,264, 274, 282, 306, 323, 431 264 300 177 196 196 196 196 300 320 341 103,329,331 344 130 196
Mt6,16 Mt6,18 Mt8,4 Mt 9,20-22 Mtl0,5-6 Mt 10,27-33 Mtll,19 Mtl2,50 Mt 15,10 Mt 15,21-28 Mtl5,23 Mtl5,24 Mt 16,13-17 Mtl7,3 Mtl8,2-3 Mtl8,2-5 Mtl8,6 Mtl8,10 Mt 18,12-14 Mt 18,14 Mt 19,16-24 Mt 19,17 Mt 19,18-19 Mt 19,19 Mt 19,23-24 Mt 20,29-34 Mt21,8 Mt21,9 Mt22,36 Mt23,27 Mt23,28 Mt23,34 Mt24,30 Mt26,5 Mt 26,17-18 Mt26,28 Mt26,29 Mt 26,59-62 Mt26,61 Mt 26,63-64 Mt26,65 Mt 26,65-66 Mt27,l Mt27,l-3 Mt27,3 Mt27,3-4 Mt 27,11-26 Mt 27,57-61 Mt28,19
196 196 137-138,140 254 134,135 420 62 280 271 134,254 134 260,274 197 195 131 132 131 131,132 130-136 132 281 139-140 352 281 61 271 69 95 138 261 196 66,198 95 302 272 71 295 62 62 62 62 62 62 63 62 61 64 65 135,192
Marc Mc Mcl,4 Mcl,9 Mc3,7-8 Mc6,15
10, 139, 195, 196, 199,281,306 195 195 69 170
INDEX GÉNÉRAL Mc 8,27-30 Mc9,4 Mc 10,18 Mc 10,46-52 Mcl0,47 Mcl0,48 Mcll,9 M e l i , 10 Mc 13,14 s. Mc 14,2 Mc 14,12 Mc 14,14 Mc 14,16-17 Mcl4,24 Mc 14,55-59 Mc 14,58-59 Mc 14,61-63 Mcl4,63 Mc 14,64 Mc 15,1 Mc 15,1-15 Mc 15,42-47 Mc 16,9 Mc 16,15
197 195 139 271 271 271 69 95 307 302 272 301 302 71 62 62 62 62 62 63 64 65 196 420
1x15,3-6 1x15,7 Lc 19,1-10 1x19,37 1x19,39 1x21,24 1x22,1-6 1x22,12 1x22,15 1x22,19 1x22,20 1x22,47 1x22,67-70 1x22,71 1x23,1-25 1x23,2 1x23,5 1x23,15-16 1x23,50-56 1x24,5 1x24,18 1x24,34 Lc 24,39
437 130-136 133 254 69 69 422 64 302 302 71 71 61 62 62 64 64 64 61 65 196,341 305 195 197
Jean Luc Jn Lc Lc 1,1 Lcl,5 Lcl,ll Lcl,22 Lcl,36 Lcl,43 Lc2 Lc2,l Lc2,24 Lc2,25 1x2,36 1x3,23-38 1x4,16-30 1x4,18 1x4,31 1x5,6 1x5,26 1x6,4 1x6,5 1x6,10 1x6,22 1x7,5 1x7,34 1x9,8 1x9,18-22 1x9,31 Lc 14,19 Lc 15,1-2 Lc 15,1-7
69, 87, 195, 196, 199,281,306 263 195 195 195 320 195 368 195 264 195 195 300 376 376 264 69 196 136-137 136 136 139 124 62 170,196 197 195 270 133 131
Jn 1 Jn 1,18 Jn 1 , 1 9 - 2 , 5 Jn 1,19-21 Jnl,41 Jnl,45 Jn 1,45-51 Jnl,49 Jn2,l-ll Jn2,5 Jn3,l-2 Jn4,22 Jn5,46 Jn6,14 Jn7,2-5 Jn 7,40-41 Jn8,ll Jn 11,1-44 Jn 11,46-53 Jn 11,47 Jn 11,48-50 Jnll,59 Jn 12,13 Jn 12,48-50 Jn 14 Jnl8,2s. Jnl8,3 Jn 18,14
10, 42, 87-89, 94, 160,196, 199,262, 406,431 190 320 86 89 89 86, 88-89, 91-92, 95,96 96 91,95,96 91,95,96 95 417 395 89,265 87 301 88 138-140 254 302 63 63 79 95 88,89 190 64 63 63
438
LE JUDÉO-CHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS
Jnl8,28 Jnl8,30 Jnl8,33 Jnl8,37 Jnl9,7 Jnl9,ll Jn 19,12-16 Jn 19,14 Jn 19,15-16 Jn 19,19 Jn 19,19-22 Jnl9,25 Jn 19,25-27 Jnl9,31 Jn 19,31-37 Jn 19,31-42 Jn 19,35 Jnl9,37 Jn 19,38-42 Jn21,6
64,302 64 95 95 62 64 64 64,302 95 95 64 305 95,96 302 96 46 96 95,96 65 69
Actes des Apôtres Ac
Ac 1,3 Ac 1,8 Ac 1,12-13 Ac 1,13 Ac 1,14 Ac 2 Ac 2 , 3 Ac 2,17 Ac 2,23b Ac 2,36 Ac 2 , 4 2 Ac 2,44-45 Ac 3 , 2 Ac 3,13-17 Ac 3,17 Ac 4 , 6 Ac 4 , 1 0 Ac 4 , 3 2 Ac 5,12 Ac 5,14 Ac 5,17 Ac 5,30 Ac 5,39 Ac 6-8 Ac 6,1-7 Ac 6,2a Ac 6,5 Ac 6,7 Ac 7 Ac 7-13
67, 69, 70, 80, 82, 100,101,121,123, 155, 156,173,199, 261,277,414,431 196 420 295 289,313 303 80 195 421 61 61 228,304 294 73 61 61 85 61 68,70,74,304 73 70 78 61 170 121 101 69 69,152 304,305 228 69
Ac Ac Ac Ac Ac Ac Ac Ac Ac Ac Ac Ac Ac Ac Ac Ac Ac Ac Ac Ac Ac
7,1-53 7,14 7,52 8,3 8,9-24 8,9-25 9,17 10,1-48 10,39 10,42 10,48 11,1 11,16 11,18 11,23 s. 11,26 12,1 s. 13,27 13,27-29 13,31 15
Ac 15,1-35 Ac 15,1-41 Ac 15,4 s. Ac 15,10 Ac 15,12 Ac 15,13-21 Ac 15,19 Ac 15,20 Ac 15,29 Ac 15,30 Ac 16,1-3 Ac 16,11-15 Ac 17,16-34 Ac 18,1 s. Ac 18,2 Ac 18,6 Ac 18,7 Ac 19,1-3 Ac 19,7 Ac 19,9 Ac 20,11 Ac 21 Ac 21,25 Ac 2 1 , 2 7 - 2 8 , 3 1 Ac 2 2 , 3 Ac 22,25-28 Ac 23,2-3 Ac 2 3 , 4 Ac 2 3 , 6 Ac 24,10 Ac 24,22 Ac 24,51 Ac 25,19 Ac 26,5 Ac 26,16 Ac 26,30-35
193 221 61 70 152,240 254 195 254 61 420 135 69 135 135 77 76,148 303 61 61 195 24, 26, 80, 226, 411,416 105,332 155 315 332 69 303 332 105 105 69 123 102 102 76 113 102 102 106 106 69 228 80 105 108 101 101 261 262 69 111 111 303 196 101 195 195
INDEX GÉNÉRAL
Romains Rm Rml,l Rm 1,3-4 Rm 1,18 Rm 1 , 1 8 - 4 , 2 5 Rm 1,18-25 Rm 2,17-20 Rm 2,17-26 Rm 2,25-29 Rm3,2 Rm 3,21-30 Rm3,27 Rm3,31 Rm7,7-9 Rm7,12 Rm 7,13-24 Rm7,16 Rm9-ll Rm9,l-5 Rm9,l-33 Rm9,4 Rm9,6-29 Rm9,8 Rm9,8-9 Rm9,30-10,21 Rm 1 0 , 1 - 1 1 , 2 4 Rml0,l-4 Rml0,4 Rm 10,9-18 Rm 10,12-13 Rmll R m l l , 1-16 Rmll, 5 R m l l , 11-12 Rmll,12 R m l l , 13 R m l l , 14 R m l l , 17-24 R m l l , 25 R m l l , 25-31 R m l l , 25-36 R m l l , 26 Rmll,32 Rm 14,14-15 Rm 15,23-28 Rml5,27 Rml6,3 Rml6,4
100, 111-114, 123, 390 128 113 103 114 221 110 110 104,108 110 116 118 112,265 111 111 110 111 113, 114,123,225, 431 114 114 110 114 260 320 114 114 109,112-118 116,412 116 125 395,407 114 407 114 115 102 395 114 396,416 114 115 115,390,396 114 104 113 124 113 124
1 Corinthiens ICo 1 Co 1,1 I C o 1,20
100,107,119 128 198
439
ICo 2,8 I C o 2,13 ICo 3,6 IC06,12 1 Co 8,13 I C o 10,18 I C o 11,23-26 I C o 15,3-4 I C o 15,5-8 I C o 15,22-28 I C o 15,24 I C o 15,35 I C o 15,35-57 I C o 15,51-54 I C o 16,9
62 286 103 118 104 260,271 228 112 195 119,120 119 119 119-121 119,120 106
2 Corinthiens 2Co 2Co2,6 2Co3 2Co5 2Co5,l 2 Co 5,1-10 2Co8,9 2 Co 10-13 2ColO,16 2Col2,7
100,107 71 119,120 119,120 120 120 258 105 103 122
Galates Ga Gai, 2 G a i , 6-9 G a i , 11 Ga 1,12 Ga 1,19 Ga2,l-ll Ga2,l-14 Ga2,2 Ga2,6 Ga2,9 Ga2,ll Ga 2,11-21 Ga2,14 Ga2,19 Ga2,21 Ga3,13 Ga3,24 Ga3,28 Ga4,4 Ga4,10-11 Ga4,26 Ga5,l Ga5,2 Ga6,2
100,107,156, 333, 334 128 103 128 128 303 105 154 128 128 128 255 105,107 332 111 111 52,55 405 105 272 116,118 320,321 112 332 118
440
L E JUDÉO-CHRISTIANISME D A N S TOUS SES ÉTATS
Ga6,14 Ga6,17
270 405 Éphésiens
Ep Ep2,14 Ep 2,14-16
100,390,408 392 390
Tite Tt Ttl,9 Ttl,13 Tt2,15 Tt3,10
74,100,121 72 72 72 258,266 Philemon
Philippiens Ph Phi, 5 Ph 1,12-18 Ph3 Ph3,6-7 Ph4,3
100,106 103 106 105 110 238 Colossiens
Col Col 1,15 Col 2 , 8 Col 2,23 Col 4,11
100,274,301 266,274,279 309 154 249 1 Thessaloniciens
ITh lThl,9 I T h 2,13-16 I T h 2,14-15 lTh2,15 I T h 2,16 lTh3,l I T h 4,13-18
100,119,120,123 103 102 102 61 103 102 119
Phm Phm 14
100,301 287 Hébreux
He He 1,1 He 9,28
280,431 421 195 Jacques
Jc
10,196 1 Pierre
IP I P 1,1 I P 1,20 1P2,22
405 106 421 61 2 Pierre
2P 2P3,16
405 103 Jude
2 Thessaloniciens 2Th
100 ITimothée
1 Tm lTm3,7 lTm3,16 lTm5,20
74,100,121 74 195 72 2Timothee
2Tm 2Tm4,2
100,121 72
Jude 1,18
421
Apocalypse de Jean Ap Apl,7 Ap2,l-7 Ap2,6 Ap2,15 Apll,19 Ap 12,1-3 Ap 19-21 Ap 20-21
10 95 106 152 152 195 195 119 423
INDEX GÉNÉRAL
441
H. Œ U V R E S A N O N Y M E S
Textes apocryphes Actes de Paul et Thècle 164-166 26 164 30 165 Actes de Philippe 254,348 Actes de Pierre 32,33,240,251,252,254,256 5 228,240 32 251 Actes de Pilate 254 Actes de Thomas 347,349 Apocalypse de Baruch (=11 Baruch) 376 29,3 229 30,1 229 30,1-4 117 49,2-3 198 Apocalypse d'Esdras ( = IVEsdras) 7,26-33 117 7,28 229 12,32 229 13,26 229 Apocalypse de Pierre 161,166 Apocalypse gnostique de Jacques (II) 205,372 Apocalypse de Zacharie, Siméon et Jacques (géorgienne) 367-369,372,373 57 368 67-71 368 Apocalypse de Jacques (latine) 369 Apocalypse de Jacques (arabe) 369 Apocalypse de Zostrien 327 Ascension d'Isaïe 161,196,199 3,21-4,13 307 6,16 120 Assomption de Moïse 8,1 58 Caverne des Trésors 217,219 Chant de la Perle 216 Cycle de Clément 31-37,83,231-256 Lettre de Clément à Jacques 32 3,4 234 5-6 252 20 254 Lettre de Pierre à Jacques 32,254 1.2 254 2.3 255 3,1 254 Engagement solennel 32 1,1 254 2,1 254 Homélies 31-37,210,213-256,334 1,1-2 250 1,5,1 248 1,6,1 238,239 1,7 235 1,7,1 235,252 1,8-9 240
442
LE JUDÉO-CHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS 1,8,1 1,8,3 1,9,1 1,13,3 1,14,3 1,19 11,4-5 11,4,1 H,15-18 11,17,4 11,20,1 H, 20,1-3 11,21,1 H, 29-32 11,32,29 11,38 H, 44,2-3 11,52 m, 17 m,20 m, 20-21 m,45 ffl, 45,1-2 m, 45,1-3 m, 52 m, 56 m, 60-61 m, 7 3 , 2 IV, 1,1-2 IV, 4,1 IV, 6 - V I , 26 IV, 6-7 IV, 6 , 2 IV, 7 , 2 IV, 16-25 IV, 20-21 IV, 20,1-2 V,2 V,2-3 V, 2-29 V, 3-27 V, 12-13 V,26,3 V,28 V,28,l V,28,2 V, 29,1
VH,4,l-5 Vn, 8,1-2
235,248 235,236 235 234 235 199 235 234 195,215 255 249 237 237 242 251 223 210 215 215 219 215 223 210 210 223 223 252 237 237 237 236 347 237,242,244 233,234,238,249 250 245 245 236 250 250 245 236 233,235,249 236 234 233,235,249,252 233 250 248 226 226
Vn,12,2-Vm,l,l
242
VIII-XI Vm,6,l v m , 10 Vm, 11-20 Vm, 15,2-16,2 Vm, 19,1-4
250 253 215 217 210 226
VI VI, 23,1
INDEX GÉNÉRAL Vm,24,3
IX, 1,1 X,16,18 XI, 16,3-4 XI, 19-33 XI, 34,1 XH,6,4 XH,9,3 XH, 10,2 Xn,10,4 Xn,15,2-4 XH, 15,45 Xm,7,3 Xffl, 13-21 XIV, 1 XIV, 1,1-2 XIV,2-3 XIV, 3,2-3 XIV, 6,2-3 XIV, 7 , 2 XIV, 7,2-4 XIV, 11,2 XV, 4,1-6 XV, 5-11 XV, 7 , 6 XVI, 15,2 XVH, 14,2 XVH, 19 XX, 13,6 XX, 2 2 , 2 Reconnaissances
I 1,5 1,5,1-2 1.6.1 1,7 1.7.2 1,7,2-7 1,9,1-2 1,10,2-3 1,11,1 1.11.3 1.12.1 1,14-15 1,14,1-2 1.17.2 1.21.4 1,25,1 1,27-28 1,27-31 1,27-32 1,27-43 1,27-71 1.28 1,28,1 1.29 1,29,1-3
443
242 242 248 253 246 242 210 239 239 239 244 243 237,249 245 228 210 249 245 244 245 245 242 245 306 210 255 255 255 252 249 31-37, 205, 213-256, 259, 334, 428 255 242 240 238,239 233 252 235 235 235 233 234,235 236 235 233 254 245 243 215 225 214 214 36,210,213-230,255,372,428 215 221 217-219,221 216
444
LE JUDÉO-CHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS 1.30.1 1.30.2 1,30,4 1,30,4-5 1,30,6 1,30,7-31,2 1,31,1 1.31.3 1.32 1,32-38 1.32.4 1.33 1,33-71 1,34-38 1.34.1 1,34,4 1,34,5-7 1.35.2 1.36 1.37 1,37,2-4 1.38 1,39-43 1.39.1 1.39.2 1,41 1,41,2 1,41,3-42,1 1,41,4 1.42.1 1.42.2 1,42,4 1.43.1 1.43.2 1.45.3 1,47 1,48,5-6 1,53,4-71,6 1,54,1 1,63,1 1,63,3 1,64,1-2 1,70 1,70-71 1,70,1-8 1,71,3-4 n, 13-16 n, 14-15 IH, 4 7 , 2 IH, 6 1 , 2 m , 66 HI, 74-75 HI, 75 IV, 5 , 5 IV, 5,7-8 IV, 12 IV, 26 IV, 36,1-5
220,227 220 227 220 220 220 221 220,227 220 225 221 214 226 214 221 222 222 222 223 223 210 225 214 223 210,224 228 224 143 224,228 226 226 228 229 226 252 215 210 230 210 229 228 210 255 372 230 255 242 255 251 255 252 254 33,245 253 253 219 217 226
INDEX GÉNÉRAL V,20 V,36,4 V,38,5 VI, 4-14 VI, 15,1 VH,6,4 Vn,9,3 VH, 10,2 VH, 10,4 VH,15,2-4 VQ,15,4 VH,32,2 VH, 33,1 VH,38 Vm, 1-2 Vffl,2,2-3 Vm,19,6 Vm,20,l Vm, 26-27 Vm,34,8 IX IX, 6 , 6 IX, 19-29 IX, 2 7 , 6 IX, 29,1 X X,2 X,5,l X, 1 0 , 7 - 1 3 , 1 X,22 X,52,2s. X,52,4 X, 55,3 X,64,2 Doctrine de Pierre Évangile de Basilide Évangile des Douze Évangile des Ébionites Évangile des Égyptiens Évangile des Hébreux Évangile des Nazoréens ou des Nazaréens Évangile de Pierre Évangile de Thomas 13 14 43 44 107 Hénoch (I) 104,10-11 Histoire de l'enfance de Jésus 16 19 Jubilés 4,15 4,22
445
248 254 247 246 242 210 239 239 239 244 243 237,249 237,249 245 249 245 246 246 246 246 247 210 251 252 239,240 247 259 245 259 236 236 245 252 249 197,258 263 263,274 129,193,194,197,210,223,263 263 138,204,258,264,269,279-283, 287,302 279,283 138,154,158,163,164,167,187, 194,197,215 138 198 136 192 192 136 216-218,220,225 187 195 195 216,218 216,217 216
446
LE JUDÉO-CHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS
5,1-13 5,6 50.4 Lettre de Ptolémée à Flore Livre d'Elkasaï Macchabées TV 17.5 Odes de Salomon 4,1-3 Oracles sibyllins IV, 187 Paralipomènes de Jérémie Passion d'Etienne (géorgienne ) Pasteur d'Hermas Prédications de Pierre
216 217 379 223 210 161 119 161,291,348 291 196 372 373 431 33, 35, 162, 166, 245, 254, 256, 306,325,333 192 240 139,375 191 254 234 194 294 303
4ab 6 Protévangile de Jacques Psaumes de Salomon Résurrection de Barthélémy 8,1 Roman de Barlaam Vie de Jésus en arabe Vies des Prophètes 13 Transitus Mariae Testament des XII Patriarches Testament de Lévi 4,4 14,2
199 60 60
Textes divers Lettre de Lucien 6-8 Martyre de Polycarpe VI, 2 X, 1 Martyre de Perpétue et de Félicité Vie d'Ésope, Recension G
314 208 149 208 241
Textes canonico-liturgiques Chronique pascale Constitution apostolique des Apôtres 16 16-20 16.1 16.2 18,1-4 18,4 20 20.2 20,2-3 20.3 Constitutions apostoliques 11,21,8 11.22.12 11.22.13 11,34,3 11,49,3
205 74 71-73 72 74 72 73 72 73 73 73 73 155 73 73 73 73 73
INDEX GÉNÉRAL
11,49,5 ffl, 19,1 V,7,15 V,14,13 VI, 12,12 VI, 2 2 , 3 VI, 28,1 Vn,35,3 Vn,46,3 Vm,l,6 Vm, 12,15 Vm,12,21 Vm,12,22 Vm,12,23 Didachè 7 Didascalie des Apôtres 2 3 5,12-18 21 23 24 26 Tradition apostolique 2
73 73 73 73 73 73 73 73 254 73 73 73 73 73 155 135 210,343-345,349 210 210 302 210 210 210 210,343,344 72
Textes qumrâniens 1QM2,6-10 1QM11,9,13 1QM 13,14 lQpHab 11,4-8 lQpHab 1QS 1QS 3,1-4 1QS5,2 1QS5,9 lQS6,2-6 lQS6,27s. 1QS7,15-16 lQSa 1,11-12 lQSa2,18-22 3Q15 3Q15 2,3-4 4Q169 3-4 et 6-8 4Q171 4Q521-4Q528 4Q524 4Q52414 4Q52414,1 4Q52414,2-4 4Q52414,4 4Q52414,5 4Q52414,5-6 4Q540-541 4Q541 4Q576-4Q579 4QpIs 1,22-24 a
379 306 306 82 82 71,73 73 68,81 81 73 79 53 70 73 306 306 56-58,60,65 53 51 51,53,54 43,53,54 43,53 43,45,50-56 53 43 43,53 60 56,58-60,65 51 306
447
448
LE JUDÉO-CHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS
4QpPs37,3,13-17 11Q19 HQ19LXm8-9 11Q19LXTV-LXV 11Q19LXIV6 11Q19LXIV6-13 11Q19LXTV10 11Q19LXIV11-13 11Q19LXV HQMiqd 56,20-21 HQMiqd 57,12-13 HQMiqd58,18 HQMiqd 59,13-23 HQTemple64,6-13 Document de Damas 6.5 13,1-3 13,2-6 13,9
82 45,51,53,54 43 53 43 45,50-56 53 50-56 53 306 306 306 306 45,52 379 82 73 73 134 Textes samaritains
Defter Durrani! Memar Marqah 4.6 4,12 Targum samaritain
91 91 89 94 90-91,94 47 Textes rabbiniques
Chronique de Yerahmeel 24,11 Mekilta de R. Ismaël, Yitro 1,57a Midrash Cantique Rabba 2 , 4 Midrash Lamentations Rabba IV, 13 Midrash Lévitique Rabba 3.2 5.3 6,6 12.1 14.5 19.2 25.6 27,8 34,16 Midrash Qohelet Rabba I-IV m, 16 XH,1 Midrash Exode Rabba 47 Midrash Genèse Rabba 19.7 26,5,2 48 65,22 Mishnah BetsahV,2
218 319 371-372 371 370 335-349,375 345-346 155,346 340-341 346-347 345 344-345 342 343-344 347-348 339,340,370,371 370 370,371 117 124 375 374 218 124 58 64
INDEX GÉNÉRAL Megillahl,3 Sanhédrin VI, 4 VI, 5 VI-VII VH,1 VU, 3 Pesiqta de-Rav Kahana 1,1 1,3 XV XV, 1 XV, 7 XVI-XXH XXH,5 XXIII Pesiqta Rabbati 25 Pirqei R. Eliezer 22 PirqeiAbot m, 16 IV,19 SifréDt21,22 Talmud de Babylone Abodah zarah 9a 10b BabahBatrahWm Houllinlb MegillahlOd Nedarim 32b 50a-b Niddah 61b Sahbbat 105a Sanhédrin 37b 43a 45b 45b-46 46b 56a 97a Soucca 52a (baraitah) Talmud de Jérusalem BikurimlM* HagigahJl^lld Pe'al Sanhédrin 1,1 Tosephtah Berakhot h 13 Pe'a 4 , 1 8 Targum Ex 2 2 , 4 Rtl,17 Ct4,2 Targum Jonathan sur les Prophètes Targum des Psaumes
71 49,58,63,81 62,65 66 48,54,60 54 366-380 373-375 373-375 378 378 368-373 376,377 379 374 347 218 110 110 54 338,358 117 232 347 358 117 320,342 232 117 320 63 64 55 54 49 105 117 92,93 320 58 347 63 319 347 60 47,60 92 358 358
449
450
LE JUDÉO-CHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS
Targum Jonathan I Gnl2,5 Gn21,33 Targum Jonathan H Gnl,27 Targum Onqelos Targum Neophiti
320 320 47-49,54,55,218 110 47,54,55,62,218 47,49,54-56,62,218,320 Textes manichéens
Kephalaia LXXX
329,330,332 330
HI. AUTEURS ANCIENS ET MÉDIÉVAUX
ADAMNANUS
De locis sanctis 1,9,1-16 1,18,1 ADDA
Antithèses
313-315
315 313 329,331
332
AELIUS ARISTIDE
51,22k AGAPIOS ALEXANDRE D'ALEXANDRIE
Lettre IX
195 172
265
AMBROISE DE MILAN
329
AMBROSIASTER (L')
322,333
Commentaire des Galates, Prologue
333
ANTONIUS DIOGENE
Merveilles d'au-delà de Thulé APHRAATE
Démonstrations 13,5 17 17,1-8 18,9 APOLLINAIRE DE LAODICÉE APPIEN
Guerres civiles H, 130, 542 Guerres syriennes 21, 96
240 139,140,143,217
140-142 217 140 141-142 218,219 327
195 195
APULÉE
L'Âne d'or
239
AQUILA ARATOR ARISTOPHANE
258 181
Thesmophories 1029
65
ARISTOTE
Paradoxes 39
195
ATHÉNAGORE
Apologie 19,4 AUGUSTIND'HIPPONE
Confessions V, 3 , 3 Contre Cresconius 1,31
246 28,139,328,329,332
328 333
INDEX GÉNÉRAL Contre Faustus 1.1 1.2 V,8 XIX, 4 XIX, 5 XIX, 17 De adulterinis coniugiis 7 , 6 De haeresibus IX X XXXII De mendacio 3.3
329,333 329 329 328 328-331,333 329 332 139 333 333 333 184
BARDES ANE
Livre des lois des pays
32,251
BARSABÉE DE JÉRUSALEM
373
CASSIEN
378
CELSE
267,268
Discours véritable
190,267
CHRYSIPPE CICÉRON
246
Defato 17-18 (39-42) De finibus I, XXXIV 154-155 De la nature des dieux H, 65,162-164
246 181 246
CLAUDIUS APOLLINARIUS
fragment 1
158
CLÉMENT D'ALEXANDRIE
202,205,257,273,430
Éclogues prophétiques 58 Stromates 1,29,182 2,9,45 2,15,68 5,14,96 6,5,39-41 6,5,43 6,6,48 6,6,58 6,15,128 10
162 162 279 162 279 162 162 162 162 162 326-327
CLÉMENTDEROME
32,213-256,280
Épître aux Corinthiens 54 59,2-3
71 196
CYRILLE DE JÉRUSALEM
296,312,313,369
Catéchèses 16,14
296
DÉMOSTHÈNE
m, 448
182
DENYS D'HALICARNASSE
1,17.19-20.15
182
DIDYME D'ALEXANDRIE (OU L' AVEUGLE) DIOGÈNELAËRCE
Vie et doctrines des philosophes VII, 60 VII, 88 VH, 135 Vn, 136 VH, 147
28,288,327
illustres 325 246 246 246 246
452
LE JUDÉO-CHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS
VH, 149 DIONCASSIUS
246
Histoires 60,6,6 67.4 68,24-25 ÉGÉRIE
76 232 149 313
Itinéraire
312
27,1 39.5 43,3 45,1-2 ÉPHREM
Commentaire du Diatessaron In Genesim 4,3 6,3 6,3-6 ÉPICTÈTE
378 312 313 378 140,217,219,220
137,139 219 220 218
Entretiens 1,7-20 1,12-14 1,37-43 ÉPIPHANEDESALAMINE
Ancoratus Des poids et mesures 14
Panarion
246 246 246 27, 28, 32, 136, 205, 258, 263, 269,274,277,294-296,373,430
129 294 295
294
1-33 19.3.6 20,3,1-2 20,3,3 24,5,2 29,4,1-2 29,5,4-5 29,7
129 210 310 310,332 161 303 200 337
29.7.7 30 30,3,3-4 30,3,5 30,3,7
307 265 326 326 264
30.13.2 30,13,2-3 30.13.4
195 263 195
30.14.5 30.15.3 30,16,1 30.16.5 30,16,8 30,25,1 30.18.6 30.22.4 46,1,8-9 46,5,5 51,26-27,3 51,27 53,1,8-9
129 210 210 210,223 262 262 229 210 138 310 302 294 325
INDEX GÉNÉRAL
453
EUSÈBED'EMÈSE
327
EUSÈBEDECÉSARÉE
27,28,80,82,153,180,184,185,
Chronique ecclésiastique Année 96 Démonstration évangélique 1,4 ffl, 5 VH, 1 Eclogues prophétiques 4,13 Histoire ecclésiastique 1,7,11-13 1,7,11-14 1,7,14 H, 1,3-5 H, 13-14 U, 23,3-4 11,23,5 ïï,23,6 11,23,7 11,23,9 11.23.17 11.23.18 U,23,19 11,27,4 HI, 5,3 m, 11 ffl, 15 ffl, 18,4 ffl, 1 9 , 1 - 2 0 , 1 ffl, 20,1 ffl, 2 0 , 6 ffl, 22,1 ffl,23,3 ffl,26 ffl, 27 ffl, 2 7 , 3 ffl, 2 7 , 4 ffl,32 ffl, 34 ffl, 35 ffl, 36 ffl, 3 6 , 1 - 3 9 , 1 IV, 5,1-4 IV, 5 , 2 IV, 5,3 IV, 6 , 4 IV, 7,3 IV, 7 , 1 5 - 8 , 2 IV, 8 , 2 IV, 11,7 IV, 11,8 IV, 20,1 IV, 22,1 IV, 2 2 , 2 IV, 22,2.3.4-6.9 IV, 2 2 . 3
190,194,197,203-206,277,280, 312,323,430 232 293 308 309 309 151,205 211 209 300 202 152 80,202 210 210 207,304 208 205 206 202 283 307 305,307 238 232 208 209 209 151 208 152 264 262,266,272 261 308 238 82 149 151 308 82 308 308 152 206 202 202 254 151 206,304 205,206 206 204,206
454
LE JUDÉO-CHRISTIANISME D A N S TOUS SES ÉTATS
IV, 2 2 , 4 IV, 22,4-5 IV, 2 2 , 7 IV, 2 2 , 8 IV, 24,1 IV, 29,4-5 V,4,l-2 V,16,12 V, 16,20-22 V, 18,6-10 V, 19,1-4 V,22,1 V, 24,4-5 VI, 11,4 VI, 1 2 , 1 - 1 3 , 1 VI, 12,1-6 VI, 12,6 VI, 17 VI, 25 VI, 34-38 VI, 38 VH, 10 VH, 19 Onomastikon Préparation évangélique 3 , 2
305,306 208 206,208,305 205 151,153 277 208 208 208 208 151 151 208 151 151 154 163 323 182 275 275 182 309 293 197
EUSÈBE ET PAMPHILE
Apologie pour Origène
266
EUTYCHIUS
Annales FAUSTUS
Capitula FLAVIUS JOSÈPHE
Antiquités juives I, § 72-74 H,§70 n,§72 IV, §201-203 IV, § 2 0 2 IV-V VHI,§319 LX,§ 182-183 XH, § 256 XII,§393s. Xm, § 380-382 XIH,§408 XHI,§ 410-411
xvm XVIII, § 14 XVIH, § 19 XVIII, § 26-34 XVIH,§ 63-64 XVIII, § 200 XX, § 197-203 XX, § 199 XX, § 2 0 0 Autobiographie
307 328-334
328-333 27,48,49,55,65,77,80,212,430,
431 79,168-200 218 195 195 79 48,49,55,79 48 196 170 58 300 57 70 58 173 170 78 85 43,168-200 177 77,136,304 57 42,63,172 79
INDEX GÉNÉRAL Contre Apion
248
I, § 2 3 2 H, § 2 1 8
170 170
Guerre des Juifs
204,293
U 9 7 I, § 1 1 3
57 58
n
173
H,§8,11 H,§ 1 1 4 - 1 1 6 H,§124 H, § 1 2 4 - 2 5 H, § 1 6 3 H, § 3 0 8 H, § 5 7 6 - 5 8 4 IV, § 145 IV, § 1 6 2 - 1 9 2 V , § 137 V, § 145 V,§451
216-217 170 71 301 120 59 185 301 78 293 299 59
VI, § 387 VI, § 3 8 8 VH, § 3 7 - 6 2 VII, § 2 9 - 3 4 GRÉGOIRE DE NYSSE
Homélie sur l'Ecclésisaste 7 Lettres3 GRÉGOIRE DE TOURS HÉGÉSIPPE
Hypomnemata
455
305 305 148 191 288,311,312
311 312 187 28,81,304-306,372,430
201-212
HÉLIODORE
Éthiopiques
239,241
HILAIRE DE POITIERS
Commentaire de Matthieu 1 6 , 6 Sur la Trinité 1,26 11,4 11,23 VII, 3 Vïï, 7
Traité des mystères XVH
XVIII HIPPOLYTE DE ROME
Élenchos VH, 3 2 - 3 4 VII, 3 5 , 1
IX IX, 1 3 , 1 - 1 7 , 2 LX,13,2-3 LX, 1 4 X,29 IGNAŒD'ANTIOCHE
Epître à Poly carpe V I I , 1 Epître aux Ephésiens XX, 2 Epître aux Magnésiens VI, 1
Vin, 1-2
318 265 265 265 265 265
317-321 318
318 324
257,273,276-278 264,268 265 279 227 325 278 279 147, 1 4 8 , 1 5 0 - 1 5 3 , 1 5 5 - 1 5 6 , 158, 159,166,167,197,199,431
156 160 71 156
456
LE JUDÉO-CHRISTIANISME D A N S TOUS SES ÉTATS
X, 1
149
X,3
149
Epître aux
Philadelphiens
VI, 1
149,156
X,1
156
Epître aux m,
Romains
3
149 165
V,2
Epître aux
Smyrniotes
m, 1 - 2 Vin, 2 XI, 1 - 2
Epître aux Tralliens VIH, 2 IRÉNÉEDELYON
197 71 156 71 28, 152, 161, 182, 257, 274, 3 2 1 , 323
Contre les hérésies 1.23.1
152
1,23,5 1,23,5-24,2
160,254 152
1,24 1,24,3 1,26
161 152 261,270
1.26.2 1,27,1-4 1,27,2 ffl, 3 , 3 ffl, 1 1 , 1 ffl, 1 1 , 7 ffl,12,12
260 153 254 233 260 323 254
ffl, 2 1 , 1 ISHO'DADDEMERV
264,268 137
ISIDORE DE SÉVTLLE
28
JACQUES D'ÉDESSE JAMBLIQUE
219
Histoire de Babylone, fragment 3 5 JEAN CHRYSOSTOME
Homélie 25 sur les Actes 4 JEAN DE BOLNISI JEAN MALALAS
Chronographie JÉRÔME
245 128,147,151
165 378,379
148 27, 28, 197, 258, 2 6 3 , 2 6 9 , 3 1 0 , 326,327,341,372,430
Commentaire aux Galates Prologue 3,13
Commentaire sur Ézéchiel 4 Commentaire sur haïe 4 Commentaire surMichée
327 55
279 300
1.3
311
1.4
310
Les Hommes illustres
H Xffl XVI XXÏÏ
279
192 149
206
Lettres 33
276
INDEX GÉNÉRAL 108.1
311
108,7
232
108,9
313
112,4 112,13
327 315
JOSEPH DE TmÉRiADE
269
JULES L'AFRICAIN
201,208,209,211,212,217,300
Chronographie Lettre à Aristide
217 209
JULIEN L'EMPEREUR
148
Misopogon 3 4 4
165
JUSTIN DE NÉAPOLIS
27,28,152,320
Apologie 1,26,4
152
1,26,4-5
254
1,31
308
1,56,1 1,58,1
254 254
1,65
308
Dialogue avec Tryphon 2,1-8,1
246
18-22 18,2
223 227
43,2
227
52 108.2 113,2 126,1-127,4
211 64 319 143
Syntagma
27,206
JUVÉNAL
Satires 6,4H
149
KÉDRÉNOS (Georges)
172
LIBANIUS
Antiochikos
148
LONGUS
Daphnis et Chloé
241
LUCIEN
Ménippe 3-4 6 MACROBE
SaturnalesVllA
240 246
et30
MALALAS (Jean)
181 149,166
Chronique 270,17-23
149
275,3-10
149
275,9-10 MARIUS VICTORINUS
Commentaire des Galates Prologue
149,150
322-334,327 333
1,19,4-9
324
1,19,5-6
333
2,12,26-30
Contre Arius
324
327
MARTINI (Raymundo)
Pugio Fidei MICHEL LE SYRIEN
457
336 172
458
LE JUDÉO-CHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS
OPTÂT DE MILÈVE
Sur le schisme donatiste IV, 5 ORIGÈNE
Commentaire sur la Genèse m Commentaire sur les Psaumes Commentaire sur le Psaume 1 Commentaire sur les Douze Commentaire sur Ézéchiel Commentaire sur Matthieu X, 17 XI, 12 XV, 14 XVI, 12 XVI, 16 LXXXVI Série 77 Série 79 Commentaire sur Luc fragment 212 Commentaire sur Jean 1,29 n , 12 Commentaire sur la lettre aux Romains m , 11 IV, 1 Commentaire aux Galates Commentaire sur la lettre à Tite ffl,11 Contre Celse I 1,47 H H,l H, 13 m V,61 V,65 Des natures Entretien avec Bérylle de Bostra Entretien avec Héraclide Entretien avec le valentinien Candidus Fragment sur Ex 10, 27 Homélies sur la Genèse Homélie 3 sur la Genèse 5 Homélie 10 sur le Lévitique Homélie 13 sur les Nombres 5 Homélies sur les Psaumes Homélie sur le Psaume 82, fragment Homélies sur Jérémie XV, 4 Homélie 19 sur Jérémie 12 Homélie 20 sur Jérémie 5 Homélies sur Ézéchiel Homélies sur Matthieu
265 27,
180,
183,
184,
187,
190,
257-288,295,309,323,324,333, 430 251 259 284,287 285 215 283,284 171,251,270,275,282 171 270-271,273 187,279,281-283 271-274 258 296 259 272-274 270 270 281 238 280-281 264 265,273 276 326 258,266-267 272,274 21,171,269,275,278 267 171 267 27,267-268,273 171 267 28,268-269,272,274 269-270,274 258 258 251 258 287 261 214 261,273,274 269 285 276 275-279 261 281 261-262,275 285,286 283,284 270
INDEX GÉNÉRAL Homélies sur Luc Homélie 1 sur Luc 1 Homélie 17 sur Luc 2
Lettre à Africanus sur l'histoire de Suzanne Philocalies 1-20 21-27 23
459
263,270 263,274 264-265,274
285 286 259 259
Traité des principes Préface, 8
216,260,262,267,285,287 197,258
1,3,4 IV, 3 , 8 IV, 3 , 8 (24) OROSE
286 274 260
Histoire 1,6,15-16 PAPIAS PÈLERIN DE BORDEAUX
Itinerarium 1 6
16 264 293,296,310,314
296,299
PÈLERIN DE PLAISANCE
Itinerarium
315
22 30,2 PHILASTRE DE BRESCIA PHILON D'ALEXANDRIE
DeAbrahamoSl De Cherubim
319
4-7 7
319 319
Degigantibus 1 4 . 1 5 De mutatione nominum 1-2 8-9
De specialibus
313 368 28,324 27,46,79,104,108,216,376
319 319 319
legibus
3,151 3,151-152
Quaestiones in Genesim Quod omnis probus 15 Vita contemplativa 3 2 s. 6 8 s. 83-87 PHILOSTRATE
Vie d'Apollonius de Tyane 1,8,16 PHOTIUS
Bibliothèque 1 6 6
48 44
215 68 70 70 70
161 210
240
PLATON
Phèdre 230e-234c
180
PLAUTE
Ménechmes
241
PLUTARQUE
Des contradictions des stoïciens 4 7 Des notions communes 3 2
246 246
PORPHYRE
Isagoge 1,2-3 PSEUDO-CHRYSOSTOME
Panégyrique de Thècle
325 326
165
460
L E JUDÉO-CHRISTIANISME D A N S TOUS SES ÉTATS
PSEUDO-TERTULLIEN
Chant I Contre toutes les hérésies 3
265 265
QUINTILIEN
Vm, 2.19
181
X,5.5
181
RUFIND'AQUILÉE
Préface à Gaudentius ROMANOS LE MELODE
32,37,256,259-261,265
236 137
SÉNÈQUE
Epître 1 1 4 , 1 7 Lettre à Lucilius 8 4 , 3 - 7 SÉRAPION D'ANTIOCHE
181
181 147,151,154,158-159,161,163, 167
fragment 1 fragment 2 SÉVÈRE D'ANTIOCHE
158 158 378,379
SOCRATE LE SCOLASTIQUE
Histoire
ecclésiastique
6,11
128
7,29 SUÉTONE
128
Claude 25 Domitien 1 5 SYMMAQUE
Hypomnemata
76 232 55,258,323,324,331
323
SYNCELLE
Chronographie TACITE
217 64
Annales IV, 33.4
171
XV, 44,2 XV, 44,4-5
153 43
TATIEN
Diatessaron TERTULLIEN
Contre les Juifs V I Contre Marcion 1,19 IH, 5 , 4
IV, 7 , 1 IV, 8 Du baptême XVH XVn,5 Sur la Chair du Christ XIV XVin Sur la prescription des hérétiques X,8
XXXn,2 XXXm,3-5 XXXIII, 1 1 Sur le voile des vierges V I , 1 THÉODORET DE C YR
Compendium des fables hérétiques 1,20 Commentaire de Daniel XH, 1 4
137-138
137,138,194 28,187,257,273
223 25 122 264 269 164
187 265
265 265
233 265 265 265 171
128 171
INDEX GÉNÉRAL THÉODOSE DE JÉRUSALEM
De situ Hierusolimae 4
461
368,369
308
THÉODOTION
258
THÉOPHILE D'ANTIOCHE
151,155,157-159,161-163,166, 167
ÀAutolycum 1 1.1 1,12 1,14 1,20 2.2 2,9 3,4 3,9-14 3,13-14 3,27-28 3,29 VICTORIN DE POETOVIO
Commentaire sur l'Apocalypse X I
157,158 149 153,157 157 157,162 162 162 157 149 157 166 153 157
265
XÉNOPHON D'ÉPHÈSE
Les Éphésiaques H, 5 , 1 - 4
245
Table des matières
Conférence
d'ouverture,
par Simon C . MIMOUNI
12
Introduction,
par F. Stanley JONES
13
Introduction,
par Claude GEFFRÉ
15
PREMIÈRE PARTIE
HISTOIRE D E L A RECHERCHE François BLANCHETTÈRE : La contribution du D o y e n Marcel Simon à l'étude du judéo-christianisme Pierre GEOLTRAIN : Le Roman pseudo-clémentin depuis les recherches d'Oscar Cullmann
19 31
DEUXIÈME PARTIE
FONDATIONS Emile PUECH : La crucifixion c o m m e peine capitale dans le judaïsme ancien Justin TAYLOR : The "Plêthos" of Jesus' Disciples Etienne N O D E T : James, the Brother of Jesus, was never a Christian Marie-Emile BOISMARD : L'Évangile de Jean et les Samaritains . Simon C. MIMOUNI : Paul de Tarse. Éléments pour une réévaluation historique et doctrinale William L. PETERSEN : Constructing the Matrix of Judaic Christianity from Texts
41 67 75 86 97 126
464
LE JUDÉO-CHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS TROISIÈME PARTIE
ANALYSES Clayton N. JEFFORD : Reflections on the Role of Jewish Christianity in Second-Century Antioch Serge BARDET : U n e approche épistémologique et christologique des problèmes posés par le Testimonium Flavianum (Flavius Josèphe, Antiquités juives XVIII, § 63-64) F. Stanley JONES : Hegesippus as a Source for the History of Jewish Christianity Claudio GIANOTTO : Alcune riflessioni a proposito di Recognitiones 1,27-71 : la storia della salvezza Bernard POUDERON : A u x origines du Roman clémentin. Prototype païen, refonte judéo-hellénistique, remaniement chrétien Gilles DORIVAL : Le regard d'Origene sur les judéochrétiens Bargil PIXNER : Nazoreans on Mount Zion (Jerusalem) Frédéric M A N N S : U n e tradition judéo-chrétienne dans le Traité des Mystères de Hilaire de Poitiers Michel TARDIEU : Les Symmachiens de Marius Victorinus et ceux du manichéen Faustus Burton L. VISOTZKY : Jewish-Christianity in Rabbinic Documents : an Examination of Leviticus Rabbah Moshe B AR-ASHER : Le deuxième volume de la version syropalestinienne de la Bible Stéphane VERHELST : Trois remarques sur la Pesiqta de-Rav Kahana et le christianisme
147
168 201 213
231 257 289 317 322 335 350 367
QUATRIÈME PARTIE INTERPRÉTATIONS
Claude GEFFRÉ : Révision de la théologie chrétienne du judaïsme ? Gershon NEREL : Primitive Jewish Christians in the Modern thought of Messianic Jews Conclusions, Index
par Francis BLANCHETIÈRE
383 399 427 433
Composition : Facompo, 14100 Lisieux Achevé d'imprimer en avril 2001 dans les ateliers de Normandie Roto Impression s.a. 61250 Lonrai N° d'édition: 11285 N° d'impression : 010960 Dépôt légal : avril 2001 Imprimé en France
LE JUDÉO-CHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS Le Colloque de Jérusalem, dont les Actes sont présentés ici, a été organisé conjointement par Simon Cl. Mimouni, F. Stanley Jones et Claude Geffré et s'est déroulé du 6 au 10 juillet 1998 dans le cadre de l'École biblique et archéologique française ; il avait pour objectif de faire le point sur les différents aspects de la recherche actuelle sur le judéo-christianisme ancien, dans ses diverses composantes historiques (les Nazaréens, les Ébionites, les Elkasaïtes...) et dans ses multiples approches disciplinaires (littéraires et non littéraires). Afin de favoriser cette approche interdisciplinaire, les travaux du Colloque ont été centrés autour de plusieurs grands axes : histoire de la recherche, fondations, analyses et interprétations. Directeur d'études à la Section des sciences religieuses de l'École pratique des hautes études sur la chaire « Origines du christianisme », Simon Claude Mimouni, actuel directeur de la Revue des études juives, étudie depuis plusieurs années l'histoire de la formation du mouvement de Jésus au sein et hors du judaïsme aux I et II siècles. er
e
cerf 220 F ISBN
2-204-06445-9
ISSN 0750-1919 2001-V