Les armées françaises face à la morale
© L’Harmattan, 2011 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com
[email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-54249-5 EAN : 9782296542495
Emmanuel Goffi
Les armées françaises face à la morale Une réflexion au cœur des conflits modernes
Préface du Général de corps aérien Denis Mercier Postface de M. Jacques Arnould
L’Harmattan
Préface
Il ressort d’une discussion avec le directeur de l’enseignement universitaire d’une grande école de l’air européenne que l’enseignement de l’éthique et de la morale ne va pas de soi. Il lui était reproché, me disait-il, de susciter le doute chez les jeunes officiers, provoquant le risque de les faire reculer au moment crucial, celui où l’armement doit être délivré. Comment marier la fulgurance de l’action aérienne, dans un tempo toujours plus rapide avec la crainte de la conséquence juridique ou du dommage collatéral ? Allait-il, dans une école militaire, instiller le doute au combattant au risque d’obérer sa capacité à remplir sa mission ? Ce directeur me confia que, devant tant de résistance, il dut rencontrer le chef d’état-major qui éprouvait les mêmes réticences vis à vis d’un tel enseignement, non conforme à l’obéissance aveugle dans l’application des règles d’engagement qu’il espérait ancrer dans la formation de l’officier. Le directeur en question lui demanda alors quelle serait sa position lorsque dommage collatéral il y aurait, ce qui serait d’autant plus inévitable qu’on aurait déchargé l’officier de sa capacité à maîtriser l’emploi de la force et à impliquer son intelligence dans l’action. Comment justifierait-il, devant les inévitables questions relatives à la formation de l’officier et du combattant, que le choix du commandement fût justement de tuer dans l’œuf cette
réflexion ? Il me dit que l’argument fut décisif pour la mise en place d’un module éthique. Nous n’avons pas eu ce problème en France, différence de culture sans doute. Mais la question reste entière. L’Ecole de l’air organise tous les ans un séminaire relatif au droit des conflits armés. Il ne s’agit pas d’un simple débat de juristes mais d’une confrontation entre le droit de la guerre et le retour d’expérience d’officiers qui témoignent de moments forts, où le contexte qui a prévalu à l’établissement des règles d’engagement s’est soudainement effondré, les obligeant à adapter leurs modes d’action. Hors de tout cadre, alors qu’il faut réagir dans l’instant face à une situation d’urgence qui peut impliquer droit de vie ou de mort, que reste-t-il ? La réponse est individuelle. Elle ne s’apprend pas et c’est bien la difficulté. Elle se nourrit de trois facteurs qui me paraissent essentiels : une réflexion éthique et morale approfondie assise sur des valeurs fortes, un socle d’expériences vécues partagées avec les plus anciens et, appuyée sur cette base, une capacité d’analyse et de discernement dans l’adversité plus que jamais essentielle dans les conflits modernes. Certains jeunes officiers retirent une certaine frustration de ce séminaire qui n’apporte pas de recette simple. L’imprévisibilité des engagements qui attend les officiers d’aujourd’hui implique une autre formation, fondée sur le développement du jugement, l’appréciation d’un périmètre de responsabilités qui doit s’adapter en temps réel à une situation évolutive et le respect de règles aux limites parfois floues. Ethique et morale (pour la distinction entre ces deux termes, je renvoie le lecteur à la lecture du livre du capitaine Goffi) constituent les valeurs essentielles à développer chez ces officiers dans lesquelles ils pourront puiser au moment voulu :
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« au-delà des acquis de la formation, la réaction personnelle de chacun face à l’évènement relève de l’éthique militaire1 ». Le livre du capitaine Goffi a ce grand mérite de poser les bonnes questions, plaçant les valeurs morales au centre de la complexité des engagements modernes. Barack Obama rappelait, lors du discours prononcé à l’occasion de la réception de son prix Nobel pour la Paix : « quand la force s’avère nécessaire, nous avons un intérêt moral et stratégique à respecter strictement certaines règles de conduite ». On comprend aisément à quoi faisait référence le Président américain dans cette phrase. Pour autant, la réalité des opérations modernes démontre la difficulté d’apprécier quelles sont ces règles de conduite dans des environnements mariant réseaux, systèmes déportés, équipements rustiques ou haute technologie et imbriquant combattants et populations tantôt amis, tantôt ennemis. Je ne partage pas forcément toutes les analyses du capitaine Goffi. Plutôt que de se résigner à remonter au niveau supérieur, celui de l’Etat, une responsabilité qui nierait au combattant son aptitude à apprécier, à son échelon, l’environnement de son action dans un tempo toujours plus accéléré, il faut au contraire repenser sa formation. Aucun cadre, fût-il juridique ou moral, ne déchargera le soldat, a fortiori l’officier, de sa responsabilité devant l’usage de la force, quelle que soit la complexité de la situation dans laquelle il opère. Cette complexité offre au contraire à l’officier l’opportunité d’exprimer toute sa personnalité et place les valeurs humaines au cœur de l’action. L’officier du 21ème siècle devra être très différent de ses prédécesseurs et c’est bien ainsi. Plus que jamais les valeurs d’éthique et de morale seront essentielles dans sa formation. Le débat ouvert par le capitaine Goffi, abordé avec conviction et
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Michèle Alliot-Marie, allocution lors de la clôture des Journées internationales de Coëtquidan, le 25 novembre 2005.
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sans tabou, nourrit la réflexion et ose poser les bonnes questions. En ouvrant ce livre, je ne vous souhaite donc pas bonne lecture, mais bonne réflexion.
Général de division aérienne Denis Mercier
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A Christine, mon épouse, pour m’avoir inlassablement et indéfectiblement porté et supporté. Conscient des sacrifices qu’elle fait depuis de nombreuses années pour me permettre de réaliser mes rêves, je rends ici hommage à son dévouement et à son soutien inconditionnel.
« … on ne devrait pas assujettir un militaire à une norme éthique à laquelle ne sont pas, ouvertement et directement, soumis ses supérieurs » Capitaine Donald A. Neill, in L’éthique et l’appareil militaire
Les opinions exprimées dans cet ouvrage sont propres à l’auteur et n’engagent en rien le ministère de la Défense ou les institutions auxquelles il appartient.
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Remerciements Je tiens, à l’issue de ce travail que j’ai mené avec passion, à exprimer ma gratitude à toutes les personnes qui ont bien voulu s’intéresser à mes réflexions et à mes recherches. Je veux, ici, remercier tout particulièrement Grégory Boutherin pour son aide inestimable sur le fond comme sur la forme de mes écrits. Ses nombreuses relectures et ses conseils ont largement contribué à améliorer la qualité de ce travail. Je remercie également Sophie Garnier et Freddy Macias pour le temps qu’ils ont dédié à la lecture des différentes parties de ce livre, ainsi que pour leurs conseils avisés, ainsi que Christophe Pajon pour ses conseils quant à la méthodologie de recherche. Que tous soient assurés de ma reconnaissance pour le temps qu’ils auront bien voulu me consacrer et leur contribution à la clarté de mon propos. J’adresse un remerciement appuyé et affectueux à Antoinette Girardin, pour avoir bien voulu passer une grande partie de ses soirées à relire la version finale de ce manuscrit pour débusquer les dernières fautes et autres coquilles. Son travail m’a été d’une aide précieuse. Ce livre n’aurait pas pu voir le jour sans le soutien et la gentillesse des personnes qui ont accepté de se prêter au jeu des entretiens. Leur participation lui donne la validité scientifique nécessaire à tout travail de recherche en sciences humaines. Les témoignages que j’ai recueillis m’ont enrichi tant sur le plan humain qu’intellectuel. J’ai eu le privilège de partager le vécu de personnes passionnantes et aux expériences riches et souvent exceptionnelles. Leurs parcours respectifs et leur humilité imposent le respect. Cela restera pour moi une magnifique aventure humaine. Que tous soient convaincus que j’éprouve à leur égard une profonde gratitude doublée d’un immense respect.
De même je veux exprimer ma reconnaissance toute particulière au Général de division aérienne Denis Mercier, sous les ordres duquel j’ai eu l’honneur de servir pendant deux années alors qu’il était Commandant des Ecoles d’officiers de l’Armée de l’air, ainsi qu’au Colonel Eric Maïni, Commandant le Groupement des formations initiales d’officiers des Ecoles d’officiers de l’Armée de l’air, pour leur soutien, leurs conseils, les échanges enrichissants que j’ai pu avoir avec eux et leurs encouragements de tous les instants. Ils ont su me pousser à la réflexion et m’ont conforté dans mon travail en le valorisant à de nombreuses occasions. Je remercie enfin le Général de division aérienne (2S) Patrick Desjardins, pour le temps qu’il m’a toujours consacrée avec gentillesse et l’intérêt qu’il a bien voulu porter à mes travaux. Bien entendu ces remerciements ne seraient pas complets si j’omettais de souligner que l’ensemble des marques de sympathie, d’intérêt et de soutien qui m’ont été adressées tout au long de ce travail, par l’ensemble des personnes que je côtoie au quotidien, m’ont permis, dans les moments de doute ou de fatigue, de puiser dans des ressources amicales. Que tous en soient remerciés. Enfin, je tiens à exprimer ma reconnaissance à mon épouse, Christine. Sans son soutien et son abnégation a toujours faire en sorte de me décharger des tracasseries du quotidien et à en assumer, trop souvent, l’entière charge, ce travail n’aurait jamais abouti. Elle a su, à chaque instant, trouver la force de supporter mes sautes d’humeur et mon indisponibilité. Au-delà de l’amour que je lui porte, je lui suis redevable de tout ce que j’ai accompli. Ce livre est autant le sien que le mien.
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Sommaire
Préface
p. 7
Remerciements
p. 13
Sommaire
p. 15
Liste des abréviations
p. 17
Introduction
p. 19
Première Partie - La place de la morale dans les nouvelles formes de conflictualités
p. 27
1.1 La morale en question
p. 29
1.2 Les nouveaux acteurs et la morale
p. 36
1.3 Les médias et les « opinions publiques » : le besoin de justifier
p. 46
1.4 Le rôle des nouvelles technologies
p. 57
Deuxième Partie - De la légalité à la légitimité
p. 71
2.1 Le droit, la morale et la raison d’Etat : un mariage improbable
p. 73
2.2 L’inadaptation du droit des conflits armés
p. 86
2.3 La morale comme alternative au droit
p. 95
2.4 Le rôle des Etats, la responsabilité du politique p. 106 Troisième Partie - Le militaire face à la contrainte morale
p. 119
3.1 La morale et le recours à la force
p. 121
3.2 Morale militaire ou code de conduite ?
p. 132
3.3 La construction de l’éthique
p. 145
3.4 Morale, hiérarchie et responsabilité
p. 156
Conclusion
p. 169
Postface
p. 179
Bibliographie
p. 183
Table des annexes
p. 205
Annexes
p. 206
Table de matières
p. 211
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Liste des abréviations
CIA : Central Intelligence Agency CICR : Comité International de la Croix-Rouge CPI : Cours pénale internationale CSNU : Conseil de sécurité des Nations Unies DCA : Droit des conflits armés DIH : Droit international humanitaire NBC : nucléaire, bactériologique et chimique ONU : Organisations des Nations Unies ONG : organisations non gouvernementales OTAN : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord RDG : règlement de discipline générale ROE : règles opérationnelles d’engagement (Rules of Engagement pour la version anglaise) SMP : sociétés militaires privées UE : Union Européenne UNHCR : United Nations High Commissioner for Refugees (Haut-Commissariat aux Réfugiés)
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Introduction
L
’actualité est aujourd’hui très largement occupée par des questions relevant de la sphère éthique, ou plus exactement morale. La récente crise financière, qui a fait suite à la problématique des subprime aux Etats-Unis en est un exemple. La question de la moralisation du capitalisme ou du système financier international, a été soulevée à de nombreuses reprises et a par ailleurs alimenté de nombreux débats. Plus récemment encore, et dans un registre différent, le comportement de l’armée israélienne durant le conflit qui l’a opposée au Hamas dans la bande de Gaza, a largement été critiqué et a fait, bien entendu, l’objet de justifications nombreuses de la part des dirigeants israéliens, qu’ils soient politiques ou militaires. D’autres exemples peuvent être cités : la bioéthique2, la moralisation des comportements autour des sujets relatifs à l’environnement, l’emploi des systèmes informatiques ou technologiques souvent intrusifs, les rapports souvent délicats, si ce n’est ambigus, entre droit et morale sur la scène internationale et surtout les nombreuses interrogations que soulèvent, à l’image du conflit à Gaza, le recours à la force et ses justifications.
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Ce domaine fait d’ailleurs l’objet d’une réflexion particulière au sein du Service de santé des armées comme l’a démontré la 24ème journée d’instruction des officiers de réserve et honoraires du Service de santé des armées dédiée à l’« Ethique biomédicale : enjeux civils et militaires », qui s’est tenue à l’Hôpital d’Instruction des Armées Lavéran à Marseille le 10 décembre 2010.
Le sujet étant de plus en plus débattu, cette prégnance de la morale appliquée au recours à la force demande réflexion. Les armées sont aujourd’hui très largement confrontées à des formes de conflictualités, non pas nouvelles, mais de moins en moins classiques. Ces conflits, dits de quatrième génération, opposent des armées régulières à des groupes non-étatiques, pour la plupart, dont les membres ne relèvent pas de la définition du combattant donnée par les Conventions de Genève de 1949. Cette constatation fait partie d’un ensemble plus vaste d’éléments tendant à postuler une inadéquation claire entre le droit des conflits armés tel qu’il existe aujourd’hui et les formes de conflictualités auxquelles les armées modernes ont à faire face. De cette constatation découle naturellement un certain nombre de questions : la morale, en tant que concept vague, instrumentalisé par l’ensemble des acteurs de relations internationales, n’a-t-il pas vocation à compenser les zones d’ombres d’un droit adapté à des conflits « classiques » ? Comment dès lors envisager d’adapter les interventions militaires à cette situation nouvelle en attendant des militaires qu’ils sachent, au besoin, s’affranchir du droit tout en respectant une certaine forme de morale ? Appliquer la morale certes, mais de quelle morale parlons-nous ? Qui doit l’appliquer ? Tous, au nom de l’universalisme du concept ? Certains seulement au nom de son relativisme ? Le contexte d’intervention des armées modernes comme celles de la France, pose donc difficulté en ce qu’il voit s’affronter la raison d’Etat et son corollaire qu’est l’efficacité militaire, le droit international, la morale en tant que système de valeurs imposées « de l’extérieur » et l’éthique individuelle du militaire. Cette notion de raison d’Etat est au cœur d’une autre préoccupation : est-il pertinent, légitimement et moralement, de faire reposer le poids de la morale dans l’action militaire sur les seules épaules des militaires ? La moralité du recours à la force ne doit-elle pas être envisagée au niveau politique ? Si l’on prend comme exemple la campagne de bombardement en 20
Serbie en 19993, il est légitime de se demander dans quelle mesure il est pertinent d’attendre un comportement moral de la part des pilotes ayant délivré de l’armement alors même que la légitimité4, comme la légalité, de l’intervention étaient questionnables ? De même, comment peut-on exiger d’un militaire envoyé sur le front irakien ou sur le théâtre afghan de se comporter moralement alors que l’on sait, a priori, qu’il sera confronté à des adversaires ayant souvent une morale pour le moins très différente de la sienne ? Ce sont ces questions qui méritent, si ce n’est des réponses, au moins un début de réflexion. L’intérêt n’est pas ici de philosopher mais d’apporter un éclairage sur des situations d’une extrême complexité, pour que chacun comprenne bien que la morale n’est qu’une solution « par défaut », un pis-aller, lorsque le droit n’est plus efficace ou qu’il est bafoué au nom des intérêts supérieurs des nations. Il est important ici de souligner la pauvreté de la réflexion en France sur ce sujet. En marge des travaux menés par Ariel Colonomos5 ou Monique Canto-Sperber6, tout au plus peut-on trouver des « codes de conduite » ou « de déontologie » tels le Code du soldat du Général Bachelet7 ou l’ouvrage du Général Royal8, qui, bien qu’importants, restent sommaires et soulèvent de nombreuses autres questions. On peut légitimement se 3
Les bombardements effectués, entre le 24 mars et le 11 juin 1999, durant la guerre du Kosovo par certains membres de l’OTAN ont fait l’objet de nombreux débats. Cette intervention au-dessus de la Yougoslavie était en effet parfaitement illégale et a fait l’objet d’une justification s’appuyant sur la moralité de l’action menée en raison de son objectif humanitaire. 4 Le mot « légitimité » s’entend ici au sens de « légitimité morale », c'est-àdire une justification s’appuyant sur les concepts de Bien et de Mal. La légitimité est acquise dès lors que les arguments moraux sont confirmés par des actions bonnes dans l’intention comme dans la réalisation. 5 Ariel Colonomos, La morale dans les relations internationales, Paris, Odile Jacob, 2005, et Le pari de la guerre : guerre préventive, guerre juste ?, Paris, Editions Denoël, 2009. 6 Monique Canto-Sperber, Le bien, la guerre et la terreur, Paris, Plon, 2005. 7 Jean-René Bachelet, Pour une éthique du métier des armes – Vaincre la violence, Paris, Vuibert – Espace éthique, 2006. 8 Benoît Royal, L’éthique du soldat français - La conviction d’humanité, Economica, juillet 2008.
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demander, par exemple, en quoi il est moral d’imposer un code de conduite extrêmement restrictif à des soldats ayant à affronter des adversaires non contraints, ni par le droit ni par la morale, sur des théâtres d’opérations où même les motifs ayant mené à l’intervention sont discutables. Un des exemples les plus marquants illustrant cette question, reste l’épisode douloureux de la bataille d’Haditha en Irak durant laquelle des soldats américains ont abattu 24 civils en représailles de l’attaque d’un convoi par des insurgés9. Sans chercher à excuser la commission de tels actes, il est essentiel d’en comprendre les rouages et d’analyser comment il est moralement possible d’aboutir à de telles extrémités. Il devient alors plus aisé de comprendre d’une part les motivations de ces exactions et d’autre part que ce type de comportement ne saurait être considéré comme exceptionnel et impossible à l’avenir. Si ce sujet reste confidentiel en France, il fait en revanche l’objet de nombreuses publications dans les pays anglo-saxons, les Etats-Unis en tête. Cette propension à la réflexion philosophique autour de la morale dans les relations internationales, et plus particulièrement en ce qui concerne l’action militaire, s’explique bien évidemment par la forte présence des Etats-Unis sur la scène internationale et les très nombreux théâtres d’opérations sur lesquels sont déployées les forces américaines. Cette omniprésence états-unienne dans le paysage international induit une prise de conscience et une réflexion approfondie, tant au niveau politique que militaire, de la part de nos alliés d’outre-Atlantique sur les finalités et les modalités de leurs actions en termes de morale. Ceci a été renforcé par une très grande prégnance du fait religieux aux Etats-Unis durant le mandat de Georges W. Bush et une certaine inclination à penser que l’Amérique a le devoir de sauver le monde au nom d’un destin manifeste. Cependant 9
Cf. l’ouvrage de William Langewiesche, La conduite de la guerre, Allia, Très petite collection, 2008, ou encore l’excellent film de Nick Broomfield, Battle for Haditha, sorti en 2007.
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d’autres nations s’interrogent sur la dimension morale des interventions militaires. Le Canada, dont l’attachement au droit international n’est plus à démontrer, mène de nombreuses recherches dans ce domaine au même titre que l’Australie dont certaines universités, à l’image des universités américaines, disposent de départements dédiés à ce sujet. Quoi qu’il en soit les ouvrages qui permettent de mener une réflexion approfondie sur la place de la morale dans les armées au 21ème siècle sont nombreux. Cet ouvrage a pour ambition d’apporter une contribution à cette réflexion et de l’ouvrir au niveau national. Non pas qu’il donnera des solutions à toutes les problématiques, mais au moins a-t-il vocation à alimenter un débat qui tarde à naître en France. Le propos doit être sans concession et s’ouvrir très largement à de nombreux domaines. Si les bonnes questions, quand bien même pourraient-elles être dérangeantes, ne sont pas posées, jamais nous ne trouverons de solutions acceptables aux problèmes auxquels les armées sont quotidiennement confrontées. En ce début de 21ème siècle, au cœur de cette instabilité et de ces contradictions, les armées françaises ont tout intérêt à se poser la question du rôle de la morale dans l’action militaire. Loin des codes déontologiques, des discours bien-pensants et des textes historiques sortis de leurs contextes, une véritable réflexion doit être menée. Cette réflexion doit nous aider à déterminer s’il est légitime de faire peser le fardeau de la morale sur les seuls militaires ou si, au contraire, ce fardeau relève de la responsabilité des autorités politiques, et donc de l’Etat, qui décident d’engager des troupes dans des conflits où il faut bien l’admettre, la morale ne semble pas être appréhendée par nos adversaires comme elle peut l’être dans nos forces. L’idée n’est pas de déresponsabiliser le militaire. Elle est comme le dit l’adage de « rendre à César ce qui est à César ». Au politique la responsabilité morale de l’engagement et des moyens choisis, aux militaires l’honneur de servir la France avec abnégation 23
jusqu’à tuer pour elle, jusqu’à mourir pour elle. Au militaire également d’assumer la responsabilité juridique de ses actes. Le sujet qui sera traité ici portera donc sur la morale dans les armées françaises au 21ème siècle. Après avoir défini certaines notions permettant d’appréhender ce travail correctement, la première partie de ce livre, tendra à dresser un tableau d’ensemble des nouvelles formes de conflictualités auxquelles les militaires sont confrontés aujourd’hui en en soulignant les spécificités en termes de morale. Seront abordées ainsi les questions relatives aux nouveaux acteurs des conflits, au poids des nouvelles technologies, au rôle des opinions publiques et à l’impact des médias de masse. Une fois le décor planté nous nous intéresserons, dans une deuxième partie, aux réponses apportées par le droit à ces problématiques inhérentes à la modernité. Nous soulignerons le glissement du droit vers la morale du recours à la force, en montrant que le droit n’est plus adapté aux nouvelles formes de conflictualités et qu’il a laissé des zones grises qui ne peuvent être comblées que par la morale. Nous tenterons d’expliquer en quoi l’Etat reste au cœur de ces problématiques en montrant que l’action étatique s’affranchit parfois du droit et de la morale lorsque des intérêts supérieurs sont en jeu. Nous nous interrogerons ensuite sur la responsabilité morale de l’Etat en matière de recours à la force. Enfin, nous nous arrêterons sur la difficile question de la morale au sein des armées françaises en nous interrogeant, en particulier, sur la pertinence de l’imposition de codes, qualifiés de « moraux », à des militaires confrontés à des adversaires non contraints. Nous tenterons alors de montrer comment se construit l’éthique du militaire et quel est son lien avec la notion de responsabilité. Puis, nous verrons en quoi l’argument moral est devenu un outil de communication, un argument de vente, bien plus qu’une conviction. Son instrumentalisation, entre autres, par les Etats permettant de gagner le soutien de ce qu’il est convenu d’appeler les « opinions publiques » en légitimant 24
l’illégal. Le cas récent des justifications données par l’armée israélienne à la suite de son intervention dans la bande de Gaza durant le conflit l’opposant au Hamas, en est un exemple frappant10. En l’absence d’efficacité du droit des conflits armés, l’argument moral est revenu sur le devant de la scène. Mais force est de constater qu’il n’est qu’un cautère sur une jambe de bois. En philosophie, il n’est pas de réponse tranchée, de vérité absolue. L’ensemble des réflexions qui seront exprimées dans les pages qui suivent auront donc pour seul objectif d’interpeller le lecteur, de susciter des questionnements et de lancer un débat utile, si ce n’est indispensable, sur la place de la morale dans les actions des forces armées françaises. Loin de porter un quelconque jugement de valeur sur telle ou telle action, il est ici question d’éviter de découvrir le mur moral au moment où nous le heurterons.
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Il est d’ailleurs important de noter que le mythe consistant à considérer que Tsahal est « l’armée la plus morale au monde » a été conforté par Ehoud Barak (« We have the most moral army in the world ») lors d’une déclaration citée sur le site ynet news.com. Disponible sur Internet à : http://www.ynet.co.il/english/articles/0,7340,L-3711392,00.html.
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PREMIERE PARTIE La place de la morale dans les nouvelles formes de conflictualités
U
ne des premières difficultés auxquelles sont confrontées les armées modernes, est la nouvelle configuration des conflits. Les « guerres »11 de nouvelle génération présentent en effet des caractéristiques handicapant lourdement les armées régulières habituées à combattre entre elles ou, au pire, contre des groupes paramilitaires dont l’organisation, les moyens et les méthodes sont sensiblement similaires aux leurs. Aujourd’hui, ces conflits classiques ont laissé place à des affrontements dans lesquels l’asymétrie est, contre toute attente, défavorable aux armées régulières. Nouveaux acteurs, moyens de communication modernes, nouvelles technologies, ont définitivement renvoyé la tradition de la « guerre juste » à ses auteurs. L’« insurgé innovant » de Jean-Marc Balencie et Arnaud de la Grange12, non content de mettre en échec les guerriers modernes surentraînés et suréquipés, introduit dans la pratique guerrière une dimension morale avec laquelle les militaires doivent désormais composer. 1.1
La morale en question
La principale difficulté lorsque l’on veut traiter d’un sujet portant sur l’éthique ou la morale, est la définition de ces deux termes. Opérer un choix quant à l’emploi de l’un de ces deux mots sous-tend un positionnement clair sur le sens à donner à chacun d’eux. Rien n’est moins simple et pourtant faire l’économie d’une tentative de définition, ou à minima, d’un éclaircissement sur les notions développées dans la suite de ce 11
Nous mettons ici le mot guerre entre guillemet pour souligner le fait qu’il ne s’entend pas au sens juridique. En effet, et nous y reviendrons plus tard, le terme de guerre défini par la Convention de 1907 relative à l’ouverture des hostilités, n’est plus pertinent pour qualifier les confrontations contemporaines. Cependant, pour éviter un emploi par trop redondant du mot conflit et par commodité, le terme guerre sera, par la suite, utilisé sans les guillemets. 12 Jean-Marc Balencie et Arnaud de la Grange, Les guerres bâtardes - Comment l’Occident perd les batailles du XXIème siècle, Paris, Perrin, 2008.
texte, ne permettrait pas au lecteur d’appréhender le débat de manière correcte. Il est dès lors indispensable de poser les définitions retenues pour que chacun puisse comprendre les concepts développés ci-après de la même manière. Tentatives de définitions Si l’on s’attelle à vouloir comprendre les mots « morale » et « éthique » au travers de leurs étymologies respectives, force est de constater que le résultat ne nous est pas d’une grande aide. En effet, il s’avère que les deux termes ont une signification identique ou à tous le moins très proche. « Morale » vient du latin mores, signifiant mœurs, et « éthique » trouve son origine dans le grec Ү (ithi) 13 que l’on traduit, lui aussi, par mœurs. De fait ce n’est pas des origines des deux termes, lesquels nous renvoient à la réflexion sur les comportements humains, que l’on tirera leurs définitions. Bien que les philosophes, depuis l’Antiquité grecque jusqu’à la période contemporaine, se soient attachés à essayer de circonscrire les deux mots, le débat n’est toujours pas tranché. Pour Aristote, dans Ethique à Nicomaque14, l’éthique n’est pas l’application d’une règle normative, au sens de l’impératif catégorique kantien15, mais un choix entre deux règles. L’idée est alors d’agir selon une préférence mettant en balance deux possibilités évaluées rationnellement (ceci vaut mieux que cela). C’est l’action découlant de cette préférence raisonnable On soulignera toutefois que si le pluriel Ү correspond au mot mœurs, Ү ός (ithos) correspond à une acception plus spécifique concernant « un ensemble de qualités de caractère telles que la loyauté, l’honnêteté, la vertu, la droiture … ». Dans ce cas on déduit que la morale serait un ensemble de pratiques relatives à un groupe social, alors que l’éthique se rapporterait aux qualités de l’individu. Les éléments de compréhension linguistique m’ont été fournis par le Commandant Dimitrios Stergiou, de l’Avion Légère de l’Armée de terre hellénique. 14 Aristote, Ethique à Nicomaque, Paris, Vrin, 1994. 15 L’impératif catégorique selon Kant se traduit classiquement par la proposition suivante : agis selon la maxime qui peut en même temps se transformer en loi universelle.
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qu’Aristote appelle vertu. Pour Aristote l’éthique est donc la science du bonheur comme « réussite obtenue avec le concours de la vertu »16. En cela on peut admettre que la morale relève des normes relatives à ce qui est bien ou mal, imposées par l’environnement du sujet, tandis que l’éthique correspond aux choix rationnels opérés par le sujet et ayant pour objectif son bonheur. De fait l’éthique peut parfois s’opposer à la morale, surtout lorsque l’intérêt individuel s’oppose à l’intérêt général17 ou lorsque l’intérêt général est assuré au détriment de l’intérêt individuel. La morale comme rapport à l’Autre, l’éthique comme rapport à Soi Pour Emmanuel Levinas, la morale correspond à la rencontre du moi avec autrui. C’est dans cette altérité que se construit la conscience de la responsabilité vis-à-vis de l’Autre, reflet de moi. C’est donc dans la relation interpersonnelle transcendante que naît l’éthique et non dans une obligation ontologique. « Car, en réalité, le meurtre est possible. Mais il est possible quand on n’a pas regardé autrui en face. L’impossibilité de tuer n’est pas réelle, elle est morale. Le fait que la vision du visage n’est pas une expérience, mais une sortie de soi, un contact d’un être autre et non pas simplement sensation de soi, est attesté dans le caractère "purement moral" de cette impossibilité. Le regard moral mesure, dans le visage, l’infini
16
Aristote, Rhétorique, œuvre numérisée par J. P. Murcia. Disponible sur Internet à : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/rheto1.htm#105. 17 Sauf à considérer, à l’image d’Adam Smith dans son Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), que l’intérêt commun n’est rien d’autre que la somme des intérêts particuliers et qu’en poursuivant des intérêts purement égoïstes, l’individu favorise l’intérêt collectif.
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infranchissable où s’aventure et sombre l’intention meurtrière »18.
On le voit ici, pour Emmanuel Levinas c’est au travers du visage de l’Autre que se fait la prise de conscience éthique. Cette idée du visage trouve toute sa pertinence lorsqu’il est question de comparer les dilemmes moraux qui se posent aux soldats « au contact » et les aviateurs ou autres militaires agissant au travers d’armes déportées19. Pour Monique Canto-Sperber, la morale recouvre deux fonctions. La première serait de « désigner (…) la région des normes, autrement dit des principes du permis et du défendu », la seconde étant « le sentiment d’obligation en tant que face subjective du rapport d’un sujet à des normes »20. La morale pourrait alors se définir comme un ensemble normatif s’imposant à un agent, ainsi que par la relation de cet agent à ce corpus de normes. Quant à l’éthique, Monique Canto-Sperber la sépare en deux parties, l’une « antérieure » et l’autre « postérieure ». L’éthique serait alors « quelque chose comme une métamorale, une réflexion de second degré sur les normes, et d’autre part, des dispositifs pratiques invitant à mettre le mot éthique au pluriel et à accompagner le terme d’un complément (…) »21. Si les philosophes se sont longuement penchés sur la question, le débat a largement débordé la seule philosophie. C’est ainsi que certains sociologues se sont essayés à déterminer le sens des mots morale et éthique. Pour Max Weber l’éthique se rapporte essentiellement à l’économie : c’est la notion de berufspflicht, correspondant à un devoir d’accomplissement 18
Emmanuel, Levinas, Difficile Liberté, Paris, LGF - Livre de Poche, 3ème éd. 2003, p. 26. 19 C’est là une des difficultés soulevée par l’emploi des drones. Cet aspect sera par ailleurs traité ultérieurement. 20 Monique Canto-Sperber, Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale, Paris, PUF, Quadrige, 4ème éd. revue et augmentée, 2004, p. 689. 21 Aristote, Ethique …, op. cit.
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méthodique d’une tâche professionnelle au sein de la société capitaliste22 ; pour Emile Durkheim, la morale est toute entière tournée vers la collectivité et le dévouement désintéressé de l’individu au profit du collectif. Plus récemment, Patrick Pharo, dans son livre Morale et sociologie, préfère, quant à lui, ne pas trancher le débat et utiliser indistinctement les mots « morale » et « éthique », tout en donnant une définition de chaque terme23. Loin de prétendre apporter une solution au problème de la définition des mots morale et éthique, le choix fait ici sera de considérer, à l’image de Patrick Pharo, que la morale est l’ensemble des codes normatifs préexistants à l’individu et s’imposant à lui avec plus ou moins de force, alors que l’éthique renvoie à un « choix pratique24 » opéré par l’individu face à une situation particulière. Cette dernière idée renvoyant à la conception aristotélicienne de l’éthique de la vertu tournée vers le bonheur de l’individu. La déontologie, ou science des devoirs, est quant à elle plus aisément définissable et fait l’objet d’un consensus parmi les commentateurs. Du grec έου (déon), ce qu’il faut ou convient de faire et, λό ος (logos), discours, elle s’entend aujourd’hui comme un « ensemble de règles exprimées de façon formelle » 25 , applicable par un groupe professionnel bénéficiant d’un pouvoir important sur un agent qui, de fait, se trouve en situation de dépendance. Un des exemples classiques est bien entendu celui des médecins qui se voient conférer un pouvoir sans commune mesure, pouvant dans certains cas engager la vie de leurs patients sans que ceux-ci ne puissent rien faire. Bien 22
Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Suivi d’un essai, Paris, Plon, 1964. Disponible en version électronique sur le site Les classiques des sciences sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi à : http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/ethique_protestante/Ethique .html. 23 Patrick Pharo, Morale et sociologie - Le sens et les valeurs entre nature et culture, Gallimard, Folio essais, 2004, p. 10. 24 Ibid. 25 Monique Canto-Sperber, Dictionnaire …, op. cit., p. 474.
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entendu, les militaires détiennent un pouvoir exorbitant : celui de donner la mort à un tiers. En cela, il paraît normal qu’ils soient soumis à un code déontologique limitant leurs marges de manœuvre afin d’éviter tout écart de conduite. De tels codes existent : le code du légionnaire, le code d’honneur du sapeurpompier de Paris ou encore le code du soldat du Général Bachelet26. Pour autant, bien que nécessaires ces codes ne sont pas suffisants et leurs contenus sont discutables sur le plan moral. Il est important de noter qu’alors que la morale ou l’éthique concernent le bien de l’individu, la déontologie s’applique à un corps professionnel avec pour but le bien de la profession. Morale relative vs. morale universelle Quoi qu’il en soit le débat reste ouvert sur la définition des termes, d’autant que pour les définir précisément, il faudrait auparavant revenir sur les définitions du Bien et du Mal, deux notions elles aussi éminemment subjectives. Cette subjectivité, que l’on retrouve chez les anthropologues tels que Claude Lévi Strauss ou Pierre Clastres, est à l’origine d’un autre sujet complexe en matière de morale qu’est l’universalisme. L’idée selon laquelle il existe un fond commun de valeurs partagées par l’ensemble de l’humanité, défendue notamment par Monique Canto-Sperber27, est très largement rejetée par les tenants du relativisme culturel dont fait partie le relativisme moral28. Ce relativisme a, entre autres, été défendu par
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Jean-René Bachelet, Pour une éthique …, op. cit., p. 181. Monique Canto-Sperber, « Il existe un cœur de valeurs partagées par toutes les cultures » in La moralisation du monde, Les Grands dossiers Sciences Humaines n° 2, mars-avril-mai 2006. 28 On trouve les prémices de cette théorie dans le Théétète de Platon. Protagoras y affirme que « l’homme est la mesure de toute chose » expliquant ainsi que toute appréciation doit être ramenée à une expérience de vie spécifique à chaque individu. Précisons cependant que Platon n’adhère pas à la théorie du relativisme culturel. 27
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Montaigne, Montesquieu29, Spinoza, Nietzsche, David Hume ou encore plus récemment par Richard Nisbett30. Par ailleurs, alors même que de nombreuses voix31 s’élèvent pour s’opposer à une telle idée, qui pourrait aboutir à une homogénéisation de la pensée, l’éventualité d’un corpus normatif universellement applicable s’avère discutable d’un point de vue purement moral en ce qu’il risquerait de scléroser l’autonomie de décision des acteurs. Au nom de la diversité culturelle et du droit de chacun à son autonomie de pensée, il est effectivement discutable de vouloir imposer une morale, quand bien même elle se réduirait à sa portion congrue. Morale universelle ou relativisme culturel ? Tel semble être un des axes du débat aujourd’hui. Quoi qu’il en soit le militaire est, pour sa part, confronté à un fort relativisme moral. En tant qu’outil au service du politique, il se voit contraint d’exécuter les missions qui lui sont confiées par l’Etat. Or les Etats, et la France ne fait pas exception, ont une vision de la morale toute entière tournée vers la préservation d’intérêts spécifiques. C’est au nom de cette fameuse « raison d’Etat » que les grandes nations bafouent le droit ou agissent contre la morale. C’est au nom de cet impératif supérieur que des pilotes français ont dû participer à la campagne de bombardement au-dessus de la Serbie. C’est au nom des intérêts supérieurs de la nation que des soldats français meurent en Afghanistan dans un conflit dont les motivations restent pour le moins floues et dont la légitimité morale est questionnable. Le militaire se trouve alors dans une posture délicate où il peut être amené à agir en dehors des « règles ». D’autre part il est tenu de répondre aux attentes des opinions publiques. Informées en temps réel sur les actions menées sur les théâtres d’opérations, elles ont une appréciation 29
C’est une des idées contenues dans ses célèbres Lettres persanes. Richard E. Nisbett, The Geography of Thought - How Asians and Westerners Think Differently … and Why, New York, Free Press, 2004, 264 p. 31 Parmi celles-ci, la plus célèbre est celle d’Emmanuel Kant et de son impératif catégorique. On peut également citer certains penseurs chrétiens, tels Thomas d’Aquin ou St Augustin, ou encore des philosophes tels que Hegel et plus près de nous Monique Canto-Sperber.
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de la moralité des actes perpétrés lors des conflits, en décalage avec la réalité du terrain. Abreuvées par les discours moralisateurs de l’après-guerre froide, nourries au sein d’une évolution technologique censée permettre des frappes chirurgicales à distance préservant nos troupes comme nos adversaires, les opinions publiques ont élevé la contrainte morale au rang d’impératif. Le militaire est alors garant de la moralité du jus in bello, le droit dans la guerre, supposé encadrer les méthodes et les moyens de combat pour permettre le respect des principes d’humanité, de discrimination et de proportionnalité émanant de la tradition de la guerre juste. Pourtant il ne faut pas oublier qu’il n’est souvent considéré que comme un exécutant. Un exécutant des décisions prises au niveau politique, celles-ci étant directement liées aux intérêts nationaux. Le militaire se trouve alors pris en tenaille entre la realpolitik étatique et l’idéalisme de la population. D’autre part, conscients du poids de la morale dans l’appréciation des actions par la population, les dirigeants politiques n’hésitent pas à renforcer la contrainte morale exercée sur le militaire. Objectifs de politique intérieure, visibilité internationale, légitimité et crédibilité fondées sur la morale, sont autant de facteurs qui poussent le politique à instrumentaliser l’argument moral. 1.2
Les nouveaux acteurs et la morale
La nature des conflits change. C’est une constante dans l’histoire du phénomène guerrier. Si la guerre froide a vu se formaliser, au moins en apparence, les conflits interétatiques, une des caractéristiques des conflits post-guerre froide est de mettre face à face des armées régulières et des groupes nonétatiques. Cette spécificité appelle quelques réflexions quant aux nouvelles modalités de ces conflits et à leur impact sur l’action militaire notamment dans le domaine moral.
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De nouveaux acteurs sans foi ni loi La première difficulté inhérente à cette évolution des formes de conflictualités tient au fait que les adversaires auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui ne sont pas tenus, comme le sont les Etats, de respecter les règles découlant des conventions, traités et autres accords souscrits par les nations. En effet, lorsque les armées régulières entrent en conflit les unes contre les autres, leurs actions sont censées s’inscrire dans la plus stricte application du droit international et plus particulièrement du droit des conflits armés (DCA), ou droit international humanitaire (DIH). Si ce droit n’était pas respecté, des sanctions sont prévues et pourraient être prises à l’encontre de la partie au conflit ayant contrevenu à la règle. Dès lors, le droit a pour objet d’une part de sanctionner les manquements et, d’autre part, de jouer un rôle dissuasif très fort, tant à l’égard des Etats qu’à l’encontre des individus les personnifiant. Aujourd’hui, force est de constater que le droit est d’application difficile, voire très souvent impossible. Une autre difficulté tient à la quasi-impossibilité d’identifier clairement nos adversaires. Une des caractéristiques des guerres insurrectionnelles est que les insurgés, souvent « innovants »32, se fondent à dessein dans la population civile et ne portent aucun signe permettant de les distinguer. Cette situation rend caduque toute tentative d’application du principe de discrimination entre combattants et non-combattants, si cher au droit des conflits armés, par les armées régulières. Elle implique aussi de plus grands risques d’occasionner des dommages incidents pour lesquels les militaires sont comptables de leurs actes devant les juridictions compétentes, pour ce qui concerne la violation du droit, mais aussi devant les « opinions publiques »33 pour ce qui est de la 32
Selon la formule employée par Jean-Marc Balencie et Arnaud de la Grange, op. cit.. 33 Le concept d’« opinion publique » bien que discutable et discuté, (cf. l’article de Pierre Bourdieu, L’opinion publique n’existe pas) reste une donnée fondamentale aujourd’hui. Construction sociale ou pas, chaque militaire impliqué dans la commission d’un acte délictueux est désormais
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moralité des actes perpétrés. Double contrainte alors pour les militaires des armées régulières : lutter à armes inégales avec des adversaires n’ayant ni obligations juridiques, ni souvent les mêmes devoirs moraux, et se battre contre des ennemis qui ne peuvent être formellement identifiés comme tels. Des méthodes pas si nouvelles Les forces armées sont donc aujourd’hui confrontées à des acteurs nouveaux dans le cadre de ce que William Lind définissait dès 1989 comme les guerres de quatrième génération34. Qu’il s’agisse de terroristes ou plus largement de mouvements insurrectionnels, les règles ont changé de façon radicale. Certes l’histoire est riche d’exemples montrant que les conflits insurrectionnels ne sont en rien nouveaux, cependant nous constatons que toutes les tentatives d’appliquer à des conflits contemporains des calques de solutions utilisées par le passé sont vaines35. Comparaison n’est pas raison : les guerres insurrectionnelles et la volonté de mettre en regard conflits anciens et modernes en sont un exemple frappant. Il n’est qu’à regarder l’Afghanistan pour s’en convaincre. Même s’il est possible de trouver des similitudes entre les méthodes et les moyens mis en œuvre par les insurgés afghans et ce qui fut en susceptible de devoir rendre des comptes du fait de l’omniprésence des moyens modernes d’information. 34 William Sturgiss Lind, “The Changing Face of War: Into the Fourth Generation”, Marine Corps Gazette, October 1989, pp. 22-26. Disponible sur Internet à : http://www.d-n-i.net/fcs/4th_gen_war_gazette.htm. Ce concept a été, par ailleurs développé plus tard par l’auteur (notamment dans le Fourth Generation war field manual - FMFM 1-A de l’Imperial and Royal Austro-Hungarian Marine Corps de 2005. Diponible sur Internet à : http://www.military.com/ContentFiles/4gw_manual_draft.doc) et repris dans le livre de J.-M. Balencie et A. de la Grange, op. cit. 35 Les cas de l’Irak et de l’Afghanistan ont à ce titre été largement utilisés pour essayer de montrer des similitudes avec les guerres d’Algérie ou du Vietnam. Cependant ce type d’exercice trouve ses limites dans le fait que les tentatives de répondre à ces conflits avec des moyens calqués sur ceux employés par le passé ne se sont pas, à l’heure actuelle, révélées concluantes.
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son temps pratiqué en Algérie, il n’en demeure pas moins qu’appliquer simplement les méthodes préconisées par David Galula ou Trinquier ne peut être satisfaisant. Car malgré les similitudes, nombreuses sont les différences. Que ce soient, la structure de la société afghane qui diffère de celle de l’ancien département français, le problème ethnolinguistique en Afghanistan qui n’a rien de commun avec ce que la France a connu en Algérie ou les histoires respectives des deux pays pour le moins différentes, ce sont autant d’éléments qui tendent à montrer que même si des points communs peuvent être relevés, au moins autant de différences peuvent être mises en avant. Or, lorsque l’on étudie les relations internationales, on sait qu’il suffit d’un élément marginal, ne serait-ce qu’en apparence, pour faire basculer la situation, pour changer la configuration et de fait rendre inopérante une méthode qui jusque-là avait fait ses preuves. Qui aurait pu prévoir que l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand serait l’élément déclencheur de la Première guerre mondiale ? Les assassinats ciblés touchant des personnalités politiques n’étaient alors pas choses nouvelles et n’avaient, loin s’en faut, pas été des déclencheurs de conflits mondiaux. Qui aurait pu envisager que des avions de ligne seraient utilisés comme arme par destination par un groupement terroriste pour commettre l’attentat le plus terrible que nous ayons connu ? Le terrorisme et ses dérives Le cas du terrorisme a largement été traité. En raison de l’incapacité de parvenir à un consensus international sur une définition, de l’impossibilité d’identifier de manière sûre et précise les terroristes, de la difficulté à opérer une distinction entre les civils et les terroristes, les militaires des armées régulières se voient contraints de faire un choix délicat. Entre l’inaction au nom du principe de précaution, pouvant avoir des conséquences désastreuses pour leur propre sécurité et pour l’accomplissement de la mission, et l’action pouvant entraîner 39
des poursuites pour avoir agi contrairement au droit, ainsi que l’opprobre publique pour n’avoir pas respecté la « morale », les options sont cornéliennes. A cela s’ajoute la collusion entre les groupes terroristes et les organisations mafieuses permettant, outre les transferts de fonds nécessaires au financement des actions terroristes et les trafics d’armes leur fournissant des moyens efficaces, de diluer encore plus les responsabilités. Cette problématique est notamment évoquée de manière fort intéressante dans de nombreux films récents, au nombre desquels Lord of war36 ou encore, de manière peut-être moins évidente, dans Batman : the Dark Knight37. Bien au-delà de leurs rapports avec le terrorisme, les groupes mafieux pèsent très lourdement dans le déroulement des conflits en alimentant en armes et en liquidités les acteurs non-étatiques impliqués. Enfin, le développement du terrorisme et la lutte qui est menée contre lui depuis les attentats du 11 Septembre 2001, ont eu deux conséquences sur la réflexion morale autour de ce phénomène. Tout d’abord, il est aujourd’hui clair que de nombreuses dérives, voire exactions ont été commises par certains Etats, les Etats-Unis en tête, au nom de la « lutte contre le terrorisme ». Cette formule creuse et vaporeuse a en effet permis de justifier des mesures intrusives frappant les populations des pays impliqués, allant parfois jusqu’à de très lourdes violations des libertés individuelles. Le recours à l’argument de la « sécurité nationale » pour justifier les violations des libertés civiles aux Etats-Unis a largement été commenté. Des surveillances serrées exercées à l’égard des citoyens américains, au scandale de la prison d’Abou Ghrab, dont Errol Morris rend compte avec force38, en passant par le contournement des Conventions de Genève pour ce qui concerne le traitement des prisonniers de 36
Andrew Niccol, Lord of War, 2005. Christopher Nolan, Batman - The Dark Knight, 2008. 38 Errol Morris, Standard Operating Procedure, 2008. On peut aussi, pour avoir des éléments plus complets, se reporter au livre de Jameel Jaffer and Amrit Singh, The Administration of Torture: A Documentary Record from Washington to Abu Ghraib and Beyond, Columbia University Press, 2007. 37
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Guantanamo, les Etats-Unis se sont tristement distingués par la mise en sommeil d’une certaine forme de morale. Bien entendu, dans le cadre de ces dérives, les militaires ont été largement mis à contribution. Main-d’œuvre dévouée, obéissante et corvéable, ils ont été entraînés dans des pratiques bien éloignées de leur cœur de métier. Là encore les témoignages recueillis par Errol Morris sont éloquents quant à la propension des uns et des autres à se déresponsabiliser au détriment des supérieurs hiérarchiques ou des subordonnés directement engagés dans les actes réprouvés par la morale39. La définition du concept d’« unlawful combatants » est venue s’ajouter à la difficulté d’appliquer les règles du droit des conflits armés aux supposés terroristes au nom de la sécurité nationale. Présentés comme des « sous-hommes » auxquels tout droit est dénié, les individus suspectés de terrorisme deviennent les victimes des pratiques les plus répréhensibles40. Parmi celles-ci le recours à la torture a fait l’objet de débats enflammés autour du classique dilemme moral du ticking bomb terrorist et de la pertinence de la torture pour obtenir des informations permettant d’éviter la mort d’innocents41. D’autre part, la lutte contre un ennemi se fondant dans la population civile aura eu pour conséquence tragique la mort de milliers de civils seulement coupables de s’être trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Les récentes difficultés 39
Errol Morris, Standard Operating …, op. cit. La question du droit de certains criminels à bénéficier des mêmes droits que les « bons citoyens » est évoquée dans Batman : the Dark Knight, au travers de la parabole des deux bateaux quittant le port de Gotham City et à bord desquels se trouvent, pour l’un d’honnêtes citoyens, et pour l’autre des criminels. Chacun des deux groupes a la possibilité, pour se sauver luimême de faire exploser l’autre. L’idée que la vie des criminels a moins de valeur que celle d’« honnêtes citoyens » est alors mise en avant pour justifier le choix de les tuer. 41 Cette question, abondement traitée, fait l’objet d’un article très intéressant d’Alan M. Dershowitz, « Should the Ticking Bomb Terrorist be tortured ? », in Darmer, Katherine B., Robert M. Baird and Stuart E. Rosenbaum, Civil Liberties Vs. National Security In A Post 9/11 World, New York, Prometheus Books, 2004, pp. 189-214. 40
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rencontrées42 par la coalition, dans le cadre de l’opération antiterroriste Enduring Freedom en Afghanistan, suite à des bombardements aériens ayant occasionné de nombreuses victimes civiles, en sont un témoignage parmi tant d’autres. La moralité de telles pratiques reste bien entendu discutable, bien que l’approche conséquentialiste puisse justifier des actes ayant des conséquences tragiques par les résultats positifs obtenus43. Mais les terroristes ou les insurgés ne sont pas les seuls nouveaux acteurs à prendre part aux combats. Une pratique aussi ancienne que la guerre elle-même tend à se généraliser : le recours aux sociétés militaires privées, héritières du mercenariat. L’explosion des « private contractors » L’action des « mercenaires », agissant aujourd’hui dans le cadre de sociétés militaires privées (SMP), complique grandement la tâche des militaires. D’une part ces groupes, comme les terroristes, sont difficilement distinguables des populations civiles ce qui rend possibles d’éventuelles méprises pouvant entraîner de graves conséquences juridiques pour les militaires ayant ouvert le feu. D’autre part les SMP, dans la limite où elles présentent certains avantages pour les Etats qui les emploient, se voient confier des missions s’éloignant de plus en plus de leur vocation originelle, à savoir la sécurité des biens et des personnes, pour être employées au plus près des
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Cf. « Afghanistan : les victimes des erreurs de frappes de l'OTAN ont triplé », Le Figaro, 08 septembre 2008, ainsi que le rapport de l’ONG Human Right Watch, "Troops in Contact" Airstrikes and Civilian Deaths in Afghanistan, paru le 08 septembre 2008. Disponible sur Internet à : http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/afghanistan0908webwcov er_0.pdf. La « bavure » récente de la coalition qui a occasionné la mort de 90 personnes en est un exemple parmi d’autres. « Afghanistan : la bavure de l'Otan arrive au pire moment pour les Occidentaux », 04 septembre 2009. Disponible sur Internet à : http://www.rtbf.be/info/economie/afghanistan-la-bavure-de-lotanarrive-au-pire-moment-pour-les-occidentaux-138574 43 C’est le concept de « dirty hands » traité notamment par Michael Walzer.
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combats. L’explosion des « private contractors »44, selon le vocable anglo-saxon, pose difficulté sur des théâtres déjà éminemment complexes tels que l’Irak ou l’Afghanistan. Un récent rapport du Congressional Research Service souligne d’ailleurs qu’aujourd’hui le nombre de ces contractors dépasse celui des troupes déployées en Afghanistan par le Pentagone45. Les questions morales autour des sociétés militaires privées sont nombreuses. Tout d’abord se pose la question des raisons véritables qui poussent les Etats à avoir recours à ces sociétés alors même que certains d’entre eux tiennent un discours tendant à les condamner46. On peut facilement imaginer que le recours aux SMP présente de nombreux avantages au premier rang desquels le fait que les employés de ces sociétés, morts au combat, ne font l’objet d’aucune médiatisation. De fait les politiques ne se voient pas contraints de justifier des morts nationaux auprès de l’opinion publique. D’autre part il est évident que le fait d’employer des sociétés privées permet aux Etats d’éviter les contraintes inhérentes au droit des conflit armés dans la limite où celui-ci n’est pas tenu d’être appliqué 44
Sur les 14 500 contractuels que compte la SMP DynCorp International, 2 500 opèrent actuellement en Afghanistan. Cette question est notamment traitée par Peter Singer dans Schouten, P. (2009) « Theory Talk #29: Peter W. Singer on Child Soldiers, Private Soldiers and Robot Soldiers », Theory Talks. Disponible sur Internet à http://www.theorytalks.org/2009/04/theory-talk-29.html, ainsi que dans son livre Corporate Warriors: The Rise of the Privatized Military Industry, Cornell University Press, 2003. 45 En moyenne sur les deux dernières années, environ 60 % des personnels déployés seraient des civil contractors selon ce rapport disponible sur Internet à : http://www.fas.org/sgp/crs/natsec/R40764.pdf 46 Il est à ce titre fort intéressant de lire le compte-rendu intégral des débats menés au Sénat autour du projet de loi sur la répression de l’activité de mercenaire du 06 février 2003, et plus particulièrement les propos de Mme Alliot-Marie, alors ministre de la Défense. L’idée n’était alors pas de condamner l’activité de mercenariat mais plutôt de l’« encadrer », étant entendu que selon Mme Alliot-Marie « il ne saurait en effet être question de dénier aux Etats le droit de se défendre en renforçant à cet effet leur appareil militaire et en recrutant les personnels dont ils ont besoin ». Compte-rendu disponible sur Internet à : http://www.senat.fr/seances/s200302/s20030206/s20030206004.html#s ection525.
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par les employés de ces sociétés47. On en déduit aisément que les Etats ne rejettent pas complètement l’idée de contourner, voire de violer le droit48. Si l’emploi des SMP par les Etats peut être justifié moralement en termes utilitaristes, il n’en demeure pas moins que ce choix est loin d’être assumé, ce qui n’est pas sans conséquences pour les militaires déployés en opération. En effet, la question se pose de savoir comment un militaire d’une armée régulière peut efficacement discriminer entre ce qui s’apparente à un combattant, à savoir un employé d’une société privée, et un civil, étant entendu que les premiers ne portent pas d’uniforme permettant de les distinguer à distance des seconds. Les enfants soldats : enfants ou soldats ? Parmi les autres acteurs il est important de souligner le poids des enfants soldats dans de nombreux conflits. Évalués à environ 300 000, ils posent un problème majeur en termes de morale pour les militaires des armées régulières qui se trouvent confrontés à eux. Ce dilemme se présente sous deux formes. Dans un premier temps il est évident que pour un militaire occidental tirer sur un enfant n’est pas une option acceptable49. La difficulté réside alors, entre autres choses, dans le fait qu’il est strictement impossible de déterminer visuellement si un jeune homme armé et portant un uniforme est âgé de plus de 15 ans ou non50. Par ailleurs, il est intéressant de noter que le 47
Le respect du droit des conflits armés est un devoir n’engageant que les Etats et non les acteurs privés. 48 Pour approfondir la problématique des SMP on peut se référer aux nombreux articles de Peter Singer disponibles sur le site de la Brooking Institution ou à son livre Corporate Warriors …, op. cit. 49 Il paraît intéressant ici de souligner que la perception de l’enfance n’est pas une donnée homogène. Si en Occident elle correspond à une période allant de la naissance à la fin de l’adolescence, il semble qu’en Afrique ou en Afghanistan il n’en aille pas de même. Rapporté à l’espérance de vie on notera qu’il est délicat pour certains pays de considérer que l’enfance puisse s’étendre jusqu’à 18 ans. En effet, en Afghanistan, où l’espérance de vie moyenne est d’environ 45 ans, cette idée serait inimaginable. 50 L’article 77 du protocole I de 1977 additionnel aux Conventions de Genève, reste très flou quant à l’âge requis pour être considéré comme un
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droit international est, en la matière, plus qu’ambigu puisqu’il n’interdit pas formellement aux Etats de recourir aux enfants soldats51. Peut-on légitimement faire porter la responsabilité morale du recours à la force létale à l’égard d’un enfant soldat alors que le droit des conflits armés lui-même ne condamne pas le recours à ces supplétifs ? D’autre part, il est peu probable que les enfants soldats soient familiers des règles qui régissent la conduite des hostilités lors d’un conflit. Il faut garder à l’esprit que les nouvelles technologies de l’information et de la communication aidant, les adversaires auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés ne se priveraient pas d’instrumentaliser la mort d’un enfant auprès des opinions publiques occidentales. À cela s’ajoute une omniprésence des médias, dont le cas des journalistes intégrés aux unités est symptomatique. Outre le fait que ces journalistes compliquent la tâche des militaires par leur présence sur les théâtres d’opérations, notamment du fait de la nécessité d’assurer leur sécurité, ils font aussi peser sur les épaules des militaires une responsabilité morale qui peut s’avérer être un frein à l’accomplissement de la mission. Certains militaires soulignent d’ailleurs que le fait de devoir se préparer à porter assistance aux journalistes qui tentaient de déterminer où se trouvaient les commandos français envoyés en Afghanistan en décembre 2001, était une réelle contrainte en termes d’anticipation et de préparation. Il n’est évidemment pas question ici de prétendre que les militaires agiraient hors de enfant. Cependant on comprend tout de même que sont considérées comme telles les personnes âgées de moins de 18 ans (cf. annexe IV). Cet âge est confirmé formellement dans le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés. 51 Cf. annexe IV. On soulignera quand même qu’au titre de l’article 8-b-xxvi du Statut de Rome établissant la Cour pénale internationale « Le fait de procéder à la conscription ou à l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans dans les forces armées nationales ou de les faire participer activement à des hostilités » est considéré comme un crime de guerre et entre dans le cadre des compétences de la Cour. Cependant il ne s’agit là que d’une définition des crimes de guerre entrant dans le champ de compétences de la CPI et non pas d’une règle de droit interdisant le recours aux enfants de moins 15 ans.
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toutes contraintes morales en l’absence des journalistes, mais plutôt de considérer qu’au nom du principe de précaution ils restreindraient leurs actions, ce qui peut dans certains cas peser lourdement sur leur sécurité. L’idée d’encadrer, voire de manipuler les journalistes en ne leur montrant que ce que l’on veut bien leur montrer est par ailleurs une idée régulièrement avancée par les militaires ayant été confrontés à la présence de journalistes sur les théâtres d’opérations. Bien évidemment, ce ne sont là que quelques-uns des nouveaux acteurs présents sur les théâtres de conflits. La présence des personnels des organisations non gouvernementales (ONG) peut elle aussi poser problème. En effet, certaines ONG à vocation humanitaire imposent aux militaires une vision du conflit que d’aucuns pourraient qualifier d’idéaliste, et ce faisant favorisent, de la part des opinions publiques, des attentes morales complètement décorrélées de la réalité du terrain. Cependant, indépendamment des questions de sécurité de ces personnels, la perception des ONG est plutôt positive chez les militaires dans la limite où ces dernières permettent d’obtenir des informations souvent essentielles sur la situation, la culture ou l’histoire locales. Parallèlement à la montée des nouveaux acteurs, on constate une omniprésence des médias sur les théâtres de conflits. Cette présence répond avant tout à une attente d’informations de la part des opinions publiques. 1.3 Les médias de masse et les opinions publiques : le besoin de justifier Terrorismes, guerres, dommages collatéraux autant de termes qui nous sont familiers et que pourtant nous serions bien incapables de définir précisément. Abondamment relayés et employés dans les médias, ces mots font désormais partie de notre environnement sans que nous ne les maîtrisions. Cette méconnaissance du sens des mots a rapidement laissé le champ 46
libre à l’instrumentalisation des concepts qui y sont attachés, tant par nos adversaires que par nous-mêmes52. Le débat autour du reportage d’Eric de la Varenne et des photos de Véronique de Viguerie publiés dans Paris Match à la suite de l’embuscade de Surobi53 en est un exemple parmi d’autres54. Manipulation des médias occidentaux par les talibans ou logique commerciale du magazine, la dimension morale du débat, portant sur le type et les sources d’informations que les médias sont supposés relayer, est rapidement venue troubler les esprits dans un conflit paraissant si lointain aux Français qu’ils en oublient que des soldats y meurent régulièrement au combat55. Le poids des médias Au-delà même de la question de l’utilisation des médias par les acteurs du conflit, se pose la question de la moralité des médias eux-mêmes. Quel doit-être le rôle des journalistes dans des conflits où la seule règle est l’application d’une forme de darwinisme social fondé sur la notion de lutte pour la vie ? En 52
On se référera ici à l’ouvrage de Serge Halimi, Dominique Vidal et Henri Maler, L’opinion publique ça se travaille ... - Les médias & les « guerres justes » : Kosovo, Afghanistan, Irak, Marseille, Agone, 5ème édition revue et augmentée, 2006, pp. 19-22. 53 L’embuscade de Surobi ou d’Uzbin, est un engagement militaire français ayant eut lieu en Afghanistan les 18 et 19 août 2008. 10 soldats français y ont perdu la vie et 21 autres y ont été blessés, suscitant une forte vague d’émotion en France. La gestion médiatique de cet épisode tragique du conflit en Afghanistan a été très vivement critiquée, notamment pour son traitement « compassionnel » (cf. Jacques Bessy, « Halte au management compassionnel de l’armée française » site de l’Association de Défense des Droits des Militaires - Adefdromil, 28 août 2008. Disponible sur Internet à : http://www.rue89.com/2008/08/28/halte-au-managementcompassionnel-de-larmee.) 54 Éric de la Varenne, Véronique de Viguerie, « Exclusif : nos journalistes ont retrouvé les talibans qui ont abattu les dix soldats français », Paris Match, n°3094, 4 septembre 2008. 55 Au 09 janvier 2011, 53 soldats français ont perdu la vie en Afghanistan. Leurs noms et leurs unités d’appartenance peuvent être consultés sur le site de l’Etat-major des armées à l’adresse suivante : http://www.defense.gouv.fr/operations/afghanistan/in-memoriam/inmemoriam
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Afghanistan comme dans nombre d’autres conflits, l’idée n’est pas de faire preuve d’humanité, de désintéressement ou de civilité, mais de montrer sa science de l’adaptation à un environnement nouveau, sa capacité à dominer même si celle-ci passe par des actions moralement répréhensibles. Mais comment dire cela aux millions de gens en train de regarder les informations confortablement installés dans leurs fauteuils ? Le poids de la médiatisation de l’embuscade de Surobi est un exemple frappant de l’impact des médias. Que cela soit avéré ou non, ces derniers ont été très vivement critiqués pour avoir fait le jeu des talibans ou au contraire pour avoir exploité le tragique de la situation à des fins purement économiques. Marcus Luttrell offre d’ailleurs une critique assez véhémente à l’égard des journalistes et des pacifistes bien-pensants dans son livre Lone Survivor56. D’autre part, la manipulation de cet évènement par les politiques montre l’interconnexion entre les médias et les décideurs politiques57. A ce titre la question de la moralité d’une telle collusion, consciente ou inconsciente, se pose. Qu’il s’agisse de la « dépossession des jeunes soldats du sens de leur mort »58 ou de « l’affaiblissement de la résilience face aux talibans »59, l’impact des médias sur les perceptions morales ne fait pas l’ombre d’un doute. C’est ce poids moral qui est par ailleurs instrumentalisé par les différentes parties au conflit. Les médias étant devenus un facteur de puissance60, ils font l’objet 56
Marcus Luttrell, Lone Survivor: The Eyewitness Account of Operation Redwing and the Lost Heroes of SEAL Team 10, Little, Brown and Company, 1st edition, 2007. 57 C’est un des sujets traités dans le film de Robert Redford, Lions for Lambs. 58 Danièle Hervieu-Léger, « On dépossède les jeunes soldats tombés du sens de leur mort », Blog Secret Défense, 12 septembre 2008. Disponible sur Internet à : http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense/2008/09/ondpossde-les.html 59 Jean-Dominique Merchet, « Mon opinion : les autorités françaises affaiblissent la résilience face aux talibans », Blog Secret Défense, 05 septembre 2008. Disponible sur Internet à: http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense/2008/09/mon-opinionles.html. 60 C’est notamment l’idée que soutient Joseph S. Nye dans son article « Soft Power » paru dans Foreign Policy, en 1990.
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de toutes les attentions de la part des acteurs étatiques ou non. C’est ce que souligne David Ambrosetti lorsqu’il écrit : « (…) la montée en force de la communication médiatisée s’accompagne d’une "moralisation" des énoncés transmis par elle. La logique commerciale peut effectivement encourager à présenter les informations politiques et sociales de façon plus abordable et attractive, ce qu’une reformulation morale permet efficacement. Ainsi chaque évènement politique gagne à ressembler à une aventure où il y a du bien et du mal, par un manichéisme parfois primaire qui consacre les valeurs du groupe et flatte le sens moral de chacun »61.
C’est dans ce contexte de manipulation, plus ou moins assumée, auquel s’ajoute la méconnaissance des difficultés inhérentes aux nouvelles formes de conflictualité, que les médias font montre d’une certaine propension à abreuver leurs auditoires d’informations souvent plus déterminées en fonction du public cible que de la pertinence du sujet traité. Cette manière de relayer la réalité en la faisant coller aux attentes du public, impose aux militaires une contrainte supplémentaire en termes de rigueur morale là où l’adversaire semble en être déchargé. A cela s’ajoute la tendance des journalistes à vouloir toujours être au plus près de l’action, au point de les voir désormais intégrés de manière régulière au sein des unités. Dans cette configuration, il est clair que le militaire est doublement pénalisé. Il l’est tout d’abord du fait de l’omniprésence de la caméra traquant la moindre erreur, le moindre écart. Il l’est ensuite du fait de la présence d’hommes et de femmes qui, malgré une formation préalable assez sommaire, ne sont pas rompus aux affres du combat. En plus d’être des éléments perturbateurs dans un engrenage bien huilé, les journalistes
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David Ambrosetti, La France au Rwanda : un discours de légitimation morale, Paris, Karthala, 2001, p. 30.
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« embedded »62 doivent être protégés, et détournent ainsi une partie de l’attention du groupe de la mission. C’est dans cet environnement contraint que le militaire doit prendre le plus garde à ne pas déraper, à ne pas commettre l’acte de trop qui lui vaudra l’opprobre de la population. On touche là à une dimension morale importante. Les médias se font le relais des manquements à une morale imposée par la société à ceux-là même dont cette dernière attend qu’ils la défendent coûte que coûte. Tuer pour assurer la sécurité de la population oui, mais en respectant les règles de bienséance. Tel est le dilemme pour le militaire au combat. On le voit bien, l’appréciation de l’action militaire, et plus spécifiquement du recours à la force, se fait essentiellement au travers du prisme des sentiments, du pathos de la population relayé par les médias. A y regarder de plus près, ce n’est pas tant la moralité des actes eux-mêmes qui inquiète le public que le pathétique de la situation. Peu importe que la morale soit ou non bafouée si le sentiment est là. On touche ici à l’un des travers des médias en démocratie : pour intéresser le public il faut se fixer comme objectif ce plus petit dénominateur commun à l’homme occidental qu’est le sentiment, surtout s’il est violent. Peu de gens s’émeuvent du nombre de victimes civiles dues aux conflits en Afghanistan ou en Irak. Peu de gens s’inquiètent du sort des déplacés et des réfugiés en Afrique ou en Asie du Sud-Est. Ce qui compte c’est ce qui touche, c’est la violence de l’image, du ressenti face à la misère ou au tragique qui s’abat soudainement sur nos semblables, de préférence à 62
Bien que datant de la Première guerre mondiale et des correspondants de guerre, cette pratique a connu son apogée lors de la guerre du Golfe en 1991. Souvent critiquée en raison de la « soumission » du journaliste embarqué aux règles imposées par les armées, elle permet à ce dernier d’être au plus près de l’action. Cependant, du fait de la pression exercée par les armées, l’idée que cette proximité du combat puisse être un facteur de qualité de l’information reste pour le moins discutable. D’aucuns considèrent que cette pratique relève plus de la propagande que de l’information. C’est notamment ce que le journaliste Gay Talese évoque dans un entretien au cours duquel il déclare que les journalistes embarqués sont « nourris à la cuillère » par les militaires – « spoon-fed what the military gives them ». Interview with Gay Talese, David Shankbone, Wikinews, October 27, 2007.
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l’autre bout du monde. La télévision distancie le spectateur de la réalité et devient ce que Marshall McLuhan appelle un « medium » froid63. Mais c’est là une donnée connue dont l’exemple de l’émoi suscité par le tragique accident survenu au large du Brésil et qui a causé la mort de 228 personnes, est un exemple récent. Ces 228 morts ont été tout d’un coup le point de focalisation des médias français, suscitant l’effroi et la consternation parmi la population. Pourtant, malgré le tragique de ces morts, le chiffre reste ridicule au regard des 42 millions de réfugiés64 dont la souffrance est quotidienne, ou comparé aux 1 271 civils tués entre janvier et juillet 2010 en Afghanistan65. Par ailleurs, nombre d’observateurs avertis de la scène internationale savent que l’opinion est changeante. Comme le souligne le Général Bachelet : « L’opinion est versatile ; elle est de surcroît volontiers binaire. C’est dire si la réflexion sur la guerre, phénomène à forte charge émotionnelle et d’une extrême complexité, n’en est pas facilitée »66. L’opinion publique : la cible à séduire Cette opinion publique, bien que le concept en soit décrié par Pierre Bourdieu dans un célèbre article67, reste une réalité qui pèse d’un poids non négligeable dans la manière dont l’information est traitée et transmise par les médias. Cet aspect 63
Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias, Paris, Seuil, Points Essais, 1977, pp. 351-382. 64 United Nation High Commissioner for Refugees, 2008 Global Trends: Refugees, Asylum-seekers, Returnees, Internally Displaced and Stateless Persons. Disponible sur Internet à : http://www.unhcr.org/4a375c426.html. 65 Afghanistan Mid Year Report on Protection of Civilians in Armed Conflic 2010 t, United Assistance Mission in Afghanistan, Août 2010. Disponible sur Internet à : http://unama.unmissions.org/Portals/UNAMA/Publication/August1020 10_MID-YEAR REPORT 2010_Protection of Civilians in Armed Conflict.pdf 66 Jean-René Bachelet, Pour une éthique …, op. cit., p. 51. 67 Pierre Bourdieu, « L’opinion publique …, op. cit. Il faut souligner ici que cet article, ancien, concernait essentiellement la pertinence du concept d’opinion publique dans les sondages.
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est par ailleurs clairement pris en compte par le ministère de la Défense, au travers notamment de son organisme de communication, la Délégation à l’information et à la communication de la Défense, comme par les différentes armées comme le montrent les propos du Général Benoît Royal68, lorsqu’il affirmait qu’« aujourd'hui plus qu'hier, une force militaire qui ne bénéficie pas du soutien de l'opinion publique perd sa légitimité. Or obtenir l'adhésion des populations consiste notamment à leur renvoyer l'image d'une force exempte de tout reproche »69. La question se pose alors des moyens à mettre en œuvre pour « renvoyer l'image d'une force exempte de tout reproche ». Si dans l’esprit du Général Royal, cette idée consistait à imposer au militaire d’avoir un comportement irréprochable dont les médias se feraient le relais, on peut aussi interpréter l’idée comme une nécessité de gagner l’opinion publique en ne lui renvoyant que les images positives des actions des armées. C’est là une idée qui n’a rien de nouveau et que l’on nomme propagande. Le curseur entre propagande et information étant difficile à positionner, on note une certaine propension à glisser de l’une à l’autre en fonction des intérêts. Parmi ces intérêts ceux du politique sont d’une importance considérable et comme le soulignent Gregory Boutherin et Christophe Pajon, « … en faisant preuve d’un fort cynisme, la mort de militaires ou de non-combattants peut avoir un coût en termes de communication »70.
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Le Général Royal a été chef du Service d’information et de relations publiques de l’Armée de terre (SIRPA Terre) avant d’être nommé sousdirecteur du recrutement à la Direction des ressources humaines de l’Armée de terre. 69 Benoît Royal, « La guerre se gagne avec l’opinion publique », Le Figaro, 13 février 2009. Disponible sur Internet à : http://www.lefigaro.fr/debats/2009/02/27/0100520090227ARTFIG00001-la-guerre-se-gagne-avec-l-opinion-publique-.php. 70 Grégory Boutherin et Christophe Pajon, « Des hoplites aux drones … en passant par la ceinture », Défense et Sécurité internationale technologie, juillet/août 2009, n° 18, p. 12.
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La rhétorique comme moyen de communication Si le militaire, comme l’affirment le Général Bachelet et le Général Royal, peut prétendre à une « éthique du métier des armes »71, le politique est quant à lui soumis à des considérations plus réalistes72. On trouve un exemple de cette instrumentalisation de la communication dans le débat autour de la qualification du conflit en Afghanistan. Ce conflit qui se caractérise par la violence des affrontements entre les armées de la coalition, dont la France, et les groupes d’insurgés, n’est pas une guerre au plan juridique73. Ce qui n’est, d’une certaine manière, au moins à cet égard, pas sans rappeler la situation en Algérie et les « opérations menées en Afrique du Nord », l’état de guerre en Algérie n’ayant été reconnu qu’en 1999. Néanmoins, ce terme est largement instrumentalisé par les politiques. Pour les opposants à l’intervention, il s’agit bien d’une guerre, pour ses partisans nous sommes en conflit, voire en opération de maintien de la paix74. L’emploi du mot « guerre » renvoie en effet à des notions de violences fortes tandis que les concepts de conflits armés ou d’opérations de 71
Jean-René Bachelet, Pour une éthique …, op. cit. Le mot « réaliste » est ici entendu au sens de la théorie réaliste en relations internationales. 73 La notion de guerre est définie sur le plan juridique par la Convention (III) de La Haye du 18 octobre 1907 relative à l’ouverture des hostilités. L’article premier de la Convention dispose que : « Les Puissances contractantes reconnaissent que les hostilités entre elles ne doivent pas commencer sans un avertissement préalable et non équivoque, qui aura, soit la forme d'une déclaration de guerre motivée, soit celle d'un ultimatum avec déclaration de guerre conditionnelle », ce qui implique qu’une guerre ne peut être menée qu’entre des Etats, seuls en mesure de contracter un accord dans le cadre d’une convention. Par ailleurs, si la France était en guerre en Afghanistan, il y aurait donc eu déclaration de guerre autorisée par le Parlement comme le prévoit l’article 35 de la Constitution. Ce qui n’est pas le cas. 74 Le débat entre le député UMP, Pierre Lellouche, et M. Hervé Morin, alors ministre de la Défense, est à ce titre évocateur. Cf. l’article de JeanDominique Merchet, « Hervé Morin contre Pierre Lellouche : guerre ou pas guerre en Afghanistan ? », Blog Secret Défense, 14 septembre 2009. Disponible sur Internet à : http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense/2008/09/herv-morincont.html. 72
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maintien de la paix sont perçus dans l’imaginaire collectif comme relevant plus de la crise ou de la violence atténuée. Il est intéressant de noter que cette dichotomie opérée inconsciemment par les populations est due en premier lieu à l’image que nous nous faisons de la guerre au travers des expériences passées (Première et Seconde guerres mondiales, guerre d’Algérie, guerre du Vietnam …) et des violences qui les ont caractérisées, mais aussi de la communication faite par les responsables politiques pour tenter de nuancer la notion de guerre. Le glissement sémantique du mot guerre vers le concept de conflit armé en est un exemple, et ce n’est certainement pas un hasard si cette dernière terminologie, figée dans le marbre en 1977 avec les protocoles additionnels aux Conventions de Genève, s’est déclinée depuis en « droit d’ingérence »75, puis en « ingérence humanitaire », pour devenir très récemment le « devoir d’intervention humanitaire ». La naissance du principe d’ingérence humanitaire théorisé, entre autres, par Bernard Kouchner, montre bien à quel point il est délicat aujourd’hui de justifier une action coercitive de la part d’un ou plusieurs Etats à l’encontre d’un ou plusieurs autres. La souveraineté des nations, née avec les traités de Westphalie en 1648 et l’avènement de l’Etat-nation, ayant été inscrite dans la Charte des Nations Unies comme un principe fondamental applicable aux Etats76, il a fallu justifier par la morale ce qui ne l’était pas par le droit : la violation de cette souveraineté. Justifier l’injustifiable, expliquer la raison d’être du recours à la violence alors que ce dernier est continuellement condamné en Occident ; là réside la difficulté. Le recours à la théodicée77 75
« Le droit d’ingérence » est un concept ancien attribué au philosophe JeanFrançois Revel en 1979. 76 Article 2 paragraphe 1 de la Charte des Nations Unies : « L'Organisation est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses Membres ». 77 La théodicée est un concept permettant d’expliquer le mal quotidien par l’aboutissement du bien. C’est notamment l’objet de l’ouvrage de Hans Jonas, Le concept de Dieu après Auschwitz, dans lequel l’auteur essaie d’expliquer pourquoi les abominations commises dans le camp d’Auschwitz ont été possibles alors que la Bible explique que Dieu est
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classique n’étant pas universellement accepté il a fallu se rabattre sur des concepts flous mais compréhensibles par tous. Ce besoin de justifier ne peut être envisagé en dehors du lien entre les décideurs politiques et les opinons publiques au travers des médias. D’où la nécessité de recourir à des artifices tels que les changements de champs sémantiques. M. Kouchner, alors qu’il était ministre des Affaires étrangères et européennes, prenait d’ailleurs parti de manière nuancée en acceptant de considérer la situation en Afghanistan comme une guerre alors que la position du gouvernement était déjà de considérer l’intervention comme une mission de maintien de la paix78. Là encore, les mots ne sont pas anodins et recourir au vocable de « maintien de la paix » permet de tempérer le rejet du conflit par l’opinion publique, ce que ne permet pas l’emploi du mot guerre. On le voit donc clairement : les médias ont une position difficile à tenir. Courtisés par les politiques, voire parfois soumis à ces derniers, instrumentalisés de toutes parts, soumis à des contraintes économiques et garants de la cohésion nationale dans le cas de conflits armés, ils ont indéniablement un poids moral exorbitant. Malgré les erreurs de parcours ou les choix malheureux faits par les rédactions, les médias ont au moins le mérite d’imposer aux parties en conflit, de réfléchir aux conséquences des actions menées. Que cette réflexion mène à des dérives ou bien qu’elle favorise une « moralisation » des conflits, il n’en demeure pas moins que le développement des omnipotent, bon et compréhensible. Il pose ici la vieille question de Job : quel est ce Dieu qui a pu laisser faire cela ? 78 Ce positionnement ambigu est notamment rapporté dans un article du magazine l’Express, « Kouchner et Morin en désaccord sur l'emploi du mot "guerre" », L’Express, 26 août 2008. Disponible sur Internet à : http://www.lexpress.fr/actualite/politique/morin-et-kouchner-endesaccord-sur-l-emploi-du-mot-guerre_554479.html. Il montre à quel point il est difficile de concilier l’idéal humanitaire propre à M. Kouchner, et la réalité des relations internationales, le tout dans un contexte de forte médiatisation. Le problème était ici pour le ministre de préserver son image de « french doctor » sans se démarquer totalement de la position du gouvernement auquel il appartenait.
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médias de masse fait peser sur le militaire français en opération une contrainte morale souvent difficile à gérer. Inscrire le recours à la force dans le domaine de la morale n’est pas chose aisée, surtout lorsque la mission confiée aux militaires est menée dans le cadre d’une opération illégale. Ce fut le cas en Serbie lorsque des pilotes durent bombarder des objectifs duals79, alors même que la campagne de bombardement était illégale au regard du droit international80 et que le ciblage de biens civils est strictement interdit par le droit international humanitaire. On retiendra donc ici le fait que, bien que la morale et la raison d’Etat ne fassent pas toujours bon ménage, il existe une fenêtre d’opportunité pour réduire les comportements immoraux. Cette fenêtre pourrait être représentée par les médias de masse à double titre : comme ouverture favorisant la circulation de l’information, mais aussi comme ouverture vers le monde en ce qu’elles touchent un nombre conséquent d’individus. Comme le souligne Thomas Ward : « il peut y avoir des tensions significatives entre les normes et certains intérêts d'un Etat, de sorte que les préoccupations normatives ne passent pas toujours en premier. Mais ces dernières sont puissantes par certains aspects, souvent négligés. Des normes hautement estimées et largement partagées peuvent être intériorisées par des dirigeants et des institutions. Elles s'inscrivent alors efficacement dans les calculs politiques »81. Peut-être relève-t-il de la responsabilité des médias de faire en sorte que les normes morales soient véhiculées vers les décideurs politiques sans faire croire aux opinions que les
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Les objectifs duals sont des objectifs servant tant aux forces armées adverses qu’aux populations civiles, comme par exemple des centrales électriques, des infrastructures routières, des réseaux de communication ou d’approvisionnement en eau. 80 La campagne a été légitimée a posteriori par la résolution 1244, le 10 juin 1999, soit le jour de l’arrêt des frappes. 81 Thomas Ward, « Entre l’éthique et la force », Sciences Humaines, « La moralisation du monde », Les Grands dossiers n° 2, mai 2006.
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conflits peuvent être régis uniquement par ce genre de considérations. Cependant, outre la manière de traiter l’information se pose la question du poids de la technologie dans les conflits et surtout de son impact moral sur la conduite de ces derniers. 1.4
Le rôle des nouvelles technologies
Nous l’avons vu, les médias ont un poids moral non négligeable dans les nouvelles formes de conflictualités auxquelles doivent faire face les armées françaises, comme l’ensemble des armées occidentales d’ailleurs. Ce poids moral est d’autant plus important que les médias touchent aujourd’hui l’ensemble de la planète via une multitude de supports. De manière inégale certes, mais sans réelles limites géographiques82. Cette omniprésence des moyens de communication audiovisuels est notamment due aux avancées techniques et technologiques dont ont bénéficié la télévision, la radio, l’Internet ou d’autres moyens de transmission. C’est l’apparition de cette « infosphère » qui fait dire à Marshall McLuhan que le monde est devenu un « village global »83 dans lequel chaque individu a la possibilité de participer à la vie du village planétaire. La guerre en direct Loin de l’idée couramment répandue selon laquelle ce village conduirait inévitablement à une uniformisation de la pensée, McLuhan le concevait plutôt comme un lieu d’échanges qui ne 82
La majorité des infrastructures et des utilisateurs d’Internet était en 2007 localisée dans les pays de la Triade (Etats-Unis, Europe, Japon) et représentait 88 % de la bande passante mondiale. Marie-Françoise Durand, Philippe Copinschi, Benoit Martin et Delphine Placidi, Atlas de la mondialisation - Comprendre l’espace mondial contemporain, Paris, Les Presses de Sciences-Po, 2009, p. 42. 83 Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy: The Making of Typographic Man, University of Toronto Press, 1962.
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passerait plus par un support papier mais par les médias électroniques84. Si cette vision ne s’est pas vraiment réalisée il n’en demeure pas moins que la télévision et l’Internet ont pris un avantage certain sur les médias papier. Cet avantage demeure, en France au moins, quantitatif, mais il présente l’avantage de toucher une large part de la population qui y trouve l’essentiel de ses sources d’information85 mais y exprime aussi ses points de vue, ses inquiétudes. Elargie à la planète, cette « noosphère »86 regrouperait l’ensemble de la connaissance humaine disponible à un instant « t ». Elle permettrait non seulement un accès instantané pour tous à la somme de connaissances ainsi acquises mais aussi de construire des projets collaboratifs à l’échelle de la planète. Bien entendu, cette globalisation de l’information n’est pas sans incidence sur les normes morales de l’ensemble des nations. Nous l’avons vu précédemment, la transmission de l’information en temps réel et la demande d’informations par les opinions publiques, ont entraîné une surenchère qui a elle-même abouti à une omniprésence des médias sur les théâtres de conflits. Le public peut ainsi être au cœur des combats, en prise directe avec la violence sans la subir lui-même. Comme le souligne Grégory Boutherin, « à un horizon de quinze ans, il sera largement possible de suivre un conflit en live sur une multitude de supports, à commencer par les téléphones portables. Plus encore que la "wartainment" ce sera l’heure de la "mobile war" »87. Le public peut ainsi reporter ses attentes morales sur le militaire 84
C’est le passage de la « galaxie Gutenberg » à la « galaxie Marconi ». Marshall McLuhan, The Gutenberg …, op. cit. 85 Cf. Eddy Fougier, Les Français et la télévision face à l'Europe : le grand malentendu ? European Issues n° 128, 16 février 2009. Disponible sur Internet à : http://www.robert-schuman.eu/question_europe.php?num=qe128#ancre_3. 86 Concept créé par Vladimir Vernadski et repris par Pierre Teilhard de Chardin dans son livre Le phénomène humain, pp. 120-122 et 139 de l’édition électronique. 87 Grégory Boutherin, « Réflexions sur le champ de bataille et la puissance aérospatiale à l’horizon des quinze prochaines années », Penser les ailes françaises, n° 21, automne 2009, p. 51.
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sans avoir le recul nécessaire pour apprécier la pertinence d’une telle requête. Mener une guerre morale est toujours plus aisé depuis le confort d’un salon. Les médias, en ce qu’ils communiquent directement avec le public, favorisent la transmission de l’attente morale vers le champ de bataille. Cette attente est d’autre part prise en compte au niveau politique, soit pour réorienter l’action soit pour modifier la communication elle-même. Ce sont ces considérations qui font naître des concepts contraignants tels que celui du « zéro mort ». Cette doctrine, dont l’existence est due à l’évolution des moyens technologiques mis en œuvre dans les combats et à leur corollaire qu’est l’espoir de mener des guerres propres, permet en effet de concilier l’impératif du respect du droit à la vie propre aux démocraties occidentales et l’inévitable conséquence tragique de tous conflits qu’est la mort. La guerre propre renvoie l’opinion publique dormir du sommeil du juste, persuadée qu’elle est que la guerre se fait aujourd’hui sans occasionner de souffrances. Cette aversion supposée88 de la population aux pertes, surtout dans son propre camp, a été finalement transmise de l’opinion publique vers les théâtres d’opérations au travers des médias appuyés par le politique. Cependant limiter l’impact des nouvelles technologies à la sphère des médias est par trop réducteur. Les nouvelles technologies permettent aussi à nos adversaires de communiquer plus rapidement, et par là de combattre plus efficacement. Les pratiques de certains d’entre eux consistant à poser de fausses roadside bombs (bombes cachées sur le bord de 88
Certains commentateurs soulignent le fait que cette aversion est une construction et non la représentation d’une réalité. C’est notamment le point de vue défendu par Pascale Combelles-Siegel et François Géré qui affirment que le concept du « zéro mort » est un mythe aux Etats-Unis puisque « l’étude des sondages infirme l’idée selon laquelle l’opinion publique américaine aurait franchi un seuil de tolérance à l’égard des pertes au combat ». Cf. Pascale Combelles-Siegel et François Géré, « Les mythes et les réalités du "zéro mort" : comparaison franco-américaine », Fondation pour la Recherche Stratégique, 2001. Disponible sur Internet à : http://www.defense.gouv.fr/das/layout/set/popup/content/download/ 47477/471271/file/s_-_mythes_et_realites_du_zero_mort_synthese.pdf
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la route) puis à filmer les réactions des forces occidentales pour ensuite les étudier et s’adapter, sont aujourd’hui une réalité largement connue. Cette connaissance des armées régulières leur permet, en outre, de vendre leurs services et leurs savoirfaire de théâtres d’opérations en théâtres d’opérations. De fait, il n’est pas rare de retrouver en Afghanistan certains insurgés ayant déjà officié en Irak, voire dans les Balkans ou en Tchétchénie. Leur aguerrissement leur permet de passer de la crainte à une certaine forme d’assurance et de défiance. Loin des yeux, loin du cœur L’attente morale vient aussi des développements en matière d’armement. De plus en plus, les armées occidentales ont recours à des armes dont la portée s’accroît, éloignant de fait le combattant de son adversaire et, par là même, de la réalité du combat. Ce fait n’est certes pas nouveau puisque le recours à l’arbalète, apparue vers l’an 900 en Europe, posait déjà des problèmes moraux, comme d’autres armes de jet. L’arbalète fut d’ailleurs condamnée pour son inhumanité par l’Eglise qui en demanda le bannissement des champs de bataille au XIIe siècle89. Dans l’histoire du phénomène guerrier il a toujours été considéré comme immoral90 de ne pas combattre au corps à corps, le combat à distance étant interprété comme un manque de courage du combattant. C’est ce que rappellent fort justement Grégory Boutherin et Christophe Pajon lorsqu’ils écrivent que « dans la représentation mentale que se faisait un hoplite de la bataille, l’usage des armes de jet était dégradant pour celui qui les employait mais aussi pour celui qui en succombait. Le risque personnel et direct du combat, au sein de 89
L’interdiction d’emploi de l’arbalète fut prononcée lors du deuxième Concile du Latran en 1139 puis confirmée par le pape Innocent II en 1143. 90 L’immoralité est la qualité de ce qui n’est pas moral. Il y a donc dans l’immoralité une connaissance de la norme morale. C’est le rejet de cette norme, par calcul ou par erreur, qui rend l’acte immoral. L’amoralité quant à elle renvoie à l’absence de morale.
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la phalange, était un impératif moral »91. On retrouve cette problématique aujourd’hui autour de l’emploi des systèmes d’armes déportés tels que les drones. Il est alors légitime de se demander s’il y a une réelle prise de conscience morale de la part de l’opérateur de drone opérant à des milliers de kilomètres du théâtre d’opération. Cette distanciation des adversaires est un point récurrent du discours des militaires de l’Armée de terre lorsqu’ils évoquent l’utilisation de l’arme aérienne. Dans la perception de certains militaires terriens, le pilote, ou le marin à bord de son navire, ne voit pas la peur dans les yeux de son adversaire, il n’entend pas les cris de terreur et de souffrance, il ne sent pas l’odeur de la mort. On retrouve cette distinction au sein même de l’Armée de terre, certes de manière plus marginale, entre les armes dites de mêlée92 et l’artillerie. C’est cette perception de l’humanité de l’adversaire que le Général Royal évoque dans son livre L’éthique du soldat français - la conviction d’humanité93. Il semble que cette « conviction d’humanité » soit une chose complètement « intériorisée » par les militaires de l’armée de terre. Il est intéressant de souligner que cette intériorisation de l’humanité de l’adversaire est pour le moins diffuse chez les militaires de l’Armée de l’air ou de la Marine nationale. Pour autant, même sans formation spécifique préalable, tous sans exception, ont une conscience forte de l’importance de ne pas sombrer dans les mêmes travers et excès que nos adversaires. Ce contact direct avec l’humanité de l’Autre est un thème par ailleurs largement traité par Emmanuel Levinas qui voit notamment dans le visage de cet Autre le début de notre responsabilité morale vis-à-vis de lui94. Dans ses travaux Levinas considère que c’est dans le visage d’autrui vu
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Grégory Boutherin et Christophe Pajon, « Des hoplites aux drones … » op. cit,, p. 12. 92 Les armes de mêlée regroupent l’ensemble des spécialités liées au combat direct telles que l’infanterie ou l’arme blindée cavalerie. 93 Benoît Royal, op. cit. 94 Emmanuel Lévinas, Ethique et infini, Paris, Le livre de poche, Biblio essais, 1982, pp. 117-119.
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comme une globalité et non comme un objet95, que se construit la relation interpersonnelle qui crée la responsabilité envers autrui et rend le meurtre difficile. Cette proximité à l’Autre s’efface avec la distance qui s’immisce entre les adversaires. C’est là que les systèmes d’armes déportés posent un problème moral : ils ont une forte propension à déshumaniser l’adversaire, à rendre fictif le combat, à dissoudre la frontière entre réel et virtuel. Cette prise de distance, qui répond à un souci de préserver les forces, est d’autre part renforcée par l’emploi de simulateurs pour entraîner les combattants des armées occidentales. Le recours aux jeux vidéo par l’armée américaine est à ce titre problématique notamment dans son emploi comme outil de recrutement96. Le développement de jeux de plus en plus réalistes au profit du grand public tend à faire de la violence un phénomène banal que la jeune recrue aura intégré dans son comportement et qui l’empêchera de distinguer la mort virtuelle de la mort réelle. La question se pose alors de savoir ce qu’il se passera si les soldats considèrent la guerre comme un jeu97. En France le recours aux simulateurs de combat n’est pas nouveau, que ce soit pour l’emploi des systèmes d’armes eux-mêmes (aéronefs, chars, navires) ou pour la formation et l’entraînement à l’utilisation d’armes de poing tel que le SITTAL (Système d’Instruction aux Techniques de Tir à l’Arme Légère). Cependant, le Général Georgelin rappelait, alors qu’il était Chef d’Etat-major des armées, que « quelle que soit la performance des moyens techniques de renseignement dont nous disposerons, les opérations de guerre ne s’apparenteront jamais à un jeu vidéo. Elles resteront marquées
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Ibid., p. 79. Seth Mc Laughlin, U.S. Army Expands Use of Video Game for Training, World Politics Review, May 2009. 97« Si les soldats confondent un jeu avec la guerre, qu’adviendra-t-il s’ils commencent à considérer la guerre comme un jeu ». Ibid. Traduction de l’auteur.
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par un affrontement des volontés où chacun, par l’usage de la force, tentera de dicter sa loi à l’adversaire »98. Le complexe du chirurgien Cette question est d’autant plus problématique qu’après le concept de « zéro mort », renforcé par l’arrivée d’armement de haute précision supposé opérer des frappes chirurgicales permettant d’éviter les dommages incidents99, la question de l’emploi des drones et des robots sur le champ de bataille amène de nouvelles interrogations éthiques. La critique la plus régulière quant à l’emploi des drones consiste à remettre en question la conscience de la responsabilité de l’action menée par l’opérateur lui-même. Cette question, qui concerne essentiellement les opérateurs américains, doit être posée dès aujourd’hui en France, d’autant que des drones Harfang100 sont désormais déployés et utilisés en Afghanistan. La remise en question de la moralité de l’emploi de tels armements opérés à distance, comme ce fut le cas avec les drones américains déployés au-dessus du territoire afghans et pilotés par des opérateurs basés en Floride, ne doit pas être négligée. Il est à ce 98
Allocution du Général d’armée Jean-Louis Georgelin, en ouverture du colloque organisé par le Centre d’études stratégiques aérospatiales sur le thème « Connaissance et anticipation : le rôle de la puissance aérospatiale », Paris, Ecole Militaire, 2 mars 2009. Disponible sur Internet à: http://www.defense.gouv.fr/ema/commandement/le_chef_d_etat_major /interventions/discours/02_03_09_allocution_du_cema_en_ouverture_d u_colloque_organise_par_le_cesa. 99 La pertinence de cette précision a été remise en question à de nombreuses reprises. Ce fut notamment le cas au cours du conflit qui a opposé l’armée israélienne au Hezbollah en 2006 au Sud Liban et durant lequel le recours au « tout technologique » s’est avéré inopérant contre un mouvement terroriste. Ce fut plus récemment l’objet de vives critiques à l’encontre des frappes de la coalition menées en Afghanistan. 100 Un des trois drones Harfang, nom de baptême du SIDM pour Système intérimaire de drone MALE (Moyenne altitude longue endurance), a effectué son premier vol en opération le 15 février 2009 depuis la base de Bagram à 30 km de Kaboul. Ces drones sont mis en œuvre par l’Escadron de drones 01/033 « Belfort » de la Base aérienne 709 de Cognac.
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titre important de souligner que la France a fait le choix de stationner ses opérateurs sur le théâtre afghan. Les drones font désormais partie de l’environnement des militaires en opérations comme le prouve leur utilisation au Waziristan, pour abattre des activistes dans cette région du Pakistan, ou lors du conflit opposant Israël au Hezbollah en 2006 et au Hamas en 2008. Au travers du drone, et comme le souligne le Général de corps aérien Michel Asencio, se pose la question morale de « la place de l’homme » dans ces systèmes : « La place de l’homme dans la boucle est également un problème ardu. L’opérateur déporté est maintenant hors du champ d’affrontement et il est susceptible de délivrer des armes avec toutes les conséquences qui en découlent. Les enseignements des conflits récents montrent, par exemple, que l’éloignement émotionnel du champ de bataille implique certes moins de stress pour le pilote mais aussi peut-être moins de retenue dans l’utilisation de la violence »101.
Cette place de l’homme, qui tend à se réduire, limite la capacité d’appréciation morale d’une situation de conflit violent. Le débat autour de la robotisation des conflits, qui pouvait paraître amusant à l’époque de la sortie du film Terminator, est aujourd’hui un sujet de préoccupation et d’étude102. Les robots de combat aujourd’hui déployés en Afghanistan poseront à 101
Michel Asencio, « Les drones et les conflits nouveaux - survivabilité, complexité, place de l’homme », Note de la Fondation pour la Recherche Stratégique, n° 04/2008, 19 janvier 2008. Disponible sur Internet à : http://www.frstrategie.org/barreFRS/publications/notes/20080119.pdf. 102 Parmi les auteurs les plus prolifiques ont peut se référer à Peter Singer dont on trouvera de nombreux articles portant sur ce sujet sur son site internet : http://www.pwsinger.com/index.html. On notera également les travaux de Noel Sharkey et plus largement de l’International Committee on Robots Arms Control. A l’initiative de l’ICRAC l’International, Interdisciplinary Expert Workshop on Arms Control for Robots s’est d’ailleurs tenu du 20 au 22 septembre 2010, à l’Umboldt Universität de Berlin, Allemagne, débouchant sur une déclaration appelant à l’interdiction d’emploi de systèmes autonomes armés. Disponible sur le site Internet de l’ICRAC à : http://www.icrac.co.cc/icrac news.html
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terme la difficile question de l’autonomisation de la machine. Dès lors la décision ne se fera plus au travers d’une évaluation humaine de la situation mais d’une appréciation mécanique par le robot lui-même103. Si l’idée semble encore relever de la science-fiction elle n’en suscite pas moins de nombreux débats104. Parlant des robots, Alvin et Heidi Toffler soulignent d’ailleurs « qu’à travers le monde, (…) des penseurs militaires jettent un regard neuf sur cette technologie. Des conditions nouvelles, disent-ils, se solderont par une vague de robotisation plus forte que jamais »105. D’autre part un des risques serait que la robotique rende la guerre encore plus proche du jeu, renforçant la conviction que mener des guerres propres relève du champ du possible, ces dernières pouvant inciter les détenteurs de ces technologies à s’engager plus facilement et donc plus souvent dans des conflits106. A la recherche du « super soldat » Mais la technologie touche aussi plus directement l’humain. La quête du « super soldat » capable de transporter de lourdes charges, sur de longues distances, sans se fatiguer, est un thème récurrent aux Etats-Unis. Les œuvres de fiction s’en sont d’ailleurs faites l’écho à de nombreuses reprises, de Captain 103
Ce qui fait dire à Pascal Riché dans un article paru sur le site Rue89 et à propos du robot « BigDogs » déployé en Afghanistan que « s’il tue un jour ce sera froidement ». Pascal Riché, Des robots quadripèdes américains testés en Afghanistan, Rue89, 23 mars 2009. Une vidéo de ce robot développé par la forme Boston Dynamics est disponible sur le site YouTube : http://www.youtube.com/watch?v=W1czBcnX1Ww&eurl=http%3A%2 F%2Fwww.article11.info%2Fspip%2Fspip. php%3Farticle338&feature= player_embedded. 104 La question n’est pas récente comme en témoigne le film Wargames sorti en 1983. 105 Alvin et Heidi Toffler, Guerre et contre-guerre - Survivre à l’aube du XXIe siècle, Paris, Fayard, 1993, p. 154. 106 Une séquence vidéo montrant les capacités de ces robots disponible sur le site Internet « Nouvo » (http://www.nouvo.ch/162-2), est à ce titre édifiante. Laurent Burkhalter et Charles D. Fischer, « Le robot qui tue », Nouvelles tendances et technologies, 22 janvier 2009.
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America à Terminator, en passant par Wolverine, Iron Man, Universal Soldier ou encore Batman : the Dark Knight, les exemples sont pléthoriques. En France le système Félin (Fantassin à Equipements et Liaisons INtégrés) en est la parfaite illustration. Comme l’indique la Délégation générale de l’armement, « Félin est un ensemble complet d’équipements conçu comme un véritable système d’armes et organisé autour de l’homme. Il améliorera de façon significative les capacités et la réactivité du fantassin au combat : avec ses équipements, il pourra en effet voir et tirer jusqu'à deux fois plus loin, de jour comme de nuit, transmettre des images numériques de cibles en temps réel pour une décision tactique immédiate. La capacité de transmission de données, d'images vidéo et de phonie permettra d'améliorer le rythme de l'action. Le combattant pourra se déplacer plus rapidement grâce à des équipements plus légers et plus ergonomiques qui le protégeront davantage contre les agressions balistiques et NBC et les conditions climatiques difficiles »107. Ce matériel, qui équipe désormais les troupes d’infanterie, est un condensé de technologie permettant d’augmenter les capacités des forces tout en les préservant. Mais les conséquences morales du recours à ce type de matériel ne doivent pas être occultées : la déshumanisation du combattant, sa distanciation physique avec l’adversaire qui voit en lui un « robot humain », rend l’ouverture du feu moins problématique. C’est notamment l’idée développée par William Langewiesche lorsqu’il écrit : « Si les rebelles les observaient depuis les maisons - et il devait probablement s’en trouver - ils n’auraient perçu derrière les mitrailleuses montées sur les toits que des silhouettes robotiques emmaillotées dans des uniformes et des armures de protection. (…) Avec les années passées dans les rues irakiennes, en dehors des « bulles » protégées par l’armée, je me suis souvent dit que l’anonymat rendait les Américains plus faciles à tuer, parce que cela permet aux rebelles de s’en 107
Site Internet de la DGA : http://www.defense.gouv.fr/dga/votre_espace/presse/communiques/co ntrat_pour_la_realisation_des_systemes_felin.
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prendre aux machines ou aux uniformes, sans accorder trop d’attention aux individus qui se trouvent à l’intérieur »108. Nul doute que le système Félin posera ce genre de problème. Cette prise de distance pose donc un double problème moral. D’une part il coupe le combattant moderne de ses adversaires et de la population, ce qui tend à le déresponsabiliser en rendant la relation moins personnelle. D’autre part il fait du militaire un « quasi-robot », lui-même déshumanisé, qu’il est plus aisé de prendre pour cible. Cette constatation a déjà été faite par les armées françaises qui préconisent aux militaires d’éviter de porter leur casque lourd ou des lunettes de soleil lorsqu’ils sont au contact de la population. Pour autant, il paraît difficilement envisageable d’évoluer dans un environnement dangereux et imprévisible sans aucun moyen de protection. C’est là toute la difficulté. La distanciation permet d’assurer la sécurité de nos forces mais, ajoutée à d’autres facteurs tels que l’entraînement sur des jeux vidéo, elle est susceptible d’avoir de lourdes conséquences morales. C’est ce « tout » qui induit la dématérialisation du champ de bataille, sa déshumanisation qui permet toutes les exactions sans que l’auteur des faits ne se sente responsable. L’espace comme nouvelle aire de jeu Qui plus est aujourd’hui certains regards se tournent vers l’espace et, en marge des problèmes purement juridiques, les questions d’éthique que soulèvent son utilisation à des fins militaires. Si la technique éloigne de l’humain, elle rapproche de la machine. Comme le soulignait Jacques Arnould, la tendance est à s’intéresser plus à la machine qu’à l’homme qui est derrière ou dedans109. L’éthique de la conquête spatiale et de sa 108
William Langewiesche, op. cit., pp. 12-13. Propos recueillis par l’auteur à l’occasion d’une visite de M. Arnould aux Écoles d’officiers de l’Armée de l’air. Jacques Arnould est philosophe, historien des sciences et théologien. Il est actuellement chargé de mission « sur la dimension éthique, sociale et culturelle des activités spatiales » au CNES (Centre national d’études spatiales) et est l’auteur de nombreux
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militarisation est un sujet qui à n’en pas douter sera largement traité dans les prochaines années110. C’est ce qui justifie l’intérêt que l’Armée de l’air porte à la question, y compris dans le cadre de la formation de ses officiers. Il est évident que la course à la Lune et plus largement à l’espace est un enjeu d’avenir, que ce soit pour la maîtrise de l’Espace lui-même ou pour des raisons de puissance. Mais cette quête entrainera de nombreux dilemmes dont la question de l’égalité des Etats devant le droit d’accès à l’Espace, la mise en place d’un droit de l’espace, l’utilisation de la Lune ou des autres corps célestes à des fins militaires111. La technologie a révolutionné la guerre au 20ème siècle. Nous sommes aujourd’hui dans une nouvelle phase, une évolution survenue au siècle dernier qui tend à faire croire que la technologie nous permettra d’avoir une meilleure connaissance du champ de bataille, éliminant ainsi les frictions et le brouillard de la guerre des futurs conflits112. On le voit donc, la question des nouvelles technologies dépasse largement le spectre déjà large du simple médium informatif pour toucher de nombreux domaines. L’ensemble des innovations impose aux militaires de nouvelles contraintes en termes d’anticipation, de préparation, ouvrages sur la question dont le dernier, Qu’allons-nous faire dans ces étoiles ? De l’éthique de la conquête spatiale, Paris, La Croix-Bayard, 2009. 110 C’est notamment le thème de la thèse du lieutenant Béatrice Hainaut de l’équipe « Prospective et études de sécurité » du Centre de recherche de l’Armée de l’air. Le lieutenant Hainaut, membre du Groupe d’études en relations internationales des EOAA, travaille actuellement sur la « Militarisation et arsenalisation de l’espace : nouveau champ et nouvelle ressource des relations interétatiques », Université Paris 2, Panthéon-Assas sous la direction du Pr Serge Sur. 111 Cette question fait déjà l’objet d’un « Traité sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes ». Mais ce texte qui date de 1967 présente de nombreuses zones d’ombres qu’il pourrait être aisé d’exploiter. Notamment le fait qu’il ne concerne que les Etats et pas les acteurs non-étatiques. 112 Timothy D. Hoyt, Technology and Security in Michael E. Brown, « Grave new world - Security Challenges in the 21st Century », Washington D.C., Georgetown University Press, 2003, p. 17. Traduction de l’auteur.
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de formation, de droit et bien sûr de morale. C’est la somme des contraintes morales dues à la modernité qui, par ailleurs, rend aujourd’hui caduc le recours à cet outil classique qu’est la tradition de la guerre juste pour légitimer la guerre. Les technologies nous l’avons vu posent problème. Elles se sont transformées rapidement. Comme le soulignait Hans Jonas dès 1979, de promesse de progrès elles sont devenues menace113. Couplées à la multiplication d’acteurs souvent nonétatiques, ces technologies, et notamment celles de l’information et de la communication, entraînent une forme de promiscuité entre les acteurs d’une réalité complexe que sont les militaires, et les spectateurs de situations de conflits déformées par le prisme des médias, que sont les opinions publiques. Cette proximité est à l’origine d’interactions fortes entre ceux qui recourent à la violence et ceux qui en rejettent l’idée. La guerre, au sens classique du terme, n’est plus. Les nouvelles formes de conflictualités ne semblent pas s’embarrasser de doctrine ou de théorie et le gentlemen agreement qui prévalait encore au début du siècle dernier a sombré dans les profondeurs des conflits modernes. La morale ne semble plus être un facteur pris en compte de manière uniforme par l’ensemble des acteurs. La tradition de la guerre juste qui s’imposait jusque-là, a atteint ses limites et est devenue un argument permettant de légitimer l’action auprès des opinions publiques. Peu à peu la légalité a laissé place à la légitimité, accentuant le besoin en arguments moraux. C’est dans cet environnement mouvant et complexe que le militaire doit évoluer et faire des choix. Les nouvelles contraintes morales diluent la perception même de ce qui est moral ou ne l’est pas. De fait, le militaire ne pourra compter que sur son éthique c'est-à-dire son comportement après évaluation de la situation en fonction des différentes normes applicables. 113
Hans Jonas, The Imperative of Responsibility: In Search of an Ethics for the Technological Age, Chicago, University Of Chicago Press, 1985.
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Parmi ces normes une semblait intangible et permettait au militaire de connaître les limites auxquelles il était tenu, de lui imposer des devoirs mais aussi de lui assurer des droits : le droit des conflits armés. Aujourd’hui ce droit est un parachute ancien attaqué par les mites que sont les nouveaux acteurs des conflits. Certes il permet toujours de ralentir la chute mais il ne prémunit plus contre le pire.
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DEUXIEME PARTIE De la légalité à la légitimité
2.1
Le droit, la morale et la raison d’Etat : un mariage improbable
«J
e pense que j’ai eu tort de demander un secrétariat d’Etat aux Droits de l’Homme. C’est une erreur. Car il y a contradiction permanente entre les droits de l’homme et la politique étrangère d’un Etat, même en France »114. Cette déclaration faite par Bernard Kouchner, alors qu’il était ministre des Affaires étrangères et européennes, souligne toute la difficulté à concilier les impératifs d’Etat et les idéaux de la morale115. Ce genre d’assertion, lorsqu’elle émane d’un homme politique largement connu et respecté pour ses engagements au service de causes humanitaires, laisse perplexe et nous fait nous interroger sur la pertinence, voire la finalité, des discours politiques souvent emprunts de valeurs morales. Ce poids de la morale dans le discours public français est l’une des caractéristiques du Président de la République, M. Sarkozy116. Cependant la mise en avant d’idéaux ou de motifs moraux, pour expliquer notamment une intervention illégale, n’est pas nouvelle. Au Kosovo déjà en 1999, la campagne de bombardements aériens menée au-dessus de la République fédérale de Yougoslavie117, avait été justifiée 114
Henri Vernet, Dominique de Montvalon et Charles de Saint, « Droits de l'homme, l'interview choc de Kouchner », entretien accordé par M. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes, Le Parisien, 10 décembre 2008. 115 C’est notamment ce que souligne Hans Morgenthau lorsqu’il affirme que l’homme d’état pense en termes d’intérêt national, alors que la pensée populaire raisonne en termes moraux et légaux. Hans Morgenthau, Politics Among Nations, New York, McGraw -Hill1985, p. 165. 116 Que ce soit au sujet de la crise financière et de la nécessité de moraliser le capitalisme (Cf ; Discours du Président de la République, Nicolas Sarkozy à Toulon le 25 septembre 2008) ou au sujet de la guerre en Afghanistan et de la liberté du monde (Cf. discours du Président de la République, Nicolas Sarkozy à Kaboul le 20 août 2008) le Président de la République fait régulièrement appel à l’argument moral explicitement ou implicitement. 117 La campagne décidée par l’OTAN débuta le 24 mars et finit le 10 juin 1999.
par la nécessité humanitaire de porter secours aux populations kosovares et de mettre fin aux exactions des Serbes. 79 jours de bombardements illégaux légitimés par l’argument moral118. Morale, droit, nécessité des Etats d’assurer la préservation de leurs intérêts : nous voyons ici le triptyque paradoxal auquel se heurtent quotidiennement les responsables politiques, et qui leur impose des choix cornéliens, difficiles à transposer sur le terrain. On attend du militaire qu’il soit capable, en tant qu’outil au service du politique et détenteur d’un pouvoir exorbitant de vie ou de mort dans des circonstances particulières, d’obéir à des ordres répondant à la logique de la raison d’Etat tout en ayant un comportement exempt de tout reproche moral et s’inscrivant dans le droit. La raison d’Etat comme morale, les intérêts de la nation comme droit Ce que nous appelons « raison d’Etat », concept si cher à Richelieu, trouve son fondement dans les écrits des philosophes. Selon Hobbes, l’homme étant un loup pour l’homme et l’état de nature se résumant à une lutte perpétuelle entre les hommes, il devint nécessaire pour ceux-ci de déléguer une part de leur souveraineté à un tiers supérieur que Thomas Hobbes nommera, dans son livre éponyme, le Léviathan. Ce Léviathan, souverain absolu qui se place au-dessus des individualités, se voit alors confier un pouvoir l’autorisant implicitement à faire tout ce qui lui paraît nécessaire pour 118
Les bombardements au-dessus de la Serbie, faute de bénéficier de la légitimité juridique conférée par une résolution de l’ONU, ont été menés au motif de l’action humanitaire. Les puissances alliées de l’OTAN ont en effet fait valoir qu’il était nécessaire d’intervenir afin de mettre un terme au génocide des Albanais du Kosovo perpétré par les Serbes. La campagne a donc débuté sans accord du CSNU alors même que la résolution 119 du 23 septembre 1998 spécifiait dans son article 17, qu’il relevait du CSNU « d’examiner une action ultérieure et des mesures additionnelles pour rétablir la paix ou la stabilité dans la région ». L’opération Allied Force est donc lancée le 24 mars 1999 sans l’accord du CSNU. L’intervention sera légitimée a posteriori par la résolution 1244 du 10 juin 1999, date de la fin des frappes.
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assurer la sécurité des intérêts de ses sociétaires. C’est cette délégation de pouvoir au profit de l’Etat qui lui confère encore aujourd’hui la possibilité de déroger à la règle de droit ou à la règle morale au nom des intérêts, dits « supérieurs », de la nation. Ce cynisme politique, décrié par Jean Giraudoux dans La guerre de Troie n’aura pas lieu119, n’est finalement qu’une forme de pragmatisme relevant du « réalisme » en relations internationales. C’est ce cynisme au travers de l’instrumentalisation de la parole qu’exprime le propos d’Hector demandant à Busiris de trouver une « thèse » permettant d’expliquer que les Grecs n’ont pas offensé Troie afin d’éviter la guerre : « Mon cher Busiris, nous savons tous ici que le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité ». L’idée n’est pas nouvelle. Elle demeure tenace120. Cette vision des choses, partagée par Thomas Hobbes121, démontre qu’il n’y a pas forcément de lien entre la moralité d’un acte et le droit au sens où l’entend l’Etat. C’est l’autorité supérieure et non la vérité qui fait la loi. C’est par ailleurs cette raison d’Etat qui justifie le secret d’Etat, qui permet de maintenir des informations, ou des pratiques, hors de portée de la population. Ce secret d’Etat, on le sait, a pu parfois être à l’origine d’abus et entraîner des exactions commises au nom de la raison d’Etat. 119
Jean Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu, Paris, LGF-Livre de Poche, 1972. Dans son ouvrage Giraudoux critique l’usage de la parole et son instrumentalisation à des fins politiques. 120 La question de l’instrumentalisation de la parole et de l’écrit reste un sujet d’actualité. La communication, dont on sait que sa frontière avec la manipulation est pour le moins floue, est un sujet central en politique que ce soit en politique intérieure ou en politique étrangère. D’autant que, comme nous l’avons vu précédemment, les médias modernes sont omniprésents et permettent un lien direct avec les opinions publiques. 121 Thomas Hobbes, Léviathan, Paris, Gallimard, 2000. Selon Hobbes « l’interprétation des lois de la nature, dans un Etat, ne dépend pas des livres de philosophie morale. L’autorité des écrivains politiques, sans l’autorité de l’Etat, ne fait pas de leurs opinions la loi – si vraies qu’elles soient » (p. 420). Cette idée fut reprise plus tard par Carl Schmitt : « Le droit est loi et la loi est le commandement qui décide du droit dans le conflit : auctoritas, non veritas, facit legem ». Carl Schmitt, Les trois types de la pensée juridique, Paris, PUF, p. 81.
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L’exemple le plus courant est le recours à la torture. Que ce soit en Algérie, par la France122, ou plus récemment à Abou Ghraib, par les Etats-Unis123, des méthodes illégales au regard du droit international ont été employées sans états d’âme pour tenter d’obtenir des renseignements permettant d’assurer la sécurité nationale. Le recours au waterboarding124, aux extraordinary renditions125, ou aux violences de tous ordres par les Etats-Unis, justifiées par l’impérieuse nécessité de préserver la sécurité de la patrie126 (homeland security), doivent nous imposer une réflexion approfondie sur les limites de l’action de l’Etat tant au regard du droit que de la morale. Cette prise de conscience apparaît dans les récents discours du Président des Etats-Unis, Barack Obama, qui change clairement la position américaine sur la question de la torture ou encore sur le leadership américain127. Le militaire : un être faillible ? Ne nous y trompons pas : les pratiques de cette grande démocratie morale qu’est l’Amérique n’ont pas vocation à lui être exclusives. Il vaut dès lors mieux anticiper ce type de 122
Magnifiquement évoqué dans le film de Laurent Herbiet, Mon Colonel, 2006. 123 Cf. l’ouvrage de Jameel Jaffer et Amrit Singh, The Administration of Torture: A Documentary Record from Washington to Abu Ghraib and Beyond, Columbia University Press, 2007 ou encore le documentaire d’Errol Morris, Standard Operating Procedure, 2008. 124 Le waterboarding est une pratique consistant à simuler la noyade du suspect interrogé. Couché sur une planche, un linge posé sur le visage, l’individu interrogé se voit versé de l’eau sur le visage. Cette eau qui imbibe le linge et remplit les poumons du suspect lui fait vivre la douloureuse sensation de la noyade. 125 Les extraordinary renditions, ou restitutions extraordinaires, consistent à enlever des individus suspectés de terrorisme dans un Etat tiers sans que ce dernier ne soit mis au courant. Les restitutions extraordinaires s’opposent aux procédures d’extraditions classiques, ou restitutions ordinaires. Le suspect est alors transporté à bord d’avions de la CIA vers un pays pratiquant la torture pour y être « interrogé » par des personnels du pays concerné sous contrôle des agents de la CIA. 126 Cf. le film de Gavin Hood, Rendition, 2007. 127 Cf. notamment les discours de Prague le 05 avril 2009, du Caire le 04 juin 2009, de Moscou le 07 juillet 2009 et d’Accra le 11 juillet 2009.
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dérives que d’avoir à y être confronté. En outre, les militaires doivent s’interroger sur les conséquences de telles pratiques. Il est rassurant de constater qu’aucun des militaires interrogés dans le cadre de mes recherches ne s’est prononcé, à quelque degré que ce soit, en faveur de ce genre de pratique. Cependant, et malgré tous les efforts d’imagination consentis, le jugement porté sur la torture ne peut être objectif hors d’une situation réelle. Il est donc indispensable que l’autorité publique prenne conscience du poids de ses choix sur les actions des militaires, afin de ne pas les amener, explicitement ou implicitement, vers des pratiques à la fois illégales et immorales. Nous sommes, nous militaires, tous susceptibles de devenir l’officier ou le voyageur de la « colonie pénitentiaire » de Kafka128. C’est notamment ce que montre Gitta Sereny dans son livre Au fond des ténèbres. En prenant le commandement des camps de Sobibor et de Treblinka, un homme, Franz Stangl, que rien ne prédestinait à cela va se retrouver confronté directement à l’horreur de l’extermination des Juifs durant la Seconde guerre mondiale. L’auteur nous invite à suivre le cheminement de Stangl, qui au gré de ses affectations, va se familiariser avec la violence pour finalement côtoyer l’horreur sans états d’âme, et être condamné pour sa participation au massacre de 900 000 personnes. Sans aller jusqu’aux extrémités évoquées dans cet ouvrage, gardons à l’esprit que, si celles-ci ont été rendues possibles par la personnalité de Stangl (sa peur et son besoin de reconnaissance), les circonstances peuvent également amener un homme ordinaire à commettre l’irréparable. C’est ce côté « ordinaire » qui doit nous faire réfléchir sur notre propension à obéir sans nous attarder sur la moralité de nos actes. Le cadre 128
Franz Kafka, Dans la colonie pénitentiaire, Paris, Librio n° 3, 2003. Dans cette nouvelle un voyageur découvre un appareil destiné à inscrire à l’aide d’une « herse, sur le corps du condamné, le commandement qu’il a enfreint ». Si le voyageur s’offusque de telles pratiques, il fait cependant le choix de ne pas exprimer publiquement son opposition. L’officier chargé de faire fonctionner l’appareil en est lui un fervent défenseur et exécute sa tâche avec zèle et passion, au service d’un régime totalitaire, sans se rendre compte de l’inhumanité du procédé.
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hiérarchique des armées est propice à des comportements relevant de l’expérience de Milgram sur l’obéissance et la soumission volontaire129. Les exactions commises par la private Lindy England, qui a participé à la l’humiliation et à la torture de prisonniers irakiens à Abou Ghraib, aussi bien que le meurtre de Firmin Mahé par des soldats français en Côte d’Ivoire130, sont là pour nous rappeler que les dérives ne sont pas l’apanage d’un lointain passé. Les erreurs, loin de devoir être stigmatisées, doivent nous aider à nous préparer afin de ne pas commettre deux fois les mêmes. Le droit à l’épreuve de la raison d’Etat Concilier morale, droit et raison d’Etat, paraît donc être un exercice périlleux très souvent voué à l’échec. La difficulté est d’autant plus grande que les relations internationales sont aujourd’hui caractérisées par un réalisme fondé sur l’équilibre des puissances, lui-même hérité des Traités de Westphalie131 et renforcé par le principe d’égalité souveraine des Etats
129
Cette expérience a été conduite entre 1960 et 1963 par le psychologue américain Stanley Milgram. Elle avait pour objet d’évaluer le degré d’obéissance d’un sujet à des ordres émanant d’une autorité considérée comme légitime en dépit des problèmes de conscience que les conséquences de ces ordres pouvaient poser au sujet. Stanley Milgram, Obedience to Auhority, Harper Perennial, 1983. 130 Firmin Mahé est mort le 13 mai 2005 dans un blindé, étouffé par des soldats de l’opération Licorne en Côte d'Ivoire. Les soldats ont affirmé avoir reçu un ordre implicite en ce sens. Quatre militaires français, dont le Général Poncet, ont été inculpés pour leur implication à divers degrés dans cet homicide volontaire. Ce qui est intéressant dans cette affaire ce n’est pas tant le fait que l’ordre ait été donné ou pas, mais plutôt le fait que les soldats n’ont pas remis en question l’idée de tuer de sang-froid un individu blessé et sans défense. Cela a été rendu possible notamment par le statut de « coupeur de route » de la victime, à qui il était reproché d’avoir commis de nombreux meurtres et viols. 131 Les deux traités de Münster et d’Osnabrück mirent fin aux guerres de Trente ans et de Quatre-vingts ans le 24 octobre 1648. Ils sont à l’origine du principe de souveraineté qui demeure encore aujourd’hui central en relations internationales.
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promulgué par la Charte des Nations Unies132. La confrontation entre la nécessité de protéger ses intérêts vis-à-vis des autres nations, et les impératifs moraux à ménager, notamment en politique intérieure, est pour l’Etat une préoccupation de chaque instant. Au moins deux solutions s’offrent alors à lui en cas de violation de la règle : soit l’Etat ment, ou a minima transforme la vérité, au nom de la raison d’Etat133, soit il fait son mea culpa et court le risque de perdre une part de sa légitimité aux plans national et international. Si, comme l’écrit Pierre Manent, l’on ne peut réduire la motivation de l’action de l’Etat aux seules questions d’intérêts134, on remarque qu’en relations internationales celles-ci restent centrales et qu’elles priment, la grande majorité du temps, sur toutes autres considérations. Parmi les derniers exemples, nous rappellerons le positionnement ambigu de la France sur le délicat dossier du Tibet, qu’elle a finalement laissé à son triste sort, ainsi que le respect à géométrie variable du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans les cas du Kosovo et de l’Ossétie. Les arguments moraux invoqués par certains observateurs, à l’occasion des Jeux Olympiques de Pékin ou du conflit entre la Russie et la Géorgie, ont rapidement été mis de côté au profit de considérations plus pragmatiques relevant de l’intérêt du pays. Ce positionnement est, par ailleurs, loin d’être immoral. La logique utilitariste se fondant sur l’intérêt porté aux conséquences d’un acte ou d’une décision, est tout à fait justifiable moralement. Cette inclination mesurée de la France à vouloir un monde fondé sur la collaboration entre Etats, dont les relations seraient régulées par un droit émanant lui-même de la morale empreint d’idéaux humanistes, fait d’ailleurs l’objet de 132
L’article 2§1 de la Charte dispose en effet que « L'Organisation est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses Membres ». 133 Ce fut le cas pour l’intervention en Irak justifiée par l’administration américaine par la détention d’armes de destruction massive par le régime de Saddam Hussein. Ce fut également le cas lors de l’intervention illégale au Kosovo justifiée, quant à elle, par l’ensemble de la coalition, par la nécessité humanitaire. 134 Pierre Manent, Cours familier de philosophie politique, Paris, Gallimard, 2004, p. 296.
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critiques, confinant parfois à la raillerie, de la part de nos amis anglo-saxons135. C’est par exemple le cas de Robert Kagan lorsqu’il écrit que les Américains préparent le dîner et les Européens font la vaisselle (« … the real division of labor consisted in the United States ‘making the dinner’ and the Europeans “doing the dishes’. »)136. On retrouve ce positionnement très tranché lorsque Kagan critique l’idéalisme du diplomate britannique Robert Cooper137. L’idée d’un monde kantien ne résiste, au demeurant, pas longtemps à l’épreuve des faits. D’autant qu’à y regarder de plus près, Emmanuel Kant lui-même était loin d’être un doux rêveur. Il était au contraire, tout à fait conscient de la nature « peu conciliante » de l’être humain, et s’en réjouissait par ailleurs. Il écrivait d’ailleurs, au sujet de l’homme dans son Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, « [q]ue la nature soit donc remerciée, pour cette incapacité à se supporter, pour cette vanité jalouse d'individus rivaux, pour l'appétit insatiable de possession mais aussi de domination ! Sans cela, les excellentes dispositions sommeilleraient éternellement en l'humanité à l'état de simples potentialités. L'homme veut la concorde, mais la nature sait mieux ce qui est bon pour son espèce : elle veut la discorde »138. Pour en revenir aux relations entre l’Etat et le droit, il est assez intéressant de s’interroger sur les motivations qui ont, par exemple, amené la France à se prévaloir de l’article 124 du Statut de Rome créant la Cour pénale internationale (CPI). Cet article, rédigé à l’initiative de la 135
Robert Kagan, Of Paradise and Power - America and Europe in the new world order, New York, Vintage Books, 2004. 136 Robert Kagan, « « Power and Weakness: Why the United States and Europe See the World differently », Policy Review, n° 113, June-July 2002, p.8. Disponible sur Internet à : http://www.hoover.org/publications/policy-review/article/7107 137 Robert Cooper, “The Morality of Amorality in Foreign Policy”, Project Syndicate, February 2003. Disponible sur Internet à : http://www.projectsyndicate.org/commentary/cooper1. 138 Emmanuel Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, 4ème proposition, Les classiques de sciences sociales, site de l’Université du Québec Chicoutimi. Disponible sur Internet à : http://classiques.uqac.ca/classiques/kant_emmanuel/idee_histoire_univ/ Idee_histoire_univ.pdf.
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France, dispose en effet qu’« un État qui devient partie au présent Statut peut déclarer que, pour une période de sept ans à partir de l'entrée en vigueur du Statut à son égard, il n'accepte pas la compétence de la Cour en ce qui concerne la catégorie de crimes visée à l'article 8139 lorsqu'il est allégué qu'un crime a été commis sur son territoire ou par ses ressortissants ». La question a été soulevée de savoir pourquoi la France ne voulait pas voir ses ressortissants éventuellement poursuivis pour crime de guerre. Le ministère des Affaires étrangères a justifié ce choix à l’époque en expliquant que : « Les autorités françaises ont demandé cette période transitoire pour pouvoir vérifier que toutes les garanties introduites dans le Statut afin d'éviter les plaintes abusives sont appliquées avec efficacité. (…) Or, ces plaintes non fondées pourraient mettre injustement en cause des pays qui ont le mérite d'assumer plus que d'autres leurs responsabilités internationales en participant à de très délicates opérations de maintien de la paix - et vous savez que la France y prend plus que sa part; elles nuiraient à ces Etats, aux opérations dans lesquelles ils sont engagés, ainsi qu'à la Cour naissante dévoyée comme instrument politique »140.
Cependant, les « effets néfastes et pervers de l’utilisation de l’article 124 » ont été soulignés dans un rapport de l’Assemblée nationale141, et certaines organisations non gouvernementales, telle qu’Amnesty International, ont clairement critiqué le recours à cette disposition. Le procès d’intention fait à la France était alors qu’elle faisait en sorte que ses militaires, accusés de n’avoir pas réagi devant les exactions commises au Rwanda ou d’avoir 139
Il s’agit en l’occurrence du crime de guerre, c'est-à-dire les « infractions graves aux Conventions de Genève du 12 aout 1949 ». 140 Intervention du ministre des Affaires étrangères, M. Hubert Védrine, devant le Sénat le 22 mars 2000. 141 Pierre Brana, « Rapport sur le projet de loi autorisant la ratification de la Convention portant statut de la Cour pénale internationale n°2141 », Paris, Assemblée nationale, 15 février 2000.
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commis des crimes de guerre en ex-Yougoslavie, ne soient pas déférés devant la CPI. On citera aussi pour mémoire le fameux « "droit accordé à la société humaine" pour intervenir dans le cas où un tyran ferait "subir à ses sujets un traitement que nul n’est autorisé à faire" » que l’on trouve à l’origine dans l’ouvrage de Grotius, De Jure Bellis ac Pacis142. Devenu « devoir » au cours des années 70, il fut reformulé en 1988 par Bernard Kouchner et Mario Bettati, pour devenir le « droit » d’ingérence. C’est ce glissement sémantique qui fera d’un devoir moral un droit permettant de contourner le respect de la souveraineté des Etats. Aujourd’hui ce droit a fait place au devoir d’intervention humanitaire. Si la formule est plus nuancée le principe reste le même. On revient là à la nécessité d’adapter le discours pour éviter de heurter les sensibilités des opinions publiques comme des autres Etats. Le poids de la stratégie Cet équilibre instable met le militaire dans des situations trop souvent inconfortables. Notamment lorsqu’il lui est demandé d’intervenir dans un cadre illégal pour des raisons morales dont chacun sait qu’elles ne sont que partiellement fondées. A ce titre, l’intervention en Afghanistan, justifiée au motif de « lutter contre le terrorisme », est un exemple d’instrumentalisation des mots qui entraîne le militaire dans des situations plus que délicates. D’autant qu’à cet ensemble s’ajoutent des décisions stratégiques mises en œuvre par les armées, répondant à des objectifs politiques. Encore une fois, la préservation des intérêts des Etats ne s’encombre pas, dans certains cas, de la morale ou du droit. Un des exemples classiques de ce dilemme qui se pose aux militaires est celui du bombardement stratégique. Cette stratégie née durant la Grande guerre peut se résumer à l’origine par cette citation du Maréchal Foch : « Les attaques aériennes sur une grande échelle pourraient, par leurs effets 142
« Devoir et droit d’ingérence », site Internet Opérations de paix de l’Université de Montréal.
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démoralisants, créer dans le public un état d’esprit qui obligerait le gouvernement à capituler »143. La technologie aidant, et après que le concept a fait l’objet d’une réflexion stratégique durant la Première guerre mondiale de la part notamment du général italien Giulio Douhet, du maréchal britannique Hugh Trenchard et du général américain William « Billy » Mitchell, la stratégie ainsi construite s’est essentiellement concentrée sur des cibles militaro-industrielles souvent duales, sans pour cela renoncer, le cas échéant, à viser des populations ou des biens civils. Les théories développées par ces stratèges ont été, par la suite, mises en œuvre au cours de la Seconde guerre mondiale par le maréchal Trenchard luimême mais aussi par le Général Curtis LeMay. La Ruhr fut l’objet de nombreux bombardements visant à anéantir les capacités industrielles allemandes, ainsi que les villes de Hambourg en 1943144 et surtout Dresde en 1945145. De même en va-t-il, des bombardements sur le Japon dirigés par le Général LeMay146. Dans un entretien accordé à Errol Morris, Robert McNamara, secrétaire à la Défense des Etats-Unis au moment des faits, affirmait que la question ne portait pas sur la pertinence de l’utilisation des bombes incendiaires en ellesmêmes. La question était de savoir si on pouvait tuer 100 000 personnes dans le but de gagner la guerre. D’après McNamara la réponse de Curtis LeMay était sans appel : « McNamara, voulez-vous dire qu’au lieu de tuer en les brûlant 100 000 civils Japonais en une seule nuit, nous aurions dû en brûler moins ? 143
« La Guerre de l’air », édition mars 1932 du Livre des Ailes, émanation de la revue Les Ailes, cité in Michel Forget, Puissance aérienne et stratégies, ADDIM, coll. Esprit de Défense, 1996, p. 34. 144 L’opération Gomorrah fut menée du 25 juillet au 03 août 1943. Les sept raids aériens qui furent conduits firent près de 40 000 morts et 80 000 blessés. 145 Le bombardement de Dresde est, aujourd’hui encore, considéré comme l’un des plus meurtriers de l’histoire. Il fut mené du 13 au 15 février 1945 et fit plus de 300 000 morts selon le Comité International de la CroixRouge. 146 La campagne de bombardement par les B-29 américains sur les villes japonaises est une des plus sanglantes de l’histoire. 310 000 personnes périrent et 412 000 furent blessées.
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Nos soldats auraient alors dû traverser les plages de Tokyo et se faire massacrer par dizaines de milliers ? Est-ce cela que vous proposez ? Est-ce moral ? Est-ce sage ? »147 L’argument est logique et répondre à cette question impossible. Au début des années 90, le colonel américain John Warden mettra au point la théorie des cinq cercles, qui sera utilisée lors de la campagne aérienne au-dessus de l’Irak en 1990 et du bombardement audessus de la Serbie en 1999. Warden représentera l’ennemi en tant que système comprenant cinq cercles concentriques qu’il est envisageable de frapper pour le paralyser. Il est intéressant de constater que la population fait partie des objectifs potentiels148. Une morale à géométrie variable En dehors de tout jugement de valeur, on est en droit de se demander quelle aurait dû être la réaction des pilotes des bombardiers américains en sachant qu’ils allaient devoir tuer des milliers de Japonais. Plus près de nous, la question se pose également pour les bombardements menés au-dessus de la Serbie en 1999. On le voit clairement, le militaire au service des intérêts supérieurs de la nation a difficilement la possibilité de refuser de commettre un acte lourd de conséquences morales. Sur le plan du droit pur, les exactions commises auraient dû faire l’objet de procès. Mais comme chacun sait la justice des vainqueurs, qui s’est exercée à l’issue de la Seconde guerre mondiale, a totalement occulté les exactions commises par les Alliés. Il y a là aussi de quoi s’interroger sur la moralité d’une telle justice. La morale est souvent du côté du gagnant comme 147
Errol Morris, The Fog of War: Eleven lessons from the life of Robert S. McNamara, 2003. Traduction de l’auteur. 148 John A. Warden III, "Chapter 4: Air theory for the 21st century", in Air and Space Power Journal. Battlefield of the Future: 21st Century Warfare Issues, United States Air Force, 1995. Disponible sur Internet à : http://www.airpower.maxwell.af.mil/airchronicles/battle/chp4.html. Plus généralement, voir sur la stratégie aérienne, Joseph Henrotin, L’Airpower au XXIe siècle. Enjeux et perspectives de la stratégie aérienne, Bruxelles, Bruylant, 2005.
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le disait justement Robert McNamara : « LeMay disait, "Si nous avions perdu la guerre, nous aurions tous été poursuivis pour crime de guerre." Et je pense qu’il a raison. Lui, mais moi également, agissions comme des criminels de guerre. LeMay reconnaissait que ce qu’il faisait aurait été considéré comme immoral si son camp avait perdu. Mais qu’est-ce qui fait que quelque chose est immoral si vous perdez et moral si vous gagnez ? »149 Certes au moment où furent conduites ces opérations les Conventions de Genève de 1949 n’existaient pas et les grands crimes n’avaient pas été définis. Il n’en demeure pas moins que la moralité de ces actions reste discutable. Les récentes actions menées par les troupes de la coalition sur le territoire afghan150 doivent nous faire réfléchir à nos engagements futurs dans lesquels il sera de plus en difficile de différencier les civils des combattants, d’autant que l’une des caractéristiques des insurgés est de se fondre, à dessein, dans les populations civiles. Une question demeure sans réponse à l’issue de ce chapitre : quel doit être le rôle du militaire dans de telles situations ? Quel positionnement moral doit-il adopter ? Comment refuser d’agir quand la sécurité du pays est en jeu ? S’il fallait conclure ici nous pourrions considérer, à l’instar de Pierre Manent, que « parmi les illusions qui tentent notre paresse, aucune n’est plus présente aujourd’hui que celle-ci : le droit doit être, et sera de plus en plus, le seul régulateur de la vie sociale. Il est urgent de mettre au jour la vacuité de cette illusion »151. La nuance est là : le droit certes, mais pas seulement. D’autant que ce droit apparaît de plus en plus inadapté aux conflits modernes. 149
Errol Morris, The Fog of War …, op. cit.. Traduction de l’auteur. Le bombardement par les forces américaines du village d’Azizabad le 22 août 2008, avait occasionné la mort de 95 civils et déclenché la colère du Président afghan, Hamid Karzaï. Cf. « Afghanistan : Karzaï furieux contre la coalition », Le Monde, 25 août 2008. Il est intéressant de noter que dans un rapport du 08 septembre 2008, Human Rights Watch, annonçait qu’entre 2006 et 2007 le nombre de civils tués lors de bombardement aériens de la coalition en Afghanistan avait triplé pour atteindre le chiffre de 321 personnes. Cf. Human Rights Watch, “Troops in contact”, op. cit. 151Pierre Manent, op. cit., p. 283.
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2.2
L’inadaptation du droit des conflits armés
Silent enim leges inter arma : dans le fracas des armes, les lois se taisent. Cette citation, issue du Pro Tito Annio Milone ad iudicem oratio rédigé par Cicéron en 52 av. J.-C., semble être toujours d’actualité comme le souligne Monique Canto-Sperber152. Une des ambigüités des conflits modernes est l’affirmation par les Etats, d’une part, de leur volonté de réguler les conflits par le droit et, d’autre part, de la nécessité de le contourner lorsque les intérêts nationaux sont en jeu. Que ce soit au nom du principe d’humanité comme au Kosovo ou au nom de la sécurité internationale comme en Irak, les Etats, essentiellement les plus puissants, ne s’interdisent pas de s’affranchir du droit ou a minima de le contourner. La France, aujourd’hui particulièrement sollicitée sur la scène internationale, n’est pas à l’abri, à l’image des Etats-Unis, d’une telle tentation. L’art de contourner le droit Cette constatation, qui n’est en rien un jugement de valeur, a été parfaitement illustrée lorsque la France, comme nous l’avons vu précédemment, a décidé de se prévaloir de l’article 124 du Statut de Rome pour éviter de voir ses militaires déférés devant la Cour pénale internationale. Les caractéristiques des nouvelles formes de conflictualités sont pour beaucoup dans ce glissement vers une application plus que souple du droit. L’impossibilité d’appliquer un DCA périmé au regard des engagements contemporains, est un sujet qu’il est nécessaire d’aborder avec honnêteté. Les opérations clandestines hors du droit, les pratiques subversives, les manquements au droit, ne sont pas l’apanage des Etats-Unis. Dans un rapport publié le 07
152
Monique Canto-Sperber, Le bien, la guerre et la terreur, Paris, Plon, 2005, p. 254.
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juin 2006153, l’ancien procureur suisse, Dick Marty, chargé par le Conseil de l'Europe d'enquêter sur l'affaire des prisons secrètes de la CIA, soulignait que 14 pays européens étaient impliqués à des degrés divers dans les transferts forcés par l’Agence de présumés terroristes. Ces transferts, appelés « extraordinary renditions », ont bénéficié soit du silence coupable de certains pays ayant accepté d’accueillir des avions de la CIA transportant les terroristes présumés vers des lieux où ils seraient « interrogés »154, soit de l’accueil de ces prisonniers dans des prisons secrètes appartenant à la CIA155. Par ailleurs, le rapport souligne le fait qu’il est peu probable que les Etats concernés n’aient eu aucune connaissance de ces pratiques. « Toute généralisation est par définition arbitraire. Force est néanmoins de constater que la plupart des gouvernements ont fait preuve de très peu d’empressement dans l’établissement des faits allégués. L’ensemble des données récoltées rend invraisemblable que les Etats européens n’aient absolument rien su de ce qui se passait, dans le cadre de la lutte au terrorisme international, dans certains de leurs aéroports, dans leur espace aérien ou dans les bases américaines situées sur leur territoire. Dans la mesure où ils n’ont pas su, ils n’ont pas voulu savoir. Il n’est tout simplement pas imaginable que certaines opérations conduites par des services américains aient pu avoir lieu sans la participation active, ou du moins, la complaisance des services de renseignements nationaux »156.
Au final on retiendra que quel que soit le pays, le contournement du droit, si ce n’est sa violation, peut s’expliquer 153
Dick Marty, Allégations de détentions secrètes dans des États membres du Conseil de l’Europe, commission des questions juridiques et des droits de l'homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 22 juin 2006. 154 Selon le rapport Marty, c’est notamment le cas de l’Allemagne, de la Suède, de l’Italie, de la Belgique et de l’Espagne. 155 D’après le rapport Marty, c’est le cas de la Roumanie et de la Pologne. 156 Dick Marty, op. cit.
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par la nécessité d’assurer la sécurité nationale, voire internationale et par le fait que le droit international, en interdisant, par exemple, le recours à la torture157, prive les Etats d’un outil leur permettant « d’interroger » les prisonniers susceptibles de détenir des informations déterminantes. Ce droit est aujourd’hui, avec la montée du terrorisme transnational, perçu comme une contrainte et un frein à l’action de l’Etat. Les intérêts de la nation étant supérieurs à toutes autres considérations, il est donc inévitable que des dérives se produisent. C’est notamment ce qui était souligné dans un autre rapport rendu à la Commission des questions juridiques et des Droits de l'Homme en 1999 : « Les services de sécurité intérieure sont précieux aux sociétés démocratiques car ils protègent la sécurité nationale et l’ordre démocratique libre de l’Etat. Cependant, ces services placent souvent des intérêts qui leur paraissent être ceux de la sécurité nationale et de leur pays au-dessus du respect des droits de l’individu. Par ailleurs, ces services étant souvent insuffisamment contrôlés, le risque d’abus de pouvoir et de violations des droits de l’homme est élevé. Cette situation suscite l’inquiétude du rapporteur »158.
Le DCA : un parachute troué A côté de cela, la fin de la bipolarité a permis l’émergence sur la scène internationale de conflits jusque-là restés dans le giron de l’un des deux blocs. Ces conflits, souvent infraétatiques, avec leurs acteurs non-étatiques, leurs armements modernes, le développement des moyens de transport et l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la 157
Cf. Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984. 158 György Frunda, Contrôle des services de sécurité intérieure dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, commission des questions juridiques et des droits de l'homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 23 mars 1999.
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communication, ont radicalement changé de nature et de typologie. Loin d’être anodin cet état de fait a eu pour conséquence, entre autres choses, de rendre le droit des conflits armés (DCA), également appelé droit international humanitaire (DIH)159, inadapté. Cette inadaptation est essentiellement due au fait que les textes internationaux, traités et conventions, n’engagent que les parties contractantes qui ne peuvent être que des Etats. Or, la montée en puissance des acteurs non-étatiques entraîne la multiplication d’agents non formellement contraints par les règles souscrites par les nations. Cependant, il serait erroné de croire qu’en période de guerre froide, l’opposition entre les « deux grands », Etats-Unis et Union soviétique, permettait, en raison du statut d’Etat de ces deux pays et de leur souscription aux Conventions de Genève de 1949 par exemple, une application plus aisée du DCA. C’est ce qu’explique le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) qui souligne que : « Les clivages idéologiques ont fait obstacle à la mise en œuvre du droit international humanitaire et le Comité International de la Croix-Rouge, qui a pour mission d’apporter protection et assistance aux victimes de la guerre, a subi, dans le cadre de ces conflits, de douloureux échecs. (…) C’est donc une illusion de croire que, sous l’empire de la guerre froide, l’action humanitaire était plus facile ou que le droit humanitaire était mieux respecté. Les difficultés auxquelles s’est heurtée l’action humanitaire étaient différentes de celles
159
Il n’existe aucune différence entre les deux appellations. La distinction entre le DCA et le DIH a pour unique vocation de permettre de ne heurter ni les militaires, souvent réservés face au mot « humanitaire », ni les humanitaires pour qui le vocable de « droit des conflits armés » peut être perçu comme une légitimation des dits conflits armés par le droit. Cf. Comité International de la Croix-Rouge, Droit international humanitaire Réponse à vos questions, avril 2003.
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auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés ; elles n’étaient pas moindres »160.
Pourtant, force est de constater qu’en dehors du cadre étatique l’application du DCA est soumise au bon vouloir des acteurs. Or, le moins que l’on puisse dire est que ces « nouveaux » acteurs n’ont pas de réelle propension à appliquer une quelconque forme de droit. Une des problématiques, soulevée par de nombreux militaires, est de savoir s’il est moralement acceptable de devoir lutter contre des adversaires dépourvus de morale, ou ayant, pour le moins, une morale très éloignée de la nôtre, et ne respectant pas le droit, en se contraignant soi-même doublement, par le droit et par la morale. Ces changements dans la typologie des conflits, ont rendu le droit des conflits armés inadapté. Le DCA est devenu un parachute troué qui ralentit suffisamment la chute pour éviter l’issue fatale, mais pas pour échapper à un éventuel handicap. Cette inadaptation n’a pas échappé aux militaires qui sont bien conscients du fait que leur action n’est plus encadrée efficacement. Né en 1864 avec la première Convention de Genève et formalisé essentiellement depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le DCA a pour vocation de réguler les guerres161 entre Etats, puis les conflits internationaux et noninternationaux. On pourrait croire de prime abord que l’intégration des conflits non-internationaux permet d’encadrer les pratiques des acteurs non-étatiques. Cependant, une convention internationale ne pouvant être signée et ratifiée que par des Etats on en déduit aisément qu’elle exclut de facto les autres acteurs. Par ailleurs certaines définitions contenues dans les textes de DCA sont soit extrêmement vagues, et donc 160
François Bugnion, « Le droit international humanitaire à l’épreuve des conflits de notre temps », Revue internationale de la Croix-Rouge No. 835, 1999 pp. 487-498. 161 Le terme s’entend ici au sens juridique de la Convention (III) de la Haye du 18 octobre 1907 relative à l’ouverture des hostilités.
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sujettes à diverses interprétations, soit complètement dépassées. Un des exemples les plus marquants est celui de la définition du combattant. La distinction entre combattant et non-combattant est au cœur même du DCA puisque ce dernier a notamment pour objectif de limiter les méthodes et les moyens d’actions utilisés lors des conflits pour assurer, entre autres, la protection des populations civiles et des non-combattants. La qualification de combattant fait l’objet d’une définition contenue dans le Protocole II de 1977 additionnel aux Conventions de Genève. L’article 43 dispose en effet que : « Les forces armées d'une Partie à un conflit se composent de toutes les forces, tous les groupes et toutes les unités armés et organisés qui sont placés sous un commandement responsable de la conduite de ses subordonnés devant cette Partie, même si celle-ci est représentée par un gouvernement ou une autorité non reconnus par une Partie adverse. Ces forces armées doivent être soumises à un régime de discipline interne qui assure, notamment, le respect des règles du droit international applicable dans les conflits armés ». Cette définition n’inclut nullement les groupes non-étatiques, insurgés ou terroristes. L’importance de la qualification de combattant prend tout son sens si l’on sait qu’elle détermine l’octroi du statut de prisonnier de guerre162. Ce statut conférant lui-même des droits au prisonnier, parmi lesquels ceux de communiquer avec sa famille, et surtout de n’être tenu de décliner, en cas d’interrogatoire, « que ses nom, prénoms et grade, sa date de naissance et son numéro matricule ou, à défaut, une indication équivalente »163. Lorsque des individus se voient reconnaître ce statut, ils ne sont tenus en aucun cas de donner des informations sur les activités de l’organisation au sein de laquelle ils ont combattu. Cette limitation est, comme nous l’avons vu précédemment, mal perçue par les Etats qui se trouvent dans l’impossibilité 162
Article 44-1 du Protocole II : « Tout combattant, au sens de l'article 43, qui tombe au pouvoir d'une partie adverse est prisonnier de guerre ». 163 Article 17 de la Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949.
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d’obtenir des informations déterminantes pour la sécurité nationale ou internationale. D’autre part, si l’on se réfère à la 3ème Convention de Genève de 1949 relative au traitement des prisonniers de guerre, outre « les membres des forces armées d'une Partie au conflit, de même que les membres des milices et des corps de volontaires faisant partie de ces forces armées », l’octroi du statut de prisonnier de guerre est soumis à quatre conditions. Les personnes concernées se doivent : « a) d'avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés ; b) d'avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance ; c) de porter ouvertement les armes ; d) de se conformer, dans leurs opérations, aux lois et coutumes de la guerre »164. En regardant les différents critères on s’aperçoit rapidement de l’impossibilité de les appliquer aux insurgés et autres « terroristes »165. C’est autour de cette question qu’est né le débat sur le recours à la torture par les Etats-Unis à Abou Ghraib et à Guantanamo. Evitons de nous laisser aller à un angélisme consistant à considérer que ces dérives ne sont possibles qu’outre-Atlantique. Au cours de son histoire, la France a déjà été amenée à sombrer dans ce genre de travers. A chaque fois, en France comme aux Etats-Unis, ces pratiques ont été perpétrées par des militaires et des personnels des services qui, malgré l’immoralité des actes commis, ont participé à leur commission à divers degrés166. Enfin, soulignons que le militaire n’est aujourd’hui plus protégé efficacement par le droit. L’interdiction du recours à la guerre offensive par la Charte des Nations Unies167 a mis le 164
Id. article 4. Le mot terroriste employé comme substantif est mis entre guillemets pour souligner le fait qu’il n’existe pas de définition communément acceptée du terrorisme. De fait, ce mot, à forte connotation péjorative, est très souvent utilisé de manière arbitraire pour stigmatiser un individu ou un groupe. 166 Errol Morris, Standard Operating … op. cit.. Jameel Jaffer et Amrit Singh, op. cit. 167 L’article 2§4 de la Charte des Nations Unies dispose que : « Les membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité 165
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militaire dans une situation inconfortable. Si une guerre n’est pas formellement déclarée par le Parlement au titre de l’article 35 de la Constitution, il n’est pas possible pour le militaire français de déroger à la procédure pénale régulière. De fait les différents engagements de la France au titre des opérations extérieures posent le problème de la responsabilité pénale des militaires et de leur protection sur le plan juridique. Les opérations extérieures françaises, bien que souvent menées dans des contextes de conflits violents, ne s’insèrent pas dans le modèle classique de guerres menées par la France. Le droit applicable aux militaires qui y participent est par conséquent le droit pénal national du temps de paix. Or, le droit du temps de paix prévu par le Code pénal français envisage l’usage de la force exclusivement pour la légitime défense conditionnée des personnes et des biens168. Par conséquent, la possibilité de recours à la force par les militaires français déployés en opérations extérieures est extrêmement limitée. Cette situation grève bien évidemment la sécurité des militaires qui, comme nous l’avons vu, sont confrontés à des adversaires pour lesquels le recours à la force ne souffre pas de limites. Guerre ou conflit ? Cette problématique est intimement liée au difficile débat autour de la pertinence du mot « guerre ». La guerre est reconnue par de nombreux auteurs comme un phénomène social aussi ancien que l’humanité elle-même. Gaston Bouthoul, dans son livre Le phénomène guerrier, affirme que la guerre « paraît tellement évidente à tous, des plus civilisés aux plus frustes, tellement mêlée à la vie des peuples et des individus, liée à leurs préoccupations, évoquée à chaque instant par leurs légendes et leur histoire, que l’on ne songe guère à la définir »169. Définir la territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». 168 Conditions de nécessité et de proportionnalité entre autres. 169 Gaston Bouthoul, Le phénomène guerre, Paris, Editions Payot & Rivages, 2006, p. 41.
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guerre est un exercice périlleux. Nombreux sont ceux qui s’y sont essayés. La typologie des guerres est complexe et dépend tant de l’environnement géographique que de l’accès aux ressources, de la population, des idéologies, des religions, des motivations des acteurs, des types d’acteurs, des moyens financiers, humains et technologiques disponibles, et de nombre d’autres facteurs. Le droit lui-même n’a pas défini clairement la guerre. Gaston Bouthoul nous apprend que « la guerre est un contrat », une manifestation de « violence organisée », une manière comme une autre de résoudre les différends170. Allant plus loin, il écrit que la guerre est le passage obligé du règlement des différends en l’absence d’une autorité supranationale, d’« une juridiction habilitée à trancher leurs conflits »171. Cette conception de la guerre se retrouve chez Clausewitz qui considère que la guerre n’est autre que la continuation de la politique par d’autres moyens, ainsi que chez Raymond Aron qui souligne l’absence d’autorité supranationale détentrice, selon la formule de Max Weber, de la violence légitime au plan international172. On constate dès lors que la guerre est surtout un phénomène politique, un outil au service d’entités constituées, aujourd’hui formalisées par les Etats, poursuivant des objectifs politiques. Ces entités peuvent être diverses et variées, cependant les Etats sont au cœur du phénomène guerrier au moins depuis les traités de Westphalie173. Pour ces derniers la guerre est donc un des moyens disponibles pour régler les différends qui les opposent. C’est cette pratique, reconnue comme un attribut essentiel de la souveraineté, que le droit positif a tenté de réguler à partir du 19ème siècle174. Ce ne sera qu’en 1945, avec la Charte des Nations Unies que le recours à la force à des fins offensives sera 170
Ibid., p. 52. Ibid., p. 53. 172 Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 2004. 173 Charles-Philippe David, La guerre et la paix – Approches contemporaines de la sécurité et de la stratégie, Paris, Presses de Sciences-Po, 2000, p. 128. 174 Jean Combacau et Serge Sur, Droit international public, Paris, LGDJMontchrestien, 6e édition, 2004, pp. 614-617. 171
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formellement prohibé175. Cette interdiction, qui s’applique exclusivement aux Etats, s’est doublée d’un glissement sémantique vers le concept de conflit armé tel que défini par l’arrêt rendu par le Tribunal pénal international pour l’exYougoslavie en 1999176, qui inclut des acteurs autres qu’étatiques. Quoi qu’il en soit la question de la qualification d’un conflit reste un débat central notamment au travers de l’instrumentalisation du mot « guerre ». Ce mot qui nous renvoie, consciemment ou non, à des schémas de violence intense, est utilisé à dessein par les responsables politiques et les médias pour justifier ou condamner les actions dans lesquelles sont engagées les armées françaises comme nous l’avons vu précédemment. Le problème demeure pour le militaire de savoir dans quel cadre s’inscrit son action et de fait les limites et contraintes auxquelles il est soumis. Le droit des conflits armés tel qu’il existe aujourd’hui est très largement inadapté aux nouveaux types de conflits et laisse le militaire français désarmé face à des situations pour le moins floues. Si le militaire ne peut plus s’appuyer sur la règle de droit il est alors parfois confronté à un dilemme moral consistant à faire un choix entre le risque de l’inaction au titre du principe de précaution, et l’action qui engage sa responsabilité juridique et morale. Lorsque la règle de droit devient inopérante, que reste-t-il sinon la norme morale ? 2.3
La morale comme alternative au droit
Nous l’avons vu le droit fait défaut. Son application présente aujourd’hui au moins deux problèmes majeurs. En premier lieu, le recours à la force reste une prérogative de l’Etat qu’il est malaisé, si ce n’est impossible, d’interdire. Ensuite il est évident que le droit est aujourd’hui trop souvent en décalage par 175
Cf. article 2§4 de la Charte des Nations Unies. Le Procureur c/ Dusko Tadic, alias "Dule", Chambre d’Appel, Arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, 2 octobre 1995, §70.
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rapport à la réalité des nouvelles formes de conflictualités. De fait, en l’absence de balises juridiques adéquates établissant clairement les règles à respecter, il est de plus en plus souvent fait appel à l’argument moral pour justifier des actions illégales. Le militaire se voit dès lors confier la difficile tâche d’agir moralement et en conformité avec le droit, alors même que le cadre de son action peut être immoral et/ou illégal. Ce type de situation est d’autant plus délicat, que le recours à la force a souvent comme but officiel le rétablissement du droit, voire d’un droit. La morale de la puissance Hobbes considérait que l’on « trouve dans la nature humaine trois causes principales de conflit : premièrement, la compétition ; deuxièmement, la défiance ; troisièmement, la gloire. La première pousse les hommes à attaquer pour le profit, la seconde pour la sécurité et la troisième pour la réputation »177. Selon lui, c’est « l’égalité des aptitudes » qui entraîne « l’égalité dans l’espérance que nous avons de parvenir à nos fins »178. A y regarder de plus près, ces constatations faites par Hobbes, peuvent aisément être transposées de l’individu à l’Etat179. La compétition pour la puissance qui permet d’assurer la survie de l’Etat est au centre de la théorie réaliste en relations internationales : les Etats vivent dans cet état de nature, si cher à Hobbes, qui se caractérise par une certaine forme d’anarchie et de lutte pour le pouvoir. Les velléités de puissance régionale dont font montre la Syrie, l’Iran, l’Arabie Saoudite, Israël ou encore l’Egypte sont des facteurs déterminant les relations 177
Thomas Hobbes, op. cit., p. 224. Ibid., p. 222. 179 L’analogie domestique est une pratique courante en relations internationales. Elle permet de transposer un comportement attribué à un individu à un groupe d’individus, voire à un Etat. Cependant cette analogie trouve sa limite dans le fait que l’Etat n’est pas une personne douée de raison et capable d’opérer des choix rationnels. L’Etat, comme n’importe quel groupe social, est une agglomération d’individus aux motivations diverses et aux intérêts tantôt convergents tantôt divergents.
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internationales conflictuelles dans la zone proche-orientale. De même, la compétition pour s’approprier des ressources ou des facteurs de puissance peut être rapprochée de la compétition évoquée par Hobbes. Par ailleurs, c’est la défiance dont fait preuve un Etat vis-à-vis d’un ou plusieurs autres, ainsi que la perception de la menace qui en résulte, qui justifient l’escalade pouvant mener jusqu’au conflit. La guerre froide, et son apogée lors de la crise des missiles de Cuba, en est un exemple. Enfin, la quête de gloire peut s’apparenter à la volonté de peser sur la scène internationale. Cette volonté d’asseoir sa réputation est notamment au cœur de la politique étrangère de la France et de nombreux autres pays, même si tous n’emploient pas les mêmes stratégies pour arriver à leurs fins. Il est évident que la volonté clairement affichée par la France d’être un acteur majeur des relations internationales heurte parfois nos voisins allemands mais aussi américains. Sans aller jusqu’au conflit, la position particulière de la France ainsi que ses ambitions sur la scène internationale sont à l’origine de nombreuses tensions180. Comme les individus, les Etats estiment avoir des droits égaux. Il faut souligner ici que cette égalité a été gravée dans le marbre de la Charte des Nations Unies qui affirme que « l'Organisation est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses Membres »181. Cette égalité souveraine explique l’impossibilité, à laquelle la communauté internationale est confrontée, de mettre en place un système supranational capable d’imposer efficacement et effectivement, un régime de sanction. De fait il est impossible de contraindre un Etat à agir contre ce qu’il considère être ses intérêts. Le droit international est donc totalement inopérant lorsque les Etats n’acceptent pas de s’y
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Les différends apparus à l’occasion de la guerre du Golfe en 2003 ou de la crise russo-géorgienne en 2008 sont là pour le prouver. Si la France admet que le couple franco-allemand est le moteur de l’Union européenne, elle n’en essaie pas moins d’avoir une position dominante au sein de ce couple, comme l’ont montré la présidence française de l’UE au second semestre 2008 et la question de l’Union pour la Méditerranée. 181 Article 2§1 de la Charte.
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soumettre182. Le droit des conflits armés ne fait pas exception, d’autant que lorsque l’on parle de recours à la force, on touche au cœur même de la souveraineté. Il n’est qu’à voir les difficultés inhérentes à la mise en place de la Politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne. Une des principales difficultés est de savoir dans quelles limites il est acceptable, et désirable, pour un Etat membre de mettre son outil militaire sous le contrôle d’une autorité supranationale. Le respect de la souveraineté étatique, et de son corollaire qu’est le droit d’assurer sa sécurité, est donc un frein à l’application pleine et entière du droit international. C’est ce qui explique les nombreuses violations ou les contournements de ce droit par de nombreux Etats. A ce titre la France n’a pas hésité à suivre l’OTAN lors du bombardement au-dessus de la Serbie en 1999 alors même qu’aucune résolution d’action du Conseil de sécurité de l’ONU n’avait légitimé a priori cette action. Le droit : entre utopie et réalité Il est clair que le droit présente un fort décalage avec la réalité du terrain. Les nouveaux acteurs des conflits n’étant plus exclusivement étatiques, il est impossible de leur faire appliquer un droit qui n’engage techniquement que les Etats. De même, il est aujourd’hui difficile pour un militaire d’appliquer un droit qui n’envisage pas l’ensemble des situations de conflits modernes et qui n’est pas respecté par ses adversaires. Le militaire français est tenu de respecter les règles du droit international applicables aux conflits armés183. C’est là un impératif, supposé catégorique, auquel il est difficile de se tenir si l’on considère qu’un Etat peut, s’il le juge nécessaire, engager 182
C’est notamment le cas de la Cour Internationale de Justice qui n’est compétente que si les parties se soumettent à sa juridiction. Cf. Statut de la Cour Internationale de Justice, disponible sur Internet à : http://www.un.org/french/aboutun/icjstatute/pdf/icjstatute.pdf 183 Article 9 bis - « Respect des règles du droit internationale applicable aux conflits armés » du Règlement de discipline générale de 1974. Décret n° 2005-796 du 15 juillet 2005 relatif à la discipline générale militaire.
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son outil militaire dans une action illégale et surtout dans des conflits complexes où l’application du droit est délicate. Comme les soldats d’autres nations, les militaires français sont aujourd’hui confrontés à des situations où des choix pouvant être jugés rationnels peuvent s’avérer contraires au droit. Le cas de l’ivoirien Firmin Mahé, tué par des militaires français de la « force Licorne », peut apporter un éclairage intéressant sur ce point. Dans ce cas précis les militaires français auraient été amenés à commettre un acte illégal, suite à un ordre implicite de leur hiérarchie184, pour mettre fin aux exactions commises par M. Mahé. Firmin Mahé n’était pas un combattant, cependant il était un « coupeur de route »185 et avait à son actif de nombreux viols et meurtres. Ces coupeurs de route, qui agissent essentiellement en Afrique sub-saharienne, font partie de ces acteurs non-étatiques des conflits avec lesquels les militaires doivent désormais composer. Le droit applicable est alors difficile à maîtriser, d’autant que les opérations menées par les armées françaises ne s’inscrivent plus dans le cadre de guerres à proprement parler. Par conséquent, les règles du DCA enseignées aux militaires deviennent d’application hasardeuse et le militaire se trouve bien souvent démuni. Le choix fait dans le cas de Firmin Mahé, quand bien même il est illégal, est un choix rationnel dans le sens où il visait à mettre fin aux agissements d’un coupeur de route susceptible de porter préjudice à l’action de la force Licorne mais également à la sécurité des biens et des personnes dans la zone.
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Le Colonel Burgaud, Chef de corps des soldats ayant exécuté Firmin Mahé, avait à l’époque des faits, déclaré que le Général Poncet, alors Commandant en chef de la « force Licorne », « aurait donné un ordre implicite ayant conduit à la mort de Mahé ». « L'ancien chef de "Licorne" mis en examen », Le Figaro, 14 décembre 2005 ; « Le Général Poncet maintient sa version », Nouvelobs, 23 juin 2008. 185 Les actions des coupeurs de routes peuvent aller de l’agression simple à la participation à des rebellions en passant par le viol et le meurtre. Ils sont parfois utilisés par les Etats pour mener des actions sur un territoire tiers. C’est notamment le cas au Tchad et au Soudan.
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L’avènement de la morale ou l’échec du monde kantien Il est intéressant de noter que le flou entourant l’application du droit des conflits armés a entraîné une résurgence de la morale comme argument de légitimation du recours à la force. En 2003, le Président Georges W. Bush justifiait l’intervention américaine en Irak en affirmant à la radio : « Notre cause est juste : la sécurité de la nation au service de laquelle nous sommes et la paix du monde »186. Un des arguments invoqués alors, était le but humanitaire de l’intervention destinée à libérer le peuple irakien du joug de Saddam Hussein187. Cet argument avait par ailleurs été clairement critiqué par l’organisation Human Rights Watch (HRW) dans un rapport datant de janvier 2004. Kenneth Roth le Directeur de HRW, y affirmait que, « en dépit de l’horreur des règles imposées par Saddam Hussein, l’invasion de l’Irak ne peut être justifiée par l’intervention humanitaire »188. Pourtant, Richard Perle avait admis en novembre 2003 que l’intervention était illégale tout en soulignant que, dans ce cas précis, le droit international était une entrave au bien189. Il expliquera par ailleurs dans un article publié dans le journal The Guardian, que les Etats-Unis avaient eu les « meilleures intentions du monde »190. On retrouve ici la 186
Georges W. Bush, President Discusses Beginning of Operation Iraqi Freedom – President’s Radio Address, 22 mars 2003. Disponible sur Internet à: http://georgewbushwhitehouse.archives.gov/news/releases/2003/03/20030322.html. Traduction de l’auteur. 187 Ibid. 188 Kenneth Roth, “War in Iraq: Not a Humanitarian Intervention” in Human Rights Watch World Report 2004, janvier 2004. Disponible sur Internet à : http://www.hrw.org/legacy/wr2k4/download/wr2k4.pdf. 189 Richard Perle, "I think in this case international law stood in the way of doing the right thing." Propos rapportés par Oliver Burkeman et Julian Borger, War critics astonished as US hawk admits invasion was illegal, The Guardian, 20 novembre 2009. Disponible sur Internet à : http://www.guardian.co.uk/uk/2003/nov/20/usa.iraq1 190 Richard Perle, We had the very best of intentions, The Guardian, 30 mai 2007. Disponible sur Internet à : http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2007/may/30/itdoesntmatte rhowwegothe
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difficulté évoquée plus haut, consistant à justifier une intervention illégale par l’argument moral. Dans cette optique de justification, dès 1999 le Premier ministre britannique, Tony Blair, expliquait à Chicago qu’une décision d’intervention devait être prise en fonction des réponses données à cinq questions majeures : « Tout d’abord, sommes-nous sûrs de nous ? La guerre est un instrument imparfait pour apporter des solutions à la détresse humanitaire ; cependant la force armée est parfois le seul moyen de traiter avec des dictateurs. Deuxièmement, avons-nous épuisé toutes les options diplomatiques ? Nous devrions, comme nous l’avons fait au Kosovo, toujours explorer toutes les solutions menant à la paix. Troisièmement, en se fondant sur une évaluation pratique de la situation, pouvons-nous envisager raisonnablement et prudemment d’engager des opérations militaires ? Quatrièmement, sommes-nous prêts à un engagement sur le long terme ? Par le passé nous avons trop parlé de stratégies de sortie. Pourtant, dès lors que nous nous sommes engagés nous ne pouvons simplement partir une fois le combat terminé ; il est préférable de maintenir un nombre limité de troupes que d’en engager un grand nombre à plusieurs reprises. Et, pour finir, avons-nous des intérêts nationaux en jeu ? Bien que l’expulsion massive d’Albanais du Kosovo demandait l’attention du reste du monde, le fait que cela ait eu lieu dans une zone de forte tension en Europe a fait une différence »191.
On retrouve dans ce discours les critères de la guerre juste : juste cause, recours à la guerre en dernier ressort, chance raisonnable de succès, proportionnalité (est-ce que les bénéfices de l’intervention sur le long terme sont supérieurs aux pertes
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Tony Blair, Doctrine of the International Community, discours devant l’Economic Club de Chicago, 24 avril 1999. Disponible sur Internet à : http://www.number10.gov.uk/Page1297. Traduction de l’auteur.
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sur le court terme ?) et l’intention droite192. Le 08 avril 2002, M. Blair se prononçait en faveur d’interventions visant à lutter au nom des valeurs occidentales193. Cet argument moral a, par la suite, été utilisé par Dominique de Villepin dans son célèbre discours devant les Nations Unies194 pour s’opposer à la seconde intervention en Irak. Il y reprenait les arguments développés par Tony Blair pour montrer que les critères n’étaient pas réunis et expliquer que, par conséquent, la France ne pouvait et ne voulait participer à cette intervention. Plus récemment le Président Sarkozy a repris l’argument moral à son compte pour justifier la participation de la France au conflit en Afghanistan après la mort de 10 soldats français à Uzbin195. « Vous défendez ici les Droits de l’Homme, et plus particulièrement les droits de la femme » affirmait alors le Président de la République, pour ensuite insister sur l’amélioration du sort des « petites filles » et des « femmes » en Afghanistan. On relève ici une volonté politique de justifier par des arguments moraux la mort de soldats français envoyés dans 192
Cette idée a été présentée lors d’une analyse de ce discours faite par M. Peter Lee, professeur au King’s College de Londres et au Royal Air Force College de Cranwell, à l’occasion du séminaire de Droit des conflits armés qui s’est tenu aux Ecoles d’officiers de l’Armée de l’air de Salon de Provence les 21 et 22 avril 2009. On retrouve également ces critères dans l’ouvrage de Gordon Graham, op. cit., p. 60. 193 « Je me prononce pour un intérêt éclairé qui met le combat pour nos valeurs directement au cœur des politiques nécessaires à la protection de nos nations. Un engagement dans le monde fondé sur ces valeurs, pas un isolationnisme issu du pragmatisme réaliste du 21ème siècle ». Tony Blair, Speech at the George Bush Senior Presidential Library, 07 avril 2002. Disponible sur Internet à : http://www.number10.gov.uk/Page1712. Traduction de l’auteur. 194 Intervention de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre français des Affaires étrangères, lors de la 4707e séance du Conseil de sécurité des Nations Unies, 14 février 2003, doc. S/PV.4707, pp. 12-15. Document disponible sur Internet à : http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/PRO/N03/248/20/PDF/N03 24820.pdf?OpenElement. 195 Nicolas Sarkozy, Allocution de M. le Président de la République à Kaboul, 20 août 2008. Disponible sur Internet à : http://www.elysee.fr/documents/index.php?mode=cview&cat_id=7&pr ess_id=1704&lang=fr.
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un conflit qui reste nébuleux dans ses motivations réelles, en arguant du fait que la situation « humanitaire » s’est améliorée sur le territoire afghan. Sur un plan purement moral, on serait en droit de se demander s’il est acceptable de mettre en balance la vie de soldats français et le bien-être des populations afghanes. On serait en droit également de se demander s’il est moralement acceptable de distinguer les droits de l’homme et les droits de la femme, étant entendu que dans le vocable « Droits de l’Homme », « Homme » s’entend au sens de l’Humanité dans son ensemble, dont les femmes. La realpoltik impose parfois que la politique prime sur les considérations morales et l’argument moral s’avère dès lors être un outil au service de communication à destination des opinions publiques. Cette instrumentalisation de la morale peut permettre de justifier des actions illégales, des morts ou encore des excès découlant de la participation à de nouvelles formes de conflictualités. Les interventions « humanitaires » Ces interventions à vocation « humanitaire » font aujourd’hui l’objet de nombreux débats. L’instrumentalisation du concept à des fins politiques est bien évidemment largement critiquée par certaines organisations non gouvernementales au premier rang desquelles le CICR. C’est cette instrumentalisation qui fait dire à François Bugnion, ancien Directeur du CICR, que « l’utilisation du terme humanitaire pour qualifier et même pour justifier le recours à la force des armes soulève également des questions délicates. Elles ne peuvent manquer de préoccuper des organisations dont les possibilités d’action sont tributaires de l’accord des parties au conflit »196. La moralité de telles interventions peut être largement questionnée. Peut-on intervenir au nom d’un prétendu devoir d’intervention humanitaire sur le territoire d’un Etat, reconnu souverain par l’ONU, sans son accord préalable ? Plusieurs réponses peuvent 196
François Bugnion, op. cit.
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être données. La première consiste à dire que dans le cas d’un Etat « défaillant » la souveraineté n’est plus un attribut dont peut se prévaloir le dit Etat. Si un Etat n’est plus en mesure d’assurer la sécurité de ses ressortissants à l’intérieur de ses frontières, il perd de facto tout droit à souveraineté étant entendu que la raison d’être de l’Etat est le contrat social197 qui le lie à sa population. Par ailleurs, dans le système international westphalien l’Etat est au fondement de la stabilité internationale. S’il s’avère incapable d’assurer ses responsabilités internationales, il met en danger les autres Etats qui, voyant leurs intérêts menacés, s’arrogent le droit d’intervenir pour rétablir la sécurité. Le concept d’« Etat failli » est devenu très à la mode à la suite d’un article de Gerald Hellman et Steven Ratner, Anarchy Rules: Saving Failed States198, dans lequel les deux auteurs désignaient par Failed States des Etats se trouvant incapables d’assumer leur rôle au sein de la communauté internationale. L’idée sera reprise dans la National Security Strategy des Etats-Unis en 2002 puis fera l’objet d’un index élaboré par le magazine Foreign Policy et le think tank américain Fund for Peace199. Une autre réponse repose sur l’idée qu’il existe une responsabilité de chaque Etat vis-à-vis des ressortissants des autres Etats. L’Etat est le garant du bien-être et de la sécurité de ses ressortissants. Cependant, d’un point de vue moral cette responsabilité peut être étendue et il peut être considéré que l’Etat n’a pas une responsabilité exclusive à l’égard de ses seuls ressortissants. Ainsi les responsables politiques auraient 197
Le concept est entendu ici au sens large des théories du contrat social telles que définies par Thomas Hobbes, John Locke et Jean-Jacques Rousseau. Cf. plus particulièrement Thomas Hobbes, op. cit., pp. 281-289. 198 Gerald B. Hellman et Steven R. Ratner, “Anarchy Rules: Saving Failed States”, Foreign Policy, Spring 1993. Disponible sur Internet à : http://www.foreignpolicy.com/Ning/archive/archive/089/saving_failed _states.PDF 199 Le Failed Sattes index 2010 est disponible sur Internet à : http://www.fundforpeace.org/web/index.php?option=com_content&tas k=view&id=99&Itemid=140.
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également un devoir envers les citoyens des autres pays200, idée par ailleurs rejetée par les tenants du réalisme pour qui la seule responsabilité de l’Etat est sa survie propre. De fait si un Etat ne parvient pas à assumer ses responsabilités sur le plan national il reviendrait alors à la communauté internationale de porter assistance aux populations concernées. Cependant, et comme le souligne François Bugnion : « … faut-il recourir à la force pour prévenir les violations graves du droit international humanitaire ou pour y mettre un terme, pour arrêter des massacres, rétablir l’ordre dans un pays déchiré par la guerre civile, ou permettre aux réfugiés de rentrer chez eux ? Telle est la question à laquelle la communauté internationale se trouvera confrontée. La guerre pour rétablir le droit, la guerre pour protéger les victimes de la guerre, tel était bien l’un des enjeux de la récente intervention des forces de l’OTAN au Kosovo »201.
Le droit semble s’opposer à tout type d’intervention violant le principe de souveraineté, et ce, quels que soient les motifs avancés202. L’intervention au Kosovo, présentée comme humanitaire faute de légalité, est à ce titre inquiétante. Comme le souligne Serge Sur, « un recours à la force, même au nom du droit international et dans un contexte apparemment institutionnel, celui de l’OTAN, sans autorisation préalable du Conseil de sécurité et en dehors de la légitime défense, ne peut qu’inquiéter »203. Cela est bien évidemment valable quel que soit le motif invoqué pour justifier l’intervention. Comment doit alors agir un militaire qui, confronté à des formes de conflictualités n’entrant pas dans le cadre du droit des conflits armés, est appelé à recourir à la force ? Si la balise 200
Gordon Graham, op. cit., pp. 35-38. François Bugnion, op. cit. 202 Gordon Graham, op. cit., pp. 97-122 203 Serge Sur, « L’affaire du Kosovo et le droit international : points et contrepoints », A.F.D.I. 1999, pp. 280-291. Disponible sur Internet à : http://www.afri-ct.org/membres/sergesur/spip.php?article90. 201
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que représente le droit est absente, floue ou bafouée par les Etats, que reste-t-il au militaire ? Il semble qu’en l’absence de règles clairement établies le militaire ne puisse plus compter que sur les normes morales qui lui ont été inculquées par son environnement ou au sein des armées. Il doit alors opérer des choix de raison qui lui imposent de développer une éthique, c'est-à-dire une appréciation personnelle de la situation et de la conduite à tenir en prenant en compte non seulement le droit existant, mais également les normes morales spécifiques à son pays d’appartenance, ses croyances, sa culture, les normes que lui imposent les armées, ainsi que le contexte dans lequel il évolue. Cependant, peut-on légitimement demander à un militaire d’inscrire son action dans un cadre légal et moral si sa mission se trouve, quant à elle, hors de ce cadre ? Quel est le rôle de l’Etat en la matière ? N’est-il pas tenu de garantir aux armées un cadre d’action légal ? 2.4
Le rôle des Etats, la responsabilité du politique
« La souveraineté d’un État consiste en tout premier lieu à protéger sa population204. Ni le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État ni celui de la souveraineté de cet État ne peuvent donc être invoqués pour défendre des atrocités telles que des massacres et d’autres formes de violation massive du droit international humanitaire »205. Cette citation extraite du Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale soulève le problème évoqué précédemment des interventions humanitaires. Au nom de la sauvegarde de nos intérêts et des Droits de l’Homme un petit nombre d’Etats206 se sont arrogés 204
On retrouve cette idée chez Hobbes, pour qui l’Etat est « une personne une dont les actes ont pour auteur, à la suite de conventions mutuellement passées entre euxmêmes, chacun des membres d’une grande multitude, afin que celui qui est cette personne puisse utiliser la force et les moyens de tous comme il l’estimera convenir à leur paix et à leur défense commune ». Op. cit., p. 288. 205 Défense et Sécurité nationale - Le Livre blanc, Paris, Odile Jacob/La documentation française, 2008, p. 123. 206 Il s’agit essentiellement d’Etats occidentaux dont les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France.
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le droit d’intervenir militairement ou non sur les territoires d’Etats tiers, reconnus souverains. Si la démarche est louable, elle n’en demeure pas moins discutable sur le plan moral comme sur le plan juridique. L’argument moral, mis en avant en appui d’un réalisme tourné vers la protection des intérêts des Etats, a du mal à susciter une adhésion universelle. Ce « réalisme moral » appliqué aux interventions humanitaires mérite donc d’être un tant soit peu approfondi pour essayer de comprendre quel est le rôle des Etats dans les actions jugées immorales par ceux qui les subissent et morales par ceux qui les conduisent. La question mérite d’autant plus d’être traitée que les militaires sont très souvent aux avant-postes des opérations qui en découlent. Si le politique décide d’engager des forces dans de telles opérations il paraît évident que la responsabilité morale lui incombe. De fait nous sommes en droit d’estimer que le militaire en est quant à lui déchargé, au moins partiellement. Vers la fin de la souveraineté étatique ? Bien que la notion d’« affaires intérieures » a perdu de sa pertinence dans notre monde globalisé, l’idée d’ingérence pour des motifs humanitaires n’a pas créé de consensus apte à fournir une base juridique à cette pratique207. Si certains Etats, comme la France, y voient un moyen de préserver leurs intérêts en assurant la stabilité internationale, d’autres comme la Chine, l’envisagent comme un cheval de Troie au service d’une ingérence qu’il serait difficile de contrôler. L’idée, donc, d’accepter le principe d’une intervention humanitaire en violation de la souveraineté étatique, se heurte à la volonté des 207
« Intervention militaire et droit d’ingérence en question », in Paul Quilès et Alexandra Novosseloff, Face aux désordres du monde, Campoamor, 2005, p. 225-250 ; également publié dans la revue polonaise Stosunki Miedzynarodowe – International Relations, n° 1-2, 2006, p. 69-80. Disponible sur Internet à : http://www.afri-ct.org/membres/sergesur/spip.php?article92.
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Etats et à la règle de droit qui s’y oppose clairement208. Si la France considère que « les Droits de l’Homme ne s’opposent pas plus à la souveraineté des États qu’ils ne s’opposent à la poursuite de nos intérêts »209, c’est certainement parce qu’elle n’a pas à craindre d’ingérence sur son propre sol. Au-delà même de l’intervention humanitaire, à forte connotation civile, se dessine le spectre de l’intervention militaire que l’on distingue parfois de la première en lui attribuant le vocable d’intervention d’humanité. La dernière décennie du 20ème siècle a effectivement vu l’accroissement des interventions militaires des Nations Unies. Ce « nouvel interventionnisme », essentiellement mené après la guerre froide210, a posé problème au Kosovo en 1999, quand bien même l’intervention fut validée a posteriori par les Nations Unies211. La question se posait alors de savoir si malgré les interdictions posées par le droit international, il était moral de laisser les Serbes perpétrer un génocide, contesté212, contre les Albanais du Kosovo. La position de la France fut de considérer, comme le déclara le Président Chirac, que « la situation humanitaire constituait une raison qui peut justifier une
208
C’est notamment le cas de la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies du 24 octobre 1970, qui rappelle qu’ « aucun Etat ni groupe d'Etats n'a le droit d'intervenir, directement ou indirectement, pour quelque raison que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre Etat ». C’est aussi le cas de l’article 3 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), du 8 juin 1977. 209 Défense et Sécurité nationale - Le Livre blanc, op. cit., p. 123. 210 John Baylis, James Wirtz, Eliot Cohen and Colin S. Gray, Strategy in the Contemporary World - An introduction to strategic studies, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 287. 211 S/RES/1244 (1999), Résolution 1244 adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4011e séance, le 10 juin 1999. 212 Cf. Joseph Farah, “The real war crimes”, WorldNetDaily, 29 novembre 1999. Disponible sur Internet à : http://www.wnd.com/news/article.asp?ARTICLE_ID=14861.
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exception à une règle, si forte et si ferme soit-elle »213. Ce positionnement se fondait sur le fait que les exactions commises en Serbie violaient un certain nombre de valeurs universelles dont l’exercice de la démocratie et le respect des Droits de l’Homme. L’humanitaire à l’épreuve du prosélytisme On peut dès lors, se demander si l’intervention avait pour vocation la fin du génocide ou la défense de valeurs occidentales considérées comme universelles, les deux motifs n’étant pas exclusifs l’un de l’autre. Cependant, si on accepte ce dernier motif, on prend le risque d’ouvrir la porte à toutes les dérives. Exporter la démocratie devient alors un motif légitime d’intervention militaire au nom du principe d’humanité. On voit aujourd’hui l’efficacité et les conséquences d’un tel raisonnement en Afghanistan, où la coalition après avoir tenté vainement d’imposer un système politique démocratique centralisé à un pays découpé en ethnies et tribus, envisagea le recours à un « dictateur acceptable »214. Ce recours à la force coercitive suscite d’ailleurs l’inquiétude de nombreux Etats du Proche-Orient, confrontés à la volonté des Etats-Unis de démocratiser le Grand Moyen-Orient215. En même temps si 213
Le Monde, 8 octobre 1998, cité in Djamchid Momtaz, « "L'intervention d'humanité " de l'OTAN au Kosovo et la règle du non-recours à la force », Revue internationale de la Croix-Rouge No. 837, pp. 89-101. Disponible sur Internet à : http://www.icrc.org/web/fre/sitefre0.nsf/html/5FZG3N. 214 Cette solution fut proposée par Sherard Cowper-Coles, Ambassadeur britannique en Afghanistan. “British envoy says mission in Afghanistan is doomed, according to leaked memo”, Timesonline, 2 octobre 2008. Disponible sur Internet à : http://www.timesonline.co.uk/tol/news/world/asia/article4860080.ece. « Afghanistan : l'hypothèse du «dictateur acceptable », Le Figaro, 1er octobre 2008. Disponible sur Internet à : http://www.lefigaro.fr/international/2008/10/01/0100320081001ARTFIG00492-afghanistan-l-hypothese-du-dictateur-acceptable.php. 215 Cette idée avait été proposée par les Etats-Unis aux membres du G8 en 2004 sous le nom de Greater Middle-East initiative. Cf. Tamara Cofman Wittes, “The New U.S. Proposal for a Greater Middle East Initiative: An
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l’intervention est véritablement motivée par un souci de porter secours à une population victime d’exactions, elle devient difficilement discutable sur le plan purement moral. Comme le rappelle Gordon Graham, chaque Etat a une responsabilité visà-vis des ressortissants des autres Etats216. Cette responsabilité est directement engagée lorsqu’il en va de l’intérêt de l’Etat supposé intervenir. On retrouve là l’idée, évoquée dans le Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité nationale, selon laquelle les intérêts de la France et les Droits de l’Homme ne sont pas antinomiques. Cependant on rappellera que Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères et européennes, avait affirmé qu’il y a une « contradiction permanente entre les Droits de l’Homme et la politique étrangère d’un Etat, même en France »217. Or la politique étrangère d’un Etat est entièrement tournée vers ses intérêts. Le syllogisme est alors évident et les risques de dérives importants comme le souligne Djamchid Momtaz : « La reconnaissance du droit des organisations régionales de recourir à la force armée pour mettre fin à une catastrophe humanitaire est une question préoccupante. Elle ne créerait en réalité qu'un simple "droit d'ingérence humanitaire" en faveur de ces organisations régionales, qui resteraient libres de recourir à la force d'une manière sélective. Il y a fort à craindre que les intérêts des États membres de ces organisations et leurs impératifs de sécurité, plus particulièrement ceux de la puissance militaire dominante, soient les éléments décisifs de toute prise de décision de recourir à la force armée. L'humanitaire risquerait ainsi d'être un paravent permettant aux Evaluation”, Brookings Institution, 10 mai 2004. Disponible sur Internet à : http://www.brookings.edu/papers/2004/0510middleeast_wittes.aspx. Pour le texte de la proposition cf. “G-8 Greater Middle East Partnership Working Paper”, Middle East Intelligence Bulletin, 13 février 2004. Disponible sur Internet à : http://www.meib.org/documentfile/040213.htm. 216 Gordon Graham, op. cit.pp. 35-36 217 Henri Vernet, Dominique de Montvalon et Charles de Saint, op. cit.
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grandes puissances de mener à bien leur propre politique »218.
Les motivations de l’intervention française au Rwanda font, à ce titre, débat. L’appui fourni par la France aux Forces armées rwandaises (FAR) et au gouvernement du Président Juvénal Habyarimana, dont la politique anti-tutsi était connue par les autorités françaises, a été très vertement critiqué. La France, en alimentant les FAR en armes et en fournissant une assistance opérationnelle militaire et d’instruction219, a été accusée d’avoir favorisé indirectement les exactions qui ont mené au génocide perpétré au Rwanda entre le 6 avril et le 4 juillet 1994. Cette participation indirecte au conflit au Rwanda, avouée par le conseiller de la Présidence, M. Dominique Pin220, a été soulignée dans un rapport de l’Assemblée nationale : « Si la France n’est pas allée aux combats, elle est toutefois intervenue sur le terrain de façon extrêmement proche des FAR. Elle a, de façon continue, participé à l’élaboration des plans de bataille, dispensé des conseils à l’Etat-major et aux commandements de secteurs, proposant des restructurations et des nouvelles tactiques. Elle a envoyé sur place des conseillers pour instruire les FAR au maniement d’armes perfectionnées. Elle a enseigné les techniques de piégeage et de minage,
218
Djamchid Momtaz, op. cit. Le 15 février 1991 a été mis en place un Détachement d’assistance opérationnelle (DAO) au Rwanda avec « pour première fonction de former et de recycler les forces armées rwandaises. (…) La directive 3146 du 20 mars 1991 (…) prévoit à la demande des autorités rwandaises, d’implanter à Ruhengeri un détachement militaire et d’instruction (DAMI) ». Rapport d’information de la Mission d’information de la Commission de la Défense nationale et des forces armées et de la Commission des Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994. 15 décembre 1998. 220 « Notre stratégie indirecte d’appui aux forces armées rwandaise a atteint ses limites ». Lettre de Dominique Pin, Conseiller de la Présidence adressée le 2 mars 1993 au Président de la République.
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suggérant pour cela les emplacements les plus appropriés »221.
La France a, dans ce cas, défendu au travers d’une logique utilitariste. La crainte de voir les Etats-Unis prendre pied dans son pré-carré africain, a amené la France à se positionner en faveur d’un gouvernement rwandais dont les dérives étaient connues. Les moyens employés alors répondaient à des attentes en termes de conséquences pour la France. La morale conséquentialiste de l’Etat S’il s’avère impossible de se contenter d’une logique conséquentialiste consistant à considérer les conséquences d’un acte plus que l’acte lui-même, il n’en demeure pas moins que c’est là l’argument moral le plus souvent mis en avant au niveau des Etats. Encore faut-il, a priori, pouvoir déterminer avec certitude les conséquences de l’action. Gordon Graham propose l’application de la tradition de la guerre juste et la définition de principes permettant d’encadrer moralement l’intervention d’humanité222. Cela s’avère d’autant plus important que la grande majorité des conflits modernes sont infra-étatiques, c'est-à-dire qu’ils se déroulent à l’intérieur des frontières d’un Etat et non entre Etats. Michael Pugh souligne à ce titre, que « parmi les nouvelles opérations de l’ONU, menées entre janvier 1992 et janvier 2005, toutes, à l’exception de deux (Irak/Koweït et Ethiopie/Erythrée), concernaient des conflits
221
Assemblée nationale, Rapport d’information n° 1271 déposé par la mission d’information de la commission de la Défense nationale et des forces armées et de la commission des Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la France, d'autres pays et l'ONU au Rwanda entre 1990 et 1994, 15 décembre 1998. 222 Gordon Graham, op. cit., pp. 113-116.
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internes, opposant souvent des acteurs non-étatiques, à l’intérieur et au-delà des frontières de l’Etat »223. Une des grandes questions reste de savoir si le droit prime sur la morale ou si la morale prime sur le droit. A cela s’ajoute celle de savoir si le conséquentialisme est ou non acceptable moralement lorsqu’il répond à des intérêts spécifiques. Si la morale doit primer sur le droit le système international, qui se fonde sur des accords formalisés par des traités ou des conventions, risque fort d’être mis à mal. A contrario, si le droit prime, il faudra trouver un moyen de contraindre les Etats à respecter les règles auxquelles ils ont souscrit au titre de ces différents textes. Il semble que la balance penche en faveur du droit dans la limite où la morale, relative par essence, est par trop subjective. Dès lors, dans un système westphalien, et comme le souligne François Bugnion, « c’est en premier lieu aux États qu’il appartient d’assurer le respect des traités auxquels ils ont souscrit et qu’ils se sont engagés non seulement à respecter mais à faire respecter »224. Le rôle des Etats est en effet déterminant dans la décision d’engager des forces dans une intervention humanitaire. Cette prééminence de l’Etat est particulièrement frappante lorsque l’on s’intéresse au processus décisionnel des Nations Unies. Une intervention ne peut être décidée que par le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) au sein duquel les cinq membres permanents (P5) bénéficient d’un « droit de veto » a priori. Or l’action du CSNU est largement tributaire des volontés politiques particulières des cinq grands. En raison des aspirations et des intérêts de chacun des membres du P5 les interventions peuvent être soient autorisées, soient rejetées par un ou plusieurs membres, soient conditionnées à des contreparties. La Russie et la Chine se sont notamment opposées à l’intervention en Haïti, « l’une parce qu’elle attendait l’autorisation des Nations Unies pour intervenir 223
Michael Pugh, « Peacekeeping and Humanitarian Intervention”, in Brian White, Richard Little and Michael Smith, Issues in World Politics, New York, Palgrave McMillan, 3rd ed. 2005, p. 127. Traduction de l’auteur. 224 François Bugnion, op. cit.
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elle-même en Géorgie, l’autre parce qu’elle attendait des excuses publique de la part d’Haïti pour l’invitation faite au vicePrésident de Taïwan par le nouveau Président haïtien en 1996 »225. De la même manière si l’intervention au Kosovo lancée par l’OTAN n’a pas été menée sous mandat des Nations Unies c’est parce que la Russie refusait de reconnaître la dimension humanitaire de la crise. Les interventions humanitaires sont donc loin d’être purement et simplement motivées par la défense des Droits de l’Homme. Au travers de ces interventions se joue le jeu des Etats et de leurs intérêts. Nous sommes bien loin d’un altruisme débordant de bons sentiments et, bien souvent, l’argument moral n’a pour seule vocation que de justifier une action tournée vers des intérêts particuliers comme ce fut le cas pour le Rwanda par exemple. Le principe des « dirty hands » Cette justification se fait souvent par la mise en avant des conséquences positives attendues de l’action menée. Le conséquentialisme, que l’on peut résumer par l’adage « la fin justifie les moyens »226, s’oppose à la logique déontologique qui s’attache aux obligations ou aux devoirs incombant à l’auteur de l’action227. En d’autres termes l’idée est d’agir en se focalisant sur le résultat et non sur les moyens mis en œuvre. C’est cette approche que décrit Machiavel dans les Discours sur la Première Décade de Tite Live lorsqu’il écrit : « Il est juste, quand les actions d'un homme l'accusent, que le résultat le justifie ; et lorsque ce résultat est heureux, comme le montre l'exemple de Romulus, il
225
John Baylis, op. cit., p. 298. Cette vision politique, parfois qualifiée de cynique, est très largement développée par Nicolas Machiavel dans Le Prince. Cf. particulièrement chap. XV à XXIII. « C’est pourquoi tout Prince qui voudra conserver son Etat, doit apprendre à n’être pas toujours bon, mais à user de la bonté selon les circonstances ». Nicolas Machiavel, Le Prince, Paris, Librio n° 163, 2003, p. 73. 227 Monique Canto-Sperber, Dictionnaire d'éthique …, op. cit. p. 388-396.
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l'excusera toujours »228. La théorie des dirty hands qui voit donc son origine dans les écrits de Machiavel, a été formalisée par Michael Walzer dans un article intitulé « Political Action : the Problem of Dirty Hands » paru en 1973229. Michael Walzer s’était lui-même inspiré du livre de Jean-Paul Sartre, Les mains sales, où l’auteur se posait la question de savoir si la violence de l’action révolutionnaire pouvait être justifiée par les conséquences attendues. Walzer réutilisera l’idée dans son livre, Just and Unjust Wars230, pour justifier les bombardements des villes allemandes par les Alliés durant la Seconde guerre mondiale, au nom d’une nécessité supérieure impérieuse (supreme emergency). Il y explique notamment que le droit de la guerre est un frein à l’action et que certaines mesures répondant à la peur d’un danger peuvent être prises en violation du droit231. On retrouve là un argument tendant à expliquer, au moins partiellement, les limites du DCA. De même le conséquentialisme peut expliquer certaines pratiques comme la torture. Se salir les mains pour parvenir à ses fins. Est-ce moral ? C’est une des questions posées par Robert S. McNamara, ancien secrétaire d’Etat à la Défense des Etats-Unis, interrogé par Errol Morris : « Jusqu’à quel point devons-nous faire le mal pour obtenir le bien ? Nous avons certains idéaux, certaines responsabilités. Il faut reconnaitre que parfois nous aurons à faire le mal, mais il faudra le minimiser. (…) “La guerre est cruelle. La guerre est cruauté.” C’est ce que ressentait LeMay. Il tentait de sauver le pays. Il essayait de sauver notre nation. Et dans les modalités, il était 228
Nicolas Machiavel, « Discours sur la Première Décade de Tite Live » in Jean-Marie Tremblay, Le Prince et autres textes, Les classiques des sciences sociales, Université du Québec à Chicoutimi, p. 166. Disponible sur Internet à : http://classiques.uqac.ca/classiques/machiavel_nicolas/le_prince/le_prin ce.html 229 Michael Walzer, “Political Action: The Problem of Dirty Hands” in Philosophy and Public Affairs, Vol. 2, N° 2, Winter, 1973, pp. 160-180. 230 Michael Walzer, Just and Unjust Wars – A moral argument with historical illustrations, New York, Basic Books-Perseus Books, U.S., 2000, 3rd edition, pp. 251-268. 231 Ibid., p. 251.
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prêt à perpétrer tous les meurtres nécessaires. C’est une situation très, très difficile à vivre pour des êtres humains sensibles »232. Cette question, ne doit pas rester l’apanage des seuls Etats-Unis et doit faire l’objet d’une réflexion en France comme ailleurs. Combien de morts sont nécessaires pour stabiliser l’Afghanistan, pour que la France et les autres nations de la coalition préservent leurs intérêts quels qu’ils soient ? La décision politique est là au cœur de la décision. La responsabilité de l’Etat à l’origine d’une opération est dès lors engagée et repose sur les épaules des autorités politiques ayant formalisé la décision d’intervention. Si cette décision comporte un volet militaire, il paraît clair que le militaire en tant qu’exécutant doit bénéficier d’un régime dérogatoire particulier. Or nous l’avons vu en termes de droit ce régime n’existe plus du fait de l’absence de déclaration de guerre. Sur le plan moral la question reste entière : dans cette confusion comment est censé agir le militaire ? Outil au service du politique n’est-il pas supposé être dégagé de toutes responsabilités morales par les autorités politiques elles-mêmes ? Détenteur de la force létale il est cependant tenu d’agir avec discernement et retenue. Il doit faire un usage maîtrisé de la force. On soulignera ici une forte propension chez les militaires à considérer que les décisions politiques ne doivent pas être remises en question, et ce pour au moins deux raisons. En premier lieu, le militaire est au service du politique et sujet à la règle d’obéissance233. Par conséquent il n’a aucunement le droit de contester les décisions prises par l’Etat au nom de l’intérêt de la nation. En second lieu, les militaires considèrent majoritairement que lorsque la décision d’action leur parvient, l’ensemble de la chaîne hiérarchique, au premier rang de laquelle on trouve le politique, est supposé 232
Errol Morris, The Fog of War: Eleven lessons from the life of Robert S. McNamara, 2003. Lesson 9: In order to do good, you may have to engage in evil. Traduction de l’auteur. 233 … sauf si l’ordre est manifestement illégal. Une contestation au motif de l’illégalité suppose que l’intéressé connaît le droit en la matière, ce qui est rarement le cas.
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avoir réfléchi longuement aux modalités et aux conséquences de l’action. Il n’est pas question ici de déresponsabilisation, de cette « tentation de l’innocence » chère à Pascal Bruckner234, mais plutôt d’une confiance en l’autorité supérieure légitime inscrite dans la culture des militaires. Ce contrat moral implicite lie l’Etat et le militaire au travers des décisions politiques. Ce contrat ne doit pas être brisé sous peine de voir s’effondrer un système attaché à la confiance. La morale et l’Etat n’ont jamais fait bon ménage. La modernité n’a pas contribué à assainir la situation. Les Etats s’inscrivent dans une logique de survie dans laquelle la morale semble plus être un argument de vente qu’une préoccupation réelle. On peut certes arguer du fait qu’au moins la contrainte morale est prise en compte, cependant il apparaît que le recours à l’argument moral est devenu un outil de communication confortable pouvant entraîner des remèdes pires que les maux eux-mêmes. Les dérives constatées à cette propension à tout justifier par la morale, sont nombreuses. La moralité de la morale étatique en devient douteuse jetant le trouble sur le concept lui-même. La raison d’Etat ne peut s’accommoder de contraintes morales. Elle ne peut pas non plus accepter systématiquement la contrainte du droit. La défense des intérêts supérieurs des Etats semble passer devant toutes considérations d’ordre légal ou moral. Pourtant le droit international est une construction des Etats. Il y a donc un paradoxe à créer du droit pour réguler les relations internationales tout en en rejetant la contrainte en fonction des circonstances. C’est ce paradoxe que tentent de résoudre les Etats en ayant recours à l’argument moral. Justifier l’illégal, légitimer l’interdit, tel semble être l’objectif. Ce faisant la morale devient un outil politique et perd de son sens. Respecter le droit pourrait être un début de moralisation des relations internationales. Encore faut-il que ce droit soit adapté aux situations qu’il prétend réguler. Dans les relations entre les nations le recours à la force reste une 234
Pascal Bruckner, La tentation de l’innocence, Paris, Grasset, 1995.
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éventualité non négligeable. Le nombre de conflits internationaux a peut-être diminué, il n’en demeure pas moins que le recours à la force reste au cœur de la souveraineté étatique. C’est dans ce domaine que se dessine avec le plus de force l’inadaptation du droit. Le droit des conflits armés, qui a pour vocation d’encadrer les méthodes et les moyens employés lors des conflits, s’avère aujourd’hui dépassé. Issu d’un autre temps et d’autres pratiques, le DCA n’a pas pu s’adapter au rythme des évolutions de la guerre. Il laisse ainsi de nombreuses zones d’ombres dans lesquelles s’engouffrent les acteurs des conflits modernes. Emanation de la volonté des Etats, le DCA ne pourra s’adapter sans volontés politiques fortes. Ressenti comme un frein à l’action par les Etats, ceux-ci ne s’empressent pas de le faire évoluer. Pour pallier ce manque de droit, le recours à l’argument moral semble avoir séduit de nombreux pays. Cette instrumentalisation de la morale est aujourd’hui l’alternative toute trouvée au droit. L’action peut désormais s’inscrire hors du droit dès lors qu’elle s’accompagne d’un discours de légitimation morale. L’avènement de la morale signerait alors l’échec du monde kantien. La tendance est au nietzschéisme social légitimé par des artifices moraux. C’est dans ce cadre d’action complexe que le militaire se voit attribuer le statut de dernière ligne de défense, de rempart moral.
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TROISIEME PARTIE Le militaire face à la contrainte morale
3.1
La morale et le recours à la force
D
ès lors qu’il est question de réfléchir à l’application de la philosophie morale aux relations internationales un problème particulier se fait jour : « de toutes les formes d’actions concevables dans le domaine international, il en est une qui depuis l’Antiquité pose de redoutables problèmes moraux. Il s’agit de la guerre, et plus généralement, du recours à la force »235. Nous l’avons vu un des arguments souvent avancés pour justifier le recours à la coercition est celui des conséquences positives que l’Etat peut en attendre. Cependant la question demeure entière dans la limite où le courant conséquentialiste ne fait pas l’unanimité. Un des enjeux des relations internationales est de savoir si le recours à la force est une absolue nécessité ou si, dans certains cas, d’autres possibilités sont envisageables. C’est la question que pose François Bugnion lorsqu’il écrit : « [f]aut-il recourir à la force pour prévenir les violations graves du droit international humanitaire ou pour y mettre un terme, pour arrêter des massacres, rétablir l’ordre dans un pays déchiré par la guerre civile, ou permettre aux réfugiés de rentrer chez eux ? Telle est la question à laquelle la communauté internationale se trouvera confrontée. La guerre pour rétablir le droit, la guerre pour protéger les victimes de la guerre, tel était bien l’un des enjeux de la récente intervention des forces de l’OTAN au Kosovo »236. Cependant un principe semble être communément admis : la guerre est une activité humaine inévitable. Par conséquent, il paraît normal de s’y préparer. Intervention : la question du « curseur » Les interventions extérieures au territoire national restent une priorité des armées françaises comme le souligne le Livre 235
Monique Canto-Sperber, Le bien, la guerre et la terreur, Paris, Plon, 2005, p. 251 236 François Bugnion, op. cit.
blanc de 2008 : « [l]’intervention, particulièrement à l’extérieur du territoire national, demeurera un mode d’action essentiel de nos forces armées. La capacité d’intervention doit permettre de garantir nos intérêts stratégiques et d’assumer nos responsabilités internationales. Il convient d’en prévoir la possibilité sur tout l’éventail possible des actions à distance du territoire national »237. Les interventions seront donc tournées vers les intérêts de la France, ce qui, nous l’avons vu, n’est ni nouveau ni étonnant. D’autre part, le Livre blanc insiste clairement sur les conditions d’engagements des forces françaises et notamment sur le fait qu’« avant le recours à la force armée, toutes les autres mesures doivent avoir été explorées activement et ne doivent être écartées que s’il existe de fortes raisons de penser qu’elles échoueraient. Ce principe s’applique sans préjudice des décisions nécessitées par l’urgence, en raison de la légitime défense ou dans des situations relevant de la responsabilité de protéger ». La France pose donc nettement le principe de l’emploi de la force en dernier recours. Mais cela n’exclut pas le recours à la force pour des raisons morales et surtout cela ne présume pas des modalités de ce recours, bien que l’engagement soit conditionné à l’existence d’un « risque ou d’une menace suffisamment graves et sérieux »238. Si l’intention est louable, la formule reste vague. Où placer le « curseur » de la gravité et du sérieux ? Quels seront les critères déterminant le positionnement de ce « curseur » ? En philosophie morale appliquée aux relations internationales, cette question du curseur est centrale en ce qu’elle permet de comprendre que les choix opérés relèvent le plus souvent de l’arbitraire et sont soumis à l’appréciation des agents. La France continuera donc d’intervenir à l’extérieur du territoire national et donc d’engager des forces dans des conflits complexes mettant ses militaires face à des enjeux moraux non négligeables.
237 238
Livre blanc … op. cit. p. 71. Ibid.
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La France s’appuie également sur une autre fonction stratégique : la prévention. L’idée d’éviter les conflits est ancienne. Sun Tzu écrivait déjà dans L’art de la guerre qu’« être victorieux dans tous les combats n’est pas le fin du fin ; soumettre l’ennemi sans croiser le fer ; voilà le fin du fin »239. Le recours à la force ne doit donc théoriquement être envisagé qu’une fois que toutes les autres solutions, essentiellement diplomatiques, ont été épuisées. Cependant cette théorie souffre d’un défaut souligné par Guillaume Devin : « [e]ntre la diplomatie et la force, les frontières ne sont donc pas étanches. La diplomatie peut recourir à la violence et l’usage de la force n’exclut pas les transactions diplomatiques »240. Prévenir les conflits semble être une solution permettant d’échapper à l’action coercitive. Pourtant la persistance des conflits nous montre que la prévention n’est pas suffisante en soi. Quand bien même elle le serait, elle ne permettrait pas d’éviter le recours à la force. Prévenir les conflits nécessite aussi parfois d’utiliser des moyens s’apparentant à la violence. Cela nécessite également de faire appel à des méthodes à cheval entre la diplomatie et le recours à la force, de recourir à des pratiques subversives comme l’explique Guillaume Devin241. Si l’on s’en tient à la théorie réaliste, aujourd’hui majoritaire, le monde dans lequel nous vivons est caractérisé par la lutte que se mènent les Etats pour leur survie et, de fait, par la situation de conflit permanent qui en découle242. Par conséquent il semble que le recours à la force soit un fait inévitable. Eviter la violence reste donc un idéal à atteindre puisque « moraliser la politique internationale signifie éradiquer la guerre »243 et que la guerre 239
Sun Tzu, L’art de la guerre, Paris, Hachette littérature, 2000, p. 59. Guillaume Devin, Sociologie des relations internationales, Paris, La Découverte, 2002, p. 74. 241 « L’action subversive est une face obscure, moralement critiquable, mais en pratique pleinement associée à la politique de sécurité intérieure et extérieure des Etats ». Guillaume Devin, op. cit. p. 66. 242 Tim Dunne and Brian C. Schmidt, « Realism » in John Baylis and Steve Smith, The Globalization of World Politics – An introduction to International Relations, Oxford, Oxford University Press, 2nd edition, 2001, pp.1441-161 243 Monique Canto-Sperber, Le bien, la guerre … Ibid. 240
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semble être inévitable. Cela étant dit, la question glisse alors sur les modalités du recours à la force. La guerre juste ou juste la guerre ? Cette question a déjà été longuement traitée et est à l’origine de la désormais célèbre tradition de la guerre juste. Cette tradition, parfois appelée théorie, se décompose en deux axes de réflexion. Le premier concerne le recours à la guerre en luimême et ses éventuelles justifications morales (jus ad bellum). Le second s’intéresse aux méthodes et aux moyens de la guerre (jus in bello). Nous l’avons déjà dit, cette tradition trouve ses limites dans les nouvelles formes de conflictualité, essentiellement du fait de l’apparition d’acteurs non-étatiques sur les théâtres de conflits. D’autre part, la montée en puissance du rôle des opinions publiques a entraîné dans son sillage une résurgence des problématiques morales, d’autant que la fin de la guerre froide semblait nous promettre un monde meilleur, pacifié, débarrassé de la guerre, et où règneraient les démocraties libérales, elles-mêmes gages de stabilité internationale244. Le moins que l’on puisse dire est que le constat reste aujourd’hui décevant. Les conflits persistent, la violence est quotidienne et semble s’accentuer, les Etats continuent de lutter pour leur survie, pour leurs intérêts. Certes la tradition de la guerre juste a été employée par les décideurs politiques comme nous l’avons vu précédemment pour justifier ou décrier l’intervention en Irak en 2003. Cependant, il apparaît que le concept a surtout été instrumentalisé plutôt qu’intériorisé par les Etats. On se heurte ici à une des grandes difficultés en politique internationale : les Etats n’ont pas la même morale que les opinions publiques, ou pour être plus précis, les dirigeants politiques n’ont pas la même morale que les populations. C’est ce décalage d’appréciation morale qui a notamment ouvert une 244
Ce dernier point fait d’ailleurs l’objet du livre de Francis Fukuyama, The End of History and the Last Man, London, Penguin Books, 1992.
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brèche pour les médias et les nouveaux acteurs des conflits. Pour simplifier l’idée nous pourrions dire que le réalisme et le militarisme sont caractéristiques des Etats tandis que l’idéalisme et le pacifisme sont caractéristiques des populations. Ce fossé moral, souvent comblé par des artifices de communication, est aujourd’hui au cœur des préoccupations des dirigeants politiques qui rivalisent d’astuce pour justifier l’injustifiable, légitimer l’illégal. Mais là encore, le militaire, en tant qu’exécutant, se trouve pris entre deux feux. D’une part, il doit respecter son engagement à servir son pays et, d’autre part, il doit satisfaire les exigences morales de l’opinion publique. Il est bien entendu délicat d’expliquer que le recours à la force est inhérent au système westphalien et au nécessaire équilibre des puissances qui en découle. Les impératifs moraux sont en effet très forts en France comme dans la plupart des pays occidentaux et la tolérance à la violence relativement limitée245. Or le recours à la force, à des degrés divers, est une des spécificités du métier des armes. L’action du militaire étant plus visible et plus concrète que celle de l’Etat il en découle que les attentes en termes de morale se focalisent sur lui : ce n’est pas le responsable politique qui bombarde ou qui tue, c’est le militaire sur le terrain. Dans un pays de tradition judéo-chrétienne comme la France, tuer est considéré très souvent comme immoral. L’impératif catégorique inscrit dans la Bible, « tu ne tueras point »246 , est parfaitement intériorisé par la population 245
Il est intéressant de se reporter ici au sondage mené par la BBC en 2006 sur la tolérance au recours à la torture (Cf. annexe VIII). Selon ce sondage 59 % des 27 000 personnes interrogées dans 25 pays se prononçaient contre la torture avec de fortes disparités en fonction des pays. Soulignons que la tolérance au recours à la torture est sensiblement équivalente aux Etats-Unis (36 %) et en Russie (37 %). En France 75 % des personnes sollicitées se sont prononcées en faveur du maintien de règles interdisant la torture. Disponible sur Internet à : http://news.bbc.co.uk/2/hi/6063386.stm. 246 « Tu ne tueras point » est un des commandements du Décalogue. Il apparaît à deux reprises dans la Bible : Exode 20: 13, et Deutéronome 5: 17. On notera que dans la traduction faite par André Chouraqui, le commandement est « tu n’assassineras pas ». Cette version, à connotation juridique, ne concerne pas la mort donnée lors d’une guerre. Cependant il
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française. La mort est donc taboue et le militaire, dont une des prérogatives est de la donner le cas échéant, est frappé du stigmate infamant du meurtrier, même s’il ne fait qu’obéir à un ordre. Ce sentiment de « payer pour le politique » est parfois évoqué par les militaires qui peuvent déplorer le fait que la décision politique n’est jamais mise en avant lorsque survient un évènement suscitant l’émoi de la population alors que la responsabilité du militaire est tout de suite questionnée. Cet aspect est parfois renforcé par l’absence de politique directrice claire. Ce fut notamment le cas en Bosnie-Herzégovine lors de la chute de Srebrenica comme le souligne le Général Janvier : « [d]e mon point de vue, les nations et les membres du Conseil de sécurité, quels qu’aient été les efforts de la France, n’ont pu définir une politique dans le sens le plus global du terme, et par là même, une stratégie face à l’ensemble des drames qui résultent de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie »247. Le militaire se trouve alors à la croisée des chemins entre realpolitik, droit et morale. L’absence de politique, et de fait l’absence de moyens efficaces, pour ce qui concerne l’ex-Yougoslavie a d’ailleurs été confirmée par le Général Morillon qui déclarait : « [i]l y avait à New York un angélisme que j’ai dénoncé et qui faisait s’imaginer que la seule présence de forces de maintien de la paix avec les moyens les plus faibles possibles pourrait assurer la mission qui nous était donnée. C’était une illusion que j’avais moi-même dénoncée et que tous mes successeurs ont dénoncée après moi »248. Cette déclaration montre bien que le militaire est
est très majoritairement fait référence à la première version qui correspond à un impératif catégorique kantien ne souffrant donc aucune exception. 247 Première audition du Général Bernard Janvier, commandant des forces de paix des Nations Unies en ex-Yougoslavie (1995), par la mission d’information commune sur les évènements de Srebrenica, 25 janvier 2001. Disponible sur Internet à : http://www.voltairenet.org/article9987.html. 248 Audition du Général Philippe Morillon, commandant de la FORPRONU (octobre 1992-juillet 1993), commandant de la Force d’action rapide (1994-1996), par la mission d’information commune de l’Assemblée nationale sur les évènements de Srebrenica, 25 janvier 2001.
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souvent placé au carrefour d’appréciations de la réalité qui ne permettent pas d’agir en toute sérénité. Ce décalage est d’autant plus frappant que, comme le dit Clausewitz, politique et recours à la force ne peuvent être séparés249. Le militaire, il est important de la rappeler est un outil au service du politique, voire de la politique étrangère. Il est donc amené à agir dans des situations pouvant être considérées comme immorales. On tombe dès lors dans une distinction faite dans le cadre de la théorie de la guerre juste qui consiste à séparer jus ad bellum, le droit de recourir à la guerre, et jus in bello, le droit dans la guerre. Le premier, s’il est interdit par la Charte des Nations Unies peut être justifié à condition que certains critères soient réunis : déclaration par une autorité légitime (auctoritas principis), cause juste (causa justa), intention droite (intention recta), proportionnalité entre les moyens et les fins, espoir raisonnable de succès et derniers recours, sont les plus couramment employés250. Mais nous l’avons vu ces critères laissent une large marge d’appréciation aux Etats qui s’affranchissent souvent de ce type de considérations idéalistes pour se laisser aller à un pragmatisme confinant souvent au cynisme. Le second, quant à lui, tente d’encadrer les pratiques de la guerre. Le jus in bello est contraint par trois principes : l’humanité, la proportionnalité et la discrimination entre les combattants et les non-combattants. Là encore l’interprétation de ces principes peut être plus ou moins extensive en fonction des intérêts en jeu251. Quoi qu’il en soit, il semble que jus ad bellum et jus in bello soient parfaitement indépendants l’un de l’autre ce que conteste à fort juste titre Monique CantoSperber252. Les Etats seraient alors tenus de respecter les règles du jus ad bellum, alors que les militaires seraient responsables du 249
C’est l’idée contenue dans la citation, certainement la plus connue, de Clausewitz : «La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens». 250 Gordon Graham, op. cit. p. 60 ; Monique Canto-Sperber, Dictionnaire d’éthique … op. cit. p. 801. 251 Ibid. 252 Monique Canto-Sperber, Le bien, la guerre … op. cit. p. 343.
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jus in bello. Les uns seraient garants de la moralité du recours à la guerre tandis que les autres le seraient de ses modalités. C’est la « morale à géométrie variable » : fait ce que je te dis, mais ne fais pas ce que je fais. C’est une argumentation difficile à accepter pour les militaires habitués à l’exemplarité comme mode de commandement. On peut se demander si les pilotes ayant bombardé la Serbie auraient eu le droit de refuser leur mission au motif de son immoralité réelle ou supposée. Ce cas s’est présenté au moins une fois puisqu’un pilote a refusé de mener sa mission pour des raisons de convictions religieuses personnelles. De la même manière, et bien que les cas soient marginaux, de jeunes soldats musulmans ont récemment refusé de partir combattre en Afghanistan pour des motifs religieux253. La question de l’arme nucléaire Si les militaires ont la possibilité de refuser une mission pour des raisons de conscience personnelle, il est légitime de se demander comment serait censé se comporter un militaire qui aurait à délivrer de l’armement nucléaire ? La question du recours à l’arme nucléaire, ainsi qu’à la menace de son emploi, est un excellent exemple de la collision entre droit, raison d’Etat et morale. Si on se penche sur l’emploi de l’arme nucléaire on constate aisément que celle-ci ne respecte ni le principe de proportionnalité, ni celui de discrimination254. Cet aspect est, d’une certaine manière, souligné par le Président Sarkozy lorsqu’il déclare à Cherbourg que « tous ceux qui menaceraient 253
Jean-Dominique Merchet, « Exclusif : l'armée reconnait que quelques soldats musulmans refusent de partir en Afghanistan », Blog Secret Défense, 09 janvier 2009. Disponible sur Internet à : http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense/2009/01/exclusiflarme.html.; « Des musulmans refusent de combattre », Le Figaro, 14 janvier 2009. Disponible sur Internet à : http://www.lefigaro.fr/flashactu/2009/01/14/01011-20090114FILWWW00644-des-musulmansrefusent-de-combattre.php. 254 Ces principes sont communs au droit des conflits armés et à la théorie de la guerre juste.
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de s’en prendre à nos intérêts vitaux s’exposeraient à une riposte sévère de la France, entraînant des dommages inacceptables pour eux, hors de proportion avec leurs objectifs. Ce serait alors en priorité les centres de pouvoir politique, économique et militaire qui seraient visés »255. La France, dans sa volonté de protéger ses intérêts est donc prête à recourir à tous les moyens à sa disposition, quitte à ce que ces moyens soient discutables tant du point de vue du droit256 que de celui de la morale. D’aucuns souligneront ici, à fort juste titre, que la doctrine française en matière d’emploi de l’arme nucléaire repose sur la dissuasion et sur le concept de non-emploi, c'està-dire qu’elle n’a pas pour vocation à être employée mais à inhiber toutes velléités d’agression à l’encontre des intérêts français. Il est malgré tout possible de questionner cette doctrine sur son aspect moral en insistant sur l’intention : est-il 255
Nicolas Sarkozy, discours de M. le Président de la République à l'occasion de la présentation du SNLE "Le Terrible", Cherbourg, 21 mars 2008. Disponible sur Internet à : http://www.elysee.fr/documents/index.php?mode=cview&press_id=119 8&cat_id=7&lang=fr. On remarquera que cette phrase a été reprise dans le Livre blanc de 2008. Livre blanc … op.cit. p. 69. 256 Il est important de souligner ici que la licéité de l’arme nucléaire a fait l’objet d’un avis consultatif de la Cour Internationale de Justice (Avis consultatif CIJ, 8 juillet 1996, Licéité de la menace ou de l’emploi des armes nucléaires). Dans cet avis la Cour ne tranche pas sur le fond et laisse planer le doute. Serge Sur en fait le résumé suivant : « - L’arme nucléaire est singulière, en raison de ses capacités de destruction, mais les conditions de son emploi sont soumises au droit international général, et spécialement aux règles générales du droit international humanitaire. Celui-ci contient des principes « intransgressibles » de protection de la personne humaine ; - Dans cette mesure, la menace ou l’emploi de l’arme nucléaire sont généralement illicites ; - Toutefois, dans une circonstance extrême de légitime défense où la survie même de l’Etat est en cause, la Cour ne peut conclure que menace ou emploi de telles armes seraient licites ou illicites ; - Enfin, il existe une obligation de poursuivre et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire ». Serge Sur, préface de l’ouvrage de Marie-Pierre Lanfranchi et Théodore Christakis, La licéité de l’emploi d’armes nucléaires devant la Cour internationale de Justice, Economica, 1997, pp. 1-7. Disponible sur Internet à : http://www.afri-ct.org/spip.php?article1106.
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moralement acceptable de menacer un Etat, ou tous les Etats dans le cas d’une dissuasion « tous azimuts », et de fait la population, de représailles dont les effets seraient dévastateurs ? Il faut rappeler que ne serait-ce qu’au plan juridique le principe est contestable puisque l’article 2§4 de la Charte des Nations Unies dispose que « les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies »257. Pour ce qui concerne le recours à l’arme nucléaire le dilemme moral consiste à savoir si avoir l’intention d’utiliser une arme non discriminante et ne respectant pas le principe de proportionnalité est acceptable. Ce point est particulièrement bien résumé par le syllogisme suivant : 1 - Il est moralement mal d’avoir l’intention de commettre un acte moralement répréhensible s’il était commis. Lorsque l’on menace de faire quelque chose, c’est que l’on a l’intention de le faire le cas échéant. Il est par conséquent moralement mal de menacer de commettre un acte qui serait moralement mal s’il était commis. 2 - Il est moralement mal d’utiliser des armes non discriminantes. L’arme nucléaire est non discriminante. Il est donc moralement mal d’avoir recours à l’arme nucléaire. 3 - La dissuasion repose sur la menace de l’emploi de l’arme nucléaire. Par conséquent la dissuasion nucléaire est moralement inacceptable258. Le recours à l’arme nucléaire serait donc immoral en plus de ne pas être formellement légal. Quel serait alors le degré de responsabilité des pilotes dont la mission serait de délivrer un 257 258
Ns. soul. en italique. Gordon Graham, op. cit. p. 87.
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tel armement ? Pourraient-ils, au nom de valeurs morales, mettre en péril la sécurité de la France en refusant de délivrer un tel armement ? La réponse est bien évidemment non. En contrepartie, de ce dévouement au service de la France, il paraitrait normal que le militaire soit dégagé de toutes responsabilités morales relatives à ce type d’action. Il ne paraît pas, en la matière, légitime de faire peser sur lui de vaines attentes morales. Pourtant Alain Richard, alors ministre de la Défense, écrivait qu’« il est nécessaire que les militaires fassent appel à des considérations non juridiques pour définir et mettre en œuvre, dans l’emploi de la force, un comportement mesuré. Mais ces considérations relèvent du domaine de l’éthique, plutôt que de celui de la morale »259. Subtilité de langage, par laquelle le militaire est renvoyé à une appréciation personnelle de la moralité d’une action qui lui est confiée au nom des intérêts supérieurs de la nation. On touche là au cœur de la contrainte morale que subit de plein fouet le militaire. Le recours à la force est inévitable, or il relève de la décision politique et donc de l’engagement de l’Etat. Cet Etat qui poursuit des buts conséquentialistes liés à ses intérêts directs, s’affranchit bien souvent de la morale pour prendre ses décisions. Cet utilitarisme, qui se focalise sur la fin au détriment de moyens, ne trouve que peu d’échos au sein des opinions publiques. Il est alors nécessaire de concilier les attentes morales de ces dernières et les contraintes inhérentes à la lutte pour la survie de l’Etat. Tout cela ne serait que très peu problématique s’il n’y avait au milieu de ces oppositions, des militaires détenteurs du pouvoir exorbitant de vie et de mort. Outil au service du politique le militaire français est tenu d’obéir aux ordres et d’accomplir les missions qui lui sont assignées. Dans le même temps, il est tenu de respecter des règles morales qui lui sont imposées par l’opinion publique informée des éventuels manquements à ces règles par les médias. Situation 259
Alain Richard, « Morale et emploi de la force », in Pascal Boniface, Morale et relations internationales, Paris, Institut de relations internationales et stratégiques-PUF, 2000, p. 68.
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paradoxale et inconfortable où l’on attend du militaire qu’il soit capable de tuer pour la France mais surtout qu’il le fasse moralement, voire même en respectant une certaine éthique. Cette attente éthique, qui semble revenir au-devant des préoccupations de l’Armée de terre, pose problème en ce qu’elle sous-entend une responsabilité individuelle dans la décision alors même que sont proposés des « codes d’éthique »260 qui par essence s’opposent à l’autonomie de décision. 3.2
Morale militaire ou code de conduite ?
Pour répondre à la difficile problématique de l’emploi de la force par les militaires et de son encadrement, l’Armée de terre s’est dotée de deux codes « d’éthique », le plus ancien, et certainement le plus connu, étant le Code d’honneur du légionnaire261. Ce Code, créé dans les années 1980 et présenté comme « un véritable guide du comportement », avait pour vocation de répondre à un manque de références morales chez les jeunes candidats262. Plus récent, le Code du soldat263 a, quant à lui, pour vocation de poser des principes permettant de concilier contrainte éthique et spécificité du métier des armes. Il semble légitime de se demander en premier lieu quelle peut bien être cette spécificité. Par ailleurs, il est nécessaire de savoir s’il 260
C’est notamment le cas du Code du soldat du Général Bachelet. Cf. annexe V. 261 Cf. annexe V. 262 Cf. site Internet de la Légion étrangère. http://www.legionetrangere.com/fr/tradition/code.php. Si le site de la Légion souligne que le manque de références morales concernait les jeunes candidats, le Général Royal, écrit quant à lui que « les jeunes légionnaires manquaient parfois de références morales » (Benoît Royal, op. cit, p. 107). La différence est importante puisque dans le premier cas le code a pour vocation de faire partager ses valeurs aux futurs légionnaires, alors que dans le second il pallie un manque chez les légionnaires. On remarquera enfin le mélange des genres entre morale et comportement. 263 Cf. annexe V. Le Code du soldat a été rédigé en 1999 par le Général JeanRené Bachelet, ancien inspecteur général des armées.
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existe une morale spécifique aux militaires pour enfin s’interroger sur la pertinence de la formalisation d’une « éthique264 » au travers d’un code. La spécificité du métier des armes « Le métier militaire est original et exigeant », affirmait le Président Jacques Chirac265. L’originalité du métier des armes tient à plusieurs éléments mais avant tout à une prérogative exorbitante : la possibilité, le cas échéant, de donner la mort. Comme le souligne le Général Bachelet, la spécificité du métier de militaire « réside dans le fait de se trouver détenteur, au nom de la nation dont il tient sa légitimité, de la responsabilité, directe ou indirecte, d’infliger la destruction et la mort, au risque de sa vie, dans le respect des lois de la République, du droit international et des usages de la guerre, et ce, en tout temps et en tous lieux »266. Cette responsabilité particulière, conférée au militaire par la nation, impose bien évidemment des devoirs. Le premier d’entre eux est de recourir à une force maîtrisée sans sombrer dans la violence. Cette distinction entre violence et force est essentielle au plan de la morale en ce qu’elle sousentend la prise en compte du principe de proportionnalité entre les moyens employés et les fins à atteindre. Gordon Graham souligne que la différence essentielle entre les deux concepts réside dans le fait que contrairement à la violence, la force 264
Le mot éthique est mis ici entre guillemet pour souligner la différence d’acception du terme entre le code du soldat et la définition retenue en introduction de cet ouvrage. Dans le cas des codes il semble qu’aucune distinction ne soit faite entre les mots éthique et morale. 265 Jacques Chirac, Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du bicentenaire de l'École spéciale militaire de Saint-Cyr, Paris, Ecole Militaire, 25 janvier 2002. Disponible sur Internet à : http://www.elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais_archives/interventions/dis cours_et_declarations/2002/janvier/discours_du_president_de_la_republ ique_a_l_occasion_du_bicentenaire_de_l_ecole_speciale_militaire_de_sai nt-cyr.3552.html 266 Jean-René Bachelet, « Un sens au métier des armes », Études, 2002/2, Tome 396, p. 179. Disponible sur Internet à : http://www.cairn.info/revue-etudes-2002-2-page-171.htm
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coercitive n’a pas besoin d’être mise en œuvre. La menace de la force peut être suffisante pour atteindre le but recherché, tandis que le recours à la violence implique un passage à l’acte267. Cependant pour la majorité des individus la nuance relève plus de la sémantique que de la pratique. Force et violence ont cela de commun qu’elles occasionnent des souffrances. C’est pourquoi les pacifistes s’opposent farouchement à l’une comme à l’autre. Cependant, nous l’avons vu, la violence est une caractéristique de l’humanité et, sauf à être naïf, il y a peu de chance pour que cette violence cesse du jour au lendemain. C’est dans ce monde chaotique, où selon l’expression de Hobbes « l’homme est un loup pour l’homme », qu’est née l’institution militaire, « invention de la civilisation pour faire pièce à la violence »268. Au sein de cette institution, le militaire est le détenteur d’un mandat particulier, qui lui est confié par le peuple au travers de la représentation démocratique, et qui l’autorise à donner la mort au nom de la sauvegarde des intérêts supérieurs de la nation. C’est là la spécificité de ce « métier pas comme les autres »269 qu’est le métier des armes. Mais au-delà de ce droit de tuer conditionné, le militaire est aussi amené à donner sa vie pour son pays. Dulce et decorum est pro patria mori, qu’il est doux et beau de mourir pour la Patrie, écrivait Horace270. Le service de la France « jusqu’au sacrifice suprême » est, comme le soulignait le Président Chirac, « la raison d’être » et « l’honneur du métier d’officier », et bien au-delà du métier des armes, convaincus que nous sommes que mourir pour la France n’est pas une prérogative d’officiers. Cette éventualité du don de soi a aujourd’hui perdu de son sens. Dans un monde où les populations occidentales sont bercées du doux murmure des dividendes de la paix, le recours à la force semble inopportun, inadapté. Après plus de soixante années sans conflits sur le sol métropolitain français, l’idée de tuer et mourir 267
Gordon Graham, op. cit. pp. 66-69. Jean-René Bachelet, « Un sens au métier … », op. cit. p. 178. 269 Ibid., p. 172. 270 Horace, Odes, liv. III, ode II vers 13. Disponible sur Internet à : http://www.gutenberg.org/dirs/etext06/8hode10.txt.
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pour son pays est souvent perçue comme un décalage propre au conservatisme militaire plus que comme une nécessaire réalité. Aujourd’hui la tendance est à la victimisation. Le militaire ne meurt plus « pour la France », il meurt « à cause de ses adversaires ». Dans un article paru en novembre 2008, un chef d’escadron déclarait que « l’heure est venue de redonner du sens à l’expression "mort pour la France" »271. A la lumière des affrontements survenus dans la vallée d’Uzbin en août 2008, cet appel prend tout son sens. Le traitement « compassionnel » de ce fait d’arme a dépossédé les militaires de la valeur de leur engagement. En transformant des soldats de la France, en enfant de quelqu’un, la nation « dépossède les jeunes soldats du sens de leur mort », selon la sociologue Danièle HervieuLéger272. C’est cette gloire qui doit être (re)mise à l’honneur. Certes en toute chose il faut de la mesure. Il n’est donc pas question d’idéaliser un quelconque « honneur du guerrier », mais plutôt de faire la part des choses. Le monde reste dangereux et la France porte une part non négligeable du fardeau de la sécurité internationale, quelles que soient ses motivations. Par conséquent, elle est appelée à engager ses militaires sur de nombreux théâtres où la mort est autant une probabilité qu’une réalité. Cette spécificité du métier de militaire s’étend par ailleurs au fait que, dans l’exercice du commandement, il peut également « faire tuer et faire mourir », au titre du mandat qui lui est confié. Certains officiers soulignent, fort justement, que bien au-delà du fait de mourir ou de tuer soi-même, il revient à certains chefs militaires d’envoyer des hommes sur des théâtres où ces derniers sont susceptibles de tuer et de mourir. Cette responsabilité morale 271
Chef d’escadrons Corentin Lancrenon, « Mort pour la France », Valeurs actuelles, 06 novembre 2008. Disponible sur Internet à : http://www.college.interarmees.defense.gouv.fr/spip.php?article932. 272 Danièle Hervieu-Léger, « On dépossède les jeunes soldats tombés du sens de leur mort », entretien paru sur le site Secret Défense le 12 septembre 2008. Disponible sur Internet à : http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense/2008/09/on-dpossdeles.html.
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est lourde et fait elle aussi partie intégrante de la spécificité du métier des armes. « Il n’y a rien de plus difficile que de mettre un nom sur une liste » affirmait un officier général à l’occasion d’un entretien informel. Rien n’est moins vrai surtout dans un cadre d’action où le sens de l’engagement est parfois dilué dans des considérations pragmatiques semblant dénuées de tout sens moral. D’autre part, il est intéressant de noter que si les militaires ayant vocation à aller sur le terrain ont une conscience assez marquée de cette spécificité, les autres militaires sont loin d’avoir intégré cet état de fait. Dans l’Armée de l’air, par exemple, nombreux sont ceux qui confondent métier et statut ou spécialité. Loin des théâtres les militaires font montre d’une certaine facilité à prendre de la distance avec le cœur de métier. Cet état d’esprit est favorisé, hors opérations, par une certaine forme de relâchement à tous les niveaux de la hiérarchie qui ne favorise pas la discipline. Existe-t-il une morale militaire ? Cette absence de discipline, ou ce relâchement de la discipline, a pour conséquence de faire du métier de militaire un métier comme les autres avec ses spécialités et ses statuts. Fort heureusement, en contexte opérationnel la discipline revient audevant des préoccupations. On remarquera qu’en l’absence de règles strictes appuyées par un régime de sanction effectif, la discipline se relâche. Il existerait donc, semble-t-il, deux armées ; l’une opérationnelle consciente du sens de ses engagements et ayant à cœur de mener à bien les missions qui lui sont confiées, et une autre semblant sombrer dans une forme de léthargie confortable propre à certains militaires convaincus que le risque d’être confrontés au feu est suffisamment faible pour ne pas se contraindre à s’y préparer sérieusement. Lorsque l’on se demande s’il existe une morale dans les armées il faut garder à l’esprit que l’armée française, comme les armées d’autres pays, n’est pas un bloc homogène. Il existe de fortes disparités en fonction des spécialités, des statuts 136
et des armées elles-mêmes. Il est donc évident que la question de la morale ne sera pas abordée de la même manière selon que l’on est sous-officier ou officier, militaire de l’Armée de terre, de la Marine ou de l’Armée de l’air, secrétaire ou commando. Si nous nous concentrons sur les opérationnels, il est légitime de considérer que le militaire est tenu d’avoir une morale, si ce n’est une éthique. Il a le devoir d’exécuter sa mission dans le respect des normes morales qui lui sont imposées par son environnement national et le droit. Selon Donald Neil, « ce qui distingue la profession militaire des autres professions est la nature de son code d’éthique fondé sur la subordination volontaire des intérêts personnels à ceux de l’Etat »273. Cependant cette assertion pose problème quant à son application. Dans le cas où un ordre lui est donné le militaire a deux possibilités : soit il considère que l’ordre est indiscutable et légal, auquel cas il s’y plie, soit il en conteste la validité, auquel cas il refuse d’appliquer l’ordre reçu. Dans ce dernier cas de figure il prend le risque d’être sanctionné, de manière formelle ou non, pour son insubordination. Or, faire primer les intérêts de la nation sur ses propres intérêts ne peut se faire que si le militaire a l’assurance que sa hiérarchie a mesuré avec précision les conséquences de l’ordre donné. L’obéissance à un ordre suppose donc une confiance absolue accordée à la chaîne hiérarchique. Techniquement parlant, si l’ordre est réfléchi, pesé, mesuré, le militaire n’est pas censé se poser de questions quant à la moralité de ses actes. Nombreux sont les militaires qui considèrent qu’une fois l’ordre donné il ne relève plus de leur niveau de responsabilité de juger de son bien-fondé et de sa légitimité. La morale du militaire semble donc intimement liée à l’application d’ordres tenus pour légitimes puisque émanant d’une autorité elle-même légitime et responsable. Il n’y a guère que les militaires hors cadre opérationnel, pour contester la moralité des ordres reçus. En opération le facteur temps est 273
Donald Neil, « L’éthique et l’appareil militaire », Revue militaire canadienne, Printemps 2000.
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déterminant, et chaque seconde consacrée à la réflexion est une seconde en moins consacrée à la mission. Par conséquent la morale semble réduite à sa portion congrue c'est-à-dire, bien souvent, aux règles opérationnelles d’engagement (ROE) qui posent des limites à l’action du militaire sur le théâtre d’opération. Si peu de militaires s’interrogent sur la portée morale de leurs actes274, en revanche tous semblent convaincus de la moralité des ordres qui leur sont donnés. Il n’existerait donc pas de morale spécifique au militaire hors du cadre réglementaire et légal. Comme le souligne Emmanuel Lévinas, tuer n’est pas chose aisée dès lors que sont pris en compte les facteurs moraux275. Or, nous l’avons vu, la spécificité du métier des armes réside dans la possibilité pour le militaire d’être amené à donner la mort. La question se pose alors de savoir si l’on attend du militaire qu’il exécute les ordres ou si l’on attend de lui qu’il s’interroge sur leur moralité. Il semble qu’en tant qu’outil au service du politique, et donc des intérêts supérieurs de la nation, le militaire n’ait pas à se positionner en termes de morale. Lors d’un entretien, un officier supérieur affirmait qu’un pilote de l’aéronavale avait refusé d’effectuer une mission de bombardement au-dessus de la Serbie pour des raisons de morale personnelle. Certes le cas est isolé, mais si ce genre de réaction devait se multiplier les conséquences en seraient sans nul doute désastreuses. Si les militaires avaient dû se positionner moralement face au génocide rwandais ou lors des massacres perpétrés par les Serbes à l’encontre des Albanais du Kosovo, il aurait été difficile d’avoir une politique cohérente. La souplesse des règles et l’effacement du droit au profit de la morale, ont donc laissé le militaire orphelin de l’un des 274
On souligne une disparité dans ce domaine entre les officiers qui présentent une forte propension au questionnement moral et les personnels non-officiers. Ceci est certainement dû au fait que les officiers sont les seuls à être sensibilisés aux questions d’éthique lors de leur formation. 275 « Car, en réalité, le meurtre est possible. Mais il est possible quand on n’a pas regardé autrui en face. L’impossibilité de tuer n’est pas réelle, elle est morale ». Emmanuel Levinas, Difficile Liberté, op. cit. p. 26.
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principes phares qui régissent son quotidien : l’obéissance, ellemême acquise au travers de la discipline. Certains ont pensé trouver une solution dans ce mélange de genres pour le moins hasardeux qu’est le « code d’éthique ». De la pertinence d’un code d’éthique pour les militaires Le code d’éthique a pour principaux objectifs de cultiver et pratiquer des règles de conduite qui fondent sur des consciences fermes et fortes et sur l'excellence professionnelle, la mise en œuvre résolue d'une force maîtrisée ; de faire vivre les communautés militaires unies dans la discipline et la fraternité d'armes ; de servir la France et les valeurs universelles dans lesquelles elle se reconnaît ; de cultiver des liens forts avec la communauté nationale276. Derrière ces objectifs louables se profilent des difficultés éthiques non négligeables. La première d’entre elles vient du nom même de ce code. L’idée d’un code d’éthique est une aberration en soi dans la limite où, si l’on formalise les codes moraux applicables par les militaires on les prive de leur éthique. L’éthique est en effet une appréciation personnelle d’une situation prenant en compte divers facteurs tels que la morale, le droit, les impératifs de survie, la nécessité militaire, l’obéissance aux ordres, pour n’en citer que quelquesuns. L’éthique ne peut donc pas être imposée si ce n’est à devenir une règle morale. Le cas échéant, cette morale serait obligatoirement différente de la morale courante en France puisque appliquée à un métier dont nous avons dit qu’il était spécifique. Le risque est ici d’ajouter une contrainte morale à l’ensemble des contraintes qui pèsent déjà sur les épaules du militaire. Si l’on prend maintenant les points évoqués supra un à un, on relève que les règles de conduite ne relèvent pas spécifiquement 276
Cf. site Internet de l’Armée de terre à : http://www.defense.gouv.fr/terre/decouverte/personnels/le_code_du_s oldat/code_du_soldat.
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de l’éthique mais plutôt d’un corpus normatif appelé « Règlement de discipline général »277 (RDG) faisant l’objet d’un régime spécifique de sanctions en cas de manquement278. Ce corpus s’apparente à ce qu’il est convenu d’appeler un code de déontologie correspondant à la spécificité du métier des armes. Par ailleurs, l’idée selon laquelle la maîtrise de la force relève de l’éthique est erronée. Cette dernière est intrinsèquement liée au droit applicable et au mandat confié au militaire. Ces deux facteurs étant généralement resserrés par les ROE. Ce sont ces ROE qui permettent aux militaires d’évaluer leur marge de manœuvre. Lier la maîtrise de la force à l’éthique revient à prendre le risque d’accepter que le concept même de « maîtrise de la force » soit soumis à l’appréciation « morale » des acteurs. Qui plus est, en cas de recours à la force non maîtrisée, le militaire devra répondre de ses actes devant un tribunal jugeant droit et non devant un tribunal jugeant en morale. Les éléments pris en compte seront alors ceux inscrits dans le droit et pas dans une quelconque morale. Il est donc dangereux pour le militaire, comme pour l’institution, d’avoir une trop grande marge de manœuvre, correspondant à une appréciation morale, dans le recours à la force. La question se pose légitimement de savoir quelle serait l’acception du concept de « force maîtrisée » dans le cadre d’une politique dictatoriale. Le premier objectif est donc inutile car redondant et potentiellement dangereux. Le second point n’est pas quant à lui lié à l’éthique mais à la discipline, elle-même fondée sur des valeurs et sur des règles contraignantes. Nul besoin de code d’éthique pour que se crée une communauté aussi spécifique soit-elle. Les positionnements 277
Décret n° 75-675 portant règlement de discipline dans les armées, 28 juillet 1975, auquel s’ajoutent le décret n° 2005-796 relatif à la discipline générale militaire du 15 juillet 2005 et l’instruction n° 201710 d’application du décret relatif à la discipline générale militaire du 4 novembre 2005. 278 On soulignera ici que l’arrêté fixant le barème des punitions disciplinaires applicables aux militaires du 17 janvier 1984 indique les sanctions à prendre en cas de « fautes contre l’honneur, la probité ou les devoirs généraux du militaire ». Parmi ces fautes, nombreuses sont celles à connotation morale.
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politiques, idéologiques, culturels ou religieux sont autant de facteurs déterminant l’éthique. Ces facteurs n’étant pas homogènes l’éthique ne peut être universalisée. Or la fraternité d’armes existe malgré tout. Les militaires soulignent souvent à ce titre l’importance de la religion dans l’appréciation morale. La présence dans les armées de représentants des cultes majoritaires en France montre bien que la diversité existe au sein des armées sans que cela soit un frein à la fraternité d’armes ou à la communauté. C’est cette diversité qui a amené certains soldats de confession musulmane à refuser d’aller combattre en Afghanistan279, ce qui ne va pas dans le sens du Code du soldat280. Le troisième point est extrêmement polémique. « Servir la France » est chose normale pour le militaire. Cependant d’un point de vue moral l’idée peut être discutée. Servir la France sous-entend deux choses : avoir une définition commune du mot « servir » et savoir à quoi renvoie le nom « France ». Servir peut être entendu comme l’obéissance aux ordres émanant de l’autorité légitime, étant entendu que celle-ci les donne pour le bien de la communauté, dans l’intérêt de la nation. Cependant, le mot servir ne présume pas à lui seul du degré d’asservissement281 attendu. Quand bien même l’idée de servir est modérée par le droit, il n’en demeure pas moins que le concept reste trop vague pour être formalisé en règle. Pour ce qui concerne la France, la question se pose de savoir si par ce nom on se réfère aux idéaux de la France ou à sa représentation politique qu’est l’Etat. A lire la suite de l’objectif on en déduit que la balance pencherait plus vers les idéaux. Comment devrait alors se positionner un militaire supposé servir les idéaux de la 279
Jean-Dominique Merchet, « Exclusif : l'armée reconnaît que quelques soldats musulmans refusent de partir en Afghanistan », Blog Secret Défense, 09 janvier 2009. Disponible sur Internet à : http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense/2009/01/exclusiflarme.html. 280 Cf. annexe V. 281 L’idée d’asservissement est ici pertinente puisqu’il s’agit de soumettre le militaire à une règle présentée comme morale.
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nation si celle-ci était dirigée par un dictateur ? Que deviendrait le Code du soldat du Général Bachelet282 dont le premier point stipule qu’« au service de la France, le soldat lui est entièrement dévoué, en tout temps et en tout lieu » ? On est en droit de se demander comment devrait être appliqué ce principe dans un cas similaire à la Seconde guerre mondiale où la France était représentée par le Maréchal Pétain. Peut-on considérer que dans ce cas les militaires qui ont choisi de rallier le Général de Gaulle et d’intégrer les Forces françaises libres, ont dérogé à la règle ? A posteriori, il est aisé de répondre que non. Il n’en demeure pas moins que le principe est inutile voire dangereux puisque, là encore, il peut être interprété de manière extensive. On ajoutera que l’idée de « valeurs universelles » est en soi discutable sur le plan moral. C’est d’ailleurs au nom de valeurs prétendument universelles que de nombreux crimes ont été et sont encore commis de par le monde. C’est cette même idée de valeurs universelles qui ont donné naissance aux interventions humanitaires en violation du principe de souveraineté. Enfin, le fait de cultiver des liens forts avec la communauté nationale ne doit pas être lié à la morale. Le risque est ici de considérer que l’action des militaires doit s’inscrire dans le cadre moral imposé par la communauté nationale. Or, nous l’avons dit, la morale de l’Etat et la morale de l’opinion publique ne sont pas une seule et même chose. Il y a donc contradiction à dire d’une part qu’il faut servir la France, c'est-à-dire les intérêts de la nation, et d’autre part qu’il faut faire en sorte de s’inscrire dans le cadre moral de la communauté nationale. D’aucun n’y verront pas contradiction dans un système démocratique représentatif. Cependant les intérêts de la France et les attentes de la population ne sont pas systématiquement convergents. Prendre les opinions publiques comme cible revient à considérer que l’action militaire peut être évaluée en termes de morale par cette dernière. C’est ce que semblait soutenir le Général Royal lorsqu’il affirmait qu’« aujourd'hui plus qu'hier, 282
Cf. annexe V.
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une force militaire qui ne bénéficie pas du soutien de l'opinion publique perd sa légitimité. Or, obtenir l'adhésion des populations consiste notamment à leur renvoyer l'image d'une force exempte de tout reproche »283. Cette idée est dangereuse car l’opinion publique n’est pas consciente de la spécificité du métier des armes284 et des facteurs pesant dans la balance de la décision politique. Conduire une armée en fonction des états d’âme de l’opinion publique serait une grave erreur. Le débat enflammé qui a suivi l’embuscade d’Uzbin, sur l’opportunité de l’engagement français en Afghanistan, en est un exemple. Par ailleurs, l’idée de « renvoyer l’image d’une force exempte de tout reproche » est somme toute paradoxale. S’il existe une éthique dans les armées, celle-ci ne doit pas « renvoyer une image » mais montrer que son comportement est exemplaire. Si une telle éthique existe nul besoin de séduire les foules, elles adhéreront de facto. On peut considérer que l’adhésion de la population est un enjeu de communication285. Auquel cas l’idée ne serait plus l’éthique pour l’éthique, mais l’éthique pour séduire, pour « gagner les cœurs et les esprits » selon la formule aujourd’hui consacrée. C’est ce que semble dire le Général Royal lorsqu’il ajoute dans le même article que « c'est ce qui différencie fondamentalement le soldat du mercenaire et du barbare. Son éthique répondra aux attentes de la population : celle de sa propre nation dont il tire sa légitimité, comme celle dont il doit gagner l'adhésion et le respect. Elle le protégera aussi des conséquences de ses actes, tant vis-à-vis du droit international que de sa propre santé psychologique et morale ». L’idée selon laquelle les mercenaires n’ont pas d’éthique est fort discutable, il n’est qu’à voir le nombre de SMP qui se prévalent d’un code 283
Benoît Royal, « La guerre se gagne avec l’opinion publique », Le Figaro, 13 février 2009. 284 Les réactions qui ont suivi la mort des 10 militaires à Uzbin sont là pour en témoigner. 285 Cette idée est loin d’être inepte si l’on se souvient que le Général Royal était alors chef du Service d’information et de relations publiques de l’Armée de terre.
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d’éthique. La question est alors de savoir ce qui distingue, en la matière, le militaire du private contractor286. L’adhésion de la population devient alors un enjeu politique. Mais que devient la morale comme idéal ? Nous sommes donc bien loin d’une éthique militaire qui serait la fondation d’un monde meilleur287. Tout d’abord il n’apparaît pas clairement qu’il existe une morale commune à l’ensemble de la communauté militaire288. Si certains appliquent une logique utilitariste tournée vers des intérêts spécifiques individuels ou collectifs, d’autres se contentent de respecter les ordres et les règles. Cette logique utilitariste est certes une conception de la morale considérant que seules les conséquences comptent et qu’atteindre les objectifs prédéfinis reste le but. Cependant, il n’apparaît pas que cette logique soit assumée ouvertement. Le dernier mot est donc laissé au militaire qui dans la confusion inhérente à son environnement et à la spécificité de son métier est supposé « analyser dans la complexité, décider dans l’incertitude et agir dans l’adversité », tout cela sur la seule base d’un code d’éthique dont nous avons vu les faiblesses. C’est ajouter une couche de contraintes inutiles à celles existantes. C’est mettre le soldat dans une situation bien embarrassante, où il lui sera aisément reproché de n’avoir pas suivi les normes « éthiques ». Le code éthique n’apporte finalement, outre une confusion supplémentaire, qu’une opportunité de diluer la responsabilité en la faisant glisser vers le bas de l’échelle hiérarchique. En l’absence d’une morale militaire, l’idée d’un code de conduite pouvait apparaître 286
Cf. les code d’éthiques des sociétés MPRI (http://www.mpri.com/esite/index.php/content/services/ethics_are_at_ the_heart_of_mpris_business/) et de GEOS (http://www.geos.tm.fr/index.php?/gestion_management_risques/la_cha rte/le_texte_de_la_charte_d_ethique-61.html). 287 Jean-René Bachelet, « Une éthique militaire pour un monde meilleur », intervention au colloque sur l’avenir de l’Asie Centrale, Kirghizstan, 29 octobre 2008. 288 On soulignera que si une telle morale existait il ne serait pas fondamentalement nécessaire de l’imposer au travers de textes réglementaire ou de codes.
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séduisante. Mais ce nouveau code de déontologie n’apporterait rien de plus que ceux déjà en vigueur289, par ailleurs déjà éminemment difficile à faire appliquer. Enfin, appliquer des règles morales impose un cadre d’action lui-même moral. Formaliser la morale au travers de principes revient à proposer un remède pire que le mal. Si formation à l’éthique il doit y avoir, cela ne peut être qu’au travers de l’exemple. 3.3
La construction de l’éthique
« Citoyen à part entière de la société d’aujourd’hui, le militaire ne peut décemment pas exercer ses responsabilités sans réflexions préalables et sans régulières remises en question. C’est ainsi que les soldats de conviction et d’expérience ont prolongé le mouvement philosophique humanitaire et ses applications juridiques pour déterminer des principes de comportement dans l’exercice de la force. Ils ont inspiré un état d’esprit au combat qui s’est construit sur l’enseignement et l’exemplarité : l’éthique de comportement au combat »290.
C’est par ces mots que le Général Royal conclut son ouvrage sur L’éthique du soldat français. S’il est clair qu’il est absolument indispensable que chaque militaire ait réfléchi au sens de son engagement et aux conséquences de ses actes en cas de recours à la force, il est nettement moins évident que l’application d’un « code d’éthique » soit la solution idéale. L’éthique ne s’impose pas de l’extérieur, elle se construit de l’intérieur.
289
Parmi ceux-ci les textes formalisant la discipline que sont le décret n° 75675 portant règlement de discipline dans les armées, 28 juillet 1975, le décret n° 2005-796 relatif à la discipline générale militaire du 15 juillet 2005 et l’instruction n° 201710, op. cit. On peut y ajouter la loi n° 2005-270 portant statut général des militaires du 24 mars 2005 dans laquelle les « droits et obligations » des militaires sont rappelés (art. 3 à 9). 290 Benoît Royal, op. cit., p. 91.
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De la morale à l’éthique, de l’éthique à la morale Les militaires ayant conscience de s’être construit une éthique savent malgré tout qu’elle est volatilité et qu’elle fluctue au gré des évènements. Si l’éthique est une belle chose quand on en parle au calme, dans le confort et la sécurité, elle peut rapidement évoluer en situation dégradée et laisser place à la seule véritable éthique du combat : la survie, individuelle ou collective. Toutes les règles du monde ne transformeront pas la nature humaine et son attachement à la vie. Tout au plus certaines permettront de limiter les dégâts, d’encadrer les pratiques. C’est notamment le cas du droit. A ce titre, le droit des conflits armés est un outil précieux pour le militaire. Il impose un cadre d’action, détermine les limites à ne pas dépasser, protège le militaire comme son adversaire, il est un garde-fou nécessaire, quand bien même imparfait. C’est cet outil, plus que tout autre qui doit être privilégié pour encadrer le recours à la force. Objet d’une formalisation écrite, accepté par les Etats, il ne lui manque plus que des sanctions effectives et impartiales pour être efficace. Mais la réalité est là qui nous montre que sans sanction, sans autorité supranationale détenant le monopole de la violence légitime, le droit est voué à l’inefficacité. Certes, le Conseil de Sécurité des Nations Unies est supposé jouer ce rôle d’autorité supranationale. Cependant, plusieurs problèmes se posent. D’une part le CSNU, contrairement à l’Assemblée générale des Nations Unies, ne réunit pas l’ensemble des Etats membres de l’ONU. Il n’est par conséquent pas représentatif de la communauté internationale dans son ensemble. D’autre part, le système de séparation entre les membres permanents, détenant un « droit de veto », et les membres non permanents, donne l’avantage aux premiers. Enfin, l’absence de politique et de vision sécuritaire communes aux cinq membres permanents, empêche le CSNU de jouer pleinement son rôle. Le droit présente pourtant l’avantage de pouvoir être imposé de manière homogène et, moyennant un 146
régime de sanctions réel, il peut être appliqué à tous les Etats. La morale quant à elle est un corpus normatif qui n’est pas forcément accompagné de sanctions en cas de manquement. Par conséquent la violation de la règle morale n’a la plupart du temps que des répercussions limitées dans ce domaine. Elle ne peut donc se substituer au droit, mais elle en est l’un des fondements. La formalisation écrite des codes moraux, que sont les codes de déontologie, permet de concilier obligation juridique et contrainte morale. Cependant, la morale étant par nature relative, il paraît difficile, voire dangereux, de faire reposer l’exercice du métier des armes sur ce genre d’outil. La morale n’est finalement que d’application limitée à une époque, un lieu, une culture, ce qui en réduit fortement la portée. La conviction d’humanité, à laquelle se réfère le Général Royal, n’est certainement pas perçue en France comme elle pourrait l’être en Afrique. Elle n’est certainement pas entendue au 21ème siècle comme elle l’était au Moyen-Age ni comme elle le sera lorsque les soldats auront été remplacés par des robots commandés à distance. Devant les limites du droit et de la morale, les autorités semblent se réfugier derrière ce dernier bastion qu’est l’éthique. Si le droit n’a pas été appliqué, si la morale a été bafouée alors seule reste au militaire son éthique, sorte de Bien réduit à sa portion congrue. L’éthique : une construction personnelle L’éthique se différencie de la morale en ce qu’elle revêt un caractère personnel. Elle se construit donc au travers de l’histoire de chacun, en fonction de facteurs exogènes qui vont être intégrés puis utilisés par l’individu pour en faire des règles de comportement spécifiques répondant à un contexte donné. Parmi ces facteurs, la psychologie de l’individu, la sociologie du groupe ou les expériences vécues ont un impact non négligeable comme le démontre Françoise Sironi dans son livre, Psychopathologie des violences collectives, lorsqu’elle aborde l’articulation entre histoire collective et histoire singulière ou 147
encore la fabrication de la vengeance291. Elle y souligne : « Comme toute mutation radicale, la mondialisation des échanges, des pratiques, des savoirs, ainsi que la circulation planétaire des humains, peuvent engendrer à la fois le meilleur et le pire »292. Le contexte culturel et les grandes tendances sociales entraînent donc des effets à prendre en compte. C’est ce que souligne un texte paru en 1999, intitulé L’exercice du métier des armées dans l’Armée de terre : fondements et principes, qui affirme que le « dépassement de soi dans un être collectif pourrait aujourd’hui se heurter à des aspirations individuelles puissantes qui sont l’une des caractéristiques des sociétés modernes »293. Le militaire, comme n’importe quel individu bâtira son éthique sur les fondations de ses acquis. « L’éthique témoignerait de la personnalité d’un choix autonome » nous dit Ariel Colonomos294. Si ce choix est contraint par des règles trop nombreuses et floues, le choix n’est plus autonome. Là se trouve la différence fondamentale entre l’éthique et les autres corpus normatifs que sont le droit ou la morale. On comprend bien, dès lors, que l’éthique ne peut être imposée, si ce n’est à prendre le risque de priver le militaire de son libre arbitre. Codifier l’éthique : quel intérêt ? Le « renforcement de l’exigence éthique »295 a eut pour corollaire une forte propension de l’Armée de terre à répondre à la demande par un excès de concepts doctrinaux parfois éloignés du concept d’éthique. Soit que le sens du terme éthique n’a pas été défini ou compris, soit que le mot est instrumentalisé 291
Françoise Sironi, Psychopathologie des violences collectives, Paris, Odile Jacob, 2007. 292 Ibid. p. 12. 293 « L’exercice du métier des armées dans l’Armée de terre : fondements et principes » in Jean-René Bachelet, Pour une éthique du métier des armes – Vaincre la violence, Paris, Vuibert – Espace éthique, 2006, p. 168. 294 Ariel Colonomos, La morale dans les relations internationales, Paris, Odile Jacob, 2005, p. 27. 295 Bastien Irondelle, « L’armée française et l’éthique dans les conflits de post-guerre froide », Critique internationale, n° 41 2008/4, pp. 119-136.
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à des fins de communication interne comme externe pour rassurer les militaires comme les citoyens, on constate dans les différents documents traitant de la question un mélange des genres dénotant une analyse trop souvent superficielle et orientée296. C’est ce mélange que nous retrouvons dans la présentation du pôle « Ethique et déontologie » faite par l’adjoint au Directeur des formations d’élèves des Ecoles de St Cyr-Coëtquidan, qui y affirme qu’« il ne s’agit pas en effet de faire de l’éthique et de la déontologie pour faire de l’éthique et de la déontologie, mais de former des officiers irréprochables en termes de comportement dans la conduite et l’exécution de missions de maintien et de rétablissement de la paix au sein d’une Europe de la défense. En d’autres termes nous concevons le pôle éthique et déontologie comme un pôle de comportement qui tire sa substance de pôles de situation plus larges »297. A y regarder de plus près le but serait donc d’inculquer des règles de comportement à partir de cas concrets, ce qu’a par ailleurs fait le Général Royal dans son livre. Il est assez surprenant de constater qu’il faut de nouveaux codes de comportements alors qu’il en existe déjà dans les armées298. Le plus connu étant le Règlement de discipline générale. Codifier l’éthique, voilà une bien curieuse idée. On remarquera de même que la formation en matière d’éthique est aujourd’hui tournée exclusivement vers les officiers. Les sousofficiers et militaires du rang, loin de le déplorer, constatent 296
On peut pour cela se référer au document intitulé « L’exercice du métier des armes dans l’Armée de terre – Fondements et principes », qui laisse le lecteur perplexe devant un texte vaporeux et souvent confus où se mêlent droit, code de comportement, morale et moral ou encore doctrine. 297 Jean-Michel Vernis, Présentation du pôle d’excellence « éthique et déontologie ». Disponible sur Internet à : http://www.promotiongenerallasalle.org/presentation/pdf/LCL_VERNI S.pdf 298 Ces codes sont contenus dans différents textes réglementaires dans les parties relatives aux devoirs et responsabilités du militaire. A ce titre on notera l’article 8 de l’instruction n° 201710 qui exige du militaire qu’il respecte « la dignité de l’ennemi » ou encore l’article 5 du décret n° 2005796 du 15 juillet 2005 relatif à la discipline générale militaire qui dispose que le militaire doit « se comporter avec honneur et dignité ».
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cependant avec surprise qu’ils ne bénéficient pas de formation spécifique en la matière. Cela peut être interprété de plusieurs façons : soit on considère que les officiers n’ont pas d’éthique et qu’il faut leur en donner une, soit on considère que les sousofficiers n’ont pas le bagage nécessaire pour comprendre le concept. Soit les deux. La remarque mérite réflexion. Pourquoi l’éthique ne serait qu’une affaire d’officiers, de chefs ? Une réponse possible est liée au devoir d’obéissance des militaires. Auquel cas la responsabilité morale revient exclusivement au chef et il n’est dès lors plus nécessaire de distribuer un code du soldat à tous les militaires. La formation à l’éthique : l’importance de l’exemple L’éthique est donc une affaire entre l’individu et sa conscience. La question est de savoir s’il est moral d’imposer une éthique. La réponse est oui si on suit une logique d’efficacité nécessitant que le militaire soit captif des ordres reçus sans capacité de réflexion susceptible de remettre en question l’autorité qui les délivre. Mais l’éthique n’est alors pas la solution. Les règlements et le droit suffisent. A contrario, la réponse est non si l’on attend du militaire une prise de recul, une capacité d’analyse. Là encore la formation générale est supposée suffire. Une formation à la philosophie éthique, généralisée à tous les militaires, pourrait permettre d’étoffer leur capacité de réflexion en leur offrant des bases solides, mais sans imposer un système normatif car comme l’écrivait Emile Durkheim, « enseigner la morale, ce n'est pas la prêcher, ce n'est pas l'inculquer : c'est l'expliquer »299. Lors de cours portant sur la morale dans les relations internationales dispensés aux Ecoles d’officiers de l’Armée de l’air, il a été constaté qu’une réflexion ouverte et sans tabou suscite le débat et que ce débat rapproche 299
Emile Durkheim, L’éducation morale, p. 87 de la version électronique disponible sur Internet à : http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/education_morale /education_morale.html
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les jeunes militaires en leur faisant prendre conscience de leurs points communs comme de leurs divergences300. La solution n’est donc pas d’imposer mais de susciter l’adhésion par l’exemple, et ce dans tous les domaines de la vie des jeunes militaires. C’est ce principe qui est par ailleurs appliqué au sein de l’United States Air Force Academy, au travers du principe d’« Ethics Accross the Curriculum »301. Les militaires ont ceci en commun qu’ils attendent de leurs supérieurs qu’ils soient exemplaires. Ce devoir est d’ailleurs formalisé dans le RDG. En situation de crise le point de focalisation étant le chef, c’est lui qui est le garant de la morale de l’action. C’est lui qui décide. C’est lui qui donne les ordres. C’est lui qui donne l’exemple. Son subordonné est alors supposé obéir d’autant que le rythme de l’action n’est pas toujours propice à la réflexion et de surcroît à la discussion. Un chef manquant d’exemplarité ne sera alors que très rarement suivi. C’est ce que souligne le Général Bachelet lorsqu’il parle de cette fraternité d’arme dont découle « pour le chef, à tous niveaux, une immense responsabilité. De même que c'est sur son ordre qu'"on y va", fût-ce au péril de sa vie, il dépend très largement de lui que, là où il y a trouble, il n'y ait plus trouble »302. Cette exemplarité ne doit, et ne peut, être réduite à la formation académique. Elle doit être un souci de tous les instants. C’est là encore ce que nous dit Durkheim : « si la leçon de morale a sa place dans l'éducation morale, ce n'en est qu'un élément. L'éducation morale ne saurait être localisée avec cette rigueur dans l'horaire de la classe ; elle ne se donne 300
Ce cours était suivi par des élèves issus du corps des sous-officiers et des élèves allemands. Il en est ressorti une véritable attente en termes de réflexion philosophique, cette réflexion permettant à chacun de trouver un sens à son engagement. 301 Ce point avait été souligné par le Colonel James L. Cook, Professeur permanent et chef du Département de philosophie, à l’United Air Force Academy, à l’occasion d’une réunion de travail portant sur « L’éthique : enjeux et perspectives pour l’armée aérienne », tenu aux Ecoles d’officiers de l’Armée de l’air, le 09 novembre 2010. 302 Jean-René Bachelet, « La formation des militaires à l’éthique dans le métier des armes », article extrait du site Revue Droits Fondamentaux, 2007. Disponible sur Internet à: http://www.droitsfondamentaux.org/article.php3?id_article=128
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pas à tel ou tel moment ; elle est de tous les instants »303. C’est dans les repères trouvés dans le comportement de ses pairs que le militaire puisera les ressources qui lui permettront de se construire une éthique spécifique au métier des armes. Sans cette exemplarité toute tentative de construction de l’éthique par des artifices académiques sera vouée à l’échec. Le comportement au quotidien de certains militaires nous le montre, l’absence d’exemplarité mène inexorablement vers le relâchement de la conscience morale. Les repères collectifs disparaissent et l’individualité resurgit. L’intérêt personnel devient alors la seule norme éthique. A ce titre, si le niveau politique ne se positionne pas clairement, il laisse le militaire dans l’incertitude. C’est pour partie la thèse défendue par Bastien Irondelle qui souligne « une situation contrastée où s’affrontent deux dynamiques de fond : d’une part, une tendance à l’augmentation du contrôle interne et externe du comportement des armées, ainsi qu’une préoccupation affirmée des États-majors pour l’éthique militaire et l’éthique de la guerre ; d’autre part, la perpétuation ou les avatars de politiques étrangères particulières, qui ont conduit aux mises en cause les plus graves au Rwanda et, dans une moindre mesure, en Bosnie »304. Le militaire a besoin d’exemplarité pour continuer de donner un sens à son engagement en dépit des difficultés liées aux nouvelles formes de conflictualités ou aux impératifs politiques. Le comportement des militaires est conditionné par de nombreux facteurs. La spécificité du métier des armes en limite la portée. Ces limites de l’action militaire sont inscrites dans le droit, lui-même fortement empreint de réflexion morale. On trouve aux fondements du DCA des penseurs religieux comme St Thomas d’Aquin ou St Augustin, mais aussi les philosophes 303
Emile Durkheim, L’éducation … op. cit., p. 90 de la version électronique disponible sur Internet à : http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/education_morale /education_morale.html 304 Bastien Irondelle, op. cit., p. 121.
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des Lumières tels que Montesquieu, Rousseau ou Vattel et des humanistes comme Henri Dunant. Ces penseurs, et bien d’autres, ont bâti le droit sur une conception de la morale propre à l’Occident chrétien, mais surtout sur un triste constat : la concorde n’est pas un acquis naturel et ne peut se bâtir que sur le droit. C’est l’idéal kantien, le projet de paix perpétuelle fondé sur le droit305. Cependant nous l’avons vu, le droit a ses travers et ses zones d’ombre. Il serait vain de croire que la morale et l’éthique peuvent le remplacer. Les exemples ne manquent pas de soldats de tous grades ayant fait des choix jugés a posteriori contraires à une certaine forme de morale. L’assassinat de Firmin Mahé en Côte d’Ivoire en est un exemple, comme celui de ce lieutenant de la Légion étrangère qui décide par 38°C de priver d’eau un jeune de légionnaire qui vient d’être frappé par ses camarades, entrainant ainsi sa mort306. Avait-il compris le code du légionnaire ? Ce cas est certes isolé mais il reste symptomatique de certaines dérives guerrières tendant à sublimer le courage du guerrier et sa capacité à aller au-delà de ses limites. Ajoutée à des situations de crises aux contours flous, cette propension à l’excellence guerrière a fait glisser un sergent américain vers le meurtre de cinq de ses pairs en Irak307. La frustration vécue par des soldats engagés dans des conflits dont ils ne saisissent plus le sens mène inévitablement à des dérives. Consommation d’alcool308,
305
Emmanuel Kant, Pour la paix perpétuelle, Paris, Presses Universitaires de Lyon, Le livre de Poche n° 4669, 1985. 306 Jean-Dominique Merchet, « Djibouti: retour sur l'affaire du légionnaire mort et du lieutenant incarcéré », Blog Secret Défense, 09 janvier 2009. Disponible sur Internet à : http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense/2009/01/un-homme-estmo.html. 307 Le Sergent John Russell, spécialiste des communications au sein du 54 e bataillon du génie stationné en Allemagne, a abattu cinq autres militaires après qu’un de ses supérieurs lui a retiré son arme en raison d’inquiétudes quant à son comportement. « Le sergent Russel, fou de guerre », Le Monde, 16 mai 2009. 308 Patrick Saint-Paul, « La bière allemande passe mal sur le front afghan », Le Figaro, 20 septembre 2008. Disponible sur Internet à :
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refus de mener des missions309, désordres psychologiques310, démence311 pouvant aller jusqu’au meurtre, sont autant de conséquences perverses d’un discours et de pratiques supposées éthiques insistant sur la valeur du guerrier ou la beauté de l’engagement. La mission du militaire est « de préparer et d'assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation » comme cela est inscrit dans le Statut général des militaires. Mais comment se construire une éthique dans un contexte où les intérêts des acteurs priment sur toute autre considération ? Comment faire passer l’intérêt collectif, les valeurs de la nation devant ses propres intérêts ? C’est ce questionnement que souligne un article de Rémy Ourdan dans lequel des soldats américains expriment leur frustration due à l’absence de confrontation directe avec les talibans en Afghanistan. Il y écrit notamment que « lorsqu'ils partent en opération, ces hommes sont soudés, unis dans leur combat pour "protéger l'Amérique", convaincus qu'il faut "gagner la guerre, dit un soldat, pour pouvoir rentrer au plus vite à la maison". Car si certains craignent que Barack Obama mette fin trop tôt aux guerres engagées, tous ne rêvent que du signal du départ, de l'avion du retour »312. Il serait naïf de croire que ce genre de raisonnement est réservé aux militaires américains. Tous les militaires ont besoin de repères. L’éthique en est certes un, mais http://www.lefigaro.fr/international/2008/11/21/0100320081121ARTFIG00122-la-biere-allemande-passe-mal-sur-le-frontafghan-.php. 309 « La fronde d’un bataillon néerlandais en Afghanistan », Le Figaro, 1er octobre 2008. Disponible sur Internet à : http://www.lefigaro.fr/international/2008/10/01/0100320081001ARTFIG00433-la-fronde-d-un-bataillon-neerlandais-enafghanistan-.php. 310 Jean-Paul Mari, « GI’s : les morts de l’intérieur », Grands reporters.com, juin 2007. Disponible sur Internet à : http://www.grands-reporters.com/Gi-sLes-morts-de-l-interieur.html. 311 Jean-Paul Mari, « Soldats français : Traumatismes psychiques de la guerre », Grands reporters.com, 21 décembre 2008. Disponible sur Internet à : http://www.grands-reporters.com/Sans-blessures-apparentes.html. 312 Rémy Ourdan, « Les soldats américains frustrés par les tactiques de la contre-insurrection », Le Monde, 15 mai 2009.
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largement insuffisant pour contrer les effets pervers de certains discours mobilisateurs ou de stratégies politiques aux contours diffus. Pour pallier les dérives découlant de cette prise de conscience de la complexité des opérations militaires, Nancy Sherman propose une application modérée par ces derniers de la pensée stoïcienne de Cicéron et de Sénèque313. Un comportement sine ira et studio, sans colère ni faveur, selon l’expression de Tacite314. Le militaire devrait donc agir avec détachement, devenir ce guerrier stoïque, capable de se distancier de son environnement pour mener à bien sa mission coûte que coûte, vaille que vaille. Le code du soldat pourrait alors être remplacé par le Manuel d’Epictète315. Son éthique devrait alors être mise en sommeil. « Quand les talons claquent, les esprits semblent se vider » déplorait le Maréchal Lyautey. Cette vision des choses entre en résonance avec la volonté affichée des armées de fournir aux militaires des éléments favorisant la réflexion. Les armées françaises semblent hésiter aujourd’hui entre réflexion et obéissance. Or les deux termes ne sont pas antinomiques et l’obéissance peut être obtenue de la part de personnes capables de réfléchir. Il faut pour cela que les ordres soient clairs, précis, réfléchis et qu’ils s’inscrivent dans un contexte lisible. Il n’est pas moins moral d’être utilitariste qu’idéaliste. Encore faut-il prendre ses responsabilités et en assumer les conséquences quelles qu’elles soient. Entre morale et impératifs politiques, le choix a trop souvent tendance à se porter sur les seconds tout en se réclamant de la première.
313
Nancy Sherman, Stoic Warriors – The Ancient Philosophy Behind The Military Mind, New York, Oxford University Press Inc. USA, 2005. 314 Tacite, « Annales », Livre I, Chapitre 1, in Œuvres complètes, Paris Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1990. 315 Epictète, Manuel, Paris, GF Flammarion, 1997.
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3.4
Morale, hiérarchie et responsabilité
Le calcul politique ne s’accorde guère avec la morale populaire. La raison d’Etat impose ses règles que d’aucuns qualifient parfois d’immorales. Pourtant la philosophie morale est riche de concepts qui tantôt seront jugés immoraux, tantôt seront jugés moraux selon le point de vue adopté. Tout est ici question d’appréciation. La politique allie parfois des ingrédients improbables pour obtenir des résultats séduisants. La grande difficulté tient dans le fait que parfois les résultats sont obtenus au prix de certains écarts. La campagne de bombardement au-dessus du Japon, le bombardement des villes allemandes, l’intervention au Kosovo, le recours à la torture, le contournement du droit international sous toutes ses formes, sont autant d’exemples de cette logique conséquentialiste qui anime l’action des Etats. Le principe n’est pas immoral en soi. Ne pas l’assumer peut le rendre immoral, au moins en apparence. Se dissimuler derrière l’argument moral permet de se déresponsabiliser L’argument moral permet de séduire les foules et ce faisant de créer un besoin de morale qui rejaillit sur les militaires. La morale devient une caution politique et un fardeau militaire. La dilution de responsabilité pèse alors de tout son poids sur l’action des armées. Au principe d’efficacité militaire s’oppose dès lors le principe de précaution. C’est la technique du parapluie : pour éviter d’être mis en cause chaque maillon de la chaîne hiérarchique ouvre son parapluie pour se protéger de l’orage et c’est celui qui a le plus petit qui est le plus touché. L’exigence d’obéissance : un contrat moral implicite Comme l’écrit Pierre Barral, « (…) la subordination du commandement au gouvernement apparaît dans les démocraties comme un principe de l’Etat de droit »316. La 316
Pierre Barral, Pouvoir civil et commandement militaire – Du roi connectable aux leaders du 20e siècle, Paris, Les Presses de Sciences-Po, 2005.
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France ne fait pas exception. Le militaire est un outil au service du politique puisque comme l’écrivait Clausewitz « la guerre est une simple continuation de la politique par d’autres moyens ». Or l’outil de la guerre demeure l’armée. Le militaire a donc pour vocation de prendre les armes pour défendre les intérêts supérieurs de la nation. Pour ce faire il a le devoir de se préparer au combat, quand bien même les probabilités d’occurrence d’un conflit sont faibles. Ce besoin de préparation, déjà souligné par Sun Tzu dans L’art de la guerre317, a pour corollaire l’application d’une discipline stricte fondée sur une obéissance indéfectible à l’autorité supérieure. C’est cette discipline qui est au cœur de l’efficacité militaire. Sans elle point de « rempart contre les risques assumés au combat »318. Or la discipline ne peut reposer sur des considérations morales ou éthiques. Le soldat au combat n’a pas le loisir ni le droit de discuter les ordres, d’en évaluer le bien-fondé et la portée, sauf à ce qu’ils soient manifestement illégaux. Il en va de l’efficacité de l’action. Mais cette obéissance au feu ne saurait être pertinente sans préparation, sans formation. C’est là l’objet de la discipline qui impose au militaire de se conformer à des règles prescrites afin de répondre à l’exigence de la spécificité du métier des armes. « Les soldats ne peuvent pas être transformés en de simples instruments de guerre » nous dit Michael Walzer qui ajoute que « entraînés à obéir "sans hésitation", ils demeurent néanmoins capables d’hésiter »319. Et de prendre comme exemple le cas du massacre de My Lai perpétré le 16 mars 1968 en pleine guerre du Vietnam. Durant cet épisode tragique des soldats d’une compagnie américaine agressèrent et tuèrent près de 500 civils. 317
« A la guerre il ne faut pas compter que l’ennemi ne viendra pas, mais être en mesure de le contrer ; il ne faut pas se bercer de l’espoir qu’il n’attaquera pas, mais faire en sorte qu’il ne puisse attaquer ». Sun Tzu, L’art de la guerre, Paris, Hachette, coll. Pluriel Inédit, 2000, p. 73. 318 Jacques Chirac, Discours de M. Jacques Chirac, Président de la République, à l’occasion du bicentenaire de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr, Ecole Militaire, Paris, le 25 janvier 2002. 319 Michael Walzer, Just and Unjust Wars – A moral argument with historical illustrations, New York, Basic Books-Perseus Books, U.S., 2000, 3rd edition p. 311.
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Les soldats se défendirent par la suite en arguant du fait qu’ils n’avaient fait qu’obéir aux ordres du commandant de la compagnie, le Capitaine Ernest Medina. Pour Walzer, le militaire est vu comme un « agent moral » dont on attend qu’il fasse des choix320, car écrit-il, « [les soldats] ne sont pas responsables de la justice de l’ensemble des guerres dans lesquelles ils combattent ; leur responsabilité est limitée au champ de leur propre activité »321. Ce type d’argumentation n’est pas sans rappeler la célèbre expérience de Stanley Milgram dont il tirait les conclusions suivantes : « C’est là, peut-être, la leçon la plus fondamentale de notre étude : des gens ordinaires, faisant simplement leur travail et ne faisant preuve d’aucune hostilité particulière, peuvent devenir les agents d’un terrible processus de destruction. Qui plus est, même lorsque les effets destructeurs de leur travail deviennent évidents et qu’on leur demande d’agir d’une manière incompatible avec les standards fondamentaux de moralité, relativement peu de personnes disposent des ressources nécessaires pour résister à l’autorité »322.
Si l’expérience de Milgram, qui montrait que des individus ordinaires pouvaient obéir à une autorité considérée comme légitime allant jusqu’à délivrer un choc mortel de 450 volts à un de leur congénère, date de 1961, elle n’en reste pas moins d’une actualité brûlante. C’est ce qu’à démontrer une expérience similaire diffusée sur France 2 en mars 2010. Le constat est édifiant : 81 % des personnes testées a délivré le choc maximal de 440 volts323. Cette propension à obéir aux ordres, surtout 320
Ibid., p. 306. Ibid., p. 304. Traduction de l’auteur. 322 Stanley Milgram, “The Perils of Obedience”, Harper's Magazine, 1974. Disponible sur Internet à : http://home.swbell.net/revscat/perilsOfObedience.html. Traduction de l’auteur. 323 Christopher Nick, Le Jeu de la mort (Jusqu’où va la télé ?), France 2, 17 mars 2010, 22h46. 321
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lorsqu’ils émanent d’un agent perçu comme étant légitime, n’est pas spécifique au militaire. Le risque qui en découle est une mise en sommeil de toute considération morale. Il va de soi que si cette prise de distance vis-à-vis de la morale est possible en situation non anxiogène, la probabilité d’occurrence augmente avec le niveau de stress. Le militaire n’est pas un surhomme et il est tout autant capable de sombrer dans l’excès que le serait un civil. Seules une formation sérieuse et la discipline permettent de limiter les risques. Les textes réglementaires rappellent au militaire que « le subordonné ne doit pas exécuter un ordre prescrivant d’accomplir un ordre manifestement illégal ou contraire aux règles du droit international applicable dans les conflits armés et aux conventions internationales en vigueur pour la France »324 et que « l’obéissance aux ordres est le premier devoir du subordonné. Toutefois, le subordonné doit refuser d’exécuter un ordre prescrivant d’accomplir un acte manifestement illégal »325. En France le militaire est donc tenu d’obéir aux ordres dans le respect des lois et règlements. Il a le devoir de ne pas accomplir un ordre manifestement illégal. Si le principe est louable son application demeure délicate. La première raison en est que pour juger de l’illégalité d’un ordre il est nécessaire d’avoir une connaissance parfaite des lois et règlements en vigueur, ce qui n’est que très marginalement le cas. L’instruction n° 201710 précise d’ailleurs que « (…) le subordonné qui refuse d’exécuter un ordre au motif qu’il serait manifestement illégal est fautif si le caractère manifestement illégal de cet ordre n’est pas avéré »326. Le risque de se tromper, de voir sa responsabilité engagée et d’être sanctionné est donc un frein au refus d’obéissance. Une deuxième raison est que la mise en cause d’un ordre peut avoir de lourdes conséquences sur la carrière du 324
Décret n° 2005-796 du 15 juillet 2005 relatif à la discipline générale militaire, Article 8§3. 325 Instruction n° 201710 d’application du décret relatif à la discipline générale militaire du 4 novembre 2005, Article 7. 326 Ibid.
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militaire qui aura osé s’opposer à sa hiérarchie. Sans connaissances juridiques spécifiques et, au vu des risques encourus, il est rare qu’un militaire refuse catégoriquement d’obéir. L’exemple développé précédemment du meurtre de Firmin Mahé en Côte d’Ivoire résulte de cette acculturation à l’obéissance qui caractérise les militaires. A cela s’ajoute le fait que certains ordres peuvent être ambigus ou formulés de manière à laisser une large marge d’interprétation au subordonné327. Pour être efficace l’ordre doit être clair et pour être clair il doit être assumé. Il en découle une exigence forte à l’égard de la hiérarchie. Celle-ci trouve son fondement dans un contrat moral implicite : le militaire ne peut obéir sans hésitation que s’il a une entière confiance en sa hiérarchie. La responsabilité du chef militaire au fondement de la hiérarchie « L’organisation des armées et formations rattachées est fondée sur la hiérarchie qui définit la place de chacun et son niveau de responsabilité par l’ordre des grades, et, dans chaque grade, par l’ordre d’ancienneté »328. La hiérarchie est dans les armées la formalisation de la légitimité. L’obéissance repose sur la discipline imposant la soumission à la hiérarchie. Cette organisation hiérarchique est formalisée par des signes visibles que sont les grades. Ces derniers permettent d’identifier clairement l’autorité investie de la légitimité que lui confère l’institution. Si cette légitimité peut être discutée, il n’en demeure pas moins que de prime abord il est délicat de la remettre en question. Le militaire est donc tenu d’obéir aux ordres émanant de tout autre militaire placé devant lui dans l’ordre hiérarchique. A cette organisation verticale s’ajoute une organisation horizontale fondée sur l’autorité liée à la fonction occupée, et ce indépendamment du grade. C’est le principe 327
C’est ce qui fut reproché au Capitaine Medina à la suite du massacre de My Lai et au Général Poncet dans l’affaire Mahé. 328 Décret n° 2005-796 du 15 juillet 2005 relatif à la discipline générale militaire, Article 2.
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selon lequel « la fonction prime sur le grade ». Contrairement au système hiérarchique, le système fonctionnel n’est pas formalisé par un signe distinctif visible de l’extérieur. Quoi qu’il en soit l’exercice de l’autorité implique que « celui qui la détient assume la responsabilité des actes nécessaires à son service »329. Assumer ses responsabilités, voilà bien le cœur du problème dans les armées. Trop souvent ces responsabilités sont diluées aux croisements de la hiérarchie et de la fonction330. Or, si les responsabilités ne sont pleinement assumées par l’ensemble de la chaîne hiérarchique, la confiance disparaît et l’obéissance aux ordres s’en ressent. La discipline est alors remise en question et les armées perdent en efficacité. En situation de conflit une « crise de confiance » peut avoir des conséquences désastreuses. Sun Tzu écrivait déjà au 6e siècle avant Jésus-Christ qu’« un pays dont l’armée est désemparée et traverse une crise de confiance sera victime de tentative de subversion de la part de ses rivaux »331. C’est dire que ce facteur est connu de longue date. On constate donc que la discipline fondée sur l’obéissance, elle-même liée à l’exercice de l’autorité n’est pas chose aisée. Une des questions morales qui se pose ici est de savoir si l’autorité reposant sur la hiérarchie, c'est-à-dire sur les grades, ou sur la fonction, est suffisante et légitime. Elle le serait si, dans un monde parfait, l’ensemble de la chaîne hiérarchique et fonctionnelle, consciente de la spécificité du métier des armes, était exemplaire. Nous revenons là à la question de l’exemplarité sur laquelle se bâtit, au final la discipline. C’est ce que nous dit l’instruction n° 201710 d’application du décret relatif à la discipline générale militaire : « Les ordres donnés par le chef seront d’autant mieux exécutés qu’il aura acquis la confiance de 329Ibid.,
article 3. « Obéir aux ordres : ce n’est pas ça le problème ! Le problème c’est de savoir qui va être sanctionné pour les erreurs. Si tous les chefs assumaient leurs responsabilités ce serait plus facile d’obéir ». Cette remarque faite par un officier marinier lors d’un entretien, est symptomatique du manque de confiance en la hiérarchie du fait de la propension de celle-ci à se déresponsabiliser. 331 Sun Tzu, op. cit., p. 60.
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ses subordonnés par sa compétence, sa droiture, son sens de la justice et sa fermeté. En toutes circonstances, il montre l’exemple par son attitude et sa conduite »332. C’est donc par l’exemple que le chef suscite l’adhésion et favorise les comportements moraux et non par l’imposition d’un code déontologique dont nous voyons par ailleurs qu’il est largement formalisé dans les textes réglementaires. Max Weber écrivait qu’il existe « trois raisons internes qui justifient la domination, et par conséquent il existe trois fondements de la légitimité » : la tradition, le charisme et la légalité333. Cette distinction entre domination traditionnelle, charismatique et rationnelle-légale, est d’une importance rarement mesurée dans les armées. Pourtant elle apparaît en filigrane dans les textes réglementaires qui rappellent que la légitimité peut découler du mandat confié au chef (légitimité rationnelle-légale), de son exemplarité dans son attitude et sa conduite (légitimité charismatique)334 et dans les traditions et les coutumes (légitimité traditionnelle)335. C’est dans l’ensemble de ces éléments que se trouve la légitimité du chef militaire. C’est dans l’ensemble de ces éléments que le chef doit puiser son exemplarité qui assoira son autorité, suscitera l’obéissance et imposera la discipline. Mais appliquer ces principes demande un effort : celui d’assumer pleinement son rôle et ses 332
Instruction n° 201710, op. cit., Article 6. Ns. soul. en italique. Max Weber, Le savant et le politique, Paris, Union Générale d’Éditions, 1963, p. 33 de la version électronique. Disponible en version électronique sur le site Les classiques des sciences sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi à : http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/savant_politique/Le_savant. html. 334 « C'est là le pouvoir "charismatique" que le prophète exerçait, ou - dans le domaine politique - le chef de guerre élu, le souverain plébiscité, le grand démagogue ou le chef d'un parti politique ». Ibid. 335 Ce dernier point, s’il n’est pas formellement évoqué dans les textes, apparaît en filigrane de l’organisation hiérarchique et dans la place de l’ancienneté dans cette dernière. « L’ordre hiérarchique résulte : - à égalité de grade, de l’ancienneté dans le grade ; - à égalité d’ancienneté dans le grade, de l’ancienneté dans le grade inférieur ». Article 2 de l’instruction n° 201710, op. cit. 333
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responsabilités. Du chef qui rejetterait la faute d’un acte sur ses subordonnés en temps de paix, à celui qui tenterait d’amenuiser sa responsabilité en temps de guerre en la reportant sur ses subordonnés, il n’est qu’un pas trop aisément franchissable. Les exemples relevant du premier cas sont pléthoriques et font le quotidien des armées. Ceux relevant du second cas sont souvent tus. Les ordres ambigus, les directives floues, les instructions imprécises sont monnaie courante. L’affaire Firmin Mahé nous offre à ce titre un sujet de réflexion : l’ordre du Général Poncet était-il ambigu comme le prétend le Colonel Burgaud ?336 Le besoin de repères stables, de valeurs qui sont au fondement du contrat moral qui lie le militaire à l’institution, concerne toute la chaîne hiérarchique, au premier rang de laquelle les autorités politiques. Les sirènes de la morale et l’argument victimaire « La guerre a le mensonge pour fondement et le profit pour ressort » nous dit Sun Tzu337. La morale dans cette affirmation est encore utilitariste. Mentir pour arriver à ses fins, voilà la logique. Loin d’être immorale cette dernière n’est pas assumée par les Etats parce que trop impopulaire. La difficulté de concilier les attentes morales de la population avec les intérêts du pays a parfois amené la France à envisager « l’énoncé moral comme ressource »338. Très rapidement l’habitude a été prise de recourir à l’argument moral pour masquer des comportements soit illégaux, soit difficilement acceptables par les opinions publiques. Des bombardements à vocation humanitaire au Kosovo en 1999 à l’intervention en Afghanistan au motif de 336
« "Vous remontez à Man. Vous roulez doucement. Vous me comprenez !». Ces mots sont les ordres que le Colonel Burgaud dit avoir reçus de son supérieur le Général Henri Poncet. "J’ai en fait compris la même chose que tout le monde, c’est-à-dire que l’idéal était que Mahé arrive mort à Man", précise le Colonel Burgaud Didier Samson, « Affaire Mahé : quatre soldats français inculpés », Radio France Internationale, 1er décembre 2005. Disponible sur Internet à : http://www.rfi.fr/actufr/articles/072/article_40179.asp. 337 Sun Tzu, op. cit., p. 70. 338 David Ambrosetti, op. cit., p. 30.
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défendre des valeurs universelles339, en passant par le Rwanda, la France n’a pas toujours été exemplaire. Le moralisme à tout crin qui caractérise le discours politique aujourd’hui340 est largement discutable. Nous avons dit que le militaire a besoin de repères stables pour trouver un sens à son engagement et accepter les contraintes morales qui pèsent sur le métier des armes. En tant qu’outil au service du politique quoi de plus naturel, dès lors, que de tourner le regard vers l’autorité politique. Si les valeurs de la République ne sont pas respectées par l’Etat lui-même il devient difficile pour le militaire d’inscrire son action dans une quelconque morale. C’est là une des grandes difficultés du métier des armes : pour donner un sens à l’engagement il faut que le soldat sache pour quoi (mais aussi pourquoi !) il se bat. Il faut qu’il sache que les valeurs auxquelles il croit et qui l’ont amené à se mettre au service de son pays, sont défendues par l’Etat. Si celui-ci inscrit son action dans une morale conséquentialiste il doit l’admettre quand bien même cela ne serait pas populaire. Les jeunes hommes et femmes qui viendraient s’engager le feraient alors en connaissance de cause et le contrat moral serait préservé. L’écart est aujourd’hui bien trop important entre le discours moral assis sur les « valeurs » de la République et la réalité, entre les promesses faites dans les campagnes télévisées341 et la violence des confits modernes. Le militaire se perd aujourd’hui en conjectures sur la spécificité de son métier, sur les valeurs qu’il est censé défendre et sur la pertinence du principe d’obéissance. Pour gagner l’adhésion des 339
« Ils [les soldats morts dans l’embuscade d’Uzbin - ndla] ont donné leur vie loin de leur pays pour faire leur devoir, pour la liberté des droits de l’Homme, pour des valeurs universelles qui sont au cœur de notre République ». Allocution de M. le Président de la République, Hommage national rendu aux soldats morts en Afghanistan le 18 août 2008, Hôtel des Invalides, Paris, le 21 août 2008. 340 Environnement, politique, médecine, conflits et finances sont parmi les domaines pour lesquels le discours moral est le plus développé. 341 Certaines campagnes de recrutements ont eu tendance à s’appuyer sur une vision de l’institution jetant le trouble sur la vocation des armées. Si d’une part il existe une volonté de redonner un sens au métier des armes, comme l’affirme le Général Bachelet, il est d’autre part déplorable que les armées aient pu dévoyer leur image par une communication inadaptée.
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armées, le politique doit assumer ses choix et les exprimer clairement. C’est aussi le rôle de la hiérarchie que de conseiller le politique dans ses choix et dans les modalités de l’action. L’usage de la force reste une prérogative et une responsabilité des armées. A ce titre le politique ne peut et ne doit être la seule autorité décisionnaire. Le militaire ne doit surtout pas sombrer dans la « tentation de l’innocence » et le travers victimaire qui, selon Pascal Bruckner, semble caractériser nos sociétés modernes342. C’est ce que le Général Bachelet souligne lorsqu’il écrit : « Quant à la stricte subordination du militaire au politique, principe cardinal, elle ne saurait se traduire, sans exposer à des conséquences désastreuses, par une répartition caricaturale des rôles où le militaire ne serait que l’instrument aveugle d’une politique dont il voudrait tout ignorer ; bien au contraire, dans la mesure où la politique éclaire son action et où l’une exprime l’autre, le devoir de loyauté n’exonère pas les chefs, notamment, d’un devoir d’avis et de conseils, voire d’objections. Ce n’est pas chose facile, si l’on en croit le général de Gaulle : "Il est vrai que l’habitude d’obéir inhibe parfois le militaire dans sa capacité à objecter." »343
La question de la responsabilité est délicate à trancher. Pourtant elle a un poids déterminant dans le jugement moral porté sur les décisions engageant les armées. La décision de recourir à la force est avant tout une émanation de la politique344. Comme le souligne Bastien Irondelle, « les mises en cause les plus graves relèvent moins d’un relâchement de l’éthique des armées, d’un affaiblissement de la définition ou du respect des normes internes et internationales de la part de l’institution militaire, que de « politiques » conduites par le 342
Pascal Bruckner, op. cit. Jean-René Bachelet, « Un sens au métier des armes », Études, 2002/2, Tome 396, p. 182. 344 Michael Walzer, op. cit., p. 289.
343
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pouvoir exécutif »345. De fait le politique doit être exemplaire dans ses décisions et en assumer les responsabilités surtout quand celles-ci impliquent le recours à la force. C’est le célèbre « principe responsabilité » de Hans Jonas appliqué au politique346. D’autre part il est urgent de rétablir la confiance entre les armées et le politique. Sans elle, l’efficacité militaire n’est qu’une utopie. Pour cela il est nécessaire que l’Etat redevienne une référence en termes de valeurs à défendre. Le Président des Etats-Unis, Barack Obama, déclarait récemment que « le leadership moral est plus puissant que n’importe quelle arme »347. Cette affirmation trouve son sens dans le rapport entre les armées et l’autorité politique. Le militaire est au service du politique et en cela il ne doit pas être tenu pour responsable des actions découlant de choix politiques non assumés. Le Général Weygand affirmait que « [l]'obéissance aux chefs immédiats ne doit en aucun cas être contestée ; elle constitue une obligation impérative dont le respect ne peut être considéré ultérieurement comme une faute »348. Faut-il voir là une volonté de déresponsabilisation du militaire ? Certes non. Pour autant, il paraît difficile de nier l’importance d’un juste retour à un partage effectif des responsabilités. En termes de morale ce rééquilibrage est d’autant plus nécessaire que les militaires ont souvent le sentiment d’être les derniers remparts moraux d’un monde où prime la logique de l’intérêt. Difficile pour eux, alors, de respecter le principe d’obéissance aveugle à l’ordre donné. La morale ne peut pas être uniquement l’affaire de celui qui 345
Bastien Irondelle, « L’armée française et l’éthique dans les conflits de post-guerre froide », Critique internationale, n° 41 2008/4, p. 129. 346 Hans Jonas, The Imperative of Responsibility: In Search of an Ethics for the Technological Age, Chicago, University Of Chicago Press, 1985. 347 “And it proved that moral leadership is more powerful than any weapon”. Remark by President Barack Obama, Hradcany Square, Prague, Czech Republic, April 5, 2009. Disponible sur Internet à: http://www.whitehouse.gov/the_press_office/Remarks-By-PresidentBarack-Obama-In-Prague-As-Delivered/ 348 Cité in Jean Guisnel, « Un texte du général Weygand provoque une tempête », Le Point, 29 janvier 2009. Disponible sur Internet à : http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2009-01-30/un-texte-dugeneral-weygand-provoque-une-tempete/1648/0/312068.
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appuie sur la détente. Elle doit aussi engager la responsabilité de celui qui en a donné l’ordre et de celui qui a (ou de ceux qui ont) décidé d’engager une action armée. Séparer les deux revient à l’ineptie consistant à séparer le jus ad bellum et le jus in bello. C’est l’exemplarité de l’Etat et de l’ensemble de la chaîne hiérarchique qui fera que le militaire pourra obéir sans inquiétude et agir efficacement. La contrainte morale qui pèse aujourd’hui sur le métier des armes est importante. Les attentes de l’opinion publique française, comme celles d’opinions publiques d’autres nations, dont par ailleurs les armées sont les tributaires, sont d’autant plus prégnantes que le discours politique tend à minimiser les conséquences du recours à la force. Morale et recours à la force ne forment pas un couple idéal. Il y a dans l’utilisation de la violence une dimension, souvent jugée immorale de prime abord, qui peut s’avérer justifiable moralement. Les penseurs de la tradition de la guerre juste se sont longuement interrogés sur ces justifications morales éventuelles. Si cette tradition atteint ses limites dans les conflits contemporains, il ne faut pas pour autant abandonner toute réflexion sur le sujet. Le risque est ici de sombrer dans le confort de codes, prétendument moraux, applicables par ceux-là mêmes à qui revient la redoutable charge, le cas échéant, de donner la mort et de la recevoir. Ces codes amènent plus de questions qu’ils ne résolvent de problèmes. Ils instrumentalisent le concept de morale, réduisent l’éthique à des devoirs et sclérosent la pensée. Qui plus est, ils font doublon avec les textes réglementaires déjà en vigueur dans les armées. Leur raison d’être et leur utilité sont donc loin d’être avérées. L’éthique ne s’impose pas elle se construit. Elle n’est pas collective, elle est individuelle. Le nier revient à priver l’individu de son libre-arbitre. Imposer un code de conduite au militaire n’a rien de moral. Tout au plus peut-on parler de déontologie. Mais si c’est de déontologie dont il est question, peut-être serait-il temps de revenir aux textes. Peut-être serait-il temps d’appliquer les règlements existants avant d’en inventer de nouveaux, plus flous, plus ambigus. Mais appliquer les 167
règlements est un exercice exigeant. Cela nécessite que chacun le fasse à son niveau et par conséquent que chacun en ait pris connaissance. Appliquer le règlement implique également d’être exemplaire, tant il est impossible de demander à ses subordonnés d’appliquer des règles sans les appliquer soimême. « Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais » semble être devenue la devise qui lie les armées au politique et qui permet, le cas échéant, aux responsables politiques de rejeter la responsabilité sur les militaires. Cette tendance se retrouve aussi à l’intérieur de la chaîne hiérarchique militaire contribuant à semer le trouble dans un système qui ne souffre pas de grain de sable dans ses rouages. Or le trouble est l’ennemi de la discipline. C’est sur cette discipline que repose l’efficacité militaire. Ce n’est pas la contrainte morale qui viendra éclaircir la situation. Bien au contraire.
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Conclusion
« La formation du combattant, son niveau d’entraînement, la légitimité de son action, la clarté des objectifs qui lui sont assignés conditionnent plus que jamais le succès sur le terrain. La primauté du facteur humain doit être réaffirmée. À cet égard, rien ne pourra remplacer la force morale des unités confrontées au combat, qui est le fruit de l’entraînement où naît la cohésion, de la discipline qui règle l’engagement et du travail quotidien avec un encadrement fortement sélectionné et expérimenté, où se forge la confiance »349. Cet extrait du Livre blanc de 2008 pose tout l’ambigüité du discours moral. Si les militaires ont un rôle moral à jouer dans les engagements de la France, la responsabilité morale des actes commis ne leur incombe pas pour autant de manière systématique. La contrainte morale qu’ils subissent aujourd’hui, loin de faciliter le difficile exercice du métier des armes, le complexifie lourdement. Le militaire semble être le seul responsable de la moralité de l’action coercitive. C’est aller un peu vite en besogne. Comme l’écrit Michael Walzer, la responsabilité démocratique incombe à l’ensemble des citoyens350. La décision d’action qui met aujourd’hui le militaire face à des situations conflictuelles complexes revient à l’autorité politique. C’est elle qui décide du bien-fondé du recours à la force. C’est elle qui est supposée en avoir mesuré les conséquences. C’est à elle que revient la responsabilité morale de l’action menée au nom des intérêts supérieurs de la nation. 349 350
Défense et sécurité …, op. cit., p. 203. Michael Walzer, pp. 296-303.
Cette idée n’a rien d’immoral en soi. Encore faut-il prendre le temps de l’expliquer. Les relations internationales sont un domaine d’une extrême complexité. La politique étrangère de la France tend, comme n’importe quelle autre politique étrangère, à défendre des intérêts. Pour cela elle peut s’appuyer sur un spectre de moyens allant de la diplomatie au recours à la force en passant par l’action « diplomatico-stratégique »351. Juger les décisions prises au niveau politique revient à estimer que l’on a les capacités de le faire. Juger de la moralité d’une action militaire, sous-entend d’avoir les éléments nécessaires pour le faire. Un des facteurs à prendre en compte par la population est que la préservation des intérêts de la nation doit être une charge portée par l’ensemble de la communauté nationale. Si chaque Français peut aujourd’hui vivre en paix dans un pays de tradition démocratique au niveau de vie élevé, c’est parce que des décisions politiques ont été prises quel que soit leur degré de moralité. L’intervention au Kosovo a très largement été critiquée sur le plan moral. Pour autant la France a assuré la sécurité à sa périphérie proche et renforcé sa place aux côtés des alliés de l’OTAN. Les Français y ont gagné en sécurité. La morale populaire et la politique étrangère n’ont jamais fait bon ménage. Rares sont ceux qui, comme Bernard Kouchner, l’admettent. Et pourtant, tout le monde gagnerait à clarifier ce point. Les nouvelles formes de conflictualités auxquelles sont confrontées les armées françaises aujourd’hui ne laissent que peu de place aux considérations morales. Nos adversaires le savent bien et en profitent. Non contraints par le droit ou par la morale, ils s’engouffrent dans nos paradoxes, font vaciller nos certitudes. Le monde n’est pas un havre de paix. Notre environnement est toujours plus instable nous dit le Livre blanc352. Il nous revient en tant que citoyens de prendre en compte cette donnée et de comprendre que le recours à la force est un outil comme un autre pour préserver nos intérêts, notre sécurité. Les militaires, en tant qu’outil au service du politique, 351 352
Guillaume Devin, op. cit. Défense et sécurité …, op. cit., pp. 13-16.
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en sont le bras armé, les exécutants. Evitons de tirer sur le messager. Montrer du doigt les fautes commises par les militaires revient à exonérer le niveau politique de ses responsabilités. Fustiger le manque de moyens et d’entraînement des forces armées revient à oublier que ceux-ci dépendent de la volonté politique. Critiquer l’action des militaires en Afghanistan, permet de déresponsabiliser ceux qui les y ont envoyés. Nous les y avons envoyés. Chaque citoyen, dans l’exercice de ses droits à participer à la vie de la nation, a une part de responsabilité dans les erreurs commises par les militaires. Bien évidemment, en démocratie, il échoit une responsabilité particulière à la représentation populaire. Si des actions immorales sont menées, nous sommes tous, en tant que citoyens, tenus d’en assumer la charge. Les nouveaux conflits, à n’en pas douter soulèverons encore bien des questions morales. La technologie aidant les attentes seront de plus en plus marquées. Il revient alors au politique d’assumer ses choix et de les expliquer aux opinions publiques. Ce rapport complexe entre la population, les armées et l’Etat, avait déjà été traité par Carl Von Clausewitz. C’est sa célèbre « remarquable trinité » constituée de la violence originelle, de ses éléments que sont la haine et l’animosité, du jeu de la probabilité et de la chance et de la nature subordonnée de l’instrument de la politique qu’est la guerre353. La modernité y a notamment ajouté les médias de masse. La contrainte morale, on le voit bien, vient de l’opposition continue entre les attentes passionnelles ou passionnées de la population, le réalisme froid des impératifs de la raison d’Etat et le principe de nécessité militaire. Pour rapprocher les attentes des uns des impératifs des autres, il est plus que jamais nécessaire de prendre de communiquer, d’expliquer la nature des conflits, d’informer sur les intérêts réels de la nation et sur les moyens mis en œuvre pour les préserver. Il est plus que jamais nécessaire de faire œuvre de pédagogie pour légitimer l’action militaire et lui rendre 353
Carl Von Clausewitz, op. cit., p. 24.
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ses lettres de noblesse, même si cela doit dans certains cas se faire au détriment du politique. Il faut renvoyer chacun à ses responsabilités. Comme l’écrit Christian Malis, « aux yeux de Clausewitz comme d’Aron, toute guerre est un composé de volonté politique, de passion populaire et d’exécution militaire »354. Il apparaît, qu’en la matière, rien n’a changé et qu’au sein de cette trinité, l’État comme le peuple se refusent à toute concession laissant au militaire la lourde tâche de concilier les attentes des uns et les impératifs des autres. La volonté populaire est largement empreinte de bons sentiments que nous exprimons par le mot « morale ». Cette morale, à géométrie variable, se heurte à la raison d’Etat qui agit dans une logique utilitariste, bien souvent considérée comme immorale. C’est mal connaître le sujet. Le conséquentialisme est en effet une forme de morale parmi d’autres, tendant à considérer que les conséquences de l’action ont plus d’importance que ses modalités. Tant que « le plus grand bonheur du plus grand nombre »355 est assuré, les moyens mis en œuvre n’ont qu’une importance marginale. L’objet de cette philosophie est la maximisation de la satisfaction des agents et l’évaluation de l’action ne peut se faire qu’a posteriori. La défense des intérêts supérieurs de la nation s’inscrit parfaitement dans cette logique. Pour autant il est clair qu’un tel argument est à tous le moins difficile à faire admettre. L’idée que « la fin justifie les moyens » ne fait pas que des émules et il est délicat pour un Etat de justifier ses décisions sur de tels fondements. D’autant que cette logique ne s’accorde guère avec le droit. Dans le cadre du recours à la force le DCA a justement pour finalité de faire en sorte que les moyens utilisés dans les conflits soient limités 354
Christian Malis, « Aron - Clausewitz, un débat continu », Institut de Stratégie Comparée, Commission Française d'Histoire Militaire, Institut d'Histoire des Conflits Contemporains, 2005. Disponible sur Internet à : http://www.stratisc.org/strat_7879_MALIS2.html. 355 Cette formule est attribuée au philosophe Joseph Priestley. Elle fut reprise par Jeremy Bentham qui consacra le concept d’utilitarisme. Jeremy Bentham, Introduction to the Principles of Morals and Legislation, Prometheus Books, 1988.
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en vertu des principes de proportionnalité, d’humanité et de discrimination. De fait, le droit est un frein à l’action de l’Etat, une contrainte que ce dernier essaie de contourner à la moindre occasion. Bien souvent contourner le droit n’est pas violer le droit. Les Etats l’ont bien compris et préfère s’engouffrer dans des failles, des zones grises. Les débats autour de l’intervention au Kosovo en 1999 ont montré quelle pouvait être l’énergie déployée à trouver ces failles et à les exploiter efficacement. C’est ce qui semble ressortir lorsque que Madeleine Albright, alors Secrétaire à la Défense américaine, répond « trouvez de nouveaux juristes » à son homologue britannique Robin Cook qui lui faisait part des difficultés éprouvées par les juristes anglais pour justifier l’intervention au Kosovo356. Parfois les zones d’ombre ne sont pas difficiles à trouver. Le droit des conflits armés en regorge. Ecrit à partir du 19ème siècle, il voit son aboutissement en 1949 avec la rédaction des quatre Conventions de Genève auxquelles seront adjoints deux Protocoles additionnels en 1977. La problématique majeure, qui d’une faille s’est transformée en abysse, est que ce droit ne s’applique dans le fait qu’aux agents y ayant souscrit, à savoir les Etats. Or depuis, les acteurs non-étatiques ont essaimé sur les théâtres des conflits. Non contraints par la norme juridique, ils bénéficient d’une liberté d’action refusée aux armées régulières. Le militaire doit alors composer avec cet état de fait et accepter les contraintes inhérentes au droit face à des adversaires non contraints. Le DCA n’est donc plus adapté aux conflits infraétatiques contemporains. Il bloque l’action au nom du principe de précaution, il met en danger la vie des militaires et semble trop souvent favoriser l’action de nos adversaires. Cette constatation a entraîné un regain d’intérêt pour les questions morales. Si le militaire ne peut plus compter sur le droit pour encadrer efficacement son action, il est alors tenu d’agir moralement. L’avènement de la morale dans les conflits 356
Michael Glennon cite in Gerry Simpson, « Lawyers Grapple With Attack on Iraq », AlterNet, 31 janvier 2003. Disponible sur Internet à : http://www.globalpolicy.org/compnent/content/article/167/35750.html
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modernes est l’expression de l’échec d’un monde construit sur les bases d’un modèle kantien. Régir le monde par le droit est devenu une utopie. La logique des intérêts particuliers a renvoyé Emmanuel Kant à ses réflexions sur la paix perpétuelle. Bien plus que les militaires, les Etats sont responsables de cette inefficacité du droit. La confusion née des discours moralisateurs sur l’application des règles de droit se heurtant à la réalité du terrain, a laissé le militaire orphelin du seul cadre fiable dont il disposait. Si le droit permettait de qualifier les actes et d’en punir les auteurs, la morale laisse les armées démunies. Relative par essence, la morale est variable en fonction des évènements et des intérêts en jeu. Le militaire doit alors opérer des choix sur la base de concepts flous, qu’il ne maîtrise pas et dont l’application demeure aléatoire. C’est au milieu de cette confusion que les armées se voient reprocher certaines dérives comme ce fût le cas en Côte d’Ivoire. En 1748, Montesquieu écrivait que « le droit des gens est naturellement fondé sur ce principe que les diverses nations doivent se faire dans la paix le plus de bien, et, dans la guerre le moins de mal qu'il est possible, sans nuire à leurs véritables intérêts »357, montrant ainsi que les intérêts primaient sur le droit. Là encore les choses ne semblent pas avoir beaucoup bougé. S’il n’existe pas de volonté politique forte d’inscrire l’action dans le strict respect du droit, le militaire ne peut en être tenu pour responsable. Il n’est pas non plus possible d’exiger du militaire qu’il ait un comportement irréprochable si son cadre d’action ne l’est pas lui-même. C’est là une autre ambigüité du métier des armes. Le militaire doit obéir aux ordres tout en les questionnant. On attend dès lors du militaire qu’il soit efficace au sens conséquentialiste du terme, mais dans le même temps on exige de lui un 357
Montesquieu, De l’esprit des lois, livre 1er, chap. 3. Version électronique disponible sur le site Les classiques des sciences sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi à : http://classiques.uqac.ca/classiques/montesquieu/de_esprit_des_lois/de _esprit_des_lois_tdm.html.
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comportement contraint par une morale qui rejette ce même conséquentialisme. Les armées françaises ne font pas exception. La position délicate des militaires français au Rwanda en fût un exemple. Agissant au service de la nation et de ses intérêts, on leur reproche une passivité considérée comme immorale. Le pouvoir exorbitant de tuer doit s’assortir d’un cadre d’action clair. D’autant plus que le recours à la force est très largement considéré comme immoral. Tuer n’est pas, en France comme ailleurs, un acte reconnu comme normal. La spécificité du métier des armes implique donc que le militaire se trouve pris entre deux feux : d’un côté le devoir d’obéissance à l’égard de la hiérarchie et de l’autre la nécessité de ne pas agir contre la morale imposée par l’opinion publique. Dans un monde complexe où la puissance reste un élément déterminant des relations internationales le recours à la force est inévitable. Il doit s’inscrire dans une logique d’efficacité qui ne peut exister sans discipline. Obéir relève de la discipline et exige une exemplarité de tous les instants de la part des responsables tant militaires que politiques. Là aussi le besoin de repères clairs, d’instructions délivrées sans ambigüité, s’avère déterminant. C’est à ce prix que le militaire pourra devenir un guerrier stoïque. Si l’idée d’un « code d’éthique », permettant une formalisation des règles morales, peut paraître séduisante à première vue, elle peut aussi se révéler rapidement dangereuse. Un tel code ne s’accompagnant pas d’un régime de sanctions, sera toujours soumis à l’appréciation relative de la hiérarchie. D’autre part, normaliser des comportements moraux dans une profession dont on sait pertinemment qu’elle est parfois contrainte de s’en affranchir, ne présente pas grand intérêt. D’autant que les règles de comportements des militaires ont déjà été formalisées à plusieurs reprises. On soulignera ici que le paradoxe d’un tel code se trouve d’abord et avant tout dans sa qualification. Parler de « code d’éthique » n’a en effet pas grand sens si l’on considère que l’éthique est avant tout une question 175
d’appréciation personnelle de l’action en fonction du contexte. Cependant parler de « code de morale » ne serait pas plus utile, et la contrainte toujours aussi dangereuse. Au final, l’exploitation des concepts d’éthique et de morale relève plus de la doctrine que de la réflexion philosophique. Elle est un moyen de se donner bonne conscience à moindre frais. Un code de morale, ou de déontologie, sous-entend la nécessité d’une communauté de valeurs et d’une perception partagée de ce qui est bien et de ce qui est mal. Or il apparaît que cette communauté n’existe pas réellement. Les armées ne sont pas un bloc homogène et la morale qui y est appliquée est souvent focalisée sur des intérêts individuels ou collectifs, d’ensembles qui composent l’institution militaire. L’adhésion à un code de morale n’est donc qu’une douce utopie. Par ailleurs, il est évident que le manque d’exemplarité ne favorise pas un élan enthousiaste à l’égard d’une quelconque morale commune. Dans un monde dangereux et complexe le recours à la force est donc inévitable. Ce recours à la force, pouvant aller jusqu’à la mort, fait la spécificité du métier des armes. Chaque militaire est détenteur, le cas échéant, du pouvoir de tuer et de mourir pour la France. Si cette idée est parfaitement intégrée par les autorités politiques, elle l’est diversement par les militaires et par les populations. Souvent considéré comme immoral, le recours à la force est un fardeau difficile à porter. Le militaire se voit alors frappé du sceau de l’immoralité dans son action. L’attente morale est aujourd’hui d’autant plus forte que, la technologie aidant, les opinions publiques ont été bercées de la douce illusion de conflits sans morts, d’utilisation d’armes de précision ou encore de frappes chirurgicales. Malheureusement, le militaire n’est pas toujours un chirurgien du conflit. Tuer pour survivre n’est pas en soi immoral. Tuer pour le plaisir peut être contestable. Le militaire ne tue pas pour le plaisir. S’il le fait c’est au nom d’intérêts supérieurs de la nation définis par l’autorité représentative. Il revient donc au politique ainsi qu’à l’ensemble de la population de mesurer avec attention le poids moral de l’engagement des forces. Le militaire ne saurait être le 176
dernier rempart moral de l’emploi de la force. Le militaire doit avoir une responsabilité : celle de respecter le droit en vigueur. Cette responsabilité doit par ailleurs être partagée par l’ensemble de la chaine de commandement, de la plus haute autorité politique au plus bas niveau de la hiérarchie. C’est en assumant leurs responsabilités que les chefs donneront l’exemple et susciteront l’adhésion et certainement pas en imposant un code appliquer de manière hétérogène. Ajouter une contrainte supplémentaire à celles inhérentes aux nouvelles formes de conflictualités, au droit ou aux règles régissant les armées, n’est absolument pas nécessaire. Multiplier les contraintes est au contraire dangereux. Surtout si la contrainte est de nature subjective et inégalement appliquée. La réflexion autour de la morale doit se poursuivre au sein des armées, mais elle doit se faire honnêtement. Elle ne doit pas sombrer dans l’endoctrinement ou l’instrumentalisation. Réécrire les codes contenus dans les textes réglementaires ne présente aucun intérêt. Appliquer et faire appliquer les textes existants, serait certainement plus profitable. Il est clair qu’à l’heure actuelle cette réflexion est parcellaire pour ne pas dire absente. Tout au plus pouvons-nous constater un début de questionnement et une ébauche de réponse superficielle. Les militaires ont une forte propension à considérer que leurs actes ont été mesurés en amont et que lorsque l’ordre arrive ils n’ont qu’à l’exécuter. Cette confiance en l’autorité doit être exploitée au sens noble du terme. La morale ne doit plus être un simple argument de séduction. La morale ne doit pas être un simple exercice de rhétorique destiné à séduire les foules358 sans 358
Cet extrait du Gorgias de Platon est à ce titre révélateur de l’ancienneté du procédé : « SOCRATE Bon. Mais la rhétorique qui s’adresse au peuple d’Athènes et à celui des autres États, c’est-à-dire à des hommes libres, quelle idée faut-il en prendre ? Te paraît-il que les orateurs parlent toujours en vue du plus grand bien et se proposent pour but de rendre par leurs discours les citoyens aussi vertueux que possible, ou crois-tu que, cherchant à plaire aux citoyens et négligeant l’intérêt public pour s’occuper de leur intérêt
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prendre en compte la spécificité du métier des armes et des conflits dans lesquels elle s’inscrit.
personnel, ils se conduisent avec les peuples comme avec des enfants, essayant seulement de leur plaire, sans s’inquiéter aucunement si par ces procédés ils les rendent meilleurs ou pires ? CALLICLÈS Cette question n’est plus aussi simple. Il y a des orateurs qui parlent dans l’intérêt des citoyens ; il y en a d’autres qui sont tels que tu dis ». Platon, Gorgias, LVIII. Version électronique disponible sur Internet à : http://www.philonet.fr.
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Postface
Est-il une exception ou un exemple ? Quel que soit l’uniforme qu’il porte, l’arme et la mission qui lui sont confiées, les monuments qui sont érigés en son honneur ou les procès qui lui sont faits, le militaire n’a jamais cessé de provoquer, de susciter et d’alimenter une telle interrogation. Qu’il se trouve « détenteur, au nom de la nation dont il tient sa légitimité, de la responsabilité, directe ou indirecte, d’infliger la destruction et la mort, au risque de sa vie » (Général Bachelet) confère sans nul doute à son métier l’originalité et l’exigence, rappelées par le Président Chirac. Mais s’en tenir à cette singularité, la souligner, la mettre en avant, n’est-ce pas prendre le risque de poser ou d’accepter les prémices de l’irresponsabilité du reste de la nation, après en avoir soutenu la non-culpabilité ? Que certains de ses enfants puissent accepter de mourir pour elle ne doit pas faire oublier à une nation que, par eux, elle détruit, tue, massacre parfois. Dès lors, les questions soulevées et traitées avec brio par le capitaine Emmanuel Goffi : la morale dont il traite ne concerne pas les seules armées françaises, mais l’ensemble de la nation qu’elles servent. Loin de moi l’idée de brader l’exigence morale ou éthique qui est particulière au métier militaire (mais peut-être faudrait-il user ici du pluriel). J’aime à rappeler la définition de l’êthos donnée jadis par Michel Foucault : « un mode de relation à l’égard de l’actualité ; un choix volontaire qui est fait par certains ; enfin, une manière de penser et de sentir, une manière aussi d’agir et de se conduire qui, tout à la fois, marque une appartenance et se présente comme une tâche ». Chaque mot, ici, est important, pour éviter toute rêverie inutile ou éthérée,
pour ancrer le caractère esthétique de l’éthique dans le « drame » de l’existence, celle de nos personnes ou celle de nos sociétés ; mais ceux d’appartenance et de tâche me paraissent ici exiger une attention particulière. Emmanuel Goffi le démontre : la morale militaire n’est pas « un simple exercice de rhétorique destiné à séduire les foules », à les rassurer ou à leur faire accepter les décisions prises et les actions entreprises par d’autres qu’elles. Elle est au contraire une exigence, une nécessité pour tout soldat, conscient de n’être jamais seul et pourtant toujours livré, à un moment ou à un autre, à lui seul. Pour penser, choisir, agir, surtout face à la mort, qu’elle soit donnée ou subie. C’est là, j’en conviens, une situation singulière, mais qui devient vite exemplaire, dès lors qu’il est question de responsabilité et d’appréciation personnelles, d’obéissance et d’autonomie de la décision : la complexité, dans laquelle se trouve plongé le combattant moderne, est celle de nombreux systèmes technoscientifiques, sociopolitiques, etc. qui déjà s’interrogent sur cette contrainte acceptable qu’est la morale ou devront sans tarder le faire. Un mot me vient alors à l’esprit, celui qui sert de devise à la ville de Metz, « Si nous avons paix dedans, nous avons paix dehors ». L’un des principaux défis auxquels sont confrontés les armées autant que les sociétés, les individus autant que les communautés auxquelles ils appartiennent, n’est-il pas justement de connaître le dedans et le dehors, d’apprendre à en gérer les liens en même temps que les ruptures ? Chacun d’entre nous, chacune de nos structures doit désormais affronter, pratiquer, régir, manipuler plusieurs échelles, plusieurs degrés de réalité sans que, pour autant, la distinction entre le dedans et le dehors, l’allié et l’ennemi, le privé et le public, soit parfaitement posée et perçue. C’est là un vrai défi moral, au sens donné par Foucault. Pour le relever, sans prétendre le gagner, la référence à la paix paraît cruciale et s’étendre au-delà de la sphère militaire. À celle-ci, toutefois, préoccupée aujourd’hui de sécurité et de défense, de projection et de 180
dissuasion, de terrorisme et de gestion de la violence, il est bon de rappeler que la paix est à la fois la limite et l’horizon de l’entreprise et de la responsabilité militaire.
Jacques Arnould chargé de mission pour les questions éthiques au Centre national d’études spatiales
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203
Documents législatifs et textes réglementaires Décret n° 75-675 du 28 juillet 1975 portant règlement de discipline dans les armées. Décret n° 2005-796 du 15 juillet 2005 relatif à la discipline générale militaire. Instruction n° 201710 d’application du décret relatif à la discipline générale militaire du 4 novembre 2005. Loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 portant statut général des militaires. Filmographie John Badham, War Games, 1983, 1h51. Nick Broomfield, Battle for Haditha, 2007, 1h33. Paul Greengrass, Green Zone, 2010, 1h55. Laurent Herbiet, Mon Colonel, 2006, 1h51. Gavin Hood, Rendition, 2007, 2h02. Errol Morris, Standard Operating Procedure, 2008, 1h57. Errol Morris, The Fog of War: Eleven lessons from the life of Robert S. McNamara, 2003, 1h40. Andrew Niccol, Lord of War, 2005, 2h02. Mike Nichols, Charlie Wilson’s War, 2007, 1h45. Christopher Nolan, Batman - The Dark Knight, 2008, 2h27. Robert Redford, Lions for Lambs, 2007, 1h30. Mat Whitecross et Michael Winterbottom, The Road to Guantanamo, 2006, 1h35. 204
Table des annexes Annexe I : Code du soldat et Code d’honneur du légionnaire Annexe II : Article 77 – « Protection des enfants » du protocole I de 1977 additionnel aux Conventions de Genève Annexe III : Carte des Etats ayant participé aux extraordinary renditions américaines. Annexe IV : Sondage d’opinions de la BBC concernant les règles interdisant la torture
ANNEXE I Code du soldat
206
Code d’honneur du légionnaire
1 - Légionnaire, tu es un volontaire servant la France avec honneur et fidélité. 2 - Chaque légionnaire est ton frère d'arme, quelle que soit sa nationalité, sa race, sa religion. Tu lui manifestes toujours la solidarité étroite qui doit unir les membres d'une même famille. 3 - Respectueux des traditions, attaché à tes chefs, la discipline et la camaraderie sont ta force, le courage et la loyauté tes vertus. 4 - Fier de ton état de légionnaire, tu le montres dans ta tenue toujours élégante, ton comportement toujours digne mais modeste, ton casernement toujours net. 5 - Soldat d'élite, tu t'entraînes avec rigueur, tu entretiens ton arme comme ton bien le plus précieux, tu as le souci constant de ta forme physique. 6 - La mission est sacrée, tu l'exécutes jusqu'au bout et, s'il le faut, en opérations, au péril de ta vie. 7 - Au combat tu agis sans passion et sans haine, tu respectes les ennemis vaincus, tu n'abandonnes jamais ni tes morts, ni tes blessés, ni tes armes.
207
ANNEXE II Article 77 du protocole I de 1977 additionnel aux Conventions de Genève.
Article 77 - Protection des enfants 1. Les enfants doivent faire l'objet d'un respect particulier et doivent être protégés contre toute forme d'attentat à la pudeur. Les Parties au conflit leur apporteront les soins et l'aide dont ils ont besoin du fait de leur âge ou pour toute autre raison. 2. Les Parties au conflit prendront toutes les mesures possibles dans la pratique pour que les enfants de moins de quinze ans ne participent pas directement aux hostilités, notamment en s'abstenant de les recruter dans leurs forces armées. Lorsqu'elles incorporent des personnes de plus de quinze ans mais de moins de dix-huit ans, les Parties au conflit s'efforceront de donner la priorité aux plus âgées. 3. Si, dans des cas exceptionnels et malgré les dispositions du paragraphe 2, des enfants qui n'ont pas quinze ans révolus participent directement aux hostilités et tombent au pouvoir d'une Partie adverse, ils continueront à bénéficier de la protection spéciale accordée par le présent article, qu'ils soient ou non prisonniers de guerre. 4. S'ils sont arrêtés, détenus ou internés pour des raisons liées au conflit armé, les enfants seront gardés dans des locaux séparés de ceux des adultes, sauf dans le cas de familles logées en tant qu'unités familiales comme le prévoit le paragraphe 5 de l'article 75. 5. Une condamnation à mort pour une infraction liée au conflit armé ne sera pas exécutée contre les personnes qui n'avaient pas dix-huit ans au moment de l'infraction.
208
ANNEXE III Carte des Etats ayant participé aux extraordinary renditions américaines
209
ANNEXE IV Sondage d’opinions de la BBC concernant les règles interdisant la torture
210
Table des matières
Préface
p. 7
Remerciements
p. 13
Sommaire
p. 15
Liste des abréviations
p. 17
Introduction
p. 19
Première Partie - La place de la morale dans les nouvelles formes de conflictualités
p. 27
1.1 La morale en question Tentatives de définitions La morale comme rapport à l’Autre, l’éthique comme rapport à Soi Morale relative vs. morale universelle 1.2 Les nouveaux acteurs et la morale De nouveaux acteurs sans foi ni loi Des méthodes pas si nouvelles Le terrorisme et ses dérives L’explosion des « private contractors » Les enfants soldats : enfants ou soldats ? 1.3 Les médias et les « opinions publiques » : le besoin de justifier Le poids des médias L’opinion publique : la cible à séduire La rhétorique comme moyen de communication 1.4 Le rôle des nouvelles technologies La guerre en direct Loin des yeux, loin du cœur Le complexe du chirurgien A la recherche du « super soldat »
p. 29 p. 30 p. 31 p. 34 p. 36 p. 37 p. 38 p. 39 p. 42 p. 44 p. 46 p. 47 p. 51 p. 53 p. 57 p. 57 p. 60 p. 63 p. 65 211
L’espace comme nouvelle aire de jeu Deuxième Partie - De la légalité à la légitimité 2.1 Le droit, la morale et la raison d’Etat : un mariage improbable La raison d’Etat comme morale, les intérêts de la nation comme droit Le militaire : un être faillible ? Le droit à l’épreuve de la raison d’Etat Le poids de la stratégie Une morale à géométrie variable 2.2 L’inadaptation du droit des conflits armés L’art de contourner le droit Le DCA : un parachute troué Guerre ou conflit ? 2.3 La morale comme alternative au droit La morale de la puissance Le droit : entre utopie et réalité L’avènement de la morale ou l’échec du monde kantien Les interventions « humanitaires » 2.4 Le rôle des Etats, la responsabilité du politique Vers la fin de la souveraineté étatique ? L’humanitaire à l’épreuve du prosélytisme La morale conséquentialiste de l’Etat Le principe des « dirty hands »
p. 67 p. 71 p. 73 p. 74 p. 76 p. 78 p. 82 p. 84 p. 86 p. 86 p. 88 p. 93 p. 95 p. 96 p. 98 p. 100 p. 103 p. 106 p. 107 p. 109 p. 112 p. 114
Troisième Partie - Le militaire face à la contrainte morale
p. 119
3.1 La morale et le recours à la force Intervention : la question du « curseur » La guerre juste ou juste la guerre ? La question de l’arme nucléaire 3.2 Morale militaire ou code de conduite ? La spécificité du métier des armes Existe-t-il une morale militaire ?
p. 121 p. 121 p. 124 p. 128 p. 132 p. 133 p. 136
212
De la pertinence d’un code d’éthique pour les militaires 3.3 La construction de l’éthique De la morale à l’éthique, de l’éthique à la morale L’éthique : une construction personnelle Codifier l’éthique : quel intérêt ? La formation à l’éthique : l’importance de l’exemple 3.4 Morale, hiérarchie et responsabilité L’exigence d’obéissance : un contrat moral implicite La responsabilité du chef militaire au fondement de la hiérarchie Les sirènes de la morale et l’argument victimaire
p. 139 p. 145 p. 146 p. 147 p. 148 p. 150 p. 156 p. 156
Conclusion
p. 169
Postface
p. 179
Bibliographie
p. 183
Table des annexes
p. 205
Annexes
p. 206
Table de matières
p. 211
p. 160 p. 163
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