LES POLITIQUES PUBLIQUES A L'EPREUVE DE L'ACTION LOCALE Critiques de la territorialisation
Questions Contemporaines Collection dirigée par J.P. Chagnollaud, B. Péquignot et D. Rolland Chômage, exclusion, globalisation... Jamais les « questions contemporaines» n'ont été aussi nombreuses et aussi complexes à appréhender. Le pari de la col1ection « Questions contemporaines» est d"offrir un espace de réflexion et de débat à tous ceux, chercheurs, mil itants ou praticiens, qui osent penser autrement, exprimer des idées neuves et ouvrir de nouvelles pistes à ta réflexion collective.
Dernières parutions USANNAZ Emile, Refaire société, 2007. BOURSE Michel, Eloge du métissage, 2007. FERRAND Eric, Quelle école pour la République, 2007. POITOU Philippe, Le livre noir du travail, 2007. HE.LDENBERGH Anne (sous la dir.), Les dé111arches qualité dans l'enseignement supérieur en Europe, 2007. Gilbert VINCENT, L'avenir de l'Europe sociale, 2007. Paul KLOBOUKOFF, Rénover la gouvernance écono111ique et soc iale (le la France, 2007. Claude FOUQUET, Histoire critique de la modernité, 2007. Gérard POUJADE, Une politique de développen1ent durable. Acteur d'une vie digne, 2007 Noël JOUENN E,Dans l'ombre du Corbusier, 2007. Jean-Jacques PROMPSY, Traité des corruptions, 2007. Mohalnad K. Salhab, Éducation et évolution des savoirs scientifiques, 2007. P. LEPRETRE, B. URFER, Le principe de précaution. Une clef pour le.futur, 2007. Ibrahilna SARR, La démocratie en débats, 2007. Cyri I LE TALLEC, Sectes pseudo-chrétiennes, 2007. Julien GUELFI, Non à l'euthanasie, 2007. Sébastien ROFFAT, Disney et la France. Les vingt ans d'Euro Disneyland,2007. Francis JAUREGUYBERRY, Question nationale et Inouve111ents sociaux
en pays basque,
2007.
d'Alain
Sous la direction Faure et Emmanuel
Négrier
LES POLITIQUES PUBLIQUES A L'EPREUVE DE L'ACTION
LOCALE
Critiques de la territorialisation
L'Harmattan
@ L'Harmattan, 2007 5-7, rue de l'Ecole polytechnique; 75005 Paris http://www.librairieharrnattan.com
[email protected] harmattan
[email protected]
ISBN: 978-2-296-04229-2 EAN : 9782296042292
,.............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. . .. ... .. . . Cet ouvrage est le fruit d'une dynamique collective qui trouve son origine au sein de I Française de Science Politique lorsque deux de ses groupes, «Local & I l'Association
I
I
I
Politique»
d'une
appel commun
part
et « Politiques
à communications
Publiques»
en janvier
d'autre
part,
ont décidé de lancer
un
2006 pour débattre sur «Les politiques
I I
I
publiques à l'épreuve de l'action territoriale». La rencontre s'est tenue les 15 & 16 juin 2006 à l'Institut d'Etudes Politiques de Grenoble avec plus de 30 intervenants et une centaine de participants. L'idée de départ était ciblée sur un bilan des recherches récentes consacrées à la territorialisation des politiques publiques. La démarche se voulait en même temps résolument décloisonnée puisque nous appelions de nos vœux un dialogue inédit entre les disciplines, entre les courants d'analyses et entre les terrains d'investigation. L'extrême diversité des réponses et la forte mobilisation de la «jeune recherche» ont parfaitement répondu à cette attente mais ils nous ont aussi placés dans l'embarras pour structurer la rencontre. Nous avons finalement opté pour une formule privilégiant des textes courts (15000 signes) qui ont tous été mis sur les sites Internet de PACTE (www.pacte.cnrsfr/) et de l'AFSP (www.afsp.msh-parisfr/) avant le début du colloque. Les débats se sont ensuite uniquement déroulés en séance plénière. En hommage aux sermons de la rhétorique dominicaine, nous avons imposé aux intervenants de présenter leurs communications en sept minutes, pas une de plus. Le pari était hasardeux et de prime abord assez frustrant pour les orateurs. Il a fonctionné au-delà de nos espérances, générant des controverses très toniques et favorisant une réelle interactivité avec l'assistance. Aussi avons-nous tenté de garder cet état d'esprit de concision et de percussion dans le présent ouvrage. Il s'agit d'un document composé de chapitres courts et avec plusieurs modes de consultation possibles. Ses trois parties reflètent trois façons d'ouvrir la controverse académique, les auteurs ayant tous accepté de revoir leur communication de départ pour mettre en discussion leurs résultats et leurs grilles d'analyse avec les au tres contributeurs. L'ambiance chaleureuse et joueuse des deux journées est difficile à mettre en mots, mais gageons que la formule éditoriale retenue en restitue le souvenir et donne le goût et l'envie à ses lecteurs de prolonger le mouvement et d'explorer plus avant cette façon collective de concevoir la critique scien tifique. nous adressons un grand merci aux membres de l'AFSP, de PACTE et de l'Institut d'Etudes Politiques de Grenoble qui ont, par leur soutien logistique, financier et humain, joué un rôle déterminant pour que soit menée jusqu'à son terme cette belle aventure Enfin,
collective. i
Alain Faure & Emmanuel Négrier L
j
LES POLITIQUES PUBLIQUES A L'EPREUVE DE L'ACTION LOCALE
Critiques de la territorialisation PENSER LA CONTINGENCE TERRITORIALE
INTRODUCTION GENERALE: Emmanuel Négrier
A
lERE PARTIE:
L'EPREUVE
UNIVERSITE ET TERRITOIRE. NOUVELLES Jérôme Aust LA TERRITORIALISATION Christelle Manifet
PROBLEMATIQUE
9
DES TERRITOIRES
RELATIONS,
ANCIENNES
DE L'ACTION
LOGIQUES?
19
UNIVERSITAIRE
LES POLITIQUES D'EMPLOI AU RISQUE DE LA TERRITORIALISATION Jean-Raphaël Bartoli & Olivier Mériaux
27
CONCURRENTIELLE...35
L'ETAT SOCIAL A L'EPREUVE DE L'ACTION TERRITORIALE Thierry Berthet
43
LA IMISE EN ORDRE' Jérome Godard
53
DE L'ACTION POUR L'EMPLOI PAR LA TERRITORIALISATION
LA TERRITORIALISATION PROBLEMATIQUE DE L'ACTION JUDICIAIRE Anne-Cécile Dou illet & Jacques de Maillard
61
TERRITORIALISATION(S) Romain Lajarge
69
ET PARCS NATURELS
REGIONAUX
LES POLITIQUES RURALES GAGNEES PAR LA TERRITORIALISATION Dominique Vallet, Jean-Marc Callais, Patrick Moquay & Véronique Roussel
79
EXTENSION DES AEROPORTS: Charlotte Halpern
87
L'ACTION PUBLIQUE ENTRE SECTEUR ET TERRITOIRE
L'INTERVENTION RESIDUELLE DES ÉTATS FACE AU LIBRE MARCHE Frédéric Dobruszkes
2EME
PARTIE:
DANS
LA BOITE
93
A OUTILS
REDISTRIBUTION DES POUVOIRS, REDISTRIBUTION DES CARTES Grégoire Feyt ENTRE POLITIQUE PUBLIQUE ET ACTION PUBLIQUE: L'INGENIERIE TERRITORIALE Pierre-An toine Landel L'EVALUATION ENTRE OPPORTUNITE ET EFFETS Nicolas Matyjasik & Ludovic Méasson LA TERRITORIALISATION DES NORMES DU DEVELOPPEMENT DURABLE Lauren Andres & Benoit Faraco
107 117 123 133
POLITIQUES CONTRACTUELLES: Domitien Détrie RAISONNER PAR LE TERRITOIRE: Elvire Bornand
LA QUESTION LOCALE SOUS TENSION? LES MODALITES
PRATIQUES DE LA COOPERATION
PRESAGE, UN LOGICIEL DE GESTION OU DE RECOMPOSITION Xavier Marchand-Tonel & Vincent Simoulin LES IMPROBABLES
BILANS
141 147
DES TERRITOIRES?
153
..159
DES /LABORATOIRES/
Mireille Pongy UNE 'CULTURE' PARTAGEE DU TERRITOIRE? Rémi Lefèbvre
167
DECONSTRUIRE LES LEGITIMATIONS Hélène Reigner
175
3EME
PARTIE:
TECHNIQUES DE L'ACTION PUBLIQUE
SUR LE TERRAIN
POLITIQUE
PRODUCTION DES POLITIQUES PUBLIQUES ET MOBILISATION Virginie Anquetin LA PARTICIPATION HABITANTE, Yolaine Cultiaux
ELECTORALE
183
VECTEUR DE DEMOCRATISATION?
191
DEMOCRATISER LES POLITIQUES TERRITORIALES? Philippe T eillet
..199
POLITIQUES LOCALES DE SECURITE ET ACTEURS POLITIQUES Tanguy Le Goff
209
FAUT-IL QUE 'RIEN NE CHANGE' POUR QUE LES INTERCOMMUNALITES Fabien Desage UNE POLITIQUE PUBLIQUE LOCALE SANS POLITIQUE? Elisabeth Dupoirier, Martial Foucault, Abel François, Emiliano Grossman
CHANGENT?
219 229
& Nicolas Sauger
D'UNE REGION A L'AUTRE, LA GESTION INTEGREE DU LITTORAL Marion Réau LA VENDEE VILLIERISTE SAISIE PAR LA CONTRACTUALISATION Olivier Gau tier L'ACTION PUBLIQUE TERRITORIALE Sylvain Barone
241 REGIONALE
SOLUBLE DANS LE NEO-INSTITUTIONNALISME
249 ?
255
LA SYNTHESE D'UN POLITISTE : SIX QUESTIONS EN SUSPENS Pierre Muller POLITISTES ET GEOGRAPHES, A L'EPREUVE DE L'EPREUVE Martin Van ier CONCLUSION GENERALE: UNE NOUVELLE CRITIQUE TERRITORIALE ? Alain Fau re
263
BIBLIOGRAPHIE GENERALE
.285
8
269 275
INTRODUCTION
GENERALE:
PENSER LA CONTINGENCE TERRITORIALE Emmanuel Négrier
Les débats sur la territorialisation de l'action publique marquent une nouvelle étape. Cet ouvrage en traduit tout le bouillonnement théorique et empirique, sans avoir la prétention d'en figer l'analyse. La nature de ces débats a connu, depuis les années 1970, une évolution que l'on peut rapidement retracer pour apprécier les controverses et pistes de recherche actuelles. Ils ont d'abord été alimentés par une dialectique verticale. En ont témoigné les paradigmes en usage dans les années 1970 et 1980, où la critique scientifique était à la recherche de points d'équilibre ou de tension entre centre et périphérie. La régulation croisée aura été l'un des instruments les plus heuristiques (Grémion 1976) pour qualifier cette première période d'une critique de la territorialisation. Elle s'attaquait elle-même à la domination d'un discours normatif, souvent d'ordre juridique, qui produisait une fausse naturalité d'un territoire réduit à l'expression de la puissance publique d'État (Alliès 1980). Aux côtés de ces travaux de science politique, la géographie, la sociologie et l'économie qui s'intéressaient à ces enjeux territoriaux utilisaient des démarches voisines. Les recherches sur la planification urbaine (Lojkine 1972), sur la ville (Castells 1974, Lefèbvre 1973), ou sur les rapports socio-économiques à l'échelle globale (Amin 1973) étaient orientées vers un dévoilement des fausses évidences du couple central/local, qu'elles soient d'essence normative (fausse égalité, Dulong 1978) ou localiste (fausse identité, Sfez 1977). Cette critique s'est appuyée sur les premiers mouvements de décentralisation, avant d'être dépassée par leur dynamique même. C'est que les visions néo-marxistes ou systémiques, fondées sur les acquis de la sociologie des organisations, conduisaient elles-mêmes à promouvoir un ordre, une tendance à la stabilisation dont la mise en œuvre des politiques locales allait subir la loi de différenciations secondaires. Celles-ci, montant en importance, ont complexifié la donne au point de rendre un peu artificielle primat de la négociation verticale et publique. La deuxième période a été considérablement enrichie par une génération de chercheurs en science politique, en géographie ou en sociologie, qui ont pris au sérieux la territorialité des enjeux politiques et sociaux. Elle a conduit à l'émergence d'une deuxième dialectique, que l'on peut plus communément définir comme horizontale. Les années 1990 ont produit, dans cet ordre d'idées, les notions de gouvernement urbain (Borraz 1998, Jouve et Lefèvre 1999), de gou vernance (John 2001, Leresche 2001), d'échange poli tique terri torialisé (Négrier 1998), de relations public-privé (Le Galès 1997) ou encore de subsidiarité (Faure 1998) qui ont, toutes, cherché à mettre en évidence l'influence de variables jusque-là restées dans l'ombre d'une appréhension verticale des enjeux d'action publique et des jeux de pouvoir. On trouve des
perspectives voisines dans la sociologie du politique, avec le développement d'analyses localisées du politique (Briquet 1997, Sawicki 1997) en sociologie, mais également en anthropologie, à la faveur du «retour» de l'ethnologie française sur le territoire national (Abélès 1989, Pourcher 1995). L'idée commune à l'ensemble de ces courants est que le regard fondé depuis le centre (des organisations partisanes, des bureaucraties et professions, des réglementations) était devenu largement insuffisant pour aborder un chantier de recherche sur des objets aussi centraux, pour les disciplines, que l'espace, le pouvoir, la légitimité, le territoire. Si la première période tentait de compenser la force des relations verticales par une certaine horizontalité des pratiques (les relations préfet-notables, par exemple), la deuxième a tenté d'échapper au «
localisme analytique» par d'autres dimensions verticales ou inter-locales. La
compétition économique, le benchmarking territorial, l'européanisation ou la représentation des intérêts privés sont des variables qui naissent à la fin des années 1990 pour contextualiser la territorialité et la faire échapper à une complaisante autosuffisance. Cette deuxième critique s'est largement appuyée sur le cadre de la globalisation et sur l'émergence de politiques locales pour montrer tous les bénéfices, mais aussi toutes les limites de la territorialité des États en action. Dans la construction de ces deux critiques successives, une différence fondamentale a trait aux travaux qui constituent l'environnement intellectuel de la pensée sur la territorialisation. La première s'appuie presque exclusivement sur une littérature critique française, et raisonne en contrepoint de formalisations juridiques également nationales. Si l'approche organisationnelle puisait naturellement ses racines dans des fondements anglo-saxons, elle restait fondamentalement française dans la structure de son débat conceptuel et empirique. La deuxième critique est par contre fortement informée des travaux internationaux. Elle se réfère à un large spectre de travaux, du renouveau de l'analyse institutionnelle (Hall 1993, Hall & Taylor 1996), aux réflexions naissantes en termes de gouvernance Gessop 1997, Marks 1996), ou de régime urbain (Harding 1994). L'évolution de l'analyse régionale s'appuie sur des programmes de recherche comparatifs (Keating & Loughlin 1996, Jeffery 1997) dans lesquels s'inscrivent désormais les travaux français (Le Galès & Lequesne 1997, Négrier & Jouve 1998). Les questions métropolitaines s'émancipent d'une stricte vision nationale pour se situer dans des débats (reform vs public choice, par exemple) qui sont parfois fort anciens dans le monde anglo-saxon (Ostrom, Tiebout & Warren 1961, Wood 1958). L'importation de modèles d'analyse ou de concepts (governance, urban regimes, new-regionalism ou new-institutionalism, par exemple) ne se fait pas sans débat au sein du champ scientifique français. La gouvernance urbaine en est l'un des plus clairs exemples Gouve & Lefèvre 1999, Lorrain 2000, Gaudin 2002, Le Galès 2002). Cette importation intègre cependant, de plus en plus, la diversité interne des positions abusivement considérées, parce qu' anglo-saxonnes, comme cohérentes entre elles. En outre, d'autres emprunts, plus continentaux, font en même temps leur apparition dans la science française du territoire. On peut ici mentionner la fortune qu'a connue la littérature italienne des districts industriels autour de Carlo Trigilia (1986) notamment (Ritaine 1989, Benko & Lipietz 1992); ou de celle sur l'échange politique (Pizzorno 1977, Ceri 1981).
10
Dans ses premiers pas, l'importation de modèles extérieurs à la tradition française des sciences sociales suscite débats et incompréhensions. Au carrefour de ces positions, la France continue d'incarner une spécificité radicale, et les tentatives d'intégrer le cas français autrement qu'en bloc, au sein d'un chapitre singulier, restent excessivement rares. Si elles le restent encore aujourd'hui, on peut estimer que les conditions sont réunies pour aller plus loin.
UN NOUVEAU
CYCLE DE TERRITORIALISATION
La troisième période qui s'est ouverte aujourd'hui, et dont témoigne cet ouvrage, tire les bénéfices des deux précédentes, mais s'engage dans des voies nouvelles. Elle se présente comme une conciliation incertaine entre horizontalité et verticalité des modes d'analyse. Ses objets ne sont pas forcément nouveaux. La décentralisation et l'européanisation sont ainsi au cœur de plusieurs chapitres. Mais elles se situent dans un environnement critique qui a globalement changé d'âme. Les déplacements de centre de gravité de l'action publique imposent une double réflexion. La première concerne l'hypothèse d'une fin de cycle de l'action publique territoriale. La seconde a trait aux instruments d'analyse pour en rendre compte. La notion de fin de cycle est souvent critiquée, en ce qu'elle fait précisément l'hypothèse de cycles eux-mêmes abusivement simplifiés et historiquement bordés. Elle doit donc être utilisée avec prudence, pour qualifier des inversions de tendance dans plusieurs secteurs d'un même domaine, inversions qui participent, par hypothèse, d'un même mouvement de fond. En matière de territorialisation, on peut s'appuyer sur plusieurs phénomènes simultanés, qui concernent les jeux d'échelle, la substance des relations entre acteurs et la nature des instruments propres à leur mise en œuvre. Les changements d'échelle qui marquent la territorialisation d'aujourd'hui sont à la fois administratifs, politiques et spatiaux. La décentralisation a connu de nouvelles impulsions, au travers, par exemple, de la loi du 13 août 2004. Mais ce qui la caractérise est aussi la fin d'une croyance à ses vertus intrinsèques en termes de démocratisation, d'économie d'échelle, d'efficience. Les destinataires des nouvelles compétences n'ont pas été les derniers à incarner un scepticisme inédit, mal compensé par une contrepartie de type constitutionnel sur l'économie des transferts de charge. La fin du mythe décentralisateur, qui coïncide avec la progression de la décentralisation, s'accompagne d'un autre changement. Alors que les processus antérieurs avaient coïncidé avec une intensification de la déconcentration des services de l'État, les nouveaux s'en distinguent. Au lieu d'un accompagnement de l'une par l'autre se produit un transfert de l'une vers l'autre. La crise de la déconcentration signale ainsi le crépuscule d'un cycle français, assez original en Europe. Quant aux échelles du gouvernement local, elles ont également connu un considérable changement de régime. Après des résultats plus que limités dans les années
1990
- la
loi Joxe Baylet de février
1992 n'ayant
par exemple
conduit
qu'à la création de trois communautés de ville -la loi Chevènement, portant sur le même objet, a connu un succès considérable, avec la création, en six ans, de
Il
plus de 180 communes, coopération règle à la fin
cette
«
intercommunalités urbaines et de plus de 2300 communautés à un niveau démographique plus modeste. C'est l'absence interc~mmunale qui est devenue l'exception, alors qu'elle était du xxeme siècle. Bien sûr, il convient d'observer toutes les limites
de de la de
révolution intercommunale », à commencer par la grande diversité entre
situations que cache un tel mouvement. Mais elles ne sauraient contester la réalité d'une transformation profonde de l'économie politique des pratiques gouvernementales locales. Quant aux relations entre échelles, elles suggèrent également quelques transformations conséquentes. Qu'en est-il de la relation des territoires à l'Etat dans un contexte de décentralisation? Pour la comprendre, examinons la manière dont la pratique de l'État est comprise dans des pays qui ont, plus tôt, renoncé à la raison jacobine. En Espagne, l'administration centrale, d'ailleurs tour à tour qualifiée d'espagnole ou de castillane, apparaît porteuse d'intérêts chaque fois plus spécifiques, et reçus comme tels dans les communautés autonomes, terrains d'impulsion de politiques publiques de plus en plus... centrales (Subirats & Gallego 2002). En France, la croyance résiduelle en l'État se jauge au travers de plusieurs indices, à commencer par le fait qu'à l'occasion de la multiplication des baromètres d'opinion localisés, il continue de figurer comme porteur de politiques (RMI, formation) qu'il a pourtant entièrement confiées aux collectivités territoriales. Mais que dire de l'analyse contemporaine de l'État territorial en action? On trouve ici un autre cycle en émergence, celui qui revient sur une période de relative stabilité dans le jeu entre l'Etat et les pouvoirs locaux, où le premier se distingue des derniers par l'importance qu'ont, pour lui, les politiques publiques et pour eux la politique. Plus précisément, l'État régulait la territorialisation par la négociation subsidiaire de ses politiques au niveau local. Les élites territoriales appréciaient dans le rapport à l'Etat les perspectives de leur propre reproduction sociale et politique. Ce jeu s'est considérablement transformé aujourd'hui. Les élites locales se sont professionnalisées, dotées qu'elles sont de techniques et de personnels qui étaient auparavant l'apanage de la haute et centrale administration. Elles sont aussi en charge d'une proportion croissante de ce que l'on dénomme encore l'État providence, et qui se réfère aujourd'hui aux politiques de formation, d'éducation, de transport ou de culture qui sont massivement le fait des collectivités territoriales. Ces secteurs sont tous présents dans l'ouvrage, et tous témoignent des transformations en cours. Nous souhaitons, de façon transversale, signaler une inversion de tendance politique dans ce jeu entre échelles. À l'idée communément admise d'un État maître de ses politiques publiques devant les négocier avec la politique incarnée par les pouvoirs locaux s'oppose aujourd'hui une vision beaucoup plus politisée de l'État territorial, quand les pouvoirs locaux font face, avec leurs nouvelles attributions, à des logiques croissantes de gestion de politiques publiques (Borraz & Négrier 2007). Cette inversion revient sur la relative étanchéité que la vème République naissante avait développée à l'égard des intérêts poli tiques locaux. Elle rappelle une structure de l'influence directe du politique dans les enjeux territoriaux qui avait été caractéristique des IIIèmeet rvèmeRépubliques (Le Lidec 2001).
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Aussi la croissance de l'interdépendance entre l'État et les collectivités territoriales donne-t-elle un visage assez différent de celui qui pouvait encore être décrit dans les années 1990. Il pourrait, en forçant quelque peu le trait, s'énoncer aujourd'hui comme suit. La repolitisation de l'État territorial s'opère au travers de la pénétration croissante d'enjeux propres aux conditions partisanes et localisées de mise en œuvre de ses programmes. On a pu l'observer dans la mise en œuvre de la Loi Chevènement, à titre d'illustration (Négrier 2007). Réciproquement, la dépolitisation des collectivités territoriales s'opère au travers des contraintes croissantes d'efficience dans la mise en œuvre de leurs attributions. Naturellement, cela ne signifie nullement que l'État ne met plus en œuvre de politiques publiques territoriales, ni que les pouvoirs locaux ne font plus de politjque. Mais le jeu combiné de ces deux tendances (politisation de l'action de l'Etat et dépolitisation du pouvoir local) conduit à penser autrement l'interdépendance entre niveaux. Parmi les conséquences de ce changement se trouve l'hypothèse de la différenciation croissante des configurations territoriales et de la part que les politiques nationales prennent à cette différenciation, alors qu'elles étaient, dans une tradition centraliste puis «déconcentriste », plutôt conçues comme un facteur de régulation ou de compensation des différences. À ce titre, la comparaison entre la France décentralisée et l'Allemagne fédérale montre que la péréquation entre territoires, pour être au principe d'un certain discours égalitaire français, est beaucoup plus développée outre-Rhin. Plus généralement, la thèse de l'irréductibilité d'un modèle français devient chaque fois plus introuvable, tandis que progresse, par l'examen comparatif entre territoires, la thèse de sa comparabilité.
PENSER LA CONTINGENCE
TERRITORIALE
L'un des acquis de cette nouvelle étape de l'analyse territoriale est incontestablement la croissance de l'interdépendance entre niveaux et logiques d'acteurs. La conséquence en est que la spécificité du « territoire» comme objet est de moins en moins évidente. On peut s'en convaincre en mentionnant quelques-unes des notions empruntées par les auteurs des différents chapitres. Référentiel, néo-institutionnalisme, échange politique, instruments, évaluation, culture politique se réfèrent tous à des modes d'analyse d'abord forgés dans l'étude de politiques publiques de caractère national ou international, avant d'être aujourd'hui appliqués à des objets d'étude localisés. Naturellement, cette acclimatation suppose une certaine adaptation. Mais elle signale la possibilité de penser l'action publique, à l'échelle territoriale, avec des clefs de lecture jusquelà réservées à des politiques d'une autre envergure. La contingence territoriale, c'est d'abord l'affaiblissement de la spécificité du territoire (comme notion, comme niveau d'analyse), en même temps que son importance croissante pour analyser les politiques publiques en action. De cette nouvelle importance découle un changement de ton dans beaucoup des analyses proposées dans cet ouvrage. Plus que dans la tradition de science politique à la française, on trouve le souci d'une démarche empirique. Celle-ci, loin de ne se poser que les questions cardinales du pouvoir ou de la légitimation dans l'espace, s'applique à adresser des enjeux d'efficience et d'efficacité gouvernementale. Elle le fait au
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prix, parfois, du risque bien connu de normativité, même si chacun jauge la bonne distance qui doit demeurer entre la démarche scientifique et celle, managériale, des bonnes recettes. Il n'en reste pas moins que ce ton témoigne d'un lien, construit de façon différente, entre sciences humaines et sociales, d'un côté, pouvoir et société, de l'autre. Cet ouvrage pose une multitude de questions. Parmi celles-ci, on peut ainsi mentionner les suivantes: comment articuler l'analyse stratégique des politiques territoriales et leur dimension cognitive? Le politique est-il soluble dans les intérêts des seuls acteurs politiques? L'institution trame-t-elle les changements? Y a-t-il continuité d'empowerment entre décentralisation et démocratie participative? Comment penser la territorialisation des politiques publiques sans céder à une forme de réification du territoire? Ces questions portent, à partir d'études empiriques, sur la plupart des interrogations centrales de la science politique: légitimité, pouvoir, institutions, action publique. Elles croisent les questions clefs de la géographie: spatialité des organisations humaines, cartographie et territorialité du politique et des sociétés. Les communications ne s'accordent pas toujours sur la manière d'y répondre. Cela est dû à la diversité des écoles de pensée et disciplines qui sont ici actives sur la critique de la territorialisation. Dans la boîte à outils deux grandes familles de notions sont utilisées. Les premières visent à traduire, avec des termes de récent usage sur la question territoriale, de nouvelles tendances en émergence. On peut se référer, par exemple, aux notions de développement durable, de gouvernance participative, de pluralisation des valeurs, de référentiels, d'instruments, d'acteurs hybrides, etc. Le second groupe de notions appartient plutôt à la catégorie des «bons vieux» standards des sciences sociales: droit, institutions, jeu politique, domination sociale, intérêts économiques, contraintes budgétaires et techniques, etc. Pour apprécier la diversité des postures de nos communications, on peut, pour conclure cette introduction et orienter un peu la lecture des chapitres, partir de ces deux groupes de notions et indiquer les différentes relations que les chercheurs définissent entre eux. On peut distinguer, pour ce faire, quatre approches. La tendance incrémentaliste estime que les nouvelles tendances nuancent l'impact des vieux standards sans toutefois laisser penser au grand retournement. À titre d'exemple, on indiquera que les conditions d'exercice du leadership évoluent dans un nouveau cadre, sans toutefois être fondamentalement remises en cause par les innovations: réformes financières, démocratie participative, évaluation par exemple. La tendance réformiste prétend au contraire que les nouvelles tendances influent et modifient les standards anciens jusqu'à les priver de l'efficacité antérieure. Par exemple, on parle, dans certains papiers, du déplacement d'une domination sociale à une domination territoriale. C'est la nature même de la domination qui change ici de substance et de cadre. L'approche sceptique s'inscrit en faux contre les deux prétentions précédentes, en indiquant que les bonnes vieilles notions rendent illusoire, par 14
leur résilience, la pertinence des nouvelles tendances. On serait en présence d'un pur discours, sans autre effet que de tendre un voile de mystification sur la persistance de formes classiques d'inégalités, de domination, de contraintes collectives. L'approche dialectique cherche à transiger avec les trois précédentes, en posant que les nouvelles tendances sont la condition même de recomposition des vieux standards. On est bien en présence d'un discours, certes en partie performatif, mais aussi face à des actes qui conditionnent le maintien du pouvoir: les changements de processus peuvent, ainsi, aller de pair avec une continuité de substance ou d'attributaire du pouvoir. Nous allons voir ces postures analytiques présentes dans la plupart des thèses soutenues par les auteurs des différents chapitres. On notera que certaines sont simultanément présentes au sein d'un même papier, preuve sans doute de l'incertitude qui marque aujourd'hui les recompositions en cours, mais aussi les manières de les prendre en compte. Nul doute pourtant que c'est au sein d'une telle critique que se définit ce que territorialiser veut dire, en associant les acquis de longue durée de la verticalité du pouvoir et de l'horizontalité de sa légitimation.
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1 ERE PARTIE: A L'EPREUVE DES TERRITOIRES
UNIVERSITE ET TERRITOIRE. NOUVELLES RELATIONS, ANCIENNES LOGIQUES? Jérôme Aust Jérôme Aust est docteur en science politique. Il a soutenu en 2004 une thèse portant sur l'évolution du gouvernement des politiques d'implantation universitaire depuis le début de la vème République. Il est actuellement postdoctorant INRETS au Croupe d'analyse du risque routier et de sa gouvernance (CARIC) et travaille sur le rôle de l'Union européenne dans la politique de sécurité routière. Courriel :
[email protected] ,..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
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A lafin desannées 1980, le lancement du plan Université 2000 marque la généralisation de l'investissement des collectivités locales dans le financement des politiques d'implantation universitaire. La prédominance de l'Etat sur le domaine semble avoir vécu. L'adoption d'une perspective diachronique et microscopique dans l'analyse des négociations conduit cependant à relativiser ce mouvement de perte d'influence étatique et de montée en puissance des collectivités locales. Plus qu'à une consécration du pouvoir des 1 collectivités locales, l'investissement croissant des autorités locales aboutit à un renforcement de l'autonomie des présidents d'université. Abstract At the end of the 1980's, French local authorithies and the State join their forces tofinance university development.The state dominationseems to end in thisfield. This paper take a criticallook at this evolution. If the analyst adopts a diachronic and microscopic approach, the decline of state influence and the strengthening of local autorithies are not so evident. The local investissment is essentially benefit to the university's presidents who increase their authonomy.
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1
«
Les contrats Université 2000 qui ont été signés (le dernier en décembre1992)
entre l"Etat et les collectivités territoriales marquent une discontinuité importante dans l1zistoire universitaire de notre pays. Pour la première fois" des collectivités territoriales" régions d"abord" mais aussi souvent départements et villes" sont devenues des partenaires officiels et à part entière de la politique universitaire. Le tout-Etat fait place
au partenariatavec les collectivitésterritoriales.» (Allègre 1993, p. 139) A suivre l'ancien ministre de l'Education nationale, les politiques universitaires n'échapperaient pas à la montée en puissance des collectivités locales dans la conduite de l'action publique. La thèse trouve incontestablement des éléments d'accréditation. C'est dans le champ du financement de l'immobilier universitaire qu'ils nous semblent les plus nombreux. A la fin des années 1980, le ministère de l'Education nationale lance le schéma Université 2000. Incapables de faire face à l'accroissement prévu des effectifs étudiants, les services ministériels doivent faire appel aux collectivités locales pour financer le développement des capacités d'accueil universitaire (Aust 2004, Baraize 1996). Alors que l'enseignement supérieur reste une compétence strictement étatique, les élus locaux répondent favorablement à l'appel ministériel. Ce partenariat entre l'Etat et les collectivités locales se pérennise tout au long de la décennie 1990. Le plan Université du 3èmemillénaire (U3M), lancé en 1998 et basé sur une philosophie identique d'association, rencontre le même succès qu'U2000. La configuration universitaire française, historiquement dominée par une relation triangulaire entre le ministère de l'Education nationale, les universités et les instances de représentation des disciplines (Musselin 2001) s'amenderait donc à la fin des années 1980 pour s'ouvrir aux intérêts locaux. Suivant en cela un mouvement général repérable dans de nombreuses politiques publiques (Duran et Thoenig 1996, Muller 1992), les politiques universitaires seraient marquées par le recul des capacités d'intervention du centre étatique, la montée en puissance des collectivités locales et la prégnance accrue des références au(x) territoire(s) dans la conduite de l'action publique (Filâtre, Manifet 2003, DATAR 1998). Séduisante, la thèse d'un passage du secteur au territoire dans les politiques d'implantation universitaire s'appuie cependant rarement sur une connaissance fine des logiques dominant l'intervention de l'Etat dans les années 1960. En nous appuyant sur les résultats d'un travail doctoral achevé comparant la conduite de deux projets d'implantation universitaire avant et après la décentralisation (Aust 2004)1 et en mobilisant les outils de l'analyse de l'action publique, nous chercherons à montrer que l'adoption d'une focale d'analyse à la fois microscopique et diachronique conduit à relativiser notablement l'hypothèse d'une territorialisation des politiques d'implantation universitaire. A bien y regarder, le domaine d'analyse retenu n'est pas tant marqué que cela par les tendances constitutives de la notion de territorialisation (Douillet 2005b) : le recul de l'influence du centre étatique, le pouvoir croissant des élus locaux (1)
1
Le premier projet analysé est celui de Lacroix Laval (1958-1973),le second celui de la Manufacture des Tabacs (1989-2004). Le corpus de sources mobilisé associe le dépouillement des archives relatives à la gestion des deux dossiers et la réalisation d'entretiens avec des acteurs ayant directement participé à leur conduite.
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et le débordement des logiques sectorielles d'intervention véritablement caractériser ce champ d'intervention.
(2) ne semblent pas
1. UN RECUL DU CENTRE MINISTERIEL? Dès lors que l'analyste s'appuie sur une comparaison diachronique, le repli du pouvoir central apparaît moins fort qu'il n'y paraît. Une plongée dans les archives ministérielles relativise en effet singulièrement le poids des acteurs centraux dans les années 1960. Au début de la vème République, les directions centrales du ministère de l'Education nationale s'avèrent largement incapables d'être de véritables centres d'impulsion des politiques. Les initiatives viennent bien plus du recteur d'académie, du préfet ou du directeur départemental de la Construction qui, en se coordonnant au niveau déconcentré, disposent d'un pouvoir d'initiative important. Même quand ils parviennent à définir des objectifs propres, les acteurs centraux restent dépendants des acteurs locaux pour les institutionnaliser dans l'action publique. Après la crise de 1968, la tentative portée par la direction de l'enseignement supérieur de rompre avec la politique des campus2 est un exemple emblématique des limites du pouvoir ministériel. Sans le soutien des élus locaux, les acteurs centraux ne parviennent pas à réinsérer les bâtiments universitaires en centre-ville. Il faut attendre le lancement du plan Université 2000 pour que, avec cette fois l'appui du personnel politique local, l'université retrouve le cœur des agglomérations. Dans la période contemporaine, la situation des directions centrales n'a pas beaucoup changé. Leurs membres souffrent toujours d'un déficit patent d'informations et de cloisonnements administratifs. La décentralisation ne fait ici que renforcer des tendances déjà repérables dans les années 1960 et qui tiennent à une position organisationnelle centrale, peu favorable à l'initiative et à l'administration quotidienne des dossiers (Crozier 1963). Le déficit d'influence centrale au début de la vème République ne doit cependant pas être surestimé: si les bureaux des directions pèsent marginalement sur l'action publique, le cabinet ministériel dispose de marges de manœuvre sensiblement plus importantes. L'obtention du soutien ministériel permet ainsi souvent d'accélérer la gestion des dossiers et de dépasser les blocages administratifs. Mais, là encore, le pouvoir du ministre ne semble guère altéré par la décentralisation. Loin de ne promouvoir qu'un cadre institutionnel permettant d'encadrer les négociations locales (Duran Thoenig 1996), le ministre reste un acteur incontournable de l'instruction des dossiers. Il est l'interlocuteur des élus locaux dans la négociation financière. Il reste capable d'énoncer des priorités (comme le logement étudiant, la recherche et la vie étudiante pour U3M) qui orientent les négociations locales. Surtout, il conserve un droit de contrôle sur les opérations arrêtées au niveau local. Pas plus qu'ils ne sont tout-
2 Archives nationales section d'information « la préparation
contemporaine, série 1977 0535, du Vlème plan », 4 juin 1969, p. 4.
21
carton
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note
puissants au début de la Vème République, les services centraux ne sont donc pas exclus des négociations dans la période contemporaine. Symétriquement, le comparatisme diachronique permet de relativiser l'actuelle montée en puissance des élus locaux. Les notables locaux bénéficient dans les années 1960 d' un droit à l'abstention. Même sollicités par le préfet, les universitaires et le recteur d'académie, les élus rhodaniens restent largement insensibles aux demandes d'intervention3. En mettant en avant leur absence de compétences dans le domaine, ils se défaussent sur l'Etat et refusent de mobiliser les finances locales pour intervenir. Dans ce cadre, ils peuvent, sur les projets qui leur apparaissent prioritaires, se comporter en mécène. Après la décentralisation, si le personnel politique local est un partenaire incontournable de l'Etat, ces interventions ciblées semblent beaucoup plus difficiles à opérer. Dès lors qu'une institution locale s'engage dans le financement des politiques d'implantation universitaire, le retrait devient difficile à jouer. L'abstention sur un champ de politiques qui est souvent présenté comme essentiel pour assurer le développement économique et la compétitivité internationale des territoires, le risque de voir les crédits initialement prévus par l'Etat investis sur d'autres territoires poussent les élus locaux à accepter le cofinancement. La difficulté du retrait est bien attestée par le retournement des collectivités locales d'Ile-deFrance entre le début et la fin des années 1990: quasiment absentes du plan Université 2000, elles se sont massivement engagées dans le financement d'U3M. En ne constituant pas un âge d'or (ou un âge de pierre) du fonctionnement de l'action publique avant la décentralisation, le comparatisme diachronique permet donc de relativiser le double mouvement de perte d'influence des services centraux et de montée en puissance des collectivités territoriales. De manière convergente, l'adoption d'une perspective microscopique dans l'analyse des négociations contribue à remettre en cause l'hypothèse d'une subversion des frontières sectorielles impulsée par la présence accrue des élus locaux dans les négociations.
2. UN DEBORDEMENT SECTORIELLES?
DES FRONTIERES
Si elle associe bien de nombreux acteurs en région, la discussion des plans U2000 et U3M à Lyon n'illustre que bien peu la thèse d'une coproduction des politiques publiques porteuse d'une transversalité accrue. Les frontières sectorielles résistent largement à la présence croissante des élus locaux dans les négociations.
3
Archives départementales du Rhône, série 2690W, carton n034, lettre du directeur départemental du ministère de la Construction au recteur de l'académie de Lyon du 27 septembre 1958.
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Pourtant, à Lyon, le contexte semble particulièrement favorable au débordement des frontières sectorielles. Les élus locaux ne font en effet pas que répondre à l'appel ministériel en s'engageant dans le financement des politiques d'implantation universitaire. Par la mise en place de groupes de réflexion prospectifs, ils cherchent, dès la fin des années 1980 pour la Communauté urbaine de Lyon, au début des années 1990 pour la région Rhône-Alpes, à définir les objectifs qu'ils poursuivent en finançant les politiques d'implantation universitaire. Le Grand Lyon, en soutenant l'université, cherche à internationaliser l'agglomération et à renforcer sa place dans la concurrence européenne des territoires4. L'institution régionale tente de promouvoir l'équilibre de son territoire en finançant des locaux universitaires dans les villes moyennes5. Pourtant, même armés d'objectifs définis, les élus locaux peinent à orienter l'action publique. Une analyse minutieuse des négociations montre en effet qu'ils participent uniquement au montage financier des projets sans s'immiscer dans la détermination des objectifs. Les opérations à réaliser sont en effet arrêtées dans des négociations entre le recteur d'académie, les directeurs des grandes écoles lyonnaises et les présidents d'université. Ces acteurs utilisent des critères sectoriels pour définir les projets prioritaires: le nombre d'étudiants de chaque filière et la qualité des équipes de recherche à soutenir sont les deux éléments qui leur permettent de sélectionner les opérations immobilières à effectuer. Signe de l'influence très relative des élus locaux dans la négociation, les implantations réalisées correspondent bien peu aux objectifs qu'ils promeuvent. Elles répondent avant tout aux besoins universitaires et aboutissent d'abord à la construction de locaux pour les premiers cycles dans les grandes agglomérations que sont Lyon et Grenoble. L'engagement des élus locaux n'impulse donc pas une réinscription des politiques étudiées dans des objectifs transversaux définis à un niveau infranational. L'investissement des collectivités locales dans le financement des politiques d'implantation universitaire n'est cependant pas sans conséquence sur la localisation du pouvoir à l'intérieur du secteur. A l'inverse des années 1960 où les établissements d'enseignement supérieur entretiennent des relations quasi-exclusives avec les services centraux, les exécutifs universitaires développent leurs liens entre eux. Les présidents d'université et les directeurs de grandes écoles lyonnaises parviennent à définir en se coordonnant une liste d'opérations à réaliser qu'ils imposent ensuite aux financeurs. Tout au long des années 1990, ils font preuve d'une capacité inédite à réguler entre pairs leurs intérêts divergents. Cette stratégie du front commun universitaire leur permet tout à la fois de se protéger de l'interventionnisme politique local et de développer leurs marges de manœuvre à l'égard des services centraux. En mettant en avant une autonomie universitaire reconnue par le droit et par l'histoire, ils parviennent à imposer une division du travail dans les négociations qui leur est profitable: aux universitaires la détermination des objectifs; aux autres partenaires le montage financier des projets. Déjà confortés
4 Archives du Grand Lyon, série 1297W, carton n01, conseil de communauté décembre 1989, p. 4-5. 5
du 18
Archives du Conseil régional Rhône-Alpes, carton 207W31, compte-rendu de la réunion du groupe de travail enseignement
supérieur du 22 avril 1992.
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par la mise en place des contrats quadriennaux avec le ministère de l'Education nationale (Musselin 1997, Musselin Mignot-Gérard 2003), les présidents d'université profitent à plein de l'investissement des collectivités locales. Ce ne sont pas ici les capacités à intégrer l'action publique qui glissent du centre vers la périphérie, des hauts-fonctionnaires vers les élus locaux (Faure 1994 et 1995, Muller 1992) mais une partie, et une partie seulement, du pouvoir sectoriel qui s'enracine à un niveau décentralisé (Aust à paraître). En permettant de regarder les négociations comme une somme de petites décisions prises dans des espaces distincts, la perspective microscopique permet donc de relativiser la subversion des frontières sectorielles initiée par l'intervention croissante des élus locaux.
CONCLUSION L'adoption d'une focale d'analyse à la fois diachronique et microscopique pour interroger les politiques nous conduit donc à porter un regard différent sur des politiques qui a priori participent du mouvement de territorialisation de l'action publique. Il ne s'agit pas ici pour nous de proposer la méthode pour interroger les changements dans l'action publique mais plutôt d'insister sur les relations entre construction de l'objet, dispositif méthodologique et production des résultats empiriques. Les conclusions distinctes tirées, en partant d'une politique voisine, par Christelle Manifet (dans cet ouvrage) sont bien illustratives de ces liens. Au-delà des différences qui tiennent au caractère idiosyncrasique des cas, la divergence des résultats résulte, nous semble-t-il, aussi de constructions de l'objet différenciées. Le double accent porté par l'auteur sur une sociologie de l'échange et sur les relations entre université et collectivités locales lui permet d'insister, à juste titre, sur les apprentissages et les relations qui se nouent entre personnel poli tique local et universitaires. L'adoption de cette perspective écarte cependant (trop vite?) les acteurs centraux, qui restent des partenaires incontournables de l'action publique et élude des logiques sectorielles qui continuent, pour nous, à innerver les prises de décision. Ces résistances aux logiques de territorialisation des politiques publiques ne semblent d'ailleurs pas si rares. Nombreux sont les domaines d'intervention: par exemple, la justice (De Maillard Douillet, dans le présent ouvrage); l'équipement (Reignier 2002), les politiques de développement local (Douillet 2003 et 2005a), les politiques de l'emploi (Mériaux 2005)) qui assimilent l'injonction territoriale sans abandonner les logiques d'intervention qui prévalent au début de la Vème République. Ces dernières méritent d'ailleurs tout autant d'être interrogées que les recompositions contemporaines: bien des champs d'intervention de l'Etat (pour la culture voir Saez 2005 ; pour la jeunesse voir Loncle Moriceau 2002) ne semblent avoir qu'une parenté incertaine avec le modèle central et sectorisé présenté comme caractéristique du «modèle» français de politiques publiques (Muller 1985). L'hypothèse, par ailleurs heuristique, d'un passage du secteur au territoire dans les logiques structurant l'action publique gagne à être considérée moins comme décrivant des tendances générales que comme une question de recherche qui doit être confrontée à des
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terrains empiriques. Plus qu'à des innovations conceptuelles, cette contribution invite donc à la multiplication des analyses adoptant une perspective diachronique et microscopique qui, nous espérons l'avoir montré, constitue une voie prometteuse pour comprendre les recompositions de l'action publique contemporaine.
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LA TERRITORIALISATION PROBLEMATIQUE DE L'ACTION UNIVERSITAIRE DYNAMIQUES
SECTORIELLES ET REPONSES POLITIQUES LOCALES
Christelle Manifet Christelle Manifet a obtenu un doctorat de sociologie à l'Université de Toulouse Le Mirai! et est associée au CERTOP. Sa thèse a porté sur les modes de gouvernance des villes moyennes françaises. Elle observe le pouvoir politique local dans les processus même de conduite des affaires publiques. Elle s'intéresse aux effets de la périphéricité (politique, économique, territoriale) dans un système politique où la capacité d'action est cruciale. Elle s'est spécialisée sur les politiques territoriales d'enseignement supérieur et de recherche, abordant ainsi la complexité des mécanismes de la coopération au travers notamment des relations politico-universitaires, et étudiant les formes d'intervention publique territoriale et leurs effets sur la gouvernance des établissements et les pratiques professionnelles des enseignants-chercheurs et des chercheurs. ... . .
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... . .
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Résunlé Depuis les années 1980, les pouvoirs urbains, locaux et régionaux jouent un rôle grandissant dans les politiques d'enseignement supérieur et de recherche en France. La gouvernance locale de l'action universitaire pose alors un problème de «territorialisation» des activités professionnelles de ce secteur en vue notanl1nent d'accroître le niveau de formation des populations locales et de stÙnuler le développetnent éconotnique territorial. Les institutions politiques locales doivent en réalité négocier av!c les logiques, les intérêts et les résistances des professionnels du secteur, avec le rôle central de
~
l'Etat et, plus globalelnent,
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renoncenœnt
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I I
avec la pluralisation
des espaces de référence des activités
universitaires.
au profit d'un recours grandissant
aux dispositifs
Ce qui est finalement observé, au niveau des institutions politiques locales, c'est un certain aux lnodes négociés de gouvernance
incitatifs et contractuels. De ces « nouveaux» dispositifs publics, non spécifiquement locaux, énlerge un type de relation local-sectoriel particulier, où la réciprocité est contrôlée et où les figures! Abstract Since the 1980s, regional, local and urban governl1œnts play an increasing role in higher education and research policies in France. In fulfilling this aspect of local governance, their goal is to "regionalize" university activity, that is, to increase the high-level skills of young people and employees and contribute to econonlic development by research, technology transfers and business start-ups. To do so, regional and local authorities have to deal with the interests and resistance of university professionals, with the central importance of the national state in this sector and, lnore generally, with the fact that university activities concern a multi-level governance. What it is observed is a groîving shift fronl negotiated fornls of governance to grants which are offered as incentives to cOlnply with governance choices, and contracts that are linked with selection criteria, such as calls for research program proposals. As a result, a particular relationship behveen local interests and the higher education-research branch is enœrging, in which the reciprocal advantages of the partners are monitored and brancJ1 professionals are c01npelled to offer entrepreneurial and innovative skills.
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La territorialisation des politiques publiques conduit souvent à discuter de l'organisation politique territoriale. Elle donne lieu, il est vrai, à des processus plus complexes que la seule décentralisation des pouvoirs vers les autorités régionales et locales, d'autant plus s'il s'agit de compétences non transférées sur le plan législatif Ü. Aust dans cet ouvrage). Néanmoins, aborder la territorialisation du point de vue de la gouvernance locale6 rend particulièrement visible ce qu'elle sous-tend en termes de recomposition des identités professionnelles concernées par les programmes publics et de remise en cause des compromis corporatistes réalisés au niveau national au profit des échelons régionaux et/ ou locaux (Douillet de Maillard dans cet ouvrage, Vion, Le Galès 1998). Ainsi, dans le cadre étudié ici de l'action publique locale universitaire?, « territorialiser» vise bien à ce que les équipes présidentielles des universités mais aussi les enseignants-chercheurs et les chercheurs tiennent compte, dans leurs activités, d'enjeux territoriaux tel que le développement local, prennent en considération des contextes territorialisés (Manifet 2006) et admettent, in fine, l'intérêt d'organiser localement leurs activités et leurs relations avec leurs partenaires-ressources, publics et privés. C'est en cela que la territorialisation de l'action publique sera ici abordée, moins comme un moyen pour faciliter la coordination des acteurs (Duran Thoenig 1996) ou leur intégration (Le Galès 1998), que comme un problème au cœur de la gouvernance locale. L'approche cognitive des politiques publiques (Jobert Muller 1987, Faure Pollet Warin 1995) sera particulièrement utile pour montrer que les politiques universitaires territoriales véhiculent une vision de la place et du rôle de l'université dans les sociétés locales et sont donc vouées à transformer l'environnement, les missions et les pratiques des professionnels de l'université (1). La dynamique conflictuelle du rapport local/sectoriel (Faure 1995) s'exprime alors pleinement dans l'action (2). Or, l' activité médiatrice des collecti vi tés territoriales s'avère con testée et les solutions trouvées par les pouvoirs locaux semblent accréditer la thèse d'un certain renoncement aux démarches négociées au profit de dispositifs incitatifs et contractuels (3).
6
Pour nous, la gouvernance locale désigne les systèmes d'action évolutifs constitués à partir de programmes publics locaux-villes, pouvoirs d'agglomération, départements ou deux ou trois de ces niveaux à la fois- impliquant une cogestion avec d'autres institutions politiques supra locales et/ ou avec des professionnels et établissements du secteur public et / ou des tiers. 7 Les travaux servant de base à cette réflexion portent sur la création et le développement de sites universitaires dans des villes moyennes en France et ont consisté en une reconstruction historique et comparée de politiques universitaires singulières. TIs ont été nourris par d'autres travaux sur la territorialisation des universités en France.
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1. L'UNIVERSITE/ UN ROLE TERRITORIAL EN CONSTRUCTION LA BANALISATION
DES POLITIQUES UNIVERSITAIRES
LOCALES
Diverses raisons expliquent que les collectivités territoriales aient investi, à partir des années 1980, le dossier universitaire: leur autonomie juridique, la globalisation économique et la concurrence accrue entre les territoires, les attentes fortes des familles et des entreprises en matière de formation supérieure et d'innovation technologique. Il en est ainsi de l'engouement des élus des villes moyennes et des conseils généraux, alliés ici à leurs chefs-lieux, pour accueillir des délocalisations universitaires avant et pendant le Plan Université 2000 (199195). L'État a lui-même encouragé l'implication des Conseils régionaux dans le cadre de la contractualisation, devenue systématique, des programmes d'investissement universitaire (Plan U2000, Plan U3M et CPER). Aujourd'hui, ce sont bien tous les niveaux de décision territoriaux qui, en France, se saisissent de la question universitaire: les pouvoirs d'agglomération moyenne ou grande, les conseils généraux et les conseils régionaux. Les contributions territoriales concernent tous les domaines d'activité de l'université (formation, recherche, vie étudiante, valorisation) pour des investissements immobiliers autant que pour des opérations considérées co-mme «stratégiques» par les établissements (bourses pour les étudiants, soutien à la recherche, valorisation). Tous ces éléments contribuent à doter progressivement les collectivités territoriales d'une certaine légitimité à piloter ce secteur public, de !açon empirique aujourd'hui et, demain peut-être, plus formellement, à côté de l'Etats.
L'UNIVERSITE, TERRITORIALE
UNE « RESSOURCE» DEVENUE CENTRALE
Deux aspects sont essentiels pour qualifier les modes d'intervention publique territoriaux en matière universitaire: un principe de centralité et un principe d'utilité. Le principe de centralité rend compte d'un déplacement de la place du dossier universitaire sur les agendas locaux. Traditionnellement, l'université et l'enseignement supérieur en général pouvaient être perçus comme de stricts supports au développement économique local. Dans les années quatre-vingt, l'intérêt économique est toujours déterminant, mais il est
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C'est ainsi que l'éventualité d'une meilleure intégration des collectivités territoriales dans la définition de l'offre d'enseignement supérieur et l'évaluation de la qualité des sites a pu être évoquée par le Directeur de l'enseignement supérieur au ministère, ce qui, dans les faits, se traduirait par la transformation des contrats quadriennaux des établissements universitaires en contrats tripartites (universités, ministère, collectivités territoriales): Intervention de J.-M. Montei! à la DATAR (rebaptisée depuis DIACf) dans le cadre du groupe de travail «Villes moyennes: les enjeux de l'enseignement supérieur», séance du 28/09/2004.
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perceptible que l'université est désormais considérée comme l'élément suffisant à partir duquel tout s'enchaîne, un facteur productif de richesses en soi. Il arrive même que ce dossier détrône les dossiers locaux traditionnels tels que le désenclave ment routier ou le développement économique. De plus, malgré la massification de l'enseignement supérieur, l'université demeure une ressource rare, source de centralité et de visibilité pour les territoires qui en sont dotés. A ce principe de centralité doit toutefois être adjoint un principe d'utilité: utilité sociale, économique, culturelle et territoriale. Ainsi, les universités doivent s'ou vrir à leur environnement socio-économique et politique et répondre à des enjeux de démocratisation scolaire, d'emploi, de productivité des entreprises autant que résoudre des problèmes de déclin économique et territorial. Ces ambitions territoriales coïncident avec la montée de nouveaux modèles d'organisation économique et sociale (économie de la connaissance) attribuant une place centrale au capital humain, aux qualifications et à l'innovation technologiques. Cette relative convergence des idées, à différentes échelles, démontre le besoin que les volontés politiques étudiées au niveau local n'entrent pas forcément en contradiction avec les volontés nationales et/ ou européennes, qu'elles peuvent aussi les renforcer.
2. LA TERRITORIALISATION PROBLEMATIQUE DE L'ACTION UNIVERSITAIRE Les politiques universitaires territoriales forment des configurations sociales (Elias, 1991)9, qui, sans être aléatoires, sont des chaînes d'interdépendance non stabilisées qui vont des acteurs gouvernementaux jusqu'aux publics-cibles (Gustavsson cité par Kiviniemi 1986). Dans ces configurations, les universités constituent des porte-parole privilégiés des projets locaux. Encore faut-il que ces acteurs adhèrent à ces projets. En effet, l'université n'est pas seulement un objet d'intervention publique, ou encore une organisation dotée d'un centre de décision, c'est aussi un secteur professionnel, pris ici dans le sens de la sociologie des professions (Dubar Tripier 1998). Cette perspective sous-tend des problèmes de coordination politico-universitaire liés, d'une part, au poids historique de l'organisation centralisée du secteur et, d'autre part, à la différenciation des logiques de ces deux sphères.
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La notion de configuration sociale telle que conceptualisée par N. Elias permet d'interpréter des phénomènes larges d'interdépendance de nature autant organisationnelle que structurelle: voir l'utilisation qu'en fait E. Négrier (2005) pour expliquer les changements d'échelle des territoires politiques dans des contextes territoriaux variés.
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LE POIDS DE LA TRADITION CENTRALISEE D'ORGANISATION DU SECTEUR L'État pilote le secteur dans une logique de « cogestion» avec les instances corporatives pertinentes (syndicales, disciplinaires, catégorielles, statutaires, universités) (Musselin 2001)10. Ce système bilatéral n'est pas favorable à la territorialisation et les relations entre les établissements universitaires et les collectivités t"erritoriales ne se réalisent jamais sans la présence, même en arrièreplan, de l'Etat. Par exemple, lorsque les collectivités locales souhaitent contribuer à la conception des activités de formation localisées sur leur territoire, elles font face à des circuits bien ordonnés, dont elles sont exclues, impliquant trois acteurs: les enseignants-chercheurs porteurs de projet, les acteurs centraux des établissements et le ministère. De même, le recrutement des enseignantschercheurs est souvent le lieu majeur de tension alors que les gouvernements des universités n'ont que partiellement la main face au pouvoir du ministère. DES CADRES IDENTITAIRES
ET DE LEGITIMITE DIFFERENCIES
La tradition centralisée d'organisation du secteur ne saurait toutefois expliquer seule le caractère conflictuel du rapport local/ sectoriel. Les logiques autant que les contraintes sont distinctes entre les représentants politiques et administratifs des collectivités territoriales et les personnels des universités. Par exemple, quand les uns pensent aménagement d'un quartier dans la ville, mixité des activités, des équipements et des populations, les autres pensent unité de fonction, de lieu et d'équipements et spécificité des missions, des services et des publics. Quand les uns souhaitent avancer rapidement, les autres ont besoin de temps pour construire des filières, monter des équipes de recherche et institutionnaliser des thématiques. Quand les uns voudraient bien se décharger des coûts de fonctionnement quotidien au profit du soutien aux projets innovants, aux activités internationales, aux formations professionnalisées, à la recherche et à l'innovation, les autres auraient besoin d'un accompagnement soutenu, non finalisé ou sur des priorités différentes. De la même façon, le recrutement des enseignants-chercheurs suppose pour les collectivités un classement articulé à des objectifs politiques alors qu'au sein de l'université, les classements sont contraints par le rapport entre charges (effectifs étudiants et coût pédagogique des filières) et potentiel de compétences professionnelles disponibles. La nouveauté de la relation entre les acteurs de ces deux univers autant que les méconnaissances réciproques peuvent expliquer certaines maladresses ou carences stratégiques de part et d'autre. Toutefois, ces acteurs refusent d'entrer vraiment dans l'univers de l'autre. Car cette relation est aussi politique, c'est-à-dire que s'y mêle -du côté des universitaires- la crainte de l'ingérence
10
Le ministère crée les postes, les répartit entre les universités et finance les salaires, alloue les budgets de fonctionnement des établissements, habilite les formations. Le choix des individus et la conception des formations incombent aux disciplines (Conseil National des Universités et commissions de spécialistes locales) et aux établissements.
31
politique. Les élus locaux sont soupçonnés d'instrumentaliser l'université à leurs seules stratégies communicationnelles et électorales. Une majorité d'universitaires n'est d'ailleurs pas vraiment convaincue de l'intérêt de la territorialisation de leurs activités et y est même opposée, estimant que ce procédé participe soit à la secondarisation de l'enseignement supérieur et de la recherche, soit à sa marchandisation. Le problème de la définition du contenu des activités de formation ou de recherche constitue, à ce titre, la pierre d'achoppement de la coopération politico-universitaire. Les universitaires affirment que cette question est leur chasse gardée et que le politique n'a pas à s'en mêler. Or, du côté des élus, les implications territoriales des choix universitaires en matière de formation comme d'activités de recherche sont telles qu'ils ne peuvent pas ne pas se soucier de leur contenu. Ces difficultés tendent finalement à mettre en échec les modes négociés de gouvernance, conduisant les équipes politico-administratives locales à développer d'autres stratégies de pilotage de leurs politiques.
3. VERS UNE GOUVERNANCE
PAR LES DISPOSITIFS?
Ces difficultés ne sauraient atténuer les effets de la territorialisation (même partielle) des politiques universitaires. La territorialisation participe largement à en fragiliser les mécanismes néo-corporatistes traditionnels en impliquant la pluralisation des espaces politiques de référence et la mise en concurrence (ou la redondance) des donneurs d'ordre ou encore l'émiettement des modes de représentation des intérêts corporatistes, désormais autant fondés sur des logiques d'établissement et régionales que sur des logiques disciplinaires et nationalesll. Cette complexification des contextes de l'action publique universitaire pose bien des problèmes de gouvernabilité à tous les niveaux de décision. Différents travaux ont ainsi montré que les acteurs gouvernementaux se réorganisaient, notamment par le biais de dispositifs « nouveaux» tels que les formes délibératives et/ ou contractuelles (Lascoumes Le Galès 2004, Gaudin 1999, Lascoumes Valluy 1996). Dans le même esprit, Pinson montre comment le projet peut être instrumenté comme force de mobilisation collective (2006). A priori, tous ces «nouveaux» instruments valorisent une construction négociée de l'action publique et le contrat, affiché comme règle construite conjointement, est envisagé comme une solution politique universelle (Berri vin Musselin 1996). Or, il n'est pas inutile, dans cette troisième et dernière partie, et toujours au niveau territorial, d'interroger la montée de ces dispositifs contractuels, du point de vue des contraintes qu'ils
11Sans compter avec des formes de représentation professionnelle émergentes. TIen est ainsi, nous semble-t-il, de la mobilisation rapide des chercheurs français entre 20022004 ayant abouti à la tenue d'états généraux de la recherche en 2004 et à la création
d'une Association
«
Sauvons la recherche» dont la force de représentativité
est
largement fondée sur Internet (voir Collectif, 2004, Les états généraux de la recherche, Tallandier Éditions).
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représentent en termes justement réci proci té local-sectoriel.
de restriction du dialogue et de contrôle de la
DES DISPOSITIFS DE COORDINATION«
A DISTANCE »
Ainsi, ces dernières années, ont prospéré (au niveau des conseils régionaux, des conseils généraux et des pouvoirs d'agglomération) des formes particulières d'accompagnement et de soutien aux activités universitaires: bourses sociales, bourses de mobilité, bourses de stages, bourses doctorales et post-doctorales, prix de thèse, prix de l'innovation, bourses de chercheur-invité, appels à proposition ou à projet de recherche, etc. Ces dispositifs mis à disposition des professionnels du secteur et des publics-étudiants sont incitatifs dans le sens où ils répondent tous aux règles de l'appel d'offre: le soumettant invite des soumissionnaires à lui présenter des offres, qu'il aura le pouvoir de sélectionner au regard des valeurs et critères qu'il aura lui-même édictés au départ. En apparence au moins, ces dispositifs n'occasionnent pas l'ingérence politique dans les activités sectorielles et sociales, ni ne véhiculent l'idée d'une nécessaire convergence des points de vue en présence. La différenciation sociale est assumée: les universités et les universitaires sont « libres» de répondre ou de ne pas répondre à ces appels, sachant que, dans la réalité, ces mêmes acteurs sont dépendants de ressources externes pour maintenir et développer leurs activités. En réalité, tes critères de financement contribuent, au-delà des opérations concernées, à juger de la pertinence, de la validité, de l'environnement et de l'intérêt tant scientifique que social des activités universitaires12.
DES DISPOSITIFS D'IMPULSION MAIS AUSSI DE CONTROLE DE LA RECIPROCITE LOCAL-SECTORIEL Toute la force du dispositif incitatif est qu'il systématise la structure de réciprocité de l'échange public: simultanément offrir (allouer) quelque chose et demander (exiger) quelque chose et cette combinaison doit comporter un élément de proportionnalité raisonnable (Leca 1996, p. 348). Ce çontrôle de la réciprocité public-sectoriel n'est pas nouveau. Il est bien présent dans l'approche néocorporatiste développée par Jobert et Muller (1987) ainsi que dans la théorie des régimes urbains de Stone (1993) qui classifie les régimes au regard de la problématique double de mobilisation et de contrôle des intérêts privés. Il est clair toutefois que le caractère devenu pressant de la réciprocité, au détriment de la confiance, ainsi que la contractualisation systématique des relations -y compris entre acteurs issus de la même sphère publique- rapprochent de plus en plus ces formes d'échange publique des formes d'échange décrites ailleurs, notamment dans le monde économique (Cordonnier 1997). Les rapports de
12 Les appels à projet peuvent définir les thèmes de recherche qui seront soutenus de façon privilégiée. Dans d'autres cas, l'exigence du partenariat public-privé contribuera à formaliser les environnements «idéaux» dans lesquels les activités universitaires contem poraines devraient se développer.
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pouvoir, d'intérêt et de rentabilité sont là attestés, sans négliger la possibilité pour l' offreur de fixer des rôles à son client par le biais de dispositifs (Dubuisson-Quellier 1999), ou, pour le sous-traitant, d'exploiter, à son avantage, le capital confiance obtenu, dans la durée, auprès de son donneur d'ordre et de développer ainsi un ensemble de comportements opportunistes (Neuville 1997).
En guise de conclusion, on peut interroger le sens de ces dispositifs incitatifs, en réfléchissant au mode de pilotage public qu'ils promeuvent. Le mode de régulation politique encourage les universités et les universitaires à s'inscrire dans des démarches toujours plus entrepreneuriales en même temps qu'efficientes sur divers plans (économique, social, territorial, politique) accélérant, ainsi, l'introduction d'un référentiel du marché ou quasi marché (Slaughter Leslie 1997) au sein de ce système professionnel traditionnellement fermé et protégé (Ségrestin 1985). Cette nouvelle gouvernance par les dispositifs soulève en tout cas un champ de questionnement pour le chercheur travaillant sur l'action publique territoriale, notamment celui-ci: qu'en est-il du processus de socialisationterritorialisation des acteurs universitaires qui, pour obtenir les aides territoriales, intègrent stratégiquement les préférences politiques locales au moment de l'élaboration de leurs dossiers de candidature?
34
LES POLITIQUES D'EMPLOI AU RISQUE DE LA TERRITORIALISATION
CONCURRENTIELLE
Jean-Raphaël Bartoli & Olivier Mériaux Jean-Raphael Bartoli (t) était directeur général du groupe Amnyos Consultants, cabinet spécialisé en évaluation des politiques publiques, conseil stratégique et opérationnel aux collectivités locales et accompagnement des acteurs du développement local. Olivier Mériaux est chargé de recherche à Sciences-Po Grenoble (UMR PACTE). Il occupe parallèlement les fonctions de conseiller scientifique au sein du groupe Amnyos Consultants. Courriel : ()livier Jv1.eriauxC<:1!i ep. 1.1 pmf-grenob le.fr ................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. .. . i
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In the field of employment policies, the trend towards territorial policy-making has create side-effects of segmentation and competition, as each actor has develop its own programs for employmen t in response to local needs. This competitive territorialization produces contradictory effect: on one side, it contributes to modernize the statist frame of reference of employment policies. On the other, it complicates the operational implementation of strategies and reduces the coherence between existing programs.
35
Comme d'autres champs de l'action publique ayant subi depuis plus de deux décennies les effets du double mouvement de déconcentration et de décentralisation, la politique de l'emploi offre aujourd'hui un paysage difficilement lisible. Si la distinction entre la logique de projection propre aux poli tiques territorialisalisées et la logique de projet des poli tiques territoriales demeure heuristique, elle ne peut rendre compte de la diversité, de la complexité et du caractère mouvant des configurations observées. L'hétérogénéïté et la mutabilité des situations locales sont telles que l'on peut se demander jusqu'à quel point il est encore raisonnable d'afficher l'ambition d'une lecture globale de la production des politiques, dans ce domaine comme dans d'autres (sauf à se rabattre sur le pis-aller de la «complexité territoriale» 13). Il nous semble judicieux dès lors d'en revenir à des interrogations plus ciblées, et surtout d'essayer de mettre davantage en relation les aspects liés aux modes de conduite des politiques publiques avec les évolutions de leur contenu normatif. Dans cette perspective, on insistera ici sur l'un des aspects qui ressort le plus fortement de notre expérience en matière d'évaluation et d'accompagnement des politiques territoriales dans le domaine de l'emploi et de l'insertion professionnelle. Nous observons en effet que les instruments et procédures
susceptibles d'asseoir des formes de « gouvernance négociée» des politiques d'emploi échouent très fréquemment à contrecarrer les effets de cloisonnement et de concurrence inter-institutionnelle, qui vont croissant à mesure que chaque acteur territorial développe ses propres programmes «pour l'emploi» en réponse à des besoins locaux. Les outils de coordination ne peuvent qu'avoir une effectivité limitée, dès lors que ce qui est en jeu, le plus souvent, est la définition de l'autorité légitime à assurer l'intégration territoriale des différents segments des politiques d'emploi. Ces jeux de concurrence territoriale ont des effets ambivalents, voire paradoxaux: sur le plan de la doctrine, ils contribuent à revisiter le référentiel de la politique de l'emploi en intégrant un certain nombre d'enjeux largement ignorés par l'Etat dans ses modes d'action traditionnels; mais en pratique, ils rendent plus aléatoire la déclinaison opérationnelle des orientations stratégiques et la mise en cohérence des dispositifs existants, alors même que tous les acteurs en font un objectif prioritaire.
1, ACTION PUBLIQUE POUR L'EMPLOI: RAPPORT AU TERRITOIRE
UN NOUVEAU
A s'en tenir à une lecture strictement institutionnelle de la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités locales, la dimension territoriale des politiques de l'emploi devrait se limiter aux espaces localisés de mise en œuvre
13 Voir le dossier consacré à ce thème dans la dernière n068/2006.
36
livraison
de Pouvoirs Locaux,
des dispositifs relevant de l'Etat et du service public de l'emploi. L'emploi en effet n'a jamais figuré parmi les domaines de compétence transférés par l'Etat au fil des différentes phases de la décentralisation. Mais deux processus concomitants ont progressivement amené, à partir des années 1980, une profonde transformation du statut du territoire dans ce domaine de l'action publique. D'une part, au sein de l'Etat, la «logique de l'offre », qui consistait à distribuer de manière uniforme un ensemble de mesures indépendamment des
caractéristiques des territoires, a peu à peu cédé la place « à une logiquefondée sur l'expression d'une demande localement construite autour d'une plus grande concertation et d'une coordination accrue entre les acteurs, qu'ils appartiennent au service public de l'emploi ou aux collectivités territoriales» (Berthet, Cuntigh Guitton 2002, p. 29; voir aussi Berthet 2005). Ce mouvement de renforcement de la dimension territoriale des politiques de l'Etat s'ancre en grande partie dans les lignes directrices de la stratégie européenne de l'emploi, qui ont mis l'accent sur
la nécessité d'impliquer les autorités régionales et locales, selon « une approche totalement décentralisée, conformément au principe de subsidiarité» (Commission Européenne 2000, 2001). Les incitations et encouragements de la part de l'Union européenne, de ses fonds structurels et de la Commission, ont ainsi cherché à conforter le rôle des acteurs locaux dans la mise en œuvre d'approches stratégiques et intégrées de l'action sur l'emploi (Amnyos consultants, 2001a). D'autre part, les collectivités territoriales, fortes de la clause générale de compétence, n'ont pat? attendu d'hypothétiques transferts de compétences de l'Etat en la matière pour développer leurs interventions. Compte tenu des difficultés d'insertion sur le marché du travail depuis le début des années 1980, de l'ampleur du chômage et de ses effets sociaux, des risques que font peser les restructurations de l'appareil productif sur l'équilibre des territoires, l'intérêt public local en matière d'emploi s'est avéré suffisamment évident pour fonder un processus de prise en charge de ces enjeux politiques par les collectivités territoriales. La difficulté réside alors dans le passage d'une «préoccupation partagée» pour l'emploi à une politique coordonnée, articulant les interventions d'une pluralité d'acteurs locaux, tout aussi légitimes les uns que les autres à vouloir apporter une réponse.
2. LES
QUATRE SCENES DE LA GOUVERNANCE TERRITORIALE DES POLITIQUES D'EMPLOI
Initiée dans les deux dernières décennies, la montée en puissance de la «gouvernance locale» des politiques d'emploi se nourrit du caractère par excellence «indissociable» des multiples facteurs à l'origine des problèmes d'emploi: exposition croissante des industries à la concurrence internationale, déficit de main d'œuvre formée, faiblesse des investissements en recherchedéveloppement, mauvaise qualité des infrastructures, etc. En cette matière tout particulièrement, l'absence de «congruence entre la définition des compétences
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orga~isationnelles et institutionnelles et la nature des problèmes auxquels les pouvoirs publ1cs se trouvent confrontés» (Duran 1999, p. 119) interdit a priori de délimiter des domaines d'intervention précis. Dans un environnement politico-administratif aussi stratifié que le système français, le caractère complexe des problèmes d'emploi offre ainsi une justification aisée à chacun des acteurs publics pour développer au plan
territorial sa propre batterie de politiques « pour l'emploi». La tendance n'a fait que s'accentuer avec «l'acte II de la décentralisation », le développement de l'intercommunalité et le basculement à gauche des Conseils régionaux en 2004. La gouvernance locale des politiques de l'emploi se joue essentiellement aujourd'hui dans les modalités de l'articulation entre quatre niveaux de pouvoir: En charge du développement économique et social de leurs territoires, les Pays et Agglomérations se dotent progressivement d'une politique territoriale, en affichant leur volonté de mieux articuler développement économique du territoire et politique d'emploi et de formation. Cette doctrine d'intervention passe par la mise en place de partenariats locaux, qui ont pour objet d'associer largement l'ensemble des acteurs socio-économiques du territoire. Cependant, la construction de cette transversalité bute très fréquemment sur l'antériorité et la structuration autonome de la politique de la ville et des services en charge du développement économique. De manière générale, le positionnement des pays et agglomérations sur le champ de l'emploi demeure hésitant et surtout peu lisible, aussi bien en interne que pour leurs partenaires. La non-correspondance des périmètres de pays et d'agglomération avec les zones du service public de l'emploi est un frein bien connu à la coordination des interventions publiques. Dotés désormais de la plénitude de compétences dans le champ de la formation tout au long de la vie, mais disposant également de compétences accrues dans le domaine du développement économique, les Conseils Régionaux ont, de ce fait, une légitimité renforcée pour tenter de mettre en cohérence les politiques de développement économique, d'insertion et de gestion des ressources humaines. L'engagement des conseils régionaux sur le terrain des politiques d'emploi, d'abord discret et très ciblé depuis le milieu des années 1990, s'est fortement accéléré dans les derniers mois. Elus en avril 2004 sur la base de programmes dans lesquels figurait en bonne place la création « d'Emplois-Tremplins» pour remplacer les « Emplois-Jeunes» supprimés par le gouvernement, les nouveaux exécutifs régionaux, à l'instar de celui de RhôneAlpes, n'hésitent plus désormais à organiser leur communication autour de
l'emploi, décrété « priorité n01 de la Région ». Mais le volontarisme du discours ne peut masquer le fait que cette volonté de promouvoir une politique de l'emploi «intégrée» au plan régional butte pour l'heure sur un déficit d'instrumentation et d'expertise (cf. infra). Dotées d'une pléthore de « schémas» et de «plans », au travers desquels elles peuvent à loisir redessiner l'horizon stratégique q.e l'action publique, les régions sont nettement moins bien équipées pour en décliner les orientations de manière opérationnelle (Bartoli, Mériaux, 2006) .
38
Les politiques
départementales
d'insertion
ont été fortement
imEactées
par la décentralisation de l'ensemble de la gestion de l'allocation du RMI 4, alors que prévalait auparavant un système de copilotage État - Départements. La création du Contrat d'Insertion
nouveaux comme les
«
RMA (CI-RMA), ainsi que l'utilisation
d'outils
contrats d'avenir», favorisent le développement d'une
politique départementale d'emploi et d'insertion professionnelle, qui tend à se déployer de façon autonome, produisant sa théorie d'action et ses outils spécifiques. La diversité des publics relevant du RMI, l'accroissement du nombre d'allocataires, favorisent l'apparition d'une politique volontariste des Départements dans le champ de l'emploi et de la formation, alors que, jusqu'à présent, l'essentiel de leurs initiatives se cantonnait au volet social de l'insertion. Pour l'heure, l'articulation avec les programmes de formation des Régions reste encore largement à construire. Enfin, ainsi qu'on l'a mentionné, le service public de l'emploi joue sa propre partition territoriale, sans se départir d'un rapport assez ambigu à l'autonomie locale. Ses politiques «en surplomb» viennent fréquemment percuter les initiatives conduites par les autres acteurs territoriaux. Ainsi, avec le plan de cohésion sociale, et notamment la création des Maisons de l'Emploi, l'État renoue avec une posture directive dans la façon d'appréhender le territorial. Certes, les Maisons de l'Emploi tentent d'associer fortement les acteurs locaux dans la mise en oeuvre, notamment en instaurant le principe du portage de la Maison de l'Emploi par une collectivité territoriale. Mais la rigidité des cahiers des charges ne favorise guère une appropriation locale du dispositif et risque de transformer une intention louable en «partenariat technique de structures », assez déconnecté des réalités locales et des enjeux territoriaux. L'investissement croissant, et quelque peu désordonné, des collectivités territoriales dans l'action publique pour l'emploi, au côté de l'Etat et des partenaires sociaux (gestionnaires des fonds de la formation professionnelle et de l'assurance-chômage), tend ainsi à rendre obsolète la logique juridique de répartition des responsabilités. En-dehors des transferts de compétences organisés par la loi, c'est davantage désormais une logique fonctionnelle qui guide les interventions des collectivités. Or par définition, une telle logique n'a pas de principe de limitation, hormis les contraintes budgétaires des collectivités (dont on sait par ailleurs combien elles se sont alourdies depuis 2004).
3. LES EFFETS AMBIVALENTS DE LA TERRITORIALISATION CONCURRENTIELLE Leitmotiv de la stratégie européenne de l'emploi, « l'approche intégrée» des politiques de l'emploi déstabilise les équilibres byzantins de la décentralisation à la française, tout autant d'ailleurs que la distribution des
14
Loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de Revenu Minimum d'Insertion et créant un Revenu Minimum d'Activité.
39
compétences entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux15. Si le local est désormais une composante pleinement reconnue des politiques d'emploi, des incertitudes majeures demeurent quant à la désignation de l'autorité légitime à assurer l'intégration territoriale de leurs différents segments. Ces incertitudes nourrissent des comportements de concurrence qui ne peuvent être que partiellement résorbés par les multiples instruments pseudo-contractuels censés
organiser la
«
décentralisation coopérative» (De Briant 2006). Car ce qui est en
cause, à ce stade, ce n'est pas tant la recherche d'une meilleure coordination fonctionnelle que la structuration des relations de pouvoir, dans un cadre juridique qui proscrit la hiérarchie entre collectivités territoriales. Cette situation de territorialisation concurrentielle produit des effets ambivalents, dont il importe de repérer à la fois le potentiel d'innovation dans l'ordre de la conception des politiques d'emploi, et les faiblesses évidentes dans l'ordre de la mise en œuvre opérationnelle: Innovation dans la conception des politique d/emploi : en tentant de faire valoir une approche des problèmes d'emploi susceptible de le positionner comme « l'échelon le plus pertinent», selon l'expression consacrée, chaque acteur territorial contribue peu ou prou à faire évoluer le référentiel des politiques d'emploi. Au travers des Schémas Régionaux de Développement Economique, on perçoit ainsi nettement aujourd'hui que certaines Régions sont engagées dans
une
«
course de vitesse» pour disputer aux grandes intercommunalités un rôle
« d'assembleur» d'une action publique articulant stratégies de développement économique, d'une part, et de développement des ressources humaines, d'autre part. Ce faisant, ces collectivités remettent en cause une partition entre l'économique et le social qui a toujours été structurante dans les politiques étatiques. Autre aspect de cette rénovation du référentiel, la manière dont certaines collectivités se saisissent du thème de la « sécurisation des parcours professionnels », en tentant de faire valoir une conception sensiblement différente de celle qui informe à l'heure actuelle les initiatives de l'Etat ou des partenaires sociaux. Les politiques locales, parce qu'elles sont plus directement en prise sur le fonctionnement réel du marché du travail, peuvent ici « faire la différence ». Alors que la tendance globale est de reporter sur l'individu la charge du développement de son employabilité, comme élément d'assurance contre les risques de ruptures qui affectent de manière croissante les trajectoires professionnelles, le niveau local peut être le lieu où s'inventent de nouvelles garanties collectives de gestion de la mobilité, subie ou choisie. Encore faut-il souligner que jusqu'à présent, la dynamique de territorialisation des politiques de l'emploi s'est plutôt traduite dans les faits par un renforcement du traitement individuel sur un mode beaucoup plus coercitif que facilitateur des projets personnalisés (suivi renforcé par l'ANPE, profilage, « activation» de l'assurance-chômage). Cette tendance, soulignée par Thierry Berthet dans sa contribution à cet ouvrage, montre que les collectivités locales, qui affichent
15
Cette redéfinition des rôles concerne en particulier le régime d'assurance-chômage, dans un contexte «d'activation» des dépenses d'indemnisation (Exertier Gramain Legal Ralle, 2005).
40
fréquemment une autre approche, peinent pour l'instant œuvre effective des politiques.
à peser sur la mise en
Faiblesses dans r ordre de la mise en œuvre opérationnelle: Si elle traduit sans doute plus fidèlement l'enchevêtrement des facteurs en cause dans l'évolution de l'emploi, la complexification du référentiel des politiques d'emploi se paye d'abord d'un alourdissement des processus de production de l'action co}lective. Systèmatiquement relevée par les parties-prenantes, la lenteur des phases de « diagnostic partagé» souligne combien cette étape est cruciale pour espérer avancer vers la réalisation d'un bien commun territorial. Mais nombreuses sont les politiques « partenariales» qui finissent par se justifier essentiellement par leur capacité à maintenir des tours de tables destinés à rassembler l'ensemble des parties prenantes qui, compte tenu de l'enchevêtrement des compétences et du caractère multi-niveaux de l'action, ont tendance à être de plus en plus nombreux et de moins en moins hiérarchisés. A terme, l'action collective est alors menacée d'inefficacité ou de défaillance, en raison d'une croissance excessive des coûts de transaction et de coordination (Mériaux Verdier 2006). Même sans aller à ce type d'extrêmité, la difficulté à articuler les phases de définition plus ou moins concertée du projet stratégique commun (de type charte de pays, projet d'agglomération ou SRDE) avec les instruments censés le décliner de manière opérationnelle (<
41
L.ET AT SOCIAL A L'EPREUVE DE L'ACTION TERRITORIALE POSTMODERNITE ET POLITIQUES PUBLIQUES DE PROXIMITE DANS LE CHAMP DE LA RELATION FORMATION-EMPLOI
Thierry Berthet Thierry Berthet est chercheur CNRS au CERVL Pouvoir, Action Publique, Territoire de l'Institut d'Etudes Politiques de Bordeaux et directeur du centre régional associé au Céreq pour la région Aquitaine. Il travaille sur les politiques d'emploi et de formation professionnelle et a récemment dirigé l'ouvrage Des emplois près de chez vous? La territorialisation des politiques d'emploi en questions (Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2005). Courriel :
[email protected]
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et la mise en œuvre des politiques publiques connaissent de profondes transformations sous l'impulsion d'une série de dynamiques qui affaiblissent la régulation centralisée des rapports sociaux. Cette contribution constitue une tentative de ~:s;o:~ulation
formalisation d'un modèle analytiquefondé sur la notion de proximité. Appliquée au I
champ des politiques actives de l'emploi, elle vise à fournir des clés d'analyse des mutations contemporaines de l'Etat social. Abs tract Public policies formulation and implementation are changing under the pressure of several dynamics weakening the state legitimacy. This chapter presents an attempt to conceptualize these transformations by using the notion of proximity. Applied to active labour market policies, the main goal of this contribution is to provide an analytic frame to the understanding of contemporary mutations of the social state.
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1
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Qualifiée tantôt de postmoderne tantôt de modernité dépassée, radicale ou seconde, la société contemporaine semble marquée par la prégnance de la gestion des risques (Beck 2001). Dans un contexte de déstabilisation des repères
canoniques de la modernité « classique », la gestion des risques devient centrale et le territoire tend à devenir un élément-repère de recomposition de l'action publique (Mériaux Verdier 2006). La compréhension des articulations entre ces transformations sociétales et leur impact sur les différents domaines concrets de l'action publique constituent un défi majeur pour les sciences du politique. L'objet de ce travail est d'ébaucher les prémisses d'un modèle explicatif permettant d'établir des liens méso-analytiques entre ces niveaux éloignés d'observation. L'importance des transformations institutionnelles, cognitives et instrumentales à l' œuvre invite à s'intéresser plus précisément aux réagencements territorialisés des politiques publiques. La problématique de la territorialisation des politiques publiques est ainsi au cœur de cette réflexion. Plus précisément l'hypothèse d'un registre dominant de proximité dans la mise en œuvre des politiques publiques sera avancée ici. L'intérêt de la mise en perspective analytique qu'offre la notion de proximité est de permettre d'avancer d'un point de vue analytique dans la direction qu'offre Bruno Jobert indiquant que «le pont est très rarement fait entre l'analyse des systèmes de croyance et de valeurs, l'étude des cultures politiques et les pratiques gouvernementales. Du fait de cette segmentation, il est difficile d'appréhender la relation de l'action publique à la société» (Jobert 1998, p.122). La question des modes de légitimation dont procède fortement la référence à la proximité est une clé de compréhension de .ces liens souvent négligés dans l'analyse des politiques publiques territorialisées. C'est à ce niveau que la référence à la proximité sera ici mobilisée. Pour reprendre les termes de Christian Le Bart et Rémy Lefebvre interrogeant au fond les trois dimensions du politique - politics, polity, policy -: « A travers la proximité, il s'agit bien de restaurer la confiance politique (rapprocher les élus des citoyens), de rétablir du lien social (rapprocher les institutions des usagers et les usagers entre eux), de reconstruire l'efficacité publique (coller à la demande sociale, produire des réponses appropriées, ajustées)>> (Le Bart Lefebvre 2005, p. 29). Mais quel que soit l'intérêt heuristique d'opérer cette distinction entre niveaux d'analyse du politique, il faut aussi signaler qu'au confluent de ces trois dimensions réside une interrogation de fond sur l'usage de la proximité: celle de la possible construction d'un nouvel espace public fondé sur la proximité géographique et relationnelle qui permette la définition d'un intérêt général local ou réticulaire. Le champ empirique retenu pour effectuer ce travail est constitué des politiques actives de l'emploi. A la différence de la politique de l'emploi, politique nationale qui fait l'objet d'une déconcentration accrue (Berthet 2005), la formation professionnelle se singularise par sa décentralisation en phases successives
-
1983, 1993, 2004
-
(Berthet
1999) et sa soumission
au nouveau
code
des marchés publics qui structure la commandite publique en matière de formation des demandeurs d'emploi à une logique d'achat de prestations à des organismes privés. Dans les deux cas, la référence à la proximité (Le Bart Lefebvre 2005, Pecqueur Zimmermann 2004) prédomine qui met au cœur de l'action publique trois dynamiques entremêlées de territorialisation, d'individualisation et d'hybridation public/privé de l'action publique.
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1. TERRITORIALISATION ET REGISTRE D'ACTION PUBLIQUE Centralisme du gouvernement et intervention sectorielle ont durablement constitué le mode privilégié de définition de l'intérêt général. Un certain nombre de facteurs ont amenuisé la légitimité de cet édifice institutionnelmodèle du développement local, logiques communautaires de subsidiarité, effritement de la capacité redistributive de l'Etat - en soutenant une dynamique de territorialisation croissante de l'action publique. Ce mouvement s'inscrit dans un univers d'acteurs où les qualités personnelles priment sur la représentation institutionnelle et où règnent le partenariat, la règle procédurale et la proximité institutionnelle. La territorialisation des politiques publiques a ainsi démultiplié les centres décisionnels et effectivement « débordé» le cadre sectoriel caractéristique de l'Etat-moderne (Mériaux 2005). La diversification et la complexification des domaines d'action publique soulignent les limites d'une approche sectorielle alors que la réalité sociale apparaît sans cesse plus labile, diverse et difficile à saisir sans une connaissance fine de ses ressorts locaux. Encadrée par de nouvelles modalités de management le plus souvent d'inspiration communautaire partenariat, subsidiarité, évaluation, coproduction territorialisée -, la territorialisation de l'action publique vise à reconstruire les cadres de sa légitimation. En d'autres termes, l'efficience managériale supposée qu'octroie une action publique de proximité justifie la sortie progressive d'un modèle de définition stato-centré de l'intérêt général. La territorialisation de l'action publique est ainsi facteur autant que miroir de la perte de prégnance d'une régulation centralisée des problèmes sociaux. Les changements que cette dynamique induit interrogent fortement les modèles classiques d'analyse du gouvernement. Par penchant disciplinaire sans doute, ce sont pourtant moins les restructurations géographiques que les nouvelles configurations de l'autorité et du pouvoir en leur sein qui sont au centre de la recherche en analyse des poli tiques publiques. L'analyse de la terri torialisation par les politistes a ainsi principalement porté, pour ce qui concerne le niveau des policies, sur les nouvelles formes de coordination d'acteurs. Les travaux conduits sur la territorialisation des politiques d'emploi et de formation n'échappent à cette orientation (Bel Dubouchet 2004, Berthet 2005). La distance est pourtant grande entre l'ordre des bouleversements sociétaux évoqués plus haut et l'observation des changements concrets qu'on peut réaliser dans les secteurs de l'action publique comme l'emploi et la formation. Il est dès lors nécessaire d'établir un niveau intermédiaire « mésoanalytique» qui permette de ré articuler changements sociétaux et sectoriels. Conformément aux prémisses des analyses du dépassement de la modernité, c'est vers le champ de la légitimation qu'il semble possible de progresser. Il paraît en effet important de penser l'action publique en termes de cadres de légitimité (justification à faire/ contraintes) eu égard à la nature des changements que mettent en évidence ces théories qui soulignent la déperdition de sens qu'entraîne le doute systématique à l'égard des éléments fondant la légitimité de la régulation stato-centrée.
45
Pour ce faire, on propose ici de travailler sur la notion de registre d'action publique. Par registre d'action publique on entend une notion analytique qui agrège, dans un même schéma de compréhension, les dimensions cognitives, institutionnelles et instrumentales afin de délimiter un périmètre de définition de la légitimité des acteurs16. En dépit d'une proximité évidente avec les concepts engagés dans la réflexion en termes d'approche cognitive des politiques publiques et notamment celles de paradigme, de référentiel ou de récit, cette notion de registre vise à dépasser le seul niveau des représentations et intégrer comme variables les dimensions institutionnelles et instrumentales de l'action publique. De la même manière l'usage du terme de registre de légitimation renvoie principalement dans l'analyse des politiques publiques à une dimension symbolique de la justification que nous envisageons d'élargir ici aux aspects liés aux systèmes d'acteurs et aux outils dont ils disposent. Cette notion s'inscrit enfin dans l'économie épistémologique de la mouvance postmoderne au sens où la mise en crise des systèmes de représentations stabilisés dans une société qui subit un processus de différenciation croissante implique ~ue s'y substituent des systèmes de légitimation fragmentaires, parfois 1
sectoriels .
On explorera ici, à titre d'hypothèse, l'idée selon laquelle le registre dominant de l'action publique en matière d'emploi et de formation pourrait bien être celui de la proximité. Que ce soit sous l'angle des redistributions institutionnelles, des représentations de l'intérêt général ou des instruments de l'action publique, la proximité offre un répertoire de légitimation qui innerve aujourd'hui toute l'architecture des dispositifs de formation et d'emploi. On peut ainsi en combinant ces trois éléments constitutifs (institutions, représentations, instruments) développer trois lignes de force du développement de la proximité dans la conduite des politiques d'emploi et de formation: territorialisation, individualisation et association croissante d'acteurs privés.
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Sur le plan sémantique, la notion de registre renvoie tout autant à une perspective intégrant dans un même objet les dimensions cognitive, institutionnelle et instrumentale (le registre comme instrument de consignation d'informations propres à une institution), qu'à une perspective mettant en lumière les niveaux d'interprétation (le registre comme tessiture ou étendue des degrés et des attitudes) mobilisables selon une perspective d'analyse stratégique.
Bien qu'un développement de cette perspective outrepasse le cadre de cette communication, il importe de rappeler ici le rôle fondateur de la mise en crise des grands récits de la modernité dans les hypothèses que soutiennent les tenants d'une analyse en termes de modernité avancée ou de postmodernité (Bonny 2004).
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2. LES
PILIERS DE LA PROXIMITE: TERRITORIALISATION, INDIVIDUALISATION, HYBRIDATION
LA PROXIMITE INSTITUTIONNELLE La territorialisation de l'action publique est la dimension la plus immédiatement associée à la rhétorique de la proximité. Rapprocher la décision publique des lieux d'émergence et de règlement des problèmes sociaux constitue en effet un élément central de la légitimation, par la proximité, des poli tiques localisées d'emploi et de formation. La terri torialisation apparaît ainsi comme une dynamique concomitante à la remise en cause de l'Etat-social qui s'exprime dans les domaines de l'emploi et de la formation par des dynamiques de décentralisation et de déconcentration. La dimension institutionnelle occupe de ce fait une place décisive dans les processus de décentralisation. La décentralisation en premier lieu mais aussi la déconcentration génèrent des recompositions fortes des systèmes d'acteurs locaux. Emergence d'un «acteur-pivot» dans le cas de la formation professionnelle ou reconfigurations territorialisées du Service Public de l'Emploi (SPE), la territorialisation est avant tout affaire de réaménagements institu tionnels. Pour autant, on ne saurait négliger les dimensions symboliques et cognitives qui accompagnent ces restructurations institutionnelles. Les représentations qui sous-tendent les recompositions introduites par cette double territorialisation de l'action publique sont relativement proches. Le principal ressort de légitimation prête aux territoires une efficacité plus grande que les actions conduites depuis le centre. L'efficacité des politiques territoriales est supposée meilleure parce que, soutenue par des procédés de management adéquats, elle permet de faire valoir les avantages de la proximité. Ces avantages sont d'ailleurs largement vantés: réduction des circuits décisionnels, meilleure connaissance des problèmes traités, socialisation au milieu, etc. Ces arguments sont bien évidemment discutables, voire contestables, mais la critique principale demeure celle du risque inégalitaire et clientélaire que l'inflation procédurière peine à faire taire. La méfiance accompagne ainsi la proximité. Méfiance que ne se recomposent des potentats locaux pour ce qui concerne la décentralisation, méfiance marquée de l'administration centrale à l'égard de ses agents locaux pour la déconcentration. Les représentations conditionnent les instruments de la proximité mis en œuvre dans les politiques territoriales de l'emploi et de la formation. Les décrire serait fastidieux, on se contentera d'attirer l'attention sur la relation symbolique établie entre proximité et connaissance. «Plus on regarde de près, mieux l'on voit », cette formule pourrait tenir lieu de maxime dans les politiques territoriales. Pour le dire autrement, la proximité fait exploser la demande d'expertise. Plus il y de princes, plus il y a de conseillers surtout si la légitimité
47
politique des premiers repose sur l'action savante des seconds. Pas étonnant dès lors que dans la panoplie des dispositifs locaux une place de choix soit réservée aux outils de connaissance: diagnostics localisés, observatoires territoriaux ou sectoriels, instances d'évaluation, outils de recueil et de diffusion de l'information, procédures qualités, etc. Le savoir est au cœur de l'action publique de proximité. Il l'accompagne dans une poursuite effrénée concomitante à l'abandon des règles nationales - du niveau le plus fin d'intervention, ce qui, immanquablement, aboutit au constat que ce niveau est in fine celui de l'individu,.
LA PROXIMITE RELATIONNELLE
CONTRE L,1INSTITUTION
L'étape ultime des logiques subsidiaires qui animent le développement des approches de proximité se traduit par une maximisation des responsabilités individuelles. Si la subsidiarité consiste bien à transférer au niveau le plus proche du « terrain» les responsabilités dont on estime qu'il peut les assumer, le risque est grand que ce plus petit dénominateur ne soit l'individu. L'hypothèse qu'on pourrait formuler à cet égard, c'est que le développement de l'individualisation mine la place des institutions publiques. Les représentations qui soutiennent ce développement dans les politiques d'emploi et de formation demeurent là encore de type managérial. S'il faut accroître l'implication individuelle et rendre tous les protagonistes « acteurs », c'est bien pour augmenter l'efficacité institutionnelle, pour maximiser les gains productifs de l'intervention publique. Du point de vue des institutions, individualiser l'action publique au nom de la proximité signifie un bouleversement radical des logiques institutionnelles. Cette transformation affecte tout autant ceux qui mettent en œuvre l'action publique que ceux à qui elle est destinée. Côté mise en œuvre, il s'agit avant tout d'intégrer dans la culture professionnelle le passage du statut d'agent à celui d'acteur et admettre ce faisant un changement dans l'ordre de la légitimité. C'est voir se substituer à la légitimité que procure l'appartenance à une institution, celle qui émane de la capacité individuelle à être influent. La charge de la légitimité institutionnelle dont sont porteurs les agents était forte dans un gouvernement sectoriel, elle est fortement amoindrie dans le cadre d'une gouvernance territorialisée. Concurrencés par d'autres types de légitimité (élective, économique, associative), les agents sont sommés de devenir acteurs, de revaloriser par une plus-value individuelle leur place dans les jeux décisionnels locaux. Mais cette évolution ne touche évidemment pas que les agents institutionnels, elle concerne aussi les destinataires de l'action publique. Autre glissement sémantique: on passe ici du «bénéficiaire» à « l'usager ». On attend de l'usager qu'il concoure par son action individuelle à la réussite de l'action publique. Acteur lui aussi, l'usager tend à devenir coproducteur et coresponsable de son employabilité et, ce faisant, de la réussite des politiques d'emploi et de formation. De nombreux instruments viennent étayer cette évolution. Les dispositifs les plus récents en matière d'emploi et de formation s'inscrivent dans un parad'igme de l'activation qui responsabilise fortement l'individu dans son accès
48
et son maintien en emploi (Cattacin Gianni Manz 2002). Cette transformation se traduit notamment dans la valorisation de l'initiative individuelle dans le champ de la formation. L'Accord National Interprofessionnel, le Droit Individuel à la Formation comme le processus de construction d'une Validation des Acquis de l'Expérience accordent à l'action du salarié un rôle central. Dans le champ de l'emploi, la volonté d'individualiser l'action publique en matière de lutte contre le chômage soutient fortement sa territorialisation (Berthet Cuntigh Guitton 2002). Le profilage des demandeurs d'emploi autant que leur accompagnement individualisé témoignent de cette évolution. Soutenu dans le champ de la formation par de nombreux accords de branche et dans le champ de l'emploi par la montée en charge de l'UNEDIC au sein du SPE, l'individualisation s'accompagne d'un retrait relatif des autorités publiques en faveur du renforcement d'une relation duale salariés-employeurs dans la coproduction de l'action publique. Pour autant, il importe de noter que si cette individualisation semble inscrite dans une forme de régulation quasimarchande des politiques d'emploi et de formation, elle connaît d'importantes limites. Même s'il s'agit principalement d'équiper les individus pour le marché (Gazier 2005), il faut relever que la liberté des individus est fortement encadrée par des logiques de prescription de plus en plus présentes (les demandeurs d'emploi n'ont pas le choix de leur prestataire) et les contraintes organisationnelles des institutions (durée des stages, difficulté à développer des systèmes d'entrée/sortie permanente des dispositifs). Cette évolution est d'ailleurs renforcée par une hybridation marquée des sphères décisionnelles qui associent plus largement qu'auparavant acteurs privés et publics dans le management de la proximité.
LA PROXIMITE DES INTERETS Reconfigurer l'action publique à l'aune de la proximité, c'est aussi et surtout faire du partenariat et de la gouvernance des vertus cardinales. Les représentations dominantes dans l'action publique de proximité en matière d'emploi et de formation invitent à un partenariat extensif avec les acteurs de l'entreprise, de l'économie sociale et du monde politique. L'hybridation des décideurs se justifie là aussi par une exigence d'efficacité qui commande que
toutes les « forces vives» soient associées à la lutte contre le chômage. Côté institutions, le développement des logiques de gouvernance promeut une porosité des espaces publics et privés qui s'exprime tant au niveau de la décision que de la mise en œuvre des politiques. Au niveau de la décision politique, cette dynamique s'incarne dans l'association d'acteurs issus de la «société civile» à des cercles auparavant réservés aux élites publiques. Si au niveau national, le partenariat social est une modalité ancienne d'élaboration de compromis politiques dans le champ de la formation, au niveau local, l'implication des acteurs de l'entreprise ou de l'action sociale se développe à la faveur de la terri torialisa tion de l'action publique. Ce développement se heurte à la faible structuration territoriale du partenariat social et aux stratégies locales des acteurs économiques (Culpepper 2003). Côté emploi, les partenariats locaux noués par le SPE se développent
49
lentement. A l'intérieur même du SPE, ce mouvement d'hybridation est aujourd'hui patent. Il s'illustre de manière très claire tant par l'ouverture à l'UNEDIC des différents niveaux territoriaux du SPE que dans la place offerte en son sein aux missions locales18. Au niveau de la mise en œuvre, cette association prend une tournure différente: celle de l'externalisation. Réponse technique plus que politique à la quadrature du cercle des politiques de l'emploi - individualiser la lutte contre un chômage qui se massifie sans augmentation des effectifs de fonctionnaires au sein de l'administration de l'emploi - le recours à des prestataires externes représente une dynamique vaste et complexe encore peu étudiée (Balmary 2004). Il se donne pourtant à voir comme un phénomène massif et qui affecte tous les segments de la politique de l''emploi. Dans un contexte de réduction constante des budgets publics, la sous-traitance s'avère un outil indispensable pour embrasser la complexité d'une action publique de proximité. Du côté des dispositifs, les instruments du partenariat public-privé sont nombreux, certains anciens (Comité de bassin d'emploi, COPIRE), d'autres connaissent un développement récent (contrat d'objectifs territoriaux, conseils de développement, maisons de l'emploi, etc.). En matière d'externalisation, de nombreux outils encadrant la commandite publique, le contrôle et l'évaluation du service fait ont été mis au point. Ils s'accompagnent d'une mutation des professionnalités au sein de l'administration de l'emploi qui passe ainsi d'une posture d'opérateur à une posture de commanditaire; d'une culture du faire à une culture du faire-faire (Berthet Cuntigh 2004). Dans le champ de la formation, cette même relation d'achat de prestation par les Conseils régionaux (qui n'ont jamais été opérateurs directs) a connu une transformation importante du fait de la mise en œuvre du code des marchés publics. Le passage au code des marchés publics s'est ainsi traduit par un repositionnement de la commande publique qui passe d'une logique de subvention à une logique d'achat de prestation.
CONCLUSION Redéfinition des relations entre gouvernement central et locaux, action publique hybride et subsidiarisation de l'intérêt général: la conduite d'une politique de proximité dans le champ de l'emploi et de la formation chamboule les édifices institutionnels, modifie les représentations du bien commun et transforme les outils de l'intervention publique. L'action publique en matière d'emploi et de formation promeut une approche managériale de l'action sociale destinée à prévenir les risques individuels et collectifs liés au chômage. Elle contribue aussi à en générer. Deux exemples: le risque d'enfermement localiste et d'individualisation de l'employabilité pour les bénéficiaires des politiques sociales. Le premier réside dans la fixation territoriale des plus défavorisés au
18
Même si la loi de programmation pour la cohésion sociale de janvier 2005 établit de subtiles distinctions entre ceux qui assurent le SPE, ceux qui y concourent et ceux qui peuvent y participer, la réalité demeure bien celle de l'association d'acteurs nonadministratifs à son fonctionnement.
50
nom de la gestion efficace des risques sociaux, c'est à dire visant la sécurisation des trajectoires individuelles mais aussi la sûreté de la collectivité. Le second tient à une tendance croissante vers la responsabilisation des individus au regard de cette sécurisation. La relation étroite qui s'établit dans les politiques sociales entre proximité et individualisation est porteuse d'un second risque
ainsi décrit par Zygmunt Bauman:
«
Encore plus incongru que de chercher des
réponses locales à des problèmes globaux, on nous incite à tenter de 'résoudre sur le plan biographique' les contradictions sociales» (Bauman 2005). L'enjeu est ainsi de dépasser, au stade pratique autant qu'analytique, une compréhension strictement spatiale de la proximité pour embrasser les différentes dimensions (organisationnelle, relationnelle, institutionnelle, etc.) que soulignent les économistes de la proximité (Rallet Torre 2004). L'analyse économique de la proximité invite ainsi au dépassement d'une compréhension strictement spatiale
du territoire:
«
En soi les dispositifs de coordination ne peuvent relever de la
seule dimension géographique de la proximité, mais de sa conjonction avec d'au tres formes... Dès lors cette conjonction est susceptible de fonder, à travers la coordination qui en résulte, un processus de renforcement qui en assure la durabilité. De là naît le territoire» (Pecqueur Zimmermann 2004, p. 32). Cette appréhension interactionniste du territoire et de ses acteurs évite le travers réificateur pointé par Jérôme Godard dans cet ouvrage. Il permet de lever le piège analytique d'un territoire normatif et de progresser dans une compréhension des moyens par lesquels la proximité permet aux acteurs de construire un sens localisé des politiques de l'emploi. Il n'en demeure pas moins qu'au concret, comme le soulignent ici Olivier Mériaux et Jean-Raphaël Bartoli, la proximité est aussi génératrice de complexité. Les scènes hybrides de la proximité sont à l'évidence des lieux de concurrence institutionnelle et des facteurs d'alourdissement de l'ingénierie des politiques publiques. C'est pour ces raisons, entre autres, qu'elles participent fortement au développement de formes renouvelées de gouvernance des politiques de l'emploi qui affaiblissent la régulation stato-centrée et soutiennent une action publique constitutive et procédurale. Elles signalent bien de la sorte une recomposition en profondeur de l'Etat social français.
51
LA 'MISE EN ORDRE'
DE L'ACTION POUR
L'EMPLOI PAR LA TERRITORIALISATION REINTRODUIRE L'HISTORICITE DANS L'ANALYSE DES POLITIQUES PUBLIQUES
Jérome
Godard
Jérôme Godard (CRPS Paris 1 - CERAPS Lille 2) étudie depuis plusieurs années les dispositifs d'emploi à référence territoriale sur le bassin d'emploi de Lille, qui constituent le terrain d'une thèse en cours de rédaction, sous la direction de D. Gaxie, intitulée «Une" drôle de guerre" contre le chômage? Ressorts structurels et dynamiques de la "territorialisation" des politiques de l'emploi ». Courriel :
[email protected]
:r
"'1: Résumé
i
A partir d'une étude sur un dispositif
expérimentalde reclassement,cette contribution discute certains lieux communs associés à la « territorialisation». Cette notion, « boîte
I
noire» plutôt que concept, tend de fait à occulter plus qu'elle ne révèle, notamment en ce qu'elle contribue à une appréhension par trop uniforme des phénomènes qu'elle prétend décrire. Réintroduire l'historicité de l'action publique à référence territoriale permet de mieux saisir l'incidence des jeux sectoriels et locaux sur la structuration de celle-ci, et constitue une piste alternative pour une analyse moins mécanique des recompositions actuelles des dispositifs d'emploi. Abstract
:
I
I
Based on an research devoted to an experimental plan designed for improving the placement of the unemployed, this paper argues several commonplaces from the mainstream way of thinking about the phenomena of 'territorialisation'. Rather a 'black box' than a real concept, this notion seems to disguise some social facts by standardizing the explanations proposed for describing them. Bringing the historicity back in provides an option to the academic analysts which allows them to grasp the impacts of both local and
policyfield settings on the localpublicpolicy-making.
I.
:
I
I .1
53
La « territorialisation» constitue une évidence aux yeux des praticiens des politiques de l'emploi, comme de leurs observateurs. Les « territoires» seraient en passe de constituer
dispositifs
«
les lieux privilégiés
d'élaboration
et de conduite
de
à l'échelle humaine », où la fiction de l'intérêt général uniforme
(Jobert 1998) s'évanouirait au profit d'arrangements localisés, négociés collectivement (Gaudin 1999), au vu de la spécificité des situations concrètes visà-vis desquelles se conçoit l'action publique. Ce faisant, le processus de territorialisation, corrélé aux transformations du contexte socio-économique global (<<mondialisation» économique, rétraction des marges de manœuvre des Etats), contribuerait à l'apparition et à la diffusion d'une multitude de pratiques présentées comme « nouvelles» (partenariat, expérimentation, logique de projet, etc.), elles-mêmes indices des transformations à l'œuvre - et de leur degré d'accomplissement. Cet article, articulé autour de l'observation sur la durée d'un dispositif expérimental, revient sur certains angles morts empiriques et analytiques constitutifs de certains usages mécaniques de la notion de « territorialisation ». On espère montrer comment leurs présupposés implicites constituent des obstacles à la compréhension des ressorts des phénomènes qu'on étudie - notamment en ce qu'ils empêchent, assez paradoxalement, de saisir la singularité de l'action publique incarnée dans une configuration locale. C'est donc une grille d'investigation alternative, qui prend en compte la pluralité des logiques d'action (Laborier 2003) des participants d'un «partenariat territorial », mais aussi les propriétés structurelles du secteur (Garraud 2000) et du terrain observé (Briquet & Sawicki 1989) qui les conditionnent, dont on entend démontrer les profits.
1. LE DISPOSITIF ARRMEL DE REFLEXION
COMME TERRAIN
Mon propos s'appuie sur des recherches effectuées depuis plusieurs années sur le domaine de la lutte contre le chômage, et plus spécifiquement les nombreux dispositifs à «référence territoriale19» (Sorbets 2005, p. 31) mis en place dans la région Nord-Pas de Calais. Parmi eux, on s'intéressera ici à celui dit d'appui à la reconversion et au reclassement pour la métropole lilloise (ARRMEL) 20, une expérimentation menée sur l'arrondissement de Lille, pour une durée limi tée21.
19
L'usage de ce terme vise à dépasser la fausse opposition entre politiques « territoriales » (d'initiative locale) et « territorialisées» (déclinaison de politiques nationales),
20
Dont
ces deux aspects étant étroitement 21
l'étude
s'est faite dans
entremêlés dans la réalité.
le cadre
d'un
contrat
de recherche
avec la CFDT Nord
-
Pas-de-Calais. Je remercie S. Gornikowski pour son aide précieuse dans ce travail. Lancé en juin 2003, les dernières entrées dans ce programme se sont arrêtées le 31 décembre 2005.
54
UNE EXPERIMENT ATION TERRITORIALE
EXEMPLAIRE
Il s'agissait de construire un cadre de mobilisation partenarial pour l'ensemble des acteurs potentiellement concernés par les opérations de reclassement, dans le cas des entreprises de plus de cinquante salariés, en procédure de redressement ou de liquidation judiciaire - et donc incapables de satisfaire à l'obligation légale de financer un plan de sauvegarde de l'emploi (Bruggeman 2005, p. 217-220). Les adhérents à ARRMEL disposaient pendant dix-huit mois, grâce à des fonds d'origine variée, d'une palette de services (orientation, formation, aide sociale, prospection, mise à niveau, etc.) auxquels ils n'auraient sinon pas eu accès. Leur suivi individualisé, par une cellule de coordination animée par l'ANPE et l'administration déconcentrée du ministère de l'Emploi (DDTEFP), devait assurer la traçabilité des actions engagées. L'enjeu était de remédier au manque de lisibilité des procédures ordinaires de reclassement et de contrôler l'effectivité des actions menées par les cabinets privés de reclassement, objets de multiples critiques (Mazade 2005). ARRMEL, expérimentation dérogatoire au droit commun sur un espace géographique circonscrit, présentait donc les attributs d'une action territoriale exemplaire, dont le « partenariat» constituait l'axe directeur. Au total, c'est plus d'une centaine d'individus, représentants d'une trentaine d'institutions et d'organismes, qui ont participé au moins une fois aux réunions trimestrielles du comité stratégique de pilotage (CSP) du dispositif qui formalisait la coproduction de l'action publique par un système local «ouvert» (Balme & Faure 1999) à des acteurs de statuts variés: service public de l'emploi (DDTEFP, ANPE, Association pour la formation permanente des adultes - AFP A), collectivi tés territoriales (mairies, conseil régional) et leurs associations satellites (plans locaux d'insertion pour l'emploi, comités de bassin d'emploi), organisations syndicales et patronales et instances du paritarisme (ASSEDIC, Organismes paritaires de collecte agréés), opérateurs privés des cabinets de reclassement, tissu associatif local, etc. L'examen en amont et en aval du lancement d'ARRMEL met toutefois en évidence l'ambiguïté de certaines caractéristiques communément prêtées à l'action publique territoriale.
INNOV ATlaN
OU « RECYCLAGE »
?
Au-delà des rhétoriques qui vantent la capacité d'innovation du « territoire» par la mise en réseau de ses acteurs (Pecqueur 2000, p. 42-49), souvent appropriées par ces derniers22, ARRMEL s'articule autour de processus routiniers de coopération propres au secteur de l'emploi. Un questionnaire diffusé à tous les participants des CSP révèle ainsi une interconnaissance très poussée entre acteurs23. Il convient de rappeler que parmi eux, certains ont
22
Un représentant régional du MEDEF affirme ainsi parmi d'autres: « on a cette culture du partenariat assez développée (.. .), sur ce territoire, elle est assez naturelle ». 23 L'échantillon du questionnaire ne représente qu'un tiers du total des participants aux esp. Cependant, la forte interconnaissance des acteurs entre eux est amplement confirmée par les entretiens réalisés (une quinzaine), la participation à des réunions et
55
précisément
pour vocation de représenter
institutionnellement
le partenariat société civile» ou au «privé» doit ainsi être fortement relativisée - sauf à confondre par exemple «patronat» et instances de représentation de celui-ci. De même, les outils mobilisés (bilan de compétences de l'ANPE, définition de projet professionnel de l'AFP A, congés de conversion État - région, etc.) préexistent au dispositif4, dont les objectifs (la reconversion et le reclassement de salariés principalement issus d'industries en déclin) s'intègrent de longue date au «répertoire d'action» (Laborier art. cité, p. 437-s.) des politiques de l'emploi. L'expérimentation territoriale s'apparente donc à une amélioration procédurale, qui ne bouleverse pas les pratiques sectorielles, mais offre la possibilité de mieux croiser des financements (européens, nationaux et locaux) d'ordinaire davantage dilués. Ce faisant, l'ingénierie du dispositif a le mérite d'avoir permis pour un temps de mieux répondre aux objectifs nominaux des politiques de l' emp loi.
voire de le donner à voir. L'ouverture de l'action publique à la
«
LES LIMITES DU PARTENARIAT La coordination
«partenariale»
du dispositif
mérite
également
d'être
reconsidérée. A rebours de certaines affirmations sur la « perte de centralité » de l'État (Duran & Thoenig 1996, p. 593), et « l'horizontalité» de la gouvernance de l'action publique territoriale üohn & Cole 1998, p. 387)25, c'est bien la DDTEFP qui joue un rôle moteur, et impose ses exigences à l'ensemble des partenaires. Comme l'ex:elique un de ses membres, «Là, on s'est dit: OK, tout le monde se tourne vers ['Etat quand ça va mal, là, on va y aller de suite, on va mettre des moyens, mais en contrepartie, on veut piloter et contrôler ce que font les autres acteurs ». De fait, si les impératifs de la concertation et du dialogue sont mis en forme à travers diverses procédures (CSP, cahier des charges contractuel entre les différents opérateurs), le dispositif participe d'abord à la relégitimation du service public de l'emploi, par la valorisation des outils à sa disposition, et renforce aussi le contrôle qu'il exerce sur l'activité des opérateurs privés (cellules de reclassements, organismes de formation). Même si elle délègue certaines
opérations à ses
«
partenaires », c'est bien la DDTEFP qui supervise et réclame
des comptes. C'est cette situation que décrit un opérateur: « Là, cette gouvernance s'est faite par l'État et il n'y avait pas d'ambiguïté sur le rôle des uns ou des autres, c'était vraiment une gouvernance [il fait le geste de quelque chose de «carré»]. Parfois, dans un certain nombre d'autres dispositifs, c'est moins évident à bien comprendre qui pilote ». Le partenariat territorial, de façon contre intuitive, aboutit ainsi dans ce cas à un renforcement de la position des services déconcentrés de l'État.
l'examen des PV de l'intégralité de ces dernières, ainsi que l'observation effectuée sur d'autres dispositifs antérieurs. 24D'une certaine façon, celui-ci résume le processus de sédimentation des mesures pour l'emploi, sur lequel on ne peut revenir ici. 25 il faut noter toutefois que les auteurs relativisent dans le cas de Lille l'effectivité de cette « horizontalité ».
56
LE MAINTIEN
DfUNE PLURALITE DES LOGIQUES Df ACTION
Enfin, on ne peut présupposer de la simple participation conjointe à des instances communes un alignement des logiques d'action des différents participants. Dans le domaine de la formation subsistent par exemple des
oppositions clivées qui infirment la constitution à travers la « mise en réseau» des acteurs d'un «sens partagé », unanimiste ou homogénéisateur, sur les tenants et aboutissants de l'action territoriale (Desage & Godard, 2005). Ainsi
que le concède un représentant patronal,
«
le problème,c'est que parfois, (...) on est
souvent en train de justifier notre propre existence. Chacun fait ce qu'il sait faire ». De fait, les différents organismes impliqués conservent leur propre conception de ce qui constitue une «bonne» formation. L'ANPE et les ASSEDIC privilégient le financement de mesures courtes vers les «métiers qui recrutent» (aides ménagères, call centers), pour leurs effets de court terme sur la statistique du chômage et le volume de son indemnisation. Les syndicalistes et certains organismes paritaires de branche entendent par contre faciliter la « reconversion}) du public majoritairement peu qualifié de ARRMEL, tandis que la direction de la formation permanente du conseil régional développe sa propre stratégie axée sur la «remise à niveau}) scolaire (DAD, DEUST, licence professionnelle). Au-delà du consensus sur la formation comme étape essentielle dans les parcours de reclassement, les acteurs conservent des préférences, modelées par des routines et des intérêts incorporés spécifiques, et développent « côte-à-côte plutôt qu'« ensemble» leur « propre batterie de politiques "pour (Mériaux & Bartoli, dans le présent ouvrage). l'emploi" })
})
2. « LA » TERRITORIALISATION,
UN CONCEPT ECRAN?
Ces quelques éléments « exemplaire}) (et qui rejoignent invitent à reconsidérer certains nombre d'analyses de l'action
tirés de l'examen d'un dispositif territorial des observations menées sur d'autres mesures) des présupposés implicites véhiculés par bon publique territoriale, voire dans certains cas la pertinence même de la notion de « terri torialisation ». Pour être opératoire, un concept présuppose des frontières entre ce qui en relève, et ce qui n'en relève pas. Le terme de « territorialisation constitue une «boîte noire », qui tire son origine de l'argument fonctionnel que puisque les « territoires}) bénéficient d'une attention accrue, tant de la part des acteurs des politiques de l'emploi que de leurs observateurs, il doit exister un quelconque processus particulier, différencié des notions davantage éprouvées (décentralisation, déconcentration, pluralisme institutionnel) qui s'y retrouvent pêle-mêle. Pointe alors le danger de cette «forme d'animisme qui fait des processus »
une
devient
territorialisation
La
523). 1985,
(Lacroix l'histoire»
de
les
agents
p.
«
})
entité autonome dont les effets prédictibles et repérables pour toute configuration étudiée permettent de distinguer certains espaces locaux, plus avancés dans l'avènement des changements dont la notion prétend rendre compte. Erigée en signe normatif de la modernité, on conçoit tous les profits
57
sy~?oli~ues que peu:,e~~ retirer les acteurs qui s'en réclament pour la leglh~ation d~ leur action. Cependant, on ne peut que contester le présupposé sous-Jacent qUI postule une uniformité antérieure de l'action publique locale pour mieux célébrer l'ampleur des changements de la période actuelle: des travaux socio-historiques (De Barros 2001, Payre & Pollet, 2005) concordants avec nos propres investigations montrent combien il est fallacieux de concevoir l'activisme des acteurs locaux comme spontané, et strictement contemporain. A traquer les «formes» qui attestent la survenue d'une «nouvelle» action publique territoriale, on marque davantage le changement des postures d'observa tion scientifique légitimes, plutôt que celle de l'objet. Du reste, les jeux sectoriels et locaux qui structurent l'action publique s'évanouissent insidieusement derrière cette variable exogène qui confère de surcroît une cohérence artificielle à ce qu'on observe.
3. LES
DYNAMIQUES SECTORIELLE ET LOCALE DES POLITIQUES DE L'EMPLOI
Car l'appropriation par les acteurs du vocabulaire associé à la thématique territoriale atteste des effets réels de la diffusion de cette vulgate, qui ne peut s'assimiler à une simple rhétorique. Elle leur permet notamment de « montrer» le changement dans l'action publique, à défaut de toujours le démontrer en pratique (Alam & Godard, 2005). Une telle ressource est d'importance dans un secteur fortement anxiogène, marqué par l'urgence, et où les pressions politiques s'exercent continuellement (Mathiot 2000). Au regard de la fragmentation et des effets contrastés des multiples dispositifs mis en place « pour l'emploi », la référence territoriale offre ainsi aux acteurs des perspectives d'ordonnancement (opérationnelles, mais avant tout symboliques) de l'action publique. En tant que rationalisation ex post de la sédimentation d'organismes et d'outils mis en place successivement, elle constitue en effet un mode de présentation plus valorisant d'un secteur déprécié27. C'est en ce sens qu'on peut comprendre le soin apporté dans le cadre des CSP de ARRMEL à la présentation de documents qui formalisent des « parcours de reclassement» aux imbrications logiques, ainsi que la production continue de nombreuses données quantitatives qui participent à l' objectivation de ceux-ci (Desrosières, 1993). Derrière l'avalanche des chiffres soumis aux « partenaires », c'est pourtant le maintien de logiques sectorielles propres au secteur de l'emploi qui se dessine en creux. Diverses techniques écartent ainsi de la recherche d'emploi (et donc de la statistique du chômage) un bon nombre de bénéficiaires de ARRMEL, que ce
26
Cette observation rejoint celle formulée par ailleurs sur le registre dominant de la proximité comme «répertoire de légitimation qui innerve aujourd'hui toute l'architecture des dispositifs de formation et d'emploi» (Berthet 2006, dans le présent ouvrage). 27En témoignent par exemple les récurrentes critiques quant à l'inefficacité des politiques de l'emploi publiées dans la presse généraliste.
58
soit temporairement (entrées massives en formation) ou définitivement (recours aux préretraites et dispenses de recherche d'emploi). Le paradoxe de la profusion de données est qu'il devient extrêmement difficile de se faire une idée précise du bilan quantitatif qu'elle prétend donner à voir. Outre que la causalité entre le parcours de formation et le retour à l'emploi reste incertaine (retour à l'emploi via des relations personnelles, ou dans un domaine extérieur à celui des formations suivies), on a pu rencontrer des bénéficiaires ayant enchaîné plusieurs contrats de travail temporaires au cours de leur suivi, comptabilisés autant de fois dans les documents recensant les «offres valables de reclassement », alors même qu'ils se trouvaient au chômage à l'issue du dispositif. Le respect de modes procéduraux de production de l'action (le «
partenariat
», la « construction
de parcours
») s'impose
en critère
d'évaluation
de celle-ci, plutôt que ce qu'elle produit au regard de ses objectifs nominaux (le nombre de salariés licenciés ayant retrouvé un emploi à l'issue du suivi proposé par ARRMEL). Le «bricolage institutionnalisé» (Garraud 2000, p. 86-87) constitutif du secteur de l'emploi se déploie ainsi dans les usages des ressources véhiculées par les références territoriales, et marque le maintien de logiques sectorielles constituées sur le temps long. Enfin,
examiner
des
dispositifs
tels
qu'ils
s'incarnent
dans
une
configuration locale, c'est « se donner les moyens d'interroger, sous l'angle de cette spécificité, des réalités le plus souvent perçues comme obéissant à des logiques univoques» (Briquet & Sawicki 1989, p. 12). On peut ainsi rendre raison de la forme particulière prise par l'action pour l'emploi sur le territoire considéré, sous l'influence de jeux qui lui sont largement extérieurs. Les activités de courtage de certains élus de la métropole lilloise via le conseil régional (Nay 2000) ou la communauté urbaine (Desage 2005) pour intégrer au dispositif des entreprises non éligibles, l'appartenance d'une fraction des «partenaires» au «milieu partisan» socialiste (Sawicki 1997) qui facilite leur enrôlement dans l'action, ou encore l'héritage incrémentaI (Lindblom 1959) d'initiatives antérieures sur le mode de fabrique de ARRMEL, constituent autant d'éléments qui enrichissent
la compréhension
du secteur
de l'emploi
«au
concret»
-
à
rebours d'explications décontextualisées (partenariat «public-privé », mise en réseau fonctionnelle) conférant un aspect uniforme aux recompositions actuelles de l'action publique.
59
LA TERRITORIALISATION
PROBLEMATIQUE
DE L'ACTION JUDICIAIRE Anne-Cécile Douillet & Jacques de Maillard Anne-Cécile Douillet est maître l'Université de Franche-Comté, membre Franche-Comté et chercheure associée Grenoble). Elle travaille en particulier politiques de sécurité. Courriel : annec.douillet@)'\:vanadoo.fr
de conférences en science politique à du Centre de Recherche Juridique de à l'UMR PACTE (CNRS-Sciences Po sur l'action publique locale et sur les
Jacques de Maillard est professeur de science politique à l'Université de Rouen, chercheur à PACTE et chercheur associé au CERVL (Sciences Po Bordeaux). Il travaille sur l'action publique en matière de prévention et sécurité, aux niveaux local et européen. Courriel :iacques.de.m.aillard@libertvsurf-fr ,
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Résumé
Malgré son caractère régalien, l'action judiciaire n'échappe pas à la territorialisation, dans le sens où les acteurs judiciaires sont poussés à s'inscrire dans leur environnement politico-institutionnel local, aussi bien par le ministère de la Justice que par les municipalités, qui ont investi le champ de la sécurité. Cette territorialisation fait face cependant à d'importantes résistances, liées à la complexité des dispositifs, à la difficile articulation des registres d'action des acteurs municipaux et des acteurs judiciaires mais aussi à la crainte d'une banalisation accrue de la Justice de la part des magistrats. Cette invitation à la territorialisation produit malgré tout des effets diffus, notamment dans les ~: pratiques du Parquet. ~ Abs tract ~: Despite its regalian nature, the judicial action doesn 't exit from territories: local judicial actors are pushed, by municipalities as well as their ministerial hierarchy, to be embedded
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Pour questionner la territorialisation nous avons choisi dans ce papier d'examiner un domaine d'action publique où la territorialisation ne va pas de soi, celui de la justice pénale des mineurs28. Une telle approche a l'intérêt de permettre de prendre un peu de distance vis-à-vis d'analyses qui ont tendance à présenter la territorialisation comme une évolution généralisée et inéluctable, allant dans le «sens de l'histoire» (Godard 2006). Que l'on considère l'un ou l'autre des deux sens donnés habituellement à la notion de territorialisation de l'action publique (Douillet 2005), les logiques de territorialisation apparaissent en effet limitées dans le cas des institutions judiciaires. Dans un premier sens, la notion de territorialisation renvoie à l'idée d'une définition plus localisée des problèmes et des moyens de prise en charge de ces problèmes: de ce point de vue, la faible ouverture à la prise en compte du «contexte local» favorise la permanence d'un processus décisionnel interne à l'institution judiciaire. Dans une seconde acception, la terri torialisation signifie construçtion d'actions conjointes, dans une logique transversale de débordement des logiques sectorielles, au service d'une approche plus globale; or, en matière de traitement de la délinquance juvénile, les partenariats apparaissent faiblement intégrés et les échanges occasionnés limités; du moins ne semblent-ils pas avoir été marqués par une tendance à la multiplication et au renforcement au cours des dernières années, dans un domaine où l'autorité judiciaire est de toutes façons amenée à travailler avec d'autres institutions. Pour expliquer cette territorialisation problématique, il nous semble essentiel de tenir compte des univers et régimes d'action qui imprègnent les professionnels du monde judiciaire, dans une optique de sociologie des professions29. Notre travail n'en reste pas moins une contribution à la sociologie de l'action publique, dans la mesure où il s'efforce de préciser le sens de la notion de terri torialisation dans un domaine régalien: en effet, la fonction judiciaire reste pleinement du ressort de l'Etat, les collectivités territoriales n'ont pas de compétence en matière d'organisation juridictionnelle et ne participent pas à l'élaboration des textes qui régissent la justice pénale. Dans un tel contexte, parler de territorialisation ne va pas de soi. Pourtant, la justice n'échappe pas à la territorialisation, qui prend ici la forme d'une invitation adressée aux acteurs judiciaires à mieux s'inscrire dans leur environnement socio-politique local. Après avoir précisé les initiatives en faveur d'une territorialisation de l'action judiciaire (1), nous soulignerons donc la mise à distance de cette logique par les acteurs judiciaires, qui résulte principalement du poids de leurs représentations professionnalisées et de leur crainte d'une banalisation de la justice (2). L'invitation à la territorialisation ne reste cependant pas totalement sans effets, même s'ils sont diffus et différenciés (3).
28
L'analyse s'appuie sur des données recueillies par entretiens approfondis auprès de
magistrats, d'élus, de coordonnateurs prévention-sécurité et de professionnels en charge de mineurs délinquants. Ces entretiens ont été réalisés entre avril 2004 et septembre 2005 dans le département de l'Isère. Pour une analyse détaillée: Roché 2006, p.132-217. 29Sur ce sujet, à propos des professionnels du social: Ion 1990, de Maillard 2002. Pour les magistrats: Commaille 2000.
62
1. LA TERRITORIALISATION DE L'ACTION JUDICIAIRE: UNE POLITIQUE PLUS QU'UN « MOUVEMENT » La territorialisation de l'action publique est souvent envisagée comme un mouvement qui aurait sa dynamique propre, autrement dit une certaine autonomie. C'est notamment le cas lorsque la territorialisation est présentée comme un produit indirect des réformes de décentralisation: elle apparaît alors comme une sorte de «débordement» de la décentralisation, qui produit des effets qui vont bien au-delà du transfert de compétences et qui transforment les modes d'action publique. C'est aussi l'impression qui ressort des travaux qui présentent la territorialisation comme la conséquence de l'évolution de la nature des problèmes auxquels sont confrontés les pouvoirs publics (Duran Thoenig 1996). Le cas de l'action judiciaire pousse à déplacer un peu le regard et à analyser la territorialisation plutôt comme une politique publique, autrement dit comme une « solution» encouragée et promue par certains acteurs. Les discours critiques et les faibles changements à l'œuvre dans la façon de faire de l'action publique peuvent alors être analysés comme faisant partie du processus de mise en œuvre et de réception des politiques de territorialisation. Si l'on peut parler de politiques de territorialisation dans le domaine étudié ici, e'est que les acteurs judiciaires se voient adresser une invitation, plus ou moins ferme, à mieux s'inscrire dans leur environnement politicoinstitutionnel local, à le prendre en compte et à dialoguer avec ses représentants. Cette invitation a deux origines. Elle est formulée d'un côté par le ministère de la Justice, en lien avec la politique de la ville (qui met en place de très nombreuses instances', de concertation: CCPD, CLSPD30) mais aussi dans le cadre d'une demande de nouvelles pratiques professionnelles, plus soucieuses de «pluridisciplinarité» dans le suivi des délinquants mineurs. Cette pluridisciplinarité doit être interne aux services de la Justice mais doit aussi passer par des partenariats renforcés avec d'autres institutions qui partagent le même territoire d'action (services sociaux du Conseil général, services de prévention municipaux, établissements scolaires)31. D'un autre côté, l'invitation à inscrire la Justice dans son territoire est aussi formulée par les collectivités locales, qui cherchent à renforcer leurs relations avec l'institution judiciaire dans le cadre de leurs politiques de sécurité et de tranquillité publique. C'est ce qu'on pourrait appeler la «demande locale de justice» (Roché 2006), portée par les élus et les fonctionnaires municipaux. A travers cette double invitation adressée aux acteurs judiciaires, on retrouve bien les deux dimensions associées à la notion de territorialisation : (i) le débordement des logiques sectorielles et la construction d'actions conjointes
30 31
plus de précisions, voir par exemple De Maillard Roché 2005. Notons au passage que ce que certains acteurs judiciaires appellent «territorialisation », c'est d'abord le souci de décloisonnement des compétences (entre psychologues, éducateurs, assistantes sociales...) : on est alors loin du territoire au sens spatial du terme...
Pour
63
et transversales par des acteurs d'origines diverses, qui devraient de ce fait agir en fonction des spécificités locales plus qu'en fonction de leurs référents sectoriels ou professionnels; (ii) le renforcement des collectivités locales, autrement dit la montée en puissance des acteurs politico-administratifs locaux. Cependant, dans l'une et l'autre dimension, la territorialisation reste limitée en matière d'action judiciaire; autrement dit la politique de territorialisation prend difficilement. Sans pouvoir les illustrer empiriquement, du fait des limites imparties par ce texte, plusieurs indicateurs de cette territorialisation limitée peuvent être avancés: la faible interconnaissance entre les acteurs des différentes institutions; la faible connaissance qu'ont les uns des missions et de l'organisation des autres32; la présence limitée des acteurs judiciaires dans les instances de concertation; le poids limité des collectivités locales dans le processus de décision et de mise en œuvre des mesures judiciaires.
2. LE REFUS DE LA TERRITORIALISATION COMME DEFENSE D'UN STATUT PROFESSIONNEL ET SOCIAL Pour éclairer les réticences judiciaires (magistrats, éducateurs jeunesse) face aux logiques de la peuvent être distingués, le dernier professionnelle.
et le positionnement distant des professions et services de la Protection judiciaire de la territorialisation, trois niveaux d'explication soulignant le poids des logiques de défense
A un premier niveau, la distance et les réticences peuvent d'abord s'expliquer par la technicité propre à chaque univers: la complexité des procédures partenariales éloigne les magistrats de ces espaces, d'autant plus qu'ils disent manquer de temps, tandis que les fonctionnaires et élus des autorités locales éprouvent quelques difficultés devant les arcanes du système judiciaire. A un deuxième niveau, plus fondamental, l'explication de cette distance semble résider dans l'existence de régimes d'action distincts, autrement dit de contraintes, d'intérêts, de valeurs, de représentations de ce qui doit être fait, foncièrement différents. L'analyse des discours des acteurs municipaux d'une part, des acteurs judiciaires d'autre part, montre que cette différenciation comporte plusieurs dimensions:
32
il n' est ainsi pas rare d'entendre
des élus confondre le Siège et le Parquet.
64
Acteurs municipaux
Acteurs judiciaires
Muni cipalité
Intercomm unali té
Echelle d'intervention
Le quartier
L'individu
Temporalité temps)
Agir vite
Agir le plus prudemment possible
Tranquillité publique, incivilités, relations de voisinage
Crimes et délits
Obj et(s) de la concertation (envisageables)
De l'échange d'informations générales au suivi des cas individuels en passant par une réflexion commune sur les réponses pénales
Faire comprendre le fonctionnement de la Justice
Compétence nécessaire (pour traiter la question de la délinquance)
Connaissance terr ain
Connaissance
Autorité publique légitime (pour piloter la concertation)
(rapport au
Préoccupations
majeures
(champ de préoccupations princi pal)
du
du droit
Ce que ce tableau traduit, c'est une opposition entre une logique politique, fondée sur le rapport avec une population vivant sur un territoire dont on est le représentant, et une logique professionnelle, qui définit des critères d'organisation et de bonne décision judiciaire. Faute de pouvoir commenter l'ensemble du tableau, un exemple des malentendus qui peuvent naître de ces logiques différentes servira d'illustration: une demande de suivi de cas individuels formulée par une municipalité conduit un certain nombre de magistrats à dénoncer le partenariat territorial comme l'instauration de «
tribunaux populaires de quartier », contraires aux principes d'anonymat et de
souveraineté
de la justice.
Le troisième niveau d'explication revient à analyser la mise à distance de la logique territoriale du partenariat comme une forme de résistance professionnelle à la banalisation de la justice. En effet, l'insistance des professionnels de la justice à mettre en avant la différence d'appréhension des
problèmes de sécurité qui les sépare des « acteurs locaux» peut être interprétée comme la manifestation de leur souci de réaffirmer leur identité professionnelle, pour résister à la banalisation de la Justice à laquelle l'intégration de cette institution dans le magma des partenariats territoriaux leur semble contribuer. Il
65
s'agit en quelque
sorte de réaffirmer
une spécificité pour justifier une mise à
distance et éviter à la justice de devenir un « acteur parmi d'autres». A l'appui de cette hypothèse, on peut relever que les magistrats rencontrés expriment des regrets face à ce qui est ressenti comme une forme de banalisation de la justice. Cette banalisation repose d'après eux d'abord sur le fait que l'on fait trop appel à la Justice. Ils défendent l'idée qu'une intervention trop fréquente de la justice peut la banaliser, alors que la justice n'est pas la seule autorité qui puisse et doive intervenir face aux comportements « gênants» : il y a aussi les parents, les enseignants et chefs d'établissement, la police, qui doivent intervenir en amont de la justice. Si tout est traité par la justice, des faits les plus bénins aux actes les plus graves, la force de la réponse de la Justice peut en souffrir: si elle intervient tout le temps, la gravité de certains comportements n'est plus soulignée par la prise en charge judiciaire. La Justice a donc le souci
de rester en
«
bout de chaîne sociale» (Bailleau 2002, p.406), dans une position
qui lui confère une certaine autorité. C'est ce même souci de perte d'autorité qui se manifeste à propos des «partenariats locaux» : pour les acteurs judiciaires, travailler avec les responsables politiques et les acteurs de la prévention, c'est d'une certaine façon mettre la justice «à niveau» avec les autres formes de réponse aux comportements déviants ou gênants. Des magistrats sont troublés de voir que les représentants de la Justice sont aujourd'hui considérés comme des acteurs administratifs «comme les autres», sans le même respect ou la même considération qu'auparavant: certains se disent ainsi choqués que le Procureur soit convoqué comme «n'importe quelle direction administrative », que le préfet s'adresse à lui comme aux autres, lorsqu'il s'agit par exemple d'organiser une réunion sur le thème de la sécurité. Derrière la réception distante des politiques de territorialisation se cache donc aussi un souci de garder sa place, professionnelle mais aussi sociale.
3. LES EFFETS DIFFUS DES POLITIQUES DE TERRITORIALISATION DE LA JUSTICE Malgré cette logique de résistance, l'invitation à la territorialisation produit des effets, même si leur caractère est diffus et différencié. Il faut d'abord souligner que, tout en distinguant bien les rôles de chacun, un certain nombre de magistrats reconnaissent l'intérêt des partenariats locaux mais avant tout en termes d'échanges d'information. Ce qui est exprimé c'est en fait l'utilité des liens faibles dans les partenariats: ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'action conjointe, du fait de missions et de cultures différentes, qu'il ne peut pas y avoir d'échanges ponctuels. De ce point de vue, une différence assez nette apparaît entre les juges du Siège et ceux du Parquet, ces derniers étant plus positifs quant à l'intérêt de ces réunions d'échanges locales, certains les jugeant même « indispensables» et considérant qu'il est de leur rôle de s'inscrire dans ces dispositifs partenariaux pour jouer ensuite leur rôle de représentant de la société:
66
« Quand on connaît le quartier, comment c'est foutu, comment vivent les gens, on peut le retranscrire à l'audience, on peut l'expliquer et on peut s'en servir nous dans les décisions qu'on prend de poursuite ou pas de poursuite.» (entretien magistrat Parquet) Au sein du Parquet, l'inscription dans le contexte local s'est effectivement banalisée et elle semble être, malgré tout, intégrée aujourd'hui comme une nécessi té :
On est dans une dynamique de partenariat,
parce que c'est indispensable et le sent bien aussi à des moments qu'il faut être au Palais, et rien que au Palais, et à des moments il faut aller effectivement à la rencontre des gens et entendre ce qui se passe, pour mieux travailler. C'est une évidence ». (entretien magistrat Parquet) «
puis c'est rentré
dans les mœurs.
(...) On
Du côté des autorités locales, on sent d'ailleurs une satisfaction plus grande à l'égard du Parquet que vis-à-vis des magistrats du Siège. Les raisons qui se profilent derrière cet investissement accru des parquets sont variables: si certains le comprennent d'abord et avant tout dans une logique de communication (mieux faire connaître et comprendre le rôle et les décisions du Parquet), d'autres l'inscrivent plus dans une réactivité aux demandes locales et dans l'entretien d'une relation d'échange avec les autorités politiques locales, dans un souci de mieux traiter la délinquance. Ce contraste entre le Siège et le Parquet s'explique assez facilement par des différences de position et de fonction: les Parquets définissent une politique pénale, en lien avec des orientations nationales, et sont chargés de représenter la société. Ils agissent donc dans une logique beaucoup plus politique que le Siège, qui juge des cas individuels, à partir de textes de loi, et n'est donc pas susceptible de prendre des engagements collectifs; le Siège est aussi plus méfiant vis-à-vis du politique. La demande de territorialisation de la justice aurait ainsi tendance à marquer la différence entre Siège et Parquet. Ces relations peuvent aboutir à des jeux de soutiens croisés entre collectivi tés locales et Parquet. C'est le cas par exemple sur la question des ressources et des effectifs de la Justice. Pour un Procureur, entretenir des bonnes relations avec «ses» élus locaux est une ressource non négligeable dans son travail d'argumentation auprès de son administration; cela lui permet de faire entrer dans le processus de négociation de nouveaux acteurs susceptibles d'appuyer sa demande par des canaux politiques (réseaux personnels, contacts partisans). Ces jeux coopératifs, s'ils ne sont pas nouveaux, sont facilités par la multiplication des arènes de rencontre et de discussion liées à la politique de terri torialisa ti on. Une telle analyse de la territorialisation de l'action judiciaire permet de revenir sur les catégories proposées par Jacques Commaille (2003), qui distingue deux logiques différentes de territorialisation: une territorialisation top down maîtrisée par l'Etat et une territorialisation bottom up, conforme à l'idée de démocratie participative. Selon lui, les dynamiques actuelles correspondent à une remise en cause de la première forme de territorialisation, dans la mesure
où
«
les politiques de territorialisation de la fonction de justice (...) ne sont plus
de l'ordre de l'exogène, de l'hétéronome
mais se construisent
67
dans les échanges
sociaux avec un pouvoir central qui n'est plus que partenaire et n'a pas le monopole des initiatives». Si nous partageons l'intérêt heuristique des catégories retenues, nous n'arrivons pas nécessairement aux mêmes conclusions: en effet, force est de constater aujourd'hui la permanence de la première conception chez les professionnels du monde judiciaire: la spécificité de la Justice, son extériorité par rapport aux contextes locaux est au cœur des référents professionnels. En outre, si échanges il y a entre la Justice et le «
Territoire », ils sont en définitive de même nature que ceux, caractéristiques,
du système politico-administratif local dans les années 1970; les représentants locaux des administrations centrales cherchent des soutiens auprès des représentants des collectivités locales, qui voient dans les premiers un moyen d'accéder à des ressources pour leur territoire. En effet, si les dispositifs visant à territorialiser la décision judiciaire ont des effets, via les magistrats du Parquet, qui disent être plus attentifs aux «données de terrain» dans les choix de poursuites et dans leurs plaidoiries, ils facilitent surtout les jeux coopératifs entre institution judiciaire et collectivités territoriales, selon un schéma assez classique (pré-décentralisation) de relations entre collectivités locales et services déconcentrés.
68
TERRITORIALISATION(
P ARCS NATURELS
S) ET
REGIONAUX
Romain Lajarge Romain Lajarge est Maître de conférence en géographie-aménagement à l'Institut de Géographie Alpine, Université J. Fourier - Grenoble 1 et membre de l'UMR PACTE (CNRS 5194). Il a travaillé sur les recompositions territoriales et sur les dynamiques de construction de territoires par le projet, qualifiées de « territorialités intentionnelles ». Ses analyses portent sur les logiques de l'action et la dimension politique de ces processus à l'échelon supracommunal (les Parcs Naturels Régionaux et les Pays notamment). Courriel: rom.ain.1ajarge@)ujf-grenoble.fr
Résumé Les Parcs Naturels Régionaux existent depuis 40 ans et offrent un bel exemple de politique publique qui s'est progressivement territorialisée. Pour le montrer, il a fallu, tout d'abord, comprendre, par l'analyse historiographique, comment l'Etat, en réaction aux problèmes tels que le local les traduisait, a inventé cette formule originale. Puis, il a été nécessaire de dissocier le processus qui a permis d'instituer les Parcs comme des instruments d'aménagement fin du territoire, du processus qui a constitué les Parcs comme des entités territoriales et comme des entités qui territorialisent par le projet. Mais une fois la petite musique instituée et constituée, les Parcs peinent à reposer la question de leur genèse, ce qui contribue à brouiller l'écoute du processus socio-politique de la territorialisation. Abs tract The Régional Natural Parks exists from 40 years. They give un good example of public policy becamed more and more territorial. To demonstrate this processus, historiographic analysis was used. In reaction against new local problems, the State formulate in the middle of 60' this original sort of Pare, without constraints or limitations for space using, practices, hunting, building, and characterised by a development project for a territory regard as a natural and cultural patrimony rich and fragile. The dissociation betwenn processus of institution and processus of constitution was made. The first one permited the creation of instrument for subtle space planning. The second processus maked territory about a local project. A critic of territorialisation need however to understand, through the genese, the socio-politic dynamic betwenn this two processus.
69
1. LES PARCS NATURELS REGIONAUX/ MODELE DE POLITIQUE TERRITORIALE? A l'époque de la complexité territoriale (Giraut Vanier 1999) et parmi les «valeurs sûres» de la politique territoriale en France, les Parcs Naturels Régionaux (PNR) tiennent une place tout à fait honorable, à côté notamment des pays et des agglomérations. Cependant, ce n'est pas parce qu'ils existent depuis 40 ans, qu'ils sont 44, qu'ils couvrent plus de 12% du territoire et représentent plus de 5% de la population française, parce qu'ils possèdent un réseau solide animé par une fédération nationale, qu'ils ont su évoluer pour coller aux attentes des époques traversées. Ce n'est pas uniquement au nom de leur succès incontesté auprès de toutes ces communes un feu partout dans toutes les régions de France souhaitant créer des PNR3 que l'on peut dire qu'ils
représentent un
«
modèle de politique territoriale ». Ils peuvent être considérés
comme «modèle» parce qu'ils organisent un rapport global/ sectoriel (Muller 1998, p. 24) tout à fait opérant et parce qu'ils produisent un système cohérent de références et de référentiels (Faure Pollet Warin 1995), de valeurs et d'effets (Debarbieux Fourny 2004), de techniques et de méthodes, de modalités d'action et de programmations financières, de légitimations et de justifications. Mais ils
n'ont pas été pensés comme « modèle de politique territoriale» au moment de leur création à la fin des années soixante. En le devenant progressivement, ils ont fabriqué leurs spécificités en tant que politique publique et leur avantage comparatif dans le catalogue des instruments du développement territorial. Pourquoi et comment? Dans la question posée à propos du processus de territorialisation qui caractérise les PNR depuis 40 ans, ne trouve-t-on pas une application stimulante du problème de confusion entre ce qui constitue et ce qui institue une politique territoriale? Autrement posée, la question serait celle de savoir si le temps long peut nous permettre de mieux comprendre comment naissent des politiques publiques qui s'imposent progressivement comme territoriales.
PUISQUE « POLICY SHAPES POLITICS »
...
Si la naissance de l'analyse de l'action publique, comme mode de contestation de la toute puissance des politiques publiques à régler les problèmes tels qu'ils se posent, date des années 60 (Dahl 1961, Easton 1974), alors les PNR pourraient en être les parangons pour au moins deux raisons.
33
Pour ne citer que quelques uns des projets en date de fin octobre 2006 : Alpilles, Golfe du Morbihan, Baronnies Provençales, Ventoux, Haut Pays Grassois, Pyrénées Ariégeoises, Bastides-Gorges de l'Aveyron -Grésigne, Ardenne, Doubs, de la Brie et des 2 Morin, Picardie Maritime, des Garrigues, des Boucles du Rhône, sans compter la reprise du proj et dans le Marais-Poitevin
70
Ils adviennent, à leur démarrage, d'abord et avant tout comme un réceptacle ayant vocation à accueillir des problèmes nouveaux, insolites et probablement ingérables depuis Paris: la désindustrialisation du Nord - Pas de Calais, la crise agricole en Bretagne, le conflit environnemental en Camargue... Ces évolutions imposent de nouvelles approches: amener de la nature aux chômeurs du Nord, de la culture aux producteurs de choux-fleurs, de la reconnaissance politique aux propriétaires terriens du delta rhodanien. Les Parcs représenteraient-ils un exemple de cette «institutionnalisation du désappointement », selon l'expression de Keneth Boulding34? La difficulté effective de l'Etat central à intervenir de manière rationnelle et avec un pilotage centralisé sur des problèmes d'une grande diversité, explique le choix de s'en remettre à des formules inventives et originales. La DATAR naissante confie le soin, en 1964, à une poignée de hauts fonctionnaires de rassembler quelques idées éparses et quelques constats simples derrière l'intitulé de «Parcs régionaux ». Ils furent pensés « régionaux» par rapport aux Parcs Nationaux (créés en 1960) en souhaitant des dispositions plus légères et directement connectées avec les autorités locales. Ils furent des « Parcs» parce qu'ils étaient destinés à apparaître comme des problèmes circonscrits et des recettes particulières. La seconde raison de les considérer comme des instruments d'une action publique balbutiante et tâtonnante est qu'ils renvoient les termes de l'analyse à des principes d'intervention publique qui ne peuvent manifestement pas être contenus dans une politique publique bien déterminée et inscrite dans un chapitre ministériel. Ils sont donc par essence et dès le démarrage un objet politique intersectoriel, si l'on entend secteurs ici comme champ d'intervention principal d'un ministère. De 1963 à 1966, ils apparaissent comme objet à contours flous. Lorsqu'ils sont pensés au milieu des années 60, les Parcs régionaux (qui s'imposeront plus tard comme étant également «naturels ») relèvent aussi bien de la politique culturelle, agricole, forestière, touristique, que de celle de la jeunesse et des sports et de la construction (ancien nom de l'équipement), et pas spécifiquement de cette politique de l'environnement qui peine à éclore à l'époque.
S'INTERROGER SUR LA GENESE DES MODELES POUR COMPRENDRE CE QU'ILS ADVIENNENT Les PNR sont souvent considérés comme ayant été inventés en 1966, dans le giron de l'action conjointe d'Olivier Guichard (alors patron de la DATAR) et de Pompidou, à l'occasion d'un colloque, celui de Lurs en Provence, en septembre. En fait, l'analyse des sources historiographiques de la période qui précède (1960-1966) (travail réalisé avec Nacima Baron et l'Association UtopiaMémoire des Parcs, aidée par la Fédération des PNR de France) montre une genèse plus hasardeuse et moins volontariste.
34
Cité par Dictionnaire
Patrice
Duran
des politiques
dans
l'article
publiques
«Genèse
(Boussaguet
71
des politiques
Jacquot
Ravinet
publiques»
2006).
du
L'intérêt de ce détour par l'histoire longue, outre le besoin de fonder avec quelque robustesse des hypothèses de travail sur la dimension cumulative des processus de construction des politiques territoriales, s'explique par cette crise d'identité que les Parcs traversent depuis l'origine, engageant des missions de réflexion sur leur devenir, des travaux de clarification stratégique, des prises de position revendiquant plus de place et/ ou une meilleure place dans l'architecture territoriale française. L'ambition de critique de la territorialisation que poursuit cet ouvrage nous incite à considérer qu'avec les Parcs peuvent être tirés quelques enseignement à propos d'autres modèles comparables.
2. LES
PARCS N/ETAIENT PAS TERRITORIAUX/ ILS LE SONT DEVENUS
Depuis le début, inventés pour se différencier par rapport à d'autres logiques d'intervention, les PNR sont issus d'une double conjonction. La première voit se rencontrer des acteurs étatiques en recherche de formules nouvelles pour résoudre des problèmes nouveaux. Les problèmes sont effectivement nombreux, et à chaque fois, le constat est fait, implacable, d'un Etat qui n'a pas les outils fins qu'il lui faudrait. Car déjà à cette époque, soit près de 10 ans avant le début de la régionalisation et 20 ans avant la décentralisation,
il était évident qu'il fallait « se rapprocher du terrain ». Les commissariats à la rénovation rurale, à l'aménagement de la montagne, du littoral, suffisamment de signaux pour indiquer ce besoin de solutions adaptées.
envoyaient localement
La deuxième conjonction est celle d'hommes et de femmes de conviction, hauts fonctionnaires pour la plupart, animés par un souci très vif d'intervenir dans le domaine de ce qu'on appellerait aujourd'hui l'environnement35. Sensibles à titre personnel sur ces questions, ils s'engagent dans des directions qui semblent largement marginales à l'époque où l'Etat dessine, prévoit, organise et/ ou lance avec une autorité peu contestée le plan neige, les villes nouvelles, les grands équipements portuaires, le plan autoroute...
LE CREDO POLITIQUE DES ANNEES 60 : DIFFERENCIER ET INVENTER La protection de la nature n'est pas la priorité de l'époque, sinon au titre du cadre de vie pour les espaces banaux et au titre de la protection de certaines espèces qualifiées d'exceptionnelles. Obnubilées par l'équilibre de la France, les institutions en charge de l'aménagement du territoire savent l'importance de la régionalisation, de la prise en compte des espaces de faible densité, notamment
35
Voir l'encart intitulé « Yves Bétolaud, un forestier fortement engagé dans la protection de la nature» (Mauz 2003, p. 76).
72
ceux que l'on appelle à l'époque les espaces de verdure, et de tout ce qui pourrait permettre d'équilibrer le rythme de croissance de la région parisienne par rapport au reste de la France. Il fallait donc sortir des sentiers battus. A la suite d'une mission d'étude en juillet 1964 effectuée en Allemagne fédérale à la demande du ministre de l'Agriculture (sous la direction d'Yves Bétolaud), il apparaît que, s'il doit y avoir des Parcs régionaux en France, ils devront s'appuyer sur l'expérience allemande des Naturparks tels qu'ils ont été mis en place à partir de 1956 à l'initiative du Docteur Toepfer (mécène) et dans la lignée du 1er Naturpark allemand créé en 1910 (le Naturschutzpark Lüneberg Heide). Ils devraient être «des lieux de détente et de promenade, de vaste étendue, éloignés du bruit, à faible densité de population et jouissant d'une beauté naturelle»; «aucune restriction ne doit entraver le développement de l'agriculture, de l'économie forestière, de la chasse, de la pêche et des industries préexistantes» ; « [de telles zones] doivent être aménagées afin de permettre à de nombreux touristes de les visiter, de s'y détendre et de s'y instruire, tout en respectant une certaine discipline »36. Pourquoi une telle attirance, à cette époque, pour l'ordre et la discipline, pour la beauté naturelle et en tout cas pour les vertus du bel ordonnancement des choses de la nature et de l'effet qu'il produit sur notre instruction? On reconnaît en tout cas au même moment l'inadéquation de se calquer sur le modèle plus radical américain, dit modèle de Yellowstone, de Parcs naturels avec constitution de secteurs excluant les pratiques humaines. Non, pour les parcs régionaux à la française, il est impératif de considérer la densité urbaine plus déterminante que la densité des fragilités naturelles et l'extension désordonnée de la ville plus indésirable que la consommation effrénée des espaces dits naturels. En 1965, le parc régional apparaît donc à la fois comme un moyen de conversion de certaines zones rurales impropres aux activités agricoles productivistes, comme le moyen le plus sûr de préserver les plus beaux sites français contre la prolifération anarchique des résidences secondaires et la dispersion désordonnée des industries et enfin comme un élément déterminant des structures d'accueil des métropoles régionales au même titre que le logement ou les établissements scolaires37. On pense alors la naissance de ces nouveaux objets comme la meilleure façon de prévenir le danger d'une métropolisation incontrôlée. Plutôt que de voir les pourtours des grandes métropoles transformés par l'arrivée récréative etlou résidentielle massive d'urbains, il fallait entreprendre la patrimonialisation de la campagne afin que celle-ci, avec ses paysans et ses traditions, son air pur et son silence, les « qualités de son patrimoine naturel et culturel» puisse
36Voir « Note sur les Parcs régionaux », ministère de l'Agriculture, note EF /F1 n01486 du 17/09/64, Bétolaud (Y.), 9 p. [Côte Archives Contemporaines: 20030503 art 98]. 37 Note sur la constitution de groupe de travail des parcs naturels régionaux et métropolitains, janvier 1965 [Cote Archives Contemporaines: 197701105 art 11], ce travail d'archives a notamment fait l'objet d'un mémoire de Master de Pascaline Roux : « Contribution à la genèse des Parcs Naturels Régionaux », université d'Avignon, 2005
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entrer dans la nouvelle ère urbaine, accueillir les urbains sans se dénaturer inventer une nouvelle manière de se développer.
IMPOSER,
AU SEIN DE L'ÉTAT,
et
UNE NOUVELLE FORMULE
Bien entendu, une telle destinée teintée d'un optimisme quelque peu béat ne pouvait que résonner agréablement aux oreilles d'un grand nombre d'opérateurs des politiques publiques existantes à l'époque. Ceux de l'agriculture, en premier lieu, ont entendu dans cet appel à réfléchir à une nouvelle formule de Parcs, une des nombreuses déclinaisons de ce bouleversement que Pisani faisait subir au ministère de l'Agriculture, les forestiers comprenaient que l'Etat attendait d'eux qu'ils inventent de nouvelles manières d'ouvrir leurs espaces boisés aux promeneurs, les promoteurs du
dispositif dit « périmètres sensibles» définis en application du décret n059-768 du 26 juin1959 modifié, voient dans les Parcs régionaux une suite logique. Mais les fonctionnaires du Secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports considéraient pour leur part que les Parcs régionaux pourraient tout à fait prendre le relais de
ces « bases de loisir et de plein air» qui peinaient alors à trouver une application valable; ceux de la Construction y reconnaissaient une initiative esquissée en 1958 pour la création de «Parcs suburbains »3888.Bref, les Parcs régionaux auraient très bien pu devenir une procédure normée intégrée en tant que volet opérationnel d'une politique publique agricole dite par exemple «politique rurale ». Mais, par le jeu des luttes d'influences au sein des administrations centrales et la décision d'en écarter le leadership agricole, par le hasard de l'arrivée un lundi matin dans le bureau du DATAR du colonel Henri Beaugé en détachement, frais arrivé du Sahara et/ ou par la conviction profonde, militante et éclairé d'un jeune haut fonctionnaire fiable, Serge Antoine, il est décidé que le soin de réfléchir à ce que pourrait être cette idée de Parcs régionaux, sera confié en interne à un petit groupe piloté par Guichard lui-même. Evidemment, la prudence politique incite à doter cette nouvelle formule de budgets très modestes, ce qui finira de convaincre les administrations centrales de ne pas se battre pour obtenir le leadership de cet objet insolite et encore largement vide de sens, qualifié à l'occasion du décret de mars 1967 de «droit gazeux» par le Président de la République.
UNE NAISSANCE
DANS LE LOCAL
Mais c'est en envoyant des chargés de mission sur le terrain que va se solidifier l'essentiel de ce que vont devenir les Parcs: il faut améliorer l'accès des gens à la nature et la nature n'existe que par le biais de la culture; les villes sont de plus en plus répulsives et les WE de plus en plus l'occasion de se déstresser ; les implantations nouvelles se font dans l'anarchie, entrées de villes, zones industrielles, lotissements, résidences secondaires; les campagnes se vident de
38
Voir Puget (R), 1958, "Région du Nord, premiers éléments pour une étude régionale d'aménagement", ministère de la Reconstruction et du Logement, direction de l'aménagement du territoire, p. 78 [Côte Archives Contemporaines: 19790844 art 6]
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leurs agriculteurs partout où le modèle central productiviste ne fonctionne pas... L'Etat ne peut pas rester en dehors de ces préoccupations. Les Parcs seront d'abord des occasions de mettre en place des opérations ponctuelles, de l'action effective, des réalisations exemplaires. Il faut plus d'un an pour constituer un groupe de réflexion, organiser la sélection d'une quinzaine de chargés de mission capables de traduire ce que
pourraient être ces Parcs régionaux
«
sur le terrain» ; pour choisir la douzaine
de sites où ces problèmes nouveaux sont criants, pour commencer les études permettant d'envisager la faisabilité de telles missions: un homme, un problème local, U11e appellation non normée (celle de Parcs naturels régionaux) et quelques moyens (modestes) pour mettre en œuvre ce vague principe.
LA CONSTRUCTION
TERRITORIALE
DE L'ACTION
PUBLIQUE
C'est alors que la question locale prend toute son ampleur, parce que ceux qui se chargent de traduire le problème en solution, le principe général en actions particulières, la logique politique en coopérations locales, rencontrent quelques difficultés. Difficultés de méthode pour faire partager la qualification du problème, difficultés de construction de la légitimité locale, difficultés pour convaincre de la pertinence de cette approche. Face à ces difficultés, les opérateurs datariens -parfois un peu esseulés s'abritent derrière quelques principes: en renvoyant les acteurs locaux à euxmêmes, pour qualifier le problème qui est le leur, pour choisir la voie pour en sortir, pour engager les opérations qu'ils considèreront pertinentes. Alors que les campagnes françaises commencent à bruisser de cette formule originale des PNR, dans la forêt de Bouconne à côté de Toulouse, entre Metz et Nancy, à Saint Amand Resnes, il n'est pas du tout envisagé d'engager le même type d'action publique. Ici, il est plutôt question de faire un espace de détente avec aménagements de plans d'eau; là, des sentiers de découverte en forêt et des relais équestres; ailleurs, des maisons du patrimoine et des écomusées. Et rapidement apparaissent dans le jeu local, quatre types d'acteurs locaux qui exposent des intentions et des visées éminemment territoriales: les amis du projet de Parc, les usagers potentiels, les bénéficiaires probables et les habitants plus ou moins organisés. Rapidement, les chargés de mission rendent compte de la grande difficulté à faire avancer l'idée de Parc, ces acteurs-là pouvant être parfois en grande contradiction. La première étape de ce que l'on pourrait nommer le procès de l'institutionnalisation a alors consisté à renvoyer ces ordres de légitimité bien compréhensible à une autre catégorie d'acteurs représentant des instances décisionnelles dans le territoire: les leaders locaux, notamment départementaux, les Maires et leurs conseils municipaux faisant jouer à certaines élites locales «
une place de médiation décisive dans le travail symbolique de production des
référentiels de l'action publique» (Faure 2002/ p. 204). En arguant que les Parcs nécessiteront une approbation formelle des instances locales élues, l'action
publique envisagée pour « faire Parc» devient acte politique. Alors, les chargés de mission rendent
compte de la grande
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difficulté à défendre
auprès
de ces
interlocuteurs-là cette idée de Parc, novatrice peinait à être perceptible, lisible, interprétable.
et inquiétante,
tellement
celle-ci
La deuxième phase de l'institutionnalisation des Parcs vient donc de la nécessité d'améliorer l'acceptabilité de cette idée en commençant à la normer : ni trop petit, ni trop grand; ni trop rural, ni trop urbain; ni trop naturel, ni trop artificiel... La qualification de l'idée va d'abord se porter sur les termes nécessaires à la labellisation de ces territoires. Et c'est ainsi que la dimension territoriale des Parcs commence probablement par une opération «d'instrumentation de l'action publique» (Lascoumes Le Galès 2004, p. 21). Cette opération se fabrique principalement à partir des termes défendus lors des différentes étapes intellectuelles précédentes (Rapports BERU, Colloque de Lurs, voyage d'études, notes internes à la DATAR, Comité Interministériel d'Aménagement du Territoire), à partir de visées bien plus techniques que strictement politiques, eu égard à certains attendus nationaux, étayés par une certaine conception de la modernité, du rapport ville-campagne, des besoins de la société française et des maux de l'époque. Cet encadrement normatif de ce que ne doit pas être un Parc va provoquer l'abandon de certains projets et la naissance de territoires de Parcs
appuyés sur une
«
image de marque» (d'ailleurs déposée à l'INPI) née il y a 40
ans et régulièrement reliftée afin de lui préserver pouvoir de séduction.
LA TERRITORIALISATION
son attrait et son indéniable
PAR LE CHANGEMENT
D'ECHELLE
Pour que les situations locales éligibles à l'appellation de Parc Naturel Régional puissent devenir des projets de Parc en cours de constitution en tant que Charte puis en tant que territoires, deux étapes supplémentaires ont dû avoir lieu. Tout d'abord, à partir de 1972, l'entrée des Régions (EPR) dans la procédure de création a eu pour effet de chercher à rendre cohérente la dimension territoriale de chaque Parc dans un ensemble plus vaste. Les régions ont ainsi participé à normer les gabarits, la nature des projets, les modalités d'intervention, les montants des budgets alloués, le type d'encadrement... Ensuite, l'élaboration progressive d'une double instruction à la fois ascendante (le local devait être demandeur) et descendante (l'Etat a le dernier mot) confirmait la place déterminante du décret pris par le 1er ministre pour chaque nouvelle création de Parc; celui-ci justifiant la présence d'instances nationales (Commission Interministérielle des PNR, Conseil National de la Protection de la Nature, Fédération Nationale des PNR -et leurs prédécesseurs-). Ainsi se créait, à une autre échelle, la garantie que ce label Parc serait piloté, contrôlé et défini par une ambition d'Etat. Mais dans le même temps, l'acceptation, par ces mêmes instances, de la grande diversité des contenus des Chartes et des programmes d'action qui «remontaient» des territoires constituait une des dimensions indubitablement territoriales de cette politique publique.
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3. TERRITORIALISER
NE VEUT PAS DIRE STABILISER!
Les systèmes d'action qui vont se mettre en place pour traduire territoriale ment ce que sont, pour les Parcs, les problèmes locaux, leurs résolutions régionales et leur acceptation nationale relèvent finalement de cette articulation que propose Emmanuel Négrier entre les configurations territoriales fabriquées par le leadership (ici plu tôt 10ca1), celles issues de la culture politique (ici plutôt régionale) et celles issues des institutions (ici plutôt nationales) (Négrier 2005). Pour naître territorialement, les PNR semblent soumis à un double processus: celui qui institue et celui qui constitue à ces trois échelles, ces trois configurations. Le processus qui institue va créer, faire vivre et faire résister une structure particulière d'action publique (en général un syndicat mixte, composé aujourd'hui en moyenne de 25 personnes, doté de 2 ME de budget de fonctionnement moyen, financé en moyenne à 37% par les Régions, 20% par les Départements et 11% par l'Etat et membre d'une Fédération nationale) pilotée politiquement par des élus communaux, départementaux et régionaux. Le processus qui constitue la substance du Parc va tenter de rassembler autour de la figure consensuelle de la Charte, les termes d'un accord global et légal; et, pour ce faire, va territorialiser le projet, la définition de l'intérêt général et la légitimité de son périmètre d'intervention. C'est donc la dimension territoriale de l'instrument Parc qui va progressivement prendre le dessus sur la dimension actancielle de ce que le Parc fait. Or, nous n'avons de cesse de nous méfier de «la montée en puissance des territoires comme acteurs (collectifs) de la décision publique (...) autour de l'idée selon laquelle c'est localement que doivent être pensées les solutions pour répondre aux problèmes publics, pour agir de façon plus efficace, au plus proche du terrain» (Douillet 2006, p.138). Le territoire institué peut effectivement parfois jouer le rôle d'artefact et obérer le bilan de l'action d'une ribambelle d'arguments de légitimations, parfois scabreux. Il faudrait pouvoir rappeler que là où les procédés pour agir sont éteints, les moyens de l'action paralysés et les logiques de l'action déstabilisées, il est probable que l'action publique n'aura point d'effet. En tout cas, comme nous y invite Hélène Reignier ci-dessus, l'analyse de la pertinence de l'action publique doit se faire aussi par l'analyse de ses effets sur les territoires. Lorsqu'ils deviennent les produits à la fois d'une politique territoriale et d'une procédure de classement national, les PNR peinent à être encore considérés comme des objets politiques. Leur contestation ne peut alors venir que de la sphère technique. Or, chaque Parc ayant à produire sa propre détermination qui fait de lui un objet territorial, gravée dans le marbre de son projet, légèrement amendé tous les 10 ans (et à partir de 2006, tous les 12 ans), constituée par cet acte fondateur, il est difficile pour l'institution qui porte cette Charte de défendre ses deux légitimités. Celle qui relève de la territorialité intentionnelle (Lajarge 2000) construite dans le projet et celle défendue dans l'arène politique construite par les élus. La première se réfère à l'origine qui fait
77
de tous les PNR depuis les années 60 des objets et des territoires à part; la seconde renvoie à la pertinence de l'action territoriale et de ses effets spécifiques conduite à côté des principales politiques publiques sectorielles générales. En reconnaissant avec Sylvain Barone (voir sa contribution dans le présent ou vrage) le fait que l'action publique locale n'est pas soluble dans le néo-institutionnalisme, on peut se demander si le processus instituant le Parc peut prendre le pas sur celui qui le constitue? Si oui, on pourrait considérer que la procédure de renouvellement de la Charte aboutirait à un refus de reclassement du territoire en Parc, obligeant un processus de déterritorialisation et éventuellement de reterritorialisation sur de nouveaux périmètres, visant la résolution de nouveaux problèmes, engageant de nouveaux systèmes d'acteurs. Si non, on doit alors pouvoir reconnaître que les problèmes qu'il y avait à résoudre peuvent être considérés comme réglés et les solutions ainsi trouvées généralisées au sein d'autres instances produisant des politiques publiques pour tous le reste de l'espace français. Dans ce cas, les institutions mettraient fin à leur existence, satisfaites de leur mission remplie et la Nation reconnaissante les remercierait du devoir accompli. Evidemment, il n'en est rien et on peine à trouver des exemples de dé constructions territoriales là où les descriptions de territorialisations nouvelles sont innombrables. Et pour être sûr que la territorialisation ne consiste pas en une opération de falsification des processus de changement, l'analyse des constructions territoriales ne peut faire l'économie d'un travail de décryptage de ce qui relève, d'une part, de l'action publique et constitue effectivement ce qu'est le territoire comme sujet politique et donc comme occasion de fabriquer du bien commun et, d'autre part, de ce qui relève de l'administration territoriale qui institue pratiquement et £onctionnellement des acteurs qui considèrent le territoire comme objet. L'enjeu est finalement assez simple puisqu'il s'agit d'œuvrer à faire de la question territoriale à la fois une question politique et une question sociale, en s'efforçant d'opérer un effort de traduction entre ces deux ordres majeurs de la légitimité à agir.
78
LES POLITIQUES RURALES GAGNEES PAR LA TERRITORIALISATION ILLUSTRATION PAR LES POLITIQUES AGRICOLES, GERONTOLOGIQUES ET DE DEVELOPPEMENT LOCAL
Dominique Vallet, Jean-Marc Callais, Patrick Moquay & Véronique Roussel Dominique V ollet est ingénieur-chercheur en sciences économiques au Cemagref. Ses travaux portent sur l'évaluation et l'analyse de politiques publiques, ainsi que sur les modèles d'impact économique. Courriel : dominique. vollet@)cen1agref-fr Jean-Marc Callois, aujourd'hui chargé de mission au conseil régional d'Auvergne, était à l'époque de la préparation de ce texte ingénieur-chercheur au Cemagref, où il analysait le rôle du capital social dans le développement économique local. Courriel :
[email protected] Patrick Moquay, politologue, précédemment maître de conférence à l'ENGREF, est aujourd'hui chargé de recherches au Cemagref, où il travaille sur les politiques locales et les actions collectives relatives à la gestion de l'espace rural. Courriel : patrick.m.oquay
.. .. .
Le « territoire» est de plus
en plus invoqué dans un grand nOlnbre de politiques s'appliquant à
l'espace rural. Ce texte se propose de caractériser les fornœs de territorialisation à partir d'une analyse du changement de l'action publique dans diverses politiques s'appliquant à l'espace rural depuis la fin des années 90 et très rarenœnt analysées simultanénœnt: second pilier de la politique agricole conlnlune dite «politique de développenœnt rural », politiques gérontologiques et politiques explicitenœnt centrées sur le développement local (<
79
, ... . .
La gestion publique territoriale est progressivement érigée comme norme pragmatique et idéologique de l'action publique (Duran et Thoenig 1996). Les processus de territorialisation des politiques, à l'œuvre dans de multiples domaines (Faure et Douillet 2005) interrogent sur leur ampleur, leur efficacité et leur pérennité. Ainsi, les politiques rurales invoquent de plus en plus le territoire. Mais dans les faits, les blocages sectoriels restent forts et les effets positifs sur le développement économique et social ne sont pas toujours évidents (Perrier-Cornet 2004). L'analyse cognitive des politiques publiques offre des concepts pertinents pour analyser le changement dans les espaces ruraux, espaces complexes marqués par le poids de l'histoire et les normes. Nous nous appuyons ici sur deux notions (Muller 2005) : En premier lieu, celle de «secteur» (entendu comme «un ensemble de problèmes associés de manière plus ou moins institutionnalisée à certaines populations », sans délimitation économique ou sociale établie a priori). En second lieu, celle de référentiel qui est «à la fois l'expression des contraintes structurelles et le résultat du travail sur le sens effectué par les acteurs ». La plus ou moins grande adéquation des logiques sectorielles à ce cadre cognitif et normatif global, autrement dit le rapport global-sectoriel, constitue l'outil essentiel pour analyser les changements en cours et le rôle de l'action publique dans la gestion de ces changements. L'intérêt principal d'une telle analyse réside dans sa capacité à prévoir, dans une certaine mesure, le changement de politique, par l'identification des désajustements (Mény et Thoenig 1989). Bien entendu, ce type d'analyse permet de prévoir le sens du changement et non ses modalités pratiques (Dobry 1986, Duran Thoenig 1996). Dans le cas des espaces ruraux, le cadre global s'est profondément modifié dans les années passées. Les analyses cognitives de politiques publiques déjà menées ont concerné, dans un grand nombre de cas, uniquement un secteur, souvent le secteur agricole (Fouilleux 2003, Brun 2006), parfois le secteur social (Palier 1998). L'intérêt et l'originalité de l'approche que nous proposons ici est de mettre en parallèle les principales politiques publiques porteuses d'enjeux pour l'avenir des espaces ruraux en s'appuyant sur des expériences d'évaluation de ces politiques publiques menées par les auteurs (Léger Vollet Urbano 2006, Hadjab Roussel V oIlet 2006, Callois Moquay 2005) : d'abord, la politique agricole: nous nous appuierons plus spécifiquement sur les évolutions concernant le deuxième pilier de la PAC depuis la mise en place du CTE (Contrat Territorial d'Exploitation) en 1999. Ce second pilier tente effectivement d'ouvrir les portes d'un développement durable intégrant des préoccupations non strictement agricoles. - ensuite, la politique sociale: nous avons retenu la politique concernant les personnes âgées et plus spécifiquement les expériences de territorialisation à travers les CLIC (centres locaux de coordination et d'information gérontologique). La coordination gérontologique est un terme récurrent de la politique médico-sociale en direction des personnes âgées: d'abord une coordination entre institutions et services à la suite des Assises nationales des 80
retraités de 1982, puis d'organiser l'intervention besoins.
une coordination de proximité dont l'objectif est en faveur des personnes âgées au plus près des
- enfin, les politiques territoriales: la mise en place des pays constitue une expérience révéla trice dans la mesure où elle suppose l'existence d'une implication forte des différents acteurs impliqués dans le développement des territoires. Par l'introduction de nouveaux acteurs et la valorisation de pratiques d'élaboration et de portage collectif de projets, la politique des pays, comme les programmes Leader, étaient susceptibles de modifier les modes de régulation politique des espaces ruraux, et notamment de bousculer les modèles notabiliaires qui y perdurent (Douillet 2003). Au-delà de leurs limites ou échecs, une analyse cognitive de ces politiques territoriales emblématiques (CTE, CLIC, pays) montre que le rapport globalsectoriel s'est fortement modifié en une dizaine d'années. Pour rendre compte de la mise en place de politiques plus différenciées, plus territorialisées, nous mobiliserons une grille d'analyse en trois points: - la transformation des contextes de sens concernant les politiques, se traduisant par de nouveaux dispositifs et modifiant progressivement les pratiques sectorielles, - la place accordée à des acteurs plus nombreux intérêts et leurs valeurs au sein de ces dispositifs,
et plus divers dans leurs
- les évolutions fortes affectant le rapport global-sectoriel, en particulier grâce aux actions conjointes et variables des experts et des médiateurs.
1. DE NOUVEAUX
DISPOSITIFS OU INSTRUMENTS
Dans le cas de la politique agricole, le contexte de sens a profondément évolué depuis 1999, année d'adoption de la loi d'orientation agricole (LOA) créant le CTE, qui s'est heurté à de fortes réticences du syndicalisme majoritaire (du moins, de sa branche aînée, la FNSEA -Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles). Ce dispositif innovant visait à soutenir de façon globale les aspects économiques, environnementaux et sociaux des exploitations agricoles couplés à la mise en avant de préoccupations redistributives (par le biais de la modulation des aides) et territoriale (rémunération plus importante
pour les contrats mis en place dans le cadre de démarches « collectives »). La prise en compte des aspects non strictement agricoles et la territorialisation de l'action publique ont au départ heurté les agriculteurs. Ceux-ci refusaient d'être assimilés à de simples «jardiniers de l'espace» et se montraient soucieux de l'égalité d'accès à l'ensemble des aides, cette égalité pouvant d'ailleurs se traduire par des distributions très inéquitables des aides des doubles points de vue sociaux et territoriaux. En fait, au fur et à mesure de la mise en place du dispositit oppositions initiales se sont estompées, certes en raison de l'importance
81
les des
financements mobilisés et de la progressive appropriation du dispositif par la profession, mais également parce que l'évidence a changé de camp... Avec la prise de conscience de la transformation des espaces ruraux, habités et fréquentés par un nombre croissant d'urbains, et des attentes de la société en matière d'environnement (eau, biodiversité etc.) et de qualité des produits dans un contexte de crise sanitaire (ESB, grippe aviaire), il devenait intenable de conserver le même discours. A telle enseigne que lors de la suppression du CTE et de son évolution en CAD (contrat d'agriculture durable), le syndicalisme majoritaire est monté au créneau pour réclamer son maintien! Sur le plan démographique, les espaces ruraux se caractérisent par un vieillissement important dans la mesure où la pénurie d'emplois locaux a souvent obligé les jeunes à partir. A l'âge de la retraite, certaines personnes reviennent au pays, et d'autres non originaires des lieux choisissent de s'y installer. Le maintien à domicile est un objectif affiché des pouvoirs publics depuis le rapport Laroque39, mais sa mise en œuvre pose différents problèmes. Les personnes âgées qui retardent l'entrée en institution ne trouvent pas toujours des réponses satisfaisantes à leurs besoins. Des difficultés pénalisent le système actuel d'aide: carence d'information, parcellisation des prestations délivrées, insuffisante coordination des professionnels. Aussi, dans ce contexte,
une circulaire de 2001 a-t-elle créé les CLIC, dont la mission est de
«
travailler à
l'adéquation des réponses aux besoins constatés et recensés en organisant prise en charge globale et coordonnée qui met en jeu la complémentarité
une des
actions et des intervenants. » Les politiques territoriales telles que les Pays ou les programmes Leader se sont affirmées en parallèle de revendications croissantes en matière de participation accrue des populations. Elles traduisaient la généralisation d'une norme partenariale, reposant d'une part sur l'élaboration concertée de projets de développement, et d'autre part sur la contractualisation entre partenaires concourant à la réalisation du projet. Héritières de dispositifs précurseurs tels que les contrats de pays ou les chartes intercommunales, elles traduisent un double mouvement d'approfondissement de la décentralisation et de la participation.
2. DES ACTEURS PLUS NOMBREUX
ET PLUS DIVERS
Ce mouvement d'association d'acteurs de statuts divers à la définition des politiques marque tous les dispositifs rencontrés. La formulation des problèmes concernant l'agriculture a ainsi profondément évolué. D'une politique concernant des acteurs strictement agricoles, on est passé à une politique qui implique un nombre croissant d'acteurs non agricoles, de par notamment ses
39
Rapport de la Commission d'Etudes des problèmes de la vieillesse présidée par Pierre Laroque, 1962. Ce rapport est considéré comme le texte fondateur politique de la vieillesse en faveur du maintien à domicile.
82
d'une « nouvelle»
dimensions environnementale et sociale. Ainsi, les consommateurs, les associations de protection de l'environnement, les chasseurs etc. ont-ils intégré les CDOA (commission départementale d'orientation de l'agriculture) du fait de la LOA de 1999. Au départ, les interventions de ces différents acteurs étaient relativement marginales pour des raisons diverses: compétences agricoles limitées dans le tissu associatif, faible présence de certaines associations à un niveau départemental. Progressivement, ceux-ci ont acquis une certaine légitimi té pour parler de poli tique agricole, ont souligné la nécessité de traiter certaines questions globalement dans un cadre territorial (par exemple le maintien d'un paysage de qualité pour continuer à attirer les touristes, la nécessité d'une gestion qualitative et quantitative de la ressource en eau, etc.). Ces nouvelles formulations des problèmes productifs concernant l'agriculture ont progressivement abouti à l'émergence de nouvelles solutions et normes. Ainsi, l'éco-conditionalité des aides du premier pilier dans la nouvelle réforme 2006-2013 de la PAC s'est-elle imposée sans trop de difficulté en raison des évolutions des cadres cognitifs préparés par la LOA de 1999. Les politiques de développement territorial ont fait l'objet d'une évolution similaire (Douillet 2003). Aux termes de la LOADDT, les conseils de développement des pays doivent faire une large place à des acteurs non élus, représentant les activités économiques, sociales, culturelles et associatives, suscitant ainsi l'émergence d'une «ingénierie territoriale» multiforme (voir la contribution de Pierre-Antoine Landel dans cet ouvrage). Le programme Leader + imposait d'ailleurs des exigences similaires dans la constitution des groupes d'action locale (GAL), au sein desquels les représentants des institutions devaient être minoritaires.
3. LES EVOLUTIONS
DU RAPPORT GLOBAL-SECTORIEL
La nouvelle génération du programme Leader, qui dans la mouture 20072013 devient un axe du deuxième pilier de laP AC, confirme la poursuite de cette tendance, couplée à une intégration plus forte de l'agriculture dans le développement rural. Cette généralisation de l'esprit des programmes Leader témoigne d'une tendance nette d'appréhension moins sectorielle et plus intégrée des problèmes de développement. Au niveau global, le référentiel modernisateur des années 60 s'est transformé en référentiel plus attentif à la proximité (censée être synonyme d'une efficacité accrue) et aux questions environnementales. Les récentes lois de décentralisation et la mise en avant du développement durable témoignent de ces évolutions. Notons d'ailleurs que la prise en compte des questions environnementales a été préparée au niveau sectoriel agricole par les dispositifs antérieurs tels que les PDD (plans de développement durable), les MAE (mesures agro-environnementales), le CTE.
83
Parmi les organisations professionnelles, comme dans les années 60, le CNJA 40 a joué un rôle important de médiation (avec la figure reconnue de Christine Lambert, sa présidente au moment de la mise en place du CTE). Pour les représentants agricoles, il est devenu moins «coûteux» de prendre en compte le nouveau référentiel que de se rattacher à l'ancien, La conversion est d'autant plus facile que, par la figure du contrat, la gestion publique territoriale peut relever d'un référentiel néo-libéral (voir la contribution de Domitien Détrie dans cet ouvrage) ayant la faveur d'une partie importante des professionnels agricoles. L'enjeu est alors de garder les commandes de sa traduction opérationnelle. Les tergiversations du début de 2006 au sujet du niveau de gestion des aides du second pilier de la PAC sont très révélatrices. Alors que la sphère administrative, y compris les membres du cabinet imprégnés du nou veau référentiel global, sont favorables à une gestion régionalisée, les discussions avec la profession ont été difficiles. Celle-ci ne remet plus en cause l'importance de soutenir les actions en faveur de l'environnement mais leur niveau de gestion, une gestion régionale nécessitant une multiplication des actions de lobbying. De surcroît, les experts de la recherche et de l'enseignement supérieur agronomique ont produit sur cette période des outils intellectuels cognitifs et normatifs confortant le référentiel en émergence et tendant à établir le caractère inéluctable des nouvelles politiques (Cf. par exemple le dispositif INRACemagref-Cirad sur la multifonctionnalité de l'agriculture et des espaces ruraux mis en place de 1999 à 2005, ou le programme ANR Agriculture et développement durable à partir de 2005). La montée en puissance de l'échelon local est encore plus évidente du côté des politiques de développement régional, les lois de décentralisation de 2004 conférant à la collectivité régionale des responsabilités renforcées dans les domaines du développement économique et de l'aménagement du territoire, y compris la possibilité de gérer pour le compte de l'Etat certaines aides des ministères chargés de l'industrie et de l'agriculture. Dans le domaine des politiques sociales, la nouvelle loi de décentralisation du 13 août 2004 rend le conseil général entièrement responsable de la politique sociale dans le département et de la mise en oeuvre des CLIC. Le rapport national/local s'en trouve profondément modifié, même si la mesure se situe dans le prolongement des vagues successives de décentralisation. La question cruciale du financement des dispositifs territoriaux, dont les CLIC, s'en trouve posée dans des termes nouveaux. Placés devant cette affirmation croissante de la norme décentralisatrice, des instruments nouveaux sont apparus dans un grand nombre des politiques concernant l'espace rural. Celles-ci ont connu d'ailleurs des fortunes variables mais le contexte de sens a profondément évolué, poussé en cela par l'arrivée de nouveaux acteurs. Au-delà des fortunes variables des dispositifs opérationnels, les évolutions du rapport global-sectoriel semblent rendre pérennes les mouvements récents vers une plus grande territorialisation de l'action publique,
40
Centre national des jeunes agriculteurs,
rebaptisé depuis Jeunes agriculteurs.
84
de façon analogue aux évolutions des référentiels observés dans les politiques urbaines (voir la contribution de Lauren Anfres et Benoît Faraco dans cet ouvrage). Cependant, tout l'enjeu pour l'échelon central sera d'éviter l'excès inverse du centralisme: un repli trop fort sur le local, source inévitable d'inégalités entre territoires et d'inefficacités dues à une trop grande fermeture. A cet égard, des recherches récentes sur les facteurs du développement régional (Callois 2004) mettent en évidence la difficulté réelle à allier la cohésion territoriale et l'initiative locale d'une part, et l'ouverture aux opportunités extérieures d'autre part.
85
EXTENSION DES AEROPORTS:
L'ACTION
PUBLIQUE ENTRE SECTEUR ET TERRITOIRE L'EMERGENCE DE NOUVELLES FORMES D'INTEGRATION DES INTERETS DANS L'AVIATION CIVILE EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE
Charlotte
Halpern
Charlotte Halpern a été post-doctorante (Programme Lavoisier) en science politique à la Maison française d'Oxford. Elle est chercheure FNSP au PACTE à l'Institut d'Etudes Politiques de Grenoble. Ses thèmes de recherche portent sur les politiques publiques comparées en France, en Allemagne et en GrandeBretagne (transport, environnement, ville). Courriel :
[email protected] ,.. ..
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Résumé
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La reconfiguration des logiques sectorielles dans les Etats européens alimente la contestation des formes d'élaboration et de légitimation de l'action publique par des acteurs aux intérêts territorialisés. A partir des exemples que constituent les conflits autour de l'extension des aéroports Paris - Charles de Gaulle (France) et Berlin Schonefeld (Allemagne), cette communication montre que l'intégration des dimensions sectorielle et territoriale de l'action publique est un élément central de sa légitimation; la distorsion croissante entre ces deux dimensions est source de conflits politiques et sociaux majeurs; le conflit constitue un vecteur d'apprentissage à double tranchant. I
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Abs tract The restructuring of transport policies in all European States has created new opportunities to contest existing forms of policy design and legitimation. Drawing on the examples of conflicts around the extension of the Paris - Charles de Gaulle (France) and the Berlin - Schonefeld (Germany) airports, this chapter argues that: 1) the legitimacy of public decision-making on airports depends on the relationship between sectoral and territorial dynamics; 2) its weakening has led to major political and social conflicts, 3)
their resolution has initiated learning processes with unpredictable outcomes and constraining effects on all parties involved.
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87
La recrudescence de conflits lors de l'élaboration et de la mise en œuvre de politiques publiques nationales constitue un trait caractéristique des sociétés contemporaines (Meyer Tarrow 1998). Ils sont le produit de la distorsion des échelles entre local et global, et de la remise en cause des arrangements qui caractérisaient les relations entre l'Etat, le marché et la société civile. Dans un contexte de perte de centralité des Etats européens (Cassese Wright, 1996), ces conflits témoignent de la volonté d'acteurs hétérogènes de participer à l'élaboration de l'intérêt général. Dès lors, les autorités publiques nationales sont face à un enjeu crucial: comment procéder à l'élaboration et à la mise en œuvre de décisions publiques au sein de sociétés qualifiées d'ingouvernables? Si l'intérêt général ne constitue plus un facteur de légitimation suffisant pour imposer des choix politiques nationaux, comment procéder à la construction progressive d'un intérêt général négocié? Ce dernier point incite à dépasser les limites des outils d'analyse des sociologies de l'action collective et de l'action publique pour interroger la relation entre policies et politics au prisme de la décision publique. Cette catégorie d'analyse semble particulièrement heuristique pour analyser l'émergence de nouvelles formes d'intégration des intérêts rendues nécessaires par la transformation des relations entre l'Etat et la société civile, entre les secteurs et les territoires. Elle permet en outre de développer une approche dynamique des relations qui s'instaurent entre acteurs, institutions et représentations. Ce cadre d'analyse constitue une réponse possible aux interrogations soulevées dans cet ouvrage par Sylvain Barone sur les limites du néo-institu tionnalisme. Ainsi, plutôt que le changement lui-même, cette communication a pour objectif d'analyser les modalités de transformation de l'action publique à l'aune de ces conflits. Ces questionnements seront appliqués aux conflits sur l'extension
des
aéroports
Paris
-
Charles
de
Gaulle
(France)
et Berlin
-
Schonefeld (Allemagne), et à leur impact sur les politiques du transport aérien de ces deux Etats41. Les phénomènes décrits précédemment se manifestent en effet de façon exacerbée dans le secteur de l'aviation civile à l'occasion des choix politiques portant sur l'extension des aéroports d'envergure internationale42. À la fois produits et instruments des politiques nationales du transport aérien, ces infrastructures sont aussi un outil essentiel des politiques d'aménagement et du développement économique des territoires nationaux. Or les transformations survenues à la suite de la déréglementation du transport aérien international, de l'émergence d'une politique européenne autonome du transport aérien, de l'effritement des frontières entre public et privé, et de la montée en puissance de sous-systèmes nationaux ont conduit à la distorsion croissante entre les dimensions sectorielle et territoriale du transport aérien, au détriment de la seconde. Ce décalage alimente des conflits politiques et sociaux majeurs dont l'ampleur reflète la fragmentation des intérêts, des acteurs et des représentations liées au développement des territoires métropolitains (Lévy 1994). Les variations
41
Les données présentées ici sont issues d'un travail de doctorat 42 Le secteur de l'aviation civile est entendu ici au sens de (Muller 2005, p. 407), par opposition au secteur industriel, dans le cas présent, qui recouvre l'ensemble des activités aéronautiques civils et militaires.
88
(Halpern, 2006). secteur d'action publique ou secteur aéronautique de production des biens
observées en termes de résolution des conflits et de la capacité des Etats à intégrer ces intérêts incitent à dépasser l'analyse top-down de la libéralisation du transport aérien européen proposée par Frédéric Dobruszkes dans cet ouvrage. Les phénomènes observés empiriquement portent en effet à croire que les acteurs sectoriels nationaux ont la capacité d'investir le cadre des contraintes qui pèsent sur l'action collective pour freiner la territorialisation de l'action publique dans ce secteur. Envisager ces deux conflits dans une perspective diachronique et comparative permet ainsi de relativiser l'hypothèse de territorialisation de l'action publique pour privilégier une hypothèse de redéfinition des frontières et des arrangements internes à ce secteur d'action publique après deux décennies d'instabilité. Plus précisément, ce chapitre montre la façon dont cette fragilisation a offert aux groupes issus de la société civile qui en avaient la capacité, l'opportunité de participer à la redéfinition en cours des frontières de ce secteur d'action publique. Mais la somme de ces "succès" ne suffit pas pour conclure au changement des formes et des structures de la décision dans ce secteur. Trois éléments seront développés à cette occasion: l'intégration des dimensions sectorielle et territoriale de l'action publique comme élément central de sa légitimation; La distorsion croissante entre ces deux dimensions comme source de conflits politiques et sociaux majeurs; le conflit comme source d'apprentissage à double tranchant.
1. L'IMBRICATION ENTRE SECTEUR ET TERRITOIRE COMME SOURCE DE LEGITIMATION La contestation des choix politiques nationaux sur les aéroports ne constitue pas un phénomène nouveau. Cependant, jusqu'à la fin des années 1980, leur impact sur les modalités d'élaboration de la décision publique reste marginal et ces mobilisations ne débouchent pas sur un mouvement antiaérien autonome (Nelkin Pollak, 1981). Ces revendications émergent dans l'espace public national, mais les représentants élus et associatifs des communautés riveraines ne parviennent pas à traduire leurs revendications dans des termes légitimes du point de vue de l'action publique. En République fédérale d'Allemagne (RFA), les opposants à l'extension des aéroports de Francfort, Munich et Hambourg délaissent les dispositifs de consultation prévus par le cadre réglementaire pour privilégier le recours en justice (Rucht 1984). En France, la recomposition du paysage politique national pendant les années 1970 contraint les opposants à l'extension des aéroports de Paris - Orly, Marseille et Lyon à privilégier la politisation du conflit à travers plusieurs tentatives avortées d'alliances avec les partis poli tiques de gauche (PS et PCF) et le mouvement environnementaliste. L'analyse des choix politiques nationaux sur l'extension des aéroports d'envergure internationale nous conduit dès lors à considérer ces infrastructures comme le produit d'une relation stabilisée entre les administrations nationales, les compagnies aériennes nationales et les gestionnaires d'aéroports. Bien que
89
ces relations ne soient pas exemptes d'enjeux de pouvoir marqués, ces acteurs partagent une vision commune du développement du transport aérien: assurer son indépendance et sa compétitivité à l'échelle européenne et internationale. Leur poids est garanti à l'échelle internationale par le rôle central des Etats dans le système international de régulation du transport aérien (Merlin 2001, p.74-79) et à l'échelle nationale par la sur-représentation d'individus issus de formations techniques qui contribuent à la diffusion de valeurs et de pratiques basées sur le caractère apolitique des questions aériennes. La centralisation progressive des systèmes aéroportuaires français et ouest-allemand repose sur l'imbrication étroite entre les dimensions sectorielle et territoriale du transport aérien, sa principale source de légitimation. Elle résulte de la stratégie de concentration de l'expertise et de l'information menée par la Direction générale de l'avia tion civile (DGAC) en France, et de l'action impulsée par la Lufthansa avec le soutien du ministère fédéral des transports en faveur de l'aéroport de Francfort en RFA.
2. LE RENFORCEMENT PROGRESSIF DE LA DIMENSION SECTORIELLE DU TRANSPORT AERIEN Cette forme de régulation sectorielle connaît de profonds bouleversements au cours des années 1980 dans tous les Etats européens (Kassim Menon 1996, p. 5). La déréglementation du système international de régulation du transport aérien sous la pression des Etats-Unis contraint les compagnies aériennes des Etats européens à adapter leurs structures de financement et leurs stratégies de développement43. L'émergence d'une politique européenne du transport aérien met en lumière l'opacité des relations entre les autorités publiques nationales et leurs champions respectifs par le biais du dossier de la concurrence. Ces processus contribuent à la fragilisation des arrangements institutionnels qui caractérisaient les relations entre les acteurs nationaux du transport aérien en France et en RFA, en fonction de leurs capacités à bénéficier des opportunités offertes par la perte d'autonomie des administrations nationales. En RFA, la Lufthansa s'appuie sur le ministère fédéral des Finances pour dénoncer avec succès les politiques d'aides publiques des Lander au transport aérien régional et négocier les conditions de sa privatisation. En France, la diffusion du programme néolibéral donne lieu à des ajustements de son discours par la DGAC pour légitimer le renforcement de la dimension sectorielle de l'aviation civile au détriment de sa dimension territoriale. L'ampleur des restructurations engagées ou en cours dans le transport aérien freine un temps tout projet d'extension des aéroports. mesure
43
Dans ce contexte, la vague de mobilisations des années 1970 s'essouffle à que les opportunités de contestation s'amenuisent. En revanche, les
British Airways est privatisée en 1987, la Lufthansa engage sa reconversion en 1992 et procède à une privatisation partielle par ouverture de capital en 1994, Air France amorce sa restructuration en 1994.
90
collectivités territoriales infrarégionales nouent, sur une base individuelle, des contacts avec les gestionnaires d'aéroports pour assurer leur accès aux retombées économiques et fiscales de ces infrastructures et compenser les contraintes qui pèsent sur leur développement. L'extrême fragmentation des stratégies développées freine toutefois l'émergence d'un système d'acteurs organisé autour d'un intérêt commun.
3. LE CONFLIT: TRANCHANT?
UNE STRATEGIE A DOUBLE
La relance d'une politique aéroportuaire extensive en France et en Allemagne au début des années 1990 est légitimée par des critères économiques et techniques; elle est initiée par la Lufthansa pour le projet Berlin Brandenburg International et Aéroports de Paris (ADP) pour le projet Roissy 3, avec le soutien de leurs tu telles administratives respectives. Elle marque la reprise des mobilisations dans les territoires riveraines à l'occasion des procédures d'enquête publique. En France, les lois de décentralisation ont conféré aux communes des compétences accrues, si tant est qu'elles soient en mesure de surmonter leurs divisions et de développer un projet alternatif à celui défendu par les services de l'Etat. La consultation préalable à l'enquête publique sur l'extension de l'aéroport Paris - Charles de Gaulle constitue en ce sens une mise à l'épreuve des relations intercommunales instaurées à l'occasion de la refonte du schéma directeur d'aménagement régional. L'expression d'un avis négatif couplé avec la proximité des élections législatives de 1993 conduit les pouvoirs publics nationaux à bloquer le processus décisionnel pour introduire des dispositifs de consultation ad hoc qui élargissent les critères de participation et reposent sur des procédures clairement énoncées. La stratégie d'implication adoptée par une majorité de communes riveraines et par ADP permet l'ajustement progressif des positions autour d'une solution négociée. Celle-ci repose sur la modification substantielle du projet et sur l'introduction de mesures d'accompagnement qui institu tionnalisent les avancées consenties par l'établissement public. La dynamique de politisation du conflit associée à la stratégie d'implication privilégiée par ADP accélère son autonomisation face à sa tutelle, qui assume la responsabilité politique du conflit, et à Air France, qui porte le coût financier du dispositif de protection des populations riveraines. En Allemagne, Berlin - Brandenburg
le contexte politique empêche
les autorités
et institutionnel publiques
propre à la Région
concernées
-
les Lander
de Berlin et du Brandebourg, et l'Etat fédéral- de saisir l'opportunité offerte par la Lufthansa en raison de désaccords profonds quant à la localisation et au financement de cette infrastructure. De ce fait, le projet d'aéroport Berlin Brandenburg International par extension de l'aéroport Berlin - Schonefeld ne s'inscrit pas dans une dimension sectorielle motivée par des critères économiques et techniques - d'où le retrait de la Lufthansa, mais dans une dimension territoriale motivée par des critères politiques. La gestion des
91
dispositifs de consultation des communes par l'au torité administrative en charge de l'enquête publique exacerbe les intérêts en présence, cette dernière ne disposant d'aucune marge de manœuvre dans la négociation. Les communes se lancent alors dans une stratégie de contestation qui se manifeste par le dépôt systématique de recours en justice contre les tous les documents d'urbanisme visant à constituer une empreinte aéroportuaire et à réserver ses pourtours. Cette stratégie encourage la mobilisation, selon des modalités similaires, des grou pes issus de la société civile. De ce fait, l'ensemble des ressources
accumulées par les protagonistes du conflit sont mobilisées lors du
«
procès de
l'aéroport ». Les incertitudes liées à la réalisation du projet ont suscité la mobilisation, sous la houlette de la Lufthansa, des acteurs sectoriels nationaux du transport aérien (gestionnaires des aéroports de Francfort et de Munich, l'autorité allemande de sécurité aérienne) auprès du Gouvernement fédéral pour demander la refonte de la politique fédérale du transport aérien dans un contexte de concurrence internationale et européenne exacerbée. Les bouleversements qui ont marqué les secteurs de l'aviation civile des Etats européens ont conduit en premier lieu à une perte d'autonomie des Etats dans leur capacité à piloter l'action publique. En Allemagne, cette évolution s'est traduite par le recentrage du ministère fédéral des transports sur ses compétences régaliennes au profit des acteurs du transport aérien et des Gouvernements des Lander. En France, malgré les nombreuses mises en cause subies depuis le début des années 1990, la DGAC est parvenue à bloquer toute velléité d'externalisation des activités de contrôle vers une autorité indépendante au prix d'une profonde réorganisation interne et de l'autonomisation des organisations publiques (Air France, ADP) dont elle exerçai t la tu telle. L'analyse des conflits sur l'extension des aéroports Paris Charles de Gaulle et Berlin - Schonefeld invite dès lors à relativiser les hypothèses de territorialisation de l'action publique. En effet, la gestion de ces conflits offre une opportunité aux acteurs nationaux du transport aérien de redéfinir un intérêt commun fragilisé et de bloquer toute velléité de redéfinition
du problème
«
développement du transport aérien» par des acteurs externes au
secteur de l'aviation civile. La sortie du conflit réaffirme le poids des logiques sectorielles au détriment des acteurs partisans d'une inscription renforcée de l'action publique dans les territoires.
92
L.INTERVENTION
RESIDUELLE DES ÉTATS
FACE AU LIBRE MARCHE LE CAS DES OBLIGATIONS DE SERVICES PUBLICS AERIENS EN EUROPE
Frédéric Dobruszkes Frédéric Dobruszkes est assistant à l'Université Libre de Bruxelles et professeur-invité à la Haute École Francisco Ferrer. Ses recherches portent sur les impacts de la libéralisation du transport aérien en Europe et sur la politique des transports urbains. Courriel :
[email protected]
Résumé La libéralisation du trflnsport aérien par l'Union européenne remet en cause l'interventionnisme des Etats qui jadis pouvaient librement décréter des monopoles et financer l'exploitation de lignes. Toutefois, sous certaines conditions, des services publics sont encore possibles. L'adaptation de la France au nouveau contexte a fait disparaître certains mécanismes de soutien aux dessertes aériennes (exclusivité d'Air France), mais le reste a été refondu conformément au droit européen, sauvant en particulier le couple initiative locale / cofinancement national. De nombreux services publics aériens ont certes disparu, mais ce fu t en bonne partie dès avant la libéralisation et à cause des réalités du terrain, qui conditionnent l'importance et la géographie de la demande de transport. Par ailleurs, la montée en puissance des Régions ne s'est pas traduite par leur implication dans les services publics aériens. Abs tract Air transport liberalization in the EU calls into question interventionism by States, which in the past could freely order monopolies and finance the operation of airlines. However, on certain conditions, public services are still possible. France's adaptation to the new context has challenged some mechanisms of support to air transport services (exclusive Air France rights), but the rest was reworked in accordance with European law, saving in particular the //local initiative/national cofinancing" couple. A lot of public air services have indeed disappeared, but to a large extent even before the liberalization and because of the field realities, which influence the size and geography of transport demand. In addition, the increase in power of the Regions did not result in their implication in the air public utilities.
93
Depuis ses débuts, le transport aérien fut fortement régulé par les États, auxquels les Conventions de Paris (1919) puis de Chicago (1944) conférèrent une souveraineté totale sur leur ciel. Libre à eux d'ouvrir ou non le marché à telle ou telle compagnie, d'organiser des monopoles, de protéger et sou tenir financièrement les compagnies, d'organiser des services publics et de négocier des accords bilatéraux avec les autres États pour l'organisation des dessertes interna tionales. 44 Cependant, la perte de pouvoir des États nationaux face aux instances supranationales et infranationales se traduit par une remise en cause de ce schéma classique qui est respectivement évidente ou potentielle. Premièrement, la «prise en main» du transport aérien par l'Union européenne (UE) fait suite à l'affirmation, par la Cour européenne de justice (1974 et 1986), puis à la reconnaissance (par l'Acte unique européen en 1986) que ce secteur doit être soumis aux règles générales du Traité de Rome, et donc aux règles de concurrence. Ceci marque le début de la libéralisation du transport aérien à l'échelle européenne, ~se en œuvre à partir de 1987 puis surtout entre 1993 et 1997. S'imposant aux Etats membres et étendue à l'Espace économique européen45 (EEE) et partiellement à la Suisse, celle-ci a totalement remis en cause l'interventionnisme étatique dans les transports aériens, créant une double rupture: liberté généralisée (accès au marché, capacités et tarifs) pour toute compagnie communautaire d'une part, et interdiction des aides d'Etat d'autre part (Espérou Subrémon 1997, Naveau 1992). Deuxièmement, la tendance au transfert de compétences vers les régions ou autres collectivités locales, dans un certain nombre d'États européens, est également de nature à remettre en cause l'autorité de l'État dans les quelques matières aériennes qui ne sont pas du ressort de l'UE. L'examen de ces deux tendances est l'objet du présent papier concernant l'une des dernières possibilités d'intervention des États membres face au libre marché aérien: les obligations de service public aériennes (OSP). Principale « atteinte» au principe général du libre marché aérien, le droit européen prévoit en effet que les États peuvent imposer des OSp46 concernant des vols réguliers desservant des espaces périphériques, des espaces en développement ou un aéroport régional à faible trafic, ces critères devant être combinés à des enjeux de développement économique et à la non-rentabilité financière du service. Tout le reste est censé correspondre aux «lois du marché ». Il est à noter que la
44
L'auteur tient à remercier F. Théoleyre, P. Bourbon et G. Neel (DGAC), ainsi que V. Biot (ULB). 45 UE + Norvège, Islande et Liechtenstein, bien que ce dernier soit dépourvu d'aéroport et de compagnie aérienne. Rappelons que les DOM français (Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion) font partie intégrante de l'UE. 46 Définies comme étant « les obligations imposées à un transporteur aérien en vue de prendre, à l'égard de toute liaison qu'il peut exploiter en vertu d'une licence qui lui a été délivrée par un État membre, toutes les mesures propres à assurer la prestation d'un service répondant à des normes fixes en matière de continuité, de régularité, de capacité et de prix, normes auxquelles le transporteur ne satisferait pas s'il ne devait considérer que son seul intérêt commercial» (règlement 2408/92, article 2).
94
régulation européenne ne précise pas ce qu'il faut entendre par «zone périphérique », «zone de développement» et «vital pour le développement économique », laissant ainsi aux États membres d'importantes marges de manœuvres (Kostopoulos 2005). Seule la notion d'aéroport régional est définie: il s'agit de tous les aéroports ne figurant pas dans la liste des aéroports dits de première catégorie selon le législateur européen47. À condition de ne pas dépasser 30 000 sièges par an, le droit européen prévoit également que, si aucun transporteur n'exploite ou n'est sur le point d'exploiter la liaison pour laquelle une imposition d'OSP a été décrétée par un État, ce dernier peut en limiter l'accès à un seul transporteur qui s'en voit concéder l'exploitation après appel d'offre et peut bénéficier d'une compensation financière de l'État, par périodes de maximum trois ans. Au-delà de 30 000 sièges par an, exclusivité et compensation financières ne sont autori-
sées que si aucune autre forme de transport ne peut fournir et continu ». Tout ceci se fait bien entendu Européenne, organe administratif de l'Union
traité» qui surveille les États pour éviter les «
«
un service adéquat
sous l'égide de la Commission et traditionnelle «gardienne du abus ».
Après avoir présenté l'importance quantitative et la géographie des asp actuelles, notre double questionnement est le suivant: comment la France, principal pays pourvoyeur d'OSP aériennes, s'est-elle adaptée d'une part aux transferts de pouvoirs vers rUE et vers les Régions et, d'autre part, à la restriction de ses possibilités de régulation du marché aérien? La desserte du territoire par les services publics aériens en a-t-elle été influencée? Par service public, nous entendons toute ligne financée par la puissance publique ou simplement protégée de la concurrence. En trame de fond, on retrouve bien entendu la question des politiques en prise avec le territoire. Mais il convient de préciser que le transport aérien s'inscrit d'emblée dans un cadre territorial dès lors qu'il a pour vocation première de connecter des territoires et plus précisément leurs populations ou marchandises.
ASPECTS MÉTHODOLOGIQUES Notre recherche est basée sur quatre éléments. Le premier est la connaissance des OSP passées et présentes grâce à un listing de la Commission Européenne dressant la liste des communications publiées au Journal Officiel de l'Union Européenne aOUE) durant la période 1994-2004 concernant les OSP (impositions, appels d'offre, modifications et suppressions) ; la publication au JOUE étant antérieure à l'exploitation des services, ceci nous permet d'analyser les asp opérées durant le mois de janvier 2005. Le deuxième élément est un rapport au gouvernement de 1990 rédigé par la DATAR48 dressant un bilan et la
47 Amsterdam, Athènes, Berlin, Bratislava, Bruxelles... (annexe l du règlement 2408/92 consolidé) . 48Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale. « Créée en 1963, la DAT AR a un rôle de réflexion, d'impulsion et d'animation des politiques de l'État en matière d'aménagement du territoire. Administration de mission à caractère interministériel, elle est un service du Premier ministre.» (source: DATAR). La DATAR
95
liste des lignes subventionnées par la DATAR et les collectivités locales durant la période 1971 - 1989, donc avant la libéralisation européenne. Le troisième élément est la connaissance de l'offre aérienne régulière globale, grâce aux bases de données GAG décrivant de manière totalement désagrégée l'offre aérienne régulière mondiale programmée pour 1991, 1995 et 2005; sont notamment connus, pour chaque vol, les escales éventuelles, la compagnie exploitante, la fréquence et le nombre de sièges; l'offre y est décrite avec beaucoup d'exhaustivité; nous avons complété ces bases de données pour que les lignes exploitées sous le régime des asp y soient identifiées en tant que telles. Le quatrième élément enfin est une typologie économique des régions européennes développée par Vandermotten et Marissal (2000) et qui, agrégée en grands types,
conduit
à un classement
centre
-
périphérie
au sens géo-économique
du
terme. Obligations de services publics aériennes Janvier 2005
b
subvention
1
-
Avec
...
u___u.. Sans subvention
..... eleupe :' Gu~d ~ Gyann.
Martinique Réunion
~~~~:'~BJS7
Source:
Commission
Européenne
Traitement et carte: F. Dobruszkes
& Journal
Officiel de l'Union Européenne
- Réalisé avec
Phi/carte
~ http://perso.club-interneUr/philgeo
Figure 1
s'est récemment muée en DIACT (Délégation la Corn péti tivi té des Territoires).
96
Interministérielle
à l'Aménagement
et à
1. SERVICES
PUBLICS AÉRIENS: UNE OFFRE MARGINALE, DOMESTIQUE ET PÉRIPHÉRIQUE En janvier 2005, à l'échelle européenne,
les asp apparaissent
comme:
- marginales: 6,3 % des vols, 4,6 % des sièges offerts ou 7,9 % des paires d'aéroports, ou si l'on ne considère que les asp subventionnées, 3,6 %, 1,9 % ou 6,0 % respectivement49 ; - presque toujours domestiques (figure 1) ; la plupart des asp internationales concernent la desserte de Strasbourg, en contradiction avec les critères européens mais sans que la Commission Européenne, habituellement très stricte sur les financements publics, s'en soit plaint dans la mesure où cette offre vise directement les parlementaires européens;
- desservant surtout les périphéries de l'Europe (îles, régions reculées de différents pays du fait de la distance ou du relief et/ ou faute de systèmes ferroviaires efficaces) et la France (figure 1); en volume de sièges offerts, la France détient le record des asp subventionnées, bien que celles-ci n'y représentent que 7,5% de l'offre domestique; selon la typologie économique des régions européennes susmentionnée, 89% des sièges exploités sous le régime des asp subventionnées desservent des régions classées en type périphérique. En outre, en l'absence de politique européenne en la matière, donc de vision globale des besoins locaux de services publics, la géographie des asp n'est qu'un patchwork de visions (ou de non-intérêt) nationales. A l'échelle des États connaissant des asp, la géographie de celles-ci semble surtout le résultat d'initiatives ou de lobbyings locaux plutôt que d'une vision intégrée (Williams Pagliari 2004).
2. ENCADREMENT
INSTITUTIONNEL, DROIT EUROPÉEN ET PÉRENNITÉ:
ADAPTATION AU LE CAS FRANÇAIS
UNE FORTE TRADITION DE SOUTIEN À L'ACTIVITÉ AÉRIENNE La France a longtemps eu une importante tradition de soutien légal et financier de ses lignes domestiques et même européennes. Avant la libéralisation du ciel, le mécanisme de soutien aux liaisons aériennes était quadruple (figure 2) (Dupéron 1996, 2000) : - soutien puis protection du réseau Air Inter: en 1962, la compagnie démarre l'exploitation du réseau intérieur français sous couvert d'une
49
Calculs personnels
d'après banque de données GAG 2005 et Union Européenne.
97
exclusivité et avec l'aide de subventions de l'État et des collectivités locales; à partir de 1970, les subsides lui sont retirés et la compagnie doit pratiquer des financements croisés entre lignes rentables et non-rentables, en échange de quoi elle bénéficie d'une exclusivité (et non d'un véritable monopole de droit) sur les lignes qu'elle exploite; des conventions lient la compagnie à l'État et précisent le réseau à exploiter; cependant, la compagnie peut, sous certaines conditions (dont, à partir de 1985, sa santé financière), fermer des lignes; le réseau Air Inter est un réseau des principales villes françaises, reliées entre elles et en particulier à Paris; - pour compléter ce réseau, la DATAR gère, à partir de 1971, un fonds d'aide au démarrage de lignes domestiques et européennes; l'aide nationale fait suite à une initiative locales (collectivités locales et/ ou chambres de commerce et d'industrie [CCI]) ; si la demande est acceptée, l'aide est temporaire, dégressive et généralement complétés par les collectivités locales et CCI ; 184 liaisons ont ainsi été effectivement soutenues entre 1971 et 1989, dont 60 internationales (Villain Chappert 1990); le réseau ainsi tracé est un réseau complétant celui d'Air Inter, au profit des moyennes villes de province qui sont surtout reliées entre elles et à diverses villes européennes (Londres, Francfort, Milan, Bruxelles) ; - en outre, certaines collectivités locales compensent le caractère dégressif et limité dans le temps du mécanisme DATAR, voire financent seules l'exploitation de diverses lignes qui desservent surtout des villes ou communes moins importantes que celles aidées par la DATAR (Dinard, Vichy, Angers, La Roche); les dessertes internationales sont proportionnellement moins nombreuses et, surtout, les villes sont de moindre importance; on est ici dans un réseau de la dernière chance;
- enfin, à partir de 1979, Air Inter et Air France sont chargées de l'exploitation des services publics aériens corses de bord à bord, suite à l'inclusion du transport aérien dans le mécanisme d'aide à la continuité territoriale, compétence qui sera transférée à la collectivité territoriale de Corse en 1982. A ce titre, celle-ci utilise comme elle l'entend le fonds de continuité territoriale qu'elle reçoit de l'État. On constate donc que les collectivités locales sont impliquées de longue date et, en tout état de cause, bien avant les lois de décentralisation de 1982-83. Par collectivités locales, il faut comprendre les pouvoirs publics infranationaux au sens large car si les communes et CCI dominent, les communautés urbaines, les départements voire les régions jouent parfois également dans le processus et le financement des services publics aériens.
98
Situation
2005 des réseaux
ou liaisons
jadis protégés
Devenir
du réseau
ou subventionnés
Air Inter
de 1991
:
Ligne aband onnée Ugne exploitée
par Air France (monopole
Ligne
par
Ligne aband année
avant 1990 .........
Ligne abandonnée
après
Ob ligations de service
de fait)
et un concurrent
public subventionnée
Ligne exploitée avec obligation de service
public sans subvention
?
:
Air France
Ligne exploitée avec obligation de service
J7 Vi Devenir des lignes soutenues par la DATAR entre 1971 et 1989
exploitée
~
'\ ~
~
1990 M._.._
après 1994 pu is aba ndon ......
Ligne abandonnée avant 1990 mais à nOLNeauen service Ligne exploitée
en 1990 et en 2005
Ligne exploitée avec obligation de service public subventionnée
- ---.-
se -<)~
<7
Devenir
des lignes
soutenues par les seules entre 1971 et 1989 :
collectivités locales
Ligne abandonnée
. . . . ..
Sources:
Air Inler, DATAR et OAG
(1991).
Trailement
et caries:
F. Dobruszkes
avec
Philcarto.
Obligations
exploitée
Ligne
exploitée
Ligne
exploitée
après
1994
puis
abandon
avec
obligation
de
service
public
avec
obligation
de
service
public sans subvention
htlp:/fperso.club-intemeUr/philgeo.
Figure 2
99
de
Ugne
subventionnée
L'ADAPTATION AU NOUVEAU DECENTRALISATION
CADRE EUROPEEN ET A LA
La libéralisation du ciel européen pose inévitablement la question de l'avenir des liaisons préalablement protégées (exclusivité d'Air Inter) ou subsidiées. Le nouveau droit aérien permet, on l'a vu, des soutiens éventuels à l'exploitation, mais la forme en est renouvelée: l'aide concerne des lignes et non plus des réseaux ou des compagnies. Ceci implique immanquablement une refonte du système français, qui peut en outre être influencée par le mouvement de décentralisation (figure 3). L'évolution des soutiens français au transport
aérien
Après la libéralisation
Avant la libéralisation
U.E.
- -- - -- --------------------------d'Air
Inter
- -- - - - - - --Exclusivité
- - - - -- - - - -
Libre marché
entre
lignes
+
transferts
financiers
sur son réseau Desserte internationale de Stras bourg Corse
la
de (continuité
territoriale)
Desserte
(Affaires
Etrangères)
État
de de
Co-financement DGAC de l'exploitation (initiatives locales)
lignes de
lignes
(devenu très rare)
régionales
la
de
Corse)
de
Corse)
(Collectivité
territoriale
(continuité
territoriale)
Desserte
Corse
Desserte de la Corse (continuité territoriale) (Collectivité territoriale
de
Colle ctiv ités locale s et CCI
ou
compagnies
régionales
Financement l'exploitation
-------------
de
DATAR de lignes locales)
Financement
du lancement (initiatives
l'exploitation
Co-financement
----------------
F. Dobruszkes
Figure 3 L'exclusivité d'Air Inter sur son réseau est cassée dès avant l'application du troisième et principal « paquet» de la libéralisation européenne, par un
100
accord signé en 1990 entre la Commission européenne et l'État français en échange de la constitution du groupe Air France (voir Bonnet 1997, Folliot 1993). La péréquation entre lignes en est condamnée, car celle-ci n'est financièrement tenable que si une seule compagnie tire les bénéfices des meilleures lignes (Paris Nice, Paris Toulouse) (Pavaux 1984). Parallèlement, le principe de la subvention de lignes par l'État sur demande et initiative des collectivités locales est maintenu, sous la forme d'un Fonds de Péréquation des Transports Aériens créé en 1995 et alimenté par une taxe perçue sur tout passager embarquant en France continentale. Il se coule dans le cadre européen (qu'il restreint d'ailleurs) et n'intervient que dans un contexte de cofinancement avec les pouvoirs infranationaux. Il n'est plus dégressif ni limité dans le temps, devenant donc un soutien à l'exploitation au lieu d'une aide au démarrage. Après une mue en Fonds d'Intervention pour les Aéroports et le Transport Aérien ne changeant rien sur le fond, la compétence est depuis peu directement exercée par la Direction Générale de l' Aviation Civile (DGAC), toujours sur des bases globalement équivalentes mais financée par le budget normal de l'État. Ce mécanisme d'aide par ligne reprend, si nécessaire, le soutien aux lignes jadis protégées d'Air Inter. Les acteurs infranationaux sont globalement les mêmes qu'avant libéralisation: prédominance des communes et CCI, implication moins fréquente des départements et marginale des Régions. La décentralisation n'a donc guère incité les Régions à plus d'implication dans le soutien à l'exploitation aérienne et dans les rares cas où elles interviennent, c'est dans le cadre du cofinancement avec l'État. L'État a par ailleurs créé un mécanisme de soutien à la desserte internationale de Strasbourg, piloté et financé par les Affaires étrangères depuis 1995 pour améliorer la position européenne de la ville. Enfin, les collectivités locales peuvent toujours financer seules des lignes aériennes entrant dans le cadre légal européen, mais de tels cas sont devenus très rares (Brest - Ouessant par exemple). Le système propre à la Corse est bien entendu maintenu.
LA PÉRENNITÉ DES SERVICES PUBLICS La figure 2 montre que le réseau Air Inter, repris par Air France, a manifestement très bien traversé la perte de l'exclusivité: quasiment toutes les lignes ont été maintenues et sont aujourd'hui opérées selon le principe du libre marché, quoique Air France les exploite généralement sans concurrent (monopole de fait). Elle montre aussi que les lignes qui ont bénéficié du soutien de la DATAR ont moins bien traversé le caractère dégressif et temporaire de l'aide, puis les réalités et contraintes du libre marché; de nombreuses lignes ont disparu dès avant la libéralisation, d'autres après; certaines lignes sont passées sous le régime contemporain des obligations de service public, mais peu ont survécu jusqu'en 2005; seul un quart des lignes « ex-DATAR» sont aujourd'hui exploitées selon le libre marché, donc sans soutien public. La figure montre enfin que presque toutes les lignes soutenues par les seules collectivités locales ont disparu.
101
La hiérarchie urbaine de la France se retrouve assez bien dans la géographie des survies après disparition des soutiens publics. Cette dynamique régressive ne doit cependant pas masquer le fait que des nouveaux services publics ont été créés depuis la refonte de 1995, selon une géographie largement renouvelée, les collectivités locales semblant tirer les leçons des échecs du passé. En outre, une certaine dynamique de croissance, plus ciblée, est l'œuvre des compagnies low-cost sur des segments particuliers du marché. Parmi ces compagnies, Ryanair reçoit des collectivités locales des financements occultes et pour partie illégaux (Dobruszkes 2005).
CONCLUSION Les services publics aériens français ont traversé deux bouleversements institutionnels majeurs: la libéralisation du transport aérien par l'VE, qui transforme une liberté de soutien étatique aux réseaux et compagnies en une possibilité conditionnelle de soutien à des lignes, et la décentralisation. La libéralisation a imposé un changement des mécanismes de soutien aux liaisons non-rentables, qui fut l'occasion de repenser le système français. Le mécanisme central est devenu un cofinancement de l'exploitation État / collectivités locales (au sens large) sur la base de l'initiative locale, initiative locale qui était déjà significative dès les années 1970. Cela étant rappelé, concluons sur l' évolu tion des «services publics» aériens français50 à l'aune du triangle régulation sectorielle/ territoire/ marché. La libéralisation européenne n'y a, de ce point de vue, finalement guère bouleversé les choses. Son principal impact fut de briser l'exclusivité dont jouissait Air Inter sur son réseau, mais les concurrents sont peu montés au front. Pour le reste, le soutien à des lignes existait déjà avant la libéralisation, et les autorités locales étaient déjà impliquées en tant qu'initiatrices des soutiens éventuellement cofinancés par l'Etat. Ce dispositif a été renouvelé, mis en conformité avec le droit européen, rendu plus durable (disparition du caractère dégressif des aides DATAR) et a permis de sauver les lignes Air Inter non rentables. Malgré la décentralisation, les Régions ne se sont presque pas mêlées des services publics aériens, peut-être à cause de concurrences et « jalousies» entre villes difficiles à gérer. Les autres acteurs (Corse et Affaires Étrangères) correspondent à des cas particuliers. Une partie des évolutions institutionnelles relève de décisions franco-françaises non influencées par le droit européen. Depuis la libéralisation du transport aérien, le territoire français, ou plus précisément les grandes lignes de la géographie de la France, est globalement resté ce qu'il était. Il y a bien l'une ou l'autre ville qui a pu monter ou descendre
50
Service public étant toujours entendu au sens très large, englobant ainsi toutes les lignes qui ont été financées mais également par les pouvoirs publics.
102
simplement
protégées
de la concurrence
dans
la hiérarchie des systèmes urbains, mais le centralisme parisien demeure
une réalité telle que les réseaux entre petites villes de provinces ou entre villes de provinces et l'étranger ne répondent souvent pas à une demande suffisamment importante, même avec subsidiation des services. Ceci nous mène au dernier sommet du triangle et, selon nous, au véritable facteur qui a conduit à la disparition de nombreux services publics: le marché. Les réalités de la géographie de la demande de transport ont sonné comme un retour de balancier face à des élus locaux qui trop souvent ont voulu des lignes aériennes comme d'autres réclament des gares TGV ou des accès autoroutiers ou aménagent des zones d'activités, sous couvert de développement régional et du supposé intérêt général. Dans une telle optique, l'intérêt général est souvent plus la justification de l'intervention étatique que sa finalité. Ceci n'a pu
conduire, pour citer Lapautre (1982), qu'à des « formes dégénérées de service public ». Comment s'étonner que celles-ci n'aient guère survécu au temps? Finalement, si l'adaptation des soutiens publics français aux dessertes aériennes a posé un problème, ce fut entre la France et l'VE, la première s'étant dans un premier temps comportée en mauvaise élève, refusant de se plier à un texte européen qu'elle avait pourtant voté. Mais on ne décèle pas par ailleurs de conflits entre les échelons nationaux et locaux, pourtant monnaie courante (voir la communication de C. Halpern). Il n'y a pas non plus, pour renvoyer aux interrogations de Douillet (2005), une évolution selon laquelle le territoire supplanterait le secteur. Plus subtilement, s'agissant du transport aérien qui est par définition territorialisé et ayant pour but de relier des espaces entre eux, le territoire est ici présent comme variable structurante forte - structurant la demande de transport au même titre que l'environnement légal (conditionnant les possibilités d'action des pouvoirs publics et des compagnies).
103
2EME
PARTIE:
DANS LA BOITE A OUTILS
REDISTRIBUTION DES POUVOIRS, REDISTRIBUTION DES CARTES LA CONNAISSANCE DES TERRITOIRES, ENJEU INEDIT DE L'ACTION PUBLIQUE? Grégoire Feyt
' 1
r
Grégoire FEYT est maître de conférences à l'Institut de Géographie Alpine de Grenoble et chercheur à l'UMR PACTE. Issu de l'analyse spatiale et des systèmes d'information géographique (SIG), son itinéraire scientifique et professionnel l'a amené -à des titres et dans des contextes divers- à se concentrer sur les questions et les enjeux liés à l'émergence de la notion d'information territoriale, à l'articulation entre expertises métier et décision publique, entre technologies et usages, entre dispositifs institutionnels et initiatives locales... Courriel :
[email protected]
Appuyée sur un dispositif adnÛnistratif et technique de collecte, de nOY1nalisation et de traitement d'infornlations territoriales (statistiques et cartographiques principalenzent), la connaissance des territoires est longtemps restée une fonction exclusive -11lais néan1110ins largel11ent subalterne- de l'Etat. Depuis quelques années, la conjonction des évolutions technologiques d'une part et de la nIise en œuvre « terrain» de la décentralis{1tion et de l'intercomnlunalité d'autre part, tend à faire de la connaissance du territoire un enjeu politique autant qu'opérationnel tout à la fois pour l'Etat et pour les collectivités. Cette prise de conscience, tout C011Imeles chantiers qui l'accoI11pagnent, soulève une double interrogation en termes d'action publique et d'équilibre institutionnel: les collectivités parviendront-elles à constituer les dispositifs de connaissance transversale que l'Etat n'a pas su jusqu'alors 11zettre en place? De son côté, l'Etat parviendra-t-il à l11aintenir et faire évoluer le cadre et les 1110dalités techniques et politiques d'une appréhension supra, trans et interterritoriale ? Abstract: Historically, though held in low regard, territory knowledge used to be a state function. It 1-vas based on an adlninistrative and technical system leading to collect, standardize and treat territorial information (nwinly statistics and cartography). Nevertheless, for a few years, technological /lin progress on the first hand, and on the other hand, the the field" decentralization Ùnplementation and the expansion of intermunicipallinks tended to l11ake territory knowledge beco111ea political and operational issue for the State and the local authorities. 771is awareness and the works it brings uprises a double question: 1-vill the local authorities succeed in building the plans of transversal knowledge that the State itself couldn't build? And will the State succeed in nlaintaining and bringing necessary evolutions to the technical and political fralne of a supra, trans and interterritorial apprehension? Pendant longtenzps, la connaissance du territoire a été un attribut régalien. Au cours des décennies, c'est au travers et au moyen de dispositifs technico-administratifs normés et centralisés de collecte, de traite11zent et de rediffusion de données cartographiques, statistiques et foncières, l1Iétéorologiques que se sont forgées une pratique et une culture de caractérisation et de mesure du territoire. L'Institut Géographique National, l'INSEE, la Direction Générale des Inlpôts et bien d'autres services d'Etat au travers de leurs directions de la statistique, furent et restent des outilssupport privilégiés pour la définition de politiques publiques sectorielles ou nationales. Ce schéma :
I
républicain, cartésien et égalitaire, s'est construit et appuyé sur trois assises se renforçant: lnutuellement : une spécialisation thé111atique,un nlonopole de droit ou de fait de production ou de
I
diffusion des données, la constitution de corps professionnels.Aux collectivitésterritorialesétait
I
I
laissé le soin de produire et de gérer les données techniques nécessaires à l'exercice de leurs lnissions, en liaison parfois avec les services de l'Etat, lesquels pouvant par ailleurs se charger de centraliser et
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I
107
Dans cette configuration, l'Etat était donc seul en mesure de produire une connaissance stratégique du territoire. Cependant, comme le souligne un récent rapport (Jaillet, 2004), force est de constater que même le plus territorial des ministères n'avait jamais jugé utile de se doter formellement d'une doctrine et d'une politique de connaissance des territoires. Deux raisons au moins expliquent cette absence paradoxale de vision stratégique sur une fonction pourtant stratégique: d'une part .la technicité des approches qui, couplée à la segmentation des missions, ne favorise ni culturellement ni organisationnellement la construction d'une connaissance globale et partagée; d'autre part une posture institutionnelle somme toute assez confortable
consistant à voir le territoire
«
d'en haut» et, partant, à limiter les occasions ou
motifs de confrontation problématique entre le système de connaissance la singularité, la fractalité et l'hétérogénéité des territoires considérés.
établi et
Pour autant ce système a eu et conserve à l'évidence des vertus, ne seraitce que dans sa capacité à produire une connaissance qualitativement et quantitativement homogène sur l'ensemble des territoires (pour ne citer que cet exemple, la couverture cartographique au 1/25000 de la France n'a jamais connu les zones d'ombre de la couverture en téléphonie mobile ou en haut débit). Il a été et reste par ailleurs capable de faire évoluer en profondeur ses méthodes et de conduire aux plans scientifique et technique des avancées remarquables. Pour ne parler que des acteurs précédemment évoqués, la DG! avec la dématérialisation du cadastre, l'INSEE avec la rénovation du recensement général de la population, l'IGN avec la constitution de bases de données géographiques très élaborées ont su poser les fondements techniques des applications futures, certes en négligeant assez largement de prendre en compte l'évolution effective des pratiques et des besoins en la matière au sein des territoires. De fait, depuis une petite dizaine d'années ce modèle scienficoadministratif de production d'une connaissance territoriale unitaire et unifiée se trouve simultanément interrogé depuis l'intérieur de l'Etat, interpellé depuis l'extérieur et surtout contourné par les institutions territoriales confortées ou créées par les différentes lois de décentralisation. On se trouve ainsi face à un double mouvement qui, à l'opposé du schéma des vases communicants applicable aux transferts de compétences, tend au contraire à faire de la connaissance des territoires un enjeu simultanément pour l'Etat et pour les collectivités territoriales «montantes ». Pour ces dernières l'impératif est de disposer des capacités informationnelles requises pour assumer leurs missions sur des périmètres, des échelles et des thématiques largement inédites. Du côté de l'Etat, la culture de la prescription, de la conception et du contrôle qui avait jusqu'alors prévalu ne conférait à la connaissance sur les territoires qu'une importance subalterne: avec la redistribution des compétences opérée au profit des collectivités, la connaissance supra, inter et transterritoriale devient soudain la carte à jouer pour fonder ou conserver une légitimité technique vis-à-vis des collectivi tés locales.
108
1. L'INFORMATION TERRITORIALE AU CARREFOUR DES MUTATIONS TECHNIQUES ET ORGANISATIONNELLES Si les raisons de cette -pour l'instantdiscrète recomposition et redistribution des cartes tiennent bien entendu aux mutations institutionnelles et territoriales, la manière dont cette mutation s'opère, tout comme son influence sur l'évolution globale du système territorial, ne peuvent se comprendre sans considérer la nature même du matériau constitutif de la connaissance des territoires de plus en plus souvent désigné sous le terme d'information territoriale (Feyt, 2002), et dont proposera ici une brève caractérisation. De manière très schématique, la notion de connaissance territoriale comprend trois registres consécutifs et clairement distincts à la fois en termes de dispositif technique, de temporalité et de compétences professionnelles mobilisées:
-
la collecte
habitants, «
et la gestion
s'inscrivant
des
nécessairement
données
relatives
au territoire
dans la durée et revendiquant
ou à ses
une forme
d'objectivité scientifique» ;
- la compréhension des dynamiques territoriales, appuyée sur une capacité d'analyse et d'interprétation exercée dans le cadre d'un mandat ou d'une perspective, explicite ou non;
- la
valorisation
de cette connaissance
au service
des différents
temps des
politiques publiques territoriales: prospective, élaboration, concertation, déclinaison, suivi, évaluation, toutes tâches dans lesquelles les critères de qualité technique doivent composer avec des attendus et des « entendus» divers, voire divergents.
Tout au long de ce processus de « raffinage », le terme particulièrement ambigu d'information désigne donc à la fois: - des données ou mesures conçues comme univoques et objectives par leurs producteurs, -le produit de leur traitement ou de leur combinaison opéré dans un objectif particulier, -la démarche consistant à rendre visible et lisible ces productions Le qualificatif territorial spécifie assignant une triple capacité et vocation:
cette information protéiforme
en lui
- l'emboîtement des échelles spatiales voire temporelles, - l'articulation des thématiques, -la continuité territoriale. Implicitement le caractère territorial d'une information l'associe de facto à la chose publique et à ce titre la constitue, au moins potentiellement, comme un objet politique. Les traductions de cette qualité au plan technique sont tout sauf anodines: les étapes obligées de la création d'un système d'information que sont l'identification des inputs et de leurs propriétés (tributaires des trois points ci-
109
dessus) et des objectifs qualité assignés aux outputs (statistiques, indicateurs, cartographies) deviennent alors elles-mêmes des exercices à caractère politique51. On conçoit au passage la difficulté -dans le meilleur des cas- que peuvent ressentir des ingénieurs imprégnés d'une culture de la modélisation et du process informatiques face à des objets territoriaux et des objectifs d'action publique aux contours par nature souvent indécis. Appuyée sur la maîtrise de l'information territoriale dans ses différents registres, la connaissance des territoires requiert donc à la fois, une importante capacité opérationnelle et technique, une pérennité institutionnelle et une légitimité politique. Cette triple exigence en a donc naturellement longtemps conféré à l'Etat la quasi-exclusivité. Cependant, indépendamment somme toute de l'impact des mutations territoriales déjà évoquées et sur lesquelles on reviendra, cette prééminence fonctionnelle s'est trouvée ébranlée par un phénomène d'une toute autre nature: le développement et la diffusion des technologies de l'information, très rapide à l'échelle du sujet considéré, qui a et continue d'intersecter et de modifier en profondeur et parfois brutalement les fonctionnements et rôles établis.
La fréquente conjonction d'une stratégie de
«
chasse gardée}) de la part
des directions informatiques ou techniques et d'un manque d'expertise et d'intérêt en la matière de la part des décideurs administratifs et politiques explique que la prise de conscience des effets et des enjeux de la dématérialisation de l'information territoriale n'en soit en règle générale qu'à ses prémisses. On en retiendra rapidement ici quelques aspects. La dématérialisation, c'est-à-dire l'intégration sous une même forme (une suite de 1 et de 0) dans un même environnement (un ordinateur ou un réseau informatique) d'informations distinctes de par leur nature (texte, image, carte, son) ou leur support (papier, diapositive, plan, bande magnétique) a introduit deux modifications majeures dans leur statut: - la reprod uctibili té, et donc la possibilité (susceptible obligation) de les diffuser largement et à un coût marginal;
se transformer
en
- la «confrontabilité », autrement dit la capacité (susceptible se transformer en impératif) de combiner, de juxtaposer ou de situer dans l'espace des informations jusqu'alors physiquement éparses et distinctes. Combinée à la généralisation de l'informatique et des bases de données dans l'ensemble des niveaux et des fonctions territoriales, cette double révolution technique et méthodologique ouvre la porte à la mise en regard ou en correspondance parfois très ou trop crue de problématiques sectorielles et territoriales jusqu'alors disjointes. A l'évidence le caractère parfois dérangeant cette vertu combinatoire explique en partie la diffusion somme toute assez
51
Cette difficulté d'instrumenter politique publique,
informatiquement les tenants et aboutissants d'une
tout comme son corollaire naturel qu'est
«
l'instrumentalisation
l'instrument», trouve d'ailleurs une illustration parfaite dans l'article du ouvrage analysant l'usage en région Midi-Pyrénées d'un logiciel spécifiquement pour gérer « collaborativement» les fonds structurels (Marchand, 2006).
110
de
présent conçu
poussive des systèmes d'information géographique (SIG) au sein des institutions territoriales, surtout si on la compare à la généralisation d'autres outils logiciels pourtant apparus postérieurement (Roche, 2004). On se s'attardera pas davantage sur la dimension technologique de l'information territoriale et ses effets sur la manière dont se construit la connaissance des territoires. Comme le souligne plus globalement Hélène Reigner (dans le présent ouvrage) en plaidant pour une prise en compte plus systématique et approfondie de la dimension technique des objets de recherche en science politique, il y a là à l'évidence un vrai champ de recherche dans la mesure où cette évolution diffuse et générale révèle incidemment la manière dont, dans l'intimité de ses bases de données locales ou métier, chacune des institu tions conçoit le territoire et ses missions. L'enjeu très concret et très actuel est de savoir si la révélation de ces différences de points de vue sur le territoire grâce ou à cause du langage frustre mais commun qu'impose l'informatisation généralisée se résoudra «par le bas» dans un cloisonnement renforcé et relégitimé par des considérations technologiques plus ou moins recevable, ou «
par le haut» en s'appuyant sur les ressources inédites offertes pour construire
une
«
couche supérieure»
qui n'est ni plus ni moins que l'information territoriale.
Ces facettes très différentes de l'information territoriale permettent de mieux comprendre pourquoi le déplacement ou le partage de connaissances qui aurait dû se produire avec le processus de décentralisation et de recomposition territoriale non seulement peine à s'effectuer mais tend à révéler de façon somme toute assez brusque des lacunes, écueils ou angles morts jusque là
insoupçonnés, occultés ou « indolores ». Les organisations, comme les individus, ont souvent tendance à conduire les mutations de façon séquentielle. Dans le processus de décentralisation et de consolidation de l'intercommunalité, les questions ont été traitées d'abord au plan politique, puis législatif, administratif et organisationnel. Au delà de ce schéma certes caricatural, force est de constater que la problématique de la construction d'une connaissance territoriale en rapport avec les missions ne s'est souvent posée voire imposée « qu'au pied du mur» face à la nécessité fonctionnelle ou politique de disposer d'un nouveau référentiel territorial. Les collectivités territoriales comme les ministères « territoriaux» ont ainsi pris conscience, souvent séparément mais parfois conjointement, du caractère non plus seulement technique et subalterne mais également politique et stratégique des dispositifs de connaissance et de partage de connaissance sur le territoire.
2. L'ÉTAT ET LA CONNAISSANCE L'ENJEU RETROUVE
DES TERRITOIRES.
Cette prise de conscience s'est forcément effectuée de manière différente pour les services de l'Etat et pour les différents niveaux de collectivités.
111
Ayant largement perdu son rôle d'aménageur, l'Etat a conservé dans son rapport avec les territoires et leurs représentants trois domaines de légitimité (Jaillet 2004) : - la gestion des risques et la préservation des espaces sensibles pour lesquelles s'impose la maîtrise de données à caractère scientifique et technique en adéquation avec sa culture réglementaire et d'ingénierie; - dans les espaces en déclin, principalement ruraux, un rôle de soutien, de conseil et d'expertise pour l'exercice duquel il doit disposer de la connaissance opérationnelle que ces territoires ne sont pas en mesure de produire;
- dans bon nombre de territoires « montants », une mission d'ensemblier légitime et apte à produire un regard transversal et prospectif qui surmonte dans le temps et dans l'espace les points de vue locaux, et ce en s'appuyant sur une connaissance territoriale présentant non seulement une forte valeur ajoutée mais de surcroît articulée ou articulable avec la connaissance territoriale en cours de construction chez ses interlocu teurs. Dans tous les cas de figure, la question de la connaissance devient donc centrale, ce qui était loin d'être le cas du temps de l'Etat prescripteur. La légitimité de l'Etat à prendre ou à garder sa place dans le débat sur la définition des politiques publiques locales, voire dans la déclinaison des politiques nationales, réside donc désormais dans son patrimoine informationnel et sa capacité à le mobiliser et en réalité à la partager. Cette prise de conscience52 des enjeux informationnels s'est accompagnée d'une reconnaissance, voire d'une (re)découverte des ressources internes disponibles, mais également de la mise en évidence d'un certain nombre de handicaps structurels. Ceux-ci trouvent leur origine dans un système de valeurs et des modes de fonctionnement déjà évoqués: une culture dominante de la conception ou de l'instruction qui n'a jamais valorisé l'expertise transversale, une tendance à la rétention d'information pouvant notamment s'expliquer par des réticences à mettre en évidence des disparités territoriales ou des imperfections dans les données; à ces causes culturelles peuvent également s'ajouter des contraintes fonctionnelles comme celle faite à l'Institut Géographique National de réaliser, à peu de chose
près avec les mêmes produits et les mêmes
«
clients-usagers », un grand écart
permanent entre des missions de service public et un impératif commerciale (Lubek 2005).
de rentabilité
Les initiatives déjà engagées par plusieurs ministères, tout comme les préconisations faites pour l'Equipement dans un récent rapport (Giblin 2006), témoignent d'une mutation profonde à défaut d'être encore effective: développement et valorisation des compétences relevant des sciences sociales et de leurs outils, diffusion et partage de l'information, développement des capacités de débat, production de diagnostic partagé, meilleure exploitation des ressources de l'internet... Le virage est annoncé sinon amorcé mais l'issue n'en est pas encore assurée. De ce point de vue l'injonction faite au début des années 2000 aux préfectures de mettre en place un système d'information territorial visant 52 Plus ou moins récente suivant les ministères territoriaux: engagée depuis plusieurs années à l'Environnement, en cours à l'Equi pement, récurrente à l' Agriculture. . .
112
à la constitution d'un référentiel commun et d'un dispositif de partage d'information entre les services déconcentrés de l'Etat dans un premier temps et au-delà avec les collectivités, s'est soldé par un bilan plus que mitigé et surtout extrêmement variable d'un département à l'autre.
3. LES
COLLECTIVITES ET LA CONNAISSANCE DES TERRITOI~ES : L'ENJEU DECOUVERT
De leur côté, les collectivités territoriales se trouvent confrontées aux enjeux et injonctions de la connaissance du territoire dans des registres et des perspectives distinctes mais parfois concomitantes voire concurrentielles avec celles de l'Etat. Le premier volet procède de la vocation fonctionnelle assignée à la connaissance territoriale. Confrontés à la nécessité de disposer d'une vision opérationnelle sur l'intégralité de leur périmètre spatial et thématique, les EPCI ont rapidement réalisé que le « recollement» de données communales (quand elles' existaient) ne produisait pas naturellement une connaissance d'un territoire intercommunal. La construction d'un référentiel territorial s'impose donc progressivement comme une démarche transversale obligée allant de pair avec d'une part, la constitution d'une culture technique intercommunale, et d'autre part, vis-à-vis des élus et habitants, la production d'une représentation à la fois physique et mentale d'un territoire qui, s'il est bien une réalité administrative et fonctionnelle, reste encore souvent un espace abstrait au plan cognitif et affectif. La deuxième motivation est d'ordre stratégique et concerne de ce fait plutôt les aires urbaines. C'est notamment le cas des grandes agglomérations conduites à assumer ou afficher une vocation métropolitaine: fatalement amenées à se doter de capacités de connaissance et de représentation débordant très largement leur périmètre administratif, elles revendiquent alors implicitement une légitimité à se doter d'une expertise transterritoriale, jusqu'alors apanage de l'Etat. De par sa dimension identitaire et fédérative, le dernier registre est plus particulièrement investi par les Régions ainsi que, dans une moindre mesure, les départements et plus rarement -surtout faute de moyens suffisantsles territoires de projet du type pays, Leader voire PNR. L'enjeu est en l'occurrence moins fonctionnel que politique et symbolique: la connaissance territoriale est d'abord abordée dans sa dimension de construction collective par la mise en place et l'animation de dispositifs partenariaux très œcuméniques se donnant comme objectif la constitution d'un référentiel unique et commun, l'échange ou la mutualisation de données, et plus si entente au travers, par exemple, de plateformes thématiques ou de portails locaux. Ce faisant, les institutions initiatrices se positionnent astucieusement et efficacement à un niveau transterritorial et trans-thématique, en lien parfois avec des services de l'Etat, mais en
113
tout état de cause sur un champ que l'Etat en région n'a pas su fertiliser alors qu'il en avait les moyens politiques et matériels53. De manière plus générale et valable pour l'ensemble des territoires, cette émergence de la connaissance territoriale en tant qu'enjeu technique, identitaire et stratégique est à mettre en regard de la constitution et de l'affirmation progressive d'une ingénierie territoriale assumant -à défaut de toujours pouvoir assurer- les différentes postures et pratiques professionnelles requises par l'action et la complexité territoriales (voir la contribution de Pierre-Antoine Landel dans le présent ouvrage). De fait les attendus exprimés par les employeurs territoriaux en termes de compétences renvoient de plus en plus souvent et clairement à la maîtrise et à l'articulation des trois registres précédemment évoqués d'usage de l'information territoriale. Sans mettre le moins du monde en cause les impératifs fonctionnels justifiant cette exigence au plan professionnel, il convient et il conviendra de s'interroger sur les incidences politiques d'un mouvement naissant, fortement stimulé par le développement des TIC, et visant à faire coproduire par les acteurs locaux une représentation et une connaissance du territoire par et pour lui-même54. La connaissance des territoires relève d'un processus d'accumulation, d'agrégation et d'acculturation de longue haleine. L'ère d'une connaissance «par le haut» ne servant que très marginalement à définir des politiques publiques marquées avant tout au sceau d'une doctrine générique est en pratique révolue. Parce que leurs missions leur en font obligation mais également parce que les évolutions technologiques et commerciales leur en donnent la possibilité, les collectivités territoriales sont en train de construire leur connaissance sur leur territoire. On peut espérer que l'information territoriale produite privilégiera une transversalité et une évolutivité des approches que le système régalien et normé n'a jamais vraiment autorisé. Paradoxalement la question de la place et du rôle de l'Etat en la matière reste pourtant plus centrale que jamais. En effet les conséquences d'un éventuel effacement de l'Etat dans la production d'une connaissance des territoires seraient extrêmement préoccupantes en matière d'articulation cettes fois géographique et non plus sectorielle des politiques publiques. Passer d'un puzzle un peu terne mais globalement cohérent à un patchwork bigarré et passablement ajouré ne constituerait pas forcément un progrès notable. Pour conjurer ce risque de balkanisation de la connaissance territoriale, il n'y pas pour l'instant de réelle subsidiarité à attendre du côté de la Communauté européenne. En effet, face à la diversité et à la disparité des dispositifs institutionnels et techniques historiquement mis en place dans la plupart des pays européens55, la Commission européenne a choisi au travers de la directive 53 En juin 2005 s'est tenu la 1ère rencontre sur les initiatives régionales en matière d'information territoriale regroupant une quinzaine de régions françaises: http:/ \v\v\:v.afigeo.asso.fr / 54Le succès croissant de Google Earth et de ses avatars ou concurrents tient avant tout à la possibilité offerte à tout un chacun de « poser» sur le socle neutre fourni n'importe quel type d'information ou de représentation référée au territoire. 55 On trouvera sur le site www.ec-gis.org/ ginie/ les résultats du programme de recherche GINIE (Geographical Information Network In Europe, achevé en 2004)
114
INSPlRE56 de privilégier la constitution d'une infrastructure de données visant à éliminer les obstacles à l'utilisation et à l'échange d'informations géographiques, et ce en imposant uniquement des règles d'interopérabilité technique aux systèmes nationaux pré-existants. A ce stade, l'Etat est donc encore et toujours nécessaire et attendu pour assurer ce que personne d'autre ne fera à sa place en termes de connaissance inter-régionale, d'articulation et de médiation des échelles, de couverture des espaces flous ou marginaux...
comportant une analyse comparative des systèmes de production l'information géographique aux niveaux européen et international. 56Infrastructure for Spatial InfoRmation in Europe, 2004.
115
et de diffusion
de
ENTRE POLITIQUE PUBLIQUE ET ACTION PUBLIQUE: L'INGENIERIE TERRITORIALE Pierre-Antoine Landel Ingénieur en agriculture, spécialisé en économie, Pierre-Antoine Landel a exercé durant 20 ans différentes fonctions d'encadrement dans les collectivités territoriales. En 2000, il a rejoint l'Université, en tant qu'enseignant chercheur intervenant dans le champ de l'économie territoriale. Il est actuellement Maître de Conférence à l'Institut de Géographie Alpine au PACTE-Territoires. Ses travaux portent sur les modes de construction et de valorisation des ressources des territoires. Courriel :
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Résumé
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i La territorialisation des politiques publiques est accompagnée de l'émergence de I
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l'ingénierie territoriale. Sont mises en avant des exigences de transversalité, d'aptitude à la médiation entre des acteurs multiples et de connaissance des systèmes de normes générés par chacune des institutions. Elles s'inscrivent dans des processus de constructions de projets de territoires dominés par des relations de compétition. L'ingénierie territoriale ne trouve son sens que lorsque les acteurs dépassent ces relations, pour résulter de processus de capitalisation et permettre la production de l'action publique.
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The territorialisation of the public policies is accompanied with the emergence of the territorial engineering. The requirements of capacity in the mediation between multiple actors and knowledge of the systems of standards generated by each of the institutions are advanced. They join processes of constructions of territories projects dominated by relations of competition. The territorial engineering finds good direction only when the actors exceed these relations, to result from process of capitalization and allow the production of the public action.
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117
règles «
L'ingénierie territoriale de fonctionnement
introduit dans les collectivités territoriales gestionnaires révélatrices d'une quête
des de
compétitivité ». Le principe de distinction tend à devenir un des facteurs
prépondérants de l'organisation de l'espace. En résulte une fragmentation des territoires, à l'image d'une marqueterie qui paverait l'ensemble de l'espace national. On peut toutefois s'interroger sur les logiques qu'elle révèle du point de vue de la production des biens collectifs. Malgré la diversité des modèles, notre hypothèse est que ce mode de management s'inscrit dans le mouvement général de mise en concurrence des territoires, au travers d'un processus de marquage par la mobilisation de ressources et de production de modes d'organisations spécifiques. La question posée porte sur le sens de ce double processus d'ancrage territorial des activités, mais aussi de technicisation qui accompagne la territorialisation des politiques publiques. Cette évolution transforme le système de représentation locale en diluant la dimension politique de la société dans des jeux d'acteurs complexes. Deux étapes marqueront notre réflexion: l'observation du passage de l'ingénierie publique à l'ingénierie territoriale, puis un essai de caractérisation de cette dernière. En conclusion, nous nous interrogerons sur les conditions dans lesquelles cette ingénierie accompagne le passage de la politique publique à l'action publique.
1. DE L"INGENIERIE PUBLIQUE A L"INGENIERIE TERRITORIALE Parmi les disciplines d'application des politiques publiques, l'ingénierie publique occupe une place importante. Après des décennies de mise en place, qui ont abouti à la construction de corps administratifs stables, la décentralisation a été l'occasion d'une mutation qui aboutit à l'ingénierie territoriale. Chacune des phases a été l'occasion d'une production de référentiels, superposés avec des intensités variables selon les collectivités.
UNE MARQUE DE FABRIQUE:
L'INGENIERIE PUBLIQUE
L'ingénierie publique s'est développée en parallèle au développement des besoins de l'Etat et des collectivités territoriales. Dominée par des objectifs de services publics, elle repose sur des corps de l'Etat, organisées selon des postures professionnelles hiérarchisées et homogènes. L'objectif est de répondre à des impératifs de planification et d'aménagement définis à un niveau central. A partir de 1982, l'installation des nouveaux exécutifs régionaux départementaux est marquée par la mobilisation de moyens humains financiers. Au départ, la référence reste celle d'un positionnement vis à vis services de l'Etat. Elle s'exprime au travers des modes d'organisation services et de recrutement des cadres (Thibault de Silguy 2003). Elle traduit approche de la décentralisation conçue comme un essai de fractionnement 118
ou et des des une de
compétences, exercées par des collectivités intervenant sur des territoires clairement délimités, sur lesquels s'affirme une autorité. Dans le principe, il n'y pas d'interrelation entre les différents niveaux de compétences (Calame 2003).
LA PERTE DE SENS ET LA PRODUCTION
DE NORMES
Au-delà de l'explicite identifiable au travers des lois et décrets, la pratique met en évidence une impossibilité à partager les compétences de façon claire. A partir de 1985, le principe de spécialisation se dilue. Le développement des politiques régionales européennes incite chaque niveau de compétence à jouer sur le champ des autres de manière directe ou indirecte. Se pose alors la question du sens des politiques locales et de l'articulation entre les différents niveaux d'intervention. En réponse à la confusion des rôles, les collectivités développent des modes d'agir spécifiques, qui se traduisent par la multiplication de règles et de normes. L'identité de la collectivité est de plus en plus délicate à entrevoir au travers de effets directs de son action sur les territoires. En complément du rôle du discours, Hélène Reigner (dans le présent ouvrage) met en avant les dimensions techniques de l'action. Les collecti vi tés vont se différencier par les modalités de leurs interventions tout au long du processus de production des services collectifs. Les formes en sont évolutives. Elles peuvent être d'ordre réglementaire, organisationnelle et financière. Ainsi Xavier Marchand- Tonel et Vincent Simoulin montrent-ils (dans le présent ouvrage) comment l'introduction d'un logiciel de gestion dans la gestion des fonds européens favorisait une redéfinition du champ des acteurs dans le processus du développement régional.
LE DEVELOPPEMENT DE L'OMNIPRESENCE
DE PARTENARIATS DU PROJET
AU SERVICE
La notion de projet articule la définition d'objectifs à la mobilisation des ressources permettant de les atteindre (Boutinet 2001). Elle reflète la capacité des territoires à proposer des modes d'organisation différenciés au travers d'une individualisation des parcours et d'une spécification des ressources. En cela, le projet s'inscrit dans le mouvement de mise en compétition des territoires. Le projet implique un contenu spécifique, non reproductible d'un territoire à un autre du fait de l'organisation qui le porte et des différentes temporalités qui les caractérisent (Garel 2003). La multiplication des conventionnements entre des partenaires de nature très diverses (Etat, collectivités, associations, entreprises) illustre cette façon d'agir commune. L'ingénierie permet de poser la question du positionnement des acteurs tout au long du cycle de l'action publique territorialisée : l'identification de la demande sociale, la mise à l'agenda de cette demande, la définition des objectifs, l'adéquation avec les moyens permettant de les atteindre, la recherche de partenariats, la réalisation en conformité aux normes budgétaires, réglementaires et temporelles, l'évaluation, constituent autant de champs possibles d'intervention de cette expertise. A côté de la permanence de logiques
119
de service, la logique de projets s'impose comme le référent essentiel. L'agent territorial y trouve l'opportunité d'afficher une spécificité au regard de l'agent de l'Etat. Il y construit aussi une possibilité de positionnement par rapport aux élus.
LA SPECIFICITE DES PROJETS DE TERRITOIRE Ils apparaissent comme des constructions d'acteurs multiples, qu'ils soient publics et privés, sur un espace donné doté de ressources spécifiques, le plus souvent en réponse à un ou des problèmes (Pecqueur 2000). Ces ressources résultent d'un processus de construction permanent, en opposition à «d'hypothétiques ressources, traditions et savoir-faire ancestraux, quasiment fixés par la nature» (Brunet 2005). La construction des territoires de projets pose des problèmes inédits, en termes de gouvernance au sens de l'organisation et de la répartition des responsabilités entre les acteurs. Emerge un nouveau mode d'action: celui que développe un acteur coordinateur dont la compétence résulte plus d'une capacité à coordonner des normes hétérogènes que d'une autorité réelle. Doté de cette ressource, les porteurs du projet de territoire acquièrent une légitimité à contractualiser avec différents intervenants. La terminologie émergente est celle de la médiation. La démarche est peu à peu affinée, au travers de la définition du projet de territoire, pour laquelle quatre types de compétences sont identifiées: le diagnostic de territoire, la prospective territoriale, la contractualisation et l'évaluation. De multiples représentations mettent en évidence la complexité de ces constructions territoriales (Debarbieux Vanier 2002a). Au-delà des considérations techniques, Grégoire Feyt souligne (dans le présent ouvrage) l'importance stratégique de la maîtrise du diagnostic. Le questionnement principal se stabilise autour des relations entre l'expérience et la connaissance dans le champ du développement local et de l'ingénierie territoriale. Les deux termes sont considérés comme étroitement liés, indispensables l'un à l'autre. Pourtant, l'expérience cumulée par les élus, techniciens et autres acteurs ne fait pas une connaissance transmissible. Si la formalisation des expériences est indispensable pour la construction et le renouvellement des équipes, la formation des agents de développement territoriaux, la compréhension des problèmes liés à la territorialisation des politiques, chacune d'entre elles reste inscrite sur des espaces donnés, et résulte d'un jeu d'acteurs spécifique. En parallèle, la recherche sur le territoire se développe, tout en restant confrontée à l'exigence de transdisciplinarité qu'elle impose. En proposant le champ de la capitalisation, comme processus permettant la confrontation entre acteurs, nous posons l'hypothèse que la construction de l'ingénierie territoriale nécessite de dépasser les relations de compétition qui existent entre eux (Sebillotte 2000).
120
2. UN PROCESSUS DE CAPIT ALISAYION D'après une étude réalisée auprès d'acteurs, de prescripteurs et de chercheurs, (INDL-DIACT, 2006) le terme d'ingénierie territoriale apparaît « officiellement» lors d'un Comité Interministériel pour l'Aménagement et le Développement des Territoires (CIADT), en septembre 2003. Elle y est définie comme «l'ensemble des savoir-faire professionnels dont ont besoin les collectivités publiques et les acteurs locaux pour conduire le développement territorial ou l'aménagement durable des territoires» et complétée par « l'ensemble des concepts, outils et dispositifs mis à la disposition des acteurs du territoire pour accompagner la conception, la réalisation et l'évaluation de leurs projets de territoire». L'ingénierie territoriale résulte d'un processus d'apprentissage réciproque et de construction propre à chaque territoire, en fonction de l'ancienneté de l'organisation des acteurs et de l'accumulation de connaissances établies sur ces territoires. Elle répond de façon différenciée et spécifique à des problèmes de natures très différentes posés à une multitude d'échelles. Pour répondre à la complexité, elle doit intégrer des dimensions d'incertitude, de hasard,
d'imprécision. En opposition aux corps constitués, elle est le fait de « postures professionnelles d'intentionnalités
éclatées» au sein de structures diverses (Gumuchian et al. 2003).
multiples,
porteurs
DES ACTEURS MULTIPLES Au regard de ces approches, l'ingénierie territoriale est difficile à caractériser. Si quelques points la rapprochent de l'expertise, au sens où elle est portée par des acteurs issus de champs très divers, sa production ne résulte pas d'une commande précise. Elle résulte d'un processus de capitalisation, partant certes de l'expérience, mais intégré dans un processus de transformation nécessitant réflexion et débats contradictoires. Le terme le plus souvent rencontré est celui de coconstruction plutôt que celui de commande, et traduit à nouveau cette absence de hiérarchie entre les acteurs. En effet, si les acteurs publics conservent par définition leur légitimité à produire de la politique publique, le désengagement de l'Etat induit des recompositions rapides. En France, et dans nombre de pays développés, l'Etat, voire les échelons supranationaux tels que l'Union européenne accompagnent un mouvement d'élargissement de l'action publique. Ces dynamiques devraient engendrer une multitude de trajectoires. En fait, l'observation des projets de territoire mis en place au niveau culturel dans le cadre de la procédure Leader + (Landel Teillet 2003) met en évidence une relative homogénéité des projets, en affirmant la suprématie des approches patrimoniales. Cette observation pose la question de la capacité réelle des territoires à innover dans la construction des projets.
121
LA QUESTION CENTRALE DE L'AUTONOMIE
TERRITORIALE
Les territoires sont bridés par des "points de passage obligés" tels que la compétitivité territoriale, le développement durable, la bonne gouvernance, l'égalité hommes femmes ou la démocratie participative. Ils résultent d'injonctions secrétées par d'autres niveaux de compétences, qui les instituent en tant que norme d'accompagnement de tout projet de territoire. Malgré les bonnes intentions, en normalisant et en institutionnalisant les pratiques, l'action publique réduit les possibilités positives de ces concepts ou crée les conditions de leur contournement, à la fois par les porteurs de projets, mais aussi par les institutions qui ont secrété ces normes. Le discours sur le projet de territoire amène à poser la question de la capacité des acteurs à participer à un projet, au travers duquel ils pourront faire preuve d'une autonomie suffisante pour leur permettre de mobiliser des ressources spécifiques au territoire. En ce sens, les valeurs recherchées seront celles de l'autonomie et de la liberté de développement. La notion d'autonomie territoriale reste délicate à aborder, et différentes approches mettent en avant l'autonomie financière et politique. La première s'apprécie au regard du degré de dépendance financière vis-à-vis d'autres collectivités dans la définition et la mise en œuvre de projets. Le second dépend de la capacité pour un territoire à coordonner des acteurs externes autour d'un projet clairement identifié. Devant la multiplication des centres de décision, la complexité des procédures, et la volonté d'expression portée par des acteurs multiples, émerge la notion d'action politique locale, aux contours plus flous. Ce mouvement est celui des acteurs territoriaux, qui inscrivent leur développement dans des logiques de spécification de leurs produits sur les marchés, afin d'échapper aux conséquences des concurrences par les prix. Ce faisant, ils vont construire des liens au territoire et construire des stratégies transversales, avec d'autres acteurs et d' au tres produits. Ainsi, il y a une sorte de débordement de la politique publique qui ne peut plus être le fait unique du pouvoir public, avec des investissements de producteurs privés qui comprennent l'obligation de sortir des logiques de compétition. La nécessité de développer des formes d'ancrage aux territoires, permettant d'échapper aux formes classiques de concurrence par les prix, incite nombre de nouveaux acteurs à participer à la production de l'action publique territorialisée. L'ingénierie territoriale est un des opérateurs de cette transformation.
122
L.EVALUATION
ENTRE OPPORTUNITE ET EFFETS
Nicolas Matyjasik
& Ludovic Méasson
Nicolas Matyjasik est doctorant au CNRS-CERVL (Bordeaux). Il mène un travail de thèse sous la direction d'Andy Smith, consacré à l'institutionnalisation de l'évaluation au niveau local. Ses champs de recherche portent plus généralement sur l'analyse des politiques publiques et leur évaluation. Courriel : m.atyiasik.nicolas@\vanadoo.fr Ludovic Méasson est doctorant à l'UMR PACTE-Territoires (Grenoble). Sous la codirection d'Olivier Soubeyran (géographie) et d'Alain Faure (science politique), il réalise une thèse sur l'évolution de la relation entre territoire et action publique et s'interroge sur ses modalités d'évaluation. Courriel :
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:éS;a:~r des années 90, les dispositifs d'évaluation des politiques publiques se son t multipliés en France, notamment en matière d'action publique territoriale. Dans ce cadre, la réalisation de l'exercice évaluatif est principalement confiée à des acteurs privés, les cabinets de conseil. Ces derniers proposent aux collectivités locales une approche de l'évaluation dont ["adéquation avec la nouvelle donne territoriale n'est pas évidente. Après
avoir mis en exergue la création d'une
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industrie évaluative» et ses composantes,cet
article se propose d'analyser la dichotomie entre les normes véhiculées par les professionnels de la consultance et les évolutions de ['action publique territoriale. Abs tract Evaluations of public policy have multiplied in France since the 90's, in particular ones related to territorial public action. In this respect, the execution of evaluations task is mainly entrusted to the private sector, i.e. the consultancy firms. These firms offer local authorities an evaluation approach in which does not necessarily fit with the new territorial order. After highlighting the creation of the «evaluative industry» and its components, this article proposes an analysis of the dichotomies between the norms developed by consultancy professionals and the evolution of territorial public action. ................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
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Les tendances actuelles de l'analyse des politiques publiques mettent en avant la place de nouveaux acteurs notamment les experts (Dumoulin La Branche 2005) intervenant de manière de plus en plus prégnante dans les processus de fabrication et de mise en œuvre des politiques publiques. Néanmoins, la place de ceux-ci dans la dernière phase traditionnelle d'une politique publique, l'évaluation, reste peu connue. L'évaluation de l'action publique locale apparaît aujourd'hui, selon Pascal Laborier et Daniel Gaxie, principalement confiée à des cabinets de consultants
privés qui
«
sont souvent placés sous la dépendance commerciale du donneur
d'ordre» et qui dans un souci de rapidité et de rentabilité (contraintes économiques) se contentent d'études relativement sommaires (Gaxie Laborier 2003, p. 211). Pour autant, l'introspection du monde évaluatif local reste en suspens et peu de travaux ont exploré le rôle des chargés d'évaluation externeS7 dans le mécanisme. Ainsi, l'origine de notre réflexion réside dans la conviction profonde que les consultants en évaluation (et plus globalement les cabinets de conseil) possèdent une responsabilité importante dans l'exercice évalua tif nonobstant la relation contractuelle, marchande, qui les noue aux commanditaires. Quelle est alors la capacité des consultants à faire circuler des idées qui iraient transformer les croyances et les pratiques évaluatives dans les collectivités publiques? Quelle est l'influence normative de l'évaluation sur les politiques publiques dans leur conception et leur conduite? Ces questions
s'inscrivent dans une perspective de type
«
knowledge of », entendue comme
une posture qui s'attache à analyser comment les normes, les théories véhiculées par les experts affectent les politiques publiques (Saint Martin 2004, p.209). Cette approche postule que les instruments de l'action publique ne sont pas «
axiologiquement neutres» (Lascoumes Le Galès 2004, p.13).
Nous orienterons notre contribution autour de deux axes principaux. Dans un premier temps, nous caractériserons le développement d'un espace du conseil en évaluation des politiques locales puis, dans un second temps, nous opérerons une lecture de la vision évaluative des consultants en évaluation.
LA CONSULTANCE EN EVALUATION: STRUCTURATION ET EMERGENCE D'UN SA VOIR-EXPERT L'émergence de savoirs experts ne peut pas être étudiée indépendamment des évolutions des groupes sociaux et des institutions qui en sont porteurs.
57
Notons à titre liminaire que nous entendons par chargé d'évaluation externe, la personne qui réalise les travaux d'évaluation sur la base du cahier des charges établis par les commanditaires. Selon nous, dans le cadre des évaluations des politiques locales, le chargé d'évaluation externe est caractérisé principalement par les traits du consul tant privé.
124
Ainsi, il convient de mettre en exergue le fait que l'action publique a défini en grande partie l'étendue et la nature du mandat assigné aux consultants en évaluation. Processus de décentralisation, transfert de pouvoir vers le local, enchevêtrement des niveaux de compétence, croissance des interventions publiques, poids grandissant des collectivités locales, mouvement de rationalisation du secteur public ont, de manière cumulative, suscité une demande évaluation au sein de l'administration territoriale et par voie de fait contribué à la constitution d'un nouveau marché d'expertise.
DES TENTATIVES
DE REPONSES
Mentionnons ici le fait que l'évaluation est apparue et s'est développée en pr~n;ïer ~ieu so~s le poi...d~des contrain~es ju~idi~ues, des textes réglementaires qUII ont Imposee aux decldeurs et fonctionnaIres 8. Par exemple, la circulaire du 25 août 2000, dite "circulaire Jospin", rend obligatoire l'évaluation dans les procédures contractuelles (contrat de pays, d'agglomérations, Parcs Naturels Régionaux, etc). Néanmoins, un semblant de culture évaluative (véritable socialisation ou besoin ?), fruit des dynamiques engendrées, tend aujourd'hui à se mettre en place. En effet, les différents acteurs de l'action publique
tentent de trouver des
moyens pour gérer, organiser, piloter cette complexité croissante, ce sfumato territorial
et à en améliorer la cohérence. L'évaluation
est justement
présentée
comme un outil permettant de rendre « visible» et « lisible» l'action des pouvoirs publics. En somme, plus l'environnement est incertain et instable, plus l'évaluation est utile (Monnier 1992). D'ailleurs, certains voient même à travers
l'échelon territorial le champ d'action approprié de l'évaluation « car c'est à ce niveau que peuvent être appréhendés les résultats des actions publiques» (Lamarque 2004, p. 81). Ces différents arguments expliquent au moins formellement pourquoi l'évaluation est de plus en plus mobilisée, soit de manière spontanée, soit parce qu'imposée dans le règlement des politiques publiques. Face à ces besoins des élus et de l'administration, un espace du conseil en évaluation a progressivement émergé depuis les années 80. Une dynamique de l'offre a donc répondu à cette dynamique de la demande. Pour les cabinets de conseil, l'évaluation constitue alors un marché en pleine expansion, comme le concède Reinhard Angelmar qui estime que « l'évaluation n'est pas seulement une idée, mais aussi une véritable industrie» (Angelmar 1984, p. 115). Se greffant sur les activités traditionnelles de conseil auprès du secteur public (apparues dès les années 60), les cabinets de conseil ont investi la brèche entrouverte.
Précisons cependant que ce schéma unilatéral
«
une demande engendrant
une offre» est quelque peu réducteur. En effet, il apparaît que certains cabinets, pionniers en matière évaluative ont trouvé les ressources nécessaires (réseaux,
58
Malgré toutefois des initiatives « spontanées» au début des années 90 (Horaist 1992).
125
en région
et dans
les conseils
généraux
innovations méthodologiques) collectivi tés.
pour
susciter
une
demande
Cette situation évaluative constitue t-elle alors seulement d'une conjoncture 1990, p. 549) ?
problématique
et d'un savoir spécialisé»
UN PREMIER VISAGE DE L'INDUSTRIE
de «
certaines
la rencontre
(Restier-Melleray
DU CONSULTING
Les conditions de développement d'un marché étant brièvement exposées, nous proposerons ici un rapide panorama des cabinets intervenant dans le champ de l'évaluation des politiques publiques59. En France, les frontières du marché de l'évaluation demeure encore assez floues en raison d'un marché de création récente et fragmenté mais assez concurrentiel. Au total, près de 150 cabinets de conseil interviennent sur la scène évaluative. Concentrés principalement dans la région parisienne (une cinquantaine de structures) et en Rhône-Alpes (une vingtaine de cabinets), les firmes de conseil ne semblent pas avoir pour principale activité la réalisation d'évaluation. Ainsi, seulement une minorité de cabinets (2 entités) ont dans leur palette de compétences l'évaluation comme dominante exclusive au travers de travaux d'évaluation proprement dit, d'assistance à maîtrise d'ouvrage ou de formation à l'évaluation (les trois composantes du marché). Au contraire, la majorité des cabinets privés intervention évaluative, des activités de conseil (diagnostics, études) dans des champs sectoriels économique, développement territorial, politiques encore politiques sociales).
mène en parallèle de leur auprès du secteur public diversifiés (développement d'emploi et d'insertion ou
En d'autres termes, l'évaluation ne serait qu'une facette, qu'un pan du marché du conseil auprès du secteur public. Certains consultants relevant même que «pour un cabinet ou pour un consultant, ce n'est pas forcément sain d'être uniquement sur de l'évaluation... L'évaluation est un exercice complexe, souvent coûteux en termes d'investissementl en termes de prudencel de capacité à anticiper les jeux d'acteurs. On a besoin souvent de souffler avec d'autres missions qui sont moins complexes à gérer, avec des enjeux moins forts» (entretien avec un consultant spécialisé en évaluation depuis les années 90). De surcroît, le tissu des cabinets intervenant au niveau local est caractérisé par des entités de faible taille (moins de 20 salariés) et le poids des « big five», les cabinets de conseil anglo-saxon, apparaît limité. Ces derniers préfèrent se concentrer sur l'évaluation des fonds européens, probablement parce que plus rentables et rentrant dans des standards internationaux qu'ils maîtrisent mieux.
59
Les éléments produits ici sont issus d'un dépouillement des annuaires professionnels des consultants officiant auprès du secteur public. Ce premier travail a été également couplé avec une analyse des évaluations conduites dans le cadre des CPER 2000-2006 afin d'identifier les cabinets intervenus. Actuellement, nous effectuons des entretiens semi directifs auprès de consultants dans le but de mieux saisir la réalité évaluative.
126
Par ailleurs, une opposition assez tranchée doit être ici soulignée entre les cabinets qui estiment que l'on ne peut pas être «évaluateur sans être méthodologue» et les firmes qui posent la connaissance de la poli tique évaluée comme condition première de l'exercice évaluatif. Autrement dit, les méthodologues s'opposeraient aux experts. Que traduisent concrètement ces résultats? Tout d'abord, ces données présentent bien la difficulté de saisir un ensemble homogène de pratiques professionnelles, de sentiment d'appartenance à une profession tant les cabinets de conseil possèdent des postures méthodologiques, intellectuelles disparates; comment alors considérer ces évaluateurs externes: communauté de professionnels? Mercenaires indépendants? Consultants spécialisés? Par conséquent, l'évaluation est-elle une activité de conseil comme les autres? En outre, cette hétérogénéité des situations fait apparaître des différences de trajectoires professionnelles des consultants qui réalisent des évaluations avec pour point de convergence une tendance à l'apprentissage des compétences « en marchant» ...
2. Ev AL UA TI ON ET ACTION PUBLIQUE TERRITORIALE. RELATIONS ET DIVERGENCES La partie précédente a montré qu'un milieu professionnel propre à l'évaluation émerge progressivement et rencontre dans le même temps la montée en puissance d'un champ spécifique, l'évaluation des politiques territoriales. Ce mouvement est peu structuré, évoluant au gré du marché de l'expertise. L'absence en France de lieu de capitalisation des expériences d'évaluation semble avoir une conséquence inattendue qui est à certains égards problématique. La formation « sur le tas» des évaluateurs favorise la diffusion d'un cadrage théorique général - l'approche française de l'évaluation - assez ouvert et peu contextualisé qui apparaît de plus en plus en contradiction avec l' évolu tion de l'action publique territoriale.
ENTRE ANALYSE
ET ACTION
Schématiquement, l'évaluation se trouve à l'intersection entre la recherche scientifique sur l'action publique (policy science) et l'action publique elle-même. En ce sens, elle appartient à la policy analysis (Spenlehauer 2003). La policy science
tente de conceptualiser l'action publique en répondant à la question: « qu'est ce qu'une politique publique et comment fonctionne-t-elle ? ». Sur cette base, elle produit des «outils» pour aborder l'analyse de l'action publique que l'évaluation saisit pour construire son propre corpus théorique et méthodologique. Mais ces outils sont remis en cause par l'évolution de l'action publique et, par conséquent, doivent en permanence être actualisés. La vitalité de la relation entre policy analysis et policy science assure donc la pertinence de l'évaluation dans le temps (cf. schéma ci-après).
127
Relations
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Ce va-et-vient entre policy science et policy analysis est assez peu développé en France comme le constate Bernard Perret: «il n'existe pas en France un intérêt « autonome» du monde académique pour l'évaluation qui produise une capacité d'accumulation, de savoirs méthodologiques et de capitalisation des résultats de l'évaluation à l'intérieur de l'Université »60. Le potentiel de réflexion sur l'évaluation est concentré au sein de deux structures: la Société Française de l'Evaluation (SFE) et le Conseil National de l'Evaluation (Conseil Scientifique de l'Evaluation jusqu'en 1997). Ce dernier a accompli un véritable travail de documentation et de synthèse de diverses expériences au cours de la première moitié des années 9061. Depuis, ses productions semblent plus formelles 60Perret B., séminaire MAP, UMR PAcrE, 7 mai 2004. 61 Le laboratoire CEOPS (Conception d'Evaluations pour les Organisation et les Politiques publiques) a également participé à cet exercice entre la fin des années 80 et le début des années 90.
128
(rapports annuels) et dressent un bilan de l'évaluation plus qu'elles ne participent à une véritable réflexion. Par ailleurs, la SFE ne possède pas (ou pas encore?) les moyens financiers et humains pour enclencher une dynamique structurante et propose plutôt une animation du milieu professionnel de l'évaluation.
DIVERGENCES Le constat précédent serait moins inquiétant si l'action publique n'évoluait pas si rapidement sous l'effet de sa territorialisation (Faure 2004). La décentralisation, conjointement à la complexification spatiale de la société (Debarbieux Vanier 2002a, p. 263), engendre une multiplication des espaces d'intervention publique (Giraut Vanier 1999). Au-delà du débat sur l'adéquation entre territoire fonctionnel et territoire politique, cette effervescence territoriale offre aux acteurs de nouvelles opportunités d'action (Offner 2006). Les politiques publiques sont alors moins constituées que constitutives, c'est-à-dire qu'elles peuvent aujourd'hui être perçues comme des cadres au sein desquels les acteurs s'accordent progressivement sur l'action (Duran Thoenig 1996).
Finalement, c'est le paradigme « un territoire, un mandat, un projet» qui se voit remis en cause (Debarbieux
Vanier, 2002b, p. 20). La souveraineté
territoriale
(Alliès 1980) cède le pas à l'interterritorialité (Vanier 2005) et la question des limites s'appréhende sur le registre de la membrane plus que sur celui de la frontière (Vanier 2002). Les projets politiques deviennent multi-scalaires (Jambes Tizon 1997, p. 157). La relation entre les niveaux territoriaux se renouvelle et
tend à une
«
dissociation entre l'institution et la régulation» (Behar 2002, p. 28).
Enfin, les décideurs ne renoncent pas à décider mais ils assument progressivement une conception incrémentale de la définition des choix politiques au fil de l'action (Pinson 2004, p. 208). Créer les conditions de l'action dans un contexte devenu incertain, voilà sans doute la clef pour améliorer la compréhension de l'action publique territoriale. Comment les évaluateurs intègrent-ils ces tendances de fond dans leurs modèles ?62Très tôt, l'évaluation a été abordée par le prisme politique plutôt que méthodologique. C'est la légitimité des résultats autant que leur rigueur scientifique qui sont en jeu. Cette approche a le mérite de placer l'utilité sociale de l'évaluation au centre de la réflexion (Monnier 1992, p. 102). Le point central de cette démarche est l'élucidation de la «théorie de l'action» collective qui fonderait - devrait fonder? - les politiques publiques63. L'évaluation organiserait donc le partage du sens (Conan 1998, Monnier 1992) et se présenterait comme un outil de management public visant à mettre à jour la «théorie de l'action pour la traduire en une arborescence d'objectifs» 64. Il semble que l'approche française de l'évaluation se retrouve pour que les politiques publiques respectent au plus près le schéma séquentiel de Charles O.
62Pour le détail de cette analyse et l'exposé de la méthode, se reporter à (Méasson 2005). 63Perret B., Séminaire MAP, 7 mai 2004. 64
Dupuis J., entretien, 20 décembre 2004. 129
Jones65: 1 - définition du problème; 2 - choix des solutions; 3 - mise en œuvre des décisions; 4 - évaluation Gones 1970). Celle-ci est même parfois qualifiée «
d'évaluation conception» (Toulemonde 1997).
La territorialisation de l'action oppose des difficultés sérieuses à cette approche. La dimension partenariale se traduit régulièrement, au regret des évaluateurs, par une absence de stratégie collective claire. Les évaluateurs ne peuvent alors pas s'appuyer sur une arborescence d'objectifs pour cibler le recueil d'informations. Ils considèrent souvent que cela est la conséquence de la non-clarification des responsabilités et de l'autonomie de décision limitée des décideurs. En réaction, certains évaluateurs développent progressivement la notion d'évaluabilité. Une politique publique est évaluable s'il existe un certain professionnalisme dans l'écriture des programmes66: stratégie collective et arborescence d'objectifs. E. Monnier ajoute qu'il doit y avoir une proximité forte entre l'échelon politique et l'échelon technique, un décideur légitime (au sens quasi-juridique du terme), qui dispose d'une autonomie de décision et qu'il doit exister une communauté de valeur au sein du système d'acteurs67.
3. LA RESPONSABILITE
DES EV ALUATEURS
Il Y a une quasi-contradiction entre l' évolu tion de l'action publique territoriale et la manière dont l'évaluation conçoit l'action publique. La première s'émancipe progressivement de ses cadres traditionnels tandis que la seconde tend à restaurer ces cadres. On pourrait penser qu'il s'agit d'un problème méthodologique. En fait, il s'agit aussi d'un choix politique - de philosophie politique - qui concerne la conception de l'exercice de l'autorité. Pour le comprendre, il faut revenir à la relation entre évaluabilité et efficacité. L'évaluabilité, telle que présentée précédemment, suppose un degré d'intégration politique fort des territoires afin d'accéder au formalisme requis
pour l'évaluation. La logique est donc de tendre vers le modèle
«
un mandat, un
territoire, un projet» ce qui est en contraction avec les territoires mouvants et complexes qui émergent. La lecture de certains rapports d'évaluation laisse penser que la faible évaluabilité d'une politique serait synonyme d'une « instrumentalisation» politique et d'une «logique de guichet ». Cette interprétation alimente les conclusions des évaluateurs plutôt en faveur de « l'échec» des politiques que de leur «réussite ». Cette logique, évidemment
65
On peut noter à cet égard le fait que l'évaluation est abordée comme une réforme administrative en soi en France alors qu'elle représente l'introduction d'un instrument de pilotage parmi d'autres dans les autres pays européens; voir: Jacob Varone 2004.
66
67
On peut d'ailleurs observer actuellement en France la naissance d'un milieu professionnel autour de la notion de policy design, considérant que la conception et l'écriture d'une politique publique nécessitent des compétences particulièrement. Eric Monnier fut l'un des initiateurs d'un récent colloque sur le sujet: « Comment mieux concevoir les politiques publiques? », 18 et 19 novembre 2004, Paris, ENA. Monnier E. : entretien 2 décembre 2004, séminaire MAP, UMR PAcrE, 10 avril 2005.
130
décrite ici de manière schématique, construit discrètement une relation de causalité entre la manière de faire - le degré d'intégration politique - et l'efficacité d'une action. Pourtant, ce sont deux aspects distincts. En définitive, au-delà des aspects méthodologiques, les évaluateurs se trouvent devant un choix de nature politique: l'évaluation doit-elle continuer à reposer sur une conception classique des politiques publiques ou s'en détacher en prenant acte de l'évolution contemporaine de la relation entre espace et pouvoir? De la réponse à cette question dépendra le rôle de l'évaluation: soit elle sera en posture d'accompagner les tendances nouvelles de l'action territoriale, soit, au contraire, elle visera à les contenir. L'évaluation mérite donc de clarifier son positionnement vis-à-vis de l'innovation territoriale en matière politique. Les autres contributions de ce chapitre incitent à adopter une approche souple et pragmatique de la relation entre conduites politiques et instruments. La territorialisation des outils produit des usages imprévus (Cultiaux Teillet) car les acteurs, notamment les élus, disposent d'une autonomie irréductible dans les faits et les principes (Anquetin). Le rôle des instruments dans la vie démocratique ne peut donc être exclusivement conçu a priori et extra territorialement. Le rôle de la recherche académique est alors de préciser la nature de la relation entre l'évaluateur et le commanditaire afin de mesurer le poids de l'évaluation sur la définition et la conduite des politiques publiques. Enfin, les résultats présentés ici ouvrent une discussion intéressante sur la relation entre la structuration socio-politique du milieu professionnel de l'évaluation et la diffusion de normes. La première partie a décrit un milieu professionnel peu structuré. La seconde a mis à jour les grandes lignes, les principes récurrents, de l'évaluation en France. La position défendue ici est que la faible structuration du milieu et la prégnance de certains cabinets favorisent la
diffusion de ces grands principes puisqu'ils sont facilement « communicables» et sont quasi systématiquement repris dans le corpus bibliographique francophone restreint sur l'évaluation. Nos premiers résultats vont dans le sens de cette hypothèse.. .
131
LA TERRITORIALISATION DES NORMES DU DEVELOPPEMENT DURABLE AGENDA 21 LOCAUX: VERS UN MODELE EXPLICATIF DES DIFFERENCIATIONS
Lauren Andres & Benoit Faraco Lauren Andres est doctorante à l'Institut d'Urbanisme de Grenoble et géographe de formation. Ses recherches portent sur l'analyse des friches urbaines comme outils de relecture de la ville contemporaine. Plus particulièrement, sa thèse vise à identifier les principaux référentiels urbains mobilisés au cours des trajectoires d' évolu tion de ces espaces délaissés permettant d'appréhender le sens et le contenu des actions publiques et collectives inhérentes aux dynamiques de requalifications urbaines. Courriel:
[email protected] Benoit Faraco est doctorant à Science Po Grenoble. Il travaille sur le rôle des acteurs non gouvernementaux dans la protection de l'environnement et en particulier dans la lutte contre le changement climatique. Spécialisées en Relations Internationales, ses recherches actuelles portent sur le rôle joué par les ONG et les entreprises dans la socialisation, au niveau national, des normes environnementales. Courriel : benoit faracoC<:Yhotrn.ail.com ............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... .
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~;::7t~cle vise à s'interroger sur le phénomène de territorialisation et d'appropriation par les acteurs locaux d'un des enjeux actuels de l'action publique: le développement durable. Cette norme est devenue, au cours des dernières années, un élément central dans les! ! politiques urbaines dont la déclinaison, à différentes échelles, est hétérogène. L'analyse du . contenu de trois agendas 21 locaux, celui de Romans, du Grand Lyon et de Lausanne, et la répartition des volets environnementaux, économiques et sociaux, montrent que le passage de l'international vers le local induit un processus de différentiation, lié en partie à des stratégies d'acteurs diversifiés. Cette territorialisation de la durabilité est étudiée grâce à un modèle d'interprétation construit à partir d'un certain nombre de facteurs expliquant régularités et irrégularités.
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Abstract Local actors play an important role in the socialization process of sustainable development (SO) as international norms. In the last decade, sustainable development and environment became an imperative in local urban policies and politics. Nevertheless, empirical studies show that local actors have developed a process of socialization and appropriation of these norms which lead to territorial differentiation. Drawing on three case studies (Romans and Lyon in France, and Lausanne in Switzerland) this article distinguishes social and political factors that explain both regularities and irregularities in the territorial differentiation of SD norms. It underlines strategic choices made by local actors (local administration, NGOs, etc.) that influence the process of socialization and may explain the differences between one city and another.
133
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Le développement durable est un concept né et popularisé au niveau international. Basé sur des grands principes, son contenu, multithématique, implique une définition des modalités de sa mise en œuvre et un ancrage local, garant de proximité et de qualité pour les politiques publiques qui se réclament de la durabilité. Ses grands principes prescriptifs comme ses outils de référence, tels le rapport Brundtland ou le programme d'action des Agenda 21, ont été construits, par consensus, dans les arènes et forums internationaux tels que Rio ou Johannesburg. De l'énonciation de ces principes, peu précis mais à forte portée symbolique, découle un haut degré d'imprécision qui laisse une grande autonomie aux acteurs locaux pour les interpréter et les appliquer dans l'action publique (cf. figure 1).
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Le développement durable est donc un concept étonnamment plastique et ne peut être mieux défini qu'à l'échelon local, du fait de son impératif participatif (promu par la déclaration de Rio), garant de l'implication de l'ensemble des acteurs territoriaux dans la prise de décision. Mais cet impératif ne suffit pas, à notre sens, à expliquer les différenciations territoriales observées d'un programme d'action à un autre. Le processus de socialisation de la norme internationale de développement durable (Risse 1999, Finnemore 1998, Princen Finger 1994) explicite cette hétérogénéité et conduit à une territorialisation observable dans l'analyse de différents Agenda 2110caux (Romans, Grand Lyon et Lausanne)68. En effet, cette hétérogénéité correspond à une phase
68http://\YlY-VV .lausanne.ch
/ vievv .asp ?CurOS=l
134
&DOlnld=63964
d'appropriation et de différenciation liée à la marge de manœuvre assez large dont les acteurs locaux disposent mais aussi des spécificités des territoires (situation géographique, économique, sociale, etc.).
1. DIFFERENCIATIONS
TERRITORIALES ET STRATEGIES D'ACTEURS DIVERSIFIEES
Le développement durable est devenu en peu de temps incontournable et de nombreux territoires se sont dotés d'un Agenda 21local. Or, en examinant la liste de ces démarches actuellement à l'œuvre en France, il apparaît que ces collectivités territoriales sont majoritairement à «gauche », associant, pour certaines, des élus « verts» (majorité « gauche plurielle»). Dès lors, même si les Agendas 21 ne sont pas pour autant le monopole de la «gauche », on peut légitimement émettre l'hypothèse suivante: la proximité entre la «gauche sociale-démocrate» et les partis « Verts» a encouragé les exécutifs locaux à entamer ces démarches de durabilité. Néanmoins, de nos jours, les références à la durabilité se généralisent et leurs dimensions impératives semblent affecter tous les bords politiques si bien que cette différence d'idéologie politique ne suffit pas à expliquer les distinctions observées. A Romans, Lausanne et au Grand Lyon, les démarches Agenda 21 ont été mises en œuvre par une majorité rose-verte, mais elles ne se ressemblent pas pour autant. Mais l'exemple lyonnais montre qu'on ne saurait résumer la mise en œuvre de la politique de durabilité à son développement par l'exécutif PS/Verts, tant celui-ci s'inscrit dans la continuité d'une politique initiée par la majorité précédente. Le modèle proposé par la ville de Romans est un modèle de développement durable environnementalo-centré, construit autour de la protection du milieu naturel et du cadre de vie. Cela ne signifie pas pour autant que Romans néglige les politiques économiques ou sociales; celles ci ne sont pas uniquement
rassemblées sous le label
«
développement durable ». Le modèle développé par
le Grand Lyon présente une vision plus équilibrée de la durabilité, qui se rapproche de celle exprimée par les grandes agglomérations européennes. Celui de Lausanne enfin offre une vision plus intégrée et aboutie; l'ensemble des trois volets étant équitablement considéré et la question de la durabilité étant associée de fait à tous les secteurs de l'action publique. Ces constats soulèvent donc plusieurs paradoxes. L'agglomération lyonnaise est réputée pour être un territoire environnementalement sinistré, notamment en raison du fort développement de l'industrie pétrochimique dans sa proche banlieue (problème de qualité de l'air, de l' ea u, pollution des sols, etc.) D'un point de vue économique, Lyon reste cependant une capitale régionale majeure. Au contraire, l'agglomération romanaise peut prétendre à un cadre de vie environnementalement préservé, mais subit de plein fouet la crise du secteur
http://\.V\1v\v.ville-romans.com/ article.php3?id article=295 http://'\:VV\T\v.grandlvon.com /Plan-d-actions-de-l-l\genda-21.1803.0.htn11
135
de la chaussure et connaît aujourd'hui des difficultés économiques évidentes. Lausanne, quant à elle, se situe dans un contexte plus favorable. Elle n'a pas à faire face à des problématiques environnementales, économiques ou sociales majeures. Dès lors, autant le modèle intégré lausannois est en adéquation avec la situation du territoire en question, autant à Romans et au Grand Lyon les orientations des Agenda 21 ne correspondent pas aux problèmes auxquels ces territoires font face. Or, on pourrait légitimement supposer que les principaux instruments de durabilité mis en œuvre par les exécutifs locaux viseraient à rééquilibrer l'action publique. Cela n'est pas le cas. Certes, le fait que l'environnement soit fortement présent est compréhensible; dans les pays du Nord, l'entrée environnementale a été privilégiée dans le discours politique pour aborder les actions des Agenda 21, a contrario des pays du Sud pour lesquels le développement économique a été mis en avant (Yaker 2000). Par contre, la répartition des autres volets met en évidence l'existence d'un processus d'appropriation par les acteurs locaux des normes de développement durable. Puisqu'il existe des espaces d'appropriation hérités de l'absence de cadres vraiment directifs au niveau national et communautaire, les acteurs de terrain, fonctionnaires territoriaux et élus, ont d'importantes marges de manœuvre dans la définition même de la durabilité et des politiques publiques lui correspondant. Ce processus fait intervenir une multitude de facteurs qui permettent d'expliquer comment les acteurs du territoire traduisent les normes de portée générale, issues des forums internationaux, en principes de l'action publique.
2. REGULARITES
ET IRREGULARITES
Le développement durable repose sur une base générale, une structure cognitive fixe qui lui confère une puissance «rhétorique» et une fonction de légitimation. En découle alors un ensemble de facteurs permettant d'expliciter les régularités et les irrégularités rencontrées (cf. figure 2). 1/ Des cadres législatifs et juridiques, propres à chaque nation, apportent une base générale dont la nature et la portée diffèrent selon les pays (mobilisation plus incitative et précoce en Suisse qu'en France par exemple). Le développement durable est devenu un impératif juridique, inscrit dans plusieurs textes de lois (loi SRU, par exemple, en France). S'ajoutent à cela 2/ des actions incitatives de la part des pouvoirs publics. Au niveau national, un certain nombre de mesures contribuent à énoncer les grandes lignes d'action et les incitations financières à la mise en œuvre de certains projets (comme les Agenda 21) et obligent à un formatage des discours sinon des pratiques. Enfin, 3/ la formation commune des acteurs chargés de la mise en œuvre des politiques de développement durable et l'appropriation techniciste qui en découle, permet une certaine uniformisation des cadres de pensée des acteurs en charge de l'interprétation et de la déclinaison territoriale du développement durable.
136
Figure 2 : Modèle d'interprétation irrégularités (AL-BF 2006)
de l'hétérogénéité:
entre régularités
et
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1/ Le positionnement militant des élus et par-delà, l'appropriation militante de ceux-ci, joue un rôle déterminant. Le cadre d'action prédéfini par les positionnements idéologiques des partis politiques mais aussi des individus influence l'interprétation du développement durable par les acteurs locaux. 2/ La fonction et la formation des responsables de la mise en œuvre des politiques de développement durable joue aussi un rôle important. 3/ La culture politique des citoyens amène aussi une appropriation idéologique du développement durable qui interagit avec celles des décideurs. La présence ou non d'acteurs militants (ex: associations protectrices de l'environnement), dans les processus de participation, oriente l'appropriation opérée.
137
4/ Un opportunisme
politique enfin, peut pousser
à l'appropriation
du
développement durable. Il s'agit en effet de « se conformer à l'air du temps », ce qui peut permettre
de rallier un nombre important
d'électeurs.
A ces facteurs, non exhaustifs puisque qu'issus d'une première phase de recherche, s' ajou tent les caractéristiques géostructurelles et conjoncturelles inhérentes à chaque territoire étudié. En effet, les composantes inhérentes aux territoires concernés jouent un rôle clé. La superposition des structures politicoadministratives (commune, structure intercommunale, département) et donc la diversification des mesures en faveur du développement durable (complémentaires ou non selon les enjeux et les stratégies politiques), entraîne une démultiplication des acteurs impliqués (et donc des possibilités d'interprétation). A cela s'ajoutent les processus participatifs (système référendaire par exemple) permettant une prise en compte inégale du positionnement de la population. Précisons enfin que des éléments contextuels (économiques, sociaux) peuvent influer sur les positionnements et les stratégies des acteurs en présence en matière de durabilité.
3. CONFRONTATION
DU MODELE
AUX REALITES DE TERRAIN Romans, Lausanne et le Grand Lyon illustrent cette tentative de modélisation. Le portage, à Romans, de l'Agenda 21 par Jean-David Abel, élu et mili tant vert, proche de Dominique V oynet, explique en partie l'appropriation militante, environnementalo-centrée du développement durable. Cette sensibilité environnementale se décline dans l'influence électorale de ce même parti Vert aux élections (entre 8 et 10% aux élections ces dernières années), renforcée par la réceptivité de la population (présence d'une usine de fabrication
de combustible nucléaire, à proximité). Par ailleurs, Romans, a contrario
de Lyon
ne se situe pas dans une perspective de dynamiques urbaines concurrentielles, le contenu de son Agenda 21 étant alors interprété, localement, par les porteurs du projet, Verts en l'occurrence. Par contre, Romans affiche clairement son rôle de leadership en la matière (son Agenda 21 est un des premiers en France). L'affichage environnementalo-centré n'est pas neutre. Il a un impact communicationnel évident, reflet d'une certaine tradition militante écologiste. L'Agenda 21 du Grand Lyon s'inscrit dans une logique les élus qui le mettent en œuvre sont eux aussi, pour certains, politique, mais la démarche de formalisation de tels outils a progressive. La préoccupation environnementaIe a émergé précédentes de droite, peu reconnues pour leur activisme sur
lors, le facteur
«
tout autre. Certes, issus de l'écologie été beaucoup plus dans les majorités ces questions. Dès
cadre cognitif» des élus est moins présent, ce qui explique un
contenu de l'Agenda 21 plus équilibré. De plus, une comparaison du contenu de l'Agenda du Grand Lyon avec celui d'autres grandes villes européennes comme Londres ou Madrid, illustre une similarité dans leurs grandes lignes. La logique concurrentielle entre ces métropoles entraîne une construction des Agendas 21 autour d'éléments plus consensuels, plus équilibrés. Elle témoigne donc d'une
138
relative uniformisation des pratiques à l'échelon européen. À ce niveau en effet, l'enjeu est donc bien plus de se situer dans un espace concurrentiel pour les populations et les acteurs économiques que de répondre à des demandes mili tantes. Le modèle intégré de l'Agenda 21 de Lausanne est à relier à une double dynamique politique locale et nationale. Le facteur politique y joue un rôle clé. La Suisse s'est engagée, de manière précoce et active, dans l'élaboration et l'application des stratégies de développement durable et l'application de la durabilité est liée à la déclinaison d'une acception « germanique» reliée à la notion de « nachhaltige entwicklung» (développement « tenace »). La présence d'une municipalité rose-verte (syndic socialiste depuis 1990 et Vert depuis de 2001) est bien sûr importante. À cela s'ajoute un contexte culturel particulièrement sensible aux préoccupations environnementales et à la protection de la nature ainsi qu'un contexte économique et social relativement serein (en comparaison de Lyon et Romans). La démocratie directe Suisse peut aussi constituer un facteur favorisant une motivation supplémentaire pour les acteurs politiques comme pour ceux issus de la société civile. Au-delà, Lausanne cultive son image de capitale olympique, de ville culturelle dynamique et la
référence à la
«
ville durable» en fait partie en tant que stratégie de marketing
territorial, ce qui la rapproche des modèles grandes métropoles européennes.
de durabilité
proposés
par les
CONCLUSION La marge de manœuvre laissée à l'interprétation et à l'appropriation, les stratégies et les jeux d'acteurs liés, associés au scepticisme et à la critique de certains scientifiques, poussent, dans certains cas, le développement durable vers une simple rhétorique consensuelle. Au-delà, l'appropriation et l'interprétation territoriale des normes entraînent différents stades d'avancement des politiques urbaines de développement durable. D'un positionnement initial centré sur le volet environnemental, les politiques en matière de développement durable tendent à intégrer, de manière partielle et inégale, les trois volets (environnemental, social et économique), pour, à terme, atteindre un stade d'intégration de fait. Les paramètres fixes et les variables irrégulières, précédemment énoncés comme moteurs dans la traduction spatiale donnée au concept, y jouent un rôle majeur.
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POLITIQUES CONTRACTUELLES: LA QUESTION LOCALE SOUS TENSION? Domitien Détrie Domitien Détrie est doctorant au CEPEL (Université de Montpellier 1) et travaille sur la territorialisation des politiques publiques culturelles et éducatives en région. Il est également chargé de mission à l'Association des petites villes de France. Courriel :
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~::ua:~cle présente les résultats d'une recherche, en situation d'observation participante, sur l'évolution des politiques contractuelles Etat-régions. Si de nombreux travaux soulignent
que les pratiques contractuelles
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~ dans l'action publique territoriale" la survalorisation du paradigme de l'excellence I
territoriale tend désormais à minorer le contrat comme instrument stratégique d'une action publique territorialisée. Dans le même temps" elle redonne une place de premier rang aux configurations territoriales appuyées sur la construction de leadership territoriaux de type nouveau.
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Abstract This article presents the results of a research about the negotiation of planning contracts between the French government and the regions. If many studies emplosyze that the contractual pratices contribute to determine a shared vision of territorial public action draw the paradigm of territorial excellence undervalues the contract as a strategic instrument of territorial public action. Meanwhile, it gives again a major place with the ~ territorial configurations thanks to the construction of new forms of territorial leaderships. 1..
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i .1
La contractualisation de l'action publique entre l'Etat et les régions n'a cessé de susciter l'intérêt des politistes car elle contribue à bien des égards à imprimer une forte spécificité au modèle français de gestion territoriale. Tantôt caractérisée comme une clef de voûte de la décentralisation (Duran Thoenig
1996), comme le ressort d'une
«
action publique flexible» ou encore comme le
vecteur d'un repositionnement de l'Etat, elle traverse aujourd'hui de fortes incertitudes. A l'heure où la politique d'aménagement du territoire est placée sous le sceau de la compétitivité, la logique «projet local, contrat global» que promouvait jusqu'à, il y a peu, l'Etat semble écartée peu à peu au profit d'une approche plus sélective des interventions et d'une certaine rigidification des contrats autour des priorités nationales, comme la préparation des contrats de projet 2007-2013 en témoigne. L'objet de ce papier n'est pas de tenter une énième rétrospective des politiques contractuelles mais d'aborder les évolutions qui se dessinent actuellement comme autant de questionnements sur la dynamique de la décentralisation et sur la manière dont les politistes la traitent, à partir notamment d'une pratique d'observation participante en situation professionnelle.
1. ACTION PUBLIQUE CONVENTIONNELLE ET LOGIQUE DE REFERENCE Les contrats d'action publique se présentent dans leur ensemble comme une figure centrale de la régulation publique contemporaine, associée aux notions-clés de décentralisation, de partenariat et d'évaluation. Nombre de politistes s'accordent pour souligner qu'ils ont joué un rôle de catalyseur de la décentralisation (Gaudin, 1999), dans le cadre d'une dynamique d'intensifications réciproques, notamment en assouplissant et en rendant praticables les frontières d'action qui venaient d' être posées par les textes de décentralisa tion. Dans cette approche, les procédures contractuelles revêtent une fonction de mobilisation et de coordination qui, en favorisant l'apprentissage des norInes du développement territorial par les acteurs locaux, ont permis notamment à l'institution régionale, par le biais des contrats de plan Etat-régions et des contrats infrarégionaux (de type contrats de pays et contrats d'agglomération), de se construire et d'acquérir une légitimité institutionnelle, au travers de l'affirmation d'une vocation d'intégratrice du territoire régional. La notion de référentiel constitue alors une grille d'analyse qui peut sembler pertinente pour appréhender l'émergence et le développement des pratiques contractuelles, dans la mesure où elle invite à étudier la genèse d'une
politique publique comme une « théorie du changement social» (Meny Thoenig 1989, Muller 2005). De ce point de vue, de nombreux travaux viennent nous rappeler que l'idée de contractualisation et de planification stratégique de l'aménagement du territoire apparaît en réponse à un certain nombre de
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modifications institu tionnelles et économiques, médiatisées par les experts de la DAI'AR, et qu'elle s'inscrit dans une évolution marquée par la remise en cause idéologique et financière de l'Etat keynésien en lien avec le référentiel global de ll1arché. La lecture des contrats et des circulaires régissant leur mise en œuvre selnble confirmer l'existence d'un référentiel, dans la Inesure où elles légitill1ent des représentations de référence, comme l'ont montré les recherches de Marc Leroy. Celui-ci souligne notamment que la rhétorique entourant la mise en place des contrats, COlnme les critiques auxquels ils donnent lieu, s'appuient sur un ll1êll1e intérêt accordé à la cohérence de l'action publique, à l'approche stratégique et donc aux démarches de prospective territoriale et de concertation multi-acteurs qui en permettent la déclinaison. Une représentation de référence
se définit alors selon Marc Leroy
«
comme un raisonnement d'action publique
appuyé sur de bonnes raisons, à même de convaincre son caractère d'intérêt général ».
un auditoire universel de
Un auteur (Gaudin 1996) prolonge cette analyse en soulignant que la contractualisation peut produire des effets de transformation des schémas décisionnels et relationnels, en repositionnant des organisations, en affirmant de nouveaux acteurs et en produisant des normes d'action renouvelées. On en veut pour preuve l'affirmation de l'échelon régional comme espace de mise en cohérence des politiques publiques au travers des contrats de plan Etat-régions, la réorganisation (inachevée) des services déconcentrés de l'Etat que ces derniers ont favorisée ou encore l'émergence du triptyque diagnostic, projet, contrat comme nouveau paradigme des politiques territoriales. Au terme de cette brève analyse, la logique contractuelle
à un référentiel dans la mesure où elle relève à la fois
«
correspond
bien
d'un processus cognitif
fondant un diagnostic et permettant de comprendre le réel et d'un processus prescriptif permettant d'agir sur le réel» (Muller 1998).
2. RECOMPOSITION DES PRATIQUES CONTRACTUELLES: DES CONTOURS INDECIS De nombreuses évolutions récentes laissent à penser que la nature de la démarche contractuelle comme sa mise en pratique sont appelées à des évolutions considérables: profonde transformation de l'architecture des contrats de plan Etats-régions pour la période 2007-2013, multiplication des contractualisations séparées et ciblées, relative marginalisation de l'outil contractuel dans les instruments de la politique nationale d'aménagement du territoire au profit des logiques d'excellence territoriale. Les trois critères de la démarche contractuelle identifiés comme suit (Gaudin 1999), peuvent nous aider à appréhender ce glissement des politiques contractuelles, dénoncé par une bonne partie des acteurs locaux. :
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- Un accord initial sur les objectifs/ qui implique un temps de discussion explicite sur les objectifs recherchés et les moyens correspondants. L/annonce unilatérale du contenu et de la méthode d/élaboration des futurs contrats de projet (DIACT) nous amène à conclure à une invalidité, au moins partielle, de ce critère dans les relations contractuelles qui irriguent la gestion publique territoriale. - Des engagements réciproques sur un calendrier d action et de réalisation à moyen terme. Si un calendrier de mise en place a été rendu public pour les contrats de projet 2007-2013, il est le seul fruit de l'impulsion étatique, ce qui laisse assez sceptique quant à sa mise en œuvre effective/ les collectivités régionales dénonçant notamment un calendrier de préparation extrêmement resserré qui ne laisse pas assez de temps pour conduire une concertation substantielle avec les acteurs infrarégionaux. En outre, le non respect chronique des engagements de l'Etat sur les grands projets d'infrastructure nous confirme /
dans cette posture de « mise en doute ». - Des clés de contribution conjointes à la réalisation des objectifs. Les incertitudes initiales sur le niveau d'engagement de l'Etat et les craintes quant à la position attentiste des Conseils régionaux ayant été partiellement levées, ce critère est probablement celui qui offre le moins de prises à la contestation. Ce faisant, il rejoint l'analyse de Marc Leroy quant à la prédominance d'une logique de régulation financière au sein des contrats, qui limite la portée de l'approche globale, transversale, partenariale et territorialisée des problèmes publics. Dans ce contexte, faut-il voir dans l'évolution des politiques territoriales contractuelles, qui tend à minorer le contrat comme instrument stratégique d'une action publique territorialisée, l'expression d'un changement de référentiel dans l'action publique territoriale? Partons, pour apporter des éléments de réponse à cette question, de la définition de Peter Hall qui considère qu'il y a changement de référentiel lorsque l'on peut constater les trois changements suivants (Hall 1993): un changement des objectifs des politiques et, plus généralement, des cadres normatifs de l'action publique; un changement des instruments qui permettent de concrétiser et de mettre en mouvement l'action publique dans un domaine; un changement des cadres institutionnels qui structurent l'action publique dans le domaine concerné. Par sa clarté et sa faible prise à une approche subjective, d'analyse nous semble appropriée pour analyser les recompositions publique territoriale de l'Etat.
cette grille de l'action
A cet égard, la question des objectifs et des cadres-normatifs des politiques de l'Etat en direction des territoires est probablement celle qui offre les prises les plus convaincantes. La recherche de l'excellence territoriale, l'abandon officiel de la démarche planificatrice au profit de l'approche par projet procèdent ainsi du passage d'une logique de cohésion à une logique de compétitivité des territoires. Le changement de dénomination de la Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale (DATAR) en Délégation Interministérielle à l'Aménagement et à la Compétitivité des Territoires (DIACT) au début de l'année 2006 en est un des reflets les plus manifestes. Elle
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peut être interprétée, dans le champ des politiques déclinaison du tournant néo-libéral (Jobert 1994).
territoriales
comme
la
Ce changement normatif semble trouver une certaine continuité instrumentale avec la multiplication des appels à projet (pôles de compétitivité, pôles d'excellence rurale, coopération métropolitaine) qui se substituent progressivement aux politiques traditionnelles de redistribution de ressources en direction des territoires, par le biais de la multiplication de contrats globaux. On peut toutefois considérer que la faible évolution de l'organisation déconcentrée de l'Etat, qui s'est traduite dans les années récentes par une maigre tentative de confier un rôle plus important au préfet de région (Circulaire du 19 octobre 2004 relative à la réforme de l'administration territoriale de l'Etat), ne permet pas de conclure à un changement de cadre institutionnel significatif. Le troisième étage analytique n'étant pas opérant, il est hasardeux de parler de changement de référentiel. Il semble plus approprié d'identifier une dynamique de changement de l'action publique territoriale articulée autour d'une restauration de la posture surplombante de la part de l'État, qui revendique désormais un pouvoir d'arbitrage au nom d'une distanciation à l'égard des compétitions territoriales (Epstein 2005). En témoignent les conclusions du CIACT du 6 mars 2006 qui rappellent notamment au sujet du choix des autorités de gestion pour la politique régionale européenne 2007-2013 «
L'Etat, qui apporte la plus grande part des cofinancements
des programmes
européens,
(DIACT). progralnlne des
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au
ressources
des
répartition
la
»
est souvent alnené à jouer un rôle de mise en cohérence et d'arbitre notamment pour Ces évolutions que nous venons de décrypter sont perceptibles à l'échelle centrale au travers des discours de l'Etat et se jouent essentiellement au niveau des représentations politiques et des symboles. Pour autant, l'étude des contextes locaux d'action publique nous conduit à faire preuve de plus de modestie dans le diagnostic. Si les ressources institutionnelles des territoires présentent un profil similaire, les formes de coopération entre acteurs revêtent quant à elles des formes extrêmement diverses, comme le montre la participation plus ou moins active et coopérative des collectivités territoriales aux démarches de préparation de la politique régionale européenne 2007-2013 selon les différentes configurations régionales. Dans le même sens, la phase de négociation des contrats de projets 20072013 semble confirmer le poids des configurations territoriales dans le modelage des politiques conventionnelles. Comme en attestent de façon éloquente les négociations autour du contrat de projet 2007-2013 en Languedoc-Roussillon, le changement des principes et des objectifs d'intervention de la politique conventionnelle est perçu comme une fenêtre d'opportunité par certains acteurs politiques, et en particulier le Vice-président du Conseil régional en charge de l'aménagement du territoire, pour affirmer un leadership au travers de la construction d'une vison prospective partagée du territoire. Ce leadership s'appuie moins sur des ressources de nature partisane que sur une capacité de mobilisation qui doit beaucoup à l'affirmation d'une légitimité au croisement de l'expertise professionnelle et des réseaux politiques. En d'autres termes, la négociation contractuelle est l'occasion pour ces acteurs de déployer des stratégies de légitimation fondées sur la construction de territoires politiques.
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Dans ce contexte, un des éléments de nouveauté est que la différenciation territoriale occasionnée par les procédures de négociations de l'action publique conventionnelle ne s'appuie plus seulement sur les trajectoires historiques cumulatives des territoires et de leurs cultures politiques, comme Romain Pasquier a pu le montrer dans ses travaux comparatifs sur le développement de la région Bretagne et de la région Centre (Pasquier 2004), mais sur l'émergence de leaderships territoriaux de type nouveau, qui reposent sur la place croissante laissée à l'initiative individuelle et à la négociation personnalisée dans les politiques conventionnelles.
3. CONSEQUENCES
THEORIQUES ET PRATIQUES
Notre constat est donc celui d'une déconnexion croissante entre les représentations nationales de référence et les pratiques réelles qui s'opèrent dans les territoires. Ce constat relève d'une posture de mise en doute plutôt que
d'une « mise en désarroi» (expression de Martin Vanier lors de la session de clôture du coUoque AFSP de Grenoble, 15&16 juin 2006) de l'objet de recherche que représentent les politiques contractuelles. De ce fait, des perspectives heuristiques tout à fait stimulantes s'offrent à nous. Il est d'abord
nécessaire, pour prendre la mesure de ce constat, de bannir
définitivement les diagnostics catégoriques relatifs au « retour de l'Etat» ou, à l'inverse, au « nouveau pouvoir local ». Comme le souligne Jean-Pierre Gaudin, il apparaît en effet bien difficile à l'expérience de situer les contours d'un référentiel global sectoriel local, municipal, départemental ou régional, qui soit stabilisé. Ce changement de perspective, qui souligne les faiblesses d'une approche trop institutionnelle, plaide également pour une évolution méthodologique des travaux consacrés à l'action publique territoriale, articulée autour d'une véritable sociologie politique de l'action publique, qui soit une sociologie des acteurs et de leurs rapports de pouvoir. Conduire des observations ethnographiques qui renseignent sur ce qui se joue réellement dans les relations d'interaction et des enquêtes qualitatives auprès des acteurs, qui permettraient d'évaluer ce qu'ils s'y approprient - ou non - et de mesurer le degré d'inflexion de leurs représentations ou de leurs préférences (voir notamment les contributions de Fabien Desage et de Jérôme Godard dans cet ouvrage) : telle semble pouvoir être la colonne vertébrale de cette évolution méthodologique, qui nous invite à une approche des différentes configurations territoriales à la loupe et sur le temps long. Faire ce choix méthodologique, c'est repousser le risque d'une modélisation exagérée du milieu local car la localité retrouve alors sa signification originelle: celle d'une construction sociale permanente (Bourdin 2000). Néanmoins et en dernier lieu, il faut également veiller à y adjoindre en permanence une dimension comparative, pour ne pas tomber dans le travers d'une hyper-territorialisation de l'analyse, qui fait la part belle à la description au détriment d'une nécessaire montée en généralité.
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RAISONNER
PAR LE TERRITOIRE.
LES MODALITES PRATIQUES DE LA COOPERATION Elvire Bornand Elvire Bornand est doctorante en sociologie au LAMES, Aix-en-Provence. Son travail de thèse consiste à comprendre comment et pourquoi la coopération s'est imposée comme le mode de coordination des institutions, administrations et acteurs privés au niveau local en prenant comme exemple la structuration du champ de la formation professionnelle continue et en étudiant de manière privilégiée les liens de cette politique avec celle de l'emploi. Courriel:
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Résumé La question de l'impact du processus de territorialisation sur la constitution et la conduite des politiques publiques est examinée à partir des pratiques concrètes de coopération induites par une approche des enjeux politiques fondées sur un ancrage territorial. Nous défendons l'idée que le territoire fonctionne comme un principe d'équivalence permettant aux acteurs politiques impliqués de se mesurer et de faire émerger une communauté d'intérêts rendant possible leur coordination. Abstact How do institutions of local government cooperate? The so-called" territorial approach" offers new elements of response. The main argument is that the concept of "territory" is not just a geographic definition of neighbourhoods where policies are applied but also an argument that prompts local governments to cooperate. We seek to outline a general framework for the analysis of how the territory is instrumental in establishing a principle of equivalence between these governments. This may contribute to explaining why the process of cooperation succeeds at times and why it fails at others.
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. . La notion de territo~ialisation donne un cadre nouveau aux rapports que polItique et morale entretiennent. Une action juste en moyens et en fins serait une action pensée dans un espace géographique particulier et adaptée aux conditions économiques et sociales concrètes de ce territoire. La territorialisation comporte aussi une idée de dynamique, un processus dans lequel une politique publique devient action. En ce sens, elle renvoie avant tout à des pratiques situées, la dimension constitutive des politiques visées étant entièrement contenue dans la sélection d'espaces appropriés pour l'action. Ces dernières années, on observe que le critère de justice qui servait de garant et de mesure à la légitimité des actions publiques entreprises a été remplacé par une focalisation sur les résultats. C'est le résultat, dûment évalué par l'outil statistique, qui justifie la politique. Bien avant la LOLF, le principe de territorialisation a contribué à diffuser l'idée que le bienfondé d'une politique tenait avant tout aux résultats obtenus et du simple point de vue des outils mobilisés, il est plus aisé de quantifier l'action publique dans un espace restreint. Objection pourrait être faite que la territorialisation ne renvoie pas seulement à un espace restreint mais que l'espace en question a été sélectionné comme un ensemble cohérent selon des variables démographiques, économiques, urbaines, sociales... Nous pensons, au contraire, que l'unité des territoires visés par l'action publique n'est restituée qu'après coup dans les différents processus d'évaluation. Nous partirons dans cet article du postulat
que le territoire doit être envisagé comme
«
la constitution d'un espace abstrait
de coopération entre différents acteurs avec un ancrage géographique pour engendrer des ressources particulières et des solutions inédites» (Pecqueur 2000, pIS). Il ressort des différents articles de ce chapitre que, lorsqu'on analyse l'action publique territoriale, on ne peut se focaliser sur l'étude d'une seule politique. Quelle que soit l'entrée choisie, se dessine une configuration institutionnelle complexe où se croisent les champs de compétences des différentes collectivités territoriales. Le problème qui se pose au chercheur est qu'aucune régulation de type légal n'explique, à elle seule, la manière dont les acteurs se coordonnent. De plus, si l'on peut étudier le résultat de ces coordinations, il paraît plus difficile de faire émerger les intérêts qui poussent chaque catégorie d'acteurs à mener une action conjointe. Si l'on devait résumer rapidement la question centrale qui traverse l'ensemble des articles réunis dans cette partie, on pourrait dire que nous nous demandons tous «Pourquoi ça marche à tel endroit et échoue à tel autre ». Nous avons choisi d'ancrer cette question dans le champ de la politique de formation professionnelle. La formation professionnelle a pour particularité d'être non seulement une politique de compétence régionale mais aussi un instrument, un outil, que peuvent mobiliser tout aussi bien les politiques de l'emploi, que les politiques d'insertion et les politiques économiques. En rapportant l'idée de justice d'une politique à ses résultats, on met l'accent sur l'activité et les fruits de cette activité. Au niveau local cette activité prend la forme de multiples dynamiques de coordination qui du fait de la confrontation des champs de compétences qu'elle engendre entre les différentes collectivités territoriales, porte une importante dimension conflictuelle. De fait, c'est à l'analyse des modes de coopération plus que de coordination que nous
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allons nous intéresser. Dans un premier temps, nous mettrons l'accent sur la question des pratiques, la notion de territorialisation impliquant que l'on se centre sur l'analyse de l'action concrète, pour ensuite proposer un cadre général permettant l'analyse des modes de coopérations dans le domaine de la formation professionnelle.
1. UNE CONFIGURATION COMPLEXE
INSTITUTIONNELLE
Pour se structurer les coopérations ont besoin de temps et d'espace. Le temps et l'espace sont les deux variables qui permettent aux différents acteurs de développer un langage commun. Pour que la coopération se mette en place, il faut que chacun des acteurs puisse légitimer sa participation à l'action, problème d'importance pour des institutions politiques qui tiennent farouchement à préserver leurs champs de compétences propres. Le Conseil Régional oriente et anime la politique de formation professionnelle mais concrètement il ne dispose pas des ressources financières, techniques et humaines pour réaliser l'ensemble des fins qu'il poursuit. Il est d'usage de fustiger l'encastrement et la sédimentation des dispositifs dans les différents domaines de l'action publique. Sans remettre en cause les dysfonctionnements que ces empilements occasionnent, il ne faut pas négliger le rôle que ces multiples dispositifs jouent dans les processus d'apprentissages nécessaire à la coopération. En termes d'espaces, ces dispositifs sont des occasions d'apprendre à élaborer un langage de coopération, ils permettent de faire émerger une communauté d'intérêts. Le monde des politiques publiques est petit, les acteurs qui se rencontrent dans l'animation des Plans Locaux d'Insertion par l'Economique (PLIE) sont les mêmes qui jouent un rôle dans la négociation des contrats de ville, qui participent à la mise en place de plateforme de services à l'échelle communale et qui peuvent se retrouver siégeant dans une Commission Locale d'Insertion. Le travail de reformulation joue un rôle central dans la conduite d'actions conjointes. Dans les Bouches-du-Rhône, le Conseil Général s'est opposé pendant de nombreuses années au Conseil Régional, la querelle portait sur la définition et le rôle de la formation. Le CR défendait l'idée qu'en tant que politique la formation relevait de sa compétence propre, le CG présentait la formation comme un outil, un levier de la politique d'insertion et à ce titre s'estimait compétent à agir sur l'offre de formation. Pendant quelques années, l'argument légal a prévalu et la commission technique paritaire veillant au respect du cadre légal du dispositif RMI (revenu minimum d'insertion) a rejeté toutes les subventions accordées par les CLl aux formations suivies par des rmistes. En arguant que la multiplicité des dispositifs d'action publique permet l'apprentissage d'un langage commun, nous voulons souligner que ces espaces ont permis aux acteurs publics de trouver une nouvelle façon de défendre leurs champs de compétences tout en faisant émerger des possibilités de coopération. Au travers de la fréquentation de ces dispositifs, les acteurs publics ont élaboré une manière de construire l'action publique non plus en
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référence à un champ politique particulier mais en relation avec les conditions concrètes de vie d'individus ancrés dans des territoires particuliers. Ce qui réunit les acteurs dans ces dispositifs, c'est le fait qu'à partir d'un champ de compétence particulier, ils ont à intervenir sur les mêmes publics. Ainsi, après l'échec de leur première tentative de coopération, le CR et le CG, cités en exemple, se sont entendus pour établir qu'au titre de la formation, le CR avait vocation à entreprendre des actions en direction des rmistes mais que les problèmes socio-économiques dudit public étaient tels que le CR ne pouvait mener une action rationnelle et espérer des résultats rapides sans les capacités d'expertise du CG. Faire émerger un argument commun tel que celui des publics et donner ensuite des enjeux une définition suffisamment large pour diminuer la source potentielle de conflit propre aux querelles de légitimité et ce dans un espace géographique déterminé, voilà en quelle manière le principe de territorialisation est propice à favoriser les coopérations.
2. LE TEMPS, CONDITION DE LA RECIPROCITE Pour se mettre en place, ces coopérations ont besoin d'espaces mais aussi de temps. Ce qui confère une certaine stabilité à la coopération, c'est la mise en œuvre d'un principe de réciprocité. Dans les coopérations qui structurent l'action publique territoriale, le principe de réciprocité est diachronique. On doit prendre en compte le fait que dans chaque coopération particulière s'échangent des ressources, une administration publique offrant son soutien technique à telle collectivi té territoriale en capaci té d'apporter les ressources financières nécessaires à l'action, mais le plus important pour la compréhension de l'action est ce qui se joue dans la répétition des coopérations. Ce qui a finalement le plus de valeur dans ces coopérations est de l'ordre du symbolique, c'est l'opportunité pour une collectivité territoriale d'apparaître comme chef de file dans la conduite de l'action. Cette rétribution symbolique est au cœur du rapport de réciprocité qui s'institue entre les différents partenaires et il ne peut se manifester que dans le temps. C'est en prenant en compte l'ensemble des coopérations, que les collectivités territoriales négocient cette réciprocité, l'intérêt pour le chercheur de s'attacher à l'étude de dispositifs qui offrent un caractère transversal est de faire apparaître ces jeux de négociation qui restent masqués si on étudie qu'une seule action. A la fameuse question de pourquoi telle coopération réussit là ou telle autre échoue, on peut commencer à répondre qu'il faut s'intéresser à l'horizon ouvert par ces coopérations. En ce qui concerne notre terrain d'enquête, les coopérations avortées portaient sur des objets qui ne pouvaient être mobilisés dans plusieurs dispositifs de manière parallèle ou consécutive. Il existe un mythe en matière de politique de formation professionnelle, il s'agit de savoir ce que veulent (en supposant une communauté d'intérêts) les acteurs économiques, le bon vouloir des entreprises est au centre des débats dans de nombreux dispositifs mais les partenaires économiques sont le plus souvent absents des tables de négociation. Les organes de consultation faisant la part belle aux partenaires sociaux sont extrêmement peu mobilisés. Si l'on prend en compte l'ensemble des coopérations à l' œu vre,
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on remarque que dans chaque dispositif tout fonctionne comme si il n'était pas possible de déterminer si les acteurs économiques représentent des partenaires, des ressources éventuelles, des capacités d'expertises ou font partie du public à. satisfaire. Ne sachant que faire des acteurs économiques, les partenaires publics sont dans l'incapacité de définir avec eux une forme de réciprocité qui permettrait leur engagement dans l'action. C~s considérations avaient pour but de dessiner le paysage de la coopération, nous allons maintenant nous intéresser à ces modalités et définir le rôle que le territoire joue dans le processus coopératif.
3. LE TERRITOIRE COMME PRINCIPE D'EQUIVALENCE Nous proposons de définir la coopération comme un processus d'échange (Cordonnier 1997) donc une relation dont la première caractéristique est que les « coéchangistes estiment chacun pour soi le bien à acquérir davantage que le bien à donner» (Schumpeter 1911). Les dimensions du temps et de l'espace permettent d'expliquer comment cet échange s'organise. Estimer le bien obtenu supérieur au bien donné est une proposition commune à l'échange marchand et à l'échange qui s'établit dans le cadre de la conduite des politiques publiques, l'originalité de ce dernier est qu'aux côtés des biens acquis et des biens donnés, s'ajoute un bien produit par l'acte d'échange. Le processus d'échange vise à assurer que la coopération aura lieu et que ce bien collectif sera produit. L'analyse du résultat de la coopération ne doit, cependant, pas se faire au détriment de la connaissance de la structure même de l'échange. Tout échange nécessite un moyen et un principe d'équivalence. La multiplicité des dispositifs mobilisables par et pour l'action publique représente autant de moyens potentiels pour engager des processus d'échange. On peut citer trois principaux types de moyens permettant l'échange: mobilisation d'un dispositif existant, recours à une forme de contrat (contrat d'objectif) ou création d'une instance nouvelle. Dans l'exemple cité précédemment de la coopération entre CR et CG pour la réalisation d'actions de formations spécifiques à destination du public rmiste, une association type 1901 a été créée pour permettre un partenariat entre les deux collectivités territoriales. La question du principe d'équivalence a été plus délicate à déterminer que la qualification des moyens nécessaires à l'échange. Il a été difficile de trouver une unité permettant de saisir à la fois comment les différents acteurs mesuraient les biens qu'ils détenaient par rapport à ceux détenus par leurs possibles partenaires et de quelle manière ces différents partenaires arrivaient à s'entendre sur au moins une chose, le fait que les parties en présence étaient légitimement aptes à engager une coopération. Nous nous sommes aperçus que c'est le territoire qui fait fonction de principe d'équivalence dans ces processus d'échanges coopératifs. Avant tout ancrage géographique, le territoire tel qu'il est entendu dans les politiques publiques est un espace social et économique cohérent présentant une problématique pouvant faire l'objet d'une intervention publique. Cette définition du territoire est partagée par l'ensemble des
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partenaires, en premier lieu par les institutions. Le passage par une référence au territoire leur permet de mesurer leurs actions et leurs moyens d'interventions sans que cela mette en cause les compétences propres à chacune. A minima ce principe d'équivalence permet à une mairie d'intervenir sur la question de l'emploi dans un quartier de la commune sans mettre en cause la position dominante de l'ANPE, sur ce même quartier le Conseil Régional pourra favoriser l'implantation des entreprises et le Conseil général mettre en place une action en faveur des mères de familles isolées. Généralement, les différentes institutions citées n'ont pas intérêt à disperser leurs énergies et à mener ainsi des actions isolées sur le même quartier, à un degré plus élevé ce principe d'équivalence va permettre une mesure des biens proposés par chaque institution pour dynamiser le territoire en question et suivant la définition de la problématique et des enjeux du territoires, l'une ou l'autre des institutions sera désignée comme chef de file et assurera la réussite de la coopération. La référence au territoire permet aussi de résorber les rivalités entre les coopérants et de ménager les susceptibilités, chaque institution entend garder jalousement ses prérogatives, le fait de parvenir à s'entendre sur un territoire toujours inférieur aux délimitations géographiques administratives de chaque institution (comme l'est un quartier ou un arrondissement) permet à toutes de pouvoir prétendre à participer à la coopération. La notion de territoire met de l'ordre dans, le processus de coopération, elle lui confère aussi une lisibilité. Nous mentionnions en introduction que la territorialisation renvoyant à une conception particulière de ce que doit être une politique juste. Le recours au territoire en tant que principe organisation des coopérations permet de légitimer l'action publique d'un point de vue quanti tati£. La particularité des coopérations en poli tiques publiques est qu'en plus de produire un résultat pour chaque participant, un nouveau bien est produit par l'action collective. Ce bien doit être conforme à un certain nombre de critères pour être légitime, le plus important de ces critères est qu'il doit exprimer la rationalité de l'action. Les procédures d'évaluation ont généralement pour but d'évaluer cette rationalité au regard des territoires d'action choisis: cartographie, statistiques, tableaux de bord comptables sont alors autant d'outils mobilisés pour rendre compte de la cohérence d'espaces géographiques qui n'ont pas été sélectionnés comme cadre de la coopération en raison d'un argument de cohérence interne mais parce qu'il pouvait être cohérent, d'un point de vue politique, que chacun des partenaires institutionnels y interviennent. Examiner les procédures par lesquelles le bien produit par la coopération est reconstruit à posteriori comme la raison légitime de la coopération complèterait l'analyse qui vient d'être proposée.
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PRESAGE/ UN LOGICIEL DE GESTION OU DE RECOMPOSITION DES TERRITOIRES? Xavier Marchand- Tonel & Vincent Simoulin Xavier Marchand-Tonel est professeur agrégé (PRAC) à l'Université Toulouse I et doctorant au LEREPS. Ses recherches portent sur l'impact des politiques régionales communautaires sur les systèmes politiques locaux. Il a, en particulier, copublié, avec Vincent Simoulin, «Les fonds européens régionaux en Midi-Pyrénées: gouvernance polycentrique, locale ou en trompe-l'œil? », Politique européenne, n° 12, hiver 2004, pp. 22-41. Courriel: Xavier.!\
[email protected] Vincent Simoulin est chercheur au LEREPS (Université de Toulouse 1 Sciences sociales). Ses recherches portent sur les modalités de l'européanisation, le changement organisationnel et les méthodes pour le saisir. Il a notamment publié La Coopération nordique. L'organisation régionale de l'Europe du Nord depuis la tentative autonome jusqu'à l'adaptation à l'Europe (Parîs: L'Harmattan, Collection Logiques Politiques, 1999) et (avec Romain Pasquier et Julien Weisbein) La gouvernance territoriale. Pratiques, discours et théories (Paris: LCD}, 2007, à paraître). Courriel :
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Cet article saisit rimpact d'un instrument (le logiciel PRESAGE) sur la mise en œuvre des fonds structurels en Midi-Pyrénées. Il compare pour cela la période antérieure à son introduction à la phase suivante. L'étude montre que les conséquences correspondent à une redéfinition du champ des acteurs et de leurs relations. On peut de ce fait tenir cet instrument pour un outil de recomposition plus que de gestion des territoires.
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Abs tract The text deals with the impact of a tool (the PRESAGE software) on the implementation of the structural funds in Midi-Pyrénées. It compares the period before its utilisation to the following phase. The present study shows that the effects correspond to a redefinition of the field of actors and of their connections. Therefore, this software is more than a management tool: it contribu tes to the restructuring of the relationship between territories.
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153
Un instrument
sociologique, comme
de l'action «
publique
peut être défini,
dans un cadre
un dispositif à la fois technique et social qui organise des
rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur» (Lascoumes Le Galès 2004). Selon ces mêmes auteurs, placer les outils au centre de l'analyse peut éclairer les mutations des politiques à deux titres au moins, à travers les valeurs et normes qui leur sont associées et en fonction de la façon dont les acteurs les intègrent - ou pas - dans leurs stratégies et leurs pratiques. Il est rare, toutefois, de pouvoir saisir de façon quasi pure l'impact d'un instrument en comparant la phase antérieure à son évolution et celle où se manifestent les effets qu'il induit. C'est cette perspective que nous offre l'étude de la mise en œuvre des fonds structurels en Midi-Pyrénées, puisque nous avions observé la phase de programmation 1994-1999 (Marchand-Tonel Simoulin 2004) et avons renouvelé cette enquête sur le même territoire dans une seconde période marquée par l'introduction d'un logiciel de gestion69. Notre première étude avait conclu qu'à partir de 1998, l'attribution du Fonds européen de développement régional (FEDER) a donné lieu à l'émergence d'une véritable gouvernance régionale, animée pour l'essentiel par le Secrétariat général aux affaires régionales 70 (SGAR). Cette hypothèse a été confortée par le fait que le champ de compétences de cet acteur a été étendu, au cours de la phase 2000-2006, par le programme FEDER Objectif 271: les enveloppes départementales ont été supprimées et l'octroi des crédits européens est désormais effectué au niveau régional. Pour aider les membres du SGAR dans leurs tâches,' un logiciel de gestion, baptisé «PRESAGE », a donc été installé, qui permet à ses utilisateurs, connectés en réseau, de se transmettre des informations sur les dossiers de demande de financements. Constate-t-on effectivement que PRESAGE a été pris en compte par les acteurs dans leurs pratiques et stratégies? A-t-il provoqué des changements de représentations? Peut-on le considérer comme un simple logiciel de gestion ou doit-on conclure qu'il a conduit à une certaine recomposition des systèmes politiques locaux voire des territoires eux-mêmes?
69
Il est vrai, comme on le verra, que d'autres changements ont marqué le passage d'une
phase de programmation à l'autre, nous nous centrerons, toutefois, ici sur la seule introduction de PRESAGE. 70Le Secrétariat général pour les affaires régionales regroupe les services de la Préfecture
de Région. il est dirigé par un Secrétaire général, qu'on appelle aussi
«
le SCAR ». Dans
notre cas, toute mention du SCAR fera référence aux services et non à leur responsable. 71 Le programme européen Objectif 2 2000-2006 comprend trois volets, financés respectivement par le FEDER, le Fonds social européen (FSE) et le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), qui a été remplacé à l'automne 2006 par le Fonds européen agricole garanti (FEACA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Notre étude porte uniquement sur le premier d'entre eux.
154
1. UNE REDEFINITION
DU CHAMP DES ACTEURS
Comme tout logiciel de gestion, PRESAGE a eu pour première conséquence de déterminer un périmètre au sein duquel tous les acteurs concernés ne sont pas nécessairement admis et où ceux qui le sont n'ont pas le même statut. Il apparaît, de fait, que tous les organismes associés au programme n'ont pas un accès direct à PRESAGE et que certains doivent passer par un intermédiaire pour connaître les détails d'un dossier. C'est le cas notamment d'un Conseil général, du Conseil économique et social régional (CESR), des chambres consulaires et des mairies. Il faut distinguer, dans cet ensemble, ceux qui, comme le CESR, souhaiteraient avoir le logiciel et à qui il n'a pas été accordé par le SGAR, et ceux qui, comme un Conseil général, ont refusé l'installation de PRESAGE. Ce logiciel n'offre, en outre, pas les mêmes fonctionnalités à tous ceux qui sont conduits à s'y connecter. De ce point de vue, les utilisateurs de PRESAGE se répartissent en deux grandes catégories. Les services de l'État (le SGAR, les préfectures, les directions régionales, les trésoreries générales et le Commissariat 72 à l'aménagement des Pyrénées) et les responsables de la « subvention globale» au Conseil régional assurent des saisies d'informations sur PRESAGE et font évoluer les dossiers de demande de subvention en leur faisant franchir les différentes étapes de la procédure. Les autres (les Conseils généraux, les directions départementales déconcentrées et les sous-préfectures) peuvent seulement se tenir informés du cheminement d'une opération ou de l'état partiel ou total des financements déjà accordés. Il faut souligner, en particulier, que l'étiquetage d'un dossier comme « programmé» est réservé au SGAR et que, de même, la possibilité de lire et a fortiori d'écrire les informations relatives aux contrôles est très limitée. «Seuls les agents de la CREC (Contrôle des programmes européens) sont habilités à accéder en mise à jour de ['écran Contrôle-OLAF. La CICC et les services de la TG ont accès en lecture seule, les autres services n'ont pas ['accès même en consultation» (note technique du SCAR).73 Signalons, enfin, que cette redéfinition de la hiérarchie des acteurs du FEDER Objectif 2 en Midi-Pyrénées est garantie par un verrouillage de la maintenance du système: seuls deux agents du SCAR ont la capacité technique de résoudre les dysfonctionnements que connaît parfois le logiciel.
72
73
La «subvention globale» est la partie, directement par le Conseil régional.
réduite,
du programme
Objectif 2 gérée
La Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC), française, et l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) sont tous les deux chargés d'encadrer et d'examiner les contrôles réalisés au niveau local (en Midi-Pyrénées, par la CREC, une subdivision du SCAR).
155
2. UN OUTIL D"APPRENTISSAGE
COLLECTIF
Parce qu'il joue aussi un rôle de base de données, PRESAGE a également eu pour effet d'accroître la réflexivité et le caractère collectif du dispositif de coopéra tion. Son installation a, en effet, mis fin à une situation où chaque département avait son propre outil de gestion du FEDER. Elle s'est accompagnée de l'acquisition progressive par l'ensemble des acteurs régionaux des codes imposés par PRESAGE. Un exemple en est fourni par le « statut» d'une opération, c'est-à-dire sa place dans le processus de programmation, qui est désigné par une simple lettre, «D » pour « dé~osé », « C» pour indiquer le passage en «Comité régional de programmation 4» (CRP), «0» pour «programmé»... Au-delà des formulations, ce sont aussi les différentes étapes de la procédure qui ont été uniformisées par l'utilisation de PRESAGE: chacun est obligé de suivre à peu près les mêmes car le logiciel bloque toute tentative pour passer à une nouvelle étape de la vie d'un dossier sans avoir satisfait toutes les exigences du palier précédent. De surcroît, PRESAGE permet de se tenir au courant de ce qui a été programmé dans tous les départements et/ ou sur chaque mesure. Il contribue ainsi à l'évolution et aux ajustements des comportements: d'une part, les dossiers montés par les uns peuvent servir de modèles aux autres; d'autre part, les réactions des responsables du programme (SGAR, CICC, Commission européenne) aux informations contenues dans la base de données permettent de savoir ce qu'ils sont prêts à accepter. C'est probablement une des dimensions où le caractère polycentrique de la gouvernance du programme est le plus marqué. Le SCAR est, cependant, le grand bénéficiaire de cette « transparence» 75 car il a beaucoup moins de difficultés que par le passé à connaître la façon dont les départements utilisent les crédits européens.
3. UNE DEMATERIALISATION
DES RAPPORTS SOCIAUX
En ce qui concerne le traitement de l'information, le gain de temps et d'espace offert par PRESAGE est substantiel76 par rapport aux dossiers constitués d'une chemise et de multiples feuilles. Ceux-ci n'ont pas pour autant totalement disparu mais ils sont devenus beaucoup plus rares.
74
Les Comités de programmation sont les réunions au cours desquelles l'attribution des fonds européens est décidée. 75 C'est un des bénéfices attendus de PRESAGE, selon le document qui indique les règles de l'organisation du programme Objectif 2 2000-2006 au niveau régional. 76 D'innombrables renseignements sur le programme sont accessibles très rapidement grâce à un simple ordinateur, pour ceux qui ont le logiciel.
156
Néanmoins, les répercussions de la dématérialisation du travail réalisé par PRESAGE ne se limitent pas à des considérations d'efficacité: le logiciel a également affecté la nature des interactions sociales. Il a limité la fréquence des rapports de « face-à-face» et, de ce fait, il a contribué à atténuer les tensions qui ne manquaient pas de naître autour de certains projets particulièrement « appuyés» - c'est la litote usuelle pour désigner une pression politique - ou dans les situations de pénurie des crédits européens. Les rapports de force ont ainsi été euphémisés par la médiation informatique. Cet effet est d'autant plus marqué que PRESAGE a également accru le décalage entre la «rationalité économique» et la «rationalité politique» du programme (Friedberg 1993) en éloignant du terrain les acteurs. Ceux-ci, en partie à cause de l'utilisation du logiciel, ont consacré moins de temps à la visite des sites des opérations et à la rencontre des porteurs de projet. Ces réalités sont devenues des codes, des nombres et des commentaires. La matière qu'il s'agit de traiter a ainsi perdu une partie de son caractère concret pour devenir plus immatérielle et plus aisément manipulable.
4. DES
STRATEGIES DE DISSIMULATION
Tous les effets que nous venons de décrire ne doivent, toutefois, pas laisser croire que les acteurs seraient restés passifs face à l'introduction de PRESAGE et que leurs représentations et pratiques auraient changé sans qu'ils soient en mesure d'élaborer et de mettre en œuvre de véritables stratégies à son sujet. PRESAGE est, de fait, le support et l'instrument de stratégies de dissimulation. Il ramène une réalité infiniment complexe à quelques caractéristiques et à un petit nombre de données chiffrées, ce qui autorise parfois un travestissement de la réalité par le service chargé de remplir PRESAGE: on oublie tel aspect gênant; on invente telle délibération qui n'a pas encore eu lieu, etc. La formulation et la diffusion de l'information relèvent quelquefois de comportements stratégiques pour circonvenir le SGAR, qui n'en peut mais... Celui-ci n'est cependant pas toujours une victime de ces comportements et peut en être le complice: il s'agit pour lui de dissimuler aux autres acteurs (les départements ou directions régionales déconcentrées mais aussi la CICC et la Commission) ce qu'il a accordé à tel ou tel, afin de préserver ses marges de négociation. PRESAGE peut même alors devenir une aide. En effet, une façon de ne pas attirer l'attention sur une opération au cours d'un CRP est de n'y faire allusion qu'à travers son numéro et, si possible, au milieu d'une liste d'autres numéros. En outre, PRESAGE a permis au SGAR, à la fin de la période, d'entretenir un certain flou autour des montants encore disponibles sur les différentes sous mesures du programme ou accordés à chacun des départements de la région. En dehors du SGAR, ces calculs, évidemment stratégiques pour les acteurs, ne pouvaient être réalisés qu'« à la main », pour reprendre l'expression
157
systématiquement utilisée. Ils étaient simples mais extrêmement réaliser quand des centaines d'opérations étaient à prendre en n'étaient donc, en général, pas effectués. Le SGAR a vu ainsi se position d'arbitre entre les derniers dossiers à programmer dans les pré-CRP.
fastidieux à compte. Ils renforcer sa négociations
Les conclusions de notre étude ne sont pas douteuses. Elle révèle incontestablement que les particularités de PRESAGE ont altéré et spécifié de plusieurs manières l'attribution des fonds liés au FEDER Objectif 2. Non seulement PRESAGE a modifié les représentations et les interactions des acteurs, mais ceux-ci ont développé à son sujet des stratégies variées. De ce point de vue,
ce logiciel s'apparente bien à cette
«
technologie invisible» dont Michel Berry
(1983) et, plus largement, toute l'école du Centre de Recherche en Gestion (CRG) ont montré qu'elle n'était en rien un auxiliaire discret et efficace du pouvoir mais qu'elle influait profondément et durablement sur les comportements humains et les structures organisationnelles. Peut-on dire, pour autant, qu'il a effectivement provoqué une recomposition des territoires? Qu'il a contribué à la conclusion de nouvelles alliances entre les acteurs et à une modification de la carte cognitive du système politico-administratif de Midi-Pyrénées? Répondre à ces questions supposerait une étude systématique qui prendrait notamment en compte le développement des intercommunalités et des pays qui s'est effectué de façon à peine antérieure à l'introduction de PRESAGE. On touche ici à la limite de notre entreprise qui, comme toute comparaison en matière politique et sociale, ne peut jamais totalement isoler l'effet d'une seule variable. On aimerait, toutefois, esquisser l'hypothèse paradoxale que PRESAGE aurait à la fois favorisé une intégration au niveau régional et conforté l'autonomie des acteurs locaux. Comme tout logiciel dont le fonctionnement suppose la transmission de données et une certaine bonne volonté des acteurs dont il est censé régir les actions, PRESAGE a conduit à un arrangement: les acteurs centraux obtenant une vue d'ensemble au détriment des éclairages ponctuels mais plus approfondis que leur offrait le contact avec le terrain, tandis que les acteurs locaux devaient renoncer à une pleine maîtrise de la gestion des fonds européens mais y gagnaient une plus grande visibilité et prévisibilité sur l'issue des négociations avec les acteurs régionaux. C'est en cela que nous tendrions à affirmer que PRESAGE a effectivementcontribué à une double recomposition des territoires.
158
LES IMPROBABLES
BILANS DES 'LABORATOIRES'
ET AUTRES EXPERIMENTATIONS
DE LA DECENTRALISATION
CULTURELLE
Mireille Pongy Mireille Pongy est chargée de recherches au CNRS, laboratoire PACTESciences Po Recherche, lEP de Grenoble. Elle conduit des recherches sur l'action publique dans le domaine de la culture, en particulier sur les modes de gouvernance multi-niveaux et sur la décentralisation. Elle s'est également intéressée ces dernières années aux effets des réformes des systèmes nationaux d'enseignement supérieur en Europe (processus de Bologne) et dans l'Union européenne. Elle a récemment dirigé une formation de Master à l'administration et au management culturel à l'lEP de Grenoble. Courriel:
[email protected]
Résumé La fabrication de la loi de 2004 (( Acte II de la décentralisation») a bénéficié, dans le domaine culturel, de plusieurs lieux de réflexions et d'expérimentations supposés éclairer les nouvelles l1zesures à intégrer dans la loi. Or c'est paradoxalement l'absence de cohérence des articles de loi concernant la culture qui retient l'attention. L'analyse du processus de production revèle la position défensive de l'administration centrale du ministère de la Culture vis-à-vis de ce qui est vécu cOl1lme un dessaisissement de ses prérogatives et de ses compétences. Face à l'avancée de la décentralisation,
l'administration centrale ne semble plus en mesure de porter
«
l'intérêt général », autrement dit une
vision globale de la politique culturelle, lorsque ses propres intérêts sont menacés. Cependant, sa position toujours dominante dans l'écriture de la loi souligne a contrario l'absence des collectivités territoriales et en particulier des exécutifs territoriaux chargés de mettre en oeuvre des pans croissants de l'action publique, dans cette même écriture. Le développement de l'action publique territoriale transforllle la nature du politique au niveau local (de plus en plus impliqué dans l'action) et interroge sa représentation au niveau national (absence des collectivités territoriales au Parlement).
Abstract Concerning the cultural field, the 'writing of the law
«
Decentralisation Act II» in 2004 was hiformed
by several reflexions and experimentations which 'lvere supposed enlightening measures to be adopted in the new la'lv. Paradoxically there is a lack of coherence behveen the la'lv's articles. Analyzing the production process sho'lvS the defensive position of the central administration of the 111inistry of
culture, 'lvitlr respect to 'lvlratis felt like a dispossession of its prerogatives and its competences. Facing advanced decentralization, the central adl11inistration do not seem any l1lOre able to produce" the general interest", in other words to produce a global vision of the cultural policy, when its O'lvn interests are threatened. HO'lvever its ahvays dominant position in the "lvriting of the la'lv, a con trario underlines the absence of the local authorities and hl particular of the territorial executives busy 'lvith implementation increasing sides of the public action, hl this same 'lvriting. The development of public action at territoriallevel transforms the nature of politics at the locallevel (more and more implied in the action) and questions it at the nationallevel (absence of the local authorities at the Parliament).
159
Actualisation législative et juridique des responsabilités des différentes collectivi tés publiques dans certains domaines d'action publique, la loi d' aoû t
2004 relative aux libertés locales, qualifiée d' « Acte II de la décentralisation », cristallise des évolutions dans les représentations de la conduite de l'action publique et induit de nouveaux changements dans les domaines d'action publique concernés par la loi, à travers des transferts ou des clarifications de responsabilités et de compétences. On cherchera à montrer ici comment les modes spécifiques de production de cette loi dans le domaine culturel renvoient à une représentation d'autant plus éclatée de la construction de l'action publique que la loi concerne les instruments et les cadres institutionnels mais ne reformule pas les objectifs et le cadre normatif qui auraient construit un nouveau sens de l'action. Convié comme chaque ministère technique à nourrir le projet de loi relatif aux libertés locales et à proposer des mesures de décentralisation dans son domaine, le ministère de la Culture a proposé des dispositions concernant les deux secteurs du patrimoine et des enseignements artistiques. Si les mesures qui concernent le patrimoine relèvent d'une approche classique « top-down» d'un transfert de compétences, celles qui concernent les enseignements artistiques sont davantage une tentative de clarification des responsabilités des différentes collectivi tés publiques77. La fabrication de cette loi a bénéficié du travail de plusieurs lieux de production de réflexions sur la décentralisation culturelle au cours des années qui en ont précédé le vote. Le caractère novateur de l'expérience de décentralisation culturelle menée en Corse avait été énoncé par l'Etat. De fait la politique de décentralisation et de transferts de compétences menée en direction de la Corse à l'occasion de la mise en place d'un nouveau statut de cette région en 1982, (actualisé en 1991 puis en 2002)78 a notamment abouti à dessaisir l'Etat de cette politique publique et à confier à la Collectivité Territoriale de Corse l'orientation, le pilotage et la mise
77
La loi prévoit le transfert de l'inventaire du patrimoine culturel aux Régions. Elle prévoit à titre expérimental, la délégation aux régions, ou à défaut aux départements qui le souhaitent, de la gestion des crédits affectés par l'Etat à l'entretien et à la restauration du patrimoine classé ou inscrit qui ne lui appartient pas. La Région peut à son tour confier la délégation de la gestion de ces crédits aux départements de son territoire. Enfin l'échelon départemental est désigné comme responsable de la conservation du patrimoine rural non protégé. Le transfert d'une centaine de monuments historiques, appartenant à l'Etat, aux collectivités territoriales qui en font la demande, est également prévu. Dans le secteur des enseignements artistiques, la loi clarifie la responsabilité de chaque collectivité selon les niveaux d'enseignement: enseignement initial et éducation artistique aux communes et aux départements, préprofessionnel aux régions, supérieur à l'Etat. En proposant cependant le transfert aux régions et aux départements des fonds destinés au fonctionnement des établissements d'enseignement artistique, que l'Etat accordait jusqu'à présent aux communes, l'Etat se retire du dispositif de financement, mais conserve la responsabilité du classement des établissements, ainsi que la définition des qualifications et l'évaluation des enseignants.
78
La mise en place des trois statuts successifs de la Corse a été menée par des gouvernements
de gauche.
160
en oeuvre de la politique culturelle. «Susceptible d'intéresser l'ensemble des régions françaises », selon les termes du contrat de plan Etat-Collectivité Territoriale de Corse qui la programmait, son évaluation a été réalisée à la fin des années 1990. Un Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel installé en 1999, avait pour mission d'examiner les responsabilités respectives de l'Etat et des collectivités territoriales et d'aborder le sujet d'une nouvelle répartition des compétences. Également créée en 1999, une Commission pour l'avenir de la décentralisation présidée par P. Mauroy devait proposer un bilan des lois de décentralisation de 1982-1983 et tracer de nouvelles perspectives. Enfin deux dispositifs spécifiques mis en place à partir de l'année 2000 par les gouvernements (gauche puis droite) qui se sont succédé jusqu'au vote de la loi en août 2004, avaient pour objectif d'informer la réflexion sur la décentralisation culturelle que les deux gouvernements entendaient relancer.
1. LES LEÇONS DES EXPERIMENTATIONS La politique des protocoles de décentralisation culturelle conduite à l'initiative des ministres de la Culture et secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation, nommés en février 2000, répondait à une incitation gouvernementale à mener des expérimentations en vue d'une nouvelle étape de la décentralisation, dont ni les objectifs, ni le contenu, ni le calendrier n'étaient alors arrêtés. Les protocoles de décentralisation culturelle mis en place en 20012002 liaient par contrat des collectivités territoriales volontaires et l'Etatministère de la Culture. Ils avaient pour objet de contribuer à la clarification et à la redéfinition des responsabilités de chacune des collectivités et de l'Etat par l'expérimentation de nouveaux rôles, dans les deux domaines du patrimoine et des enseignements artistiques. Une première série de protocoles (7) sera signée en 2001. La signature de la seconde sera momentanément interrompue par l'élection présidentielle de mai 2002, mais le nouveau ministre reprendra la démarche à son compte et 5 nouveaux protocoles seront signés. L'hétérogénéité des protocoles tient en partie au cadre ouvert de la procédure permettant à des projets territoriaux divers de s'inscrire dans la procédure, à la configuration d'acteurs différents selon les lieux et à une approche pragmatique et volontariste d'une bonne partie des acteurs impliqués. Dotés d'un budget non négligeable, certains protocoles ont permis aux collectivités territoriales de mettre en place des projets qu'elles n'auraient pu lancer seules ou d'abonder financièrement des actions inscrites dans les contrats en cours et notamment les volets culturels des contrats de plan. Le protocole signé par le département de l'Isère est particulièrement emblématique de la démarche, par son expérimentation d'une autre répartition des compétences entre collectivités, fondée sur la distinction entre intérêt national et intérêt territorial du patrimoine. S'appuyant sur les principes de subsidiarité et de collectivité chef de file, le conseil général proposait de prendre
161
en charge l'ensemble de la politique concernant une des deux catégories du patrimoine protégé par l'Etat: les monuments inscrits, assimilés à un patrimoine d'intérêt territorial. Les monuments classés, assimilés à un patrimoine d'intérêt national, restaient du ressort de l'Etat. La qualité et la sophistication de la démarche tenaient notamment à la professionnalité de la conservation du patrimoine du département, la plus développée de France. Cette professionnalité permettait aux conservateurs départementaux de négocier à égal niveau de qualification avec la conservation régionale des monuments historiques, service déconcentré du ministère de la Culture. Le nouveau ministre de la Culture poursuivra certes la politique des protocoles, mais lancera surtout une autre expérimentation, s'inscrivant dans une nouvelle étape de décentralisation, alors devenue première priorité du nouveau gouvernement79. Mis en place dans deux régions gouvernées par des partis différents (Lorraine et Midi-Pyrénées), ce dispositif avait vocation à produire des préconisations visant à préciser et simplifier les relations contractuelles entre les différents partenaires, à contribuer à une plus grande efficacité des actions menées et à proposer des mesures de décentralisation là où elles semblaient nécessaires. Ces préconisations se fondaient d'abord sur la réalisation d'études et de diagnostics sur l'état des lieux des actions culturelles menées dans les deux régions. Elles devaient émerger ensuite d'un travail de mobilisation et de concertation de l'ensemble des acteurs culturels concernés dans chaque région (les professionnels, les techniciens des collectivités territoriales et de l'Etat, quelques élus, les enseignants...) à l'occasion d'une série de rencontres organisées conjointement par l'Etat et le Conseil Régional. Destinées à alimenter le contenu d'une future loi de décentralisation, ces deux expérimentations (protocoles et expérimentations régionales) ont été prises de vitesse par la volonté primo ministérielle de mettre très rapidement la nouvelle étape de décentralisation sur l'agenda législatif. Le projet de loi a été rendu public avant que les expérimentations ne soient terminées et ses évaluations réalisées. Les articles de loi concernant le domaine culturel faisaient apparaître que l'administration centrale de la culture avait peu tenu compte des expériences et expérimentations menées dans sa rédaction des articles. Cette publication a provoqué l'amertume des acteurs concernés. Le département de l'Isère a refusé de poursuivre l'expérimentation et a dénoncé le protocole. Il faut ajouter que dès le lancement de la politique des protocoles, l'administration centrale de la culture et en particulier la direction du patrimoine avait peu apprécié cette initiative du nouvel échelon politique ministériel qui bousculait sa réflexion et son action sur l'avenir de la décentralisation culturelle. Peu présente au début des protocoles, l'administration centrale, soucieuse de contrôler l'évolution du processus, a
79
Sur le plan de la méthode, la seconde expérimentation était moins innovante que la première. Mais en abordant l'ensemble du champ culturel régional et en concernant l'ensemble des acteurs culturels, elle a mis en avant la volonté des acteurs professionnels de la culture de contribuer à l'émergence d'un espace d'action culturelle au niveau régional et leur moindre intérêt à proposer des préconisations sur les réformes à entreprendre au niveau national.
162
cependant rapidement protocoles.
rejoint les travaux du groupe de suivi et d'évaluation
2. LA SPECIFICITE DES SITUATIONS
des
LOCALES
Certains arguments ont ensuite été avancés pour légitimer la non-prise en compte des leçons des expérimentations, voire les disqualifier, comme la trop grande spécificité des situations locales. Tel est le cas pour le protocole de l'Isère, la conservation du patrimoine de l'Isère étant exceptionnellement dotée de professionnels qualifiés et de financements conséquents par rapport aux autres départements8o. Tel est également le cas de l'expérience corse dont l'évaluation soulignait pourtant moins les spécificités locales81 que les importants dysfonctionnements révélés dans l'administration des questions patrimoniales, à partir du moment où l'Etat n'en avait plus le monopole. La dévolution de l'ensemble de la politique culturelle à la Collectivité Territoriale de Corse en 2002, a permis à l'administration centrale du ministère de la Culture de ne pas répondre aux interrogations réitérées des services patrimoniaux de la Collectivité Territoriale de Corse face à ces dysfonctionnements. Elle lui a de fait permis d'économiser, ou au moins de différer dans le temps82, un vaste chantier de redéfinition et de refondation de la politique du patrimoine qui aurait nécessairement bousculé les positions des corps les plus puissants de cette administration, déjà largement remis en cause, par les élus notamment. D'autres raisons peuvent encore éclairer le contenu des articles de la loi. Prenons le cas de l'inventaire du patrimoine culturel, seul domaine dont la loi a transféré la conduite aux Régions. Les problèmes récurrents posés par l'intégration des services de l'inventaire au sein des conservations régionales des monuments historiques étaient connus. La logique scientifique dans laquelle les conservateurs de l'inventaire inscrivent leur activité de recherche et d'études, leur stratégie de publication destinée d'abord à la communauté des pairs, la lenteur des travaux menées se traduisaient par une absence de coopération de ces acteurs à la politique intégrée de protection et de gestion du patrimoine menée au sein des Directions Régionales des Affaires Culturelles. Autre facteur facilitant la décentralisation de l'inventaire aux Régions: les conservateurs de
80
corses».
«
Le déficit des collectivités territoriales en moyens humains professionnalisés dans le secteur patrimonial souligné par E. Négrier (2002) est bien réel. TI faut d'autant plus souligner qu'un des effets indirects des protocoles a été le recrutement de professionnels par les collecti vi tés territoriales. 81 L'énumération des «spécificités territoriales» de la Corse est tâche plus aisée que l'analyse des méandres de la politique du patrimoine dans une région où la méfiance à l'égard des évaluateurs est, pour des raisons diamétralement opposées, égale à celle de l'administration centrale du ministère. 82 La délégation expérimentale aux Régions de la gestion des crédits affectés par l'Etat à l'entretien et à la restauration du patrimoine classé ou inscrit qui ne lui appartiennent pas, prévue par la loi de 2004 ne manquera pas de reposer certains problèmes
163
l'inventaire sont un corps très peu nombreux, peu familier des media (contrairement aux acteurs du spectacle vivant) et leurs éventuelles résistances avaient peu de chance de provoquer des problèmes politiques importants. La régionalisation de l'inventaire a ainsi permis à l'Etat de régler certains problèmes, mais a été diversement accueillie par les Régions qui n'avaient pas été consultées. Leur politique culturelle est jusqu'à présent moins centrée sur le patrimoine que sur le spectacle vivant et elles n'étaient généralement pas demandeuses de compétences patrimoniales, alors que de nombreux départements menaient une politique patrimoniale active et avaient manifesté leur intérêt pour cette compétence. En 2000, la Commission pour l'avenir de la décentralisation présidée par P. Mauroy, avait d'ailleurs proposé le transfert de l'inventaire aux départements. La volonté politique du Premier ministre de renforcer l'échelon régional a emporté la décision. Au-delà de la question de l'inventaire, c'est l'absence de cohérence des articles de loi concernant la culture, leur aspect de catalogue non raisonné qui pose question, ce dont témoignaient les interrogations des élus, lors des travaux et des débats des Commissions du Sénat et de l'Assemblée Nationale sur le projet de loi. ln fine c'est une représentation éclatée de la construction de l'action publique qui émerge, dans laquelle la définition d'orientation, d'objectifs clairs et de programmes cohérents laisse place à un processus itératif et incertain de production de la loi et, en aval, des politiques publiques La relative abondance des dispositifs censés informer la nouvelle étape de la décentralisation culturelle a-t-elle paradoxalement nui à sa cohérence et contribué à sa fragmentation? Les quelques domaines concernés par la loi sont cependant ceux sur lesquels portaient déjà les débats, tant dans le domaine du patrimoine que des enseignements artistiques et sans rechercher de vaines causalités, la loi semble avoir pris en compte l'environnement réflexif construit par ces différentes sources. On fera plutôt l'hypothèse que la vision fragmentée de la loi relève de la position défensive de l'administration centrale du patrimoine dominée par le corps des conservateurs des monuments historiques, vis-à-vis de ce qui est vécu comme un dessaisissement de leurs prérogatives et de leurs compétences. Face à l'avancée de la décentralisation, l'administration centrale est-elle encore
aujourd'hui en mesure de porter
«
l'intérêt général », autrement dit une vision
globale de la politique patrimoniale et plus largement culturelle, lorsque ses propres intérêts sont menacés? Et jusqu'à quand cette position de freinage tiendra-t-elle face aux contraintes du changement induit par le développement de la décentralisation? La coconstruction d'un intérêt général partagé est-elle possible au niveau national? Il ne s'agit pas ici de mettre en avant une vision angélique d'un sens partagé à construire collectivement, face à la perte du monopole de l'administration de l'Etat, artisan et acteur central d'une politique culturelle forte depuis la création du ministère des Affaires Culturelles en 1959. L'ensemble des collectivités publiques participent aujourd'hui à la politique culturelle et si la réduction des financements publics inquiète nombre d'acteurs, ce sont d'abord les cadres institutionnels qu'il s'agit d'interroger. L'absence des collectivités territoriales, en tant que telles, au Parlement interdit leur 164
participation aux débats qui construisent la loi. Les élus locaux ne sont cependant plus seulement des sénateurs et les exécutifs territoriaux ont de plus en plus la charge de mettre en oeuvre les politiques publiques décidées au niveau central. Le développement toujours croissant de l'action publique territoriale transforme la nature du poli tique au niveau local et interroge sa représentation au niveau national.
165
UNE 'CULTURE'
PARTAGEE
DU TERRITOIRE?
LES CAPITALES EUROPEENNES DE LA CULTURE ET LfEXEMPLE DE LILLE 2004
Rémi Lefèbvre Rémi Lefèbvre est professeur de science politique à Reims et chercheur au CERAPS-Lille 2. Il a récemment publié avec Frédéric Sawicki La société des socialistes aux Editions du Croquant en 2006 et en direction avec Christian Le Bart La proximité en politique aux PUR en 2005. Courriel :
[email protected] .. ..
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Résumé En mai 1998, la ville de Lille est choisie par le conseil des ministres
européens de la culture:
pour être capitale européenne en 2004. La redéfinition du territoire, de ses représentations, la mise en mouvement de la société locale sont posés comme les enjeux de ce projet qui combine des dimensions culturelles, touristiques, économiques et sociales. Le label «
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capitaleeuropéennede la culture» est construit et brandi par divers acteurs (Martine
Aubry, maire de Lille au premier chef) comme un projet de territoire associant l'ensemble des acteurs locaux, la dimension culturelle stimulan t et fécondant l'ensemble de la démarche. L'analyse fait apparaître une faible mise en discussion du projet, la dilution de la dimension « culturelle» et les logiques de construction d'un leadership territorial qui son t au principe de la conduite du projet. Abstract ..
i In May 1998, the city of Lille was chosen by the Council of the European Ministers of
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~ Culture as Europe's cultural capitalfor 2004. This project,combining cultural, economic, i
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social and touristic dimensions, was associated with an agenda including the redefinition
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i groups. Being awardedfor a year the title of "Europeancapital culture" was construed!
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and presented by various actors, such as Martine Aubry, the mayoress of Lille, as a project that was to gather the entire local community, with the projet' s cultural dimension acting as an incentive and an inspiration. Our analysis highlights the fact that the project was in fact the object of little public discussion and that its cultural dimension ended up being!
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territorial leadership which underpin the management of the project.
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En mai 1998, Lille est choisie par le conseil des ministres européens de la culture pour être capitale européenne en 2004 (avec Gênes). Cette sélection est l'aboutissement d'une démarche ancienne dans laquelle le pouvoir politique s'est initialement peu inscrit. La candidature au label de capitale européenne de la culture est née au sein du Comité Grand Lille, lieu d'échanges de vue entre
élus et élites économiques engagés dans le processus de
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métropolisation
11
de
l'aire urbaine lilloise. Créé en 1993, ce forum se donne pour ambition de créer un événement d'envergure nationale pour positionner la métropole lilloise dans le concert des grandes villes européennes, définir un parcours d'internationalisation pour la métropole. Pierre Mauroy émet au départ des réserves sur
le projet présenté comme une initiative de
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la société civile
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mais lui apporte
finalement son soutien. Elue en 2001, Martine Aubry en fera un des projets essentiels de son mandat. Le label, créé en 1985 à l'initiative de Mélina Mercouri et Jack Lang, laisse de grandes libertés aux villes qui l'obtiennent. Chaque année, depuis 1985, une ville d'Europe est choisie pour valoriser son patrimoine, sa créativité et ses projets. Aucun modèle type de capitale européenne de la culture ne peut être repéré. Certaines villes privilégient la restauration et la présentation du patrimoine (Gènes), d'autres engagent d'importantes rénovations urbaines (Thessalonique ou Porto, d'autres encore proposent un festival ou de prestigieuses expositions de peinture (Rotterdam). Lille 2004, capitale européenne de la culture, recouvre un large projet à la forte transversalité qui ne relève de la seule logique de l'événementiel culturel. L'essentiel de l'opération tient à la programmation de 2000 évènements culturels dans l'ensemble de la région Nord-Pas-de-Calais et dans l'Eurorégion (le projet n'est pas seulement métropolitain) dans tous les domaines artistiques. Mais la dimension culturelle est finalement assez peu présente dans la rhétorique qui porte le projet et en fixe
le « sens ». Le référentiel de l'excellence culturelle tend à s'effacer et à être dilué au profit de logiques de marketing territorial, de développement économique, touristique et patrimonial, de production de «lien social », de «participation citoyenne» ou de «mobilisation de la société civile »... La redéfinition du territoire, de ses représentations, de son devenir est posée comme un des enjeux
du projet. Le label « capitale européenne de la culture» est construit et brandi par divers acteurs (Martine Aubry au premier chef) comme un projet de territoire associant l'ensemble des acteurs locaux (économiques, associatifs, sociaux, institutionnels), la dimension culturelle stimulant et fécondant l'ensemble de la démarche. De multiples conventions partenariales ont été signées autour des manifestations, avec l'Education Nationale, des organismes d'insertion, les associations... Le monde économique a été fortement associé et
mobilisé, le mécénat d'entreprises atteignant 9 millions d'euros (soit le européen» pour une capitale enorgueillissent les organisateurs).
européenne
de
la
culture
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record
comme
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L'objectif est bien de valoriser et de développer un territoire à travers la constitution d'une coalition mobilisant et solidarisant des acteurs divers autour d'une vision relativement partagée du devenir et de l'identité de la collectivité locale. Cette dynamique est censée produire des effets de cohésion d'une communauté d'acteurs autour du maire qui se situe dans une position d'intermédiation entre une pluralité d'intérêts et de secteurs d'action publique.
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Le projet semble valoir avant tout par ce qu'il induit «d'effets latéraux de coalition, d'harmonisation cognitive, de réactualisation d'une identité collective », la qualité du processus, à savoir la production d'un sens territorial -
important autant que « la validité des fins» (Pinson 2002). La «culture» constitue aujourd'hui, par sa plasticité et les multiples usages qu'elle autorise, le support de la construction d'un sens partagé du territoire. La croyance s'enracine qu'autour de la culture se joue la capacité d'une ville à former une représentation collective unifiée, à se former comme acteur collectif et unitaire face à autres institutions comme l'Etat, l'DE ou d'autres collectivités locales. La gouvernance urbaine intègre une dimension culturelle dans la mesure où la culture permet d'intégrer des organisations, des groupes sociaux, des intérêts différenciés et à servir de support à la construction de stratégies collectives. La culture ouvrirait un espace de sens territorial pour atteindre des buts discutés et définis collectivement par des acteurs d'horizons divers. L'action culturelle fonctionnerait dès lors comme «un système de coopération» (Saez 1993) : l'espace des politiques culturelles devient un espace polycentrique, la définition et la conduite de l'action culturelle reposant de plus en plus sur un processus d'interaction-délibération-négociation entre acteurs hétérogènes. Lille 2004, capitale européenne de la culture, apparaît emblématique de ces logiques nouvelles mais révélateur aussi de leurs limites.
La légitimation de
«
la culture» comme support de développement territorial se
fait au prix d'une dilution de son contenu, d'une hétéronomie croissante de l'action culturelle et d'appropriations et bricolages multiples. Le projet revêt une dimension rhétorique essentielle, «la culture» (entendue dans une dimension élargie) constituant un aspect essentiel de sa mise en récit et en intrigue. Enfin, la centralité du politique et les enjeux de constitution d'un leadership local pour Martine Aubry apparaissent prégnants dans un projet qui semblait relever en première analyse du modèle de la gouvernance territoriale et qui participe plus traditionnellement d'une stratégie d'ancrage local. Ce qui se joue surtout à travers ce projet c'est la construction d'une légitimité territoriale pour le maire de Lille, élue en 2001 et dont l'assise locale apparaît encore fragile.
LA MISE EN RECIT D'UN PROJET TRANSVERSAL L'ambition de Lille 2004 excède la seule logique culturelle. On le sait, la légitimité des politiques culturelles urbaines tient à leur capacité à constituer les villes et les sociétés locales en acteurs collectifs, en entités agissantes dans un contexte de compétition internationale (Vion Le Galès 1998). Elles relèvent de plus en plus d'un modèle d'action publique attaché à manifester des valeurs identitaires et constituent à ce titre des produits d'action publique à fort rendement d'ancrage territorial. Dès lors que le territoire devient le lieu de définition des problèmes publics, la culture qui peut lui donner corps, l'intégrer, en servir de support devient valorisée. Martine Aubry fait sienne la croyance que la culture peut jouer un rôle essentiel dans la dynamisation du territoire et la mobilisation des acteurs locaux. A travers" Lille 2004 ", l'élu joue (ou pense jouer) sa capacité à construire et à porter une vision collective partagée autour
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du territoire et à se porter garant d'un certain consensus forgée à partir d'acteurs d'horizons différents. Le projet articule ainsi des dimensions identitaires, de mobilisations collectives, partenariales et participatives dont la «culture» constitue le «liant» symbolique et discursif. Le projet intègre de multiples dimensions (sociales, économiques, touristiques) qui interagissent autour de la problématique culturelle. Les promoteurs du projet, Martine Aubry en tête, tentent de promouvoir des logiques de transversalité qui doivent mettre en mouvement la société locale en transcendant les clivages socioculturels. Lille 2004 participe ainsi d'une tendance fortement soulignée par les spécialistes des politiques culturelles à la " culturalisation" du social. Il s'agit de produire de l'intégration sociale à travers la culture. A travers Lille 2004, Martine Aubry construit la scène locale comme un lieu de concertation pertinent entre des acteurs et des arènes d'horizons divers et met en scène sa centralité dans cet espace où elle endosse un rôle de médiateur. De multiples conventions partenariales ont été signés autour des manifestations, avec l'Education Nationale et des organismes d'insertion83. Martine Aubry s'est fortement impliquée dans le partenariat d'entreprise et met fortement en avant ses réseaux patronaux" mis à la disposition" de la ville. L'opération s'appuie sur divers dispositifs de concertation dans les" quartiers". " L'hôtel de ville ne veut pas que le projet soit un OVNI qui se pose là mais au contraire que ce soit une démarche de coconstruction avec les habitants "8~.Lille 2004 doit permettre de faire rentrer dans les quartiers le renouveau de la ville. Le concept des" métamorphoses" traduit cette territorialisation (des plasticiens investissent des quartiers pour les transformer). Plus de 15 millions d'euros sont consacrés à la réalisation de "maisons folies" issues de la transformation d'anciennes friches industrielles en lieux culturels (deux sont prévues à Lille dans des quartiers populaires).
UN SENS TERRITORIAL FLOU ET PEU MIS EN DEBAT A s'en tenir à la rhétorique du projet, le sens partagé du territoire serait à la fois le résultat et la force motrice de l'action collective. Une vision partagée du territoire, cristallisée par la culture, serait le principe générateur de la mobilisation collective et de l'investissement d'acteurs multiples dans le projet. La culture tiendrait sa légitimité à servir de support à une entreprise de construction d'un sens territorial discuté et partagé. A l'examen, ce sens territorial apparaît flou, labile et fortement bricolé. Le concept central de Lille 2004 est la construction d'un «nouvel art de vivre », mot d'ordre malléable permettant de rallier un grand nombre d'acteurs. La culture offre certes des ressources identitaires, discursives, mythologiques, patrimoniales pour donner
83Le plan local d'insertion a conclu un partenariat avec la société Manpower qui formera les opérateurs de billetterie et leur proposera des contrats de travail avec une garantie d'insertion.. . 84 La Voix du Nord, le 16 octobre 2001.
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s'interrogent
s'engagent?
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corps à des représentations unifiées du territoire. Mais ces représentations apparaissent fragiles et équivoques. De multiples acteurs (institutionnels, associatifs, économiques ou politiques) peuvent ainsi se mobiliser pour le projet, s'y rallier et ainsi le faire exister sans en partager pour autant le « sens» ou le discours ou une conception minimale. «Quelle inlportance accordent en fin de compte les acteurs territoriaux au 'sens partagé' des actions dans lesquelles ils critique sur l'approche des nouvelles politiques territoriales. A centrer l'analyse sur le sens partagé par tous les agents, conçu à la fois comme produit et force motrice de l'action collective, la tentation est grande de «voiler l'existence de luttes ou d'usages différenciés des dispositifs par des acteurs aux horizons temporels, aux engage111entsinstitutionnels ou aux intérêts distincts» (Desage Godard 2005). Ce sont ces usages différenciés du projet que l'on voudrait ici présenter et montrer que la rationalité procédurale mise en avant dans la conduite du projet revêt une dimension essentiellement rhétorique. Le projet est présenté comme s'appuyant sur la définition d'un intérêt général territorial construit collectivement par ces divers partenaires. De fait les collectivités s'impliquent plus dans le projet sur la base de la croyance, relevant du mythe ou de la prophétie (Vion Le Galès 1998), que la culture contribue au développement-rayonnement des territoires que sur l'adhésion à des fins collectives partagées. Entre les institutions et collectivités locales, un consensus se dégage rapidement sur la nécessité du projet qui apparaît guère discutable et au fond suscite peu de débat (même si la légitimité de l'action culturelle fait encore problème dans une région marquée par la culture productiviste). L'implication des divers partenaires relève ainsi d'un « cela va de soi» et d'une évidence guère discutée. Une philosophie délibérative avait présidé à la mise en place des structures de Lille 2004. L'association Lille 2004 organisatrice des manifestations, créée en janvier 2000, comprend quatre collèges (institutionnel, économique, culturel, «société civile »85), ces différents collèges formant le conseil d'administration. Ces divers collèges étaient initialement conçus comme les composantes d'un foruln élargi où devaient être mis en débat les orientations et les objectifs de Lille 2004. Mais très rapidement (dès mai 2002), les collèges sont peu réunis, le fonctionnement de l'association devient opaque ou très informel et les négociations ne sont plus explicites mais renvoyées dans des coulisses mal identifiées. Ce que les acteurs qui participent à la mobilisation collective ont en commun est un certain nombre de croyances qui préexistent à l'action collective plus que celle-ci ne les génère. Pour la directrice de la communication de Lille 2004, «pour tous les partenaires, c'est clair, la problématique de Lille 2004 se base sur la volonté de se rassembler tous derrière le prisme de la culture pour donner à la métropole et au Nord une image de modernité ». «Modernité », « rayonnement international », « image positive du territoire », « attractivité du territoire », « intérêt général régional », « foi en notre région» sont les finalités, les topiques, les thèmes à laquelle se réfèrent et s'adossent les acteurs. Elles relèvent de croyances infalsifiables ou peu mises en discussion. Le projet, s'il a
85
Ce dernier, prévu par les statuts, n'a jamais été réuni.
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pu générer des apprentissages et du «travailler ensemble », n'a pas ainsi véritablement contribué à aligner, dans une logique processuelle de délibération, les cadres cognitifs des divers partenaires. L'investissement dans Lille 2004 des diverses collectivités obéit pour l'essentiel à des logiques d'affichage institutionnel et de communication. De la même manière, l'implication des acteurs économiques ne vaut pas adhésion au projet ou alors sur la base d'objectifs flOUS86.La participation de nombreuses associations ou
structures relève plus de l'effet d'aubaines que de l'adhésion à la « philosophie» du projet, l'association de guichet87.
Lille 2004 fonctionnant
essentiellement
sur une logique
USAGES POLITIQUES DE LA CULTURE ET CONSTRUCTION D'UN LEADERSHIP TERRITORIALISE La centralité du pouvoir politique apparaît très forte dans le projet. L'investissement de Martine Aubry répond surtout à des logiques de constitution et de renégociation d'une identité politique et de construction d'une emprise sur le territoire. A travers ce projet qu'elle veut attacher à son nom, elle stylise son identité, accréditant des représentations de son action (" modernité" attachée à l'intervention culturelle). Il s'agit de réaménager les matériaux constitutifs de son répertoire identitaire, d' Il adoucir" une image Il gauchie" par son expérience gouvernementale et de gommer certains traits de personnalité (rigidité, froideur. 00). La culture apparaît comme un registre de légitimation relativement consensuelle (même s'il se heurte à une certaine tradition ouvriériste). L'élue veut faire de la Il culture" une de ses marques poli tiques. Si l'implication de l'élue va croissante au fil des mois, c'est qu'elle mesure progressivement l'absence d'autres dossiers vraiment porteurs sur lesquels elle peu t s'appuyer et surtout les effets de légitilnité qu'elle peut en tirer (ou croit pouvoir en tirer) et l'imputabilité du projet (les politiques publiques sont plus ou moins appropriables "). Le projet confère à l'élue une centralité symbolique très forte dans la mesure où il lui est fortement imputé. Elle fait montre d'un activisme symbolique permanent dans sa valorisation. En activant la symbolique d'une décision coopérative, Martine Aubry essaie de construire une position transactionnelle entre le local et le national, le public et le privé, entre le pouvoir municipal et la société civile locale (Gaudin 1999). Lille 2004 participe à la légitimation de sa position locale dans la mesure où elle y met en jeu sa capacité à structurer un devenir commun, à dessiner un horizon collectif. Le projet urbain est bien ici un outil symbolique qui permet de multiplier les effets d'annonce, de démontrer un certain volontarisme, de mettre en œuvre des coalitions de cause. L'élue participe à la mise en sens de l'opération et à la traduction de ce sens dans des univers sociaux différenciés. Mais ce sens apparaît Il
86
L'implication des partenaires économiques tient plus aux réseaux personnels activés par Martine Aubry que de la logique de la gouvernance territorialisée. 87Lille 2004 a labellisé et récupéré de nombreux projets ou évènements existants.
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fragile et plus imposé que discuté. Les partenariats relèvent plus d'une théâtralisation accrue que d'une véritable délibération et« le sens territorial» apparaît faiblement problématisé. Lille 2004 conjugue certes les nouveaux mots fétiches de l'action publique locale: codécision, coproduction, partenariat public-privé, proximité, participation, coordination, décloisonnement, « implication» de la « société civile»... Mais, plus fondamentalement, le projet fait l'objet d'usages politiques relativement classiques. La centralité du pouvoir politique demeure forte. Le « sens» de ce projet est au final avant tout à trouver dans ses usages politiques. L'action publique locale devient de plus en plus bavarde et impose des logiques de mise en récit plus élaborées. L'analyse des projets urbains encourt toujours ainsi le risque de «prendre au mot» les rhétoriques qu'ils mobilisent et d'accréditer une interdépendance croissante des acteurs des poli tiques locales. Là encore un certain «refroidissement théorique» est sans doute légitime (Fontaine HassenteufeI2002).
173
DECONSTRUIRE
LES LEGITIMATIONS
TECHNIQUES DE L'ACTION PUBLIQUE Hélène Reigner Hélène Reigner est chargée de recherche à l'Institut National de recherche sur les Transports et leur Sécurité (INRETS) et docteur en science politique (lEP de Rennes - CRAPE). Après une thèse consacrée au ministère de l'Equipement dans un contexte de territorialisation de l'action publique (Les DDE et le politique. Quelle co-administration des territoires ?, L'Harmattan, 2002), elle approfondit la question de l'articulation entre technique et politique dans la construction des politiques publiques et ce, dans le domaine des transports et des politiques urbaines. Courriel :
[email protected]
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est faite ici que spécifier les dimensions politiques et idéologiques de l'action implique de déconstruire sa légitimation technique; cette opération impliquant à son tour l'appréhension des effets, réels ou supposés, de l'action publique. Les apports et les limites d'une appréhension des effets fondée sur l'analyse des discours sont présentés. Cette analyse des discours et des controverses prend en effet toute sa force lorsqu'elle est accompagnée d'une attention à l'action. Finalement, prendre au sérieux le processus de production des objets techniques et la spatialisation des biens collectifs produits apparaît comme une entrée féconde, pour apporter des éléments de réponse à la question délicate du sens des politiques territoriales.
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Abstract The hypothesis presen ted here is that specifying the ideological dimensions of an action entails deconstructing its technical legitimacy; this operation in turn entails understanding the real or supposed effects of public policies. The contributions and limits of an understanding of the effects based on the analysis of the discourse are presented. This analysis of the discourses and controversies in fact takes on its full strength when accompanied by attention to the action. Lastly, a serious consideration of the process of producing technical objects and the spatialization of collective property appears to be a productive approach providing some answers to the delicate question of the political
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La quête du sens de l'action publique anime «plus que jamais», pour paraphraser Alain Faure (Faure 2005), des travaux de recherche relevant de l'analyse des politiques publiques. C'est que le sens de l'action ne se donne pas à lire aisément. Plusieurs logiques alimentent une apparente dépolitisation: partout l'action publique territoriale a pour finalité de trouver un équilibre autour du triptyque attractivité économique/ développement durable/ maintien du lien social; de plus, elle apparaît standardisée sous l'effet de la circulation de «
bonnes pratiques»
consensuelle
et de normes;
elle est, par ailleurs, présentée comme
et collective, évacuant le conflit, dans sa forme.
Face à ce constat globalement partagé, on assiste à une évolution des angles d'attaque dans des travaux de recherche récents qui tentent d'ouvrir des voies pour ne pas mésestimer le conflit et réintroduire l'épaisseur idéologique de l'action publique88. Au constat d'un certain silence français sur l'idéologie des politiques territoriales, alors même que ce domaine de recherche est très investi par les courants régulationnistes et néo-marxistes anglo-saxons (Pinson, 2005), succèdent des tâtonnements théorico-méthodologiques. Cette recherche du sens apparaît orientée vers l'exploration du contenu et des effets de l'action publique. Or, appréhender les effets de l'action publique implique une immersion dans des chaînages de raisonnements qui renvoient à autant d'univers techniques et scientifiques aux controverses nombreuses, historiquement construites et plus ou moins publicisées. D'aucuns préfèrent ne pas s'y aventurer. D'autres s'en tiennent à une analyse, souvent féconde, des discours. Plus rares sont les travaux qui, sans ignorer les raisonnements et chaînages de causalité présents dans les registres discursifs, essaient aussi de les confronter à l'action effectivement mise en œuvre et aux biens collectifs prod ui ts. L'hypothèse est faite ici que spécifier les dimensions poli tiques et idéologiques de l'action implique de déconstruire sa légitimation technique; cette opération impliquant à son tour l'appréhension des effets, réels ou supposés, de l'action publique. Les apports et les limites d'une appréhension des effets fondée sur l'analyse des discours sont présentés (1). Cette analyse des discours et argumentaires prend en effet toute sa force lorsqu'elle est accompagnée d'une attention à l'action. Des travaux récents se sont penchés sur cette question des effets et proposent quelques pistes méthodologiques pour y répondre (2). Finalement, prendre au sérieux les objets techniques, les biens collectifs produits est une entrée qui permet d'accéder à la fois aux dimensions cognitives, institutionnelles et instrumentales de l'action publique. (3).
88
Voir le colloque
«
Les idéologies des politiques territoriales», CRAPE/ AFSP, lEP de
Rennes, 4-5 mars 2004, et le n° spécial issu de ce colloque « Les idéologies émergentes des politiques territoriales », Revue Sciences de la société, n065, 2005.
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1. DES DISCOURS SUR LES EFFETS DE L'ACTION Les politiques publiques ne sont pas des réponses instrumentales positivistes-scientifiques déployées en vue de résoudre des problèmes publics. Elles sont les véhicules de «récits» (Radaelli 2000, Sfez 2002), de «mythes» (Barthes 1994), de «fictions dramatiques» (Gusfield 1981), ou encore de « référentiels» (Muller 1998). En effet, les discours portés sur la résolution des problèmes publics supposent de définir ces derniers ainsi que des liens de eau sali té entre le problème, l'action publique et ses effets. Ces formes discursives sont des répertoires cognitifs et argumentatifs dans lesquels puisent les acteurs pour construire et légitimer l'action. Des registres montants de la parole publique sont identifiables (Gusfield 1981, François Neveu 1999, Le Bart Lefèvre 2005) qui occultent toute une série de raisonnements sur la hiérarchie des causalités économico-sociales. Ces formes discursives méritent donc d'être mises à jour tant elles peuvent potentiellement nous renseigner sur le sens donné à l'action, son idéologie anonyme (Barthes 1994). Dans des registres différents, ces traits communs aux rhétoriques des espaces publics contemporains ont été mises à jour concernant le problème de l'amiante (Henry 2000), les maux de la ville (Cadi ou 2005 ) ou la sécurité rou tière (Reigner 2005). Ces récits peuvent «bien être de fausses représentations de la réalité, et reconnues comme telles, elles survivent cependant et parviennent à s'imposer» (Radaelli 2000, p. 257). Ces paroles peuvent diffuser des causalités artificielles, fausses, par l'association « naturelle» d'un système de faits et d'un système de valeurs, elles n'en sont pas moins communément admises (Barthes 1994). On voudrait pointer là un paradoxe repérable dans de nombreux travaux centrés sur les discours: il s'agit souvent de mettre à jour des formes discursives en affirmant qu'il n'est finalement pas nécessaire de se pencher sur la validité des énoncés (c'est un autre travail) alors même qu'au cœur de ces travaux, on retrouve l'idée de «fausses» causalités ou de chaînages tronqués. Pour qui s'intéresse à l'idéologie de l'action publique, ces analyses des discours prennent donc toute leur force à la condition de pouvoir se prononcer sur la robustesse des chaînages de causalités présentés. On nous rétorquera que la solution consiste à se tourner vers des discours qui contestent la prise en charge dominante du problème public afin d'avoir accès aux controverses. Mais ces controverses s'appuient souvent sur des évaluations contradictoires des faits et des effets de l'action publique qui nous font précisément sortir de l'analyse des seuls discours.
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2. DE LA QUETE DU SENS A LA DELICATE APPREHENSION DES EFFETS DE L'ACTION S'il Y a bien une régularité de résultats dans la littérature, c'est que l'action publique et notamment ces dimensions territoriales sont comparables à des « typhons dont les météorologues anticipent l'amplitude et la trajectoire sans avoir aucune certitude sur leur trajectoire et donc sur leur impact effectif» (Faure 2005, p. 5). Deux postures sont sollicitées afin d'appréhender les effets complexes de l'action publique: une attention forte à la mise en oeuvre assortie d'un panachage des outils d'analyse (I), une immersion dans les dimensions techniques de l'action publique (2). « Le sens de l'action publique [étant] beaucoup plus ouvert et ambigu une des tendances des travaux de science politique est de porter attention à l'étape de production de l'action (Fontaine Hassenteufel 2002, p. 26) et à une «prise en compte de plus en plus substantielle de l'implémentation comme constitutive de la politique publique» (Négrier 2005, p. 135). Pour saisir le sens de l'action, son orientation générale et les conceptions qui la sous-tendent, on peut s'intéresser )},
aux discours, aux outils ou encore, aux acteurs « sur le papier ». Reste que, le plus souvent, la mise en œuvre donne à voir une autre réalité, moins publicisée mais fondamentale pour appréhender les effets et donc le sens de l'action. Cela se trouve d'autant plus renforcé que l'action publique est territorialisée et qu'on observe un débordement territorial des cadrages sectoriels (Mériaux 2005). Cette attention forte au terrain et aux logiques territoriales se double d'un panachage des outils d'analyse. En effet, la différenciation croissante des contextes de mise en œuvre de l'action publique oblige à agencer les cadres théoriques de manière souple selon la configuration territoriale (Négrier 2005) où s'entremêlent, selon des équilibres variables, les notions d'apprentissage institutionnel, de culture politique et de leadership territorial (Smith Sorbets 2003). En accord de son sens, un mettre à jour les leurs dimensions
avec ce constat de la complexité de l'action et de l'appréhension certain nombre de chantiers se sont ouverts qui cherchent à dimensions politiques des politiques publiques par l'examen de techniques.
Certes, la complexité et la technicité de l'action publique, et la mobilisation de l'expertise pour y faire face (Dumoulin La Branche Robert Warin 2005), sont des rhétoriques mobilisées par les décideurs publics pour légitimer l'action (ou la non action) publique. Certes, l'introduction d'instruments techniques et dépolitisés pourrait même, pour les gouvernants, être une stratégie très efficace, pour éviter d'assumer la responsabilité de leurs actions (Weaver 1986, cité dans Lascoumes le Galès 2004 p. 367). Mais, on peut aussi penser que le désarroi des gouvernants est réel face à la complexité de l'appréhension des effets de l'action et ce d'autant plus que les politiques ont
délégué à des « pilotes invisibles» (des règles de droit, des normes techniques, des instruments comptables) (Lorrain 2004) une grande partie de leur capacité d'action. Certains peuvent y voir un renouveau de la démocratie technique (Callon Lascoumes Barthes 2001). D'autres font l'hypothèse contraire du
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« ~éveloppement de strat~gies d1influence des acteurs les plus stratégiquesl terriblement efficacesl car elles sont dIscrètes et pèsent sur ["amont de ["amont de ["action collective» (Lorrain 2004, p. 195). Les résultats de nos propres travaux de recherche (Reigner 2002, 2005) nous font adhérer à cette hypothèse. Investir dans cette voie de recherche suppose d'avoir accès à des univers techniques et de saisir les enjeux politiques de standards techniques souvent peu visibles car anodins et peu lisibles pour les non-spécialistes. Cela se traduit par des mouvements disciplinaires qui promeuvent des frottements entre, par exemple, sciences politiques et sciences économiques pour appréhender les effets des techniques financières et budgétaires de l'action publique (Bezès Siné 2005)1 ou encore entre sciences politiques et sciences pour l'ingénieur autour de la thématiques des risques (Gilbert 2003). Cela expliquerait, en outre, le développement de profils de chercheurs en sciences politiques, dont il conviendrait de prendre la mesure, à double cursus (économiste/politiste, ingénieur/politiste, géographe/ politiste) ou de politistes en poste dans des instituts de recherche spécialisés (Inserm, Inra, Cemagreef, Inrets ou laboratoires des écoles d'ingénieurs).
3. PRENDRE AU SERIEUX LES OBJETS TECHNIQUES PRODUITS De nombreux travaux de sciences politiques rendent compte d'une immersion technique dans leur objet, mais les objets techniques occupent rarement une place centrale en tant que tels. Si la communauté s'accorde sur les liens étroits entre technique et politique, les cadres d'analyse et les méthodologies mobilisés semblent porteurs d'une vision au sein de laquelle les deux catégories coexistent distinctement et qui finalement entérine, de manière plus ou moins explicite, le primat du politique sur la chose technique. Nos travaux centrés sur les politiques urbaines (politiques de transport et d'urbanisme, renouvellement urbain, positionnement territorial du ministère de l'équipement) nous ont conduit à revaloriser les enjeux politiques qui se cristallisent sur ces objets techniques et à prendre au sérieux les modes de légitimation technique de l'action publique. En matière de politique de transport et de déplacements urbains, produire du «bel» objet technique tient souvent lieu de politique. Certain le regrette (Offner 2006a) au motif que cela traduit un déficit de problématisation des enjeux et problèmes fonctionnels locaux. Une posture un peu différente consiste à s'intéresser à la trajectoire de ces objets techniques et à repérer les assemblages d'argumentaires, d'idées, d'acteurs et d'institutions qui gravitent et s'enchevêtrent autour d'eux ainsi que leurs évolutions dans le temps (Latour 1992). En effet, si les différentes parties en présence ont pu s'accorder sur une action, toutes ne lui donnent pas le même sens et n'en attendent pas les mêmes effets. Aussi, ce qui peut apparaître, à première vue, comme la manifestation d'un référentiel dominant renvoie à des assemblages parfois surprenants de cadres cognitifs divergents voire antagonistes (Hernandez et al. 2005). Autrement dit, il ne suffit pas de s'intéresser aux réalisations projetées ou
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planifiées, figées dans un document, pour accéder au sens de l'action mais davantage aux argumentaires qui accompagnent le processus de production des objets et instruments techniques. De plus, le moment de production spatialisée des projets fait resurgir des confrontations de représentations et d'argumentaires (Offner 2006b). Des relations de domination sont instituées par la spatialisation et l'action publique locale est le siège d'enjeux politiques forts sur ce point précis: «hiérarchisation spatiale et ségrégation sociale semblent si fortement liées que Ifaction publique locale doit être interrogée soit dans sa fonctionnalité par rapport à ces tendances, soit dans son incapacité à les inverser» (Préteceille 1999, p. 24). Aussi, l'analyse des politiques publiques territorialisées ne peut se limiter à l'exploration de la complexité du jeu des acteurs, de leurs stratégies, de leurs interactions. Ces processus gagnent, à nos yeux, à être mis en relation avec la spatialisation des biens collectifs produits. Concernant, par exemple, la politique locale de transport et de déplacements à Marseille, un travail de cartographie des projets du Plan de Déplacements Urbains, associé à l'analyse du fonctionnement des groupes de travail, s'est avéré redoutablement efficace pour faire la démonstration du sens des politiques de transport et de déplacements et des modes de légitimation mobilisés pour justifier une telle politique (Hernandez 2003): la somme des projets projetés sur une carte dessine les contours de la ville qu'on veut
revaloriser par un traitement qualitatif des espaces publics et une « protection» vis-à-vis de l'automobile. Le processus de gentrification du centre-ville Marseille se donne à voir dans le dessin de manière saisissante.
de
Prendre au sérieux le processus de production des objets techniques et l'inscription spatiale des équipements publics, parce qu'ils nous renseignent tout à la fois sur les dimensions cognitives, instrumentales et institutionnelles qui alimentent la légitimation de l'action, apparaît comme une entrée féconde, pour apporter des éléments de réponse à la question délicate du sens des politiques terri toriales. La prudence des résultats sur la question du sens et de l'idéologie de l'action publique n'est-t-elle pas en grande partie imputable à une incapacité à investir les ressorts de la légitimation technique de l'action? C'est le point de vue que nous avons exposé dans cette communication en espérant qu'elle ait été suffisamment convaincante pour être mobilisatrice en vue de futurs travaux de recherche.
180
3EME
PARTIE:
SUR LE TERRAIN POLITIQUE
PRODUCTION DES POLITIQUES PUBLIQUES ET MOBILISATION ELECTORALE POUR UNE SOCIOLOGIE POLITIQUE DES POLITIQUES PUBLIQUES MISES EN ŒUVRE A STRASBOURG (1989-2001)
Virginie Anquetin Virginie Anquetin, doctorante en science politique au sein du Groupe de sociologie politique européenne (GSPE-PRISME UMR CNRS 7012, Strasbourg), termine une thèse consacrée à la construction électorale des politiques municipales. Courriel :
[email protected]
Résumé L'étude de deux réformes de l'administration municipale strasbourgeoise montre que leur mise en œuvre obéit non pas à un souci des élus pour l'amélioration de la gestion municipale, mais aux contraintes du jeu politique. Pour surmonter les obstacles électoraux d'une configuration politique perçue comme défavorable, la municipalité strasbourgeoise a été amenée à promouvoir des politiques «modernes» et «dépolitisées ». Les transformations des politiques publiques municipales et leur caractère politisé ou non peuvent être analysées comme étant le résultat indirect du travail électoral ordinaire des acteurs politiques pour optimiser leur image publique et leurs chances de réélection. Abs tract The study of two restructurations of town hall administration in Strasbourg shows that their implementation is not the consequence of political concern for better local management, but is the result of the constraints of the political game. To overcome the electoral hurdles of a political landscape perceived as unfavourable, the municipality has promoted public policies and a discourse that would place them in a "modern" and "apolitical" light. The transformation of local public policies, whether or not they are "politicized", may be analyzed as the result of the day-to-day work of political agents who aim to optimize their public image and their chances of reelection.
183
Les analyses contemporaines de l'action publique locale prennent rarement en compte les effets des contraintes de la compétition élective sur les politiques menées. S'ajoutant aux discours d'élus locaux qui appuient la promotion de leur bilan sur le caractère «apolitique », dévoué au «bien commun» (Garraud 1989) de l'intervention publique, les analyses consacrées aux politiques urbaines tentent le plus souvent de reconstituer une logique historique des politiques publiques locales - de la construction des logements sociaux au début du 20e siècle, au traitement social de l'exclusion ou à la recherche d'un « développement» urbanistique et économique -, ou d'établir les conditions de leur efficacité et les causes de leur échec. La concordance de ces discours contribue ainsi à renforcer l'idée, en accord avec une vision étatique et administrative de la vie politique locale, selon laquelle les politiques publiques constitueraient des réponses techniques, parfois biaisées par une «idéologie partisane », à des évolutions sociales ou économiques inéluctables. Ces études renoncent ainsi généralement à intégrer dans l'analyse l'intense travail symbolique et pratique de mobilisation électorale effectué par les acteurs politiques, alors restreint au pire à une simple activité de marketing, au mieux à un clientélisme stratégiste. De surcroît, la variété des situations locales est toujours suspecte de ne refléter que des particularismes dont l'étude monographique n'apporte qu'une faible plus-value scientifique. La compétition politique ne se limite pourtant pas à la description de l'horizon concurrentiel des acteurs politiques, à savoir l'affrontement toujours recommencé de candidats soucieux de séduire un plus grand nombre d'électeurs que leurs adversaires. Le travail de mobilisation électorale obéit également à des règles dont la mise en évidence 'éclaire différemment les
transformations des politiques publiques. Ce ne sont ni la « volonté politique» des acteurs, ni leur capacité à imposer un leadership pour résoudre des « problèmes» sociaux ou économiques, ni leur soumission ou leur résistance à des règles étatiques qui déterminent à eux seuls les conditions d'évolution de l'action locale. Les problèmes électoraux ne se posent pas aux acteurs de manière aléatoire mais ils obéissent à des configurations politiques nationales et locales successives, historiquement déterminées. Plus que l'utilisation conceptuelle de notions aussi différentes que la territorialisation, la technicisation ou la contractualisation de l'action publique, il nous semble que la réintroduction de la matrice du jeu électoral dans l'analyse nous permet de percevoir d'autres processus à l'œuvre dans les transformations de l'action publique. L'étude de deux politiques mises en œuvre à Strasbourg (<<modernisation» de l'administration, tentative de «territorialisation» de l'action municipale) révèle que, l'essentiel de leur activité étant consacré à la mobilisation de votants, les acteurs politiques ne perçoivent comme urgents que les problèmes qui revêtent une dimension électorale. Ainsi la promotion d'une réforme de l'institution municipale fondée sur les techniques du management public puis l'ébauche d'une territorialisation des services ne peuvent être analysées comme résultant d'une vision de la« bonne administration» locale qui serait partagée par des élites politiques et administratives éclairées (premier point).
184
L'étude de la configuration politique nationale et locale dévoile au contraire les contraintes qui pèsent sur la mobilisation des électeurs par les acteurs poli tiques. En élargissant ainsi l'analyse, les transformations de l'action publique (développement de la «démocratie participative », de politiques « expertes» requérant l'intervention de «techniciens») apparaissent comme étant le fruit du travail politique ordinaire des acteurs municipaux confrontés à la nécessité permanente d'ajuster leur positionnement afin d' optimiser leur image publique dans un but d'enrôlement électoral (deuxième point).
1. LEGITIMATION DU « CHANGEMENT SUBVERSION
» ET
ADMINISTRATIVE
Ce ne sont en effet ni la croyance de l'équipe municipale strasbourgeoise dans les vertus du nouveau management public, ni sa recherche d'un optimum d'efficacité administrative qui expliquent le recrutement d'un secrétaire général ardent promoteur des techniques du public management. La mise en œuvre d'une réforme visant la «modernisation» de l'administration sous l'égide de C. Trautmann intervient au début de son premier mandat. Les challengers socialistes succèdent à une municipalité centriste qui a effectué tous les recrutements depuis une trentaine d'années. Lorsqu'une équipe politique nouvelle est élue, elle ne dispose pas d'une administration de rechange, dont chaque agent serait un militant zélé capable de fournir un catalogue d'actions pouvant être rapidement réalisées et labellisées selon le marquage partisan adéquat, à la manière d'un spoil system. A Strasbourg, l'élection de C. Trautmann oblige son équipe à intervenir directement dans les services, en contradiction avec leur hiérarchie, ce qui génère des tensions telles (grèves, fuites dans la presse locale au sujet des erreurs ou des conflits de la nouvelle équipe, concourant à l'établissement d'une mauvaise réputation), que la mise en œuvre d'une « réforme» de l'administration ayant pour but affiché sa « modernisation» apparaît aux élus après quelques mois comme un mode euphémisé et politiquement neutralisé de sa reprise en main. Pour les élus, cette «réforme» ne consiste pas à mettre en pratique un schéma organisationnel théoriquement plus efficace, mais à réorienter les hiérarchies de l'administration municipale autour des personnels sûrs, à faciliter la prise de contrôle des recrutements par l'édiction de nouveaux critères administratifs de compétence, et à fidéliser les fonctionnaires promus. Pour obtenir ces résultats sans susciter une désapprobation massive, le discours de la «réforme managériale» présente plusieurs avantages. Les reclassements qui pourraient être perçus par les fonctionnaires et leurs syndicats comme professionnellement préjudiciables sont présentés d'une manière valorisante89 et
non conflictuelle. Il s'agit officiellemeI1.tde faciliter la « promotion interne» pour les fonctionnaires
89Voir la contribution
les plus « motivés»
de Jérôme
Godard
et parfois d'augmenter
dans cet ouvrage.
185
les salaires, et non
de marginaliser les personnels considérés comme non « sûrs» ; de renforcer la qualité du «service public» et non, dans une présentation syndicale, d'augmenter sans contrepartie le nombre d'heures travaillées; d'améliorer le niveau général des « compétences» dans l'administration par la formation, et non d'imposer le recrutement pourtant contesté de contractuels; enfin, de promouvoir «l'égalité» entre les candidats pour les promotions ou les
recrutements par l'instauration de « jurys », et non d'introduire des « militants» dans l'administration.
Dans ces conditions, la crédibilité « managériale » et non « politique» du secrétaire général nommé pour mettre en œuvre la «modernisation », sa capacité à convaincre du fait que la réforme est menée au moins autant au profit des fonctionnaires qu'à celui des élus, et ses méthodes pour intéresser les syndicats à ses démarches sont des propriétés requises pour assurer la réussite de l'entreprise de reprise en main politique. Son profil universitaire et professionnel de «réformateur », l'usage du vocabulaire «savant» du public management (<<projets de service », «évaluation» des agents et des politiques publiques, souci de « l'usager-client»), la multiplication des négociations et des concertations avec les syndicats ou directement avec les agents municipaux9o, quel que soit leur succès, facilitent la « dépolitisation» du « changement» face aux fonctionnaires ou aux journalistes locaux, ce qui renforce incidemment l'image socialiste « recentrée» et «moderne» de l'équipe municipale. Le « management» remplace utilement le « partisan» lorsque celui-ci ne fait plus recette (Payre 2003). Les fonctionnaires ne sont pas dupes de l'impact de ces réformes sur certaines carrières. Ils interprètent en outre généralement comme une critique injustifiée de leur savoir-faire le discours sur l' « indispensable modernisation» de l'administration. Cependant, les profits disciplinaires escomptés sont obtenus à partir du moment où un nombre suffisant de personnels fidélisés remplace la hiérarchie administrative antérieure (Dion 1986). Le secrétaire général « réformateur» n'est maintenu à ce poste que le temps nécessaire à l'obtention de ce résultat.
éventuellement
à
rééquilibrer
90
une
territorialisation
automatiquement
En accord avec la en avant.
«
»
«
Une autre tentative de « réforme» de l'administration strasbourgeoise ne prend également sens qu'en tenant compte du travail politique ordinaire des élus, notamment des anticipations de leur intérêt électoral. S'ils sont sensibles aux enjeux administratifs des transformations de la collectivité, les acteurs politiques ne sont confrontés directement qu'à la résolution de problèmes électoraux. Ainsi au début du premier mandat, les contractuels recrutés pour la mise en œuvre de la politique de développement social urbain proposent une recension par « quartier» des équipements existants et des dépenses prévues, de manière à appréhender les différentiels d'investissements entre «centre» et « périphérie ». Les personnels chargés de la « modernisation» envisagent alors un reclassement des dépenses des services par «quartier », aboutissant de
l'administration
les investissements
qui
permettrait
en direction
de
des zones
méthode Rocard », bien que celle-ci ne soit pas mise publiquement
186
«
lésées ». L'équipe du maire refuse catégoriquement cette proposition qui reste
lettre morte: l'opposition
la politique affichée
«
municipale
pourrait
en faire usage pour montrer que
d'égalité urbaine» n'est pas réellement mise en œuvre; ou
encore, la municipalité serait privée d'une importante marge d'affectation des crédi ts, indispensable pour se concilier les électeurs au fur et à mesure des besoins perçus (Juhem 2006). En revanche, pour contrer les critiques des Verts déplorant le manque de négociation avec les associations, conjurer l'augmentation des scores du Front national et se montrer à l'écoute des « habitants », le maire lance après sa réélection91 la création de «comités de quartier », dans un souci de promotion de la « démocratie participative », qui
épousent le découpage cantonal. Simultanément est créée une «direction de l'action territoriale », administrativement destinée à accroître le traitement des « demandes» des habitants. Les élus perçoivent dans ces deux dispositifs des possibilités d'amélioration de leur ressources politiques collectives et individuelles: systématiser le travail politique d'enrôlement de soutiens associatifs, s'attacher individuellement des électeurs et renforcer la position du PS dans l'agglomération strasbourgeoise par la conquête de mandats de conseillers généraux.
2. MOBILISATION ELECTORALE ET « CHANGEMENT DANS LES POLITIQUES PUBLIQUES
»
Loin de réduire l'impact du travail politique des acteurs sur l'action municipale à des considérations stratégiques, l'examen de ces deux politiques et la prise en compte des conditions électorales de leur mise en œuvre éclairent des transformations plus larges survenues dans l'action publique locale au cours des vingt dernières années, en particulier sa dimension « experte» et « dépolitisée ». Les effets du travail et des stratégies des acteurs politiques pour s'ajuster aux contraintes et aux opportunités des configurations politiques qu'ils perçoivent ne sont pas circonscrits à la réussite ou à l'échec électoral. Ils ont des conséquences sur les politiques publiques, sur leurs cibles locales (Mattina 2004, Biland 2006) et sur les professions qui y sont liées. La promotion des candidatures politiques urbaines s'effectue, à l'issue de plus d'un siècle de dévolution élective des mandats, en ayant recours à des marqueurs partisans. Mais les contraintes d'usage des thématiques identifiées aux marques partisanes diffèrent selon que les acteurs politiques sont en situation oppositionnelle ou gestionnaire (Lefèbvre 2004) et selon l'intensité et la forme de la compétition. Les particularités perçues des configurations politiques locales et nationales contraignent les acteurs à infléchir l'identité partisane qu'ils endossent, en radicalisant ou en euphémisant les marqueurs partisans et les politiques publiques qui y sont reliées. Dans la fédération bas-rhinoise du PS,
91
Plusieurs années avant l'obligation février 2002).
légale (loi dite de démocratie
187
de proximité
du 26
dont le plus gros des effectifs se situe à Strasbourg, trois facteurs ont concouru à amener une équipe d'outsiders rocardiens à prendre le contrôle de la marque socialiste en évinçant le groupe mitterrandien jusqu'alors majoritaire, et à la transformer en réduisant l'usage et le nombre de ses marqueurs « de gauche »92. Nationalement, les transformations des discours de justification du gouvernement socialiste après 1983, 1'« ouverture» prônée par François Mitterrand en 1988, et localement, la configuration politique marquée par une hégémonie ressentie du vote « à droite », la faiblesse des scores des partis « de gauche» et la situation monopolistique du quotidien régional facilitent la promotion d'une marque socialiste d'allure « moderne» et la prise de distance d'avec les topiques de «la gauche» d'avant 1981. Après leur élection, le maintien de scores élevés à droite, la croissance électorale du Front national, les résultats du PS - imputés au «rocardisme» de la mairie - plus favorables à Strasbourg que dans les autres circonscriptions entre 1992 et 1995, la transformation des contraintes de justification de l'offre politique en position de gestion face à une presse identifiée comme étant hostile, inclinent les élus et leurs auxiliaires à promouvoir des politiques publiques « neutralisées» et des techniques de production ou de mise en scène du consentement des habitants (enquêtes publiques, organisation de forums de la démocratie participative ou de comités de quartier) (Blatrix 1999), accentuant ainsi la production de leur image de «gestionnaires apolitiques» et de «bâtisseurs» plutôt que de
promoteurs du « socialisme». La municipalité autour de C. Trautmann a ainsi intensément travaillé à la mise en œuvre de politiques municipales présentées comme «innovantes» et « modernes ». Elle a contribué à l'émergence d'une représentation spécifique du
métier politique, fondée sur la « compétence dans l'action publique» et non sur une vision « classiste» de l'ordre social, en promouvant, pour des raisons de stratégie électorale, la généralisation d'un discours gestionnaire et la dédifférenciation relative des offres de « gauche» et de « droite ». Les politiques menées par la municipalité strasbourgeoise pour répondre à leur perception des contraintes électorales conjoncturelles ont abouti au développement d'activités, de procédures ou de technologies publiques spécifiques (politique de proximité, conseil des étrangers, location municipale de bicyclettes, renouvellement des caractéristiques du tramway urbain et de l'aménagement de son tracé, traitement «social» de «l'exclusion» plutôt que politique d'aide aux « travailleurs» etc.), et ont nécessité la reconversion de personnels variés dans l'action publique, induisant des savoir-faire transférables à d'au tres configurations municipales. On peut ainsi faire l'hypothèse que le développement d'un marché de l'expertise des politiques publiques locales a été rendu possible par la dédifférenciation au cours des années 1980 et 1990 des offres politiques de «gauche» et de «droite ». Réciproquement, le développement des politiques expertes, non partisanes, a sans doute contribué à accentuer cette dédifférenciation. L'accroissement de la fréquence des alternances a quand à lui amené les municipalités nouvellement élues, à « gauche» comme à «droite », à recourir à un langage de type administratif
92Vingt ans auparavant, la stratégie d'union de la gauche avait généré au contraire une radicalisation de l'usage des marqueurs « de gauche».
188
pour euphémiser municipales.
les nécessités de reprise en main politique des administrations
A l'issu d'un examen de deux réformes de l'administration strasbourgeoise, il apparaît que ces politiques répondent avant tout aux demandes conjoncturelles des élus, qui inventent au fur et à mesure des besoins un ensemble de procédés ajustés à leurs objectifs et à leur perception des contraintes électorales. En s'ajustant à celles-ci, les élus municipaux strasbourgeois ont construit une image et une offre politique présentées comme «
modernes », suscitant
une appréciation
relativement
«dépolitisée»
des
politiques publiques et des modifications des priorités de l'action publique. La perception publique de la « modernité» et du caractère dépolitisé des politiques de l'équipe rocardienne représentent ainsi l'effet émergent de son travail politique ordinaire pour optimiser son image publique et ses chances de réélection, dans une configuration locale perçue comme antagonique.
189
LA PARTICIPATION HABITANTE, VECTEUR DE DEMOCRATISATION? Yolaine Cultiaux y olaine Cultiaux est chercheure associée au PACTE à Grenoble. Elle travaille sur les transformations de la puissance et de l'action publiques à l'époque contemporaine. Elle appréhende cette dynamique par l'étude de trois politiques sectorielles (culturelle, sociale, d'infrastructures) et une politique transversale (démocratie participative) en Europe de l'ouest et en Amérique du nord (Espagne, France, Canada). Courriel :
[email protected]
Résumé La participation
:::::::.
I
,
habi tan te s'est
récem men t beaucoup
développée
à l' éche lie locale.
Il s'agit
dès lors de saisir les enjeux et de mesurer la portée de ce phénomène. Basée sur une étude de la Commission des Usagers au sein de l'agglomération chambérienne, cette contribution met en évidence le faible impact de cette participation sur le processus décisionnel intercommunal. La démocratisation de l'action publique est donc limitée, tout comme sa modern isation d'ailleurs. L'étude souligne en revanche l'importance du processus participatif en termes de positionnement de la structure intercommunale dans un contexte de partenariat concurrentiel entre les différentes institutions locales. La problématique initiale de la démocratisation évolue donc et fait apparaître la participation habitante comme un élément nécessaire dans la construction de l'identité intercommunale.
I
::::::::
I
Abstract The inhabitan t participation, vector of democratization of the local public action .
i I
I I I I I I I I..
:
The inhabitant participation has been recently developing a lot at the local scale. The aim
1
of this contribution is thereforeto understand the stake and to value the effects of this phenomenon. Based on a study of the Users' Commission of Chambéry Métropole, it
I
shows the small impact of this participation on the. in tercommunal decision making process. The democratization and the modernization oj the public action at this scale are
minor. On the otherhand, the study underlinesthe importanceof the participativeprocess
in order to help the intercommunal structure to exist in a context of competitive partnership between the local institutions. The initial question about democratization has been changed and shows that the inhabitant participation is necessary to build the ~~~~~~~:=:=:~.~~~=.~.~.~:
I
I
I I II I ...J
191
Le développement de la participation habitante contribue-t-il à démocratiser l'action publique à l'échelle locale? Dresser en la matière un diagnostic est d'autant moins aisé que "le discours sur la démocratie locale est indistinctement propice à la déploration et à l'exaltation" (Blondiaux et alii 1999, p.S). L'échelon local est de fait appréhendé par rapport à ce qu'il devrait être ou est "naturellement" : le lieu démocratique par essence et par excellence. Au-delà de ce discours militant (Bevort 2002, Koebel 2006), et sans doute en partie grâce à lui, force est de constater le fort développement de la démocratie participative dans les collectivités locales. La législation a ainsi pris acte d'un phénomène politique, en même temps qu'elle l'a conforté: la conversion de la démocratie participative en nouveau paradigme de l'action publique (Bacqué et alii 2005). Cette évolution a donné lieu à de nombreuses études (Neveu 2003, Rui 2004, Falise 2004, Le Bart Lefebvre 2005) qui s'efforcent d'analyser diverses expériences en fonction de différents enjeux et qui permettent d'élaborer une typologie des modèles participatifs (Bacqué et alii op. cit.). C'est cette typologie qui sert de grille de lecture pour analyser la dynamique participative au sein de la communauté d'agglomération de Chambéry Métropole, en Savoie. La décentralisation s'est en effet accompagnée d'un second mouvement: la montée en puissance depuis les années 90 de l'intercommunalité. Ce mouvement a également donné lieu à de nombreux travaux dont une partie interrogent les rapports entre l'intercommunalité et la démocratie. Le développement de l'une entraînerait le déficit de l'autre, suivant "l'effet ciseau" décrit par J. Chevalier (Chevalier 1997). A la croisée de ces deux courants de réflexion, cette contribution a pour objet d'analyser la participation habitante dans l'agglomération chambérienne. Il s'agit d'apporter des éléments de réponse aux questions suivantes: Chambéry Métropole incarne-t-elle aussi "l'intercommunalité sans le citoyen" constatée ailleurs (Bué et alii 2004)? A quel modèle participatif sa logique de fonctionnement la fait-t-elle se rattacher et quel scénario d'évolution est-il possible d'imaginer à partir de la situation actuelle? Afin de mieux cerner l'influence de la participation citoyenne sur le processus décisionnel et de mieux comprendre le sens du développement de cette participation dans la structure intercommunale, les éléments d'ouverture au pluralisme démocratique seront évoqués dans un premier temps. Leur faible impact sur les politiques menées sera ensuite constaté puis en dernier lieu expliqué, confirmant l'hypothèse d'un changement mineur en termes de démocratisation, mais plus significatif au regard d'autres enjeux.
1. UNE INSTITUTION INTERCOMMUNALE QUI S'OUVRE AU PLURALISME DEMOCRATIQUE La coopération intercommunale remonte à 1957 dans le bassin chambérien. L'élargissement des compétences et l'extension de son périmètre d'action ont marqué son histoire. Une étape importante fut la réforme de la
192
coopération intercommunale née de la loi du 12.7.1999 qui, alliée à la volonté des élus, a abouti à la création de la communauté d'agglomération (EPCI), baptisée Chambéry Métropole (CM) en février 2000. Depuis le 1er janvier 2006, elle compte 8 communes de plus, soit 24 au total. Cette nouvelle extension a entraîné une augmentation de 4% de sa population (120 000 habitants) et le doublement de sa surface (+ de 26 000 Ha). Dans le sillage de la loi d'août 2004, ses statuts ont été révisés, ce qui lui permet d'assumer des nouvelles responsabilités importantes comme la préservation d'activités agricoles ou la création et la gestion d'un établissement public foncier local. A CM, l'implication des habitants s'est principalement traduite par l'organisation de réunions dites de concertation publique dans les quartiers où des travaux importants étaient prévus et par la création d'une instance consultative réunissant des acteurs de la vie socio-économique, des élus et de "simples habitants"93: la Commission des Usagers, sur laquelle porte l'étude puisqu'elle permet d'aborder la question des transformations éventuelles de l'action publique locale sous l'influence des ressortissants (Warin 1999). Cette instance s'inscrit dans un cadre légal. La loi de février 2002 relative à la démocratie de proximité a pris acte de la création sans succès réel des Commissions Consultatives des Services Publics Locaux (CCSPL) créées par la loi de 1992. Elle a pour objet de les rénover et de les relancer, pour les communes de plus de 10 000 habitants, les départements, les régions et les EPCI de plus de 50 000 habitants. Associant des élus et des représentants d'associations, elles doivent être consultées sur tout projet de création de service public, qu'il soit délégué ou en régie dotée de l'autonomie financière. La CCSPL de CM a ainsi été créée fin 2002. Elle est présidée par le viceprésident de CM chargé des relations avec les usagers. Son objet est de favoriser le dialogue et la concertation entre l'institution qui assure un certain nombre de services publics et les usagers. La CCSPL est composée d'environ 130 membres, ce nombre étant fluctuant. Elle comprend 3 collèges: les représentants d'associations, de syndicats et d'organismes divers qui interviennent au nom de leur structure sont légèrement majoritaires par rapport aux habitants de l'agglomération qui ont souhaité participer à titre personnel. Ils sont appelés par l'institution "experts d'usage" ou "citoyens usagers", ce qui suggère deux idées d'où pourrait surgir effectivement une petite révolution en matière d'action publique locale. Le seul fait d'être ressortissant confère/ rait une expertise reconnue comme légitime (Callon et alii 2001) ; l'usage(r) fait/ ferait de plus en plus le citoyen et c'est/ ce serait par ce biais que le système décisionnel local se démocratise/ rait. Le 3ème collège est enfin composé d'élus municipaux et/ ou communautaires. Ces membres se sont répartis dans 4 commissions thématiques (déchets, eau et assainissement, équipements sportifs, transports) correspondant donc à des secteurs d'intervention publique classiques. Il s'agit-là d'une différence majeure avec le Conseil de Développement organisé de manière plus transversale et en charge d'une véritable mission prospective. Ces commissions
93
D'après l'expression
utilisée par l'institution
pour présenter cette instance.
193
se réunissent exceptionnellement en assemblée générale et ordinairement de manière séparée, à raison d'environ 4 réunions par an. Des représentants des services de l'agglomération et des élus y assistent. En fonction des thématiques abordées et de l'ordre du jour, ils viennent présenter les dossiers, écouter les usagers, répondre à leurs questions et remarques. 2003, première année de fonctionnement de la CCSPL, a surtout été consacrée à la présentation de ces services et à l'information des nouveaux membres quant au fonctionnement et aux compétences de l'agglomération. Divers rapports et dossiers ont été étudiés et ont donné lieu à des avis consultatifs transmis aux organes délibérants. En 2005, la CCSPL a par ailleurs engagé une démarche de communication pour faire connaître son existence, d'où l'organisation de rencontres entre élus et services municipaux et communautaires, et la diffusion de plaquettes et de fiches usagers. Déposées à l'accueil des mairies, ces fiches sont destinées à recueillir les remarques des habitants sur les services gérés par CM. Le déploiement de modalités de participation habitante représente assurément une ouverture au pluralisme démocratique de la part de CM. Toutefois, la participation habitante a peu d'emprise sur le processus décisionnel.
2. PROCESSUS DECISIONNEL INTERCOMMUNAL: LE FAIBLE IMPACT DE LA PARTICIPATION HABITANTE Si l'on envisage d'abord le contenu de l'une des politiques menées par CM, celle des transports, on constate un écart entre l'ensemble de cette politique et les thèmes discutés dans la commission transports de la CCSPL. L'ordre du jour est en effet découpé en sujets, souvent très techniques qui, additionnés les uns aux autres, ne reflètent pas l'ensemble de cette politique. La problématique du vélo est ainsi peu évoquée alors même que CM mène en la matière diverses actions avec un certain succès. L'ordre du jour contient également parfois des sujets assez accessoires par rapport aux enjeux de ce type de politique. Les discussions se focalisent quant à elles aussi parfois sur des points anecdotiques qui, s'ils ont le mérite de servir de plaisant défouloir à une studieuse assemblée, ont un intérêt plutôt symbolique94.
94
Dans le cas de la grille tarifaire du réseau de transports en commun applicable à la rentrée 2006, beaucoup de temps a ainsi été passé à savoir si le ticket unitaire désormais en principe à 1,06 euros en fonction du coefficient d'actualisation- devait être arrondi et, si oui, à combien. Si les sommes en jeu ont une importance indéniable pour la collectivité et les usagers, la disproportion apparaît d'autant plus flagrante que, de toutes façons, la marge de proposition des membres de la CCSPL est en la matière très limitée. On imagine ainsi très mal des élus suivre l'avis d'une commission qui, pour dissuader dlacheter des titres individuels, proposerait d'arrondir à 1,5 euros. Cette proposition a d'ailleurs été faite par quelques usagers lors d'une réunion. Elle a soulevé
194
Sur la façon de mener l'action publique, la CCSPL n'est pas non plus source de changement majeur puisqu'elle est intégrée à un circuit décisionnel classique dans lequel ses travaux -dont ses avis consultatifs- ont juridiquement peu de poids. Sur un plan interne, elle n'échappe pas au conformisme institutionnel puisqu'elle reproduit la division du travail (en secteurs et entre acteurs) de l'institution où elle est insérée. Cette reproduction est facilitée par une donnée extra-institutionnelle, cependant partiellement induite par l'institution: ses membres ont tous intégré les règles du jeu démocratique dominant en France, celui de la démocratie représentative. Cela signifie, et cfest flagrant à l'observation de leur disposition "spontanée" face aux services et aux élus, et de leur comportement policé, qu'ils acceptent -non sans une frustration parfois manifeste- comme limite à l'ouverture polyarchique du système décisionnel la nécessité de définir un intérêt général et la légitimité supérieure des élus. N'y participent donc que des personnes conscientes de cette configuration et qui y adhérent. Cette sélection en amont lui enlève donc la singularité qui aurait pu être la sienne et la fait ressembler à une assemblée s'insérant dans le schéma démocratique classique. Elle est finalement un groupe de pression au sein duquel les groupes constitués ont davantage voix au chapitre que les individuels, à l'exception des individus multipositionnés95. La prise en compte des spécificités locales, premier degré de la territorialisation (Faure Douillet 2005), se fait donc assez paradoxalement par un canal traditionnel au sein d'une instance participative présentée comme novatrice. La politique des transports en direction des personnes handicapées est à ce titre éloquente puisque CM se montre dans ce domaine très réceptive au lobbying moralement fondé- réalisé par l'Association des Paralysés de France. Plusieurs crises ont ainsi été désamorcées parce que ce groupe d'usagers identifié s'est assez mobilisé pour fournir des données sur cette problématique et faire remonter le mécontentement non seulement dans la CCSPL, mais aussi directement auprès des élus.
3. PARTICIPATION HABITANTE ET PROCESSUS DECISIONNEL: ELEMENTS D'EXPLICATION On peut se demander pourquoi la participation habitante a un si faible impact sur les décisions prises au sein de CM. Elles sont de nature exogène et endogène. Les dispositifs participatifs ont en premier lieu été impulsés par le haut, c'est-à-dire en fonction de valeurs d'action publique et de lois extérieures aux territoires-réceptacles. Il en découle une certaine artificialité, voire un sentiment d'étrangeté et des difficultés à investir ce nouvel outil. Il engendre
rires et protestations au sein de la CCSPL, soulignant ainsi la nécessité de rester dans les limites du raisonnable tracées par les élus, préparées et présentées par les services techniques. 95Comme les membres de la CCSPL participant aussi aux conseils de quartiers de la Ville de Chambéry.
195
beaucoup de défiance et d'interrogations sceptiques car les acteurs locaux (élus et services) vivent en général assez mal l'imposition d'une nouvelle norme d'action publique. La seconde raison liée à l'environnement confirme le caractère assez artificiel de ces dispositifs, du moins à leur création. La concurrence entre collectivités locales est vive et l'on peut avancer l'hypothèse d'une construction et d'une légitimation de ces entités par l'adoption de dispositifs participatifs. Etre en retrait sur ce chapitre serait un (mauvais) signe de conservatisme, ce qui explique la force du mimétisme institutionnel et un nouveau paradoxe: pour se distinguer, une collectivité fait comme les autres96. La vogue, de même que les modalités de participation habitante doivent être appréhendées en ayant cette problématique du positionnement territorial à l'esprit. En outre, CM n'échappe pas à la rigidité qui caractérise toute institution. Si elle offre des ressources et une capacité d'action, celle-ci est avant tout un ensemble de contraintes construites par l'homme pour orienter l'action quotidienne des individus (Boussaguet et alii 2004). Elle est réductrice de contradictions. Sa fonction est de limiter l'incertitude, à commencer par celle qui peut peser sur l'existence même de l'institution, mais surtout sur son identité, sa visibilité, sa légitimité et l'efficacité de son action. Or c'est le cas de CM qui est, sous sa forme actuelle, une institution jeune percevant comme négatif le différentiel entre ses compétences et sa lisibilité locale. Elle est dans cette phase de légitimation, au tonomisation et de stabilisation au cours de laquelle "un récit mythique des origines est fabriqué, qui décrit r apparition de l'institution comme un processus à la fois logique, nécessaire et inéluctable" (Boussagat et alii 2004, ibidem) On peut dès lors se demander dans quelle mesure le discours sur la participation habitante, plus avant-gardiste et affiché que les pratiques correspondantes, ne fait pas partie de ce discours de naturalisation plus général. Toute une série d'éléments endogènes sont enfin autant d'obstacles à la conversion de cette participation en vecteur de transformation des politiques de CM. Toutefois, certaines de ces caractéristiques se retrouvent dans d'autres collectivités, notamment les conseils de quartier de la Ville de Chambéry ou de Nantes (Le Galic 2004). Pour ceux qui, malgré les barrières sociales symboliques et matérielles, ont accédé à la ces PL, il s'agit de la lassitude -parfois suivie de départs- liée à un sentiment d'impuissance relative. Outre la composition et les finalités de la ces PL, son fonctionnement n'est peut-être pas optimal, sans qu'une alternative soit facile à trouver. Le rythme de 4 réunions par an semble difficilement compatible avec un réel investissement de la structure et des dossiers. D'un autre côté, on voit mal comment cet investissement pourrait augmenter tant que la participation habitante conservera si peu de poids sur les décisions. Le paramètre temps joue aussi un rôle puisque les réunions se tiennent en fin de journée, durent deux heures environ, et les habitants ne sont pas tous égaux devant la disponibilité97. Ce paramètre intervient aussi dans le domaine de la formation des profanes puisque leur propre capital ne suffit pas toujours à la bonne connaissance de l'environnement et du fonctionnement institutionnels, de même qu'à des savoirs sur un secteur ou un dossier
96 97
Ce mécanisme a également été observé en Espagne. Cf. Cultiaux 1999. D'où la sous-représentation des actifs, surtout lorsqu'ils ont des enfants en bas âge.
196
particulier. Pour que la participation habitante soit plus ouverte, cette question de la formation initiale et continue est déterminante. L'enjeu n'est pas seulement une amélioration des compétences citoyennes. Il est aussi d'augmenter la motivation des membres potentiels et effectifs car l'éclatement en commissions sectorielles et la tenue de réunions, somme toute d'une haute teneur intellectuelle mais à la vulgarisation limitée, est un autre frein à la motivation.
CONCLUSION Le développement de dispositifs participatifs dans l'agglomération chambérienne s'inscrit bien dans le vaste mouvement à l'échelle planétaire de la montée en puissance de la délibération comme norme de l'action publique. Toutefois, ce développement pose un problème d'interprétation. Au final, comment le caractériser et l'expliquer? Le modèle dont la CCSPL se rapproche le plus est, d'après la typologie mobilisée (Bacqué et alii 2005), de celui de la "modernisation participative" dans lequel la participation citoyenne ne constitue pas une priorité. L'objectif est davantage la modernisation de l'action publique dans une optique libérale et par voie réformiste. Mesuré à l'aune de la démocratisation des politiques publiques locales, le changement induit par le développement de ce dispositif est en effet mince. Il confirme une tendance générale, surtout dans les structures intercommunales (Sadran 2005). Il n'est cependant pas nul et conduit à dresser le même bilan contrasté que P. Teillet à propos des conseils de développement à Angers et Grenoble. Envisagé par rapport à l'objectif de modernisation, le dispositif observé reflète la posture ambivalente de l'institution intercommunale par rapport au changement. D'un côté il apparaît une volonté claire d'améliorer l'action menée par une meilleure prise en compte des demandes; de l'autre, l'orientation "management public" ne s'avère être qu'un discours permettant au contraire aux élus et aux services techniques de poursuivre leurs objectifs. L'affichage managérial décrit par V. Anquetin à propos de la Ville de Strasbourg voit ainsi son caractère fortement politique confirmé. Au-delà de la démocratisation et de la modernisation, il est un objectif que le dispositif participatif semble chargé d'atteindre: la légitimation d'une institution relativement jeune, méconnue et aux compétences croissantes. L'enjeu est alors son positionnement par rapport aux autres collectivités et à la population locales. L'insertion de ce critère ne remet pas en cause la parenté du modèle chambérien avec l'idéal-type de la modernisation participative. De ce point de vue, le développement de la participation citoyenne participe d'une et à une entreprise politique visant l'invention d'un territoire. Là aussi l'ambivalence caractérise la situation actuelle puisque, comme le relève E. Négrier: "La troisièlne fonction latente que joue ce déficit démocratique de l'agglomération est enfin de préserver une identité politique construite sur le territoire. (...) Maintenir le
197
monopole urbain de la représentation municipale permet de préserver le peu qu'il reste désormais aux élus (. ..). Cela permet aussi de mettre, pendant un temps, la politique intercommunale à l'épreuve et sous tutelle politique, au moins symboliquement, sans soumette ses premiers pas à une (souvent) artificielle compétition entre programmes d'appareils" (Négrier 2001). Si une identité intercommunale peut faire peur, oeuvrer pour qu'elle se construise et s'impose devient désormais une nécessité urgente. Malgré cette urgence, le changement ne pourra s'effectuer que progressivement compte-tenu du mode de fonctionnement consensuel de l'intercommunalité chambérienne (Guéranger 2003) et de son institutionnalisation sur le modèle discret et incrémentaI de l'agglomération lilloise décrit par Fabien Desage (voir contribution dans cet ouvrage). Parce qu'ils présentent des objectifs et des enjeux différents, parfois contradictoires, ambivalents et évolutifs, les dispositifs de participation doivent donc faire l'objet d'analyses micro-sociologiques continues. Il s'agit donc de poursuivre l'effort de clarification engagé sur ces "sous-ensembles flous de la "participation "" (Neveu 2004).
198
DEMOCRATISER LES POLITIQUES TERRITORIALES? PREMIERES OBSERVATIONS ET BILAN PROVISOIRE DES CONSEILS DE DEVELOPPEMENT
Philippe Teillet
Maître de conférence en science politique à l'Institut d'Etudes Politiques de Grenoble, membre de l'UMR PACTE (CNRS), Philippe Teillet travaille principalement sur les transformations de l'action publique dans le domaine culturel. Ses travaux, qui concernent également les recompositions territoriales, la médiatisation du politique et la parité, s'orientent désormais vers la dimension politique des politiques publiques, à l'articulation des sociologies de la vie politique et de l'action publique. Courriel:
[email protected] ,
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Résumé
I
Cet article
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a pour
objet les conseils de développement (C2D) d'agglomérations urbaines. Créés depuis 2000, les C2D ont d'abord eu pour tâche de contribuer à l'élaboration des projets de territoire les concernant. Après cette première mission, leur rôle est devenu plus difficile à préciser, même si, globalement, ils sont considérés comme les outils de la démocratisation des politiques métropolitaines. A partir de l'exemple de deux d'entre eux, cette étude s'attache d'abord à observer les luttes politiques autour de la définition de leur position dans le champ politique local. Elle s'intéresse ensuite à la contribution des C2D au renouvellement des pratiques démocratiques. Plus délibératifs que participatifs, les C2 D pourraient être considérés comme incapables de bouleverser les mécanismes sociopolitiques de domination de certains groupes sur les enjeux collectifs d'agglomération. Ce serait toutefois négliger un certain nombre d'éléments nouveaux que ces instances apporten t à la démocratie métropolitaine.
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Abstract This article
concerns
the councils
of development
(C2D)
of urban
areas. Created
since
2000, the C2D have had at first task to contribute to the building of their territory projects. After this first mission, their role became more difficult to specify, even if they are regarded
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199
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as tools for the democratization of the metropolitan policies. With the exemple of two of them, this study is first dedicated to the political struggles around the definition of their position in the local political field. Then it looks at the contribution of the C2D to the renewal of the democratic practices. More deliberative than participative, the C2D could be regarded as incompetents to upset the socia-political mechanisms of domination of groups on urban collective stakes. It would be however to neglect some elements that these new bodies bring to the metropolitan democracy.
La redéfinition
de la politique
d'aménagement
du
« Pasqua» et « Voynet »), puis la relance de la décentralisation
territoire (<< Acte
(Lois
II »), sont
contemporaines de mesures ayant introduit, dans l'élaboration des choix collectifs territorialisés98, des formes de «démocratie participative» donnant aux représentants de la «société civile» un rôle officiel dans la définition
localisée du « bien commun». L'adoption de tels dispositifs confirme l'analyse de Patrice Duran (Duran 2002) soulignant la dimension fondamentalement politique de l'aménagement du territoire et suggérant ainsi sa nécessaire démocratisation. Des conseils de développement (C2D) d'agglomération et de «
pays, dont la composition a été laissée à la libre détermination des élus99,ont
donc été constitués. La représentation de la «société civile» y décline des formes variées et offre à des interlocuteurs habituels des pouvoirs publics (chambres consulaires, syndicats, associations diverses) un cadre et des objets nouveaux de concertation. Après deux premières années consacrées à leur mise en place, les conseils de développement sont maintenant dans une situation alliant une reconnaissance accrue à une définition plus floue de leur rôle. Après la fonction consultative explicitement confiée par la loi (participer à l'élaboration du projet de territoire), leur compétence concerne désormais, pour les zones urbaines, «toute question relative à l'agglomération, notamment sur l'aménagement et sur le développement de celle-ci ». Les conseils de développement se situent donc à la croisée de trois enjeux: la territorialisation et la démocratisation de l'aménagement du territoire; la promotion générale d'un «nouvel esprit de l'action publique moderne» (Blondiaux Sintomer 2002, Bacqué Rey Sintomer 2005) valorisant le débat et la participation; l'introduction de cet « esprit» dans le fonctionnement des territoires recomposés (agglomérations ou « pays») dont les responsabilités
croissantes appellent la réduction de leur
«
déficit démocratique» (Jouve 2003,
2005, Négrier 2005). Ces différents éléments constituent de nouvelles façons de faire de la politique qui s'inventent au niveau des agglomérations, associant au dépassement du modèle stato-centré, une redéfinition des modalités d'interaction entre autorités publiques locales et groupes d'intérêt (Leresche 2001, Jouve 2005, Grossman Saurugger 2006) et reconnaissant aux processus de construction et de mise en œuvre des politiques territoriales une contribution essentielle à la qualité de vie démocratique. Mais pour importants que soient ces changements sur le plan théorique, les difficultés pratiques de leur mise en œuvre peuvent conduire à pronostiquer au contraire la reproduction des rapports politiques et sociaux de domination ou la réduction de ces dispositifs à
des
«
techniques managériales » de gestion des conflits sociaux répondant avant
tout à une contrainte d'efficacité. C'est alors pour éviter le double piège de l'enchantement et du désenchantement, qu'il nous a paru nécessaire d'observer concrètement le fonctionnement de ces C2D100.Nous verrons que les latitudes de
98 Notamment:
Loi AIR du 6 février
1992 et Loi du 13 août 2004 - à propos
des
référendums locaux -, Loi « Démocratie de proximité », 27 février 2002.
99Article 26 de la loi na 99-533 du 25 juin 1999. 100
Nos investigations ont concerné les communautés d'agglomération d'Angers et de
Grenoble. Les données, témoignages et observations recueillies ont été produites travers une observation participante (entre 2002 et 2005), pour la première,
200
à et
la définition législative de ces conseils ont laissé aux acteurs locaux une marge suffisante pour qu'il leur revienne la responsabilité d'inventer ces instances, de construire une nouvelle position et un nouveau rôle au sein du champ politique local. Nous examinerons ensuite la question de la contribution des C2D à la démocratisation de l'action publique métropolitaine.
1. UNE INVENTION TACTIQUE Le souci de ne pas conférer aux C2D une organisation trop précise dans le cadre de la loi et de permettre une définition principalement territoriale de leur composition, de leur mode de fonctionnement et de leurs attributions (Sarda 2002), a fait l'objet d'une politique institutionnelle constitutive locale, plus ou moins marquée par une dimension réflexive favorisant au sein des assemblées communautaires et des conseils de développement eux-mêmes le retour régulier de questions existentielles (qu'est-ce que le C2D ? Que peut-il faire? A quoi sertil ?). Surtout, les facultés laissées aux acteurs politiques locaux dans la construction du C2D ont déclenché un processus leur conférant la responsabilité de produire une instance avec laquelle ils devront partager les grands choix stratégiques d'agglomération et dont la raison d'être est la crise ou les limites de leur propre légitimité. Mais au-delà des éléments fondamentaux de la définition des conseils de développement, qu'adoptent les élus communautaires, leurs membres disposent d'une certaine marge de manœuvre dans la conduite de leur action et dans la construction progressive de leur position collective dans le champ politique local.
STRATEGIE ET TACTIQUE L'invention des conseils de développement composé de stratégie et de tactique, au sens donné
apparaît alors comme un à ces notions par Michel de
Certeau (de Certeau 1980, p. 20-21) qui définissait la stratégie comme
« calcul
des
rapports de force qui devient possible à partir du moment où un sujet de vouloir et de pouvoir (., ,) est isolable d'un 'environnement', Elle postule un lieu susceptible d'être circonscrit comme un propre et donc de servir de base à une gestion de relations avec
une extériorité distincte». En ce sens, la dimension « top down» de l'émergence des C2D, le rôle du président de l'EPCI10\ des principaux membres de son bureau et de son cabinet dans la désignation de certains membres et en
principalement à travers des entretiens avec des membres, des techniciens de l'agglomération et des élus, pour la seconde (entre janvier et juillet 2006), dans le cadre d'une étude réalisée avec Alain Faure. TIs'agit dans les deux cas de territoires urbains dotés d'une ville centre de plus de 150 000 habitants et d'une population de près de 300 000 habitants pour Angers Loire Métropole et de 460 000 pour Grenoble Alpes Métropole. 101 Etablissement Public de Coopération Intercommunale, Communauté d'Agglomération ou Communauté Urbaine, voire Communauté de Communes.
201
particulier de celle du président du conseil de développement, inscrivent potentiellement sa création dans le cadre d'une stratégie qui peut viser tant la légitimation de la structure intercommunale et de ses dirigeants ou la qualité technique et politique des décisions qui pourront être adoptées à ce niveau, que le contrôle d'une instance dont l'existence résulte d'abord de la volonté d'acteurs politiques centraux et de dispositions législatives obligatoires. En
revanche, la tactique est « un calculqui ne peut pas comptersur un propre(.. ,), (Elle) n/a pour lieu que celui de rautre, Elle s/y insinue/ fragmentairement/ sans le saisir en son entier/ sans pouvoir le tenir à distance, (.. ,) [llui faut constamment jouer avec les événements pour en faire des 'occasions', Sans cesse lefaible doit tirer parti de forces qui lui sont étrangères ». De ce point de vue, la réflexion et l'activité des principaux membres des C2D, concernant l'instance dont ils font partie, relèvent plus d'une tactique ou comme le disait aussi de Certeau, d'un art de «faire avec}) les circonstances et les contextes de leurs activités, d'user des ressources que
d'autres (le « législateur », les élus communautaires) ont mis à leur disposition, de les manipuler
et au besoin de les détourner.
Dans les deux cas observés, les orientations suivies par les C2D résultent concrètement des choix de saisine et d'auto-saisine (stratégiques et tactiques) débattus en son sein mais aussi dans le cadre d'échanges avec la présidence de l'agglomérationlo2. Elles constituent une définition en acte, par tâtonnements et apprentissages, de sa position au sein du champ politique local. Ces choix sont déterminés par des considérations où se reflète une certaine conception (voire plusieurs) du rôle du C2D, mais aussi le souci de donner à ses membres les gratifications nécessaires au maintien de leur engagement dans une activité exigeante en disponibilité et venant généralement s'ajouter à de nombreuses autres.
LE JEU POLITIQUE Elus communautaires et équipes dirigeantes des conseils de développement paraissent avoir intégré les exigences résultant d'un positionnement paradoxal: celui d'une institution constituée par des élus pour
représenter la
«
société civile». Dans chacun des deux territoires observés, des
liens parfois assez étroits unissent certains membres du conseil aux élus majeurs dè l'agglomération. La dépolitisation de ces instances trouve ainsi vite ses limites. Mais, à l'inverse, une velléité de sélection sur des critères partisans risquerait de faire s'évanouir tous les bénéfices symboliques attendus de l'installation du C2D. Dans les deux cas observés, il semble avoir été jugé plus fructueux de réduire le contrôle direct sur les participants (notamment en renonçant à l'idée d'un collège d'élus ou d'une présidence confiée à un élu) au profit d'une forme de contrôle idéologique via la recherche de visions partagées entre élus, techniciens et représentants de la société civile concernant les contraintes de l'action publique. La possibilité de trouver ainsi des accords sur la
102
Comme à Grenoble dans développement» et réunissant développement.
le cadre d'une instance appelée «Conférence de les bureaux des deux conseils, communautaire et de
202
définition des problèmes et sur les modalités possibles de leurs résolutions pouvait apparaître comme une bonne façon de limiter les risques de confrontation aiguë avec certains groupes d'intérêt. Les principaux responsables des C2D ont considéré que leur capacité d'influence sur les processus décisionnels était indexée à la qualité de leurs relations avec les élus et les services. C'est pourquoi, si la création des C2D porte en elle la double critique du recours exclusif aux mécanismes de la démocratie représentative et du pouvoir des techniciens, leurs membres sont amenés à faire régulièrement allégeance au principe de la domination légitime des élus sur la formulation en dernière instance de l'intérêt général et de celle des services sur la dimension technique des enjeux collectifs. Dans le même sens, la coupure qui affecte leurs relations avec les organisations dont ils émanent ou qu'ils représentent n'est pas seulement l'expression d'un gap résultant de l'exercice de toute fonction communautaire. Elle leur permet également de ne pas paraître constituer une forme de contre pouvoir politique en s'accaparant une fonction de représentation sectorielle que certains élus pourraient considérer comme menaçante. Reste que le travail de définition du C2D, par delà une certaine courtoisie des échanges, des formes de complicités partielles, peut être envisagé sous la forme d'une double «compétition» entre «associés-rivaux» (élus société
civile;
techniciens
-
société
civile) dont l'enjeu
principal
est de peser
sur
les choix collectifs territoriaux. La mise en place des conseils de développement vient ainsi ajouter un pôle supplémentaire perturbant les relations traditionnelles entre élus et services et « triangularisant» l'espace politique des agglomérations.
LA PERSONNALISATION
DE L'INSTITUTION
A Angers comme à Grenoble, le choix du président du C2D, sous des formes diverses mais convergentes, tente de conjuguer proximité et indépendance vis-à-vis du pouvoir d'agglomération. Ces deux sources de leur charisme leur permettent de jouer un rôle déterminant dans le processus de définition endogène des conseils de développement. On peut en mesurer les effets au travers des fortes relations apparaissant entre les personnalités de ces présidents et le « style» donné aux C2D. Le conseil de développement angevin, sous la présidence de l'ancien directeur général des services de la ville centre, s'est orienté vers un fonctionnement sans originalité particulière, privilégiant pour cette assemblée l'application d'un modèle connu et relativement familier. On pense en particulier aux CESR103 par la distribution de fonctions de rapporteurs autour des présidents de commissions et la production de rapports. Leur rédaction devant permettre en outre la mise en œuvre d'une évaluation du C2D à travers la connaissance des suites données à ses travaux. Un tel choix permet une identification aisée du conseil de développement (par ses membres comme par ses partenaires extérieurs), par rapprochement avec des pratiques plus anciennes et assez bien identifiées. Il lui assurait une certaine légitimité à travers la (re)connaissance de ses travaux et les assurances données sur son
103Conseils
Economiques
et Sociaux
des Régions.
203
effective.
Enfin,
la rigueur
de son organisation,
les compétences
gouvernance
que le C2D prétendait
la
à
rial
managé
sens
un
»
«
donner
à
contribuaient
son
de
président,
reconnues
activité
incarner.
A Grenoble, en revanche, une sorte de consensus s'est établi en faveur d'une démarche plus pragmatique, volontiers plus souple (allant jusqu'à une situation où l'appartenance au C2D est peu marquée compte tenu des frontières floues de sa composition), éloignée du modèle CESR, d'ailleurs conçu ici comme
un
«
contre modèle» : pas de véritable production de rapports, mais seulement
des comptes rendus de réunions et d'activité principalement produits par les deux ou trois personnels administratifs mis à sa disposition. En associant une forte capacité d'initiative à une réflexivité sur son fonctionnement ainsi qu'une certaine réactivité à l'actualité, les membres du conseil considèrent qu'une telle « organisation», plus dynamique qu'ordonnée, reflète la personnalité de son président. On se trouve donc face à une instance plus difficile à rapprocher de modèles connus, qui tente de construire sa position spécifique, d'une part, en associant à une expertise concurrente - voire parfois supérieure - à celle des services, une faculté à rappeler ou à définir des objectifs politiques fondamentaux, d'autre part, en naviguant entre des réflexions prospectives et la prise d'initiatives conduisant certains de ses membres sur un terrain plus opérationnel (nullement suggéré par la loi Voynet). Si certains participants ou observateurs peuvent parler à son sujet d'une fonction « d'aiguillon », de « poil à gratter », d'autres évoquent un laboratoire d'idées local associé aux processus décisionnels d'agglomération. Cette personnalisation est aussi favorisée par une dépendance relativement forte de ces conseils à l'égard de certains de leurs membres. Elle se traduit par une nette différenciation entre un petit groupe très investi (présidents des commissions ou des groupes de travail, responsables de
la production de
«
rapports », membres du bureau, etc.) et le reste des membres
du conseil. Si l'activité et la légitimité des C2D résultent en grande partie de ces groupes restreints, ils en font aussi la faiblesse en faisant dépendre leur avenir de l'engagement pérenne et constant de quelques individus. Il apparaît ainsi que la courte histoire des C2D est d'abord celle de l'invention, territoire par territoire, d'une institution nouvelle vouée à occuper une position inédite au sein des champs politiques locaux. A la différence des conseils régionaux (Nay 2002), il s'agit alors non seulement pour les membres des C2D d'inventer un rôle nouveau mais aussi de participer au processus collectif de définition de l'organisation qu'ils auront à faire exister. On se trouve alors face à des apprentissages d'autant plus délicats que l'apparition de ces instances suscite un certain nombre de tensions et fait l'objet de projections diverses de la part d'autres agents, individuels ou collectifs, des champs politiques concernés104. Toutefois, leur dépendance à l'égard de certaines personnalités qui les composent conduit aussi à souligner l'état d'inachèvement de leur institutionnalisation.
104
Ainsi, certains CESR ont manifesté leurs craintes ou fait part de critiques à l'égard de l'activité
des C2D des principales
agglomérations
204
de leur territoire.
2. QUEL MODELE DEMOCRATIQUE? Intégrés aux instruments de la démocratie participative (Bacqué Rey . Slntomer 2005) et de la participation des groupes d'intérêt «à rélaboration des politiques (oo.) (afin de) combler, au moins pour partie, les déficits démocratiques multiples qui découlent d'une prise de décision éclatée sur plusieurs niveaux politiques» (Grossmann Saurugger 2006, p.308), la situation spécifique des conseils de développement doit être distinguée de celles d'autres instances comme les conseils de quartier, commissions locales d'usagers de services publics, commissions locales de débat public (Blondiaux 2002). On pourra, de cette façon, lever un certain nombre d'ambiguïtés sur la notion de «démocratie participative» résultant justement de la diversité de ses dispositifs et objectifs (Blondiaux 2005). Le fonctionnement des C2D sera donc examiné au regard des enjeux de participation qu'ils sont censés servir, avant d'envisager à travers eux la mise en œuvre d'autres modèles de fonctionnement démocratique.
UNE DEMOCRATIE«
PARTICIPATIVE
»
?
Deux principales raisons justifient a priori le classement des conseils de développement parmi les dispositifs de participation. La montée en puissance des agglomérations conduit d'abord à faire des structures intercommunales des échelons essentiels car voués à des champs de compétences en phase avec l'urbanisation du monde contemporain. On est loin ici des conseils de quartiers où la participation est déconnectée de tout niveau décisionnel déterminant. Ensuite, la composition des C2D atténue les problèmes posés par le différentiel d'information et de compétences techniques auxquels sont confrontés les «forums hybrides », sans cesse tenus de corriger leur organisation pour atteindre leurs objectifs de débats équitables (Callon Lascoumes Barthe 2001). Les ressources intellectuelles que peuvent mobiliser leurs membres, la carrière militante et la multipositionnalité de certains d'entre eux, permettent aux C2D de se situer à un niveau de compétence comparable, voire parfois supérieur, à celui des élus ou des services techniques. Mais, inépuisables régulièrement se réduire au
les ressources internes des membres du C2D ne sont pas et sauf à recourir à des expertises externes ou à procéder à un vaste renouvellement, la pertinence de leurs compétences va fur et à mesure de la diversification des thèmes abordés. De plus,
un tel niveau d'expertise caractérise plutôt le « noyau dur» des C2D et crée de cette façon une différenciation interne qui joue souvent au détriment des représentants d'organisations issues d'une structuration économique et sociale des groupes d'intérêt (syndicats, chambres de commerce et d'industrie, en particulier). Surtout, on perçoit vite les limites de la participation offerte au sein de ces conseils. Le niveau métropolitain est marqué par l'éloignement (obligeant à renoncer ici aux mirages d'une démocratie « de proximité »), les stigmates de la complexité de l'action publique territoriale et un caractère peu familier comparativement à l'ancrage historique des communes et départements. Il produit un différentiel aussi sensible entre les élus communautaires et les autres
205
élus communaux, qu'au sein du C2D, entre les représentants des groupes d'intérêt locaux et les autres membres de ces groupes. En outre, la mondialisation économique et l'interdépendance des territoires mettent en péril toute tentative de définir et de stabiliser un niveau intermédiaire de régulation politique. A ce jeu, les membres des C2D sont conduits à faire régulièrement le constat des limites de l'échelle d'agglomération au niveau de laquelle ils se situent. De son côté, l'expertise intégrée par les conseils de développement
interdit d'espérer y rencontrer le citoyen ordinaire, dit
«
lambda ». Celui que la
démocratie participative tente d'intégrer à la vie publique locale est peu présent dans des instances où siège une notabilité non élective dont les membres ont souvent un fort investissement syndical ou associatif et siègent fréquemment dans plusieurs instances (CESR, conseils, unions ou associations de quartiers). Il faut rappeler ici que selon la loi Voynet, il s'agit de représenter la société civile et de construire au fond un mode alternatif de démocratie représentative chargé de formaliser le débat avec les groupes d'intérêt locaux.
UNE DEMOCRATIE
DELIBERATIVE?
Les C2D constituent ainsi des forums institutionnalisés placés aux côtés des organes électifs des territoires recomposés. La distinction proposée par Bruno Jobert Gobert 1999), entre forums (espaces relativement ouverts de débats sur les politiques publiques) et arènes (espaces plus restreints de négociation des décisions), correspond approximativement à la fonction des C2D105.Toutefois, la diversité des politiques débattues pourrait aussi conduire à parler de forums de forums, voire de chacun d'entre eux comme une composante de forums moins institutionnalisés. Surtout, nous voudrions ici nous attacher aux formes que prend au sein des C2D la mise en débat des projets et des politiques d'agglomération. La distinction récemment formulée par E. Grossmann et S. Saurugger (Grossmann Saurugger 2006) permet de penser que l'activité des conseils de développement relève moins de la délibération compétitive que de la délibération collaborative. Dans le cadre de la première, les décideurs arrêtent leur position après que les représentants d'intérêts ont fait valoir leurs arguments. Aucun accord ni compromis n'est recherché au sein de la pluralité des intérêts en cause. C'est de leur mise en compétition que résultent progressivement l'information et la conviction des représentants. Au-delà des limites de ce modèle, il paraît très éloigné de la propension des C2D à constituer des lieux de débats entre intérêts constitués qui transcendent en principe les logiques sectorielles des uns et des autres. La définition de la seconde semble mieux s'accorder avec les pratiques des conseils de développement. Elle désigne la production d'un compromis, à l'issue de débats valorisant la qualité des argumentations et où l'on cherche à modifier les préférences adverses plutôt que de les opposer. Les témoignages recueillis auprès de membres de ces conseils ou de ceux qui suivent leur fonctionnement soulignent leur capacité à être des lieux d'échanges et de compromis, du moins à ne pas être des lieux où s'affrontent
105
et non pas délibérante
au sens de la production
206
normative
des assemblées locales.
des positions antagonistes et des clivages idéologiques structurants. On observe cependant que nombre d'assemblées politiques locales apparaissent aussi comme des espaces consensuels et, en ce sens, relativement dépolitisés. Il ne faut donc pas exagérer la spécificité des pratiques délibératives des C2D où se manifeste cette rhétorique de l'apolitisme qui de longue date caractérise les espaces publics locaux (Kesselman 1972). Mais on peut surtout s'attacher à repérer ce qui écarte la réalité des conseils de développement de cet idéal délibéra tif. En premier lieu, la répartition de leurs membres en collèges puis en commission répond à une certaine sectorisation des enjeux et des expertises. L'appel à la mise en œuvre de logiques transversales et territoriales peut trouver une certaine effectivité, mais elle peut aussi donner naissance à une construction sous la forme d'un catalogue des propositions ou avis des conseils de développement. Leur adoption en séances plénières n'empêchant pas une forte personnalisation de positions réputées collectives. Le respect des positions de chacun peut être un obstacle à l'échange d'arguments ainsi qu'à la construction d'une position commune et raisonnée. En second lieu, on ne peut pas véritablement parler ici d'une participation des groupes d'intérêt compte tenu de la faiblesse des liens rattachant leurs représentants au sein du C2D aux groupes représentés. La faible institutionnalisation de ces conseils, la dimension fortement personnalisée de leur fonctionnelTLent, leur confère parfois plus une dimension de club de réflexion. On est alors loin de trouver à travers eux ce lieu de formation de la volonté générale (Manin, 1985) qui supposerait un plus réel investissement des groupes d'intérêt dans les débats dont les C2D sont porteurs. Doit-on alors conclure sur l'échec des conseils de développement à démocratiser les politiques territoriales? Pour tentante que soit une réponse négative, nous voudrions proposer ici trois arguments contraires. Premièrement, les conseils de développement trouvent leur place dans des conceptions et pratiques de la démocratie qui prennent acte d'une vision élargie de l'activité politique ne se réduisant pas à la seule désignation des gouvernants. Une part essentielle de la politique se joue en effet dans des phases ultérieures aux élections. Or, la relative autonomie de la production des poli tiques publiques vis-à-vis de la politique électorale a pour effet de retirer de l'espace public un certain nombre de choix d'importance majeure pour l'avenir des territoires concernés. Les C2D constituent de ce point de vue un outil démocratiquement nécessaire de mise en débat des politiques territoriales. On retrouve ici, comme au niveau européen, le jeu de complémentarité entre les deux formes de légitimation, par les inputs et les outputs (Scharpf 2000). La faiblesse des systèmes politiques d'agglomération (du point de vue des inputs, poids des «demandes» , influence sur le choix des dirigeants -) peut être compensée par la mise en débat de l'action publique métropolitaine (outputs). Quelles que soient les limites des pratiques délibératives au sein des C2D, elles tendent en effet à favoriser la prise en compte d'une gamme plus étendue d'options, d'intérêts et d'enjeux (Scharpf, 2000, 29) que le seul jeu des rapports entre élus ou entre élus et techniciens. ceux
Deuxièmement, l'existence des C2D permet l'élargissement qui sont susceptibles d'exercer une influence dans
207
du nombre de les processus
décisionnels des agglomérations, même si cette
«
couche supplémentaire»
peut
se restreindre à une «fine pellicule» 106. Toutefois, l'intégration de quelques dizaines d'individus à l'activité d'élus et d'équipes administratives pose la question de leur légitimité. Leur prétention à exprimer autre chose que des opinions personnelles et à parler au nom de groupes divers est souvent contestée. Leur principale ressource, leur expertise, favorise d'ailleurs une redéfinition progressive de leur position sociale et politique: de «représentants» de la société civile en « autorités ». Cette situation conduirait alors à leur dénier
toute qualité « représentative ». Mais les travaux d'A. Rehfeld107(Rehfeld 2006) montrent que dans de nombreux cas, au sein de l'OMC, de l'ONU ou s'agissant d'ONG humanitaires, par exemple, le respect de normes démocratiques de désignation est une exigence fréquemment écartée et que deux autres arguments permettent de parler au nom de « représentés» : le respect des règles de reconnaissance utilisées au sein d'assemblées ou d'institutions diverses pour déterminer qu'une personne plutôt qu'une autre est politiquement
représentative;
les missions dévolues à l'instance représentative
(<< la
manière
moralement préférable de réaliser les buts d'un cas particulier de représentation» p. 20). En montrant qu'elle n'est pas inéluctablement liée aux processus démocratiques de désignation, les analyses de Rehfeld invitent, plutôt
qu'à distribuer de façon sélective des titres de « représentants », à profiter de ces nouvelles pratiques et institutions, comme les C2D, pour repenser les modalités de la représentation politique.
la notion et
Troisièmement, les C2D limitent l'autonomie des représentants. Il ne s'agit pas, à la différence d'autorités administratives indépendantes, de soustraire aux élus certains choix politiques, mais d'ajouter une dimension plus collective à l'action politique métropolitaine. Le terrain où s'exerce principalement la concurrence des C2D à l'encontre des responsables politiques traditionnels est, plus que celui de la technicité de l'action publique, celui de la construction du sens. Leur complexité et leur technicité brouillent particulièrement la lisibilité des politiques métropolitaines. Les difficultés des acteurs politiques à donner un cadre global et des perspectives à leurs interventions laissent alors un espace pour des organisations ou des individus capables de définir des situations et des priorités et de combler en partie un vide symbolique patent. En ce sens, nombre de nos interlocuteurs ont considéré que
les C2D pouvaient pousser les élus à faire de nouveau « de la politique », façon pour eux de montrer que leur activité contribue à la fin du monopole des élus sur ce qui est souvent encore considéré comme relevant de leur responsabilité spécifique.
106
Une étude sur les conseils de développement en Poitou-Charentes, rassemblant la
situation de pays et d'agglomérations, recensait 1851 membres pour 31 conseils soit une moyenne de 60. 8 d'entre eux dépassaient cette moyenne, le plus important comptant 180 membres et les plus réduits en comprenaient 25. Les agglomérations comme Angoulême et Poitiers sont dotées de C2D de 80 à 90 membres. Mais d'autres comme La Rochelle, Rochefort ou Niort n'en ont rassemblé qu'entre 30 et 40. Cf IAAT, Les actions des conseils de développement des pays et agglomérations de Poitou-Charentes, Juillet 2006. 107
Nous remercions ici S. Saurugger de nous les avoir signalés. 208
POLITIQUES
LOCALES DE SECURITE
ET ACTEURS POLITIQUES Tanguy Le Goff Tanguy Le Goff est docteur en sciences politiques. Il est actuellement chargé d'études à la Mission Etudes et Sécurité de l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de la Région Ile-deFrance (IAURIF). Ses travaux portent sur les politiques locales de sécurité en France et en Europe. Courriel:
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La sécurité est désormais fortement investie par les acteurs politiques qui jouent un rôle déterminant dans les négociations des politiques contractuelles initiées par l'Etat et dans leur mise en œuvre. Ils exercent également un magistère d'influence auprès des services extérieurs de l'Etat désargentés. Ce dernier révèle que la dynamique de territorialisation de la sécurité, dont les maîtres mots sont proximité et coproduction, va de pair avec une reconfiguration des relations de pouvoir entre les gouvernements locaux et un Etat qui
adapteen réinventant son art degouverner lasécurité. Abs tract Crime control is increasingly the concern of politicians who are playing a determining role in policy making. They also have a greats influence on cash-strapped public services. This shows that the principle of reinvesting in security at a locallevel, ofwhich the key factors are proximity and coproduction, goes hand in hand with a reconfiguration of relations between local authorities and the state, which is adapting through reinvention of its approach to crime security.
209
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Résumé
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«
Quelle est la ville la plus sûre? ». Cette question figure systématiquement
dans les dossiers des magazines hebdomadaires consacrés au classement, à l'échelle hexagonale voire européenne, des métropoles bénéficiant du meilleur cadre de vie. Que la sécurité soit devenue un indicateur de la qualité de vie d'une ville, de son attractivité, au même titre que la qualité du réseau de transport collectif ou que le dynamisme économique, est révélateur de la place qu'occupe désormais la sécurité dans l'image de marque d'un territoire urbain. Il n'est dès lors pas surprenant que les acteurs politiques locauxlo8, principalement les maires des grandes et moyennes villes, accordent une place privilégiée dans leur stratégie de marketing territorial à cet enjeu doté d'une forte valeur émotionnelle. Par l'instrumentalisation de la sécurité dans le cadre de campagnes municipales, par l'usage d'une rhétorique de la peur et pour certains de la punitivité109, les maires tendent aujourd'hui à exercer une influence décisive dans la construction des enjeux locaux de sécurité et le cadrage de son mode de traitement. Leur rôle ne se limite pas à cette dimension centrale de leur travail politique (Ferret Mouhanna 2005). Ils participent également à orienter les politiques locales de sécurité aussi bien par les politiques municipales qu'ils engagent que par leur investissement dans des politiques contractuelles développées par l'Etat au nom du partenariat, de la proximité (temporelle, géographique, sociale) et d'une coproduction bien souvent plus incantatoire qu'effective. En dépit de cet investissement des acteurs politiques, leur rôle échappe largement à l'analyse. Ceci n'est d'ailleurs pas une spécificité de ce domaine d'action publique. Bien souvent en effet les analyses des politiques publiques, notamment celles qui adoptent une approche néo-institutionnaliste de l'action collective (Duran Thoenig 1996/ Gaudin 1999)/ tendent à réduire les acteurs politiques à des acteurs parmi d'autres, à ne leur accorder qu'une place marginale, voire résiduelle dans la production des politiques publiques. Prenant le contrepied de la tendance à tenir dans l'analyse des politiques publiques, le rôle des acteurs politiques, pour un point aveugle, nous souhaitons ici mettre en évidence sur la base d'observations de terrainllo tout l'intérêt heuristique d'une recherche centrée sur leur contribution propre à la dynamique de transformation de l'action publique locale en matière de sécurité. On se place ainsi dans la lignée des récents travaux de sociologie politique de l'action publique (Hassenteufel Smith 2002) visant à ré-articuler les deux sphères du poli tique (politics et policies).
Les conseillers communautaires, les conseillers généraux et même les conseillers régionaux sont amenés à prendre position sur ces questions. Certains Conseils Généraux - tels les Hauts-de-Seine ou le Val-d'Oise - bien que leurs compétences soient a priori limitées en ce domaine (si ce n'est dans le champ de la prévention spécialisée), ont placé la lutte contre l'insécurité au premier rang de leurs priorités. Toutefois, par "acteurs politiques", seront ici désignés les seuls élus municipaux investis sur les questions de sécurité (maire, adjoint, conseiller municipal).
108
109
Sur l'émergence d'un "populisme punitif en France", voir l'introduction de J. Ferret et
Ch. Mouhanna (Ferret Mouhanna 2005). 110 Ce texte s'appuie, sur le plan empirique, sur des recherches menées entre 1998 et 2002 dans trois agglomérations: celle d'Amiens, de Nantes et de la ville nouvelle de Sénart.
210
1. LES
ACTEURS POLITIQUES AU CŒUR DES NEGOCIATIONS DES DISPOSITIFS CONTRACTUELS
A l'instar d'autres domaines d'action publique, la technologie contractuelle est, depuis le début des années 1990, mobilisée dans le champ de la sécurité par l'Etat au travers de différents dispositifs qui sont censés permettre la coordination de la pluralité des acteurs impliqués dans la sécurité des villes: Plans locaux de sécurité, Plans départementaux de sécurité et, depuis 1997, Contrats locaux de sécurité. Dans le cadre des arènes de discussion de ces dispositifs contractuels où s'échangent entre décideurs locaux (directeur de cabinet du préfet, maire ou son adjoint, procureur de la République) des biens matériels, financiers et symboliques, les acteurs politiques jouent un rôle décisif d'impulsion ou de blocage. Le cas de l'agglomération nantaise met ainsi en évidence le poids du leader politique de cette agglomération, le député maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, dans le lancement rapide d'un contrat local de sécurité à l'échelle de l'agglomération (1998). Jean-Marc Ayrault, soucieux de par son positionnement et ses engagements (proche de Jospin, il est le président du groupe socialiste à l'Assemblée Nationale), que Nantes fasse partie des premiers lieux où un contrat local de sécurité puisse être signé, devance les propositions du préfet et l'incite à en amorcer, dès le lendemain du colloque de Villepinte, la procédure d'élaboration. Il a engagé depuis le début de son second mandat (1995), une politique municipale qualifiée de "tranquillité publique", principalement tournée vers la mobilisation de l'ensemble des partenaires locaux de la sécurité réunis dans la cadre d'une instance partenariale municipale (la commission centrale de prévention-tranquillité publique). La nouvelle politique partenariale s'inscrivant pleinement dans sa démarche de coopération avec l'Etat sans empiéter sur ses prérogatives, il adhère au dispositif dont il voit les bénéfices matériels (allocation d'effectifs de police) et les possibles rétributions symboliques (afficher, aux yeux de ses électeurs, sa volonté d'agir par une coopération étroite avec l'Etat). Le préfet propose au maire de Nantes de construire le CLS à l'échelle de l'agglomération, plus précisément des 12 des 21 communes du district (aujourd'hui communauté urbaine). Une proposition à laquelle adhère Jean-Marc Ayrault qui, depuis plusieurs années déjà, s'était engagé dans une Instance intercommunale de prévention de la délinquance réunissant 8 maires de l'agglomération. Il s'agissait, dans une période de mise à l'écart des maires par la préfecture "d'avancer groupés face à l'Etat". Pressé d'agir par Jean-Marc Ayrault, le préfet fait réaliser dans de courts délais un diagnostic local de sécurité par un cabinet et procède à de sommaires négociations sur le contenu du contrat. En à peine trois mois, il boucle l'affaire, sans qu'il y ait eu une réelle concertation entre l'ensemble des institutions sur la politique qu'elles souhaitaient mener. Les négociations se limitèrent en effet à des négociations entre les représentants de la ville de Nantes (l'adjoint au maire chargé de la sécurité, le directeur de cabinet du maire et le chargé de mission préventiontranquillité publique), le procureur adjoint de la République et le directeur de cabinet du préfet. Qui plus est, elles se centrèrent principalement sur les
211
préoccupations du maire de Nantes comme le reconnaît le chargé de mission prévention-sécurité: "On a fait comme si les questions que Nantes posait étaient des questions qui intéressaient tout le monde. Sachant que le souci, ce n'est pas qu'elles intéressent tout le monde mais qu'elles intéressent surtout Nantes". Ce contrat intercommunal est donc fortement orienté par les intérêts de Jean-Marc Ayrault. En raison de son capital politique et de son leadership dans l'agglomération nantaise, de sa stratégie d'intervention municipale congruente avec celle des CLS couplé à un héritage institutionnel tant à l'échelle de la ville de Nantes qu'au niveau intercommunal, il obtient rapidement la signature d'un contrat local dans sa ville et les biens à la fois humains, symboliques et financiers mis dans la négociation par l'Etat. Le cas de la Métropole amiénoise est intéressant en ce qu'il met en évidence, au contraire, non un pouvoir d'impulsion mais de blocage de l'acteur politique à la mise en œuvre d'une démarche contractuelle de sécurité. Il refuse de signer le contrat si l'Etat ne s'engage pas à augmenter sensiblement ses effectifs de police jugés très insuffisants par Gilles de Robien. Cette condition posée par le maire d'Amiens masque des motivations partisanes. Ses engagements dans l'espace politique national où il s'est imposé comme un " spécialiste" des questions de sécurité, partisan d'un accroissement des pouvoirs des maires, constituent des éléments ayant contribués au durcissement de sa position à l'égard de l'Etat. Le discours qu'il tient au préfet de la Somme au sujet du CLS est en substance le suivant: soit l'Etat donne aux maires les moyens juridiques et financiers de gérer la police au niveau de leur ville, soit il en assume le fonctionnement, et doit, dans ce cas, s'en donner les moyens humains et budgétaires. Si un accord est finalement obtenu entre les deux parties, c'est sur la base de marchandages qui n'ont guère eu à voir avec l'enjeu même du CLS puisque l'adhésion du maire aurait été conditionnée par l'engagement du préfet à soutenir un projet d'aménagement urbain (réhabilitation de la place de la gare) souhaité par Gilles de Robien. L'accord résulte donc moins d'une négociation explicite sur les modalités de partenariat en matière de sécurité que d'arrangements cachés sur la base d'une logique du " donnant-donnant". Pour le préfet, il s'agit de signer un contrat dans le cheflieu du département, de montrer que la politique nationale a pris dans ce territoire local, tandis que pour le maire, l'objectif est de montrer, malgré son opposition initiale, qu'il s'efforce d'attirer les ressources de l'Etat dans sa ville, en mettant en scène cet accord avec l'Etat et de ne pas mettre en péril un de ses projets urbains. Ces conditions de gestation marquées par un conflit de fond entre décideurs locaux (préfet et maire) expliquent, pour une large part, que le CLS va rapidement se résumer à une "coquille vide" et générer, au niveau des acteurs de terrain (policiers nationaux et municipaux), qui jusqu'ici collaboraient efficacement, des tensions dans les relations. La mise en place du CLS s'est donc traduite par l'émergence d'une dynamique conflictuelle entre le maire et le préfet dans un site où, jusqu'ici, le maire avait réussi à nouer des relations de coopération étroites avec les services de l'Etat. En se gardant de verser dans "l'illusion héroïque" (Dobry 1986) d'un acteur politique seul décideur, imposant ses vues et ses attentes à ses partenaires, on peut toutefois dire qu'ils exercent un pouvoir (d'impulsion ou de blocage) dans la phase de négociation et de définition des grands axes d'une politique locale de sécurité.
212
2. ACTEURS POLITIQUES ET ACTEURS ADMINISTRATIFS: QUELLES RELATIONS? Au-delà de ce rôle dans les jeux de négociation des dispositifs contractuels, il convient de saisir la manière dont les acteurs politiques participent à l'orientation des politiques de sécurité, en s'intéressant à la manière dont le personnel politique oriente, encadre, structure l'action des agents municipaux chargés de la sécurité mais aussi influence l'action de leurs partenaires institutionnels. INTERDEPENDANCES LES TECHNICIENS
ENTRE LES ELUS ET MUNICIP AUX
DE LA SECURITE
Pour peser sur la mise en œuvre de la politique municipale de sécurité, les acteurs politiques s'appuient sur deux principaux interlocuteurs: le directeur de la police municipale etlou le chargé de mission prévention-sécurité (les deux fonctions étant parfois exercées par la même personne). Rares sont aujourd'hui, parmi les grandes et moyennes villes, celles qui ne possèdent pas un service dédié aux questions de sécurité oui et un service de police municipale. Acte politique fortement marqué à la fin des années 1970, période où l'on assiste à la renaissance des polices municipales, la création d'une police municipale s'est incontestablement banalisée. En 2004, on dénombrait, 3288 polices municipales pour un total de 16 520 agents alors qu'ils n'étaient que 5641 en 1984. Des villes de toutes les tendances politiques se sont dotées d'une police municipale armée ou non. Il faut néanmoins souligner qu'un clivage entre droite et gauche demeure. Une récente étudel11 réalisée sur les communes de plus de 10 000 habitants montre que 80 % des communes de droite disposent d'une police municipale contre 65 % des communes de gauche. Si ces données mériteraient d'être croisées avec d'autres, comme le potentiel fiscal, pour préciser dans quelle mesure la variable partisane est explicative, elles suggèrent que certains maires de gauche semblent encore réticents à s'engager dans la création de ce type de services comme s'ils étaient porteurs d'une image sécuritaire et constituaient un marqueur partisan. Le maire, que les policiers municipaux qualifient volontiers de «grand patron», entretient avec ses policiers, plus particulièrement le directeur de « sa » police municipale, des rapports fortement déterminés par trois variables: son mode
de
gestion
des
questions
de
sécurité
-
centralisé
ou
délégué
(par
nomination ou non d'un adjoint aux questions de sécurité) ; sa conception de la police municipale - conception offensive revendiquant une municipalisation de la police du quotidien ou plus discrète et respectueuse du dogme régalien - et la taille de la police municipale. Les relations sont d'autant plus distanciées et 111Cette étude a été réalisée pour le compte de l'AMF par un cabinet spécialisé dans l'analyse et la communication sur la base des budgets primitifs de l'ensemble des communes de plus de 10 000 habitants, 2005.
213
médiatisées que la commune et la police municipale sont grandes (Malochet 2005). Quelle que soit la taille, un élément commun se dégage: la police municipale n'apparaît pas comme un service comme les autres. De manière significative, la police municipale peut se trouver fonctionnellement rattachée au cabinet du maire. C'est le cas, par exemple, à Savigny-Le-Temple, où le maire souhaite avoir "la main-mise sur sa police municipale" et orienter son action en direct. Il nous précisait ainsi que, dans sa commune," la politique de sécurité est dirigée directement par (lui) et par un chargé de mission placé à (ses) côtés, au cabinet, le directeur de la police municipale qui est chargé des relations avec la police nationale et de l'encadrement de la police municipalel12. " Ceci est parfois une demande expresse des policiers municipaux qui souhaitent, en ayant une relation directe avec leur maire, se mettre à l'abri des demandes voire des pressions des autres élus susceptibles d'interférer sur le fonctionnement de la police municipale. Tout en souhaitant être proches du maire, les policiers municipaux affichent leur volonté d'émancipation du politique par crainte de se voir confier des commandes sortant de leur champ d'action et par souci d'affirmer une "identité policière" encore fragile. Outil à géométrie variable aux mains des acteurs politiques qui peuvent, en fonction des moyens juridiques (arrêtés) et matériels (armes ou non), orienter vers des tâches plus ou moins répressives leur police municipale, vers des missions de renseignement ou de sécurité routière, une police municipale est encadrée par des "gardes-fous". Il s'agit de la tutelle du procureur de la République auquel le maire est soumis en sa qualité d'officier de police judiciaire et du double agrément - celui du procureur de la République et du préfet - pour tout recrutement d'un agent. Une relation de dépendance à l'égard de l'institution judiciaire qu'apprécient les directeurs de police municipale y voyant un moyen de bien "border juridiquement leurs missions" et de se protéger des missions "politiques" qui pourraient leur être confiées. Le procureur de la République est ainsi perçu comme un allié sur lequel le directeur de la police municipale pense pouvoir s'appuyer en cas de problème. L'acteur politique est bien présent dans la définition des missions des polices n1unicipales mais il demeure sous la surveillance du préfet et surtout du procureur de la République qui limite les dérives vers des "polices poli tiques". Le second cadre municipal, avec lequel les élus sont désormais amenés à travailler et s'accorder pour développer une politique municipale de sécurité, est le coordonnateur de la sécurité. Apparue au début des années 1990 dans les municipalités, cette nouvelle figure professionnelle s'est imposée dans le paysage local de la sécurité avec la mise en place de la politique des contrats locaux de sécurité. Chargés de mission sécurité, sécurité-urbaine, sécurité publique, prévention-sécurité, ou b-ien encore prévention-tranquillité publique, les désignations des postes occupés par ces coordonnateurs de la sécurité varient sensiblement d'une ville à l'autre. Au-delà des différences de labellisation de ces postes, ces nouveaux "experts municipaux de la sécurité" partagent la maîtrise d'une "ingénierie en sécurité". Par" ingénierie en sécuri té ", on désigne un corpus de connaissances et d'outils cogni tifs relatifs aux questions de sécurité à partir desquels les détenteurs de ce savoir spécialisé
112Entretien avec Jean-Louis Mouton, maire de Savigny-le-Temple,
214
janvier 2001.
peuvent se poser, d'une part, en interprètes des phénomènes de délinquance et du sentiment d'insécurité (capacité à lire et donner sens aux statistiques policières, à construire des grilles d'analyse des 1/incivilités II et à s'appuyer sur des sondages pour mesurer le sentiment d'insécurité) et, d'autre part, jouer un rôle de porteur de projets d'action et des intérêts du politique dans les lieux du partenariat local. Ils assurent ainsi le lien entre le territoire (les demandes de sécurité de la population), le technique (les partenaires) et le politique. Cette posture à la croisée du technique, du politique et du territoire, rend parfois la dichotomie des deux sphères d'activités (politique et administrative) peu lisible. Il est en effet frappant de constater que, dans le champ des politiques de sécurité, les chargés de mission tendent désormais à assurer des fonctions de médiation entre le territoire et la sphère décisionnelle, traditionnellement assurées par le politique, tandis que les acteurs politiques en charge des questions de sécurité mobilisent dans leur métier d'élu un savoir spécialisé qui les rapproche, par leurs références, des conceptions techniques de leur chargé de mission. Technotables (Gaudin 1999), pour reprendre l'expression de Jean-Pierre Gaudin ou hauts fonctionnaires du local comme les définit Alain Faure (Faure 1997), quelle que soit la dénomination que l'on donne à ces nouveaux chargés de mission prévention-sécurité, ils constituent désormais, par leur pouvoir d'expertise et leurs réseaux territoriaux, des acteurs charnières des scènes locales de la sécurité - tout du moins s'ils peuvent bénéficier du soutien politique de leur élu de référence! Sur ce point, une étude sur les "experts municipaux de la sécurité", met en évidence l'existence de relations étroites et fréquentes de ces techniciens avec les élus municipaux (Baille au Faget et al. 2004). Elles prennent la forme de points hebdomadaires voire d'une transmission quotidienne d'informations via parfois un logiciel connecté à l'intranet municipal (prenant en compte la nature du fait, le lieu, la victime, les personnes ayant apporté une réponse, le dépôt de plainte ou non), consultable en temps réel par le maire, son adjoint à la sécurité et le directeur de cabinet. Ceci permet aux élus de cadrer l'action de ces chargés de mission qui n'en demeurent pas moins relativement libres dès lors qu'ils savent, et c'est un point déterminant, anticiper les attentes des élus et sentir ce qui est "politiquement acceptable" par ces derniers. D'où l'importance dans ce type de poste où la frontière entre le politique et le technique est parfois ténue, d'entretenir de bonnes relations, de constituer un tandem décisionnel, au risque autrement pour le technicien d'être amené à donner sa démission. 1/
L'AFFIRMATION
II
D'UN MAGISTERE D'INFLUENCE
On l'a souligné en introduction, les acteurs municipaux ne sont pas les seuls à définir et produire la sécurité dans la ville, ils doivent composer et négocier avec d'autres (policiers, gendarmes, magistrats, professionnels de l'Education nationale, travailleurs sociaux, transporteurs, bailleurs sociaux, associations). On se limitera ici à évoquer leurs relations avec les professionnels de la police et de la gendarmerie qui, comme le soulignent à juste titre Jacques de Maillard et Anne-Cécile Douillet (voir leur papier dans cet ouvrage), sont plus institutionnalisées que celles entretenues avec la plupart des magistrats pour lesquels la culture du "dossier" prime sur celle du "terrain".
215
Le.s acteurs P?litiques possèdent plusieurs leviers pour peser sur l'action des serVIces de pohce ou de la gendarmerie nationale. Le premier consiste à développer une politique d'aide financière. Ainsi, et de manière croissante, les municipalités (avec des financements croisés des Conseils généraux voire des Régions) viennent au secours de services de l'Etat désargentés en finançant soit un poste de police nationale ou de gendarmerie, du matériel informatique ou encore des radars pour la sécurité routière. Ce type de soutien financier ne signifie certes pas que les maires vont mécaniquement pouvoir s'immiscer dans la définition des missions de la police nationale. Toutefois, il contribue à n'en pas douter à entretenir un climat de coopération et à accroître les interdépendances entre ces acteurs. Ils donnent aux élus un "droit de regard" sur l'implantation des forces de sécurité nationale et leurs conditions de vie et placent la police ou la gendarmerie dans une posture de demandeur à l'égard de la municipalité (De Maillard Le Goff 2006). Ce pouvoir d'influence des acteurs politiques sur la distribution des moyens des services de police fut bien mis en évidence par la forte opposition d'une partie des élus locaux au projet de redéploiement des forces de police et de gendarmerie défendu dans le rapport Carraz et Hyest, en 1998. Ses stratégies de défense par les acteurs politiques des intérêts de leur territoire politique peuvent ainsi conduire au maintien du découpage des circonscriptions de police et de répartition des forces, parfois peu en phase avec la réalité de la délinquance. Le maintien d'un commissariat à Raney plutôt que sa délocalisation dans les villes avoisinantes de Clichy-sousBois et Montfermeil (communes où la population est désormais deux fois plus nombreuse) en est une belle illustration. Un second levier tient au rôle d'interface, de relais, que peut constituer un commissaire de police. Par contraste avec les années 1970 où le maire était perçu par le commissaire de police comme un notable auquel il rendait une fois l'an une visite de courtoisie, il apparaît désormais comme un partenaire incontournable. La montée en puissance des pouvoirs locaux sur le champ de la sécurité a amené les services déconcentrés (police, gendarmerie) à se rapprocher, au nom de la recherche d'une plus grande proximité avec les demandes de la population, des acteurs politiques locaux. Comme dans le domaine des politiques de l'emploi (voir la contribution de Thierry Berthet), la proximité est en effet devenue le nouvel impératif catégorique des politiques de sécurité. De manière étonnante, alors même que les politiques de sécurité se sont construites, depuis la loi Darlan de 1941 nationalisant les polices municipales, selon une logique de dé-territorialisation, le local et ses représentants politiques sont aujourd'hui fortement valorisés voire courtisés. La croyance s'est en effet imposée que "plus de proximité est synonyme de plus de sécurité" (Le Goff 2005). Cette injonction à jouer la proximité en se rapprochant des acteurs de la ville s'applique tout particulièrement aux commissaires de police. Significative est l'obligation qui leur est imposée, depuis 2004, de transmettre les informations en temps réel aux maires et de nouer des conventions de partenariat avec toutes les polices municipales de plus de 5 agents. Les commissaires de police, très attachés de longue date à leur indépendance vis-àvis des élus locaux, doivent de plus en plus composer avec eux. La variable politique constitue ainsi un facteur important pour saisir pourquoi une réforme policière, comme celle de la police de proximité initiée en 1998, prend ou non dans un territoire (Ferret 2001). Le métier des commissaires de police ne consiste
216
plus simplement à assurer la direction de services, à tenir leur rôle de
«
chef de
la police» dans leur circonscription, mais à savoir articuler les demandes de leur hiérarchie dont ils sont les relais sur leur territoire de compétence, la gestion de leurs moyens matériels et de leurs effectifs, la demande de protection de la population et la pression des élus locaux qui n'hésitent plus à les interpeller et "à leur demander de rendre des comptes". Cette interdépendance sera d'autant plus forte que des liens individuels auront pu se construire grâce à l'ancrage d'un commissaire dans un territoire. Ce n'est toutefois pas la règle! L'un des problèmes dans le fonctionnement de ce type de partenariat tient en effet à l'important "turn over" des cadres des services de la police nationale, véritable obstacle à leur insertion dans la ville dont ils se sont physiquement et sociologiquement coupés (Monjardet 1996). Le pouvoir des acteurs politiques sur leurs partenaires prend donc la forme d'un "magistère d'influence" liée à la position d'animateur de la prévention de la délinquance désormais reconnue et endossée par les maires. Et, il Y a fort à parier que la nouvelle loi sur la prévention de la délinquance, en cours de discussion au Parlement, conforte la place du politique dans les politiques de sécurité en octroyant plus de moyens juridiques aux maires pour exercer une fonction punitive. Cette redéfinition des rapports de force entre les maires, le préfet et le procureur de la République conduit l'Etat à inventer un nouvel art de gouverner la sécurité fondé sur la délégation, la négociation, mais aussi la constitution de règles et de dispositifs juridiques permettant d'encadrer, voire de surveiller les initiatives des responsables politiques locaux.
217
FAUT-IL QUE 'RIEN NE CHANGE' POUR QUE LES INTERCOMMUNALITES
CHANGENT?
PORTEE ET LIMITES DES THEORIES NEO-INSTITUTIONNALISTES. LA COMMUNAUTE URBAINE DE LILLE (1964-2003)
LE CAS DE
Fabien Desage Fabien Desage est maître de conférence en science politique de Lille 2 et membre du CERAPS (Centre d'études et administratives, politiques et sociales de l'université de Lille 2). portent sur les modes de gouvernement du local, la production urbaines et le fédéralisme. Courriel :
[email protected]
à l'Université de recherches Ses recherches des politiques
Depuis les années 1960/ plusieurs réformes gouvernementales ont entrepris de donner naissance à des structures intercommunales d'agglomération en France ou de renforcer leur autonomie par rapport aux communes qui les composent. Une analyse de l'institutionnalisation de la communauté urbaine de Lille sur le temps long montre que les
objectifs « supracommunaux » de ces réformesontété systématiquement neutralisés par
grandes aux
rapport
»
par tra-cylique con
temporalité
la donc
sur
paradoxale
«
(car
les maires, particulièremen t mobilisés à ces occasions. A l'inverse, c/est lorsqu fil ne se « passe rien» sur le terrain réformateur que se relâche leur vigilance défensive, créant les conditions d'une affirmation incrémentale de la communauté urbaine. L'article insiste réformes) du changement institutionnel intercommunal. Abstract Since the 1960s, many governmental reforms have tried either to create some metropolitan institu tions for municipal cooperation or to improve their au tonomy vis-à-vis their member municipalities. To scrutinize the process of institutionalisation of the /I
communauté urbainede Lille" in the long-term enablesto say that thefederalist aims of
these reforms have always been neutralized by the mayors, especially involved in their local implementation. On the contrary, in times no reforms are put on the agenda the mayor/ s vigilance weakens, opening a window of opportunity for an incremental strengthening of the communauté urbaine. Thus, this article underlines the paradoxical way of metropolitan institutional change.
219
«
Le paradoxe de l'institution, c'est qu'elle est
tenue d'apparaître aux yeux de tous comme une totalité inerte, pour pouvoir continuer à être dynamique et agissante». Jacques Chevallier, « L'analyse institutionnelle », dans CURAPP, L'institution, PUF / CURAPP, 1981, p. 17.
Les années 1990 ont marqué le regain en France des tentatives gouvernementales pour renforcer la coopération intercommunale. A la différence des réformes des années 1960, celles-ci ont abouti à la diffusion quasigénérale de l'intercommunalité sur le territoire national et au renforcement formel des compétences attribuées aux structures existantes. Si les recherches en sciences sociales sur l'intercommunalité se sont multipliées en conséquence, elles ont porté pour l'essentiel sur l'élaboration des réformes (loi ATR de 1992 puis loi relative au renforcement et à la simplification de l'intercommunalité de 1999113) et/ ou sur les conditions de leur inégale mise en oeuvre localisée, laissant souvent dans l'ombre le fonctionnement politique et administratif des nouvelles institutions une fois en place, et surtout celui des plus anciennesl14. Aussi ai-je choisi dans ma thèse (Desage 2005) de me pencher sur le processus d'institutionnalisation de l'une d'entre elles, la CU de Lille (CUDL), créée par la loi de 1966. Ce parti pris monographique, compatible avec une appréhension de l'institution microsociologique et longitudinale (Sawicki 2000), m'a permis d'identifier trois séquences historiques, distinctes du point de vue du degré d'autonomie de la CUDL par rapport à ses 85 communes-membres. Dans le cadre de cet article, je voudrais essentiellement revenir sur la temporalité « contra-cyclique» par rapport aux grandes réformes gouvernementales des dynamiques d'intégration115 de la CUDL. Pour le dire autrement, il ressort de mon analyse que les deux principales réformes censées mettre en place, puis renforcer l'autonomie de la CUDL (respectivement la loi sur les CU de 1966 et la loi Chevènement de 1999) ont plutôt abouti à une réaffirmation des prérogatives municipales (1). A l'inverse, c'est dans la décennie qui suit la création de la CUDL, à un moment où refluent les velléités réformatrices gouvernementales, que se mettent en place les conditions d'une autonomisation relative de cette structure (2). L'explicitation de cet apparent paradoxe passe par l'analyse des conditions d'entretien - et donc de remise en cause potentielle - de l'ordre institutionnel municipaliste de qui s'instaure dès la mise en place de la CUDL.
113
Dite « loi Chevènement ». 114La thèse de David Guéranger fait ici exception (Guéranger 2003). 115 Entendue ici, par analogie avec les travaux sur l'Union européenne, comme le renforcement de sa capacité à produire des normes d'action publique propres, opposables aux communes.
220
Le choix d'une focale resserrée et centrée sur le cas lillois, loin de condamner à un repli monographique, permet ainsi d'engager un dialogue théorique avec les nombreux travaux disponibles sur les processus d'intégration des institutions fédératives nationales ou supranationales (en particulier avec ceux portant sur l'Union européenne), dont la CU apparaît dès lors comme une variante, de type infranational. C'est cette perspective méthodologique qui ouvre également la voie à une critique empirique de certaines hypothèses néoinstitutionnalistes sur la résistance au changement dans les organisations (3).
1. «
L'ENFER EST PAVE DE BONNES INTENTIONS » : GRANDES REFORMES ET EFFETS CONTRADICTOIRES
L'avant-projet de loi sur les CU est conçu à partir de 1964 par un groupe de travail réunissant une quinzaine de hauts fonctionnaires, missionné par le ministère de l'Intérieur. Ces derniers profitent de l'opportunité que leur offre le nouveau régime pour mettre à l'agenda législatif des mesures de réorganisation administrative des agglomérations qui, si elles ne sont pas nouvelles dans leur contenu, s'étaient heurtées jusqu'alors à l'opposition des élus locaux relayée par les parlementaires (Le Lidec 2001). Cette réforme, partie prenante d'un mouvement de « modernisation» administrative et politique plus large (Dulong 1997), est empreinte d'une conception fonctionnaliste de l'intercommunalité, faisant la part belle aux objectifs d' « économies d'échelle» ou à la poursuite d' « optimums dimensionnels ». Comme j'ai essayé de le montrer dans ma thèse, elle n'est cependant pas dépourvue d'une multitude d'autres objectifs plus implicites
-
concurrencent
calculs
partisans,
en permanence
intérêts
administratifs
sectoriels
-
qui
les premiers cités.
Il serait trop long de revenir ici sur l'histoire des concessions successives faites aux élus locaux lors de la traduction législative de la réforme (désignation des conseillers communautaires par les conseils municipaux, élargissement de l'effectif du conseil et de la représentation des maires des petites communes, etc.). Je me contenterai de souligner que loin d'être imposée de manière discrétionnaire par l'Etat, la création des CU procède d'une série de compromis
-
alors perçus
hypothéquer
comme
nécessaires
à leur légitimation
locale - qui vont largement
la réalisation des objectifs réformateurs.
L'étude de la mise en place de la CUDL et de ses premières années de fonctionnement m'a amené à parler de «municipalisation de l'intercommunalité» pour qualifier le mouvement de remise en cause rapide de son autonomie par rapport aux communes. Plusieurs phénomènes, plus ou moins intentionnels, y participent: La forte mobilisation des élus municipaux qui nouent des accords interpartisans, avant même sa mise en place, afin d'obtenir l'assurance du respect de la souveraineté de l'ensemble des communes par le futur gouvernement intercommunal.
221
Les effets d'aubaine ouverts par la création de la CUDL. La reprise programmée de la compétence et des emprunts en matière de voirie pousse par exemple la plupart des maires à augmenter sensiblement leurs investissements municipaux l'année précédant le transfert. Ces stratégies opportunistes anéantissent durablement les marges de manœuvre financières de la nouvelle structure. La situation d'improvisation et d'incertitude caractéristique de la mise en place, qui tend à favoriser le recours aux ressources disponibles et aux routines d'action municipales. Les résultats de la réforme, quelques années après sa mise en œuvre, sont donc rien moins que paraâoxaux. La faiblesse de la nouvelle institution, fortement endettée, libère des marges de manœuvre financière inédites pour les communes qui en profitent pour se lancer dans des programmes d'équipements culturels et sportifs. Le rôle des services extérieurs de l'Etat s'en trouve pour un temps réaffirmé. Le recours aux délégations de service public est largement généralisé pour pallier la faiblesse communautaire Autant d'effets que souhaitaient justement combattre les réformateurs en favorisant la coopération intercommunale. La mise en place de la CUDL épouse donc une voie assez comparable à celle de la Tenessee Valley Authority, telle que décrite par Philip Selznick (1949). La loi Chevènement de 1999 a fréquemment été présentée comme un acte décisif dans la relance de l'intercommunalité et dans le renforcement des structures intercommunales existantes. L'observation de sa mise en œuvre, rendue possible par une immersion ethnographique sous la forme d'un stage d'un an au sein de la CUDL, permet de relativiser très sensiblement ce jugement et de souligner
combien
la réforme
a été acceptée
-
comme
précédemment
-
au
prix de la retraduction et de la dissolution de ses objectifs les plus « supracommunaux». Les dispositions concernant la taxe professionnelle d'agglomération et la dotation de solidarité communautaire (DSC)1l6 qui en est issue font ici figure d'emblème. Sans revenir dans le détail de son application117, retenons que les multiples réunions entre élus qui précèdent le vote de la délibération-cadre aboutissent à la multiplication progressive de.s critères d'éligibilité à cette dotation, jusqu'à en faire bénéficier toutes les communes de la CUDL. L'affaiblissement consécutif de sa fonction de péréquation et de correction des inégalités territoriales, telle que promue par le législateur, suscite sans surprise les protestations des élus des communes les plus pénalisées. Elles sont néanmoins insuffisantes pour infléchir une répartition qui doit beaucoup à
116 Le législateur
avait prévu que la progression
de la TPA (une fois déduites les
«
des recettes fiscales après l'instauration
attributions de compensation» équivalentes à ces
recettes à tO, afin que le transfert de TP ne se traduise pas par une perte de recettes nette pour les communes) serait divisée en deux parts: l'une réservée au financement des nouvelles compétences communautaires et l'autre au financement d'une dotation de solidarité communautaire (DSC), dont le produit serait redistribué aux communes selon un certain nombre de critères. 117 Je me permets de renvoyer id à F. Desage (2006).
222
l' « accord de gouvernement» passé entre le parti socialiste et l'UMP après les élections municipales de 2001. En matière de transferts d'équipements sportifs et culturels, autre volet de la loi, la forte mobilisation des maires et la contrainte de négociation permanente dans le cadre du régime de grande coalition partisane placent également la CUDL devant le fait (municipal) accompli. L'institution se trouve en effet contrainte d'accepter certains équipements, sans avoir pu déterminer au préalable leur éventuel «intérêt communautaire» (Benchendikh 2002). A l'inverse, le «droit de veto» informel des maires l'empêche de mener à bien toute politique de transferts d'équipements volontariste.
Les moments de
«
grande réforme» et les perspectives de renforcement
de l'intercommunalité implication des maires dans un premier temps conclusion rejoint celles
qu'elles semblent annoncer, en favorisant une forte dans leur mise en œuvre localisée, aboutissent donc, au moins, à la neutralisation des effets attendus. Cette de certaines recherches sur les politiques européennes (Pierson 2000). Elles soulignent combien l'observation des grands « round» de négociation du conseil des ministres, parce que ces derniers sont particulièrement propices aux investissements stratégistes des gouvernants nationaux, donne nécessairement matière à des interprétations de type intergouvernementaliste de l'intégration européenne. A l'instar de ces critiques, je
voudrais désormais montrer que c'est davantage dans les périodes d' « entredeux», d'activité plus routinière, que s'observent des dynamiques d'autonomisation de l'institution intercommunale, presque toujours à l'insu des maires.
2. ET POURTANT ELLE CHANGE... UNE AUTONOMISATION
DISCRETE ET INCREMENTALE
Si le volontarisme réformateur intercommunal aboutit à des résultats à l'opposé des attentes de ses thuriféraires, c'est au contraire quand «il ne se passe rien» du point de vue des réformes gouvernementales que se mettent en place les conditions d'une l'autonomisation relative de la CUDL par rapport aux communes. Le reflux des velléités de réforme du local après le référendum de 1969 et la domestication rapide de la CUDL par les maires favorisent en effet un relâchement de la vigilance et de l'implication de ces derniers dans l'entretien de l'ordre municipaliste. Notre approche va donc ici à l'encontre de certaines théories du néo-institutionnalisme sociologique (March Olsen 1989), en montrant que la routinisation des pratiques, loin d'être nécessairement un facteur de perpétuation de l'ordre institutionnel et un frein au changement, peut jouer dans certaines configurations un rôle exactement inverse. Le profil communautaires municipalisation
du second président de la CUDL, élu par les conseillers en 1971, semble d'abord consacrer le processus de entamé depuis 1968. Maire d'une commune moyenne, il fut 223
l'un des chantres de l'opposition socialiste au projet de loi gaulliste sur les CU. Dès son arrivée à la tête de la CUDL, il endosse par ailleurs la posture du «
président modeste» objectivée par son prédécesseur, garant du respect des
intérêts municipaux et primus inter pares plus qu'autorité souveraine. Illustration emblématique des concessions faites aux maires, les crédits communautaires de voirie sont divisés en autant d' « enveloppes communales », dont le montant est calculé au prorata de la longueur des voies et dont l'affectation leur est entièrement déléguée. C'est pourtant le même président qui, 15 ans plus tard, cristallise l'opposition de la majorité des maires, notamment des grandes communes. Ces derniers lui reprochent alors son «autoritarisme » et son opposition au financement communautaire de leurs « grands projets ». Ces revendications municipales, qui aboutiront à la défaite d'Arthur Notebart face à Pierre Mauroy en 1989, trahissent l'affirmation du président et de son administration qui s'est produite entre le milieu des années 1970 et la fin des années 1980. Celle-ci a constitué l'une des énigmes de ma recherche. Elle résulte d'un ensemble de processus dont la plupart n'étaient pas orientés vers cette fin, ce qui leur assuraient la discrétion indispensable pour ne pas réactiver les mobilisations municipalistes des maires. La CUDL voit par exemple progresser rapidement certaines de ses recettes propres, sous l'effet de dynamiques fiscales difficilement prévisibles à la fin des années 1960 comme la création du «versement transport ». Elle y gagne de nouvelles marges de manœuvre et rend insensiblement les élus municipaux de plus en plus dépendants de ses ressources pour le financement de leurs propres projets. Les besoins d'expertise technique sur certaines politiques, comme au moment de la création d'un métro, favorisent par ailleurs le recrutement de fonctionnaires au profil de plus en plus différent de celui des « pionniers» issus des communes. Sans expérience municipale antérieure et beaucoup plus diplômés que leurs prédécesseurs, ces nouveaux fonctionnaires sont davantage en mesure d'en imposer aux élus et de construire des outils de connaissance (comme des indicateurs de vétusté de voirie ou encore des bases de données urbaines) qui assoient une position d'expertise des services communautaires.
Dernier élément inattendu, le « président modeste» soumis à une sorte de contrainte d' « oblativité » dans un premier temps, se prend progressivement au jeu de son mandat. Son fort investissement dans cette fonction - rendu possible par la relative faiblesse de ses ressources partisanes nationales et son mandat de maire d'une ville moyenne118, mais également par certaines dispositions sociales favorables - alimente sa connaissance des dossiers communautaires, son emprise sur l'administration et son ascendant sur les autres élus. L'affirmation de l'institution intercommunale qui se produit durant cette période, si elle remet sensiblement en cause la prépondérance municipale antérieure, Siappuie donc essentiellement sur la centralité croissante du président de la CUDL dans un système de transactions interpersonnelles avec les autres maires, notamment des petites communes. Elle Sioppose ainsi à l'émergence de normes d'action publiques proprement communautaires, uniformément opposables aux
118
La ville de Lomme en l'occurrence,
qui corn pte alors environ 20 000 habitants.
224
communes. Cette situation de personnalisation et de «faible institutionnalisation» de l'autorité intercommunale explique qu'elle sera facilement remise en cause après l'élection de Pierre Mauroy en 1989, à l'origine d'une période de « remunicipalisation» de l'institution intercommunale.
3. LE CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ENTRE SENTIERS DE DEPENDANCE ET CHEMINS DE TRA VERSE Si ce travail sur la CUDL s'inscrit par nombre de ses aspects dans un cadre de réflexion proche du néo-institutionnalisme historique119, il conduit néanmoins à en critiquer certaines conclusions, à partir notamment d'options méthodologiques sensiblement différentes de celles - macrosociologiques mobilisées le plus souvent dans ces travaux. Les approches né o-institu tionnalistes, en réaction à la conception « ergonomique)) et malléable à l'envi des institutions des approches behavioristes et fonctionnalistes, ont souvent privilégié la mise en évidence des mécanismes de reproduction institutionnelle et du poids de l'héritage, plaçant au second plan l'analyse des facteurs de changement. Certains auteurs parmi les néo-institutionnalistes eux-mêmes120 ont souligné l'insuffisante prise en compte des mécanismes microsociologiques qui assurent le maintien d'un ordre institu tionnel, obstacle méthodologique à la compréhension de tout ce qui s'oppose à sa reproduction à l'identique121. Si les acteurs agissent dans un cadre institutionnalisé contraignant, qui ne dépend pas d'eux et qui les précède, c'est cependant à travers leurs interprétations et leurs pratiques qu'ils font exister ce cadre. L'adoption d'une perspective micro-sociologique centrée sur les acteurs est donc décisive pour percevoir des changements souvent invisibles à distance et se débarrasser d'une conception réifiante des institutions. De manière assez surprenante, les hypothèses de reproduction des institutions une fois en place reposent souvent sur le postulat implicite d'une absence de renouvellement des acteurs qui les peuplent et les animent. Dans
mon étude de la CUDL, j'ai insisté a contrario
sur la contribution privilégiée des
nouveaux élus ou fonctionnaires dans les pratiques plus ou moins conscientes de subversion de l'ordre institutionnel. Les acteurs communautaires entretiennent un rapport aux prescriptions institutionnelles qui, loin d'être univoque ou unanime, dépend en grande partie du moment de leur entrée dans l'institution, de leurs conditions de socialisation à celle-ci, ou encore de leurs trajectoires et dispositions antérieures.
119 En appréhendant le processus d'institutionnalisation d'une organisation sur le temps long et en accordant une attention particulière aux mécanismes institutionnels qui enserrent les pratiques des acteurs. 120 Voir par exemple K. Thelen (2003). 121Voir également la critique en ce sens de E. Friedberg (1998).
225
Il faut donc faire de la transmission de l'ordre institutionnel aux nouveaux entrants un problème de recherche central dans les recherches institutionnalistes, dans la mesure où la perpétuation de cet ordre se joue, en dernière analyse, dans les conditions de son incorporation, qui n'a aucune
raison d'aller de soi. Le mort ne Pierre Bourdieu,
qu'à travers
«
saisit le vif », pour reprendre l'expression de
la médiation
du vif. De même que B. Lahire
(Lahire 1998, p. 54) appelle à « prendre en charge théoriquement la question du passé incorporé» et à dépasser son invocation rituelle, il faut prendre en charge la question de la reproduction de l"ordre institutionnet qui appelle le même type de questionnements. Loin de lui être soumis passivement, les acteurs administratifs et politiques de la CU entretiennent par ailleurs un rapport plus ou moins réflexif à celui-ci, rapport qui intervient de manière décisive dans leur conformation plus ou moins zélée aux prescriptions institutionnelles, voire dans la résistance discrète qu'ils peuvent leur opposer. Les conceptions homéostatiques des institutions reposent sur une appréhension du changement souvent réduit à ses manifestations les plus visibles - uniquement perceptibles dans les produits ou les transformations formelles de l'institution122. Une institution peut pourtant paraître inchangée alors même que l'infrastructure qui la soutient s'érode à petit feu. Si ces changements
semblent
mesure où les politiques n'en
semblent
d'expliquer
pas
de peu d'importance
publiques
fondamentalement
certaines transformations
dans
un premier
et la configuration affectées
-
qui surviendront
temps
politique ils permettent
-
dans
la
de l'institution néanmoins
de façon beaucoup
plus
manifeste ensuite, autrement qu'en termes de « chocs exogènes» ou de « critical
junctures» 123.
Une allégorie buissonnière permettra de mieux illustrer ce point de vue: imaginons un immeuble ancien dont la structure en bois est tout doucement mais sûrement dévorée par des insectes xylophages. Les habitants de l'immeuble et les passants pourront garder l'impression du caractère inchangé du bâtiment aussi longtemps que celui-ci ne connaîtra pas de désordres apparents. Quand une partie du plancher de celui-ci s'effondrera, suite à une surcharge inhabituelle lors d'un déménagement, les habitants attribueront d'abord la responsabilité de l'effondrement à cet événement. Pourtant, c'est bien l'œuvre invisible des bêtes xylophages qui aura rendu cet effondrement de plus en plus probable. Les acteurs communautaires ne sont pas des insectes xylophages et les infrastructures des institutions politiques n'ont pas grand-chose à voir avec celles des bâtiments. Cette parabole entend simplement convaincre de la nécessaire distinction entre ce que l'on pourrait appeler la façade de l'ordre institutionnel et son infrastructure, distinction rarement prise en compte dans les
122
Cf. par exemple les« trois ordres du changement» chez Peter Hall (1993). 123 Pour une critique de l'analyse du changement comme succession entre des phases de ruptures et de stabilité, voir les réflexions de Michel Dobry sur la «transitologie» (2000).
226
travaux institutionnalistes. institutionnelles manifestes
d'
«
Cette confusion les incline à expliquer les crises (comme le sinistre dans notre parabole) en termes
accidents », et non comme le résultat d'un long processus.
L'analyse de l'institutionnalisation de la CUDL sur le temps long invite pourtant à remettre en cause la séparation entre les phases de changements et de stabilité, présente dans de nombreux travaux - pas seulement institutionnalistes mais également chez ceux qui se réclament du cognitivisme. Elle montre en effet comment le changement institutionnel couve de façon privilégiée dans des périodes de stabilité apparente, et, a contrario, comment des périodes de réforme proclamée dissimulent bien des retours à l'ordre.
227
UNE POLITIQUE PUBLIQUE LOCALE SANS POLITIQUE? ANAL YSE EMPIRIQUE DE LA GESTION DES EQUIPEMENTS SPORTIFS PAR LES VILLES MOYENNES FRANÇAISES
Elisabeth Dupoirier, Martial Foucault, Abel François, Emiliano Grossman& Nicolas Sauger Elisabeth Dupoirier est directrice de recherche au CEVIPOF FNSP, Martial Foucault est professeur adjoint à l'Université de Montréal et chercheur associé à l'Institut Universitaire Européen (RSCAS) de Florence, Abel François est Maître de Conférence à l'Université Robert Schuman Strasbourg 3 et chercheur associé à Telecom Paris, département SES, Emiliano Grossman est chargé de recherche au CEVIPOF FNSP et Nicolas Sauger est chargé de recherche au CEVIPOF FNSP. Courriels :
[email protected],
[email protected], ~::\
[email protected], enliliano.grossman@)sciences-po.fr, nicolas
[email protected] ,.............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. .. .. .
I
Résumé
Cette contribution met en place un cadre d'analyse pour identifier les logiques politiques derrière les investissements en équipements collectifs au niveau local. A partir de l'analyse des équipements sportifs listés dans l'inventaire communal de l'Insee, nous testons notamment l'incidence de la couleur politique de la majorité municipale, la stabilité dans le temps d'une même majorité et la "concordance" entre majorités à différents niveaux (région, national). L'analyse inférentielle ne permet pas d'identifier un effet politique fort. Les principaux facteurs explicatifs de la politique d'équipement municipal semblent être la superficie et la population. Ainsi, nos résultats nous amènent à remettre en cause le ! caractère politique de certaines politiques publiques locales, mais ils invitent aussi à ~ réfléchir à d'autres angles d'analyse pour comprendre la politisation au niveau local.
I
Abs tract This chapter analyses the role of political motivations underlying investment in local public equipment. Studying sports facilities in the" inventaire communnal" -database of INSEE, we test for the importance of political factors in spending decisions. More particularly we focus on left-right cleavages, fragmentation, political stability and political "convergence", i.e. the presence of same-minded political majorities at other levels of government (regions and nation). Our stastical models do not for allow for the identification of the political determinants of public spending. The main explanatory factors of spending appear to be population and size. Hence, our results lead us to question the political motivation behind decisionmaking in certain local public policies. This result mays also be understood, however, as an invitation to think about other possible approaches to politization at the locallevel.
229
.. .. .
I
I i j
La répartition des équipements collectifs n'est pas uniforme sur le territoire français. Les inégalités ne sont sans doute pas criantes, mais un certain nombre de disparités existent. Toute tentative d'explication de ces disparités peut apparaître comme un exercice très périlleux au vu de ce qu'il implique sur le plan politique124. Et pourtant, les travaux sur l'action politique territoriale, tout en faisant état d'un bouleversement profond depuis les années soixante, n'attribuent guère ce phénomène à des causes politiques. Qui plus est, la notion même de politique semble difficilement saisissable dans ce contexte. Là où dans les années 1960, des objectifs politiques décidés centrale ment émanaient de réseaux administratifs et étaient mis en œuvre (ou pas) par eux, on trouve aujourd'hui des rapports plus complexes, où l'Etat est toujours fortement présent, mais où son rôle consiste essentiellement à tenter de coordonner un nombre sans cesse croissant d'acteurs (Duran Thoenig 1996). Les effets de ces transformations sur l' évolu tion des politiques locales et, plus particulièrement, sur les politiques d'équipement ne sont guère univoques. Il est en revanche indéniable que cette transformation coïncide avec la fin des grands programmes équipementiers, caractéristiques des politiques locales des années soixante et soixante-dix. Dans ce contexte, s'interroger sur les variables les plus classiquement « politiques» - gauche-droite, concordance de majorité, ancienneté etc. - peut paraître rédhibitoire et anachronique. N'est-ce pas l'étude de la politique locale qui a alimenté la remise en cause des notions d'Etat et de gouvernement? N'estce pas la régulation politique locale qui est à l'origine de la notion de gouvernance telle qu'elle s'est répandue depuis le début des années quatrevingt-dix? Sans pouvoir prétendre répondre à toutes ces questions, nous tenterons d'évaluer l'importance de variables politiques pour expliquer les disparités en matière d'équipements collectifs auprès des communes françaises. Nous discuterons successivement la constitution de l'échantillon et des données utilisées (1), avant d'analyser les politiques d'équipement sportif des villes moyennes (2) et avant de tenter d'interpréter les résultats (3).
1. CONSTITUTION
DE L'ECHANTILLON
Notre étude empirique s'appuie sur le recensement exhaustif des équipements communaux mené en 1998 par l'INSEE auprès des communes françaises125. A partir de cette population exhaustive, nous avons appliqué
124
Cette étude a bénéficié du soutien financier de l'ACI « économie et politique des biens publics locaux ». Les auteurs tiennent à remercier Hubert Kempf et l'ensemble des participants au Workshop «Local Public Goods, Politics and Economics», Paris février 2005, pour leurs fructueux commentaires. 125 TI s'agit de l'enquête «inventaire communale» de 1998, qui est récurrente sans périodicité régulière (1970, 1980 et 1988), réalisée en collaboration avec le ministère de l'Intérieur et celui de l'Agriculture. Pour plus d'informations, se reporter au site de l'INSEE: http://www.insee.fr/fr / ico98 / ico98.asp
230
plusieurs filtres de sélection afin de constituer notre échantillon. En premier lieu du fait de spécificités institutionnelles et historiques, nous avons exclu les communes corses et des DOM. Par ailleurs il était nécessaire de restreindre l'échantillon à des municipalités dont la politique d'équipement représente un enjeu à la fois conséquent et accessible. Conséquent, car pour une ville moyenne, il s'agit d'un choix financièrement important. Accessible, car à l'inverse la municipalité doit avoir des capacités financières suffisantes pour que la question de la construction et de la gestion des équipements se pose. Nous avons donc restreint notre échantillon aux villes dont la population est comprise entre 7.000 et 50.000 habitants. Au final, il comporte 505wcommunes et sa structure ne s'écarte pas de manière problématique de la population totale126.
LA GESTION DES EQUIPEMENTS Afin de caractériser décidé de nous intéresser plusieurs raisons:
SPORTIFS
les politiques publiques municipales, nous avons à la gestion des équipements sportifs, et ce, pour
- il s'agit d'équipements publics sur lesquels les mairies possèdent une amplitude de décision totale. Même si les autres collectivités territoriales peuvent intervenir dans le financement d'une installation sportive, la décision est du ressort unique de la commune.
- il s'agit d'équipements a priori consensuels, du moins par rapport à d'autres équipements communaux plus ciblés. Dit autrement, la demande d'équipements sportifs apparaît comme moins concentrée autour d'une population que d'autres types d'équipements comme par exemple les maisons de retraite ou les écoles de musique. - il s'agit d'équipements diversifiés offrant des usages variés. En effet, du stade multi-sport ou de la piscine olympique au boulodrome, il existe une grande latitude d'action pour les communes. En première analyse, les municipalités de notre échantillon possèdent un nombre élevé d'équipements (tableau 1) dans la mesure où 50 % d'entre elles disposent de plus de 7 installations.
126
Une présentation communes
détaillée des caractéristiques
de l'échantillon
est disponible
auprès
231
géographiques des auteurs.
et socioéconomique
des
Tableau 1: Répaltition des COllllllUllesselOllle lliveau d'équipenlent NOlllbre Total ~>~ el équipelnents ~
1
O~40
"')
-'"}
i
4
"6 7 8 Total
l 1 12 50 102 215 122
2.38 9.90 20.20 42.57 24..16
505
100
0.20 0..20
Parmi ces équipements, les installations sportives couvertes et les grands terrains sportifs sont les plus fréquemment représentés (tableau 2). Inversement, seules 40 % des communes disposent d'une piscine de plein air. Tableau 2 : Détail des équipeUlents .
spoltiffS
n01l1brede conUllunes
terrain d'athlétistne grand terrain de SpOl1 (football. rugby.. petit telT8ill de SpOl1 (handball. volley, installation sportive (gynulase. terrain de tennis de plein air terrain de tennis couve11 piscine de plein air piscille;couverte
dojo.
. .) ) )
427 501 486 503 495 406 204 376
~/o
84.55 99.21 96.24 99.60 98.02 80.40 40.40 74.46
Concernant l'état de ces équipements, une corrélation semble s'établir avec la charge de gestion de l'équipement (figure 3). Les trois types d'équipements les plus souvent en mauvais état (i.e. «à rénover ») sont les terrains d'athlétisme (24 % des équipements existants), les piscines de plein air (34 %) et les piscines couvertes (22 %). Inversement, la part des équipements « à rénover» pour les autres types d'installations est toujours inférieure à 10%.
232
Figure 1 : Etat des équipements
sportifs
100 % I
0 œuf
.
Ilsatisfaisant
I
à remvel'
78
80
75 69
60 52
50
40 2S
27 24
22 18
20
21
o terrain d'athlétisme
grarxiterrainde sport (football, rugby, ...)
petit terrainde sport (haIrlball, volley,... )
imtallation sportive
terrain
de tennis
de pleinair
terrain
de tennis
couvert
piP£Ïœ
de plein
pis:iœ
couverte
air
type d'équipement
UNE QUANTIFICATION DE LA GESTION DESEQUWEMENTSSPORTŒS À partir de ces informations, nous pouvons construire un indice qui synthétise l'information sur la politique d'équipement des communes selon deux dimensions: la présence ou non d'un des huit équipements, et leur état lors de l'inventaire. L'indice exprime le caractère actif d'une politique d'équipements sportifs à travers un nombre él~vé d'équipements et un état très satisfaisant. Il est construit comme une moyenne de score (Si) sur les huit équipements sportifs répertoriés pour chaque municipalité: Il
=! ts, 8B
est indiquée par le tableau 3127.Puisque les scores l'échelle de pondération retenue est linéaire: un équipement à trois équipements à rénover et à un et demi équipement d'un
L'échelle de s'additionnent, neuf équivaut état satisfaisant.
127
scoring
En utilisant une échelle exponentielle,
des résultats strictement
233
similaires sont obtenus.
Ét1lIipenlellt Équipen:lent Équipelllent Équipelllellt
Tableau 3 : échelle de scoring retenue [ écllel1e ] absent o à rél10ver O~33333 satisfaisant O~66667 l1euf ou C0111111e neuf 1
Ainsi, chaque ville j peut être caractérisée
par sa politique en matière d'équipement sportif au travers de son indice (I j) qui retrace à la fois la présence des 8 principaux types d'équipements et leur état. Au final, plus une municipalité a une politique active en matière d'équipements sportifs (présence, construction, rénovation et/ ou entretien) et plus son indicateur de gestion sera proche de 1. Remarquons qu'aucune municipalité n'enregistre un indice nul et que seules deux villes ont un indice unitaire12 .
CARACTERISTIQUES
POLITIQUES DES COMMUNES
Concernant les caractéristiques des communes, nous avons recueilli quatre informations politiques au cours de la période allant de 1983 (date de la première élection municipale) à 1998 (date de l'inventaire et durée de 15 ans correspondant à un délai habituel d'amortissement des équipements lourds). Au total, trois élections municipales sont concernées par l'étude. La répartition entre gauche et droite (au sens large) des communes plutôt équilibrée dans la mesure où la proportion de municipalités de gauche proche des 50 %. En cumulé, cela nous permet également de savoir combien majorités de gauche, et symétriquement de droite, a connu chaque ville pour trois mandats.
est est de les
Cette information peut également être complétée par la stabilité électorale de la ville. Nous avons donc construit un indice de fractionalisation de l'électorat pour chaque élection municipale qui indique la probabilité que deux électeurs tirés aléatoirement parmi l'électorat votent pour deux listes différentes au premier tour de l'élection municipale. Moins le vote est concentré et plus l'indice tend vers l'unité. Cet indice nous indique la plus ou moins grande difficulté de constitution des coalitions de gestion au sein de la municipalité. La dernière information politique collectée porte sur la concordance de couleur politique entre les communes et deux échelons public supérieurs: la région et le gouvernement (la majorité parlementaire). En prenant en compte l'enchevêtrement des mandats municipaux, parlementaires et régionaux, nous pouvons estimer la durée (en année) où chaque ville a la même couleur politique (gauche ou droite) que sa région d'une part et que le gouvernement d'autre part.
128
En moyenne, l'indice s'élève à D,59.
234
2. ANALYSE DES DETERMINANTS L'objet de cette section est de mener une analyse statistique inférentielle afin de mettre en exergue les déterminants socioéconomiques et politiques de la gestion municipale des équipements sportifs locaux. Pour mener à bien cette analyse, nous utiliserons les outils de la régression multivariée qui permet de mettre en évidence l'impact d'un facteur tout en contrôlant l'influence des autres facteurs.
LES VARIABLES EXPLICATIVES Deux blocs de variables explicatives de l'indicateur de politique d'équipement peuvent être distingués. Le premier regroupe les caractéristiques politiques des communes décrites précédemment. Le second rassemble les variables de contrôle nécessaires à la qualité de la régression et portent sur les caractéristiques socioéconomiques de la commune. Structurellement, il est nécessaire de contrôler l'incidence de la population de la commune par la moyenne de la population recensée en 1982, en 1990 et en 1999. Comme il est possible que la politique d'équipement soit également influencée par la population non résidente de la commune et par le tourisme, nous utilisons également la moyenne du nombre de résidences secondaires. Du fait des contraintes foncières pesant sur les communes pour l'installation d'équipements sportifs plus ou moins gourmands en terrain, nous intégrons la superficie de la commune et le niveau d'agglomération dans lequel se situe la commune. De plus, pour prendre en compte les effets possibles du free-riding (pratiqué ou vécu) concernant des équipements publics, nous intégrons trois variables de contrôle dans ce but: le niveau d'agglomération auquel appartient la commune, le fait que la commune soit une ville centre ou non, et enfin le fait que la commune soit une ville isolée. Enfin, nous intégrons la capacité financière de la municipalité qui contraint les décisions d'équipement par l'utilisation du montant de revenu imposable moyen par ménage dans la commune. De la même manière et pour prendre en compte l'obligation pour chaque municipalité d'arbitrer dans ces choix d'équipements, nous tenons compte du nombre d'équipements sportifs présents dans la commune.
RESULTATS Nous présentons les effets des différents déterminants à l'aide d'un même tableau (tableau 4) en distinguant le poids de chacun des blocs de variables socio-économiques (modèle I), puis politiques (modèle 2) et enfin les deux simultanément (modèle 3). Globalement, les résultats concernant les logiques politiques dans la gestion communale des équipements collectifs locaux sont
235
étonnants en ce qu'ils déterminants.
montrent
une
absence
d'influence
pour
plusieurs
1"ableau 4 : Déter111inants de la gestion 111unicipale des équipel11ents (})
,Afodèle
el)
sportifs (3)
A10dèle
socio-économiques:
Alodèle
D~tel'JnÎlHlnts
\Tariables de richesse
(0,000)
(0.,000)
0..0814***
0,0819***
sportifs
el
olnhre
N
équipelllents
~
(0.586)
(0,243
)
e-07
-6.01
-1.16e-06
Niveau
134) (0,596) (0,255)
70) 0.0022 gOUVernelllenr
(0.843)
(0,621)
-0.0012
le
avec
Concordance
politique
(0.231
(0,938)
)
0.0001
-0,0020
la
avec
région
politique
Concordance
(O~668)
(0,817)
-0.0038
0.0015
COllleur
politique
(0,125)
(0,1
-0.0765
-0,1163
électorale
Fractionalisarioll
(O~595)
-0.0102
InsrabiIité
0_0065
politique
:
DélerU1ÎUlluts
poliHques
(0.509)
-0.0084
-0.0105
isolée
"Vîlle
(0.799)
(0.481
)
0.0034
0,0092
ceHtTe
Vîl1e
(O~
(O~336)
0.0027
0.0023
aggloluératiol1 cI'
Niveau
(0~733)
(0.478)
-9.46e-07
-1.92e-06
secondaire
résidence
de
NOlllbre
(0,096)
(0,054)
...1.3e-06*
..1.51e.-06**
PoprÜatioIl
(0,061)
(O~073)
3.06t'-06*
Superficie
3.2t'--06*
505
0.4924
0.009
10
de
seuil
au
et
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de
seuil
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zéro
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**
*
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dUJérent
starisri~î'lfelllent
:
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9/6,
()"o.
:i<*;~
0.4918
adj.
R2
505
505
o bserv atiol1s
Lecture: Dans le modèle 1, la variable Nombre d'équipements sportifs est statistiquement significative et indique que plus le nombre d'équipements est élevé plus l'indice d'équipements est élevé. Dit autrement, pour un équipement supplémentaire, toutes choses égales par ailleurs, l'indice d'équipement des villes augmente de 0,8 point.
En effet, l'indice global de gestion municipale des équipements sportifs n'est influencé par aucune variable politique. Dit autrement, la présence et la qualité des équipements collectifs sportifs ne sont pas affectées ni par la stabilité politique ou électorale de la commune, ni par la concordance politique avec les niveaux administratifs supérieurs. Ce résultat est renforcé par la valeur du coefficient de détermination (R2) très faible dans le modèle 2, signifiant par là même que seul 0,9 % de la variation de l'indice est expliqué par l'ensemble des variables politiques.
236
En revanche, dès lors que les variables socio-économiques sont ajoutées à la relation (modèle 3), le modèle structurant s'enrichit en mettant en évidence trois influences significatives. Le nombre d'équipements et la superficie de la commune affectent positivement l'indice alors que la population de la ville réduit marginalement la valeur de l'indice.
3. LA BUREAUCRATISATION
CONTRE LE POLITIQUE?
Plusieurs explications peuvent être avancées pour comprendre l'absence de logiques politiques classiques dans la gestion d'équipements sportifs. Soit notre analyse n'a pas permis de percer les logiques politiques, soit ces logiques sont effectivement devenues plus faibles, laissant la place à des logiques d'action plus « pragmatiques» ou bureaucratiques.
A
LA RECHERCHE DE LA LOGIQUE POLITIQUE
En premier lieu, raisonner en coupe instantanée grandement l'appréhension dynamique du processus de politiques publiques locales d'équipement. Il est vrai d'opérer une comparaison dans le temps représente un méthodologique129.
(année 1998) limite mise en œuvre des que l'impossibilité problème de nature
En second lieu, il sera intéressant de poursuivre l'analyse en cherchant à différencier les municipalités par la présence d'autres équipements collectifs plutôt que par la construction d'un indice synthétique. Les équipements sportifs ont été sélectionnés pour la variance relativement importante dans le niveau d'équipement des communes. Il est vrai que la plupart des autres domaines renseignés dans l'inventaire se caractérisent par une variance plus faible et des analyses non reproduites ici ne nous ont pas permis de parvenir à des résultats plus significatifs. En troisième lieu, il est probable que certains phénomènes de concurrence ou de proximité locale conduisent certaines municipalités à se doter d'équipements ou à rénover ceux existant au gré des rapports politiques intercommunaux sans que l'analyse statistique présentée ici puisse en mesurer réellement l'importance. Même avant l'intercommunalité, des collaborations sur certains équipements étaient possibles, sans qu'on puisse ici analyser ce processus. Il existe donc un certain nombre de problèmes avec notre dispositif de recherche qui pourraient dissimuler des effets politiques bien réels. Mais, il est également possible que des logiques autres que politiques priment finalement sur les logiques poli tiques.
129
Malheureusement,
les données de l'INSEE ne sont disponibles
237
que pour 1998.
UNE ABSENCE DU POLITIQUE? Du point de vue des explications politiques, la présente contribution permet de nous éclairer sur plusieurs points importants. L'une des questions de départ de ce projet - et qui va au-delà de cette seule contribution - était de savoir s'il existe des équipements de «gauche et de droite ». L'exemple des équipements sportifs semble indiquer qu'il n'existe pas d'effet politique important. Les stratégies - à gauche et à droite - semblent similaires. De même, les autres variables politiques analysées l'instabilité politique, la fractionalisation électorale et la concordance entre les niveaux de décision locaux et nationaux - n'ont aucune incidence palpable sur la gestion des équipements sportifs communaux. Une explication consiste à avancer que la plus grande autonomie des collectivités territoriales se solde par un affaiblissement des clivages politiques.
Ainsi, le passage de la « régulation croisée» (Duran Thoenig 1996) à un système plus décentralisé semble s'être accompagné à une dépolitisation croissante des politiques locales. Comme l'affirment Balme et Faure (1999), on assisterait non pas à une plus grande proximité des élus, mais plutôt à une nouvelle forme de
technocratie, allant à l'encontre du « mythe du terrain» (1999,p. 21), De même, cette évolution, si elle était confirmée par d'autres études empiriques, tendrait à confirmer une partie des travaux sur le «fédéralisme financier» (pour une revue, voir Madiès et al 2005). En effet nombre de ces travaux comptent sur la décentralisation pour imposer une discipline budgétaire et en matière d'impôts à l'Etat à travers le mécanisme de concurrence fiscale. En l'occurrence, le cas français peut difficilement confirmer cette thèse, mais il est vrai que l'émergence d'une raison politique locale différente du clivage gauchedroite peut être considérée comme un premier pas dans ce sens. Enfin, ces résultats tendent à aller dans le sens des recherches sur la gouvernance locale (Rhodes 1997), discutées en France notamment par Le Galès (Le Galès 1998). Dans cette perspective, la politique locale est perçue comme certes autonome et significative pour tout ce qui touche à la vie locale, mais aussi comme répondant à des formes d'organisation politique radicalement distincte de la vie politique nationale.
CONCLUSION:
PISTES DE RECHERCHE
Toute recherche quantitative doit dialoguer et s'appuyer sur les résultats de recherche adoptant d'autres démarches méthodologiques. Le problème soulevé ici, la faiblesse de l'impact de facteurs politiques ne doit guère être compris comme un dernier mot. Plutôt, ceci peut être compris comme un appel à renouveler les travaux sur les politiques d'équipement, comme celui que lançait Edmond Preteceille en 1999. Autrement dit, il se peut que nous soyons partis d'une vision naïve des politiques équipementières et que nous ayons laissé de côté des variables centrales concernant la structure démographique et
238
sociale de la population. On pourrait ainsi supposer qu'en contrôlant ces deux variables et l'influence d'une commune, le clivage gauche-droite redevienne structurant. Parallèlement, il est vrai que les résultats présentés ici devraient également interroger certaines contributions recourant à d'autres méthodes. Si la compétition partisane n'est pas au centre de la vie politique locale, les logiques effectivement à l'œuvre doivent être davantage spécifiées. Il est vrai que plusieurs des travaux précités, ainsi que certaines contributions à cet ouvrage vont dans ce sens (voir notamment Gautier, Le Goff). La présente contribution dans le meilleur des cas ouvre quelques perspectives sur les pistes à poursuivre et celles qu'il vaut mieux délaisser.
239
D.UNE
REGION A L'AUTRE,
LA GESTION INTEGREE DU LITTORAL Marion Réau D'une région à l'autre, la gestion intégrée du littoral. Marion Réau est ATER en science politique à la Faculté de droit Montpellier-I et doctorante au CEPEL. Ses recherches portent sur les politiques publiques, l'aménagement, l'environnement, la régionalisation et la politique comparée. Elles sont financées au sein du programme SYSCOLAG (systèmes côtiers et lagunaires) par la Région Languedoc-Roussillon, le CNRS (interdisciplinaire sur le littoral). Courriel :
[email protected] ..
............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... :
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1
~:::~t:cle cherche à comprendre le processus de territorialisation des politiques de gestion
I
i :
::::::::::::::
::::
du littoral à un niveau régional, à travers un mouvement d'intégration de ces politiques au sein d'une démarche de dimension communautaire, la Gestion Intégrée des Zones Côtières. Cette étude est constru ite dans une perspective comparatiste, appuyée sur les cas contrastés de la Bretagne, de l'Aquitaine et du Languedoc-Roussillon. Sans aller jusqu'à la typologie, il ressort de l'analyse trois grands critères discriminants, marquant la capacité
de ces régions à intégrer le littoral comme territoire politique: le rapport à l'E tat, l'existence d'un leadership fort et le degré d'organisation des intérêts à l'échelle de la Région.
I
:::::.:::::::.
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Abs tract This article seeks to understand the territorialisation process of coastal gestion policies on a
regional scale, through an ongoing movement of this policies to be integrated into an
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I
european approach, the Integrated Coastal Zone Management. This study is build as comparative, based on the distinct cases of Brittany, Aquitaine and Languedoc-Roussillon. We can notice threemain measures,but not in a will of typology, that stress the region's capacity to integrate the coast as a political territory: the relationship with the State, the existence of a strong leadership, and the degree of interest's organization on a regional scale.
241
Il deviendrait presque banal aujourd'hui de constater l'essor de l'institutionnalisation d'un méso-gouvernement (Balme 1994): ce processus est analysé aussi bien d'un point de vue empirique et diachronique que théorique et synchronique, il est également discuté et réinterrogé, notamment par le prisme du comparatisme. La Région, échelle de gouvernement homogène ou émergent, est au centre des questionnements dans l'étude des politiques publiques locales, renforcé par deux phénomènes: l'approfondissement de l'intégration européenne et la décentralisation, et constitue donc un mode d'étude privilégié du changement des politiques publiques (Hassenteufel Fontaine 2002). De fait, les politiques communautaires d'impact territorial (fonds structurels, PAC, environnement) favorisent la mobilisation des régions à la recherche de ressources supplémentaires susceptibles de combler leurs carences et de valoriser leurs atouts respectifs (Smith 1995). Mais en même temps agissent en tant que relais de l'administration européenne pour la mise en œuvre de ces politiques (Morata 1998). On voit se dessiner ainsi, selon les secteurs, une «gouvernance» multiniveaux où s'imbriquent les échelles institutionnelles et les acteurs publics/ privés, questionnant le rapport à l'Etat. .Ces reconfigurations sont ici étudiées dans le domaine de l'aménagement du littoral, où plusieurs problématiques se croisent et incarnent ces évolutions de l'action publique vers une èomplexification et une re- territorialisation. Au croisement des secteurs de la Pêche, du portuaire, de l'aménagement du territoire et de l'Environnement, la Gestion Intégrée du Littoral est un instrument normatif communautaire qui s'adresse à différentes échelles de gouvernement, dans une perspective «intégrée» et une définition des problèmes par sites. La GIL encourage le montage de partenariats à une échelle territoriale « pertinente» (principe de subsidiarité) : l'échelle régionale est valorisée dans l'optique de favoriser la cohérence des projets et de dépasser les conflits d'usage récurrents qui caractérisent les rapports entre acteurs sur cet espace (tourisme versus pêche, habitat permanent versus immobilier saisonnier, développement économique versus protection naturelle) (Lequesne 2001). On voit alors s'établir des degrés dans la capacité différenciée des régions à s'affirmer comme acteur, face aux autres niveaux territoriaux, et à s'approprier un leadership sur leur territoire, ses crises, son devenir, face à des enjeux économiques de plus en plus pressants. Il apparaît toutefois que la capacité à constituer une échelle de mise en cohérence de ces politiques territoriales dépend fortement de la constitution préalable de réseaux de leadership territoriaux constitués au niveau régional (Baraize Genieys Smith Faure Négrier 2000).
242
1. LE NIVEAU COMMUNAUTAIRE COMME COORDINATEUR DES ACTIONS LOCALES? - GIZC)130 du littoral et leurs
Aujourd'hui, la GIL (ou gestion intégrée des zones côtières entend favoriser des pratiques intégrées d'aménagement applications au niveau national et au niveau local.
Cette démarche est synthétisée dans une communication de la Commission européenne destinée à définir la position communautaire concernant l'AIZC (aménagement intégré des zones côtières) qui est adressée en
septembre 2000 au Conseil et au Parlement. L'Union entend être
«
l'inspiratriceet
plus
globales
de
gouvernance
»
orientations
«
la coordinatrice» d'une «stratégie» en matière d'aménagement et de gestion intégrée des zones côtières qui doit aboutir à l'élaboration «dans chaque pays membre» d'une politique intégrée du littoral. Cette stratégie s'inscrit dans les qui sous-tendent
généralement
les
politiques européennes: « une approcheintégréeà caractèreterritorial et participatif s'impose pour garantir la viabilité écologique et économique de l'aménagement du littoral européen ainsi que sa cohésion et son équité sociales ». Cette stratégie
de soutien
à la GIZC repose
sur plusieurs
actions ou
outils: - Un instrument de type cognitif et d'évaluation: un programme de démonstration a été mené pour la Commission, identifiant un certain nombre de domaines politiques, dont ceux déjà mentionnés, qui devront faire l'objet d'une attention particulière, en termes de best practices et de bench marking. - L' in tégra tion d'outils pour la GIZC à l' intérieur d'outils financiers, réglementaires et incitatifs préexistants, suivant l'approche transversale adoptée: ceci comprend les programmes INTERREG III et URBAN ainsi que le projet d'instrument LIFE III; des volets «littoral» sont intégrés aux programmes communautaires 2000-2006, programmés en 1999 : le 6èmePCRD, la politique communautaire de la pêche (PCP). Le récent épisode de tentative de réforme de l'IFOP (instrument financier d'orientation de la pêche) en FEP (fonds européen pour la pêche) du 22 mai 2006131 montre combien ces questions peuvent diviser les Etats. - Un instrument de financement de «bonnes pratiques»: les fonds destinés à la politique régionale de l'VE (fonds structurels), où les territoires européens peuvent concrètement solliciter le soutien économique de rUE au titre de la préservation et de l'aménagement du littoral.
130Plusieurs acronymes désignent la même politique de gestion intégrée du littoral: la GIZC (gestion intégrée des zones côtières), ou CIL (gestion intégrée du littoral), et l'AIZC (aménagement intégré de zones côtières). Ces trois expressions pourront être utilisées indifféremment dans cet article, selon les sources analysées par l'auteure (ex. AIZC est utilisé dans les textes officiels de la Commission européenne). 131 Article du Monde du 23/05/06 « Pas d/accord entre les ministres européens sur la pêche»
243
La politique de gestion du littoral au niveau communautaire se situe donc sur le plan de la coordination des instruments, dans une visée incitative à destination des Etats et des territoires infranationaux. En outre, on notera que les Fonds structurels, outil financier privilégié de la politique régionale communautaire132 et dont la captation constitue un enjeu décisif pour les collectivités, sont considérés comme facteur-clé de la (re)territorialisation de l'action publique (Smith 95). Si l'on peut regarder de façon top-down la coordination de cette politique européenne, à la croisée de plusieurs secteurs, qui donne l'impulsion à des actions menées au niveau local, et fournit des instruments communs aux acteurs infracommunautaires, on peut aussi considérer la remontée des pratiques locales vers le niveau central. Dés les années soixante, des instruments vont être mis en place dans le souci d'intégrer le plus grand nombre d'acteurs et de problèmes relevant de la gestion de l'espace côtier. Dès lors, la question du changement s'incarne dans ce processus de feedback: comment les institutions régionales s'approprient-elles aujourd'hui, dans un nouveau contexte d'action publique, les outils de coordination formulés au niveau macro, en réponse aux difficultés rencontrées à l'origine sur le terrain?
2. DES
MODELES REGIONAUX
D'APPROPRIATION
DE LA
VARIABLES
GIZC
Sans velléité de typologie, les trois grands critères de différenciation territoriale qui semblent le mieux discriminer les profils régionaux étudiés sont le rapport du territoire à l'Etat, l'existence d'un leadership territorial fort, et l'appréciation du degré d'organisation des intérêts. On peut établir que la région Bretagne démontre (sans arbitrage de l'Etat) une capacité d'autonomie dans la production de normes. Cette capacité est clairement corrélée à l'existence préalable d'un leadership de la planification régionale (Pasquier 2004, Fournis 2006). Nous verrons que les régions Aquitaine et Languedoc-Roussillon ne présentent pas cette autonomie par rapport au monopole normatif et d'expertise technique de l'Etat, bien qu'actuellement l'Aquitaine soit plus avancée sur le chemin du repositionnement.
132La vocation des Fonds structurels est ainsi définie dans le traité de Maastricht, article 130 A:« Afin de promouvoir un développement harmonieux de l'ensemble de la Communauté, celle-ci développe et poursuit son action tendant au renforcement de sa cohésion économique et sociale. En particulier, la Communauté vise à réduire l'écart entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions les moins favorisées, y compris les zones rurales. »
244
Le cas du littoral breton constitue l'exemple d'une diversité d'outils de gestion, portés par une multitude d'acteurs, et parfois sans grande concertation: Des outils d'aménagement et de gestion du littoral :SALBI, SAUM, SMVM (Trégor-Goëlo, Golfe du Morbihan. ..), Pays maritime, SCOT, PLU, outils de planification sectorielle (éoliennes, ports, sports de pleine nature.. .). Des outils de protection et de mise en valeur du littoral. Protection de la qualité des eaux: Contrats de baie (rade de Brest), SAGE (Vilaine). Protection de la biodiversité : Natura 2000 (Trégor-Goëlo), Réserves naturelles, ZNIEFF, ZICO. Protection et mise en valeur d/un espace de vie partagé: Parc Naturel Régional (Armorique,Golfe du Morbihan), Parc National Marin (Iroise).. .133 D'après le CESR de Bretagne, ces outils de gestion intégrée «visent tous à promouvoir une gestion adaptée, tout en tenant compte des exigences économiques, sociales et culturelles ». Cependant, si certains considèrent que leur compilation permet de mettre en oeuvre une politique de gestion intégrée de la zone côtière, il semble plutôt que <
acteurs locaux. Le CESR note « un manque de cohérence (temporelle, spatiale) » entre les outils visant à parvenir à une gestion intégrée de la zone côtière, bien que la Région joue son rôle de leadership, d'entreprenariat dans le domaine de ces politiques d'aménagement, dans un rapport partenarial à l'Etat. Dans les cas de l'Aquitaine similaire s : - SMVM (Thau), littoral), PLU, etc.
Contrat
et du Languedocde Baie (Thau),
- Natura 2000, ZICO, ZNIEFF, Réserves marines (Banyuls), SAGE, etc.
Roussillon,
les outils sont
SCOT (Montpellier,
protégées,
notamment
volet sous-
Néanmoins, ces deux régions ne disposent pas du même niveau de capacité de coordination qu'en Bretagne. A l'instar de R. Pasquier (Pasquier 2004), on pourrait confronter les trois cas régionaux en fonction de leurs configurations institutionnelles, prises ici dans leur capacité à s'approprier des solutions au manque de coordination entre instruments de gestion du littoral. Quels facteurs peuvent expliquer que la Bretagne se montre capable de se saisir des outils de coordination proposés par l'UE (facteurs décisifs d'autonomie budgétaire, par la captation des fonds structurels), et de formuler sa propre politique de GIZC, tandis que d'autres régions littorales ne le font pas? La réponse semble se trouver dans les rôles différenciés joués par l'Etat en région dans la définition et la coordination des actions de gestion du littoral régional. Le premier élément se dégage d'une étude historique de l'action publique en Languedoc-Roussillon et Aquitaine: ces deux régions ont connu une intervention forte de l'Etat, sous la forme d'administrations de mission pilotées par l'Etat, entre les années 60 et les années 80. Dans les années 60, l'Etat
133Source: rapport du Conseil Economique gestion concertée du littoral", juin 2004.
et Sodal de la Région Bretagne, upour une
245
gaulliste entend répondre à la crise des secteurs viticole, halieutique et touristique par une démarche forte de planification de l'aménagement sur ces deux côtes, dans une perspective modernisatrice. La mission « Racine134 » se met en place en Languedoc-Roussillon en 1962, constituée par des élites aménageuses de la DATAR, disposant d'un budget autonome et d'une coordination inter-ministerielle. Sa stratégie repose sur l'élaboration technique d'un PUIR (Plan d'urbanisme d'intérêt régional) qui spatialise les usages de la
côte (stations balnéaires, ports de plaisance, coupures
«
vertes », etc). Son action
menée pendant 20 ans, articulée sur les notables locaux, va mettre durablement en place les rapports Etat / élites locales, et conditionner l'aménagement littoral à un pouvoir de décision et de financement fort. L'Aquitaine va connaître sensiblement la même intervention, mais plus tardive et plus marquée par l'émergence de préoccupations écologiques, qui viennent se mettre en concurrence avec le développement urbain. Pilotée par M.
Biasini, la Mission Aquitaine s'appuie sur l'élite locale et le « système Chaban » (Chaban-Delmas, maire de Bordeaux à partir de 1967 et Premier 1969 à 72), relais local de la volonté de l'Etat.
ministre
de
Après la dissolution successive de la Mission Racine en 82 et de la Mission Aquitaine en 88 (conséquence directe de la décentralisation), rien n'est repris au niveau local. Il faut attendre la fin des années 90 pour voir réapparaître des missions littorales en Languedoc-Roussillon et Aquitaine, à l'initiative du CIADT. Mais cette fois, suivant les lois de décentralisation, ces missions sont articulées à un partenariat avec l'institution régionale. On peut alors constater comment la structuration des échanges politiques locaux en Aquitaine porte les collectivités à s'organiser dans un partenariat avec la nouvelle Mission Littorale: dans le GIP qui se met en place en 2004, les négociations repartissent la présidence à la Région mais la direction à l'Etat. Paradoxalement, la Région peut assurer institutionnellement et techniquement cette charge, mais les collectivités entendent limiter le pouvoir régional en gardant l'Etat en position d'arbitrage au sein du GIP. En Languedoc-Roussillon, la constitution d'un GIP s'est avérée impossible. Les négociations de répartition des pouvoirs au sein du GIP entre l'Etat, la Région et les autres partenaires n'ont pas permis d'aboutir à un consensus. Le préfet finira par mettre son veto. En mai 2006, la dissolution de la nouvelle Mission Littoral marquera la fin d'une action coordonnée de GIZC au niveau régional, sans que la Région elle-même n'ait repris le flambeau. Entre temps, elle n'a pas acquis les savoir- faire techniques qui lui permettrait d'assurer au sein de ses services le pilotage d'une GIZÇ locale. Les objectifs inscrits au CPER au volet Littoral et les actions entamées se retrouvent sans pilote technique. Ces profils contrastés de Régions au prisme de la gestion intégrée du littoral nous montrent des capacités variables de s'approprier la coordination,
134 La mission Racine est une mission interministérielle d'aménagement du littoral, présidée par Pierre Racine et Pierre Reynaud. Elle est mise en place en 1962 et prend fin en 1982.
246
bien que les outils à disposition soient les mêmes. De même que les lois de décentralisation n'ont pas produit les mêmes effets dans toutes les Régions (Pasquier 2004), les outils communautaires ne sont pas saisis de la même façon par les institutions. Le système politique local et les échanges politiques territoriaux semblent pouvoir expliquer dans une certaine mesure des divergences dans la capacité des régions à intégrer le littoral comme un territoire politique.
247
LA VENDEE VILLIERISTE SAISIE PAR LA CONTRACTUALISATION
REGIONALE
LES POLITIQUES TERRITORIALES AL/EPREUVE D'UNE APPROCHE INTERACTIONNISTE
Olivier Gautier Olivier Gautier est doctorant en science politique au CRAPE et à l'Université Rennes 2. Il travaille notamment sur les transformations de la vie politique locale, les formes et les registres de l'action territoriale et leurs effets sur l'exercice du métier politique. Courriel : oligau
[email protected]
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Résumé Depuis les élections régionales de mars 2004, le départemen t de la Vendée a procédé à la contractualisation originale de sa politique de développement local. Elle constitue un cadre pertinent pour une analyse interactionniste des transformations qui secouent les ordres politiques infranationaux. Ainsi, un lien est apparu entre la territorialisation d'une politique contractuelle régionale et la remise en cause du travail de légitimation villieriste de la Vendée. Si ce changement a pu apparaître comme la régionalisation d'une politique publique, il est aussi imputable à la conversion de Philippe de Villiers à un espace régional plus contraignant.
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Since the regional elections of March 2004, the department of Vendee has proceeded to the original contractualization of his local development policy. It constitutes a pertinent framework for an interactionnist analysis about the transformations which are shaking infranational political orders up. In this way a link appeared between the territorialization of the contractual policy and the dispute of the Philippe de Villiers's legitimization work for the Vendee. If change could appear as a public policy regionalization, it's also the result of the Philippe de Villiers's conversion to a new forcing regional space.
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La Vendée est un département qui subit actuellement des transformations étrangères à sa réputation politique. En effet, elle semble saisie par la politique régionale des Pays de la Loire qui défend, depuis 2004, le contrat territorial unique (CTU). Ce programme est la poursuite des actions mises en place par le contrat de plan Etat-région (CPER) 2000-2006 en faveur des communautés d'agglomérations, des pays et des zones littorales. Se référant à la loi Voynet de 1999, le CTU vise, pour une durée de trois ans, à promouvoir "des projets de développement des territoires" entre la région et certains types de regroupements locaux. Il s'est illustré notamment par la signature d'accords avec un groupe de communes réunies autour de La Roche-sur-Yon et avec l'lled'Yeu. De son côté, le Conseil général de la Vendée a relancé les contrats d'environnement littoraux (CEL). Décidés au sein du CPER 2000-2006, les CEL sont des projets triennaux signés entre la région, le département et la commune concernée. Ils visent la protection des espaces naturels et la promotion du tourisme. Lors du premier bilan effectué en 2004, les autorités vendéennes ont fait état de la signature de deux contrats et des candidatures de 20 communes sur 22. Surtout, en 2005, elles ont conçu une autre politique contractuelle départementale à travers l'élaboration des contrats d'environnement ruraux (CER). Déterminés unilatéralement par l'exécutif départemental, les CER sont des contrats de trois ans destinés aux communes de moins de 3000 habitants. L'objectif principal est la valorisation de la ruralité vendéenne. Autrement dit, une standardisation locale des formes contractuelles du développement territorial est visible. Elle figure en quelque sorte la régionalisation d'une politique publique. La consolidation du processus dans les Pays de la Loire est imputable aux élections régionales de mars 2004 dont les résultats ont redistribué la donne politique locale. La reconfiguration politico-institutionnelle a renforcé la lutte entre Jacques Auxiette, nouveau président du Conseil régional, socialiste et maire de La Roche-sur-Yon et Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France (MPF) et du département de la Vendée. Leur opposition s'est ainsi cristallisée autour de la politique contractuelle régionale du développement local. Toutefois, cette lecture suffit-elle à expliquer les changements politiques et leur sens (en termes de direction et de valeurs) ? Comment comprendre les mobilisations prophylactiques d'un programme territorial? Comment interpréter les (sur)investissements politiques dans une action publique sur un territoire? Qu'est-ce qui a conduit les acteurs locaux à territorialiser une politique contractuelle? Dans le même sens, peut-on réduire le processus à la régionalisation d'une politique publique? Sur un plan théorique, l'approche interactionniste analyse la réalité sociale comme une construction permanente qui n'a rien d'extérieur aux individus (Garfinkel 1990, Berger Luckmann 1996). Dans cette mesure, elle précise comment les acteurs politiques peuvent participer à l'objectivation des phénomènes politiques. A travers les notions de domination, de légitimation ou encore d'institutionnalisation, le constructivisme peut permettre de (ré)concilier les études sur la vie politique avec celles qui interrogent les politiques
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publiques. En effet, si la perspective interactionniste incite à s'intéresser au rapport que peuvent entretenir les acteurs locaux avec les politiques territoriales, elle invite aussi à entrevoir comment elles peuvent devenir des ressources présumées décisives par les compétiteurs dans leur quête de trophées (Bailey 1971). Ainsi, la territorialisation d'une politique publique peut être étudiée à partir du rôle qu'elle parvient à tenir dans les enjeux territoriaux de la domination politique (Montané 2001, Faure 2004). D'autre part, si, en l'espèce, la territorialisation est aussi une forme de régionalisation, elle peut également nous renseigner sur la participation des acteurs locaux aux changements qui secouent les ordres politiques infranationaux. C'est pourquoi nous avons été amenés à explorer les rapports entre territorialisation et légitimation (1) puis ceux qui lient régionalisation et conversion (2).
1. TERRITORIALISATION
ET LEGITIMATION
La valorisation politique d'une action publique est liée au rôle qu'elle peut jouer dans la fabrication d'une domination territoriale. En effet, Jacques Auxiette et Philippe de Villiers agissent sur des territoires politiques qui sont socialement construits. Dans cette logique, ils sont des entrepreneurs de territoire. Ils fondent leur domination territoriale sur la construction d'un territoire politique. En nous inspirant librement des travaux de Bernard Lacroix, cette notion nous permet alors de repérer les formes élémentaires de l'action territoriale (Lacroix 1985, p. 513). Dans cette perspective, la construction d'un territoire n'est pas seulement son invention mais également son institutionnalisation et sa légitimation par le politique. Or selon la définition
d'inspiration weberienne proposée par Jacques Lagroye : « la légitimation consiste en la démonstration d'une aptitude à assurer le triomphe des valeurs ». Il ajoute « Dans le cas précis du pouvoir politique, on peut concevoir la légitimation comme un ensemble de processus qui rendent l'existence d'un pouvoir coercitif spécialisé tolérable sinon désirable, c'est-à-dire qui le fassent concevoir comme une nécessité sociale voire comme
un bienfait. » (Lagroye 1985, p. 402). Si des acteurs locaux mobilisent des politiques publiques qui ne sont pas propres au territoire c'est parce que leur territorialisation va permettre « d'appliquer» et de «naturaliser» leur doctrine. La territorialisation d'une politique publique «réalise ainsi» ce que Luc Boltanski appelle «le travail idéologique de dissimulation du travail idéologique» (Boltanski 1973, p.25). En effet, l'une des propriétés de la territorialisation d'une politique publique est qu'elle conduit à brouiller le travail de mise en relation, et donc l'écart, entre une idéologie et un territoire. Elle autorise l'entrepreneur du territoire à montrer que le triomphe de ses valeurs est le triomphe des valeurs de la population locale. Elle tend à accréditer le soutien et l'adhésion du territoire dont il a la charge à ses choix publics, à sa direction politique du territoire et donc à sa domination territoriale. Dans contractuelle
cette mesure, les mobilisations antagonistes de la politique en Vendée ont induit les sur-investissements villieristes. En effet,
251
quand Jacques Auxiette utilise le CTU sur le terrain de La Roche-sur-Yon, il n'y a pas de réaction de la part du président du Conseil général. Le chef-lieu de la Vendée ne fait pas partie de son territoire. C'est lorsqu'un CTU a été signé avec l'lIe d'Yeu qu'il y a alors eu l'émergence d'un danger pour la domination villieriste. En effet, le président du Conseil régional montre alors qu'il possède les ressources pour démontrer aux élus vendéens que sa politiaue et ses valeurs (<< dialogue, démocratieparticipative, le rôle positif de la Région »1 5) peuvent aussi être bénéfiques pour le département. A ce moment la contestation de la domination villieriste est réelle puisqu'elle s'attaque à l'un des fondements de son action politique territoriale. L'enjeu est la légitimité d'une territorialité vendéenne réputée villieriste. Aussi notre hypothèse D'abord, la sur-activation des l'opération politique organisée légitimité de la contestation
invite à mieux comprendre la réaction villieriste. CEL est structurée par la volonté de lutter contre par Jacques Auxiette. L'objectif est de contester la du président de la région mais également de
rappeler les autres élus locaux à l'ordre politique villieriste, puis de « compter» et de conserver les soutiens politiques du littoral. Ensuite, le «surinvestissement» dans les CER n'a pas pour objectif de saper la politique de Jacques Auxiette. Il cherche à consolider son travail de légitimation de la territorialité vendéenne en (re)mettant en ordre ses valeurs, celles du MPF à
travers la promotion d'une ruralité en accord avec « la civilisation des racineset la protection des communautés de culture» (Villiers, 1990, p. 54), fondements idéologie d'inspiration maurrassienne.
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Si la territorialisation d'une politique publique peut donc intervenir dans la constitution et l'entretien d'une domination territoriale, elle peut aussi jouer un rôle dans sa contestation. Si elle peut légitimer l'invention et l'institutionnalisation d'un territoire politique, ne peut-elle pas dans une autre mesure justifier l'émergence d'un nouvel ordre politique régional? Dans ce sens, la dynamique de régionalisation n'aurait pu être lancée sans la conversion des acteurs locaux.
2. REGIONALISATION
ET CON17ERSION
Envisager dans un second temps de considérer la territorialisation de la politique contractuelle en termes de régionalisation, c'est vouloir penser une série de changements politiques infranationaux. C'est se permettre de donner un sens au processus de régionalisation des sociétés politiques notamment départementales. Dans cette mesure, si le processus de régionalisation peut être relié aux modifications qui touchent les ordres politiques locaux, il ne peut pas être uniquement compris comme une imposition ou une pression à l'adaptation suite à des divergences, des incompatibilités ou des mésajustements. C'est
135Jacques Auxiette, Septembre 2005.
Le magazine
des Pays de la Loire, n03, Juin-Juillet
252
2005 et n04,
vouloir comprendre que la régionalisation peut se faire par le bas. C'est orienter le regard vers la participation des acteurs locaux au processus sans le réduire à un pur produit de l'interdépendance de leurs calculs. En effet, la politisation des enjeux régionaux, à travers la lutte Villiers/ Auxiette, est repérable. Si, comme nous venons de le voir dans la première partie, la régionalisation a pu remettre en cause le travail de légitimation d'une domination territoriale, nous avons également montré comment elle avait favorisé l'émergence de nouvelles ressources politiques pour les acteurs à travers l'élaboration et la mobilisation de politiques régionales plus ou moins originales. Cependant, le jeu des acteurs locaux incite également à s'intéresser à la régionalisation en termes d'institutionnalisation. Pour Berger et Luckmann, « l'institutionnalisation se manifeste chaque fois que des classes d'acteurs effectuent une typification réciproque d'actions habituelles. En d'autres termes, chacune de ces typifications est une institution. (...) Les institutions, par le simple fait de leur existence, contrôlent la conduite humaine en établissant des modèles prédéfinis de conduite, et ainsi la canalisent dans une direction bien précise au détriment de beaucoup d'autres directions qui seraient théoriquement possibles» (Berger Luckmann 1996, p. 78-79). On adopte donc ici la définition classique de l'institutionnalisation, entendue comme la stabilisation et la répétition dans le temps de manières de faire, de règles et de normes sociales. Entrevoir la régionalisation en termes d'institutionnalisation, c'est donc s'intéresser à un certain nombre de rôles régionaux136 notamment celui de président du Conseil régional et sa capacité à produire une régulation régionale. C'est porter un regard sur la solidification de certaines attitudes, de méthodes et de normes propres à la direction politique d'une région. Les rôles sont donc entendus comme des conduites déterminantes pour soi mais aussi pour les autres. Dès lors, des règles, des solutions et des systèmes de représentations propres aux agents liés au territoire politique peuvent exister. C'est ainsi qu'ils vont structurer des logiques d'action, des schèmes de perception et des principes de changement. Ceci apparaît clairement avec la territorialisation du CTU. L'observation des effets départementaux vendéens constitue dans cette perspective une illustration du processus. La sur-mobilisation villieriste de plusieurs actions publiques, en contradiction avec la tradition politique locale, peut se comprendre comme le produit de la socialisation à l'échelon politicoinstitutionnel régional et de l'intériorisation de son pouvoir normatif, concurrentiel et émergent. En effet s'il y a apprentissage de rôles régionaux, celui-ci n'est pas uniquement effectué par les titulaires. La compétition, les enjeux, et les trophées en jeu contribuent aussi à l'accumulation par les non titulaires de la connaissance précise des propriétés des positions et des contraintes des rôles politiques. La territorialisation d'une politique
136
Notre argumentaire se fonde sur la définition, inspirée par Berger et Luckmann, de Jacques Lagroye. Pour lui, un rôle est « l'ensemble des comportements qui sont liés à la position qu'on occupe et qui permettent de faire exister cette position, de la consolider et, surtout, de la rendre sensible aux autres» in « On ne subit pas son rôle », Entretien préparé et recueilli par B. Gaïti et F. Sawicki, Politix, n038, 1997, p.8.
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contractuelle montre ainsi comment, pour la première fois, la région et Jacques Auxiette ont «obligé» Philippe de Villiers et le Conseil général de la Vendée à être «d'accord sur le terrain du désaccord» (Bourdieu 2000). Autrement dit, la régionalisation dépasse l'appropriation d'une politique publique. Elle est aussi le fruit de la conversion à l'espace politique régional des acteurs les plus disposés à s'y opposer.
CONCLUSION La méthode constructiviste, en privilégiant l'analyse des formes élémentaires de l'action locale et leur imprégnation par les représentations tactiques des acteurs, présente l'intérêt heuristique de préciser le sens et la mesure des changements politiques territoriaux. Pour la première fois, une politique contractuelle du Conseil régional est parvenue à s'imposer en Vendée sans l'accord ni l'implication des autorités départementales. Remise en cause de leur action territoriale, elle les a contraints à mobiliser des projets contractuels locaux. La territorialisation d'une action publique a donc conduit à la contractualisation inédite de la politique villieriste en Vendée. Si cette évolution peut s'apparenter à la régionalisation d'une politique publique, elle ne s'y réduit pas dans le sens où elle correspond aussi à la conversion d'un acteur local réfractaire, Philippe de Villiers. Les Pays de la Loire sont ainsi en. train de devenir un espace concurrent en voie d'appropriation, d'institutionnalisation et de légitimation par un nouveau leader régional, Jacques Auxiette. Néanmoins, les changements réels sont encore limités. Les modifications politicoinstitu tionnelles n'ont pas pour objectifs, ni pour effets de procurer les ressources nécessaires à la construction d'un ordre politique régional. Dans cette mesure, le statu quo s'enracine encore autour d'une territorialité départementale. En effet, la Vendée conserve sa réputation villieriste. Philippe de Villiers réussit toujours à la présenter comme un territoire (ré)incarné, labellisé, désiré et accepté. Autrement dit, le département de la Vendée sera un territoire politique accompli aussi longtemps que la région des Pays de la Loire demeurera un territoire politique non identifié.
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L'ACTION
PUBLIQUE TERRITORIALE SOLUBLE
DANS LE NEO-INSTITUTIONNALISME
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Sylvain Barone
Doctorant en science politique au CEPEL (Université de Montpellier 1), Sylvain Barone est allocataire CIFRE/ Réseau Ferré de France. Il réalise une thèse sur la régionalisation du transport régional de voyageurs en France. Courriel :
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Résumé
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Le néo-institutionnalisme propose une approche particulièrement stimulante de l'action
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publique territoriale. Toutefois, au-delà de l'incertitude qui entoure la notion même d'institution et des limites inhérentes aux différents courants constitutifs du néoinstitutionnalisme, cet ensemble théorique hétérogène a souvent tendance à minimiser l'importance des rapports entre action publique, politique et société locale, comme l'illustre le cas de la régionalisation ferroviaire. Cette difficulté peut être surmontée par une combinaison d'approches où les travaux issus du néo-institutionnalisme auraient leur place. L'instauration d'une dialectique entre institution et territoire, notamment, permet
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approach to territorial public poli~. Yet, beyond the uncertainty of the very notion of institution and the limits inherent in the different currents making up new institutionalism, this heterogeneous theoretical trend tends to minin1Ïze the importance of the existing links between public policy, politics and local society, as the example of railway regionalization shows. This difficulty can be overcome through a combination of approaches which would include new institutionalist works. In particular, the setting up of a dialectic relationship between institution and local or regional space allows the opening of new analytical horizons.
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Venu des .États-Unis où il a investi des champs disciplinaires aussi divers que la science politique, l'économie et la sociologie des organisations (Lowndes 1996), le néo-institutionnalisme s'est peu à peu imposé en France comme une manière classique d'aborder l'action publique. Cette mouvance théorique extrêmement hétérogène (Hall Taylor 1997, Théret 2000) partage à l'origine une même volonté de réintroduire, face à la tradition behavioriste, la variable institutionnelle dans l'explication du comportement des acteurs et de la fabrique historico-descriptif centré sur l'étude de l'organisation et du fonctionnement des institutions politiques. Dans cette optique, les institutions, et notamment l'État (Skocpol 1985), ne sont plus considérées comme totalement extérieures à la société, mais leur dépendance par rapport aux forces sociales est largement relativisée (March Olsen 1984). Dotées d'une logique propre, elles sont présentées comme structurant les jeux d'acteurs auxquels elles fournissent des grilles d'interprétation du monde. Les développements qui suivent proposent quelques pistes de réflexion sur l'intérêt et les limites de l'approche néo-institutionnaliste pour l'analyse de l'action publique territoriale. Ils font suite à des questionnements qui ont émergé dans le cadre d'un travail de thèse (en cours) sur la régionalisation du transport ferroviaire régional en France. La démarche néo-institutionnaliste offre une perspective de l'action publique qui paraît à bien des égards stimulante. Les travaux sur les institutions et les politiques infranationales qui s'y rattachent en apportent la preuve. Mais la plupart des terrains conduisent en même temps à manipuler des données situées à l'interface entre de multiples variables: institutions, certes, mais aussi identités, rapports de représentation, pratiques poli tiques terri torialisées, etc. La question qui se pose est donc: jusqu'où le néoinstitutionnalisme présente-t-il un intérêt pour l'étudiant de l'action publique territoriale? Nous procèderons en trois temps. Nous verrons d'abord quelles sont les principales vertus et faiblesses de cette approche de l'action publique. Nous en apprécierons ensuite la portée dans le cadre de l'analyse de l'action publique territoriale, en illustrant nos propos par quelques exemples tirés de l'étude de la régionalisation ferroviaire. Pour terminer, nous évoquerons les perspectives qu'ouvre l'instauration d'une dialectique entre ce qui relève de l'institution et ce qui relève du territoire.
1. L'ACTION
PUBLIQUE AU PRISME DU NEO INSTITUTIONNALISME
Si l'on reprend la distinction de Peter Hall et Rosemary Taylor, l'institutionnalisme historique met avant tout l'accent sur les macro-institutions et les relations de pouvoir asymétriques dans une perspective à la fois diachronique et comparée. La notion de path dependence (Pierson 2000, North 1990), qui s'inscrit dans cette perspective analytique, souligne le poids des choix passés sur les décisions présentes et insiste sur les relations qu'entretiennent ces processus cumulatifs avec les perceptions et les comportements des acteurs.
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Mais Paul Pierson et d'autres auteurs se réclamant du même courant (Hall 1993, Steinmo Thelen 1992) ont également abordé les mécanismes de changement à l'œuvre dans les politiques publiques. De son côté, l'institutionnalisme des choix rationnels insiste sur le rôle des institutions comme facteurs de limitation des choix possibles, de production et d'expression des préférences des acteurs. Enfin, l'institutionnalisme sociologique représente une tentative de renouvellement du savoir développé par la sociologie des organisations. Elle explore en particulier les processus cognitifs et la dimension culturelle des institutions (Hall Taylor 1997). Si tant est que l'on puisse considérer le néoinstitutionnalisme comme un tout, cette approche intègre donc une multiplicité
de dimensions. Ici se trouve l'un des nœuds du problème: le mot « institution» a des usages extrêmement variables et la démarche néo-institutionnaliste ouvre elle-même des perspectives intellectuelles dont il ne faut pas sous-estimer l'hétérogénéité (Friedberg 1998). Dans ces conditions, comment isoler, pour les besoins de l'analyse, ce qui relève ou non de la variable institutionnelle? De plus, examiner l'action publique sous l'angle de l'un ou l'autre des courants mentionnés par Hall et Taylor revient à lui réserver un traitement particulier. L'institutionnalisme des choix rationnels postule que les individus ont une connaissance précise et ordonnée de leurs préférences, ce qui est pour le moins discutable et difficile à vérifier empiriquement (Green Shapiro 1994). Rien n'est entrepris ici pour dé construire ces préférences. Or, accéder aux mécanismes de formation des intérêts nécessite de dépasser la posture économique proposée par les choix rationnels pour une posture plus sociologique. La socialisation des acteurs joue en effet un rôle au moins aussi important que leurs calculs intéressés. Dans l'institutionnalisme sociologique, la dimension cognitive est présente, mais elle a tendance à rester déconnectée de la question du pouvoir. Elle est en outre de peu de secours pour expliquer le changement en dehors des mécanismes d'adaptation institutionnelle. L'institutionnalisme historique attribue un rôle aux idées, dont il fait l'une des causes du changement (Hall 1993, Steinmo 2002) - ce qui n'est pas incompatible avec la mise en lumière d'effets de policy feedback137.Néanmoins, cette approche est à son tour soumise à la critique des autres déclinaisons du néoinstitutionnalisme: l'institutionnalisme des choix rationnels, par exemple, récuse l'importance des idées, voire même la simple possibilité de les identifier. De surcroît, les études de cas produites dans ce cadre n'ont pas conduit à l'élaboration d'un véritable modèle théorique. On comprend dès lors pourquoi certains auteurs, comme Peter Hall (1997), ont cherché à dépasser les limites inhérentes à chacun de ces courants en essayant d'en coupler les hypothèses et
les principales variables d'analyse (idées, intérêts et institu tions - les « trois i »). L'action publique exprime un certain rapport entre gouvernants et gou vernés - et elle en est aussi en partie à l'origine. Le néo-institu tionnalisme repose globalement sur l'idée selon laquelle les institutions sont relativement autonomes vis-à-vis des forces sociales. Cette manière d'envisager les
137Fabien Desage, dans sa contribution à cet ouvrage, nous invite à remettre en cause la séparation entre les phases de changement et de stabilité qui est au cœur, entre autres, de nombreux travaux néo-institutionnalistes.
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institutions peut poser problème en ce qu'elle contient un risque plus ou moins latent: celui de laisser de côté les rapports entre politique et société (Stone 1992). Or, l'action publique soulève des questions centrales, comme la légitimité ou encore la domination, qui s'inscrivent pleinement dans ces rapports et dont il s'agit de rendre compte (Smith 2000). Ce qui vient d'être dit est extrêmement schématique mais plaide pour une intégration de l'approche néoinstitutionnaliste dans un cadre ouvert à d'autres perspectives d'analyse. L'enjeu est en particulier de réintroduire la place du politique, qui fait parfois défaut aux productions se rattachant à ce courant. Marc Smyrl (2002) suggère ainsi de faire dialoguer le néo-institutionnalisme avec l'approche par les référentiels Gobert Muller 1987). Cette dernière propose une entrée dans les rapports entre policy et politics qui constitue un modèle de relation entre représentations, intérêts et pouvoir et qui intègre la problématique du changement (Muller 2005). De même, l'approche cognitive est présentée par Andy Smith (2000) comme un complément possible pour «sociologiser» l'approche institutionnelle et réintroduire le thème du sens de l'action publique. Cependant, c'est l'intérêt des thèses néo-institutionnalistes au regard de l'analyse de l'action publique territoriale que nous souhaiterions dis cu ter.
2. L'ACTION PUBLIQUE TERRITORIALE ENTRE INSTITUTIONS ET TERRITOIRES Les travaux issus du néo-institutionnalisme ont beaucoup à dire sur l'action publique territoriale. Rapportés à nos terrains, ils fournissent un ensemble assez riche d'hypothèses en même temps qu'un cadre d'interprétation des phénomènes observés. Dans le cas de la régionalisation ferroviaire, des communautés d'acteurs sont en place dès les années 1980 (régions, directions régionales de la SNCF et de l'Équipement, Réseau ferré de France à partir de 1997). Au-delà des lois successives organisant le transfert de compétence aux collectivités régionales (de la LOTI de 1982 à la loi SRU de 2000), ces arènes sont le théâtre d'interactions qui se sont progressivement stabilisées et institutionnalisées138. Les politiques régionales peuvent alors être examinées de manière fructueuse sur la durée à la lumière des logiques et des arrangements institutionnels, des éléments de conflit et des zones de consensus, de l'évolution des rapports de force et des ressources mobilisables. Un tel examen nécessite que soient pensés les rapports entre les organisations et les individus, les structures et les acteurs. C'est là l'une des principales forces du néoinsti tu tionnalisme. Au-delà des interactions stratégiques, la comparaison apparaître une persistance dans le temps des représentations
interrégionale fait d'action publique
138Les travaux d'Olivier Nay sur l'institutionnalisation d'un domaine d'action agricole en Aquitaine (1997) montrent qu'une grille de lecture proche du néo-institutionnalisme sociologique peut être mobilisée avec profit pour rendre compte de ces mécanismes.
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et des «solutions» envisagées par les acteurs. La région Centre a pour préoccupation depuis les années 1970 de développer le triangle Orléans-Tours-
Vierzon. En Languedoc-Roussillon, la volonté de mettre un
«
métro régional»
en circulation le long du littoral remonte aux années 1980. Cette continuité, qui est bien sûr à relier à la morphologie de l'espace régional, à la distribution de l'habitat et à la répartition des activités, peut ainsi être analysée comme un effet d'institution. Certains choix passés rendent plus difficiles et plus coûteux le changement de trajectoire des programmes publics. Cet aspect est flagrant en matière d'infrastructure. Celle-ci agit selon les endroits comme une contrainte plus ou moins forte de l'action régionale. Le Nord-Pas-de-Calais, par exemple, hérite d'un réseau ferré dense et en assez bon état, ce qui n'est pas le cas de Midi-Pyrénées ou de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Les caractéristiques du secteur imposent de fortes contraintes aux collectivités régionales. Cela est vrai en matière d'infrastructure mais également en matière de jeux d'acteurs, les partenaires obligés de la région, peu nombreux, concentrant d'importantes ressources. Malgré cela, la régionalisation ferroviaire s'est traduite par un incontestable regain d'efficacité de l'action publique par rapport à la période antérieure. Elle se distingue en cela d'autres politiques, comme celle de l'emploi, dont la mise en œuvre apparaît plus incertaine139. Toutefois, l'action publique territoriale n'est pas appréhendable en termes purement institutionnels; pas plus qu'elle ne l'est, d'ailleurs, en termes purement politiques, socio-économiques, etc. Son analyse nécessite d'articuler un ensemble composite de facteurs qui ont en commun de se décliner sur une base territoriale. L'enjeu est ici de resituer territorialement l'institution140. Nous avons vu que les rapports entre politique et société n'étaient pas centraux dans l'analyse néo-institutionnaliste. L'activité politique s'insère pourtant dans un ensemble de relations sociales à chaque fois spécifique. Certes, l'institution légitime l'acteur individuel, le fonde à agir, voire libère son action. Mais cela nous renseigne peu sur la manière dont des individus accèdent et se maintiennent à la tête d'institutions politiques locales. L'anthropologie politique apporte de ce point de vue d'importants éléments de réflexion. Marc Abélès (1989), notamment, a montré que le territoire était constitué d'identités en confrontation et que les rapports représentants/représentés se nourrissaient de la mobilisation quasi-permanente d'une mémoire, d'un patrimoine, d'un imaginaire communs. Si la construction d'une carrière d'élu local passe par la mobilisation de ressources intrinsèquement liées à l'aire d'implantation, cet aspect ne doit pas conduire à occulter les effets de légitimation imputables aux politiques publiques. Dans un contexte où les collectivités territoriales s'approprient de plus en plus la rhétorique du bien commun (Faure 2005), les 139
Cf. le chapitre d'Olivier Mériaux et Jean-Raphaël Bartoli dans ce volume.
140L'étude de la régionalisation ferroviaire complexifie la problématique du rapport à l'espace. Elle pose en particulier, à la suite des géographes, la question des interactions entre deux de ses dimensions, l'aréolaire (l'aire dessinée par le périmètre régional) et le réticulaire (les réseaux ferrés et les flux de voyageurs). L'inscription spatiale, la linéarité et la faible plasticité de l'infrastructure ferroviaire suscitent des interrogations qui apparaissent moins par exemple dans le cas des politiques de transport aérien malgré la rigueur de leurs couloirs de circulation (voir le chapitre de Frédéric Dobruzkes dans cet ouvrage).
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responsables politiques doivent montrer qu'ils agissent efficacement par le biais de l'institution qu'ils dirigent. La régulation de problèmes collectifs légitime ceux qui passent pour en être les auteurs. Cette dimension est centrale dans le cadre du «marché des lieux », où ces derniers sont en concurrence pour la localisation des activités économiques et de certains groupes sociaux (Veltz 1996). Par ailleurs, les institutions ne sont pas le reflet fidèle des rapports de force socio-économiques, ni des forums où les groupes de pression se livrent à des luttes d'influence. Néanmoins, et bien s'ils soient faiblement organisés à l'échelle régionale (Le Galès 1997), l'action politique ne peut totalement ignorer les intérêts économiques privés. Le volontarisme ferroviaire du Nord-Pas-deCalais, par exemple, s'explique en partie par la présence sur place de grandes industries ferroviaires. L'élection ou la réélection des représentants dépend de leur capacité à intégrer cette dimension dans leur discours et leurs actions. De même, les intérêts privés sont plus ou moins puissants et bien organisés selon les endroits, ce qui se traduit par une capacité variable à influer sur les relations politiques et à peser sur les projets qu'ils souhaitent voir aboutir. On peut voir les retombées de cette situation sur le portage politique des projets de lignes nouvelles ou de tarification/billettique intégrée, autant de dossiers dont l'avancement nécessite un minimum de coopération entre élus et collectivités.
3. LES PERSPECTIVES OUVERTES PAR LA DIALECTIQUE INSTITUTION/TERRITOIRE Nous avons beaucoup insisté jusqu'ici sur l'idée de différenciation territoriale. Celle-ci est cependant largement contradictoire avec certains travaux néo-institutionnalistes. La notion d'isomorphisme institutionnel (DiMaggio Powell 1991), notamment, exprime la tendance qu'auraient les organisations à évoluer dans le sens de la conformité: soit qu'elles subissent la pression formelle et informelle d'autres organisations ou des attentes culturelles de la société (isomorphisme coercitif), soit que le contexte d'incertitude dans lequel elles s'inscrivent les conduisent à imiter d'autres organisations afin de réduire les coûts d'apprentissage (isomorphisme mimétique), soit enfin que le phénomène de professionnalisation entraîne une adhésion à des normes dominantes (isomorphisme normatif). Il est vrai que nos recherches sur la régionalisation
ferroviaire
conduisent
au constat
de convergences
-
favorisées
par l'existence d'un cadre juridique commun, bien sûr, mais aussi par les échanges qui eurent lieu entre régions lors de l'expérimentation de 1997-2001. Néanmoins, cette conception ne semble pas échapper à la critique d'un certain fonctionnalisme, d'une part, et d'autre part, à celle d'un certain déterminisme. En outre, elle résiste assez mal à l'examen empirique. Pour autant, cela ne nous interdit pas, bien au contraire, d'établir un diagnostic de portée générale sur la tension observée entre différenciation et standardisation des formes institutionnelles et des politiques régionales.
260
Le territoire n'existe que parce que divers acteurs le font vivre en le nommant et en prétendant agir en son nom. Il émerge en même temps au concret par la matérialisation de solidarités sociales et spatiales, à laquelle peuvent contribuer les politiques régionales de transports. L'institution contribue de ce point de vue à l'appropriation collective de l'espace. Elle contribue à « faire)} le territoire. La légitimité de l'institution et celle de l'élu sont étroitement entremêlées. Il s'agit pour le représentant d'incarner des valeurs collectives et des intérêts disparates territorialement ancrés. En retour, celui-ci s'assure que ce travail d'identification et de représentation lui permettra d'accéder et/ ou de se maintenir à la tête de l'institution. La promotion d'un élu est ici associée à celle d'un espace qu'il s'agit à tout prix de valoriser. La question de la légitimation et celle de la domination apparaissent de ce point de vue indissociables. Cette manière d'envisager le politique est bien prise en compte par les analystes du leadership politique (Smith Sorbets 2003). C'est au nom de la relation qu'il entretient avec la société locale que l'élu est habilité à conduire l'action publique. Simultanément, le leadership permet de donner du sens aux projets collectifs. Se pencher sur les particularités constitutives du territoire et les envisager de manière dialectique avec une approche par les institutions conduit à réintroduire la variable politique. Cette posture apporte un correctif à certaines des critiques adressées aux thèses néo-institutionnalistes et permet d'enrichir notre connaissance des liens entre les institutions, le jeu politique, l'action publique et ses ressortissants. Dans le cas des poli tiques de transports, le travail politique peut alors être perçu comme le moyen de répondre à la demande de mobilité, voire de la susciter ou .de la réorienter, tout en comptant avec cette variable d'évolution lente que sont généralement les réseaux-supports. Dans cette optique, il arrive que des dispositifs de régulation ad hoc transcendent les périmètres institutionnels existants (Duran Thoenig 1996) - même si l'économie de la décentralisation ne facilite guère l'action coordonnée des collectivités. De manière générale, le travail politique peut être présenté comme le moyen de gérer, avec sa temporalité propre, les décalages entre problèmes, institutions et territoires (Borraz 1999, Nay Smith 2002). Appréhender l'action publique territoriale dans sa complexité nécessite que soit mise en œuvre une pluralité de cadres analytiques (où les avantages conceptuels du néo-institutionnalisme auraient leur place) en faisant en sorte, autant que possible, que ceux-ci répondent mutuellement à leurs insuffisances respectives. Si certains auteurs se sont livrés à l'exercice (Négrier 2005), toute la difficul té, ici, est d'agencer ces différentes manières de voir, de leur permettre de faire système. Il est extrêmement difficile, sinon impossible, d'évaluer la part exacte prise par la variable institutionnelle dans les processus de construction de l'action publique territoriale. Plutôt que de présupposer sa prévalence, ou la prévalence de toute autre variable, il semble préférable d'en tester au préalable l'intérêt et la portée, l'étape suivante consistant à hiérarchiser les approches mobilisées selon leurs mérites heuristiques.
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LA SYNTHESE D'UN POLITISTE
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SIX QUESTIONS EN SUSPENS Pierre Muller
Pierre Muller est directeur de recherche au CNRS, chercheur au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences-po). Ses thèmes de recherche portent sur les transformations des politiques publiques dans les sociétés postindustrielles et l'analyse cognitive de l'action publique. Courriel :
[email protected] . ..: .
La multiplicité des terrains et la variété des questions de recherche présents dans cet ouvrage témoignent du dynamisme de la recherche française sur l'action publique territoriale, le risque étant que ce foisonnement se traduise par une absence de modèles explicatifs bien constitués proposant des interprétations relativement englobantes. Plusieurs questions se posent également comme celle de la place des recherches comparées et de la spécificité des travaux français par rapport aux débats théoriques internationaux.
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Résumé
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Abs tract The multip [icity of the grounds and the variety of research' questions presen t in this work
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Réunir un nombre aussi important de communications sur un sujet aussi vaste relevait évidemment du défi. Il faut remercier les organisateurs de l'avoir lancé et les participants de l'avoir relevé. Il reste que proposer une synthèse d'un ouvrage d'une telle richesse est pour le coup une mission impossible! On se contentera donc de souligner quelques points qui nous ont paru saillants à la lecture des communications et à la suite des discussions qui ont animé le colloque dont est issu ce livre. La très grande richesse des contributions et la très grande variété des points de vue présentent à la fois des inconvénients et des avantages. Du côté des inconvénients, il faut évidemment mentionner le risque de dispersion, voire d'incohérence qui guette toujours ce type d'entreprise. Du côté des avantages" il ne fait pas de doute qu'un tel ouvrage présente un tableau très intéressant de l'état de la recherche française sur la question de l'action publique territoriale en France. Il faut souligner en particulier l'utilité de présenter, à côté de travaux réalisés par des chercheurs déjà confirmés, de nombreuses recherches effectuées par de jeunes chercheurs qui donnent de ce point de vue une idée assez précise de ce à quoi on peut s'attendre au cours des prochaines années en France pour ce qui concerne les recherches sur l'action publique dans les territoires. L'objet de cette conclusion n'est donc pas tant de proposer une synthèse de toute façon impossible que d'introduire une réflexion un peu prospective sur les questions qui se posent aujourd'hui à la recherche française dans le domaine qui fait l'objet de ce livre, mais aussi d'esquisser un bilan des forces et des faiblesses de notre pays dans un contexte d'ouverture internationale qui n'est plus à souligner. La première observation qui vient à l'esprit est évidemment l'extraordinaire dynamisme dont témoigne la diversité des travaux présentés ici. Ceci se retrouve dans la multiplicité des terrains choisis: les politiques universitaires" les politiques des transports, l'aménagement du littorat les politiques de l'espace rural, les politiques urbaines, les politiques sociales, les politiques judiciaires, les politiques de l'emploi, les questions de sécurité, les politiques culturelles... La liste est sans fin, comme dans la variété des questions de recherche: la question des changements d'échelle qui est -dans le prolongement du Sème congrès de l'AFSP à Lyon et du colloque de Lausanneun des fils rouges de cet ouvrage" la question de la concurrence entre les différents niveaux d'intervention, la question des relations entre démocratie et territoire, le problème de l'expertise au niveau territorial, les enjeux de la réforme administrative" de l'introduction de nouvelles normes de management public et de l'évaluation des politiques territoriales, la question de l'intercommunalité. A quoi il faut évidemment ajouter l'interrogation récurrente et présente dans la quasi-totalité des chapitres: comment rendre du compte du changement dans les formes et les contenus de l'action publique territoriale en France aujourd'hui? Le revers problématiques recherche autour Et de fait" on ne bien constitués
de la médaille d'une telle richesse de terrains et de est le risque de manque d'organisation des stratégies de d'interrogations et de lignes de débats clairement identifiées. voit pas vraiment apparaître aujourd'hui de modèles explicatifs proposant des interprétations relativement englobantes du
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changement dans l'action publique territoriale, ou de nouvelles clefs d'interprétation autour desquelles s'organiseraient des lignes de fracture claires permettant de structurer le débat scientifique. Tout se passe comme si l'on était plus en mesure de poser des questions que d'apporter des réponses, même fragmentaires, nous permettant de mieux comprendre les relations entre action publique et territoires. Voici -la liste n'est certainement pas complète- six de ces questions très saillantes dans les contributions à l'ouvrage et à propos desquelles il semble indispensable d'élaborer au moins un début de réponse. 1) La première question part d'un constat brutal: si tant est qu'on l'ait su un jour, on ne sait vraiment plus du tout ce qu'est un territoire aujourd'hui. On est bien dans le cas de la boite de Pandore évoquée par Alain Faure. Ce que l'on peut voir à l'œuvre dans les chapitres de ce livre, ce ne sont pas à proprement parler des territoires mais bien des processus de territorialisation de l'action publique autour desquels des agents (relevant de différents niveaux et de différents univers, publics ou privés) développent des stratégies de plus en plus complexes et donc de plus en plus floues. Dans cette perspective, et au moins pour le spécialiste des politiques publiques, la notion de territoire devient de plus en plus incertaine et, plus que jamais, le sentiment domine selon lequel ce sont en définitive les politiques publiques qui font exister les territoires et non l'inverse: on voit se structurer des territoires plus ou moins virtuels qui n'existent que dans la mesure où ils font l'objet de politiques publiques (le littoral, la montagne...) ou dans la mesure où ils sont "inventés" comme niveau de mise en œuvre des politiques publiques (c'est typiquement le cas des territoires intercommunaux). La question qui est ici posée est évidemment celle des identités territoriales dans la mesure où, jusqu'à preuve du contraire, les politiques publiques n'ont jamais été en mesure de créer des identités globales, ou en tout cas transversales, mais seulement des identités segmentaires parce que sectorielles. Cette contradiction entre la logique fragmentaire des politiques sectorielles et la logique horizontale supposée être celle du territoire laisse donc ouvertes un grand nombre d'interrogations. 2) La deuxième question concerne le problème du changement, interrogation récurrente qui a structuré les travaux de sociologie de l'action publique territoriale depuis les recherches fondatrices de Pierre Grémion et de Jean Pierre Worms dans les années soixante. Là encore, c'est un sentiment paradoxal qui domine, comme si "trop de changement tuait le changement". On ressent ainsi parfois dans les textes comme une sorte de désenchantement par rapport aux espoirs (ou aux craintes) suscitées par la décentralisation. Les réactions et les débats engendrés par les dernières mesures décidées par le gouvernement en portent témoignage, tout comme les positionnements autour des propositions de la candidate Ségolène Royal: observerait-on un retournement des postures idéologiques par rapport à la décentralisation? Celle-ci est-elle toujours "de gauche" ? La question de la nature du changement, ainsi que de ses modalités (incrémentaI, sous forme de rupture, etc) est en tout cas posée. 3) Troisième question incontournable: la question de l'Etat, que l'on peut formuler de la manière suivante: qui va théoriser le "retrait" de l'Etat? A la lecture des textes, c'est une fois de plus un sentiment de malaise qui saisit le lecteur dans la mesure où tout se passe comme si l'on était incapable de penser
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la relation entre l'Etat et les territoires autrement qu'en termes de jeu à somme nulle: ce que gagneraient les uns serait perdu par l'autre et réciproquement. Or il est maintenant certain que ce raisonnement conduit à une impasse et ne permet pas de mesurer la complexité des jeux d'échelles à l'œuvre dans la relation entre l'Etat et les territoires. Non seulement l'Etat ne « disparaît» pas lors des processus de décentralisation mais il peut arriver qu'il se renforce tout en se dessaisissant de fonctions jugées subalternes. 4) La quatrième observation concerne la question des savoirs et de l'expertise générés par cette redistribution des cartes entre les territoires et ce jeu sur les changements d'échelles. Il ne semble pas faire de doute que les fonctions d'évaluation, d'ingénierie sociale, de coordination vont prendre de plus en plus d'importance et interpeller de ce fait les métiers de la fonction publique territoriale. Il s'agit là d'une question extrêmement importante, surtout si on la couple avec la précédente: on peut pronostiquer sans trop de risque de se tromper que l'on va assister à de véritables bouleversements des métiers de la fonction publique, aussi bien nationale que territoriale et qu'il y aura des gagnants et des perdants. 5) Le cinquième constat correspond à la confirmation d'une tendance bien identifiée maintenant, c'est celle du rôle fondamental de l'Union européenne dans les processus de territorialisation: par la possibilité d'obtenir des ressources symboliques et matérielles et les multiples possibilités de contournement des instances nationales qu'ils permettent, les «usages de l'Europe» sont une donnée essentielle du jeu de l'action publique territoriale. Reste que là encore, beaucoup reste à faire pour intégrer ces différentes dimensions de l'européanisation des politiques territoriales dans une perspective pl us globale. 6) On en vient alors à la surprise réservée par la lecture des textes présentés ici: il s'agit de l'étrange absence du politique. Seuls quelques papiers l'évoquent, mais plutôt en creux. Tout se passe comme si l'on retrouvait dans les textes une sorte de point de vue implicite selon lequel au niveau local, on ne ferait pas de la politique de la même façon, que le clivage droite gauche serait affaibli. Tout ceci est évidemment à vérifier, notamment à la lumière de la façon dont s'engage la campagne présidentielle en France actuellement. Au total, on le voit, les textes proposés
peuvent
apparaître
comme une
sorte d'appel implicite à une théorisation globale du « fait territorial» en France aujourd'hui, pour tourner en quelque sorte définitivement la page des travaux fondateurs des années soixante. Or c'est ici qu'il faut souligner un certain nombre de difficultés qui nous semblent être apparues autour du colloque et qui nous semblent représentatives d'un certain état de la science politique française aujourd'hui. La première difficulté concerne la question de la comparaison. L'un des risques liés à la recherche sur le territoire est celui qui consiste à assimiler recherche locale et problématique locale. Or cette relation n'a pas lieu d'être: mettre en place une recherche sur la question de la territorialisation n'implique en aucune façon de renoncer à une posture comparative. C'est même l'inverse qui est vrai: si nous voulons réellement renouveler les approches et les paradigmes concernant les processus de territorialisation, une telle ambition
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passe obligatoirement par un renforcement travaux sur l'action publique territoriale.
de la dimension comparative
de nos
Ainsi, pour répondre aux questions que l'on a évoquées plus haut, le détour par une perspective comparée est absolument indispensable. Autant il était possible, il y a une trentaine d'années, d'analyser les transformations entre les services locaux de l'Etat et les collectivités territoriales dans une perspective franco-française, autant l'analyse du retrait/ renforcement de l'Etat n'a pas de sens si on la cantonne dans une perspective qui ignore les bouleversements que connaissent l'ensemble des pays européens sur ce plan. La seconde difficulté ne porte plus sur le risque d'enfermement national mais sur le risque d'enfermement théorique - en réalité les deux sont liés. Il n'est plus possible aujourd'hui de mettre en place une recherche sur les processus de territorialisation en restant à l'écart des principaux paradigmes scientifiques qui sont débattus au niveau international, sans se limiter d'ailleurs aux débats concernant les questions de gouvernance territoriale. On peut ainsi citer les discussions autour des différentes approches néo institutionnalistes, de la political economy, des travaux multiples sur la question de l'européanisation des politiques et plus généralement des débats sur la convergence. On peut citer également les débats autour des différentes théories qui prétendent rendre compte du changement et de ses diverses formes. La question posée ici est double Il s'agit d'abord de la posture que l'on adopte à l'égard de ces différentes approches. Trop souvent, les différents paradigmes de sciences sociales sont appliqués de manière mécanique sans qu'on les confronte réellement à d'autres paradigmes concurrents. C'est particulièrement le cas pour l'approche cognitive dont l'utilisation se limite trop souvent à l'identification d'un ou de plusieurs référentiels. Mais c'est aussi le risque que l'on court avec la notion de chemin de dépendance ou d'instrument de politique publique qui tendent très vite à avoir une valeur explicative universelle qui du coup perd de sa capacité heuristique. La problématisation de la question territoriale passe donc obligatoirement par la confrontation de l'objet à plusieurs approches théoriques à différents niveaux qui peuvent concerner l'objet proprement dit (comment se saisir de la question territoriale?) ou les méthodes plus générales (comment analyser le changement et qu'est ce qu'un instrument d'action publique ?)
Le problème auquel on est alors confronté est celui de la « spécificité» de l'approche française face aux approches « anglo-saxonnes ». C'est un point qui est de plus en plus soulevé pour justifier des réticences face à la confrontation aux problématiques internationales. Je crois qu'il faut ici être clair: la spécificité français sera d'autant plus mise en valeur qu'elle pourra précisément se frotter aux autres approches. Contrairement à ce que l'on entend souvent, nos homologues étrangers sont plutôt en attente d'une plus grande présence de la science politique française dans les forums scientifiques internationaux. L'un des aspects les plus intrigants de cette spécificité concerne la question des méthodes. Il est en effet tout à fait frappant de constater à quel point la quasi-totalité des papiers privilégie des approches qualitatives au détriment d'approches plus quantitatives -mais il faut préciser ici qu'il ne s'agit
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en aucune façon d'une spécificité des recherches sur le territoire. Il est certain en tout cas qu'une réflexion s'impose sur nos méthodes: en quoi nos questions sont-elles originales? Pourquoi avons-nous tendance à privilégier l'entretien comme méthode d'administration de la preuve? Quelles sont les variables explicatives des processus de territorialisation ? On peut donc dire, pour conclure, que la recherche française sur la question territoriale vit une sorte de paradoxe: faisant preuve d'un très grand dynamisme et d'une indéniable inventivité d'un côté, elle court le risque non négligeable de s'enfermer dans ses problématiques en se coupant des grands débats qui traversent la science politique internationale. Il ne tient qu'à nous de surmonter ce paradoxe.
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POLITISTES ET GEOGRAPHES, A L'EPREUVE DE L'EPREUVE Martin Vanier Géographe de formation, professeur à l'Université de Grenoble I, Martin Vanier consacre ses recherches aux nouvelles formes territoriales produites par la métropolisation et son expertise à l'intelligence territoriale. Il a dirigé l'UMR PACTE de 2004 à 2006. Courriel :
[email protected] , . .. .. .
I
, ... .. .
:.
~::;reuve peut en cacher d'autres: au-delà de la question qui rassemblait politistes et géographes (les politiques publiques à l'épreuve de l'action locale), une triple épreuve les attendait: celle de l'indiscipline, celle du changement et celle du renouvellement critique. Abstract A test can mask others: beyond te question which brought together politists and geographers (Policies tested by local action), an other triple test was waiting for them: indiscipline, change and renewal of criticism.
...............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
269
I
:.
Aux épreuves,
la plupart
des chercheurs
préfèrent
généralement
les
preuves, et les mises plutôt que les mises à l'épreuve. « Les politiques publiques à l'épreuve de l'action locale» : de cette épreuve-là, ses preuves et ses mises, les autres textes rassemblés ici ont dit suffisamment pour cette fois. Mais une épreuve peut en cacher une autre. Peut-on éprouver sans s'éprouver un tant soit peu soi-même? Peut-on parler de la société à l'épreuve (ici: son système d'action en ses politiques et ses échelles), sans mettre à l'épreuve les sciences qui en parlent? Qu'est-ce alors que l'épreuve de l'épreuve? Pour les chercheurs, il y en eut trois, durant ces deux journées: l'épreuve de l'indiscipline, l'épreuve du changement, et l'épreuve de la (nouvelle) critique.
L'EPREUVE
DE L'INDISCIPLINE
On connaît la terrible étymologie de «discipline» (punition, ravage, douleur; fouet utilisé pour se flageller, se mortifier). Organisées par l'Association Française de Science Politique, nos journées d'études furent à la fois disciplinaires et disciplinées. Première épreuve. Lorsqu'ils abordent la question territoriale, tout se passe comme si les politistes adoptaient une langue étrangère. Certains la parlent avec une grande aisance, presque sans accent, d'autres manquent de vocabulaire, n'évitent pas les faux-amis, ou pratiquent un langage tombé en désuétude. Lorsqu'ils parlent de l'Etat, de la légitimité politique, de l'institution, les géographes ne sont pas plus à l'aise, mais pas moins volontaires, un peu comme ces touristes internationaux qui se lancent dans l'aventure linguistique dans le taxi qui les conduit de l'aéroport à l'hôtel - alors que le chauffeur est toujours un immigrant. La première épreuve fut donc celle de l'interdisciplinarité, puisque les mises et les preuves des uns et des autres émanaient toujours de constructions disciplinaires, légitimité scientifique oblige. Cela n'est pas nouveau, comme ne le fut pas ce constat en conclusion que le recours au territoire tenait, dans un certain nombre de contributions, davantage du gimmick que du concept. Cette première épreuve, nous la connaissons bien, à Grenoble notamment, nous la revendiquons, nous en répétons les rendez-vous, nous en redemandons. Au risque parfois d'oublier la mise avant l'épreuve: quelques mots carrefours de notre croisement interdisciplinaire pour lesquels il faudrait ressortir les dictionnaires de nos disciplines respectives, pour les aérer un peu. Par exemple «territorialisation» et « territorialités », qui impliqueraient que soient installées autrement bon nombre des analyses ici rassemblées. Mais qui impliqueraient surtout la controverse théorique avant l'éclairage thématique, le ré-investissement conceptuel avant l'étude sectorielle. Or, s'il est un exercice de démonstration de la puissance disciplinaire, c'est bien celui du référencement théorique consanguin. En sortir fut bien la première épreuve, peut-être la plus difficile, et tous ne pouvaient pas vaincre, mais tous s'y sont-ils frottés? Par définition, l'indiscipline est sans maître, tandis que les disciplines
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n'en manquent pas, et les chercheurs pas si facilement.
sont plutôt bons élèves. On ne se change
L1EPREUVE DU CHANGEMENT La seconde épreuve était donc celle du changement: changement des procédures et des politiques, changement des postures et des acteurs, changement des échelles, changement des référentiels, voire des paradigmes, tout change, encore et toujours, à chaque colloque, chaque journée d'études, chaque rencontre scientifique. Avec parfois ce codicille prudent et élégant qui rappelle que tout change tout le temps pour que rien ne change vraiment, rappel bien utile pour pouvoir en reparler la prochaine fois. Chez le chercheur, dont le politiste ou le géographe, le changement a ceci de vertigineux qu'il vient justement de se produire au moment où il se penchait sur son objet d'étude. Il y aurait donc du nouveau, à perpétuité. L'enchaînement effréné des changements fait un récit, qui appellerait une histoire, voire, une fois de plus, une théorie, fut-elle celle du mouvement perpétuel. Mais l'épreuve du changement entraîne l'observateur vers la description minutieuse et délicieuse de ce qui n'est décidément plus pareil, dans ses variations les plus fines, un peu
comme le comparatisme le conduisit parfois au grand bazar de la diversité. Zanzibar, it' s different»,
«
ln
especially today pourrait-il ajouter.
L'épreuve du changement est celle de l'histoire et de ses temporalités, exercices de mémoire et de relativisme. On leur préfère souvent la mise en scène de « l'avant / après », qui permet de tracer vite fait le camp des anciens et des modernes, les vieilles variables versus les nouvelles tendances. La joute peut commencer - il Y a bien toujours un chercheur plus désabusé que d'autres qui accepte d'endosser l'habit un peu terne, mais solide, de l'ancien rappelant les vieilles variables, contre les jeunes qui savent que le monde a enfin changé. Mais l'épreuve du changement? Elle impliquerait pour le moins de revisiter les termes mêmes par lesquels on en fait l'hypothèse, ceux qui font qu'on se rassemble en terrain connu. Si changement il y a, il faudrait, de là, partir vers des terres inconnues. Plus facile à dire qu'à faire, et surtout d'y entraîner les autres. Les explorateurs sont plutôt solitaires. La terri torialisation - déterri torialisation - reterri torialisation et la sectorialisation - désectorialisation - resectorialisation des politiques publiques ont encore de beaux jours devant eux, d'autant qu'il s'agit sans doute des deux faces d'un même processus. A condition toutefois qu'il reste des politiques publiques. Et si, à l'épreuve du changement, on déployait la carte, forcément peu informée, des terres inconnues, nous sortant résolument du territoire et des politiques publiques? Non pour les abandonner à leur triste sort, mais pour en parler autrement? On pourrait, par exemple, explorer les modalités du dépassement territorial par un monde politique et un monde de l'action contraints de sortir de frontières dans lesquelles la société et son économie ne
271
ti~nnent plus. Singulière épreuve que celle de ces politiques publiques qui après vIngt ans et plus de territorialisation vertueuse et appliquée se trouvent confrontées au défi nouveau ou renouvelé de l'interterritorialité. Faut-il miser sur le changement d'échelle de gouvernement, ou ouvrir en priorité la boîte passablement sombre de la gouvernance multi-échelles ? Il semble bien qu'à cet égard, comme à l'égard des politiques aveuglément dites publiques, d'autres mondes scientifiques que le nôtre aient déjà franchi cette épreuve du changement, outre-Manche et outre-Atlantique, sans doute parce qu'elle s'y est présentée plus tôt, ou plus brutalement. Mais ce n'est pas la seule raison. Il faut accepter maintenant de se soumettre à la dernière épreuve: celle de la nouvelle critique.
L'EPREUVE
DE LA NOUVELLE CRITIQUE
La critique, les chercheurs connaissent. Lorsqu'ils ne connaissent plus qu'elle, et qu'ils ne la renouvellent plus, elle devient simple désarroi. Souvent, à l'épreuve des territoires et de l'action locale, les politiques publiques, héritières de la technocratie sectorielle d'Etat, produisent le désarroi, et les chercheurs ne manquent jamais de preuves à cet égard. Comme à l'épreuve des politiques publiques dont ils se sont saisis en lieu et place de l'Etat, les pouvoirs locaux reproduisent les ferments de ce même désarroi, ce qui n'a pas échappé non plus aux chercheurs. Les désarrois risquent alors de s'alimenter mutuellement. Un mois avant notre rendez-vous, Grenoble en accueillait un autre, d'envergure nationale et puissamment médiatisé: le forum de la nouvelle critique sociale. Ses initiateurs, Pierre Rosanvallon et Martin Hirsch, y appelaient à renouveler les grandes clés de lecture des problématiques collectives (pauvreté, solidarité, lien social, efficience de l'action publique), dont les représentations dominantes ne permettraient plus de construire le sens. L'interpellation des chercheurs y était vigoureuse, le débat fut difficile, le renouvellement critique pas vraiment au rendez-vous. Lorsque le réel est à l'épreuve de lui-même, il devient difficile de s'extraire de l'épreuve en question pour prétendre poursuivre la simple observation critique. C'est du cœur de l'épreuve que la critique peut prendre sens, parce que c'est là qu'elle échappe à la facilité du désarroi. Dans la mêlée, le renouvellement critique s'impose, faute de quoi le chercheur porterait mal son titre . Nos journées ont-elles renouvelé la critique? Ou bien l'ont-elles seulement illustrée, confirmée, déclinée en cas et exemples? A chacun d'en juger, par exemple sur l'importante interrogation démocratique de la dernière partie, dont on sent bien qu'elle recèle des réponses essentielles, mais dont on pourrait attendre une audace qui ne sera jamais trop grande. Au carrefour des trois épreuves, l'indiscipline, le changement, la critique, se tiennent des défis scientifiques éprouvants! Avoir entendu de jeunes chercheurs, et d'autres plus confirmés, venus de deux horizons disciplinaires
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bien distincts, se prêter de bonne grâce et souvent avec talent, à l'épreuve de l'épreuve, donne envie de les voir l'affronter plus avant encore. Ce serait l'épreuve suprême, celle du dépassement. Territoires, territorialités, territorialisation : et après? Gageons que les prochains rendez-vous de la science politique et de la géographie sauront s'offrir ce bousculement.
273
CONCLUSION GENERALE: UNE NOUVELLE CRITIQUE TERRITORIALE? Alain Faure
Dans l'introduction générale, Emmanuel Négrier a souligné le bouillonnement théorique et empirique des 32 contributions en se réjouissant de la vitalité des stratégies scientifiques mobilisées. Au rang des avancées les plus visibles, il a constaté d'une part que les analyses sonnaient le glas d'une croyance franco-cartésienne dans les vertus intrinsèques de la décentralisation et de la déconcentration, et d'autre part que les recherches des années 2000 semblaient s'émanciper heureusement de l'incomplétude des lectures sociologiques par trop verticales (années 80) ou horizontales (années 90). Enfin, il a noté que la jeune recherche s'investissait résolument et sans complexe dans la triple voie des enquêtes empiriques lourdes, du comparatisme international et des tentatives de décloisonnement théorique. Le père de la contingence territoriale (Négrier 2007) a même observé avec quelque gourmandise la résurgence d'une solide controverse académique opposant les Anciens, qui diagnostiquent un mouvement de standardisation de l'action publique, aux Modernes, qui repèrent les indices d'un processus de différenciation territoriale. C'est sur ce clivage, qui n'est ni spontané ni nouveau, que nous souhaitons conclure ces travaux. Nombreux sont les ouvrages collectifs qui ont annoncé et déjà commenté cette opposition dans la communauté scientifique de science politique. A l'échelle française, il semble même presque possible d'en territorialiser la genèse à la lecture de la littérature grise produite dans les années 2000 par les laboratoires de recherche du CNRS. Les Rennais du CRAPE141 ont ouvert le bal en suggérant qu'il était opportun d'opérer un « refroidissement théorique» pour raison garder face aux turbulences apparentes liées à la territorialisation des politiques publiques depuis le tournant néo-libéral des années 80 (Fontaine Le Bart 2002). Jusque dans l'avant-titre de leur ouvrage (To change or not ta change) filtrait le message d'une nécessaire mise à distance des analyses trop vite envoûtées par les illusions territoriales du changement. Des Bordelais du CERVL (devenu SPIRIT depuis peu142) ont contre-attaqué en
organisant un colloque qui mettait « en débat» les cadres d'analyse de l'action publique locale et qui confrontait ouvertement policies et politics autour des enjeux de leadership territorial (Sciences de la Société 2001, Smith Sorbets 2003). Quelques années plus tard, des chercheurs du CERAT de Grenoble (devenu PACTE en 2005143)se sont posés la question territoriale (comme on a pu parler de la question sociale ou de la question urbaine) à la lumière de travaux empiriques
141
www.crape.univ-rennesl.fr
142
www.cervl.u-bordeaux.fr
143www.pacte.cnrs.fr
275
récents et de thèses. Dans cet ouvrage, Olivier Mériaux avait mobilisé la métaphore rugbystique du cadrage-débordement (cadrage sectoriel puis débordement territorial) pour souligner le brouillage des référentiels nationaux et le retour du politique (Faure Douillet 2005). Durant la même période, la relève rennaise a organisé un colloque sur le poids de la variable partisane dans les politiques territoriales, constatant d'une part que les idéologies territoriales émergentes marquaient la fin des grands récits partisans (Sciences de la Société 2005), et d'autre part que la professionnalisation croissante des collectivités locales véhiculait un pragmatisme raisonné et standardisé d'abord porté par des idéologies professionnelles (Arnaud Le Bart Pasquier 2006). En 2005 enfin, deux congrès de science politique (à Lyon en septembre puis à Lausanne en novembre) ont centré une partie de leurs travaux sur la notion du changement d/échelles dans l'action publique en affichant des intentions résolument comparatistes et pluridisciplinaires (AFSP 2005, C4P 2005). Cette dynamique intellectuelle possède une particularité qui mérite toute notre attention: ses principaux instigateurs revendiquent avec vigueur l'exigence que le déroulé des grands schémas explicatifs soit précédé de solides enquêtes empiriques à la fois microsociologiques et comparatives. Après plusieurs décennies plutôt dogmatiques, statocentrées ou guère explicites dans ce domaine, cette appétence méthodologique sur l'empirie comparée et l'administration par la preuve est une très bonne nouvelle. Avec sa sagesse légendaire, Pierre Muller insiste dans sa conclusion sur le danger qu'il y aurait à ne concentrer ce dynamisme que sur les enquêtes qualitatives et à se couper des avancées anglosaxonnes focalisées sur les enquêtes quantitatives. Il a tout à fait raison et l'étude menée par l'équipe d'Elisabeth Dupoirier atteste de l'utilité de cet éclairage. Mais ne boudons pas notre plaisir malgré ce tropisme qualitativiste. Comme le souligne Martin Vanier en conclusion, le colloque des 15 & 16 juin 2006 a permis à la jeune recherche (majoritaire à la tribune) de « mettre à l'épreuve» la théorisation du «fait territorial» et d'esquisser des « dépassements» interdisciplinaires et indisciplinés. C'est à l'aune de cette perspective que nous souhaitons ausculter la controverse entre les Anciens et les Modernes. Schématiquement, on trouve d'un côté ceux qui diagnostiquent les indices concordants d'une standardisation de l'action publique, et de l'autre ceux qui décèlent plutôt les ferments d'un processus instable de différenciation territoriale. Les premiers adoptent une lecture critique distanciée : ils mettent en avant une éthique du dévoilement pour se prémunir des mirages territoriaux du « changement ». Les seconds adoptent une lecture critique plus empathique : ils plaident pour une morale de la dialectique qui permette d'éclairer l' étroi te imbrication entre les idées et l'action. Les deux postures se rejoignent dans leur volonté d'engager un exercice d'introspection critique sur le pouvoir qui n'est pas nouveau puisqu'il fait même écho aux termes fondateurs du Traité de la nature humaine de Thomas Hobbes: parler politique, c'est toujours prendre position sur les fameuses (et mystérieuses) «règles infaillibles de la raison ». Comme l'a suggéré un intervenant en citant Pierre Bourdieu, il est indispensable de se mettre d'accord, a minima, sur les terrains de désaccords. Nous conclurons
276
l'ouvrage
en discutant, aux portes de la (dé)raison territorialel44 et de la thérapie critique territoriale.
collective, les prémisses de cette « nouvelle»
DEVO~ERLESDEVO~EMENTS À l'heure du bilan sur l'ouvrage, il apparaît en premier lieu qu'une moitié des contributions évoque sans détour la nécessité d'une éthique du dévoilement pour dépasser les lieux communs et autres effets en trompe-l'œil concernant le degré effectif de nouveauté de l'action publique territoriale. Cette vigilance concerne, à 80%, des analyses qui font l'hypothèse que la territorialisation de l'action publique s'accompagne en définitive, et en contradiction avec les apparences, d'une standardisation de ses leviers techniques et de ses effets politiques. Les arguments, qui sont nombreux et détaillés, reflètent schématiquement trois postures de recherche: la dénonciation des illusions rhétoriques, l'identification des réformes territoriales sans portée, et le repérage des résistances techniques invisibles. La charge la plus appuyée provient des études de terrain qui s'attachent à déconstruire les discours sur le changement. L'analyse de Jérôme Godard montre par exemple comment la territorialisation opère à la manière d'un «
concept écran» transformant le recyclage en
«
innovation », vantant sans cesse
des «partenariats» pourtant limités et unifiant sans nuance la pluralité des logiques d'actions. Sur un registre voisin, Rémi Lefèbvre décrypte la politique culturelle portée par les élus d'une grande ville, repérant tous les «mots fétiches» qui balisent des stratégies limitées de marketing territorial et qui
rendent l'action publique locale
«
de plus en plus bavarde ». Yolaine Cultiaux
pointe le «récit mythique des origines» inventé par une communauté d'agglomération pour promouvoir la participation habitante, soulignant le décalage flagrant entre l'affichage et les effets. Olivier Gautier démasque les «représentations tactiques» de l'ordre politique incarné par un président de Conseil Général et l'étonnante reconversion régionale qui en découle. Dans le domaine de l'emploi, Jean-Raphaël Bartoli et Olivier Mériaux évoquent avec précision l'écart qui sépare les orientations stratégiques régionales de leur déclinaison opérationnelle. Ces exemples, parmi d'autres dans l'ouvrage, illustrent une posture critique sur les illusions rhétoriques de l'action publique
locale. Le diagnostic municipal sur le
«
décalage effroyable qui sépare le verbe
de l'action» dans la première moitié du xxème siècle (Brunet 1981) semble ainsi toujours d'actualité, accréditant un verdict plutôt négatif à la question d'école «
Doeslocalpolitics matter? » (Lorrain Thœnig Urfalino 1989).
La mise en œuvre des réformes angle de dévoilement très présent dans exemple une analyse originale des intercommunales sur une agglomération et de changement sur trois décennies qui
décentralisées constitue un deuxième l'ouvrage. Fabien Desage propose par effets contradictoires des réformes urbaine, avec des périodes de stabilité sont finalement en constant déphasage
144Blaise Pascal avait répondu aux propos de l'auteur du Léviathan que les penseurs qui s'autorisaient à parler du pouvoir écrivaient «comme pour régler un hôpital de fous» ...
277
par rapport aux intentions législatives. Mireille Pongy arrive à des résultats plus prononcés encore à l'étude des dernières lois de décentralisation culturelle, constatant que les expérimentations par protocoles n'ont pas entamé la position défensive et toujours très centralisée du ministère de la Culture. Frédéric Dobruszkes, qui étudie l'obligation de service public promulguée par l'Union européenne pour protéger les aéroports régionaux «périphériques», constate une contradiction entre les satisfecits politiques affichés et le processus non interrompu de libéralisation des marchés, y compris sur les territoires sensibles
«protégés» par la DATAR en France. Jérôme Aust montre comment le « Plan Université 2000 » échoue, malgré les apparences, dans sa tentative de subversion des frontières sectorielles. Virginie Anquetin, qui s'intéresse aux réformes engagées par des équipes municipales nouvellement élues, constate que les affichages volontaristes sur le «management» ou les «comités de quartier» s'apparentent surtout à une habillage moderniste pour des stratégies à visées électoraliste et conjoncturelle. Pris parmi d'autres, ces différents exemples montrent que les réformes n'ont pas la portée décentralisatrice que leurs attendus suggéraient, comme si le référentiel de la décentralisation restait dépendant de « cultures dominantes» (Bourdieu 2000) à partir d'un processus classique d'euphémisation de la violence légitime produite par le marché, l'Etat central et les idéologies professionnelles. Enfin, plusieurs contributions cherchent à engager l'entreprise de dévoilement sur les outils qui freinent ou détournent les ambitions transformatrices de l'action publique locale. Hélène Reigner considère qu'il faut « déconstruire les légitimations techniques de l'action publique» en ouvrant un vaste chantier méthodologique et théorique pour traquer ses «pilotes invisibles» (Lorrain 2005). Elle nous invite avec conviction à prendre au sérieux les objets techniques, leur trajectoire et les assemblages d'argumentaires qui leur donnent du sens. Domitien Détrie propose une stratégie d'observation participante pour mettre à jour la construction sociale des contrats de plan EtatRégions. Christelle Manifet détaille les dispositifs d'accompagnement «à distance» qui marquent la territorialisation de l'action universitaire. Xavier Marchand-Tonel
et Vincent
Simoulin
s'intéressent
à la technologie
invisible
-
mais puissamment structurante- d'un logiciel de gestion des fonds structurels en région. Grégoire Feyt traque les nouveaux dispositifs immatériels de connaissance du territoire et les enjeux à la fois «retrouvés» (par l'État) et « découverts» (par les collectivités locales) qu'ils soulèvent. Nicolas Matyjasik et Ludovic Méasson engagent des investigations inédites dans le milieu de la consultance pour tenter de comprendre comment des corps de doctrine issus du management calibrent les diagnostics et brident les propositions innovantes. Ces différentes contributions ont pour point commun de faire l'hypothèse que les représentations et les interactions entre les acteurs sont fortement déterminées par l'ingénieurie et la logistique des politiques territoriales. Au final, ces trois postures de dévoilement montrent l'étendue des stratégies de captation, de manipulation, de subversion, de résistance et de diffusion de l'information qui conditionnent, dans chaque configuration territoriale, les modalités de la mise en œuvre des politiques publiques. Elles invitent les observateurs à affûter leur vigilance par rapport aux figures du changement telles qu'elles sont mises en scène dans les discours, à travers les
278
réformes et avec les outils. Osons une métaphore cycliste pour tirer le meilleur profit de ces contributions. Les Anciens jouent en définitive un rôle d'alerteurs. Ils font avec rigueur le signalement des produits Inasquants qui interdisent de connaître l'ampleur du dopage dans la compétition territoriale. Ils montrent que l'action publique locale obéit à des règles et véhicule des faux-semblants que seuls quelques initiés connaissent et orchestrent. Mais cette dénonciation des produits masquants de la décentralisation nous permet-elle de faire la différence entre les théâtres d'ombre et les lieux du pouvoir, entre les effets marketing et la production du sens, entre les rhétoriques et les référentiels, entre l'innovation et l'isomorphisme? C'est à ce stade que la critique territoriale peu t apporter sa première pierre au débat académique. Les dévoilements méritent à leur tour une révélation, de nature épistémologique, afin de ne pas lâcher la proie (du pouvoir et de la domination) pour l'ombre (de leur mise en scène et de leur euphémisation). La standardisation (comme la différenciation d'ailleurs, mais sans doute à un moindre niveau) exige une production d'ordre qui structure les systèmes, qui régule les tournois et qui endigue les contestations ou les résistances. Avec humilité, Sylvain Barone fait le constat qu'il paraît « extrêmement difficile, sinon impossible, d'évaluer la part exacte prise par la variable institutionnelle dans les processus de construction de l'action publique territoriale ». Pour savoir si cette dernière est soluble dans le néoinstitutionnalisme, il faut donc résolument revisiter la batterie des outils théoriques traditionnellement mobilisés dans l'analyse des politiques publiques et mettre à l'épreuve les approches par les fenêtres d'opportunité (Kingdom 1984), par l'isomorphisme institutionnel (Hall 1997), par les coalitions (Sabatier
1999), par les récits (Radaelli 2000), par les référentiels (Muller 2005), par les « 3 i » (Palier Surel 2005), par les sentiers de dépendance (Pierson 2000) ou encore par les styles de politiques publiques (Richardson 2000). Dévoiler les dévoilements, c'est s'interroger sur les fondamentaux du pouvoir que les rhétoriques, les réformes et les outils sur l'action publique territoriale masquent ou travestissent.
LA DIALECTIQUE DE LA DEMOCRATIE DIFFERENTIELLE Une autre moitié des contributions s'engage à l'opposé sur l'hypothèse que la territorialisation de l'action publique produit de la différenciation, c'est-àdire qu'elle implique des déplacements et des recompositions différentes selon les territoires, selon le type de collectivité locale et selon le domaine d'intervention. Le diagnostic est souvent avancé avec prudence et circonspection, comme en témoigne l'hétérogénéité des formules utilisées pour qualifier ce nouveau désordre territorial: mouvelnents aléatoires, société ingouvernable, patchwork bigarré, Inarquetterie territoriale, professions éclatées, rapports dématérialisés, représentations éclatées, construction sociale permanente, institutionnalisation du désappointement... Au cours de débats, un intervenant a testé la métaphore esthétique du sfulnato territorial pour qualifier les formes d'action publique en présence145: des tableaux vaporeux obtenus par la
145
Léonard de Vinci décrivait cette technique de peinture contours, à la façon de la fumée ou au-delà du plan focal ».
279
comme
«
sans lignes ni
superposition de plusieurs couches de peinture extrêmement délicates, donnant au sujet des contours imprécis mais avec une impression de profondeur. Dans les contributions, on trouve la description de fresques qui illustrent sans doute deux écoles de peinture, la première s'intéressant à la superposition des couleurs tandis que la seconde détaille la focale finalement obtenue. Plusieurs recherches s'intéressent à la différenciation territoriale en estimant qu'il faut prendre au sérieux les nouveaux registres d'action publique qui sont énoncés et expérimentés à l'échelon local. Thierry Berthet fait par exemple l'hypothèse que la «proximité» est en passe de devenir un registre
d'action publique dominant. La nouveauté provient du fait que cet
«
élément
repère» ne relève pas seulement de la symbolique de la justification mais aussi de celle des systèmes d'acteurs qui transforment, dans chaque configuration territoriale, le triangle entre la confiance politique, le lien social et l'efficacité
publique. Pierre-Antoine Landel constate que
«
l'agent territorial» se saisit de la
logique de projet en transformant le processus de capitalisation des savoirs techniques. Comme les collectivités locales refusent le traditionnel partage des compétences, c'est l'ingénieurie territoriale qui traduit chaque projet de territoire en mode d'agir singulier. L'auteur montre que les ingénieurs font ainsi office d'opérateurs qui spécifient «les prix sur les marchés pour échapper aux conséquences des concurrences par les prix ». Lauren Andres et Benoît Faraco proposent une étude comparée qui explique comment la norme internationale «Agenda 21» est appliquée dans trois villes. Les auteurs constatent un processus de différenciation du principe de durabilité qui produit certes des régularités sur les cadres juridiques, les incitations et la formation, mais qui révèle aussi de fortes irrégularités liées aux formes spécifiques de politisation du dossier dans chaque contexte local. Dominique VoUet et son équipe font le constat que dans plusieurs domaines d'intervention en milieu rural (les politiques agricoles, les politiques sociales, les politiques territoriales), une série de désajustelnel1ts est à l' œuvre qui préfigure une narIne décentralisatrice modifiant le rapport global/local et donnant à des expertises locales une légitimité inédite dans les arbitrages publics. Elvire Bornand arrive à des résultats comparables à l'étude des coopérations territorialisées sur la formation professionnelle, insistant sur le rôle que les dispositifs jouent dans l'apprentissage d'un langage commun. Le territoire fonctionne comme un principe d'équivalence: il met de l'ordre dans le processus de coopération et lui confère une lisibilité, l'ancrage géographique engendrant parfois des ressources particulières et des solutions nouvelles. Prises parmi d'autres, ces différentes contributions font écho aux recherches évoquées précédemment qui engagent un travail de dévoilement des rhétoriques. Mais elles s'en éloignent sur un point décisif pour l'analyse: les auteurs établissent une relation entre le langage et ses effets sur les pratiques de l'action publique. Les auteurs font l'hypothèse que les discours territoriaux véhiculent des mots d'ordre et des figures de style évoquant une symbolique politique locale et participant à l'affirmation ou au rappel de vecteurs identitaires et d'idéaux collectifs. De manière ostensible (un discours sur l'intérêt général) ou plus détournée (via des expertises ou des dispositifs de concertation), les acteurs locaux construisent des récits qui remplacent parfois l'idée par l'essence, c'est-à-dire qui suggèrent une conception de l'action publique attachée à des repères de mémoire, à des événements fondateurs, à des valeurs communautaires, à une histoire politique et sociale locale. Ces résultats
280
nous invitent à réinterroger de façon plus dialectique les termes du processus de politisation des énoncés de politiques publiques. L'entrée par le langage et ses interactions discursives met en effet à jour une rationalité cognitive dans la façon territorialisée dont se fait le chaînage entre un problème et la solution publique adoptée (Zittoun 2005). D'autres communications abordent la différenciation sous un angle plus politique en tentant de voir comment les collectivités locales se saisissent de la territorialisation des politiques publiques pour imprimer une nouvelle vision du monde. C'est la deuxième qualité du sfumato: le flou et le désordre donnent néanmoins un effet de profondeur et dessinent une perspective d'ensemble. Chaque collectivité locale joue avec l'échelle de représentation des problèmes pour défendre l'idée qu'il existe une bonne focale permettant l'énoncé de solutions. Les travaux de Charlotte Halpern s'intéressent par exemple à la tension entre les focales locale, nationale et européenne sur le dossier de l'extension des aéroports à Paris et à Berlin. L'auteure montre au final que malgré la forte imbrication entre les diagnostics sectoriels et territoriaux, c'est le poids des logiques sectorielles qui semble prendre le dessus. A l'inverse, Tanguy Le Goff nous invite à détecter le point aveugle politique de l'approche néoinstitutionnelle sur les politiques locales de sécurité. Etudiant le rôle joué par les
élus locaux, il insiste au final sur le « magistère d'influence» qui permet à ces derniers d'orienter, de structurer et d'encadrer l'action des agents municipaux. Anne-Cécile Douillet et Jacques de Maillard engagent pour leur part une réflexion sur la territorialisation de la justice en avançant trois résultats éclairants: il n'y a pas de mouvement mais la production de solutions localisées; les magistrats du Siège s'organisent pour résister à ce qu'ils considèrent comme une banalisation de la justice tandis que ceux du Parquet sont plus sensibles aux arguments de «tranquillité publique» formulés par les élus locaux; enfin les réticences multiples n'empêchent pas l'imprégnation diffuse de nouvelles références et la construction de partenariats ciblés. Pour sa part, Romain Lajarge nous entraîne dans une genèse des Parcs Naturels Régionaux qui montre comment ces institutions sont devenues territoriales au fil des décennies, avec un jeu d'échelle complexe (ascendant et descendant) et une tension permanente entre les ordres du politique et du social sur la légitimité à agir. Marion Réau aborde cette question des échelles de l'action publique à l'étude des procédures européennes de gestion intégrée du littoral, soulignant que la gouvernance multi-niveaux dessine différents modèles régionaux d'appropriation en fonction du leadership territorial, des groupes d'intérêts localisés et du «rapport à l'Etat» propre à chaque contexte culturel local. Enfin Philippe Teillet engage une analyse comparée sur les Conseils de Développement de deux communautés d'agglomération qui montre la plasticité de la «démocratie participative» imposée par la loi. La période actuelle est à l'invention tactique, elle met en évidence des pratiques délibératives différenciées et dont les effets sur les «idées» adoptées par les sphères politiques décisionnelles sont loin d'être négligeables. Toutes ces recherches ouvrent des chantiers théoriques tout à fait caractéristiques des débats contemporains sur les changements d'échelle et sur la relation entre policies et politics (Faure Leresche Muller Nahrath 2007). Les différentes contributions revisitent utilement les analyses sur les schémas idéologiques classiques de la représentation et sur la prégnance supposée de ses composantes catégorielles. Les acteurs locaux semblent en effet «pris dans la
281
décision»
plus qu'ils ne la prennent
(Arnaud
Le Bart Pasquier
2004), mais,
comme le concluent les mêmes auteurs,
«
ce qui est vrai d'un territoire peut ne
pas l'être d'un autre, et toute proposition
appelle des contre-exemples»
(p. 252).
A la différence de l'éthique du dévoilement, la morale de la dialectique propose une lecture qui vise moins à révéler une vérité cachée qu'à développer une interrogation sur les articulations qui relient des phénomènes contradictoires et des acteurs en conflits d'intérêts. C'est sans doute à ce stade que la confrontation des points de vue scientifiques s'avère la plus fructueuse. Les travaux du colloque mentionnent finalement comme principaux résultats saillants d'une part que tous les processus apparents de «coconstruction» territoriale (ou territorialisée) de l'action publique sont élaborés sur des bases politiques qui demeurent résolument asymétriques, et d'autre part que des équations culturelles locales (des effets de territoire) alimentent et brouillent leur rationalité cognitive et leur impact pratique. Si l'on se place dans une perspective néo-institutionnaliste, le triptyque institutions-idées-intérêts semble ainsi qui deviendrait une variable orpheline d'un 4èrne «i» avec l'identité potentiellement explicative. Si l'on se place dans une perspective plus constructiviste, le travail de dévoilement paraît assez démuni dès lors qu'il faut qualifier les facteurs territoriaux de changement qui bousculent les mécanismes traditionnels de la domination politique. Dans les deux cas se pose la question centrale de la démocratie, ou plus précisément du régime démocratique que les poli tiques territoriales mettent en symboles et en actions. A ce stade, on avancera volontiers pour hypothèse que la démocratie devient différentielle dans la mesure où la tension entre le lieu de la souveraineté et l'exercice du pouvoir produit des effets différents d'une configuration territoriale à l'autre. Au fil des enquêtes de terrain, on constate que les conceptions poli tiques de la représentation, de la délibération et de la participation perdent de leur rationalité nationale lorsqu'elles sont passées au crible de leur territorialisation. En termes de philosophie politique, c'est moins un débat sur la crise de la démocratie qui s'ouvre qu'une réflexion sur la dynamique évolutive du pouvoir démocratique. Les grandes collectivités locales s'affirment dorénavant, fût-ce parfois à leur corps défendant, comme des institutions-providence. A l'image du modèle des Etats providence, elles fonctionnent comme des espaces de production de sens dans le contexte incertain de la mondialisation et du recentrement des États sur certaines de leurs missions. Et chaque gouvernement urbain ou régional traverse le processus de décentralisation avec sa propre culture politique du changement, sa propre temporalité des apprentissages institu tionnels et ses propres règles du dialogue social. En définitive, cet ouvrage esquisse le chantier intellectuel d'un double constat résolument contradictoire: les scènes politiques urbaines et régionales construisent une vision du monde social qui se nourrit des règles aterritoriales et euphémisées de la domination politique, mais l'échange politique apparaît de plus en plus conditionné et structuré par les sentiers, les tournois et les récits qui sont propres à chaque configuration territoriale. Nous sommes ici au cœur de la belle équation philosophique sur l'idée que « la démocratie n'existe que dans ce jeu de provocation entre l'obéissance et la résistance» (Lenoir 2006, p. Il). Peutêtre la «nouvelle critique» esquissée dans cet ouvrage est-elle surtout
282
éprouvante dorénavant
parce qu'elle moins
suggère
dépendante
que la résolution
des styles politiques
283
de cette équation
nationaux.
paraît
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