Les médecins et la vie politique locale
Questions Contemporaines Collection dirigée par JP. Chagnollaud, B. Péquignot et D. Rolland Chômage, exclusion, globalisation... Jamais les « questions contemporaines» n'ont été aussi nombreuses et aussi complexes à appréhender. Le pari de la collection « Questions contemporaines» est d'offrir un espace de réflexion et de débat à tous ceux, chercheurs, militants ou praticiens, qui osent penser autrement, exprimer des idées neuves et ouvrir de nouvelles pistes à la réflexion collective.
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Élian ROBERT
Les médecins et la vie politique locale
L'Harmattan
@ L'Harmattan, 2008 5-7, rue de l'Ecole polytechnique; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com
[email protected] harmattan
[email protected]
ISBN: 978-2-296-06468-3 EAN : 9782296064683
Pour Karine
Patienter sans attendre
SOMMAIRE
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 La profession médicale dans les
élections locales
~ 1 Territoires électoraux et profession médicale
~ 2 Une surreprésentation
permanente mais évolutive ~3 Une population hétérogène CHAPITRE 2 Appartenance professionnelle et
éligibilité des médecins
~ 1 Eligibilité et surreprésentation
~ 2 Déclin électoral et reconnaissance ~ 3 Les raisons d'une permanence CHAPITRE 3 La présence électorale des médecins
~ 1 Les médecins et l'individualisation électorale ~ 2 Profession médicale et espace partisan ~ 3 L'individu et le contexte CHAPITRE 4 Les médecins et l'action publique
locale
~ 1 Un engagement dans la continuité
~ 2 Assumer
une compétence d'élu
CONCLUSION
INTRODUCTION
Le travail qui est présenté ici fait suite à une thèse de doctorat portant sur les médecins élus locaux en Aquitaine soutenue en novembre 2003. Il s'inscrit pour une part dans la continuité de cette recherche mais s'en distingue sur plusieurs points. Le plus important est que l'étude des élections locales s'arrête en 2001 pour les municipales et les cantonales, 2004 pour les régionales, alors que dans l'enquête effectuée pour la thèse les derniers résultats étaient ceux de 1989. Ce changement de limite temporelle permet de préciser les analyses et de parvenir à des conclusions plus assurées. Le choix d'étudier la présence des médecins dans la vie politique locale relève de ce que l'on pourrait appeler une option particulariste. Cette dernière conduit à isoler dans le personnel politique local un groupe professionnell afin de voir si sa présence politique est plus ou moins imprégnée de cette singularité sociale. La démarche n'est pas originale puisqu'elle a déjà été adoptée pour d'autres groupes sociaux. Néanmoins, les études portant sur les médecins et la vie politique sont relativement rares. La recherche la plus récente sur cette question est consacrée aux relations entre la profession médicale et l'Etat dans une perspective comparative entre la France et l' Allemagne2. Cependant, le corps médical apparaît, de façon indirecte, dans les études sur le personnel politique lorsque les catégories sociales des élus sont repérées3. S'ils ne sont pas répertoriés clairement, ils apparaissent dans les catégories «professions libérales », «professions indépendantes », ou «professions intellectuelles supérieures» pour les professeurs de médecine et les médecins hospitaliers salariés. On a ainsi une première idée de 1
La profession médicale est un des sujets les plus étudiés par la sociologie des
professions, voir notamment, C. Dubar, P. Tripier, Sociologie des professions, Paris, A. Colin, 1998. 2 P. Hassenteufel, Les médecinsface à l'Etat, Paris, Presses de Sciences Po, 1996. 3 Voir J. Verdès-Leroux, « Etudes sur les maires des communes de plus de 2000 habitants », RFSP, XX (5), octobre 1970, p. 974-990; M-F Souchon-Zahn, « les nouveaux maires des petites communes :quelques éléments d'évolution (1971-1989) », RFSP, nOl, 1991; P. Garraud, Profession, homme politique. La carrière politique des maires urbains, Paris, L'Harmattan, Logiques sociales, 1989.
I'hétérogénéité du corps médical relativement à la diversité des modalités d'exercice. Le phénomène était déjà signalé en 19594 mais il semble plus marqué aujourd'hui5 en raison de la place prise par les spécialités médicales et les différents modes d'exercice particuliers autorisés. Cela explique sans doute que, de nos jours, on utilise plus souvent le pluriel pour évoquer les membres du corps médical. Nous reviendrons sur ce point dans la suite de l'ouvrage. TIy a une deuxième façon de faire apparaître les médecins dans la vie politique locale. TIsuffit pour cela de mobiliser la lecture notabiliaire. Les médecins constituent une des populations qui illustre «ce lien complexe entre une origine sociale, une activité professionnelle, et un rapport au territoire» 6 caractérisant le notable. Leur présence dans la vie politique locale incarne de façon permanente la relation entre la notabilité sociale et la notabilisation politique7. L'appartenance au corps médical crée une ressource d'éligibilité dans la mesure où elle permet aux médecins d'avoir plus de chance d'être élus que les autres candidats. Mais ce lien d'éligibilité demeure complexe car il agrège sur un médecin, l'autorité sociale attribuée à sa profession et les effets de son ancrage personnel dans la société locale. De plus l'éligibilité se renforce en raison de la complémentarité active entre les deux formes de notabilité. L'exercice des mandats locaux conforte la notabilité sociale et réciproquement. Mais cela n'est rendu possible que parce qu'il ya une compatibilité pratique entre les deux activités. On le voit, la conception notabiliaire agrège des interprétations portant sur des objets sociopolitiques différents mais interdépendants. Notre sujet de recherche nous incite cependant à la revisiter pour un certain nombre de raisons.
4
J. Pincemin. A. Laugier, «Les intellectuels dans la société ftançaise, les médecins»,
RFSP, n04, décembre 1959, p. 881-900. 5 C. Herzlich, M. Bungener, G. Paicheler, M-C. Zuber, Cinquante ans d'exercice de la médecine en France. Carrières et pratiques des médecins français (1930-1980), CERMES, Paris, INSERM Doin, 1993. 6 J. Fontaine, C. Le Bart, Le métier d'élu local, Paris, L'Harmattan, 1994, p. 13. 1 J. Lagroye, Le pouvoir local, in Encyclopédie des collectivités locales, 1979, p. 44-1 à 44-22. 8 Nous nous référons à la notion d'éligibilité développée par Marc Abélès, dans, Jours tranquilles en 89. Ethnologie politique d'un département français, Paris, Odile Jacob, 1989.
12
Premièrement, le cadre temporel de cette recherche (1959-2001) invite à se demander si cette lecture conserve une égale pertinence sur toute la durée. TI semble que depuis une vingtaine d'années, on assiste à une recomposition du personnel politique local qui réduit l'importance des notables. C'était l'une des conclusions d'une enquête sur les conseillers généraux réalisée en 19919. De plus, la professionnalisation de la représentation politique locale ne renforce-t-elle pas cette tendance? Mais, s'il y a moins de notables dans la vie politique locale, qu'en est-il de la proportion de médecins parmi les élus locaux? TIest donc nécessaire de connaître les différents états de la présence quantitative de la profession médicale parmi les élus locaux au cours de la période. Deuxièmement, il ne faut pas négliger le fait que la catégorie notabiliaire ne concerne pas que les médecins. C'est une catégorie du politique local, mobilisée par les chercheurs autant que par le monde politique, qui a vocation à désigner un certain type d'acteur politique. Elle ne permet pas de rendre compte de l'éventuelle singularité des médecins dans la vie politique locale et de comprendre, notamment, en quoi ils sont différents des autres notables. Enfm, cette conception nous paraît insatisfaisante pour une troisième série de motifs. D'une part, elle fait reposer la notabilité sur l'autorité sociale reconnue à certaines professions, et le corps médical en est sans doute le meilleur exemple. Or, pouvons-nous affIrmer que ce qui est reconnue à la profession médicale en la matière n'a pas varié en quarante ans? D'autre part, il nous semble que l'interprétation notabiliaire envisage les médecins sur la base d'une perception spécifIque du corps médical. Elle tend à reprendre une représentation, que l'on retrouve dans des expressions comme «le médecin de campagne» ou «le médecin de famille », et qui englobe la diversité de la profession médicale dans la présentation d'une fIgure sociale. Quand on pose la question « le prestige du médecin diminue-t-il? »10, on présuppose l'existence de cette fIgure sociale. Sans vouloir développer ici ce qui sera abordé dans les prochains chapitres, on peut apercevoir quelques traits de l'empreinte symbolique des médecins en explorant l'ensemble de connotation du 1. Un peut 9
A. Percheron, B. Roy, Enquête auprès des conseillers généraux, Paris, FNSP, 1991,
p.4. 10R-A. Gutman, «Le prestige du médecin diminue-t-il? », La revue des deux mondes, 1ermai 1964, p. 78-83. 13
signifier le singulier par opposition au pluriel mais aussi le singulier au sens d'atypique. TIpeut renvoyer à l'unité c'est-à-dire à l'étalon, ce qui sert de référence en présentant un état de formalisation parfaite. L'UI1ité présuppose un lien qui autorise plusieurs éléments à se constituer en totalité. Le 1 renvoie enfin à ce qui est unique et qui n'a donc pas d'équivalent. En examinant ces différentes significations, on peut comprendre comment s'est construite et s'est maintenue cette image de la profession médicale. Elle sous-entend que l'expression canonique du rôle de médecin est plus importante que les différentes actualisations auxquelles il donne lieu, et que l'unité de la profession l'emporte sur sa diversité. Elle invite à penser que les médecins ont une place singulière dans la société ftançaise. Nous ne pensons pas que cette présentation ait conservé toute sa pertinence. Le passage du singulier au pluriel dans la terminologie utilisée pour présenter les médecins est un indicateur. Même s'il est fait mention du corps médical ou de la profession médicale, il s'agit d'un collectif. Très souvent, c'est la diversité du corps médical qui est mise en évidence. TI y a donc lieu de s'inteIToger sur l'empreinte symbolique du corps médical aujourd'hui. Des différents points qui viennent d'être présentés, il ressort que la conception notabiliaire n'est pas suffisamment éclairante pour comprendre la réalité sociopolitique qui nous intéresse. Si elle demeure pertinente pour les premières années de la Cinquième république, elle ne l'est pas autant pour ce qui concerne les vingt dernières années de notre étude. Enfin, elle ne nous dit pas en quoi les médecins se singularisent parmi les notables. Ce n'est donc pas la conception notabiliaire qui est en cause mais sa surface de pertinence eu égard à notre objet de recherche. Ainsi apparaît-il nécessaire de préciser les questions que pose notre recherche. Si l'on veut étudier les médecins dans la vie politique locale, il faut d'abord se demander comment ils y apparaissent de la façon la plus déterminante. Or, c'est bien dans les compétitions pour l'accession aux mandats locaux et l'occupation des fonctions électives correspondantes que leur présence peut être repérée le plus facilement. C'est pourquoi, nous avons procédé à UI1eétude des élections locales entre 1959 et 2001 pour les municipales et, 1961 et 2001 pour les sélections cantonales. Les élections régionales offrent une perspective temporelle un peu plus réduite 14
puisqu'elle va de 1986 à 2004. Cependant, notre étude sur les élections locales nous conduit à prendre en compte deux types de présence. D'une part, elle nous permet de mesurer la présence quantitative de la profession médicale dans les élections locales en mettant en valeur ses caractéristiques. On peut ainsi vérifier ses proportions, leur variation dans le temps et dans l'espace, et les comparer avec celles d'autres groupes professionnels. Mais, en établissant cette présence quantitative, on se propose aussi de s'interroger sur les particularités de la profession médicale dans le personnel politique local. fi faut essayer de trouver ce qui fait trait d'union entre tous les médecins dans le monde des élus locaux. D'autre part, l'étude de la présence quantitative nous renvoie à une autre perception de la réalité. Celle d'individus, appartenant à la profession médicale, qui se trouvent engagés dans des contextes électoraux très différents ou participant à l'action des institutions politiques locales. La présence politique des médecins doit être établie dans la diversité de la vie politique locale. De ce fait, la présence quantitative des médecins correspond à deux réalités qui, elles-mêmes, appellent deux lectures différentes mais interdépendantes. L'étude des élections locales est importante dans notre recherche pour une autre série de raisons. En premier lieu, la situation électorale est celle où la présence politique se manifeste dans ses éléments les plus fondamentaux. C'est dans son contexte que les individus se présentent dans la vie politique locale de façon significative. Nous pensons ici à l'analyse que propose Hanna Arendt lorsqu'elle indique que «la polis est...1'espace où j'apparais aux autres comme les autres m'apparaissent, où les hommes n'existent pas simplement comme d'autres objets vivants ou inanimés, mais font explicitement leur apparition» Il. Ainsi, c'est en observant les différentes façons d'apparaître des médecins dans les élections locales que l'on peut reconstituer les éléments de leur présence politique. À la différence de beaucoup de candidats leur présence dans l'élection a un précédent social. Avant d'intégrer les contextes électoraux, le médecin a une présence sociale parce qu'il s'engage dans la vie locale grâce à son activité Il
H. Arendt, Condition de l'homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1961, p. 63. 15
professionnelle et qu'il est reconnu antérieurement au contexte électoral. Encore faut-il vérifier si les conditions de cette présence sociale sont identiques pour tous les médecins quelles que soient les époques. Par sa présence dans une situation électorale, un médecin est confronté à deux types de processus: Une épreuve de reconnaissance des individus au sens de discrimination; Une opération qui conduit à vérifier s'il est légitime à exercer un mandat local. L'appréciation qui peut être faite d'une candidature reste fondée sur l'idée que ce que l'on sait du candidat nous laisse penser qu'il est capable d'assumer le mandat enjeu de l'élection. La simplicité de ce schéma ne doit pas passer sous silence la complexité de l'univers des représentations et des croyances qui intervient dans les élections locales. Ces dernières, au cours des quarante premières années de la Cinquième république en Aquitaine, fournissent des contextes variés. TInous appartient de savoir ce que cette variété signifie pour les opérations de reconnaissance et de légitimation des acteurs politiques locaux. Le premier élément d'intérêt qui vient à l'esprit porte sur les territoires électoraux et les modes de scrutin. On peut, au premier abord, constater une grande stabilité des territoires communaux mais ce constat appelle quelques nuances. Si les territoires sont stables, leur composition sociale change sous l'effet des mouvements de population. La tendance à l'urbanisation s'est poursuivie sous la Cinquième république avec cependant une tendance un peu plus tardive en Aquitaine que dans l'ensemble de la France. TIest d'usage de voir dans cette évolution le passage d'une dominante rurale à une dominante urbaine. TI n'empêche que le classement des territoires électoraux en devient plus délicat. Ainsi, en Gironde, beaucoup de communes de moins de 2000 habitants ne sont plus des communes rurales depuis déjà un certain temps. On peut d'ailleurs dresser le même constat pour bon nombre de cantons. TI est donc permis de se demander si le couple de notions «rural/urbain» permet d'aborder correctement les questions de reconnaissance et de légitimation qui se posent dans les élections locales. À cela, il faut ajouter que les élections municipales fournissent un très grand éventail de contextes en raison de la taille des unités. Celle-ci détermine l'importance des enjeux de l'élection et, par voie de conséquence, la compétence attendue des candidats. De plus, il apparaît 16
de façon constante que les élections dans les grandes villes ont toujours été plus marquées par l'influence des partis politiques que dans l'ensemble des autres communes. Sans aucun doute, la réforme du mode de scrutin applicable aux communes de plus de 3500 habitants, opérée en 1983, élargit-elle l'ensemble des territoires où cette influence peut se faire sentir. Or, en réalisant ce changement on modifie les conditions de reconnaissance des candidats, non pas dans la majorité des territoires municipaux, mais dans ceux qui rassemblent la majorité de l'électorat. De ce point de vue, l'enquête sur les élections municipales n'est pas sans poser quelques questions. Un dernier point doit être évoqué. Depuis une vingtaine d'années, nous assistons à un développement des territoires d'intercommunalité qui incite les communes à mutualiser leurs moyens sur des programmes d'action de plus en plus étendus. Elles abandonnent alors une partie de leurs prérogatives à ces structures. Or les responsables de ces institutions ne sont pas élus directement, ils sont des élus désignés par d'autres élus. Si une partie des prérogatives municipales est confiée à une institution qui, elle, n'est pas soumise à l'élection, la portée du geste électoral ne sera-telle pas altérée? Comme on peut le voir, une étude des élections municipales soulève des questions qui vont accompagner notre recensement des médecins élus mUnICIpaux.
TI en est de même en ce qui concerne les élections cantonales. Les territoires sont affectés par l'urbanisation de deux façons. TI y a eu à plusieurs reprises création de nouveaux cantons et certains cantons, classés ruraux en début de période, ont connu un accroissement de population qui les situe dans un espace intermédiaire. Là aussi, la question qui se pose est de savoir quelle peut être l'influence de ces recompositions démographiques et sociales sur les critères de reconnaissance et de légitimation. Même si le mode de scrutin, uninominal majoritaire à deux tours, n'a pas changé et favorise, plus ou moins, le facteur personnel, il n'est pas dit que les critères d'appréciation des individualités soient demeurés constants sur toute la période. À la différence des élections municipales, on peut dire que les élections cantonales sont un peu plus marquées par la décentralisation. Dans la mesure où les conseillers généraux ont la responsabilité de leur budget et des compétences spécifiques à gérer, l'enjeu politique devient un peu plus 17
présent. Ce n'est pas forcément clair pour les électeurs parce qu'il faut du temps pour percevoir ce type de changement. Pour les partis politiques, les Conseils généraux sont devenus des enjeux plus décisifs parce qu'ils constituent un des moyens d'assurer leur présence dans la vie politique. Nous touchons ici au second point qui nous semble important parce qu'il touche aux conditions de reconnaissance des candidatures. C'est d'autant plus vrai que les partis politiques exercent une influence croissante dans la formation des candidatures pour les élections cantonales depuis le début des années 70. On peut apprécier le phénomène de différentes façons. Certes, la bipolarisation Droite / Gauche est le facteur explicatif central mais elle s'accompagne d'une concurrence interne à chacun des pôles qui accentue la dynamique partisane. De plus, les alternances successives depuis 1981 ont renforcé l'impact de la tension partisane, chaque élection locale apparaissant comme la confirmation ou la remise en question du scrutin, local ou national, précédent. TI y a enfm une diversification de l'offie partisane avec l'émergence du Front national et des mouvements se réclamant de l'écologie qui explique, notamment, l'augmentation importante du nombre de candidatures au cours des années 90. Les médecins sont présents dans cette évolution puisque certains d'entre eux inscrivent leur engagement au sein des forces politiques émergentes. La présence des médecins dans l'univers partisan est encore plus visible dans les résultats des élections régionales puisqu'il s'agit d'un scrutin de liste qui accorde une importance significative à la présélection partisane des candidatures. Si on veut apprécier la présence politique locale des médecins, il faut donc s'intéresser à leurs relations avec les forces politiques. Quelle est la distribution de la profession médicale dans l'univers partisan? Comment les médecins réagissent-ils à la politisation partisane ascendante des élections locales? Peut-on soutenir avec la même certitude que le «pouvoir électoral des médecins est comme décuplé dans l'esprit des hommes politiques »12 sans doute «en raison de l'influence supposée qu'ils exercent sur leurs patients »13? L'étude de la présence électorale des médecins doit donc prendre en compte des contextes plus ou moins marqués par le facteur partisan 12
P. Hassenteufel, op. cil., p. 23.
13 P. Hassenteufel,
18
op.cil., p. 5.
sachant que son incidence relativise le poids des autres variables: personnalité des candidats, conjoncture électorale particulière, etc. Comme cela est indiqué plus haut, les élections locales n'engendrent pas que des opérations de reconnaissance, elles permettent d'attribuer aux élus, la plupart du temps de façon implicite, une légitimité à exercer les mandats locaux. L'élection ouvre une perspective d'engagement et confère ainsi une autre dimension à la présence politique. Celui qui a effectué un mandat peut proposer au jugement de ses électeurs une présence politique plus étoffée. Or les conditions d'engagement dans les mandats locaux ont sérieusement évolué au cours du dernier quart de siècle. Les lois de décentralisation ont conféré aux élus départementaux et régionaux la responsabilité politique de la gestion budgétaire sur un certain nombre de compétences. La création d'une fonction publique territoriale a densifié l'ensemble des acteurs intervenant dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques locales, ce qui peut provoquer parfois un certain flou dans la répartition des tâches avec les élus. Le développement de l'intercommunalité et des relations entre les collectivités territoriales s'est traduit par un accroissement de la dimension organisationnelle: création de structures (Communauté de communes, syndicat de pays) ; allongement du temps consacré aux phases de concertation; multiplication des procédures. Tout ceci génère une complexité technique et un alourdissement des missions imposées aux élus, en particulier ceux des petites communes. Cette tendance, ajoutée au désir de pérenniser le cumul des mandats, explique sans doute l'adoption du registre de professionnalisation de la représentation politique locale. De ce fait, il convient de s'interroger sur les effets que ces changements peuvent avoir sur l'engagement des médecins dans les mandats électifs locaux. Quelles sont les variables qui peuvent faciliter leur insertion dans cet univers? Existe-t-il, aujourd'hui plus qu'hier, des conditions qui peuvent fragiliser cet engagement? L'étude de la présence des médecins dans la vie politique locale implique donc de s'interroger autant sur leur façon d'être présents au moment de la désignation électorale que sur les modalités de leur participation à l'action publique locale. Elle repose sur une démarche relativement ambiguë dans la mesure où elle cherche à connaître une réalité politique, la présence politique locale, 19
en partant d'une désignation particulariste du social. En d'autres termes, est-ce que dans la présence politique des médecins, l'appartenance professionnelle est un facteur contributif ou déterminant? Nous tenterons de répondre aux différentes questions posées au cours de cette introduction dans les quatre chapitres de notre ouvrage. Le premier présente les données qui donnent à la présence de la profession médicale parmi les élus locaux une réalité quantitative. Dans le chapitre 2, nous verrons comment l'appartenance professionnelle peut constituer un trait d'union d'éligibilité entre les médecins. Le troisième chapitre étudie la conftontation des médecins aux espaces de reconnaissance et de légitimation qu'offrent les contextes électoraux. Le dernier chapitre envisage l'engagement des médecins dans l'action des institutions politiques locales.
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CHAPITRE 1
La profession médicale dans les élections locales
La présence de la profession médicale parmi les élus locaux est d'abord une affaire de quantité. Et, la mesure des différents pourcentages qui peuvent s'établir, entre la profession médicale et les différentes catégories d'élus, présente quelques difficultés. TIy a, en premier lieu, les contraintes qui pèsent sur toute démarche de recensement du corps médical, en particulier, lorsqu'il s'agit d'obtenir des données anciennes au niveau départemental ou régional. Le travail est d'autant plus délicat qu'il s'agit d'une profession représentant une faible proportion de la population totale ou active. De plus, les critères adoptés n'excluent pas une marge d'incertitude notamment en ce qui concerne la prise en compte des médecins retraités. Certains médecins n'exercent pas une activité consultante au sens où on peut l'entendre pour la majorité d'entre eux : médecins de la sécurité sociale, médecins biologistes par exemple. Comme l'ont souligné les nombreux travaux de sociologie médicale, le titre de docteur en médecine qui exprime l'appartenance professionnelle ne doit pas dissimuler une grande variété de modes d'exercice. C'est un indicateur minimal d'identité, pratique pour une entreprise de recensement, mais qui révèle rapidement ses limites lorsqu'il s'agit d'analyser une réalité sociale. La référence au nombre de médecins pour 100 000 habitants doit être comprise avec toutes ces incertitudes. En second lieu, la prise en compte des résultats des élections locales soulève un certain nombre de questions. Certes, l'échantillon utilisé est relativement simple à présenter: les élections municipales de 1959 à 2001 ; les scrutins cantonaux de 1961 à 2001 ; les élections régionales de 1986 à 2004. Cependant, la simplicité de cette présentation ne doit pas dissimuler les questions posées par les réalités électorales observées. Elles sont de plusieurs ordres. D'une part, chacune de ces élections a ses propres caractéristiques en termes de mode de scrutin et d'enjeux électoraux. Le scrutin uninominal s'applique pour les élections cantonales
tout au long de la période alors que le régime électoral des communes a varié de façon significative entre 1959 et1983. Les élections régionales, plus récentes, présentent un mode de scrutin proportionnel sur la base de listes départementales. De fait, ce mode de scrutin amplifie une tendance qui a vu les partis politiques prendre une place de plus en plus visible dans la sélection des candidatures. D'autre part, la décentralisation modifie sensiblement les conditions de la désignation électorale. En conférant aux départements et aux régions des domaines de compétence spécifiques, elle accentue le phénomène d'imputation visant les élus locaux. Ils seront de plus en plus jugés sur leurs capacités à participer à l'agir collectif de l'institution locale à laquelle ils appartiennent. Dès lors, la désignation électorale ne se construit plus uniquement sur ce que sont les individus mais sur leur légitimité à participer à un certain type d'action institutionnelle. Il faut enfin rappeler que la division territoriale, support implicite d'une étude des élections locales, ne reflète qu'imparfaitement ce qui se joue dans la décision électorale. Par le contexte électoral, le territoire devient un espace de reconnaissance et de légitimation. Or la reconnaissance sociale qui vise les acteurs individuels ou collectifs, si elle fait sentir ses effets dans le contexte électoral, repose sur des critères appartenant à un système d'appréciation applicable à l'ensemble de la société. Ainsi la considération portée aux membres de la profession médicale est étroitement liée à la reconnaissance dont bénéficie cette profession dans la société. Et, la recomposition sociale que connaît la société française depuis une quarantaine d'années se traduit aussi par des changements affectant le système de reconnaissance. De ce point de vue, les territoires électoraux sont insérés dans les évolutions des espaces locaux marquées par un degré croissant d'urbanisation. Il faut donc essayer de voir si ces mutations ont une incidence sur la présence de la profession médicale parmi les élus locaux. La présentation de la présence quantitative de la profession médicale parmi les élus locaux implique une prise en compte de l'évolution démographique et sociale des territoires d'élection (1), avant de mettre en évidence les tendances qui caractérisent ce groupe d'élus (2) et les variations qui affectent sa composition (3).
22
&
1 Territoires électoraux et profession médicale
Avant de rechercher les pourcentages de médecins parmi les différentes populations d'élus, il n'est pas inutile d'apporter un certain nombre de précisions sur le cadre de notre étude.
1.1 Les territoires reconnaissance
d'élections entre tlxité topololdque et espaces de
Une étude fondée sur l'observation des élections locales pose plus de questions qu'il n'y paraît au premier abord. Elle conduit à envisager les territoires locaux à travers le prisme de la désignation des candidats aux mandats électifs correspondant à ces territoires. Ces derniers ne sont plus alors considérés dans leur fixité topologique mais comme des espaces de reconnaissance des individus et de légitimation politique des acteurs. De ce point de vue, les élections régionales constituent un cas particulier parce que la région Aquitaine n'existe comme territoire d'élection que
depuis 1986. L'institution régionale partage néanmoins avec les autres collectivités territoriales une évolution qui modifie une partie du sens des élections locales. Depuis la réforme de la décentralisation, les départements et les régions ayant des compétences particulières, la désignation de leurs élus n'est plus seulement une reconnaissance des individus mais aussi une légitimation de leur capacité à agir dans ce nouveau cadre. Le sens de l'élection est donc modifié parce que les critères qui fondent la reconnaissance et la légitimation des candidats ont changé. La réforme de 1982 a aussi pour effet d'accroître l'importance de la position d'élu puisque ce dernier est dans un régime de responsabilité plus fort. Le territoire s'ouvre de cette façon comme une perspective d'agir offerte à l'élu pour laquelle il lui est demandé de se mobiliser. C'est une évolution qui demande du temps pour être perçue et assimilée par les électeurs. Espaces de reconnaissance et de légitimation, les territoires d'élection se différencient aussi, suivant les époques et les lieux, par le degré d'expression, du tacite à l'explicite, des structures partisanes dans la vie politique locale. La reconnaissance des candidats s'opère ainsi autant sur des facteurs individuels que supra-individuels. 23
De ce point de vue, les systèmes de représentation qui fondent les opérations de reconnaissance sont également liés au changement social que les tendances démographiques introduisent sans pour autant en circonscrire les limites. L'Aquitaine, à l'image de ce qui s'est produit à l'échelle nationale, a connu au cours de ces quarante dernières années une mutation démographique qui rend obsolète la dichotomie entre le rural et l'urbain depuis une trentaine d'années. La prédominance des territoires de peuplement à caractère hybridel ne doit-elle pas conduire à s'interroger sur les changements culturels qui affectent les espaces de reconnaissance? La question se pose en particulier pour l'appréciation qui est portée sur la profession médicale à différentes époques. Les aléas d.'une quantification d.es territoires Une étude sur les populations d'élus locaux demeure ambiguë sur plusieurs points. Ainsi, l'agrégation des données au niveau régional ne doit pas conduire à sous-estimer les déséquilibres qui interviennent dans la composition de l'échantillon aquitain. Le premier d'entre eux affecte le poids des élus girondins dans l'ensemble aquitain. La Gironde fournit plus de 40% de la population totale, un peu plus de 25% des élus municipaux et des conseillers généraux. Ses caractéristiques, taux élevé d'urbanisation et forte densité médicale, sont atténuées par l'agrégation régionale. En travaillant sur les élus locaux appartenant à la profession médicale, il est nécessaire de s'appuyer sur différentes échelles de comparaison: populations d'élus, catégories d'unités territoriales, population générale et population professionnelle. La difficulté réside dans le croisement nécessaire de ces différents ensembles de données. Les analyses gagneront en pertinence si elles sont complétées par une comparaison interdépartementale. fi y a des départements qui, pour des superficies comparables proposent une division territoriale assez différente. Au début des années 60, la Dordogne a 580 communes, les Landes, 340. Le découpage territorial donne vie à différentes formes de ruralité. Considérant les communes comme des territoires d'élection, il faut noter que plus de 90% des élus appartiennent aux communes ayant moins de I
M. Vanier, <
liens, nouvellesfrontières,
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Presses Universitaires
de Rennes, 2005.
2000 habitants, celles qui ont entre 9 et 19 conseillers municipaux. Elles abritent la plus faible part de la population et correspondent à des communes rurales lorsqu'elles ne se trouvent pas dans des Zones de Peuplement Industriel ou Urbain (ZPIU). La conséquence qui peut être déduite de ce constat, c'est que la probabilité statistique la plus forte est qu'un élu municipal soit distribué dans une commune de cette catégorie. TI y a alors de fortes chances qu'une proportion importante de médecins élus municipaux appartienne à l'ensemble des communes rurales. L'effet statistique a également une dimension sociologique. La surreprésentation des agriculteurs dans la population des maires et des conseillers municipaux est directement associée au fait qu'ils sont plus présents dans les territoires d'élection les plus nombreux. Le cas des médecins est exactement l'inverse puisque les densités professionnelles les plus faibles se rencontrent dans cette catégorie de communes. Le recensement statistique des médecins dans les communes de moins de 2000 habitants repose donc sur une contradiction: forte probabilité statistique d'y être distribué mais faible probabilité sociologique liée à la densité professionnelle. En ce qui concerne les élections cantonales, il faut faire plusieurs remarques. Depuis le début de la Cinquième république, il y a eu création de cantons urbains pour tenir compte de la croissance urbaine. Dans certaines villes, les nouveaux cantons intègrent une partie de la ville et quelques communes limitrophes. Pour le conseiller général élu sur le canton, il y a nécessité d'intégrer le rural et l'urbain dans la perspective résultant de son mandat. Encore une fois, cette distinction se révèle difficile à tenir à mesure que l'on se rapproche de la fin de la période. Tous les cantons qui se trouvent inclus dans une ZPIU ou qui la touchent sont plus ou moins urbains alors que, souvent, leur structure territoriale leur donne une apparence rurale. La catégorisation utilisée dans la présentation n'est pas dénuée d'incertitude lorsqu'elle se réfère à trois ensembles: cantons urbains, intermédiaires et ruraux. TI faut donc la manier avec une certaine prudence. TIapparaît ainsi que l'approche des élections par les résultats implique une prise en compte des territoires d'élection. Or ceux-ci introduisent deux types d'ambiguïté. Le premier est une sorte de biais fonctionnel reposant sur le fait que les électeurs désignent leurs élus par rapport à un impératif de gestion territoriale. On présuppose ainsi que les électeurs choisissent 25
leurs représentants en jugeant leur légitimité à exercer un mandat local. Or, si ce critère est essentiel, il n'est pas le seul. Le second réside dans ce que le territoire électoral peut connoter. S'il clôture un espace, il ne circonscrit pas, pour autant, l'ensemble des représentations, des croyances, des valeurs qui constituent les critères à partir desquels les électeurs reconnaissent et désignent leurs représentants. C'est pourquoi la notion d'espace de reconnaissance et de légitimation est mobilisée ici. L'ensemble des critères intervenant dans la reconnaissance des individus est un ensemble ouvert où des valeurs nouvelles viennent côtoyer ou remplacer des valeurs anciennes, tandis que le social se mêle au politique. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne les élus locaux appartenant à la profession médicale.
1.2 Des chan2ements sociaux2
démo2raphiques
à la mixité des mondes
La lecture des informations figurant dans le tableau 1 est éclairante sur plusieurs points. D'une part, elle permet d'avoir une première idée du processus d'urbanisation qu'a connu cette région, en comparant le pourcentage de la population résidant dans les communes de moins de 2000 habitants à ce qu'il était au recensement de 1962 (pourcentage entre parenthèses), tout en remarquant que, d'après ce critère, l'urbanisation est plus tardive en Aquitaine qu'en France. Cependant, une analyse plus fine montrant que beaucoup de communes de cette catégorie se trouvent dans des zones de peuplement urbain, l'urbanisation est en fait plus marquée que ne le laisse apparaître le tableau. D'autre part, la lecture de ce tableau montre bien le poids statistique des communes rurales et le biais existant entre le pourcentage de la population qu'elles abritent et le pourcentage d'élus, maires et conseillers municipaux, qu'elles représentent. Cela signifie qu'en recensant les élus appartenant à la profession médicale, on travaille sur des ensembles qui ne sont pas sans ambiguïté. Une mise en perspective régulière des données s'impose donc. 2 La notion de mondes sociaux est empruntée à Anselm Strauss, La trame de la négociation, Paris, L'Hannattan, 1992. 26
Tableau 1 : Distribution des communes en fonction de la population, en Aquitaine et en France d'après le recensement de 1999. Entre parenthèses figurent les données correspondantes pour 1962. Commun es de-de
2000 (9, 15, CM) Aquitaine de 2056 Nbre communes % de la 33,7 (52) population France Nbre de 31948 communes % de la 24,6 population (36,5)
De 2000 à 9999 h
h (19,23, 11, 27,29 19 CM)
De 10 000
De 50 000 à à 199999
Nbre 200000 h et communes
h, 45, 49, plus 49999 h (33, 35, 53, 55 CM 39, 43 CM)
de
Population de totale référence 1999 (1962)
195
37
3
1
2292 (2357)
26,6 (10)
27,7
6,7
7,3
2997467 (2313613)
3810
802
109
10
36679
25,2 (9,6) 26,6
14,8
8,7
61632485 (46 m)
Une Aquitaine à dominante rurale Dans les premières années de la Cinquième république, l'Aquitaine est une région où la dominante rurale est plus marquée que sur l'ensemble du territoire national. Ce caractère est identifiable en termes de production de richesse et d'aménagement des territoires. TIl'est aussi en tant qu'univers de sens dans la mesure où sont associées à la ruralité des représentations susceptibles d'influencer la vie sociale. Au recensement de 1962, le secteur agriculture et forêt occupait encore 30% de la population active aquitaine (20% à l'échelle nationale) et les agriculteurs représentaient un groupe social structurant la vie locale en représentant 13,4% de la population totale. TI faut cependant souligner l'écart existant dès cette époque entre la Gironde et les autres départements. C'est ainsi qu'en 1962, 20% des actifs girondins appartenaient au secteur « agriculture, forêt» alors que le taux était autour 27
de 45% pour les Landes, la Dordogne et le Lot-et-Garonne. Pour la densité démographique, les tendances sont comparables puisque l'Aquitaine est en dessous de la moyenne nationale (56/83) alors que la Gironde est proche de cette moyenne et que tous les autres départements ont des densités beaucoup plus basses. Dans les zones à faible densité, l'activité agricole est déterminante pour la vie locale parce qu'elle maintient le lien entre l'occupation de l'espace et la création de richesse. Si l'agriculture structure le monde rural, il existe dès cette époque différentes expressions de la ruralité. Non seulement, les différences sont observables entre les départements mais également au sein même de chaque département. Ainsi, les départements des Landes et de la Dordogne ne sont comparables ni sur le type de production agricole, ni sur la structure territoriale. À l'exception de sa partie sud, le département des Landes est dominé par la sylviculture, avec des exploitations de grande taille. Les territoires locaux (communes et cantons) y sont plutôt étendus, laissant une part importante aux espaces inhabités. Quant à la Dordogne, elle est plutôt une terre de polyculture avec des petites et moyennes exploitations, en proposant une forme d'atomisation territoriale plus marquée. Dans le même ordre d'idée, il faut mentionner la spécificité des vallées pyrénéennes et celle de la vallée de la Garonne dans le Lot-etGaronne. Ce sont ces différentes formes de ruralité qui conduisent peutêtre à nuancer l'image d'immobilité associée au monde rural comme l'attestent des travaux historiques récents montrant qu'il existait une mobilité des populations rurales plus importante qu'on ne pouvait le penser3. Sur ce point, il n'est pas sans intérêt d'évoquer une différenciation des territoires ruraux permt:(ttant d'observer que dans certaines conditions la propension à la mobilité et à la pluriactivité sera plus forte. Dans les zones rurales où les actifs estiment que le revenu agricole ne permet pas de satisfaire aux besoins de chacun, les activités complémentaires seront plus nombreuses impliquant ainsi plus de mobilité pour aller chercher du travail ou vendre des produits. Le rapport mobilité / fixité dépend également de la taille des propriétés et de ce qui est produit. L'idée d'immobilité est effectivement associée à une société à dominante rurale parce qu'une part importante de la création de richesse se réalise de façon 3 Mayaud (Jean-Luc), «L'exploitation familiale ou le chaînon manquant de l'histoire rurale », in L'Europe et ses campagnes, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, p. 67. 28
palpable par l'exploitation du territoire. TI s'établit un lien de nécessité entre la production de richesse et l'ancrage territorial. La relative faiblesse des communications entre les différents espaces accentue l'intensité de la vie collective au sein de chacun d'eux comme ont pu le souligner les analyses insistant sur l'appartenance communautaire. Mais cette idée d'ancrage territorial est également présente dans d'autres secteurs de la société; bassins miniers ou industriels par exemple. Le secteur agricole incarne un monde rural auquel sont attribuées des valeurs qui correspondent à un état de civilisation donnée. Ainsi l'idée de fixité est aussi véhiculée par la stratification sociale comme cela est vérifié dans la vie locale par la mise en évidence de positions sociales. Un système de positions est créateur de repères, de points de stabilité dans l'espace social. La simplicité de ce dispositif social renvoie lui-même à une structuration de la société où les groupes sociaux sont clairement identifiables quand le monde ouvrier et le monde rural en constituent la majorité. Dans l'univers de sens associé à la ruralité, il y a des éléments qui correspondent à un état de développement de la société, indépendamment de son degré de ruralité. Lorsque l'immobilité attribuée au monde rural signifie la faiblesse des mouvements de population, cette dernière s'explique aussi par l'état des infrastructures de communication, les goûts et les nécessités qui fondent les comportements sociaux. Le niveau de patrimoine et de revenu, l'appartenance à une catégorie sociale aisée peuvent déterminer la mobilité des individus. Une partie de la considération portée aux médecins dans la société locale provient de leur titre de docteur dont la valeur est aussi relative au niveau moyen de qualification dans la société. Moins le niveau moyen de qualification est élevé et plus la hauteur du titre est accentuée. TIy a donc un risque de ne voir à travers le prisme de la ruralité que ce qui
est produit par elle. Peut-être est-il plus sage de considérer l'exemple aquitain comme un type d'empathie entre l'univers de sens produit par le monde rural, incarné par les agriculteurs, et l'état de civilisation de la société française. La rupture de cette interaction positive est un des traits caractéristiques du monde d'aujourd'hui même s'il existe encore en Aquitaine des territoires où l'influence rurale est encore présente, sans que la ruralité d'aujourd'hui soit rigoureusement identique à celle qui prévalait hier. 29
L'Aquitaine
recomposée
L'observation des tendances démographiques de l'Aquitaine entre 1962 et 19994 foumit une première indication sur ce qui peut constituer son hétérogénéité autant que son homogénéité. Plusieurs lectures du processus de peuplement permettent de confmner son hétérogénéité. La première met en évidence le contraste entre les zones à forte croissance démographique principalement autour des grandes agglomérations (Bordeaux, Bayonne, Agen, Pau et à degré moindre Périgueux) et les territoires en déclin démographique situés dans le nord de la Dordogne, les cantons de montagne des Pyrénées-Atlantiques et la zone frontière entre les Landes, la Gironde et le Lot-et-Garonne. Les principales aires de déclin ou de stagnation démographique se situent dans certains espaces à la limite des différents départements. La deuxième lecture souligne la différence entre une Aquitaine de l'intérieur, plus faiblement peuplée à l'exception des ZPIU de Pau, Saint-Sever, Agen et Périgueux et, une Aquitaine côtière à forte croissance démographique. Si la majorité de la population aquitaine est urbaine, ce n'est pas au profit des centres urbains mais plutôt de périphéries de plus en plus étendues5. fi faut également remarquer que parmi les espaces connaissant un déclin ou une stagnation démographique, le classement en zones rurales se fait par défaut, dans la mesure où, certains connaissent une activité rurale dynamique alors que d'autres ont une population active agricole en nette diminution, accélérant ainsi une forme de désertification. Le vieillissement de la population rurale et la faiblesse du renouvellement des générations expliquent cette réalité. Le premier facteur d'homogénéité réside dans la cohabitation de zones à forte concentration démographique et une majorité du territoire où la densité est plus basse que la moyenne nationale. Les aires à forte concentration démographique créent la possibilité d'un brassage des populations et donc d'une mixité des mondes sociaux. Les aires à dominante rurale ne sont pas exclues de cette évolution mais elles sont touchées à un degré moindre. L'amélioration des voies de communication 4
Dynamiques démographiques des cantons d'Aquitaine, Les quatre pages INSEE
Aquitaine, INSEE, novembre 2000, n090. 5 Trente ans de développement urbain, Les quatre pages INSE Aquitaine, INSEE, octobre 2005, n0147. 30
ouvre de nouveaux espaces de peuplement et renforce cette mixité. La mise en service de nouveaux axes autoroutiers permet de résider plus loin des centres urbains tout en continuant à y travailler. La zone de peuplement qui va de Bordeaux à Langon est un exemple d'hier mais une tendance analogue se dessine aujourd'hui sur l'axe Bordeaux / Périgueux. n existe aussi des facteurs conjoncturels qui accélèrent et amplifient l'évolution: coût du foncier et de l'immobilier en zone urbaine ou périurbaine par exemple. n est notable que si le tiers de la population réside dans des communes de moins de 2000 habitants, un grand nombre d'entre elles se trouve dans des ZPIU. La population qui s'installe dans ces communes est orientée vers la ville la plus proche pour ce qui est du travail et de la consommation. Le positionnement des individus par rapport à leur lieu d'habitation évolue dans le sens d'une focalisation réduite sur le territoire communal. Le «mode d'habiter »6définit les contours de nouveaux rapports au territoire de résidence. L'appartenance à la commune ne repose plus nécessairement sur des attaches anciennes mais se manifeste par un investissement dans les activités sociales, voire la conquête d'un mandat électif. Là où l'appartenance à la commune s'imposait comme une évidence, sans pour autant donner naissance à un lien communautaire fort chez tous les individus, l'engagement dans la vie de la commune repose sur différentes formes d'intérêt: usage des infrastructures collectives, recours au tissu associatif. Une partie de la mixité sociale se met en place dans le croisement de ces types de participation. Dans ces contextes d'action se mesurent aussi les changements affectant la composition sociale de la population. La stratification sociale dans la France rurale du début des années soixante est relativement claire: les actifs agricoles représentent alors près de 50% des actifs ruraux; le monde ouvrier constitue le deuxième bloc; le troisième ensemble, minoritaire, est composé de groupes sociaux parmi lesquels se trouvent des professions dotées d'un prestige plus ou moins fort. Comme le montre bien en son temps l'analyse notabiliaire, il existe dans l'espace local un nombre restreint d'individus qui jouissent d'une position sociale. Ce qui se met en place au cours de ces trente dernières années modifie progressivement cet 6
N. Mathieu, «Rural et urbain. Unité et diversité dans les évolutions des modes
d'habiter », in L'Europe et ses campagnes, M. Jollivet, N. Eizner (dir.), Presses de Sciences Po, Paris, 1996, p. 187-205. 31
état de fait. À la fm du 20e siècle, 1/3 des actifs ruraux sont des cadres moyens ou supérieurs, 1/3 des ouvriers. Le niveau moyen de qualification s'élève créant la possibilité d'une relativisation du prestige de certaines professions. Le mode de désignation des groupes professionnels se technicise et se spécialise donnant une image de la société plus complexe à formuler. Les processus de typification qui accompagnaient l'émergence des notabilités sociales ont plus de difficulté à opérer. Même si le rural et l'urbain demeurent pour l'instant les «horizons fondamentaux de nos rapports à l'espace »7, cette dichotomie ne rend que partiellement compte de l'évolution de la société locale. L'exemple de l'Aquitaine souligne les ambiguïtés de toute catégorisation en la matière. La majeure partie du territoire est rurale dans la mesure où la densité démographique est très inférieure à la moyenne nationale et que persiste un niveau d'activité agricole supérieur à ce qu'il est à l'échelon national. Pourtant la majorité de la population aquitaine est, par son type d'implantation, de tendance urbaine. De plus, l'ouverture des territoires encourage le mélange des populations et la différenciation sociale est parfois plus perceptible dans les zones faiblement peuplées. Tout compte fait, c'est peut-être une conception politique du territoire, présenté comme un espace de reconnaissance et de légitimation, qui permet d'aborder la mixité des mondes sociaux. L'approche par la reconnaissance et la légitimation invite à prendre en compte les critères sur lesquels se fonde la considération portée aux individus et aux groupes sociaux, et le jugement sur leur capacité à exercer des mandats politiques. Ainsi peuvent être sériées les questions relatives à la désignation des médecins pour les mandats locaux.
1.3 La profession médicale en Aquitaine Si on veut mettre en relation les pourcentages de médecins dans chaque catégorie d'élus locaux et l'indice de densité sociale de la profession médicale, il faut au préalable établir les différentes valeurs de cette dernière au cours de la période. Celle-ci n'est pas difficile à réaliser puisqu'il existe un indicateur de densité professionnelle qui donne le 7
M. Vanier. «Rural/urbain. Qu'est-ce qu'on ne sait pas ? ». Rural/urbain,
liens, nouvelles frontières,
32
Presses universitaires
de Rennes, 2005.
Nouveaux
nombre de médecins pour 100 000 habitants. On peut alors déduire l'indice du nombre de médecins pour 100 habitants. Néanmoins, il faut reconnaître que le recensement de la profession médicale n'a jamais été très facile et que les indicateurs anciens conservent toujours une part d'imprécision. Une profession bien implantée Les données qui figurent dans le tableau récapitulatif ci-dessous résultent de l'utilisation combinée de trois types de sources: Les documents statistiques concernant les personnels sanitaires et sociaux (INSEE, BUS, CARMF) permettent de connaître les densités nationales à partir de 1959. Le rapport du Conseil national de l'Ordre des médecins de 1991, consacré à la démographie médicale, et l'étude de Daniel Sicart sur la démographie médicale de 1984 à 20008 fournissent de précieuses informations sur les trente dernières années. Les indices de 1959 et 1965 correspondent aux médecins inscrits à l'ordre incluant ainsi ceux qui ne sont plus en activité mais qui continuent à payer leur cotisation. Ds sont donc un peu supérieurs à ce qu'ils seraient s'ils ne comprenaient que les médecins en activité comme c'est le cas pour les autres données. La lecture des deux tableaux ci-dessous permet d'observer que, de manière constante, la densité régionale est toujours un peu supérieure à la densité nationale depuis 1971, année à partir de laquelle il est possible de comparer. Traduites en pourcentages, ces données indiquent que la profession médicale comptait pour moins de 0,1 % de la population nationale en 1959 alors qu'elle représente aujourd'hui plus de 0,33 %, soit un multiplicateur supérieur à 3. Pour l'Aquitaine, à partir des données disponibles, il n'est pas inconcevable de considérer que la densité est passée de 0,1% à 0,34% avec un multiplicateur un peu supérieur à 3. À partir de cet indice de densité, il est possible d'établir une relation avec le pourcentage d'élus appartenant à la profession médicale pour les élus municipaux comme pour les conseillers généraux. Le cas des élus régionaux est un peu particulier dans la mesure où la profondeur historique du recensement est moins importante. La relation entre les deux ensembles se matérialise par un multiplicateur qui permet de passer de la 8 DREES, série statistiques, n022, juillet 2001.
33
densité sociale à la présence élective quantitative. Tableau 2 : Densités médicales régionale et nationale (pour les années connues). Années
1959
1965
1968
1971
1973
1980
1989
2000
Densité nationale
98,6
112,5
118,8
127,8
136,2
216
300
332
Densité régionale
ND
ND
ND
133,1
140
235
311
345
Même si la croissance de la densité professionnelle en Aquitaine entre 1980 et 1989 est moins importante qu'à l'échelon national, cette région bénéficie d'une présence importante de la profession médicale. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance: l'Aquitaine est située dans la partie sud de la France, celle où la profession médicale est la plus présente; elle dispose d'une bande côtière qui est une source de concentration supplémentaire; la Gironde qui représente 40% de la population régionale a toujours bénéficié d'une forte implantation de la profession médicale (7e rang au plan national); la population est concentrée autour des centres urbains. Une distribution spatiale déséquilibrée Comme le constatait récemment encore le Conseil national de l'ordre des médecins, la répartition de la profession médicale demeure placée sous le signe d'un double déséquilibre. Déséquilibre entre l'espace rural et l'espace urbain, déséquilibre encore, entre le nord et le sud de la France. Sans doute faut-il ajouter de nettes disparités entre les zones côtières et celles de la France de l'intérieur. C'est le cas en Aquitaine avec le Bassin d'Arcachon et la bande côtière des Pyrénées-Atlantiques et des Landes. Le phénomène le plus significatif reste les variations dans la distribution de la profession médicale entre les différentes catégories de territoires communaux. C'est un phénomène ancien qui accompagne la croissance de la densité médicale depuis la fin des années 60. Ainsi en 1968, les communes rurales représentaient 34% de la population française et 34
recevaient 12% de la population médicale. Quant aux villes de 100000 habitants et plus, elles regroupaient 37% de la population totale et 57% de la population médicale. D'après le même document, en Aquitaine, la densité médicale dans les communes rurales était de 54,7 et de 188,5 dans les unités urbaines alors que les premières rassemblaient presque autant de population que les dernières9. Pour la même année, l'agglomération bordelaise regroupait 72% des médecins exerçant dans le département alors qu'elle ne représentait que 50% de sa population. Sa densité était de 203 médecins pour 100000 habitants, très supérieure à ce qu'elle pouvait être dans le département. La densité départementale en 73 était de 161, celle de 68 se situait autour de 130. Cette tendance est confirmée dans le recensement effectué par Daniel Sicart pour le compte de la DREES. Tableau 3: Répartition de la profession médicale par tranche d'unités urbaines. Unités de peuplement \ années de référence
1984
1990
2000
Communes rurales
7,2%
6,9%
6,7%
Unités urbaines de moins de 5000 habitants
3,5 %
3,5 %
3,4%
De 5000 à - de 10 000 habitants
4,0%%
4,1 %
4,2%
De 10 000 à - de 20 000 habitants
4,7%
4,8%
5,0%
De 20 000 à - de 50 000 habitants
8,7%
8,9%
9,3%
De 50 000 à - de 100 000 habitants
8,6%
8,2%
8,8%
De 100 000 à - de 200 000 habitants
9,6%
9,3%
9,5 %
- de 2000 000 habitants
28,6%
30,8 %
30,9%
25,1 %
23,5 %
22,3 %
De 200 000 à
Agglomération parisienne
9
Les personnels sanitaires et sociaux, MSPSS médecins, INSEE, p. 145. 35
À la lecture des deux premières lignes de ce tableau, il apparaît
que les communes de - de 5000 habitants reçoivent autour de 10% de la profession médicale. La proportion est passée de 10,7 à 10,I entre 1984 et 2000. Si l'on applique ces critères nationaux de répartition à la région Aquitaine, il apparaît que 6,7% de la population médicale est en charge de 33,7% de la population. Le corps médical est donc moins présent dans les communes dites rurales, celles qui constituent 90% des territoires communaux et autant des positions électives municipales. En élargissant l'éventail de comparaison, 14,3% de la profession médicale doit s'occuper de plus de 60% de la population. Plusieurs points doivent enfin être soulignés. L'indice de densité de la fin de période est, selon les études les plus récentes du Conseil de l'ordre des médecins, destiné à connaître une diminution significative dans les prochaines années en raison du numerus clausus restrictif adopté depuis une quinzaine d'années. L'indice de densité de l'année 2001 est un des plus élevés que cette profession ait connu depuis l'institutionnalisation de la profession médicale à la fin du 1ge siècle. fi est appelé à diminuer à mesure que les forts contingents des années 70 cesseront leur activité. L'inversion du rapport entre médecins généralistes et médecins spécialistes qui s'est produit en Aquitaine dix ans avant qu'elle ne se réalise à l'échelle nationale a accentué le caractère urbain de la distribution professionnelle. S'il y a plus de médecins spécialistes que de médecins généralistes aujourd 'hui, c'est essentiellement au profit des villes. Les médecins élus dans les communes rurales et les villes de - de 5000 habitants sont principalement des médecins généralistes. La féminisation de la profession médicale s'est accélérée ces dernières années pour arriver à un taux de 30% environ.
~ 2 Une surreprésentation
permanente mais évolutive
L'agrégation des données au niveau régional permet de fixer les tendances quantitatives de la présence sociale de la profession médicale en Aquitaine. Elle donne l'opportunité de rappeler la particularité des populations qui seront mises en relation ici. Les populations d'élus ne reproduisent pas exactement les disparités de population alors que la 36
présence sociale quantitative de la profession médicale est étroitement liée à la structuration démographique de chaque département. Cela signifie que pour les conseillers municipaux, les maires et les conseillers généraux, la composante rurale est surreprésentée dans l'ensemble aquitain par rapport aux réalités sociodémographiques de la région. Ce n'est pas le cas des conseillers régionaux où la pondération est mieux exprimée. Comme cela a été suggéré plus haut, il convient de conserver à l'esprit la fragilité de l' étiquette évoquant la ruralité. S'agissant de désignation électorale, ce sont les représentations relatives aux acteurs individuels et collectifs qui entrent en ligne de compte. Dans ce cas, la dimension politique et sociale prime sur la catégorisation démographique même si cette dernière conserve un caractère d'indicateur. La population des élus municipaux des cinq départements évolue entre 27500 et 30000 de 1959 à 2001. Celle des maires varie de 2357 à 2292. Pour certaines années, il n'a pas été possible d'effectuer le recensement sur tous les départements. Le nombre de départements constitutif de l'échantillon est indiqué entre parenthèses. Le pourcentage est calculé relativement à la population d'élus servant de base à l'échantillon. Le nombre des conseillers généraux change à la suite des créations de cantons tenant compte de l'urbanisation croissante des espaces départementaux. TIpasse de 202 à 235. Comme il été suggéré plus haut, les élections régionales offrent à l'observation une échelle temporelle plus réduite, de 1986 à 2004. Elles présentent la particularité d'être réalisées à partir de listes départementales dont l'élaboration est ouvertement soumise à l'influence des structures partisanes. Les données qui s'y rapportent constituent une indication du positionnement des médecins dans l'univers partisan local sur la période considérée. Les résultats des différentes enquêtes présentés ci-dessous mettent en évidence un phénomène de surreprésentation de la profession médicale parmi les différentes populations d'élus locaux.
2.1 Mesure de la surrevrésentation au niveau ré~ional
d'une
Les différentes populations d'élus sont présentées sur la base agrégation régionale des données concernant les élections 37
municipales et cantonales. Les tendances ainsi dégagées sont comparées avec les résultats nationaux. Surreprésentation municipaux
discrète mais diminution
récente chez les élus
Le tableau 4 permet d'effectuer plusieurs constats et d'y associer un certain nombre d'interprétations. La proportion de médecins élus municipaux est assez faible en valeur absolue. Celle des maires est un peu plus remarquable. Malgré cela, il n'est pas difficile de montrer la surreprésentation de la profession médicale en usant d'un multiplicateur pour passer d'un pourcentage à l'autre. Ainsi, la proportion de médecins élus municipaux est quasi constante entre 1959 et 1995 alors que la densité professionnelle est multipliée par trois. Le multiplicateur entre densité professionnelle et densité élective est de onze en 1959 alors qu'il est largement inférieur à trois en 2001. L'observation de la population des maires confirme cette tendance. Un pourcentage quasi constant jusqu'en 1995 est accompagné d'une diminution régulière de la valeur du multiplicateur. Là aussi 2001 marque une rupture de tendance. L'agrégation des données municipales au niveau régional met en valeur un phénomène de surreprésentation des médecins qui connaît une régression significative en fin de période. L'observation des territoires d'élection des médecins n'est pas sans intérêt. Elle met en évidence une autre forme de surreprésentation. D'une part, la proportion de médecins élus dans les communes de - de 2000 habitants constitue le premier groupe par son importance alors que ces communes ne reçoivent que 6,7% de la profession médicale en 2000. Ici la valeur de la densité élective est à l'inverse de la rareté professionnelle. Evidemment, plus on remonte dans le temps et plus la tendance est accentuée puisque la densité professionnelle diminue. Toutefois, une nuance doit être apportée: ces communes rassemblent plus de 90% des élus municipaux et si on travaille sur les conseillers municipaux et les maires, on a plus de probabilités de les rattacher à cet ensemble qu'aux 10% restant. Cela explique aussi la surreprésentation des agriculteurs au sein des élus municipaux et des maires. fi n'est pas difficile de comprendre que ceux-ci sont plus présents dans les communes 38
rurales que dans les autres. À l'inverse du monde agricole, la profession médicale est la plus présente au sein des conseils municipaux dans l'ensemble des communes où elle est distribuée avec la plus grande rareté.
D'ailleurs un ensemble plus large comprenant les communes de - de 10000 habitants confirme ce constat. TI accueille autour de 14% de la profession médicale et fournit entre 93,4% des médecins élus municipaux (1959) et 76,3% en 2001. On se retrouve dans la contradiction annoncée précédemment entre probabilité statistique et réalité sociologique. D'autre part, ce constat ne doit pas passer sous silence une autre évolution: le pourcentage d'élus appartenant à la profession médicale diminue dans l'ensemble des communes rurales. La surreprésentation connaît une érosion régulière qui est aussi sensible à travers le regroupement des deux premières catégories de communes. Dans les communes de - de 23 conseillers municipaux, le pourcentage d'élus médecins passe de 81% en 1971 à 56,5% en 2001. Cette tendance ambivalente est une des bases de questionnement sur l'éligibilité de la profession médicale. D'autant que parallèlement, la proportion de médecins élus dans les communes de plus de 29 conseillers municipaux est multipliée par plus de 3 entre le début et la fm de la période. Dans ces villes qui rassemblent 40% de la population aquitaine et une faible part des élus municipaux, la densité médicale est la plus élevée. Ce dernier facteur peut contribuer à réduire la valeur du multiplicateur mais le faible nombre des élus municipaux de ces villes par rapport à l'ensemble joue en sens opposé. En 2001,23,7% des médecins sont élus dans les villes à plus de 29 conseillers municipaux mais celles-ci fournissent moins de 5% des élus municipaux. Elles sont aussi celles où les partis politiques exercent la plus grande influence sur l'élaboration des listes. Les conditions de l'élection ne sont plus exactement les mêmes. En établissant un ensemble des unités urbaines de plus de 27 conseillers municipaux à partir des deux dernières catégories, il est possible de cerner l'ampleur d'une évolution qui voit le doublement du pourcentage de médecins élus dans ces villes en l'espace de quarante ans. Plus de 43% des médecins élus appartiennent au groupe le plus réduit d'élus municipaux, représentant la majeure partie de la population et les espaces où la densité de la profession médicale est la plus forte. Les tendances observées dans la population des médecins élus municipaux se résument en quelques conclusions provisoires. D'une part, il s'agit d'un pourcentage très réduit qui reste quasiment constant sur 39
toute la période mais connaît une diminution de l'indice de surreprésentation en raison de la multiplication par 3 de la densité médicale. D'autre part, les territoires d'élection ont connu des changements significatifs liés à l'évolution démographique de l'espace
aquitain, ce qui fait que beaucoup de communes de - de 2000 habitants se situent dans des aires d'influence urbaine. D'un côté, un peu plus du tiers des médecins élus municipaux appartiennent aux communes de moins de 2000 habitants. Ds sont élus dans l'ensemble des communes qui donne le plus grand nombre d'élus, représente 1/3 de la population et accueille la densité médicale la plus faible. Ds sont les élus de la rareté. Toutefois, une évolution remarquable doit être associée à ce constat. La part occupée par cet ensemble diminue nettement entre 1959 et 2001. Les médecins sont aujourd'hui majoritairement élus dans des communes urbaines. Evolution qui s'accorde avec la tendance démographique générale de l'espace aquitain mais qui implique aussi de s'interroger sur les traductions de cette évolution en termes de conditions de légitimation électorale. Les propriétés des situations électorales ne sont pas les mêmes dans les communes rurales et dans celles qui ont 27 conseillers ou plus. De ce point de vue, la population des médecins élus municipaux apparaît plus hétérogène. La notion de surreprésentation est elle-même mise en question par cette évolution dans la mesure où elle apparaît plus ambivalente. D'un côté, la proportion croissante d'élus en milieu urbain est accompagnée d'une diminution de l'indice de surreprésentation puisque la densité est plus forte dans les communes de 5000 habitants et plus. En étant de plus en plus élus dans des unités urbaines, les médecins élus représentent des espaces où l'indice de surreprésentation est plus faible. Parallèlement, ils appartiennent au groupe d'élus municipaux le plus réduit. D faut signaler par ailleurs un lent processus de féminisation de la population perceptible à partir de 1995, mais beaucoup plus net avec les élections municipales de 2001. On part de moins de 5% pour se situer autour de 15%.
40
Tableau 4 : Pourcentage de conseillers muruclpaux appartenant à la profession médicale en se rapportant au nombre d'élus municipaux de référence. Le nombre de départements servant de base au recensement est indiqué entre parenthèses. 1959 (4)
1965 (4)
1971 (5)
1977 (3)
1983 (5)
1989 (5)
1995 (5)
2001 (5)
%de médecins CM
1,1%
1,1%
1%
1,1
1,1%
1,1%
1,1%
0,8%
Elus dans une commune de 9 à ISCM
50%
41,9%
40,5%
42%
39,2%
36,2%
38,6%
36,8%
Elus dans une commune de 27,4% 17à23 CM
35%
40,5%
41,2%
20%
23%
17,2%
19,7%
Elus dans une commune de 27 et 29 CM
15,7%
17,1%
13,6%
12,4%
20,9%
18,8%
18,3%
19,7%
Elus dans une commune de plus de 29 CM
6,6%
5,8%
5,1%
4,2%
19,7% 21,9%
25,7%
23,7%
Densité médicale repère et mult
0,1
0,13
0,31
0,34
11
7,6
3,5
2,3
Surreprésentation plus marquée mais déclinante chez les maires La lecture du tableau 5 permet de se faire une idée précise de la proportion de médecins exerçant le mandat de maire à l'issue des élections municipales organisées entre 1959 et 2001. 41
Parmi les médecins élus mUnICIpaUX,la population des maires se distingue par des tendances plus marquées. Ainsi, le pourcentage de médecins exerçant le mandat de maire est plus élevé que celui des médecins conseillers municipaux. De ce fait le multiplicateur de surreprésentation est logiquement plus important: 29 en 1959 et 6 en 2001. Cependant, il ne faut pas négliger le fait que les ensembles de référence ont des tailles très différentes. Quand on recherche les médecins dans la population des maires celle-ci est d'environ 2300 alors que celle des conseillers municipaux est 13 fois plus importante. L'effet nombre joue sur les écarts de pourcentage. L'ensemble des maires appartenant à la profession médicale connaît également une diminution significative en valeur absolue comme en pourcentage et, corrélativement, en multiplicateur de surreprésentation. C'est une situation qui est plus récente que sur l'ensemble de la France. En étudiant de façon plus approfondie les données présentées ici, nous pouvons souligner plusieurs tendances concernant des territoires d'élection. En 1959, 75% des maires appartenant au corps médical sont élus dans des communes de 9 à 13 conseillers municipaux. Or à cette époque, les communes rurales (9 à 17 conseillers municipaux) rassemblent encore plus de la moitié de la population en Aquitaine et présentent les densités de profession médicale les plus basses. Elles connaissent un degré de politisation partisane très bas, voire inexistant. À l'opposé, 15% des maires du corps médical sont élus dans des unités urbaines. En début de période, les médecins qui accèdent à un mandat de maire appartiennent à un monde rural où leur profession est rare. Sur bien des points, les données de 2001 contrastent avec celles de 1959. D'une part, le pourcentage de médecins accédant au mandat de maire dans la première catégorie de communes est inférieur à 50%. Or beaucoup d'entre elles ne sont pas des communes rurales parce qu'elles se situent dans des zones de peuplement urbain. Le pourcentage de médecins dirigeant des communes rurales est donc relativement faible. Sans doute, existe-t-il des nuances entre les différents départements d'Aquitaine. D'autre part, il est notable que le pourcentage de médecins occupant le siège de maire dans les villes d'au moins 29 conseillers est en forte augmentation. TIétait insignifiant en 1959 alors qu'il atteint 25% en 2001. Pour conclure partiellement sur ce point, il convient de souligner que dans 42
la population des maires d'Aquitaine, en fm de période, les membres de la profession médicale sont moins nombreux, moins surreprésentés, et qu'ils sont majoritairement élus dans des communes urbaines ou périurbaines à l'inverse de ce qui est observé au début de la Cinquième république. Tableau 5 : Maires appartenant à la profession médicale avec la taille des communes. 9,11,13,1 5CM
17,19,21 CM
23,27 CM
29CM
+de 29CM
Nombre total
%
1959
51
7
9
0
1
68
2,9%
1965 (sans 24) sur 1777 matres
38
12
8
0
1
59
3,3%
1971
42
13
12
0
3
70
2,9%
1977 (sans 64 et 47), sur 1440 maires
28
7
10
0
0
45
3,1%
1983
31
9
13
4
6
63
2,7%
1989
29
6
11
5
6
57
2,4%
1995
29
4
13
6
6
58
2,5%
2001
22
3
Il
4
8
48
2%
Afin de mieux situer les données du tableau 5, nous avons rassemblé les données permettant d'établir deux types de comparaison. Comparaison entre les données régionales et nationales Du tableau 6, il est possible de dégager plusieurs observations. Les valeurs correspondant à la région Aquitaine sont toujours plus élevées que celles concernant la France entière. Le pourcentage d'élus et le multiplicateur de surreprésentation connaissent ici aussi un déclin mais les écarts entre valeurs régionales et nationales restent proches. n semble donc que les membres de la profession médicale aient plus de chance 43
d'être élus municipaux en Aquitaine qu'en France. En tant qu'espaces de reconnaissance et de légitimation, les territoires municipaux d'Aquitaine paraissent plus favorables à la profession médicale qu'ils ne le sont en France. Tableau 6 : Comparaison entre la proportion de maires appartenant à la profession médicale en Aquitaine et en France avec indication du multiplicateur de surreprésentation pour trois années.
Pourcentage et multiplicateur des maires médecins en Aquitaine Pourcentage et multiplicateur des maires médecins en France
1971
1983
1989
1995
2001
2,9% 22
2,6%
2,4% 7,7
2,5%
2% 5,8
2% 15,7
1,7%
1,7% 5,4
1,6%
1,4 4
fi est également possible d'établir une comparaison avec les données nationales concernant d'autres catégories socioprofessionnelles. Cela permet d'apprécier la valeur du multiplicateur par rapport à celle des catégories les plus représentées dans la population des maires. Comme il a déjà été précisé, la particularité de la division territoriale exerce un effet direct sur la composition de la population française des maires. Les agriculteurs sont naturellement surreprésentés parce que la proportion de petites communes encore sous influence rurale est largement majoritaire dans l'ensemble des communes françaises. Mais, à l'inverse des médecins, leur population diminue significativement ce qui a pour effet de maintenir le multiplicateur à une valeur élevée. Malgré l'effet territoire, le multiplicateur est plus élevé pour les médecins que pour les agriculteurs en 1971.
44
Tableau 7 : Comparaison avec le multiplicateur des catégories les plus représentées au niveau national dans la population des maires: les agriculteurs, les retraités. Les multiplicateurs sont calculés à partir des données sociales des recensements les plus proches de l'année étudiée. L'année du RGP de référence est signalée entre parenthèses.
Agriculteurs et salariés agricoles multiplicateur Pensionnés et retraités civils multiplicateur
Surreprésentation
1971 (1968)
1980 (1982)
1987 (1990)
1995 (1999)
2001 (1999)
44,3% 11,3
40% 12,5
36,6% 14
19,8% 12,3
18% 11,2
11% 1,1
13,8% 1
15,6% 1,1
29,7% 1,8
29,6% 1,6
et déclin plus nets chez les conseillers généraux
À la différence des élections municipales, les élections cantonales portent sur des quantités de candidats et d'élus plus réduites. Elles sont intéressantes à plusieurs titres. D'une part, les propriétés contextuelles sont différentes. TIs'agit d'un scrutin uninominal dans lequel la présence électorale des candidats s'établit sur des facteurs individuels et supra individuels. L'influence des appartenances partisanes y est plus ou moins explicite selon les lieux et les époques. Avec la décentralisation, les exigences associées au rôle de conseiller général ont évolué en raison du degré de responsabilisation imposé aux élus. D'autre part, le mandat de conseiller général peut être considéré comme un mandat charnière dans une trajectoire de cumul des positions électives. TI peut être l'aboutissement de cette trajectoire, mais, également, ouvrir sur d'autres mandats locaux ou nationaux. TI est donc intéressant de savoir dans quelles proportions les médecins s'y trouvent représentés et quelle est la valeur de ces données par rapport à celles enregistrées au niveau national. De même convient-il d'observer les différentes tendances qui se dégagent sur l'ensemble de la période.
45
Une surreprésentation toujours plus marquée en Aquitaine qu'en France malgré une régression comparable Le tableau 8 pennet de se faire une première idée de la proportion de conseillers généraux appartenant à la profession médicale dans les cinq départements d'Aquitaine en données agrégées. Les valeurs du multiplicateur sont indiquées quand cela est possible. En établissant une correspondance avec les données du tableau 9, il est possible de réaliser différentes comparaisons: données régionales et données nationales pour la profession médicale (pourcentages et multiplicateur); données profession médicale et données des autres catégories socioprofessionnelles. Tableau 8 : Pourcentage de médecins dans les cinq Conseils généraux d'Aquitaine avec indication du multiplicateur
46
1961
1964
1967
1970
1973
1976
1979
%
14,8
16,8
15,3
18,8
17,6
16,3
15,8
mult
-
-
123
141
125
-
-
1982
1985
1988
1992
1994
1998
2001
%
15,3
17,4
15,7
14
11,9
9,3
8,5
mult
60
61,9
51,4
42,5
35,8
27,2
24
Tableau 9: Comparaison avec l'échelon national; Les médecins conseillers généraux et les deux catégories les plus représentées; pourcentage et multiplicateur. 1974
1978
1982
1985
1988
1992
2001
Médecins, chirurgiens Pourcentage Multiplicateur
11,2 82,3
10,5
10,2 43,2
10,1 37
9,4 32
8,5 27
6 18
Agriculteurs, salariés agricoles Pourcentage multiplicateur
13,5 2,2
12,6
10,7 3,3
10,1
9,2 4
8,1 3,5
6,1 3,8
Pensionnés et retraités civils Pourcentage multiplicateur
9,2% 0,7
6,7
7,4 0,5
10,3
13,6 0,8
17,4 1
20,1 1,1
La mise en relation des tableaux 8 et 9 permet des observations ouvrant sur des perspectives de questionnement et d'interprétation. Par les valeurs de ses pourcentages et du multiplicateur, la profession médicale est quantitativement plus présente en Aquitaine qu'elle ne l'est à l'échelon national dans la population des conseillers généraux. TIy a là une première piste d'interrogation. Faut-il y voir l'effet d'une densité professionnelle plus élevée? Pas nécessairement puisque le pourcentage diminue quand la densité augmente, amplifiant par là même la décroissance du multiplicateur. Il y a plutôt une relation entre la rareté de la profession médicale et son taux de présence au sein des assemblées départementales. On peut également se demander si cet écart signifie que les médecins réussissent mieux en Aquitaine qu'ailleurs. Quand la surreprésentation est forte, elle est plus marquée en Aquitaine qu'en France, quand elle diminue, la tendance est plus tardive en Aquitaine. TI faut donc s'interroger sur les espaces de reconnaissance et de légitimation qui se manifestent dans les élections cantonales pour essayer de comprendre cette singularité aquitaine. La diminution du taux est relativement lente et progressive. Elle n'est perceptible que dans la dernière décennie. Avec un décalage temporel, les données régionales 47
reproduisent la tendance constatée au niveau national. Le constat effectué ici converge avec celui qui a été fait à propos des élus municipaux. TIfaut donc aussi s'interroger sur cette diminution. Les valeurs du multiplicateur comparées à celles des catégories les plus représentées parmi les conseillers généraux en France sont élevées, sans doute les plus élevées de toutes les catégories. Les fonctionnaires n'ont pas été mentionnés dans le tableau car la catégorie est vaste et imprécise. Leur pourcentage maximal est de 7,3% en 2001, ce qui ne peut pas donner un multiplicateur élevé, et de toute façon, nettement inférieur à celui des médecins. Mais il s'agit d'une définition étroite de la catégorie car, si on y place les enseignants le pourcentage est multiplié par trois, et le multiplicateur est situé entre 2 et 3. Dans ce cas, il est proche de celui des agriculteurs. TIya donc lieu de s'interroger sur la portée de cet indice de surreprésentation chez les médecins, conseillers généraux. Les propriétés des élections cantonales génèrent-elles les conditions d'une empathie particulière envers la profession médicale? Le mandat de conseiller général n'a-t-il pas un statut spécifique dans la détermination d'une trajectoire élective? Si la comparaison est établie avec le pourcentage de médecins élus à l'Assemblée Nationale des éléments de divergence apparaissent sur la constance du pourcentage à l'exception des scrutins marqués par une poussée ou une victoire de la Gauche (voir 67, 81, 88). Curieusement la valeur du multiplicateur est très proche en fin de période, pour les conseillers généraux en Aquitaine (24), en France (18) et les députés médecins (21). TI faut noter que le pourcentage moyen de médecins à l'Assemblée nationale sur les douze législatures est de 7,6, c'est-à-dire plus du double de ce qu'il était (3,3%) dans les deux assemblées constituantes et sous la Quatrième république. La Cinquième république est donc marquée par une arrivée significative des médecins à l'Assemblée nationale, un espace politique fortement dominé par les structures partisanes. Pour les conseillers généraux, si les données de 2006 étaient prises en compte (5,4%), le taux serait divisé par 2 par rapport à celui de 74. TIy a une diminution régulière chez les médecins conseillers généraux qu'il n'y a pas chez les députés appartenant au corps médical.
48
Tableau 10 : Pourcentage de médecins à l'Assemblée nationale (calculé par rapport à l'ensemble des élus de la législature)
1958
1962
1967
1968
1973
1978
% de médecins élus à L'A.N
8,5
7,1
5,9
9
8,8
8,8
mult
94
66
55
1981
1986
1988
1993
1997
2002
% de médecins élus à L' A.N
5,8
8,5
7
8,6
7,3
7
muIt
28
28
24
27
22
21
Entre les différentes populations d'élus, il existe donc une convergence sur la baisse de la valeur du multiplicateur. Toutefois, il n'y a pas à l'Assemblée nationale une diminution du pourcentage de médecins élus comme chez les conseillers généraux. On peut donc émettre I'hypothèse que les médecins réussissent assez bien dans des élections présentant un degré élevé d'influence partisane. De ce fait, il est difficile de relier la diminution de leur présence quantitative chez les élus locaux à la prégnance croissante des partis politiques dans les élections locales. TIfaut voir maintenant si les tendances observées dans la composition des Conseils généraux peuvent être corrélées avec une variation des candidatures. Tableau 11 : Pourcentage de médecins dans les candidatures au Conseil général: les cinq départements d'Aquitaine en données agrégées.
%
%
1961
1964
1967
1970
1973
1976
1979
6,3
6,6
6,8
10
7,9
9,2
6,8
1982
1985
1988
1992
1994
1998
2001
7,8
7
5,7
5,6
5,6
5,2
4,5
49
Les données sur les candidatures sont tendanciellement proches de celles concernant la proportion d'élus. La diminution est régulière même si elle doit être relativisée par l'accroissement important du nombre de candidatures aux élections cantonales depuis le début des années 90. La valeur du multiplicateur est moins importante et elle passe de 60 (1961) à 13 (2001) avec un pic à 90 (1970). TIfaut remarquer que jusqu'en 1994, le pourcentage de médecins élus dans un Conseil général est plus du double de celui des candidatures. En regroupant les données par décennie, la rupture apparaît nettement dans la dernière partie de la période, ce qui apporte un élément de ftagilité dans la mesure où cela reste assez récent. Toutefois, les données nationales présentées plus haut confirment que la diminution enregistrée dans la dernière décennie s'inscrit dans une tendance un peu plus anCIenne. Tableau 12 : Données agrégées par décennie. Années 60
Années 70
Années 80
Années 92-2001
% candidatures
5,8
9
6,8
5,3
% de médecins membres des CG
15,6
17,1
16,1
10
La décennie 70 constitue une période charnière sous plusieurs aspects. Elle est le moment où ceux qui ont été élus après la deuxième guerre mondiale arrivent à la fin de leur trajectoire élective, permettant ou accompagnant l'émergence d'une nouvelle génération de médecins conseillers généraux. Ceux qui ne sont pas encore élus au Conseil général durant ces années, le seront au début des années 80 parce qu'ils ont conquis un siège de maire ou de conseiller municipal en 71 ou en 77. Le maintien des indices de représentation élevés dans les Conseils généraux pour les années 80 est une confirmation de cette poussée générationnelle. TIne faut pas négliger le fait qu'il s'agit d'une phase de transition au cours de laquelle l'opposition Droite/Gauche devient plus marquée dans la vie politique ftançaise. Même si la vie politique locale a intégré ces changements après un temps d'adaptation, il y a bien eu trois élections 50
cantonales et une élection municipale où une partie des candidats pouvait se réclamer de l'union de la gauche contre les partis de droite. C'est enfin la dernière période antérieure à la décentralisation. celle où les missions des élus n'ont pas encore pris l'ampleur qu'elles auront dans la phase postérieure. La période qui va de 1992 à 2001 apparaît en nette opposition sur plusieurs points. Ainsi, le pourcentage de candidatures est le plus bas des trois périodes. Plusieurs explications peuvent être proposées. En premier lieu, il faut se souvenir qu'au cours de cette période, on assiste à une multiplication des candidatures, notamment pour les élections cantonales. La faiblesse du pourcentage des candidatures de médecins doit donc être replacée dans ce contexte. En second lieu, il est possible que le renouvellement générationnel que nous avons évoqué à propos des années 70 ne se produise pas dans les années 90/2000 et que cela contribue à faire baisser le pourcentage des candidatures de médecins. Dans ce cas, il faut se demander dans quelle mesure, le facteur professionnel peut susciter une relative désaffection des médecins vis-àvis des élections locales. Sans doute faudrait-il observer attentivement l'âge des médecins élus, et même celui de leur première élection. Enfm, il est concevable que cette diminution découle d'une moindre reconnaissance des médecins par l'univers partisan. n faut donc examiner avec attention les rapports entre la profession médicale et les structures partisanes. n est encore trop tôt pour savoir si la tendance dégagée des données concernant l'Aquitaine correspond à une évolution durable. n est notable que si les médecins retraités n'avaient pas été retenus dans l'échantillon,
elle serait encore plus marquée. Cependant, elle est cohérente avec ce que nous savons des données nationales. Quoiqu'il en soit ces données indiquent que la temporalité introduit des contextes différenciés de reconnaissance et de légitimation de la profession médicale. n semble que la composition des territoires soit également un facteur à retenir. Une réussite électorale variable La diminution des indicateurs évoquée plus haut conduit à s'interroger sur la réussite électorale des médecins dans les scrutins cantonaux. Deux tendances se dégagent. La première, présentée dans le 51
tableau ci-dessous, confirme une altération de cette réussite électorale. La seconde fournit une première explication à ce phénomène en soulignant la supériorité du taux de réussite dans les cantons ruraux par rapport à ce qu'il est dans les deux autres familles de cantons. Tableau 13 : Globalement la réussite électorale des membres du corps médical diminue: Nombre de candidatures de médecins
Nombre de médecins élus
Pourcentage de réussite
61-67 (3)
64
41
64%
70-79 (4)
137
80
59%
82-88 (3)
104
59
56%
92-2001 (4)
144
48
30%
Mais cette évolution varie suivant le type d'espace électoral auquel il est fait référence. Même si la répartition en trois catégories n'est pas aisée, la réussite demeure toujours supérieure dans les cantons ruraux ou à dominante rurale que ce qu'elle est dans les deux autres catégories de cantons. Tableau 14: Evolution du rapport médecins candidats/médecins élus dans les cinq Conseils généraux d'Aquitaine par décennie. Certaines connaissent trois élections d'autres quatre.
61-67 (3) 70-79 (4) 82-88 (3) 92-2001 (4)
52
Cantons ruraux Candidats/élus, %E/C 34/24 70%
Intermédiaires Candidats/élus, %E/C 12/7 58%
Cantons urbains Candidats/élus %E/C 18/10 55%
Total
64/41 64%
62/45 72%
29/17 59%
46/18 38%
137/80 59%
46/28 60%
28/14 50%
30/17 56%
104/59 56%
54/24 45%
37/10 27%
53/14 26%
144/48 30%
Ce tableau de synthèse est porteur de plusieurs indications. TI doit être précisé que derrière la notion de candidature il faut comprendre que les mêmes médecins peuvent se présenter à deux reprises au cours d'une décennie. Le nombre très élevé de candidatures pour la période 70-79 s'explique en partie par le fait que certains de ceux qui se présentent en 76 se sont déjà présentés en 70. La remarque est identique pour 73/79. Mais c'est aussi la particularité de cette décennie. Le taux de réussite global diminue de moitié entre la première et la dernière période. La diminution est moins nette dans les cantons ruraux. Le taux de réussite en milieu rural est toujours plus élevé que le taux de réussite moyen. Ce qui permet de déceler deux tendances dans la diminution globale de la réussite électorale: Une régression qui touche tous les espaces électoraux mesurée par l'affaiblissement du taux de réussite électorale. Même s'il est en baisse constante, le pourcentage de conseillers généraux médecins reste élevé grâce à la proportion de cantons à dominante rurale dans l'ensemble des cantons d'Aquitaine. Tableau 15 : Les cantons où sont élus les médecins. Cantons ruraux
Intermédiaires
Cantons urbains
61-67
58%
17%
24%
70-79
56,2%
21,2%
22,5%
82-88
47,4%
23,7%
28,8%
92-2001
50%
20,8%
29,1%
De l'étude des données agrégées au niveau régional, il est possible de tirer quelques conclusions partielles et provisoires. Le pourcentage d'élus locaux appartenant à la profession médicale est de façon constante plus élevé en Aquitaine qu'en France. C'est un premier point de particularité qui invite à s'interroger sur l'accueil qui est fait aux médecins par cet espace de reconnaissance et de légitimation que constituent les cinq départements d'Aquitaine. Le corps médical est-il mieux considéré ici qu'ailleurs? La vie politique locale est-elle plus propice à la réussite des médecins pour l'accession aux mandats locaux? C'est ce que paraissent 53
indiquer les écarts entre données nationales et régionales. D'autres points sont à souligner. Le pourcentage de médecins élus locaux est inversement proportionnel à la présence sociale quantitative de la profession. En recoupant les variables synchroniques et diachroniques, il semble que la valeur des pourcentages augmente avec le degré de ruralité des espaces. Cela signifie que la considération portée à la profession médicale autant que la légitimation de ses membres à exercer des mandats locaux sont variables. Certes le déclin constaté en fin de période est moins évident en Aquitaine qu'en France mais il est net par rapport aux données des trois premières décennies. n faut à présent voir quels enseignements apporte une comparaison entre les données des différents départements.
2.2 Comparaison entre les différents départements L'étude des données à l'échelon de chaque département permet de confirmer les interprétations proposées précédemment tout en y apportant quelques nuances. Ainsi, les élus locaux appartenant à la profession médicale constituent une population qui a ses propres caractéristiques: taux élevé de surreprésentation, volume important d'élus, surtout chez les conseillers généraux, relatif déclin en fin de période. Pourtant, d'autres éléments de fait montrent des écarts qui invitent à prendre en compte les facteurs de contextualité électorale qui ont leurs racines dans les réalités sociales et politiques.
54
Les médecins, conseillers municipaux et maires, des 5 départements Tableau 16: Conseillers municipaux appartenant au corps médical dans les cinq départements d'Aquitaine, et le multiplicateur de surreprésentation. 1959 24
33
40
47
64
Densité %méd/élus mult Densité %méd/élus mult Densité %méd/élus muIt Densité %méd/élus muIt Densité %méd/élus muIt
0,06
0,12 1,3 10 0,08 1,3 16 0,3 0,1 0,6 6
1965
1971 0,09 0,8 9 0,15 1,5 10 0,11 1,6 14 0,11 0,4 3<x<4 0,13 0,9 7
1977
1983
1989
0,18 0,7 4 0,31 1,5 5 0,19 1,5 7<x<8 0,20 1 5 0,26 0,9 3<x<4
0,22 0,7 3<x<4 0,37 1,5 4<x<5 0,23 1,3 5<x<6 0,23 1,1 5 0,31 0,8 2<x<3
1995
2001 0,26 0,7 3<x<4 0,38 1,2 3<x<4 0,30 0,6 2 0,29 0,8 2<x<3 0,34 0,6 1<x<2
L'année 1971 constitue une année repère à plusieurs titres. C'est celle pour laquelle les données sont disponibles pour tous les départements. En ce qui concerne les populations, elle reste représentative d'une densité médicale soumise au rythme de variation des années soixante, et le nombre d'élus ne changera véritablement qu'en 1983. Pour les départements où le recensement a été possible, le multiplicateur est quasiment le même en 1959 qu'en 1971. L'inversion de tendance significative se produit après. Jusqu'aux élections municipales de 1971, le multiplicateur reste dans des proportions élevées sauf dans le Lot-et-Garonne. Cela indique que l'interprétation en terme de ruralité a ses limites. Ce point de vue est confirmé par le fait que tous les départements connaissent des multiplicateurs très proches en fin de période alors qu'ils ne présentent pas la même structure démographique et sociale. n n'est pas dit que l'interprétation notabiliaire s'applique rigoureusement à tous les espaces ruraux sur les mêmes catégories sociales. La remarque est similaire 55
concernant la mise en correspondance des données entre les Landes et la Dordogne. Cependant, il est également possible de voir dans le lissage des multiplicateurs une forme d'homogénéisation de la reconnaissance visant la profession médicale. C'est une hypothèse qui demande à être vérifiée par une réflexion approfondie sur la question. TI faut vérifier si ces tendances sont confirmées, infléchies ou niées par une étude sur les maires des cinq départements. Dans la population des maires, la surreprésentation ne doit pas dissimuler les différences entre les départements. Le pourcentage de maires appartenant à la profession médicale est complété pour certaines années de l'indication du multiplicateur. Tableau 17: Pourcentage multiplicateur.
24 33 40 47 64
de maires appartenant
1959
1965
1977
2 (21 4,3 (35 5 (62 ND
ND
2,3
4,6
3,8
5,6 (60) 1,5 13) 2,1
3,2
1,7 17
1983
au corps médical
et
2001 1,6 (7) 3,3 9 2,7 (9) 2,4 (8) 0,7 (2)
Comme pour les conseillers municipaux mais dans des proportions plus importantes, la surreprésentation est plus forte jusqu'en 71. La réduction constatée dans la période suivante est une confirmation a contrario de l'influence du facteur rural. Plus la dominante rurale s'estompe, plus le multiplicateur régresse. L'écart le plus significatif est celui des Landes. Toutefois, certains éléments invitent à nuancer cette analyse. Dans le cas de la Gironde, l'urbanisation croissante de ces trente dernières années ne se traduit pas par une diminution très nette du pourcentage de maires et le multiplicateur ne varie pas dans des proportions aussi importantes que dans les Landes. De plus, la comparaison des trois départements ruraux en début de période montre que les indices de surreprésentation varient. En 56
71, pour ce qui concerne le multiplicateur, la Dordogne est plus proche de la Gironde que des Landes. Les indices du Lot-et-Garonne, marqués par un décalage temporel, ne sont pas vraiment ceux d'un département à dominante rurale. À partir de ces observations sur les conseillers municipaux et les maires, l'influence de la dominante rurale semble confirmée avec les nuances que nous avons rappelées. Cependant, elle ne semble pas suffisante. Les variations départementales observées indiquent la particularité de chaque espace de reconnaissance et de légitimation affirmant en cela la singularité de la contextualité électorale. De plus, il convient de ne pas négliger le fait que la grande majorité des médecins sont maires de communes rurales ou de petites villes, c'est-à-dire dans des sites où l'influence partisane est plus implicite qu'affichée. Les données des élections cantonales dans les différents départements peuvent confirmer cette interprétation. Une sUlTeprésentation différenciée chez les conseillers généraux En se référant aux tableaux 18, 19,20, il est possible de proposer un certain nombre d'observations. En premier lieu, il existe des tendances qui confèrent une homogénéité à la population des médecins élus dans les Conseils généraux. Le multiplicateur de surreprésentation est orienté à la baisse pour tous les départements au fur et à mesure que s'approche la fin de la période. C'est la confirmation de ce qui a été constaté plus haut. Cependant, il faut regarder le multiplicateur de surreprésentation pour ce qu'il est: une relation numérique. TIest un indicateur et non une preuve. TIouvre une piste d'interrogation plus qu'il ne clôt une démonstration. C'est avec la plus grande prudence qu'il doit être utilisé. La notion de surreprésentation repose sur des fondements implicites assez discutables. Dire que certaines catégories sociales sont surreprésentées dans la population des élus locaux, n'est-ce pas postuler implicitement que cette population doit reproduire avec la plus grande justesse la composition de la société? Dans ce cas, l'instrument de mesure ne repose-t-il pas sur un préjugé normatif concernant la démocratie représentative? Le risque présenté par son usage ne réside-t-il pas dans la négation des spécificités de la désignation électorale? C'est pourquoi, l'indicateur appliqué aux élus locaux issus de 57
la profession médicale n'a qu'une valeur indicative. fi oriente la réflexion vers une éventuelle érosion de la reconnaissance sociale dont la profession médicale fait l'objet, sans en montrer la certitude. Le second facteur d'homogénéisation de cette population se trouve dans l'observation des pourcentages d'élus et dans leur variation. La rupture de tendance aperçue par l'agrégation au niveau régional est perceptible mais elle n'est pas uniforme. Quatre départements sur cinq sont concernés.
Tableau
18:
Les
tendances
agrégées
par
décennie
pour
chaque
département. 92-2001
61-67
70-79
82-88
Dordogne
17%
16%
16%
16%
Gironde
14,3%
13,9%
14,2%
6,7%
Landes
22,6%
26,2%
23,3%
12,5%
Lot-et-Garonne
5,7%
17%
23,5%
11,8%
Pyrénées-Atlantiques
21,1%
13,6%
10,2%
9%
Les données présentées dans le tableaul8 permettent d'affiner les tendances mises en exergue dans les paragraphes précédents. Certaines d'entre elles sont beaucoup plus marquées dans les départements qu'elles ne le sont au niveau régional et national. Dans tous les Conseils généraux, les médecins ont représenté sur des périodes plus ou moins longues le premier groupe d'élus de l'assemblée départementale. Sur toute la période, le corps médical est un des groupes les plus présents. Partant de valeurs fortes en début de période, les départements d'Aquitaine sont encore au-dessus de la moyenne nationale en 2001, à l'exception de la Gironde dont le pourcentage est très proche du taux national. Le déclin en pourcentage d'élus est relativement récent. fi ne concerne pas tous les départements dans les mêmes proportions. Ces décalages présentent un intérêt heuristique certain parce qu'ils invitent à regarder cette réalité sociopolitique sous un autre angle. La Gironde est le seul département qui affiche une tendance régulière cohérente avec l'évolution nationale constatée plus haut. Les Pyrénées-Atlantiques connaissent une rupture au milieu des années 70, au moment où tous les autres départements ont des
58
taux relativement élevés. Le Lot-et-Garonne enregistre ses taux les plus bas dans la période où ceux des autres départements sont au plus haut. Dans les Landes, les pourcentages sont supérieurs à ceux de tous les départements sur la majeure partie de la période à quelques rares exceptions, la décélération n'intervient qu'en 94-98 suivie d'une hausse en 2001. Le Conseil général de la Dordogne accueille une proportion régulièrement élevée de membres du corps médical. Le tableau 19 confirme la nécessité de cette perspective. D'un côté, il est remarquable que dans 4 départements sur 5, les taux de réussite aux élections sont les plus bas dans la dernière période. Mais ils peuvent varier avec des écarts importants, au sein du même département, d'une décennie à la suivante. fi n'y a pas de cohérence temporelle interdépartementale pour les taux les plus élevés. Cette absence d 'homogénéité invite à relativiser une analyse centrée sur les rapports entre la profession médicale et la vie politique locale pour comprendre que derrière cet objet de recherche, il y a une réalité sociopolitique relativement complexe. fi s'agit de resituer dans leurs contextes des individus insérés par leur métier dans la vie locale, engagés dans des compétitions électorales, et qui se trouvent, parfois, déjà impliqués dans l'administration locale. Les multiplicateurs de surreprésentation atteignent des niveaux beaucoup plus élevés que ceux entrevus à l'échelon national. Mais là aussi, il y a une hétérogénéité qui s'explique en partie par les données démographiques et sociales de chaque département. Tableau 19: Taux de réussite dans les différents départements par décennie. Le pourcentage indique le rapport entre le nombre de médecins élus (N) et le nombre de candidatures de médecins (D) sur les élections de la décennie. 61-67
70-79
82~88
92-2001
Dordogne
63,1%
58%
41,6%
50%
Gironde
47,3%
51,6%
44,1
18,1
Landes
66,6%
72%
76,9%
38,8%
Lot-et-Garonne
66,6%
72,2%
84,2%
30,4%
Pyrénées-Atlantiques
81,2%
46,8%
57,1%
37,9%
59
Tableau. 20: Pourcentage de médecins membres des Conseils généraux des cinq départements avec indication du multiplicateur pour certaines périodes. 1961
1964
1967
1970
1973
1976
1979
24 mult
21,2% 316
17% 232
12,7% 158
19,1% 214
20% 198
14%
12%
33 mult
11,7% 92
15,6% 115
15,6% 111
13,7% 92
14% 87
14%
14%
40 Mult
17,8% 217
25% 277
25% 250
28,5% 261
26,6% 214
20%
30%
47 mult
5,7% 67
5,7% 61
5,7% 57
11,4% 101
12,8% 106
20,5%
23%
64 mult
21,9% 206
19,5% 169
21,9% 176
19,5% 146
16,6% 116
10,4%
8,3%
1982
1985
1988
1992
1994
1998
2001
24 mult
12% 69
16% 82
20% 92
22%
20%
10%
12% 45
33 mult
17,4% 57
15,8% 46
9,5% 25
7,9%
6,3%
6,3%
6,3% 16
40 mult
23,3% 117
23,3% 109
23,3% 89
16,6%
10%
10%
13,3% 43
47 mult
28,2% 143
25% 116
17,5% 77
17,5%
10%
12,5%
7,5% 26
64 mult
7,6% 29
11,5% 41
Il,5% 38
13,4%
7,6%
7,6%
7,6% 22
Valeurs du départementales
multiplicateur
et
densités
professionnelles
Pour les départements, les densités professionnelles disponibles commencent en 1973. TI faut se souvenir que cet indicateur varie plus nettement à partir de la deuxième moitié des années 70 dans la mesure où 60
apparaissent les premiers effets de l'augmentation du numerus clausus à la fm des années 60. L'indice de 73 est assez représentatif du rythme d'augmentation de la période antérieure. Les indices présentés dans le tableau ci-dessous sont issus de trois types d'études: Les statistiques de la CNAMTS sur les personnels sanitaires et sociaux; l'enquête de l'Ordre National des médecins de 1991 ; l'étude de Daniel Sicart déjà mentionnée. TI apparaît que la Gironde est très favorablement positionnée dans le classement des départements par densité décroissante. Elle occupe le même rang en 2001 qu'en 1973. L'indice élevé atteint en 1989 explique le ralentissement de sa croissance entre 1989 et 2001. Au cours de cette année, la proportion de généralistes devient inférieure à celle de spécialistes en Gironde. Dans ce département, le lien entre forte densité médicale et degré élevé d'urbanisation est clair. À l'inverse, tous les autres départements connaissent un recul dans le même classement. Dans la dernière période, les taux de croissance sont plus élevés que le taux national parce que le déficit structurel est plus important pour les trois départements à dominante rurale que sont les Landes, la Dordogne et le Lot-et-Garonne. Les Pyrénées-Atlantiques sont dans une situation plus favorable puisque leur taux est généralement supérieur aux taux régional et national. En résumé, il est possible de discerner deux tendances incarnées par deux groupes de départements: Le premier regroupe ceux qui connaissent une densité toujours supérieure à la moyenne nationale et un net ralentissement de la croissance du nombre de médecins au cours des dix dernières années de la période: La Gironde et les Pyrénées-Atlantiques. Le second est composé des départements dont l'indice de densité est toujours inférieur à la moyenne nationale mais qui, avec un effet de décalage temporel, connaissent une croissance plus soutenue en fin de période: la Dordogne, les Landes et le Lot-et-Garonne. La correspondance entre l'augmentation de la densité professionnelle et l'intensification du processus d'urbanisation est évidente.
61
Tableau 21: Dominante rurale et densité médicale: départementales. 1973
V 80/73
V 89/80
V 2001/89
63%
35%
18,5%
78%
31%
6,6%
52%
26%
28,2%
52%
28%
23,9%
348 (17")
64%
34%
11,1%
309
344
69%
31%
11,3%
296
332
59%
37%
12,1%
1980
1983
1989
164
181
221
286
316
374
188
196
237
183
206
234
143 (14")
234
261
313
Aquitaine
140
235
260
France
136
216
247
Dordogne (24) Gironde (33) Landes (40) Lot-etGaronne (47) PyrénéesAtlantiques (64)
101,4 (53e) 161,2 ne) 124,9 (28") 120,7 (31")
les disparités
2001 262 (60") 389 ne) 304 (36") 290 (47e)
L'influence rurale encore présente dans 3 départements sur 5 La structure démographique des différents départements met en évidence la dominante rurale en Dordogne et dans les Landes, à un degré moindre dans le Lot-et-Garonne. TI s'agit d'une ruralité atténuée par la porosité de la frontière entre rural et urbain découlant notamment d'une plus grande fluidité dans la circulation des personnes, des biens et de l'information. Le Lot-et-Garonne donne une autre image de la construction d'un espace intermédiaire dans la mesure où il se construit par le développement des relations entre les petites villes et leur environnement rural. On retrouve dans les départements d'Aquitaine toutes les formes de construction d'un espace intermédiaire entre l'urbain et le rural, rendant caduque la dichotomie sans en renier les termes. Répartition de la population par unité urbaine en 1999: Les cinq départements, la région Aquitaine et la France. Entre parenthèses nous avons indiqué le pourcentage de la population résidant dans les
communes de - de 2000 habitants au recensement de 1962. Le nombre de conseillers municipaux (CM) pouvant correspondre à chaque catégorie est indiqué. Par exemple, entre 1959 et 2001, les 62
communes dont la population n'excède pas 1499 habitants peuvent avoir 9, Il,15 conseillers municipaux. Dans cette catégorie, les communes qui ont 19 CM appartiennent à la tranche 1500/2499 en ayant moins de 2000 habitants. Les normes retenues sont celles résultant des modifications de 1983. Tableau 22 : Dominante rurale et répartition de la population.
Dordogne Nombre de communes % de la population Gironde Nombre de communes % de la population Landes Nombre de communes % de la population Lot-et-Garonne Nombre de communes % de la population PyrénéesAtlantiques Nombre de communes % de la population Région Aquitaine Nombre de communes % de la population France Nombre de communes % de la population
Communes de - de 2000 h (9, Il, 15, 19 CM)
De 2000 à 9999 h (19,23,27, 29 CM)
DelOOOOà 49999 h (33, 35, 39,43 CM)
526
28
3
557
57% (70,9%)
25,5%
17,5%
402404
440
De 50 000 à 199999 h, 45, 49, 53, 55 CM
200000 h et plus
ensemble
81
18
2
I
542
21,4% (37,6%)
25,1 %
27,8%
9,1 %
16,6%
1315380
300
27
3
331
45,3% (74,9%)
33%
21,7%
340975
289
25
3
317
43,3% (62%)
33,3 %
23,4%
317945
501
34
9
1
545
33,7% (47,2%)
23,7%
29,7%
12,9%
620763
2056
195
37
3
1
2292
33,7%
26,6%
27,7%
6,7%
7,3 %
2997467
31948
3810
802
109
10
36679
24,6%
25,2%
26,6%
14,8 %
8,7%
61632485
63
La comparaison entre les départements d'Aquitaine fournit différents enseignements. Ainsi, la dominante rurale fixe une configuration électorale forte en début de période plus modérée à mesure que l'on se rapproche de la fin du siècle. TI convient cependant de nuancer cette interprétation. D'une part, il est difficile de donner un contenu homogène à la notion de dominante rurale sur toute la durée sur laquelle porte l'analyse des données. Plus précisément, la classification des territoires communaux et cantonaux repose sur une part d'arbitraire insusceptible de rendre compte de la complexité des espaces de reconnaissance qui se constituent avec le temps. Aujourd'hui, la rigidité des territoires électoraux ne peut exprimer la porosité des systèmes de représentations qui se complexifient dans la dissolution de l'opposition rural/urbain.
2.3 Les élections rétdonales Offrant une perspective temporelle moins profonde, les élections régionales apportent néanmoins un éclairage utile sur plusieurs points. Fondées sur un scrutin proportionnel à partir de listes élaborées et concurrentes au niveau départemental, elles laissent une marge d'influence certaine aux structures partisanes départementales. Elles permettent de situer les médecins dans un contexte électoral, davantage soumis à l'influence des partis politiques, et de surcroît plus impersonnel dans le sens où il s'agit d'un scrutin de liste. Au contraire des élections municipales, il est difficile d'évoquer l'ancrage territorial des conseillers régionaux notamment en raison du caractère récent de ces élections. Tableau 23 : La profession médicale et les élections régionales.
64
1986
1992
1998
2004
%de candidatures
4,8%
4,4%
3,1%
2,4%
% de médecins membres du CR
12%
12,9%
12,9%
5,8%
Même s'il convient de considérer ces données avec une certaine prudence, la profession médicale est présente, de façon relativement importante jusqu'en 2004. En 1986, certaines listes accueillent une forte proportion de médecins, comme ce fut le cas de la liste menée par J. Chaban-Delmas en Gironde (près de 25%). Jusqu'en 2004, il est permis de mesurer la place importante occupée par les médecins au sein des structures partisanes locales et notamment des partis de droite. Le résultat des élections de 2004 est influencé par le fait que la loi sur la parité a conduit à une mise à l'écart de certains cadres politiques locaux. La plupart des médecins élus au Conseil régional jusqu'en 2004 sont des hommes. TI est donc possible qu'une part de la diminution sensible constatée cette année-là soit une conséquence indirecte de la nouvelle répartition homme/femme pour les candidatures. La sensibilité de la sUlTeprésentation de la profession médicale à la conjoncture politique est ainsi mesurée.
L'étude des données agrégées au niveau régional montre que la profession médicale, même si elle est toujours sUlTeprésentéechez les élus locaux, l'est dans des proportions moins importantes en début de période qu'à la fin. TI Y a une régression quantitative nette qui implique de s'intelToger autant sur la présence sociale de la profession médicale que sur les propriétés de la vie politique locale. D'autant que la variation quantitative est accompagnée de changements à l'intérieur de la population étudiée. Ces mutations sont de plusieurs ordres. La dichotomie rural/urbain, pertinente en début de période, l'est beaucoup moins aujourd'hui. Peut-être vaut-il mieux s'exprimer en termes de dominante pour les départements où cette empreinte semble la plus marquée. La comparaison interdépartementale apporte un éclairage supplémentaire. Sur un second point, l'évolution de ces dernières années paraît plus significative. Les médecins qui s'engagent dans une trajectoire élective de cumul apparaissent majoritairement sous une étiquette partisane clairement exprimée. 65
La composition professionnelle de la population reflète également une évolution des rapports entre le métier de médecin et les activités d'élus.
3.1 Diminution de la surreJ:}résentation et urbanisation
croissante
La première source d'hétérogénéité de la population que nous nous proposons d'étudier réside dans la recomposition des territoires d'élection, souvent assimilée à un passage du monde rural au monde urbain. Nous ne pensons que cette façon d'envisager les choses suffise à aborder les questions que pose cette hétérogénéité. D'une part, on remarque qu'un nombre croissant d'élus locaux appartenant au corps médical représente des territoires électoraux urbains ou à dominante urbaine, qu'il s'agisse des conseillers municipaux ou des conseillers généraux. n a été souligné plus haut que près de 40% des médecins élus municipaux appartiennent à des communes de + de 27 conseillers alors qu'ils représentaient la moitié en 1959. La tendance est similaire pour ce qui est de la population des maires. On peut d'ailleurs ajouter que parmi les médecins élus dans les communes de moins de 2000 habitants, certains ne sont pas des élus ruraux. Comme cela a été souligné à plusieurs reprises, la rigidité de la division territoriale ne rend pas parfaitement compte du processus d'urbanisation dans la mesure où beaucoup de communes se situent dans des aires urbaines alors qu'elles sont classées dans l'ensemble des communes rurales en raison de leur population. En Gironde, comme dans tous les autres départements, mais à degré plus marqué, la référence aux aires urbaines au sens de l'INSEE, réduit de façon significative le nombre de médecins élus dans des communes ou des cantons ruraux. Une analyse comparable pourrait être appliquée à la densité professionnelle des médecins quand on insiste sur le fait qu'elle est faible dans les communes dites rurales. En fait, la faiblesse de cette densité est surtout problématique dans les zones connaissant une stagnation ou un déclin démographique, social et économique. D'autre part, il ressort de l'étude des élections cantonales que les taux de réussite des médecins sont toujours plus élevés dans les cantons ruraux avec, néanmoins, une diminution en fin de période. Ceci nous conduit à penser que la population des médecins élus locaux connaît, au cours de cette période, une mutation profonde de ses 66
conditions d'élection. Bien sûr, il est toujours possible de se référer, dans un premier temps, au couple rural/urbain pour tenter de comprendre ces changements. Cela ne nous paraît pas suffisant pour un certain nombre de raisons. En premier lieu, nous ne pouvons pas penser que la ruralité reste une réalité immuable sur une période de quarante ans. Comme nous l'avons indiqué précédemment, elle n'est uniforme ni dans l'espace, ni dans le temps. On pourrait formuler une remarque identique à propos de l'urbanisation qui se développe avec des degrés variés d'intensité. De plus, que faut-il penser des espaces, nombreux de nos jours, qui sont intermédiaires. En second lieu, sommes-nous bien sûrs que toutes les évolutions qu'a connu la société locale depuis quarante ans peuvent être comprises à partir de cette dichotomie? Que dire, par exemple, de la diffusion des moyens d'information qui contribuent à la formation des opinions? N'est-ce pas plutôt un processus de civilisation qui accompagne le phénomène d'urbanisation de façon indépendante? C'est pourquoi, il nous apparaît nécessaire d'orienter notre réflexion sur les opérations de reconnaissance et de légitimation et de voir ce que signifient les transformations de la société locale dans cette perspective.
3.2 Des médecins davanta2e exposés aux variables partisanes Depuis plus de 25 ans, il est très rare qu'un médecin se présente ou soit élu sous une étiquette apolitique dans une élection cantonale comme cela était encore le cas au début des années 70. En milieu urbain, le soutien des forces politiques a toujours été nécessaire pour les municipales comme pour les cantonales. Le phénomène a pris de l'ampleur avec l'émergence d'une bipolarisation droite/gauche plus nette à partir du milieu des années 70. La réforme électorale pour les municipales de 1983 a accentué le
phénomène avec un mode de scrutin incitant à la bipolarisation locale. Ainsi, les candidatures aux élections municipales dans les villes de + de 3500 habitants sont conditionnées par l'impossibilité de panachage et l'avantage accordé à la liste arrivée en tête à l'issue du premier tour. De ce point de vue, les différents départements présentent une relative homogénéité. Même dans les cantons ruraux, avec un mode de scrutin 67
uninominal, l' étiquette partisane est clairement exprimée. Dans ce domaine aussi, les relations entre les médecins et les structures partisanes sont soumises à changement. Lorsqu'un médecin forme le dessein de suivre une trajectoire élective de cumul, il doit admettre les propriétés d'un espace de reconnaissance avant de s'y imposer. Les données présentées précédemment traduisent plutôt une adaptation des médecins à ces changements contextuels. Même si la valeur du multiplicateur de surreprésentation diminue, les pourcentages de médecins dans les différents Conseils généraux restent assez ambigus. Certains départements comme la Dordogne et le Lot-et-Garonne connaissent des pourcentages déjà rencontrés dans le passé, d'autres présentent des résultats plus contrastés. Cette pluralité de situations invite à s'interroger sur les relations qui se sont instaurées à différentes époques entre les médecins et les forces partisanes. Leur réussite dans les élections locales est-elle liée au degré de structuration partisane des contextes électoraux? Si la pression de cette structuration est plus forte dans quelles directions se produit l'implication des médecins dans les partis politiques? La deuxième partie de cet ouvrage tentera d'apporter des éléments de réponse à ces questions.
3.3 Recomposition professionnelle et mandats locaux S'il existe toujours une population de médecins élus locaux dans des proportions en relatif déclin, le profil de ces élus a changé. Alors que les médecins généralistes ruraux ont constitué pendant longtemps la grande majorité des élus locaux, on rencontre aujourd'hui un peu plus de spécialistes, de chirurgiens ou de professeurs de médecine. L'ensemble des médecins élus locaux paraît plus diversifié même s'il n'est pas aisé d'en rendre compte statistiquement. On peut expliquer cette diversification par la recomposition professionnelle que nous avons mentionnée plus haut. Elle résulte aussi de l'accroissement du nombre d'élus dans les villes puisque les médecins spécialistes sont principalement installés dans les unités urbaines importantes. Derrière ces changements se dessine une reformulation des rapports entre l'activité professionnelle et l'exercice d'un ou plusieurs mandats locaux. Le profil du médecin généraliste capable de satisfaire une clientèle importante tout 68
en exerçant un mandat de maire ou de conseiller général, voire les deux, est devenu l'exception alors que c'était plutôt la norme au cours des années 60170. La plupart des généralistes engagés dans une trajectoire élective exercent en cabinet de groupe. Seuls ceux qui détiennent des mandats en milieu urbain peuvent éventuellement concilier leurs deux activités parce que l'espace qu'ils ont à couvrir, en tant qu'élu, est plus réduit et qu'ils perdent ainsi moins de temps dans les déplacements. TI ne fait pas de doute que les changements intervenus dans la vie des institutions politiques locales au cours des vingt dernières années ont eu une influence sur cette recomposition. L'articulation entre l'exercice du métier de médecin et l'engagement dans la vie politique locale semble présenter plus de difficultés aujourd'hui qu'hier. Différents indicateurs présentés dans ce chapitre conduisent à penser que les modalités de cette
articulation sont sujettes à changement.
TI
faut donc examiner les
différentes formes de continuité et de complémentarité qui construisent cette articulation, tout en y associant les ruptures qui peuvent se dessiner avec le temps.
Des différents éléments qui viennent d'être développés, nous pouvons tirer un certain nombre d'observations. Relativement au présupposé initial qui consistait à considérer les élus locaux appartenant à la profession médicale comme une catégorie particulière d'élus ayant des propriétés qui lui sont propres, il est possible de mettre en évidence un certain nombre de tendances. Du point de vue quantitatif, il s'agit d'un groupe surreprésenté chez les élus locaux, tout particulièrement chez les conseillers généraux. Cette surreprésentation est mesurable par le pourcentage d'élus et le multiplicateur de surreprésentation. Toutefois, un relatif déclin semble se dessiner en Aquitaine depuis une dizaine d'années. À l'échelon national, cette tendance est plus précoce. Apparaît ici un premier élément de contextualité qui invite à se demander pourquoi le corps médical est plus présent chez les élus locaux en Aquitaine qu'en France. Le multiplicateur de surreprésentation ne peut fournir à lui seul la totalité de la réponse. TI est un indicateur numérique qui ne démontre rien mais incite à s'interroger sur la reconnaissance sociale dont bénéficie la profession 69
médicale, sachant que cette reconnaissance constitue une ressource d'éligibilité. Mis en relation avec la baisse du pourcentage de médecins élus locaux, il peut conduire à poser la question d'une déperdition partielle de reconnaissance pour cette profession. Toutefois, lorsque l'analyse quantitative se déplace vers une comparaison entre les différents départements, elle permet d'observer des écarts, des éléments de dissonance par rapport aux tendances constatées jusque-là. Cela pour indiquer simplement les limites du présupposé initial qui consistait à catégoriser un groupe d'élus locaux d'après leur appartenance professionnelle. La réalité sociopolitique qui se révèle à travers la singularité des contextes locaux est celle d'individus insérés dans la vie locale par leur activité professionnelle, et participant à la vie politique locale lors des campagnes électorales ou en exerçant des mandats locaux. La diversité des territoires d'élection et des contextes d'expression partisane, ne permet pas d'envisager une appréciation uniforme de ce qui peut être attribué aux individus dans les espaces de reconnaissance et de légitimation où ils se trouvent engagés. La connaissance de cette réalité sociopolitique devient possible si le présupposé reste ouvert, en révélant les conditions empiriques de sa réfutabilité partielle. L'hétérogénéité croissante de ce groupe d'élus invite également à nuancer une perspective centrée sur l'appartenance professionnelle. Les médecins élus municipaux sont de plus en plus élus dans des communes où les structures partisanes exercent une influence sur la formation des listes, c'est-à-dire dans des sites où ce qui est attribué à la personne paraît moins significatif. La féminisation observée principalement chez les élus municipaux n'est-elle pas liée à l'introduction de la parité dans la vie politique? L'articulation de plus en plus problématique entre vie professionnelle et exercice des mandats électifs ne résulte-t-elle pas de la professionnalisation croissante de la vie politique? Les différentes formes de continuité ou de rupture qui peuvent émerger dans l'articulation entre profession médicale et vie politique sont étroitement liées aux variations qui affectent le cadre d'expérience politique.
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CHAPITRE 2
Appartenance professionnelle et éligibilité des médecins
Des données présentées dans le chapitre 1, il ressort que la présence de la profession médicale dans la population des élus locaux est caractérisée par deux tendances. La première insiste sur les différentes formes de surreprésentation de la profession médicale. La seconde met l'accent sur le processus, encore récent en Aquitaine, de diminution de cette surreprésentation. Ainsi toute réflexion qui se donne pour objet les effets de l'appartenance professionnelle sur l'éligibilité locale de cette profession doit-elle tenir compte de la permanence de la surreprésentation et de sa variation. Si l'on considère que le fait d'appartenir à la profession médicale exerce une influence positive sur l'accession aux mandats locaux, il résulte que cette influence est elle-même variable. TIfaut donc essayer de comprendre quels sont les facteurs qui peuvent la structurer pour savoir comment ils peuvent évoluer dans le temps. Pendant longtemps, les médecins élus locaux ont été perçus à travers la perspective notabiliaire qui évoquait notamment les relations entre le prestige d'une profession, l'exercice d'un rôle professionnel et l'ancrage dans un territoire. Or, il nous semble que cette lecture, parce qu'elle est une catégorie du politique local, ne permet pas de saisir ce qui fait la spécificité de la profession médicale. Ainsi lorsqu'on évoque le prestige de la profession médicale que signifiet-on exactement? S'agit-il de la considération honorifique attribuée en raison du titre de docteur ? Veut-on rendre compte de la valeur spécifique conférée à la médecine dans son rapport à la santé des populations? De plus, en se référant au prestige de la profession médicale souhaite-t-on indiquer que ce prestige est uniformément attribué à tous les membres de cette profession? Le rôle professionnel de médecin permet-il de fonder la représentation homogène que l'on se fait de cette profession? À toutes ces questions, les nombreux travaux consacrés à la sociologie de la profession médicale ont déjà partiellement répondu. C'est en nous
appuyant sur certains d'entre eux que nous avons noté l'ambivalence du rôle de médecin. TIpeut référer autant à I'hétérogénéité de cette profession qu'à son homogénéité. D'une part, il rend compte de la segmentation croissante de cette profession et de la distribution inégale du prestige qui peut en résulter. Comme il est aussi le moyen par lequel chaque médecin s'insère dans la vie locale, en créant un espace de reconnaissance centré sur sa personne, on peut penser que ces espaces varient en fonction du contenu pratique du rôle. Donc la reconnaissance des médecins n'est pas uniforme. D'autre part, il nous permet d'avoir une idée de l'institution} car en exerçant leur métier, les médecins incarnent l'institution médicale. TIs se retrouvent ainsi dépositaires d'un patrimoine symbolique qu'il convient d'étudier précisément. En raisonnant de la sorte, nous réintroduisons dans l'éligibilité locale des médecins des variables qui déterminent la reconnaissance de la profession médicale dans la société française. Entre homogénéité et hétérogénéité, il faut donc discerner les éléments qui peuvent constituer un trait d'union d'éligibilité entre tous les médecins tout en sachant qu'ils ne sont pas toujours reconnus sur les mêmes critères ou suivant la même intensité. Sans doute convient-il aussi de ne pas sous-estimer le fait que la population des médecins élus locaux est composée d'individus élus ou réélus. On peut donc se demander si l'appartenance professionnelle intervient dans l'éligibilité d'une réélection, c'est-à-dire si elle peut faciliter la réussite dans l'exercice d'un mandat local. Nous montrerons dans un premier temps que si l'appartenance professionnelle peut participer à l'éligibilité locale du corps médical, elle le fait autant par la position sociale reconnue à cette profession qu'en raison de la place particulière qu'y occupe la médecine généraliste. Le deuxième point montrera que c'est l'érosion symbolique partielle de chacune de ces réalités qui peut apporter une explication à la diminution de la surreprésentation. En nous référant, dans un troisième temps, à la permanence de la présence des médecins dans les exécutifs locaux nous montrerons que l'exercice du métier de médecin structure, sur certains points, la compétence des individus, contribuant ainsi à leur réussite dans l'exercice des mandats locaux. I
J. Lagroye,« On ne subit pas son rôle », Politix, n038, 1997, p. 9.
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Dans ce premier paragraphe, nous nous référons principalement à la surreprésentation des médecins élus locaux afm de montrer en quoi l'appartenance professionnelle affecte leur éligibilité. Quels sont les facteurs qui apparaissent les plus déterminants? Pour répondre à cette question il faut revenir brièvement sur le caractère ambivalent du rôle de médecin. D'un côté, il réintroduit dans la présence sociale de chaque médecin ce qui le rattache à la profession médicale. De l'autre, il est, en raison de la diversité de ses expressions, générateur de différents espaces de reconnaissance, qui font que la présence des médecins peut être à la fois locale et sociale. Ainsi l'éligibilité des membres du corps médical repose sur l'exceptionnalité de leur présence sociale que l'on peut analyser de deux façons. En premier lieu, la présence sociale des médecins est dotée d'exceptionnalité parce que leur appartenance professionnelle les rattache à la position sociale qu'occupe leur profession dans la société française. En second lieu, leur activité professionnelle structure leur présence sociale dans la société locale en ouvrant des espaces de reconnaissance correspondant aux différentes actualisations du rôle de médecin.
1.1 Incarner une institution exceutionnelle Pour montrer comment les médecins incarnent l'institution médicale, nous développerons notre réflexion ainsi: Dans un premier point, nous mettrons en évidence les modalités de cette incarnation, c'est-à-dire les processus par lesquels cette incarnation peut se constituer dans les représentations collectives. Dans un second point, nous montrerons qu'elle est le résultat d'un processus de construction historique qui contribue à établir ce qu'il est convenu d'appeler le prestige de la profession médicale. Une bonne part du prestige attribué à la profession médicale réside dans sa capacité à incarner l'institution médicale. C'est le résultat d'un processus historique complexe qui fait que la profession médicale apparaît comme une partie de l'institution pouvant fonctionner en tant que signe à
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la place de la totalité2. TIn'est pas de groupe professionnel qui puisse la concurrencer sur ce terrain. Mais quelles sont les différentes modalités qui permettent d'établir cette faculté d'incarnation? Elles sont de plusieurs ordres. En premier lieu, on peut remarquer que la présence sociale des médecins s'effectue sur le mode de la rareté, ce qui accentue son caractère exceptionnel. La profession médicale est présente sur tout le territoire national mais dans une proportion globale assez réduite. Aujourd'hui, elle représente environ 0,3% de la population totale mais le pourcentage était beaucoup plus bas au début des années 60 (0,1%). Nous avons montré dans le chapitre 1 les disparités qui existent dans sa distribution géographique et professionnelle. Ainsi, les médecins spécialistes et les professeurs de médecine sont majoritairement présents en milieu urbain, quelle que soit l'époque considérée. La rareté des généralistes est afftrmée sur l'ensemble des territoires jusqu'au milieu des années 70. Elle est beaucoup moins prononcée de nos jours, exception faite des zones en déclin. La rareté revêt un autre aspect quand elle s'apparente au fait que les médecins sont détenteurs d'un diplôme qui les place dans le groupe le moins nombreux de la société française: celui qui est composé des individus pouvant se prévaloir d'un haut degré de qualiftcation intellectuelle. C'est donc une rareté qui s'afftche autant vis-à-vis de l'ensemble de la société que de ceux qui participent à l'activité de l'institution médicale. En second lieu, la faculté d'incarnation attribuée aux médecins découle du fait qu'ils se trouvent dépositaires d'un cumul de délégations. Depuis 1892, délégation de la société, via l'Etat, à la profession médicale; délégation de la profession médicale au médecin sous le contrôle du Conseil de l'Ordre depuis le régime de Vichy; délégation du patient vers le médecin, rencontre d'une conftance et d'une conscience. C'est peut-être ce cumul de délégations qui renforce chez les médecins la représentation d'une consistance éthique de leur mission. Comme peut l'attester le témoignage suivant: «La médecine a été et reste toujours pour moi une sorte de vocation et une sorte de sacerdoce. (...) On naît médecin. J'en ai la vocation depuis l'enfance (...) On ne doit pas résister à l'appel d'une
2
P. Bourdieu, «La délégation et le fétichisme politique », ARSS, 52/3, juin 1984, p. 50.
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vocation (...) On entre en médecine comme on entre en religion »3. La référence éthique intervient ici comme une illustration de la relation particulière que le corps médical entend assumer entre l'institution médicale et la société. TIy a un dernier aspect qui nous semble consolider l'incarnation assumée par la profession médicale. Jusqu'à la fID des années 80, la profession médicale est un groupe social aisément repérable parce qu'elle fait l'objet d'une perception typifiée. Les deux figures emblématiques qui la représentent le mieux sont celles du médecin généraliste et celle du professeur de médecine. Le premier véhicule la représentation de la médecine proche du quotidien, alors que le second renvoie plutôt à une médecine scientifique synonyme de recherche et de progrès tout en se situant dans une distance sociale plus affirmée. En fin de compte, ces deux images facilitent la perception que l'on peut se faire de cette profession. Curieusement, elles cohabitent aisément avec une autre forme de typification qui présente souvent le corps médical par un processus de singularisation. Alors que l'on a toujours su qu'il existait une variété de médecines et que le rôle de médecin pouvait se décliner en différentes modalités d'exercice, il est remarquable que la profession médicale ait pu imposer une image dont la force repose, au moins en partie, sur la réduction du tout au un. L'espace de connotation du« un» est assez riche puisqu'il peut référer à l'unité, au sens où la totalité fait corps, ou à l'unicité, c'est-à-dire à la singularité, à ce qui est unique. La faculté d'incarnation de la profession médicale est donc repérable à travers un certain nombre de procédés. On va voir maintenant que cette incarnation correspond à la construction historique d'un rapport de représentation qui permet à la profession médicale d'asseoir son prestige sur le statut particulier de l'institution médicale. Le monopole de représentation de l'institution médicale TIest d'usage de faire de la loi de 1892 octroyant aux médecins le monopole légal de l'activité thérapeutique, le premier élément d'institutionnalisation de la profession médicale. S'il s'agit d'un point de 3
C. Herzlich, M. Bungener, G. Paichler, M-C. Zuber, Cinquante ans d'exercice de la
médecine en France. Carrières et pratiques des médecins français CERMES, Paris, INSERM-DOIN, 1993, p. 236.
(1930-1980),
75
départ, il est aussi l'aboutissement d'un long processus historique au cours duquel se construit la reconnaissance de la profession médicale. L'origine de ce processus est clairement situable dans la période de la Révolution française. C'est à ce moment-là que se posent les premières questions relatives à la constitution du corps médical. Dès cette époque, s'instaure un rapport vivant entre des médecins et l'édification du système politique démocratique. L'émergence de cette relation se produit sur la base d'une articulation entre la désignation médicale du social et sa traduction dans l'espace politique. De sorte que, les premières marques d'institutionnalisation des idées hygiénistes s'inscrivent dans la continuité de l'action menée par certains médecins au cours de la période révolutionnaire. Les prémices d'une prise en compte des questions sanitaires par les institutions publiques apparaissent dès le début du 1ge siècle avec, par exemple, la création du Conseil de salubrité publique de la Seine en 1802 et, l'institution, en 1822, du Conseil supérieur de santé du royaume. Parallèlement, l'institution médicale s'approprie la question de I'hygiène pour en faire un de ses domaines de compétence, et lui octroie une place aussi bien dans l'enseignement médical que dans les travaux de l'Académie royale de médecine. Les Annales d'hygiène publique et de médecine sont créées en 1829. n s'agit là des premières étapes d'un processus d'institutionnalisation qui va exercer ses effets jusqu'au début du 20e siècle avec la loi de 1905 qui crée les bureaux municipaux d'hygiène. La dynamique de cette construction historique est alimentée par des enjeux de reconnaissance multiples. Nous en indiquerons quelques-uns. n y a, d'abord, la volonté de l'institution médicale d'être reconnue comme étant porteuse d'une perspective qui peut contribuer au progrès et au bien-être de la société à partir d'une conception qui lie étroitement le social et le sanitaire. Sans doute est-ce au cours du 1ge siècle que cette dernière s'ancre dans la construction du système démocratique. Les médecins quant à eux cherchent à être reconnus comme les acteurs principaux de cette évolution. De ce point de vue, le combat mené par les médecins hygiénistes sert la profession médicale dans son ensemble en même temps qu'il leur permet d'établir leur position dans le monde de la médecine. La force de cette position réside dans le fait qu'ils sont progressivement reconnus par une variété d'espaces de reconnaissance: la profession, le pouvoir politique et la société. 76
Pour franchir ces épreuves successives de reconnaissance le courant hygiéniste s'appuie sur différentes formes de construction sociale. Ainsi, pour être «investie d'une mission politique» l'hygiène est présentée comme « une discipline scientifique appliquée à l'administration publique» 4. Dans ce domaine son autorité est essentiellement fondée sur l'application de l'analyse statistique aux problèmes sanitaires5 poursuivant une démarche de quantification déjà utilisée pendant la révolution. Parallèlement, elle se présente comme une perspective généraliste, soit parce qu'elle se montre intégrative en se définissant comme «un projet intellectuel: celui d'une totalisation des sciences au service de l'hygiène »6, soit parce qu'elle se révèle progressivement capable de se segmenter en un certain nombre de spécialités 7. Elle s'impose donc dans l'univers politique par sa capacité à monter en généralité fondée sur le recours aux méthodes de quantification statistique. Mais il n'y a pas que cela. En effet, si les médecins hygiénistes peuvent mener une entreprise de «traduction du social dans le langage sanitaire et d'inscription de cette nouvelle réalité dans l'espace public »8, c'est aussi parce que certains travaux de recherche médicale sont euxmêmes connectés à des réalités sociales. Ainsi la phrénologie a pu apparaître comme une « discipline de résolution des problèmes sociaux »9 parce qu'elle associe les travaux sur le cerveau, les penchants psychologiques à l'agressivité humaine puis au crime. Dans un registre pas très éloigné, on peut citer la mise en relation entre les travaux sur la folie et la lutte contre l'alcoolisme qui est associé aux risques sociaux et politiqueslO. Cela permet de justifier l'interdiction de l'absinthe. La médecine hygiéniste incarne «un développement de l'intérêt pour le
4
5
D. Fassin, L'espace politique de la santé, Paris, PUF, Sociologie d'aujourd'hui, p. 244.
D. Fassin,L'espace politique de la santé, op. cit., p. 245.
6 A. Rasmussen, «L'hygiène en congrès (1852-1912): circulation, configurations internationales », dans, P. Bourdelais (dir.), Les hygiénistes: enjeux, modèles et pratiques, Paris, Belin, 2001, p. 216. 7 A. Rasmussen, op. cit, p. 217. 8 D. Fassin, Les figures urbaines de la santé publique, Paris, La Découverte Recherches, 1998, p.15. 9 D. Guillo, Sciences sociales et sciences de la vie, Paris, PUF, 2000, p. 38. 10 C. Voilliot, «la croisade contre l'absinthe », dans A. Garrigou (dir.), La santé dans tous ses états, Biarritz, Atlantica, 2000, p. 133~159.
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social» Il mais cela traduit un croisement stabilisé des perspectives: Les recherches médicales se réÎerent à des faits sociaux et ces derniers peuvent être traduits dans l'espace politique à travers le prisme sanitaire. C'est peut-être par ses différentes possibilités de passage d'un cadre à un autre que la médecine hygiéniste invite à s'interroger sur les potentialités des langages de médecine qui autorisent ces opérations de désignation et de traduction. On voit par exemple que lorsqu'elle affirme une vocation internationaliste en soulignant que «l'œuvre d'hygiène, de sauvetage et d'économie sociale s'étend à une fédération de peuples qui s'appelle l'humanité, et l'humanité n'a pas de frontières >P, elle s'inspire d'un fonds messianique qui est assez proche du registre utilisé par certains médecins humanitaires à la fin du 20e siècle. La reconnaissance de la profession médicale qui se formalise à la fin du 1ge siècle n'est donc pas seulement l'institutionnalisation d'une délégation pour le monopole de l'activité thérapeutique aux médecins. Elle marque une étape importante dans le développement de l'institution sanitaire au sein du processus de construction démocratique. De façon plus remarquable, selon nous, elle participe à la construction d'une perspective où se tissent des liens subtils et complexes entre le sanitaire et le social. Sans doute le contexte historique a-t-il contribué à l'émergence de cette perspective et à l'action des médecins qui s'y trouvaient engagés. Un contexte historique réceptif it la perspective hygiéniste Le développement de l'hygiénisme tout au long du 1ge siècle n'est pas seulement lié à l'action d'un certain nombre de médecins à côté ou au cœur des institutions politiques. TI découle également des propriétés économiques, sociales et politiques de cette période. Sans prétendre à l'exhaustivité sur cette question, il convient de rappeler quelques points. Il n'est, par exemple, pas question d'ignorer que l'industrialisation et l'exode rural ont accru la concentration des populations avec un degré de paupérisation assez élevé. Outre la dureté des conditions de travail dans le Il
A. La Berge, Mission and method, The early nineteenth century French public health movement, Cambridge, Cambridge University press, 1992, p. 176. 12 Citation du président du bureau du congrès, Vervoort, à la séance d'ouverture du congrès international d'hygiène, de sauvetage et d'économie sociale de Bruxelles en 1976, A. Rasmussen, op. cil, p. 219. 78
monde ouvrier, l'instabilité de l'emploi contribue à fabriquer une population vivant dans la précarité et la misère qui en découle. De cette réalité naîtront les premiers syndicats ouvriers et les courants idéologiques exprimant une forme de radicalité : socialisme proudhonien, anarchisme, marxisme. Plus encore que le caractère radical, c'est la forme idéologique de son expression politique qui marque une rupture. La révolte proposée repose sur «un système global d'interprétation du monde historique» selon l'expression de Raymond Aron. La radicalité portée par les différents courants du 1ge siècle implique une remise en question des institutions sociales et politiques pouvant aller jusqu'à la violence. À l'opposé, le courant hygiéniste ne se situe pas dans une optique de rupture avec la société. Comme le souligne Pierre Guillaume, «pas plus que Villermé que Parent Duchâtelet ou Lachaise ne partent d'une vision de l'homme idéal ou de la société parfaite. Leur démarche est celle d'un diagnostic établi à partir d'un relevé des symptômes. Ds disent l'état des choses, en donnant des explications immédiates, mettant à disposition des décideurs, l'information qui doit les éclairer »13. Cette forme d'intelligibilité est plus facilement accueillie dans la vie politique parce qu'elle ne propose pas une remise en question globale des institutions. Et, à une époque où différentes idéologies établissent un lien de causalité entre la nature du système capitaliste et la misère sociale, la perspective hygiéniste ne se présente pas comme une idéologie concurrente mais comme une forme d'intelligibilité alternative. On peut alors se demander si les médecins, tout en apportant du soin à la société, ne produisent pas du sens dans l'univers politique et selon quelles modalités. En fin de compte, la loi de 1892, par laquelle est reconnu le monopole de la profession médicale sur l'activité de soin, apparaît comme une étape charnière. Elle atteste de la reconnaissance que les médecins ont réussi à obtenir par leurs différentes initiatives depuis la Révolution Française. Ainsi, la profession médicale a su se faire accepter par l'univers politique en se montrant impliquée dans le développement politique et social de la société française. Cela a été possible parce que la perspective portée par les médecins au 1gesiècle, en particulier les médecins hygiénistes, associe étroitement le sanitaire et le social. Dès cette époque s'instaure la possibilité d'une médecine capable d'établir des chaînes de causalité entre 13
P. Guillaume, Le rôle social du médecin depuis deux siècles, Paris, Association pour
l'étude de la sécurité sociale, 1996, p. 33-34.
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des phénomènes sociaux et des recherches sur les pathologies. Et, en affirmant ainsi que la médecine puisse avoir un ensemble de définition en extension, on postule implicitement que la santé puisse être un objet de construction sociale. C'est à partir de cette conception que la profession médicale a pu établir une position sur un large domaine, de plus en plus construit sur une interaction croissante entre la santé et le social. Consolidation de la profession médicale et de sa position En effet, le vingtième siècle est marqué par l'adoption de lois sociales facilitant progressivement l'accès des populations à la médecine. C'est véritablement après la seconde guerre mondiale que cette évolution se précise avec plus de clarté et de consistance institutionnelle lorsque se met en place un système de protection sociale qui a pour objet de généraliser l'accès à la santé. À l'image de la France, avec le programme du Conseil national de la Résistance, où de la Grande Bretagne, avec le plan Beveridge, plusieurs Etats d'Europe de l'Ouest replacent la protection de la santé au cœur de l'espace public soit en développant des politiques publiques sectorielles, soit en insistant sur le caractère collectif de la gestion du système. Dans cette évolution, le choix de la France est de concilier une gestion socialisée du système de protection sociale avec le maintien d'une médecine à caractère majoritairement libéral. L'arbitrage adopté est peut-être un indicateur de la position de la profession médicale au sein des institutions politiques. De façon plus significative, la mission impartie à la protection sociale est fondée sur une conception de la santé que l'Organisation Mondiale de la Santé définit «non seulement comme l'absence de maladie et d'infirmité mais un complet bien-être physique, mental et social ». Suivant cette interprétation, la prise en charge de la santé repose sur un ensemble de définition de plus en plus extensif. n ne faut pas seulement soigner les maladies déclarées mais faire en sorte que les conditions de vie de la population réduisent le risque qu'elles surviennent. Ainsi que le note Talcott Parsons «la santé apparaît de la manière la plus immédiate comme une des conditions requises par le fonctionnement de tout système social »14.Cela explique que la part de la richesse nationale consacrée à la 14T.Parsons,Eléments.., op. cit., p.193-194.
80
politique de santé augmente régulièrement dans la deuxième partie du 20e siècle. Ainsi, la France consacre aujourd'hui 10% de sa richesse nationale à la politique de santé alors que ce chiffre n'était que de 7% en 1970 et 3% en 195015.Dans ce contexte, la position de la profession médicale se fait de plus en plus déterminante. Avec le système institué en 1945, il lui est reconnue une position d'« élément décisionnel comme premier ordonnateur des dépenses de santé, lui donnant le droit de participer à la mise en œuvre de la politique de santé publique, tout en lui conférant le devoir de veiller à l'établissement et au maintien des meilleures conditions d'exercice de la médecine dans une situation sociale donnée» 16. Par la suite, les accords de conventionnement entre les syndicats médicaux et l'Assurance maladie renforcent la place du corps médical et en particulier de la médecine libérale. Avec le pouvoir de prescrire, les médecins ont une responsabilité particulière par rapport à l'équilibre du système. À ce titre, ils déterminent l'intervention des autres personnels soignants ce qui lui confère de facto une position hiérarchique par rapport à ces derniers. Plus le dispositif sanitaire se complexifie, plus ce rôle devient important puisqu'il génère la mobilisation d'un nombre croissant d'acteurs et de moyens matériels. Important dans une période de croissance des dépenses de santé, le pouvoir de la profession médicale est encore plus sollicité dans une phase de réduction de ses dépenses comme on peut le mesurer depuis une vingtaine d'années. Sans doute, la position de la profession médicale dans la perspective socio-sanitaire a-t-elle été confortée par la finalisation de son organisation professionnelle lorsque fut créé en 1941 le Conseil de l'Ordre des médecins. Depuis cette date, elle a la possibilité de contrôler l'activité professionnelle des médecins et la régulation démographique de la profession. Le Conseil de l'Ordre intervient régulièrement auprès des pouvoirs publics pour moduler le numerus clausus applicable aux études médicales afin d'adapter la démographie médicale aux besoins de la population. TIest intervenu dès le milieu des années 80 pour le diminuer mais, dans les premières années 2000, il avertit qu'il faudra relever les seuils si l'on ne veut pas connaître une pénurie de médecins à partir de 2010. Par son activité de veille régulatrice, il assure l'interface entre la profession médicale et les 15
F. Stasse, « Les acteurs de la politique de santé », Pouvoirs n089, 1999, p. 65-78. 16J. Pincemin, A. Laugier, «Les intellectuels dans la société ftançaise. Les médecins. », RFSP, n04, décembre 1959, p. 888. 81
institutions politiques et sociales réaffmnant ainsi, régulièrement, un lien de dépendance réciproque. Que ce soit dans sa participation au fonctionnement du système de santé et de protection sociale, ou dans sa capacité à défendre ses intérêts, la position de représentation de la profession médicale est toujours affmnée. Elle se maintient au cœur d'un dispositif d'articulation entre le médical, le social et le politique en confortant une position dont la légitimité est devenue traditionnelle avec le temps. Légitimité de l'institution
et institution légitimante
Comme nous l'avons indiqué en introduction de ce paragraphe, la profession médicale occupe une position sociale dans la société française parce qu'elle réussit à incarner l'institution médicale. Nous avons vu dans le premier point quelles étaient les modalités de cette incarnation. Nous allons voir à présent quel est l'objet de l'incarnation, c'est-à-dire ce à quoi nous renvoie la profession médicale quand ce n'est pas d'elle qu'il s'agit. Plus particulièrement, nous allons nous intéresser à ce qui peut influencer positivement la reconnaissance attribuée au corps médical et donc ce que nous dit l'institution médicale en terme de légitimation. L'institution médicale a sa propre légitimité et elle est également capable de produire de la légitimation. La légitimité de l'institution médicale En première évidence, la légitimité des langages de médecine est
liée aux relations que ceux-ci entretiennent avec le registre scientifique. Dès la fin du I8e siècle, il y a accélération et intensification de ces relations dans la mesure où le progrès scientifique se développe, notamment en biologie, et qu'il consolide sa propre légitimité dans la société démocratique naissante. Le Ige siècle est une étape importante parce que la puissance paradigmatique de la biologie franchit un seuil de maturité et que, parallèlement, les disciplines médicales comme l'analyse clinique acquièrent leur propre consistance. Depuis cette époque, «il faut considérer, la pratique médicale comme un aspect institutionnel de la recherche scientifique sur lequel se fonde l'exercice de la médecine» 17. 17
T. Parsons, op. cil., p. 248.
82
La légitimité construite autour de l'institution médicale est donc étroitement liée, en dehors des progrès que connaissent les disciplines médicales, à un processus de civilisation dans lequel le registre scientiste affirme sa présence et sa vocation à organiser la vie de la société. Si cette lecture conserve toute sa pertinence, aujourd'hui, elle supporte des nuances et n'interdit nullement quelques compléments. TI n'est pas question de nier le fondement scientifique des médecines, mais de rappeler que pour certains langages utilisés par les médecins, la place accordée à l'interprétation n'est pas anodine18. La démarche clinique fait directement intervenir la subjectivité du médecin soit par une mise en perspective des faits pathologiques, avec, par exemple, une étude de leur environnement, soit par l'agencement de ces faits et des analyses qui s'y rapportent. Parmi les langages de médecine certains réintroduisent une part d'incertitude là où beaucoup attendent de l'exactitude. Pour cette raison, les médecins rappellent parfois qu'ils ne sont pas soumis à une obligation de guérison mais à un devoir de soin optimal. Bien entendu, cela ne doit pas faire oublier les progrès considérables qui ont été accomplis dans la protection sanitaire de la majorité de la population depuis plus d'un siècle. La relation que l'institution médicale entretient avec la légitimité scientifique est donc ancienne et étroitement liée au type de société dans lequel nous vivons depuis deux siècles. Cependant, si la légitimité scientifique paraît la plus évidente, elle n'est peut-être pas celle qui est la plus diffusée dans la société. Un registre de légitimation:
la protection de la vie
De façon permanente, la santé est la condition première de la sécurité ontologique des individus. Cependant, les préoccupations relatives à la santé et à la lutte contre la maladie sont, aujourd'hui, plus vivantes et s'expriment à travers les demandes croissantes adressées à l'institution médicale. Celle-ci apparaît comme une des institutions sociales majeures proposant «une solution permanente à un problème
18
B. Hoerni, « Hennéneute », 113 Réflexions sur la médecine, Institut Bergonié,
Bordeaux,
1999, p. 361.
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permanent de la collectivité donnée »19.Il faut voir dans cet état de fait le résultat d'un processus de civilisation qui fait intervenir plusieurs facteurs. En premier lieu, il yale prolongement du lien entre l'émergence de l'individualité et l'expérience de la mort depuis le I8e siècle2o. C'est par la perception de la maladie, et de la lutte qu'elle engendre, que se stabilise une reconnaissance de l'individu comme valeur supérieure. Le processus de reconnaissance que porte la médecine s'inscrit ainsi dans une perspective exprimée sur le terrain philosophique et politique. En second lieu, la reconnaissance de l'individu accompagne un mouvement de laïcisation des esprits qui accorde plus d'importance aux conditions de vie terrestre qu'au salut de l'âme. Dès cette époque, la perspective médicale s'inscrit en cohérence avec un processus de civilisation qu'elle accompagne naturellement. Les développements postérieurs n'ont fait que confirmer cette tendance. Comme cela a été montré précédemment la croissance et la diversification de la demande de soin ainsi que le développement de l'institution médicale ont contribué à faire de la protection de la vie un souci qui peut être aussi bien individuel que collectif et qui peut se manifester à travers des langages différents. Les langages de la santé, de la maladie, ou de la thérapie, illustrent, par des constructions sociales très variées, la diffusion de l'institution médicale dans la société. Ils rappellent que dans une société fondée sur le rejet de la mort, la médecine apporte un registre se référant à la protection de la vie par le soin. C'est en ce sens que l'on peut évoquer une perspective biothérapeutique. «Prendre soin de la vie» constitue une matrice à laquelle tous les langages de médecine renvoient en s'y ressourçant en légitimité. C'est la raison pour laquelle, il est possible de concevoir la perspective bio-thérapeutique comme un registre de légitimité immanente qui est susceptible de clôturer un procédé de légitimation en attribuant un fondement d'évidence aux rationalités qui s'en inspirent. On trouve l'application de ce principe à travers les usages sociaux des langages de médecine.
19
P. Berger et T. Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens Klincksieck, p. 98. 20M. Foucault, Naissance de la clinique, Paris, PUF Quadrige, 1997, p. 200-201. 84
Les langages de médecine et le sens commun Les usages sociaux des langages de médecine mobilisent le registre de légitimité immanente avec une intensité plus ou moins forte. Parfois, c'est sur le mode de la connotation métaphorique exerçant un rappel plus ou moins subtil avec les thématiques de la maladie ou de la thérapie. TIpeut aussi s'agir d'un mode analogique qui devient alors un projet plus ambitieux. Les quelques exemples qui suivent montrent comment l'usage d'un vocabulaire médical peut renvoyer à un éventail de significations qui témoigne de sa disponibilité dans le sens commun. Par exemple, le journal Sud Ouest titre au lendemain de la tempête de 1999 que «la Gironde panse ses plaies », un autre que «Les médecins soignent leur département »21.Dans un registre un peu plus alarmiste, un homme politique caractérise la situation de la France en indiquant que « la morosité est un virus qui est injecté pour paralyser celui qui le reçoit »22. Mais, le registre médical le plus souvent mobilisé aujourd'hui est celui qui dérive de la psychopathologie, de la psychiatrie et de la psychanalyse. Par exemple, pour évoquer la consommation des ménages, il n'est plus fait référence à leur patrimoine et à leur revenu mais à leur « moral ». La baisse de la consommation est ainsi reliée à un état plus ou moins dépressif de la population. Proposition qui n'est pas tout à fait exacte puisqu'un état dépressif se traduit parfois par de la compensation consumériste. Le registre de la «reconstruction» s'inscrit dans une thématique voisine. TIn'est pas difficile de trouver de nombreux exemples dans la presse quotidienne. TI y a aussi des cas plus sinistres comme celui de ce responsable de l'armée franquiste entrant dans Barcelone, ville ouverte, et déclarant que «le peuple catalan est malade et qu'il faut lui appliquer le traitement adéquat »23.Le régime nazi ne justifiait-il pas l'extermination de certaines minorités en se basant sur une qualification pathologique? On peut enfin mentionner la place de la dimension thérapeutique au sein
21Le Quotidien du médecin, nOS3?, IS mars 1994. 22M. Jean-Pierre Raffarin, Sud Ouest, 2 décembre 1995. 23 Voir le passage d'un discours cité dans l'émission de France inter, intitulée Histoires extraordinaires, dimanche 15 octobre 2000, à 13H30. 85
, . .. 24 . 2S '. d une pa rt le du d e certames re 1IglOns. Le caractere ' po 1yth etIque vocabulaire médical instaure un ensemble de connotations ouvert. Bien souvent, il en résulte que, pour ceux qui en font usage, «la simplicité sémiologique fasse écran à la complexité du réel »26. Ces différents exemples montrent que les usages d'un vocabulaire médical renvoient implicitement à un univers de légitimation qui permet d'asseoir le propos sur un critère de validité. Ds signifient aussi qu'en désignant un individu ou un groupe social, voire même un système politique, comme malade, on connote que cette réalité est en état de faiblesse, d'irresponsabilité partielle, et qu'il existe des médecins pour la soigner. Ceux qui, précisément, pointent l'état pathologique. Certains langages de médecine peuvent être mobilisés dans une intention qui semble plus ambitieuse. Langages de médecine, de la société et du politique Même si le parallèle paraît quelque peu hasardeux, il est notable que, en même temps que le développement de l'institution médicale accompagne celui du système démocratique, certains langages de médecine sont susceptibles de proposer des modes d'analyse et de transformation de la société. Ds rendent une perspective disponible dans la société. La force de celle-ci réside dans son unité entre un registre de légitimité immanente et un modèle de compétence. D'une façon un peu générale, il est soutenu à la fm du 1ge siècle que «la médecine est une science sociale, et la politique n'est rien d'autre que la médecine sur une grande échelle »27. Sans doute faut-il y voir un des effets de la dynamique hygiéniste et plus globalement du progrès scientifique auquel l'institution médicale est étroitement associée. Dans cette proposition se juxtaposent plusieurs lignes d'interprétations. Dire que la médecine est une science sociale conduit à entretenir une ambiguïté. Elle est à la fois une science du social en raison de sa capacité 24 Mathieu Ricard, moine boudhiste et traducteur Français du Dalaï lama: « Même s'il (le Boudhisme) était simplement une religion sans chemin de transformation, il serait inutile, car son aspect thérapeutique est primordial », Sud Ouest, 3 septembre 2000. 25R. Boudon. L'art de se persuader, Paris, Fayard, 1990, p. 328. 26 P. Béchu, médecin généraliste, Autrement, n068, mars1985, p.31. 27 Formuie de R. Wirchow, citée dans l'ouvrage de E.R Ackernecht, La médecine hospitalière à Paris (1794-1848), Paris, Payot, 1986, p. 197. 86
à traiter des questions sociales et, en même temps, elle se propose d'apparaître comme une science de la société. C'est une thèse voisine, mais développée de façon plus approfondie, que propose Michel Foucault dans ce qu'il désigne comme une «biopolitique de la population »28.La protection de la vie est non seulement un registre de légitimité immanente mais également une façon de penser et d'organiser la vie en société. Plus récemment, d'autres auteurs soutiennent que « comme les autres organismes vivants, la société est susceptible d'être traitée pour des pathologies et la nouvelle science de la société est aussi thérapeutique: l'économie politique, la législation, la morale politique et tout ce qui constitue l'administration des intérêts de la société ne sont qu'une collection de règles hygiéniques »29. Si l'institution thérapeutique otITe «une perspective sur la société entière »30, elle est aussi capable de proposer un mode de transformation adapté. L'économie interne de ce rapport entre le savoir et l'action en fait un modèle de compétence3l. Par ce modèle, les deux langages centraux de l'institution médicale que sont la clinique et la thérapie définissent une façon d'occuper une position de pouvoir au sein de l'univers politique. C'est ce modèle de compétence qui est mis en évidence par Durkheim, au début du vingtième siècle lorsqu'il indique que «le devoir d'un homme d'Etat n'est plus de pousser les sociétés vers un idéal qui lui paraît séduisant» mais que «son rôle est celui du médecin» parce qu'il «prévient l'éclosion des maladies par une bonne hygiène et, quand elles sont déclarées, il cherche à les guérir »32. Son inspiration se prolonge dans le chapitre III des Règles de la méthode sociologique qu'il consacre aux «règles relatives à la distinction du normal et du pathologique ». L'analyse de la société doit procéder, selon lui, d'un classement des faits sociaux relevant d'un principe clinique. n ne fait pas de doute que la position de Durkheim ait été influencée par le contexte d'une époque où le prestige du corps médical bénéficie de l'essor hygiéniste. Mais, encore aujourd'hui, il existe une sociologie qui se 28
M. Foucault,Dits et écrits, 1954-1988,IV, 1980-1988, édition établie par D. Defert et
F. Ewald, Paris, Gallimard, 1994, p. 222-223. 29 L. Boltanski, L. Thévenot, Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991, p.152. 30P. Berger, T. Luckmann, La construction sociale de la réalité, p. 120. 31 L'une des définitions de la compétence est celle d'un savoir finalisé sur une action. 32E. Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 1994, p. 75. 87
propose de traiter des faits sociaux cliniques33. n faut donc essayer de discerner les éléments qui organisent ce modèle de compétence pour identifier les catégories qui lui permettent de se rendre disponible dans l'univers des représentations politiques. Bien évidemment, il a d'autant plus de crédibilité dans ce monde qu'il peut être associé au registre de légitimité immanente présenté plus haut. La disponibilité de ce modèle dans l'univers politique se justifie par sa capacité à mobiliser les principaux registres de la représentation politique. En effet, il propose des procédures d'objectivation et de rationalisation en leur associant l'impératif d' «une efficience, d'une aptitude, d'un produit », c'est-à-dire d'un pouvoir au sens où l'entend Michel Foucaule4. En tant que registre d'objectivation et de rationalisation, la clinique véhicule des catégories qui la rendent singulière. Le déclenchement de sa mise en œuvre est lié à la désignation d'un état problématique. L'état pathologique est celui qui fait problème dans un ensemble régi par la normalité: «le pathos génère le logos parce qu'il l'appelle »35.Cet état pathologique est lui-même saisi dans sa singularité. Le caractère problématique est alors doublement accentué par localisation individuée d'un fait, dans un territoire individuel qui est la personne du patient. En ce sens, la clinique repose sur un principe d'individuation problématique. La rationalisation qu'elle génère mobilise des opérations de qualification et de traduction permettant au médecin de donner un contenu scientifique à son interprétation, tout en la rendant accessible au patient. Elle est également présente dans le geste thérapeutique puisqu'elle détermine l'adéquation des moyens aux fins poursuivies dans une temporalité qui est fixée par l'appréciation que le médecin fait du degré d'intensité de la pathologie. Plus généralement, la conclusion clinique appelle une réactivité immédiate du médecin. L'urgence est une des expressions de cette réactivité immédiate et constitue une catégorie de sens commun dans la compétence thérapeutique parce qu'elle peut apparaître dans le quotidien de chaque praticien. À ce titre, sa mobilisation dans le langage thérapeutique semble naturelle. Tel que sommairement présenté ici, ce modèle de compétence se rapproche d'une forme particulière de 33
V. De Gaulejac, S. Roy, (dir.), Sociologies cliniques, Marseille, Hommes et
perspectives, 1993. 34Dits et écrits, Gallimard, Paris, 1994, p. 187-190. 35G. Canguilhem, Le normal et le pathologique, Paris, PUF Quadrige, 1994, p. 139. 88
construction sociale qui organise la perception de la société à partir des situations socialement construites comme problématiques. En privilégiant une approche centrée sur des problèmes, on évacue toute référence à la dimension historique et aux différentes formes de structuration qui s'y rattachent. Sur ce point, ce type de construction s'éloigne du modèle idéologique alors qu'il s'en rapproche, au point d'entrer en concurrence avec lui, quand il se propose d'associer une intelligence du réel à un impératif de transformation. Remarquons qu'en insistant sur le principe de réparation, on place au second plan l'orientation prospective. En effet, si l'agir politique consiste à tenter de résoudre une succession de problèmes, quelle place faut-il accorder à l'anticipation dans la conception du politique? L'approche c1inico-thérapeutique s'accorde plus aisément avec une perspective d'atomisation des enjeux politiques appelant une compétence plus réactive que prospective. Et sa réactivité est d'autant plus légitime qu'elle peut s'appuyer sur une légitimité immanente accentuant l'effet de focalisation36 sur les réalités désignées. C'est de cette façon que « la médicalisation intervient dans la construction politique du monde »37.L'agir qui compose cette réactivité est lui aussi empreint d'une dimension éthique qui renforce sa légitimité. La spécificité de l'éthique associée à la thérapie est qu'elle se montre simultanément particulariste et universaliste. Elle se propose de reconnaître les individus dans leur singularité tout en considérant que tous les êtres humains sont égaux devant la maladie et doivent donc être traités sur un pied d'égalité. Il existe ainsi une forme d'unité éthique entre, d'une part, un registre de protection de la vie fonctionnant comme un «opérateur de sens» qui «signifie une réalité sociale en la cristallisant autour d'un problème sanitaire »38, et, d'autre part, une pragmatique du soin universaliste. La perspective ainsi définie trouve dans son apparente unité une partie de sa consistance. Elle propose un registre de légitimité immanente, un principe de reconnaissance des individus et des réalités sociales et une économie du rapport entre le savoir et l'action. La perspective bio-thérapeutique n'est donc pas une idéologie par essence mais une alternative en termes d'objectivation, de rationalisation et de mobilisation. Elle tire sa force de 36
M. Edelmann,Pièces et règles dujeu politique, Paris, Seuil, 1991,p. 43.
37D. Fassin, «Les politiques de médicalisation », dans P. Aïach, D. Delanoë (dir.), L'ère de la médicalisation, Paris, Anthropos Economica, 1998, p. 12. 38D. Fassin, «Les politiques de médicalisation », op. cit, p. 14. 89
l'unité qui se dégage entre une légitimité amont, la protection de la vie, une légitimité aval, l'universalisme pratique, un lien de finalité nécessaire entre le savoir et l'action qui correspond aussi à une défmition du pouvoir. Portée par des médecins dans l'espace social ou politique, elle devient partiellement mobilisable par d'autres acteurs. De ce point de vue, il n'est pas sans intérêt d'observer le développement de la médecine humanitaire et ses traductions politiques et sociales. Son cadre d'expérience politique de référence n'est pas l'espace domestique mais la vie internationale. Elle se révèle dès le milieu des années soixante notamment au cours de la guerre du Biafra puis dans les différents conflits des années 70 encore dominés par les rapports Etats-UnisIURSS. Mais c'est véritablement au cours des années 80 qu'elle connaît un essor important. L'élément catalyseur est une remise en question des modes de régulation de la scène internationale consécutive à la décomposition de l'URSS et à la disparition progressive de l'affrontement Est/Ouest. Le rayonnement des Nations Unies sous le secrétariat de J. Perez de Cuellar est un des traits les plus emblématiques de ce contexte. À cette époque, se crée une fenêtre d'opportunité pour la perspective humanitaire. Elle propose une perspective universaliste qui s'affirme très proche de la doctrine des droits de I'homme car «ce qui des droits de l'homme figure dans la trousse d'urgence médicale, le droit à la vie, s'impose universellement ».39 Sur la base de ce registre de légitimité immanente, certains représentants du courant humanitaire, notamment les plus médiatisés, n 'hésitent pas à adopter une posture quasi messianique en annonçant que, si « la grande aventure du siècle qui s'achève s'appelait le marxisme. La grande aventure du vingt-et-unième siècle commence et s'appellera mouvement humanitaire »40. Et les médecins humanitaires constituent l'avant-garde de ce mouvement. De surcroît, la médecine humanitaire propose une méthode fondée sur la signalisation problématique de la souffrance qui appelle une réaction rythmée par la temporalité de l'urgence car« c'est bien dans l'imminence du danger que tout réside »41 et «l'urgence interdit la procédure
39
40
M. Bettati, B. Kouchner, Le devoir d'ingérence, Paris, Denoël, 1987, p. 266.
B. Kouchner, «Le mouvement humanitaire», Paris, Le Débat, novembre/décembre
1991, n067, p. 35. 41 B. Kouchner, op. cU., p. 32.
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compliquée, la délibération composite, la médiation :tTactionnée»42. L'urgence apparaît alors, comme un des fondements du devoir d'ingérence qui s'oppose au principe de non-intervention dans les affaires intérieures d'un Etat qui prévalait jusque-là. C'est-à-dire que la perspective portée par les médecins humanitaires ne se contente pas d'imposer ses propres finalités, elle envisage de modifier, partiellement au moins, les normes de la vie internationale. Elle sera d'ailleurs reconnue, en tant que registre humanitaire, à plusieurs reprises, soit, par la Cour Internationale de Justice43, soit par décision du Conseil de Sécurité4. TI est aussi possible de se référer à des résolutions de l'Assemblée Générale des Nations Unies (43/131, 8/12/1988) ou rapport annuel du Secrétaire général de l'organisation (1993/1994). La reconnaissance n'émane pas que des Nations Unies puisque beaucoup d'organisations gouvernementales et intergouvernementales ont mis en place des dispositifs institutionnels prenant en charge l'action humanitaire. Dans les différents gouvernements qui se sont succédé en France entre 1986 et 1997, trois anciens dirigeants de la médecine humanitaire ont été chargés de l'action humanitaire avec rang de ministre ou de secrétaire d'Etat. D'un autre côté, il y a eu un élargissement de la perspective humanitaire à d'autres champs que celui de la médecine avec des organisations comme Reporter sans frontière etc. La perspective véhiculée par les médecins humanitaires a été progressivement assimilée et transformée par les autres acteurs de l'espace politique national et international. Et cela a été possible parce que cette perspective est bâtie sur une continuité entre un registre de légitimité immanente et une pragmatique du pouvoir. L'une et l'autre, présentant un certain degré de généralité, peuvent donner naissance à des registres et des pratiques dérivés. Au regard des différentes analyses qui ont été présentées dans ce premier paragraphe, on peut considérer que le trait d'union d'éligibilité existant entre tous les médecins réside dans le prestige attribué à la profession médicale. Toutefois, il n'est pas inutile de rappeler que la notion de 42
B. Kouchner,op. eit." p. 34.
43 Arrêt du 26 juin 1986, NicaragualEtats-Unis, procédant à une définition de l'intervention humanitaire. 44 Résolution 688 du 5 avril 1991 pour la mise en place de l'opération «provide comfort ».
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prestige est littéralement empreinte d'une part d'illusion, voire d'artifice. Cette remarque nous permet de comprendre l'ambiguïté de la considération honorifique portée au corps médical. D'une part, il est certain que la position sociale reconnue à cette profession dans la société française est le fruit des engagements multiples que certains de ses membres ont assumé à différentes époques. Nous avons pu souligner, comment, dans des contextes sociopolitiques distincts, les hygiénistes du 1ge siècle et les médecins humanitaires du 2üe ont pu s'insérer dans le cadre d'expérience du politique en développant les potentialités de la perspective bio-thérapeutique. Parfois, ils ont réussi à provoquer des changements de normes au sein de l'univers politique. De plus, comment pourrait-on ignorer la puissance d'une profession qui réussit à conserver son statut libéral dans la mise en place du système de protection sociale après la seconde guerre mondiale? Elle a conservé, depuis cette époque, une position clef dans le fonctionnement de ce système. Par la constance de son implication dans la société, la profession médicale a réussi à se placer dans une position d'incarnation de l'institution médicale. D'autre part, on ne peut oublier que le développement de l'institution médicale est étroitement lié à un processus de civilisation qui associe la reconnaissance de l'individu au progrès démocratique. Le système de protection sociale qui est progressivement institué après la seconde guerre mondiale renvoie aux droits sociaux du Préambule de 1946. La croissance de l'institution médicale a une genèse qui lui est propre et, sous certains aspects, étrangère à l'action des médecins. De ce fait, la position sociale reconnue à la profession médicale résulte autant des initiatives de ses membres que de la place de l'institution médicale dans la société. En ce sens, on peut parler de prestige de la profession médicale dans la mesure, où, la considération honorifique portée à cette profession lui octroie un patrimoine symbolique dont les médecins ne sont pas les seuls artisans. L'image de la «blouse blanche» exprime assez justement l'enveloppe symbolique qui protège et signale le corps médical lorsque les médecins apparaissent en société. Même si elle donne une force particulière à la présence sociale des médecins, la blouse blanche ne sort pas du corps, c'est un élément rapporté. Elle illustre assez bien la complexité du prestige conféré au corps médical.
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~les
au: service d'u:ne présence sociale
Pour une bonne part, la surreprésentation globale de la profession médicale parmi les élus locaux découle de la proportion importante de médecins généralistes. Ceci est vérifié pour les élus municipaux comme pour les élus cantonaux. Toutefois, la tendance est moins forte à mesure que l'on se rapproche de la fin de la période. Jusqu'aux années 80, il n'est pas inconcevable d'établir un clivage assez net entre une majorité de médecins généralistes élus dans espaces à dominante rurale et une minorité de médecins spécialistes, de médecins hospitaliers ou de professeurs de médecine élus dans les grandes villes. Mais, le processus d'urbanisation aidant, on retrouve plus souvent de nos jours des médecins spécialistes élus dans des petites villes. De ce fait, l'analyse notabiliaire qui tend à uniformiser la présence sociale du médecin en faisant de la médecine généraliste un modèle est un peu insatisfaisante. En effet, la diversification croissante qui s'opère au sein de la profession médicale se traduit progressivement dans la population des médecins élus locaux. Elle nous demande de tenir compte de ce que la sociologie interactionniste des professions a bien mis en évidence: il faut s'intéresser aux modalités concrètes des rôles pour découvrir les différents types de relÇl.tionssociales auxquelles ils peuvent donner naissance. Ainsi, il nous apparaît important de souligner que derrière les particularités d'exercice de la profession se jouent des processus de reconnaissance qui ne valorisent pas tous les médecins sur les mêmes critères. Si la présence sociale des médecins produit de l'éligibilité, elle ne le fait pas de la même façon pour tous les médecins. Partant de là, il ne s'agit pas exactement de la même éligibilité. Entre éligibilité directe et indirecte:
les médecins généralistes
Les médecins généralistes occupent une place particulière dans notre réflexion pour toute une série de raisons. Comme nous l'avons déjà indiqué, ils représentent la majeure partie des médecins élus locaux; de façon encore plus nette dans les vingt cinq premières années de la Cinquième république. C'est donc au cours de cette période que l'on peut faire ressortir le plus aisément les caractéristiques de la présence sociale générée par la profession de médecin généraliste. La présence sociale des médecins généralistes peut être présentée comme le résultat équilibré 93
d'une somme de caractères contradictoires. Elle réussit notamment à maintenir un certain dosage entre différentes valeurs de la distance sociale. Ainsi, chaque médecin généraliste incarne au quotidien l'institution médicale comme cela a été montré dans le paragraphe précédent. Cette enveloppe symbolique lui permet d'appartenir au réseau des notabilités. De ce fait, il se trouve situé dans le monde des positions sociales dominantes de la société locale. Il peut ainsi participer à l'influence que ce groupe informel est censé avoir sur la vie locale. Au sein de ces réseaux, sa position est renforcée par deux facteurs. Comme cela a été mentionné plus haut, la rareté de la profession généraliste, en particulier en zone rurale, accentue le caractère d' exceptionnalité et place le médecin généraliste dans le groupe restreint des individus à qui un caractère d'exception peut être reconnu. Le second facteur est constitué par le statut particulier conféré à la médecine généraliste. Pendant longtemps, le recours «au médecin» signifiait naturellement l'appel au médecin généraliste. Celui qui était appelé «le médecin », c'était le médecin généraliste traitant. La mention de «généraliste» ne figurait pas dans les formules utilisées par les individus. À juste titre, pourrait-on dire puisque la médecine générale ne fàisait pas l'objet d'une spécification
professionnelle, avec des implications et des aboutissants qui seront étudiés plus loin dans ce chapitre. Il existe un effet d'exception lié à ce que représente le rôle de médecin généraliste pour l'ensemble de la profession. Les travaux de sociologie médicale ont amplement souligné le fait que la médecine généraliste «semble proposer un idéal aux autres médecins qui peuvent incorporer les éléments de cette représentation compatibles avec leurs propres conditions de travail dans une relation médecin-malade particulière à leur propre segment ».45Que l'on évoque «l'omnipraticien en visite »46, ou «une image de la relation médecin malade... » qui correspond au modèle du médecin généraliste ou de son équivalent moderne le médecin de famille47, la typification du rôle de médecin se construit en référence à une modélisation de la médecine générale. 45
A. Strauss,La trame de la négociation,L'Harmattan, Paris, 1996,p. 75-76.
46F. Muel-Dreyfus, « Le fantôme du médecin de famille », ARSS, n054, septembre 1984, p.70-71. 47E. Freidson, La profession médicale, Paris, Payot, 1984. 94
Tous ces éléments d'exceptionnalité contribuent à instaurer une distance sociale importante entre les médecins généralistes et leur électorat potentiel. Cependant, il ne faut pas sous-estimer que cette distance sociale marquée ne joue pas toujours en leur faveur, notamment pour la partie des électeurs qui témoigne de l'hostilité à l'égard de ceux qui détiennent des positions de domination dans la vie locale. Il faut reconnaître, néanmoins, que le type de reconnaissance que pratique le médecin généraliste dans son activité quotidienne peut atténuer les effets de la distance sociale que nous venons d'évoquer. Il s'agit d'un mode de reconnaissance qui est à la fois particulariste et universaliste. Il est particulariste parce qu'il conduit des personnalités à se considérer mutuellement. Le médecin généraliste soigne des individus voire des générations d'individus au sein d'une même famille. Mais, chacun de ses patients a également accès à la personnalité du médecin ou du moins à une de ses composantes, celle qui lui permet d'exercer son métier de la façon qui est la sienne. Il y a donc un croisement de regards subjectifs qui détermine un degré plus ou moins élevé d'empathie entre des individus. Pour sa part, le registre universaliste imprègne la pratique professionnelle dans la mesure où il conduit le médecin à considérer ses patients sur un pied d'égalité comme le prescrit le serment d'Hippocrate. Or ce registre universaliste est considéré comme un des fondements de la démocratie française. Et en le portant par leur pratique professionnelle, les médecins ne peuvent qu'accroître la considération positive dont ils font l'objet. Une immersion prolongée et régulière dans la société locale L'autre point sur lequel il existe une différence notable entre l'éligibilité des médecins généralistes et celle de leurs confrères concerne leur rapport au territoire. Leur présence sociale les place dans l'intimité du lieu tout en leur permettant une connaissance du milieu. Par nécessité professionnelle le médecin généraliste s'implante dans une commune ou dans le quartier d'une ville pour une durée qui peut être celle de sa vie professionnelle. Sa présence est donc marquée d'une certaine profondeur historique. L'effet est encore plus fort lorsque le cabinet médical se transmet de génération en génération. Le nom du médecin devient une quasi-institution. On peut trouver au moins un exemple dans chaque département où il y a une succession professionnelle et élective. 95
L'engagement professionnel du médecin généraliste l'inscrit dans la durée, elle lui donne une place dans l'histoire locale. C'est à ce titre qu'il entre dans l'intimité du lieu. On peut d'ailleurs remarquer que ce trait est accentué par la rareté de la présence professionnelle. Ajoutons enfin que l'ancrage du médecin généraliste dans la vie locale s'illustre par la permanence de sa présence par rapport au lieu alors que chacun le rencontre sur le mode de l'exceptionnalité. À partir de la permanence dans le lieu, le médecin généraliste acquiert une connaissance du milieu dans lequel il vit, par ses déplacements ou par les relations qu'il est conduit à établir avec sa clientèle. Dans les espaces à faible densité médicale, les médecins généralistes qui sont souvent installés dans la commune la plus importante du canton se construisent une connaissance du milieu dont la profondeur s'étire dans plusieurs directions. C'est d'abord une connaissance de l'espace, des sites, des routes, de l'activité économique, bref tout ce qui constitue l'armature objective du territoire. Une connaissance qui se forme par la reproduction quotidienne des déplacements requis par les visites au domicile des patients. La rareté relative de la profession élargit les espaces d'exercice professionnel, les médecins généralistes ont un espace de connaissance plus large. Finalement, le milieu local est connu assez rapidement grâce à la régularité des déplacements au cours des cinq premières années d'exercice. Là où le notaire connaît le territoire sous l'angle patrimonial, le médecin le découvre et l'observe sous un angle médical pour finalement se constituer une connaissance sociale. En effet, la connaissance que le généraliste tire de son exercice professionnel ne résulte pas uniquement des relations tissées avec les patients sur le mode d'une «communion fondée sur une confiance mutuelle, personnelle et secrète, protégée par le secret professionnel »48. Elle réside plutôt dans l'agrégation de ces connaissances familières. Et le médecin généraliste est ainsi perçu comme quelqu'un qui connaît son territoire dans sa globalité et ses particularités. Or il n'y a pas beaucoup de positions dans la société locale qui peuvent se prévaloir d'une perspective aussi riche. Au sein du corps médical, il n'y a que les médecins généralistes pour présenter un lien aussi complet entre la présence sociale et l'éligibilité politique locale.
48
R-A Gutmann, «Le prestige du médecin diminue-t-il ? », Revue des Deux-Mondes,
p.78-83.
96
L'éligibilité indirecte des médecins spécialistes et des professeurs de médecine Même s'ils sont peu nombreux en termes quantitatifs parmi les élus locaux, les médecins spécialistes, les professeurs de médecine et les chirurgiens nous rappellent que la source professionnelle de l'éligibilité du corps médical ne se limite pas au modèle attribué à la médecine généraliste. Pour eux, il n'est pas possible d'évoquer un ancrage territorial perçu de façon évidente par les électeurs ou une relation forte entre clientèle professionnelle et électorat potentiel. Sans doute faut-il nuancer le propos pour certaines spécialités ou rester attentifs aux contextes. On pense, par exemple, au médecin obstétricien qui exerce dans I'hôpital d'une petite ville. Sa notoriété est établie bien au-delà de sa ville d'exercice parce que son activité professionnelle est assimilable à celle d'un généraliste de la naissance. De même qu'un chirurgien exerçant dans un contexte comparable finit lui aussi par être reconnu dans un territoire assez étendu quand il décide de se fixer professionnellement. n est vrai que ces médecins soot plutôt reconnus pour leur technicité professionnelle. Pourtant, il n'est pas impossible que se crée avec le temps une forme d'empathie entre eux et leurs patients. Encore faut-il que s'instaure une relation durable, ce qui est de moins en moins vrai aujourd'hui avec le développement d'une forme de nomadisme médical chez les patients. La prise en compte de ces différentes catégories de médecins s'impose d'autant plus que depuis une dizaine d'années, la répartition entre la médecine généraliste et la médecine de spécialités a tourné en faveur de la dernière. Même si c'est assez difficile à quantifier en raison de l'irrégularité des données, on peut vérifier que cette évolution se fait sentir dans la composition des tableaux des conseils municipaux. Dans les premières années de la Cinquième république, le médecin se signale comme «docteur» ou «médecin », alors qu'aujourd'hui, il fait souvent état de sa spécialité en omettant parfois d'indiquer qu'il fait le métier de «médecin ». De plus, l'essor de la médecine de spécialités se diffuse avec l'urbanisation et on peut la retrouver dans des petites villes alors que, jusqu'à la fin des années 70, même dans les départements fortement urbanisés, elle reste concentrée dans les grandes villes. n y a là l'amorce d'une évolution, plus perceptible depuis une quinzaine d'années, qui 97
remet en question les modes de reconnaissance appliqués aux médecins. Là où la profession de médecin généraliste permet de construire une éligibilité en relation directe avec l'électorat, les autres catégories de médecins présentent le modèle d'une construction indirecte de leur éligibilité. Sans doute une part de reconnaissance reste-t-elle liée à l'effet position sociale de la profession médicale tel que nous l'avons décrit dans le premier paragraphe. Mais cela n'est pas suffisant. TIconvient aussi de s'interroger sur les changements qui affectent la société locale et, en particulier, ceux qui sont imputés à l'urbanisation croissante des départements d'Aquitaine. Présence sociale des médecins et société locale La mise en valeur de la reconnaissance accordée aux médecins dans les espaces locaux renvoie à une étude des modes de vie et des valeurs qui animent la vie locale. En effet, cette présence sociale peut s'instaurer dans la société locale parce qu'elle restitue, dans ses différentes expressions, les valeurs, les représentations et les pratiques dominantes. Ainsi lorsque se trouve évoqué l'ancrage du médecin généraliste en milieu rural ou dans le quartier d'une ville, il est implicitement formulé que cette notion est à la fois repérable comme valeur et mode de vie. Cela implique une stabilité des populations dans l'espace et dans le temps. Pour les différents départements d'Aquitaine, c'est la dominante rurale qui illustre cette stabilité à des degrés plus ou moins prononcés. Encore faut-il admettre que la notion de ruralité ne se limite pas à ce que représente l'agriculture comme secteur structurant de la vie économique, sociale et politique. Elle circonscrit un ensemble de valeurs et de comportements tacitement partagé par le plus grand nombre. À la stabilité du lien entre la production de richesse et le territoire, incarnée par les agriculteurs, fait écho une mobilité réduite entre le lieu de travail et le lieu de résidence, dans les autres couches de la population. L'ancrage local à une valeur légitimante parce que la fixité renforce le lien d'appartenance au territoire. De cette stabilité découle une vie sociale basée sur les liens d'interconnaissance, facilités par l'ancienneté des lignées familiales qui fixe des repères dans beaucoup de communes. L'interconnaissance réfère à un système de relations sociales privilégiant les situations de face-à-face 98
et la personnalisation des contacts. Elle constitue un cadre favorable à des tentatives d'influence entre les individus. Mais, les espaces ruraux n'ont pas l'exclusivité de cette notion d'ancrage. TI n'est pas difficile de comprendre que dans les zones à forte tradition ouvrière, que ce soit dans le secteur minier ou industriel, l'ancrage au territoire ait eu la même importance. TI en est de même dans les villes où l'interconnaissance fonctionne entre les habitants d'un quartier, comme c'est le cas dans un village. La valeur d'ancrage concerne donc l'ensemble de la société, même si, elle est plus visible dans un monde à dominante rurale. La présence sociale du médecin, en particulier quand il est généraliste, est bien reçue parce qu'elle s'inscrit aisément dans un régime d'interconnaissance. Car le médecin est capable de produire un regard à la fois particulariste et universaliste. Pour cette raison, elle confère aux médecins une position avantageusement ambiguë dans le monde des notabilités. D'une part, leur titre de docteur les positionne dans un univers où le capital intellectuel peut compenser toute autre forme de patrimoine. La valeur de ce titre est relative au niveau général de qualification dans la société. TIest, de ce fait, davantage valorisé dans une société à dominante rurale parce que le niveau moyen de qualification y est moins élevé. De plus, il est perçu comme un attribut d'état pouvant représenter la totalité de la personne parce que le système de reconnaissance fonctionne suivant ce principe. Le titre de docteur en médecine montre une capacité professionnelle tout en connotant une autorité intellectuelle, légitimant des engagements dans d'autres secteurs de la vie locale. Bien entendu, l'insertion des médecins dans le monde des notabilités ne se limite pas à cette considération, elle s'indexe sur la détention d'un patrimoine matériel et d'un style de vie portant à la distinction. D'autre part, les médecins ont cette particularité, parmi les notabilités, de pouvoir aborder leur milieu sans aucune forme de barrière, précisément en raison de la dualité universalisme/particularisme qui caractérise leur engagement professionnel. Deux facteurs supplémentaires permettent de faciliter l'acceptation de la présence sociale des médecins. Ainsi, la notion de médecin de famille ne prend son sens que dans un univers où la famille apparaît comme une valeur fondatrice et une réalité sociale incontournable. Pour qu'un médecin généraliste puisse suivre une famille dans sa continuité historique, il faut que la cellule familiale connaisse une 99
stabilité dans sa composition et dans sa répartition géographique. TI est vrai que jusqu'à la fill des années soixante-dix, la structure familiale demeure encore stable dans les régions à dominante rurale. Enfin, la rareté de la profession médicale correspond à un état des mœurs en matière de consommation médicale. La France des années 60/70 reste encore modérée dans ses usages de la médecine. On peut se souvenir que les derniers accords de conventionnement qui rendent la médecine libérale accessible au plus grand nombre interviennent au début des années 70. Les pratiques sociales entretiennent le caractère exceptionnel du recours à l'institution médicale. Les différents niveaux de surreprésentation mis en évidence dans le chapitre 1 peuvent s'expliquer partiellement par l'éligibilité du corps médical qui lie l'appartenance professionnelle à la réussite des médecins dans les élections locales. TInous semble que le trait d'union d'éligibilité existant entre les membres de la profession médicale réside dans le fait que chacun d'eux porte dans sa présence sociale la position sociale de cette profession dans la société française. Nous avons souligné le caractère ambigu de cette position sociale dans la mesure où elle conduit à attribuer au corps médical une enveloppe symbolique qui ne découle pas uniquement de l'action historique menée par certains médecins à différentes époques. C'est en ce sens-là que le terme «prestige» fait illusion. Mais l'éligibilité du corps médical ne se réduit pas à cet aspect. Elle s'exprime dans les façons de créer de la présence sociale par les différents rôles de médecin. Parmi les médecins élus locaux, on peut réaliser une partition entre les médecins généralistes qui, par leur activité professionnelle se construisent une éligibilité dans une relation directe avec leur électorat, et les autres médecins, spécialistes, professeurs de médecine, chirurgiens, qui, n'ayant pas cette possibilité sont soumis aux conditions d'une construction indirecte de l'éligibilité. Les premiers ont constitué pendant longtemps la très grande majorité des médecins élus locaux et, il n'est pas interdit de penser que la diminution de la surreprésentation constatée en Aquitaine depuis une quinzaine d'années résulte d'une érosion de l'éligibilité de ce groupe.
100
~ 2 Déclin électoral et reconnaissance La seconde interprétation qu'appellent les données présentées dans le chapitre 1 repose sur le constat d'une nette diminution de la présence quantitative de la profession médicale parmi les élus locaux. La tendance est relativement récente en Aquitaine, elle est plus précoce à l'échelon national. Cette situation nouvelle s'explique par une pluralité de causes. Toutefois, l'hypothèse privilégiée dans le paragraphe qui suit considère qu'une partie de cette évolution s'explique par une érosion de l'éligibilité des membres de la profession médicale. En nous référant au schéma analytique adopté dans le paragraphe précédent, nous pouvons envisager trois questions: L'érosion concerne-t-elle la faculté d'incarnation manifestée par le corps médical? L'institution médicale fait-elle l'objet d'une forme de dépréciation honorifique? Les médecins généralistes qui constituent une part importante de notre population sont-ils affectés par une hypothétique déconsidération de leur profession? Après avoir rappelé sous forme synthétique les données qui illustrent la diminution de la présence quantitative de la profession médicale, nous montrerons que s'il y a une érosion de l'éligibilité des médecins liée à leur appartenance professionnelle, elle repose sur la convergence de plusieurs tendances concernant la profession médicale, l'institution médicale et la médecine généraliste.
2.1 Une surreprésentation
altérée
En reprenant dans une présentation synthétique les données présentées dans le chapitre l, il n'est pas difficile de montrer que depuis le milieu des années 90, plusieurs indicateurs permettent de mesurer une diminution de la présence quantitative des médecins parmi les élus locaux. La surreprésentation perd de son intensité dans toutes les catégories d'élus locaux. Même s'il s'agit d'un phénomène récent, il s'inscrit dans une tendance identique qui se dégage beaucoup plus tôt en France. fi nous semble qu'une partie de ce déclin peut s'expliquer par une érosion du potentiel d'éligibilité de la profession médicale. fi faut se souvenir que les pourcentages obtenus sont toujours supérieurs à ceux du ministère de l'Intérieur parce que les professeurs de médecine et les 101
médecins retraités ont été pris en compte dans le recensement. Maires et conseillers municipaux Nous avons choisi de présenter les données concernant cinq élections municipales pour mettre en évidence la diminution de la proportion de maires et de conseillers municipaux. Par ses valeurs, l'année 1971 est très proche de celles des deux élections municipales précédentes (1959 et 1965). La densité de la profession médicale connaît un rythme de croissance conforme à la tendance des premières années de la Cinquième république car le changement significatif sur ce point intervient dans la seconde partie des années 70. Les années 1983 et 1989 montrent une diminution en valeur et en pourcentage dans la population des maires par rapport à 1971. En Aquitaine la rupture de tendance est plus nette pour les maires et les conseillers municipaux en 2001 alors qu'au niveau national, la population des maires appartenant à la profession médicale recommence à diminuer dès 1995. La comparaison des années 1971 et 2001 met nettement en valeur la diminution du nombre de médecins, maires et conseillers munIcIpaux. Tableau 24: Population et pourcentage des maires et conseillers municipaux appartenant à la profession médicale en Aquitaine. Données nationales sur les médecins et les chirurgiens exerçant un mandat de maire. 1971
1983
1989
1995
2001
Nombre de maires médecins, (Aquitaine) % Rappel multiplicateur Données nationales sur les maires, médecins, chirurgiens multiplicateur
70 (2,9%)
63 (2,7%)
56 (2,4%)
58 (2,5%)
48 (2%)
21 753 (2%)
621 (1,7%)
7,7 631 597 (1;]1'10) (1,6%)
5,7 517 (1,4%)
Nombre de CM médecins, (Aquitaine) % Rappel multiplicateur
316 (1,1%) 8,2
102
15,7
5,6 353 (1,1%)
356 (1,1%) 3,5
4,2 330 (1%)
270 (0,8%) 2,3
Tableau 25: Les multiplicateurs ont été calculés d'après les densités médicales indiquées dans le tableau ci-dessous. Années / échelon
Niveau national
Niveau régional
1971
0,127
0,133
1989
0,3
0,311
2000
0,332
0,345
Conseillers généraux Avec le tableau 26, nous pouvons vérifier que le pourcentage de médecins conseillers généraux d'Aquitaine diminue nettement dans la dernière période. La tendance observée chez les élus municipaux est confirmée. On peut également noter que le pourcentage global de réussite des médecins aux élections cantonales diminue de façon significative toujours dans la dernière période. Tableau 26: Les données extraites des tableaux du chapitre I sont présentées sous forme agrégée par décennie. Pourcentage de médecins membres des 5 Conseils généraux d'Aquitaine. Le pourcentage de médecins élus par rapport au nombre de médecins candidats fournit l'indicateur de réussite. Années 60 Années70
Années 80 Années 92-2001
% de médecins membres des CG
15,6%
17,1%
16,1%
10%
Pourcentage de réussite
64%
59%
56%
30%
On peut rappeler, grâce au tableau 27, que le déclin électoral de la profession médicale dans les élections cantonales est plus ancien et que les pourcentages au niveau national sont moins élevés qu'en Aquitaine à toutes les époques.
103
Tableau 27: Les conseillers généraux appartenant à la profession médicale à l'échelon national: nombre, pourcentage et indication du multiplicateur. 1974
1982
1988
1992
2001
2004
Médecins et chirurgiens sur total CG
392/ 3478
378/ 3694
360/ 3808
329/ 3840
243/ 4037
220/ 4022
%
11,2
10,2
9,4
8,5
6
5,4
multiplicateur
82
42,5
32
27
17
15
Conseillers régionaux. Il faut se souvenir que les données sur l'Aquitaine intègrent les professeurs de médecine dans le corpus. Les pourcentages obtenus sont toujours supérieurs à ceux du ministère de l'Intérieur. Même s'il est plus délicat de travailler sur les données des élections régionales parce qu'elles ont une profondeur historique plus réduite, on peut remarquer que les élections de 2004 marquent un net recul des médecins dans la population des conseillers régionaux en Aquitaine et en France. Tableau 28 : Pourcentage de médecins au Conseil régional d'Aquitaine et en France.
%deCR médecins Données nationales sur des années comparables
1986
1992
1998
2004
12%
12,9%
12,9%
5,8%
6% (1990)
5,9%
4,8(2002)
3,2%
2.2 L'élitdbilité érodée de la profession médicale Le déclin relatif, et peut-être provisoire, de la considération portée à la profession médicale s'exprime sous différents aspects. En examinant 104
les facteurs qui expliquent la forte surreprésentation des vingt premières années de la Cinquième république, on observe que chacun d'eux perd une partie de son intensité. L'évolution de la société, dans ses critères de reconnaissance comme dans ses pratiques sociales, est un peu moins favorable à la profession médicale parce qu'elle réduit l'impact des différents éléments constitutifs de sa position sociale. Une faculté d'incarnation
diminuée
Plusieurs indices permettent de déceler une altération du pouvoir de représentation de la profession médicale. Le premier ensemble concerne la présence apparente du corps médical et sa capacité à incarner l'institution médicale. TI est remarquable que beaucoup de travaux consacrés à la profession médicale évoquent plus souvent « les médecins» que « le médecin ». Ce changement sémantique n'est pas fortuit. TIs'indexe sur la réalité d'une hétérogénéité croissante du corps médical. Le fait qu'il y ait aujourd'hui plus de médecins spécialistes que de généralistes donne l'image d'une profession de plus en plus segmentée par la spécialisation professionnelle. La possibilité pour les médecins généralistes de proposer à leur clientèle des modes d'exercice particuliers (M.E.P) accroît cette impression. En soi, l'hétérogénéité de cette profession n'est pas nouvelle comme le soulignaient, au début de la Cinquième république, Jacqueline Pincemin et Alain Laugier49. Aux formes de divisions anciennes de la profession est venue s'ajouter une segmentation supplémentaire sur le registre technicisation/spécialisation. Cet éclatement de la profession est confirmé par une observation des structures de représentation des intérêts professionnels5o. La profession médicale est donc quantitativement plus présente dans la société française et plus hétérogène dans sa composition. TIsemble de plus en plus difficile de se la représenter à travers les deux figures sociales du médecin généraliste et du professeur de médecine qui, par la simplicité de la dichotomie, renforçaient l'impression d'unité associée à l'image de la 49 «Les intellectuels dans la société française. Les médecins », RFSP, n04, décembre 1959, p. 895. 50D. Wilsford, Doctors and the state in France. The politics of Health in France and in the U.S.A, Durham, Duke University Press, 1991. 105
profession. Toutefois ce constat doit être nuancé quand il est replacé dans la perspective différenciée des territoires locaux. Dans les espaces à dominante rurale, à faible densité médicale, la médecine généraliste conserve encore une faculté d'incarnation plus forte. La spécialisation professionnelle renvoie donc à un type de territoire et d'espace de reconnaissance. Si l'appartenance professionnelle induit une prise en compte de la généralité, elle demande de rester attentif aux facteurs internes de différenciation. La faculté d'incarnation métonymique de la profession médicale est également atténuée par la développement de la santé publique contemporaine caractérisé par « l'extension de son territoire à un nombre croissant de registres de l'activité humaine, impliquant une quantité et une diversité d'acteurs de plus en plus importante» 51. Alors que, le monde social de la santé pouvait se confondre avec l'univers médical, ce n'est plus tout à fait le cas aujourd'hui. fi existe de nos jours un grand nombre de spécialisations professionnelles se réclamant de la perspective thérapeutique, et, il n'est pas exclu que dans cette évolution la profession médicale soit perçue avec moins de netteté. De plus, la densification du monde social de la santé intervient également dans une relativisation de la capacité d'action des médecins. Ces derniers n'ont pas toujours un pouvoir de prescription par rapport à certaines méthodes de soin ou, plus simplement parce qu'en en prescrivant d'autres ils abandonnent une partie de leur activité. fi nous semble donc que la profession médicale réalise sa capacité d'incarnation avec moins de clarté parce que son évolution interne la rend moins sensible à la typification et que l'univers de la santé est plus dense. Une perspective médicale sous contraintes fi est possible que la position de la profession médicale soit altérée par une série d'évolutions touchant le cadre d'expérience de la pratique professionnelle des médecins. Ceux-ci voient une partie de l'autonomie qui caractérisait leur responsabilité professionnelle se réduire sous la pression de nouvelles contraintes. Ainsi, les conditions imposées par l'évaluation en milieu hospitalier au nom d'une éthique de la santé publique qui «responsabilise le médecin sur ses résultats sanitaires et 51
D. Fassin, L'espace politique de la santé, op. cit, p. 266.
106
rend légitime l'introduction d'arbitrages collectifs dans la prise de décision médicale »52restreignent la liberté d'action des médecins, et leur position au sein de l'institution. La décision des médecins doit se montrer un peu moins unilatérale en milieu hospitalier. La notion de qualité des soins, appliquée au fonctionnement des services hospitaliers, « repose sur l'élaboration de nouvelles méthodes et techniques normatives qui, visant à encadrer les comportements professionnels, affectent les intérêts, les modes d'organisation, les valeurs des différents acteurs liés au système» 53. Dans le domaine des relations avec leurs patients, les médecins hospitaliers doivent intégrer dans leur pratique professionnelle les normes nouvelles concernant l'information des malades dès lors que ces derniers sont considérés comme des usagers des services publics hospitaliers54. Plus globalement, la complexification de l'intervention médicale redistribue les responsabilités entre plusieurs segments de la profession. Il en est ainsi lorsqu'on évoque «la fonction de triage orientant vers le technicien spécialisée» à propos du médecin généraliste55 ou « le partage de responsabilité» que doit accepter le chirurgien parce qu'il «n'est plus maître ni libre de sa décision mais entre dans un programme thérapeutique» où il n'est finalement que «le maillon d'une équipe soignante »56. La position de premier ordonnateur de soin, si elle a valorisé la profession médicale en l'associant aux progrès de la santé publique, la place, aujourd'hui, dans une situation plus délicate. Comme cela était perceptible lors du débat entre certains syndicats médicaux et les pouvoirs publics sur la question des références médicales opposables (RMO), la responsabilité médicale peut être relativisée par les impératifs de gestion de l'assurance maladie. La question est momentanément résolue depuis quelques années à partir d'une équation qui autorise une augmentation des 52
M. Robelet, «Les médecins placés sous observation. Mobilisation autour de
l'évaluation médicale en France », Politix, n046, 2e trimestre 1999, p. 73. 53 M. Setbon. «La qualité des soins, nouveau paradigme de l'action collective? », Sociologie du travail, n042, janvier / mars 2000, p. 51-88. 54 L. Amar, E. Minvielle, «L'action publique en faveur de l'usager: de la dynamique institutionnelle aux pratiques quotidiennes de travail. Le cas de l'obligation d'informer le malade », Sociologie du travail, n042, janvier/mars 2000, p. 69-89. 55B. Vergez, Le monde des médecins au 2(/ siècle, Bruxelles, Complexe, 1996, p. 112. 56 J. Terquem, ouvrage précité, p. 220. Voir aussi la référence à la réflexion du professeur Lazar à la même page. 107
tarifs des consultations en échange de comportements plus restrictifs en matière de prescription de soins ou de médicaments. Uinstitution du médecin référent est une disposition qui tend à revaloriser la responsabilité des médecins généralistes au sein de la profession, en leur redonnant une responsabilité centrale dans ce dispositif de gestion. Dans l'univers hospitalier, ces contraintes de gestion ont un effet comparable sur la responsabilité relative des médecins par rapport aux autres acteurs. Le budget global dans les hôpitaux contraint les chefs de service à associer une norme d'optimalité des moyens à celle de leur impératif de soin. On peut enfin rappeler que la responsabilité médicale est plus souvent mise en jeu sur le terrain juridique. Si l'on rapporte le nombre de cas à celui des actes médicaux produits au cours d'une année, on ne peut pas dire que cela soit significatif. L'impact symbolique est au contraire assez fort puisque l'autorité des médecins s'en trouve partiellement désacralisée. Avec ces quelques exemples, on voit que la profession médicale perd un peu d'autonomie parce que la perspective sanitaire se trouve encadrée par d'autres logiques. Ainsi les contraintes de différentes natures qui sont imposées à l'action des médecins relativisent leur position. Elles alimentent une dépréciation symbolique partielle mais réelle. La considération paradoxale portée à l'institution médicale L'institution médicale se trouve placée dans un état de considération paradoxale parce qu'elle perd de son prestige en même temps qu'elle est de plus en plus prégnante. Curieusement, en devenant accessible au plus grand nombre dans la vie quotidienne, elle perd progressivement son caractère exceptionnel. La banalisation de l'institution médicale résulte du fait que la médecine est objet de consommation, perdant ainsi l'empreinte d'exceptionnalité qui entourait ses usages. On note par exemple qu'en 1988, 85% des français peuvent consulter un médecin dans leur propre commune (82,9% en 80) et 78% ont le choix entre plusieurs médecins dans leur propre cotmnune contre 74% en 198057. TIfaudrait évoquer aussi la banalisation du recours aux services d'urgence des hôpitaux qui explique en partie l'état régulier de 57
J. Terquem, Op. cU., p. 34.
108
saturation de ces services. Cette évolution est le fruit d'une interaction croissante entre le développement de l'otITe de soin liée aux progrès de la protection sociale et aux différentes formes d'assimilation du souci de soi au souci du soin de chacun. La densité de la notion de santé publique reflète bien cet état de fait dans la mesure où elle est susceptible d'évoquer un ensemble de réalités qui attestent de la prégnance de l'institution médicale dans la vie collective. Que l'on souligne une médicalisation croissante de la société à partir d'une augmentation de la demande de soin ou du développement de l'otITe, la défmition d'enjeux spécifiques pour la politique publique de santé, l'institution médicale est moins considérée dans le sens de la distinction que dans celui de sa nécessité. Pour aussi nécessaire qu'elle paraisse, elle est mise en question dès lors qu'elle devient soumise aux contraintes qui entourent la conduite des politiques publiques. C'est encore plus vrai depuis le début des années 90 où l'assimilation des comptes sociaux aux comptes publics, par la référence à la notion de prélèvements obligatoires, oblige à réaliser des économies de gestion qui remettent partiellement en cause l'accessibilité aux soins qui s'était largement développée depuis la fm des années 70. L'institution médicale subit les effets de son entrecroisement croissant avec les autres institutions. La redéfmition des moyens correspondant à ses finalités est soumise aux contraintes de la politique économique et sociale. Cette mise en concordance avec des normes externes contribue à une réduction de la distinction que lui confère sa légitimité immanente. Dans un autre ordre d'idée, il faut signaler que les savoirs médicaux sont devenus accessibles pour le plus grand nombre. Certes, il n'est question la plupart du temps que d'information médicale. Pour autant, les patients peuvent avoir un sentiment de compétence, sur les maladies et les traitements, plus assuré aujourd'hui qu'hier, comme on peut le vérifier avec le développement des pratiques d'automédication. Dès lors, la santé n'est plus seulement un objet de consommation, elle devient un objet de connaissance dans la vie ordinaire. Et l'institution médicale se trouve impliquée dans cette évolution. Enfin, il ne faut pas ignorer que si «la médecine a progressivement étendu sa juridiction à d'autres champs que celui de la maladie »58,elle a contribué indirectement à densifier l'univers de la santé autour de 58
c. Herzlich, Malades d'hier, malades d'aujourd'hui. De la mort collective au devoir
de guérison, Paris, Payot, 1984, p. 64.
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l'institution médicale en multipliant les acteurs et les pratiques qui, sans relever de l'institution, sont investis d'une mission de soin. Cela peut créer une perception opacifiée des contours, des finalités et du fonctionnement de l'institution médicale. C'est donc une institution qui est aujourd'hui perçue avec une nécessité plus forte tout en ayant perdu une partie de sa distinction honorifique. Une déperdition de reconnaissance pour la médecine généraliste La diminution de la surreprésentation qui affecte la profession médicale peut aussi s'expliquer par une déperdition partielle de la reconnaissance sociale visant la médecine généraliste. fi semble nécessaire d'adopter sur ce point une interprétation nuancée. fi ne faut pas confondre la perception que les médecins généralistes ont de leur position au sein de la profession médicale et dans la société, avec la perception que la société a de la médecine généraliste. Cette dernière est plus difficile à prouver. Cependant, on peut mettre en évidence un ensemble de phénomènes convergents qui atteste d'une fragilisation, peut-être provisoire, de la médecine généraliste. Un sentiment de dévalorisation fi est un point sur lequel il est difficile d'avoir des doutes. C'est celui qui montre qu'une partie non négligeable des médecins généralistes nourrit le sentiment d'une dépréciation professionnelle et sociale. Les travaux de sociologie médicale soulignant ce constat sont assez nombreux depuis le début des années 9059.Peut-être convient-il d'apporter quelques précisions sur cette question. Il est exact qu'une partie des médecins généralistes a exprimé de différentes façons une perception dépréciée de leur condition professionnelle. À partir d'une série d'enquêtes menées pour le compte de la revue professionnelle Le Généraliste entre 1976 et 1990, il est indiqué que « 68% des généralistes interrogés (contre 54% des hospitaliers et 47% des spécialistes libéraux) considéraient que l'image de leur sous-groupe professionnel s'était dégradée dans l'esprit du public au 59 On pense notamment à l'étude du CERMES déjà évoquée ou à l'ouvrage mentionné ci-dessous.
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cours des années quatre-vingt »60. TI s'agit de la perception que les médecins se font de ce que pense la société à leur égard. Mais cette représentation n'est pas étrangère au fait que 56% des médecins généralistes souhaitent se reconvertir et seuls 16% d'entre eux apprécieraient que leurs enfants suivent la même voie qu'eux61. Les entretiens menés au cours de l'enquête de terrain vont dans le même sens avec notamment une référence à l'assimilation du médecin généraliste à « un prestataire de service ». Cette notion qui a une connotation négative dans la bouche des médecins s'inscrit pourtant dans le registre des relations entre un professionnel et son client. Elle suppose des relations d'égal à égal qui entrent en contradiction avec la distance sociale associée au prestige. Mais ceci ne peut suffire à expliquer un sentiment assez répandu de perte de reconnaissance chez un grand nombre de médecins généralistes. L'émergence de cet état d'esprit se situe au début des années 80, à un moment où la densification de la profession médicale se porte en majorité sur le segment généraliste. Les premiers signes d'une régression de la situation matérielle des médecins apparaissent, ce qui constitue une rupture significative par rapport à la tendance des années antérieures. Mais le phénomène le plus significatif est que la segmentation62 de la profession médicale s'est effectuée sur un registre de légitimation, dominant dans la société, qui valorise la spécialisation et la technicisation. Ainsi, les généralistes sont parfois considérés comme ceux qui « n'ont pas réussi à être des spécialistes », alors que la médecine généraliste est présentée comme « résiduelle» ou en état d' « infériorité» par rapport aux spécialités63. Dans cette configuration nouvelle, la médecine généraliste a été contrainte de se repositionner pour faire valoir sa propre authenticité. La reconstruction
plutôt réussie d'une position
La prise de conscience provoquée par ce sentiment de déperdition de reconnaissance a engendré un mouvement de « réidentification de la 60
D. Broclain, «La médecine générale en crise », dans P. Mach, D. Fassin (Dir.), Les
métiers de la santé, enjeux de pouvoir et quête de légitimité, Anthropos, Paris, 1994, p. 121-160. 61
E. Galam, «Les généralistes fossiles ou précurseurs? », Autrement, n0161, 1996, p. Il. 62A. Strauss, La trame de la négociation, Paris, L'Harmattan, 1992, p. 67-86. 63E. Galam, Autrement, n0161, février 1996, p. 13. 111
médecine générale »64dont les premiers signes apparaissent en 1973 avec la création de la Société ftançaise de médecine générale. Depuis cette date, les médecins généralistes ont obtenu une reconnaissance qui est à la fois professionnelle et politique. La première étape consiste en une entreprise de qualification de la compétence de médecin généraliste pour en faire admettre la spécificité par la profession et les pouvoirs publics. Ce travail de qualification a pu être réalisé grâce à des initiatives telles que la création de la Société pour la Formation Thérapeutique du généraliste, suivie en 1994, par la mise en place de la Conférence permanente de la médecine générale, regroupant huit associations nationales de formation et de recherche, dont l'objectif principal est « de rassembler la communauté généraliste dans un espace d'échange et de production, afin de restituer à la médecine générale sa place légitime dans la communauté médicale nationale et internationale »65. La réalisation du premier traité de médecine générale et d'un dictionnaire de la même discipline concrétise la qualification de la compétence. Depuis la loi de 1982, instaurant une formation en médecine générale, l'institution universitaire a elle-même participé à cette entreprise de reconnaissance en créant des emplois de maîtres de conférence et de professeurs associés des universités en médecine générale à partir de 1991. Ainsi, la mention médecine générale peut figurer sur le titre de docteur en médecine depuis 1989. Mieux encore, depuis 2006, les médecins généralistes peuvent mentionner sur leur plaque professionnelle qu'ils sont titulaires d'une spécialité en médecine générale. Ce résultat a aussi été rendu possible parce que la profession généraliste s'est dotée en 1986 d'un syndicat (MG France) représentant les intérêts de cette partie de la profession médicale. Ceci lui a permis d'obtenir le rétablissement de la place qu'elle occupait plus nettement avant les années 70, celle de premier ordonnateur de soin, sachant que lorsque cinq actes médicaux sont produits en France, trois le sont par des généralistes66. L'institution du médecin référent associe plus directement la médecine généraliste à la gestion de l'assurance maladie en confiant à ses membres la responsabilité du parcours de santé individuel. n semble donc que les premières années du nouveau siècle voient converger plusieurs tendances qui peuvent atténuer le sentiment de 64
A. Hercek, «Histoire d'une renaissance»,Autrement, n0161, 1996,p. 126.
65E. Galam, op. cit, p. 22. 66 J-L Gallais, Autrement n0161, p. 109. 112
déperdition de reconnaissance nourrie par une partie de la profession généraliste: baisse de la démographie médicale résultant des numerus clausus restrictifs depuis la fin des années 80; reconnaissance professionnelle de la spécificité généraliste; reconnaissance par les pouvoirs publics du rôle des médecins généralistes dans la distribution de l'offre de soin. Le seul point qui donne lieu à contestation, comme le prouvent les mouvements sociaux de l'automne 2006, est celui de la sécurisation professionnelle de la filière universitaire en médecine générale. Depuis peu, la tendance paraît donc inversée. L'importance de la médecine généraliste est ainsi réaffirmée même s'il ne faut pas négliger les effets sur l'éligibilité qu'a pu produire cette érosion partielle et passagère de reconnaissance. Mais il ne faut pas perdre de vue que c'est le résultat d'un phénomène social complexe qui associe, les représentations que les médecins généralistes se font de leur position au sein de la profession médicale, aux changements de perception et de comportement relatifs à la santé. Conditions d'exercice professionnel et milieu social Le statut symbolique de la médecine généraliste a également pâti de plusieurs changements. En premier lieu, il faut noter que si en 1962, les visites représentaient 45% des actes médicaux, elles ne correspondent qu'à 20% aujourd'hui, alors que le pourcentage était de 28,5% en 1993. La majorité de ces visites est effectuée par des généralistes. Cela s'explique partiellement par le processus d'urbanisation qui, provoquant une concentration de la population; réduit la distance entre les médecins et leur clientèle potentielle. Il en résulte que le médecin généraliste a, un peu moins, accès à l'intimité des familles comme c'était le cas dans une période plus ancienne. Cette tendance est accentuée par le fait que pour certaines populations, il est abandonné au profit d'autres praticiens. Les pédiatres ont pris leur place pour ce qui concerne la santé des enfants. Il convient de rester attentif à la composition des espaces soumis à l'observation parce que ce type de substitution ne concerne pas les zones nettement rurales. Les comportements sociaux en matière de santé façonnent eux aussi l'exercice de la médecine généraliste. Les récentes dispositions adoptées pour replacer le médecin généraliste au cœur du dispositif de prescription viennent en rupture d'une tendance forte, initiée 113
au milieu des années 80, qui favorisait l'accès direct aux médecins spécialistes, en dévalorisant de fait l'importance de la médecine généraliste. Le recours plus systématique aux services d'urgence des hôpitaux, tout en provoquant une augmentation de leur activité, a également contribué à réduire le rôle des praticiens généralistes. Les conditions sociales du lien à l'intimité ont changë7 parce qu'il y a une plus grande mobilité des individus, et aussi parce que la structure familiale est beaucoup plus instable. L'image du médecin généraliste parcourant la campagne pour visiter ses patients n'a pas disparu, simplement elle ne correspond qu'à une partie, de plus en plus réduite, de la réalité sociale et professionnelle. Peut-être que le sentiment de perte de reconnaissance qui affecte une partie des médecins généralistes découle de cette prise de conscience d'un éclatement des pratiques professionnelles, résultant d'une adaptation aux effets des mutations sociales sur les comportements de santé. Dans une certaine mesure, il est possible que la diminution du pourcentage de médecins élus locaux trouve une explication dans une dépréciation de la considération sociale portée à la profession médicale. L'évolution touche autant l'institution médicale que les médecins euxmêmes. La première a peut-être perdu une partie de sa considération honorifique dans la croissance de sa nécessité. La profession médicale, première exposée à cette évolution, est aussi touchée par les effets d'une mobilisation accrue du registre de la professionnalité qui introduit de l'équivalence, par l'échange de service entre un professionnel et son client, là, où prévalaient davantage des relations inspirées d'une hiérarchisation sociale marquée par I'histoire. De façon plus significative, la dépréciation partielle qui vise la médecine généraliste depuis une vingtaine d'années affecte davantage la population des médecins élus locaux puisque ces derniers étaient, pour la plupart, des généralistes.
67F.Muel-Dreyfus,« 114
Le fantôme du médecin de famille », op. cil, p. 70-71.
~ 3 Les raisons d'une permanence L'intensité de la présence des médecins dans le monde des élus locaux a diminué dans les années récentes. La variation constatée s'explique partiellement par des facteurs liés à l'appartenance professionnelle. Cependant, il est notable que cette évolution n'efface pas la permanence de la surreprésentation. Dans la population observée, il y a des médecins élus pour la première fois et des médecins réélus. C'est-àdire des médecins dont la présence électorale n'est pas uniquement constituée de la source professionnelle de leur éligibilité. Ds sont réélus parce qu'ils réussissent dans l'exercice de leurs mandats. Donc réfléchir sur la permanence conduit à s'interroger sur les facteurs professionnels qui la permettent, sans ignorer qu'il y a d'autres éléments contribuant à cette permanence qui seront étudiés dans les chapitres suivants. Avec la question de la permanence se trouve introduit un autre aspect de la relation entre l'appartenance professionnelle et l'éligibilité. TI s'agit de savoir dans quelle mesure l'appartenance à la profession médicale peut favoriser ou réduire la réussite dans les mandats locaux. Cette thématique de questionnement peut être concentrée en deux ensembles de questions. Le premier contient les interrogations portant sur une éventuelle continuité entre l'activité professionnelle de médecin et l'exercice des mandats locaux. Quelles expressions peut revêtir cette continuité supposée? De par la position sociale qu'elle occupe, la profession médicale semble avoir un domaine de compétence plus large que celui de la médecine. Son intervention dans le social repose sur une légitimité traditionnelle car c'est un élément constitutif de sa position sociale, comme cela a été noté dans les paragraphes précédents. Mais il peut y avoir une forme de continuité qui ne peut être appréhendée qu'en se fondant sur une autre lecture de la compétence. TIest plutôt question ici «d'une capacité générale d'intervention dans un ensemble indéterminé de circonstances sociales »68,celle qui, par exemple, permet aux médecins de s'ajuster avec succès aux différents contextes de la vie politique locale. Plus précisément, il faut se demander si la reproduction des pratiques professionnelles est capable de structurer chez les individus «des principes générateurs et organisateurs de pratiques et de 68
A. Giddens, La constitution de la société, Paris, PUF, 1987, p. 71. 115
représentations »69.À en croire certains témoignages de médecins, on est tenté de le penser. M. Crichton, médecin de formation, indique par exemple: «la médecine m'a donné un champ d'expertise qui m'a beaucoup servi, et un rythme. Je pense que mon sens de la scansion narrative vient de la salle d'urgences »70. Dans une présentation un peu différente, le professeur Tavernier, ancien président du Conseil régional d'Aquitaine, déclare: « .. .Je fais un constat, je relève les signes cliniques des maladies de l'université dans sa partie médicale »71. Ces deux citations nous rappellent un point crucial. C'est parce qu'elle peut structurer la compétence des individus que l'appartenance professionnelle produit une compétence réutilisable dans d'autres domaines, et, pourquoi pas, la vie politique locale. Notons que ce qui est signalé ici pour les médecins est applicable à beaucoup de professions. Avec ce type de considération, la question des prédispositions générées par l'activité professionnelle ne concerne donc pas seulement, le goût ou l'intérêt pour la chose publique, mais également l'aptitude à y réussir. Le second pôle d'interrogation repose sur une conception qui envisage la continuité en terme de disponibilité. Le métier de médecin autorise-t-il une certaine forme de complémentarité avec l'exercice d'un ou plusieurs mandats électifs? La situation professionnelle détermine-t-elle un certain type d'engagement? L'accès au monde de la représentation politique peut-il avoir des effets positifs ou négatifs sur la vie professionnelle? Sur ces différents points, il paraît opportun de se demander ce qui a changé au cours de la période étudiée. Nous montrerons que si l'activité professionnelle de médecin contribue à structurer la compétence sociale des individus, la compatibilité entre le métier de médecin et les engagements d'élu n'est pas identique sur toute la période.
3.1 La richesse des positionnements parallèles au rôle thérapeutique L'un des écueils induits par une étude se référant à une catégorie professionnelle est de produire tacitement une focalisation sur le rôle 69
P. Bourdieu, Le sens pratique, Paris, Ed de Minuit, 1980, p. 88.
70 Le Monde, 1er décembre 1995. 71 Sud Ouest, 33, 24 février 1983.
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professionnel. Or, la compétence des individus, ici la somme des savoirs et savoir-faire acquis au cours des différentes expériences qu'offre l'existence, ne peut se limiter à celle découlant de l'exercice du rôle professionnel. Ce postulat se vérifie pleinement avec les médecins. Parallèlement à leur rôle de thérapeute, ils ont à s'investir dans des domaines proches de la médecine, à s'engager dans des contextes d'interaction où ils doivent défendre leur position. Par la reproduction régulière de ces expériences, se forme chez eux, une capacité générale d'intervention qui peut être réinvestie dans les mandats d'élus. On peut distinguer deux ensembles de moyens par lesquels se forme cette compétence. D'une part, les médecins ont accès au champ des affaires sociales par la contiguïté de ce secteur avec le domaine sanitaire. TIsen retirent une connaissance sectorielle et une pratique des cadres d'interaction qu'offre ce champ d'activité. D'autre part, l'exercice du métier de médecin ouvre sur un ensemble de perspectives qui créent de nouveaux rôles à assumer pour les médecins. L'investissement
dans le secteur sanitaire et social
Comme cela a été montré plus haut, la légitimité de la compétence des médecins sur le secteur sanitaire et social est, aujourd'hui, de type traditionnel. Elle se structure en même temps que se développe le système démocratique aux ISe et 1ge siècles, puis, s'intensifie avec l'extension de la protection sociale. Institutionnellement, la profession médicale se trouve placée dans une position d'articulation entre ces deux secteurs, ce qui lui donne la possibilité de médicaliser le social ou d'envisager l'encadrement social, en aval ou en amont, des actions médicales. Cela explique, par exemple, que beaucoup de médecins participent à l'action d'associations médico-sociales soit en tant qu'expert médical, soit dans des positions d'administrateur. Ces espaces d'intervention s'ajoutent aux relations institutionnelles avec les services sociaux. Mais la position d'articulation semble plus délicate à assumer dans une conjoncture de diminution des dépenses de santé puisque les médecins ont à limiter le coût de la prise en charge médicale et de ses prolongements sociaux. Concrètement, ce sont les médecins généralistes qui sont les plus exposés aux demandes sociales. Un généraliste peut être conduit à demander une aide à domicile pour une personne dont l'autonomie est diminuée. TIdoit 117
contacter les services sociaux communaux, ou indiquer la démarche à suivre, envisager l'intervention d'autres organismes. Les médecins spécialistes et les professeurs de médecine ne sont par vraiment concernés par ces engagements. Cependant, tous les médecins sont concernés par une évolution plus récente qui tend à multiplier les procédures accompagnant l'activité de soin. Par exemple, il est dit que «sur l'ensemble de l'activité des médecins, on constate qu'en moyenne pour chaque acte officiellement fait (en consultation ou en visite), il faut ajouter près de 1,4 acte de communication par courrier, téléphone ou rencontre. Cet aspect de la gestion de la santé se déroule pour 70 % de ces actes de communication-coordination en dehors de la présence du patient. »72. Par leur rôle professionnel, les médecins, en particulier les généralistes, se trouvent exposés à une diversité de perspectives, d'acteurs, et doivent intervenir dans des contextes d'action très différents. Les connaissances qu'ils peuvent acquérir, et l'expérience sociale qui s'y trouve associée, contribuent à établir chez eux une capacité qui ne se limite pas à une compétence spécialisée de type thérapeutique. La médecine hospitalière foumit un autre exemple de la diversité des positionnements que les médecins peuvent être conduit à adopter parallèlement à leur activité de soignant. La nécessité de travailler en équipe se fait de plus en plus présente. Cela suppose chez les médecins hospitaliers la mise en œuvre de capacités d'intégration, de négociation et de régulation. Les divers contextes d'interaction qui organisent la vie d'un hôpital conduisent les médecins à mobiliser ces capacités au quotidien: relations avec le personnel soignant; concertation avec l'administration de I'hôpital ou de la clinique. La question est devenue encore plus sensible avec l'évaluation de l'activité médicale qui, au nom d'une nouvelle éthique de santé publique «responsabilise le médecin sur ses résultats sanitaires et rend légitime l'introduction d'arbitrages collectifs dans la prise de décision médicale» 73 valorisant ainsi les compétences sociales évoquées plus haut. Ainsi, le rôle professionnel de médecin ouvre sur une diversité de contextes d'interaction qui peuvent être institutionnels ou relèvent d'autres espaces sociaux. Par une participation routinisée à ces contextes, 72J_L.Gallais,« Médecins à tout faire », Autrement, nOI6I, p. 117. 73 M. Robelet, «Les médecins placés sous observation. Mobilisation autour de l'évaluation médicale en France », Politix, n046, Zetrimestre 1999, p. 73. 118
les médecins en acquièrent la connaissance et une capacité à négocier avec les perspectives portées par les autres acteurs. Qu'ils réussissent ou qu'ils échouent dans leurs différents engagements, il n'en reste pas moins qu'ils ajoutent à leur compétence thérapeutique, une compétence sociale qu'ils peuvent réinvestir dans l'exercice de leurs mandats. L'effet structurant du rôle professionnel sur la compétence individuelle des médecins Il ne faut pas négliger le fait que la pratique d'un rôle professionnel se traduit par la réactivation régulière d'un ensemble de principes et la reproduction routinisée de pratiques. Ce processus de réactualisation quotidienne alimente partiellement la formation de ce que Giddens appelle la conscience pratique74. C'est là que la compétence sociale des médecins prend sa source. Plusieurs aspects peuvent être cités en exemples. Ce qui a été présenté comme un des langages de l'institution médicale est aussi une forme de compétence exécutée par les médecins dans leur activité professionnelle. Il en est ainsi pour cet enchâssement particulier du savoir à l'action présent dans la démarche thérapeutique. L'analyse clinique qui s'y trouve mobilisée est enseignée comme une technique mais fmit par s'ancrer dans l'esprit des médecins au point que l'on puisse évoquer une «spécificité de l'attitude que l'on peut dire clinique »75. Enseignée comme une techné, la clinique se mue en une attitude quand elle entre dans la conscience pratique de chaque individu. Pour celui qui intériorise cette mutation, il devient possible de la réutiliser de façon tacite dans d'autres champs que celui de la médecine. Il faut bien voir que ce qui est ainsi transféré, c'est autant, une conception du rapport entre le savoir et l'action, proche de l'expertise sur la notion de savoir finalisé sur une action, qu'une approche d'objectivation prenant la forme d'un processus d'individuation problématique. Toutes les professions ne routinisent pas dans leurs pratiques des méthodes d'objectivation. Sans doute, les médecins le savent-ils, de façon plus ou moins claire, quand ils refusent que leur soient opposés, voire imposés, des modes d'intelligibilité concurrents. Mais ce n'est pas le seul point qu'il paraît important de souligner. 74 A. Giddens, La constitution de la société, Paris, PUF, 1987, p. 440. 75P. Guillaume, Le rôle social du médecin depuis deux siècles, op.cit, p. 33.
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La pratique régulière du colloque singulier conduit les médecins à assumer les propriétés sociales d'une situation pour en assurer, avec succès, la sortie thérapeutique. Si le colloque singulier est souvent présenté comme un de ces «cadres définis d'interaction dans lesquels la défmition normative des modes de conduite attendus est particulièrement bien établie »76, ce n'est pas en raison d'une hypothétique homogénéité des pratiques médicales mais plutôt sur la base d'une dualité fondatrice qu'impose le rapport médecin/maladè. Le fait pathologique est créateur de dissymétrie sociale car la dépendance du patient à l'égard du médecin introduit un lien de domination. Corrélativement, l'exercice du geste médical impose un certain degré d'empathie entre le médecin et le malade. Sur la base de cette dualité, l'ensemble des pratiques médicales est relativement ouvert. TI y a une marge d'appréciation que chaque médecin utilise à sa façon
pour atteindre le but de la thérapie. Le degré de directivité que chacun peut adopter dans sa conduite de la relation dépend de plusieurs facteurs. L'éthique personnelle de chaque praticien et le type de médecine pratiquée sont les plus déterminants. Un haut degré de technicité de l'intervention médicale n'élimine pas le souci d'une qualité de l'interaction mais il en réduit la portée. Exception faite de ce qui relève de la cancérologie. L'importance de la relation humaine semble plus évidente dans la pratique de la médecine généraliste ce qui fait dire que le médecin généraliste «a une part active dans la construction de son objet de travail »77.Par la diversité des situations auxquelles il se trouve confronté, le médecin généraliste est conduit à intégrer dans la définition de son rôle la notion d'attentes78. Cela découle autant d'un «modèle médical fortement marqué par la savoir psychologique» 79 que d'une évolution sociale favorisant la reconnaissance du patient comme un sujet individuel auquel est attaché un ensemble de droits8o. De sorte que, la dualité domination/empathie, si prégnante dans la relation thérapeutique, peut donner lieu à «une négociation informelle où le médecin tient la barre, 76
A. Giddens,La constitutionde la société, op.cit, p. 136.
77 I. Baszanger, « La construction d'un monde professionnel: l'entrée des jeunes praticiens dans la médecine générale, Sociologie du travail, n03, 1983, p. 275-294. 78J. Lagroye, « On ne subit pas son rôle », Politlx, n038, 1999, p.9. 79D. Fassin, Les figures urbaines de la santé publique, Paris, La Découverte, 1998 p. 37. 80C. Evin, « Les droits des malades », Pouvoirs, n089, 1999, p. 15-30. 120
s'accommodant des informations qu'il réussit à obtenir d'un client plus ou moins opérant, plus ou moins enclin à se faire comprendre, et dont il doit ménager le tempérament s'il veut aboutir à un diagnostic satisfaisant »81, impliquant une «compétence relationnelle qui leur permet de rassurer, accompagner, conseiller, écouter leurs patients »82.La conception qui se développe ainsi se rapproche du sens initial de cure, c'est-à"(}ire care, le soin, qui a pris, plus tard, le sens de guérison83. Dans ce type de relation, la personnalité du médecin est plus exposée si, par exemple, il est fait référence à la «qualité de la présence », ou à un «supplément d'âme »84. Les qualités personnelles du médecin apparaissent davantage soumises à l'appréciation des patients. La pratique régulière du colloque singulier confère aux médecins une connaissance sociale et une capacité à gérer la relation sociale en créant l'empathie qui lui donne naissance. Comme la relation s'instaure avec des patients présentant des profils sociaux différents, les facultés d'observation et de négociation sont d'autant plus mobilisées. Cela repose aussi sur une éthique de la responsabilité individuelle qui reste la variable normative la plus présente dans la vie des médecins. Elle s'exprime dans la conduite de la relation thérapeutique mais elle est également présente dans le choix du statut professionnel. Les médecins exerçant avec un statut libéral sont, par défmition, attachés à une éthique individualiste. Leur choix est aussi le produit d'une inclinaison personnelle vers ce type d'éthique. fi apparaît donc que la compétence individuelle qui peut se créer à partir des différentes expressions du rôle de médecin n'est pas qu'une compétence spécialisée dans le domaine médical. C'est aussi une compétence sociale dans la mesure où elle est susceptible de mobiliser une démarche d'objectivation permettant de désigner et de traduire. Elle se constitue également sur une pratique des relations sociales dans le cadre du colloque singulier où en raison des multiples positionnements que les médecins doivent adopter relativement à l'exercice de leur SI
D. Le Breton, «Le médecin, l'organe malade et l'homme souffi:ant}},Autrement,
n0161, février 1996, p. 38. 82E. Galam, «Le remède médecin }}, Autrement, n0161, Février 1996, p.43. 83 F. Carasso, «L'enseignement et les soins; deux professions impossibles }},Esprit nOlO, 1993, p.52-68. 84 D. Le Breton, «Le médecin, l'organe malade et l'homme souffrant », Autrement n016l, février 1996, p. 36.
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profession. La compétence des individus qui exercent la profession de médecin ne peut donc être réduite à ce que désigne implicitement une catégorisation socioprofessionnelle. Contrairement à ce qu'affirmait Talcot Parsons85 un individu qui s'efforce à devenir expert en matière de santé ou de maladie ne se ferme pas à une compétence comparable en d'autres domaines. Si un marqueur d'identification professionnelle permet de désigner une population, il ne peut en aucun cas circonscrire la compétence de chacun des individus qui la composent.
3.2 Une permanence fra2ilisée par une compatibilité pratique de plus en plus incertaine Sans développer un point qui sera plus largement abordé dans le chapitre 4, on peut relever des changements significatifs dans les rapports entre activité professionnelle et exercice des fonctions électives. Le contraste le plus saisissant apparaît lorsqu'on tente d'établir une comparaison entre les médecins élus locaux au cours de la période 60/70 et ceux qui sont élus depuis le début des années 90. Les premiers, en majorité des généralistes, sont élus dans petites communes et cumulent parfois avec un mandat de conseiller général. TIs exercent leur profession dans des espaces à dominante rurale, encore relativement peuplés, avec une densité médicale très faible. Leur clientèle est importante mais, la population est plus jeune et la consommation médicale reste modérée. Le recours à celui que l'on appelle, le plus souvent, «le médecin» demeure assez exceptionnel. Par le volume et l'éparpillement de sa clientèle, le médecin généraliste en milieu rural est appelé à se déplacer sur une aire qui dépasse très souvent le cadre de sa commune. TIy a là un point de compatibilité pratique relativement fort dans la mesure où le médecin peut, en exerçant son activité professionnelle, alimenter sa connaissance du territoire et entretenir des relations avec ses habitants. Plus que de compatibilité pratique, il faut évoquer une véritable complémentarité entre le métier de médecin généraliste rural et les mandats électifs locaux. Cette complémentarité explique d'ailleurs la réussite des médecins dans les mandats de maire ou de conseiller général que l'on peut mesurer en observant les taux de 85
Eléments pour une sociologie de l'action, op. cil., p. 198.
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réussite dans les cantons ruraux ou la longévité dans les différents mandats. Elle est possible parce que les charges correspondant aux différents mandats, à cette époque, peuvent être assumées sans préjudice pour l'activité professionnelle. Il n'en est plus de même depuis le milieu des années 80. La nette diminution du pourcentage de médecins dans la population des maires des communes de moins de 2000 habitants est une première indication de l'incompatibilité croissante entre l'activité professionnelle et l'engagement électif. Dans les petites communes, les missions imparties au maire, parce qu'elles sont plus nombreuse et plus complexes, rendent improbable la compatibilité avec le métier de médecin. Il y a enfin le risque d'une perte de clientèle si le médecin se trouve trop absorbé par ses responsabilités électives. Le deuxième indicateur est la généralisation de la cessation partielle d'activité professionnelle chez les médecins qui cumulent deux mandats locaux. On peut remarquer que cela a été facilité par l'augmentation de la démographie médicale qui a permis le développement des cabinets de groupe. La plupart du temps, les médecins ne peuvent pas consacrer plus d'une journée par semaine à leur activité en cabinet. Ils enregistrent une diminution de leur clientèle qui peut réagir autant à l'absence du médecin qu'à la tonalité de son engagement politique. De ce fait, ceux qui veulent cumuler des mandats, en particulier dans des espaces ruraux ou intermédiaires, se trouvent devant une obligation de choix entre un itinéraire d'élu et la poursuite de leur vie professionnelle. Bien souvent, c'est donc par le maintien d'une activité médicale marginale que se conclut l'arbitrage. Pour les médecins élus en milieu urbain, souvent spécialistes, médecins hospitaliers ou chirurgiens, le cumul de mandats locaux est facilité par le fait que le temps consacré aux différents déplacements est moins important que pour les élus ruraux. La compatibilité est un peu moins délicate à assurer même si le contenu des missions est identique. Pour cette catégorie de médecins élus locaux la rupture de compatibilité semble moins évidente que pour leurs conftères élus ruraux. Le troisième facteur qui soulève la question de la compatibilité est celui de l'âge des élus. Dans la population des médecins cumulant des mandats, il y a une part non négligeable de retraités qui peuvent ainsi se consacrer pleinement à leur mandat.
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À la lumière de ces différents constats, il apparaît que les transformations de l'action publique locale depuis la réforme de la décentralisation ont remis en question la compatibilité entre l'exercice du métier de médecin et la détention d'un ou plusieurs mandats locaux. À l'évidence, le changement est plus net pour les élus des espaces ruraux ou intermédiaires. Entre le début et la fill de la période, on est passé d'un régime de complémentarité active à un régime d'incompatibilité pratique.
Au terme de cette étude, il apparaît que l'appartenance professionnelle est une part de l'éligibilité de la profession médicale. Mais en tant que facteur constitutif, elle intervient selon différentes modalités. Quand elle signifie l'exercice du rôle professionnel de médecin, elle montre une profession hétérogène par ses pratiques professionnelles et les espaces de reconnaissance qui y sont associés. L'espace de reconnaissance généré par la médecine généraliste, majoritaire dans la population étudiée, est différent de celui associé aux médecins spécialistes ou aux professeurs de médecine. Le trait d'union d'éligibilité des médecins ne repose donc pas sur ce facteur. Il réside plutôt dans le rapport de représentation que la profession médicale entretient avec l'institution sanitaire. Par son histoire, celle qui est désignée, tantôt comme institution médicale, tantôt comme institution thérapeutique, s'est accordée au développement du système démocratique pour en devenir une des institutions les plus importantes aujourd'hui. Son patrimoine symbolique et matériel constitue une part de la considération honorifique accordée aux médecins. Certains parmi eux, les hygiénistes du 1ge ou les humanitaires de la fin du 20e, ont su activer des potentialités de l'institution et fonder ainsi ce qui deviendra la position sociale de leur profession. C'est-à-dire une capacité à intervenir dans les institutions politiques et sociales au nom d'une perspective thérapeutique mais dans des champs qui ne s'y rapportent pas toujours. Dans ces activités, des médecins ont pu faire la preuve de leurs capacités à désigner et à traduire, bref, à objectiver des réalités d'un champ à l'autre. Le prestige de la profession médicale est donc le résultat d'un processus historique, politique et social complexe dont les médecins ne sont pas les seuls vecteurs. De plus, la distribution de ce prestige à l'intérieur de la profession est une 124
réalité évolutive comme cela a été vu pour la médecine généraliste. Sans doute y a-t-il dans l'évolution des représentations relatives à la profession médicale, à certains de ses segments plus qu'à d'autres, ou à l'institution médicale elle-même, une part d'explication dans la baîsse de la surreprésentation de médecins élus locaux. Cette possible dépréciation symbolique n'élimine pas la permanence de la profession médicale parmi les élus locaux. L'appartenance joue ici en tant qu'élément structurant de la compétence individuelle des médecins. Sur plusieurs points, l'agir développé dans le cadre du rôle professionnel ou, à partir de celui-ci, constitue une bonne préparation à la représentation politique: objectiver des réalités, maîtriser un large champ de compétence, instaurer une relation humaine et la diriger, sont les activités reproduites régulièrement dans la vie d'un individu exerçant le métier de médecin. Mais il s'agit alors d'une compétence individuelle nourrie des acquis de la vie professionnelle. Pour qu'il y ait des médecins, élus locaux, il faut des individus pour assurer la liaison entre l'appartenance professionnelle et la présence électorale.
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CHAPITRE 3
La présence électorale des médecins
L'histoire des élections locales nous indique que la présence électorale des candidats s'est toujours réalisée avec un dosage variable de facteurs individuels et supra-individuels. L'étude réalisée sur les élections locales en Aquitaine au cours des quarante premières années de la Cinquième république, par la variété des contextes électoraux qu'elle révèle, confirme ce constat. Il n'est pas très utile de revenir sur un aspect qui a déjà été développé dans le chapitre 1. Rappelons simplement que l'observateur peut croiser dans son regard la nature des élections (cantonales, municipales), la taille des unités et la composition des espaces de reconnaissance et de légitimation. Chez ces derniers, nous avons souligné à plusieurs reprises l'ambiguïté du clivage rural/urbain, et surtout, l'importance de l'espace intermédiaire qui rend la dichotomie aussi délicate qu'indispensable. Sans doute est-il souhaitable de mesurer l'influence que les partis politiques peuvent avoir sur les élections locales à différentes époques. TI faut enfin rappeler que la décision électorale sous-tend à la fois une reconnaissance des individus et une légitimation à exercer le mandat qui est en jeu dans l'élection. Le jugement des électeurs porte donc sur des attributs d'état et de compétence. La présence électorale des candidats se construit sur un enchevêtrement de variables qui en fait une réalité assez complexe. Elle peut aussi être présentée comme une rencontre entre une intention individuelle et un électorat au sein duquel on peut trouver des groupes sociaux et politiques qui entendent influer sur les candidatures, les électeurs et la construction du débat électoral. L'étude de la présence électorale des médecins nous replace au cœur de cette complexité. TIne s'agit plus, comme cela a été fait dans le chapitre 2, de vérifier l'influence plus ou moins positive de l'appartenance professionnelle sur l'éligibilité des médecins. TI est question de comprendre comment les membres de la profession médicale s'engagent dans les situations électorales. Comment se tirent-ils de contextes électoraux où dominent les facteurs individuels? Qu'advient-il
de leur présence électorale lorsque les forces partisanes influencent de façon significative le débat politique local? Peut-on expliquer les différentes valeurs de la surreprésentation de cette profession chez les élus locaux par la composition des contextes d'élection? On verra dans un premier point que les médecins entretiennent un rapport ambigu avec les contextes électoraux fortement marqués par l'individualisation. TIsemble en effet que ces contextes expliquent autant la surreprésentation que l'altération de la surreprésentation. Dans un deuxième paragraphe, nous montrerons que la profession médicale est très présente dans l'univers partisan et que, de ce fait, elle s'adapte assez bien à l'évolution des contextes électoraux. Le dernier paragraphe montrera qu'il existe une troisième composante dans la présence électorale. Chaque médecin doit en effet se montrer capable de maîtriser les différentes variables structurelles et conjoncturelles qui caractérisent les contextes électoraux.
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U
Les médecins et l'individualisa t,on électol"a~
Le facteur individuel apparaît toujours comme un élément permanent de la présence électorale même s'il peut se décliner en différentes appellations. Ainsi peut-on évoquer parfois la personnalité des candidats tout en entretenant le doute sur le sens que l'on donne au terme personnalité. Parle-t-on des traits de caractère remarquables d'une personne ou des attributs sociaux qui la rendent reconnaissable dans la vie sociale? Tout en étant permanent, le facteur individuel n'est pas facile à cerner parce qu'il est composite et demeure partiellement connaissable. De plus, il n'intervient pas dans la présence électorale avec un degré régulier d'intensité. Dans certains contextes, il est considéré comme la variable principale de la présence électorale. D'autres contextes lui paraissent moins favorables et en font un facteur équivalent aux autres. Ce sont les espaces de reconnaissance et de légitimation qui se constituent à l'occasion d'une élection qui pondèrent la valeur des éléments de la présence électorale. Or les représentations et les croyances qui guident les opérations de reconnaissance et de légitimation ne sont pas fixées dans le temps. Ainsi, est-on bien sûr qu'en privilégiant le facteur individuel dans l'appréciation de la présence électorale, on se fonde toujours sur les mêmes critères? Sur ce point, l'exemple des médecins semble avoir une certaine valeur heuristique. En effet, la baisse de la surreprésentation constatée en fin de période est révélatrice d'un glissement d'une configuration électorale à une autre. Dans la première le haut niveau de surreprésentation illustre la parfaite adéquation entre la présence électorale des médecins et les circonstances électorales. La seconde est un peu moins favorable à la profession médicale parce que les territoires rencontrés dans la première lecture sont moins nombreux et que les conditions de reconnaissance individualisée ont changé.
1.1 De la présence sociale dans la conioncture électorale Sans reprendre de façon détaillée ce qui a été en partie développé dans le chapitre 2, nous allons montrer que les médecins entrent plus facilement dans certaines conjonctures électorales à partir de leur présence sociale. Cela ne tient pas seulement au fait qu'ils appartiennent à la 129
profession médicale mais plutôt à une forme d'empathie symbolique entre les valeurs que porte leur présence et celles qui dominent la société locale. Activité professionnelle et présence électorale Ainsi que nous Favons envisagé dans le chapitre 2, on peut diviser la population des médecins élus locaux, si largement surreprésentée pendant les trente premières années de la Cinquième république, en deux ensembles. Le premier se compose des médecins chez qui la présence électorale découle principalement de la relation directe entre clientèle professionnelle et électorat potentiel, en majorité les médecins généralistes. Le second comprend un groupe plus réduit de médecins qui n'ont pas cette possibilité. Nous allons dans un premier temps concentrer notre regard sur le groupe qui a longtemps assuré la part la plus importante de la surreprésentation des médecins. C'est aussi celui qui nous semble le mieux correspondre à l'analyse notabiliaire parce qu'il illustre bien l'ensemble des relations qui s'instaurent entre la position sociale, l'exercice d'une activité professionnelle et l'inscription dans un territoire. Pour une bonne partie de notre période d'étude, les médecins généralistes élus locaux forment une population à la fois illustrative et constitutive de la conception liant la notabilité sociale à la notabilité politique. On les rencontre principalement dans les zones rurales où la densité de la profession médicale est la plus faible même si on peut avoir dans ce groupe quelques médecins généralistes de quartier en milieu urbain. Parmi les indicateurs que nous avons présentés dans le chapitre 1, on peut se référer au pourcentage de médecins élus dans les cantons ruraux et à leur taux de réussite. Les résultats des trois premières décennies sont beaucoup plus tranchés que ceux de la dernière. Le constat est identique pour ceux qui exercent un mandat de maire, la proportion d'élus de petites communes est assez nette. Outre l'éligibilité directe déjà mentionnée, on peut noter que l'antériorité de la présence sociale par rapport à l'évènement que constitue une élection, facilite la reconnaissance électorale. Souvent les médecins généralistes exercent entre 7 et 10ans avant leur première candidature à une élection locale. À la différence des autres candidats, ils n'ont pas vraiment besoin de se faire connaître. On peut noter qu'il existe un contraste entre la permanence de la présence 130
sociale du médecin et le caractère évènementiel de l'élection, même si le caractère cyclique lui confère de la régularité. La force est davantage dans la permanence du médecin que dans le caractère éphémère d'une campagne électorale. C'est peut être ce qui donne aux candidatures de médecins un caractère rassurant. Ce n'est pas uniquement parce qu'ils déploient une activité de soin, c'est aussi parce que la permanence de leur présence sociale donne une impression de sécurité. Pour cette raison, la candidature des médecins peut être souhaitée et soutenue par toutes celles et ceux qui tentent d'influer sur la sélection des candidatures dans une élection locale. Par exemple, on peut dire que les médecins généralistes ne bénéficient pas du soutien des notabilités sociales seulement parce qu'ils en font partie mais, en raison de la crédibilité que leur donne l'éligibilité directe construite par l'activité professionnelle. Ainsi les médecins généralistes déclinent une présence électorale en forme de boucle puisqu'elle part d'une relation directe avec l'électorat pour y revenir après avoir obtenu la reconnaissance des groupes formels ou informels qui participent, de près ou de loin, à la sélection des candidatures. Bien souvent cette reconnaissance est offerte plus qu'elle n'est demandée par les médecins tellement leurs candidatures semblent s'imposer presque naturellement. C'est peut-être ce qui explique les phénomènes de succession à la tête des municipalités ou sur certains cantons. Nous en avons repéré de différents types. Le plus classique est celui qui voit un médecin reprendre le cabinet de son père et ses mandats d'élu. Il y a plusieurs exemples dans les différents départements. Mais, sans qu'il y ait de succession familiale, il se peut que des communes ou des cantons soient gérés par des médecins de façon continue sur plusieurs dizaines d'années. Les cantons de Sore et de Labrit dans les Landes ont été tenus sans interruption pendant un demi siècle par des médecins. La ville de Bazas (33) a été dirigée, la majeure partie du XXe siècle par des médecins. Parfois l'association professionnelle se décline en une succession harmonieuse ou concurrentielle pour l'accession aux mandats locaux. Il faut d'ailleurs remarquer que lorsqu'il s'agit d'une candidature à une réélection, la présence électorale du médecin est encore plus dense puisqu'il peut invoquer son bilan d'élu et exploiter le système de relations qui s'est construit au cours de son mandat. Jusqu'au début des années 80, les conditions entourant l'exercice du mandat de maire ou de conseiller général rendent possible le cumul de l'activité professionnelle et la 131
détention d'un ou plusieurs mandats locaux. La présence locale des médecins peut alors se densifier plus facilement. L'évolution qui se dessine dès le début des années 80 atténue progressivement la possibilité de ce type de présence électorale. Comme cela a été dit plus haut, il s'agit principalement de la mutation interne de la profession médicale mais également de la professionnalisation de la représentation politique locale, notamment liée à la décentralisation. Il s'instaure à partir de cette époque une sorte d'incompatibilité pratique entre le métier de médecin et l'exercice d'un mandat local. Nous le verrons de façon plus approfondie dans le chapitre 4 mais, déjà, on peut signaler que l'effet sur la présence électorale est bien réel puisqu'il réduit partiellement la présence électorale des médecins, en les privant de la possibilité de se présenter au carrefour des deux univers. Il leur est de plus en plus difficile d'être autant médecin qu'élu. De ce fait, les médecins que nous rangeons dans le second ensemble apparaissent un peu plus clairement. Ils sont principalement candidats dans des espaces à dominante urbaine et leur présence électorale est avant tout reconnue par les groupes intermédiaires: partis politiques, milieu associatif, etc. Il existe cependant quelques exceptions de médecins, spécialistes ou non, qui sont élus dans des cantons ruraux où ne se trouve pas leur clientèle professionnelle. Il nous semble que l'intérêt présenté par ce groupe de médecins élus locaux est dans le fait qu'ils incarnent une évolution dans laquelle les médecins élus sur une éligibilité directe sont de moins en moins nombreux. Le modèle qui domine le rapport des médecins aux élections locales les trois premières décennies de la Cinquième république perd de son importance quantitative et de sa puissance évocatrice. Néanmoins, il faut reconnaître qu'il permet aux médecins de mobiliser un registre de légitimation qui peut être utilisé, partiellement ou entièrement, par tous les médecins parce qu'il mêle une continuité entre métier de médecin et activité d'élu à une référence aux valeurs d'appartenance au lieu. Être présent par un registre de légitimation Pour les médecins qui se portent candidats à une élection locale, être présents électoralement, c'est mobiliser dans la compétition électorale les éléments d'une présence sociale qui peuvent y faire sens. Les citations présentées ci-dessous montrent que les différents registres mobilisés pour 132
fonder la présence électorale font écho à la réalité d'une présence sociale. n s'agit, en premier lieu, d'exposer les traits d'une personnalité et les propriétés d'une position sociale associée à l'appartenance professionnelle. Et cette reconnaissance est d'autant plus forte que l'établissement de la présence sociale s'accorde avec des critères valorisés dans la vie locale. La notion d'ancrage, si souvent mobilisée, fait davantage sens dans une société locale où sont privilégiées les valeurs d'antériorité et de stabilité dans la discrimination des présences sociales. En second lieu, la présence sociale reconnue est également composée d'une capacité relationnelle avec le milieu local. La connaissance induite par la présence sociale légitime implicitement une capacité à agir. Ainsi, la présence sociale n'est pas seulement une reconnaissance d'attributs d'état mais également celle d'une compétence. C'est dans cette capacité à agir qu'est revendiquée une complémentarité, voire une continuité entre l'exercice professionnel et un mandat d'élu local. Les trois déclarations de campagne sélectionnées ici révèlent, derrière l'apparente simplicité du langage quotidien, la complexité de la relation qui s'instaure avec le milieu local.
- «Ce
canton dont je suis professionnellement, le témoin privilégié» ou encore «grâce à la rencontre individuelle et quotidienne des uns et des autres, attentif, à l'écoute de toUS» 1 - «Ma profession de médecin, grâce aux différents contacts journaliers
que j'ai avec vous, m'a permis de saisir les différents problèmes que vous rencontrez »2. - «Ma profession de médecin généraliste, mes activités dans un dispensaire, dans une maison de retraite, mon travail de responsable municipal à l'aide sociale et aux crèches municipales m'ont permis d'avoir des contacts directs et amicaux avec les familles, les enfants, les personnes âgées, et de bien saisir dans leur gravité les problèmes sociaux »3.
I Docteur J-L B, élection cantonale de Nérac (47), 1982, Sud Ouest (47),3 mars 1982. 2 Docteur D. C, élection cantonale du Mas d'Agenais (47), 1982, Sud Ouest (47), Il mars1982. 3 Docteur Y. B, élection cantonale de Talence (33), 1979, Sud Ouest, 15 mars1979. 133
On y discerne le rappel du lien d'affect qui s'instaure avec les patients, résultant d'un processus de reconnaissance croisée entre l'individualité du médecin et celle de chacun de ses patients. Celle-ci permet de souligner les qualités personnelles du praticien manifestées notamment dans l'exercice de sa profession. Mais cette dernière induit aussi une relation de connaissance du milieu social à partir d'une généralité de cas individuels. Or la revendication de cette possibilité de connaissance est importante puisqu'elle est censée légitimer une capacité à intervenir dans la vie locale, sachant qu'étant le médecin de tous on sera plus facilement l'élu de tous. L'universalisme pratique est aussi une ressource d'éligibilité. La continuité entre la présence sociale et l'exercice d'un mandat local est clairement exprimée dans le témoignage suivant: «Dans notre profession soigner n'est pas tout. Il arrive un temps où nous sommes témoins de telles souffrances, et qui ne sont pas seulement physiques, que notre savoir acquis à la faculté n'est pas suffisant. Il faut alors aller chercher ailleurs les moyens de venir en aide à tous ces gens. Le corollaire, c'est le mandat électif qui permet d'agir auprès des services publics, de faire avancer un dossier, d'obtenir un secours »4. Outre qu'elle évoque une conception médiatrice du rôle d'élu, cette citation situe la continuité dans un registre de généralité. Or, elle peut aussi être invoquée de façon plus technique lorsque l'enjeu électoral en fait ressentir la nécessité. - «Diplômé de médecine du travail, j'apporterai au sein de l'assemblée départementale, ma contribution personnelle et constructive dans les problèmes de l'hygiène et de la santé, dans l'aide aux personnes âgées, aux handicapés, ainsi qu'au développement de la médecine préventive scolaire et du travail (que l'électeur sache que ce seul chapitre représente 45% du budget du département)) 5 - «Mon activité professionnelle me fait mesurer tous les jours l'importance des mesures à prendre pour le troisième âge. Il est indispensable d'instaurer un revenu minimum décent, de développer
4 Citation extraite de l'ouvrage de Béatrice Vergez, Le monde des médecins au vingtième siècle, Bruxelles, Complexe, 1996, p. 272. 5 Docteur M.E, élection cantonale de Tartas (40), 1979, Sud Ouest, (40), 16 mars 1979. 134
l'aide à domicile (l'aide ménagère mais aussi l'aide médicale qui seule peut éviter une hospitalisation souvent catastrophique) »6. La revendication de la continuité entre les deux positions s'établit donc sur deux nuances. La première insiste sur le prolongement entre la présence sociale générée par l'activité de médecin alors que l'autre met en évidence la correspondance entre la compétence professionnelle et le dispositif institutionnel local auquel elle peut s'appliquer. Chacune d'elles demeure un registre disponible qui peut être mobilisé lors de toute tentative électorale même si le médecin peut faire état d'une expérience d'élu:
- «Tout
au long de ces années, vous avez pu me juger et apprécier mes actions en tant que citoyen, médecin, maire et conseiller général »7 - «Placé par mon métier au cœur même des souffrances et des difficultés de chacun, rôdé à la gestion d'une collectivité par 32 ans de vie municipale, j'ai essayé de donner le meilleur de moi-même à ma fonction de conseiller général »8 La candidature à une réélection s'appuie sur un registre qui met en équivalence le critère de réussite dans l'exercice des mandats locaux avec celui de la compétence professionnelle. La mise en avant d'une continuité entre compétence professionnelle et élective se fonde, au moins implicitement, sur «la proximité et l'accessibilité» parfois présentées comme des atouts sur le chemin du pouvoir local9. Si l'accessibilité peut apparaître comme la dimension relationnelle de la proximité, elles constituent, toutes les deux, des éléments importants des espaces de reconnaissance et de légitimation de la vie politique locale depuis longtemps. Elles forment un registre de légitimation régulièrement mobilisé par les candidats. Nombreux sont ceux qui à un moment ou à un autre de leurs trajectoires électives ont pu dire comme le notaire J. Dutourd: «Depuis bientôt dix ans, je parcours notre canton et suis en 6 Docteur J-A. L, élection cantonale de Bordeaux 2, 1979, Sud Ouest (33), 12 mars 1979. 7 Docteur P. M, cantonale de Tournon d'Agenais, 1976, Sud Ouest (47), 3mars 1976. 8 Docteur P. L, cantonale de Labrit (40), mars 1985, Sud Ouest (40),6 mars 1985. 9 J. Becquart-Leclercq, «Les chemins du pouvoir local: la sélection du maire », Pouvoirs, n° 24, PUF, 1982, p. 98. 135
contact pennanent avec vous »10. Tel qu'il est utilisé, le registre de la proximité présente un ensemble de connotation relativement fourni. D'une part, il pennet de marquer la différenciation et le lien entre la reconnaissance et la légitimation. S'inscrire dans la proximité c'est occuper une place dans l'univers social local et y être reconnu en tant que tel. La présence sociale d'un individu est considérée du point de vue des attributs qui lui sont associés. Mais, à la reconnaissance de la position occupée dans la société locale est associée la légitimation d'une capacité à agir. Par sa présence sociale, un médecin est reconnu légitime à exercer un ou plusieurs mandats locaux. D'autre part, on peut dire que sur la base d'une évidence spatiale, est sous-entendue une conception des relations sociales relativement riche. Telle qu'elle est employée le plus souvent, la proximité renvoie à une reconnaissance des individus par leur individualité. Or qui mieux que le médecin peut revendiquer cette constitution du tout à partir de la considération de chacun? Il y a une part d'affect dans la relation de proximité qui est donnée pour rééquilibrer la distance instaurée par le rapport de représentation. Ainsi peut se créer, plus aisément, une réciprocité dans les processus de reconnaissance entre les élus et les citoyens. C'est un registre qui doit fonctionner plus facilement dans un contexte culturel favorable à une individualisation de l'influence politique. Sa portée dans les univers de légitimation réside dans sa faculté à se réclamer autant de la subjectivité que de l'objectivité. La présence sociale des médecins dans la vie locale et le registre de légitimation qu'elle pennet de produire s'inscrivent en complète empathie avec les nonnes implicites qui régissent les élections locales.
1.2 Un contexte politique et social favorable à l'individualisation La présence sociale des médecins devient une ressource d'éligibilité dans les contextes d'individualisation électorale si elle fait véritablement l'objet d'une reconnaissance. C'est cette reconnaissance individuée qui constitue la ressource. Mais cela n'est pas suffisant, il faut aussi qu'il y ait une validation par la conjoncture électorale. Or si l'on se place sous l'angle de la reconnaissance sociale et des conjonctures 10Sud Ouest, 24,26 mai 1961 .
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électorales, il nous semble opportun de distinguer deux tendances opposées qui se manifestent de façon évidente, la première dans les années 60, et la seconde depuis le début des années 90. Les décennies 70 et 80 correspondent à une période de chevauchement de tendances. C'està-dire une durée assez longue pour que la première tendance s'estompe, sans disparaître, au profit de la seconde. Ainsi, il nous semble que dans un premier temps, les conditions de reconnaissance sociale et de légitimation électorale sont favorables à la présence sociale des médecins. Alors que dans un second temps, l'évolution des conditions de reconnaissance sociale et de désignation politique les valorisent un peu moins dans la compétition électorale. Société locale et reconnaissance des individus La reconnaissance dont les médecins font l'objet dans la vie locale peut constituer un indicateur du système de reconnaissance dominant la société locale tout au moins jusqu'à la fin des années 70 dans la majorité des territoires d'élection. On a déjà signalé que l'Aquitaine reste un peu plus longtemps rurale parce que sur ses cinq départements, trois connaissent une urbanisation un peu plus tardive que sur l'ensemble du territoire national. L'image de la France des notables qui a dominé sous la Troisième et la Quatrième république y est encore un peu plus marquée qu'ailleurs. Ainsi, dans une société locale, encore à dominante rurale, l'individualisation des présences résulte du type de repérage social qui peut être effectué. Il se réalise par le signalement de quelques positions sociales significatives comme celle attribuée au médecin. À côté du notaire, du propriétaire terrien, et à un degré moindre de l'instituteur, il fait partie de ces «personnalités locales» chez qui le statut professionnel est perçu comme un attribut d'état. Or en étant perçu comme un attribut d'état, il est associé à l'essence même de la personne, et peut la représenter en l'incarnant. Dès lors, l'autorité sociale incorporée au statut professionnel vaut pour la totalité de la personne. Dans cette construction sociale de l'autorité, il n'y a pas utilité à faire état de sa compétence car elle présumée par l'autorité initiale. La société locale à dominante rurale est donc caractérisée par un système de reconnaissance des individus qui fait du statut professionnel un marqueur d'identification des personnalités locales. Les médecins sont parmi les professions qui incarnent le mieux ce 137
système de reconnaissance, tout en étant les premiers bénéficiaires. La perception de la présence sociale est facilitée par la division territoriale, en particulier, pour les communes. Parmi les 36000 communes de France celles qui ont moins de 2000 habitants sont les plus nombreuses. Les territoires communaux sont des espaces dont la taille facilite une perception des présences sociales individualisées. Comme cela apparaît dans les données, les médecins élus municipaux sont majoritairement élus dans des communes de - de 2000 habitants. La subdivision territoriale facilite peut-être l'émergence d'un sentiment d'appartenance communautaire mais elle constitue certainement un cadre facilitant une reconnaissance individualisée fondée sur des attributs d'état. La vie politique locale au début de la Cinquième république reste influencée par des tendances qui ont vu le jour dans les périodes précédentes, et qui se poursuivent avec plus ou moins de force, en se combinant aux changements qui s'inscrivent progressivement dans la réalité. fi en est ainsi des modes de reconnaissance et de légitimation des candidats aux élections locales. Le poids du facteur individuel dans la présence électorale reste important pour une série de raisons que nous allons examiner à présent. L'incidence des modes de scrutin Les modes de scrutin adoptés pour les élections municipales et cantonales favorisent l'individualisation des candidatures et la désignation par les électeurs. Pour les élections cantonales, le scrutin uninominal joue directement pour l'individualisation. Plus intéressant est le cas des élections municipales pour lesquelles les modes de scrutin ont changé au cours de la Cinquième république. Jusqu'à la réforme de 1964, les scrutins communaux dans les villes, comptant jusqu'à 120000 habitants, permettent le panachage et concèdent une part d'individualisation à la désignation des candidats. Mais à partir de cette réforme, la tendance s'est plutôt inversée. Dès 1964 est institué un système de liste bloquée sans possibilité de panachage pour les villes dont la population est comprise entre 30 et 120000 habitants. Jusqu'à 30 000 habitants le panachage reste toujours possible, et l'individualisation acceptable. Depuis 1983, la possibilité d'individualisation par les électeurs est encore réduite puisque le mode de scrutin applicable aux communes de plus de 3500 habitants est 138
un scrutin de liste, avec dosage majoritaire, sans possibilité de panachage, ce qui n'interdit nullement une recomposition des listes entre les deux tours. Mais celle-ci est laissée à l'arbitrage des appareils partisans ou des personnalités appartenant aux différentes listes. Les possibilités de panachage ne sont donc ouvertes que pour une petite partie du corps électoral même s'il s'agit de la grande majorité des territoires électoraux. Sur cet aspect, la situation actuelle est exactement l'inverse de ce qui prévalait dans les premières années de la Cinquième république. Aujourd'hui, le pourcentage des électeurs qui peut procéder à une sélection individuée des candidats lors des élections municipales est minoritaire. Une vie politique locale propice à l'individualisation Plusieurs éléments permettent de souligner combien la vie politique locale accentue le phénomène d'individualisation des candidatures. Ainsi la permanence du personnel politique local révèle et encourage le poids des personnalités. Jusqu'au milieu des années 70, les conseillers généraux, notamment en milieu rural, mais aussi les maires, sont très souvent reconduits dans leurs fonctions électives. On peut se demander si la stabilité du personnel politique local n'entretient pas la personnalisation. De même, la légitimité du système notabiliaire repose en partie sur la crédibilité des notables dans la vie locale. fi en découle également un modèle d'autorité politique, assez convergent avec celui de l'autorité sociale évoqué précédemment, qui implique un degré important de personnalisation. Ceci est plus vrai pour les maires que pour les conseillers généraux puisque ces derniers n'ont pas la contrainte d'imputation politique qui pèse sur les élus municipaux. C'est un état de fait que l'on mesure à la veille des élections municipales de 1971 où 63% des électeurs tenaient toujours compte au premier chef des qualités personnelles des candidats. La tendance à la personnalisation de la vie politique locale est confortée par une forme de politisation qui accorde une place importante à l'idéologie de l'apolitisme.
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Une politisation ambiguë Il n'est pas rare d'évoquer à propos des élections locales sous la Cinquième république un faible degré de politisation souvent associé à une idéologie de l'apolitisme localll. En fait, la vie politique locale semble paradoxalement politisée surtout au début de la Cinquième république. D'un côté, on a un degré assez élevé de participation citoyenne révélant une politisation civique constante. De l'autre, il existe de façon tout aussi constante un rejet de la politisation partisane. Le niveau de participation électorale, mesuré par le taux d'abstention aux élections locales, est l'indicateur qui rend le mieux compte du degré de politisation civique. Ainsi, il faut noter un niveau de participation régulièrement élevé aux élections municipales (taux moyen d'abstention de 23% entre 59 et 77) alors qu'il est un peu moins élevé pour les élections cantonales puisque le taux moyen d'abstention est de 38% entre 1958 et 197612. La variation de comportement électoral entre les deux types de scrutin peut s'expliquer de plusieurs manières. Il y a une différence dans la responsabilisation des élus vis-à-vis de la gestion locale. Les élus municipaux, en premier lieu le maire, sont responsables de la gestion locale et perçus comme tels. Les conseillers généraux, jusqu'à la réforme de 1982 ne sont pas réellement responsables de la gestion départementale puisque c'est le préfet qui prépare et exécute, en concertation avec les élus, le budget départemental. Même après la réforme de la décentralisation, il a fallu un certain temps pour que les compétences départementales et les responsabilités correspondantes des élus soient correctement perçues. Si l'on prend pour critère la mise en question de la gestion locale dans l'élection, le contexte municipal semble plus propice à un niveau élevé de participation. Suivant une autre lecture, il ne faut cependant pas exclure que la politisation civique conduise aussi les électeurs à s'exprimer pour réaffirmer leur conviction démocratique. Sans en avoir une conscience discursive toujours nette, les citoyens manifestent, de façon routinisée, leur attachement séculaire à la démocratie. La période à dominante rurale semble s'accorder plus II
M. Kesselman,Le consensus ambigu. Etude sur le gouvernement local, Paris, Cujas,
1972. 12A. Mabileau, «Les élections locales », Encyclopédie des collectivités locales, 1979, p.41-11.
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facilement avec la politisation civique. Cela était vrai hier, et le reste aujourd'hui quand on observe le taux de participation aux élections dans un département comme la Dordogne. Cependant, les élections locales ne constituent pas le seul cadre dans lequel elle peut s'exprimer comme on a pu la mesurer lors des élections présidentielles de 2007. La politisation civique révèle que lorsque les électeurs s'expriment, ils ne le font pas uniquement en raison des enjeux électoraux, mais aussi par l'usage d'une conscience pratique13 qui a assimilé le caractère immanent de leur adhésion à la démocratie. De plus, la politisation civique signifie un esprit de consensus alors que la politisation partisane insiste plutôt sur l'idée de dissension. Si elle autorise de la dissension, c'est en la déplaçant sur des enjeux de gestion locale. C'est pour cette raison qu'elle s'exprime aisément dans les scrutins locaux, en particulier dans les petites communes, même celles qui n'appartiennent plus à des espaces ruraux. L'apolitisme local au service des individus L'apolitisme est utilisé par les candidats comme un registre pouvant contribuer à leur reconnaissance. TI permet de valoriser la dimension individuée de leur présence sociale parce la présence électorale étant constituée de plusieurs marqueurs d'identification, la valeur de chacun d'eux varie suivant celle des autres. Donc, en réduisant l'importance relative à la politique partisane, on accentue celle du facteur personnel. C'est souvent le cas lorsque des médecins se présentent à une élection cantonale ou municipale en milieu rural. Le principal argument pour justifier le refus à la référence partisane consiste à dire que le critère partisan ne peut intervenir dans la qualification et la conduite des affaires locales. De ce fait, il ne peut être mobilisé dans la compétition électorale. La gestion locale est assimilée à une activité d'administration sur laquelle l'orientation partisane ne peut avoir de poids. C'est un argument qui peut se défendre pour la grande majorité des communes rurales et pour les conseils généraux dans la mesure où ces derniers n'ont pas de responsabilité politique à proprement parler. D'ailleurs, 2/3 des électeurs des communes rurales considèrent comme indésirable le fait que leur maire appartienne à un parti politique14. Dans les unités urbaines, la [3
A. Giddens, La constitution de la société, Paris, PUF Sociologies, p. 440.
14 A. Mabileau, «Les élections locales », op. cit., p. 41-11.
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réalité est un peu différente dans la mesure où pour certains secteurs comme la santé, le logement où l'éducation, l'appartenance partisane des municipalités a pu influencer les orientations de la gestion municipale. Un autre facteur doit être évoqué pour justifier le rejet du marqueur partisan chez les candidats. Après l'arrivée du Général De Gaulle au pouvoir en 1958, il se développe, au cours des premières années de la Cinquième république, un registre défavorable aux partis politiques. TIs sont considérés comme générateurs de divisions, là où le gaullisme se caractérise par un appel incessant à l'unité nationale. L'argument renvoie indirectement au conflit entre De Gaulle et les partis après la seconde guerre mondiale mais surtout à l'échec de la Quatrième république, et notamment à son incapacité à assurer la stabilité gouvernementale. Or, la vie politique locale est régie par les forces politiques qui ont dominé sous la Troisième et la Quatrième république et les changements qui peuvent l'affecter s'inscrivent dans la progressivité et la lenteur de l'histoire locale. Néanmoins, ce climat défavorable peut conduire les appareils partisans à demander aux candidats qu'ils soutiennent de revendiquer une étiquette apolitique. Car le succès du registre de l'apolitisme ne signifie nullement que les forces politiques n'aient pas d'influence dans la sélection des candidatures et les succès électoraux. Certes elle semble plus évidente en milieu urbain. On peut noter, par exemple, que pour les élections municipales de 1965, les listes sans étiquette représentent 32% de l'ensemble des localités, mais elles ne sont plus que 17% dans les communes urbaines, et 7% dans les villes de 30000 habitants15. Mais elle est également bien réelle en milieu rural. La nécessité de cette influence pour les partis eux-mêmes se comprend aisément. L'entretien d'un réseau important d'élus locaux donne aux partis politiques une assise territoriale tout en intégrant les différents niveaux d'administration locale. Pour un conseiller général, la présidence de l'association des maires du canton est un enjeu stratégique puisque cela lui permet de mesurer sa crédibilité auprès des maires et d'entretenir des relations avec chacun d'eux. Un député doit pouvoir s'appuyer sur les conseillers généraux de sa circonscription autant que sur les maires. En contrepartie, les élus de terrain peuvent tirer profit de leur intégration dans un de ces réseaux quand ils veulent obtenir quelque chose pour la collectivité qu'ils représentent. De ce point de vue, les élections locales ne sont jamais 15
A. Mabileau, op.cit., p. 41-11.
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totalement neutres d'un point de vue partisan, même si l'influence des partis politiques s'y montre discrète. Ceci est aussi le résultat de la configuration partisane au début de la Cinquième république. Les partis politiques qui dominent sont organisés sur le mode du réseau notabiliaire avec des racines qui remontent parfois à la me république. L'exemple de la Dordogne au cours des années 60 est assez évocateur. Au sein de la tendance radicale et radicale-socialiste, trois personnalités sont en concurrence: M.M Laforêt, Lacoste et Bonnet. Chacune s'appuie sur un réseau d'élus, qu'il lui appartient d'entretenir et de renforcer pour atténuer l'influence des réseaux concurrents. Les médecins, comme les autres acteurs politiques, ont à se positionner par rapport à ces réseaux mais, ces derniers ont intérêt à compter des médecins en leur sein pour les raisons que nous avons invoquées. La forte surreprésentation des médecins dans le monde des élus locaux qui se maintient en Aquitaine jusqu'au début des années 90 n'est pas seulement liée à ce que l'on peut attribuer à l'éligibilité de la profession médicale. Elle résulte également des conditions sociales et politiques qui fondent les opérations de reconnaissance et de légitimation des individus participant aux compétitions électorales. C'est précisément parce que ces conditions commencent à changer au début des années 80 que la surreprésentation baissera un peu plus tard en Aquitaine.
1.3 Une société locale en mutation Dès le début des années 70, la vie politique locale en Aquitaine connaît un certain nombre de changements qui concernent autant l'univers politique que l'espace social. Ceux qui nous intéressent ici concernent principalement les conditions de reconnaissance des individus et de légitimation des candidats aux élections locales. Changements dans la vie politique locale À partir de cette époque, la vie politique locale s'ouvre plus franchement à l'influence de la vie politique nationale. La bipolarisation, caractérisant cette dernière depuis la signature du programme commun de gouvernement, crée un axe de tension partisane qui se diffuse 143
progressivement dans la vie politique locale. Les accords de désistements électoraux, associés à la bipolarisation, expliquent les premiers succès de la gauche en 1973 et 1976, que l'on mesure aussi par une baisse du taux de réélection des conseillers généraux sortants. Les municipales de 1977 constituent une étape supplémentaire dans la mesure où elles développent le modèle d'union de la gauche au niveau des municipalités en particulier dans les villes de 30000 habitants ou plus. Les électeurs se montrent en
phase avec cette évolution en accordant un caractère politique plus fort à ces élections. Le phénomène est mesurable, par exemple, à la veille des élections municipales de 1977 dans les villes de 30 000 habitants où 38 % des électeurs déclarent tenir toujours compte- «:ftt;t-~ier chef des qualités personnelles des candidats» alors qu'ils étaient 63% à la veille des élections municipales de 197116.La tendance à la bipolarisation de la vie politique fait sentir ses effets autant dans l'élaboration des listes aux municipales que dans la désignation des candidats pour le scrutin uninominal des cantonales. Or en 1977, c'est la grande majorité des électeurs qui est concernée par cette évolution car le processus d'urbanisation s'accélère, et c'est dans l'espace urbain que se manifeste le plus clairement l'influence de la bipolarisation partisane. Le processus d'urbanisation contribue aussi à la diffusion de ce modèle dans des espaces en transition. Le premier effet se fait sentir dans la présélection des candidatures, processus au cours duquel l'intervention des forces partisanes s'affirme avec une insistance croissante. En conséquence de quoi, celui qui entend figurer sur une liste municipale, ou faire acte de candidature aux cantonales, doit de plus en plus recevoir le soutien du parti proche de sa sensibilité. De fait, l'influence croissante des partis dans la vie politique locale impose aux futurs candidats un positionnement qui s'avérait moins vital dans les années antérieures. On verra ainsi le pourcentage des candidatures se réclamant de l'apolitisme diminuer de façon importante jusqu'à représenter une proportion infime des candidatures. Ainsi aux élections cantonales de 1982, les formations politiques présentent 84% des candidatures, contre 81% en 79 et 67% en 1973. Les candidats «sans étiquette» font désormais figure d'exception, ils représentent 16% des candidats et 21% des élus. L'empreinte partisane est également présente dans l'électorat puisque 49% des électeurs déclarent se prononcer en fonction de l' étiquette partisane des candidats, 16
A. Mabileau, Les élections locales, op. cit., p. 41-6.
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contre 38% en 76 et 47% en 7917. Progressivement, la bipolarisation partisane imprègne les campagnes électorales locales en imposant aux candidats de se présenter sous une étiquette qui révèle leur positionnement personnel de façon explicite. Elle conforte, également, l'influence des structures locales des partis dans les modalités d'appui aux candidats sous la forme de soutien ou d'investiture. Pour les médecins, déjà élus ou souhaitant le devenir, l'évolution ne présente pas que des avantages. Us sont plus à l'aise dans le registre d'individualisation de la présence électorale parce qu'il correspond à la traduction d'une réalité sociale dans l'espace politique, tout en mobilisant des critères de reconnaissance spécifiques à la vie locale qu'ils incarnent partiellement par cette présence sociale. De plus, le registre de l'apolitisme leur permet de mobiliser la conception universaliste propre à leur univers professionnel. U est plus crédible, voire même valorisant, d'associer à sa personnalité une éthique qui rassemble qu'une doctrine partisane qui divise. Enfin, la bipolarisation contraint les médecins à adopter un positionnement idéologique tranché qui ne correspond ni à leur désir d'autonomie, ni à leur souhait de ne pas apparaître politiquement marqué. De fait, la politisation partisane des élections locales accentue chez les médecins la tension entre deux registres de reconnaissance dont le poids respectif est relativisé. Celui qui leur est, apparemment, le plus favorable est contrebalancé par l'importance croissante du facteur partisan. Urbanisation,
modernité et changement de valeurs
L'urbanisation, si elle est capable de générer des changements qui lui sont propres, ne doit pas être dissociée d'un processus de transformation plus vaste qui touche tous les secteurs de la société française. Comment ne pas tenir compte, par exemple, du développement des moyens d'information dans l'émergence d'un sentiment de compétence autant chez les patients que chez les électeurs? Cela peut modifier les rapports entre certains patients et leurs médecins. Mais il est également possible que la capacité d'influence attribuée à certaines professions, notamment les médecins, se trouve altérée par un sentiment de compétence, et le désir d'autonomie plus grand qui lui est associé, en 11
A. Mabileau, « Les élections cantonales de 1982 », Annuaire des collectivités locales, 1983, p. 32.
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particulier chez les électeurs. De même, les critères de reconnaissance qui s'appliquent dans la société locale ne sont pas isolés des courants d'opinion partielle qui circulent dans la société. TI semble ainsi que la valeur d'ancrage si présente dans la société locale pour les raisons que nous avons déjà mentionnées a un peu moins de portée aujourd'hui. On peut expliquer cela comme un effet des mouvements de population qui accompagnent le processus d'urbanisation. TIfaut ajouter que les réalités économiques et sociales imposent une mobilité qui contribue à créer de l'instabilité dans toute forme de résidence. Dans beaucoup de communes de moins de 2000 habitants, classées comme rurales selon ce critère, les nouveaux habitants vivent une relation moins focalisée sur leur territoire de résidence parce qu'ils travaillent souvent en dehors et consomment ailleurs. Ils s'appuient sur une ville voisine plus importante pour leurs distractions ou l'éducation de leurs enfants. Lorsqu'ils s'investissent dans la vie de leur commune, ils le font sur le mode instrumental en s'impliquant dans la vie des associations qui animent la vie locale. De ce fait, les modes d'interconnaissance qui se mettent en place ne reposent plus uniquement sur les critères d'ancienneté et de stabilité qui pouvait susciter, chez certains habitants, un sentiment d'appartenance communautaire. Cette perte de valeur de la notion d'ancrage intervient dans le système de reconnaissance des individus. Elle réduit l'importance de ceux qui l'incarnent le mieux, notamment les médecins, et plus généralement toutes les personnes qui s'inscrivent dans le registre de la notabilité sociale. Elle oblige à reconsidérer les critères d'après lesquels, les individus sont socialement reconnus, voire légitimés à exercer un mandat local. En effet, si une personne ne peut plus être reconnue à partir d'un attribut d'état comme «être d'ici », il faut qu'elle le soit sur une autre base. D'où la nécessité pour elle de faire valoir ce qu'elle est capable de faire, soit en terme de bilan, soit en terme de projet. Cela correspond peut-être à une évolution plus générale qui touche les processus de reconnaissance des individus en insistant sur des objets d'attribution de type pragmatique plutôt que symbolique. Les individus ou les groupes qui continuent à se définir sur le mode symbolique seraient de ce fait moins reconnaissables et, donc, moins reconnus. Certains médecins, candidats à une élection locale, l'ont d'ailleurs compris lorsque, par exemple, ils font état de leur implication dans différentes actions sociales ou qu'ils se prévalent d'une expérience humanitaire, 146
preuve ultime de leur engagement concret au service de la société. Ce point de vue nous semble conforté par le fait que les mouvements de population renforcent l'hétérogénéité sociale. On a déjà évoqué les univers de représentations qui peuvent se créer entre le rural et l'urbain mais on pourrait également évoquer la diversité des classifications à travers lesquelles on peut regarder la société: actifs/inactifs; jeunes/vieux; salariés/indépendants; précaires/stables, etc. Dans ce contexte, il paraît plus difficile de repérer des positions sociales significatives comme cela pouvait être le cas lorsque quelques propriétaires, un médecin, un notaire, représentaient les figures dominantes de la société locale. Cela ne signific nullcment la fin des phénomènes de domination dans la vie locale, simplement, ils ne s'expriment plus à travers des positions sociales traditionnelles. De cela, la reconnaissance visant les médecins peut aussi pâtir. La recomposition sociale qui accompagne la tendance à l'urbanisation est aussi liée aux modifications que connaît la population active au cours de cette période. Nette diminution de l'emploi agricole et industriel, augmentation régulière du secteur tertiaire. Plus que cela, la modernité est synonyme de changement dans la catégorisation des activités de travail. Sur ce terrain, le registre de la professionnalité impose autant son cadre de reconnaissance que le système de relations sociales qu'il sous-tend. Comme cela a été vu dans la chapitre 2, la profession médicale offre un excellent exemple des différentes manifestations de ce registre: entreprise de qualification de la compétence de généraliste pour la re-légitimer au sein de la profession et dans la société, référence à une relation de prestation de service entre le médecin et son patient. Or ce dernier point, s'il peut apparaître cohérent dans une logique professionnelle, est souvent perçu et évoqué de façon négative par les médecins. Mais cela peut se comprendre par le fait que la prestation de service introduit une dose de parité dans la relation entre le médecin et son client alors que la relation thérapeutique est plutôt asymétrique par essence. TI ne s'agit pas d'un modèle au sens où l'évolution présentée ici ne concerne pas tous les médecins et tous les patients. Mais il constitue un registre à partir duquel se sont construites les relations entre une partie du corps médical et une proportion de leurs patients. L'enquête effectuée auprès des élus médecins souligne le lien entre l'activation de ce registre et l'urbanisation des espaces ruraux. La diffusion de ce registre dans la société locale est une
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contribution à la diminution partielle de la reconnaissance jusque-là accordée à la profession médicale, et en particulier à la médecine généraliste. Le rappel de ces différents éléments permet de comprendre que la modernisation de la société locale comporte une série de changements dans les systèmes de reconnaissance pas toujours favorables aux médecins. Certes, dans les espaces les moins exposés à la modernisation, les valeurs plus traditionnelles permettent à certains schémas de perdurer. Mais ces espaces sont aujourd'hui minoritaires, non pas en termes de territoires électoraux mais en termes d'espaces de reconnaissance et de légitimation. Cela explique qu'il y ait moins de médecins élus dans des communes de moins de 2000 habitants et, que même lorsqu'ils y sont élus, ce n'est pas forcément sur les mêmes critères qu'il y a trente ans. On peut donc dire que si les élections locales sont régies par un registre de reconnaissance et de légitimation centré sur des variables individuelles, les médecins en ont été pendant longtemps les premiers bénéficiaires. La présence sociale que génère leur activité professionnelle leur permet de s'accorder aux normes qui régissent les compétitions électorales locales. Toutefois, les changements qui affectent la vie locale depuis une trentaine d'années ont provoqué une reformulation partielle de ces normes en devenant un peu moins favorables aux médecins. De plus, les conditions de structuration de la présence médicale ont évolué en rendant cette dernière un peu moins saillante dans un plus grand nombre de contextes politiques et sociaux. Ce constat foumit, selon nous, un premier élément d'explication à la baisse du nombre de médecins parmi les élus locaux.
~ 2 Profession
médicale et espace partisan
La présence électorale des médecins est dotée d'un marqueur d'identification individuel où l'articulation entre vie professionnelle et éligibilité locale joue pleinement son rôle. Mais elle admet aussi dans sa composition un marqueur d'identification partisane pour un grand nombre de contextes électoraux. Cependant, comme beaucoup d'élus locaux, les médecins se trouvent confrontés à l'ambiguïté permanente des élections locales. TIexiste toujours une tension entre l'affirmation du caractère non 148
partisan de la gestion locale et l'influence croissante que prennent les partis politiques dans la sélection et la production des candidatures. Toutefois, il faut reconnaître que depuis le milieu des années 70, la bipolarisation de la vie politique française a accéléré l'intervention des partis politiques dans les élections locales. Ainsi l' étiquette partisane des candidats apparaît, aujourd'hui, plus clairement dans les candidatures. Dans une étude publiée en 1991, A. Percheron souligne la diminution de la proportion de notables chez les conseillers généraux tout en mettant en évidence la politisation croissante chez ces derniersI8. TIn'est pas interdit de penser que l'accélération du rythme des alternances entre 1981 et 2001 au niveau national confère aux élections locales une tournure partisane plus marquée. Le changement de mode de scrutin, introduit en 1983, pour les communes de plus de 3500 habitants a accru le rôle des partis dans l'élaboration des listes. L'appréciation de l'appartenance partisane des médecins pour la période qui nous intéresse s'avère assez délicate. Jusqu'au milieu des années 70, la constellation partisane dans la vie politique locale s'inscrit davantage dans la continuité de la Quatrième république que dans celle de Cinquième. Dans la vie politique nationale, n'oublions pas que le Parti Socialiste est créé en 1971, le RPR en 1976 et l'UDF en 1978. La bipolarisation s'accompagne d'une reformulation significative de l'offre partisane. Enfin nous avons déjà souligné que l'expression de l'appartenance partisane se fait plus discrète dans les élections locales avant la bipolarisation. Si l'on veut étudier l'étiquette partisane des médecins dans les élections locales, il faut admettre que cela sera plus difficile à repérer avant la bipolarisation de la vie politique qu'après. C'est en tenant compte de cette contrainte qu'a été réalisée l'étude sur l'étiquette partisane des médecins dans les élections cantonales entre 1961 et 2001. Elle doit permettre de répondre aux questions suivantes: Comment se distribuent les médecins dans les différents courants politiques? Expriment-ils dans cet univers des éléments de particularité ou de conformité? L'influence croissante des partis politiques dans les élections locales peut-elle expliquer la diminution du nombre de médecins parmi les élus locaux ?
18 Enquête auprès des cQnseillers généraux, FNSP/OIP,
1991.
149
2.1 Les médecins dans les nartis nolitiques Pour étudier l'implication partisane locale des médecins, nous avons recensé l' étiquette partisane des candidats au Conseil général de chaque département ainsi que celles des élus sur l'ensemble des scrutins entre 1961 et 2001. TI n'est pas toujours facile de déterminer l'appartenance partisane des médecins dans la mesure où certains en ont adopté plusieurs au cours de leurs trajectoires électives tandis que d'autres se refusent à exprimer clairement une affiliation partisane. Dans ce dernier cas, l' étiquette est déduite de la configuration électorale et conserve, malgré tout, une certaine imprécisioo.. Parfois, la_tendance partisane n'est mentionnée qu'à l'occasion d'une deuxième ou troisième candidature alors qu'elle n'apparaissait pas lors de la première tentative. Enfin, il faut souligner l'ambiguïté concernant la prise en compte de la sensibilité radicale et radicale-socialiste. D'une part, la signification de cette étiquette varie selon les contextes politiques locaux. Par exemple, dans la Dordogne des années 60, un candidat radical peut se retrouver seul face à un candidat communiste et rassembler des voix de droite et de la gauche modérée. À la même époque, un candidat radical laïc dans le Béarn apparaît comme le candidat de gauche le plus crédible face à un concurrent de la droite catholique. D'autre part, l'union de la gauche ayant provoqué une scission au sein du parti radical et radical - socialiste, il n'est pas possible de savoir pour quelques candidats quelle orientation, ils auraient retenue: MRG ou Parti radical valoisienlUDF. Compte tenu de ces précisions, il est possible de discerner le poids relatif des principales tendances qui caractérisent l'échantillon retenu. Toutefois, il est important de distinguer cette tendance compte tenu de la place qu'elle occupe dans la vie politique locale durant les quinze premières années de la période étudiée. On peut distinguer cinq grandes tendances alors que deux ne sont pas retenues: l'extrême gauche et le parti communiste d'un côté; l'extrême droite de l'autre. La première parce qu'il y a très peu de médecins candidats pour le PCF (5 pour toute l'Aquitaine en 40 ans) et encore moins d'élus (2 exclusivement en Dordogne, contexte particulier sur lequel nous reviendrons). Pour l'extrême droite, il y a beaucoup plus de candidatures mais c'est plus récent et il n'y a pas d'élu. En Gironde, il s'agit principalement de médecins militaires, le plus souvent retraités. Il 150
faut quand même remarquer qu'il ya eu plus de candidatures d'extrême droite que du parti communiste. De plus, nous n'avons pas mentionné les candidatures spécifiques mais assez peu nombreuses comme les écologistes et les nationalistes basques. L'ensemble composé de toutes ces tendances représente environ 15% des candidatures. Tableau 29: distribution partisane des médecins, conseillers généraux d'Aquitaine (1961-2001). % de candidats par rapport au nombre total de médecins candidats.
% d'élus par rapport au nombre total de médecins élus.
% d'élus par rapport au nombre de candidats de la tendance.
SFIO, FGDS, GSD, PS, MDC, PSU
18,7%
22,8%
54,5%
RRS
13,6%
20%
65,5%
GAULLISME
15,7%
14,2%
40,5%
MRP, CD, CDS, PRadV, RI, PR, UDF, DL
22,1%
23,8%
48%
DIVERS DROITE
16,5%
17,1%
46%
Plusieurs observations peuvent être tirées de ce tableau. Si l'on raisonne en termes de répartition Droite/Gauche, et en associant la tendance RRS à celle du courant socialiste, le rapport est autour de 68/32 pour les candidatures et de 58/42 pour les élus. Ce sont des résultats qui confirment partiellement ce que l'on peut constater au niveau des élus à l'Assemblée nationale avec une différence de taille, cependant, qui porte sur l'importance du courant gaulliste. La profession médicale se distribue majoritairement à droite et au centre droit. On constate également que c'est dans la sensibilité de gauche/centre-gauche que le taux de réussite des candidatures est le plus élevé. Mais derrière ces données globales, on peut distinguer différentes tendances. La première permet d'envisager cette distribution en la situant dans la continuité de la vie politique locale.
151
La seconde met en évidence les facteurs de rupture par rapport aux tendances antérieures. Une profession majoritairement
à droite
Que la majorité des médecins conseill~rs généraux se positionne entre la droite et le centre droit n'a rien de surprenant. C'est une réalité qui trouve confirmation dans la région voisine de Midi-Pyrénées et dans les autres régions de France. TIen est de même à l'Assemblée nationale où sur les douze premières législatures de la Cinquième république une seule (1981) a vu les médecins de gauche être plus nombreux que ceux de droite. La création de l'D.M.P en 2002 accentue une représentation plus tranchée de la bipolarisation et permet un classement plus net des médecins à droite de l'échiquier partisan puisqu'ils sont peu nombreux à être restés fidèles à l'UDF. Toutefois, une analyse rétroactive de leur distribution partisane permet de voir qu'ils se sont rangés à droite de différentes façons au cours des quarante dernières années. La période 76/78 est une époque charnière car, avec la création du RPR (76) et de l'UDF (78), on assiste à une restructuration de la constellation droite/centre droit passant notamment par l'association de petits partis très présents dans l'histoire de la vie politique locale depuis la seconde guerre mondiale. Nous distinguerons donc deux modes de distribution de la profession médicale dans la droite locale: le premier s'effectue dans la continuité des forces politiques locales dominantes; le second correspond à une forme de rupture puisqu'il s'appuie sur l'émergence du mouvement gaulliste et sa volonté de s'imposer localement. S'inscrire dans les traditions CNIP et divers droite
politiques locales: les médecins UDF,
Au début des années soixante plusieurs courants occupent le centre droit de la vie politique locale. On peut les regrouper en deux blocs. Le premier correspond aux forces qui se sont agrégées plus tard pour former l'UDF; le second inclut le CNIP et l'ensemble divers droite, c'est-à-dire ceux qui ne veulent pas afficher une affiliation partisane claire tout en souhaitant se situer dans l'opposition droite/gauche. Avec la création de l'UDF en 1978, les médecins trouvent une diversité 152
d'expression partisane qui peut rivaliser avec l'apparent monolithisme du mouvement gaulliste. De plus, sa structure confédérale permet à ceux qui ne veulent pas se définir par rapport à un des partis la composant d'adhérer directement. Comme on le verra, il n'est pas rare que, pour chacun des partis qui composent l'UDF, des médecins occupent des postes dirigeants ou jouissent d'une réelle notoriété partisane mesurée à une désignation pour une élection nationale. Cela reflète sans doute une forte présence de la profession médicale au sein de l'UDF qui est le mouvement où la proportion de professions libérales est la plus élevéel9. Or les médecins comptent pour 50% au moins des professions libérales. Entre les différents partis de l'UDF, ils ont en réalité le choix entre deux grandes sensibilités partisanes: une sensibilité de droite plutôt conservatrice, attachée au libéralisme économique, favorable à la construction européenne, et sensible à l'influence de la religion catholique; un courant centriste qui a au moins deux sources d'influences idéologiques, le catholicisme social et le radicalisme. Le point commun entre ces deux tendances est qu'elles sont assez bien implantées localement parce qu'elles ont toujours été représentées par des partis politiques parfois depuis longtemps. Ainsi la première sensibilité incarnée depuis le milieu des années 60 par les Républicains indépendants de Valéry Giscard d'Estaing est née d'une scission au sein du Centre National des Indépendants et paysans (CNIP). Elle regroupait ceux qui dans ce mouvement avaient décidé de rejoindre la majorité gaulliste tout en soutenant la construction européenne et une modernisation libérale de l'économie. La FNRI bénéficiait ainsi d'une première base d'élus locaux constituée d'anciens membres du CNIP. Elle a pris de la consistance au fur et à mesure que ce courant s'affirmait, notamment avec l'élection de VGE à la présidence de la république, pour donner naissance au Parti Républicain puis au Parti populaire de la démocratie française (PPDF). Une partie de ses adhérents forment un nouveau parti (Démocratie libérale) qui rejoindra l'UMP en 2002. On pourrait citer les exemples du professeur Guichard en Dordogne, du professeur Bébéar en Gironde, du docteur Darmaillacq dans les Landes. Le second courant se réclame du centrisme et s'appuie sur deux traditions politiques également bien enracinées dans la vie politique locale: la 19
C. Ysmal, Les partis politiques sous la Ve république, Paris, Domat politique
Montchrestien,
1991, p. 215.
153
tradition démocrate chrétienne et le radicalisme. La première a majoritairement été incarnée après la seconde guerre mondiale par le Mouvement Républicain Populaire (MRP) auquel a succédé le Centre démocrate (1965) puis le Centre des Démocrates Sociaux (1976) après une fusion avec le CDP. On peut noter qu'à cette occasion, la part des professions libérales au sein du CDS est estimée à 14%, ce qui confIrme le constat dressé précédemment. Ce courant est plus ou moins bien représenté selon les départements et c'est dans les Pyrénées Atlantiques qu'il correspond à la tradition politique la plus ancienne et la plus solide. TIexiste également dans les autres départements comme le Lot-et-Garonne où il a été dirigé par le docteur Chollet. Le troisième courant est le courant radical représenté par le parti radical valoisien, héritier du parti radical et radical-socialiste, hostile à tout accord avec le parti communiste. Au moment de la signature du programme commun en 1972, certains radicaux ont rejoint l'union de la gauche en créant le Mouvement des Radicaux de gauche (MRG). Le parti radical valoisien, longtemps dirigé par le docteur A. Rossinot, incarne le centrisme mais dans une dimension plus attachée à la laïcité, sa vocation est d'incarner une gauche du courant centriste. Dans cette perspective, on peut lui associer, le parti social démocrate, successeur du parti démocrate et socialiste français constitué par des anciens membres de la SFIO refusant l'accord d'union de la gauche. Le parti radical est aujourd'hui associé à l'UMP et se retrouve donc plus franchement classé à droite. Sans doute sa présence paraissait-elle plus déterminante dans les élections locales des premières années de la Cinquième république parce que la mouvance radicale pouvait exister à travers une diversité d'expressions locales. Suivant les contextes, elle peut faciliter la formation de majorités de centre gauche ou de centre droit. L'étiquette radical-socialiste dégage une impression de modération plus en accord avec les données de la gestion locale. L'un des itinéraires les plus représentatifs en Aquitaine est celui du docteur Ebrard. TIa longtemps incarné la gauche à partir de son radicalisme jusqu'au moment où il a dû choisir pour fInalement s'orienter vers l'UDF. Le docteur Grenet s'est réclamé du radicalisme à ses débuts. Le poids statistique des médecins radicaux est surtout illustratif d'une époque, le début de la Cinquième république, et d'une continuité par rapport à la vie politique locale sous la Troisième et la Quatrième
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république. Par ses différents positionnements le courant radical permet aux traditions politiques locales d'exprimer toutes leurs nuances. L'un des caractères communs à tous ces partis est qu'ils sont principalement des partis de cadres où les élus ont un rôle majeur, si bien que l'on a pu parler d' «inconsistance organisationnelle» à leur égard comme pour les opposer à l'autre de parti de droite, le RPR. C'est sans doute vrai jusqu'au milieu des années 90, mais des travaux plus récents ont montré qu'il s'y trouve une réelle base militante2o. Peut-être faut-il voir là une des conséquences du «sursaut de politisation» qui a touché la droite française après l'arrivée de la gauche au pouvoir. Dans ce cadre, il y a eu une réelle mobilisation des professions libérales et donc des médecins. D'un point de vue organisationnel, les petits partis sont plus facilement contrôlables et soumis au fonctionnement de la concurrence entre personnalités. Les médecins peuvent alors faire prévaloir la notoriété associée à leur personnalité et la connaissance du terrain dont ils peuvent se réclamer. Si à l'origine de sa fondation, le CNIP s'appuyait sur deux composantes essentielles qui étaient les exploitants agricoles indépendants et les professions libérales, il est aujourd'hui plus nettement marqué en faveur de ces dernières, dans la mesure où la question rurale perd de son importance. Son implantation locale était donc assez solide. Son idéologie conservatrice l'a conduit à adopter une attitude hostile au gaullisme, notamment sur la question algérienne. Elle est marquée par une hostilité à l'intervention de l'Etat dénoncée à travers une condamnation de la bureaucratie. Certains médecins, très attachés au statut libéral de leur profession, peuvent donc trouver là le moyen de défendre une conception de la société favorable à leurs intérêts. En Gironde et dans le Lot-etGaronne, le CNIP a été dirigé par un médecin alors qu'au niveau national, le docteur Brenot assurait la vice-présidence de ce mouvement en 1993. Outre l'accord qui peut s'établir sur le terrain idéologique, le CNIP présente les avantages d'un petit parti essentiellement composé d'élus, et pouvant fonctionner par des accords entre personnalités. Celui qui en assure la présidence au plan local est naturellement le premier concerné par les accords électoraux conclus entre les différents partis de droite pour les élections locales. Il peut espérer leur soutien pour sa propre 20
J. Frete!, Militants catholiques
en politique.
La nouvelle UDF, thèse pour le doctorat
en science politique, Université de Paris 1,2004. 155
candidature en échange de l'engagement de son parti à soutenir les autres candidats. TI n'est pas rare d'ailleurs qu'un médecin se présentant sous l'étiquette « divers droite» soit investit ou reçoive le soutien du CNIP. Dans ce cas, le projet exprimé par ce type de candidature est de ne pas s'identifier à un courant mais plutôt une orientation plus générale sur l'axe droite/gauche. Mais l' étiquette «divers droite» peut aussi signifier que le facteur personnel est suffisamment fort chez un médecin pour qu'il puisse imposer cette étiquette aux partis politiques de son bord. C'est sans doute au sein du CNIP que l'on retrouve le plus de fermeté dans l'engagement en faveur des professions libérales. À ce titre, on peut penser qu'il est investi par une proportion significative de médecins qui peuvent y jouer un rôle important pour des raisons doctrinales et parce que la taille de l'organisation permet une expression plus facile des personnalités. Les médecins du gaullisme local Au début de la Cinquième république, le courant gaulliste a très peu d'élus locaux. TI faut savoir qu'avant d'atteindre le score de 13,1% d'élus dans les conseils généraux en 1973, ce pourcentage n'était que de 6,7% en196421. Pour les élections cantonales, le mouvement obtient entre 10 et 15% des voix au premier tour des scrutins entre 1961 et 1979. Et l'implantation gaulliste est d'abord urbaine avant d'être rurale. Par contraste, il faut se souvenir qu'à l'Assemblée nationale, la grande majorité des médecins se situe à droite, et plus encore à l'UNR qui deviendra l'UDR puis le RPR en 1976. On assiste donc dans les années soixante à l'instauration d'une relation particulière entre certains médecins, souvent déjà élus localement, mais souhaitant conforter leur trajectoire élective personnelle, et un parti qui entend structurer sa présence sur le territoire en densifiant son réseau d'élus locaux. On peut ainsi relever dans chacun des départements d'Aquitaine l'apparition d'un leadership local d'obédience gaulliste auquel des médecins apportent une contribution non négligeable. En Gironde, le docteur Grondeau, fidèle de J. Chaban Delmas, joue un rôle 21
R. Ponceyri, Gaullisme électoral et Ve république, Presses de l'lEP de Toulouse, 1996,p. 186-187. Voir aussi tome 1 p.130-131. 156
important dans la mise en place et la dynamique du dispositif gaulliste. TI est conseiller municipal de Bordeaux, conseiller général et député de la Gironde de 1968 à 1973. On peut également citer le docteur Dalbos, député de la Gironde en 1958 et maire de Pessac en 1959. Malgré un parcours électif bien rempli (maire, député, et conseiller général à plusieurs reprises), il a toujours occupé une place singulière dans le courant gaulliste en raison de sa mésentente avec J. Chaban-Delmas. Peut-être que la domination du courant gaulliste sur la droite girondine a eu un effet d'attraction sur les médecins, dans la mesure aussi où le leadership politique local était assuré par un représentant du gaullisme historique. Toutefois, l'implantation gaulliste ne s'est pas faite sans difficulté. En Gironde, et davantage encore dans les autres départements d'Aquitaine, le monde des élus locaux, au début de la Cinquième république, est très marqué par l'influence des courants issus de la Troisième et de la Quatrième république: radicaux et radicaux socialistes, SFIO, MRP, et Indépendants paysans. Ces différents partis acceptent difficilement l'émergence de notabilités locales gaullistes comme l'atteste la formation du ITont républicain à l'occasion des élections cantonales de 1964, accord électoral allant du CNIP à la SFIO, destiné à faire échec aux candidatures gaullistes. C'est une conjoncture comparable que rencontrent les autres médecins du gaullisme dans les différents départements d'Aquitaine. Dans les Pyrénées-Atlantiques, la tonalité dominante est plutôt radicale et MRP, avec parfois une droite conservatrice et catholique assez présente notamment lorsqu'elle a fait élire Tixier-Vignancour comme député d'Orthez. Jusqu'à aujourd'hui, la concurrence électorale porte moins sur une rivalité entre la droite et la gauche, que sur la compétition entre les deux ailes de la droite. L'un des exemples qui illustre le mieux cette opposition précoce est la bataille pour la mairie de Cambo les bains, en 1965, entre le docteur Camino, ancien député gaulliste et maire de la ville, et le docteur Labéguerie, centriste, qui remporte la mairie, et n'hésite pas à proclamer en 1967 qu'il faut« barrer la route à l'UNR ),P. Cependant, la trajectoire la plus illustrative de l'implantation gaulliste dans les BassesPyrénées, reste sans aucun doute celle du docteur M. Plantier. TI est médecin, fils de médecin, et succède à son père à la mairie d' Artix en 1960. TIs'impose dans l'élection cantonale d'Arthez en 61, puis tente de 22Sud Ouest, 64, 9 mars 1967. 157
l'emporter dans la législative de 67, qu'il perd au profit d'André Labarrère. En 68 et 73, il est élu député face au docteur Ebrard, radical, qui se rapprochera du giscardisme après 1974. Pour cela, il n'a pas hésité à choisir comme suppléant un médecin, le docteur Prigent, maire de Monein, qui aux élections de 67 avait été suppléant du giscardien MicheuPuyo. Il a su s'imposer dans un Béarn dominé par les courants radicaux et MRP, alors même que les rapatriés d'Amque du Nord formaient une communauté aussi influente qu'hostile au gaullisme. Il est un exemple de l'interaction positive entre la trajectoire élective d'un médecin, fondée sur une notoriété familiale et professionnelle, et la tentative d'implantation locale d'un courant politique. Dans le département voisin des Landes, le docteur A. Mirtin a connu un itinéraire très comparable. Dans son cas également, le point de départ réside dans une notoriété familiale et professionnelle puisqu'il succède à son père à la mairie de Parentis en Born et au Conseil général des Landes. Il se présente à plusieurs reprises aux élections législatives sur la circonscription de Mont de Marsan mais ne sera député que de 1968 à 1973. Il est pendant plusieurs années une figure marquante, et un dirigeant du mouvement gaulliste dans les Landes. Dans tous les départements d'Aquitaine, le mouvement gaulliste, à un moment ou à un autre de son histoire, a été dirigé par un médecin. En Dordogne avec le docteur Coicaud, dans le Lot-et-Garonne avec les docteurs Wind et Faure. Ces différentes observations permettent de penser que la profession médicale a eu et a encore une place significative dans le courant gaulliste. Cela se vérifie aisément avec les données concernant les députés. La profession médicale est revenue en force à l'Assemblée Nationale, majoritairement sous cette étiquette, dès le début de la Cinquième république. Alors que cette profession ne représentait qu'environ 3% des députés après la seconde guerre mondiale et sous la Quatrième république, le pourcentage moyen est de 7,6 pour les 12 premières législatures.
158
Tableau 30 Dans le tableau ci-dessous nous indiquons le pourcentage de médecins UNRIUDR/RPR par rapport au total de médecins élus à l'Assemblée nationale pour chaque législature 1èr
2e
3e
4e
5e
6e
48%
56%
59,3%
77,3%
46,2%
40,8%
7e
8e
ge
We
lIe
ne
17,6%
50%
28,8%
52,6%
31,2%
UMP
Jusqu'en 1981 (7e législature) les médecins gaullistes représentent la part la plus importante des médecins élus à l'Assemblée nationale. Les pourcentages les plus bas correspondent aux victoires de la gauche (81, 88, 97). En Gironde, la tendance est également très marquée comme on peut le vérifier lors des élections régionales de 1986. Sur la liste conduite par J. Chaban Delmas figurent huit médecins dont quatre du RPR. On peut trouver confirmation de cette forte présence médicale quand on sait qu'en 1984, 27% des cadres du RPR appartiennent aux professions libérales. Or à cette époque, la profession médicale représente sur le plan statistique un peu plus de la moitié des professions libérales. En extrapolant, on peut envisager que 14 % des cadres de ce parti appartiennent à la profession médicale. Cela explique ainsi qu'au niveau local, il est assez courant, quelle que soit les époques, de trouver un médecin comme responsable local du parti gaulliste. De ce point de vue, J. Lagroye avait souligné, en 1976, le caractère ambigu du mouvement gaulliste en expliquant qu'« il se veut parti d'électeurs et de grand rassemblement lorsqu'il se tourne vers l'ensemble de l'électorat fIançais. Tout différemment, lorsqu'il tend à susciter la mobilisation de ses adhérents, il prend l'aspect d'un parti à fort contenu idéologique, soucieux de développer une active base militante, alors qu'en fait, au niveau de son implantation locale, il se comporte essentiellement comme un parti de cadres n'offrant à ses membres que des possibilités limitées d'action et de promotions politiques »23. TI faut enfm signaler qu'au cours des vingt dernières années, le 23J.Lagroye, G. Lord, L. Mounier-Chazel, J. Palard, Les militants politiques dans trois partis français, Paris, Pedone, série vie locale 5,1976 p. 161. 159
mouvement gaulliste a connu une mutation idéologique l'orientant plus franchement en direction du libéralisme économique, tout en laissant émerger une variation de ses positions programmatiques, favorisant de la sorte une plus grande diversification des positions militantes en son sein24. Les motifs d'engagement des médecins dans le courant gaulliste ont évolué selon une orientation convergente avec celle des médecins des autres partis de droite. Un peu plus de libéralisme signifie moins de faveur à l'égard de l'Etat, et, un peu moins de soutien au volet social rattaché à la doctrine traditionnelle de ce courant. Bien entendu, il s'agit d'une série d'inflexions qui touche l'ensemble des adhérents à ce mouvement, et rien ne prouve que les médecins aient une responsabilité particulière dans une évolution qui, néanmoins, sert leurs intérêts en tant que profession libérale. On peut remarquer d'ailleurs que dans certaines aires géographiques, des médecins se réclamant du gaullisme dirige des organisations chargées de défendre les intérêts de la médecine libérale ou des professions libérales de santé. Finalement, on peut avancer le constat qu'il s'est établi une sorte de construction dialogique entre le gaullisme et la profession médicale, au plan local comme au niveau national. On l'a vérifié à l'Assemblée nationale et dans les élections locales. Toutefois, les motifs d'engagement des médecins dans ce courant politique ont évolué avec le temps. Si, au début, les médecins se réclamant du gaullisme justifiaient leur engagement par un certain engouement pour la personnalité et l'autorité du fondateur de la Cinquième république, il semble bien, qu'aujourd'hui, ils justifient leur choix par des options les rapprochant de leurs confrères des autres partis de droite. Rappelons pour conclure que, pendant quelques années, le RPR a été dirigé par ancien médecin généraliste, le docteur B. Pons. Les médecins du courant PS/MRG (pRG) TI Y a toujours eu des médecins se réclamant de la sensibilité socialiste mais dans des proportions qui n'ont rien à voir avec ce qui peut être constaté à droite. TIs'agit pour la plupart d'un engagement qui revêt une tonalité modérée comme c'était le cas pour les médecins appartenant 24p. Bréchon, J. Derville, P. Lecomte, Les cadres du RPR, Les cahiers du CERAT, 1986, p.86. 160
à la SFIO. Mais, la modération de la politique prônée ou menée par le parti socialiste permet de dresser un constat identique pour ce qui concerne les médecins socialistes d'aujourd'hui. Toutefois, la généralité de ce constat ne doit pas dissimuler les particularités de ce groupe. Ainsi ne faut-il pas sous-estimer le fait que certains d'entre eux, d'origine sociale modeste, ont conservé en devenant médecin les orientations politiques qui étaient les leurs. Leur appartenance professionnelle n'a pas modifié leur socialisation politique initiale. Ils appartiennent à la génération de médecins socialistes qui apparaît dans les fonctions électives entre le milieu des années 70 et le milieu des années 80. Ainsi en Gironde, après les élections cantonales de 1988, il Y a plus de médecins du parti socialiste que de médecins de droite. Dans des proportions moins significatives, la tendance est confirmée dans les départements voisins où on voit des médecins du parti socialiste accéder à des fonctions électives dans les communes ou au Conseil général. Il n'est pas interdit de penser qu'une évolution comparable se dessine au niveau national si l'on observe les résultats des élections législatives de 1981 et de 1988. Pour les premières, il y a une baisse de la proportion de médecins à l'Assemblée Nationale d'environ 30 % qui s'explique par le mauvais résultat global des partis de droite. En tant que groupe professionnel, les médecins sont les premiers perdants de la victoire de la gauche. Néanmoins, le pourcentage global n'est pas un des plus faibles de la Cinquième république puisqu'il est de 6,9 % alors qu'il était de 6,5 % en 1967. Il est encore le double de ce qu'il était sous la Quatrième république ou à la Libération. Or ce résultat vient du fait que l'on compte 22 médecins élus sous l'étiquette PSIMRG qui sont alors deux fois plus nombreux que les médecins de droite. Pour ces nouveaux députés de gauche appartenant à la profession médicale débute une phase d'ancrage électoral dont ils ne peuvent pas tirer profit lors des législatives de 1986. En effet, celles-ci étant organisées sur la base d'un scrutin proportionnel, la désignation pour les candidatures reste soumise à un arbitrage important des appareils partisans pour l'élaboration des listes, et les médecins n'ont pas au sein du parti socialiste le poids qu'ils ont dans les partis de droite25. Le résultat de
1988 confirme cette analyse car, avec le rétablissement du scrutin uninominal de circonscription, les médecins de gauche sont presque à 25 Sauf lorsqu'ils se trouvent en position de leadership local comme ce fut le cas du professeur Bioulac,en Dordogne, du docteur Labeyrie à Mont de Marsan. 161
égalité avec les médecins de droite: 21 contre 24. Le pourcentage global de la profession médicale est de 7,7 % proche de ceux 1962 et 2002. Les résultats des législatives confirment bien une poussée, très relative cependant, de la profession médicale au sein du pôle partisan PS/MRG comme cela est perceptible dans les élections cantonales en Aquitaine au cours de la décennie 80. À la différence des médecins de droite, les médecins socialistes et radicaux de gauche apparaissent plus liés par leur appartenance partisane. Là où les premiers se présentent, parfois, en relativisant le facteur partisan, les seconds sont clairement des candidats d'un parti. Leur attitude peut se comprendre si elle est reliée à l'évolution doctrinale et programmatique du parti socialiste au cours des années 80. Après le tournant gouvernemental de 1983, le parti socialiste donne de plus en plus l'image d'un parti de centre gauche, favorable au libéralisme économique et culturel, soucieux d'une gestion gouvernementale conforme aux engagements européens de la France. Le cadre ainsi constitué met davantage l'accent sur la réussite de l'action que sur les clivages idéologiques tels qu'ils pouvaient être perçus lors de la signature du programme commun. C'est d'ailleurs un registre encore plus recevable pour des élus locaux dont la principale mission est une gestion de terrain. Cela permet aussi aux médecins de vivre leur engagement politique sur le principe qui structure leur posture professionnelle et qui conditionne le savoir à un impératif d'action. Cependant, il ne peut être question de résumer à ce point l'adhésion des médecins au parti socialiste. TIfaut aussi admettre qu'ils peuvent se réclamer d'une tradition humaniste qui les conduit naturellement à s'intéresser au sort des plus défavorisés et donc à tout ce qui concerne la politique sociale. Les médecins qui se réclament d'une sensibilité de gauche mobilisent ainsi un des registres de la doctrine de l'individu qui semble si caractéristique de la profession médicale. TI s'agit toujours de concevoir la vie de la société à travers le rapport de l'individu au monde qui génère un processus permanent d'individuation. Mais ici, il ne s'agit plus de valoriser le registre de l'initiative personnelle, de mettre l'accent sur la responsabilité individuelle mais celui du soin à apporter à chaque individu au nom d'un mélange de compassion chrétienne et d'universalisme démocratique. Notre étude sur la distribution des médecins dans l'univers partisan permet d'aboutir aux conclusions suivantes. D'une part, la profession 162
médicale est globalement plus marquée à droite mais elle sait également exister au sein de la gauche modérée dans une proportion qui se situe autour de 30%. D'autre part, elle reste présente dans l'univers partisan sur toute la période parce elle semble s'adapter autant aux éléments de continuité qu'aux facteurs de rupture caractérisant la vie politique, comme on a pu la voir avec les médecins du gaullisme ou du parti socialiste. Enfin, on a pu remarquer que les médecins sont souvent présents dans les organes dirigeants des partis politiques en particulier à droite. On peut donc penser que l'influence croissante des structures partisanes sur les élections locales est un processus qui ne les dessert pas forcément.
2.2 Les médecins et l'univers partisan La réussite relative des médecins dans une vie politique locale dominée par les forces partisanes s'exprime notamment par le fait qu'ils réussissent à être présents dans les partis qui vont de la droite à la gauche modérée. On peut expliquer cela par un rapport d'utilité réciproque entre la profession médicale et l'univers partisan, ainsi que par l'existence d'un fonds doctrinal qui permet à tous les médecins de s'accorder avec la plupart des formules idéologiques. Médecins et partis politiques: l'utilité réciproque Le facteur le plus souvent mis en évidence réside dans l'intérêt apparent que les partis politiques ont à compter des médecins dans leurs rangs. Par exemple, un des arguments les plus souvent avancés tend à considérer que «le pouvoir électoral des médecins est comme décuplé dans l'esprit des hommes politiques...en raison de l'influence supposée qu'ils exercent sur leurs patients »26.C'est encore en partie vrai mais dans des proportions moins importantes aujourd'hui qu'hier. n faut d'abord remarquer que cette lecture s'applique essentiellement aux médecins généralistes parce qu'il sont les seuls à pouvoir prétendre à un certain degré de complicité, voire de familiarité avec leurs patients au point d'aborder avec eux des questions politiques. À ce facteur de familiarité s'ajoute l'autorité du jugement attribuée à un médecin. Un troisième 26
P. Hassenteufel, Les médecinsface à l'Etat, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, p. 23. 163
élément nous semble tout aussi important. Pour qu'il puisse y avoir influence du médecin, il faut que ses patients, qui sont également des électeurs, aient un sentiment, plus ou moins fort, d'incompétence qui les rendent réceptifs à tout processus d'influence. L'influence politique des médecins sur leurs patients ne peut s'exercer que si au minimum trois conditions sont respectées: reconnaissance de l'autorité sociale associée au statut de médecin, complicité du médecin avec ses patients, et relatif sentiment d'incompétence des électeurs qui rend plus sensible à l'influence. Il nous semble que les territoires d'élection où ces conditions sont remplies sont plus nombreux en début de période qu'à la fin. On peut même penser qu'ils sont devenus marginaux. Comme cela a été dit dans le chapitre 2, les changements dans l'exercice de la médecine généraliste ont réduit les possibilités de maintien de la relation d'intimité entre les médecins et leurs patients. On a mentionné le fait que la grande majorité des consultations s'effectue au cabinet du médecin; la technicisation de la médecine conduit les patients à faire appel à plusieurs types de médecins et donc relativise l'importance du médecin généraliste. On peut ajouter que la relation de professionnalité qui s'instaure de plus en plus entre les médecins et leurs patients va à l'encontre de cette forme de familiarité qui permettait l'influence. Le registre de la professionnalité se réfère implicitement à une objectivation des rapports sociaux peu compatible avec une rencontre des affects. C'est encore plus évident avec les médecins spécialistes qui voient leurs patients moins régulièrement et ont à traiter des questions de santé spécifiques. Or, aujourd'hui, les médecins spécialistes représentent plus de la moitié des médecins en exercice. Tant sur le registre de la considération honorifique que sur celui de l'empathie, les médecins se trouvent aujourd'hui dans une position moins favorable pour produire de l'influence politique sur leurs patients. De plus, ils vivent dans une société où le sentiment de compétence des électeurs semble plus assuré et l'autonomie du jugement plus forte. On peut expliquer cela par l'élévation générale du niveau de qualification, et par un accès plus large à l'information politique et sociale. Les tentatives d'influence sur le jugement politique des citoyens ne disparaissent pas mais elles passent par d'autres canaux. Cependant, l'attrait que les médecins peuvent exercer sur les partis politiques peut s'exprimer sur d'autres plans. Ainsi, certains médecins 164
revendiquent une capacité d'observation sociale qui peut être très utile aux partis politiques. C'est une compétence toujours active comme le précise ce médecin lorsqu'il indique: «Dans mon cabinet, je prends chaque jour le pouls de la ville >P. Le médecin est «pour les décisionnaires de la vie publique, un clignotant, un signal d'alarme sur le climat social, les inquiétudes et les difficultés rencontrées par la population »28. Ce registre est particulièrement utile aux médecins lorsqu'ils se trouvent, notamment au sein des partis politiques, en concurrence avec d'autres formes d'expertise. Ils peuvent se réclamer d'une connaissance du terrain et nourrir d'autorité leur positionnement dans l'espace partisan. La compétence qu'ils revendiquent ainsi réside dans une connaissance du social résultant d'une capacité de veille sur la vie de la société. Elle s'ajoute à la connaissance, plus spécialisée, du domaine de la santé et des affaires sociales, pour lequel le temps leur a conféré une légitimité de type traditionnel. L'attrait que les médecins peuvent exercer sur les partis politiques semble donc un peu moins évident qu'il ne l'était en terme de prestige social même s'il demeure bien réel dans sa dimension d'observation et de diagnostic du social. Il faut aussi reconnaître que la présence de la profession médicale au sein des partis politiques n'est pas sans présenter quelques difficultés pour ces derniers. Dans tous les partis politiques, les membres de la profession médicale bénéficient d'un monopole de compétence sur le domaine sanitaire et social. Cela a pris corps avec les médecins hygiénistes et s'est poursuivi tout, au long du vingtième siècle, à partir d'une conception extensive de la santé. C'est la raison pour laquelle, on peut se référer à une légitimité traditionnelle. Cependant, cet état de fait est susceptible de créer des conflits au sein des partis. D'une part, la position des médecins peut être en conflit de perspective avec celle des autres acteurs du secteur social, qu'ils soient experts ou travailleurs sociaux. D'autre part, l'expertise
médicale sur ce domaine peut entrer en concurrence avec des cadres de définition prenant leur source dans des orientations politiques. Dans les partis où la présence de la profession médicale est plus marquée, les possibilités d'une mobilisation de type corporatiste sont plus grandes. 27
Docteur Dufetelle, maire-adjoint chargé de l'environnement à Toulouse, Impact Médecin Hebda, n0211, 5 novembre 1993. 28« Prendre le pouls de la ville }},Impact Médecin Hebda, n0211, 5 novembre 1993. 165
Même si on ne peut attribuer à chaque médecin qui s'engage dans un parti politique, l'intention de renforcer la présence de la profession médicale au sein de ce parti, il n'en reste pas moins que, par effet d'agrégation, l'initiative individuelle est une contribution à la densification de la présence professionnelle dans les partis. Et de ce fait, elle accroît les possibilités de la profession médicale de faire pression sur les institutions représentatives et les organes décisionnels. La réduction du numerus clausus applicable aux études de médecine, obtenue au début des années 90, est un exemple de ce que cette profession peut obtenir lorsqu'elle s'appuie sur le poids de sa présence au sein des partis et des institutions politiques. La participation des médecins aux instances locales des partis politiques est donc toujours à double effet. Elle permet à chaque médecin de participer au jeu politique local, tout en ayant comme valeur incidente de densifier la présence de la profession dans l'univers partisan. Or les intérêts professionnels ne coïncident pas toujours avec les orientations doctrinales ou programmatiques. Dans le débat récurrent sur les déséquilibres financiers de la sécurité sociale, il y a une tension tout aussi permanente entre la profession médicale qui défend ses intérêts et les autres acteurs. Sur ce terrain-là, les médecins ne sont pas toujours des adhérents faciles pour les partis politiques comme semble l'indiquer l'un des leurs lorsqu'il rappelle qu' « au niveau local, régional ou national, le médecin peut être à lui tout seul une force de pression »29. Les médecins ont eux-mêmes intérêt à entretenir des liens avec l'univers partisan. Bien que pour les élections locales, le marqueur d'identification partisane soit souvent mis en équivalence avec le registre de la présence individuée, il n'en est pas moins vrai que les médecins ont eux aussi intérêt à faire présence dans l'univers partisan. Comme cela a été montré à plusieurs reprises, les changements qui caractérisent les contextes électoraux portent également sur les modalités d'engagement ou de soutien partisan. Ainsi en observant les trajectoires électives des médecins de droite ou de centre droit qui ont commencé leur itinéraire dans les années 60170, on remarque, qu'au début, les étiquettes partisanes n'apparaissent pas clairement, puis, elles fmissent par s'exprimer plus nettement à mesure que la bipolarisation s'intensifie. D'ailleurs le repérage des étiquettes partisanes a été facilité par cette clarification. Mais, le fait qu'elles n'apparaissent pas clairement ne signifie pas qu'il 29«Prendre le pouls de la ville », Impact Médecin Hebdo, n02II, 5 novembre 1993. 166
n'y ait pas de relation entre les médecins et leur environnement partisan. Parfois, le soutien partisan est réel mais il prérere rester discret vis-à-vis de l'électorat. TI en est de même pour l'investiture qu'un médecin peut obtenir d'un parti. Donc, quel que soit le degré d'intensité avec lequel se manifestent les partis politiques dans la vie locale, le médecin qui souhaite poursuivre une carrière élective est obligé de s'appuyer sur différentes formes de soutien partisan: réseau d'élus, force militante etc. D'autant qu'en devenant membre d'un parti politique, un médecin a accès à un réseau d'élus, locaux et nationaux, qui lui permet d'accroître ses possibilités d'action. Et cela devient de plus en plus important lorsqu'il y a forte concurrence entre les forces politiques. Chacune d'elles a intérêt à recruter de bons candidats mais, celui qui souhaite s'investir dans la politique locale doit s'appuyer sur un parti et entrer dans un régime de concurrence. Dans le département des Pyrénées-Atlantiques, la concurrence entre le parti gaulliste et l'UDF contraint les médecins investis dans la vie politique locale de ce département à se positionner ouvertement et régulièrement. En contrepoint, l'implication partisane a aussi un coût pour les médecins. Afficher une étiquette partisane, cela remet partiellement en question l'image de neutralité que souhaite entretenir chaque médecin. La neutralité est une résultante de l'universalisme présent dans l'éthique médicale, et, pour certains médecins, il peut exister une forme d'incompatibilité entre une éthique professionnelle à portée universaliste et l'adoption d'une présence partisane. Le registre partisan repose sur une vision différenciatrice de la société alors que l'universalisme constitue la communauté par l'égalité de considération portée à chacun de ses membres. Il peut enfin arriver que l'engagement partisan d'un médecin ait des effets sur le volume de sa clientèle professionnelle, et, dans cette hypothèse, la relation qu'il entretient avec ses patients retrouve toute son importance. Elle peut atténuer ou amplifier le phénomène. De plus, les contenus doctrinaux et prograrnrnatiques des partis constituent parfois des contraintes pesant sur l'autonomie de jugement à laquelle les médecins sont particulièrement attachés. Ce qui peut expliquer qu'ils sont plutôt portés vers des partis témoignant d'une certaine flexibilité idéologique ou vers ceux qui portent une vision de la société favorable à leurs intérêts.
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Un support doctrinal commun On peut également tenter d'expliquer la répartition des médecins entre les forces partisanes par un support doctrinal qui peut apparaître comme un fonds commun à tous les médecins. TIest caractérisé par une doctrine de l'individu qui permet de concevoir la vie de la société à travers le prisme du rapport de l'individu au monde. C'est en ce sens que l'on peut parler d'individuation comme processus mettant l'individu non seulement au centre, mais, également, au départ de toute réalité sociale et politique. Ce que nous pouvons identifier chez les médecins élus locaux, ce sont des registres d'actualisation de cette doctrine. La diversité de ces registres lui confère un caractère syncrétique comme en témoignent les différentes versions qui peuvent en être données. La première ligne d'interprétation est généralement associée à l'univers professionnel en étant dotée d'une forte consonance éthique. Or la construction éthique se distingue des autres formes de construction sociale des catégories parce qu'elle se réfère à l'ordre du fondamental. De ce fait, elle entend se situer au-dessus ou à l'origine. Donc en situant ce que nous appelons de façon imparfaite la doctrine de l'individu au niveau de l'éthique, on lui attribue implicitement une valeur par rapport aux différentes formes de construction intellectuelle que les hommes sont capables de produire individuellement ou collectivement. L'exemple qui a déjà été évoqué dans le chapitre 2 est celui de la responsabilité individuelle du médecin face à la délégation de confiance que lui consent le patient. Cette dimension éthique donne à la doctrine de l'individu une force qui lui permet de rendre acceptables toutes formes de déclinaison. Ainsi, les médecins qui appartiennent à des partis de droite se réfèrent implicitement à cette doctrine quand ils associent la responsabilité individuelle du médecin au caractère libéral de leur statut professionnel. Par extension, ils peuvent considérer que tous les individus peuvent fonctionner sur ce schéma, et donc qu'il faut éliminer tout ce qui peut empêcher les êtres humains de prendre leurs responsabilités. Toute forme d'assistance est considérée comme portant atteinte à l'initiative individuelle et doit donc, de ce fait, être réduite. Mais comme un médecin ne peut pas dire qu'il faut réduire la couverture santé de la population, il est plutôt enclin à encourager une réduction des dépenses sociales.
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Mais la doctrine de l'individu peut tout aussi bien être mobilisée par des médecins de gauche ou de centre gauche dans une interprétation différente. Ici, l'individu est un être humain qu'il faut soigner médicalement et socialement à partir d'une conception extensive de la santé telle qu'elle a été définie au moment de la mise en place de la protection sociale. Comme cela a été dit plus haut, il y a dans ce type d'interprétation une rencontre entre la compassion chrétienne et l'universalisme démocratique. Mais dans ce cas, il faut développer les formes d'assistance pour créer les conditions sociales d'une bonne santé de la population. Donc, à partir de la doctrine de l'individu, la profession médicale peut produire deux systèmes de justification aboutissant à des politiques opposées. On peut également voir dans la référence au gaullisme, une autre déclinaison de la doctrine de l'individu. TIs'agit là d'une exaltation des qualités personnelles d'un leader jugé exceptionnel. L'adhésion se réalise par rapport à ce qu'un individu peut incarner. Tout ce qui est produit en son nom devient alors acceptable. Par certains aspects, cette représentation est assez proche du type de reconnaissance que certains médecins souhaitent à leur égard. En étant capable de générer des interprétations contradictoires, la doctrine de l'individu se révèle être un registre de reconnaissance soumis aux interprétations subjectives suivant des intentions variables. De sorte que ce qui apparaît déterminant politiquement, ce n'est pas le registre en lui-même, mais les tournures que les médecins peuvent en proposer. Or pour chaque médecin, comme pour tout individu, ces interprétations ne dépendent pas uniquement de son appartenance professionnelle mais de tous les éléments qui entrent dans la formation de sa conscience sociale et politique. Avec la notion d'individu, on peut ainsi voir se développer deux lignes d'interprétation qui s'appuient toutes les deux sur une référence éthique mais qui peuvent s'orienter sur deux conceptions concurrentes de la société. La conception qui se réclame de I'humanisme est plutôt mobilisée par des médecins de centre gauche, alors que celle qui passe de la responsabilité individuelle du médecin à la responsabilité de l'individu dans la société sera plutôt soutenue par des médecins de droite. Bien entendu, il faut comprendre que tous les médecins peuvent évoquer ces deux registres, seule l'intensité de la préférence pour l'un ou pour l'autre varie. Le recours à l'argument éthique ne constitue pas le seul facteur permettant aux médecins de se distancier de la production de sens proposée par les 169
partis politiques. Ainsi que cela a été montré dans le chapitre 2, l'exercice du rôle de médecin routinise chez les membres de cette profession une forme de compétence, c'est-à-dire un savoir fmalisé sur une action. Par leur pratique professionnelle, les médecins sédimentent en chacun d'eux un dispositif de connaissance, l'analyse clinique, dans un lien de nécessité avec une action réparatrice. lis s'habituent, sans toujours le savoir, à la gestion d'une position de pouvoir. Or cela a plusieurs conséquences sur la position des médecins au sein des partis politiques. D'une part, ils sont porteurs d'une forme de compétence directement mobilisable, ce qui accroît leur crédit tout en développant une certaine méfiance à leur égard. D'autre part, ils entendent conserver une part d'autonomie à l'égard des productions idéologiques ou doctrinales que peuvent proposer les partis. Car, eux, à la différence de beaucoup de militants, peuvent savoir ce qu'il faut connaître et dans quel but se situe la démarche de connaissance. Cette forme de compétence a plus de chance d'être reconnue à une époque qui ne valorise pas les constructions idéologiques comme c'est le cas aujourd'hui. Par exemple, les médecins du parti socialiste se retrouvent davantage dans l'évolution que ce parti a connue depuis vingt ans que dans ce qu'il était avant 1981. De l'étude des relations entre les médecins et l'univers partisan dans la vie politique locale, nous pouvons tirer quelques observations conclusives. Ainsi, il est remarquable que malgré une reformulation significative de la configuration partisane nationale et locale, la présence des médecins est toujours assurée. Elle est plus marquée à droite qu'à gauche mais conserve une force d'expression quelle que soit la conjoncture politique. Sans doute faut-il y voir le goût des médecins pour la chose publique et la faculté de réussir dans l'univers partisan. En soi, le phénomène n'est pas original. li s'insère dans une interprétation, plus générale, associant le degré de socialisation politique des individus à leur niveau d'études. Peut-être faut-il aller au-delà de ce dernier critère, pour comprendre le fonds doctrinal et la compétence qui permettent aux médecins d'intégrer les partis politiques constituant la majorité de la constellation partisane. Par conséquent, il ne nous paraît pas évident que la baisse de la surreprésentation des médecins élus locaux soit liée à l'influence croissante des partis dans la vie politique locale.
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~ 3 L'individu et le contexte Si l'on peut présenter la présence électorale des médecins à partir des lectures qui viennent d'être proposées, il ne faut pas pour autant négliger le fait que chaque contexte électoral porte ses propres particularités. Derrière la présence électorale d'une population, les médecins élus locaux, il faut comprendre qu'il y a la présence électorale de chaque médecin, individu qui a pour principale tâche d'intérioriser les propriétés de son contexte d'élection pour trouver la formule politique locale la plus juste, tout en se montrant capable de la porter. Dans la présence électorale d'un candidat est également appréciée une compétence à maîtriser les variables structurelles et conjoncturelles caractérisant le contexte électoral.
3.1 Assimiler les éléments structurant
la vie politique locale
Faire présence électoralement, c'est aussi pour un médecin se montrer capable de s'inscrire dans la profondeur des traditions politiques locales ou dans la continuité des évènements qui ont pu la marquer. Différentes façons d'activer l'histoire locale Là où le poids des traditions locales se fait encore sentir, une partie de la présence électorale se doit de les exprimer. Nous prendrons ici plusieurs exemples pour étayer notre propos. Les seuls médecins élus au Conseil général sous l' étiquette du parti communiste l'ont été en Dordogne au cours des années 60. Cela s'explique principalement par l'action du PCF dans ce département pendant la Résistance. Dans ce cas, la personnalité du médecin est doublement mise en valeur. D'abord parce qu'il très rare qu'un médecin soit soutenu par le parti communiste, et sa position est aussi anticonformiste qu'elle peut apparaître courageuse. Ensuite, parce que sa présence porte la mémoire d'une histoire locale au-delà de celle son propre parti. À ce titre, le médecin candidat du PCF bénéficie de la bienveillance voire du soutien d'électeurs qui ne voteraient pas pour le PCF. Les réseaux constitués pendant la Résistance ont influencé la vie 171
politique locale pendant une trentaine d'années, en maintenant des liens de solidarité plus forts que les appartenances partisanes. La Dordogne a été un des départements les plus marqués par ce phénomène. Comme nous l'avons vu plus haut, beaucoup de médecins se sont fait élire sous l' étiquette radicale ou radicale socialiste en particulier dans les premières années de la Cinquième république. Or une étude un peu approfondie de la vie politique locale dans les différents départements d'Aquitaine permet de s'apercevoir que, si un médecin se réclame du radicalisme dans sa présence électorale, on n'est pas radical de la même façon en tous lieux. L' étiquette radicale, grâce au syncrétisme doctrinal de ce courant, permet une adaptation aux réalités politiques, sociales et culturelles locales. Ainsi, en Dordogne, la forte influence du parti communiste fait apparaître les radicaux comme une alternative modérée pouvant intégrer le centre gauche et le centre droit. Lorsqu'un médecin se présente sous étiquette radicale, il a vocation à mobiliser dans l'électorat des tempéraments politiques locaux devenus traditionnels par sédimentation historique. Mais dans les Pyrénées-Atlantiques, autrefois Basses-Pyrénées, la tradition radicale doit se positionner par rapport à des tendances un peu différentes par leur intensité. Dans la circonscription d'Oloron-Orthez, par exemple, la tonalité partisane dominante est plutôt à droite, catholique et conservatrice. De ce fait, le positionnement du courant radical s'effectue principalement sur la question de la laïcité en particulier en ce qui concerne l'enseignement parce qu'il s'agit d'un enjeu traditionnel dans la vie locale. Dans un contexte historique où la droite modérée et conservatrice est largement majoritaire dans l'électorat, le courant radical apparaît comme l'opposition de gauche la plus crédible. À leur époque respective, des médecins comme les docteurs Dhers ou Ebrard ont parfaitement assumé ce rôle. Plus récemment, dans le Lot-et-Garonne, deux chirurgiens ont été élus sous l' étiquette du parti socialiste. Leurs succès électoraux s'expliquent, en premier lieu, par l'absence de leadership local au sein de ce parti, tout au moins dans leurs zones d'influence, l'Agenais et le Villeneuvois. En second lieu, ils représentent un parti qui dégage, aujourd'hui, une image de modération assimilée à une forme de modernité. Paradoxalement, ce qui apparaît comme de la modernité nous semble davantage correspondre, dans ces contextes, à l'actualisation d'une présence radicale dans un 172
territoire où, justement, cette tradition est très prégnante. Tout le mérite de ces individualités est d'avoir réussi à intégrer un leadership partisan local et une position sociale facilitant l'accès aux couches les plus matériellement favorisées, pour proposer une formule politique qui s'inscrit dans la plus pure tradition locale. Ainsi, par sa flexibilité normative, le radicalisme permet à des médecins de produire une présence politique adaptée aux traditions locales. TIfaut rester attentif aux traditions locales ou, plus exactement, à ce qui fait tradition dans un espace donné, c'est-à-dire à ce qui est susceptible de faire rémanence à tout moment. Occuper l'espace de leadership local Dans la plupart des espaces politiques, la question du leadership reste posée comme une variable structurelle. Sans doute est-ce dans le leadership local que s'agrègent les différents éléments de la présence électorale. En Aquitaine, on peut citer plusieurs exemples de médecins qui se sont trouvés dans cette position. On pense au docteur Grenet à Bayonne, au docteur Bioulac en Dordogne ou au docteur Labeyrie à Mont de Marsan. Dans des styles très différents, ils ont en commun de parvenir à faire coïncider leur propre image et celle de leur territoire, tout en maîtrisant les variables partisanes. Cependant, il est des situations où l'appartenance au corps médical ne garantit pas la réussite dans la transmission d'un leadership local. Sur le site Langonais, le médecin qui a pris la suite du député maire a reproduit un leadership local, comme si l'espace en question ne pouvait pas admettre une autre forme de direction politique que celle-là. TI avait au départ, l'avantage d'une notoriété personnelle et professionnelle qu'il a complétée par un engagement au parti socialiste. Mais ces deux facteurs, s'ils sont nécessaires, ne suffisent pas à établir un leadership local. La réussite de son leadership repose aussi sur sa capacité à concilier les différents mondes qui composent son espace électoral: principalement ici, un électorat plutôt urbain et un autre un peu plus proche des traditions rurales. Ses résultats électoraux constituent une des preuves de son crédit politique. Peut-être que cela rend plus difficile sa succession politique. En effet, le médecin qui a essayé de lui succéder au Conseil général n'est autre que son premier adjoint, chirurgien à la notoriété personnelle et professionnelle indiscutable, mais qui a échoué à 173
deux reprises en laissant le siège au candidat communiste. TIsemble bien que dans ce cas, ce qui a fait défaut à ce médecin, c'est une capacité à représenter un trait d'union entre l'espace urbain et ce qui reste du monde rural. Pour confirmer notre argument, il faut rappeler que le candidat communiste qui a été élu bénéficiait d'un solide crédit politique dans l'espace rural autour de Langon. Cet échec est une illustration de la complexité d'une présence politique et des difficultés à construire un leadership local. On peut être un médecin réputé, bénéficier du soutien partisan majoritaire et pourtant ne pas être élu.
3.2 Maîtriser les éléments conjoncturels Sur la base d'enjeux électoraux de nature différente nous allons montrer que la présence électorale d'un médecin réside dans sa capacité à se saisir de ces questions pour faire état de sa compétence à les gérer politiquement. L'échec électoral quand il survient est révélateur d'une impossibilité à assurer cette mission. L'hôpital, enjeu électoral Dans beaucoup de villes, I'hôpital est très souvent le plus gros employeur de main d'œuvre. TIn'est pas rare qu'un médecin exerçant ou ayant exercé à I'hôpital devienne le maire de la commune et se retrouve, de ce fait, président du conseil d'administration de l'entreprise la plus importante de sa ville. Jusqu'aux années 80, la croissance de l'équipement sanitaire du pays a encouragé le développement du tissu hospitalier. Chaque maire pouvait ainsi se prévaloir de la qualité de son hôpital et en faire un enjeu de politique locale. À cela s'ajoute le fait, que la présence d'un hôpital incite la profession médicale à s'investir de façon plus significative dans l'action politique locale parce qu'elle a ses propres intérêts dans la vie de l'hôpital. On remarque que dans ce type de contexte, des listes concurrentes comprennent souvent des médecins travaillant dans le même hôpital. Ce qui signifie que le facteur professionnel revient dans le débat politique local mais pas seulement dans le sens abordé plus haut. TIne s'agit pas d'évoquer le surplus de reconnaissance accordé à un médecin du fait de son activité hospitalière. 174
TIfaut souligner que la concurrence, les oppositions entre médecins ou au contraire les affmités, peuvent influencer le débat électoral surtout lorsque des médecins prennent la tête d'une liste contre un de leurs confrères. Plus récemment, la question hospitalière s'est trouvée au cœur du débat politique national mais aussi local lorsque la carte hospitalière a été revue dans une perspective restrictive. Ainsi, lors des élections municipales de 2001 en Gironde, on peut citer deux exemples de médecins, exerçant le mandat de maire, dont le succès ou l'échec a été attribué à l'action qu'ils ont menée pour défendre l'existence de l'hôpital. Celui qui a été battu était installé qepuis longtemps sur sa commune, il avait travaillé à I'hôpital, il obtenait régulièrement un des meilleurs scores de sa liste lorsqu'il se présentait aux municipales, et il était membre du parti qui gérait la ville avant lui. TIavait donc pour lui tous les éléments favorables à sa réélection. Pourtant, il a été battu à l'issue d'une campagne électorale où la question de l'hôpital est demeurée au centre des débats. À l'opposé, celui qui a connu un succès a mené une campagne très active au plan national, notamment par l'intermédiaire de l'Association des petites villes de France, en faveur des hôpitaux de proximité en faisant valoir à plusieurs reprises son expertise de médecin. TI a également encouragé une mobilisation locale en faveur de son hôpital. Bien entendu, il n'est pas question de s'exprimer sur le bien fondé des processus d'imputation visant les deux médecins mais de comprendre que la présence politique se nourrit de la capacité des individus à maîtriser des enjeux conjoncturels. Si cette maîtrise n'apparaît pas dans la présence électorale, il y a risque d'échec. Toutefois, il faut aussi admettre que chaque contexte électoral génère sa dose d'incertitude et que la valeur d'un candidat est appréciée en fonction de celle des autres. Cette variable intervient dans la répartition de la reconnaissance accordée aux candidats.
Incarner un régime d'alliances La conjoncture électorale est aussi l'occasion de mettre à l'épreuve l'aptitude des médecins à réaliser un système d'entente regroupant des forces sociales, économiques et politiques ayant une influence sur la vie locale. Le facteur personnel est un élément clef de la présence sociale mais il ne se limite pas à une question de notoriété. L'exemple le plus 175
parlant en la matière nous est fourni par les élections municipales de La Teste (33) en 2001. Le médecin qui a gagné les élections municipales contre l'ancien maire, chirurgien au même hôpital, a réalisé un régime d'alliances regroupant des forces politiques allant au-delà des limites partisanes. La réussite de son entreprise ne découle pas uniquement des attributs de sa notoriété personnelle, bien réelle d'ailleurs, mais de la démonstration d'une capacité à réaliser ce régime d'alliances. Le deuxième aspect de ce succès réside dans l'approbation apportée par l'électorat à ce régime d'alliances en lui accordant, par son vote, une crédibilité démocratique. Concrètement, la différence ne s'est pas faite par le vote de la gauche, qui n'est pas majoritaire dans la ville, mais par la confiance accordée, par une partie des électeurs de centre droit, à une personnalité locale capable de garantir une faisabilité de gestion locale à ce projet électoral. Quand il s'avère nécessaire de construire des systèmes d'alliances, il faut aussi se montrer capable de les incarner.
Au cours de ces dernières années, la proportion de médecins parmi les élus locaux, en Aquitaine et en France, a décliné. On peut expliquer cette évolution à partir des conditions de réalisation de la présence électorale des médecins. Celle-ci se décompose en plusieurs espaces de reconnaissance et de légitimation qui sont plus ou moins activés selon les contextes d'élection. Ainsi, la présence électorale de la profession médicale se traduit pour chaque médecin, candidat à une élection, par trois positionnements possibles: celui du médecin dans la vie locale; celui du médecin dans l'espace partisan quand le contexte électoral le nécessite; celui du médecin acteur politique local qui doit maîtriser les variables politiques, sociales et culturelles de son environnement. Ce schéma analytique nous a permis d'expliquer la diminution de la part de la profession médicale dans la population des élus locaux. TI semble que ce phénomène soit, pour l'essentiel, lié à la perte d'influence de l'espace de reconnaissance centré sur l'individualisation d'une présence électorale nourrie de la considération professionnelle. Nous avons montré que cette évolution se mesure par un changement des critères de
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reconnaissance qui affecte la profession médicale et, plus généralement, la mise en valeur des individus dans la société locale. Par contre, il ne nous paraît pas évident que les médecins puissent pâtir de la politisation partisane croissante des élections locales. Certes, celle-ci contribue à la relativisation du mode de reconnaissance dont nous avons parlé plus haut. Mais c'est une profession qui est très présente dans l'univers partisan, surtout à droite, et qui en tire avantage en termes de représentation politique nationale et locale. Cela est encore plus net sous la Cinquième république si l'on se rétère aux élections législatives. Toutefois, la présence électorale d'un médecin, candidat à une élection locale, ne se limite pas à ces deux positionnements. Sa réussite repose aussi sur ses capacités d'adaptation aux conditions structurelles et conjoncturelles qui caractérisent son environnement politique et social. Comme tout candidat, le médecin doit produire et incarner une formule politique locale. La compétence qu'il met en œuvre dans ce cadre-là est celle d'un acteur politique qui sait construire un projet politique en phase avec les circonstances électorales. La mise en évidence de ces trois dimensions de la présence électorale invite à relativiser certaines réalités. TI apparaît ainsi que l'impact de l'appartenance à la profession médicale dans l'éligibilité des médecins dépend des critères qui fondent la reconnaissance des individus dans la société locale. On peut également soutenir que l'intelligence qui permet de s'imposer dans un contexte électoral donné est plus une affaire d'individu que de médecin. C'est précisément cette intelligence individuelle qui assure la plasticité de la présence politique locale. Elle lui permet de se modifier sous l'effet des ruptures, plus ou moins fortes, enregistrées dans l'environnement politique, économique et social.
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CHAPITRE 4
Les médecins et l'action publique locale
La présence politique des médecins trouve son accomplissement dans l'exercice des mandats locaux. Par leur engagement, ils participent à l'action développée par les institutions politiques locales tout en se donnant la possibilité de conférer une dimension supplémentaire à leur présence électorale. La distribution de la profession médicale dans les positions électives locales est très variée. La présentation réalisée dans le chapitre 1 évoquait celles de maires et de conseillers généraux. Parfois, ces positions sont cumulées et donnent lieu à des trajectoires électives purement locales ou, plus rarement, mêlent le local et le national. Pour chaque médecin, l'accession à une position élective se traduit par un potentiel de positionnements ouvrant sur des perspectives singulières. Elles peuvent être groupées en deux ensembles. Dans le premier nous plaçons toutes celles qui ont à voir avec la connaissance des réalités alors que, dans le second, figurent les perspectives d'engagement qui ouvrent sur les différents systèmes d'interaction auxquels un élu local peut être confronté. Bien sûr, chaque positionnement met en jeu des perspectives des deux types. TInous paraît utile d'apporter ces précisions parce qu'elles permettent de comprendre comment se forme la compétence d'élu. C'est par l'apprentissage et la pratique répétée de ces positionnements que les médecins acquièrent et consolident les capacités nécessaires à leur intégration dans l'univers des institutions politiques locales. C'est en adoptant ces positionnements qu'ils peuvent saisir les changements qui affectent le système politique local ainsi que la nature des demandes qui lui sont adressées par les différents acteurs de la société. Cela est d'autant plus important que ces changements affectent le cadre dans lequel les élus exercent leur mission. On pense notamment à la réforme de la décentralisation, au développement de la coopération entre collectivités territoriales, aux nouveaux rapports entre celles-ci et l'Etat, ou à la professionnalisation de la représentation politique. Bien d'autres questions encore seront abordées au cours de ce chapitre.
Dans ces conditions, comment peut-on envisager la participation des médecins à l'agir public local? Peut-on leur reconnaître une façon particulière d'accéder à la compétence d'élu? Est-il concevable que la diminution du nombre de médecins élus locaux résulte d'une modification des rapports entre l'exercice des fonctions électives et la profession de médecin ? Nous tenterons de répondre à ces questions en montrant que s'il existe un secteur de l'agir public local par lequel les médecins accèdent à une compétence d'élu, il n'en est pas moins vrai que leur réussite dans ce type d'engagement repose sur une maîtrise de cette compétence et surtout sur la possibilité de l'exercer. Nous verrons dans un premier paragraphe que les institutions politiques locales proposent un cadre permettant aux médecins d'intégrer l'agir public local sur la base d'une continuité avec leur activité professionnelle. Dans le second paragraphe, nous montrerons que la répartition de la profession médicale dans les positions électives ne s'établit pas uniquement sur la continuité de deux compétences spécialisées, elle se réalise par la réussite dans une compétence d'élu dont le contenu est devenu de plus en plus exigeant.
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~ 1 Un eneaeement
dans la continuité
S'il existe un domaine institutionnel qui peut faciliter l'insertion des médecins dans l'agir public local, c'est bien celui de l'action sanitaire et sociale. Le point important qu'il faut souligner ici est qu'il est reconnu aux médçcins une autorité sur un secteur qui ne correspond pas à une conception étroite de la santé. Que l'on s'intéresse aux petites communes, aux villes ou aux départements, on retrouve souvent des médecins dans des positions institutionnelles où ces questions se trouvent traitées. Cela s'explique de plusieurs façons. Il y a d'abord un processus de développement qui relie la santé aux conditions sociales de sa production. De ce fait, le domaine sanitaire et social peut se traduire par plusieurs défmitions sociales. Il peut renvoyer à des questions de santé strictement médicales comme les vaccinations ou le traitement de l'épidémie de sida. Il peut se référer à des questions sociales qui ont un lien avec l'état médicalisé des individus. On pense ici aux différentes versions de l'accompagnement social d'une construction médicalisée du vieillissement. Et il yale domaine des différentes interactions entre le social et la santé. Ainsi en est-il lorsqu'on se propose d'aborder une question sociale comme l'exclusion à partir d'une perspective santé. Dans ce cas, le registre sanitaire retrouve sa valeur de légitimité immanente. Il constitue une base de légitimation à toutes les autres formes d'intervention. La singularité de la position reconnue à la profession médicale réside dans la reconnaissance à pouvoir intervenir dans un domaine d'action qui a un ensemble de défmition aussi dense qu'imprécis dans ses contours. La continuité ente l'appartenance professionnelle et l'insertion dans l'agir public local se joue donc à ce niveau. Il peut en être ainsi parce que dans les différents territoires locaux, il existe des possibilités institutionnelles pour que cette continuité puisse se mettre en œuvre. Et ces possibilités institutionnelles évoluent. C'est précisément en raison de ces facteurs d'évolution que la perspective sanitaire et sociale ne réserve pas toujours une position de monopole aux médecins qui s'y engagent. On serait même tenté de dire que parfois cette position est menacée. Si dans la plupart des cas, le cadre institutionnel est favorablement investi par des élus membres de la profession médicale, ces derniers peuvent aussi se retrouver dans des contextes d'action où leur suprématie n'est pas toujours assurée. 181
1.1 Le cadre communal Dans la diversité des territoires communaux, la perspective sanitaire et sociale ne revêt pas la même consistance. Justement, c'est à travers la diversité de ces dispositifs institutionnels et des contextes d'action qui peuvent en découler que l'on mesure la singularité de la position des médecins élus locaux. Ainsi pour les petites communes qui n'ont pas véritablement d'action à mener en matière de santé publique, l'intervention des médecins joue davantage par rapport aux affaires sociales. C'est un secteur important qui a connu une forte croissance dès le début des années 80 puisque les dépenses d'aide sociale des communes ont augmenté de 125% entre 1975 et 1983 alors que celles des départements variaient, dans le même temps de 44%1. TIreste sensible à des facteurs structurels comme l'aggravation des difficultés sociales ou le vieillissement de la population. Cependant, au fur et à mesure que la taille des communes augmente, la différenciation entre les affaires sociales et la santé devient plus claire. L'engagement des médecins s'oriente alors vers la délégation à la santé. C'est la raison pour laquelle nous distinguerons le cas des petites communes de celui des villes. Les petites communes La perspective d'action ouverte aux petites communes en matière sanitaire est relativement réduite. Certes, le maire dispose de pouvoirs de police en matière de salubrité publique mais c'est surtout dans le domaine social qu'il existe, pour lui, une capacité d'action. De ce fait, c'est dans les petites communes que l'on peut aisément vérifier la légitimité traditionnelle de la compétence des médecins sur les affaires sociales. On retrouve sur le terrain communal les effets de la position spécifique qu'occupe la profession médicale dans le système de protection sociale. Comme nous l'avons expliqué dans le chapitre 2, cette position s'explique par le fait que les médecins sont les premiers ordonnateurs de soins et qu'à ce titre ils ont une responsabilité particulière dans l'évolution des comptes sociaux. En s'appuyant sur une conception plus ou moins I
J. Tymen, H. Noguès, Action sociale et décentralisation, Paris, L'Harmattan, Logiques sociales, 1988, p. 39-41. 182
extensive de la santé, ils peuvent demander des prises en charge générant un alourdissement des coûts pour la sécurité sociale ou pour les collectivités territoriales suivant le type de prestation. Car, sur le terrain professionnel, les médecins sont confrontés quotidiennement à des situations qui les obligent à intervenir dans le domaine social à partir de situations médicalisées. TIpeut leur être demandé de fournir un certificat de vie pour la CAV, une série d'informations pour la constitution d'un dossier d'allocation, une aide à domicile, etc. Lorsqu'un médecin devient titulaire d'une délégation aux affaires sociales, il prend en charge un secteur qu'il connaît déjà d'un autre point de vue. TI sait ce qui est du ressort des services communaux et ce qui appartient au domaine des relations avec les services sociaux du département. TIest ainsi considéré comme ayant une légitimité naturelle à occuper cette délégation. Cependant, l'action des communes en matière d'aide sociale est étroitement liée au contexte économique et social. Jusqu'en 1975, le taux de chômage est bas et la précarité sociale moins marquée. La demande d'aide sociale s'exprime moins fortement. Depuis le milieu des années 80, la libéralisation de l'économie française entraîne au contraire une précarisation d'une partie de la population. La demande d'aide sociale adressée aux communes connaît une croissance régulière. Ces dernières se trouvent contraintes d'y répondre directement ou d'intensifier leur collaboration avec les services du Conseil général. TIressort clairement des entretiens et des réponses aux questionnaires qui ont été réunis pour la recherche de thèsé que cette préoccupation est présente dans l'esprit des médecins élus municipaux. Toutefois, il faut noter qu'un second élément vient s'ajouter à la précarisation. En effet, le vieillissement de la population relie de plus en plus la responsabilité des médecins à la question des finances locales. En tant que professionnels de santé, ils ont à assurer le suivi médical du vieillissement tout en lui associant l'accompagnement social qu'ils jugent indispensable. Les médecins élus municipaux se retrouvent alors dans une position plutôt délicate. D'un côté, ils peuvent souhaiter qu'un grand nombre de patients ait accès aux dispositifs sociaux leur permettant de vivre mieux pour protéger leur santé. Mais ils peuvent aussi, en tant qu'élus, se montrer soucieux des fmances locales et ne pas souhaiter augmenter les coûts relatifs à ces prises en charge. Enfm, il leur est difficile d'ignorer l'avantage clientéliste 2 Voir notre thèse, Des médecins élus locaux en Aquitaine, op. cit., p. 227 et 232. 183
conféré à celui qui octroie des aides de divers types. Le médecin élu a ainsi la possibilité de conforter la relation individualisée qu'il entretient avec ses patients et ceux qui bénéficient de son aide n'ont pas intérêt à ce que cela prenne fin. En ce sens, le rapport clientéliste qui s'instaure de façon tacite constitue un point positif pour la réélection du médecin. fi n'est d'ailleurs pas exclu que cela puisse aussi avoir des effets positifs sur la clientèle professionnelle. L'occupation d'une position d'élu municipal adjoint aux affaires sociales donne au médecin la possibilité de connaître d'autres perspectives. Si la commune dont il est l'élu n'est pas en mesure de fournir le service demandé, il peut consulter des associations, les services du Conseil général ou recourir à une structure d'intercommunalité. fi est en relation avec l'institution départementale pour la constitution des dossiers du Revenu Minimum d'Insertion. Même s'il s'agit d'une pratique traditionnelle, il faut remarquer que l'évolution sociale et démographique accentue la valeur de ce registre d'action. Entre la précarité sociale et le vieillissement de la population, le secteur des affaires sociales dans les petites communes est appelé à demeurer un secteur nécessaire des politiques municipales. Et même si le nombre de médecins élus dans les petites communes a beaucoup diminué, on peut considérer que leur présence dans ce secteur est appelée à se maintenir. Les villes Si tant est que l'on associe le développement de la perspective sanitaire au développement des sociétés démocratiques, on peut rechercher l'origine de la responsabilité communale en matière sanitaire et sociale dans le mouvement de laïcisation associé à la Révolution française. En effet, avant 1789, le clergé possède la majeure partie des hôpitaux et assume la part la plus importante de l'activité de soin et d'aide aux indigents. L'appropriation publique des biens du clergé votée en 1789 place ce secteur sous contrôle public. Naturellement, les communes apparaissent comme les institutions publiques les mieux placées pour assumer localement la gestion de ces institutions. Les autorités communales mettront ainsi en œuvre la séparation entre la gestion de l'assistance aux pauvres et la lutte contre les maladies, première différenciation problématique entre le sanitaire et le social. 184
Tout au long du 1ge siècle, la responsabilité sanitaire et sociale des municipalités est confirmée. Même si l'Etat conserve un pouvoir de tutelle sur les hôpitaux et les hospices, le principe de la localisation des secours et celui de la contribution fmancière des communes marquent la primauté des autorités municipales. On mesure leur engagement de façon encore plus évidente quand on observe les initiatives municipales qui s'inscrivent dans le prolongement des prescriptions hygiénistes. Très souvent, les autorités municipales ont anticipé les évolutions dans ce domaine même si ce n'est pas le cas de toutes les villes. Sans doute étaitce l'amorce d'une évolution, présente tout au long du 20e siècle, qui voit les villes intervenir directement dans le domaine sanitaire mais de façon plus ou moins structurée par les choix politiques locaux. Cependant, les initiatives municipales connaissent un certain déclin dans le dernier quart du vingtième siècle en raison de l'amélioration générale de l'accessibilité aux soins médicaux et des conditions de vie. Plus récemment, on a assisté à une réactivation de la perspective sanitaire articulée aux questions sociales. Mais dans ce processus, il est difficile de parler d'interventionnisme municipal tant les conditions de l'action publique ont changé. C'est la raison pour laquelle, il nous semble important de distinguer les phases où les villes ont pu se montrer interventionnistes, de celles, plus récentes, où elles sont apparues davantage animatrices. L'interventionnisme municipal en matière sanitaire Nous montrerons à travers quelques exemples que les municipalités, depuis plus d'un siècle, ont pris des initiatives, illustrant un interventionnisme, en matière sanitaire et sociale. L'interventionnisme se comprend ici comme la création d'institutions publiques, exprimant la volonté d'une politique municipale, et mobilisant les moyens budgétaires de la collectivité. TI est vrai que dans ces processus de construction politique, des membres de la profession médicale ont joué un rôle important. Cela ne signifie pas pour autant que la profession médicale ait eu, en tant que telle, une influence déterminante.
185
Des bureaux municipaux d'hygiène communaux d'hygiène et de santé
publique
aux
services
La création des bureaux municipaux d'hygiène publique est un exemple d'institutionnalisation de la perspective sanitaire dans les politiques municipales. TIest intéressant à plusieurs titres. En premier lieu, il est révélateur des rapports qui se tissent au début du 20e siècle entre l'Etat et les communes depuis la loi de 1884. Très souvent, les villes ont pris l'initiative de créer un bureau municipal de la statistique et de 1'hygiène en se montrant réceptives aux demandes des médecins hygiénistes. À Bordeaux3, celui-ci est créé en 1891 et il sera remplacé quelques années plus tard par une Division de l'assistance et de 1'hygiène publique. Mais la première réglementation sanitaire significative remonte, en fait, à 1884, année de la loi qui octroie aux maires plus de responsabilités dans ce domaine. C'est en se référant à cet acquis que les élus municipaux bordelais mettront un certain temps pour répondre aux prescriptions de la loi du 15 février 1902. Les conflits qui surgissent à cette époque, entre le représentant de l'Etat et les différentes municipalités bordelaises sur cette question, sont évocateurs de la tension permanente entre le désir d'autonomie des municipalités et la volonté de régulation du pouvoir central. L'opposition est d'autant plus vive que le nouveau bureau municipal d'hygiène tel qu'il est défini dans la loi de 1905 présente une certaine ambivalence juridique. En second lieu, il ne fait pas de doute que l'interventionnisme municipal dans le domaine de l'hygiène publique a été stimulé par l'action des médecins hygiénistes. On le voit à Bordeaux à différentes époques comme cela a pu se produire dans d'autres villes. C'est l'action de ces médecins à l'échelon local comme au niveau national qui permet d'évoquer l'existence d'un «lobby hygiéniste »4. Et il faut bien comprendre qu'il y a ici non seulement des enjeux politiques locaux mais, également, la volonté d'affirmer la position de la médecine hygiéniste au sein de l'institution médicale. De plus, l'omniprésence des médecins hygiénistes 3
S. Barry, « La loi du 15 février 1902 : Quelquesunes de ses applicationsà Bordeaux au
début du XXe siècle )), dans La santé publique; un enjeu de politique municipale, J-C Guyot, B. Herault, (dir.), eds MSHA, Bordeaux, 2001, p. 95-131. 4 Faure (O.), Histoire sociale de la médecine (XVIIl-XXe siècle), Paris, Anthropos, 1994, p. 242-244. 186
sur ce terrain ne doit pas faire croire que la profession médicale est engagée dans sa globalité par leur action. Avant la loi de 1905, beaucoup de médecins, en tant qu'élus municipaux, ne sont pas très favorables à la mise en place d'un service qui peut s'avérer coûteux pour les finances de la commune, et trop réglementaire pour la gestion des patrimoines immobiliers. TIest donc vraisemblable que les médecins hygiénistes ont joué un rôle d'impulsion, et surtout d'expertise, à une époque où les conditions d'hygiène et de salubrité constituaient un réel problème dans les villes. L'amélioration des conditions d'habitat et le développement de la protection sociale au cours du 20e siècle expliquent que, progressivement, les bureaux d'hygiène aient perdu de leur utilité pour être remplacés au bout du compte par les services communaux d'hygiène et de salubrité. (SCHS) en 1982. Ceux-ci tirent leur singularité du fait qu'ils dépendent pour leur fonctionnement d'un financement de l'Etat, et des prérogatives préfectorales en matière d'hygiène, alors qu'ils demeurent placés sous l'autorité tutélaire des municipalités qui décident de leurs attributions et de leurs champs d'intervention5. Chaque municipalité possède donc une capacité d'intervention directe dans le domaine sanitaire, tout en gardant la possibilité de fixer les limites de son action. Cela explique que les villes qui appliquent la réglementation constituent une réalité sociale et politique assez hétérogène que l'on peut analyser à partir de plusieurs modèles6. Il ne faut cependant pas oublier que parmi les grandes villes qui avaient obligation d'appliquer cette réglementation, 52% seulement d'entre elles l'ont fait. Même si des médecins trouvent à s'investir dans l'action d'un SCHS, il n'en est pas moins vrai que la création de ce service, et la délimitation de son champ d'action, reposent sur le poids «des déterminants sociaux et politiques locaux }/.
5
P. Valarié, «Gouverner l'archipel urbain; actions et réseaux de santé publique à
Béziers », dans D. Fassin, (dir), Les figures urbaines de la santé publique, Paris, la Découverte, 1998, p. 50. 6p. Valarié, «Gouverner l'archipel urbain; actions et réseaux de santé publique à Béziers », dans D. Fassin, (dir), Les figures urbaines de la santé publique, Paris, La Découverte, 1998, p. 62. 7
P. Valarié,
ibid.
187
Les centres municipaux de santé À la différence des bureaux d'hygiène, l'expérience des centres municipaux de santé affiche plus clairement une perspective santé. Plus exactement, elle montre comment cette perspective peut être intégrée dans une vision politique nettement marquée à gauche. Les médecins qui s'y trouvent impliqués soit en tant qu'élus municipaux, soit en tant que praticiens officiant dans les CMS, partagent les orientations idéologiques des municipalités et défendent une conception de la médecine qui est minoritaire au sein de la profession médicale. Si l'on se réfère à une étude publiée en 19958, l'orientation idéologique des municipalités qui ont intégré, de façon structurelle, une perspective santé dans leur politique municipale est majoritairement proche du parti communiste. Ainsi, remarque-t-on que 56 % des villes communistes ont un centre municipal de santé contre 23% des villes socialistes et 32 % des villes de droite9. Ceci s'explique par le fait que si la plupart des centres municipaux de santé sont créés après la seconde guerre mondiale, ils apparaissent dans la continuité des dispensaires institués dans beaucoup de villes ouvrières pendant la période de l'entre-deux-guerres. Donc les initiateurs des centres municipaux de santé, élus et médecins, revendiquent la mise en place d'une médecine sociale permettant aux populations les moins favorisées d'avoir accès à une médecine de qualité tant sur le plan technique qu'humain. C'est aussi une médecine qui se donne pour objectif d'associer plus étroitement la prévention et le curatif. Dans un autre registre, on peut noter que les CMS ravivent par leur existence la diversité de la profession médicale et les conflits qui la traversent. Certes les médecins favorables à ce type de structure de soin sont très minoritaires dans leur profession. TIsse retrouvent en conflit avec leurs confrères lorsque, par exemple, les syndicats de médecins lient les accords de conventionnement à la possibilité pour eux de contrôler la création des centres municipaux de santéIO. TIsdemeurent porteurs d'une conception qui rapproche l'exercice de la médecine d'un service public à 8
J-C. Guyot, «L'institution municipaledes centres de santé », dans La santépublique:
un enjeu de politique municipale, op.cit, p. 251-270. 9 I. Groc, M. Legros, La santé, un nouveau terrain d'action pour les communes? Paris, CREDOC, octobre 1995, p. 57. 10J-C. Guyot, op. cU., p. 262. 188
l'image de ce qui existe dans d'autres pays européens. Le succès relatif de cette forme de médecine sociale, après la seconde guerre mondiale, est étroitement lié à l'absence d'accord de conventionnement entre la sécurité sociale et la profession médicale. Pour beaucoup de patients, le recours à cette dernière est moins remboursé. De ce fait, les accords de conventionnement qui interviennent par la suite inversent la tendance. Au fur et à mesure que se mettent en place des accords entre la sécurité sociale et les syndicats de médecins, la médecine libérale devient accessible au plus grand nombre. Les CMS perdent alors une partie de leur raison d'être. Qui plus est, les accords de conventionnement ont contribué à une certaine banalisation de la consommation médicale en rendant de plus en plus naturel le recours à la médecine libérale. Sur ce terrain-là, les centres municipaux de santé ont perdu une part de leur attractivité. TI faut enfin souligner que les politiques de réduction des dépenses sociales ont imposé aux CMS des contraintes de gestion de plus en plus difficiles à assumer dans la mesure où elles impliquent une aide financière des municipalités. Même si seulement 12 % d'entre eux sont gérés directement par les communes, ces dernières doivent néanmoins assurer l'équilibre fmancier de ces structures. Or, elles ne souhaitent ou ne peuvent pas toujours le faire parce que les élus municipaux considèrent qu'ils ont d'autres priorités. On peut donc dire qu'après avoir connu une phase d'expansion, l'interventionnisme municipal en matière de santé publique connaît un déclin relatif. Sans doute, les différentes institutions créées par le passé, bureaux d'hygiène, services municipaux de santé scolaire, centres municipaux de sante, ne semblent plus répondre de façon adéquate aux besoins renouvelés des populations. Toutefois, on peut remarquer que les villes qui ont fait preuve d'une certaine dose d'interventionnisme en matière de santé publique ont acquis au moins une sensibilité aux questions de santé publique, au plus, une compétence qui peut leur être utile. L'exemple du CMS d'Ivry est une bonne illustration. Il a eu une action innovatrice en matière de traitement de la toxicomanie puisque c'est le produit mis à l'essai dans cette commune qui a été retenu par le Ministère de Affaires sociales pour une expérimentation à l'échelle nationale. Dans le cadre de politique de DSQ qui ne prévoyait pas explicitement de volet santé, certaines villes dotées de CMS ont pris l'initiative de développer des actions santé qui seront reprises plus tard dans la politique de la ville. Cependant, il ne semble pas que cette 189
expérience soit suffisante pour répondre aux nouvelles exigences posées les politiques de santé menées sur le terrain local et notamment dans les villes. Même si les lois de décentralisation ne leur conf'erent que peu de compétences nouvelles en matière de santé, ce domaine semble revêtir depuis quelques années une importance particulière pour les élus des villes. Ainsi, on peut remarquer que dans les villes de 30 000 habitants, 77,9% d'entre elles ont un délégué santé et que parmi eux, 53% sont adjoints au maire11. Mais, cette préoccupation réactualisée des questions de santé s'est accompagnée d'une reformulation de l'action publique locale qui ne place pas toutes les communes dans une perspective d'interventionnisme. Des villes animatrices d'une réactivation de la perspective sanitaire Depuis une vingtaine d'années, les villes se retrouvent au cœur d'un processus de revitalisation de la perspective sanitaire avec parfois une articulation avec le social ce qui suggère un questionnement qui porte sur les deux phénomènes. D'un côté, il y a bien une réactivation de la perspective sanitaire mais, de l'autre, il y a une articulation de ces politiques avec des réalités sociales. Mais cette articulation n'est pas problématique pour les médecins élus locaux parce qu'ils ont une légitimité traditionnelle sur l'ensemble du secteur. De plus, l'articulation paraît somme toute assez logique quand on examine les conditions prescriptives d'émergence de cette problématique sanitaire autant que ces contextes d'actualisation. Les conditions prescriptives sont elles-mêmes des facteurs structurant le positionnement des médecins élus municipaux car elles définissent les contours et la texture de leur perspective et, donc, les modalités de leur engagement. Quand on observe ce qui a été réalisé dans les villes depuis vingt ans dans le cadre de cette réactualisation de la perspective sanitaire et sociale, on discerne autant d'homogénéité que d'hétérogénéité. Suivant les contextes urbains, on va trouver des perspectives santé et des perspectives santé articulées avec des problématiques sociales. On a une perspective qui articule le sanitaire au social, qui fait lire du social à partir du sanitaire en
11
P. Laudoyer, «Toxicomanie et politique locale », dans J-C Guyot, B. Hérault (dir.), La
santé publique.
190
Un enjeu de politique municipale,
op.cit, p. 200.
faisant rappel du registre de légitimité immanente. La protection de la vie vient au secours de la misère sociale. Dans ce cadre d'expérience, les médecins ne sont plus seuls à porter la perspective santé. On ne peut pas dire que les médecins élus locaux aient eu un rôle central dans cette évolution même si sur le terrain local certains médecins, élus ou non, ont joué un rôle important. TIy a d'un côté un ensemble d'orientations pouvant inspirer les initiatives locales, de l'autre, des contextes d'action produisant des initiatives. L'homogénéité prescriptive et pragmatique de la perspective santé Par conditions prescriptives, nous nous référons à une série d'initiatives qui ont fini par constituer des sources d'inspiration autant que des normes indicatives pour les villes dans la mise en œuvre de leur action sanitaire et sociale. On peut citer notamment la Charte d'Ottawa qui donne naissance au programme Villes-santé de l'OMS pour lequel la ville de Rennes a joué rôle pilote en France. Ce programme s'appuie sur une conception plutôt extensive de la santé en insistant également sur la nécessité de relier la thématique santé à tous les autres secteurs de la vie urbaine. Elle tend à prendre en compte de multiples aspects de la vie sociale en considérant que « la santé se présente.. .comme un espace de rencontre et de convergence, comme une manière d'aborder les problèmes susceptible d'intégrer toutes les dimensions de la vie des habitants d'un quartier ou d'une ville >P. Dans une approche comparable, il faut inclure le programme du bureau Europe de l'OMS intitulé «La santé pour tous vers l'an 2000. On peut également se référer aux dispositifs mis en place dans le cadre de la politique de prévention de la délinquance (1983, création du Conseil national de prévention de la délinquance et des comités locaux correspondants au niveau départemental et communal) dans la mesure où ils seront associés à une approche médico-sociale de la délinquance. L'équation de mise en forme sociale relie les causes psychologiques de la délinquance aux conditions de vie. Suivant cette interprétation, elle implique une approche thérapeutique et sociale.
12
M. Joubert, «Remonter le fil des dégradations: La production urbaine de santé dans la banlieue parisienne», Les annales de la recherche urbaine, n° 73, p. 39. 191
La 3e source d'inspiration se situe dans la politique de développement social des quartiers. Dès 1985 avaient été organisées des Assises nationales sur le thème « Santé et quartiers d'habitat social ». En 1988, la Commission Nationale pour le développement social des quartiers a produit une note de synthèse faisant le point sur les initiatives locales en
matière de santé et d'habitat social. Cette orientation a été maintenue avec la création de la Direction interministérielle à la ville (DIY) chargée de préparer les orientations de la politique de la ville. C'est ainsi que l'on peut trouver dans le dossier «Ressources» pour les contrats de ville du XIe plan l'indication suivant laquelle la santé est considérée comme «un des indicateurs des situations de pauvreté et de précarité mais également comme un des facteurs conditionnant le retour à une inscription sociale et professionnelle ». Cela a donné lieu à la mise en place des plans « Santé ville» en décembre 1993 avec une incitation faite aux DRASS, DDAS, aux préfectures pour développer les réseaux de proximité en matière de santé. On peut enfin mentionner la politique de lutte contre la toxicomanie avec la création, en 1985, de la Mission interministérielle de lutte contre la Toxicomanie relayée au niveau local par des comités départementaux qui seront progressivement absorbés par les CDPD. On retrouvera leur influence dans les actions de prévention initiées pour lutter contre le sida. Les orientations définies au niveau national dans ces différents secteurs ont davantage une valeur incitative qu'impérative pour les villes. On le voit avec l'utilisation de la procédure contractuelle entre l'Etat et les villes dans le cadre de la politique de la ville. Une reformulation des conditions d'engagement des élus À plus d'un titre, les villes apparaissent les mieux placées pour réaliser «une globalisation à l'échelle territoriale des fins poursuivies et des moyens mobilisés »13. Le territoire urbain, quelle que soit sa taille, permet de circonscrire les actions envisagées en leur donnant une cohérence d'ensemble. TI est supposé faciliter une meilleure prise en charge des populations concernées par les différentes politiques menées. Toutefois, la mise en avant du territoire urbain ne signifie pas que les 13
J-C. Guyot, «Les municipalités face aux nouveaux e~eux de la santé publique », dans
La santé publique:
192
enjeu de politique municipale,
op. ci!, p. 81.
autorités municipales aient, dans ce nouveau contexte, la maîtrise de l'initiative et la direction des entreprises politiques. Bien au contraire, on assiste à une formulation de l'action publique, jugée novatrice à bien des égards. Cela résulte de la diversité des acteurs engagés dans ces politiques: services municipaux; administrations d'Etat; services hospitaliers; acteurs associatifs ayant parfois une expérience significative dans certains domaines. Or la formulation des conditions de l'action publique modifie les propriétés du cadre dans lequel les élus locaux ont à agIT. Cependant, tout ceci ne s'effectue pas à l'identique dans toutes les villes. Toutes ne sont pas forcément engagées dans la procédure proposée par l'OMS, elles n'intègrent pas toutes le même contenu santé dans leur contrat de ville, elles n'ont pas nécessairement un tissu associatif ayant le même dynamisme, elles n'ont pas non plus, la même expérience en matière de santé publique locale et sans doute pas la même sensibilité. La mise en place de la perspective sanitaire et sociale dans les villes constitue un exemple de ce que l'on caractérise parfois par une «déhiérarchisation» et un «décloisonnement de l'action publique» 14.TI Y a «déhiérarchisation» en ce sens que l'Etat cherche davantage à associer les municipalités aux politiques qu'il promeut en établissant avec elles des liens contractuels. L'exemple le plus connu étant celui des contrats de ville dans le cadre de la politique de la ville. Mais cette notion est également applicable aux relations que les autorités municipales instituent avec les différents acteurs qui participent à la mise en place de la perspective socio-sanitaire. En ce sens, le rôle des autorités municipales est beaucoup plus d'impulser et d'articuler l'action collective que de la diriger, comme cela pouvait être le cas avec l'action des BMH ou des centres municipaux de santé. L'articulation s'impose d'autant plus que la diversité des perspectives portées par les différents acteurs rend la cohérence d'ensemble plus difficile à réaliser. Cette complexité, on la rencontre quand il faut intégrer une dimension santé dans une politique de DSQ. On peut la retrouver lorsqu'il faut établir une perspective santé, reliée à un projet, entre des acteurs aux expériences différentes et divergeant sur les normes qui guident leur action. Ces conditions définissent un contexte d'expérience qui modifie les normes régissant l'action des élus municipaux. TIne s'agit plus pour eux 14
J-C. Guyot, op.cit; p. 84.
193
de diriger une action municipale mais de faire preuve d'une compétence de coordination des acteurs engagés dans une perspective d'action commune. n leur appartient d'intégrer les perceptions parfois divergentes que les individus ou les groupes peuvent porter, pour parvenir à la définition d'une perspective commune. Avec la perspective sanitaire et sociale, les élus du territoire municipal n'ont pas la maîtrise unilatérale de la décision qui s'applique sur le territoire. Dans ces conditions, les médecins élus municipaux comme les autres élus municipaux doivent exprimer une compétence adaptée à ce nouveau contexte. Une perspective qui modifie la position des médecins La compétence de l'élu qui se trouve engagé dans une perspective sanitaire est une capacité à concilier des perspectives parfois contradictoires. n doit se montrer capable de gérer la construction intersubjective des accords et des désaccords. Or cette compétence est souvent liée à une expérience de la multipositionalité. Certains médecins en devenant élus municipaux prolongent un positionnement individuel dans un cadre qu'ils connaissent déjà15. C'est pourquoi on peut observer dans les différentes villes que les médecins en charge des questions de santé ont déjà assumé différents engagements sociaux avant d'être élus. Leur accession à cette position n'est pas seulement liée au fait qu'ils sont médecins mais également à leur passé d'engagement dans ce secteur. De ce fait, ils connaissent déjà les règles du cadre et les perspectives portées par les autres acteurs. Cependant, ils se trouvent parfois dans une situation ambiguë du fait que d'autres acteurs sont amenés à porter la perspective sanitaire. n existe en effet des possibilités d'interaction entre le sanitaire et le social qui mettent en jeu des processus sociaux assez différents. On peut le mesurer à travers plusieurs exemples. Ainsi lorsqu'on mobilise un prisme sanitaire pour qualifier l'état de mal-être liée aux conditions de vie et qu'on associe de fait une perspective santé à une politique de développement social des quartiers. C'est dans une optique similaire, que l'on attire l'attention sur une pathologie comme le saturnisme pour mettre en valeur la mauvaise qualité de I'habitat. La perspective santé est utilisée 15
P. Valarié, «Gouverner l'archipel urbain: Actions et réseaux de santé publique à
Béziers », op.cil., p. 81.
194
à des fins sociales lorsqu'on fait de la prise en charge médicale un élément de resocialisation des personnes marginalisées ou en voie de l'être. L'association d'une carte santé au dispositif du RMI en est un exemple. Une approche sanitaire principalement
destinée aux exclus
TIapparaît ainsi que les différentes actualisations de la perspective socio-sanitaire qui ont été initiées dans les villes ont pour mission principale d'organiser la prise en charge des populations répertoriées comme exclues. Il nous paraît intéressant d'observer que dans ces contextes se trouve réhabilité un régime d'interaction entre le social et le sanitaire qui met en valeur les usages sociaux des langages de médecine. Le langage de la santé et celui de la maladie, fonctionnent comme des vecteurs de construction sociale, c'est-à-dire, qu'ils restent soumis à l'interprétation de ceux qui les utilisent, tout en conservant leur propriété de légitimation immanente. On le voit par exemple lorsqu'on se propose de traiter la question de la toxicomanie dans un quartier en visant un objectif de sécurité publique. C'est également le cas lorsque des acteurs abordent des enjeux sociaux sous l'angle de la santé, au risque parfois, de «subsumer les problèmes sociaux dans le langage de la prévention médicale »16.Dans les usages sociaux de ce registre se met en place une forme de reconnaissance sociale qui singularise des groupes d'individus, tout en développant à leur égard une logique compassionnelle qui tend à les «victimiser », et les prive de leurs capacités à s'affirmer comme sujets de droits 17. Derrière les usages sociaux des langages de médecine se dessine une conception de la reconnaissance des individus, visant à préserver l'ordre social en éliminant en chacun d'eux la confiance en sa propre détermination. Sans doute faut-il voir là quelque analogie avec la perspective défmie par les hygiénistes au 1ge siècle. Cependant, il n'est pas dit que cette perspective puisse exercer ses effets de façon durable 16
A. Lovell, I. Féroni, «Sida-toxicomanie: Un objet hybride de la nouvelle santé
publique à Marseille », in Les Figures urbaines de la santé publique, sous la direction de Didier Fassin, Paris, La Découverte Recherche, 1998, p. 234. 17M. Lussault, «L'instrument sanitaire: rôles et valeurs de la santé publique dans les politiques territoriales à Tours », in Les Figures urbaines de la santé publique, sous la direction de Didier Fassin, Paris, La Découverte Recherche, 1998, p. 200. 195
dans la mesure où rien ne garantit la pérennisation de dispositifs faisant l'objet d'un faible degré d'institutionnalisation municipale18au point que l'on puisse parler de «municipalisation en trompe l'œil ». La reformulation de l'action publique municipale dans la perspective sociosanitaire porte en elle sa propre précarité. Des différents exemples que nous avons présentés, il ressort qu'à toutes les époques, les communes ont proposé un cadre, plus ou moins institutionnalisé, permettant d'accueillir la compétence des médecins élus locaux. Certains d'entre eux s'y sont engagés parce qu'ils étaient déjà plus ou moins investis dans ce type d'intervention. Sans doute peuvent-ils s'affirmer plus aisément lorsqu'il est question de perspective clairement centrée sur la santé. Dans les petites communes, le médecin élu local a une vision plus élargie sur le social parce que la spécification sanitaire est moins présente et qu'il se trouve confronté à une demande sociale plus directe.
1.2 Le cadre départemental Pour illustrer l'importance du secteur sanitaire et social dans l'organisation institutionnelle du Conseil général, on peut citer la déclaration d'un médecin candidat à l'élection cantonale de Talence (33) indiquant que «l'action sanitaire et sociale a coûté plus de 500 millions de nouveaux francs au Conseil général, plus de la moitié du budget départemental »19. C'est dire que l'institution départementale a toujours offert un cadre d'expérience permettant d'accueillir la compétence reconnue à la profession médicale sur ce domaine. Cependant, il ne serait pas exact de postuler que la perspective proposée aux élus en charge de ce secteur n'a pas évolué dans le temps. Ainsi, comment expliquer qu'avant la décentralisation il y a peu de Conseils généraux où ce secteur fait l'objet d'une commission? Dans quelle mesure la décentralisation a-t-elle
18
P. Hassenteufel,B. Le Bihan-Youinou,P. Loncle-Moriceau,A. Vion, «L'émergence
problématique d'une nouvelle santé publique », in Les Figures urbaines de la santé publique, sous la direction de Didier Fassin, Paris, La Découverte Recherche, 1998, p.108. 19Sud Ouest, 33, 15 mars 1979. 196
changé le rapport que les médecins, conseillers généraux, entretiennent avec ce domaine de l'action publique départementale? Nous allons tenter de répondre à ces questions en distinguant la période avant la décentralisation de celle qui lui succède. Les médecins, conseillers généraux, et la perspective sanitaire et sociale avant la décentralisation Avant la décentralisation, il n'existe qu'un département d'Aquitaine où l'on peut trouver une commission du Conseil général, spécialement consacrée au secteur des affaires sanitaires et sociales. Cela peut paraître paradoxal eu égard au volume financier qu'il génère. Mais ce n'est pas aussi étonnant dans la mesure où ce domaine est assimilé à l'administration générale puisqu'il constitue la part la plus importante de l'administration départementale. La perspective sanitaire et sociale n'est pas spécifiée parce qu'elle représente l'essentiel de la tâche de gestion impartie aux conseillers généraux. Ces derniers n'ont pas le pouvoir de décision ultime puisque c'est le préfet qui prépare et exécute le budget du Conseil général. Privés de cette prérogative essentielle, les conseillers généraux n'en ont pas moins accès à une perspective dense et complexe. Elle comprend l'ensemble des établissements publics dépendant directement du département mais également les partenaires privés qui participent à l'action du Conseil général dans le domaine social ou médico-social depuis longtemps. La Direction Départementale de l'Action Sanitaire et Sociale constitue dans chaque département l'interface administrative qui vient compléter cette perspective. Cela n'est pas indifférent car cette administration déconcentrée gère des domaines qui ne sont pas directement du ressort des conseillers généraux. Néanmoins, ces derniers ont accès, grâce au système de relations avec la DDASS, à un éventail très large de questions touchant à la santé comme au social. À travers le champ relativement unifié qui leur est proposé, ils peuvent comprendre les articulations entre les différents secteurs, les procédures à utiliser, et côtoyer les acteurs impliqués dans les actions publiques. Un univers associant la santé et le social ne peut que conforter la position des médecins conseillers généraux, et leur permet d'accentuer leur avantage de compétence sur les autres conseillers. TIs ont ainsi la possibilité de 197
reproduire au niveau du département la position extensive qui glisse continuellement de la santé vers le social. De surcroît, leur compétence les place en position favorable vis-à-vis des différentes associations impliquées dans les actions départementales. Pour obtenir des aides du Conseil général, chaque association a intérêt à compter un médecin conseiller général dans son conseil d'administration car il apporte une garantie d'expertise et assure le lien avec l'institution départementale. En retour, le conseiller général peut consolider sa présence électorale en se constituant une sorte de clientèle dans le monde associatif. C'est d'autant plus aisé que les conseillers généraux ne sont pas responsables d~ l'exécution du budget. Ds peuvent donc insister sur leur capacité d'intercession en faveur des associations comme des particuliers. Cela semble naturel dans la mesure où la médiation est la forme de compétence la plus attendue des conseillers généraux. Le rôle du conseiller général est nettement marqué d'une empreinte cantonaliste qui le conduit à servir d'intermédiaire entre les pôles que sont les élus du canton, le préfet, les administrations déconcentrées et les administrés. C'est précisément par l'usage répété de ces pratiques que les médecins conseillers généraux entretiennent et approfondissent régulièrement leur compétence sur leur secteur de l'action sanitaire et sociale. Après la décentralisation Avec le processus de décentralisation, le cadre d'expérience des élus départementaux change dans ses principes, et, d'une certaine façon, le secteur de l'action sanitaire et sociale s'en retrouve le plus affecté puisqu'il devient le domaine le plus important d'un budget sur lequel les élus du département ont une totale responsabilité. Il devient véritablement un enjeu de la politique départementale. Dans ce contexte nouveau, les médecins conseillers généraux conservent une partie de leur spécificité mais dans des conditions sensiblement différentes. Les affaires important
sanitaires
et sociales:
l'enjeu
budgétaire
le plus
Le transfert de compétence qui porte sur ce qui était déjà sous la responsabilité du Conseil général fait du département « le pivot, le centre 198
des politiques de solidarité locale »20.Cela s'entend par le fait qu'il a la responsabilité comptable de la gestion de ce secteur et qu'il se trouve au carrefour des relations entre les différents acteurs locaux. On peut d'ailleurs remarquer que le terme solidarité est adopté par la plupart des départements d'Aquitaine, un seul choisissant de lui adjoindre une référence à la santé. Sans doute ce terme offre-t-il un espace de connotation suffisamment ouvert pour autoriser une perspective politique élargie comme pourrait le signifier le docteur G. Duhamel, VicePrésident, délégué aux affaires sanitaires et sociales du département des Hauts-de-Seine21 lorsqu'il indique que «le concept de solidarité participe non seulement de l'action sanitaire et sociale mais aussi de la politique du logement, des transports, de l'éducation, de l'emploi ». Même si la santé ne constitue qu'un domaine réduit de l'action du Conseil général, elle reste pour élus départementaux appartenant au corps médical un registre disponible. On le voit avec la mise en place de la carte santé associée au dispositif du RMI, en rappelant que «la première des intégrations, c'est la santé »22.Le registre de la santé demeure à l'état latent et peut, de ce fait, être replacé dans le contexte syncrétique de la solidarité. Cela permet aussi d'entretenir la représentation suivant laquelle «gestionnaires et politiques, nos médecins n'en oublient pas leur premier métier »23. Après la décentralisation comme avant, le secteur des affaires sanitaires et sociales, rebaptisé Solidarité, représente près de 50% du budget des départements. Ainsi la Commission des Affaires sociales est considérée par les conseillers généraux comme l'instance qui a le plus de poids dans la décision politique départementale et qui semble de ce fait avoir un certain prestige. Peut-être faut-il voir là une explication supplémentaire de la surreprésentation des médecins dans cette commission. L'enquête effectuée dans le cadre de la thèse montre, qu'entre 1982 et 1988, le pourcentage de médecins membres de cette commission est très supérieur au pourcentage de médecins conseillers généraux. Leur compétence traditionnelle sur ce domaine leur permet d'intervenir sur un budget qui 20
G. Cloarec, «La décentralisation: état des lieux enjanvier 1983», Décentralisationet
politiques sociales, Paris, Futuribles/CEPES, 1983, n041. 21 L'élu local, n0180, mars 1989. 22 Docteur J. Sourdille, Président du Conseil général des Ardennes, Impact Médecin quotidien, n0357, 15 mars 1994. 23Impact Médecin quotidien, n0357, 15 mars 1994. 199
mobilise d'importants moyens en termes de personnel, d'équipements et de relations contractuelles. On peut d'ailleurs remarquer que les budgets départementaux dans ce secteur n'ont pas tous la même structure. Cette dernière varie en fonction des priorités définies antérieurement par les départements que ce soit en matière d'équipements où d'engagements avec le réseau associatif. Le facteur démographique a également une incidence. L'autre particularité de ce budget est qu'il comprend le fmancement d'opérations associant le département, l'Etat et les communes. Par exemple, le département finance les établissements habilités au titre de la justice ou les centres d'éducation en milieu ouvert, alors qu'il s'agit d'une compétence partagée avec l'Etat. Tout ce qui concerne le logement et l'insertion professionnelle peut générer des financements croisés entre le département et les communes. Le principe du transfert de bloc de compétence place les conseillers généraux devant l'obligation d'assurer la continuité des dispositifs mis en place avant la décentralisation. De ce fait, leur marge d'autonomie pour réaliser des arbitrages budgétaires dans ce domaine est relativement réduite. 11semble que dans un premier temps, leur premier souci est de parvenir à une maîtrise des dépenses. Si décentralisation transforme «totalement la position et les responsabilités de ceux qui s'y trouvent impliqués »24c'est pour privilégier «un critère de bonne gestion, de sérieux, de lutte contre le laisser-aller »25. La réduction des dépenses sociales est devenue un impératif. De ce point de vue, il apparaît que l'opposition partisane entre la Droite et la Gauche n'a qu'une influence très réduite ou nulle sur les priorités ou les orientations politiques et sociales »26.
24
C. Rioual, Décentralisation et dépenses d'aide sociale. Le cas des départements
aquitains, Bordeaux, Centre de sociologie de la santé, Politiques locales de santé2, 1991, p.99. 25 J-C Guyot, F. Vedelago, Les élus et le social. Le cas de l'Aquitaine et de ses conseillers généraux, Bordeaux, MSHA, 1994, p. 85. 26
J-C Guyot,F. Vedelago,op.cit.,p. 185.
200
Un secteur de l~action publique dense et complexe C'est un secteur difficile à appréhender pour plusieurs raisons. D'abord on peut mesurer cette difficulté à la façon dont les conseillers généraux font état de leur perception de ce secteur. Par exemple, on sait que dans le transfert de compétences réalisé, le secteur de la santé est très peu concerné. Or lorsqu'ils sont interrogés sur les différents types d'action concernés par les politiques sociales et médico-sociales, ils accordent à la santé le statut de priorité dans plus de 82% des cas, «les conseillers généraux donnent aux problèmes de santé la première place dans la hiérarchie de leurs préoccupations bien avant les mesures permettant de traiter les problèmes de précarité fmancière (67,7%) ou ceux soulevés par les questions de sécurité (46,3% des cas) »27.Il faut préciser sur ce point ce que l'on entend par «préoccupations des conseillers généraux ». Lorsqu'il s'agit de d'objectifs ou de priorités d'ordre général, c'est la santé qui vient en premier, mais, s'il est question de priorités budgétaires, on revient aux prérogatives départementales. De même que si l'on interroge les conseillers généraux sur le dispositif institutionnel, on trouve un certain flou sur la connaissance des dispositifs des grands secteurs de l'action sociale et sur les acteurs qui pèsent le plus sur la décision publique en la matière. Il y a une contradiction entre l'investissement au niveau du discours et la difficulté que les élus rencontrent pour «conférer à des actions éclatées, décidées à des moments et pour des bénéficiaires différents, une unicité, une rationalité, une cohérence qui très souvent ne préexistent pas aux discours »28. Dans une enquête réalisée une dizaine d'années après la décentralisation, les auteurs constataient une absence de projet global dans le domaine de l'action sociale et médico-sociale29.
27
J-C. Guyot, F. Vedelago, op. cit., p. 74.
28 P. Lehingue, «Le social dans les débats politiques locaux », dans D. Gaxie (dir.), Le social transfiguré. La représentation politique des préoccupations sociales, Amiens CURAPP, PUP, juillet 1990, p. 119. 29J-C. Guyot, F. Vedelago, op. cit., p. 215. 201
La compétence spécifique des médecins La complexité du secteur de la solidarité départementale met en valeur la compétence spécifique des médecins et la responsabilité particulière qu'entraîne la mise en œuvre de cette compétence. En effet, il s'agit d'un domaine de l'action publique qui présente un degré élevé de segmentation que l'on peut mesurer lorsque, par exemple, il est question de classer, et de normaliser les différents types de prestation. Ainsi, le secteur médico-social peut être présenté comme un «domaine aux frontières mal définies, où les responsabilités administratives et professionnelles sont interactives, imbriquées les unes dans les autres, ce qui au demeurant ne manque pas de créer de multiples incertitudes, voire des conflits de compétence »30. Les médecins qui, depuis longtemps, occupent une position dans «la structuration en profondeur des institutions de santé, des services sociaux et médico-sociaux »31ont une compétence quasi naturelle à réaliser un travail de validation des diagnostics, de désignation des prestations et d'articulation des dispositifs institutionnels. Ce qui permet de dire qu' «en matière sanitaire et sociale (comme souvent ailleurs), la segmentation et la parcellisation des problèmes va souvent de pair avec la spécialisation et la concentration des questions entre les mains de quelques spécialistes ».32Cette compétence différencie les médecins par rapport aux autres conseillers généraux et renforce leur autorité vis-à-vis du personnel départemental engagé dans ces différentes missions. Mais, avec la décentralisation, cette compétence a également un effet technique et budgétaire. En effet, la compétence de qualification des médecins devient utile dans une action de gestion des diagnostics parce qu'elle permet de répartir les dossiers entre les différentes filières de gestion tout en réglant les conflits de compétences qui peuvent se présenter. Elle est à même d'intervenir dans le signalement du handicap ou de l'inadaptation. Elle peut apprécier
30
J-C Guyot, F. Vedelago, op. cit., p. 144.
31J_CGuyot, F. Vedelago, op. cit., p. 141. 32P. Lehingue, «Le social dans les débats politiques locaux », dans D. Gaxie (dir.), Le social transfiguré. La représentation politique des préoccupations sociales, Amiens, CURAPP, PUF, 1990, p. 119. 202
le bien fondé d'une demande de subvention à une association en replaçant l'action de celle-ci dans une cohérence sectorielle et médicale. Or ces opérations de qualification ont une incidence budgétaire puisque la portée du diagnostic induit l'acceptation ou le refus d'une prestation financée par le département. Il en est ainsi lorsqu'on décide de passer d'un financement de l'aide sociale à l'enfance à un fmancement sécurité sociale, ce qui a pour effet de diminuer ou de stabiliser les dépenses dans ce domaine. La compétence médicale intervient aussi dans la qualification du handicap et l'on sait que «l'impact économique des handicapés dépend de la manière dont ils sont pris en charge, voire reconnus et diagnostiqués »33. Le recours à la compétence médicale intervient dans les procédures d'octroi de l'Allocation compensatrice pour tierce personne. En rendant plus exigeantes les conditions d'obtention de cette allocation, on diminue les dépenses départementales. Il en est de même quand on réalise un transfert de la demande sociale du champ de l'inadaptation à celui du handicap médico-sociae4. La compétence traditionnelle des médecins conseillers généraux sur le secteur sanitaire et social, aujourd'hui appelé Solidarité, a donc une portée particulière. Elle a une influence sur le volume budgétaire de la moitié du budget départemental. C'est un point qui a une importance certaine dans les années qui suivent la décentralisation parce que les élus départementaux entendent démontrer leur capacité à gérer correctement les finances départementales. En même temps, elle s'inscrit en contradiction avec ce qui se passait avant la décentralisation. Contraints par l'impératif de bonne gestion du département, les conseillers généraux, médecins, ne peuvent plus satisfaire aussi facilement les demandes sociales qui leur sont adressées. Comme on vient de le voir, les médecins élus locaux rencontrent dans l'exercice de leurs mandats des contextes et des dispositifs institutionnels qui leur permettent d'utiliser une compétence associée à leur métier. Cela apparaît de façon évidente lorsqu'ils ont à s'exprimer sur des questions purement médicales dans les assemblées départementales ou communales
33
A. Triomphe, S. Tomkiewicz,Les handicapés de la prime enfance, Paris, PUF, 1985,
p.51. 34 J-F Guyot, F. Vedelago, op. cit., p. 155. 203
ainsi qu'on peut le constater dans d'autres enceintes35. Cependant, le fait qui nous semble le plus remarquable est que leur compétence s'applique sur le domaine élargi des affaires sanitaires et sociales. TIy a reproduction à l'échelon des institutions politiques locales d'éléments qui fondent la position sociale de cette profession dans la société. C'est le résultat d'un processus historique de construction d'une conception extensible de la santé et de l'effort de positionnement d'une profession dans cette évolution. Mais, nous avons vu que ces dispositifs peuvent évoluer et que les conditions qui entourent l'action des médecins ne leur donnent pas toujours la même reconnaissance ou une autonomie comparable. Dans la vie des institutions locales, la perspective qu'ils incarnent habituellement, ne leur appartient plus en totalité, car elle reste sous l'influence des propriétés du cadre d'expérience politique local.
~ 2 Assumer une compétence d'élu En analysant les données disponibles sur notre population de médecins élus locaux, il apparaît que cette profession est largement distribuée dans toutes les fonctions électives. Notre présentation sur la présence des médecins dans les exécutifs locaux serait donc incomplète si elle se limitait à la lecture proposée dans le premier paragraphe. Comme les autres élus locaux, les médecins peuvent connaître des trajectoires électives plus ou moins complexes, avec des succès comme des échecs. En participant à l'action d'une ou plusieurs collectivités locales, ils entrent dans un univers qui a ses propres règles, et chaque position élective définit un cadre d'expérience. La réussite d'un médecin dépend de sa capacité à assimiler les propriétés de ce cadre de façon à donner plus de crédit à sa présence politique locale. Or, si nous nous référons aux changements intervenus dans le système politique local depuis un quart de siècle, on peut avancer sans risque que les conditions d'exercice des mandats locaux ont singulièrement évolué. D'un autre point de vue, nous avons constaté qu'il y a véritablement deux tendances dans la présence 3S
A. Collovald, B. Gaïti, «Discours sous surveillance. Le social à l'Assemblée », dans Le social transfiguré..., op. cit., pp. 38-47. 204
quantitative de la profession médicale parmi les élus locaux en Aquitaine: une forte surreprésentation jusqu'à la fin des années 80; une diminution de la surreprésentation à partir du début des années 90. Peuton expliquer chacune de ces tendances par les conditions d'exercice des mandats locaux suivant les époques? En d'autres termes, les propriétés du cadre d'expérience faciliteraient-elles l'engagement des médecins dans l'action des institutions politiques locales à une période plus qu'à une autre? Nous répondrons à ces questions en trois temps. Dans un premier point, nous montrerons qu'à travers la diversité des positions électives occupées par les médecins, ces derniers se trouvent toujours dans l'obligation d'assimiler les propriétés du cadred'expérience que leur fournit chacune de ces positions. Cependant, nous verrons, dans un deuxième point, qu'il existe des conditions plus favorables à la compatibilité entre l'exercice du métier de médecin et l'engagement dans les fonctions électives locales. Nous verrons, dans un dernier temps, que les transformations du système politique local ont sensiblement changé la compétence attendue des élus, rendant plus délicat l'engagement des médecins dans l'action des collectivités locales.
2.1 Les médecins et l'apprentissae:e des positions électives Il ne serait pas exact de ne conserver à l'esprit que l'interprétation proposée dans le paragraphe précédent. Si on observe les positions électives occupées par les membres de la profession médicale dans les institutions locales, principalement les communes et les Conseils généraux, on peut noter que les médecins se répartissent dans un éventail très large de fonctions. De ce point de vue, il n'y a pas de différence avec les autres -élus. Comme~-derniers, les médecins lo~ils-- accèdent à des fonctions électives intègrent le cadre d'expérience de ces positions. C'est-à-dire que la position élective fournit une façon d'appréhender la gestion locale mais, en même temps, elle situe le médecin élu dans un contexte institutionnel qui a ses propres règles. Ainsi, la première accession à un mandat local constitue une étape de socialisation politique. Le médecin découvre les différents domaines de l'action publique locale, 205
il doit se familiariser aux rôles qu'un élu est appelé à tenir. Sa réussite dépend de sa capacité à assumer les spécificités du système de relations sociales qui organise la vie de ce cadre: relations avec les autres élus, avec les services administratifs, avec les administrés. On peut alors se demander si le fait d'exercer le métier de médecin facilite cette épreuve de socialisation politique au point de faire émerger une autre forme de continuité. Certaines interprétations peuvent le laisser croire lorsque elles évoquent «une spécificité de leur attitude que l'on peut dire clinique »36ou qu'elles soutiennent que « le médecin apportera son sens clinique des situations »37.Ce type de lecture renvoie à un questionnement plus large conduisant à se demander si «des milieux professionnel véhiculent des savoirs et des connaissances qui prédisposent à comprendre le métier politique ou à s'y intéresser »38.M. Weber l'avait l'utilisé en évoquant le cas des avocats39. Si nous reprenons une partie de l'analyse qui a été développée dans le chapitre 2, nous pouvons trouver quelques arguments pour conforter cette interprétation. Ainsi, il nous semble que la compétence relationnelle des médecins résulte, sans doute pour une bonne part, de leur activité professionnelle. C'est un des impératifs de leur rôle de thérapeute. Ils ont pour tâche première d'entrer en empathie avec des patients qui, par définition, sont tous différents. L'expérience du facteur humain qu'ils en retirent est une bonne préparation au cadre d'interaction auquel leur position d'élu donne accès. De plus, la connaissance de la société qu'ils peuvent se former au cours de leur vie professionnelle est un facteur d'habilitation supplémentaire. Sur un second point, la compétence professionnelle de médecin peut faciliter l'assimilation des rôles associés aux positions électives locales. Cela s'explique par la possibilité de réinvestir une compétence d'objectivation et de traduction que les médecins manipulent de façon quotidienne dans leur activité. Cette compétence d'intelligibilité intervient au moment où ils ont à se saisir des différentes perspectives qu'offrent les 36
P. Guillaume,Le rôle social du médecin depuis deux siècles, Paris, Associationpour
l'étude de la sécurité sociale, 1996, p. 33. 37J-C. Guyot, F. Vedelago, Les élus et le social en Aquitaine, op. cit., p. 166. 38P. Braud, Le jardin des délices démocratiques, Paris, Presses de la FNSP, 1991, p. 178~179. 39Le savant et le politique, Paris, UGE 10/18, 1982, p. 127-128. 206
positions électives, ainsi que dans les situations où doit se fOffiler une connaissance préalable à l'action. Elle est aussi une ressource qui leur peffilet de saisir les spécificités de chaque perspective. Nous pouvons le vérifier en étudiant de façon plus approfondie la diversité des positions offertes par les communes et les départements. Il y a les positions à dominante généraliste comme celle de maire et d'adjoint aux finances dans les communes. Même si cette distinction n'est pas absolue en soi parce que tous les conseillers municipaux ont accès à la connaissance du budget et tous peuvent se constituer une connaissance généraliste s'ils le désirent. D'un point de vue décisionnel néanmoins, les positions que nous avons mentionnées semblent les plus pertinentes. Dans un Conseil général, les positions de Président, Vice-président, président de commission, membres du bureau offrent une entrée généraliste. Il y a ensuite des positions plus spécialisées qui peffilettent aux élus de se forger une compétence dans un domaine particulier. Souvent les médecins
choisissent une commission en rapport avec la spécificité de leur canton. Ils adoptent une nOffile de choix analogue à celle des autres élus. Dans le cadre de l'enquête effectuée pour la thèse, nous avions ainsi remarqué que des médecins élus sur un canton où se trouve un nœud de communications routières et ferroviaires faisaient partie de la commission Transports. D'autres, élus sur la partie côtière du département, appartenaient à la commission Tourisme. En agissant ainsi, les médecins peuvent se forger une compétence spécialisée tout en se donnant les moyens de servir les intérêts de leur canton. C'est en ce sens-là qu'ils intériorisent les prescriptions attachées à leur rôle d'élu. Il en est partiellement de même pour ceux qui occupent des positions d'adjoints dans les municipalités. Bien entendu, la taille des communes est un élément déteffilinant parce que les charges d'adjoints sont plus importantes dans les grandes villes. Elles impliquent des relations suivies avec le cabinet du maire, avec le secrétariat général et les services municipaux rattachés à la délégation. Le cadre de socialisation politique est plus complexe. C'est par l'apprentissage régulier de ce cadre d'expérience que se construit la compétence d'élu. L'intégration des médecins à la vie des institutions politiques locales peut aussi être mesurée d'une autre façon. Ils sont soumis comme les autres élus aux règles d'apprentissage et de réussite dans leur mission. On 207
constate ainsi que très peu de médecins obtiennent des positions décisives dans un Conseil général après leur première élection. TIsaccèdent à une présidence de commission ou une vice-présidence au mieux après leur première réélection. La seule exception est celle d'un professeur de médecine qui était leader du parti majoritaire dans l'institution départementale. Pour pouvoir occuper ces positions, ils doivent être reconnus par les autres élus soit sur des critères de compétence soit parce qu'ils appartiennent à la majorité départementale. Dans les deux cas, ils restent soumis aux normes de reconnaissance propres au cadre d'expérience politique. En dernière analyse, on peut apprécier l'intériorisation de la compétence d'élu chez les médecins à partir des rhétoriques qu'ils utilisent lorsqu'ils se représentent dans une élection locale. Cela peut exprimer un positionnement de défense des intérêts du canton au sein du Conseil général: «habitants du 5e canton, vous m'avez élu et réélu pour défendre les intérêts du 5e canton »40. Parfois, l'insistance peut être mise sur la défense d'intérêts particulièrement présents sur le canton: intérêts agricoles41 ; intérêts de différentes catégories professionnelles42 TIpeut aussi être fait état du bilan de l'élu: «Vous savez ce que nous avons déjà fait à Pessac pour l'emploi en créant un parc industriel de 55 entreprises »43 En adoptant ce type de positionnement, le médecin montre qu'il a intériorisé les prescriptions associées aux différents rôles d'élu, ici la défense des intérêts de son canton. En termes de perspective d'engagement, les médecins qui accèdent aux positions électives se retrouvent impliqués dans un ensemble de relations sociales complexe. Sans doute, la compétence sociale qu'ils retirent de leur vie professionnelle contribue-t-elle à leur intégration à l'univers politique. Mais, il est difficile de dire qu'il s'agit d'un facteur déterminant. Comment peut-on, par exemple, distinguer ces facteurs de compétence des qualités individuelles d'intelligence propres à chaque personnalité? La réussite des médecins dans leurs missions d'élus dépend 40Docteur G, candidature Se canton de Bordeaux, Sud Ouest, 33, 6 mars 1970. 4\ Docteur L, cantonale de Brantôme, Sud Ouest, 24, 31 mai 1961 ou docteur F, cantonale de Puymirol, 47, Sud Ouest, 3 mars 1970. 42Docteur G, cantonale de Bordeaux Se,Sud Ouest, 33, 3 mars 1970. 43Docteur D, candidature sur Pessac, Sud ouest, 33, Smars 1985. 208
de leurs capacités à s'imposer dans le cadre d'expérience de la vie politique locale. Or ce cadre a beaucoup évolué au cours de ces trente dernières années. Si l'on se réfère aux données présentées dans le chapitre 1, la proportion de médecins parmi les élus locaux a régulièrement diminué depuis le début des années 90 en Aquitaine. Les variations de ce cadre d'expérience fournissent une explication partielle à cette inversion de tendance. C'est pourquoi, il paraît utile de distinguer deux configurations, la première étant plus favorable à l'engagement des médecins dans les mandats locaux.
2.2 Une confieuration plus favorable à la complémentarité et à la compatibilité des compétences La configuration dominant la vie politique et sociale locale jusqu'au début des années 80 nous semble plus favorable à la participation des médecins à l'agir public local parce qu'elle autorise un cumul de l'activité professionnelle et des mandats d'élus. L'étendue de la compétence attendue des élus autorise cette compatibilité et génère de la complémentarité. Si l'on se réfère au mandat de maire, on peut dire que, pour la majorité des communes rurales, l'essentiel de la mission est circonscrit à une perspective de bonne gestion des finances communales. TIest souvent fait référence à une «gestion en bon père de famille ». TIs'agit de prendre le moins de risques possibles afin de ne pas menacer les équilibres. Chaque maire donne un peu l'impression de vouloir reproduire le modèle incarné par Antoine Pinay. Mais cela correspond aussi à un état de la société locale dans lequel les individus n'ont pas forcément envie d'exprimer des demandes. L'influence du monde rural explique partiellement cet accord entre des élus gérant les deniers publics avec parcimonie et une demande sociale rétive. Ainsi le maire, appuyé par un ou deux adjoints et un secrétaire de mairie, peut conduire les affaires de sa commune parallèlement à son activité professionnelle. Ce n'est qu'à partir de la fin des années 70 que les choses commencent à changer dans les mentalités avec ce que Jean-Louis Marie appelle «la symbolique du changement ». L'urbanisation modifie la composition sociale des communes et une demande d'équipements publics, dans le 209
domaine des sports et de la culture par exemple, prend naissance. Les candidats aux élections municipales intègrent dans leurs discours de campagne l'argument rhétorique du changement. Les élections municipales de 1977 constituent une étape charnière dans ce processus. Dès cette époque s'annonce une reformulation partielle de la compétence d'élu municipal parce que la demande sociale s'exprime de façon de plus en plus nette. Il est demandé aux élus locaux de faire usage de leur pouvoir selon une conception transformatrice et plus seulement gestionnaire. On peut retrouver des points de similitude en observant les conditions d'exercice du mandat de conseiller général. La vie d'un Conseil général défmit un cadre d'expérience plutôt orienté vers les relations interindividuelles. L'enjeu politique central est focalisé sur le préfet et les services extérieurs de l'Etat. Les conseillers généraux participent à l'élaboration du budget Ils n'ont pas de possibilité de création en matière d'administration départementale. De plus, l'exécution de la plus grande partie de l'action du département dépend des personnels de la DDASS, placés sous l'autorité d'un Directeur qui a lui-même sa part d'autonomie. En fin de compte, il n'y a pas d'enjeu politique central dans l'enceinte départementale même si à la fin des années 70, la tension partisane commence à faire sentir ses effets sur les relations entre le préfet et certains élus départementaux. Dans ces conditions, le poids des relations interindividuelles est plus fort. C'est en ce sens qu'est valorisée l'activité relationnelle44 du conseiller général souvent assimilé à un médiateur de la demande sociale auprès des instances décisionnelles. Cette activité relationnelle correspond aux différents positionnements qu'un élu départemental peut adopter. Comme représentant de son canton, il peut faire aboutir les demandes individuelles des administrés auprès de l'administration; faciliter l'action des associations actives sur son canton, tenter d'obtenir des subventions. Il faut quand même se souvenir que pendant la période que l'on a appelée «Les trente glorieuses », la demande d'aide sociale était peu importante parce que la population était plus jeune, qu'il y avait peu de chômage et que l'essentiel du progrès social passait par l'amélioration de la protection sociale de droit commun. Donc la demande adressée aux conseillers 44
J-Y. Nevers, «L'activité
octobre décembre
210
relationnelle des conseillers généraux », Politix, n07-8,
1988, p. 51-57.
généraux dans ce secteur était circonscrite à des populations ciblées et peu nombreuses. L'activité relationnelle du conseiller général est d'autant plus importante que le niveau de formalisation des relations politiques locales est bas. Le souci d'intercommunalité ne s'exprime pas massivement parce que le désir d'autonomie communale reste encore marqué. Comme nous l'avons montré dans le chapitre l, l'Aquitaine garde les propriétés d'une société rurale un peu plus longtemps, à l'exception, cependant, de la Gironde. L'intensité de l'activité relationnelle du conseiller général dépend aussi du souci des acteurs locaux de ne pas avoir recours à une formalisation organisationnelle de l'espace cantonal. La crainte d'une bureaucratisation de la société demeure forte dans une société où le secteur public est important, surtout que la vie politique locale est encore dominée par des notables exerçant le plus souvent des professions libérales. Ils ne sont pas toujours favorables à une extension de l'action publique locale. La dimension cantonaliste reste cependant très présente dans l'activité du conseiller général comme en témoigne le mode de répartition des conseillers généraux dans les différentes commissions. Des médecins conseillers généraux élus de la bordure océane participent aux travaux de la commission incluant le tourisme. D'autres siègent à la commission Transports parce que leur canton est un point névralgique du trafic routier et ferroviaire. Sur ce point, les critères de choix des médecins sont les mêmes que ceux des autres conseillers généraux. Toutefois, cette dimension ne peut trouver son efficacité que si le médecin est avantageusement intégré dans le système relationnel de l'institution départementale. Pour attirer sur son canton les financements publics, susciter l'intervention des services publics, ou obtenir tout autre avantage, le médecin conseiller général doit entretenir de bonnes relations avec le préfet et les services qui lui sont directement rattachés. Or, dans cet univers façonné par les relations personnelles, la profession de médecin permet de présenter une double crédibilité de profession intellectuelle et d'acteur de terrain. C'est d'autant plus vrai lorsqu'il ya cumul de mandats locaux. Dans la surreprésentation de la profession médicale au cours des années 60170, on retrouve, de façon assez récurrente, des exemples de médecins généralistes, élus municipaux et conseillers généraux qui incarnent bien cette capacité à se positionner au centre de plusieurs systèmes de relations. n n'est pas interdit de penser que la faiblesse des clivages partisans à l'intérieur de l'institution départementale accentue 211
l'impact des relations personnelles. La réussite du médecin dans cet univers leur permet de se prévaloir des résultats obtenus en faisant état des différentes réalisations qu'il peut inscrire à son bilan de conseiller général45. Il adopte de ce fait une véritable logique d'élu. Le médecin est soumis à la même règle d'ancienneté pour ce qui concerne l'accession aux positions honorifiques du Conseil général. Il est très rare qu'un médecin élu conseiller général pour la première fois accède à une présidence de commission. Comme les autres élus, il doit franchir l'épreuve de reconnaissance du premier mandat. C'est-à-dire qu'il doit se montrer capable techniquement et politiquement. Dans le contexte antérieur à la décentralisation, la réussite politique dans l'assemblée départementale se définit avant tout par l'entretien de bonnes relations avec le préfet et les membres influents du Conseil général. Dans ce système relationnel, l'appartenance à la profession médicale constitue une entrée plutôt favorable comme l'atteste la forte présence des médecins parmi les élus locaux pendant les vingt cinq premières années de la Cinquième république. Et cela est rendu possible par la compatibilité qu'il existe entre l'exercice de la profession de médecin et la détention d'un ou plusieurs mandats locaux. Pour cette période, la lecture notabiliaire conserve ainsi toute sa pertinence lorsqu'elle montre comment la notabilité sociale et la notabilisation politique fmissent par s'entretenir mutuellement.
2.3 Un contexte nouveau fra2ilisant la compatibilité des compétences Dans la seconde période, celle au cours de laquelle la proportion de médecins élus locaux diminue régulièrement, les conditions d'exercice des mandats locaux connaissent une évolution nous permettant de penser qu'elle contribue à cette diminution. Avec la décentralisation, les Conseils généraux et régionaux deviennent des enjeux politiques dans la mesure où leurs exécutifs ont la pleine responsabilité sur les budgets et des domaines de compétences. Leur fonctionnement est donc plus sensible à la variable partisane et au clivage majorité/opposition. La responsabilisation politique des élus départementaux et régionaux demande aussi un engagement plus fort de la part des élus. De plus, la décentralisation 45Docteur D, candidature cantonale de Pessac, Sud Ouest, 33, 5 mars 1970. 212
déclenche une dynamique qui conduit les élus locaux à vouloir prendre de plus en plus d'initiatives. Le cumul de ces tendances suscite une densification de l'agir public local autour des acteurs centraux que sont les collectivités territoriales. Ainsi, les conditions d'exercice des mandats locaux se trouvent modifiées tant pour ce qui est de la compétence attendue des élus que pour celle qu'ils exercent effectivement. Dans ce contexte, la position des médecins paraît un peu ftagilisée. Une empreinte partisane plus sensible dans la vie des collectivités locales En donnant au Conseil général et au Conseil régional, une responsabilité politique claire sur l'administration d'un champ de compétence et l'autonomie budgétaire, on en fait des enjeux politiques. De ce fait, les partis politiques ont intérêt à s'assurer la maîtrise du fonctionnement interne de chaque institution. Cela transparaît dans la formation des candidatures pour les élections mais également dans la vie quotidienne des élus. Désormais, les relations que les élus entretiennent avec leurs exécutifs respectifs sont filtrées par le clivage partisan et celui instauré entre la majorité et l'opposition au sein de chaque institution. Certes, nous avons montré, dans le chapitre précédent, que les médecins n'ont pas véritablement à souffrir de la prégnance du facteur partisan. Cependant, leur positionnement au sein de l'institution repose moins sur leur présence personnelle que sur leur appartenance à la majorité ou à l'opposition. Lorsqu'ils occupent des positions décisives au sein d'un Conseil général ou du Conseil régional, c'est en raison de leur appartenance à la majorité et non parce qu'ils sont médecins. Cela peut également jouer lorsqu'un médecin conseiller général souhaite obtenir des avantages pour son canton, son degré de proximité avec l'exécutif départemental peut avoir une influence. Or la réussite dans un mandat de conseiller général, concrétisée par une réélection, passe par un certain nombre de réalisations. On peut étendre le constat aux villes de plus de 3500 habitants qui, depuis 1983, ont un mode de scrutin favorisant l'émergence d'un rapport majorité/opposition. Là aussi le poids du facteur individuel dans la gestion locale est un peu relativisé. Les médecins élus locaux doivent adopter au sein de l'institution un positionnement cohérent par rapport à ce clivage. 213
Leur marge d'autonomie et leur capacité d'affIrmation en tant qu'élu en deviennent plus réduites comme pour les autres élus. Une densification de l'agir public local À partir du début des années 80 se développe une densifIcation de l'agir public local que l'on peut identifIer à travers plusieurs tendances. TIya d'abord un renforcement du rôle des acteurs centraux que sont les institutions politiques locales. La décentralisation organise le transfert aux départements et aux régions de blocs de compétences assorti d'une dévolution aux élus de la responsabilité budgétaire. À ces transferts correspond une allocation de moyens humains et matériels permettant aux collectivités locales de mener leur action. Les départements sont les plus concernés par ces transferts parce qu'ils prennent sous leur responsabilité le personnel et le patrimoine de l'action sanitaire et sociale. La formation professionnelle, l'enseignement secondaire et universitaire ainsi que l'aide au développement économique sont les principaux domaines d'action de la région. Le transfert de responsabilité effectué au profIt des exécutifs départementaux et régionaux a pour effet de sensibiliser les élus aux contraintes de gestion des moyens fInanciers, humains et matériels mis à leur disposition. Au cours des premières années de la décentralisation, ils doivent faire la preuve de leurs capacités à gérer correctement les fmances locales tant vis-à-vis de l'Etat que de leurs électeurs. C'est pour répondre à cet objectif que se met progressivement en place une fonction publique territoriale d'encadrement, chargée de les accompagner dans leurs missions. Les institutions politiques locales deviennent des acteurs politiques centraux, en raison du pouvoir qu'elles acquièrent sur certains domaines et de la puissance organisationnelle qu'elles mettent en place. En même temps, le mouvement de décentralisation suscite chez certains élus locaux une dynamique d'initiative qui les pousse à intervenir dans un ensemble de domaines de plus en plus en large ou pour le moins de faire état de leur intention en la matière. Ainsi, pour tenter de répondre aux difficultés sociales générées par la libéralisation de la société française, certains élus mentionnent souvent leur volonté de favoriser le développement économique de leur commune. Un médecin, maire, se propose, par exemple, de mettre en place un projet Ortho-santé sur sa 214
commune pour favoriser son développement, «il s'emploie donc à réaménager sa ville, à la doter d'infrastructures socioculturelles mais aussi à la dynamiser économiquement» 46. Parfois, le maire n'est-il pas présenté comme «le dernier rempart face à la crise de l'emploi et du logement »47. On a également pu mesurer cette évolution à travers les entretiens réalisés pour l'enquête de thèse. Dans la position de maire ou d'adjoint, les médecins font ressortir la façon dont ils ont assimilé la perspective qui leur est offerte, en énonçant des priorités de gestion communale qui peuvent aller dans le sens d'une amélioration de la gestion des deniers publics, du développement économique, du développement local, de la défense des services publics48. TIs produisent des représentations qui reflètent leur perception de la réalité par la reprise des registres les plus utilisés dans le monde des élus. Ces derniers expriment le souci de répondre à la fois aux demandes formulées par les administrés notamment en termes d'équipements collectifs et, aux difficultés particulières rencontrées dans certains espaces locaux. Cet aspect est nettement apparu au moment où les maires ont eu à assumer les effets des restructurations du tissu hospitalier qui se sont traduites par la fermeture d'un grand nombre de petits hôpitaux. Certains maires, appartenant au corps médical, ont insisté sur le risque sanitaire que présentait la fermeture de l'hôpital dans leur ville mais, ils n'ont pas manqué de rappeler le poids économique et social de cette structure dans son environnement local. D'autres élus, comme les maires des communes rurales, se sont trouvés confrontés à des enjeux parfois contradictoires. Certains ont eu à assumer les effets d'un vieillissement et d'une déperdition de population alors que d'autres ont eu à gérer l'arrivée de nouvelles populations avec une série de contraintes supplémentaires pour la gestion locale. Dans les deux situations, la question des équipements collectifs reste posée. Le maire peut chercher à les préserver pour conserver sa population et il se trouve contraint de les améliorer si elle croît. L'évolution de la compétence attendue des maires est assez bien résumée dans la proposition suivant laquelle «le maire est passé du rôle de gestionnaire d'équipements dans les années 70, celui de développeur 46Maires de France, octobre 1998, p. 75. 47G. Lemoine, Maires de France, septembre 1995, p. 20. 48Voir la thèse « Des médecins élus locaux en Aquitaine », p. 325. 215
économique dans les années 80, à celui de gestionnaire de crise dans les années 90 »49. Elle traduit un élargissement de la compétence d'élu dépendant des demandes de l'environnement politique et social souvent appuyées par un secteur associatif en forte expansion. Des registres de qualification de la compétence d'élu Par la combinaison des mutations institutionnelles et des demandes adressées par l'environnement aux institutions politiques locales, les élus locaux sont conduits à adopter de nouveaux registres d'identification à leur mission et se présentent ainsi différemment à leurs électeurs. Ainsi lorsque les conseillers généraux reçoivent la pleine responsabilité sur la gestion du département. ils se montrent sensibles à une gestion rigoureuse des finances locales. Sans doute se forme-t-il dans leur esprit le souci de maîtriser une responsabilité budgétaire nouvelle, et donc de faire état d'un degré élevé de compétence. Ce souci de rigueur budgétaire s'accompagne d'une volonté de mieux utiliser les moyens mis à la disposition des élus, et c'est ainsi que l'on voit se développer les procédures d'audit des services publics au niveau des municipalités comme des Conseils généraux. Il faut dire que le discours politique dominant au niveau de l'Etat reste marqué par une volonté toujours réaffirmée de maîtriser voire de réduire les dépenses publiques. La maîtrise des dépenses publiques et la recherche d'une plus grande efficacité des services publics constituent une perspective qui s'impose progressivement à tous les élus, et les médecins élus locaux n'échappent pas à cette nouvelle norme prescriptive. Par exemple, le docteur Calmat à Livry-Gargan essaie plutôt d'améliorer l'organisation des services publics municipaux en proposant de changer les méthodes de travail5o. À travers un registre de justification, c'est une conception de la compétence qui se met en place. Les élus locaux savent qu'ils doivent maîtriser les dépenses budgétaires et qu'ils seront jugés sur leur action en la matière que ce soit par leurs électeurs ou leurs opposants. Mais en adoptant cette norme gestionnaire, les élus donnent plus d'importance aux experts chargés de veiller à la bonne gestion donc ils se 49
G-L Rayssac,
Maires
de France,
septembre
50 Le Courrier des maires, septembre
216
1996.
1995, p. 20.
déchargent d'une partie de leur compétence au profit d'une catégorie de collaborateurs. Ceux qui incarnent cette position d'expertise représentent un pouvoir intellectuel concurrent à celui des élus pouvant se prévaloir d'une autorité intellectuelle. Favoriser la position d'expertise dans l'univers de la décision locale contribue à réduire la capacité d'influence des élus à qui est attribuée une autorité intellectuelle. De cela les élus médecins peuvent pâtir. Une dynamique de bureaucratisation Parallèlement à la décentralisation, une dynamique de bureaucratisation de l'action publique locale s'est développée au cours des vingt dernières années. Elle s'exprime par une multiplication des structures, des procédures et des temps de négociation. Le développement de l'intercommunalité en est un exemple. Partant du constat, déjà ancien, que les territoires communaux :trançais sont trop morcelés, les communes ont mis en place différentes formes de regroupement visant à mutualiser les moyens afm de réduire les coûts de l'action publique locale. Ces initiatives s'inscrivent dans un souci plus global de rationalisation de l'action publique. C'est ainsi qu'après les SNU et les SIVOM sont apparus les communautés de communes et les syndicats de pays. Ces dispositifs organisationnels sont venus s'ajouter à ceux qui régissent les relations entre les communes, les Conseils généraux et les Conseils régionaux et l'Etat. On pense, par exemple, au traitement des dossiers d'aide sociale par les communes ou à celui du RMI. Dans les grandes villes, on peut se référer aux différents programmes mis en place dans le cadre de la politique de la ville. Pour les élus municipaux, plus particulièrement ceux des petites communes, ceci se traduit par un alourdissement des tâches d'organisation qui rend de plus en plus délicate la compatibilité entre l'exercice d'un mandat de maire et une activité professionnelle. Il ne fait pas de doute que l'augmentation des retraités parmi les élus locaux est une des réponses apportées à cet accroissement des charges de travail. C'est un point particulièrement sensible pour les médecins exerçant un mandat de maire dans une petite commune car ils ne disposent pas d'une administration suffisamment étoffée pour les épauler dans leur mission à l'inverse de ce qui peut se produire dans une grande ville. Là se trouve, 217
sans doute une des explications de la diminution du nombre de maires appartenant à la profession médicale, précisément dans les municipalités les plus petites. Pour les médecins conseillers généraux, qui sont souvent élus municipaux, la charge de travail est également importante si l'on se réÎere à l'étude réalisée en 199151 puisqu'elle s'élève à 38 heures hebdomadaires. Dans ces conditions, il paraît difficile à un médecin de ne pas se trouver dans l'obligation d'avoir à effectuer un choix de carrière. Croissance organisationnelle et redéfinition de la compétence d'élu Comme nous l'avons déjà indiqué, les élus locaux ont constamment réaffirmé leur souci de gérer les budgets locaux avec rigueur. Mais en acceptant que ce critère constitue un élément d'appréciation de la décision publique, ils valorisent la position d'expertise qui lui est associée. TIs se placent alors en situation d'équivalence avec ceux qui ont à assumer les différents rôles liés à l'expertise. TIpeut s'agir d'experts recrutés sur le mode contractuel mais, le plus souvent, ce sont les fonctionnaires territoriaux qui assurent ces missions. Ce qui permet d'affirmer que «la montée en puissance de la gestion met en quelque sorte élus et fonctionnaires sur le même plan »52. Cette tendance s'inscrit dans un mouvement général de technicisation de l'administration locale qui est porteuse d'ambiguïtés sur la répartition des responsabilités entre élus et fonctionnaires territoriaux. En allant dans cette direction, on conforte l'idée d'une technicisation croissante de l'action publique que l'on rencontre également dans la mise en place d'une puissance organisationnelle. Pour développer le système des relations entre collectivités territoriales, mettre en place des projets, établir des procédures d'action conjointe avec les partenaires privés impliqués dans des actions publiques, il faut des acteurs spécialisés dans ces techniques d'administration. Or le seuil d'intervention de ces spécialistes dans l'élaboration de la décision publique est assez imprécis. On a pu ainsi souligner, à propos des Conseils généraux, « le fait que les nouveaux fonctionnaires des services départementaux soient très présents 51
52
A. Percheron, B. Roy, Etude auprès des conseillers généraux, FNSP, op. cil., p. 42.
S. Trosa, «Les relations élus fonctionnaires locaux, n02l, 3e trimestre, 1989, p. 98.
218
et la représentation
locale )), Pouvoirs
dans les instances de décision du Conseil général (bureau, commissions du CG) et qu'ils jouent un rôle très importants dans la préparation des rapports des Présidents des Conseils généraux, illustre toute l'importance de ces nouvelles structures et le pouvoir d'expertise de ces cadres »53. Mais la remarque pourrait également s'appliquer aux cadres territoriaux accompagnant les maires des grandes villes dans leur action ou ceux participant à un exécutif régional. Le point est encore plus sensible lorsque les élus pratiquent le cumul des mandats. Dans ce cas, s'ils ne peuvent assumer la totalité de la compétence découlant des positions électives qu'ils occupent, ils sont contraints de se reposer sur leurs experts pour connaître les dossiers, faire des propositions, et préparer la décision politique. Sans que l'on puisse savoir très précisément quelle est la part prise par l'élu dans la conception de la décision publique. De ce fait, il nous semble que si «les frontières entre le pôle politique et le pôle administratif sont devenues floues, la délimitation des rôles et des responsabilités plus fluctuante »5\ effectivement, «la question du partage des responsabilités entre le politique et l'organisation se trouve posée »55. Toutefois, la question a au moins deux volets. D'un côté, elle concerne la perception que les électeurs peuvent avoir de leurs élus dans ce contexte décisionnel. D'un autre point de vue, elle conduit à envisager les relations entre les élus locaux et les fonctionnaires territoriaux. Dans leurs relations avec les électeurs, les élus sont contraints par une logique d'imputation qui confond dans un même mouvement l'autorité de la décision publique et son auctorialité56. L'élu est supposé être à l'origine de la décision auquel son mandat électif confere l'autorité. Or, s'il existe une imprécision croissante dans la répartition des responsabilités entre l'administratif et le politique, c'est bien la question de l'auctorialité des élus sur la décision publique qui est remise en question. Dans le champ municipal, les fonctionnaires peuvent ainsi apparaître comme les 53
J-M. Nicolas, «Vers une nouvelle gestion publique? Le cas des administrations
départementales », Les cahiers du CNFPT, n028, p. 124. 54D. Lamarzelle, «Cadres et élus: la zone grise du management territorial », Pouvoirs locaux, n037, p. 68. 55D. Lorrain,« Les nouveaux paradigmes de l'action publique et la fonction publique territoriale », Les cahiers du CNFPT, n035, p. 25. 56 G. Leclerc, «l'autorité énonciative entendue comme crédibilité de l'auteur, l'auctorialité entendue comme nom de l'auteur », Histoire de l'autorité, Paris, PUF, Sociologie d'aujourd'hui, 1996, p. Il. 219
« coauteurs des politiques municipales »57alors que « le problème de celui qui met en œuvre une politique municipale est de pouvoir en tirer le bénéfice, d'être reconnu comme son initiateur »58. À moment donné, chacun peut s'interroger sur le fait de savoir quels sont les véritables auteurs des décisions publiques dans un univers où les compétences des acteurs sont étroitement imbriquées. n est vrai que le cumul des mandats a pour effet de monopoliser l'activité des élus autour de pratiques permettant leur réélection, abandonnant aux acteurs de l'expertise une part de conception et de mise en œuvre de l'action publique. C'est peut-être en raison de cette complémentarité concurrente que s'est installé chez les fonctionnaires territoriaux comme chez les élus, le registre de la professionnalité. Certes, ce registre n'est pas une spécificité du cadre d'expérience politique. n représente un instrument de construction intersubjective d'estime sociale par lequel les groupes sociaux «parviennent à présenter publiquement leurs qualités et leurs capacités propres comme particulièrement précieuses pour la collectivité» et «s'efforcent sur le plan symbolique de valoriser les capacités liées à leur mode de vie particulier et de démontrer leur importance pour les fins communes »59.Un modèle de reconnaissance des individus, basé sur des qualifications de compétence et non sur des attributs d'état, s'est imposé dans tous les secteurs de la société, du monde du sport à celui de la politique. On voit l'application de ce principe lorsque la référence à la professionnalité permet d'éluder la distinction entre le secteur privé et le secteur public. C'est un registre qui peut donner lieu à des usages sociaux relativement variés: système de repérage des activités de travail; discours de justification fondant une demande de reconnaissance d'un individu ou d'un groupe social; discours de distanciation reposant sur la distinction entre le professionnel et le profane. Sans doute, T. Parsons anticipe-t-illes potentialités de ce registre lorsqu'il indique que« l'émergence massive du phénomène professionnel dépasse en signification, du point de vue des transformations structurelles de la société du vingtième siècle, celles de la spécificité des modes d'organisation de type capitaliste ou socialiste »60. 57
S. Trosa, op. cit., p. 102.
58S. Trosa, Op. cU., p. 100. 59A. Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Paris, Cerf, collection Passages, 2000, p.154. 60T. Parsons, Encyclopedia of the social sciences, 1968, p. 565. 220
Entre les partenaires de la décision publique que sont les élus locaux et les fonctionnaires territoriaux, le registre de la professionnalité intervient dans une construction dialogique permettant à chaque groupe d'affIrmer qu'il a de l'identité. Cependant, ce n'est pas dans la même intention. Pour les fonctionnaires territoriaux, il constitue une façon d'imposer leur présence dans l'univers décisionnel des institutions politiques locales. Ce qui peut paraître relativement fondé puisqu'il s'agit d'un corps de création récente. Mais, en imposant leur modèle de compétence, ils obligent aussi les élus à se positionner par rapport à la densification organisationnelle du système politique et administratif local. Pour ces derniers, le registre de la professionnalité est utilisé pour justifier le fait que les élus se consacrent exclusivement à leurs mandats avec notamment l'obtention d'un statut de l'élu. Dans cette perspective, le cumul des mandats est naturellement accepté puisqu'il semble diffIcile de vivre de la politique avec un seul mandat. Pour les médecins élus locaux, cette évolution a plusieurs conséquences. En premier lieu, la densification des tâches imparties aux élus rend de plus en plus diffIcile la compatibilité matérielle avec l'exercice de leur profession. Ils se trouvent dans la situation d'avoir à choisir entre les deux activités, ce qui n'est pas toujours évident au regard des aléas de la vie politique. À l'inverse de ce que nous pouvions constater dans les années 60170, il est aujourd'hui très rare de rencontrer un médecin cumulant deux mandats locaux tout en exerçant son activité professionnelle à temps plein. En second lieu, l'accent mis sur la spécificité de la compétence d'élu uniformise les conditions de reconnaissance des élus en gommant les propriétés sociales qu'ils peuvent porter à travers leur appartenance professionnelle. De sorte que si l'on compte un peu moins de médecins parmi les élus locaux, c'est peut-être parce que le cadre d'expérience politique demande à chacun d'eux d'être un peu plus élu parmi des élus.
L'exercice des mandats locaux représente pour les médecins une forme d'achèvement de leur présence politique. Il apporte à cette présence une certitude de légitimité, là, où la présence électorale ne consacrait que de la reconnaissance. De ce fait, la participation d'un médecin à l'action 221
d'une collectivité locale donne une plus grande consistance à sa présence politique. Nous avons montré que l'on pouvait envisager l'engagement des médecins dans l'action des institutions politique locales à partir de deux lectures. Dans la première, nous avons poursuivi dans l'intention particulariste qui est un des points de départ de notre recherche pour montrer en quoi cet engagement peut être singulier. On peut observer qu'ils se retrouvent souvent, en particulier lors d'un premier mandat, dans le secteur des affaires sociales ou des questions sanitaires. Mais cela est rendu possible par le fait que les institutions locales sont capables de produire différents cadres permettant d'accueillir cette continuité. Suivant la taille des communes, les médecins se trouvent responsables des affaires sociales ou de la santé à proprement parler. Dans les Conseils généraux, c'est le secteur de la solidarité qui prévaut aujourd'hui. Il s'agit d'une continuité en relation avec la position traditionnelle de cette profession dans le système de protection sociale. Sur le terrain local, elle se justifie par la compétence des médecins dans ce domaine. Cependant, les modalités de cet engagement varient en fonction des époques et des territoires d'exercice de l'action publique locale. Les marges d'action des médecins élus locaux ne sont plus exactement les mêmes parce que les conditions imposées aux élus ont changé. Dans la seconde lecture, nous avons considéré la population des médecins élus locaux dans la diversité de ses positions électives. Sur ce point, il n'y a pas de singularité de la profession médicale. Elle est présente dans les institutions politiques locales à travers toutes les possibilités offertes par ces dernières. Sa permanence découle en partie de la réussite des médecins dans l'exercice des mandats locaux. Celle-ci ne résulte pas uniquement du fait qu'ils sont médecins. Ils s'imposent dans le monde des élus locaux à différentes époques parce qu'ils assimilent les propriétés du cadre d'expérience de leurs positions électives. Cependant, les changements qui traversent la vie des institutions politiques locales depuis un quart de siècle modifient les conditions dans lesquelles les médecins peuvent s'engager dans l'action publique locale. Il leur est plus difficile de concilier l'exercice de leur métier et leurs mandats électifs. Ils se retrouvent, comme tous les élus, dans l'obligation de s'investir à temps plein dans leurs activités d'élu. Sans doute est-ce un autre facteur explicatif de la diminution de médecins élus locaux en Aquitaine. 222
CONCLUSION
Au moment de conclure cette étude sur la présence politique locale des médecins, nous pouvons tirer un certain nombre d'enseignements. En nous intéressant, en premier lieu, à la présence de la profession médicale parmi les élus locaux d'Aquitaine, nous avons déterminé quelles peuvent être ses proportions et leurs variations au cours des quarante premières années de la Cinquième république. L'élément d'information le plus marquant est, sans aucun doute, la diminution de la surreprésentation de cette profession parmi les élus municipaux et les conseillers généraux. Le constat est identique pour les médecins et les élections régionales même s'il est effectué sur une période plus récente. Si l'on compare les données agrégées au niveau régional avec ce que l'on peut savoir au niveau national, la tendance se montre plus tardive en Aquitaine que sur l'ensemble du territoire national. Elle n'est vérifiable qu'après 1989. La mesure de la surreprésentation a été réalisée à partir de deux indicateurs. Le premier permet de comparer le pourcentage de médecins dans différentes populations avec celui des catégories les plus représentées dans ces populations: candidats, élus, conseillers municipaux, maires, conseillers généraux, conseillers régionaux. Le second, appelé multiplicateur de surreprésentation, correspond à la valeur par laquelle il faut multiplier le pourcentage de densité professionnelle pour retrouver le pourcentage d'élus. À l'évidence, la multiplication de la densité professionnelle par un facteur un peu supérieur à 3 altère nettement la valeur de ce multiplicateur à la fm de la période. Toutefois, nous pensons qu'il ne faut pas donner à ce multiplicateur le statut qu'il n'a pas. En em~t, reconnaître que la proportion de médecins dans la population des élus locaux d'Aquitaine est supérieure à ce qu'elle est dans la société ne signifie pas que les médecins sont trop représentés. En raisonnant ainsi, on présuppose que la représentation politique doit reproduire mécaniquement la composition de la société. Ce serait traiter avec un peu de légèreté la complexité des processus de sélection démocratique qui font la spécificité et la force d'une démocratie pluraliste.
De plus, il s'agit davantage d'une variable arithmétique que sociologique. Sa valeur est incitative plus que démonstrative. Elle nous invite à nous interroger sur la reconnaissance visant cette profession et, sur les effets éventuels de cette reconnaissance sur l'éligibilité locale des médecins. Mais, en établissant un lien entre reconnaissance de la profession médicale et éligibilité des médecins, on réintroduit dans les espaces locaux de reconnaissance et de légitimation une variable qui ne leur appartient pas en propre. Car on attribue aux médecins une part de la considération honorifique qui est portée au corps médical en raison du rapport que celui-ci entretient avec la société française. On insère dans le local un élément d'appréciation présent dans l'ensemble de la société. Ceci nous conduit à formuler deux constatations supplémentaires. D'une part, il faut voir que derrière le découpage des territoires électoraux, il existe des espaces de reconnaissance et de légitimation qui, tout en s'activant plus clairement à l'occasion des élections locales, mobilisent des représentations, des croyances, des valeurs dont la portée ne peut être circonscrite aux limites de ces territoires. C'est aussi ce que l'on remarque lorsqu'on entend s'appuyer sur la dichotomie rural/urbain pour appréhender les changements qui interviennent dans la composition des espaces de reconnaissance et de légitimation en œuvre dans les élections locales. Nous avons, en Aquitaine, un grand nombre de territoires qui présentent une structure topographique de type rural tout en relevant de la catégorie urbaine pour ce qui est du mode de peuplement. Or cette recomposition sociale des espaces locaux est porteuse de changements de valeurs et de représentations. Parfois le couple rural/urbain nous paraît insuffisant. Par exemple, dans quelle catégorie peut-on ranger l'influence des médias sur la formation du sentiment de compétence politique? Le point est important puisqu'il est lié au degré de personnalisation ou de dépersonnalisation de l'influence politique. La question touche particulièrement les médecins car, dans une société à dominante rurale, la valeur de l'interconnaissance favorise le passage de l'influence politique par la relation personnelle. D'autre part, cela nous a permis de montrer que l'appartenance à la profession médicale agit différemment sur l'éligibilité locale des médecins. En premier lieu, elle permet à chaque praticien de bénéficier de la position sociale qu'occupe sa profession dans la société française. Nous avons 224
montré que cette position sociale s'est construite sur une durée d'un peu plus d'un siècle et qu'elle ne résulte pas uniquement de l'action des médecins. Peut-être vaut-il mieux se référer à la notion de processus de civilisation chère à Norbert Elias. Ainsi, il y a des moments dans I'histoire où la perspective proposée par certains médecins a été jugée recevable par l'univers politique tout en étant reconnue par la société. On a relevé les exemples des hygiénistes du 1ge siècle et des humanitaires à la fin du 20e. Nous avons signalé que le développement de l'institution médicale est étroitement associée à l'essor démocratique parce qu'en se proposant de protéger la santé, elle s'inscrit dans le registre de reconnaissance de l'individu. Le processus de développement économique et social a permis une extension de cette institution en assurant au plus grand nombre une meilleure protection contre la maladie, au point de faire de la santé une nécessité ordinaire. La position sociale de la profession médicale résulte donc des processus de construction sociale qui se sont instaurés au fil du temps sur le registre de la protection de la vie. De ce fait, l'institution médicale ne fait pas que produire du soin. Elle participe à la production du sens en proposant un registre de légitimation qui se distingue par son caractère immanent, c'est-à-dire qu'il s'impose de lui-même et peut servir de base à la construction d'autres registres de légitimation. Dans ces conditions, il nous semble que le prestige attribué à la profession médicale concentre sur ce groupe professionnel une considération honorifique qui contribue à passer sous silence des évolutions sociales et politiques sur lesquelles les médecins n'ont pas d'auctorialité. Mais le sens originaire du mot prestige ne se rattache-t-il pas à l'illusion? En second lieu, l'exercice du métier de médecin permet à celui qui l'exerce d'affirmer sa présence sociale dans la vie locale en ouvrant un espace de reconnaissance centré sur sa personne. Ainsi est-il possible d'éclairer les éléments qui font la spécificité de la médecine généraliste. Ceux qui l'exercent ont la possibilité de se construire une éligibilité directe dans la mesure où leurs patients sont aussi leurs électeurs. La forte surreprésentation constatée en début de période résulte, selon nous, du plus grand nombre de configurations locales dans lesquelles la présence sociale du généraliste s'accordait avec les valeurs de la société locale au point de les incarner. La diminution qui caractérise les quinze dernières années découle, pour une part, de la réduction du nombre de configurations locales de ce type. 225
Nous avons eu confIrmation de cette analyse en élargissant notre perspective de recherche aux éléments composant la présence électorale des médecins. TIy a une première période où une convergence de facteurs sociaux et politiques favorise l'individualisation des présences électorales. Les médecins, en particulier les médecins généralistes, en sont les premiers bénéfIciaires. Mais la bipolarisation de la vie politique, les changements de mode de scrutin, la succession des alternances à l'échelon national encouragent une pénétration de plus en plus affirmée du critère partisan dans la présence électorale. De ce fait, les contextes où l'individualisation jouait pleinement deviennent moins nombreux, et les critères de reconnaissance de l'individualité ont changé. On mobilise davantage des attributs de compétence explicitement défInis, là où, on privilégiait des attributs d'état permettant de résumer la présence sociale d'un individu à son statut professionnel. C'est de cette évolution que la présence électorale des médecins pâtit le plus. Car, ils sont relativement bien présents dans l'univers partisan même s'ils n'en supportent pas toujours les contraintes. On peut illustrer notre affirmation en évoquant le retour de la profession médicale à l'Assemblée nationale sous la Cinquième république, en particulier grâce à l'ascension du mouvement gaulliste. Quoique moins importante, on perçoit une tendance analogue dans la mouvance de centre gauche au cours des années 80. Même s'il est difficile d'envisager une stratégie collective de la profession médicale pour être présente dans l'univers partisan, il faut lui reconnaître un sens aigu de l'opportunité politique. Pour autant, il ne nous semble pas que l'appartenance professionnelle soit un facteur déterminant dans l'affiliation partisane des médecins. Certes, on remarque qu'ils sont majoritairement situés sur la droite de l'échiquier partisan comme la grande majorité des professions libérales. Mais l'univers de sens qui permet d'organiser les différentes conceptions des membres de la profession médicale est assez syncrétique pour nourrir des registres de légitimation concurrents. L'axe central autour duquel s'articulent ces différents registres est une valorisation de l'individualité. D'un côté, cela peut aboutir à défendre la responsabilité individuelle, avec notamment une référence à l'éthique médicale, pour privilégier une conception de la société à tonalité libérale. Mais la même référence à l'individu peut générer un registre privilégiant une tonalité humaniste, un peu plus attentive à la prise en charge des difficultés sociales. De ce point de vue, 226
on ne peut pas vraiment dire que l'appartenance à la profession médicale structure l'engagement partisan des médecins. Il ne faut pas oublier que d'autres facteurs entrent en ligne de compte. Derrière chaque médecin, il y a une histoire familiale, une genèse sociale, un itinéraire de vie personnel. Le choix de la profession de médecin, celui du mode d'exercice, réfléchissent des conceptions qui préexistent à l'engagement partisan. De fait, la personnalité du médecin est un autre élément important de sa présence électorale. Ses qualités personnelles lui permettent de comprendre la complexité des contextes électoraux, de s'y adapter et de trouver la formule politique adéquate. La présence électorale des médecins est constituée d'un ensemble d'éléments parmi lesquels, certains vont avoir plus ou moins d'influence selon les contextes politiques et sociaux. Les médecins n'échappent pas aux facteurs de socialisation politique applicables aux autres acteurs politiques. Néanmoins la présence politique des médecins serait incomplète si elle n'intégrait pas l'exercice des mandats publics. Nous avons montré que la profession médicale illustre sa permanence par l'occupation d'une grande diversité de positions électives dans l'agir public local. On s'est intéressé en particulier aux positions municipales et cantonales tout en sachant qu'elles peuvent être intégrées dans des trajectoires de cumul. Elles sont aussi génératrices de positions au sein des institutions politiques locales, mettant en jeu des processus de reconnaissance internes et se trouvant dotées de perspectives sur l'action publique locale sensiblement différentes dans leur contenu. De plus, le cadre d'expérience de ces positions a profondément évolué au cours des vingt dernières années. La réforme de la décentralisation, le développement de l'intercommunalité, les nouvelles relations entre l'Etat et les collectivités locales ont modifié les conditions d'exercice des mandats locaux et, de fait, la compétence attendue des élus. C'est cela que nous avons pu mesurer en étudiant l'engagement des médecins dans l'action des institutions politiques locales. Ainsi, dans une première lecture, nous avons montré que les médecins peuvent s'engager dans l'action publique locale dans le sens d'une continuité avec leur activité professionnelle. Cela est rendu possible par la convergence de plusieurs phénomènes.
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Les communes comme les départements offrent des dispositifs institutionnels ou des contextes d'action dans lesquels les médecins peuvent faire prévaloir leur légitimité à gérer les questions sanitaires et sociales. TIs'agit là d'un effet de la position sociale du corps médical que nous avons présentée dans le chapitre 2. Même si des médecins sont parfois à l'origine de certains de ces dispositifs, il est difficile de soutenir que la profession médicale, en tant que telle, a eu une influence déterminante sur ce point. La décision de placer la santé au cœur de l'action municipale, par exemple, est le plus souvent d'ordre politique et parfois en opposition avec les intérêts de la profession médicale. Plus significative nous paraît la capacité des médecins à se positionner favorablement dans le traitement des questions sociales. Les langages de médecine permettent de créer une articulation entre les deux secteurs, et les médecins se trouvent dans le jeu de fonctionnement de cette articulation. TIs ont alors la possibilité d'intervenir sur des questions concernant la santé à proprement parler, et parfois sur des enjeux de nature sociale ou médico-sociale. Mais ce qui apparaît le plus remarquable dans les contextes les plus récents, c'est de mesurer combien les langages de l'institution médicale peuvent devenir des vecteurs de construction sociale et politique. Le langage de la médicalisation n'est pas uniquement porté par les médecins, il peut être utilisé par les intervenants sociaux, les associations. Le langage de la pathologie peut servir à souligner des situations sociales devenant par-là même problématiques pour les rendre acceptables dans l'univers politique. Certes, cela n'est pas nouveau comme l'ont bien montré des recherches récentes sur le courant hygiéniste. Mais, nous pouvons rencontrer dans l'agir public local des dispositifs institutionnels ou des contextes d'action où s'expriment autant l'engagement des médecins que les virtualités de l'institution médicale. Pourtant, la mise en évidence de cette modalité d'engagement des médecins ne doit pas faire illusion. S'il est bien vrai que ce domaine est souvent dominé par des médecins au niveau municipal comme départemental, beaucoup de médecins participent à d'autres secteurs. De même, ils peuvent se retrouver dans des positions institutionnelles qui relèvent de processus politiques propres à la vie des institutions locales. Cela pour nous rappeler qu'en accédant à des mandats locaux, les médecins deviennent des élus à part entière. TIsdoivent alors adopter les règles propres au cadre d'expérience auquel ils accèdent et réussir dans les 228
différents contextes d'action où ils se trouvent impliqués. Leur succès dans cet univers dépend de leur capacité à se positionner dans les circuits de pouvoir avant la décentralisation comme après. On remarque, par exemple, qu'après la décentralisation la détention des positions de pouvoir au sein des départements est principalement liée à l'appartenance à la majorité départementale. C'est précisément parce qu'ils se trouvent obligés d'investir les différents rôles associés aux positions d'élus qu'ils deviennent plus sensibles aux évolutions du cadre d'expérience politique local. Ainsi la complexification croissante des missions imparties aux élus rend de plus en plus problématique la compatibilité entre la profession de médecin et l'exercice d'un mandat de maire, voire d'un cumul de deux mandats locaux. Cela oblige souvent les médecins à cesser partiellement leur activité pour s'inscrire dans une logique de professionnalisation politique à moins que leur âge ne leur permette de s'y consacrer à plein temps. Alors que dans la première partie de la Cinquième république, il y avait une compatibilité entre les deux domaines, aujourd'hui, les médecins doivent souvent opter pour l'un ou pour l'autre. Sans doute, la diminution de la proportion de médecins élus locaux trouve-t-elle là une explication supplémentaire. À la suite des différents éléments de conclusion qui viennent d'être présentés, il convient d'apporter quelques précisions sur l'option particulariste qui a structuré notre objet de recherche et sur la notion de présence politique qui lui a permis de se développer. Nous avons choisi d'étudier la présence politique d'une catégorie particulière d'élus locaux, ceux appartenant à la profession médicale, en essayant de voir si notre choix permettait de trouver dans la réalité sociopolitique observée des éléments permettant de singulariser cette présence politique. Certes, il existe des facteurs communs à l'ensemble des médecins qui interviennent soit dans leur éligibilité, soit dans leur implication au sein des institutions politiques locales. Toutefois, nous ne pensons pas que la présence politique de chacun des médecins puisse se réduire à cette appartenance. C'est précisément la notion de présence politique qui nous permet de comprendre cela. La présence politique se compose de différents constituants à la fois individuels et supraindividuels comme nous avons pu le vérifier avec les médecins. Si l'option particulariste a le mérite de souligner certains éléments de 229
singularité d'une population d'élus, elle ne pennet pas de rendre compte de la présence politique de ces élus. La présence politique des médecins n'est pas qu'une présence politique de médecin. Une étude particulariste a une fécondité introductive sans détenir pour autant une portée conclusive.
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«Savoir savant et gestion locale », Politix n028,
Touati (Monique), «Longtemps je me suis rebellée contre le docteur », Autrement, n0161, février 1996, p. 102-105. Trosa (Sylvie), «Les relations élus fonctionnaires et la représentation locale », Pouvoirs locaux n021, 1989, p. 98-104. Verdès-Leroux (Jeanine),« Etudes sur les maires des communes de plus de 2000 habitants », RFSP, XX(5), octobre 1970, p. 974-990. Vallet (Odon),« Ecouter, ausculter », Mots, septembre 1994. Valarié (Pierre), « Vers une gestion négociée de l'action sociale: du néocorporatisme associatif au social contractuel », Pôle Sud n04, mai 1996, p. 77-91. Warin (philippe), «Réguler n'est pas diriger: la politique de la ville sans conduite locale? », Montpellier, Pôle Sud n04, mai 1996, p. 33-43. Weisz (Georges), «Les transformations de l'élite médicale en France », A.R.S.S, n074, septembre 88, p. 33-47.
Presse. Nous avons utilisé la presse locale pour compléter notre étude des résultats électoraux et des argumentaires de campagne. À titre principal, le journal Sud Ouest dans ses différentes éditions locales. Parfois une presse plus localisée comme La Dordogne libre, L'Eclair des Pyrénées, le Résistant, le Petit Bleu. Le magazine littéraire n0207, mai 1984. Presse spécialisée dans les collectivités locales. 257
Communes: n0347 avril 1996. Courrier du maire: 23/09/1994 ; 22/09/1995 ; 20/12/1996 ; 31/05/1996. Le courrier des maires: septembre - octobre 1995 ; n056 avril 1996. L'élu local: n0180 de mars 1989. Maires de France: n° hors série de juin 1995 ; septembre 1995 ; octobre 1995 ; décembre 1996 ; octobre 1998 ; juillet - août 1999 ; juin 2000. Départements et communes: juillet-août 1991, octobre 1994, Sur les médecins: Statistiques professionnelles: D. Sicart, DREES, Séries statistiques n° 22, juillet 2001, Les médecins, estimations de 1984 à 2000. Ordre nationale des médecins, La démographie médicale (1980-1990). Pour la période antérieure à 1980 : Documents sur les personnels sanitaires et sociaux du Ministère des Affaires sociales. Impact Médecin Hebdo n0161 (25/09/1992) ; n0211 (5/11/1993) ; n0258 (25/11/1994) ; n0276 (14/04/1995) ; Impact Médecin quotidien: n0283 (30/09/1992) ; n0372 (23/05/1993) ; n0373 (24/03/1993); n0376 (30/03/1993); n0377 (31/03/1993); n0379 (5/04/1993) ; n0386 (19/04/1993) ; n0549 (6/04/1994) ; n0753 (13 :06/1995) ; Le quotidien du médecin n04452 du 25/01/1990; n04581 du 6 /09/1990 ; Sur les médecins au Parlement, voir les numéros des 5 et 12 octobre 1995 du Nouvel Observateur. Sur la question de la sécurité en milieu hospitalier qui est à l'origine du livre blanc publié par l'Association des Petites villes de France, il est possible de consulter plusieurs numéros de Science et avenir: octobre 1997 ; septembre et octobre 1998 ; mai et octobre 2000
Collection, Les quatre pages INSEE Aquitaine n090, novembre 2000, Dynamiques démographiques, Cantons d'Aquitaine, 1962-1999 n099, novembre 2001, Les catégories socioprofessionnelles en Aquitaine. 258
N°147, octobre 2005,« Trente ans de développement urbain ». Recensement général de la population: 1962, 1975, 1982, 1990, 1999.
259
TABLE DES MATIÈRES
SOMMAIRE
9
INTRODUCTION
Il
CHAPITRE 1 La profession médicale dans les
élection s locales
~ 1 Territoires
......
électoraux et profession médicale
21 23
1.1 Les territoires d'élections entre tlxité topologique et espaces de reconn aissan ce 23 - Les aléas d'une quantification des territoires , 24 1.2 Des changements démographiques socia ux - Une Aquitaine à dominante rurale - L'Aquitaine recomposée
à la mixité des mondes
1.3 La profession médicale en Aquitaine - Une profession bien implantée -Une distribution spatiale déséquilibrée
...26 27 30 32 33 34
~ 2 Une surreprésentation permanente mais év0lu tive
36
2.1 Mesure de la surreprésentation au niveau régional 37 - Surreprésentationdiscrète mais diminution récente chez les élus municipaux
38
- Surreprésentation plus marquée mais déclinante chez les maires - Comparaison entre les données nationales et régionales - Surreprésentation et déclin plus nets chez les conseillers
.4 .4
généraux 45 - Une surreprésentation toujours plus marquée en Aquitaine qu'en France malgré une régression comparable .4 - Une réussite électorale variable 51 2.2 Comparaison entre les différents départements - Les médecins, conseillers municipaux et maires des cinq départements... ... - Une surreprésentation différenciée chez les conseillers généraux - Valeurs du multiplicateur et des densités professionnelles départementales - L'influence rurale encore présente dans 3 départements sur 5
54 ..55 57 .60 62
2.3 Les élections régionales
64
~ 3 Une population
65
hétérogène
3.1 Diminution de la surreprésentation cro issan te
et urbanisation 66
3.2 Des médecins davantage exposés aux variables partisanes
67
3.3 Recomposition professionnelle et mandats locaux
68
CHAPITRE 2 Appartenance
professionnelle
et
éligibilité des médecins
71
~ 1 Eligibilité
et surreprésentation
73
1.1 Incarner une institution exceptionnelle - Le monopole de représentation de l'institution médicale
73 75
262
- Un contexte historique réceptif à la perspective
hygiéniste
78 80 82 82 83 85 86
-Consolidation de la profession médicale et de sa position - Légitimité de l'institution et institution légitimante - La légitimité de l'institution médicale - Un registre de légitimation: la protection de la vie - Les langages de médecine et le sens commun
- Langages de médecine
de la société et du politique
1.2 Des rôles au service d'une présence sociale - Entre éligibilité directe et indirecte: les médecins généralistes - Une immersion prolongée et régulière dans la société locale - L'éligibilité indirecte des médecins spécialistes et des professeurs .médecine - Présence sociale des médecins et société locale
93 93 95 de 97 98
~ 2 Déclin
101
électoral et reconnaissance
2.1 Une surreprésentation altérée - Maires et conseillers municipaux - Conseillers généraux... - Conseillers régionaux.. 2.2 L'éligibilité érodée de la profession médicale - Une faculté d'incarnation diminuée - Une perspective médicale sous contraintes - La considération paradoxale portée à l'institution médicale - Une déperdition de reconnaissance pour la médecine généraliste - Un sentiment de dévalorisation - La reconstruction plutôt réussie d'une position - Conditions d'exercice professionnel et milieu social
~3 Les
raisons d'une permanence
3.1 La richesse des positionnements parallèles au rôle th éra pe utiq ue - L'investissement dans le secteur sanitaire et social
101 102 103 104 104 105 106 108 ..110 1l0 111 113 115 116 117
263
- L'effet structurant du rôle professionnel sur la compétence individuelle des médecins . .. . .. . .. . .. . . .. . .. .. . .. ..119
3.2 Une permanence fragilisée par une compatibilité pratique de plus en plus incertaine ...122
CHAPITRE 3 La présence électorale des
IDéd ecins
~ 1 Les
127
médecins et l'individualisation
électorale
129
1.1 De la présence sociale dans la conjoncture électorale - Activité professionnelle et présence électorale - Etre présent par un registre de légitimation
129 130 132
1.2 Un contexte politique et social favorable à l' in divid ualisati 0n - Société locale et reconnaissance des individus - L'incidence des modes de scrutin - Une vie politique locale propice à l'individualisation - Une politisation ambiguë - L'apolitisme local au service des individus
136 137 138 139 140 141
1.3 Une société locale en mutation - Changements dans la vie politique locale - Urbanisation, modernité et changement de valeurs
143 143 145
~2 Profession
148
médicale et espace partisan
2.1 Les médecins dans les partis politiques 150 - Une profession majoritairement à droite 152 - S'inscrire dans les traditions politiques locales: les médecins UDF, CNIP et divers droite .152 - Les médecins du gaullisme local.. 156
264
- Les médecins
du courant PS/MRG (PRG)
160
2.2 Les médecins et l'univers partisan - Médecins et partis politiques: l'utilité réciproque - Un support doctrinal commun
163 163 168
~3 L'individu
171
et le contexte
3.1 Assimiler les éléments structurant la vie politique locale - Différentes façons d'activer l'histoire locale - Occuper l'espace de leadership local
171 171 173
3.2 Maîtriser les éléments conjoncturels - L'hôpital, enjeu électoral - Incarner un régime d'alliances
174 174 175
CHAPITRE 4 Les médecins et l'action publique locale
~ 1 Un engagement
179 dans la continuité
1.1 Le cadre communal - Les petites communes - Les villes - L'interventionnisme municipal en matière sanitaire - Des bureaux municipaux d'hygiène aux services communaux d'hygiène et de santé - Les centres municipaux de santé - Des villes animatrices d'une réactivation de la perspective sanitaire - L'homogénéité prescriptive et pragmatique de la perspective santé.. ... - Une reformulation des conditions d'engagement des élus - Une perspective qui modifie la position des médecins - Une approche sanitaire principalement destinée aux exclus
181 182 .182 184 185 .186 188 .190 .191 192 194 195 265
1.2 Le cadre départemental et la perspective sanitaire et sociale avant la décentralisation - Après la décentralisation - Les affaires sanitaires et sociales: l'enjeu budgétaire le plus important - Un secteur de l'action publique dense et complexe - La compétence spécifique des médecins
196
- Les médecins
~2 Assumer
une compétence d'élu
2.1 Les médecins et l'apprentissage
.197 198 .198 201 202 204
des positions électives
205
2.2 Une configuration plus favorable à la complémentarité compatibilité des compéten ces
et à la 209
2.3 Un contexte nouveau fragilisant la compatibilité des compéten ces .212 - Une empreinte partisane plus sensible dans la vie des collectivités locales ..213 - Une densification de l'agir public local 214 - Des registres de qualification de la compétence d'élu 216 - Une dynamique de bureaucratisation 217 - Croissance organisationnelle et redéfinition de la compétence d'élu .218
CONCLUSION
223
BIBLI OG RAPHIE
231
266
Reconnaissance La réalisation de cet ouvrage fUt une belle aventure. Le moment est venu de témoigner ma reconnaissance à celles et ceux qui ont bien voulu m'accompagner. M Claude Sorbets, qui, après avoir dirigé ma thèse, a relu les différentes épreuves en m'apportant critiques, suggestions et encouragements. MM Pierre Sadran, Jean-Daniel Chaussier, Eric Kerrouche et Pierre Valarié, les membres de mon jury de thèse. Leurs questions, leurs analyses ont inspiré la réflexion constitutive du présent ouvrage. Tous les médecins qui ont bien voulu m'accorder leur temps. Les personnes qui m'ont facilité la tâche pour la collecte des données notamment à l'Assemblée Nationale, dans les préfectures, et aux archives départementales. Geneviève et Sylvie pour leurs relectures patientes et leur aide dans la mise enforme finale. Claire, enfin, pour avoir apporté l'estocade graphique à lafinalisation de ce travail.
L.HARMATTAN.ITALIA Via Degli Artisti 15; 10124 Torino L'HARMATTAN HONGRIE Konyvesbolt; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L 'HARMATTAN BURKINA FASO Rue 15.167 Route du PÔ Patte d'oie 12 BP 226 Ouagadougou 12 (00226) 76 59 79 86 ESPACE L'HARMATTAN KINSHASA Faculté des Sciences Sociales, Politiques et Administratives BP243, KIN XI ; Université de Kinshasa L'HARMATTAN GUINÉE Almamya Rue KA 028 En face du restaurant le cèdre OKB agency BP 3470 Conakry (00224) 60 20 85 08
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