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que/tion/fémìni/te/ N° 4
Nov. 78
Malina Poquez
La ruptureépistémologiquef...
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que/tion/fémìni/te/ N° 4
Nov. 78
Malina Poquez
La ruptureépistémologiquefondamentale 3
Heidi Hartmann Capitalisme,Patriarcatet ségrégationpro13 fessionnelledes sexes GisèleFournier Travail et exploitation des femmesdans 39 les super-marchés ColetteGuillaumin De la transparencedes femmes. Nous sommestoutesdes fillesde vitrières
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Marie-JoDavhernas La délinquancedes femmes
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Nouvelle: ... d'Espagne
85
Livres
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Collectifde rédaction: ColetteCapitánPeter,Christine Delphy,Emmanuele de Lesseps, Nicole-Claude Mathieu, Monique Plaza, Monique Wittig. Directricede publication: Simonede Beauvoir
: abonnements manuscrits, Correspondance, 75005 PARIS ÉditionsTIERCE, 1 ruedes Fossés-Saint-Jacques,
Photos Rosette Coryell (le mauvaisœil)
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MalinaPoquez
La rupture épistemologique fondamentale
Le récitqui suitcontel'aventure amoureusede deux individus qu 'onappelait à l'Ereintermédiaire des «femmes», paroppositionaux «hommes», puisquela «différencedes sexes» avait une importancepolitiquefondamentale: les hommes avaientété,dans leurgrandemajorité,combattuset écartésparcequ 'ilsrefusaient de perdreleursprivilèges. C'estdonc surlefondement et explicitede leur implicite «êtrefemme»que nos sœursse rencontraient amoureusement. Mais ellesse quessurla pertinence tionnaient de ce concept: dans la mesureoù ellesse refusaient à fairede l'«êtrefemme»une race,ellesdevaientfairedes recherches approfondies. Pourcontourner l'obstaclede la différence à «faire sexuelle,nos sœurscherchèrent Elles se demandaient parler»les corpsdans leursensualitédiffuse. : Qu 'est-cequi pousse une femmeversune autre,si l'on refusede direque c'est le faitd'êtrela «semblable»,la «même»,si l'on refusela notionmêmed '«homosexualité» ? Nos sœursbâtirent alorsun merveilleux mythe: s'appuyantsurle faitque ce que nous avonsde plus visible,c'est «notrenez au milieude la figure»,elless'ingénièrent à démontrer de nez qui faitnaîtrele désirde rapprochement que c'est la différence corporelchez deux individus.Elles écartèrentle termede «sexualité»qui leur paraissaittropconnoté.Arméesde ces hypothèseset de ces postulats,ellestentèrentd'instaurerune formed'amourqui ne soit ni dépendanceni aliénation. Elles écrivirent quantitéde textesoù ellesjouaientsanscomplexeà mettre en actes les mots.Lus à hautevoix,ces contesanimaientdes soiréesludiquesapLe texteque nousavonsretrouvéet éditéprend pelées «épistémo-constructions». - n° 4 - novembre Questions 1978 féministes
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comme thèmel'Amour; il se situe avant la découvertedu syndrome«Passion Textecharnière ne résistepas à l'homéopathie. fatale»dontla pathologiespécifique et qui a où nous pouvons voir se profilerLa GrandeFaille Epistémologique, le sont nos l'intérêtde montrer produitdirect prodigieux progrèstechniques que nos sœurs. desruptures opéréespar nouscontentant d'anNous avonsconservéle textedans sa versionintégrale, ou obscurs. noter(en italiques)lespassagesincompréhensibles
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nez à nez. L'un des nez se fronça,l'autredilatases naElles se trouvèrent rines: elles étaientdans un Café où une odeurchloréedominait1. Leurhistoire dans leur appareilsensoriel,d'un matérielolcommunedébutapar l'inscription, à l'éclosiondu Désir,commel'a déexacerbantes factifPH > 7 2 . Circonstances O. de Javeldansses Traités: La chlorosedes jeunesfilles montrédialectiquement et Influence des à l'Ere hoministe : l'incidencede la répression de l'homosexualité amoureuse.O. de Javelnote que cetteinfluence solutionschloréessur l'attirance mais qu'elle constitueaussiun reliquatsymboliquede s'expliquechimiquement, la l'histoirearchaïquedes femmes, pourcomparer fréquemment qui se réunissaient 3. blancheurde leurlinge.Appelépar les journauxde l'époque «l'examen-fenêtre» de concertleursmachinesà penser: l'instantde la «Cl, Cl» murmurèrent 4 . Passantde la fonctionà l'organe- car ellespensaientvite-, (reconnaissance L'instantdu regardfut elles eurentun regardpourle nez qui leurfaisaitvis-à-vis. nez moment de conclure : les n'étaient elles le pas pareils.Choc de la Difpour 5 du Déversement massifd'adré. Ebranlement férence systèmeneuro-végétatif. selonCD. à vue de nez, s'élevaità 0,5 cm.Ce qui constitue, naline.La différence, Il se montant l'attraction nasale. le de Rhinite, produiraitalors,selon optimum cetteauteur,une constriction nasaleréflexepouvantdonnerlieu à des démangeaiou à desspasmesincoercibles sons(pruritfulgurant) (orgasmenasal).
1. Il existait alors des lieux spéciaux pour aller boire et s'asseoir. On payait ce qu'on appelait la «consommation»et on donnait un «pourboire». Ces lieux infestésde verminesdiversesétaientde tempsà autre désinfestés (on disait «désinfectés»)à l'aide de chlore.Produit utilisé aussi dans des bombes lors des grandes manifestationsféministesqui réunirenttrois milliardsde femmes(1980). (Note des éditrices,ainsi que les suivantes). 2. Si le signeest faux, c'est bien sur une erreurd impression. 3. Nous avons retrouve,dans une bibliothèqueparisienne,des coupuresde journaux des années 1970 (Ere de prélude à la GrandeRupture) où l'on voitune photo intitulée«l'examenfenêtre»(B.N. arch. 3508). semble liée a une ecole psy4. Cettefaçon d'écrire,tresrépandue à l'Ere intermédiaire, chanalytique dite «le groupe du Là-Quand» («Lack-Han Group» dans sa versionanglaise). 5. Cette remarque repose sur la croyance,fermementdéfendue a lEre intermédiaire, que le désirqui pousse les femmesl'une versVautreest lié à leurhétérogénéiténasale.
5 Les manifestationsfurentici discrètes.A peine vit-onle nez de l'une s'allontandis ger, que celui de l'autre battait de l'aile gauche. La différences'accrut alors, cm. C'était trois millimètresde trop. Le risque en effetest la pro0,53 atteignant de l'onde constrictricevers les zones supérieuresdu visage (Loi de O . Lepagation gros-Rhume). Les yeux dans les yeux, elles se faisaientmaintenantface. Les clins d'œil se succédaient sans que le charme puisse se rompre. «Si on se mettaitle doigt dans l'œil ?» : ce furentlà leurs premièresparoles. La pupille de l'une opposa une vive résistance : elle était rétive à toute pénétration. Ce que les ophtalmologues décriventcomme dyspareunieoculaire, et qui est le symptômed'un conflitprofond. L'œil de l'autre absorba le doigt de l'une, mais se refusafarouchementà en venirau coude. Finalement,il se rétractaet rejeta le doigt. Cette impossibilitéà se mettrele doigt dans l'œil leur montra qu'elles ne se trompaientpas, et qu'elles devaient croire au témoignagede leurs sens. Il leur fallait assumerla réactionde leur visage : le Désir était nez. La Différenceavait creusé en elles un vide nostalgique, elles versèrentsilencieusementune larme - mais il s'agissaitde se rincerl'œil pour conjurerle risque du mauvais. Cela étant, elles accomplirentle geste fameuxque les Désirantesont coutume de faireau début de leur rencontre: œil pour œil, dent pour dent. Cet échange les introduisaità la vision monoculairequi est le proprede la vision amoureuse,et leur donnait la possibilitéde l'ambivalence. C'était la Loi du Désir, et elles s'y plièrent en accordéon - ce qui les fitdisparaîtresous terre,comme l'exige la pudeur propre aux Désirantes. Le Patron de Café vintdemandersi elles avaientconsommé. Elles se déplièrentpour lui donner l'ordre de s'occuper de ses échalotes grises,et de leur 6 apporterun grand verred'eau de pluie. Ce qu'il fîtavec célérité . Elles trempèrent leur index dans l'eau et relevèrenten l'air : si le doigt éternuait,elles savaientque leur union serait de celles qu'on montre.C'était un riteludique fameux,promulgué pendant la période Doigt-de-rose,pour combattrel'intoléranceet la pratique de la chèvre-émissaire. Nul doigt n'éternua. Elles seraientainsi amantes non exemplaires,et nulle ne s'aviseraitde les montrerdu doigt, ou de leur jeter la pierrepremière(confiserieà base de miel, d'amande, de beurreet de chocolat noir) 7 . Il leur fallaitmaintenantdire à la communautéqu'elles étaient de connivence, car cela était le prétexted'une douce fête. L'une se pencha versle profilde l'autre : procédé de communicationappelé «de bouche à oreille», préféréà tous les autres car permettantde s'apercevoir immédiatementsi ce qu'on dit ne tombe pas dans l'oreille d'une sourde. En auquel cas, il faudraitsur le champ appeler une aveugle 6. Le Patron de Café était un personnageutilisépour demander «qu 'est-ceque ce sera pour vous ?», «un express», «un jambon beurre». Son ancêtre avait été recrutéparmi les hommes récupérablesqui avaient refuséde combattre les femmes lors de l'Ere prélude à la GrandeRupture. Il avait coutume d'éplucherdes échalotes grisestout au longde la journée, ce qui lui donnait une apparencemélancolique. C'est pourquoi on disait «mélancolique comme un Patronde Café». 7. On a retrouvé la recette de cette délicieuse confiserie.Elle s'appelle «Douceur de Dora», comprend 1 000 calories par 100 grammes. Garantiesans colorant (Informationconsommatrices).
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qui proposeraitla lecture en brailledu message.Ces pratiquesont été édictées pour éviterà la bonne entendeusede se croirele salut de la sourde. Mais elles étaient maintenanten trainde prendreleur pied. Ce qui ne pouvait se faire debout, sans être immédiatementsaisie par le vertigedu plaisir,et tomber de ce fait à la renverse(pied à terre). Ce fut donc assises qu'elles prirentleur pied bien en main. Ce qui ne les empêcha pas de mettrel'autre dans les fessesdu Patron de Café tropcurieux qui avaitpourtantété récemmentréintoxiqué. Après un moment de douce contemplationpédestre,elles se mirentun cheveu sur la langue pour se dire des mots d'amour. Cette pratique amusanteavait été inventée pour neutraliserle danger du romantisme: on ne pouvait se laisser aller aux sermentsparce qu'on devait penser à bien retenirle cheveu sans l'avaler ni le cracher. Le zozotement qui s'ensuivaitétait charmantet amusait les amantes autant que les énoncés qu'elles se soufflaientà la figure,«ma douce truie aux mamelles pendantes», «j'aime la noirceurde tes comédons». Parfois,elles donnaient libre cours à leur ambivalenceet s'insultaientpour rire, «tu es belle comme le jour et unique pour moi» . Ces échangesles amusaientsans les blesser8 . Ces mythologies9 étant achevées, elles s'exclamèrent«Mon œil !» et se rendirent,palpitantde vie, cet organe qu'elles avaient enlevé par jeu. Maintenantelles avaient récupéré la vision binoculaire qui leur permettaitd'élargirleur champ visuel rétrécipar la pratique amoureuse. Elles se virenttelles qu'en elles-mêmeset s'évanouirent,«à ta vue je défaille». Un bouche-à-boucheleur redonna souffleet vie. Elles s'aperçurentqu'elles avaient l'estomac dans les talons. D'un coup sec, elles le firentremonteren lui demandant de cesser de se conduire comme un utérus en folie, et de savoir resterà sa place. Mais elles convinrentqu'elles avaient la dent. Elles partirentà la Fête en chantant «Fatum est mort» - chanson réaliséepour rappeler les douleurs fatales de l'Amour vécues par les femmesavant le massacre de 1° Fatum, à l'Ere des Lapins mis en liberté .
II
Avec une certainesauvagerie,et non sans un sadismecontrôlé,la Fête battait son Plein. Les cris qu'elle lui arrachaitse répandaientdans l'air doux et parfuméet, par une magie inexplicable- le Plein a ses déliés que la Raison ne comprendpas - ; acle géniede ce procédéludiqueauquelnotrehoméopathie 8. On ne peutqu'admirer tuelledoittant. unedistanceet que pournos sœursil s'agissait clairement 9. Le termeemployémontre doncd'un procédé,d'unestratégie de luttecontrele dangerde la passion.Noustenonsà souoù l'on voudrait dénierà évolutionniste lignerl'emploide ce terme,à uneépoquestupidement nossœursancêtres leurscapacitésd'analyseetde riposte. d'un Fatumpersonnalisé avaitétéélaborédansle même 10. Ce mythede la destruction que l'Amourestpathologie. tempsqu'onavaitcompris
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l l . Seuls en unemusiqueharmonieuse se transformaient quelquesrythmes syncopés venaienttémoigner,de temps à autre, des overdosesque la Fête devait involontairement infligerà son patient.Ce procédéavaitété introduitquand on s'étaitaperçueque le Plein,restésous la coupe des hommeset de leur logique éthylique- «quand la coupe est pleineil fautla boire» -, ne voulaitappartenir qu'à la beuverieet snobaitla Fête.On s'étaitrendueà l'évidence: le Pleinavaitpris là un mauvaispli, et il faudraitrepasserpour le lui faireperdre.La rééducation moraleavaittournéà vide,si bienqu'on enétaitvenueaux coups.Plein,d'essence superphallo,avaitdû subirun coup de pompe12. Les résultatsavaientdépassé la musique,et acceptait toutesles espérances: Pleinbattuconnaissaitmaintenant il était à skieuses. de monter en la des plusgrandejoie parfois neige Aujourd'hui, doncde la Fête... une dentfraîchement arrachéepenElles arrivèrent parmileurscompagnes, exordue à leurcou - dontellesne voulaientpas démordre-, un œillégèrement sur une norse armoire Elles le décentrement bité par précipitèrent passionnel. la à en son sommet se faisant de et ornée charmantes fleurettes mande parvinrent 13 . en honneur Elles se leur échelle. Cette avait été dressée armoire courte régalèrent d'eau fraîcheet d'Amour.L'Amourestun platuniquequ'on a coutumede déguster On avaittentéd'abordd'en faireune entrechienneet louve,à l'heurede la Bergère. n'en aucun on avait tiré mais salade, avantage: on avaitdû casserbeaucoupd'œufs à toutestase refusait obstinément et il y avaittoujoursdescoquilles,la vinaigrette bilité14. On avaitdonc décidé de rendrel'Amourplus conséquent,et d'en faire années toutun plat. Sa recette,avantd'êtremiseau point,avaitnécessitéplusieurs une les trace immortelle dans a laissé La tentative et d'erreurs. d'essais première qui de aux dires ses du mère» est celle estomacsféministes (dé) qui, «PuddingDupont «à un tasde morceauxde graissede rognonsde bœufflambé goûteuses,ressemblait au rhum».L'Amourn'étaitpas trèsdigesteen ces années-là...Ulcérées,de noml'amitiéà cet amourmalheureux, breusesamantespréférèrent qu'on ne s'étonnapas de trouver unjourétouffédansun torchonet penduà unebranched'arbre: il avait préféréla mortà cettevie infâmeque les femmespeu affaméesavaientjugée mal en de cet Amourmélancolique famée.On commémore chaque annéela disparition et le cœurremonte portantun toastdit d'Alka Seltzer: les estomacsse retournent au bord des lèvres- processusqui est stoppépar l'absorptiond'une pincéede de la phrase«Vensi databéla bila» 15. et renonciation bicarbonate
11. Cette «magie» est en fait la métabolisation,par les enzymesgloutons de l'azote les «moufletonsdu aérien,de certainsultrasons.Les enzymesazotiques, appelés familièrement ciel», ingèrentl'ultrason et le modulent au niveau de leur gorge : véritableorchestrationqui un cri Ra 1 en allegrode Schubertheaux petitspieds. transforme 12. Les coups répétésproduisenten effetsur le Plein une sorte de coma brefpar hypoglycémie,qu'on appelle «choc insulinique». On utiliseaussi cette techniquepour empêcherles pieuvresde mangerles petitspoissons. Cf. Sakel, «Choc insuliniquesur les Pleins et les pieuvres. Etudes comparées». 13. Actuellement,on appelle ce meuble un buffet. 14. On a retrouvédans le journal d'une amantede cette époque le commentairesuivant: «Avec la salade Amour, tout tourna au vinaigreentre nous» (Centre de DocumentationEre salle 7,fichierno 9). intermédiaire, 15. Littéralement: «Ne te fais pas tant de bile.» Les traductricesont fournia ce jour 14 traductionsde cette phrase mémorable,l'Ecole Férudhyenneà elle seule en ayant édité 11.
8 Une deuxième tentative «Pudding» avait aussi abouti à un échec. La préparation, trop compacte, résistaità toute effraction.Ce n'était vraimentpas du gâteau, et nombrede femmess'y cassèrentles dents. On utiliseces scoriesamoureuses pour retenirles paroles qui s'envolaientjusqu'alors : presse-parolesoù les dents cassées fontofficede boutons-poussoir.Parfoisles mots sont prisjusqu'à la racine, ce qui grippela machine. L'utilisation d'un cure-pipefait tout rentrerdans l'ordre des choses (on a préféréle cure-pipeau cure-dentà cause de sa jolie forme,et surtout de ses couleurs). L'Amour actuel est un plat complet qui rapporteà l'organismeaffaiblipar la passion 500 calories. On s'est finalementrésolue à lui donnerune dominantesalée, tant on avait été écœurée de son caractèredouçâtre, mieilleux et gras. Pour la réaliser, on fait revenirdans de l'huile d'olive vierge extra première pression une poignée d'oignons qui étaient partis se planter on ne sait pourquoi dans les steppes 16 asiatiques . Une fois revenus,on les laisse attendrepour leur fairepasser le goût du sel de l'aventure.Pendant ce temps,on pèle un kilo de tomates en gardantsoigneusementla peau qui, séchée, permet de réaliserde magnifiquesabat-jour. La pulpe pour sa part est soumise à un écrasementmassif,qui lui ôte tout reliefet la réduit à une informepurée. On l'ajoute aux oignons matés. On remetla composition sur le feu,afinde brûleren elle toute velléitéde crudité,et pour la contraindre à rendrel'eau qu'elle avait sournoisementretenue. Pendant ce temps, on mélange intimementdu beurre sciemmentramolli et écrasé à de la farinesoigneusementpassée au tamis afin de la couper du son ; on rajoute de l'eau et on malaxe. On obtientainsi une pâte silencieuseet briséeutilisable sans problème. On peut maintenanty introduirede la levure boulangère délayée à de l'eau salée tiède : on provoque dans la pâte l'apparition de gaz douloureux (aérophagie panificatrice) que dans son anesthésie la pâte ne sent pas. La pâte se lève, mue par le champignon.On l'écrase par deux fois à la main afinqu'elle ne prennepas trop d'importance,et on la passe soigneusementsous le rouleau. On l'étend sur une plaque huilée, on l'étouffé sous une couche de fromagede bufflonne,on recouvrele tout de la compositiontomatée trop déshydratéemaintenant pour risquerd'imprégnerla pâte (on a vu des pâtes se suiciderpar ce moyen). Quelques filets d'anchois allongés de force,quelques olives noires déradicaliséespar la suppressionde leur noyau, sont répandus sur la surface.Sel, poivre et marjolaine sont enfinsaupoudrés.La chaleurvive d'un four(thermostat7) a tôt faitde figerce 17 plat dans une absolue immobilité.L'Amour est prêt à la consommation . Elles se régalèrentdonc d'Amour... Elles s'en étaient fait une montagne et, elles se retrouvaientdans l'obligationd'admettreque quelque consommation, après chose de l'ordre d'un mythe avait jusqu'alors persistédans leur esprit: le mythede 16. On s'est longtempsinterrogéesurcette migrationmassivedes oignonsversles steppes asiatiques. On sait maintenantqu'ils ne faisaientqu'obéir à une femmeallergiqueaux oignons qui leur avait demandé en pleurantd'aller se faire voir ailleurs. Les oignons, émus par ces larmes,émigrèrentversl'Asie. Le choix des steppestientà leurdésirde grandventet de grands esDaces. 17. Il s'agit d'un matageradical. L'Amour était à l'Ere intermédiaireconçu comme un animal dangereuxqu'il fallait écraser par la force. Tous ces élémentsétaient en effetperpétuelles sourcesde danger,de trahison.Les femmesqui le préparaientétaient recouvertesd'armures.
9 «la première fois»,censéechangerla vie. Quelledifférence y avait-ilentrel'Amour et une Pizza napolitaine? Aucune,reconnurent-elles. Biensûr,ellessavaientqu'il y avaitdes variantesdans les parfums.Mais cela ne changeaitrienau fonddu problème : il y avaità la base une bonnepâte et, au-dessus, à domides couvertures nantesdifférentes... mais l'Amourn'étaitriend'autrequ'une Pizza. Elles en restèrentbouchebée pendant5 bonnesminutes; unequinzainede moucheséchapées de l'histoired'Oreste(revuepar Sartre)en profitèrent Heureupours'y engouffrer. mouches les de les senteurs sont les en sement, marjolaineauxquelles allergiques surle champ. chassèrent Elles se prirentla main,lèvrescloses. La démystification avaitété intense, un goûtamer: le metsavaitété mais elles ne pouvaientdirequ'ellesen gardaient terrestres délicieux,leurs papilles gustativesl'avaientapprécié.Ces nourritures un une et leur donnaient attendrissement langueur prochedes rigides pourtant larmes18.
Cet extraitdu manuscrit estparticulièrement intéressant, parcequ'il réfèreà des élémentshistoriques : ce que le textedécritrendcompted'uneluttequi nefut surun buffet pas seulementverbale.Quandnousvoyonsdeuxfemmesse précipiter poury mangerVAmour,il s'agitd'unedémarcheréellement pratiquéeà l'Ereinterl'Amour médiaire.Est-ceà direfalors,que pour nos sœursde l'Ere intermédiaire, ? Nullement: nous savonspar d'autres était - se résumaità - une nourriture textesen coursd'éditionque l'Amourest un signifiant polymorphe, que despion19. et cernèrent nièresétudièrent théoriquement pratiquement De quoi est-ildonc questiondans ce texte? D'une lutteque nos sœursréussirentcontreles dangersd'un stéréotype qui se résumedans le manuscrit par la d'eau fraîcheet d'Amour».Aprèsla Libérationmassive phrase«Elles se régalèrent qui eut lieu à l'Ere de la GrandeRupture,les femmescrurentque puisque les hommesn'avaientplus d'emprisesur elles,elles pourraientse laisserallerà leurs élans les plus fous. Elles voulurentvivred'Amouret d'Eau fraîche.Le bilanfut surle : lesfemmesse mirentà mourir.Les savantesse penchèrent catastrophique par le jeûne problèmeen se retenantà la rampe(elles étaientellesaussiaffaiblies et voyaienttout tourner).Elles durentouvrirles cadavresà des finsd'analyse. dans le cœurdes femmesdes minusculesbouquetsde Quand elles découvrirent d'où venaitle mal20. C'estalorsqu'ellesinventèrent fleursbleues,ellescomprirent : les désirantes étaientappeléesà venir cetteextraordinaire pratiquethérapeutique mangereau fraîcheet amour,de façon rituelle.Mais l'Amourétaitune véritable à sa survie. des substancesindispensables nourriture qui apportaità l'organisme 18. On n'ignoraitpas à l'Ere intermédiaireque cette langueurquelquefois moralement douloureuse est consécutiveà l'absorption de nourrituresriches. Cf. «La langueurpost-prandiale De l'utilitédes digestifs- Controversesautourd'un cas», par Rose Verveine. 19. Cf. par exemple, «Notes pour une definitionsociologique des catégoriesd Amour», par Nicole Autexte ; «Pratique de la passion et idée d'Amour», par C. Vraiceque-Tudis; «Un jour mon amour viendra»,par T. Auloin-Maispasenreste. 20. Pour les details de cette découverte,cf. «L anorexie et la cachexie des Désirantes: la réificationdu Signifiant»,par O. Lafaim-Mepousse.
10 On avaitcettefoisquelque choseà se mettresous la dent.Et on ne tombaitplus commeune mouche.Ainsifaisait-ond'une pierredeux coups : on luttaitcontre l'inanitédu stéréotype, et on impulsaitchez les désirantesune rapideprisede ? conscience: l'Amourpouvaitdoncn 'êtrequ 'unenourriture
III
Maisleurscorpsse remirent à parler.L'attraction nasale,un momentmiseau secondplanpar les épreuvesdiversesqu'ellesavaientsubies,exerçade nouveauses effets.Pourcalmerles démangeaisons et spasmesnasauxdontellesétaientatteintes, ellesse jetèrentà l'eau. C'étaitunepratiqueosée,et il fallaitqu'ellessoientau bout de leur désirpour la tenter.Cependant,la solutionn'étaitpas ainsià l'extérieur - c'estl'eau qui le leurenseigna.Troubléedanssa quiétudepar ces d'elles-mêmes et intempestifs, l'eau les rejetasurla berged'un plongeonspourle moinsmaladroits bon coup de vague : elle étaitsusceptible et ne supportait pas qu'on la considère commeun adoucisseur. Elle voulaitqu'on l'aimepourelle-même, et non pour ses à redevenir ce propriétéscalmantesou lavantes.Elle se refusaitfarouchement bain public»commeellel'avaittristement étélorsdes qu'elle appelaitun «vulgaire 21. En ces Eresprécédentes on s'amusaità la fairemousser, ce qui luiétait temps-là, douloureuxcar l'eau est de naturehumbleet modeste,puison lui imposaitle contactde corpssouilléset fétides.Dégoûtéed'elle-même, elle étaitaprèscela rejetée dans un Tout-à-1'égoût où elle subissaitune promiscuité sansnom22. Elle refusait aussisystématiquement de recueillir les faitsqui n'avaientpu êtreconduitsjusqu'à Pourse défendre leur aboutissement logique,et d'êtrele bourreaudes désespérés. elleavaitmisau pointun reversde vagueparticulièrecontrecespossiblesintrusions, mentefficacequi vousrenvoyait, à l'endroitd'où vous doucementmaissûrement, veniez. Elles se retrouvèrent donc surla berge,dansun grandétat d'exarcerbation. Cela s'expliquepar la théoriede CléopâtreA. Cenez (l'eau provoqueune vasodilatationpuisune vaso-constriction des cloisonsnasales,ce qui accroît- comme dansles cas de mycoses- l'irritation). Il fallaitque ça cesse.Fairedespiedset des même une dans brasse mains, papillon,n'étaitpas une activitéadaptéeet utile.En la mémoire leur avait en échec : impossible fait, manquéet elless'étaientretrouvées même de fairele roquet et de mordiller les molletsdes Patronsde Café23. La 21. Cf. «Manifestecontre la prostitution.En aval, en amont, mers,fleuves,rivièreset océans, nous protestonscontretoutesles pollutions». 22. Un film célebre, «Histoire d Eau», retrace toutes ces aberrationset ces horreurs (Cinémathèquede l'Ere avantla Rupture; filmno 10). 2J. A l tre intermédiaire, les femmesagacées ou irritéesavaientcoutumede se précipiter dans le premierCafé venu,de s'y jeter par terreet de mordreles molletsdes Patronsde Café. On pensait en effetqu'il fallait «passer ses nerfs»commeon disaitalors,en prenant«le molletaux dents». Mais cela exigeaitbeaucoup de dépense d'énergie,et certainsPatronsde Café se suicidèrentpar poison et pendaison : ils voulaientune mortsûre. Ensuite, on trouvale procédé de l'assietteà casser,qui étaitplus pratique.
11 : «La mainpasse.»Dans les fraîcheur de l'eau cependantagissait, ellesse souvinrent les femmesoublienttropsouventcettevéritépremière. Cela tient étatsde détresse, on a : leur fait croire millénaires d'aliénation ont subis aux qu'elles depuistoujours, elles sont auto-nasales. Alors elles atnarines se touchant tout le temps, que leurs de on tout la a seul. tendentque ça se passe comprisque Rupture, Depuis l'Ere tout cela étaitmensonge.Pourtant,de tempsà autre,quand les bouleversements la vérités'effaceau profitdu mensonge. sonttropimportants, hormonaux ténues(tremElles sentirent se déclencher dansleursdoigtsdes trépidations Ellesportèrent leurmainà la face blementsspasmodiques typiquesdes désirantes). - surles nez. Qu'elles se mirentà masserdoucement.Main de l'une surnez de leurscaresses.Se porLes doigts,tremblants, l'autre.Et inversement. précisèrent toutesles couleurs Les nez prirent délicatement. tèrentà la racine,qu'ils frotfèrent surun imprimé de l'Arc-en-Ciel, pois rosessurfondvertdu plus puis se fixèrent la pudeurqui ridiculeeffet.Ellesse mirentà rire,ce qui eutpoureffetde dissoudre ellesfaisaient les inhibait. Maintenant, ça sanscomplexe,les doigtsdansle nez. Avecun bonheurpresqueterrifiant (il ne fautrienexagérertoutde même), leurscloisonsnasales,la muqueusedouce et humidequi les reelles découvraient Le désirétaitnez là, et couvre.Ellesétaientalléesdroitau lieu de leurDifférence. de leurscorps.Le refouleil fallaitl'assouvirafinqu'il n'entravepas la découverte de ce désirnezgital,nuiten effetaux échangesérotoques24et ment,la répression des rapports sensuels- «on ne pensequ'à ça» 25. aboutità une obsessionnalisation Le contactdes corpsest alorsconçu commeune préparation (prémisses)à l'ordonton a dénoncéles impasses(cf. de la sensualité, gasmenasal : nezgitalisation «Nez-sensetmort-nez ; l'impasseà doubleface»,parL. Napa-Diça). l'une contre Ayantsatisfaitles besoinsde NasaleNature,elless'allongèrent abondamment dans leursdoigtset firentavec les sél'autre.Elles se mouchèrent C'était là leur premier crétionsde délicatspetitspoèmes qu'elles échangèrent. les versdu nez, en douceuret en alexandrins. échangeintime- elles se sortaient intrusion dansle traditionnellePremier contactavec le secretde l'autre.Première Maisça coulaitde sourcesûre... mentnon-dit. au mouchoiravec quelquesAprèscela, ces petitesmorveusess'amusèrent unesde leurscompagnes.C'étaitsi drôlede laissertomberle mouchoirdansle dos dansle soleil,on couraitautourdu de l'une ou de l'autre.La soieluisaitdoucement cercle des compagnes,c'étaitcharmantet lumineuxcommel'enfancedes rêves. dansune dunepour se couperquelquecheveuen quatre.Le Elles s'isolèrent cheveu,doux et froid,étaitarrachéavecune certainebrusquerie- petitedouleur du nezpourVeclosióndu désirconditionnait 24. On voitque la croyancedansle primat et du désiret la formedesrapports érotoques.Le nezdonnaitlieuà des sensations, l'expression où ellea Cettefixationnasalenousétonnedansla mesure exigeaitunesatisfaction spécifique. on voitque le butdu rapportérotoque,à l'Ereintermédiaire, maintenant disparu.Cependant assouviravantles «besoinsde étaitdéjà la rencontre réussiedes corps.Il fallaitsimplement NasaleNature»,commeil estditplusloindansle texte. de cette le récitdes tortures du journald'unesœur,noustrouvons 25. Dans le fragment Vautrecommeune êtreà et je ne parvenais maladie: «J'étaisnezrotomane plusà considérer de l'uneà l'autre(...) incapacité partentière(...) obsédéeparlescloisonsnasalesje papillonnais absoluede cesserde glisserde nez en nez (...) pentefatale(...) je faillisunjour coupercet du Journal d'unenezrotomane, fichier 56). organepartropvorace»(Fragments
12 aiguëdontla qualitéfaisaitvibrerun petitnerfde la nuque - puissoigneusement posé surune plancheà découperde bois blanc.Miscôte à côte,cheveude l'uneet cheveude l'autrefurentcoupés en quatremorceauxrigoureusement équivalents. Les huittronçonsfurentdispersésà tousvents: ainsis'envolentles ratiocinations qui ennuientles plus patientesdes Désirantes- pertede tempsoù les prolégodes relationsamoureusesfinissent mènes à l'avant-propos par dévorersournoiseles Ces menttoutejoie et toutegaité. dangersqui guettent Désirantessont des avant la Rupture,où toute relationentredeux perreliquatsdes tristesépoques un sonnespassaitnécessairement contrat,un engagement. Chaque Désirante par ne la preuvepar quatrequ'elle s'engageait avaitdésormaisà se fournir pas dansle des Biens.Elle n'avaitpas à se faire chemindu devoirconjugal,de la communauté du nerf en perdreun. Maiscettevibration de cheveux tout au plus devait-elle la preuveplus d'une de la nuque étaitsi agréablequ'on se seraitbienadministrée a parfoisdu bon. fois.Le scepticisme un peu lasses d'êtrel'une avec l'autreet souhaiElles étaientmaintenant Elles les et les gonflèrent. taientsouffler.Elles prirentdes ballonsmulticolores doucelâchèrentdans le ciel en s'amusantde leurmontéerapide.Elles se prirent dans les yeux l'une de l'autre.Tout étaitpaisible: le mentla main,se mirèrent le reflet refletétaitfidèle,aucuncontresens (Dans le cas contraire, n'y apparaissait. de l'autre voit si bienque la Désirantequi se miredansl'œil est distordu, n'y que du Ce et feu ou, dans beaucoupde cas, une (au)truieédentée grimaçante. défautde estle signed'unobstaclegrave,qu'il fauttraiter rapidement.) spécularisation ainsi : elles se mirenten position C'est leur singularité qu'elles défendaient de duel facticepour échangerquelques bottes secrètes- qu'elles sortaientdes creusésdans les dunespar les lapins-, bottesde cuirde toutestailleset terriers au bout de quelque temps«ça me bottevade toutescouleurs.Elles s'écrièrent chementde te quitter»,s'envoyèrent quelquesinjuresen se mettantun cheveu surla langue,«en te quittantô mon aiméec'est moncœurque je déchiremaistu sais qu'il le faut»,se firentun clin d'œil malicieuxpuis s'en allèrentchacunede . soncôté en chantant«quitte-moi, quitte-moi»
Malina Poquez, «The fundamentalepistemológica!rupture». A feministfiction : in archivesof the «IntermediateEra» is discovered a manuscripttellingof the strugglewhichtook place then- by meansof ritual games - againstthedangersof AmorousPassion.
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Heidi Hartmann
Patriarcat Capitalisme, etségrégation professionnelle dessexes
La divisiondu travailen fonctiondu sexeest,semble-t-il, une donnéeuniverselle de l'histoirede l'humanité.Dans notresociété,la divisionsexuelledu travail est hiérarchique, les hommesoccupantle haut et les femmesle bas de l'échelle. de pensercependantque cettedivision L'ethnologieet l'histoirenous permettent n'a pas toujoursété hiérarchique. Cet articletraitedu développement et de l'importanced'une divisiondu travailordonnéesuivantle sexe. Je soutiensque cette divisiondu travailordonnéesuivantle sexe est à l'originedu statutsocialactuel des femmes.Je suis convaincueque le statutsocial des femmesne pourraégaler celui des hommes,que les femmescommeles hommesne pourrontdévelopper leur potentielhumain,que par l'élimination non seulementdu caracpleinement tère hiérarchique de la divisiondu travailentreles sexesmais de la divisiondu travailelle-même. Les deux premièresquestionssurlesquellesdoiventporternos recherches semblentdonc être,d'abord,commentune divisionsexuelleplus égalitaires'estelle transformée en une divisionmoinségalitaire et,ensuite,commentcettedivision du travail étendue au s'est-elle travail salariéà l'époque moderne? Il hiérarchique sembleressortir de nombreuses étudesethnologiques que le premier processus,la stratification de la productivité, de la sexuelle,a accompagnél'accroissement et de de la : la la société sédentarisation de complexité spécialisation par l'agride la propriété culture,l'établissement privéeou de l'État,parexemple.Cettestratification s'est produiteau furet à mesureque la sociétésortaitde l'étatprimitif Questionsféministes- no 4 - novembre1978
14 un noupourdevenir«civilisée».Vu sous cet angle,le capitalismeest relativement 1 relation entre les hommes et les vel arrivant, tandisque le patriarcat , hiérarchique estné de très femmesdanslaquellel'hommedomineet la femmeestsubordonnée, bonneheure. Je chercheà prouverqu'il s'étaitétabliavantle capitalisme un systèmepaleurcontrôlesurle travaildes femmes et triarcaldanslequelles hommesexerçaient des enfantsdansla famille,apprenant ainsiles techniquesde l'organisation hiérarchique et de l'autorité.La séparationdu publicet du privé,engendrée par l'apparitiond'appareilsd'Étatet de systèmeéconomiquesfondéssurdes échangesplus étenduset des unitésde production posa aux hommesle problèmedu plusgrandes, maintiende leurcontrôlesurla forcede travaildes femmes. Autrement dit,un sysenun système tèmede contrôledirectet personnelse transformait indirect, imperla sociététout entière.Les mécasonnel,par l'entremised'institutions régissant du tranismesdont disposaientles hommesétaient: 1) la divisiontraditionnelle et de contrôlehiérarchique. vailentreles sexeset 2) les techniquesd'organisation Ces mécanismes jouèrentun rôle crucialdans le deuxièmeprocessus,l'extension de la divisiondu travailordonnéesuivantle sexe au systèmedu travailsalarié,au momentde la naissancedu capitalismeen Europeoccidentaleet aux Etats-Unis. du capitalismedu XVe au XIXe sièclemenaçaitla supréLe développement en détruisant matiedu patriarcat, fondéesurl'autoritéinstitutionalisée, beaucoup en de comme le marché«libre»du des anciennesinstitutions pour créer nouvelles, à la main-d'œuvre toutesles femmeset travailpar exemple.Il menaçaitd'intégrer du pouvoirdes tous les enfantset donc de détruirela familleet le fondement hommessur les femmes(c'est-à-dire le contrôlede leur forcede travaildans la à la disparition famille)2. S'il est vraique le capitalisme purtend,théoriquement, : un système du patriarcat de relations socialesayantune estla suivante 1. Ma définition etunesoliet danslequelil existeentreles hommes desrelations base matérielle hiérarchiques Le patriarcat estdoncle système daritéqui leurpermetd'exercerleurautoritésurles femmes. de l'oppression des femmespar les hommes.Rubinsoutientqu'il faudraitutiliserle terme au système «systèmede sexe/genre» économique(et pas pourqualifierle domaineextérieur une stratification des genresbasée toujourscoordonnéavec lui) où se produitet se reproduit à domination mascun'estdoncqu'unedes formes, surles différences sexuelles.Le patriarcat enoutrequ'il faudrait réserver le termede paRubinsoutient de sexe/genre. line,d'un système aux sociétéspastorales triarcat nomades,tellesqu'ellessontdécritesdansl'AncienTestament, Jesuisd'accordavecRubinsurle premier de paternité. où le pouvoirmasculin étaitsynonyme au motpatriarcat. un senstroprestrictif point,maisje pensequ'elledonne,dansle deuxième, masculine C'est une appellationqui convientà toutesles sociétésà domination (voirGayle ed. RaynaReiter, in Women»,in Towardan Anthropology of Women, Rubin, «The Traffic : NewYork : Monthly ReviewPress,1975). Mulleroffreunedéfinition pluslargedu patriarcat en tantqu'êtresplaestdéfini socialdanslequelle statutdes femmes «système principalement cettetutelleayantdesdimencées sousla tutellede leurmari,de leurpèreet de leursfrères», sionséconomiqueset politiques(voir Viana Muller,«The Formationof the State and the ofWomen: A Case Studyin EnglandandWales»,ronéo.,NewYork: NewSchool Oppression for Social Research,1975, p. 4, n.2). Müllers'appuiesurKarenSacks,«EngelsRevisited: and PrivateProperty», in Woman,Cultureand Soof Production, Women,theOrganization Calif. ¡Stanford Press, University Stanford, ciety,ed. MichelleZ. Rosaldo& LouiseLamphere, de relaen tantque système une explication 1974. On trouvera pluscomplètedu patriarcat dansun projetde raptionsentreles hommes, aussibienqu'entreles hommeset les femmes, of Marxism and Feminism: Towardsa New Union»,parAmy port: «The UnhappyMarriage et HeidiHartmann. Bridges amèneraient 2. Selon le pointde vue de Marxet d'Engels,les progresdu capitalisme ce qui saperait la famille. Tout surle marchédu travail, et d'enfants de plusen plusde femmes en reconnaissantdans The Originof the Family,PrivateProperty,and the State (New York :
les femmesau seinde la famille, International Publishers, 1972) que les hommesoppriment
15 de toutes différencesarbitrairesde statut entretravailleurs,à l'égalité de tous les travailleurssur le marché,pourquoi la position des femmessurle marchédu travail reste-t-elleinférieureà celle des hommes ? Les réponsespossibles sont légion : elles vont du point de vue néo-classique,selon lequel le processusn'est pas encore achevé ou bien est entravépar les imperfectionsdu marché, au point de vue de gauche selon lequel c'est la production qui nécessite la hiérarchie,même si le marché exige le rôle une «égalité» de principe3 . Toutes ces explicationsnégligent,me semble-t-il, joué par les hommes - les hommes moyens, les hommes en tant qu'hommes, les hommes en tant que travailleurs- dans le maintiende l'inférioritédes femmessur le marché du travail.Le point de vue de gauche, en particulier,met l'accent surle rôle joué par les hommes en tant que capitalistes,qui créentdes hiérarchiesdans le processus de production afin de perpétuer leur pouvoir. Les capitalistes y parviennent en fragmentantle marché du travail (suivant des divisions raciales, sexuelles et ethniques, entre autres) et en opposant les travailleursles uns aux autres. Je soutiens dans cet articlela thèse que les travailleursmasculinsont joué un rôle crucial dans le maintien de la division sexuelle du travailet qu'ils continuentdele faire. Je veux démontrerque la ségrégationprofessionnelleen fonctiondu sexe est le mécanisme principal qui perpétue, dans la société capitaliste,la supérioritédes hommes sur les femmes,parce qu'elle impose un salaire plus bas pour les femmes sur le marché du travail.Le bas salairedes femmesles maintientsous la dépendance des hommes parce qu'il les pousse à se marier.Les femmesmariéesdoiventremplir des tâches domestiques pour leur mari. Les hommesbénéficientdonc à la fois d'un salaire plus élevé et de la divisiondomestique du travail.Cette divisiondomestique du travailaffaiblit,à son tour, la position des femmessur le marchédu travail.Le marché du travailperpétue donc la hiérarchiede la divisiondomestique du travail, et vice-versa.Ce processus est le résultatactuel de l'interactionconstante de deux systèmesliés l'un à l'autre : le capitalisme et le patriarcat.Loin d'avoir été vaincu par le capitalisme,le patriarcatgarde toute sa vigueur ; il imprimesa formeau capitalismemoderne,tout comme le développementdu capitalismea modifiéles institutions patriarcales. L'adaptation mutuelle du patriarcat au capitalisme et du capitalismeau patriarcata engendréun cercle vicieux pour les femmes. Ma thèse s'oppose à la fois au point de vue des économistes néo-classiques et à celui des marxistes,qui ne tiennentcompte ni l'un ni l'autre du patriarcat, système social reposant sur des bases matérielles. Les économistes néo-classiques tentent de disculper le systèmecapitaliste en attribuantla ségrégationprofessionnelle à des facteursidéologiques exogènes : les attitudessexistespar exemple. Les économistes marxistesont tendance à attribuerla ségrégationprofessionnelleaux
Engels ne voyait pourtantpas cette oppressioncomme étant fondée sur le contrôle du travail des femmeset il paraît même plutôt regretterle trépasde la familleplacée sous l'autoritéde l'homme (voir The Condition of the WorkingClass in England, Stanford,Calif. : Stanford UniversityPress,1968, part.pp. 161-64). 3. Voir une explicationde ce point de vue dans le projetd'articlede RichardC. Edwards, David M. Gordon et Michael Reich, «Labor market Segmentationin American Capitalism», ainsi que dans le livreédité par eux, Labor MarketSegmentation(Lexington,Ky. : Lexington Books).
16 ne tenantaucuncompteni du rôledes travailleurs masculins ni de l'efcapitalistes, fetde sièclesde relationssocialespatriarcales. rétablir J'espère l'équilibredanscet de thèsequeje viens article.Il est peut-être de le bien-fondé la impossible prouver et ci-dessous. plus longuement d'exposer que je développerai J'espèredémontrer danscet articlequ'elleestdu moinsplausiblesinonirréfutable. en revueles donnéeset les La premièrepartiede l'articlepasse brièvement la relations de entre concernant création des explications domination-dépendance La secondepartie hommeset femmesque nous offrent les travauxethnologiques.* surla divisionsexuelledu travailà l'époque passeen revueles travauxhistoriques de la naissancedu capitalisme et de la Révolutionindustrielle en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Cettepartiemetl'accentsurl'extensionau marchédu travailsalariédes relationsde domination-dépendance entrehommeset femmeset surle rôleprépondérant les de la ségrégation hommes dans la joué par perpétuation professionnelle des sexes,et doncde la supériorité masculine.
Naissance du capitalisme et Révolution industrielleen Angleterre et aux Etats-Unis Le processusfondamental qui a abouti à la naissancedu capitalismeest l'accumulationprimitive,accumulationantérieureau capitalismeet condition 4 . Le double de sonintauration indispensable aspectdu processusde l'accumulation satisfaitaux conditionspréalablesde l'extensionde l'échellede la proprimitive duction : il était nécessaire,premièrement, d'accumulerdes travailleurs libres, d'accumulerde grandesquantitésde capital.La premièrecondideuxièmement, tionfutrempliepar des remembrements qui chassaientles gensde la terre**dont à travailler ils avaienttiréleur subsistanceet les forçaient pourun salaire.La seconde conditionétaitremplieà la foispar l'augmentation du petitcapitalfoncier et artisanal, des cagrâceà des facilitésbancaires,et parl'énormeaccroissement descolonies. pitauxmarchands, profitsde la traitedes esclaveset de l'exploitation La créationd'une main-d'œuvre de l'échellede la salariéeet l'accroissement productionqui ont accompagnéla naissancedu capitalismeont, d'une certaine les femmesque les hommes.Pouren comprendre la façon,frappéplus durement avantces changements et sur raison,jetonsun coup d'oeilsurle travaildes femmes les modifications 5. Aux XVIe et XVIIe qu'il a subiesau momentde la transition le tissagede la laine (industrieconnexe de l'agriculture), siècles,l'agriculture, *N.D.L.R. : Premièrepartiesuppriméeavec l'accord de l'auteur. 4. Voir Karl Marx,«The So-Called PrimitiveAccumulation»,in Capital 3 vol., New York : York InternationalPublishers,1967, vol. 1, pt.8 ; StephenHymer,«Robinson Crusoe and the Secretof PrimitiveAccumulation»,MonthlyReview 23, no.4, Sept. 1971 : 11-36. **N.D.L.R. : En Angleterreau 18e siècle. 5. Ce compte-rendus'appuie surtoutsurcelui d'Alice Clark,The WorkingLife of Women in the SeventeenthCentury,New York : Harcourt,Brace & Howe, 1920. Il est confirmépar de nombreuxouvrages,entreautres: B.L. Hutchins,Womenin Modem Industry,London :G. Bell & Sons, 1915 ; GeorgianaHill, Womenin EnglishLife fromMedieval to Modern Times,2 vol., London : Richard Bentley& Son, 1896 ; F.W. Tickner,Womenin EnglishEconomic History, New York : EP. Dutton & Co., 1923 ; Ivy Pinchbeck,WomenWorkersand the IndustrialRevolution,1750-1850, London : Frank Cass& Co., 1930, rééditéen 1969.
17 les principaux et le petitcommercedansles villesconstituaient l'artisanat moyens d'existencede la populationanglaise.Dans les régionsrurales,les hommestravailou fermiers et les femmes avaientla laientaux champsdontilsétaientpropriétaires et de et des ou des animaux la laiterie. Elles filaient charge petitspotagers vergers, tissaientaussi.Une partiede ces produitsétaientvendussurles petitsmarchésqui les villageset les villes.Les femmes doncunecontriapportaient approvisionnaient aussibien aux revenusmonétaires de la famillequ'à sesmoyens butionimportante en nature.En plus des petitspropriétaires de subsistance et des fermiers, il existait de travailleurs une classeassez restreinte agricolessalariés,hommeset femmes, qui dansles grandespropriétés. et leursfemmes travaillaient Les fermiers s'employaient aussi à l'occasion comme travailleurs salariés,les hommesplus souventque les 6 . Au furet à mesurede despetitspropriétaires terriens femmes par l'expropriation les plusgrospropriétaires au coursdu XVIIe et du XVIIIe siècles,les femmes perdans direntleur principalmoyend'existencetandisque les hommescontinuaient, une certainemesure,à travailler commeouvriersagricoles.Les femmes, privéesde leursjardins,étaientdonc relativement plus touchéesparle chômageet les familles étaient privées,dans leur ensemble,d'une grande partie de leurs moyens 7. d'existence Au XVIIIe siècle,la demandede tissusde cotons'accrutet les marchands anla population glais découvrirent qu'ils pouvaientutilisercomme main-d'œuvre fouret du tissage.Les marchands agricoleanglaisedéjà initiéeà l'artde la filature un systèmed'industrie nirentdonc la matièrepremièreet créèrent domestiquede de nombreuses familles et de tissageemployant filature d'agriculteurs déplacées.Ce systèmede travailà domicilese révélacependantpeu adéquat.Les complications et du ramassage le faitque la production de la distribution et,plusencorepeut-être, eux-mêmes(qui pouvaientprendredes restaitsous le contrôledes travailleurs volerdu matériel)empêchaient la fourniture de loisirs,travailler par intermittence, Afinde des besoinsdes marchands. produitstextilesde s'accroîtreen proportion résoudreces problèmes,la filatured'abord,versla findu XVIIIe siècle,le tissage ensuite,au début du XIXe, furentorganisésen usines.Les usinestextilesfurent d'abordinstalléesdansdes régionsrurales,tantpourmettreà profitle travaildes en échappantaux restrictions femmeset des enfants, imposéesparles guildesdans les villes,que pourutiliserl'énergiehydraulique. futindustriaLorsquela filature 6. En Angleterre,femmeset hommes étaient employés comme travailleursagricolesdepuis plusieurs siècles. Clark a découvertque, dès le XVIIe siècle, le salaire des hommesétait supérieurà celui des femmeset qu'ils accomplissaientdes tâches différentesmais nécessitant des qualificationset une force analogues (Clark 1920, p. 60). Les salairesdans l'agriculture(et pour d'autres travaux)étaient souventfixés par les autoritéslocales. Ces différencesde salaire reflétaientle statutsocial relatifdes hommes et des femmeset les normessociales de l'époque. Les femmesétaient censées exigerun salaire moins élevé parce qu'elles mangeaientmoins,par exemple, et pouvaient se passer de superflucomme le tabac (on trouverachez Clark et Pinchbeck des preuvesà l'appui du niveaude vie plus bas des femmes).Laura Oren confirmeces faits en ce qui concerne les femmesanglaisespour la période allant de 1860 à 1950 (voir n. 36 cidessous). 7. Le problèmedu chômagedes femmesdans les régionsruralesétaitgénéralementadmis et occupait une place importantedans les débats surla réformedes lois concernantles pauvres, par exemple. Pour y remédier,on proposait de permettreaux famillesruralesde posséder un jardin, d'employerplus de femmescomme travailleusesagricolessalariéesainsique dans le travail artisanalà domicile et enfinde releverles salairesdes hommes(voir Ivy Pinchbeck,Women
and theIndustrial Workers Revolution, 1750-1850,pp. 69-84).
18 lisée, les femmesfilantà domicile furentplus souvent réduitesau chômage,tandis que la demande s'accroissaitpour les hommes tissantau métierà main. Lorsque le tissage fut lui aussi mécanisé, le besoin de tisseursà main se réduisitégalement8. L'industrie domestique, créée par le capitalismenaissant,fut donc plus tard capitaliste.Les bouleversupplantée et détruitepar les progrèsde l'industrialisation sementset les perturbationsqui en résultèrentaussi bien pour les hommesque pour les femmeset les enfantsdes régionsruralesne les affectèrentcependant pas de la même façon. Les femmesque la capitalisationde l'agricultureavait condamnéesau chômage plus souvent que les hommesétaientplus disponiblesqu'eux, tantpour le systèmede travailà domicile que pour aller travaillerdans les premièresusines. On a souvent soutenu que les hommes refusaientd'aller travailleren usine parce qu'ils ne voulaient pas perdre leur indépendance, tandis que les femmes et les enfants étaient plus dociles et plus malléables. En admettantque tel fût le cas, ces «traits de caractère» des femmeset des hommes auraient donc préexistéà la naissance de l'organisationcapitaliste de l'industrie : ils auraientété la conséquence de la structure de l'autorité qui régnaità l'époque antérieure,celle de l'agriculturefamiliale sur une petite échelle. Beaucoup d'historienspensent que, dans ce type d'économie, les hommesétaientles chefsde familleau sein de leur foyeret que les femmes, bien qu'apportant une contributionimportanteaux moyens d'existence de la fa9 mille,leur étaient subordonnées . Nous ne saurons peut-êtrejamais la véritésurla structurede l'autoritédans la famillepré-industrielle.Notre informationrepose en effeten grandepartiesurune littératurenormativeou présentantun parti-prisde classe et nous ne savons rien du point de vue des intéresséseux-mêmes. Il n'en reste pas moins que les données concernantla vie de famille,les salairesrelatifset les niveaux de vie fontpenserque Cette conles femmesétaient subordonnées au sein de la famillepré-industrielle. clusion confirmece que nous apprend la littératureethnologiquequi décritla naissance des relationssociales patriarcalesaccompagnantles débuts de la stratification de la société. En outre, l'histoiredes premièresusines laisse supposer que les capitalistesont tiré profitde cette structurede l'autorité et découvertque les femmes et les enfantsétaient plus vulnérables,à la fois du faitdes relationsau sein de la fa-
8. Au sujet de la transitiondu travailà domicile à l'usine, voir StephenMarglin,«What Do Bosses Do ? The Originsand Functions of Hierarchyin CapitalistProduction»,Review of Radical Political Economics 6, no. 2 (Summer 1974) : 60-112. La divisionsexuelle du travail s'est modifiéeplusieursfois dans l'industrietextile.Hutchinsdit que plus on remonteloin dans l'histoire,plus cette industrieétait sous le contrôledes femmes.Au XVIIe siècle,cependant,les hommes étaient devenus des tisseursprofessionnelsau métierà main et on soutenait souvent que les hommesavaientune force ou une qualificationsupérieures- indispensablespour certains tissus.Vers la findu XVIIIe siècle, l'accroissementde la demandede tisseursà main procura un plus grand nombre d'emplois aux hommes. Lorsque le tissagefut mécanisé dans les usines on y employa des femmeset les hommestissantau métierà main furentréduitsau chômage. Lorsque les machinesà filerplus rudimentairesfurentremplacéespar les renvideursqui étaient censés nécessiterplus de force,les hommesprirentla place des fileuses.Une transition analogue se produisitaux Etats-Unis.Il est importantde se souvenirque les hommescomme les femmeseffectuaientplusieursopérationsde la manufacturedu textile,quand celle-ciétait une industrieannexe et plus encore lorsqu'on leur confia du travail à domicile (voir Pinchbeck 1969, chap. 6-9). 9. Voir Clark ; Pinchbeck ; E.P. Thompson, The Makingof the English WorkingClass, New York : VintageBooks, 1963.
19 milleet parceque leursituation les changements économiqueétaitplusdésespérée, dansl'agriculture les ayantcondamnésau chômage10. Dans les petiteset grandesvilles,la transition n'a pas été versle capitalisme de la mêmefaçonque dansles régionsrurales, vécueexactement maisla thèseque nousvenonsd'exposern'ensemblepas moinsconfirmée : leshommeset les femmes dansla structure de l'autoritéfamiliale et le capitaoccupaientune place différente lismes'estdéveloppéen s'appuyantsurcettestructure de l'autorité . Avantla transitionversle capitalisme, le système de l'industrie étaitrépandudansles pefamiliale à domicilepourproduire titeset grandesvilles.une familled'artisans travaillait des biensà échanger.Les adultesétaientorganisésdansles guildesdontles fonctions étaientsocialeset religieuses autantqu'industrielles. Hommeset femmes avaientordinairement des tâchesdifférentes dansles métierspratiquéssousformed'industrie familiale: les hommesaccomplissaient d'habitudeles tâchesconsidéréescomme ou exécula matièrepremière plus qualifiées,tandisque les femmestravaillaient du produit. taientla finition Les hommes,qui étaienten généralà la têtedesunitésde production, avaient le statutde maîtres-artisans. Les femmes, touten appartenant aux guildesde leurs maris,n'en étaienten effetque les auxiliaires; les fillesétaientrarement placées et n'accédaientdonc que trèsrarement commeapprenties au gradede compagnon ou de maître.Les femmesmariéesparticipaient à la production et devenaient promaisellesne dirigeaient bablementtrèsqualifiées, la production que si ellesétaient et des apprentis veuves,la guildeleuraccordantalorssouventle droitd'embaucher des compagnons. Les jeunesgensse mariaient au seinde leurguilde probablement (c'est-à-dire qu'ils épousaientles fillesd'artisanspratiquantle mêmemétier).En en tantque main-d'œuvre fait,les jeunesfillesjouaientun rôleuniqueet important dansun système où les guildesinterdisaient d'embaucher d'appointou occasionnelle des travailleurs à la familleet ellesacquéraientsansauextérieurs supplémentaires n cun doutedes compétences qui leurseraienttrèsutilesune foismariées . Il n'en restepas moinsque les fillesne semblentpas avoirété formées avecautantde soin que les garçonsni avoiraccédéau mêmestatutqu'eux dansles guildes. Si dansla plupartdesmétiers les hommesétaientles travailleurs et principaux les femmesleursassistantes, certainsmétiersétaientsi étroitement liésau sexeque l'industrie familialen'étaitpas la règle12. Deux de ces métiers étaientla menuiserie et la mode. Commeles menuisiers, les modistesembauchaient des apprenties et des et accédaientau statutde maître-artisan. assistantes si mécertains D'aprèsClark, tiersde femme,commela mode,étaienthautement et leur spécialisés possédaient 10. En fait, les premièresusines employaientdes enfantspauvres,déjà séparés de leur famille,que les autoritésparoissialesconfiaientcomme apprentisaux patronsd'usine. C'est eux qui étaientsansdoute les plus vulnérableset dont la situationétait la plus désespérée. 11. Voir Hutchins,p. 16 (voir égalementOlive J. Jocelyn,EnglishApprenticeshipand Child Labor, London : T. Fisher Unwin, 1912, pp. 140-50, sur le travaildes filles,ainsi que Clark,chap. 5, surl'organisationde l'industriefamilialedans les villes). 12. La divisionsexuelle de lartisanat existaitdéjà au XVIIe siècle. Il est tresnécessaire d'effectuerdes recherchessur le développementdes guildesdans le but de jeter plus de lumière sur la division sexuelle du travailet la question de la naturedes organisationsféminines.Ce genre de travaux nous permettaitde retraceravec plus d'exactitude le déclin du statut des femmesde l'époque tribaleà la naissancedu capitalisme,en passantpar la féodalité.
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d'organiser guildespropre,pourbeaucoupde métiersde femme,il étaitimpossible à monopodes guildespuissantes parceque la plupartd'entreeuxétaientdifficiles du de la les arts liser.Toutesles femmesétaientverséesdans textile, couture,de la une du faisaient certainemesure cuisineet dans commerce, qui partiede leurs tâchesdomestiques. etles guildes familiale Aux XVIIe et XVIIIe siècles,le systèmede l'industrie à êtreébranlésdu faitde la demanded'uneproduction commencèrent plus abonà organiser la production suruneéchelleplus commencèrent dante.Les capitalistes du foyer. de la tailledes entreprises dissociala production vasteet l'accroissement danslesquellesellesavaient Les femmes se virentalorstenuesà l'écartdesindustries se faisaitdésormais en dehors jusque-làsecondéles hommes,puisquela production du foyeret que les femmesmariéessemblaient avoirtendanceà ne pas le quitter, La nécessitépoussacependant pourcontinuerà accomplirleurstâchesménagères. à chercher un certainnombrede femmes du travailsalariédansl'industrie organisée un travailsalarié de façoncapitaliste.Il sembleque les femmesqui entreprenaient étaientdésavantagées commec'étaitle cas par rapportaux hommes.Premièrement, en agriculture, de salairesplusbas pourles femmess'étaitdéjà établie la tradition Deuxième(dans les domaineslimitésoù le travailsalariéexistaitantérieurement). moinsbonne que celle des était semble-t-il ment,les femmes,dontla formation des emploismoinsrecherchés. enfin,il semble Troisièmement, hommes,obtenaient qu'ellesn'étaientpas aussibienorganisées que les hommes. La capacitédes hommesà s'organiser ayant,à monavis,joué un rôleprimorde la participation au marchédu travailsalarié,je dial dansla limitation desfemmes selonlaquelleles désireapporter,d'abord,des preuvesà l'appui de l'affirmation et suggérer, hommesétaientmieuxorganisés ensuite,des raisonsplausiblesde leur dans ce domaine.Jene prétendspas que les hommesont toujoursété supériorité pluscapablesde s'organiser partout,danstousles domaineset quel que soitle type à cette Ce que je soutiensici c'est qu'ils l'étaienten Angleterre, d'organisation. en le de la dans domaine et, production particulier, économique. époque-là Une des preuvesde cette supériorité nous est fourniepar les guildesellesmêmes: cellesdes métiersmasculinsétaienten effetmieuxorganisées que celles des métiersféminins mixtes,leshommesoccupaient et, danscellesdes professions autoriséesà s'éleverdans les positionsles plusélevées,les femmesétantrarement Une autrepreuveest constituéepar l'essordes métiersmasl'échellehiérarchique. au coursdes XVIe et XVIIe siècles.La des métiersféminins culinset l'élimination dès masculine médicale, l'origine,s'estconstituéeau moyend'uneorgaprofession de la monopolisation de nouvellestechniques«scientifiques» nisationhiérarchique, été éliminépar les et de l'aide de l'État.Le métierde sage-femme a pratiquement en conhommes.La brasserieest un autreexemple.Les brasseurss'organisèrent du roi le monopole(en échanged'un impôtsurchaquelitrede sollicitèrent frérie, à forcerles nombreuxpetitscabaretiersà acheterleursprobière) et réussirent du capitalismeindustriel, duits13.Enfin,pendanttoutela périodede formation
13. Voir Clark, pp. 221-31 sur les brasseurset pp. 242-84 sur la professionmédicale.
21 les hommes semblentavoir été plus capables de s'organiseren tant que travailleurs salariés. Et comme nous le verronsci-dessous,au furet à mesuredu développement de la production industrielle,les hommes ont utilisé leurs organisationssyndicales pour limiterla place des femmessurle marchédu travail. Quant aux raisons de la plus grande capacité d'organisationdes hommes au cours de cette période de transition,je pense qu'il fautles chercherdans le développement des relations sociales patriarcalesau sein de la cellule familiale,relations renforcéespar l'État et la religion(ce processusa été brièvementdécritdans la première partie en ce qui concerne l'Angleterreanglo-saxonne).Les hommes, dont la position supérieureétait renforcéepar l'État et qui agissaientsurla scène politique en tant que chefs de familleet dans le foyeren tant que chefsde l'unité de production, ont sans doute eu plus souventla possibilitéde constituerdes organisations en dehors de leur foyer.Il est peu probable que les femmes,dont la position au foyer était inférieureet qui ne jouissaient pas du soutien de l'État, aient eu les mêmes possibilités.Le savoir des hommes en matièred'organisationdécoulait donc de leur position au sein de la familleet de la divisiondu travail.Des recherchesplus poussées sur les organisationsavant et pendantla période de transitionseraientévidemment nécessaires pour montrerpar quels mécanismes les hommes ont établi leur dominationsurce domaine public. L'organisation capitaliste de l'industrie, en transportantle travail hors du foyer,a donc contribué à augmenterla subordinationdes femmes,puisqu'elle a contribué à accroîtrel'importancerelativede la sphèrede dominationdes hommes. Mais il est importantde se souvenirque la domination des hommes était déjà établie et qu'elle a nettementinfluésurla directionet la formeprisespar le développement du capitalisme. Comme le soutientClark,une fois le travaildissocié du foyer, la dépendance des hommes à l'égard des femmespour ce qui est de la production industriellea diminué,tandis que la dépendance économique des femmesà l'égard des hommes s'est accrue. Les femmesmariées anglaisesqui subvenaientauparavant à leurs propres besoins et à ceux de leurs enfants(situation analogue à celle des femmes africainesdécrite dans la premièrepartie) devinrentles domestiques de leurs maris. Les hommes établirentde plus en plus leur dominationsurla technologie, la production et la commercialisationen excluant les femmes de l'industrie, de l'enseignementet des organisationspolitiques 14. La participationdes femmesau marché du travailsalarié,là où elle existait, était limitée aussi nettementpar le patriarcatque par le capitalisme. Le système du travailsalariéa modifiéla dominationdes hommes surle travaildes femmesmais ne l'a pas abolie. Sur le marché du travail,la position dominantedes hommes s'est 14. Ibid., chap. 7. Eli Zaretsky («Capitalism, the Family, and Personal Life», Socialist d'une interprétation Revolution, no. 13, 14, 1973) tiredes conclusionsdifférentes analogue de l'histoire.D'après lui le capitalismea aggravéla divisionsexuelledu travailet créé l'illusionque les femmestravaillentpour leur mari ; «en réalité», les femmesqui effectuaientchez elles les travaux ménagerstravaillaientpour les capitalistes.Selon Zaretsky,la situation actuelle tire donc sa source du capitalismebeaucoup plus que du patriarcat.Le capitalismea peut-êtreen effetaggravépour les femmesles conséquences de la divisiondomestique du travail,mais le patriarcatnous en dit sûrementbeaucoup plus sur les raisonspour lesquelles ce ne sontpas les hommesqui sontrestésà la maison. Que le travailménagerdes femmesbénéficiâtaux hommes, autantqu'au capital,est aussi une réalité.
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ordonnéesuivantle sexe. Les maintenuegrâceà une ségrégation professionnelle exercés les étaient femmes moins par emplois payés,considéréscommemoins 15. Les à et à la responsabilité et faisaient moins souvent l'autorité qualifiés appel le sur hommesontprisdesmesurespourimposerla ségrégation professionnelle maret renforcé la divisiondu travailau foyer ché du travail: ils ontutiliséles syndicats du travailménager, des soinsaux enqui exigeaitdes femmesqu'ellesse chargent La positionsubalterne des femmes sur fantset des autrestâchesqui s'y rapportent. au seinde la famille, le marchédu travailrenforçait leurpositionsubalterne celleà sontourleursituation inférieure surle marchédu travail. ci renforçant du système desusines,dans et l'institution Le processusde l'industrialisation masculins. illustrent le rôlejoué par les syndicats l'industrie textileen particulier, Les usinestextilesemployaient d'aborddes enfants, mais en s'agrandissant elles On a à utiliserle travailde femmesadulteset de famillesentières. commencèrent 16 maisil semble mariéesqui travaillaient , peut-être exagéréle nombredes femmes à reprendre à l'usinele travailqui avait nombreuses qu'ellesaientété suffisamment été le leurpourque leursmaris,aussibienque les classessupérieures, s'inquiètent de l'avenirde la vie de familleet des soinsaux enfants.Selon Smelser,le système de l'industrie familialeet l'autoritéde l'hommeavaientsouventpu se perpétuer dans les premières usines.Par exemple,les ouvriersfìleursadultesembauchaient souventcommeaides leurspropresenfantsou d'autresenfantsde leurfamilleet des famillesentières étaientsouventemployéesdansla mêmeusinepourunejournée de travailde mêmedurée17.Le maintiende ces pratiquesfutcependantrendu inde plus en plus difficile de la technique,et la législation par le développement dustrielle, qui limitaitla duréedu travaildes enfantsmais non celle des adultes, du «systèmede l'industriefacontribuade son côté à augmenter les difficultés miliale». of the Labor 15. Dans sa thèsede doctorat,«MarxianTheoryand the Development Lazonicksoutient Forcein England»(Ph. D. diss.,Harvard 1975),William University, que l'un des facteurs étaitle degréd'autoritéexigéde souventle sexedu travailleur qui déterminaient à domicile,les tisseurs au métierà mainétaientdes hommesparce lui. Ainsidans l'industrie Dans et le travail desfileuses. ainsile contrôlesurle processus de production qu'ilsexerçaient le travaildes les renvideurs étaientdes hommesparce qu'ilsdevaientsurveiller les filatures, rattacheurs qui étaienten généralde jeunesgarçons.La positiondeshommesentantque chefs Tout leurpositionen tantque chefdes unitésde production, et vice-versa. de familleassurait ceci est certainement plus poussées.Les je pense,des recherches plausiblemais nécessite, travauxde Lazonickdansce domainesontprécieux(voirchap.4 : «Segments of theLabour Force: Women, andIrish»). Children, du textileétaientsansdoutedesfemmes mariées(voir 16. 25 % a peu prèsdes ouvrières London : Pinchbeck, Hewitt,Wivesand Mothersin Victorian Industry, p. 198 ; Margaret en usineétaitloin de se souvenir Rockliff, 1958,pp. 14 et suiv.).Il estimportant que le travail le principal La plupartd'entreellestravaillaient de constituer commedométierdes femmes. mestiques. 17. Neil Smelser,Social Change and the IndustrialRevolution, Chicago : Universityof
ontégalement ChicagoPress,1959, chap.9-11.D'autreschercheurs prouvéque danscertains cas la familleexerçaitun contrôleassezpoussésurcertains Voirla recherche aspectsdu travail. de TamaraHarevensurles usinesdu New Hampshire: p. ex., «FamilyTimeand Industrial betweenFamilyandWorkina PlannedCorporation Time: TheInteraction Town,1900-1924», Journalof UrbanHistory1, no. 3, May 1975 : 365-89.DansFamilyStructure inNineteenth Lancashire(Cambridge : Cambridge souPress,1971), MichaelAnderson University Century sur les outient,en se fondant des donnéesdémographiques, que «la coutumequi autorisait des assistants, vriersà embaucher bienque trèsrépandue, n'a pu à aucunmoment avoircomme résultat où les parentsembauchaient un système surtoutleurspropresenfants» (p. 116). Amy Hirschtraiteaussicettequestiondans «Capitalism and theWorking Class Familyin British TextileIndustries duringtheIndustrial ronéo.,NewYork: NewSchoolforSocial Revolution», 1975. Research,
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Les revendications des ouvriers d'usinedansles années1820 et 1830 visaient réau maintiendu systèmede l'industriefamiliale 18,maisdès 1840, les ouvriers de à 13 de enfants 9 à travail clamaientla réduction 8 heuresde la journée pourles la formades enfantsplusjeunes.D'aprèsSmelser, ans et l'interdiction d'employer des enfants tionet la surveillance et,afin parleursparentsdevintalorsplusdifficile comles travailleurs masculinset les classesmoyenneet supérieure d'y remédier, mencèrentà recommander que les femmescessentelles aussi de travailleren usine19. à l'èrevictorienne, Les classessupérieures époque où l'on mitles femmessur moraleet l'inquiétude un piédestal,semblentavoirété motivéespar l'indignation de la classe ouvrière): «Les pour l'avenirde la race anglaise(et la reproduction chez l'homme,dit Lord Shafteseffetsmorauxdu systèmesont trèsregrettables bury,mais chez les femmesces effetssontbien pires,non seulementsur ellesmêmesmais surleur famille,surla sociétéet, pourrais-je ajouter,surle paysluila femme l'hommeest déjà un assezgrandmal,maiscorrompre même.Corrompre 20 . lui aussemble à même» les de la vie leur source c'est empoisonner eaux Engels ici : «... nous voyonsréapparaître tout si s'êtreindignépour des raisonsanalogues travaillant ce qui a été décritdansle Rapportsurles Usines- les femmes jusqu'au leur momentde l'accouchement, incapablesde s'occuperde leurménage,négligeant et mêmede l'aversionpourla de l'indifférence témoignant foyeret leursenfants, de démoralisation vie de familleet souffrant ; en outre,leshommeschassésde leurs constantdes machines,l'émancipation prématurée emplois,le perfectionnement etc. etc21.» des enfants,les hommesentretenus par leur femmeet leursenfants, masculinsà la siEngelstouche ici aux raisonsde l'oppositiondes travailleurs ne pas savoirde quel tuation.Il semblecependantavoirune attitudeambivalente, côté se rangercar,touten paraissantsouventadopterl'attitudedeshommeset des 18. «L'agitation (des ouvriersd'usine) dans les années 1820 et 1830 était l'une des voies empruntéespour préserverla relation traditionnelleentreadulte et enfant,pour perpétuerla des manœuvresdans l'industrieet pour mainstructuredes salaires,pour limiterle recrutement tenirl'autoritééconomique du père» (Smelser,p. 265). Lazonick soutientque les travailleursne s'intéressaientpas tant à maintenirleurdominationfamilialedans l'industriequ'à préserverleur vie de famillea l'extérieurde l'industrie.Selon Smelser,avant 1840, l'agitationavaitpour but ce qui visaità préserd'instaurerune journée de travaild'égale durée pour tous les travailleurs, ver la familleau sein de l'usine, tandis qu'après 1840 les travailleursmasculins finirentpar accepterl'idée que les femmesmariéeset les enfantsdevaientresterà la maison. 19. C'est une question épineuse que celle des mobiles des diversgroupes interessesau passage des lois sur les usines. Les travailleusesétaient peut-êtreelles-mêmesen faveurde cette législationparce qu'elle amélioreraitleurs conditionsde travail,mais il y en avait certainement qui avaientbesoin du revenuassurépar une journée plus longue. La plupartdes femmesqui travaillaienten usine étaient de jeunes célibatairesqui tiraientpeut-êtreavantagede cette protection. Bien que «libérées» par les usines de la dominationimmédiatede leur famille(sujet très discuté au XIXe siècle) les femmescélibatairesn'en étaient pas moins maintenuesà leurplace par les conditionsauxquelles elles se heurtaientsur le marchédu travail.A cause de leurâge et de leur sexe, la ségrégationprofessionnelleet les bas salairesles empêchaientde se suffirecomplètementà elles-mêmes.Les hommesde la classe dirigeante,surtoutceux liés aux plus grandes entreprises,avaientpeut-êtreintérêtau passage de lois industriellesafin d'empêcherla concurrence déloyale. Les hommes de la classe ouvrièrecollaboraientpeut-êtreavec ceux de la classe dirigeantepour préserverla position dominantedes hommes surle marchédu travailet au sein de la famille. 20. D'après Mary Merryweather, Factory Life, cité dans Women in English Life from Medieval to Modern Times, 2 : 200. L'original est enregistrédans Hansard ParliamentaryDebates,3d ser.,House of Commons,June7, 1842. 21. FrederickEngels, The Conditionof the WorkingGass in England in 1844, London : Geo. Allen & Unwin,1892, p. 199.
24 classes supérieures,il traite les syndicatsd'organisationsd'élite d'hommes adultes obtenant des avantagespour eux-mêmes,à l'exclusion des travailleursnon qualifiés, des femmeset des enfants22. Dans un systèmeéconomique caractérisépar la rivalitéentretravailleurs,il n'est guère surprenantque les travailleursmasculins aient considéré le travaildes femmescomme menaçant leurs emplois. Cette menace était aggravéepar le faitque les salaires des femmesétaient plus bas. Qu'ils aient réagi en tentantd'exclure les femmesplutôt que de les organisers'explique cependant non par le capitalismemais par les relationspatriarcalesentrehommes et femmes : les hommes voulaient être sursque les femmescontinueraientà remplirleurstâches propresau foyer. Engels rapporte un incident qui s'était sans doute produit dans les années 1830. Les fîleursde Glasgow avaientconstituéun syndicatsecret : «Le comité avait mis à prix la tête de tous les «blacklegs» (les jambes noires= les jaunes)... et provoqué volontairementdes incendies dans les usines. Dans l'une des usines qui devait être incendiée,les «jaunes» qui avaient remplacé les fîleursétaient des femmes.La mère de l'une de ces jeunes filles,une certainemadame MacPherson,futassassinée et les responsables du meurtre furent expédiés en Amérique aux frais du syndicat ^ .» L'hostilité contre la concurrencedes jeunes filles,presque certainement moins qualifiées et moins bien payées, était certeschose courante,mais les femmes mariées étaient considérées comme moins excusables encore d'occuper un emploi salarié. En 1846, le Ten Hours' Advocate («Partisan de la journée de 10 heures») déclarait ouvertementsouhaitervoir venirle jour où cette menace n'existeraitplus : «... Inutile de dire que tout effortd'amélioration du moral et des conditions physiques des travailleusesd'usine ne peut qu'échouer si leur journée de travail n'est pas considérablementréduite. Nous irons même jusqu'à dire qu'exécuter les tâches domestiques du foyerconstitue pour les femmesmariées une bien meilleureoccupation que suivre le mouvement infatigablede la machine. Nous espérons donc que le jour arriverabientôt où le mari pourra subveniraux besoins de sa famille sans avoir à envoyersa femmesupporterle pénible labeur d'une filaturede coton 24.» Les syndicalistesfinirentpar comprendreque les femmesne pouvaient pas être complètementéliminées,mais leur attitudedemeura ambivalente.Une union locale écrività la Women's Trade Union League (Ligue des syndicatsféminins)organisée en 1889 pour encouragerles travailleusesà se syndiquer : «Envoyez s'il vous plaît une organisatricedans notre ville parce que nous avons décidé que si les femmesne parviennentpas à s'organiseril faudrales exterminer25.» 22. Ibid. p. XV. 23. Engels, The Condition of the WorkingClass in England in 1844, Stanford,Calif. : StanfordUniversity Press,1968. o. 251. 24. Smelser,p. 301. Pinchbeckcite, de son côté, une délégationdu WestRiding ShortTime Committeequi exigeait «le retraitprogressifde toutes les femmesdes usines» parce que «le foyer,ses soins, ses travauxsont le véritabledomainede la femme».Gladstonepensaitque cette propositionétait bonne et pouvait facilementêtre appliquée grâce à des lois appropriées, par ex. : «interdisantaux femmesde travailleren usine après leur mariageet du vivantde leur mari»(Pinchbeck,p. 200, n. 3, d'aprèsle Manchesterand SalfordAdvertiser, January8, 15, 1842). 25. Cité dans G.D.H. Cole & Raymond Postgate,The CommonPeople, 1746-1946, 4th London ed., :Methuen, 1949, p. 432.
25 Les historienset les économistes britanniquesdu début du XXe siècle ont donné diversesexplications de la situationdéplorable des femmessur le marchédu travail.Certainsacceptaient l'argumentdes syndicatsmasculins disant que la place des femmesétait autant que possible au foyeret que les salaires des hommes devaient être augmentés. Ivy Pinchbeck déclare, par exemple : «... la révolutionindustriellea constitué un progrèsréel, puisqu'elle a amené à formulerle postulat selon lequel le salaire des hommes devrait être payé en fonctionde leur familleet ouvert la voie à la conception plus moderne suivantlaquelle la femmemariée apporte une contributionéconomique suffisanteen élevant ses enfantset construisant le foyer»26. D'autres, par contre, soutenaient que ce système ne feraitque perpétuerle statutéconomique inférieurdes femmes.Il est importantde passer en revue la littératurede cette époque et, tout particulièrement, la série d'articles de Webb, Rathbone, Fawcett et Edgeworthdans YEconomie Journal,parce que presque toutes les explications de la position des femmessur le marché du travailqui ont été utilisées depuis y sont déjà esquissées. En outre, cette littératuresemble confirmerla thèse exposée dans cet article,à savoir que la ségrégationprofessionnelle a été préjudiciable aux femmeset que les syndicatsmasculins ont tendu à la renforcer. Plusieursauteurs qui ont mis l'accent sur la ségrégationprofessionnelleet les groupes non compétitifsen tant que mécanismesfondamentauxont égalementparlé de l'action des syndicalistesmasculins. Webb justifie les salaires plus bas des femmes en expliquant qu'elles exécutaient rarementun travail de même niveau, même au sein d'un seul métierou d'une seule industrie.Il cite en exemple l'industrie du cigare où les hommes fabriquaientles cigares de luxe et les femmesles ci27 garesbon-marchéexigeantune qualificationmoindre . Il n'en reconnaîtpas moins le rôle joué par les syndicatsmasculins qui empêchaientles femmesd'acquérirune qualificationet il admet la possibilitéque même à travailégal le salairedes femmes ait été plus bas28. MillicentFawcett soutient que le salaireégal à travailégal était une supercherie pour les femmespuisqu'on les avait empêchées d'acquérir les mêmes qualifi29 cations et que leur travail (dans les mêmes emplois) n'était donc pas égal . Elle 26. Pinchbeck,pp. 312-13. L'histoirede la naissancedu capitalismeet de la Révolution industriellemontreclairementque le «salaire familial»est un phénomènerécent. Avant la fin du XIXe siècle, les femmesmariéesde la classe ouvrière(et, plus tôt,celles des classes moyenne et supérieure) étaient censées subvenirà leurs propres besoins^ Un industriel,Andrew Ure, écrivaiten 1835 : «Les salairesdes ouvrièresd'usine sont aussi en généralbeaucoup plus bas que ceux des ouvrierset on s'est apitoyé sur leur sort,peut-êtreà tort,puisque le faitque leurtravail y est estimé à bas prix tend à faire de leurs tâches ménagèresleur occupation la plus profitableaussi bien que la plus agréableet leurévited'être tentéespar l'usine et de délaisserles soins aux enfants.La Providenceaccomplit ainsi ses desseins avec une sagesseet une efficacité qui devraientréfreinerles présomptueusesinventionshumainesà courte-vue»{The Philosophy of Manufacturers,London : C. Knight,1835, p. 475). L'évolution du salairefamilialest examinée plus en détail par Heidi Hartmanndans «Capitalism and Women's Work in the Home, 1900-1930» (Ph.D. diss., Yale University,1974). Il est nécessairede poursuivreles travauxsur ce suiet. 27. Sidney Webb, «The Alleged Differencesin the Wages Paid to Men and Women forSimilarWork»,Economic Journal1, no. 4, December 1891, 639. 28. La rivalitéentrehommes et femmesdans l'industrieest une lutte pour s'assurerles emplois les mieux payés plutôt qu'une concurrencedirecte sur les salaires (ibid., p. 658). 29. MillicentG. Fawcett, «Mr. Sidney Webb's Article on Women's Wages»,Economie Journal2, no.l, March 1892, 173-76.
26 pense que la politique des syndicatsconsistaitessentiellementà exclure les femmes lorsqu'elles étaient moins compétentes et à garantir,d'ailleurs, qu'elles le resteraient30. Comme le disait Eleanor Rathbone en 1917, pour les dirigeantssyndicaux, appuyerla revendicationdu salaireégal était «un moyen efficacede perpétuer l'exclusion des femmestout en se présentantcomme les défenseursde l'égalité entre les sexes». Il était clair, pensait-elle,que beaucoup de leurs membresétaient «au fond plutôt scandalisés à l'idée qu'une femme puisse gagner le salaire d'un homme» 31. Rathbone prend elle aussi sérieusementen considérationla différenceentre les responsabilitésfamilialesdes hommes et des femmes.Cette différenceest très réelle, soutient-elle : les hommes subviennenteffectivementaux besoins de leur famille plus souvent que les femmeset ils veulentgagnerassez pour le faire.Mais elle n'est pas nécessairementd'accord avec cet état de choses ; elle admet simplement qu'aux yeux de la plupart des gens il s'agit d'un «aspect fondamentalde la structuresociale» : «La thèse que j'ai développée irriteou déprime en général toutes les femmes qui prennent à cœur les intérêtsde leur propre sexe, parce qu'elle semble aboutir à une impasse. Si les salairesdes hommes et des femmes sont réellementbasés sur des conditions fondamentalement différentes,et si ces conditions sont immuables,il sembleraitalors... que les femmesserontéternellementles «jaunes», condamnées à compromettremalgréelles les chances des hommeschaque fois qu'elles sont amenées à leur faireconcurrence...S'il en était vraimentainsi,les hommes auraient alors raison de traiterles femmes- et ils le font d'ailleurs en pratique - comme les lépreuses de l'industrie,reléguéesà des métiers que les hommes ont accepté de leur abandonner,autorisées à s'occuper de coudre des vêtementsou de se rendremutuellementdes services domestiques, ou à exécuter dans les principaux métiers des opérations subsidiaires si monotones et exigeant si peu de qualifications que les hommes ne tiennentpas à se les réserver» . La premièreguerremondiale avait cependant soulevé les espoirs des femmes qui n'étaientpas prêtes à reprendreleur place de bon gré - bien que les syndicats masculins aient reçu l'assurance que les emplois des femmesétaient temporairesd'autant plus que les femmesmariées dont les maris étaient partis à la guerrerecevaient, outre leur salaire, des allocations proportionnellesà la taille de leur famille.Rathbone écrit : «... la solutionfuturedu problèmeest douteuse et diffìcile et... elle laisse prévoirla désagréableéventualitéde l'antagonismeentreles classes et entreles sexes... les femmes,en particulier,aurontle choix entreêtre exploitées par les capitalistes et être tyranniséeset oppriméespar les syndicalistes,une bien 30. Dans sa critique de Women in the PrintingTrades, ed. J. Ramsay Mac Donald, Fawcett dit qu'un syndicatécossais «avait décidé qu'il fallaitsoit payeraux femmesles mêmes salairesqu'aux hommes soit s'en débarrassercomplètement»(p. 296). Elle parle de «l'opposition constanteet vigilantedes syndicatsà l'emploi et à la formationtechniquedes femmesdans les métiers les mieux payés et les plus qualifiés» (p. 297). Elle cite en exemple le London Bookbindersqui s'efforçade réserveraux hommesde ce syndicatle traSociety of Journeymen vail hautementqualifié de la pose des feuillesd'or - un métierde femme{Economie Journal 14, no. 2, June1904, 295-99). 31. Eleanor F. Rathbone, «The Remunerationof Women'sServices»,Economic Journal 27, no. 1, March 1917, 58. 32. Ibid., pp. 62-63.
27 tristealternative»33. Elle recommandaitla continuation après la guerredu versement des allocations, afin de garantirque les famillesn'auraient pas à compter uniquement sur le salaire des hommes, que les femmes restant au foyerseraient payées pour leur travailet qu'elles pourraientrivaliserà égalité avec les hommes sur le marché du travail puisque les salaires «exigés» ne seraientpas différents.En 1918, Fawcett pensait également que «travail égal, salaire égal» était un objectif réalisable. La promotion sur le marché du travailexigeait un salaireégal afínde ne pas dévaluerle salaire des hommes. Les principauxobstacles venaient,à son avis, des syndicatsmasculins et des coutumes sociales et ils avaient pour conséquence l'encombrementdes métiersfémininsM . En 1922, Edgeworthsystématisaitle modèle de ségrégationprofessionnelleet d'encombrementesquissé par Fawcett : la ségrégationen fonctiondu sexe cause l'encombrementdes secteurs féminins,ce qui permet aux salaires des hommes d'être plus élevés et maintientles salaires des femmesà un niveauplus bas qu'il ne le serait autrement.Edgeworthreconnaît que les syndicatsmasculinssont les prin35 cipaux responsablesde cet encombrement . Il soutientqu'il faut que les hommes bénéficient d'un avantage du fait de leurs responsabilitésfamiliales,le corollaire étant que les femmes n'ayant pas les mêmes responsabilitésfamiliales que les hommes et pouvant même recevoird'eux des subsides,leur participationtendrait à fairebaisser les salaires. Il semble penser que, même en rivalisantà égalité surle marché du travail,les femmesnon mariées finiraientelles aussi par avoirun salaire inférieurà celui des hommes non mariés,parce que les femmesont besoin de 20 % de nourriturede moins que les hommes pour atteindreleur efficacitémaximum. Edgeworthprenait simplementau sérieuxl'affirmationcourante selon laquelle les femmesauraientun niveau de vie inférieurà celui des hommes et accepteraientde travaillerpour moins d'argent36. Edgeworth concluait qu'il fallait supprimerles restrictionsau travail des femmesmais que, puisque la libre concurrencerisquait d'abaisser le salaire des hommes pour les raisons ci-dessus,les hommes et les familles devraient recevoirune compensation pour les pertes que leur causerait la 37 participationaccrue des femmes . 33. Ibid, p. 64. 34.Millicent G. Fawcett, «Equal Pay for Equal Work», Economic Journal 28, no. 1, March 1918, 1-6. 35. «La pression des syndicatsmasculins semble être en grande partie responsabledu fait que les femmess'entassentdans un nombrerelativementrestreintde métiers,faitgénéralement reconnu comme un des facteursprincipauxde l'abaissementde leurs salaires» (F .Y. Edgeworth,«Equal Pay to Men and Women for Equal Work», Economic Journal32, no. 4, December 1922,439). 36. Je pense que ce raisonnementest valable, bien quii ressemblea un cercle vicieux. Comme dit Marx, le salaire est déterminépar la valeur des biens socialementnécessairesà la subsistancedu travailleur,et ce qui lui est necessaireest le produitde l'évolutionhistorique,des habitudesde confort,de l'activitésyndicale,etc. {Capital, 1, 171). Laura Oren a passé en revue la littératuresur le niveau de vie des famillesde la classe ouvrièreet elle conclutqu'au sein de moinsde loisirset moinsd'arla familleles femmesdisposent,en effet,de moinsde nourriture, gent de poche («The Welfareof Women in LaboringFamilies : England 1860-1950», Feminist Studies 1, nos. 3-4, Winter-Spring 1973, 107-25). Le fait que les femmes,comme les groupes d'immigrants,ont pu se reproduiredepuis des siècles en se contentantde moins est un des facteursqui contribuentà abaisserleurssalaires. 37. Les conclusion d Edgeworthsont un exemple typique de celles de économistesnéoclassiques. En poussant plus loin l'analyse de Fawcett il s'est éloigné des faits. Tandis que Fawcett avait compris que les femmesn'étaient pas moins capables que les hommes,ce que Rathbone soutenait aussi, Edgeworth s'obstina dans l'idée que les hommes méritaientplus et
28 La ségrégationprofessionnelleen fonction du sexe est la principale raison avancée dans la littératureanglaise pour expliquerles salairesinférieurset plusieurs explicationsinterdépendantessont offertesaussi bien pour les salairesinférieursque pour l'existence de la ségrégationprofessionnelle,à savoir : 1) la politique d'exclusion des syndicats masculins, 2) la responsabilité financière des hommes à l'égard de leur famille, 3) l'acceptation par les femmesde salairesplus bas (et l'impossibilitépour elles d'en obtenirde plus élevés) du faitde leurssubsidesou de leur niveau de vie plus bas et 4) le manque de formationet de qualificationdes femmes. La littératurehistoriqueanglaiselaisse fortementsupposer que la ségrégationprofessionnelledes sexes est d'origine patriarcale,qu'elle existe depuis longtempset qu'il est difficilede l'abolir. La capacité des hommes à s'organiseren syndicats-
découlant peut-êtred'une meilleureconnaissance de la technique de l'organisation hiérarchique- semble constituerun facteur-cléde leur capacité à perpétuerla ségrégationprofessionnelleet la divisiondu travailau foyer. L'examen de ce qui s'est passé aux Etats-Unisnous fournitl'occasion d'étudier, d'abord, des modifications dans la composition sexuelle des métiers et de poursuivre,ensuite, l'analyse du rôle des syndicats,en particulierdans l'adoption d'une législationprotectrice.Les ouvragesaméricains,et plus particulièrementles travauxd'Abbott et Baker3 8, mettentl'accent sur les modificationssexuelles dans les métierset, contrairementà la littératureanglaise,font surtoutappel à la technologie en tant que phénomèneexplicatif. Aux Etats-Unis,les conditions n'étaient pas les mêmes qu'en Angleterre.Premièrement,la division du travailchez les famillesd'agriculteursde l'époque coloniale était probablement plus rigide, les hommes travaillantaux champs et les femmesproduisantdes articlesmanufacturésà la maison. Deuxièmement,les premières usines textiles employèrentdes jeunes fillesdes fermesde la Nouvelle Angleterre; on s'efforçaconsciemment,sans doute par nécessité,d'éviterde créerun système de travail familial,et de conserverla main-d'œuvremasculine pour l'agriculture39. Les choses changèrentcependant lorsque l'industriefinitpar supplanter l'agricultureen tant que secteurprincipal de l'économie, ainsi que du fait de l'immigration.Troisièmement,la pénurie de main-d'œuvreet les dures nécessités, à l'époque coloniale comme à celle de la frontière,ouvrirentpeut-êtrede plus grandes possibilités aux femmes dans des occupations non traditionnellesen dehors du foyer : les femmesdes colons exerçaient des activitéstrès variées40. Quatrièmement, la pénurie de main-d'œuvrecontinua à jouer en faveurdes femmesà divers moments pendant tout le XIXe siècle, ainsi qu'au XXe. Cinquièmement,l'arrivée continuelle de nouveaux groupes d'immigrantscréa une main-d'œuvreextrêmes'efforçade le justifierthéoriquement.Il était opposé aux allocations familiales,en raisonnant les impôts,décourageraient toujours à la manièrenéo-classique,parce qu'elles augmenteraient les investissements, encourageraientla reproductiondes classes les plus pauvreset retireraient aux hommes leur incitationau travail.Edgeworthdit en rapportantles propos d'une inspectrice : «Je suis presque d'accord avec la travailleusesociale qui déclaraitque si le mari est au chômage la seule chose à fairepour la femmeest de s'asseoiret de pleurer,parce que si elle fait autrechose il resteraau chômage» (o. 453). 38. Edith Abbott, Women in Industry,New York : Arno Press, 1969 ; Elizabeth F. Baker,Technologyand Woman'sWork,New York : Columbia UniversityPress,1964. 39. Voir Abbott,part.chap. 4. 40. Ibid., chap. 2.
29 ment hétérogène dont les niveaux de compétence et d'organisationétaient très variéset au sein de laquelle sévissaientde nombreuxantagonismes41. Des modificationsimportantesse produisirentdans la composition sexuelle des emplois dans la manufacturedes bottes et des chaussures,le textile,l'enseigne42 ment, la fabricationdes cigares et le travailde bureau . Dans toutes ces professions, le textile excepté, les modificationsallaient dans le sens d'un emploi accru des femmes.Dans la plupart des nouvelles professionsqui s'ouvraientaux hommes comme aux femmes,les hommes semblaientdominer,à quelques exceptions près. Les métiers de téléphonisteet de dactylographe,par exemple, furentréservésaux femmes. Dans tous les cas d'accroissementdu nombre de femmes«au travail»,cellesci étaient incitées en partie par une augmentationrapide de la demande du service ou du produit en question. Vers la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècles par exemple, la demande de bottes prêtes à porter s'accrut à cause de la guerre,du plus grandnombre d'esclaves, de l'augmentationgénérale de la population et de la conquête de l'Ouest. La demande d'enseignantsaugmentarapidementavant, pendant et après la Guerre civile au furet à mesure de la propagationde l'instruction publique. La demande de cigaresbon marché fabriquésà la machine augmentarapidement à la findu XIXe siècle. Le nombre d'employés de bureau monta en flèche entre 1890 et 1930, lorsque l'augmentationde la taille des entrepriseset leur centralisationnécessitèrentune administrationplus importanteet l'accroissementde la distribution,des transports,de la commercialisationet des communications. Le transfertde certainsmétiersaux femmess'accompagnait souvent d'innovations techniques assurantune productivitéplus grande et réduisantquelquefois la qualificationrequise de la main-d'œuvre.Dès 1800, les bottierset les cordonniers avaient mis au point une divisiondu travailqui permettaitaux femmesde coudre chez elles le dessus des chaussures. Au cours des années 1850, des machines à coudre furentutiliséespour les bottes et les souliersdans les usines. Dans les années 1870, l'utilisation de moules en bois, au lieu du façonnage à la main, simplifiala fabricationdes cigares et des machines commencèrentà être utiliséesvers 1880. La productivitédu travailde bureau futnaturellementfortementaccrue par l'introduction de la machine à écrire. Les machines introduitesdans le textile,les renviréservéesaux hommes. Dans l'imprimerie,d'où les deurs,étaient traditionnellement syndicatsmasculins avaient réussi à exclure les femmes,les syndicatsexigèrentque seuls leursmembrestravaillentaux nouvelleslinotypes43. 41. Les employeursrenforçaientsouventces antagonismes.Au cours d'une grèvedes ouvriersdu cigare à New York, en 1877, les employeursembauchèrentdes jeunes fillesnon qualifiées,nées en Amérique. En mettantsurles boîtes l'inscription: «ces cigaresont été fabriqués par des jeunes fillesaméricaines»,ils vendirentbeaucoup plus de ces cigaresdéfectueuxqu'ils ne l'avaientespéré(Abbott,p. 207). 42. Ce résume,base sur Abbott, est confirmepar Baker aussi bien que par Helen L. Sumner,History of Womenin Industryin the UnitedStates, 1910, United States Bureau of in the UnitedStates, WashingLabor, Report on Conditionsof Womenand Child Wage-Earners ton,D.C. : GovernmentPrintingOffice,1911, vol. 9. 43. Baker et Abbott s'appuientsurles facteurstechnologiques,conjuguésaux différences sexuelles biologiques, pour expliquer les modificationsde la compositionsexuelle des emplois. La vitesseaccrue des machineset quelquefois leur lourdeuraccrue donneraientl'avantage aux hommesqui sont plus forts,ont plus d'endurance,etc. Pourtantchacune d'elles cite souventdes statistiquesindiquantque des machinesdu même type sont utiliséespar les deux sexes : p. ex.
30 Les principauxobjectifsde la subdivisiondu travail,de la simplificationdes tâches et de l'introductiondes machinesétaientl'augmentationde la production,la diminutionde son coût et un contrôleplus complet de la directionsur le processus de fabrication.La subdivisiondu travailpermettaiten général d'utiliserune maind'œuvre moins qualifiée pour une ou plusieursparties des tâches à accomplir. La réductiondu coût de la main-d'œuvreet l'exercice d'un plus grandcontrôlesur elle constituaientle mobile de la gestionscientifiqueet des premièrestentativesde réor** ganisation du travail . La mécanisationfavorisaitcette évolution mais n'en était pas la force motrice. La mécanisation allait souvent de pair avec la main-d'œuvre non qualifiéeet le travaildes femmes. Outre l'accroissementde la demande et l'évolutiontechnique,une pénuriede la source habituelle de main-d'œuvrecontribuaitsouvent à la transformationde celle-ci. Ce futle cas, entreautres,dans le textile.Vers les années 1840, en effet,les jeunes femmesdes fermesde la Nouvelle Angleterrecommencèrentà être attirées par les nouvelles possibilités de travail qui s'offraientaux femmes de la classe moyenne,l'enseignementpar exemple. Leur place fut prise dans les usines par des immigrants.Dans la botte et la chaussure,les bottiersqualifiésne suffisaientplus à répondre à la demande. Quant au travail de bureau, le nombre d'hommes disponibles ayant une éducation secondaire était loin de correspondreà l'accroissement de la demande. En outre, des changementsde structurerendaientle travail de bureau particulièrementpeu attrayantpour les hommes - ces emplois devenaient des culs-de-sacdu fait de l'expansion - tandis qu'il offraitaux femmesde meilleuressituationsque celles qu'elles pouvaienttrouverailleurs45. La manufacturedes cigares nous fournitune bonne illustrationde l'opposition des syndicats masculins aux changementsimminentsdans la composition sexuelle de la main-d'œuvreainsi que de la forme sous laquelle s'exprimaitcette ** opposition : la législationprotectrice . La manufacturedes cigaresétait une industriedomestique avant le début du XIXe siècle. Les femmesdes fermesdu Connecticutet d'autres régionsfabriquaientchez elles des cigares assez grossierset les vendaient à la boutique du village. Les premièresusines employèrentdes femmes, mais elles furentbientôt remplacéespar des immigrantsqualifiés dont les produits les métiersrenvideurs.Je soutiens,pour ma part, que les différences observéesne sont que des rationalisationsvisantà justifierl'attributionactuelle des tâchesà chacun des sexes. La pression sociale est un puissantmécanismede consécration.Abbott en donne plusieursexemples. Une femme qui avait, paraît-il,appris le fonctionnementdes renvideursa Lawrence se rendit à Walthamlorsque ces machinesy furentintroduites.Elle futobligée de partir,cependant,parce que, selon un ouvrier: «Les hommesfaisaientdes remarquesdésagréableset c'était trop difficile pour elle d'êtrela seule femme»(p. 92). 44 . Voir Harry Braverman,Labor and Monopoly Capital, New York : MonthlyReview Press,1974. part.chap. 3-5. 45. Elyce J. Rotella, «Occupational Segregationand the Supply of Womento the American Clerical Labor Force, 1870-1930» (rapport présentéà la Conférencede Berkshiresur l'Histoire des femmes,RadcliffeCollege, 25-27 octobre 1974). Bien que la ségrégationprofessionnelleet les modificationsde la compositionsexuelle soient des faitsreconnusdepuislongtemps,trèspeu d'études ont été consacréesau processusde cette modification.Pour le travail de bureau on peut citer,outre Rotella, MargeryDavies, «Woman'sPlace Is at the Typewriter», Radical America 8, no. 4, July-August1974, 1-28. Valerie K. Oppenheimerexamineles modifications dans l'enseignementprimairedans The Female Labor Force in the United States, Berkeley : Instituteof InternationalStudies, Universityof California,1970. Abbott et Baker, enfin,ont passé en revuediversesmodifications. 46. Ce compte rendu s'appuie principalementsur Abbott, chap. 9 et Baker, pp. 31-36.
31 pouvaient rivaliseravec les cigareseuropéens de luxe. En 1860, les femmesne constituaientplus que 9 % de la main-d'œuvreemployée à la manufacturedes cigares. Ce passage de la main-d'œuvreféminineà la main-d'œuvremasculine fut suivi par un retourà la main-d'œuvreféminine,mais non sans se heurterà l'opposition des hommes.En 1869, le moule en bois fitson entrée,en même temps que des femmes immigréesde Bohème (qui avaient été des travailleusesqualifiéesdans les usines de cigares d'Autriche-Hongrie)47.Ces bohémiennes qui travaillaientdans des logements fournispar les compagnies de tabac, mirentau point une divisiondu travail permettantaux jeunes filles(et plus tard à leurs maris)48 d'utiliserles moules. A partirde 1873, le CigarmakersInternationalUnion (syndicatdes ouvriersdu cigare) mena une agitation tapageuse contre le travail à domicile auquel des restrictions finirentpar être apportées (en 1894 à New York, par exemple). Vers la fin des années 1880, les usines se mécanisèrentet des femmes furentutilisées comme briseuses de grève. Le syndicat eut alors recours à une législation protectrice. L'attitude du CigarmakersInternationalUnion à l'égard des femmesétait ambivalente,pour ne pas dire plus. Le syndicatexclut les femmesen 1864 mais les admit en 1867. En 1875, il interdisaità ses unions locales d'exclure les femmes, mais il semble qu'aucune sanction ne fut jamais prise contre les contrevenantsà cette interdiction49.En 1878, l'union locale de Baltimoreécrivaitau présidentdu syndicat,Adolph Strasser : « Nous avons combattu depuis le début le mouvement en faveur de l'introductiond'une main-d'œuvreféminineen quelque capacité que ce soit : botteleuses,rouleuses,etc 50.» Afin d'éviterque ces ambigui'tésne soient interprétéescomme résultantd'un conflitentrela directionnationale et les unions locales, donnons la parole à Strasserlui-même(1879) : «Nous ne pouvons chasser les femmesde la profession,mais nous pouvons limiterleur journée de travailpar des lois industrielles.Toute fille de moins de 18 ans ne devraitpas être employée plus de 8 heures par jour ; les heures supplémentairesdevraientêtre strictement interdites...»51. Les femmesétant des travailleusesnon qualifiées,il seraitpeut-êtrefaux de conclure que cette animositéétait dirigéecontre les femmes en tant que telles : il s'agissaitpeut-êtreplutôt de la peur ressentiepar les travailleursqualifiésen face des non qualifiés. Pourtant,les syndicatsmasculinsrefusaientaux femmesla formation 47. D'après Abbott, Samuel Gompersaffirmait que les Bohémiennesavaientété amenées tout spécialementpour briserune grève(p. 197, n.). 48. Les Bohémiennesétaient arrivéesen Amériqueavantleursmarisqui étaientrestesau pays pour travailleraux champs. Les maris,qui n'étaientpas qualifiésdans la manufacturedes cigares,vinrentles rejoindreplus tard(ibid., p. 199). 49. En 1877, l'union locale de Cincinnatifitgrèvedans le but d'exclureles femmeset y parvintapparemment.Le CincinnatiInquirer dit : «Les hommes disent que les femmestuent cette industrie.Il semblequ'en guise de représaillesils espèrenttuerles femmes»(ibid., p. 207). 50. Baker,p. 34. 51. JohnB. Andrews& W.D.F. Bliss,Historyof women in iraae unions, mKeporton in the UnitedStates, vol. 10. Bien que la proporConditionsof Womanand Child Wage-Earners tion des femmesdans la manufacturedu cigare ait finipar augmenter,dans beaucoup d'autres industriesla proportiondes femmesa diminuéavec le temps. Le textileet le vêtementen sont deux exemples marquants(voir Abbott, p. 320 et, du même auteur,«The Historyof Industrial Employmentof Womenin the United States»,Journalof PoliticalEconomy 14, October 1906, 461-501). Sumner,cité dans le Bulletin175 de l.U.S. Bureau of Labor Statistics,conclut que les réservés hommess'étaient appropriéles emplois qualifiés dans les domainestraditionnellement aux femmes,tandis que les femmesdevaientse contenterdes emploisnon qualifiéspartoutoù elles pouvaientles trouver(p. 28).
32 qu'ils offraientaux jeunes garçons,comme on peut le voirclairementdans le cas de l'imprimerie52. Dans l'imprimerie,les femmes étaient employées à la composition depuis l'époque coloniale. C'était un métierqualifié,mais pas un travailde force.Abbott attribuela jalousie des hommesdu métierau faitqu'il s'agissaitd'un métier«convenant» aux femmes. Quoi qu'il en soit, les syndicatsmasculinssemblentavoir été hostiles dès le début à l'emploi des femmes.Par une résolutionpassée en 1854,1e National TypographicalUnion s'engageaità «n'encouragerpar aucun acte l'embauche de compositrices»53. Baker pense que les syndicats dissuadaient les jeunes filles d'apprendre le métier. Les femmesapprenaientdonc ce qu'elles pouvaient dans des ateliersnon syndiqués ou en tant que briseusesde grève54. En 1869, au congrès annuel du National Labor Union (Syndicat National du Travail) dont le National Typographical Union était membre, un conflit éclata au sujet de l'admission comme déléguée de Susan B. Anthony,accusée d'avoir utilisé des compositricescomme briseuses de grève. Elle reconnut les faits : c'était, dit-elle,le seul moyen pour elles d'apprendrele métier 55. En 1870, le TypographicalUnion instituaune union locale féminineà New York. Sa présidente,Augusta Lewis, qui était aussi secrétaireà la correspondance du National TypographicalUnion, ne pensait pas que ce syndicatfémininpourrait continuerlongtempsà existerparce que, tandis que les femmessyndicalistessoutenaient bien les hommes,ces derniersne leur rendaientpas la pareille. «De l'avis général des compositrices,elles sont mieux traitées par les contremaîtres,les imprimeurset les patrons qualifiés du terme de «rats» (jaunes) que par ceux qui sont membresdes syndicats.»56L'union locale fémininefinitpar être dissoute en 1878. Ce manque de soutien semble avoir été couronné de succès, du point de vue des hommes, puisqu'Abbott affirmaiten 1910 : «Les responsablesd'autres syndicats citent souvent la politique des imprimeurscomme exemple de la façon dont un 57 syndicat peut limiterou empêcher avec succès le travail des femmes .» Le Typographical Union prônait avec conviction le principe du salaire égal à travail égal en tant que moyen de défense de l'échelle des salairesmasculinset non pour aider les femmes. En effet,la qualification des femmesétant moindre, elles ne pouvaientexigeret espérerrecevoirun salaireégal à celui des hommes 58.
52. Ce compte rendu s'appuie principalementsur Abbott et Baker. Il semble que Ton puisse généraliserl'hostilitéenversla formationdes femmes.V InternationalMolders Union passa la résolutionsuivante: «Tout membre,honoraireou actif,qui consacretout ou partiede son ou dans toute autrebranchede l'industrie, temps à la formationde travailleusesdans la fonderie, sera expulsé du syndicat» (Gail Falk, «Women and Unions : A HistoricalView», ronéo, New Haven, Conn. : Yale Law School, 1970. Publié sous formeabrégé dans Women'sRightsLaw Reporter1, Spring1973, 54-65). 53. Abbott,pp. 252-53. 54. Baker,pp. 39-40. 55. Voir Falk. 56. Eleanor Flexner, Centuryof Struggle,New York : AtheneumPublishers,1970, p. 136. 57. Abbott,p. 260. 58. Baker fait remarquerqu'au cours des témoignagesau sujet de la Loi sur le salaire égal, en 1963, les argumentssoulignantles besoins des femmeset ceux mettantl'accent surla protectiondes hommesétaientégalementrépartis.
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59 Diversmoyensétaientutilisésparles syndicats pourexclureles femmes , la n'étantpas le moindred'entreeux. Le sentiment répandu législationprotectrice des femmes et en particulier dans la sociétésuivantlequel le travaildes femmes, venaitau secoursdes syndicats. mariées,étaitun fléausocialqu'il fallaitéliminer60 sociales»61 et autrespersonnes Maisils n'étaientpas moinsaidésparles «féministes une viveinquiétudede voirles travailleuses surexploitées parce qui exprimaient socialesne cherchaient Les féministes pas à exclure qu'ellesn'étaientpas organisées. ouvraitla voie à cetteexclusion les femmesdes bons métiers,mais leur stratégie - qui en avaient,penparce que, désirantobtenirla protectiondes travailleuses plus faiblesque les saient-elles, grandbesoin -, elles soutenaientque les femmes, 62. Leur hommesen tant que sexe, avaientplus qu'eux besoind'êtreprotégées stratégiefut couronnéede succès en 1908 lorsque,dans l'affaireMüllercontre surun nombred'heures Oregon,la Cour Suprêmedécidaen faveurde la législation de travailmaximumpourles femmesavec les attendussuivants: «Les deux sexes un de leurcorps,la capacitéd'effectuer l'un de l'autrede par la structure diffèrent travailde longuedurée,surtouten stationdebout,l'influenced'une santésolide futurde la race,la confianceen soi qui permetla pleinerevendicasurle bien-être dansla luttepourla vie.Cette tionde sesdroits,ainsique la capacitéde se défendre en et faveurde toutce qui viseà une différente différence législation plaide justifie certainsdes fardeauxqui pèsentsurelle63.» compenser
59. Falk note que les syndicatsexcluaient les femmespar leursstatuts,les excluaientdu droit à l'apprentissage,les confinaientaux catégoriesd'aides ou d'apprentiesne pouvant être promues, limitaientla proportion des membres fémininsdu syndicat,soit par un numerus clausus soit par des cotisations très élevées. En outre, les syndicatsde cette époque-là, antérieureà 1930, étaient généralementhostiles à l'organisationdes travailleursnon qualifiés, mêmeau sein de la professionqu'ils représentaient. 60. Des personnalitésaussi diversesque Caroli Wright,premierDélégué au Travail des Etats-Unis(Baker, p. 84), Samuel Gompers, organisateur syndical traditionaliste,et Mother MaryJones,organisatricerévolutionnaire(Falk), JamesL. Davis, Ministredu travaildes EtatsUnis en 1922 (Baker, p. 400), Florence Kelley, dirigeantede la Ligue nationaledes consommateurs (Hill), exprimaientdes points de vue qui étaient tous des variationssur ce thème. (Hill, mentionnéeci-dessus,est Ann C. Hill, «ProtectiveLabor LegislationforWomen : Its Originand Effect»,ronéo., New Haven, Conn. : Yale Law School, 1970, publié en partiedans BarbaraA. Babcock, Ann E. Freedman,Eleanor H. Norton,& Susan C. Ross, Sex Discriminationand the Law : Causes and Remedies,Boston: Little, Brown & Co., 1975, manuel de droitqui comporte une excellenteanalyse de la législationprotectrice,de la discriminationà l'égard des femmes, etc.). . . .. 6 1. WilliamO Neill a appelé les femmesparticipanta diversmouvementsde retormea la fin du XIXe et au début du XXe siècles les «féministessociales» pour les distinguerdes féministes qui les avaient précédées, comme Stanton et Anthonypar exemple. Les féministessociales soutenaient les droits des femmes parce qu'elles pensaient agir ainsi en faveur des réformesqu'elles préconisaient.Leur intérêtprimordialn'était pas la cause des droits des femmes(Everyone Was Brave, Chicago : Quadrangle Books, 1969, part. chap. 3). WilliamH. Chafe présentelui aussi un excellent compte rendu du débat sur les lois protectricesdans The AmericanWoman.New York : OxfordUniversitvPress. 1972. 62. Le but que les féministessociales cherchaientà atteindreétait tout ce qui pouvait être obtenu par l'entremisedes assembléeslégislativeset des tribunaux.Dans l'affaireRitchie contrele Peuple (155 11198, 1895), le tribunalavait décidé que le sexe seul ne constituaitpas un travail une raisonvalable pour priverpar un acte législatifun adulte du droitd'entreprendre et avait, en conséquence, frappéde nullitéune loi sur un horairemaximumpour les femmes; d'autre part, la Cour Suprême des États-Unisavait déclaré nulle une loi sur un horairemaximum pour les employés-boulangers(Lockner) ; les partisansd'une législationprotectricedu travail pensaientdonc que leur tâche seraitrude. Le fameux«MémoireBrandeis»comprenaitdes centainesde pages sur les effetsnocifsde longues heuresde travailet soutenaitl'argumentque les femmesavaientbesoin d'une «protectionspéciale» (Voir Babcock et al.). 63. Ibid., p. 32.
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En 1916,dansl'affaire BuntingcontreOregon,Brandeisa utilisépratiquement les mêmesarguments surles effetsnéfastesdes troplonguesjournéespourplaider avec succèsen faveurde lois surun horairede travailmaximumpourles hommes commepourles femmes. Maisl'affaire Buntingne provoquapas un flotde loissur un horairemaximumpourles hommes,alorsque l'affaire Mülleravaitrapidement été suiviedu passagede telleslois concernantles femmes.Les syndicatsn'appuyaientpas en généralune législation protectrice pourles hommes,tandisqu'ils à la préconiser continuaient pourles femmes.C'est uniquement lorsqu'ils'agissait des femmesque la législation devenaitla straprotectrice, plutôtque l'organisation, M tégieprivilégiée . L'effetde ces lois étaitlimitépar leurmanquede portéeet leurapplication maisellesn'enréussissaient desmétiers insuffisante, pas moinsà exclureles femmes exigeantle travailde nuit ou une longuejournée,comme l'imprimerie par les femmesexerçantdes métiers«péniexemple65.Ces lois protégeaient peut-être à s'insun reculpourles femmesqui commençaient bles»,maisellesconstituaient tallerdans des «métiersd'hommes»66. Certainesde ces femmesréussirent à s'y opposeravec succès,maisle combatse poursuitencoreaujourd'huisurbeaucoup des mêmesfronts.Commele soutientAnnC. Hill,ces loisonteu un effetpsychole statut«autre»de la femmeen logiqueet social désastreux.Elles confirmaient 67. tantque travailleur En examinant ci-dessusle développement de la main-d'œuvre salariéeen Anet aux Etats-Unis, misl'accentsurle rôlequ'ontjoué les gleterre j'ai constamment travailleurs masculinsdansla restriction du domainedes femmessurle marchédu travail.Si j'ai soulignéainsile rôledes hommes,celuidesemployeurs ne meparaît Des travauxrécentssurla théoriede la fragmencependantpas dénuéd'importance. tationdu marchédu travailpeuventnous guiderdans l'examendu rôle des employeurs68.D'après le modèleen question,l'un des mécanismesqui engendrent cettefragmentation est une actionconscientedescapitalistes, ce qui ne signifie pas nécessairement une conspiration. Leursagissements visentà aggraver les divisions entretravailleurs afind'affaiblir leur unitéde classe et leurpouvoirde marchan69 une hiérarchie dage . Créerdans l'entreprise complexedes postesde travailfait
Hill).
64. En 1914, FAFL vota l'abandon de la voie législativevers la réforme(voir Ann C.
65. CertainsÉtats excluaientcomplètementles femmesd'un certainnombrede métiers: mineur,releveurde compteurs,chauffeurde taxi, conducteurde tramwav.liftier,etc. (ibid.). 66. Ces conclusions qui se basent sur Ann C. Hill sont aussi confirméespar Baker. 67. Tandis que les femmesse voyaient exclues de certainsmetiersqualifieset «protégées» par d'autres moyens,dans la littératurepopulaire,le mouvementde l'économie domestique, les lycées et universités, etc., on mettaiten même tempsl'accent surles tâchesménagères des femmes.On peut voir se dessinerun mouvementvers la stabilisationde la cellule familiale comprenantun seul soutiende famille,l'homme (voirHartmann). 68. Edwards,Gordon et Reich appellentfragmentation du marché du travailun processus par lequel le marchédu travailest diviséen diverssous-marchésayant chacun son propre comportement; ces fragments peuventêtreles diversescouches d'une hiérarchieou des groupes diversau sein de la mêmecouche. diviser Le modele 69. pour régnerest développe plus complètementdans la these de Michael Reich (Ph.D. diss., HarvardUniversity,1973), «Radical Discriminationand the White Income Distribution».Outre le mécanisme consistantà diviserpour régner,le modèle de la du marchédu travailcomporteune autre tendance à la fragmentation. Elle défragmentation coule du développementinégal du capitalismeavancé, c'est-à-diredu processus de création d'une économie centrale et d'une économie périphérique.En fait, selon le point de vue
35 de postesde nidansce sens.L'existencemêmede cettemultitude partiedesefforts en deux classesde la sosertà occulterla divisionfondamentale veaux différents ™. On ciétécapitaliste peutdéduirede ce modèle,premièrement, que la ségrégation au du marchédu travailinhérente sexuelleest l'un des aspectsde la fragmentation efse sont consciemment les avancé deuxièmement, et, capitalistes que capitalisme les divisionssexuelles.Donc, si l'analyseci-dessusa misl'accent forcésd'aggraver des sexes - à toutesles sur le caractèreconstantde la ségrégation professionnelle 71 masdestravailleurs et surl'actionconsciente et avantlui étapesdu capitalisme ontpu jouerun des capitalistes de noterque les agissements culins,il est important masculins. en provoquantces réactionsde la partdes travailleurs rôledéterminant masculinsontjoué un rôleactifdansla limitales travailleurs Historiquement, masculinsont pertion de l'accès des femmesau marchédu travail.Les syndicats pétuéla politiqueet l'attitudedes guildesqui les avaientprécédéset continuéd'asmasculins.Les capitalistesont héritéde la surerdes avantagesaux travailleurs des sexes,maisils ont souventété capablesde l'utiliser professionnelle ségrégation à leur profit.S'ils peuventremplacerdes hommesexpérimentés par des femmes de de le fairepouraftant mieux leur suffit menacer c'est s'il moins cher, ; payées c'est une bonnechoseaussi ; ou alors,s'ilséchouentdansces faiblirles syndicats, de statutentrehommeset femmes tentatives mais peuventutiliserla différence en et acheter leurfidélitéau capitalisme aux hommes offrir des récompenses pour c'esttoujoursbon poureux 72. des avantagespatriarcaux, leurassurant en considération l'actiondescapitade prendre Maisbien qu'il soitimportant sexuellegardeaujourd'huitoutesa vilistesen expliquantpourquoila ségrégation du marchédu travailexagèrele rôledes cagueur,la théoriede la fragmentation des eux-mêmes dansle maintiende cettefragcelui travailleurs et pitalistes néglige métiers exercent les les mentation.Les travailleurs agissentde plus recherchés qui matériels et leurs à leurs bénéfices ces conserver avantagessubjecemplois, façon de leurssyndicats, les travailleurs ontcontribuéà créeret tifsn . Par l'intermédiaire et parallèles(c'est-à-dire à préserver des structures professionnelles hiérarchiques et par relative du rôle mais inégales).L'importance joué parles capitalistes séparées et le maintiende la ségrégation les travailleurs masculinsdansl'institution profesvariésuivantles époques. sionnelledessexesa peut-être du marché du travailfaitson apparitionavec le d'Edwards, Gordon et Reich, la fragmentation capitalismemonopoliste,lorsque les grandesentreprisescherchentà accroîtreleur emprisesur leursmarchésdu travail. 70. Thomas Vietorisz,«From Class to Hierarchy: Some Non-PriceAspectsof the TransformationProblem» (rapportprésentéà la Conférencesur l'économie politique urbaine,New School forSocial Research,New York, 15-16 février1975). 71. Les divisionsmarquees du marche du travailselon le sexe et la race qui existaient déjà au cours du stade concurrentieldu capitalismefontdouterqu'une main-d'œuvrehomogène ait pu alorsprédominer- comme le disentGordon,Edwardset Reich. 72. Les capitalistesne réussissentpas toujours a tirerprofitdu patriarcat.En période d'expansion, le développementcapitaliste peut être freinépar le fait que les hommes soient parvenusà retenirau foyerune proportionaussi grandede la main-d'œuvreféminine.Le progrès du capitalismepeut aussi être ralentipar l'opposition des hommes à l'utilisationdes travailleusesla où le désirentles capitalistes. 73. Engels, Marx et Lemne ont reconnu tous les trois que raristocratiedu travailrecueille des bénéficesmatériels.Il est importantde ne pas les ramenerà des avantagessubjectifs, ce qui minimiserait les problèmescrééspar les divisionsintra-classes. Castles et Kosack semblent avoir fait cette erreur (voir leur article «The Function of Labour Immigrationin Western European Capitalism»,New Left Review, no. 73, May-June1972, pp. 3-12, où l'on trouvera les référencesà Marx,etc.).
36 Au cours de la transitiondu capitalisme,par exemple, les capitalistesse sont montrés parfaitementcapables de modifier la composition sexuelle des métiers - lorsque le tissage fut transférédans des usines équipées de métiersmécaniques, des femmesfurentengagéescomme tisseusesalors que c'était jusque-là surtoutles hommes qui tissaientau métier à main ; tandis que les renvideursautomatiques furentconfiés à des hommes alors que les premièresmachines à fileravaient été utilisées par les femmes. La situation devenant plus ou moins stable au furet à mesure des progrèsde l'industrialisation,les syndicatsmasculinsse renforcèrent et à souvent à conserver ou étendre le domaine réservé aux hommes. Il parvinrent n'en reste pas moins que chaque fois que des nécessitéssociales ou économiques pressantes étaient créées par l'énorme accroissement de la demande de maind'œuvre,comme ce futle cas pour l'enseignementou le travailde bureau,les capitalistes-hommesse montrèrentparfaitementcapables de vaincrela résistancedes travailleurs-hommes.En période de changementéconomique, c'est donc surtoutpar l'action des capitalistesque la ségrégationsexuelle de la main-d'œuvreest instituée ou modifiée - tandis que les travailleursmènent un combat défensif.A d'autres époques, les travailleursmasculins peuvent jouer un rôle plus importantdans le maintien de la ségrégationsexuelle des métiers ; ils peuvent réussirà empêcherla main-d'œuvrefémininemoins payée de gagner du terrain,ou même à l'éliminer 74 complètement,assurant ainsi des avantagessupplémentairesà leur propre sexe .
Conclusion Le statut actuel des femmessur le marché du travailet la ségrégationprofessionnelledes sexes tellequ'elle existeaujourd'huidécoulent d'une interactionprolongée entrepatriarcatet capitalisme.J'ai mis l'accent surle rôlejoué par les travailleurs-hommestout au long de ce processus parce que je suis convaincue qu'il est juste de le souligner.Pour que les femmescessentd'être subordonnéeset pour que les hommes commencentà échapper à l'oppression et à l'exploitation de classe, il faudra que les hommes se voientforcésde renoncerà leur situationprivilégiéedans la divisiondu travail- surle marchédu travailaussi bien que dans leur foyer75.En effet,si les capitalistes ont utilisé les femmesen tant que main-d'œuvrenon qualifiée et sous-payéepour faireconcurrenceaux hommes,ceux-ci n'ont récolté que ce qu'ils avaient semé - c'est la récupérationdes hommespar la société patriarcale, le soutien qu'ils ont apporté à cette société et à la hiérarchiequ'elle créaitentreles hommes qui a fini par se retournercontre eux. Le capitalisme s'est développé en prenantcomme base le patriarcat: le capitalismepatriarcalest la société stratifiée par excellence. Pour que les hommes qui n'appartiennentpas à la classe diri74. Ce «modèle cyclique» de la forcerelativedes employeurset des travailleurs m'a été suggérépar David Gordon. 75 . Dans la plupartde leurs tentativesde traiterles problèmesposés à l'analysemarxiste semblentméconnaîtreces conflitsfondapar la position des femmes,les féministes-marxistes mentaux entre les sexes, sans doute afin de pouvoir mettrel'accent sur la solidaritéde classe qui devraitêtre sous-jacenteaux rapportsentre travailleuseset travailleurs.Bridgeset Hartmann passent en revue cette littératuredans leur projet de rapport(voirnote 1 ci-dessus).Une amie me disait un jour : «Nous avons beaucoup plus de chancesde réussira chasserThieu du Vietnamqu'à fairefairela vaissellepar les hommes.» Elle avaitraison.
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qu'ils sontrécupérés géantepuissentse libérer,il leurfaudrareconnaître parle caà et renoncer leurs les Pour pitalismepatriarcal avantagespatriarcaux. que femmes il à se leur faudra combattre la fois le et l'orgapuissent libérer, pouvoirpatriarcal de la société. nisationcapitaliste Parce que la divisionsexuelledu travailet la domination masculineexistent il de sera très diffìcile les détruire et il est impossiblede si depuis longtemps, Ellessontsi inextricablement la secondesanss'attaquerà la première. liées détruire à la du de fin est d'abolir la division sexuelle travail afin mettre indispensable qu'il à tousles niveauxde la fondamentaux domination masculine76. Des changements J'aiexposédanscet sociétéet de la culturesontnécessaires pourlibérerles femmes. dessexes de la ségrégation articlela thèseselonlaquellele maintien professionnelle de essentieldu statutdes femmeset j'ai expliquéla préservation est un fondement la tout le des institutions société la ségrégation par jeu professionnelle qui régissent entière.Mais cette divisiondu travaila des conséquencestrès profondesqui Le subconscient influesurles modesde comporteplongent jusqu'au subconscient. une micro-structure mentqui constituent étayant(ou complétant)les institutions à sontourparces institutions. socialeset renforcée Je suis convaincuequ'il nous fautétudierces micro-phénomènes aussibien les cet Par examinés dans article. macro-phénomènes exemple,une des que que j'ai de conduite semblent enracinées c'est profondément règles qui que les hommesne à des même être subordonnés femmes de la classe sociale. On peutobserpeuvent ver des manifestations de cetterègledansles restaurants où les serveuses peuvent ne puissent difficilement donnerun ordreaux garçons,à moinsque ces derniers une certaineautonomie; ou bien la situationde manièreà se permettre remanier les chez les cadres, femmes-cadres surtoutlorsqu'ellesn'ont que peu réussissant de contactsavec d'autrescadresà leurniveauet qu'ellesdirigent un personnel resde l'industrieoù les femmesinspecteurs treint; ou encorechez les travailleurs à corriger à la d'usine réussissent difficilement le travaildes hommestravaillant 77. La de au sexe l'identification elle aussi,profondéproduction peur opposé est, mentenracinée.En règlegénérale,les hommescommeles femmesne doiventjamais fairece qui n'est pas considéré(respectivement) commemasculinou féminin7* Les cadresmasculins, souvent des poignéesde main par exemple,échangent à préavecles secrétaires-hommes, de contribue marque respectqui probablement server leurmasculinité. 76. Dans notre société, les métiersde femmessont synonymesde statutinférieur, d'emplois mal payés : «... on peut remplacerla constatationhabituelleque les femmesgagnentmoins font des métiers mal payés par la constatationqu'elles gagnentmoins parce parce qu'elles qu'elles font des métiersde femmes... Tant que le marché du travailsera diviséen fonctiondu il sexe, est probable que les tâches assignéesaux femmesaurontun ranginférieurdans l'échelle du prestigeet de l'importance,refletdu statutsocial inférieurdes femmesdans l'ensemble de la société» (Francine Blau [Weisskoff],«Women's Place in the Labor Market», American Economie Review 62, no. 4, May 1972, 161. 77. Theodore Caplow examine diversesreglesde conduiteet leur effetdans The Sociology of Work,New York : McGraw-HillBook Co., 1964, pp. 237 et suiv. Harold Willenskyexamine lui aussi les conséquences qu'entraînentdiversesrèglesde conduite pour les phénomènes du marché du travaildans «Women's Work : Economie Growth,Ideology, Structure»,IndustrialRelations 7, no. 3 (May 1968) : 235-48. 78. «Employer des mots tabous, s'intéresseraux sportsou avoird'autresintérêtsque les femmesne partagentpas, participerà des activitésque les femmessont censées désapprouver - boire, jouer, fairedes farces,s'essayerà diversespratiques sexuelles - tout cela fait penser
38 A un niveau plus profondencore,il nous fautétudierle subconscient - voir commentces règlesde conduite sont intérioriséeset commentelles découlent de la structurede la personnalitéTO. A ce niveau,celui de la formationde la personnalité, on a tenté d'étudier la production du genre : de la différenciation imposée socialement aux êtres humains sur la base des différencessexuelles biologiques 80.Une interprétationmatérialistedes faitspeut fairepenser,naturellement,que la production du genre découle de la division du travailexistantentreles sexes S1 et que, par un processus dialectique, elle renforceà son tour cette divisiondu travailellemême. Je pense quant à moi qu'étant donné ces ramificationsprofondesde la division du travail,nous n'élimineronspas la divisiondes tâches ordonnée suivantle sexe tant que nous n'aurons pas aboli les différencesde genre qui nous sont imposées par la société et, par conséquent, la divisionsexuelle du travailelle-même. Pour nous attaquer à la fois au patriarcatet au capitalisme,il nous faudra découvrirle moyen de changer aussi bien les institutionsrégissantla société tout entière que nos habitudes les plus profondémentenracinées.La lutte sera longue et dure.*** (Traduit de l'américainpar Rosette Coryeli) Heidi Hartmann, «Capitalism, Patriarchy,and Job Segregation by Sex». Job segregationby sex is examinedduringthe transitionto capitalism and the establishmentof the wage labor marketin England and the United States. It is argued that male workers,throughtheirunions,played a crucial role in limitingwomen's participationin wage labor. They thus succeeded in maintainingtheir patriarchalpower in new capitalist settings.Patriarchy benefitscapitalists,as well, to the extend that sexual inequalityallows capitalists to keep the workingclass divided.Job segregationby sex in the labor marketperpetuateswomen's economic dependence on men, maintainingthe sexual divisionof labor withinthefamilyas well. Womenmuststruggleagainst bothpatriarchyand capital in orderto end theirsubordination. que le groupe des hommesadultesréagiten grandepartiecontrel'influenceféminineet ne peut donc tolérerla présencedes femmessans changercomplètementde nature» (Caplow, p. 239). La ligne de démarcationentremasculinet fémininse déplace naturellementsans arrêt.A divers momentsdu XIXe siècle, l'enseignement,la vente au détail et le travailde bureau ont tous été des métiersconsidéréscomme ne convenantabsolumentpas aux femmes.Cette variabilitédes frontièresentremétiersd'hommes et métiersde femmesest l'une des raisonspour lesquellesil semble pertinentde s'efforcerde déterminerles principesfondamentauxdu comportementbien qu'en définitiveces règles soient certainementmodelées par la division du travailellemême. 79. Les règlesde Caplow se fondentsur le point de vue freudienselon lequel, pour les hommes,se libérerde la dominationdes femmesest synonymede maturité,autrementdit,ils cherchentà échapperà leurmère. 80. Voir Rubin (note 1 ci-dessus)et JulietMitchell,Feminismand Psychoanalysis,New York : Pantheon Books, 1974, qui cherchentà recréerFreud d'un point de vue féministe.Il en est de même de ShulamithFirestone,The Dialectic of Sex, New York : BantamBooks, 1971. 81. Par exemple, l'actuelle division domestique du travail ou les femmesélèvent les enfantsa un effetprofond (et différent)sur la structurede la personnalitédes filleset des arçons. Pour une interprétationnon-freudiennede ce phénomène,voir Nancy Chodorow, MmïlyStructureand Feminine Personality : The Reproduction of Mothering,Berkeley : Universityof CaliforniaPress. Chodorow offreune autre interprétationtrès importantedu complexe d'Oedipe (voir «Family Structureand Feminine Personality»in Women,Culture, and Society). *** Version originalede cet article : «Capitalism,Patriarchy,and Job Segregationby Sex», Sings,Sping 1976, vol. 1, no. 3, part 2, pp. 137-169.
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- éd. Denoël,1968) -J finL'information-consommation
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GisèleFournier
Travailet desfemmes exploitation danslessuper-marchés
Les supermarchésont connu en France, ces dernièresannées, un essor considérable ; chaque ville a maintenantson Carrefour,Suma, Ledere ou autre. En raison de la variété des produitsproposés et des prix pratiqués,une clientèle assidue s'est créée. Clientèle très variée également : on y rencontreaussi bien des cadres supérieursque des ouvriers,en passant par les professionslibérales,les employés, et les paysans en ce qui concerne les villes de province.Pratiquement,chaque catégorie sociale est donc représentéedans cette clientèle. Par ailleurs, il est intéressant de remarquerque le personnel employé dans les supermarchésest essentiellementféminin. Le magasin plus particulièrementétudié (dans une préfecturedu Sud-Ouest) se situe, par sa taille et la diversitéde ses produits,entrele supermarchéet l'hypermarché.Légalement constitué en société, il présentetoutes les caractéristiques de l'entreprisefamiliale. Le gérant (en fait propriétaire,et qui possède en outre six autres supermarchésdisséminésdans toute la France) partage la directionet la gestion du magasin avec sa femme,sa sœuret son beau-frère.Ces deux derniersont une participationfinancièredans l'affaire,tout en ayant une fonctionrémunérée: l'une supervisele départementdu textile (choix des articles,commandes, gestion) et l'autre les stocks du magasin. Le directeur,seul membre dirigeantétrangerà la famille,a égalementinvestidans l'entreprisepeu après sa création. Outre les dirigeants,le supermarchéemploi 44 personnes réparties de la
façon suivante:
Questionsféministes- n° 4 - novembre1978
40 - Alimentation: 1 chef,2 rayonneurs,4 rayonneuses. - Boucherie-charcuterie: 1 chef, 2 garçons bouchers, 2 femmes bouchèrescharcutières. - Fruits,légumes,crémerie: 1 chef,6 rayonneuses. - Liquides : 1 chef. - Bricolage-électroménager : 1 chef,2 rayonneuses. - Caisses : 1 chef femme,9 caissières. - Textiles : 1 chef femme,3 rayonneuses. A ces 37 personnes,il convientd'ajouter un boulanger,un réceptionnaire,un un veilleurde nuit, un pompiste,une secrétaire;et un comptaaide-réceptionnaire, ble. (Quelques personnes,non comprisesdans l'effectif,travaillentdans les bureaux et s'occupent de l'ensemble des supermarchésdu propriétaire).Ainsi, sur 44 personnes employées, 29 sont des femmes,soit environles deux-tiers; mais parmiles chefs,il n'y a que deux femmespour cinq hommes. La plupart des employéssont trèsjeunes (18 à 25 ans) et ne restentque peu de temps (rarementplus d'un an). Le personneldes rayons (rayonneuses,ou en d'autrestermesgondolières)est divisé en deux équipes : l'équipe de jour, qui travailleaux heures d'ouverturedu magasin (9 h-12 h et 14 h 30-19 h), et l'équipe du matin(5 h - 12 h 30). L'équipe du matin est exclusivementaffectée aux rayons de l'alimentationet des produits d'entretien,qu'elle réapprovisionne,range et nettoie. Les rayonneusesde jour sont égalementchargéesde l'approvisionnementet du rangement,mais en raison du plus faible débit de leurs rayons par rapportà l'alimentation,elles effectuentmoins de manutention ; de plus, elles ont un rôle de conseil et de vente auprès des clients, notammenten ce qui concerne le textile,le bricolage,les fruitset légumes.Le magasin tournantavec un minimumde personnel,certainescaissièresse voientconfier un rayon, non couvert par les gondolières (papeterie, parfumerie,présentoirsdes caisses) dont elles doivents'occuper aux momentscreux. La durée du travail est de 43 h par semaine* pour tout le personnel, à exception de la secrétairequi n'effectueque 35 h. Les rémunérationsmensuelles2 sont de 2 500 F net environpour les chefs (au 1er février1978), 2 300 F net pour les ouvriersqualifiés (bouchers, boulangers). Les rayonneuseset les caissièressont payées au S.M.I.C., soit 1 800 F net. A ce propos, il faut signalerque les hommes boulangers,bouchers,sont considérés comme ouvriersqualifiés mais que les femmesbouchères,charcutières,crémières, sont assimiléesà de simplesvendeusesou auxiliaires,et donc rétribuéesau S.M.I.C. Le réceptionnaire,ne possédant aucune qualification,touche cependant 2 100 F. Un autre faitétonnant réside dans la compositionde l'équipe du matin,dont le travailconsiste à déchargerdes palettespouvant contenirplus de 300 kg de marchandise, et à manipuler des cartons de 20 à 30 kg pour mettreles produitsen 1. Jusqu'enfévrier1978, la duréehebdomadairedu travailétait de 45 h. 2. A ces diversesremunerationss'ajoutent des primes d'ancienneté (100 F pour 1 an, 3 500 F pour 10 ans et plus) verséesen fin d'année ; pour en bénéficierü fautdonc avoirtravaillé une année civile dans l'entrepriseau 31 décembre.Cette primeest à la totale discrétion de la direction,qui peut l'amputerou même la supprimeren cas de maladie prolongée,d'erreurs de la caissière,de casse de la rayonneuse,etc..
41 rayon : il n'y a curieusementque 2 hommes pour 4 femmes.(Il est intéressantde noter que les mots «faible» et «femme» ne sont pas automatiquementliés, qu'au contraireleur association semble s'adapter au gré des nécessités). Et si nous poussons un peu plus avant nos comparaisonsentre postes «masculins» et postes «féminins» nous nous apercevons qu'il y a 9 caissières,et pas un seul homme caissier. Et cela est valable pour tous les supermarchéssans exception, aussi bien pour les Monoprix que pour les Prisunic,en somme toutes les grandeset moyennessurfaces. Il serait donc judicieux de voir en quoi ce travail est spécifiquement«féminin».
LE TRAVAIL A LA CAISSE II consiste à taper sur la machine enregistreuse le prix des produitset le code afférent,puis à fairele total et à encaisserla somme correspondante.Apparemment rien de très fatigant.Mais ce sont les conditionsdans lesquelles ce travails'effectue qui le rendenttrès éprouvant. Les horaires sont harassantset la paye dérisoire.Il n'y a qu'un jour et une matinée de repos par semaine et la journée du vendrediest un véritablesupplice : 9 h 1/2 de travail,en raison de la nocturne, dont 7 h l'après-midi,soit presque l'équivalent d'une journée normale. A cela il faut ajouter l'ambiance générale de bruit, de néons, de musique ininterrompue(les mêmes bandes repassentparfois toutes les demi-heures).En outre, ce travaildemande un certain degré de concentrationsi l'on veut éviterles erreursen appuyantsur les touches,tout en allant vite aux heuresd'affluence.Le travailde caissièreest assimilableà un travailà la chaîne. En effet,les gestes sont les mêmes d'un bout à l'autre de la journée : du pied faire avancer le tapis roulant - de la main gauche soulever les produits, trouverl'étiquette - de la main droite,taper - de la main gauche poser le produitsurle tapis arrière,prendrele suivantet recommancer,caddie après caddie, clientaprès client. La répétitiondes gestes et la cadence en font un travailabrutissant,d'autant plus qu'en moyenne 200 clients par jour passent à chaque caisse. Mais le pire n'est pas dans la monotonie et la répétitiondu geste, les cadences ahurissantes: il est dans les contacts avec la clientèle. Le supermarchéest le temple de la consommation. Tous les produits - de l'alimentaireà l'électroménageren passant par l'habillementet le bricolage- sont, rayon après rayon, exposés, étalés, offertsaux regardset à la convoitise.Certaines grandessurfacesrecouvrentla totalité de la gamme des produitsutiles et inutiles.Il n'y a qu'à leverla main et se servir.Tout semble offert,accessible. Les clients flânententreles rayons,regardent,pèsent, soupèsent. Ils ont l'illusion du choix, de la décision de l'achat rationnelet adéquat, et ils ont surtoutl'illusion d'une certainepuissance, celle que leur confèrela possibilitéde consommer. Mais entrele caddie plein à craquer et le coffrede la voiture,il y a le passage à la caisse. Ce moment revêtune importanceparticulière,et ceci à deux niveaux : 1) La caisse, c'est le retour brutal à la réalité, la porte qui se fermeen laissant derrièresoi rêves et imagination.Elle concrétise le fait que pour prendre,il faut
42 donner. Du même coup elle met finà l'illusion de puissance et la magie est rompue. Magie est bien le terme,car raressont les clients qui ne soient pas surprisdu montant élevé de la «douloureuse». Une proportionnon négligeablede notes se situe aux alentoursde 500 F, allant plus rarementjusqu'à 1 000 F, notammenten finde semaine,ce qui est énorme, d'autant plus que ces achats ne sont pas exclusivement le fait de titulairesde hauts revenus,mais aussi de salariés dont la rémunération dépasse à peine le niveau du S.M.I.C. Emportéspar la frénésiede la consommation, ils accumulent,ils entassent,comme si tout était gratuit.(A cet effet,la publicité ayant tellementbien ancré dans les esprits qu'au supermarché,c'est moins cher, beaucoup traduisentpar «le supermarché,c'est pas cher»). Au momentde payer,il en ressortinévitablement le sentimentd'être volé. Ceci, joint à l'illusion de puissance fait client secrète automatiquementune certaine dose d'agresdéçue, que chaque sivité. 2) La caisse, c'est pratiquementle seul endroit du magasin où le client entre en contact directavec le personnel. Lorsqu'il «parle» avec la crémièreou le boucher, c'est pour demander,commander,être servi. Avec la caissièrele rapportest tout autre,pratiquementinverse : c'est lui qui est mis en position inférieure,c'est à lui qu'on demande, qu'on ordonne quelque chose : le fait de payer. En outre, ce contact est ressenticomme plus intimepuisque basé surson argent.L'argentest ici la conditionnécessaireet suffisanteà l'existence de ce contact. Les patrons ne se sont pas trompésquant à l'importanceprimordialedu passage à la caisse. Témoin la scène d'embauché de la futurecaissièreque l'on ne manque pas de mettre en garde : «Une caissière doit être aimable avec la clientèle. L'amabilité doit être une de ses principales qualités. Car pour le client, c'est le moment le moins agréable, et la caissière est la seule personne avec qui il ait un contact direct», en termes clairs la seule personne sur laquelle il puisse défouler l'agressivitédue à ce moment désagréable ; cela d'autant plus que le rôle qu'elle tient déclenche cette agressivité.Il s'élabore simultanémentchez la plupart des gens tout un processus d'identificationde la caissière au supermarché,puisque c'est elle qui prend l'argent. Ainsi, le magasin faisantpayer les sacs en plastique, les clients disent fréquemmentà la caissière : «Eh bien, vous n'êtes pas généreuse, vous !», montrantpar là qu'ils en rendentla caissière responsable. De la même façon, c'est à la caissière et uniquement à elle qu'ils se plaignentdes hausses de prix : «Vous avez encore augmentéle prix de l'huile !», le plus souventsurun ton acerbe et chargé de reproches.Bien que chacun sache que la recettene lui appartient pas, la vue des liasses dans le tiroirfait assimilerla caissière au patron, au fric.La faitque la fillesoit payée au S.M.I.C. ne les frappepas. Ce qu'ils retiennent, c'est tout cet argentmanipulé par elle à longueur de journée. Dès lors, tous les coups sont permis,des simples grognements- «Vous allez trop vite, vous n'allez pas assez vite» - aux remarques acerbes - «Vous êtes vraimentpayée à rien faire» - en passant par toute une gamme d'injures choisies et de menaces du style «Je vais me plaindre à la direction». Agressivitéqui est le fait de la clientèle masculine autant que féminineet qui n'attend qu'un soupir de la caissière ou une petite maladresse pour se déclencher. Le moindre prétexte est bon, et beaucoup sont aux aguets, sachant l'énervementet la tensionque procureune journée entière à taper :
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il fautfaireautrechose.» «Si vousn'êtespas capablede fairece métier, «Si vousn'êtespas contente, c'estpareil.» «Si ça ne vousplaîtpas,vousn'avezqu'à allertravailler ailleurs.» «Et puis,ditesdonc,c'estvotremétier, vousêtespayéepour ça.» Pourça quoi ? Pourse fairetraitercommeun chien? C'estce que l'on pourraitcroirea priori,d'autantplus que certainschoisissent une méthodeparticulière : lancerles articlessurle tapisde caisse,au lieu de pour défoulerleur agressivité les poser calmement,si bien qu'ils partentdans tous les sens avant d'atterrir : «Tiens,chienne! encaisse, généralement par terre.Une façonde fairecomprendre etc.. paye-toi.»Et la fillen'a plusqu'à se lever,ramasser, compter, En définitive, il ne se passepas une journéesansprisede bec, sansune brimade ou une humiliation.Sans le sentiment, par moments,de ne plus êtreun êtrehumain,maisune machinefaisantcorpsavec la machineelle-même, dresséeà dans tous les sens du à amorcer le et souffre-douleur encaisser, terme,pompe fric, de la clientèlefrustrée.
Commentles caissièresréagissent-elles à ces diversesformesd'agressivité? La façonquasi unanimed'y faireface est d'ignorer cetteagressivité dirigée contresoi, de ne pas y répondre, de la laissercouler,de «prendresursoi». A cela, raisons: plusieurs D'une part,une raisonque je qualifieraisde «sociale». On a éduqué les femmes3à tenirune place bienprécisedansla société.La rôleleura été si bien d'elles-mêmes ; c'est commeune seinculquéqu'il faitsouventpartieintégrante condepeau,que l'on a beaujeu ensuitede dire«naturelle»: - Unefemme, c'estgentil,doux,délicat. - Unefemme, ça ne ditrien. - Unefemme, ça obéit. - Unefemme, ça s'écrase. Trèsraressontcellesqui, à la caisse,essaientde transgresser le rôle,qui osentremAu mieux,ellesrépondent barrerle clientagressif. par des injuresdu mêmestyle que celles dirigéescontreelles,ce qui ne leurpermeten aucuncas de désamorcer cetteagressivité. D'autre part,une raisonqu'on peut direéconomique,et qui n'est pas de moindreimportancedanscettevillede provinceoù l'emploiest rare4 , où le chôet est ressentile plus souventcommeune mageprenddes alluresde catastrophe, un déshonneur. Et les patronsle saventbien,ilsen ontparfaitement consdisgrâce, cience,qui sontlà à bienfairecomprendre que la porteestouvertepourcellesqui se montreraient fortetête,qu'aucunen'est irremplaçable, surtouten ce moment de la particulier conjoncture économique... 3. Cf. Elena Gianini Belotti,£u côté des petitesfilles,Paris,Editionsdes Femmes, 1974, 261 pages. 4. L'administrationmise à part, ce supermarchéet deux usines de petite taille sont les seuls fournisseursd'emploi de la ville. Maigrela difficultéà trouverdu travail,certainesfilles préfèrentpartirau bout de huitjours d'essai.
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Et le tour est joué. Et les fillesacceptent,acceptentcoûte que coûte,se laissentexploiterpar le patron,se laissenttraitercommeun chienpar le client, tout cela jusqu'aujour où les résistances Pas une ici qui n'aitcraqué s'effondrent. unjourou l'autre: - Evelyne,qui passedesjournéesentières à taperen pleurant. - Cathie,qui pique sa crisede nerfsun samediaprès-midi, en pleineaffluence. - Marie-France, 3 mois a rea travaillé 6 s'est arrêtée mois, pourdépression, qui un 15 s'est arrêtée de et an n'a nouveau, presque pris jours, après toujourspas repris le travail.Esten traitement psychiatrique. - Claudine,qui s'esteffondrée un samedimatinsursa caisse,qui estpartiehurler et défoncerles vestiaires, qu'on a amenée à l'hôpitalen ambulance,incapable de était conduire chez elle. Elle est restéeun bon momenten qu'elle pourrentrer a définitivement le observation, quitté travail,maisun an aprèsest toujourssous traitement. - Annick,qui pique sa criseun samedisoir(c'esttoujoursen finde semaineque ça éclate).Elle qui est l'employéemodèle,elle se faittraiterde chiende gardedu leursac (consignede la direction patronpar des clientsà qui elle demanded'ouvrir un plaisirdouteux).La considéun zèle et avec qu'elle appliquesystématiquement rationde la directionne parvientpas ce jour-làà fairela balanceavec toutela misèrequ'elle a subie : elle éclateen sanglots, et sa caisseresterafermée jusqu'à la finde la journée. - Danielle,enfin,qui, elle, a vraiment consciencede toutecette folie,et qui connaîtses propreslimitesde résistance. «Jedois travailler, j'ai une mèreà aider. Jeprendsdes calmantspourtenirtoutela journée,pourne pas envoyer la machine à la gueuledesclients.»Calmants, acquisitionrécented'unevoiturepour«s'évader» le dimanche, surtoutfuitedansle sommeil.«Jedors13 heuresparnuit.Pendantce ne tempsje pensepas. Et qu'est-ceque tu veuxque je fasse,le soir,seule ? Pour ? alleroù De toutesfaçons,je me feraisemmerder dansla rue,ou au ciné,ou au café.» Les crisesde nerfsici, n'étonnentpersonne: pas plusles employésque les chefsou les clients.Elles sontconsidérées commenaturelles, allantde inévitables, pairavecle postede caissièreet...avecla natureféminine. En ce qui concerneles dépressions il est prouvéstatistiquement nerveuses, emchez les caissièreset les standardistes, que des taux trèsélevésse rencontrent des similitudesà plusieursniveaux.Mais ici, aux yeux de plois qui présentent ne soientà rattacher tantsoitpeu aux chacun,il sembleque jamaisles dépressions conditionsde travail.Au lieu d'envoirla causefondamentale dansla naturedu tracaractèreinstable,hypervail,on l'imputeà la «nature»de la femme: émotivité, voir même On fait de unemalaainsi la dépression sensibilité, hystérie. déséquilibre, die naturellement et inéluctablement féminine. Pourtant, personnen'ignoreque les hommeségalement sontsujetsaux dépressions ces mais on camoufle ; pudiquement dernières sous le termede «surmenage». Ainsipourl'un il y a surmenage, dû à un excès de travail,à la vie moderne,etc.. (L'expression«surmenage est intellectuel» Pour il a nerveuse due non particulièrement suggestive). l'autre, y dépression pas à un quelconque phénomènesocial, mais au caractèreintrinsèquede la femme.
45 il apparaîtclairement Dans ces conditions, que le postede caissièrene peut êtretenuque par des femmes.Aux yeux des patrons,commede la clientèle,elles avec une femme, sontplusmaniablesque les hommes: on peuttoutse permettre on ne risquerien,toutau plusquelquesinjures laisserlibrecoursà son agressivité, maison n'esten aucuncas exposé à uneripostephysique. ou répliquescinglantes, Il est douteuxque, Avecla présenced'hommesaux caisses,il en seraitautrement. de par leur éducationet le rôle virilqu'ils croientdevoirassumer,les hommes commele fontles femmes, soientprêtsà supporter l'agressiondes consommateurs Au contraire, à l'aide de calmantset à coups de dépressions. leurréactionserait à l'agression la réactionmasculinetypiquelorsquele vasedéborde: ils répondraient la violence. ici n'est cette violence maisqu'elle s'exprime, L'important pas que par existeen tantque potentialité, et commetoilede fondau rapportclientèle/caisse, car par là-même,ce rapportseraitchangé: on ne traiterait pas le caissiercommeon il y auraitune relation traitela caissière.Entrel'homme/client et l'homme/caissier, maisausd'hommeà homme,virile,avectoutce que cela impliquede compétition, si de solidaritéet de complicité.Entrela femme/cliente et l'homme/caissier il y le rapportclassiquede classedominée(les femmes)à classe auraittoutsimplement dominante (les hommes). Il apparaîtdonc que par leurseulprésence,les caissiersamèneraient l'agresmaisplutôtà se retourner verssa source siviténon pas à s'exercerà leurencontre, réelle: le supermarché. C'est pourquoiil est vitalpourla grandesurfacede n'emà ce posteclé. Dans les conditionssocialesactuelles,elles des femmes ployerque ne représentent une menaceà son existence,ni mêmeune remiseen cause de pas son organisation elles sontbienau contraire son mais la possibilitéde maintenir 5, mode de fonctionnement Voilà en de est caissière considéré présent. quoi l'emploi féminin. commeétantexclusivement En revanche,il est un emploiqui généralement n'est pas reconnucomme il alors que dans les supermarchés, modèle d'activitéféminine: la manutention, aux femmes. incombeessentiellement
LE TRA VAIL DANS LES RA YONS Dans la grandesurfaceconsidérée, c'est l'équipe du matinqui estchargéede les alimentation et droguerie réapprovisionner rayons chaquejour,car ce sonteux le se vident Ainsi nous l'avons dit,cetteéquipe,outrele plus rapidement. qui que chef(homme),se composede quatrefemmeset deux hommes.Les horairessont de 5 h du matinà 12 h 30, incluantune pause d'un quartd'heurepourle petit 5. Des caissièresont pourtantmontréà Toulouse qu'elles pouvaient paralyserl'activité d'un supermarché: une veille de Noël, pour protestercontreles conditionsde travail,elles ont toutes ferméleur caisse à 18 h, au nez de la clientèle,malgréles menaces de la direction.Beaucoup de clientsen ont profitépour fairemain basse sur la marchandiseet partirsans payer,ce qui a faitune belle pertesèche pour les patrons,compte tenu de 1'affluencece soir-là.Ceci reste malgrétout un acte isolé, qui n'a modifiéen rienle rôle des femmesdans le supermarché,mais qui montrebien cependantle pouvoirqu'elles pourraientdétenir,ainsi que l'importancestratégique de la caisse.
46 déjeuner (non payée), la durée hebdomadaire est de 43 heures, et la rémunération le S.M.I.C. Ce travailest un travailde force. Il consistedans un premiertempsà tirerles palettes contenantla marchandisede la réservejusqu'au magasin,palettespouvant lourds contenirplus de 300 kg lorsqu'elles sont rempliesd'objets particulièrement comme les boites de conserve.Ensuite, il faut les décharger,cartonsaprès cartons, ceux-ci pesant en moyenne une vingtainede kilos, puis étiqueterchaque article et le mettreen rayon. Le travailest organiséde façon à ce que chacun s'occupe toujours des mêmes rayons. Le magasin est approvisionnépar une centralequi groupe les livraisonspar catégories de produits,mais qui naturellementignorela répartition des tâches entre les divers employés. Si bien qu'une même palette contient fréquemmentdes articles destinés à des personnes différentes,et qu'une bonne partie de la journée se passe pour chaque employé à déchargeret rechargersuccessivementles palettes pour pouvoir accéder à sa «propre» marchandise.Etre rayonneuse, ou gondolière, signifieplus simplementêtre manutentionnaire.De plus, tout le travail dans les rayons s'effectuedebout, ou bien accroupie pour atteindre les endroits les plus bas. Les journées sont donc épuisantes, demandant beaucoup de forceet de résistancephysiques. Comme on le voit, il ne s'agit plus ici de considérerles femmescomme des créaturesfaibles et délicates. La subtile distinctionentre travailfémininet travail masculin s'estompe miraculeusementface aux impératifsde gestion. Il faut dire que le plus souvent,les femmessont affectéesà l'équipe du matin en guise de punition. Des vendeuses ou rayonneusesde jour arrivanten retardou montrantune négligencequelconque, se sont vues infligerles horairesdu matin en fait d'avertissement. De même, certaines caissières,jugées trop souvent malades par la direction, accusées de désorganiserle travailde caisse, ont été rattachéesà l'équipe du matin,sous prétextede leur calmerles nerfs. Ce travailest jugé le pire qui soit dans le super-marché,d'une part en raison des horaires,d'autre part parce qu'il est très fatigantphysiquement: manutention, journée continue, station debout ou accroupie. Alors qu'en fait il n'est pas éprouvant nerveusement,comme la caisse, et qu'en définitiveil est moins prenant,précisément en raison de la journée continue. Néanmoins,du faitque c'est un travailde force, il est considéré comme punitifet dégradant,lorsqu'il est exécuté par une femme,car la forcephysique n'est pas un critèrepermettantde valoriserle travail féminin.En revanche,la manutention,tout en étant peu prisée dans la hiérarchie du travailmasculin,est à certainségards valorisée par les hommes puisqu'elle leur permet précisémentd'utiliser et de montrerleur force, attributviril par excellence. Il est significatif que les rayonneursvalorisentleur tâche non seulementpar aux mais femmes, rapport également par rapport aux hommes n'utilisantpas la forcephysique dans leur travail : ils affectentun certainméprispour ces «intellectuels» qui ne saventrienfairede leursmains,et surtoutde leursbras. Le travailaux rayons,exécuté par les femmes,est donc dénigré,et le travail de caisse se trouve en retourvalorisépar un grand nombre de gens. Beaucoup de clients sont persuadés que les caissièressont bien payées, et ils tombent des nues lorsqu'ils apprennentqu'elles sont rétribuéesau S.M.I.C. Certains pensent même
47 pourpréqu'il est nécessaired'avoirdes diplômeset des notionsde comptabilité tendreà ce poste.Les patrons,quantà eux, mettentl'accentsurla responsabilité qui incombeà la caissière.Une primeest d'ailleursverséechaquemois : en février et passaità 50 F après3 moisd'ancienne78 elle étaitde 30 F pourune débutante, en contradiction té. Sommedérisoire, avec les promessesdu directeur lorsde l'emd'une bonne(!) prime d'êtregratifiée bauche,qui assureà la caissièreméritante se voitmenacéed'un prélèvement sursa fiche tandisque la caissièreirresponsable de paye,égal au montantde ses erreurs ce qui est,soit dit au passage,strictement interdit.Enfin,en ce qui concerneles employés,deux typesde réactionssontà selon qu'il s'agit des employéesfemmesou des employéshommes. considérer, 1) Les femmes,elles, valorisentaussi le travailde caisse,qu'elles soientellesmêmescaissièresou affectéesà d'autrespostes.Cela tienten grandepartieau fait dansle cadredes employés, au sensdéfiniparle qu'une caissièreentreparfaitement code des catégoriessocio-professionnelles. Alorsqu'une rayonneuse, mêmesi elle est désignéecommetellesurson bulletinde salaire,s'apparente beaucoupplus,par la naturede son travail,aux ouvriers.Etre caissière,cela impliqueaux yeux des femmes,avoirune certainequalification; tandisque les gondolières, qui trimbalentdespaquetsà longueurde journée,se considèrent et sontconsidérées comme ouvrières. Les caissièressont assises,elles ne se salissentpas. Les rayonneuses se serventde leursmuscles,travaillent deboutsansinterruption, sontcouvertesde la les ongles poussièredes rayons,les mainssouventnoiresde crasseet égratignées, un sales, cassés, abîmés. La caisse,pour elles,confèredonc un certainprestige, et ellesne sontabsolument certainconfort, pas conscientesde la tensionnerveuse qu'elleprovoque. valorisent leurpropretravailen insistant sursonca2) Les hommesau contraire, ractèrepénible,fatigant. Ils considèrent le travailà la caissecommeun «boulotde nana». Pour les uns, la caisse c'est la planque.Une caissièrequi faisaitun commentaire amuséau réceptionnaire mortde soif,s'estentenduerépliquer: «Eh bien ! je ne suis pas assis toutela journée,moi !» Pourles autres,la caissec'est l'enfer. Ils semblentse rendrecomptedes cadencesinfernales et de la tensionnerveuse des caissières.Mais loin de leur témoigner une ombrede commisération, ils affichent plutôtune moue de méprisqui signifieclairement qu'il n'y a vraimentque des femmes commeça. pourfaireça, et accepterde se fairetraiter Le travaildansles rayonsest donc seulement valoriséparles hommes.Il leur permetde faireétalagede leursmuscles,de leurforce,et leurdonnela satisfaction de l'équipedu matin,en revanche, d'occuperun emploibienmasculin.Les femmes ne sontpas loin de l'exécrerpuisqu'ilestconsidérécommele travaille pluspénible ne leurconcèdent qui soitici lorsqu'ilest exécutépar une femme.Les rayonneurs pas le droità la fatigue,ne reconnaissent pas le travaildes femmescommeéquivalentau leur,mêmes'il est en toutpointsemblable,mêmesi 30 kg soulevéspar eux c'est pareil que 30 kg soulevéspar une femme.Ce travail,effectuépar les hommes,leur procureune certainefierté,alorsque pourles femmesil est dégradant : il les transforme en bêtesde somme.Le travailde forced'unhommen'a pas la mêmevaleurque le travailde forced'une femme,et cela mêmes'il est identique.
48 Dans une certainemesure,les rayonneusesont davantageconscience de leur oppression en tant que travailleuseset en tant que femmes,que le reste du personnel féminin.
ANTAGONISME DES SEXES DANS LE TRAVAIL D'une façon générale, à salaire égal et fonction similaire,les femmessont plus exploitées que les hommes. Les conditionsde travailse révèlentmoins pénibles pour les hommes ; certainsindicesmontrentclairementque les femmessont davantage brimées. Ainsi en ce qui concernele port de la blouse. Théoriquementobligatoirepour tout le personnel,seules les femmes,en réalité, y sont soumises. Naturellement, elles doiventse fournirau supermarchélui-mêmeet payer 30 F une blouse en nylon orange et bleu marine avec le petit macaron à l'enseigne du magasin. Faire endosser l'uniformeest un des moyens de la directionpour rendrechacune anonyme, interchangeable,lui faire perdre apparemmenttoute individualité.Ainsi le groupe des femmesest uniformisé,standardisé,bien démarqué extérieurementdu groupe des hommes,qui eux conserventleur identitéproprepuisque d'une part,ils ne sont pas obligés de porterune blouse, et que d'autre part, s'ils décident d'en mettre,ils peuvent choisirla forme,la couleur, le matériau.Toutes les femmessont donc soumises à un règlementstricten ce qui concernel'habillement,tandisque les hommes conserventla libertédu choix. Un autreaspect de la différencehomme/femme résidedans la manièred'interpellerchacun : les chefss'adressentaux hommesen les nommantpar leur patronyme, tandis qu'ils appellent les femmespar leur prénom. Il y a dans cet usage du nom pour les hommes, la constatation implicite d'une égalité d'homme à homme certaine, même si l'un est hiérarchiquementsubordonnéà l'autre. Il y a reconnaissance de l'appartenance à une même classe : la classe masculine.En revanche,appelerles femmespar leur prénom,c'est signifierexplicitementqu'on ne les traiteen aucun cas sur un pied d'égalité,qu'au contraireon les met à part,et en dessous,puisqu'on se montrefamilieravec elles sans leur demanderleur avis. L'usage à sens unique du 6 prénomimplique toujoursun rapportd'inférioritéet de subordination . Le constat simultanéd'une certainesolidaritéentrehommes - quel que soit leur statut social -, et des brimadesinfligéesaux femmes,montreclairementque, parallèle à la séparation patrons/chefset employés, existe une opposition fondamentale entre hommes et femmes. Là encore, il apparaît nettementqu'il existe deux classes bien distinctes,le critèred'appartenance de tout individuétant uniquement basé sur son genre : masculinou féminin.A cet égard,la position de la patronnedu super-marchéest extrêmementrévélatrice.
6. Les relations enfants/adultesen sont un bon exemple. Certaines grandes surfaces obligentle personnelfémininà porter son prénom sur le macaron : une façon de mettrele clientplus à Taise et d'humilierdavantageles femmes.
49 Son rôledansle magasinest trèsambigu.Incontestablement, elleexerceune certaineautoritésurles employés,notamment en ce qui concernela marchequotidiennede l'entreprise. une fonction de secrétaire Cependant,elle a davantage que de dirigeante: elle s'occupe de recompter la recetteet de vérifier les fichesde les attestations caisse,de remplir pourla SécuritéSociale : ellene peut d'employeur ni documents ni chèquesconcernant la société(ce pouvoirétantexclusivesigner mentdu ressortdu patron),ni prendreaucunedécisionde quelque ordreque ce soit.Dès lors,il est évidentque le peu d'autoritéqu'elle possèden'estdû qu'à son - d'ailleursles employés(hommessurtout)se mariageavec un homme/patron à plaisent répéterque sansson mari,elle n'a rien,elle n'estrien.Et c'est précisémentson appropriation par un homme/patron qui rendsonstatutsi ambigu,si informel: elle bénéficiesimplement des avantagesliés à la positionsocialede son de sonpouvoir.Et curieusement, mari,et ne recueilleelle-même que des retombées des employnsest nettement l'agressivité pluscanaliséesurelle,qui pourtant«n'est rien»,que sur le «vrai» patron,donc le responsabledirectde l'exploitationdu Maisceci n'estparadoxalqu'en apparence.Ce qu'on tolèred'unhomme, personnel. on ne l'acceptepas d'une femme.Le pouvoir,quel qu'il soit,appartient de toute évidenceaux hommes.Ce n'est que par détournement que cette femmeest patronne,et par là mêmele peu de pouvoirqu'elle détientestconsidérécommeilléétantd'êtredominées, une femmeestd'autantplushaie gitime.Le rôledes femmes que, de par sa positionsociale,elle a un certainpouvoirsur des hommes.C'est et les ordresde la patronnesonttoujourstrèsmalacceptés pourquoiles réflexions parles employés,qui estiment qu'elle dépasseles limitesque lui assigneson rôlede femme.D'ailleursla plupartdeshommesaffirment avecforce: «Moi,êtrecommandé parune femme? Ah non,jamais !» : une femmeayantunepositionde pouvoir est considéréecomme déplacée,comme «anti-nature». C'est pourquoiles employés supportentbeaucoup moins bien les petitschefsfemmes,trèspeu nombreusesici, que les petitschefshommes.Elles sontjugéesautoritaires, impossibles, de vraiesteignes«commeseulesles femmespeuventl'être».Elles sontbiendavanmasculins. Sentantqu'ellessonttoutjustetolérées, tagehaies que leurséquivalents qu'ellesessaientde compenser par un excèsde travailet de zèle le faitqu'ellessont des femmes, d'être espérantque l'un feraoublierl'autre,et que cela leurpermettra acceptéeset reconnuesen tantque chef.Ainsiellesont - et veulentdonner- l'illusionqu'ellessontdifférentes, car ellesespèrentque cettedifférence leurdonnera droità un traitement de faveurparrapportà l'ensembledes femmes. Se démarquerde la classe des oppriméesest l'espoirde se voirconsidérer commeautre,donc d'échapperau sortqui vousestdestiné.C'estune réactioncourantechez les femmesqui n'ont qu'une conscienceconfusede l'antagonisme des sexes.Cela est particulièrement dansle comportement desclientesenvers frappant les caissières.Les traiteragressivement et les mépriser- comme le fontles hommeset les patrons leurdonnel'illusionde posséderuneparcellede pouvoir, et par là même d'échapperà l'exploitationcollectivedes femmes,qu'elles ressententconfusément. Se mettreaux côtés de ceux qui détiennent le pouvoirleur sembleplusconfortable. C'est ainsiqu'entrefemmes employéeselles-mêmes, pourtant réduitesau même niveaud'oppression,il n'existeaucune solidaritéréelle.
50 Face à la direction,l'attitudedes femmesest la soumission, l'acceptation revendicatif jusqu'à prépassive.L'absencetotalede grèveet de toutmouvement senten témoigne 7, de mêmel'électionrécentede deux chefscommedéléguésdu un emploi- et de le garderpersonnel.Il sembleque le soucimajeurde trouver à front contrela direction.De plus, un se réunir faire soiten partie obstacle pour du travailbien la cherchent n'existantpas ici,beaucoup la promotion récompense de la direction. et les remerciements faitdans la reconnaissance Ainsi,la plupart du les a remeront été combléeslorsquele patron,par l'intermédiaire directeur, ciées d'avoir «bien voulu» travaillerle 11 novembre,alors qu'en réalitéelles d'observer des excèsde zèle dansle butd'obn'avaientpas le choix.Il est fréquent d'untraitement les ferabénéficier des patronsqui, espèrent-elles, tenirla gratitude de faveurparla suite: par exemple,le supermarché pas de personnel n'employant ce sont exclusivement des femmes,et toujoursdes volontaires, d'entretien, qui et desrivalités les toilettes.Cetteatmosphère amènesouventdes conflits nettoient un espritde discordeet de et contribueà entretenir au seindu personnelféminin délation8. à cettesituation,elles n'ont pas conscienced'êtreexploitées Parallèlement en tantque femmes.Bien que ressentant plus ou moinsconfuséspécifiquement de sexes,elles ne le remettent mentun antagonisme pas en question,ellesl'intèen aucun cas comme grentdans l'ordrenatureldes choses,et ne se considèrent une classe séparée,dominée.De cettemanière,toute aide, toutsoutien formant entreellessontexclus.Ainsiunecaissièren'admetpas de voirunecollèguesouffler Dansles rayons,la un peu en l'absencede clients: elle se chargede lui en envoyer. se donnentun coup de mainpour situationest la même: il estrareque des femmes les palettes,partagerle travailpénible.De la sorte,toutesolidaritéest décharger banniedesrelations de travail. est Il ressorten définitive où le personnelféminin que dansle supermarché, nombreuxet particulièrement exploité,le niveaude consciencedes femmesquant à leuroppressionest trèsfaible.La consciencequ'ellesonten tantque salariéesde leur exploitationet de leur forcepotentiellen'est pas suffisante pour leur permettred'amorcerdes luttesrevendicatives ; elle est à peu prèsnullesurle plande leuroppression de femmes. spécifique Gisèle Fournier,«Women'sworkand exploitationin supermarkets». In supermarketsas everywherein the job market,women occupy the bottom of the job scale. This is obtained of course by excluding them of better-paidjobs ; but also by keeping them in specific,all-femalejobs, for ex. that of cashier. Because this job does not require physical strength,the fact that it is an arduous task is ignored,and it is deemed more «feminine» than that of fillingshelvesfor ex. ; the latter,while nervouslyless trying,is valued for men, and considereda punishmentfor women. These ideological mechanismsplaying on the idea of a feminine«Nature» push women into «preferring»a job which is both exhaustingand commands the minimum wage. 7. Les employéshommes,d'ailleurs,ne se montrentpas plus combatifs. 8. Ainsi le commentaired'une caissièreà son chef concernantune de ses proprescollègues, en arrêt de travailpour dépressionnerveuse: «Vous savez, elle n'est pas malade MarieFrance,je l'ai vue se promeneren villehier.Ça me dégoûte,moi, ces filles-là!».
Photo : Guy Le Querrec-Magnum.
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ColetteGuillaumin
desfemmes De la transparence noussommestoutes desfillesde vitrières
Vous vous rappelez, à l'école ? «Pousse-toi,ton père est pas vitrier! Tu me caches la vue.» Eh bien si, apparemmentnous avons été engendréespar des vitrières, transparentesnous sommes : on nous voit à travers,on pourraitmême dire qu'on ne nous voit pas du tout. Dans nos métiersintellectuels,par exemple. On écrit,pas mal même... c'est normal, c'est notre métier. Mais le «hic» c'est que si tout le monde le sait, personne n'a l'air de s'en apercevoir.Voyez, l'autrejour, je lisais un livretrès sérieux sur l'«agression», très bien faitce livre,trèsbien appuyé, trèsbien argumentéet pas si mal. Au moins trois cents citations,et des auteursles plus divers. Trois cents,ça n'est pas rien(c'était peut-petreplus). Grâce à un si grandnombre de citations,j'ai tout de même pu trouverune femmecitée dans le texte. Après tout, il n'y en a peut-êtrequ'une seule qui a travaillélà-dessus,c'est possible, tout est possible, moi je n'en sais rien et c'est un domaine où jusqu'ici je n'ai entendu parler que d'hommes ; ce n'est d'ailleurs pas étonnant,l'agression «naturelle» est bien une idée de dominant,de celui qui est du bon côté du manche dans un rapport social. Bref,j'ai quand même trouvéune femme.Alors, c'est normal,j'ai voulu savoir de quel livre ou articleétait tiréel'argumentationqu'on lui attribuait.Et je me suis reportéeà l'appareil de nôtres final qui donne, pour tous les auteurs cités,les indications bibliographiquesdes citations, page par page. C'est très bien fait,très précis et très détaillé, avec titre,année, ville, éditeur,pages concernées,etc. : trois cents comme ça. Très bien fait,sauf que je n'y ai pas trouvéla femmeen question, rien,aucune référence.Comme d'habitude. - no4 - novembre 1978 Questions féministes
52 Parce que, ne croyezpas, c'est toujourscommeça ; une femmecitée : c'est commeles autresauteurs(qui eux sont l'exception,une femmecitéeavecprécision des hommeset ont droitde natureà toutesles précisions vouluesen général): c'est à la chose,aveccalme,et vousverrezque ça crève le miracle.Portezun œil attentif lesyeux. Ou bien la femme,pourtantconnuedansle domaine,n'estmêmepas menau fait,ça me rappelleunehistoirerécente: tionnée,c'estle cas le plus fréquent... de statutélevé (je veuxdirepas n'importequellepousse-balai)a une ethnologue, - de l'autrebout surun peupleafricain.Or récemment écritun livrefondamental est venuela voirpourparleravecelleet,entre de l'Europe unejeune chercheuse autres,lui direà quel pointle livreen questionlui avaitété précieux,etc.Mais,tout dansla thèsequ'elle avaitécrite,ni le livreni l'ethnologue n'étaient normalement, même cités. Ben voyons ! comme disaitun journalanarchistede la génération chenue.J'ai vu aussiune de mespetitescamaradesresterébahieet presqueincrédule devantdes tableauxstatistiques extraitsd'un de sesarticleset reprissanscitation de sourceparun des jeunesloups de sa profession (sociologie),et même,disons-le,présentéscommele fruitde son propretravail(au jeune loup) ; maisau moinsest-celà le produitfrancet joufflude la malveillance, bienreposanteà côté de l'ignorance décontractée. Ou bien le nom et l'un des travauxd'une femmesontmentionnés dansle courantdu texte,maiselle n'apparaîtpas pourautantdansla bibliographie générale, c'est un cas trèsfréquentégalement.Ou bien encoreun travailde femme, ne donnepas lieu à un renvoien note de bas de page,au contraire des mentionné, autrestravaux.Il peut arriver mêmeque son seul nomsoitindiquésansqu'aucun de ses travauxne soitmentionné, ni dansle texte,ni en note,ni en bibliographie. Autresolution,oralecelle-cile plusfréquemment, maispas toujours: ellese transformepour ses collèguesmasculinsen un simpleprénom,solutiontrèscommode à ceux de l'ignorance du travail.D'ailleurs qui unitles avantagesde la familiarité du nous suit de sa : dans sa condescendance l'usage prénom sentimentalo-porno à Y à Introduction de l'économie Rosa monsieur préface politique Luxemburg, nous assène deux ou trois «Rosa» par page. Jamais«Karl» ni je-ne-sais-qui «Sigmund»- pas plus que Paul ou Jacques- n'ontdroità unesi touchanteet affectueuse attention. Anecdotes? Pas du tout,simplesexemplesd'une réalitéquotidiennedont l'épuisantebanalitén'estcertespas limitéeau travail: voyezchez l'épicieroù une file d'attente,qu'elle soit composéede une ou de quatre femmes,a de fortes chancesde n'êtrepas vue par le clientmâle qui proclameson urgentbesoind'un paquet de café ou d'une tranchede jambon.Et au restaurant, que vous soyiez une ou deux ou troisfemmesinstalléesà une table,votrecommandesera prise aprèscelle de ce ou ces hommes(accompagnésou non d'appendice(s)féminin(s)) à l'instantdanstoutela majestémodesteque pratiquent d'arriver les qui viennent occupantsde droitdes lieux publics; il en serade mêmeau momentde partir: l'additiondemandéearriveplusvitepourleshommes.Quantaux trottoirs desvilles, ne les mentionnons que pourmémoirecar de deux chosesl'une : soitle regardde de l'objet féminin et dansce l'occupantde droitest orientésurla consommation
53
l'acuitédu regarddéclenchel'émissionde cas il n'estpas questionde transparence, centrésursoi-même, demeureopala voix et s'accompagnedu geste.Soitle regard, et de le seul droit fil de la direction ; regarder permet que juste laquellejustetraen aucun un individuféminin ne cas être arrioccupée par également jectoire peut en questionessaieausside marcher vanten sensinverse.Si l'individuféminin droit fonet se refuseà pratiquerl'habituelslalom(qui doitêtreune descaractéristiques aux damentalesde ce fameuxsensde l'espacebiologiquement femmes, spécifique sansdoute !), eh biença se conclueraparunecollision,brutaleou hypocrite. Et on ? viendranousdireque nousne sommespas transparentes Dans le travailscientifique, puisquec'est de lui que nousparlions,le regard, la connaissance l'attention, passentà traversles travauxdes femmescommes'ils étaientle purproduitde l'anonymatgénéralisé. Remarquez,je ne suispas du tout contrel'anonymat,et mêmeje suis plutôtpour. Mais alorsvraiment généralisé. doncqu'on ne Qu'on ne citepersonne,vraiment personne,et pas mêmesoi-même, à la réalitédu travailintellectuel, signepas. C'est ce qui seraitle plusconforme qui n'estpas uneproduction aussiexquisément individuelle qu'on l'imagine.Maisil faut bienreconnaître que si l'idée d'anonymatfaitdu chemin,c'estuniquement quand les auteursdes idéessontdes femmes; car c'est curieux,il n'en est pas de même en quelquesorte. pourles hommes: un petitdysfonctionnement Voyez aussi un autre exempledu mécanismede la vitre: dans un récent numérod'Actes,surla justiceet les femmes, l'un des articlesdonnediversesréféde femmes le souvent elles le titrede l'ounormalement rences, ; plus comportent en du nom de face l'une des femmes... rien. n'est L'élan vrage,mais, pas parvenu jusqu'au bout de lui-même.Transparentes je vous dis, d'une troublanteet uniEt toutle monde,hommeset femmes, verselletransparence. réagitpareil: une et à travers un voientles hommesmaisune et un regardent les femmes: si c'est une femmequi est dansl'axe de vision,on ne voitlittéralement... rien.Si l'on penseà c'est d'une un drôlerieamèredans journaldontle dessinde l'exemplequi précède, couverture montre,surle hautplateaud'une balance,des femmesen trainde hurler et de se contorsionner pour fairebaisserle plateau,pendantque sur l'autre, celui du bas, pénardset décontractés, moitiémoinsd'hommesattendenten sifflotant la finde ce vacarme.Mêmesi tu hurles,on ne te voitmêmepas... Si toutle mondeétaittransparent, ce seraitparfait, et cettenoten'auraitpas de sens.Maistransparence des femmeségaleopacitédeshommes: c'estbel et bien une relation.Et qui crèveles yeux : dans les bibliographies videsdu nom des femmes(qui ont écritsurla question)et pleinesdu nomdeshommes,dansles citations vides de femmeset pleinesd'hommes,dans les listesdes «deux ou trois» le nom «du» spécialistede sexe fegrandsspécialistesoù manquegénéralement reconnucommetel verbalement melle,pourtanteffectivement (ça faittoujours années, plaisiret ça ne laissepas de traces).J'aivu ça, au coursdes cinq dernières de huitcents pour troisou quatresujetsde sciencessocialesoù des monuments pagesécritspar des femmesétaientallègrement jetés aux oubliettesde l'histoire auteursde plaquettes,et ceci dans des domainesoù les doigts par de distingués desmainssuffisent mondial. presqueà faireun recensement
54 Et ne venez pas me jeter à la figureces domaines où ne travaillentpratiquement que des femmes.Là, on est obligé de les citer,les femmes,il faut faireavec ce qu'on a. L'assistance sociale, l'éducation des petits, les «problèmes de la Femme», etc. - tous domaines où on trouve généralementun homme (toujours très bien traité,lui) qui a dû balancer longtempsdans les angoisses,tirailléentrele déshonneurde traiterde pareillesnignorleset l'espoir toujours récompenséd'y faire figurede chefde fileou de brillantoutsider. La transparencevitrièreatteintmême la voix, les paroles, le son... Avez-vous remarquédans les assemblées : une femmedit un truc... plouc, ça tombe au fond, pas une ride à la surface,rien. A condition d'ailleurs qu'on ne lui coupe pas la parole sans même se rendrecompte qu'elle parlait,sans même ouir qu'un son sortait de sa bouche. Car, quelle commence à parlerou qu'elle ait «fini» - elle a d'ailleurs intérêtà se dépêcher,ce que le plus souvent,l'excuse à la bouche et l'œil angoissé, elle ne montreque trop -, on n'a rienentendu.Ravivez vos souvenirsde colloques divers,congrès,réunionssyndicaleset autres assemblées,houleuses ou non. Donc, rien,on recommenceà parler dès qu'elle l'a fermée,et souvent avant. Même si on ne pouvait pas le moins du monde l'accuser de digression,on ne l'a pas entendue, donc on peut continuer après qu'elle a cessé de faire du bruit et de troublerla concertation.Mais, mais... un quart d'heure après - ou une heure, c'est selon quelqu'un (un) d'autre, mû par une inspirationsoudaine et irrépressible,dit (ce qu'elle avait dit). Alors là on écoute, et on entend : c'est un homme qui parle. On écoute, même pour s'opposer au besoin, la question n'est pas là, on peut êtrecontre mais on a entendu.On a même entenduquelqu'un qui vient- enfin ! - d'avoir une idée nouvelle, tout fraîche,toute neuve, que personne n'avait jamais eu... C'est pour ça, on est frappé ! C'est frappantquelque chose qui n'a jamais été dit,non ? Transparentesnous sommes. Transparentesmais utilisées. Pas du tout inefficaces,très efficaces même, productricesd'idées anonymes,mèresde la pensée en quelque sorte. Là où ça puise librement,là où on peut regarderet voir à travers... Oui, nos mèresétaientdes vitrières.
Colette Guillaumin,«Of women's transparency: We are all the glass-maker's daughter». In the intellectualrealm, and elsewhere,in the streets,in any public places, women are not supposed to be there : what theysay goes unheard, what theywritepass unnoticedand unquoted. Theyare unseen...
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Marie-JoDhavernas
desfemmes La délinquance «Cettefillea déjà montréson insolence en passantoutreà desloisétablies; et,le crimeune fois commis,c'est une insolence nouvelleque de s'en vanteret de ricaner.Désormais,ce n'est plus moi, c'est elle qui est l'homme,si elle doit de son triomphe. jouir ici impunément Eh bien,non ! [...] Moi,tantque je vivrai, ce n'est pas une femmequi me ferala loi». SOPHOCLE,Antigone.
à la questionde la loi et J'aicommencéà m'intéresser plusparticulièrement en de la délinquancedes femmes, de la justicele jour où j'ai apprisque le chiffre moinsélevé était considérablement France et ailleurs,et depuisfortlongtemps, avaienttendanceà respecvue,les femmes que celui des hommes.Ainsi,à première terles lois ! Voilà qui faisaitproblème.
Les statistiquescriminelles, refletdu contrôlesocial plus que mesurede la transgression. En fait,les statistiques criminelles sont inaptesà rendrecomptepar ellesde chaquesexe.Cependant, des activitésdélictuelles si elles mêmesde la différence ne sont,commele ditPhilippeRobert,que des «produitsdu contrôlesocialde la l délinquance» , alors ce qu'elles disent,et ce qu'elles ne disentpas, peut nous donnerquelquesindicationsutilessurla manièrespécifiquedontchaque sexe est soumisà ce contrôlesocial. des La loi est une manièrede pareraux défaillancesde l'autorégulation conduitesselon la normesociale : égaleen théoriepourtous,elle se prêteen fait par ses modalitésd'applicationà un jeu subtilqui permetd'adapterla répression 1. Philippe Robert, «Ce que révèlentles statistiques»,Science et Avenir,Paris, n° spécial horssérie 1976, «Le crime». Questionsféministes- no 4 - novembre1978
56 à chacunen fonctiondes droitset devoirsque lui attribue, nonle Code maisl'idéode l'opportunité socialeet politique.Au niveaudes et en fonction logiedominante, recherches policièresd'abord ; ensuiteau niveaudes poursuites judiciaires: entre les délitsconnuset les délitspoursuivis, l'écartest considérable; on n'en connaît souventpas les auteurs,maisparmiceux que l'on connaît,on choisitqui on poursuivraou non (voirpar exemplela récenteaffairedu «Pouf»de Calvi,bordelinstallédansles bâtiments mêmesde la Légion: si on poursuivit la maquerelle, aucun ne futamenéau banc desaccusés; alorsque deuxprostituées militaire responsable un appartement condamnéespour peuventêtre,et sontfréquemment, partageant dansunelargemesureet parle biais mutuel»).On choisitégalement, «proxénétisme 2 de certainscrimes de la correctionnalisation (ainsi par exempleun viol pourra êtrequalifiéviolenceset voies de faits...)devantquellejuridiction on poursuivra, suivantles peinesque l'on espèreobtenird'unjury«populaire» (Coursd'Assises)ou de professionnels de la justice(Tribunauxcorrectionnels) et suivantl'importance attachéeà l'affaire; jeu équivoqueentrela moraleofficielle, la moralegénéraleet la moraledes spécialistes; si la correctionnalisation de l'avortement eutpourfonction d'en accentuerla répression, en soustrayant les coupablesà l'indulgence des jurés et en allégeantles peinesdontl'énormité la étaitsourced'acquittement fréquent, à envoyerles violeursdevantles tendanceconsécutiveaux campagnesféministes cours d'Assisestémoigneau contraired'une reconnaissance forcée(et du reste du crime de viol. Choix au dansl'appréciaambiguë)3 égalementquant jugement, tion des élémentsqui y interviennent ou (circonstances aggravantes atténuantes, ou dansles étapespréparatoires gravitédes faits,possibilités d'amendement...) (exOn voitque la justiceestle pertisemédicale,enquêtesocialeou de personnalité...). au senspleindu terme(loi personnelle ou d'exception). plussûrgarantdu privilège, C'est direque les hommeset les femmesne peuventy êtresoumisaujourd'huide façonidentique.Maisc'est direaussià quel pointil estdifficile de fairela de est différence de deux et de ce ce réelle entre les sexes comportement part qui est à différence de de des semcomportements qui réponse l'appareiljudiciaire blables.
niveauxde repéragede la criminalité. Différents techConscientede ces disparités maispréférant leurdonneruneconnotation la : les les suivantes sou$ catégories niqueplutôtque sociale, criminologie exprime réellequi recouvretoutesles infractions, la criminalité la criminalité apparentequi et la criminalité porte sur celles connuesmais non nécessairement poursuivies, soumisesà la répression des tribunaux4.La légale qui se limiteaux infractions 2. Transformationpar voie légale ou judiciaire d'un crimeen délit correctionnel(sur la cf. note 4). distinctioncrime-délit, 3. Reconnaissancede la gravited'un crimecontrela libertedes femmes,peut-être,mais aussi occasion de contrôleaccru,indépendammentdes intérêtsdes femmes. 4. Le termede criminalitése rapportea l'ensembledes crimes,soit ce qui est en principe jugé aux Assises,tandis que celui de délinquance recouvreles délits,passiblesdu Tribunalcorrectionnelou de simplepolice ; cependant,policiers,juristeset criminologuesen fontun emploi variable, tantôt les utilisantcomme critèresde gravité,ou bien au contrairedésignantindifféremment,faute d'un mot particulier,l'ensemble des crimeset délits par l'un ou l'autre terme. On les emploieraici comme synonymes,saufprécisioncontraire.
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de femmesest plus faibledansla criminalité légaleque dansla criminaproportion et l'opiniongénéraleest que l'écartdiminuerait si l'on pouvaitconlité apparente, des femmes réelle; le pourcentage naîtrela partde chaque sexe dansla criminalité en prison,par contre,est encoreplusminimeque celui des femmesobjetsde proà un écrémageprogressif toutau longdu processusrépressif, cès. Ainsiassiste-t-on, au profitdes femmes.On verraplusloin à plusparticulièrement qui se manifeste ces touchantes faveurs. quoi il convientd'attribuer Mais ce n'estpas seulement la façondontl'appareilrépressif répondaux inen sont en les données. dont elles mises fractions biaise La manière rubriques qui révèleassez longsurles degrésde tolérabilité sociale,maispeu surleursignification entreles de certainesagressions réelle(ainsi par exempledu mode de répartition et «contre les Pource délits ou crimes «contre les mœurs». catégories personnes» du de Ph. Robert est des ministère l'Intérieur, précisequ'ellesont qui statistiques à la dotéesd'un indice«affectant d'une été récemment affaire pondération chaque : grandecriminalité, hauteurde la gravitéqu'on lui suppose.Ainsidistingue-t-on et délinquance.Bien entendu,on tombedans l'assimilation moyennecriminalité et criminalité. entrestatistique Maisil y a bienpls. En procédantainsi,la «grande est composéepourmoitiéde vols,tandisque 1 304 homicidesn'appacriminalité» criminalité» raissentque dansla «moyenne (réputée10 foismoinsgrave)et 57 647 ne . De concertavecla fraude sont dans la classées escroqueries que «délinquance» fiscaleet d'ailleursl'ensembledesinfractions astucieuses (100 foismoinsgravesque son sac et lui voler les vols de sac à main...).Frapperune femmepourlui arracher la violerou mêmel'assassiner 100 F., c'est de la «grandecriminalité», (à condition de ne pas la voleren mêmetemps),ce n'est que de la «moyennecriminalité».5»
/. PETITS DELITS SANS IMPORTANCE. Là commeailleurs,la place des femmes esttoutà faitmarginale ; et,de plus, un du siècle et demi en France les criminelles depuis qu'existent statistiques i.e. les de la Justice(CompteGénéralportantsurla criminalité Ministère «légale», elle n'a cesséde se restreindre6 ;mais depuisun siècleet demiégacondamnations), et l'apdesinfractions, lement,la moralesocialea évolué,et avec elle la définition de leur la s'est modifiée préciation gravité; conditiondes femmes beaucoupplus nettement que celle des hommes,et de mêmeleurimagesociale ; les diversdécades mentalités, des lois donnentainsi lages entrel'évolutiondes comportements, une plus grandemarged'incertitude en ce qui concernele rapport et d'arbitraire infraction-répression pource qui estdes femmes.
5. Philippe Robert, «Ce que révèlent...». La sophisticationici introduitepar les fonctionnairesde la police par rapportaux catégoriestraditionnelles(«criminalité»,«délinquance», cf. note n° 4) n'a pas de valeurlégale et ne renvoiequ'à l'appréciationdes spécialistesqui l'ont élaborée. 6. Du moinsjusqu aux années 60.
58 Evolution depuis un siècle et demi : délits liés à la normesexuelle. Ainsil'infanticide, qui au débutdu XIXe siècle occupaitd'aprèsGuerryla est aujourd'huiassez rare.D'autres féminine, premièreplace dans la criminalité ou le défautde déclaradélitstelsque l'exerciceillégalde l'artdes accouchements tion de naissanceontperdudansla réalitéla place qu'ils occupaientdansles preet entreles chiffres Mais danscertainscas la distorsion miersrecueilsstatistiques. rébien avant la la réalitéest immense: ainside l'adultèreou de l'avortement, qui, de leur caractère cente suppressiontotale (adultère)7 ou partielle(avortement) atténuéeparl'évolutiondesmœurs, avaientvuleurrépression délictueux, largement à chacun ; dans le CompteGénéralde particulières après quelques vicissitudes 68 prévenus(on saitque l'aduld'adultère,concernant 1832, on relève44 affaires tèren'étaitpunique commispar la femme,qui pouvaitfairejusqu'à deux ans de le divorce(1884) prisonpource fait,ainsique son «complice»); la loi autorisant à étaler au grandjour va donnerde bonnesraisonsau mari,autrefois moinsenclin son «infortune», d'amenerson épouse infidèledevantun tribunal.Le Compte Général de l'année 1900 note que le chiffredes affairesd'adultère«a plus que doublédepuisla loi du 27 juillet1884 surle divorce(546 à 1 143),l'épouxvictime de l'adultèretenantà produireun jugementde condamnation à l'appuide sa de. mandede divorce» Ce chiffres'accroîtconsidérablement durantla premièremoitié du XXe siècle,en mêmetempsque se répandla pratiquedu divorce.Aprèsla deuxième En même guerremondiale,le nombredes procèsd'adultèrediminuerapidement. la lourdeurdes sanctionsdiminue,la tempsque le nombredes condamnations, de plus en plus au profitde l'amende.En 1975,la loi qui réforme prisons'effaçant le divorcesupprime parla mêmeoccasionle délitd'adultère. Il est clairque cetteévolutiondes condamnations ne correspond pas à celle de la pratiqueréellede l'adultère,mais à la résultante des effetscontradictoires entrecettepratique,l'extensiondu divorceet doncla nécessitéde lui trouverun ® à l'infidélité motif,et la tolérancesocialecroissante conjugale 9 On voitcombienles condamnations surla commission sontpeu éclairantes Le de certainsdélits.L'avortement nousen apporteune autreillustration. effective CompteGénéralde 1832 recense5 affairesd'avortement (mais 86 infanticides), sontacquittées.Entre mettanten cause 4 femmeset 1 homme; 3 de ces personnes 1831 et 1880, 1 032 personnes sontaccuséesd'avortement (ce sontprincipalement des sages-femmes, et au XIXe siècle,l'avortement sursoi-mêmesemblepeu pourest habituellement suivi).Le crimed'avortement jugé aux Assises,avecpourconsédesjurys«populaires» , plus sensiblesà la détresse quenceune certaineindulgence 7. Délitsupprimé en 1975. 8. En 1946, 11 098 personnes pource délit,non (épousesou amants)sontcondamnées on n'encomptait carhuitansauparavant sansque les annéesde guerre y aientleurimportance, et en 1964, 970. Dansle que 3 111. En 1960 on ne trouveplus que 1 266 condamnations, comCompteGénéralde 1971, la rubriquedes condamnations pour«adultère-concubinage» et 279 femmes. prend269 hommes 9. Le termede «commission» étantutilisédansle sensde «exécution»ou «accomplissement»desdélits.
59 et moinsenclinsà la raideurlégaliste, maisla socialeou moraleque les magistrats raisond'Étatqui réclameune démographie viendramettrele holà à compétitive ces douceursimmorales.A partirde 1885 la pratiquedevenuecourantede la correctionnalisation des «crimespeu graves»remetla répression entreles mains d'hommespourvusd'un plus grandsens de leursresponsabilités nationales.Sans bienentendu10. effets dissuasifs, Au coursde la premièreguerremondiale,la criminalité des femmesen matièred'infanticide et d'avortement s'élèvede plusde 100 %. Aprèsla crisede 29, et durantla guerrede 193945, les statistiques montrent un nombrecroissantd'af: de quelquescentainespar an ellespassentà 1 995 en 1943. fairesd'avortement Les quelquesannéesqui suivent,le chiffre oscilleautourde 2 000. Dans les années le nombredes condamnations baisseirqui suiventl'après-guerre, pouravortement mais fortement; 518 personnessont condamnéesen 1971 n. régulièrement, Chiffres dérisoires et plus encorepar par rapportau nombreréeldes avortements, 12. On mesure rapportau nombredes personnesimpliquéesdansces avortements du «chiffre ici l'importance noir»(écartentrela criminalité apparenteet la criminalitéréelle)et l'impuissance des statistiques à révéler, danscertainsdomainesen autrechoseque leshésitations du système. particulier,
La part des femmesdans la délinquanceglobale. Evolutionstatistique, XIXe siècle et années 1900. Par contreelles nous renseignent surla partrespective de chaque sexe dans les procèspénaux.Dans la première moitiédu XIXe siècle,les femmes comptaient pour un peu plus d'1/5 de la criminalité légale ; aujourd'huielles en forment environle dixième.Pourcentage suiglobalqui ne rendpas comptedes différences vantla naturedes infractions : celles-cisontde taille.Hommeset femmes ne commettent pas les mêmesdélitsdansles mêmesproportions. Ainsile CompteGénéralde 1856 donne-t-il les pourcentages pourles femmes : suivants13 délits: diffamation, 34 % ; vagabondage, injures,3 1 % ; fraudescommerciales, 24 % ; vols simples,29 % ; mendicité, 26 % ; rébellion,6 % ; outrageset violences enversfonctionnaires 19% ; nopublics,13 % ; abusde confiance18 % ; escroquerie tonsqu'ence qui concernele vol domestique(vol commisparun domestiqueau détriment de l'employeur), considérécommeun crime,dansle CompteGénéralde 1856 prèsdu tiersdespersonnes misesen causesontdes femmes. 10. A la fin du XIXe siècle, les affairesd'avortementjugées sont peu nombreuses: 22 en 1881-85, 34 en 1891-95, 24 en 1896-1900... mais les affairesd'infanticidesle sont beaucoup plus bien qu'en diminution: 879 en 1881-85, 722 en 1891-95 ; 535 en 1896-1900... La première moitié du XXe siècle voit un accroissementde l'avortementau détrimentde l'infanticide, parallèle à une répressionaccrue. Les 1 861 affairesd'avortementjugées en 1945 enverronten prison3 560 personnes,dont 577 pour plus d'un an. 11. La loi Veil, supprimantsous certainesconditionsle délit d'avortement,est votée en 1975. 12. M 1 on voulait étudierprécisémentrevolution de la repressionen matièred avortement, il faudraitbien sûr tenir compte de la gravitédes sanctions,amende ou prison,peine fermeou sursis. 13. Far rapporta rensembledes deux sexes.
60 Dans la deuxièmemoitiédu XIXe siècle,une évolutionse dessine,là encore dans à deschangements ce qui reveint sansque l'on puissedéterminer précisément de l'appareilrépressif. desréactions la pratiqueou à desmodifications Quoi qu'il en le nombre d'hommes XIXe en le du dans courant siècle, cinquanteans, soit, jugés en correctionnelle augmented'1/5, tandisque celui des femmesbaisse de plus d'1/4. Le CompteGénéralde 1880 note que la proportiondes femmesest desde 22 % à 14 %, et citeles délitsoù elleestplusimportante cenduerégulièrement des hommes: délitsenversl'enfant,attentataux mœurs,adultère,exerque celle de la médecine. ciceillégal a quadruEn ce qui concerneles crimes,leurnombre,qui en un demi-siècle à Notons la que proportion plé pour les hommes,a peinetriplépourles femmes. de femmes jugéesen Coursd'Assisesen 1879 pourdescrimescontrelespersonnes est de 53 % : pourles hommeselle n'estque de 41 %. A l'inversedeshommes,les femmesrécidivent plus souventen matièrede délitsqu'en matièrede crimes,et le CompteGénéralen donnel'explicationsuivante: «Le nombrede cellesqui sont on compte est assez considérable; or,parmicelles-ci, condamnées pourinfanticide Au siècle derniercommeaujourd'hui,les crimesde femmes peu de récidivistes.» sontplussouvent familiauxque crapuleux. A la findu XIXe siècle,le chiffre moyende la délinquancedes femmesstationneaux alentoursde 15 %. Mais,d'aprèsle CompteGénéralde 1892, ellesne sontque pour 11 % deshomocides(infanticides excepté),et en revanche pour26 % desvolsdomestiques. C'est surtoutla criminalité correctionnelle la qui a baissé,jusqu'à rejoindre en 1831. Les femmes nettement criminalité criminelle, plus faibleque la première maisellessontmoinssouventjugées ne commettent graves, pas moinsd'infractions pourdesinfractions peu graves. de comportement Il apparaîtdonc qu'au coursdu XIXe siècle,les différences à entreles sexess'accusent,ainsique la différence des traitements que l'on réserve chacund'entreeux14. de la la baissetendancielle Durantle XXe siècle,et jusqu'à une date récente, à l'exceptiondespériodescouvrant les annéesde partdes femmesva se poursuivre une où l'on constateau contraire guerresmondialeset les immédiats après-guerre, augmentation spectaculaireautant que provisoirede la délinquanceféminine. En matièrede crime,en 1910, on compte16 femmessur 100 accusés15, et 16. la sévérité desjurysa continuéà décroître, surtouten faveurdesfemmes
14. L'indulgence à l'égarddes femmes va croissant. Tandisqu'en 1836-40,35 % d'hommeset 40 % de femmes sontacquittés, ceschiffres passenten 1888 à 26 % et 44 %, et en 1892 à 23 % et 52 % respectivement. Surlesraisonsde cetteindulgence, cf.IL Le savoirdes experts. à la criminalité 15. Criminalité légale qui ne concerneque les apparente,supérieure et noncommeicitouslesaccusés. condamnés 16. Si en 1896-1900,28 % des hommeset 52 % des femmesétaientacquittés,ces uneidéedu décalage chiffres étaienten 1910 passésà33%et62%! Pourcentages qui donnent entrela loi et l'idéologie.En outre,34 % d'hommeset seulement en 189618 % des femmes à des peinesafflictives et 11 % de femmes en 1910 étaientcondamnés 1900,31 % d'hommes et infamantes ; lesautresayantà subirdespeinescorrectionnelles.
61 Le Compte Généralde 1910-1913 nous donne les précisionssuivantes: «La courbe généraledes crimescontreles personnesreprochésaux ascendante femmes, depuiscette jusqu'en 1860, a fléchirégulièrement au coursdes dix dernières époque,principalement années(...).Si le total des accusés s'est abaissé dans une mesuretrèsappréciable,celui des en 1910, ce qu'il étaiten 1830. Le rapport femmestend à redevenir, est restéà peu féminine entrela criminalité masculineet la criminalité avecun prèsle même: depuis60 ans,il n'a variéque de 4 centièmes, de sur100 accusésen 1850-60et un minimum maximumde 21 femmes 17% en 1906-10. de la statistique les résultats En matièrede crimescontreles propriétés, une moinsgranderégularité offrent :(...) on constateune diminution constanteaussi bien pour les hommesque pour les femmes.Cette est due à la correctionnalisation double décroissance (...). Les femmes en 1826-1830pour 1/5dansle totaln'yentrent plusque qui figuraient pour 1/10en 1901-1910.Mais il est évidentqu'il existepourchaque sexe une criminalité parles spécifique,ainsiqu'on peuts'enconvaincre indicationssuivantes,relativesau nombretotal des accusésjugés de 1826 à 1910 pourles crimesles plusgraves: de femmes Proportion d'enfant 88,9 % Suppression Infanticides 87,4 % Avortements 79,5 % 53,0% Empoisonnements de signatures Extorsions 34,3 % Vols domestiques 34,3 % Incendies 25,1% Parricides 23,5 % Faussemonnaie 14,0% Assassinats 13,3% 11,8 % Vols sansviolences Faux en écritures 9,9 % 8,7 % Coupset blessures qualifiéscrimes Vols avecviolences 6,0 % Meurtres 5,7% ou qui faitedes femmes (...) Abstraction qui n'avaientpas de profession étaientsansaveu,c'estla classedes domestiques attachéesà la personne dontle contingent d'accuséesest le plusélevé.Il estvrai proportionnel de direqu'un trèsgrandnombred'entreellesn'étaientpoursuivies que pour des vols ou des abus de confiancesimpleset que si ellesont été à causede leurprodevantles coursd'assisesc'estuniquement traduites fession,dontla loi pénalea fait,dansl'espèce,une circonstance aggravante.» 17le texte En matièrecorrectionnelle précise: «II y a des délits presqueexclusivement commispar des femmes, à la loi surla protectiondesnourrissons, commeles infractions la suppressionou l'expositiond'enfantet l'homicidevolontaired'un nouveau-né; à leur égard,la proportion des femmesvariede 88 à 98 %. En dehorsde ces infractions, cellesqui sontle plussouventimputéesà des femmessont : l'adultère,les excitationsà la débaucheet les violencesenversles enfants,pour lesquellesla proportion est de 40 à 50 %. Viennentensuiteles fraudescommerciales, le vol, l'ivresse,les 17. 14% en 1910.
62 outragesenversdes agentset l'escroquerie(15 à 35 %), l'abus de confiance (10 %), le vagabondage (6 %), etc.» chez attachésà la personneforment Les délitscommispar des domestiques leshommes1,6 % desprévenus, et chezles femmes 6,4 %.
Le XXe siècle. nousl'avonsdit,à La lenteérosiondes effectifs féminins est contre-carrée, aux hommesdont deux reprisesdu faitdes guerres; non seulementrelativement une partieest absente,maiségalementen chiffres absolus.Phénomènequi a égaleInfantimentété constatédansd'autrespaysd'Europe,et n'a riende surprenant. les délitsacquimontenten flèche,et les femmesmultiplient cideset avortements sitifsx' Les causes de cettehaussede la délinquanceféminine en généralsont,bien des femmesà la vie sociale sûr,tantla nécessitéque la plus grandeparticipation durantces périodesoù leshommessontabsents,et notamment pendantla guerrede 1914-1819. Pour certainscrimesou délits,elles dépassentlargement les hommes et seulement15 hommessontcondamnés alors: en 1919,35 femmes pourcrimede on l'a vu, un vol ou domestiqueattachéà la personne(circonstanceaggravante, 114 abus de confiancesimpleétantalorsqualifiécrime),et,pourrecelde déserteur, de la criminalité féminine femmes pour 59 hommes.Mais dès 1920,la progression est enrayée; de 29 % en 1919, elle s'abaisseen 1920 à 24 % du total.A noterque et 294 avortements, soit surles 626 crimesde femmes jugés,il y a 184 infanticides plusdes 2/3. non négliBienque la première guerremondialeait suscitédes changements à la crielles des la dans la condition femmes, par prise geables partexceptionnelle et criminelle au momentdu conflitse révèleessentielleminalitécorrectionnelle socialeset attribuable mentconjoncturelle, pour l'essentielà leursresponsabilités durantcette matérielles familialesaccruesainsi qu'à leur surcroîtde difficultés période. s'acDe mêmeau coursde la guerrede 1939-45,la délinquancedes femmes 20. croîtconsidérablement et s'inverse commela situation Le mouvement persistependantl'après-guerre maiscelle redevient normale: la délinquancedes deux sexesdiminuenotablement, desfemmes beaucoupplusrapidement. 18. L'adultère égalementest en recrudescence: le Compte Général de 1919-20 donne le chiffrede 1 845 hommes (amants,bien entendu,et non maris)jugés pour ce délit,mais aussi 3 580 abandons de poursuiteset 1 998 non-lieu, en 1919, et de 2 427 hommes et 2 413 femmesen 1920. 19. La délinquance des femmespasse d'environ 12 % avant guerrea 30 % a partirde 1916. Le nombredes condamnésmasculinspour crimebaisse de 1 762 en 1913 à 942 en 1920, tandis que pour les femmesles chiffrespassent de 226 en 1913 à 316 en 1920 avec un maximumde 368 en 1917. 20. Si, en 1938, 31 725 femmessont condamnées pour délit (hommes : 193 089), en 1944 elles sont 71 607 (homme: 200 112). Chiffrequi croît encorejusqu'à atteindre83 902, puis baisse à nouveau,et n'est plus que de 28 755 en 1955.
63 de la partdes inDu point de vue de la Justice,cettevariationimportante fractions féminines que surle plan correcimputableà la guerrene se manifeste tionnel(1937 : 14 %, 1947 : 21 %), la situationétantinversesurle plan criminel estpasséeà 8 % en 1947) ; criminelle (de 13 % environavantguerre,la criminalité en de l'infanticide mais il fauty voiren partiel'effetde la correctionnalisation 194121. et surdes femmesà la criminalité, Dans la périodesuivantela participation décroîtjusqu'aux années60 ; la proportionde tout en matièrecorrectionnelle, femmescondamnéespar les coursd'Assisestournantaux alentoursde 7 %, tandis baissede moitié (correctionnelle) que le pourcentagede la délinquanceféminine en dix ans : il s'établità environ10 % en 1959, amorçantune légèreremontéeà partirde 1964. durantles dernières La délinquancedes femmes, décennies,connaîtdes modifications qualitatives. Rajeunissement (plus tardifdu resteque pourles hommes) à l'égarddes délinquantes à partirde 1962,plusgrandesévérité aussides tribunaux jeunes (le CompteGénéralde 1968 noteune «croissancerécentedu pourcentage de 18 à 21 ans»). despeinesd'emprisonnement fermeen ce qui concerneles femmes Elles prennentune part de plus en plus grandeà certainsdélits,tels que vol à féminin maisqui touchede plusen plusde ménagères ; l'étalage,traditionnellement délitsd'agentsd'affaires, abus de confiance,etc. Chaulotet Susini22précisent que la proprotion(sur la populationglobale) des femmesmisesen cause pourdes afest passéede 14 à 20 % de 1932 à 1953, et de 7 à 12 % en ce fairesd'escroquerie en matièrede les Leur participation aux infractions concerne banqueroutes. qui s'est accrue surtout ces dernières années. Les femmes considérablement, chèques d'où ellesétaienttradiinvestissent tendanciellement des secteursde la criminalité Cetteévolutiona été notéedansdivers tionnellement absentesou peu représentées. 23 A. 24 Citant une étude de occidentaux. Marie-Andrée Bertrand , Algan écrit: pays : depuis5 «Elle relèveparailleursune certaineévolutionde la délinquanceféminine ou 10 ans,les infractions ou une commerciales fiscales financières, prennent place dans la délinquancedes femmes; il s'agitlà d'une nouvelletenplus importante dancede la délinquancedes deux sexes,où les femmes sontsouventleadersou inicar elles ont le souvent de l'occasion commettre ce typed'infraction.» tiatrices, plus On parle d'une entréedes femmesdans la grandecriminalité. Certainss'en in2S tels Pinatel des «affaires la féminine s'afrécentes où violence qui parle quiètent firme.Des indicesconcordants à le fairepenser. surle planinternational tendraient On ne peut,en effet,êtreaffirmative, d'une Maisil esttroptôtpourse prononcer.» les chiffres sont encore faibles leurs variations partparceque trop pourque puissent êtreconsidérées commesignificatives surune courtepériode,du moinsen France; d'autrepart,en raisondes réserves déjà faitessurla concordanceentreles statistiet les réels. ques comportements 1 624 21. Remarquons d'adultèrecondamnent par ailleursqu'en 1945, 4 824 affaires à la prison,dont6 pourplusd'unan. personnes 22. Chaulotet Susini,Le crimeen France,1959. inColet féminine», desdélinquances masculine 23. M.-A.Bertrand, «Etudecomparative surla délinquance et la criminalité, 1967. loquede recherche 5e,Montréal 24. A. Algan,«Étudecomparative de la délinquance desgarçonset desfilles».Annalesde 1967. Vaucresson, 25. P. Bouzat et J. Pinatel,Traitede droitpenai et criminologie, t. 3, 1975 (3e éd.).
64 Dans quelle mesure les femmesempiètent-ellesdavantagesurle domaine masculin classique, dans quelle mesure les policiers,juges, criminologuescommencentils à percevoirl'activité des femmesdans ce domaine, parce qu'ils cessent de la croireà peu près inconcevable? Dans quelle mesureles «complices» deviennent-elles des «initiatrices», et dans quelle mesure les anciennes «initiatrices»étaient-ellesa prioriconsidéréescomme «complices» ? Il est difficilede le savoir,mais des cas concretsmontrentparfois l'aveuglementde certainsjuges à la capacité d'initiativedes femmesdans le banditisme. D'autre part les stéréotypes sexuels ont des effets contradictoires: s'ils jouent en faveurdes femmespour certains types de délits et d'attitudes,ils leur sont éventuellementdéfavorableslà où elles transgressentl'image traditionnelle; le scandale est grand de voir une femmepratiquerdes délits «virils»,surtoutsi elle les assume pleinement.Pour s'attirerl'indulgence,il faut dans ce cas qu'elle puisse apparaîtrecomme l'éternellevictime,ou l'épouse docile qui a suivison maripour le meilleuret pour le pire, obéissante mais sans initiative.Celles qui ne jouent pas ce 26 jeu prennentun risque supplémentaire . Par ailleurs,la place plus importantetenue par les femmesdans les illégalismes politiques ou d'ordre public est un faitlargementconstaté.Dans une étude comparativeportant sur cinq pays européens27, on trouveles précisionssuivantes : «[la part des femmesdans les infractionscontre l'ordre public] est encore très faible, mais nul doute qu'elle n'aille en s'accroissantau cours des prochainesdécennies(par exemple en Angleterreet au Pays de Galles, pour les violences à policier,la participation des femmes s'accroît de 96 % alors qu'elle augmente de 25 % chez les hommes, et cela de 1960 à 1970)» ; on trouveégalementces détails en note : «à titreillustrata0, pour l'Italie il y a eu, en 1968, 68 femmessurun total de 984 personnes jugées pour résistance,et 205 femmessur 1 910 pour offense à agent.» Il apparaît donc que si la proportionde femmessurl'ensemble des personnes confrontéesà l'appareil répressifa nettementdiminué depuis un siècle et demi, la délinquance féminines'est en même temps rapprochéede celle des hommes,d'une part par la participationplus active à un certainnombre de délits,tels que les délits économiques, et d'autre part par la suppressionde délits qui les mettaienten cause de manière particulière. L'accroissement de l'écart numérique entre les sexes va de pair avec un certainrapprochementsurle plan des pratiquesréelles,l'aspect familialrégressantdu point de vue de la répressiontandis que prend de l'importance l'aspect socio-économique du point de vue de la commission effective.
Spécificitédes délinquancesen fonctiondu sexe. Quoi qu'il en soit de cette évolution,la délinquance respectivede chaque sexe resteextrêmementspécifique. 26. Voir à ce sujet CatherineErhel et CatherineLeguay,Prisonnières,Stock 2, 1977. 27. Conference Européenne des Directeurs d'Instituts de Recherches criminelles,La violencedans la société, 1970.
65 La délinquanceviolenteest (saufpource qui concerneles crimespassionnels ou familiaux)presqu'entièrement l'apanagedes hommes,tandisque les femmesse dansla délinquanceastucieuseet acquisitive: vol à la tireet vol dansles cantonnent ellesontsouventun rôle recels,escroqueries; traditionnellement, grandsmagasins, de complicesou d'instrigatrices active,et c'est d'ailleurs plus qu'une participation du «chiffreobscur»de la délinune des raisonsque l'on donne de l'importance quanceféminine. en 1976 par la Sous-Direcqui m'ontété communiqués D'après des chiffres de l'Intérieur et de l'Informatique au Ministère tionde l'Identification (communicasont nonpublics),les délitssuivants étanttirésde documents tionorale,ces chiffres élevé ceux pour lesquelsle pourcentaged'activitédes femmesest plus que leur à 16,2 % comme pourcentagedans l'ensemblede la délinquance,évalué ici l'ensembledes prévenuset conmoyennegénéralede la décennie,et comprenant les condamnéscommedansle et nonpas seulement damnés(criminalité apparente), légale) ; mineurspénaux CompteGénéraldu Ministèrede la Justice(criminalité exclus: Infanticide 78,00% Avortement 69,73 % Proxénétisme 59,20% hôtelier, raccolageactifou passif,locationde chambres 28 5 1,93 % d'enfants Non-représentation de moinsde 18 anscomprises) Vol à l'étalage(ici,mineures 47,77 % à enfants Mauvaistraitements 32,60 % de mineurà la débauche Incitation 28,20% 27 % sans provision Chèque à la législation surles débitsde boisson Infraction 25,00% 2 1,70 % Délitsd'agentd'affaires Recelde vols 21,45% Chez les mineursdes deux sexes,le délitprincipalest le vol,et la toxicomacelles-ciatteignent nie tendà s'accroîtrechez les filles.Pourle vagabondage, presd'Etudede la Délin: le Service Central le score masculin %. 42,53 D'après que délitsde comporte(délitsde profit, quance,qui classeles délitsen deuxcatégories seraientdes délitsd'utilité. mentsansprofit),90 % des délitsféminins Sur la spécificitésexuelledes comportements délinquants,la délinquance un et elle mérited'êtremencertain nombre d'éclaircissements, juvénileapporte de la jeunessedansla d'unepartà cause de l'importance tionnéeparticulièrement, et d'autre a fait globale, partparcequ'elle l'objet de recherches plus délinquance du Centre et de notamment de Formation Recherchede l'Éducation approfondies, Surveilléede Vaucresson(C.F.R.E.S.). Les chiffres donnésci-dessoussonttirésde vu la tailledes deux étudesde A. Algan29.S'ils n'ont qu'une valeurindicative, de tenilssontcependantrévélateurs surlesquelsontportéces travaux, échantillons dancesouventobservées. 28. Refus, de la part du parentqui a la gardede l'enfant,de se plieraux décisionsdu tribunal concernantle droitde visite. 29. A. Algan, «Étude comparative...»et «Les conduites délinquantesdes jeunes. Etude Annales de Vaucresson,1970. descriptiveet différentielle».
66 Si 2/3 des délitsjuvénilessontconstitués par des atteintesaux biens,mode et du vol diffèrent nettement en fonctiondu sexe. Les vols d'appropriation objet et emprunts de véhiculessontnettement masculins (33 % du totaldesvolsdes plus 15 de ceux des les vols dans les filles), magasinspar contresontplus garçons, % des filles ils ont souvent lieu en bande et présentent ; caractéristiques généralement un caractère ils décroissent avec contraitement aux volsde véhicules. l'âge, ludique; Les objetsvolés,assez semblableschez les jeunesenfants, se diversifient avecl'âge en fonction du sexe.A. Alganremarque les vols de en commis nécessité, que parfois sont chez les filles. Dans l'ensemble des atteintes aux biens famille, plus fréquents commisespar les filles,la partdes volsdansles lieuxhabitésestpluspetitequ'elle ne l'est dansl'ensembledes atteintesaux bienscommisespar les garçons.(Toutes les proprotions sontici donnéesen fonctiondu volumede la délinquance propreà Les vols féminins dans les lieuxhabitéssontgénéralement commis chaque sexe). souventen groupe.D'une façongénérale seuls,alorsque les garçonsles effectuent et quel que soitl'âge,la tendanceà s'organiser estbeaucoupplusmarquéechezles hommesque chez les femmes(encoreque certainspensentavoirobservéune évolutionrécenteversl'organisation collectivede délitspardes femmes). L'importance du préjudicecausé,si elle croîtavecl'âge,est plusélevéechezles femmes (ce qu'il fautcertainement du caractère utilitaire des délitsféminins). rapprocher Les volsdansles voituresen stationnement, les volsd'accessoires de voitures, le vandalisme sontplus importants chez les garçons; les vols au préjudicede l'emféminins ployeursontplusparticulièrement (y comprischezles adultes): 13 % des fillescontre2 % desgarçons. Les fillesopèrentplutôtparfraudeou chantage, les garçonsusentplusvolontiersde violence- spécialisation à l'ensemblede la crique l'ontpeutgénéraliser minalité: la délinquancedite astucieuseest plus particulièrement le fait des femmes,tandisque la violenceest traditionnellement propreaux hommes(si l'on et sentimentale). exceptela violencefamiliale Si dans la populationétudiéepar Alganles atteintesaux mœurscomptent et 5 % seulementdes délitsmasculins, les conduites pour 11 % des délitsféminins sexuellesviolentes(viol),effectuées seulou en bande,représentent chezles garçons 23 % de ces 5 % (les fillesne sontpas mentionnées maisil existeun certainnombre de cas de complicités féminines dansles affaires de viol),chiffre auquelil fautajouterune partiede ce qui se trouvesous la dénomination «Jeuxsexuelset conduites non-violentes» et non accompagnéde , car on y comprendle viol sanspénétration violencesphysiques,lorsquela victimese laisse fairepar terreur, stupeurou résignation; et si ces «jeux» ontlieuen public,la victime, Algan,si ellene se remarque défendpas,peutêtrepoursuivie avecl'agresseur... La place prépondérante chez les filles,en matièred'atteinteaux mœurs,revientaux «conduitessexuellesvénales»et croîtchez ellesavecl'âge. (La prostitutionest toujoursmentionnée dansles étudesportantsurla délinquanceféminine ; d'ailleurs,si elle n'estpas, ou plus,un délit,toutce qui en permetl'exerciceest interdit: raccolageactifou passif,proxénétisme hôtelier...ce qui permetde la réprimer parle biaisd'infractions annexes).
67 En matière de délinquance juvénile, les conduites agressives(violences volontaires,insultes,menaces), dans les travaux d'Algan, représentent5 % des comportements des garçons et 3 % de ceux des filles. La proportion des bagarresentre jeunes est sensiblementla même pour les deux sexes, et plus individuellepour les 30 jeunes. Il en va de même pour les agressionsd'adultes , mais les agressionsd'adulte seul et surtoutd'homosexuel sont plus typiques des garçons. Les conduites défensives des familles(famille insultée, etc.) sont des deux sexes et de tous les âges. Les délitsliés à la conduite des véhicules31 se différencient égalementqualitativement.Si pour les garçons ils tiennentle plus souvent à ce qu'ils ne sont pas en règle,les délits des fillesen la matière sont plutôt constituéspar des infractionsau code de la route et des refusd'obtempérer. Une place importanteest tenue chez les jeunes par les «comportementsd'opposition et de défi» (fugues, rébellion contre les agents, port d'arme). Le port le fait d'arme est surtoutmasculin,tandis que la rébellionest plus particulièrement des filles.D'une façon générale,les fillessont considéréescomme plus «opposantes» (Algan), plus indépendantes,plus individualistes,et ce comportementcaractérise également les femmesplus âgées. Dans les pays anglo-saxons,où existe pour les jeunes un délit dit d'«incorrigibilité»(le faitde fumerdans la rue,l'indiscipline,les fugues,etc.), on constate égalementchez les fillesune attitude de refusde l'autorité. «Dans l'ensemble des pays, les infractionscontre les biens sont égalementà l'originede la majorité des poursuitescontre les garçons ; tandis que pour les filles, le taux diffèreselon que les «pseudo-infraction»(du type «incorrigibilité»,«ingouvernabilité»,etc, mentionnéesci-dessus) entrentou non dans les statistiques». Chacun des deux sexes, mais ceci est plus visible chez les jeunes, a un comportement vis à vis de la loi qui lui est dans une large mesure spécifique : celui des garçons étant plus spectaculaire,plus «expressif»,plus lié à la réaction du groupe ; celui des fillespar contre apparaît comme plus individualiste: plutôt que de braver la loi elles refusentde s'y plier. Eux la défientet jouent avec, elles la rejettentou veulent l'ignorer. C'est une raison sans doute qui fait que le «chiffrenoir» ou «chiffreobscur» de la délinquance féminineest certainementplus élevé que pour les hommes. Etant plus particulièrementportées à la délinquance «astucieuse et de profit», elles échappent à la répressionplus facilementque les garçonsdestinésà se faireprendrepar le caractèreplus ou moins exhibitionnisted'une bonne partie de leurs délits. Une autre explication partielle de la moindre délinquance des filles,donnée A. Algan, est celle de la plus grande surveillanceexercée sur elles (ce qui est par peut-êtrela raison du fait que les vols commis de nuit soient nettementplus rares chez elles). Si le mot de «surveillance»n'est que partiellementadéquat en ce qui concerne les femmes adultes, leur confinementdans la maison et l'intériorisation de leurs interditspropresconstituentle prolongementde cette surveillance.Algan observe que la délinquance des fillesest plus mal tolérée habituellementpar la famille que celle des garçons ; alors que celui-ci parle de ses exploits qui lui valent 30. Garçons: 42 %,fuies: 40 %. 31. 14 % desdélitsdesgarçons, 9 % desdélitsdesfilles.
68 souvent une indulgence plus ou moins admirative,la fille est au contrairesévèrement dissuadée de poursuivredans cette voie, et acquiert une culpabilisationplus grande. «Il ne faut pas négligerla qualité suggestivede cette approbation tacite donnée à la mauvaiseconduite des garçonsseulement.»32 II apparaît ainsi que, non seulement les femmescommettentpeu de délits, mais qu'elles les commettentégalementde manière différenteet souvent pour des motivations autres que les hommes. Chez les jeunes comme chez les adultes, le caractère d'affirmationsociale fréquentdans les infractionsmasculinesn'apparaît pas ou peu dans les infractionsféminines,les femmesles commettantplutôt par besoin, ou pour manifesterou conquérirleur indépendance,plutôt que pour réaliser des prouesses techniques ou physiques. On peut dire sans doute que si pour les hommes et adolescents la délinquance est souvent une manière de retrouverune intégrationà traversleur marginalité,pour les femmeselle est un degré supérieur de marginalisation; du moins en ce qui concerne la délinquance d'habitude, les atteintesaux biens ou à la chose publique. Mais ce type de délit n'occupe pas une place prépondéranteparmiles infractions des femmes.Les délits familiauxy ont une importanceproprotionnellesans commune mesure avec ce qu'elle est chez les hommes.Or ces délitsou crimesn'ont pas le sens d'atteintesconscientesà la légalitéou aux normessociales ; plus ou moins tolérées socialementen fonctionde leur gravité,ils ne sont généralementpas vécus comme des transgressionset leur significationa peu de chose à voir avec d'autres illégalismesregroupésavec eux sous le termede délinquance. Criminalitélégale des condamnés selon la naturede l'infraction,l'âge et le sexe Répartition au 1erjanvier 1973* 116-18ans|l8-21ans|21-25ans|25-30ans|30-S0anslnie50 ansi Totaux F i H FiH F H F iH F iH F iH F iH | Meurtre, assassinat, 2 1 14 5 88 5 168 36 788 10 177 57 1237 parricide Infanticide 7 _ ______i 75 36 17 _i 11 23 3 Empoisonnement ______1
Coups à enfants Coups et blessures volontaires Avortement Homicide et blessures involontairesordin. Homic. et bles, involontaires(cire,rout.) Viol, attentataux mœurssurmineur Viol, attentataux mœurssuradulte Outragepublic à pudeur
-
-
1
1
2 6 2 ________
96
6
2 198
_____ -
_
-
2 1
13 15
21
1 194
12
46
1
15 300 435
1
13118
3
50-
-
5
_
17
_
39
-
27
-
94
-
90
3 436
-
7
-
48
55
2
-
13
1
24
1 -
35
_
-
32. Monachesi,1948, cité par Algan,«Étude comparative...»
84
8 35
40 23 834 8 59 14
1
89
4
95
6-151 66
4 715
89
-
14
3 213
84
-
36
1 213
69
Proxénétisme Vol qualifié Vol Escroquerie,abus de confiance
16-18ans 18-21ans21-25ans25-30ans30-35ans|+de50ansTotaux ~F H F | H F | H ~F | H F i H F i H F | H
F ~^~ ~lï ~Y 1Ã
-
7
1
-
-
-
3
-
29
1
6
1-
-
-
-
1
11
2
Vagabondage,mendi2 cité Infractionà la législation surles étrangers --Atteinteà la loi sur les étrangers Atteinteà la sûreté _______ extérieurede l'État Atteinteà la sûreté _______ intérieurede l'État
Totaux
2 228
9 TF 326
Jîl ~TT24~ ~3
2 406
4 570
2
46
111292
5 108 16 1407 26 2541 26 2033 47 2392 15 214 135 8695
Recel Infractionà la législation surles chèques Incendievolontaire Faux et usage de faux -
Infractiond'ordre militaire Divers
35
9
3
41 9
73
4 120
8 -
57 4 103 12 1123 2 23
9 157 1 33 1 45
3 1 1
30 8 4
20 353 2 69 4 96
1
1
25
2 181
3 106 77 4
-
6-
24 21
-
5 179 3
1
25 340
23
98
41 710
23
13 325
-
-
1
83 - 202 82 12 227
-
19 7 264
-
9
41
114-
1131
6
72-
26-
1
74
-
2 15 607
-
-
-
-
-
-
5
92
-
306 48 1273
~7~ Ì34 ~33~ Î853 ~66~ 4066 ~W 39H Ï95"6472~58" 906 435T734Î
*D'après le Rapport généralsur l'exercice 1972, Ministèrede la Justice,Directionde l'Administrationpénitentiaire.
//. LE SAVOIR DES EXPERTS à l'avance et stériliser «Le savoirdes expertsest faitpour interdire touterevendication nouvelle.» . Soumissionà l'autorité Milgram, et qualitativeOn a vu l'importancede l'écartqui sépare,quantitativement il estdifficile à loi à Justice sexes face la et la combien les deux ; rappelons ment, «délinréalité des actes du fait l'on nomme la ce illégaux, que que d'apprécier à la et sans soit de la part quance»désigne fois, qu'il précisément possible distinguer à : instiniveau les actes la ont les revient connaissance commis, qu'en qui chaque et la suitequ'ellesleurdonnent; que, d'autrepart,le décalage tutionsrépressives, dans entreles mœurset les lois,partiellement corrigépar l'éventaildes possibilités de en ont la n'est mesurable et varie celles-ci ceux charge, par qui pas l'application dans le tempset suivantle typede délit.Il se dégagenéanmoinsdes donnéesrecueilliesune certaineimagedes rôlessexuels,imageque nous renvoiede manière le discourscriminologique. caricaturale
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Plus prèsde la nature. Les différencesflagrantesde comportementdes deux sexes par rapportà la loi ne pouvaient manquer d'embarasserles spécialistes. Le caractèremoralisateur de la criminologiel'expose à d'éprouvantescontradictions.Si le crime est anomalie, pathologie, déviance, et si d'autre part il est essentiellementviril,tandis que les femmesse situentmassivementde côté de la normalité,commentmaintenirl'axiome sexiste qui identifiel'humain avec le masculin et dévolue à la femmele rôle de 33 repoussoir, de différent,de dérivé ? «Certains,écrit le Pr. Léauté , attribuent la plus faible criminalitédes femmes à une particularitéde leur nature.» Mais qui songeraità attribuerla plus fortecriminalitédes hommes à une particularité de leur nature ? Seules les femmes ont une natureparticulière,c'est bien connu. Et d'autre part, comment concilier la réprobationdu crime avec l'admiration implicitepour les «valeursviriles»qui s'y expriment? Il y a plusieursfaçons de se tirerde ce mauvais pas. On ne s'étonnerapas de retrouverici le vieux couple décati Homme-culture/Femme-nature, inévitableratonlaveur de tout inventairedes discours sur la différencedes sexes. Au XIXe siècle, on s'avise de mesurerles gens pour arriverà les comprendre; la formede leur nez, la taille de leurs oreilles,la courbure de leur crâne sont appelées à fournirdes explications définitivesde leurs comportements.C'est l'âge d'or du racisme et du sexisme «scientifiques».Puis quand des disciplinestelles que phrénologieou physiognomonietombent dans le discrédit(non sans renaîtrepériodiquementde leurs cendres), c'est la psychiatriequi prend le relai. On fait appel encore à la physiologie, à la psychologie animale... Quelques criminologuestoutefois avancent l'idée saugrenueque les conditions sociales respectivesdes hommeset des femmessont la seule cause de leurs attitudesdivergentesvis-à-visdes lois. Cela ne suffitcertespas à tarirl'imaginationféconde des théoriciens,qui continuentà élaborerdes modèles où l'importance des hormones le dispute à celle de l'indice céphalique. Imagination qui ne va pas toutefois jusqu'à mettre en question les caractéristiquesnaturellesattribuéesà chacun des deux sexes. Ainsi la faiblessephysique des femmesest souventmise en avant,aujourd'hui encore où pourtantles prisonsne sont pas peuplées d'individusqui en ont assommé d'autres à poings nus. Burt (1945) affecte à l'homme des «instinctssthéniques» (affirmationsexuelle, acquisition) et à la femmedes «instinctsasthéniques» (peur, chagrin, tendresse et soumission). Et, naturellement,la «revendication virile» (Lausel, 1960) vient à point pour expliquer les délits des adolescentes34. Et puis, du reste, «les empoisonnementssont accomplis le plus souvent par des femmesen raison de leurs caractères félins d'hypocrisie avec persistance dans la manière 3 d'agir» 5.Mais la palme revientà Lombroso, le grand ancêtre,un humoristetrop méconnu. Pour lui si le crime est commis si rarementpar des femmes,c'est qu'il est une sorte de perversiondu génie. C'est une dégénérescencepsycho-physiologique, et la femme «dégénère» autrement,puisqu'elle est «autre». Lã déchéance 33. Jacque Léauté, Criminologieet science pénitentiaire,1972. 34. Cités parAnnales de Vaucresson,1967. 35. Laignel-Lavastineet V.V. Stanchi,Précisde criminologie,1950.
71 moralepropreà son sexe, selon l'expressionfréquemment utilisée,c'est la pros: mais Tarde36 relèvece fait titution.Toutefoisil existedes femmescriminelles par ses caracpour notresexe» (le sien),que «la femmecriminelle, «peu flatteur est beaucoupplus masculineque la femmehonnête». D'ailtèrescrâniologiques, et non leursl'énergiedes femmes- quandelleexiste- estde naturepathologique, socialecommecelle des hommes: cela se voit bien en matièrepolitique,disent Lombrosoet Laschi37, car ces auteursont cruremarquer que les femmesétaient sontdes révolutions or «les activesdansles révoltes, maisnondansles révolutions ; des les révoltes, phénomènespathologiques.C'est phénomènesphysiologiques; ne sont les jamais un crime,parceque l'opinionpubliqueles pourquoi premières sonttoujours, consacreet leurdonneraison,tandisque les secondes,au contraire, des rébelsont sinonun crime,du moinsl'équivalent, l'exagération parcequ'elles séditions . Et si les femmesont une affinité avec les lions ordinaires» particulière de véritablement vouéesà l'échec,maisnon avecles événements porteurs changement,il fauten voirla cause dansleurhainedu nouveau,qu'ellesonten commun les peuplessauvages,et mêmeles hommes du resteavec les animaux,les enfants, de l'inertiequi s'opposeau pro! est la manifestation normaux Ce «misonéisme» Or on saitjustementgrâceau mêmeLombrosoet grâceà grès,au mouvement. de la femmeface à l'homme Ferrerò38, que la «passivité»sexuelleet affective de l'ovule et du spermatoconquérantet actifest redevableaux rôlesrespectifs zoïde... Rien n'est simple.Ces caractéristiques que Ferri,élève de Lombroso,disvoilà que d'autrescroientles retrouver chez la femme: cernechez le criminel, chez elle, écritTarde, même vanité,deux caractèresque «Même imprévoyance chez le criminel; en outre,même Ferrisignaleavec raisoncommedéterminants mêmepenchantà imiter,mêmemobilitéd'espritqui simule stérilitéd'invention, en revanche, à tortl'imagination, mêmeténacitédu vouloirétroit...Maisla femme, à contresuffirait bonne et dévouée,et cette seule différence est éminemment balancertoutesles analogiesqui précèdent».39PourTarde,la femmeest du côté de l'opinion.Du reste,«nousne dedu bon sauvage,superstitieux et respectueux est choseessentiellevonspas en êtresurpris, sachantd'ailleursque la civilisation mentmasculinepar ses causes et ses résultats.Par ses causes,puisqueles inventionsdont elle se composeont à peu prèstoutespour auteursdes hommes; par au profitde l'homme, ses résultats, poureffetd'accroître, puisqu'ellea visiblement la distancedes deuxsexes.» de criminologues Une angoissantequestiona tracassédes générations ;y de la femme,puisqu'elleest moinsportéeau crime? doncune supériorité aurait-il Qu'on se rassure: il n'en est rien.«La femmen'est(...) pas moralement supérieure à l'homme,mais elle évitedansune bienplus largemesureles actessociauxcondamnables»,répondSeelig40.Hooton (1930) déclaresans ambageque «la cause 41 socioloet Cressey , biologique»; Sutherland premièredu crimeest l'infériorité 36. GabrielTarde,La criminologiecomparée, 1886. 37. Lombroso et Laschi,Le crimepolitique et les révolutions,1891 . 38. Lombroso et Ferrerò,La femmecriminelleet la prostituée. 39. Tarde,La criminologiecomparée,Paris,1886. 40. E . Seelig, Traitede criminologie,1951. 41. Sutherlandet Cressey,Principesde criminologie,1966 (1ère éd. 1924).
72 gués peu portés à ce genre de conclusions,aussi pertinentes,disent-ils,que celles qui verraient«dans le fait que les hommes soient six fois plus tués par la foudre que les femmes,une conséquence de leur différencebiologique», lui rétorquent qu'«en partant de ces prémisses,les hommes devraient être considérés comme biologiquement inférieursaux femmespuisque la proportion des hommes emprisonnés dépasse de beaucoup celle des femmes,et ils devraientêtre éliminés de la population.» Du reste nous n'avons pas grand mérite à éviterle crime : Seelig n'affirmet-il pas qu'aux déterminismesbiologiques s'ajoute «la situationprivilégiée(qui est déterminéesociologiquement)de la femmedans la lutte pour la vie» ? Chaulot et Susini42 entrentplus avant dans les détails : le faitque le vol qualifiéconcernepeu de femmes«est naturelcar il est très peu féminindans ses conditions de commission ; tandis que le vol simple repose surtoutsur l'adresse et la ruse.» Quant au recel où la proportiondes femmesest notable, ils se demandentsi l'on doit y voirle faitque «la naturea voulu qu'elles aimentrecevoirdes cadeaux.» Mais l'explication la plus constante, et celle à propos de laquelle depuis un siècle les criminologuesentreprennentenquête sur enquête, c'est l'explication par la menstruation. Les règles du reste expliquent tout : la non-délinquance des femmes,mais aussi leur délinquance. D'un côté Heuyer43 écrit : «Lombroso estime que la criminalitéféminineatteintsa plus haute fréquence à la puberté et à l'âge avancé, quand les caractères sexuels ne sont pas encore développés ou s'effacent. Les travaux de Lacaze (1911), de Exner (1939), confirmentl'opinion de Lombroso.» Mais par ailleurs de nombreusesenquêtes ont montréque les femmes commettentleurs délits principalementen périodes de menstruation.Ainsi, elles sont moins délinquantesdurantles années de leur vie où elles ont leurs règles,mais d'un autrecôté c'est lorsqu'ellesles ont qu'elles sont plus délinquantes... «Lombroso, écrit encore Heuyer, avait noté le retardd'apparitiondes règleschez les voleuses et leur précocité chez les prostituées(...). Chez les femmesvoleuses, chez les prostituées, nous avons constaté souventla frigidité.»On aurait pu croire que c'était la prostitutionqui faisait la frigidité,mais pas du tout : c'est la frigiditéqui fait la prostitution.Celle-ci,quoique non illégale, tientune place de choix dans les études portant sur la criminalité,car elle en est «l'équivalent social», et de plus la loi «frappe tous ceux qui veulent en profiter»,affirmentChaulot et Susini, qui oublient le client,lequel n'est pas frappépar la loi. Enfin si pour Heuyerle caractère du délit masculin est «moteur,musculaire,violent,élastique», et souventde nature sociale, pour la femmeil est «affectif,sexuel, hormonal» et d'ailleursle suicide féminin intervientsouvent après une rupturefamilialeou sentimentale.Les exigences affectives,poursuit Heuyer, «sont vécues comme un droit absolu... le passage à l'acte survenantavec l'étonnante facilitéde ces colères d'enfant aussi vites reniées qu'écloses» , caractèrequi se retrouvejustement dans les crimespassionnels.Quant du domaine affectif,pas de problème : aux raisons de cette hyper-dramatisation elles ne doivent rien à la condition sociale des femmes,puisqu'elles viennenttout droitdes hormones. 42. Chaulot et Susini,Le crimeen France, op. cit. 43: G. Heuyer,«Criminologiefeminine»,L'équipement en criminologie,Actes du Aiv* Cours Internationalde Criminologie,1964.
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Sexe imbécile. on va donc les traiterparticulièrePuisqueles femmessont si particulières, ment.Mieuxvautprévenirque guérir,et tout dans l'éducationdes fillesva conà la loi. Maiscela ne suffit courirà les soumettre pas. Dans les paysanglo-saxons, sontbeaucoupplus souventpoursuiécritAlgan^ , les attitudespré-délinquantes contre vies chez les fillesque chez les garçons(50 % de l'ensembledes poursuites contreles garçonsaux U.S.A. en 1965). En France, les filleset 20 % des poursuites auxjeunes(les «pseudo-infractions»), réservées où l'on ne connaîtpas d'infractions on comptesurla société D'une façongénérale, la prévention prendd'autresformes. pour écarterles hommesde la délinquance,sur la famillepour en dissuaderles des : «la plupartdes plaintesconcernant est différenciée femmes.La surveillance les fillesprogarçonsémanentdes servicesde police,alorsque cellesconcernant des parents,des servicessociaux,de l'école, et ceci viennentplus fréquemment dansun grandnombrede pays»(A. Algan).La policedéfèremoinssouventles filles à la justice,maisles remetplusvolontiers à leursparents; et pourcellesqui sont déféréesà la justice,le juge décideplus souventque pourles garçonsdes «mesures de protection judiciaire»et non des poursuites.Le maintiendans la famille,qui est remiseaux parentset libertésurveillée, comportetroismesures: admonestation, en 1958, paternelle»supprimées préférépour elles. Les «mesuresde correction étaientplus souventprisesà rencontredes filles.En 1966, 6,6 % des fillesétaient juacquittéesou relaxées,contre4,7 % des garçons.Si les mesuresde protection diciaireet surtoutles peinesde prisonétaientprononcéesplus souventcontreles garçons,par contrela proportiondes placementsétait double chez les filles: en de réédu1966, 9,3 % contre4,8 % chez les garçons.Au 1.10.1965,les internats cationcomptaient7 919 fillespour 6 259 garçons.Ainsi,les fillessontofficielleêtre maisellesdoiventnéanmoins mentdix foismoinsdélinquantes que les garçons, «Moins contreelles-mêmes». et rééduquées! 4* II fautles «protéger plus surveillées telle redoutéesurle plan social,maisaussimoinstoléréesurle plan de l'individu, nous apparaîtla délinquancedes filles»,écritAlgan,et elle ajoute: «les infractions de leurs sontpeut-être moinsreprésentatives pour lesquellesellessontpoursuivies tendancesdélictuellesque de l'attitudede la sociétéà leurégard.Dans son étude M.-A. Bertrand(1967) ^ comparativedes délinquancesmasculineet féminine, arriveà la conclusionque la sociétéintervient vis-à-vis des femmesselonl'importancedes valeursblesséespar leuracte délictueuxet surtoutselonla compatibilité relative de leuracteavecles rôlesqui leursontsocialement attribués.» en fonctiondu sexe. Dans certainspays même,les peinessontdifférenciées Au Canada,la peinede mortn'estpas applicableaux femmes (on saitqu'en France attéelle ne leur est pas appliquée47).Ou bien on leur trouvedes circonstances nuantestellesque les «troublesmentauxde grossesse».Aprèstout,que peut-on 44. Algan,«Étude comparative...». Les chiffres qui suiventlui sonttous empruntés. 45. On pourrait croire Encorefaudrait-il y voirune raisonde leurmoindre délinquance. à l'efficacité desmesures concernant lesadolescents. préventives-répressives et la criminalité, 46. In Colloquede recherche surla délinquance Montréal 1967. 47. Une avorteusefutcependant sousPétain.La régimede Vichyfutpartiguillotinée culièrement féroceà l'égardde l'avortement.
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contreles hormones? B. di Tullio48,qui souhaiteque l'anthropologie criminelle devienneune «sciencede la bonté»,estimeque pendantses règlesla femmeest «en état d'infériorité psychique»et qu'il y a mêmeparfois«une réellepsychose 49. Il menstruelle» expliquequ'«il existedes femmesqui, à cause surtoutde leur ont le sentiment maternelsi peu développéqu'elles ont recoursfaconstitution, de cilement,par égoîsmepurplus que par préoccupation morale,à l'interruption la grossesse,à Pavortement ou à l'abandondu nouveau-né»(la «préoccupation morale»dontil s'agitici,c'est le «sentiment de l'honneur», dontDi Tulliodéplore la disparition). Il ne fautpas tropchangerla société: d'abordparceque l'on peut «considérer commedangereuses les mœursmodernesqui demandentà la femme un effortpresqueégal à celui de l'homme,et qui, en masculinisant la femmeau d'affaiblir en elle le sens entraîner des maternel, point peuvent conséquencesfâcheusespour les générations à venir»; et puis à cause de l'utilitéde la prostitution(cet équivalentféminin de la délinquance),nécessaireà la satisfaction masculine et à la puretéféminine, ce qui la fait«considéréer commepas tout à fait nuisibleà l'ordresocial lui-même,spécialement des femmes pour la tranquilité vouées à la chastetévirginaleet pour l'honnêtetéconjugale(Morselli,Vidoni). affirme estla sauvegarde de la femme-mère» . Comment Weininger que la prostituée de espérermodifierla nature? «Il y a sans doute deux typesfondamentaux femmes: la femmenormaleet la prostituée», commechez Lombrosoprèsd'un siècleplustôtil y avaitl'hommenormalet le criminel-né. êtretenuespour resPsychotiquesplusieursjours par mois,pouvons-nous devrait ponsablesde nos crimes? «On a quelquefoissoutenuque le sexe féminin êtreune cause d'atténuation de la responsabilité. La femme, danscette prétend-on aux tentations; en conséopinion,auraitune natureplus faible,moinsrésistante quence, elle devraitbénéficierd'une certaineréductionde peine. Cette opinion n'a jamaisété consacréepar la loi. Cependant,le sexe féminin constitue unecause de mitigation . Une avocate,Me Klimpel(adoucissement)de certainespeines»90 Alvarado51, n'hésitepas à affirmer : «II est, à mon avis,indiscutable influe que la conditionphysiologique différemment surla femmeetsurl'homme.Plusfaibledeconstitution, la femme du «physique». paraîtplussoumiseque l'hommeaux influences La femme,en outre,connaîtdes situationsparticulières, et propreà sonétatde «femme» . Ainsi,les fatigues de l'accouchement à émoussent telpointla volontéde la femmeque cela expliquecertains infanticides. crimestelsque l'avortement leurorigine Enfin,certains peuventtrouver dans l'altérationde certainesfacultésprovoquéespar l'état de grossesse(...). A ma connaissance, la femmeestpartoutjugéeselonla même procédureet les mêmesrèglesque l'homme,ce qui est à la foisinjuste et anormal.La femmereste,à un degréplusou moinsgrand,maispresque toujourssous l'influencede l'homme.Elle est le plus souvententraînéepar lui, sa responsabilité devraitdonc êtrepartiellement diminuée.C'est pourquoi,à monavis,aussibienle système pénalque le système pénitentiaire doiventêtre différents pour la femmeet pour homme». de criminologie, 48. B. Di Tullio,Principes 1967 (3e éd. Rome1963). 49. Michelet bien,lui,que le passaged'unexamenscolaireen périodemenstruelle croyait en danger la vied'unejeunefille! pouvaitmettre 50. P. BouzatetJ.Pinatel,Traitéde droitpénaletde criminologie, 1970. 51. Me Klimpel-Alvarado, de police «Criminalité in Revue Internationale féminine», février 1949. criminelle,
75 Chaulot et Susini pensent à propos de la voleuse qu'«en somme, si elle a été la complice active de celui qu'elle aime, une fois le temps des enthousiasmesde la jeunesse passé, la femme s'assagit et, retrouvantsa vraie nature,s'engage dans les . Aujourd'hui, Adam et Eve formesfémininesdu vol, notammentdans le recel» ffl échangentleurs défroques. énumèreun certainnombrede cas de discrimination Marie-AndréeBertrand53 légale dans diverscodes européens ; outre le cas françaisde l'adultère,elle relèveles exemplessuivants: a) la femme est parfois définie comme incapable de jouer certainsrôles criminels. b) Irresponsabilitélorsque les délits sont effectués en présence du mari. c) Sanctionslégales moins dures. d) Ne pouvant être que victimesde certainscrimes. e) Double attitude en ce qui concerne certainsdélits comme l'adultère, l'infanticide. f) Aggravationde la sanction lorsque certains crimes sont commis par un homme contreune femme. Dans un articleparu dans Le Monde, A. Fabre-Luce **écrivaitqu'«une réédition en 1968 d'un manuel françaisde droitpénal dit encore que «les charmesde la femme sont naturellementplus attractifsque ceux de l'homme». L'auteur [Louis Lambert] ajoute que les hommes n'ont pas de pudeur et ne peuvent donc pas être victimesd'un attentatcontrecelle-ci.De tellesnotions sont vouées à être remisesen question». En effet: cet articleest rédigéà propos de la condamnation,en GrandeBretagne,à de lourdes peines, de quatre femmesaccusées d'avoir violé un homme. Si nous ne sommes pas responsablesde ce que nous faisons,nous sommesen revanche responsables de ce que nous ne faisonspas : Chaulot et Susini, toujours eux, estimentque «[l'interventionde la femme]dans les délitssexuels n'est pas non plus négligeable.Nombre de délinquantsinvoquent une privationdue à un «refus» de leurs femmesou l'abandon par elles du domicile conjugal, sans parlerdes mésententes sexuelles que certaines épouses, par intérêtou convictions religieuses,refusentde sanctionnerd'un divorce.» Ils citent encore le cas où l'homme est incité par la femme à la délinquance acquisitive, ou bien poussé hors du foyerpar une épouse à P «inconduite notoire» ou au «caractère acariâtre». Pinatel emprunteau Dr Marchais55,qui s'est donné la peine de chiffreravec précision la part occulte des femmesdans la criminalitémasculine,les statistiquessuivantes: Rôle néfastede la femmedans les délitsd'homme : Vols Meurtres Assassinats Attentatsaux mœurs
10 % 15 à 20% 10% 40 %
52. Chaulot et Susini,od. cit. 53. M.-A. Bertrand,«Le mytheet l'égalité des sexes devant la loi», Acta criminológica, vol. Ill, janvier1969. 54. AlfredFabre-Luce, «Le viol de Plymouth»,Le Monde, 29 février-lermars 1976. 55. P. Marchais,Psychiatrieet délinquance, 1952, cité par Bouzat et Pinatel, op. cit.
76 II est intéressantde noter que «le rôle de la femme»est mis surle même plan dans les délits dont elle profiteet dans ceux dont elle est victime.Discours auquel nous avons eu l'occasion de nous habituerau cours de ces deux ou trois dernières années. Si personne ne songe à prétendreque les victimesde vols jouent un rôle néfastedans ces délits,il n'en va pas de même dans le cas du viol (car c'est souvent ce que cache le terme plus euphémique d'« attentat aux mœurs»). Henry et Laurent% écrivent: «les parquetscriminelsde la Côte d'Azur reçoiventen été surtout, quantité de plaintes pour viol ; un très petit nombre seulement connaissent les «honneurs»des Cours d'Assises. C'est que les mœursde toute une partiede la population du moment (nous ne mettonsévidemmentpas en cause la moralitédes autochtones) sont telles que l'on ne peut accueillirqu'avec circonspectioncertaines plaintesde certainesvictimes.» Sans doute doit-oncomprendreque les femmessont de véritablesprivilégiées, puisqu'elles sont plus légèrementpunies pour leurs délits (dont les hommes sont partiellementresponsables) et pas du tout pour les délits des hommes (dont elles sont partiellementresponsables). Quant aux victimes «responsables», elles échapà fairecesser ce pent elles aussi au rigueursde la loi, mais peut-êtrearrivera-t-on scandale : au lendemain de la deuxième guerremondiale, Mendelsohn a inventé,à propos d'abord des crimespassionnels,une nouvelle science,la «victimologie»,qui se propose de déterminerle degré de culpabilité des victimes,pour une «prophylaxie et une thérapeutiquevictimelles», nous dit H. Castera Ranjeva, qui distingue cinq degrés dans la responsabilitédes victimes : aucune responsabilité ; moindre responsabilité que l'agresseur ; responsabilitéégalement partagée ; plus grande responsabilité; responsabilitétotale. Les deux derniersdegrés concernentl'un la «victimeprovocatrice,victimepar imprudence»,l'autre la «victime-agresseur». On voit l'ambiguïté de cette classification,qui ne permetpas de distinguerle non-respect des règlestacitesde comportement«normal» et l'auto-défense. Suivant quel critères appréciera-t-onl'imprudence, la provocation, l'agression ? Rendre la vie infernaleà son conjoint et le pousser au crime en refusantle divorce, est-ce une imprudence,une provocation,une agression ? Ne pas porter de soutien-gorgeet néanmoins fairede l'auto-stop (ou même simplementêtre une femmeet néanmoinsfairede l'auto-stop),est-cede la provocation,de l'imprudence, ou le simpleusage des libertésindividuelles? La victimologiemet en avant la notion de «couple pénal» (criminel+ victime) et soulignele fait que la victimepeut récidiver.Du même coup, l'accent est mis sur le comportementde la victime,générateurd'agression,et non sur la situation qui faitla victimeet l'agresseur; manière de psychologiserdes problèmes sociaux, qui d'autre part risque fortde conduire à la minimisationidéologique de l'agression.Dans cette optique, les peuples victimesde dictaturesà répétitionseraient des récidivistesdont on pourra apprécier le degré de culpabilité... Je ne veux pas dire que l'analyse des conditions dans lesquelles telle personne peut devenirune 56. Michel Henry et Guy Laurent,Les Adolescents criminelset la justice, Centre de Formationet de Recherchede l'Education Surveillée,1967. 57. Héléna Castera Ranjeva, Contributionà l'étude de la personnalitéde la victime, Thèse de doctorat,Toulouse 1964. 58. Ibid.
77 victime,et des conséquences des différentstypesde réponsespossibles à une agression, ne soit pas nécessaire ; mais il est douteux qu'elle puisse se faireà partirde la définitionlégale de l'infraction.Ce que dit la victimologie,c'est que la victimede l'infractionn'est pas nécessairementla victimeréelle : ce que tout le monde savait. Donnons un exemple de la casuistique à laquelle est entraînéela Justicedans l'utilisation de ses propres définitions: «Y a-t-illégitimedéfense si l'agressionest excusable ? Lorsqu'un mari surprendsa femmeen flagrantdélit d'adultère dans la maison conjugale, il bénéficied'une excuse atténuantes'il la tue ou tue son complice (art. 324 C. pén., al. 2). Si la femmeet le complice, pour ne pas être tués, tuent le mari qui les attaque, peuvent-ilsinvoquer la légitimedéfense? On l'admet généralement,parce que l'agressiondu mari,pour être excusable, n'en demeurepas moinsun agressioninjuste» ^ . Ce cas de figuretempèrepar ailleursce qu'on a dit plus haut de la plus grande indulgenceaccordée aux femmes ; celle-cis'exerce surtoutdans les cas où l'on peut projetersur la femmeles images de la pauvresseécrasée de misère,de l'amoureuse passionnée, de l'épouse docile, de l'enfantinconscientede la gravitéde ses actes... Mais qu'elle contrevienneà son rôle (que ce soit en se montrantmère indigneou en revendiquantsa liberté), qu'elle assume pleinementson acte, et la voilà devenueun monstre: la répressiondifférentielle joue alors contreelle. L'indulgence plus grande ou la pénalisation plus fortedépendrontde l'idée que se ferontles juges de la conformitéde ses actes avec ce que la «nature» attend d'elle.
Sortilèges. Aux premiersrangsdes crimes de femmesvenait autrefoisla sorcellerie; au XVIIIe siècle, «les poursuitespour délits contre l'Église deviennentde plus en plus rares(...). Cette évolution de l'attitude des tribunauxavait commencé dès le siècle précédent par l'abandon progressifdes procès de sorcellerie(...). En ne reconnaissant plus qu'une «prétendue magie», en niant implicitementl'existence de tout 60 pacte diabolique, l'édit de juillet 1682 accéléra ce processusde laïcisation» . Aujourd'hui la magie est passée sous contrôle médical, mais les mystèresde la femme ont-ils pour autant disparu ? De «la porte du Diable» elle est devenu 1'«enfant impure, douze fois malade.» A lire les manuels de criminologieclinique ou de psychiatriecriminelle,on trouve de curieuses réminiscences.Si la femmen'est plus l'agent volontaire des puissances obscures et maléfiques,elle n'en reste pas moins le lieu où se déchaînent les forcesincontrôléesde la vie et de la mort ; du moins peut-on interpréterainsi l'étrangeté qui lui est attribuée par les criminologues. Cette mystérieuseaction des règles sur son comportement,qui la pousse à des actes mauvaismais dont elle ne seraitpas responsable,faisantd'elle une possédée en quelque sorte, ces «fluctuations physio-psychiques» et autres influencesliées au 59. P. Bouzat et J.Pinatel,Traitéde droitpénalet de criminologie. Cetteexcuseatténuantea disparuavecle délitd'adultère. On n'étonnera en précisant personne qu'ellenejouait du mari. qu'enfaveur Ed. Universitaires, 60. PierreDeyon,Le tempsdesprisons, 1975.
78 sexe, la grossesse,l'accouchement,la puerpéralité,l'allaitement,qui «sont la cause de toute une série de troublessomatiques et de troubles fonctionnelspouvant retentird'une façon plus ou moins grave sur l'état mental de la femme»61, la ménopause qui peut être, affirmeDi Tullio, l'occasion de troublestrèsgraveset d'une «faiblesse volitive accompagnée de phénomènes d'automatisme et d'impulsion», déroutent et inquiètent à ce point de nombreux criminologuesqu'ils leur attribuent superstitieusementdes actions dangereuses autant que contradictoires,si évidentesà leurs yeux qu'il n'est nullementbesoin d'en expliciterles mécanismes. L'analogie, citée plus haut, de Lombroso entre les activitésrespectivesde l'ovule et du spermatozoïde d'une part, et les comportementsattribuésà chaque sexe d'autre part, relèveplutôt de la mystique que du raisonnement.Jusqu'au «chiffre obscur» qui est plus élevé chez nous : instigatrices, inspiratricesqui commettonsnos méfaits par l'intermédiairedes hommes et par l'influencemal connue que nous exerçons sur eux, ou bien zombies sanguinolentsportantle désordreen obéissantà des forcesqui nous habitentet nous dépassent,tellesnous voit la criminologiebiologisante ou psychiatrisante; «les caractèressexuels affectifsque l'on trouve dans les maladies mentales et tous les déséquilibrespsychiques de la femmesont aussi ceux que l'on rencontredans la criminologieféminine.(...) Au termede cet exposé, nous insistonsencore surl'aspect spécial, affectif, passionnel,dans l'ensemble sexuel, hormonal, de la criminologieféminine,qui la distinguede la criminologie masculine et qui nécessiteun équipement particulierde la mise en observation»62.
De naturadeorum. Qu'il s'agisse de la criminologiebiologisante,psychiatrisanteou de la criminologie sociologisante,le sexe fémininest conçu comme celui qui fait problème, qui n'est pas comme tout le monde. L'aveuglementà l'égard de cette réalitésimplequ'il existe une condition masculine au même titrequ'une condition féminineest quasi généralisé.La division sexuelle des rôles est considérée non comme un caractère fondamentalde la société, ayant des effetsà tous les niveaux de la vie sociale, mais, au mieux, comme un problème importantmais marginal,au même titreque toutes les oppressions et sans plus de conséquence sur le fonctionnementglobal du système.L'idéologie sexiste nous veut différentesdes hommes,l'idéologie émancipationnistenous veutsemblablesà eux ; raresétant les criminologuesféministes,peu d'entre eux pensent que les hommes, eux, pourraientêtre différentsde ce qu'ils sont. On admet, à regretou non, que la condition féminineévolue, mais «les hommes seronttoujours des hommes», ce qui est assez paradoxal dans la bouche de ceux qui voient le «féminin»du côté de la nature,du corps,et de la passivité,et le «masculin» du côté du social, de l'action, de l'histoire. Mis devantle faitaccompli,les plus réalistesprennentacte de la volonté croissante des femmesd'intervenirdans tous les domaines de la vie sociale et d'acquérir leur indépendancepar l'exercice d'une profession.Les femmes«s'émancipent», et 61. B. Di Tullio, op. cit. 62. G. Heuyer,Les troublesmentaux.Etude criminologique,1968.
79 de ce faitsontappeléesà commettre Mais,biensûr,personneou plusd'infractions. en le fait le ne remet cause travail domestiqueet les soinsaux enfants que presque ou non)admetdes femmes. Les soientl'apanage (criminologues émancipationnistes mais tentque les femmesajoutentaux leursles activités«masculines» , n'envisagent égalementaux «activitésfépas qu'elles exigentaussique les hommesparticipent minines»traditionnelles. dans la conditionfémininedevaientse traduire Si les changements par une voit la de la doublejournéede travail, on malcomment délinsimplegénéralisation les surcelledeshommes,commele redoutent quancedes femmespourraits'aligner Ils n'ignorent pourantpas que l'unedes raisonspourlesquelles émancipationnistes. laisserles femmesen libertéou les y remettre les tribunauxpréfèrent plus vite, outrel'irresponsabilité évoquéeplushaut,estla nécessitépourellesde s'occuperde et la pertede leurfamille.Certesles hommesaussiontdes responsabilités familiales, dernière maisla responsabilité leursalaireou de leursrevenus peutêtredramatique, elle incombede façonsi «naturelle»à la femmeque c'estnonmoinsnaturellement au foyer.N'importequel juge pensequ'une femme que l'on jugeraindispensable maisraressont aux besoinsde ses enfants, seulepeut se débrouiller pour subvenir ceux(s'ilsexistent)qui estiment qu'unhommeseulpeutéleverdesenfants. Et, de fait,en l'état actuel des choses,il n'est pas douteux que le rôle qu'elles assumentpar rapportaux enfantsdissuadeles femmesdansune largemesurede prendrecertainsrisquesautrement qu'en cas de nécessitéabsolue,et quand bienmêmeellesen auaientl'occasion.Empiétersurle «domainemasculin»,même ne changepas fondamentalement cela. s'il ouvredespossibilités délictuelles, des femmesne concerneà peu prèspas leshommes,saufdu L'émancipation La libérationdes femmesau contraire impliquela pointde vue de la concurrence. destruction de la répartition des activitésen fonction du sexe,et doncde profonds On voit dansla conditiondes hommescommedanscelledes femmes. changements de la mal commentceci peut se fairesansprovoquerdes bouleversements profonds commeau niveauidéologique.Or une partie société,au niveausocio-économique à sesinstitutions actuelsde la sociétéestdue au patriarcat, des effetscriminogènes et à ses valeurs(notamment, maispas uniquement, en ce qui concerneles crimes «contreles mœurs»et les crimes«contrelespersonnes»).A titred'exemple,d'après Chaulotet Susini,dans le cas des crimespassionnels,70 % des hommesavouent avoirtué parce qu'ils se sentaientridicules,et 75 % des femmesparce qu'elles étaientprisesde paniqueà l'idée qu'ellesavaientcessé de plaire.Chaulotet Susini de la manièresuivante: les uns et les autresontun commentent ces pourcentages de déchéance,mais «l'hommedoute de son pouvoirde domination, la sentiment de séductrice»; tandisque l'hommeest «atteintdansson femmede ses fonctions orgueilde mâle»,la femme«se croitvictimed'uneinjustice.» à son «pouvoirde domination» Si la valeurd'unhommecessaitde se mesurer et celle d'une femmeà ses «fonctionsde séductrices», se réduices motivations raientd'autant. Maisbienpeu de criminologues des changements radicauxdansles envisagent et Cressey63, qui ne croientpas à la «nature», rapportsentreles sexes.Sutherland de criminologie, etCressey, 63. Sutherland Principes op. cit.
80 remarquent: «S'il existait des pays où les femmesfussentpolitiquementet socialement dominantes,le taux de criminalitéfémininedevrait,(...) être supérieurà celui de la criminalitémasculine». Mais que se passerait-ils'il existait des pays où aucun sexe ne futpolitiquementet socialementdominant ? Sutherlandet Cressey imaginentune situationinversée,mais non pas renversée. A l'originede la conception émancipationnisteon trouvel'oubli de la double journée de travail domestique ou sa minimisation.Ce n'est pas seulementdans le P.N.B. que notre travailn'est pas comptabilisé: ses conséquences ne sont pas prises en compte dans l'analyse de l'actuelle conditionhumaine,mais seulementdans celle de la conditionféminine. Détail révélateur: le Pr. Léauté, directeurde l'Institutde Criminologie,dans son ouvrage Criminologieet science pénitentiaire6*,place l'examen de la délinquance fémininesous la rubriqueL 'effetdu sexe et de l'âge dans le chapitreconsacré à L 'analysedes facteursindividuelsde la délinquance, et non, comme on aurait été en droit de s'y attendre,dans celui qui s'intituleL 'évolutionde la société. Etre femmeserait donc un accident personnel,pas une déterminationfondamentaleinfluantà tous les niveaux de la vie sociale. La criminalitémasculinepourtant,on l'a dit, ne peut elle non plus s'analyserdans son seul rapportau systèmecapitaliste,et sans référenceà l'idéologie patriarcaleet à ses valeursvirilistes. L 'émancipationpeut se produire dans le cadre du systèmepatriarcal,si l'on entend par là, au-delà de la dominationdu groupe des hommes sur le groupe des femmes,dominationdans laquelle il s'est réaliséhistoriquement,l'ensemble des institutions et idées sur lesquelles fonctionne cette domination : acceptation des «valeursviriles»,paternalismeen chaîne, hiérarchie(considérée comme «naturelle» par les dévots et comme «nécessaire» par les technocrates),compétition,admiration de la prise de pouvoir, infantilisationface aux leaders charismatiques,etc. On peut concevoir qu'un tel systèmese perpétue,même si la dominationcesse de reposer sur le critèresexuel, c'est d'ailleursle but des associationsfémininesproches du pouvoir, qui ne tiennentnullementà détruirece systèmemais veulent cesser d'en faireles frais. Mais si la libérationdes femmesimplique la destructionde ce systèmeet de son idéologie, quelle que soit la société qui puisse lui succéder,la délinquance doit en êtrelargementaffectée. Peu d'hommes,et notammentparmi les criminologues,envisagentune transformationde leur propre statut ; de ce fait,leurs recherchesne peuvent intégrer cette hypothèseet leurs théoriesdes actuelles différencesentrela délinquance des deux sexes peuvent être, au mieux, celles qui cadrent avec la perspectiveémancipationniste.En fait,le discoursbiologisantet psychiatrisant,s'il n'est pas le seul à se faire entendrechez les criminologues,y tient une place prépondérante.A tel point que s'il existe un début de prise en compte de l'existence d'une condition masculine, c'est du côté de la nature que l'on va aujourd'hui la chercher,comme pour les femmes.On savait déjà, grâce à Lombroso et à ses disciples,que la boîte crâniennemasculine avait une responsabilitémajeure dans la commission des in64. JacquesLéauté, Criminologie...op. cit.
81 fractions.Suivant la bonne traditionde l'opposition des contraires,les femmesy échappaient en partie, étant redevables de leurs crimes,comme on l'a vu, à leurs organes sexuels : antinomie du dur et du mou utile à une bonne mythologiedu rapport homme-femme.Chez la femme,écrit Heuyer65,«l'aspect morphologique et anthropométriquea moins d'importanceque chez l'homme». Interprétationun peu désuète, mais voilà qu'à présenton trouve de nouvellescauses à la fortedélinquance masculine,certainsexpliquant que le systèmenerveuxdes hommesest plus fragile,aux premiersstades du développement,pour des raisonssans doute hormonales. Sans parler du chromosome surnuméraire,qui a défrayéla chronique il y a quelques années. Et chacun continue de chercherdes corrélationsentre tout et n'importe quoi. Le Dr. Tisserand (1950, cité par Chaulot et Susini) a jugé utile d'étudierles couleurs de cheveux des délinquantsdes deux sexes et de les comparer à celles de la population «normale». Chez les hommes, les délinquants roux et bruns étaient moins nombreux, tandis que chez les femmesc'était l'inverse : les hommes blonds étaient donc plus délinquants que les autres, les femmesrousses ou brunesplus délinquantes que les blondes. On doit sans doute en conclure qu'il est plus normal pour un homme d'être brun ou roux, pour une femme d'être blonde. Les «déviations» se suiventet se ressemblent,du roman-photoà la criminologie.
CONCLUSION
: DE LA DOUBLE TUTELLE A L ETATISATION.
Les théories criminologiques,si elles ne sont pas à l'avant-gardedes débats portant sur la condition de chaque sexe et l'évolution de la société, s'y inscrivent nécessairementet illustrentassez clairementcertaines des positions en présence. La question juridique n'est certes pas l'essentiel du combat des femmes,mais les lois les concernant reflètentdans un discours cohérent ce que la société attend d'elles à un moment donné. Quant aux pratiques réelles de l'appareil répressif, elles mettent souvent en valeur les véritablesraisons de la sollicitude dont nous faisonsl'objet. On a vu combien les femmesdevaient être gardées,surveillées,«protégées». On sait ce qu'il en coûte, et pas seulement aux femmes,de se laisser protéger ; l'histoire des prisons en offreplus d'un exemple, et Foucault a montrécette destination des hôpitaux ou couvents où l'on enfermepeu à peu tous les gêneurs. Les Madelonnettes illustrentpour les femmescette évolution. Fondé en 1618, ce fut d'abord, d'après Ryckère66, un couvent-maisonde refuge pour les «filles repenties» ; elles y entraientvolontairement.Peu à peu la police y enfermeles «débauchées», puis les parents leurs fillesqui ont fait des frasques : «En somme, les Madelonnettesétaient tout à la foisun couvent,une maison de réclusionet une maison de correction...Il y eut là plus d'une révolte,et ces filles,repentieset non repenties,n'étaient pas faciles à mener.» Quant à Saint-Lazare,«tour à tour lépro65. Heuyer,«Criminologieféminine»,art. cit. 66. R. de Ryckere,La femmeen prisonet devantla mort,Paris,Masson, 1898.
82 serie, couvent, maison de correction,asile d'aliénés, prison révolutionnaire,prison de femmes,hôpital de vénériennes»67, c'est là que l'on enfermeles femmeslorsque les Madelonnettesdeviennentune prison d'hommes. On y met, suivantde savantes divisions,à côté des prévenueset détenues,les «fillespubliques soumises» (en carte) et «insoumises», «avariées» et «non-avariées»,comme on disait aimablement, ou tout simplementles ex-malades ou anciennes détenues âgées et qui ne savent où aller. Puis ces dernièresannées et jusqu'à une date assez récente,SaintLazare est un lieu où l'on détient,pour un jour ou deux, les prostituées- illégalement puisqu'elles ne sont censées y venir que librementet en vue de leur «réinsertion». Mais il ne suffitpas d'enfermersimplementles marginales: il est utile d'en faireautant à l'égard des «normales»,pour plus de sûreté.Les hommessont soumis directementau contrôle de l'Etat et de ses institutions; pour les femmes,cela ne suffisaitpas : aussi leur a-t-onaffectédans le Code Napoléon un gardienpersonnel, pourvu de pouvoirs discrétionnairesou peu s'en faut,en la personne du mari. La France n'a d'ailleurspas le privilègede ce gardiennage: «A une date aussi rapprochée que 1860, il n'était pas nécessaired'être un malade mentalpour se voirincarcéré dans un établissementpsychiatriqueaméricain ; il suffisaitd'être une femme mariée. Lorsque la célèbre Mme Packard fut hospitalisée à l'asile de Jacksonville pour s'être brouillée avec son époux-pasteur,les lois de l'Etat d'IUinois régissant l'internementdéclaraient on ne peut plus clairementque «les femmesmariées... peuvent être enregistréesou détenues dans un hôpital à la requête du mari ou du tuteur... sans que soit administréela preuve de l'aliénation requise dans d'autres cas.»»68 Le mari dans la France post-révolutionnaire acquiert un droit de regardsur tous les aspects de la vie de sa femme,sans bien sûr que la récriproquesoit vraiele moins du monde. Droit absolu dont on impute à Napoléon l'établissement,mais qui s'était préparé progressivement,en même temps que s'affaiblissaitl'emprise de l'Église et que s'affermissait le pouvoir central : «En bien des domaines,la jurisprudence des tribunauxroyaux qui ont réduit à presque rien les officialités,s'oppose même au droit canon. Afin de réprimerles rapts,et de sauvegarderl'autorité des chefs de famille,elle définitplus précisémentque lui les conditionsde validité du mariage.En matière d'adultère,elle interdità la femmede porterplainte contre son mari, alors que les officialitésadmettaientces requêtes et les jugeaient équitablement.»69 La Révolution,abolissant les privilègesentregens du même sexe, en octroie de nouveaux au groupe des hommes sur le groupe des femmes.Celui-ci perd tout droit politique au profit du premier. «Certaines votaient, depuis le moyen-âge : maîtressesde fiefs,bourgeoisespossédant des biens, ouvrièresdes corporations.Le Tiers-Etatde 1789 comptait deux deputationsféminines: les fruitièreset les célèbres harengèresde la Halle de Paris» TO. Mais c'est dans le mariage que va se par67. Léon Bizard et JeanneChapon, Histoirede la prisonde Saint-Lazaredu MoyenAge à nos jours, Paris,E. de Brocard,1925. 68. Thomas Szasz, tabnquer la folie, trad.Pavot 1976. 69. PierreDevon, Le tempsdes prisons,od. cit. 70. LouisetteBlanquart,Femmes : l'âge politique, Paris,Ed. Sociales, 1974.
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L'État délèguesonautoritéau mariet luivienten aidepour fairecettedomination. l'exercer71. Celui-dipeut accorderou non à sa femmele droitau travail, disposer de son salaire,voirela tueren cas d'adultèreau domicileconjugal.Il gèresesbiens, il lui imposele lieu de résidencecommune,exerceseul l'autoritésurles enfants. Mieux,il peut la faireexempterdes sanctionspénalesprisescontreelle par le triaveclui au domicileconjugal: bunal en cas d'adultère,s'il décidede la reprendre d'un véritable droit de ainsi grâceanalogueà celui du chefde l'État ; il disposant Vassan'estpas d'autreexempled'un tel pouvoiraccordéà un simpleparticulier. la met liens en corvées, nature, lité,fidélité, qui d'allégeancepersonnelle paiement due au central de en rivalité avec celle à son (ainsi seigneur pouvoir loyauté l'égard atténuantes accordéesà une femmepour un délit dans le cas des circonstances accomplien complicitéavec le mari,l'obéissanceà l'égardde l'Etat et de ses lois et maître): ce entreen conflitaveccelle que l'on attendd'elle enverssonseigneur statutjuridiqueconvientassezbien,aprèstout,à ce «lieude production privéet de 72 de à mode un travailnon rémunéré productionanté-capitaliste», correspondant les beautésde la sociétéfunousfaisantmiroiter Proudhon, qu'estencorela famille. le la rigueurde la justice : où tuer sa femme selon mari écrit ceci «Cas ture, peut et débauche; : trahison adultère ; 4) ivrognerie ; 2)impudicité; 3) paternelle 1) et vol insoumission ; 6) obstinée,impérieuse, méprisante»; et en5) dilapidation core : «Si ta femmete résiste,il fautl'abattreà toutprix»n . Son rêven'étaitpas les droitsdu marisurla et au coursdu XXe siècleau contraire, appeléà se réaliser, abolis. Du moins au niveaujuridique : l'État femmesont trèsprogressivement renonceà cet intermédiaire. Maisles femmesrestentsoumises,dansl'idéologieet dansles faits,à un droit sous le contrôlede l'ensemble masculinde coercitionles maintenant globalement les différentes formesde violencescommises des hommes,si l'on peutainsianalyser de la majeure contreles femmesdansla rueet à la maisonavecla tacitecomplicité 74. «Le châtiment d'un est art des sensations social du insupporpassé partie corps 75 ne tablesà une économiedes droitssuspendus» , écritFoucault . Cetteassertion à à l'un et les sont l'autre. concernepas femmes, soumises qui à nos libertéscomme ces restrictions Cependantil est permisde considérer des survivances sous la féruleunificatrice (tenacesbien sûr)appeléesà disparaître de l'État. L'actuel accroissement de la sévéritéà l'égarddes violeursest ambigu: du crime,oui, mais aussi répression d'une appropriation reconnaissance sauvage échappantau contrôleétatique.La propagandefaitepar certainspourla création et pourla fonctionnarisation de la prostitution, de d'eros-centers les réajustements la législationsurle mariageen vue de son sauvetage, la reconnaissance du concufaitespour lui donnerun statut,sa priseen comptedans binageet les tentatives 71. Cf. Odile Dhavernas,Droits des femmes,pouvoir des hommes, Paris, Seuil, 1978. la justice pénale. 72. Claude Faugeron et Dominique Poggi,«Les femmes,les infractions, Une analyse d'attitudes», Revue de l'Institutde Sociologie (UniversitéLibre de Bruxelles), nO3-4. 1975. 73. P.-J.Proudhon,La Pornocratieou les femmesdans les tempsmodernes(posthume), 1875. 74. Cf. «Justicepatriarcaleet peine de viol», par des FéministesRévolutionnaires,in ^ Face-à-femmes,Alternatives,juin 1977, et Jalna Hanmer, «Violence et contrôle social des femmes»,Questionsféministes,n° 1, nov. 77. 75. M. Foucault, Surveilleret punir,Gallimard,1975.
84 les dossiers de demande d'allocation-chômage,ainsi que les innombrablesfichages sanitaireset sociaux et l'interventioncroissantedes juges dans la vie privée des individus,indiquent que le temps des initiativesindividuelles,en matière de mise au pas des «déviants», est en passe d'être révolu. Les femmessont en trainde glisser de la tutelle maritale à la tutelle de l'État : égalité dans la surveillance(égalité limitée au statutlégal, bien entendu). Bien sûr, au niveau du système, la famille transmetl'idéologie, légitime l'autorité ou même la fait aimer,assigneles rôles,reproduitla domination,déguise la division sexuelle des tâches en vœu de la nature, et d'une façon généralesert de relai au pouvoir ; il n'en reste pas moins que ces petits fiefsindividualisteset désordonnés qu'étaient du point de vue de l'État les famillesne doivent plus être laissés à eux-mêmesni à l'arbitrairede leur chef : la latitude accordée à celui-ci dans l'application des règles et l'usage de ses «droits» est insuffisamment compatible avec les formes modernes de contrôle social ; tantôt faisant preuve d'un laxisme déplorable, tantôt au contrairerisquant de discréditerpar une répression exagérée l'autorité qu'il détient et de contribuerpar là à la ruine du système,il a perdu peu à peu ses droits exclusifsun peu trop voyantset si mal «mérités»(puissance paternelle,autorité maritale). Qu'à cela ne tienne,le patriarcattransfèrele paternalismeau niveau suprêmeet multiplieles intermédiaires: les citoyenssont de grands enfants,les citoyennessont leurs poupées, elles ont des droitsmais pas les moyens de s'en servir.Le patriarcatfaitpeau neuve. Il fautbien entendumaintenir la famillecar elle resteutile - notammenten en fixantles membreset en les astreignant au travail,et puis bien sûr en pérennisantla fourniturede travailgratuitmais il faut la réglementerstrictementet la mettreen observation,elle ne doit plus constituerun obstacle au contrôledirectde tout et de tous. Pour plus de sûreté, on donne à la mère des droits et une autorité qui assoient son pouvoirmaternelet restructurent dans une optique matrifocalela famille chancelante,en vue de dissuaderles femmesde s'aventurersur des terrainsoù elles sont toujoursindésirables. Il est douteux que nous ayons pu faire l'économie de cette étape. Refuser cette emprisede l'État et luttercontre elle ne doit pas nous empêcherde voircombien il est préférabled'avoir à résistercontre un maîtrecollectifplutôt que contre un propriétaireparticulier.
Marie-JoDhavernas,«WomanDelinquency». The exclusion of women makes themmarginaleven withinmarginality. Delinquency,for example, is primarilya masculineaffair: women are underrepresented,and their offensesare differentfrom those of men : they are generallyspeakingmore domestic,more utilitarianand more indifidualistic... Nor are the two sexes subjected to repressionin the same way. Many writers allege thatthe special characteristics of woman's «nature» keep heraway from crime ; should we conclude that there exists a crime-pronemasculine «nature» ? The fact is thatwomenare so completelyexcludedfromsocial life in patriarchalsocietythattheycannot even violateits laws.
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NOUVELLES
...d'Espagne
Vindicación Feminista, revue mensuelle publiée à Barcelone, outre des articles consacrés à la vie politique générale (politique espagnole ou étrangère), publie, informe, témoigne chaque mois sur la condition des femmes en Espagne (l'Espagne d'avant et d'après Franco) : situation juridique (divorce, adultère : le mariage religieux a des effets civils et le divorce n'existe toujours pas) ; situation politique, situation sociale (témoignages de luttes de femmes dans les entreprises ; condition des femmes paysannes) qui perpétuent ici un patriarcat vigilant. Vindicación publie aussi une rubrique «les femmes dans le monde» consacrée chaque mois à un pays différent (déjà publié : l'Irlande, le Venezuela : «l'invisible féminisme révolutionnaire des vénézuéliennes», les groupes féministes de Barcelone), une revue d'articles de presse sexistes, des «Lettres à un idiot espagnol» de Lidia Falcon, des critiques littéraires enfin : théâtre, livres, cinéma. Nous publions ici un article paru en Février 1978 dans Vindicación, intitulé «Revendiquer partout», qui rend compte des dernières grandes luttes concrètes des femmes espagnoles. Par ailleurs, nous publions deux textes qui tentent de poser les bases théorico-pol ¡tiques des luttes féministes. L'un émane du Collectif féministe de Madrid, l'autre du Collectif féministe de Barcelone.
86 «REVENDIQUER
PARTOUT»
(Vindicación,Février1978) 1977 a été, sans aucun doute, une année fructueusepour le mouvement féministe.Nous avons faitparlerde nous dans les médias,malgréla craintede certains et la surprisede tous. La lutte féministea désormaisune existence propre, et nul ne peut la manipulerà sa fantaisie.Les partispolitiques l'on bien compris,au momentdes élections de juin et ils ont faitde grandespromesses pour obtenir les voix des femmes.Promessesqu'aucun n'a tenu par la suite, mais dont ils devront rendre compte au mouvement féministes'ils veulentgagnernotreconfiance. La diversitéd'opinions, d'organisationset d'idéologies ; les polémiques, les scissions,la formationd'organismesunitaires,tout cela n'est que l'expression d'une classe qui entre dans la voie de la dialectique, et cherche de nouveaux moyens pour sortird'une longue période d'esclavage. Seuls des esprits ferméset obtus, habitués à raisonnerd'une façon contraireà la dialectique, peuventvoir dans la proliférationdes groupes féministesun mauvaisprésage. En même temps que cette diversification, surgitdans le mouvementféministe une volonté unitaire,d'où l'effortpour la formationde coordinations,de féde campagnesau cours desdérations,d'actions unitaires,de rassemblements, quelles nous avons toutes ensembleexpriménotresolidaritéde classe. L'unité dans la diversité,c'est là notredialectique. Par ailleurs l'intégrationdu mouvementféministeau mouvementsocial et politique du pays nous a amenées à soutenirles luttesdes secteursles plus opprimés,exploités et marginalisésde la société, beaucoup plus, d'ailleurs, que ceux-ci n'ont soutenu le mouvementféministe. Revendiquer dans la rue
Nombreusesfurent,dans le courant de 1977, les mobilisationssur des questions féministes,et qui ont eu, avec une plus ou moinsgrandeintensité, une répercussiondans tout le pays. Le 8 mars, à l'occasion de la Journée internationaledes femmes,eut lieu, à Barcelone,une marcheféministequi a abouti devant la prison de femmes.Près de 2000 manifestantesfirententendre leur voix dans tout le quartier de la Trinité. «AMNISTIE POUR LA FEMME», «DISSOLUTION DES CROISADES ÉVANGÉLIQUES», furentles mots d'ordre les plus criés par les femmes.Le 1er Mai, journée internationale du travail,qui coincide avec la fête des mères,on a organiséà Barceloneun rassemblementdevant la clinique La Maternité,au cours duquel on revendiquait «une maternitélibre,le droit à notre proprecorps, la séparationentre maternitéet sexualité». La police fit acte de présenceen chargeantles manifestantes.Pendant les mois de septembreet d'octobre, on a lancé une campagne contre le viol et les agressionscontre la femmeen général. Les nombreux viols dont les femmesont été récemmentvictimes,ont créé un climat d'indignationdans le mouvementféministe,et l'assassinatd'une jeune filleà Sabadell fut l'étincellequi déclencha la lutte en de multiplesmanifestations. A la suite des derniersdécretsd'amnistie,et dans la mesureoù la femme avait été la grandeoubliée, malgréles promesses,une campagnea commencé pour exigé l'amnistiepour les femmes,amnistiepolitique puisque leursdélits sont le résultat d'une situation politique fasciste. Chaque dimanche les femmesde Barcelone se sont réuniesdevant la prison de la Trinitéet, le 17
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87 décembre,s'est faitun meetingauquel ont participétouts les partispolitiques et les syndicats,pour exiger l'amnistiepour les femmes.Le dimanche 18 une importante manifestationparcourut les rues de Barcelone. Les premières Journées de la Femme ont été organisées simultanémenten Euzkadi et à Valence, les 8, 9 et 10 décembre,avec une grosse participationdes femmes. L'action des ouvrières.
Les femmesouvrièresont participéactivementà la luttecontre le capital. Les Journéesde la femmetravailleusedu Syndicat unitairede Madriden sont un exemple de plus. Les femmesde Eurostil (usine textilede la banlieue de Barcelone) devant l'attitudede leur patron, qui prend la fuitechaque fois qu'il doit affronterune situationde crise,décident l'autogestionde leurusine. Elles ont tenu presque un an cette difficilesituation. «CINQUANTE FEMMES LUTTENT POUR LEUR POSTE DE TRAVAIL. Le salaire le plus élevé dépassait à peine 5000 pesetas. (Barcelone). Avec la constitution d'une coordination au niveau national. LES EMPLOYÉES DE MAISON S'ORGANISENT. Les Charbonnagesde Berga : la grève continue. DEUX MILLE FEMMES ONT MANIFESTÉ.» Des placards de ce type sont permanentsdans la pressequotidienne. Les femmesdu groupe d'entrepriseCAFISA de Barcelone, la grèvede 6000 femmesde l'entreprisetextile INDUYCO de Madrid ; l'occupation de 30 jours aux PORCELANAS TANG ; la grèvede 1 12 femmesde ménage et six hommes de l'hôpital de Barcelone ; la lutte menée par les travailleusesde Sandoz, de Barcelone et une longue liste d'autres mobilisationsont été faites par des femmes. Le féminisme et les moyens de communication sociale :
La presse a été, jusqu'à présent,le principalmoyen de communication auquel nous avons pu accéder, bien qu'on nous ait aussi entenduesà la radio et à la télévision.Vindicación Feministaa présentéau mois de juin la maison d'édition Ediciones de Feminismo,avec son premierlivre : «En enfer» de Lidia Falcon, et cela a coincide avec l'anniversairede la premièrerevueféministe depuis 40 ans. OPCIÓN, éditée à Barcelone,a vécu 6 mois. MUJERES LIBRES a reparu en mai, comme porte-parole des femmes libertaires. MUJERES EN LUCHA est le bulletinde la Coordination Féministede Barcelone. DONA est édité par la Vocal ia de Mujeresdel CentroSocial de Sants. De plus, chaque organisationa son bulletinqu'elle diffuseselon ses moyens. Tribuna Feminista, collection de l'éditeur Debate, a publié déjà plusieurs titres : Ma vie, d'Isadora Duncan, Les messagères,d'Evelyne Le Garree...et en prépareplusieursautres. Les femmes s'organisent
Du point de vue organisationnelle plus importantest, d'une part, la configurationdes différenteslignes idéologiques à l'intérieurdu mouvement féministe,d'autre part l'apparitionde groupes de femmesdans tous les coins de l'État espagnol, autour de plate-formesminimalesde lutte. Il n'y a pas eu de mois où ne soit arrivée à Vindicación l'informationde la création d'un nouveau groupe féministe.Ainsi nous avons l'Associationde Guipúzcoa pour
88 la Libérationde la Femme, le PremierCollectifde Lesbiennesdu Pays Valencien, l'Association Gallega de la Femme, l'Association ségovienne pour l'émancipationde la femme,l'Union pour la Libérationde la Femme, l'Organisation Féministe Révolutionnaire,l'Union des Femmes du Haut-Aragon, l'Association des Mères Célibataires, LAMBROA (Lutte anti-patriarcaledes femmesde Biscayeorganiséesautonomes)... et tant d'autres. Centres de réunions pour des femmes :
LIBRERIA DE LES DONES et DONA sont deux librairiesqui fonctionnent depuis quelques mois à Barcelone et Valence, respectivement,et qui envisagentquelque chose de plus que la vente de livres.«Nous voulons, disent les femmesde DONA, être un centre de soutien et d'impulsion du mouvementféministeen pays valencien». Pour Noël elles ont organiséune exposition de tapisseries,céramique, tableaux, réalisés par des femmes,et elles ont mis en vente les premiersagendas féministes. La SAL, bar féministede Barcelone,est un autrecentreoù les femmes peuventse rencontrer.Il y a un tableau d'affichageavec une bourse du travail, une bibliothèque féministeet on y organise des cours, des débats, etc.. 1978 La lutte féministecontinue : Amnistiepolitique pour la femme,avortement, divorce, débat sur le Secrétariatà la condition féminine,viol, loi de «dangerosité»sociale, sont des sujets brûlantsavec lesquels nous commençons une autre année de notrehistoire.
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«LES FEMMES COMME CLASSE» (Collectifféministede Barcelone,Septembre 1976) On a toujours dit que la situation de la femmedans les pays socialistes était le résultat de la persistance d'une idéologie bourgeoise qui semblait difficileà éliminer,malgréles changementsstructurelssurvenusavec la révolution socialiste, et qu'à cause de cela subsistaientcertains fétichesidéologiques, des préjugésetc.. qui exigentune longue période de transformation. Selon la méthode du matérialismedialectique, il n'est pas possible qu'après des années de révolution il subsiste une idéologie réactionnaireau sociale transformeen même sujet de la femme,puisque toute transformation temps la conscience de l'homme (la matièreformela conscience et la conscience transformela matière). Structureet superstructuresont deux aspects d'un même événement. Pourquoi, après que la structureéconomique du pays ait changé, l'hommeet la femme perpétuent-ilsla structurefamiliale,l'idéologie, la structurebourgeoise ? Quelle est la cause de cette oppression ? La réponse est simple : l'exploitation économique ; et la racine de cette exploitation réside dans la famille.
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89 La familleest la premièrestructureéconomique qui exploite la femme. Pour le seul fait d'être femme,on assigne à la femme deux rôles dans la famille : le travail domestique (entretiende la force de travail),et la reproduction («la reproductionest une formede production», Marx). La femme dispense attention et soins aux membresde sa famille,afin d'entretenirla force de travail, dont tout système économique a besoin. (Les entretenir signifieles accueillir, les protéger,les soutenir, les habiller, les nourrir,les blanchir,les aimer et leur transmettreles valeurs dominantes,etc.). Ainsi, par la place qu'elle occupe dans la production,la femmese définitcomme classe. Une classe se définitpar sa place dans la production,ses rapportsavec les autres classes, le mode de production dans lequel elle s'insère,et par le rapportde ce mode de productionaux autres modes de production,en plus de certainesconnotationsculturelleset idéologiques. Nous pensons que le concept de femme bourgeoise est faux, étant donné qu'est bourgeois celui qui possède et exploite les moyens de production : la femme,sauf raresexceptions, ne les détient pas. Si l'on se réfèreau trainde vie, la situationde la fille,de l'épouse ou de la sœurdu bourgeoisest plus confortable,mais c'est une somme de biens de consommation,et non de production. Et les différencesde niveaude vie entreun ouvrierespagnol et un ouvrier suédois sont évidentes (encore plus pour un ouvrierafricain !) et pourtantils n'appartiennentpas à des classes différentes. Valeur du travail domestique.
«La valeur de la force de travail se détermine,comme dans le cas de toute autre marchandise,par le temps de travailnécessairepour la production, et par conséquent la reproductionde cet articleparticulier...ainsi donc, le temps de travailrequis pour la productionde la forcede travailse réduitau temps nécessaire pour la production de ses moyens de subsistance» (El Capital). «L'ouvrier doit travaillerpour le capitalistependant le tempsdéterminé par le contrat de travail.Or, en travaillant,en agissantsur la nature,l'ouvrier dépense une certaine quantité de force musculaire, nerveuse, cérébrale, c'est-à-direune certainequantité d'énergie. Mais pour conserversa force de travail,il doit reconstituerchaque jour l'énergiedépensée. Et pour cela il devra consommerune certainequantité de biens de consommation: aliments,linge,logement,etc.. D'autre part, il est nécessaireque cette forceafflueconstammentsur le marché,et pour ce faire il est nécessaired'assurer la multiplicationnaturelle des ouvriers.Le travailleurdoit avoir les moyenssuffisantspour entretenirsa famille. Si un ouvriera une femme et cinq enfants,et que le salaire qu'il reçoit suffitseulementpour qu'il s'achète sa propresubsistance,il est évident qu'il répartiraces moyens entre toute sa famille,et ne pourraainsi récupérer toute la force qu'il a dépensée. C'est pourquoi l'entretiend'une famille moyenne doit être compris obligatoirementdans la valeur de la force de travail» (Marta Harnecker). L'entretien de la femme varie selon les circonstances historiques, géographiques et selon le statut du mari. Celui-ci détermine en dernière instance,la rétributionde la forcede travailde celle-ci. La femme travaille pour sa subsistance,et le travail qu'elle effectue pour le reste de la familleconstitue un excédent dont bénéficietoujours le mari,le fils, le père, etc.. (l'homme), et, si la femmeest salariée, le mode de productiondominant.
«OPPRESSION DES FEMMES ET LUTTE FÉMINISTE» (Collectifféministede Madrid) Introduction Aucune oppression n'est «naturelle» ; toute discrimination obéit toujours à des causes déterminées,et la seule façon d'en finiravec elles est de supprimerces causes. Le féministeradicalsurgitprécisémentquand le mouvement féministeenvisage la nécessitéde trouverla racine de l'oppressiondes femmes.Ce n'est qu'en connaissantla cause ultimequ'on pourrasavoirquelle est la solution,et de quelle manièreil est possible d'y arriver. Les structuressociales sont complexes et dans la vie pratique nous ne pouvons percevoirses effetsexternes.Pour connaître leur mécanismeinterne il faut une analyse profondeet scientifique.Jusqu'à maintenantla seule méthode valable dont nous disposons pour analyserscientifiquementles structuressociales est le matérialismedialectique, c'est pourquoi le féminismeradical développe son analyse en utilisantcette méthode. Le filconducteurqui permet d'expliquer les idées et les comportementssociaux, ainsi que les institutionsjuridico-politiques,est la manière dont les hommes produisentles biens matériels.C'est la structureéconomique de la société qui détermineles idées et les institutionsqui les régissent. Dans le cas des femmes,il faudrachercherla cause de l'oppressiondans leur forme de participationà la productionde biens matériels.Etant donné qu'il s'agit d'une oppression spécifique des femmes et commune à elles toutes, la structureéconomique qui la déterminene peut être que celle à laquelle elles participenttoutes : la famille. Il ne faut pas oublier que l'origine de l'oppressionfémininecoincide avec l'établissementde la divisiondu travail en fonctiondu sexe à l'intérieurde la famille. La famille,unitéde production La famille, présentée par l'idéologie patriarcale comme le noyau de coexistence «naturelle», a toujours rempliune fonctionéminemmentéconomique. Historiquementet étymologiquement,la familleest une unité de production. Depuis ses origines,l'unitééconomique familialeest restéeune constante à traversles étapes historiquessuccessiveset se maintientdans toutes les sociétés aujourd'hui existantes. La production familiales'est adaptée aux différentes formations sociales et systèmes économiques, lesquels ont toujours profitédu travailgratuitdes femmesau sein de la famille,en même temps qu'ils l'utilisaientcomme circuitde transmissionde l'idéologie dominante. La production familiale dans la société capitaliste : le travail domestique
Le travailde la femmeau foyerest intégréen deux parties fondamentales : la reproductionde la force de travail (maternité)et le maintiende la forcede travail(tâches ménagèreset soin de la famille). 1. Reproductionde la forcede travail. La reproductionde la force de travailse chiffrepar la grossesse,l'accouchementet l'élevage des enfants.Diversesthéoriesremettenten question
91 le fait que le reproductionde l'espèce soit un travail. Elles nienttout son aspect social et la relèguentdans la sphèreprivéedu couple. Cependant,dans le secteurcapitaliste,on attribueune valeur et un prix à ces mêmesfonctions: aussi bien les tâches de nourriceet de puéricultrice,que la grossesseou l'accouchement,ont une valeur quand ils entrentsur le marché.Ces fonctionsne sont pas des faits naturels(naturel : pur, non abfmé par l'homme) comme on le prétend,mais des faitsbiologiques à caractèresurtoutsocial. La reproductionde l'espèce est une productiondont aucune société ne se peut passer. C'est ce qui explique qu'elle soit soumise à un contrôle si rigoureux. Si on ne reconnaît pas à la femmele droit à disposerde son propre corps, c'est parce que la productiond'enfantsn'est pas un faitprivéde la vie du couple, mais une fonctionsociale, ce qui donne lieu à la manipulationdu corps féminin. 2. L'entretiende la forcede travail Le maintiende la force de travailconsiste en ce que l'on appelle le travail domestique. Il faut distinguer,dans le travaildomestique, deux typesde services: - Les tâches serviles,comme le nettoyagede la maison, les courses, la cuisine, le lavage, le repassage,etc.. On dit généralementque ces travauxne sont pas productifs, parce qu'ils n'ont pas de valeur d'échange (ils ne s'échangentpas contrede l'argent).En tenantcompte de ce qu'un travailproductifest tout ce qui intervientdans l'élaboration d'un produit (objet utile), on ne peut considérerque les servicesdomestiques sont des activitésimproductives. Quand une femmecoud une chemisedéchiréeou cuisine un plat de viande, elle apporte de la valeur d'usage à la chemise ou à la viande, qui acquièrent, ainsi, une plus grande utilité que celle qu'elles avaient avant le travailfournisur elles. En définitive,l'objectiffinalde toute productionest la consommation,et la particularitéde la production familialec'est qu'elle est consommée à l'intérieurde la famillemême, sans que le produit soit médiatisé par l'échange sur le marché,contrairementà ce qui se passe dans la production industrielle.Le fait que le travailde la femmeau foyern'ait pas de valeur d'échange n'est pas déterminépar la naturede ce travail,mais par le fait qu'il se réalise,précisément,à l'intérieurde la famille.Quand les femmes effectuentces mêmestravauxà l'extérieur,elles sont rémunérées. - Tâches érotico-affectives(érotisme, exigence d'abnégation, etc.). La manipulationet l'utilisationdu corps féminin,déjà signaléesdans la reproduction des enfants, s'accentue dans ces «travaux», d'une façon humiliante. L'épouse doit un don total et constant à son mari. Le corps même de la femmese transformeen objet, en se modifiantet en s'adaptant selon les lois de la mode en vigueur. De cette façon la femmeest mesuréed'abord en fonction de sa beauté, son aspect physique étant ce qui lui confère le plus directementune valeur, et par conséquent un prix. Par ailleurs,et à des niveaux économiques déterminés,le mari exige de la femmeune certaine culture à seule fin de réhausserson propreprestigeet son bien-être.L'étudiante n'étudie pas pour pénétrersur le marché du travailnon ménager,mais pour pouvoircomprendreet fairebrillerson mari. Si nous incluons ce type de serviceparmi les travaux domestiques, et le considéronscomme un travail,c'est que ces tâches se valorisentet ont un prix quand elles s'effectuenthors du contexte familial. Ainsi, les hommes doivent payer quand ils recourentaux servicesdes prostituées,des psychiaetc.. tres, des psychologues,des revues,des filmsérotico-pronographiques,
92 Utilisationdu mode de productionfamilialpar le systèmecapitaliste. Plus qu'aucun autre système,le capitalismea lié les femmesà la production et à la productionde biens d'usage à l'intérieurde l'institutionfamiliale. Ce qui explique que la production destinée au marchéest restéeexclusivement aux mains des hommes. De cette façon s'établit une relationhommefemme qui implique une dépendance absolue de la femme,dépourvue de toute autonomieéconomique, par rapportà l'homme. Le travail des femmesdans la familleest indispensableau fonctionnement normal du système capitaliste. Il s'agit d'un travailsocialement nécessaire mêmesi on ne lui reconnaîtpas de valeurd'échange. Le temps consacré à la production domestique est équivalent à celui qui est consacré à la production industrielle.La journée normale d'une maftressede maison avec deux enfantspeut varierde 60 à 70 heurespar semaines (la journée normale d'un travailleurne dépasse généralementpas 45 heures par semaine). De plus la femmeau foyern'a aucune période de repos durantsa vie familiale(ni jours fériés,ni congés). Tout ce que reçoit la femme au foyeren échange de son travailc'est son propre entretien.Si la famille devait acheter sur le marché les services que la femme au foyer lui fournit (restaurants,laverie,garderieet autre) il lui faudraitdébourser une somme très supérieureà celle que la femmeau foyer dépense pour elle-même. C'est-à-direque le travail de la femmevaut beaucoup plus que ce qu'elle dépense pour elle-même.Ce qui signifiequ'elle effectueun travailexcédentaireet que par conséquent,elle est exploitée économiquement. Le travailde la femme au foyer fournitau mari un niveau de vie supérieurà celui que la valeur de sa forcede travaillui permettraitd'atteindre. Pour atteindrece niveau le travailleurà besoin de la production familiale, c'est pourquoi il a intérêt à la maintenir.Ceci favorisele capitaliste, qui bénéficiede cette situation. Un autre bénéfice fondamental que le système capitaliste gagne au maintiendu mode de productionfamilial,est qu'il peut disposer à tout moment d'un volant de main-d'œuvrede réserve,qui sera utilisé selon les besoins du moment. L'incapacité du capitalisme à absorber le travailsalaré de toute la population se résout en maintenantà la maison la moitié de celleci. Les femmessont appelées à la rescousse dans les périodes de baisse de main d'œuvre,et à nouveau renvoyéesdans leursfoyersaux périodesde crise. Enfin,la familleest utilisée par le capitalismecomme unité de consommation, servantde destinataireà une grande quantité de marchandisesqui doivent être distribuées(électroménager,produitsd'entretien,décoration...). Répercussions sur le travail salarié de la femme.
Les femmesqui vont travaillerdans le secteurcapitalistele fontdans un état d'inférioritéde condition,parce qu'elles doiventveiller,d'abord, à la production familiale.Elles ne peuventaccéder qu'à des postes et des secteursdéterminés,ceux que l'on considère comme compatibles avec la fonction de maftressede maison. Ces travaux ne sont qu'un refletsur le monde extérieur des tâches de la femmesau sein du foyer (travauxménagersou maternels). De cette façon la femmesalariée se trouvesoumise à une tripleexploitation :
93 - par l'entrepriseou l'État, comme salariée, tout comme le salarié homme ; - à double titrepar l'entrepriseet l'État,comme travailleusefemme(à travailégal, salaire inégal, inégalitédes chances de contrat,de formation,de promotion,impossibilitéd'accès à des postes de responsabilité); -comme femme au foyer, puisque sa participation au marché du travailne la dispense pas d'effectuerson travailau sein de la famille. Conséquences idéologiques et juridiques La structureéconomique familialedéterminel'existenced'une idéologie qui adapte les comportementset les idées des femmeset des hommesà leurs rôles respectifs.Elle détermine,ainsi, l'existence de lois et d'institutionsqui règlentces comportements. L'idéologie engendrée par le système de production déterminedeux rôlessexuels différenciéset stéréotypés,le «féminin»et le «masculin». Le travail domestique devient le «destin» de la femme. Les petites fillessont éduquées dès leur prime enfance à aider aux tâches ménagères,ce qui est considéré comme un apprentissagepour leur futuremission. On exige de tous les membres fémininsde la famille la collaboration, sous la surveillancede la maîtressede maison, aux tâches domestiques, leur participationétant considérée comme naturelle. Le «destin» de femmeau foyerest commun à toutes les femmes,quel que soit le niveau économique de la familleà laquelle elles appartiennent.La différenceentre les rôles d'une maîtressede maison de famillebourgeoiseet d'une maîtresse de maison de famille prolétaire réside dans le fait que la premièrese limiteà des tâches de représentationet d'administration,tandis que la deuxième cumule les tâches d'admninistrationet l'exécution du travail. Pour adapter et réglerle comportementdes femmesà ce «destin», la société patriarcaleprocède par : - une éducation discriminatoireen fonctiondu sexe. Dès la petite enfance, les fillettessont adaptées à leur rôle au moyen de jouets, copies des instrumentsde travailde la maîtressede maison (cuisines,ustensilesde beauté, poupées...). Pendant la période scolaire on leur impose des stéréotypes sexistes par les livres,les textes, l'éducation séparée et les disciplinesspécifiques. A l'heure d'acquérir des connaissances on donnera la préférenceau garçon, et en tout cas la fille sera acheminée vers des études de type auxiliaireou décoratif. - une législation qui discrimineles femmes. On réprimetout ce qui attente à la structurefamiliale (contraceptifs,adultère, avortement). Dans le secteur du travail, on protège chez la femme la fonction de femme au foyer,ce qui nuit à sa situationde travailleuse(congés de maternité,interdictiond'effectuercertainstravaux). Nécessitéd'une alternativeféministe L'analyse de la familleque nous venons d'effectuernous amène à cette conclusion : - La famille,comme unité de production,est la base de la consolidation de l'idéologie machisteet du maintiende la société patriarcale. - Avec l'abolition du mode de production familialdisparaîtrala cause de l'inégalitédont souffrela femmepar rapportà l'homme.
94 En conséquence : - Nous rejetons aussi bien la société capitaliste que les dites «socialistes» existantactuellement,puisqu'aucune ne meten question l'existencede l'unité de productionfamiliale,ni, par conséquent, la divisionsexistedu travail. - Nous proposons un nouveau systèmeéconomique planifiéà partirde la socialisation féministedu travail domestique et du soin et de l'éducation des enfants. - Nous savons que cette transformation du systèmeéconomique amènera un changement des valeurs culturelles et morales. En particulieron établira une différenciation sociale entre les possibilitésbiologiques de reproduction et la sexualité. Ceci conduira à l'extinctionde la famille,et de nouvelles formesde coexistence,basées sur l'égalité,naîtront. (Textes traduits de l'espagnol par Elisabeth Etienne).
Rectification... Dans Questionsféministesn° 3, p. 113 (présentation des documents«Les Basextraitsde Isis International Bulletinn° 5), il Rouges,la gauche,le féminisme» fallaitlire : «... les Bas-Rouges, danoisprésentà qui étaitle seul groupeféministe cetterencontre», et non,biensûr,«le seulgroupeféministe présent...»!!
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LIVRES
L Italie au féminisme,recueil de textes sous la responsabilité de Louise VANDELAC, Paris, Éditions Tierce, 1978, 251p. Particulièrement dans ces dix dernièresannées, on a vu paraître une floraison d'ouvrages sur «les femmes en Chine, en Bolivie, en Dordogne du Nord, etc.». L Italie au féminisme est tout autre chose : ce dont il est question, et exclusivement,c'est du mouvement féministe actuel. Simple, non ? Et d'une nécessitéévidente ; si évidentequ'on est surprise, après l'avoir lu, de réaliser que c'est une «grande première»,qu'un tel document n'existe tout simplement pas, à l'exception peut-être du livre - mais il «date» déjà - de Rolande Ballorain sur «Le nouveau féminismeaméricain», pour aucun autrepays. On pourrait définirles féministes comme se nourrissantparfois d'amour «napolitaine» et d'eau fraîche, acces-
soirement de pain et de roses, mais friandes par dessus tout de rencontres internationales. L'internationalismeest un des caractèresles plus marquants du nouveau féminisme. Internationaliste, le mouvement féministe l'est à plusieurstitres: - D'abord historiquement.Un des traitsles plus remarquables,et les moins remarqués, de la renaissance du féminisme dans le monde occidental, est l'extraordinaire coincidence historique par laquelle, sans se concerter puisqu'elles ne se connaissaient pas, des femmes ont décidé, dans le même moment et à des milliersde kilomètres de distance, de former des groupes autonomes pour leur libération.Ce fait est plein d'une significationpolitique ignorée jusqu'à ce jour, puisqu'il a été gommé par la création - par qui ? d'une légende mensongère selon laquelle le mouvement de libération des femmes en France par exemple, aurait été inspiré - sinon imposé par l'Amérique - et pourquoi pas la C. I.A.?
96 - Ensuite structurellement et politiquement ; car quand ces groupes surgissent,à la fin des années 60 en France et aux U.S.A., un peu plus tard en Angleterre, dans les pays Scandinaves et en Europe du Sud, ils se situent tous spontanément : - hors du jeu des institutions: dans la contestation extra-parlementaireet la tradition de l'action directe; - hors du cadre des institutions : résolus non à l'amélioration de la «condition féminine» mais à la suppression pure et simpled'une telle chose. Et ce changementde ton est indiqué par le terme choisi : libération. Ce mot, qui fait référenceaux luttes de libération nationales, implique que les femmes se considèrent comme un peuple, comme un peuple opprimé, comme un peuple opprimé politiquement. Et ces trois concepts, indissolublement liés dans le terme «libération», constituent les mots-clés, les pôles idéologiques d'où vont rayonner aussi bien les divergencesque les directions ultérieures. Ainsi, indépendammentde la volonté consciente de ses participantes, le mouvement féministe est-il, dès le départ, de fait, international.Mais, de surcroît, les mouvements sont internationalistes. Cette internationalitéde fait est perçue et consciemmentpoursuivie par les féministesdu monde entier ; on pourraitdire que la perception qu'il y a plus en commun entre une française et une italienne qu'entre une française et un françaisfait partie des intuitions politiques fondamentales - i.e. qui ont fondé - chaque mouvement «national». De fait, les rencontresentre féministes de pays différentsne se heurtent qu'à des obstacles matériels : l'argent, la langue. Mais il n'y a pas, dans le féminisme,ce qui existe par exemple dans le mouvement ouvrier : coïncidence entre des positions politiques et des frontières, apposition d'une étiquette nationale sur des divergences. Il n'y a pas une conception française du féminismeet une conception italienne du féminisme,pour la bonne raison qu'en France ou en Italie
(ou en Angleterre,en Hollande, etc.) il n'y a pas un féminisme.La principale raison en réside sans doute dans la bienheureuse absence d'une organisation pyramidale hiérarchique susceptible d'imposer une ligne et de la baptiser«nationale». Quoi qu'il en soit, le fait est là : la communication est aisée entre féministes de différents pays, quand elles se parlent.Le problèmeest qu'elles ont du mal à se parler - tout au moins d'une façon collective (car, individuellement, la chose est relativement facile ; il est même plus facile, ces jours-ci, si l'on parle anglais ou italien, de rencontrer une anglaise ou une italienne qu'une féministede Quimper ou de Lons-le-Saunier,mais ceci est un autre problème). Aussi la communication par Vécrit est-elle primordiale au plan international,encore qu'elle soit capitale (voir supra) entre femmes parlantla même langue et vivantdans le même «pays» (le mot a du mal à sortir, me hérisse à chaque fois, car je pense que, comme les prolétaires,les femmes n'ont pas de «pays» ; mais ceci aussi est un autreproblème). Les féministesont besoin de savoir ce qui se pense, ce qui se dit, ce qui se fait ailleurs,dans les autrespays langues. Et certes la presse féministe régulièrey contribue - si nous avons quelque idée du féminisme italien, c'est depuis qu'Histoires d'Elles et F Magazine existent. Mais quelques articles ici et là, disséminés au cours des mois, s'ils peuvent «donner une idée», ne peuvent pas restituerl'image d'un mouvement entier,dans sa profondeur historique, dans la multiplicité de ses groupes, de ses pratiques, de ses positions. Mais quel ouvrage le peut ? Si rien de moins que cela ne peut satisfaire, tout cela est quasiment impossible à réaliser. C'est sans doute pourquoi cela ne l'a pas été jusqu'à présent, pour-
quoi ¿Italie au féminismeest, à ce
jour, unique. On réalise la téméritéde l'entrepriseen lisant que ni le collectif du G.R.I.F. ni Louise Vandelac n'en avaient, au départ, pris la mesure exacte ; qu'elles pensaient faire tenir
97 en 100 pageset en 6 moisde travailce position de textesne sauraitavoirce qui a demandé240 pages et 2 ans de résultatilluminant.C'est une présentravail.Et il est assez extraordinairetationorganisée,une expositionpensée italien.Et si ce but est que, voyant le projet déborderson du mouvement cadre, L. Vandelac ait abandonnéle atteint,c'est qu'il a été visé dès le déécritspour cadre et non le projet,commela plu- part.Des textes«internes», part d'entre nous l'auraientfait, ou des italiennesdonc supposantconnusla plutôt qu'elle ait fabriquéun autre situationitalienneet le contextepolicadre : lutté pour le temps,et pour tique italien,auraientlaissépour nous l'argentqui l'achète, nécessaireà la de grandstrous d'ombreet d'incomcompletiondu projet.Je ne lui donne préhension.Tous ces textes ont été tort que sur un point : c'est quand écritspar des italiennesmais spécialeelle trouve «ce recueil [...] très in- ment pour ce livre,c'est-à-direpour pour des noncomplet», et s'accuse de n'avoirpas nous, ou pluslargement, C'est un travailénorme,mais le rythme du italiennes. «réussià suivrevraiment mouvementitalien, dans ses contra- un tel enrichissement pour toutesles féministes dictionset seshésitations...». qui le liront,en France,et Un recueil est toujours incom- ailleurscar j'espèrebien qu'il sera traplet. Mais celui-ciest aussi satisfaisant duit dans d'autres langues, que les qu'on puisse le souhaiter.Tous les «compagne»italiennespeuventse dire textes sont intéressants; non seule- que cela en valait la peine. La seule ment aucun n'est ennuyeux,mais au- questionqui se pose est : quandfaisonscun n'est redondant; chacundit quel- nous la même chose pour les autres ? que chose d'autre, et aucune page mouvements CD. n'est inutile.Si, en dépitde cela, il se du tous les mouveaspects peut que etje mentitalienne soientpas couverts, n'en sais rien, alors ce sera fautede pages,et non parceque leurcontenune Dans la meseraitpas assez diversifié. sureoù on peut en juger,ce recueilinclut autantde points de vue qu'il est matériellement possibled'en inclureen re240 pages.Ces pointsde vuesont-ils ? Cela est difficileà dire présentatifs on peut,en com- HerculineBarbin dite Alexina B, doa priori.A posteriori, parantet en recoupantles uns par les cuments présentéspar Michel Fouten- cault, Paris, Gallimard,1978, 160 p. autres les textes des différentes dances,percevoirquels sontles «points (Coll. «Les viesparallèles»). : et il chauds»,les sujetsde divergence intéressembleque sur ces questionsprincipaCe dossierextrêmement de sexe les, aucune positionn'ait été écartée, santse rapporteau changement ou au contraire, officield'un individuhermaphrodite, privilégiée. Après avoirlu ce livre,on com- qui vécutau XIX* siècle(1838-1868) ; prend mieux les informationsfrag- ü comprendle récitpar Herculinede sa et mémentairesque l'on a eues par ailleurs; vie,des documents administratifs ainsi sur les femmes«autonomes»ou dicaux qui attestentet justifientson d'état civil. La vie d'Hersurla campagnedu salairepour le tra- changement vail ménager.On les comprendmieux culine fut marquée par une rupture parce qu'elles sont replacéesdiachro- importanteet exceptionnelle: idenniquementdans l'histoiredu mouve- tifiéedepuis sa naissancesous le nom dansl'éven- d'Adélaïde HerculineBarbin,elle dement,et synchroniquement taü des tendances.Et ceci montreque vintà l'âge de 21 ans, pourl'étatcivil L'Italie au féminismeest bien plus et la société,Abel Barbin.Son passage qu'un «recueil»,car une simplejuxta- de l'un à l'autresexe,ce futelle-même
98 qui le demanda,et c'est le pouvoirmé- de sexuationx ou y. Car la différence dical qui en prononça la légitimité. sexuellese pose commeune alternative L'enfantavaitété à la naissancedéclaré obligatoire.Abel doit être hommeou de sexe féminin.Quand les médecins femme,il ne peut prétendreà (ni se lui-mêmeau traversde) la examinèrent Herculineà l'âge adulte, représenter ils la décrivirent en revanchecomme double appartenancesexuelle.E. Goudotée d'un double appareil sexuel : jon est catégoriqueà ce sujetdansson elle avaitune vulve,des grandeslèvres, rapport sur Herculine : «L'herman'existepas chezl'hommeet un urètreféminin; il avait une sorte phrodisme des corps ovoides, les animaux supérieurs»(p. 150). de pénisimperforé, un cordon de vaisseauxspermatiques Bien qu'elle soitici particulièrement dansun scrotum divisé. evanescente,du faitde son ambiguïté, c'est pourtantl'anatomiequi va jouer et dejustificatif. Elle • La premièrequestionqui se pose le rôle de réfèrent est : sur quels critèresAbel fut-iljugé est enserréedans une certaineidée de homme, alors que sexuellementpar- l'«homme», de la «nature» masculant, écriventles médecins,il pouvait line, dontle caractèred'évidences'imle pose pour affirmer que le comporte«jouer dans le coït indistinctement rôle de l'hommeet de la femme»,et mentsexuela bien un rapportavecles qu'il était «stériledans l'un et l'autre organesgénitaux; plus,que la présence cas» (p. 143) ? Il sembleque ce soit d'un élémentphysiologiquemâle enune conduitesexuelle deux typesd'éléments: l'un est soma- traînefatalement tique,c'est la présenced'un liquidede d'«homme». C'est dire que l'homotypespermatique (présencepostuléecar sexualité- tant masculineque fémiévala difficultéd'identification chimique nine - se trouvecomplètement des corpsorganiquesà l'époque,jointe cuée de la réflexion: seule la difféà la méconnaissance- toujours ac- rence anatomiquedes sexes peut soustuelle - des sécrétionsféminines, ren- tendrel'attirancesexuelled'un individent la certitudeimpossible); l'autre du versun autre.L'anatomieva donc est comportemental,ce sont «ses ici jouer le rôle de véritéultime: caelle goûts, ses penchants»qui «l'attirent chée au plusprofondde l'individu, versles femmes» (p. 140). Pourle méde- va se révéler- coup de théâtrecin E. Goujon,c'est cet élémentcom- commele garantde la normehétéroportementalqui permetde dépasser sexuelle.On voit les enjeuxfondamenl'ambiguïtéanatomiqued'un individu taux d'un «cas» comme celui d'Heret d'interpréter son identitésexuelle: culine. «II se révèleen effetà ce moment, chez • La deuxièmequestionqui se pose ces gensqui ont été victimesd'une erreur,des penchantset deshabitudesqui est : commentlirele récitqu'Herculine sontceux de leurvéritable sexe,et dont donne de sa vie ? En effet,Herculinea l'observationaideraitconsidérablementécrit ses souvenirsaprès coup : d'une à marquerleurplace dansla société,si part,elle avaitacquisun nouveausexe, l'état des organesgénitauxet de leurs de l'autre elle connaissaitun grave différentes fonctionsn'étaitpas suffi- échec social et ne voyaitplus de salut sant pour arriverà ce but» (pp. 149- que dans la mort.Tous ses souvenirs de ces deux éléet se sont tamisésau travers 150). Ainsi,ce qui se traduirait, au-delà de l'anatomieet en ments.La lecturequ'on peut en faire trahirait, dépit d'elle, c'est un instinctsexuel est donc très difficile,car il faudrait dont la lecturepermettrait, où est intervenu le processeule, de déterminer déterminer l'identitésexuelled'un indi- sus de projectionsurle passéd'unsavoir vidu.C'est donc une certaineidéologie sur soi acquisà l'âge adulte.Cetteprode la différence dansdes sexuelle,des catégo- jectionestaisément perceptible riesdu «masculin»et du «féminin», qui remarquessur son enfance,tellesque : va organiserla perceptiondu compor- «J'avais,dès cet âge, un éloignement du monde,commesij'avaispu en termes instinctif tement,et sa caractérisation
99 comprendre déjà que je devaisy vivre pagnes.Elle n'aimaitcertespas les traleurpréférant la lecture; étranger»(p. 9). L'idée d'une malédic- vauxd'aiguille, tion originellesemble n'être que le elle avaitune sensualité un éroardente, du constatd'échecpré- tismeactif: par tous ces caractères, elle correspondant sentet réalisted'Herculine: «Ma place s'éloignaitde la féminité traditionnelle. n'étaitpas marquéedansce mondequi Mais cela frappaitsi peu que ni ses me fuyait,qui m'avaitmaudit»(p. 9). maîtressesni ses compagnesne s'en Elle n'avaitpas à se poLa seulelecturepossibleest de prendre formalisaient. en compte le comportementet les ser la questionde son identitésexuelle, pensées qu'Herculinerapportequand puisquefemme(sociale)elleétait. en les consielle a une identitéféminine • Alors,commentHerculinea-t-elle dérantdans la logique de sa place soson identité ciale de femme. D'ailleurs c'est ce été amenéeà reconsidérer presque sexuelle ? C'est lorsque le problème qu'Herculinefaiten employant exclusivementle fémininquand die de son activitésexuelle,et plus précisément de son activitégénitale,s'est parled'elleà cettepériode. ? posé. dired'Herculine Que pouvons-nous très expressive Dès sonjeune âge,Herculineest très Elle a une affectivité elle versles femmes.Elle a avecelles attirée ses d'école ; compagnes pour éprouveun certainnombrede «sensa- (elles ont entre elles) une sensualité tions», indicibles«car elles dépassent diffuse,une relationchaleureuseque les limitesdu possible»(p. 22). A l'égal les éducateurssemblaientfortbien tode nombreusespetitesfilles,ne dispo- lérer.Probablementdevaient-ils percesa voirles rapportsentrefemmesdansun santde guèrede motspourapprocher sexualité,elle se trouvaitconfrontée registresexuel mineur,la vraie sexuaà des sensationsqu'elle ne comprenait lité se concentrant pour eux dansl'hédanssoncorps, térosexualité.L'amour «sensitif»était pas. Ce qu'elleressentait et réprimé, et le re- toléré ; ce qui étaitinterdit elle ne pouvaitle symboliser c'était le «coucherdans le mêmelit». Qu'elle n'ait pas ses règlesà présenter. l'âge de 17 ans étaitcertes,commeelle Le statutde cet amourentrefillesse le dit, «peu naturel»(p. 26), mais ni résumepar le propossuivantd'une resle médecin (qui attendait tout du ponsable d'institutionà deux jeunes temps) ni elle (qui n'en était «nulle- fillesqui s'aiment: «Vous vous aimez menteffrayée»)ne s'en préoccupaient beaucoup,j'en suis pour ma part très outremesure.Elle se trouvait physique- heureuse,mais il est des convenances de ses compagnes; son que mêmeentrejeunesfilleson esttenu mentdifférente teintd'une «pâleurmaladive»,la «du- d'observer»(p. 66). Le «sexuel» était retéde ses traits»,le duvetqui couvrait donc d'une part rapportéà l'hétérosa maigreurla gê- sexualité et au mariage,d'autre part sa lèvresupérieure, naient; mais,plus qu'à la catégoriedu posé comme possible entre femmes, féminin,c'est à la jeunesse qu'Hercu- maisdansl'interdit. Un momentimportant lineréfère: «... je n'avaisni cetteallure pour Hercuun soir d'orage.Elle se pleine d'abandon,ni cette rondeurde line intervient membresqui révèlentla jeunessedans sent apeurée, nerveusementexcitée, court toutesa fleur»(p. 34). C'estaprèscoup et dans un troubleincontrôlable aime le lit d'une dans introduit la différence religieuse qu'elle y qu'Herculine sexuelle,ainsi que le montrel'emploi beaucoup. Elle semble avoir là son du masculindans son commentaire: premierorgasme,événement qui la sur«... instinctivement, j'étais honteuxde prend,puisqu'ellen'a pas de motspour l'énorme distance qui me séparait le parler : «... j'étais à cette époque deschoses dansla plusgrandeignorance d'elles,physiquement parlant»(p. 34). La disgrâcephysique d'Herculinela de la vie» (p. 41), et la rend«honteuse». gênaitd'ailleursrelativement peu, puis- Cettehonte semblelogique: Herculine qu'elle ne l'empêchaitpas d'être très est confrontéeà un plaisirqu'elle sait aimée de ses maîtresseset de ses com- coupable,puisqu'ellea éprouvéun émoi
100 de la «chair»en étantdansle lit d'une se vivrecomme«homme». Elle est parde- tagéeentreune volontéde statuquo, et MaisHerculine, commentant femme. puis son nouveaustatutd'hommecet un désirardentde se fairereconnaître une en tant qu'homme.En possédantune évidemment événement, y introduit n'a-t-elle autre dimensionen suggérantqu'elle femme, pas prouvéqu'elleétait ses compagnes homme? Alors,selonl'équationformuavaittrompétriplement et sa supérieure: en ayantun plaisir, lée par E. Goujon, ne doit-ellepas alors que tout le monde la croyait acquérir la place sociale d'homme seulementeffrayée, en ayantun plaisir qu'impliqueson comportement sexuel sexuelalorsqu'elle étaitcenséene rien d'homme? Herculinerêve à une norsavoir du sexe, en ayant un plaisir malisation,et se représentecomme sexuel «masculin»alors qu'elle était géniteur: Époux et Père.Elle réinstaure aux yeuxde toutesune femme. son identitésexuelle en reprenantle L'éveil génitald'Herculinese faitce stéréotypede la virilitéque véhicule soir-là.On peut supposerque l'identifi- l'idéologie de la différencesexuelle. cation psychique à un personnage Elle se représente qu'elle a été de tout masculin- qui était déjà constituée temps dominée par un «instinct»et depuisplusieursannéespour elle - se expliquepar lui toutesa viepassée.Elle cristallisealors. Elle se préciselorsque ne se sentpas criminelle d'avoireu des Herculinedevientpassionnément amou- relations«coupables»avec Sara : comreuse de la jeune Sara et souhaiteéta- ment un homme,mis en présencede blir une proximitésexuelle avec elle. jeunesfilles,vivantdansleurproximité, Comme elle pose sa sexualitésur le aurait-ilpu échapperà la loi de l'attimode actif,et qu'elle estconvaincue du rance des sexes ? «Ai-jeété coupable, lien sexualité/mariage, elle s'écrie : criminel,parce qu'une erreurgrossière «J'envieparfoisle sortde celui qui sera m'avaitassignédansle mondeuneplace ton époux» (p. 60). Elle ne peut pen- qui n'auraitpas dû être la mienne?» serla sexualitéhorsdestermesde la dif- (p. 64). «Cette faute ne fut pas la férencedessexeset du mariage. mienne,mais celle d'une fatalitésans L'idée d'êtreun hommeva prendre exemple,à laquelleje ne pouvaisrésiscorpsle soiroù se produitune relation ter!!!» (p. 61). Maisil lui fautaussijustifier le faitde génitaleentreSara et Herculine: «Sara désormais!!... Elle était n'avoirpas été davantagehomme,et m'appartenait à moi !!!...» (p. 61). On ne sait pas c'est à l'éducationqu'elle fait appel : comment s'est faite cette relation «Je ne soupçonnaisrien des passions - Herculine enparleà motscouverts- ; qui agitentles hommes»(p. 41)... «Le on peut supposerque pourréaliser l'ap- milieudanslequelj'avais vécu,la façon donteUeparle(unepénétra- dont j'avais été élevée m'avaientprépropriation tionvaginale),HercuÛnea utiliséce pe- servéejusque-làd'une connaissance qui, tit organedont nous savonsque son sans nul doute,m'eûtpousséeaux plus corps disposaità son insu ; or cet or- grandsscandales,à des malheursdéplola mascu- rables» (p. 41). Autrement gane ne suffit-il pas à définir dit,l'ignolinité ? Alors, en effet,Herculinene rance,jusqu'à l'âge de 17 ans, de ce pouvaitplusse dire,se croire,«femme»: qu'«est» P«homme»,l'a empêchéede «Où trouverla force de déclarerau se conduireprécisément en homme,la monde que j'usurpaisune place, un maintenantdans la pureté,la candeur titreque m'interdisaient les lois divines et l'innocence du monde féminin: et humaines? Il y avaitde quoi troubler l'empêchantde devenirle loup dans un cerveauplus solide que le mien.A la bergerie.Comme si le sexueln'arripartirde ce moment,je ne laissaiSara vait qu'avec l'homme ; comme si les ni le jour ni la nuit!... Nous avionsfait femmesétaient dans leur essence inle doux rêved'êtreà jamaisl'un à l'au- nocentesdu sexuel. Herculinechercheà se fairerecontre,à la facedu ciel,c'est-à-dire par le naîtrecommehomme.Elle y est pousmariage»(p. 62). A partirde ce moment,Herculine va sée par la «penséedu devoirà accom-
101 dans 1activité la Mais on peut distinguer plir» (p. 91) - devoir d affirmer sexuelle des buts différents (pénétrer/ prévalenceen elle du sexe masculin-, careset aussipar le rejetde sa vie passée,de être pénétré(e) ; caresser/être sa féminité: «La honteque j'éprouvais sé(e)...) ; ces composantesexistentchez hommesou femmes, de ma position actuelle eut suffià tous les individus, elle seule à me fairerompreavec un elles varientdans le tempset en foncpassé dont je rougissais»(p. 92). Elle tion des circonstances,peuvent être se sentportéeparun «vastedésirde l'in- dominantesou exclusiveschez un indiconnu» qui la rend«egoiste»au point vidu. Si Herculineavaiteu une identifide la féde lui fairedélaisserSara.Elle voitl'uni- cationpsychiqueau stéréotype verset ses possibilitésinfiniess'ouvrir minitétraditionnelle (femme- passive) si son histoirel'avaitaindevantelle, elle qui était promiseau - c'est-à-dire monde clos des pensionspuis du ma- si constituée-, peut-êtreaurait-elle riage.Elle exulte,elle devientII, croit simplementutilisé son vagin. Si Sara trouverson identitédansl'habit: «...je avait eu une sexualité plus active, tenais mon parapluie sous le bras peut-êtreaurait-elleutilisé ses doigts gaucheet [...] j'avais la maindroitedé- pour pénétrerHerculine.Alorsle petit le dos [...] Mes mouve- pénisimperforé d'Herculineseraitresté gantéederrière ments du reste étaient en harmonie phalliquementlettremorte pour elle. aux traitsdurset Herculineserait restée femme.Si la avecma physionomie, accentués»(p. 101). double appartenancesexuelleavaitété sévèrement Mais la conquêtede la place d'hom- possible,si donc une double identifime ne luivaudraque des déboires.Pour- cation sexuelle avait été assumable, vu dans sa vie de femmed'un poste Herculine aurait peut-être«joué inle rôle de l'hommeet Abel éprouvedes difficul- distinctement d'institutrice, tés à trouverdu travail,et se voitrejeté de la femme»- ce que certainsindividans une solitudede plus en plus pe- dus réalisent.Mais Herculinefutpoussante. Même le travail de valet de sée à faireun choix.D'une part,parce chambrelui est impossible: on deman- qu'elle se trouvaitdotée d'un organe et il ne peutarguerde masculin,alors qu'elle avait une idende des références l'expériencede femmede chambrequ'il tificationmasculine: à la limite,c'est avait eue pendantsa féminineadoles- comme si le fantasmequi organisait cence.Il est coupé de son histoire.Ce son approchesexuelle(dans le système où nous viqui semblelui êtrele plus douloureux, symboliquephallo-centré un certain où il est de possé- vons) se trouvaitrencontrer c'est l'impossibilité der une femme: «Avoirune âme de réel, et que cette coincidencelui perfeu et se dire : jamais une viergene mettaitdu mêmecoup d'accéderà une D'aut'accorderales droitssacrésd'unépoux. conduitenormale: hétérosexuelle. Cettesuprêmeconsolationde l'homme tre part,elle avait ainsi l'espoir d'obaux sociaux réservés ici-bas, je ne doispas la goûter»(p. 103). tenirles privilèges Commesi ce désiravaitcommandéson hommes. du faitde sonanatomie commesi Herculine, rejetde la positionde femme, eut le moyende sortir l'identitéd'hommese donnaitpar l'ap- exceptionnelle, sexuelled'unefemme.Pour- du rangdes femmes; maisAbel ne put propriation tant,n'avait-il pas «possédé»Sara ? Mais devenirun homme. Désespéré,il dut cette possessionn'étaitpas officielle: s'éloignerde l'existencedes êtreshu«Le foyerde la famillet'est fermé» mains : «Je plane au-dessusde toutes vos misèressans nombre,participant (p. HDde la naturedes anges; car vousl'avez • On peut se poser une dernière dit,ma placen'estpas dansvotreétroite passé si sphère»(p. 112). Renvoyéau sexe des questionlimite: que se serait-il Herculineavait eu un érotismeplus anges, c'est-à-direau néant, Abel se passif ? Par érotismeactif ou passif, suicidaà l'âgede 30 ans. j'entends«à butsactifsou passifs»car, M. P. toutesexualitéestactive. par définition,
102 desfemmes, lyse des formes OdüeDHAVERNAS,Z)/wtt juridiques; dansDroits Paris,Ed. du Seuil, des femmes, pouvoirdes hommes,il s'apouvoirdeshommes, 1978, 394 p. (coll. «Libre à elles»). git toutefoisde la seule appropriation privée des femmes: Odile Dhavernas Si, en cas de panneconjugaleou montreque le système légalestl'expresde parenté,on cherchedes sion d'abord,le garantensuite,de l'apde problèmes ce propriation matériellede répouse dans renseignements pratiquesimmédiats, n'estpas ce livrequi peutles fournir. Il le cadre du mariage.A mon sens,il est bien autrechose : une analysedu s'agit là de la face individuelledu Code civilactuel,celui qui, né en 1804, sexage.Car si le patriarcatest l'origine a réussi,de modificationen amende- de l'institution«famille»,qui est au ment, à conserversa cohérencepro- centredu livre,le sexage,lui, est l'apfonde : l'assujettissement des femmes. propriationdes femmes(et pas des En cela il est soutenu(parfoissousl'ap- seules épouses). L'un, le patriarcat parencede la contradiction) par les di- - pouvoirdes «pères»- systèmed'apverscodes sociaux. Sous une page de propriationcumulatifde la force de garde ornée d'une phrasedu divertis- travail,de ses produits,de la reproducsant(?) Chirac,Odile Dhavernasentre- tion,peut intégrer dans sa domination la continuité des co- aussi biendes hommes(de la classedes prendde montrer des juridiques: rien de tel que modi- hommes)- et il ne s'en privepas dans fierpour conserver. Si le patriarcatne les économies agricoles - que des peut plus êtreincarnétoujoursdansun femmes(de la classe des femmes).Le «père» de familleconcret,qu'à cela ne patriarcatassure le pouvoirentreles tienneet gardonsle patriarcaten délé- mainsd'UN (quelques)individu (s) de la mère classe de sexe dominante, non de tous. gantl'autoritéà un autreindividu, par exemple,qui tiendralieu de support Alors que le sexage - pouvoir des concretd'une institution qui demeure «hommes» - n'approprie que des au fondement de la Loi. Si puissante femmes(et toutes les femmes)dans institution qu'elle peut fortbien s'ac- une relationoù l'anatomiesexuellejoue commoderde placerdes femmesanato- un rôle centralcommecaractèrediscrimiques en place des hommeslorsque minantde la classe ; il est l'effectivité c'est nécessairepour maintenirla fa- du pouvoirde chaque individude la mille : «... la famillelégitimepeut classe des hommessur l'ensembledes être monoparentale[...] dans ce cas femmes.Ce pouvoirincluantpourchaune femmesera à sa tête presquesans cun la possibilitéde s'approprier une de sa désagré- femmeparticulière. exception.»Au contraire Mais le projetexplicitedu livre gation, toujours crainte et brandie comme menaçante dans le discours est, clairement,de viserle patriarcat politique de tous horizons,c'est bien et donc l'appropriationprivée. La une consolidationqui advient; conso- familleconjugale,le mariage,apparaît lidation fondée aujourd'huien partie bien en effetcommel'expressionet le sur l'assimilation à la légi- fondementdu patriarcat.Et lorsque progressive timité des formesmarginalesde la Dhavernasdit : «C'est sur l'appropriacelles où, de tion du corps des femmesque repose famille,principalement fait,c'est la mèrequi reçoitla déléga- tout le systèmepatriarcal[...] Il appartiond'autorité. tientau maripour un usage privé...», Deux chapitresdu livreen parti- c'est difficilement contestable; lorsculier («Famille et propriété»et «Le qu'elle ajoute que ce corpsappartient partage des rôles») développentune «à la collectivité pour la reproduction thèseprochede celle exposée dans la de l'espèce», c'est une vue un peu plapremièrepartied'un article(«L'appro- nantecar il semblebien que, ici et aupriation des femmes»)paru dans le jourd'hui,ce soità la classedeshommes n° 2 de Questionsféministes.Le fait plutôtqu'à la collectivité. Cettepropriéque les femmessoient une propriété té n'estd'ailleurspas limitéeà la repromatérielleest montréà traversl'ana- duction,elle concerneégalement, et au-
103 tant,l'entretienmatérielphysique de la classe des hommes. Ces chapitres sur l'appropriation matériellene sont en fait qu'une partie du livre, il aborde bien d'autres problèmes. Et, principalement, les tentatives de ré-appropriation par les femmes de l'usage reproductifde leur corps. La fragilité,institutionnelleet pratique, des conquêtes en matière de contraception et d'avortementmontre que nous en sommes loin encore. Dans l'analyse des formesjuridiques, Dhavernas ne se limite pas au seul Code civil mais intègre les autres codes (travail, pénal, Sécurité Sociale, impôts, etc.) qui sont des révélateursplus concrets et quotidiens des relations entre hommes et femmes.En effet,les droits d'autonomie et de responsabilitépropre qui semblentacquis pour nous si on en croit le Code civil aujourd'hui, ne le sont en fait nullement ; ils sont démentis par ces divers codes sociaux qui en pratique renvoient les femmes à la dépendance. A la dépendance et à la maternité. Car, dit Odile Dhavernas, «nous y découvrons [...] des principes assez différentsde ceux que le droit civil présenteaujourd'hui comme fermement établis» et, ailleurs, «la spécificité de la fonction maternelle,loin de s'estomper pour faire place à une conception qui consacreraitla coresponsabilité et les capacités équivalentes des deux parents, demeure entière» (soulignépar nous). L'hypothèse que l'État est l'expression et le «bras» du groupe dominant est vérifiéeici. Le groupe de pouvoir - la classe des hommes - s'offre, outre l'exercice effectif et quotidien du pouvoir sur les individusdominés,la médiation d'une Institution qui vient affermirtoute formechancelante de ce pouvoir. Les transformationsdu droit permettent même de dire que l'État n'assurepas tantle pouvoir d'un homme concret particulier qu'il ne vise à empêcher absolumentla classe des femmes d'y toucher. Sur la question de l'expressionjuridique que prennent les rapports sociaux de sexe (question pas précisément guillerette),Odile Dhavernas a écrit un
livre qui se lit comme un roman et pose des questions théoriques et politiques fondamentales.
CG.
Leila SEBBAR, On tue les petites filles. Une enquête sur les mauvais traitements,sévices, meurtres,incestes, viols contre les filles mineuresde moins de 15 ans, de 1967 à 1977 en France, Paris, Stock, 1978, 357 p. (Stock 2/ «Voix de femmes»). Ça aurait pu s'appeler : on tue les femmes. J'en suis à la page 67, dans la premièrepartie («Le roman nourricier. Mauvais traitements,sévices,meurtres»), et je sens qu'il faut que je m'arrête. D'abord pour dire que cette avalanche d'«histoires» vraies, cette immense répétition de la misère des femmes - qu'on pourrait résumer grossièrement par «Et ça recommence» -, Leila Sebbar a eu le courage (et le talent) d'en rassembler les éléments, et de l'écrire, d'en faire témoigner,pendant troiscents pages et quelques... Je dis «faire témoigner» car L. S. a voulu, semble-t-il,disparaître au maximum pour laisser parler dossiers et rapports - policiers, judiciaires, administratifs, psychiatriques, médicaux - sur parents maltraitantset enfants maltraités,et surtout laisser parler de leur vie les actrices de ces drames (interviews de femmes et de jeunes filles dans les prisons,les maisons «maternelles»,les foyersd'hébergement,extraitsde la volumineusecorrespondance adressée par des femmes souvent anonymes à Ménie Grégoire, déclarations à la police et à la justice). Je dis «répétition» (de la misère, matérielle et morale), d'abord dans son sens premier. D'un exemple à l'autre, d'une enfant à l'autre, d'une mère à
104 l'autre,on retrouve, presquetoujours: tantes,sont perdues; et l'on voit,je l'enfancemalheureuse, l'abandon,l'As- vois, que ces femmesqui ont «perdu sistancepublique et le placementen la tête», que ces «femmesperdues», nourrice, plus tard l'homme vécu c'est nous, c'est moi. Ce qui se révèle comme recours ou simplement«ac- dans l'horreur de ces petitesfillestuées cepté» («je me suis mariéepour fuir», ou estropiéesà vie,c'estque la position «il estvenu...il m'a emmenée»),l'igno- de femmeet de mère(de femme= mère rancesexuelle,les grossesses- à répé- = fillede mère) est insoutenabledans tition-, l'abandonpar l'hommeou, s'il notresociété.Nous le savons,l'élucidaest là, ses coups,les coups,et le gosse tiondu rapportde femmeà femme,de (l'un des gosses)qui ne veutpas man- mèreà filleet de filleà mère,et la prise de cette ger,ou qui faitpartout,alorseue frappe de positionpolitiquevis-à-vis (ou l'homme)et puis, on ne sait pas questionsont centralespour le mouvepourquoi,on ne voulaitpas, il meurt ment féministe.Alors il me vient à (car, commele dit le médecinlégiste: l'idée que les réactionsd'angoisse(on «L'enfant peut supporterl'hémorra- fermele livrepeu après l'avoircomgieméningée provoquéepluslongtemps mencé...)que j'ai vueschez moiet chez moins qu'un adulte. C'est ce qui fait que plusieursautresfemmesviennent comme on le croitd'abord, l'enfantne meurepas immédiatement peut-être, sous les coups [...] et que les auteurs de l'horreurdevantla descriptiondes ne voientpas le lien de cause à effet»). sévicesaux enfants(au demeurant, ce Mais, à traverscette répétition n'est pas l'essentieldu texte)que de la se profileen réa- toutaussiatroceévidence: voilàce que des vies individuelles, lité la grandeRépétitiongénéraleau Von fait de moZ-femme-mère-petite Théâtredes sexes (et, dans la suitedu fille.Car,en passantà l'acte,ces mères n'ontfaitque porterà son livre,ce sera le Théâtre «du» Sexe maltraitantes (viol, inceste, pornographiesur mi- point d'exacerbationla logique d'un neures...).Donc, le GrandThéâtre: les vécu et d'un discoursde la relation et de la relationhommeDeux Orphelinesmultipliépar cent, mère-enfant Séduite et Abandonnéemultipliépar femmeque noussubissonstouteset que mille, la Mère Indignemultipliépar... nous retrouvonscomme un écho Et c'est pourquoije m'arrête(pour ce familierà travers«leur» histoire.Evidansla longue soir)de lire,caril mevientune crainte: dence de l'enfermement et ambiguede haine/ que cela ne deviennelitaniepourle pu- chaîne répétitive blic du livre,et que bientôton ne s'at- amourentremèreet fille,de haine/métacheplus au sens. Autrement dit,que prisentrebonnemèrenourriceet maudu procédéd'expo- vaise mère naturelle,reconduction, le méritelittéraire inde sition,qui tentede fairesurgirle sens conscienteet affolée,par les femmes des faitsaccumu- l'ordre des choses imposé par les par l'enchevêtrement lés (une «histoire»s'interrompt pour hommes, par leurs hommes notamà une partied'une autre,qui ment. Car les hommessont, dans ce renvoyer bien- «Roman nourricier», renvoieelle-mêmeà la première, lourdementprétôt entrecoupéed'une troisièmedont sents. Bien sûr,il est statistiquement on lira la suite probable dans une et et psychologiquement quatrième,etc.) - que le mérited'au- matériellement thenticitédu procédé,donc, ne se re- «normal» que les sévices à l'enfant tournecontrelui-même: on estun peu soientsurtoutle faitde la mère,puisperdue...On revienten arrière,on ne que c'est elle que le systèmepatriarsait plus ce qui s'étaitpassépourMme cal enfermedans «une relationpsyM...,pourMmeD... chotiqueà l'enfant»,selon la juste exMais alors - nouveau retourne- pressionde Leila Sebbar. Mais ce sur ment,et peut-êtreest-celà le mérite quoi L.S. n'insistepeut-êtrepas sufc'est que le problèmen'est supérieurdu livre- on comprendtout fisamment, d'un coup qu'on est «perdue» parce pas seulementque ces mèresmaltraimaltraitées que (et comme)elles,les mèresmaltrai- tantes ont été elles-mêmes
105 dans leur enfance: c'est aussi qu'elles - on le voit viventquotidiennement dans les récits- la violenceactuelle : le «Moi de la relationhomme-femme je suis moi, et toi t'as qu'à (au sensde «tu dois» et de tu dois avant tout) te démerderavec les gosses» énoncé par l'homme; et cela est d'autantplus frappantà la limitequandl'hommeest absent et/ou ne participepas aux sévices. Les mômes, c'est pas son affaire et si par hasardil rentre(il est déjà bien bon), il veut avoirla paix. Dans tous ces récits,l'hommeest littéde l'Ordreet ralementle Représentant de la morale(c'est-à-diredu contrôle de la femme: qu'elle soitune mère,et pas une putain),et il le dit,et il le fait: il tape, parfois,le gosse (s'il prendla situation«en mains»,c'est qu'il estime que la mèreestune mauvaisemère,une incapable,c'est elle qu'il fautrégénérer à traversl'enfant- au besoinen l'arrachantà la mère ou à la nourrice); il cogne, presquetoujours,la femme, parce que, note L.S., «le père de l'enfantne tolèreni la chargede l'enfantni la libertéde la femme»(p. 121). Les femmes,elles, se cognentà tout ça à quoi elles ne comprennentrien, s'épuisent, s'affolentdes coups, de la peur, de l'abandon de l'homme,s'affolentde la vie... et donnentla mort. la cause (le systèmeque Méconnaissant j'appelleraisviriarcal),elles s'acharnent l'enfant. surle résultat, Et après, lorsqu'ellesracontent ellescherchent leurhistoire, l'originede leur acte dansleurpropreorigine: leur mère, et la rendentresponsable(ma mère,elle m'a abandonnée,je lui avais rienfait...ma mère,ellem'a pas aimée... elle a préféréma sœur,elle a préféré mon frère...elle... elle...). Toujoursla fautedesfemmes, parceque c'estla plus la plusvisible...Les présent(e)s tangible, ont toujourstort.Que leurpèreles ait abandonnéesou ait battu leur mère, ellesle disent,maison voitbienque cela ne leur semblequ'un détail,normal. Que leur hommeou leur mari les ait battues,qu'il les ait abandonnéesmatériellementet/ou moralement,elles le disent,mais ellescroientque c'étaitun Elles ontl'espoirde rencas particulier.
contrerenfinun homme«bien»,qui les «aime», et alors elles seront(elles auraientpu être)une «bonnemère».Aucune de ces femmesne met en doute de l'ordredes valeurset l'organisation Elles ne peuventque les vie patriarcale. reconduire(cette femmeen prisonelle a tué son troisième garçon,et s'est mariée en prison avec le père : «J'ai entenduà la radio,ils disaientque la natalitébaisse.On a décidéqu'on aurait un enfant.Je sais déjà les noms.Mais j'ai peur d'être trop vieille quand je sortirai...», p. 106). Elles ont faitun acte de révolte de la logique logique,mais à l'intérieur du système.Elles se sontrévoltéescontrele signeet la réalitéquotidiennede sansidentifier l'oppresseur. l'oppression, de Elles n'ont pu que se transformer victimeen bourreau(d'où la répression à nouveau,elleset leurs qui les victimise Mais leurs conditionsde vie enfants). sont celles des millionsde femmespiéle tragées entrel'amour,la maternité, vail et les revenusinexistantsou tout comme,dont les plainteset surtoutles silencesfontécho en nous à la lecture du livre. Ainsi,j'ai continuéle livre,continué la lecturede notrevie. Tenez, il y a cette femme.Là, ce n'est plus le là il y a, pourlui toursous-prolétariat, nois de ping-ponget d'échecs, pour . Ce n'est elle séancesde «Tupperware» c'est le et Séduite Abandonnée, plus Grillondu Foyer.Le mariest si «occupé», il a tantde «travail»dansces milieux, il rentretard, les enfantssont déjà couchés,il parttôt,les enfantssont il est ocencorecouchés.Le week-end, conenfermée au La femme, foyer cupé. fortable(car il «donne»de l'argent,un bon mari,quoi), avec ses piècesde tissu et son nécessairede couture,emmène parfoisles enfantsau square,échange deuxmotsavecles voisines,«oui,oui,la petiteva bien» (la petite n'est jamais sortie). Mais l'épouse modèle ne s'alimenteplus,elle s'abandonne,elle abandonne. Les deux aînées mangentce qu'elles peuvent.La «petite»(11 mois) est mortede faimet d'absencede soins derrièrela porteferméed'une chambre correct. d'enfant,dans un appartement
106 la mère aux mailles par les ouies. «Ce qui Avec une attentionménagère, le corpset devait arriverarriva[...] Je venais de minutieusement enveloppera à mourir.» de boîte en placardet commencer le transportera, S'il se peut qu'un petit garçon, de placarden divan,en aspergeant l'aptout commeune petitefille,soitbattu, de désodorisant. partement soit enMais ce qu'il fautlire,c'est com- rencontreun exhibitionniste, mentle mari qui prétendaità la pre- traînépar un pédophileou un sadique moins de mièregrossessequ'un seul enfantsuffi- (par contreil a infiniment sait, quand sa femmeétait contrela chancesd'êtreviolépar sa mèrequ'une commentà la troisième fillepar son père), il s'agit d'un accicontraception, grossesseet alors que maintenantelle dent dans sa positiond'homme,d'un se posait la questionde l'avortement, fait historique transitoire.Pour les les femmes,c'est en tant que femmes montrant il lui a susurré,attendri, deux premières que, de 7 petitesfilles: «Regarde (= à utiliser,par définition) commeelles sont adorables.Si tu avais à 77 ans, elles subirontla structure, fait ça pourP... [la seconde],elle serait l'Ordre: du père,du beau-père,de l'amorte»(p. 118 ; c'estmoiqui souligne). mantde la mèrequi pratiquentsurelle Résultat: «J'étaisenceintede la troi- leurorgasmeen chambre; du petitami sième, j'ai pas avorté.» Inconscience qui la livre,étonnée (eh oui ; elle diabolique du piège patri-viriarcal...croyait qu'elle coucheraitseulement Rappelerà cettefemme,en la personne avec Lui), aux copainspourle violcolde ses enfants,ses scrupulespremiers lectif; de l'hommeaux bonbonsqui la afinque viole dansle parc ; du mari,de l'amant au momentoù ils faiblissent, surtoutelle ne fassepas ce qui la sauve- qui s'en lassentquandilslui ontfaitdes et qu'elle ne le fassepas enfants ; - l'ordre pornographique raitpeut-être, au momentoù elle veutle faire,au mo- contrela femmequ'on étale sous ses mentoù elle allaitprendreune décision yeux,qu'on lui impose. de surviepersonnelle.O subtilevioPour elles les fugues,les tentatives lencedansce couple. de suicide,le licenciementdu travail parce qu'on a des marques visibles, Contrainteet violence,notrelot les meurtresd'enfant,la terreursous le mieux partagé,à nous femmeset les menaces («il me disait que si je petitesfillesqui ne sommesaprèstout parlais,il tueraitmon frère»- qu'elle que machinesà reproduireet à être élève, à 13 ans ; p. 174), devantles baisées - ce que démontreparfaite- coups («Si j'essayais de refuser,il mentla secondemoitiédu livre(«Le s'en prenaità ma mère» ; p. 188) ; le secret des chambres. L'inceste» et silence,l'acceptation.Parfoisune atroce «Promenadeset jardins.Viol collectif, lucidité: «II est mort.Ce fut le plus beau jour de ma vie» (parlantde son violsolitaire, pédophilie»). Il seraiten effettropaisé,d'après pèrequi lui a imposé,à partirde 11 ans, la première partie,de faireà L.S. le re- dix années de relationssexuelles,et prochede s'êtrecentréesur les sévices troisgrossesses: p. 185). On mettraen aux petites filles,sous prétexteque regardcette phrase d'un homme qui (comme elle le note elle-mêmeen an- obligeaitsa fille et ses nièces (10-11 et à le sucer: «Tout nexe,p. 346) il y a autantde garçons ans) à le masturber Ce que l'ensem- ce que je peuxdire,c'estquej'y ai trouque de fillesmaltraités. ble du livremeten lumièreet faitdou- vé du plaisir»(p. 215)... Il avaitraison,Sardou,de 7 à 77 ans, loureusementressentirà traversdes plus c'est bien de la «maladie d'amour» exemples«forts»(maisqui arrivent ne le laissent qu'elles souffrent, mais pas celle qu'il souventque les statistiques croire),c'est bienle filetbanal du pou- chante - ou plutôt si : celle-là,la voirdes hommesdanslequelles femmes virile,celle de la possessiondes femmes. sont prises,dans leur vie quotidienne, Maladiequi peut oscillerentrele sentiet le pornodansleurcorpset dansleurtêtecomme mental,la menace/violence fait par les poissonsqui se débattentaccrochés graphique(le rapprochement
107 L. S. entre des scènes réelles de pornographiesur mineuresou de viols et la littératuredu genre est saisissant), qui peut les conjuguer aussi parce que, pour eux, la distinction n'est pas utile à faire. De toute façon, ce qui apparaît clairement dans les faits divers relatés, ils sont naïvement (?) sûrs de leur bon droit. Comme le dit si gentiment la lettred'un homme à son amie emprisonnée : (tu n'auras plus besoin de travailler, etc.) «Je veux pouvoir, ma chérie,profiterde toi le plus possible» ! Quant aux violeurs, la répressionleur semble injuste, car, comme l'écrit L.S. p. 291 : «Les rapports de domination, de pouvoir sur une femme,et en particulier dans le domaine de la sexualité, sont si intégrés,naturels pour les garçons qui violentensemble,que lorsqu'ils disent au juge : «On pensait pas... On croyait pas... On s'amusait. C'était pas méchant...», ils le pensent et ils le pensentvraiment.» Un livre qui me confirmedans ce que j'ai toujours pensé : ce qui est étonnant, ce n'est pas qu'il y ait des petites fillesmaltraitées,utilisées,violées,tuées, ni des mères infanticides,ce qui est étonnant, c'est qu'il y ait encore des femmesen vie. Faut-il qu'elles aient la tête dure. Un livrebouleversant,insupportable. A lire par toute féministen'ayant pas la tentationde la facilité. N.-C. M.
Josée LAURE, La cérémoniepaternelle, Paris,Ed. du Seuil, 1978, 141 p. C'est beau comme du Gracq ou du Vialatte qui auraient une sensibilitéféministe. Et l'on a envie de dire seulement : lisez-le.Un roman,une œuvrelittéraire où l'on replonge dans son enfance. L'étrangeté des choses et leur extraordinaire présence : le carrelage
rouillé de la cuisine, le chat - bizarreen haut de l'escalier,l'espace mouillé du jardin où l'herbe elle-même se démoralise, le soleil qu'on aperçoit à peine, la vie ponctuée par la cloche de l'orphelinat voisin, et ce visiteurd'un jour, Monsieur Békréou, fabuleux comme les reflets de sa belle voiture, les marraines qu'on s'invente, chez qui on pourrait aller, la menace sourde des bruitsde la maison, des portes qui s'ouvrent et se ferment,des canards morts près de la vieille lessiveuse, les «bonnes» qui se succèdent,comme les scènes... Ta voix a traversél'épaisseur des murs.Elles ont tournéavec plus de précaution la page du livre, gommé sans bruit la feuille de papier, se sont accordées sur une lenteur et un silence vigilants sans le relaisd'un regard. Violence des émotions de l'enfance, des sensations conservées pour soi, entre soi, car «il y a des mots qu'il ne faut pas prononcer» - les mots qui déclencheraient,qui exacerberaientplu-
paternellequi pèse sur tôt,la cérémonie
les troissœurs.
Tu as dit : «Trèsbien.» Tu as dit : «Trèsbien,je prends en main.» l'affaire Tu as dit : «Très bien,je commencemonenquêtedèsaujourd'hui.» Tu as dit : «Très bien, jamais personnen'a osé merésister.» Tu as dit : «Trèsbien,je prendrai Elles ont de qui tenir. mesdispositions. Leur mèreétaitfolle et j'ai faillila faire interner.» Dans un milieu provincialrestreint à un petit cercle de relationsd'extrêmedroite, dont la misogynie n'est pas la moindre marque, la paranoia du père - avocat selon lui prodigieux et poète selon lui méconnu, et surtoutempêché de l'être par ses trois filles pour qui il sacrifiesa vie et sa carrière- la paranoia se déroule, implacable et pitoyable. Le monde entier est construitpar le père autour de son Moi, dans un immense système triomphaliste,éperdu et sadomasochiste.
lait.
-Les clientssont des vachesà
-Les clients n'ont besoin que d'êtretraits.
108 -Les clients sont des ingrats. sensuelle.Les «blancs»qui découpentle Maisbiensûrsa progéniture en est texteen autantde morceauxet de mo: ments de sens de 10 à 30 lignes,les D'ailleurs l'objetprivilégié. M. Maran et toi affirmiezque phrasesisoléesmatériellement qui vous comme des coups de gong, l'amourpaternelestde beaucoupsupé- atteignent rieurà Vamourmaternel carles hommes cela rendle vide présent: le videde la seuls sont capablesde grandeur dans le communication puisque le père mène de reposaussioù seulle jeu, les instants sentiment. Un romanne se résumepas, mais l'on imaginele souffletimidedes enau dos de fantsindiquépar ailleursdans le texte voicile textede présentation, la couverture: «On reçoittrès tôt la (Elles aimaientlorsque l'ombrede la gifledu pouvoir.Si elle est bien appli- maisonsur le jardin en faisaitune cisurtoutsi elle est le ternefroide[...] Elles aimaientles soiquée, quotidienne, fait du géniteurde qui doit provenir rées où, le dînerachevé,ellesrestaient aussil'amouret la subsistance, il y a de seules...) Unegrandepartiedesphrasessont forteschancespour que l'enfanceet l'adolescencese passentsans histoires. introduites par des tirets,maisce n'est Puisquela mèreestmorte,le parccerné pas le tiret signe typographiquedu de grilles,et que les hautes cimesca- dialogue...ce sont les tiretsde l'énumouflentle ciel, la cérémoniepater- mération, enumeration pleine des nelle va pouvoirs'accomplir.Le Père phrasessans cesse assénéespar le père, célèbresa messe : litanieset antiennes mais partois aussi enumerationfrags'élèvent.Les trois filles ont la mé- mentairedes tentatives d'analysede la moire,la pauvretédes servantes, quel- partdespetitesfilles. -Pourtant, a dit Hélène, il ne quefoisleur révoltedocile et leurinsolence. Les giflespeuventpleuvoir.La nous a jamaisempêchéde lireles livres fêtea commencé.» que les parentsde mescamaradesinterIl loue ses filles,il les blâme,il les disent.[...] - Pourtant,a ditHélène,un jour juge, il les divise,il les pousse à travailler,il leur annonce que, femmes, il a pleurédevantmoi. leursambitionssont ridicules, il les enUn jour,la situationva se retouril leshait. ner(maislà je me tais,carc'estaussiun vahit,il lesétouffe, Mes fillesm 'adorent.[...] roman«policier»...)Alors... son Il y avaitla peur,évidemment, Lorsque papa est gentil, dit Hélène, j'ai peur. ombre,maisde jour enjour,d'annéeen Il fautdireun mot de la miseen année car le tempsseraitl'alliéobligaavec enfinirait et de ce livre,où toire,la maintremblante page de la typographie la formelittéraire, le contenuet la pré- elle. N.-C.M. sentationse rejoignent dansune lecture
109
UN PROJETDE TRAVAIL : L'HISTOIRE DU MOUVEMENT
Nous avons une histoire... L'histoire du mouvement et des lutttes de femmes depuis 1968 en France est très mal connue, y compris par les femmesqui en sont partie prenante et plus encore par celles qui s'y engagent maintenant.Quelques articles,quelques témoignages,ont été publiés, mais ils sont peu nombreux, et très partiels, ils ne peuvent tenir lieu d'histoirede l'ensemble du mouvement. Nous sommes quelques femmes à penserqu'un besoin existe, de plus en plus fortement: celui de conserver,ou de retrouver,une mémoireprécise et complète des pratiques, des expériences du mouvementdes femmes,des débats, des réflexionsqui s'y sont fait jour, et cela pour mieux comprendre où nous en sommes, mieux repérerce qui change, mieux dégagernos perspectives. C'est pourquoi nous proposons à toutes les femmes intéresséespour y participer- soit de façon suiviesoit pour communiquerleursidées ou leurs informations- un projet de travail : commencer à écrire cette histoire. Ce travailpose bien sûr de nombreuxproblèmesde méthodes,de choix. Comment traduire la complexité, la richesse,le caractère non structurédu mouvement,le lien entreles pratiquescollectiveset publiques et la vie de chacune, car il est certain que le mouvementdes femmes,c'est aussi le mouvement de chacune de nous ? Commentne pas réduirecette histoireà une liste d'«événements», réunions,rassemblements,manifestations,ni à la seule activité des groupes «reconnus», mais retracerles évolutionsmultipleset en profondeur? Comment ne pas occulter les divergences,les contradictions,ne pas privilégiertel ou tel lieu ou telle ou telle «tendance» ? De manière plus générale, il s'agit de délimiteravec plus de précision le cadre et la problématique de ce sujet, car citer tous les domaines où s'est inscritela révoltedes femmesserait en fait énumérertoutes les institutions,toutes les structures, toutes les classes de la société : le mouvementdes femmesne conteste pas seulement la «condition des femmes»,c'est un mouvementpolitique qui de notre point de vue de femmesmet en question la société tout entière.Comment prendreen compte ce problème fondamental? Par exemple comment étudier les luttesdes femmessalariéesdans les entreprises,le féminisme(ou sa récupération)dans le champ de la culture ou des médias, la contestationdes femmesdans les syndicatset partis...? Ces quelques questions sont bien sûr à approfondirensemble par toutes les femmesintéresséespar cette recherche.Les documentsne manquentpas : journaux, tracts/notes,photos... Témoignageset interviewsles compléteront. Si vous êtes intéressées,écrire au «groupe histoire du mouvement» c/o Editions TIERCE - 1, rue des Fossés-Saint-Jacques- 75005 PARIS.
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(Préciserà partirde quel numéro) - Un an France - Un an étranger - Un an soutien
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Dépôtlégal 4e trimestre 1978 ISSN no 0154-9960
Les opinionsexprimées dansles articlesou les documents reproduits n'engagent pas le collectifde rédaction. réservé aux auteurset à la Rédaction. Copyright
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à ce numéro male 1er juillet 76, oh date fatidique, J^j[ais gique que vous aimiez tant invoquer, point de réponse et plus étaient-elles Peut-Stre d'écho. Silence. parties en vacances ? étaient fatiguée, le Un peu oui, beaucoup non. Les appareils à trouver, le téléphone à transférer, local restait l'argent à manquer, et t.-.nt de choses, si vous saviez ... continuait
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N° 2 PRINTEMPS-ÉTÉ 1976 • Les maillons de la chaîne (Prolétaires et dictatures) par Jacques Rancière PTimPS tIuutb • Les ouvrières enfermées : les couvents soyeux par Dominique Vanoli • Hors la voie : 19/20 La Voix des Cheminots >ar Michel Souletie »La chaîne et le parapluie : Face à la rationalisation 1919-1935)' D ,r par PierreSaint-Germain DÉBAT «L'AFFRANCHISSEMENT DE NOTRE SEXE» K propos des textes de Claire Demar rééditépar Valentin Pelosse par Lydia Elhadad et Geneviève Fraissc NOTF i PPTiiPP NUlt r»F Ut LLLIURt Us aventures d'un marin allemand (Jan Valtin : «Sans patrie ni frontière») par PierreSaint-Germainet Patrice Vermercn
DES «LA INSTITUTEURS LIQUIDATION ARTISANS par Jean Rutfet Document : LA GREVE DES ECOLIERS pai Daniele Rancière d'après Dave Marson DÉBAT D£S POLIT,QU1S (Monta.llou, NOSTALGIQUES ßretons de p|ozevet . Le chcva, vil|age ^^ d'orgueil - Etre un peuple en marge) par Jean Borreil HIVER .«i 1977 N° 4 - UIV/cd ^^ # Le, dé$erteursde Tan II par Jean Ruffet # De PeUoutier à Hitler : syndicalisme et collaboration par Jacqucs Ranciere , , ,,._.._. Samt-Si• Femmes prénommées : les prolétaires r-t. iOT» momennes rédactrices de «La Femme Libre» 1832 1834 (1ère partie) par Lydia Elhadad
la Les Prolétaires à*™ Interviewde Rober. Säumer
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n° f« - AUTOMNE HIVER 1977
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ÉTUDES »Un espace urbain obsédant : le commissaire et . siècle ^ ^m^ ¡^ |§ ^ Par Arlette ' "ar*C • Les gueux contre l'histoire Tnm*rd» Sui ¡¡f ^^ P»' Ph"'PP< héroïnes symboliques ? Celle qui écrit et »Des „ qui- parle , : Oeorge r ••««»• «««h »t iLx>uise .nui«» iviicnei Mirhpl aanú et celle ,„ ,■ c par Geneviève hraissc «Phénoménologie des travailleurs de l'Etat ou le massacre des innocents (suite et lin) par Jean Borreil
• Pouvoirs et stratégies entretienavec Michel Eoucault
• Mutineriesà Clairvaux par Stéphane Douailler et Patrice Vermeren
N° 3 - AUTOMNE 1976
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N° 5 - PRINTEMPS ÉTÉ 1977
LES ENFANTS DU CAPITAL MANUFACTURE A LA • DE L'HOSPICE (le travail des entants au XIXe siècle) suivi d'une note sur l'enfant, le père, le manufacturieret l'inspecteur par Stéphane Douailler et Patrice Vermeren Document : Rapport à la Chambre de Commerce de Lille sur l'état physique et moral des enfants dans
1837 parTrarrò,, le 22septembre
»L** amants de la liberté ? Stratégies de femme, luttes républicaines, luttes ouvrières par Christiane Dulrancatel
ÉTUDES
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•Phénoménologie des travailleurs de l'État ou le massacre des innocents Par Jcan Borreil
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• Femmes prénommées : les prolétaires Saint Si moniennes rédactrices de «La Femme Libre» 1832-
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ISSN 0339-6886
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1, RUE DES FOSSÉS SAINT-JACQUES,75005 PARIS
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LA REVUE D'EN FACEN0 4 - 80 pages, 16 F (revuetrimestrielle).
• Identité,idée des temps • Entretiensavec Kate Millet • Des féministesdans la gauche • Et encore...
DROIT DU TRA VAIL - FEMMES. 192 pages,30 F. Ouvragecollectif
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Françoise d'Eaubonne, Contre-Violenceou la résistance à l'État 95 pages, 21 F.
de grossesses. • Les interruptions organisépar Colloque international
Rappel : ~~
... parce que c'est souventdifficilede savoirce qu'il faut fairelorsqu'on a ou cherche du travail,à quoi on a droit et où téléphoner pour se renseigner?
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le Mouvementfrançaispour le planningfamilial. 190 pages, 28 F. L'Italie au féminisme.250 pages,49 F.
Recueil de textes sur le salaire du travail # Le foyerde /'insurrectionménager.171 pages, 20 F.
AGENDA-JOURNAL
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tempsde femme1979
Les Éditions TIERCE, après le vif intérêt et le plaisir que les femmes ont manifestés à la présence quotidienne de l'agenda-journal temps de femme 1978, éditent cette année un nouvel agenda créé par les mêmes agendières qui ont choisi le thème du labyrinthe pour se laisser transporterau fildes jours. L'agenda-journal,tempsde femme1979 paraîtra en librairie début novembre. 260 pages, 125 iconographies,couveril , turecartonnée,prix29 F.
^^ HISTOIRES D'ELLES Après une période d'interruptionHistoires d'Elles réapparaîtrarégulièrement tous les mois. Prochainnuméro : 29 novembre 5 Francs - 16 pages, format 30 x 40 en kiosque et en librairie Une permanence a lieu les mardis de 17 à 19 heures et les mercredis de 15 à 18 heures - 7, rue Mayet 75006 Paris.
RAPPEL DU SOMMAIRE DU N° 2
Les corpsappropriés ColetteGuillaumin Monique Wittig Sophie Ferchiou Ann Whitehead
Pratiquedu pouvoiret idée de Nature. (I) L'appropriationdes femmes Unjour monprinceviendra Travail des femmeset production familialeen Tunisie Antagonisme des sexes dans le Herefordshire.
Documents: Rencontresinternationaleset «coordinations»nationale: d'un 8 marsà l'autre(1977-1978) Législatives... ça urne!
RAPPEL DU SOMMAIRE DU N° 3
NaturNatur-elíe-ment ColetteGuillaumin
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Pratique du pouvoir et idée de Nature.(II) Le discoursde la Nature
Gisèle Fournier
...,, , Sainte c . , ... La Virilité
SallyMacintyre
Qui veutdes enfants?
, ,d Emmanuel Reynaud
MartineLe Péron MoniquePlaza
Prioritéaux violées Nos dommages et leurs intérêts
Documents: Femmes,violenceet terrorisme Les Bas-Rouges,la gaucheet le féminisme