BIBLIOTHÈQUE D'ÉTUDES JUIVES Collection dirigée par Daniel Tollet 39 "Série Histoire» sous la direction de Daniel Tolle...
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BIBLIOTHÈQUE D'ÉTUDES JUIVES Collection dirigée par Daniel Tollet 39 "Série Histoire» sous la direction de Daniel Tollet XXXV
ROME ET SES CITOYENS JUIFS (lye-ye SIÈCLES)
Dans la même collection 1. LAZARE, Bernard, Le fumier de Job. Édité par Philippe Oriol. 1998. Série Littérature 1 2. HANNOUN, Hubert, Lettres à Benjamin. Visages de la judéité actuelle. 1998. Série Sciences humaines 1 3. STRIGLER, Mordekhai, Maidanek - Lumières consumées. Traduit du yiddish par M. Pfeffer. 1998. Série Histoire 1 4. Bernard Lazare. Anarchiste et nationaliste juif. Textes réunis par Philippe Oriol. 1999. Série Histoire II 5. ADAMCZYK, Mieczyslaw-Jerzy, L'éducation et les transformations de la société juive dans la monarchie des Habsbourg, 1774 à 1914. Traduit du polonais par Xavier Chantry. 1999. Série Histoire III 6. MEDEM, Vladimir, Ma Vie. Traduit du yiddish par Henri Minczeles et Aby Wieviorka. 1999. Série Histoire IV 7. COHEN-MATLOFSKY, Claude, Les Laïcs en Palestine d'Auguste à Hadrien: étude prosopographique. 2001. Série Histoire V 8. IFRAH, Lionel, De Shylock à Samson. Juifs et judaïsme en Angleterre au temps de Shakespeare et Milton. 1999. Série Littérature II 9. La mort et ses représentations dans le judaïsme. Actes du colloque organisé par le Centre d'études juives de l'Université de Paris IV-Sorbonne, en décembre 1989. Textes réunis par Daniel ToUet. 2000. Série Histoire VI. 10. ROOS, Gilbert, Relations entre le gouvernement royal et les juifs du nord-est de la France au XVIIe siècle. 2000. Série Histoire VII. 11. GERMAIN, Lucienne, Réflexions identitaires et intégration: les juifs en Grande-Bretagne de 1830 à 1914.2000. Série Histoire VIII. 12. IFRAH, Lionel, L'Aigle d'Amsterdam. Menasseh ben Israël (1604-1657). 2001. Série Histoire IX. (Suite enfin de volume)
Capucine NEMO-PEKELMAN
ROME ET SES CITOYENS JUIFS (Iye_ye SIÈCLES)
PARIS HONORÉ CHAMPION ÉDITEUR
2010 www.honorechampion.com
Diffusion hors France: éditions Slatkine, Genève www.slatkine.com CI 2010. éditions Champion, Paris. Reproduction et traduction, même partielles, interdites. Tous droits réservés pour tous les pays. ISBN: 978-2-7453-2027-8 ISSN: 1169-2944
À mon père
INTRODUCTION
Dans les années 419-422, le moine Barsauma, accompagné de quarante compagnons en armes, quitta ses montagnes de Samosate et pénétra en Palestine. L'auteur de sa Viel raconte qu'« il commença à renverser les synagogues des juifs, à détruire les lieux de réunion des Samaritains et à brûler les temples d'idoles des païens ». Les juifs adressèrent alors des suppliques à l'empereur Théodose II2 • Ils étaient soutenus dans leur démarche par le préfet du prétoire d'Orient Asc1épiodote, que la Vie de Barsauma nous décrit comme « un homme méchant et inique, dont les idées étaient celles des païens et des juifs, et qui haïssait celles des chrétiens ». Constantinople fit droit à ces requêtes et condamna les exactions des moines. On leur interdit, dans une constitution de 423, de « porter la main sur les juifs et les païens pacifiques qui ne fomentent rien de séditieux ni d'illégal3 ». Nous lisons, dans la Vie de saint Syméon le Stylite, que « la lettre de l'empereur fut diffusée dans de nombreuses villes avec l'ordre de l'éparque [Asc1épiodote] à ce sujet, et elle fut lue devant chacun [...] et il y eut grande douleur et peine pour tous les chrétiens, surtout parce qu'ils voyaient les païens et les juifs revêtir des habits blancs, se féliciter et se réjouir4• » La décision du législateur surprend, car elle n'a pas le caractère idéologique et partisan que l'on attendrait d'un empereur chrétien engagé dans un combat pour la victoire de l'Église. Mais les travaux récents d'historiens de la romanité tardive, tels Peter Brown ou David Hunt, ont incité les chercheurs à réviser le tableau d'un droit post-constantinien entièrement dévoué à la
1 François Nau a édité et traduit en français cette biographie inédite de Barsauma, qui est peut-être l'œuvre de Samuel le Prêtre. La Vie de Barsauma est conservée dans des manuscrits syriaques du British Museum (add. 14734 et 12 174). L'édition a été publiée dans la Revue de l'Orient chrétien, en 1913 et 1914, et la traduction résumée dans F. Nau, « Deux épisodes de l'histoire juive sous Théodose II (423 à 438) d'après la Vie de Barsauma le' Syrien », REJ, n° 83, 1927, p. 184-203. 2 Théodose II, 15 février, 9 avril, et 8 juin 423 (c. Th., XVI, 8, 25-26 et la, 24). 3 Théodose II, 8 juin 423 (c. Th., XVI, 10,24). 4 Traduction par François Nau de la recension de Paul Bedjan, Acta Martyrum, vol. IV, Paris, 1894, p. 636, in F. Nau, « Deux épisodes... », op. cit., p. 203.
la
INTRODUCTION
cause chrétienneS. Cette représentation dérive, avertissent-ils, d'histoires ecclésiastiques et d'hagiographies réalisées aux IVe et Ve siècles par des porte-parole de l'Église qui se livrèrent à une propagande habile destinée à leurs contemporains en même temps qu'à la postéritë. Eusèbe de Césarée (v. 260-v. 340) gratifiait par exemple Constantin des titres de « lieutenant de Dieu », d'« assistant de Dieu» ou encore d'« interprète du Souverain universel »7, afin de souligner la parfaite coopération censée exister entre le pouvoir civil et le clergés. À travers des récits qui insistent sur la piété commune unissant les empereurs Théodose 1er et Théodose II à leurs sujets chrétiens, Socrate le Scholastique et Sozomène, qui écrivaient leurs Histoires ecclésiastiques pendant la première moitié du ve siècle, désiraient les montrer animés d'un irréprochable zèle missionnaire9 Dans un travail qui remonte aux années 1980, Lucio De Giovanni a proposé une interprétation nouvelle de la législation constantinienne relative au paganisme, lecture qui a été reprise, il y a peu, par Roland Delmaire lO • Alors que l'on croyait ce droit voué à la destruction de la religion païenne italo-romaine, il s'avère qu'il ne visait en réalité que certaines formes de ses manifestations. Une relecture attentive des constitutions condamnant la pratique des sacrifices 11 révèle en effet que les sacrifices publics n'étaient pas interdits 12 , et que seuls l'étaient ceux qui étaient opérés dans un cadre privé, secret et nocturne, et qui donnaient lieu à des consultations. Or, ces actes clandestins étaient condamnés depuis le règne de Tibère, car on voyait
5 P. Brown, Pouvoir et persuasion dans l'Antiquité tardive. Vers un Empire chrétien, Paris, 1998 Cl'" éd. 1992) et, du même auteur, L'Autorité et le sacré. Aspects de la christianisation dans le monde romain, Paris, 1998; D. Hunt, «Christianising the Roman Empire The Evidence of the Code », in J. Harries et 1. Wood Cdir.), The Theodosian Code. Studies in the Imperial Law in Late Antiquity, Londres, 1993, p. 143-196. 6 Cf. P. Brown, L'Autorité... , op. cit., p. 178. 7 Eusèbe de Césarée, Vie de Constantin, III, 1 et II, 47 CF. Winkelmann, Die Textbezeugung der Vita Constantini des Eusebius von Caesarea, Berlin, 1962 ; trad. angl. A. Cameron et S. G. Hall, Life of Constantine, Oxford, 1999). 8 Pour une étude critique des biographies de Constantin, par ses contemporains comme par la postérité, cf. A. Marcone, Pagano e cristiano. Vita e mito di Costantino, Bari, 2002. 9 Cf. P. Brown, L'Autorité..., op. cit., p. 186-188. 10 L. De Giovanni, Costantino e il mondo pagano. Studi di politica e legislazione, Naples, 1989 Cl'eéd. 1977), p. 15-104 ; R. Delmaire, «La législation sur les sacrifices au IY· siècle. Un essai d'interprétation », in RHD, n° 82, 2004, p. 319-333. Il Constantin, 25 décembre 323 Cc. Th., XYI, 2, 5) ; 15 mai 319 Cc. Th., IX, 16, 2) ; 1er février 320 CC. Th., IX, 16, 1) ; 17 décembre 320 Cc. Th., XYI, 10, 1) ; et Constance II, 23 novembre 353 Cc. Th., XYI, 10,5). 12 lis ne le seront qu'à l'époque de Théodose, aux termes des lois du 24 février 391 Cc. Th., XYI, 10, 10) et du 8 novembre 392 Cc. Th., XYI, 10, 12).
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en eux des armes politiques redoutées du pouvoir. Quant à la politique de fermeture de temples, elle n'était pas systématique et ne concernait, nous dit Lucio De Giovanni, que les édifices dans lesquels se réalisaient des cérémonies considérées comme immorales. Le temple d'Aphrodite à Héliopolis fut par exemple fermé parce que l'on y pratiquait le rituel de la prostitution sacrée. Ces décisions étaient préparées par les critiques d'une partie du monde païen lui-même, qui contestait le polythéisme sous ses formes vulgaires, aspirait à vivre la religion avec plus d'intériorité et désirait un renouveau de la religion traditionnelle. On avait jusqu'alors envisagé la politique de Constantin relative au paganisme par le seul prisme chrétien de l'affrontement religieux; on était condamné, par le fait même, à n'en pas bien percevoir la logique. David Hunt estime que le concept historiographique de christianisation n'est pas suffisant pour expliquer les transformations politico-juridiques de l'époque romaine tardive 13, qui auraient des raisons à la fois plus complexes et plus variées 14. Ce sont ces considérations qui nous ont amenée à rouvrir le dossier de la législation post-constantinienne relative aux juifs. Et nous avons cru qu'il fallait pousser l'enquête au-delà même de la chute de l'Empire romain, puisque ce droit ne s'éteint pas subitement, mais se prolonge, en subissant des transformations, dans les premiers royaumes barbares. Ces législations successives sont habituellement envisagées comme étant guidées par des principes théologiques. Ceci pourrait, à la rigueur, se concevoir pour ce qui concerne les lois défavorables aux juifs et au judaïsme. Mais, selon l'analyse classique, même les constitutions instituant pour les juifs des privilèges, ou condamnant les exactions contre leurs biens et leur personne, seraient d'inspiration chrétienne. Jean Juster, dont la thèse d'histoire du droit romain, achevée il y a près d'un siècle, fait encore autorité 15 , explique que l'Église avait besoin que les juifs continuent
Cf. D. Hunt, « Christianising the Roman Empire.... », op. cit., p. 143. Signalons, en ce sens, l'étude de Ramsay MacMullen relative aux lois constantiniennes portant sur l'esclavage, les normes sexuelles, les combats de gladiateurs, le régime des peines et la corruption. Cf. R. MacMullen, « What Difference did Christianity Make? », in R. MacMullen, Changes in the Roman Empire, Princeton (New Jersey), 1990, p. 142-155. Voir également, dans le même esprit, 1. Evans Grubb, « Constantine and Imperial Legislation », in J. Harries et 1. Wood (dir.), The Theodosian Code Studies in the Imperial Law of Late Antique Rome, Londres, 1993, p. 120-142 ; B. Basdevant-Gaudemet,« Droit (christianisation du) », et J. Gaudemet, «Droit romain (influence chrétienne) », in J. Leclant (dir.), Dictionnaire de l'Antiquité, Paris, 2005. IS Voir A. M. Rabello, « A Tribute to Jean Juster », in Israel Law Review, n° 11, 1976, p. 216247, reproduit dans A. M. Rabello, The Jews in the Roman Empire Legal Problems, from Herod to Justinian, Londres, 2004 (1" éd. 2000). 13
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d'exister, mais aussi inconfortablement, et même misérablement, que possible l6 . Ce dosage incommode entre répression et protection aurait été préconisé par saint Augustin qui, dans son exégèse de Ps 58, 12, écrivait qu'il fallait « laisser en vie» les juifs de manière à ce que, « témoins de leur iniquité et de notre vérité », ils donnent raison aux versets bibliques annonçant leur déchéance et leur conversion à la fin des temps17 Le droit romain postclassique se serait évertué à réaliser ce programme en pratique, « édictant des déchéances civiques et politiques contre les juifs », tout en « maintenant les privilèges relatifs au culte juif18 ». Cette grille de lecture a séduit les historiens de la condition des juifs dans le haut Moyen Âge occidental. La formule balancée du pape Grégoire le Grand (<< De même que l'on ne doit accorder aux juifs aucune liberté dans leurs communautés au-delà de ce qu'il est licite de tirer de la loi, de même, dans ce qui leur est reconnu, ils ne doivent subir aucun préjudice I9 ») énoncerait à nouveau le principe de cette politique20 •
16 Selon l'auteur: « La théologie, qui enseignait qu'il fallait laisser exister les juifs, avait besoin, pour sa démonstration, que leur existence soit misérable. »Cf. J. Juster, Les Juifs dans l'Empire romain. Leur condition juridique, économique et sociale, vol. J, Paris, 1914, p. 229. 17 Saint Augustin, De civitate Dei, XVIII, 46. 18 Cf. 1. Juster, Les Juifs dans l'Empire..., op. cit., p. 230. Marcel Simon adopte les vues de Jean Juster, en affirmant que la sauvegarde des juifs « résidait dans les exigences de la théologie, qui fixait en même temps les Iinùtes étroites de leur statut légal. Il fallait qu'ils subsistent - maneant gens Iudœorum -, mais dans la situation diminuée et déchue qu'entraînait leur péché "Ecce Iudeus servus est Christiani" Tel était le point de vue de l'Église, qu'elle entendait voir se concrétiser dans les faits ». Cf. M. Simon, Verus Israël. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l'Empire romain (135-425), Paris, 1948, p. 161-162. Alfredo Mordechai Rabello explique que « i privilegi ebraici in materia cultuale venerono mantenuti anche dagli imperatori cristiani, allo scopo di preservare l'esistenza del Giudaismo, dal momento che gli Ebrei si rifiutavano di abbandonarlo, ed essendo essi considerati dalla Cmesa testes veritatis ; questa verità {...} non poteva venire soppressa. D'altro canto, 10 status sociale degli Ebrei venne progressivamente degradato mediante odiosa privilegia, discrimina· lioni aventi 10 scopo sia di separare visibilmente gli Ebrei dai Christiani e dissuadere questi ultimi da lasciari attrare dal Giudaismo, sia di sottolineare la vittoria della religione deI Nuovo Testamento su quella deI Vecchio» (A. M. Rabello, Guistiniano, Ebrei e Samaritani alla luce delle fonti storico-Ietterarie, ecclesiastiche e giuridiche, Milan, 1987, 1. II, p. 670). 19 Grégoire le Grand, Reg., VIII, 25. 20 Pour Salo W. Baron, « le pape croyait qu'il fallait mainteIÙr les principes du statut juif depuis longtemps établi, principes consignés dans les écrits apostoliques et patristiques. Lui qui combattait implacablement toutes les formes du pagaIÙsme, le maIÙchéisme et les hérésies chrétiennes, lui qui prêchait l'emploi de la force dans la conversion des hérétiques, repoussait vigoureusement l'application des mêmes méthodes aux juifs ». Cf. S. W. Baron, Histoire d'Israël. Vie sociale et religieuse, 1I/ Héritiers de Rome et de la Perse, New York, 1957, Paris 1961, p. 35. Voir également en ce sens J. Parkes, The Conflict of the Church and the Synagogue. A Study of the Origins of Antisemitism, New York-Philadelphie, 1961, p. 220 ;
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Le problème est que les textes juridiques ne justifient jamais leurs décisions par de telles motivations théologiques, comme le reconnaît Jean Juster lui-même, qui en conclut, un peu arbitrairement, que ces motivations ont été passées sous silence21 • Selon nous, ce type d'explication ne prend toute sa valeur que beaucoup plus tard, au XW siècle, où il rend bien compte de la politique papale. Le pape Calixte II (1119-1124) est en effet le premier à placer le texte de Grégoire le Grand - que l'on désigne par ses premiers mots, Sieut Iudœis - en préambule de sa bulle de protection des juifs22• Au début du XIIIe siècle, Innocent III applique au droit la théologie augustinienne des juifs testes veritatis, en introduisant en ces termes sa Constitutio pro ludaeis «Bien que la perfidie des juifs doive être condamnée de diverses manières, parce que néanmoins ils témoignent de la véracité de notre foi, ils ne doivent pas être gravement opprimés par les fidèles, le Prophète disant "Ne les tue pas, pour que ta Loi ne soit pas oubliée" [Ps 58, 12] 23. » À l'époque où le christianisme triomphait en Occident, il s'agissait de trouver une explication à la survie du judaïsme. La papauté, qui ne pouvait concevoir qu'elle s'expliquât autrement que par une volonté délibérée de l'Église, tentait là une explication à rebours, attribuant cette survie à un programme prédéterminé et mené en continu à travers les siècles. Mais la papauté, en l'occurrence, présumait sans doute de la puissance de l'Église. De fait, nous croyons que la thèse selon laquelle la législation sur les juifs fut commandée par une logique théologique n'est pas établie pour les premiers siècles. Nous pensons que cette thèse, qui suppose que les décisions législatives seraient précontenues dans des principes axiomatiques et formeraient une œuvre intellectuelle logique, n'est pas cohérente avec ce que nous savons des modalités concrètes de l'évolution du droit24 • On va
S. Grayzel, « Popes, Jews, and Inquisition. From 'Sieut' to 'Turbato' », in S. Grayzel, The Church and the Jews in the XIIlth Century, II 1254-1314 (éd. revue et corr. par K. R. Stow), New York-Detroit, 1989, p. 3-4. Selol). Jeremy Cohen, l'évolution de la condition des juifs au haut Moyen Âge est fonction de l'adhésion ou non des clercs à la doctrine augustinienne qui accordait aux juifs un statut à part, en vertu de ce qu'il nomme Augustine legacy. Cf. J. Cohen, Living Letters of the Law. Ideas of the Jew in Medieval Christianity, Berkeley-Los Angeles-Londres, 1999, p. 67-145. 21 Cf. J. Juster, Les Juifs dans l'Empire.... , op. cit., p. 226-227. 22 Ces termes seront par la suite repris par presque tous les papes des XlI" et XIIIe siècles, en exergue de leurs chartes de protection des juifs. Cf. S. Grayzel, « The Papal Bull Sicut Iudœis », in Studies in honor of A. A. Neuman, Leyde, 1962, p. 243-280. 23 Innocent III, Constitutio pro Iudœis, in S. Grayzel, The Church and the Jews in the XIllth Century, t. l, New York, 1966, p. 92, et S. Simonsohn, The Apostolic See and the Jews. Documents 492-1404, Toronto, 1988, p. 74-75. 24 Voir, dans le même sens, G. De Bonfils, Gli ebrei dell'impero di Roma, Bari, 2005, p. 133-134.
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voir en effet que la législation impériale naît principalement d'un contexte contentieux et qu'elle est composée de solutions concrètes, isolées et admises sans vue d'ensemble25 • Qu'elle n'est pas, comme l'affirme Jean Juster, une fabrication, en amont, de « docteurs et théologiens [...] guidant personnellement la main des empereurs26 », mais qu'elle est issue, en aval, d'un débat contradictoire, suscité par les requêtes des justiciables, lesquels, dans une certaine mesure, en imposent les termes à un empereur pris dans son rôle de juge ou d'arbitre du droit. Ainsi interpellé, l'empereur se doit de statuer de manière objective, en mettant en œuvre un argumentaire juridique - respect des principes de légalité et d'équité, raisonnements déductifs de type analogique, utilisation de techniques comme celle du précédent ou de lafictio iuri?7. Il agit comme juge qui résout des affaires passées. Il est vrai qu'il se projette également comme législateur dans l'avenir, établissant alors un programme plus subjectif et politique28 mais ce programme ne saurait répondre à des enjeux idéologiques univoques. Des considérations de toute nature pèsent dans le processus décisionnel enjeux financiers et fiscaux, évergétisme, calculs diplomatiques ou « politiciens » tendant à gagner les faveurs d'un parti ou d'une faction qui pourrait aider le pouvoir ou lui nuire. Entre également en jeu la personnalité de ceux qui concourent à la réalisation de la loi, conseillers du prince, questeurs du Palais, préfets du prétoire ou autres hauts fonctionnaires, plus ou moins enclins au compromis ou raidis dans des positions de principe29 Si l'on considère maintenant le droit du début du Moyen Âge, qui est désormais surtout l' œuvre des clercs, lui non plus, contrairement à ce que l'on pourrait croire, n'obéit pas à une logique uniquement théologique. Là
25 Les lois impériales sont le plus souvent tronquées de leurs éléments concrets et il est donc difficile de restituer chaque fois le contexte qui les a vu naître. Mais, tout le long de notre étude, nous constaterons que c'est bien dans un cadre contentieux, ou précontentieux, que l'empereur fut, dans la majorité des cas, amené à intervenir. Nous verrons ainsi la chancellerie, saisie de relationes de juges, rendre des jugements, en droit, sur des affaires en cours, ou, saisie par les supplicationes ou preces de particuliers, rendre des décisions dans le cadre de la procédure dite par rescrit. 26 Cf. J. Juster, Les Juifs dans l'Empire..., op. cit., p. 249. 27 Amnon Linder souligne que l'usage du précédent et la nécessité de décider selon l'équité et la légalité expliquent en partie la teneur de la législation relative aux juifs. Cf. A. Linder, Jews in Roman Imperial Legislation, Detroit-Jérusalem, 1987, p. 63-65. 28 1. Hoock, « Dimensions analytiques et herméneutiques d'une histoire historienne du Droit », in Annales ESC, n° 6, 1989, p. 1479-1490. 29 Sur les organes qui, à différents degrés, participent au processus de décision législative, cf. 1. Harries, Law and Empire in Late Antiquity, Oxford, p. 36-54. Nous préciserons, chaque fois que possible, l'identité des personnalités qui ont influencé, dans le cadre de leurs différentes fonctions, les prises de décision.
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encore, d'autres logiques interviennent: les hommes d'Église sont aussi des hommes politiques sensibles aux réalités de leur temps ; ils opèrent des compromis selon la nature de leurs relations avec le pouvoir séculier, et même avec les juifs, aux requêtes desquels ils peuvent se montrer sensibles. Pour rendre compte de cette complexité, nous allons procéder à une lecture aussi précise que possible des textes, en les suivant pas à pas dans leur diachronie et en les rapportant chaque fois que possible aux circonstances historiques (il n'est pas rare qu'on les connaisse). Ainsi, espérons-nous, se dessinera un tableau plus nuancé et plus précis de la dynamique de création du droit relatif aux juifs, qui rendra peut-être mieux justice aux forces sociohistoriques réelles qui structurent les sociétés romaine et barbare, et surtout à ce qu'on pourrait appeler la logique immanente du droit. En effet, le droit, dans aucune société, et surtout pas dans celles qui sont héritières de la tradition juridique romaine, n'est un artefact que des décideurs politiques, encore moins des idéologues, peuvent manipuler à volonté; il se développe en fonction d'une logique largement interne; les valeurs et idéologies auxquelles les législateurs réfèrent volontiers leurs raisonnements jouent un rôle, certes, mais leurs décisions doivent s'insérer dans un système juridique préexistant qui encadre leurs initiatives. De sorte que le développement du droit suit une logique sui generis, d'ailleurs souvent chaotique, mais que, si notre analyse est suffisamment précise et fidèle, nous verrons se dessiner tout au long des siècles étudiés. L'enquête commence au début du règne de l'empereur Constantin, soit en 313. Après sa victoire, en 323, contre l'empereur d'Orient Licinius, Constantin gouverne seulles deux partes imperii. Pendant le siècle et demi qui suit, l'étude couvre l'ensemble des provinces occidentales et orientales de l'Empire romain. Elle se réduit ensuite à l'Occident, après que la constitution d'entités politiques barbares autonomes dans ces provinces a progressivement décapité les structures étatiques romaines en un processus qui s'achève avec la déposition en 476, par Odoacre, du dernier empereur d'Occident, Romulus Augustule. En pratique, notre coupure correspond à la date de 438, moment où fut élaborée la dernière Novelle intéressant notre sujet, et réalisé le Code Théodosien qui sera le texte fondateur de la législation occidentale du très haut Moyen Âge. L'étude se concentre alors sur ceux des territoires et celles des périodes du très haut Moyen Âge occidental où la production juridique relative aux juifs est suffisamment dense et soutenue pour permettre de retracer une évolution précise30 • Nous 30 La législation relative aux juifs du royaume wisigothique d'Espagne, qui constitue un sujet en soit - par le contexte politico-religieux particulier qui la voit naître et par les problématiques originales qu'elle met en jeu notamment - n'est pas analysée ici. Nous
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envisageons ainsi, en Gaule, la période qui s'étend du début du VIe siècle au règne du roi Dagobert rr (623-639)31 ; nous étudions, en Italie, les temps qui correspondent au règne de l'Ostrogoth Théodoric (474-526) et au pontificat de Grégoire le Grand (590-604)32. Les deux premiers chapitres de cet ouvrage sont consacrés à l'étude des dispositions impériales censées caractériser la situation juridique favorable dont auraient joui les juifs par rapport aux autres groupes religieux de l'Empire - non chrétiens et hérétiques dans le chapitre l, nous analyserons les lois impériales ayant mis en place des privilèges pour les juifs; dans le chapitre II, nous étudierons les réactions du pouvoir romain lorsqu'il fut
indiquons quelques titres parTIÙ les plus récents de la bibliographie, pléthorique, en la matière P. A. Bronisch, Die Judengesetzgebung im katholischen Westgotenreich von Toledo, Hanovre, 2005 ; S. Bradbury, « The Jews of Spain, c. 235-638 » in S. T. Katz (dir.), The Cambridge History ofJudaism, vol. IY, The Late Roman-Rabbinic Period, Cambridge, 2006, p. 508-518 ; B. Dumézil, « Une source méconnue sur la politique de conversions forcées du roi Sisebut le canon 10 du concile de Séville ». in F. Sabate et C. Denjean (dir.), Juifs et chrétiens. Sources pour la recherche d'une relation permanente, Table ronde à Carcassonne, 22 octobre 2003, 2006, p. 21-35 ; R. Gonzalez Salinero, «Isidoro y los judlos en el unico canon conservado dei desaparecido Concilio III de Sevilla », in L. A. Garcia Moreno et S. Rascon Marques (dir.), Guerra y rebeli6n en la Antigüedad tard{a. El siglo VII en Espafia y su contexto meditemlneo. Ayuntamiento de Alcalâ, Alcalâ de Henares, 2005, p. 201-211 et, du même auteur, « Un antecedente la persecuci6n de los judlos en el reino visigodo », dans G. Alvarez Chilida et R. Izquierdo Benito (dir.), El antisemitismo en Espaiia, Universidad de Castilla-La Mancha, Cuenca, 2007, p. 57-88 ; C. Martin et C. Nemo-Pekelman, « Les juifs et la cité. Pour une clarification du statut personnel des juifs de l'Antiquité tardive à la fin du royaume de Tolède. lye_YlIe siècles », in Antiquité tardive, n° 16,2008, p. 223-246. Pour un recueil de sources juridiques (le travail comprend également des sources littéraires), cf. A. Barcala Munoz, Biblioteca antijudaica de los escritores eclesiasticos hispanos, vol. 1 (siglos IV-Y) et vol. II, 1-2 (siglos YI-YII), Madrid, 2003-2005 (3 vol.). 31 Ce découpage, qui relève, nous l'avons dit, d'une logique interne à l'histoire des sources, se trouve coïncider, dans l'histoire politique de la Gaule, avec la période de dOTIÙnation des Francs, dont les rois, issus de la dynastie mérovingienne, ont conquis, à l'époque de Clovis et de ses fils, l'Aquitaine wisigothique (507), la Burgondie (523) et la Provence ostrogothique (536). Le terme de l'étude, fixé, en raison de la carence des sources, à l'issue du règne de Dagobert, correspond, politiquement, au début du déclin des Mérovingiens. 32 Pendant cette époque, l'Italie est d'abord dOTIÙnée par les Ostrogoths, Théodoric ayant battu Odoacre en 493. Après la mort de ce roi en 526 et les querelles dynastiques qui s'ensuivent, l'empereur Justinien reconquiert, à partir de 535, une partie de la péninsule. Mais, les Lombards, venus du nord en 568, divisent le royaume, et seuls quelques territoires, tel Rome où se trouve Grégoire le Grand, demeurent sous obédience byzantine. Dans les années qui suivent la mort de Grégoire, l'influence du droit byzantin antijuif en Italie n'est pas àvérée, et la politique lombarde relative aux juifs est très mal connue. Cf. B. Bachrach, Early Medieval Jewish Policy in Western Europe, Minneapolis, 1977, p. 39-40.
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confronté à des violences anuJUlves (atteintes aux synagogues et autres biens). Nous commenterons ensuite les lois qui tentèrent de limiter l'influence des juifs et du judaïsme sur les sujets non juifs de l'Empire, et particulièrement sur les chrétiens (chapitre III). Puis nous expliquerons les lois d'exclusion civique et politique du début du Ve siècle (chapitre IV). Enfin, nous verrons quelle fut la réception des lois impériales sur les juifs en Italie ostrogothique et en Gaule mérovingienne (chapitre V). Nos sources proviennent principalement, pour ce qui concerne la période de l'Empire, du Code Théodosien, grand recueil de lois33 réalisé à la demande de Théodose II et publié à Constantinople en 43834 • La commission chargée de sa rédaction avait déterminé un certain nombre de titres sous lesquels se trouvait inséré un choix de lois impériales émises depuis le règne de Constantin et classées chronologiquement à l'intérieur de chaque rubrique. L'ensemble est divisé en seize livres, dont le dernier rassemble des constitutions relatives à l'Église ainsi qu'aux païens, aux hérétiques et aux juifs. Deux titres de ce livre XVI sont spécialement consacrés aux juifs. Ce sont les titres 8 (De Iudeis, de Cœlicolis et de Samaritanis 35 ) et 9 (Ne
33 Il faut préciser que les lois, désignées également à l'époque par le terme de « constitutions », affectent, dans notre corpus, deux formes. L'immense majorité sont des epistulœ, reconnaissables au fait qu'elles s'adressent aux fonctionnaires chargés de leur exécution dans les provinces (Sublimis magnitudo tua hac iusssione suscepta, excellens auctoritas tua prœcipiat, provinciarum rectores prohibeant, illustris auctoritas tua sciat...). Selon un sondage effectué par Tony Honoré, les lettres constituent d'ailleurs entre 95 % (pour l'Occident) et 97 % (pour l'Orient) des sources utilisées par les compilateurs du Code Théodosien. Cf. T. Honoré, Law in the Crisis of Empire. 379-455 AD. The Theodosian Dynasty and its Quaestors, Oxford, 1998, p. 136. Quelques textes de notre corpus sont des édits adressés aux populations juives de provinces déterminées. Ce sont C. Th., XYI, 8,4, 10 et 23 et C. Th., XYI, 9, 3. 34 Sur les circonstances qui entourent l'élaboration de ce code, sur ses enjeux et sur la nature du travail réalisé par les compilateurs, cf. J. Gaudemet, La Fonnation du droit séculier et du droit de l'Église aux IV' et V" siècles, Paris, 1979, p. 261-279 ; G. G. Archi, Teodosio II e la sua codificazione, Naples, 1976, p. 3-42 ; J. F. Matthews, « The Making of the Text », in J. Harries et I. Wood, The Theodosian Code. Studies in the Imperial Law of Late Antiquity, 1993, p. 19-44 ; T. Honoré, Law in the Crisis..., op. cit., p. 123-153. 35 Les Romains associent les Samaritains aux juifs. Ils sont mentionnés pour la première fois dans une loi de Théodose du 18 février 390 (c. Th., XIII, 5, 18), puis dans des lois d'Honorius du 4 avril 404 (c. Th., XYI, 8, 16) et de Yalentinien III du 7-8 avril 426 (c. Th., XYI, 8, 28). Sur l'histoire des Samaritains, cf. S. Isser, « The Samaritains artd their Sects », in W. Horbury et al. (dir.), The Cambridge History of Judaism, t. 1II The Early Roman Period, Cambridge, 1999, p. 569-595. Sur les Samaritains pendant la période des Iye• Yle siècles notamment, et pour une bibliogaphie sur le sujet, cf. M. Rabello, Giustiniano, ebrei..., op. cit., p. 127-150. La secte, originaire d'Afrique, des Cœlicoles, littéralement « adorateurs du ciel », est mal connue. Les Romains les associent aux juifs et aux Samaritains,
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christianum mancipium ludœus habet). Ils comportent en tout une trentaine de lois36 • D'autres lois, une dizaine, se trouvent disséminées dans autant de livres du code37 , sans parler de celles qui, sans désigner nommément les juifs, les concernent indirectement. À cet ensemble furent ajoutées les lois postérieures à 438, appelées Novelles, dont l'émission se poursuivit jusqu'à l'époque de l'empereur Majorien (447-461). Une Novelle III, qui date du 31 janvier 438, est consacrée aux païens, aux hérétiques et aux juifs. Le Code Justinien porte des constitutions des Ive et ve siècles que les commissaires de 438 n'avaient pas retenues, et l'on y trouve, visant particulièrement les juifs, une décision de Théodose 1er du 30 décembre 393 38 • À côté de ces sources juridiques officielles se trouve une petite collection de constitutions, dite de Sirmond, qui contient trois lois intéressant notre sujee9 Les sources littéraires - nous pensons notamment à l'œuvre d'Eusèbe de Césarée - documentent également des décisions législatives relatives aux juifs40 • Le Bréviaire d'Alaric (506)41, les conciles qui se sont régulièrement tenus
ce qui donne à penser qu'ils sont des chrétiens judaïsants. On les trouve mentionnés dans C. Th., XVI, 5,43, et XVI, 8, 19. 36 Ces deux titres contiennent respectivement vingt-neuf et cinq textes. Mais il ne s'agit souvent que d'extraits de lois, dont d'autres fragments peuvent se trouver ailleurs dans le code. Ainsi, par exemple, une loi de Constance II du 13 août 339 a été découpée par les compilateurs et répartie dans les titres 8, 6 et 9, 2. Les lois sont donc, une fois rétablies dans leur forme d'origine, un peu moins nombreuses qu'il n'y paraît. 37 On trouve ainsi une loi de Valentinien le' du 6 mai 368 (ou 370 ou 373) dans C. Th., VII, 8,2; une loi de Gratien du 18-19 avril 383 dans C. Th., XII, 1,99 ; des lois de Théodose du mois de septembre 384 dans C. Th., III, 1,5 et du 14 mars 388 dans C. Th., III, 7, 2 et XIII, 5, 18 ; des lois d'Arcadius du 3 février 398 dans C. Th., II, 1, 10 et du 28 ou 30 décembre 399 dans C. Th., XII, 1, 165 ; des lois d'Honorius du 13 septembre ou février 398 dans C. Th., XII, 1, 158 et du 1er avril 409 dans C. Th., II, 8,25. 38 C. J., l, 9, 7. 39 Deux d'entre elles existent déjà dans le Code Théodosien, dans des versions qui ne diffèrent pas en substance. Ce sont les lois de Constantin du 21 octobre 335 (Sirm. 4) et d'Honorius du 15 janvier 406 (Sirm. 14). La troisième en revanche est inédite et il faudra s'interroger sur son authenticité, compte tenu du débat récemment renouvelé par Élisabeth Magnou-Nortier sur l'origine de la collection de Sirrnond. Il s'agit de la loi de Valentinien III du 6 août 425 (Sirm. 6). 40 Signalons que le texte connu sous le titre de Mosaicorum et Romanorum Collatio ne comporte pas, contrairement à ce que semble promettre l'intitulé, de lois romaines sur les juifs. Nous n'en tiendrons donc pas compte ici, d'autant que, s'il est vrai que cette œuvre compare les droits civils juif et romain, elle est une œuvre littéraire au dessein mal élucidé. 41 L'œuvre conserve les constitutions impériales suivantes: Arcadius, 3 février 398 (Brev., II, 1, 10) ; Honorius, 26 juillet 412 (Brev., II, 8, 3) ; Théodose, 22 septembre 384 (Brev., III, 1,5) ; Théodose, 14 mars 388 (Brev., III, 7, 2 -la même loi apparaît sous IX, 4, 4) ; Gratien, 21 mai 383 (Brev., XVI, 2, 1) ; Constance, 21 octobre 335 (Brev., XVI, 3, 1) ; Constance, 21 octobre 335 (Brev., XVI, 3, 2) ; Constantin, 18 octobre 329 (Brev., XVI, 4, 1) ; Théodose
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sur le sol gaulois42 , ainsi que deux ordonnances royales de Childebert 1er (v. 537) et de Clotaire II (614), composent le corpus pour la Gaule des VIe et VIle siècles. Pour ce qui concerne l'Italie, le statut juridique des juifs au début du Moyen Âge occidental se donne à lire dans quatre lettres issues des Variœ de Cassiodore43 et dans vingt-deux lettres du Registre de Grégoire le Grand44 • Ces sources ont été rassemblées par Amnon Linder, qui a également livré un appareil de notes fournissant de nombreuses indications bibliographiques ainsi qu'une analyse et un bilan critiques des textes45 Il en a, en outre, donné une traduction anglaise dont nous nous sommes aidée pour nos propres traductions des textes juridiques sur lesquels repose notre enquête46 • Nous voulons lui dire notre dette intellectuelle, mais également notre reconnaissance pour sa disponibilité et ses critiques. Nous avons eu la chance de pouvoir suivre des séminaires qui ont été décisifs dans notre formation et dans l'appréhension de notre sujet et tenons en particulier à remercier JeanPierre Poly (professeur à l'université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense), Gilbert Dahan (directeur d'études à l'École pratique des hautes études), Maurice Kriegel (directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales), Jean-Michel Carrié (directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales) et Jean-Pierre Baud (professeur à l'université ParisOuest-Nanterre-La Défense). La réalisation de ce travail doit beaucoup aux
II, 10 avril 417 (Brev., XVI, 4, 2) ; Théodose II, 31 janvier 438 (Nov. 3). Elle contient aussi deux extraits des Sentences du Pseudo-Paul, une œuvre qui remonte à la fin du Ille siècle Pauli Sent., V, 24, 3 et 4. 42 Agde (506), c. 34 et 40; Épaone (517), c. 15; Orléans II (533), c. 19; Clermont (535), c. 6 ; Orléans III (538), c. 14 et 33 ; Orléans IV (541), c. 30 et 31 ; Mâcon (581-583), c. 2, 13,14, 15, 16 et 17 ; Paris (614), c. 17; Clichy (626-627), c. 13. 43 Var. II, 27 ; IV, 33 ; IV, 43 et V, 37. 44 Reg., l, 34-45-66-69 ; II, 6-38 ; III, 37 ; IV, 9-21-31 V,7 VI, 29 ; VIT, 21 ; VIn, 2325 ; IX, 38-105-196-214-216-229 ; XIII, 13. 45 A. Linder, The Jews in the Roman Imperial Legislation, Detroit-Jérusalem, 1987 et The Jews in the Legal Sources of the Early Middle Ages, Detroit-Jérusalem, 1997. 46 Nous avons également consulté les traductions de Jean Rougé, dans E. Magnou-Nortier et al. (dir), Le Code Théodosien (livre XVI) et sa réception au Moyen Âge, Paris, 2002, et R. Delmaire et F. Richard, Les Lois religieuses des empereurs romains de Constantin à Théodose Il (312-438), t. l Code Théodosien, livre XVI, Paris, 2005, ainsi qu'e celles de Jean Rougé et Roland Delmaire dans R. Delmaire, O. Huck, F. Richard et L. Guichard, Les Lois religieuses des empereurs romains de Constantin à Théodose Il (312-438), t. Il Code Théodosien, livres I-XV - Code Justinien - Constitutions sinnondiennes, Paris, 2009. D'une grande aide nous ont été les commentaires des sources juridiques réalisés par K. L. Noethlichs, Die Juden im christlichen Imperium Romanum (4.-6. Jahrhundert), Berlin, 2001.
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enseignants de l'université Paris-Ouest-Nanterre qui, en nous accueillant dans leur équipe, nous ont permis de faire nos premières armes pédagogiques. Notre travail a été grandement facilité par l'aimable disponibilité de Béatrice Telliez du centre Sainte-Barbe (université Paris-Panthéon-Assas) et des bibliothécaires de l'Alliance israélite universelle de Paris. Notre gratitude va enfin à Joseph Mélèze-Modrzejewski dont le commentaire subtil et érudit des textes juridiques antiques nous a fourni un modèle exigeant. Je garde de sa bienveillance et de sa confiance un souvenir éternellement ému.
CHAPITRE
1
L'AMBIGUÏTÉ DES PRIVILÈGES JUIFS l
Le tenne de privilegium désigne en droit romain une disposition légale qui écarte, dans une situation donnée ou pour une personne ou un groupe déterminés, la solution nonnalement applicable en vertu du droit commun2• On ne peut donc pas concevoir l'existence d'un privilegium sans un droit plus général auquel il fait exception, le ius commune 3 • Pour prendre des exemples remontant au Haut-Empire, il y a privilège lorsque, après avoir interdit la circoncision par une loi générale4, Hadrien l'autorise pour les prêtres égyptiens5, et Antonin le Pieux pour les juifs6 ; en revanche, il n'y a pas - contrairement à ce qui a pu s'écrire - privilège lorsque, après avoir
1 Intitulé emprunté à J. Gaudemet, « Ambiguïté du privilège », in Libreria editrice Vaticana, 1986, p. 45-62. Sur les raisons historiques du sens brouillé de la notion de privilège, voir F. Saint-Bonnet, « Privilège », in D. Alland et S. Rials, Dictionnaire de la culture juridique, Paris, 2003. 2 Nous nous nous inspirons de la définition de J. G. Heinecke, Antiquitatum romanarum syntagma, lib. l, tit. 2, § 60, citée par R. Orestano, « lus singulare e privilegium in diritto romano », in Annali della Università di Macerata, 1987, p. 9, ainsi que de celle de Paul Veyne dans Le Pain et le cirque. Sociologie historique d'un pluralisme politique, 1995 (1976), p. 571-574. Et des entrées « Privilège (droit romain) » et « Immunité (droit romain) » par Jean-Michel Carrié, in J. Ledant (dir.), Dictionnaire de l'Antiquité, Paris, 2005. 3 Pour une analyse détaillée de la notion de ius commune, cf. R. Orestano, « lus singulare e privilegium... », op. cit., p. 24 et suiv. 4 Joseph Mélèze-Modrzejewski a récemment daté le texte prohibant la circoncision dans l'Empire à l'année 119-120. Cf. 1. Mélèze-Modrzejewski, « "Filios suas tantum" Roman Identity and Jewish Identity », in M. Mor et al. (dir.), Jews and Gentiles in the Roly Land in the Period of the Second Temple, Jérusalem, 2003, p. 121-123. 5 Ce privilège est connu grâce à des papyrus dans lesquels on voit le pouvoir impérial fixer, en l'année 120, la procédure que doivent suivre, sous le strict contrôle des autorités romaines provinciales, les enfants futurs candidats à la prêtrise égyptienne, pour obtenir l'autorisation d'être circoncis. Cf. 1. Mélèze-Modrzejewski, ~~ "Filios suas"...», op. cit., p. 117-121. Voir également sur ces papyrus N. Gonis, « Permission to circumcise », in JJP, vol. XXXIV,2004, p.43-49. 6 Modestin nous apprend qu'« un rescrit d'Antonin le Pieux avait [vers 150] permis aux juifs de circoncire seulement leurs enfants, et menacé "de punir pour crime de castration" celui qui l'accomplirait "sur une personne qui n'était pas de cette religion" ». Cf. D., 48, 8, 11.
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édicté une loi contre les collegia séditieux7, César tolère la présence à Rome de collèges juifs, les juifs n'entrant simplement pas, aux yeux du pouvoir, dans la catégorie des séditieux8 • Outre le droit de pratiquer la circoncision, les juifs ont reçu au HautEmpire des privilèges multiples9 Ainsi par exemple, Lentulus dispensa du service militaire les juifs citoyens romains d'Éphèse en 49 av. J.-C ; le général Dolabella réitéra en 43 cette dispense au bénéfice des juifs du diocèse du Pont, car « un soldat juif ne doit pas faire de marche le samedi » et parce que les juifs ne peuvent s'approvisionner des aliments qu'exigent leurs lois et leurs coutumes 10 ; Auguste accorda aux juifs romains la dispense de se rendre aux distributions gratuites faites au peuple de Rome lorsqu'elles tombaient un samedi, en leur garantissant une distribution spéciale le lendemain 11 . Bien que l'historien juif Flavius Josèphe ait, de la manière dont il a présenté ces privilèges dans les Antiquités judaïques, donné à croire qu'ils bénéficiaient à l'ensemble des communautés juives de l'Empire, ils n'avaient en réalité qu'une portée géographique lirnitée 12 • On ne peut donc pas 7 Le premier sénatus-consulte interdisant les collèges à Rome date de 64 av. J.-C. L'interdiction est confirmée ou limitée par des sénatus-consultes des années 61, 58 et 55. Pour plus de détails sur ces lois, cf. M. Pucci Ben Zeev, « Did the Jews enjoy a privileged position in the Roman World ? », in REJ, n° 154, 1995, p. 31-33. 8 Les associations religieuses n'étaient pas prohibées en tant que telles car les lois de César et d'Auguste contre les collegia visaient uniquement à combattre les assemblées séditieuses, dans un contexte de troubles politiques. Cf. M. Pucci Ben Zeev, « Did the Jews... )), op. cit., p.33. 9 Nous suivons l'analyse de Myriam Pucci Ben Zeev, en excluant de notre liste une série de mesures généralement présentées comme étant des privilèges, alors qu'elles ne constituent pas des exceptions au ius commune. Ainsi, la permission accordée aux juifs de Rome d'envoyer une contribution rituelle en Palestine n'était qu'une tolérance, car aucune loi n'interdisait, du moins au Haut-Empire, les transferts de fonds à l'intérieur de l'Empire. Nous préciserons plus loin la question (cf. infra, p. 48 et suiv.). De même, le droit de rendre un culte à l'empereur et aux dieux selon des modalités qui ne heurtaient pas le monothéisme juif ne nécessita pas l'octroi d'un privilège, car le pouvoir tolérait des formes très variées de culte impérial, comme l'ont montré des papyrus documentant les modalités du culte impérial dans les populations grecques. Cf. M. Pucci Ben Zeev, « Did the Jews... »), op. cit., p. 29-31 et 3542. 10 Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XIV, 10, 12. Cf. 1. Juster, Les Juifs dans l'Empire romain. Leur condition juridique, économique et sociale, vol. I, Paris, 1914, p. 358 et 361. 11 Philon d'Alexandrie, Legatio ad Caium, 158. Cf. 1. Juster, Les Juifs dans l'Empire..., op. cit., vol. I, p. 356, et vol. II, p. 236. 12 Tessa Rajak a en effet montré que Flavius Josèphe avait à dessein, et dans un but apologétique, présenté les privilèges obtenus des empereurs par les juifs comme ayant plus de portée qu'ils n'en avaient en réalité, dans un contexte de tensions exacerbées entre les juifs et la population d'Alexandrie. Or, le privilège d'exemption du service militaire n'est pas avéré
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affinner, comme l'a fait Jean Juster, que ces privilèges auraient composé un statut juif, au sens d'un ensemble de règles universellement applicables à torts les juifs de l'Empire 13 Cette précision sur la portée réelle des privilèges juifs au Haut-Empire est essentielle. Accordés au cas par cas, ils dépendaient chaque fois de l'aptitude des requérants juifs à faire valoir leurs droits auprès du pouvoir, et ne présageaient pas des décisions à venir. Si les juifs pouvaient certes invoquer des solutions antérieures, elles n'étaient pas impérieuses et dépendaient pour leur renouvellement de la force plus ou moins contraignante que les empereurs entendaient accorder à ces précédents. C'est que les privilèges juifs n'étaient en aucune façon reliés entre eux par un lien logique, en ce sens qu'ils ne découlaient pas d'un principe général préalablement fixé, contrairement à ce que présuppose la théorie de Jean Juster. Cet auteur assure, en effet, que ces privilèges relevaient du but préconçu des empereurs de protéger les populations juives dans l'Empire, et qu'ils dépendaient tous ensemble d'une sorte de constitution, une Magna Carta 14 • Or, on peut difficilement attribuer au droit romain la propriété de notre droit contemporain qui est d'être, ou de se vouloir, déductible de principes généraux 15 • Élaboré principalement à l'issue de procédures contentieuses, le droit romain naît de débats contradictoires fondés sur la controverse dialectique, et il relève en conséquence - pour reprendre une expression de Jean-Pierre Coriat - d'une « raison pratique », c'est-à-dire de motivations dégagées ad hoc, au cas par cas.
dans d'autres parties de l'Empire que celle du Pont et l'on voit ailleurs des juifs participer à l'armée. De même, l'annone à Rome ne concerne que les juifs romains. T. R~ak, « Was there a Roman Charter for the Jews ? », in JRS, n° 74, 1984, p. 120-123. 13 La seule mesure qui paraît avoir été généralisée à tous les juifs de l'Empire est celle de Vespasien qui, après la révolte de 70, imposa à tous les juifs de l'Empire l'obligation de payer le fiscus iudaicus, taxe qui fut effectivement collectée, ainsi que l'attestent de nombreux ostraca égyptiens. Cf. V. A. Tcherikover et al., Corpus Papyrorum Judaicarum, Cambridge, 1957-1964, t. 1, p. 80-82, et t. II, p. 111-116. Notons que Nerva n'imposa bientôt cet impôt qu'aux juifs qui pratiquaient leur religion, ce qui excluait les apostats et incluait les nouveaux convertis. Cf. M. Goodman, « Nerva, the Fiscus Judaicus and Jewish Identity », in JRS, n° 79, 1989, p. 40-44. 14 J. Juster, Les Juifs dans l'Empire... , op. cit., vol. 1, p. 215-218. 15 Il existe deux procédés d'élaboration du droit, l'un relevant d'un système juridique dit de réglementation hypothético-déductif, l'autre d'un système dit axiologique. Sur ces deux grandes familles juridiques et pour des indications bibliographiques, voir J.-P. Coriat, Le Prince législateur. La technique législative des Sévères et les méthodes de création du droit impérial à la fin du principat, Rome, 1997, p. 457-458.
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C'est ainsi qu'il nous faudra, pour appréhender correctement les motivations qui ont conduit les empereurs, de Constantin à Théodose II, à octroyer des privilèges aux juifs, renoncer à en rechercher une cause théorique unique, et abandonner en particulier la thèse de Jean Juster selon laquelle le pouvoir impérial des IVe et ve siècles aurait mécaniquement appliqué au droit le principe, issu de la théologie chrétienne, selon lequel était souhaitable la préservation des juifs en tant que « peuple témoin 16 ». Les privilèges accordés aux juifs, tels qu'on les trouve dans le Code Théodosien, sont de deux natures. Les premiers sont ceux qui ne concernent qu'une partie minoritaire de la population juive (les chefs communautaires) et qui prennent une forme à la fois financière et honorifique. Les seconds sont ceux qui servent à débloquer des situations de conflits de juridictions doublés de conflits de lois entre institutions juives et romaines. Pour rechercher les motivations qui ont poussé les autorités impériales à accorder des privilèges aux chefs des communautés juives, nous avons repris à notre compte la démarche de Jean-Pierre Coriat dans son étude des motivations des décisions législatives à l'époque des Sévères, c'est-à-dire que nous avons recherché d'abord les mobiles, subjectifs et non juridiques, qui avaient pu dicter le choix des autorités. Les mobiles des édits et rescrits impériaux traduisent les nécessités du moment et relèvent d'une part, nous dit Jean-Pierre Coriat, de considérations politiques et diplomatiques qui visent à présenter le princeps comme un bienfaiteur et à développer des liens de patronage avec les sujets de l'Empire, d'autre part d'impératifs économiques et fiscaux témoignant du souci des finances de l'État et des cités 17 Comme, le plus souvent, les textes de loi n'indiquent pas explicitement ces mobiles, il faudra les déduire du contexte. On peut d'ores et déjà avancer que les privilèges accordés aux autorités juives avaient pour mobile essentiel la volonté des empereurs de se réserver la clientèle de ces personnages influents au sein des communautés juives. Les mesures qui ont, en certains endroits de '. l'Empire et à certaines époques, limité ou tout simplement ignoré ces privilèges relèvent, quant à elles, d'autres mobiles, économiques et fiscaux.
J. Juster, Les Juifs dans l'Empire... , op. cit., vol. 1, p. 227-23l. Nous proposons cette classification binaire à partir du système de présentation plus complexe et détaillé que propose l'auteur aux pages 459 à 510 de l'ouvrage précité. Voir également, à propos des privilèges au Haut-Empire, P. Garnsey, Social Status and Legal Privilege in the Roman Empire, Oxford, 1970, et, dans l'Empire tardif, J.-M. Carrié, « La "munificence" du Prince. Le vocabulaire des actes impériaux et ses antécédents », in Institutions, société et vie politique au N' siècle ap. J.-c. Mélanges A. Chastagnol, Rome, 1992, p. 411-430. 16 17
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Par une loi de Théodose du 17 avril 392, le pouvoir reconnut aux juifs la faculté de régler en toute autonomie leurs différends en matière de religion 18 . Mais le droit juif (Halakha) avait vocation à gérer de nombreux domaines de la vie familiale et sociale juive; son champ d'application dépassait donc largement celui de la religio au sens où les Romains l'entendaient un culte et des pratiques voués à la divinité. Ce « malentendu 19 » autour de la délimitation des sphères civile et religieuse apparut au grand jour l'année suivante lorsqu'une loi du 30 décembre 393 ordonna aux juifs l'abandon de leurs pratiques matrimoniales, qui composaient pourtant un champ entier de la Halakha 20 • Le pouvoir impérial délimitait donc unilatéralement et dans un sens restrictif les frontières de ce qui ressortissait à la religio juive, et l'on peut supposer que ceux parmi les citoyens romains juifs qui demeuraient attachés à leurs lois ancestrales n'apprécièrent pas que les cadres du judaïsme fussent ainsi déterminés par l'autorité extérieure des Romains. Ce fut le questeur du chambellan Eutrope, une importante figure de la renaissance légale - qui commence à la fin du ve siècle et culmine à l'époque de la composition du Code Théodosien21 -, qui, dans un texte remarquable du 3 février 398, parvint au compromis suivane2 • Posant comme principe que les juifs étaient, en tant que citoyens, soumis au droit et aux tribunaux romains, il concéda qu'ils pourraient continuer de porter leurs querelles civiles devant leurs chefs communautaires - et se voir du même coup appliquer éventuellement les solutions préconisées par la Halakha. Il habilla pour ce faire cette juridiction de concepts romains, l'assimilant par fictio iuris à celle de l'arbitrage ex
Théodose, 17 avril 392 (C. Th., XVI, 8, 8). Précisons que les Sages du Talmud établissaient également une distinction entre les normes qui relevaient du droit civil et celles qui étaient proprement religieuses. Cf. D. Daube, « The Civil Law of the Mishnah The Arrangement of the Three Gates », in Tulane Law Review, n° 18, 1944, p. 351. Le conflit naissait donc seulement de la rencontre de deux cultures juridiques qui se trouvaient ne pas fixer au même endroit la ligne séparatrice entre le juridique et le social non juridique. Ajoutons encore que le processus de différenciation qui s'était déroulé à Rome sous la République, la chronologie et la profondeur de ce processus étant sujettes à controverse, avait connu un reflux au Ive siècle. Le droit tel qu'il nous vient du Code Théodosien et notamment du livre XVI touchait de nouveau à des matières que nous estimons, à notre époque, être non juridiques. Sur la nature relative et historique de la différenciation entre droit et religion, cf. J. Carbonnier, Sociologie juridiqtte, Paris, 1978, p. 309-312. 20 Théodose, 30 décembre 393 (C. I., l, 9, 7). 21 T. Honoré, Law in the Crisis of Empire. 379-455 AD. The Theodosian Dynasty and its Quaestors, Oxford, 1998, p. 81-92. 22 Arcadius, 3 février 398 (G. Th., II, 1, 10). 18 19
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compromisso. On obtiendrait ainsi l'essentiel, à savoir que la compétence des juges juifs ne s'exercerait plus qu'inter vo/entes. Nous avons dit plus haut que les décisions législatives romaines ne découlaient pas de principes fixés a priori. Cela ne signifie pas qu'elles n'étaient pas justifiées par des motivations objectives et juridiques, mais que ces motivations n'étaient dégagées qu'a posteriori. L'empereur et sa chancellerie ne pouvaient, en effet, se contenter de défendre leurs lois par des considérations uniquement subjectives, mais ils devaient leur donner des fondements objectifs. La démarche adoptée consistait notamment à rapprocher l'espèce en cause de cas analogues et à extraire, des solutions qui avaient été apportées à ces cas, des principes communs, ce qui permettait d'insérer les nouvelles décisions dans un ordonnancement juridique plus large. C'est ce que firent les auteurs des privilèges juifs, qui puisèrent à des constitutions antérieures pour y rechercher les motivations juridiques adéquates, susceptibles de légitimer au mieux leurs décisions.
SECTION
1.
LES PRIVILÈGES DES CADRES DU JUDAÏSME
La première mesure connue résulte d'une loi occidentale de Constantin du Il décembre 321 qui dispensait « un ou deux juifs par curie» des charges municipales23 On voit qu'il ne s'agissait pas encore de réserver ce privilège aux seuls chefs religieux et l'on montrera que la loi de 321 avait une portée et un objet bien différents de ceux des lois qui devaient lui succéder en Orient. Ces lois - une constitution du même Constantin de 330, une deuxième de Gratien de 383, et une troisième d'Arcadius de 397 - réservaient l'immunité curiale aux seules autorités religieuses et élevaient ainsi le rabbinat juif au rang de véritable institution romaine, stratégie que le pouvoir avait également adoptée avec les prêtres catholiques, la religion comptant pour lui au nombre de ses instrumenta regni les plus puissants. Cette politique fut néanmoins rompue en Occident au début du Ve siècle. L'empereur Honorius (ou plutôt le régent Stilicon), en prise avec les guerres dramatiques de son temps, cherchait en effet désespérément à remplir les caisses vides de son Trésor, et il n'était pas question pour lui d'accorder de cadeaux fiscaux en exemptant quiconque des charges curiales. Ces mêmes préoccupations financières expliquent également pourquoi fut interdit, pendant un temps, le transit des richesses envoyées au patriarche de Palestine par les juifs de la Diaspora occidentale.
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Constantin, Il décembre 321 Cc. Th., XVI, 8, 3).
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A. La revendication par le pouvoir central du monopole de l'octroi des immunités curiales (11 décembre 321) La constitution du Il décembre 321 ne porte pas, contrairement aux textes habituellement recueillis dans le Code Théodosien, l'adresse d'un préfet du prétoire, mais celle de ses véritables destinataires, ce qui permet de mieux reconstituer les circonstances qui ont entouré son édiction24 • Le texte est adressé aux curiales d'Agrippina Colonia de la province de Germanie Seconde, aujourd'hui Cologne25 Il constitue donc vraisemblablement une réponse à une supplique adressée à l'empereur par les membres de cette curie qui avaient, pour les raisons que l'on va voir, eu à se plaindre des juifs de leur cité26 Il est formulé en ces termes 27 Cunctis ordinibus generali lege concedimus Iudœos vocari ad curiam. Verum ut aliquid ipsis ad solacium pristinœ observationis relinquatur, binos vel ternos privilegio perpeti patimur nullis nominationibus occupari28 • Par une loi générale, nous autorisons tous les ordres curiales à appeler les juifs à la curie. Toutefois, pour qu'il leur reste en consolation quelque chose de l'ancienne observance, nous souffrons que deux ou trois demeurent à l'abri de toute nomination par un privilège perpétuel.
24 La grande majorité des constitutions figurant au Code Théodosien portent l'adresse des préfets du prétoire d'Orient et d'Occident. C'est que les compilateurs du code sont allés puiser leur documentation en priorité dans les archives de ces préfectures, plus faciles d'accès. Une minorité des sources portent l'adresse de leurs destinataires, ce qui incite Tony Honoré à penser qu'elles provenaient d'archives locales ou, peut-être, des écoles de droit de Beyrout ou de Rome. T. Honoré, Law in the Crisis..., op. cit., p. 137-141. Voir aussi J. Gaudemet, La Fonnation du droit séculier et du droit de l'Église aux IV' et ve siècles, Paris, 1979, p. 58-61. 25 Ce document témoigne donc de la présence, au début du III' siècle, d'une communauté juive dans ce limes de l'Empire occidental. La présence juive à Cologne pourrait d'ailleurs bien remonter aux premières années du principat: la cité avait, de fait, acquis dès cette époque une importance tant militaire que commerciale, et le christianisme s'y était implanté. Comme les premières églises recrutaient une partie de leurs adeptes parmi les juifs, la présence chrétienne à la fin du n' siècle pourrait bien constituer le témoignage indirect d'une implantation plus ancienne des juifs à Cologne. Cf. G. G. Archi, Teodosio II e la sua codificazione, Naples, 1976, p. 65-66. 26 Sur cette procédure de saisine directe de l'empereur par des civitates, corpora ou particuliers, cf. E. Andt, La Procédure par rescrit, Paris, 1920, p. 16-37. 27 Elle se trouve en troisième position au titre 8 du livre XVI, mais des études ont montré qu'elle était en réalité antérieure aux deux constitutions reproduites avant elle dans ce titre. Pour une bibliographie regardant la datation de cette loi, cf. G. G. Archi, Teodosio II..., op. cit., p. 64-66. 28 Constantin, Il décembre 321 (C. Th., XVI, 8, 3).
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La curie de Cologne ayant appelé les juifs de la cité à la rejoindre, elle s'est heurtée à un refus, les juifs de la cité arguant de l'existence d'une ancienne observance (pristina observatio) qui les dispensait de cette charge. Les curiales ont décidé, en conséquence, de recourir à l'empereur pour contester le droit à l'immunité des juifs. La chancellerie de Constantin leur a donné une réponse favorable, en décrétant que l'immunité des charges curiales pourrait toutefois continuer de bénéficier à deux ou trois juifs par curie. 1. L'usage inédit de l'expression « lex generalis »
li faut noter que la réponse impériale ne se présente pas sous l'aspect d'un rescrit confirmatoire, mais sous la forme d'une LeJé29 Le recours à une loi montre que le pouvoir entendait ne pas limiter la portée de sa décision au seul cas d'espèce qui lui avait été soumis. Cette affaire avait fourni l' occasio Legis de l'émanation d'une règle générale destinée à régler tous les cas similaires qui se présenteraient dans les cités de l'Empire, ou plus précisément de la Pars occidentaLis (Licinius était encore dans ces années, et jusqu'en 324, le maître de la Pars orientalis). C'est la première fois que l'on rencontre, dans le langage de la chancellerie impériale, l'usage de l'adjectif generaLis accolé au substantif Lex. Le terme de Lex aurait pourtant dû suffire, du strict point de vue de la technique juridique, à souligner la portée générale que Constantin entendait donner à sa décision 30 • Mais Gian Archi a montré que le législateur des IVe et ve siècles recourait dans ses constitutions à l'expression lex generalis chaque fois qu'il avait intérêt à ce qu'aucun sujet ne puisse prétendre échapper à la nouvelle réglementation31 • Ainsi, par exemple, cette constitution de Théodose 1er du 18 juillet 392 qui menaçait de la déportation quiconque « troublerait la foi catholique et le peuple », se disait « loi générale32 ». Une simple « loi» du 16 juin 388 avait antérieurement interdit toute manifestation « en public pour débattre de religion », mais elle n'avait guère intimidé, manifestement, ceux
29 Il s'agit, en outre, de l'une des rares lois du Code Théodosien qui nous soient parvenues sous la forme d'un edicturn et non sous celle d'une epistula adressée à un fonctionnaire. Selon le sondage effectué par Tony Honoré, l'immense majorité des sources recueillies dans le code (97 % à l'Est et 95 % à l'Ouest) ne sont pas des edicti mais des epistulœ, rédigées par les bureaux ab epistulis des deux chancelleries et destinées aux hauts fonctionnaires des provinces. T. Honoré, Law in the Crisis... , op. cit., p. 136. 30 Sur les différents types de constitutions impériales du Bas-Empire, cf. 1. Gaudemet, La Formation du droit séculier... , op. cil., p. 30-42. 31 G. G. Archi, Teodosio 1l. .. , op. cit., p. 72-73. 32 Théodose, 18 juillet 392 (c. Th., XVI, 4, 3).
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auxquels elle était destinée33 • La constitution du 18 juillet 392 réitérait l'interdiction, en prenant soin, cette fois, de souligner qu'elle était « générale ». On voit donc que l'expression avait une portée rhétorique plus que juridique. Ceci ne signifie pas, pour autant, qu'elle fût sans valeur. Il était fréquent que les résistances rencontrées par le législateur dans l'application de ses constitutions fussent d'origine non pas technique mais politique ou, comme ici, religieuse34 • Gian Archi fait encore état d'autres circonstances dans lesquelles la lex voyait son autorité mise en cause. Il arrivait couramment que des civitates, corpora ou particuliers parvinssent à obtenir indûment de la Cour des beneficia ou des immunitates. Présentant dans leurs supplicationes les faits sous un jour qui les avantageait, ils obtenaient du pouvoir central ainsi trompé des rescrits abusifs 35 • La réaction des chancelleries contre ce type de pratique, appelée subreptio ou obreptio, était vive. Valentinien II déclara ainsi que des rescrits obtenus dans de telles circonstances étaient invalidés par les leges ad relationes promulgatœ de son « divin père36 ». La lex était enfin, poursuit Gian Archi, menacée par la concurrence de normes émanant de pouvoirs locaux tels les gouverneurs de province ou les curies municipales37 C'est, allons-nous montrer, pour mieux marquer la primauté de la loi impériale par rapport aux règles locales que la constitution du Il décembre 321 s'était autoproclamée - usage, rappelons-le, inédit à l'époque et dont notre loi constitue la première occurrence (lex generalis). De fait, la pristina observatio annulée par Constantin était, selon toute vraisemblance, l' œuvre d'une instance locale qui avait, pour des raisons que nous expliciterons plus loin, accordé aux juifs l'immunité de la curie. Il faut préciser que l'hypothèse que nous formulons n'est pas partagée par Gian Archi, qui n'inclut pas la loi du Il décembre 321 dans la liste qu'il dresse des constitutions visant à imposer le monopole du pouvoir central dans l'édiction de la norme38 • Il est en effet convaincu, comme l'ensemble de ceux qui ont commenté cette loi, que 1'« ancienne observance » annulée par
Théodose, 16 juin 388 (C. Th., XVI, 4, 2). Pour d'autres exemples de l'usage de l'expression Lex generaLis dans un sens identique, cf. G. G. Archi, Teodosio Il... , op. cit., p. 72-76. 35 G. G. Archi, Teodosio II..., op. cit., p. 77-82. 36 Valentinien, 22 janvier 387 (c. Th., XIII, 3, 13). Voir également la constitution de Théodose du 16 novembre 380 (C. Th., X, 10, 15). 37 G. G. Archi, Teodosio Il..., op. cit., p. 81-83. 38 L'auteur cite ainsi d'autres lois C. Th., XII, 1, 17 ; C. Th., l, 2, 2 et 3 ; C. Th., XV, 1, 5 et C. Th., XII, 1,71, qui annulent des privilèges obtenus concessione iudicum ou conivente curia. Cf. G. G. Archi, Teodosio II..., op. cit., p. 82-83. 33
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la chancellerie de Constantin était une constitution impériale aujourd'hui perdue, elle-même étant une application d'une loi remontant à l'époque des Sévères39 Or, selon nous, une telle interprétation est sujette à caution. La loi des Sévères, dont Constantin aurait, selon l'avis général, proclamé l'abolition, était la suivante Eis, qui Iudaicam superstitionem sequuntur, divi Severus et Antoninus honores adipisci permiserunt, sed et necessitates eis imposuerunt, qui superstitionem eorum non lœderent40• Les divins Sévère et Antoninus ont permis à ceux qui suivent la superstition judaïque d'accéder aux honneurs et ne leur ont imposé que les devoirs qui n'offensaient pas leur superstition.
Le véritable auteur de la loi est probablement Antoninus Caracalla. Elle pourrait certes être l'œuvre du collège des deux empereurs, auquel cas elle aurait été édictée entre 196 et 197, date à laquelle le jeune Caracalla, alors âgé de neuf ans, reçut le titre de Cœsar, et 211, date de la mort de Septime Sévère. Cependant, le titre de divi ne désignait dans la diplomatique impériale que les empereurs défunts 41 . Comme on sait que le De officio proconsulis d'Ulpien, dont la loi est extraite, fut réalisé du vivant de Caracalla, il faut supposer que le terme de divi désignait Septime Sévère, le pluriel résultant d'une interpolation plus tardive et devant être corrigé en divuS 42 • Quoi qu'il en soit, même si la loi devait être l' œuvre de Septime Sévère et remonter en conséquence à une époque - avant l'édit de Caracalla (212) - où les juifs de l'Empire ne bénéficiaient pas encore tous du titre de cives Romani, elle pourrait bien avoir été adressée à ceux d'entre eux qui, déjà à cette époque,
39 Jean Juster propose d'identifier la loi perdue à la constitution à laquelle Valentinien II se réfère dans sa loi du 18-19 avril 383 (c. Th., XII, 1,99). Le texte de Valentinien fait en effet allusion à une ancienne loi en vertu de laquelle les hommes de la loi juive auraient bénéficié de l'inununité des munera curiales. Gian Gian Archi assure quant à lui que la loi de Valentinien se rapporte à celle du Il décembre 321, et Amnon Linder à celle du 29 novembre1er décembre 330, qui - on le verra (p. 37 et suiv.) - accorde l'immunité curiale au clergé juif. Cf. J. Juster, Les Juifs dans l'Empire... , op. cit., vol. J, p. 164, n. 1 ; G. G. Archi, TheodosioIl... , op. cit., p. 108-109 ; A. Linder, Jews in Roman Imperial Legislation (JRIL), JérusalemDetroit, 1987, p. 167, n. 10. 40 Ulpien, D., 50, 2, 3, 3. 41 Pour un avis contraire, cf. E. Volterra, « Sulle inscriptiones di alcune costituzioni di Diocleziano », in BIDR, n° 3, vol. LXXVI, 1973, p. 266-267. 42 Pour une discussion autour de l'attribution de ce texte, cf. G. De Bonfils, « Honores e munera per gli ebrei di età severiana », in Labeo, nO 44, 1998, p. 205-210 et 215-216, ainsi que A. Linder, JRIL, op. cit., p. 105, n. 9.
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avaient obtenu la citoyenneté romaine43 • Elle accordait aux citoyens juifs la pennissio d'accéder aux honores, c'est-à-dire, en l'occurrence, aux magistratures municipales et au décurionat44 • On peut se demander pourquoi les juifs avaient dû obtenir cette autorisation expresse s'ils avaient la qualité de citoyen romain. Il faut supposer que si une pennissio spéciale s'était avérée nécessaire, c'est que les Sévères, à l'époque où ils créaient un nouveau réseau de cités à conseil municipa145 , avaient réalisé que les juifs avaient besoin, pour accéder aux honneurs civiques, d'être déliés expressément de certaines necessitates qui constituaient pour eux un obstacle. Les juifs étaient donc dispensés de certaines necessitates, mot que nous avons traduit par le vocable neutre de «devoirs », comme le propose Giovanni De Bonfils sur la base d'une étude comparative de lois contempofaines qui montrent que le terme de necessitates n'avait pas de sens technique précis46 • Le texte nous permet de préciser la nature de ces devoirs, qui indique qu'ils pourraient « offenser leur superstition ». Il s'agissait donc vraisemblablement du serment exigé des magistrats à leur entrée en fonction,
43 Il Y eut d'assez bonne heure des juifs citoyens romains. Ceci est établi par Cicéron qui décrit une foule de juifs assez puissante à Rome pour exercer une influence sur les assemblées politiques, et par Tacite qui nous apprend que, sous Tibère, 4 000 juifs étaient susceptibles du service militaire. Une première voie ayant mené les juifs à la citoyenneté romaine fut celle de l'affranchissement, et Paul de Tarse a lui-même peut-être obtenu la qualité de citoyen romain par ce biais, comme on peut le comprendre à la lecture de Ac XVI, 37-40 et XXII, 25-29, et surtout de Ac XXII, 24-30, et XXIII, 27. Les esclaves juifs étaient, de fait, très nombreux dans le monde romain. En 63, Pompée avait alimenté les marchés à Rome des prisonniers qu'il venait de faire en Palestine. La guerre de 70, elle aussi, fournit l'Empire d'esclaves juifs 100000 d'après Josèphe. La révolte de Bar Kokhba (132-135) eut le même résultat. Des juifs libres obtinrent également la qualité de citoyens romains de diverses façons. Par faveur individuelle, comme la famille de Philon d'Alexandrie, ou en récompense de services rendus, comme les juifs d'Éphèse, de Délos, de Sardes et d'autres villes d'Asie. Enfin, ceux parmi les juifs qui bénéficiaient du droit de cité dans les villes grecques devenaient citoyens romains quand tous les habitants de cette ville acquéraient ce droit. Cf. J. Juster, Les Juifs dans l'Empire..., op. cit., vol. Il, p. 1-18. De manière générale, les empereurs, dès Auguste, octroyaient assez libéralement la citoyenneté romaine aux élites provinciales dans le but de s'en faire une clientèle, et l'édit de Caracalla de 212 ne serait, selon l'analyse de François Jacques, que la manifestation la plus spectaculaire de cette attitude impériale. Cf. F. Jacques, Rome et l'intégration de l'Empire. 44 av. f.-c. - 260 ap. J.-c., t. 1, Paris, 1990, p. 272-289. 44 Sur le détail des magistratures municipales, cf. C. Lepelley, Les Cités de l'Afrique romaine au Bas-Empire. La pennanence d'une civilisation municipale, Piiris, 1979, t. 1, p. 149-167. 45 l-M. Carrié et A. Rousselle, L'Empire romain en mutation. Des Sévères à Constantin (192-337), Paris, 1999, p. 39. 46 G. De Bonfils, « "Honores" e "Munera" per gli ebrei di età severiana », in Labeo, n° 44, 1998, p. 194-228, particulièrement p. 216-217.
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qui contenait des formules de foi païennes47 Il faut bien souligner pour la suite que les juifs ne furent jamais exemptés que des obligations qui pouvaient entrer en contradiction avec leur culte. C'est si vrai que Modestin nous apprend que, lorsqu'ils tentèrent d'obtenir de Caracalla l'exemption du munus de la tutelle dative, cela leur fut refusé au motif que cette charge ne contredisait pas leur superstition48 • Les curiales juifs devaient donc, comme les autres curiales, s'acquitter de toutes les munera - personalia et patrimonialia - qu'impliquait l'exercice d'une charge municipale49 2. La nature de la pristina observatio
On voit que l'immunité obtenue par la pristina observatio et annulée par Constantin n'avait rien à voir avec l'exemption obtenue à l'époque des premiers Sévères. La loi du Il décembre 321 indique en effet que la pristina observatio dispensait les juifs non pas simplement, comme la loi de Septime Sévère et Caracalla, de quelques obligations, mais bien de la participation à la curie elle-même. Alors qu'à l'époque des Sévères, les juifs avaient réclamé l'accès aux curies - en demandant toutefois que l'on veuille bien les exempter des necessitates qui contredisaient leur strict monothéisme -, ils avaient ultérieurement demandé et obtenu, au contraire, d'en être libérésso • Ce changement d'esprit peut s'expliquer ainsi. À l'époque des Sévères, magistratures municipales et décurionat étaient encore des honneurs recherchés s1 • Il faut insister sur ce point, car il est sans doute à l'origine de la confusion de ceux qui allèguent que l'autorisation faite aux juifs d'accéder à la curie cachait en réalité une charge nouvelle et peu enviable52 • Il est vrai
47 Sur le serment des magistrats romains, cf. Th. Mommsen, Le Droit public romain, trad. F. Girard, 1892, t. II, p. 291-292. Pour une plus ample bibliographie, cf. G. De Bonfils, Omnes... ad implenda munia teneantur. Ebrei, curie et prefetture fra N e V secolo, Bari, 2000, p. 17, n. 44. 48 Modestin, D., 27, 1, 15,6. 49 Les charges municipales (munera civilia) étaient - selon la classification binaire proposée à la fin du III e siècle par Hermogénien - d'une part les prestations gratuites de service (munera personalia), d'autre part les charges financières (munera patrimonialia). Nous reviendrons ultérieurement sur le détail de ces charges. Cf. infra, chap. IV. 50 Il faut noter que Giovanni De Bonfils se refuse, comme nous, à identifier la pristina observatio avec la loi des Sévères. Mais il considère tout de même que cette loi est le témoignage de ce que les juifs cherchaient déjà à l'époque à éviter, pour des raisons religieuses, la participation aux fonctions municipales. Son analyse diffère en cela de la nôtre. Cf. G. De Bonfils, Omnes... ad implenda munia teneantur. Ebrei, curie e prefetture fra Ne V secolo, Bari, 2000, p. 17-18. 51 J. Gaudemet, « Constantin et les curies municipales », in Jura, vol. II, 1951, p. 45, n. 3. 52 M. Sartre, L'Orient romain... , op. cit., p. 407.
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que les charges personnelles et financières dont devaient s'acquitter les curiales étaient, au début du Ille siècle, devenues suffisamment lourdes pour être considérées comme des fardeaux auxquels nombre de notables cherchaient à se soustraire. La fréquence de rescrits exemptant les personnes âgées de soixante-dix ans, les malades et les pères de famille nombreuse témoignent que beaucoup cherchaient à esquiver leurs responsabilités municipales53 Mais l'évolution est moins linéaire qu'il n'y paraît. On peut rencontrer autant de désignations autoritaires sous Auguste, qu'à l'inverse, sous les Sévères, l'existence de volontaires, et même d'une compétition entre notables pour accéder aux charges. François Jacques nous invite à constater, (( à la place d'une évolution synonyme de la déchéance de la cité antique [...], le maintien des principes et, dans les faits, la coexistence de situations très contrastées54 ». Selon nous, donc, la formulation employée dans la loi des Sévères ne laisse pas planer de doute quant à son esprit ces princes avaient (( accordé la permission d'accéder aux honneurs ». Une permission qui, dans le cas présent, était bien considérée comme une faveur. Il semblerait que, après la crise économique du Ille siècle qui avait entraîné des difficultés financières aggravant les charges municipales, plus rares étaient ceux qui recherchaient cet honor. La législation de Constantin et de ses successeurs témoigne que, au Ive siècle, le recrutement devient très difficile55 Les dispositions relatives aux curies occupent ainsi une large place dans le corpus de lois que nous a légué Constantin. Toutes tendent à forcer les citoyens à la curie56 • Nul doute que les décurions de Cologne souffraient de leur condition à l'époque où fut prise la loi du 11 décembre 321. C'est la raison pour laquelle ils avaient cherché, en appelant les juifs de leur cité à rejoindre leur ordre, à se décharger en partie du fardeau qui pesait sur leurs épaules. L'élargissement du nombre de conseillers municipaux était d'un intérêt évident pour la raison principale suivante les curiales pouvaient être chargés de lever l'impôt que réclamaient à leurs cités les représentants de l'empereur au début de chaque année fiscale. Si le montant de cet impôt n'était pas négociable, la marge de manœuvre était considérable quand il s'agissait de le répartir
53 l-P. Coriat. Le Prince législateur...• op. cit., p. 487-492. Pour une liste des rescrits portant exemption des charges curiales sous la dynastie des Sévères. cf. ibid., p. 467-473. 54 F. Jacques, Rome et l'intégration de l'Empire... , op. cit., p. 254-255. 55 Claude Lepelley combat néanmoins cette thèse d'une décadence de l'in~titution curialè. Les documents archéologiques et épigraphiques démontrent au contraire que. dans les provinces africaines, les villes étaient prospères. La législation coercitive s'expliquerait par les nombreux conflits qu'un système qui imposait de si nombreuses obligations aux citoyens ne manquait pas d·engendrer. C. Lepelley. Les Cités de l'Afrique..., op. cit., t. I. p. 243-292. 56 J. Gaudemet. « Constantin et les curies... », op. cit., p. 44-75.
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entre les contribuables, et les curiales s'efforçaient de faire payer par les autres plus que par eux-mêmes le plus lourd des sommes dues. Ceux d'entre eux qui étaient responsables de leur recouvrement, les susceptores et les exactores, descendaient ainsi dans les campagnes pour extorquer à la paysannerie le gros de ce que leur avait réclamé le pouvoir central. Les paysans, dûment menacés par ceux qui étaient également leurs patroni, se résignaient généralement à s'acquitter promptement de leurs dettes fiscales. li arrivait, néanmoins, qu'ils se rebellassent. Les collecteurs d'impôts pouvaient ainsi être accueillis, comme nous le rapporte Libanius d'Antioche, par « un arsenal de pierres ») et s'en retourner en ville « leurs vêtements tachés de sang57 ». Les curiales étaient alors collégialement responsables, auprès de l'administration impériale, des arriérés que suscitaient de tels échecs. Plus ils étaient nombreux, plus leur responsabilité financière était partagée58 • Il ne faudrait pas croire, sous prétexte que les notables avaient jeté leur dévolu sur les juifs, que ces derniers appartenaient nécessairement à une élite économique et sociale. Ce qu'il leur fallait, c'était des personnes pour servir de garantie en cas de rentrée insuffisante des impôts, et les humbles pouvaient faire l'affaire, tant qu'ils disposaient d'un minimum de propriété terrienne 59 Le corps des curies n'était ainsi pas homogène. Une petite minorité de dirigeants privilégiés (les magistrats) manipulait le système fiscal à son profit, en estimant ses propriétés de manière frauduleusement basse et en laissant se creuser ses dettes, tandis qu'elle acculait au contraire la majorité à s'acquitter sans délai de ses impôts. Les curiales de basse condition se trouvaient ainsi rapidement ruinés lorsqu'ils n'arrivaient plus à payer leurs arriérés. Ce n'était pas tout. Ils risquaient en outre un châtiment infamant, la bastonnade, qui, en pratique, rabaissait ces honestiores au rang d' humilioreio.
57 Libanius, Discours sur les patronages, 47, 7 (éd. L. Harmand, Paris, 1955, p. 13-45). Nous empruntons cette manière de voir à P. Brown, Pouvoir et persuasion. Vers un Empire chrétien, Paris, 1998, p.45-46, mais il faut signaler qu'elle n'est pas partagée par Louis Harmand, qui insiste sur le caractère très partial de ce témoignage dans le commentaire qu'il produit avec son édition. Cf. L. Harmand, ibid., p. 66·67 et 168-172. 58 Sur la responsabilité financière collective des magistrats et curiales, cf. N. Charbonnel, Les munera publica au me siècle, thèse de doctorat, université Paris II, 1971, p. 371-374. 59 Pour une définition du possessor et pour une discussion sur le lien entre possessor et curiale, cf. 1. Durliat, Les Finances publiques de Dioclétien aux Carolingiens. 284-889, Sigmaringen, 1990, p. 65-69. Roland Delmaire conteste la quasi-synonymie qu'établit Jean Durliat entre les deux terminologies. Cf. R. Delmaire, « Cités et fiscalité au Bas-Empire », in C. Lepelley et al., La Fin de la cité antique et le début de la cité médiévale. De la fin du me siècle à l'avènement de Charlemagne, 1996, p. 59-70, en particulier p. 68-70. 60 P. Brown, Pouvoir et persuasion... , op. cit., p. 47.
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C'est pour éviter ce sort peu enviable qu'un nombre conséquent de citoyens était parvenu, dans le courant du Ille siècle et encore au IVe siècle, à obtenir par privilège l'immunité de la curie61 • Les juifs de Cologne faisaient partie de ces exemptés, ce qui n'avait pas empêché leur commune de les désigner en méprisant leurs titres ou en arguant de l'intérêt public, espérant que les juifs hésiteraient à engager un procès. Mais, face peut-être à leur détermination, les curiales avaient, plutôt que de saisir le tribunal du gouverneur, préféré saisir directement l'empereur de l'affaire62 • Constantin abolit donc, comme on l'a dit, l'immunité des juifs. Les curies pouvaient dorénavant les contraindre à intégrer leurs corps, sans tenir compte de la pristina observatio qu'ils pourraient leur opposer. Cette pristina observatio pouvait avoir été une constitution émanée d'un empereur. On sait que, au long du lIre siècle, le pouvoir central avait couramment accordé de telles exemptions par rescrits, en réponse aux supplicationes de particuliers ou de collectivités de diverses natures 63 • Mais, plutôt que d'imaginer l'existence d'une constitution perdue, nous aurions tendance à penser que le privilège avait été obtenu d'un pouvoir local. Ceci expliquerait pourquoi la chancellerie choisit de désigner le texte abrogé par le terme d' observatio et non par celui de constitutio ou de lex, comme c'était l'usage pour désigner les normes émanant du pouvoir central. Le mot choisi dévaluait le caractère normatif du décret émané de l'autorité locale. De fait, les gouverneurs multipliaient les exemptions de complaisance, car elles leur permettaient de mieux asseoir leur pouvoir dans les provinces64 . Il arrivait également que les civitates et les curies elles-mêmes accordent à certains la vacatio des munera curiales, ce qui est plus surprenant puisque,. pour les raisons exposées ci-dessus, ces exemptions tournaient nécessairement au détriment des libérateurs. On peut penser, comme Jean Gaudemet, que cette mansuétude des conseillers municipaux était provoquée par la pauvreté des requérants 65 • Mais, pour Gian Archi, la concession d'immunitates
61 Une autre pratique répandue consistait à intégrer frauduleusement l'armée ou les officia. On montrera plus loin que les juifs curiales usèrent de ce stratagème, et que la fuite des curiales juifs ad militum joua un rôle non négligeable dans l'interdiction faite aux juifs d'entrer dans le fonctionnariat au début du ve siècle. Cf. chap. IV, p. 178. 62 Le sort de ceux qui voulaient se prévaloir d'excusationes ou de vacationes pour éviter un munus donné dépendait du pouvoir discrétionnaire du gouverneur dans ltt cadre de son tribunal. Cf. N. Charbonnel, Les Munera publica..., op. cit., p. 365-370. 63 G. G. Archi, Teodosio II..., op. cit., p. 77-78. 64 Dioclétien avait ainsi dû ordonner que cessât cette bienveillance des gouverneurs, en partie responsable de la désertion des curies. Cf. C. 1., X, 32, 13. 65 J. Gaudemet, « Constantin et les curies... », op. cit., p. 54-55.
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constituait surtout une arme politique dont usaient les curies pour élargir leur influence66 • Or, la chancellerie impériale supportait mal l'autonomie que revendiquaient de la sorte les autorités provinciales et municipales. Dioclétien avait réformé les structures politico-administratives de l'Empire dans le sens d'une plus grande centralisation du pouvoir, réformes qui avaient ouvert la période du « dominat ». L'« absolutisme impérial », déjà bien affirmé en ce début du IVe siècle, s'extériorisait entre autres par la revendication d'un monopole dans l'édiction de la norme et dans l'octroi de beneficia et d'immunitates. À partir de cette époque, la chancellerie était souvent intervenue pour rendre inapplicables les decreta des gouverneurs de provinces et des curies. Il faut ajouter que Constantin devait être d'autant plus enclin à annuler ce type d'immunité qu'il avait bien l'intention de lutter contre la désertion des curies. Notre loi compte, de fait, parmi les premières d'une longue série. L'empereur tenta en effet, dans les années 330, de multiplier les contraintes hérédité des charges curiales, interdiction d'y échapper, restitution aux curies de ceux qui les avaient désertées. La pristina observatio annulée à Cologne pourrait donc être un décret que les juifs auraient obtenu du gouverneur de la province de Germanie Seconde ou, pourquoi pas, des magistrats colonais eux-mêmes, alors plus sensibles aux demandes de privilèges des juifs de leur cité que ne devaient l'être leurs successeurs67 Un dernier élément semble renforcer notre hypothèse. L'empereur ordonne aux curies d'octroyer« en consolation» l'immunité à deux ou trois juifs par curie. Le sens de cette limitation pourrait paraître incongru, compte tenu du fait qu'aucun critère d'attribution n'est indiqué. Mais, si l'on considère que les curies avaient eu tendance, dans les périodes précédentes, à étendre exagérément ce privilège, la restriction de Constantin prend tout son sens. En fixant un nombre réduit de privilégiés, le pouvoir central élimine le gain politique de l'utilisation de ces leviers. La marge de liberté des curies est, désormais, strictement encadrée par la loi. Le pouvoir central doit être seul à pouvoir adoucir (placare) et alléger (lenire) la rigueur des lois (rigor iuris) (c. Th., I, 2, 2 et 3). Ce qui lui permet de conjuguer avec bonheur deux
G. G. Archi, Teodosio IL, op. cit., p. 82-83. La procédure de recrutement dans l'ordre des décurions est mal connue, mais elle semble attribuer un rôle central aux magistrats des cités. Cf. F. Jacques, Les Cités de l'Occident romain, du l" siècle av. J.-C. au IV siècle ap. J.-c., Paris, 1990, p. 105-107. 66 67
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impératifs contradictoires le réalisme financier, qui l'oblige à restreindre le nombre des exemptés, et l'évergétisme68 . La loi qui devait suivre quelque dix années plus tard, quoique mettant en jeu les mêmes mécanismes, allait être promulguée dans une tout autre perspective.
B. Un privilège bénéficiant aux seuls cadres du judaïsme En 330, et alors qu'il régnait désormais sur la Pars orientalis où vivait une importante population juive, Constantin décida que l'immunité de la curie, jusque-là accordée aux juifs de manière certes parcimonieuse mais néanmoins indifférenciée, serait désormais réservée aux seules autorités religieuses qui, affirmait-il, devaient avoir le temps de se consacrer entièrement à leur ministère. Cette politique consistant à privilégier spécialement le « clergé» juif allait être reconduite par les empereurs orientaux et, jusqu'au début du ve siècle, également par leurs collègues occidentaux. 1. La loi de Constantin du 29 novembre - 1er décembre 330
Il nous reste deux versions de cette loi. La première, datée du 29 novembre, est adressée à un proche conseiller de Constantin, le préfet du prétoire d'Orient Flavius Ablabius Qui devotione tota synagogis Iudœorum patriarchis vel presbyteris se dederunt et in memorata secta degentes legi ipsi prœsident, inmunes ab omnibus tam personalibus quam civilibus muneribus perseverent, ita ut illi, qui iam forsitan decuriones sunt, nequaquam ad prosecutiones aliquas destinentur, cum oporteat istiusmodi homines a locis in quibus sunt nulla conpelli ratione discedere. Hi autem, qui minime curiales sunt, perpetua decurionatus immunitate potiantur69 Ceux qui se sont entièrement donnés aux synagogues des juifs en tant que patriarches et en tant que prêtres et qui, vivant dans la susdite secte, président à sa loi, continuent d'être dispensés de toute charge tant personnelle que civile, de sorte que ceux qui seraient déjà décurions ne soient plus affectés à des escortes, vu qu'il convient que de telles personnes ne soient contraintes pour quelque raison que ce soit à s'éloigner de leurs résidences. Quant à ceux qui ne sont pas curiales, qu'ils jouissent à perpétuité de l'immunité du décurionat.
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Sur cette double motivation des rescrits impériaux, cf. J.-P. Coriat, Le Prince législa-
teur... , op. cit., p. 479 et suiv. 69
Constantin, 29 novembre 330 (c. Th., XVI, 8, 2).
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La seconde version, qui est datée du 1er décembre 330, a pour destinataires les intéressés eux-mêmes, « prêtres, archisynagogues, pères des synagogues et autres desservants de ces lieux » Hiereos et archisynagogos et patres synagogarum et ceteros, qui synagogis deserviunt, ab omni corporali munere Ziberos esse prœcipimus7o . Nous ordonnons que les prêtres, archisynagogues, pères des synagogues et tous ceux qui assurent le service des synagogues soient exempts de toute obligation corporelle.
La mesure concerne les « patriarches » et « prêtres » (loi du 29 novembre), auxquels s'ajoutent les « archisynagogues »et « pères des synagogues » (loi du 1er décembre). Cette nomenclature se rencontre également ailleurs dans le Code Théodosien dans une loi du 17 avril 392, il est question des « patriarches» ; une loi du 1er juillet 397 cite les « patriarches », « archisynagogues » et « prêtres » ; une loi du 3 février 398 mentionne les « patriarches ». La fonction de patriarche indiquée au pluriel signale que le texte ne visait sans doute pas le patriarche de Palestine (Nassi en hébreu), mais des personnalités de rang inférieur à ce dernier. La hiérarchie comprend également des « archisynagogues » qui se situeraient à un grade supérieur à celui des patriarches. Les presbyteri n'étaient pas des prêtres (cohanim), cette fonction ayant disparu avec la destruction du Temple de Jérusalem, ni, sans doute, les presbyteri membres du Sanhedrin présidé par le patriarche de Tibériade, mais des chefs de synagogues locales. Quoi qu'il en soit, attribuer à chacun de ces titres un rang et une fonction précise dans les communautés juives est une tâche ardue à laquelle se sont attachés et s'attachent encore de nombreux historiens du judaïsme, qui n'ont souvent pour source que ces textes du Code Théodosien71 • L'essentiel, pour ce qui nous occupe ici, est de retenir que les autorités visées par la loi de Constantin n'étaient pas seulement celles qui constituaient les instances centrales du judaïsme en Palestine, mais également les chefs religieux de la Diaspora dans son ensemble. La loi commençait par confirmer les privilèges que ces autorités avaient déjà obtenus. On ne s'étonnera pas que ces exemptions avaient en pratique
Constantin, 1er décembre 330 (c. Th., XVI, 8, 4). 71 Cf. 1. Juster, Les Juifs dans ['Empire..., op. cit., vol. I, p. 391-400, et A. Linder, JRIL, op. cit., p. 132-138. Voir aussi G. De Bonfils, Omnes ad implenda... , op. cit., p. 20-30, qui fournit également, dans les notes de ces pages, une importante bibliographie sur la question, dont notamment L. 1. Levine, The Synagogue in Late Antiquity, Philadelphia, 1987, et, du même auteur, The Rabbinic Class ofRoman Palestine in Late Antiquity, Jérusalem-New York, 1989. 70
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été accordées de préférence aux chefs religieux qui, jouissant d'une autorité certaine au sein de leurs communautés, devaient être, à ce titre, des clients précieux pour les autorités municipales. Ces chefs religieux pourraient, stipulait la loi de 330, continuer d'être immunisés de toute charge, tant personnelle que civile (inmunes ab omnibus tam personalibus quam civilibus muneribus). D'après Hennogénien, était qualifiée de « personnelle » une charge qui « exigeait ordinairement travail physique, activité de l'esprit et vigilance72 ». Il s'agissait de prestations de services, définies par opposition, à suivre Hennogénien, aux charges patrimoniales qui consistaient dans le paiement d'une somme d'argent ou dans le versement de produits en nature. Notre loi, qui oppose munera personnelles et civiles, se départit quelque peu de ce système de classement, mais il ne fait pas de doute que ces deux catégories recouvraient l'ensemble des munera, personnelles et patrimoniales. C'est ce que confirme la fin du texte, qui précise que les bénéficiaires des exemptions seront immunisés de la charge du décurionat tout entière. Tous les chefs religieux n'avaient pourtant pas obtenu cette immunité et, en conséquence, avaient été forcés d'intégrer les curies de leurs cités. On a dit plus haut que les chefs religieux occupaient une place privilégiée au sein de leurs communautés. Mais, dans la course à l'obtention de ce privilège, ils avaient pu être concurrencés par des notables juifs laïcs. La loi dispense donc les juifs religieux déjà curiales des seules obligations corporelles qui les affectaient à des escortes et les obligeaient à voyager loin de leurs résidences. Ils demeurent par ailleurs redevables de toutes les autres munera patrimonialia et personalia. Constantin ne souhaitait manifestement pas opérer un nouveau bouleversement dans la composition des curies, bouleversement qui aurait pu susciter d'éventuels désordres. Après le premier écrémage de 321 primait le souci d'en rester à un statu quo. Ce même souci de stabilisation des curies amène l'empereur à préciser que les chefs religieux bénéficiant de l'exemption des charges curiales jouiront de ce privilège à perpétuité, ce qui signifie que l'immunité sera transmise à leurs descendants par la voie masculine73 Constantin donnait naissance, par ce moyen, à de véritables dynasties de privilégiés, héréditaires et stables.
72 HermogéIÙen, D. 50,4, 1, 3 «lllud tenendum est generaliter, personale quidem munus esse, quod corporibus, labore, cum sollicitudine animi, ac vigilantia solemnitÙ extitit. » Voir le commentaire de F. Jacques, Les Cités de l'Occident romain, du r siècle av. J.-C. au IVe siècle ap. J.-c., Paris, 1990, p. 121-123. 13 Sur le sens et la portée des privilèges dits perpétuels, qui sont héréditaires, cf. Modestin, D., 50, 6,4. Une loi de Constantin de 337 (c. Th., XII, 5, 2) dispense également à perpétuité les sacerdotales, flamines et duumvirs de certains munera sordida.
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La seconde version de la loi, celle du 1er décembre 330, semble, à première vue, contredire la première. Elle indique en effet aux chefs religieux juifs qu'ils ne seront plus exemptés que des charges corporelles, souscatégorie des charges personnelles qui requièrent essentiellement un travail corporef4. Ce sont, en d'autres termes, les corvées, les munera sordida. Estce à dire que ces exemptés devront tout de même s'acquitter des autres charges personnelles et patrimoniales ? Pour Giovanni De Bonfils, la seconde loi fixe un régime d'exemption différent du premier, ce qui tient au rang inférieur qu'occuperaient les « prêtres, archisynagogues et pères de synagogues » par rapport aux «patriarches et prêtres » visés dans la première version 7s . Ce type d'exemptions partielles était en effet envisageable, ainsi que le rapporte une loi citée par Papinien «On a décidé que les philosophes qui emploient fréquemment et utilement leur temps à former des personnes de leur secte seront exempts de la tutelle ainsi que des emplois sordides qui exigent un travail corporel, mais non des charges patrimoniales : car les vrais philosophes méprisent l'argent, et ceux qui se montrent attachés à leurs biens ne méritent pas ce nom76 • » Mais la distinction opérée par Giovanni De Bonfils entre une cléricature juive inférieure et supérieure nous semble peu sûre, compte tenu de l'incertitude qui demeure encore - comme nous l'avons écrit plus haut - sur le sens exact de la nomenclature juive. La contradiction entre ces deux versions, qui sont très rapprochées dans le temps, pourrait n'être qu'apparente et s'expliquer par une logique interne à la transmission des sources. La seconde loi pourrait être une version plus courte, qui préciserait un seul des aspects de l'immunité du clergé juif, à moins qu'elle ne soit un résumé des dispositions adressées aux autorités juives déjà curiales, dont on se souvient qu'elles n'étaient dispensées que de l'obligation d'escorte. La loi du 30 novembre - 1er décembre 330 servait le projet de Constantin d'établir, par l'octroi de bénéfices, des liens de clientèle avec les chefs religieux, et de s'assurer, par cette reconnaissance officielle et institutionnelle, de leur collaboration lors d'éventuelles crises à venir77 Tout pouvoir a
Sur les munera corporalia, cf. N. Charbonnel, Les Munera publica... , op. cit., p. 68-70. G. De Bonfils, Omnes... ad implenda..., op. cit., p. 3l. 76 Papinien (D., 50, 5, 4) «Philosophis, qui se frequentes atque utiles per eandem studiorum sectam contendentibus prœbent, tutelas, item munera sordida corporalia remitti placuit; non ea quœ sumptibus expediuntur etenim vere philosophantes pecuniam contemnunt, cuius retinendœ cupidine fictam adseverationem detegunt. » 77 Signalons une interprétation de la loi de 330 opposée à celle que nous proposons. Loin d'envisager, comme nous, une quelconque stratégie de Constantin consistant à encadrer les autorités juives, Giovanni De Bonfils estime que l'empereur voulait, dans un contexte 74 75
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besoin de rencontrer en face de lui une communauté stable et constituée avec qui il peut discuter et négocier. Cette stratégie est confirmée ultérieurement par le fait que, dans certaines constitutions, on demandera expressément aux autorités juives de discipliner des coreligionnaires trop agités 78 • Il faut remarquer que Constantin ne faisait là qu'étendre aux autorités juives la stratégie qu'il appliquait aux autres chefs religieux. L'immunité curiale bénéficiait traditionnellement aux prêtres païens79 et elle avait été concédée, par une loi du 31 octobre 313 (ou 319), au sacerdoce catholique 80 La loi du 29 novembre 330 était d'ailleurs rédigée sur le modèle de la loi du 31 octobre 313, comme le révèle une version de ce texte du 21 octobre 319, dont les termes sont fort proches de ceux de 330 Qui divino cultui ministeria religionis inpendunt, id est hi, qui clerici appellantur, ab omnibus omnino muneribus excusentur, ne sacrilego livore quorundam a divinis obsequiis avocentur81 • Ceux qui se consacrent au culte divin, c'est-à-dire ceux qui sont appelés clercs, seront exemptés entièrement de toutes les charges publiques pour ne pas être distraits des devoirs divins par la jalousie sacrilège de quelques-uns.
Le législateur est manifestement allé puiser dans ce texte la justification juridique de sa politique, adaptant au cas juif l'argument que lui proposait cette source82 • La constitution de 319 affIrmait vouloir libérer les ecclésiastiques de la curie car ces derniers « se consacraient au culte divin ». La loi de
(l'Orient) où les membres du clergé juif étaient plus nombreux qu'en Occident, étendre l'exemption de deux ou trois personnes concédée en Occident à tous les juifs religieux. Il s'agissait donc simplement, selon cet auteur, de rétablir l'injustice qu'aurait créée, en Orient, l'application de la loi de 321 trop restrictive au regard de la réalité juive orientale. Cf. G. De Bonfils, Omnes... ad implenda... , op. cit., p. 27-28. 78 Nous pensons à la constitution du 18 octobre 329 (c. Th., XVI, 8, 1) et à celle du 17 avril 392 (c. Th., XVI, 8, 8). On peut également subodorer que la prudence affichée par le patriarcat lors de la révolte juive survenue sous Constance II en Galilée et sa neutralité pendant la restauration païenne conduite par Julien l'Apostat étaient un résultat de cette stratégie. Sur l'attitude des autorités juives de Palestine, cf. M. Avi-Yonah, The Jews of Palestine. A Political History from the Bar Kokhba War to the Arab Conquest, Oxford, 1976, p. 176-181 et 193-198. 79 Les immunités des prêtres de la religion italo-romaine furent confirmées par une loi rendue sous le nom de l'empereur Constantin défunt (c. Th., XII, 5, 2). Ce privilège leur sera retiré par une constitution d'Arcadius du 7 septembre 396 (C. Th., XVI, 10,'14). 80 Constantin, 31 octobre 313 (ou 319) (c. Th., l, 1, 2). Une loi de même teneur est documentée par Eusèbe de Césarée, Hist. eccl., 10,7,2. Cf. C. Dupont, « Les privilèges des clercs sous Constantin », in RHE, n° 62, 1967, p. 729-762. 81 Constantin, 21 octobre 319 (c. Th., XVI, 2, 2). 82 Cf. l-P. Coriat, Le Prince législateur..., op. cit., p. 513.
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330 pose dans le même esprit que ne doivent pas être contraints à s'éloigner de leurs résidences « ceux qui se sont entièrement donnés aux synagogues [...] ».
2. Effets pervers, ajustements et réitération de la loi de 330
Promettre l'immunité aux membres des clergés juif et chrétien ouvrait cependant une brèche dangereuse. Elle incitait ceux qui voulaient échapper aux curies à entrer dans les rangs de la cléricature. Chez les chrétiens, le nombre de clercs augmenta de fait rapidement, à en croire deux constitutions de 329 qui interdirent l'exemption des charges publiques sub specie clericorum, et qui empêchèrent de recruter dans les ordres ceux qui appartenaient à des familles de décurions ainsi que ceux que leur fortune prédisposait à assurer des charges municipales83 • Nul doute que les juifs allaient être tentés, eux aussi, d'exploiter cette possibilité d'échapper à la curie. La loi émise par la chancellerie occidentale de Gratien le 18 ou 19 avril 383 eut précisément pour objet de mettre un terme à cet abus /ussio, qua sibi iudœœ legis homines blandiuntur, per quam eis curialium munerum datur immunitas, rescindatur, cum ne clericis quidem liberum sit prius se divinis minsteriis mancipare, quam patriœ debita universa persolvant. Quisquis igitur vere deo dicatus est, alium instructum facultatibus suis ad munera pro se complenda constituat 84 • Le droit dont se prévalent les hommes de la loi juive, qui leur confère l'immunité des charges curiales, doit être aboli, car même les clercs ne sauraient être libres de se consacrer aux divins mystères, tant qu'ils ne se sont pas acquittés de ce qu'ils doivent à leur patrie. Ainsi, quiconque veut véritablement se consacrer à Dieu doit fournir un autre homme à qui il aura transféré ses richesses, et qui remplira les charges à sa place.
La chancellerie s'attaquait à la pratique de certains juifs qui s'étaient « dédiés à Dieu» alors qu'ils étaient des curiales. Un moyen efficace de
contrer ce subterfuge était de réclamer aux curiales un remplaçant. Ceci revenait en pratique à leur ordonner de transférer les propriétés qu'ils possédaient sur le territoire de la cité au nouveau curiale. Amnon Linder éclaire en effet le sens exact de ce qui était demandé au candidat clerc, en
83 Sur la lutte contre la désertion des curies par l'entrée dans le clergé, cf. J. Gaudemet, « Constantin et les curies... », op. cit., p. 70-72, et C. Lepelley, Les Cités de l'Afrique...., op.
cit., p. 281-287. 84
Gratien, 18 ou 19 avril 383 (C. Th., XII, 1, 99).
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rapprochant notre loi d'une loi de Jovien du 12 septembre 36485 Cette loi subordonnait l'exemption de la curie pour les clercs ordonnés (à l'exception des évêques) à une autorisation des curies et du peuple, en l'absence de laquelle les curiales devaient transférer deux tiers de leur propriété à un parent ou à la curie elle-même, de manière à ce que soit assurée la continuité de leur charge Qui partes eligit ecclesiœ, aut in propinquum bona propria conferendo eum pro se faciat curialem aut facultatibus curiœ cedat quam reliquit, ex necessitate revocando eo, qui neutrum fecit, cum clericus esse coepisset86• Celui qui a été élu membre de l'Église doit soit abandonner ses biens personnels à quelqu'un d'autre qui deviendra curiale à sa place, soit les céder à la curie qu'il abandonne. TI est nécessaire de rappeler à la curie celui qui n'aurait fait ni l'un ni l'autre, et cela même s'il a déjà commencé à exercer les fonctions de clerc.
Il s'agissait donc de mettre fin à une dérive. Pendant plusieurs décennies, le système fonctionna bien. Une loi d'Arcadius du 1er juillet 397, ou, faudraitil dire, du chambellan Eutrope qui gouvernait dans les faits la Pars orientalis à cette époque87 , réitéra le privilège des autorités religieuses juives, qui nous apprend dans le même temps que Constance, Valens, et, à l'Ouest, Valentinien, l'avaient eux aussi confirmé avant lui. Iudœi sint obstricti cœrimoniis suis nos interea in conservandis eorum privilegiis veteres imitemur, quorum sanctionibus definitum est, ut privilegia his, qui illustrium patriarcharum dicioni subiecti sunt, archisynagogis patriarchisque ac presbyteris ceterisque, qui in eius religionis sacramento versantur, nutu nostri numinis perseverent ea, quœ venerandœ christianœ legis primis clericis sanctimonia deferuntur. id enim et divi principes constantinus et constantius, valentinianus et valens divine arbitrio decreverunt. sint igitur etiam a curialibus muneribus alieni pareantque legibus suis 88 • Que les juifs restent liés à leurs propres rites. Quant à nous, en leur conservant leurs privilèges, nous imiterons les Anciens, par les décisions desquels il a été établi, par notre volonté sacrée, les mêmes privilèges que ceux
A. Linder, JRIL, op. cit., p. 164-165. Jovien, 12 septembre 364 (C. Th., XII, 1, 59). 87 Né en 377, Arcadius fut fait auguste du vivant de son père Théodôse en 383. Il commença son règne en Orient à partir de la mort de ce dernier en 395. C'est néanmoins Eutrope qui, après avoir comploté avec Stilicon pour assassiner son rival Rutin le 27 novembre 395, gouverna dans les faits jusqu'à l'été 399. Cf. E. Stein, Histoire du Bas-Empire..., op. cit.. p. 228-230 et 233-235, ainsi que T. Honoré, Law in the Crisis..., op. cif., p. 77-78. er 88 Arcadius, 1 juillet 397 (C. Th., XVI, 8, 13). Cf. A. Linder, JRIL, op. cit., p. 202. 85
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qui sont accordés, en raison de leur sainteté, aux preIIÙers des clercs de la vénérable loi chrétienne, à ceux qui sont SOUIIÙS à l'autorité des illustres patriarches, à savoir, les chefs de synagogues, les patriarches, les prêtres et tous ceux qui se consacrent au service de cette religion. C'est en effet ce que décidèrent les divins princes Constantin, Constance, Valentinien et Valens par une sentence divine. Qu'ils soient donc exempts des charges curiales et soumis à leurs propres lois.
Sur le fond, la loi ne prend pas de nouvelles dispositions par rapport à celle de 331. Mais elle a ceci d'intéressant qu'elle met en œuvre certaines des méthodes argumentatives que Jean-Pierre Coriat a mises en lumière pour l'époque sévérienne89 Le premier type d'argument consiste à invoquer l'imitatio des Anciens, le législateur citant le nom de plusieurs empereurs « C'est en effet ce que décidèrent les divins princes Constantin, Constance, Valentinien et Valens par une sentence divine. » Cette accumulation des noms était un procédé utilisé pour renforcer la légitimité de la mesure. Le second type de justification consiste à étendre une règle relative à une institution déterminée à une autre. Le texte fait référence à ce qui a été concédé aux ecclésiastiques, assurant vouloir faire bénéficier les autorités juives « des mêmes privilèges que ceux qui sont accordés, en raison de leur sainteté, aux premiers des clercs de la vénérable loi chrétienne ». Référence est donc faite, cette fois explicitement, au clergé chrétien. Les rabbis bénéficiant des mêmes privilèges que ceux du clergé chrétien, ils forment donc, par analogie, un « clergé ». Le 3 février 404, Arcadius recommandait encore au préfet du prétoire d'Orient Eutychianus le respect de ces privilèges «Nous ordonnons que tous les privilèges garantis par notre père de divine mémoire et par les empereurs avant lui aux excellents patriarches et à ceux qui sont préposés par eux à la garde des autres soient maintenus en vigueur90 • » La conséquence logique de cette politique consista à assurer spécialement la protection du patriarche de Tibériade et à renforcer son pouvoir. Une loi d'Arcadius adressée au comte d'Orient Claudien le 24 avril 396 menaça d'une « sentence vengeresse» ceux qui oseraient « porter en public des propos injurieux sur les illustres patriarches 91 ». Porter atteinte à l'honneur du chef juif de Palestine revenait, nous apprend la loi, à insulter un illustris, 89 Les méthodes argumentatives observées dans les décisions législatives sévériennes remontaient elles-mêmes à l'époque prétorienne. Cf. l-P. Coriat, Le Prince législateur... , op. cit., p. 549. 90 Arcadius, 3 février 404 (c. Th., XVI, 8, 15) «Cuncta privilegia, quœ viris spectabilibus patriarchis vel his, quos ipsi ceteris prœposuerunt, divœ memoriœ pater noster adque retro principes detulerunt, suum robur tenere censemus. » 91 Arcadius, 24 avril 396 (c. Th., XVI, 8,11) «Si quis audeat illustrium patriarcharum contumeliosam per publicum facere mentionem, ultionis sententia subiugetur. »
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fonctionnaire romain appartenant au rang le plus élevé de la hiérarchie sénatoriale, ce que le pouvoir ne pouvait tolérer. Constantinople adressa également le 28 février 396 un édit à la population juive de Palestine, lui assurant que le contrôle des prix dans les marchés juifs était de la compétence exclusive du patriarche92 • Les gouverneurs de province devaient veiller à ce que les fonctionnaires romains normalement habilités à cette tâche, les discussores et moderatores93 , n'osent pas fixer les prix des marchandises mises en vente dans ces marchés 94 • La politique inaugurée par Constantin devait se prolonger en Orient. Jusqu'à ce que, pour des raisons politiques, religieuses et économiques que nous préciserons plus loin, le pouvoir décide qu'il n'avait plus besoin de l'institution du patriarcat de Palestine95 Une loi du 31 janvier 438 énoncera en conséquence «Il n'est pas question d'exempter quiconque de la curie, sans quoi nous semblerions garantir un privilège d'exemption à des hommes exécrables et à l'ambition répréhensible, que nous voulons condamner par l'autorité de la présente constitution. )) Le gouvernement occidental, quant à lui, n'attendit pas cette date pour adopter une attitude plus réservée.
c. Une politique plus réservée en Occident à partir du début du ve siècle Autour de l'année 400 en Occident, le pouvoir fut par trois fois saisi de questions regardant les autorités juives ainsi que le patriarcat de Palestine, ce qui lui donna l'occasion de se prononcer sur la manière dont il concevait la place de ces autorités. On verra qu'il refusa l'immunité curiale aux autorités juives, reniant la politique menée à leur égard en Orient. 1. Le refus de l'immunité curiale aux autorités juives italiennes
Un an après la confirmation par Arcadius de l'immunité curiale du clergé juif, la chancellerie du magister utrumque militiœ Flavius Stilicon, à qui Théodose avait confié sur son lit de mort le gouvernement provisoire de l'Empire et le soin de son jeune fils Honorius, émit en 398 la décision suivante96
92 C. J., l, 9, 9. Comme le note Amnon Linder, cette loi était à l'origine uniquement destinée à la Palestine, la formulation plus générale (provinciarum au lieu de provinciœ) ayant été ajoutée sous Justinien. Cf. A. Linder, JRJL, op. cit., p. 194. 93 R. Delmaire, Largesses sacrées... , op. cit., p. 297-301. 94 Arcadius, 28 février 396 Cc. Th., XVI, 8, 10). 95 Cf. chap. IV, p. 205. 96 De même que la Pars orientalis n'était pas, de 395 à 399, gouvernée réellement par l'empereur Arcadius, la Pars occidentalis n'était pas gouvernée par Honorius mais, de 395 au
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Vaccillare per apuliam calabriamque plurimos ordines civitatum comperimus, quia iudaicœ superstitionis sunt et quadam se lege, quœ in orientis partibus lata est, necessitate subeundorum munerum œstimant defendendos. [taque hac auctoritate decernimus, ut eadem, si qua est, lege cessante, quam constat meis partibus esse damnosam, omnes, qui quolibet modo curiœ iure debentur, cuiuscumque superstitionis sint, ad complenda suarum civitatum munia teneantur97 • Nous avons appris que plusieurs individus appartenant aux ordres [curiales] de cités d'Apulie et de Calabre étaient pris d'hésitations, parce qu'ils étaient de superstition judaïque et qu'ils estimaient être exemptés de la nécessité de remplir leurs charges par une dite loi qui aurait été passée en Orient. C'est pourquoi nous ordonnons par cette autorité que cette loi, si tant est qu'elle existe, soit suspendue, parce qu'il est évident que, pour ce qui concerne nos régions, elle est dommageable, et que tous ceux qui sont obligés pour quelque raison que ce soit de servir légalement à la curie, à quelque superstition qu'ils appartiennent, soient tenus de remplir leurs charges dans leurs cités.
Les juifs curiales d'Apulia Calabria - province que sa situation géographique au sud de la péninsule italique plaçait aux portes de l'Orient - avaient manifestement été rapidement informés de la décision d'Arcadius du 1er juillet 397. Il faut croire que les autorités de la Diaspora italienne ne bénéficiaient alors pas de l'immunité de la curie. Il est vrai que Valentinien, empereur de la Pars occidentalis, l'avait pourtant octroyée en son temps98. Mais que cet empereur ait été Valentinien 1er ou Valentinien II, qu'il soit donc mort en 375, ou en 392, ne changeait rien à l'affaire. Les privilèges avaient en effet pour unique source la bonne volonté des empereurs99 Pour autant, même si les empereurs n'étaient pas liés juridiquement par les décisions de leurs prédécesseurs, ces décisions avaient tout de même valeur de précédents susceptibles de soutenir les revendications des requérants. Là ne fut pourtant pas la stratégie adoptée par les curiales juifs de ces communautés qui, plutôt que d'invoquer la loi de Valentinien, préférèrent plaider
22 aoftt où il fut assassiné sur l'ordre d'Honorius, par le régent Stilicon. E. Stein, Histoire du Bas·Empire... , op. cit., p. 226-228 et p. 252-254, et T. Honoré, Law in the Crisis... , op. cit., p.212. 97 Honorius, 13 février (ou septembre) 398 (c. Th., XII, l, 158). 98 Le texte en question ne nous est pas parvenu, mais il est mentionné par la constitution d'Arcadius du 1er juillet 397. 99 Si, selon Theodor Mommsen, le privilège perdait automatiquement sa validité à la mort de l'empereur qui l'avait octroyé, et devait en conséquence être formellement prolongé par son successeur, Riccardo Orestano estime au contraire que la confirmation des anciens privilèges par les nouveaux empereurs s'explique par des raisons pratiques, et non par une théorie légale. R. Orestano, « lus singulare e privilegium.... », op. cit., p. 30.
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l'unité juridique de l'Empire, affinnant que le privilège décrété par Arcadius était applicable à la Pars occidentalis. La chancellerie feignit, pour des raisons sans doute rhétoriques, de douter de l'existence de cette loi. Même si elle existait, elle devrait, ajoutait-elle, être abolie en Occident. La constitution du 1er juillet 397 avait pourtant été rendue au nom d'Arcadius mais aussi d'Honorius. On tient ici une indication de la valeur réelle des inscriptions collégiales figurant en tête des constitutions. Jean Gaudemet n'accorde de fait que peu de portée au principe de l'unanimitas, selon lequel une constitution prise par un empereur aurait été de plein droit applicable à tout l'Empire. Ce principe n'était selon lui qu'une « façade constitutionnelle », la dualité des chancelleries ayant entraîné presque forcément, dans un contexte où les rapports entre les empereurs des deux partes étaient souvent tendus, une limitation de la portée des constitutions à la seule partie de l'Empire où elles étaient émises 100. Mais, selon Tony Honoré, qui utilise précisément la loi du 13 septembre 398 pour contester l'analyse de Jean Gaudemet, le fait que la chancellerie occidentale avait estimé nécessaire de déclarer suspendre l'application de la loi de 397 prouverait qu'il existait toujours un doute sur l'étendue de l'application de ces lois, preuve que le principe d'unanimitas était bien présent dans les esprits 101. Ces questions de principe paraissent, quoi qu'il en soit, ne pas avoir perturbé la chancellerie. Dans sa réponse aux juifs, elle ne se place pas sur le plan du droit, mais met en avant des arguments purement financiers. Il n'est pas question d'appliquer la loi de 397 « parce qu'il est évident que, pour ce qui concerne nos régions, elle est dommageable l02 ». La situation financière de l'Empire occidental était de fait, dans ces années-là, catastrophique. Le pouvoir occidental était ruiné par des années de guerre. Flavius Stilichon avait parcouru la frontière du Rhin pour affermir la paix avec les Germains de cette contrée, rétabli l'ordre dans le diocèse de l'Illyricum (occidental), et était venu en aide au gouvernement oriental, dans sa guerre
100 L'auteur rappelle ainsi que, si l'on fait souvent remonter le partage de l'Empire à la mort de Théodose en 395, cette dualité des chancelleries et leurs relations difficiles remontaient au début du IV' siècle. Ainsi, les fils de Constantin se disputèrent le pouvoir au point qu'en 340, Constant tua son frère aîné Constantin n. Il fut à son tour assassiné par Magnence en 350. Cf. 1. Gaudemet, La Fonnation du droit séculier... , p. 21-24. Cependant, l'àuteur concède qu'une loi émanée en 396 de la chancellerie d'Arcadius fut affichée à l'Ouest, à Rhegium. Mais illimite la portée de ce témoignage, puisque 396 correspondait à une brève période de rapprochement entre les deux empereurs. lOI T. Honoré, Law in the Crisis... , op. cit., p. 131. 102 Honorius, 13 septembre (ou 13 février) 398 (c. Th., XII, 1, 158).
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contre les Huns en Thrace et en Asie. Tous les sujets devaient donc participer à l'effort de guerre. 2. La remise en cause du droit d'acheminer l'aurum coronarium en Orient
Un an plus tard, le Il avril 399, le même gouvernement de Stilichon décida ceci Superstitionis indignœ est, ut archisynagogi sive presbyteri iudœorum vel quos ipsi apostolos vocant, qui ad exigendum aurum adque argentum a patriarcha certo tempore diriguntur, a singulis synagogis exactam summam adque susceptam ad eundem reportent. qua de re omne, quidquid considerata temporis ratione confidimus esse collectum, fideliter ad nostrum dirigatur œrarium : de cetera autem nihil prœdicto decernimus esse mittendum. noverint igitur populi iudœorum removisse nos deprœdationis huiusmodi functionem. quod si qui ab illo depopulatore iudœorum ad hoc officium exactionis fuerint directi, iudicibus offerantur, ita ut tamquam in legum nostrarum violatores sententia projeratur103• C'est le fait d'une superstition indigne si les chefs de synagogues, les prêtres des juifs, et ceux qu'ils appellent apôtres et qui sont envoyés à certaines époques par leur patriarche pour exiger de l'or et de l'argent, lui rapportent les sommes levées auprès de chaque synagogue et perçues par eux. Dans toute cette affaire, compte tenu des circonstances, Nous espérons fermement que ce qui a déjà été collecté sera loyalement dirigé vers Notre Trésor. Nous décrétons en outre qu'à l'avenir rien ne sera plus envoyé au susdit. Que les populations juives sachent que nous avons aboli l'exercice de ce pillage. Si des gens sont envoyés par cet exterminateur des juifs pour remplir cet office de perception, ils seront présentés devant les gouverneurs pour s'entendre prononcer une sentence de condamnation en tant que violateurs de nos lois.
Une loi juive dont les origines remontaient aux temps bibliques obligeait tout juif âgé de plus de vingt ans au paiement de la contribution fixe et annuelle d'un demi-shekel au Temple de Jérusalem 104 . Cette pratique s'était perpétuée. Strabon raconte que Mithridate Eupator, roi du Pont, avait envoyé des émissaires à Cos pour y recueillir « 800 talents des juifs )). Flavius Josèphe, qui cite ce passage de Strabon, précise que cet argent ne peut être
Honorius, Il avril 399 (G. Th., XYI, 8, 14). Néhémie, X, 33-34; Ex. XXX, 11-16. Signalons au passage que des papyrus d'Éléphantine témoignent que, contrairement à ce qu'indiquent ces sources bibliques, les femmes payaient également cette contribution. Cf. F. Nau, «Le denier du culte juif à Éléphantine au y e siècle av. J.-C. », in ROC, nO 17, 1912, p. 100-104. 103
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que l'impôt dû au Temple de Jérusalem 105 D'autres sources attestent également la pérennité de la pratique, comme cette plaidoirie de Cicéron, le Pro Flacco, qui prouve que les juifs de Rome envoyaient un tribut à la Palestine dans les années 60 avant notre ère 106. Flavius Josèphe cite aussi diverses condamnations portées par des généraux romains contre des bandits ayant attaqué des convois d'or appartenant à des juifs 107 • Après la destruction du Temple en 70, ce tribut alla désormais à l'entretien du patriarcat et des écoles de Palestine. Le patriarche chargeait les autorités locales des communautés juives de prélever cet argent, qui était remis à des apôtres (apostoli), envoyés de Palestine à époque fixe dans la Diaspora 1üs • C'est cette pratique que remettait en cause la loi du 11 avril 399. Il apparaît que la mesure n'était pas directement dirigée contre la personne du patriarche, mais contre celle du vieil eunuque Eutrope, qui gouvernait la partie orientale de l'Empire. En effet, les tensions entre les deux patres imperii étaient, dans ces années-là, à leur comble. Une querelle avait déjà, en 395, opposé Stilicon et le prédécesseur d'Eutrope, le préfet du prétoire d'Orient Rufin, sur la question de savoir à laquelle des deux partes imperii devaient appartenir les diocèses de Dacie et de Macédoine. Arcadius ayant hérité à la mort de son père Théodose de la seule préfecture d'Orient, laquelle n'embrassait qu'un tiers du territoire de l'Empire, Rufin prétextait qu'Arcadius étant l'aîné, il devait pouvoir revendiquer plus de territoires que son cadet Honorius et régner en conséquence sur les deux diocèses de l'Illyricum oriental 109 Le conflit avait finalement débouché sur l'assassinat de Rufin par le maître des milices de Stilicon Gamas, avec la complicité d'Eutrope. Mais cette alliance de circonstance entre Stilicon et le nouveau maître de l'Orient n'avait été que de courte durée. Un conflit s'éleva bientôt entre les deux hommes, dont ont ne peut déterminer la cause avec certitude. On vit ainsi Eutrope faire proclamer le régent de l'Occident ennemi public par le Sénat de Constantinople et confisquer ses biens situés en Orient. Il faut ajouter à cela que le comte berbère Gildon, poussé par des velléités
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Josèphe, Ant. Jud., XVI, 7, 2. Cf. J. Juster, Les Juifs dans l'Empire..., op. cit., vol. l,
p. 379, n. 1. 106 Cicéron, Pro Flacco, c. 38 § 66. Cf. J. Juster, Les Juifs dans l'Empire..., op. cit., vol. 1, p. 379, n. 2. 107 Josèphe, Antiquités judaïques, XVI, 6, 4 § 167; XVI, 6,7 § 172 et XVI, 6, 2 § 163. ,. Cf. J. Juster, Les Juifs dans l'Empire... , op. cit., vol. II, p. 381, n. 4. 108 Les apostoli étaient chargés de différents types de missions, dont celle de transmettre le calendrier des dates des fêtes saintes et d'assurer le contrôle du patriarche sur les chefs locaux. Sur le rôle des apostoli, cf. J. Juster, Les Juifs dans l'Empire... , op. cit., vol. l, p. 405. 109 E. Stein, Histoire du Bas·Empire..., op. cit., t. 1, p. 228-230 ; et A. Piganiol, L'Empire chrétien. 325-395, Paris, 1972, p. 286-288.
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d'indépendance vis-à-vis de Rome, avait réduit dès 395 les transports de blé pour l'Italie, provoquant à Rome une grave pénurie alimentaire. Or, ce Gildon s'était ouvertement rattaché en 397 à l'autorité du lointain Arcadius et l'on peut supposer que les intrigues d'Eutrope n'avaient pas été étrangères à cette décision d'embargo llo . La loi du 11 avril 399 peut, dans ces circonstances, s'analyser comme une mesure de rétorsion, Stilicon répondant de manière analogue aux procédés d'Eutrope, en édictant une loi protectionniste visant à empêcher la circulation de richesses en direction de l'Orient. L'occasion de frapper son ennemi de la sorte fut vraisemblablement soufflée à Stilicon par les juifs eux-mêmes. Comme le fait remarquer Amnon Linder, la décision est formulée d'une manière qui donne à penser qu'elle agréait à la prière d'une partie au moins des juifs de la Pars occidentalis lll . Le texte dit en effet vouloir soulager les Diasporas occidentales du « pillage» (deprœdatio) subi jusqu'alors de la part d'apostoli envoyés par cet « exterminateur des juifs» (depopulator ludœorum) que serait le patriarche. Cela supposerait qu'il y avait à l'époque des tensions entre le centre de Palestine et les Diasporas. Des sources citées par Michael Avi-Yonah documentent les abus nombreux du patriarcat dans ces années-là. Le patriarcat aurait accumulé de grandes richesses au dépend des communautés juives ll2 • Sans doute en saurait-on plus si l'on connaissait la nature de 1'« affaire » et des « circonstances » auxquelles le texte fait allusion. On peut imaginer que la tournée annuelle des apostoli s'était résolue, en l'année 399, en une crise opposant les envoyés du patriarche avec une partie des membres des communautés juives, qui avaient rechigné à verser le tribut demandé. Les apostoli étaient tout de même parvenus à emporter avec eux or et argent, car le texte sous-entend que ces sommes n'ont pas été récupérées, et il appelle ceux qui les retrouveront à les « diriger loyalement à Notre Trésor ». Comme l'indique Roland Delmaire, le détournement de cet argent au profit de l' œrarium, qui signifiait qu'il ne serait donc pas restitué à leurs propriétaires, ne constituait pas, d'un point de vue légal, une confiscation. Cela tient à la nature de cette taxe juive, qui, aux yeux des Romains, était un don volontaire pouvant revenir indifféremment à l'empereur ou à son fonctionnaire, le patriarche, comme le prouve une constitution du 30 mai 329 qui la désigne par le nom romain d'aurum coronarium ll3 • Ces nuances juridiques ne changeaient certes rien en pratique pour les juifs spoliés, mais n'avaient-ils pas obtenu pour le prix de ce renoncement que les prélèvements du patriarche E. Stein, ibid., p. 231-232. A. Linder, JRIL, op. cit., p. 215-216. 112 M. Avi-Yonah, The Jews of Palestine... , op. cit., p. 226-227. 113 Sur la nature de l'aurum coronarium, don gratuit et volontaire à l'empereur, cf. R. Delmaire, Largesses sacrées... , op. cit., p. 387-399. 110 111
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deviennent à l'avenir illégaux, et que les apostoli venus d'Orient se verraient désonnais menacés par les gouverneurs des provinces occidentales d'une « sentence de condamnation » ? Mais voici que, cinq ans après, la chancellerie du même Stilicon abroge la loi. Amnon Linder a raison de refuser d'attribuer la nouvelle loi, du 25 juillet 404, à une quelconque pacification des rapports entre l'Ouest et l'Est. En effet, si Eutrope avait été déchu et exécuté pendant l'été 399, les relations de Stilicon avec l'Est, dont les nouveaux dirigeants étaient habités par de forts sentiments antigennaniques - Stilicon était de père vandale - ne s'améliorèrent pas pour autant 1l4 • Il faut donc croire que le revirement de la chancellerie de Stilicon répondait de nouveau à une requête expresse des juifs. Si certains s'étaient, en 399, plaints de la pratique des apostoli, d'autres auraient plaidé en sens inverse, et désonnais ils étaient entendus. Stilicon infonna donc, de Rome, le préfet du prétoire d'Italie et d'Afrique Hadrien de sa décision de révoquer l'interdiction Dudum iusseramus, ut ea, quœ patriarchis a iudœis istarum partium ex consuetudine prœbebantur, minime prœberentur. verum nunc amota prima iussione secundum veterum principum statuta privilegia cunctos scire volumus iudœis mittendi copiam a nostra clementia esse concessam J15 • Nous avions naguère ordonné que ce qui était offert suivant la coutume aux patriarches par les juifs de ces régions ne le serait plus. Mais révoquant maintenant cet ordre antérieur, nous voulons faire savoir à tous que selon les privilèges établis par les anciens princes, notre clémence a concédé aux juifs d'envoyer cet argent.
La chancellerie a recours, on le voit, à l'argument du respect de la « longue coutume ) des juifs, principe qui découlait d'une longue tradition
juridique remontant aux débuts de la conquête romaine, et qui imposait le respect des droits indigènes, intégrés, après l'édit de Caracalla, aux sources du droit romain en tant que consuetudines 1l6 • Peut-être le choix des mots n'était-il d'ailleurs pas fortuit la chancellerie avait naguère abrogé une « superstition insupportable )), quand elle autorisait désonnais une « coutume )). Il convient de s'étonner de ce que la chancellerie assurait rétablir un privilège ancien. On a en effet insisté plus haut sur le fait que le privilegium constituait forcément une dérogation au ius commune. Une loi antérieure avait-elle proscrit la circulation de biens et de richesses à l'intérieur du territoire de l'Empire? Myriam Pucci Ben Zeev a démontré, ..contre Jean
E. Stein, Histoire du Bas·Empire..., op. cif., l, p. 247-249. Honorius, 25 juillet 404 (c. Th., XVI, 8. 17). 116 Cf. infra., p. 64 et suiv.
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Juster, qu'aucune loi n'avait jamais, au Haut-Empire, interdit la circulation de capitaux entre les deux partes imperii ll7 Qu'en était-il au Bas-Empire? Valentinien avait certes, en 374 (c. J., IV, 63, 2 ), dressé une liste des merces inlicitœ et interdit en outre l'exportation de numéraire vers les régions barbares. Mais cette interdiction ne touchait que le commerce extérieur118 • En l'absence de précédent, on peut donc suggérer que les tensions entre les gouvernements d'Orient et d'Occident avaient eu pour effet de limiter dans les faits le commerce et la circulation de richesses entre les deux partes imperii, et que Stilicon avait souhaité, tout en cédant aux juifs, marquer le caractère restrictif et exceptionnel de sa décision 119 L'usage du terme de privilegium serait donc impropre. Tony Honoré souligne à cet égard la propension de la chancellerie de Ravenne (402-423) à réitérer sans fatigueet peut-être en conséquence sans grand discernement - les privilèges d'anciens empereurs 120. Cette autorisation n'était qu'un répit. On verra en effet plus loin que Théodose II, par une loi du 30 mai 429, ordonnera que l'or collecté auprès des juifs soit désormais versé aux Largesses Sacrées de Constantinople 121 • Nous pouvons passer maintenant à l'examen de la seconde catégorie de privilèges, par lesquels les juifs sont autorisés à régler leurs différends dans le cadre de leur communauté.
SECTION
II.
LES PRIVILÈGES SERVANT À LA RÉSOLUTION DES CONFLITS DE LOIS ET DE JURIDICTIONS
Dans le courant des années 390, la chancellerie de Constantinople eut à se prononcer à propos de trois affaires successives qui devaient la conduire à fixer les contours de la compétence des autorités communautaires juives en matière de règlement des litiges. Cette question en posait une plus générale, celle de la frontière entre le judaïsme et le droit romain.
A. La loi du 17 avril 392 L'empereur Théodose 1er adressa le 17 avril 392 la lettre suivante au préfet du prétoire d'Orient Tatien
M. Pucci Ben Zeev, « Did the Jews... », op. cit., p. 29-31. G. Vismara, « Limitazioni al commercio intemazionale nell'impero romano e nella comunità cristiana medioevale », in Scritti in onore di C. Ferrini, 1947, t. 1, p. 443-470. 119 Voir les hypothèses formulées par R. Delmaire, Largesses sacrées... , op. cit., p. 400. 120 T. Honoré, Law in the Crisis... , op. cit., p. 228-229. 121 Théodose II, 30 mai 429 Cc. Th., XVI, 8, 29). Cf. chap. III, p. 206 et suiv. 117 118
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Iudœorum querelœ quosdam auctoritate iudicum reclpl zn sectam suam reclamantibus legis suœ primatibus adseverant, quos ipsi iudicio suo ac voluntate proiciunt. Quam omnino submoveri iubemus iniuriam nec eorum in ea superstitione sedulus coetus aut per vim iudicum aut rescripti subreptione invitis primatibus suis, quos virorum clarissimorum et illustrium patriarcharum arbitrio manifestum est habere sua de religione sententiam, opem reconciliationis mereatur indebitœ 122• Les plaintes portées par les juifs soutiennent que l'autorité des juges a réintégré dans leur secte, malgré les protestations des chefs de leur Loi, certains hommes qu'ils avaient rejetés par leur jugement et volonté. Nous ordonnons que soit complètement abolie cette atteinte au droit, et qu'aucun groupe zélé au sein de cette superstition n'oblige à favoriser une réconciliation indue en ayant recours à la violence des juges ou, plus exactement, à un rescrit subreptice, contre la volonté de leurs chefs dont il est manifeste, selon l'avis des clarissimes et illustres patriarches, qu'ils ont pouvoir de rendre des sentences en matière de religion. 1. Les circonstances
Les circonstances qui ont conduit à l'édiction de cette constitution peuvent être reconstituées comme suit. Des juifs ont été excommuniés par le beth din de leur communauté, un tribunal religieux composé de trois juges, les dayyanim 123 • Le Talmud distingue trois types d'excommunications en fonction de leur niveau de gravité le herem (<< anathème »), le niddouï (<< séparation ») et la nezifah (<< blâme »)124. La nezifah était la forme la plus bénigne d'excommunication et durait, selon le Talmud de Jérusalem, sept jours. Elle sanctionnait, par exemple, l'irrévérence d'un disciple envers son maître, et exigeait de la personne qu'elle restât seule à la maison et n'entrât pas en contact avec ses coreligionaires. Le niddouï durait trente jours en Palestine, sept dans la Diaspora, périodes qui pouvaient être indéfiniment renouvelées si la personne ne changeait pas d'attitude. Il punissait divers délits, comme le fait de travailler alors qu'un cadavre n'était pas enterré, d'essayer de circonvenir à la décision d'une cour en s'adressant aux autorités civiles, d'insulter un maître religieux, ou d'avoir des chiens dangereux sans prendre les précautions nécessaires. Le pécheur devait porter des habits de deuil et ne pouvait entrer dans la synagogue que par une porte latérale pour entendre la lecture de la Torah. Enfin, le herem était une forme aggravée du
Théodose, 17 avril 392 (c. Th., XVI, 8, 8). Il existait par ailleurs des tribunaux composés de juges laïcs. 124« Excommunication », Dictionnaire encyclopédique dujudaïsme, Paris, 1990, p. 387-389, et 1. Levitats, « Herem », Encyclopaedia Judaica, vol. 8, col. 350-351. 122 123
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niddouiol25 • Celui qui en était frappé ne pouvait ni entendre ni enseigner la Torah. Il était isolé de tous, sauf de sa famille immédiate, et ne pouvait participer à un minyan (groupe de dix personnes rassemblées pour la prière) ni participer au quorum de trois personnes pour réciter les prières du repas. La cérémonie du herem était impressionnante. Elle se déroulait dans la synagogue où l'on allumait des bougies noires, ouvrait l'arche et sonnait le chofar (come de bélier). Le tribunal prononçait une malédiction, demandant entre autres choses que la personne fût frappée de maladie, qu'elle perdît son bien, fût maudite par tous, ne fût pas enterrée religieusement, et que sa femme épousât quelqu'un d'autre. L'excommunié devait observer les règles du deuil (dont l'interdiction de porter des chaussures de cuir et de se laver). Le herem était illimité et durait jusqu'à sa révocation par le même tribunal. Si le condamné mourait dans cet état, on plaçait une pierre sur son cercueil pour indiquer qu'il aurait dû être lapidé 126 • On peut conjecturer que les condamnés de notre affaire avaient été frappés des formes les plus sévères de l'excommunication juive, le herem ou, à la rigueur, le nidàouï, sans quoi ils n'auraient sans doute pas éprouvé la nécessité de porter l'affaire devant un tribunal romain. Plutôt que de saisir le juge de première instance (iudex ordinarius) qui était, dans les provinces, le gouvemeur127 , et d'engager un procès par la litis contestatio, les requérants juifs semblent avoir préféré déférer leur cause devant l'empereur en personne, en utilisant la procédure par rescrit. Le texte fait en effet allusion à l'existence d'un rescrit qu'elle qualifie, pour des raisons que nous indiquerons plus bas, de subreptice. Aux termes de la procédure par rescrit, les plaideurs rédigeaient une supplique (supplicatio ou preces) dans laquelle ils exposaient la nature litige. Seule la question de droit était posée, la vérification des faits étant réservée à un examen ultérieur 128 • C'est ainsi que, outre la règle de droit, le rescrit contenait en second lieu la désignation d'un juge. Dans l'hypothèse où ils obtenaient un rescrit favorable à leur prétention, les suppliants devaient introduire une instance devant le
125 Le terme de herem, qui nous vient de la Bible, mais qui, dans cette littérature, ne désigne l'excommunication que dans une seule occurrence, ne réapparaît que sous la plume des sages qui ont élaboré la Guemarah entre le me et le ve siècle, les amoraïm. Le terme de nezifah est également une création des amoraïm. Le niddouï en revanche apparaît dès l'époque tannaïque (les tannaïm sont les auteurs de la Michnah entre le le' et la fin du ne siècle). Cf. I. Levitats, « Herem... », op. cit., col. 350. 126 M. Elon, « Mishpat lvri », Encyclopaedia Judaica, vol. 12, col. 125. 127 A. H. M. Jones, The Later Roman Empire. 284-602, Oxford, 1964, p. 479 ; et 1. Harries, Law and Empire in Late Antiquity, Cambridge, 1999, p. 53-55. 128 Sur cette première phase de la procédure, déposition d'une supplique et émission de la réponse impériale, cf. E. Andt, La Procédure par rescrit, Paris, 1924, p. 16-54.
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juge ordinaire en faisant à leur adversaire l'editio rescripti 129 Le gouverneur devait contrôler l'exactitude des faits qui avaient été allégués dans la supplique, et si ces faits étaient vérifiés, prononcer une sentence dite ex santione rescripti. Les juifs excommuniés avaient manifestement sollicité et obtenu un rescrit qui leur avait permis d'emporter la cause, le gouverneur ayant, nous dit le texte, ordonné leur réintégration dans la communauté. Ainsi désavoués, les chefs de la communauté ont porté plainte (querela) dans le cadre, manifestement, d'une procédure d'appel. Le terme querela est certes assez général et ne détermine pas une voie de droit unique, mais il désigne sans nul doute ici, compte tenu du contexte, le mode de saisine du juge d'appel 130 • Les sentences des gouverneurs étaient susceptibles d'appel même si elles avaient été rendues, comme c'est le cas ici, ex sanctione rescripti. C'est que l'affaire n'avait été terminée par l'examen du prince que pour la question de droit. Le juge avait pu faire une erreur dans son appréciation des faits et son jugement devait être susceptible de réformation. On trouve ainsi des constitutions qui font nettement allusion à la faculté du plaideur d'attaquer une sentence même si elle a été prononcée ex auctoritate rescripti l3l • En principe, la juridiction d'appel compétente était, depuis les réformes de Dioclétien, celle du vicaire du diocèse, mais les parties préféraient généralement saisir directement le préfet du prétoire qui jugeait vice sacra, au nom de l' empereur132 • Les appelants ont en l'occurrence saisi le préfet du prétoire d'Orient Flavien. Ayant entendu les plaideurs exposer devant lui leurs arguments et administrer les preuves, Flavien a pris le parti d'en référer une nouvelle fois à l'empereur en utilisant la procédure de la relatio 133 • Sans doute son embarras lui venait-il de ce que les défendeurs lui avaient présenté le rescrit impérial qui leur avait permis d'emporter la cause en
129 Sur l'usage du rescrit par le suppliant devant le juge ordinaire, cf. E. Andt, La Procédure par rescrit..., op. cit., p. 55-80. 130 La querela se trouve être mise en relation directe avec l'appel par Hermogénien, D., 4, 4, 17. Voir aussi P. Collinet, « La nature des quere/œ, des origines à Justinien », in Studia et documenta historiœ et iuris, 1953, p. 262, qui énumère les différentes voies de droit que peut désigner le vocable de querela, ainsi que E. Rénier, Étude sur l'histoire de la querela inofficiosi testamenti en droit romain, Liège, 1942, p. 140-149. 131 E. Andt, La Procédure par rescrit... , op. cit., p. 77-79. Voir aussi C. Lepelley, « Un témoignage sur la procédure par libelle et rescrit dans une lettre de Symmaque à son frère Titianus », in F. Chausson et E. Wolf (diL), Consuetudines amor. Fragments d'histoire romaine (lIe.IV" siècles) offerts à f.-P. Callu, Rome, 2003, p. 285-297. 132 A. H. M. Jones, The Later Roman Empire..., op. cit., t. J, p. 374. 133 Sur la procédure de la relatio, cf. E. Andt, La Procédure par rescrit.... op. cit., p. 10-13.
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première instance. La décision de 392 constitue donc la réponse à. la consultation de ce juge d'appel et elle est un rescrit dit ad relationem, ad opinionem, ou ad consultationem emissum. Ce type de rescrit constituait un véritable jugement qui mettait fin de manière défmitive à la procédure et excluait tout appel ou supplicatio nouvelle. Le juge ne pouvait en conséquence communiquer à l'empereur que des procès qui avaient été menés complètement sans avoir laissé aucun point dans l'ombre. Il devait notamment, avant d'envoyer sa consultation, en adresser un exemplaire aux deux parties (editio consultationis). Les plaideurs pouvaient à cette occasion combattre les allégations exposées dans la relatio en remettant des libelles réfutatoires. Conjointement à la relatio et aux éventuelles refutationes, il fallait joindre tout ce qui avait trait à la cause, c'est-à-dire que le juge devait transmettre les acta du jugement ainsi que le compte rendu des débats qui s'étaient tenus devant son tribunal. Ainsi, la chancellerie avait reçu de Flavien un dossier complet et contradictoire. Elle a pu prendre connaissance de « l'avis des clarissimes et illustres patriarches » que les appelants avaient sans doute produits comme témoins devant le tribunal du préfet Flavien. Leur témoignage a été, comme l'indique la constitution, la pièce déterminante ayant conduit le Sacré Consistoire - les relationes étaient lues devant cette instance - à infIrmer la décision du gouverneur. La chancellerie contredisait ainsi le rescrit qu'elle avait eUemême émis sur le fondement de la seule version des faits contenue dans la supplicatio que lui avaient adressée les juifs excommuniés et le texte pointe avec colère les manœuvres des suppliants, les accusant d'avoir, en dissimulant une partie des faits au quœstor sacrii palatini 134 , obtenu de la cour un rescrit « subreptice », ce qui signifie littéralement «par surprise» (per subreptionem). On peut supposer que les juifs excommuniés s'étaient contentés d'exposer les vexations dont ils avaient été les victimes en se gardant bien de préciser - pour ne pas alerter l'attention du questeur sur la complexité du cas qui lui était soumis - que ces vexations avaient été le résultat d'une sentence rendue par un tribunal rabbinique. La constitution fustige également la « violence» (vis) du gouverneur, c'est-à-dire, en l'occurrence, le déni de justice135 Rappelons que ce fonctionnaire avait, avant de rendre son jugement, le devoir de contrôler
134 Le questeur était au Bas-Empire la personnalité chargée de l'examen préalable des preces qu'il soumettait ensuite à l'empereur. Sur les différents bureaux (scrinia) et sur leur composition (magistri et employés de grades différents) qui étaient chargés de l'élaboration des rescrits aux Ive et ve siècles, cf. E. Andt, La Procédure par rescrit... , op. cit., p. 39-54. 135 Sur la « vis» cOllUlÙse par un fonctionnaire, cf. Th. Mommsen, Droit pénal... , op. cit., t. II, p. 317 et p. 383-386.
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l'exactitude des faits qui avaient été allégués dans la supplique 136 • Il devait donc, une fois le rescrit dénoncé à lui par les suppliants 137 , entendre les éventuelles corrections (prœscriptio mendaciorum) que le défendeur pouvait opposer à ce qui avait été allégué dans les preces du demandeur et se former finalement une opinion pro tenore veritatis. Or, le gouverneur n'avait manifestement pas conduit de procès, mais assuré directement l'exécution du rescrit. 2. Le principe de la compétence des autorités juives en matière religieuse et ses ambiguïtés
Examinons à présent le fond du jugement. La chancellerie affirme que la plainte des juifs excommuniés n'était pas recevable au motif que les tribunaux publics n'étaient pas compétents pour statuer sur une cause qui avait trait à la religion juive. Elle étendait ainsi aux cours rabbiniques la solution appliquée à l'endroit des tribunaux épiscopaux. Depuis le règne de Constantin, il était entendu que l'évêque devait avoir une connaissance exclusive des affaires qui concernaient la foi et la discipline, comme l'avait rappelé saint Ambroise à Valentinien II dans une lettre de 386 138 • Mais cette décision était ambiguë à deux titres. Premièrement, cette solution ne s'était imposée que parce que la sentence prononcée par les autorités juives avait entraîné une simple excommunication. Sans doute la réponse de la chancellerie eut-elle été différente si la juridiction juive avait condamné les juifs accusés à des sanctions pénales telles la peine capitale, le fouet, la prison ou une amende élevée 139 Rome se réservait en effet le
136 Avant de notifier leur rescrit à la partie adverse par, comme on l'a dit plus haut, l'editio rescripti, les suppliants devaient « dénoncer » le rescrit devant un magistrat ayant le ius acta conficiendi. Sur cette procédure qui pouvait prendre plusieurs fonnes, allegatio rescripti ou postulatio in iudicio deposita, cf. E. Andt, lA Procédure par rescrit... , op. cit., p. 58-74. 137 E. Andt, La Procédure par rescrit... , op. cit., p. 75-77. 138 Ambroise, Ep. XXI, 2 (PL 16, 1002). 139 Tels les différents types de sanctions pénales rencontrées dans le Talmud. Cf. A. Steinsaltz, Introduction au Talmud, Paris, 2002 (1976), p. 192. Nous ne saurions dire si, à l'époque dont nous parlons (la fin du Ive siècle) et au lieu où l'affaire avait éclaté - quelque part dans une province orientale de l'Empire romain -, les tribunaux rabbiniques prononçaient encore ces peines corporelles. Une telle question est du ressort d'un historien du droit juif. L'interdiction faite par le pouvoir romain aux tribunaux pérégrins de prononcer des peines corporelles a certes sans doute contribué à infléchir la pratique des tribunaux juifs en la matière. Mais on sait que le droit romain n'avait pas dissuadé les tribunaux ecclésiastiques de prononcer et d'exécuter des peines physiques, au moins en Afrique. Cf. L. Dossey, « Judicial Violence and the Ecclesiastical Courts in Late Antique Africa », in R. Mathisen, The Transformation of Law and Society in Late Antiquity, Oxford, 2001, p. 98-114. On dispose
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monopole de l'usage de la violence et n'accordait le ius gladii qu'à ses seuls représentants dans les provinces, les gouverneurs. Dès le début du principat, la justice pénale des tribunaux pérégrins était déjà réduite à des moyens de répression modiques 140. Dans un esprit identique, l'empereur Gratien avait, pour ce qui concernait les tribunaux ecclésiastiques, posé en 376 le principe que les causes criminelles appartenaient exclusivement aux tribunaux séculiers, et que seuls « les procès qui naissaient de désaccords ou de conflits légers relatifs à l'observance de la religion » étaient laissés à la connaissance des «synodes et diocèses 141 ». De la même manière, l'exercice par les autorités juives d'un pouvoir disciplinaire au sein de leur communauté n'était admis que pour ce qui regardait les fautes religieuses - manquement à la discipline ou aux commandements de la Torah - et dans la limite où la sanction de ces fautes était de nature sacramentelle. Deuxièmement, le critère de la compétence rationœ materiœ des cours juives était un critère incertain, car les juifs ne fixaient pas au même endroit que les Romains les frontières de ce qui ressortissait à la religion. En effet, le judaïsme ne réglait pas uniquement les actes du culte et du rituel, dans la synagogue et dans la maison - tels, pour ne prendre que quelques exemples, les prescriptions entourant l'administration des cimetières, le bain rituel, les interdits alimentaires ou le repos sabbatique et les fêtes -, mais tous les autres domaines de la vie sociale, ceux qui avaient trait à la famille (mariage, divorce, succession...) ou étaient relatifs aux biens et aux obligations
d'un témoignage, une loi de Constantin du 18 octobre 329 (G. Th., XVI, 8, 1), qui pourrait prouver que les tribunaux juifs prononçaient la peine de mort malgré l'interdiction romaine. Le texte accuse en effet des juifs d'avoir lapidé un apostat. Peut-être cette lapidation avait-elle été faite en exécution d'un jugement, même si des règles de procédure très contraignantes semblent, de l'avis des spécialistes du droit talmudique, avoir rendu le prononcé d'une peine capitale quasiment impossible. 140 Th. Mommsen, Droit pénal..., op. cit., t. l, p. 279-283. 141 Gratien, 17 mai 376 (C. Th., XVI, 2, 23) «Qui mos est causarum civilium, idem in negotiis ecclesiasticis obtinendus est ut, si qua sunt ex quibusdam dissensionibus levibusque delictis ad religionis observantiam pertinentia, locis suis et a suœ dioeceseos synodis audiantur; exceptis, quœ actio criminalis ab ordinariis extraordinariisque iudicibus aut illustribus potestatibus audienda constituit. » Cette loi revenait sur une décision de Constantin qui avait accordé une large compétence aux tribunaux ecclésiastiques en matière pénale, pour les causes mineures et majeures, l'exécution de leurs jugements revenant tout de même au juge séculier «Sive itaque inter minores sive inter maiores ad episcopis fuerit iudicatum, apud vos, qui iudiciorum summam tenetis, et apud ceteros omnes iudices ad exsecutionem voZumus pertinere » (Sinn. 1). Pour une loi allant dans le même sens que celle de Gratien et n'accordant aux églises que le seul droit de juger les fautes religieuses, cf. Honorius, 20 août 399 (G. Th., XVI, 11, 1) « Quoties de religione agitur, episcopos convenit agitare ; ceteras vero causas, quœ ad ordinarios cognitores veZ ad usum pubZici iuris pertinent, legibus oportet audiri.
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(propriété, donation, vente...). Il faut souligner, à cet égard, que le droit juif avait connu son développement le plus remarquable à partir du Ille siècle, c'est-à-dire après que les juifs avaient acquis la citoyenneté romaine et, en conséquence, la possibilité de se prévaloir du droit romain devant les tribunaux. À l'époque même où les grands jurisconsultes romains, à commencer par Gaius (110-180), réalisaient, en même temps qu'ils légiféraient au service des empereurs, des commentaires de l'Édit du préteur et du gouverneur de province ainsi que des constitutions impériales, l'école de Jabné en Palestine, rassemblant les commentaires de la Torah de générations de rabbis (à partir du 1er siècle), avait de son côté couché son droit par écrit, sous l'impulsion de Juda HaNasi (entre 170 et 220). Cette œuvre juridique142 , appelée Michna, avait elle-même fait l'objet de commentaires rassemblés sous le nom de Gemara (complément). Michna et Gemara formèrent ensuite le Talmud de Jérusalem à la fin du Ive siècle. Ceci atteste de l'attachement d'une partie au moins des juifs - ceux de Palestine - à leurs traditions légales après 212 143 • Or, ces « codes» juifs, qui étaient divisés en six « ordres» (les fruits de la terre, les fêtes, les femmes, les dommages, les choses sacrées, la purification) avaient, comme on l'a dit, vocation à régler tous les domaines de la vie sociale et familiale. Le droit juif entrait ainsi objectivement en concurrence avec le droit romain. Certains historiens du Talmud assurent même que le grand mouvement d'écriture du droit juif avait été stimulé par la nécessité de résister à la concurrence du droit civil romain l44 . Qu'arriverait-il lorsqu'une affaire mettant aux prises deux parties juives à propos de l'application du droit juif remonterait devant un tribunal romain et ferait surgir un conflit de lois entre solutions juive et romaine? Une réponse nous est fournie par le texte de la constitution du 30 décembre 393 qui, constituant vraisemblablement l'aboutissement d'un dialogue contentieux, conduisit finalement à la censure du droit matrimonial juif -lois sur l'inceste et les interdits sexuels d'une part, règles du mariage d'autre part.
142 Elle n'est certes pas que cela. On distingue de fait dans la Michna les commentaires juridiques (halakha) des commentaires moraux (haggada). 143 Les documents conservés dans des papyrus postérieurs à 212 et qui conservent des actes de la pratique des Grecs d'Égypte attestent le même attachement des novi cives de cette province à leurs usages ancestraux. Cf. J. Mé1èze-Modrzejewski, « La règle de droit dans l'Égypte romaine », in Proceedings of the Twelfth International Congress of Papyrology, Toronto, 1970, p. 353. 144 Sur ce point controversé, voir le compte rendu réalisé par C. Hezser, « Introduction », in C. Hezser (dir.), Rabbinic Law in its Roman and Near Easter Context, Tübingen, 2003, p. 1-15.
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B. La loi du 30 décembre 393 Par une constitution du 30 décembre 393 adressée à Infantius, Théodose 1er édictait ceci Nemo Iudœorum morem suum in coniunctionibus retinebit nec iuxta legem suam nuptias sortiatur nec in diversa sub uno tempore coniugia conveniat 145 • Aucun juif ne conservera sa coutume en matière d'union matrimoniale, ni ne choisira ses noces selon sa loi, ni ne fera plusieurs mariages dans le même temps.
1. La censure des lois juives sur la polygamie et l'endogamie
Remarquons en préalable que le texte qualifie les règles matrimoniales juives par les vocables de mos et de lex. On se souvient qu'une loi du 25 juillet 404 avait autorisé l'acheminement de l'aurum coronarium vers la Palestine au nom du respect de la consuetudo des juifs 146 • Une constitution de 412 sur laquelle nous reviendrons choisit également de décrire les lois du shabbat comme une consuetudo 147 Il est donc évident que Rome assimile la Halakha à un droit, le terme de « coutume» désignant les droits locaux des provinciaux 148 • Le judaïsme est également qualifié, dans d'autres constitutions, de religio, de superstitio ou de secta. Ces deux usages semblent être indifférents au législateur des Ive et ve siècles. Contrairement à celui de 392, notre texte a été tronqué de ses éléments concrets, ce qui nous place dans l'incapacité d'en restituer le contexte. Il ne nous livre qu'un fragment de la constitution originale, à savoir le dispositif final, qui interdit de manière générale et pour l'avenir les pratiques matrimoniales juives. La version complète de la loi nous aurait probablement mis en présence d'une décision émise dans un cadre contentieux à l'occasion d'un litige entre juifs résultant d'un mariage polygame - c'est en effet ce type de
Théodose, 30 décembre 393 (C. I., 1,.9, 7). Honorius, 25 juillet 404 (c. Th., XVI, 8, 17). 147 Honorius, 26 juillet 412 (c. Th., XVI, 8, 20). 148 La notion de « coutume» peut en effet, sous les Sévères, désigner les lois et usages des provinciaux. Si cet usage est plus rare aux Ive et V· siècles - les termes de mas et de consuetuao du Code Théodosien faisant dans une proportion écrasante référence à des sources administratives -, on le rencontre tout de même dans certaines lois signalées par Jean Gaudemet et par Claude Lepelley - C. Th., XII, 5 (326) ; C. I., XI, 63, 1 (319) ; VIII, 52, 2 (319) ; IV, 62, 4 (336) -, auxquelles il faut selon nous ajouter la loi de 393 ainsi que celle de 415. Cf. 1. Gaudemet, La Formation du droit séculier... , op. cit., p. 115-118 ; et C. Lepelley, « Le nivellement juridique du monde romain à partir du Ille siècle et la marginalisation des droits locaux », in Mélanges d'archéologie et d' histoire de l'École française de Rome. Moyen Âge, na 113, 2001, 2002, p. 850-851. 145
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pratique que vise plus explicitement le texte -, et ce litige aurait révélé un conflit de lois s'étant réglé par l'application du droit romain à ce casus particulier, et par la censure des solutions juives contraires à ce droit pour l'avenir. La législation matrimoniale du Talmud était fondée sur le principe qu'un homme était autorisé à prendre plusieurs femmes. Les mariages polygames étaient vraisemblablement exceptionnels, puisque Adin Steinsaltz souligne que, parmi les Sages du Talmud et de la Michna sur lesquels l'information est pourtant riche, un seul et unique cas de polygamie est avéré. Malgré tout, c'était bien un cas de polygamie qui avait manifestement été porté à la connaissance des autorités romaines. Dans quelles circonstances le mariage polygame pouvait-il entraîner un conflit débouchant sur un contentieux ? Imaginons, par exemple, deux frères issus d'une famille polygame, l'un étant le fils d'une première épouse, l'autre d'une seconde. Tous deux bénéficient, du point de vue du droit juif, du même statut d'enfants légitimes, ce qui signifie qu'ils ont même prétention au patrimoine de leur père 149 Mais voici que le premier fils s'avise du parti qu'il peut tirer de sa double appartenance au judaïsme et à la citoyenneté romaine pour combattre devant un tribunal impérial le testament de son père réalisé conformément au droit juif. Il demande aux juges de qualifier son frère de liber naturalis (enfant naturel, né d'une concubine), ou même de spurius (<< s (ine) p (atre) filius », enfant sans père, né d'une relation adultère) 150, et réclame, en conséquence, l'application de la législation hostile aux enfants illégitimes. Constantin avait, de fait, interdit en 336 toute libéralité à l'égard des enfants illégitimes, soit par donation entre vifs soit par testament l5l • On voit ainsi qu'un casus portant sur une affaire d'héritage pouvait bien avoir impliqué qu'ait été posée la question de la capacité des héritiers et, de là, celle du statut personnel de l'enfant né d'une seconde épouse. Ce type de contentieux avait pu [malement être l' occasio legis de l'édiction d'une interdiction générale des mariages polygames. Cette condamnation des mariages polygames avait dû être d'autant plus ferme que la polygamie avait déjà été prohibée par des lois antérieures. Tout en admettant, pour les hommes, la vie sexuelle extraconjugale, les Romains étaient foncièrement monogames, et les lois romaines réprimaient sévèrement
149 A. Rousselle, « Vivre sous deux droits: la pratique familiale poly-juridique des citoyens romains juifs », in Annales ESC, n° 45, 1990, p. 850-851. ISO A. Rousselle, « Vivre sous deux droits... », ibid., p. 847. lSI C. Th., IV, 6, 2 et 3. Cette mesure est néanmoins modérée par une loi de 371 qui permettait de léguer aux enfants illégitimes une petite quotité de lI12e• Cf. J.-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, Paris, 2002, p. 186-188.
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la bigamie que l'Édit du préteur sanctionnait depuis le Haut-Empire 152 • En 258, Valérien et Gallien avaient éprouvé la nécessité de préciser que la prohibition s'étendait aux citoyens qui avaient pris une nouvelle épouse en changeant de province 153 En 285, Dioclétien avait visé particulièrement des mariages des anciens pérégrins en ordonnant que « ceux qui s'appelaient du nom de Romains ne puissent avoir deux épouses », sans que l'on sache avec certitude si sa loi visait déjà, à l'époque, les juifs en particulier ou d'autres peuples de l'Empire pratiquant également le mariage multiple, comme par exemple les Phéniciens l54 • On avait donc assisté, sous Dioclétien, à la confrontation brutale de deux systèmes juridiques, et il n'est pas anodin que cette confrontation se soit faite précisément dans le domaine des pratiques matrimoniales l55 • On peut encore mesurer de nos jours les difficultés rencontrées par le législateur et par les tribunaux français pour harmoniser des conduites liées aux législations ou coutumes polygames d'étrangers vivant sur le sol français et de Français naturalisés, la pratique des mariages multiples exigeant des dispositions officielles dans notre pays qui n'autorise à contracter sur son sol que des unions monogames 156 • La loi du 30 décembre 393, si elle fustige explicitement la polygamie, condamne par ailleurs d'autres pratiques matrimoniales juives dont elle ne précise malheureusement pas la nature. On peut néanmoins supposer qu'elle visait les mariages réalisés à un degré de parenté prohibé par le droit romain. Dioclétien avait, en 287 et 295, énuméré les empêchements de mariages pour cause de parenté rapprochée 157 Étaient visés le mariage grec entre frères et sœurs germains l58 , le mariage égyptien entre frères et sœurs germains et
152 Citations de l'Édit du préteur dans C. 1. V, 5, 2, et D., 3, 2, 1. Cf. J.-M. Carrié et A. Rousselle, L'Empire romain en mutation... , op. cit., p. 286-287. 153 Valérien et Gallien, loi de 258 (C. 1., IX, 9, 18). 154 Dioclétien, loi de 285 (C. 1., IX, 9, 18) «Neminem, qui sub dicione sit Romani nominis, binas uxores habere posse vulgo patet. » 155 l-M. Carrié et A. Rousselle, L'Empire romain en mutation... , op. cit., p. 34-35. 156 Voir les décisions du Conseil constitutionnel du 22 avril 1997 à propos de la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration (JO, 25 avril 1997) ; du 9 novembre 1999 sur la loi relative au pacte civil de solidarité (JO, 9 novembre 1999), et du 20 novembre 2003 sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité (JO, 27 novembre 2003). Ces textes sont publiés sur le site officiel legifrance. gouv.fr. 157 l-M. Carrié et A. Rousselle, L'Empire romain en mutation... , op. cit., p. 285-287. 158 G. Sissa, « La famille dans la cité grecque », in A. Bruguière et al. (dir.), Histoire de la famille, t. l, Paris, 1986, p. 192.
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consanguins l59 , mais aussi le mariage d'une nièce avec son oncle, pratiqué chez les Phéniciens ainsi que chez les juifs l60 • Une loi de Constance II du 30 avril 355 avait également interdit le mariage entre beaux-frères et bellessœurs 161 , alors que la Torah obligeait les hommes à épouser la veuve de leur frère mort sans descendane 62 • Enfin, Théodose lui-même avait réitéré l'interdiction des belles-sœurs et des nièces et ajouté celle des cousines germaines. Toutes ces unions étaient, selon cette loi, non seulement passibles d'une sanction civile, l'illégitimité des enfants, mais également de la peine capitale par le supplice du feu. Cette rigueur de Théodose contre les mariages endogames, qu'illustre également la loi du 30 décembre 393, s'explique par le climat politico-religieux des années 390-395 163 • Ces lois intervenaient en effet à une époque, après le drame de Thessalonique (printemps 390), où Théodose subissait à nouveau l'emprise des milieux ecclésiastiques et notamment de saint Ambroise, et où il avait, pour contenter les catholiques, remplacé à l'été 392 le préfet du prétoire païen Flavien par le chrétien zélé Rufin l64 • La loi de 393 était d'ailleurs adressée à ce dernier. Cette affaire avait attiré l'attention de Constantinople sur l'attachement, près de deux siècles après l'édit de Caracalla, des citoyens juifs à leur droit. Cette prise de conscience amena en 398 la chancellerie orientale à poser le
159 H. I. Bell, « Brother and Sister Marriage in Graeco-Roman Egypt », in RIDA, II, 1949, p.85-92. 160 Le mariage de l'oncle paternel ou maternel - ou du frère d'un ascendant plus éloigné avec sa nièce, sont interdits en droit romain parce que l'oncle et le grand oncle occupent la place du père. En 49, un senatus consulte de Claude autorisa le patruus, oncle paternel, à épouser sa nièce. Mais l'empereur Nerva (96-98), rejoignant le sentiment des moralistes et de la société romaine, abolit cette loi. 161 Constance II, 30 avril 355 (c. Th., III, 12, 2). 162 Jean Juster ne croit cependant pas qu'un conflit pouvait émerger en la matière, car le lévirat aurait été évité par les juifs de l'époque, qui lui substituaient une formalité, la haliza, par laquelle le frère du défunt qui refusait d'épouser sa belle-sœur lui présentait devant un tribunal un de ses pieds, dont la femme retirait la chaussure, la jetait, crachait devant son beau-frère et prononçait en hébreu la formule suivante « Ainsi fait-on à l'homme qui n'édifie pas la maison de son père. » Cf. J Juster, Les Juifs dans l'Empire... , op. cit., vol. II, p. 51, n. 1. 163 La rigueur de Théodose fut tempérée par ses fils qui, en 396, annulèrent les sanctions pénales. Par la suite, en Orient, des lois de 405 et de 415 devaient à nouveau autoriser les mariages rapprochés qui étaient malgré tout la tradition chez les peuples méditerranéens, Romains compris. Ces mariages étaient également autorisés par dispense en Occident (loi de 409), dispenses qui semblent avoir été généreusement accordées. Cf. J-P. Poly, Le Chemin des amours barbares, Paris, 2003, p. 46-47. 164 Sur ce climat favorable à l'orthodoxie, cf. E. Stein, Histoire du Bas·Empire...., op. cit., p. 208-214, et T. Honoré, Law in the Crisis... , op. cit., p. 73-76.
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principe que les juifs étaient des citoyens romains qui devaient, en tant que tels, obéir au droit romain. Mais il convient, avant de passer à l'étude de cette loi, de préciser que le principe ainsi posé n'avait rien de dogmatique, et qu'il n'avait, pensons-nous, été formulé de manière si péremptoire que parce que le décalage entre les mœurs matrimoniales et sexuelles des juifs et des Romains apparaissait inadmissible aux yeux du pouvoir. Lorsque les tribunaux et l'empereur furent confrontés à la survivance de lois juives qui leur paraissaient plus anodines, telle par exemple l'obligation de chômer le jour du shabbat, leur position fut beaucoup plus souple. Ouvrons donc une parenthèse à ce sujet. 2. L'intégration de certaines coutumes juives dans l'ordre juridique romain
L'historiographie traditionnelle nous a livré des positions tranchées sur la survivance des droits et usages des anciens pérégrins après 212, et sur l'attitude des autorités romaines vis-à-vis de ces droits et usages 165. Certains historiens suivent la thèse du Reichsrecht und Volksrecht (1891) de Ludwig Mitteis en assurant que l'édit de Caracalla avait proclamé le monopole du droit romain (Reichsrecht), ce qui avait eu mécaniquement pour effet de réduire les droits et usages locaux des novi cives (Volksrecht) à l'état d'usages illicites. Selon une conception opposée, défendue par Ernst SchOnbauer, les institutions juridiques indigènes auraient continué de se développer parallèlement au droit romain dans un parfait pluralisme juridique, les cives demeurant membres de leurs communautés civiques d'origine et conservant une « double citoyenneté ». Or, ces deux thèses ne rendent pas compte, à cause de leur radicalité et de leur dogmatisme, d'une réalité plus contrastée 166 • Joseph Mélèze-Modrzejewski a étudié des documents papyrologiques contenant les jugements de tribunaux romains postérieurs à 212, qui permettent de se faire une idée plus fine de l'attitude des autorités romaines des provinces égyptiennes lorsque survenaient devant elles des litiges qui posaient la question de l'application d'une règle locale, en l'occurrence du droit hellénistique égyptien. li ressort de l'étude de ces sources que cette
165 Le développement qui suit emprunte aux travaux de J. Mélèze-Modrzejewski, « La règle de droit dans l'Égypte romaine », in Proceedings of the Twelfth International Congress of Papyrology, Toronto, 1970 ; « Diritto romano e diritti locali », in Storia di Roma, III l'età tardoantica, i luoghi e le culture, Torino, 1993, p. 985- 1009 et « L'édit de Caracalla conférant aux habitants de l'Empire le droit de cité romaine (constitutio antoniniana), 212 ap. J.-C.), in Droit impérial et traditions locales dans l'Égypte romaine, Variorum Reprints, Paris, 1990. 166 Cf. J. Mélèze-Modrzejewski, « La règle de droit... », op. cit., p. 347-352.
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attitude n'était pas très différente de celle des autorités judicaires romaines du début de l'Empire, à savoir que les juges s'inclinaient devant l'attachement des justiciables à leurs traditions juridiques, sauf lorsque ces traditions heurtaient de front les principes de l'ordre public romain 167 Des rescrits émanés du pouvoir central laissent entrevoir le même genre d'attitude relativement conciliante. Certes, on se souvient de ceux de Dioclétien, déjà cités, qui avaient censuré la polygamie et l'endogamie. Le rescrit fournissait avant tout le moyen et l'occasion pour le pouvoir central de faire prévaloir les solutions romaines et il était à ce titre l'instrument privilégié de la romanisation juridique des provinces 168. Mais d'autres rescrits tentaient au contraire des compromis, en articulant par divers mécanismes droit officiel et règles locales. Certains portent ainsi la marque d'usages locaux, grecs, mais aussi orientaux 169, et Reuven Yaron a même cru pouvoir détecter dans certains d'entre eux des traces du droit talmudique 170.
167 Joseph Mélèze-Modrzejewski cite des exemples d'attitudes accommodantes des autorités romaines confrontées, dans le domaine du statut des persormes et du droit familial ainsi qu'en matière de droit des contrats, à des pratiques du droit hellénistique reposant sur des techniques étrangères au droit romain. Mais il montre également comment certaines institutions hellénistiques furent, à l'inverse, jugées inassimilables par les tribunaux romains d'Égypte, comme les unions endogames et polygames, pour les raisons déjà évoquées, ou comme la pratique consistant à dormer en gage les enfants du débiteur pour garantir sa dette alors que le droit romain interdit la vente et l'engagement des adolescents, ou encore comme l'expulsion d'enfant, qui signifie la rupture définitive de tout lien entre le père et son enfant, ce qui revient, en termes romains, à renoncer à la patria potestas, conséquence inacceptable. Cf. l Mélèze-Modrzejewski, « La règle de droit... », op. cit., p. 360-364. 168 l-P. Coriat, Le Prince législateur... , op. cit., p. 410-415. 169 On observe moins de résistance à la romanisation juridique dans des provinces occidentales que dans les régions orientales de l'Empire. Cette différence s'expliquerait par le fait que, contrairement aux provinciales de la Pars orientalis, les peuples d'Occident étaient dépourvus de traditions juridiques écrites. Ajoutons que certains peuples, qui vivaient aux marches de l'Empire, résistaient eux aussi à la romanisation de leur droit. Encore au V' siècle, Théodoret, évêque de Cyr, atteste dans son Neuvième discours contre les Païens (437) que nombreux étaient les peuples, déditices mais également citoyens romains, qui continuaient de refuser l'acculturation juridique «Ceux qui avaient refusé de se soumettre devant l'Empire romain, ni la force ni la persuasion ne purent les amener à vivre selon les lois romaines; bien plus, même ceux, nombreux, qui avaient accepté de vivre sous la bride de l'Empire romain, refusèrent de vivre sous leurs lois. Ni les Éthiopiens qui vivent dans le voisinage de la ville égyptienne de Thèbes, ni beaucoup de nations ismaélites, ni les Lazi, ni les Sanni, ni les Avasgi, ni beaucoup d'autres peuples barbares ayant accepté la domination des Romains n'utilisèrent dans leurs contrats aucune loi romaine. » Nous traduisons sur la base d'une version latine du texte original grec dans T. Gaisford, Theodoreti episcopi Cyrensis Graecarum affectionum curatio, Oxford, 1839, p. 341. 170 Cet auteur a selectiormé sept rescrits dans lesquels les empereurs ont rejeté des concepts légaux portés dans des pétitions à eux adressées. Il a recherché si ces concepts étaient
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On voit ainsi les empereurs surmonter plusieurs types de contradictions entre le droit romain et le droit juif par l'octroi de privilèges. La loi de Septime Sévère et Caracalla, étudiée plus haut, qui autorise les juifs à accéder aux honores en les dispensant d'accomplir des obligations contraires à leurs croyances, est un premier exemple de cette attitude. Le pouvoir impérial surmonte, dans ce texte, un conflit de lois né de ce que certaines obligations liées à l'appartenance à la curie ou aux magistratures municipales entraient en contradiction avec les prescriptions de la Torah. Les lois du Haut-Empire relatives à la circoncision fournissent elles aussi un exemple de la reconnaissance officielle d'une institution juive. Cette pratique heurtait la morale gréco-romaine, comme toute opération réalisée sur les organes génitaux 171, et l'empereur Hadrien l'avait, au nom de l' humanitas, interdite entre la fin de l'année 119 et le début de l'année 120, par une loi générale consignée au Digeste sur laquelle nous reviendrons 172. Or, Antonin le Pieux l'autorisa vers 150 pour les juifs, même si ce privilège était strictement limité, Modestin rapportant que le rescrit n'autorisait les juifs à pratiquer la circoncision que sur « leurs fils et eux seuls ». Circumcidere Iudœis flUos suos tantum rescripto divi PU permittitur : in non eiusdem reUgionis qui hoc fecerit, castrantis poena irrogatur 173 •
d'origine talmudique. Un seul d'entre eux porte indéniablement la marque du droit juif, quand il est impossible pour les autres de déterminer s'ils ne sont pas relatifs à d'autres droits et usages orientaux. Le rescrit en question fut édicté par l'empereur Caracalla le 30 juin 213 (C. 1., J, 9, 1) et est probablement l' œuvre d'Arrius Menander. Il est rédigé en ces termes « Quod Cornelia Salvia universitati Judceorum, qui in Antiochensium civitate constituti sunt, legavit, peti non potest. » Le pouvoir déclare que le testament de Cornelia Salvia institué en faveur de l'universitas Judœorum est nul. Le droit romain n'admettait en effet pas les testaments en faveur de personce incertce, c'est-à-dire de personnes dont le testateur n'avait pu se faire une idée précise (signalons que cette règle fut réformée au Bas-Empire, Constantin et ses successeurs ayant permis d'instituer églises et cités, et une loi de Justinien ayant peutêtre ajouté les corporations. Cf. P.-F. Girard, Manuel élémentaire de droit romain, Paris, 1906, p. 817-818). Le rescrit de Caracalla refuse donc d'admettre la validité d'un acte pourtant parfaitement valable du point de vue du droit talmudique. Le Talmud n'interdisait effectivement pas les incertitudes et plusieurs textes palestiniens des années 200 ordonnent de léguer des biens « à la synagogue» ou « aux pauvres de la ville ». Cf. R. Yaron, « Reichsrecht, Volksrecht and Talmud », in RIDA, 3e série, t. XI, 1964, p. 281-298 ; et A. Berger, « Sorne Remarks on Caracalla's Rescript C. 1., J, 9, 1 and Hs "Universitatis Judceorum" », in Jura, vol. VIII, 1957, p. 75-86. 171 Sur la réprobation morale que suscitait cette pratique dans les mondes grec et romain, voir les extraits d'œuvres d'Hérodote, Strabon d'Amasée, Pétrone, Martial, Juvénal et Tacite rassemblés par J. Mélèze-Modrzejewski,« "Filios suos tantum" », op. cit., p. 113-117. 172 Cf. chap. III, p. 143. 173 Modestin, D., 48, 8, 11.
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En vertu d'un rescrit du divin Pieux [Antonin], il est permis aux juifs de circoncire leurs fils et eux seuls. Quiconque le fera sur quelqu'un qui ne relève pas de cette même religion subira la peine prévue pour la castration.
Les empereurs chrétiens purent eux aussi adopter parfois une attitude relativement conciliante. On se souvient que la loi d'Honorius du 25 juillet 404 accordait aux juifs de la Diaspora occidentale le privilège d'acheminer l'aurum coronarium vers la Palestine, par respect pour leur droit ancestral. La même chancellerie d'Honorius fit encore preuve de souplesse dans une constitution du 26 juillet 412. Le texte de cette loi nous est parvenu en deux versions consignées dans deux livres du Théodosien, mais elles ont été adressées le même jour au même destinataire, le préfet du prétoire d'Italie Jean. Les versions diffèrent légèrement dans leur contenu, comme on va le voir, ce qui signifie peut-être que les compilateurs les ont empruntées à deux dépôts d'archives distincts où ils figuraient déjà dans des formes différentes, ou bien qu'ils ont eux-mêmes décidé de modifier un de ces textes par quelques suppressions ou adjonctions propres 174 • La première version, telle qu'on la trouve au livre XVI, est formulée comme suit At cum vero Iudœorum memorato populo sacratum diem sabbati vetus mos et consuetudo servaverit, id quoque inhibendum esse censemus, ne sub obtentu negotii publici veZ privati memoratœ observationis hominem adstringat ulla conventio, cum reliquum omne tempus satis publicis legibus sufficere videatur sitque sœculi moderatione dignissimum, ne delata privilegia violentur : quamvis retro principum generalibus constitutis satis de hac parte statutum esse videatur 175• D'autre part, puisque le susdit peuple juif a gardé le jour sacré du shabbat selon un ancien usage et selon leur coutume, nous estimons devoir interdire que, sous prétexte d'affaires publique ou privée, une citation en justice n'oblige à comparaître un homme appartenant à cette observance. En effet, le reste du temps paraît suffire assez pour obéir aux lois publiques, et il semble très digne du gouvernement de notre siècle de ne pas porter atteinte aux privilèges accordés, et les princes d'autrefois dans leurs constitutions générales semblent avoir décidé de façon suffisante sur ce sujet.
La seconde version, émanée du livre II, dispose ceci
174 Sur le phénomène des leges geminatœ, cf. T. Honoré, Law in the Crisis..., op. cit., p. 152, et 1. Gaudemet, La Formation du droit séculier... , op. cit., p. 62-66. 175 Honorius, 26 juillet 412 Cc. Th., XVI, 8,20).
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Die sabbato ac reliquis, sub tempore, quo iudœi cultus sui reverentiam servant, neminem aut facere aliquid aut ulla ex parte conveniri debere prœcipimus quum fiscalibus commodis et litigiis privatorum constat reliquos · posse sUJJ'cere .-Ffi 176 . d les Nous ordonnons que personne ne soit obligé de rien faire ni de venir pendant les jours de shabbat et autres [jours sacrés], en ces temps où les juifs honorent leur culte, car il est constant que les autres jours peuvent suffire aux affaires du fisc et aux litiges des privés.
Le refus des juifs d'obéir à une citation en justice constituait une violation du ius vocatio (citation à comparaître devant le magistrat), qui obligeait la partie citée à promettre de comparaître à jour dit, l'engagement étant pris avec caution (vadimonium). Un plaideur en conflit avec un juif l'avait manifestement cité un jour de fête et s'était vu opposer un refus dont il s'était plaint aux autorités. La chancellerie se trouve donc obligée de résoudre un conflit de lois entre, d'une part, l'obligation romaine de comparaître devant les tribunaux qui naissait d'une citation en justice et, d'autre part, l'interdiction juive de répondre à toute sollicitation pendant les jours sacrés. Mue par la volonté manifeste de trouver un compromis, la chancellerie recourt à l'argument traditionnel consistant à mettre en avant la référence à des empereurs anciens qui auraient accordé aux juifs le privilège d'honorer le jour du shabbat. La chose n'est pourtant pas avérée, sauf si l'on remonte, très loin dans le temps, aux lois déjà citées du général Dolabella et de l'empereur Auguste. Mais l'argument principalement avancé n'est pas juridique. Le législateur recourt en effet à des considérations morales d'équité et de modération - un procédé utilisé depuis l'époque d'Hadrien 177 • Ces considérations justifient que l'on atténue les vigueurs d'un ius civile appliqué sans discernement. Ainsi, affirme la chancellerie de manière fort remarquable, « le reste du temps paraît suffire assez pour obéir aux lois publiques 178 ». Remarquons que le législateur aurait également pu invoquer, à l'appui de sa décision, le précédent de la loi de 389 (c. Th., XII, 8, 19), qui libérait la population de l'obligation de comparaître en justice pendant les fêtes impériales, les jours importants du calendrier agricole, ainsi que pendant les fêtes chrétiennes 179 Le calendrier judiciaire était, de fait, traditionnellement
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Honorius, 26 juillet 412 (C. Th., Il, 8, 26 = Brev., II, 8, 3). J.P. Coriat, Le Prince législateur...., op. cit., p. 538-545.
178 Il est intéressant de noter que le Conseil d'État a rendu récemment - à propos d'un étudiant qui refusait de participer à des examens les jours de shabbat - un arrêt qui ressemble fort, par sa modération et par la nature des arguments invoqués, à la constitution du 26 juillet 412. Cf. Arrêt Koen, CE, 14 avri11995. 179 A. Linder, fR/L, op. cit., p. 264.
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dominé par des préoccupations religieuses qui déterminaient la fixation de jours fastes et néfastes pour rendre la justice. Mais revenons à présent au propos central de notre développement. La loi de 393 qui, on s'en souvient, condamnait la polygamie et l'endogamie juives comme des coutumes illicites avait, a-t-on noté plus haut, attiré l'attention de Constantinople sur le fait que les citoyens juifs demeuraient attachés à leur droit. Une constitution du 3 février 398 tenta d'apporter des solutions à ce problème. C. La loi du 3 février 398
À partir de l'année 396, la chancellerie du chambellan Eutrope fut dominée par un nouveau questeur dont l'identité n'a pas pu être déterminée, mais dont Tony Honoré a montré qu'il était à l'origine des quelque 111 constitutions édictées entre le 1er janvier 396 (c. Th., XVI, 13, 1) et le 30 décembre 399 (C Th., XII, 1, 165)180. Une ligne claire ressort de cette immense œuvre législatrice l'affirmation des intérêts de la Respublica opposés à ceux des particuliers. Constantinople imposa la subordination impartiale de tous à la loi en s'opposant résolument à des tendances qu'on peut qualifier de «féodales» 181. Ainsi le vieil eunuque Eutrope et son questeur apparaissent hostiles à la tentative des riches propriétaires terriens (potentiores) d'échapper au contrôle des gouverneurs de province et d'établir une relation de protection (patrocinium) avec le peuple des campagnes et des villes 182. Ils combattent également les curiales qui essayaient d'échapper aux impôts et autres charges publiques en rejoignant la cléricature l83 • Une autre loi insiste sur le fait que les clercs sont sujets de droit, ce qui implique que les juridictions épiscopales ne sauraient être qu'arbitrales 184. La politique du chambellan et du questeur a d'ailleurs suscité des critiques vives du clergé, saint Jean Chrysostome la dénonçant comme antic1éricale I85 • Le but de la mesure concernant les cours juives participe de cette ligne politique. La loi du 3 février 398 est formulée en ces termes
Le présent paragraphe emprunte à T. Honoré, Law in the Crisis... , op. cit., p. 81-92. Pour une analyse du contexte politique mouvementé qui entoure le « règne» d'Eutrope et qui explique la direction de sa politique législatrice, cf. E. Stein, Histoire du Bas-Empire... , op. cit., t. 1, p. 233-235. 182 Arcadius, 10 mars 399 (c. Th., XI, 24, 4) ; 25 mai 399 (c. Th., XI, 24, 5). 183 Arcadius, 26 juillet 398 (c. Th., XVI, 2, 32) ; 27 juillet 398 (C. Th., XVI, 2 33). 184 Arcadius, 27 juillet 398 (c. l., l, 4, 7). 185 Jean Chrysostome, Hom. in Eutropium eunuchum, patricium ac consulem (PG 52, 392394). 180 181
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Iudœi Romano et communi iure viventes in his causis, quœ non tam ad superstitionem eorum, quam adforum et leges ac iura pertinent, adeant solenni more iudicia omnesque romanis legibus inferant et excipiant actiones,. postremo sub legibus nostris sint. Sane si qui per compromissum, ad similitudinem arbitrorum, apud iudœos vel patriarchas ex consensu partium, in civili dumtaxat negotio, putaverint litigandum, sortiri eorum iudicium iure publico non vetentur,. eorum etiam sententias provinciarum iudices exsequantur, tanquam ex sententia cognitoris arbitri fuerint attributi 186• Les juifs, qui vivent en Romains et selon le droit commun, doivent s'adresser aux tribunaux de la façon régulière, non pour les causes qui appartiennent à leur superstition, mais pour celles qui relèvent des procès, des lois et du droit, et tous doivent engager des actions et se défendre suivant les lois romaines; bref, ils doivent être soumis à nos lois. Si certains jugent bon de porter leurs litiges, pourvu qu'il s'agisse d'affaires civiles, devant des juifs ou des patriarches conune à des arbitres, par compromis et avec l'accord des parties, qu'il ne soit pas interdit d'accepter le verdict de ceux-ci selon le droit de la Respublica ; les gouverneurs des provinces feront exécuter leurs sentences [les sentences des juifs et des patriarches] comme si les arbitres avaient été affectés par sentence du juge.
Dans un style formellement identifié par Tony Honoré comme étant celui du fameux questeur, style clair et délibérément juridique faisant l'économie de toute rhétorique, le texte résume son dessein en une formule lapidaire l87 «Bref, ils doivent être soumis à nos lois. » 1. Les formes alternatives de règlement des conflits
Ceci étant posé, le questeur envisage deux types de différends, l'un étant celui de la controverse - une dispute entre juifs sur des questions religieuses qui pourraient être réglées amiablement au sein de la communauté - et l'autre celui du litige qui survient quand l'un des disputants désire obtenir un règlement judiciaire du conflit. Dans ce cas, il a le choix entre deux procédures. Il peut, premièrement, saisir directement l'autorité judiciaire selon la forme légale ; le défendeur opposera de même les exceptions à la manière romaine et l'affaire se terminera par un jugement romain 188. Le second type de procédure laissé au choix des plaideurs juifs illustre le pragmatisme du législateur, qui sait qu'en pratique les justiciables juifs évitent de recourir
186 Arcadius, 3 février 398 (c. Th., II, 1, 10). Cette loi nous est parvenue par le seul biais du Bréviaire d'Alaric. 187 T. Honoré, Law in the Crisis..., op. cit., p. 84. 1881. Reinach, « "Controverse" et "litige" Comparaison de C. Th., II, 1, la, et de C. L,l, 9, 8 », in lura, vol. XI, 1960, p. 186.
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systématiquement au tribunal du gouverneur. Pour Caroline Humfress et Peter Garnsey :« Un nombre significatif d'utilisateurs potentiels, peut-être la masse des gens ordinaires, préféraient garder leurs distances avec les cours de justice romaines 189 » En effet, la citoyenneté universelle n'avait pas éliminé les divisions sociales qui existaient entre les citoyens et, toujours selon ces auteurs, « le droit romain n'avait jamais été appliqué dans l'intérêt du plus grand nombre, surtout lorsqu'il entrait en conflit avec les intérêts du petit nombre. C'était surtout le petit nombre qui s'en réclamait, ceux qui avaient des biens et des privilèges, ceux qui participaient à la vie publique ». Selon Jill Harries, beaucoup de conflits se réglaient en dehors des tribunaux romains, parce que la procédure de la cognitio extra ordinem iudiciorum privatorum ne laissait pratiquement plus, par rapport à celle de l'ordo, d'initiative aux plaideurs, et ceux-ci, de ce fait, avaient tendance à fuir les tribunaux 190 . Il est difficile d'évaluer l'importance exacte de ce phénomène. Des papyrus d'Égypte prouvent que les citoyens de ces provinces pouvaient continuer de régler leurs conflits sur le mode de l'arbitrage grec, une procédure qui rencontra un succès croissant à l'époque byzantine191 • Ces sources témoignent certes simplement de la situation en Égypte, mais le succès de l'audientia episcopalis dans le reste de l'Empire pourrait confirmer ce phénomène de fuite des tribunaux. Ainsi est-il naturel de penser que les juifs - du moins un bon nombre d'entre eux, ceux peut-être qui étaient d'humble condition ou religieuxpréféraient le plus souvent recourir à leurs pairs pour régler leurs différends. En effet, leurs institutions judiciaires, beth din (tribunal religieux) et hedyototh Ouges des tribunaux laïcs), étaient anciennes, et leur droit procédural bien établi par des lois écrites. En outre, comme on l'a vu, la Halakha menaçait du herem ceux qui avaient recours aux tribunaux des Gentils (arka' ot shel goyim).
189 P. Garnsey et C. Humfress, L'Évolution du monde de l'Antiquité tardive, Paris, 2004, p. 107-108. 190 J. Harries, Law and Empire in Late Antiquity, Cambridge, 1999, p. 172-212. Voir également, du même auteur, « Reso1ving Disputes: The Frontiers of Law in Üite Antiquity », in R. W. Mathisen (éd.), Law, Society and Authority in Late Antiquity, Oxford, 2001, p. 6882 ; et« Creating Legal Space : Settling Disputes in the Roman Empire », in C. Hezser (éd.), Rabbinic Law in Its Roman and Near Eastern Context, Tübingen, 2003, p. 66-74. 191 J. Mélèze-Modrzejewski, « Private Arbitration in the Law of Graeco-Roman Egypt », in JJP, vol. VI, 1952, p. 239-256.
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2. Une saisine inter volentes des tribunaux juifs
Le pouvoir romain se résolvait à l'existence de ces formes alternatives de règlement des conflits, mais il souhaita tout de même, à la fin du Ive siècle, encadrer le phénomène, en enlevant à ceux qui s'arrogeaient le rôle de juges tout pouvoir juridictionnel. Une des raisons d'être de la cognitio extra ordinem iudiciorum privatorum était qu'elle permettait, contrairement à la procédure de l'ordo, de contraindre les défendeurs à comparaître. En 322, Constantin avait aboli la citation privée caractéristique de l'ordo iudiciorum privatorum pour la remplacer par la litis contestatio qui conférait au demandeur qui citait son adversaire à comparaître l'appui du juge impérial. Cette fonne de contrainte (ius gladii) était et devait demeurer le monopole de l'État romain. Le législateur de 398 décida donc que les juges juifs, «patriarches» (dayyanim des tribunaux religieux) et « juifs )) (hedyotot des tribunaux laïcs), ne seraient plus saisis que sur le mode de l'arbitrage, c'est-à-dire par la volonté conjointe des deux parties (inter volentes). L'arbitrage n'était d'ailleurs pas inconnu du droit juif. Il s'était développé depuis le ne siècle, depuis que l'autonomie judiciaire juive en Palestine avait été réduite après la révolte de Bar Kokhba 192 • Les juifs qui le souhaitaient pourraient donc continuer à avoir recours à leurs juges traditionnels, à condition qu'ils le fissent ad similitudinem arbitrorum (comme à des arbitres). La fictio iuris visait ici à souligner le caractère exclusivement volontaire de ce mode de saisine l93 Le texte y insiste par deux fois. Les parties saisiront leurs juges « ex compromisso » et «ex concessu partium )). Mais la procédure demeure, pour le reste, entièrement libre et Jill Harries a raison de souligner que la loi n'obligeait pas les juifs à réaliser un acte de compromis à la manière romaine, selon la procédure d'arbitrage dite ex compromisso l94 •
192« Mishpat ivri », Encyclopaedia Judaica, vol. 8, col. 126-127 ; et B. Cohen, Jewish and Roman Law. A Comparative Study, New York, 1966, p. 651-709. 193 Le recours à la fiction remonte à la pratique des juridictions prétoriennes. Par le biais de la fiction, la chancellerie, comme autrefois le préteur, introduit des règles nouvelles en les insérant dans le droit en vigueur dont elle maintient les principes. Cf. J.-P. Coriat, Le Prince législateur... , op. cit., p. 546-549. 194 J. Harries, « Creating Legal Space... », op. cit., p. 79. Sur l'acte de compromissum dans la procédure arbitrale romaine, cf. M. Humbert, « Arbitrage et jugement à Rome », in Droit et cultures, n° 28, 1994, p. 48 et 54, et B. de Loynes de Fumichon, Recherches sur l'arbitrage ex compromisso en droit romain classique, thèse de doctorat, université Paris Il, 2002, p. 105203.
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L'objet de la loi était de confiner la faculté d'intervention des autorités juives à la situation où ceci a lieu inter volentes. Doit-on en déduire que Rome leur avait précédemment octroyé le droit de juger inter nolentes, ce qui signifierait, en d'autres termes, qu'elle leur avait reconnu les pouvoirs d'une véritable juridiction concurrençant celle du gouverneur? Cette question se pose nécessairement, car Constantin avait, en 333 (Sinn. 1), fixé qu'une affaire pourrait être entendue par un évêque à la demande d'un seul plaideur (etiamsi alia pars refragatur). Mais il nous paraît hasardeux de dire, en l'absence de texte, que le pouvoir avait accordé aux chefs juifs les mêmes prérogatives qu'aux évêques. Ce privilège ecclésiastique paraît d'ailleurs tellement exorbitant que certains historiens doutent même de l'authenticité de la loi de 333 195 • La loi de 398 n'abrogeait donc pas, selon toute probabilité, un privilège dans le sens d'une autorisation légalement consignée, mais elle tentait de mettre fin à une situation de fait, une tolérance, qui avait laissé trop longtemps les autorités juives exercer sur leurs ouailles un pouvoir coercitif. La règle du volontariat fut bien vite étendue des tribunaux juifs à l'audientia episcopalis. Eutrope et son questeur décidèrent quelques mois plus tard, le 27 juillet 398, que Si qui ex consensu apud sacrœ legis antrstltem litigare voluerint, non vetabuntur. sed experientur illius (in civilis dumtaxat negotio) arbitri more residentis sponte iudicium l96• Si certains, d'un commun accord, veulent porter leurs litiges auprès d'un prêtre des lois sacrées, on ne leur interdira pas, mais ils porteront plainte spontanément dans leur lieu de résidence (en se bornant aux affaires civiles) selon le mode de l'arbitrage.
Des lois ultérieures confirment que les audiences épiscopales ne pouvaient avoir lieu qu'ex consensu 197 Pourtant, les statuts des tribunaux juif et chrétien différaient sur un point important. Les évêques pouvaient juger quiconque le désirait, qu'il soit ou non de religion chrétienne. Saint Augustin
195 Pour un nouveau point sur cette controverse historiographique, cf. O. Huck, « À propos de CTH 1, 27, 1, et Csim 1. Sur deux textes controversés relatifs à l'episcopalis audientia constantinienne », in ZSS-Romanistische Abteilung, 2003, p. 78-105. 196 Arcadius, 28 juillet 398 (c. I., J, 4, 7). Il n'est pas certain que cette cotlstltution ait été insérée au Code Théodosien, ce qui explique pourquoi Th. Mommsen ne l'a pas fait figurer dans son édition. Mais l'édition Kruger l'admet sous la référence C. Th., J, 27, 2 (éd. 1923). Cf. 1. Gaudemet, L'§glise dans l'Empire..., op. cit., p. 236. 191 Honorius, 13 décembre 408 Cc. Th., J, 27, 2), et Valentinien III, 15 avril 452 (Nov. Val.,
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résolut ainsi devant son tribunal une affaire portée devant lui par le juif Licinius 198 . Or, l'inverse -le jugement d'un chrétien devant un tribunal juif - était impossible, comme nous l'apprend une constitution du 20 octobre 415, qui reprochait entre autres choses au patriarche de Tibériade Gamaliel d'avoir jugé un chrétien Ut inter christianos nullam habeat copiam iudicandi ; et si qua inter eos ac iudœos sit contentio, a rectoribus provinciœ dirimatur 199•
Qu'il n'ait aucune possibilité de juger des chrétiens et, s'il s'élevait une contestation entre eux et les juifs, il appartiendra aux gouverneurs des provinces de trancher. On peut supposer que Gamaliel avait rendu une sentence défavorable au chrétien, sentence que ce dernier avait refusé d'exécuter. Son adversaire juif avait donc été contraint de demander au tribunal romain la reconnaissance ou l'exécution de la sentence d'arbitrage, à moins que ce ne soit le chrétien luimême qui ait saisi le tribunal d'un recours en annulation de la décision. Le texte ne nous dit pas si le tribunal de Gamaliel avait été saisi ex consensu, ou si le chrétien avait été forcé de comparaître en contravention de la règle de saisine inter volentes fixée par la constitution de 398. Il statue néanmoins ceci aucun juif ne saurait juger un chrétien. Aux yeux du législateur romain, l'arbitrage juif s'entendait donc dans un cadre strictement communautaire. 3. Donner force exécutoire aux sentences juives
La loi de 398 précise enfin ceci «Les gouverneurs des provinces feront exécuter leurs sentences [les sentences des juifs et des patriarches] comme si les arbitres avaient été affectés par sentence du juge. » Le texte recourt donc à une fiction juridique qui n'habille plus, comme précédemment, l'arbitrage juif en un arbitrage ex compromisso2oo. Un autre mécanisme d'exécution des sentences arbitrales que celui de l'exécution des formes conventionnelles de sanctions s'avérait en effet nécessaire. Dans la procédure arbitrale romaine ex compromisso, la sententia de l'arbitre tenait sa force exécutoire de ce que les parties accompagnaient leur convention d'une double stipulation de peine (deux stipulations réciproques et symé-
198 Augustin, Ep. 8 (éd. J. Divjak, CSEL 88, Vienne, 1981). Cf. N. Lenski, « Evidence for the Audientia episcopalis in the New Letters of Augustine », in R. Mathisen (dir.), Law. Society and Authority.... op. cit., p. 83-97, en particulier p. 85. 199 Théodose n, 20 octobre 415 (c. Th., XVI, 8, 22). 200 Je remercie vivement Bruno de Loynes de FUIIÙchon à qui je dois l'interprétation de ce passage difficile.
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triques se répondaient), ouvrant contre celui qui contesterait l'arbitrage rendu, ou qui empêcherait l'arbitre de remplir sa fonction, l'action née de la stipulation et le condamnant à payer la poena prévue. La juridiction publique pouvait à ce stade être impliquée. Or, comme on l'a noté précédemment, la loi n'imposait pas aux plaideurs juifs l'obligation de réaliser ce type de compromis, mais elle les laissait libres de la procédure à suivre, du moment qu'était respectée la règle du volontariat. Il fallait donc, dans l'hypothèse où les parties en conflit ne réaliseraient pas de convention avec stipulation de peine, garantir tout de même le caractère exécutoire de la sentence. Le législateur indique donc que la décision des arbitres juifs sera exécutoire« comme si les arbitres avaient été affectés par sentence du juge ». En effet, certaines formes d'arbitrage résultaient de la nomination d'un arbitre par la personnalité publique qui avait la cognitio de l'affaire. Le gouverneur désignait un iudex datus, pedaneus, delegatus ou specialis. Pour Jill Barries, ce choix de l'arbitre par le magistrat, choix qui requerrait en théorie l'aval des parties, serait un vestige de la procédure civile en deux temps de l'ordo201 • Quoi qu'il en soit, le fait même que l'arbitre fût désigné par l'autorité du gouverneur impliquait que ce dernier endossât la responsabilité de l'exécution de la sentence. Constatons pour conclure que la loi de 398 présentait l'intérêt de laisser, grâce à la règle du volontariat, les citoyens romains juifs libres de choisir les juges de leur choix - les uns préférant sans doute comparaître devant leurs pairs, les autres accordant leur confiance aux tribunaux romains. La loi produisait un second avantage. Les autorités romaines pouvaient, a-t-on noté, être impliquées dans la dernière phase de la procédure d'arbitrage. Dans l'éventualité où une partie refusait la sentence de l'arbitre juif, la partie adverse pouvait demander au gouverneur de province la reconnaissance ou l'exécution de la sentence d'arbitrage. Le tribunal du gouverneur pouvait aussi être amené à intervenir lorsque, à l'inverse, une partie décidait de le saisir d'un recours en annulation de la décision d'arbitrage. Dans ces deux hypothèses, le juge romain était amené à vérifier si la sentence du tribunal juif était bien conforme à l'ordre public. Le pouvoir tenait ainsi le moyen de censurer les coutumes juives qui heurtaient trop frontalement la morale et la culture juridique romaines. Mais en dehors de ce cas limite, le gouverneur ne pouvait pas réformer le jugement sur le fond. Ce contrôle assez lâche a donc bien pu permettre une certaine pérennité du droit talmudique dans l'Empire.
2011.
Harries, « Creating Legal Space... », op. cit., p. 74-75.
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Conclusion du chapitre 1
1) Le commentaire traditionnel de la loi de Constantin du Il décembre 321 a donné lieu à des malentendus. Elle n'annulait pas un prétendu privilège d'exemption de la curie dont auraient bénéficié les juifs depuis l'époque de Septime Sévère et de Caracalla. Les juifs avaient de fait, au début du me siècle, réclamé l'accès aux charges municipales, qui étaient encore prisées à l'époque. Ils avaient simplement obtenu qu'on ne les obligeât pas à s'acquitter de rituels païens qui contredisaient leurs croyances. Mais, lorsque, dans le courant du nr siècle, ces charges furent devenues contraignantes, ils obtinrent, à l'instar de nombreux sujets de l'Empire, des privilèges les en exemptant. La loi du 11 décembre 321 eut donc pour objet d'annuler ces privilèges obtenus de la part des autorités locales - gouverneurs de provinces ou magistrats des cités. Le pouvoir central, qui entendait se réserver désormais le monopole de l'octroi de ces bénéfices, limita les exemptions à un ou deux juifs par curie. 2) Lorsque, cependant, Constantin accéda au pouvoir en Orient et qu'il se trouva dès lors à la tête d'une importante population juive, il décida de s'allier leurs chefs en leur accordant l'immunité de la curie. Le privilège de l'immunité curiale était accordé à de nombreuses populations de l'Empire, dignitaires, fonctionnaires, militaires et vétérans, magistrats et curiales municipaux, collegia et corpora de diverses natures 202 . Mais il apparut au législateur que le fondement juridique qui avait justifié l'octroi de ce privilège aux autorités religieuses chrétiennes était plus aisément transposable au casus juif soumis à son examen. De même qu'il avait qualifié les prêtres chrétiens de « clergé » sur la base de l' exemplum de l'ordre clérical païen, il décréta que les rabbis formaient eux aussi un « clergé »203. Selon une méthode identique, le privilège de juridiction juive fut justifié de la même
202 Sur les privilèges des hauts fonctionnaires, des magistrats municipaux et des curiales, cf. P. Garnsey, Social Status and Legal Privilege in the Roman Empire, Oxford, 1970, p. 234258. Sur les privilèges, judiciaires, fiscaux et autres du personnel administratif de l'Empire en général, cf. L. Homo, Les Institutions politiques romaines de la cité à l'État, Paris, 1950, p. 402430 ; sur ceux des fonctionnaires du gouvernement central en particulier, cf. R. Delmaire, Les Institutions du Bas-Empire romain, de Constantin à Justinien, t. J, Les Institutions civiles palatine, Paris, 1995, p. 16-19. 203 Les autorités religieuses juives bénéficiaient depuis le Haut-Empire d'une reconnaissance de facto, mais leur reconnaissance formelle par le biais de l'octroi de privilèges remonte à Constantin. Sur la reconnaissance officieuse des chefs religieux juifs, cf. M. Goodman, « The Roman State and the Jewish Patriarch in the Third Century », in L. I. Levine, The Galilee in Late Antiquity, Cambridge (Massachusetts)-Londres, p. 127-139.
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manière que l'avaient été les décisions qui avaient dévolu aux chrétiens le privilège de régler entre eux leurs différends dans le cadre de l'audientia espiscopalis. 3) On voit que les autorités romaines n'avaient qualifié les chefs juifs de « clergé» et le judaïsme de « religio », dont la sanction des règles pouvait
être réservée à des juridictions juives, qu'à l'issu d'un processus de raisonnement inductif. Ainsi, ceux qui, constatant comme nous que juifs et chrétiens avaient reçu des privilèges de même nature, ont conclu que ces privilèges poursuivaient un but analogue et que le judaïsme avait donc été quasiment aussi bien protégé que le christianisme, ont envisagé le problème à l'envers. Ces justifications juridiques n'étaient pas précontenues dans une vision plus large et théorique de la place du judaïsme dans l'Empire, ce qui explique d'ailleurs pourquoi les autorités impériales purent, sans y voir de contradiction, élaborer exactement dans les mêmes années des lois défavorables aux juifs.
CHAPITRE
LE JUDAÏSME,
II
RELIGIO LICITA
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On recense tout au long des Ive et ve siècles de nombreux cas de confiscations ou de destructions de synagogues ainsi que de vols d'objets liturgiques juifs, aussi bien en Occident qu'en Orient. Ainsi, au début du Ive siècle, à Tipasa (Algérie), une synagogue est confisquée par des chrétiens et devient l'église Sainte-Salsal ; en Espagne à la même époque, la synagogue de Dertona est convertie en église; à Antioche, la synagogue abritant le tombeau des sept frères Macchabées est détruite; dans les années 360, la majorité des communautés juives implantées dans le sud de la Palestine sont anéanties à la suite, vraisemblablement, de la réaction chrétienne qui accompagna la mort de Julien l'Apostae ; en 388, à Rome, une synagogue est incendiée; dans les années 411-412 à Édesse, une synagogue est saccagée et transformée par l'évêque Rabbula en une église dédiée à saint Étienne3 ; à Alexandrie, une foule pille le quartier juif et détruit définitivement la communauté en 414 (ou 41St. C'est également à la suite d'une émeute provoquée par le transfert à Minorque des reliques de saint Étienne - victime de l'intolérance juive à laquelle on dédia de
1 L'ancien temple du Dragon avait été cédé aux juifs et converti en synagogue. L'édifice fut transformé en église dans la première moitié du Ive siècle, probablement par la force, même si la source ne le dit pas. 2 Pour Michael Avi-Yonah en effet, la disparition autour des années 360 des communautés juives du Darom (Sud) ne saurait s'expliquer uniquement par le tremblement de terre qui, en mars 363, avait ravagé le Temple de Jérusalem en construction. M. Avi-Yonah, The Jews of Palestine. A political History from the Bar Kokhba War to the Arab Conquest, Oxford, 1976, p.209. 3 La synagogue fut transformée en l'église Saint-Étienne (Mâri Stephanos) par Rabbula. Cf. La Chronique d'Édesse, c. 51 (traduction anglaise par Wright, Journal ofsG:cred literature, 4e série, 1. 5, 1864, p. 34). 4 Pour une discussion autour de la datation de l'ensemble de ces événements ainsi que sur les différentes sources qui les rapportent, cf. J. Juster, Les Juifs dans l'Empire romain, Paris, 1912, II, p. 176, n. 1 et 3, et M. Simon, Verus Israël. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l'Empire romain, Paris, 1948, p. 265-266.
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nombreuses synagogues transfonnées en églises - que la synagogue de Magona est, à l'instigation de l'évêque Severus, pillée et brûlée en 418 5 • Ces actions ne sont pas le fait de groupes incontrôlés, mais sont le plus souvent menées avec l'accord tacite ou l'approbation ouverte, voire à l'instigation des autorités ecclésiastiques locales. Les auteurs de ces troubles ont, dans toutes ces affaires, joui de l'impunité, du moins si l'on en croit les récits de l'époque qui relatent ces attaques sans mentionner de censure du pouvoir. C'est seulement sous la pression que les autorités ont, en certains lieux et en certaines circonstances, édicté des représailles. Ainsi, la condamnation en 388 par Théodose rr de la destruction de la synagogue de Callinicum fomentée par l'évêque des lieux, Flavien, est bien connue, grâce au récit scandalisé que nous en fait saint Ambroise, et le même Théodose devait par la suite réprimer, dans une loi du 29 septembre 393, des exactions de même nature survenues quelque part en Orient. D'autres constitutions consignées dans le Code Théodosien, d'Arcadius du 17 avril 397 et d'Honorius du 26 juillet 412, témoignent de la même fenneté. Enfin, Théodose II condamne le 6 août 420 des violences antijuives survenues dans l'Illyricum et s'en prend par trois fois, pendant l'année 423, à des moines syriens conduits par Barsauma qui semaient la terreur parmi les juifs et les païens de Palestine, jusqu'à ce que la cause de ces derniers l'emporte finalement, ainsi que le rapporte la Vie de saint Siméon le Stylite6 • On a proposé deux types d'explications à cette attitude, qualifiée de « tolérante ». Il est à peine besoin de revenir sur la première, avancée par
5 Le texte relatant cet épisode a été composé par l'évêque de Iamona [Severus ?]. Il faut signaler que Bernhard Blumenkranz pense que le document en question est un faux qui aurait été forgé par un lettré espagnol du VII" siècle. Cf. B. Blumenkranz, « Les auteurs chrétiens latins sur les juifs et le judaïsme », in REJ, n° 1951-1952, p. 24-26. Mais des recherches archéologiques, qui ont, en 1951, IlÙs au jour une basilique du Ive siècle à Son Bou, ont induit d'autres savants à croire en l'authenticité des faits et à en attribuer la paternité du texte à Severus. Pour un compte rendu de ces débats, cf. S. Bradbury, Letrer on the Conversion ofthe Jews of Minorca, Oxford, 1996, p. 9-15. 6 On compte une dizaine de lois réprouvant les violences faites aux juifs entre le Ive et le ve siècle C. Th., VII, 8, 2 ; C. Th., XVI, 8, 9 ; C. Th., XVI, 8, 12 ; C. Th., XVI, 8, 21 ; C. Th., XVI, 8, 20 ; C. Th., XVI, 8, 25 ; C. Th., XVI, 8, 26, et C. Th., XVI, 8, 27. D'autres lois ne nous sont pas parvenues mais sont attestées par des témoignages littéraires. Ainsi, deux lettres de saint Ambroise se plaignent de ce que Théodose le' a pris le parti des juifs de Callinicum en ordonnant la reconstruction de leur synagogue détruite à l'instigation de l'évêque des lieux. Cf. Ambroise, Ep. 74 (ou Epistula extra collectionem la) et Epistula extra collectionem 1 (CSEL, 82, Vienne, 1992, p. 54-73, 162-173 et 145-161). De même, l'auteur anonyme de la Vie de saint Siméon le Stylite relate que Théodose II produisit une loi ordonnant la restitution des synagogues enlevées aux juifs ainsi que la reconstruction de celles qui avaient été incendiées (éd. P. Bedjan, Acta Martyrum, vol. IV, Paris, 1894, p. 636).
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Jean Juster, selon qui le pouvoir, inspiré par la théologie chrétienne qui réservait une place à part au judaïsme, aurait souhaité préserver spécialement ce culte. On a en effet déjà dit que les subtiles distinctions théologiques opérées par les penseurs de l'Église entre juifs, païens et hérétiques n'avaient pas eu d'influence sur le droit romain ni même sur le droit ecclésiastique. Un bon nombre des textes qui condamnent les violences faites aux juifs prennent même soin de préciser qu'ils veulent, comme ceux dont ils sanctionnent les exactions, la disparition du judaïsme. La seconde explication, plus simple, paraît mieux fondée. Les autorités étaient soucieuses de combattre l'anarchie que suscitaient les violences antijuives et de conserver le monopole des actions répressives. Leur rôle n'était-il pas, après tout, d'assurer la sécurité de ceux qui dépendaient d'elles? Pourtant, une telle interprétation n'est pas entièrement satisfaisante, à cause de son caractère général et abstrait. Elle n'explique pas pourquoi le pouvoir intervint certaines fois quand, d'autres fois, il laissa faire les violences. Elle n'explique pas non plus la nature très diverse des sanctions infligées aux coupables, qui étaient tantôt sévères - la reconstruction des édifices détruits était, par exemple, ordonnée -, tantôt simplement de façade les exactions étaient condamnées dans leur principe sans que les coupables ne soient inquiétés. Il nous apparaît donc nécessaire d'examiner plus en détail les textes de loi et le contexte de leur élaboration afin d'évaluer la portée et les limites de cette hypothèse. Nous nous inspirerons, pour ce faire, des clés d'analyse que nous fournissent les travaux de Peter Brown. Cet auteur a de fait peint une image saisissante des rapports de force qui régissaient au Ive siècle mais aussi au ve siècle les relations du pouvoir impérial chrétien avec les païens. Or, ce tableau est selon nous aisément transposable aux juifs. L'administration du Bas-Empire, plus puissante que dans les siècles précédents, devait néanmoins composer avec ces minorités religieuses qui, contrairement à ce que l'on a longtemps cru parce que l'on accordait trop de foi aux récits triomphalistes des historiens chrétiens du ve siècle, n'avaient pas disparu et pouvaient constituer de véritables contre-pouvoirs. La présence opiniâtre et discrète des polythéistes était loin d'avoir un caractère local et résiduel. Ceux qui étaient restés fidèles aux anciens dieux ne se recrutaient pas seulement dans les campagnes, mais bien dans les villes, et parmi les gens influents7 Ces élites dirigeantes traditionnelles exerçaient sur le pouvoir une pression visant à
7 Peter Brown a ainsi fait ressurgir, par-delà 1'« idéologie du silence» qui imprègne les sources chrétiennes de l'époque, la présence tenace de nombre de potentats locaux demeurés polythéistes. Cf. P. Brown, Pouvoir et persuasion dans l'Antiquité tardive. Vers un Empire chrétien, Paris, 1998 (lIe éd. 1992), p. 179-185.
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contrer l'influence grandissante des évêques. À cette lutte pouvaient même participer des chrétiens appartenant à la même classe. Cette classe privilégiée avait certes admis que l'on imposât par l'autorité et par la force la destruction des lieux de culte et même la mise au pas d'ennemis religieux, mais la façon dont cette uniformité était imposée était soumise à son contrôle et devait respecter les codes de la paideia. Les empereurs ne pouvaient céder aux fanatiques sans compromettre l'image d'un pouvoir fort et serein, épris de justice8 • Ils devaient d'autant maintenir cette image auprès des classes aisées des sociétés provinciales que ces notables civils dirigeaient les assemblées municipales des cités, les curies ou boulai, dont la collaboration était indispensable pour la collecte annuelle et la redistribution des impôts. Comme l'analyse Peter Brown, « les officiers impériaux fermaient les yeux sur les communautés locales qui pouvaient être d'autant plus assidues à payer leurs impôts qu'elles ressentaient le besoin de protéger leurs pratiques religieuses ancestrales contre l'ingérence officielle9 ». On verra que, dans ce contexte, les juifs constituèrent en certaines parties de l'Empire des groupes de pression suffisamment efficaces pour faire entendre leur voix auprès des autorités municipales et des représentants locaux de l'autorité impériale. C'est que ces trois groupes (juifs, potentats locaux et fonctionnaires impériaux) formaient des alliances objectives contre leur ennemi commun, les catholiques activistes. On verra, pour ne citer que quelques exemples, un représentant de l'élite municipale, le païen Libanius, assurer de sa solidarité le patriarche juif de Palestine Gamaliel ; un général, comme l'éminent Timasius, piquer une colère contre saint Ambroise après la destruction de la synagogue de Callinicum; et un préfet du prétoire, Asclépiodote, réclamer avec insistance l'envoi par Constantinople de rescrits pour condamner les actions des évêques et des moines contre les païens et les juifs. Notre propos sera de montrer que les lois protectrices des synagogues étaient le résultat de pressions exercées sur les autorités par les juifs et par leurs alliés objectifs, les païens. Ces mesures ne répondaient donc pas à une ligne politique stable, mais étaient des décisions prises ad hoc, fruit d'un processus diplomatique et politique complexe. Nous verrons que, à partir du
8 Peter Brown explique que le clivage religieux était effacé, dans la classe dirigeante des lye_y. siècles, par une « fidélité sans faille aux "fonnes symboliques" communes (la paideia) qui parlaient à travers la voix puissante, mais religieusement neutre, de l'autorité de l'Empire et de la sécurité de son ordre social ». Cf. P. Brown, L'Autorité et le sacré. Aspects de la christianisation dans le monde romain, Paris, 1998, p. 104-108. 9 P. Brown, L'Autorité et le sacré... , op. cit., p. 93-96.
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règne de Théodose II, fut parallèlement mis en place un arsenal juridique destiné à réaliser à terme le même but que celui de ceux dont les exactions étaient condamnées, à savoir l'éradication des synagogues. Le projet était le même, seules les méthodes, moins violentes et moins frontales, changeaient.
SECTION 1. LES LOIS CONTRE LES OCCUPATIONS ET DESTRUCTIONS DE SYNAGOGUES ET CONTRE LE VOL D'OBJETS LITURGIQUES
Les constitutions impériales protectrices des juifs s'étalent du IVe au Ve siècle, entre, on l'a dit, les règnes de Théodose 1er et Théodose n. On en a conservé une dizaine émises d'abord par Théodose 1er , ensuite par ses fils Aracadius et Honorius, enfin par son petit-fils Théodose II.
A. Le conflit entre Théodose 1er, les activistes chrétiens et saint Ambroise Nous nous attacherons à restituer aussi précisément que possible les circonstances susceptibles d'expliquer la vive réaction de Théodose 1er lors de l'affaire de la synagogue de Callinicum en 388, puis lors de nouvelles attaques contre des synagogues en Orient dans l'année 393. 1. L'affaire de la synagogue de Callinicum (été 388)
L'Espagnol Théodose fut promu empereur d'Orient par Gratien après que Valens eut perdu la bataille et la vie contre les Goths à Andrinople (379)10. Au cours de sa campagne contre les Wisigoths dans les Balkans, Théodose tomba gravement malade à Thessalonique et reçut le baptême à l'automne 380. L'empereur était désireux de combattre certaines pratiques païennes jugées immorales. Il remit en vigueur les lois de Constantin et de Constance II en interdisant, le 21 décembre 381, la pratique de l'haruspicine ll • En 384, il envoya le zélé Maternus Cynegius - qui fut préfet du prétoire d'Orient entre 384 et 388 - fermer les principaux temples d'Égypte et aggrava, par une loi du 25 mai 385, les peines frappant ceux qui pratiquaient les sacrifices et la divination 12 • Les moines de Syrie, profitant semble-t-il de cet état d'esprit, s'acharnèrent sur les temples polythéistes et sur les synagogues juives et samaritaines partout en Syrie, à la frontière de l'Euphrate et en Phénicie.
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E. Stein, Histoire du Bas-Empire, t. l, Amsterdam, 1968, p. 191-193. Théodose, 21 décembre 381 (c. Th., XVI, 10, 7). Théodose, 25 mai 385 (C. Th., XVI, 10,9).
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Or, ces actions rencontraient l'opposition de l'aristocratie locale traditionnelle. Un de leurs représentants, le puissant Libanius d'Antioche (314-393), n'hésite pas à écrire à l'empereur pour se plaindre de ces moines, dont il lui présente un portrait peu amène Voilà qu'on renverse nos temples. Ces hommes vêtus de noir, qui mangent plus que des éléphants et qui, à force de boire, lassent la main des esclaves qui leur versent le vin au milieu des chants ; ces hommes qui cachent leur débauche sous une pâleur qu'ils se procurent grâce à certains cosmétiques ; oui ce sont ces hommes, ô empereur, qui, au mépris de la loi toujours en vigueur, abattent les temples 13 •
Libanius était un païen formé à l'école de la paideia, soucieux de bienséance et de légalité. Derrière les propos violents déchaînés contre les activistes chrétiens se dissimulait, il faut bien le comprendre, une critique voilée de l'action de Cynegius, qui ne devait pas échapper à l'empereur14 • Ce dernier ne pourrait pas se permettre d'ignorer trop longtemps le sourd ressentiment des élites païennes qui étaient, on l'a dit, des relais locaux essentiels de son pouvoir 15 • Deux incidents éclatèrent au début du mois d'août 388 dans la ville mésopotamienne de Callinicum (aujourd'hui Raqqa, en Syrie). Des moines détruisirent une chapelle d'hérétiques valentiniens et, sous l'impulsion de l'évêque des lieux Flavien, des chrétiens incendièrent une synagogue 16 . Ces nouvelles exactions devaient encore contribuer à faire grandir le mécontentement des provinciaux d'Orient et à resserrer leurs alliances. Le patriarche juif 13 Libanius. Discours XXX. 9 (III. 92) : Discours adressé à l'empereur Théodose l'' contre la destruction des temples païens (trad. par A. Piganiol. La Chute de l'Empire romain, Paris,1982, p. 171). Il faut rapprocher ce texte de celui d'un ancien élève de Libanius à Antioche. saint Jean Chrysostome. qui écrit au sujet des juifs «Yivant pour leur ventre. la bouche toujours béante. ils ne se conduisent pas mieux que les porcs et les boucs. dans leur lubrique grossièreté et l'excès de leur gloutonnerie. Ils ne savent faire qu'une chose: se gaver et se soOler... » Saint Jean Chrysostome. Hom.• 1,4 (PG 48,848). Traduction par M. Simon, Verus Israël..., op. cit., p. 257-258. 14 P. Brown, Pouvoir et persuasion.... op. cit., p. 150. 15 Le jeune empereur d'Occident Yalentinien II devait d·ailleurs. cette même année 384. subir le mécontentement des sénateurs païens de Rome contre la mesure de son prédécesseur Gratien qui avait fait enlever du Sénat l'autel de la Yictoire. Le sénateur Symmaque lui écrivit une requête qui en appelait à la tolérance et à la diversité des voies pour parvenir à la vérité religieuse. Symmaque. Rapport présenté à l'empereur Valentinien Il, in A. Piganiol, La Chute ..., op. cit., p. 174-176. 16 Les valentiniens étaient des gnostiques. Cf. A. Pourkier. L' Hérésiologie chez Épiphane de Salamine, Paris, 1992, qui étudie des hérésiologies - notanunent celle d'Épiphane - qui, aux IY· et Y· siècles, ont influencé les classifications des juristes.
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de Jérusalem, Gamaliel V, reçut ainsi de son ami Libanius - qui était également le précepteur de son fils - une lettre l'assurant de sa sympathie (<< Qui pourrait ne pas être peiné de voir une telle nation souffrir depuis si longtemps? », écrivait-il 17) et surtout de son appui que Gamaliel se rassure, personne n'était venu plaider la cause des malfaiteurs pour essayer de l'influencer et celui qui l'aurait tenté n'aurait pas eu de succès. Libanius faisait, à la fin de la lettre, allusion au commun espoir qu'avaient les deux hommes de voir nommer « l'un des leurs» - peut-être le païen Siburius à la tête de la province de Syrie. De manière générale, la correspondance de Libanius avec Gamaliel laisse entrevoir le vaste réseau d'amitiés et de soutiens qui les liait 18 . Cette fois, Théodose se sentit obligé de sévir. Informé des faits par le comte d'Orient, il lui adressa une lettre lui reprochant de ne pas avoir sanctionné immédiatement les coupables, ordonnant que l'on infligeât la bastonnade aux moines et que la synagogue fOt reconstruite aux frais de l'évêque 19 Il ne faut guère s'étonner de la nature des sanctions infligées aux moines et à l'évêque. Certes, au terme de la Lex Aquilia (lue siècle av. J.-C. au plus tard), les dommages causés au bien d'autrui (damnum iniuria datum) donnaient simplement droit à des indemnités20 • Les coupables auraient donc dû, dans le cadre de la procédure de l'ordo, être condamnés à des sanctions de nature simplement pécuniaire21 • Mais les constitutions impériales
17 Libanius, Ep. 914, 1-3 (trad. ang!. par M. Stem, Greek and Latin Authors on Jews and Judaism, Jerusalem, 1980, t. II, p. 589-590). Gamaliel et Libanius ont entretenu une correspondance dont nous avons conservé dix lettres, qui datent des années 388, 390 et 393. On suppose que les événements auxquels Libanius fait allusion sont ceux de Callinicum, puisque la lettre date des années 388-393. Mais il est possible que d'autres exactions soient intervenues entre-temps dont nous n'avons pas eu connaissance. 18 Libanius envoie ainsi à Gamaliel deux lettres de recommandation en faveur d'un certain Philippianus, un membre de l'entourage du nouveau proconsul de Palestine Sibumius (PLRE, l, p. 839), en mentionnant la bonne opinion que Siburnius a du patriarche. Une autre lettre recommande à Gamaliel le païen Théophile. Cf. M. Stem, Greek and Latin..., op. cit., p. 592. 19 Le texte de la constitution ne nous est pas parvenu, mais sa teneur nous est décrite par saint Ambroise. 20 Si les termes de la loi Aquilia semblent viser en premier lieu les meubles, on sait que, sous la République déjà, cette loi fut appliquée aux dommages commis vis-à-vis des immeubles. Cf. Th. Mommsen, Droit pénal, op. cit., t. III, p. 147. Le régime applicable est celui qui vise la condamnation des dommages causés vis-à-vis de la propriété privée et non des choses sacrées, les synagogues n'ayant jamais reçu le statut de res sacrœ, comme nous le montrerons plus loin, cf. infra, p. 102. 21 Le régime de la loi Aquilia à l'époque classique se veut réparateur et n'inflige pas de peine. Cette réparation se fait en fonction de l'intérêt subjectif de la victime, et l'on calcule, en plus de la valeur vénale de la chose, le préjudice. Cf. l-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire
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intervenaient, on le sait, dans le cadre de la procédure extra ordinem. Les fonctionnaires-juges, dépositaires dans les provinces de l'imperium du pnnce, bénéficiaient sur les administrés-justiciables de moyens de contrainte autrement plus efficaces que ceux dont avaient été pourvues les autorités judiciaires de l'époque classique. Le principe de la condamnation pécuniaire avait ainsi peu à peu été remplacé par des sanctions correspondant de manière plus adéquate aux faits concrets qui étaient soumis à leur examen. On voit donc les juges impériaux ordonner selon les cas la restitution de la chose, l'exécution d'un travail, la manumission d'un esclave, etc. 22 Les juifs avaient donc pu obtenir la chose même par une condamnation ad ipsam rem et non son équivalent en argent, c'est-à-dire en l'espèce la reconstruction par le coupable de leur synagogue détruite. De même, il n'était pas rare que les juges impériaux administrent des peines corporelles telles que la bastonnade, à condition que le statut d' humiliores des coupables le permît, ce qui était manifestement le cas des moines de Callinicum. Il faut cependant remarquer que cette dernière peine était peut-être indulgente car, à en croire le PseudoPaul qui, rappelons-le, écrivit ses Sententiœ à la fin du me siècle, les incendiaires étaient normalement punis de la peine capitale23 Le pouvoir renonçait donc à son attitude passive et se décidait à appliquer le droit. Deux raisons principales expliquent ce changement d'attitude, qui n'ont, quoi qu'on ait pu en dire, que peu à voir avec le fait que les victimes étaient juives puisque, d'une part, on l'a vu, des synagogues avaient déjà été détruites sans encourir la censure du pouvoir et que, d'autre part, des membres de l'hérésie valentinienne étaient également impliqués. La première raison tient au lieu où s'étaient déroulés les événements. Callinicum était une place forte qui se trouvait sur la rive gauche de l'Euphrate, à la frontière avec l'Empire sassanide. L'empereur ne désirait pas que des troubles intercommunautaires menacent la cohésion de la ville et il ne voulait sans doute pas s'aliéner une population juive qui avait, dans le passé, contribué à saper l'autorité romaine en agissant au service de la Perse24 • La seconde raison est que l'empereur devait faire un geste fort pour rétablir son autorité qui était de plus en plus mise à mal. De fait, un an du droit civil, Paris, 2002, p. 890-892. 22 G. Provera, Lezioni sul processo civile Giustinianeo, Turin, 1982, p. 115. 23 Pauli Sent., V, 20, 1. 24 Sur l'attitude des juifs de l'Empire romain pendant les guerres avec la Perse et sur l'impact positif sur la condition juive que la pression extérieure sassanide a exercée sur les gouvernements romains, cf. 1. Parkes, The Conflict 0/ the Church and the Synagogue, Philadelphie, 1961, p. 257-263; et M. Avi-Yonah, The Jews a/Palestine..., op. cit., p. 35-39.
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auparavant, au printemps 387, la foule d'Antioche avait déboulonné des statues à l'effigie de l'empereur et de l'impératrice. La ville, qui souffrait déjà depuis plusieurs années de pénuries de grains, n:avait pas supporté l'annonce d'un impôt supplémentaire. Le pouvoir central avait alors décidé de ne pas sévir et s'était laissé fléchir par le moine syrien Macédonius et par l'évêque Flavien. Pourtant, les notables sur place avaient ressenti cette émeute comme une « catastrophe gouvernementale» de premier ordre25 • De plus, l'action contre les temples du fanatique préfet du prétoire d'Orient, Cynegius, avait profondément exaspéré les païens d'Égypte. À Alexandrie, en 387, la foule en était venue, lors de manifestations de théâtre, à scander des slogans hostiles au pouvoir et favorables à l'usurpateur Maxime. Aussi Théodose avait-il saisi l'occasion de la mort de Cynegius pour faire un geste fort envers les païens d'Orient en nommant à sa place, vers le mois de juin 388, le païen Flavius Eutolmius Tatien26 • Quand vint, en août de la même année, l'émeute de Callinicum, Théodose prêta l'oreille aux militaires de cette ville de garnison et admit que « les moines commettent de nombreuses atrocités27 ». li était possible de châtier les moines et de les faire fouetter énergiquement. Ils étaient souvent de basse extraction et ne venaient généralement pas de la région. N'étant pas membres du clergé officiel, ils ne jouissaient d'aucun statut légal28 • Mais il était plus difficile de condamner des évêques. La preuve en est qu'à l'automne 388, Ambroise décida de se mêler de l'affaire et adressa à Théodose une lettre extrêmement sévère, et même menaçante, dans laquelle il lui demandait d'annuler sa loi29 C'est sans doute pour répondre implicitement aux arguments des notables et des fonctionnaires qui avaient réclamé le rétablissement de l'ordre que, pastichant le célèbre Cedant arma togœ, l'évêque de Milan écrit dans sa lettre «Si ton motif est la discipline, ô empereur, qu'est-ce qui importe le plus : l'apparence de la discipline ou la cause de la religion ? Que la censure
P. Brown, Pouvoir et persuasion... , op. cit., p. 148. Pour un récit des révoltes des habitants de la Pars orientalis contre Théodose dans les années 383-388, cf. E. Stein, Histoire du Bas-Empire... , op. cit., t. l, p. 205-207. 27 Ambroise, Ep. 74 (éd. cit., p. 54-73). 28 Théodose devait ultérieurement, par une loi du 2 septembre 390 (c. Th., XVI, 3, 1), interdire à tous les moines de séjourner dans les villes et leur prescrire de se retirer dans le désert « conformément, se justifiait-il, aux principes du monachisme ». 29 Ep. 74. Pour une analyse détaillée du contenu de la lettre, cf. G. Nauroy, « Ambroise et la question juive à Milan à la fin du Ive siècle. Une nouvelle lecture de l'Epistula 74 (40) à Théodose », in Les Chrétiens face à leurs adversaires dans l'Occident latin au IV' siècle, Rouen, 2001, p. 37-54. L'article donne également une liste bibliographique des travaux qui ont traité de l'attitude d'Ambroise à l'égard des juifs. 25
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cède devant la dévotion30. Ambroise voulait dissuader l'empereur de mener une politique de neutralité, d'équilibre et d'administration normale à l'égard des juifs, la fonction du droit étant moins, selon lui, de maintenir l'ordre public que de faire triompher le vrai Dieu. Or, Dieu voulait la fin du judaïsme «C'est Dieu en effet qui a condamné les synagogues au feu, comme il ressort de Jérémie IX ». Théodose, qui venait de remporter sa victoire contre Maxime, se trouvait alors en Italie du Nord. Dans la basilique cathédrale de Milan, Ambroise refusa, en dépit de la colère du général Timasius, de commencer la messe jusqu'à ce que Théodose annulât la loi31 . Ne se sentant pas en confiance dans cette province du nord qu'il venait juste de pacifier, l'empereur aurait finalement cédë2 • Le pouvoir avait subi plus d'humiliations qu'il n'en pouvait supporter. Lorsque, au printemps 390, le magister militum per Illyricum Buthéric 33 fut assassiné à Thessalonique par la foule, l'empereur décida de céder à la pression de ses experts militaires et ordonna le massacre de 7 000 habitants de cette citë4 • On sait qu'il trouva à nouveau Ambroise sur son chemin. L'évêque obtint de l'empereur qu'il fît pénitence et plus encore puisque Théodose souhaita redonner des gages aux chrétiens en réactivant son combat contre le paganisme. En 391, il envoya des agents impériaux en Égypte détruire le grand temple de Sérapis à Alexandrie35 et ordonna au préfet et au comte d'Égypte Évagre et Romain de fermer les temples dans le reste du pays36. Par des lois du 24 février 391 et du 8 novembre 392, il interdit la pratique des sacrifices publics et menaça les fonctionnaires membres du parti païen de lourdes amendes dans le cas où ils contreviendraient aux ordres 37 La loi fut appliquée de manière énergique en Orient par le chrétien Rufin, que Théodose venait pour l'occasion de nommer à la préfecture du prétoire
30 Ep. extra collectionem 1, § Il « Sed disciplina te ratio, imperator, movet. Quid igitur est amplius ? disciplinœ species, an causa religionis ? Cedat oportet censura devotioni. 31 Cf. P. Brown, Pouvoir et persuasion..., op. cit., p. 152. 32 C'est du moins ce qu'Ambroise affirme dans la lettre qu'il écrit à sa sœur Marcelline quelques semaines plus tard. 33 Le magister militium occupait le plus haut rang de la hiérarchie militaire après l'empereur. 34 Sur les causes et les circonstances de ce massacre, cf. E. Stein, Histoire du Bas-Empire..., op. cit., p. 208-209. 35 Saint Augustin, La Cité de Dieu, XVIII, 54. 36 Théodose, 16 juin 391 (c. Th., XVI, 10, 11) 37 Théodose, 24 février 391 (C. Th., XVI, 10, 10) et 8 novembre 392 (c. Th., XVI, 10, 12). Signalons que la première de ces lois est adressée à un païen, le préfet du prétoire d'Italie Ceionus Rufius Albinus. Son nom doit, selon Jean Rougé, être corrigé par celui de Nicomaque Flavien, ce qui ne change rien pour ce qui nous intéresse puisque lui aussi est un chef du parti païen de Rome.
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à la place du païen Tatien. Mais ce nouveau tournant dans la politique religieuse de Théodose devait encore encourager les exactions d'activistes chrétiens contre les temples polythéistes et les synagogues juives, exactions qui se multiplièrent autour des années 390. Théodose jugea alors préférable, par une loi du 29 septembre 393, de réagir à la nouvelle qu'en Orient «des assemblées de juifs avaient été prohibées» et de condamner ceux qui, « au nom de la religion chrétienne », cherchaient « à détruire et à piller les synagogues ». 2. La loi du 29 septembre 393 et sa portée réelle
La loi du 29 septembre 393 est ainsi formulée ludœorum sectam nulla Lege prohibitam satis constat. Unde graviter commovemur interdictos quibusdam locis eorum fuisse conventus. Sublimis igitur magnitudo tua hac iussione suscepta nimietatem eorum, qui sub Christianœ religionis nomine inlicita quœque prœsumunt et destruere synagogas adque expoliare conantur, congrua severitate cohibebir3 8• Il est assez manifeste que la secte des juifs n'a été interdite par aucune loi. Voilà pourquoi nous sommes sérieusement émus d'apprendre que leurs assemblées ont été prohibées en différents lieux. Aussi votre sublime Excellence voudra-t-elle bien, dès réception du présent ordre, réprimer avec la sévérité qui s'impose les excès de ceux qui prennent la liberté de commettre des actes illégaux au nom de la religion chrétienne, et cherchent à détruire et dépouiller les synagogues.
Cette loi a ceci de précieux qu'elle compte parmi les rares textes du Code Théodosien qui, sans doute parce qu'ils ne sont pas issus, contrairement à la majorité des sources utilisées par les rédacteurs du code, des archives de la préfecture du prétoire, portent l'adresse des fonctionnaires spécifiques auxquels ils étaient envoyés39 On sait ainsi qu'elle était destinée au commandant en chef des forces orientales, Adda. Acculé à une nouvelle guerre occidentale contre son rival Eugène, l'empereur avait donc répondu favorablement à son général qui lui avait demandé le rétablissement de l'ordre à la frontière orientale. Comme à l'époque de l'affaire de la synagogue de Callinicum où, on s'en souvient, le général Timasius avait, à Milan, soutenu leur cause, les juifs trouvaient à nouveau des alliés objectifs dans la personne des militaires.
Théodose, (Arcadius et Honorius), 29 septembre 393 (c. Th., XVI, 8, 9) T. Honoré, Law in the Crisis of Empire. 379-455 AD. The Theodosian Dynasty and Its Quaestors, Oxford, 1998, p. 137-141. 38
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La loi ne donne pas d'instructions spécifiques quant à la nature des sanctions à appliquer et se contente d'ordonner de réprimer les coupables «avec la sévérité qui s'impose ». Deux types d'abus étaient visés, la destruction des synagogues et les vols commis dans ces édifices. Adda s'est peut-être inspiré du précédent de 388 en ordonnant la reconstruction des synagogues détruites et en infligeant éventuellement - si la qualité des coupables le pennettait - des châtiments corporels. Quant aux vols commis dans les synagogues, nous en découvrirons le régime dans des lois ultérieures. Il convient, avant de passer à l'étude de ces constitutions, d'ouvrir une parenthèse. La constitution du 29 septembre 393 prouve, selon beaucoup, que le judaïsme aurait bénéficié dans l'Antiquité tardive du statut dit de religio licita. Mais nous croyons que les tennes employés dans la loi n'ont qu'une valeur strictement juridique et technique. Quand le texte précise que ceux qui se prêtent à des violences contre les juifs « commettent des actes illégaux », l'acte illégal en cause désigne l'atteinte aux biens perpétrée iniuria, c'est-àdire en infraction à la 10i40 . Il est indifférent à la question de la reconnaissance du caractère licite de la religion juive. Il ne faut pas faire dire à ce texte plus qu'il n'en dit en réalité et il faut donc se garder de plaquer une réalité figée sur une politique religieuse qui était extrêmement mouvante et pragmatique. Rome menait une politique nuancée qu'elle adaptait au cas par cas. On constatera, dans les chapitres à venir, que les non-chrétiens ne furent pas tous frappés des mêmes déchéances politiques et civiques. B. Les troubles interreligieux du premier quart du
ve siècle
Il est difficile de reconstituer les circonstances entourant la rédaction de trois lois d'esprit similaire à celle que nous venons de citer, et qui lui font chronologiquement suite dans le Code Théodosien. De fait, aucune source (récit ou lettre de contemporains) ne permet, à notre connaissance, d'en éclairer le contexte. Deux d'entre elles sont des interventions en faveur des juifs qui vivaient dans l'Illyricum4 \ et la troisième condamne des exactions contre des juifs en Italie. Cf. J.-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil..., op. cit., p. 888-892. La préfecture du prétoire dont il est question ici n'était pas antérieure à 395. Elle avait été créée par l'empereur Arcadius qui avait obtenu l'attribution à l'Orient des deux diocèses de Macédoine et de Dacie, et fonné une préfecture nouvelle d'lllyricum (oriental), alors que l'Illyricum tout entier appartenait auparavant, sauf pendant de courtes périodes, à la Pars occidentalis. Cf. J.-R. Palanque, « La préfecture du prétoire d'Illyricum au Ive siècle », in Byzantion, n° 21-1, 1951, p. 5-14. 40
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1. Les lois adressées à la préfecture de l'IIIyricum (17 juin 397 et 6 août 420)
Une première constitution est adressée par Arcadius le 17 juin 397 au préfet du prétoire Anatolius. Excellens auctoritas tua rectores conveniri prœcipiat, ut percepta notione cognoscant oportere a Iudœis inruentum contumelias propulsari eorumque synagogas in quiete solita permanere 42• Ton Excellente Autorité doit ordonner le rassemblement des gouverneurs pour qu'ils sachent qu'il est nécessaire de repousser les assauts de ceux qui attaquent les juifs et que leurs synagogues doivent demeurer en place.
L'ordre, lapidaire dans sa formulation, est dépourvu d'éléments concrets. Il est donc impossible d'établir si les attaques mises en cause étaient le fait de criminels de droit conunun, qui auraient profité de l'anarchie qui régnait à l'époque43 pour attaquer et piller des populations civiles ou si les agressions étaient menées par des militants chrétiens à des fins prosélytes. Vingt ans plus tard, une constitution concerne cette même partie de l'Empire. Elle est adressée par Théodose II (et Honorius) le 6 août 420 au préfet du prétoire Philippe44 Nullus tamquam Iudœus, cum sit innocens, obteratur nec expositum eum ad contumeliam religio qualiscumque p~rficiat. Non passim eorum synagogœ vel habitacula concrementur vel perperam sine ulla ratione lœdantur, cum alioquin, etiam si sit aliquis sceleribus implicatus, idcirco tamen iudiciorum vigor
Arcadius. 17 juin 397 (C. Th.. XVI. 8. 12). En février ou mars 395. Alaric et ses Goths ravagèrent la péninsule balkanique jusqu'aux portes de Constantinople. Une querelle opposait dans le même temps Stilicon et Rufin sur la question de savoir à laquelle des deux partes imperii devaient appartenir les diocèses de Dacie et de Macédoine. Arcadius avait en effet hérité à la mort de son père Théodose de la seule préfecture d'Orient. laquelle n'embrassait qu'un tiers du territoire de l'Empire. Rufin prétextait qu'Arcadius étant l'aîné, il devait pouvoir revendiquer plus de territoires que son cadet Honorius et régner pour ce faire sur l'Illyricum oriental. Cf. E. Stein. Histoire du Bas-Empire. De l'État romain à l'Empire byzantin. 1. 1. Amsterdam. p. 228-230 ; et A. Piganio1, L'Empire chrétien..., op. cit., p. 286-288. 44 Émilienne Demougeot date la constitution de 412 et Jean Juster de 418. Cf. E. Demougeot. « L'empereur Honorius et la politique antijuive », in Hommages à Léoll Hernnann, Bruxelles. 1960. p. 284-285 ; et 1. Juster. Les Juifs dans I·Empire.... op. cit.,"vol. l, p. 464. n. 3. Nous adoptons la datation proposée par Amnon Linder qui. après J.-R. Palanque et Tony Honoré, préfère placer l'édiction de la loi en 420. à cause de son destinataire, le préfet du prétoire Philippe. Cf. 1.-R. Palanque, Essai sur la préfecture du prétoire au Bas-Empire. Paris, 1933. p. 91 et 133 ; T. Honoré, Law in the Crisis.... op. cit., p. 106 ; et A. Linder. JRIL. op. cit., p. 283-284. 42 43
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iurisque publici tuteta videtur in medio constituta, ne quisquam sibi ipse permittere valeat ultionem. Sed ut hoc Iudœorum personis volumus esse provisum, ita illud quoque monendum esse censemus, ne Iudœi forsitan insolescant elatique sui securitate quicquam prœceps in Christianœ reverentiam cultionis admittant45 • Personne, alors qu'il est innocent, ne doit être inquiété pour la seule raison qu'il est juif et la religion, quelle qu'elle soit, ne doit pas aboutir à ce qu'il soit exposé à l'outrage. Leurs synagogues et habitations ne doivent pas être indistinctement incendiées ni à tort être endommagées sans raison parce que, quel que soit le degré d'implication d'une personne dans des actions criminelles, il est constant que la vigueur des sentences et la protection du droit public ont été instituées en médiation pour que personne ne fasse valoir pour lui-même l'autorisation de se venger. Mais, de même que nous souhaitons que ceci soit valable pour chaque individu juif, de même nous ordonnons que soit également signifié ceci [aux juifs], pour que, le cas échéant, les juifs ne deviennent pas insolents, et que transportés par l'impression d'être protégés, ils ne se laissent aller, inconsidérément, à des actions contre la révérence du culte chrétien.
Pour Marcel Simon et Amnon Linder, cette lettre pourrait constituer une réaction aux attaques, évoquées plus haut, des synagogues d'Édesse (en 411412) et d'Alexandrie (414t 6• Il est vrai que, même si elle est adressée au préfet de l'Illyricum, elle pourrait constituer une des versions d'une même loi envoyée dans tout l'Empire et motivée par les événements survenus en Syrie ou en Égypte. Les circonstances qui ont provoqué la réaction impériale, telles qu'on peut les reconstituer à partir des quelques allusions que contient la lettre, pourraient se référer en effet aux événements d'Alexandrie. Sont évoqués des heurts violents interreligieux dans lesquels les juifs semblent avoir été les premiers agresseurs - le texte parle d'« actions criminelles ». Les pillages des maisons et des synagogues n'auraient été qu'une réponse le texte laisse entendre que les chrétiens disaient vouloir se venger, une justification qui, remarquons-le en passant, ne convainc pas le pouvoir, puisque la lettre commence par sous-entendre que les juifs ont été attaqués en tant que tels et non pas en représailles d'un délit. Selon l'historien Socrate, les juifs d'Alexandrie avaient effectivement comploté un massacre de chrétiens et le patriarche Cyrille avait envoyé, en réponse, la foule détruire le quartier juif. Ceci s'était fait malgré les protestations du préfet Oreste qui avait tenu le prélat pour responsable des désordres. Socrate relate que Cyrille avait paru devant le fonctionnaire romain, lui tendant les Évangiles, « persuadé que le respect pour la religion l'inclinerait à réfréner sa colère ».
4S 46
Théodose II, 6 août 420 (c. Th., XVI, 8, 21). M. Simon, Verus Israël..., op. cit., p. 160, et A. Linder, JRIL, op. cit., p. 283-284.
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Mais Oreste, bien que chrétien, avait choisi le parti des juifs47 Notre lettre pourrait constituer la trace de ce sursaut d'autorité du pouvoir. Cependant, son caractère tardif par rapport aux événements rend cette hypothèse hasardeuse et nous croyons qu'il faut se résigner à l'idée que les heurts relatés n'ont été consignés par aucune autre source que notre loi. 2. Une victoire de la diplomatie juive en Italie (26 juillet 412)
On trouve, à côté des mesures concernant l'Illyricum, une loi condamnant les destructions de synagogues en Italie. Cette loi est une bonne illustration de ce que les juifs pouvaient parfois exercer des pressions suffisamment efficaces pour influer sur les prises de décision impériales. À Ravenne, la chancellerie d'Honorius adressa le 26 juillet 412 la lettre suivante à Jean, préfet du prétoire d'Italie Quœ Iudœorum frequentari conventiculis constat quœque synagogarum vocabulis nuncupantur, nullus audeat violare vel occupata detinere, cum sine intentione religionis et cultus omnes quieto iure sua debeant retinere [... ]48. Que personne n'ose violer ou détruire ou occuper les lieux connus sous le nom de synagogues dont il est constant qu'ils sont fréquentés par des assemblées de juifs, car chacun doit conserver ce qui est sien selon un droit paisible sans qu'on puisse retenir des motifs de religion ou de culte [...].
Cette loi était, comme l'a fait remarquer Amnon Linder, le premier résultat d'une intense activité diplomatique conduite par des membres de la communauté juive italienne à Ravenne à cette époque49 • Deux lois furent en effet passées par la suite en cette même capitale le 6 novembre 415 et le 24 septembre 416, qui toutes deux répondaient favorablement à des demandes émanées de juifs. La première, du 6 novembre 415, condamnait des personnes qui avaient enlevé des esclaves à leurs propriétaires juifs50 • La
47 Selon le récit de de l'historien chrétien Socrate, le conflit s'était envenimé à l'occasion de l'arrestation d'un certain Hiérax, partisan du patriarche Cyrille, que les juifs avaient hué au théâtre. Aussitôt, le patriarche avait menacé les juifs des pires châtiments et ces derniers avaient projeté en réponse un massacre de chrétiens, la nuit, et par surprise. Mais Cyrille les avait devancés et il s'était emparé de la synagogue en faisant jeter tous les juifs hors de la ville. Indigné, le préfet d'Égypte Oreste s'était plaint auprès de l'empereur, mais l'ecclésiastique avait de son côté envoyé son propre rapport des événements au Palais et4ravaillé à faire passer Oreste pour judaïsant. Peu après, en 416, la populace fanatisée par les moines devait mettre en pièce la philosophe païenne Hypatia. Cf. Socrate, Hist. eccl., VII, 13. 48 Théodose II,26 juillet 412 (C Th., XVI, 8, 20). 49 Cf. A. Linder, JRlL, op. cit., p. 275. 50 Honorius, 6 novembre 415 (C Th., XVI, 9, 3).
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seconde prévoyait la possibilité pour les juifs baptisés de retourner au judaïsme5!. Il ne faut néanmoins pas, nous en avertit Amnon Linder, se méprendre sur le sens de cette dernière loi et croire qu'il s'agissait là de sauver des juifs baptisés de force par des ecclésiastiques. La loi du 24 septembre 416 prévoit que ceux qui se sont convertis « de manière à échapper à leurs crimes ou à d'autres nécessités» pourront revenir au judaïsme. La lecture d'une constitution d'Arcadius et Honorius du 17 juin 397 permet d'éclairer le sens de cette formule, qui nous apprend que des juifs soumis à des poursuites légales ou accablés de dettes se réfugiaient dans les églises et devenaient chrétiens pour éviter la punition de leurs crimes ou le paiement de leurs dettes. Il s'agirait donc ici de juifs en contentieux avec leurs coreligionnaires et qui useraient du droit d'asile et de la conversion. Ceci ne plaisait pas aux autorités juives, bien sûr, et la loi répond vraisemblablement à une demande émanant de la communauté, du « didascalius Annas » et des « chefs des juifs ». Il faut cependant ajouter que les intérêts du pouvoir coïncidaient ici avec ceux des autorités juives. De fait, cette mesure s'inscrivait dans le cadre d'une politique consistant, depuis le règne de Théodose 1er, à essayer de restreindre la pratique de l'asylie dans les églises52 •
C. La « valse-hésitation» de Théodose II dans la crise palestinienne de 423 Trois constitutions de l'année 423 adressées au préfet du prétoire d'Orient Asclépiodote ont été conservées dans le Code Théodosien. Elles condamnent des destructions de synagogues et des attaques contre les païens. Le caractère rapproché dans le temps de ces textes a attiré l'attention. Selon les uns, la même mesure était répétée, qui s'adressait tantôt aux chrétiens, tantôt aux juifs53 ; pour les autres, le pouvoir insistait car il n'arrivait pas à faire stopper les violences antijuives. Nous discernons, quant à nous, une évolution substantielle entre les deux premières mesures et la troisième, celles-là servant les intérêts des chrétiens activistes, celle-ci représentant une victoire des juifs et des païens.
Honorius, 24 septembre 416 (G. Th., XVI, 8, 23). Une loi du 18 octobre 392 (G. Th., IX, 45, 1) ordonne l'extradition de ceux qui se sont réfugiés dans les églises pour dette à l'État en offrant l'alternative à l'évêque des lieux de s'acquitter lui-même de la dette du réfugié. Sur l'histoire du droit d'asile chrétien, cf. A. Ducloux, « Asile », in J. Leclant (dir.), Dictionnaire de l'Antiquité, Paris, 2005. 53 F. Nau, « Deux épisodes de l'histoire juive sous Théodose II (423 et 438) d'après la vie de Barsauma le Syrien », REJ, n° 83, 1927, p. 184-205, notamment p. 192-193. 51
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1. Des mesures d'abord favorables aux moines syriens et à leurs alliés
li est possible de reconstituer le contexte qui a vu naître ces lois depuis que François Nau a édité, traduit du syriaque, et résumé la Vie du moine Barsauma, dont les activités ont tout l'air d'avoir été à l'origine de ces trois décisions impériales54 • Le biographe de Barsauma, peut-être Samuel le Prêtre, raconte que, lorsque son maître entreprit vers 400 son premier voyage de Samosate, d'où il était originaire, pour Jérusalem, « les païens étaient nombreux dans le pays de Palestine et dans le pays de Phénicie et des Arabes ; les chrétiens étaient encore peu nombreux dans ces pays ; les juifs et les Samaritains dominaient et ils persécutaient les chrétiens de cette région 55 ». Alors qu'il était encore un enfant, poursuit l'auteur de la Vie, Barsauma avait été mordu par des chiens sans avoir aucun mal, ce qui présageait ses combats victorieux contre les démons et les hérétiques. Lorsqu'il entreprit, de 419 à 42256 , un second voyage pour la Ville sainte, il était accompagné de quarante moines qui détruisirent, en Phénicie, en Palestine et dans le Sinaï, des temples de païens et des synagogues de juifs et de Samaritains57 Or, dans ces années-là, le païen Asclépiodote était consul et préfet du prétoire pour l'Orient. L'auteur de la vie de saint Syméon le Stylite nous le décrit comme « un homme méchant et inique» dont les idées «étaient celles des païens et des juifs, et il haïssait celles des chrétiens 58 )). C'est de fait ce préfet qui réclama à la chancellerie la loi suivante Placet in posterum nullas omnino synagogas Iudœorum vel auferri passim vel flamis exuri et si quœ sunt post legem recenti molimine vel ereptœ
Voir la référence de la note précédente. F. Nau, « Deux épisodes... », op. cit., p. 187. 56 François Nau situe le second voyage de Barsauma à Jérusalem entre les années 419 et 422 car le biographe écrit que Barsauma entra dans cette ville {{ au moment où Siméon le Stylite montait sur sa première colonne ». Or, on sait que Siméon le Stylite est entré au couvent de Tel-Nesil en 458 de l'ère d'Antioche, soit en 409 de notre ère, et qu'il serait monté sur sa première colonne dix ans plus tard, ce qui nous donne la date de 419. De même, si l'on se fonde sur la date de la mort du saint, soit 459, il serait monté sur sa première colonne trente-sept ans plus tôt, soit en 422. François Nau conclut que l'on pourrait finalement s'entendre sur la date de 409 si l'on admet, comme on le lit dans l'édition de Paul Bedjan, Acta Martyrum, vol. IV, Paris, 1898, p. 576, ligne 1, que Siméon a passé non pas trente-sept ans mais quarante ans sur ses colonnes. F. Nau, {( Deux épisodes... », op. cif., p. 186, n. 2. 57 Barsauma détruisit notamment la majestueuse synagogue de la ville de Rabbat Moab (à l'est de la mer Morte), victorieux d'un combat « mené seul contre quinze mille juifs tout armés ». 58 F. Nau, « Deux épisodes... », op. cit., p. 203. 54
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synagogœ vel ecclesiis vindicatœ aut certe venerandis mysteriis consecratœ, pro his loca eis, in quibus possint extruere, ad mensuram videlicet sublatarum, prœberi. Sed et donaria si qua sunt sublata, eisdem si necdum sacris mysteriis sunt dedicata, reddantur, sin redhibitionem consecratio veneranda non sinit, pro his eiusdem quantitatis pretium tribuatur. Synagoguœ de cetera nulla protinus extruantur, veteres in sua forma permaneant [... ]59. Il nous plaît qu'à l'avenir absolument aucune synagogue des juifs ne leur soit enlevée ici ou là, ni ne soit brûlée. Si, après la loi, par un récent complot, des synagogues étaient enlevées ou attribuées aux églises ou consacrées aux vénérables mystères, il faudra leur offrir, à la place de ces terrains, des lieux où ils pourront construire, qui évidemment seront à la mesure de ceux qu'on leur aura enlevés. Et si des objets cultuels leur ont été enlevés, ils leur seront restitués s'ils n'ont pas déjà été dédicacés aux saints mystères. Si au contraire une vénérable consécration ne permettait pas leur restitution, on leur attribuera à la place le prix équivalent [...].
Contrairement aux apparences, cette première loi n'est pas très favorable aux juifs. Elle n'emportait pas d'effet rétroactif. Le pouvoir acceptait le fait accompli. Les édifices saisis ne seraient pas restitués et les incendiaires des synagogues ne seraient pas punis. Les moines étaient rassurés : ils ne seraient pas inquiétés pour leurs méfaits passés. L'occupation violente des lieux de cuite juifs était menacée à l'avenir des sanctions suivantes. Les synagogues enlevées seraient restituées, à la condition, très limitative, qu'elles n'aient pas encore été consacrées60 • Dans ce dernier cas, la loi ordonnait d'attribuer à leurs propriétaires des emplacements nouveaux, équivalents dans leur dimension aux terrains ravis, une exigence qui était bien dérisoire, la valeur d'un terrain ne dépendant pas seulement de sa taille, mais de bien d'autres critères dont, surtout pour les lieux de cuite et de rassemblement, leur localisation dans la cité. Les objets volés dans les synagogues seraient rendus, sauf s'ils avaient été consacrés, auquel cas le juge en exigerait le prix. On voit que cette disposition n'avait pas de caractère afflictif puisqu'elle ne faisait que rétablir l'état antérieur. Tout se passait donc comme si la disparition de la chose n'avait pas été le résultat d'un vol et comme si les responsables avaient agi de bonne foi ou par erreur. En effet, quand une chose avait été intentionnellement et dolosivement enlevée à son propriétaire, la sanction habituelle était, dans la procédure extraordinaire qui s'inspirait en la matière de l'Édit du
Théodose II, 15 février 423 (c. Th., XVI, 8, 25). Sur le rituel de la dédicace des églises, on peut consulter E. Palazzo, Liturgie et société au Moyen Âge, Paris, 2000, p. 71-77. 59
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préteur, la restitution de la valeur de la chose au double, au triple ou au quadruplé! . Comme l'écrit Marcel Simon, il y avait là « comme un encouragement tacite à renouveler les violences que l'on prétendait punir62 ». Tout naturellement, la loi suscita la protestation des juifs qui adressèrent des suppliques (preces) à l'empereur, une procédure dont était informé Asclépiodote par une lettre du 9 avril 423. Nota sunt adque omnibus divulgata nostra maiorumque decreta, quibus abominandorum paganorum, Iudœorum etiam adque hœreticorum spiritum audaciamque conpressimus. Libenter tamen repetendœ legis occasionem amplexi Iudœos scire volumus, quod ad eorum miserabiles preces nihil aliud sanximus, quam ut hi, qui pieraque inconsulte sub prœtextu venerandœ Christianitatis admittunt, ab eorum lœsione persecutioneque temperent utque nunc ac deinceps synagogas eorum nullus occupet, nullus incendat [... ]63. Que soient connus de tous et divulgués nos décrets et ceux de nos ancêtres par lesquels nous réduisons la suffisance et l'audace des abominables païens, et aussi des juifs et des hérétiques. Néanmoins, nous voulons que les juifs sachent que nous les choyons de bon cœur à l'occasion de la répétition de la loi, et qu'en réponse à leurs attendrissantes suppliques, nous n'avons commandé rien d'autre à ceux qui dépassent les bornes, la plupart du temps inconsidérément sous le prétexte du vénérable christianisme, que de cesser de les léser et de les persécuter, et qu'à partir de maintenant et par la suite, personne ne présume d'occuper ou de brûler leurs synagogues [...].
Cette seconde intervention ne donnait pas plus que la première gain de cause aux juifs et ne faisait qu'éluder la question en répétant en des termes vagues les condamnations toutes symboliques prononcées en février. La première ligne du texte explique clairement les causes de cette attitude. La chancellerie se montre surtout attentive à son public chrétien qu'elle s'empresse de rassurer sur son intention de continuer résolument la lutte contre les infidèles. La dernière chose qu'elle souhaite est d'être accusée de défendre les juifs. S'ensuit une série de formules creuses destinées ellesmêmes à calmer, autant que possible, le ressentiment des juifs.
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Cf. G. Provera, Lezioni sul processo civile... , op. cit., p. 115. M. Simon, Verus Israël..., op. cit., p. 269. Théodose II, 9 avril 423 (c. Th., XVI, 8, 26).
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2. Le retour à la jurisprudence de Théodose 1er plus favorable aux juifs
Mais voici que ces derniers déclenchent une nouvelle guerre diplomatique pour obtenir gain de cause et, cette fois, avec succès, grâce sans doute à l'appui d'Asclépiodote, si l'on en juge par le changement de ton de la troisième lettre adressée à ce préfet le 8 juin 423. Sed hoc Christianis, qui vel vere sunt vel esse dicuntur, specialiter demandamus, ut Iudœis ac paganis in quiete degentibus nihilque temptantibus turbulentum legibusque contrarium non audeant manus inJerre religionis auctoritate abusi. Nam si contra securos fuerint violenti vel eorum bona diripuerint, non ea sola quœ abstulerint, sed conventi in triplum et quadruplum quœ rapuerint restituere conpellantur. Rectores etiam provinciarum et officia cognoscant se, si fieri penniserint, ut eos qui fecerint puniendos64 • Nous demandons spécialement à ces chrétiens, qui soit le sont pour de vrai soit disent l'être, qu'ils n'osent pas, abusant de l'autorité de la religion, porter la main sur les juifs et les païens pacifiques qui ne fomentent rien de séditieux ou d'illégal. Car s'ils devenaient violents contre ces gens tranquilles et pillaient leurs biens, ils ne devraient pas uniquement ce qu'ils ont pris, mais seraient forcés de restituer ce qu'ils ont pillé au triple et au quadruple. Que le gouverneur de ces provinces et les officia et les provinciales sachent que s'ils permettaient que ceci se produise, ils seraient punis comme ceux qui l'ont fait.
Le troisième texte répare en partie l'inconséquence du premier. Il prévoit en effet des sanctions contre le vol du mobilier liturgique, mais rien pour le moment contre les atteintes portées aux immeubles. Certes, le mot bona qui est utilisé dans le texte est ambigu, car il désigne en droit romain l'ensemble du patrimoine actif. Il pourrait donc recouvrir et le patrimoine mobilier et le patrimoine immobilier des lieux de culte juifs. Mais ceci ne nous paraît guère probable, car, si tel était le cas, cela voudrait dire que la loi enjoignait aux prélats de donner aux juifs un terrain trois ou quatre fois plus grand que celui qu'ils avaient occupé, une exigence qui nous paraît, compte tenu des rapports de force de l'époque, irréaliste. Le pouvoir se serait-il risqué à prononcer des sanctions dont il ne pouvait assurer l'exécution? Surtout, on reconnaît dans cette condamnation au multiple de la valeur de la chose les actiones in duplum, in triplum et in quadruplum qui sanctionnaient, comme on l'a dit plus haut, les destructions ex delicto de biens meubles. C'était donc une victoire des clans païens et juifs. Une autre devait suivre qui, cette fois, réglerait le problème demeuré en suspens des synagogues. L'auteur de la Vie syriaque de Siméon le Stylite nous apprend en effet qu'Asclépiodote publia une constitution de l'empereur - elle ne saurait être
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Théodose II, 8 juin 423 Cc. Th., XVI, 10, 24).
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postérieure à 425 puisqu'elle est toujours adressée à Asclépiodote dont la préfecture se tennine cette année-Ià65 - disant que toutes les synagogues et maisons de shabbat que les chrétiens avaient enlevées aux juifs devraient leur être rendues, et que les chrétiens devaient les rebâtir et les meubler à leurs frais 66 • Il faut sans doute plutôt lire que les édifices cultuels occupés par les chrétiens devront leur être rendus et que ceux qui ont été détruits ou endommagés seront reconstruits et remeublés à leurs frais. li n'est ainsi plus question de conserver les synagogues consacrées en églises, si du moins on peut interpréter le silence sur ce point comme un retour à la situation antérieure. On revient également à la solution préconisée par Théodose 1er qui avait, comme s'en était plaint saint Ambroise, exigé de l'évêque de Callinicum qu'il fasse reconstruire la synagogue détruite à ses frais. L'auteur de la Vie nous apprend que la lettre « fut répandue dans beaucoup de villes, avec l'ordre de l'éparque [Asclépiodote] à ce sujet, et elle fut lue devant chacun ». Et « il y eut grande douleur et peine pour tous les chrétiens, surtout parce qu'ils voyaient les païens et les juifs revêtir des habits blancs, se féliciter et se réjouir67 ». Les évêques seraient alors venus trouver saint Siméon pour se plaindre à lui. Celui-ci aurait écrit, dans le style d'un Ambroise, une lettre de protestation à l'empereur en ces termes «Ton cœur s'est donc élevé, et tu as oublié le Seigneur ton Dieu qui t'a donné la Couronne glorieuse et le siège impérial. Tu es devenu l'ami, le compagnon et le chargé d'affaires des juifs infidèles. La juste punition de Dieu t'atteindra bientôt, toi et tous ceux qui pensent comme toi dans cette affaire ; alors tu élèveras les mains vers le ciel et tu diras dans ta détresse: "Vraiment cette affliction m'est arrivée parce que j'ai été infidèle au Seigneur Dieu" »Saisi de crainte et de remords, l'empereur, nous dit l'hagiographe, aurait révoqué son édit, adressé une lettre d'excuse au Stylite et limogé Asclépiodote. 3. Un revirement soigneusement camouflé par les rédacteurs du Code Théodosien
L'authenticité de la lettre de saint Siméon ainsi que le recul de l'empereur en faveur des chrétiens ont été mis en doute. André-Jean Festugière souligne que les constitutions favorables aux juifs ont été incorporées au Code
65 L'auteur de la Vie de Siméon place faussement cette mission « aux jours de l'évêque d'Antioche », dont l'épiscopat se situe entre 429 et 442. 66 Traduction par François Nau de la recension de Paul Bedjan, Acta Marryrum, vol. IV, Paris, 1894, p. 636, in F. Nau, «Deux épisodes... op. cit., p. 203. Cf. également A.-J. Festugière, Antioche païenne et chrétienne. Libanius, Chrysostome et les moines de Syrie, Paris, 1959, p. 369 ; et C. C. TOREY, « The Letters of Simeon the Stylite », Journal of the American Oriental Society, vol. XX, 1899, p. 253-257. 67 F. Nau, « Deux épisodes... », op. cit., p. 203.
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Théodosien, ce qui prouve que Théodose II était loin de les avoir désavouées 68 • Nous n'adhérons qu'en partie à cette analyse. Il est vrai que l'efficace constitution de juin 423, qui protégeait le mobilier des synagogues, a été retenue par les compilateurs. Il est pourtant significatif que cette loi n'ait pas été placée à la suite des premières dans le titre 8 et qu'elle ait été reléguée dans le titre 9. Les compilateurs du Théodosien ont sans doute opéré un choix rédactionnel conscient, ayant pour but de rendre cette évolution favorable aux juifs moins visible69 Il semble néanmoins que cette loi ait continué de régir la matière pendant longtemps, car on la retrouve dans le Code Justinien un peu modifiée. Les spoliateurs devront rendre non plus quatre ou trois fois la valeur de ce qu'ils ont volé mais deux. Cette réforme allège certes la sanction, mais elle prouve, du même coup, qu'au VIe siècle, elle continuait d'être appliquée. Pourquoi en effet les compilateurs de Byzance se seraient-ils préoccupés de la modifier si elle était restée lettre morte7Ü ? En revanche, il est troublant de constater qu'aucune des constitutions sanctionnant la destruction des immeubles appartenant aux juifs n'a été retenue. Les codes Théodosien et Justinien n'ont conservé que celles qui les condamnaient dans leur principe. L'obligation concrète de reconstruire les édifices aux frais de ceux qui les auront détruits ne nous serait pas connue si elle n'avait été mentionnée par d'autres sources. Or, ces sources, les deux lettres de saint Ambroise et la Vie de saint Siméon, prétendent toutes deux que ces mesures ont été jugées iniques par les catholiques qui ont réussi à en obtenir l'annulation. Le silence des codes pourrait confirmer ce succès, à moins que les codificateurs n'aient eux-mêmes décidé en leur temps de passer à la trappe des lois qu'ils jugeaient trop favorables aux juifs. Cette seconde hypothèse apparaît tout aussi vraisemblable que la première car la réalisation du Code Théodosien avait entrâmé une nette radicalisation des esprits.
A.-J. Festugière, Antioche païenne..., op. cit., p. 369. Les circonstances de la composition du livre XVI, longtemps considéré comme un appendice du code, ont été revues par Lucio De Giovanni. Cet auteur a retracé la genèse de sa rédaction au travers des conciles de Nicée (325), de Constantinople (381) et surtout d'Éphèse (431), dont le canon 1119 aurait incité l'empereur et ses conseillers à compiler les lois religieuses de l'Empire. Le livre XVI n'aurait ainsi pas été composé après mais avant les autres livres. Cf. L. De Giovanni, Il libro XVI del Codice Theodosiano. Alle origini della codificazione in tema di rapporti Chiesa-Stato, 1985, p. 18-25. 10 On a l'assurance que la constitution originale a été remaniée à l'époque de Justinien, car son texte comprend des additions de ipsi qui sont typiques du style des compilateurs du Code Justinien. Cf. T. Honoré, Law in the Crisis..., op. cit., p. 221. 68
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À l'issue de cet examen, il apparaît que les mesures protectrices des juifs ne constituaient que les réactions d'un pouvoir dont on mettait en cause l'autorité et que ses calculs diplomatiques incitaient à des égards minimaux envers les populations non chrétiennes. Les enjeux de ces mesures étaient donc les mêmes, que les juifs aient été en cause ou les païens. Notre affirmation se heurte, nous le savons, à une objection de taille. Les empereurs chrétiens ont en effet pris dans de nombreuses régions de l'Empire des lois ordonnant la confiscation, l'attribution aux églises ou la destruction de temples païens. Or, il n'existe aucune loi, du moins avant le règne de Justinien (527-565), ordonnant la fermeture de synagogues. Cette différence de traitement pourrait encore servir la thèse de Jean Juster selon laquelle le pouvoir ne visait pas à faire disparaître les synagogues. Mais nous nous expliquons autrement l'absence de telles lois. Les statuts respectifs des temples et des synagogues n'étaient pas les mêmes et, partant, les outils juridiques mis en place pour les faire disparaître étaient différents.
SECTION II. LES MOYENS LÉGAUX MIS EN PLACE POUR ENTRAVER LE DÉVELOPPEMENT DES SYNAGOGUES
Les temples bénéficiaient, à l'époque païenne, du statut d'édifices sacrés (œdes sacrœ). Les atteintes portées à ces lieux étaient ainsi menacées de peines particulièrement sévères71. Mais comme une proportion importante de ces Loca sacra appartenaient à l'État et que leurs maîtres (domini) - les prêtres - n'en disposaient qu'à titre de concession, l'État pouvait se permettre de les reprendre comme il l'entendait, puisqu'il en demeurait le propriétaire72 • C'est sur ce fondement juridique que les empereurs chrétiens mirent progressivement la main sur les trésors, les bâtiments et les terres des temples 73 Les biens cultuels avaient d'ailleurs toujours constitué un
71 Les sanctions contre les dommages causés aux temples étaient inscrites dans les dédicaces de ces édifices, mais on se référait habituellement à la vieille dedicatio du temple de Diane sur l'Aventin, qui était la réglementation généralement applicable. De cette loi, rien malheureusement ne nous est parvenu. La peine a dû être la peine capitale et faire, comme pour le sacrilegium, l'objet d'un débat dans une action publique. Cf. Th. Mommsen, Droit pénal..., op. cit., t. III, p. 125-127. 72 Sur les mécanismes de confiscation des temples, cf. L. De Giovanni, Costantino e il mondo pagano. Studi di politica e legislazione, Naples, 1989 (1977), p. 94-100, et R. Delmaire, Largesses sacrées... , op. cit., p. 641-645. 73 Cf. par exemple la loi d'Honorius du 25 novembre 407 ou 408 ( C. Th., XVI, 10, 19).
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patrimoine mobilisable dont les empereurs païens avaient disposé à leur guise quand ils en avaient eu besoin74 • Les synagogues n'avaient, quant à elles, jamais bénéficié du statut des eedes sacree. Pourtant, elles étaient paradoxalement mieux protégées que ne l'étaient les temples païens publics, puisqu'elles étaient des propriétés privées. Le pouvoir devait donc user d'outils juridiques spécifiques pour limiter le droit de propriété des juifs sur leurs synagogues, comme d'ailleurs sur les autres lieux de culte qui n'étaient pas publics. Nous déterminerons d'abord le statut juridique exact des synagogues dont Jean Juster a, selon nous à tort, prétendu qu'elles étaient des eedes sacree (A). Nous verrons ensuite quels furent les moyens légaux mis en place pour entraver leur développement (B). A. Le statut légal des synagogues Jean Juster a affirmé que les synagogues avaient reçu le statut d'eedes sacree, une position rarement remise en cause75 • Mais les arguments avancés par cet auteur sont fragiles. Si le droit romain ne nous a pas livré de définition complète et exhaustive de ce qui caractérisait exactement les eedes sacree, on sait néanmoins que les biens n'acquéraient la qualité de choses sacrées (res sacree) que par un acte formel de consécration (consecratio) accompli par les prêtres avec autorisation du peuple et du Sénat, et plus tard de l'empereur. À partir de Constantin, les églises chrétiennes acquerront ce statut quand les lieux de culte païens le perdrone6 • Mais jamais, à l'époque païenne comme à l'époque chrétienne, les synagogues ne firent l'objet de rituels de consécration. Cette circonstance permet à elle seule de rejeter la thèse de Jean Juster. Examinons tout de même les arguments avancés par cet auteur. Tout en admettant qu'aucun texte juridique ou littéraire n'atteste formellement que les synagogues aient bénéficié d'un tel statut, Jean Juster croit déceler dans le traitement réservé aux synagogues les caractères d'un régime qui serait propre à celui des eedes sacree. Il affirme d'une part que les atteintes portées aux
74 Ce caractère public explique d'ailleurs pourquoi les lois de confiscation des temples émettaient des dispositions qui protégeaient ce patrimoine monumental de la dégradation et du saccage. Cf. Constance Il, 1er novembre 342 ou 346 et 1er décembre 346, 352, 354 ou 356 CC. Th., XVI, 10, 3 et 5). Ainsi plus tard que des lois de Théodose rr 30 novembre 382 CG. Th., XVI, 10, 8) et d'Honorius 29 janvier 399 CG. Th., XVI, 10, 15), 20 août 399 et 25 novembre 407 ou 408 CG. Th., XVI, 10, 18 et 19). 75 Ce paragraphe emprunte à A. Berger, « The Jewish Synagogue and the œdes sacrœ in Roman Law», Studi in onore di Biondo Biondi, Milan, 1965, t. l, p. 143-163. 76 Gaius, Il, 4-5, et Justinien, lnstit., Il, l, 8.
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édifices ainsi que les vols d'objets liturgiques juifs étaient punis aussi sévèrement que l'étaient les violations des choses sacrées; il dit d'autre part que les synagogues jouissaient du privilège du metatum qui était accordé uniquement aux œdes sacrœ. Les synagogues étaient donc nécessairement des œdes sacrœ. Il est à peine besoin de revenir sur le premier argument, compte tenu de ce que nous venons de voir plus haue7 Les sanctions prévues contre la destruction des synagogues étaient de fait, dans le meilleur des cas, la reconstruction en cas de destruction, la restitution en cas d'occupation et, pour les biens meubles non restituables car déjà consacrés, l'indemnisation au quadruple, des sanctions qui étaient ni plus ni moins, comme on l'a dit plus haut, celles qui étaient prévues par le droit commun protégeant la propriété privée. C'est d'ailleurs ce souci du respect de la propriété privée qu'allèguent certaines lois protégeant des édifices juifs comme d'autres lieux de culte non chrétiens. Ainsi, lorsque le gouvernement d'Honorius décida d'enlever les chapelles privées des montanistes, il ordonna que cela soit fait « de telle manière qu'on ne les prive pas de leurs biens privés et que, sous prétexte qu'il s'agissait de biens obtenus d'églises appartenant aux montanistes, on n'aille pas perpétrer contre eux spoliation et pillages78 ». La loi déjà citée d'Honorius du 26 juillet 412 condamne les violations de synagogues car « chacun doit conserver ce qui est le sien selon un droit paisible79 )), et la loi de Théodose II du 8 juin 423 interdit « le pillage des biens des juifs et des païens pacifiques qui ne fomentent rien de séditieux ou d'illégal80 )). L'État se montrait d'autant plus soucieux de respecter la propriété de ces minorités religieuses qu'il ne souhaitait pas que leurs possessions disparussent des registres du fisc lors de leur transfert aux églises orthodoxes81 • C'est peut-être pour cette raison que Constantin émit le 25 septembre 326 une constitution interdisant, à ceux que les confiscations de temples avaient manifestement encouragés, de toucher aux lieux de cuite et aux sépultures des hérétiques novatiens82 , et que Théodose 1er interdit que l'on chassât les tascodrogites de leurs résidences -lesquelles devaient certainement leur servir de lieux de culte83
Théodose 1er (Arcadius et Honorius), 29 septembre 393 (c. Th., XVI, 8, 9). 78 Honorius, 31 octobre 415 (c. Th., XVI, 5, 57). 79 Honorius. 26 juillet 412 (C. Th.. XVI, 8, 20). 80 Théodose II. 8 juin 423 (c. Th., XVI, 10. 24). 81 E. Magnou-Nortier. Le Code Théodosien.... op. cit., p. 278, n. 20l. 82 Constantin. 25 septembre 326 (C. Th.. XVI. 5. 2). er 83 Théodose 1 • 20 juin 383 (c. Th.. XVI. 5. 10).
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Quant aux vols dans les synagogues, Jean Juster assure qu'ils étaient qualifiés en droit romain de sacrilèges. Il se fonde sur un passage des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe qui nous apprend qu'un voleur ayant pris des livres saints et de l'argent sacré dans une synagogue avait été condamné comme sacrilège84 • Outre le fait que cette source est ancienne et que l'on n'a jamais constaté dans les constitutions de l'Empire tardif que le vol de bona dans les synagogues ait été qualifié de sacrilegium, cette affirmation est également contestable pour le Haut-Empire. La loi citée par Flavius Josèphe concerne de fait les juifs d'Asie et rien ne prouve que cette protection ait été étendue à tout l'Empire85 Jean Juster voit en outre dans ce témoignage une preuve supplémentaire de ce que les synagogues auraient été des œdes sacrœ car, selon lui, pour qu'il y ait crime de sacrilegium, il faut nécessairement que le vol se soit produit dans un lieu sacré. Mais ces circonstances sont en réalité indépendantes l'une de l'autre. En effet, le vol à l'intérieur d'un temple d'un objet de faible valeur n'était pas considéré comme un sacrilegium quand, au contraire, l'appropriation d'argent sacré en dehors de ces édifices en était un. De même, entraient dans la catégorie de « biens des dieux» ceux qui leur avaient été consacrés conformément au droit romain, que ces objets se trouvassent ou non dans un lieu saint86 . Le second argument, selon lequel les synagogues auraient bénéficié de droits et de privilèges reconnus uniquement aux œdes sacrœ, n'est pas plus convainquant. L'auteur cite à l'appui de son affirmation une constitution de Valentinien 1er (et Valens) du 6 mai 368 (ou 370 ou 373) adressée au maître des offices Remigius. In synagogam Iudœicœ legis hospitii velut merito inruentes iubeas emigrare, quos privatorum domus, non religionum loca habitationum merito convenit adtinere 87 • Ordonne à ceux qui ont fait invasion dans la synagogue judaïque en vertu de l'obligation d'hospitalité d'en sortir, parce qu'il convient de considérer comme tenues à l'habitation les maisons des privés et non les locaux religieux.
La mesure dispense du metatum une synagogue qui se trouve quelque part près de Trèves (à la frontière de la Germanie). Le droit imposait aux populations civiles l'obligation de l' hospitium des fonctionnaires à l'occasion
Josèphe, Am. 16, 6, 2, § 164. T. Rajak,« Was there a Roman Charterfor the Jews ? », inJRS, n° 74, 1984, p. 112-116. 86 A. Berger, « The Jewish synagogue... », op. cit., p. 152. 87 Valentinien le' (et Valens), 6 mai 368 (ou 370 ou 373), C. Th., VII, 8, 2. 84
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de leurs tournées dans les provinces88 • Émilienne Demougeot précise que la synagogue dont il est question dans la lettre avait probablement été réquisitionnée par des dignitaires appartenant à la militiee civile et non militaire. Ce ne fut en effet qu'à partir d'une constitution d'Honorius du 6 février 398 que l'armée disposa légalement elle aussi du droit de réquisitionner les locaux civils, même si l' hospitium militaire sévissait en fait avant cette date. L'activité de ceux (les mensores impériaux) qui étaient chargés de réquisitionner les maisons privées pour les fonctionnaires civils était contrôlée par le maître des offices, fonction qu'occupe précisément le destinataire de notre loi, Remigius89 Contrairement à ce qu'allègue Jean Juster, le privilège obtenu par les juifs de Trèves pour leur synagogue n'était pas réservé aux seules eedes sacree. De nombreuses lois recensées dans le titre 8, De metatis, du livre VII du Code Théodosien attestent en effet qu'il pouvait être accordé à des particuliers. Une loi de Constance II exempte ainsi des réquisitions forcées les maisons des sénateurs 9o , un privilège limité, à partir de 384, à certains d'entre eux91 • Les fabricenses (employés des ateliers de fabriques d'armes)92, les médecins, les enseignants de Rome93 - et on pourrait multiplier les exemples sont également dispensés du munus hospitalitatis. L'obtention de ce privilège ne prouve donc pas que les synagogues étaient des eedes sacree. On pourrait certes être troublé par le fait que la loi qualifiait la synagogue de loca religionum, mais ce terme n'avait pas de sens technique et désignait simplement le lieu où les adeptes d'une religion religionis causa coire non prohibentur4• L'expression est, dans notre texte, simplement utilisée en opposition à privatorum domus. Il faut pour finir ajouter que ce privilège ne fut manifestement pas étendu à tous les autres lieux de culte juifs, puisqu'une remarque de Palladius nous apprend qu'on logeait en son temps des soldats dans les synagogues95
88 Pour une description de ce régime, cf. F. Lot, « Du régime de l'hospitalité », in Rev. belge de philol. Hist., t. VII, 1928, p. 976. 89 E. Demougeot, « Une lettre de l'empereur Honorius sur l'hospitium des soldats », in RHD, vol. 4, n° 34, 1956, p. 25-49. 90 Constance II, 30 mai 361 (c. Th., VII, 8, 1). 91 Théodose r', 16 septembre 384 (C. Th., VII, 8, 3) 92 C. Th., VU, 8, 8. 93 C. Th., XIll, 3, 3 et 10. 94 Marcien, D., 47, 22, 1, 1. 95 Palladius, Vita Chrysostomi, § 20, PG 47, 73. Cité par J. Juster, Les Juifs dans l'Empire... , op. cit., vol. 1, p. 460, n. 8.
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Loin d'avoir réservé aux synagogues un statut protecteur, le pouvoir romain entreprit de limiter le droit de propriété des juifs sur leurs lieux de culte. B. Les limitations apportées au droit de propriété sur les synagogues On verra que Théodose II utilisa comme base légale pour confisquer les synagogues le régime traditionnel des biens vacants (bona vacantia) et qu'il entrava leur développement en interdisant la construction de nouveaux édifices ainsi que l'agrandissement des anciens. 1. L'application du régime des bona vacantia aux synagogues dites abandonnées
Une loi du 20 octobre 415 adressée au patriarche juif et fonctionnaire romain Gamaliel exigeait de lui la politique suivante à l'égard des synagogues [ ] Si quœ sint in solitudine, si sine seditione possint deponi, perjiciaf6. [ ] S'il s'en trouvait à l'abandon qui puissent être mises à bas sans [risque de] sédition, qu'il les détruise.
Les synagogues dites in solitudine devront être détruites. Cette loi étend donc selon nous aux synagogues le système déjà couramment adopté pour les temples et sanctuaires abandonnés ou peu fréquentés, dont les terres pouvaient être considérées comme vacantes, et confisquées comme telles par les empereurs chrétiens 97 • Il ne faut donc pas hésiter à comprendre l'expression in solitudine dans un sens juridique et étroit, en établissant une synonymie avec le tenne de in vacantia. On aurait de ce fait tort de traduire cette expression dans son sens commun et purement descriptif, et de penser ainsi que la loi ordonnait de détruire les synagogues isolées des autres habitations ou, comme on l'a également proposé, les édifices nécessitant des réparations 98 • C'est bien ici le régime des bona vacantia qui était instrumentalisé au service de la christianisation99
Théodose II (et Honorius), 20 octobre 415 (c. Th., XVI, 8,22) Roland Delmaire dresse ainsi la liste des temples que les empereurs chrétiens confisquèrent comme vacants. Cf. R. Delmaire, Largesses sacrées... , op. cit., p. 642-643. 98 Ces deux traductions ont été proposées par Jean Rougé cité par E. Magnou-Nortier, Le Code Théodosien..., op. cit., p. 348, n. 58. 99 Sur les bona vacantia, voir en particulier J. Gaudemet, « Droits individuels et toutepuissance impériale aux denùers jours de l'Empire en Occident. La Novelle III, De bonis vacantibus, d'Anthemius », in Études offertes à J. Macqueron, Aix, 1970, p. 341-349. 96 97
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La loi avait ceci de pervers qu'elle chargeait le patriarche juif en personne de la mission de détruire les synagogues vacantes, alors que cette tâche était normalement dévolue aux fonctionnaires du fisc. La procédure habituelle consistant à déclarer la vacance de biens était de fait la suivante 1OO . Les biens estimés sans propriétaire étaient dénoncés par des délateurs ou par l'advocatus fisci 101 • La vindicatio et l' occupatio étaient, depuis Constantin, réalisées par le gouverneur ou par le rationalis rei privatœ. Toute personne qui estimait avoir des droits sur les biens prétendus vacants pouvait les défendre et, si elle les occupait, les conserver jusqu'à un jugement définitif, l'appel étant autorisé. Si le tribunal du gouverneur proclamait la vacance, le fisc pouvait alors décréter ses droits sur la chose102 • Cette procédure qui était, on le voit, contradictoire, se trouvait, par la loi du 20 octobre 415, ramenée dans les mains d'un seul homme obligé d'endosser à la fois le rôle de juge et de partie. Les motivations de 'Rome étaient ambivalentes. Il s'agissait à la fois de sanctionner le patriarche en le plaçant dans une situation difficile vis-à-vis des juifs, ce qui ne manquerait pas de diminuer son prestige auprès de sa communauté, et d'éprouver la diligence et la fidélité de ce fonctionnaire. Il s'agissait enfin de lui faire endosser seul la responsabilité de ces destructions. Une telle stratégie répondait donc également à des considérations de prudence. On sait que la clôture des temples polythéistes eux-mêmes était conduite selon une politique ponctuelle et contenue. A. H. M. Jones souligne qu'il était plus facile de détruire les temples païens de campagne que ceux des villes. La paysannerie qui composait l'immense majorité de la population de l'Empire était certes une masse inerte et passive dont les actes de résistance étaient rares, mais elle pouvait occasionnellement lyncher un missionnaire sans tace03 • Arcadius engageait ainsi en 399 le préfet du prétoire Eutychianus à détruire les temples ruraux abandonnés «à la condition que cette destruction ne provoquât aucun trouble ou désordre 104 ». Théodose II n'agit pas autrement lorsqu'il ordonne au patriarche la démolition des synagogues de Palestine, si celle-ci pouvait s'opérer « sans [risque
La procédure est décrite par R. Delmaire, Largesses sacrées... , op. cit., p. 617-629. La délation fiscale donnait d'ailleurs lieu à de tels abus qu'elle fut régulièrement interdite ou strictement encadrée le long des IV' et V' siècles. Cf. R. Delmaire, Largesses sacrées... , op. cit., p. 617. \02 G. Provera, La vindicatio caducorum. Contributo allo studio deI processo fiscale romano, Turin, 1964, p. 171. \03 A. H. M. Jones, «The Social Background of the Struggle between Paganism and Christianity », in A. Momigliano (dir.), The Conflict between Paganism and Christianity in the Fourth Century, Oxford, 1963, p. 22-23. 104 Arcadius, 10 juillet 399 (c. Th., XVI, 10, 16). 100 \0\
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de] sédition 105 ». Il s'agissait d'éviter tout affrontement direct et de faire endosser la responsabilité des destructions à cet intermédiaire. 2. L'interdiction de construire de nouveaux édifices ou d'agrandir les anciens
Théodose ordonnait également par ce même rescrit du 20 octobre 415 Deinceps nul/as condi faciat synagogas 106 • Qu'à l'avenir il ne fasse plus construire de synagogues.
li est difficile d'établir si cette interdiction était la première du genre ou si elle avait un précédent. Nous penchons, avec Jean Juster, pour la seconde solution. La loi retire les codicilles de la préfecture honoraire au patriarche Gamaliel car « il a cru qu'il pouvait impunément mal agir ». Jean Juster estime que la suite du texte énumère nécessairement les diverses infractions qui sont à l'origine de sa disgrâce avoir jugé des chrétiens devant son tribunal, fait circoncire des hommes libres et esclaves et - ce qui nous intéresse ici - avoir édifié de nouveaux lieux de culte. Deux des griefs adressés au patriarche constituent des délits que nous avons déjà rencontrés, la circoncision ayant été prohibée au Haut-Empire et la connaissance par un tribunal juif de causes autres que religieuses ayant été interdite par une constitution d'Arcadius du 3 février 398 107 • Ce contexte pourrait effectivement suggérer que la construction des synagogues avait également été interdite par une loi plus ancienne. Un extrait du De spirituale œdificatione domus Dei de Zénon de Vérone (mort en 380) pourrait bien confirmer l'existence de ce précédent «Si on les y autorisait et s'ils le voulaient, ils [les juifs] construiraient peut-être des synagogues pour leur culte, et ils [les Gentils] érigeraient des capitoles lO8 • » La construction d'édifices de culte juifs mais également païens aurait donc été interdite vers la fin du Ive siècle par une loi qui ne nous serait pas parvenue. On possède d'ailleurs le texte de lois ayant réservé ce même traitement à des églises d'hérétiques. Une constitution du 19 juillet 381 commandait ainsi « que personne parmi les eunomiens, les ariens, et ceux qui obéissent au dogme d'Aèce, n'ait la possibilité de construire des églises tant
Théodose II, 20 octobre 415 (c. Th., XVI, 8, 22). Théodose II, 29 octobre 415 (C. Th., XVI, 8, 22). 107 Cf. chap. l, p. 57. JOB Zénon de Vérone, Liber!, tractatus 14, § 1, De spirituale œdificatione domus Dei (PL Il, col. 354-355). Cf. 1. Juster, Les Juifs dans l'Empire..., 1. l, p. 469, n. 2. 105
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en ville que dans la campagne 109 », et une loi du 30 mai 428 ordonnait « que les novatiens et les sabbatiens se voient retirer la licence de toute nouvelle construction llO ». Cette limitation du droit pour ces propriétaires fonciers de construire des lieux de culte sur leurs terres était, remarquons-le, l'entrave la moins sévère qui ait été ordonnée contre les partisans de religions « dissidentes ». C'est que, comme le spécifiait la loi du 30 mai 428, «tous les hérétiques ne pouvaient pas être frappés avec la même sévé,rité ». Cette loi prévoyait de fait un traitement plus lourd à l'encontre des ariens, macédoniens et apollinariens, qui se voyaient retirer le droit d'avoir des églises anciennes comme nouvelles, et plus sévère encore contre les eunomiens - dont le régime s'était donc aggravé depuis 381 -, montanistes, priscillianistes, phrygiens, marcianistes, borboriens, messaliens, euchistes, donatistes, audiens, hypoparastates, tascodrogites, photiniens, pauliens, marcelliens, et enfin manichéens III « qui ne devaient plus jamais avoir la faculté de se réunir ni de prier sur le sol romain ». Le pouvoir romain établissait ainsi des distinctions entre les religions, les juifs, les païens et certains hérétiques n'ayant plus la permission de construire de nouveaux lieux de culte, mais pouvant conserver les anciens, quand d'autres se voyaient purement et simplement interdire de pratiquer leur religion. Une constitution du 15 février 423, que nous avons déjà citée en partie et qui fut réalisée pour la Palestine dans les circonstances de crise décrites plus haut, réitérait l'interdiction de construire de nouvelles synagogues, qu'elle assortissait d'une nouvelle prohibition Synagogœ de cetero nullœ protinus extruantur, veteres in sua forma permaneantl12 • Qu'aucune synagogue ne soit édifiée à l'avenir, et que les anciennes demeurent en leur forme.
On sait que les juifs protestèrent immédiatement contre cette loi, ce qui donna lieu, dans la même année 423, à deux nouvelles interventions du pouvoir. Mais Théodose II ne leur donna raison qu'en partie, sanctionnant certes plus durement les exactions qui étaient commises contre leurs biens et
Théodose 1er , 19 juillet 381 (C Th., XVI, 5, 8). 110 Théodose II, 30 mai 428 (C Th., XVI, 5, 65). 111 La liste de ces hérésies a été empruntée à l'œuvre de l'apologète Épiphane, un contemporain de la loi. Cf. A. Pourkier, L' Hérésiologie chez Épiphane de Salamine, Paris, 1992. 112 Théodose II, 15 février 423 (C Th., XVI, 8, 25). 109
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leurs synagogues, mais n'acceptant pas de revenir sur sa décision d'interdire de nouvelles constructions et d'entraver les travaux réalisés sur les anciennes, comme il le signifiait explicitement dans sa constitution du 8 juin 423 ['O'] cetera vero vetita in posterum sciant esse servanda, quemadmodum nuper constitutionis Laue forma declarat ll3 . [...] ils doivent savoir que les autres interdictions devront être respectées dans l'avenir, comme le montrent les termes de la constitution [celle du 15 février] récemment promulguée.
Il était donc désormais interdit aux juifs de réaliser des travaux d'agrandissement sur leurs synagogues, de les embellir ou de les réparer. Une telle limitation au droit du propriétaire était, pour ce que nous en savons, inédite. Il existait, certes, des restrictions relatives aux travaux sur les immeubles, mais elles étaient justifiées par le souci de protéger les intérêts des voisins. Le propriétaire d'un fonds désirant réaliser des travaux de construction pouvait être contraint de les arrêter par l'opposition (operis novi nuntiatio) d'un voisin qui jugeait ses intérêts lésés par eux 1l4 . D'autres limitations étaient établies dans l'intérêt public, mais elles consistaient à obliger les propriétaires à entretenir leurs biens, pour des raisons évidentes de sécurité, et non à les laisser se détériorer! Notre loi qui, plutôt que de prescrire ces travaux, les interdisait rompait donc avec l'esprit de ce régime. Cette contradiction fut, à en croire une loi du 31 janvier 438 qui en modifiait la portée, pointée par les juifs, ou peut-être par leurs voisins que l'écroulement éventuel des synagogues pouvait légitimement inquiéter. Cette loi du 31 janvier 438 était l'œuvre de Martyrius, l'un de ceux qui avaient participé à la rédaction du Code Théodosien. Ce chrétien avait souhaité dresser le bilan de la législation antijuive de l'Empire, dont il avait généralement accentué la sévérité. Comme nous le verrons au chapitre III, il avait ordonné la mort contre les juifs qui se seraient adonnés au prosélytisme et durci encore les lois qui les excluaient des fonctions publiques, en prétextant que les juifs étaient « des ennemis de la Suprême Majesté et du droit romain» (voir le chapitre IV). Il avait, sous ce même prétexte, réglé en troisième lieu le sort des synagogues de la manière indiquée comme suitl15
Théodose II,8 juin 423 (C. Th., XVI, 8, 27). P.-F. Girard, Manuel de droit romain... , op. cit., p. 253-254. 115 Les passages tronqués par nous dans cet extrait correspondent à ceux qui ont déjà été étudiés dans le chapitre précédent, la loi étant rédigée de bien curieuse façon, qui entrecroise les différentes dispositions. 113
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Illud etiam pari consideratione rationis arcentes, ne qua synagoga in novam fabricam surgat, fulciendi veteres permissa licentia quœ ruinam prœsentaneam minitantur. (...] ut quisque igitur [ ] synagogam extruxerit, conpendio ecclesiœ catholicœ noverit se labo rasse. ( ] Et qui synagogœfabricam coepit non studio reparandi, cum damno auri quinquaginta librarumfraudetur ausibus suis 1l6 • Nous interdisons pour les mêmes raisons qu'une synagogue soit élevée dans une nouvelle construction, autorisation étant accordée de réparer les anciennes si elles menacent immédiatement ruine. [...] Que celui [...] qui aura construit une synagogue sache qu'il a labouré au bénéfice de l'Église catholique. (...] Et celui qui a commencé une construction de synagogue dans un autre but que de la réparer doit être privé du résultat de ce travail et doit payer 50 livres d'or.
La loi revient en premier lieu sur le régime de réparation des synagogues. Ces édifices pourront être réparés à condition qu'ils « menacent immédiatement ruine ». Martyrius avait donc été obligé d'adapter la législation sur les synagogues en la rendant compatible avec le droit commun. Il s'agissait d'éviter que s'élève un conflit de lois du genre de celui-ci un voisin constatant qu'un édifice menaçait ruine, engageait, pour se protéger de dommages futurs, une action contre ses propriétaires juifs ll7 et se voyait opposer par ces derniers la loi de 423 leur interdisant de réaliser des travaux d'entretien. Les juifs devront, avant de procéder à ces réparations, obtenir une autorisation administrative. Tous les travaux seront donc soumis au contrôle préalable de l'administration. On sait que la procédure consistant à demander des autorisations préalables existait déjà pour obtenir un droit de démolition ll8 . Cette procédure permettait au pouvoir de se constituer des preuves. En l'absence de demande, les juifs étaient nécessairement en infraction. Le document devait vraisemblablement spécifier la nature exacte des travaux prévus. En cas de plainte, il suffirait au juge de comparer les travaux réalisés en fait avec ceux qui avaient été autorisés sur le papier. En cas d'infraction avérée, les travaux seraient détruits et leur responsable passible d'une amende de 50 livres d'or. Le texte fixe en second lieu la destination des synagogues nouvellement construites en contradiction avec la loi, et qui auront, pour cette raison, été confisquées. Ces confiscations bénéficieront à l'Église catholique. Les biens confisqués à la suite, par exemple, du constat de leur vacance, de leur caducité, ou de la condamnation pénale de leur propriétaire, étaient destinés aux services financiers de l'Etat (fisc ou autres). Ces biens acquéraient alors la qualité de biens fiscaux et pouvaient être vendus aux enchères. Mais les biens ainsi recueillis par le fisc permettaient également
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Théodose II, 31 janvier 438 (Nov. III).
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P.-F. Girard, Manuel de droit romain , op. cit., p. 254-255. P.-F. Girard, Manuel de droit romain , op. cit., p. 255.
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aux empereurs de se montrer généreux. Ils pouvaient les céder à des cités ou à des particuliers qui en avaient fait la demande, à la suite d'une procédure dite des petitiones. Il arrivait également qu'ils soient donnés aux établissements religieux. On peut, comme l'écrit Roland Delmaire, espérer que, dans ce dernier cas, l'attribution ne provenait pas de petitiones des églises, mais de dons impériaux 1l9 C'est ce que semble confirmer, pour ce qui regarde en tout cas les synagogues, notre loi, qui laisse entendre que la procédure des petitiones était remplacée par une dévolution légale et automatique aux églises. Pourtant, même si les biens des juifs tombaient automatiquement dans les mains des ecclésiastiques sans que ces derniers en passent par la procédure des petitiones, la loi incitait tout de même l'Église à rechercher activement les éventuelles constructions de nouvelles de synagogues et à les dénoncer au fisc. On sait que la delatio fisci était un phénomène très répandu. De multiples constitutions du Ive et du ve siècle se rétèrent à ces donations souvent sollicitées et auxquelles les délateurs qui ont contribué à faire acquérir les biens par le fisc ne restent pas indifférents l20 L'Église catholique avait ainsi, pour la première fois, la possibilité de prendre possession de synagogues juives par des voies légales. Certes, elle pouvait auparavant, on l'a vu, devenir propriétaire d'un édifice enlevé aux juifs par la force et dont un acte de consécration avait interdit la restitution. Mais c'était au prix de sanctions impériales, sans compter qu'une partie du clergé refusait, dans leur principe, ces procédés violents. La loi du 31 janvier 438 doit donc être ajoutée à la liste déjà nombreuse de celles qui avaient pour effet de dresser l'Église et les juifs l'une contre les autres. Elle intéressait en effet très concrètement et matériellement les ecclésiastiques à son application, en leur faisant espérer le bénéfice des confiscations. li n'est selon nous en effet pas naïf de croire que tous les ecclésiastiques n'étaient pas au départ impliqués dans la mission antijuive. Ces dignitaires pouvaient remplir leur rôle pastoral auprès de ces populations sans pour autant céder à l'activisme. Conclusion du chapitre II Face aux violences perpétrées contre les juifs, la réponse impériale est fonction de la nature des rapports de force. 1) L'action des moines contre les édifices juifs, païens et hérétiques apparaissant, aux yeux du pouvoir, comme étant d'une brutalité déplacée, le
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R. Delmaire. Largesses sacrées.... op. cif., p. 623. J. Gaudemet, « Droits individuels et toute-puissance impériale... », op. cit., p. 346.
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patriarche juif Gamaliel V, appuyé par son ami le païen Libanius, put, à la suite de la destruction de la synagogue de Callinicum en 388, obtenir de l'empereur une condamnation ferme de ces actes iconoclastes. Les fonctionnaires-juges dépositaires dans les provinces de l'imperium de l'empereur jouissaient, dans le cadre de la procédure pénale extraordinaire, de moyens de rétorsion efficaces. Ils infligèrent la bastonnade aux moines et ordonnèrent à l'instigateur des violences, l'évêque Flavien, de reconstruire l'édifice. L'intervention d'Ambroise arguant que le combat pour la foi constituait une fin supérieure à celle du maintien de l'ordre choqua les généraux et se termina sans doute, et malgré le récit qu'en fait le prélat à sa sœur, par un échec. En 393, Théodose, toujours sensible aux arguments des militaires, condamna de nouvelles destructions de synagogues en Orient comme étant autant d'atteintes aux biens commises iniuria. 2) Ces mesures impériales - notamment la constitution de 393 énonçant que « nulle loi ne prohibe la secte juive» - montrent, certes, que le judaïsme n'avait pas été déclaré hors-la-loi. Mais rares sont les religions de l'Empire qui le furent, l'administration romaine n'ayant jamais imaginé de distribuer ou de refuser des licences de culte de manière systématique 121 • Les Romains ne constituèrent jamais de catégories légales formelles selon lesquelles le christianisme serait la religion officielle, le judaïsme une religion licite et les autres cultes des religions illicites. La seconde source alléguée par ceux qui soutiennent la thèse d'un judaïsme religio licita est un passage de l'œuvre de l'apologète Tertullien qui avait en son temps parlé du judaïsme comme d'une « religion très illustre et assurément autorisée par la loi 122 ». Or, si l'on examine cette source de plus près, l'auteur écrit simplement que le judaïsme était autorisé, une conception négative qui n'implique pas qu'il était officiellement protégé. Quoi qu'il en soit, cette notion de religio licita ne pénétra jamais dans le droit romain 123. 3) L'attitude de Théodose II apparaît plus tortueuse. Il céda aux plaintes répétées des juifs palestiniens en condamnant en juin 423 les violences anarchiques du moine Barsauma et de ses compagnons. Mais il organisa également de manière chirurgicale l'éradication à terme des synagogues. Son action était moins spectaculaire que celles des fanatiques, mais elle était pareillement redoutable. Les synagogues n'avaient jamais, contrairement à ce
121 Cf. F. C. Grant, « Religio licita », in Texte und Untersuchungen zur Geschichte der Altchristlichen Literaur, n° 79, 1961, Berlin, p. 84-89. 122 Tertullien, Apol., 21, 1. 123 Voir en ce sens M. Sartre, L'Orient romain, Paris, 1991, p. 365 et 393.
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que l'on a pu affIrmer, bénéficié d'un statut juridique spécial et protecteur. L'empereur procéda prudemment en commençant, en 415, par appliquer aux synagogues in solitudine le régime, déjà mis en place contre les temples païens, des bona vacantia. li ordonna, non sans cynisme, au patriarche Gamaliel de procéder lui-même pour le compte du fIsc à la vindicatio et à l' occupatio des synagogues palestiniennes désertées. Il défendit en outre la construction de nouveaux lieux de culte juifs. En 423, il interdit la réalisation de travaux sur les synagogues, mais concéda finalement la possibilité de réparer celles qui menaceraient ruine, pour des raisons évidentes de sécurité. Enfin, il décida que les synagogues construites en contravention avec la loi seraient attribuées non pas au fisc mais aux églises, ce qui incitait - un effet probablement voulu - les ecclésiastiques à la délation.
CHAPITRE
nI
LES STRATÉGIES DE LUTTE CONTRE L'INFLUENCE JUIVE
Dans une constitution de Constantin du 18 octobre 329, le judaïsme est désigné comme une « secte funeste» et « impie» '. Des constitutions de 339 et de 353 le qualifient de « sacrilège », d'« infamie» et de « turpitude »2. Une telle véhémence surprend car ces textes sont exactement contemporains de ceux que nous avons étudiés précédemment, qui octroyaient des privilèges aux chefs des communautés juives pour qu'ils puissent« se donner avec une totale dévotion aux synagogues 3 ». Le même contraste s'observe dans la législation théodosienne du début du ve siècle. Une constitution de 409 traite le « nom de juifs» d'« infâme et détestable », et le judaïsme de « pervers et étranger à l'Empire romain », de « souillure », et d'« incroyance »4. La circoncision est, dans une loi de 415, une « marque [nota, au sens de marque d'infamie] souillante5 », et le judaïsme, dans une constitution de 417, une « détestable superstition6 ». Enfin, une loi de 426 dénonce les « ténèbres de leur superstition? ». Pourtant, les chancelleries qui sont à l'origine de ces textes - celles d'Honorius et de Théodose il - ont aussi, on s'en souvient, défendu la pérennité des privilèges édictés par Constantin. Toutes ces lois ont un point commun elles combattent plus ou moins directement l'influence du judaïsme. C'est donc cette question particulière qui a suscité l'usage, inédit en droit romain, du vocabulaire de la diatribe antijuive, usage qui s'accompagne de dispositions dont la sévérité est à la mesure du ton employé. Il est bien sûr impossible de ne pas voir que cette législation fait écho à des préoccupations chrétiennes. La lutte contre l'influence des juifs était en effet un souci ancien de l'Église, souci qui remontait à ses origines. Religion
, Constantin, 18 octobre 315 [en réalité 329] Cc. Th., XVI, 8, 1). Nous reviendrons plus loin sur ce problème de datation. Cf. infra, p. 140. 2 Constance TI, 13 août 339 Cc. Th., XVI, 8, 6) et 3 juillet 357 ou 353 CC. th., XVI, 8,7). 3 Constantin, 29 novembre 330 Cc. Th, XVI, 8,2). er 4 Honorius, 1 avril 409 Cc. Th., XVI, 8, 19). 5 Théodose II, 20 octobre 415 Cc. Th., XVI, 8, 22). 6 Théodose II, 10 avril 417 Cc. Th, XVI, 9, 4). 7 Valentinien III, 8 avril 426 CC. Th, XVI, 8, 28).
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LES STRATÉGIES DE LUTTE CONTRE L'INFLUENCE JUIVE
biblique, la religion chrétienne est par nature fortement imprégnée d'influences juives; les frontières qui distinguent le christianisme du judaïsme n'ont donc pas toujours été nettes. Les premiers chrétiens sont des juifs qui voient en Jésus le Messie mais se conforment aux commandements religieux du judaïsme. On lit ainsi dans les Actes des Apôtres qu'à Antioche, ces chrétiens d'origine juive prêchaient aux Gentils que le salut était impossible sans la circoncision et la soumission à la Loi de MoïseS. Dans l'Épître aux Galates, saint Paul s'inquiète de cette tendance. Il met en garde les chrétiens issus de la Gentilité contre ceux qui dénaturent le message du Christ en restant attachés à l'observance des lois mosaïques. « L'homme n'est pas justifié par les œuvres de la Loi mais par la foi en Jésus-Christ », affirme-t-il. Et de reprocher à l'apôtre Pierre de forcer « ceux des nations à judaïsec9 ». La question sera tranchée lors de l'assemblée de Jérusalem, où il fut décidé que l'on abandonnerait la circoncision et l'observance des prescriptions de 1'« Ancien Testament ». Par la suite, les écrits des apologistes et des Pères de l'Église, ainsi que les dogmes élaborés par les conciles de l'Église des premiers siècles, eurent pour effet et souvent pour but de tracer les frontières nécessaires avec le judaïsme. Commentant dans un sermon le passage de la Genèse dans lequel Dieu ordonne à Abraham la circoncision, Grégoire d'Elvire (mort vers 392) croit bon de rassurer son auditoire, car il sait qu'il doit souvent tenir tête aux juifs sur cette question lO Il n'est pas besoin, explique-t-il, d'être circoncis pour être sauvé. Abel, Seth, Hénoch, Noé et d'autres saints ont trouvé le salut alors qu'ils n'étaient pas circoncis ll . « Si la circoncision était la marque du salut, alors pourquoi Jean aurait-il prêché le repentir plus que la circoncision ? » Dans un autre sermon, le même prédicateur traite de l'observance du shabbat « sans laquelle les juifs croient que tous les hommes étrangers seront exclus de l'espérance de la vie étemelle12 ». Les juifs ne savent pas ce qu'est le vrai shabbat ; la Loi est spirituelle, mais eux la comprennent de manière chamelle. Et Grégoire d'ironiser «Aux hommes est promis le salut s'ils observent le shabbat ; les bêtes aussi doivent observer ce jour, est-ce à dire qu'elle,s sont aussi promises au salut 13 ? » Au ve siècle, l'auteur galloromain Évàgre le Gallois écrit un traité de polémique antijuive, Discussion entre le juif Simon et le chrétien Théophile, qui est plus destiné à prémunir
Ac 15, 1. Ga 2, 14 et 16. 10 Grégoire d'Elvire, Tractatus Origenis, IV (CCSL 69, p. 27). II Ibid., IV, p. 28. 12 Ibid., VIII, p. 63. 13 Idem.
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les chrétiens contre la tentation d'imiter les observances juives qu'à inciter au prosélytisme en direction des milieux juifs. En effet, la question que pose le juif fictif à son adversaire (<< Prouve-moi que le Christ n'a circoncis personne ») est caractéristique d'une préoccupation de chrétien. L'auteur fait demander à Théophile par son interlocuteur juif Simon pourquoi les chrétiens reprochent la circoncision aux juifs puisqu'ils reconnaissent eux-mêmes que Dieu l'a ordonnée et que Jésus en personne a été circoncis. À quoi Théophile répond «Nous interdisons la circoncision de la chair, et nous désirons que les circoncis croient. Nous croyons qu'Abraham, avant qu'il ait été circoncis, fut aimé de Dieu par sa foi et qu'il fut justifié par sa foi 14 • » Enfin, Jésus fut circoncis pour prouver qu'il était de descendance davidique, la circoncision n'étant pas un signe de salut, mais de race. Commodien, qui vécut au Ille ou au Ve siècle15 , laisse quant à lui éclater sa colère contre « les impies qui judaïsent» «Eh quoi ! Tu veux être à moitié juif, à moitié impie ? Tu n'échapperas pas au jugement du Christ quand tu seras mort. Tu erres en aveugle et entres dans l'aveuglement, idiot 16 ! », «Pourquoi, toujours double, cours-tu à la synagogue 17 ?» Ces réactions ne sont que des illustrations, que l'on pourrait multiplier, de l'inquiétude que suscitait dans les milieux ecclésiastiques des Ive et ve siècles l'attirance de certains chrétiens pour les pratiques juives, attirance qui pouvait les mener à l'apostasie. Cette préoccupation transparaît également dans les conciles. On lit ainsi dans les Canons apostoliques que les chrétiens, clercs et laïcs, n'ont pas le droit de pénétrer dans les synagogues et d'y porter huile ou lampes de prières sous peine d'excommunication 18 • Les fêtes juives doivent absolument être évitées. Le fidèle chrétien ne doit pas jeûner avec eux, ni participer à leurs rites et accepter leurs présents 19 La fête de Pâques fait l'objet d'une attention particulière. Le fidèle ne doit pas recevoir de pain azyme des
14 Évagre le Gallois, Altercatio legis inter Simonem ludœum et Theophilum christianum (CSEL 45,20). 15 S'appuyant sur des indices linguistiques et historiques (tirés notamment du Cannen apologeticorum, v. 805-822), certains spécialistes soutiennent que Commodien aurait écrit entre 458 et 466 à Arles. Pour d'autres, il serait un contemporain de Cyprien et aurait vécu à Carthage au Ille siècle, car ses textes se référeraient à des situations liées aux lapsi, au schisme de Felicissimus et, de manière générale, aux problèmes recontrés par l'Église d'Afrique. Pour plus de détails, cf. B. Blumenkranz, Les Auteurs chrétiens latins du Moyen Âge sur les juifs et le judaïsme, Paris, 1963, p. 38-39. 16 Commodien, lnstructiones, l, 37 (CCSL 126, p. 31). 17 Commodien, lnstructiones, l, 24 (CCSL 126, p. 19). 18 Canons apostoliques, c. 71. 19 Laodicée (avant 380), c. 37. La date de ce qui parait être une collection canornque plus qu'un concile est incertaine.
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juifs20 • Le concile d'Elvire en Bétique (actuelle Andalousie) menace d'excommunication les possessores chrétiens qui font bénir leur champ par des rabbins 21 • En Gaule est proféré le même avertissement les fidèles ne doivent pas adhérer aux superstitions juives ni célébrer leurs fêtes 22 . Mais cette crainte de l'influence juive et de la conversion se justifiait-elle dans les faits? Le phénomène de conversion au judaïsme est difficile à saisir directement et à apprécier dans son ampleur, les données numériques faisant défaut. Aucun des quelque 520 papyrus répertoriés dans l'édition de V. A. Tcherikover - papyrus qui ont ceci de précieux qu'ils consignent des actes de la pratique nous pennettant de saisir objectivement le quotidien - ne documente de cas de conversions23 Les sources épigraphiques s'avèrent également décevantes. Sur les quelque 731 inscriptions juives recensées en Europe par R. P. Frey, 9 seulement désignent des convertis, l'enquête concernant certes surtout la ville de Rome24 • Mais Marcel Simon estime que ce laconisme des sources ne prouve rien «L'argument ex silentio pour les documents épigraphiques est, écrit-il, d'une faible portée, car le hasard préside aux trouvailles 25 »Aussi bien les recherches continuent-elles et nous en sommes pour l'heure réduits à nous contenter des indications fournies par des mentions isolées de prosélytes dans le Talmud, mentions qui, étant donné leur caractère souvent allusif et anecdotique, ne nous avancent guère26, et par les témoignages d'hommes d'Église qui nous livrent une réalité déformée27 Quelle conclusion tirer par exemple de cet avertissement de Jean Chrysostome aux-chrétiens d'Antioche «Les juifs, plus mauvais que tous les loups,
Laodicée, c 38. Elvire (300-306), c. 49. 22 SEA, c. 83. Charles Munier attribue la paternité de la collection à un prêtre du sud de la Gaule, Gennade de Marseille, qui l'aurait composée peu après 476. Les conciles qui sont à l'origine de ces décrets ne sont pas identifiés. Cf. C. Munier, « Nouvelles recherches sur les Statuta Ecclesiœ Antiqua », in C. Munier, Vie conciliaire et collections canoniques en Occident. /V'-XII' siècles, Londres, 1987, p. 170-180. 23 Sondage réalisé par Louis H. Feldman sur les trois volumes de V. A. Tcherikover et al., Corpus papyrorum iudaicarum, Cambridge (Massachusetts), 1964. Cf. L. H. Feldman, Jew and Gentil in the Ancient World : Attitudes and InteractionsfromAlexander to Justinian, Princeton (New Jersey), 1993, p. 411. 24 Résultat de ces recherches et analyse par M. Simon, Verus Israël. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l'Empire romain (/35·425), Paris, 1948, p. 330-331. 25 Cf. M. Simon, ibid., p. 330. 26 Sur les sources talmudiques qui indiquent l'existence de ces nouveaux convertis, cf. L. H. Feldman, Jew and Gentil..., p. 408-413. 27 Sur les réactions chrétiennes, cf. L. H. Feldman, ibid., p. 400-407. 20
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s'apprêtent, à l'approche de leurs fêtes, à attaquer le troupeau. Il nous faut, d'avance, préparer nos arrnes28 » ? On disposerait d'un meilleur éclairage si l'on pouvait être certain que les juifs qui vivaient dans l'Empire romain des IVe et Ve siècles se livraient à un prosélytisme actif. Or, les savants sont très divisés sur la question et il semblerait que l'on puisse trouver dans les sources talmudiques autant de passages favorables que contraires à cette hypothèse29 Si le phénomène de conversion au judaïsme est donc difficilement quantifiable, il demeure qu'il a préoccupé les autorités romaines. C'est même, on le verra, la peur du judaïsme qui, en 329, pousse Constantin à remettre en cause pour la première fois le compromis de 1'« édit de Milan» (313), lequel avait accordé « à chacun de suivre le culte qui aurait le plus de rapport avec son inclination30 » et promis ainsi un régime de liberté religieuse et de stricte neutralité. Ce chapitre se propose de rechercher les raisons qui ont conduit le pouvoir romain à incriminer des comportements n'intéressant pas en théorie le champ du juridique et qui auraient dû demeurer la préoccupation des seuls hommes d'Église. Les conversions au judaïsme furent interdites. Ensuite, il fut interdit aux juifs de circoncire leurs esclaves et même d'acheter des esclaves chrétiens. Une troisième mesure consista à condamner les unions dites mixtes entre juifs et chrétiens. Nous examinerons tour à tour ces trois incriminations.
SECTION
I. L'INCRIMINATION DES CONVERSIONS AU JUDAÏSME
Nous mettrons en lumière dans ce qui suit le processus ayant conduit le pouvoir romain à transformer ce qui n'était au départ qu'une faute sanctionnée au niveau des communautés chrétiennes en un délit puni par la loi. Le passage au judaïsme, condamné pour la première fois par une loi de Constantin du 18 octobre 329, demeura, pendant près de cinquante ans, le
Jean Chrysostome, Hom., IV, 1 (PG 48, 871). Pour une thèse en faveur de l'existence d'un prosélytisme juif actif aux Ive et ve siècle, cf. M. Simon, ibid., p. 315-355, et L. H. Feldman, ibid., p. 408-415. Sur l'idée que le judaïsme faisait des prosélytes, mais que, dès l'époque de Jésus, les Pharisiens ne tentaient pas de gagner activement ces convertis, cf. M. Goodman, « Jewish proselytizing in the First Century », in 1. Lieu, 1. North, T. Rajak (éd.), The Jews among pagans and êhristians in the Roman Empire, Londres-New York, 1992, p. 53 et suiv. Voir du même auteur, Mission and Conversion. Proselytizing in the Religious History of the Roman Empire, Oxford, 1994 ; et, dans le même sens, E. Will et C. Orrieux, Prosélytisme juif? Histoire d'une erreur, Paris, 1992. 30 Lactance, De mort. persec., 48, 2-12. 28 29
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seul type de conversion sanctionné par le droit romain. Il faudra déterminer les causes de cette exception. À partir des années 380, le pouvoir incrimina l'apostasie chrétienne en général - vers le paganisme, le manichéisme et le judaïsme - et le sort des juifs d'adoption fut désormais réglé par le régime mis en place contre les apostats. Theodor Mommsen et Jean Juster ont assuré que l'interdiction légale des conversions au judaïsme était très ancienne et qu'elle remontait au début du principat. Les lois des empereurs chrétiens n'auraient fait, en conséquence, que réitérer un vieil interdit. Nous contesterons leur position avant de passer à l'étude des lois.
A. La conversion au judaïsme était-elle déjà incriminée sous le principat? Selon Theodor Mommsen et Jean Juster, les citoyens romains convertis au judaïsme auraient été, depuis la restauration par l'empereur Auguste de la religion d'État, passibles de poursuites pour crime de lèse-majestë 1. Le régime de la lèse-majesté, qui avait été établi par la loi augustéenne de maiestate (Lex Julia de 8 av. l-C.), réprimait les offenses au princeps (crimen lœsa augustioris maiestatis) ainsi qu'à l'État et à ses divinités (crimen lœsa publicœ et maxime romanœ religionis), offenses que constituait, entre autres choses, le refus de sacrifier ou d'invoquer le nom de l'empereur et des dieux. Or, les convertis étaient, selon Theodor Mommsen et Jean Juster, automatiquement soupçonnés d'être incapables de concilier leurs nouvelles convictions monothéistes avec les exigences du culte national. Le fondement légal de la répression pénale de la conversion au judaïsme aurait donc été, si l'on suit ce raisonnement, identique à celui qui avait sous-tendu la poursuite des chrétiens pendant les périodes de persécutions 32 • Selon Tertullien, en effet, l'adhésion au nomen christianum ne constituait pas une
31 Th. Mommsen, Droit pénal romain, Paris, 1907, t. II, p. 269-285 ; J. Juster, Les Juifs dans l'Empire romain. Leur condition juridique, économique et sociale, t. J, Paris, 1914, p.255-258. 32 Les persécutions antichrétiennes, dont la première remonte à Néron qui, en 64, avait accusé les chrétiens d'avoir incendié la ville de Rome, sont demeurées sporadiques et locales jusqu'au milieu du Ille siècle. C'est l'empereur Dèce qui le premier prit un décret général frappant ceux qui refusaient de s'associer à la supplicatio destinée à apaiser les dieux (249), décret qui visait les chrétiens sans les nommer formellement. Cette loi fut suivie de décrets de Valérien (257-258) et de Dioclétien (303). La persécution se poursuivit en Orient jusqu'à l'édit de Galère du 30 avril 311.
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incrimination sub specie iuris, mais elle s'identifiait à un crime de lèsemajestë3 On ne trouve cependant pas trace de poursuite et de condamnation de Romains convertis au judaïsme au Haut-Empire. Deux preuves sont invoquées à l'appui de cette thèse, qui sont l'une comme l'autre sujettes à caution. Le premier témoignage est un procès qui s'est déroulé sous le règne de l'empereur Domitien (51-96) et qui nous est conté par Dion Cassius (v. 155 - v. 235). Cet auteur rapporte que, s'étant converti, Flavius Clemens fut, à sa sortie du consulat en 95, condamné avec son épouse Domitilla pour crime de lèse-majesté et exécuté. Le récit ne dit pas que le couple avait adopté le judaïsme, mais Jean Juster et Theodor Mommsen tiennent ce fait pour certain, quand la majorité des historiens considèrent que Flavius Clemens et son épouse s'étaient convertis au christianisme à l'instar de leur nièce dénommée elle aussi Domitilla. Une deuxième source invalide d'ailleurs définitivement les affirmations de ces deux auteurs. Suétone rapporte en effet que Domitien « avait soumis à l'impôt des juifs ceux qui, sans appartenir à cette nation, vivaient d'après le rite juif34 ». Comment le même empereur aurait-il pu exiger un impôt des juifs d'adoption et punir dans le même temps leur conversion de rien de moins que la peine capitale? Theodor Mommsen, qui reconnaît lui-même que ces deux sources « ne sont pas aisément conciliables », persiste néanmoins dans son opinion 35 La seconde source avancée par ces auteurs est un extrait de la Vita Severi (17, 1) de l'Historia Augusta36• On y lit que, de passage en Palestine, Septime Sévère avait édicté des lois, l'une menaçant de graves peines (pœna gravi) quiconque se ferait juif (ludœos fieri), l'autre visant ceux qui se convertiraient au christianisme. Mais l'historicité du décret incriminant le passage au judaïsme est douteuse. Ce décret n'est mentionné par aucun jurisconsulte contemporain des Sévères. Il n'est attesté que par ce passage de l' Historia Augusta (milieu du Ive siècle), œuvre, notoirement peu fiable, d'un auteur anonyme. Il est d'ailleurs prouvé que d'autres informations qui voisinent directement avec le passage qui nous intéresse sont erronées. En
Tertullien, Apol., 24 et 28, 3. Suétone, Dom., 12.2. Sur cet impôt et sur la manière dont il a conduit les empereurs Vespasien, Nerva et Domitien à forger les critères de l'identité juive sur une base non plus ethnique mais religieuse, obligeant à cette redevance les nouveaux convertis et en excluant les apostats, cf. M. Goodman, « Nerva, the Fiscus Judaicus and Jewish Identity >f, in JRS, 1989, n° 79, p. 26-39. et, du même auteur, « The Roman State and the Jewish Patriarch in the Third Century », in L. 1. Levine, The GaUlee in Late Antiquity, Cambridge (Massachusetts)-Londres, 1992, p. 136. 35 Th. Mommsen, Droit pénaL, t. II, p. 278, n. 2. 36 Historia Augusta, XVII, 1 (éd. A. Chastagnol, Histoire Auguste, Paris, 1994, p. 329). 33
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outre, Marta Sordi, qui s'est intéressée à l'esprit général de l'auteur de l'Historia Augusta tel qu'il ressort de l'ensemble du texte, a montré que ce païen (de religion italo-romaine) avait systématiquement confondu juifs et chrétiens. Elle conclut qu'il a donc fort bien pu, dans cette veine, avoir cru que la politique persécutrice des Sévères envers les chrétiens s'était également étendue aux juifs3? La certitude de Jean Juster et de Theodor Mommsen quant à l'illicéité de la conversion au judaïsme leur vient de ce qu'ils sont par ailleurs convaincus que « le citoyen de Rome et même de toute cité de l'Empire ne pouvait pas en même temps être juif et continuer d'appartenir à sa cité. Il ne pouvait pas reconnaître tout à la fois les dieux de sa patrie et le dieu des juifs38 ». Le monothéisme juif aurait obligé les Romains à résoudre le dilemme suivant persécuter les juifs en les obligeant à se plier aux exigences du culte national ou décider de tolérer leur « particularisme ». Ils auraient choisi d'adopter une politique tolérante en aménageant pour les juifs un culte impérial sui generis qui ne heurtait pas leur croyance monothéiste. Mais ces aménagements étaient réservés aux juifs en tant que nation et il n'était pas question de les étendre à l'infini aux juifs d'adoption. La cause de la persécution des convertis au judaïsme serait donc l'incompatibilité fondamentale entre le judaïsme et la pratique de la religion d'État, incompatibilité surmontée uniquement pour les juifs de naissance. Mais la thèse d'un affrontement en ce domaine des cultures polythéiste et monothéiste a été récemment combattue par Myriam Pucci Ben Zeev39 Cet auteur a montré que, bien que de religions polythéistes, les provinciales de nombreuses cités de l'Empire refusaient de s'acquitter du culte impérial dans les formes voulues par le pouvoir. Des témoignages de rituels sacrificiels venus d'Asie Mineure, de Sparte, des îles grecques, d'Égypte et de régions occidentales attestent ainsi que l'on ne sacrifiait pas dans ces lieux «à l'empereur » mais « au nom de l'empereur »40. Le fait que les prêtres juifs de Jérusalem aient, dans un tel contexte, sacrifié « au nom de l'empereur» n'avait donc rien d'exceptionnel. Le refus de ces prêtres d'introduire dans le Temple des statues des empereurs - refus correspondant à l'interdit biblique d'adorer des représentations - pouvait certes heurter les Romains, mais la vive réaction de Caligula paraît avoir été exceptionnelle. De même, des
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M. Sordi, Cristianesimo e Roma, Rome, 1965, p. 222. Voir aussi T. Liebmann-Frankfort,
« Les juifs dans l'Histoire Auguste )), in Latomus, n° 33, 1974, p. 579-607. 38 Th. Mommsen, Droit pénal..., op. cit., t. II, p. 278. 39 M. Pucci Ben Zeev, « Did the Jews enjoy a Privileged Position in the Roman World ? )),
in REJ, n° 154, 1995, p. 35-42. 40 Pour une description détaillée de ces sources, cf. M. Pucci Ben Zeev, ibid., p. 38-40.
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inscriptions découvertes dans des synagogues de Palestine, d'Ostie et d'Intercisa (Hongrie) nous apprennent que les juifs rendaient un culte Dea Aetemo pro salute Augusti, mais d'autres inscriptions provenant d'édifices appartenant au monde romain et hellénistique montrent également que l'on prêtait des serments pro salute Augusti. Ces découvertes interdisent donc de penser que le pouvoir romain ait pu spécialement prendre ombrage des formes de culte impérial adoptées par ses sujets juifs. De même a été remise en cause, soulignons-le, la thèse traditionnelle selon laquelle les chrétiens auraient été persécutés en raison de leur refus de sacrifier. Selon Jacques Moreau, repris par Jean Gaudemet, plus que le rejet du paganisme, c'est le caractère subversif du christianisme qui déclenchait l'inquiétude - inquiétude devenue vive avec la diffusion rapide de cette religion au ne siècle - et qui provoqua la persécution41 • Le grief d'athéisme ou de lèse-majesté adressé aux chrétiens aurait donc été un prétexte plus qu'un motif des persécutions. Comme l'écrit Jacques Moreau, «on aurait tort de vouloir lier trop étroitement le problème des persécutions à son seul aspect juridique. Les éléments passionnels, psychologiques et politiques ont toujours été déterminants ». En résumé, la thèse d'une incrimination ancienne des conversions au judaïsme, qui n'est attestée par aucune source solide, nous vient du présupposé erroné selon lequel le refus de rendre un culte à l'empereur dans les formes traditionnelles aurait, comme tel, été vécu par le pouvoir comme une menace et puni sous le chef de crime de lèse-majesté. Il faut cependant rappeler que l'empereur Hadrien avait incriminé la circoncision42 • Certes, cette loi avait été édictée au nom de l' humanitas les Romains réprouvant toute opération réalisée sur les organes génitaux - et ne visait donc pas directement à interdire les conversions au judaïsme. Mais elle a évidemment pu, dans les faits, freiner le prosélytisme, car elle laissait désormais planer une menace de poursuite criminelle sur les candidats mâles à la conversion. À la fin du nr siècle, le Pseudo-Paul rapproche d'ailleurs explicitement conversion et circoncision «Que les citoyens romains qui acceptent de se faire circoncire selon le rite juif, ou qui font circoncire leurs
41 J. Moreau, La Persécution du christianisme dans l'Empire romain, 1956, p. 70-77, cité par J. Gaudemet, « Des "Droits de l'Homme" ont-ils été recoIlllus dans l'Empire romain? », in Labeo, nO 33,1987, p. 17-18. 42 Cf. chap. III, p. 143-144.
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esclaves, soient déportés à perpétuité sur une île et leurs biens confisqués. Que les médecins subissent la peine capitale43 • » Mais ce ne fut qu'à partir du règne de Constantin que les conversions au judaïsme furent incriminées en tant que telles. B. La conversion au judaïsme comme crimen publicum Par une constitution du 18 octobre 329, Constantin menace des « peines méritées» quiconque entrera dans la «secte infâme» des juifs44 • Le prenùer paragraphe de la loi éclaire selon nous la cause immédiate de cette décision Iudœis et maioribus eorum et patriarchis volumus intimari, quod. si quis post hanc legem aliquem, qui eorum feralem jugerit sectam et ad Dei cultum respexerit. saxis aut alio juroris genere, quod nunc fieri cognovimus, ausus juerit adtemptare, mox flammis dedendus est et cum omnibus suis participibus concremandus. Aux juifs, à leurs anciens et à leurs patriarches, nous voulons faire savoir que si, après cette loi, quelqu'un osait attaquer celui qui aurait fui leur secte funeste pour se tourner vers le culte de Dieu, par le moyen de pierres ou d'un autre acte de fureur, et nous savons que cela s'est produit présentement, il devra être aussitôt jeté aux flammes et brûlé vif avec tous ses associés.
43 Pauli Sent., V, 22, 3 «Cives Romani, qui se iudaico ritu vel servos suos circumcidi patiuntur, bonis ademptis in insulam perpetuo relegantur .. medice capite puniuntur ». 44 Constantin, 18 octobre 329 (c. Th., XVI, 8, 1). Si les manuscrits du Code Théodosien indiquent pour cette loi la date du 18 octobre 315 et la font en conséquence figurer en première position dans le titre 8, cette datation est assurément erronée. La loi est en effet adressée à un certain Évagre qui n'occupa l'office de préfet du prétoire d'Orient qu'à partir de l'année 326. Le jour du 18 octobre doit néanmoins, selon Amnon Linder, être conservé et servir de repère pour la recherche de l'année réelle du texte. La souscription indique un second indice, qui nous apprend que la loi fut prise de Murillum, une ville inconnue qu'Amnon Linder propose de corriger en Bergule. Cette piste permet de dater la loi d'un voyage que Constantin effectua pendant l'année 329. On sait en effet que de Trieste, l'empereur est passé par Sardique le 29 septembre et est arrivé à Héraclea le 25 octobre. Il a donc parfaitement pu faire escale à Bergule le 18 octobre 329. Nous nous rangeons à ces arguments, tout en signalant que d'autres commentateurs ont proposé pour cette loi la date de 339. O. Seek, après Godefroy, a en effet corrigé Murgillum par Mursella, une localité de Pannonie inférieure. Constatant un déplacement impérial de Constant dans la région danubienne en 339, ces auteurs ont conclu que notre loi avait été émise par ce fils de Constantin à cette date. Cf. A. Linder, JRIL, op. cit., p. 124; et E. Magnou-Nortier et al. (dir.), Le Code Théodosien (livre XVI) et sa réception au Moyen Âge, Paris. 2002, p. 326, n. 6.
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Le détail de la situation nous échappe et il est impossible de savoir si le juif apostat avait été lapidé en exécution de la sentence d'un tribunal rabbinique - le Talmud punissant «ceux qui ont basculé en dehors d'Israël45 » - ou si le malheureux avait été lynché par la populace. Quoi qu'il en soit, ces circonstances sont indifférentes pour le pouvoir romain, qui proscrivait depuis le Haut-Empire le prononcé de sentences de mort par les tribunaux pérégrins et qui assimilait ces mises à mort à des homicides, passibles, comme tels, de la peine capitale. Le pouvoir, dont la stratégie consistait, on s'en souvient, à utiliser les instances communautaires religieuses comme des intermédiaires, en appelle à la responsabilité des anciens et des patriarches à qui il enjoint de mieux contenir leurs troupes à l' avenir46 • Ce fait-divers aurait pu en rester là - les meurtres sont après tout chose courante -, mais le caractère très particulier du crime, dont la victime était un converti au christianisme, suscita, à en croire le ton extrêmement véhément de la loi, l'indignation du législateur, provoquant de sa part une réaction disproportionnée. En effet, non content de punir les coupables en requérant contre eux la peine de mort infamante de la crematio, l'auteur de la loi crée, ce qui ressemble fort à une vengeance, le crime de conversion au judaïsme. 1. La loi de Constantin du 18 octobre 329
Le second paragraphe de la loi stipule en effet ceci Si quis vero ex populo ad eorum nefariam sectam accesserit et conciliabulis eorum se adplicaverit, cum ipsis poenas meritas sustinebit. Si par ailleurs quelqu'un du peuple entre dans leur secte néfaste et se mêle à leurs conciliabules, il supportera avec eux les peines méritées.
Les contours du nouveau délit sont flous et ne concernent pas seulement, semble-t-il, l'acte positif, volontaire et formel de la conversion au judaïsme. Que signifie en effet « se mêler aux conciliabules» des juifs? Ce flou, peutêtre volontaire, laisse planer une menace de poursuite pénale sur les semi-
45 Cf. J. Mélèze-Modrzejewski, « L'invention de l'apostasie. Du droit ptoléJ;l1aïque au Code Théodosien », in Au-delà des frontières. Mélanges de droit romain offerts à Witold Wolodkiewicz, Varsovie, 2000, p. 553-572, particulièrement p. 570. 46 L'ordre fut réitéré par une constitution du 22 octobre 335 (c. Th., XVI, 8, 5) « Eum, qui ex iudœo christianus factus est, inquietare iudœos non liceat vel aliqua pulsare iniuria, pro qualitate commissi istiusmodi contumelia punienda. »
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prosélytes ou sympathisants - un phénomène documenté à l'époque47 - et même sur ceux qui fréquentent un peu trop assidûment les juifs. Sont également visés les auctores persuasionis, à savoir les juifs qui auront réalisé ces conversions ou simplement encouragé des rapprochements. Les uns et les autres subiront les « peines méritées ». Il ne faut pas s'étonner de ce que la nature exacte de la peine n'est pas précisée. La détermination des peines par l'arbitrium des iudices avait remplacé depuis longtemps le système de la fixation légale des peines. On peut par exemple citer une constitution de Constantin (C. 1., VI, 1,3) qui ordonnait contre l'esclave qui s'était enfui en pays ennemi de lui couper le pied, de le condamner aux travaux forcés ou de lui infliger «telle autre peine qui paraîtrait convenable ». De manière générale, les peines prévues dans les constitutions impériales n'ont valeur que d'indications directrices données au iudex dans l'exercice de son arbitrium. Comme l'indique Theodor Mommsen, « elles étaient si imprécises qu'elles pouvaient tout aussi bien faire défaut, ce qui n'était pas rare48 ». Le caractère extrêmement autoritaire de la loi qui porte atteinte à la liberté religieuse des sujets de l'Empire - chrétiens et païens désireux de passer au judaïsme ou simplement curieux de mieux connaître cette religion, juifs souhaitant gagner de nouveaux prosélytes - surprend, tant il rompt avec l'esprit de l'édit de Milan. Ce revirement s'explique, selon nous, par le fait que le texte n'avait pas, contrairement aux autres constitutions édictées sous le nom de Constantin, été élaboré par l'empereur, ni même rédigé par des fonctionnaires de la chancellerie, mais avait été conçu et formulé par des membres de la hiérarchie ecclésiastique. Le texte doit en effet être ajouté à la liste des constitutions constantiniennes dont Edoardo Volterra a montré qu'elles n'étaient pas de la main de fonctionnaires impériaux49 Cet auteur a distingué, dans l'œuvre législative de Constantin, deux types de constitutions. Une grande majorité d'entre elles est formulée suivant la terminologie juridique employée par les juristes classiques et d'après la technique législative romaine. Leur contenu démontre que les fonctionnaires chargés de leur rédaction avaient une connaissance précise des lois antérieures et avaient conscience des innovations qu'ils apportaient au droit en vigueur. L'autre
47 Sur les « craignants Dieu », sympatisants et autres judaïsants, cf. L. H. Feldman, Jew and Gentile... , op. cit., p. 342-383. 48 Th. Mommsen, Droit pénal..., t. III, op. cit., p. 399-400. 49 E. Volterra, « Intorno ad alcune costituzioni di Constantino », in Accademia nazionale dei lincei. Rendiconti della classe di scienze morali, storiche e filologiche, Roma, série 8, vol. 13, 1958, p. 61-89, et, du même auteur, «Quelques remarques sur le style des constitutions de Constantin », in Droits de l'Antiquité et sociologie juridique. Mélanges Henri Lévy-Bruhl, Paris, 1959, p. 325-334.
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catégorie de lois, moins nombreuses, présente des particularités de forme et de contenu qui les différencient nettement des précédentes. Par exemple, la loi de 331 (c. Th., Ill, 16, 1) qui transforme radicalement le système et la conception du divorce en restreignant son usage, et qui répond sans doute aux exigences chrétiennes en matière familiale, est rédigée par des auteurs qui ignorent évidemment la terminologie légale. L'étude stylistique, lexicographique et technique d'une autre loi de 331 (c. Th., V, 9, 1), qui prévoit, toujours selon la morale chrétienne, que l'esclave exposé à la naissance sera considéré de facto comme un ingenuus, présente les mêmes caractères. Si Edoardo Volterra n'ajoute pas la constitution du 18 octobre 329 à la liste de ses exemples, il est pourtant possible qu'elle en fasse partie. L'auteur de la loi dépeint en effet les juifs sur un mode dépréciatif inédit en droit romain et qui ne présente aucune utilité technique. Si le mot« secte» n'avait pas le sens négatif qu'on lui connaît aujourd'hui, la « secte» juive est tout de même qualifiée de« néfaste» (nefaria), un synonyme de sacrilège. On lit également, dans le premier paragraphe de la loi, que leur secte est « funeste » iferalis) et elle est explicitement opposée au véritable « culte de Dieu» qu'est le christianisme. La peine du bûcher retenue par le législateur contre les juifs qui auront mis à mort des apostats doit également faire pencher pour une origine ecclésiastique. Si la crematio s'appliquait, sous le principat et jusque dans l'édit du Goth Théodoric, à des délits nombreux, elle n'en était pas moins, nous apprennent les Pauli Sententiœ, une peine infamante réservée, comme la croix ou l'exécution dans des fêtes populaires, aux crimes les plus graves, comme la désertion, le sacrilegium (vol de biens sacrés), l'empoisonnement, l'incendie volontaire, la magie grave ou le meurtre d'un proche50 • Que les Romains aient décidé de punir l'acte de lapidation de la peine capitale est une chose, qu'ils aient réservé à ce type d'homicide une mort aussi rigoureuse que la crematio en est une autre. Amnon Linder propose d'attribuer la paternité du texte au clerc qui avait, à l'issue du concile de Nicée (19 juin 325), rédigé une lettre synodale adressée par Constantin aux églises, lettre qui publiait sur le ton d'une violente diatribe antijuive la résolution du concile au sujet de la date de Pâques51 • On peut également avancer le nom du président de ce concile, Ossius de Cordoue (mort en 357). Cet éminent personnage s'était de fait déjà préoccupé, au concile d'Arles (314), de fixer un calendrier pasc~distinct de
50 Pauli Sent., V, 21, 19. 23. 24. Cf. Th. Mommsen, Droit pénal..., t. nI, p. 261, n. 2 et p.407. 51 Eusèbe de Césarée, De vita Constantini, nI, 18-20 (PG 20, 1073-1080).
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celui des juifs; plus encore, il avait participé au concile d'Elvire (300-304), concile qui avait rendu les premiers décrets combattant l'influence juive. Or, à en croire Eusèbe de Césarée, cet ecclésiastique était aussi un collaborateur et un ami de Constantin depuis les années 312-313. Victor C. De Clercq a d'ailleurs prouvé qu'il avait pris part, comme conseiller, à la rédaction de lois impériales, au moins dans les années 313-325 52 • Mais ce nom ne saurait être avancé avec certitude, d'autant que l'on perd la trace de l'évêque après le concile de Nicée et que rien ne dit qu'il n'était pas directement retourné en Espagne. Quoi qu'il en soit, il faut imaginer un clerc rédigeant sa loi dans l'atmosphère euphorique de l'après-concile de Nicée et de la construction, démarrée dès après la victoire en 324 sur Licinius, de la nouvelle capitale et ville chrétienne de Constantinople. La loi qui devait suivre, à l'époque de Constance II, affiche un projet moins autoritaire puisqu'elle n'inquiète plus tous les candidats à la conversion juive, mais seulement ceux qui sont issus du christianisme. Elle ne dit rien, non plus, des juifs qui auront réalisé ces conversions. 2. La loi de Constance du 3 juillet 352
La suscription de la loi donne une année consulaire correspondant à la date de 357, mais le destinataire est le préfet du prétoire d'Orient Thalassius qui est mort en 353. Le texte ayant été donné de Milan, où il est établi que Constance se trouvait durant l'été 352, on peut fixer sa composition au 3 juillet 35253 Un événement qui n'est peut-être pas étranger à cette décision, dans la mesure où il a pu attiser le climat d'hostilité contre les juifs à Constantinople, doit être mentionné. Des juifs de la ville de Sepphoris (Diocaesarea), un centre de fabrique de textile, s'étaient soulevés au mois de juin de la même année - ou de l'année 351 54 . Ils avaient pillé l'armurerie de la ville et porté la rébellion dans le reste de la Galilée, notamment dans les villes de Tibériade et de Lydda, qui étaient elles aussi des centres spécialisés dans le textile. Le magister militum Ursicinus fut dépêché par Gallus, jeune cousin de Constance qui gouvernait l'Orient avec l'aide de Thalassius. Il leva les
52 V. C. De Clercq, Ossius of Cordova. A Contribution to the History of the Constantine Period, Washington, 1954, p. 269-275. 53 En ce sens, cf. J. Gaudemet, « La sauvegarde de la foi chrétienne », in Islamochristiana, n° 20, 1994, p. 35. O. Seek suivi de Jean Roujé proposent en revanche la date du 3 juillet 353. Cf. E. Magnou-Nottier et al., Le Code Théodosien ... , op. cit., p. 330, n. 22. Cette différence de date n'a pas d'incidence sur le propos qui va suivre. 54 Pour plus de détails sur cet épisode, cf. M. Avi-Yonah, The Jews of Palestine... , op. cit., p. 176-181. ~
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garnisons stationnées aux frontières, et les employa contre ces juifs et leur chef, un certain Patrice, dont Aurelius Victor nous apprend qu'il s'était fait donner le nom de roi. La révolte, qui ne rencontra d'ailleurs pas le soutien des autorités juives officielles de Palestine, fut rapidement matée. Mais, peu après cet incident, Constantinople adressa à Thalassius la constitution suivante Si quis lege venerabili constituta ex christiano iudœus effectus sacrilegis coetiibus adgregetur, cum accusatio fuerit conprobata, facultates eius dominio fisci iussimus vindicari55• Conformément à la vénérable loi établie, nous avons ordonné que si un chrétien s'est fait juif ou a rejoint leurs assemblées sacrilèges, ses biens seront revendiqués en faveur du domaine du fisc, dès lors que l'accusation aura été prouvée.
Amnon Linder a noté que l'emploi du passé iussimus indiquait que la chancellerie informait le préfet du prétoire d'Orient Thalassius d'une décision antérieure56 • Cette décision pourrait bien être un rescrit, dit ad relationem ou ad opinionem, que l'empereur aurait rendu dans le cadre d'un procès en cours. Il aurait été saisi de la relatio d'un juge lui demandant quelle peine infliger à un chrétien convaincu de conversion au judaïsme57 La« vénérable constitution» de Constantin laissait en effet aux tribunaux, on s'en souvient, le soin de fixer pour ce crime la « peine méritée ». La relatio du juge demandant conseil en la matière au pouvoir central aurait été l' occasio legis de la fixation d'une peine légale pour ce type d'affaire. On décida que cette peine serait la confiscation du patrimoine du condamné une confiscation sans doute totale (publicatio bonorum), car, si elle n'avait été que partielle, la loi en aurait vraisemblablement précisé la mesure. La loi du 18 octobre 329 n'était donc pas demeurée lettre morte, puisque le pouvoir judiciaire avait été amené à juger un crime pour conversion au judaïsme. On sait que, pour réprimer efficacement les délits publics, les fonctionnaires-juges impériaux avaient reçu, depuis l'époque des Antonins (fin du ne siècle), le pouvoir d'en rechercher d'office (ex officio) les auteurs. Depuis cette époque, la procédure inquisitoire prévalait, l'enquête suscitée par des délateurs et réalisée à initiative des fonctionnaires s'étant généralisée aux me et Ive siècles. La constitution semble pourtant faire allusion à une instance
Constance II, 3 juillet 357 [en réalité 352 ou 353] (C. Th., XVI, 8, 7). A. Linder, JRIL, op. cit., p. 152. 51 Pour une description de la procédure de la relatio au Bas-Empire, cf. E. Andt, La Procédure par rescrit (N-Vle siècles), Paris, 1920, p. 10-13. 55
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déclenchée par la voie accusatoire. Mais Yann Rivière nous avertit que la conservation du tenne d'« accusatio » dans les constitutions de l'époque tardive ne signifie pas la pennanence de la procédure accusatoire de l' ordo 58 • En réalité, l'accusator, dans la cognitio extra ordinem iudiciorum publicorum, n'était plus un rouage essentiel de la procédure. La loi continuait pourtant d'exiger sa présence en trompe-l'œil au côté du iudex qui, en pratique, jouait seul le rôle à la fois d'arbitre et d'accusateur (ou enquêteur). Comment le iudex s'y prenait-il pour obtenir dans son inquisitio la preuve que l'accusé était bien passé au judaïsme? Attendait-il du suspect la confessio nominis, comme avant lui les juges qui, sous le principat, avaient persécuté les chrétiens? On sait que l'aveu (confessio) des chrétiens, aveu obtenu sous la torture (quœstio), était, dans ce type de procès, le mode de preuve prépondérant puisqu'on ne pouvait reprocher aux accusés des atteintes matérielles, leur crime ne comportant aucun corpus delicti 59 Peut-être procédait-on, pour confondre les mâles soupçonnés de conversion au judaïsme, à l'examen de leurs parties génitales. Mais une telle procédure qui n'eût pas manqué de frapper les esprits - n'est, à notre connaissance, rapportée par aucun témoignage de l'époque. Quoi qu'il en soit, Jean Gaudemet a souligné que le juge du Bas-Empire pouvait fonner son intime conviction sans être lié par aucun système de preuve légale60 • Le témoignage, en pratique, était le moyen de preuve prépondérant61 , et la définition vague et énigmatique des éléments constitutifs du délit de conversion - sont coupables de ce crime, nous dit la loi de 329, « ceux qui entrent dans leur secte néfaste ou s'attachent à leurs conciliabules » - prend, dès lors, tout son sens. Le juge récoltait des témoignages de personnes ayant vu les accusés fréquenter les synagogues ou des maisons juives et fonnait sans doute son intime conviction à partir de ce genre d'indices. Une fois l'accusé convaincu de son crime et la sentence de condamnation prononcée, le fisc devait, nous dit la loi de Constance, « revendiquer les biens du condamné ». La procédure de la vindicatio était la suivante62 le juge ordonnait l'inventaire des biens et le préfet du prétoire transmettait à l'office du rationalis un résumé de l'enquête comprenant la liste de ce qui revenait au fisc. De son côté, le juge envoyait un rapport complet avec son
Y. Rivière, Les Délateurs sous l'Empire romain, Rome, 2002, p. 355-381. P. Jobert, « Les preuves dans les procès contre les chrétiens (1er_Iv e) », in RHD, n° 54, 1976, p. 295-320. 60 J. Gaudemet, Les Institutions de l'Antiquité, Paris, 1991 (ire éd. 1972), p. 800-801. 61 G. G. Arcru, « Les preuves dans le droit du Bas-Empire », in Recueil de la Société Jean Bodin, vol. XVI, 1965, p. 389-414. 62 R. Delmaire, Largesses sacrées... , op. cit., p. 604 et suiv. 58 59
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propre inventaire détaillé. Les deux rapports du préfet et du juge étaient nécessaires pour éviter que des fonctionnaires du fisc indélicats ne se servent au passage. L'incorporation au domaine fiscal était matérialisée par la pose de tituli sur la demeure du condamné. Des petitores (qui étaient des particuliers) pouvaient ensuite demander au fisc la concession de certains de ces biens et ceux qui avaient dénoncé les condamnés ne faisaient souvent qu'un avec ces petitores, d'où leur intérêt à agir. L'arsenal répressif qui avait réglé le sort des convertis au judaïsme à l'époque constantinienne fut, dans les années 380, aboli et remplacé par un nouveau régime qui visait l'ensemble des apostats chrétiens63 • La peine prévue contre les convertis au judaïsme glissa ainsi de la confiscation du patrimoine à l'interdiction de faire et de recevoir des testaments, ainsi qu'à celle de porter des témoignages. C. Le régime général contre l'apostasie chrétienne mis en place à partir des années 380 Par l'édit de Thessalonique du 28 février 380, Théodose 1er et Gratien revinrent sur le principe de liberté religieuse édicté en 313. Ordonnant à leurs sujets de se convertir au dogme nicéen - «Nous voulons que tous les peuples que gouverne la juste mesure de notre clémence suivent la religion que le divin Pierre apôtre a transmise aux Romains » -, ils avertirent ceux qui «refusaient le nom de chrétiens catholiques» qu'ils risquaient le « châtiment de la justice divine» mais aussi la « sanction de notre verdict »64. Suite à ce raidissement - qui visait en premier lieu les ariens-, les chrétiens renégats furent inquiétés. Dès l'année suivante, le 2 mai 381, Théodose incrimina les chrétiens passés au paganisme65 , et, le 21 mai 383, Gratien frappa également ceux qui passaient au manichéisme, ainsi que «ceux qui, au mépris du nom chrétien, se salissent au contact du judaïsme66 ». Les juifs chrétiens d'origine devaient dès lors être traités selon le nouveau régime progressivement mis en place contre les chrétiens renégats, régime
63 Nous contestons l'interprétation d'Alberta Giandomenici selon laquelle les convertis au judaïsme risquaient encore la confiscation de leurs biens. L'auteur hésite d'ailleurs, remarquant que la situation de ces convertis apparaît, dans le second paragraphe de la loi du 21 mai 383, comparable à celle des autres apostats. Cf. A. Giandomenici, «Consi'éierazioni sulle costituzioni contenute nella rubrica "de apostatis" nei codici Giustinianeo e teodosiano », in Apollinaris, 1979, p. 60S. er 64 Théodose 1 , 28 février 380 Cc. Th., XVI, 1,2). er 65 Théodose 1 , 2 mai 381 Cc. Th., XVI, 7, 1 et S, 7). 66 Gratien, 21 mai 383 Cc. Th., XVI, 7, 3).
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que l'on découvre au titre 7 De apostatis du livre XVI du Code Théodosien, un titre qui comporte sept lois s'échelonnant entre 381 et 426. Il faut noter que le terme d'« apostasie» lui-même n'apparaît pour la première fois que dans la dernière de ces constitutions, celle de Valentinien III du 7 avril 42667 • Dans les autres textes, le délit est désigné par une périphrase qui en décrit le contenu. Comme l'a montré Joseph Mélèze-Modrzejewski, le pouvoir romain ne faisait là que redécouvrir le sens originel de la notion grecque d'apostasia 68 • En effet, avant de prendre, dans le vocabulaire du judaïsme hellénisé passé par ce biais au vocabulaire chrétien, le sens religieux de « révolte contre Dieu69 », l'apostasia avait déjà désigné, dans le monde grec et hellénistique, la trahison politique. La loi du 21 mai 383 retire aux chrétiens apostats la « possibilité de tester », c'est-à-dire en l'occurrence la capacité de faire des testaments (testamenti factio active). Une telle peine était, pour le civis, d'une grande gravité. En effet, depuis la loi des XII Tables, la société romaine donnait la prépondérance à la succession testamentaire par rapport à la succession ab intestat. L'individualisme romain voulait que la volonté du pater pour régler le sort de ses biens lui survécût après sa mort. Abolir la capacité de faire des testaments revenait à nier la puissance paternelle et une malédiction consistait à dire «Que Jupiter te fasse mourir intestapo! » La peine était si grave qu'elle équivalait pratiquement - lit-on dans des constitutions impériales à exclure du droit romain ceux qui en étaient frappés 71. Théodose 1er et
Valentinien III, 7 avril 424 Cc. Th., XVI, 7, 7). 1. Mélèze-Modrzejewski, « L'invention de l'apostasie. Du droit ptolémaïque au Code Théodosien », in Mélanges de droit romain offerts à Witold Wolodkiewicz, Varsovie, 2000, p. 553-572, en particulier p. 554-560. 69 Le terme ou la notion chrétiens sont utilisés par saint Paul (2 Th, 2, 3, et 1 Tm 4, 1) ; par saint Cyprien à propos de la chute (lapsus) de nombreux chrétiens d' Mrique pendant la persécution ordonnée par Dèce (250-251) ; dans les conciles d'Elvire (300-306), d'Arles (314) et d'Ancyre (314) au lendemain de la persécution de Dioclétien; ainsi que lors du concile de Nicée (325) à l'issue des persécutions de Licinius. Cf. J. Mélèze-Modrzejewski, « L'invention de l'apostasie. Du droit ptolémaïque au Code Théodosien », in Mélanges de droit romain offerts à Witold Wolodkiewicz, Varsovie, 2000, p. 570-571, et 1. Gaudemet, « La sauvegarde de la foi chrétienne (doctrine et législation du IIIe au IV· siècle) », in Islamochristiana, n° 20, 1994, p. 30-34. Les cas traités dans ces conciles sont ceux d'apostasies provoquées par des pressions ou des menaces. Pour trouver abordé le problème de ceux qui ont apostasié le christianisme de leur propre chef, il faut se tourner vers les écrits des Pères cappadociens Basile de Césarée (330-379) et Grégoire de Nysse (335-394). Cf. E. Karabelias, « Apostasie et dissidence religieuse à Byzance de Justinien let jusqu'à l'invasion arabe », in Islamochristiana, n° 20, 1994, p. 42 et 64-67. 70 J.-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, Paris, 2002, p. 1088. er 71 Théodose 1 , 3 mai 383 (c. Th., XVI, 5, 7) et 20 mai 383 (c. Th., XVI, 7, 2). 67
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Gratien ajoutaient donc les chrétiens apostats à la liste des intestabiles incapables d'exprimer une volonté éclairée et réfléchie qu'étaient notamment les fous et les impubères 72 • N'avaient-ils pas qualifié dans l'édit de Thessalonique d' «insensés et d'égarés »ceux qui refusaient le catholicisme? Si tout citoyen était invité à dénoncer le crime d'apostasie, les proches étaient les plus aptes à en prendre connaissance et, surtout, ils avaient seuls, compte tenu de la nature de la peine prévue contre l'apostat, réellement intérêt à dénoncer ce crime. Les héritiers ab intestat pouvaient de fait découvrir à l'ouverture du testament qu'ils avaient été exhérédés, omis, ou insuffisamment institués par ieur parent défunt, le de cuius. Un fils déçu dans ses espérances pouvait alors, s'apercevant que ceux qui avaient été institués à ses dépens par le testament étaient des juifs, des païens ou des manichéens, avoir l'espoir d'obtenir l'annulation de l'acte en portant contre son père une accusation post mortem d'apostasie, pour prouver que le défunt n'avait pas eu la capacité de tester et que le testament, en conséquence, était nul dès l'origine (iniustum, non iure factum). De fait, c'est généralement dans de telles circonstances que survenaient les accusations d'apostasie, ainsi que le prouve le second paragraphe de la loi, qui essaye de réguler une démarche qui tentait manifestement beaucoup d'héritiers ab intestat, dont le zèle soudain pour la défense de l'orthodoxie n'abuse pas l'auteur de la loi. Sed ne veZ mortuos perpetua vexet criminationis iniuria veZ hereditariœ quœstiones temporum varietate Zongorum prorsus emortuœ in redivivos semper agitentur conflictus, huiuscemodi quœstionibus metam temporis adscribimus, ut, si quis defunctum violatœ atque desertœ christianœ religionis accusat eumque in sacrilegia templorum vel in ritus iudaicos vel ad manichœorum dedecus transisse contendit eaque gratia testa ri minime potuisse confirmat, intra quinquennium iuge, quod inofficiosis actionibus contitutum est, proprias exerat actiones futurique iudicii huiuscemodi sortiatur exordium, ut eodem in Luce durante, cuius prœvaricatio criminanda est, flagitii huius et sceleris prœsens fuisse doceatur publica sub testificatione testatus, probet indicium73 • Pour qu'une injuste calomnie ne tourmente pas les morts à perpétuité, pour que des problèmes d'héritage ne soient pas agités par des conflits sans cesse renaissants, alors que les changements apportés par le temps les ont entièrement éteints, nous assignons une limite temporelle à de telles questions. Si quelqu'un accuse un défunt d'avoir violé et déserté la religion chrétienne afin de passer au sacrilège des temples, aux rites judaïques, ou à l'ignominie des manichéens,
72 Pour une liste complète des persOIllles incapables de réaliser des testaments en droit romain classique, cf. P.-F. Girard, Manuel élémentaire de droit romain, Paris, 1906, p. 812815. 73 Gratien, 21 mai 383 (c. Th, XVI, 7, 3).
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s'il déclare qu'il n'a pas pu tester pour cette raison, qu'il intente les actions adéquates dans les cinq ans, délai fixé pour les plaintes d'inefficacité, et obtienne l'introduction d'un futur procès de cette nature. Qu'il déclare dans une déposition publique qu'il fut témoin, du vivant de celui dont l'apostasie doit être blâmée, de sa turpitude et de son crime, qu'il en apporte la preuve, car il ne faut pas qu'après avoir couvert par son silence cette perfidie contre la puissance divine et ainsi acquiescé au crime, il puisse se porter accusateur, comme s'il avait ignoré l'apostasie.
La loi entend juguler des « conflits sans cesse renaissants » en prescrivant l'action criminelle en apostasie par cinq ans, « délai fixé pour les plaintes d'inefficacité ». La querela inofficiosi testamenti, qui avait été mise en place par le tribunal des Centumvirs, prescrivait en effet par cinq ans le droit à la querela, ce délai courant depuis le moment où l'ayant droit avait eu la possibilité matérielle d'agir. Le législateur de 383 inscrit donc la durée de la prescription dans une tradition connue. Mais l'analogie entre ces deux procédures s'arrête ici. La querela inofficiosa testamenti était en effet ouverte à un nombre restreint de personnes, les légitimaires (proches parentsf4, quand la loi de 383 indique que tous les héritiers ab intestat pouvaient ouvrir une accusation. Tout autre individu pouvait d'ailleurs également déclencher cette procédure, qui était publique. Autre différence, les légitimaires devaient, pour se plaindre, prouver qu'ils n'avaient pas touché leur part légitime (legitima ou debita portio75 ) et qu'ils en avaient été dépouillés sans motif, le testateur n'ayant aucun grief contre eux. Rien de tel n'est exigé dans le cadre du procès en apostasie. L'héritier peut très bien avoir touché sa part légitime, ou avoir offensé le de cuius de son vivant, et pouvoir néanmoins obtenir l'annulation du testament. La procédure décrite par la loi de 383 n'est donc pas de nature civile, mais bien criminelle, et ceci apparaît clairement à la lecture du texte «Qu'il déclare, dans une déposition publique, qu'il fut témoin, du vivant de celui dont l'apostasie doit être blâmée, de sa turpitude et de son crime, qu'il en apporte la preuve. » La justice prononçait l'intestabilité par la voie d'un procès pénal et il faut supposer que cette procédure était préjudicielle d'une procédure civile, petitio hereditatis ab intestato, ultérieure. Il reste difficile de concevoir que le législateur ait pu autoriser la poursuite d'un crime après la mort de son auteur. Mais on découvre au Digeste que notre loi avait un précédent
Pour une liste des ayants droit à la querela, cf. P.-F. Girard, ManueL, p. 147-148. Sous l'influence de la Lex FaLcidia, cette part est fixée au quart de la part ab intestat qu'aurait touchée le légitimaire s'il n'y avait pas eu de testament (d'où son appellation de quarte légitime). Cf. l-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civiL, op. cit., p. 1288. 74 75
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Ex iudiciorum publicorum admissis non alias transeunt adversus heredes poenae bonorum ademptionis, quam si lis contestata, et condemnatio fuerit secuta, excepto repetundarum et maiestatis iudicio quae etiam mortuis reis, cum quibus nihil actum est, adhuc exerceri placuit, ut bona eorum fisco vindicentur adeo ut divus Severus et Antoninus rescripserunt, ex quo quis aliquod ex his causis crimen contraxit, nihil ex bonis suis alienare aut manumittere eum posse. Ex caeteris vero delictis poena incipere ab herede ita demum potest, si vivo reG accusatio mota est, licet non fuerit condemnatio secuta76 • Par la suite des délits et des jugements publics, les peines de la perte des biens ne passent contre les héritiers que si la cause a été contestée, et que la condamnation ait suivi, à l'exception du jugement des sommes extorquées et de celui de la majesté, qui peuvent être poursuivis même après la mort des coupables, quoiqu'on ne les 'ait pas mis en jugement, pour que leurs biens soient confisqués ; tellement que Sévère et Antonin ont déclaré par un rescrit que, depuis que quelqu'un s'est rendu coupable d'un tel crime, il ne peut ni aliéner ses biens ni donner des libertés. Mais, dans les autres délits, la peine peut commencer à être appliquée à l'héritier, si l'accusation a été mue du vivant du coupable, quoiqu'il n'ait pas été condamné.
Selon le droit commun, la peine prononcée à l'encontre d'une personne défunte ne pouvait produire ses effets (patrimoniaux) sur les héritiers que si l'instance avait été liée du vivant de l'accusé, dont la mort était survenue entre la titis contestatio et la reddition de la sentence. Mais Modestin signale l'existence de deux exceptions permettant de faire la titis contestatio après la mort de l'accusé, dont celle du procès pour lèse-majesté. Le législateur du Bas-Empire accordait manifestement au crime d'apostasie la même gravité que celui du ur siècle au crime de trahison politique. C'est ce que souligne avec fermeté une loi du 7 avril 426, qui, apparemment, entend répondre à la surprise et aux objections qu'une telle procédure n'avait pas manqué de susciter Apostatarum sacrilegum nomen singulorum vox continuee accusationis incesset et nullis finita temporibus huiuscemodi criminis arceatur indago. {...} In tantum autem contra huiusmodi sacrilegia perpetuari volumus actionem, ut universis ab intestato venientibus etiam post mortem peccantis absolutam vocem insimulationis congruee non negemus. Nec illud patiemur obstare, si nihil in contestatione profano dicatur vivente perductum77 • Que le nom sacrilège de tous les apostats soit continuellement.placé sous la menace d'une accusation, et qu'aucune limite de temps ne soit opposée à
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Modestin, D., 48,2,20. Valentinien III, 7 avril 426 (c. Th., XVI, 7, 7).
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l'enquête sur un tel crime. [...] Nous voulons que l'action judiciaire ne s'éteigne pas contre de tels sacrilèges, de telle sorte que nous ne refusons pas à tous ceux qui se réclameraient de l'intestat de porter une accusation en règle, même après sa mort. Nous n'admettrons pas comme obstacle [à l'action judiciaire] la déclaration qu'aucune contestation ne se serait élevée du vivant de l'impie.
Voici encore un effet du régime de l'intestabilité. Les héritiers testamentaires juifs, païens ou manichéens risquaient, et ce longtemps après la mort du converti, de se voir inquiéter par un procès qui les déposséderait des biens ainsi acquis. La loi visait donc peut-être à décourager un certain genre de prosélytisme consistant à convoiter l'héritage d'un converti. Ce souci d'éviter que le patrimoine d'une famille ne passe, à l'occasion d'une conversion, aux mains de la nouvelle famille religieuse du prosélyte, transparaît dans les lois du 23 mars 396 et du 7 avril 426 Eos. qui, cum essent christiani, idolorum se superstitione impia maculaverint, hœc poena persequitur, ut testandi in alienos non habeant facultatem, sed certa his generis sui propago succedat, id est pater ac mater, frater ac soror, fllius ac flUa, nepos ac neptis. nec ulterius sibi progrediendi quisquam vindicet potestatem78. Ceux qui, malgré leur état de chrétiens, se seront souillés dans les superstitions impies de l'idolâtrie, seront atteints par la peine suivante: ils ne pourront tester en faveur de personnes étrangères, mais leur succédera un membre connu de leur lignée père et mère, frère et sœur, fils et fille, petit-fils et petite-fille. Que personne ne revendique pour soi le pouvoir d'aller au-delà. [...] totumque ab intestato christianitatem sectantibus propinquis potissiumum deferatur79 [...] que la totalité de leurs biens soit dévolue de préférence à des proches appartenant à la chrétienté en vertu des règles de l'intestat.
Qu'arrivait-il si les proches en question, « père et mère, frère et sœur, fils et fille, petit-fils et petite-fille» étaient, eux aussi, convertis? Ainsi qu'on le lit dans une loi du 20 mai 383, ils pourront tout de même hériter par la voie de l'intestat. En revanche, les apostats se verront retirer le droit d'hériter par la voie testamentaire (jactio testamenti passive) Pari et circa eorum personas in capiendo custodienda forma, ut prœter suas et legitimas, quœ isdem ex parentum vel germanorum fratrum bonis pervenire
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Arcadius, 23 mars 396 Cc. Th., XVI, 7, 6). Valentinien III, 7 avril 426 Cc. Th., XVI, 7, 7).
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potuerint, successiones, iudicio etiam, si ita res ferent, conditœ voluntatis nulla omnino in capiendis hereditatibus testamenti iura sibi vindicent et indubitate ab omni testamentorum debeant non solum condendorum, sed etiam sub adipiscendœ pontificio hereditatis usurpandorum potestate excludiso . La même disposition doit être maintenue à l'égard de ces personnes en ce qui concerne la réception des héritages. En dehors des successions naturelles et légitimes, qui pourront leur échoir venant de leurs pères et mères et de leurs frères germains, même s'il s'agit d'une disposition testamentaire fermement établie, ils ne pourront se réclamer d'aucun droit testamentaire pour revendiquer un héritage. Sans contestation possible, ils seront exclus du droit de rédiger des testaments, mais aussi de celui de se réclamer d'un testament, en vertu du droit sur l'obtention des héritages.
Dans l'hypothèse où un testament avait été rédigé par un apostat (qui ne jouissait pas de lafactio testamenti active) au bénéfice d'autres apostats (qui n'avaient pas lafactio testamenti passive), les biens attribués par la voie du testament étaient revendiqués par le fisc comme biens caducs. On peut en effet supposer qu'était étendue aux apostats - dans l'hypothèse où un tel cas se serait présenté aux juges -la solution fixée par la loi du 8 mai 381 contre les manichéens et par celle 4 mai 389 contre les hérétiques eunomiens, groupes qui étaient frappés des mêmes incapacités. Si quis manichœus manichœave ex die latœ dudum legis ac primitus a nostris parentibus in quamlibet personam condito testamento vel cuiuslibet titulo liberalitatis atque specie donationis transmisit propriasfacultates, vel quisquam ex his aditœ per quamlibet successionis formam collatione ditatus est, quoniam isdem sub perpetua inustœ infamiœ nota testandi ac vivendi iure romano omnem protinus eripimus facultatem neque eos aut relinquendœ aut capiendœ alicuius hereditatis habere sinimus potestatem, totum fisci nostri viribus inminentis indagatione societur. Sive id marito sive propinquo aut cuilibet bene merito sive etiam filiis, quos tamen vitœ eiusdem et criminis facinora sociata coniungent, sive etiam per interpositam quamlibet personam profuturum eidem, qui e tali hominum genere et grege repperitur, illicita liberalitate provenerit, caduci titulo vindiceturSl • Si, depuis le jour récent où une loi a été promulguée par nos parents, quelque manichéen ou manichéenne a transmis ses biens personnels à quiconque par un testament en bonne et due fonne, ou au titre de quelque libéralité en guise de don, ou encore si quelqu'un d'entre eux a vu ses richesses s'accroître grâce à une succession à lui conférée et par lui acceptée sous quelque forme que ce soit, étant donné que nous avons, par une note d'infamie imprimée à perpétuité,
80 81
Théodose, 20 mai 383 (c. Th., XVI, 7, 2). Théodose, 8 mai 381 (G. Th., XVI. 5, 7).
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arraché à ces gens la faculté de tester et de vivre selon le droit romain, et que nous ne leur permettons pas d'avoir la capacité de laisser ou de recevoir quoi que ce soit par voie d'héritage, qu'après enquête tout soit obligatoirement réuni à la masse de notre fisc. Si une succession, provenant d'une libéralité illégale, doit être à l'avantage d'un mari, d'un proche, de quelqu'un qui a rendu des services, ou même d'enfants, mais qui se trouvent étroitement liés aux forfaits de la vie criminelle du testateur, ou si elle doit profiter, par l'intermédiaire d'une tierce personne, à quelque membre du troupeau d'une telle engeance humaine, qu'elle soit confisquée au titre des biens caducs. Eunomiani spadones nec faciendi nec adipiscendi habeant licentiam testamenti [. ..] sed omnia. quœ talium esse velfutura esse constiterit, ut caduca fisci nostri viribus vindicentur82 • Que les eunuques eunomiens n'aient pas le droit de faire un testament ou d'en bénéficier. [...] Tous les biens dont il est prouvé qu'ils appartiennent ou doivent appartenir (par héritage) à ce genre d'hommes seront revendiqués au bénéfice de notre fisc comme biens caducs.
Les intestabiles avaient ainsi contre eux la vindicatio caducaria, une action publique ouverte sur des biens n'ayant pas pu être acquis pour cause de défaut de capacité de leurs destinataires à être institués par voie testamentaire, biens qui devenaient, pour cette raison, caducs83 La dénonciation des biens susceptibles d'être revendiqués comme caducs était à l'initiative des avocats du fisc ou des delatores fisci 84 • En outre, les parents non chrétiens d'enfants convertis au christianisme se voient interdire le « droit de les déshériter, de les passer sous silence dans un testament ou de leur léguer une part moindre que celle qu'ils pourraient recevoir s'ils étaient appelés à hériter selon la règle de l'intestat ». Une constitution de Valentinien III du 8 avril 426 vise par ces mots les parents juifs - elle est de ce fait insérée dans le titre 8 du livre XVI - qui seraient tentés de sanctionner leurs enfants apostats en les exhérédant - c'est-à-dire
Valentinien. 4 mai 389 (c. Th.• XVI, 5, 17). La notion de biens caducs remonte à la législation caducaire d' Auguste (lex Julia de 18 av. J-c. et lex Papia Poppœa de 9 ap. J-c.) qui attribuait au Trésor tout ou partie des successions que ne pouvaient recueillir les héritiers célibataires ou sans enfants. Le qualificatif de caduca s'appliquait à d'autres biens successoraux auxquels le fisc prétendait, telles les choses léguées à un Latin Junien à qui était refusée, en raison de son indignité, la capacité de' recueillir un legs ou des successions. Cf. J-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil.... op. cit.• p. 84 et 1307. 84 Sur la procédure de la vindicatio caducaria. cf. R. Delmaire. Largesses sacrées..., op. cit., 82 83
p.610-620.
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en les déshéritant formellement - ou en ne leur accordant pas leur part légitime 85 Si iudœi vel samaritœ filius flliave seu nepos, unus aut plures, ad christianœ religionis lucem de tenebris propriœ superstitionis consilio meliore migraverint, non liceat eorum parentibus, id est patri vel matri, avo vel aviœ, exheredare vel in testamento silentio prœterire vel minus aliquid eis relinquere, quam poterant, si ab intestato vocarentur, adipisci. quod si ita forsitan evenerit, iubemus eum ab intestato rescissa voluntate succedere, libertatibus, quœ in eodem testamento datœ juerint, si intra legitimum numerum sunt, suam obtinentibus firmitatem. Si quid maximum crimen in matrem patremve, avum vel aviam tales fllios vel nepotes commisisse aperte potuerit comprobari, manente in eos ultione legitima, si accusatio interea iure processerit, parentes tamen sub tali elogio, cui subpeditabunt probabilia et manifesta documenta, solam eis falcidiam debitœ successionis relinquant, ut hoc saItem in honorem religionis electœ meruisse videantur, manente, ut diximus, criminum, si probata fuerint, ultione 86 • Si un fils ou une fille, un petit-fils ou une petite-fille d'un juif ou d'un Samaritain, un seul ou plusieurs prenant une meilleure disposition de vie, quittaient les ténèbres de leur superstition pour entrer dans la lumière du christianisme, leurs parents, c'est-à-dire leurs père et mère, grands-pères ou grands-mères, n'auront pas droit de les déshériter, ni de les passer sous silence dans un testament, ni de leur léguer une part moindre que celle qu'ils pourraient recevoir s'ils étaient appelés à hériter selon la règle de l'intestat. Si cela se produisait, Nous ordonnons que la volonté du défunt soit cassée, et qu'il y ait succession par intestat. Les affranchissements concédés dans ce testament garderont leur validité, pourvu qu'ils ne dépassent pas le nombre prévu par la loi.
Enfin, les apostats étaient, par une loi du 11 mai 391, frappés d'une dernière incapacité. Cette constitution rappelle les déchéances civiles décrites plus haut, mais ajoute que les condamnés seront «interdits de témoignage87 ». Maria Pia Baccari souligne l'extrême gravité de ce type de peine qui empêchait, en pratique, les citoyens qui en étaient frappés, non seulement
85 Celui qui désirait déshériter ses sui ne pouvait pas se contenter de les passer sous silence dans son testament, mais devait réaliser un acte formel, l'exhérédation. Mais il ne suffisait pas de nommer ses enfants dans le testament. Encore fallait-il réellement leur laisser quelque chose. Les sui qui n'avaient pas touché leur part légitime pouvaient obtenir l"allnulation du testament par la querela inofficiosa testamenti déjà évoquée. Cf. l-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil... , p. 1228-1229 et 1286. 86 Valentinien III, 8 avri1426 Cc. Th., XVI, 8, 28). er 87 Théodose 1 , 11 mai 391 Cc. Th., XVI, 7, 4) « li, qui sanctam fidem prodiderint et sanctam baptisma profanaverint, a consortio omnium segregati sint, a testimoniis alieni (...].
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de témoigner en justice, mais, plus généralement, de réaliser aucun acte juridique88 . Entre le début et la fm du Ive siècle furent ainsi mises en place contre les candidats à la conversion au judaïsme des mesures efficaces qui encourageaient un système de délation. La peine de confiscation prévue dans la loi de Constance donnait espoir aux delatores de récupérer par la voie de la petitio les biens confisqués des condanmés, et les peines d'intestabilité édictées sous Théodose et Gratien poussaient la propre famille de l'apostat à engager contre lui et jusqu'après sa mort des poursuites pénales. Mais les délations semblent avoir surtout émané de ceux qui appartenaient à la domesticité des juifs et avaient été convertis au judaïsme, c'est-à-dire les esclaves. L'esclave n'étant pas maître de sa personne, .il ne risquait pas, contrairement à l'homme libre, de condanmation89 En outre, il avait tout intérêt à dénoncer le maître90 juif qui avait ordonné sa circoncision et l'avait converti, car, on le verra, des lois lui promettaient, en échange de cette délation, la liberté. On comprend comment, dans ces conditions, il était fatal que beaucoup d'affaires remontent à la connaissance des tribunaux et suscitent des jurisprudences, ce qui explique, selon nous, le nombre important de lois relatives aux esclaves des juifs qui nous sont parvenues par le Code Théodosien. Le titre 9, Ne christianum mancipium Iudœus habet, du livre XVI est spécialement dédié à la question.
88 Cf. M. P. Baccari, « Gli apostati nel Codice Teodosiano », in Apollinaris, n° 54, 1981, p.567-568. 89 En effet, il n'y avait guère sens à ce qu'un honune libre ne dénonce devant un tribunal sa circoncision et sa conversion au judaïsme. EÛt-il regretté son geste. il risquait tout de même de se voir. avec le juif qui l'avait converti, condamné à des peines sévères que nous avons décrites plus haut. Une constitution du Il mai 391 avait de fait averti qu'il n'y aurait pas de pardon contre les perditi qui auraient profané le sanctum baptisma. Cf. Valentinien, 11 mai 391 (c. Th.• XVI. 7. 4). Pour un commentaire de cette constitution, cf. M. P. Baccari. « Gli apostati... ». op. cit.• p. 569-570. 90 Les empereurs. de Constantin à Théodose, encouragent la délation de crimes spéciaux comme la désertion. le faux-monnayage, la lèse-majesté et généralement les crimes religieux. Ils y incitent non seulement les hommes libres par la promesse de récompenses, mais également les esclaves en échange de la liberté. Ainsi cette loi de 380 (VII. 18.4, l),qui incite les esclaves à dénoncer leur maître déserteur. Cf. Y. Rivière, Les Délateurs.... op. cit.• p. 308311.
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SECTION II. LE PROBLÈME PARTICULIER DES ESCLAVES PAÏENS ET CHRÉTIENS DES JUIFS
On peut déterrhiner deux grands enjeux de la législation relative aux esclaves des juifs. Elle vise d'abord à combattre la pratique de la circoncision et, en ce sens, ne fait que prolonger un interdit qui remonte au Haut-Empire. Elle est ensuite destinée à combattre le prosélytisme juif vers les chrétiens. L'idée que le salut des esclaves chrétiens pouvait se trouver compromis à cause de leur condition apparaissait insupportable. Dans la ligne de la pensée stoïcienne, le christianisme considérait que la servitude du corps ne devait pas pour autant impliquer celle de l'âme91 • Il faut ajouter que cette position était également partagée par les Sages du Talmud, qui soulignaient que l'acquisition d'un esclave était un acte de piété, dans la mesure où elle ouvrait à cet homme la voie du salut dans la connaissance du Dieu d'Israël. En conséquence, il était vigoureusement interdit de vendre ces hommes à des étrangers, le vendeur étant menacé d'une amende correspondant à dix fois le prix qu'il avait payé lors de l'acquisition de l'esclave92 • A. La législation constantinienne Constantin et son fils Constantin Il nous ont livré deux importantes constitutions, datées du 21 octobre 335 et du 13 août 339. Elles réitèrent toutes deux l'interdiction de la circoncision des esclaves qui remontait au principat. La loi de Constantin II pose en outre les bases du régime destiné à protéger du prosélytisme juif les esclaves chrétiens. 1. La loi de Constantin du 21 octobre 335 contre la circoncision des esclaves
La circoncision des esclaves était couramment pratiquées par les maîtres juifs. De fait, ce rituel, considéré depuis le Ive siècle av. J.-C. comme le signe de l'Alliance avec le Dieu d'Israël, devait, selon la Torah, être réalisé non seulement sur les fils (à l'âge de huit jours), mais également sur les esclaves nés dans la maison ou acquis à l'âge adulte 93 • Comme l'explique Giovanni De Bonfils, des Sages du Talmud, depuis la période du Second Temple, remettaient pourtant en cause le caractère obligatoire de cette règle. Ainsi, certains assuraient que la Loi autorisait de garder en sa possession des non-circoncis. Mais rabbi Akiva (début du Ile siècle) interdisait au contraire
Gaudemet, L'Église dans l'Empire romain (IV".V' siècles), Paris, 1958, p. 564-567. G. De Bonfils, Gli ebrei dell'impero di Roma, Bari, 2005, p. 69. Gn XVII, 10-14, et Lv XII, 3.
911. 92 93
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fonnellement de garder chez soi, ne fût-ce qu'un seul jour, un esclave venu du monde des idolâtres94 • La loi du 21 octobre 335 combat cette pratique. Nous disposons de deux versions du texte. L'une provient du Code Théodosien et n'en livre que la partie dispositive, l'autre nous est parvenue par la collection dite de Sirmond et est plus développée95 • Si quis Iudœorum Christianum manclplum vel cuiuslibet alterius sectœ mercatus circumciderit, minime in servitute retineat circumcisum, sed libertatis privilegiis, qui hoc sustinuerit, potiatu,96. Si quelqu'un parmi les juifs achète un esclave chrétien ou de quelque autre secte et le circoncit, il n'aura aucun droit à retenir en servitude la personne ainsi circoncise ; bien au contraire, celui qui aura subi ce traitement pourra bénéficier des privilèges de la liberté. Iam dudum quidem constitutionis nostrœ saluberrima sanctio promulgata est, quam nostrœ repetitœ legis veneratione geminamus, ac volumus, ut, si quispiam Iudœorum Christianum mancipium vel cuiuslibet alterius sectœ mercatus circumcidere non perhorruerit, circumcisus quidem istius statuti mensura libertatis conpos effectus eiusdem privilegiis potiatur non Jas Iudœo sit qui circumciderit mancipium generis memorati in obsequium servitutis retinere97 • Il y a longtemps déjà qu'a été promulguée la très salutaire décision de notre constitution: nous la réitérons en vertu de la vénération (due) à notre loi réaffirmée et nous voulons que si un juif, ayant acheté un esclave chrétien ou de quelque autre secte, n'a pas hésité à le circoncire, ce circoncis, ayant retrouvé sa liberté, en vertu de cette décision, jouisse des privilèges qui y sont attachés. Qu'il ne soit pas permis à un juif qui a circoncis un esclave de la catégorie ci-dessus mentionnée de le maintenir dans son service d'esclave.
La version sinnondienne de la loi n'ajoute rien en substance, on le voit, au texte du Théodosien. Nous n'avons donc pas à tenir compte ici de la controverse récemment renouvelée par Élisabeth Magnou-Nortier quant à l'authenticité des Sirmondiennes, dont certaines constitutions auraient été
G. De Bonfils, GU ebrei... , op. cit., p. 68. Le nom vient du père Jacques Sirmond qui, en 1631, a réalisé la première édition complète de cette petite collection de constitutions impériales (16 à 21 constitutions). Sur les différentes éditions qui ont suivi, cf. M. Vessey, « The ûrigins of the Collectio Sirmondiana A New Look at the Evidence », in 1. Harries, 1. Wood, The Theodosian Code. Studies in the Imperial Law in Late Antiquity, Londres, 1993, p. 181-184. 96 Constantin, 21 octobre 335 (C. Th., XVI, 9, 1). 97 Constantin, 21 octobre 335 (Sirm. 4). 94 95
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inventées de toutes pièces et d'autres détournées de leur objet initial par un faussaire lyonnais du milieu du VIlle siècle. Comme on l'a dit, la loi de 335 n'était pas la première du genre. On se souvient qu'Hadrien avait déjà interdit la circoncision dans les années 119120. Joseph Mélèze-Modrzejewski explique que cette interdiction s'insérait dans la continuité de la législation condamnant la castration des esclaves98 • Domitien avait déjà, à la fm du 1er siècle, « interdit de faire châtrer les mâles et réglementé le prix des eunuques qui étaient restés disponibles chez les marchands d'esclaves 99 » ; aussitôt après, sous Nerva, en 97, un sénatusconsulte avait puni les castrateurs de la confiscation de la moitié de leurs biens 100. Le jurisconsulte Marcianus (me siècle) nous apprend qu'un autre sénatus-consulte, voté sans doute sous le règne de Trajan, avait durci la peine en étendant au crime de castration les sanctions prévues par la lex Cornelia de sicariis et ueneficiis (loi de Sylla de 81 av. J.-C.) contre le meurtre et l'empoisonnement, à savoir la confiscation du patrimoine et la déportation ou la mort 101 • Ce dernier sénatus-consulte aurait, de l'avis de Marcianus, visé à prévenir la castration des esclaves réalisée à des fins érotiques ou commerciales, une explication reprise par le Pseudo-Paul (fin du me siècle) pour qui une telle opération était faite « par volupté ou pour des raisons commerciales ». Joseph Mélèze-Modrzejewski met ces commentaires en regard avec un passage des Satires de Juvénal «C'est pour le plaisir de sa maîtresse qu'un bel adolescent est fait eunuque 102 • » Un témoignage à peu près contemporain de notre loi révèle l'horreur que suscitait la castration des esclaves et impute encore cette pratique à la libido des Romaines de l'aristocratie. Ainsi, Ammien Marcellin décrit ces gens riches entourés d'« une armée d'eunuques, depuis les vieux jusqu'aux enfants, livides et hideux avec leurs articulations disloquées, si bien que partout où l'on porte ses pas, on ne voit que des troupes d'hommes mutilés et l'on maudit la mémoire de Séminaris, cette reine du temps jadis qui la toute première fit châtrer de jeunes mâles 103 )). Une loi contemporaine de celle qui interdit la circoncision des esclaves - elle
98 Les arguments développés dans ce qui suit empruntent à J. Mélèze-Modrzejewski, « "Filios suos tantum" », op. cit., p. 124-125. 99 Suétone, Domitien, 7, 1. 100 Venuleius Saturninus, D., 48, 8, 6. 101 Marcianus, D., 48,8,3,4. Le choix entre la déportation et la peine capitare était fonction du rang social du coupable. 102 Juvénal, Satire 6, 358-373. La castration subie après la puberté n'anéantissait pas la capacité virile et garantissait aux dames romaines de la haute société, suggère Juvénal, des rapports sexuels stériles. 103 Ammien Marcellin, Rerum Gestarum, XIV, 6 (t. J, Les Belles Lettres, 1968, p. 78).
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date de 325 ou de 337 (c. I., IV, 42, 1) - punit d'ailleurs encore la castration des esclaves sous peine de confiscation, preuve que la pratique perdurait. Mais comment le législateur en était-il venu de l'interdiction de la castration à celle de la circoncision? Comme le montre Joseph MélèzeModrzejewski, l'amalgame entre les deux pratiques remonte à un rescrit d'Hadrien lO4 • Conservé au Digeste grâce au jurisconsulte Ulpien, ce texte dit «Si quelqu'un agit contre mon édit, le médecin qui excisera subira la peine capitale, de même que celui qui se prêtera de son plein gré à l'excision. » Le verbe excidere pourrait certes bien faire référence à la castration, mais le passage ferait alors doublet avec la première partie de la loi qui interdisait déjà à quiconque « de châtrer un homme, libre ou esclave, que ce soit contre sa volonté ou avec son accord » et de « se prêter soi-même à la castration ». Excidere n'avait donc sans doute pas pour complément implicite le mot testiculos, mais prœputium, le droit ne faisant qu'entériner la confusion qui régnait dans les esprits à propos de ces deux types d'opérations concernant les parties génitales. On a déjà signalé qu'un rescrit d'Antonin le Pieux avait accordé aux juifs le privilège de réaliser la circoncision, mais uniquement sur leurs fils 105 Modestin rapporte en effet que Circumcidere ludœis fllios suos tantum rescripto divi Pii permittitur : in non eiusdem religionis qui hoc fecerit, castrantis poena irrogatur l06 Un rescrit du divin Antonin le Pieux a perris aux juifs de circoncire leurs fils, et eux seuls quiconque le fera sur quelqu'un qui n'est pas de cette même religion subira la peine prévue pour la castration.
Siro Solazzi a signalé que le « quelqu'un » désignait sans doute plus précisément l'esclave 107 Il a remarqué que le passage « in non eiusdem religionis » avait nécessairement été mutilé, la préposition in commandant normalement un complément d'objet. Or, le texte fait suite à deux paragraphes qui traitent, l'un du servus ad bestias datus, l'autre de la potestas revenant aux patrons post legem Petroniam et sentatus consulta ad eam pertinentia. Il propose donc, compte tenu du contexte, de restituer le texte original comme suit «in servis non eiusdem religionis qui hoc fecerit. .. » (quiconque le fera sur des esclaves qui ne sont pas de cette religion...). Un passage des Sentences du Pseudo-Paul rappelle le même interdit
104 105 106 107
Cf. 1. Mé1èze-Modrzejewski, « "Filios suas tantum" », op. cit., p. 113-117. Cf. chap. I, p. 66. Modestin, D., 48, 8, Il S. Solazzi, « Fra nonne romane antisemite », in BIDR, n° 44, 1936-1937, p. 396-367.
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Iudœi, si alienœ nationis comparatos servos circumciderint. aut deportantur aut capite puniuntur l08 • Si des juifs font circoncire des esclaves achetés appartenant à une autre nation, qu'ils soient déportés ou subissent la peine capitale.
On constate ainsi que, à la fin du Ille siècle, les coupables risquaient toujours les peines prévues par la Lex Cornelia contre la castration, c'est-àdire la confiscation du patrimoine et la déportation ou la mort. Le passage qui précède ce texte dans les Sentences condamne également les hommes libres, «citoyens romains », qui «acceptent de se faire circoncire »109, tout comme le rescrit d'Hadrien qui interdisait indifféremment de châtrer « un homme, libre ou esclave, que ce soit contre sa volonté ou avec son accord llo ». Mais il faut supposer qu'en pratique, les esclaves seuls dénonçaient auprès des tribunaux une opération qu'ils avaient probablement subie contre leur gré. Certes, le Talmud imposait que le consentement de l'esclave soit pris en compte. Pendant le Ille siècle, rabbi Joshua ben Lévi avait imposé l'opinion selon laquelle, en face du refus de l'esclave de recevoir la circoncision, son maître devait le garder douze mois. Au terme de ce délai, si l'esclave demeurait ferme dans sa décision, son propriétaire devait le revendre à un idolâtre lll . Cependant, on peut facilement imaginer que cette règle n'était pas respectée par les maîtres juifs, compte tenu du rapport de force entre maîtres et esclaves. Que la volonté des esclaves ait ou non été respectée, qu'ils aient ou non consenti au départ à l'opération, ils devaient être tentés, par la suite, de se retourner contre leurs maîtres. Ils n'avaient en effet qu'à gagner à dénoncer la circoncision qu'ils avaient subie, comme il apparaît dans la loi de Constantin de 335 où on lit que le servus circoncis pourra, une fois enlevé à son dominus juif, « bénéficier des privilèges de la liberté ». Il faut noter que décider ainsi que l'esclave libéré acquerra de facto la condition d'homme libre sans qu'il soit nécessaire d'en passer par l'acte formel de la manumissio contraste avec le principe traditionnel du droit romain selon lequel le servus sine domino n'en perdait pas pour autant son statut d'esclave. Cette mention est assurément conforme aux exigences de la morale chrétienne qui tentait d'améliorer le sort des esclaves. Il semble donc que cette loi, comme celle du 18 octobre 329, porte la marque d'un auteur ecclésiastique. Pour Edoardo Volterra, elle doit être
108 109 110 111
Pauli Sent., V. 23, 13. Pauli Sent., V, 3. Ulpien, D., 48, 8, 4, 2. G. De Bonfils. Gli ebrei..., op. cil., p. 68-69.
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rapprochée de la loi de 331 (c. Th., V, 9, 1) à laquelle nous avons déjà fait allusion plus haut ll2 , qui fixe qu'un esclave abandonné à la naissance peut devenir de facto un civis. L'exposé est appeléfilius, ce qui implique qu'il est considéré comme ingenuus. Or, dans le droit traditionnel, la derilectio (renoncement du maître à son droit de propriété) n'avait pas pour effet de transformer la condition juridique du servus. Tant la loi de 331 que celle du 18 octobre 329 tranchaient donc radicalement avec la législation traditionnelle, toujours en vigueur au début du règne de Constantin ll3 . Constantin semble s'être préoccupé plus particulièrement du sort des esclaves chrétiens, dont il aurait interdit aux juifs l'acquisition. La loi de 335 fait en effet allusion à une constitution perdue «Il y a longtemps déjà qu'a été promulguée la très salutaire décision de notre constitution. » Or, Eusèbe de Césarée affirme que Constantin avait interdit aux juifs de posséder des esclaves chrétiens sous peine d'amende et de libération de ces esdaves 1l4 . Une loi de Théodose II fait allusion, elle aussi, à une« Constantiniana lex », mais elle contredit la loi mentionnée par Eusèbe, dans la mesure où elle indique que les esclaves confisqués ne seront pas libérés mais attribués aux églises « Quant aux esclaves de sainte communion chrétienne, s'il en détient, qu'ils soient rattachés à l'Église selon la loi de Constantin 115 • » Le propos réel de cette loi perdue demeure donc incertain. Du moins peut-on supposer que la question avait occupé Constantin et que la loi de Constantin II que nous allons examiner maintenant, loi qui fixe un sort particulier pour les esclaves chrétiens des juifs, n'était pas la première du genre. 2. La loi de Constantin II du 13 août 339 contre l'acquisition par les juifs d'esclaves non juifs
La loi de Constantin II 1I6 du 13 août 339 est découpée en deux fragments répartis aux titres 8 et 9 du livre XVl ll7 Cf. supra, p. 143. F. V., 33 ; C. Th., XI, 27, 1 ; C. Th., XII, 27, 2, et C. Th., IV, 8,6. 114 Eusèbe de Césarée, Vita Constantini, IV, 27 (éd. F. Winkelmann, Die Textbezeugung der Vita Constantini des Eusebius von Cœsarea, Berlin, 1962; trad. angl. A. Cameron et S. G. Hall, Life of Constantine, Oxford, 1999). 115 Théodose II,22 octobre 415 (c. Th., XVI, 8, 22). 116 Sur l'attribution de cette loi à Constantin II et non à Constance, cf. A. Linder, fR/L, op. 112
113
cit., 144-145. l17 La constitution étant adressée à un certain Évagre, la Prosopography of the Late Roman Empire l'identifie au préfet du prétoire d'Orient de Constantin qui officia dans les années 326 et 329-331 (PLRE, l, Evagrius 1). Elle propose donc de corriger la date du texte en le faisant remonter à l'année 329, suggérant ainsi qu'il serait un fragment d'un ensemble législatif comprenant également la loi 8, 1 du 18 octobre 329. Mais, comme le souligne Roland
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Si aliquis iudœorum mancipium sectœ alterius seu nationis crediderit comparandum, mancipium fisco protinus vindicetur Si vero emptum circumciderit, non solum mancipii damno multetur, verum etiam capitali sententia puniatur. Quod si venerandœ fidei conscia mancipia iudœus mercari non dubitet, omnia, quœ aput eum repperiuntur, protinus auferantur nec interponatur quicquam morœ, quin eorum hominum qui christiani sunt possessione careat118 • Si quelqu'un parmi les juifs croit pouvoir acheter un esclave d'une autre secte ou d'une autre nation, cet esclave sera immédiatement revendiqué en faveur du fisc. Mais s'il avait circoncis l'esclave acheté, il sera sanctionné non seulement par la perte de cet esclave, mais par une sentence capitale. Si un juif n'hésite pas à acheter des esclaves qui participent à la vénérable foi, lui seront immédiatement enlevés tous ceux que l'on trouvera chez lui, et il perdra sans aucun délai la possession de ces hommes qui sont chrétiens.
Le texte interdit au maître juif d'acheter « un esclave d'une autre secte ou d'une autre nation ». Celui qui aura acquis un esclave non juif se le verra « immédiatement revendiquer en faveur du fisc ». On remarque que l'esclave confisqué ne changera pas pour autant de condition. La loi de 335 était entrée à ce point en contradiction avec le droit en vigueur qu'elle avait été abandonnée 119 L'esclave incorporera les res fiscales et deviendra esclave fiscal 120. Les esclaves fiscaux pouvaient alors être versés aux ateliers ou aux domaines du fisc, mais aussi être concédés par l'empereur à des particuliers (petitores) qui en solliciteraient la concession, ou même être revendus l21 • Comme le souligne Edoardo Volterra, l'auteur de la loi est
Delmaire, l'achat d'esclaves chrétiens par des juifs était encore autorisé à l'époque de la loi du 21 octobre 335. Il faut donc sans doute conserver la date de 339 indiquée par le Code Théodosien. Cf. R. Delmaire, Largesses sacrées... , op. cit., p. 609, n. 14. 118 Constance n, 13 août 339 Cc. Th., XVI, 9, 2). 119 C'est seulement deux siècles plus tard, dans les Novel/es de Justinien, qu'est affirmé définitivement le principe selon lequel le servus sine domino, le servus derelictus, est libre (D., 48,8,2). 120 Les cas de confiscation d'esclaves sont prévus dans plusieurs lois si un maître fait passer son esclave chez autrui pour réclamer ensuite une indemnité Cc. J., VI, 1,4 = 317) ; en cas d'union d'un décurion avec une esclave, pour les esclaves complices Cc. Th., XII, 1, 6 = 319) ; si l'on fait affranchir l'esclave d'autrui par l'empereur, on doit en rendre trois ou en donner trois au fisc Cc. Th., IV, 9,1 : 319) ; l'esclave fait eunuque Cc. I., IV, 42,1 = 325337) ; pétition de liberté sans fondement Cc. Th., IV, 8, 9 = 332) ; esclave servant comme tabularius Cc. Th., VIII, 2, 5 = 401) ; enfin l'Ep. 10 d'Augustin cite une loi d'Honorius confisquant les esclaves africains que l'on tente de vendre outre-mer. Cf. R. Delmaire, Largesses sacrées... , op. cit., p. 608-609. 121 R. Delmaire, Largesses sacrées... , op. cit., p. 603 et 608.
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manifestement, cette fois, un fonctionnaire de la chancellerie, esprit conservateur, respectueux de l'institution traditionnelle de l'esclavage. La sanction sera plus lourde si les esclaves achetés «participent à la vénérable foi ». Le fisc enlèvera non seulement les chrétiens nouvellement acquis, mais également ceux qui appartenaient déjà de plus longue date à la domesticité du maître juif. Enfin, la législation traditionnelle contre la circoncision est rappelée le maître juif qui aura circoncis son esclave subira la peine capitale 122 • Le second paragraphe de la loi de 339 dispose ceci Quod ad mulieres pertinet, quas iudœi in turpitudinis suœ duxere consortium in gynœceo nostro ante versatas, placet easdem restitui gynœceo idque in reliquum observari, ne christianas mulieres suis iungant flagitiis vel, si hoc fecerint, capitali periculo subiugentur123 • En ce qui concerne les femmes que des juifs, dans leur turpitude, ont emmenées dans leur communauté et qui appartenaient auparavant à notre gynécée, nous décidons qu'elles lui soient restituées. On prendra gare à l'avenir qu'ils n'associent pas de femmes chrétiennes à leurs ignominies et, s'ils le faisaient, ils seraient soumis à la peine capitale.
Le texte ordonne la restitution de femmes issues du gyneceum de l'empereur et qui se trouvent chez des juifs. Le terme de gyneceum était, au IVe siècle, synonyme de textrinum, atelier de tissage et de filature, car la main-d'œuvre qui y travaillait était majoritairement féminine 124 • Ces ateliers étaient supervisés par des procurateurs dépendant du cames sacrarum largitorum, le responsable à la cour des Trésors et Largesses impériales, car on y confectionnait des vêtements pour les besoins des fonctionnaires et des soldats. On pourrait croire que les juifs avaient enlevé ces ouvrières textiles en vue d'un mariage. Notre loi constituerait alors un premier témoignage d'interdiction des unions matrimoniales entre juifs et chrétiens. Nous avons cependant
122 Si la constitution de Constantin de 335 ne déterminait pas la nature de la peine, ceci, pensons-nous, doit être mis sur le compte d'une simple omission. On sait que nombreuses étaient les lois impériales qui ne précisaient pas le type de sanction encourue. La loi consignée dans les Pauli Sententiœ prévoyait déjà, de toute façon, cette peine. Il n'y a aucune raison, bien au contraire, de croire que l'auteur chrétien de la loi de 335 avait entendu adoucir la sévérité des sanctions. 123 Constance II, 13 août 339 Cc. Th., XVI, 8, 6). 124 Sur les manufactures impériales de textile, cf. 1. P. Wild, « The Gynaeceum at Venta and its Context », in Latomus, n° 26-2, 1967, p. 648-676, et N. Charbonnel, « La condition des ouvriers dans les ateliers impériaux aux IV· et V· siècles », in Aspects de l'Empire romain, 1964, Paris, p. 61-92.
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préféré traduire l'expression « duxere in consortium» par « emmener dans leurs communautés », même s'il est vrai que cette expression désigne bien le mariage dans d'autres contextes 125 C'est que les ouvrières du gynécée n'avaient sans doute pas le statut de femmes libres. Des constitutions du livre X, titre 20 consacré aux « murilegulis et gynœceariis et monetariis et bastagariis », désignent en effet les ouvrières textiles comme des mancipia, le gynécée comme une familia (maison d'esclaves) et qualifient le mariage des hommes du gynécée de contubernium (unions entre esclaves)126. Rappelons en outre que ce paragraphe fait suite à une disposition concernant les esclaves des juifs, ce qui suggère que le propos concerne bien toujours des personnes non libres127 Le même titre 20 consacré aux ateliers impériaux traite le problème manifestement récurrent - il revient dans pas moins de six lois 128 - de la fuite des esclaves. Ils bénéficient, nous apprennent les textes, de complicités de la part de leurs nouveaux maîtres qui les dissimulent chez eux. La répression ne vise pas tant les fugitifs que ceux qui les hébergentl29 , qui sont menacés d'une amende de 5 livres d'or. Les esclaves des ateliers étaient en effet d'une grande valeur, en raison du savoir-faire qu'ils avaient acquis dans les manufactures publiques ; ils étaient, pour cette raison, particulièrement prisés par les riches particuliers. Ammien Marcellin témoigne que les aristocrates «traînent derrière eux une armée d'esclaves» dont «des serviteurs chargés du tissage »130. Peut-être ces gens allaient-ils jusqu'à enlever eux-mêmes les esclaves, bénéficiant de la complicité du procurator rei privatœ gynacœci (fonctionnaire subordonné au rationalis summarum de la province, lui-même responsable devant le comes sacrarum largitorum) dont la vénalité est dénoncée dans les lois (c. Th., J, 32, 2 et X, 4, 1). Nous saisissons donc mieux ce qui a pu se passer en 339. Des juifs ont recueilli des ouvrières en fuite - ou ont soudoyé le procurator du gynécée et affecté ces précieuses esclaves à leurs textrina privés. On sait par exemple que des juifs palestiniens tenaient en Galilée des centres de fabrication textile. On se souvient d'ailleurs qu'une révolte avait éclaté en ces lieux en 354.
125 Sur les différents sens possibles du mot consortium dans le Code Théodosien, cf. A. Linder, JRIL, op. cit., p. 150. 126 C. Th., X, 20, 2,7,9 et X, 20, 3. 127 Dans le même sens, cf. H. S. Sivan, «Jewish-Gentile/Christian M:miage in Late Antiquity », in REJ, n° 156, 1-2, 1997, p. 91-95. 128 C. Th., X, 20, 2, 5, 6, 7, 8, 9. 129 Les textes se contentent de rappeler les esclaves. D'ailleurs, quelle punition infliger? Cf. N. Charbonnel, « La condition des ouvriers... », op. cit., p. 61-92. 130 Ammien Marcellin, Rerum Gestarum, op. cit., p. 78.
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Michael Avi-Yonah l'assimile à une révolte corporatiste faisant suite précisément à la loi de 339 qui aurait entraîné des conséquences désastreuses sur l'économie de ces ateliers l3l . Il demeure que le texte présente une différence notable avec le régime de répression prévu dans le titre 20. Alors que ceux qui hébergent les esclaves en fuite risquent, on l'a dit, une amende, les juifs sont menacés de mort. L'auteur de la loi les accuse - et cette accusation n'apparaît jamais contre les autres maîtres - d'avoir associé les ouvrières à leur flagitum, ce qui est une allusion assez explicite à des relations intimes entre ces femmes et leurs maîtres. Or, les amours ancillaires étaient chose courante dans la société esclavagiste romaine. Le législateur ne s'offusque donc de cette pratique que parce que les maîtres sont juifs et que les femmes se trouvent être chrétiennes. Le pouvoir admettait déjà difficilement la présence de chrétiennes dans les gynécées, car l'origine de leur asservissement remontait, pour certaines, à l'époque des persécutions. Sozomène nous apprend ainsi que Constantin « avait dans une loi proclamé une absolution générale pour tous ceux qui, à cause de leur confession dans le Christ, avaient été condamnés [...] à servir dans les ateliers de femmes ou les fabriques de toile de lin 132 ». Dans la logique du premier paragraphe de la loi qui menaçait de mort les atteintes au corps des esclaves par la circoncision, le législateur frappe de la même sanction les atteintes sexuelles portées contre les femmes.
B. Les prolongements de la législation à l'époque théodosienne Le 22 septembre 384, l'empereur Théodose 1er adressa une constitution à Maternus Cynegius qu'il venait de nommer à la préfecture du prétoire d'Orient. Cet homme, espagnol comme l'empereur et de longue date son fidèle, avait mené une carrière politique fulgurante. Vicaire en 381, questeur du Palais en 383, il devait demeurer à la tête des provinces orientales de 384 jusqu'à sa mort en 388 133 Or, ce Maternus Cynegius était un catholique activiste qui n'hésitait pas à utiliser la terreur contre ses adversaires religieux 134. Tony Honoré a montré que la constitution du 20 mai 383 contre les chrétiens apostats et celles du 25 juillet 383 et du 3 décembre 383 contre les hérétiques étaient de sa plume, reconnaissable à son style exalté, grandiloquent, sonore et répétitif. La loi du 22 septembre 384, dont le ton est
M. Avi·Yonah, The Jews of Palestine... , op. cit., p. 176·181. Sozomène, Historia Ecclesiastica, l, 8, 3 (Sources chrétiennes, 1983. p. 141). 133 T. Honoré, Law in the Crisis... , op. cit., p. 33·34. 134 Sitôt devenu préfet du prétoire en 384, il envoya ses troupes détruire les temples païens en Égypte. Cf. chap. IV, p. 83 et suiv. 131
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plus sobre, est l' œuvre de son successeur à la questure, mais il ne fait pas de doute, toujours selon Tony Honoré, qu'elle a été impulsée par le préfet Cynegius 135 En voici le texte, qui nous est parvenu par l'intennédiaire du Bréviaire d'Alaric Ne quis omnino iudœorum christianum comparet servum neve ex christiano iudaicis sacramentis attaminet. Quod si factum publica indago compererit, et servi abstrahi debent, et tales domini congruœ atque aptœ facinori poenœ subiaceant addito eo, ut, si qui apud iudœos vel adhuc christiani servi vel ex christianis iudœi reperti fuerint, soluto per christianos competenti pretio ab indigna servitute redimantur l36 • Que personne parmi les juifs n'achète d'esclave chrétien ni ne le contamine par des sacrements judaïques et le convertisse du christianisme au judaïsme. Si une enquête publique révèle qu'il l'a fait, ces esclaves devront lui être enlevés et leurs maîtres soumis à une peine adaptée à un tel méfait. Nous ajoutons que si l'on découvrait chez des juifs des esclaves chrétiens, ou juifs venus de la chrétienté, ils seront sortis de cette indigne servitude contre un prix adéquat proposé par des chrétiens.
La première partie de la loi interdit l'achat et la conversion des esclaves chrétiens 137 Elle menace les contrevenants de la confiscation de l'esclave ainsi que d'une peine « adaptée à un tel méfait ». Ce dispositif est le même que celui de la loi de Constantin II de 339 qui interdisait l'acquisition d'esclaves chrétiens sous peine de confiscation de ces esclaves et frappait de la peine capitale le maître juif qui les aurait circoncis. La seconde partie - à partir de « nous ajoutons que... » - indique que ceux qui posséderont chez eux des esclaves chrétiens ou récemment convertis au judaïsme se les verront racheter en échange d'un « prix adéquat », ce qui est bien différent d'une confiscation. Certains commentateurs ont résolu la contradiction en affirmant que la disposition sévère (confiscation de l'esclave en faveur du fisc) visait à punir les acquisitions d'esclaves à venir, alors que la disposition plus douce (rachat de l'esclave par un chrétien) visait les délits présents 138. Mais Siro Solazzi conteste à raison cette interprétation, car la loi de 339 interdisait déjà
T. Honoré, Law in the Crisis..., op. cit., p. 51. Théodose, 22 septembre 384 (c. Th., III, l, 5). 137 La nouvelle loi n'aborde pas le problème des esclaves païens. Comment interpréter ce silence? Signifie-t-il que la loi de Constance II de 339 interdisant leur acquisition est abrogée? C'est difficile à dire, d'autant que les lois ultérieures ne traitent elles aussi que des esclaves chrétiens. Le pouvoir a-t-il toléré l'acquisition par des juifs d'esclaves païens? 138 Pour un compte rendu de cette discussion, cf. A. Linder, fRIL, op. cit., p. 175. 135
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l'acquisition des esclaves chrétiens. Le législateur de 384 n'avait donc aucune raison de tenir pour licite une situation interdite et d'accorder un sursis 139 L'interpretatio qui fait suite à la loi dans le Bréviaire d'Alaric nous fournit, comme l'a démontré cet auteur, la solution du problème Convenit ante omnia observari, ut nulli Iudœo servum christianum habere liceat, certe nullatenus audeat, ut christianum si habuerit, ad suam legem transferre prœsumat. Quod si fecerit, noverit se sublatis servis poenam dignam tanto crimine subiturum. Nam ante legem datam id fuerat statutum, ut pro christiano servo, si inquinatus fuisset pollutione iudaica, sciret sibi pretium quod dederat a christianis esse reddendum, ut servus in christiana lege maneret 140 • Il convient, avant tout, de prendre garde à ce que l'on ne pennette à aucun juif de posséder des esclaves chrétiens, et qu'il n'ose en aucun cas, s'il détient ce chrétien, le convertir à sa loi. S'il le fait, qu'il sache qu'on lui retirera ces esclaves et qu'il subira une peine adaptée à un tel crime. Car avant l'édiction de cette loi, il avait été statuté qu'il se verrait, en échange d'un esclave chrétien souillé par la pollution judaïque, donner par des chrétiens le prix qu'il en avait versé, de manière à ce que ce chrétien [l'esclave] puisse demeurer dans sa loi.
Le rachat des esclaves plutôt que leur confiscation pure et simple avait ainsi été prévu par une constitution postérieure à celle de 339, qui ne nous est pas parvenue et que la loi de 384 abroge. L'auteur des Interpretationes qui, selon l'estimation des spécialistes, était un Gallo-Romain du Ve siècle, aurait eu connaissance de cette loi dont il aurait décidé de rappeler le souvenir, en ajoutant au texte de 384 le passage commençant par «Car avant l'édiction de cette loi ». Au début du VIe siècle, les prudentes ayant réalisé le Bréviaire prirent à leur tour l'initiative, pour accorder le texte de la loi de 384 avec celui de l'interpretatio, de rédiger le passage qui commence par « addito eo », mais sans s'apercevoir que cet ajout contredisait le début de la loi l41 . La seconde partie du texte qui, rappelons-le, ne nous est pas parvenu par un manuscrit du Théodosien, mais par le Bréviaire, ne serait donc pas authentique. On apprend qu'en Italie, des individus cherchèrent à profiter de ce dispositif pour s'approprier des esclaves chrétiens qui se trouvaient en la possession de propriétaires juifs. Le didascale Anna et les Anciens des juifs, chefs de la communauté juive italienne, se plaignirent à la chancellerie
139
Cf. S. Solazzi, « Fra nonne romane antisemite », op. cit., p. 401-403.
140
Brev., III, 1, S.
141 Dans le même sens que Siro Solazzi, cf. G. De Bonfils, « C. Th., 3, 1, S e la politica ebraica di Teodosio 1 », in BIDR, nOs 92-93, 1989-1990, p. SO-S4.
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d'Honorius de ce que certains avaient « prononcé [contre les maîtres juifs) de fausses accusations » devant les tribunaux, prétendant - on l' imagine ~ que ces esclaves avaient été convertis au judaïsme. Par une constitution du 6 novembre 415, l'empereur donna instruction aux iudices (gouverneurs des provinces) de faire cesser ces « tracasseries» en « réprimant l'insolence de ceux qui en seraient venus à prononcer de fausses accusations par des requêtes précipitées » Absque calumnia prœcipimus iudœis dominis habere servos christianos hac dumtaxat condicione permissa, ut propriam religionem eos servare permittant. ideoque iudices provinciarum fide publicationis inspecta eorum insolentiam noverint reprimendam, qui tempestivis precibus insimulandos esse duxerint, omnesque subreptiones fraudulenter elicitas vel eliciendas vacuandas esse censemus. si quis contra fecerit, velut in sacrilegum ultio proferatur 142• Nous ordonnons que les maîtres juifs aient le droit de posséder, à l'abri de toute tracasserie, des esclaves chrétiens, à la condition toutefois qu'ils leur permettent de conserver leur propre religion. C'est pourquoi les gouverneurs de provinces doivent savoir qu'après avoir examiné la validité des déclarations publiques concernant les biens soumis à la confiscation, ils doivent réprimer l'insolence de ceux qui en seraient venus à prononcer de fausses accusations par des requêtes précipitées. Nous décidons que toutes ces subreptions engagées frauduleusement ou qui pourraient l'être seront annulées. Si quelqu'un agissait contre cette disposition, qu'il soit châtié en tant que sacrilège.
Dans les mêmes années, le gouvernement oriental précise la réglementation. Les juifs ne peuvent pas « acheter ni acquérir à titre de don» des esclaves chrétiens. Ils peuvent néanmoins conserver ceux qu'ils possèdent déjà ou qui leur seront dévolus par héritage ou fidéicommis, à condition, bien entendu, qu'ils ne les convertissent pas, faute de quoi ils subiront la peine capitale et la confiscation de leur patrimoine. La loi de Théodose II adressée le 10 avril 417 à Monaxius stipule Iudœus servum christianum nec comparare debebit nec largitatis titulo consequi. qui non hoc observaverit, dominio sibi petulanter adquisito careat, ipso servo, si quod fuerit gestum sua sponte duxerit publicandum, pro prœmio libertate donando. verum ceteros, quos rectœ religionis participes constitutos in suo censu nefanda superstitio iam videtur esse sortita vel deinceps hereditatis seu fideicommissi nomine fuerit consecuta, sub hac Lege possideat, ut eos nec invitos nec volentes cœno propriœ sectœ confundat, ita ut, si hœc forma fuerit
142
Honorius, 6 novembre 415 Cc. Th., XVI, 9, 3).
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vialata, sceleris tanti auctores capitali poena proscriptione comitante plectantur143 • Un juif ne devra ni acheter ni acquérir à titre de don un esclave chrétien. Si
quelqu'un n'observait pas cette règle, qu'il soit privé du pouvoir qu'il a acquis impudemment. Quant à l'esclave, s'il a jugé bon de rendre public spontanément ce fait, on lui donnera en récompense la liberté. Mais tous les autres esclaves, membre de la religion juste, que la détestable superstition a déjà comptés dans son cens, ou qu'elle a acquis plus tard à titre d'héritage ou de fidéicommis, un juif pourra les posséder sous réserve légale de ne pas les mêler, contre leur volonté ou de leur plein gré, à la fange de sa propre secte. Si cette règle était violée, les auteurs d'un tel crime seraient châtiés de la peine capitale assortie de la confiscation de leurs biens.
Enfin, cette législation est confinnée les années suivantes, en Orient comme en Occident, par des constitutions de Théodose II et du jeune Valentinien ml44 • La teneur de la législation impériale relative aux esclaves des juifs est, en résumé, la suivante. Les juifs ne peuvent convertir leurs esclaves, qu'ils soient paiens ou chrétiens, au judaïsme. S'ils le font, ils subiront la déportation ou la peine capitale ainsi que la confiscation de leurs biens (ces peines ne sont pas toujours précisées dans les textes, mais paraissent demeurer stables). Les propriétaires juifs peuvent néanmoins conserver chez eux des esclaves non juifs, à condition qu'ils ne les convertissent pas. En revanche, ils n'ont pas le droit d'acquérir de nouveaux esclaves chrétiens, car ces derniers seraient immédiatement confisqués au profit du fisc. Il est difficile de dire si l'acquisition d'esclaves païens fut, à partir de l'époque théodosienne, et contrairement à ce que stipulait la loi de Constantin, à nouveau autorisée, car le silence des lois sur ce dernier point est difficile à interpréter.
Théodose II, 10 avril 417 (c. Th., XVI, 9, 4). Théodose II, 9 avril 423 (c. Th., XVI, 9, 5) «Christiana mancipia iudœorum nemo audeat comparare. Nefas enim œstimamus religiosissimos famulos impiissimorum emptorum inquinari dominio. Quod si quis hoc fecerit. statutœ poenœ absque omni erit di/atione obnoxius. » (<< Que nul juif n'ose acquérir d'esclaves chrétiens. Nous estimons en effet qu'il est néfaste que des serviteurs très religieux soient souillés par leur dépendance vis-à-vis d'acquéreurs très impies. Celui qui le fera sera soumis sans aucun délai au châtiment prévu par la loi. ») Valentinien III, 6 aoo.t 425 (Sirm. 6) «Quibus christianœ legis nolumus servire personas, ne occasione dominii sectam venerandœ religionis inmutent. » (<< Nous ne voulons pas que des personnes de loi chrétienne les servent et qu'à cette occasion elles ne passent de leur vénérable religion à la secte de leur maître. ») 143
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L'enjeu principal de la législation était bien de combattre le prosélytisme juif. Une dernière loi, qui interdit les unions matrimoniales entre juifs et chrétiens, s'inscrit dans la même logique.
SECTION
III.
LA PROHIBITION DES UNIONS MATRIMONIALES ENTRE JUIFS ET CHRÉTIENS
Les circonstances exactes ayant conduit à l'édiction de la loi du 14 mars 388 interdisant les unions matrimoniales entre juifs et chrétiens n'ont jamais été débrouillées et ne le seront probablement jamais, car cette décision législative surgit fort brutalement à la fm du Ive siècle, elle demeure unique en son genre et elle n'a jamais été commentée par ses contemporains. Les historiens en sont donc réduits à faire des hypothèses. Gian Luigi Falchi, qui remarque avec justesse que seuls les mariages avec les juifs étaient interdits et qui souligne la dureté de la peine frappant les contrevenants - ils sont menacés de la sentence capitale -, estime que le législateur visait à empêcher les mariages réalisés selon la coutume juive145 On se souvient en effet que, quelque temps plus tard, une loi du 30 décembre 393 devait proclamer l'illicéité de la polygamie et de l'endogamie juives 146 • Hagith Sara Sivan, quant à elle, fait remarquer que les unions mixtes étaient interdites par le droit talmudique, mais que les chefs religieux ne pouvaient en pratique les empêcher tant que le mariage civil romain ne les interdisait pas. Elle envisage donc l'hypothèse d'une initiative venue des milieux juifs 147 Selon elle, le terrain aurait été préparé par une loi du 28 mars 370/3 (c. Th., III, 14, 1) qui avait déjà interdit les mariages entre Romains et barbares 148.
145 G. L. Falchi, « La legislazione imperiale circa i matrimoni misti fra cristiani ed ebrei nel IV secolo », in Atti dell'Accademia romanistica Costantiniana. VII convegno intemazionale. Naples, 1988, p. 207-208. 146 Cf. chap. l, p. 64. 147 Les juifs n'avaient pas, depuis la loi d'Esdras (VI' siècle av. l-C), le droit d'épouser des femmes parmi les Gentils et devaient choisir leurs épouses exclusivement panni les juives ou les prosélytes. Sur la législation talmudique, cf. H. S. Sivan, «Jewish-Gentile/Christian Marnage in Late Antiquity », in REJ, 156, 1-2, 1997, p. 63-81. 148 H. S. Sivan, « Jewish-Gentile/Christian Marriage... », op. cit., p. 97. Voir, du même auteur, « Why not marry a Barbarian : Marital Frontiers in Late Antiquity », in R. W. Mathisen et al., Shifting Frontiers in Late Antiquity, Londres, 1996, ainsi que M. Bianchini, « Ancora in tema di unioni fra barbari e romani », in Atti dell'Accademia romanistica Costantiniana, VII convegno intemazionale, Naples, 1988, p. 225-249.
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Mais le contexte religieux en Orient était tel, au printemps de l'année 388, qu'il est bien difficile d'imaginer qu'une constitution ait pu être édictée pour répondre à une demande des juifs. Nous avons vu plus haut que, après l'épisode de la synagogue de Callinicum survenu pendant l'été de la même année, la chancellerie de Théodose 1er adoucit sa politique à l'égard des juifs 149 Mais le préfet du prétoire Maternus Cynegius, jusqu'à cette date, eut carte blanche pour poursuivre sa politique de persécution contre les païens, les hérétiques et les juifs d'Orient. La loi du 14 mars qui lui est adressée était très probablement de son initiative 15o• Il apparaît donc que cette mesure était d'inspiration chrétienne, Cynegius étant, nous l'avons dit plus haut, un orthodoxe de la plus stricte observance. Nous passerons donc en revue, avant de commenter la loi, les canons conciliaires et les écrits des Pères de l'Église qui, dans le courant du IVe siècle, proscrirent les mariages mixtes. Sans doute Cynegius y avait-il puisé son inspiration. A. Les interdits nuptiaux du concile d'Elvire (300-306) Les deux versions qui nous restent de la liste de souscription au concile d'Elvire nous font connaître pas moins de trente-trois églises provellant de six provinces des Espagnes la Carthaginoise, la Bétique, la Lusitanie, la Tarraconnaise, la Galice et la Maurétanie Tingitane. Néanmoins, cinq seulement de ces églises se trouvent en dehors de la Bétique (zone de l'Andalousie actuelle), ce qui montre au passage que si le réseau des églises organisées était encore, à l'aube du IVe siècle, lacunaire dans la partie occidentale de l'Empire, il était néanmoins déjà dense dans le sud de la péninsule ibérique. Ceci s'explique par le fait que, contrairement aux autres parties de l'Espagne et de l'Empire occidental en général, la romanisation de cette région était déjà avancée - elle était romanisée depuis les guerres puniques -, ce dont on peut conclure que des communautés juives s'étaient implantées en Bétique dans le sillage des Romains. Mais il ne nous reste guère, à part le texte étudié ici, de trace écrite ou archéologique d'une présence juive dans cette région. Pour autant, l'inquiétude des clercs concernant l'influence juive suppose que leur nombre relatif, comparé à celui des chrétiens, devait être important. Aussi trouve-t-on, parmi les canons consacrés à la question du mariage, un canon 16 formulé comme suit
149 150
Cf. chap. III, p. 89. Voir dans notre sens T. Honoré, Law in the Crisis..., op. cit., p. 50-51.
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De puellis fidelibus, ne infidelibus conjungantur. Hœretici si se transferre noluerint ad ecclesiam catholicam, nec ipsis catholicas dandas esse puelias .; sed neque judœis neque hœretcis dare placuit eo quod nulla possit esse societas fideli cum infidele. Si contra interdictum fecerint parentes, abstineri per quiquennium placet. À propos des jeunes filles des fidèles, qu'elles ne soient pas mariées à des infidèles. Si les hérétiques refusent de passer à l'Église catholique, les jeunes filles catholiques ne doivent pas leur être données. Et il ne faut les donner ni aux juifs ni aux hérétiques, car il ne peut y avoir de société avec les infidèles. Si des parents agissaient contre cette interdiction, qu'ils s'abstiennent de communier pendant cinq ans.
Le canon stigmatise uniquement le mariage des chrétiennes, et non celui des chrétiens, avec les juifs et les hérétiques. C'est un phénomène que l'on retrouve également dans le concile d'Arles de 314, dont le canon 11 réprouve le mariage des chrétiennes avec les Gentils 15l • La raison en est que les alliances interreligieuses se réalisaient plus fréquemment dans ce sens. Il faut en effet avoir à l'esprit que les femmes composaient la grande majorité des premiers chrétiens, ce déséquilibre numérique entre les sexes étant typique d'une religion de conversion 152 • Or, on a un indice de ce que cette disproportion persistait dans l'Espagne du début du IVe siècle car elle est évoquée par les pères d'Elvire. Au canon 15, ils nous apprennent que c'est à cause de cette disproportion que les parents recherchent pour leurs filles converties des conjoints non chrétiens. Elles sont en surnombre, et si elles ne pouvaient épouser que des chrétiens, elles seraient vouées au célibat. Le canon 15 enjoint pourtant les parents chrétiens à éviter autant que possible de donner leurs filles aux infidèles «Il faut donner un minimum de vierges chrétiennes en mariage à des Gentils, à cause du nombre important des jeunes filles 153. » La mesure visait sans doute à prévenir la conversion de ces chrétiennes au judaïsme. Mais il convient néanmoins d'envisager la possibilité d'un mariage non précédé de la conversion de la femme. Certes, les juifs devaient, selon la Halakha, choisir leurs épouses exclusivement parmi les juives ou les prosélytes. Mais pourquoi préjuger de leur orthodoxie quand, n'ayant aucun renseignement sur les communautés juives ibériques du début du Ive siècle, on ne sait rien de leur niveau de piété? Étant, depuis 212, des citoyens
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Arles (314), c. 11 «Puellis fidelibus quœ gentilibus iunguntur placuit ut aliquanto tempore a communione separentur. » 152 J. Goody, La Famille en Europe, Paris, 2001, p. 63. 153 Elvire, c. 15 «Propter copiam pullarum gentilibus minime in matrimonio dandœ sunt virigines christianœ. }} 151
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romains, les juifs jouissaient du conubium, ce qui leur permettait de réaliser des justes noces (iustœ nuptiœ), c'est-à-dire des mariages produisant des effets civils et patrimoniaux. Ils pouvaient donc fort bien envisager de se marier civilement à la romaine en ignorant l'interdit religieux et l'on peut supposer qu'il s'en trouvait au moins un certain nombre pour élaborer des stratégies matrimoniales en dehors de ces clivages religieux, quitte à renoncer à ce que leurs chefs religieux bénissent leurs unions. Quoi qu'il en soit, l'Église pouvait s'inquiéter à bon droit du destin religieux des enfants issus de ces mariages. Le modèle de la filiation romaine était en effet de type patrilinéaire, la gens agnatique étant encore dominante en ce début de Ive siècle154 • Les enfants étaient élevés dans le groupe domestique de leur père et soumis à la patria potestas de leur géniteur s'il était citoyen romain sui iuris, ou à celle du pateifamilias si le géniteur était un filiusjamiiias 155 • On pourrait certes objecter que, selon le droit juif de filiation, l'enfant recevait le statut de son père, mais était considéré, en cas de mariage mixte, comme appartenant à la religion de sa mère. En conséquence, si cette dernière n'était pas juive, sa descendance ne l'était pas non plus 156 • Mais il nous paraît peu raisonnable de penser que, dans un système
E. Volterra, « Filiazione. Diritto romano », Novissimo Digesto Italiano, Turin. Sur l'évolution du pouvoir du paterfamilias aux IV"-V" siècles, voir D. Dalla, « Aspetti della patria potestas e dei rapporti tra genitori e figli nell' epoca postclassica », in Aui dell'Accademia romanistica Costantiniana. VII convegno intemazionaLe, Naples, 1988, p. 89154 155
109. 156 Il est d'ailleurs intéressant de rappeler la thèse de Shaye 1. D. Cohen selon laquelle le principe de la filiation matrilinéraire ne serait pas d'origine juive, mais aurait été emprunté à une ancienne règle du conubium romain - avant la Lex Minicia, entre, selon Gaius, le milieu du n" et, selon l.npien, le début du me siècle - qui voulait que les enfants nés d'unions entre Romains et pérégrins suivent la deterior conditio des parents et donc soient pérégrins. Cf. S. 1. D. Cohen, « The Origins of the Matrilineal Principle in Rabbinic Law}}, in Association for Jewish Studies Review, nO 10, 1985, p. 19-53. Joseph Mélèze-Modrzejewski écarte l'idée d'une réception de cette règle romaine dans le droit juif. Mais le droit romain a, pour l'auteur, tout de même, à un niveau différent, joué un rôle dans la réforme du statut personnel juif. Cette réforme serait une conséquence de l'édit d' Hadrien (119-120) relatif à la circoncision, édit dont nous avons décrit la teneur plus haut. Les tanaïm auraient voulu empêcher la catastrophe démographique que l'interdiction de la circoncision - et le frein aux conversions qu'elle impliquait - n'aurait pas manqué de produire. Ils auraient réclamé et obtenu d'Antonin le Pieux le privilège de pouvoir déterminer la condition des enfants d'après la filiation maternelle, privilège qui avait déjà été reconnu à certains groupes des habitants de l'Italie et des provinces romaines (citoyens de Troie, de Delphes, d'Antinoupolis, habitants de la province du Pont). Ce privilège aurait été octroyé en même temps que l'autorisation de circoncire les fils, autorisation conférée, comme on l'a vu, aux juifs vers 150 ap. 1.-C. (Modestin, D., 48, 8, 11). Cf. 1. Mélèze-Modrzejewski, « "Filios suos" », op. cit., p. 128-136. Pour une autre critique de la thèse de Cohen, cf. R. Katzoff, « Children of
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patriarcal comme celui des Romains et des juifs, les époux aient pu percevoir cette règle comme un véritable obstacle, et il devait leur être facile d'imposer, s'ils le voulaient, la conversion de leurs fils et filles au judaïsme. Ceci nous paraît être confirmé par le fait qu'à aucun moment les autorités ecclésiastiques de l'époque n'envisagent cette règle comme une chance de gagner les enfants de pères juifs et de mères chrétiennes au christianisme. Ils les considéraient comme irrévocablement perdus. Il convient de remarquer que ce ne sont pas les jeunes épouses chrétiennes mais leurs parents que le concile menace de sanctions. De tels mariages ne pouvaient être le résultat d'une rencontre spontanée entre deux personnes. De telles rencontres sont possibles dans une société industrialisée fondée sur le salariat, mais, dans l'immense majorité des cultures, le mariage est un enjeu économique qui ne concerne pas deux individus particuliers, mais deux familles 157 En droit romain, l'élément générateur du lien matrimonial était certes le consensualisme, c'est-à-dire la manifestation réciproque de volonté des deux conjoints, mais l'aval du paterfamilias ou du père de la jeune fille, ou du jeune homme, si ce dernier était encore filiusfamilias - ou encore, en l'absence de père, l'aval de la mère, du tuteur et des proches - était également requis. Ainsi, et les évêques du concile d'Elvire ne s'y trompaient pas, les mariages interreligieux impliquaient deux groupes de parenté, celui de la famille juive et celui de la famille chrétienne. Ils révélaient donc l'existence de rapports autrement plus étendus que ceux des seuls épOUX 158 • Un tel système d'alliances matrimoniales créait en outre, entre ces familles, des liens d'adfinitas qui jouaient un rôle concret dans de nombreuses occasions de la vie sociale et juridique. Le canon 78 du concile intéresse également notre sujet. Il condamne, cette fois, non plus des relations maritales, mais adultérines, entre juifs et chrétiens
Intermarriage Roman and Jewish Conceptions », in C. Hezser, Rabbinic Law..., op. cit., p.277-286. 157 J. Goody, La Famille en Europe..., op. cit., p. 40. 158 On peut même émettre l'hypothèse que les mariages fustigés dans le canon 16 créaient entre les familles des liens se prolongeant sur plusieurs générations. L'analyse structurale nous apprend en effet que, en raison de la prohibition de l'inceste et de l'exogamie qui en découlait, les groupes de parenté cédaient leurs sœurs et leurs filles à charge de réciprocité. À l'intérieur d'une même société, les mariages qui intervenaient à une génération donnée dépendaient des mariages des générations précédentes. Cf. J.-P. Colleyn, Éléments d'anthropologie sociale et culturelle, Bruxelles, 1998, p. 104-113. Les mariages entre juifs et chrétiens s'inséreraient donc à l'intérieur d'une longue chaîne, les juifs ayant eux-mêmes déjà cédé l'une de leurs filles aux chrétiens ou promis d'en céder à l'avenir en échange de la jeune chrétienne.
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De fidelibus coniugatis si cum iudœa vel gentile moechaverint. Si quis fidelis habens uxorem cum iudœa vel gentile fuerit moechatus, a communione arceatur. Quod si alius eum detexerit, post quinquennium acta Legitima pœnitentia poterit dominicœ sociari communioni. À propos des fidèles mariés qui se souillent avec une juive ou avec une
Gentille. Si un fidèle ayant une épouse se souille avec une juive ou une Gentille, qu'il soit écarté de la communion. Si quelqu'un d'autre que lui le découvre, il ne pourra être associé à la communion dominicale qu'après cinq années de légitime pénitence.
La sanction de l'adultère avec une infidèle paraît être la même que celle de l'adultère avec une femme chrétienne159 Le canon 47 décrète en effet la même pénitence de cinq années pour le pécheur qui aura été dénoncé par un autre, et une excommunication sans précision de durée pour celui qui aura spontanément avoué sa faute. Charles Hefele suppose que cette durée est de trois ans. De fait, un canon du même concile prescrit cinq ans de pénitence pour le clerc pécheur découvert et trois ans pour celui qui a avouë 60 • Un autre canon, le canon 69, donne même à penser que l'adultère avec une chrétienne était plus sévèrement puni que l'adultère avec une infidèle, puisqu'il statue que cet adultère est puni de cinq ans de pénitence, que le pécheur ait ou non donné spontanément des signes de repentance 161 • La réponse à ces anomalies nous est fournie par l'étude de Maurice Meigne, qui a établi que les canons du concile d'Elvire ne formaient pas un tout homogène, et qu'ils étaient issus de conciles différents 162 • Or, précisément, montre-t-il, les canons 69 et 78 n'appartiennent pas au même groupe.
159 Remarquons que le christianisme combat tant l'adultère de l'homme marié que celui de la femme mariée, alors que ce crime était encore, dans le droit romain du début du Ille siècle, exclusivement féminin, l'amant étant puni sous le chef de la complicité. 160 C. Hefele, Histoire des conciles, t. 1, p. 262-263. 161 Elvire (300-306), c. 69 «Si quis forte habens uxorem semel fuerit lapsus, placuit eum
quinquennium agere debere pœnitentiam et sic reconciliari, nisi necessitas infirmitatis coegerit ante tempus dari communionem ; hoc et circa foeminas observandum. » 162 L'authenticité des actes synodaux du concile d'Elvire a été mise en cause depuis le XVIIIe siècle. Le texte d'Elvire a en effet été restitué à partir de collections dont la plus ancienne, l' Hispana, remonte seulement à la première moitié du VIle siècle. Maurice Meigne remarque d'abord que ce concile prétendument régional compte un nombre de canons trop important pour l'époque 81, contre 22 au concile général d'Arles de 314 et 20 au concile œcuménique de, Nicée de 325. En outre, ces canons apparaissent dans un ordre singulièrement confus alors que les autres conciles du début du Ive siècle présentent leurs décrets de manière particulièrement ordonnée. Enfin, on y aborde des thèmes précurseurs, avec un siècle d'avance sur l'Orient, alors que la législation canoruque est généralement plus avancée en Orient qu'en Occident. Cf. M. Meigne, « Concile ou collection d'Elvire? », in RHE, n° 120,1975, p. 361387.
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Le concile d'Elvire fut suivi, dans le courant du Ive siècle, par d'autres conciles interdisant la pratique des mariages mixtes. On a déjà mentionné; pour la Gaule, le canon 11 du concile d'Arles (314), qui interdisait le mariage avec les païens. En Asie Mineure, le pseudo-concile de Laodicée interdit, en son canon 10, le mariage avec les hérétiques, sauf si, précise le canon 31, ces derniers promettent de se faire chrétiens 163. En Afrique, les conciles d'Hippone de 393, de Carthage de 397 et de Carthage de 419 interdisent aux fils d'évêques et de clercs d'épouser des païens, des hérétiques et des schismatiques, pour qu'ils donnent le bon exemple 164. Ces décrets sont manifestement inspirés des écrits des Pères de J'Église. L'apôtre Paul comparait l'union des époux à celle du Christ avec son Église, union qui est un sacramentum 165. À la fin du IVe siècle, saint Augustin commente ces lignes comme suit c'est« dans la cité de Dieu» que, « par la rencontre de deux corps humains, le mariage créa ce sacramentum 166 ». On en vient ainsi tout naturellement à dire que le mariage chrétien est le seul qui, selon la formule de saint Paul, soit un « remède à la concupiscence167 ». Pour saint Augustin, «il n'y a pas de vraie chasteté entre l'homme infidèle et sa femme» et, en écho, saint Jérôme affirme que « toute union dans laquelle la femme n'est pas associée à son mari selon les préceptes du Christ ne peut être qualifiée de mariage, mais plutôt d'adultère 168 ». Dans une lettre qui date de l'année 385, saint Ambroise écrit que l'absence de concordia fidei entre les époux préjudicie à l'entente et à l'harmonie dans le couple «Comment peut-il y avoir mariage là où il n'y a pas concorde dans la foi 169 ?» On peut, avec Amnon Linder, faire l'hypothèse que ce fut ce même Ambroise, dont l'influence sur l'empereur Théodose 1er était grande, qui contribua à faire adopter la loi de 388 17
°.
163 Laodicée, c. 10 : « Que les membres des Églises ne marient pas indifféremment leurs enfants avec des hérétiques» ; c. 31 «On ne doit pas se marier avec des hérétiques ou leur donner ses fils ou ses filles, à moins qu'ils ne promettent de se faire chrétiens. » 164 Hippone (393), c. 16 «Les fils des évêques et en général des clercs ne doivent pas se marier avec les païens, les hérétiques et les schismatiques. » Voir aussi: Carthage (419), c. 21 et Carthage III (397), c. 12. 165 Le développement qui suit est emprunté à J. Gaudemet, Le Mariage en Occident, Paris, 1987, p. 47-48 et 50-88. ' 166 Saint Augustin, De bono coniugali, XV. 167 1 Co 7, 2. 168 Jérôme, ln Ep. ad Ephes, III, 5, 22-23. 169 Ambroise, Ep. XIX, 7. 170 A. Linder, fRlL, op. cit., p. 178.
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B. La loi de Théodose
rr du 14 mars 388
La loi de Théodose 1er est reproduite en deux endroits du Code Théodosien, au titre De nuptiis du livre III, et au titre Ad legem iuliam de adulteriis du livre IX. En voici le texte Ne quis christianam mulierem in matrimonium iudœus accipiat, neque iudœœ christianus coniugium sortiatur. Nam si quis aliquid huiusmodi admiserit, adulterii vicem commissi huius crimen obtinebit, libertate in accusandum publicis quoque vocibus relaxata l7l . Qu'un juif ne prenne pas de femme chrétienne en mariage et qu'un chrétien ne choisisse pas de femme juive pour épouse. Car si quelqu'un commettait un acte de ce genre, son crime serait tenu pour un adultère susceptible d'une accusation publique.
Les mariages entre juifs et chrétiens sont donc assimilés par le législateur à des adultères. Cette assimilation, que l'on trouvait déjà sous la plume des Pères de l'Église, n'est pourtant pas ici simplement symbolique, mais elle a une utilité technique. Comme l'a en effet montré Siro Solazzi, interdire simplement les mariages mixtes en les frappant de nullité aurait suscité l'adoption d'expédients comme le concubinae 72. Même si le législateur ajoutait à la sanction civile de la nullité une sanction pénale, les concubins seraient exempts de ces sanctions. Il fallait, pour que soit aussi incriminé le concubinage, présenter l'union matrimoniale entre juifs et chrétiens plus largement comme un délit sexuel. D'où son assimilation à un adultère. Si la relation sexuelle, même accompagnée de l'affectio maritalis, est un adultère, à plus forte raison le concubinage. La dénonciation des mariages mixtes appelait, comme celle de l'adultère, la collaboration de tous. Le pouvoir incite donc une fois de plus ses sujets à la délation, comme il l'avait fait pour combattre le crime d'apostasie ou celui de circoncision des esclaves J73 La sanction est la mort, Constantin ayant modifié en 326 (c. Th., IX, 7, 2) les dispositions de la Lex Iulia de adulteriis coercendis, qui prévoyaient la relegatio in insulam et de la confiscation partielle du patrimoine J74.
Théodose, 14 mars 388 CG. Th., III, 7, 2 = IX, 7, 5). S. Solazzi, « Le unioni di cristiani ed ebrei nelle leggi dei basso impero », in Scritti di diritto romano, t. IV, Naples, 1963, p. 49-54. 173 Les crimes religieux suscitent de fait chez le législateur, de Constantin à Théodose, le plus grand nombre d'incitations à la délation. Cf. Y. Rivière, La Délation..., op. cit., p. 308311. 174 J-M. Carbasse, Histoire du droit pénal et de lajustice criminelle, Paris, 2000, p. 55-57. 171
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Conclusion du chapitre III L'arsenal législatif mis en place contre les conversions au judaïsme peut se résumer aux points suivants. 1) La conversion au judaïsme fut érigée en crimen publicum par une loi de Constantin du 18 octobre 329. Le ton très véhément de cette loi laisse supposer qu'elle était de la main d'ecclésiastiques, dont l'influence à la chancellerie de Constantinople est avérée autour des années 330. La nouvelle de l'assassinat par des juifs de l'un de leurs anciens coreligionnaires avait échauffé les esprits et le rédacteur de la loi y répondit en ordonnant une « peine méritée» contre ceux qui se convertiraient au judaïsme. Une loi de Constance n du 3 juillet 352 fixa que cette peine serait la confiscation du patrimoine, une sanction qui incitait à la délation ceux, les petitores, qui désiraient s'emparer des biens du condamné. Un système plus redoutable encore fut mis en place à partir des années 380, qui incitait la propre famille de l'apostat à dénoncer son crime par-delà la mort. De fait, la nouvelle peine était l'intestabilité (jactio testamenti active) et celui qui avait préféré léguer ses biens à sa nouvelle famille religieuse risquait de voir son testament annulé dans un délai prescrit par cinq ans, délai aligné sur celui de la querela inofficiosa testamenti. Les apostats étaient aussi frappés de l'incapacité d'être institués par testament (factio testamenti passive) et les biens acquis par cette voie étaient déclarés caducs, c'est-à-dire qu'ils tombaient dans le domaine du fisc. À l'inverse, les enfants convertis au christianisme de parents juifs ne pouvaient pas être exhérédés. 2) Quant à la circoncision, elle était interdite depuis une loi d'Hadrien des années 119-120 qui avait assimilé cette pratique à la castration. Il se trouve que les plaintes émanaient surtout des esclaves des juifs car, contrairement aux hommes libres, ils la subissaient sans doute contre leur gré et ils pouvaient, grâce à une loi de Constantin de 335, espérer gagner, à l'issue d'un procès contre leur maître, la liberté. Mais cette loi de 335, qui favorisait les esclaves, était entrée à ce point en contradiction avec le droit en vigueur qu'elle avait été abrogée par une constitution de 339 qui intégrait les esclaves aux res fiscales. La législation relative au problème particulier des esclaves chrétiens fut fixée à l'époque de Théodose 1er • Les juifs ne pouvaient plus acquérir d'esclaves chrétiens, mais ils pouvaient conserver ceux qui se trouvaient déjà dans leur patrimoine dès lors qu'ils ne tenteraient pas de les convertir.
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3) La même loi de 339 envisageait également le cas de femmes esclaves enlevées aux ateliers impériaux par des juifs. Mais, plutôt que de punir simplement les juifs d'une amende, ce qui était le droit commun, elle prévoyait contre eux la mort, ce qui donne à penser que les relations intimes entre maîtres juifs et esclaves chrétiennes apparaissaient tout aussi insupportables au législateur que la circoncision des esclaves mâles. Une constitution du 14 mars 388, suscitée par Maternus Cynegius et influencée par la législation conciliaire et les écrits des Pères de l'Église, interdit par la suite les mariages entre juifs et chrétiens, assimilant ces mariages à des délits sexuels, de manière à empêcher également la pratique du concubinage. Les conjoints étaient menacés, tout comme les auteurs d'adultère, de la sentence capitale. 4) La législation mise en place à partir du règne de Constantin pour prévenir les conversions au judaïsme était sévère. Les lois que l'on a étudiées faisaient planer sur les candidats à la conversion des menaces de mort ou de graves déchéances civiques et incitaient tous les sujets de l'Empire à la délation de ce crime par des moyens redoutablement efficaces. Cette chasse aux apostats, largement inspirée par l'Église, installait un climat fâcheux pour les juifs, dans la mesure où leur religion se trouvait en quelque sorte criminalisée.
CHAPITRE IV
LES ATTEINTES AUX DROITS PUBLICS ET POLITIQUES DES JUIFS
Pendant le premier quart du ve siècle, la chancellerie occidentale émit des lois qui devaient progressivement exclure les juifs du fonctionnariat de l'Empire, des provinces et de l'armée l • Pour Michael Avi-Yonah, ces mesures répondaient à une volonté, inspirée des milieux ecclésiastiques, à l'instar d'Esdras et de Néhémie, de créer un « État chrétien pur ». Certes, déjà, l'État n'était pas neutre religieusement et marquait, depuis 324, sa préférence pour le christianisme par de nombreux signes - privilèges des clercs, christianisation du calendrier et des fêtes, législations répondant aux exigences de la morale chrétienne, interventions personnelles de l'empereur dans les conciles. Assurément, il avait, par l'édit de Thessalonique, pris parti pour le camp des Nicéens, déclarant que « les autres » devraient « supporter l'infamie » 3 • Mais les lois impériales n'atteignirent pas tous les noncatholiques avec la même intensité. Si les manichéens et les apostats se virent frappés d'incapacités civiques qui revenaient pratiquement à les priver de la citoyenneté et à en faire des étrangers, si certains hérétiques chrétiens furent eux aussi déchus de certains droits civiques, tous les non-catholiques ne reçurent pas le même traitement et, en particulier, tous ne furent pas chassés des services de l'État. C'est que ces déchéances ne répondaient pas à un schéma uniforme et les juifs devaient ainsi subir des sorts disparates. Il faut, à cet égard, souligner que l'ordre sénatorial, au sein duquel étaient recrutés les plus hauts dignitaires de l'administration4 , resta longtemps un
1 Honorius, 22 avril 404 (C. Th., XVI, 8, 16) ; Constance III, 10 mars 418 (c. Th., XVI, 8, 24) ; Valentinien III, 6 aofit 425 (Sinn. 6). 2 M. Avi-Yonah, The Jews of Palestine. A political History from the Bar Kokhba War to the Arab Conquest, Oxford, 1976, p. 216. 3 Théodose, 28 février 380 (c. Th., XVI, l, 2). 4 Ceux qui appartenaient à l'ordo sénatorial, les détenteurs de la digl)itas senatoria, pouvaient accéder à une carrière (cursus) composée des magistratures traditionnelles ainsi que de nouvelles fonctions institutées à partir des débuts de l'Empire. L'entrée dans la carrière sénatoriale emportait elle-même l'admission au Sénat. Sur l'ordre sénatorial, sur la carrière sénatoriale et sur le Sénat, cf. A. Chastagnol, Le Sénat romain à l'époque impériale, Paris, 1992, ainsi que D. Schlinkert, « Ordo senatorius » und « Nobilitas ». Die Konstitution des
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ordre mélangé. À l'époque de Gratien et de Théodose le" ceux-là mêmes qui avaient édicté l'édit de Thessalonique, la proportion entre païens et chrétiens dans ce corps venait tout juste de s'inverser au profit des seconds et les païens devaient encore continuer à occuper des postes clés dans l'administration 5 Dans ce contexte, l'idée d'interdire l'accès des juifs aux métiers de la fonction publique ne s'imposa qu'à l'issue d'une série de crises pendant lesquelles les considérations religieuses ne jouèrent au départ qu'un rôle secondaire. Ces lois d'exclusion intervinrent alors que la Pars occidentalis de l'Empire était traversée par les crises. Crise économique et financière d'abord, qui conduisit le pouvoir à forcer les curiales - qui formaient une bourgeoisie urbaine contribuant de manière décisive à la prospérité de l'Empire - à demeurer dans leurs corps en leur fermant l'accès au cursus publicui. Or, il est possible que cette circonstance ait joué un rôle dans l'interdiction faite aux juifs, qui peuplaient ces curies, d'accéder aux fonctions publiques. Crise politique ensuite, car la chancellerie occidentale voulait conjurer le danger que représentait la dissidence donatiste en Afrique7 • Or, connue nous le verrons, des lois font apparaître que le pouvoir assimilait les juifs à cette menaces. À cela devait s'ajouter, avec le changement de gouvernement qui porta autour des années 420 la frange dure des catholiques romains au pouvoir, la victoire d'un sentiment antigermanique qui devait inciter Ravenne à débarrasser son palais et l'armée de ses « barbares9 », barbares auxquels étaient assimilés les juifs. À cette progressive entreprise d'exclusion participèrent les pères conciliaires africains, saint Augustin en tête, qui décidèrent de retirer aux juifs l'exercice devant les tribunaux ecclésiastiques du ius accusandi contre les clercs, en déclarant qu'ils étaient des infames lO• Cette catégorie de cives était bien connue du droit romain, un système juridique dans lequel l'inégalité
Senatsadels in der Spiitantike, Stuttgart, 1992. Voir également les entrées « Ordre sénatorial (Bas-Empire) », « Ordre sénatorial (Rome) », « Ordres (Rome) », « Sénat (Constantinople» et « Sénat (Rome) dans 1. Leclant (dir.), Dictionnaire de l'Antiquité, Paris, 2005. 5 R. Von Haehling, Die ReligionszugehOrigkeit der hohen Amtstrager des Romischen Reiches seit Constantins J. Alleinherrschaft bis zum Ende der Theodosianischen Dynastie 324-450, Bonn, 1978. 61. Gaudemet, « Constantin et les curies municipales », in Jura, vol. Il, 1951, p. 58-65. 7 Pour un tableau d'ensemble de la lutte contre les donatistes et pour une bibliographie récente, cf. P. Maraval, Le Christianisme de Constantin à la conquête arabe, Paris, 1997, p. 297-312 et p. LII-LIII. a Honorius, 24 novembre 408 (c. Th., XVI, 5,44) et 15 janvier 409 (c. Th., XVI, 5, 46). 9 E. Stein, Histoire du Bas-Empire, t. l, Amsterdam, 1968, p. 235-237. 10 Concile de Carthage, 25 et 30 mai 425.
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devant la loi était organisée par le droit lui-même. Les infames étaient entre autres choses exclus de la représentation judiciaire et rendus incapables de briguer des charges publiques ll . Les juifs protestèrent en vain contre cette assimilation qui devait rapidement, du droit canonique, gagner le droit public. L'étape finale fut franchie à Constantinople, lorsque Martyrius, un des commissaires qui avaient participé à la fabrication du Code Théodosien, réalisa la loi du 31 janvier 438. Ce texte témoignait de l'état d'esprit qui avait régné pendant les travaux de réalisation du code. Les auteurs du code avaient sélectionné et classifié les lois impériales pour servir une vision politique forte, celle d'une identité entre Rome et le christianisme12 • Les non-chrétiens y apparaissaient clairement comme des ennemis du pouvoir et du droit romains. Porter contre les juifs une telle accusation était d'autant plus opportun que certains d'entre eux assumaient au sein des cités la fonction de patroni, et rivalisaient ainsi avec les évêques qui, au début du ye siècle, entendaient de plus en plus endosser ce rôle traditionnellement joué par les notables municipaux l3 C'est ainsi que la loi du 31 janvier 438 décrivait les juifs sur le ton de la polémique antijuive, assurant qu'ils étaient habités par des velléités de vengeance contre les chrétiens et qu'il fallait en conséquence les écarter de toute position de pouvoirl4 • Les sources documentant la présence de juifs au sein des administrations romaines à partir de Constantin sont peu nombreuses et la plupart sont précisément celles qui les en excluent, c'est-à-dire des lois qui datent toutes du premier quart du ye siècle. Elles nous permettront, en creux, de découvrir qu'il se trouvait des juifs fonctionnaires dans l'administration palatine ainsi que provinciale et militaire, à l'Ouest comme à l'Est. On a pourtant pu dire que le nombre de juifs dans l'administration était négligeable, car les juifs auraient, pour des raisons religieuses, répugné à s'engager dans les services de l'Étae S Il sera essentiel de déterminer dans quelle mesure cette
Th. Mommsen, Droit pénal romain..., op. cit., t. III, p. 345-350. T. Honoré, Law in the Crisis of Empire. 379-455 AD. The Theodosian Dynasty and Its Quaestors, Oxford, 1998, p. 156-163. Voir également, sur les circonstances politiques et religieuses de l'élaboration du code, G. G. Archi, Teodosio II e la sua codificazione, Naples, 1976 ; L. De Giovanni, Il libro XVI del codice Theodosiano. Alle origini della codificazione in tema di rapporti chiesa-stato, Naples, 1985. 13 Sur la montée, en Orient, du pouvoir des évêques comme patroni des cités, cf. P. Brown, Pouvoir et persuasion dans l'Antiquité tardive. Vers un Empire chrétien, Paris, 1998, en particulier p. 127-165. 14 Théodose Il, 31 janvier 438 (Nov. III). 15 Michael Avi-Yonah pense en effet que les lois d'exclusion avaient une importance plus symbolique que pratique, les juifs ayant toujours cherché à éviter la fonction publique romaine. Cf. M. Avi-Yonah, The Jews of Palestine..., op. cit., p. 216. 11
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affinnation est vraie, et si les lois d'exclusion avaient simplement une valeur symbolique ou si elles se fondaient sur une réalité sociologique, avant d'entreprendre leur commentaire en connaissance de cause (1). Nous commencerons ensuite l'enquête en Occident, puisque les premières lois émanent, on l'a dit, de la chancellerie d'Honorius (395-423) (II). Elles furent ensuite rendues applicables dans tout l'Empire - ce qui n'était vrai auparavant que théoriquement - par leur insertion dans le Code Théodosien (438), réception qui incitera les juristes de Constantinople à compléter cet arsenal antijuif par la loi du 31 janvier 438 (III).
SECTION
I.
LES CITOYENS JUIFS AU SERVICE DE L'EMPIRE
Nous constaterons d'abord qu'il se trouvait des juifs dans les postes subalternes ainsi que dans les hautes fonctions de l'administration (A), pour tenter ensuite d'évaluer la réalité du phénomène en nous demandant, d'une part, si les juifs ne rencontrèrent pas, avant même qu'aient été prises les lois d'exclusion, des obstacles, religieux ou autres, pour intégrer ces corps et, d'autre part, s'ils étaient aussi bien représentés à tous les degrés hiérarchiques de l'administration (B).
A. La présence avérée de juifs au sein des militiœ et des dignitates Même si le vocabulaire apparaît. parfois fluctuant, on distingue habituellement parmi les fonctionnaires romains ceux qui fonnaient les milices (militiœ) de ceux qui occupaient des postes élevés appelés dignités (dignitates) ou honneurs (honores). Les premiers étaient recrutés par enrôlement dans les matriculœ et occupaient un emploi à vie. Les seconds obtenaient leur dignité par un codicille signé de l'empereur et menaient une carrière qui leur permettait d'occuper diverses fonctions de commandement à des échelons de plus en plus élevés de l'administration 16 • 1. La présence de juifs dans les militiœ civiles et militaires
Une première série de mentions atteste la présence de juifs au sein des services ». Une loi émanant de Ravenne nous apprend que des juifs avaient prêté sennent dans le service palatin (militiœ palatina), ce qui désigne l'ensemble des emplois civils (officia) et militaires du Palais (hors la «
16 Ces caractères sont très généraux et connaissent bien entendu des exceptions. Cf. A. H.M. Jones. The Later Roman Empire. 284-602, Oxford. 1964, vol. J, p. 377-378.
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domesticité d'origine servile), qu'il faut distinguer de la militiœ armata, l'armée proprement dite l7 Le même texte atteste d'ailleurs qu'il se trouvait des juifs également dans l'armée 1B • Il faut préciser dès maintenant - car nous montrerons plus loin que ceci a peut-être pesé sur la décision d'exclure les juifs du fonctionnariat - que les membres des militiœ, qui bénéficiaient de privilèges, notamment d'ordre fiscal, occupaient une place enviée du reste de la population et en particulier des membres des curies l9 Les curies étaient, au sein des cités, chargées de l'élection des magistrats municipaux, du recouvrement des impôts, de la conscription, de l'administration des postes, de l'entretien des routes et des bains, et de l'organisation des jeux, autant de tâches vitales pour l'empire20 • Depuis le Ille siècle, les curiales, qui étaient presque toujours des propriétaires fonciers (possessores) dans le territoire de leur civitas tentaient par tous les moyens d'échapper à cette fonction à laquelle ils étaient héréditairement liés car, dépourvus d'autorité, ils étaient accablés de charges et de corvées tellement ruineuses qu'elles finissaient effectivement, après quelques générations, par ruiner leurs familles. Ils s'efforçaient donc de se glisser dans les autres classes, notamment dans les militiœ, en dissimulant leur naissance21 • On peut supposer, à en croire le nombre de constitutions dédiées à ce problème, qu'il y avait un nombre significatif de juifs parmi les curiales, et qu'ils tentaient résolument d'échapper à leur sort22 • Toujours à un niveau local, on trouve des juifs cohortales (ou cohortalini), terme qui, d'après les lois du Théodosien, désignait dans l'Empire tardif les
17 L'expression militiœ annata était en effet devenue le terme officiel pour désigner l'armée depuis que les réfonnes menées par Dioclétien et Constantin avaient soumis les fonctionnaires à une organisation et à une discipline militaires. faisant de l'administration civile romaine une militiœ Con la désignait parfois aussi par militiœ civilis ou inennis). 18 Honorius. 10 mars 418 Cc. Th.. XVI. 8. 24). Voir H. Castritius. « Military Service and Militancy Among the Jews of Late Antiquity ». in Jewish Studies. 41, 2002, p. 57-65. 19 Sur les privilèges judiciaires, fiscaux et autres du personnel administratif de l'Empire en général. cf. L. Homo, Les Institutions politiques romaines de la cité à l'État, Paris, 1950. p. 402-430 ; sur ceux des fonctionnaires du gouvernement central en particulier, cf. R. Delmaire, Les Institutions du Bas-Empire romain, de Constantin à Justinien, t. 1 Les Institutions civiles palatine, Paris, 1995, p. 16-19. 20 Sur les diverses fonctions des curies, cf. A. H. M. Jones. The Later Roman Empire.... op. cit., vol. II, p. 737-757. 21 Pour une description des mesures autoritaires employées par le pouvoir pour contraindre les curiales à demeurer dans leur ordre et sur les différents moyens imaginés par ces derniers pour y échapper, cf. J. Gaudemet. «Constantin et les curies... », op. cit., p. 44-75, et A. H. M. Jones, The Later Roman Empire.... op. cit, vol. II. p. 737-757. 22 Cf. chap. 1, p. 32 et suiv ; et infra, p. 181 et suiv.
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soldats de l'armée (cohortalini castrenses) ainsi que ceux qui formaient les escortes des gouverneurs de province (cohortalini militiœi3 Cette fonction leur occasionnait beaucoup de dépenses et elle était peu considérée et, tout comme les curiales, les cohortales tentaient par tous les moyens d'échapper à ce corps auquel ils étaient, avec leur descendance masculine, liés24 • Les cohortales obéissaient directement aux apparitores qui étaient eux-mêmes les assistants des gouverneurs de province. Ce terme générique désigne de manière plus générale les subalternes des dignitaires et l'on en trouve également au Palais, sous les ordres notamment des agentes in rebus et du maître des offices. La loi déjà citée prouve qu'il y avait des juifs apparitores. Les juifs pouvaient non seulement avoir été enrôlés dans les offices et dans l'armée, mais ils avaient également pu obtenir des dignitates. 2. Des juifs titulaires de dignités
Parmi les dignitaires juifs, certains étaient issus de l'ordre sénatorial. Il convient de rappeler que les plus hautes dignités de l'État et des provinces n'étaient presque plus occupées que par ceux qui appartenaient à cet ordre. De fait, Constantin et Constance II avaient décidé que les titulaires des plus hautes fonctions administratives et militaires devraient désormais obligatoirement être de ce rang, ce qui avait eu pour effet de saper le prestige de l'ordre équestre qui avait [mi, vers le milieu du Ive siècle, par être peu recherchë5 • Une loi de 438, qui émane de la chancellerie de Constantinople, met en scène des juifs ayant accédé aux honneurs (honores) et qui, munis de l'autorité de leur dignité (dignitatis auctorita muniti), arborent l'infule (infula), qui était l'insigne de l'ordre sénatorial26 Mais les juifs d'Orient n'étaient pas les seuls à avoir pu pénétrer cette élite. Des sources littéraires attestent que des juifs de la Pars occidentalis avaient également accédé à l'ordre des clarissimes. Il faut peut-être accueillir avec circonspection, à cause de son ton manifestement polémique, la déclaration de saint Jérôme dans le In Isaiam (408-410) selon laquelle il se trouvait des juifs clarissirnes jusqu'aux extrémités de l'Empire en Espagne, en Gaule jusqu'en Morinie (territoire de la cité de Thérouanne et Boulogne,
23 Honorius, 21 février 410 (c. Th., XVI, 5, 48) et Théodose II, 30 mai 428 (c. Th., XVI, 5,65). 24 A. H. M. Jones, The Later Roman Empire.... op. cit., vol. II, p. 592-596. 2S Cf. Y. Moderan, L'Empire romain tardif, Paris. 2003, p. 125-127. 26 Théodose II, septembre 439-444 (Nov. 15. 1) «Nullum curialem senatoriœ sibimet dignitatis infulas usurpare» et « Ceteros quoque civitatum omnium curiales ab illustri dignitate cum cingulo seu citra cingulum volumus in posterum prohiberi nec sibi infulas huius honoris appetere ».
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soit le passage en Grande-Bretagne), dans le delta du Rhin (région militaire de Belgique II et de Germanie II), et en Grande-Bretagné7 Mais d'autres documents tels que le De altercatione Synagogœ et Ecclesiœ dialogus, une œuvre occidentale rédigée entre 438 et 476, et une lettre du pape Gélase (494-495) mentionnent également le phénomène28 • Les textes dont nous disposons ne font malheureusement qu'évoquer l'appartenance des juifs à cet ordre sans généralement préciser quelle charge ils avaient pu occuper. Mais on sait que la carrière sénatoriale donnait accès une vaste gamme de fonctions 29 Les fonctions qu'ont pu occuper les dignitaires juifs (de rang sénatorial ou pas) sont néanmoins parfois exceptionnellement précisées au détour de quelques sources. Nous nous contenterons pour le moment de nommer ces différentes charges sans en détailler la nature, en retenant simplement qu'ils
27 Jérôme écrit ainsi que les juifs croient que, lorsque le Messie arrivera, convergeront en carrioles ceux parmi eux qui «senatoriœ dignitatis et locum principium obtinuerint, de Britannis, Hispanis. Gallisque extremis hominum Morinis, et ubi bicomis finditur Rhenus ». Cf. Jérôme, ln Is. 66-20 (PL 24, 698). 28 On trouve dans le De altercatione la mention suivante «Ecclesia dixit clarissimatus ordinem perdidisti... » Le De altercatione, faussement attribué à saint Augustin, est antérieur à Odoacre puisqu'on y parle de l'empereur romain, et est postérieur à la loi du 31 janvier 438 à en croire la situation juridique des juifs qui s'y trouve décrite. Cf. J. Juster, Les Juifs dans l'Empire... , op. cit., vol. Il, p. 74, n. 1. Pour une description précise du contenu du De altercatione, cf. B. Blumenkranz, Les Auteurs chrétiens latins du Moyen Âge sur les juifs et le judaïsme, Paris, 1963, p. 39-42. Le pape Gélase (494-495) recommande à un évêque le « vir clarissimus Telesinus... Iudaicœ credulitatis » (PL 59, 146). Cf. A. Linder, The Jews in the Legal Sources of Early Middle Ages, Detroit-Jérusalem, 1997, p. 416-417. 29 Une carrière sénatoriale pouvait ainsi consister à occuper plusieurs gouvernements de province, la préfecture de l'annone, le vicariat au sein du diocèse, une ou plusieurs grandes curatelles de Rome et, pour finir, les grandes préfectures, du prétoire ou de la ville. Le couronnement de la carrière était l'accès au consulat ordinaire. Un second type de carrière était essentiellement bureaucratique. Souvent entré par adlectio (promotion à une charge élevée sans avoir passé par les charges inférieures) alors qu'il était un membre des militiœ, le candidat pouvait successivement être maître dans les bureaux de l'administration centrale, puis comte du consistoire, avant éventuellement de rejoindre la filière traditionnelle (préfectures et consulat). Un troisième type, surtout représenté après 363, fut celui des carrières purement militaires l' adlecté, en devenant dux, occupait plusieurs commandements à ce grade, avant de devenir comte puis maître de la milice et de terminer éventuellement par le consulat. Enfin, il y avait des carrières mixtes par lesquelles le sénateur alternait charges burêaucratiques et responsabilités provinciales ou palatines. Il nous paraît intéressant d'ajouter, car ceci fut peutêtre la voie d'entrée suivie par certains juifs clarissimes, que les adlectés pouvaient être recrutés non seulement parmi ceux qui exerçaient des fonctions d'État, mais également parmi les élites des grandes curies municipales. Cf. L. Homo, Les Institutions politiques romaines..., op. cit., p. 387-389.
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plaçaient lesrjuifs à des postes « sensibles », dans la mesure où ils leur donnaient un ascendant sur les administrés30 Deux constitutions nous apprennent que des juifs, en Occident, occupèrent la fonction d'agentes in rebus, terme que l'on peut rendre par «agents d'affaires» ou «agents de mission », une fonction de l'administration palatine qui était subordonnée à celle du maître des offices31 • La lettre encyclique de l'évêque Severus de Iamona sur la conversion forcée des juifs de Minorque dans les Baléares, qui date de 418, est une source exceptionnelle révélant la présence à Magona (actuelle Mahon) d'une importante communauté juive dont les chefs étaient aussi des dignitaires de l'administration municipale32 • Au moment où intervient le récit de Severus, le juif Theodorus « avait exercé, dans la cité, toutes les charges curiales, il avait déjà été defensor et il était même maintenant patronus municipium33 )), et l'un de ses coreligionnaires, Crecilianus, occupait la fonction de defensor civitatis34 • Mieux encore, un certain Litorius, originaire de l'île, «avait récemment gouverné la province et était maintenant - mais Severus est sur ce point moins affirmatif - comes )). Litorius aurait ainsi été gouverneur de l'Hispania Tarraconensis. Scott Bradbury, l'auteur d'une édition récente du texte, identifie notre homme au seul Litorius qui soit attesté dans la Prosopography of the Late Roman Empire, et voit ainsi en lui le comes rei militaris qui vainquit les Armoricains entre 435 et 437, qui fut promu par lEtius magister utriusque militiœ, et qui fut finalement vaincu par les Wisigoths en 439. Si la Prosopography le range parmi les païens, Scott Bradbury n'est pas de cet avis, et le récit de Prosper d'Aquitaine selon qui Litorius aurait, lors d'une bataille, invoqué les dieux, prouve simplement selon lui que ce chef militaire partageait avec les membres de son armée des références symboliques communes qui transcendaient les clivages religieux. Il est vrai que si le Litorius de Severus est bien celui de la Prosopography, ce qui est fort probable, les fonctions et les dates concordant, il n'y a pas de doute qu'il était juif ou, du moins, qu'il l'avait été, car il était le père de la
30 La nature des fonctions occupées par les juifs dans la haute administration est en effet largement la cause de leur exclusion. Nous reviendrons bientôt sur la question. Cf. infra, p. 178 et suiv., notamment à partir de la page 209. 31 R. Delmaire, Les Institutions..., op. cit., p. 8. Ces deux constitutions sont celles d'Honorius du 22 avril 404 et du 10 mars 418 (C. Th., XVI, 8, 16 et 24) 32 Pour une édition, une introduction, des notes et une traduction anglaise du texte, cf. S. Bradbury, Letter on the Conversion of the Jews, Oxford. 1996. 33 Ep. VI, 3 «ln civitate autem cunctis curiœ muniis axsolutis, et defensor iam extiterat et etiam nunc patronus municipium habetur. » 34 Ep. XIX, 6 «(...] vir honestus et non solum inter Iudœos verum etiam in civitate usque adeo prœcipuus, ut etiam nunc defensor civitatis electus sit, Cœcilianus [...].
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juive Artemisia qu'il avait donnée en mariage à Meletius, le frère du chef de la communauté de Magona Theodorus déjà citë 5• li reste à mentionner, à la marge de ces fonctions publiques, la profession d'avocat. Une constitution de l'Ouest rassure en effet ceux parmi les juifs qui, « institués dans les disciplines libérales », pourront continuer d'exercer ce métier36 Il ne faudrait pourtant pas nous laisser abuser par ces sources, qui nous décrivent peut-être des situations exceptionnelles. On peut en particulier se demander s'il y eut beaucoup de juifs dans les hauts postes de l'administration. Les juifs de Minorque furent, on l'a dit, les victimes d'une campagne de baptêmes forcés qui aboutit à l'anéantissement de la communauté, ce qui nous conduit à nous demander si cet événement ne fut pas suscité par le ressentiment de certains face à la position exceptionnelle qu'occupaient les juifs sur cette île.
B. Les obstacles non juridiques à l'intégration des juifs dans les corps de la fonction publique Dans une importante étude, Raban Von Haehling a voulu déterminer l'appartenance religieuse personnelle de ceux qui composaient l'ordre sénatorial pour la période 324-450 (Orient) et 324-455 (Occident). Il a utilisé la méthode prosopographique pour identifier la religion des titulaires de fonctions figurant dans la Notitia Dignitatum au rang d'illustres, de spectabiles et de clarissimi37 • Sur un total retenu de 877 postes (successivement préfets du prétoire, préfets de Constantinople, proconsuls d'Asie et d'Achaïe, comtes d'Orient, préfets d"Égypte, maîtres de la milice, préfet de Rome, proconsuls d'Afrique), il a pu identifier 757 personnages et a proposé
35 Ep, XXIV, 2 «Artemisia siquidem Litorii, qui nuper hanc provinciam rexit et nunc comes esse dicitur, filia [... l. » 36 Honorius, 10 mars 418 (c. Th., XVI, 8, 24). 37 Ces trois classes forment l'ordre sénatorial. Cette décomposition, qui remonte à une loi de Valentinien 1er datée de 372, a été rendue nécessaire après que la dignité sénatoriale a été attribuée à des milieux de plus en plus étendus. À l'échelon le plus haut, on trouve les illustres qui sont les préfets du prétoire et de la ville, les maîtres des milices, le maître des offices, le questeur, les comites sacrarum largitionum, rerum privatarum et domesticorum, et le prœpositus sacri cubiculi ; la classe sénatoriale qui vient ensuite est celle ,des spectabiles, dont le titre est porté par les proconsuls, les comtes du consistoire s'ils ne sont pas ministres, les chefs de service du sacrum cubiculum, les magistri scriniorum impériaux, les notaires impériaux les plus anciens, les ducs et les vicaires; enfin, à l'échelon le plus bas se trouvent les simples clarissimi auxquels appartiennent les gouverneurs de province et les tribuns des différents corps de troupes, Cf. E. Stein, Histoire du Bas-Empire..., op, cit., 1. l, p. 219-220,
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une appartenance religieuse pour 404 d'entre eux - soit une petite moitié -, qu'il a classés entre païens, chrétiens orthodoxes et ariens. Il apparaît que, sur l'ensemble de la période étudiée, 151 fonctions furent confiées à des païens (20 %), 234 à des orthodoxes (31 %) et 19 à des ariens (2 %). Comme on le voit, les juifs ne figurent pas dans ce classement, ce qui ne saurait s'expliquer uniquement par le fait que les indices utilisés par l'auteur avaient pour but de ne repérer que des membres des trois religions précitées 38 • On peut raisonnablement faire l'hypothèse que si la présence des juifs au sein des plus hautes dignités de l'Empire est invisible, c'est qu'elle était relativement négligeable. La raison n'était pas d'ordre juridique. On se souvient en effet que les empereurs Sévère et Antoninus Caracalla leur avaient expressément ouvert l'accès aux honores39 • Les obstacles rencontrés par les juifs paraissent plutôt avoir été d'ordre sociologique.
38 Les critères utilisés par l'auteur pour déceler l'appartenance religieuse des hauts fonctionnaires sont les suivants indications précises dans les sources de la religion dudit dignitaire, fuite vers une église comme lieu d'asile, valeur religieuse de l'onomastique, appartenance à une famille dont la confession est connue, liens épistolaires avec le païen Libanius ou le chrétien saint Augustin, dédicaces d'ouvrages littéraires apparemment engagés, réception de lois à caractère religieux, appartenance à des commissions d'enquête ou missions judiciaires à propos de conciles et de synodes, fondations d'églises, dédicaces de temples païens ou de monuments du culte chrétien, présence de symboles chrétiens sur un document concernant un individu. Mais, comme le note Jean Gaudemet dans une recension de l'ouvrage, l'utilisation de l'asilie ne signifie pas forcément l'appartenance au christianisme puisque Symmaque ou Nicomaque Flavien, qui étaient païens, y ont eu recours ; le nom n'est pas plus sfir, certains évêques nouveaux convertis ayant conservé leurs noms païens et seul est réellement significatif le changement de nom; l'appartenance familiale n'est pas non plus réellement un indice car les païens et les chrétiens se côtoient dans une même famille. Cf. 1. Gaudemet, c. r. du livre de Raban Von Haehling, in RHD, n° 58, 1980, p. 648-650. T. D. Bames a critiqué de manière plus radicale la méthode utilisée par Raban Von Haehling en faisant remarquer que les statistiques obtenues par l'auteur ne recensaient pas les personnes mais les fonctions. Or, une personne pouvait occuper plusieurs fonctions. Ainsi, les 787 personnages recensés ne sont en réalité que 585. Cette erreur affecterait substantiellement les conclusions de l'enquête car elle établirait que les païens étaient, dès l'époque de Constantin, déjà rares dans les corps de la fonction publique, ce qui donnerait raison aux dires d'Eusèbe de Césarée et de Théodoret de Cyr pour qui le premier empereur chrétien avait immédiatement mené une politique résolue de christianisation de l'État. Cf. T. D. Barnes, « Statistics and the Conversion of the Roman Aristocraty », in JRS, n° 85, 1995, p. 135-147. Tout en constatant l'erreur méthodologique de Raban de von Haehling, Jean Gaudemet et Ramsay Mc Mullen ne pensent pas que les conclusions de ses sondages en soient pour autant invalidées. Cf. J. Gaudemet, op. cit., p. 650, et R. MacMullen, Christianisme et paganisme..., op. cit., p. 236, n. 70. 39 Cf. chap. J, p. 30.
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1. Des obstacles tenant à la traditionnelle fermeture des corps de hauts fonctionnaires
Mais l'entrée des juifs au sein de l'ordre sénatorial a sans doute rencontré la réticence des membres traditionnels de cet ordre qui, tels que A. H. M. Jones nous les présente, formaient une aristocratie héréditaire et fermée, revendiquant jalousement son appartenance à la lignée des grandes familles de l'aristocratie républicaine. L'auteur ajoute que ceux qui se considéraient comme les gardiens de l'antique religion rejetaient violemment les adeptes du christianisme, qui, de leur côté, refusaient de transiger avec le « démon » Jupiter Maximus Optimus40 • Il ne faut donc pas s'étonner du résultat des sondages menés par différents chercheurs sur la période antérieure au règne de Constantin, qui révèlent une très faible présence de chrétiens dans l'ordre sénatorial41 • Un siècle plus tard, alors que l'ordre sénatorial s'était christianisé, la rancœur était toujours vivace. L'exemple de ce Rutilius Namatianus devenu magister officium et prœfectus urbi nous paraî~ bien illustrer la haine que pouvaient continuer de porter les aristocrates romains aux fidèles des religions monothéistes. Entre 415 et 417, ce païen laissa Rome pour visiter ses terres en Gaule et une dispute avec un juif agriculteur donna lieu à des considérations générales où se retrouvaient les traditionnels traits antisémites païens, mêlés à autant d'injures à l'encontre des moines chrétiens42 • Au Ive siècle, l'ordre sénatorial devint progressivement un ordre mélangé. Constantin octroya en effet le rang de clarissimi à des homines novi, d'une part en augmentant considérablement les effectifs du Sénat de Rome, d'autre part en créant un nouveau Sénat à Constantinople43 Une telle réforme, qui visait à diminuer le poids politique de l'aristocratie traditionnelle, prenait la forme d'un combat religieux, car nombre de ces homines novi - qui venaient généralement du fonctionnariat, des rangs les plus élevés des curies ou qui étaient de riches notables provinciaux - étaient des chrétiens. Certains d'entre
40 Cf. A. H. M. Jones, «Social Background of the Struggle between Paganism and Christianity », in A. Momigliano (dir.), The Conflict between Paganism and Christianity in the Fourth Century, Oxford, 1963. 41 Selon une étude de Werner Eck, l'aristocratie était solidement païenne au début du Ive siècle. Il n'a recensé que sept chrétiens appartenant à l'ordre sénatorial avant 312, auxquels il faut, selon T. D. Bames, retrancher encore une personne qui ne fait pas partie de l'ordre sénatorial et aj outer, depuis l'étude de Marie-Thérèse Rapsaet-Charlier, encore six personnes, ce qui nous donne toujours le même maigre bilan. Cf. T. D. Blimes, « Statistics... », op. cit., p. 137. 42 M. Stem, Greek and Latin Authors on Jews and Judaism, t. II From Tacitus to Simplicius, Jérusalem, 1980, p. 660-663. 43 A. Chastagnol, « La carrière sénatoriale du Bas-Empire (depuis Dioclétien) », in Epigrafia e ordine senatorio, Atti dei Colloquio internazionale AlEGL, t. l, Rome, 1982, p. 167-193.
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eux l'étaient devenus par conviction personnelle, tandis que d'autres avaient été poussés à la conversion précisément pour obtenir cette promotion. Le païen Symmaque le remarque avec amertume dans une lettre à son ami Prétextat, à l'époque de Gratien «Aujourd'hui, chez les Romains, déserter les autels est une manière de faire sa cour44 • » L'étude de Raban Von Haehling met ainsi en évidence l'évolution suivante. À partir de 324, on observe une percée des chrétiens, les païens continuant à détenir un nombre plus élevé de postes (32 % de païens contre 20 % de chrétiens sous Constantin, sous ses fils, 26 à 46 % de païens, 12 à 27 % de chrétiens). Pendant le règne de Julien, les païens redeviennent largement majoritaires (82 % de païens, 18 % de chrétiens) et ce retour au paganisme porte ses fruits puisque règne une sorte d'équilibre pendant les règnes de Valentinien 1er et Valens (38 % et 25 % de païens, contre 31 et 39 de chrétiens). Sous le règne de l'empereur Gratien, pour la première fois, le nombre de postes tenus par des chrétiens orthodoxes excède celui tenu par des païens Il % de païens contre 50 % de chrétiens. Les païens disparaissent plus tôt des rôles orientaux que des rôles occidentaux. À l'Est, sous Théodose 1er, il y a 19 % de païens contre 27 % de chrétiens, tandis que la parité demeure sous Valentinien II (32 % païens, 32 % chrétiens). Mais, à partir des fils de Théodose, l'évolution est consolidée. La cour d'Arcadius compte 9 % de païens contre 31 % de chrétiens et celle d'Honorius 13 % de païens contre 35 % de chrétiens. Enfin, sous Théodose II, les chiffres sont respectivement 3 et 47 %, et sous Valentinien III 5 et 51 %. Pareil changement ne devait pas concourir à faciliter l'intégration des juifs dans ces corps. Mais il ne faudrait tout de même pas aller jusqu'à conclure que celle-ci fut forcément rendue plus difficile qu'à l'époque païenne. Même si la préférence du pouvoir devait désormais aller aux chrétiens, on sait que la religion n'était pas devenue son seul critère de recrutement, tant s'en faut. Ainsi, les empereurs intégrèrent massivement des« barbares» dans l'administration de l'armée, aux offices de magister militum, de comes rei militaris et de dux, « barbares» qui étaient, on le sait, de religion arienne (Goths) ou païenne (Francs, Vandales...). Les mêmes impératifs d'efficacité semblent avoir poussé le pouvoir, au moins à l'Ouest, à recruter des juifs, qui étaient reconnus depuis longtemps par les Romains pour leurs qualités militaires45 On peut citer, en plus du témoignage fourni par la lettre de Severus de Minorque sur le comte Litorius, le passage des Chroniques (404) de Sulpice Sévère qui nous apprend la présence de barbares et de juifs dans l'armée, et la loi de la chancellerie qui, quand elle les en exclura finalement, laissera
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Symmaque, Ep. 1,51 (éd. Callu, p. 113). 1. Juster, Les Juifs dans l'Empire..., op. cit., vol. II, p. 265-278.
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échapper à propos des seconds l'information que « leurs mérites anciens » pourraient « plaider en leur faveur »46. 2. Un obstacle tenant aux croyances religieuses des juifs?
On a enfin pu alléguer que les juifs avaient eux-mêmes peu recherché les métiers de la fonction publique, à cause de « l'intransigeance religieuse de ce type de cives47 ». Le texte d'Ulpien déjà cité laisse en effet entendre que l'entrée dans les honores pouvait heurter les consciences juives la loi de Sévère et Caracalla, rappelons-le, « ne leur avait imposé que les devoirs qui n'offensaient pas leur superstition ». On suppose que les obligations dont il est fait état étaient les formalités d'entrée en fonction qui contenaient des éléments religieux. Mais ce même texte d'Ulpien nous apprend aussi que les citoyens juifs cherchèrent à contourner ces obstacles puisqu'ils réclamèrent et obtinrent que le pouvoir adaptât ses exigences aux leurs 48 • Quoi qu'il en soit, il y eut assurément à l'époque chrétienne des juifs pieux pour briguer les dignités. Rappelons que les dignitaires romains que l'on a rencontrés sur l'île de Majorque étaient aussi des chefs religieux. Theodorus, nous dit Severus, était « docteur de la loi ou, selon leur mot usuel, pater pateron49 », et Crecilianus était « Père des juifs [... ] le premier en honneur dans la synagogue après Theodorus 50 ». Nous en concluons, comme A. T. Kraabel, qu'il n'y avait pas d'incompatibilité majeure entre les obligations civiques et les règles de la Torah, aux yeux du moins de certains religieux. On peut concevoir que les notables juifs avaient tout intérêt à obtenir, pour le bien de leur communauté tout entière, un statut équivalent à celui des autres notables de la cité et qu'ils n'avaient pas de raison majeure d'esquiver les charges qui étaient liées à ce statut51 • Cette attitude fut peut-être plus courante encore chez les juifs qui n'occupaient pas de position importante au sein de leur communauté et dont la situation sociale et économique leur permettait néanmoins d'espérer intégrer la fonction publique. Un texte cité plus haut et qui date de 418 nous
46 Honorius, 10 mars 418 (c. Th., XVI, 8, 24) «[...] nullo veterum meritorum patrocinate suffragio. }} 47 1. Juster, Les Juifs dans l'Empire..., op. cit., vol. II, p. 243. 48 Cf. chap. l, p. 30. 49 Ep. VI, 2 «Siquidem apud illos legis doctor et, ut ipsorum utar verbo, pater pateron '" ' fuit. }} 50 Ep. XIX, 8 «[... ] Cœcilianus autem cum esset Iudœorum pater {...] 'ego, inquit, cum sim in honore synagogœ post Theodorem primus [...]. 51 A. T. Kraabel, « The Roman Diaspora Six Questionable Assumptions }}, in JJS, n° 33, 1982, p. 445-464.
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enseigne que les juifs, pour entrer dans les militiœ, ne répugnèrent pas à prêter le sacramentum, le sennent des fonctionnaires 52• Selon Karl Ferdinand Werner, les termes du serment des soldats, sennent qu'ils devaient renouveler chaque 1er janvier, étaient les suivants «Je jure de regarder le salut de l'empereur comme ma loi suprême et d'être toujours prêt à exécuter ses ordres. » Les membres des militiœ civiles, dont on sait qu'ils devaient, tout comme les soldats, revêtir au moment de leur entrée en fonction le ceinturon (cingulum), symbole de l' obsequium (l'obéissance et le service zélé), devaient aussi très probablement, selon Karl Ferdinand Werner, prêter le« sennent du cingulum ». Cette légèreté de la fonnule sacramentelle aurait donc facilité l'entrée des juifs dans les militiœ. Pour conclure, on peut dire qu'avant même que des lois leur aient interdit l'entrée dans la fonction publique, les juifs étaient relativement peu nombreux dans les hautes fonctions, pour des raisons qui ne tenaient pas tant à leurs croyances qu'aux obstacles politiques et sociologiques que leur opposaient les membres de cette aristocratie. En revanche, rien ne semble indiquer qu'ils n'occupaient pas dans une proportion normale, c'est-à-dire correspondant à leur poids démographique et économique relatif, des postes dans les militiœ.
SECTION
II. LES PREMIÈRES LOIS DE LA PARS OCCIDENTALIS (404-425)
Nous allons commenter successivement la loi du 22 avril 40453 , celle du 10 mars 41854 et celle du 6 août 425 55 , en montrant qu'elles s'inséraient dans une logique consistant à percevoir de plus en plus les juifs comme des ennemis de l'Empire (lois de 408 et 40956) et, sous l'impulsion du droit canonique (concile de Carthage, 41957 ), à des infames.
A. À la recherche du but réel de la loi sur les agentes in rebus juifs (22 avril 404) Le gouvernement de l'Ouest que dirigeait alors, au nom d'Honorius, le Vandale Stilicon, prit le 22 avri1404 une constitution adressée au préfet du prétoire des Gaules Romulianus, ainsi fonnulée
Honorius, 10 mars 418 CC Th., XVI, 8, 24). Honorius, 22 avril 404 CC Th., XVI, 8, 16). 54 Honorius, 10 mars 418 CC Th., XVI, 8, 24). 55 Constance III, 6 août 425 CSinn. 6). 56 Honorius, 24 novembre 408 CC Th., XVI, 5, 44) et, du même, 15 janvier 409 XVI, 5,46) 57 Concile de Carthage, 419, c. 129. 52 53
CC
Th.,
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Iudœos et Samaritanos, qui sibi agentum in rebus privilegio blandiuntur, omni militiœ privandos esse censemus58 • Les juifs et les Samaritains qui se flattent [de bénéficier] du privilège des agentes in rebus, nous décidons qu'ils soient privés de tout service.
Si l'on en croit la lecture qui a été proposée par un certain nombre de commentateurs, la loi aurait fermé aux juifs et aux Samaritains l'accès à l'office d'agens in rebus uniquement59 Une telle interprétation est trop restrictive, le texte formulant l'interdiction non pas d'accéder à ce seul corps mais bien à tous les services (omni militiœ). Ce rectificatif soulève pourtant une nouvelle difficulté l'interdiction visait-elle les populations juive et samaritaine dans leur ensemble ou simplement ceux qui avaient accédé à l'office d'agens in rebus, ce qui devait concerner relativement peu de personnes60 ? Amnon Linder penche pour la seconde solution. Pour lui, la loi visait à sanctionner des agents en particulier, une interdiction générale d'accéder aux militiœ n'ayant été formulée pour la première fois qu'en 418, qui permettait d'ailleurs aux juifs qui occupaient alors au Palais le poste d'agens in rebus d'atteindre le terme de leur service, ce qui prouve encore que la mesure n'était pas générale. La loi de 404 aurait donc visé à sanctionner uniquement certains agents qui auraient abusé du pouvoir que leur donnait leur fonction 61 . Il reste à déterminer la nature des fautes qui leur étaient reprochées. 1. Une loi sanctionnant une faute commise par des agentes juifs
On pense forcément à la sinistre réputation des membres de ce corps qui, pour Henri-Irénée Marrou, n'étaient rien d'autre que «les agents d'une
Honorius, 22 avril 404 (c. Th., XVI, 8, 16). A. H. M. Jones, The Later Roman Empire..., op. cit., vol. II, p. 948 ; C. VogIer, « Les juifs dans le Code Théodosien », in Le Point théologique, n° 33, 1979, p. 57 et 67 T. Honoré, Law in the Crisis..., op. cit., p. 158. 60 L'ouvrage de 1. R. Martindale nous fournit le nom d'un certain Iulius qui a occupé cette dignité à l'Ouest en 404. Cf. 1. R. Martindale, The Prosopography ofthe Later Roman Empire, II, AD. 395-527, p. 642. Il nous paraît cependant hasardeux d'affirmer que l'on soit en présence de notre homme (ou de l'un d'entre eux s'ils étaient plusieurs). Le nom de Iulius eftt certes pu être porté par un juif ou par un Samaritain. On sait en effet par des sources épigraphiques et archéologiques que beaucoup de juifs portaient des noms romains. Cf. S. J. D. Cohen, « "Those who say they are Jews and are not" How do y6u know a Jew in Antiquity when you see one? », in S. 1. D. Cohen et E. S. Frerichs (dir.), Diasporas in Antiquity, Atlanta (Géorgie),1993, p. 8-10. 61 Il propose ainsi de traduire le texte comme suit «We order that the Jews who delude themselves with the privilege of the Executive Agents, shall be deprived of any State Office. Cf. A. Linder, JRIL, op. cit., p. 223. 58
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Gestapo ou d'un MVD 62 ». Roland Delmaire considère que ce jugement est très exagéré, mais il reconnaît néanmoins que certains pouvaient abuser d'une fonction qui consistait en particulier à inspecter dans les provinces, à rapporter à l'empereur ce qu'ils jugeaient anormal ou dangereux et à prendre l'initiative des accusations qui s'imposaient63 . En d'autres tennes, les agentes in rebus se trouvaient munis de tels pouvoirs de nuisance que les « bavures » étaient nombreuses. Pour Ramsay MacMulîen, les agentes in rebus participèrent ainsi activement, par leur esprit vénal, à la « privatisation de l'État », un phénomène qui fut, selon lui, massif pendant le Bas-Empire, c'est-à-dire que ceux qui occupaient des positions publiques retiraient un profit privé de leur autoritë4 • Émilienne Demougeot, qui estime elle aussi que la loi du 25 juillet 404 était une mesure de circonstance, a recherché ce qui avait bien pu être reproché aux agentes juifs. Elle a proposé de rapprocher notre loi d'une loi du 11 avril 399 que nous avons déjà eu l'occasion d'étudier, par laquelle Milan interdisait la circulation du tribut envoyé par les juifs d'Occident au patriarche de Paiestine6S «C'est le fait d'une superstition indigne si les chefs de synagogues, les prêtres des juifs, et ceux qu'ils appellent apôtres et qui sont envoyés à certaines époques par le patriarche pour exiger de l'or et de l'argent, lui rapportent les sommes levées auprès de chaque synagogue et perçues par eux », débutait la loi66 • Stilicon aurait été peu désireux de voir les ressources des juifs d'Occident aller grossir les revenus du gouvernement oriental, dont le chef était son rival Eutrope, et il aurait décrété l'embargo pour cette raison. Émilienne Demougeot suppose que les agentes in rebus dont le rôle consistait de fait à porter des dépêches, lettres et instructions impériales, et qui jouaient par là un rôle clé dans l'application des lois et
Cf. H.-I. Marrou, Saint Augustin et l'augustinisme, Paris, 2003 (Ire éd. 1955), p. 11-12. Cf. R. Delmaire, Les Institutions..., op. cit., p. 116-119. 64 Il cite à l'appui de cette affirmation Libanius qui, sous le règne de Valentinien, écrivait des agentes in rebus «Si la pensée d'une province leur venait à l'esprit, ils l'associaient immédiatement à la somme d'argent qu'ils pouvaient en tirer » et « les gens de cette bande laissaient entendre à leurs lèche-bottes qu'il y avait gratte, et ceux-ci menaçaient les commerçants du fouet en les accusant d'insulte à l'empereur; non tant afin de leur administrer une bonne raclée que pour s'assurer qu'ils rachèteraient leur immunité de cette peine. » Cf. R. MacMullen, Le Déclin de Rome et la corruption du pouvoir, Paris, 1991, p. 233. 65 Cf. chap. I, p. 48 et suiv. 66 Honorius, 11 avril 399 (c. Th., XVI, 8, 14). 62 63
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décisions du prince dans les provinces67 - auraient mis peu d'empressement à transmettre cet ordre68 • Ayant finalement cédé au mécontentement des communautés juives en rétablissant, par une constitution du 25 juillet 404, ce privilège, Stilicon aurait auparavant pris soin de marquer fermement sa réprobation pour le comportement peu zélé sinon déloyal de ses fonctionnaires juifs. Ce ne sont là que des conjectures et il est impossible sur ce point d'arriver à quelque certitude. Mais nous pouvons à notre tour émettre une hypothèse les juifs visés par la loi du 22 avril 404 auraient été d'origine curiale et auraient tenté d'échapper à leur charge en intégrant frauduleusement le corps des agentes in rebus. 2. Une loi contre l'intégration frauduleuse du corps des agentes in rebus par des juifs curiales
Cette interprétation nous est suggérée par la manière dont le texte est formulé les juifs « se sont flattés [de bénéficier] du privilège des agentes in rebus » (sibi agentum in rebus privilegio blandiuntur). De fait, d'autres constitutions du Code Théodosien dénoncent en des termes curieusement identiques la manière dont certains citoyens romains se sont « flattés [de bénéficier] de l'honneur de perfectissimes » (peifectissimatus sibi honore blandiuntur) pour, alors qu'ils étaient des fils de vétérans obligés à la curie, échapper à cette charge69 ; d'autres encore se sont « flattés [de bénéficier] du privilège de l'armée» (privilegio militari quo sibi actuarii blandiuntur)
67 Sur les différentes attributions des agentes in rebus, cf. R. Delmaire, Les Institutions..., op. cil., p. 102-116. 68 Nous avions, dans notre commentaire de cette loi au chapitre l, montré que l'empereur attendait que soit versé au Trésor l'or· déjà prélevé sur les juifs de la Diaspora occidentale par les apostoli du patriarche de Palestine, or qui n'avait pu être retrouvé. Si l'on admet l'explication d'Émilienne Demougeot selon laquelle le rôle trouble des agentes juifs durant cette affaire aurait été à l'origine de leur destitution, on peut avancer l'hypothèse que la fonction précise de ces agentes était en l'occurrence celle de curiosi litorum - ces agents détachés pour vérifier les évictions et les mouvements dans les ports - qui auraient laissé les apostoli s'embarquer vers les côtes orientales sans les arrêter. Sur le rôle des curiosi litorum, cf. R. Delmaire, Largesses sacrées..., op. cit, p. 287-288. 69 Constantin, 21 avril 327 (C. Th., XII, l, 15) « Veteranorum fllios curialibus muniis innectendos, ita ut et ii, qui perfectissimatus sibi honore blandiuntur, ,trusi in curiam necessariis officiis publicis inserviant. »Les fils de vétérans étaient eux aussi obligés de servir dans l'armée. Ils pouvaient néanmoins se dégager de cette obligation en optant pour la curie et étaient alors« mancipiés aux curies ». Constantin, 24 novembre 326 (C. Th., XII, l, 18, 1). La loi du 21 avril 327 précise que cette obligation concernait même ceux qui avaient obtenu la dignité de perfectissimes. Cf. J. Gaudemet, « Constantin et les curies... », op. cil., p. 51.
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alors qu'ils étaient de pères curiales, toujours dans le dessein de fuir leur lourd héritage7o • On a vu dans un chapitre précédent qu'une loi de Gratien du 18 (ou 19) avril 383 avait accusé des juifs de «s'être flattés [de bénéficier] du droit» attaché à la fonction de clercs pour échapper à la curie (lussio, qua sibi ludœœ legis homines blandiuntur)71. Ce stratagème ayant échoué, les juifs curiales auraient tenté d'intégrer frauduleusement le corps des agentes in rebus. On sait que la chancellerie de Stilicon s'inquiétait de ce problème quelques années avant de prendre la loi de 404. Elle avait, le 13 septembre 398, décidé la chose suivante «Tous ceux qui doivent servir à la curie pour n'importe quelle raison légale sont tenus de remplir leur charge, indépendamment de la superstition à laquelle ils appartiennenfz », et avait souligné le problème particulier que posait la fuite des citoyens juifs qui était désastreuse pour les finances de l'Empire73 • L'année suivante, une loi d'Arcadius ordonnait que les fils de curiales illégalement affectés à des militiœ fassent l'objet de poursuites judiciaires, et s'intéressait encore spécifiquement au cas des juifs en stipulant que « tout juif dont il est prouvé qu'il est obligé à la curie sera livré à elle74 ». Une telle lecture offre le mérite de résoudre les incertitudes relevées plus haut quant aux destinataires et au but de la loi. Elle aurait été suscitée par la nécessité de condamner certains juifs ou Samaritains qui s'étaient glissés par fraude dans le corps des agentes in rebus, et cette affaire particulière aurait été l' occasio legis de combattre de manière générale tous les juifs et Samaritains curiales qui faisaient un usage illégal du cursus publicus. Il était en effet tentant de barrer définitivement à ces populations, dont la présence dans les curies n'était apparemment pas négligeable pour les finances de l'État, l'accès aux militiœ. Une telle loi complétait opportunément le dispositif mis en place depuis Constantin combattant l'abandon des curies pour l'année ou les officia75 • Cette mesure fut par la suite appliquée avec négligence par le gouvernement d'Honorius - ou faudrait-il dire de Stilicon -, comme si lui-même n'y avait jamais réellement cru. Pour autant, son importance n'en fut pas moins réelle car elle constituait un précédent à une loi qui, quatorze ans plus tard,
Théodose 1er , 24 avril 392 (c. Th., XII, 1, 125) « Submoto privilegio militari, quo sibi actuarii blandiuntur, eum, qui evidenter ostenditur curiali patre genitus, mox necessariis atque origini suœ debitis functionibus mancipari prœcipimus. » 71 Gratien, 18 ou 19 avril 383 (c. Th.. XII, l, 99). Cf. chap. 1, p. 42. 72 Honorius, 13 septembre (ou février) 398 (c. Th., XII, 1, 157). 73 Honorius, 13 septembre (ou février) 398 (c. Th., XII, 1, 158). 74 Arcadius, 28 (ou 30) décembre 399 (c. Th., XII, 1, 165). 75 Pour une analyse des lois arrachant les curiales aux militiœ, cf. 1. Gaudemet, « Constantin et les curies... », op. cit., p. 58-60. 70
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devait décréter l'exclusion générale et définitive des juifs de la fonction publique.
B. La loi du 10 mars 418 excluant les juifs de la fonction publique La loi du 10 mars 418 doit, comme l'a signalé Amnon Linder, être mise en relation avec les événements qui se déroulèrent dans ces années-là en Afrique du Nord. Pour que la chancellerie de Ravenne en arrivât à décréter une mesure d'une telle sévérité, il fallut en effet qu'elle soupçonnât la compromission des juifs nord-africains avec les donatistes et qu'elle les assimilât alors à des hérétiques76 • Même si pareil amalgame avait déjà été réalisé auparavant, il eut alors, parce qu'il s'insérait dans un climat particulièrement tendu en Occident, des conséquences à terme irréparables. 1. Une cause de la loi: l'assimilation des juüs d'Afrique du Nord aux hérétiques donatistes
Entre 407 et 409, le législateur frappa sévèrement les juifs d'Afrique du Nord. Le judaïsme, lit-on dans l'une de ces lois, était décrit comme « un nom infâme et détestable [...] pervers et étranger à l'Empire romain77 ». La situation dans les provinces romaines d'Afrique était redevenue, dans ces années, extrêmement critique, à cause des affrontements violents qui opposaient les catholiques et les donatistes. Le donatisme était né en Afrique du Nord lorsque, au lendemain de la persécution ordonnée par Dioclétien dans les années 303-304, des tensions s'étaient manifestées entre ceux qui avaient résisté et ceux qui s'étaient rendus au gouvernement, les lapsi. Quelques évêques numides, dont Donat, accusèrent leurs collègues carthaginois, d'abord l'évêque Mensurius, ensuite son successeur Cécilien, d'être de ces lapsi. Le crime était si grand aux yeux de Donat que ceux qui avaient été en contact avec les traîtres et leurs héritiers en étaient souillés, et qu'il fallait en conséquence les rebaptiser. La crise allait être profonde et durer plus d'un siècle. C'est qu'elle avait aussi un arrière-fond ethnique et social. Le donatisme recrutait en effet beaucoup de ses partisans en Numidie, une région berbère qui parlait sa langue propre, le punique. Les habitants de cette région rurale pratiquaient un christianisme rigoriste et exalté. Les Numides rejetaient la culture citadine des villes côtières et le catholicisme institutionnalisé, dont
76 Elle l'avait déjà fait sous Constance II, qui avait étendu sa persécution contre les donatistes aux juifs et aux païens, et sous Valentinien II, qui avait sévi simultanément contre les manichéens et les juifs. or avril 409 (c. Th., XVI, 8, 19). 77 Honorius, l
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les fidèles parlaient latin et lisaient la Bible dans cette langue. Ce mouvement, qui résistait à la romanisation, fut combattu par intermittence, sous Constantin entre 317 et 321, sous Constant entre 347 et 361, sous Gratien entre 365 et 379, et sous Théodose 1er en 398. Une crise éclata à nouveau sous le gouvernement de Stilicon, après une tentative de dialogue manquée, et après, surtout, que fussent remontés à Ravenne les échos des exactions des circoncellions - ainsi baptisés, selon saint Augustin, parce qu'ils « erraient autour des cellœ », et qui étaient sans doute majoritairement des ouvriers agricoles saisonniers78 • Un évêque de Bagaï gravement molesté par ces donatistes frustes étant allé montrer ses blessures en Italie, la Cour fut sensibilisée aux réclamations du concile de Carthage (16 juin 404) et une loi du 8 décembre 405 assimila le schisme donatiste à une hérésie, ce qui eut pour effet que les donatistes convaincus en justice durent payer l'amende que Théodose 1er avait prévue pour les hérétiques79 En 407, Stilicon, dont le pouvoir était fragilisé, délaissa ses alliés traditionnels de la haute noblesse sénatoriale païenne et décida de s'assurer la fidélité des Nicéens de la Cour en prenant une série de lois susceptibles de plaire à ce parti80 . Une loi du 22 février 407 accusa donc les donatistes du crime de lèse-majesté et les dépouilla de leurs biens et de leurs principaux droits civiques. Dans son sillage furent visés par les mêmes graves déchéances une série d'autres hérétiques « qui ne devaient rien avoir en commun avec les autres, ni en vertu de la coutume ni en vertu des lois 81 ». Or, ce durcissement devait bientôt également atteindre les juifs. Un an plus tard, le régime fut renversé par le parti dévot des catholiques, conduit par Olympius, et Stilicon fut exécuté le 23 août 408. Pendant les deux mois qui suivirent cette mort, les violences entre les deux camps se multiplièrent. Saint Augustin, qui avait depuis peu renoncé à ses idées tolérantes et qui croyait dorénavant aux vertus de la force en matière religieuse, appela le pouvoir séculier à l'aide par deux lettres envoyées respectivement dans les années 408 et 409 à Olympius, qui était devenu le maître des offices, lettre dans laquelle il réclamait que l'on confirmât la
Saint Augustin, In Psalm., cxxxn, 112. Honorius, 8 décembre 405 (c. Th., XVI, 5, 39). 80 Sur les circonstances exactes qui conduisirent à l'édiction de la loi du 15 (ou 25) novembre 407, cf. E. Demougeot, « Sur les lois du 15 novembre 407 », in RHD, 1950, p. 403412. 81 Honorius, 22 février 407 (c. Th., XVI, 5,40). 78
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validité des lois de Stilicon82 • Le nouveau gouvernement de Ravenne lui donna satisfaction par deux lois rédigées en ces termes Donatistanim hœreticorum Iudœorum nova adque inusitata audacia, quod catholicœ fidei velint sacramenta turbare. Quœ pestis cave contagione latius emanet ac profluat83 • Par une audace nouvelle et extraordinaire, les donatistes, les hérétiques et les juifs ont voulu troubler les sacrements de la foi catholique. Prends garde que cette peste ne se répande plus largement et ne grossisse son cours par contagion. Ne donatistœ vel ceterorum vanitas hœreticorum aliorumque eorum, quibus catholicœ communionis cultus non potest persuaderi, iudœi adque gentiles, quos vulgo paganos appellant, arbitrentur legum ante adversum se datarum constituta tepuisse 84 • Que les donatistes et les autres vains hérétiques ainsi que les autres, qui ne peuvent pas se décider à suivre le culte catholique, à savoir les juifs et les Gentils que l'on appelle vulgairement les païens, n'aillent pas s'imaginer que les mesures des lois qui ont été portées auparavant contre eux sont attiédies.
On serait tenté de croire que le nom des juifs et des païens fut soufflé au pouvoir par saint Augustin qui aurait saisi l'occasion des troubles pour obtenir que soit élargie la répression à tous les ennemis des catholiques, bien que ceci ne soit pas établi par les deux lettres citées plus haut. Quoi qu'il en soit, l'orthodoxie d'Olympius, visiblement sensible aux idées de la mission chrétienne, ressort clairement dans la loi du 24 novembre 408 les juifs et les Gentils y sont en effet définis comme étant ceux «qu'on ne peut convertir au catholicisme ». Mais une cause plus immédiate de la réaction impériale semble bien avoir été l'attitude des juifs et des païens eux-mêmes qui, comme nous l'apprend la même loi, auraient « troublé les sacrements de la foi catholique ». Pour Marcel Simon, qui a décrit dans un long et dense article l'histoire du judaïsme berbère, il est probable que des juifs de Numidie ont été impliqués
82 Saint Augustin, Ep. XCVII. Ad Olympium. Sur le changement d'attitude ct' Augustin à l'égard de ses ennemis religieux, voir J. Cazier, « Le compelle intrare d'Augustin. Mise en perspective », in P. Cazier et J.-M. Delmaire (dir.), Violence et religion, Villeneuve-d'Ascq, 1998. 83 Honorius, 24 novembre 408 (c. Th., XVI, 5, 44). 84 Honorius, 15 janvier 409 (C. Th., XVI, 5,46). Une version du texte nous est également parvenue par la collection de Sirmond. Sirm. 14.
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dans les violences contre les catholiques85 • Ces derniers représentaient en effet pour les juifs berbères un double motif de haine ils étaient à la fois des ennemis religieux et les instruments de la romanisation. C'est sur ce second plan que le combat des juifs berbères aurait rejoint celui des donatistes et d'autres hérétiques, dont la dissidence correspondait à des oppositions sociales, politiques et culturelles contre la romanité chrétienne86 • S'il est difficile, mais pas impossible - car rien ne l'est en ce domaine -, de concevoir que les juifs berbères aient formé une alliance concertée avec ces chrétiens intraitables qu'étaient les donatistes, leur connivence avec au moins un mouvement chrétien berbère, celui des célicoles, est en revanche avérée. D'abord mal informée sur cette nouvelle secte de « gens qui tiennent des assemblées de je ne sais quel dogme nouveau 87 », Ravenne prend ensuite conscience, avec colère, de leurs liens avec les juifs, liens qu'elle décrit rageusement dans une loi du 1er avril 409 Cœlicolarum nomen inauditum quodammodo novum crimen superstitionis vindicabit. Ii nisi intra anni terminos ad Dei cultum venerationemque Christianam conversi fuerint, his legibus, quibus prœcepimus hœreticos adstringi, se quoque noverint adtinendos. Certum est enim, quidquid a fide Christianorum discrepat, legi Christianœ esse contrarium. Qam quidam adhuc, vitœ suœ etiam et iuris inmemores, adtrectare ita audent, ut de Christianis quosdam foedum cogant tœtrumque Iudœorum nomen induere. Et quamvis qui hœc admiserint, priscorum principium legibus iure damnati sint, non tamen pœnitet sœpius admonere, ne mysteriis Christianis inbuti perversitatem Iudaicam et alienam Romano imperio post Christianitatem cogantur arripere. Ac si quisquam id crediderit esse temptandum, auctores jacti cum consciis ad poenam prœteritis legibus cautam prœcipimus constringi, quippe cum gravius morte sit et inmitius cœde, si quis ex Christiana fide incredulitate Iudaicœ polluatur. Et idcirco iubemus88 [ •••] ne ecclesiis quisquam nocens vel cuiusquam abducere fideli ac devota Deo prœceptione sancimus, sub hac videlicet definitione, ut, si quisquam contra hanc legem venire temptaverit, sciat, se ad maiestatis crimen esse retienendum89• Le nom de célicoles, jusqu'ici inconnu, va d'une certaine manière obliger à reconnaître un nouveau crime de superstition. Si ces gens ne reviennent pas
85
M. Simon, « Le judaïsme berbère dans l' Mrique ancienne », in Revue d' histoire et de
philosophie religieuse, n° 26, 1946, p. 1-31 et 105-145. 86 Pour plus de détails et de nuances sur ces clivages entre les deux Afriques, cf. C. Lepelley, Les Cités de l'Afrique..., op. cit., p. 49-57. 87 Honorius, 15 ou 25 novembre 407 (Sirm. 12). 88 Lacune dans le texte. er 89 Honorius, 1 avril 409 (c. Th., XVI, 8, 19).
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dans le délai d'un an à l'adoration de Dieu et au culte chrétien, ils doivent savoir qu'ils seront atteints eux aussi par les lois que nous avons édictées pour contraindre les hérétiques. Car il est certain que tout ce qui diffère de la foi des chrétiens est contraire à la loi chrétienne. Certains, maintenant encore, oublieux de leur propre vie et de la loi, osent prendre l'initiative de forcer des chrétiens à revêtir le nom infâme et détestable de juifs. Bien que les coupables aient été condamnés à juste titre par les lois de précédents princes, Nous ne pensons pas avoir à Nous repentir de leur renouveler plus souvent cet avertissement, car il ne faut pas que des gens pénétrés des mystères chrétiens puissent être contraints, après avoir été chrétiens, d'adopter le judaïsme pervers et étranger à l'Empire romain. Et si quelqu'un croyait devoir le tenter, Nous ordonnons que les auteurs du crime et leurs complices soient réprimés par la peine stipulée par les lois anciennes, puisqu'il s'agit d'un fait plus grave que la mort et plus cruel qu'un assassinat, que de voir un homme partageant la foi chrétienne être souillé par l'incroyance judaïque. [...] C'est pourquoi Nous ordonnons Cet ordre plein de foi et de dévotion à l'égard de Dieu, Nous le décidons avec cette précision que, si quelqu'un tente d'aller contre cette loi, il doit savoir qu'il sera arrêté pour crime de lèse-majesté.
L'entrée de chrétiens dans la secte des célicoles paraît avoir constitué une étape vers la conversion au judaïsme, des juifs intervenant activement dans le processus. Le lien entre le mouvement des célicoles et le judaïsme semble avoir été si étroit que les premiers ne figurent dans aucune liste d'hérésies chrétiennes et qu'ils seront rangés par les juristes du Théodosien dans la même rubrique que les juifs et les Samaritains (livre VIn). Pour Marcel Simon, le succès du judaïsme auprès de cette secte dont le foyer se trouvait en région punique, dans l'arrière-pays africain, s expliquerait par la similarité linguistique qui existait entre le parler punique et l'hébreu. Cette parenté étroite .entre les deux langues aurait selon lui contribué à maintenir chez les juifs africains l'usage de l'hébreu et facilité du même coup la propagande auprès des indigènes90 • Il faut ajouter que le judaïsme romain, côtier et urbain, qui se déploie de part et d'autre de Carthage de l'Égypte jusqu'à la côte atlantique91 , a également pu offrir un terrain favorable au l
Cf. M. Simon, « Le judaïsme berbère... », op. cit., p. 18-31. La présence dans l'Afrique romaine de nombreux établissements juifs est attestée par une quantité importante d'écrits et de documents archéologiques et épigraphiques. Ces sources nous renseignent avec assez de précision sur la répartition géographique des communautés juives en Afrique qui, du point central de Carthage, s'étendaient en continu de l'Égypte jusqu'à la côte atlantique. Pour un inventaire et une description des sources écrites et archéologiques depuis l'époque punique jusqu'à l'époque byzantine, en passant par les époques romaine et vandale, cf. P. Monceaux, «Les colonies juives dans l'Afrique romaine », in REJ,1902, p. 1-28; et pour une description des sources épigraphiques, voir, du même auteur, « Enquête sur l'épigraphie chrétienne d'Afrique », in Archéologie, 1904, p. 354-373. 90 91
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prosélytisme. Ceci paraît être avéré par la longue tradition de controverse antijuive qui naît précisément dans ces régions et qui s'adresse aux masses païennes ainsi qu'aux chrétiens fraîchement convertis ou à la foi chancelante92 • Tous ces éléments mêlés - victoire à Ravenne du parti catholique et avec lui des idées chrétiennes, prise de conscience de la collaboration des juifs africains avec les rebelles donatistes et hérétiques, prosélytisme des juifs berbères et latins - créèrent à la Cour occidentale un climat fâcheux pour les juifs. D'autant que la victoire d'ûlympius représentait le triomphe du courant antigermanique qui était également antijuif. 2. Une autre cause de la loi: l'amalgame entre barbari germaniques et juifs
L'amalgame entre les barbares et les juifs apparaît dans une œuvre de l'auteur de la Vie de saint Martin, Sulpice Sévère. Ce noble gallo-romain d'origine aquitaine rédigea entre 400 et 403 des Chroniques qui contiennent un passage racontant l'interprétation du songe de Nabuchodonosor par Daniel. Le roi voit une statue composée de différents matériaux représentant les différents empires qui se sont succédé jusqu'à l'Empire romain que figurent les jambes de fer. Mais il s'appuie sur des pieds à moitié de fer et à moitié d'argile qui « préfigurent la division de l'Empire romain de sorte que jamais ils ne se fondent ensemble ». Sulpice Sévère poursuit ainsi Du fait que terre et fer sont mêlés alors même que leur matière jamais ne se fond, il est présagé que les brassages de la race humaine ne seront pas un facteur d'accord car, de fait, le territoire romain se trouve envahi par des peuples étrangers, rebelles ou livrés à ceux qui se rendent sous une apparence de paix. Nous devons considérer les nations barbares, et particulièrement les juifs, mêlées à nos armées, nos villes, nos provinces : tout cela vit au milieu de nous et cependant n'adopte pas nos mœurs. Et les prophètes annoncent que ces événements sont les demiers 93 •
92 Nous sommes sur la terre où est né le genre du Contra Judœos. Tertullien composa un traité sous ce titre entre 200 et 206. On peut aussi citer le premier livre des Testimonia de saint Cyprien, composé au début de son épiscopat - il est élu évêque en 243 -, ainsi que trois acrostiches contre les juifs dans les lnstructiones de l'évêque-poète Commodien. Certaines parties de l'œuvre de saint Augustin témoignent du souci de combattre l'influence bien réelle des juifs sur les chrétiens et les païens d'Afrique. Cf. B. Blumenkranz, « Augustin et les juifs. Augustin et le judaïsme », in Recherches augustiniennes, vol. 1, 1958, p. 225-241, notamment p.226-228. 93 Sulpice Sévère, Chrono II, 3 (éd. G. de Senneville-Grave, Paris, 1999, p. 228-229).
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L'anxiété de Sulpice Sévère, que faisait naître la présence sur le territoire de « peuples étrangers ou rebelles» était partagée par d'autres Romaills catholiques. Germains et Goths avaient, depuis le Haut-Empire, migré à l'intérieur des frontières, attirés par les carrières que leur offrait l'armée, et les chrétiens orthodoxes de la Cour avaient dû se résigner à côtoyer, en plus des sénateurs païens romains, des chefs païens et ariens barbares occupant les plus hautes dignités de l'Empire. En 392, des catholiques avaient convaincu l'empereur Valentinien II de destituer le général franc Argobast en raison de son paganisme, ce qui s'était mal terminë4 • Depuis la mort de Théodose 1er en 395, le véritable détenteur du pouvoir en Occident était le généralissime Stilicon qui, bien qu'étant marié avec la Romaine Séréna, nièce et fIlle adoptive de Théodose, et qu'ayant combattu avec son état-major et son armée barbares les Vandales et les Alamans, n'en demeurait pas moins pour ses ennemis un barbare, fils d'un officier vandale, et qui portait un nom vandale. Le coup d'État d'ûlympius était en fait le résultat d'une violente réaction antigermanique qui conduisit au massacre de Flavius Stilicon et des soldats de sa garde personnelle avec leurs femmes et enfants, au mois d'août de l'année 408 95 • Le 14 novembre 408, Olympius fit prendre la mesure suivante Eos, qui ex catholicœ sectœ sunt inimici, intra palatium militare prohibemus, ut nullus nobis sit aliqua ratione coniunctus, qui a nobis fide et religione discordaf6. Nous interdisons à ceux qui sont ennemis de la secte catholique de tenir des milices dans le palais, afin que personne ne nous soit associé pour quelque raison que ce soit, qui est en désaccord avec nous par la foi et la religion.
Et le 15 février 409, dans une constitution adressée au préfet du prétoire d'Italie, il réforma le mode de recrutement des defensores civitatum, qui devraient désormais être choisis exclusivement parmi les chrétiens orthodoxes (sacris orthodoxœ religionis imbuti mysteriis97 ). Cependant, à l'automne de cette même année, Olympius fut à son tour destitué à la suite de plusieurs défaites que lui avait fait subir le Goth Alaric. Les troupes d'Alaric, secondées par des soldats barbares de l'armée romaine qui s'étaient ralliés à lui, engagèrent même le siège de Rome qui, rapidement
94 Arbogast avait fait assassiner le jeune empereur et institué à sa p1ac~ un usurpateur, Eugène. Cf. E. Stein, Histoire du Bas-Empire..., t. l, p. 210-11 et 216-218. 95 K. F. Werner, Naissance de la noblesse. L'essor des élites politiques en Occident, Paris, 1998, p. 199-200. 96 Honorius, 14 novembre 408 (c. Th., XVI, 5, 42). 97 Honorius, février 409 (C. 1., l, 55, 8).
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affamée, tomba le 24 août 410. Malgré les instructions d'Alaric, la Ville éternelle fut pillée et incendiée, et ses habitants violés et massacrés. Après cette expérience traumatique, Honorius opéra un important remaniement du personnel de la Cour de Ravenne en concédant de hautes charges au parti favorable aux Germains98 • Il fit, par égard pour l'un d'eux, le général Generidus, annuler la loi du 14 novembre 408 dans des circonstances que nous conte Zosime99 Il [Generidus] restait encore fidèle aux rites ancestraux et ne se résignait pas à s'abstenir du culte des dieux, lorsque fut introduite une loi qui interdisait à ceux qui n'étaient pas chrétiens de porter un ceinturon à l'intérieur du palais impérial ; comme au moment où cette loi fut promulguée Generidus se trouvait chargé d'un commandement militaire à Rome, il demeura chez lui après avoir quitté son ceinturon; quand l'empereur lui demanda, vu qu'il était au rang des dignitaires, de venir au Palais conformément au rang qui était le sien, il répondit qu'il y avait une loi qui l'empêchait, et généralement ceux qui n'adhéraient pas à la religion des chrétiens, de porter un ceinturon et d'être enrôlé parmi les dignitaires. L'empereur ayant répondu que cette loi était valable dans son intention pour tous les autres, mais non pas pour lui qui avait couru de tels dangers pour l'État, il dit qu'il n'admettait pas ce privilège qui était une insulte envers tous ceux qui avaient été exclus des fonctions officielles pour cette raison; et il n'y eut pas de moyen de lui faire accepter son commandement avant que l'empereur, poussé par la honte et en même temps par la nécessité, ne rendît cette loi caduque pour tous, laissant chacun revêtir sa fonction et exercer sa charge en conservant ses propres convictions lOO •
Les juifs d'Italie bénéficièrent manifestement de ce changement de ton, et ils déployèrent dans les années qui suivirent une intense activité diplomatique qui leur permit d'obtenir les lois avantageuses du 26 juillet 412, du 6 novembre 415 et du 24 septembre 416\0\. Il n'y a pas de doute que ces succès furent rendus possibles non pas simplement par les pressions du didascale Anna, mais sans doute plus directement par l'influence exercée au sein même du Palais par les juifs qui y occupaient toujours des fonctions dans ces années-là.
E. Stein, Histoire du Bas-Empire..., op. cit., t. 1, p. 256-257. L'historien Zosime, qui vécut autour des années 500, était un païen qui, pour Bossuet, était« l'ennemi le plus déclaré du christianisme et des chrétiens ». Cf. J. Bossuet, Défense de ["'Histoire des Variations", chap. VII, cité par François Paschoud dans son introduction à l'édition du texte (cf. note suivante), p. LXXVI. 100 Zosime, Histoire nouvelle, livre V, 46, p. 3-4 (éd. F. Paschoud, Les Belles Lettres, p. 6869). 101 Cf. chap. II, p. 93 et chap. III, p. 153. 98 99
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Mais la partie n'était que temporairement perdue pour les chrétiens orthodoxes. En 412, un certain Constance fut nommé au poste de magister militium. En 417, ce général respecté épousa la fille de Théodose 1er, Placidie, et, jusqu'à sa mort en 421, il sera une figure dominante de l'Occident, ayant même été élevé par Honorius à la dignité d'Auguste avant de mourir pendant qu'il préparait la guerre contre l'Oriene02 • Constance III manifesta pendant ses années au pouvoir son zèle religieux contre les donatistes, les pélagiens, les païens ainsi que les juifs. La loi excluant les juifs de la fonction publique est une illustration de cette politique. 3. Les dispositions de la loi
La loi de Constance III du 10 mars 418 portait les dispositions suivantes In Iudaica superstitione viventibus adtemptandœ de cetera militiœe aditus obstruatur. Quicumque igitur vel inter agentes in rebus vel inter palatinos militiœe sacramenta sortiti sunt, percurrendœ eius, et legitimis stipendiis terminandœ remittimus facultatem, ignoscentes facto potius quam faventes, in posterum vero non liceat quod in prœsenti paucis volumus relaxari. Illos autem, qui gentis huius perversitati devincti armatam probantur adpetisse militiœm, absolvi cingulo sine ambiguitate decemimus, nullo veterum meritorum patrocinante suffragio. Sane Iudœis liberalibus studiis institutis exercendœ advocationis non intercludimus libertatem et uti eos curialium munerum honore permittimus, quem prœrogativa natalium et splendore familiœ sortiuntur. Quibus cum debeant ista sufficere, interdictam militiœm pro nota non debent œstimare 103 • Que soit fermé l'accès de tout service à ceux qui vivent sous la superstition judaïque. Quiconque aura obtenu de prêter les serments de la militia, soit comme agens in rebus soit comme serviteur palatin, Nous leur concédons la possibilité de continuer le temps du service légal voulant ignorer le fait sans pourtant l'approuver. Mais la tolérance que Nous voulons admettre présentement pour un petit nombre ne sera plus permise à l'avenir. Quant à ceux dont on peut prouver qu'ils ont postulé pour l'armée tout en étant liés à ce peuple pervers, Nous décidons sans discussion possible qu'ils doivent se voir ôter leur ceinturon, sans que leurs mérites anciens puissent plaider en leur faveur. Pour ce qui est des juifs instruits dans les disciplines libérales, Nous ne leur enlevons absolument pas la possibilité de pratiquer le métier d'avocat, et Nous les autorisons à jouir des honneurs attachés aux fonctions curiales, qu'ils ont la chance d'espérer en vertu des prérogatives de leur naissance et qe la gloire de
102 103
E. Stein, Histoire du Bas-Empire..., op. Cif., t. J, p. 269-274. Constance III, 10 mars 418 (c. Th., XVI, 8, 24).
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leur famille. Puisqu'ils doivent se contenter de ces avantages, ils ne doivent pas considérer l'interdiction du service impérial comme une note [d'infamie].
Le gouvernement de Constance, qui voulait se débarrasser des officiales juifs du Palais, semble avoir redouté que cette mesure ne se solde par un échec. Stilicon n'avait-il pas vu sa décision d'exclusion ignorée en 404 ? Honorius n'avait-il pas été humilié par la résistance du général Generidus ? Prudemment, la chancellerie édicta une loi qui ne serait valable que pour l'avenir, ne touchant pas les juifs déjà en poste. Les agentes in rebus et les officiales juifs de la Cour pourraient ainsi rester en place jusqu'à l'expiration de leur temps légal de service (stipendium). En revanche, les juifs servant dans l'armée reçoivent immédiatement leur congé. Ils doivent se voir « ôter leur ceinturon» (cingulum militis absolvi), une expression imagée qui signifie l'exclusion de l'armée ou de l'administration en général. La loi prend bien soin de préciser que cette mesure, qui ne devrait nonnalement toucher que les fonctionnaires de la milice qui avaient commis des fautes très graves, n'est pas justifiée par les motivations classiques. Les juifs ne peuvent pas arguer de leurs mérites anciens pour contester leur exclusion. Il est clair que les avertissements des chrétiens orthodoxes ont finalement été entendus, ce dont témoigne l'expression « peuple pervers » qui semble faire écho au texte de Sulpice Sévère cité plus haut. Le troisième paragraphe de la loi tranche avec les précédents. L'empereur indique que « pour ce qui est des juifs instruits dans les disciplines libérales, Nous ne leur enlevons absolument pas la possibilité de pratiquer le métier d'avocat ». On peut se demander pourquoi le législateur jugea bon d'ajouter cette mise au point. Quel lien y avait-il entre les métiers de la fonction publique et le métier d'avocat? Il apparaît que, aux Ive et ve siècles, la profession d'avocat, si elle était fortement recommandée par certains empereurs et officiels à ceux qui projetaient une carrière dans les hautes fonctions publiques, demeurait tout de même optionnelle. Cependant, en pratique, nombreux étaient ceux qui entreprenaient des études de droit, au sein des écoles de Rome et de Beyrout notamment, dans l'objectif d'intégrer à tenne de hautes positions dans l'administration centrale ou provinciale. Le métier d'avocat était en particulier le tremplin le plus sûr pour les hommes de condition sociale modeste qui ambitionnaient d'accéder au cursus honorum 104• La loi signifiait donc aux juifs que si cette dernière étape dans leur carrière leur était désormais fennée, rien ne les empêchait pour autant
104
T. Honoré, Law in the Crisis..., op. cit., p. 6-11.
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de pratiquer le métier d'avocat, à condition qu'ils se contentent d'exercer cette profession à titre privé. Les juifs pourront en outre continuer de servir à la curie et ainsi « jouir des honneurs attachés à ces fonctions », qu'ils ont « la chance de pouvoir exercer en vertu des prérogatives de leur naissance et de la gloire de leur famille ». On a stigmatisé ici l'hypocrisie du législateur, puisque, on le sait, les juifs cherchaient précisément à fuir les curies 105 Mais cette précision était au contraire très sérieuse. Elle visait à ce que les juifs ne « considèrent pas l'interdiction du service impérial comme une note [d'infamie]. » Nul doute que la chancellerie répondait ici à un argument soulevé au moment de la rédaction de la loi. On peut de fait supposer que des juifs de la Cour avaient tenté de faire reculer le pouvoir en arguant que l'incapacité d'accéder à la fonction publique impliquait, dans la logique du droit, qu'ils étaient rabaissés au statut d'infames. Les infâmes étaient effectivement des citoyens incapables de briguer des charges, mais aussi d'octroyer ou d'accepter aucune procuration judiciaire et de porter des accusations en justice 106• La chancellerie avait adopté une attitude de dénégation, sans oser assumer jusqu'au bout sa décision de faire des juifs des infames. À moins qu'elle n'ait été de bonne foi. Il est vrai que le statut de curiale maintenait les juifs dans le rang des honestiores, ce qui n'était pas rien, et il y avait bien, malgré tous les désavantages décrits plus haut, « des honneurs attachés à la fonction de curiale 107 ». Ce statut leur permettait en effet de partager avec les sénateurs, les chevaliers ou les militaires le même traitement privilégié devant la justice par rapport aux autres citoyens, les humiliores. Ils ne pouvaient - du moins en principe - pas être soumis à la torture, et la peine subie par les privilégiés était moins lourde, pour le même délit, que celle des criminels d'une situation sociale moins élevée. Quand, pour un crime donné, les honestiores subissaient l'exil ou la relégation, les humiliores expiaient par la mort ou dans les mines, et ils pouvaient être livrés aux bêtes féroces dans le cirque, crucifiés, brûlés vifs, condamnés à la servitude à vie ou punis de bastonnade 108 Mais les frontières entre ces classes étaient décidément, en ce début de Ve siècle, très floues. Au lne siècle déjà, il avait été légalement stipulé que
105 C. Vogler, « Les juifs dans le Code Théodosien », in Le Point théologiqLiè, n° 33, 1979, p.43. 106 Th. Mommsen, Droit pénaL, op. cit., 1. III, p. 345-350. 107 Les honestiores étaient les sénateurs, chevaliers, curiales, militaires en activité de service ou à la retraite, qui s'opposaient aux humiliores, c'est-à-dire toutes les autres personnes libres. 108 E. Stein, Histoire du Bas-Empire..., op. cit., 1. I, p. 32-34.
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l'infamie n'était incompatible qu'avec les honneurs curiaux et non avec les charges curiales 109 Un juriste de l'époque de Septime Sévère, Callistrate, nous apprend que les honneurs municipaux ne se confondaient pas nécessairement avec les charges «L'honneur municipal est l'administration de la communauté avec un certain degré de dignité, exercé avec ou sans frais [... l. On appelle charge (munus) publique ce dont nous nous chargeons pour l'administration de la cité, avec une dépense et sans marque de dignité 110 ». Aux honneurs s'attachait une dignité spécifique qui accroissait l'honorabilité de son titulaire - le faisant monter dans la classification des notables fixée par l'album décurional- quand l'exercice d'un munus ne modifiait en rien le statut du munéraire, ne lui permettant pas d'accéder à une nouvelle place dans la hiérarchie civique 1l1 • C'est ainsi qu'une loi du 21 octobre 410 avait pu, sans contradiction, à la fois frapper des « criminels hérétiques » - les montanistes et les priscillianistes - en leur interdisant l'entrée dans les militiœ, et à la fois les obliger à demeurer dans les corps des curiales et des cohortales « pour qu'ils n'obtiennent pas les faveurs d'une exemption enviée sous prétexte de leur appartenance à une religion condamnée l12 ». On le voit, le statut de curiale n'était plus, comme il l'avait été naguère, le signe de l'honorabilité civique. En résumé, l'appartenance aux classes d' honestiores, d' humiliores ou d'infames n'entraînait plus d'effets juridiques systématiques. Même si les curiales juifs demeuraient bien en tant que tels des honestiores, ce qui en faisait au pénal des privilégiés, la déchéance qui les atteignait par ailleurs en les excluant des charges publiques les rapprochait dangereusement de la condition des infames. De fait, les hommes d'Église pénétrèrent sans attendre dans la brèche qui venait d'être ouverte. Dans un concile réuni à Carthage l'année suivante, les évêques africains et italiens retirèrent aux juifs le droit de porter des accusations, en alléguant qu'ils étaient infamiœ maculis aspersi. C. L'exclusion connexe des juifs de la représentation judiciaire On verra que l'assimilation des juifs à la catégorie des infames, réalisée pour la première fois par le droit canonique africain, servit de fondement
E. Stein, ibid., p. 53. Callistrate, D., 50, 4, 14. Traduction par F. Jacques, Les Cités de l'Occident romain du l'' siècle av. J.-c. au IV' siècle ap. J.-c., Paris, 1990, p. 121. III F. Jacques, Rome et l'intégration de l'Empire..., op. cit., t. l, p. 255. 112 Arcadius, 21 février 410 (c. Th., XVI, 5, 48). 109
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juridique au droit romain lorsque, en 425, il exclut les juifs de la représentation judiciaire. 1. Le canon 129 du sixième concile de Carthage du 25-30 mai 419
Après que, le 25 mai 419, le primat de Carthage Aurelius eut rendu leur liberté aux évêques que le concile avait tenus trop longtemps éloignés de leurs diocèses, il confia l'expédition des problèmes restés en suspens à dixhuit commissaires, dont l'évêque d'Hippone Augustin. Les pères conciliaires se réunirent cinq jours après la clôture du concile, soit le 30. L'objet de cette deuxième session était annoncé dans le canon 128 Placuitque omnibus, quoniam superioribus conciliorum decretis de personis quœ admittendœ sint ad accusationem clericorum iam constitutum est, et quœ personœ non admittantur non expressum est, idcirco definimus [...]. Des décrets de conciles antérieurs ont établi quelles personnes pourraient être admises à porter des accusations, mais ils n'ont pas précisé quelles personnes n'y seraient pas admises. Aussi avons-nous convenu ceci [...].
Suivait la liste, dans le canon 129, des personnes suivantes Item placuit ut omnes servi vel vel proprii libertini ad accusationem non admittantur, vel omnes quos ad accudanda publica crimina leges publicœ non admittunt ; neque ii qui postquam excommunicati fuerint - si in ipsa adhuc excommunicatione constitutus, sive sit clericus, sive laicus, accusare voluerit ; neque omnes infamiœ macula adspersi, idest istriones et turpitudinibus subiectœ personœ, hœretici etiam, sive pagani, sive Iudœi ; sed tamen omnibus quibus accusatio denegatur, in causis propriis accusandi licentiam non negandam. Nous voulons que les esclaves et les affranchis ne soient pas admis à porter des accusations, ainsi que tous ceux que les lois publiques n'admettent pas à l'accusation criminelle publique ; ni ceux qui sont maculés de la tache de l'infamie, c'est-à-dire les acteurs et les personnes sujettes à la turpitude, les hérétiques, les païens et les juifs. Cependant nous ne nions pas, à ceux à qui l'accusation est déniée, le droit qu'ils ont d'accuser pour ce qui concerne leurs propres causes.
Ce texte nécessite un certain nombre d'éclaircissements. D'abord, son domaine d'application est limité. Il ne concerne en effet que la procédure devant la juridiction épiscopale (audientia episcopalis), les évêques africains n'ayant bien sûr pas compétence pour réformer le droit romain. Il y a donc lieu de s'étonner de ce que les évêques se soient occupés de réglementer un mode de saisine (l'accusation) dont on aurait pu penser qu'il n'était plus de vigueur. En effet, une loi d'Honorius du 13 décembre 408 avait réduit la
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compétence épiscopale à un simple arbitrage. En conséquence, l'évêque ne pouvait plus être saisi qu'en vertu d'un compromis (per compromissum)1I3 Mais Honorius avait également confirmé le privilège dont bénéficiaient les évêques depuis une loi de Constance II de 355. Accusés, ils devaient être jugés non pas par un juge ordinaire (cognitor ordinarius) mais devant un conseil de leurs pairs. La loi du 11-13 décembre 411-412 étendait même ce privilège du for à tous les membres du clergé l14 • Le concile réglementait donc ici les conditions que devait remplir l'accusateur d'un clerc devant le tribunal d'un évêque. Pour ce faire, il s'inspire de la procédure romaine criminelle, et plus précisément de la procédure extra ordinem criminelle qui avait définitivement au Bas-Empire supplanté la procédure de l'ordo iudiciorum publicorum lls La cognitio extra ordinem criminelle était une synthèse des deux régimes procéduraux du droit classique, la procédure accusatoire et la procédure inquisitoire. Le déclenchement de la phase initiale du procès pouvait se faire, quel que soit le délit poursuivi, soit à l'initiative de l'État par l'intermédiaire d'un magistrat, soit à l'initiative d'un simple particulier, l'accusateur Il6 • Il faut noter que le mode de saisine des tribunaux en matière civile avait fini, aux Ive et ve siècles, par être le même, le procès débutant également par la comparution d'un particulier comme plaignant ou par l'instruction que l'autorité judiciaire ouvrait de son propre chef. De manière générale, la procédure civile avait fini par ressembler très étroitement à la procédure pénale, à laquelle elle avait emprunté ses règles policières (régime de comparution et de garde)ll7. Certains citoyens se voyaient privés de cette capacité d'accuser (ius accusandi). L'incapacité d'accuser reposait sur divers types de motifs. Certains tenaient au statut social (esclaves, affranchis), à l'exercice d'une fonction (magistrats, militaires), ou au sexe et à l'âge (incapacité d'exercice). D'autres tenaient à des considérations morales qui conduisaient à ranger certains citoyens parmi les infames. Étaient traditionnellement rangées dans cette catégorie les personnes exerçant des professions comme celles d'acteur
Honorius, 13 décembre 408 (C. Th., 1, 27, 2). Honorius, 11 ou 13 décembre 411 ou 412 (Sirm. 15 = C. Th., XVI, 2, 41). Cf. A. H. M. Jones, The Later Roman Empire..., op. cit., vol. 1, p. 491. 115 Cette procédure avait été baptisée comme telle parce qu'elle s'était développée en dehors du système légal fermé des procès pénaux. L'ordo iudiciorum publicorum finit par triompher au Bas-Empire et on en arriva, puisqu'elle était désormais la seule appliquée à être appelée non plus procédure extraordinaire mais cognitio. 116 Cf. chap. m, p. 129 et suiv. 117 L. Mer, L'Accusation dans la procédure pénale du Bas-Empire romain, thèse dactylographiée, Rennes, 1957. 113
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ou de tenancier de maison de débauche ; celles qui avaient été renvoyées de l'armée ou qui avaient subi une condamnation judiciaire - au pénal et, pour certains cas, au civil. Le concile de Carthage reprend explicitement cette liste à son compte, précisant que sont privés du ius accusandi devant leurs tribunaux ceux qui le sont par les lois publiques 1l8 • Il ajoute à ce catalogue les hérétiques, ainsi que les juifs et les païens, ce qui est, selon toute vraisemblance, une innovation 119 Ces additions furent peut-être l'œuvre de saint Augustin. On connaît en effet son exégèse de Gn IV, 1-5 Caïn préfigure les juifs qui à cause de leur rejet du Christ ont été comme lui marqués dans l'ExiI 120 • Mais la rhétorique utilisée ne semble pas avoir été la sienne 12l • L'emprunt à la procédure criminelle romaine apparaît enfin également dans le troisième paragraphe du canon 129 «Cependant, nous ne nions pas à ceux à qui l'accusation est déniée le droit qu'ils ont d'accuser pour ce qui
118 On peut même supposer que les évêques ont eu en tête, dans la préparation de leurs décrets, le De publicis iudicis du jurisconsulte Macer, car leurs canons présentent, comme l'a fait remarquer Walter Pakter, des similitudes même textuelles avec un texte de ce dernier. Au livre second de son De publicis iudicis (D., 48. 2. 8 pr), Macer écrit «Nous saurons qui a la capacité d'accuser si nous connaissons ceux à qui cette capacité est retirée », après quoi il expose la liste des incapables. Cf. W. Pakter, Medieval Canon Law and the Jews, Ebelsbach, 1988, p. 156. 119 Il apparaît de fait, après vérification, qu'il faille écarter l'assertion d'Émilienne Demougeot selon laquelle le canon reprenait une loi impériale d'Arcadius. L'auteur cite à l'appui de son affirmation une mention du diacre Fernand dans sa Brevatio canonum. Or, ni l'édition de Migne qu'elle cite ni celle de Charles Munier ne font allusion à un quelconque précédent d'Arcadius. On pourrait aussi invoquer comme précédent la fausse décrétale du pape Étienne 1"' (254-257) que l'on trouve dans le Décret de Gratien, CYl, quo 1, c. 17. Selon Mario Lauria, cette décrétale serait antérieure au règne de Constantin, le texte suivant un ordre et un critère adoptés par les compilations ecclésiastiques et juridiques chrétiennes occidentales du IY· siècle. La décrétale stipule ceci «Infames esse eas personas dicimus, que pro aliqua culpa notantur infamia, id est omnes, qui christianœ legis normam abiciunt, et statuta ecclesiastica contempnunt... » Cette définition générique des infâmes pourrait donc inclure les juifs. La fin du texte nous conduit pourtant à renoncer à cette hypothèse. Elle précise en effet que ces infâmes seront exclus des ordres sacrés et n'auront pas le droit de porter des accusations contre les prélats «Summos sacerdotes possunt accusare nec ad accusationem seu ad testimonium ullatenus iuste recipi possunt. » Cette sanction visait donc les chrétiens exclusivement. Cf. M. Lauria, « "Infames" ed altri esclusi dagli ordini sacri secondo un elenco probabilmente precostantiniano )', in Jura, vol. XXI, 1970, p. 182-186. 120 Cette exégèse apparaît dans plusieurs de ses œuvres à partir du Contra faustum de 397. Cf. 1. Cohen, Living Letters of the Jews..., op. cit., p. 41. 121 Nous avons consulté la banque de données de la Patrologia Latina qui recense une grande partie des œuvres d'Augustin et ne contient pas l'occurrence infamiœ macula adspersi, expression utilisée dans le canon et dont on aurait pu croire qu'il s'agissait d'une citation du Père de l'Église.
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concerne leurs propres causes. ») Les individus déclarés incapables d'accuser recouvraient ce droit lorsque le délit invoqué leur avait porté personnellement (ou à leurs proches) préjudice, lorsqu'ils poursuivaient suam suorumque iniuriam. De fait, les particuliers n'avaient pas à justifier d'un intérêt personnel à agir pour saisir le tribunal d'une accusation, et les procès paraissent bien avoir été plus souvent déclenchés par ce biais que par la procédure inquisitoire, semble-t-il réservée aux crimes les plus graves (comme les crimes de lèse-majesté et contre la religion). L'activité des accusateurs était encouragée par le versement d'une prime. Mais ce système entrâmait un esprit de délation, à en croire les lois qui menaçaient le calomniateur, au moins depuis le Ive siècle, de la même peine que celle qu'il avait réclamée pour l'accusé, ou qui réduisaient considérablement les primes 122. La justice était ainsi instrumentalisée par les citoyens comme une arme. Le concile voulait donc empêcher que cette arme fût utilisée contre le clergé par ses ennemis. Pour autant, il n'allait pas jusqu'à interdire à ces derniers de saisir le tribunal ecclésiastique lorsqu'une affaire les opposait personnellement à un clerc. Une telle possibilité a-t-elle été exploitée? On pourrait en douter, compte tenu des tensions qui, comme nous venons de le voir, régnaient dans les provinces africaines à cette époque. Néanmoins, la chose ne nous paraît pas improbable. D'abord, les juifs qui avaient à se plaindre d'un clerc n'avaient pas d'autre choix que de saisir la cour épiscopale puisque l'on sait que, dans la Pars occidentalis, les clercs ne pouvaient pas être déférés devant le juge ordinaire. En outre, on ne saurait conclure trop vite que les juges de ces tribunaux étaient forcément partiaux. Une des lettres nouvellement découvertes de saint Augustin nous apprend qu'un juif du nom de Licinius avait été expulsé de ses terres par l'évêque Victor, sous prétexte que la mère du propriétaire, qui avait été offensée par l'épouse de son fils, les lui avait vendues 123 • Licinius avait tenté de revendiquer son droit devant le tribunal épiscopal, mais comme ce tribunal était présidé par le même Victor, sa demande avait été rejetée. Saint Augustin conseilla alors à Victor de rétablir Licinius sur ses terres et de juger le contentieux qui opposait ce dernier à sa mère. Les lettres de Grégoire le Grand que l'on rencontrera ultérieurement fournissent également un exemple, certes plus tardif, de jugements relativement impartiaux 124 •
E. Stein, Histoire du Bas-Empire..., op. cit., t. J, p. 34. Saint Augustin, Ep. 8 (CSEL 88, Vienne, 1981). Voir N. E. Lenski, « Evidence for the Audientia episcopalis in the New Letters of Augustine », in R. W. Mathisen (dir.), Law, Society and Authority in late Antiquity, Oxford, 2001, p. 85. 124 Cf. chap. V, p. 261 et suiv. 122 123
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La décision des évêques de Carthage d'inclure les juifs dans la liste des infâmes incapables d'accuser influença sans doute la rédaction de la loi de Valentinien III du 6 août 425, le texte du canon ayant très bien pu avoir été transmis à l'Italie par le canal des légats romains dont les noms figurent dans la liste de souscription au concile, même si l'on ne trouve en Italie de première trace manuscrite de ce concile du 30 mai 419 que dans la collection de Denis le Petit (Dionysiana la) qui date du début du VIe siècle 125 • Quoi qu'il en soit, l'Église italienne avait déjà préparé les esprits contre ces juifs qui « opprimaient l'innocence dans les prétoires ». Par ces mots, l'évêque de Turin Maxime (mort entre 408 et 423) faisait écho à ses collègues africains, exhortant ainsi ses fidèles Nous devons éviter non seulement les associations avec les païens mais aussi avec les juifs dont la fabulation est grande en souillure. Ceux-ci s'insinuent avec une certaine solidité et pénètrent dans les maisons des hommes, entrent dans les prétoires et troublent l'oreille des juges et du peuple, et ils ont d'autant plus de succès qu'ils sont impudents. Ce mal n'est pas récent mais originel. Autrefois déjà, ils ont persécuté notre Sauveur dans un prétoire et l'ont condamné avec l'approbation d'un juge. L'jnnocence est ainsi opprimée dans le prétoire par le juif, des choses cachées sont révélées et la religion condamnée. Comme en effet ils ont tué le Christ, la vérité et la droiture ont été condamnées, car il est l'innocence en personne, la sainteté et le mystère.
Amen 126. Il fallait donc que le pouvoir intervînt pour faire cesser une situation jugée inique, qui permettait aux descendants de ceux qui avaient obtenu la condamnation du Christ de continuer d'user de l'arme des tribunaux contre les chrétiens. Cet argument devait, on le verra, devenir un topos de la politique législative antijuive 127 2. La loi du 6 août 425
Après de nombreux épisodes qu'il n'est pas besoin de détailler ici, le gouvernement de Constantinople avait reconnu le pouvoir du fils de Constance III, ce dernier étant mort, comme on l'a dit, alors même qu'il
125 On trouve le concile de 419 dans une collection Antiqua (419-451) qui figure dans la collection du manuscrit de Freising. Cf. 1. Gaudemet, Les Sources du droit..., op. cit., p. 82-
83. 126 Maxime de Turin, Sermo 64, 3 (PL 57, 544). Pour une traduction anglaise du texte, cf. B. Ramsey, The Sermons of St. Maximus afTurin. New York. 1989. p. 155-156. 127 Cf. infra, p. 209 et suiv.
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venait d'être nommé empereur128 La veuve de Constance III, P1acidie, avait remporté la partie contre un certain Jean qui avait cherché à succéder à Honorius en évinçant le jeune Valentinien, alors âgé de cinq ans. Contre Jean, qui s'était signalé par son anticléricalisme en supprimant les privilèges des églises et des clercs, Placidie fit réaliser la loi du 6 août 425 qui rétablissait ces privilèges en même temps qu'elle déclarait la guerre aux ennemis des Nicéens. Le Code Théodosien a conservé cette loi en cinq fragments, qui nous est également parvenue par la sixième « constitution de Sirmond », où on lit, entre autres choses, ceci Iudœis quoque vel paganis causas agendi vel militandi licentiam denegamus quibus christianœ legis nolumus servire personas, ne occasione dominii sectam venerandœ religionis inmutent 129 On nie aux juifs et aux païens le droit d'agir en justice et d'entrer dans les milices. Nous ne voulons pas que des personnes de loi chrétienne les servent et qu'à cette occasion elles passent de leur vénérable religion à la secte de leurs maîtres.
La dernière mesure, qui interdit que des chrétiens se trouvent dans la dépendance de maîtres juifs, a déjà été mentionnée 130 Une autre mesure, celle qui retire la capacité de briguer des charges (ius militandi), n'est pas nouvelle et réitère la loi de 418. Est en revanche originale celle qui limite l'accès aux tribunaux pour les juifs et les paYens. Il faut, depuis que des historiens ont signalé l'éventuelle falsification, au début du Moyen Âge, de constitutions des Sinnondiennes, se demander si l'interdiction du ius accusandi était bien authentique l3l • Elle n'apparaît en effet pas dans la
Cf. supra, p. 191 et suiv. Valentinien DI, 6 août 425 (Sinn. 6). \30 Cf. chap. DI, p. 154. 131 1. Godefroy a, quelques années après la publication de 1. Sinnond, formulé, dans le commentaire qui accompagnait son édition du Code Théodosien (Codex Theodosianus cum perpetuis commentariis, éd. A. Marville, Lyon, 1665, et l-D. Ritter, Leipzig, 1736-1745), l'hypothèse selon laquelle les constitutions impériales que l'on trouve dans la collection de Sinnond auraient été écrites par un faussaire du VIlle siècle. Ce clerc, issu du milieu bourguignon, aurait agi dans le dessein de prouver que les empereurs romains avaient placé la justice ecclésiastique au-dessus des juridictions séculières. L'incertitude demeure encore de nos jours. La majorité des lùstoriens, qui suivent G. Haenel et Th. Mommsen, estiment que ces constitutions sont authentiques. Ils affinnent que la collection elle-même a été réalisée un peu antérieurement au Code Théodosien et postérieurement à 425, date du texte le plus récent. Elle serait née en Occident, probablement en Gaule, car elle reproduit plusieurs constitutions adressées au préfet des Gaules. Cf. G. Haenel, XVIIl constitutiones quas Jacobus Sinnondus ex codicibus Lugdunensi atque Anitiensi Parisii a. MDCXXXI divulgavit, Corpus Iuris Romani 128 129
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version de la loi telle que nous la livre, en fragments dispersés, le Code Théodosien (C Th., XVI, 2, 46-47 et 5, 62, 63, 64). Mais le contexte que nous venons de décrire prouve que la décision d'enlever aux infidèles le ius accusandi était dans l'air du temps depuis le concile de Carthage et qu'elle s'insère donc dans une évolution logique. En faire un ajout du VIlle siècle serait pousser bien trop loin la critique. Pour Jean Gaudemet, cette mesure était « d'une extrême gravité car elle refusait aux païens et aux juifs toute protection judiciaire 132 ». Plusieurs raisons donnent à penser qu'en réalité elle n'allait pas aussi loin. Certes, littéralement, il s'agissait bien de leur retirer la capacité d'agir en justice (causam agere). Mais il paraîtrait surprenant que le Palais soit allé plus loin que les évêques de Carthage et qu'il ait sanctionné plus durement les juifs et les païens que les infames eux-mêmes, en allant jusqu'à leur enlever la capacité de saisir pour eux-mêmes les tribunaux. La loi interdisait simplement, comme nous l'avons dit plus haut, que les juifs et les païens n'endossent le rôle d'accusateurs au nom des autres, elle les excluait de la représentation judiciaire. Comment expliquer autrement que l'empereur lui-même ait continué de recevoir les supplicationes des juifs, comme en témoignent les rescrits ultérieurs? Si les juifs continuaient de pouvoir recourir directement à l'autorité suprême, a fortiori possédaient-ils encore leur droit litigieux. Quelques années plus tard, le 24 septembre 427, le concile d'Hippone confirma le canon 129. Pendant le quart de siècle suivant, les relations entre les deux partes imperii se pacifièrent. C'est à cette époque que fut élaborée la grande œuvre qui devait réaliser la communauté juridique entre l'Occident et l'Orient, le Code Théodosien.
Antejustiniani,t. IV, Bonn, 1844, p. 431-432 ; J. Gaudemet, La Formation du droit séculier..., op. cit., p. 73-74 et, du même, « La première mesure législative de Valentinien III », in Sources et théorie générale du droit, Paris, 1979, p. 129-147. D'autres historiens ont récemment repris l'hypothèse formulée par 1. Godefroy. Élisabeth Magnou-Nortier assure ainsi que certains textes de la collection ont été créés de toutes pièces et que d'autres ont utilisé des constitutions authentiques sur lesquelles ont été pratiqués des coupes et des ajouts. Cf. E. Magnou-Nortier, « Sur l'origine des constitutions Sirmondiennes ~~, in Revue de Droit canonique, nO 51-2,2001, p. 279-303, et Le Code Théodosien..., op. cit., p. 60-63. 132 J. Gaudemet, « La première mesure législative de Valentinien III », in lura, vol. XX, 1969, p. 129-147.
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SECTION
III.
BILAN ET AGGRAVATION DE CETTE LÉGISLATION EN ORIENT
La compilation du code frustra en même temps qu'elle stimula les commissaires chargés de cette tâche, car ils n'avaient pas l'autorisation de modifier en substance les lois impériales alors qu'ils se rendaient compte qu'elles devaient être transformées ou clarifiées. De nouvelles législations s'avéraient donc urgentes, spécialement depuis que les lois de l'Ouest et de l'Est formaient désormais un unique corpus. En outre, la confection d'un code composé exclusivement de lois d'empereurs chrétiens avait scellé une alliance entre le christianisme et le droit romain et suscité un zèle religieux encore inédit dans le milieu des juristes 133 • Aussi les lois rassemblées sur les juifs depuis Constantin incitèrent-elles l'un de ces commissaires, Martyrius, sans même attendre la promulgation du code, à confectionner une loi qui faisait le bilan de la législation antijuive en ne retenant que les mesures les plus récentes et les plus sévères, et en augmentant encore leur sévérité 134. La Novelle III du 31 janvier 438 complétait ainsi la constitution du 15 février 423 (c. Th., XVI, 8, 25) en assortissant d'une amende sévère la construction de nouvelles synagogues; de même, elle ne menaçait plus de l'exil, mais de la mort, les juifs qui pratiqueraient la circoncision sur des chrétiens. Surtout, et c'est ce qui nous retiendra ici, elle complétait le dispositif des lois occidentales de 404, 418 et 425 dans un contexte où le poids politique des évêques au sein des cités était devenu tel qu'il supportait mal la rivalité des patrons urbains juifs. François Nau et Émilienne Demougeot ont affirmé que la Novelle III reflétait les sentiments antijuifs qui auraient habité l'impératrice Eudocie après qu'elle eut été impliquée, lors d'un séjour à Jérusalem, dans les graves conflits qui avaient opposé les moines syriens aux juifs, au point que sa vie en avait été menacée. Mais, comme le fait remarquer Amnon Linder, la Novelle III date du 1er janvier 438 et non de 439, comme le supposaient les deux auteurs, alors que les troubles en question s'étaient déroulés à l'automne de l'année 438. Pour lui, c'est le retour à Constantinople de la dépouille de saint Jean Chrysostome le 23 janvier 438 qui aurait déchaîné le zèle religieux de la chancellerie. Quoi qu'il en soit, il est certain que régnait dans les années qui entourent la prise de la loi un climat extrêmement tendu mettant aux prises, d'une part, des chrétiens activistes et, d'autre part, les juifs et les Samaritains alliés aux païens.
133 134
169.
T. Honoré, Law in the Crisis..., op. cit., p. 158. Sur le style du questeur Martyrius, cf. T. Honoré, Law in the Crisis..., op. cit., p. 163-
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Nous décrirons ce climat avant de procéder au commentaire de la Novelle elle-même.
A. Le climat des relations entre juifs en chrétiens pendant le premier quart du ve siècle Les haines s'étaient fixées autour des croyances messianiques et eschatologiques des uns et des autres, ce qui fmit par causer la suppression du patriarcat juif de Palestine. 1. Les crises messianiques et eschatologiques
Certaines lois témoignent que les juifs orientaux se rendirent, dans le premier quart du ve siècle, coupables de vexations et de violences contre les chrétiens. Ainsi, une constitution d'Anthemius, préfet du prétoire d'Orient 135 , du 29 mai 408, les accuse d'avoir outragé des chrétiens lors de la fête de Pourim en brûlant une effigie d'Aman représenté sous la forme du Christ en croix Iudœos quodam festivitatis suœ sollemni aman ad poenœ quondam recordationem incendere et sanctœ crucis adsimulatam speciem in contemptum christianœ fidei sacrilega mente exurere provinciarum rectores prohibeant, ne iocis suis fidei nostrœ signum inmisceant, sed ritus suos citra contemptum christianœ legis retineant, amissuri sine dubio permissa hactenus, nisi ab illicitis temperaverint136 • Les gouverneurs de province interdiront aux juifs de jeter au feu Aman lors d'une fête solennelle en souvenir de son antique châtiment, et de brûler le simulacre de la sainte croix dans un esprit sacrilège plein de mépris pour la foi chrétienne. Il ne faut pas qu'ils mêlent à leurs plaisanteries le signe de notre foi, et ils doivent modérer leurs rites en deçà du mépris de la loi chrétienne.
Un incident violent éclata en 414 à Inmestar (entre Antioche et Chalcis), où des juifs avinés crucifièrent et flagellèrent un jeune chrétien lors de la même fête. Selon Socrate, l'empereur sévit et les juifs furent expulsés de la localité 137. Vers 411, les juifs d'Alexandrie qui avaient été contraints au
135 À la mort d'Arcadius Cler mai 408), son fils Théodose. proclamé AugUste le 10 mai, n'avait que six ans. Le gouvernement fut donc. de 405 à 414. sous le contrôle du préfet du prétoire Anthernius, qui dirigeait dans les faits l'Empire d·Orient. Cf. E. Stein, Histoire du Bas-Empire.... op. cit., t. 1. p. 245-247. 136 Théodose II. 29 mai 408 Cc. Th.. XVI, 8, 18). 137 Socrate. Hist. eccl., VII, 16 (PG 67, 769).
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baptême se soulevèrent et crucifièrent une statue du Christ. Selon le Byzantin Agapius (mort en 941), ils criaient aux chrétiens «Voici votre messie », et l'émeute qui suivit fit beaucoup de victimes 138. Ces attaques contre la figure du Christ contribuèrent sans doute dans ces villes et régions orientales à alimenter la haine antijuive qu'encourageaient traditionnellement déjà la théologie et la prédication chrétiennes. Elles faisaient opportunément écho à la thématique du juif meurtrier du Christ. L'Église imputait ce crime non seulement aux juifs contemporains des Évangiles, en éternisant son souvenir par la liturgie du Vendredi saint, mais également à ceux qu'ils observaient autour d'eux. C'est que la figure du juif était, dans la théologie chrétienne, présentée comme atemporelle. Les exégètes chrétiens de l'Ancien Testament interprétaient les invectives des prophètes contre Israël comme autant de présages du déicide à venir et de preuves de la malveillance actuelle des juifs 139 Le pendant de la négation du Christ comme figure messianique était l'attente juive du vrai Messie. Cette attente avait suscité des mouvements messianiques et eschatologiques ayant entraîné, depuis le temps des Maccabées, des soulèvements contre la puissance occupante romaine, qui s'étaient résolus en un triple échec en 66-74, en 115-117 et en 132-135 14 À l'issue de la première de ces guerres, les Romains avaient supprimé la royauté hérodienne mais accepté un nouveau chef juif, le patriarche, qui n'avait pas de pouvoirs séculiers. L'existence de ce patriarcat était depuis devenue un lieu de la controverse entre juifs et chrétiens. Aux yeux des juifs, le patriarche était un monarque d'origine davidique, ce qui nourrissait leur espérance dans l'imminence de la restauration du royaume. Les Pères de l'Église disaient au contraire que l'absence de pouvoir séculier au patriarcat était bien la preuve que Dieu avait mis fin à son alliance avec Israël. Ainsi, saint Jérôme écrivait, dans un commentaire de Ps 88 «Les juifs disent que le Seigneur leur a promis par un serment d'alliance qu'il y aurait toujours pour eux un chef ou un prince de la souche de David qui est aujourd'hui le patriarche et ils disent "Voici que jusqu'à aujourd'hui le Seigneur a gardé son alliance avec nous." Mais s'ils ont raison, pourquoi les voyons-nous
°.
Agapius, Chro., 8 (PO, 8,408). Sur l'accusation de déicide dans la polémique antijuive des Ive et ve siècles, et sur les autres griefs adressés aux juifs par l'Église à cette époque, cf. M. Simon, Verus Israël..., op. cit., p. 245-256. 140 M. Sartre, L'Orient romain, op. cit., p. 357-406. 138
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soumis au pouvoir romain 141 ? » Pour Michael Avi-Yonah, ce furent précisément les pressions de l'Église qui décidèrent finalement le pouvoir à supprimer le patriarcae 42 • 2. La suppression du patriarcat de Palestine
Rome n'avait de fait sur le fond pas grand intérêt à se priver d'un intermédiaire qui permettait de juguler efficacement les risques de sédition des juifs palestiniens. Les empereurs chrétiens avaient, pour ces raisons mêmes, soigneusement protégé l'institution contre les attaques de ses ennemis juifs ou autres, et le patriarche avait, de son côté, adopté une attitude loyale, évitant même de se compromettre quand Julien l'Apostat avait, pour faire mentir la théologie chrétienne, entrepris la reconstruction du Temple de Jérusalem l43 • On a précédemment montré que Constantin avait, une fois qu'il s'était rendu maître en 324 de la Pars orientalis, pris soin de s'attacher la clientèle des autorités juives en les constituant, à l'instar des chefs religieux chrétiens, en « clergé ». On a également constaté à cette occasion que la dynastie théodosienne avait suivi une stratégie identique. Ainsi, dans une loi du 17 avril 392, Théodose 1er défendait le pouvoir d'excommunication du patriarche contre un «groupe d'actifs intrigants» juifs qui avaient soudoyé des gouverneurs pour être réintégrés dans leur communauté et une loi d'Arcadius du 24 avril 396 menaçait ceux qui osaient porter en public des propos injurieux contre le patriarche. Ce patriarche était par ailleurs placé haut dans les fonctions honorifiques, puisqu'il était désigné, dans toutes ces lois, par le titre d'« illustre », qui constituait, rappelons-le, l'échelon supérieur de l'ordre des clarissimes. Or, un conflit opposa en 415 Théodose II et le patriarche Gamaliel VI. Ce conflit, selon Marcel Simon, « représentait le point d'aboutissement d'une campagne sourde menée de divers côtés par l'autorité ecclésiastique, les fonctionnaires impériaux, et peut-être certains éléments juifs, mécontents de l'impôt cultuel, contre le patriarcae 44 ». En dehors du climat de violences réciproques que nous venons de dépeindre, les motivations fmancières ont sans doute joué un rôle important dans la disgrâce de Gamaliel. L'occasion
141 Saint Jérôme, ln Ps. 88, Anecdota Maredsolana 3, 3, 51 ss «Iudœi dicunt quod Dominus cum iuramento promiserit ut de semine David non deficiat in es dux sive princeps, quod nunc patriarchœ eorum et dicunt Ecce usque hodie custodit Dominus iuramentum suum nobis. Sed si vere putant, quomodo eos Romanœ porestati subditos videmus, et servire iussionibus imperatoribus. » 142 M. Avi-Yonah, The Jews of Palestine , op. cit.. p. 225-229. 143 M. Avi-Yonah, The Jews of Palestine , op. cit., p. 198-207. 144 M. Simon, Verus Israël..., op. cit., p. 160-161.
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fut fournie par certaines initiatives du patriarche, accusé d'avoir jugé dans son tribunal des chrétiens, circoncis des esclaves chrétiens et construit de nouvelles synagogues, activités qui dénotaient des tendances prosélytes insupportables pour l'Église. On sanctionna donc Gamaliel VI par une loi du 20 octobre 415 en lui retirant la préfecture honoraire 145 Quelques années plus tard, le pouvoir devait profiter de l'extinction de la branche des Hillélites pour s'abstenir de désigner un nouveau patriarche. Selon Jean Juster, cette « abstention» servait bien la cause des théologiens qui « exultaient de voir, ainsi, s'éteindre, avec les patriarches, l'argument invoqué par les juifs pour démontrer que le sceptre de Juda n'était pas sorti d'Israël 146 ». Il faut souligner également que, très opportunément, une loi du 30 mai 429 exigeait des primats des juifs (ludœorum primates) qui, dans toute la Diaspora, avaient été jusqu'alors chargés, comme on l'a vu, de prélever dans leurs communautés l'aurum coronarium pour le patriarche, qu'ils versent à l'avenir ces sommes « à Nos Largesses », c'est-à-dire à la cassette impériale gérée par le comes sacrarum largitorum ludœorum primates, qui in utriusque palœstinœ synedriis nominantur vel in aliis provinciis degunt, quœcumque post excessum patriarcharum pensionis nomine suscepere, cogantur exsolvere. in futurum vero periculo eorundem anniversarius canon de synagogis omnibus palatinis compelientibus exigatur ad eam formam, quam patriarchœ quondam coronarii auri nomine postulabant ; quœ tamen quanta sit, solierti inquisitione discutias ; et quod de occidentalibus partibus patriarchis conferri consueverat, nostris largitionibus inferatur147• Les primats des juifs, qui sont nonunés dans les deux Palestines ou dans les autres provinces, seront contraints de verser tout ce qui, depuis la disparition des Patriarches, a été reçu au titre de pension. À l'avenir, une contribution annuelle sera exigée de toutes les synagogues, sous la contrainte des palatins, dans la forme de ce que réclamaient jadis les Patriarches au titre d'or coronaire. Il faudra pourtant que tu en établisses la mesure par une enquête approfondie. Quant à ce qui était versé régulièrement par les régions occidentales, ce sera versé à Nos Largesses.
Mais ce coup très dur ne devait pas décourager pour autant les communautés juives orientales qui, l'année même où fut prise la loi du 31 janvier 438,
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Théodose II, 20 octobre 415 (c. Th., XVI, 8, 22). Cyrille d'Alexandrie, In Is. 3,6-7 (PG 70, 104 et suiv.). Théodose II, 30 mai 429 (c. Th., XVI, 8, 29).
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furent encore une fois traversées par ce que François Nau a appelé un « mouvement sioniste 148 )). De graves incidents éclatèrent à Jérusalem pour la fête juive des Tabernacles (Soukkot) en octobre 438. Une délégation juive était venue trouver l'épouse de Théodose n, l'impératrice Eudocie, qui séjournait alors à Bethléem, pour lui demander l'autorisation d'entrer à Jérusalem, ville qui leur était interdite depuis le règne d'Hadrien. L'autorisation leur fut accordée. La reine avait peu auparavant prononcé à Antioche un discours à la gloire de l'hellénisme qui avait déchaîné l'enthousiasme des foules 149 Comme le note l'abbé Nau, cette réaction populaire s'éclaire mieux si on « relit les invectives de saint Jean Chrysostome aux Grecs, aux juifs, et même à beaucoup de chrétiens auxquels il reprochait de judaïser, de s'adonner à l'astrologie et de trop aimer les spectacles )). Les Antiochéens lui avaient dressé en reconnaissance deux statues, dont l'une couverte d'or que l'on avait placée dans le Sénat. Il n'est pas douteux que les juifs d'Antioche avaient participé à ces honneurs et que les communautés palestiniennes recueillaient, avec la permission d'entrer à Jérusalem, le salaire de ce dévouement. Les rabbins de Palestine appelèrent alors les fidèles de la Diaspora romaine et perse à venir prier sur les ruines du temple de Salomon en invoquant une prophétie d'Élie qui avait annoncé la venue du Messie pour l'année 4200 de la Création, soit l'année 440 de notre ère. L'auteur de la Vie de Barsauma nous raconte que les autorités juives de Galilée avaient convoqué les juifs de la Diaspora par ces mots «Sachez que le temps de la dispersion de notre peuple a cessé et que le jour de la réunion de nos tribus est venu. Car voici que les rois des Romains ont ordonné que notre ville de Jérusalem nous soit rendue. Hâtez-vous de venir à Jérusalem pour la fête des Tabernacles, parce que notre royaume sera rétabli à Jérusalem. )) C'est alors que le moine Barsauma arriva clandestinement dans cette ville. Le premier jour de la fête des Tabernacles, des affrontements sanglants éclatèrent et les moines furent accusés d'avoir lapidé des juifs. Eudocie fit donc arrêter les accusés, les fit juger et condamner à mort. Cependant, lorsqu'elle apprit de l'aveu de ces moines que l'instigateur n'était autre que Barsauma, elle supplia ce dernier de la «laisser juger régulièrement ses disciples pour que les juifs ne l'accusent pas de partialité )). Barsauma lança alors la foule chrétienne de
148 F. Nau, « Deux épisodes de l'histoire juive sous Théodose II (423 et 438) d'après la vie de Barsauma le Syrien ), in REJ, nO 83, 1927, p. 192-193. ' 149 L'impératrice était issue de l'aristocratie païenne. EUe s'était convertie au christianisme avant de se marier en 421 avec Théodose II, changeant son nom d'Athénaïs en celui d'Eudocie. Versée dans la culture hellénistique, eUe avait traduit plusieurs livres des Septantes (l'Octateuque, Zacharie, Daniel) en hexamètres grecs. Cf. F. Nau, « Deux épisodes... », op. cit., p. 194-195.
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Jérusalem autour du palais où séjournait la reine et cette foule scandait en guise de slogan des Te Deum, hurlant «Nous brûlerons la reine dans le feu 150 ». Eudocie fit alors appeler à la rescousse le gouverneur de Palestine dont le siège se trouvait à Césarée. Mais, poursuit l'auteur de la Vie, le fonctionnaire romain n'osa pas intervenir «Le gouverneur arriva à Jérusalem et il craignait d'entrer à Jérusalem de peur d'être lapidé. » Finalement, ce fut l'évêque de Jérusalem qui parvint à calmer la foule et à sauver l'impératrice. En dehors du fait qu'il ajoute une pièce supplémentaire à la liste des crises sanglantes du premier quart du ve siècle, cet épisode révèle un autre aspect de ces tensions interreligieuses l'attitude pleutre du pouvoir face aux pressions des chrétiens et des juifs, attitude que l'on avait déjà constatée lorsque nous avions examiné les lois qui avaient été prises en 423 contre les destructions de synagogues par le même Théodose II 151 • Il convient également de considérer, car ceci éclairera la suite de notre propos, l'attitude de l'évêque de Jérusalem dans cette affaire. On sait le rôle important que pouvaient jouer les autorités épiscopales dans les cités de l'Empire d'Orient, et cet épisode en est une bonne illustration 152. Les évêques étaient devenus, écrit Peter Brown, des « surveillants des foules », responsables de l'ordre public, endossant ainsi progressivement la fonction des curiales au statut précaire. C'était en effet traditionnellement aux notables des curies que revenait le rôle d'affronter le peuple de leurs cités pratiquement sans force coercitive, les garnisons armées étant généralement stationnées à distance des centres urbains. Leur autorité « naturelle» leur venait de ce qu'ils étaient les « nourriciers» de leurs cités, assurant à la masse des indigents le minimum vital au moyen d'un réseau d'institutions charitables, banquets, distributions de pain ou d'argent, et qu'ils étaient supposés agir en porte-parole et en patrons des membres des classes inférieures. Or, pour les chrétiens, comme d'ailleurs pour les juifs, pratiquer l'aumône était une action pieuse voulue par Dieu, et l'amour du « pauvre»
150 Cf. l'étude de Charlotte Roueché qui, analysant des inscriptions portant des acclamations publiques à Aphrodisias de Carie, a montré la tendance croissante au ve siècle d'utiliser des formules chantées pour influencer la prise de décisions politiques et théologiques. C. Roueché, « Acclamations in the Later Empire. New Evidence from Aphrodisias », in JRS, n° 74. 1984, p. 181-199. 151 Cf. chap. II, p. 94 et suiv. 152 Remarquons que Claude Lepelley conteste que les évêques aient pu jouer un rôle aussi important dans les provinces africaines d'Occident, ce qui le conduit à douter, contre l'historiographie traditionnelle, qu'ils aient pu être puissants dans les villes orientales. C. Lepelley, Les Cités de l'Afrique..., op. cit., p. 195 et suiv.
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était bien une des premières raisons d'être de l'évêque. L'Église avait ainsi, grâce à une fortune édifiée sur les dons des riches familles chrétiennes, fondé des œuvres charitables qui attiraient les classes pauvres de la périphérie vers le centre des cités et autour des églises. Les nécessiteux rendus fidèles à ces nouveaux patrons urbains demeuraient ainsi sous le contrôle des évêques, ce qui augmentait encore le poids politique de ces derniers auprès du pouvoir. On comprend, dans ce contexte, que la nécessité d'une nouvelle législation sur les juifs se soit posée dans ces années-là. La loi du 31 janvier 438 fut en effet, selon nous, avant tout suscitée par la nécessité de combattre le pouvoir des notables et patrons juifs. Martyrius, en chrétien, s'émouvait de ce que les juifs osaient rivaliser avec les évêques en endossant ce rôle. Il pouvait également, en homme de gouvernement, se rassurer en pensant qu'abattre le pouvoir des patroni juifs ne mettrait pas en péril un ordre désormais si bien assuré par l'Église.
B. La loi du 31 janvier 438 Le texte de la Novelle III - que l'on a la chance de posséder en entier, contrairement aux constitutions rassemblées dans le Code Théodosien débute par une série de considérations qui composent en quelque sorte la ratio legis. Dans une conception augustinienne du pouvoir, l'auteur, qui parle au nom de Théodose II, proclame d'abord le rôle «ministériel» de l'empereur qui consiste à servir la mission chrétienne «Si Nous pouvons maintenir ce culte, Nous ouvrirons la voie de la prospérité aux entreprises humaines 153. » Suit un développement qui paraphrase un passage du De natura Deorum de Cicéron 154 Quis enim tam mente captus, quis tam novœ feritatis inmanitate damnatus est, ut, cum videat cœlum divinœ artis imperio incredibili celeritate intra sua spatia metas temporum terminare, cum siderum motum vitœ commoda moderantem, dotatam messibus terram, mare liquidum et inmensi opersi
153 Théodose II, 31 janvier 438 (Nov. III) «[...] cuius si cultum tenere potuerimus, iter prosperitatis humanis aperimus inceptis [...] ». 154 Cicéron, De natura Deorum, II, 38 (éd. et trad. par Ch. Appuhn, De la nature des Dieux,
Paris, 1935) «Mérite-t-il vraiment le nom d'homme, celui qui, en présence de tant de mouvements bien réglés, d'un ordre si parfait régnant au ciel, de liens uniss'tint de façon si harmonieuse toutes les parties du monde les unes aux autres, se refuse à croire à une raison ordonnatrice? [...] Devant le ciel emporté dans son mouvement rotatoire, devant les retours périodiques propres à garantir le salut et la conservation de tous les êtres, nous mettrions en doute l'intervention, je ne dis pas simplement d'une raison, mais d'une raison supérieure et divine? » Rapprochement effectué par A. Linder, JRIL, op. cit., p. 334.
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vastitatem finibus naturœ conclusam, tanti secreti, tantœ fabricœ non quœrat auctorem ? Quod sensibus excœcatos Iudœos et Samaritas paganos et cetera hœreticorum genera portentorum audere cognoscimus1 55 • Qui peut avoir si peu de raison, être à ce point monstrueux et sauvage, pour ne pas se demander, quand il voit le ciel se mouvoir dans le temps et l'espace avec tant de célérité sous le gouvernement d'une science divine, quand il voit le mouvement des étoiles reflétant une vie convenable, quand il voit la terre dans la plénitude et l'eau de la mer inunense en quantité démesurée fermant les frontières de la nature, pour ne pas se demander, dis-je, qui est l'auteur de tels mystères, de telles créations ? Cela, nous savons que les juifs, les Samaritains, les païens et d'autres genres de monstrueux hérétiques osent le faire.
Martyrius choisit d'emprunter à la pensée stoïcienne la preuve de l'existence de Dieu. Les éléments du monde et de la nature révèlent une réalité plus profonde, celle de Dieu, centre de toute énergie, siège de toute raison et principe d'ordre et d'harmonie. Ceux qui, aux yeux de l'auteur, sont incapables de reconnaître au fond d'eux-mêmes que la nature est une entité ordonnée et rationnelle d'essence divine, ne peuvent être, en conséquence, que des « sauvages» ou des « monstres ». Le choix d'une philosophie à laquelle adhéraient communément chrétiens, Hellènes et juifs n'était sans doute pas fortuit. De même, Martyrius ne cite pas par hasard une maxime attribuée à Hippocrate selon laquelle il ne faut pas s'acharner à essayer de soigner une maladie incurable 156 • Martyrius emprunte la métaphore de la maladie pour désigner l'incroyance des non-catholiques, qui est incurable. Il ne fallait pas que, dans un esprit de licence qui mélangerait toute chose, ces sectes prolifèrent. 1. L'exclusion des juifs de la charge de defensores civitatis
Suit le dispositif Neminem Iudœum, neminem Samaritam neutra lege constantem ad honores et dignitates accedere, nulli administrationem patere civilis obsequii, nec defensoris Jungi saltem officio. Nefas quippe credimus, ut supemœ maiestatis et Romanis legibus inimici ultores etiam nostrarum legum subreptivœ iurisdictionis habeantur obtentu et adquisitœ dignitatis auctoritate muniti adversum christianos et ipsos plerumque sacrœ religionis antistites velut insultantes fidei nostrœ iudicandi vel pronuntiandi quod velint habeant
Théodose II, 31 janvier 438 (Nov. III). Le texte dit plus précisément «Sententia veteri desperatis morbis nulla sit adhibenda curatio. » Cf. A. Linder, fR/L, op. cit., p. 334, n. 4. (55
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potestatem [...] ut quisque igitur veZ infuZas ceperit, adquisitis dignitatibus non potiatur, veZ synagogam extruxerit, conpendio ecclesiœ cathoZicœ noverit se Zaborasse. Immo qui ad honores inrepsit, habeatur, ut antea, condicionis extremœ, etiamsi honorariam promeruerit dignitatem. [...] Et quoniam decet imperatoriam maiestatem ea provisione cuncta conplecti, ut in nullo publica lœdatur utilitas, curiales omnium civitatum nec non cohortalinos, onerosis quin etiam militiœe seu deiversis officiis facultatum et personalium munerum obligatos, suis ordinibus, cuiuscumque sectœ sint, inhœrere censemus, ne videamur hominibus execrandis contumeZioso ambitu inmunitatis beneficium prœstitisse, quos volumus huius constitutionis auctoritate damnari. Qu'aucun juif, qu'aucun Samaritain, que personne de l'une ou l'autre loi, n'accède aux honneurs et dignités ni ne se mette à la disposition de l'administration civile par obsequium ni à tout le moins n'accomplisse l'office de defensor. Car nous croyons qu'il est néfaste que des ennemis de la Suprême Majesté et des lois romaines ne veuillent, par le moyen même de nos lois, en tirer vengeance, ayant obtenu des juridictions subrepticement, et que, munis de l'autorité d'une dignité, ils aient le pouvoir de juger et de prononcer ce qu'ils veulent contre des chrétiens - la plupart du temps des prêtres venus de la religion sacrée -, insultant ainsi notre foi. [...] Quiconque donc aura revêtu l'infule ne pourra pas conserver sa dignité. Bien au contraire, celui qui se sera introduit furtivement dans les honneurs devra être tenu, comme avant, pour être de la condition la plus basse, même s'il avait été promu à une dignité honoraire. [...] Et, pour qu'il ne soit pas porté atteinte à l'utilité publique, nous ordonnons que les curiales ainsi que les cohortes de toutes les cités, c'est-à-dire les hommes qui sont obligés, par leur richesse et par leurs charges personnelles, d'exercer divers offices onéreux de l'État, demeurent dans leurs ordres, quelles que soient leurs sectes, pour que l'on ne croie pas que ces hommes exécrables à l'ambition outrageante jouissent d'un quelconque bénéfice d'immunité.
La Novelle TIl reprend les grandes lignes de ce qui avait été décidé en Occident, mais insiste de manière inédite sur certains types d'exclusions. Ainsi, on retrouve la logique qui ressortait de la loi de 418. Les juifs sont exclus de l'administration civile, mais doivent demeurer dans les curies au nom de l'utilitas publica, c'est-à-dire de l'intérêt de l'État 157 La Novelle ajoute que ceux qui appartiennent au corps des cohortales doivent également y demeurer. Martyrius s'inspire manifestement ici de deux autres lois. L'une, déjà mentionnée, fut rendue à Constantinople le 21 février 410. Elle chassait les montanistes et les priscillianistes des militiœ, mais les maintenait dans pas les l'ordre des curiales et des cohortalins pour qu'« ils n'obtiennent ,>.
157 Sur le sens de cette expression, cf. J. Gaudemet, « Utilitas publica », RHD, n° 29, 1951, p. 465-499, et G. Longo, « Utilitas publica », in Labeo, n° 18, 1972, p. 55.
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faveurs d'une exemption enviée, sous prétexte d'appartenir à une religion condamnée 158 ». L'autre loi, également orientale, du 8 août 423, rappelait que les eunomiens (des hérétiques) étaient chassés de la milice mais étaient obligés de demeurer cohortalins et de supporter les charges afférentes, les vétérans arrivés en fin de carrière devant supporter la charge du primipilat 159 En revanche, contrairement à ses modèles de l'Ouest, la Novelle III ne précise pas que les juifs seront exclus de l'armée. Ce silence peut s'expliquer si l'on tient pour vrai le témoignage de saint Jérôme qui, ayant vécu en Palestine de 385 à 420, écrivait: « Les juifs n'ont plus le droit de servir dans l'armée et de porter des armes 160 ». Les juifs auraient donc été, depuis cette loi de l'Est dont on ne connaît pas l'origine, trop rares dans l'armée pour que le législateur ait songé à réitérer cet interdit. À l'inverse, le texte met l'accent sur l'interdiction d'accéder aux honores et, en particulier, de revêtir l'infule qui était la marque de l'appartenance à l'ordre sénatorial, quand les lois d'Occident ne mentionnaient que l'entrée dans les milices, ce qui a fait dire à Émilienne Demougeot qu'il n'y avait sans doute pas de juifs dans la haute administration centrale ou dans l'état-major barbarisé de l'Ouest 161 • On a mentionné des sources prouvant qu'il y avait des juifs clarissimes en Occident. Mais on a pu constater, dans le même temps, que le phénomène était certainement assez rare. A contrario, la Novelle III tendrait à montrer qu'il était plus fréquent en Orient. Le législateur s'émeut également, et avec force, de ce que des juifs occupent la fonction de defensores civitatis, une insistance qui prouve, selon nous, que ce phénomène fut l'élément déclencheur de la loi. Le defensor était, peut-être dès avant le règne de Constantin, le fonctionnaire principal de la cité. Les empereurs le désignent, dans d'autres lois du code, comme patron de la plèbe (patronus plebis), du nom de ces personnages que les cités avaient, depuis longtemps, l'habitude de se choisir comme protecteurs. Mais, tandis que la vieille institution du patronat des cités était née des mœurs et qu'elle n'était pas officielle, la defensio civitatis était strictement réglée par
Aracadius, loi du 21 février 410 (c. Th., XVI, 5, 48). Le munus du pastus primipili était « le transport aux cantonnements et la distribution aux soldats des approvisionnements qui constituent l'annona militaris, à savoir du pain, du vin, du vinaigre, de l'huile, du lard, de la viande fraîche, de la paille et du foin... Ils ont à ce titre de nombreux avantages, des privilèges. mais sont soumis à une responsabilité pécuniaire qui s'étend à leurs héritiers ». C. Lecrivain. « Munus », in Daremb. Saglio DA, vol. 3, p. 2045, cité par J. Juster, Les Juifs dans l'Empire.... op. cit., vol. II, p. 252. 160 Saint Jérôme, In Is. 3, 3 (PL 24, 59). Cf. J. Juster, Les Juifs dans l'Empire..., op. cit., vol. II, p. 277, n. 4. 161 E. Demougeot, « Honorius et les juifs... ». op. cit., p. 279. 158
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le droit. La loi du 27 avril 364, qui est la première que l'on connaisse, définit ainsi l'objet de cette création «Pour des raisons d'utilité, nous ordonnons que toute la plèbe du diocèse d'Illyrie soit défendue par des patrons contre les injustices des puissants. » Une constitution de 385 spécifiait que le defensor devait défendre les plébéiens contre l'insolence des officiales et les excès de pouvoir des gouverneurs. Comme le soulignait une loi de 409, il devait, « chaque fois qu'il apprendrait qu'on a lésé des propriétaires fonciers contrairement au droit public », en référer aux principaux dignitaires de l'Empire (notamment les préfets du prétoire), ce qui visait les collecteurs d'impôts, notamment les susceptores des cités 162 • Le defensor était aussi un juge de proximité, compétent pour connaître les causes engageant des sommes d'argent limitées, et dont l'activité devait permettre le désengorgement du tribunal du gouverneur de province 163 Pour renforcer le pouvoir des defensores, une loi du 25 janvier 387 avait prévu leur élection au suffrage universel (celui des cives). Mais, le 15 février 409, Olympius restreignit, comme on l'a vu plus haut, le collège des électeurs aux « évêques, membres du clergé, anciens magistrats, propriétaires fonciers et curiales ». La loi ajoutait que les defensores devraient désormais être choisis parmi les catholiques orthodoxes. La Novelle III fait vraisemblablement allusion à ce précédent lorsqu'elle dénonce ces juifs et Samaritains qui ont réussi à se faire élire « subrepticement» en certains endroits. On sait qu'à l'Ouest, la loi d'Olympius n'avait pas empêché l'élection de juifs à Minorque et l'on a dit que les juifs Theodorus et Crecilianus avaient occupé cette fonction. D'autres juifs semblent également avoir patronné l'île, à en croire la Lettre de Sévère de Minorque qui révèle qu'étaient patroni civitatis le juif Marcellus de Venosa ainsi qu'Innocentius. Or, le mode d'élection était tel que les notables chrétiens ne peuvent qu'avoir donné leur assentiment à cette désignation, ce que confirme Severus qui note que le vir honestus Crecilianus avait été élu tant par des chrétiens que par des juifs. Ces personnages jouissaient de la confiance des notables chrétiens parce que leur fortune leur assurait une influence sur le pouvoir mais peut-être aussi en raison de leur professionnalisme. On sait en effet que les defensores étaient recrutés de préférence parmi les avocats, et que cette fonction comptait paradoxalement plus de juristes qu'il ne s'en trouvait parmi les gouverneurs, lesquels étaient plutôt recrutés parmi les militaires. On peut supposer que ces hommes, qui étaient tous versés dans le droit juif, comme le répète Severus, étaient également de bons connaisseurs du droit romain. Il y avait donc tous
162
E. Chenon, « Étude historique sur le defensor civitatis », in RHD, n° 3, 1889, p. 321 et
suiv. 163
A. H. M. Jones, The Later Roman Empire..., op. cit., vol. I, p. 479-480.
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les ingrédients pour que l'évêque Severus de ramona, la ville concurrente de Magona, haïsse les juifs, ce qui se termina, on le sait, par une campagne de baptêmes forcés, la première en Occident, et à l'anéantissement de la communauté juive. Un contexte comparable dans les villes orientales, à savoir une puissance municipale des juifs concurrencée par une influence épiscopale croissante, explique le ton adopté dans la Novelle III. Martyrius affirme, dans la veine de la loi africaine contre les célicoles qui avait dénoncé les juifs comme « pervers et étrangers à l'Empire romain », que les juifs sont des ennemis de l'empereur et du droit l64 . En conséquence, leur laisser occuper la position de juges revient à leur donner une arme pour affliger les chrétiens, chrétiens qui peuvent même se trouver être des prêtres, l'Orient n'accordant en effet le privilège du for qu'aux évêques 165 2. L'interdiction d'occuper la fonction de carcer
Le même argument est invoqué pour justifier les limites apportées au pouvoir des appariteurs de confession juive ou samaritaine. Hac exceptione servata, ut adparitores memoratarum sectarum in privatis dumtaxat negotiis iudicis sententias exsequantur nec carcerali prœsint custodiœ, ne christiani, ut fieri adsolet, nonnumquam obtrusi custodum odiis alterum carcerem patiantur, incerto an iure videantur inclusi. Les appariteurs appartenant aux sectes mentionnées pourront assurer l'exécution des sentences de juges dans des cas privés uniquement. Mais ils ne doivent pas assurer des gardes en tant que geôliers (carceri), faute de quoi des chrétiens, conune il arrive fréquenunent, souffriraient un double emprisonnement, puisqu'ils se trouveraient devant des geôliers hostiles, alors même qu'il est parfois douteux que leur incarcération soit légale.
L'apparitor, on l'a dit, est un terme générique désignant des agents subalternes (officiales) des dignitaires. Les apparitores servaient les gouverneurs de provinces ou, à la cour, le maître des offices. Ils étaient les agents à qui incombait l'arrestation des personnes accusées en justice. Pour assurer la comparution de l'accusé, on pouvait en effet avoir recours à divers procédés dont celui de l'arrestation (exhibitio). On pouvait décider de la détention préventive de l'accusé -la prison n'existait pas comme peine. Un
164 On trouvait le même type d'argumentation dans l'édit de Thessalonique de 380 ainsi que dans la loi contre les juifs et les célicoles où, rappelons-le, les juifs étaient présentés comme des « ennemis de la loi chrétienne [...] étrangers à l'État romain ». 165 A. H. M. Jones, The Later Roman Empire..., op. cif., vol. J, p. 492.
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des procédés de garde (custodia) était la remise de l'accusé à un apparitor, sans doute le même que celui qui avait été chargé de son arrestation. Il devait emmener l'accusé dans sa demeure et y assurer sa garde jusqu'à la date du procès. Ce mode de garde, qui était celui du carcer, exigeait, à cause de son caractère contraignant, la preuve de la culpabilité de l'accusé ou du moins une très forte présomption de sa culpabilité166 • Tout en développant au BasEmpire la pratique du carcer, les empereurs avaient en effet tenté de la réglementer pour empêcher les nombreux abus qu'elle permettait. Ainsi, Constantin exigeait-il que le carcer soit réservé à l'individu pris sur le fait et dont la culpabilité apparaissait certaine. Le même empereur réglementait les conditions de l'incarcération 167 Mais Martyrius se fait l'écho de ce que ces garanties étaient, comme on peut s'en douter, facilement contournées, en affIrmant des citoyens accusés « qu'il est même parfois douteux qu'ils aient légalement été incarcérés », et en alléguant qu'ils étaient maltraités par les carceri dans leurs prisons. A fortiori, si les carceri étaient juifs ou samaritains, les chrétiens pouvaient se croire victimes de l'arbitraire. À l'inverse, une loi d'Honorius du 25 janvier 409 - à peu près contemporaine de celle sur l'élection des défenseurs par des orthodoxes - accordait officiellement aux évêques le droit de surveiller les prisons en ce qui concerne le traitement des détenus et de veiller aux intérêts de ces derniers, même contre les gouverneurs de province 168 • Conclusion du chapitre IV 1) La première loi d'exclusion, qui est d'origine occidentale et date de 404, a été édictée contre certains juifs qui s'étaient glissés par fraude dans le corps des agentes in rebus, cette affaire ayant été l' occasio legis de combattre de manière générale tous les juifs curiales qui faisaient un usage illégal du cursus publicus. La loi du 10 mars 418 doit être mise en relation avec la crise donatiste en Afrique du Nord dans laquelle des juifs africains semblent avoir été impliqués, ainsi qu'avec le changement de gouvernement à Ravenne qui venait de porter, l'année précédente, le patrice Constance au pouvoir. Les agentes in rebus et les officiales juifs de la Cour pouvaient rester en place
166 Mais pendant l'Antiquité tardive, même ceux qui étaient accusés de crimina minora pouvaient se trouver sous l'emprise d'un carcer et le développement de ce mode de garde suscita la production de règles pour protéger l'accusé. <' 167 C. Th., IX, 2, 3 de Gratien, Valentinien et Théodose «Nullus in carcerem prius quam convicatur omnino vinciatur. » En même temps qu'il assurait des garanties de traitement à l'individu incarcéré par Constantin (30 juin 320, C. Th., IX, 3, 1). 168 On peut constater ce même souci pour le sort des prisonniers chez saint Augustin. Cf. A. Houlou, « Le droit pénal chez saint Augustin », in RHD, n° 52, 1974, p. 24.
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jusqu'à l'expiration de leur temps légal de service (stipendium) , mais les militaires devaient immédiatement « ôter leur ceinturon ». La loi de 418 indique que les juifs conservent la possibilité de pratiquer le métier d'avocat et de participer à la curie. Cette précision visait à rassurer les juifs pour qu'ils ne «considèrent pas l'interdiction du service impérial comme une note [d'infamie] ». 2) Pourtant, l'année suivante, le concile de Carthage de 419 enlève aux juifs le ius accusandi des clercs devant les tribunaux ecclésiastiques, les assimilant à des infames. La veuve de Constance III et dévote Placidie, mère du jeune Valentinien, leur interdit à son tour par une loi de 425 l'accès devant les tribunaux civils. Les individus déclarés incapables d'accuser recouvraient néanmoins ce droit lorsque le délit invoqué leur avait porté personnellement (ou à leurs proches) préjudice. La loi orientale du 31 janvier 438 confirme, en même temps qu'elle complète, le dispositif des lois occidentales de 404, 418 et 425, dans un contexte où le poids politique des évêques dans les cités était devenu tel qu'il supportait mal la rivalité des patrons urbains juifs. En effet, l'auteur de la loi, Martyrius, s'émeut de voir des juifs occuper la fonction de defensores civitatis et son insistance prouve, selon nous, que ce phénomène fut bien l'élément déclencheur de la loi. Martyrius justifie sa décision d'interdire aux juifs la charge de defensores en les dénonçant comme des ennemis de l'empereur, du droit et des chrétiens, qu'il convient d'écarter de toute position de juge. Cette position leur fournirait une arme pour affliger les chrétiens, chrétiens qui peuvent même se trouver être des prêtres, l'Orient n'accordant en effet le privilège du for qu'aux évêques. Ceci justifie également qu'ils soient empêchés d'exercer la fonction de carceri, ce qui confirme au passage les excès, souvent dénoncés, que ce genre de garde pouvait engendrer, les carceri étant accusés par Martyrius d'emprisonner arbitrairement des citoyens innocents. 3) Soulignons que ces lois d'exclusions concernaient moins les juifs du commun que les élites juives. Ce sont elles, en effet, qui pâtirent de se voir retirer des droits publics et politiques qui servaient de tremplin pour accéder aux classes dirigeantes romaines. Elles furent, à l'instar des autres élites de l'Empire qui n'avaient pas adhéré à la religion nicéenne, victimes d'une série de décisions dont l'objet était de confisquer les postes de pouvoir au profit du seul parti des catholiques. 4) Il ne faut donc pas s'exagérer la portée de ces mesures, les citoyens juifs ordinaires ayant continué à jouir normalement de l'intégralité des droits civils, c'est-à-dire de droits d'usage quotidien et indispensable (droit de
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contracter, de faire des mariages civils romains, droit de propriété, droit de transmettre son patrimoine par voie de donation, d'héritage ou de testament, et d'être soi-même institué héritier, droit de voir sanctionnés ces droits civils devant les tribunaux grâce aux droits d'ester et de témoigner en justice). 5) Il demeure que le souvenir de ces lois ayant été fixé par le Code Théodosien, l'héritage que reçurent les royaumes alti-médiévaux en matière de législation sur les juifs se trouva biaisé, faisant apparaître ces derniers comme des citoyens romains déchus de leur pleine capacité. Le clergé, principal dépositaire dans les royaumes barbares d'Occident de la culture écrite et du droit romain, allait s'employer à renforcer cette impression. 6) Constance III avait, en 418, confié aux Wisigoths « fédérés» la défense d'un vaste territoire en Aquitaine, où étaient censées coexister l'autorité civile des empereurs romains et l'autorité militaire des rois goths. L'expérience commencée par Constance se poursuivit dans le courant du ve siècle. Le pouvoir proposa ainsi aux peuples goths, francs et autres barbares organisés en monarchies militaires qui circulaient depuis longtemps sur le sol de l'Empire, de se sédentariser en formant des entités territoriales politiquement indépendantes sur des provinces de la Pars occidentalis. Ce processus de désagrégation politique s'acheva en 476 avec la déposition par le chef barbare Odoacre du dernier empereur romain Romulus Augustulus. Mais l'effacement de l'institution impériale ne signifiait pas que la civilisation romaine, les enseignements du christianisme et les principes du droit civil allaient disparaître.
CHAPITRE
V
LE LEGS DE LA LÉGISLATION IMPÉRIALE RELATIVE AUX JUIFS EN GAULE ET DANS LA PÉNINSULE ITALIQUE (Vr·Vlr SIÈCLES)
En 506, le roi wisigoth et arien Alaric II (484-507) qui était menacé par le prestige de son ennemi franc et catholique Clovis (481-511), tenta, sur le tard, de se concilier la faveur de sa population catholique. Il ordonna, dans cette perspective, la compilation de constitutions impériales et d'éléments du ius en un texte appelé Lex romana Wisigothorum (ou Bréviaire d'Alaric) destiné aux «Romains» de son royaume. Les prudentes - membres de l'aristocratie sénatoriale et de l'épiscopat catholique - qui présidaient, sous l'auctoritas du roi, à l'élaboration de ce code, donnèrent ainsi force officielle au droit romain de la famille, des successions, de la propriété et de tout ce qui touchait plus généralement à la vie civique'. Ils reprenaient aussi une partie de la législation romaine sur les juifs, à savoir neuf des quarante-neuf lois qui se trouvaient dans le Code Théodosien, ainsi que la Novelle III et deux Sentences du Pseudo-Pau12 • Le nouveau corpus était, on le voit, sensiblement réduit. Pourtant, sa teneur est pratiquement équivalente à celle du modèle d'origine3 . On y trouve abordés presque l'ensemble des thèmes
Cf. J. Gaudemet, « Le Bréviaire d'Alaric et les Epitome », op. cit., 1965, p. 45·61. Arcadius, 3 février 398 (Brev., n,l, 10) ; Honorius, 26 juillet 412 (Brev., II, 8, 3) ; Théodose, 22 septembre 384 (Brev., III, 1,5) ; Théodose, 14 mars 388 (Brev., III, 7, 2 IX, 4,4) ; Gratien, 21 mai 383 (Brev., XVI, 2, 1) ; Constance, 21 octobre 335 (Brev., XVI, 3, 1) ; Constance, 21 octobre 335 (Brev., XVI, 3, 2) ; Constantin, 18 octobre 329 (Brev., XVI, 4, 1) ; Théodose II, 10 avril 417 (Brev., XVI, 4, 2) ; Théodose II, 31 janvier 438 (Nov. III), et Pauli Sent., V, 24, 3 et 4. 3 La réduction du corpus ne touche pas uniquement la législation relative aux juifs, mais s'observe dans tous les domaines du droit. Le Bréviaire est, de fait, un abrégé du Code Théodosien. Ces deux œuvres ont été réalisées dans une perspective très différente. Le projet des commissaires qui avaient réalisé le code était de fixer le souvenir de l'ensemble des lois impériales édictées depuis Constantin. Les contradictions étaient résolues par un classement chronologique qui permettait de déterminer les mesures abrogées par les textes plus récents. Cf. J. Harries, Law and Empire... , op. cit., p. 22. Le Bréviaire, en revanche, n'est pas censé contenir de lois contradictoires. En effet, lit-on dans le Commonitorium placé en introduction de l' œuvre, son projet est de corriger « par une meilleure délibération» ce qui apparal) « inique dans les lois ». Les prudentes étaient donc censés avoir clarifié les textes et effacé les solutions contradictoires pour faciliter le travail des juges. 1
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du Code Théodosien : interdictions en matière de circoncision, de prosélytisme, de possession des esclaves et de mariages mixtes ; déchéances civiques en matière de fonction publique. Il semble que le Bréviaire d'Alaric ne soit pas plus favorable aux juifs que ne l'était le Code Théodosien, contrairement à ce qu'affinne Bernhard Blumenkranz. Cet auteur estime en effet que la dispersion des lois relatives aux juifs dans le nouveau texte - elles n'y sont pas réunies en une masse compacte, comme elles l'étaient dans le Code Théodosien - prouve qu'il n'était plus question de réserver de « statut» aux juifs4 • Selon Bernhard Blumenkranz, le Bréviaire aurait été l'œuvre d'ariens qui, conservant un mauvais souvenir des lois de l'époque romaine incriminant leur religion, auraient été réticents à poursuivre avec le même acharnement la minorité religieuse que fonnaient les juifs. En réalité, on doit observer que le Bréviaire est né dans un milieu romain et catholique qui avait, ainsi que l'a montré Olivier Guillot, imposé habilement sa volonté au souverain goth5 • La dispersion au sein du corpus des lois sur les juifs s'explique par le fait qu'étaient conservées à l'identique les rubriques du Code Théodosien d'où les constitutions sur les juifs sont extraites6 • Un second argument avancé par Bernhard Blumenkranz n'est guère plus convainquant. Le Bréviaire aurait assuré la pennanence du statut de cives Romani des juifs qui auraient, grâce à ce code, joui des mêmes droits que les autres provinciales gallo-romains. Or, le texte fixe au contraire le souvenir de ce que les ludœi ne sont pas des cives comme les autres 7 Il est vrai qu'on y retrouve deux lois, celle d'Arcadius du 3 février 398 (privilège de juridiction) et celle d'Honorius du 26 juillet 412 (privilège de célébrer le
4 Cf. B. Blumenkranz, Juifs et chrétiens dans le monde occidental. 430-1096, Paris, 1960, p.300. S L'auteur conteste l'opinion traditionnelle qui attribue la rédaction du Bréviaire aux ministres goths d'Alaric. Cf. O. Guillot, « La justice dans le royaume franc à l'époque mérvingienne », i~ La Giustizia nell'Alto Medioevo. Secoli V-VIII (7-13 ap. 1994), Spolète, 1995, p. 653-730, p. 655, n. 9, et p. 666-673 et, du même, « Clovis, le droit romain et le pluralisme juridique aux origines du "monde franc" », in H. Van Goethen (dir.), Libertés, pluralisme et droit. Une approche historique, Bruxelles, 1995, p. 75-80. 6 Les prudentes ont puisé leurs sources au sein de rubriques dispersées dans le Code Théodosien. Deux constitutions émanent ainsi du livre II, deux autres du livre III, une constitution du livre IX, et cinq du livre XVI. 7 Le Code Théodosien enregistre en effet les diverses déchéances civiques qui ont atteint les juifs au début du V· siècle dans les circonstances que l'on a vues au chap. IV, p. 183 et suiv.
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shabbat), qui leur étaient relativement favorables, mais nous constaterons que ces textes demeurèrent lettre morte tout le long de la période mérovingienne. La stratégie de conciliation d'Alaric ne porta pas les fruits escomptés. Les Francs entrèrent en campagne au printemps de 507 et, dès la première rencontre à Vouillé près de Poitiers, Alaric fut tué. La conversion au catholicisme, à Noël de l'année 496 ou 506, du roi franc salien Clovis et d'un grand nombre de ses guerriers n'était pas étrangère à ce succès militaire. Lorsqu'il s'était lancé à la conquête du sud de la Loire, Clovis avait déclaré vouloir débarrasser la Gaule de la souillure des hérétiques, ce qui lui avait valu le soutien, voire le concours, de la population catholique vivant en territoire wisigothique8• À la suite de sa victoire, Clovis accorda donc un large appui à l'Église et aux Romains. On sait, par un précepte du roi Clotaire 1er édicté probablement entre 558 et 561 9, que le Bréviaire d'Alaric reçut une reconnaissance officielle dans le regnum franc, le roi proclamant que n'importe quel acte royal (auctoritas) devrait être conforme à la Lex, c'est-à-dire aux leges, les constitutions impériales contenues dans le code aquitain JO. Est-ce à dire que la législation du Bréviaire relative aux juifs était appliquée en pratique? Pour pouvoir répondre par l'affirmative, il faudrait être en mesure de citer le cas, par exemple, d'un chrétien accusé de conversion au judaïsme devant un tribunal mérovingien et condamné à la confiscation de ses biens (Brev., XV1,3, 2), ou d'un juif condamné à mort pour avoir circoncis un non-juif (Pauli Sent., V, 24, 3). Mais ni les actes de la pratique judiciaire, certes rares li , ni la littérature de l'époque ne mentionnent de jugements ainsi réalisés sur le fondement des leges du Bréviaire. On note parallèlement le développement, au sein des conciles mérovingiens, d'une législation sur les juifs. Or cette législation s'inspire du droit
P. Maraval, Le Christianisme de Constantin à la conquête arabe. Paris, 1997. p. 147. Ce texte, longtemps attribué à Clotaire Il (584-629). ne peut en réalité, de par sa transcription qui remonte au VIe siècle, qu'être de Clotaire r' (511-561). Olivier Guillot fixe sa rédaction à l'époque où ce roi régnait seul sur les royaumes francs, soit entre 558 et 561. O. Guillot, « La justice... », op. cit., p. 673-674, et « Clovis et le pluralisme... », op. cit., p.80-82. 10 Pour une transcription et une traduction du précepte de Clotaire, données d'après BnF. ms. lat. 12097 (fol. 169r-170v), et pour un commentaire de ce texte, cf. O. Guillot, « Clovis et le pluralisme... », op. cit., p. 82-83. LI Nous disposons de deux dossiers seulement. L'un, issu de la collection des Formulœ andecavenses, nous renseigne sur le fonctionnement des diverses juridictions angevines vers 578-579 ; l'autre, constitué de pièces extraites des Formulœ de Marculf ainsi que de documents édités par Hartmut Atsma et Jean Vézin, est une suite de jugements rendus au nom du roi de Neustrie et du princeps Pépin, du VIle siècle à l'année 751. Cf. O. Guillot, « La justice... », op. cit., p. 690-731. 8
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romain tout en l'amendant et le corrigeant. Les prélats édictent des solutions adaptées aux réalités du moment, et le caractère répété et soutenu de l'entreprise - notamment dans les années 535-541 - suggère que ce droit était vivant et appliqué 12 • Pour ce qui concerne par exemple la réglementation sur les esclaves des juifs, un canon du concile de Mâcon (581-583) fait explicitement allusion à des affaires en cours 13 En outre, un jugement du tribunal royal de Childebert 1er condamne un homme accusé de collusion avec les juifs sur le fondement, non pas d'une lex, mais d'un canon conciliaire 14 • C'est donc bien - à ce qu'il nous semble - le droit conciliaire qui prend le relais du Bréviaire d'Alaric en matière de législation relative aux juifs 15 Ce droit ecclésiastique avait reçu une reconnaissance officielle de la part du pouvoir royal et composait, avec le droit romain et le droit franc, l'un des éléments du pluralisme juridique de la Gaule 16 • Mais il n'avait de valeur péremptoire qu'à l'égard des fidèles catholiques. Encore les évêques ne pouvaient-ils édicter contre leurs ouailles que des sanctions de nature religieuse. A fortiori étaient-ils incapables d'imposer leurs décisions aux juifs. Cet état de relative faiblesse du droit conciliaire caractérise la première moitié 12 Agde (506), c. 34 et 40 ; Épaone (517), c. 15 ; Orléans II (533), c. 19 ; Clennont (535), c. 6 ; Orléans III (538), c. 14 et 33 ; Orléans IV(54l), c. 30 et 31 ; Mâcon (581-583), c. 2, 13, 14, 15, 16 et 17 ; Paris (614), c. 17 ; Clichy (626-627), c. 13 ; et Chalon (647-653), c. 9. 13 Il s'agit en l'occurrence d'esclaves chrétiens qui ont fui leurs maîtres juifs et se plaignent auprès des tribunaux ecclésiastiques de ce que les dispositions prévues en leur faveur dans les conciles d'Orléans de 538 et de 541 ne leur sont point appliquées. Cf. Mâcon (581-583), c. 16. Cf. infra, p. 235. 14 Vira beati Ferreoli, 3 (Catalogus codicum hagiographicorum latinorum, t. II, Bruxelles, 1890, p. 88 et suiv.) : « Unde accusatus apud (Ch}ildeberetum regem Francorum eo quod cum Iudœis et Sarracenis comeret et biberet et munera eis donaret [...). » La commensalité avec les juifs avait été interdite par le canon 14 du concile d'Orléans de 538. Cf. infra, p. 225. 15 Dans son étude relative à la condition des juifs à l'époque mérovingienne, Bernard Bachrach considère que le droit du Bréviaire était le droit applicable en Gaule au VIe et au VIle siècle. Il constate pourtant la production, dans les conciles, d'une législation concurrente, dans la mesure où elle propose des solutions qui infléchissent celles du Bréviaire, mais n'explique pas comment ces deux droits s'articulent en pratique. Bernhard B1umenkranz estime, lui aussi, que le droit du Brévaire était le droit applicable pendant toute la période. Le développement parallèle d'une législation conciliaire sur les juifs n'entre aucunement, de son point de vue, en concurrence avec le droit romain, puisque ce droit conciliaire n'aurait pas été pris en compte par le pouvoir séculier. Il convient cependant, comme nous le montrerons, de distinguer des périodes d'indifférence du pouvoir séculier vis-à-vis de la question des juifs et des périodes de forte implication. Cf. B. S. Bachrach, Early Medieval Jewish Policy in Western Europe, Minneapolis, p. 44 et suiv., et B. Blumenkranz, Juifs et chrétiens..., op. cit., p.298-300. 16 À l'issue du premier concile d'Orléans de 511, les évêques avaient de fait sollicité et obtenu du roi Clovis un iudicium reconnaissant comme un «droit» ce qu'ils venaient d'établir. Cf. O. Guillot, « La justice... », op. cit., p. 662-663.
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du VIe siècle. Il permet d'expliquer le contenu des thèmes abordés - qui concernent principalement la vente et l'achat des esclaves ainsi que les mariages mixtes - et la nature des sanctions, qui sont uniquement dirigées contre les chrétiens. Les choses changent peu à peu lorsque le roi d'Austrasie Childebert rr (511-558) décide, étendant apparemment son imperium aux matières spirituelles, de légiférer contre les sujets païens et juifs de son royaume. Ce roi ordonne en effet la première campagne de baptêmes forcés contre les juifs et lance une vague de persécutions dont la dernière s'achèvera en 633. Mais l'intervention du pouvoir séculier entraîne également des conséquences sur le terrain du droit canonique. Assurés désormais du soutien du pouvoir, les pères conciliaires, à partir du concile de Mâcon 1 (581-583), ne dirigent plus seulement leurs édits contre les fidèles chrétiens, mais également contre les juifs, qu'ils menacent de sanctions civiles dont ils puisent la légitimité dans les leges romaines. Notre enquête s'achève, par la force des choses, après la date de 633. De fait, on ne recense plus, dans le courant du VIle siècle et jusqu'à la chute de la dynastie mérovingienne - avec la déposition par Pépin le Bref du roi Childéric III en 751 - qu'un seul décret concernant les juifs. Il émane du concile de Chalon (647-653) qui se tient dans le royaume de Neustrie gouverné par l'un des fils de Dagobert, Clovis II (639-657). Il ne fait allusion aux juifs que de manière incidente, puisqu'il interdit le trafic des esclaves chrétiens en dehors des frontières du regnum de peur, entre autres choses, qu'ils ne tombent sous la domination de maîtres juifs 17 Quel est le legs des constitutions romaines relatives aux juifs dans la péninsule italique post-impériale? Il se cantonne - hasard de la conservation des sources? - aux lois réagissant aux violences antijuives, et en particulier aux lois qui concernent les synagogues. La législation du roi ostrogoth Théodoric sur les juifs nous est connue par les Variœ de Cassiodore qui fut quœstor sacri palatii entre 508 et 511 et qui réalisa à ce titre des lois - réunies, après la mort du roi, en une compilation non officielle. On s'est demandé si Cassiodore n'avait pas entièrement reformulé ces lois a posteriori pour mieux y inscrire ses conceptions personnelles. Mais il est avéré, par une décision prise à Ravenne en 519, que Théodoric conserva, alors même que Cassiodore avait quitté ses fonctions, la
17 Chalon (647-653), c. 9 «Pietatis est maxime et religionis intuetus, ut a captivitatis vincolo anime a Christicolis redemantur. Unde sancta synodus nuscetur cenuisse, ut nullus mancipium extra finibus vel terminibus, qui ad regnum domni Chlodovei regis pertinent, penitus non debeat venundare, ne, quod absit, per tale commertium aut captivitatis vinculum vel, quod peius est, Iudaica servitute mancipia christiana teneantur inplicita. »
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même ligne de conduite à l'égard des juifs. Les vues exprimées dans les textes des Variœ étaient donc très probablement dès l'origine partagées par le roi l8 . Le Registre des lettres de saint Grégoire le Grand constitue l'une des sources les plus importantes pour l'histoire des juifs entre la fin du VIe siècle et le début du VITe siècle. Vingt-deux lettres signalent l'implantation des juifs à Rome, en Italie centrale et méridionale, en Sicile et en Sardaigne, ainsi que dans le sud de la Gaule et en Espagne, et elles nous renseignent sur certains aspects de leur condition légale. La nature des lettres décrétales de Grégoire rr est cependant parfois difficile à déterminer, leur caractère coercitif, donc juridique, n'étant pas toujours établi. On peut ainsi distinguer deux natures de textes à l'intérieur même de l'ensemble des lettres ayant trait aux juifs. Grégoire ne s'adresse pas en effet sur le même ton aux évêques des provinces suburbicaires et insulaires italiques, qui lui sont directement subordonnés comme évêques de sa circonscription, et aux évêques d'Espagne et de Marseille, pour qui l'autorité universelle du pape n'est que théorique. À l'égard des premiers, il use d'un style et d'un vocabulaire proches de celui des constitutions des empereurs romains, tandis qu'il adopte, avec les seconds, le ton de l'avis d'un interlocuteur courtois qui s'autorise à donner un conseil. Nous étudierons le corpus des textes mérovingiens avant de passer à l'étude des lettres de Cassiodore et de Grégoire le Grand en Italie.
SECTION I. L'INFLUENCE DU DROIT ROMAIN EN GAULE MÉROVINGIENNE
Contrairement à ce qu'affirme Bernhard BlumenkIanz, la condition juridique des juifs pendant la période mérovingienne n'est pas demeurée stable. Pendant la première moitié du VIe siècle, les ecclésiastiques ne peuvent que recourir à l'expédient du droit canonique pour prolonger le souvenir de la législation impériale antijuive, car le pouvoir mérovingien se désintéresse de la question. Leurs canons ne visent alors que les fidèles chrétiens dans leurs relations avec les juifs. Secondés, à partir de la seconde moitié du siècle, par le bras séculier, ils sont en mesure d'imposer directement leurs décisions aux juifs et ils réactivent, pour ce faire, l'usage du droit romain.
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Cf. B. Blumenkranz, Juifs et chrétiens dans le monde occidental, op. cit., p. 98.
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A. Le recours à l'expédient du droit canonique (506-538) Collections canoniques et sources narratives ont pennis le recensement de cinquante-cinq conciles sur le sol de la Gaule (Rhénanie comprise) entre 511 (Orléans 1) et 692-696 (Auxerre)19 Un tel chiffre révèle l'existence d'une activité conciliaire dense en comparaison de celle des autres zones géographiques latines, et dont l'importance ne se compare qu'à l'œuvre des conciles wisigotho-catholiques du VIle siècle. Malheureusement, vingt-sept conciles seulement ont pu être reconstitués à partir des collections canoniques, dont dix proposent des canons qui intéressent notre étude20 L'étalement de ces conciles dans le temps n'est pas uniforme, et l'on peut relever, contrastant avec de longs temps de silence, deux périodes principales d'activité législatrice sur les juifs, dont la période incluse entre 533 et 541 va d'abord nous retenir. On examinera également les actes des conciles wisigothiques d'Agde (506) et burgonde d'Épaone (517), car les prélats mérovingiens y puisèrent leur inspiration. On trouve abordés dans ces conciles des sujets déjà rencontrés dans le droit impérial, tels ceux des esclaves des juifs et des mariages mixtes. Les évêques mérovingiens édictent par ailleurs des mesures consistant à interdire les rencontres commensales entre juifs et chrétiens. Une telle prohibition, qui avait déjà été fixée par les pères conciliaires de l'Antiquité, était de nature typiquement religieuse. 1. Une mesure typiquement religieuse : l'interdit commensal
L'interdiction de la commensalité entre juifs et chrétiens avait un précédent dans l'Antiquité. Les pères d'Elvire (300-306) l'avaient énoncée au canon 50 de ce concile
19 Concilia Galliœ (511-695), éd. C. Munier et C. De Clercq, CCSL 148 B, Turnhout, 1963. Il faut signaler qu'il s'en est tenu sans doute un plus grand nombre. Certains conciles font en effet allusion à des assemblées dont les actes ne nous sont pas parvenus. Ainsi, des décrets conciliaires - le canon 35 du concile d'Agde (506) par exemple - prescrivent la réunion d'assemblées strictement provinciales ou même parfois de synodes diocésains dont nous n'avons pas de trace écrite. Cf. O. Pontal, Histoire des conciles mérovingiens, Paris, 1989, p. 12-13, et J. Gaudemet, Les Sources du droit de l'Église en Occident du Ile au VIII' siècle, 1985, p. 106. " 20 Nous excluons de cette liste le concile de Narbonne (589) qui s'est tenu en territoire wisigothique et n'a pas influencé le droit conciliaire mérovingien, du moins pour ce qui concerne la législation juive, ainsi que le concile de Reims (627-630) qui n'est vraisemblablement pas authentique et dont le canon Il relatif aux juifs est identique au canon 13 du concile de Clichy.
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Si vero quis clericus vel fidelis cum iudœis cibum sumserit, placuit eum a communione abstineri ut debeat emendari. Si un clerc ou un fidèle partageait de la nourriture avec les juifs, il serait exclu de la communion pour qu'il puisse s'amender.
On peut, si l'on rapproche ce décret de conciles appartenant eux aussi à l'époque romaine, supposer que le canon visait à interdire surtout les repas donnés lors des fêtes juives. Le pseudo-concile de Laodicée avertissait en effet le fidèle qu'il ne devait pas accepter de pain azyme des juifs et lui interdisait d'accepter leurs cadeaux festifs 21 • Les repas festifs étaient de fait, sinon le lieu d'une propagande religieuse volontaire - Israël Yaacov Yuval estimant même que le texte de la Hagadah du repas de Pessah aurait été modifié en réponse à la concurrence que représentait le récit chrétien de la Pâque22 -, du moins l'occasion pour l'hôte chrétien de faire connaissance avec la religion juive. Les Sages du Talmud craignaient également, sans doute pour des raisons symétriques, les repas festifs chrétiens. Aussi interdisaient-ils aux juifs de partager la table des goyim pendant leurs jours de fête et de deuit23 . La table des non-juifs n'était cependant pas interdite les autres jours24 • Mais, même si elle n'était pas formellement interdite, la commensalité avec les Gentils était évitée des juifs pratiquants en raison des nombreux interdits alimentaires et règles de pureté rituelles qui rendaient en pratique cette rencontre très difficile25 Les pères conciliaires réunis au concile armoricain de Vannes en 465 nous apprennent ainsi que les juifs refusaient l'hospitalité des chrétiens à cause de leurs interdits alimentaires26 •
21 Laodicée, c. 37 et 38. Remarquons que les textes du pseudo-concile de Laodicée pénètrent en Occident par le vecteur d'une collection composée entre 419 et 451, l'Antiqua, qui recueille des décrets venus d'Orient qu'elle traduit en latin. Cf. J. Gaudemet, Les Sources du droit... , op. ci!., p. 77-78. 22 I. Y. Yuval, « La croisée des chemins la Hagadah de la Pâque juive et les Pâques chrétiennes », in F. Heymann et M. Abitbol (éd.), L' Historiographie israélienne aujourd' hui, Paris, 1998, p. 47-78. 23 Z. A. Steinfeld, « On the Prohibition of Dining with a Gentile », in Sidra. A Journal for the Study of Rabbinic Litterature, n° 5, p. 131-148 (en hébreu). 24 Selon Z. A. Steinfeld, seule une minorité d'auteurs interdisait les repas non festifs avec les Gentils, la prohibition n'ayant pas été reprise par le judaïsme officiel. 25 Voir sur ce point M. Weber, Le Judaïsme antique, Paris, 1998 (l'e éd. 1920), p. 438-442. 26 Cette ancienne ville de garnison est, après le départ définitif des Romains dans le premier tiers du ve siècle, gouvernée par les évêques. Le premier nom connu est celui de saint Paterne, et c'est précisément à l'occasion de son ordination sur le siège épiscopal de Vannes que l'on réunit le concile de 465. Malgré les désordres résultant des invasions vandales et des combats des Armoricains alliés aux Bretons contre Rome, il semblerait que la cité épiscopale soit
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Le canon qui nous intéresse dans ce concile s'insère dans une série d'ordonnances - c. 11 à 14 - édictant des interdits à l'endroit des clercs de l'Église. L'assemblée leur rappelle l'obligation du célibat, leur enjoint de ne pas assister à des réunions dans lesquelles se chantent des chansons d'amour ou se dansent des danses indécentes, de ne pas s'enivrer et d'assister aux laudes. Le canon 12 donne les précisions suivantes Omnes deinceps clerci iudœorum convivia evitent nec eos ad convivium quisquam excipiat ; quia cum apud christianos cibis communibus non utantur, indignum est atque sacrilegum eorum cibos a christianis sumi ; cum ea quœ Apostolo permittente nos sumimus. ab illis iudicentur immunda ac sic inferiores incipiant esse clerici quam iudœi. si nos quœ ab illis apponuntur utamur, illi a nobis oblata contemnant. C'est ainsi que tous les clercs doivent éviter la convivialité avec les juifs et que personne ne les accueille à une assemblée de convives ; parce que comme ils ne consomment pas chez les chrétiens la nourriture en commun, il serait indigne et sacrilège que leur nourriture soit consommée par des chrétiens ; ce que nous consommons avec la permission de l'Apôtre, ils le jugent immonde, ainsi les clercs commenceraient à être inférieurs aux juifs, si nous acceptions ce qu'ils nous présentent alors qu'ils rejettent ce que nous leur offrons.
Les juifs observants refusaient, on l'a dit, l'hospitalité des chrétiens, mais ils pouvaient, en revanche, les inviter chez eux. Les pères conciliaires de Vannes interdisent cependant d'accepter ces invitations. Le rejet par les juifs de la table chrétienne est, expliquent-ils, l'expression symbolique d'une hiérarchie qu'on ne saurait admettre. Leur colère s'explique si l'on considère le caractère très codifié, dans les sociétés traditionnelles, des règles de
demeurée. au V· siècle, un port fréquenté, où l'on commercialisait le sel, le poisson et des produits de l'arrière-pays. Des archéologues y ont même découvert des pièces de monnaie provenant d'Orléans, de Metz et du sud de la France. La présence de juifs peut donc s'expliquer par cette activité commerciale, car l'on sait que des marchands juifs faisaient du commerce en Gaule pendant le Bas-Empire. Il est vrai qu'ils ont pu également posséder des terres dans la région. mais il ne reste guère de traces archéologiques de propriétés terriennes remontant à cette époque, qu'elles aient ou non appartenu à des juifs. Bernhard Blumenkranz propose une autre source établissant l'implantation de communautés juives en Bretagne. Dans la liste des signataires de l'acte, il relève la présence d'un certain Nunechius, évêque de Nantes. Or, l'évêque de Clermont, Sidoine Apollinaire (430-432 - 480-489), lui avait adressé une lettre recommandant le porteur de celle-ci, un certain Promotus, qui était \fil juif converti, ce qui laisse présumer qu'il existait des implantations juives à Nantes, à Vannes, ou en Bretagne en général. Cf. J.·P. Leguay, Histoire de Vannes et de sa région, Toulouse. 1988, p. 38-39, et B. Blumenkranz, « "Iudreorum convivia" à propos du concile de Vannes (465), c. 12 », in Études d'histoire du droit canonique dédiées à G. Le Bras, t. II, Paris, 1965, p. 1055-1058.
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l'hospitalité, règles qui impliquent notamment que le rôle de l'hôte soit assumé en altemance27 • Les évêques réunis à Vannes veulent donc empêcher que se présentent des situations dans lesquelles serait mise en scène, par le canal de la nourriture, l'infériorité des clercs. S'ajoute à cela que la raison invoquée par les juifs pour refuser les repas chrétiens (<< ils jugent immonde ce que nous consommons avec la permission de l'Apôtre») fait dangereusement écho à une polémique vivace dans les cercles chrétiens autour du caractère obligatoire ou non des interdits alimentaires28 . Il faut remarquer au passage l'aspect singulièrement redondant de 1'« exposé des motifs ». L'interdit se trouve, en effet, être justifié par trois fois «Comme ils ne consomment pas chez les chrétiens la nourriture en commun, il serait indigne et sacrilège que leur nourriture soit consommée par des chrétiens », « ce que nous consommons avec la permission de l'Apôtre, ils le jugent immonde » et « les clercs commenceraient à être inférieurs aux juifs, si nous acceptions ce qu'ils nous présentent alors qu'ils rejettent ce que nous leur offrons ». Bernhard Blumenkranz en conclut que le canon est composite, fruit de la réunion de textes plus anciens issus de collections canoniques ou d'actes de conciles perdus, qu'auraient mis bout à bout, maladroitement, les pères conciliaires de Vannes29 L'interdiction des repas chez les juifs serait donc, si l'on accepte cette explication, plus ancienne et répandue que ne le laisse supposer l'état de notre documentation. La
27 Sur les sources de tension qu'engendrent une convivialité refusée ou une nourriture et une boisson rejetées, gestes qui constituent des infractions au code d'honneur, cf. l-P. Chalu, «Convivialité, commensalité de la cohésion sociale à la civilisation des mœurs» et C. Gauvard, « Cuisine et paix au Moyen Âge )), p. 324-334, en particulier p. 326, in J.L. Flandrin et M. Montanari (dir.), Histoire de l'alimentation, Paris, 1996. 28 Ces hésitations venaient de ce que le « concile» de Jérusalem relaté dans les Actes des Apôtres avait perpétué certains interdits alimentaires comme celui de manger des animaux ensanglantés. La littérature des pénitentiels trace ainsi sur le fondement de Lev XI, des frontières entre aliments purs et impurs, interdisant la consommation d'immunda animalia, d'animaux immolés aux divinités païennes, souillés par des contacts sexuels avec des hommes ou suceptibles d'avoir mangé de la chair humaine (poulet ou porc). Elle interdit également les viandes insuffisamment cuites et les charognes. Cf. P. Bonnassie, « Aliments immondes et cannibalisme )), in Annales ESC, n° 44-2, 1989, p. 1035-1056. 29 L'auteur propose de reconstituer comme suit trois textes originaux texte 1 «Omnes deinceps clerci ludœorum convivia evitent nec eos ad convivium quisquam excipiat ; qui cum apud Christianos cibis communibus non utantur. indignum est atque sacrilegium eorum cibos a Christianis sumi )) ; texte 2 «lndignum est atque sacrilegium eorum cibos a Christianis sumi; cum ea quœ Apostolo pennittente nos sumimus, ab illis iudicentur immunda )) ; texte 3 «Omnes deinceps clerci ludœorum convivia evitent nec eos ad convivium quisquam excipiat. quia inferiores incip (erent) esse clerici quam Judœi, si nos quœ ab illis apponuntur utamur, illi a nobis oblata contemnant )). Cf. B. Blumenkranz, « "Iudreorum convivia" op. cit., p. 1056.
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collection canonique gauloise des Statuta Ecclesiœ Antiqua - composée, selon Munier, par Gennade de Marseille après 476, et qui conserve le souvenir d'un canon interdisant d'adhérer aux superstitions juives et de célébrer leurs fêtes - suppose d'ailleurs l'existence d'un concile gaulois disparu ayant édicté une interdiction de ce type30 • Le texte du concile de Vannes est pratiquement repris mot pour mot dans le canon 40 du concile d'Agde de 506, sauf que la prohibition n'est plus limitée aux seuls clercs, mais élargie à tous les baptisés. Il faut rapprocher ce canon d'un sermon prononcé à la même époque par un anonyme qui signe sous le nom de Césaire, archevêque d'Arles et président du concile d'Agde Très chers frères et fils de l'Église, écoutez votre Seigneur parler. La nourriture et la boisson des juifs doivent être maudites parce qu'ils ont crucifié le Seigneur Dieu. Pour cette raison, ils sont maudits, les hésitants [ceux qui fréquentent les juifs]. [...] ils ne sont guère perspicaces ceux qui disent que [les chrétiens] peuvent, après la bénédiction, manger leur nourriture et boire leur vin. C'est en effet à eux que le Seigneur s'adresse quand il dit «Celui qui bénit leur nourriture puis la mange et leur vin puis le boit est comme celui qui bénirait sa bouche pour y plonger ensuite une épée jusqu'au cœur ». Parce qu'il est dit «Tournez-vous vers le Seigneur qui, pour notre rédemption, a souffert la mort par la croix, et vers le saint conseil [concile] pour vous abstenir de ces mauvais sacrifices et de ces venins mortels 31 ».
Certains chrétiens acceptaient l'hospitalité JUive, se contentant de prononcer une bénédiction chrétienne sur les mets qui leur étaient servis. Notons que ce geste, réalisé sans doute en miroir avec le geste équivalent de l'hôte juif, permettait, d'un côté comme de l'autre, de rompre l'illusion communautaire que créait la convivialitë2 • Mais ce geste symbolique de rupture n'est pas suffisant selon le Pseudo-Césaire et il insiste sur la valeur symbolique des aliments: « Leur nourriture est un sacrifice », argumente-t-il, faisant allusion aux bêtes sacrifiées des païens dont la consommation est
SEA, c. 83. Sur cette collection, cf. p. 132, n. 22. Ps-Césaire d'Arles, De esca vel potu Iudeorum prohibendis (éd. G. Morin, CCSL 104, 967). 32 Parmi les signes non verbaux d'entente figure le repas commun qui, au Moyen Âge, joue le rôle d'un rituel créateur de confiance, d'amicitia ou de coniuratio. Le convivium renforce la cohésion du groupe. Comme l'écrit Émile Durkheim, « le repas en commUlkpasse dans une multitude de sociétés pour créer entre ceux qui y assistent un lien de parenté artificiel ». Cf. G. Altoff, « Manger oblige repas, banquets et fêtes », in J.-L. Aandrin et M. Montanari, Histoire de l'alimentation, 1996, p. 305-320, ainsi que, du même auteur, « Der frieden-, bündnis- und gemeinschaftstiftende Charakter des Mahles im früheren Mittelalter », in 1. Bitsch et al. (dir.), Essen und Trinken in Mittelalter und Neuzeit, 1987, p. 13-25. 30
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interdite dans la Bible. TI ajoute «Leur vin est un venin », ce qui revient à présenter la boisson mortifère des juifs comme l'opposé exact du calice, source de vie, qui contient le sang du Christ versé pour la Rédemption33 • On rencontre le même interdit dans le premier concile national burgonde d'Épaone en 517 34 Si superioris loci clericus heretici cuiuscumque clerici convivio interfuerit, anni spatio pacem ecclesiœ non habebit. Quod iuniores clerici si prœsumpserint, vapolabunt. A iudeorum vero conviviis etiam laicus constitutio nostra prohibuit, nec cum ullo clerico nostro panem comedat, quisquis iudeorum convivio fuerit inquinatus. Si un clerc d'une position supérieure partage un repas en compagnie d'un clerc hérétique, il n'aura pas la paix de l'Église pendant l'espace d'une année. Si ceux qui l'osent sont de jeunes clercs, on les fouettera. Quant aux repas avec les juifs, notre constitution l'interdit aussi aux laïcs, et que celui qui aura été souillé par un repas avec des juifs ne partage son pain avec aucun de nos clercs35 •
Remarquons que celui qui s'est « souillé par un repas avec des juifs » sera éloigné de la table des clercs. Une attention particulière avait déjà été accordée, au concile de Vannes, à la protection des hommes ayant reçu les ordres sacrés : c'était à eux spécialement que l'on avait interdit les repas avec les juifs. Ici encore, lorsqu'un fidèle a mangé avec des juifs, c'est des clercs qu'on cherche à l'éloigner. On peut rapprocher cette attention particulière à protéger les prêtres de ce qu'on observe dans les sociétés traditionnelles où rois et prêtres sont habituellement, selon l'anthropologue Roger Caillois, des
33 Le thème d'une sociabilité alimentaire détournée de son but pour servir des desseins criminels est au Moyen Âge un topos. Le vin, en particulier, est souvent présenté comme le support du poison. Cf. F. CoUard, « Le banquet fatal la table et le poison dans l'Occident médiéval }}, in J.-L. Flandrin et M. Montanari (dir.), Histoire de l'alimentation..., op. cit., p.335-342. 34 Ce concile a eu lieu une année après que le fils de Gondebaud Sigismond s'est converti au catholicisme. Êpaone est une localité aujourd'hui disparue que l'on situe du côté de Vienne. Le concile rassemble trois métropolitains, vingt et un évêques et un prêtre, et sa juridiction couvre un vaste territoire qui va du plateau de Langres jusqu'à la Durance, et du Nivernais aux Alpes (les historiens dessinent les frontières de la Burgondie sur la base de la liste des ecclésiastiques ayant souscrit au concile d'Êpaone). Son but est, comme le concile d'Agde pour le royaume wisigoth, de fixer les règles de l'organisation de l'Église du royaume burgonde. 35 La traduction française est empruntée ici et dans la suite du chapitre à celle qui a été établie par Jean Gaudemet et par Brigitte Basdevant-Gaudemet sur la base du texte latin de l'édition Munier-De Clercq. Cf. J. Gaudemet et B. Basdevant-Gaudemet, Les Canons des conciles mérovingiens, VIe-Vll' siècles, 2 vol., Paris, 1989.
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personnages sacrés devant être isolés des forces profanes par des cloisons étanches36 • Toutefois, cette sanction est ici de nature strictement religieuse~ et ne se traduit pas, pour le simple fidèle, par une contrainte physique. Seul subira le fouet le jeune clerc qui aura partagé son repas avec un clerc hérétique, la hiérarchie ecclésiastique pouvant user sur lui de son pouvoir disciplinaire. De même, les prélats mérovingiens rassemblés au troisième concile national d'Orléans (538) ne prononcent contre les fidèles qu'une peine d'excommunication [...] Idem christeanis convivia interdicimus Iudeorum,. in quibus si forte fuisse probantur, annuali excommunicatione pro huiusmodi contumacia subiacebunt37 [ ... ]. Nous interdisons aux chrétiens la convivialité des juifs. Ceux contre lesquels de tels actes seront prouvés seront rejetés un an pour une telle insolence.
Pour autant, le respect de l'interdit commensal se trouvera singulièrement renforcé en Gaule mérovingienne lorsque le roi Childebert rer décidera de traîner devant son tribunal un évêque qui avait partagé sa table avec des juifs. Nous parlerons plus loin de cette mésaventure survenue à Ferréol, évêque d'Uzès 38 • 2. Les modifications apportées aux lois romaines contre le mariage mixte et la possession d'esclaves chrétiens
Nous avons dit que la législation romaine relative aux juifs avait été mise de côté un temps. Ceci s'explique aisément: l'Empire romain ayant disparu, les ecclésiastiques auraient dû assurer seuls le respect de cette législation, et ils en étaient incapables. Les pères conciliaires cherchèrent alors à adapter ce droit en édictant des mesures qui, contrairement aux textes d'origine, ne viseraient que la partie chrétienne. C'est ainsi qu'en matière de mariages mixtes, et dans la question complexe des esclaves non juifs des juifs, ils durent se contenter de fixer des normes aux fidèles, en assortissant ces normes de sanctions uniquement religieuses. On se souvient que le législateur romain avait, par une constitution de Théodose rer du 14 mars 388, assimilé le mariage entre juifs et chrétiens à un adultère, donc à un délit sexuel en effet, l'interdiction des seuls mariages
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R. Caillois, L'Homme et le sacré, Paris, 1950, p. 118-121. Orléans III (538), c. 14. Cf. infra, p. 240.
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mixtes eût laissé croire à ces couples que le concubinage leur garantirait l'impunitë9 Cette constitution avait été intégrée dans le Bréviaire d'Alaric et flanquée d'une interpretatio qui en trahissait légèrement le sens, car elle n'assimilait plus mariage mixte et adultère, mais établissait simplement une équivalence entre les sanctions de ces crimes : le mariage mixte pourrait être poursuivi sous dénonciation de n'importe quelle personne, qu'elle soit ou non un pareneo, et puni de la proscription, ou de la mort, et de la confiscation de la moitié des biens. Néanmoins, on constate que ces sanctions pénales ne sont pas appliquées à l'époque mérovingienne. Les couples mixtes ne risquent plus que des condamnations émanant de leurs autorités religieuses respectives. En 533, le second concile national franc d'Orléans fixe ainsi, dans son canon 19, que la partie chrétienne qui a contracté un tel mariage sera excommuniée sans indication de durée Placuit, ut nullus christianus iudeam neque iudeus christianam in matrimonio ducat uxorem, quia inter huiusmodi personas illicitas nuptias esse censuimus. Qui si commoniti a consortio hoc se separare distullerint, a communiones sunt gratia sine dubio submovendi. Il a été décidé qu'aucun chrétien n'épousera une femme juive, ni aucun juif une chrétienne, car nous avons jugé que les noces sont illicites entre de telles personnes. Ceux qui, après avertissement, omettraient de rompre pareille union doivent, sans hésitation, être écartés de la grâce de la communion.
La menace d'excommunication était, pouvons-nous supposer, peu dissuasive pour le conjoint chrétien, dont le mariage avec un infidèle impliquait qu'il avait sans doute déjà pris une certaine distance par rapport à sa religion d'origine. Le canon 14 du concile d'Orléans de 538 prévoit néanmoins la possibilité d'un pardon, donnant au fidèle la possibilité de réintégrer les rangs de l'Église, à condition qu'il se sépare de son mari ou de sa femme [...] Christeanis quoque omnibus interdicimus, ne iudeorum coniugiis misceantur. Quod si fecerint, usque ad sequestrationem, quisque ille est, cummunionem pellatur [...]. Également nous interdisons à tous les chrétiens de se lier par mariage avec des juifs. Que ceux qui le font, quels qu'ils soient, soient exclus de la communion jusqu'à leur séparation.
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Cf. chap. III, p. 162.
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Remarquons que les évêques du concile (régional) austrasien de Clermont (535) condamnent plus largement les relations sexuelles avec les juifs41 Si quis iudaicœ pravitati iugali societate coniungentur et seu christiano iudea sive iudœo christiana mulier consortio camali miscetur, quique horum tantum nefas admisisse dinoscetur a christenaorum coetu atque convivio et a communione œcclesiœ, cuius sociatur hostibus, segregetur42 • Si quiconque rejoint par une union dépravée la société judaïque et si, soit une juive, soit une chrétienne copulent dans un lien charnel avec un chrétien ou avec un juif, que cette personne sache que, si elle a commis quelque chose d'aussi impie, elle sera éloignée de la société des chrétiens, de leurs repas comme de la communion de l'Église, dont elle a rejoint les ennemis.
On constate que c'est la femme qui est accusée de ces unions illicites. Ceci s'explique certes par le fait que, concrètement, lorsqu'il y a un mariage, ce sont les filles que les familles échangent. Mais cette image de la femme complice pour compromettre la pureté de la communauté a aussi une explication anthropologique. Pour Mary Douglas, le corps humain est un symbole de la société. Ses limites peuvent représenter des frontières menacées ou précaires, ce qui explique une certaine anxiété à l'égard des orifices corporels. Chez les Hindous, les femmes servent de porte d'entrée dans la caste. Leur pureté fait donc, plus que celle des hommes, l'objet d'une surveillance étroite43 • Les femmes qui se sont « unies dans un lien charnel» sont - à l'instar de ceux qui, aux termes du canon 15 du concile d'Épaone, se sont « souillés » dans un repas de juifs - bannies de la table des chrétiens. La manducation commune est le symbole de la communauté charnelle et il s'agit de protéger la table chrétienne de la contagion de ceux qui sont entrés en contact avec les juifs. L'interdiction du conubium ressort donc, dans une certaine mesure, de la même pensée « magique» que l'interdit cornmensal44 •
er 41 Notons que ce concile, convoqué par Théodebert 1 , rassemble uniquement les évêques d'Austrasie et n'est donc pas national mais régional. Il reflète le caractère disparate et tout en longueur de ce royaume. Les limites en sont, au nord, Cologne en Rhénanie, au sud Narbonne, à l'ouest Limoges, et à l'est Lausanne. 42 Clermont (535), c. 6. 43 Cf. M. Douglas, De la souillure. Études sur la notion de pollution et de tabou, Paris, 1992, p. 130-143. 44 Nous utilisons l'expression de « pensée magique» au sens où l'entend 'Marcel Mauss. Celui-ci la définit comme un raisonnement qui établit entre les événements des liens de causalité fondés sur l'analogie et sur la continuité. Cf. M. Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, 1999, p. 37-83. Pour Jean-Pierre Baud, « l'obsession de l'éloignement physique [des juifs] et de la ségrégation alimentaire» ainsi que l'utilisation de« l'argument alimentaire pour distinguer la chair [des chrétiens] de celle des juifs» sont la marque d'un antijudaïsme de type
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Concernant la question des esclaves chrétiens des juifs, le Bréviaire d'Alaric recueille la constitution de Constantin du 21 octobre 335, celle de Théodose 1er du 22 septembre 384, celle de Théodose II du 10 avri1417, ainsi que deux extraits des Pauli Sententiœ45 • Les deux premières lois prévoient la confiscation des esclaves chrétiens qui auront été convertis par leur maître juif, ainsi que, pour ce dernier, dans le texte de 384, une peine « adaptée à un tel méfait46 ». La nature exacte de cette peine se trouve être précisée par les deux sentences du Pseudo-Paul ce sont la déportation ou la peine capitale, ainsi que la confiscation des biens. Si les prudentes ont cru bon de conserver la constitution de 335 qui, à première vue, fait doublet avec celle de 384, c'est probablement parce qu'elle interdisait également l'acquisition d'esclaves païens 47 Mais le sort des esclaves confisqués est incertain, puisque si la loi de Constantin, qui était l'œuvre d'un ecclésiastique, prévoyait leur manumissio, celle de Théodose 1er, plus conforme à la tradition juridique romaine, les attribuait au fisc 48 • La contradiction est encore accentuée par le fait que la loi de 384 stipule également que les esclaves
racial qui se substitue à l'antijudaïsme doctrinal. Cf. J.-P. Baud, Le Droit de vie et de mort. Archéologie de la bioéthique, Paris, 2001, p. 176-177. Dans le même sens, Maurice Kriegel, qui étudie la condition des juifs d'Espagne et de France méridionale à la fin du Moyen Âge, estime que les notions de pureté et d'impureté professées par les chrétiens constituèrent l'une des causes de l'enfermement des juifs dans une « caste d'intouchables ». Cf. M. Kriegel, Les Juifs à la fin du Moyen Âge dans l'Europe méditerranéenne, Paris, 1974, p. 39-47, et, du même auteur, « Un trait de psychologie sociale dans les pays méditerranéens du bas Moyen Âge le juif comme intouchable », in Annales ESC, 1976, nO 2, p. 326-330. 45 Brev., XVI, 4, 1 ; III, 1,5 ; XVI, 4, 2 ; Pauli Sent., V, 24, 3 et XVI, 4, 1 ; III, 1,5 ; XVI, 4, 2 ; Pauli Sent., V, 24, 3 et 4. 46 Théodose, 22 septembre 384 (c. Th., III, 1,5) «Ne quis omnino iudœorum christianum comparet servum neve ex christiano iudaicis sacramentis attaminet. Quod si factum publica indago compererit, et servi abstrahi debent, et tales domini congruœ atque aptœ facinori pœnœ subiaceant addito eo, ut, si qui apud iudœos vel adhuc christiani servi veZ ex christianis iudœi reperti fuerint, soluto per christianos competenti pretio ab indigna servitute redimantur. » (<< Que personne parmi les juifs n'achète d'esclave chrétien ni ne le contamine par des sacrements judaïques et le convertisse du christianisme au judaïsme. Si une enquête publique révèle qu'il l'a fait, ces esclaves devront lui être eIÙevés et leurs mat''tres soumis à une peine adaptée à un tel méfait. Nous ajoutons que si l'on découvrait chez des juifs des esclaves chrétiens, ou juifs venus de la chrétienté, ils seront sortis de cette indigne servitude contre un prix adéquat proposé par des chrétiens. ») 47 Constantin, 21 octobre 335 (c. Th., XVI, 9, 1) «Si quis ludœorum Christianum mancipium vel cuiuslibet alterius sectœ mercatus circumciderit, minime in servitute retineat circumcisum, sed libertatis privilegiis, qui hoc sustinuerit, potiatur. » (<< Si quelqu'un parmi les juifs achète un esclave chrétien ou de quelque autre secte et le circoncit, il n'aura aucun droit à retenir en servitude la personne ainsi circoncise ; bien au contraire, celui qui aura subi ce traitement pourra bénéficier des privilèges de la liberté. ») 48 Sur les circonstances ayant entouré la rédaction de la loi de 335, cf. chap. III, p. 141.
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« seront sortis de cette indigne servitude contre un prix adéquat proposé par des chrétiens49 ». Le dispositif est enfin complété par la loi de Théodose II du 10 avril 417 qui interdit aux juifs d'« acheter ou acquérir à titre de don» des esclaves chrétiens et leur permet uniquement de conserver ceux qui sont déjà en leur possession ou qu'ils acquerront à titre d'héritage ou de fidéicommis 50 • Le problème qui se pose aux prélats mérovingiens est qu'ils n'ont plus le moyen, quant à eux, d'empêcher les juifs d'acheter des esclaves chrétiens, et encore moins celui de les leur confisquer. Aussi incitent-ils les esclaves à fuir leurs maîtres en leur promettant l'asile dans les églises51 • On lit ainsi dans le canon 14 du troisième concile d'Orléans (538) De mancipiis christianis, quœ in iudœorum servitio detinentur, si eis, quod christiana religio vetat, a dominis inponitur aut si eos, quos de ecclesia excusatos tollent, pro culpa, quœ remissa est, adfligere aut cœdere fortasse prœsumpserint et ad ecclesiam iterato confugerint, nullantenus a sacerdote reddantur, nisi prœcium offeratur hac detur, quod mancipia ipsa valere pronunciaverit iusta taxacio. Pour les esclaves chrétiens qui sont attachés au service des juifs, si leurs maîtres leur imposent quelque chose d'interdit par la religion chrétienne, ou si, après les avoir retirés, en leur pardonnant, de l'église où ils se sont réfugiés, ces maîtres se permettent de les châtier ou de les battre pour la faute pardonnée, et qu'eux se réfugient à nouveau à l'église, l'évêque ne doit nullement les rendre.
49 Sur la contradiction interne à cette loi de 384, contradiction qui tient, ainsi que l'a montré Siro Solazzi, à l'hétérogénéité du texte, cf. chap. III, p. 150. 50 Théodose II, 10 avril 417 (c. Th., XVI, 9, 4) «Iudœus servum christianum nec
comparare debebit nec largitatis titulo consequi. qui non hoc observaverit, dominio sibi petulanter adquisito careat, ipso servo, si quod fuerit gestum sua sponte duxerit publicandum, pro prœmio libertate donando. verum ceteros, quos rectœ religionis participes constitutos in suo censu nefanda superstitio iam videtur esse sortita vel deinceps hereditatis seu fideicommissi nomine fuerit consecuta, sub hac Lege possideat, ut eos nec invitos nec volentes cœno propriœ sectœ confundat, ita ut, si haec forma fuerit violata, sceleris tanti auctores capitali pœna proscriptione comitante plectantur. » (<< Un juif ne devra ni acheter ni acquérir à titre de don un esclave chrétien. Si quelqu'un n'observait pas cette règle, qu'il soit privé du pouvoir qu'il a acquis impudemment. Quant à l'asservi, s'il a jugé bon de rendre public spontanément ce fait, on lui donnera en récompense la liberté. Mais tous les autres esclaves, membres de la religion juste, que la détestable superstition a déjà comptés dans son cens, ou qu'elle a acquis plus tard à titre d'héritage ou de fidéicommis, un juif pourra les posséder, sous réserve légale de ne pas les mêler, contre leur volonté ou de leur plein gl'é, à la fange de sa propre secte. Si cette règle était violée, les auteurs d'un tel crime seraient châtiés de la peine capitale assortie de la confiscation de leurs biens. ») 51 Sur les immunités des églises mérovingiennes, cf. O. Guillot, A. Rigaudière et Y. Sassier, Pouvoir et institutions dans la France médiévale. Des origines à l'époque féodale, t. 1, 1995, p.89-90.
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on offrira et donnera le prix que fixera pour ces esclaves une juste
estimation.
Il est intéressant de constater que les évêques demandent la même chose que ce qui était exigé dans la loi de 384, à savoir le rachat des esclaves par un chrétien contre un juste prix. On se souvient que Siro Solazzi avait fait l'hypothèse que la seconde partie de la loi de 384 qui prévoit cette obligation de rachat (à partir de « adito eo ») n'appartenait pas au texte original et qu'elle était un ajout des rédacteurs du Bréviaire de 506. Les prudentes avaient en effet cherché à adapter le texte théodosien à celui de son interpretatio qui rappelait (à partir de « Nam ante legem datam ») l'existence d'une loi disparue 52 • Or, il est probable que les Interpretationes étaient des fragments d'œuvres juridiques reflétant la pratique du droit romain par les provinciales gallo-romains du ye siècle53 On peut donc faire l'hypothèse que l'obligation de rachat des esclaves des juifs ne provenait pas du droit impérial, mais d'usages locaux du droit provincial ou du droit vulgaire de la Gaule54 • Il ne serait ainsi pas étonnant de voir les évêques mérovingiens du yr siècle en perpétuer la tradition. Le concile de 538 n'aurait donc pas puisé son inspiration dans les leges impériales et officielles, mais dans des pratiques typiquement gallo-romaines. Il conviendrait alors de corriger les conclusions de Siro Solazzi quant à l'existence d'une constitution impériale du IVe siècle réalisée entre la loi de Constance de 339 et celle de Théodose de 384, pour envisager plutôt l'hypothèse d'une loi provinciale ou coutumière datant du ye siècle.
52 Inter. Brev., III, 1, 5 «Convenit ante omnia observari, ut nulli Iudœo servum christianum habere liceat, certe nullatenus audeat, ut christianum si habuerit, ad suam Legem transferre prœsumat. Quod si fecerit, noverit se subLatis servis pœnam dignam tanto crimine subiturum. Nam ante Legem datam id fuerat statutum, ut pro christiano servo, si inquinatus fuisset pollutione iudaica, sciret sibi pretium quod dederat a christianis esse reddendum, ut servus in christiana Lege maneret. » (<< II convient avant tout de prendre garde à ce qu'il ne
soit pennis à aucun juif de posséder d'esclave chrétien et qu'il n'ose en aucun cas, s'il détenait ce chrétien, le convertir à sa loi. S'il le faisait, qu'il sache qu'on lui retirera ses esclaves et qu'il subira une peine adaptée à un tel crime. Car avant l'édiction de cette loi, il avait été statué que, pour un esclave chrétien souillé par la pollution judaïque, il se verra donner par des chrétiens le prix qu'il avait donné de manière à ce que ce chrétien puisse demeurer dans sa loi. ») s3 Cf. 1. Gaudemet, «Les persistances du droit romain dans les traditions juridiques occidentales », in B. Durand et L. Mayali (dir.), Excerptiones iuris. Studies in honor ofAndré Gouron, Berkeley, 2000, p. 227-260, en particulier p. 229. S4 Sur le droit provincial et le droit vulgaire au Bas-Empire, cf. J. Gaudemet, La Formation du droit séculier..., op. cit., p. 128-141.
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L'esclave à qui le maître aura imposé « quelque chose d'interdit par la religion chrétienne », ou qui aura été battu pour une faute en contravention avec la loi chrétienne sur l'asylie, devra être protégé dans sa fuite par l'évêque dans l'église duquel il se sera réfugié. Il n'est pas difficile d'imaginer la partialité dont devaient faire preuve les ecclésiastiques dans de telles circonstances. Leur rôle de pasteur devait sans doute les inciter à prendre automatiquement le parti des fugitifs, car même si ces derniers n'étaient pas maltraités par leurs maîtres juifs, leur cohabitation avec ces infidèles n'en mettait pas moins leur foi en périL C'est ainsi que, trois ans plus tard, le canon 31 du quatrième concile d'Orléans (541) n'exige plus de la part de l'esclave en fuite la preuve de ce que son maître a tenté de le convertir ou l'a brutalisé. Sa seule appartenance objective à la domesticité d'un juif suffit à justifier son rachat. Licet prioribus canonibus iam fuerit definitum, ut, de mancipiis christianis quœ apud iudœos sunt, si ad ecclesiam confugerint et redemi se postulaverint, etiam ad quoscumque christianos refugerint et servire iudœis noluerint, taxato et oblato a fidelibus iusto pretio ab eorum dominio liberentur, ideo statuimus, ut tam iusta constitutio ab omnibus catholicis conservetur. Bien qu'il ait déjà été fixé par les canons antérieurs, à propos des esclaves chrétiens possédés par des juifs que, dans le cas où ceux-ci se réfugient à l'église et demandent qu'on les rachète, ou encore s'ils se réfugient chez des chrétiens et refusent de servir des juifs, ils soient libérés du service de ces derniers, moyennant un juste prix estimé et offert par les fidèles, nous statuons qu'une aussi juste disposition doit être respectée par tous les catholiques.
Si le canon demande aux catholiques de respecter une « aussi juste disposition », c'est manifestement que le décret du concile d'Orléans de 538 n'était toujours pas respecté. Il est facile de comprendre que les fidèles ne se soient pas nécessairement sentis investis de la mission que leur confiaient leurs chefs religieux et qu'ils aient renvoyé chez eux les esclaves fugitifs, soit parce qu'ils ne voyaient pas l'intérêt économique de les racheter, soit parce qu'ils souhaitaient ne pas se brouiller avec leurs voisins juifs. Tant que l'Église agit seule contre les juifs, elle se trouve donc, redisonsle, dépourvue de moyens suffisamment efficaces pour être obéie tant des juifs que de ses propres fidèles. Mais, à partir du milieu du VIe siècle, les rapports de force vont basculer.
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B. La redécouverte des leges dans un contexte de persécutions antijuives (555 - 632/633) Dans son étude sur la condition des juifs au début du Moyen Âge occidental, Bernhard Blumenkranz minimise l'importance des campagnes de baptêmes forcés intervenues en Gaule mérovingienne entre la seconde moitié du VIe siècle et le premier tiers du VIle siècle. Selon lui, ces conversions auraient été de l'initiative du seul épiscopat et n'auraient jamais été relayées - ou ne l'auraient été que très mollement - par le pouvoir civil. De ce fait, leur portée et leur efficacité auraient été limitées. La prétendue conversion forcée ordonnée par le roi Dagobert en 632-633 ne serait d'ailleurs qu'une invention du Pseudo-Frédégaire55 • En définitive, ces crises n'auraient eu aucune incidence sur la condition juridique des juifs vivant sur le territoire de la Gaule. Cette condition serait demeurée stable jusqu'à Cependant, un article de Michel l'époque de la Première Croisade (fin Rouche conduit à remettre en cause une telle analyse56 • L'auteur propose une nouvelle lecture des récits de baptêmes forcés qui met en évidence le rôle central du pouvoir royal dans la persécution des juifs. Les rois mérovingiens auraient ainsi été les premiers, avant les rois wisigotho-catholiques d'Espagne, à avoir pratiqué cette persécution inédite jusqu'alors en Occident. La thèse de Michel Rouche nous encourage à remettre en question l'idée que la condition juridique des juifs est demeurée inchangée malgré les crises. La lecture attentive que nous allons faire maintenant de sources juridiques contemporaines va nous révéler un durcissement de la législation relative aux juifs, dont la redécouverte des leges romaines n'est pas la moindre manifestation.
Xn.
1. Premiers baptêmes forcés en Austrasie
Le fils de Clovis et roi d'Austrasie Childebert 1er (511-558) mena la première campagne contre les infidèles sur la base du programme qu'il avait établi dans son prœceptum, qui date des années 530. Ce fut lui également et non sans doute, comme le croit Michel Rouche, Childebert II - qui
B. Blumenkranz, Juifs et chrétiens... , op. cit., p. 100. M. Rouche, « Les baptêmes forcés de juifs en Gaule mérovingienne et dans l'Empire d'Orient », in V. Nikiprowetzki (dir.), De l'antijudaïsme antique à l'antisémitisme contemporain, Lille, 1979, p. 106-124. 55
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ordonna, vers la fin des années 550, la conversion des juifs d'Uzès 57 Il fut, par la suite, imité par l'évêque Avit de Clermont. Le troisième concile d'Orléans édicte, dans son canon 33, une mesure originale interdisant aux juifs de circuler entre le Jeudi saint et le lundi de Pâques Quia Deo propitio sub catholicorum regnum dominatione consistimus, iudœi a die cenœ Domini usque in secunda sabbati in pasca, hoc est ipso quatriduo, procere inter christianos neque catholicis populis se ullo loco vel quacumque occasione miscere prœsumant. Puisque par la faveur de Dieu, nous vivons sous l'autorité de rois catholiques, que les juifs ne se permettent pas, depuis le jour de la Cène du Seigneur jusqu'au lundi de Pâques, autrement dit durant ces quatre jours, de se montrer parmi les chrétiens ni de se mêler nulle part et pour aucun motif au peuple catholique.
Or, on apprend par un concile ultérieur -le concile de Mâcon (581-583) que cette décision n'était pas d'origine ecclésiastique, mais royale, et qu'elle émanait du roi d'Austrasie Childebert 1er 58. La mention « quia Deo propitio sub catholicorum regnum dominatione consistimus » (<< puisque par la faveur de Dieu, nous vivons sous l'autorité de rois catholiques ») prend donc tout son sens, les évêques enregistrant dans leur concile la décision d'un prince prise par lui parce qu'il était catholique. Bruno Dumézil estime que cette mesure faisait partie du texte d'un prœceptum de ce roi, dont l'unique manuscrit, fort mutilé, ne nous livre que le préambule et quelques lignes du dispositi:F9 Il propose, à partir d'un examen des thèmes abordés dans ce texte, de fixer la date de son édiction peu après 537, année qui correspond 57 Michel Rouche situe l'événement pendant le règne de Childebert TI parce que ce roi monta sur le trône en 575 et que Ferréol- l'évêque qui ordonna sur place le baptême forcé des juifs - fut évêque d'Uzès entre 553 et 581. Le problème est que cette cité ne releva jamais du royaume de Childebert Il. En revanche, on peut légitimement penser que Childebert 1er avait obtenu Uzès lors du partage, en 555, du royaume de Théodebald entre lui-même et Clotaire 1er • Cf. M. Rouche, « Les baptêmes forcés... )), op. cit., p. 106 et 11l. 58 Le canon 14 du concile de Mâcon réitère en effet la décision tout en précisant qu'elle émanait à l'origine d'un « édit de notre seigneur le roi Childebert )). Cf. Mâcon, c. 14 «Ut luàœis a cena Domini usque prima pascha secundum edictum bonœ recordationis domni Childeberti regis per plateas aut forum quasi insultationis causa deambulandi licentia denegetur [... J. )) (<< Qu'il ne soit pas permis aux juifs, depuis la Cène du Seigneur jusqu'au lundi de Pâques, conformément à l'édit de notre seigneur le roi Childebert, de bonne mémoire, de circuler dans les rues [... J. ))) 59 BnF, ms. lat. 12097 (fol. 162 r-v). Pour une description du manuscrit, qui contient également l'édit de Clotaire 1er évoqué plus haut, cf. H. Mordek, Bibliotheca regnum Francorum manuscripta, Munich, 1995, p. 607-608.
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à l'annexion de la Provence au royaume franc 60 . Le prœceptum développe en effet les thèmes classiques de la pastorale de l'évêque Césaire d'Arles s'attaquant au culte des idoles, exigeant la destruction des dieux traditionnels et interdisant la pratique, jugée païenne, des danses, des chants et des beuveries pendant les fêtes chrétiennes -, et l'on peut donc supposer que Childebert venait, au moment où il rédigea son texte, de rencontrer le prélat61 • C'est donc le contact avec une Gaule méridionale nettement plus christianisée que ne l'était alors le nord de la Loire qui aurait suscité le zèle religieux du roi franc. Seulement, contrairement au pasteur Césaire, le roi Childebert régnait sur tous les sujets de son royaume, même non baptisés, et il put ainsi assortir ses prescriptions religieuses de sanctions civiles. Cette implication inédite d'un roi mérovingien dans la vie religieuse de ses sujets est bien consciente et revendiquée 62 • Childebert affirme en préambule du prœceptum se sentir responsable devant Dieu du salut de son peuple. C'est ainsi que son texte est, dit-il, « émis pour tout le monde et en tout lieu », parce qu'« il est nécessaire que le peuple, puisqu'il ne respecte pas les canons des évêques comme il convient, soit corrigé par notre imperium )). De même qu'il désire mettre fin aux « nombreux sacrilèges par lesquels Dieu est outragé )), comme par exemple « les nuits de veillée passées dans l'ivresse, la danse et le chant même dans les jours sacrés de la Pâque, de la naissance du Seigneur et des autres fêtes )), de même a-t-il sans doute voulu, dans ce même texte, empêcher les juifs de profaner les jours de la Semaine sainte. Childebert trouva à la fin de son règne - dans les années 550 - le moyen de se poser à nouveau en champion du christianisme, en dépit des réserves de l'épiscopat qu'une telle intrusion dans sa sphère de compétence indisposait et qui, un temps, avait écarté le roi des affaires religieuses 63 • Il s'attaqua une nouvelle fois aux juifs infidèles, et donna, par la même occasion, une leçon aux prélats. L'évêque Ferréol d'Uzès (553 ?-581) prônait une pastorale pacifiste et « mangeait et buvait avec les juifs et les Sarrasins, et leur offrait des cadeaux ))64. Dénoncé à Childebert, il est traîné devant son tribunal et jeté en prison à Paris, où il demeure pendant trois années. De retour à Uzès
60 Cf. B. Dumézil, Conversion et liberté dans les royaumes barbares d'Occident. De l'édit de Théodose à la conquête arabe, thèse de doctorat, Paris IV-Sorbonne, 2003, p. 372-379. 61 Bruno Dumézil met en regard ces dispositions du prœceptum avec un passage de la Vita Caesarii, I, 55, dans lequel l'hagiographe décrit le combat du saint contre « les fêtes, l'ébriété et la licence» et plus généralement contre les rites païens. Cf. B. Dumézil, Conversion et liberté., op. cit., p. 376-377. Pour une transcription et une traduction du texte, cf. idem, p. 867868. 62 Cf. B. Dumézil, Conversion et liberté., op. cit., p. 372-375. 63 Pour plus de détails, cf. B. Dumézil, Conversion et liberté..., op. cit., p. 380-385. 64 Vita beati Ferreoli, 3..., op. cit., p. 88 et suiv.
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en 555-558, il contraint les juifs qui refusent le baptême à quitter la cité. Selon Michel Rouche, l'initiative de la conversion doit être attribuée au pouvoir royal. En effet, l'expulsion des juifs marque un changement radical dans l'attitude du prélat et ressemble donc bien à l'exécution d'un ordre du roi 65 Childebert, dans son prœceptum, n'avait-il pas averti qu'il trouverait une solution pour éradiquer la dissidence religieuse (<< De quelle façon l'injure faite à Dieu par ces sacrilèges doit être vengée, c'est à nous de l'examiner66 ») ? Cette solution consista, à Uzès, à imposer le baptême par la menace de l'exil. Un autre événement survenu vingt ans plus tard est bien documenté grâce à Grégoire de Tours, qui demanda au poète italien Venance Fortunat de le raconter en vers, et qui, par la suite, donna lui-même sa version des faits dans son Histoire des Francs. Les deux récits se ressemblent dans leurs grandes lignes, que l'on peut résumer comme suit : une foule de Clermontois détruit la synagogue de la citë7 , à la suite de quoi les juifs doivent choisir entre le baptême et l'exil; certains se convertissent après l'intervention de l'évêque Avit68 • Malgré les efforts déployés par ces deux auteurs pour dissimuler la responsabilité d'Avit dans ces conversions -l'Église réprouvait traditionnellement l'usage de la contrainte en la matière -, il est évident que l'ecclésiastique fut à l'origine des violences. C'est que, comme l'a démontré Brian Brennan, il avait décidé d'en découdre avec les juifs clermontois depuis que ces derniers avaient, pendant les élections épiscopales de 571, soutenu le candidat adverse69 Grégoire de Tours nous assure que le prédécesseur d'Avit, Cautin (551-571), était «un évêque coupable de tous les crimes et qui n'était pas digne d'avoir obtenu l'épiscopaeo ». Il était en outre un ami des juifs de la cité «Pour Cautin, rien n'était sacré ni respectable [...]. Il était cher aux juifs et avait pour eux des égards71 ». Cautin avait été emporté par l'épidémie de peste qui avait sévi en Auvergne pendant l'année 570, mais son successeur désigné, Eufrasius, s'était à son tour allié aux juifs,
M. Rouche, « Les baptêmes forcés ... ». op. cit., p. 111. MGH, Legum sect. II, Capitularia Regnum Francorum, t. l, p. 2-3 « Et quia necesse est, ut plebs, quœ sacerdotes prœceptum non ita ut oportit custodit, nostro etiam corrigatur imperio. » 67 Venance Fortunat, Carm. V, 5, et Grégoire de Tours, Hist. Franc., V, 11. 68 Venance Fortunat, Carm.V, 5. 69 Le développement qui suit reprend la démonstration de B. Brennan, « The conversion of the Jews of Clermont », JTS, n° 36, 2, 1985, p. 321-337. 70 Grégoire de Tours, Hist. Franc., IV, 11 (trad. par R. Latouche, Les Belles Lettres, 1995, p. 189). 71 Grégoire de Tours, Hist. Franc., IV, 12 (ibid., p. 192). 65
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qui lui avaient fourni les présents qu'il avait envoyés à Sigebert pour s'attirer ses bonnes grâces dans la perspective des élections qui se préparaient. Malgré ces manœuvres, c'était Avit qui avait obtenu la prœceptio royale72 • Mais le comte de la cité, Firmin, qui soutenait Eufrasius, était parvenu à faire retarder sa consécration d'une semaine en influençant la décision royale par des cadeaux. La cérémonie ne s'était d'ailleurs finalement pas déroulée dans la ville de Clermont, mais à Metz, preuve que les guerres de factions ne s'étaient pas apaisées et qu'Avit craignait pour sa sécurité. Bien que, par la suite, le récit de Grégoire ne touche plus mot d'Eufrasius ni du comte Firmin, on peut imaginer que les clivages ne s'étaient pas résorbés dans les années qui avaient suivi73 Un indice nous en est fourni par le fait que l'évêque Avit démarra une campagne de prosélytisme contre les juifs, « les exhortant souvent à laisser tomber le voile de la loi mosaïque », et que ces derniers, en retour, le provoquèrent en s'attaquant à un juif qui venait de se faire baptiser et qui défilait dans la ville vêtu de blanc. Ses ex-coreligionnaires l'arrosèrent « d'huile puante à l'instigation du diable74 ». Fait aggravant, cet événement se produisit pendant la semaine pascale - les baptêmes étaient réalisés à cette date - en un temps où, selon le prœceptum de Childebert 1er , les juifs étaient censés demeurer cloîtrés dans leurs maisons (cf. supra). Peut-être l'assassinat du roi Sigebert à Noël de l'année 575 et la confusion qui s'en suivit expliquent-ils le geste très autoritaire qu'Avit se permit alors, geste qui revenait de sa part à s'attribuer implicitement les pouvoirs civils du comte il expulsa purement et simplement les juifs du territoire de la cité75 •
72 L'accession à l'épiscopat se faisait en trois temps élection par le clergé et le peuple, assentiment du roi, et consécration par le métropolitain et les suffrageants. Cf. O. Guillot, A. Rigaudière et Y. Sassier, Pouvoirs et institutions..., op. cit., p. 87-88. 73 D'autant que le contentieux remontait loin dans le temps. Le siège de l'épiscopat de Clermont était, à chaque élection, convoité par trois grandes familles rivales, celle des Aviti, celle de Grégoire de Tours et celle d'Hortensius. Dans sa Vita Patrum, Grégoire écrit la Vie de Gallus, son oncle, ancien évêque de Clermont. Il nous apprend que Gallus avait été insulté par un certain Evodius, et que le père d'Evodius avait déjà fait mettre en prison l'évêque Quintianus, prédécesseur et mentor de Gallus. À cause de cet incident, Quintinatus avait juré qu'aucun membre de la famille de Gallus ne deviendrait jamais évêque. Or, cet Evodius n'est autre que le père d' Eufrasius, rival d'Avit à la succession de Cautin. Cf. Grégoire de Tours, Vita Patrum, VI, 3-4. 74 Grégoire de Tours, Bist. Franc., V, Il, p. 260. 75 Le geste d'Avit s'insère aussi dans le contexte de la montée du pouvoir de l'épiscopat entre le VIe et VII" siècles, qui tend, de plus en plus, à s'accaparer des fonctions civiles dans les cités.
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2. L'expulsion des juifs de Neustrie (581) et le concile austrasien de Mâcon 1 (581.583)
Quelques années après ces événements, la Neustrie entreprit à son tour de baptiser les juifs de force. Simultanément, le concile de Mâcon, en Austrasie, put mettre en place une législation antijuive plus efficace qu'elle ne l'avait jamais été, puisque le nouveau roi d'Austrasie, Gontran, coopérait désonnais pleinement avec le pouvoir ecclésiastique. La troisième campagne de baptêmes forcés intervint comme suit. En 581, le roi Chilpéric de Neustrie (561-584) décida de convertir le juif Priscus, un fournisseur du Palais76 • Ceci n'était pas la première entreprise de ce roi en matière religieuse. Désireux d'imposer une foi unitaire dans son royaume, Chilpéric, l'année précédente, avait cru pouvoir mettre fin aux querelles trinitaires qui divisaient l'Église en édictant un décret dans lequel il ordonnait de cesser de distinguer trois personnes dans la Trinité et demandait que l'on ne reconnût plus qu'un seul Dieu « ainsi qu'il était apparu aux prophètes et aux patriarches77 ». Cette théologie royale, bien entendu, avait été catégoriquement rejetée par l'épiscopat. Chilpéric l'avait donc prudemment abandonnée. Mais du coup, peut-être pour se consoler de cet échec, il s'était mis en tête de convertir les infidèles. C'est ainsi qu'ayant échoué à convaincre Priscus - au terme d'une discussion que le juif avait habilement fait tourner autour de la nature impersonnelle d'un Dieu qui« n'a pas besoin de fils », une vision vétérotestamentaire qui rappelait habilement celle exprimée par le roi dans son décrees -, il le laissa partir libre, mais il organisa, l'année suivante, le baptême forcé des juifs qui vivaient dans son royaume de Neustrie «Chilpéric fit baptiser [...] beaucoup de juifs dont il tira lui-même plusieurs de la sainte piscine79 » Peut-être sa démarche lui était-elle inspirée par la politique du basileus Maurice (582-602) qui avait « au début de son règne [...] obligé les juifs et les Samaritains au baptêmesü ». Il est possible que l'ambassade de Chilpéric de retour de Constantinople en 581 ait informé le roi de ce qui se préparait à Byzance81 • Les juifs expulsés crurent pouvoir se réfugier en Austrasie, compte tenu du fait que ce royaume, gouverné par Gontran (561-592) au nom du jeune
Grégoire de Tours, Rist. Franc., VI, 5. Grégoire de Tours, Rist. Franc., V, 44, p. 311. Cf. B. Dumézil, Conversion et liberté..., op. cit., p. 391. 78 Cf. B. Dumézil, Conversion et liberté..., op. cit., p. 393. 79 Grégoire de Tours, Rist. Franc., VI, 5, t. II, p. 34. 80 Jean de Nikiou, Chronique (trad. angl. R. H. Charles, Londres, 1916, p. 162). Cité par M. Rouche, « Les baptêmes forcés... », op. cit., p. 115. 81 Grégoire de Tours, Rist. Franc., VI, 2. 76 77
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Childebert II, était alors en guerre avec la Neustrie82 • Mais le roi Gontran convoqua dans les mêmes années (581-583) un concile à Mâcon où la question des juifs fut débattue. Ce n'est sans doute pas un hasard si les pères conciliaires, qui s'étaient désintéressés des questions juives pendant quelque quarante ans, y revenaient maintenant. Sans doute le roi et les évêques austrasiens se livraient-ils à une surenchère par rapport au roi neustrien. On constate que c'est aux questions juives que le concile, de fait, accorde le plus de place. Sur les vingt canons que compte au total le concile, quatre (c. 7, 8, 18, 19) sont dédiés aux questions relatives à l'organisation et à la procédure judiciaires, six (c. 2, 13, 14, 15, 16, 17) aux questions juives. Peutêtre cet intérêt avait-il également été suscité, dans une moindre mesure, par quelque scandale, comme peut le donner à penser la lecture du canon 2 Ut nullus episcopus, presbyter, diaconus, clericus vel quicumque secularis in monasteriis puellarum nisi probatœ vitœ et œtatis provectœ prœter utilitatem aut quamcumque reparationem monasterii ad quascumque earum necessitates habitare aut secretas conlocutiones habere prœsumant nec extra salutatorium aut oratorium ulterius ingredi permittantur. Prœcipue iudœi non pro quorumcumque negotiorum occasiones puellis intra monasterium Deo dicatis aliquid secretius conloqui aut familiaritatem vel moras ibi habere prœsumant. Qu'aucun évêque, prêtre, diacre, clerc, ni aucun séculier, s'il n'est d'une moralité éprouvée et d'un âge avancé, et sauf raison d'utilité ou de réparation du monastère, ne se permette de séjourner ou d'avoir des entretiens privés dans des monastères de filles, en vue de quelque service à leur rendre, et qu'il ne leur soit pas permis d'entrer plus en avant que le parloir ou l'oratoire. Surtout, que des juifs ne se permettent pas, à l'occasion d'aucune affaire, d'avoir des entretiens particuliers ou des relations familières, à l'intérieur d'un monastère, avec des vierges consacrées ou de séjourner là.
Le souci d'empêcher toute relation avec les vierges consacrées était habituel, et la prenùère partie du canon reprend de façon quasi littérale le canon 38 du concile d'Épaone (517)83 Mais la seconde partie (à partir de « prœcipue iudœi ») est une nouveauté visant particulièrement les hommes juifs, et qui suppose qu'un cas concret s'était récemment présenté.
Grégoire de Tours, Rist. Franc., VI, 17. Épaone (517) , c. 12 «Qu'aucun évêque, prêtre, diacre, clerc, ni aucun séculier, s'il n'est d'une moralité éprouvée et d'âge avancé, et sauf raison d'utilité ou de réparation du monastère, ne se permette de séjourner ou d'avoir des entretiens privés dans des monastères de filles, en vue de quelque service à leur rendre, et qu'il ne leur soit pas permis d'entrer plus avant que dans le parloir ou l'oratoire. » 82
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On constate en outre sans surprise dans le canon 16 que le contentieux opposant les évêques aux maîtres juifs à propos du sort de leurs esclaves chrétiens en fuite était toujours aussi vif. Et licet, quid de christianis, qui aut captivitatis incursu aut quibuscumque fraudibus iudœorum servitio inplicantur, debeat observari, non solum canonicis statutis, sed et legum beneficio iam pridem fuerit constitutum ; sed quia nunc ita quorundam quœrella exorta est quosdam iudœos per civitates aut municipia consistentes in tanta insolentia et protervia prorupisse, ut nec reclamantes christianos liceat vel ad prœtium de eorum posse servitute absolui idcirco prœsenti concilio Deo auctore sancimus, ut nullus christianus iudœo deinceps debeat deservire. sed datis pro quolibet bono mancipio duodecim solidis ipsum mancipium quicumque christianus seu ad ingenuitatem seu ad servitium licentiam habeat redimendi, quia nefas est, ut, quos Christus Dominus sanguinis sui effusione redemit, persecutorum vinculis permaneant inretiti. Quod si acquiescere hœc, quœ statuimus, quicumque iudœus noluerit. quamdiu ad pecuniam constitutam venire distulerit, liceat mancipio ipsi cum christianis, ubicumque voluerit, habitare. Et bien que depuis longtemps ait été fixé, non seulement par les statuts canoniques, mais aussi par la faveur des lois, ce qui doit être observé au sujet des chrétiens qui sont attachés au service des juifs, soit comme prisonniers de guerre, soit par la suite de quelque perfidie - étant donné que des gens se sont plaints que certains juifs établis dans les cités ou les municipes en soient venus à une telle insolence et arrogance qu'il n'y a plus moyen que des chrétiens, malgré leurs réclamations, et même au prix voulu, soient libérés de leur servitude -, pour cette raison nous décidons en ce présent concile, sous l'autorité de Dieu, qu'aucun chrétien désormais ne doit servir un juif, mais que, moyennant douze sous pour chaque esclave valide, tout chrétien doit avoir la faculté de racheter cet esclave, soit pour la condition libre, soit pour la servitude. C'est chose scandaleuse en effet que des hommes rachetés par le Christ Seigneur par l'effusion de son sang demeurent liés par les chaînes des persécuteurs. Si quelque juif refusait d'acquiescer à notre présente constitution, il sera loisible à l'esclave en question de demeurer chez des chrétiens, où il voudra, aussi longtemps que le maître se refusera à accepter la somme fixée.
L'existence de liens de dépendance entre chrétiens et juifs était inacceptable pour l'Église, car« c'est chose scandaleuse que des hommes rachetés par le Christ Seigneur par l'effusion de son sang demeurent liés par les chaînes des persécuteurs ». Mais un tel argument - qui rappelle celui qu'avait invoqué Martyrius dans la Novelle nI pour justifier l'exclusion ,des juifs de la fonction publique - n'impressionnait pas assez, visiblement, les propriétaires juifs. Leurs esclaves s'étaient plaints, sans doute devant la juridiction épiscopale, de ce qu'ils n'arrivaient pas à obtenir leur rachat «Des gens se sont plaints que certains juifs établis dans les cités ou les municipes en soient
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venus à une telle insolence et arrogance qu'il n'y a plus moyen pour les chrétiens, malgré leurs réclamations, et même en payant au prix voulu, de se libérer de leur servitude. » On constate que les esclaves en question avaient une chance de passer au statut d'hommes libres, puisque leurs acquéreurs chrétiens étaient susceptibles soit de les conserver à leur service, soit de les libérer. Les évêques avaient sans doute dû songer à cette possibilité en réponse aux juifs qui, eux-mêmes, promettaient d'accorder la liberté aux esclaves qui accepteraient de se convertir au judaïsme84 • Les propriétaires juifs d'esclaves chrétiens étaient maintenant frappés plus lourdement dans leurs intérêts économiques que par le passé. Il n'était ainsi plus question, comme dans les conciles d'Orléans de 538 et 541, d'un rachat selon une «juste estimation du prix », mais la valeur du chrétien était uniformément fixée à 12 sous, sans que l'on sache si et à quel point ce prix était inférieur au coût moyen d'un esclave de l'époque. En outre, ajoutait le canon 17, si l'esclave avait été circoncis, il serait confisqué à son maître sans indemnisation et le maître lui-même serait frappé d'une condamnation pénale Illud etiam specialiter sancientes, quod, si quis iudœus christianum mancipium ad errorem iudaicum convictus fuerit persuavisse, et ipsum manicpium careat et legali damnatione plecatur. Nous décidons tout spécialement que si un juif est convaincu d'avoir persuadé un esclave chrétien de passer à l'erreur judaïque, il soit, d'une part, dépossédé de cet esclave, et, d'autre part, frappé de la condamnation légale.
La sanction est, précise le texte, d'origine légale. De la même manière, le canon 16 se réclamait non seulement des « statuts canoniques », mais aussi de la « faveur des lois », comme d'ailleurs d'autres décrets du concile85 • Il convient de s'interroger sur l'origine précise de ces leges. En effet, Mark Vessey a émis l'hypothèse que les pères de Mâcon avaient utilisé des textes issus de la collection de Sirrnond, cette petite collection de constitutions
84 Le canon d'un concile précédent dénonçait en effet cette pratique des juifs. Cf. Orléans IV (541), c. 31 «[...] si de parentibus christianis natum iudœum sub promissione fecerit libertatis [...] » ([...] s'il convertit au judaïsme un esclave né de parents chrétiens, moyennant la promesse de la liberté [... J). 85 Mâcon, c. 11 Licet reverentissime canones et sacratissime legis {...] ; c. 13 «[...] tractatis omnibus, quœ divine vel humane iuris fuerunt» ; c. 14 «Ex interpellatione quorundam cognovimus calcatis canonibus et legibus [...] secundum canonum atque legum tenore [...] ».
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impériales que nous avons déjà rencontrée précédemment86 • Après avoir confinné, sur la base d'une étude paléographique, que le premier témoin manuscrit de cette collection - baptisé codex Lugdunensis - datait bien de la seconde moitié du VIle siècle87 , l'auteur ajoute qu'il est probablement la copie d'un codex plus ancien datant, lui, du VIe siècle. Il est vrai que le codex Lugdunensis contient une série de collections canoniques rassemblant des conciles dont la date ne dépasse pas le VIe siècle. Ce corpus canonique aurait été réalisé en quatre étapes par des mains différentes. Les deux premières collections canoniques, qui ne contiennent que des conciles provençaux, auraient été copiées par des clercs de l'entourage plus ou moins proche de Césaire d'Arles 88 • La troisième collection - qui inclut le troisième et le quatrième concile d'Orléans, tous deux présidés par l'évêque de Lyon, ainsi que d'autres conciles de facture « nordique» - aurait, en revanche, été copiée en milieu lyonnais, de même que la quatrième collection qui lui fait suite. La transmission du codex de sa Provence d'origine à la Burgondie se serait réalisée entre 570 et 581-583. De fait, les évêques du concile de Lyon de 570 ignoraient manifestement ce corpus, tandis que les pères de Mâcon l'utilisaient89 Le codex Lugdunensis porte enfin une cinquième addition de textes incluant le concile de Mâcon de 581-583 et la collection de Sirmond. Comme le second concile de Mâcon de 585 n'y figure pas, Mark Vessey fixe cette dernière étape de rédaction entre 581-583 et 585. La collection de Sirmond aurait ainsi été intégrée au codex à l'issue du premier concile de Mâcon. Si l'on accepte ces conclusions de Mark Vessey, on est en droit de se demander si les pères conciliaires qui, dans les canons 16 et 17, revendiquaient l'application des leges, pensaient ou avaient même sous leurs yeux la collection de Sirmond. Cette collection contient deux constitutions relatives au régime des esclaves des juifs. La première est celle de Constantin, du 21 octobre 335, qui ordonne la mancipatio des esclaves circoncis par leurs maîtres juifs; la seconde est celle de Valentinien III, du 25 août 425, ainsi formulée «Nous ne voulons pas que des personnes de loi chrétienne les servent et qu'à cette occasion elles passent de leur vénérable religion à la
Cf. chap. III, p. 142. M. Vessey, « The Origins of the Collectio Sirmondiana », in 1. Harries et 1. Wood, The Theodosian Code. Studies in the Imperial Law of Late Antiquity, Londres, 1993, p. 193-194. 88 M. Vessey, « The Origins of the Collectio... », op. cit., p. 195. 89 On a dit plus haut que les pères conciliaires avaient repris le canon 2 interdisant d'approcher les femmes consacrées au concile d'Épaone (517). De même citent-ils littéralement des canons des conciles de Clermont (535) et peut-être d'Orléans III. 86 87
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secte de leurs maîtres90 • » Cette seconde constitution nous paraît trop vague et générale pour avoir pu inspirer les évêques. La première, en revanche, a pu éventuellement influencer la réalisation du canon 16 qui prévoyait - ce qui était une nouveauté à l'époque - la possibilité de libérer les esclaves rachetés aux juifs. Rappelons néanmoins que le Bréviaire avait, lui aussi, repris la loi de 335. Or il est probable que les pères de Mâcon disposaient de ce texte, car une copie en avait été réalisée à Lyon pendant la seconde moitié du VIe siècle91 • En outre, ils avaient peut-être également à leur disposition un exemplaire du Code Théodosien lui-même92 • On ne peut donc pas établir avec certitude que les leges mentionnées dans nos deux canons étaient d'origine sirmondienne. Quoi qu'il en soit, le recours au droit romain était significatif d'un changement important : la volonté claire de frapper les juifs, ce que confirme la manière dont le concile formule ses décisions. Le canon 16 adresse ainsi des ordres directs aux juifs (<< Si quelque juif refusait d'acquiescer à notre présente constitution ») en rupture avec la logique des sanctions canoniques, et le canon 17 prévoit qu'un juif convaincu d'avoir converti un esclave chrétien sera frappé de la sentence capitale, ce qui ne saurait se faire qu'au terme d'un procès réalisé par les iudices du roi 93 • Enfin, le canon 14, qui rappelle l'édit de Childebert interdisant aux juifs de circuler depuis la Cène jusqu'au lundi de Pâques, précise que« si l'un d'eux venait à se le permettre, qu'il soit puni par les juges de l'endroit, suivant sa qualité ». Un autre décret, le canon 13, exige également que les juifs n'occupent pas les fonctions de juges et de telonarii, c'est-à-dire de percepteurs de tonlieux 94, car ceci
90 Valentinien III, 6 aoüt 425 «C...] quibus christianœ legis nolumus servire personas, ne occasione dominii sectam venerandœ religionis inmutent ». 91 Il s'agit d'ailleurs du plus ancien des quatorze manuscrits du Bréviaire qui nous sont parvenus. I. Wood. «The Code in Merovingian Gaul », in 1. Hames et 1. Wood, The Theodosian Code.... op. cit., p. 166. 92 Deux manuscrits qui remontent au VIC siècle et qui contiennent le Code Théodosien se trouvent de fait être d'origine lyormaise. Cf. I. Wood, « The Code... », op. cit., p. 164-165. 93 Mâcon (581-583), c. 17. 94 Le tonlieux désigne l'ensemble des taxes touchant les transports de marchandises et qui étaient perçues aux péages. Il y avait par exemple le ripaticum, perçu à l'amarrage des bateaux; le portaticum, perçu pour les transports à dos d'homme; le pontaticum. perçu sur le passage d'un pont et le trabaticum d'une banière. Cf. L. Halphen, Charlemagne et 1'Empire carolingien, Paris, 1995 (l'e éd. 1947), p. 160 et suiv. Les telonarii étaient en outre chargés de juger les litiges qui naissaient entre marchands étrangers. Cf. B. Bachrach, Early MedievaL. op. cit., p. 54-55.
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« mettrait des chrétiens sous leur coupe, ce qu'à Dieu ne plaise95 ». Cette
mesure exigeait également pour son application la coopération du pouvoir civil96 ; elle signifiait un retour au droit romain le plus strict, tel qu'il avait été fixé, on s'en souvient, pendant le premier tiers du ve siècle, notamment dans la Novelle l i97 L'usage revendiqué du droit romain contre les juifs ne se comprend que si les prélats se sentent assurés du soutien du bras séculier. De fait, d'après le portrait flatteur que Grégoire de Tours nous propose de Gontran, crédité d'un charisme quasi sacerdotal, ce roi mettait un point d'honneur à respecter scrupuleusement les prérogatives de l'Église. Quelques années plus tard, il fit preuve à nouveau de sa détermination à combattre, en alliance avec le clergé, les juifs et le judaïsme. Grégoire nous conte en ces termes son arrivée, le jour de la fête de saint Martin (4 juillet 585), dans la cité d'Orléans Une foule immense vint à sa rencontre avec étendards et bannières en chantant ses louanges. Ici dans la langue des Syriens, là dans celle des Latins, ailleurs aussi dans celle des juifs eux-mêmes retentissaient sous des formes variées ces louanges diverses «Vive le roi... » Les juifs que l'on voyait prendre part à ces louanges disaient «Que toutes les nations t'adorent ; qu'elles fléchissent les genoux devant toi et qu'elles te soient soumises. » Puis il arriva qu'après la célébration des messes le roi qui s'était assis pour banqueter déclara «Malheur à la nation judaïque, elle est mauvaise et perfide, et elle vit toujours avec des arrière-pensées fourbes. Si, en effet, aujourd'hui elle m'a acclamé avec des louanges adulatives en prétendant que toutes les nations devraient m'adorer comme un maître, c'était pour que j'ordonne de relever avec les ressources publiques la synagogue qui a été démolie récemment par des cluétiens ; c'est ce que, selon l'ordre du Seigneur, je ne ferai jamais98 . »
95 Mâcon (581-583), c. 13 «Ne iudœi christianis populis iudices deputentur au! telonarii esse permittantur, per quod illis, quod Deus avertat, christiani videantur esse subiecti. » (<< Que des juifs ne soient pas donnés comme juges au peuple chrétien, et qu'ils n'aient pas le droit d'être percepteurs, ce qui mettrait des chrétiens sous leur coupe, ce qu'à Dieu ne plaise. ») 96 Un canon du concile de Clermont (535) avait déjà, au début du siècle, exigé que l'on n'emploie pas de juifs aux fonctions de juges, ce qui était resté, on peut le supposer, un vœu pieux. Cf. Clermont, c. 9 «Ne ludœi christianis populis iudices prœponantur. » (<< Que des juifs ne soient pas établis comme juges sur une population chrétienne. ») 97 Ici encore, il est impossible de déterminer avec certitude si les pères avllient puisé leur source dans un exemplaire du Bréviaire - où l'on trouve la Novelle - ou dans la collection de Sirmond, dont la même loi de Valentinien III déjà citée établissait que «ludœis quoque vel paganis causas agendi vel militandi licentiam denegamus. » (<< On nie aux juifs et aux païens le droit d'agir en justice et d'entrer dans les milices. ») 98 Grégoire de Tours, Hist. Franc., VIII, 1.
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Malgré ce que prétend Grégoire, les juifs avaient sans doute demandé à Gontran non pas de financer lui-même la réparation de leur synagogue, mais d'obliger les responsables à rembourser les frais de sa reconstruction. Or, se gardant de suivre l'exemple de plusieurs empereurs romains, le roi refusa d'engager un tel procès contre les responsables qui étaient, on l'imagine, des ecclésiastiques. Nous constaterons plus loin qu'à la même époque, en Italie, le pape Grégoire le Grand lui-même, se réclamant de la législation théodosienne en la matière, entendait sanctionner les destructions de synagogues99 En juillet 591, il condamna, dans un esprit identique, la conversion forcée des juifs de leurs cités par l'évêque de Marseille, Théodore, et l'archevêque d'Arles et métropolitain des Gaules, Virgile 1OO • Il faut noter que l'intervention du pape dans les affaires austrasiennes, sur laquelle nous reviendrons, avait été suscitée par une plainte portée devant lui par les victimes juives qui avaient tout spécialement effectué le voyage jusqu'en Italie; c'est bien la preuve que les juifs n'attendaient aucun secours de la part de leur propre souverain Gontran. On est en droit de penser que ce dernier avait au mieux assuré les deux prélats de leur impunité, au pire suscité lui-même ces conversions forcées. Il faut mentionner au passage une seconde intervention du pape en juillet 599, auprès, cette fois, de la reine d'Austrasie BrunehaueOI . Le pape constate avec inquiétude que la reine « permet aux juifs de posséder des esclaves chrétiens» et il lui demande de prendre une constitution pour les en empêcher. Or, la législation franque n'était pas, en la matière, aussi radicale. On se souvient en effet que le concile de Mâcon n'avait pas interdit aux juifs de posséder des esclaves chrétiens, mais les avait simplement contraints, si leurs esclaves désiraient changer de maître, d'accepter le fait accompli et leur rachat contre 12 sous. Loin d'exiger cette fois le respect du droit théodosien, le pape demande maintenant l'application, en Gaule franque, de la législation justinienne, plus sévère. Il avait lui-même adopté cette réglementation byzantine, sans jamais envisager l'indemnisation des maîtres juifs lO2 • Le
Cf. p. 261 et suiv. Grégoire le Grand, Reg., l, 45. 101 Grégoire le Grand, Reg. IX, 214. Grégoire fait une demande similaire dans une lettre adressée aux petits-fils de Brunehaut, Thierry et Théodebert, qui sont alors sous sa tutelle. Cf. Reg. IX, 216. 102 Cf. B. Blumen.kranz, Juifs et chrétiens... , op. cit., p. 328. La reconquête byzantine de l'Italie et la « pragmatique sanction» demandée en 554 par le pape Vigile avaient en effet donné vigueur aux compilations de Justinien. Cf. 1. Gaudemet, Les Naissances du droit, Paris, 1999, p. 296 et 253. 99
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legs du Code Théodosien n'était donc pas utilisé partout de mamere identique. Grégoire s'en réclame lorsqu'il veut condamner les violences contre les synagogues, mais il n' hésite pas à lui préférer un droit plus récent quand il s'agit de protéger les esclaves chrétiens du prosélytisme juif1û3 • Les rois et les évêques mérovingiens ont une conduite presque inverse. D'une part, ils adoptent la politique des empereurs byzantins en lançant comme eux des persécutions - nous avons vu que Chilpéric imitait la politique de l'empereur Maurice et nous rencontrerons bientôt un cas similaire. Mais quand, en revanche, ils entendent simplement réglementer la présence juive sur le territoire franc, c'est du droit théodosien modéré qu'ils s'inspirent. Le contraste entre ces deux politiques n'est pas surprenant. Celle de Grégoire est mieux pensée et plus suivie que celle des différents rois francs qui se sont succédé, dont les relations avec la religion et avec l'Église ont fluctué, non seulement d'un règne à l'autre, mais au cours même de chaque règne. 3. La conversion obligée des fonctionnaires sons Clotaire II (614), puis de tous les juifs sous Dagobert (632-633)
Pendant la seconde partie du VIe siècle, plus aucun grand concile national ne se réunit, à cause des guerres qui déchirent le territoire franc. Mais, à partir de 613, le roi de Neustrie Clotaire II (584-629) réalise l'unité politique du regnum Francorum. li convoque l'année suivante un concile à Paris, le premier d'une telle ampleur, qui rassemble soixante-seize prélats. Les évêques s'efforcent, avant tout, de combattre l'ascendant du pouvoir séculier sur la vie de l'Église interventions du roi dans les désignations épiscopales (c. 2), empiétement des juridictions laïques dans les conflits entre ecclésiastiques (c. 6, 13), allégeance d'un clerc à un patron laïc au mépris de sa hiérarchie (c. 5), et détournement des biens de l'Église (c. 8, 9, 12). Ils prennent également des décrets concernant les unions incestueuses, la transgression des engagements religieux. Enfin, à propos des juifs, ils décident ceci Ut nul/us iudœorum qualemcumque militiam aut actionem publicam super christianos aut adpetere a principe aut agere presumat. Quod si temptaverit, ab episcopo civitatis illius, ubi actionem contra canonum statuta conpetiit, cum omni familia sua baptismi gratiam consequatur. Qu'aucun juif n'ait l'audace de solliciter du prince ou n'exerce un office ou une charge publique qui lui donne autorité sur les chrétiens. S'il s'y risque, qu'il reçoive avec toute sa famille, de la main de l'évêque de ~fl cité où il a exercé sa charge à l'encontre des statuts canoniques, la grâce du baptême.
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Grégoire le Grand, Reg. II, 6.
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Quelques jours après la clôture de l'assemblée conciliaire, Clotaire promulgua, le 15 octobre 614, un « édit ». Un tel acte civil d'enregistrement des décisions ecclésiastiques était inédit, et il signifiait, comme l'analyse Olivier Guillot, que le roi entendait se poser désormais en législateur de l'Église 104. Son texte se démarquait du concile sur la question de la procédure d'accession à l'épiscopat en imposant l'investiture royale. En revanche, il reprenait la disposition qui concernait les juifs ludœi super christianus actionis publicas agere non debeant. Quibuscumque se... tuos... dine sociare presumpserit, severissimam legem ex canonica incurat sententia 105 • Les juifs ne doivent pas exercer d'action publique sur les chrétiens. Quiconque... oserait rejoindre... tomberait sous le coup d'une sanction sévère, conformément à la sentence canonique.
Le pouvoir royal coopérait donc pour cette question au moins avec les évêques, élargissant aux juifs de Neustrie l'interdiction promulguée à Mâcon. Mais il faut tout de même constater une différence notable entre cette loi et le texte du concile. Clotaire exigeait la conversion au christianisme des familles de fonctionnaires juifs, preuve que le recours aux baptêmes forcés était désormais chose banale et acceptée. À partir de 614, la question religieuse se trouve donc entre les mains du pouvoir royal. Le concile de Clichy de 626-627, qui se tient pendant les dernières années du règne de Clotaire, apparaît comme le prolongement du concile de Paris. Le roi y joue un rôle toujours plus important, rôle que l'épiscopat compare servilement, dans son préambule, à celui du roi David106 • Les canons eux-mêmes sont directement d'inspiration royale, les formules employées étant plus proches de celles de l'édit que de celles du concile de 581-583. Le canon 13 reprend ainsi littéralement le texte de l'ordonnance royale, exigeant « que les juifs ne soient admis à nul acte public ». Le texte réitère en outre les avertissements désormais classiques Christiani iudœis et gentilibus non vendantur. Nam si quis christianorum necessitate cogente mancipia sua christiana elegerit venundanda, non aliis nisi tantum christianis expendat. Nam si paganis aut iudœis vendiderit, communione privetur et emptio careat firmitatem. ludœi vero si christiana mancipia ad iudaismum vocare presumserint aut gravibus tormentis adflixerint, ipsa
O. Guillot, Pouvoirs et institutions..., op. cit., p. 91-93. Chlotarii II edictum, 10 (MGR Cap. J, p. 22). 106 1. Gaudemet, Les Canons des conciles..., op. cit., p. 506-507. 104 105
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mancipia fisci ditionibus reformentur. Qui tamen iudœi ad nullas actiones publicas admittantur. Iudœorum vero convivia penitus refutanda. Que les chrétiens ne soient pas vendus à des juifs et à des païens. Et si un chrétien, forcé par la nécessité, décide de vendre ses esclaves chrétiens, qu'il ne les cède à personne d'autre qu'à des chrétiens. S'il les vend à des païens ou à des juifs, qu'il soit privé de la communion et que la vente soit annulée. Si, d'autre part, des juifs osent inviter des esclaves chrétiens à passer au judaïsme ou les accablent de sévères tourments, que ces esclaves soient attribués au fisc. Que les juifs, encore, ne soient admis à nul acte public. Quant aux repas avec des juifs, il faut absolument les refuser.
Notons que l'esclave enlevé à son maître juif ne bénéficiera pas de la liberté ni ne sera racheté par des chrétiens, mais sera confisqué, c'est-à-dire attribué au fisc. Clotaire a-t-il imposé ce changement aux pères conciliaires ? C'est probable, car le pouvoir, qui avait été jusqu'alors exclu de ces questions considérées, parce que d'ordre pastoral, comme étant de la responsabilité de l'Église et des chrétiens, substitue ici sa propre juridiction. Pour subir la confiscation de son esclave chrétien, le juif doit s'être rendu coupable de ces crimes que sont la conversion de l'esclave au judaïsme ou un mauvais traitement. On imagine que ces confiscations intervenaient donc à la suite d'une condamnation devant un juge public. On peut dresser un parallèle entre cette évolution et celle que l'on avait notée au début du Ive siècle où la loi de Constantin de 335, qui avait été conçue par un ecclésiastique, avait été abrogée en 339 par une loi plus réaliste de Constantin 11107 Il faut également se demander ce qu'il advenait du chrétien qui partageait son repas avec un juif. Sans doute peu de chose, au sens où la commensalité demeurait une faute religieuse. En effet, un canon du concile de Mâcon avait réitéré la menace d'une excommunication et l'on peut ainsi supposer, compte tenu du silence du texte, que la sanction demeurait toujours la même. L'intervention de Chilpéric contre l'évêque Ferréol restait donc de circonstance, le pouvoir séculier ne s'impliquant généralement pas dans ce domaine. Un dernier raidissement du' pouvoir est avéré sous le règne du fils de Clotaire Dagobert (623-639). Ce roi avait, aux dires du Pseudo-Frédégaire, reçu en 632-633 de Byzance une ambassade « lui demandant d'ordonner de faire baptiser dans la foi catholique tous les juifs de son royaume, ce que Dagobert s'empressa d'exécuter ». Le basileus Héraclius venait d'ordonner « que soient faits chrétiens tous les juifs et les Samaritains habitant de par l'Afrique ». Notre source, Maxime de Chrysopolis, ajoute «J'ai appris que cela s'était passé dans tout l'Empire romain. » L'ordre de Dagobert fut
107
Cf. chap. III, p. 141 et sui.
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exécuté à Bourges, en tout cas, par l'évêque Sulpice 108 • Cette coordination de la politique de persécution antijuive entre les deux parties de la Méditerranée constitue un des effets de la grande diplomatie byzantine engagée en Gaule entre la fin du VIe et le début du vue siècle.
SECTION
II. L'ADAPTATION DES CONSTITUTIONS IMPÉRIALES DANS LA PÉNINSULE ITALIQUE
Dans le chapitre II, nous avons rencontré les hommes qui, entre la fin du IVe et le début du Ve siècle, avaient détruit les synagogues ou les avaient occupées pour les transformer en églises. Il y avait eu parmi eux des personnes qui se situaient en marge de la hiérarchie ecclésiastique, tels les moines, mais il y avait eu également des évêques. Les actions violentes contre les juifs n'avaient donc pas été uniquement le fait d'activistes marginaux. C'est si vrai qu'à la fin du ve siècle, le pape Gélase (492-496) lui-même insérait dans son sacramentaire une messe spéciale fixant la liturgie de la consécration des synagogues en églises 109 Ces exactions se trouvaient par là même légitimées par la plus haute instance hiérarchique de l'Église romaine, qui défiait en quelque sorte l'équilibre qu'avaient voulu les empereurs romains. C'est dans ce contexte qu'il convient de situer l'action du roi ostrogoth Théodoric 1er (493-526), qui réprouvera les attaques de synagogues qui continuaient de se produire en son temps dans certaines villes italiennes 110, en se posant comme le gardien du droit romain en la matière, ce droit qui est à ses yeux la marque de la civilisation, comme il le proclame dans une de ses lois «Custodia legum civilitatis est indicium. » Voici que le « barbare» défendait la civilisation mieux que l'Église romaine... Mais ce roi ne se contenta pas de reprendre le droit romain. Il justifia la condamnation des violences, afftrmant : « Religionem imperare non possumus quia nemo cogitur ut credat invitus ll1 . » La chancellerie ostrogothique, dominée par la personnalité du catholique Cassiodore, menait donc une passionnante réflexion sur la nature de l'autorité, sur ses moyens et sur ses fins, sur ce qu'elle peut et ne peut pas faire en termes de contrainte ; et sur
108
R. Devresse, « La fin inédite d'une lettre de Maxime le Confesseur », in RSR, 1937,
p.28. 109 Sacramentarium Gelasianum l, 93 (PL 74, 1144 = H. A. Wilson, The Gelasian Sacramentary, p. 141 et suiv.) «Orationes et preces in dedicatione loci illius ubi prius fuit synagogua Deus [...] respice super hanc basilicam in honore beati illius nomini tuo dicatam ; ut vetustate Iudaici erroris expulsa, huic [....] ». 110 Cassiodore, Var., IV, 33 etV, 37. 111 Cassiodore, Var., II, 27.
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la nature de la croyance religieuse qui, si elle est forcée, manque obligatoirement son objet. Par la suite, et alors que la péninsule italique sous domination lombarde et byzantine vivait dans une paix fragile, le pape Grégoire le Grand (590604), soucieux d'apaisement, devait adopter à son tour la ligne légaliste de Théodoric et fustiger les destructions et occupations de synagogues opérées par les évêques qui lui étaient subordonnés dans l'Italie suburbicaire 112 • De manière significative disparaissait de son livre sacramentaire la messe de consécration des synagogues. Grégoire avait vraisemblablement eu connaissance des écrits de Cassiodore, qu'il enrichit encore de sa réflexion. L'autorité peut certes contraindre ses sujets à se conformer extérieurement au culte catholique, mais elle ne peut forcer la croyance. Cette entreprise est en effet contradictoire: celui qui a recours à la violence prétend qu'il n'a en vue que le salut de ses victimes; or, s'il amène les persécutés à professer de bouche ce qu'ils ne croient pas de cœur, il entrave le salut de ses sujets en leur demandant des actions qui ne sont pas agréables à Dieu1l3 • Il convient cependant de ne pas se laisser abuser par les déclarations d'intention qui, fort importantes pour l'histoire de la pensée juridique et pour la protohistoire du principe constitutionnel de la liberté de conscience, n'ont eu à l'époque qu'une faible résonance pratique. De fait, les dispositions prises dans les mêmes textes pour sanctionner ceux qui persécutent les juifs furent, dans la plupart des cas, peu sévères. A. Civilitas et tolérance religieuse du pouvoir ostrogothique On verra comment furent adaptées, dans l'Italie postimpériale de Théodoric puis de Grégoire le Grand, les lois impériales interdisant, d'une part, l'agrandissement des synagogues et condamnant, d'autre part, les atteintes portées à ces édifices. 1. Une loi de Théodoric interdisant l'agrandissement des synagogues
Le pouvoir ostrogothique intervint une première fois à la suite d'une sollicitation des juifs de Gênes. Ces derniers, à en croire la teneur de la lettre royale, s'étaient trouvés empêchés de mener à bien des travaux de réparation, et peut-être d'agrandissement, de leur synagogue. Théodoric répondit en ces termes à leur plainte
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Grégoire le Grand, Reg. I, 34 et 45, IX, 196. Grégoire le Grand, Reg. I, 45.
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Sieut exorati iustum eupimus prœbere eonsensum, ita per nostra benefieia fraudes tueri legibus non amamus, in ea parte prœcipue, in qua divinœ reverentiœ eredimus interesse. Non ergo insultare videantur elati, divinitatis gratia destituti. Quapropter tegumen tantum vetusti parietibus superimponere synagoguœ vestrœ prœsenti vos auetoritate eensemus, petitionibus vestris eatenus licentiam eommodantes, quatenus eonstituta divalia permiserunt. Nec aliquid ornatus fas sit adieere vel in ampliandis œdibus evagari. Et noveritis vos severitatem minime defugere veteris sanetionis, si rebus non abstineatis illieitis. In ipsis vero parietibus eooperiendis vel fulgiendis tantum lieentiam damus, si vobis trieennalis non potest obesse prœseriptio. Quid appetitis, quœ refugere deberetis ? damus quidem permissum, sed errantium votum laudabiliter improbamus ,. religionem imperare non possumus, quia nemo eogitur ut credat invitus 1l4 • De même que nous désirons offrir une solution juste quand nous y sommes incités, de même nous n'aimons pas que l'on fraude les lois sous couvert de notre bienfaisance, surtout dans des domaines dont nous estimons qu'ils touchent à la révérence du divin. Ne doivent donc pas paraître insolents dans leur superbe ceux qui ont été déchus de la grâce divine. C'est pourquoi nous ordonnons par cette autorité que vous n'ajoutiez à votre synagogue qu'un toit sur les anciens murs, puisque les divines constitutions le permettent. Mais qu'il ne soit licite ni d'ajouter un quelconque ornement ni de vous étendre en agrandissant l'édifice. Et sachez que vous n'échapperez pas à la sévérité des anciennes sanctions si vous ne vous abstenez pas de commettre des actions illicites. Nous vous donnons licence de couvrir ces murs et de les soutenir seulement si ne peut vous faire obstacle une prescription triennale. Pourquoi désirez-vous ce que vous devriez fuir? Nous vous donnons quand même cette permission, mais, conservant notre honneur, nous désapprouvons ce choix de l'erreur: nous ne pouvons pas imposer une religion, car personne ne saurait être forcé de croire malgré lui.
Le souverain en appelle à la stricte observance des constituta divalia, en l'occurrence les constitutions du 15 février 423 et du 31 janvier 438 dont nous avons plus haut donné la teneur. Il ne concède donc pas l'agrandissement de la synagogue, mais une simple restauration de l'édifice. Or, l'application de cette solution romaine n'allait pas de soi. Le simple fait que les juifs en avaient appelé au roi témoignait des tensions qui devaient régner entre les populations juive et catholique de Gênes. Théodoric a conscience que sa position pourrait être mal interprétée. C'est pourquoi il s'empresse, au début de sa lettre, de marquer qu'il se désolidarise des juifs. L'erreur religieuse des juifs interdit toute superbe de leur part «Non ergo insultare videantur elati, divinitatis gratia destituti.» Ils demandent la
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Cassiodore, Var., II, 27.
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protection de leur synagogue, laquelle ne devrait pas être l'objet de leur préoccupation «Quid appetitis, quœ refugere deberetis ? » Le roi multiplie donc les déclarations hostiles à l'égard des juifs pour que les motifs de sa décision puissent paraître subjectifs. La tâche de gouverner était, de fait, délicate pour ce roi goth qui était arien et ne voulait pas perturber l'équilibre délicat qu'il avait établi avec la population autochtone romaine catholique. Théodore le Lecteur relate par exemple qu'un diacre catholique qui s'était converti à l'arianisme pour s'attirer la faveur du souverain fut mis à mort par ce dernierl15 • Dans les régions sous influence ostrogothique, les catholiques pouvaient d'ailleurs vivre leur foi en pleine liberté et autonomie, comme en témoignent les nombreux conciles qui se tinrent sous ce régime1l6• Le pouvoir devait donc expliciter les raisons qui le conduisaient à concéder un droit qui, à la lumière de la vraie religion, ne se justifiait pas. Pour résoudre cette tension entre le droit et l'idéal religieux chrétien, Théodoric énonce le désormais célèbre «Religionem imperare non possumus, quia nemo cogitur ut credat invitus. » Comme le souligne Mauro Pesce 117 , il faut se garder de lire cette sentence à la lumière de notre conception moderne de la liberté de conscience qui n'est pas antérieure aux temps modernes et ne se formule définitivement qu'entre le XVIIe et le XIXe siècle 1l8 • Un principe des sociétés libérales est que chacun est libre de croire ou de ne pas croire en Dieu. La religion fait partie de la sphère privée des individus qui est abandonnée à leur absolue discrétion. L'esprit du religionem imperare est tout autre. L'inégalité entre la croyance juive et chrétienne est reconnue par le souverain, ainsi que la nécessité de la conversion des juifs à la vraie foi. Mais Théodoric part d'une définition fonctionnelle de l'autorité et de la coercition étant donné ce que sont ses moyens, la mission est condamnée à l'échec lorsqu'elle tente d'imposer à ses sujets une fonne de croyance et de culte. Cette doctrine, déjà mise en avant par les philosophes païens, puise certainement aussi dans l'œuvre de saint Augustin, sans qu'il nous soit possible d'établir une parenté textuelle certaine. Dans son commentaire de
Théodore le Lecteur, Frag. 463. En Espagne le concile de Tarragone (516) ; Gérone (517) ; Valence (524) ; en Provence et en Septimanie Arles (524); Carpentras (527); Orange et Vaison (529), Marseille (533). 117 M. Pesce, Cum divinitas patiatur diversas religiones esse. Alle origini di una fondazione biblica della libertà religiosa con richiamo alle Variœ di Cassiodoro, Rome, 1998. 118 La doctrine de la tolérance religieuse trouve ses origines dans l'humanisme et prend corps dans le contexte des divisions religieuses de l'Europe à l'époque de la Réforme et de la Contre-Réforme. Elle parvient à maturité avec Locke, Bayle et le mouvement des Lumières. 115
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l'Évangile selon saint Jean, le Père de l'Église écrivait en effet «Credere non potest homo nisi volens 119 • » 2. Les lois condamnant les destructions de synagogues
On dispose également d'un témoignage de réaction législative de Théodoric en cas de destruction de synagogue. À Ravenne, en 519, « les juifs, refusant le baptême, jetèrent au fleuve, pour s'amuser, l'eau qui leur était fréquemment offerte (l'eau baptismale)120 ». Des chrétiens indignés incendièrent alors les synagogues de la ville, malgré les interventions du gendre de Théodoric, Eutaric, général du roi et ennemi, en tant qu'Amale venu d'Espagne, des Nicéens et de l'évêque Pierre 121 . Théodoric prit connaissance des faits pendant qu'il séjournait à Vérone. Il demanda à Eutaric et à Pierre d'ordonner la reconstruction des synagogues par contributions individuelles des coupables sous peine de verges pour ceux qui ne payeraient pas par mauvaise volonté ou par pauvreté 122 • Théodoric inflige ici les mêmes sanctions que celles qui avaient été ordonnées par Théodose 1er et, à l'issue de la crise palestinienne de 423, par Théodose II. La fermeté de cette décision pourrait certes s'expliquer par le fait que le prélat de Ravenne avait lui-même désavoué les agresseurs, qu'il devait être d'autant plus aisé de punir qu'ils paraissent avoir été d'origine modeste, à en croire le texte qui fait allusion à leur pauvreté et qui ne craint pas de les condamner à la flagellation. Certains historiens ont par ailleurs avancé que le roi, dont il est constant qu'il a favorisé l'activité commerciale pendant son règne, voulait s'attirer la sympathie des marchands juifs, lesquels auraient entretenu des relations commerciales importantes avec l'ûriene23 Même si cette dernière considération a pu influencer sa position, nous ne croyons pas qu'on puisse soupçonner Théodoric de lâcheté politique. En effet, si nous avons écrit plus haut que le roi avait essayé de ménager les susceptibilités de la population catholique, cette attitude conciliante ne
119 Saint Augustin, In Ioan. XXVI, 2 (PL 35, 1607). Mais l'argument avait déjà été mis en avant par les philosophes païens eux-mêmes. Voir par exemple Thémistius, Discours à Jovien, V, 68a et 69c-70a (364). 120 Anon. Val., c. 81 (MGR AA IX, Chronica minora, p. 326) «Iudœi baptizatos nolentes dum ludunt frequenter oblatam in aquam fluminis iactauerunt. » 121 Jordanès, Gotica, LVIII, 298. 122 Anon. Vales. c. 81-82 (MGR AA IX, 1, Chronica minora, p. 326) «Ut omnis populus romanus Ravennatis synagogas, quas incendio concremaverunt, data pecunia restaurarent qui vero non habuissent unde dare frustati per publicum sub voce preaconia ducerentur. » 123 L. Cracco Ruggini, Economia et società nell'Italia Annonaria. Rapporti fra agricoltura e commercio dal N al VI secolo D.C, Milan, 1961, p. 353, n. 419.
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pouvait aller jusqu'à l'oubli complet du droit. On voit en effet Théodoric, tout au long de son règne, ne pas hésiter à faire preuve d'autorité en face de clercs catholiques auteurs d'infractions. Il ordonna ainsi la restitution, par l'église de Narboa, des biens dérobés aux Goths 124. Quand l'évêque Pierre s'appropria une partie de l'héritage d'un clerc nommé Thomas et refusa de remettre son dû au fils légitime dudit Thomas, le roi confirma certes à l'évêque sa juridiction sur le clerc - les clercs bénéficiaient sous son règne du privilège du for 125 -, mais il l'invita à rendre le bien illégitimement acquis. Il l'avertit que, s'il ne trouvait pas de solution satisfaisante pour tous, le cas serait traduit devant le tribunal royal. Il ajouta, non sans une pointe d'ironie «N'enseignez-vous pas que la voix des pauvres ne doit pas être négligée ? » Il intervint aussi auprès de l'évêque de Salona, Ianuarius, lui ordonnant d'honorer la dette qu'il avait contractée auprès d'un certain marchand Jean à la suite d'une livraison d'huile pour des lampes d'églises. Il s'étonna de l'attitude du clerc en ces termes «Comment est-il possible que les hommes d'Église n'observent pas les normes élémentaires du droie 26 ? » Lorsqu'en 509, à Rome, des Samaritains demandèrent la rétrocession d'une maison dont les defensores de l'Église alléguaient qu'elle avait été régulièrement acquise par le défunt évêque Simplicius dans les formes légales voulues (instrumentis factis), c'est donc tout naturellement que le roi donna mission au comte goth de Rome, Arigerne, de procéder à une enquête et de juger le contentieux pour rétablir l' œquitas. Toujours à Rome, Théodoric fait face à la violence publique qui semble s'être déchaînée contre les juifs 127 Des esclaves chrétiens avaient assassiné leurs maîtres juifs, à la suite de quoi ils avaient été condamnés. S'en étaient suivis une émeute et l'incendie d'une synagogue. Les juifs avaient saisi le comte Arigerne, qui lui-même avait demandé conseil au roi. Ce dernier fit alors connaître sa volonté de punir les incendiaires si leur implication était avérée. Mais, plutôt que de renvoyer l'affaire au tribunal du comte goth, il chargea l'instance romaine de la ville, le Sénat - il s'agissait sans doute plutôt du préfet de la ville ou du vicaire, le Sénat n'ayant pas de fonction judiciaire - de diligenter l'enquête. Le déclenchement des moyens procéduraux habituels de la justice paraît cependant ne pas avoir été suffisamment dissuasif en certaines villes du royaume. Ainsi, à Milan, les juifs demandèrent-ils avec insistance au roi
124 B. Saitta, La Civilitas di Teoderico rigore amministrativo, « tolleranza » religiosa e recupero dell'Antico nell'Italia ostrogotica, Rome, 1994, p. 77-78. 125 B. Saitta, La Civilitas..., op. cit., p. 79. 126 Cassiodore, Var., nI,7. 127 Cassiodore. Var., IV, 43.
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lfrequenter causamini) sa tuitio personnelle, demande qui finit par leur être accordée dans les années 523-526 Nous consentons volontiers à ce qui est demandé sans préjudice de la loi, surtout parce que, pour servir la civilisation, il ne faut pas refuser le bienfait de la justice même à ceux qui jusqu'à nos jours sont connus pour dévier de la foi. Ils doivent apprendre le goût très suave des bonnes choses pour que, s'efforçant de rechercher la justice humaine, ils en viennent à penser avec plus d'urgence au jugement divin. Pour cette raison, et puisque vous dites que vous êtes affligés fréquemment par la hardiesse de quelques-uns et que vous nous rapportez qu'ont été bafoués les droits qui appartiennent à votre synagogue, la protection demandée de Notre mansuétude viendra à votre secours. Aucun ecclésiastique ne doit en effet violer ce qui appartient légalement à vos synagogues, ni se mêler sans raison de vos affaires. Les juifs doivent être maîtres de leurs activités comme ils le sont de leur culte. Cependant, nous concédons le bénéfice de cette aide princière avec cette limite que vous ne tentiez pas de vous approprier injustement ce qui est connu comme appartenant aux droits de ladite église ou des religieux. La prescription de trente ans protectrice du genre humain doit être observée à votre endroit de même qu'à celui des autres, et nous ordonnons que vous ne soyez pas assujettis à des dépenses irraisonnables. Ainsi, grâce à la protection de notre piété, et votre requête étant satisfaite, vous nous rendrez grâce pour avoir été délivrés des mauvais traitements illicites dont vous avez été victimes. Nous acceptons ce que vous nous demandez dans notre clémence coutumière ; mais pourquoi, ô juif, cherches-tu, suppliant, un repos temporel, quand tu te montres incapable de trouver le repos éternel 128 ?
Ainsi, quand les juifs sont victimes de mauvais traitements et que leurs synagogues sont menacées par les ecclésiastiques de la cité milanaise, ils obtiennent du roi qu'i1leur ouvre son propre tribunal. En effet, lorsqu'il ne parvenait pas à faire régner l'ordre par ses fonctionnaires, le roi intervenait directement en assurant sa propre tuitio, c'est-à-dire son tribunal personnel. Mais l'institution de la tuitio, assimilable dans le lexique barbare au mundeburdio, constituait une mesure exceptionnelle129 Pour justifier l'octroi de ce privilège, Théodoric invoque, comme dans la lettre adressée aux juifs de Gênes, le respect de la légalité garante de la civilitas. Ensuite, il prétend ou suppose que, si les juifs font l'expérience d'une vraie justice chrétienne sur la terre, ils seront induits à se convertir. La conversion des infidèles s'obtient non pas seulement par la prédication mais par l'exemple. Lorsque Théodoric condamne les actions illégales des clercs, c'est, argu-
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Cassiodore, Var., V, 37.
129
B. Saitta, La Civilitas..., op. cit., p. 18-21.
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mente-t-il, que le comportement des hommes d'Église doit être irréprochable. Un tel argument apparaîtra également, nous le verrons, dans les lettres de Grégoire rr le Grand. La domination des Ostrogoths prend fin avec l'invasion de la péninsule italique par les Byzantins en 540. Comme le relate l'historien Procope, les juifs combattirent du côté des Goths, redoutant sans doute les conséquences fâcheuses qu'entraînerait pour eux une domination byzantine 130. B. Le combat de Grégoire le Grand contre la pratique des conversions forcées Passons à la politique juive de Grégoire le Grand. Il faut tout de suite souligner que Grégoire veut, à terme, la même chose que ceux dont il condamne l'action la fin du judaïsme. C'est que, pour lui, la fin de l'Histoire est en vue. Des historiens ont montré combien l'élément eschatologique constitue un aspect essentiel de sa pensée et qu'il lui a dicté sa manière de comprendre et d'interpréter les événements de son tempsl31. La catastrophe de la peste à Rome et la situation politique dramatique de l'Italie de la fin du VIe siècle lui font présager une fin du monde imminente ; il croit voir en son ennemi byzantin Michel, ainsi que dans les mouvements judaïsants du sud de l'Italie, des signes de l'Antéchrist 132 • Or, les juifs ont un rôle à jouer dans la perspective de la fin du monde. Son exégèse de la parabole des deux murs est éclairante l'Église est composée de deux murs, l'un formé par les juifs, l'autre par les chrétiens; quand les juifs se convertiront, les deux murs seront réunis 133 • Grégoire n'interdit donc pas le prosélytisme, bien au contraire. Il n'en proscrit pas moins la violence susceptible de l'accompagner. Sa position s'explique d'abord par sa volonté de pacifier les rapports entre juifs et chrétiens pour des raisons politiques évidentes. Lorsque Grégoire accède en 590 au siège pontifical, Rome et l'Italie du Sud sont redevenues des
130 Lorsque Naples se trouva encerclée par le général Bélisaire, les juifs assurèrent l'approvisiOlUlement des vivres aux Goths assiégés. Même quand l'espérance de la victoire fut éteinte, les juifs combattirent contre l'armée impériale pour empêcher jusqu'à la fin la prise de la ville. Cf. Procope, De hello gothico, J, 8, 41, et J, 10, 24-26. 131 C. Dagens, Saint Grégoire le Grand. Culture et expérience chrétiennes, Paris, 1977, p. 345-346. < 132 H. Savon, « L'Antéchrist dans l' œuvre de Grégoire le Grand », in Grégoire le Grand, Paris, 1986, p. 389-398. 133 Grégoire le Grand, Moralia, 28, 8, 19 (PL 76, 458). Pour d'autres références aux écrits de Grégoire relatifs à la conversion finale des juifs, cf. B. Blumenkranz, Les Auteurs chrétiens... , op. cit., p. 89, n. 65 et66.
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territoires de l'Empire. Le reste de la péninsule est sous domination lombarde. La paix est menacée et le pape doit, dès 592, négocier lui-même avec le roi Agilulf (590-591 - 616) un tribut pour éviter la prise de Rome. Ces circonstances dramatiques influencent la politique papale à l'égard des juifs, comme le prouve une lettre adressée en 599 à l'évêque de Cagliari, dans laquelle Grégoire évoque cette précarité politique et en appelle à l'unité avec le peuple juif contre l'envahisseur lombard. En administrateur avisé, il entend avant tout empêcher que les troubles qui naissent des agressions chrétiennes contre les communautés juives ne sèment l'anarchie et n' affaiblissent son camp134. Mais ces impératifs d'ordre public ne sont pas la seule explication de l'attitude pacifique de Grégoire. 1. L'exigence de « sacrifices volontaires»
Une année après son accession au siège pontifical, en mars 591, Grégoire doit régler le cas suivant. L'évêque de Terracine, cité byzantine située à la frontière stratégique de l'Étrurie et de la Campanie, a chassé les juifs de leur synagogue qui se trouvait dans le castrum. Il leur a assigné un nouveau lieu de culte, mais il les en a de nouveau expulsés. Alerté par une plainte portée par le juif Joseph à la chancellerie romaine, Grégoire ordonne par une décrétale que le second local leur soit restitué. Il s'en explique à la fin de la lettre. [...] Hos enim, qui a christiana religione discordant, mansuetudine, benignitate, admonendo, suadendo ad unitatem fidei necesse est congregare, ne quos du/cedo prœdicationis et prœventus futuri iudicis terror ad credendum invitare poterat, minis et terroribus repellantur. Oportet ergo magis, ut ad audientium de vobis verbum Dei benigne conveniant, quam austeritate, quœ supra modum extenditur, expavescant 135 • [...] Eux [les juifs], en effet, qui sont en désaccord avec la religion chrétienne, c'est par la douceur et la bonté, par les avertissements et la persuasion, qu'il faut les amener à s'agréger à l'unité de la foi. Menaces et craintes ne peuvent qu'écarter de nous ceux que la douceur de la prédication et la considération de jugement dernier auraient pu inviter à croire. Il faut donc qu'ils en arrivent à venir volontiers écouter la parole de Dieu dont
134 135
Grégoire le Grand, Reg., IX, 196. Grégoire le Grand, Reg., l, 34.
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vous vous faites l'écho, au lieu d'être épouvantés par cette sévérité qui dépasse la mesure 136 .
On retrouve ici moins le juriste et le législateur que l'auteur des Libri regulœ pastoralis dont il venait de terminer la rédaction 137 Cette œuvre est une méditation sur la conversion et sur l'organisation de la mission pastorale. Grégoire, qui s'y révèle fin psychologue, explique, dans le troisième livre, comment le prédicateur doit s'adapter aux diverses catégories d'auditeurs 138. Son argumentation consiste, entre autres, à démontrer l'inefficacité de la contrainte en matière de croyance139 La [m de la mission pastorale est en effet la conversion de l'âme, une conversion intérieure. Si celle-ci n'est pas sincère, celle-là ne peut que manquer son objet. Au mois de juin de la même année, Grégoire aura l'occasion de préciser sa pensée lorsqu'il sera saisi d'un second cas. Des marchands juifs italiens de retour de la région de Marseille lui ont appris que beaucoup de leurs coreligionnaires avaient été baptisés de force. Le ton de la lettre qu'il adresse aux responsables de ces pratiques est particulièrement courtois, probablement parce que le pape ne s'adresse plus aux évêques de l'Italie suburbicaire qui lui sont subordonnés, mais à des ecclésiastiques gallo-romains sur lesquels le pouvoir coercitif de la papauté n'est pas affirmé en cette fin du VIe siècle. Grégoire comprend l'attitude des évêques de Marseille et d'Arles (il s'agit respectivement de Théodore et de Virgile) qui sont visiblement à l'origine de cette politique coercitive. Elle dérive, il n'en doute pas, de leur amour pour le Seigneur. Mais il prétend que leur action est contraire à ce qui est prescrit par les Saintes Écritures. Certes, Grégoire ne nie pas que le principal devoir d'un évêque est d'être un pasteur pour ses ouailles et un évangélisateur pour les infidèles. Il doit obtenir la conversion des âmes et ne pas les laisser errer dans l'erreur qui conduit à darrmation. Mais c'est précisément la darrmation des juifs que Grégoire redoute de ces conversions forcées. En effet, le relaps est dans une situation pire que l'infidèle. Dum enim quispiam ad baptismatis fontem non prœdicationis suavitate, sed necessitate pervenerit, ad pristinam superstitionem remeans inde deterius moritur, unde renatus esse videbatur. Fraternitas ergo vestra huiuscemodi
136 Cette traduction est empruntée à Pierre Minard (Grégoire le Grand, Registre des lettres, Paris, 1991,1. l, p. 181-183). 137 Bruno Judie fixe en effet la fin de la rédaction de cette œuvre entre septembre 590 et février 591. Voir Grégoire le Grand, Règle pastorale (éd. B. Judie, Les Belles Lettres, 1. l, p. 21-22). 138 Grégoire le Grand, Règle pastorale (ibid, 1. II, p. 502-511). 139 Pour plus de détails sur le ministère pastoral d'après l'œuvre de Grégoire le Grand, cf. C. Dagens, Saint Grégoire le Grand..., op. cit., p. 311-343.
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homines frequenti prœdicatione provocet, quatenus mutare veterem magis vitam de doctoris suavitate desiderent. Sic enim et intentio nostra recte perficitur et conversi animus ad priorem denuo vomitum non mutaturl40 • Lorsque quelqu'un est venu à la fontaine baptismale non par la douceur de la prédication, mais sous la contrainte, quand il revient à son ancienne superstition, il meurt dans un état pire que celui où il semblait être en renaissant. Que votre fraternité exhorte donc les hommes de ce genre par une prédication fréquente, afin qu'ils aient le désir de changer leur ancienne façon de vivre grâce à la douceur de l'enseignement. Il faut user à leur égard de la parole qui doit brûler en eux les épines de l'erreur et illuminer par la prédication ce qui est obscurci dans leur esprit. Ainsi, notre projet de conversion des juifs sera pleinement réalisé, et l'âme du converti ne reviendra plus jamais à son ancien vomi 141.
Le théologien sait recourir à la Bible pour soutenir sa position. En juillet 599, il adresse une épître à l'évêque Ianuarius de Cagliari dans laquelle il se réjouit que ce dernier ait fait chasser de la synagogue un certain Pierre et ses complices qui l'avaient occupée, y installant une image de la Mère de Dieu et une croix. Ne ergo suprascriptus Petrus vel alii qui ei in hac indisciplinationis pravitate prœbuere solacium sive consensum hoc zelo fidei se fecisse respondeant, ut per hoc quasi eis necessitas fieret convertendi, ammonendi sunt atque scire debent, quia hœc circa eos temperantia magis utenda est, ut trahatur ab eis velle, non ut ducantur inviti, quia scriptum est Voluntarie sacrificabo tibi .. item et ex voluntate mea confitebor illi 142 • Et que le susdit Pierre ainsi que ceux qui lui ont offert leur soutien ou ont consenti à l'absurdité de cette indiscipline, ne répondent pas qu'ils ont fait cela par zèle pour la foi de manière à ce qu'ils [les juifs] soient conduits à se convertir pour ainsi dire par nécessité. Ils doivent aller volontairement à une foi qui les attire, et ils ne doivent pas y être poussés contre leur gré. Il est en effet écrit «Je te sacrifierai volontairement » et « C'est par ma volonté que je me confesserai à toi » 143.
Une telle interprétation de Ps 53, 8 et 27, 7 s'inspire vraisemblablement de celle qui avait été proposée par Théodoric dans une lettre des Variœ.
Grégoire le Grand, Reg. J, 45. Allusion à 2 Pierre 2, 22 et à Prov. 26, 11, 3 «Sieut eanis qui revertitur ad vomitum suum. » Ces passages mettent en garde les convertis contre les faux docteurs qui les poussent à revenir à leurs anciennes erreurs. 142 Grégoire le Grand, Reg., IX, 196. 143 Ps 53, 8 et 27, 7. 140 141
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Pareille exégèse de ces psaumes n'existe pas en effet dans l' œuvre d' Augustin qui n'en avait pas, en son temps, proposé d'interprétation aussi élargie et politique. En revanche, Cassiodore avait cité ces textes dans un esprit similaire s'exprimant en 535 au nom, cette fois, du successeur de Théodoric, Théodohad (534-535), il avait rassuré Justinien sur le sort de la Gothe Ranilde qui s'était convertie à la religion orthodoxe, assurant qu'elle ne serait pas inquiétée et adoptant la justification théologique suivante Nam cum divinitas patiatur diversas religiones esse, nos unam non audemus imponere. Retinemus enim legisse nos voluntarie sacrificandum esse domino, non cuiusquam cogentis imperio quod qui aliter facere temptaverit, evidenter cœlestibus iussionibus obvivavit. Comme la divinité souffre qu'il existe plusieurs religions, nous n'oserions pas en imposer une seule. Souvenons-nous que nous lisons que nous devons sacrifier au Seigneur volontairement, et non pas forcés par un ordre. Il est par conséquent bien clair que celui qui tente de procéder autrement dévie des instructions divines.
Si Grégoire a lu effectivement cette lettre, il est remarquable de constater qu'il n'en a sélectionné qu'un seul passage, se gardant bien de reprendre à son compte l'affirmation selon laquelle Dieu souffrirait «qu'il existe plusieurs religions ». Mais il a pu également puiser l'esprit de ses réponses dans une tradition plus ancienne, parmi les écrits des apologistes des premiers temps de l'Église. Ainsi, par exemple, en 212, à une époque où les chrétiens refusaient de rendre un culte aux divinités romaines et se rendaient alors coupables d'athéisme au regard du droit romain, Tertullien, dans une lettre adressée au proconsul d'Afrique Scapula, expliquait ce qui suit Il est de droit humain et de droit naturel (humanis juris et naturalis potestatis est) que chacun puisse adorer ce qu'il veut. La religion d'un individu ne nuit ni ne sert à autrui. Il n'est pas dans la nature de la religion de forcer la religion. Celle-ci doit être adoptée spontanément et non par la force, puisque les sacrifices ne sont demandés que de bon gré. C'est pourquoi, si vous nous forcez à sacrifier, vous ne donnerez rien en fait à vos dieux; ceux-ci n'ont pas besoin de sacrifices offerts à contrecceur l44 •
Au début du IVe siècle, un autre apologiste africain, Lactance, raisonne de même à propos de la contrainte exercée contre les chrétiens dans le domaine religieux. ,-
144 Tertullien, Ad Scapulam, c_ 2 (PL 1, 699). Trad. française par J. Lec1er, Histoire de la tolérance au siècle de la Réforme, Paris, 1955, p. 67.
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Il n'y a pas de vrai sacrifice s'il est fait sous la contrainte. S'il n'est pas offert spontanément et de bon cœur, c'est un sacrilège, comme c'est le cas lorsqu'il est extorqué par la violence, par la prison, par la torture 145 •
Grégoire pouvait en pratique constater le bien-fondé d'une pastorale pacifique. Il appliquait en effet lui-même la méthode de douceur qu'il préconisait, et cette méthode donnait des résultats. Il a, on le sait, gagné à la foi chrétienne une partie du peuple saxon 146 On déduit de plusieurs de ses lettres qu'il a obtenu la conversion de juifs d'Italie. En août 591, il demande au recteur du patrimoine de Sicile, et vicaire de l'Église, Pierre, de protéger contre ses anciens coreligionnaires une jeune mariée nouvellement convertie du judaïsme au christianisme 147 En juillet 594, il adresse au recteur de Campanie une lettre demandant de subvenir aux besoins de trois anciens juifs en leur versant une rente annuelle 148 Il demande de hâter la conversion de nombreux juifs de Palerme. Aucune de ces conversions accomplies ou imminentes ne semble avoir été obtenue de force 149 Il est vrai qu'il pouvait aussi s'écarter un peu de cette ligne de conduite. Au mois d'octobre de l'année 594, il demande à Cyprien, le recteur chargé de la gestion du patrimoine ecclésiastique de Syracuse, d'inciter ses colons juifs « qui refusent catégoriquement de se convertir à Dieu» à changer d'avis en leur promettant, en échange, un allégement de la pensio qu'ils versent à l'Église 150 • Et d'expliquer, embarrassé Ne hoc inutiliter jacimus, si pro levandis pensionis oneribus eos ad Christi gratiam perducamus, quia, etsi ipsi minus fldeliter veniunt, hi tamen qui de his nati fuerint, iam fldelius baptizantur. Aut ipsos ergo aut eorum fllios lucramur151 • Nous n'agissons pas inutilement quand, par l'allègement du poids de leur pension, nous les conduisons à la grâce du Christ, parce que, même s'ils viennent eux-mêmes avec peu de foi, ceux qui naîtront d'eux seront baptisés dans plus de foi. Nous devons les gagner ou du moins gagner leurs enfants.
145 Lactance, De Institutionibus divinis, V. 21 (PL 4, 1061). Trad. fr. par 1. Leder, Histoire de la tolérance.... op. cit., p. 68. 146 H. Chadwick, « Gregory the Great and the mission to the Anglo-Saxons », Gregorio Magno e il suo tempo, XIX. Incontro di studiosi dell' antichità cristiana in collaborazione con l'École Française de Rome, Roma, 9-12 maggio 1990, Rome, 1991, p. 199-212. 147 Grégoire le Grand, Reg., l, 69. 148 Grégoire le Grand, Reg., IV, 31. 149 Grégoire le Grand, Reg.,VIII, 23. 150 Sur le statut juridique des grandes propriétés foncières de l'Église en Italie, cf. S. Gasparri, « Gregorio Magno e l'Italia meridionale », Gregorio Magno..., op. cit., p. 79-93. 151 Grégoire le Grand, Reg., V, 7.
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Remarquons, pour finir, que l'argumentation de Grégoire consiste simplement à démontrer l'inefficacité de la contrainte en matière de croyance, la foi devant être sincère. La coercition en matière de foi n'est donc pas illégitime en soi, mais simplement inopérante. On est donc assez éloigné du respect de la sphère privée et de la reconnaissance de l'autonomie de la conscience qui devaient conduire en droit contemporain au principe constitutionnel de « liberté de conscience ». Il s'agit d'une tolérance négative de la religion juive, et non de l'acceptation pleine et entière de l'existence d'une sphère privée de la conscience. D'ailleurs, en pratique, on ne peut dire que Grégoire ait eu une attitude très favorable au maintien du culte juif. Au contraire, comme on va le voir maintenant, il a durci la législation romaine sur les synagogues, imaginant une clause légale permettant la confiscation de celles-ci et diminuant encore la sévérité des sanctions contre les incendiaires. 2. Un durcissement de la législation impériale sur les synagogues
Bernhard Blumenkranz a relevé le paradoxe suivant. Grégoire se montre dur à l'égard des juifs dans ses écrits théologiques. On aurait donc compris qu'il leur appliquât le droit de Justinien sévère à leur égard - et qui était d'ailleurs à l'époque le droit applicable dans la péninsule italique. Au contraire, il a puisé dans les anciennes constitutions du Code Théodosien plus favorables aux juifs. Il a ainsi favorisé une meilleure protection juridique du judaïsme. La contradiction est aisée à résoudre. Une lettre de mars 591, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler, raconte que les juifs de Terracine ont été expulsés par deux fois de leurs lieux de culte par l'évêque de la cité. Alerté par une plainte portée par le juif Joseph à la chancellerie romaine, Grégoire ordonne que le second local leur soit restitué 152 • Une autre lettre, datée de septembre (ou octobre) 591, nous apprend que l'évêque Pierre a pu, entre-temps, justifier ses agissements. La nouvelle synagogue se trouvait à proximité d'une église, si bien que les chants qui en sortaient gênaient leurs voisins chrétiens 153. Or voici maintenant que Grégoire admet que cette circonstance justifierait en effet un troisième déplacement des juifs, ce qui est surprenant. Le motif mis en avant par Pierre a donc conduit Grégoire à réviser sa première position, ce qui n'est pas sans nous surprendre puisque aucune constitution impériale connue n'autorise la confiscation des synagogues pour.. ce motif. ~:
152 153
Grégoire le Grand, Reg., J, 34. Grégoire le Grand, Reg., II, 6.
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Peut-être se trouve-t-on ici en face d'une référence implicite à une loi dont nous ignorons l'origine et la date, qui aurait soumis la permission de prier en hébreu, publiquement et à haute voix, à la condition que les chants ne soient pas entendus jusqu'aux églises voisines. La sanction aurait été la transformation de la synagogue en église et le déplacement du lieu de culte judaïque dans un endroit plus isolé, sans indemnisation. Mais on ne peut identifier cette loi. On peut donc faire l'hypothèse que c'est Grégoire lui-même qui a créé cette nouvelle cause de confiscation de lieux de culte juifs. Il a pu s'inspirer d'une mesure provenant non pas du droit romain, mais du droit conciliaire. En effet, un concile wisigothique s'était tenu à Narbonne peu de temps auparavant, en 589, et avait légiféré dans un esprit analogue, puisqu'il interdisait aux juifs de chanter des psaumes funèbres pendant leurs enterrements. Une autre décision de Grégoire nous amène à penser qu'il a consenti à durcir le droit. Vers la fin de son pontificat, en juin 598, il intervient à nouveau sous l'impulsion des juifs de Rome qui ont déposé une petitio au nom de la communauté des juifs de Palerme demandant la restitution de leurs synagogues occupées. Le pape rappelle à l'évêque des lieux, Victor, que les synagogues ne peuvent être occupées que dans des cas prescrits par la loi. En attendant qu'un jugement statue sur l'affaire, Grégoire demande donc de suspendre la procédure de consécration des lieux 154 • Mais une seconde lettre nous apprend que Victor s'est empressé de consacrer les lieux litigieux sans attendre de jugement définitif155 • Il est clair qu'il a voulu exploiter les brèches ouvertes par les constitutions de 423 qui, rappelons-le, autorisaient la conservation par les chrétiens des édifices juifs confisqués, si ces derniers avaient déjà été consacrés. Cette manœuvre frauduleuse n'échappe pas à Grégoire qui dénonce avec véhémence la mauvaise foi de son évêque. Comme cette confiscation n'a pas de base légale, il réclame pour les juifs une compensation financière pour toutes les synagogues confisquées, ainsi que la restitution des livres et des ornements volés. On voit, fait remarquable, que le pape n'impose pas à son évêque, sur qui il aurait pourtant pu sans douter user d'un pouvoir disciplinaire suffisamment persuasif, la reconstruction de l'édifice, comme l'avait fait Théodoric 1er, mais qu'il revient aux solutions édictées aux temps les plus troublés du règne de Théodose W56 •
154 155 156
Grégoire le Grand, Reg., VITI, 25. Grégoire le Grand, Reg., IX, 38. Théodose II, 15 février 423 (c. Th., XVI, 8, 25).
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Conclusion du chapitre V
Ce qu'il advient de la législation romaine relative aux juifs en Gaule et dans la péninsule italique des vre-vue siècles peut se résumer aux traits suivants. 1) À partir du concile d'Orléans de 533, les prélats mérovingiens tentent, comme l'avaient fait leurs collègues des conciles d'Agde (506) et d'Épaone (517), de réactiver le souvenir des lois sur les juifs. Mais ils savent qu'ils sont incapables d'exercer un pouvoir coercitif direct sur les sujets juifs du regnum et ils dirigent leurs ordonnances vers les seuls chrétiens. Ils menacent ainsi d'excommunication les fidèles qui se marieraient avec des juifs (Orléans, 533), ce qui n'est qu'un pauvre expédient à la loi du Bréviaire qui prévoyait contre eux la peine capitale (Brev., lU, 7, 2). Dans l'impossibilité de confisquer les esclaves chrétiens qui appartiennent aux juifs, ils incitent ces esclaves à fuir leurs maîtres et à trouver asile dans les églises. Ils exigent également la coopération des fidèles pour le rachat de ces esclaves, une pratique probablement issue du droit provincial ou vulgaire gallo-romain du Ve siècle et qui est documentée par une interpretatio du Bréviaire. Il semble qu'ils aient eu de la peine à se faire obéir de leurs ouailles, qui ne partageaient peut-être pas le même zèle missionnaire et préféraient sans doute rester en bonne entente avec leurs voisins juifs (concile d'Orléans de 541). Les conciles combattent précisément ces relations de bon voisinage en interdisant aux fidèles de partager les repas des juifs. L'interdiction de la commensalité, inexistante dans le droit romain, révèle un aspect anthropologique du droit conciliaire qui vise à interdire les contacts corporels avec les juifs considérés comme source de souillure. La même anxiété sous-tend l'interdiction des relations sexuelles avec eux (concile de Clermont de 535). 2) À partir du milieu du VIe siècle, certains rois francs manifestent la volonté de s'emparer du contrôle effectif des croyances de leurs sujets, qu'ils soient païens ou juifs. Peut-être influencé par Césaire d'Arles, Childebert 1er d'Austrasie interdit aux juifs, par un prœceptum de 537, de sortir de chez eux pendant la Semaine sainte. À la fin de son règne, il franchit une étape nouvelle en ordonnant le baptême forcé des juifs de la cité d'Uzès. Les juifs de Clermont subissent un sort identique en 576, faisant les frais des querelles qui entouraient systématiquement les élections pour le siège épiscopal de la cité. Ce nouveau climat influe sur les pères réunis au concile cle Mâcon de 581-583 qui, dans une surenchère avec le roi Chilpéric qui venait, lui aussi, d'expulser les juifs de Neustrie, transforment sensiblement le ton et la teneur de leurs décrets. Ces évêques réactivent l'usage du droit romain, sans que
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l'on puisse savoir avec certitude si leur source provenait de la collection de Sirrnond, du Bréviaire d'Alaric, ou du Code Théodosien, le centre lyonnais ayant entrepris dans ces années-là un intense travail de rassemblement et de copie des sources canoniques et civiles. En 590, les juifs de Marseille et d'Arles qui avaient fui les persécutions du roi de Neustrie sont expulsés par les évêques de ces cités austrasiennes avec, sinon la complicité active, du moins l'accord tacite du pieux roi d'Austrasie Gontran. 3) Les derniers témoignages datent des règnes de Clotaire II et de son fils Dagobert, époque d'unité et de renforcement du pouvoir royal. Ces rois, qui imposent aux prélats leur compétence exclusive en matière religieuse, sécularisent la législation antijuive traditionnelle qui devient toujours plus coercitive envers les juifs. Imitant le césaro-papisme des empereurs byzantins qui entendent exercer un contrôle étroit sur la foi de leurs sujets, ils ordonnent d'abord le baptême forcé des fonctionnaires juifs, puis celui de tous les juifs du regnum. Cette mainmise du pouvoir royal sur la conversion rencontra parfois la collaboration des évêques. Mais certains prélats demeuraient opposés à l'usage de la force. Cette pratique heurtait, pour des raisons théologiques et pastorales, une tradition constante de l'Église, et le silence de Grégoire de Tours et de Venance Fortunat sur le rôle actif que joua l'évêque Avit dans l'expulsion des juifs de Clermont témoigne de la gêne qu'une telle démonstration de force pouvait susciter chez ces auteurs. 4) Le débat entre ceux qui, comme les Byzantins, préconisaient les conversions forcées, et ceux qui les refusaient, occupe également un rôle central dans la législation sur les juifs en Italie. La principale originalité de cette législation nous paraît de fait résider dans les formes d'argumentation avancées par certains pour combattre l'usage de la violence religieuse. Le roi Théodoric et le pape Grégoire le Grand avancent le principe selon lequel la croyance religieuse ne peut être forcée, un principe ancien déjà allégué par les philosophes païens et par les chrétiens des premiers siècles. 5) Un second intérêt de cette législation doit être relevé les juifs du royaume barbare d'Italie apparaissent, à l'instar de leurs ancêtres à l'époque romaine, comme des justiciables utilisant toutes les voies de droit susceptibles de leur donner gain de cause. Les juifs de Gênes saisissent ainsi la justice quand des ecclésiastiques leur interdisent d'effectuer des travaux sur leur synagogue. Lorsque leur synagogue est détruite à Ravenne, ils attaquent l'évêque Pierre en alliance avec l'ennemi de ce dernier, le général Eutaric. Ils s'adressent généralement aux juridictions de droit commun que sont le tribunal du comte goth ou celui du iudex romain, mais demandent, à Milan,
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la tuitio du roi, qui implique l'accès direct au tribunal de Théodoric. Remarquons également que les lettres décrétales adressées par Grégoire le Grand à ses évêques font, pour certaines, suite à des plaintes adressées par des juifs à sa juridiction. Ainsi interpellées, les autorités héritières de Rome appliquent plus ou moins fidèlement les solutions fixées dans le Code Théodosien et la Novelle III. Théodoric fait usage des constitutions du 15 février 423 et du 31 janvier 438 relatives aux travaux sur les synagogues, et de celle du 6 juin 423 contre les destructions de synagogues. Grégoire en revanche invente de nouvelles causes d'expropriation et limite la sévérité des sanctions.
CONCLUSION
Nous n'avons jamais, dans l'étude qui s'achève, employé le terme « antisémite » pour qualifier la législation persécutrice que nous voyions se
mettre en place à partir du Ive siècle. C'est bien pourtant, au départ, l'analogie de ton et de contenu que nous pensions constater entre les lois réalisées dans les tempora christiana et l'antisémitisme de régimes du XXe siècle d'effroyable mémoire qui avait éveillé notre curiosité et nous avait motivée à essayer d'en savoir plus en entreprenant une étude méthodique des textes. Certes, le rôle de l'historien est de distinguer entre les périodes et de souligner la diversité des situations comme le contraste des mentalités et des personnalités. Cependant, la tentation était grande, dans le cas présent, de rapprocher les deux époques. Le rapport du pouvoir romain aux juifs, tel qu'il se dessinait à travers notre corpus de lois, pouvait-il, de quelque manière que ce fût, avoir porté le germe de l'antisémitisme occidental moderne? Une réponse positive à cette question aurait confirmé la célèbre thèse d'Hannah Arendt sur les origines de l'antisémitisme l . Il se trouve que notre recherche allait diverger notablement de cette ligne de pensée. On sait qu'Hannah Arendt souligne certaines permanences des rapports entre les juifs et le pouvoir politique en Europe, depuis l'époque romaine jusqu'aux temps modernes. Dès l'époque romaine, selon elle, le pouvoir impérial aurait soustrait les juifs du lot commun en leur assurant un statut juridique spécial. Les juifs se seraient montrés ensuite incapables d'acquérir une expérience politique et, face à l'hostilité des sociétés, auraient seulement songé à obtenir la protection des pouvoirs politiques, de quelque nature qu'ils fussent, en se plaçant à leur service. Aux temps modernes, la situation, loin de s'arranger, se serait aggravée. La fin du système féodal et le retour par étapes, dans tous les pays d'Europe, aux idéaux de l'État de droit et d'égalité devant la loi auraient pourtant dû bénéficier aux juifs. Mais ceux-ci auraient été exclus de ce lien politique et social émergent. L'antisémitisme proprement dit serait né d'une situation, entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, où tout groupe qui entrait en conflit avec les États pensait avoir les juifs pour ennemis puisqu'ils étaient tenus pour les fidèles représentants ôe l'autorité
H. Arendt, Les Origines du totalitarisme, t. 1 (Ire éd. 1951).
Sur l'antisémitisme, Paris, 2002
274
CONCLUSION
étatique honnie. Le fait que les Romains aient donné aux juifs un statut juridique spécifique, les plaçant irrémédiablement à part dans le champ politique, serait donc réellement la cause lointaine, quoique inintentionnelle, de l'antisémitisme moderne. C'est bien là l'esprit de l'école de Jean Juster, qui présente la législation impériale romaine comme un droit accordant aux juifs une Magna Carta, c'est-à-dire une charte de droits sui generis exorbitant du droit commun. Ceux qui affIrment que le judaïsme aurait reçu, après Constantin, le statut de religio licita, vont dans le même sens à l'époque chrétienne, les juifs auraient bénéficié de la protection particulière du pouvoir, ce qui leur aurait permis d'échapper à la rigueur des sanctions frappant les autres groupes non chrétiens et hérétiques, tout en les maintenant dans un statut d'irréductible différence. On voit que toutes ces thèses se rejoignent en ce qu'elles supposent que le fait que la religion juive a toujours occupé dans la théologie chrétienne une place à part se serait concrétisé et durci en un statut juridico-politique d'exception. Mais, dès le commencement de notre étude, nous avions l'intuition que ce n'était pas seulement la spécificité religieuse du judaïsme qui avait guidé la formation du droit concernant les juifs. Nous pressentions que ce postulat pouvait gêner la recherche et supprimer la possibilité d'apercevoir d'autres facteurs tout aussi importants d'évolution du droit. Il nous semble que notre travail a largement confirmé cette intuition initiale. Nos recherches nous ont permis d'établir les motivations réelles des empereurs romains des Ive et Ve siècles qui ont octroyé des privilèges aux juifs. Ils n'ont pas agi en chrétiens désireux de réserver un statut particulièrement protecteur au judaïsme. C'est dans un but essentiellement politique que le pouvoir a concédé aux chefs religieux des communautés juives l'immunité des charges curiales. Il s'agissait, pour les empereurs, d'utiliser ces personnages influents comme des relais entre eux et les populations juives de l'Empire. Le pouvoir accordait couramment ce type de passe-droits à ceux, individus, corpora ou civitates, dont il désirait s'assurer la clientèle et le contrôle. En accordant des privilèges aux chefs religieux des communautés juives, Constantin et ses descendants incarnaient en l'occurrence le rôle de bienfaiteurs, comme l'avaient fait bien avant eux les empereurs du HautEmpire. Nous avons vu également que le fait que les textes accordant l'immunité curiale aux rabbins comparent ces derniers aux clercs de la religion catholique ne signifie en aucun cas que le pouvoir plaçait les deux religions sur le même plan, mais simplement qu'il devait, selon l'usage juridique, justifier ses décisions par des précédents. L'argument selon lequel des constitutions auraient accordé aux juifs certaines dispenses dans le but de leur permettre de pratiquer leur religion
CONCLUSION
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n'est sans doute pas plus recevable. Le pouvoir romain adoptait traditionnellement une politique prudente et pragmatique consistant à ne pas systématiquement censurer les droits et usages de ses pérégrins, devenus, après l'édit de Caracalla, ses nouveaux cives. li ne se décidait à se montrer ferme que lorsque ces usages locaux lui paraissaient heurter trop frontalement la morale ou le droit romains. li semble que le pouvoir n'ait pas agi avec les juifs de façon fondamentalement différente. S' il leur accorda la possibilité de célébrer le shabbat, ou d'acheminer l'aurum coronarium en Palestine, c'est que ces pratiques lui paraissaient anodines. En revanche, lorsque d'autres pratiques juives le heurtèrent, comme la polygamie ou l'endogamie (du point de vue romain), il n'hésita pas à les interdire. On ne relève ici aucune marque de traitement spécifique ni de construction juridique ad hoc. Quant à la démarche des juifs consistant à réclamer des privilèges au pouvoir central, elle est, elle aussi, des plus ordinaires. Elle n'est pas le signe, comme le soutient Hannah Arendt, de l'aveuglement politique des juifs, ni de leur inaptitude à s'intégrer dans le monde civique, qui les conduirait à ne voir de salut que dans l'établissement de liens personnels exceptionnels avec le prince. Ce genre de démarche fait partie intégrante de la morale politique de l'époque et elle est assumée par de nombreux citoyens, corpora et cités de l'Empire. Ceux qui défendent l'idée d'un judaïsme spécialement protégé avancent comme sources, à côté des privilèges, les constitutions qui condamnent les atteintes portées aux synagogues et aux objets liturgiques juifs. Mais nous avons montré dans quelles circonstances ces jugements de condamnation favorables aux juifs étaient intervenus. Ils ne furent pas déduits, en amont, du principe selon lequel les lieux de culte juifs doivent demeurer en place pour que perdure le judaïsme, mais ils constituent l'aboutissement, en aval, de procédures judiciaires engagées par les plaignants juifs - éventuellement soutenus, dans leurs démarches, par des membres de l'élite païenne (Libanius) ou par de grands dignitaires de l'Empire (le préfet du prétoire d'Orient Asclépiodote, le préfet d'Égypte Oreste, ou des généraux tels Timasius et Adda), motivés par le sens traditionnel du droit civil, non par un quelconque systématisme théologique. Acculé dans son rôle de juge et d'arbitre du droit, l'empereur ne pouvait, au risque de perdre quelque chose de sa légitimité, statuer dans l'ignorance des principes fondateurs du droit. Il convenait qu'il fit respecter la légalité, l'équité et la justice, principes que les justiciablt(s juifs ne manquaient d'ailleurs pas de faire valoir. Il est fâcheux que le rôle actif des juifs dans l'obtention des décisions qui leur sont favorables soit si souvent passé sous silence, comme si ces citoyens avaient été le jouet des événements. Or, ce sont bien les supplicationes (demandes
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CONCLUSION
de rescrits) et les querelœ (plaintes en justice) entreprises à l'initiative des juifs qui suscitent les prises de décisions officielles. Le rôle joué par les chrétiens n'est certes pas moins important, mais nous avons pu constater leurs véritables motivations. Les chrétiens qui jouent un rôle dans l'élaboration du droit concernant les juifs sont, on l'a vu, les ecclésiastiques qui interviennent comme conseillers du prince (sous Constantin autour de l'année 325), ou qui exercent des pressions extérieures (voir les lettres adressées par saint Ambroise à Théodose 1er et par saint Augustin à la chancellerie d'Honorius), ou qui sont eux-mêmes des personnages investis de fonctions officielles (les préfets du prétoire d'Orient Cynégius et Rufin dans le tournant des années 380-390, le maître des offices à Ravenne, Olympius, en 408-409, ou le commissaire Martyrius autour de 438). Or, à l'époque de Constantin et de ses fils, ces chrétiens, loin d'avoir voulu élaborer pour les juifs une Magna Carta, semblent s'être d'abord préoccupés d'impliquer le pouvoir civil dans leur combat contre la concurrence missionnaire de la religion judaïque. Pourtant les sources, talmudiques mais aussi papyrologiques et épigraphiques, paraissent indiquer que les conversions au judaïsme étaient rares dans les faits. Ce n'en est pas moins cette question qui suscite les premières lois antijuives. Une telle disproportion entre la cause et l'effet demeure déconcertante. Peut-être cette peur irraisonnée de l'influence juive était-elle née de la rencontre entre l'antijudaïsme théologique et une certaine forme de xénophobie romaine qui se défiait traditionnellement de la culture juive. Quoi qu'il en soit, c'est bien par une loi d'origine ecclésiastique que le passage au judaisme est criminalisé pendant la période de l'après-concile de Nicée. Mais ce combat contre les prosélytes ne prend toute son ampleur que lorsqu'il rejoint l'idée, professée à partir de l'édit de Thessalonique, que la citoyenneté romaine doit se confondre avec l'appartenance à la religion chrétienne. Ceux qui apostasient le christianisme pour le judaïsme se rendent coupables, avec les autres apostats - vers le paganisme et le manichéisme - d'un crime de nature politique et subissent les déchéances civiques que cela implique. Pendant les premières décennies du ve siècle, une série de lois enlèvent aux citoyens juifs l'accès aux fonctions et dignités, le ius accusandi, et le droit d'occuper la fonction de defensor civitatis. C'est que le parti des Nicéens entend réserver à son seul cercle l'exercice des droits publics et politiques ouvrant accès aux postes de pouvoir. La nature spécifique des droits confisqués suppose que ces déchéances n'inquiétèrent probablement que les élites juives romanisées. Le citoyen juif ordinaire pouvait continuer à jouir des droits attachés à son statut de citoyen droit de propriété
CONCLUSION
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(propriété mobilière et immobilière à l'exception des restrictions touchant les synagogues) ; droit de contracter ; droit de réaliser des mariages ayant des effets civils; droit de transmettre son patrimoine par la voie de la donation, de l'héritage ou du testament et d'être soi-même institué héritier; protection, enfin, des tribunaux romains (droit d'ester et de témoigner en justice). Il paraît donc outré de dire que le dispositif mis en place au début du ye siècle avait commencé à rapprocher la condition personnelle des juifs de celle d'étrangers 2 • Il ne faisait en réalité qu'introduire une nouvelle inégalité en droit dans une société juridiquement hiérarchisée et ne présageait aucunement de dégradations civiles plus graves à venir. Ainsi avertie par cette compréhension plus précise de l'intention et des pratiques du législateur romain telles qu'elles transparaissent dans les textes de base, nous avons pu lire utilement ensuite les textes juridiques du début du Moyen Âge. Ce nouveau corpus se compose d'abord, pour la Gaule, de leges romaines issues du Bréviaire d'Alaric. Dans ce recueil du début du ye siècle, on trouve abordés presque l'ensemble des thèmes du Code Théodosien : interdictions en matière de circoncision, de prosélytisme, de possession des esclaves et de mariages mixtes ; déchéances en matière de fonction publique. Les interpretationes accolées au Bréviaire nous ont fourni des clés d'analyse pour comprendre l'évolution de ce droit, car elles témoignent des transformations qu'a subies, sous l'influence de la pratique, le droit romain officiel dans les provinces gallo-romaines du ye siècle. Mais le véritable droit vivant et appliqué semble bien avoir été celui des conciles mérovingiens, dans lesquels les prélats édictent des solutions adaptées aux réalités du moment, et qui se trouvent amender et corriger sensiblement le modèle romain d'origine. Le droit conciliaire avait ceci de différent par rapport au droit romain qu'il n'avait de valeur péremptoire qu'à l'égard des fidèles catholiques. Encore ne pouvait-il édicter que des sanctions religieuses. A fortiori était-il incapable d'imposer ses décisions aux juifs. Cet état de relative faiblesse du droit canonique caractérisant la première moitié du VIe siècle nous a permis d'expliquer le contenu des thèmes abordés - qui concernent principalement la vente et l'achat des esclaves ainsi que les mariages mixtes - et la nature des sanctions - qui sont uniquement dirigées contre les chrétiens. Sa nature proprement religieuse explique également l'émergence de thèmes inconnus du droit profane, et qui sont aussi prégnants dans la Halakha juive, comme celui de l'interdiction des pratiques commensales communes, ainsi que de la peur de la souillure alimentaire et sexuelle,
21. Gaudemet, « L'étranger au Bas-Empire », in L'Étranger, t. 1, Recueil de la société Jean Bodin pour l' histoire comparative des institutions, t. IX, Paris, 1984, p. 209-235.
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CONCLUSION
attitude que nous avons pu interpréter grâce aux explications que nous fournissait l'anthropologie. Enfin, nous avons identifié une nette évolution dans le sens d'un durcissement de ce droit conciliaire à partir de la fin du VIe siècle, qui tranche avec la thèse défendue par Bernhard Blumenkranz selon laquelle il serait demeuré stable jusqu'à l'époque des Croisades. Cette évolution s'illustre dans la redécouverte des constitutions romaines originelles par les pères conciliaires de Mâcon (581-583), qui les utilisent cette fois directement contre les juifs. C'est que l'Église jouit à partir de cette époque du soutien du bras séculier, les rois d'Austrasie et de Neustrie entendant désormais participer activement à son combat missionnaire contre les nonchrétiens. L'étude s'achève, par la force des choses, au début du VIle siècle, car l'on ne recense plus dès lors aucune mesure concernant les juifs dans le royaume mérovingien. Nous avons consacré un dernier développement à l'étude de la réception de la législation romaine en Italie ostrogothique. Les thématiques et les questionnements abordés dans ce royaume concernent les violences infligées aux biens et à la personne des juifs. L'héritage reçu en matière de législation sur les juifs n'est pas constitué, comme en Gaule, par une somme de dispositions univoques et susceptibles d'une application immédiate, mais par de grands principes comme ceux du respect de la légalité et du statut de citoyen. Ce sont ces principes que le roi ostrogoth Théodoric et le pape Grégoire le Grand vont fermement opposer aux évêques de la péninsule qui entendaient détruire, dans certaines cités, les synagogues juives. Ces autorités se posent comme les gardiennes du droit romain, droit qui est à leurs yeux la marque de la civilisation, comme le proclame Théodoric dans une de ses lois «Custodia legum civilitatis est indicium.» Mais un autre type d'argument en faveur de la défense des juifs commence à émerger, celui de la « douceur chrétienne » qu'il faudrait adopter à l'endroit des ennemis du christianisme. Il est symptomatique du changement des mentalités, du recul de l'esprit civique et du sens du droit.
INDEX BmLIOGRAPHIQUE
Abréviations
Anon. Val. BIDR Brev.
Anonymus Valesianus Bollettino dell'Istituto di diritto romano, Rome, 1888-. Bréviaire d'Alaric canon, canons c. compte rendu c. r. Carm. Carmen CCSL Corpus Christianorum. Series Latina, Turnhout, 1953-. CI. Code Justinien CSEL Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum, Vienne, 1886-. C Th. Code Théodosien D. Digeste Ep. Epistula/epistulœ F. V. Fragments du Vatican Hist. Franc. Grégoire de Tours, Decem Libri Historiarum, connu sous le nom d' Historia Francorum. Homélie Hom. Institutes de Justinien Instit. Interpetatio (Interpretationes) Inter. lus Romanorum Medii Aevi, Milan, 1961-. IRMA Journal of Ecclesiastical History, Londres, 1950-. JEH Journal of Juristic Papyrology, 1946-. JJP Journal of Jewish Studies, Oxford, 1948-. JJS A. Linder, The Jews in Roman Imperial Law, Detroit-Jérusalem, JRIL 1987. Journal of Roman Studies, Londres, 1991-. JRS Journal of Theological Studies, Oxford, 1899-. JTS Monumenta Germaniœ Historica, Hanovre-Munich-Berlin, MGH .. 1819-. note(s) n. Novelle de Théodose Nov. Nov. Val. Novelle de Valentinien ~'
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Pauli Sent. PG PL PLRE
RDC Reg. REJ RIDA RHD RHE ROC RSR
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ore
INDEX DES SOURCES
Sources de droit impérial et alto-médiéval Bréviaire d'Alaric Brev., II, 1, 10, 8, 3, Brev., III, 1, 5, 7,2, Brev., XVI, 2,1, 3, 1, 3, 2, 4,1, 4,2, Chlotarii II edictum, 10, Code Justinien e. I., 1 4,7, 9, 1, 9,7, 9, 8, 9, 9, 55,8, e. I., IV 42, 1, 63,2, e. J., IX 9,18, e. J., V 5,2, e. J., VI 1,3,
219 68, 219 152, 219, 234 219, 232, 269 219 219 221 219,234 219, 234 252
69,73 65 25,60 70 45 189 144 52 62 62 126
296
1,4, 42,1, 62,4, C. J., VIII 52,2, C. I., X 32,13, C. I., XI 63,1, Code Théodosien C. Th., l, 1,2 2, 2, 2,3, 27,2, 32,2, C. Th., II, 1, 10, 8,26, C. Th., III, 1, 5, 7, 2, 12,2, 14, 1, 16, 1, C. Th., IV, 6,2, 6,3, 8,6, 8, 9, 9, 1, C. Th., IX, 2,3, 3, 1, 7, 2, 7,5, 16, 1, 45, 1, C. Th., V, 9, 1,
INDEX DES SOURCES
147 147 60 60 35 60
41 29, 36 29, 36 73, 196 149 25, 70 68 151, 152, 234 162 63 155 127 61 61 146 147 147 215 215 162 162 10 94 127, 146
INDEX DES SOURCES
297
e.
Th., VII, 8, 1, 8, 2, 8,3, 8, 8, 18,4, 1, e. Th., VIII, 2, 5, e. Th., X, 10, 15, 20, 2, 5, 6, 7, 8 et 9, 20,3, 4,1, e. Th., XI, 24,4, 24,5, 27,1, e. Th., XII, 1,6, 1, 15, 1, 17, 1, 18, 1, 1,59, 1, 71, 1,99, 1, 125, 1, 157, 1, 158, 1, 165, 5,2, e. Th., XIn, 3, 3, 3,10, 3,13, e. Th., XV, 1,5, e. Th., XVI, 1,2, 2,2, 2,5, 2,23,
105 80, 104 105 105 140 147 29 149 149 149 69 69 146 147 181 29 181 43 29 30,42, 182 182 182 46,47,182 69, 182 39 105 105 29 29 131, 165 41 10 58
298
INDEX DES SOURCES
2,32, 2,33, 2,46-47, 2,410, 3, 1, 4,2, 4,3, 5,2, 5, 7, 5, 8, 5,10, 5,17, 5,39, 5,40, 5,42, 5,43, 5,44, 5,46, 5,48, 5,57, 5, 62, 63, 64, 65 7, 1, 7,2, 7,3, 7, 4, 7,6, 7, 7, 8, 1, 8,2, 8, 3, 8,4, 8,5, 8,6, 8, 7, 8, 8, 8,9, 8, 10, 8, 11, 8, 12, 8, 13, 8,14,
69 69 252 196 87 29 28 103 131, 132, 137 109 103 138 184 184 189 17 166, 178, 185 166, 178, 185 170, 194,212 103 109, 170,252 131 132, 137 131 139 136 132, 135, 136 41, 57, 115, 124 37. 115 26, 27 17,38 125 115, 148 129 25,41,53 80,89, 103 17,45 44 80,91 43 48, 180
INDEX DES SOURCES
8, 15, 8, 16, 8,17, 8, 18, 8,19, 8,20, 8,21, 8,22, 8,23, 8,24, 8,25, 8,26, 8,27, 8,28, 8,29, 9,1, 9,2, 9,3, 9,4, 9,5, 10,1, 10,3, 10,5, 10,7, 10,8, 10,10, 10,11, 10, 12, 10,14, 10, 15, 10,16, 10, 18, 10,19, 10,24, 10,94, 11, 1, 13, 1, Collection de Sinnond 1, 4, 6,
299
44 165, 172, 178, 179 51,60 203 17, 115, 183, 186 60, 67, 80, 93, 103 80,92 74, 106, 108, 115, 146, 206 17 165,169,172,173,177,178,19 80, 96, 109, 268 80,97 80 115, 139 52,206 142, 234 147 17, 153 115, 154, 235 154 10 102 10,102 83 102 10 88
10,88 41 102 107 102 101, 102 9,98, 103 83 58 80 58, 73 142 154, 165, 178, 200
300
INDEX DES SOURCES
12, 186 14, 185 15, 196 Digeste 3,2,1, 62 4,4,17, 55 27, 1, 15, 6, 32 47, 22, 1, 1, 105 48,8,2, 147 48,8, 3, 4, 143 48,8,4,2, 145 48,8,6, 143 48,8, 11, 21, 66, 144 50,4,1, 39 50,4, 14, 194 Elvire (300-306) c.78, 159 Fragments du Vatican 33, 146 Gaius, II, 4-5, 102 Institutes de Justinien, II, 1, 8, 102 Inter. Brev., III 1,5, 236 Novelle III de Théodose, 111, 167, 202, 210, 212, 213, 219, 245, 249 Novelle XXXV de Valentinien, 73 Prœceptum de Childebert 1er 238, 242 Variae de Cassiodore Var., II 254, 256 27, Var., III, 7, 259 Var., IV 254 33, 259 43, Var., V 254, 260 37,
INDEX DES SOURCES
Sources de droit canonique Agde (506) c.34, c.35, c.40, Arles (314) c. 11, Canons apostoliques c.71, Carthage (419) c.21, c. 129, Carthage III (397) c. 12, Chalon (647-653) c.9, Clermont (535) c.6, c.9, Clichy (626-627) c.13, Elvire (300-306) c. 15, c.49, c.69, Epaone (517) c.2, c. 12, c. 15, c.38, Hippone (393), c. 16, Laodicée c.lO, c.31, c.37, c.38, Mâcon (581-583) c.2, c. Il, c. 13,
301
222 225 222, 229 157, 161 117 161 178 161 222, 223 222, 233 241 222, 252 157 118 160 247 244 222 244 161 161 161 117 118 222, 246 246 222,244,246,248,249
302
INDEX DES SOURCES
c.14, c. 15, c.16, c. 17, Orléans II (533) c.19, Orléans III (538) c.14, c.33, Orléans IV (541) c.30, c.31, Paris (614) c.2, c.5, c.6, c. 8, c.9, c.12, c. 13, c. 17, Registre des lettres de Grégoire le Grand Reg. 1 34, 45, 69, Reg. II 6, Reg. IV 31, Reg. IX 38, 196, 214, Reg. V 7, Reg. VIII 23, 25, Statuta Ecclesiae Antiqua c.83,
239, 244, 248 222, 244 222, 244-248 222, 244, 246-248 222, 232 222, 231, 232, 235 222, 239 222 222, 237, 246 251 251 251 251 251 251 251 222
255,262,267 250, 255, 263 266 251, 267 266 268 255, 262, 264 250 266 266 12, 268 118,229
INDEX DES SOURCES
303
Vannes (465) c. 11, c. 12, c. 13, c.14,
227 227 227 227
INDEX DES MATIÈRES
Acculturation juridique, (voir pluralisme juridique et conflits de lois) Adultère: assimilation du mariage entre juifs et chrétiens à un -, 162 ; entre juifs et chrétiens, 159 Aedes sacrae: caractères des -, 102 les églises jouissent de ce statut, 102 ; les synagogues ne jouissent pas de ce statut, 102 ; les temples jouissent de ce statut, 101 Agentes in rebus, 172, 192 - juifs peu zélés à transmettre les ordres impériaux, 180 ; abus des -, 179 ; faute des - juifs, 179 Apostasie: condamnée en droit juif, 125 ; crime prescrit par cinq ans, 134 ; intérêt des héritiers ab intestat de l'apostat à dénoncer ce crime, 133 ; les poursuites peuvent être déclenchées après le décès de l'accusé, 135 ; origine du mot, 132 Apparitores, 170, 214 Arbitrage: a pu permettre une certaine pérennité du droit juif dans l'Empire, 75 confonnité des sentences d'- à l'ordre public, 75 ; en droit juif, 72 ; ex compromisso, 25, 72, 74 ; forme alternative de règlement des conflits préférée par nombre de citoyens romains, 71; offre aux citoyens juifs la liberté de choisir d'être jugés soit par leurs pairs ou soit par des juges ordinaires romains, 75 ; preuves papyrologiques de sa diffusion en Égypte, 71; saisine inter volentes des instances d'-, 72 ; tribunaux ecclésiastiques assimilés à des instances d'-, 69, 195 Armée: Barbares intégrés dans 1'-, 176 ; exclusion des juifs de 1'-, 192, 212; militia armata, 169 ; présence de juifs dans 1'-, 176; solidarité de militaires avec les juifs, 87, 89 Asile, droit d', 237 ; promis aux esclaves qui fuient leurs maîtres juifs, 235 ; utilisé
par des juifs qui se réfugient dans les églises, 94 Audientia episcopalis, (voir tribunal ecclésiastique) Autorités religieuses juives: apostoli, 50 appelées à contrôler leurs coreligionnaires, 125, 205 ; assimilées à un clergé, 44 de Minorque, 177 ; exemptées de la curie, 38 ; protégées par les empereurs, 44 témoignant devant la juridiction romaine, 56 ; titres et fonctions, 38 Avocat: lien entre la carrière d'- et celles de la fonction publique, 192 profession occupée par des juifs, 173
Beth din, 53, 71 (voir également tribunal juif) Biens: caducs, 111, 138 ; définition, 98 fiscaux, 111 ; vacants, 106, 111 Bréviaire d'Alaric: est l'œuvre de Romains chrétiens, 220 ; travail des rédacteurs, 152, 219, 234, 236 Caelicoles, 17 ; leurs liens avec les juifs, 186 Calendrier judiciaire, 68 Christianisation: critique du concept, Il ; de l'ordre sénatorial, 175 Circoncision: assimilée à une castration, 143 ; elle doit, selon le Talmud, être consentie par l'esclave qui la subit, 145 ; interdite au nom de l' humanitas, 66 ; interdite par Hadrien, 123, 143 ; obligation pour un maître juif de circoncire son esclave, 141 ; privilège de réaliser la - octroyé par Antonin le Pieux aux juifs, 66 privilège de réaliser la - octroyé par Hadrien aux prêtres égyptiens, 66 ; prohibée dans les Pauli Sententiae, 123 Citoyenneté romaine: acquisition de la - par les juifs, 31; des juifs à l'époque mérovingienne, 220 ; donne la jouissance du
306 conubium aux juifs, 157 ; infâmes, 166, 193 Clientélisme: des autorités juives à Minorque, 172, 213 ; des autorités juives dans certaines cités orientales, 167 ; des empereurs à l'endroit des autorités religieuses juives et chrétiennes, 40 ; des potentiores à l'endroit des paysans, 69 ; le - des autorités juives rivalise, en Orient, avec celui des évêques, 209 ; tuitio, 260 Code Justinien: choix rédactionnels opérés par les rédacteurs du -, 100 ; constitutions sur les juifs, 18 en vigueur en Italie, 250 Code Théodosien: choix rédactionnels opérés par les rédacteurs du -, 100 ; circonstances de l'élaboration du -, 17, 100, 202 ; dépôts d'archives utilisés par les rédacteurs du -, 67, 89 ; structure du -, 17 Cohortales, 169, 194, 211 Conciles mérovingiens, droit des: amende et corrige le droit romain, 222 ; emprunts au droit romain, 248 ; il est vivant et appliqué, 221 ne s'impose pas aux juifs, 222 ; règle des questions concrètes, 244 ; sa reconnaissance officielle par le pouvoir royal, 222 Conflits de lois, (voir également pluralisme juridique); à propos de la filiation, 61; attitude souple des tribunaux romains confrontés à des situations de -, 64 ; entre droits juif et romain, 59 ; octroi de privilèges pour surmonter les -, 66 Constitutions impériales: conçues et formulées par des ecclésiastiques, 126, 145 élaborées dans un contexte contentieux, 13 ; inspirées du droit canonique, 162, 199 ; leur application aux deux partes de l'Empire, 47 leur forme, 17 leurs mobiles économiques et fiscaux, 24 leurs mobiles politiques et diplomatiques, 24, 93, 101; procédé d'élaboration relevant d'un système axiologique, 23; subissent la concurrence de décrets émanant de pouvoirs locaux, 29, 35 Constitutions Sirmondiennes: controverses autour de leur authenticité, 142, 200 ; ont-elles inspiré les Pères de Mâcon 1 ?, 246 Conversions au christianisme: - forcées de juifs dans l'Illyricum, 91; - forcées sous
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Childebert 1er, 223 ; campagnes de baptêmes forcés en Gaule mérovingienne, 238 ; condamnées par le droit juif sous le chef de l'apostasie, 125; de juifs en Italie, 266 ; elles ne doivent pas être forcées, 241, 254, 255, 261, 263; elles ne doivent pas être forcées selon une longue tradition de l'Église, 265 Conversions au judaïsme: elles n'étaient pas directement incriminées avant le règne de Constantin, 120 ; le phénomène semble attesté en Afrique, 187 ; lois romaines contre les -, 115 lutte des premiers chrétiens contre les -, 115 peuvent avoir été encouragées par des juifs convoitant l'héritage du prosélyte,136 phénomène difficile à apprécier dans son ampleur, 118 Coutumes: censure de celles qui heurtent les principes de l'ordre public, 65; désigne les droits locaux des provinciaux, 51; droit matrimonial juif, 60, 155; respect du shabbat, 60; tribut dO au Patriarche de Palestine, 60 Curies: appartenance religieuse des dirigeants, 82; attachement héréditaire aux-, 169; chargées de lever l'impôt, 33; chargées de maintenir l'ordre dans les villes, 208 immunité refusée aux autorités religieuses de la diaspora occidentale, 47; immunités distribuées par les empereurs, 35; immunités distribuées par les pouvoirs locaux, 35; leurs fonctions, 169; leurs membres n'ont pas le droit d'accéder aux fonctions publiques, 166, 169 munera, 32, 39, 194 ; munera sordida, 40 ; recrutement, 32, 36 ; stratégies de fuite des -, 35, 42, 69, 181 Dayyanim, 53, 72 (voir également Beth din et tribunal juif) Defensor civitatis: fonction du -, 213 ; fonction occupée par des juifs à Minorque, 172 ; fonction occupée par des juifs dans certaines villes orientales, 212 ; réforme de leur mode de recrutement, 189 Délation, 198 ; de/acores fisci, 112, 138 des biens vacants, 107 ; des esclaves contre leurs maîtres juifs, 140, 145 ; des mariages entre juifs et chrétiens, 162 ; encouragée par des lois impériales, 140,
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145 ; étape de la procédure extraordinaire,129 Déni de justice, 56 Divorce: réforme d'origine ecclésiastique, 127 ; séparation d'avec le conjoint juif encouragée, 232 Donatisme, 166 ; histoire du mouvement -, 183 Édit de Caracalla: attachement de citoyens juifs à leurs droits et usages après 1'-, 63; jurisprudence qui ne diffère pas en substance avant et après 1'-, 64 ; survivance des droits et usages des anciens pérégrins après l'-, 64 Édit de Thessalonique, 131, 166 Embargo: entre les deux parties de l'Empire, 50, 180 Enfants: législation constantinienne hostile aux - illégitimes, 61 Equité: considération morale à laquelle peut recourir le législateur pour justifier son refus d'appliquer le droit à la lettre, 68 Esclaves: fuite des - appartenant aux ateliers impériaux, 149 ; leur exposition à la naissance en fait des ingenui, 127 Esclaves des juifs: attribués au fisc, 147, 154, 234, 253 ; peuvent devenir ingenui sans passer par la manumissio, 145, 234 Evêque: à l'instigation de baptêmes forcés, 241; à l'instigation de violences contre les synagogues, 80, 84, 254 ; gardien de l'ordre, 208 nouvelle incarnation du pouvoir dans certaines cités orientales, 208 Excommunication: les trois types d'- selon le droit juif, 53 ; prévue contre les chrétiens qui épousent des juifs, 232 ; prévue contre les juifs qui ont recours aux tribu-. naux romains, 71 Fêtes chrétiennes: incidents entre juifs et chrétiens pendant la fête de Pâques, 242 les juifs ne doivent pas circuler les jours de la semaine pascale, 239 Fêtes juives: incidents entre juifs et chrétiens lors de la fête de Pourim, 203 ; les chrétiens ne doivent pas y participer, 117, 226 Fiction juridique: juridiction juive assimilée par - à une instance d'arbitrage, 25
307 justifie le privilège d'exemption de la curie des chefs religieux juifs, 41 ; technique d'origine prétorienne, 72 ; technique utilisée par les chancelleries impériales, 14 ; utilisée pour fixer un délai de prescription aux accusations en apostasie, 134 ; utilisée pour garantir le caractère exécutoire des sentences juives, 74 Filiation: conflit entre les droits juif et romain, 61 ; matrilinéaire chez les juifs, 158 ; patrilinéaire chez les Romains, 158 Fonction publique, 167 briguée par des juifs, même religieux, 177 ; juifs exclus de la -, 248 milice civile et milice armée, 168 ; milices et dignités, 168 serment prêté à l'entrée dans la -, 177 Gemara,59 Gyneceum, 148 Halakha, (voir également judaïsme); assimilée par le pouvoir romain à un droit coutumier, 60 ; développement du droit juif dans l'Empire romain, 59 ; polygamie, 61; sa pérennité relative dans l'Empire grâce à l'arbitrage, 75 ; son champ d'application plus large que celui de la religio au sens où les Romains l'entendent, 25, 58 Hospitalité, des chrétiens refusée par les juifs observants, 227 ; juive, 229 ; munus hospitalitatis, 104 ; suppose une réciprocité, 227 Humanitas, circoncision interdite au nom de 1'-,66, 123 Impôt: - supplémentaire exigé de la population d'Antioche, 87 ; curies responsables de sa collecte, 33, 169 ; fiscus iudaicus, 121 ; nécessité pour le pouvoir central de ménager les curies chargées de sa collecte, 82 Inceste, 155 ; degrés de parenté interdisant le mariage en droit romain, 62 Interdits, (voir également sacré); alimentaires, 226, 228, 229 ; commensaux, 225, 233, 240 ; sexuels, 233 lnterpretationes du Bréviaire: origine, 152, 236; trahissent le sens des lois qu'elles commentent, 232
308 ludex ordinarius, 54 ; ludex datus, 75 ; les justiciables lui préfèrent les juridictions d'arbitrage, 71 ; ne peut, en Occident, juger les membres du clergé, 196 lus accusandi, retiré aux citoyens frappés d'infamie, 196 lus vocatio, 68 Judaïsme, (voir également Halakha); désigné par des qualificatifs dépréciatifs, 115, 183 incompatibilité présumée de la pratique du - avec celle du culte national romain, 122 ; ne fut jamais une religio licita, 90 ; qualifié de coutume, 60 qualifié de loi, 60 ; qualifié de religion, 60 ; qualifié de secte, 60, 127 ; qualifié de superstition, 60 Légalité, invoquée pour condamner les atteintes portées aux synagogues, 84, 254, 258, 260 ; principe de - respecté par les chancelleries impériales, 14 Lèse-Majesté, 198 ; crime établi sous Auguste, 120 ; incrimination portée à l'encontre des chrétiens, 120 ; incrimination portée à l'encontre des donatistes, 184 ; les poursuites peuvent être déclenchées après le décès de l'accusé, 135 Lex generalis, sens de l'expression, 28 Liberté de conscience, 255 ; selon Grégoire le Grand, 267 ; selon Théodoric, 257 Litis contestatio, 54, 72, 135 Mariages mixtes: assimilés à des adultères en droit romain, 162 des chrétiennes avec des juifs ou des païens, 157 ; impliquent nécessairement le consentement des familles, 159 ; peine de mort contre ceux qui les réalisent, 155 ; prohibés en droit canonique, 157, 232 ; prohibés en droit juif, 155, 157 ; sanctionnés comme des adultères en droit vulgaire, 232 Messianisme: guerres messianiques juives, 204 ; incidents entre moines chrétiens et juifs à Jérusalem, 207 ; lieu de la polémique entre juifs et chrétiens, 204 Michna, 59 Monothéisme: il n'est pas incompatible avec la pratique du culte impérial, 122
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Or coronaire: certains juifs refusent de payer ce tribut, 205 ; détourné au profit du fisc, 206 ; interdiction de l'acheminer vers la Palestine, 49, 180 ; nature juridique en droit romain, 50; tribut envoyé originairement au Temple de Jérusalem, 48 Ordre public: argument mis en avant pour censurer les coutumes des anciens pérégrins, 65 ; invoqué par les notables locaux, les fonctionnaires et les militaires, 87, 89 ; justification de la condamnation légale des atteintes portées aux synagogues, 81, 92 les sentences arbitrales doivent être conformes à 1'-, 75 ; opposé aux exigences de la mission chrétienne, 88, 92 Ordre sénatorial: appartenance religieuse des membres de 1'-,165,173,175; christianisation de 1'-, 175, 176 ; corps fermé, 175 ; fonctions des sénateurs juifs, 171 ; juifs plus nombreux dans 1'- en Orient, 212 ; les trois classes de 1'-, 173 ; présence de juifs dans 1'-, 170 Papauté: dans l'exercice de son pouvoir hiérarchique, 263 ; dans l'exercice de son pouvoir judiciaire, 262, 267, 268 Patriarches juifs de Palestine: chargés par Rome de détruire les synagogues vacantes, 107 leurs relations conflictuelles avec les juifs de la diaspora, 50 ; ont remplacé les rois d'Israël, 204; prélèvent un impôt cultuel sur les juifs de la diaspora, 180 ; protégés par les empereurs romains, 205 ; se voient retirer la préfecture honoraire, 108 Patrocinium, (voir clientélisme) Peine de mort: contre ceux qui réalisent des circoncisions, 148, 153 ; contre les incendiaires, 86 ; contre les juifs et les chrétiens qui réalisent des mariages mixtes, 155 ; crematio, 125, 127 ; seuls les tribunaux romains peuvent la prononcer, 125 Peines: bastonnade, 85, 86 ; confiscation du patrimoine, 129, 154 ; déterminées par l'arbitrium du juge, 126 ; flagellation, 258 ; intestabilité, 132 ; prévues dans le Talmud,57 Pessah: les chrétiens ne doivent pas célébrer la fête de -, 117
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Petitores, 131, 147 Pluralisme juridique, (voir également conflits de lois); après l'Édit de Caracalla, 64 ; conflit de lois né d'une situation de -, 59 ; en Gaule mérovingienne, 222 Polygamie, 155 ; condamnée en droit français, 62 condamnée en droit romain, 61; incidence sur la filiation, 61 ; législation talmudique, 61 ; litige né d'un mariage polygame, 60 Polythéisme: alliances objective de polythéistes et de juifs, 82, 84 certaines pratiques sont critiquées par une partie du monde païen, 11; des élites locales, 81, 84 ; lois relatives au -, 10, 83, 88 ; survivance dans l'Empire, 81 Pouvoir royal: en conflit avec les évêques qui prônent une mission pacifique, 240 ; entend légiférer en matière religieuse, 251 ; impliqué dans le combat missionnaire, 240, 243 ; investi d'un rôle missionnaire, 238 ; justice, 259 tribunal, 248 Précédent: comme justification du privilège de juridiction des juifs, 76 ; comme justification du respect du shabbat, 68; technique utilisée par les chancelleries impériales, 14 Preuves: aveu, 130 ; exigées dans les procès contre les chrétiens, 130 ; exigées dans les procès contre les convertis au judaïsme, 130; témoignage, 130 Prison, carcer, 215 Privilèges: - du for, 196 ; - perpétuels, 39 ; définition, 21; leur portée relative, 23 ; usage impropre du terme, 51 ; utilisés pour surmonter les conflits de lois, 66 Procédure d'appel: contre une sentence rendue sur la base d'un rescrit, 55 juridictions compétentes, 55 Procédure de la relatio, 55 Procédure extraordinaire: elle donne lieu au prononcé de châtiments physiques, 86 ; elle donne lieu au prononcé de condamnations ad ipsam rem, 85 ; elle est inquisitoire, 129 ; elle laisse peu d'initiative aux plaideurs, 71; elle permet de contraindre le défendeur à comparaître, 72 ; en matière criminelle, 196 inspire la procédure devant les tribunaux ecclésiastiques, 196 peines déterminées par
l'arbitrium du juge, 126 usage de la torture, 130 Procédure par rescrit: préférée par les justiciables juifs, 54 ; préférée par les magistrats de la curie de Cologne, 35; supplique, 54 Propriété. droit de: limitations apportées au - des juifs sur leurs synagogues, 102 ; limité dans l'intérêt du voisinage, 110 ; limité dans l'intérêt public, 110 ; sanctions du -, 103 Querella, définition, 55 Querella inofficiosi testamenti, 134 Reichsrecht, 64 Religio licita, catégorie n'existant pas en droit romain, 90 ; le judaïsme n'est pas envisagé en droit romain comme une -, 90 Rescrit, (voir également suppliques); ad relationem, 56, 129; bureaux chargés de leur rédaction, 56 instrument de la romanisation juridique, 65 ; portant la marque de droits grecs, orientaux et juif, 65 ; subreptice, 29, 56
Sacré, (voir également interdits); aedes sacrae, 101 ; contamination, 230 ; objets cultuels juifs consacrés par l'Église, 96 ; res sacrae, 102; sacrilegium, 104, 127 ; synagogues consacrées en églises. 254, 268 ; synagogues consacrées par l'Église, 96 ; tabous alimentaires, 228, 229 ; tabous sexuels, 233 Samaritains: à Rome, 259 ; de la diaspora occidentale, 179 ; en conflit avec les chrétiens en Palestine, 95 Successions, droit des: attribution à des enfants nés de mariages polygames, 61 ; exhérédation, 138 ; peine d'intestabilité, 132 ; querella inofficiosi testamenti, 134 ; testamenti factio active, 132 ; testamentifactio passive, 136 ; vindicatio caducaria, 138 Suppliques, 97 (voir également procédure extraordinaire et rescrit);'contenu des -, 54 présentant les faits sous un jour avantageux, 29 Synagogues, (voir également légalité et ordre public); amendement du droit
310 impérial sur les - par Grégoire le Grand, 267 ; confisquées au profit des églises, 111 ; destruction de -, 258 ; détruites par le moine Barsauma, 95 ; détruites par les Clermontois, 241; interdiction de réaliser des travaux d'agrandissement sur les -, 110, 256 ; leur construction aurait été interdite vers la fin du IV· siècle, 108 ; liste des - attaquées par des chrétiens, 79 ; lois condamnant les atteintes aux -, 96, 100,258 ; menaçant ruine, 111 ; n'ont pas le statut d'aedes sacrae, 102 ; occupées, 264, 268 ; pillage de - à Alexandrie, 92 ; protégées en tant que propriétés privées, 103 Talmud de Jérusalem: pourrait avoir été composé pour concurrencer le droit civil romain, 59 Théologie: indépendance du droit romain par rapport à la -, 13, 80 Tribunal ecclésiastique: assimilé à une instance d'arbitrage, 69, 195 ; compétent en matière de foi et de discipline, 57 ; compétent pour juger tout citoyen, 73 ; en Gaule franque, 245 ; ne dispose pas du ius gladii, 58 ; pouvait-il, sous Constantin, être saisi inter nolentes ?, 73 ; privilège du for, 196,214 ; procédures inspirées de la procédure extraordinaire, 196 ; saisi inter volentes depuis une loi d'Arcadius,73 Tribunal juif, (voir également Beth din et Dayyanim); caractère exécutoire des sentences rendues par le -, 74 ; ne dispose pas du ius gladii, 57 ; ne peut juger des chrétiens, 74
Vadimonium, 68 Volksrecht, 64
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INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DES LmUX
ADDA, général, 89 AGILULF, roi lombard d'Italie, 262 ALARIC Il, roi des Wisigoths, 219, 221 ALEXANDRIE, 88, 92, 203 AMBROISE, évêque de Milan, 80, 87, 88,99 ; à propos des mariages mixtes, 161 ; son emprise sur Théodose, 63 AMMIEN MARCELLIN, historien, 143, 149 ANTHEMIUS, préfet du prétoire d'Orient, 203 ANTIOCHE, 87 ; habitants accusés de judaïser,207 ANTONIN LE PIEUX, 66, 144 ARCADIUS, 18,25,26,41,43-47,49,69-73, 80, 89-91, 94, 103, 107-108, 136, 176, 182, 194, 197, 203, 205, 219-220 ASCLÉPIODOTE, préfet du prétoire d'Orient, 9,82,94-95 AUGUSTIN, évêque d'Hippone, 197,257,264 ; à propos du mariage, 161 ; en sa qualité de juge ecclésiastique, 198 ; sa vision du rôle des juifs dans l'histoire chrétienne, 12 ; son combat contre les donatistes, 184 ; son rôle dans l'exclusion des juifs du ius accusandi, 166 Auteur anonyme de l'Histoire Auguste, 121 AVIT, évêque de Clermont, 239 BARSAUMA, moine syrien, 9, 80, 95, 207 BRUNEHAUT, reine franque d'Austrasie, 250 CAGLIARI, 262 CALLINICUM, 80, 83, 86, 156 CALLISTRATE, jurisconsulte romain, 194 CARACALLA, 27, 205; Édit de -,63 CASSIODORE, questeur, 223, 254 CÉSAIRE, évêque d'Arles, 229, 240 CHILDEBERT 1ER, roi franc d'Austrasie, 222223, 231, 238-239, 242 CHILPÉRIC 1ER, roi franc de Neustrie, 243 CLERMONT, 241 CLOTAIRE 1er, roi des Francs, 221 CLOTAIRE II, roi franc de Neustrie, 251
CLOVIS, roi des Francs, 219, 221 COLOGNE,27 COMMODIEN, poète latin: met en garde dans ses écrits contre les influences juives, 117 CONSTANCE II, 10, 18,41,63, 83, 102, 105, 115, 128-129, 147-148, 151, 163, 165, 170,178,183, 19v, 196, 199,216 CONSTANCE m, 165, 178, 191, 199,216 CONSTANT, 47, 124, 184 CONSTANTIN, 10-11, 15, 17-19, 24, 26-33, 35-42, 44-47, 57-58, 61, 65, 72, 73, 76, 83, 102-103, 107, 115, 119, 124-127, 129, 140-142, 145, 146, 148, 150, 151, 154, 162-164, 166-170, 174-176, 181184, 197, 202, 212, 215, 219, 221? 234, 247, 253, 274, 276 CONSTANTINOPLE, nouvelle capitale et ville chrétienne, 128 CYRILLE, patriarche d'Alexandrie, 92 DAGOBERT, roi des Francs, 238 DIDASCALE ANNA, chef de la communauté juive d'Italie, 94, 152, 190 DIOCLÉTIEN, 36, 65 DION CASSIUS, historien, 121 DOMITIE~, 143 EDESSE,92 ELVIRE, 156 ÉTIENNE, martyr, 79 EuoOCIE, impératrice, 202, 207 EUFRASIUS, évêque de Clermont, 241 EUSÈBE DE CÉSARÉE, historien chrétien, 10, 128 EUTARIC, général, 258 EUTROPE, chambellan, 25, 49, 69 ; sa rivalité avec Stilicon, 180 ,. EUTYCHlANUS, préfet du prétoire d'Orient, 107 ÉVAGRE LE GALLOIS, Discussion entre le juif Simon et le chrétien Théophile, 116
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INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
ÉVAGRE, comte d'Égypte, 88
JUSTINIEN, empereur byzantin, 265
FERRÉOL, évêque d'Uzès, 231, 240 FIRMIN, comte de Clermont, 242 FLAVIEN, préfet du prétoire d'Orient: fonctionnaire païen, 63 FLAVlUS JOSÈPHE, historien, 22, 104
LACTANCE, apologète chrétien, 265 LIBANIUS, professeur de rhétorique, 82, 84, 85 LITORIl/S, comte, 172, 176
GAIl/S, jurisconsulte, 59 GAMALIEL V, patriarche juif de Palestine, 85 GAMALIEL VI, patriarche juif de Palestine, 82, 108,205 ; condamné pour avoir jugé un chrétien, 74 GÉLASE, pape, 171,254 GENERIDUS, général, 190 G~NES, 255 GILDON, comte, 49 GONTRAN, roi franc d'Austrasie, 243, 249 GRATIEN, 18, 26, 42, 58, 83, 84, 131, 133, &40, 166, 176, ]82, 184, ]97,215,219 GRÉGOIRE LE GRAND, pape, 198, 250, 255, 261 ; Sicut Iudaeis, 12 GRÉGOIRE, évêque d'Elvire: sermons mettant en garde contre les influences juives dans l'Église, 116 GRÉGOIRE, évêque de Tours et historien, 241,249 HADRIEN, 66, 123 HONORIUS, 17, 18,26,45-49,51,58,60,67, 68,73, 80, 83, 89, 91, 93? 94, 101-106, 115, 147, 153, 165, 166, 168-170, 172, 173, 176, 177-180, 182-186, 189-192, 195, 196, 200, 212, 215, 219, 220, 276 lA."'UARIUS, évêque de Cagliari, 264 ILLYRICUM, 91 INNOCENT III, pape, Constitutio pro Iudaeis, 13 JEAN CHRYSOSTOME, prêtre d'Antioche, 69, 202, 207 ; met en garde les chrétiens contre les tendances judaïsantes, 118 JEAN, préfet du prétoire d'Italie, 93 JÉRÔME, 170, 204, 212 ; à propos du mariage, 161 JÉRUSALEM, 95 ; incidents entre moines chrétiens et juifs, 202 ; ville interdite aux juifs depuis Hadrien, 207 JUDA HANASI, législateur, 59 JULIEN L'APoSTAT, 205
MÂCON, 222-223 MARCIANUS, jurisconsulte, 143 MARTYRIUS, questeur, 110, 167,202,214 MATERNUS CYNEGIUS, préfet du prétoire d'Orient, 83, 87, 150, 156 MAURICE, empereur byzantin, 243 MAXIME, évêque de Turin, 199 MICHEL, empereur byzantin, 261 MILAN, 88, 259 MINORQUE, 79 MODESTIN, jurisconsulte, 32, 66, 135, 144 NERVA,143 OLYMPIUS, maître des offices, 184, 189,213 ORLÉANS, 249 OSSIUS, évêque de Cordoue, 127 PAPINIEN, jurisconsulte, 40 Patrice, chef juif d'une insurrection en Gali]ée, 128 PAUL, apôtre: met en garde contre les tendances judaïsantes de l'Église, 116 PERSE, 86 PHILIPPE, préfet du prétoire de l'Illyricum, 91 PIERRE, apôtre, 116 PIERRE, évêque de Ravenne, 258 PLACIDIE, impératrice, 191, 200 PRIscus, marchand juif, 243 PROSPER D' AQUITAINE, théologien, 172 PSEUDO-FRÉDÉGAIRE, historien, 238, 253 RABBI AKIVA, 141 RAVENNE, 93,166,223,258 ROME, sac de la ville par les barbares, 189 RUFIN, préfet du prétoire d'Orient, 49, 88, 91, chrétien zélé, 63 RUTILIUS NAMATIANUS, 175 SEPTIME SÉVÈRE, 30, 177 ; son décret contre le prosélytisme dans l'Histoire Auguste, 121 SEVERUS, évêque de Iamona, 80, 172
INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX SIGEBERT r', roi franc d'Austrasie, 242 SIMÉON LE STYLITE, ascète chrétien, 80, 95, 98,99 SOCRATE, historien chrétien, 10, 92, 203 SOZOMÈNE, historien chrétien, 10, 150 STILICON, 178, 184, 189 ; sa rivalité avec Eutrope, 180 SUÉTONE, biographe romain, 121 SULPICE SÉVÈRE, historien chrétien, 176, 188 SYMÉON LE STYLITE, moine syrien, 9 SYMMAQUE, 176 TATIEN, préfet du prétoire d'Orient, 87, 89 TERTUllIEN, apo1ogète chrétien, 113, 165 THALASSruS, préfet du prétoire d'Orient, 128 THÉODOHAD, roi ostrogoth d'Italie, 265 THÉODORE, évêque de Marseille, 250, 263 THÉODORIC, roi ostrogoth d'Italie, 223, 264 THÉODOSE 1er, 10, 18, 28, 52, 60, 80, 83, 94,97,99,102,103,105,131,132,150, 156,162,163,166,176,182,184,189, 191, 205, 231, 234, 258, 276 THÉODOSE II, 9, 10, 17-19, 24, 52, 74, 80, 83, 91-94, 96-98, 100, 103? 106, 107, 108, 109, 111, 113, 115, 146, 153, 154, 167, 170, 176,203,205,206-210,219, 234, 235, 258, 268 THEsSALONIQUE, massacre de -, 63, 88 TL'>iASruS, général, 82, 88, 89 TRAJAN, empereur, 143 ULPIEN, jurisconsulte, 30, 144, 177 URSICINUS, magister militum, 128 VALENS, 43, 44, 83, 104, 176 VALENTINIEN II, 189 VALENTINIEN III, 17, 18,73,115,132,135, 136, 138, 139, 154, 165, 176, 199,200, 201, 247-249 VANNES, 226 VÉNM'CE FORTUNAT, poète, 241 VICTOR, évêque de Palerme, 268 VIRGILE, évêque d'Arles, 250, 263 ZÉNON, évêque de Vérone et martyr, 108 ZOSIME, historien, 190
313
T ABLE DES MATIÈRES Introduction Chapitre 1. L'ambiguïté des privilèges juifs Section I. Les privilèges des cadres du judaïsme A. La revendication par le pouvoir central du monopole de l'octroi des immunités curiales (11 décembre 321) 1. L'usage inédit de l'expression « Lex generaLis » 2. La nature de la pristina observatio B. Un privilège bénéficiant aux seuls cadres du judaïsme 1. La loi de Constantin du 29 novembre - 1er décembre 330 2. Effets pervers, ajustements et réitération de la loi de 330 C. Une politique plus réservée en Occident à partir du début du ve siècle 1. Le refus de l'immunité curiale aux autorités juives italiennes 2. La remise en cause du droit d'acheminer l'aurum coronarium en Orient Section II. Les privilèges servant à la résolution des conflits de lois et de juridictions A. La loi du 17 avril 392 1. Les circonstances 2. Le principe de la compétence des autorités juives en matière religieuse et ses ambiguïtés B. La loi du 30 décembre 393 1. La censure des lois juives sur la polygamie et l'endogamie 2. L'intégration de certaines coutumes juives dans l'ordre juridique romain C. La loi du 3 février 398 1. Les formes alternatives de règlement des conflits 2. Une saisine inter voLentes des tribunaux juifs 3. Donner force exécutoire aux sentences juives Conclusion du chapitre 1
9 21 26 27 28 32 37 37 42 45 45 48 52 52 53 57 60 60 64 69 70 72 74 76
316
TABLE DES MATIÈRES
Chapitre II. Le judaïsme, religio licita ? Section 1. Les lois contre les occupations et destructions de synagogues et contre le vol d'objets liturgiques A. Le conflit entre Théodose 1er, les activistes chrétiens et saint Ambroise 1. L'affaire de la synagogue de Callinicum (été 388) 2. La loi du 29 septembre 393 et sa portée réelle B. Les troubles interreligieux du premier quart du ve siècle 1. Les lois adressées à la préfecture de l'Illyricum (17 juin 397 et 6 août 420) 2. Une victoire de la diplomatie juive en Italie (26 juillet 412) C. La « valse-hésitation» de Théodose II dans la crise palestinienne de 423 1. Des mesures d'abord favorables aux moines syriens et à leurs alliés 2. Le retour à la jurisprudence de Théodose 1er plus favorable aux juifs 3. Un revirement soigneusement camouflé par les rédacteurs du Code Théodosien Section II. Les moyens légaux mis en place pour entraver le développement des synagogues A. Le statut légal des synagogues B. Les limitations apportées au droit de propriété sur les synagogues 1. L'application du régime des bona vacantia aux synagogues dites abandonnées 2. L'interdiction de construire de nouveaux édifices ou d'agrandir les anciens Conclusion du chapitre II
Chapitre III. Les stratégies de lutte contre l'influence juive Section 1. L'incrimination des conversions au judaïsme A. La conversion au judaïsme était-elle déjà incriminée sous le principat? B. La conversion au judaïsme comme crimen publicum 1. La loi de Constantin du 18 octobre 329 2. La loi de Constance du 3 juillet 352 C. Le régime général contre l'apostasie chrétienne mis en place à partir des années 380
79 83 83 83 89 90 91 93 94 95 98 99 101 102 106 106 108
112 115 119 120 124 125 128 131
TABLE DES MATIÈRES
Section II. Le problème particulier des esclaves païens et chrétiens des juifs A. La législation constantinienne 1. La loi de Constantin du 21 octobre 335 contre la circoncision des esclaves 2. La loi de Constantin II du 13 août 339 contre l'acquisition par les juifs d'esclaves non juifs B. Les prolongements de la législation à l'époque théodosienne Section Ill. La prohibition des unions matrimoniales entre juifs et chrétiens A. Les interdits nuptiaux du concile d'Elvire (300-306) B. La loi de Théodose 1er du 14 mars 388 Conclusion du chapitre III Chapitre IV. Les atteintes aux droits publics et politiques des juifs Section 1. Les citoyens juifs au service de l'Empire A. La présence avérée de juifs au sein des militiœ et des dignitates 1. La présence de juifs dans les militiœ civiles et militaires 2. Des juifs titulaires de dignités B. Les obstacles non juridiques à l'intégration des juifs dans les corps de la fonction publique 1. Des obstacles tenant à la traditionnelle fermeture des corps de hauts fonctionnaires 2. Un obstacle tenant aux croyances religieuses des juifs ? Section ll. Les premières lois de la Pars occidentalis (404 425) A. À la recherche du but réel de la loi sur les agentes in rebus juifs (22 avril 404) 1. Une loi sanctionnant une faute commise par des agentes juifs 2. Une loi contre l'intégration frauduleuse du corps des agentes in rebus par des juifs curiales B. La loi du 10 mars 418 excluant les juifs de la fonction publique 1. Une cause de la loi l'assimilation des juifs d'Afrique du Nord aux hérétiques donatistes 2. Une autre cause de la loi l'amalgame entre barbari germaniques et juifs 3. Les dispositions de la loi
317
141 141 141 146 150 155 156 162 163
165 168
168 168 170 173 175 177 178 178 179 181 183 183 188 191
318
TABLE DES MATIÈRES
C. L'exclusion connexe des juifs de la représentation judiciaire 1. Le canon 129 du sixième concile de Carthage du 25-30 mai 419 2. La loi du 6 août 425 Section III. Bilan et aggravation de cette législation en Orient A. Le climat des relations entre juifs en chrétiens pendant le premier quart du ve siècle 1. Les crises messianiques et eschatologiques 2. La suppression du patriarcat de Palestine B. La loi du 31 janvier 438 1. L'exclusion des juifs de la charge de defensores civitatis 2. L'interdiction d'occuper la fonction de carcer Conclusion du chapitre IV Chapitre V. Le legs de la législation impériale relative aux juifs en Gaule et dans la péninsule italique (VIe.vrre siècles) Section 1. L'influence du droit romain en Gaule mérovingienne A. Le recours à l'expédient du droit canonique (506-538) 1. Une mesure typiquement religieuse l'interdit commens~
2. Les modifications apportées aux lois romaines contre le mariage mixte et la possession d'esclaves chrétiens B. La redécouverte des leges dans un contexte de persécutions antijuives (555 - 632-633) 1. Premiers baptêmes forcés en Austrasie 2. L'expulsion des juifs de Neustrie (581) et le concile austrasien de Mâcon 1 (581-583) 3. La conversion obligée des fonctionnaires sous Clotaire II (614), puis de tous les juifs sous Dagobert (632-633) Section II. L'adaptation des constitutions impéri~es dans la péninsule italique A. Civilitas et tolérance religieuse du pouvoir ostrogothique 1. Une loi de Théodoric interdisant l'agrandissement des synagogues 2. Les lois condamnant les destructions de synagogues B. Le combat de Grégoire le Grand contre la pratique des conversions forcées 1. L'exigence de « sacrifices volontaires » 2. Un durcissement de la législation impériale sur les
194 195 199 202 203 203 205 209 210 214 215
219 224 225 225 231 238 238 243
251 254 255 255 258 261 262
TABLE DES MATIÈRES
synagogues Conclusion du chapitre V
319
267 269
Conclusion
273
Index bibliographique
279 279 281 281 281 282 283
Abréviations Sources Recueils modernes de sources Sources de droit impérial et alto-médiéval Sources de droit canonique Travaux modernes
Index des sources Sources de droit impérial et alto-médiéval Sources de droit canonique
295 295
301
Index des matières
305
Indes des noms de personnes et de lieux
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Table des matières
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Dans la même collection (suite) 13. TOLLET, Daniel, Marchands et hommes d'affaires juifs dans la Pologne des Wasa (1588-1668). 2001. Série Histoire X. 14. VIGEE, Claude, La lune d'hiver. Récit - Journal- Essai. 2002. Série Littérature III. 15. MINIATI, Monica, Les «Emancipées». Lesfemmesjuives italiennes auxXIXe et XXe siècles (1848-1924). 2003. Série Histoire XI. 16. HERSHCO, Tsilla, Entre Paris et Jérusalem. La France, le sionisme et la création de l'Etat d'Israël, 1945-1949. Préface de Shïmon Pérès. 2003. Série Histoire XII. 17. ROOS, Gilbert, Les relations entre les Juifs du Nord-Est de la France et le
Gouvernement de la Restauration. 2003. Série Histoire XIII.
18. Les Chrétiens et les Juifs dans les sociétés de rites grec et latin: approche comparative. Actes du colloque organisé les 14-15 juin 1999 à la Maison des
19.
20.
21.
22.
23. 24.
Sciences de l'Homme (Paris). Textes réunis par Michel Dmitriev, Daniel Tollet et Elisabeth Teiro. 2003. Série Histoire XlV. SCHOTILAENDER, Rudolf, Un Allemand malgré tout. Ma traversée du siècle. Traduit de l'allemand et annoté par Jean-Paul Colin. 2003. Série Histoire XIII. PUCHALSKA-HmNER, lrena «Bozena», Un homme insoumis: Juliusz Hibner. Polonais, Juif et communiste. Traduit du polonais par Maigorzata Maliszewska. 2004. Série Histoire XlV. TELKES-KLEIN, Eva, L'Université hébraïque de Jérusalem à travers ses acteurs. La première génération de professeurs (1925-1948). 2004. Série Histoire XVII. TURKOV, lonas, La lutte pour la vie. Traduit du yiddish par Maurice Pfeffer. 2005. Série Histoire XVIII. VON WROBLEWSKY Vincent, Un étrange amour. ttre Juif en RDA. Traduit de l'allemand et annoté par Jean-Paul Colin. 2005 MUCHNIK, Natalia, Une vie marrane. Les pérégrinations de Juan de Prado
dans l'Europe du XVlle siècle. 2005. 25. CHARVIT, Yossef, La France, l'élite rabbinique d'Algérie et la Terre Sainte au XIXe siècle. Tradition et modernité. 2005. Série Histoire XXI. 26. KECSKEMETI, Judit, Une rhétorique au service de l'antijudaïsme, Vll' siècle. Préface de Daniel Tollet. 2005. Série Histoire XXII.
IVe siècle-
27. IFRAH, Lionel, Sion et Albion, Juifs et puritains attendent le messie. 2006. Série Histoire XXIII. 28. LUSTMAN, François, De l'émancipation à l'antisémitisme: Histoire de la communauté juive de Paris 1789-1880. 2006. Série Histoire XXIV. 29. PARENTE, Fausto, Les Juifs et l'Église romaine à l'époque moderne (XVXVIIIe siècle). Traduit de l'italien par Mathilde Anquetil-Auletta. 2007. Série Histoire XXv. 30. ROOS, Gilbert, Les Juifs de France sous la Monarchie de Juillet. 2007. Série Histoire XXVI. 31. HANNOUN, Hubert, L'éducation aux temps bibliques. 2008. Série Histoire XXVII. 32. Les élites dans le monde biblique. Textes réunis par Jean Riaud avec une postface de Michel Meslin. 2008. Série Histoire XXVIII. 33. ROSMAN, Miriam, La France et Israël, 1947-1970. De la création de l'État d'Israël au départ des Vedettes de Cherbourg. 2009. Série Histoire XXIX. 34. COULON, Laurence, L'opinion française, Israël et le conflit israélo-arabe, 1947-1987.2009. Série Histoire XXX. 35. SCHWARZFUCHS, Simon. La politique napoléonienne envers les Juifs dans l'Empire. 2010. 36. L'histoire et la philosophie des sciences à la lumière de l'œuvre d'Émile Meyerson (1859-1933). Sous la direction d'Eva Telkes-Klein et d'Elhanan Yakira.2010. 37. LARDINOIS, Roland et WEILL, Georges, Sylvain Lévi. Le savant et le citoyen. Lettres de Sylvain Lévi à Jean-Richard Bloch et à Jacques Bigart, secrétaire de l'Alliance israélite universelle (1904-1934).2010. Série Histoire XXXIII. 38. MALINOVICH, Nadia, Heureux comme un Juif en France. Intégration, Identité, Culture 1900-1932. 2010. Série Histoire XXXIV. 39. NEMO-PEKELMAN, Capucine, Rome et ses citoyens juifs (lv'-V siècles). 2010. Série Histoire XXXV. 40. ASHOLT, Wolfgang et DELPHIS, Claudine, Jean-Richard Bloch ou À la découverte du monde connu: Jérusalem et Berlin (1925-1928).2010. Série Littérature IV. 41. L'Œuvre d'un orientaliste. André Caquot, 1923·2004.2010. Série Histoire XXXVI. 42. ROYER, Clara, Le Royaume littéraire. Quêtes d'identité d'une génération d'écrivains juifs de l'entre-deux-guerres. Hongrie, Slovaquie, Transylvanie.
43. MEYERSON, Émile, Émile Meyerson. Mélanges. Petites pièces inédites éditées par Eva Telkes-Klein et Bernadette Bensaude-Vincent. 2010. 44. TOUKABRI, Hmida, Satisfaire le ciel et la terre. Les fondations pieuses dans le Judaïsme et dans l'Islam au Moyen Âge. Avec une préface de Maurice Kriegel. 2010.