Gérard Tilles
Teignes et teigneux Histoire médicale et sociale
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Gérard Tilles
Teignes et teigneux Histoire médicale et sociale
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Gérard Tilles
Teignes et teigneux Histoire médicale et sociale
Gérard Tilles Musée de l’hôpital Saint-Louis 1, avenue Claude Vellefaux 75475 Paris Cedex 10
Crédits photographiques Collection photographique Dr Mathieu de Brunhoff. Collection Dr Dominique Sabouraud. Bibliothèque Henri-Feulard, musée photographique et musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis, Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Archives et musée de l’Institut Pasteur. Institut et musée d’Histoire de la médecine, université de Zürich. Musée Urbain-Cabrol, ville de Villefranche-de-Rouergue.
ISBN-13 : 978-2-287-87852-7 Springer Paris Berlin Heidelberg New York
© Springer-Verlag France, Paris, 2009 Springer-Verlag France est membre du groupe Springer Science + Business Media Imprimé en France Cet ouvrage est soumis au copyright. Tous droits réservés, notamment la reproduction et la représentation, la traduction, la réimpression, l’exposé, la reproduction des illustrations et des tableaux, la transmission par voie d’enregistrement sonore ou visuel, la reproduction par microfilm ou tout autre moyen ainsi que la conservation des banques de données. La loi française sur le copyright du 9 septembre 1965 dans la version en vigueur n’autorise une reproduction intégrale ou partielle que dans certains cas, et en principe moyennant le paiement des droits. Toute représentation, reproduction, contrefaçon ou conservation dans une banque de données par quelque procédé que ce soit est sanctionnée par la loi pénale sur le copyright. L’utilisation dans cet ouvrage de désignations, dénominations commerciales, marques de fabrique, etc. même sans spécification ne signifie pas que ces termes soient libres de la législation sur les marques de fabrique et la protection des marques et qu’ils puissent être utilisés par chacun. La maison d’édition décline toute responsabilité quant à l’exactitude des indications de dosage et des modes d’emplois. Dans chaque cas il incombe à l’usager de vérifier les informations données par comparaison à la littérature existante.
Maquette de couverture : Jean-François Montmarché Illustrations de couverture : collection du Musée de l’hôpital Saint-Louis pour les photos. Peinture : Sabouraud peint par Émile Sabouraud, 1936. Tableau appartenant au Dr Dominique Sabouraud.
Préface Pr Patrice Morel
« On dit même que Sabouraud pouvait connaître votre caractère, vos revenus et ce que vous aviez mangé au petit déjeuner rien qu’en examinant la racine d’un de vos cheveux », écrit en 1908 un professeur du Missouri. C’est dire le prestige d’un homme pourtant longtemps cantonné dans son laboratoire par la jalousie de ses confrères. « … j’aime mieux vivre dans l’ombre des benêts qui se couvrent de titres honorifiques alors qu’ils n’ont pas l’étoffe où les coudre », écrit-il à Brocq. Avec l’histoire des teignes, c’est l’histoire de Sabouraud bien sûr qui défile sous nos yeux, mais c’est aussi toute l’histoire de la dermatologie parisienne et française, du début du XIXe à la moitié du XXe siècle. Gérard Tilles nous transmet sa passion, et l’on gage qu’il a pris beaucoup de plaisir à écrire ce livre qui fourmille d’anecdotes et de descriptions pittores-
ques. On revit avec lui les débuts du baron Alibert, les grands maîtres du XIXe siècle, la guerre de 14, jusqu’à l’arrivée de la griséofulvine (1938), quand même moins traumatisante que l’arrachage des cheveux. La guérison des teignes n’a pourtant pas suffi à faire disparaître le mot du langage commun : « méchant comme une teigne », « teigneux » etc. Le style est précis, concis. La lecture est facile. L’iconographie, très abondante, est magnifique, un vrai livre d’art. On ne peut que se féliciter d’avoir dans nos rangs un dermatologue éminent et un historien passionné et passionnant. Merci à lui. Merci à l’éditeur. Heureuse lecture d’un livre qui n’est pas seulement un livre de bibliothèque mais qui sera, bien plus encore, pendant quelques semaines, votre livre de chevet.
Remerciements
Acteur éminent de cette histoire des teignes, Sabouraud a beaucoup écrit. Articles de périodiques et ouvrages constituent une œuvre scientifique de plusieurs milliers de pages. À côté de cette production littéraire savante, Sabouraud rédigea à la fin de sa vie deux ouvrages de réflexions et des mémoires à usage familial. Dans ces textes non publiés, Sabouraud raconte sa vie hospitalière et dresse des portraits très personnels de ceux dont il croisa le chemin. Il y affiche pour certains – peu nombreux – admiration ou affection, pour d’autres – plus nombreux – dédain ou mépris. Quoi qu’il en soit, les mémoires de Sabouraud sont un témoignage précieux de la vie à l’hôpital Saint-Louis pendant près de cinquante ans. Plus personnels et souvent d’un grand intérêt sont les courriers rédigés de la main de Sabouraud à parents et amis. Le Pr Olivier Sabouraud (†) et le Dr Mathieu de Brunhoff, petits-fils de Raimond Sabouraud m’ont honoré de leur confiance en me remettant ces précieuses archives familiales, des photographies, et en acceptant de partager le souvenir de leur grand-père. Ce travail leur doit beaucoup. Qu’ils trouvent ici l’assurance de ma profonde gratitude. Le Pr Sabouraud et le Dr de Brunhoff m’ont également permis d’obtenir d’autres informations sur leur grand-père auprès de Mme Marie-Bérangère de la Boulaye et de M. Alain Bonnerie que je remercie pour leur aide. Je remercie le Dr Dominique Sabouraud qui m’a autorisé à publier deux très beaux portraits de son grand-père, l’un par Friesz l’autre par son père Émile Sabouraud. Sabouraud fut l’un des premiers élèves du « Grand Cours » d’Émile Roux à l’Institut Pasteur avant de devenir quelques années plus tard enseignant de
mycologie. Mme Annick Perrot, conservateur du musée Pasteur et M. Stéphane Kraxner, archives de l’Institut Pasteur m’ont apporté une aide précieuse dans la recherche des documents concernant cette période. Joseph Payenneville, médecin syphiligraphe à Rouen et Charles Nicolle, prix Nobel de médecine, furent proches de Sabouraud, particulièrement dans les dernières années de sa vie. Le Dr Karl Feltgen du Groupe d’histoire des hôpitaux de Rouen m’a fourni d’utiles informations sur leur relation. Johann Lukas Schœnlein fut, on le verra, le premier à voir la cause d’une mycose cutanée à travers la lentille de son microscope. Son portrait présent dans le cahier iconographique de cet ouvrage provient du musée d’Histoire de la médecine de l’université de Zurich. Je dois à la courtoisie du Dr Michael Geiges d’avoir pu le publier ici. La municipalité de Villefranche-de-Rouergue a autorisé la reproduction du tableau de René Berthon consacré à l’enseignement de Jean-Louis Alibert à Saint-Louis. Je remercie le Professeur Patrice Morel qui m’a fait l’honneur de préfacer cet ouvrage et Monsieur Sudreau, directeur de l’hôpital Saint-Louis qui a autorisé la libre reproduction des gravures et moulages provenant de la bibliothèque Henri-Feulard et du musée des moulages. Henri Feulard, premier conservateur de la bibliothèque médicale de l’hôpital Saint-Louis, consacra sa thèse à l’étude des « teignes et des teigneux ». Le titre de cet ouvrage, emprunté à celui de sa thèse, est une occasion de rendre hommage à ce qu’il fit pour la création et l’enrichissement de la bibliothèque qui aujourd’hui porte son nom.
Sommaire
Préface Pr Patrice Morel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
V
Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII Repères chronologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5
Le temps des cliniciens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
9
Nommer : les avatars de la nomenclature . . . . . .
9
Classer : la clé du savoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Sabouraud et la contamination : une hantise biologique et sociale . . . . . . . . . . . . . 76
Du non-traitement à la radiothérapie . . . . . . . . . . . 85 Faut-il traiter les enfants teigneux ? . . . . . . . . . . . 85 La « calotte », méthode de sinistre réputation . . 86 La famille Mahon, guérisseurs de teignes des Hôpitaux de Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
16
Médicalisation du traitement des teignes à Saint-Louis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
Montrer : la consécration pédagogique . . . . . . . 20
L’École Lailler : modèle éducatif et sanitaire . . . 94
Décrire : le premier langage des dermatologues
Le laboratoire, temple des savoirs nouveaux . . . . . 25 De Schœnlein à Gruby : progrès et confusions . 26
La radiothérapie, « solution rêvée » du traitement des teignes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100 Le traitement des teignes, histoire d’une dramatisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
La controverse du microscope . . . . . . . . . . . . . . . 28 Épilogue : les teignes aujourd’hui . . . . . . . . . . . . . . . 111 Sabouraud : l’âge d’or du microbisme . . . . . . . . . . . 33
Une maladie devenue bénigne . . . . . . . . . . . . . . . 111
De l’Institut Pasteur à l’hôpital Saint-Louis : une carrière de chercheur-clinicien . . . . . . . . . . . 33
L’histoire inachevée des enfants teigneux irradiés . . . . . . . . . . . . . . . . 113
« Les teignes », pièce maîtresse de l’œuvre . . . . . 66 Teignes, pelade et calvitie : le microbisme en question . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
Illustrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
Repères chronologiques
1756 : publication de Systema naturæ de Linné, qui propose une méthode de classification des végétaux. 1763 : Nosologia Methodica, ouvrage de Boissier de Sauvages, offre aux médecins une classification des maladies utilisable avec une relative facilité. 1776 : Plenck publie à Vienne Doctrina de morbis cutaneis inspiré de la classification de Linné. Plenck énumère les lésions élémentaires des maladies de la peau, et offre la première approche rationnelle du diagnostic en dermatologie. 1777 : Lorry propose d’individualiser la vera tinea (vraie teigne), aujourd’hui le favus. 1798 : publication à Londres du premier fascicule du traité de Robert Willan On cutaneous diseases considéré comme l’ouvrage fondateur de la dermatologie contemporaine. 4 décembre 1801 : l’article XIII de l’arrêté du 4 décembre 1801 définit la fonction de l’hôpital Saint-Louis (hospice du Nord) « pour les maladies chroniques soit contagieuses telles que la gale, les teignes, les dartres soit rebelles et cachectiques comme le scorbut, les vieux ulcères, les écrouelles ». 27 novembre 1801 : Alibert est nommé médecin de l’hôpital Saint-Louis. 31 décembre 1806 : les frères Mahon – qui n’étaient pas médecins – sont autorisés à expérimenter leur traitement à l’hôpital Saint-Louis. 1807 : le conseil général des Hospices attribue aux frères Mahon la charge du traitement des enfants teigneux dans les hôpitaux de Paris. Ils sont rémunérés par tête d’enfant teigneux guéri. 1829 : Mahon l’aîné décrit, le premier en France, la teigne tondante sous ce nom. Alibert présente à Saint-Louis l’Arbre des Dermatoses, paradigme de la nosologie botanique en dermatologie. 1835 : Bassi (Italie) et Audouin (France) montrent que la maladie des vers à soie dénommée muscar-
dine est provoquée par un champignon. Cette découverte fait comprendre aux médecins qu’un végétal peut être la cause d’une maladie. 1839 : Schœnlein décrit le champignon responsable du favus. Remak, assistant de Schœnlein, cultive le champignon sur des tranches de pomme et se l’inocule. 1840 : Cazenave « redécouvre » la teigne de Mahon et la décrit sous le nom d’herpès tonsurans. 1840-1844 : publication des Annales des maladies de la peau et de la syphilis, premier périodique français de dermatologie, dirigé par Cazenave. 12 juillet 1841 : présentation à l’Académie des Sciences de Paris du premier mémoire de Gruby, Sur une végétation qui constitue la vraie teigne. Il décrit la manière de mettre en évidence le champignon responsable du favus. 1842 : Gruby publie Sur une espèce de mentagre contagieuse résultant du développement d’un nouveau cryptogame, dans la racine des poils de la barbe de l’homme. Gruby met en évidence le champignon responsable du sycosis. 1843 : Cazenave sépare la pelade (Porrigo decalvans de Bateman) de la teigne tondante (qu’il nomme herpès tonsurans). Gruby publie un mémoire intitulé Recherches sur la nature, le siège et le développement du Porrigo decalvans ou Phyto-alopécie. Il met en évidence un champignon dans les cheveux d’une teigne tondante à laquelle il donne à tort le nom de Porrigo decalvans, c’est-à-dire en fait une pelade. Cette erreur fera croire à la plupart des dermatologues jusqu’à la fin du XIXe siècle que la pelade est une forme clinique de teigne. À ce titre, la pelade sera considérée comme une maladie contagieuse jusqu’à la fin du XIXe siècle. 1844 : Gruby publie Recherches sur les cryptogames qui constituent la maladie contagieuse du cuir chevelu décrite sous le nom de teigne tondante (Mahon), herpès tonsurans (Cazenave).
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Teignes et teigneux
1845 : Remak nomme Achorion schœnleinii le champignon responsable du favus. 1846 : Eichstedt découvre le champignon responsable du pityriasis versicolore. Malmsten donne le nom de trichophyton au champignon de la teigne tondante. 1848 : fondation de la Société de biologie par Rayer, Charles Robin, Claude Bernard, Brown-Sequard, Follin, Lebert et Segond. 1850 : Cazenave affirme l’identité de l’herpès circiné (peau glabre) et de l’herpès tonsurans (teigne tondante), déjà évoquée avant lui par Mahon et Bateman. 1852 : quinze lits réservés aux enfants teigneux et un dispensaire des soins externes sont créés dans le service de Bazin à Saint-Louis. Bazin met au point une méthode de traitement des teignes qui fait peu à peu disparaître le « procédé » des frères Mahon. 1853 : Bazin donne la première définition moderne des teignes. 1856 : Tilbury Fox reconnaît l’origine trichophytique du kérion. 1860 : Hardy crée le mot « trichophytie » pour remplacer les mots herpès circiné, herpès tonsurans et sycosis. En fait, seule l’expression herpès tonsurans disparaît des ouvrages de dermatologie. 1864 : à Londres, Alexander John Balmanno Squire, chirurgien anglais, publie les premiers fascicules de dermatologie contenant des photos coloriées à la main. 1868 : création des Annales de dermatologie et de syphiligraphie par Adrien Doyon, périodique de référence de l’école française de dermatologie, encore publié aujourd’hui. Hardy et Montméja publient la Clinique photographique de l’hôpital Saint-Louis, premier ouvrage français consacré à la photographie en dermatologie. Des photographies cliniques et microscopiques de teignes sont présentées. 29 avril 1878 : Pasteur présente à l’Académie de médecine la théorie des germes et ses applications à la médecine et à la chirurgie. 1878 : Sédillot forge le mot « microbe ». Lailler publie Les Teignes ouvrage qui présente les deux premières photographies en couleurs non retouchées des maladies de la peau réalisées selon le procédé photochromique de Léon Vidal. 31 décembre 1879 : fondation de la chaire de clinique des maladies cutanées et syphilitiques à la faculté de médecine de Paris. Alfred Fournier, chef de service à l’hôpital Saint-Louis, en devient le premier titulaire.
1880 : Pasteur découvre le vibrion pyogène plus tard dénommé staphylocoque. Découverte du streptocoque et du bacille du choléra des poules. 1881 : Kaposi succède à son beau-père Hebra à la tête de la clinique dermatologique de Vienne. Besnier et Doyon font précéder la traduction du Traité de Kaposi d’une introduction intitulée « État de l’enseignement dermatologique en France. Prééminence de l’école de Vienne. Nécessité d’une réforme en France » . 1882 : Koch découvre le bacille tuberculeux. 1883 : Klebs découvre le bacille diphtérique. 6 juillet 1885 : première vaccination antirabique chez l’homme. 4 août 1886 : ouverture de l’école des teigneux à l’hôpital Saint-Louis. 14 novembre 1888 : inauguration de l’Institut Pasteur. 15 mars 1889 : premier cours de microbie technique d’Émile Roux à l’Institut Pasteur. 22 juin 1889 : fondation de la Société française de dermatologie et de syphiligraphie, principale société savante de l’école française de dermatologie, encore en activité aujourd’hui. 5-10 août 1889 : Ier congrès mondial de dermatologie et syphiligraphie organisé à Paris, au musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis. 7 mars 1890 : le conseil municipal de Paris invite l’Assistance publique à étudier la création d’un hôpital de teigneux à Paris. 1892 : premier mémoire de Sabouraud sur les teignes, Contribution à l’étude de la trichophytie humaine. IIe congrès international de dermatologie organisé à Vienne. Président : M. Kaposi. 1894 : Sabouraud publie Les Trichophyties humaines. L’ouvrage est accueilli par les dermatologues comme la référence en matière de connaissance et de traitement des teignes. 4 janvier 1894 : l’école des teigneux de l’hôpital Saint-Louis devient officiellement « école Lailler ». 1895 : Roentgen découvre un nouveau rayonnement qu’il nomme rayons X. 1896 : IIIe congrès international de dermatologie organisé à Londres. Président : J. Hutchinson. Sabouraud présente ses travaux sur les teignes et en reçoit une reconnaissance internationale. 1897 : ouverture à Saint-Louis de l’hôpital-école des teigneux. Sabouraud est nommé directeur du laboratoire municipal des teignes de la Ville de Paris à l’hôpital Saint-Louis.
Repères chronologiques
Première utilisation des rayons X en dermatologie (Freund, Vienne). 1900 : IVe congrès mondial de dermatologie organisé à l’hôpital Saint-Louis. Président : E. Besnier. Publication du premier volume de la Pratique dermatologique, premier ouvrage collectif de l’École française de dermatologie, dirigé par Besnier, Brocq et Jacquet. 1904 : Sabouraud publie ses premiers résultats sur la radiothérapie des teignes à l’hôpital Saint-Louis. 1905 : découverte par Schaudinn et Hoffmann de Treponema pallidum, agent de la syphilis. 10 mai 1906 : August von Wassermann met au point le premier sérodiagnostic de la syphilis en utilisant la méthode de fixation du complément décrite par Jules Bordet. 1910 : Sabouraud publie Les Teignes, ouvrage encyclopédique considéré pendant plusieurs décennies comme le texte de référence sur le sujet.
8 janvier 1919 : reprise de séances de la Société française de dermatologie interrompues depuis le 2 juillet 1914. 1936 : publication du premier volume de la Nouvelle Pratique Dermatologique, ouvrage collectif en huit volumes publiés de 1936 à 1938 dirigé par Darier, Sabouraud, Gougerot. 1938 : découverte de la griséofulvine, premier médicament antimycosique. Années 1950 : premières publications des effets secondaires tardifs de la radiothérapie des teignes, la griséofulvine devient le traitement de référence des teignes du cuir chevelu. 1969 : découverte des imidazolés. 1981 : découverte des allylamines.
3
Introduction
La dermatologie est née à la fin du XVIIIe siècle de manière simultanée dans trois capitales européennes1. Plenck (Vienne) et Willan (Londres), auteurs d’un progrès conceptuel essentiel, contribuèrent de manière décisive, on le verra, à l’établissement du diagnostic en dermatologie. Alibert (Paris) occupe une place particulière dans la mémoire des dermatologues en raison surtout de son enseignement, magnifié par les témoignages de ses élèves et par la représentation qu’en fit René Berthon, monument d’hagiographie à la gloire du maître de SaintLouis2,3. Alibert (fig. 1a) y paraît en majesté, donnant sa leçon en plein air face à l’entrée du pavillon Gabrielle. Point de convergence des regards, il capte l’attention des auditeurs et l’espoir des malheureux qui s’avancent vers lui les mains tendues. Quelques élèves avides de savoir recueillent la parole du maître qui déclame la médecine tandis que des profanes endimanchés assistent à la leçon comme à un spectacle. Un peu en retrait, des religieuses incitent à la mendicité un groupe d’enfants en haillons. Leur cuir chevelu est recouvert d’un casque jaunâtre où les lésions ont l’aspect reconnaissable du favus, forme la plus affichante des teignes. À Saint-Louis, la présence de ces enfants n’est pas inattendue. Depuis le décret du 4 décembre 1801 qui a « spécialisé » cet hôpital, les maladies réputées chroniques de la peau doivent y trouver accueil et si possible soulagement. Les teignes côtoient la gale, les dartres, les ulcères de tout genre et ces écrouelles que la tradition rattache au sacré. Deux caractères généraux de l’histoire de teignes sont ainsi présents dans
l’œuvre de Berthon : le lien avec la dermatologie et l’affichage comme maladies de la misère sociale. À ce propos, Alibert rapportait d’ailleurs la dramatique histoire de ce « malheureux enfant qui passa plusieurs mois à SaintLouis […] ses camarades l’ayant un jour plaisanté au sujet d’une infirmité si dégoûtante, il en conçut une mélancolie profonde. Dès lors il cessa de sentir les joies de l’enfance. Chose surprenante ! Depuis ce moment on le vit manifester un penchant très décidé pour le suicide ; il fit même plusieurs fois des tentatives pour s’étrangler avec son mouchoir. Un jour, par une sorte d’instinct machinal, et dont il est impossible de se rendre compte, il essaya de se percer le cou avec un couteau de table que la religieuse hospitalière lui avait confié pour couper son pain. À cette époque il était à peine âgé de neuf ans. Ce fait est peut-être unique dans les annales de l’art […] celui-ci ne tarda pas à succomber »4.
Quelques années plus tard, en 1850, Bazin, médecin de Saint-Louis, rappelait à quel point les « teigneux, repoussés de la société, ont souvent un caractère difficile, hargneux ; bien souvent, dès l’enfance ils laissent apercevoir de mauvais penchants, idiots ou enclins à la malice5 ». L’histoire de l’usage profane du mot teigne illustre elle aussi la connotation sociale qui a jalonné l’histoire de la maladie. Porrigo, terme utilisé on le verra pour qualifier les teignes, désignait aussi une sorte de mite qui, rongeant les vêtements, occasion-
1- Crissey JT, Parish LC (1981) Dermatology and syphilology in the 19th century. Praeger, New York. Tilles G (1989) La Naissance de la dermatologie. DaCosta, Paris. 2- Poumies de la Siboutie (1910) Souvenirs d’un médecin de Paris. Plon, Paris, p. 103-105. 3- Hardy A (1885) « Documents pour servir à l’histoire de l’hôpital Saint-Louis au commencement de ce siècle. Lettre de M. le professeur Hardy à M. le docteur Ernest Besnier, médecin de l’hôpital Saint-Louis ». Ann Dermatol Syphil 11 : 629-638. Le tableau de Berthon achevé en 1811 est exposé au musée Urbain-Cabrol, à Villefranche-de-Rouergue, lieu de naissance de Jean-Louis Alibert. 4- Alibert JL (1835) Monographie des dermatoses. 2de éd., Baillière, Paris, p. 492-493. 5- Bazin E (1853) Recherches sur la nature et le traitement des teignes. Masson, Paris, p. 8-9.
6
Teignes et teigneux
nait des dégâts irréparables comparables à ceux observés sur le cuir chevelu des malades. Ainsi, dès leurs premières descriptions, les teignes furent dénommées par référence à une apparence négligée et par association d’idées à la misère. De fait, la lecture de quelques dictionnaires usuels confirme ce sens donné dans la langue populaire à la teigne. À la fin du XVIIe siècle, Furetière dans son Dictionnaire universel écrivait que l’on « dit proverbialement qu’une maladie tient comme teigne quand elle est difficile à oster, à détacher du lieu où elle est. Une condamnation infamante tient comme une teigne, on a de la peine à la faire casser […] on dit aussi une perruque, une calotte, un chapeau de teigneux de ces sortes de coëffures quand elles sont vieilles ou malpropres. On dit proverbialement d’un homme qui a de la peine à mettre la main au chapeau pour saluer, que c’est un teigneux. On dit aussi, il n’y avait que trois teigneux et un pelé pour se mocquer d’une assemblée qui n’était pas bien fournie de beau monde ».
En résumé, du Dictionnaire universel de Furetière (1690) au Trésor de la Langue française (2002), le mot « teigne » fut et reste dans le langage quotidien synonyme de saleté, de pauvreté et finalement d’exclusion. Outre ces considérations qui illustrent de manière exemplaire les comportements sociaux dont les malades de la peau peuvent être l’objet6, les teignes sont l’un des chapitres les plus anciens de la dermatologie et, à ce titre, l’un des fils conducteurs les plus solides de l’histoire de cette discipline. On y retrouve les aléas d’une nomenclature confuse, l’apprentissage du regard dans l’établissement du diagnostic en dermatologie, le perfectionnement descriptif mettant à profit un vocabulaire simplifié, l’utilisation des techniques iconographiques comme outils de l’enseignement, les hésitations sur la pertinence de telle ou telle manière de classer les maladies, les enthousiasmes mêlés de réticence sur la valeur à donner aux découvertes en laboratoire, les espoirs, craintes et déceptions suscités par la mise au point de méthodes thérapeutiques nouvelles. Aspect particulier de cette histoire, alors que dans les premières années du XIXe siècle, les teignes étaient considérées par les médecins comme des maladies
qu’il était prudent de ne pas guérir, pour certains même gages d’une bonne santé future, un siècle plus tard, la même maladie, dont la morbidité n’était pas accentuée, devint un problème de santé publique justifiant l’emploi des moyens lourds, coûteux et d’innocuité incertaine. On verra comment cette évolution des idées s’est inscrite dans le contexte plus général de l’hygiénisme, conséquence des découvertes microbiologiques qui incitaient à déclarer la guerre à la contamination. Dans cet ouvrage apparaîtront les hommes qui ont fait l’histoire médicale des teignes : Alibert, premier médecin de l’hôpital Saint-Louis, auteur de quelques belles descriptions qui mit en pratique l’usage des sens pour simplifier le langage descriptif des maladies de la peau, la famille Mahon faite d’étranges personnages à mi-chemin du guérisseur et du médecin qui décrivirent les premiers en France les teignes dites tondantes et contribuèrent à rendre les traitements plus supportables, Schœnlein et Remak, hommes de laboratoire illustrant l’avance prise par la science germanique dans les années 1830, qui révélèrent qu’un champignon microscopique pouvait être responsable d’une maladie de l’homme, Gruby, médecin éduqué à l’hôpital général de Vienne, importateur à Paris de l’esprit médical autrichien, brillant et éphémère chercheur en laboratoire à l’écart de la médecine hospitalière parisienne et pourtant considéré comme le fondateur de la dermato-mycologie, Cazenave, clinicien exclusif de talent, hostile par principe et par nationalisme aux observations microscopiques, Bazin, admirateur des découvertes de Gruby, même de ses erreurs les plus manifestes et initiateur de la médicalisation du traitement des teignes à Saint-Louis, Lailler, créateur d’une école d’un genre nouveau, refuge éducatif et sanitaire pour ces enfants exclus qu’on appelait teigneux. Au sommet du panthéon de ces médecins se tient Sabouraud, regardé comme la statue du commandeur des dermato-mycologistes7. Les maîtres de Sabouraud, acteurs éminents de la clinique médicale – Ernest Besnier à Saint-Louis – et de la recherche en laboratoire à l’aube du XXe siècle – Émile Roux à l’Institut Pasteur – l’amenèrent à mettre en place une discipline neuve, la dermato-mycologie associant la précision du diagnostic clinique à la rigueur de l’expérimentation en laboratoire. À Saint-Louis, il pré-
6- Wallach D (1993) « Le rejet social des maladies de la peau », Nouv Dermatol 12, p. 247-250 7- Effendy I (2008) Raymond Jacques Adrien Sabouraud in : Löser C Plewig G (2008) Pantheon der Dermatologie, Heidelberg, Springer: 913-7
Introduction
cisa la morphologie microscopique et culturale des champignons responsables des teignes. Dans les premières années du XXe siècle, il perfectionna l’emploi des rayons X qui paraissaient apporter la solution thérapeutique tant attendue mais dont il méconnut comme d’autres les méfaits ultérieurs. Entraîné par le pasteurisme, Sabouraud appliqua à d’autres maladies du cuir chevelu – pelade, calvitie – les mêmes méthodes d’investigation. Il en résulta des travaux contrastant avec la qualité de ses observations mycologiques reconnues par l’ensemble de la communauté dermatologique internationale. Sa situation à Saint-Louis détonnait toutefois avec son prestige international. La rigidité des règlements administratifs – qui soulignait la question des modalités de recrutement des médecins des hôpitaux – et des ressentiments personnels l’empêchèrent d’accéder à des fonctions officielles reconnues par l’Assistance publique et contribuèrent à une certaine marginalisation. L’œuvre de Sabouraud s’inscrit dans le mouvement intellectuel généré par les découvertes pasteuriennes et les espoirs qu’elles suscitèrent pour
comprendre et guérir les maladies. Revers de cette espérance, l’idée que des maladies pouvaient être provoquées par des microbes ou par des champignons qualifiés de « parasites » fit considérer ces « infiniments petits » comme autant d’agents de destruction de l’espèce humaine. Sabouraud vécut ainsi que d’autres cette période comme le combat à mener contre la contamination. Les théories de Darwin auxquelles il adhéra trouvèrent ici une illustration inespérée. La lutte qu’il engagea contre les teignes et l’intérêt aigu qu’il manifesta pendant quelques mois à l’égard de la syphilis se situent dans cette perspective d’une hantise permanente de la contamination. Sur un plan plus personnel, on le verra, cette inquiétude le poursuivit dans des considérations moins nobles, raciales et sociales. À l’arrière-plan de cette histoire, se trouve la figure tutélaire de l’hôpital Saint-Louis, célébré comme le berceau de la dermatologie hospitalière et longtemps établissement de référence internationale dans cette discipline. Les premiers médecins de cet hôpital contribuèrent aux prémices de la connaissance des teignes qui furent le fait des cliniciens.
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Le temps des cliniciens
Nommer : les avatars de la nomenclature Comprendre la nomenclature des maladies de la peau et ses avatars fut longtemps un exercice intellectuel que des révisions récentes n’ont pas complètement réussi à simplifier. Alibert (fig. 1b), médecin de Saint-Louis dans les premières décennies du XIXe siècle dont l’œuvre n’est pas toujours un modèle de clarté terminologique, soulignait l’influence du choix des mots sur la connaissance que les médecins peuvent avoir des maladies : « On ne saurait s’imaginer combien les controverses nombreuses sur la valeur et la signification des mots ont été préjudiciables ; combien surtout elles ont entravé la marche progressive de nos connaissances ! Elles ont infecté la pathologie de mille erreurs8. » Les tribulations du mot herpès – qui partage, on le verra, avec les teignes quelques affinités terminologiques – pourraient suffire à illustrer cette complexité qui a fait – et fait encore – dénommer herpès des maladies sans aucun rapport avec la maladie virale désignée aujourd’hui sous ce nom9. L’histoire terminologique des teignes fut elle aussi parsemée d’imbroglios, d’incompréhensions et de traductions aléatoires qui contribuèrent à rendre confuse leur compréhension. On admet généralement que l’histoire des teignes prit naissance lorsque Celse (Ier siècle) décrivit les maladies du cuir chevelu sous le nom générique de porrigos. Porrigo et son synonyme tinea évoluèrent, dans les textes d’Avicenne notamment, vers safatim ou sahafatim avant que les approximations liées aux
traductions fassent évoluer le safatim des Arabes vers la teigne des Français. La teigne de la barbe était nommée ficosis, mentagre, lichen menti avant que Celse emprunte aux auteurs grecs le terme sycosis à cause de la ressemblance de cette maladie avec une figue. Celse en distinguait une autre variété dénommée kérion qui a conservé cette appellation (kérion de Celse). Selon Nicaise, traducteur de La Grande Chirurgie de Chauliac, le mot teigne apparut pour la première fois en français sous la plume d’Étienne d’Antioche. Chauliac ajoutait que le mot teigne lui fut ainsi donné « parce qu’elle tient fermement la teste […] la teigne est rongne de la teste, avec escailles et croustes et quelques humidité et arrachement de poil et couleur cendreuse, odeur puant et aspect horrible10». Au XVIIIe siècle, Boissier de Sauvages, médecin de Montpellier, soulignait lui aussi l’importance de la précision dans la nomenclature des maladies : « Un seul nom suffit pour exprimer une idée, par conséquent il est inutile de donner plusieurs noms à la même chose et encore faut-il qu’il soit le plus simple qu’il est possible11 ». Faisant l’inventaire des mots utilisés pour désigner les teignes – sahafati siccum et humidum, psydracia, lichen, elydria, achor, crusta lactea, ignis volaticus, favi, tinea, porrigo, teigne, feu volage, rasque, rache, débord – Boissier de Sauvages montrait à quel point la multiplication des termes empêchait toute définition claire de la maladie12. Le porrigo de Celse, la tinea, le safatim des médecins arabes et la teigne des Français se trouvèrent ainsi réunis dans une signification commune utilisée
8- Alibert JL (1822) Précis théorique et pratique des maladies de la peau. 2de éd., t. II, Caille et Ravier, Paris, p. 2. 9- Tilles G, Wallach D (2000) L’Herpès et la peau. Glaxo Wellcome, Paris. 10- Chauliac G de (1641) La Grande Chirurgie. Trad. L. Joubert, Lyon, p. 398. 11- Boissier de Sauvages F (1776) Nosologie méthodique ou distribution des maladies en classes, genres et espèces. Tome premier, JM Bruyset, Lyon, p. 146-148. 12- Boissier de Sauvages F (1763) Nosologia Methodica. de Tournes, Amstelodami.
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indifféremment pour désigner toutes les maladies du cuir chevelu quand bien même elles n’avaient entre elles que peu de parenté morphologique. C’est à la fin du XVIIIe siècle que furent effectuées les premières tentatives pour individualiser une « vraie teigne » parmi les maladies du cuir chevelu. En 1777, Lorry dans son Tractatus de morbis cutaneis13 insistait pour qu’une seule maladie soit désignée sous le nom de teigne, la vera tinea, favus moderne. Le début du XIXe fut à Paris une période d’intenses transformations dans l’enseignement de la médecine, le fonctionnement des hôpitaux et les concepts médicaux. La mise en place d’un langage rénové fit partie de ces évolutions (voir plus loin). Les termes génériques (porrigos ou porrigine, version française) furent complétés par des qualificatifs sur le mode de la nomenclature binaire, issue de la classification botanique de Linné. À Londres, Robert Willan, dermatologue dont on reparlera, ne parlait plus de porrigos en général mais de Porrigo favosa ou de Porrigo scutulata par exemple14. À Paris, Alibert complétait la terminologie des teignes par des adjectifs qui en précisaient l’apparence : granulée, muqueuse, faveuse, amiantacée, furfuracée. En dépit de ces quelques efforts de précision – en fait assez modestes – les teignes ou plutôt « la » teigne était toujours définie de manière générique comme un « exanthème chronique du cuir chevelu ne se manifestant ordinairement que depuis la naissance jusqu’à la puberté et répandant une humeur qui par son exsication [sic] forme des croûtes ou des écailles15 ». De fait, le groupe des Porrigos de WillanBateman regroupait des entités diverses : vraie teigne (Porrigo scutulata) (fig. 2) à côté d’une dermatite atopique probable (Porrigo larvalis) (fig. 3), d’une dermite séborrhéique (Porrigo furfurans) (fig. 4) ou d’une pelade (Porrigo decalvans) (fig. 5)16. À cette situation s’ajoutait la confusion liée au fait qu’une même maladie était désignée par des termes différents selon la nationalité des auteurs. Le Porrigo scutulata des auteurs anglais correspondait à la maladie décrite à Paris sous le nom de teigne tondante ou porrigine tonsurante ou encore à l’herpès tonsurans, tous termes désignant la maladie encore nommée Herpes circinatus ou circinnatus, Porrigo tonsoria,
dartre furfuracée arrondie, Tinea tondens ou Squarus tondens, teigne annulaire, lichen herpétiforme, Lichen circumscriptus, gyratus, herpetiformis, Impetigo figurata, rhizophytoalopecia, Dermatomycosis tonsurans… entre autres ! Le Porrigo larvalis des Anglais était la teigne muqueuse d’Alibert (fig. 6), le Porrigo furfurans était à Paris la teigne amiantacée (fig. 7), le Porrigo scutulata n’existait pas chez Alibert, le Porrigo decalvans devenait à Paris une simple alopécie non intégrée au groupe des teignes et la teigne granulée d’Alibert (fig. 8) n’existait pas chez Bateman. La situation terminologique du favus n’était pas meilleure. Willan et Bateman, dermatologues anglais, le désignaient sous le nom de Porrigo lupinosa du fait de la ressemblance des lésions avec la graine du lupin. Le Porrigo favosa de Willan (figs. 9 et 10) – était un faux ami qui contrairement à ce que son nom pouvait faire croire, n’était pas le favus mais un impétigo ! À la même époque, à Paris, Alibert utilisait l’adjectif faveux ou faveuse, traduction française de favosa, pour désigner cette fois le favus (fig. 11). Quant au sycosis, désigné depuis Celse sous ce nom, il devenait sous la plume d’Alibert, le Varus mentagre (fig. 12). Ce labyrinthe terminologique fut partiellement simplifié par les premiers travaux microscopiques réalisés en Allemagne par Schœnlein et Remak à la fin des années 1830 et en France par Gruby au début des années 1840. Le nom favus, première maladie de la peau dont la cause fut rattachée à un micro-organisme, ne fut alors donné qu’en présence du champignon responsable, dénommé Achorion schœnleinii en hommage à son découvreur (voir plus loin). Dans les années 1850 apparurent d’autres précisions terminologiques. En 1856, Rudolph Virchow proposait d’employer le mot mycosis et ses dérivés dermatomycosis, onychomycosis, termes encore utilisés avec pertinence aujourd’hui. À la même époque, Bazin, médecin de l’hôpital Saint-Louis, donnait la première définition moderne des teignes insistant sur la spécificité de la présence du champignon microscopique et sur la nécessité de ne plus parler « des » teignes mais de « la » teigne : « Je définirai la teigne : une affection des poils produite ou entretenue par la présence d’un végétal parasite
13- Lorry AC (1777) Tractatus de morbis cutaneis. ap G. Cavelier, Parisii. 14- Willan R (1808) On cutaneous diseases. J.Johnson, London. L’ouvrage de Willan parut d’abord en fascicules, le premier en 1798. 15- Dallot LDS (1802) Dissertation sur la teigne, présenté et soutenu à l’école de médecine de Paris le 8 brumaire an XI, Paris. 16- Todd Thompson A (1829) Atlas of Delineations of cutaneous eruptions illustrative of the descriptions in the practical synopsis of cutaneous diseases by Thomas Bateman. Longman, Rees, Orme, Brown and Green, London.
Le temps des cliniciens
[…] nous faisons du champignon un caractère essentiel de la teigne et si l’on peut ainsi dire tout à fait pathognomonique […] sans lui il n’y a pas de teigne de même qu’il n’y a pas de gale sans acarus »17.
Le groupe des teignes restait toutefois un sujet de discussions terminologiques. Ainsi Bazin décrivait à côté des formes faveuse, tonsurante et de la mentagre admises par tous, une teigne achromateuse (identique au Porrigo decalvans de Bateman) que Cazenave nommait « vitiligo du cuir chevelu ». La question du Porrigo decalvans illustre le lien entre la nomenclature et la cause supposée d’une maladie. Pour résumer ici cette question qui sera revue plus loin, indiquons que le nom Porrigo decalvans donné depuis le début du XIXe siècle à la maladie désignée aujourd’hui sous le nom de pelade fut attribué à tort par Gruby à une teigne mycosique authentique. Cette erreur fit croire à la plupart des médecins jusqu’à la fin du XIXe siècle que la pelade était une forme de teigne et justifiait les mêmes mesures de traitement et d’isolement des malades. Bazin, ardent défenseur des découvertes et des erreurs de Gruby, ne faisait « qu’une seule espèce des teignes achromateuse et décalvante et (donnait) à cette espèce le nom de teigne pelade, vieux mot employé par les auteurs du XVIe et XVIIe siècle qui considéraient cette affection comme une alopécie syphilitique18. » Quant à Cazenave, s’il rejetait l’origine mycosique de la pelade, il n’améliorait pas pour autant la nomenclature considérant que le « porrigo decalvans […] n’est autre chose qu’une certaine forme de vitiligo c’est-à-dire une décoloration essentielle de la peau19 » ! En 1860, Hardy proposait d’abandonner le mot herpès (utilisé pour herpès circiné et herpès tonsurant) et de le remplacer par trichophytie, terme créé à partir de trichophyton (Θριξ, cheveu et ϕυτου plante) mot forgé par Malmsten en 184820. « Trichophytie » – au singulier – proposé dans un sens générique par Hardy ne résista pas aux travaux de Sabouraud qui sut montrer la pluralité des trichophytons en cause dans les teignes. Il fallut donc écrire trichophyties au pluriel.
À la fin du XXe siècle, la question de la terminologie n’étant pas encore réglée, la Société française de dermatologie proposa un toilettage de la nomenclature des maladies de la peau. Dermatophytose était préférée à dermatophytie et à tinea. Les mots herpès et eczémas utilisés pour désigner des mycoses de la peau glabre (herpès circiné) et des plis (eczéma marginé de Hebra) devaient être supprimés21. Aujourd’hui les teignes sont définies comme une « infection pilaire du cuir chevelu et de la barbe due à des dermatophytes induisant une alopécie plus ou moins localisée22. » Les mots les plus anciens ont disparu : on ne parle plus de porrigo ou de porrigine et les médecins désignent les teignes par des caractéristiques à la fois cliniques et microscopiques : teignes microsporiques, trichophytiques par exemple. Le terme dermatophytose est parfois préféré à herpès circiné ou eczéma marginé. Quelques entités définies il y a près de deux mille ans ont conservé leurs noms d’origine : favus, sycosis, kérion.
Classer : la clé du savoir En dépit des tentatives de classification de Chauliac qui séparait les tinea favosa, ficosa et lupinosa et de celle d’Ambroise Paré qui énumérait des tinea squamosa, ficosa et corrosiva, c’est le XVIIIe siècle qui fut pour les sciences celui de l’ordonnancement des savoirs. Foucault qui a porté un regard philosophique décisif sur cette évolution des idées qui fit d’abord classer les maladies avant de savoir les reconnaître en a bien résumé les étapes : « […] de la Nosologie de Sauvages (1761) à la Nosographie de Pinel (1798), la règle classificatrice domine la pensée médicale23 ». Toutefois, au XVIIe siècle, Thomas Sydenham (1624-1689), soucieux de ne pas laisser les spéculations stériles envahir le raisonnement médical, avait souligné l’intérêt de classer les maladies à la manière de ceux qui étaient le plus avancé en cette matière, les botanistes : « […] en premier lieu, il faut réduire les maladies à des espèces déterminées et certaines,
17- Bazin E (1853) Recherches sur la nature et le traitement des teignes, op.cit., p. 11. 18- Bazin E (1858) Leçons théoriques et cliniques sur les affections cutanées parasitaires. Delahaye, Paris, p. 197. 19- Cazenave A, Schédel HE (1847) Abrégé pratique des maladies de la peau. Labbé, 4e ed., Paris, p. 459-460. 20- Hardy A (1860) Leçons sur les maladies de la peau. Delahaye, Paris. 21- « Pour une évolution de la terminologie dermatologique en langue française » (1994), Ann Dermatol Vénéréol 12 : 207-225. 22- Civatte J (2000) « Dictionnaire de dermatologie » in Dictionnaire de l’Académie de Médecine, Paris. 23- Foucault M (1988) Naissance de la clinique. PUF, coll. « Quadrige », Paris, p. 2.
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avec le même soin et la même exactitude que les botanistes ont fait dans leurs traités sur les plantes24 ». Mais ce fut Boissier de Sauvages (1706-1767), médecin à Montpellier, sans doute inspiré par l’approche nosologique de Sydenham, qui proposa pour la première fois aux médecins une classification des maladies (Nosologia Methodica) utilisable avec une relative facilité. Parmi les différentes manières de classer les maladies, Sauvages donnait la préférence à la méthode dite « systématique qui joint ensemble les maladies qui se ressemblent et les séparent de celles qui ne leur ressemblent point25 ». La question des critères de ressemblance ou de dissemblance n’était toutefois pas clairement explicitée. À une époque où les teignes étaient couramment synonymes de misère, il n’est pas surprenant que Sauvages les ait classées parmi les « cachexies » (classe X, ordre V). Elles côtoient la gale, la vérole, la lèpre dans une communauté de contagiosité, d’évolution péjorative et de rejet social qui en fait n’apportent que peu d’aide au diagnostic. Sauvages distingue la tinea lacta (croûte de lait, tigne, lactumina, achores) qui « n’attaque que les enfants d’un an qui tètent encore », la tinea volatica qui « atteint les enfants de six mois dont les dents sont prêtent [sic] à pousser », la tinea favosa d’Astruc (encore nommée teigne humide à rayon de miel, favi, keria, kérion, rache humide, débord), des variétés sicosa, humida, porriginosa, crustacea, la tinea lupina « teigne sèche dont les ulcères sont couverts d’écailles et de cals épais, faits à peu près comme ceux des lupins ou des pois chiches » et une variété rattachée à la syphilis comme en fait de nombreuses maladies à l’époque. Les descriptions, en français, sont sommaires, assez semblables les unes aux autres et ne permettent pas d’identifier aisément les différentes formes de teignes ni pour un lecteur du XXIe siècle ni sans doute pour les contemporains de Sauvages. Malgré les tentatives de Sauvages, en matière de classification, la dermatologie est d’abord héritière de Carl von Linné, médecin et botaniste suédois, figure majeure de l’ordonnancement des savoirs. Pinel, médecin de la Salpêtrière, faisant un rapide
inventaire des avancées dont profitèrent médecins et malades, plaçait à côté de l’inoculation (vaccination), « la révolution produite par Linné en histoire naturelle et l’introduction d’une méthode descriptive exacte et laconique26 ». Les botanistes, inspirateurs des classifications des maladies de la peau L’ambition de Linné était de créer un système universel permettant de classer végétaux, minéraux et animaux. La base de ce classement, essentiellement arbitraire, consistait selon son promoteur à mettre en évidence un caractère commun d’observation simple pour décider que tels et tels végétaux appartenaient à la même classe. L’acte premier de la démarche diagnostique en dermatologie – la recherche de la lésion initiale d’une éruption cutanée – traduit ce que les dermatologues du XXIe siècle doivent aux botanistes du XVIIIe siècle. Parmi les médecins héritiers de la pensée linnéenne, l’un intéresse plus particulièrement les dermatologues : Josef Plenck (1735-1807), chirurgien accoucheur autrichien dont l’œuvre dermatologique, modeste par le volume, eut cependant une influence déterminante sur la pensée dermatologique27. Plenck n’indique pas dans quelles circonstances il eut l’idée d’appliquer la méthode de Linné aux maladies de la peau. Peut-être le qualificatif « efflorescences » parfois donné à cette époque aux dermatoses l’incita-t-il à rapprocher la dermatologie de la botanique. À défaut d’expliquer la genèse de son idée, il indique à ses lecteurs son programme qui fait explicitement référence aux botanistes : « Assurément, je voue une immense reconnaissance aux hommes très illustres qui ont naguère fondé le système générique des maladies, à Sauvages, Linné, Vogel, Mac-Bride, Cullen, Sagar, à qui je dois tant, eux dont j’ai utilisé souvent les systèmes avec un immense profit28 .» À la manière d’un botaniste cherchant à classer les végétaux, Plenck recherche sur la peau malade un caractère d’observation facilement repérable pour un médecin un peu entraîné et permettant, selon le
24- Sydenham Th (1676) « Observationes » in Grmek M, « Le concept de maladie » in Histoire de la pensée médicale en Occident (1996), vol. 2, De la Renaissance aux Lumières, Seuil, Paris, p. 157-176. 25- Boissier de Sauvages F (1776) Nosologie méthodique ou distribution des maladies en classes, genres et espèces, op.cit. 26- Pinel Ph (1818) Nosographie philosophique ou la méthode de l’analyse appliquée à la médecine. J.A. Brosson, 6e éd., Paris, p. lxxvlxxxiij. 27- Holubar K, Frankl J (1984) « Joseph Plenck a forerunner of modern european dermatology », J Amer Acad Dermatol 10 : 326-333. 28- Plenck JJ (1776) Doctrina de morbis cutaneis. R. Graeffer, Vienna. Une traduction en français a été effectuée par P. Goubert en 2005, accessible en ligne www.bium.univ-paris5.fr/sfhd
Le temps des cliniciens
principe de Linné, de réunir plusieurs maladies possédant ce même caractère quand bien même les autres seraient très différents. Ces caractères qui constituent une sorte de signature morphologique de la maladie furent dénommés en France « lésions élémentaires », par Biett – l’un des premiers dermatologues de l’hôpital Saint-Louis – dans les premières années du XIXe siècle. Plenck désigne ces lésions par des qualificatifs encore utilisés de nos jours : macule, pustule, vésicule, bulle, papule, croûte, squame, callosité, excroissance cutanée, ulcération, blessure auxquelles il ajoute les maladies causées par des insectes, les maladies des ongles et les maladies des cheveux, ne parvenant pas à rattacher ces trois derniers groupes à une lésion élémentaire (fig. 13). Dans l’ouvrage de Plenck, les teignes sont classées dans le même groupe (classe VI, les croûtes) que les croûtes de lait des nouveau-nés, la gale et la lèpre, l’ensemble formant ici aussi un ensemble disparate de maladies. On trouve : « 1. La vraie teigne ou teigne croûteuse voit la formation de croûtes soit verdâtres, soit semblables à de la cendre, soit noirâtres. La cause caractéristique de cette maladie est essentiellement la présence de miasmes. 2. La teigne vénérienne. Les signes de la maladie vénérienne sont des croûtes blanches qui se répandent autour des tempes et du front et, par un mal inexorable, se transforment en macules et en pustules vénériennes, ainsi qu’en herpès farineux aux oreilles. »
À côté de ces deux teignes, on trouve des « gales de tête faviques », des « gales de tête sycosiques : si ces ulcères du cuir chevelu présentent des alvéoles purulentes contenant des grains jaunes semblables aux semences de figuier, cette gale est dite sycosique », une « mentagre », maladie du menton dont l’une est proche d’un sycosis : « La mentagre […] est une gale particulière située autour du menton et qui dégénère en croûtes. Il y en a différentes espèces : 1. La mentagre vénérienne. J’ai remarqué une grande quantité de croûtes, accompagnées d’un suintement visqueux ; ceux qui sont atteints de cette mentagre vénérienne suintent deux
fois par jour. 2. La mentagre lépreuse dite de Pline est une lèpre tuberculeuse affectant le menton et le visage. 3. La mentagre infantile29 ».
Ce système à la fois classificateur et diagnostique inspira un grand nombre de dermatologues. À Londres, Robert Willan (1757-1812) et son élève Thomas Bateman (1778-1821) furent parmi les premiers disciples de Plenck dont ils simplifièrent le travail nosologique en affinant les descriptions. Comme Boissier de Sauvages l’avait souligné quelques années plus tôt, Willan indique que le perfectionnement classificateur ne peut se faire sans perfectionnement de la nomenclature : « En ce qui concerne les maladies de la peau, il convient de fixer le sens des mots par des dénominations appropriées, de constituer des divisions générales ou ordre de maladies en décrivant leurs aspects principaux et particuliers ainsi que les formes spécifiques, de classer et dénommer ce qui ne l’a pas été jusqu’ici30. »
Willan simplifie la classification de Plenck et ne retient que huit ordres de lésions élémentaires des maladies de la peau (fig. 14). Dans la classification de Willan-Bateman les teignes dénommées porrigos sont classées dans l’ordre des pustules où elles côtoient l’impétigo, l’echtyma, la variole et la gale. Bateman proposait même une classification « hypermorphologique » qui divisait la pustule, lésion élémentaire, en quatre sous-lésions élémentaires dont les différences ne semblent reposer que sur des « nuances d’objectivité » (Darier) : « Le phlyzacium, pustule de grande taille, reposant sur une base rouge vif et à laquelle succède une croûte dure, épaisse et sombre ; le psydracium, pustule de plus petite taille, de forme irrégulière, à peine surélevée ; l’achor et le favus, ces deux dernières formes ne différant en fait que par leur taille : l’achor est une petite pustule acuminée contenant une matière qui a la consistance du miel et est remplacée par une fine croûte jaune ou brune ; le favus est plus large, plus plat, sa base est légèrement enflammée ; la croûte qui lui succède est semi transparente et fait penser à un rayon de miel31. »
29- Plenck JJ (1776) Doctrina de morbis cutaneis, op. cit. 30- Willan R (1808) On cutaneous diseases, op. cit. 31- Bateman Th (1819) A practical synopsis of cutaneous diseases according to the arrangement of Dr Willan. Longman, Hurst, Rees, Orme and Brown, 5th ed, London, p. XXI-XXII.
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Les porrigos sont divisés en six classes disparates : Porrigo larvalis, furfurans, lupinosa, scutulata, decalvans, favosa dont on a vu plus haut les correspondances terminologiques françaises. Seuls Porrigo scutulata et Porrigo lupinosa sont en fait des teignes au sens mycosique du terme. Considéré dans le monde entier comme « la pierre angulaire de la dermatologie moderne », le willanisme – dénommé par référence aux travaux de Willan – fut introduit en France en 1816 par Biett, médecin de l’hôpital Saint-Louis32. Comme leur inspirateur britannique, Biett et ses élèves (Cazenave, Gibert) classent les porrigos (teignes) dans le groupe des pustules33. Rayer, médecin de l’hôpital de la Charité à Paris, adopta, avec quelques enrichissements, l’approche par lésion élémentaire et rangea le favus dans le groupe de maladies pustuleuses où se trouvaient l’impétigo, la variole et la varicelle. Le ringworm des Anglais est individualisé sous le nom d’herpes circinatus et classé parmi les maladies vésiculeuses. Malgré la relative facilité d’usage du willanisme qui permettait de faire le diagnostic de quelques maladies par le seul usage du regard, un autre courant de pensée s’installa à la même époque. Le caractère artificiel des classifications linéennes, qui contraignait à rapprocher dans un même cadre nosologique des maladies très différentes, ne pouvait que contrarier les médecins soucieux d’établir une continuité entre les maladies. Ces oppositions furent l’objet de multiples discussions et contestations tout au long du XIXe siècle initiées par Alibert, premier dermatologue de l’hôpital Saint-Louis.
Le rêve d’une classification « naturelle » Alibert est la figure tutélaire de la dermatologie en France. Il fut le fondateur de la dermatologie hospitalière et installa les liens durables de la dermatologie et de l’hôpital Saint-Louis34. Cette position privilégiée incita à de multiples commentaires hagiographiques qui sans doute mériteraient d’être réévalués. Lui-même contribua d’ailleurs par sa personnalité à construire de son vivant l’image que beaucoup de dermatologues conservèrent longtemps de lui. Concernant l’histoire des teignes, son apport ne fut pas déterminant. On a vu qu’il réunit sous l’appellation « teignes » un groupe de maladies en fait assez disparates alors que, quelques années avant lui, Lorry avait proposé de donner au seul favus le nom de teigne. Le rôle d’Alibert en cette matière ne peut toutefois pas être entièrement écarté ; il examina sans doute tout au long de sa carrière à Saint-Louis un très grand nombre d’enfants teigneux qu’il s’efforça de traiter avec humanité, refusant, on le verra, les méthodes les plus douloureuses. L’approche nosologique des maladies de la peau proposée par Alibert s’établit – comme le willanisme – sur des fondements botaniques, inspirés ici par les travaux de la famille Jussieu. Alors que Linné s’attachait à regrouper les plantes ayant en commun un seul caractère, les botanistes du Jardin du Roi, Bernard de Jussieu et son neveu Antoine de Jussieu développaient une classification fondée sur le regroupement des plantes possédant en commun le plus grand nombre de caractères, méthode dite naturelle car plus proche, selon eux, de la nature.
32- Tilles G, Wallach D (1999) « Robert Willan and the French Willanists », Br J Dermatol, 140(6): 1122-6. 33- Cazenave A, Schédel HE (1828) Abrégé pratique des maladies de la peau. Béchet, Paris, p. 236-242. 34- Jean-Louis Alibert est né le 12 mai 1768 à Villefranche-de-Rouergue. Après des études classiques chez les frères de la Doctrine chrétienne, Alibert, se destinant à l’enseignement, se consacra à l’étude des lettres anciennes. À la fermeture des Congrégations en 1792, Alibert, vivant à Bordeaux, fut choisi au titre du département de la Gironde pour faire partie de la première promotion de la nouvelle École Normale qui ouvrit le 20 janvier 1795 (1er pluviôse an III). À la suite de la fermeture de cette école, Alibert se présenta au concours d’entrée de la nouvelle École de Santé de Paris le 20 février 1796. Docteur en médecine en 1799, professeur adjoint à l’école de santé de Paris, Alibert fut nommé médecin en second de l’hôpital Saint-Louis en 1801 première marche d’une carrière riche et brillante. Médecin titulaire de cet hôpital en 1802, médecin ordinaire de Louis XVIII en 1814, professeur de botanique à la faculté de médecine de Paris en 1821, Alibert fut nommé titulaire de la première chaire de thérapeutique et matière médicale à la faculté de médecine de Paris en 1823, après la purge qui affecta la faculté au retour des Bourbons. Médecin ordinaire de Charles X en 1824, Alibert fut élu membre de l’Académie royale de Médecine le 27 décembre 1820. Officier de la Légion d’honneur le 25 avril 1823, il fut fait baron par Charles X le 6 novembre 1827. Bien que les textes d’Alibert ne donnent pas d’indication quant à un engagement politique, son parcours professionnel montre une certaine habileté à survivre aux différents régimes politiques dans ces périodes troublées. Sur le plan scientifique on retiendra – outre la description de quelques maladies de la peau : teigne amiantacée, chéloïde, mycosis fongoïde – que c’est dans le service d’Alibert que le 13 août 1834, Simon François Renucci, étudiant d’origine corse, montrait publiquement la manière d’extraire le sarcopte de la gale, mettant fin à une longue controverse sur la cause de la gale et montrant la première cause visible – à l’œil nu ou à la loupe - d’une maladie de la peau. Alibert mourut le 4 novembre 1837 à Paris. D’abord inhumé au cimetière du Père-Lachaise, le corps d’Alibert fut ensuite transporté à Villefranche-de-Rouergue et en 1838 dans la propriété familiale de Marin.
Le temps des cliniciens
Élève de Pinel, Alibert reprend à son compte le principe d’une classification des maladies de la peau qui évite les « rapprochements arbitraires » et propose une nosologie selon lui plus adaptée à la médecine que les classifications héritées de Linné qui, écrit-il, procèdent d’une observation trop rapide des maladies. « Dans ces derniers temps on a beaucoup parlé des phénomènes physiques élémentaires d’après la méthode de Plenck reproduite par Willan ; mais cette méthode a un inconvénient manifeste qui est souvent de séparer ce qui doit être réuni et de réunir ce qui doit être séparé. C’est plutôt quand la dermatose est développée c’est quand elle a acquis son plein et entier accroissement qu’il est important de lui assigner un rang dans les divers cadres nosographiques35. »
Alors que les willanistes créaient des cadres nosologiques discontinus, Alibert défend une classification « naturelle » qui selon lui prend en compte les différents aspects des maladies : apparence, causes et mécanismes pathogéniques supposés, c’est-à-dire selon lui capable de mieux comprendre « l’inconcevable variété dans les dégradations de tout genre dont nos téguments sont susceptibles ! » En réalité, Alibert ne voyait entre lui et Willan que des différences liées à des prises en charge différentes des maladies. L’une hospitalière, celle d’Alibert, permettait d’examiner quotidiennement les malades et d’observer l’évolution des maladies jusqu’à leurs termes : « C’est dans les hôpitaux que leurs traits caractéristiques se prononcent avec plus d’évidence et plus d’énergie parce qu’on les contemple dans toutes les époques de leur existence » – l’autre plus itérative, celle de Willan qui, exerçant dans un dispensaire londonien, ne pouvait faire que des observations irrégulières : « On s’aperçoit aisément que les maladies chroniques du derme ont passé trop vite devant lui », commentait Alibert. Après avoir publié un ouvrage dans lequel les groupes de maladies sont présentés les uns après les autres sans ordre apparent (les teignes sont le premier de ces groupes), Alibert, s’inspirant du modèle de Torti, créateur d’un arbre des fièvres, finalise sa réflexion en présentant en 1829 une classification plus aboutie des maladies de la peau sous la forme d’un Arbre des Dermatoses (fig. 15) resté célèbre comme la représentation la plus médiatique de l’histoire de la dermatologie.
Les maladies de la peau sont divisées en douze familles représentées par douze branches : dermatoses eczémateuses, exanthémateuses, teigneuses, dartreuses, cancéreuses, lépreuses, véroleuses, strumeuses, scabieuses, hémateuses, dyschromateuses, hétéromorphes. Les teignes constituent le troisième groupe (fig. 16). Il comprend l’achore (achore muqueux et lactumineux), les porrigines (furfuracée, amiantacée, granulée, tonsurante), le favus (vulgaire et scutiforme), les trichoma (plique polonaise). Ainsi le favus, isolé soixante ans plus tôt par Lorry comme la seule vraie teigne, réintègre ici le groupe confus des maladies du cuir chevelu. On trouve dans le genre herpès (groupe des dermatoses dartreuses) une variété furfureuse circinée (Herpes furfuraceus volatilicus) identique selon Alibert au ringworm des Anglo-Saxons, c’est-à-dire à l’herpès circiné mycosique. Le varus mentagre ou mentagre se trouve dans le genre varus, qui regroupe des maladies diverses, acné et rosacée notamment, qui n’ont en commun que de siéger sur le visage. Paradigme de la nosologie botanique, l’Arbre des Dermatoses souligne l’intention d’Alibert de montrer qu’à l’image des branches et des rameaux liés entre eux au tronc d’un arbre, les maladies sont liées entre elles et non pas discontinues comme dans la doctrine imaginée par Plenck et Willan. Toutefois, lorsque Alibert fait connaître son Arbre des Dermatoses, la médecine anatomoclinique est déjà bien ancrée dans les esprits et le travail d’Alibert qui tentait des rapprochements hasardeux ne pouvait que susciter des commentaires amusés. Le willanisme par sa simplicité d’usage avait séduit aisément la presque totalité des dermatologues qui avaient renoncé aux spéculations physiologiques et à la recherche des causes qu’aucun moyen ne leur permettait alors de connaître. Ce n’est qu’à partir des années 1840 que les esprits évoluèrent pour se libérer de la rigidité dictée par une approche trop exclusivement morphologique, notamment grâce aux découvertes des microscopistes qui donnèrent aux teignes une certaine autonomie nosologique. L’histoire de la dermatologie est héritière des mouvements de pensée – willanisme et nosologie naturelle – nés dans la communauté scientifique au milieu du XVIIIe siècle. Tout au long du XIXe et du XXe siècle, l’évolution de la nosologie des maladies de la peau se traduisit par de nombreuses classifications, de complexité variable, au point que, pour les classificateurs les plus déterminés, le problème sem-
35- Alibert JL (1835) Monographie des dermatoses ou précis théorique et pratique des maladies de la peau. op. cit.
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blait se poser non pas tant en termes d’enrichissement des connaissances que de classification satisfaisante du savoir acquis. De fait, la lecture des traités de dermatologie publiés en France – comme hors de France – jusque dans la première moitié du XXe siècle montre les efforts déployés par les dermatologues soucieux de proposer la classification la plus apte à contenir l’ensemble du savoir36. Vers l’abandon des systèmes de classification La découverte des causes des maladies rendit caduques au moins en partie les préoccupations purement nosologiques. Pour ce qui concerne les teignes, ce fut la découverte des champignons microscopiques en cause à partir des années 1840 (voir plus loin) qui simplifia la question de la place nosologique des teignes. La découverte des champignons ne suffit cependant pas à régler la question de la place des teignes au sein de la nosologie en dermatologie. Il fallait encore que le rôle des champignons fût accepté par tous et que la nomenclature fût précisée. On reverra combien ces questions influencèrent les débats entre médecins de Saint-Louis dans les années 1850-1860. Dès lors que ces débats s’apaisèrent, dans les années 1870, les teignes ne regroupèrent plus que le favus et les teignes dites tondantes. Les teignes de la barbe – kérion et sycosis – furent intégrées plus progressivement, notamment grâce aux travaux de Sabouraud dans les années 1890. Toutefois, les classifications ne suffirent pas à perfectionner le diagnostic clinique des maladies. Ce fut le mérite des cliniciens du XIXe siècle d’améliorer les descriptions et la reconnaissance des teignes.
Décrire : le premier langage des dermatologues Bien qu’au XVIIe siècle quelques praticiens de renom – Baglivi à Rome, Boerhaave à Leyden, Sydenham à Londres – se soient efforcés de donner une place pré-
pondérante à l’examen au lit du malade – la clinique au sens étymologique du terme –, Grmek date de 1761 ce nouveau mode de pensée qui donna à l’organe malade, et non plus seulement aux symptômes énoncés par le patient, la place essentielle. C’est en effet cette année-là qu’Auenbrugger publiait à Vienne un ouvrage dans lequel il montrait que la percussion du thorax pouvait suffire à affirmer l’existence de lésions à l’intérieur de la poitrine. Cette « autopsie indirecte » sur le vivant ne dispensait pas de la véritable autopsie, mais permettait de lier le symptôme observé sur le vivant au signe vérifié sur le cadavre, l’ensemble définissant la méthode anatomoclinique mise en œuvre notamment à Paris par Bichat et Laennec. M. Foucault a posé un regard brillant sur cette évolution qui selon lui a constitué une rupture avec les comportements intellectuels médicaux de l’Ancien Régime. Il y voit une relation nouvelle entre le visible (clinique) et l’invisible (vérification autopsique)37. D’autres travaux ont atténué cette idée de rupture en soulignant le rôle des chirurgiens plus entraînés à voir l’organe malade et à en reconnaître les altérations, dans la « gestation de la clinique38 ». La méthode anatomoclinique tenait les maladies de la peau à l’écart de cette évolution conceptuelle. En raison de la position de l’organe-peau à l’extérieur du corps, ses lésions sont immédiatement observables. L’observation des lésions cutanées est exclusivement de l’ordre de l’anatomie pathologique. Il ne peut donc pas être question de méthode anatomoclinique au sens de la recherche d’une corrélation entre l’observation sur le vivant et la vérification sur le cadavre39. La mise en pratique de cette approche nouvelle de la maladie s’accompagna de l’application à la médecine d’une doctrine philosophique nouvelle, le sensualisme issu de la pensée des idéologues40. « L’aveugle-né » de Locke ou la « statue » de Condillac servaient d’allégories à une réflexion sur le mode d’acquisition des idées qui selon les idéologues proviennent des sensations enrichies de la réflexion.
36- Tilles G, Wallach D (1989) « Histoire de la nosologie en dermatologie », Ann Dermatol Vénéréol : 1-11. 37- Foucault M (1988) Naissance de la clinique, op. cit. 38- Gelfand T (1981) « Gestation of the clinic. », Med Hist, 25(2) : 169-180. 39- À Saint-Louis dans les années 1850-1860, Ernest Bazin s’efforça d’extraire la dermatologie de la présence exclusive de l’anatomie pathologique en proposant une doctrine, parfois confuse, visant à intégrer la dermatologie dans le champ de la médecine interne et en décrivant des symptômes cutanés différents des lésions. 40- L’idéologie, mot forgé par Destutt de Tracy, désignait une recherche philosophique sur l’origine des idées. Elle s’inspirait des doctrines de Locke en Angleterre et de Condillac en France.
Le temps des cliniciens
Le sensualisme, support de rénovation du langage médical Cabanis (1757-1808), professeur d’hygiène et professeur d’histoire de la médecine à l’école de santé de Paris, membre du groupe des idéologues, appliqua à la médecine le raisonnement de Condillac : « C’est par les sens qu’il a reçus de la Nature ou plutôt par la sensibilité qui fait concourir tous ses organes à l’action de son cerveau que l’homme apprend à connaître les objets. » Dans ce courant de pensée, l’observation prime sur les théories spéculatives. Les systèmes préconçus qui tentent de fournir une interprétation globale de la maladie sont vains. Seuls comptent l’observation et le raisonnement à la portée de tous : « Pour étudier l’état sain et l’état malade, pour suivre la marche et le développement de telle ou telle maladie en particulier, nous n’avons pas besoin de connaître l’essence de la vie, ni celle de la cause morbifique, l’observation et le raisonnement nous suffisent. Il ne faut rien de plus41. » Cabanis accorde la primauté à l’usage des sens qu’il convient d’affiner, aux observations qu’il faut multiplier et au langage qu’il faut perfectionner pour communiquer et décrire les faits nouveaux issus de l’observation. L’intérêt des classifications n’est pas nié mais remis à sa place. Les classifications ne sont considérées que comme des outils d’aide à la mémorisation : « Je me propose d’examiner si par l’observation et par les raisonnements simples qui s’en déduisent on peut donner une base solide aux principes de la médecine […] : les nosologistes tels que Sauvages, Linné, Sagar, Vogel et Cullen lui-même en rapportant toutes les maladies à certaines divisions principales, en les rangeant par familles, comme les botanistes rangent les plantes ont fait il est vrai des tables plus propres à secourir la mémoire d’un bachelier qui soutient Thèse, qu’à montrer au praticien, l’ordre dans lequel ses connaissances et ses plans de curation doivent être enchaînés. Quand ils ont voulu tout dire, ils se sont perdus dans de futiles détails42. »
Dans cette approche nouvelle de la maladie installée à la faveur du mouvement révolutionnaire43, le médecin devait suivre un plan de travail régulier centré par la tenue des registres d’observation – dénommée depuis « l’observation » – qui matérialise son activité intellectuelle et l’usage des sens pour l’établissement du diagnostic : « Une malade est-elle transportée aux infirmeries, […] l’histoire en est recueillie à différentes reprises par un des élèves les plus instruits et les plus exercés, elle est ensuite rédigée et lue à haute voix au chevet du malade. […] le médecin doué d’un jugement sain et d’une moralité sévère doit explorer 1° le nombre et la valeur des symptômes en rejetant toute vaine hypothèse et s’en tenant aux impressions faites sur les sens de la vue, de l’ouïe, du toucher44. »
Dans cette perspective, le médecin, observant une maladie qu’il ne connaît pas, doit pouvoir, en mettant à profit les seuls sens, outils naturels à la disposition de chacun, parvenir à une complète connaissance de la maladie : « L’observation et les raisonnements simples qui s’en déduisent » deviennent le credo des praticiens de cette nouvelle médecine. Corvisart, traducteur d’Auenbrugger, ne dit pas autre chose : « L’éducation des sens est tellement importante, tellement indispensable que je ne pense point qu’il soit possible sans cela d’être un médecin recommandable au lit des malades45. » Les dermatologues occupent un poste avancé pour l’exercice du regard. L’observation qui en découle s’efforce d’être précise, minutieuse et pédagogique. Elle utilise un vocabulaire rénové. Le latin est aux oubliettes ; la pédagogie y trouve son compte et l’éducation du futur praticien en est facilitée. À titre d’exemple, Lorry et Plenck publient leurs ouvrages de dermatologie en latin à la fin des années 1770 ; trente ans plus tard, Alibert à Paris et Willan à Londres rédigent dans leurs langues les ouvrages fondateurs de la dermatologie rénovée.
41- Cabanis PJG (1804) Coup d’œil sur les révolutions de la médecine. Crapart, Caille et Ravier, Paris, p. 12-13. 42- Cabanis PJG (1803) Du degré de certitude de la médecine. Crapart, Caille et Ravier, Paris. 43- Ackerknecht EH (1986) La Médecine hospitalière à Paris, 1794-1843. Payot, Paris. 44- Pinel Ph (1818) Nosographie philosophique ou la méthode de l’analyse appliquée à la médecine, op. cit., p. xcj-xciij. 45- Corvisart JN (1855) Nouvelle méthode pour reconnaître les maladies internes de la poitrine par la percussion de cette cavité par Auenbrügger. Traduit du latin et commenté par Corvisart, Delahaye, Paris, p. 182.
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L’art de décrire Le vocabulaire médical nouveau, issu de la langue vernaculaire, est marqué par un usage répété de comparaisons avec des objets familiers. Laennec illustre brillamment cette méthode, par des descriptions mémorisées par des générations d’étudiants en médecine : « Le râle trachéal […] est si fort qu’il imite le roulement d’un tambour ou le bruit d’une voiture qui roule sur le pavé […] Le râle crépitant […] on peut le comparer à celui que fait du sel que l’on fait décrépiter à une chaleur douce dans une bassine ; à celui que donne une vessie sèche que l’on insuffle […] le râle muqueux ou gargouillement […] offre le plus souvent l’image de bulles analogues à celles que l’on produit en soufflant avec un chalumeau dans de l’eau de savon […] le râle sonore sec […] ressemble tantôt au ronflement d’un homme qui dort, tantôt au son que rend une corde de basse que l’on frotte avec le doigt, assez souvent au roucoulement d’une tourterelle. Cette imitation est quelquefois tellement exacte qu’on serait tenté de croire qu’une tourterelle est cachée sous le lit du malade […] le râle sibilant sec […] ressemble au cri des petits oiseaux, à l’espèce de bruit que font entendre deux plaques de marbre enduites d’huile et que l’on sépare brusquement l’une de l’autre. »
Les bruits du cœur donnent l’occasion de descriptions analogiques d’une précision plus grande encore : « Le 13 mars 1824 je fus consulté par une dame chez laquelle je trouvai quelques signes de phtisie pulmonaire […] je voulus voir s’il (le bruit de soufflet artériel) n’existait pas dans la carotide. Je fus étrangement surpris d’entendre au lieu du bruit de soufflet le son d’un instrument de musique exécutant un chant assez monotone […] Je crus d’abord que l’on faisait de la musique dans l’appartement situé au-dessous de celui dans lequel nous étions […] Après m’être assuré que le son se passait dans l’artère j’étudiais le chant : il roulait sur trois notes formant à peu près l’intervalle d’une tierce majeure : la note la plus aiguë était fausse
et un peu trop basse, mais pas assez pour pouvoir être marquée d’un bémol […] La tonique était seule de temps en temps prolongée. »
Laennec transcrit ce qu’il entend sur une portée et le publie46. Proche de Cabanis, Alibert lui aussi met à profit les préceptes sensualistes. Les mots sont simples et choisis pour la sensation qu’ils évoquent. E. Pasquinelli souligne le principe de la double ressemblance employé par Alibert, complétant l’utilisation de mots choisis pour leur ressemblance avec les lésions décrites47. Le mot ressemble à quelque chose qui lui ressemble. Dans ce principe de double ressemblance, les comparaisons avec des végétaux sont le plus utilisées : « Les végétations syphilitiques sont si variées qu’il a fallu nécessairement leur donner une multitude de noms différents. Quelque fois leur aspect offre une extrême analogie avec des fruits qui sont d’un usage très vulgaire ; telles sont celles qu’on désigne sous le nom de framboises […] On les nomme fraises lorsque les sillons de leur surface sont moins marqués et moins apparens [sic] : montrent-elles au contraire une surface très inégale, forment-elles plusieurs tumeurs groupées et d’un volume très considérable, sont-elles surtout recouvertes d’une matière ichoreuse et verdâtre, on les indique par la dénomination absurde de choux-fleurs48. »
La couleur des « éphélides hépatiques est d’un jaune plus ou moins prononcé qui peut se comparer à celle de la rhubarbe ou du safran. Quelque fois c’est un jaune très pâle, comme les feuilles mortes de certains arbres […] les excroissances du Pian fongoïde ne sont pas toutes du même volume ; il y en est qui restent très longtemps petites et qui ne sont pas plus considérables que des grains de raisin ou des lentilles ; d’autres sont aussi volumineuses que des morilles ou que ces fruits rouges et sillonnés du solanum lycopersicon que l’on désigne ordinairement dans l’économie domestique sous le nom de tomates ou pommes d’amour ».
46- Laennec RTH (1826) Traité de l’auscultation médiate. Asselin, Paris. 47- Pasquinelli E (2001) « Les “têtes composées” de Jean-Louis Alibert » in Bicentenaire de la spécialisation de l’hôpital Saint-Louis en dermatologie, 1801-2001, hôpital Saint-Louis, Société française d’histoire de la dermatologie, Paris. 48- Alibert JL (1825) Description des maladies de la peau. Auguste Wahlen, Bruxelles, p. 191.
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À propos d’une ichtyose, Alibert indique qu’« en exerçant le plus léger frottement avec la main, on produisait un bruit très sensible ». La teigne amiantacée est « caractérisée par des petites écailles très fines, d’une couleur argentine et nacrée, lesquelles entourant les cheveux et les suivant dans tout leur trajet, ne ressemblent pas mal […] à cette substance que les naturalistes appellent amiante49 ». La teigne faveuse « se reconnaît à la manifestation de petits tubercules arrondis, de couleur jaune-pâle, déprimés dans le centre en forme de godets, […] l’aspect de ces tubercules offre une ressemblance telle avec celui des alvéoles construits par les abeilles que les Latins leur ont rendu commun le nom propre aux rayons de miel, favi […] les semence de lupin ont une dépression semblable en leur centre et c’est pour cela qu’on l’a encore appelée porrigo ».
Les croûtes de la teigne granulée sont « tantôt isolées, tantôt rapprochées et pour ainsi dire confondues, inégales et irrégulières dans leur forme ressemblaient à des fragments de mortier noirci ». Le sycosis « donne lieu à des fourmillements qui ont lieu surtout le soir ; c’est un picotement léger mais subit, comme si on était importuné par des insectes qui ne tardent pas à revenir quand on les chasse50 ». Mahon l’aîné, qui fut le premier à décrire la teigne tondante en France, écrit que : « les aspérités qui se faisaient remarquer étaient […] semblables à celles qui deviennent apparentes sur la surface de la peau à la suite de l’impression subite du froid ou après le frisson causé par un sentiment d’horreur, enfin, à ce que l’on appelle vulgairement la chair de poule. La teinte de la peau était un peu bleuâtre ; mais, lorsqu’on la grattait, la surface soumise à ce frottement se recouvrait d’une poussière fine et très blanche que l’on peut comparer à de la farine très ténue51 ». (Fig. 17).
Alibert compare la surface des plaques de teigne tondante à la « peau d’un chien de mer52 ».
L’odorat complète parfois la vue pour rendre la description encore plus réaliste et plus facile à mémoriser : « Les croûtes du favus […] manifestent une odeur fétide qui a la plus grande analogie avec celle qu’exhale l’urine des chats ou celle des souris. » Dallot élève d’Alibert est encore plus précis : « La teigne faveuse exhale une odeur particulière […] on peut la comparer exactement à l’odeur qu’on remarque dans les appartements infectés par une très grande quantité de souris. Si l’on fait tomber les croûtes avec des émollients, l’odeur de souris est remplacée par une odeur fade et nauséeuse, analogue à celle qui s’exhale des os qu’on a fait bouillir avec leurs ligamens [sic] ». La teigne granulée a une odeur « fade comme du lait ou du fromage gâté mais n’avait aucune analogie avec celle du favus53 ». À Londres, Willan et son élève Bateman usent d’une autre méthode descriptive qui fait appel à la valeur diagnostique de la lésion élémentaire décrite avec minutie : « Le porrigo favosa consiste en une éruption de pustules de grande taille, molles, de couleur paille dénommées favi. […] Les croûtes qui résultent de ces pustules sont très caractéristiques; elles sont en général molles, jaunâtres ou verdâtres, surélevées et semi transparentes, à surface irrégulière, creusée d’où l’expression croûtes en rayon de miel qui leur est donnée. » (Trad. G. Tilles.) Bateman décrit la teigne tondante sous le nom de Porrigo scutulata qui « débute par des groupements de petits achores, formant des pustulettes pouvant se grouper en figures circulaires irrégulières qui sont parfois limitées à un seul scutulum parfois plus nombreuses. […] Les zones circulaires peuvent confluer, les cheveux sur ces plaques deviennent plus clairs et finissent par être détruits à partir de leurs racines laissant des plaques alopéciques ». (Trad. G. Tilles.) Porrigo larvalis « consiste en grand nombre de minuscules pustules blanchâtres dénommées achores groupées sur une surface rouge à partir desquelles se forme, après qu’elles sont rompues des croûtes ou brun-vert. La face tout entière est alors enveloppée par un masque d’où le qualificatif larvalis ». (Trad. G. Tilles.) Bateman publie la première description quelque peu reconnaissable du sycosis :
49- Alibert JL (1825) Ibid., p. 8 50- Alibert JL (1832) Monographie des dermatoses ou précis théorique et pratiques des maladies de la peau. Daynac, Paris. 51- Mahon jeune (1829) Recherches sur le siège et la nature des teignes. J.B. Baillière, Paris, p. 134 52- Alibert JL (1833) Clinique de l’hôpital Saint-Louis ou Traité complet des maladies de la peau. Cormon et Blanc, Paris, p. 134. On pourra lire une analyse pertinente de l’utilisation du sensualisme chez Alibert dans le travail de Pasquinelli E (2001) Corps de l’observateur et corps observé. La représentation esthétique dans la dermatologie de Jean-Louis Alibert (1768-1837). Mémoire de DEA de l’École des hautes études en sciences sociales, Centre Koire. 53- Dallot LDS (1802) Dissertation sur la teigne, présentée et soutenue à l’école de médecine de Paris le 8 brumaire an XI, Paris.
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Teignes et teigneux « Les tubercules de cette éruption qui atteint presque exclusivement les hommes, surviennent d’abord sur la lèvre supérieure ou sur la partie convexe du menton sous forme de lésions groupées de manière irrégulière. […] Les tubercules sont rouges et lisses, parfois de la taille d’un pois mais de forme conique. Comme les lésions suppurent lentement et partiellement et laissent sourdre une petite quantité d’une matière épaisse par laquelle les poils non rasés deviennent agglutinés, l’aspect devient proche de la pulpe d’une figue ce qui a donné son nom à la maladie. » (Trad. G.Tilles54.)
À propos du favus, les auteurs autrichiens indiquent que « dans le cours de la troisième semaine on remarque ça et là, traversé par un poil, un petit disque jaune de soufre, gros comme un graine de millet ; – c’est le scutulum favique qui se développe […] les jours suivants, la masse s’étend et forme un disque aplati, plus volumineux qui peut atteindre les dimensions d’une petite lentille. À ce moment, à la partie périphérique de cette masse, l’épiderme fait une légère saillie, tandis que la partie centrale qui entoure immédiatement le poil ne change pas ou même est un peu déprimée. Le scutulum présente ainsi l’aspect d’un petit godet, […] sa surface inférieure convexe est lisse, un peu grasse au toucher. […] la surface supérieure est tout à la fois plane et concave. […] Abandonné à lui-même […] sa surface présente des sillons en anneaux concentriques et la production tout entière prend un aspect qui l’a fait comparer à un œil d’écrevisse, à un rayon de miel (d’où favus honey comb ringworm des Anglais) ou à un godet (godet de favus en français, favus urcéolaire, favus en forme de godet) ou à un petit bouclier (favus scutiforme) ».
Hebra écrit que la teigne tondante, herpès tonsurant, « se présente habituellement sous forme de disques disséminés en îlots, irrégulièrement situés, de la dimension d’une lentille, d’un centime ou d’une pièce de 5 francs, arrondis disques dans l’étendue desquels la peau apparaît comme plumée ou sur lesquels il semble qu’un coiffeur maladroit ait coupé les cheveux
d’une façon irrégulière. […] Les cheveux sont minces inégalement longs, en partie cassés courts ; ils sont habituellement comme poudreux, décolorés ; ils viennent par mèches quand on les tire avec les doigts ou bien ils se cassent facilement. Il en résulte l’aspect d’une tonsure mal faite55. »
Ainsi, en quelques décennies, grâce à l’utilisation d’un vocabulaire assez simple, facile à mémoriser, issu de la vie quotidienne, les dermatologues cliniciens du XIXe siècle firent des progrès spectaculaires dans la description des maladies, aspect déterminant de la capacité à faire le diagnostic. Il restait à utiliser les perfectionnements techniques iconographiques pour mettre en place un ensemble pédagogique complet.
Montrer : la consécration pédagogique Enrichissant la parole des maîtres et les écrits à contenu pédagogique, premiers outils de l’enseignement, l’image occupe en dermatologie, peut-être plus que dans tout autre discipline clinique, une place exemplaire. Depuis la naissance de la dermatologie, les médecins dermatologues ont en effet manifesté un intérêt particulier pour les images en mettant à profit les perfectionnements techniques – gravures, aquarelles, moulages, photographies – comme autant d’outils d’enseignement. Les images et l’enseignement de la dermatologie ont toutefois une relation complexe, objet d’études érudites qui ont montré à quel point la valeur pédagogique des images reflète les connaissances médicales de l’époque56, 57. La peau gravée Les premières images des maladies de la peau précédant le willanisme n’avaient sans doute pas de réelle valeur pédagogique ; leur statut se limitait à celui d’ornementation d’ouvrages soigneusement imprimés. Les images ne parvinrent au rang d’outil d’enseignement qu’à partir du moment où les médecins
54- Bateman Th (1817) Delineations of cutaneous diseases exhibiting the characteristic appearances of the principal genera and species comprised in the classification of the late Dr Willan and completing the series of engravings begun by that author. Printed for Longman, Hurst, Rees, Orme and Brown, Paternoster-Row, London. 55- Hebra F von, Kaposi M (1878) Traité des maladies de la peau. Traduit et annoté par le Dr A. Doyon, t. II, Masson, Paris, p. 784-831. 56- Ehring F (1989) Skin diseases, 5 centuries of scientific illustration. Gustav Fischer Verlag, Stuttgart, New York. 57- De Bersaque J (1994) L’Art de regarder. Histoire visuelle de la dermatologie et de la mycologie. Janssen Pharmaceutica, Belgique, p. 56.
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surent décrire les maladies de manière fiable. De ce point de vue, il n’est pas indifférent d’observer la coexistence dans le traité de Willan des premières descriptions reconnaissables et des premières images à contenu réellement éducatif. Tout se passe comme si les dermatologues se sentant assurés de la qualité de leurs descriptions « osaient » montrer les maladies qu’ils décrivaient. Assurés de pouvoir donner une représentation graphique fiable des maladies, les dermatologues du début du XIXe siècle pouvaient choisir de mettre en avant leur propre approche conceptuelle tenant compte cependant de considérations matérielles (prix de revient des ouvrages illustrés) et du talent des graveurs. Alibert publiait un atlas aux ambitions pédagogiques nettement affirmées : « J’ai voulu fortifier les impressions par l’image physique des objets que je désirais offrir à la contemplation du pathologiste ; j’ai voulu enfin, […] frapper, en un mot, les sens de mes lecteurs, et reproduire vivans [sic], devant eux, les divers phénomènes qui avaient étonné mes regards58 ». Les dimensions de cet ouvrage in-folio accentuaient encore le réalisme voulu par l’auteur et naturellement le prix qui le rendait peu accessible. À ses intentions pédagogiques, Alibert ajoutait un intérêt particulier pour une représentation globale du malade et pour son histoire personnelle. Les images ne se limitent pas à un fragment de peau malade, mais comprennent presque toujours le visage du sujet malade avec ses couleurs, les expressions de son « tempérament », son regard, une certaine posture de la tête et quelquefois des morceaux de vêtements illustrant la condition sociale et donnant au malade plus d’humanité, soucis que l’on retrouve aussi dans les atlas de Cazenave, de Hebra à Vienne ou de Wilson à Londres59. Ainsi l’enfant favique, souvent mendiant abandonné, représenté dans une posture différente des autres formes de teigne, baisse la tête comme honteux de cette maladie qui dénonce sa condition sociale aux yeux de tous : « Antoine Fondaneige, né à Paris et doué d’un tempérament lymphatique fut abandonné dès l’enfance par ses parens [sic] […] Après quelques jours de marche, il se trouva à Amiens, où il fit le métier de mendiant.
[…] Un jour, en se peignant, il sentit trois tubercules, à la partie supérieure et moyenne de la tête ; il prit le parti de les arracher : mais ils ne tardèrent pas à renaître, et, plusieurs jours après, d’autres endroits s’en trouvèrent pareillement couverts. Toute la tête en fut garnie60. » (Fig. 11).
Bien différent est le visage rond et souriant de la teigne muqueuse, banales croûtes de lait de l’enfant bien portant. « Pierre Crully âgé de quatre mois, né d’une mère forte et bien constituée, […] atteint depuis six semaines d’une affection qui offre les caractères suivans [sic] : larges plaques croûteuses répandues sur plusieurs parties de l’enveloppe cutanée, mais spécialement fixée au cuir chevelu et sur les parties latérales de la face ».
D’autres images illustrent les « teignes » d’Alibert : « Le nommé Bard, âgé de vingt-trois ans, d’une constitution délicate, était né d’une mère qui portait sur sa tête une maladie semblable à celle qui va être décrite. […] Un jour il se manifesta plusieurs boutons sur la région du vertex […] les cheveux […] étaient réunis, collés pour ainsi dire les uns aux autres, de manière à former une espèce de calotte […] de la base des cheveux, il s’élevait comme de petites lames, d’une longueur plus ou moins grande, d’un blanc argenté. » (Fig. 7). « Lucie Collin avait atteint l’âge de six ans lorsqu’elle éprouva la teigne porrigineuse. […] c’était un amas d’écailles furfuracées d’un blanc jaunâtre, d’autres fois grisâtre et tellement sèches que le plus simple attouchement suffisait pour en faire tomber un certain nombre sur les épaules de l’enfant61 ».
Contemporain d’Alibert, Mahon, membre de cette étrange famille de guérisseurs dont on verra plus loin le rôle dans le traitement des teignes, propose une représentation fidèle et minutieuse du favus et du godet favique62 (figs. 18 et 19).
58- Alibert JL (1833) Clinique de l’hôpital Saint-Louis ou Traité complet des maladies de la peau, op. cit. xxiij. 59- Jacyna LS (1998) « Pious pathology : JL Alibert’s iconography of disease », Clio Med, 50 : 185-221. Staford BM (1991) Body criticism: imaging the unseen in enlightment art and medicine, MIT Press, Cambridge. 60- Alibert JL (1818) Précis théorique et pratique des maladies de la peau. Paris, Caille et Ravier, t. I, p. 9-10. 61- Alibert JL (1825) Description des maladies de la peau, op. cit., t. I, p. 21. 62- Mahon jeune (1829) Recherches sur le siège et la nature des teignes, op. cit.
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Teignes et teigneux
Rayer, plus proche des willanistes attentifs à la morphologie élémentaire, favorise la reproduction de fragments de la maladie, sans doute aussi pour des motifs économiques (figs. 20 et 21). Cazenave confirme par l’image les descriptions du sycosis (fig. 22) : « [A]nnoncé longtemps à l’avance par des éruptions insignifiantes de petits boutons qui passent inaperçus […] elles sont constituées bientôt par de véritables pustules acuminées mais accompagnées d’un sentiment de douleur qui éveille l’attention du malade […] on peut apprécier déjà à leur base une sorte d’induration qui finit par constituer de petites tumeurs saillantes, plus ou moins volumineuses et traversées au centre par un cheveu […] les indurations qui les accompagnent s’étendent, forment de véritables nodosités, quelquefois rouges et luisantes au point d’imiter des cerises, dans certains cas assez confluentes pour déformer la face bouleversée par ces bosselures et pour lui imprimer un aspect vraiment repoussant63 ».
La représentation d’un favus évolué montre à quel point l’abandon de la maladie à elle-même peut laisser des traces indélébiles (figs. 23-26). À Vienne, Hebra est lui aussi attentif à montrer dans un somptueux atlas de très grand format une représentation vivante du malade (figs. 27-31). D’un autre style et tout aussi réalistes sont les représentations proposées par Kaposi (fig. 32), Olavide à Madrid (figs. 33-38) ou encore Wilson à Londres (figs. 39-41). La peau moulée Support majeur de l’iconographie en dermatologie, les moulages en cire s’inscrivent dans une longue tradition médicale d’usage de la cire qui prit naissance en France au XVe siècle64. Au XVIIIe siècle, les cabinets de curiosité, propriétés des amateurs de science les plus fortunés, offraient aux visiteurs la contemplation de fragments de corps exposés dans
des vitrines rehaussées de décors précieux. Les cires anatomiques y occupaient alors une fonction mal définie à mi-chemin de l’objet d’art et de l’objet d’instruction. La Révolution française en donnant aux collections particulières le statut de biens nationaux permit aux cires anatomiques d’acquérir un statut pédagogique mis à profit dans les nouvelles écoles de santé, les écoles vétérinaires, les écoles d’arts et métiers ou au Muséum d’histoire naturelle. Ainsi, considérés comme de simples pièces d’ornement jusqu’au XVIIIe siècle, moulages et modèles anatomiques devinrent au XIXe siècle outils de connaissance. Dans la nouvelle approche de la maladie définie par l’enseignement révolutionnaire, le futur médecin était incité à préférer la pratique de la médecine à la lecture des traités, idée bien résumée par la formule de Fourcroy, devenue célèbre : « Peu lire, beaucoup voir et beaucoup faire65 ». L’observation – la « suzeraineté du regard » pour reprendre l’expression forte de Foucault – s’en trouvait magnifiée. Dans cette perspective d’une éducation médicale reposant d’abord sur l’observation, les moulages, qui mimaient si parfaitement la réalité, furent considérés comme des objets privilégiés d’enseignement. Les moulages de Martens à Iéna, ceux de Joseph Towne au Guy’s Hospital de Londres, ceux de l’université de Cracovie et les pièces faites par Anton Elfinger, médecin à l’Allgemeines Krankenhaus de Vienne précédèrent l’initiative parisienne. Ce n’est qu’à partir des années 1860 que les médecins de l’hôpital Saint-Louis utilisèrent les moulages en cire comme objets d’enseignement de la dermatologie. À partir des années 1860, des collections de moulages de maladies de la peau furent créées dans la plupart des grandes villes universitaires du monde au fur et à mesure que la dermatologie s’imposait comme une spécialité médicale66. Baretta, premier mouleur et artisan principal de la collection de Saint-Louis, participa activement à la création et au développement de plusieurs collections étrangères.
63- Cazenave PLA (1856) Leçons sur les maladies de la peau professées à l’hôpital Saint-Louis. Labé, Paris, p. 80. 64- Lemire M (1990) Artistes et mortels. Chabaud, Paris. 65- Fourcroy A (1794) Rapport du projet de décret sur l’enseignement d’une école centrale de santé à Paris, 7 frimaire an III. 66- Parish LC, Worden G, Witkowski JA et al. (1991) « Wax models in dermatology », Trans Stud Coll Phys Phil 5, 13 : 29-74 Schnalke T (1988) « A brief history of the dermatologic moulages in Europe », Part I, The origin, Int J Dermatol 27, 3 : 134-139. Schnalke T (1992) « Part II Breakthrough and rise », Int J Dermatol 31, 2 : 134-141. « Schnalke T (1993) Part III, « Prosperity and decline », Int J Dermatol 32, 6 : 453-463. Schnalke T (1995) Diseases in wax. Quintessence, Berlin.
Le temps des cliniciens
Au musée de Saint-Louis (figs. 42-43), une vitrine entière est consacrée au favus, soulignant ainsi la fréquence de la maladie à la fin du XIXe siècle67 (figs. 4458). Les godets faviques y sont finement sculptés. Les trichophyties de la peau glabre occupent une autre vitrine (figs. 59-66). La peau photographiée Révélée au monde en 1839, la photographie se développa en médecine dès les années 1840. À Paris, Alfred Donné, responsable à la faculté de médecine de Paris d’un cours complémentaire de microscopie et Léon Foucault, physicien de l’Observatoire, publient des daguerréotypes microphotographiques. Quelques années plus tard, en 1860, une photographie du larynx est réalisée par Czermak. Mais c’est la publication en 1862 de l’ouvrage de Duchenne (de Boulogne)68 qui marque l’entrée de la photographie dans la pratique médicale et la recherche clinique. Ces premières expériences de photographies neurologiques se poursuivent à la Salpêtrière. Bourneville, médecin de Bicêtre, assistant officieux de Charcot et Paul Régnard, interne de Charcot en 1875 et photographe amateur, publient en effet en 18761877, quarante clichés consacrés à l’hystérie qui « analysent et rendent réels des événements cliniques qui avaient paru trop insaisissables pour qu’on puisse les identifier ». En 1893, Londe, directeur du service photographique de la Salpêtrière dans le service de J.-M. Charcot, montre à quel point la photographie peut être utile aux médecins qu’il s’agisse de compléter l’observation clinique du malade ou de les remplacer lorsqu’il s’agit de phénomènes fugaces ou de la constitution de photothèques éducatives ou encore d’échanges de documents69.
Les dermatologues, formés à l’image depuis plusieurs décennies, comprennent que la photographie va compléter de manière déterminante les outils de l’enseignement en dermatologie70. En 1864, à Londres, Alexander John Balmanno Squire, chirurgien anglais, publie les premiers fascicules de dermatologie contenant des photos coloriées à la main, réunies en un atlas de douze photographies sur papier albuminé71. En 1868 à Paris, Hardy et Montméja publient la Clinique photographique de l’hôpital Saint-Louis. Hardy (1811-1893) est chef de service à SaintLouis depuis 1851, successeur de Lugol et professeur de pathologie interne depuis 186772. Montméja est ancien interne provisoire de Saint-Louis et, selon les indications de l’ouvrage, chef de clinique ophtalmologique. De 1869 à 1873, Montméja publie avec Rengade la Revue photographique des hôpitaux de Paris et parvient à convaincre le directeur de l’Assistance publique d’installer à Saint-Louis le premier atelier photographique des hôpitaux de Paris73. Les premières étapes des travaux photographiques de Montméja datent de l’été 1866 lorsque « M. Hardy eut connaissance d’essais photographiques faits en Angleterre et me confia dès lors le projet d’étudier avec lui ce nouveau procédé d’iconographie dermatologique. Je commençai par devenir photographe. Ma main s’habitua à tenir le pinceau que guidait l’œil du Maître et en peu de temps, il me fut permis d’attendre de la photographie la réalisation de nos espérances. Depuis cette époque s’érigea dans l’hôpital Saint-Louis un atelier dans lequel s’exécutent toutes les opérations nécessaires à la publication de la clinique photographique de M. Hardy. Je me suis placé moi-même à la tête de l’atelier pour le diriger. […] Les coloris confiés à des mains habiles s’exécutent entièrement sous mes yeux avec la sanction de M. Hardy qui juge en dernier ressort74. »
67- Tilles G, Wallach D (1996) Le Musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis. Assistance publique-Doin, Paris. Tilles G, Wallach D (2002) « Les moulages, in La Dermatologie en France sous la direction de Daniel Wallach et Gérard Tilles, Privat, Toulouse. 68- Duchenne GB (de Boulogne) (1862) Album de photographies pathologiques, complémentaire du livre intitulé de l’électrisation localisée. Baillière, Paris. 69- Londe A (1893) La Photographie médicale, application aux sciences médicales et physiologiques. Gauthier Villars et fils, Paris. 70- Neuse WHG, Neumann NJ, Lehmann P et al. (1996) « The history of photography in dermatology, milestones from the roots to the 20th century », Arch Dermatol 132: 1492-1498. Torres Martinez JM (1993) « Historia de la fotografia dermatologica: las primeras fotografias sobre dermosifilografia », Piel 8: 316-325. Tilles G (2002) « Les photographies » in La Dermatologie en France sous la direction de Daniel Wallach et Gérard Tilles, Privat, Toulouse. 71- Squire AJB (1864-1866) Photographs (coloured from life) of the diseases of the skin. J Churchill and sons, London 72- Hallopeau H (1893) « Le professeur Hardy ». Ann Dermatol Syphil 4 : 113-115. 73- Montméja A de, Rengade J (1869) « Avant-propos », Rev Photo Hôp Paris, Paris. 74- Hardy A, Montméja A de (1868) Clinique photographique de l’hôpital Saint-Louis. Chamerot et Lauwereyns, Paris.
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Teignes et teigneux
Hardy choisit des pathologies fréquentes. La syphilis occupe naturellement une place importante (seize photos) ; parmi les autres diagnostics on peut citer plusieurs clichés de teignes, d’acné, de gale, d’impétigo, d’eczéma, de pelade. Les clichés sont des papiers albuminés réalisés à partir de plaques collodionnées qui ne permettent pas une bonne restitution des couleurs en particulier le rouge et le jaune. Montméja colore les clichés à la main d’après nature. La fidélité à la morphologie réelle peut s’en trouver altérée et, pour certains clichés, le résultat est un mélange parfois curieux à michemin de la lithographie et de la photographie. Les clichés présentent, sans effet particulier de lumière, de manière uniforme, les maladies et les malades dans leur appartenance sociale aux milieux les moins favorisés, qui font pour la première fois l’expérience de la photographie et apparaissent figés dans une attitude dramatique parfois presque théâtrale rehaussée par la surimpression des couleurs (figs. 67-68). En 1886, Lailler, instigateur d’une école pour enfants teigneux à Saint-Louis (voir plus loin) présentait grâce à une technique particulière (photochromie de Léon Vidal, combinant l’utilisation de filtres colorés et d’un négatif noir et blanc), les premières photographies en couleurs non retouchées de maladie de la peau, ici pelade et teigne tondante75 (figs. 69-70). D’une autre facture sont les photographies aquarellées de Félix Méheux, à la fois peintures et photographies d’une originalité très particulière76 (figs. 71-74). Depuis ces premières techniques de représentation, l’imagerie dermatologique a évolué pour être plus facile à réaliser – sans le secours d’un artiste mouleur, graveur ou photographe – plus aisée à manipuler et à diffuser. À Saint-Louis, une collection de plusieurs milliers de clichés, dénommée « musée photographique de l’hôpital Saint-Louis » conserve de manière répétitive le souvenir des malades (figs. 75-77).
Les motifs qui incitent les dermatologues à photographier la peau de leurs malades sont multiples et complexes. La valeur éducative de la photographie en dermatologie n’a jamais fait, à notre connaissance, l’objet d’une évaluation rigoureuse. L’attrait esthétique que les images apportent au texte, l’attrait commercial qu’elles apportent et la volonté de collectionner les images – qui se suffit à elle-même et ne nécessite aucune justification – sont sans doute d’autres éléments à prendre en considération. Il n’en reste pas moins que la photographie fit faire aux dermatologues un pas nouveau dans la pratique de leur discipline en leur permettant de poser un regard plus aigu sur les maladies de la peau. Aujourd’hui la pratique photographique fait partie de l’activité quotidienne des dermatologues. La superficialité du tégument et la multiplicité des apparences pathologiques sont autant d’incitations à photographier auxquelles peu de dermatologues résistent. L’image numérique apporte d’autres facilités de réalisation et de diffusion, souvent au détriment de la qualité de l’image. Chaque dermatologue peut ainsi constituer sa propre collection de dimension illimitée. La facilité de diffusion permet d’accéder sans effort à des bases de données d’images électroniques et de valoriser des collections désormais accessibles à tous. Le XIXe siècle fut ainsi pour les dermatologues une période de grande richesse clinique associant dans un même souci de qualité descriptions et de représentations graphiques. Les teignes illustrent, on l’a vu, ces préoccupations descriptives et iconographiques. Il restait à en préciser les causes. Ces travaux de recherche se déroulèrent en deux périodes séparées d’un demi-siècle. On retrouvera d’abord dans les années 1840 l’influence de la médecine germanique représentée par les travaux de Schœnlein, de Remak (Zürich, Berlin), et de Gruby (Paris) puis dans les années 1890 l’influence déterminante des techniques microbiologiques mises au point à l’Institut Pasteur et appliquées à la dermatologie par Sabouraud.
75- Lailler Ch (1876) Leçons sur les teignes. Delahaye, Paris. 76- Félix Justinien Méheux (1838-1908) occupe une place à part dans l’histoire de la photographie médicale, notamment en dermatologie par la qualité et l’originalité de ses clichés. Directeur d’un laboratoire de technique photographique à l’école Estienne, Méheux est présent en qualité de photographe dans plusieurs hôpitaux parisiens (Broca, Hôtel-Dieu, Saint-Louis) et à l’Institut Pasteur de 1884 à 1904. Son talent lui vaut d’être choisi comme photographe officiel des congrès internationaux de dermatologie tenus à Paris en 1889 et en 1900. Les photographies des congressistes sont exposées au musée de Saint-Louis. Illustrateur du Précis iconographique des maladies de la peau publié par Chatelain en 1893, Méheux illustra aussi le traité des maladies infectieuses de Corlett, dermatologue nord-américain, publié en 1905. Au musée de Saint-Louis sont conservés 180 clichés de Méheux dont 35 photographies aquarellées. Delpeux S (1998) Photographie en dermatologie à l’hôpital Saint-Louis (1860-1900). Mémoire de maîtrise d’histoire de la photographie sous la direction de Michel Poivert, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, p. 26.
Le laboratoire, temple des savoirs nouveaux
Au tournant de la décennie 1830, trois médecins de culture germanique, Schœnlein, Remak et Gruby, introduisent dans l’étude des maladies de la peau une révolution conceptuelle. En montrant qu’il est possible de voir les causes de quelques dermatoses à travers l’objectif d’un microscope, ces chercheurs font comprendre que la méthode anatomoclinique ne suffit pas à la compréhension globale d’une maladie. Dans les années 1840-1850, la microscopie – dénommée alors micrographie – est en France une discipline encore confidentielle dans les milieux médicaux. À côté des précurseurs passionnés, Rayer77, Follin, Verneuil, Broca et Charles Robin, (premier professeur d’histologie à la faculté de médecine de Paris en 1862), les grandes figures de la médecine française restent fixées sur la méthode anatomoclinique. Armand Trousseau est fréquemment cité comme le modèle le plus abouti de la maîtrise clinique et de l’hostilité à l’égard des microscopistes considérés comme de simples techniciens asservis à la lentille du microscope faisant même obstacle à la thérapeutique : « On peut se demander encore si la micrographie, dans son expression la plus avancée, la Pathologie cellulaire de Virchow, en faisant revivre sous une forme scientifique mieux appropriée à notre époque, le système des atomes d’Épicure, ne conduit pas directement à l’anéantissement de la thérapeutique78. » Outre ces considérations, d’autres éléments, nationalistes, peuvent rendre compte des réticences.
La microscopie fut d’abord une science allemande et les perfectionnements technologiques qui permettaient d’avoir des images suffisamment fiables furent le fait d’opticiens allemands. Quelques médecins universitaires français, prenant conscience de l’avance prise par la science allemande, lisent les périodiques allemands, font des voyages outre-Rhin et tentent d’inciter leurs collègues français à s’inspirer de ce modèle. La création de la Société de biologie au printemps 1848 traduit de manière institutionnelle la volonté de ces hommes, jeunes pour la plupart – Rayer, Claude Bernard, Charles Robin, Brown-Sequard, Follin, Lebert et Segond – de s’affranchir de l’art médical pour privilégier la recherche pour le seul intérêt de la connaissance : « Si l’art médical a été primitivement la source de nos connaissances en physiologie et en pathologie […] le temps est venu par suite du développement de ces sciences de les considérer d’abord indépendamment de toute idée d’application. Ce n’est que de la sorte qu’elles pourront faire de rapides progrès79. » Dans le contexte de supériorité technologique germanique, il n’est pas surprenant que les premières découvertes utilisant le microscope pour voir la cause des teignes aient été l’œuvre de médecins d’origine ou de culture germanique : Schœnlein, Remak et Gruby.
77- Pour mémoire, c’est dans le service de Rayer à la Charité en 1850 que Casimir Davaine mit en évidence dans le sang de moutons contaminés des micro-organismes responsables du charbon, sans toutefois attribuer à ces micro-organismes la responsabilité de la maladie. 78- Trousseau A (1865) Clinique médicale de l’Hôtel Dieu, 2e éd., t. III, JB Baillière et fils, Paris, p. 798. 79- Robin Ch (1850) Sur la direction que se sont proposé en se réunissant les membres fondateurs de la Société de Biologie pour répondre au titre qu’ils ont choisi. Compte-rendus des séances et mémoires de la Société de biologie, 1re année, Bureau de la Gazette Médicale, Paris.
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Teignes et teigneux
De Schœnlein à Gruby : progrès et confusions C’est à Schœnlein et à Remak, médecins allemands, que l’on doit la découverte du premier micro-organisme responsable d’une maladie de la peau, le favus. S’inspirant des travaux effectués quelques années auparavant par Bassi en Italie et Audouin en France qui avaient montré que la muscardine, maladie du ver à soie, était provoquée par un champignon microscopique, Schœnlein pensa qu’un champignon pouvait être à l’origine d’une maladie humaine. Figure éminente de la médecine de langue allemande, Schœnlein (fig. 78) fut à Berlin le premier à enseigner en allemand et non plus en latin et à comprendre l’importance des techniques microscopiques et la valeur des analyses chimiques du sang80.
Ayant cureté quelques parcelles de godet favique, Schœnlein les place sous l’objectif d’un microscope et publie en 1839 dans les Müller’s Archiv une courte lettre dans laquelle il indique avoir trouvé la cause du favus auparavant considéré uniquement comme la conséquence inévitable de la pauvreté et d’une hygiène précaire81. En dépit du rôle pionnier de Schœnlein, pour certains, Sabouraud notamment, l’histoire moderne des teignes date du 12 juillet 1841 lorsque Gruby82 (figs. 79-80) médecin hongrois diplômé de l’université de Vienne, publie dans les Comptes-Rendus de l’Académie des Sciences un « Mémoire sur une végétation qui constitue la vraie teigne ». Lorsque paraissent les premiers travaux de Gruby, l’opinion générale, malgré les travaux de Schœnlein, est que les godets faviques sont soit des pustules desséchées, soit une forme particulière de séborrhée. La contagiosité n’est pas alors acceptée par tous. Gruby fait remarquer que les caractères utilisés pour faire le
80- Né à Bamberg en 1793, Schœnlein fut reçu docteur en médecine en 1816. Nommé professeur extraordinaire à l’université de Würzbourg, professeur à l’université de Passau (Bavière), professeur à l’université de Zurich nouvellement créée et nommé en 1840 professeur à l’université de Berlin. Il mourut le 23 janvier 1864 d’une infection pulmonaire. Quelques historiens considèrent que c’est Robert Remak (1815-1865), assistant de Schœnlein, qui aurait été le premier à découvrir le champignon du favus. Ayant mis en évidence des « particules » nouvelles dans les débris de godets faviques, Remak communiqua cette découverte à son ami Xaver Hube, qui la publia dans sa thèse en 1837 (avec la permission de Remak), c’est-à-dire deux ans avant la publication de Schœnlein. En réalité, cette affirmation n’est pas confirmée par les faits, Remak lui-même ayant indiqué dans des publications ultérieures que ses travaux personnels sur le champignon du favus – mises en culture, auto-inoculation – avaient été inspirés par les découvertes de Schœnlein. Le doute subsiste néanmoins sur l’identité du vrai découvreur du champignon cause du favus. Selon une hypothèse récemment avancée, Remak, juif d’origine polonaise, donc sans espoir de devenir professeur dans la Prusse antisémite, aurait voulu s’attirer le soutien de Schœnlein en lui cédant la priorité de la découverte. Quoi qu’il en soit, c’est Remak – nommé professeur extraordinaire à Berlin en 1859 – qui proposa de nommer ce champignon Achorion schœnleinii (1845). Ackerknecht EH (1964) « Johann Lucas Schœnlein (1793-1864) », J Hist Med All Sci, XIX, 2 : 131-138 Seeliger HPR (1985) « The discovery of Achorion Schœnleinii ». Mykosen, 28(4) : 161-182. 81- Schœnlein JL (1839) « Zur Pathogenie der Impetigines », Arch für Anat u Physiol : 82. 82- David Gruby est né le 20 août 1810 à Kis-Ker, village de Hongrie méridionale. Ayant décidé de devenir médecin, il s’inscrit à la faculté de médecine de Vienne et se passionne pour une discipline neuve : la micrographie. Il soutient sa thèse de doctorat en 1839 et crée un enseignement libre d’anatomie et de physiologie. Né dans une famille juive, Gruby refuse de se convertir au catholicisme, condition sine qua non pour obtenir un poste universitaire à Vienne auquel ses qualités d’enseignant et de chercheur lui permettent de prétendre. Il quitte l’Autriche et se rend d’abord en Angleterre où il séjourne brièvement et arrive à Paris à la fin de l’année 1840. Officiellement autorisé à résider en France en 1846, Gruby est naturalisé français le 6 mai 1848. Il fréquente régulièrement le service de Baron à l’hospice des Enfants-Trouvés. Dans ce service, il oriente ses recherches microscopiques vers l’étude du muguet buccal puis des teignes. À la même époque, il continue ses recherches sur l’anatomie comparée et fait réaliser plus de 150 préparations anatomiques qu’il offre au musée Orfila. Au début des années 1840, Gruby crée à Paris un laboratoire privé de recherches et d’enseignement dans un modeste local de la rue Gîtle-Cœur où il accueille notamment Magendie, Claude Bernard, Milne-Edwards. Il poursuit cet enseignement privé jusqu’en 1854, date à laquelle il est autorisé à exercer la médecine en France. Gruby abandonne alors ses activités de recherche et ouvre un cabinet qui attire de nombreuses célébrités : Alexandre Dumas, George Sand, Chopin, Liszt, Heinrich Heine. Dans les années 1860, Gruby fit installer au dernier étage de son immeuble situé 100 rue Lepic à Montmartre un observatoire utilisé pendant la guerre de 1870 à des fins militaires. Il s’intéressa à l’amélioration des secours aux blessés et créa un hôpital de campagne dans son hôtel particulier. Chevalier de la Légion d’honneur en 1890, Gruby mourut le 14 novembre 1898 à son domicile 66 rue Saint-Lazare. « Le dimanche 13 novembre la porte de son cabinet resta close fermée à clef en dedans. On finit par s’inquiéter, on frappe, on appela, on lui offrit des services ; il répondit à peine et d’une façon inintelligible. On n’osa pas forcer la porte […] quand j’arrivai le lundi matin, […] j’envoyai chercher le commissaire de police qui arriva avec un serrurier. […] Le docteur Gruby, vêtu seulement de linges de nuit, gisait par terre, mort. » Ses obsèques furent célébrées le vendredi 18 novembre 1898. Après une inhumation provisoire au cimetière du Nord, son corps fut transporté à proximité de sa maison de la rue Lepic. Gruby est inhumé au cimetière Saint-Vincent de Montmartre. Blanchard R (1899) « David Gruby (1810-1898) », Arch Parasitol, 2 : 42-74 Le Leu L (1908) Le Docteur Gruby. Notes et souvenirs. Stock, Paris ; Rosenthal T (1932) « David Gruby (1810-1989) », Ann Med Hist : 346 ; Théodorides J (1954) « L’œuvre scientifique du docteur Gruby », Rev Hist Med Hébraïque : 27-36 ; Zakon SJ, Benedek T (1944) « David Gruby and the centenary of medical mycology », Bull Hist Med, 16, 2 : 155-168.
Le laboratoire, temple des savoirs nouveaux
diagnostic de favus ne permettent pas un diagnostic fiable, qu’il s’agisse de la morphologie des lésions, de leur odeur. Il se propose donc de faire connaître un signe nouveau et constant. Gruby – qui redécouvrait l’origine mycosique du favus publiée deux ans plus tôt par Schœnlein – affirmait de manière décisive et révolutionnaire pour l’époque que : « pour reconnaître, la vraie teigne on n’a qu’à la soumettre au microscope […] on se sert d’une petite parcelle de la croûte, délayée avec une goutte d’eau pure, on la met entre deux lames de verre et on l’examine sous un grossissement linéaire de 300. On y verra des quantités d’articles ronds ou oblongs […] transparents à bords nets, à surface lisse, incolores, légèrement jaunâtres […] et aussi de plus petits filaments articulés composés d’articles en chapelet […] Comme nous n’avons pas encore trouvé une molécule de la vraie teigne qui ne soit chargée d’un grand nombre de ces mycodermes, celles-ci constituent un vrai caractère essentiel de cette maladie ».
Gruby poursuivait en décrivant minutieusement le godet favique, lésion élémentaire du favus, description qui, comme le souligna plus tard Sabouraud, resta pendant près de trente ans sans vérification ni contrôle : « La croûte (de la teigne) offre l’aspect d’une capsule aplatie, semblable à celui de la noix vomique, c’est-àdire la forme d’un disque dont l’une des surfaces est légèrement concave, l’autre convexe. Le bord, de forme circulaire, est partagé par un léger sillon en deux parties égales, dont la supérieure est exposée à l’air, l’autre située vers le derme. La surface concave est la partie aérienne, la convexe est la partie cutanée83. »
Après la découverte du sarcopte de la gale quelques années plus tôt (Renucci, 1834), Schœnlein puis Gruby donnaient aux médecins la possibilité de voir une deuxième cause de maladie de la peau pro-
voquée par un organisme vivant extérieur, la première – la gale – produite par un animal, la deuxième – le favus – par un végétal. En 1842, après avoir soumis à l’Académie des sciences les résultats de ses travaux sur le muguet des enfants, Gruby annonçait l’existence d’une « troisième espèce de cryptogame qui s’établit dans la gaine du poil de la barbe de l’homme ». Ce champignon était selon lui responsable d’une maladie qui siège « sur la partie pileuse de la face ; mais plus ordinairement elle occupe le menton, la lèvre supérieure et les joues ». Examinant le poil au microscope, Gruby dénomme ce nouveau champignon, « mentagrophyte »84. L’année suivante (1843), Gruby présentait ses « Recherches sur la nature, le siège et le développement du Porrigo decalvans ou phytoalopécie »85. Cette communication fut sans doute celle qui jeta le plus de confusion dans le cadre nosologique des teignes. En effet, Gruby redécrivait non pas le Porrigo decalvans décrit par Bateman en 1813 – qui était une pelade, maladie sans relation avec les champignons microscopiques – mais la teigne tondante décrite en 1829 par Mahon comme le montre clairement sa description : « Le porrigo decalvans se caractérise comme on sait par des plaques arrondies, couvertes d’une poussière blanche et de petites écailles grisâtres et par la chute des cheveux. » Observant au microscope les cheveux provenant d’individus atteints de cette maladie, Gruby observait « une grande quantité de cryptogames qui les entourent de tous côtés et forment une véritable gaine végétale ». Gruby proposait de les nommer Microsporum audouini en raison de leur petite taille et du travail de Victor Audouin sur la muscardine du ver à soie. Gruby concluait en insistant sur la nécessité de considérer Porrigo decalvans comme une maladie contagieuse, exigeant ainsi les mêmes mesures d’isolement que le favus et la teigne de la barbe. On verra plus loin comment Bazin usa de son autorité de chef de service à Saint-Louis pour accréditer l’erreur de Gruby et ancrer dans l’esprit des médecins jusqu’au début du XXe siècle l’origine mycosique de la pelade
83- Gruby D (1841) « Mémoire sur une végétation qui constitue la vraie teigne », CR Acad Sci, XIII : 72-74. La communication de Gruby donna lieu à contestation de paternité en faveur de Schœnlein. Gruby prétendit ne pas connaître les travaux de Schœnlein qui selon lui étaient de toute façon très différents des siens. 84- Gruby D (1842) « Sur une espèce de mentagre contagieuse résultant du développement d’un nouveau cryptogame dans la racine des poils de la barbe de l’homme », CR Acad Sci, t. XV : 512-513. 85- Gruby D (1843) « Recherches sur la nature, le siège et le développement du Porrigo decalvans ou phytoalopécie », CR Acad Sci, t. XVII : 301.
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et sa contagiosité. C’est à Sabouraud qu’il revint de préciser quel champignon était en cause dans la maladie faussement nommée par Gruby (voir plus loin). En 1844, Gruby publiait son dernier mémoire – « le meilleur et le plus parfait que l’auteur ait fourni » selon les termes de Sabouraud – sur l’observation microscopique des cheveux provenant de ce qu’il était convenu de nommer la teigne tondante de Mahon. Gruby en donne une description clinique sommaire peu différente de la maladie qu’il avait nommée Porrigo decalvans. Il montrait que cette teigne tondante était elle aussi de nature mycosique, différant toutefois de son Porrigo decalvans par la présence des spores non pas à l’extérieur mais à l’intérieur des cheveux : « Les filaments articulés en chapelet en se développant rampent dans l’intérieur du tissu des cheveux parallèlement à leur axe longitudinal86. » Gruby ne comprit pas qu’il existait deux formes distinctes de teigne tondante. Il s’agissait bien comme dans le précédent mémoire d’une teigne tondante, mais produite par un champignon d’une espèce différente que plus tard Sabouraud nomma Trichophyton endothrix. En résumé, en quelques années, David Gruby importait à Paris la méthodologie de recherche autrichienne, confirmait la découverte de Schœnlein, découvrait le champignon du muguet buccal et identifiait trois autres champignons microscopiques : l’un responsable du sycosis, un autre cause de la teigne tondante décrite avant lui par Mahon à Paris et un troisième dans une maladie qu’il nommait par erreur Porrigo decalvans et qui était en fait une forme particulière de teigne tondante. Auteur de ces progrès étiologiques, Gruby fut donc aussi responsable d’une confusion nosologique plus tard rappelée par Sabouraud : « L’émoi que les découvertes de Gruby produisirent dans le monde médical fut considérable. » Grisolle – professeur de clinique médicale successeur de Trousseau – quali-
fiait d’illusions micrographiques pour qualifier l’existence d’un champignon responsable du favus. Quant à la mentagre, Grisolle considérait que « prétendre qu’à l’aide du microscope on découvre dans la maladie tous les caractères d’un parasite cryptogame, c’est prouver jusques à quelles excentricités on peut aller lorsqu’on regarde certaines choses à travers un verre grossissant87 ». Traduction de cet « émoi », les débats et controverses engagés par les médecins de Saint-Louis autour des teignes – Bazin et Cazenave surtout – illustrent aussi les enthousiasmes et réticences à l’égard des découvertes au microscope.
La controverse du microscope Cazenave (1796-1877) (figs. 81-82) était avant tout un clinicien et comme l’indiqua plus tard Sabouraud avec un certain humour, Cazenave « fut d’autant meilleur clinicien qu’il haïssait le microscope davantage »88, 89. En 1844, Cazenave venait d’ailleurs, à l’occasion d’une petite épidémie dans un collège parisien, d’effectuer un rapprochement nosologique décisif entre la teigne tondante et l’herpès circiné et de séparer clairement la teigne tondante de la pelade. « Je compris qu’une partie au moins du ringworm des Anglais, que cet herpès mystérieux pressenti par Biett que la teigne tondante étaient une seule et même maladie n’ayant rien en commun avec le porrigo90. » Fixé sur la seule valeur de la clinique, Cazenave niait les découvertes de Gruby parlant à leurs propos « d’atomes mystérieux » et « d’illusions de la micrographie91 ». « […] nous nous devons de dire que nous avons fait à plusieurs reprises des observations multipliées avec un excellent microscope, celui du savant Audouin, et nous avouons que le résultat de nos investigations nous ont
86- Gruby D (1844) « Recherches sur les cryptogames qui constituent la maladie contagieuse du cuir chevelu décrite sous le nom de teigne tondante (Mahon). Herpès tonsurans (Cazenave) », CR Acad Sci, séance du 1er avril 1844, t. XVIII, p. 583. 87- Grisolle (1846) Traité élémentaire et pratique de pathologie interne. Paris, p. 565. Feulard fait observer que le traité de Grisolle était une référence de lecture pour les étudiants en médecine. Il note également que Grisolle finit par admettre avec réticence dans l’édition de 1855 de son livre la nature parasitaire des teignes. 88- Sabouraud R (1910) Les Teignes, Masson, Paris, p. 39. 89- Fils et petit-fils de médecin, docteur en médecine en 1827, Cazenave fut nommé professeur agrégé en 1835, médecin des Hôpitaux de Paris en 1836 et chargé du cours complémentaire des maladies de la peau de 1841 à 1844. Cazenave créa en 1843 le premier journal français de dermatologie Annales des maladies de la peau et de la syphilis où il publia la description princeps du lupus érythémateux – et qui, selon le souhait de son fondateur, cessa de paraître en 1852. Cazenave fit réaliser quelques aquarelles des maladies de la peau toujours visibles au musée de l’hôpital Saint-Louis. 90- Cazenave PLA (1843) « Porrigo decalvans et herpes tonsurans », Ann Mal Peau Syph : 37-44.
Le laboratoire, temple des savoirs nouveaux paru de nature à encourager vivement des désirs qu’il était plus ou moins facile de prendre pour des réalités. Nous pourrions ajouter aujourd’hui au mot d’illusion celui d’incertitude puisque l’on a trouvé une variété, tantôt une autre, souvent rien […] mais ce qui fait qu’aujourd’hui comme il y a dix ans, nous pensons que les faits microscopiques sur lesquels on s’appuie, ne peuvent rien, si décisifs qu’ils paraissent, contre les enseignements de l’observation clinique, puissance fort respectable aussi92 ».
Trente ans après ses premières déclarations hostiles à la microscopie, Cazenave parlait encore de « rêveries allemandes et de l’audacieux envahissement de la pathologie par les prétendus champignons » et ne reconnaissait « qu’une seule espèce de teigne, le favus93 ». Quelle qu’ait été la part de doctrines et de nationalisme dans les propos de Cazenave, ses compétences de clinicien et la confusion faite par Gruby donnaient du crédit à son refus d’accepter sans réserve les images vues au microscope. Puisque Gruby s’était mépris en assimilant la pelade à une teigne, pourquoi ses autres affirmations n’étaientelles pas également erronées ? À la même époque, Charles Robin effectuait une synthèse magistrale des connaissances sur les champignons microscopiques94 et Bazin (figs. 83-84), chef de service à Saint-Louis, publiait ses Recherches sur la nature et le traitement des teignes95. Le premier acte significatif de l’activité de Bazin à Saint-Louis eut lieu en 1850. À cette époque, le traitement de la gale consistait en frictions avec la pommade de Helmerich sur les mains et les plis de flexions des membres supérieurs essentiellement.
Les malades hospitalisés de une à deux semaines étaient considérés comme guéris avant qu’une récidive ne survienne de façon presque inévitable. Bazin, après avoir montré que l’on pouvait trouver le sarcopte de la gale sur tout le corps et non pas seulement sur quelques localisations comme on le croyait auparavant, mit au point un traitement dit économique de la gale en un jour, à condition d’appliquer la pommade sur l’ensemble du corps et non plus sur quelques zones du tégument. Bazin identifiait cinq groupes de teignes : faveuse, tonsurante (teigne tondante de Mahon ou herpès tonsurans de Cazenave), mentagre ou sycosique, achromateuse et décalvante. Les deux dernières variétés désignaient en fait une pelade et leur intégration dans le groupe des teignes confirmait les erreurs de Gruby. Bazin ne s’attardait pas sur les approximations terminologiques considérées comme de peu d’importance et préférait insister sur le rôle de Gruby à qui « nous sommes redevables du champignon propre au porrigo decalvans. Que par cette dernière expression, le célèbre micrographe ait entendu le vitiligo du cuir chevelu ou ce que j’appelle la teigne décalvante, peu importe, l’erreur n’a pas de conséquence thérapeutique puisque dans l’une et l’autre affection il existe une production mucédinée96 ». Bazin ne parvenait toutefois pas à montrer de manière régulière cette « production mucédinée » ce qui ne manquait pas de lui attirer les commentaires agacés de Devergie (1798-1879), son collègue à Saint-Louis : « Ces bouleversements dans les noms sont mauvais […] Appelez teigne ce que tout le monde appelle teigne ; dites que ce mot doit entraîner avec lui l’idée d’une production morbide végétale d’une nature particulière […] et vous dis-
91- Cazenave PLA (1843) Ibid. 92- Cazenave PLA (1856) Leçons sur les maladies de la peau, op. cit., p. 136. 93- Cazenave PLA (1873) Bibliothèque médicale. Delahaye, Paris. 94- Robin Ch (1847) Des végétaux qui croissent sur l’homme et les animaux vivants. Baillière, Paris. Sabouraud considérait cet ouvrage comme « le livre le plus scientifique de cette époque sur ces sujets, le plus consciencieux et le mieux informé […] trésor où tous les auteurs qui suivirent allèrent, comme moi-même, puiser le meilleur de leurs renseignements bibliographiques ». Sabouraud R (1910) Les Teignes, op. cit., p. 13. 95- Né à Saint-Brice-sous-Bois, petite ville proche de Paris, le 20 février 1807, Bazin mourut à Paris le 14 décembre 1878. Premier au concours de l’externat des Hôpitaux de Paris, Bazin fut nommé à l’internat des Hôpitaux de Paris en 1828 et reçu docteur en médecine de la Faculté de Paris le 21 août 1834. Médecin des Hôpitaux de Paris en 1836, Bazin fonda deux journaux médicaux : en 1839 L’Institut médical, journal scientifique et littéraire qui, pour des raisons financières, cessa de paraître le 20 novembre 1839 et en 1848, le Répertoire des Études Médicales qui n’eut que sept numéros. Médecin de l’hôpital de Lourcine (aujourd’hui hôpital Broca) de 1841 à 1844, médecin de l’hôpital Saint-Antoine pendant trois ans, Bazin fut nommé chef de service à Saint-Louis, successeur d’Emery, en 1847. 96- Bazin E (1853) Recherches sur la nature et le traitement des teignes, op. cit., p. 71.
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tinguerez ainsi la teigne des autres maladies du cuir chevelu97, 98 ». Quelques années plus tard (1857) Bazin s’efforçait de simplifier sa conception nosologique des teignes tout en persistant dans la confusion. Il ne retenait que trois formes cliniques constituant la triade teigneuse : le favus, la teigne tonsurante et les teignes achromateuse et décalvante, deux variétés pour lesquelles il ressuscita le nom ancien de pelade sans toutefois parvenir à montrer M. audouini supposé présent dans les cheveux peladiques. Dans l’esprit de Bazin, il n’existait donc que deux espèces de champignons, l’achorion responsable du favus et le trichophyton responsable des autres formes de teignes, conception résumée plus tard par Sabouraud : « Il n’y avait qu’un seul trichophyton comme un seul dieu qui est Dieu ! » Charles Robin, à l’évidence beaucoup plus attaché que Bazin à la rigueur de l’observation microscopique et à montrer ce qu’il voyait – Robin publiait un dessin de cheveux entouré de spores faviques (fig. 85) –, ne manquait pas de faire remarquer à quel point « l’épithète décalvante employée ici lorsque déjà elle était employée à propos du Porrigo decalvans ou vitiligo du cuir chevelu amène une fâcheuse confusion. Elle est d’autant plus fâcheuse que dans le Porrigo decalvans du cuir chevelu existe un champignon que M. Bazin admet d’après Gruby sans le décrire et que d’autre part il en admet un dans l’alopécie idiopathique sans paraître l’avoir vu, sans le dire sans le décrire du moins. Il considère comme sans conséquence la question de savoir si le champignon décrit par M. Gruby se trouve réellement dans le P. decalvans ou vitiligo du cuir chevelu. Il en résulte que les documents apportés par M. Bazin ne présentent de certitude que pour les trois premières maladies99 ».
La question était suffisamment confuse pour que l’Académie de médecine y consacre en janvier et février 1858 quelques échanges animés. Trousseau,
prenant part à la discussion, se rangeait sans surprise du côté des opposants au microscope : « Je dirai que ce n’est pas sans surprise que je viens d’entendre la glorification du microscope. Je croyais qu’il avait reçu à cette tribune d’assez rudes coups pour qu’on osât plus en parler de longtemps. » Gibert, acceptant le rôle du parasite lui déniait une responsabilité exclusive et insistait sur le rôle du terrain : « Le parasite ne s’implante que sur des individus malades ; il n’est donc jamais à lui seul toute la maladie100 ». Hardy proposait lui aussi de concilier le rôle des champignons et celui du terrain : « Il n’y a qu’une cause déterminante des teignes, c’est la contagion par la transmission médiate ou immédiate du parasite végétal d’un individu malade à un individu sain. Mais, pour que ce parasite se développe et produise la maladie parasitaire, il faut qu’il trouve un terrain favorable101 ». Observant ces discussions, des observateurs extérieurs au saint des saints de la dermatologie ne se privaient pas de commentaires amusés : « Saint-Louis sommeillait et la sainte chapelle conservait du vieux temps la doctrine fidèle. Mais voilà que la discorde sous la figure de M. Bazin s’est introduite dans le sanctuaire ; M. Devergie, un des grands prêtres du temple, a poussé le cri d’alarme et les dermatologues ont déclaré la guerre sacrée. Certes cette grande émotion est légitime : il ne s’agit rien moins que de savoir si la dermatologie anglaise francisée sera révolutionnée, profanée au moins par l’œil audacieux des micrographes […] N’a-t-on pas vu ces téméraires exposer à tous les yeux le vice galeux enlevé sur la pointe d’une aiguille ? N’ont-ils pas mis à nu le principe mystérieux du favus à ce point qu’ils se chargent de semer le vice teigneux sur la tête de n’importe quel sceptique ? Et voilà ces audacieux qui assurent tenir sous leur objectif le quid ignotum de l’herpès tonsurans, de la mentagre, du porrigo decalvans et des maints autres encore. Que va devenir la dermatologie si les mystères du tabernacle sont ainsi dévoilés102 ? »
97- Docteur en médecine en 1823, professeur agrégé de sciences physiques en 1824, Devergie fut nommé médecin des Hôpitaux de Paris en 1829. Devergie fut successivement chef de service à l’hospice de la Vieillesse, à la direction des nourrices et à l’hôpital Saint-Antoine avant d’être nommé à Saint-Louis, en 1840, successeur de Biett où il resta jusqu’à sa retraite en 1867. Outre son activité dermatologique, Devergie fonda en 1868 la Société de médecine légale et fut président d’honneur du congrès international de médecine légale en 1878. Membre de l’Académie de médecine, Devergie fonda en 1829 les Annales d’hygiène et de Médecine légale et publia en 1854 un Traité pratique des maladies de la peau, réédité deux fois. Huguet F (1991) Les Professeurs de la Faculté de Médecine de Paris, Index biographique, 1794-1939, CNRS, Paris. 98- Devergie A (1854) Traité pratique des maladies de la peau, Masson, Paris p. 615-620. 99- Robin Ch (1853) Histoire naturelle des végétaux parasites qui croissent sur l’homme et sur les animaux vivants. Baillière, Paris, p. 424. 100- « De l’herpès tonsurant dans les espèces chevaline et bovine, contagieux de sa nature et transmissible à l’homme », Bull Acad Imp Méd (1858) : 223-246. 101- Hardy A (1864) « Teigne » in Nouveau dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques. Baillière, Paris, p. 136. 102- Bertillon (1858) Moniteur des Hôpitaux, 2: 100-102.
Le laboratoire, temple des savoirs nouveaux
L’École de Saint-Louis ne détenait cependant pas le monopole de la contestation sur le rôle pathogène des champignons. Alors que à Vienne, l’école de Hebra se prononçait sans ambiguïté pour l’origine externe, mycosique des teignes : « Si le favus se développe infiniment plus souvent chez des individus vivant dans des conditions misérables […] que chez des personnes aisées et bien nourries, cela ne tient pas aux états de l’organisme dont nous avons parlé mais bien aux conditions extérieures dans lesquelles ils vivent, au défaut de soins de propreté de toutes sortes103 ».
En 1856, Tilbury Fox, dermatologue anglais, reconnaissait le premier l’origine trichophytique du kérion, Erasmus Wilson, tout en admettant l’existence des champignons, refusait de leur reconnaître un rôle déterminant et niait même la contagiosité des teignes. Il recommandait que les enfants soient séparés des autres, non pas par peur de la contagion, mais pour leur donner un mode de vie plus adapté à leur maladie et suggérait de remplacer le lait par de la bière104. À Londres, Hogg, auteur d’un traité de microscopie, admettait lui aussi l’existence de cham-
pignons parasites des cheveux, mais comme Wilson refusait de leur attribuer un quelconque rôle pathogène105. En dépit de ces oppositions, à partir des années 1870, l’origine mycosique des teignes n’était pratiquement plus contestée. Lailler à Saint-Louis publiait quelques gravures d’observations microscopiques de favus et de teignes tondantes (figs. 86-87). Plusieurs questions restaient toutefois en suspens : la pelade était toujours considérée comme appartenant à la triade teigneuse aux côtés du favus et de la teigne tondante ; le rôle du terrain persistait ; une seule espèce de trichophytons était supposée être à l’origine des différentes formes cliniques de teignes. Le climat intellectuel nouveau créé par les découvertes des pasteuriens qui promettaient de voir toutes les causes des maladies sous la lentille d’un microscope et de les cultiver au laboratoire rendait possible la mise en place d’un programme complet de recherches, clinique et microbiologique qui perfectionna de manière rapide et spectaculaire la connaissance des teignes. Ce fut l’œuvre de Sabouraud, maître incontesté de l’étude des teignes à l’aube du XXe siècle.
103- Hebra F von, Kaposi M (1878) Traité des maladies de la peau, op. cit., t. II, p. 778. 104- Wilson E (1847) On ringworm. Churchill, London. 105- Hogg J (1873) Skin diseases. A microscopical enquiry into their parasitic origin. Baillière, London. Rook A (1878) « Early concepts of the host-parasite relationship in mycology : the discovery of the dermatophytes », Int J Dermatol, 17 : 666-677.
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Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
De l’Institut Pasteur à l’hôpital Saint-Louis : une carrière de chercheur-clinicien Raimond (ou Raymond)- Jacques Adrien Sabouraud est né le 24 novembre 1864 à Nantes dans une famille de la bourgeoisie catholique vendéenne originaire d’Auzay et de Nieul-sur-l’Autise, communes des environs de Fontenay-le-Comte106, 107.
Les origines bourgeoise et provinciale Son père, Jean-Baptiste Edmond occupe ses journées sans le souci matériel du lendemain, s’essaie à quelques inventions pour le plaisir plus que pour l’utilité. Mais plus que ces aimables dérivatifs qui meublent les journées au rythme des saisons, la grande affaire de sa vie est ailleurs : deux jours par semaine pendant près de soixante-dix ans, Jean-Baptiste chasse avec une passion et une assiduité qui emplissent sa vie. En 1856, Jean-Baptiste Edmond épouse Cécile Chabosseau, catholique fervente et épouse réservée dont les mémoires de son fils ne gardent que peu de traces. Tout au plus au détour d’une phrase, Raimond Sabouraud qualifie-t-il sa mère « d’abeille industrieuse ». De cette alliance de deux familles de la bourgeoisie vendéenne naquirent cinq
enfants : Cécile en 1857, Francine Marie Joséphine en 1861, Edmond Adrien Henri en 1863, RaimondJacques et Marguerite Joséphine Cécile. Chez les Sabouraud de ce temps-là, la propriété est héréditaire et le mot « propriétaire » suffit à qualifier la profession des générations de Sabouraud qui se succèdent jusqu’à la fin du XIXe siècle. Les revenus des propriétés immobilières pourvoient à l’entretien de la famille. La vie quotidienne ne semble pas très différente de celle de leurs aïeux fermiers généraux deux siècles plus tôt : chasse et perception des fermages pour les hommes, entretien des jardins et musique pour les épouses. Les domestiques sont là pour libérer les parents des contraintes du quotidien. Les enfants, élevés dans un milieu bourgeois, reçoivent naturellement une éducation musicale – chant, piano, pour les filles, violoncelle pour le fils aîné et violon pour les garçons – et quittent la maison familiale dès l’âge du collège108. Sabouraud est inscrit à Paris au collège jésuite de Vaugirard. Peu adapté à ce milieu et ne paraissant pas faire d’efforts démesurés pour y parvenir, il est invité à quitter l’établissement deux mois avant les épreuves du baccalauréat. L’éducation de Sabouraud est alors confiée à un curé de campagne près de Redon109. L’ambiance est paisible, le recteur est peu autoritaire, occupé surtout à organiser avec quelques confrères du voisinage des réunions théologiques, prétextes à libations. Au terme de ce séjour, Sabou-
106- Trois pierres tombales adossées au mur mitoyen de l’église et du cloître de l’abbaye de Nieul rappellent la mémoire des premiers Sabouraud installés dans cette commune. La sécularisation de l’abbaye en 1715 permit aux Sabouraud, fermiers généraux, de devenir locataires des bâtiments et des terres avant que la vente des biens du clergé devenus biens nationaux en 1791 leur offre la possibilité d’acheter l’abbaye. Au XIXe siècle, ils continuèrent à consolider leur aisance matérielle, à faire bâtir des demeures cossues et à renforcer leurs liens avec la commune de Nieul et le département de la Vendée : élection à la mairie de Nieul de Marie-Ambroise Olivier Sabouraud (1er juin 1814 -1878), maire de la commune de 1852 à 1870 et de 1871 à 1876 et élection à l’Assemblée nationale de son neveu, Gaston Ambroise Sabouraud, député de la Vendée de 1885 à 1889. 107- Prègre J (1972) Sabouraud en son temps. Thèse pour le doctorat en médecine, Paris. 108- Sabouraud R « La musique », novembre 1937, dactylogramme conservé par le Pr Olivier Sabouraud (†). 109- Sabouraud R « Saint Jean de la Poterie », 21 décembre 1936. Ces textes qui font partie des volumes de souvenirs d’enfance rédigés par Sabouraud sont conservés par le Pr Olivier Sabouraud (†).
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Teignes et teigneux
raud est reçu bachelier à Rennes. Il restait alors deux années d’études secondaires à accomplir. La mère de Sabouraud ne voulant à aucun prix inscrire son fils dans un lycée public, une inscription est trouvée dans un collège catholique d’Angers. Sabouraud obtient en deux ans les baccalauréats de lettres et de sciences. Après avoir été tenté par l’architecture, il choisit la médecine, voie universitaire naturelle des enfants de famille bourgeoise110, 111. Étudiant à Paris Sabouraud s’inscrit à la faculté de médecine de Paris en 1883, à la suite d’un événement domestique imprévu : « En 1883, je comptais commencer mes études de médecine au mois d’octobre à Nantes où mes parents demeuraient, lorsque pendant nos vacances à la campagne notre maison de ville brûla tout entière […] il fut convenu que je partirai à Paris112. » Sabouraud s’installe 50 rue Jacob dans un hôtel faisant face à l’hôpital de la Charité, aujourd’hui la faculté de médecine, rue des SaintsPères. Il se trouve ainsi à deux pas de l’unique faculté de médecine de Paris, alors située rue de l’École-deMédecine. Dans ces premières années de la IIIe République, l’enseignement délivré par les facultés de médecine était l’objet de fortes critiques. Des enseignements magistraux dont le contenu et la forme n’aboutissaient qu’à une désaffection des amphithéâtres de cours, l’absence d’organisation de l’enseignement pratique et la vétusté des locaux donnaient de la
faculté de médecine de Paris l’image d’une inutilité quasi complète. La forme de l’enseignement était couramment mise en cause peut-être plus que son contenu ; l’absence de programme préétabli était alors le défaut le plus régulièrement dénoncé, de manière parfois humoristique : « Le professeur homme célèbre, peut-être illustre, montre une impossibilité presque absolue à s’astreindre à un enseignement élémentaire. Il se complaît et se perd dans des considérations et des réflexions très intéressantes sans doute mais auxquelles l’élève ne comprend rien et se lasse à la seconde leçon. Il est des professeurs qui s’imaginent que leur cours doit durer en quelques sorte indéfiniment… et le cours s’achève quand il peut en cinq ou six ans. L’élève qui a entendu la première leçon est depuis longtemps docteur quand la dernière s’achève113. »
Les étudiants ne s’y trompaient pas et fréquentaient fort peu la plupart des cours. Seuls les enseignants renommés pour leurs talents oratoires parvenaient à remplir les bancs des amphithéâtres. Ainsi, à côté de Brouardel, professeur réputé de médecine légale, qui pouvait se flatter de voir quelque trois cents étudiants à chacun de ses cours, d’autres tel Regnault, enseignant de pharmacologie, déplaçait à peine une quarantaine d’auditeurs114. Dans un long article, Chauffard, inspecteur général de l’enseignement de la médecine et professeur à la faculté, parlait d’un enseignement « en état d’infériorité fatale » et regrettait qu’entre le jour de l’inscription et celui des examens « tous deux
110- Le montant des frais d’inscription limitait aux enfants de famille aisée l’accès aux collèges de Jésuites et aux études supérieures. À la fin du XIXe siècle, l’internat dans un collège de Jésuites revenait à 1 400 francs par an et l’inscription et les droits aux examens à 3 000 francs dans une faculté de médecine. Par comparaison, les gages annuels d’une bonne à Paris étaient d’environ 500 francs et le salaire d’un ingénieur des Postes polytechnicien de 3 000 francs. Martin-Faugier A (1999) « Les rites de la vie privée bourgeoise » in Histoire de la vie privée sous la direction de Georges Duby et Philippe Ariès 4. « De la Révolution à la Grande Guerre », Seuil, Paris, p. 212-213. 111- Les droits à percevoir des aspirants au doctorat en médecine sont fixés par le décret de 1878 : 16 inscriptions y compris le droit de bibliothèque : 520 francs, 8 examens ou épreuves à 30 francs, 8 certificats d’aptitude à 25 francs, frais matériels de travaux pratiques : première année 60 francs, deuxième année 40 francs, troisième année 40 francs, thèse 100 francs, certificat d’aptitude 40 francs, diplôme 100 francs, soit un total de 1 360 francs. Guide pratique de l’étudiant en médecine et en pharmacie (1884). Librairie Ollier Henry, Paris. 112- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux. Archives de l’Institut Pasteur, fonds Sabouraud SAB 1-4. Ce texte a été rédigé par Sabouraud à la demande de Clément Simon, médecin de l’hôpital Saint-Lazare, qui projetait de publier un article sur la dermatologie contemporaine à l’occasion du cinquantenaire du Bulletin Médical, dont il était le directeur. Sabouraud insista pour qu’aucune partie du manuscrit achevé en avril 1936 ne soit publié de son vivant. (Lettre à Payenneville, 22 avril 1936.) L’exemplaire déposé aux archives de l’Institut Pasteur est une copie ; l’original dactylographié était conservé par le professeur Olivier Sabouraud (†), petit-fils de Raimond Sabouraud. Une version abrégée de Mes hôpitaux, intitulée Ma vie à l’hôpital Saint-Louis, a été déposée aux archives de la bibliothèque Henri-Feulard (cote ARK 98) par Maurice Pignot, adjoint de Sabouraud à l’école Lailler, plus tard administrateur de la bibliothèque Henri-Feulard. 113- Montanier H (1872) Médecine (enseignement et exercice) in Dictionnaire Encyclopédique des Sciences Médicales, Asselin et Masson, Paris, 2e série, t. V, p 625-676. 114- Galinowski A (1979) L’Enseignement de la Faculté de Médecine de Paris au début de la IIIe République et le décret du 20 juin 1878. Thèse pour le doctorat en médecine, Paris Val-de-Marne, Créteil.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
obligatoires et tous deux à redevance, l’étudiant semblait libre vis-à-vis de la Faculté et la Faculté libre vis-à-vis de lui ». Quant à la capacité de la faculté à donner aux futurs médecins une formation convenable, Chauffard ne pouvait que constater avec amertume que celle-ci « ne pouvait avoir à cet égard qu’une opinion pleine de réserves et qui n’allait pas au-delà d’une probabilité très vacillante115 ». Ces constats pouvaient d’autant plus surprendre que la médecine française avait permis, avec des moyens simples (examen clinique), dans les premières décennies du XIXe siècle, de faire considérablement progresser les connaissances médicales. Mais, depuis les années 1850, l’absence de prise en compte des disciplines microscopiques nouvelles, l’enfermement dans le clinicisme exclusif avaient conduit l’école française à une « impasse116 ». Ces comportements intellectuels étaient dénoncés par les observateurs les plus attentifs : « Nulle part, observait Liard, vice-recteur de l’Académie de Paris, la discordance entre les programmes d’étude et d’examen et d’état de la science n’était plus sensible […] il n’était tenu aucun compte des recherches scientifiques nouvelles, physiologie, histologie et il fallait fournir aux étudiants les moyens d’acquérir les préceptes de Claude Bernard et de Pasteur et ne plus s’en tenir à la simple observation des phénomènes morbides mais d’utiliser les ressources de l’expérimentation. Il n’était plus possible de borner l’éducation […] du futur médecin à l’anatomie, aux trois cliniques, à la médecine opératoire, à la thérapeutique. Il fallait envelopper toutes ces études de sciences pures. À la clinique et à l’observation, il fallait ajouter le laboratoire et l’expérimentation117. »
À ces insuffisances matérielles, à cette résistance aux acquisitions scientifiques et à un manque d’adaptation aux nécessités pratiques, venait s’ajouter l’hostilité de la faculté à l’enseignement des spé-
cialités qui ne furent reconnues qu’à la fin des années 1870 comme méritant d’être enseignées par un professeur titulaire d’une chaire : clinique des maladies mentales en 1877, clinique des maladies des enfants en 1878, clinique des maladies cutanées et syphilitiques en 1879, clinique des maladies du système nerveux en 1882, clinique des maladies des voies urinaires en 1890118. Cependant en dépit de ces multiples carences, l’enseignement de la médecine demeurait vivant grâce à de nombreux enseignants libres, médecins et chirurgiens des hôpitaux, docteurs en médecine sans titre universitaire qui contribuaient à suppléer « à l’indigence de l’enseignement officiel119 ». Le climat politique créé par la défaite de 1870 fut l’occasion d’affrontements idéologiques entre partisans d’un monopole renforcé de l’État sur la faculté de médecine et de la création d’une école municipale de médecine sous tutelle de la Ville de Paris120. Plusieurs réformes se firent jour dans ce climat. Le décret du 20 juin 1878, réforme pédagogique la plus importante des études médicales entre la loi de 1803 et celle de 1892, s’efforça de répondre de manière très incomplète aux nombreuses critiques dont l’enseignement de la médecine faisait l’objet121. Premiers pas à l’hôpital : initiation à la microbiologie En 1884, Sabouraud prend contact avec les hôpitaux, comme stagiaire à Laennec dans le service de Benjamin Ball122. La plupart des lits du service étaient occupés par des tuberculeux, « jusqu’à leur mort qui ne manquait pas ». Les conditions d’hygiène étaient déplorables, les salles « éclairées de trop haut sont noires comme des caves ». Des jeunes femmes hystériques occupaient les autres lits du service Ball, titulaire depuis quelques années de la chaire de pathologie mentale et également chef de service à Sainte-Anne.
115- Chauffard (1878) « De la situation de l’enseignement médical en France », Rev 2 Mondes, 1 : 124-166. 116- Ackerknecht EH (1986) La Médecine hospitalière à Paris, 1794-1848, op. cit., p. 156. 117- Liard L (1889) « Les facultés françaises en 1889. La vie et l’organisation intérieure », Rev 2 Mondes : 864-890. 118- Sur ce sujet on lira l’article de Jacques Poirier qui analyse les difficultés d’installation des chaires de spécialités médicales : Poirier J (1992) « La Faculté de Médecine face à la montée du spécialisme », Communications, 54 : 209-227. 119- Huard P, Imbault-Huart MJ (1971) « L’enseignement libre de la médecine à Paris au XIXe siècle », Rev Hist Sci, xxvii : 46-62. 120- Sur ces questions, on pourra lire Tilles G (1995) Histoire des bibliothèques médicales et des musées des hôpitaux de l’Assistance publique à Paris. L’exemple de l’hôpital Saint-Louis. Thèse pour le grade de docteur en histoire de l’université Paris-XII, Paris, 2 vol. Directeur : Pr J Poirier. 121- Galinowski A (1979) L’enseignement de la Faculté de Médecine de Paris au début de la IIIe République et le décret du 20 juin 1878. op. cit. 122- Né le 20 avril 1833 à Naples, mort le 23 février 1893 à Paris, agrégé en 1866, chef de service à Laennec en 1879, professeur de clinique de pathologie mentale en 1877, Benjamin Ball était membre de l’Académie de médecine.
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Teignes et teigneux « Donc, un jour par semaine, interne en tête, le service tout entier galopait jusqu’au Luxembourg prendre un autobus qui nous conduisait à Sainte-Anne. Là dans une petite salle de cours dont nous faisions presque seuls tout l’auditoire, le patron nous montrait les malades intéressants, les faisait parler et discourir, discourant après eux. Il faisait ensuite ses leçons sur un sujet déterminé. »
Henri Roger est alors l’interne du service123. Plus tard doyen de la faculté de médecine, Roger réalisait alors des colorations du bacille tuberculeux découvert par Koch deux ans plus tôt. Sabouraud observant « ses premiers bacilles » se familiarise avec la microbiologie qui depuis quelques années occupe l’esprit des médecins et l’espace de travail des services hospitaliers. Nommé en 1885 externe des Hôpitaux de Paris 129e sur 278124, Sabouraud choisit de faire son année de volontariat militaire avant de commencer son externat pour obtenir, l’année suivante, un stage dans un service convenant davantage à ses attentes. En 1886, de retour à Paris, il entre pour la première fois à Saint-Louis dans le service de chirurgie de Le Dentu125 (du 1er février 1887 au 31 janvier 1888). Les méthodes antiseptiques et l’asepsie développées dans quelques services de chirurgie n’étaient pas encore partout la règle. L’usage de l’acide phénique par Lister (1827-1912) en Angleterre dès 1867 est introduit à Paris par Just Lucas-Championnière (1843-1913) qui met au point les pulvérisations d’antiseptiques dans son service à Lariboisière à par-
tir de 1874. Pierre Budin (1846-1907), interne de Tarnier, obtient de celui-ci son accord pour adopter l’antisepsie dans son service d’obstétrique. En 1890, Marcel Baudouin rapporte l’utilisation de l’antisepsie depuis 1883 dans le service de Terrier (18371908) à Bichat. En 1883, Terrillon (1844-1895) commence à mettre en pratique l’antisepsie dans son service à la Charité en stérilisant les instruments et les pansements. Dans le service de Le Dentu, l’interne Albarran126, sans doute plus à l’écoute de ces méthodes, se chargeait fréquemment d’initier le patron – parfois réticent, voire hostile – à cette chirurgie nouvelle. C’est Albarran, rapporte Sabouraud, qui « entreprit de convertir le patron aux méthodes nouvelles de la chirurgie. Ainsi lui préparait-il ses malades à opérer, la région passée à la teinture d’iode, le champ opératoire circonscrit de clamps, de serviettes stérilisées. La première fois, Le Dentu qui ne s’y attendait pas eut un petit sursaut d’étonnement mais il se reprit et opéra ainsi sans rien dire127. » Chez Le Dentu, Sabouraud s’acquitte de son service à la satisfaction de son patron128. Du 1er février 1888 au 31 janvier 1889, Sabouraud est externe à Cochin dans le service de médecine de Dujardin-Beaumetz129, où il observe pour la première fois des cultures microbiennes : « Il (Dujardin-Beaumetz) avait d’emblée senti d’où venait le vent qui commençait de gonfler les voiles de la bactériologie […] Il avait profité de ses amitiés scientifiques pour faire adjoindre à son service un laboratoire de microbiologie […] C’est dans le labo-
123- Né le 4 juin 1860 à Paris, mort le 19 avril 1946 à Saint-Leu-la-Forêt, professeur de pathologie expérimentale et comparée en 1902, chef de service à l’Hôtel-Dieu en 1911, élu doyen de la faculté de médecine en 1917, réélu en 1920, 1923, 1926 et 1929. Membre de l’Académie de médecine, Henri Roger était commandeur de la Légion d’honneur. Outre ses travaux sur le bacille tuberculeux, Roger consacra ses premières publications à divers sujets de microbiologie, notamment au rôle de la toxine diphtérique. Trémollières (1946) « Le professeur H. Roger », Bull Acad Med : 316-321. 124- « Nomination par arrêté en date du 26 janvier 1886 pour entrer en fonction le 1er février 1886 » in Distribution des prix et nomination des élèves internes et externes en médecine et en chirurgie, séance du 27 janvier 1886 Administration générale de l’Assistance publique à Paris, Liasse n° 680, archives de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Les externes dans les hôpitaux du centre (Charité, clinique Hôtel-Dieu, Pitié) ne recevaient aucune indemnité ; dans les hôpitaux dits semi-excentriques (Cochin) les externes percevaient 300 francs par an ; dans les hôpitaux excentriques (Saint-Louis), les externes avaient une indemnité de 1 franc par jour. 125- Né en Guadeloupe le 21 juin 1841, Le Dentu était membre de l’Académie de médecine en 1889, professeur de clinique chirurgicale à l’hôpital Necker en 1890 puis chef de service à l’Hôtel-Dieu en 1904, mort en 1926. « Décès de M. le professeur Le Dentu », Bull Acad Méd, 1926 : 177-178. 126- Né le 9 mai 1860 à Cuba, mort le 17 janvier 1912 à Arcachon, Albarran fut nommé en 1906 professeur de clinique des maladies des voies urinaires, successeur de Guyon et chef de service à l’hôpital Necker, membre de l’Académie de médecine. 127- Poirier J, Salaün F (2001) Médecin ou malade ? La médecine en France au XIXe et XXe siècle. Masson, Paris, p. 48-49. 128- « Appréciation : bon externe dont j’ai été très satisfait ; le directeur : exact » Fiche d’externe et d’interne, source : archives de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, 774 FOSS 33. 129- Né à Barcelone le 26 novembre 1833, interne des Hôpitaux de Paris de 1858 à 1861, chef de clinique à la Pitié de 1866 à 1868, nommé médecin du Bureau central le 12 août 1870, nommé le 5 janvier 1876 médecin de la direction des nourrices, 1er février 1876 médecin de l’hospice de la Rochefoucauld, en 1877 médecin de Saint-Antoine, en 1884 médecin de l’hôpital Cochin, membre de l’Académie de médecine, commandeur de la Légion d’honneur, président du conseil d’hygiène publique et de salubrité du département de la Seine, fondateur de la Société de thérapeutique, mort le 15 février 1895. Séance du conseil municipal du jeudi 21 février 1895.
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ratoire […] que j’ai vu les premières cultures microbiennes130 ». En dépit des commentaires ironiques de Sabouraud, la lecture des leçons de thérapeutique de Dujardin-Beaumetz montre la place qu’il entendait donner aux recherches en laboratoire : « Ainsi dirai-je à tous ceux qui attachent quelque prix à l’étude de la cure des maladies, à tous ceux qu’attirent ces recherches de physiologie et de thérapeutique expérimentale […] venez près de nous, les portes de nos salles sont largement ouvertes ; le laboratoire avec tous les moyens d’investigation de la science moderne est à votre disposition131. » De Beaumetz, Sabouraud conserva le souvenir « d’un homme fin et madré. Chaque année, il donnait une fête dans son service. […] Il y faisait entendre des acteurs, des chanteurs et même des poètes, hospitalisés dans son service, pauvres diables sans génie, dont les vers en faux-Mallarmé étaient purement incompréhensibles. Beaumetz donnait une autre fête annuelle chez lui à laquelle ses amis et ses élèves étaient conviés. Une foule se pressait dans son hôtel du Boulevard Saint-Germain. Il y avait des gloires du Caf ’-Conc’ dont Paulus, une foule de dames ». L’année se passe sans difficulté et Sabouraud quitte le service de Dujardin-Beaumetz avec un commentaire élogieux de son patron et du directeur de Cochin132. Le temps des concours Du travail nécessaire à la préparation du concours d’internat, de l’ambiance des conférences d’internat, de l’angoisse du candidat face au jury, les mémoires
de Sabouraud ne disent rien. Seuls sont présents à son souvenir l’injustice d’un classement influencé par des luttes d’influence entre patrons, les manœuvres, le favoritisme, le népotisme et les scandales régulièrement dénoncés, bien éloignés de l’ambition égalitaire du concours républicain133. En 1888, 392 candidats sont inscrits ; le jury est composé de d’Heilly, médecin de l’hôpital Trousseau, Du Castel, médecin de l’hôpital du Midi, Labuc, médecin des Enfants-Malades, Peyrot, chirurgien de Lariboisière, Segond, chirurgien du Bureau Central et Brun, chirurgien du Bureau Central. L’épreuve écrite a lieu le vendredi 19 octobre 1888, salle Saint-Maurice à l’Hôtel-Dieu annexe. La question tirée au sort est « Triangle de Scarpa ; signes et diagnostic de l’étranglement herniaire ». Deux cent quarante-neuf copies sont recueillies. Certaines donnent lieu à contestations134. La lecture des copies est effectuée comme chaque année dans l’amphithéâtre de l’administration centrale, avenue Victoria. Les candidats lisent leurs copies par groupes de sept ou de huit. Sabouraud lit sa copie le dimanche 9 décembre à 9 heures du matin. Il obtient 24 points à l’écrit et est admis à subir la deuxième épreuve comme 140 autres candidats. Il subit l’oral le 16 janvier 1889 à 16 heures. La question tirée au sort est « Vertèbres dorsales ; symptômes et diagnostic du Mal de Pott. » Sabouraud obtient 13 points à l’oral soit 37 points au total, c’est-à-dire autant de points que les derniers nommés. Il n’est pourtant pas reçu interne titulaire mais interne provisoire135, 136 résultat qu’il commente plus tard avec amertume :
130- Sabouraud R, Mes hôpitaux, op. cit. 131- Dujardin-Beaumetz G (1886) Les Nouvelles Médications. Octave Doin, Paris, p. 2. Dujardin-Beaumetz insiste sur l’importance des microbes dans les salles d’hôpital et consacre plusieurs leçons aux antiseptiques, notamment dans le traitement de la tuberculose pulmonaire. 132- « Excellent élève mérite d’être interne ; le directeur même avis. » Fiches de scolarité in archives de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, 774 FOSS 33. 133- Sur les conditions du concours d’internat, on pourra lire : Vergez-Chaignon B (2002) Les Internes des Hôpitaux de Paris, 1802-1952. Hachette Littérature, Paris. 134- « … celle Mr Monsieur Deboyle est écrite sur un papier autre que le papier administratif ; Monsieur Fort est arrivé trois minutes après que le sujet de la composition ait été donné et a été autorisé néanmoins par le jury à faire une copie. Monsieur Vercoustre a omis de remettre un feuillet de composition et l’a rapportée à l’administration immédiatement après la séance et après en avoir prévenu le président du jury. Le jury admet les excuses de Mr Deboyle et de Mr Fort qui lui paraissent de bonne foi. Il reconnaît après vérification que le feuillet remis par Mr Vercoustre est écrit de la même plume et de la même encre que le reste de sa composition. Il décide que les trois candidats seront autorisés à venir donner lecture de leurs copies ». 135- À partir de 1816 des internes suppléants furent nommés pour remplacer en cas de vacance les internes titulaires. Le titre d’interne provisoire apparaît à partir de 1821. Durand-Fardel R (1902) L’Internat en médecine et en chirurgie des hôpitaux et hospices civils de Paris. Steinheil, Paris. 136- Quarante-deux externes furent désignés par arrêté du 29 janvier 1889 pour remplir les fonctions d’interne provisoire pendant l’année 1889. Séance du 21 mars 1889, distribution des prix et liste de nomination des élèves internes et externes en médecine et en chirurgie, Administration générale de l’Assistance publique à Paris, liasse 680, Archives APHP.
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Teignes et teigneux « J’avais déjà, pour me faire la main et l’esprit, remis une copie au concours précédent ; elle n’était pas mauvaise mais je ne la lue pas, me réservant pour l’année suivante ce qui fut un tort. Si en 1889, j’avais déjà eu un concours derrière moi, je serais arrivé titulaire au lieu de n’arriver que provisoire. En effet, j’étais classé second dans ma conférence et par suite d’une série de malchances je n’arrivai pas alors que ma conférence eut huit succès. […] une malchance ne me fit tirer au sort que pour la dernière séance d’oral. Les pointages étaient faits. Il ne restait plus qu’une place de titulaire à remplir sans quoi d’anciens concurrents seraient évincés. Pour favoriser les vieux candidats, le jury les réunissait tous avec un total de 37 points, ensuite on les alignait suivant leur âge de concours. Ainsi moi qui concourrai pour la première fois, je me trouvai deuxième provisoire avec la même note que le trenteseptième titulaire alors qu’on en reçu cinquante-quatre137, 138. »
Reçu 14e provisoire en 1889, Sabouraud choisit le service d’Émile Vidal (fig. 88) à Saint-Louis – « pour demeurer toute l’année dans le même service sans avoir de transplantation à craindre et de remplacement car ce poste était permanent et il n’y en avait pas beaucoup139 ». L’hôpital Saint-Louis comprend alors six services de médecine – essentiellement consacrés à la dermatologie – dirigés par Hallopeau depuis 1884 (salle Bazin, 66 lits d’hommes et 20 de garçons teigneux ; salle Lugol, 30 lits de femmes et 20 lits pour les filles atteintes de teignes), Tenneson depuis 1888 (salle Biett, 42 lits de femmes ; Hillairet, 36 lits d’hommes et Emery, 13 lits privés de femmes), Quinquaud depuis 1886 (salle Bichat, 70 lits d’hommes et salle Lorry 32 lits de femmes), Four-
nier depuis 1876 (salle Henri IV, 40 lits de femmes, salle Saint-Louis, 42 lits d’hommes), Besnier depuis 1873 (salle Cazenave 72 lits d’hommes ; salle Gibert 34 lits de femmes), Vidal depuis 1867, trois services de chirurgie dirigés par Péan, Le Dentu et LucasChampionnière et une maternité dirigée par Porak, soit environ 600 lits de médecine, 250 lits de chirurgie, 50 lits de maternité. Le service de Vidal comprend 108 lits : 41 lits d’hommes (salle Alibert), 38 lits de femmes (salle Devergie) et 29 lits payants pour des hommes hospitalisés au pavillon Gabrielle auquel est traditionnellement affecté l’interne provisoire. Dans le service d’Émile Vidal, Louis Wickham était alors interne titulaire en quatrième année, « excellent cœur et brave garçon tout droit, ayant des manies anglaises du week-end et du dimanche libre, des grandes vacances longues pour lui nécessaires car il n’avait pas un coffre très solide; il aimait le tennis à la passion et le football, connaissant bien sa clinique générale mais pas beaucoup plus de dermatologie que moi140, 141. » Chef de service à Saint-Louis depuis 1867, successeur de Devergie, Vidal fut l’un des premiers en France à souligner l’intérêt de l’histopathologie en dermatologie : « Tous ses élèves connaissaient la fameuse armoire aux préparations de son laboratoire, armoire remplie de boîtes soigneusement étiquetées dans lesquelles se trouvaient de nombreuses coupes histologiques dues aux collaborateurs les plus divers […] Son plan était de refaire toute l’anatomie pathologique cutanée. » Vidal fut d’ailleurs le premier à publier en France avec Henri Leloir, professeur de dermatologie à Lille, un ouvrage d’anatomie pathologique cutanée enrichi d’une ico-
137- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 138- Le nombre de places mises au concours donnait lieu chaque année à un exercice comptable qui devait tenir compte des internes sortants, des internes devenus docteurs en médecine et de ceux qui avaient dû démissionner pour des raisons diverses et des internes décédés. Pour le concours de 1888, cette question donna lieu à contestation du fait d’une modification de ce nombre entre le début du concours et la prise de fonction des internes. Le nombre de places mises au concours avait été fixé à 46 sur proposition de Hardy, président de la société des internes, avant la clôture des inscriptions. Mais entre-temps des places supplémentaires étaient devenues vacantes. Les provisoires réclamèrent que le nombre d’internes soit revu à la hausse pour tenir compte des places vacantes nouvelles imprévues au moment de la détermination du nombre de postes mis au concours. Concours de l’internat en médecine 1888. 139- Sur l’histoire de l’hôpital Saint-Louis et particulièrement de la dermatologie dans cet établissement, on pourra lire : Sabouraud R (1937) L’Hôpital Saint-Louis, Laboratoires Ciba, Lyon. Brunel O (1977) L’Enseignement de la dermatologie à l’hôpital Saint-Louis au XIXe siècle, thèse pour le doctorat en médecine, Paris. Casabianca S (1982) L’Hôpital Saint-Louis, autour et alentour, Thèse pour le doctorat en médecine, Paris. Sainte-Fare-Garnot N (1986) L’Hôpital Saint-Louis, l’Arbre à Images, Paris. Tilles G (2002) « L’hôpital SaintLouis, 1801-1945 » in La Dermatologie en France, op. cit., p.381-458. Schnitzler L, « L’hôpital Saint-Louis, 1945-2002 » in La Dermatologie en France, op. cit., pp. 459-491. 140- En 1897, Wickham succéda à Henri Feulard – mort dans l’incendie du bazar de la Charité – comme conservateur de la bibliothèque médicale de l’hôpital Saint-Louis. La même année, Wickham fut nommé médecin de l’hôpital Saint-Lazare avant de fonder en 1906 le laboratoire de biologie du radium où il développa la radiothérapie des cancers cutanés. 141- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit.
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nographie en couleurs. La mort des deux auteurs ne permit pas l’achèvement de cette œuvre142. Élu à l’Académie de médecine en 1883, Vidal mourut d’une septicémie en juin 1893. Il est inhumé au cimetière de Montmartre143. Sabouraud conserva de Vidal un souvenir pénible. Maître difficile « qui avait un caractère insupportable, c’était un porcépic. Jamais une observation de malades n’était prise à son gré. Il s’étonnait de ne pas nous voir faire un diagnostic à première vue alors que nous ne savions pas un mot de dermatologie. […] Vidal était un vieux beau, marié sur le tard et ayant la réputation de courir un peu. Il avait la tête d’un colonel de cavalerie en retraite avec des cheveux couchés et une forte moustache blanche. Je ne crois pas que ce fut une bien bonne cervelle. Au bout de huit jours, exaspéré par ses observations blessantes, je lui tins tête très posément et lui dis que si je ne lui convenais pas tel que j’étais, il n’avait qu’à demander mon changement de service ou que moi-même je pourrais le demander. Il fut visiblement interloqué et son ton se radoucit instantanément. […] Il avait un diagnostic très sûr et très prompt, une thérapeutique externe très minutieuse et très experte mais il ne fallait pas lui en demander davantage. Au total, il me semble un esprit médiocre144. »
Cet épisode n’empêcha pas Vidal de décerner à Sabouraud un satisfecit de fin de stage145. L’activité quotidienne de chaque service est réglée de manière immuable : le lundi est consacré à l’examen des « malades du dehors », c’est-à-dire des patients venant sur rendez-vous, ne souhaitant pas
être hospitalisés, mais pouvant être examinés plus longuement ce jour-là ; le mardi est le jour de consultation-porte ; le mercredi est le jour d’examen des nouveaux malades hospitalisés ; le jeudi le jour des interventions de petite chirurgie (scarifications notamment, méthode de traitement des lupus tuberculeux que Vidal pratiquait avec une adresse particulière) et jour de réunion du « Comité » qui précéda les réunions de la Société française de dermatologie ; le vendredi est consacré au cuir chevelu et le samedi à la visite ordinaire des patients hospitalisés146, 147. Quoi qu’il en soit, l’activité d’interne provisoire est modeste et Sabouraud peut repréparer le concours d’internat auquel il prend part de nouveau. Les inscriptions ont lieu du lundi 9 septembre au lundi 9 octobre 1889. Trois cent quatre-vingt-six candidats sont admis à s’inscrire. Les épreuves ont lieu du lundi 21 octobre 1889 au lundi 27 janvier 1894. Le tirage au sort du jury est effectué le lundi 7 octobre 1889 à 10 h 30. Le jury du concours est constitué de Déjerine, médecin de Bicêtre, MoutardMartin de Saint-Antoine, Hallopeau de Saint-Louis, Régnier, chirurgien de l’hospice d’Ivry, Guérin, chirurgien honoraire des hôpitaux, Schwartz, chirurgien de Bicêtre et Bonnaire, accoucheur du Bureau Central. Les épreuves écrites se tiennent à l’HôtelDieu, salle Saint-Maurice (question tirée au sort : « Muqueuse utérine, diagnostic différentiel des métrorragies »). L’épreuve commence à 12 h 15 et dure deux heures ; 223 copies sont recueillies. Le dimanche 8 décembre à 9 heures du matin, les membres du jury sont réunis au chef-lieu de l’administration sous la présidence du Dr Guérin. Le jury se rend à l’amphithéâtre et la séance ayant été déclarée
142- Leloir H, Vidal E (1889) Traité descriptif des maladies de la peau, Masson, Paris, 2 vol. 143- Décès de M. Vidal (1893) Bull Acad Med : 694. Brocq L (1893) « Emile Vidal (1825-1893) », Ann Dermatol Syphil, IV : 805-813. 144- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 145- Appréciation de Vidal : « très laborieux, instruit, m’a parfaitement secondé en remplissant avec zèle et intelligence les fonctions d’interne ; a toutes les qualités nécessaires pour faire un excellent interne ». Archives de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, 774 FOSS 33. 146- La consultation-porte était effectuée par chaque service un jour par semaine : il s’agissait d’une activité essentielle au recrutement des services où les patrons et leurs internes examinaient environ 300 patients chaque jour et faisaient hospitaliser les malades qui leur paraissaient les plus intéressants ou le nécessitant. Wickham L (1889) « L’Hôpital Saint-Louis, Paris », Br J Dermatol, vol. I : 120-127. 147- Selon Sabouraud, Vidal fonda la Société française de dermatologie et de syphiligraphie pour « faire pièce » aux réunions du jeudi, dénommées « comités », organisées sur l’initiative de Besnier. Ces réunions avaient lieu dans l’amphithéâtre du service Fournier et étaient le lieu de présentations de cas cliniques observés pendant la semaine précédente. Vidal a joué un rôle actif dans la fondation de cette société savante toujours en activité ; la réunion fondatrice s’est tenue le 22 juin 1889 chez lui, 45 rue Cambon. Vidal a d’ailleurs été choisi comme le premier secrétaire général de cette nouvelle société savante. Tilles G, Wallach D (1989) « 22 juin 1889 : fondation de la Société française de dermatologie et de syphiligraphie », Ann Dermatol Vénéréol, 116 : 965-972. Outre la fondation de la Société française de dermatologie, la grande affaire des dermatologues de Saint-Louis en 1889 fut l’organisation du Ier congrès international de dermatologie, tenu du 5 au 10 août dans la salle du musée des moulages, inauguré pour la circonstance. Sabouraud qui n’est alors qu’interne provisoire n’y prend pas part, et ses mémoires n’en rapportent aucun souvenir.
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ouverte, Taurin, Rancurel, Sabouraud, Marie et Ehrhardt viennent successivement donner lecture de leur composition, chacun d’eux étant surveillé par celui qui doit lire immédiatement après lui. La séance est levée à 11 heures. Le dimanche 12 janvier à 9 heures, les membres du jury sont réunis au chef-lieu de l’administration sous la présidence de Hallopeau qui désigne par tirage au sort les dix candidats appelés à subir l’épreuve orale : Fort, Artault, Jayle, Sabouraud, Wurtel, Brisard, Cazin, Migot, Morax et Dubrisay. Les élèves sont alors conduits dans une salle d’attente à l’exception du premier, Fort, qui tire le numéro de question à traiter : « Valvule mitrale, symptômes et diagnostic du rétrécissement mitral. » Fort se retire dans la salle de réflexion d’où il revient au bout de dix minutes pour parler pendant la même durée sur la question qui lui est échue. Les autres candidats procèdent successivement de la même manière. La séance est levée à midi (une question différente est tirée au sort pour chaque groupe de candidats). Le lundi 27 janvier, les membres du jury procèdent au classement définitif des candidats. À cet effet, le jury se fait représenter la relève des points obtenus par les candidats aux deux épreuves. À ces résultats officiels s’ajoutent les inévitables notes confidentielles remises au jury par les chefs de services pendant les années d’externat des candidats et qui permettent de finaliser le classement de manière moins officielle148. Nommé interne des Hôpitaux de Paris en 1890 (concours de 1889, 9e d’une promotion de 50), Sabouraud poursuit son parcours hospitalier (fig. 89). Le pasteurisme à l’hôpital En France, le microscope ne trouva sa véritable place qu’avec les travaux de Pasteur et de ses élèves. J. Léo-
nard, scindant en deux périodes « l’épopée du pasteurisme », voit le terme du premier pasteurisme à la fin des années 1870 avec la victoire de l’asepsie et de l’antisepsie et la visualisation de ces micro-organismes. Dans la période du « second pasteurisme »149, les querelles entre microbiologistes et médecins réticents s’étaient apaisées et les professeurs de la faculté de médecine de Paris se ralliaient à l’actualité pasteurienne150. Le tandem Cornil-Chantemesse était alors en pointe, mais il faut citer Adrien Proust, professeur d’hygiène de réputation internationale, Isidore Strauss, professeur de pathologie comparée et expérimentale, Félix Guyon, professeur de clinique des maladies urinaires. La présence de médecins prestigieux tels que Vulpian, Cornil, Brouardel élu en 1886 doyen de la faculté de médecine de Paris, tenait lieu de caution au pasteurisme151 et la création de laboratoires annexés aux chaires témoignait de la volonté des professeurs de ne pas rester en retrait de ce mouvement scientifique. Dans les hôpitaux des laboratoires s’installaient fréquemment à l’initiative personnelle des médecins des hôpitaux avant la reconnaissance de l’administration152. Puis à partir de 1886, le conseil de surveillance de l’Assistance publique votait un crédit de 50 000 francs justifié notamment par « l’entretien très dispendieux (appareils, instruments, produits) des laboratoires récemment installés dans presque tous les établissements153 ». Les ressources de l’Assistance publique devenant insuffisantes, certains chefs de service s’adressèrent directement au conseil municipal de Paris. À partir de 1886, celui-ci subventionna à Saint-Louis d’abord le laboratoire des teignes dirigé par Quinquaud, puis en 1889 vota l’agrandissement du laboratoire de Vidal. Progressivement d’autres services hospitaliers bénéficièrent de soutiens municipaux pour l’installation de laboratoires : en 1891, Lancereaux à la Pitié, Huchart à
148- Concours de l’Internat en médecine 1889. Archives APHP 761 FOSS 18. Nomination par arrêté du 29 janvier 1890 pour entrer en fonction le 1er février 1890. Sabouraud a obtenu 26 à l’épreuve écrite, 16 à l’épreuve orale. Sabouraud est alors domicilié 95 bd de Sébastopol. 149- Léonard J (1981) La Médecine entre les savoirs et les pouvoirs. Aubier, Paris, p. 243-258. 150- Léonard J (1986) « Comment peut-on être pastorien » in Salomon-Bayet Cl, Pasteur et la révolution pastorienne. Payot, Paris p. 145179. 151- La faculté de médecine ne bénéficia d’une chaire de bactériologie qu’à partir de 1918, attribuée à F. Bezançon. 152- Bergogne-Bérézin E (1998) « La naissance de la bactériologie hospitalière », Rev Prat, 48 : 1284-1288. 153- Cité in « Rapport au nom de la 5e commission sur la répartition des subventions aux laboratoires de bactériologie et de radiographie, aux bibliothèques et à l’attribution de bourses de voyage présenté par M. d’Andigné, conseiller municipal », Conseil Municipal de Paris, 1908, p. 3.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
Bichat, Hallopeau154 à Saint-Louis, Joffroy à la Salpêtrière ; en 1892, le laboratoire de Dujardin-Beaumetz à Cochin ; en 1893, celui de Robin à la Pitié, Hayem à Saint-Antoine, Kirmisson aux EnfantsAssistés. Le nombre de laboratoires annexés à des services hospitaliers augmenta rapidement pour atteindre le chiffre de 104 en 1893 dont 90 appartenaient à la faculté. Accompagnant ce mouvement scientifique, de nombreux périodiques se « pasteurisent » et contribuent ainsi à répandre l’esprit de la microbiologie. En 1880, Charles Richet prend la direction de la Revue scientifique. En 1881, Terrier crée la Revue de chirurgie, homologue de la Revue de Médecine créée au même moment et à laquelle collaborent Dieulafoy, Bouchard, Landouzy. En 1882, l’Union Médicale devient l’organe de presse d’une équipe où siègent Grancher et Brouardel qui depuis 1879 contrôlent les Annales d’hygiène publique et de médecine légale et depuis 1894 président le comité consultatif d’hygiène publique où siège Pasteur. En 1882 Guyon crée les Annales des maladies des organes génito-urinaires et en 1886 Dujardin-Beaumetz fait de même en créant Les nouveaux remèdes. En 1885, Lereboullet, directeur de la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, range son journal du côté des pasteuriens. Les Annales de l’Institut Pasteur sont créées en 1887 et les Archives de médecine expérimentale en 1889155. Ainsi, lorsque Sabouraud aborde son parcours hospitalier à la fin des années 1880, le rôle des microbes, objets de fortes réticences quelques années plus tôt, est de moins en moins mis en doute au point que Duclaux peut se demander « s’il y a vraiment des maladies où ils (les microbes) n’interviennent pas156 ». Darier qui vécut comme spectateur les
découvertes issues des travaux de Pasteur et de ses élèves résumait les effets suscités par cette approche nouvelle des maladies : « Qui n’a pas vécu l’époque où ces merveilles étaient annoncées, ne peut se faire une idée du bouleversement des idées médicales qui en est résulté et de l’enthousiasme qu’elles ont suscité dans les esprits […] les hypothèses anciennes, les causes cosmiques ou atmosphériques et l’idée d’un génie épidémique se voyaient mises hors de question […] on pensait même être sur le point d’expliquer la guérison ou la mort et même les mystères de l’immunité157. »
En Allemagne, Unna, dermatologue de Hambourg, proclamait sans hésiter qu’il n’était pas indispensable de voir le microbe pour affirmer sa présence : « Ce serait un raisonnement vicieux que de nier la nature parasitaire d’une maladie cutanée, sous prétexte que les cultures et l’inoculation n’en ont pas encore donné la démonstration absolue. Tant que l’aspect clinique, la marche de la maladie, les phénomènes concomitants ou des circonstances particulières […] ne plaident pas contre son origine parasitaire, les probabilités lorsqu’il s’agit d’une affection épidermique, sont en faveur d’une origine parasitaire158. »
Sabouraud effectue son premier stage d’interne à l’hôpital des Enfants-Assistés dans le service de chirurgie de Kirmisson (du 1er février 1890 au 31 janvier 1891), « médiocre chirurgien et mauvais caractère, grand diable sec, moustachu, marchant toujours le cou cambré en arrière comme s’il avait été empalé. Ce n’était
154- François Henri Hallopeau (1842-1919), médecin des Hôpitaux de Paris en 1877, professeur agrégé à la faculté de médecine de Paris en 1878, fut successivement chef de service à l’hôpital Tenon en 1880, à l’hôpital Saint-Antoine de 1881 à 1883 avant de venir à SaintLouis en 1884. Candidat à la succession de Fournier à la chaire de clinique des maladies cutanées et syphilitiques, Hallopeau manqua d’une voix cette succession au profit de Gaucher. Membre d’un grand nombre de sociétés savantes, Hallopeau fut vice-président du IIe congrès international de dermatologie tenu à Vienne en 1892, membre de l’Académie de médecine en 1893, secrétaire général de la Société française de dermatologie et de syphiligraphie de 1893 à 1902. Titres et travaux du docteur Hallopeau (1902). Typographie Philippe Renouard, Paris. 155- Léonard J (1982) « Pasteurisme et communication : comment est-on devenu pasteurien ? », Histoire des Sciences Médicales, t. XVII : 290-293. 156- Duclaux E (1886) Le Microbe et la maladie, Masson, Paris, p. 18. 157- Darier J « Historique de la dermatologie pendant les cinquante dernières années » in Deliberationes congressus dermatologorum internationalis IX-I Budapestini, 13-21 sept. 1835, p. 29-47. 158- Unna PG (1890) « Nature et traitement de l’eczéma », Ann dermatol syphil : 880-884. (Il s’agit du compte rendu de la communication faite par Unna au congrès annuel de l’association médicale britannique tenu à Birmingham en août 1890.)
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Teignes et teigneux plus comme Vidal un porc-épic, c’était un simple hérisson, bilieux, acrimonieux, avec des colères subites qui le faisaient très bien gifler un moutard quand il criait trop […] Il était encore de cette vieille école qui ignorait l’asepsie et même la propreté. Il flambait un stylet mais il l’essuyait sur ses doigts pour s’assurer qu’il n’était plus chaud159. »
En dépit des commentaires sévères de Sabouraud, Kirmisson semble avoir pris conscience de la nécessité de tenir compte des nouvelles méthodes antiseptiques dans la pratique et l’organisation de la chirurgie. Comme pour la plupart des médecins et des chirurgiens de son temps, une certaine fascination pour les universités de langue allemande n’était pas étrangère à ce souhait de renouveau : « Une révolution complète s’est opérée de nos jours en chirurgie ; elle est due à la méthode antiseptique. […] Partout, en Suisse, en Allemagne, à Vienne, on a compris qu’à des besoins nouveaux devaient correspondre des installations nouvelles […] en France nous avons beaucoup à faire pour être à la hauteur du mouvement contemporain […] des salles de malades il faut bannir tout d’abord l’encombrement qu’y crée la présence de lits supplémentaires vulgairement appelés brancards et qui consistent tout simplement parfois en des matelas entassés sur le sol. […] un amphithéâtre d’opérations doit être à l’époque actuelle un véritable laboratoire muni de tous les objets nécessaires à la pratique d’une rigoureuse antisepsie […] une des conditions les plus essentielles de l’antisepsie étant la propreté absolue de la région du corps sur laquelle on va opérer, des mains d’un chirurgien et de ses aides, l’amphithéâtre d’opération doit être pourvu de robinets d’eau froide et d’eau chaude […] Il est une foule de détails nécessaires (que) nous avons rencontrés partout dans nos voyages en Angleterre, en Suisse, en Allemagne, en Autriche.160 »
Malgré le climat intellectuel qui favorisait l’innovation à visée antimicrobienne dans les services de la faculté de médecine et dans les hôpitaux, c’est dans une autre structure qu’il faut chercher l’originalité et la volonté novatrice en matière de recherche médicale. Sabouraud qui reste attiré par la microbiologie s’inscrit un peu par hasard au cours de microbie technique d’Émile Roux à l’Institut Pasteur.
Le « Grand Cours » de Monsieur Roux : le « chemin de Damas » Le 1er mars 1886, Pasteur présentait devant l’Académie des sciences le projet de fondation d’un institut consacré au traitement de la rage dont les premiers résultats obtenus quelques mois plus tôt faisaient espérer qu’il devenait enfin possible de guérir cette maladie jusque-là mortelle. La commission constituée à l’issue de la séance adoptait à l’unanimité le projet de Pasteur sous forme de trois articles fondateurs : « art. 1er : un établissement pour le traitement de la rage après morsure sera créé à Paris, sous le nom d’Institut Pasteur ; art. 2 : cet Institut admettra les Français et les Étrangers mordus par des chiens ou autres animaux enragés ; art. 3 : une souscription publique est ouverte en France et à l’Étranger pour la fondation de cet établissement161. » Le nouvel Institut est reconnu d’utilité publique par décret du 4 juin 1887 et inauguré le 14 novembre 1888 au cours d’une cérémonie grandiose à la gloire de Pasteur et de la Science française162. Dans son discours – prononcé par son fils, Pasteur étant trop affaibli par la maladie – Pasteur élargit la vocation de son Institut à celle d’un « dispensaire pour le traitement de la rage, un centre de recherches pour les maladies infectieuses et un centre d’enseignement pour les études qui relèvent de la microbie ».
159- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 160- Kirmisson E (1888) Des réformes urgentes dans les services de chirurgie. Administration des deux revues, Paris. 161- « Fondation d’établissement pour le traitement de la rage », CR Acad Sci, 8 mars 1886. 162- Inauguration de l’Institut Pasteur. Compte rendu, Sceaux, Charaire et fils, 1888.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
Le cours de microbie technique est confié à Émile Roux (fig. 90) comme l’élément essentiel de la transmission des méthodes de recherche mises au point par Pasteur163. Les objectifs du cours d’Émile Roux furent d’abord presque exclusivement pratiques. Il s’agissait d’enseigner aux élèves en quelques semaines les méthodes de base leur permettant de pratiquer la microbiologie dans leurs services ou laboratoires d’origine : « La durée des cours est de 5 à 6 semaines. Les personnes qui désirent suivre le cours doivent se faire inscrire à l’économat de l’Institut Pasteur ; elles payent un droit d’inscription de 50 francs. Une place leur est réservée au laboratoire ; elles ont à leur disposition l’eau, le gaz, les appareils nécessaires à la préparation des milieux de culture, certains ustensiles de verrerie, les matières colorantes, les réactifs usuels […] le chef de service fait plusieurs conférences par semaine. Les questions traitées dans ces leçons servent de sujet de travail aux élèves, d’après un programme qui leur est donné à la fin de chaque conférence […] Liste des objets que les élèves doivent se procurer : un microscope avec éclairage Abbe et objectif à immersion homogène, lames porte objets, lames creuses, lamelles couvre objets, pinces fines et aiguilles à dissocier, tubes à essai, tubes à pommes de terre, tubes effilés, capuchons de caoutchouc, fils de platine pour ensemencement, scalpels, ciseaux et pinces pour autopsies, papier à filtrer, papier de soie, plumes, encre, papier, étiquettes, alcool, absolu, éther, huile d’aniline, essence de
girofle, baume du Canada. Les garçons de laboratoire fournissent à ceux qui le désirent et aux prix courants les objets énumérés ci-dessus excepté le microscope et les objectifs164. »
Le cours de microbie technique de Roux, parfois appelé le « Grand Cours » eut lieu pour la première fois le 15 mars 1889, dans son laboratoire au milieu des instruments : « Le cours de M. Roux […] commence à 13 heures par une conférence dans laquelle les auditeurs apprennent tout ce qu’ils auront à répéter eux-mêmes dans l’après-midi.165 » Legroux, qui fut l’un des préparateurs du cours d’Émile Roux rapporte que celui-ci « ne voulait pas faire de leçons à l’amphithéâtre mais dans le laboratoire des manipulations, groupant autour de lui ses auditeurs, expliquant devant le tableau noir la vie des infiniment petits, leur rôle aussi bien dans la maladie que dans la nature ; tous ceux qui ont entendu ces leçons sur le rôle des microbes à la surface du sol avaient l’impression de vivre dans un monde nouveau où tout se réglait suivant des lois que l’on pouvait faire varier, un monde où l’on devenait créateur après avoir été spectateur. La figure ascétique, les yeux perçants, M. Roux a toujours eu jusqu’à la fin de sa vie un auditoire attentif et silencieux qui n’osait applaudir à la fin de la leçon tant il était fondu dans le sujet qui venait d’être exposé166. »
M. Faure167 a rappelé à quel point le cours d’Émile Roux était unique au monde. Les élèves, en
163- Né à Confolens (Charente), le 17 décembre 1853, Roux commence ses études médicales à l’École de médecine de ClermontFerrand. Préparateur dans le laboratoire d’Émile Duclaux, professeur de chimie à la faculté des sciences, Roux est présenté à Pasteur qui cherche un jeune médecin pour l’assister dans ses recherches sur les maladies microbiennes. Roux devient alors préparateur, au laboratoire de Pasteur à l’École normale supérieure (Paris), docteur en médecine en 1883 (« Des nouvelles acquisitions sur la rage »), directeur-adjoint au laboratoire de Pasteur, rue d’Ulm de 1883 à 1888, Émile Roux est nommé chef de service à l’Institut Pasteur jusqu’en 1895. De 1888 à 1890 Roux et Yersin apportent la preuve définitive que le bacille de Klebs-Löeffler est bien la cause de la diphtérie, découvrent que ce bacille produit une toxine. Roux acquiert une renommée internationale en mettant au point de 1891 à 1894 la sérothérapie antidiphtérique qui sauve la vie d’enfants auparavant condamnés. La sérothérapie antidiphtérique qui a commencé à l’hôpital des Enfants-Malades en janvier 1894 et à l’hôpital Trousseau à dater du 18 septembre a fait chuter la mortalité des enfants atteints de diphtérie de 50 à 60 % […] à 22 % à l’hôpital des Enfants-Malades et à 10 % à Trousseau à 10 % ». Communication de M. le directeur au sujet du traitement de la diphtérie par la méthode de M. le docteur Roux, Procès-verbal du Conseil de surveillance, jeudi 25 octobre 1894, p. 9-14. Sous-directeur de l’Institut Pasteur de 1895 à 1904, membre de l’Académie de médecine en 1896, Roux assura la direction de l’Institut Pasteur pendant près de trente ans de 1904 à 1933. Sa mort le 3 novembre 1933 donna lieu à des funérailles nationales. « Émile Roux, 1853-1933 », Ann Inst Pasteur, novembre 1933, t. LI, n° 5 : 545-552. (www.pasteur.fr/infosci/archives/rou0.html). 164- Cours de microbie technique (nd) in Archives de l’Institut Pasteur, ROU 7. 165- Lagrange E (1954) Monsieur Roux. Goemaere, Bruxelles, p. 95. 166- Legroux cité par Delaunay A (1962) L’Institut Pasteur, des origines à aujourd’hui. France-Empire, Paris, p. 50. 167- Faure M (1991) « Cent années d’enseignement à l’Institut Pasteur », in : L’Institut Pasteur, contribution à son histoire sous la direction de Michel Morange. La Découverte, Paris, p. 62-74.
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majorité des médecins depuis le jeune interne jusqu’au médecin des hôpitaux ou au professeur, tous francophones, de toutes origines, furent d’abord peu nombreux168 : quinze élèves (sept internes, deux préparateurs et six médecins dont deux Russes et un Américain) et quatre auditeurs – dont Laveran, futur prix Nobel de médecine – lors de la première session. L’enseignement durait quarantecinq jours environ et comportait au début une trentaine de leçons, répétées trois fois par an. Le cours avait lieu l’après-midi pour que les médecins puissent y assister. Roux était aidé par un préparateur, au début Yersin. À côté des élèves, des auditeurs qui ne participent pas aux travaux pratiques assistent aux cours. D’année en année le volume de connaissances à enseigner obligea Roux à augmenter la durée de son cour (quarante-deux leçons l’année où Sabouraud y assista). Le nombre d’étudiants augmente chaque année et Roux insiste auprès du conseil d’administration de l’Institut pour obtenir des moyens suffisants : « Deux séries de cours ont été faites en 1896, elles ont été suivies par cent cinquante personnes appartenant aux nationalités les plus diverses. Le nombre des médecins qui demandent à prendre part aux travaux est toujours en augmentant et dans les deux derniers cours nous avons eu jusqu’à trois et quatre travailleurs se serrer à la même place. Il est tout à fait urgent que l’agrandissement des services vienne donner plus de place de façon que le travail se fasse dans les meilleures conditions169. »
À partir de 1894, année où Roux met au point la sérothérapie de la diphtérie, le nombre des élèves passe de quarante à cent lors de certaines sessions. Les élèves du Cours de Roux ne passent pas d’examen. L’enseignement n’est sanctionné par aucun diplôme, seule une « attestation d’ancien élève de l’Institut Pasteur » leur est donnée qui vaut tous les diplômes.
Le programme des cours est volontairement orienté vers l’exercice pratique de la microbiologie : « Les microbes, leur forme, classification ; nécessité de cultures pures, stérilisation des matières organiques ; autres milieux solides opaques ; bouillons spéciaux ; stérilisation des liquides qui ne peuvent pas se chauffer ; gélatine ; gélose ; coloration ; séparation des colonies, numération des microbes. » Chaque exposé de Roux est suivi par une séance de travaux pratiques au cours de laquelle les étudiants doivent refaire les expériences proposées par le maître. Les maladies sont étudiées dans la seconde moitié de l’enseignement : « L’air ; l’eau ; la terre ; étuve ; charbon ; choléra des poules ; rouget du porc ; septicémie des souris ; érysipèle ; phosphorescence ; typhus ; herpès, teigne ; pneumonie ; choléra ; tuberculose ; morve ; lèpre ; rage ; tétanos ; diphtérie ; désinfections ; anaérobie ; virulence170. » Sabouraud s’inscrit, un peu par hasard, à la 6e session du cours de microbie technique du 15 novembre au 31 décembre 1890171. Roux est assisté de Haffkine. Treize autres élèves, français et étrangers, sont inscrits à la même session : Tsikhlinski (Russie), Voûte (Hollande), Morado (Cuba), Silveira (Portugal), Serina (Mexique), Meyer (Strasbourg), Soupault, Caussade (externe des hôpitaux), Kéthune, Bruhl (interne des hôpitaux), Cathelineau, Hormont. À côté des élèves qui sont autorisés à assister aux cours et à participer aux expériences, prennent place des auditeurs qui n’assistent qu’aux leçons de Roux : Mme Adrienne Hogner (Suède), Melle Vaillard, (professeur au Val-de-Grâce), Calmette (médecin de 1re classe des colonies), Fernbach (préparateur à l’Institut Pasteur), Adami (démonstrateur d’anatomie pathologique à l’université de Constantinople), Le Dantec (préparateur à l’Institut Pasteur), Oroval (médecin municipal), Djéladdin Moukhtar (médecin de l’armée impériale ottomane), Nicolas Ramirez de Arellano (professeur à l’École de médecine de Mexico), Monparas (Mexique), Nicolle (préparateur d’anatomie pathologique à la faculté), Rouget (préparateur au Val-de-Grâce)172.
168- Delaunay A (1962) L’Institut Pasteur, des origines à aujourd’hui, op. cit. 169- « Rapport sur les travaux du laboratoire de microbie technique pendant l’année 1896 », chef de service Dr Roux in Archives de l’Institut Pasteur, cote ROUX 7. 170- « Cours de Microbie technique d’Émile Roux », in Archives de l’Institut Pasteur, cote ROUX 7. 171- À notre connaissance aucun médecin de Saint-Louis n’assista aux cours de Roux. Seul Leredde, interne dans le service de Besnier, assista à la 5e session du 2 juin au 5 juillet 1890. 172- Une copie du cahier des inscrits au cours de microbiologie, tenu sans interruption de 1890 à 1970, est conservée au musée Pasteur. Pendant les vingt-cinq premières années, le cours de Roux a formé plus de 2 000 microbiologistes qui ont essaimé en France et dans de nombreux pays étrangers les méthodes et les connaissances pasteuriennes. Après une interruption pendant les années de guerre, le cours reprend en 1922. Après une nouvelle interruption pendant la Seconde Guerre mondiale, le Grand Cours fut confronté à la concurrence
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
Sabouraud conserva toute sa vie un souvenir admiratif, de respect quasi religieux à l’égard d’Émile Roux qui lui fit entrevoir comme une illumination cette médecine nouvelle dont les découvertes semblaient capables de tout expliquer : « J’arrivais tout frais émoulu du concours de l’internat et croyant déjà savoir quelque chose. Dès ces premières leçons, ce fut pour comprendre que je ne savais rien. Seuls ceux de ma génération se rappellent un manuel de Laveran dans lequel nous apprenions notre pathologie interne et qui signalait dans l’érysipèle la présence d’un certain coccus en chaîne nommé streptocoque sans que son rôle pathogène fut encore probable. Seuls mes camarades de cours ont pu entendre Fernand Widal suppléant de Chantemesse et chargé de cours à la Faculté parlant de la pneumonie pour dénier au pneumocoque toute valeur pathogène. Quelle miraculeuse révélation pouvait être alors le cours de Roux pour un esprit nourri des anciennes et obscures théories diathésiques. Ici on ne parlait plus par hypothèses. De tout ce qui était avancé la preuve était faite […] tout cela est si banal aujourd’hui que personne ne peut plus comprendre nos émerveillements. Et pourtant cela était pour nous comme l’éclat subit du soleil dans la nuit noire173. »
L’utilisation récurrente d’un vocabulaire religieux contribue encore à sceller la foi des disciples de Pasteur qui insistait sur la nécessité de « prendre intérêt […] à ces demeures sacrées que l’on désigne sous le nom expressif de laboratoire. Demandez qu’on les multiplie, qu’on les orne : ce sont les temples de l’avenir, de la richesse et du bien-être174. » Le discours de Sabouraud s’inscrit dans cette religiosité : « Ce fut pour moi comme de l’eau pure pour un homme qui a très soif […] Roux m’apparut non seulement comme celui qui savait et enseignait mais en outre comme un justicier qui n’hésitait pas à stigmatiser les résistances médicales à la vérité nouvelle et
c’était comme un saint laïque qui s’était entièrement dévoué au triomphe de la cause qu’il défendait. […] J’étais non seulement attentif mais haletant et j’aurais voulu interrompre la leçon pour l’applaudir. J’écrivais, j’écrivais tout, commençant chaque phrase que je finissais le soir, ne perdant rien, pas un détail, conquis jusqu’au tréfonds de moi-même175. »
Roux était, selon les témoignages unanimes mêlant objectivité et commentaire hagiographique, non seulement un pédagogue exemplaire, mais aussi un manipulateur hors pair : « Roux était un technicien incomparable et chacun de ses gestes si sobres quand il faisait un ensemencement ou démontrait une expérience était une satisfaction autant pour la vue que pour l’esprit176 » ; « technicien incomparable, chacun de ses gestes, si sobres, quand il faisait un ensemencement ou réalisait une expérience, était une satisfaction autant pour la vue que pour l’esprit177. » « D’emblée il s’imposa comme un incomparable professeur. Les phrases se suivaient toutes impeccables de forme et de précision, prononcées sans la moindre hésitation, sans mots inutiles ou répétés178. » D’autres témoins ajoutent à ces descriptions : « La leçon n’a pas encore commencé. On s’installe sur des tabourets près des tables, on s’interpelle, les conversations sont animées. Subitement un grand silence se fait. Le conférencier vient d’entrer : silhouette élancée, corps droit et souple et, dans un visage émacié ascétique, aux narines relevées et frémissantes des yeux d’un surprenant éclat : Roux, “Monsieur Roux” car tel est le nom que lui donne la déférence de tous […] La leçon nous semblait courte et nous aurions aimé entendre M. Roux parler pendant longtemps encore […] Cher Monsieur Roux ! Il ne nous a pas seulement enseigné la technique bactériologique. Il nous a montré que les qualités maîtresses du chercheur scientifique sont celles que Pasteur possédait à un très haut degré : l’imagination créatrice,
des facultés des sciences, de médecine, de pharmacie et des écoles vétérinaires. À partir des années 1950, le Cours dont l’unité avait été maintenue est scindé en deux parties : l’immunologie se sépare de la bactériologie puis, à partir des années 1970, le développement des connaissances oblige à un éclatement du Cours d’où émergent des enseignements séparés de bactériologie et de virologie dirigés par des spécialistes de chaque discipline. Faure M (1991) Cent années d’enseignement à l’Institut Pasteur, L’Institut Pasteur, contribution à son histoire, op. cit, pp. 62-74. 173- Sabouraud R (1933) « Émile Roux, quelques souvenirs », Bull Med, 47, 50, p. 801. 174- Pasteur L, Œuvres. t. 7, Paris, p. 200. 175- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 176- Pasteur Vallery-Radot L (1948) « Les pastoriens de la grande époque 1885-1895 ». Bruxelles Médical, 127 : 1374-1385. 177- Pasteur Vallery-Radot L (1962) Préface in Delaunay A (1962) L’Institut Pasteur, des origines à aujourd’hui, op. cit. 178- Mesnil MF (1933) « Notice nécrologique sur M. Émile Roux », Bull Acad Med, 19 décembre 1933, n° 41.
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Teignes et teigneux l’enthousiasme, ce “dieu intérieur” qui, suivant l’expression de Montaigne “élève parfois l’homme au-dessus de lui-même” et la patience dans les longs efforts. […] Rien mieux qu’une leçon de Monsieur Roux ne pouvait faire sentir à ceux qui entraient dans la carrière scientifique les servitudes, mais aussi la grandeur de ce travail de laboratoire dont on conserve, au soir de sa vie, le nostalgique regret179. »
Rédigeant à la fin de sa vie un ouvrage de souvenirs et de réflexions, Sabouraud consacra quelques pages à ce qu’il considère comme une « crise de passion collective » dont il fut lui-même atteint et dont il souligne les connotations religieuses : « Ce feu prend d’abord possession d’un individu, mais celui-là le communique à d’autres, puis à d’autres encore qui font comme une petite église, un groupe dans lequel on ne parle plus d’autre chose. La foi de chacun réagit sur l’autre, chaque fidèle reçoit le choc et le répercute amplifié […] J’ai vu dans ma vie deux cas semblables en laissant de côté l’affaire Dreyfus et la guerre mondiale. Au premier de ces cas, j’ai pris part moi-même assez pour mesurer au moins la joie de ceux dont la part fut plus grande. Quand je suis arrivé à l’Institut Pasteur, c’était à la fin de cette période héroïque où les grandes découvertes de la microbiologie avaient été faites par Pasteur, Roux et ses élèves. […] Tous les grands problèmes de la vie repassaient au creuset de la microbiologie et les esprits brûlaient comme dans une fournaise. Des Instituts Pasteur s’organisaient partout dans les colonies […] Le petit restaurant “Au microbe d’or” installé dans les combles pour permettre de n’interrompre qu’une demi-heure le travail de chacun. Là on s’entretenait à mi voix des découvertes qu’on voyait poindre ; il semblait à chacun que dans dix ans, on aurait trouvé la clef de toutes choses, la guérison de toutes les grandes infections, la cure de tous les grands fléaux de l’humanité, que dans dix ans on aurait assuré au monde la sécurité. L’état de joie passionnée, d’ardeur dans la recherche, de patience inaltérable devant les obstacles rencontrés étaient positivement indicibles. Tout ce monde vivait là en état de grâce […] C’était l’époque où l’un des élèves se mourait de la morve contractée au labora-
toire. Et combien de victimes du choléra, de la peste bubonique, de la fièvre jaune, de la diphtérie ! Ce qu’il fallait, c’était sortir coûte que coûte de l’état actuel pour faire naître l’époque nouvelle. Les morts ne comptaient pas, ce qui comptait c’était la victoire prochaine180. »
« Pour moi l’Institut Pasteur avait été le chemin de Damas » que Sabouraud découvre « comme un païen d’autrefois découvrait le christianisme »181. Vallery-Radot donne d’Émile Roux une image presque christique : « Aspect ascétique, visage osseux, regard scrutateur qui pénétrait jusque dans les profondeurs morales de l’interlocuteur, narines relevées et frémissantes, parole nette, mot juste, pensée claire qui allait droit au but, logique inflexible, tel était celui qu’on appelait “Monsieur Roux”. Il était aussi grand par le caractère que par l’esprit. Tout était simple, droit et pur en son âme et sa pensée. Comme tous les hommes vraiment supérieurs il était seul marchant d’un pas assuré vers ce qu’il avait jugé être la vérité sans tenir compte des incidences humaines et il finissait toujours par entraîner derrière lui la foule ignorante ou stupide […] Ceux qui ont eu le privilège d’écouter les cours de Roux en restent éblouis. Les mots étaient le vêtement même de la pensée, précise, lumineuse. Pas d’effets oratoires182. »
« Roux faisait revivre lumineusement l’épopée pastorienne […] Roux était arrivé à ce degré de renoncement et de grandeur morale que ses seules joies étaient faites des travaux, des découvertes et des succès des autres183. » Sandra Legout a analysé les leitmotivs revenant régulièrement sous la plume des pasteuriens et qui définissent ce qu’il est convenu d’appeler la famille pasteurienne. Être pasteurien, c’est d’abord être l’héritier d’une méthode d’expérimentation décrite par Pasteur et des principes essentiels que sont l’enthousiasme, la précision, l’esprit critique, le désintéressement, la foi scientifique. Les pasteuriens doivent se sentir investis d’une mission, celle de soutenir la réputation scientifique que l’Institut doit à son fon-
179- Dujarric de la Rivière R (1958) « Souvenir d’une leçon du docteur Roux à l’Institut Pasteur en 1912 », Médecine de France, 99 : 1011. 180- Sabouraud R (1933) Pêle-mêle. Regards en moi et autour de moi. Plon, Paris, p. 53-55. 181- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 182- Pasteur Vallery-Radot L (1948) « Les Pastoriens de la grande époque 1885-1895 », art. cité, 27 : 1373-1386. 183- Émile Roux, Fondation Curie, 1933.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
dateur en continuant à respecter les objectifs que celui-ci leur a assigné. Ils doivent se considérer comme les héritiers des volontés et des espérances du maître et continuer d’explorer le monde des microbes afin d’améliorer les conditions humaines partout où cela est nécessaire184. Les plus aventuriers élèves de Pasteur répandent la parole de leurs maîtres aux quatre coins du monde. Certains élèves installent des Instituts Pasteurs : Yersin en Indochine, Calmette à Saigon puis à Lille, Sergent à Alger, Charles Nicolle à Tunis, Maurice Nicolle à Constantinople. D’autres, tel Sabouraud, plus modestement poursuivent leurs parcours hospitaliers en s’efforçant d’installer dans les services de l’Assistance publique les commandements des pasteuriens. Premières recherches en laboratoire Après une année de chirurgie185, Sabouraud est en 1891 interne à Saint-Antoine, dans le service de Tapret (du 1er février 1891 au 31 janvier 1892). Encouragé par Émile Roux, il se fait installer dans le service un modeste laboratoire de bactériologie dont il raconta plus tard, non sans une certaine fierté, les circonstances de création : « Dans (le) service il n’y avait qu’une petite pièce obscure de trois à quatre mètres de côté sans eau, sans gaz et sans éclairage. […] il me fallait des fonds et la permission de l’Assistance publique. Alors sans sourciller, je demandai audience à Monsieur le Secrétaire général […] je lui exposai mes projets et lui présentai ma demande de fonds. Sa réponse fut celle d’un homme aimable, désireux de faire plaisir mais entièrement
sceptique sur le fond même de ma demande et il me le dit fort clairement […] La conversation prit fin sur l’autorisation de faire mettre dans le petit local en question l’éclairage, l’eau et le gaz. J’avais demandé 1 500 francs, on m’en accorda 1 000 […] je fus ensuite chez le directeur de l’hôpital Saint-Antoine que je mis au courant de mon entretien. Il se figura que pour m’être adressé à ce très gros personnage qu’était le Secrétaire général, j’avais de puissantes recommandations en haut lieu ce qui n’était pas. Il fit venir le plombier, le serrurier, l’électricien. […] Quand j’y entrai 8 jours plus tard, le laboratoire était prêt à fonctionner […] Le jour même j’y faisais mes premiers milieux de culture […] le service fini, je m’enfermais dans ce petit laboratoire […] je réunis en 6 mois trente pièces de syphilis sans trouver de microbe après des milliers de coupe et de colorations186. »
Après avoir quitté le service Tapret avec une appréciation élogieuse187, Sabouraud entre en 1892 dans le service d’Ernest Besnier à Saint-Louis (du 1er février 1892 au 1er août 1893188) (fig. 91). De même que Roux avait donné à Sabouraud la passion de la microbiologie, ce fut grâce à Besnier que cette passion put se développer dans l’étude des teignes, sujet alors très controversé qui allait lui apporter en peu de temps une renommée internationale. Créateur en 1879189 du terme biopsie pour désigner ce prélèvement sur le vivant qu’il considérait comme une étape essentielle du diagnostic des maladies de la peau, Besnier fut à l’origine des Réunions du Jeudi, créées en 1888, qui en rassemblant les chefs de service de Saint-Louis permirent la création en 1889 de la Société française de dermatologie. Bien
184- Legout S (1999) « La famille pasteurienne. Le personnel scientifique permanent de l’Institut Pasteur de Paris entre 1889 et 1914 ». Mémoire de DEA, École des hautes études en sciences sociales, Paris. 185- Appréciation de Kirmisson : « Par son zèle et par son assiduité aussi bien que par son intelligence et son instruction médicale c’est un élève modèle et je suis heureux de lui donner ici le témoignage de mon entière satisfaction. » Le directeur : « Je me fais un devoir de m’associer à l’éloge que Mr Kirmisson fait de Mr Sabouraud. » Archives de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, 774 FOSS 33. 186- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. Sabouraud s’efforça de vérifier, sans y parvenir, la méthode de coloration du « bacille » de la syphilis par la méthode décrite par Lustgarten, élève de Kaposi à Vienne. Sabouraud R (1892) « Quelques faits relatifs à la méthode de coloration de Lustgarten », Ann Inst Pasteur : 184-189. En fait, c’est à propos de la tuberculose que Sabouraud fit ses premières publications. Sabouraud R (1891) « Sur un cas de tuberculose humaine congénitale ». Comptes rendus de la Société de biologie, t. III : 674675. 187- « Appréciation : interne des plus distingué et de beaucoup d’avenir. Esprit élevé, cultivé, grand travailleur d’un dévouement absolu, très enthousiaste de la science moderne a pourtant encore besoin d’un peu de clinique. Le directeur : notes confirmées. » Archives de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, 774 FOSS 33. 188- « Appréciation : interne parfait ; les travaux à Saint Louis dans le laboratoire Alibert ont déjà contribué grandement à la thérapeutique de la teigne. Il mérite d’être appuyé et encouragé. Le directeur : très intelligent travailleur de laboratoire, ne fait pas ses gardes, tenue très convenable […]. Besnier pour le semestre suivant : « Plus que parfait tout éloge est au-dessous de la réalité » ; le directeur : « Excellente tenue, travailleur, rapports très agréables. » Archives de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, 774 FOSS 33. 189- Besnier E (1879) « Sur un cas de dégénérescence colloïde du derme », Gaz Hebdo Med Chir, 41 : 645-647.
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Teignes et teigneux
que non titulaire d’une fonction universitaire officielle, Besnier était considéré au tournant du siècle comme le chef de la dermatologie française190. À Saint-Louis l’activité du service Besnier est organisée comme les autres services de manière fixe : le lundi est consacré à la visite aux nouveaux malades, le mardi est jour d’opérations, le mercredi est consacré au cuir chevelu, le jeudi est le jour du « comité », le vendredi est le jour de la consultationporte et le samedi la visite ordinaire191. La visite de Besnier : « dans le service, toujours à heure fixe, était remarquable. À neuf heures, il arrivait en voiture et passait dans le bureau de la Mère Saint-Séverin faire la signature et souvent examiner un malade de ville privilégié. Puis il faisait le tour des salles. Tous les pansements étaient défaits à l’avance. Il passait suivi de son interne en médecine, de son interne en pharmacie et de la Mère Saint-Séverin. […] La visite était suivie par une nuée de médecins de ville, d’anciens élèves ou de médecins passants, étrangers. J’y ai vu tous ceux qui comptaient dans la dermatologie française et mondiale, non seulement les professeurs de province comme Audry de Toulouse, Augagneur de Lyon mais des professeurs étrangers comme Unna de Hambourg et comme Ehlers de Copenhague. Plus couru encore était le jour d’examen des malades entrants ; il se faisait dans le laboratoire Alibert, le malade monté sur un escabeau. Besnier assis devant lui avec moi de même à ses côtés. Il y avait autour de nous une trentaine de médecins. Le jour du traitement des lupiques, même foule. […] En ce qui concerne les teigneux, Besnier les examinait à la loupe avec le plus grand soin
mais en outre, chaque cas de favus passait à l’examen microscopique qu’un ancien élève de Besnier, Lucien Jacquet192 faisait extemporanément sur une petite estrade […] Besnier appointait de sa poche Jacquet pour chaque séance. […] C’était dans la salle Alibert ou au laboratoire qu’il fallait voir et entendre Besnier, ayant autour de lui son personnel docile et stylé. La mère Saint-Séverin son bras droit, Lucien l’alcoolique atteint de psoriasis et chargé des écritures, son épileur en chef Alfred Deschamps et un aide-épileur Paul. […] Paul Théveniau était un pauvre jeune garçon atteint de pelade grave, venu de Moulins à Paris pour se faire soigner et qui était demeuré dans le service […] Tous ceux-là constituaient le personnel subalterne mais il y avait aussi tout un état major constitué par ses anciens élèves : Feulard, conservateur de la bibliothèque et du musée, Thibierge qui allait arriver au Bureau Central des Hôpitaux, Jacquet qui y concourrait et naturellement son interne et ses externes. […] En dehors de ces trois jours d’enseignement clinique au laboratoire à propos des malades entrants, des lupiques et des teigneux, Besnier faisait deux fois par semaine la visite des malades de salle s’arrêtant au lit des patients qui le réclamaient ou dans le cas où ils voulaient des explications ou un traitement médical. Il était toujours suivi du chariot, poussé par un malade et sur lequel se trouvait rangé une série de médicaments : solution de nitrate d’argent à des taux divers, chlorure de zinc, teinture d’iode, nitrate acide de mercure etc. les deux crayons de nitrate d’argent plus ou moins mitigés de nitrate de potasse d’une part et crayon de zinc métallique d’autre part pour : la
190- Né à Honfleur le 20 avril 1831, médecin des Hôpitaux de Paris en 1863, Besnier a succédé en 1873 à Bazin comme chef de service à Saint-Louis. Secrétaire de la Société médicale des Hôpitaux de Paris en 1867, Besnier publie pendant quinze ans des Rapports trimestriels sur les maladies régnantes, œuvre d’hygiéniste sous forme de bulletins épidémiologiques qui lui valurent d’être nommé en 1881 à la section d’hygiène de l’Académie de médecine. Besnier n’occupa pas de poste universitaire malgré une tentative en 1877. Sous la présidence de Mac-Mahon, le ministre de l’Instruction publique, Joseph Brunet, avait fait créer par décret du 20 août 1877 un enseignement des spécialités à la faculté de médecine de Paris. Un arrêté du 11 octobre de la même année décidait de la nomination de chargés de cours annexes de maladies de la peau, des enfants, des yeux, des voies génito-urinaires, des maladies syphilitiques et mentales. Quatre médecins devant occuper ces postes étaient agrégés, les quatre autres, dont Besnier, ne l’étaient pas. La faculté de médecine s’émut de cette situation qui permettait à des non-agrégés d’enseigner. Besnier préféra renoncer. Entre-temps le ministère changea et la question fut reportée. Deux ans plus tard, en 1879, Alfred Fournier, était nommé pour occuper la première chaire de clinique des maladies cutanées et syphilitiques à la faculté de médecine de Paris. Besnier dirigea les Annales de Dermatologie et de Syphiligraphie de 1881 à 1888 et son élection à la présidence du congrès international en 1900 témoigne de la place qu’il occupait dans l’école française de dermatologie et dans la communauté internationale. Fidèle à la grande tradition de la clinique médicale, Besnier apporte à la dermatologie un esprit d’ouverture. En 1881, avec Doyon, il traduit et commente l’ouvrage de Kaposi, maître de la dermatologie viennoise vers qui convergent des étudiants de tous pays. Besnier et Doyon en profitent pour dresser un inventaire des faiblesses de l’école de Paris, particulièrement en matière d’organisation de l’enseignement. Nécrologie (1909) « Ernest Besnier (1831-1909) », Bull Soc Méd Hôp Paris : 1029-1040. Thibierge G (1909) « Ernest Besnier » Presse Med, 40 : 393-395. 191- Wickham L (1889) « L’hôpital Saint-Louis, Paris », Br J Dermatol, vol. I : 120-127. 192- Né le 29 octobre 1860, interne des Hôpitaux de Paris en 1883, chef de service à Saint-Antoine au moment de sa mort, codirecteur de la Pratique Dermatologique avec Besnier et Brocq, très engagé dans la lutte contre l’alcoolisme, décédé en 1914. Brocq L (1914) « Lucien Jacquet 1860-1914 », Ann Dermatol Syphil : 569-577.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme double cautérisation dite de Collardé mais que Besnier avait adaptée au traitement d’affections cutanées diverses et qu’il savait manier comme personne193. »
impassible, le maître ne leur adressait guère la parole que pour les besoins du service […] aucun d’eux ne se serait hasardé à l’entretenir d’autres sujets195. »
Physiquement, Sabouraud décrivait son maître Besnier comme un homme
Léon Daudet enfin, a laissé de Besnier et de l’ambiance de sa visite en salle un portrait très personnel :
« petit, un peu replet, mais sans gros ventre, les épaules carrées, il avait dans toute son allure beaucoup d’assurance et de maîtrise […] Contrairement à l’usage d’alors, Besnier avait le visage rasé complètement sauf deux pattes de lapin au-devant des oreilles, d’où l’apparence d’un magistrat. Son œil était bleu, clair, vif, très perçant, le nez long, droit, un peu fort du bout. La bouche était frappante en ce qu’il avait deux sourires, une à chaque coin de lèvre […] tout en lui portait le cachet de la vraie supériorité. […] en six mois avec lui on pouvait apprendre l’essentiel de la dermatologie. […] chose étrange cet homme qui parlait si bien avec une facilité, une clarté, une précision que je n’ai vu qu’à lui […] cet homme écrivait mal, son style était amphigourique, souvent coupé d’incises. Il travaillait son style beaucoup trop et ce style devenait pénible. En outre, il savait mal prendre un sujet et en écrire directement, il fallait toujours qu’il écrivît pour ou contre l’opinion d’un autre. C’était un glossateur plus qu’un écrivain. […] De ces défauts il est advenu ceci, que ce maître admirable qui a résumé à lui seul la dermatologie française pendant vingt ans a laissé derrière lui peu de traces […] trente ans après sa mort, il semble mort tout entier, il est oublié alors que son collègue Fournier, beaucoup moins cultivé que lui, moins bon dermatologiste mais meilleur écrivain aura laissé une trace bien plus marquée et plus durable194. »
Thibierge ajoutait d’autres traits décrivant son collègue à Saint-Louis comme « méticuleux : dans son service hospitalier, pour peu qu’il eut touché un malade, il se lavait les mains au savon, nettoyait ses ongles avec un cure-ongles tiré de son porte monnaie et se faisait verser sur les ongles de l’alcool camphré […] Aucun des internes qui se sont succédé dans le service de Besnier n’a oublié l’impression qu’il ressentit en y arrivant : très froid, très digne,
« Le professeur [sic] Besnier, spécialiste des maladies de la peau, ressemblait à un expert plutôt qu’à un médecin. Propre, sagace et méthodique, la bouche mince, l’œil aigu, il examinait d’abord l’ensemble, puis à la loupe les multiples et bizarres échantillons, les raretés que ses confrères envoyaient à sa consultation. Comme d’autres reconnaissent, au premier examen, un Nattier, ou un Reynolds, ou un Gainsborough authentique, le fameux dermatologiste diagnostiquait sans traîner un psoriasis, un purpura, une exfoliante, ces révoltes et excroissances du revêtement cutané qui font ressembler le malade à un poisson, à une vieille armure rouillée, à un champ de fraises, à un Indien, à un crocodile, à un pot de confiture renversé. L’aimable homme épluchait avec gourmandise les boutons, les petites croûtes, les squames, les suppurations offertes à sa savante curiosité. Quand il était fixé, d’un regard circulaire, il interrogeait ses élèves rangés autour de lui et jouissait de leur incertitude. – Eh bien ? – C’est de l’impétigo, monsieur. – Ah ! vous croyez cela…Et vous, Un tel ? – Je pencherais plutôt pour une lésion de grattage. – Eh ! eh !… et vous, Un tel ? L’examen se poursuivait. Les suppositions épuisées, Besnier concluait : Messieurs, c’est ceci et cela. Chacun s’inclinait devant cette infaillibilité souriante. Quand on sortait de là, les murs, les affiches semblaient autant d’affections de la peau et on les nommait machinalement au passage. Le plus remarquable chez ce maître ainsi spécialisé, c’était son indifférence quant à l’état général, ou si vous préférez, quant aux diathèses qui provoquaient ses chères éruptions. Seule lui plaisait la classification par catégories, variétés et nuances196. »
Quoi qu’il en soit, c’est Besnier qui le premier incita Sabouraud à travailler sur les teignes du cuir chevelu :
193- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 194- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 195- Thibierge G (1925) « Notes sur les successeurs de Bazin à l’hôpital Saint-Louis, Charles Lailler, Émile Vidal, Ernest Besnier », Bull Soc Hist Méd, XIX, 5-6, p. 129-144. 196- Daudet L (1992) Souvenirs et polémiques, Robert Laffont, Paris, p. 173-174.
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Teignes et teigneux « J’avais abordé le problème de la syphilis et coupé sans résultat un grand nombre de lésions syphilitiques. Besnier me détourna de cette étude. Pour lui, à cette époque, on ne trouverait jamais le microbe de la syphilis et je m’y userai les dents. Pourquoi ne pas aborder une question déjà ouverte comme celle des teignes et ne pas y apporter plus de lumière ? À regret d’abord je suivis son conseil mais bientôt l’intérêt de cette question devint capital car elle me faisait marcher de surprise en surprise197. »
Après avoir reçu carte blanche de Besnier pour installer un laboratoire dans son service, Sabouraud « retourne chez le Secrétaire général de l’Assistance publique. […] les fournitures faites à Saint-Antoine avaient dépassé de moitié les crédits qu’il m’avait alloués. Il n’en savait rien et je me promis bien de dépasser mes nouveaux crédits davantage. Il me promit mille francs, je fis des bons pour 4 000 qui furent payés de même et cette fois je m’installai un laboratoire suffisant. Ce fut le laboratoire Alibert, au premier étage du pavillon d’entrée du vieil hôpital, salle carrée fort grande de 8 à 10 mètres de côté ».
En 1892, deux événements marquent la vie professionnelle de Sabouraud. Informé du travail de Sabouraud à Saint-Louis, Émile Roux lui demande de faire à l’Institut Pasteur un cours sur les teignes198. Sabouraud reçoit cette proposition comme un honneur qu’il rapporte à son père avec quelque fierté et qui l’aide à compléter ses revenus encore modestes : « J’ai fait lundi dernier à l’Institut Pasteur cette conférence trimestrielle (qui me vaut elle-aussi 200 francs par mois). […] par hasard j’ai été un ton au-dessus
[…] J’y avais au fond changé peu de choses mais d’abord j’avais négligé de faire aucun schéma au tableau et je les ai faits ce qui a corrigé ma diction. En outre je faisais attention à ponctuer la monotonie de mon débit et à le ponctuer rigoureusement ce qui l’éclaircissait beaucoup199. »
La même année, Peyron200, directeur de l’Assistance publique rend visite à Besnier pour rechercher les moyens d’enrayer une épidémie de teignes à l’hôpital maritime de Berck201. Besnier propose Sabouraud pour mettre en place les mesures nécessaires. Celui-ci reçoit alors pour mission du directeur de l’Assistance publique de juguler cette épidémie de teigne qui touchait 300 malades : « Je vous donne carte blanche mais je veux que vous veniez avec moi dans tous les établissements d’enfants de l’Assistance publique pour prévenir des choses semblables […] si j’étais ministre je vous promettrai le ruban rouge. Mais je ne suis pas Ministre…» La mission dure dixhuit mois durant lesquels Sabouraud inspecte avec Peyron les colonies d’enfants à Vendôme, à Romorantin, à Lagny, à La Roche-Guyon, à Saint-Pol-surMer et le service des Enfants-Assistés à Paris202. Attentif à soutenir les travaux de son élève, Besnier demanda en 1893 la création, dans son service, d’un laboratoire spécial de bactériologie appliquée aux maladies de la peau et notamment à la teigne, soulignant le fait que « les premiers résultats sont d’une grande valeur et ont déjà attiré l’attention du monde scientifique. Ils ne tendent rien moins qu’à modifier en entier nos connaissances sur les teignes ». En mai 1893, une commission du conseil de surveillance se rendant à Saint-Louis conclut « qu’il y a lieu d’approuver la création à l’hôpital SaintLouis dans le service de M le Dr Besnier d’un laboratoire spécial de bactériologie appliquée aux
197- Sabouraud R (1936) « Souvenirs de l’hôpital Saint-Louis », in Deliberationes congressus dermatologorum internationalis Budapestorum, pp. 323-326. 198- Un exemplaire dactylographié non daté de l’un des cours de Sabouraud est conservé aux archives de l’Institut Pasteur. 199- Lettre de Sabouraud à son père, 11 juillet 1894, coll. Dr M. de Brunhoff. 200- Docteur en médecine, Ernest Peyron succéda à Quentin le 7 novembre 1884 en tant que directeur de l’Assistance publique, après avoir été conseiller général de Seine-et-Oise et directeur de l’institution des Sourds-Muets de Paris. On notera que c’est sous la direction de Peyron que les femmes furent autorisées en 1885 à concourir à l’internat en médecine, que fut créée l’école des teigneux à Saint-Louis et que furent créées ou transformées des salles d’opération et d’accouchement plus conformes aux connaissances bactériologiques nouvelles. L’Assistance publique en 1900, Assistance publique, Paris. 201- L’hôpital maritime de Berck a été fondé par l’Assistance publique en 1867 pour accueillir les enfants tuberculeux. Il contenait environ 500 lits au début des années 1890. « Historique de l’hôpital maritime de Berck » (1894) in Archives de l’Assistance publique, p. 319321, cote D 286. 202- En 1895, une épidémie de teigne ayant repris à Berck, Sabouraud fut de nouveau sollicité pour y mettre un terme. « Au sujet de l’épidémie de teigne à l’hôpital de Berck » Procès-verbal du conseil de surveillance, 1er décembre 1895.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
maladies de la peau et notamment à la teigne203 ». L’activité de Sabouraud est alors presque exclusivement consacrée au laboratoire au point de délaisser son travail en salle sous le regard bienveillant de son maître Besnier : « À ce moment je me donnais tout au laboratoire […]. Après dîner j’étais tout seul au laboratoire et c’était le moment où je rédigeais ce que j’avais appris […] Besnier voyant l’envahissement du laboratoire par mes cultures dont il m’est arrivé d’avoir trois mille évoluant ensemble sollicita la visite d’une commission du Conseil Municipal pour lui faire admirer mes œuvres et solliciter une subvention pour moi, ce qui fut fait. Cela me donna des armoires pour y enfermer mes verreries204. »
En 1893, Sabouraud abandonne son projet d’internat chez Cornil pour faire sa dernière année d’internat chez Fournier (fig. 92) (du 1er août 1893 au 1er mars 1894) passage obligé pour un interne désireux de faire carrière en dermatologie205. Lorsque Sabouraud entre dans le service de Fournier, celui-ci est au sommet de sa gloire206. Depuis la défaite de 1870, l’Université française a pris conscience de la nécessité de combler le retard sur les universités de langue allemande en assurant, notamment, l’enseignement des spécialités. La dermatologie et la syphiligraphie réunies accèdent à un enseignement officiel au même titre que la clinique médicale ou chirurgicale. Fournier occupe la première chaire de clinique des maladies cutanées et syphilitiques à la faculté de médecine de Paris créée le 31 décembre 1879207. Aucun médecin ne conteste à Fournier la
place qui est la sienne dans la lutte contre la syphilis, tueuse d’enfants, de prostituées comme de Français « honnêtes », responsable de dépopulation et d’affaiblissement de la nation. La grande affaire de Fournier dans la décennie 1880 est la preuve de l’origine syphilitique du tabès et de la paralysie générale qu’il apporte à l’aide de seuls arguments cliniques. Ses descriptions exemplaires sont, aujourd’hui encore, un modèle de qualité, tout au long des milliers de pages qu’il rédige sur la syphilis dans ses différentes formes cliniques. Véritable croisé de la prophylaxie syphilitique, Fournier fonde en 1901 la Société française de prophylaxie sanitaire et morale et milite pour l’ouverture de dispensaires du soir facilitant l’accès aux soins en dehors des heures de travail. Il médiatise la lutte contre la syphilis en publiant des brochures pour les adolescents et en inspirant des spectacles édifiants où sont mis en scène, les « Avariés », malades de la syphilis208, 209. « Il (Fournier) était, raconte Sabouraud, ponctuel dans son service, très bon observateur, bon maître, affable et ne sachant pas se mettre en colère, homme du monde et imperceptiblement désireux de le paraître […] Moins cultivé que Besnier, je crois moins bon dermatologiste, moins bon orateur, moins bon Président de la Société de Dermatologie et sachant moins bien enseigner que lui, moins clair quoique méthodique […] Fournier fut l’homme d’une seule question. Ce fut avant tout et exclusivement un syphiligraphe […] son jour d’examen de malades était un cours de diagnostic différentiel de la syphilis. Ses livres, et il en publia beaucoup, toujours sur la syphilis210. »
203- « Création d’un laboratoire dans le service de M. le docteur Besnier ». Procès-verbal du conseil de surveillance de l’Assistance publique, séance du 7 décembre 1893. 204- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 205- Né en 1832, médecin des Hôpitaux de Paris en 1863, agrégé de la faculté de médecine de Paris la même année, chef de service à l’hôpital de Lourcine en 1868, chef de service à Saint-Louis en 1876, successeur de Hardy, Fournier fut chargé en 1870 du cours complémentaire des affections syphilitiques à la faculté de médecine de Paris avant d’être nommé le 31 décembre 1879 le premier titulaire de la chaire de clinique des maladies cutanées et syphilitiques à la faculté de médecine de Paris. Membre de l’Académie de médecine, président-fondateur de la Société française de dermatologie, Fournier fut commandeur de la Légion d’honneur. Fournier rédigea plusieurs milliers de pages consacrées à la syphilis dans ses différentes formes cliniques, ses aspects épidémiologiques, sociaux et prophylactiques. Deux timbres-poste à l’effigie de Fournier furent émis en 1946 et 1947 au profit de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale qu’il fonda en 1901. Alfred Fournier est également représenté dans un tableau de Toulouse-Lautrec intitulé Un examen à la Faculté de Médecine de Paris (1901) exposé au musée Lautrec à Albi. Fournier mourut le 23 décembre 1914 à son domicile parisien, 77 rue de Miromesnil et fut inhumé au cimetière du Père-Lachaise. « Exposé de titres et travaux d’Alfred Fournier » in Bibliothèque Henri-Feulard, hôpital Saint-Louis. Gougerot H, Brodier L (1932) L’Hôpital Saint-Louis et la clinique d’Alfred Fournier. Peyronnet, Paris. 206- Janier M (2002) « Clinique et cliniciens des maladies vénériennes de 1801 à 2001 à Paris » in La Dermatologie en France, op. cit., p. 197-225. 207- Poirier J (1992) « La Faculté de Médecine face à la montée du spécialisme », Communications, 54 : 209-226. 208- Tilles G, Wallach D (2002) « Éléments d’histoire sociale du péril vénérien » in La Dermatologie en France, op. cit., pp. 271-280. 209- Brieux E (1902) Les Avariés. Stock, Paris. 210- Sabouraud R, « Souvenirs de l’hôpital Saint-Louis » in Deliberationes congressus dermatologorum internationalis IX-I Budapestini, 13-21 sept. 1935, p. 323-326.
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Nékam confirme avec humour à quel point Fournier, syphiligraphe exclusif, ne voyait les maladies qu’au travers de son seul centre d’intérêt : « Fournier divisait la dermatologie en des processus syphilitiques, parasyphilitiques, syphiloïdes et asyphilitiques. Sa passion allait si loin au dire de ses amis qu’il aménagea une serre chaude où il cultivait le guaiac, la bardane, la salsepareille, le sassafras… c’est-à-dire des plantes qui autrefois jouaient un grand rôle dans le traitement de la syphilis211. » Fournier était, comme la plupart des médecins de son temps, un clinicien quasi exclusif peu à l’aise devant les techniques de laboratoire. Pollitzer, dermatologue nord-américain, de passage à Paris au début du XXe siècle, en donne un souvenir personnel : « Je me souviens du célèbre syphiligraphe, Alfred Fournier : je le vois encore pénétrer dans le laboratoire et demander à Darier de lui montrer quelque chose. Que désirez-vous voir ? Un globule blanc. Aussitôt dit, aussitôt fait : on place une goutte de sang frais sur la lame, la mise au point est faite sur le globule blanc et le professeur reste quelques minutes l’œil rivé à l’oculaire puis il s’écrie : magnifique ! extraordinaire ! et quitte le laboratoire en se confondant en remerciements. J’appris plus tard que la scène se jouait tous les ans et qu’on pouvait être certain que le professeur n’avait rien vu du tout212. »
Sabouraud décrivait son maître comme un « grand, bel homme, soignant sa personne, portant seulement les moustaches et lissant ses sourcils au doigt mouillé devant la glace de la pièce réservée aux chefs de service. Rien ne l’intéressait que la syphilis et tous les autres malades ne lui servaient qu’à en faire le diagnostic différentiel […] Il parlait bien mais d’une manière superficielle et mondaine […] Fournier faisait très régulièrement ses leçons de clinique. Ces leçons étaient écrites entièrement de sa main et même soulignées soit au crayon rouge soit au crayon bleu suivant les inflexions de sa voix car il dissimulait son cahier derrière son tablier froissé en torchon sur sa table et il lisait son texte en ayant l’air de parler. […]
Il gardait sur chacun de ses malades de ville une note particulière classée dans un volume. Chaque nom était écrit au-dessous d’un précédent sur une feuille double, ouverte, distribuée en 5 ou 6 colonnes. Dans la première étaient décrits l’aspect, la localisation, le chancre, sa date et sa durée. La seconde colonne était consacrée à la série de tous les accidents secondaires notés précisément dans leur forme et l’ordre de leur apparition. Une troisième colonne était consacrée à la période tertiaire avec toutes ses manifestations. Une autre colonne consacrée aux affections de tous ordres, même étrangères à la syphilis ou considérées alors comme ne lui appartenant pas […] Enfin une dernière colonne était consacrée aux enfants du malade. […] Supposez pendant trente ans l’application journalière et constante de cette méthode, et en l’absence de toute recherche et de toute expérimentation vous comprendrez que Fournier devait rattacher la paralysie générale et l’ataxie à la syphilis […] Il prenait chaque été de longues vacances et se faisait remplacer à Paris par un médecin ami, de même âge et avait avec lui quelque ressemblance, et sans qu’on parlât jamais au client de cette substitution213. »
Une thèse remarquée. Premières déceptions En 1894, Sabouraud prépare sa thèse de doctorat en médecine. Ses publications sur les teignes suffisent à faire la matière de ce travail. Il la fait copier par « Lucien, psoriasique alcoolique qui tenait les écritures de la Mère Saint-Séverin […] Lucien savait toujours avoir un refuge à Saint-Louis. Il écrivit à la mère Saint-Séverin qui lui aménageait un lit de salle. Le printemps arrivé, blanchi de son psoriasis il achetait un éventaire de colporteur et partait à pied pour Vichy […] Il y passait la saison et fin septembre on le retrouvait dans la salle214. » Sa thèse (Les Trichophyties humaines) soutenue le mercredi 24 avril 1894 (Président : A. Fournier) obtient la médaille d’argent de la faculté et est publiée215. La rédaction des Annales de dermatologie et de syphiligraphie signale cet ouvrage comme devant « être désormais consulté par tous les médecins désireux de connaître l’état actuel de la question si importante des trichophyties216 ». Sabouraud
211- Nekam L (1936) De dermatologia et dermatologis. International congress committee, Budapest, p. 273-280. 212- Pollitzer S (1936) « Fifty years in medicine », in Nekam L (1936) De dermatologia et dermatologis, op. cit., p. 273-280. 213- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 214- Les trois volumes du manuscrit de la thèse de Sabouraud sont complétés par quatre volumes de photographies micrographiques ; ils sont conservés à la bibliothèque Henri-Feulard, hôpital Saint-Louis. 215- Sabouraud R (1894) Les Trichophyties humaines, 2 vol., Rueff, Paris. 216- Revue de thèses de dermatologie (1894) R Sabouraud, « Les trichophyties humaines », Ann Dermatol Syphil, t. V : 130.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
décide d’utiliser sa thèse bien accueillie pour concourir à la médaille d’or de l’internat217. Des manœuvres favorisant un autre candidat l’incitent à retirer sa candidature dans ces circonstances218. Il en conçoit une aversion définitive à l’égard du favoritisme entourant les concours hospitaliers auxquels il ne fut plus candidat. Cette décision dont il est bien difficile de connaître les ressorts exacts le contraignit à une carrière en marge de la hiérarchie hospitalière et en butte à l’hostilité de plusieurs médecins de Saint-Louis. Docteur en médecine, Sabouraud s’installe en ville et vit comme chaque jeune médecin (figs. 9394) l’attente des premiers malades : « Bien que je n’ai annoncé à personne mon installation et qu’elle soit encore incomplète, mes meubles et tentures ne devant arriver que mardi ou mercredi, j’ai eu deux malades samedi dernier ce qui est d’un bon augure. Une dame que j’ai soignée à Saint-Louis est venue me voir pour se faire cautériser […] l’autre malade m’était envoyé par un docteur dont j’ai soigné la fille de la teigne à Berck219. » Malgré l’épisode de la médaille d’or, Sabouraud est confiant en son avenir à Saint-Louis, comme il l’écrit à son père en juillet 1894 : « Mes affaires ici vont bien ; elles vont même trop bien même mais on aurait mauvais gré de se plaindre des excès de la réussite. Mr le prof Fournier m’a dit ce matin qu’il allait transmettre au Ministre mes nom et prénom pour m’installer définitivement comme chef de labor. [sic] de la Faculté à l’hôpital St Louis. C’est la réalisation d’un plan depuis longtemps formé qui change une position instable de 1 800 francs pour une place inamovible de 2 600 et qui a de plus l’avantage d’un titre honorable et bien prisé. Je poursuis quand même auprès du Conseil supérieur de l’Assistance publique la création d’un labor… [sic] spécial de l’École de Saint-Louis qui me donnerait une autonomie encore plus grande. Mais c’est un nouveau siège à faire – ou plutôt un blocus – de plusieurs mois220. »
En attendant cette nomination promise par Fournier221, les préoccupations matérielles du quotidien ne sont pas oubliées, mais ne semblent pas inquiéter Sabouraud : « Si ma clientèle continue à fournir ce qu’elle donne déjà pendant toute l’année avec diverses positions rémunératrices je peux compter me faire 15 000 francs cette année-ci, sans rien compter venant de toi. Il est évident que tout ceci était bien inespéré et ne s’est dû qu’à des concours renouvelés de circonstances favorables222. » Le congrès de Londres : la consécration internationale Après Paris (1889), Vienne (1892), Londres accueille en 1896 le IIIe congrès international de dermatologie qui rassemble près de quatre cents participants sous la présidence de Jonathan Hutchinson. Les travaux commencent le mardi 4 août à 15 heures par une communication de Besnier sur « La question du prurigo ». Le programme se poursuit par des communications sur les kératoses, la tuberculose cutanée, les trichophyties (après-midi du jeudi 6 août), les érythèmes polymorphes. Des communications libres et plusieurs sessions sur la syphilis sont proposées aux participants. La question de la pluralité des trichophytons est mise à l’ordre du jour du congrès. Besnier fait nommer Sabouraud rapporteur. Il prend la parole le 6 août 1896 à 14 heures : « J’avais étudié mon rôle, je parlai [sic] mon discours sans me servir d’aucune note. Tout le Congrès était réuni pour cette séance d’ouverture, il y avait bien trois cents congressistes […] j’y envoyai deux caisses de cultures dont chacune d’une capacité d’un demi mètre cube environ. Il y avait deux ou trois cents cultures dont certaines dans de grands matras à fond plat avaient 10 à 12 centimètres de diamètre. […] Mon succès fut évident et pour parler franchement considérable […] C’est à partir de ce congrès que je devins un
217- L’interne qui recevait la médaille d’or pouvait continuer à être interne des hôpitaux pendant une année même en étant reçu docteur en médecine, c’est-à-dire cumuler son activité hospitalière et une activité libérale. Les internes recevaient une indemnité : 1re année 600 francs, 2e année 700 francs ; 3e année 800 francs ; 4e année 1 000 francs. 218- Sabouraud a obtenu la médaille de bronze par arrêté du 19 mars 1894. La médaille d’or de l’internat a été décernée à Émile Théodore Boix, interne de 4e année à Saint-Antoine. Boix obtient une bourse de voyage de 3 000 francs et la possibilité de faire une année d’internat supplémentaire. « Distribution des prix aux élèves en médecine et en chirurgie », année 1894, liasse 680, archives APHP. 219- Lettre de Sabouraud à son père, non datée, coll. Dr M. de Brunhoff. 220- Lettre de Sabouraud à son père, 11 juillet 1894, coll. Dr M. de Brunhoff. 221- Sabouraud a été nommé chef de laboratoire de Fournier en 1894, successeur de Darier, nommé médecin des Hôpitaux. Sabouraud occupa le poste jusqu’en 1897. 222- Lettre de Sabouraud à son père, 11 juillet 1894, coll. Dr M. de Brunhoff.
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Teignes et teigneux peu l’arbitre international de la question et qu’une foule d’échantillons de parasites me fut envoyée de toutes provenances aux fins d’identification […] On me soumettait toute question concernant les teignes et ces parlotes hors séances me tinrent occupé sans trêve. Au banquet, on voulait un discours de moi. À la séance de photo, on me voulait parmi les maîtres, à côté de Besnier, Fournier. Non par humilité mais par prudence je me perdis dans la foule223. »
Au-delà des souvenirs personnels de Sabouraud, les commentaires des participants sont unanimes à célébrer les avancées mycologiques du nouveau maître français des teignes. Rosenbach (Göttingen) et Malcolm Morris (Londres) considérant que la question des teignes subissait une véritable révolution voyaient en Sabouraud le « Napoléon de la mycologie224. » D’autres soulignant ses liens avec l’Institut Pasteur et les teignes tondantes surnommèrent amicalement Sabouraud, « le pasteur des brebis tondues ». Directeur du laboratoire municipal de l’école des teigneux Après avoir abandonné le laboratoire Alibert attribué à un autre interne, Sabouraud poursuit ses travaux dans le laboratoire de Fournier laissé vacant par Darier, laboratoire « tout petit, sombre et très incommode ». C’est dans ce contexte qu’il commence à s’intéresser au laboratoire de l’école des teigneux dont les plans avaient été dessinés par Quinquaud, successeur de Lailler. Sabouraud prend alors contact avec Tenneson225, chef de service à Saint-Louis (salles Devergie, Milian). Il le « convertit sans peine à réclamer l’École comme annexe de son service en lui faisant comprendre (qu’il) y ferait un laboratoire et qu’une fois dans cette place (qu’il) y ferait de la besogne tranquille sa vie durant. J’allais de même à l’Assistance publique où je demeurai persona grata. M. Peyron entra pleinement
dans mes vues et me fit envoyer les plans de l’architecte pour que j’y puisse trouver la place de mon futur laboratoire. Je choisis la plus grande salle, la salle des cours prévue par Quinquaud et dont je changeais la destination. On me mit en rapport avec l’architecte qui positivement prit mes ordres et installa ce qui fut alors le plus beau laboratoire de Paris226. »
Tenneson appuya le projet de Sabouraud en soulignant le fait qu’il ne consentirait à assurer la direction de l’école des teigneux que si l’administration mettait à sa disposition un laboratoire et un chef de laboratoire. Le hasard faisant parfois bien les choses, la rencontre peut-être fortuite de Sabouraud avec un conseiller municipal lui permit de faire avancer son projet : « Un soir où je dînais par grand hasard chez Brocq avec un conseiller municipal nommé Dubois, je sortis en même temps que lui, je le mis au courant de mes projets et lui demandai comment faire attribuer des fonds et une existence autonome au laboratoire prévu pour l’École Lailler227. » La question de la destination du laboratoire créé pour Quinquaud en 1887 par la Ville de Paris fut posée au conseil municipal par le conseiller Dubois qui faisait valoir à la fois l’intérêt de la municipalité parisienne pour les questions d’hygiène et son attachement formel à ce que le laboratoire restât propriété de la Ville de Paris. On verra plus loin les enjeux que cette importante précision impliquait pour les relations du futur directeur de ce laboratoire nommé par la Ville de Paris et des médecins des Hôpitaux exerçant sur le même terrain hospitalier. « Votre commission, précisait le Conseiller Dubois, est d’avis de maintenir à l’hôpital Saint-Louis ce laboratoire spécial destiné à l’étude bactériologique et histologique des teignes et des autres affections à manifestations cutanées qui nous intéressent si vivement pour l’hygiène de la population scolaire. Ce laboratoire sera ouvert particulièrement à tous les médecins qui sont chargés de l’inspection des écoles, à tous les étudiants désireux de faire des études sur les maladies de la peau dans l’enfance et l’adolescence.
223- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 224- Morris M (1898) « Ringworm and the trichophytons », in Third International Congress of Dermatology, London August 4-8th 1896, Official transactions ed. by JJ Pringle, London, Waterlow and sons : 522-535. 225- Tenneson succéda à Quinquaud à la direction de l’école des teigneux. 226- Médecin des Hôpitaux de Paris en 1878, professeur agrégé à la faculté de médecine de Paris en 1883, Quinquaud devint chef de service à Saint-Louis en 1885 et succéda à Lailler à la direction de l’école des teigneux. Cofondateur de la Société française de dermatologie et de syphiligraphie en 1889, membre de l’Académie de médecine élu en 1891. Huguet F (1991) Les professeurs de la faculté de médecine de Paris, index biographique 1794-1939. Institut national de la recherche pédagogique, CNRS, Paris. 227- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme […] En raison de cette affection presque spéciale aux besoins et à l’hygiène de nos écoles, en raison aussi des sacrifices que le Conseil a faits pour doter ce laboratoire qu’il a installé de toutes pièces, en raison des sommes qu’il y consacrera annuellement, il croit qu’il est de toute justice de préciser à cet établissement le caractère municipal qu’il a acquis dès l’origine. Sous la réserve absolue que le conseil sera appelé à désigner le directeur responsable de ce laboratoire et le personnel secondaire, nous vous proposons de voter avec cette rubrique Laboratoire spécial de la Ville de Paris à l’hôpital Saint-Louis la somme de 8 900 francs qui était attribuée au laboratoire du regretté docteur Quinquaud228. »
Le 10 janvier 1895, le directeur de l’Assistance publique informait le conseil de surveillance de la décision du conseil municipal et de son intention de maintenir la subvention attribuée au laboratoire de Quinquaud à la seule condition de nommer luimême le chef de laboratoire, sans avoir recours ni au concours ni à la présentation des chefs de service de l’hôpital, mais sur la seule recommandation du chef de service chargé de l’école des teigneux229. La question de l’installation des laboratoires fournissait une occasion de discuter la responsabilité respective de la Ville de Paris et de l’Assistance publique dans le subventionnement des laboratoires. Alors que certains réclamaient une intervention exclusive de l’Assistance publique qui éviterait l’ingérence de la ville, d’autres faisaient observer de manière pragmatique qu’il ne serait jamais possible à l’administration de financer le fonctionnement de l’ensemble des laboratoires. La position prise par le directeur de l’Assistance publique soulignait les limites que l’administration entendait mettre à son intervention : « Les laboratoires proprement dits sont surtout utiles au chef de service pour ses recherches personnelles : l’administration et le Conseil ont été d’avis, à juste raison, qu’il n’y avait pas lieu d’installer dans les hôpitaux ces sortes de laboratoires. Mais d’autres laboratoires, que l’on peut appeler plus exactement des salles
d’examen, qui sont nécessaires à l’établissement du diagnostic doivent être créés dans l’intérêt même des malades. Ces salles d’examen ne réclament pas un chef de laboratoire et peuvent fonctionner avec un outillage restreint. Ce ne sont pas ces derniers laboratoires que subventionne le Conseil Municipal mais les premiers230. »
Le laboratoire de l’école des teigneux étant prévu pour être un laboratoire de recherches et d’enseignement, le soutien du conseil municipal devenait naturel. Sabouraud fut ainsi nommé, sur proposition de Tenneson, chef de laboratoire de l’école Lailler (fig. 95). Il bénéficia de l’appui de Peyron et sans doute d’Émile Roux qui, siégeant dans de nombreuses commissions d’hygiène, côtoyaient régulièrement les conseillers municipaux, ce qui lui permit de s’installer sans encombre à ce poste créé pour lui par la ville de Paris. Pourvu de sa fonction de chef du laboratoire de l’école Lailler, Sabouraud démissionna en 1897 du poste de chef de laboratoire qu’il occupait dans le service de Fournier. Une nomination contestée Malgré les appuis décisifs de Peyron, Tenneson, Besnier et du conseil municipal de Paris, il restait toutefois à assurer à Sabouraud une indépendance permanente à laquelle seuls les médecins des Hôpitaux nommés au concours pouvaient prétendre. L’école étant rattachée administrativement à l’un des services de Saint-Louis, le directeur du laboratoire quoique nommé par la ville de Paris dépendait entièrement du chef de service auquel l’école était rattachée. La situation de chef du laboratoire de l’école des teigneux ne garantissait aucune stabilité professionnelle et aucune autonomie. La position occupée par Sabouraud au laboratoire de l’école des teigneux, bien que n’étant pas officiellement celle d’un chef de service, n’en était pas moins stratégique. De fait, cette position équivalait à celle d’un
228- « Rapport présenté par M. Émile Dubois, au nom de la 5e sous commission du Comité du budget de contrôle, sur le chap. XX, art. 30 bis des dépenses du projet de budget pour 1895 », conseil municipal de Paris, 1894, n° 199. 229- « Rattachement à l’école Lailler de l’hôpital Saint-Louis du laboratoire de M. le docteur Quinquaud décédé ». Procès-verbal du conseil de surveillance, 10 janvier 1895, p. 247-250. Compte tenu de la décision d’abord envisagée par la Ville de Paris de supprimer la subvention attribuée à Quinquaud, Besnier avait proposé que la subvention donnée à son laboratoire (3 500 francs) ainsi que les instruments soient attribués au laboratoire de l’école des teigneux, la Ville de Paris ayant accepté de reporter sur le nom de Tenneson la subvention auparavant versée à Besnier. 230- « Rattachement à l’école Lailler du laboratoire du docteur Quinquaud décédé ». Procès-verbal du conseil de surveillance de l’Assistance publique, 10 janvier 1895.
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chef de service, chaque enfant teigneux ou peladique entrant à l’école Lailler devant être examiné par le directeur du laboratoire231. La réaction des médecins des Hôpitaux ne se fit pas attendre : « Ma nomination par le Conseil Municipal à un poste qui équivalait à celui d’un chef de service, souleva de la part des médecins de Saint-Louis un véritable tollé. […] Alertée par Gaucher, Brocq et Thibierge, la Société Médicale des Hôpitaux gardienne de ses privilèges et appuyée par la loi de 1832 s’insurgea contre cette nomination et la déclara illégale. Thibierge, Gaucher et même Brocq y parlèrent contre moi tout en écartant ma personnalité du débat et en tenant compte de mes travaux qu’ils disaient même remarquables. Il s’ensuivit un vœu concluant à la révocation de l’arrêté municipal et à ma destitution. Ce vœu réunit la presque unanimité des voix […] J’allai voir M. Peyron, Directeur de l’Assistance publique et son attitude tranquille me rassura : vous êtes dans la place me dit Peyron, ne bougez pas232. »
Le 8 juillet 1897, le directeur de l’Assistance publique informe le conseil de surveillance de l’inauguration prochaine de l’école Lailler, fixée au 12 juillet. Il indique que la direction en a été confiée à Tenneson à qui a été adjoint, sur sa proposition, Sabouraud comme chef de laboratoire. Il indique avoir reçu de Rendu, secrétaire général de la Société médicale des hôpitaux233, un courrier dont il donne lecture : « Monsieur le Directeur, Plusieurs de mes collègues m’ont demandé aujourd’hui s’il était vrai, comme le bruit en court, que l’on va créer à Saint-Louis ou du moins centraliser le service des teigneux et en confier la direction à un chef de service qui ne serait pas médecin des hôpitaux. N’étant pas au courant de
l’affaire, je n’ai pas pu leur répondre mais je leur ai promis de me renseigner auprès de vous. Il est incontestable que, si ce projet existe et que la nomination soit prête, c’est une grave atteinte aux droits des médecins des hôpitaux, puisque le titulaire de cette place sera nommé sans concours et n’aura pas passé par la filière du Bureau Central. En vain arguera-t-on que le service sera annexé à l’un des services de pathologie cutanée ; une annexe de 140 lits est un service et un service considérable : celui qui en sera chargé sera vraiment un médecin d’hôpital. En ayant les prérogatives, il faut qu’il ait passé par les épreuves du concours, qui sont notre seule raison d’être et notre seule défense contre le favoritisme. Je suis convaincu qu’il suffira de vous signaler cette situation anormale pour que vous fassiez cesser ces bruits ; la Société des hôpitaux protesterait unanimement comme elle l’a fait il y a quelques années, quand on avait essayé de soustraire l’hôpital Saint-Louis au roulement général, sous prétexte qu’il s’agissait de spécialités. La question est identiquement la même aujourd’hui et la même protestation se produirait. »
Le directeur « pour répondre à cette lettre n’a cru pouvoir mieux faire » que d’indiquer à Rendu la décision prise concernant Tenneson et Sabouraud en lui promettant que sa lettre sera communiquée au conseil de surveillance234. Dans la même séance, le directeur fit savoir que Tenneson avait demandé que l’indemnité allouée à Sabouraud comme chef de laboratoire des Hôpitaux passe de 1 500 francs à 2 600 francs, somme qu’il percevait auparavant comme chef de laboratoire de la faculté. Les circonstances de la nomination de Sabouraud à la direction du laboratoire des teignes et les réactions qu’elle suscita illustrent la question des modalités de recrutement des médecins des Hôpitaux et
231- Pignot M (1900) Étude clinique des teignes. Hygiène publique et prophylaxie des teignes tondantes en 1900 à Paris et dans sa banlieue. Steinheil, Paris. 232- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 233- La loi du 10 janvier 1849 avait réuni en une seule administration l’Hôtel-Dieu, les hôpitaux réunis sous le nom d’Hôpital Général et de Grand Bureau des Pauvres, appelé aussi Bureau Central. L’article 6 de loi stipulait que les médecins, chirurgiens et pharmaciens des hôpitaux seraient nommés au concours alors qu’auparavant seuls les médecins et chirurgiens du Bureau Central chargés des consultations gratuites aux indigents étaient choisis selon ce mode de recrutement. Le nouveau régime créait un corps de médecins des Hôpitaux de Paris, homogène. Les médecins décidèrent alors de se grouper en une société dont l’association existante des médecins du Bureau Central fut le noyau. Ceux-ci adressèrent à leurs collègues un courrier leur montrant les avantages d’une telle société en soulignant à la fois l’intérêt scientifique des échanges réguliers et les intérêts corporatistes : « Au moment où l’organisation nouvelle de l’Assistance publique, à Paris, appelle les médecins à participer de manière active, quoique dans une limite étroite, à l’administration des établissements hospitaliers, il est de la plus haute importance que nous ne nous trouvions pas pris au dépourvu et que nous travaillions ensemble à nous pénétrer de ces nouveaux devoirs et à connaître ceux d’entre nous qui nous paraîtront les plus dignes de nous représenter dans les conseils où nous devons trouver place. » La première réunion de la Société médicale des Hôpitaux de Paris eut lieu le 25 juin 1849 à l’amphithéâtre de l’administration centrale des Hôpitaux de Paris, 2 rue Neuve-Notre-Dame. Haas Ch (1999) « La naissance de la Société médicale des Hôpitaux de Paris », Ann Med Int, 1 : 10-16. 234- Procès-verbal du conseil de surveillance de l’Assistance publique, séance du 8 juillet 1897, p. 737-738.
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les difficultés liées à la spécialisation médicale. L’accès au médicat des Hôpitaux de Paris, grade le plus élevé de la hiérarchie médicale hospitalière, était alors soumis, comme les grades qui le précèdent (externat, internat), au concours. Le titre de médecin des Hôpitaux de Paris était particulièrement recherché à la fois pour le prestige que conférait la réussite à un concours très sélectif et pour l’attrait que représentait pour la clientèle privée le titre de médecin des Hôpitaux de Paris. Les médecins des Hôpitaux exerçaient alors leur activité à temps partiel et n’en tiraient qu’une faible rémunération compensée par les revenus élevés de leur activité privée. En dépit de ce que prétendait Rendu, le mode de recrutement des médecins des Hôpitaux qui accordait souvent plus d’importance aux jurys qu’aux candidats reflétait le principe très présent du favoritisme que seuls quelques-uns dénonçaient : « Les candidats au titre de médecin des hôpitaux de Paris sont pour ainsi dire tous des élèves directs, les anciens externes, les anciens internes, les chefs de clinique, les collaborateurs de tous les instants des membres du jury. Ce sont leurs fils spirituels, souvent beaucoup plus chers que de proches parents. Et l’on veut qu’un jury constitué de la sorte puisse juger en toute indépendance d’esprit ! […] les concours ne sont plus des luttes entre des candidats mais entre les juges, entre les diverses écoles. Ce sont des manœuvres savantes, souvent même sans dire le mot, des combinaisons ayant pour bases des marchandages. »
Cependant en dépit de ces lourds inconvénients, même pour ceux, peu nombreux, qui les dénonçaient, un concours placé sous le signe du « marchandage » restait mieux considéré que pas de concours « même avec le concours tel qu’il fonctionne en ce moment, […] il y a des limites à l’arbitraire et au favoritisme […] quand l’épreuve est vraiment trop nulle, la voix populaire se fait entendre et nombre de jurys refusent de passer outre235. » Outre ces questions administratives, les difficultés rencontrées par Sabouraud à l’hôpital illustrent aussi les difficultés de reconnaissance de la spécialisation en médecine. En choisissant une spécialisation (la mycologie et les maladies du cuir chevelu) à l’intérieur d’une spécialité (la dermatologie) – qui venait d’être reconnue par la Faculté, mais qui ne formait pas encore de dermatologues au sens actuel de la qualification –, Sabouraud faisait preuve d’une
tendance plus illustratrice de la fin du XXe siècle que de la fin du XIXe siècle. En France, la réussite aux concours hospitaliers passait alors par une connaissance encyclopédique de la médecine et la maîtrise des luttes d’influence entre les jurés des concours. Un savoir novateur ou une spécialisation trop précoce étaient à coup sûr des obstacles à la réussite. En 1917, Brocq, dans une réflexion sur les nécessaires réformes à faire après la guerre, faisait remarquer le caractère désuet et inadapté à l’évolution de la médecine du règlement de la Société médicale des Hôpitaux de Paris qui permettait à n’importe quel médecin nommé au concours de devenir chef de service dans un hôpital spécialisé. Brocq insistait auprès de ses collègues pour qu’ils comprennent que « les médecins actuels des Hôpitaux de Paris ne (pourront) conserver impunément leurs vieux statuts. Le public est très averti depuis plusieurs années de ce qui se passe dans le monde médical ; et le public est […] complètement orienté du côté de la spécialisation. […] Repousser toutes les modifications utiles […] c’est manifester une volonté de suicide236. » Sabouraud semble avoir été conscient de la situation particulière que lui valait un prestige soudain (enseignement de la mycologie à Pasteur, mission personnelle du directeur de l’Assistance publique, succès au congrès de Londres) et des réactions qu’il pouvait susciter. Il se trouva ainsi dans une situation difficile en se voyant contraint de n’être officiellement qu’un « employé municipal », sans statut hospitalier, bénéficiant par ailleurs d’une notoriété reconnue dans le monde entier. De fait, la nomination de Sabouraud à la direction du laboratoire des teignes de la Ville de Paris lui attira des inimitiés fortes et durables, tout particulièrement de la part de Gaucher dès que celui-ci succéda à Fournier : « Dès les premiers jours où il prit son service le nouveau professeur (Gaucher) déclara à tous ses assistants au cours d’une visite que Sabouraud n’était rien qu’un chef de laboratoire donc à la disposition des différents chefs de service et n’avait qu’à venir quand on lui demanderait de faire des cultures ». Gaucher « devint le centre de la cabale » qui voulait faire sortir Sabouraud de Saint-Louis : « C’était contre moi une propagande continue ; j’étais entré à Saint-Louis par la porte de la rue de la Grange-aux-Belles, je n’étais rien qu’un chef de laboratoire donc à la disposition des divers chefs de service. » La période Gaucher fut sans doute pour Sabouraud difficile à vivre ainsi qu’il le rappelle avec amertume : « À l’hô-
235- Brocq AJL (1917) « Le personnel médical des hôpitaux de Paris et l’après-guerre », Bull Méd : 496. 236- Brocq AJL (1917) « Le personnel médical des hôpitaux de Paris et l’après-guerre », art. cité, 480-482.
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pital Saint-Louis j’étais perpétuellement en état de guerre. L’animosité de beaucoup m’était à charge […]. Les médecins du moment, Gaucher en tête mais Brocq lui-même m’étaient hostiles. De Beurmann seul avait de la sympathie pour moi […] je rétrécissais mon domaine pour mieux le défendre. […] je me cantonnais de plus en plus […] laboratoire pour y travailler sans bruit237. » Dans cette ambiance, il n’est pas étonnant que Sabouraud décrive Gaucher comme un « arriviste sans moralité à qui il me serait difficile de trouver des qualités […] il ne savait quasiment rien en dermatologie, un peu plus en syphiligraphie […] Il est probable que son insuffisance en histologie et sa nullité en bactériologie, je les lui faisais sentir sans le vouloir […] je n’ai jamais haï personne même pas lui. J’ai seulement méprisé son caractère et le vide de sa pitoyable cervelle. Il n’avait à aucun degré l’esprit scientifique et il ne pouvait l’avoir. […] il ne connaissait exactement rien dans les sciences expérimentales ni des résultats qu’elle pouvait fournir […] il avait l’esprit politique de coterie d’un agent électoral238. »
Thibierge n’était pas davantage épargné et les médecins des Hôpitaux et professeurs d’une manière plus générale : « Si vous arrivez à faire médecin des hôpitaux des gens comme Thibierge et tant d’autres c’est que le règlement et la loi même de 1848 est mauvaise. C’est eux qu’il faudrait réformer et dans le sens des concours spéciaux directs : laboratoire : syphilis : vénéréologie : comme accouchement ou médecine générale. Tant qu’un médecin des hôpitaux pourra prendre s’il le désire un service de dermatologie sans préparation comme il le faisait naguère pour un service d’oculistique, ce sera la même gabegie. Mais les plus audacieux des médecins des hôpitaux me paraissent des timorés, craintifs surtout de perdre les prérogatives que la loi leur a conférées. Encore bien plus professeurs de la Faculté qui eux sont tellement puissants de par leur pourpre, qu’ils ne peuvent pas ne pas devenir d’emblée imbéciles ou nuisibles, ce qu’on voit en règle239. »
En dépit de ces difficultés, le laboratoire municipal des teignes était actif. Sabouraud ayant obtenu de l’Assistance publique deux garçons de laboratoire, un matériel dont le modèle lui avait été fourni par Calmette à l’institut Pasteur de Lille, le laboratoire nouveau aurait pu fonctionner rapidement. Tout n’était pas réglé pour autant. Ainsi, la question administrative de la signature restait un handicap permanent. En effet, bien qu’installé dans des locaux appartenant à l’Assistance publique, Sabouraud n’existait officiellement pas sur les rôles de l’administration et n’était donc pas autorisé à signer des documents aussi banals que des bons de consultations qui devaient être « couverts » par la signature du chef de service qui seul existait aux yeux de l’administration. Au laboratoire des teignes, Sabouraud était assisté de deux anciens externes du service Tenneson : Pignot et Noiré. Pignot, écrit Sabouraud, était « doué de toutes les qualités qu’il faut au bon praticien. Il avait un petit bagage scientifique mais il savait en user à merveille, ayant de l’entregent, de la cordialité, le désir de réussir et recevant admirablement tous les confrères. Avec cela, peu de préoccupations scientifiques, aucun goût pour le laboratoire et pour des recherches personnelles. J’en fis donc mon assistant de clinique, mon assistant de consultation, le trait d’union entre les confrères et moi ». Plus tard, dans les dernières années de sa vie, Sabouraud dressa de lui un portrait plus moqueur : « C’est l’épicurien innocent et convaincu, merveilleux d’ailleurs dans son rôle. […] sans blague, chaque fois que je le vois et c’est presque chaque semaine, il me semble plus beau, plus complet, plus accompli […] une amie de mon modèle est allée le consulter. Il l’a gardée une heure lui montrant sa collection des tableaux de mon fils, lui racontant toute mon histoire et celle des miens auxquelles elle ne pouvait porter d’intérêt. Il est bavard et indiscret comme une vieille portière240, 241. » Noiré avait des « allures un peu brusques et assez malpropres à la clientèle, était un cœur excellent aimant bien ses amis, détestant aussi bien ses ennemis, mais prompt à le leur faire savoir sans ambages, assez cassant avec tous ceux qu’il n’aimait pas. Mais avec cela fort intelligent,
237- Pautrier LM (1952) Raimond Sabouraud. Histoire de la Médecine, 22-44. 238- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 239- Sabouraud R, Lettre à Brocq, non datée (pendant la Première Guerre mondiale). Archives de la bibliothèque Henri-Feulard et du musée de l’hôpital Saint-Louis, cote ARK 98. 240- Lettre à Payenneville, le 1er août 1937. 241- Lettre à Payenneville, 28 novembre 1937, coll. Dr M. de Brunhoff.
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comprenant à merveille toutes techniques, leurs raisons d’être et leurs résultats ; adroit de ses mains, propre à n’importe quelle besogne mécanicienne. Il ne maniait guère aucun instrument sans l’améliorer. Je ne lui ai jamais soumis un problème technique sans qu’il en trouvât une solution simple et élégante ». Le laboratoire de Sabouraud est visité par de nombreux médecins étrangers venus apprendre les techniques mycologiques. Sabouraud dans ses mémoires cite Photinos (Athènes), Du Bois (Genève) avec qui il décrit l’exosérose et l’exocytose de l’eczéma, Munro (Sydney) avec qui il décrit les micro-abcès du psoriasis, Minne (Gand), Halkin (Liège), Cedercreutz (Helsinborg). Ralph Thompson, professeur à l’école de médecine de Saint-Louis (Missouri), rapporte avec un peu d’humour l’impression que lui fit Sabouraud : « Chacun avait entendu parler de la clinique [sic] de Sabouraud où tous ceux qui avaient perdu leurs cheveux se pressaient par centaines et du célèbre qui en tirant sur un de vos cheveux (à condition qu’il en reste un) pouvait dire rien qu’en le regardant : “oui je vais vous guérir ! Passez dans la pièce à côté” ou “il est possible que je puisse vous soigner. Attendez ici”. Ou encore “acheter une perruque ! Personne ne peut rien pour vous”. On dit même que Sabouraud pouvait connaître votre caractère, vos revenus et ce que vous aviez mangé au petit déjeuner rien qu’en examinant la racine d’un de vos cheveux ! Tout cela est bien sûr très exagéré mais notre intention était de dire à quel point Sabouraud est un grand homme, un homme dont les dermatologues de tous les pays ont entendu parlé242. »
Sabouraud « chef de service » à Saint-Louis en temps de guerre À la déclaration de guerre, Sabouraud a 50 ans. À Saint-Louis, la Société française de dermatologie tient sa dernière réunion le 2 juillet 1914 sous la présidence d’Alexandre Renault. Le comité de direction réuni deux fois à la fin de l’année 1914 décide en octobre 1915 de suspendre les séances jusqu’à la fin des hostilités et décide « de prononcer la radiation des membres correspondants appartenant aux nations en guerre avec la France et ses alliés ». De
plus, les membres de la Société française de dermatologie et de syphiligraphie, appartenant comme membres titulaires ou correspondants aux sociétés similaires d’Allemagne ou d’Autriche-Hongrie démissionnent de ces sociétés243. À Saint-Louis, les services sont désorganisés par la mobilisation : « Tous les chefs de service excepté Brocq, Balzer et de Beurmann étaient partis. Gaucher était devenu directeur de l’hôpital militaire Villemin où il était déjà passé en horreur parmi tous ses subordonnés […] Il y apporta les défauts de son caractère et devint la bête noire du Val-de-Grâce et du Ministère. Au début, n’avait-il pas obligé deux de ses collègues des hôpitaux à balayer les salles sous prétexte qu’ils avaient négligé de prendre les galons de capitaine auxquels ils avaient droit. Un de ses collègues du même grade qu’il menaçait de faire passer en Conseil de guerre pour insubordination (et ils se tutoyaient depuis toujours) lui répondit qu’il lui ferait coller des galons sur son pot de chambre […] Le directeur de l’hôpital me demanda si je voulais assurer la consultation externe et je la pris en charge. Tous les matins, c’était 500 malades à voir auxquels se mêlaient une foule de militaires envoyés de leurs postes pour un diagnostic ou pour le traitement de leur gale […] Pendant trois ans, j’ai fait cette consultation chaque matin avec l’aide de Madame de Stankévitch ancienne élève de Brocq tous deux aidés par une infirmière dévouée Madame Fouard. […] Du Ministère, on m’envoya aux Invalides où l’on m’assigna pour emploi les conseils de révision qui fonctionnaient sans répit pour l’enrôlement des volontaires étrangers. »
Sabouraud subit la guerre et en commente les événements. Son moral, à l’image de celui de ses compatriotes, fluctue au rythme des succès et des revers qui lui inspirent des commentaires où alternent optimisme, inquiétude, patriotisme et haine des Allemands. Après la victoire de la Marne, les commentaires sont triomphalistes, la fin de la guerre semble n’être qu’une question de semaines et la victoire assurée : « En ce qui concerne le moral de l’armée, depuis le jour du départ et de la mobilisation, la certitude du succès final est demeurée inébranlable au cœur du soldat
242- Thompson RL (1908) Glimpses of medical Europe. JB Lippincott, Philadelphia, p. 144-145, trad. G. Tilles. 243- Séance du 2 juillet 1914, Bull Soc Franc Dermatol Syphil.
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Teignes et teigneux […] depuis 18 mois on répète aux Allemands qu’ils ne cessent d’être vainqueurs, qu’ils n’ont jamais été battus. Comment comprendraient-ils que leurs victoires apparentes ne les mènent à rien qu’à étouffer plus lentement entre les mâchoires des étaux des alliés ? »
Le bombardement de gares et d’usines parisiennes en mars 1915 par des Zeppelin, les premiers usages de gaz par l’armée allemande en avril 1915, le torpillage du paquebot britannique Lusitania le 7 mai de la même année faisant 1 200 morts inspirent à Sabouraud en février 1916 des commentaires d’une autre tonalité : « L’Allemand est l’homme qui a renoncé à sa conscience […] En fait de crimes, il lui devient plus difficile chaque jour d’innover. Je n’en vois point que les Allemands aient manqué de commettre […] le vol, le viol, le pillage, l’incendie, l’extorsion de fonds à main armée, la subornation et le faux témoignage […] la destruction des vaisseaux qui ne portaient pas de combattants, la noyade de milliers de femmes et d’enfants […] voilà une race hostile au monde entier […] un seul sentiment persiste en nous, le mépris froid et définitif de l’Allemagne avec le dégoût allant jusqu’au vomissement d’appartenir à une espèce humaine qui ressemble à celle-là en apparence244. »
Quelques mois plus tard (janvier 1916), les soldats des deux camps sont enterrés dans des tranchées et la guerre semble s’installer. La victoire considérée comme une certitude est maintenant objet de silence : « […] Personne ne sait quand on aura la victoire. La date de la paix se recule dans le lointain indéfini […] Il me paraît certain qu’on attendra le temps qu’il faudra. C’est une résolution
froide et tranquille, sans panache et sans cris qui donnerait à penser aux dirigeants de l’Allemagne s’ils pouvaient en être témoins. » Le 10 janvier 1917, Sabouraud prend en charge le service de Brocq245 (fig. 96), souffrant, retiré à Laroque-Timbault sa ville natale (près d’Agen) : « Il en sera comme vous voudrez je prendrai donc votre service le 10 au matin. Je viendrai tous les jours à Saint-Louis à 8 h 45. » Le service Brocq comprend alors une salle civile et une salle militaire, attribuée à son élève Desaux. Sabouraud informe Brocq, plusieurs fois par semaine, de l’activité de son service. Le ton des échanges entre les deux hommes n’est plus celui de l’inimitié ; Sabouraud s’exprime avec respect à l’égard de celui qu’il considère maintenant comme son « bon Maître ». Il commente pour Brocq les cas les plus difficiles, lui rend compte de l’activité de ses anciens assistants restés à Saint-Louis (en fait le plus souvent des femmes). Sabouraud semble alors regretter d’avoir choisi une voie professionnelle à l’écart de l’activité des services et faire preuve d’une certaine sincérité sur les circonstances de son « renoncement » : « Je me rends compte de plus en plus que j’ai mal fait de vivre solitaire dans ma tour d’ivoire au labo. On se cristallise. La vie scientifique doit être collective ou n’être pas. Et votre service m’ouvre un monde d’idées que je n’aurais jamais eues sans lui. Même pour faire surgir l’idée des recherches à faire, il faut le contact de malades, de beaucoup de malades246 », « je me suis mis de moimême hors cadre. […] je suis fils d’une famille qui coula sa vie doucement et seulement ambitieuse de prud’homie […] je ne suis point revendicateur et j’aime mieux rire dans l’ombre des benêts qui se couvrent de titres honorifiques alors qu’ils n’ont pas l’étoffe où les coudre […] dans ces conditions ce n’est pas à moi de critiquer cet ordre des choses
244- « Lettres à un Américain 1915-1916 », documents conservés par le docteur Mathieu de Brunhoff. 245- Né à Laroque-Thimbault près d’Agen, Brocq, nommé premier à l’internat des Hôpitaux de Paris en 1878, fut reçu docteur en médecine en 1882, médecin de l’hospice de La Rochefoucauld en 1891, chef de service à l’hôpital Broca en 1896 et chef de service à SaintLouis en 1906 où il resta jusqu’à sa retraite en 1921. Avant la Première Guerre mondiale, la présidence de la Société française de dermatologie avait été refusée à Brocq en raison d’un conflit avec Gaucher, « collègue infatué plus que de raison de la toge professorale », Brocq organisa alors avec Thibierge et Darier des réunions concurrentes au musée de Saint-Louis. Ce ne fut qu’en 1919 que la Société française de dermatologie, appela Brocq à sa présidence. Gougerot, assistant de Brocq, rapporte que son maître « malgré son mauvais état de santé venait tous les jours à Saint-Louis […] il arrivait tôt à 8 heures 30, par une petite porte afin d’éviter les importuns : le plus souvent il s’asseyait dans son bureau, fatigué par une nuit de dyspnée et de douleurs et commençait par nous dire qu’il était trop souffrant pour voir des malades. Il se reposait, buvait sa tasse de lait chaud, se reprenait ». Outre le rôle qu’il joua dans la rédaction de la Pratique Dermatologique, Brocq publia notamment un Traité élémentaire de dermatologie pratique comprenant les syphilides cutanées en 1907 et un Précis atlas de pratique dermatologique en 1921. Brocq mourut à Paris le 18 décembre 1928. Son nom fut donné à un pavillon de l’hôpital Saint-Louis en 1929 et à un pavillon de l’hôpital Cochin en 1933. Louis Brocq (1856-1928) (1929) Bull Soc Med Hôp Paris : 15291533. Rist E (1955) « Louis Brocq » in 25 portraits de médecins français, 1900-1950, Masson, Paris, p. 73-79. 246- Lettre à Brocq, 22 février 1917, dossier Sabouraud in Archives du musée de l’hôpital Saint-Louis, cote ARK 98.
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auquel je ne me suis jamais soumis et des concours où je ne me suis jamais présenté, jamais même inscrit247 » . À partir du 8 janvier 1919, la Société française de dermatologie reprend ses séances, interrompues depuis juillet 1914. Les relations franco-germaniques d’avant-guerre sont, sans surprise, remises en question, particulièrement la fascination exercée par les travaux en langue allemande. Alexandre Renault, président, se demande « quelle devra être désormais notre attitude vis-à-vis des savants allemands ? […] Nous devons rompre toute relation avec eux, tant qu’ils n’auront pas renié publiquement les procédés odieux de leurs compatriotes. Sans doute, nous n’ignorerons pas leurs travaux. Mais au lieu de nous laisser aller, comme avant la guerre, à un enthousiasme irréfléchi, par ce fait même que les recherches venaient d’outre-Rhin, nous soumettrons leurs œuvres à une critique juste mais sévère et les apprécierons à leur juste valeur248. » . Le temps de l’apaisement et des honneurs Après la guerre, la situation de Sabouraud à SaintLouis s’améliore :
« Dans tout l’hôpital, ma situation n’était plus discutée, elle était admise. […] Darier qui ne pensait jamais comme moi mais qui ne m’avait jamais été hostile s’occupait surtout de déblayer la Société de Dermatologie des scories et des résidus laissés par Gaucher249. Thibierge seul demeurait rétif et hargneux mais réduit à lui-même, c’est-à-dire à peu de choses, il ne pouvait rien. […] J’admirais l’activité de Darier qui était restée la même. Il avait l’esprit tendu vers ce qui est plus durable que chacun de nous et qui pouvait dans l’avenir augmenter le renom et l’éclat de notre vieille école de Saint-Louis250. »
L’activité de Sabouraud se réduit. La radiothérapie (voir plus loin) qui guérit les teignes en quelques semaines aboutit à une désaffection de l’école des teigneux. Outre ses fonctions au laboratoire des teignes il assure les fonctions de conservateur d’un modeste musée de parasitologie251, 252 (fig. 97). Il assiste peu aux réunions de la Société française de dermatologie et finit par accepter, à la demande insistante de Darier qui souhaite fédérer les forces de la dermatologie française d’après-guerre, un poste de vice-président en 1924 et la présidence en 1925 et en 1926. Le discours inaugural de Sabouraud est sans relief, qui proclame de manière sans doute un
247- Lettre à Brocq, non datée (pendant la guerre), dossier Sabouraud in Archives du musée de l’hôpital Saint-Louis, cote ARK 98. 248- Renault A (1919) « Allocution du président », Bull Soc Fran Dermatol Syphil : 3-4. 249- Issu d’une famille protestante française, Darier (1856-1936) est né à Pest en Hongrie le 26 avril 1856. La famille Darier originaire de Beaune-les-Arnauds (Isère) quitta la France au XVIIIe siècle après la révocation de l’édit de Nantes en 1685. Jules Darier, père de Jean Darier, fonda la banque Darier Chaponnière et Cie. Après des études primaires et secondaires à Genève puis deux années d’études médicales en 1876 et 1877, Darier vint à Paris en 1877. Docteur en médecine en 1885, naturalisé français la même année, répétiteur d’histologie au Collège de France dans le laboratoire de Ranvier, chef de laboratoire de Fournier à Saint-Louis de 1885 à 1894, médecin des Hôpitaux de Paris en 1894, Darier fut chef de service à l’hôpital de La Rochefoucault en 1896, chef de service à l’hôpital de la Pitié de 1901 à 1905, chef de service à l’hôpital Broca successeur de Brocq et chef de service à Saint-Louis nommé en décembre 1909 et jusqu’à sa retraite en 1922. Vice-président de la Société de biologie en 1905, président de la Société française de dermatologie et de syphiligraphie en 1921 et 1922, président d’honneur du IXe congrès international de dermatologie à Budapest en 1935, commandeur de la Légion d’honneur, Darier fut élu maire de Longpont-sur-Orge commune proche de Paris de 1925 à 1935. Principal directeur de la Nouvelle Pratique Dermatologique, ouvrage collectif de l’école française de dermatologie fait de huit volumes publiés en 1936, il fut également auteur d’un Précis de dermatologie publié en 1909, réédité quatre fois, traduit en anglais et en allemand. Descripteur de plusieurs maladies cutanées dont la maladie qui porte son nom, Darier est mort le 4 juin 1938 et est inhumé au cimetière de Longpont-sur-Orge. Civatte A (1938) « Jean Darier », Bull Soc Fran Dermatol Syphil : 895-900. Ledoux M-P, Ledoux G (1987) Un homme, une œuvre : Ferdinand Jean Darier. 1856-1938. Société historique de Longpont-sur-Orge. 250- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 251- Arrêté de nomination de Sabouraud, conservateur du musée de parasitologie de l’hôpital Saint-Louis, dossier musée de l’hôpital Saint-Louis, archives de l’Assistance publique, cote 780FOSS3. 252- Les conservateurs du musée de parasitologie Saint-Louis assuraient l’enseignement des dermatophytes à l’Institut Pasteur. Badillet Guy, chef de laboratoire de mycologie de Saint-Louis, communication personnelle, 1993. À son départ en retraite, Rivalier insista pour que son successeur Guy Badillet soit considéré comme responsable des collections mycologiques du laboratoire Sabouraud situé dans les locaux de l’ancienne école Lailler. Les collections issues de la collection Rivalier furent transférées de l’école Lailler au laboratoire Alibert lors de la transformation de l’école Lailler en Centre des maladies sexuellement transmissibles. Au début des années 1990, deux cultures originelles de la collection Sabouraud existaient encore. Badillet Guy, chef de laboratoire de mycologie de Saint-Louis, communication personnelle, 1993. Les cultures de la collection Rivalier, dites cultures géantes tuées, ont été récemment transférées au musée des moulages de Saint-Louis où elles sont exposées.
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peu provocante : « Moi je ne vous apporte ni projet ni programme et je serais volontiers de ceux qui trouvent bons tous les programmes à la seule condition qu’on les remplisse253. » Sabouraud est élu président du IVe congrès des dermatologistes et syphiligraphes de langue française tenu à Saint-Louis du 25 au 27 juillet 1929254. Le dimanche 28 juillet 1929, lendemain de la clôture du congrès, une cérémonie du jubilé est organisée à Saint-Louis, quarante ans après la première expérience dermatologique de Sabouraud dans cet hôpital255. La provenance des organisateurs et des participants donne une indication de la place occupée par Sabouraud dans la communauté des dermatologues en France comme hors de France. Un comité d’honneur avait été constitué réunissant les personnalités les plus représentatives de la dermatologie : Brocq (décédé l’année précédente), Darier, médecin honoraire de l’hôpital Saint-Louis, membre de l’Académie de médecine, Jeanselme, professeur honoraire de clinique des maladies cutanées et syphilitiques, membre de l’Académie de médecine, Hudelo, médecin de l’hôpital Saint-Louis, Roux, directeur de l’Institut Pasteur, membre de l’Institut, Du Bois, professeur de dermatologie à l’université de Genève, François, médecin de l’hôpital Nottenbohm d’Anvers, Cedercreutz, professeur à l’université d’Helsingfors (Finlande), Milian et Ravaut, médecins de l’hôpital Saint-Louis, Gougerot, professeur de clinique des maladies cutanées et syphilitiques à la faculté de médecine de Paris, médecin de l’hôpital Saint-Louis, Bodin, professeur de dermatologie et de syphiligraphie à l’école de médecine de Rennes, Pautrier, professeur de clinique dermatosyphiligraphique à la faculté de médecine de Strasbourg, Clément Simon, médecin de l’hôpital Saint-Lazare et Pignot, chef-adjoint du laboratoire de la Ville de Paris à l’hôpital Saint-Louis. La Société belge de dermatologie avait tenu à réunir elle aussi un comité. Un troisième comité s’était formé en Argentine. Cette « impressionnante réunion » selon les termes de Beaud, vice-
président du conseil municipal, fut présidée par Jeanselme, collègue d’internat de Sabouraud. Au cours de la cérémonie, organisée au musée des moulages, Emery, médecin de Saint-Louis annonça que Sabouraud venait d’être élevé au grade de commandeur de la Légion d’honneur256. Son buste en bronze réalisé par Despiau lui fut offert à cette occasion ainsi qu’une médaille exécutée par Albert Pommier257 (figs. 98-99). Plusieurs centaines de souscripteurs français, européens, nord-africains, japonais, américains du Nord et du Sud participèrent à la réalisation du buste et de la médaille. Médecin des hôpitaux et professeurs, successeurs de ceux qui avaient eu tant de difficultés à accepter Sabouraud firent amende honorable peut-être au nom de leurs prédécesseurs. Sabouraud est qualifié de « bienfaiteur de l’humanité souffrante, […] demidieu de la simplicité ». Gougerot, qui avait fréquenté le laboratoire de Sabouraud en 1905, exprime les regrets tardifs de la faculté de médecine : « Les jeunes voyaient en vous le véritable chef de Saint-Louis […] nous savions que c’était de votre laboratoire qu’étaient sortis la rénovation de l’étude des teignes, le démembrement de l’eczéma séborrhéique, la découverte des streptococcies sèches, les grandes études modernes sur les pyodermites, l’impétigo, l’echtyma, la pelade, le sycosis. » Il souligne à quel point les étrangers ne comprenaient pas « le formalisme de la faculté, du Médicat des hôpitaux, de l’Académie ; ils s’étonnent que ces trois corps ne vous aient pas par un vote unanime et par acclamation reçu parmi eux pour leur plus grand profit ». Après avoir rendu hommage à « ses amis d’internat, Jeanselme et Hudelo », Sabouraud se souvint à voix haute qu’il n’avait « pas rencontré, à l’hôpital Saint-Louis que leur amitié. Parce que je n’avais pas suivi la voie commune, j’avais soulevé quelques animosités ; mais il y a si longtemps déjà que je ne m’en souviens plus, et l’hôpital qui les a connues a déjà tout à fait oublié le nom qu’elles portaient… ». Sabouraud prend sa retraite le 31 décembre 1929 à
253- Discours de M. Sabouraud (1925) Bull Soc Fran Dermatol Syphil : 255-260. 254- L’Association des dermatologistes et syphiligraphes de langue française a été fondée à Strasbourg le 26 juillet 1923 et déclarée le 4 août 1923 par Hudelo à Paris. Sabouraud figure parmi les membres fondateurs. 255- Jubilé scientifique du Docteur Sabouraud, 28 juillet 1929. 256- Élevé à la dignité de commandeur de la Légion d’honneur par décret du 3 août 1929 en tant que docteur en médecine. Musée national de la Légion d’honneur, annuaire de la Légion d’honneur. 257- Le buste – dont il existe un autre exemplaire au musée de l’Institut Pasteur – et la médaille sont conservés au musée de l’hôpital Saint-Louis. 258- Maurice Pignot succéda à Brodier en tant que conservateur du musée des moulages et de la bibliothèque Henri-Feulard à partir de 1939.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
65 ans. Pignot (1873-1957)258 et Rabut lui succèdent pour les questions cliniques, Rivalier259 (1893-1979) à la direction du laboratoire rattaché successivement aux services de Louste, Milian et Sézary. Réflexions fin de vie Très affecté par la mort de son épouse décédée le 25 juin 1928 et de son fils Alain, disparu en Méditerranée en 1931, Sabouraud vit seul, entouré de deux serviteurs260. Il passe à peu près toutes les matinées « dans une pièce meublée en bois blanc et encombrée de statuettes, de bustes, d’études de toutes sortes. Près de la fenêtre, un bocal contenant des plantes et des petits animaux aquatiques. Une étroite table à écrire à côté de la cheminée. Au milieu de la pièce, de la terre à modeler sur une stèle, un siège très bas où Sabouraud s’asseyait, son modèle installé très près de lui, dans un fauteuil d’osier261 » (figs. 100-101). Dans les dernières années de sa vie, l’art et la fréquentation d’artistes faisaient partie du quotidien de
Sabouraud262. La sculpture occupe de plus en plus son esprit et son temps au point de lui procurer une certaine renommée263. « À partir de 20 ou 22 ans, la sculpture m’attira subitement et de plus en plus. Un jour (1889) où je m’étais égaré au musée des moulages du Trocadéro, j’eus en deux heures l’appel intime de la vocation et tellement irrésistible qu’au retour chez moi, boulevard de Sébastopol, j’allais chercher de la terre glaise et fis ma première statuette. Depuis lors je consacrai au modelage toutes mes rares heures de liberté […] Cela devint une part de ma vie et sauf des interruptions parfois très longues je n’y renonçai jamais264. »
Parmi ses œuvres, on notera la réalisation de bustes de Jeanselme, de Darier et de Brocq et d’Achille Civatte, de Pignot exposés au musée de l’hôpital Saint-Louis, de Pautrier à la clinique dermatologique de Strasbourg, de Charles Nicolle placé à la demande de Joseph Payenneville dans le nouveau
259- Rivalier Émile (1893-1979) : interne des Hôpitaux de Paris en 1920, chef de laboratoire à l’hôpital Saint-Louis à partir de 1930, membre fondateur de la Société française de mycologie médicale, président de cette société en 1971, président d’honneur de la Société française de dermatologie, chevalier de la Légion d’honneur. 260- La disparition d’Alain Sabouraud fut entourée de circonstances particulières qui ajoutèrent à la souffrance du deuil. Après qu’Alain Sabouraud fut emporté par un paquet de mer, le bateau dériva jusqu’à La Spezia où la police italienne crut voir la preuve d’un meurtre dans la présence d’une mince blessure sur le cou de la passagère décédée et restée seule à bord alors que le corps d’Alain Sabouraud ne fut jamais retrouvé. Une enquête fut alors ouverte, connue des journalistes italiens puis français. Après que la thèse d’un meurtre par balle fut abandonnée, l’hypothèse d’un empoisonnement volontaire lui succéda et pendant plusieurs mois, le fils du docteur Sabouraud, médecin parisien de renom, fut considéré comme un meurtrier avant que l’autopsie de la passagère montre que celle-ci était en fait morte de faim et de soif sur le bateau abandonné à lui-même. Sabouraud en fut très affecté, mettant en cause le nationalisme des policiers italiens dans ce qu’il considérait comme un climat général antifrançais en Italie. Dr M. de Brunhoff, communication personnelle, 2005. 261- Simon Cl (1938) « Souvenirs sur Sabouraud », Bull Med, 193, 25 : 445-448. 262- En 1905, Sabouraud rencontre Odilon Redon, avec lequel il se lie d’amitié et échange une correspondance régulière. Lettres d’Odilon Redon, 1878-1916, publiées par sa famille, Paris et Bruxelles, G. van Oest éd, 1923. Redon réalisa en 1907 un portrait au pastel de Thérèse Sabouraud. Ce portrait après avoir été vendu à Londres chez Sotheby’s le 29 novembre 1967 a été exposé à la Galerie Slatkin à New York puis est devenu la propriété d’Arthur G Cohen à New York en 1981. Wildenstein A (1992) Odilon Redon, catalogue raisonné de l’œuvre peint et dessiné, Wildenstein Institute, Paris. 263- Raimond Sabouraud Sculpteur. Préface d’Élie Faure, M. et J. de Brunhoff éditeurs, Paris, 1929. Prioux R (1948) Deux médecins, deux sculpteurs, Paul Richer, Raymond Sabouraud. Arnette, Paris. Bénézit E (1999) Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs. Gründ, Paris : « Sabouraud : docteur en médecine, grand amateur d’art, sa collection fut justement célèbre. Il exposa à Paris au Salon d’Automne. Il fut Commandeur de la Légion d’honneur », p. 157. 264- Sabouraud R, La Sculpture, novembre 1937, texte conservé par le Pr Olivier Sabouraud (†).
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pavillon de vénéréologie édifié en 1927265, 266. Amateur d’art éclairé et possesseur de tableaux de Renoir, de Soutine, d’Utrillo, de Modigliani267, Sabouraud devient en 1925 membre sociétaire du Salon d’automne et expose régulièrement au Salon des Tuileries268. Il rédige, pour le plaisir et pour fuir l’ennui, des mémoires, quelques textes érudits ou plus banals269. On y trouve les invariants de ce que Winock nomme le discours de « l’éternelle décadence » : la nostalgie d’un âge d’or, l’éloge de l’immobilisme, l’anti-individualisme, l’apologie des sociétés élitaires, la nostalgie du sacré, la peur de la dégradation génétique et l’effondrement démographique, la censure des mœurs et l’anti-intellectualisme270. On pourrait ajouter le mépris pour les loisirs, la valorisation de l’effort – particulièrement des efforts non couronnés de succès –, de la souffrance morale comme facteur de progrès personnel et le mépris pour la presse populaire. On remarquera toutefois que la plupart de ces textes sont datés des années 1930 lorsque Sabouraud avait plus de soixante-dix ans, étape de la vie qui n’est sans doute pas la plus propice à la valorisation des changements et de la modernité. Sabouraud partage sa vie entre les visites d’amis fidèles, Payenneville souvent, Pautrier (Strasbourg) et Du Bois (Genève) moins souvent, quelques voyages de courte durée à Moulins revoir Paul Théveniau, à La Digne-d’Aval sur la tombe de sa femme,
d’autres plus longs à Tunis, à Budapest en 1935 pour le congrès international de dermatologie, des séjours dans la maison familiale de Chessy où il retrouve souvent ses enfants et petits-enfants, la rédaction d’ouvrages personnels271 et d’articles médicaux, de chapitres pour la Nouvelle Pratique Dermatologique qu’il semble rédiger sans entrain en désaccord à l’égard de certains points de vue : « Clément Simon veut me charger d’une analyse du tome 8 de la Nouvelle Pratique Dermatologique. Alors j’ai bien été forcé de le feuilleter ce dont je me serais gardé sans cela. L’effet a été d’un réactogène brutal dont l’ingestion a été suivie d’une colloidoclasie cérébrale immédiate. Mon Dieu en sommes-nous là ? Les articles de Sézary sont appliqués et travaillés. Ceux de Huet… tout à fait lamentables. Je viens d’écrire à Cl. Simon qu’il cherche ailleurs un analyste […] Oh mes aïeux ! c’est pire que la première Pratique Dermatologique d’il y a 35 ans272. » « Darier se raccroche à Tzanck plus jeune et à l’appropriation bien osée de l’anaphylaxie aux affections dont nous ignorons toujours la cause. Cette théorie anaphylactique, comme on la sent déjà vieillir. […] Il en est toujours ainsi quand on met plus de théories que de faits précis dans ce qu’on écrit en fait de sciences. Et c’est pourquoi Pasteur reste un modèle éter-
265- En mai 1901, Nicolle avait demandé à l’administration des hospices de Rouen de prendre possession du « chalet école des teigneux » pour mener à bien la lutte antivénérienne efficace (le buste fut inauguré le 19 juillet 1937 par Métayer, maire de Rouen, en présence de membres de la famille de Nicolle et de Sabouraud qui rappelait les liens qui l’unissaient aux frères Nicolle). Un autre buste de Nicolle placé sur la façade de sa maison à Rouen a été volé. 266- Discours de Sabouraud le 19 juin 1937 pour l’inauguration du buste de Nicolle : « Nous étions arrivés presque ensemble à l’internat de Paris et cependant les circonstances m’avaient plutôt rapproché de son aîné Maurice Nicolle qui travaillait à l’Institut Pasteur où moi aussi j’allais faire mes classes de bactériologie […] Lorsqu’il revint professeur au collège de France, notre ancienne amitié se resserra […]. » Discours de Payenneville : « C’est grâce à la générosité de mon ami, le docteur Sabouraud, si j’ai pu réaliser ce projet car c’est lui qui m’a offert le buste qu’il avait exécuté avec talent […] J’ai eu l’honneur et la joie d’assister à quelques séances de pose dans l’atelier de la rue Miromesnil et ce fut pour moi un régal de voir progressivement sortir de la terre la physionomie si caractéristique du modèle en même temps que j’entendais ces deux camarades d’internat évoquer les vieux souvenirs de leurs débuts à l’Institut Pasteur. » Discours manuscrits de Sabouraud et de Payenneville communiqués par le docteur Karl Feltgen, Groupe Histoire des Hôpitaux de Rouen. 267- Ces tableaux furent vendus à la mort de Sabouraud par ses héritiers. Pr Olivier Sabouraud (†), communication personnelle, 2005. 268- Ces textes dactylographiés sont conservés par le docteur M. de Brunhoff et par le Pr O. Sabouraud (†). 269- Winock M (2004) Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France. Seuil, Paris, pp. 99-107. 270- Une rétrospective Raimond Sabouraud eut lieu à la Maison des expositions 214 Fg Saint-Honoré du 19 février au 5 mars 1939. Dossier Sabouraud, archives du musée de l’hôpital Saint-Louis, ARK 98. 271- Sabouraud R (1933) Pêle-mêle, regards en moi et autour de moi, op. cit. Sabouraud R (1937) Sur les pas de Montaigne, Denoël, Paris. Sabouraud R (1937) L’Hôpital Saint-Louis, op. cit. 272- Lettre à Payenneville, 18 mars 1936, coll. Dr M. de Brunhoff.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme nel273. » Malgré quelques réticences, il rédige une analyse de l’ouvrage qu’il soumet amicalement à Darier274, 275. »
Sabouraud participe à l’enseignement de l’Institut Pasteur et aux cours des maladies du cuir chevelu placés sous l’égide de l’Association d’enseignement médical des Hôpitaux de Paris, à l’école Lailler dépendant alors du service de Louste. La clientèle se raréfie au point de devenir presque inexistante les derniers temps et de générer des soucis financiers sans doute aggravés par l’aide qu’il apporte à son fils Émile, peintre à qui il tente de procurer des commanditaires. Le 27 janvier 1938, Sabouraud rédigeait sa dernière lettre à son ami Payenneville : « Je vous écris revenant de me faire prendre le sang, piquer etc… pour qu’on s’assure que mon urée, mon sucre, mon temps de saignement sont bien en règle. Que de choses neuves depuis mon Internat en chirurgie […] Demain soir je vais donc prendre possession de ma chambre à la clinique […] Mon fils était venu déjeuner. Il m’avait apporté le grand portrait. Je l’ai regardé en écoutant deux disques de Bach. Voyez il n’y a rien de pareil. Tout le reste est misère, est périssable et méprisable. Il n’y a que cela qui vaut et qui reste276. »
Une semaine plus tard, le vendredi 4 février 1938, Raimond Sabouraud mourait à l’âge de 73 ans des suites d’une intervention chirurgicale (fig. 102). Après une cérémonie religieuse en l’église SaintAugustin à Paris, il fut inhumé, selon sa volonté, non loin de la tombe de son épouse, au cimetière de La Digne-d’Aval, « petit village de l’Aude inaccoutumé au commerce de si grands esprits277 ». La séance de la Société française de dermatologie du 13 février 1938 fut levée en signe de deuil. Les nombreux éloges internationaux conservés au musée de Saint-Louis témoignent du souvenir laissé par Sabouraud dans la communauté dermatologique, dans un langage de circonstance. Cedercreutz (Finlande) parle de « l’étendue et la profondeur de son génie et par la grandeur de ses talents, il nous rappelait les grandes âmes de la Renaissance ». Halty, président de la Société uruguayenne de dermatologie dans une lettre à Sézary, président de la Société française de dermatologie, le 2 mai 1938 parle de Sabouraud comme d’un « savant qui à l’instar des grands esprits de la Renaissance, fut à la fois médecin, philosophe, écrivain, artiste278, 279. » En 1951, Robert Degos, devenu chef de service à Saint-Louis, obtint que le conseil de surveillance de l’Assistance publique donne le nom de Sabouraud au laboratoire des enfants teigneux qui dépendait de son service280.
273- Lettre à Payenneville, 19 avril 1936, coll. Dr M. de Brunhoff. 274- « Mon cher Darier, je tiens à faire passer sous vos yeux avant sa publication l’analyse générale qui me fut demandée par la presse médicale de la Nouvelle Pratique Dermatologique […] si j’ai dû faire en passant quelques critiques par-ci par-là cela était nécessaire je crois pour ne pas paraître trop béni oui-oui. Et toutes ont été faites dans la limite que m’impose l’amitié que je porte aux signataires et à vous particulièrement vous le savez. » Lettre de Sabouraud à Darier, non datée, coll. Dr M. de Brunhoff. 275- Une lettre adressée à Clément Simon, sans doute dans les années 1930, donne une idée des relations de Sabouraud et Darier, mêlant sympathie et estime légèrement teintée de défiance : « Que Darier désire avant tout faire un bel avenir à sa tombe, c’est une idée fréquente et, d’après les anciens, excusable. Qu’il le fasse avec peu de générosité pour Brocq, pour Ravaut et pour moi, c’est dommage car le temps qui passe remet toutes choses au point. Mais toujours connu des dissentiments parmi les grands chefs d’autrefois et ils m’ont toujours semblé pitoyables. Je ne voudrais sous aucun prétexte poursuivre cette tradition ni même avoir l’air de la continuer. Je dis ceci parce que Pignot en me racontant la chose grosso modo ajoutait que c’est Darier qui m’avait empêché d’avoir le prix Monaco, qu’il s’était aussi opposé à la proposition de Ravaut et Netter voulant me faire nommer membre libre de l’Académie… […] si les propos de Darier vous ont donné l’idée qu’il agissait par jalousie tant pis pour lui. Mais quant à moi je ne puis que répondre aimablement aux lettres aimables qu’il m’écrit sans lui montrer ni aigreur ni défiance d’autant que j’ai toujours eu pour lui de la sympathie et de l’estime. Si donc ces propos se répandent croyez que ce ne sera pas par moi et je pense qu’il vaudrait mieux cacher le plus possible ces verrues et ces tares séniles. » Lettre de Sabouraud à Clément Simon, sans date, coll. Dr M. de Brunhoff. 276- Payenneville Joseph (1877-1949) : médecin adjoint des hôpitaux de Rouen en juin 1909, chef du service de dermato-vénéréologie en mai 1919. Payenneville eut un rôle actif dans la lutte contre la syphilis dans l’entre-deux-guerres. Chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire en 1919, Payenneville fut élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur en 1929, décoration remise par Sabouraud. Dr Karl Feltgen, Groupe d’Histoire des Hôpitaux de Rouen, communication personnelle, 2006. La correspondance Sabouraud-Payenneville s’étend du 12 juillet 1931 au 27 janvier 1938, lettres rédigées d’une écriture régulière à l’encre bleue dans lesquelles Sabouraud décrit à son ami le quotidien monotone des dernières années de sa vie. Cette correspondance, donnée par Payenneville à la famille Sabouraud, est conservée par le Dr Mathieu de Brunhoff. 277- La tombe de l’épouse de Sabouraud se trouve sur le territoire de La Digne-d’Aval, au sommet d’une colline, à environ une heure de marche de la commune. 278- Milian G (1938) « Nécrologie, le docteur Sabouraud (1864-1938) », Rev Fran Dermatol Vénéréol, 14, 1 : 51-53. 279- Lettre d’Axel Cedercreutz à Pinard, président de la SFD, le 9 février 1938. Archives du musée de l’hôpital Saint-Louis, dossier Sabouraud, ARK 98. 280- « Dénomination de salles aux hôpitaux Bretonneau, Saint-Louis et Cochin ». Procès-verbaux du conseil de surveillance, 1951, p. 500-501.
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Aujourd’hui les travaux de Sabouraud, sa personnalité, son érudition restent dans la mémoire des dermatologues comme autant de traits qui le font considérer comme le « géant de la mycologie dermatologique281. » Il symbolise une période brillante de l’école française de dermatologie, d’intenses activités intellectuelles, d’un renouveau et peut-être génèret-il un sentiment de culpabilité rétrospective de ne pas lui avoir donné la reconnaissance que les écoles étrangères lui avaient attribuée. Le souvenir de Sabouraud (archives, buste, médaille) est conservé par les deux institutions qui ont le plus marqué sa vie : l’Institut Pasteur et l’hôpital Saint-Louis. Publiée pour la première fois en 1961, la revue Sabouraudia apporta une marque supplémentaire de l’importance de Sabouraud pour l’histoire de la mycologie. À Saint-Louis, la consultation des maladies du cuir chevelu a pris le nom de Sabouraud. Mais plus que ces témoignages, c’est le milieu de culture et d’identification des champignons mis au point il y a plus d’un siècle, qu’il se nomme milieu de Sabouraud ou Sabouraud medium ou encore Sabouraud agar, qui assure à sa mémoire un hommage universel.
« Les teignes », pièce maîtresse de l’œuvre De son internat chez Fournier – qui n’envisageait la dermatologie qu’à travers le filtre de la syphilis – Sabouraud avait retenu l’intérêt qu’il y a à se consacrer à un seul sujet : « Il me semble que les premiers éléments qui nous manquent en tous sujets sont des monographies studieuses consacrées vraiment à un seul sujet. Quel est celui des hommes de la précédente génération qui a laissé sur nous la plus forte empreinte ? Il semble bien que ce soit Fournier parce qu’il n’a jamais eu qu’un
seul but et qu’il ne s’est occupé que d’une seule question. Pasteur s’est occupé cinq ans de la rage sans vouloir étudier rien d’autre. Et c’était Pasteur282 ! »
Sabouraud conçut ainsi l’idée de consacrer sa vie professionnelle aux maladies du cuir chevelu, réalisant ainsi une œuvre considérable au contenu toutefois contrasté283. Sa volonté d’attribuer à tout prix une étiologie microbienne à toutes les alopécies apparaît en effet comme un effet pervers de cet enthousiasme scientifique qui lui fit considérer à tort la pelade et la calvitie comme les deux versants d’une même maladie microbienne. À l’opposé, ses travaux sur les teignes restent aujourd’hui un modèle de qualité scientifique. La pluralité des trichophytons : la fin d’un mythe Depuis les travaux de Bazin – « l’influence néfaste de Bazin », pour reprendre le jugement de Brocq284 – il était admis que les différentes formes cliniques de teignes – en dehors du favus – étaient dues à une seule espèce de trichophyton, plus ou moins vieillie. Sabouraud considérait cette conception uniciste comme responsable de toutes les erreurs, terminologiques et nosologiques. Son objectif était d’abord « d’établir si en France, plusieurs agents parasitaires pouvaient déterminer le syndrome trichophytie dans ses diverses modalités, si ces parasites étaient seulement des races ou des variétés d’une espèce unique ou s’il s’agissait au contraire de parasites nettement dissemblables ; enfin si les affections causées par des parasites différents avaient des pronostics différents285. » « Un premier problème se présente : celui de l’unité du trichophyton […] de quelque côté que l’on aborde la trichophytie, c’est là le problème fondamental286. » L’objectif de Sabouraud, alors en troisième année d’internat, n’était donc rien moins que de mettre un terme au dogme de l’unicité du trichophyton, dogme ancien et fermement établi dans l’esprit des dermatologues.
281- De Bersaques J, « La mycologie dermatologique de Gruby à Sabouraud » in La Dermatologie en France, op. cit., p. 163-170. 282- Discours de M. Sabouraud, IVe congrès des dermatologues et syphiligraphes de langue française, Paris, 1929, p. 25-39. 283- Le traité des Maladies du cuir chevelu est complet en cinq volumes : I Les maladies séborrhéiques : séborrhée, acnés, calvitie (1902) Masson, Paris ; II Les maladies desquamatives : pityriasis et alopécies pelliculaires (1904) Masson, Paris; III Les maladies cryptogamiques : Les teignes (1910) Masson, Paris ; IV Les maladies suppuratives et exsudatives : pyodermites et eczémas (1928) Masson, Paris ; V Les syndromes alopéciques, pelades et alopécies en aires (1930) Masson Paris. À ces volumes s’ajoutent Les trichophyties humaines (1894) Rueff, Paris ; Diagnostic et traitement de la pelade et des teignes de l’enfant (1895) Rueff, Paris. Manuel élémentaire de dermatologie topographique régionale (1905) Masson, Paris et la série des Entretiens dermatologiques à l’École Lailler, Doin, Paris, 1913, 1922, 1924 ; Diagnostic et traitement des affections du cuir chevelu (1932), Masson, Paris. 284- Brocq L (1907) Traité élémentaire de dermatologie pratique, Doin, Paris, t. 1 p. 471. 285- Sabouraud R (1892) « Contribution à l’étude de la trichophytie humaine », Ann Dermatol Syphil, 3e série, t. III : 1061-1087. 286- Sabouraud R (1894) Les Trichophyties humaines. Thèse pour le doctorat en médecine, Paris, p. 3.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
Sabouraud énonce un programme de recherche ambitieux conjuguant les exigences de la clinique acquise à Saint-Louis et la rigueur méthodologique inspirée par les leçons de Roux : « Pour chaque malade nouveau : 1° ouvrir un dossier complet comprenant la description minutieuse des lésions à l’œil nu […] 2° y joindre des préparations de cheveux ou de squames […] 3° et en même temps établir par la culture, l’espèce trichophytique qui avait donné lieu à la lésion objective et au cheveu malade observé287. » Ses publications s’attachent à ne passer sous silence aucun temps de l’examen clinique, aucun instrument, aucune manipulation. L’objectif est d’abord pédagogique et, à la manière des pasteuriens, Sabouraud s’efforce de montrer à ses lecteurs qu’ils peuvent parvenir au même résultat que lui pour peu qu’ils utilisent la même méthode : « Toute inspection d’un cuir chevelu demande un certain nombre d’instruments qui sont de première nécessité. C’est d’abord la pince à épiler […] pince dite de Lailler […] le second instrument nécessaire à l’examen du cuir chevelu est la loupe […] la meilleure des loupes montées est le compte-fils vulgaire des merciers. […] Un troisième est nécessaire, c’est la lampe à alcool. Elle est nécessaire pour flamber la pince à épiler toutes les fois qu’elle a servi. […] les cuirs chevelus doivent être tondus et lavés […] la tondeuse mécanique dont l’usage se répand de plus en plus à cause de son maniement facile et l’extrême rapidité de son travail est un instrument des plus dangereux […] habituellement des cheveux entiers demeurent adhérents […] cet instrument devrait donc être proscrit malgré son extrême commodité : il est d’un nettoyage quasi impossible. »
L’inspection des cheveux malades est décrite avec le même soin : « Le médecin doit être assis […] devant lui, entre ses jambes, doit être un tabouret assez bas, sur lequel se placeront successivement les enfants à examiner […] en règle générale l’enfant doit tourner le dos au médecin […] de la main gauche glissée à plat, le médecin redresse les cheveux contrairement à leur sens naturel […] de sa main droite, le médecin tient avec ses trois derniers doigts la pince à épiler – qui ne doit pas quitter sa main – ; il garde libre le pouce et l’index pour essayer grossièrement la résistance du cheveu au pincement. »
La technique d’examen microscopique ne laisse aucune place à l’improvisation, guidant l’élève pas à pas dans les détails de l’expérimentation : « Il faut pour l’examen microscopique des poils suspects de teigne : 1° une lampe à alcool, 2° une aiguille à dissociation montée, 3° un flacon contenant une solution de potasse caustique. Ce flacon doit être bouché par un bouchon de caoutchouc percé d’un trou. Dans ce trou passe une baguette de verre plein qui plonge d’un centimètre dans le liquide ; 4° un microscope ordinaire oculaires 2 ou 3, objectifs 2 et 7 (Leitz, Verick), 0 et 5 (Nachet). Le microscope autant que possible doit être muni d’un condensateur de lumière Abbe et d’un diaphragme-iris. On a recueilli, je suppose, entre deux lames de verre six ou huit poils suspects de teigne. On sépare ces deux lames ; sur chacune d’elles quelques poils ou débris de poils restent adhérents. Prenons l’une de ces lames et avec l’aiguille montée nous réunissons ces débris de cheveux l’un près de l’autre. Quand cela est fait, on débouche le flacon de potasse et avec l’agitateur de verre on dépose près d’eux une goutte de cette solution. Cela fait, on prend une lamelle et on recouvre avec elle la goutte qui s’étale sur les cheveux. Puis on prend la préparation et on la chauffe avec précaution jusqu’à ce que la première bulle de l’ébullition prenne naissance et on la retire aussitôt. La préparation est prête pour l’examen. […] si l’on dépose la goutte de potasse sur les cheveux mêmes et non à côté d’eux, ils peuvent adhérer à l’agitateur et être enlevés avec lui ; si l’on place la lamelle trop brusquement sur la goutte de potasse, celle-ci en s’étalant peut chasser les cheveux hors de la préparation ; si l’on chauffe sur une flamme trop large, comme le plus souvent un liseré de liquide dépasse les bords de la lamelle, ce liseré entrera en ébullition très vite et projettera sur la lamelle de fines gouttelettes qui en séchant produiront des taches opaques ; si la flamme est trop large, elle chauffera plus les bords de la préparation que le centre où sont les cheveux. […] si la flamme est trop haute, on sera surpris par une ébullition soudaine du liquide sous la lamelle. […] Cette ébullition […] aura pour inconvénient de projeter les cheveux hors de la préparation288. »
Muni de ces qualités d’expérimentateur, Sabouraud annonce que dans tous les cas l’examen microscopique des cheveux parasités permet de faire sans ambiguïté le diagnostic du type trichophytique
287- Sabouraud R (1892) « Contribution à l’étude de la trichophytie humaine », art. cité. 288- Sabouraud R (1895) Diagnostic et traitement de la pelade et des teignes de l’enfant. Rueff, Paris, p. 96-103.
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auquel appartient une teigne, selon la taille des spores et leur disposition à l’intérieur et/ou autour du cheveu. Il montre que, le plus souvent (65 %), les spores sont de petite taille (3 microns), contiguës, emplissent le cheveu et le débordent en formant un fourreau de spores. Dans les autres cas (35 %), les spores sont de plus grande taille (de 7 à 8 microns) et n’enveloppent jamais le cheveu : « Ou bien la spore est grosse et le parasite ne forme jamais au cheveu une enveloppe même partielle. Ou bien la spore est petite et le cheveu est comme engainé de spores contiguës. » Selon lui, à ces différences, « d’une évidence surprenante », correspondent des différences morphologiques en culture : « Examinée 15 à 18 jours après l’ensemencement, la culture d’un cheveu à grosses spores montrera une culture aride, d’un aspect poudreux et comme farineux qui n’est jamais d’un blanc pur. Dans le même temps la culture du trichophyton à petites spores a pris et gardé et gardera dans la suite l’aspect d’un duvet d’un blanc parfait. » Après avoir effectué une centaine d’examens cliniques et plus de six cents cultures, Sabouraud met fin au dogme de l’unité des trichophytons et conclut que deux espèces de trichophytons sont responsables des teignes humaines : Trichophyton megalosporon – assez souvent responsable des teignes tondantes de l’enfant, mais surtout de la trichophytie de la barbe et de la totalité des cas de trichophytie circinée du tégument – et Trichophyton microsporon responsable de la plupart des cas de teignes tondantes de l’enfant. Les différences morphologiques permettent d’affirmer que les champignons en cause sont « d’espèces botaniques différentes ». Enfin, un fait d’observation courante achève la démonstration : « Jamais un même individu ne présente à la fois la grosse spore et la petite » ; de plus « tous les malades d’une même famille ont une spore identique ». Il résume ses découvertes par une formule simple à retenir : « Cheveu gros cassé court – grosses spores. Cheveu fin, cassé long – petites spores289. » Sabouraud présente ses résultats au cours de la séance de la Société française de dermatologie tenue le 16 février 1893 en disposant « sur une table sur un fond noir de toile cirée 200 cultures côte à côte mon-
trant tous les principaux types de dermatophytes que j’avais identifiés, chaque espèce représentée par 4 cultures. L’ensemble était saisissant. J’en fis la présentation avec un aplomb qui me ferait rire aujourd’hui devant toutes ces barbes blanches confondues290. » Ayant découvert l’existence de plusieurs variétés de trichophytons à grosses spores, Sabouraud eut l’idée que « la teigne trichophyton megalosporon n’est pas une espèce unique, mais renferme des espèces extrêmement nombreuses, spécifiquement distinctes ». Il annonça que « non seulement la trichophytie humaine n’est pas causée par un parasite unique. Non seulement la trichophytie est double et partagée en deux groupes caractérisés, l’un par la spore grosse, l’autre par la spore petite. Mais le premier de ces groupes caractérisé par le parasite à spores grosses contient un nombre d’espèces considérable, ayant chacune sur des milieux de cultures appropriés, des caractères spéciaux différentiels ». Certain que la pluralité des trichophytons expliquait le polymorphisme des teignes trichophytiques (de la barbe, du cuir chevelu et de la peau glabre), Sabouraud concluait par l’aphorisme « les trichophyties se ressemblent parce que leurs parasites causals sont très analogues ; elles diffèrent parce qu’ils ne sont pas identiques291. » Les découvertes de Sabouraud séduisent rapidement les médecins en charge des enfants teigneux. À l’occasion d’une épidémie de teignes survenue à l’asile Lambrechts, Wickham rapporte que « les principaux arguments de M. Sabouraud en faveur de la pluralité des teignes m’apparaissaient absolument lumineux. Une fois qu’on a bien compris les signes différentiels des teignes, il est aussi facile de diagnostiquer les teignes tondantes entre elles que de les distinguer du favus292. » À Saint-Louis, Béclère, responsable pendant quelques mois de l’école des teigneux, confirme d’une manière encore plus enthousiaste les résultats de Sabouraud : « Tous les élèves du service annoncent maintenant à coup sûr le genre de culture que donnera après ensemencement un cheveu examiné au microscope. […] Ainsi notre conviction est faite […] il existe bien deux tei-
289- Sabouraud R (1892) « Contribution à l’étude de la trichophytie humaine », art. cité. 290- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux. Archives de l’Institut Pasteur, SAB 1-4. 291- Sabouraud R (1893) Nouvelles recherches sur la mycologie du trichophyton. Des espèces de trichophyton à grosses spores. Bull Soc Fran Dermatol Syphil : 59-91. 292- Wickham L (1894) « Sur une épidémie de teigne tondante à l’asile Lambrechts », Bull Soc Fran Dermatol Syphil : 223-235.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
gnes tondantes distinctes causées par des parasites différents, faciles à séparer au microscope293. » (Figs. 103-105). L’importance de ces faits incita les dirigeants de la Société française de dermatologie (SFD) à demander à Sabouraud un rapport sur la question294. Le 3 août 1894, Sabouraud résumait ses observations et montrait, cultures et photos à l’appui, qu’il existe bien deux sortes de teignes tondantes « qui sont deux maladies autonomes qu’il est facile de différencier par la morphologie, par la culture des champignons, par leur aspect microscopique et par leurs formes cliniques ». La question de la pluralité des trichophytons était donc « une chose jugée ». Il faisait en effet observer que sur cent cas de trichophytie humaine, quatre-vingt environ étaient des trichophyties des cheveux (teigne tondante de l’enfant), vingt des trichophyties des régions glabres (herpès circiné) et deux ou trois cas sur cent étaient des teignes de la barbe (mentagre ou sycosis)295. Pautrier rappela plus tard à quel point « ces travaux firent rapidement grand bruit, car, on ne sait pourquoi, l’idée que le trichophyton ne pouvait être qu’une seule et même espèce s’était ancrée dans l’esprit de la dermatologie universelle296. » Après avoir démontré la pluralité des trichophytons qui ruinait les concepts unicistes défendus notamment par Bazin, il restait à placer dans ce schéma les champignons que Gruby avait vus dans la maladie dénommée à tort Porrigo decalvans. L’énigmatique teigne de Gruby C’est en 1894 que Sabouraud préparant sa thèse fut confronté au problème de la « découverte » déjà publiée, un demi-siècle plus tôt. « Il (Gruby) avait vu ce que j’avais vu et dit ce que j’avais dit en se basant sur le seul examen microscopique différentiel et sans l’aide des cultures qui m’avaient facilité la même tâche. Cette exhumation me fut d’abord désagréable ensuite cela me fut indiffé-
rent mais je m’empressai de rendre à ces découvertes leur droit de priorité et j’eus un moment la peur extrême que Gruby qui existait encore ou même un quidam quelconque ne relevât les faits avant moi car on eut pu penser que je le savais et que mes découvertes étaient un plagiat297. »
En fait le Microsporum audouini que Gruby avait vu existait réellement non dans le Porrigo decalvans tel que Bateman l’avait décrit en 1813, mais dans une teigne tondante due à un champignon dénommé plus tard par Sabouraud Trichophyton microsporon. Sabouraud insiste sur le fait que cette forme de teigne est la plus chronique des teignes de l’enfant, la plus contagieuse, « c’est la vraie tondante épidémique des écoles, celle qui peut faire trente, quarante, cinquante contagions en quelques semaines dans une division scolaire […] cette teigne est grave par sa durée extraordinaire […] qui peut persister pendant des années […] cependant c’est une maladie extrêmement bénigne […] elle se termine invariablement par la guérison complète […] Cette lésion est tout à fait particulière. Son centre est un disque d’une couleur bistrée, cerclé d’un double liseré érythémateux. Son aspect est celui d’une cocarde : deux cercles rouges, concentriques, séparés par un cercle pâle […] Le Microsporum Audouini est un parasite du cheveu de l’enfant ; il ne cause qu’une tondante et jamais on ne le voit, comme le trichophyton, causer chez l’adulte de lésion circinée de la peau glabre, ni de sycosis de la barbe, ni de lésions mycosiques unguéales298. »
Pour les cliniciens les plus hésitants, il ne restait qu’à compléter les caractères cliniques par les caractères microscopiques et de culture de la teigne de Gruby : « […] si on examine un cheveu malade […] sa surface paraîtra couverte en totalité d’une innombrable quantité de petites sporules rondes, toutes égales, toutes contiguës, dont la réunion ne dessine aucun fila-
293- Béclère A (1894) « Les teignes tondantes à l’école des teigneux de l’hôpital Saint-Louis (École Lailler) en 1894 », Bull Soc Franc Dermatol Syph : 235-244. 294- Sabouraud R (1894) « Sur la trichophytie » Bull Soc Fran Dermatol Syphil: 350-367. 295- Sabouraud R (1893) « Étude des trichophyties à dermite profonde, spécialement de la folliculite agminée de l’homme et de son origine animale », Ann Inst Pasteur, t. VII : 497-528. 296- Pautrier LM (1938) « Raimond Sabouraud », Ann Dermatol Syphil : 276-297. 297- Sabouraud R (1894) « Note sur trois points de l’histoire micrographique des trichophytons », Ann Dermatol Syphil : 37-43. Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 298- Sabouraud R (1894) « Sur une mycose innominée de l’homme. La teigne tondante spéciale de Gruby, Microsporum Audouini », Ann Inst Pasteur : 83-107.
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Teignes et teigneux ment régulier mais qui sont au contraire irrégulièrement juxtaposés comme les cailloux d’une mosaïque […] La culture la plus caractéristique que l’on puisse obtenir du M Audouini est la culture en strie sur pomme de terre. En sept à huit jours, la strie est devenue une traînée grise puis d’un brun rougeâtre rappelant une traînée de sang. »
Sabouraud proposa d’abord de nommer cette forme de teigne « tondante rebelle » en raison de sa chronicité ou « maladie de Gruby » ou plus tard « microsporie ». Béclère, soucieux d’associer les travaux de Sabouraud et de Gruby, proposa le nom de teigne spéciale de Gruby-Sabouraud (figs. 106-107). Ayant observé de manière attentive les différents types de teignes du cuir chevelu, il ne reste plus à Sabouraud qu’à établir les critères distinctifs entre favus, trichophytie vraie et tondante de Gruby : « Dans le favus, le cheveu est long, décoloré sur une assez grande hauteur au-dessus de l’orifice pilaire, entouré à sa base par un anneau gros ou petit, d’une couleur jaune soufre, d’une consistance plâtreuse qui est le godet favique. Dans la trichophytie vraie, la trichophytie à grosses spores, le cheveu est cassé court, est gros, fortement coloré, non engainé à sa base, assez rare sur la plaque malade. Dans la tondante spéciale de Gruby, les cheveux parasités sont fins, grisâtres, abondants, très près l’un de l’autre, couchés dans le même sens […] si le favus s’observe à tout âge, la tondante trichophytique ne s’observe guère que de la seconde enfance à la puberté et la mycose spéciale de Gruby ne se rencontre que rarement au-delà de huit ans. »
Les animaux malades de la teigne Pendant tout le XIXe siècle et les premières décennies du XXe, les teignes de l’enfant étaient des maladies à contamination interhumaine. Les formes provenant d’un animal occupaient une place très réduite. Robin citant Bazin rapportait une observation apparemment très rare montrant que la teigne pouvait aussi « se déclarer sur des animaux : un gendarme s’est présenté à la consultation de Saint-Louis avec des plaques
herpétiques sur la face palmaire de l’avant bras droit ; sur l’une des plaques les poils étaient tombés. Ce gendarme nous apprit que cinq ou six de ses camarades étaient comme lui atteints de la même affection ce qu’il attribuait à cette circonstance que, dans une écurie de leur caserne, il y avait des chevaux dartreux et que par la suite des soins qu’ils étaient obliger de leur donner, la main et l’avant bras se trouvaient en contact immédiat avec les parties malades. […] Nous nous rendîmes à la caserne et nous y vîmes trois chevaux malades qui portaient […] des plaques arrondies absolument semblables à celles de l’herpès tonsurant299. »
Cette forme particulière de teignes devait retenir l’attention de Sabouraud par son aspect clinique de dermite profonde et suppurée, microscopiquement par la présence de trichophyton à spores géantes et du point de vue des cultures par un trichophyton à culture blanche. À ces critères d’identification s’ajoutait la profession des patients atteints, toujours identique, au contact de chevaux : « charretier, relayeur d’omnibus, haleur de bateau, vétérinaire, entraîneur de Chantilly, artilleur, cocher, palefrenier300. » Il s’agissait donc d’une forme d’étude privilégiée de teignes qui permettait de réunir le kérion, le sycosis et la maladie connue sous le nom de périfolliculite agminée. Ces lésions étaient « agminées en un gâteau de forme ronde nettement circonscrit. Ce placard fait sur la peau saine une saille considérable […] La surface de la lésion est souvent recouverte de croûtes. Ces croûtes enlevées laissent voir une surface exulcérée d’un rouge vineux, suintante […] un peu mamelonnaire ; par place s’observent entre les pustules acuminées des déchets épithéliaux agglomérés. Ce sont des bouchons jaunes, humides et spongieux […] Quand on les enlève avec une pince, on observe qu’ils sont comme enchâssés dans une sorte de crypte et laissent à leur place un pertuis occupant l’orifice folliculaire d’un poil ». (Figs. 108-111). Aux conclusions précédemment énoncées, Sabouraud pouvait ainsi ajouter l’existence de plusieurs espèces de trichophytons à grosses spores (Mégalosporon) qui peuvent être divisées en deux grands groupes : les mégalotrichophytons animaux et les mégalotrichophytons de l’homme. Les mégalo-
299- Robin Ch (1853) Histoire naturelle des végétaux parasites qui croissent sur l’homme et sur les animaux vivants, op. cit., p 416. 300- Sabouraud R (1893) « Sur l’origine animale des trichophyties de la barbe », Bull Soc franc Dermatol : 384-405.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
trichophytons d’origine animale étaient présents dans le cheveu jusqu’à sa racine et engainaient le cheveu alors que les mégalotrichophytons de l’homme n’étaient présents que dans le cheveu et jamais en dehors. Les mégalotrichophytons animaux étaient scindés en trois catégories nettement individualisées : les trichophyties à dermite profonde à culture blanche (trichophytie du cheval), les trichophytons à dermite légère disséminée, humide, à culture jaune (trichophytie du veau), la trichophytie sèche à forme d’ichtyose pilaire et à culture rose (peut-être d’origine aviaire). Parmi les mégalotrichophytons de l’homme, Sabouraud identifiait deux types : ceux dont les filaments mycéliens présents dans le cheveu ne peuvent pas être brisés (mégalotrichophytons à mycélium résistant) et ceux dont les mycéliums peuvent être rompus (mégalotrichophytons à mycélium fragile). Cependant en dépit de ces précisions qui donnaient au clinicien une méthode fiable pour savoir à quel type de teigne il avait à faire, une question continuait de pénaliser l’identification formelle des champignons : celle de la variabilité des milieux de culture utilisés qui ne permettait pas de garantir qu’il s’agissait bien d’espèces différentes de trichophytons ou d’une même espèce dont les différences d’aspect ne provenaient de la composition des milieux de culture. Sabouraud émit l’hypothèse que « si nous opérions avec un milieu de culture toujours chimiquement identique à lui-même et que, sur ce milieu, les cultures des diverses provenances soient séparées par des caractères bien nets, permanents, héréditaires, nul doute qu’il ne s’agisse d’êtres différents quand bien même leur lésion, leur aspect microscopique dans l’état parasitaire, enfin même leur aspect microscopique dans la culture semblerait en tous points identiques ». Mais, pour obtenir ces arguments de certitude, il fallait « trouver un milieu sensible et de composition constante ». Ce fut un autre mérite de Sabouraud de créer ce milieu, création qui lui apporta une renommée universelle et lui permit de laisser son nom dans l’histoire de la médecine. Le « milieu d’épreuve » : la renommée internationale La question du milieu de culture le plus propre à différencier les champignons était débattue depuis les années 1870. En 1878, Verjuski, élève de Duclaux,
s’était efforcé, en faisant varier les milieux de culture, d’obtenir la forme de développement typique des cultures d’Achorion schœnleinii et de Trichophyton tonsurans, à partir de malades du service de Fournier à Saint-Louis. Il identifiait les milieux liquides (bouillon de veau, liquide d’ascite) comme étant les plus favorables au développement du trichophyton et de l’achorion et décrivait les différences morphologiques des cultures301. Sabouraud ayant eu quelques difficultés pour avoir des résultats satisfaisants avec les cultures en milieux liquides – en raison du développement simultané des bactéries – se tourna vers Duclaux qui lui suggéra le moût de bière. De fait, le moût de bière se révéla un milieu assez sensible non seulement pour permettre de différencier les trichophytons à grosses spores et les trichophytons à petites spores, mais aussi pour distinguer les différentes variétés de trichophytons à grosses spores. Cependant, les moûts de bière variaient fréquemment selon leur provenance ce qui ne garantissait pas les résultats. Sabouraud constata que le moût le plus dilué d’eau était le plus favorable à la culture des teignes et qu’un milieu plus riche en peptone que la bière était plus favorable à la différenciation des espèces à grosses spores. Au cours de sa communication au IIIe congrès international de dermatologie (Londres, 1896), Sabouraud souligna la nécessité d’une part de ne pas se contenter d’une seule culture par observation, mais de faire pour chaque malade dix ou quinze cultures et d’autre part de réunir quatre conditions : 1. un milieu de culture très sucré et contenant peu de peptone. 2. un milieu de culture facile à faire, toujours identique, condition indispensable pour qu’un champignon déterminé donne toujours le même aspect en culture et donc pour pouvoir différencier deux trichophytons. Sabouraud ajoutait à cette nécessité la recommandation que soit choisi un milieu de culture identique pour tous les pays qui « servirait d’étalon » et permettrait de comparer les espèces trichophytiques dans les différents pays. Ce préalable favoriserait le développement de ce que Sabouraud nomme « la grammaire comparée des trichophytons » et pourrait mettre un terme à d’inutiles controverses. Il proposait la formule suivante reconnue comme le « milieu d’épreuve » dénommée depuis « milieu de Sabouraud ».
301- Verjuski DM (1887) « Recherches sur la morphologie et la biologie du tricophyton [sic] tonsurans et de l’achorion schœnleinii », Ann Inst Pasteur, I : 369-391.
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Eau distillée Peptone granulée de Chassaing (de Paris) Glycérine neutre redistillée Agar agar
{
100 gr 1 gr 4 gr 1 gr 30
3. La culture sur milieux solides, en vases ronds, larges, à fond plat. Sabouraud insistait sur la nécessité de faire les ensemencements « au fond d’un matras rond et plat, au centre d’un disque de gélose coulé au fond du vase ». Les techniques de cultures pratiquées en bactériologie, notamment les milieux liquides, ne pouvaient être utilisés pour les champignons, les agitations déformant les colonies. Par ailleurs, lorsque les cultures de champignons étaient réalisées dans des tubes, elles étaient rapidement déformées par le contact avec la paroi du tube. 4. La nécessité de ne faire « l’étude clinique des trichophytons […] que sur des cultures jeunes » évitant ainsi le phénomène de pléomorphisme qui aboutit à rendre méconnaissables les cultures vieillies302. Bien que ses travaux aient eu immédiatement un grand retentissement en France comme hors de France, c’est sans doute la création de ce qu’il nomma le milieu d’épreuve qui fit le plus pour la renommée de Sabouraud. Grâce à ce perfectionnement, Sabouraud établit une classification des dermatophyties en trois groupes : microspories (dont il décrivait onze espèces), trichophyties (les espèces endothrix représentant 95 % des trichophyties) et favus (Achorion) ; et en cinq types de parasitisme, division qui, dans les années 1970-1980, restait selon Guy Badillet, chef de laboratoire à Saint-Louis, une « base parfaitement solide » : favique (nombreux filaments mycéliens intrapilaires), endothrix (très nombreux filaments transformés en chaînes de grosses spores de quatre microns bourrant la totalité du cheveu comme un sac de noisette), microïde (quelques filaments mycéliens peu nombreux occupant l’intérieur du cheveu et des chaînettes de spores de deux microns couvrant sa surface), mégaspore
(identique au type endothrix avec des spores de plus grand diamètre), microsporique (quelques filaments mycéliens difficiles à voir à l’intérieur du cheveu)303. Malgré les progrès accomplis par Sabouraud dans la connaissance des teignes304, une question restait débattue à la fin du XIXe siècle, celle de la place de la pelade à l’intérieur ou à l’extérieur du groupe des teignes et de son éventuelle contagiosité.
Teignes, pelade et calvitie : le microbisme en question C’est Bazin, on l’a vu, qui donna le nom de pelade à une affection cutanée caractérisée par « une chute temporaire ou définitive des poils avec ou sans achromie des surfaces cutanées devenues glabres. » Cette achromie faisant partie de la définition incita Cazenave à parler de vitiligo pour désigner la même maladie et entretenir la confusion autour d’une maladie qui n’avait pas besoin de cela. On a vu l’imbroglio des relations teignes-pelade et la responsabilité de l’erreur commise par Gruby validée et amplifiée par Bazin qui permit l’insertion de la pelade dans le groupe des teignes (figs. 112-114). Bazin était d’ailleurs à ce point persuadé de l’origine mycosique de la pelade qu’il proposait de la traiter par… l’épilation, ce qui revenait à arracher les cheveux en voie de repousse. À la fin des années 1870, Lailler qui consacrait un chapitre à la pelade dans son ouvrage sur les teignes, considérait que l’origine mycosique de la pelade défendue par Bazin « n’avait plus cours en France ». Cela n’empêchait par Lailler de conserver à l’égard de l’étiologie de la pelade une certaine perplexité : « En France, presque tout le monde croit à la nature parasitaire de la pelade, mais bien peu d’entre nous, si tant est qu’il y en est, ont été assez heureux pour jamais rencontrer le parasite découvert en 1843 par Gruby : je ne sache pas qu’aucun de mes collègues de Saint-Louis ait revu plus que moi le champignon tel que le décrit M. Bazin. Et pourtant tous les caractères de la pelade sont ceux d’une teigne. »
302- Sabouraud R (1898) « Les trichophyties et la teigne tondante de Gruby, in Third International Congress of Dermatology. London August 4-8th 1896, Official transactions ed by JJ Pringle, Waterlow and sons, London. 303- Badillet G (1975) Les Dermatophytes, atlas clinique et biologique. Varia, Paris. 304- Il serait évidemment réducteur d’attribuer à Sabouraud seul l’ensemble des progrès accomplis dans la connaissance des champignons en cause dans les teignes. Les lecteurs soucieux d’érudition trouveront dans Les Teignes, ouvrage encyclopédique publié par Sabouraud en 1910, matière à satisfaire leur bibliographie. Parmi les auteurs reconnus pour l’importance de leurs contributions, Sabouraud cite en Angleterre Adamson, Colcott-Fox, Malcolm Morris, en France Béclère, Wickham et Bodin, en Italie Mibelli, aux ÉtatsUnis, White.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
Quant à la contagiosité de la pelade, Lailler l’affirmait avec une sorte de certitude… incertaine : « La contagiosité de la pelade paraît à peu près certaine […] elle n’a pu encore être démontrée expérimentalement […] elle est singulièrement moins fréquente que pour le favus ou la tondante […] Je n’ai jamais vu d’exemple de contagion de pelade dans mes salles […] En dépit des contradictions apparentes et des difficultés de la clinique, en dépit des dénégations qu’a soulevées l’existence d’un parasite dans la pelade, celui-ci existe réellement, seulement personne […] ne l’a vu. »
On pouvait difficilement en écrire plus pour dire qu’on ne savait rien de l’étiologie de la pelade. Quoi qu’il en soit, Lailler finissait par se demander s’il était bien pertinent de maintenir la pelade dans le groupe des teignes. Il proposait de l’en extraire et de rapprocher la pelade du… pityriasis versicolore. Plus avisé que Bazin pour ce qui était du traitement, Lailler avait renoncé à l’épilation faisant valoir avec une pertinence adaptée qu’« on n’épile pas l’ivoire305. » Besnier, au début des années 1890, indiquait la position de l’école française de dermatologie concernant la pelade : « Nul doute, le parasite de la pelade n’est pas du même ordre que celui des teignes et il demeure absolument inconnu. » Elle n’était pas pour autant quitte d’être suspectée de contagiosité et d’être considérée comme nécessitant des mesures d’isolement, d’éviction scolaire et militaire au même titre que les teignes. En effet, les auteurs français – à l’opposé de leurs collègues autrichiens – restaient persuadés de la contagiosité de la pelade qui « se transmet du serviteur au maître, de la maîtresse à l’amant ou de la femme au mari, du coiffeur au client et réciproquement, des parents aux enfants et réciproquement, de l’enfant à sa classe ou de la classe à l’enfant, du régiment au soldat, du malade au médecin et aux élèves qui en conservent sans lacune la regrettable tradition, etc. ». Sabouraud rappelait à quel point son Maître Besnier « tenait encore ferme pour la contagion de la pelade […] c’est à lui que j’ai entendu dire, en voyant une plaque peladique située en bordure des cheveux sur la tempe d’une jeune fille : quelle jolie place pour une moustache ! supposant que la plaque était survenue après un baiser
malheureux306. » L’hôpital-école des teigneux à Saint-Louis accueillait d’ailleurs régulièrement, on le verra, des enfants peladiques auxquels un quartier spécial était réservé. Toutefois bien qu’affirmant haut et fort la contagiosité de la pelade, les auteurs français étaient plus gênés pour expliquer le mécanisme de la contagion qui « n’est pas une contagion voyante […] qui n’est ni nécessaire ni constante […] n’est pas fatale, est obscure dans sa source […] est inégale et irrégulière307. » Sabouraud lui-même éprouvait une certaine difficulté à préciser les modalités de contagion de la pelade : « La pelade est donc contagieuse, certainement contagieuse, mais peu contagieuse ou bien elle demande pour se transmettre, certaines conditions réunies qui ne se rencontrent pas toujours308. » Sabouraud résumait avec un certain humour les grandes lignes de ces discussions françaises qui avaient épargné les écoles anglaises et germaniques : « Vers 1843, la pelade était connue, cataloguée, décrite et personne ne la croyait contagieuse. À ce moment survint Bazin […] Avec une foi de catéchumène […] Bazin voulut loger les trois parasites décrits par Gruby. L’un était acquis au favus, le deuxième à la teigne tondante, Bazin attribua sans hésitation aucune le troisième à la pelade. Cazenave eut beau dire et faire, il eut beau refuser de croire à la pelade contagieuse, au vitiligo dermophytique et même s’en moquer avec beaucoup d’esprit […] tout plia devant l’affirmation magistrale de son contradicteur ; la pelade devint contagieuse en 1853 avec les Leçons sur la nature des teignes ; elle l’est restée jusqu’aux environs de 1900. Une fois de plus nous avions placé le cœur à droite et le foie à gauche309. »
Sabouraud n’était pourtant pas à l’abri des erreurs. Entraîné par sa passion microbiologique, il pensa pertinent d’appliquer à la pelade les méthodes d’investigation qu’il avait utilisées avec succès pour les teignes. Il en déduisit même une chaîne inattendue d’investigations qui partant de la teigne maladie contagieuse connue conduisait, en passant par la pelade, à la banale calvitie qui se voyait affectée d’une étiologie microbienne : « L’étude des teignes m’a conduit à celle de la pelade ; l’étude de la pelade m’a conduit à celle de la séborrhée ; l’étude de la
305- Lailler Ch (1878) Leçons cliniques sur les teignes. Delahaye, Paris, p. 81-93. 306- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 307- Besnier E, Doyon A (1891) in Kaposi M Leçons sur les maladies de la peau, t II, 2de éd., Masson, Paris. 308- Sabouraud R (1895) Diagnostic et traitement de la pelade et des teignes de l’enfant. Rueff, Paris, p. 24. 309- Sabouraud R (1913) Entretiens dermatologiques à l’école Lailler. Doin, Paris, p. 195.
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séborrhée me conduit à l’étude de la calvitie.» C’est par cet enchaînement d’idées dont il reconnut plus tard le caractère artificiel que Sabouraud se laissa entraîner sur un terrain microbiologique très incertain et entreprit de démontrer que les microbes pouvaient enfin donner la solution étiologique de la pelade, maladie de cause alors – et toujours – mystérieuse et donner aux chauves un espoir de guérison. Fort de ses certitudes, Sabouraud pouvait affirmer devant l’assemblée de la Société française de dermatologie présidée par son maître Besnier le 11 mars 1897 que « séborrhée grasse, pelade, calvitie sont des anneaux d’une même chaîne, relèvent du même parasite causal […] le micro bacille de la séborrhée est avant tout celui sans la permission duquel aucun cheveux ne tombe de notre tête. C’est précisément et proprement le microbe de la calvitie310 » ; « plus la pelade est active, concluait Sabouraud, plus le nombre de microbes est considérable. Si la pelade est maligne, aucune lésion, même celle de la lèpre, ne peut montrer une aussi grande quantité de microbe311. » Outre l’intérêt formel qu’il y avait à trouver la cause de la pelade, Sabouraud envisageait d’en cultiver le microbe et d’en « obtenir par l’injection de ses produits solubles la dépilation spontanée des plaques de teignes ». Plus tard, Sabouraud admit que ses recherches étaient « dictées par une intuition exacte des choses, à savoir que l’épilation spontanée guérirait les teignes tondantes mais le procédé que je cherchais ne pouvait aboutir à rien parce que la pelade n’était ni contagieuse ni microbienne312. » Face à cette certitude de contagiosité et d’étiologie microbienne s’opposait un courant « non contagionniste » de la pelade dirigé par Lucien Jacquet qui éprouvait à l’égard de la théorie microbienne une
« défiance instinctive et sentimentale313. » Sans s’attarder sur les recherches microbiologiques de Sabouraud, Jacquet considérant que « l’inoculabilité d’une dermatose se prouve surtout par son inoculation » insistait sur l’impossibilité d’inoculer la pelade. Il en apportait la démonstration selon lui éclatante grâce à des auto-inoculations : « J’ai traité, ma propre pelade par l’acupuncture incessamment répétée durant quatre mois à la brosse à crins aigus et roides, jamais désinfectée pas plus que la peau elle-même ? […] j’ai fait plus et mieux encore : avec l’aiguille de platine consciencieusement chargée de la graisse parasitaire fraîchement extraite des follicules comédoniens, j’ai cathétérisé un très grand nombre – deux cents environ – d’autres follicules […] voici ce qui se passe […] jamais je n’ai rien constaté qui ressemblât à un foyer peladique aussi minime qu’on peut le supposer314. »
En fait, l’essentiel du débat dépassait la question de la contagiosité de la pelade ou de la calvitie. Il ne s’agissait rien moins d’une part que de remettre en cause la doctrine des diathèses, défendue par la plupart des dermatologues français de cette époque et d’autre part de donner aux découvertes en laboratoire une valeur particulière qui contestait la suprématie de la clinique. Sabouraud, on l’a vu, fut d’abord un microbiologiste, seul dermatologue de Saint-Louis parmi ses contemporains à avoir été formé à l’Institut Pasteur. Ses efforts étaient donc essentiellement orientés vers la recherche d’étiologies microbiennes aux maladies de la peau315. Il s’employait à montrer aux cliniciens qu’il ne leur était plus possible de rester enfermés
310- Sabouraud R (1897) « Sur la nature, la cause et le mécanisme de la calvitie vulgaire », Ann Dermatol Syphil : 257-274. 311- Sabouraud R (1896) « Sur les origines de la pelade », Bull Soc Fran Dermatol Syphil : 400-401. 312- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 313- Sabouraud décrivait Jacquet comme « un homme fort intelligent, atteint de calvitie précoce et dont le front se continuait jusqu’à la nuque avec deux touffes de cheveux sur les tempes. L’œil clair, la parole facile, un peu trop nuancée, à la façon des orateurs et aussi un peu recherchée. Parfois il semblait s’écouter parler et il avait pris des leçons de diction. Esprit ouvert à beaucoup de choses, aimant les arts plastiques, s’entourant de photos d’art antique mais ne pratiquant aucun art et au fond un dilettante un peu paresseux. Ses tendances d’esprit étaient tout à fait inverses des miennes. Disons que c’eût été un physiologiste et moi un microbiologiste […] Jacquet et moi appréciions nos qualités. J’aimais beaucoup sa franchise, son primesault, ses vues ingénieuses sur tous sujets et sa façon personnelle et intelligente de présenter ses idées. Et il appréciait chez moi des qualités équivalentes et un pouvoir de travail assidu qu’il n’avait pas ». Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 314- Jacquet L (1898) « Traitement de la pelade par l’irritation simple aseptique », Ann Dermatol Syphil : 1136-1139. 315- Sabouraud participa aux débats sur l’étiologie microbienne de l’eczéma, autre témoin des excès du microbisme en dermatologie illustrés notamment par les travaux d’Unna et qui furent un des thèmes de discussions du congrès international de dermatologie de Paris en 1900. Après avoir longtemps sur l’origine microbienne de l’eczéma, Sabouraud finissait par se ranger aux opinions des adversaires du microbisme, indiquant que « l’eczéma n’est pas une maladie primitivement microbienne […] il est possible qu’on range actuellement dans l’eczéma des épidermites microbiennes qui n’en doivent pas faire partie et doivent être décrites hors de lui. » Sur ce sujet, on pourra lire Wallach D, Taieb A, Tilles G (2004), Histoire de la dermatite atopique. Masson, Paris, p.142-153.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
dans les salles de malades et que seules les recherches en laboratoire permettaient d’avancer. Il opposait les microbes qui se voient aux diathèses qu’on imagine : « Tous les cliniciens croient leur opinion surabondamment démontrée par la clinique, sans voir qu’elle n’a d’autre critérium que la valeur de leur propre jugement […] je le déclare ici très simplement ; pour moi, la clinique toute nue, la clinique sans le laboratoire n’existe plus […] Quand je parle d’un microbe je le montre […] quand je parle d’une culture je la présente316. »
Certains médecins de Saint-Louis contestaient cette vision iconoclaste à l’image de Gaucher regrettant que « la doctrine des diathèses a été bien battue en brèche dans ces dernières années, surtout à l’Étranger, et cependant je ne crains pas de le dire, elle est encore debout comme l’expression exacte de la vérité317 ». Brocq moins fixé que Gaucher sur le rôle des diathèses ne parvenait toutefois pas à se rallier aux vues de Sabouraud : « Même lorsqu’il (Sabouraud) aura rempli son programme dans tous ses détails […] il ne pourra pas encore traiter les vieilles théories humorales de l’école française avec le dédain absolu qu’il professe à leur égard […] Le rôle de l’agent infectieux est considérable, c’est certain, mais que de fois il n’est que secondaire relativement à la nature du terrain sur lequel il se développe […] Certes le laboratoire est utile, indispensable même […] mais il ne doit marcher qu’avec la clinique : il doit toujours s’appuyer sur elle et quand il heurte par trop ses enseignements il est sage de rester sur une prudente réserve318. »
Pour en terminer avec les errements de Sabouraud en matière de pelade et de calvitie, citons les retombées médiatiques et commerciales que déjà à cette époque la promesse de rajeunissement de l’apparence suscitait dans le grand public (fig. 115). Le Figaro319 annonçait la découverte du microbe de la calvitie comme une découverte sensationnelle :
« Le microbe de la calvitie vient d’être découvert en effet par le Dr Sabouraud, chef du laboratoire de la Faculté à l’hôpital Saint-Louis. Ce matin même le Dr Sabouraud communiquera à la Société de dermatologie le résultat de ses observations et de ses patientes recherches […] on peut considérer comme prochaine l’époque où il n’y aura plus d’autres chauves que ceux qui le sont actuellement. »
Deux jours plus tard, L’Éclair320, reprenait la nouvelle sous le titre accrocheur « Plus de chauves, la calvitie et son microbe » : […] plus personne n’aurait à porter perruque par la bonne raison qu’il n’y aurait plus de chauves, la nature de la calvitie ayant été déterminée et son remède étant maintenant connu […] Voulant enfin appuyer la technique sur une preuve matérielle, le chef de laboratoire de l’hôpital Saint-Louis a présenté aux membres de la Société de dermatologie un lapin, inoculé profondément sous la peau et dans les masses musculaires, il y a quarante jours. Le pauvre animal gigotait à faire pitié […] sur la moitié de son corps, le poil complètement disparu et la peau apparaît en plaques énormes comme si, en ces endroits, on avait passé une tondeuse. […] Le microbe de la calvitie n’a qu’à bien se tenir. »
Un semaine plus tard les Annales politiques et littéraires rendaient compte de l’événement : « Plus de chauves !… Rassurez-vous, ce n’est pas une réclame. Il s’agit d’une découverte sérieuse faite par M. le docteur Sabouraud et communiquée cette semaine à la Société de dermatologie. Le savant docteur serait parvenu, assure-t-on, à déterminer le microbe de la calvitie321. »
Trois mois plus tard, Le Figaro suivait cette affaire qui s’annonçait d’autant plus sérieuse que Sabouraud s’enfermait dans un mystère de plus en plus intrigant :
316- Sabouraud R (1897) « Discussion sur la séborrhée et les alopécies », Bull Soc Franc Dermatol Syphil: 265-295. 317- Gaucher E (1898) Leçons sur les maladies de la peau. Doin, Paris, p. 512. 318- Brocq L (1897) « La séborrhée grasse et la pelade » in « Discussion sur la séborrhée et les alopécies », Bull Soc Franc Dermatol Syphil : 265-295. 319- Petitjean H, Le Figaro, 11 mars 1897, n° 70. 320- L’Éclair, 13 mars 1897, n° 3029. 321- « Annales politiques et littéraires », (21 mars 1897), archives du musée de l’hôpital Saint-Louis, cote ARK 98.
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Teignes et teigneux « Ces jours-ci on a annoncé que la majeure partie des membres de la Société de dermatologie refusaient d’admettre la doctrine de M. Sabouraud et contestaient la réalité de sa découverte. Le fait était-il exact ? La question nous a paru intéressante à résoudre. Malheureusement M. Sabouraud ne veut fournir aucun renseignement à la presse […] C’est son droit. Laissons-le donc poursuivre dans le silence de son laboratoire le cours de ses intéressantes recherches322. »
sement dans la manière d’appréhender la maladie : l’homme entouré de ces microbes doit lutter pour survivre ; leur invisibilité à l’œil rend la lutte encore plus difficile et l’anxiété nouvelle encore plus grande. Émile Duclaux, professeur à la faculté des sciences de Paris, n’hésitait pas à user de métaphores propres à faire comprendre à tout un chacun à quel point la lutte contre les microbes était un impératif biologique et social :
L’article du Figaro ne passa pas inaperçu ni des médecins de Saint-Louis peu habitués à faire les premières pages de la grande presse ni du public enthousiasmé par les perspectives offertes par la découverte de Sabouraud. Les plus vindicatifs des médecins taxèrent Sabouraud de « réclamiste ». Brocq désapprouva la publicité tapageuse faite aux travaux de Sabouraud et Gaucher « se déchaîna ». Quant aux patients, « dès les jours suivants la parution de l’article du Figaro, une procession de chauves assiégea mon nouveau domicile 12 rue de Rome ce que voyant je décidai de quitter Paris pour trois semaines […] à mon retour je trouvai un monceau de lettres. L’une d’entre elles émanait de la plus grande fabrique allemande de produits chimiques […] qui me proposait 200 mille francs or pour s’assurer la propriété de ma découverte ». Un événement mondain contribua encore à propager dans le grand public les travaux de Sabouraud :
« La vie comme nous la connaissons ressemble à une fédération sociale. […] L’organisation et l’administration savante de l’empire romain ne l’ont pas empêché de tomber facilement sous les coups des barbares. Les barbares, ici, ce sont les cellules des microbes arrivant avec de grands besoins, peu difficiles sur les moyens de les satisfaire, […] toute leur force est en elles, toujours prête à se développer324. »
« Une comédie jouée à l’Olympia ou à Parisiana représentait un militaire qui à cause d’une erreur de nom était tondu et retondu trois ou quatre fois de suite. […] Trois jours après, le jeune homme revient avec une chevelure luxuriante : il avait été voir Sabouraud. Il me fallut envoyer l’huissier pour faire disparaître mon nom de la scène […] c’était la menue monnaie d’une notoriété que je n’avais pas prévue323. »
Sabouraud et la contamination : une hantise biologique et sociale Les découvertes de Pasteur et de ses disciples dans les décennies 1870-1890 provoquèrent un boulever-
Les microbes donnent aussi une vision nouvelle du malade infecté « fabricant de produits dangereux ». Ainsi devient-il légitime de mettre hors d’état de propager ses produits : « Le malade est toujours un blessé, et, par là même, mérite toujours la sympathie et la pitié. Mais l’arme qui l’a blessé ne vient ni de Dieu ni d’un génie ; elle lui vient d’un autre malade et il peut, lui aussi, sans le savoir, blesser de la même façon d’autres hommes, surtout ceux qui lui donnent leurs soins. On a donc le devoir de se mettre en garde contre lui, de le considérer momentanément comme fabricant de produits dangereux, ou exerçant une industrie insalubre. Si on est arrivé trop tard pour l’empêcher de construire son usine, il faut user du droit qu’on a de l’empêcher d’écouler ses produits325. »
Les théories de Darwin publiées quelques années plus tôt – De l’origine des espèces par voie de sélection naturelle (1859) – trouvèrent ici une illustration éclatante. Sabouraud – comme Duclaux – inscrit son programme de lutte contre les « parasites » dans la ligne de pensée de Darwin. Mise en exergue de sa thèse, il indique à son propos que jamais il n’avait « éprouvé d’aussi intime et parfaite satisfaction qu’en lisant ce livre admirable […] c’est d’une lucidité d’observation et d’une synthèse prodigieuse. Et
322- Le Figaro, 30 juin 1897, n°181. 323- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 324- Duclaux E (1886) Le Microbe et la maladie, op. cit., p. 117-121. 325- Duclaux E (1902) L’hygiène sociale. Paris cité par Guillaume P (1996) Le rôle social du médecin depuis deux siècles (1800-1945). Association pour l’étude de la sécurité sociale, Paris, p. 100.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
en même temps d’une égalité d’humeur, d’une absence de combativité, d’aigreur et d’une modestie incroyable bien dignes d’être méditées326. » Dans cette perspective, les champignons comme les microbes sont considérés non plus comme d’inoffensifs végétaux, mais comme autant d’ennemis menaçant l’intégrité physique de l’homme et justifiant une lutte sans relâche : « Darwin le premier, a formulé cette loi de la lutte pour la vie, qui de nos jours reçoit de la pathologie une consécration inattendue. […] Ainsi la lutte pour l’existence prend à nos yeux de médecin cette forme que depuis que l’Homme parle, nous avons appelé LA MALADIE […] Il n’y a plus en pathologie de cause connue que la cause parasitaire. Toute maladie se présente à l’esprit que comme un duel entre deux espèces327, 328. »
Dans ces conditions, tous les moyens sont bons pour venir à bout de ces parasites qui mettent l’espèce humaine en péril. Cette question de la prise en charge et de l’exclusion sociale de malades contagieux à la fin du XIXe fait nécessairement évoquer la syphilis qui généra une anxiété collective grandissante. Sabouraud, comme la plupart des médecins de son époque, y succomba et trouva un autre motif, plus sérieux, de satisfaire son angoisse de la contamination. L’obsession de la syphilis Contrastant avec la situation relativement rassurante des deux premiers tiers du XIXe siècle, la syphilis devint à partir des années 1870-1880 l’objet d’une véritable dramatisation nationale. Alfred Fournier, autorité incontestée en la matière à l’aube du XXe siècle, rédigea plusieurs milliers de pages destinées à donner une image angoissante de la syphilis qui « abonde et surabonde dans nos salles d’hôpitaux, à nos consultations hospitalières, dans nos cabinets […] elle se déverse sur les hôpitaux d’ordre général […] somme toute […] on la rencontre partout ». Les syphiligraphes les plus actifs décrivaient les ravages
de la maladie qui, partant de l’individu malade, aboutissaient de manière programmée à la disparition successive de la famille, de la nation et de l’espèce. À la déchéance physique et intellectuelle, conséquence des atteintes tardives, neurologiques, de la syphilis, succédait la déchéance sociale que traduisait d’abord la dissolution de la famille : « Relativement à la famille, le danger social de la syphilis réside en trois points : contamination de la femme, désunion voire dissolution du mariage, ruine matérielle de la famille par incapacité de son chef. » Dans cette conception, la syphilis, apportée dans les familles honnêtes par le mari contaminé par des prostituées ou des femmes issues des classes sociales les plus modestes, devenait le vecteur d’un conflit de classes. Pour les adolescents, la prévention de la syphilis passait d’abord par l’abstinence avant le mariage. Le préservatif, dont la diffusion était encore confidentielle, était plus synonyme de dénatalité que de prévention contre une maladie sexuellement transmise et n’était pas recommandé par les médecins les plus soucieux d’assurer à la France une population capable de rivaliser avec ses voisins aux frontières. En dépit des signes tertiaires suffisamment alarmants, l’élément essentiel du discours syphiligraphique de la fin du XIXe fut la mise en place de théories sur la transmission héréditaire de la maladie. Cellesci, admises par la plupart des médecins jusque dans les années 1950, firent croire que la syphilis pouvait entacher de manière indélébile plusieurs générations successives d’enfants, innocents de la contamination initiale. Dans ce contexte de hantise de l’hérédosyphilis, à la polymortalité infantile considérée comme un signe quasi pathognomonique de syphilis héréditaire s’ajoutait une carte anthropomorphique qui permettait – croyait-on – de reconnaître au premier coup d’œil et dans toutes les circonstances de la vie quotidienne le malade, « l’hérédo » : l’implantation des dents, la forme des oreilles, le bégaiement, les tics, le somnambulisme, la couleur rousse des cheveux, les hernies et tout un catalogue de signes physiques auxquels s’ajoutait la déchéance intellectuelle devaient faire évoquer la syphilis.
326- Lettre de Sabouraud à son père, non datée (probablement des années 1890), coll. Dr M. de Brunhoff. 327- Sabouraud R (1894) Les Trichophyties humaines, op. cit., p. VIII-X. 328- Unna, dermatologue allemand, contemporain de Sabouraud, établit le même rapprochement indiquant que « les microorganismes sont en guerre avec l’homme » de la même manière que les conditions extérieures ont influencé le développement de l’espèce humaine. Unna PG (1890) « On the nature and treatment of eczema », Br J Dermatol : 231-245.
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Enfin, au cas où les théories sur l’hérédité syphilitique n’auraient pas été suffisantes pour entretenir une image obsédante de la syphilis, l’invention de la parasyphilis permit, en élargissant le champ de la maladie, de convaincre les plus réticents. Fournier insistait sur le fait que « la syphilis n’est pas seulement coupable du groupe d’affections qu’on lui rattache sous le nom d’accidents spécifiques. […] elle est encore responsable de nombre d’autres manifestations morbides qui pour n’avoir plus rien de syphilitique comme nature n’en restent pas moins syphilitiques d’origine ».
Qualifiées de parasyphilitiques, ces manifestations englobaient, outre le tabès et la paralysie générale – dont Fournier démontra l’origine authentiquement syphilitique –, le rachitisme, les méningites, l’hydrocéphalie, la tuberculose, la luxation congénitale de hanche, l’épilepsie ou encore la sclérose en plaques. Ces parasyphilis, considérées comme héréditaires, étaient d’autant plus graves qu’elles étaient décrites comme résistantes au traitement par le mercure ou par l’iode « chose presqu’inouïe dans la syphilis329 ». La guerre de 1914 amplifia l’obsession syphilitique330. La maladie devint un enjeu national et le soldat contaminé pour un temps plus ou moins long hors de combat. Quant à sa descendance, elle se trouvait gravement compromise par l’hérédité syphilitique qui entachait l’avenir de la nation, enjeu particulièrement inquiétant dans cette circonstance de guerre. Pautrier, futur professeur de dermatologie à Strasbourg, s’efforçait de montrer l’intérêt militaire d’une organisation sanitaire nouvelle en matière de syphilis. Il insistait sur la nécessité de créer des hôpitaux militaires de vénériens dont les objectifs étaient d’éviter la propagation de la maladie, de renvoyer le soldat au front le plus rapidement possible et d’enrayer ce qu’il considère comme « péril national » :
« Le traitement de la syphilis hors des centres spéciaux est inexistant. En plus de la santé du malade qui peut être compromise, il y a pour l’État une perte d’argent et un gaspillage de forces lamentable […] il existe davantage parmi eux (les vénériens) ce qu’il est convenu d’appeler en langage militaire des fortes têtes et qu’il y a intérêt à ce qu’ils ne soient pas mêlés aux petits blessés et aux malades des hôpitaux généraux […] le soldat dont la syphilis n’aura commencé à être traitée qu’au troisième ou au sixième mois sera certainement blanchi assez rapidement des accidents qu’il présentera à cette époque mais […] les accidents récidiveront plus facilement. Elles nécessiteront de nouvelles hospitalisations donc de nouvelles pertes d’argent et d’un temps précieux pour l’autorité militaire. […] On voit quel est l’intérêt de l’État dans cette question […] Le but que se propose le traitement de la syphilis dans un centre de vénéréologie doit être : de stériliser le soldat le plus rapidement possible afin que l’homme ne soit plus contagieux, de remettre le soldat le plus rapidement possible à la disposition de l’autorité militaire. »
Comptabilisant de manière hypothétique les cas nouveaux de syphilis militaire, Pautrier insistait sur l’importance de l’enjeu national que représentait en temps de guerre une lutte active contre la maladie : « Si l’on admet le chiffre moyen évidemment hypothétique, mais fort vraisemblable, de 200 000 cas et si l’on attribue à chacun de ces cas la production de deux fausses-couches seulement, on voit que l’infection tréponémique nous coûtera 400 000 naissances soit l’équivalent de deux classes. Le mot de péril national n’est donc pas trop fort331. »
Les enjeux nationaux suscités par la situation de guerre ne pouvaient que donner du crédit à ce type de démonstration et un visage encore plus « politique » à la syphilis. Le conseil municipal de Paris, dont on a vu le rôle majeur qu’il joua dans la lutte contre les teignes, inquiet de la montée du péril syphilitique décida
329- Cité in Tilles G Wallach D (2002) « Éléments d’histoire sociale du péril vénérien » in La Dermatologie en France, op. cit. 330- Le Naour JY (2002) Misères et tourments de la chair durant la Grande Guerre. Les mœurs sexuelles des Français 1914-1918. Aubier, Paris, p.127. 331- Pautrier L (1917) « Sur l’organisation générale des hôpitaux militaires de vénériens et des services-annexes », Ann Dermatol Syphilol : 233-256.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
dans cette circonstance de subventionner, à l’hôpital Broca, une initiative nouvelle, rappelant celle de Sabouraud quelques années plus tôt, le laboratoire de syphiligraphie du Dr Vernes, « disciple » de Sabouraud : « L’état de guerre a amené une forte recrudescence de la syphilis […] fléau social qui provoque une extra ordinaire mortalité infantile. Monsieur le docteur Vernes, créateur de la syphilimétrie poursuit des recherches expérimentales qui ont abouti depuis plusieurs années à la fondation d’une œuvre de préservation méthodique contre la syphilis […] depuis le début de la guerre la situation s’aggrave. Le séjour aux armées a provoqué de véritables foyers d’endémie d’où la syphilis se dissémine à profusion. À Paris même dans la population civile, la syphilis gagne du terrain […]. Le nombre de malades augmente de plus de cent par mois […] Comme une des caractéristiques du fonctionnement est de supprimer l’hospitalisation, le laboratoire de syphilimétrie et son dispensaire sont éminemment transportables […] le péril syphilitique actuel commande l’urgence de notre proposition pour lui en fournir les moyens. La réputation de l’entreprise est faite, les médecins de l’étranger viennent l’admirer, elle a déjà été reproduite en Amérique332, 333. »
Faisant suite au laboratoire de syphilimétrie, l’Institut prophylactique était fondé le 12 mars 1916 au cours d’une assemblée générale présidée par Émile Roux et inauguré le 27 novembre 1926 par le Président Gaston Doumergue. Vernes rappelait alors les circonstances de création de cet institut et ce qu’il devait à Sabouraud :
« L’intérêt de la Ville de Paris s’était déjà manifesté en faveur de mon Maître Sabouraud, par la création du laboratoire Municipal de l’hôpital Saint-Louis, création qui a abouti à la disparition des teignes, cette plaie des écoles risquant de jeter des enfants à la rue. C’est dans ce laboratoire qu’Interne des Hôpitaux, je pus commencer mes recherches sur la sérologie de la syphilis334. »
Dans ce climat, il n’est pas étonnant que Sabouraud ait succombé comme la plupart des médecins contemporains à la syphilophobie collective. La direction du service Brocq qu’il assura en 1917 lui donna l’occasion d’exprimer cette obsession dans le climat de « certitude » diagnostique que semblait promettre la mise au point du premier test sérologique de la syphilis, le BW, en 1906335. Pensant avoir découvert un nouveau signe dentaire de syphilis dite héréditaire336, Sabouraud rendait compte à son maître, plusieurs fois par semaine, de ce qu’il considérait comme une avancée sémiologique décisive dans le diagnostic de syphilis lui faisant naturellement considérer la maladie comme plus grave encore que prévu : « 16 février 1917 : (chacun) est vivement intéressé à mon nouveau signe de syphilis héréditaire sur lequel tout le service est allumé car il paraît aussi péremptoire que le Wassermann bien fait et si fréquent qu’il en est déconcertant : éminence mamillaire de la première grosse molaire face palatine. 19 février 1917 : je crois que j’ai vraiment mis la main sur quelque chose d’important en ce qui concerne le diagnostic facile des traces d’hérédo. C’est par douzaine que nous le vérifions désormais. Il y a quelque chose de grave et cela multi-
332- L’administration ne pouvant attribuer officiellement de poste d’interne à Sabouraud qui ne dirigeait pas de service, Vernes fut pendant un an son « interne » officieux, présent tous les jours au laboratoire en étant inscrit officiellement dans un service qui ne demandait pas sa présence quotidienne. Esprit original et indépendant, Vernes avait eu l’idée de créer à l’Assistance publique un institut de la syphilis proche du modèle du laboratoire de Sabouraud. Celui-ci qui avait l’expérience des difficultés administratives l’en dissuada et Vernes fonda, avec le soutien de la Ville de Paris, l’Institut prophylactique, institut municipal consacré à la syphilis. Né le 16 juillet 1879 à Paris XVIIe, Arthur Vernes fut nommé externe des Hôpitaux de Paris en 1902, interne des Hôpitaux de Paris en 1907 (Vernes a été interne de Brocq, de De Beurmann et de Jeanselme à Saint-Louis), docteur en médecine en 1913, lauréat de la faculté de médecine la même année, chef de laboratoire à l’hôpital Broca en 1913, directeur fondateur de l’Institut prophylactique « en vue de l’extinction de la syphilis », chevalier de la Légion d’honneur en 1920, officier de la Légion d’honneur en 1925, commandeur de la Légion d’honneur en 1934. Titres et travaux du docteur Arthur Vernes, Paris, Imprimerie Peyronnet, s.d. 333- « Renvoi à la 5e commission et à l’administration d’une proposition de MM Henri Rousselle et Louis Dausset tendant à la création d’un Institut Municipal de prophylaxie spécifique », Bulletin Municipal Officiel, 30 décembre 1915 : 2931-2933. 334- Le laboratoire fut d’abord installé bd Arago puis à partir de 1922, rue d’Assas. La création de l’institut a été soutenue par Brocq, Sabouraud, Landouzy, Chantemesse, Pinard, Letulle, Gosset, Carrel, Ehrlich, Wassermann. 335- Tilles G (2007) Il y a 100 ans le BW, avatars d’une découverte. Presse Med 36, p. 366-399.
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Teignes et teigneux plie le nombre des hérédos (vérifiés au Wassermann) à un degré dont je n’avais pas idée. Ce nombre m’effraie par la justesse du diagnostic. 22 février 1917 : l’idée qui me bouleverse et prend corps de jour en jour c’est l’énormité du pourcentage des syphilis héréditaires. Il y en a vingt fois plus qu’on ne pense. […]. Je fais faire des Wassermann par centaines […] Jamais on n’a vu et on n’a dit ce que je vois. C’est effarant. Les 2/3 peut être les 3/4 et plus des eczémas de l’enfance, de la seconde enfance : eczémas impétiginisés du tour de l’oreille, eczémas des lymphatiques… ne sont que cela. Et nous avançons toujours avec l’examen des dents d’une main ( !) et de l’autre le Wasserman […] Pensez qu’il y a 20 ou 30 % des enfants qui sont syphilitiques en naissant. 24 février 1917 : nous sommes submergés par les syphilitiques. […] 9 mars 1917 : jamais un non syphilitique ne donnera un Wassermann positif ce qui est capital […]. Donc nous avons là un instrument auquel nous pouvons accorder toute foi quand il répond positif. […] 11 mars 1917 : depuis la guerre et de mois en mois les cas de syphilis deviennent plus nombreux. Ils sont augmentés de 30 à 40 %. La syphilis héréditaire m’obsède, elle est bien loin de nous avoir dit tout ce que nous sommes déjà capables de comprendre d’elle […] 19 mars 1917 : nous pouvons à peine considérer comme guéris deux ou trois sujets par semaine et il nous en vient 10-12 régulièrement. Donc quoique nous fassions, le noyau augmente et il faut aviser aux moyens d’y parer d’autant plus que ce satané spirochète paraît pour le moment le seul bénéficiaire des folies de Guillaume II. C’est en train de devenir une calamité publique […] 27 mars 1917 : chaque semaine c’est toujours une quinzaine de secondaires qui viennent s’ajouter aux anciennes. On commence je trouve à voir de syphilis accidentelles extra génitales et c’est fatal étant donné la marée montante de cas nouveaux, le germe va devenir banal au point qu’il faudra s’en garer de plus en plus dans la vie courante […] la moitié des poilus vont revenir contaminés. Avez vous lu cette observation de Milian, 150 hommes contaminés par la même femme. Ce sont des histoires qui doivent se répéter sur tous les points du front […] 29 mars 1917 : le directeur me
paraît très décidé à poursuivre l’installation du dispensaire antisyphilitique du soir à Saint-Louis. […] L’idée me possède et je ne me possède plus […]337. »
Cette obsession lui fit conclure quelques années plus tard qu’il faut « connaître les dents mieux qu’un dentiste pour de faire de la bonne dermatologie » et insister sur la nécessité de faire renaître la parasyphilis mise en sommeil depuis l’arrêt des activités de Fournier, dans un discours que n’aurait pas renié son maître : « Quand nous voyons tant d’ichtyoses, tant de grandes pelades, tant de psoriasis, tant de prurigos d’enfance, tant d’eczémas péri auriculaires, tant d’eczémas des quatre plis (des coudes et des jarrets) coïncider avec la dent caractéristique et un Wassermann demi positif, nous ne pouvons pas conclure que ces affections sont syphilitiques, mais nous ne pouvons pas conclure non plus que ce soit par hasard que ces affections se rencontrent si particulièrement chez des hérédos. De même quand nous voyons tant d’érythèmes pernio, de lupus engelures, d’érythèmes indurés de Bazin, de lupus tuberculeux du centre de la face […] accompagner la présence du signe fatidique : l’éminence mamillaire de la première grosse molaire supérieure […] nous ne pouvons pas dire que ces tuberculoses locales ne sont pas tuberculeuses puisque nous sommes sûrs du contraire et que nous démontrons que le bacille en est la cause mais nous ne pouvons pas ne pas conclure que ces coïncidences sont trop fréquentes pour être fortuites et que l’héréditaire est fait pour être la proie de toutes les infections qui, sans la première, l’auraient frôlé sans l’envahir […] Le jour où l’on aura compris ce que je veux dire, ce n’est plus deux ou trois enfants de-ci de-là que l’on considérera comme syphilitique héréditaire ; c’est un tiers ou la moitié ou plus de ceux qui ont constamment besoin du médecin338. »
Partisan déterminé de l’étiologie microbienne au point de s’égarer parfois jusqu’à vouloir trouver une cause microbienne à la banale calvitie, Sabouraud était aussi déterminé, on l’a vu, à lutter contre la contamination biologique au nom de la lutte pour la
336- Les altérations dentaires représentaient alors des signes cliniques importants de syphilis dites héréditaires. Une vitrine du musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis permet de voir des moulages de dentition altérée par la syphilis. 337- Correspondance Sabouraud-Brocq (1917), archives du musée de l’hôpital Saint-Louis, cote ARK 98. On notera qu’à l’époque où était créé un hôpital spécial pour enfants teigneux à Saint-Louis, la tendance en matière de syphilis était plutôt d’ouvrir les hôpitaux spéciaux à d’autres pathologies. L’hôpital de Lourcine d’abord spécialisé dans le traitement des femmes syphilitiques s’ouvrit à la dermatologie en 1893 et fut renommé la même année par le conseil municipal de Paris, hôpital Broca pour abolir toute prévention dans l’esprit des malades. Henry F (1908) L’hôpital Broca, étude historique et sociale. Thèse pour le doctorat en médecine, Paris. 338- Sabouraud R (1924) « La syphilis héréditaire qu’on ignore » in Entretiens dermatologiques, Masson, Paris, p. 234-246.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
survie de l’espèce même lorsqu’elle n’était pas menacée comme dans le cas des teignes. Cette obsession de la contamination qui parfois le « possède » comme il l’écrivait à propos de la syphilis trouva d’autres prolongements dans des considérations sociales et raciales exprimées à la fin de sa vie. De la non-contamination biologique à la non-contamination sociale et raciale Sur le plan social, Sabouraud est un médecin en vue, respecté, proche des peintres et des sculpteurs (Redon, Friesz, Despiau), lui-même sculpteur doté d’une certaine reconnaissance, auteur de monographies érudites aux ambitions parfois philosophiques, mélomane averti. Son cadre de vie affiche la bourgeoisie parisienne. Il choisit de vivre dans un hôtel particulier de la plaine Monceau – 62 rue de Miromesnil – qui inspire confiance et respect aux patients339. En retrait de la rue et de ses nuisances, l’accès de l’hôtel particulier se fait par une cour intérieure. Un escalier particulier conduit à l’atelier de
sculpture. L’image du père est forte et se montre. Un ingénieux dispositif inventé par le fils cadet, Alain, permet aux visiteurs et aux membres de la famille de savoir si « le père est en haut » ou si « le père est en bas ». L’aisance matérielle se montre340. La famille profite d’une maison de campagne à Chessy-sur-Marne, maison cossue à deux étages, d’époque Directoire « très homogène avec des glaces fixées au-dessus des cheminées. Le tout sans retouche, meublé de même341 ». Sabouraud écrit sur un secrétaire d’époque Louis XVI. La maison est entourée d’un parc de « trois hectares et demi dont un demi de bois futaie. Le reste : des arbres fruitiers en quenouilles, en gobelets ou pyramides qui se touchent tous bordant des allées à la française à bordure de buis taillée342. » Activité habituelle des familles bourgeoises, la musique occupe une place de choix dans la vie des Sabouraud. Fêtes et anniversaires sont autant d’instants où épouse et enfants sont mis à contribution343. Sabouraud rapportait, avec un contentement évident, à son maître Brocq – lui-même
339- Brocq est installé 16 avenue Élisée-Reclus, à proximité du Champ-de-Mars, Darier et Besnier, boulevard Malesherbes. Fournier était installé 77 rue de Miromesnil, Jeanselme quai Malaquais. 340- À la mort de Sabouraud, ces tableaux ont été vendus par ses héritiers. Pr O. Sabouraud (†), communication personnelle, 2005. 341- Lettre à Brocq, 21 juillet 1917, dossier Sabouraud, archives du musée de l’hôpital Saint-Louis, cote ARK 98. 342- Lettre à Brocq, 3 avril 1917, dossier Sabouraud, archives du musée de l’hôpital Saint-Louis, cote ARK 98. 343- Raimond et Thérèse Sabouraud eurent quatre enfants : – Raimond-Jacques Sabouraud (1899-1988) : né à Maisons-Laffitte, décédé en 1988, épousa Rose Soupault dont les frères étaient le poète surréaliste Philippe Soupault, proche de Breton et d’Aragon et Robert Soupault, chirurgien des Hôpitaux de Paris, interdit d’exercice temporaire à la Libération pour faits de collaboration. Raimond-Jacques et Marie-Rose, Sabouraud eurent trois enfants : Brigitte Sabouraud née en 1922, comédienne et chanteuse, directrice du cabaret l’Écluse à Paris, décédée le 19 mai 2002, Olivier Sabouraud, né le 19 août 1924, décédé le 23 février 2006, professeur de neurologie à la faculté de médecine de Rennes et Virginie Sabouraud née en 1926 décédée en 1950 ; – Émile Sabouraud (1900-1996) : né le 17 novembre 1900, à Paris, il fut l’un des premiers élèves d’Othon Friesz à l’Académie moderne au lendemain de la Première Guerre. Il rencontre Soutine, Dufy, Vuillard et fait partie du groupe dit du « Pré-Saint-Gervais ». Chevalier de la Légion d’honneur en 1951, professeur à l’École nationale supérieure des arts décoratifs en 1954, commandeur des Arts et Lettres en 1965, lauréat du prix Wildenstein en 1970, Émile Sabouraud, que ses intimes appelaient Mio, est mort le 6 avril 1996 et fut incinéré. Il avait épousé Thérèse Cautru le lundi 14 mars 1927 en l’église Saint-Augustin. De ce premier mariage était né Frédéric Sabouraud, industriel, en 1927. Il s’était remarié en 1939 avec Hélène Bouchez, née en 1906 et décédée en 2001. De ce deuxième mariage est né le 30 août 1939, Dominique Sabouraud, médecin. – Cécile Sabouraud (née le 16 octobre 1903, décédée le 7 avril 2003), pianiste élève d’Alfred Cortot, enseigna le piano à l’école normale de musique. Cécile Sabouraud épousa Jean de Brunhoff (1899-1937), peintre, ami d’Émile Sabouraud le mardi 28 octobre 1924. Cécile de Brunhoff inventa les aventures d’un petit éléphant, « intrépide et bien élevé », un soir d’été 1930 dans la maison familiale de Chessy (Seine-et-Marne) pour consoler ses deux enfants Mathieu et Laurent. Jean de Brunhoff s’inspira de l’histoire et créa le personnage de Babar dont le premier album fut publié en 1931. Cécile Sabouraud et Jean de Brunhoff eurent trois enfants : Laurent, peintre continuateur de l’œuvre de son père, Mathieu, pédiatre et Thierry, professeur de piano à l’École normale de musique de Paris, concertiste renommé, entré en religion à l’âge de 40 ans à l’abbaye bénédictine d’En Calcat à Dourgne (Tarn). Cécile de Brunhoff est inhumée à La Digne-d’Aval aux côtés de son père ; – Alain Sabouraud (1905-1931) : né en 1905, mort en Méditerranée en août 1931 au cours d’une traversée entre le continent et la Corse. Une stèle à proximité de la tombe de son père rappelle sa mémoire.
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Teignes et teigneux
pianiste, violoniste et collectionneur de toiles de maîtres – l’ambiance douillette de ces moments musicaux344. Sabouraud n’est pas un intellectuel engagé, encore moins militant. Le monde extérieur l’intéresse peu ; sans doute est-il informé des événements internationaux des années 1930 mais il les commente rarement. Tout au plus au détour d’une lettre à Payenneville voit-on poindre une inquiétude teintée de détachement et de résignation : « Et que dites-vous de la politique ? Vous savez que je m’interdis ce domaine parce qu’il m’énerve sans profit. Mais ce serait intéressant vu de Sirius. Dommage que nous soyons voisins d’un peuple insupportable, prolifique, battu et mécontent. Mais je ne puis croire à une guerre prochaine tant que vivront en grand nombre ceux qui ont tâté de près de la dernière. Mais avec les Allemands on ne peut faire de prédiction. Et en juillet 14 je me berçais des mêmes considérations qui se montrèrent illusoires345 […] En dépit des efforts du gouvernement, les grèves continuent. »
Sabouraud rapporte sans prendre position « qu’il se dessine à propos de Blum un mouvement antisémite évident parmi les industriels346 ». Dans la famille Sabouraud les mariages sont faits d’alliances conservatrices347. La société est vue comme une superposition de strates ne communiquant pas, excluant toute possibilité de contamination. Il y a d’abord « la grande foule anonyme des ouvriers et des paysans qui n’ont reçu qu’une éducation manuelle et qui sont incapables de faire autre chose que de se servir de leurs mains […] au-dessus de cette masse amorphe, on dis-
tingue une classe un peu plus consciente, celle des commerçants, des industriels, des marchands […] Enfin, au-dessus de ces deux catégories il en existe une troisième plus élevée, celle des hommes qui ont compris une fois pour toutes que le monde est une collectivité dont tous les éléments sont solidaires […] parmi les hommes épris d’idéal, il y a ceux qu’on peut appeler les saints, ceux qui sont les artistes et les savants. »
Les individus dont la vie est faite de « doléances » sont qualifiés de « valeur négative de l’humanité » sans que Sabouraud pousse le raisonnement jusqu’à l’eugénisme. Dans cette société stratifiée, le médecin occupe la position plus élevée qui fait de lui un maître de l’univers : « Le médecin en raison même de son instruction première et de son éducation médicale est devenu apte à goûter toutes les disciplines de l’esprit et à cultiver n’importe quelle branche de connaissances autres que la sienne […] Le médecin de par sa première culture et de par ses études presqu’encyclopédiques aura en mains les clés qui ouvrent toutes les portes de notre esprit sur l’univers […] le médecin devenu supérieur au commun des hommes en est devenu le précepteur et le maître348. »
Sur le plan éducatif, Sabouraud adopte le même type de modèle social. Il inscrit ses trois fils à l’école des Roches, établissement privé catholique récemment créé dont la devise néodarwinienne (« Bien armés pour la vie ») ne pouvait que donner confiance aux parents les plus soucieux de conservatisme social349. L’école qui se veut nouvelle dans ses objectifs pédagogiques et dans son fonctionnement reste traditionaliste dans sa clientèle, recrutant des
344- « Hier soir c’était ma fête (la fête de Papa) et alors grand festival. Voici le programme : mon n° 2 et mon n° 3 (16 ans et 13 ans), la transcription à 4 mains du quatuor à cordes de Schumann ; mon n° 4 (12 ans) : ballade de Svendsen au violon accompagné par sa sœur (n° 3, 13 ans) ; mon n° 2 berceuse de Fauré au violoncelle accompagné par sa maman et enfin mon n° 1 et sa maman dans la sonate piano violon de Franck. Et ma foi, je ne crois pas qu’en dehors de professionnels on puisse trouver aisément un amateur pour jouer la sonate de Franck comme la joue mon bachelier. J’oubliais mon n° 3, ma fillette dans le scherzo de la sonate au clair de lune de Beethoven. » Lettre à Brocq, 12 février 1917, dossier Sabouraud. Archives du musée de l’hôpital Saint-Louis, cote ARK 98. 345- Lettre à Payenneville, 17 mars 1935, coll. Dr M. de Brunhoff. 346- Lettre à Payenneville, 10 juin 1936, coll. Dr M. de Brunhoff. 347- Son épouse, Thérèse Balandier – rencontrée au prieuré d’Auzay, propriété du colonel Arthur Sabouraud – est issue d’un milieu militaire vosgien et de la bourgeoisie viticole de l’Aude ; son fils aîné, Raymond-Jacques, épousa la fille de Marie-Jean Soupault, collègue d’internat de Sabouraud ; Émile Sabouraud épousa la fille de Cautru, autre collègue d’internat de Sabouraud. 348- Sabouraud R (1934) Le Médecin hors la médecine. Masson, Paris, p. 1; 2 ; 16. 349- Lorsque Sabouraud y inscrit son fils aîné – au début des années 1910 – l’école des Roches est un établissement de création récente qui s’inscrit dans le mouvement des écoles nouvelles créées à la fin du XIXe siècle et dont la première fut fondée en 1889 à Abbotsholme en Angleterre. En 1899, Edmond Demolins (1852-1907), disciple de Le Play (1806-1882), s’inspire de ce modèle anglais, paré de toutes les vertus, pour fonder à Verneuil-sur-Avre dans la campagne normande, l’école des Roches. Sur l’école de Roches on pourra lire : « L’École des Roches, creuset d’une éducation nouvelle » (1998) Les Études Sociales, n° 127-128 : 1-264. Cécile Sabouraud fut élève d’une institution catholique située rue Madame à Paris. Source : Dr M. de Brunhoff, communication personnelle, octobre 2005.
Sabouraud, l’âge d’or du microbisme
élèves dont les parents, aristocrates ou bourgeois aisés, sont capables de payer les frais de scolarité élevés. Les « Rocheux » se trouvaient ainsi dans un milieu connu, fréquentant des camarades issus de milieux proches et préparés à pérenniser les valeurs des parents et à reconstituer une fois sortis de l’école une microcommunauté élitaire, à l’écart de toute contamination sociale350. Les races font également l’objet d’une hiérarchisation qui met sans surprise les Blancs au sommet de la pyramide : « Les blancs se sont montrés partout et toujours les maîtres des noirs. On peut dire ce qu’on voudra sur la parité des races ; en fait et pour le moment elles sont inégales […] au-dessous des nègres, il y a d’autres hommes encore qui sont aux frontières de l’humanité […] vous ne ferez pas comprendre une idée abstraite à un Australien sauvage351. »
En dépit d’une culture traditionnelle marquée par un attrait pour les auteurs grecs et latins et de sa vie retirée entre un hôtel particulier parisien à l’écart des bruits du monde, Sabouraud s’égare dans la fas-
cination naïve du fascisme mussolinien352 et n’évite pas de succomber à la « passion banale » (Winock) de l’antisémitisme français des années 1930353 : « Les races dites inférieures n’ont que des idées élémentaires, toutes se rapportant à des faits concrets […] de même les Sémites, idéologistes prestigieux, témoins Spinoza, Karl Marx et ses successeurs mais qui apparaissent comme des ferments de maladie pour la race blanche354. » Comparés au contenu antisémite délirant de Bagatelles pour un massacre de Céline – publié la même année (1937) et chez le même éditeur (Denoël) que Sur les pas de Montaigne – les propos de Sabouraud, soutenus par une écriture plus ordinaire mettant en avant la hantise de la contamination, semblent bien pâles355. Ses réflexions dans l’ambiance feutrée de son atelier de sculpture ne s’adressent qu’à quelques fidèles révérencieux partageant ses points de vue, à l’image de Joseph Payenneville, laudateur de Pétain en 1942356, année de promulgation des lois antijuives, de Pautrier vantant « la purification des corps prélude à la paix régnant sur le monde […] on doit connaître le pedigree de l’homme comme celui d’une bête de race357 » ou de
350- On notera qu’Émile Sabouraud épousa Thérèse Cautru, fille d’un collègue d’internat de Sabouraud (nommé au même concours) et que Raymond-Jacques épousa Rose Soupault, fille d’un autre collègue d’internat de Sabouraud. 351- Sabouraud R (1933) Pêle-Mêle. Regards en moi et autour de moi, op. cit., p. 68. 352- « Voyez le Duce, c’est la même finesse, le même sang-froid, la même profondeur et la même familiarité avec ses fidèles dont Napoléon avait fourni le modèle. L’impulsion qu’il a donnée à tous les rouages de l’État, faussée avant lui est évidente. Quoi qu’il arrive, il a doté l’Italie d’une cohérence, d’une volonté de puissance qu’elle était bien loin d’avoir et il la laissera meilleure qu’il l’avait prise en mains. […] Cet homme est avant tout un animateur, un suscitateur d’énergie, parce qu’il sème l’enthousiasme. Cet enthousiasme, il l’a fait naître et il en cultive le développement. Sous cette poussée, chacun fait de bon cœur ce qu’il faisait de mauvais gré. Chacun a repris le sentiment qu’il doit remplir le rôle que le pays lui a confié. Chacun fait par amour ce qu’il faisait par obligation. Quelle différence ! […] C’est ce que nous voyons sur nos deux frontières et dont nous ne comprenons pas encore la redoutable puissance […] Il faut aimer ces états de demi-folie, créateurs de grande chose, plus que la stagnation « raisonnable » de la vie humaine réduite à ses besoins matériels. » Sabouraud R (1937) « Enthousiasme ». Texte conservé par le Pr Olivier Sabouraud (†). 353- Sur cette question, on pourra lire Winock M (2004) La France et les Juifs, de 1789 à nos jours. Seuil, coll. « Points Histoire », p.185215. Une riche bibliographie y est proposée. 354- Sabouraud R (1937) Sur les pas de Montaigne, op. cit., p. 23-25. Cette question de l’antisémitisme peut être posée par la lecture d’un texte non publié, au contenu parfois ambigu, intitulé « Le courage sémite », rédigé en 1937. Texte conservé par le Pr O. Sabouraud. 355- Sabouraud R (1937) Sur les pas de Montaigne, op. cit., p. 23-25. La tradition familiale fait de Sabouraud un partisan de Dreyfus. Plus tard, lorsque Sabouraud évoqua l’affaire Dreyfus ce fut pour la qualifier de « passion collective » comparable selon lui à la guerre sans révéler la moindre piste qui pourrait faire connaître une prise de position. 356- Après avoir mis en exergue de son ouvrage une citation de Maurras, Payenneville poursuit : « Sous l’égide du Maréchal qui a entrepris si courageusement la régénération de notre Pays, nous voulons croire que nous réussirons aussi à faire disparaître la plupart des facteurs de la propagation des maladies vénériennes […] programme de relèvement de notre pays, si courageusement élaboré par le maréchal Pétain et les collaborateurs qui l’entourent. » Payenneville J (1942) Le Péril vénérien, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? » p. 100. On notera que dans l’édition suivante publiée après guerre la référence à Pétain a opportunément disparu. On imagine que Payenneville était en accord avec les commentaires de son préfacier (Louise Hervieu qui cite comme modèle « les peuples qui ont reconquis leur jeunesse et parmi eux nos vainqueurs qui se sont d’abord purifiés du mal vénérien ». Écrivain, lauréat du prix Fémina en 1936 pour Sangs, officier de la Légion d’honneur, Louise Hervieu [1878-1954] était atteinte d’une syphilis congénitale [dite alors héréditaire]. Elle mena campagne pour l’instauration du carnet de santé pour les syphilitiques. Séance solennelle en février 1938 à l’amphithéâtre Richelieu à la Sorbonne. Le carnet de santé a été voté par l’Assemblée nationale le 29 janvier 1939). 357- Paris-Soir, 6 décembre 1937 cité dans la préface du livre de Payenneville (1942) Le Péril vénérien,, op. cit.
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Teignes et teigneux
Charles Nicolle qui quelques années plus tôt se plaignait des « ignobles sémites358. » Les propos de Sabouraud s’affichent par incidence, au détour d’un commentaire, antisémitisme de salon, quasi signe de reconnaissance de la bourgeoisie et des intellectuels de l’époque. Pol Neveux, académicien Goncourt et préfacier de Sur les pas de Montaigne décrivait d’ailleurs Sabouraud comme « un de ces grands médecins d’autrefois, riches de culture générale, à la fois
savants et philosophes dont le type disparaît359. » Pautrier parle d’un « homme complet (qui) s’apparentait à ces grands praticiens de la renaissance360 » et Payenneville vante « le charme de sa conversation (était) exquis, tous les sujets lui étaient familiers, dans la période troublée que nous traversons, il savait s’isoler évitant les discussions oiseuses361. »
358- Huet M (1995) Le Pommier et l’olivier, Charles Nicolle, une biographie (1866-1936). Sauramps Médical, Paris, p. 108. 359- Neveux PL (1937) in Sabouraud R. Sur les pas de Montaigne, op. cit. 360- Pautrier L (1938) « Raimond Sabouraud ». La Presse Médicale : 361-362. 361- Payenneville J (1938) « Le docteur Raymond Sabouraud 1864-1938 », La Normandie médicale, n° 3 : 50.
Du non-traitement à la radiothérapie
L’histoire des traitements des teignes fut longtemps pour les médecins celle d’un constat d’impuissance. Qu’il s’agisse de l’arrachage des cheveux selon des méthodes confinant parfois à la barbarie, de l’application de poudres, lotions ou onguents de compositions fantaisistes, rien ne semblait pouvoir mettre un terme rapide à ces maladies désespérantes par leur chronicité et si affichantes qu’elles mettaient les enfants à l’écart de la société. Cette incapacité à guérir les teignes dans des délais raisonnables et le constat d’une guérison spontanée souvent sans séquelles (teignes tondantes) incitèrent les médecins à un certain renoncement. Des guérisseurs, plus ou moins bien intentionnés, y trouvèrent leur compte, certains en occupant des positions officielles lucratives. Mais avant de se poser la question du traitement le plus efficace ou le moins inefficace, les médecins se posèrent longtemps la question préjudicielle du traitement des teignes.
Faut-il traiter les enfants teigneux ? Les teignes peuvent-elles être traitées sans danger pour le patient ? Cette interrogation qui peut aujourd’hui sembler inattendue renvoie à l’une des doctrines les plus anciennes et les plus durables de la médecine, l’humoralisme créé il y a plus de 2 500 ans. D’une manière synthétique on peut dire que selon les humoralistes, Hippocrate et ses disciples surtout, la santé provient du mélange harmonieux des humeurs, mélange dénommé crase. La maladie
est alors la conséquence d’une répartition irrégulière, d’un « dérangement de la crase des humeurs ». Dans cette perspective, une humeur devenue nuisible doit alors être évacuée soit par les voies naturelles – sueur, urine, vomissements, expectoration, suintement –, soit en créant des voies d’élimination (révulsifs, saignée, séton, sangsues)362. La peau étant alors considérée comme un émonctoire au même titre que le rein par exemple, les maladies de la peau, particulièrement les maladies suintantes, étaient regardées par les médecins comme ayant une fonction salutaire, celle de permettre l’évacuation des humeurs en excès ou viciées. Les teignes, longtemps groupe disparate de maladies fréquemment suintantes, étaient ainsi concernées par la doctrine humoraliste. Celse considérait le porrigo comme « n’étant pas sans utilité, car une tête bien saine n’en est pas attaquée ; mais si un principe vicieux se porte sur cette partie mieux vaut qu’il affecte de temps en temps le cuir chevelu que de se jeter sur organe plus nécessaire. Il convient donc mieux de se nettoyer fréquemment avec un peigne que d’arrêter complètement le mal ». Alibert se posait la même question de la pertinence d’un traitement pouvant mettre en danger la vie de l’enfant : « Avant de leur opposer des méthodes curatives, il convient d’examiner s’il est salutaire de les guérir […] On amena à Saint-Louis une femme dont le front était couvert de boutons faveux qui avait perdu la vue après avoir placé sur sa tête un violent répercussif […] d’autres fois les malades tombent dans les langueurs de la fièvre hectique ; l’irritation se transporte au mésentère et il peut survenir une diarrhée mortelle363 ». En fait,
362- Œuvres complètes, Hippocrate, traduction nouvelle par É. Littré, t. I, JB Baillière, Paris, 1839. 363- Alibert JL (1818) Précis théorique et pratique des maladies de la peau, op. cit., p. 70-71.
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d’une manière générale, Alibert considérait « le groupe des dermatoses teigneuses (comme) des maladies dépuratoires de l’enfance. […] Prodest prurigo capitis est un axiome généralement bien reçu par tous les médecins anciens aussi bien que par les modernes. […] il y a une intention physiologique dans tous ces phénomènes critiques de l’organisation364. » À la même époque, Rayer recommandait en cas de guérison d’un favus de placer sur la peau des « exutoires » dans l’espoir de donner aux humeurs nocives une voie de sortie évitant les conséquences néfastes d’une guérison : « En 1817, pendant mon Internat à la Maison Royale de Santé, j’ai eu l’occasion de soigner une petite fille du quartier atteinte d’une teigne faveuse […] Je rasai la tête de cette enfant et la couvris d’un cataplasme de farine de lin […] au bout de quatre à cinq jours, la surface du cuir chevelu était parfaitement nettoyée. J’appliquai alors un vésicatoire à chaque bras. J’entretins ces exutoires pendant trois mois […] J’obtins ainsi sans épilation la guérison de ce favus365. » En 1860, Gibert à Saint-Louis restait fidèle à une conception humoraliste du traitement et recommandait les « boissons dépuratives et les purgatifs » comme « propres à opérer une révulsion salutaire et à modifier de manière très utile la composition des humeurs ». Parfois même complétait-il ces conseils humoralistes par la prescription d’un exutoire au bras (ventouses, sangsue) pour fournir « une voie d’évacuation supplémentaire366. » À partir des découvertes de Gruby, il devint plus difficile de rester figé sur la responsabilité unique d’une hypothétique diathèse. Les corpuscules microscopiques dont Schœnlein et Gruby montraient la présence donnaient du crédit à la contagiosité des teignes longtemps niée et dont le traitement devenait dès lors nécessaire.
La « calotte », méthode de sinistre réputation L’observation commune ayant montré que les teignes finissent par guérir avec la chute des cheveux, il sembla rationnel d’arracher les cheveux malades plutôt que d’attendre une guérison spontanée qui pouvait prendre plusieurs mois ou plusieurs années. Lorsque Alibert prit son service à Saint-Louis, l’inefficacité évidente des remèdes proposés par les guérisseurs avait obligé à revenir à la « calotte » ou chapeau de poix, remède ancien dont Guy de Chauliac fut probablement à l’origine, consistant en l’arrachage brutal de l’ensemble des cheveux, malades et sains. Cette méthode radicale offrait quelque garantie d’efficacité comme le rapporte Richerand, chirurgien de Saint-Louis contemporain d’Alibert : « La méthode de l’arrachement a été longtemps préférée dans les établissements publics moins parce qu’elle est la plus sûre et qu’on est moins exposé à voir la teigne repulluler quand l’application de la calotte a été suffisamment répétée qu’à raison de la commodité de sa pratique367. » Toutefois en dépit d’une réelle efficacité, les souffrances que cette méthode imposait aux enfants étaient régulièrement dénoncées comme incitant à renoncer à la méthode : « La salle où se trouvaient réunis les jeunes malades avait plus l’air d’une salle de châtiment que d’une salle de médication. Ils y arrivaient le cœur serré par la crainte et s’avançaient comme des victimes pour présenter leurs têtes à des mains de fer. Les pères et mères qui les avaient conduits attendaient la fin de leur supplice en gémissant. Qu’entendait-on de toutes parts ? Des voix suppliantes qui demandaient qu’on fît trêve à leurs déchirantes souffrances, quand ceux-ci ne répondaient que par des avertissements sévères368. »
364- Alibert JL (1835) Monographie des dermatoses ou précis théorique et pratique des maladies de la peau, op. cit. 365- Rayer PFO (1835) Traité théorique et pratique des maladies de la peau. 2e éd., t. I, JB Baillière, Paris, p. 719-720. 366- Gibert CM (1860) Traité pratique des maladies de la peau. Plon, Paris, p. 345. 367- Richerand A (1815) Nosographie chirurgicale, t. I, Caille et Ravier, Paris, p. 270. 368- Alibert JL (1835) Monographie des dermatoses ou précis théorique et pratique des maladies de la peau, op. cit.
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« Nous avons vu dernièrement à Dieppe un exemple terrible : le nommé Abraham, cultivateur à Aufranville nous a présenté le 17 février dernier, ses deux filles âgées l’une de huit et l’autre de douze ans, elles étaient la proie d’une teigne faveuse des plus intenses […] On avait eu en dernier lieu l’imprudence de les confier à un médicastre campagnard qui les avait réduites en peu de temps à un état effrayant. Il avait composé un large emplâtre avec de la poix noire, de la poix de Bourgogne, de la gomme arabique et de la potasse. Appliqué sur la tête de chacune des deux pauvres enfants, cet emplâtre acquit promptement une forte adhérence avec le cuir chevelu. Quelques jours après, cet homme robuste et impitoyable vint arracher ses calottes de toute sa force et avec elles il enleva par lanières très larges le cuir chevelu, de manière à découvrir presque entièrement le crâne. Il survint presque aussitôt comme on peut le penser, une hémorragie tellement considérable qu’il en fut effrayé lui-même, il s’empressa de rabaisser le cuir chevelu avec les calottes sans savoir même quel parti prendre pour arrêter la perte de sang […] Depuis on les laissa (les enfants) ainsi sans oser les toucher […] l’une d’elles était tellement malade qu’elle mourut deux jours après369. »
tement fondu on jette dans l’emplâtre 190 grammes d’éthiops antimonial en poudre fine ; on agite le mélange jusqu’à ce qu’il ait pris une consistance convenable. C’est cet emplâtre qu’on étale sur une toile résistante, capable en un mot de supporter des tractions assez fortes. Pour appliquer la calotte, on commence par couper les cheveux aussi près que possible de la peau, on ramollit les croûtes à l’aide de cataplasmes et on les fait tomber en les lavant avec de l’eau de savon, ce qui a lieu en trois à quatre jours ; alors on étale la toile emplastique sur la surface de la tête en prenant la précaution de couper l’emplâtre de sa circonférence à son centre pour pouvoir l’enlever par portion et aussi pour qu’il ne fasse pas de plicatures. Au quatrième ou cinquième jour on enlève brusquement chaque portion de l’emplâtre et avec lui une certaine quantité de cheveux qui, en poussant se sont enchâssés dans sa substance. Cet arrachement se fait à contre poil afin d’opérer une ablation plus efficace des cheveux. On applique un nouvel emplâtre que l’on enlève et que l’on réapplique tous les deux jours en ayant soin de couper les cheveux restants lorsqu’ils ont poussé. Ce traitement est ainsi continué pendant deux ou trois mois. Quelques enfants s’habituent peu à peu à ces tractions […] mais beaucoup d’entre eux ne peuvent pas supporter ces souffrances et abandonnent ce traitement. Il est certain que cette méthode compte des succès assez nombreux, mais quel moyen ! Aussi a-t-il été abandonné par les médecins370. »
Toujours employée dans les années 1850, sans doute plus souvent par des guérisseurs que par des médecins, la « calotte » nécessitait une préparation du type culinaire qui donne une idée des traitements locaux alors utilisés :
À la même époque, à Lyon, les médecins de l’Antiquaille continuaient de vanter le principe de la calotte dans une technique allégée dénommée « bandelettes agglutinatives » qui selon eux ne provoquait aucune douleur :
« On délaye dans une bassine 125 grammes de farine de seigle avec un litre de vinaigre blanc ; on agite continuellement le mélange lorsqu’il est sur le feu, on y ajoute aussitôt la cuisson de la farine, 15 grammes de carbonate de cuivre en poudre ; on fait bouillir doucement pendant une heure, après quoi on met 125 grammes de poix noire, 125 grammes de résine et 190 de poix de Bourgogne. Lorsque tout est mêlé et parfai-
« Jamais nous n’avons vu de teigneux redouter le pansement ; tous viennent d’eux-mêmes se soumettre à l’avulsion ; si on leur demande ce qu’ils ont éprouvé, aucun n’accuse une douleur vive et celle-ci même chez les plus petits ne va pas jusqu’aux larmes. […] On enlève les bandelettes vivement une à une à rebours de l’implantation des poils […] avec la méthode de l’Antiquaille, on guérit toutes les teignes371. »
Les frères Mahon dont on verra plus loin ce qu’ils apportèrent au traitement des teignes rapportent une observation édifiante des accidents parfois dramatiques auxquels la calotte exposait les enfants :
369- Mahon jeune (1829) Recherches sur la nature et le traitement des teignes. Baillière, Paris. 370- Devergie A (1854) Traité pratique des maladies de la peau, op. cit., p. 628-629. Sabouraud, qui contrairement à ce qu’indique Devergie avait vu la calotte encore utilisée à Saint-Louis dans les années 1890, était beaucoup moins hostile que d’autres à cette méthode et rapportait avoir « vu des enfants de quatre ans la supporter sans un cri ni une larme, sur la seule promesse d’une friandise ». Sabouraud qui n’était pas en retard de créativité avait même tenté de mettre au point un appareillage mécanique permettant d’enlever la calotte par une traction lente de plusieurs heures. Sabouraud R (1910) Les Teignes., op. cit., p. 744 ; 770. 371- Diday P, Rollet J (1859) Annuaire de la syphilis et des maladies de la peau. Baillière, Paris : 351-352. Variante de la méthode lyonnaise, un crayon adhésif composé de cire jaune et de colophane chauffée était employé à Hambourg par Unna.
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Dans ce contexte où les enfants étaient exposés dans le meilleur des cas au désintérêt des médecins et dans le pire des cas à un traitement qui inspirait l’épouvante, la méthode des frères Mahon fut considérée comme un réel progrès.
La famille Mahon, guérisseurs de teignes des Hôpitaux de Paris L’histoire des liens de la famille Mahon et du traitement des enfants teigneux dans les Hôpitaux de Paris se situe dans le prolongement d’une longue tradition de guérisseurs de teignes. À Paris, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime les enfants teigneux étaient surtout traités à l’hôpital des teigneux ou « de Sainte-Reine » (probablement en l’honneur de sainte Elisabeth, reine de Hongrie) dépendant de l’hôpital des Petites-Maisons fondé en 1554, situé à l’emplacement de l’actuel square du Bon-Marché. Le traitement des teignes à l’hôpital des teigneux était confié « à un Sr de la Martinière qui n’est ni médecin ni chirurgien ; sa famille depuis plus de cent ans en est chargé […] Le traitement consiste en fait dans l’arrachement des cheveux à plusieurs reprises jusqu’à ce que l’enfant soit débarrassé des cheveux parasités372 ». Dans les campagnes, les teignes, volontairement ignorées ou soignées avec appréhension par les médecins qui les considéraient comme garantes d’une bonne santé future, furent récupérées par des charlatans pressés par des parents affligés de voir leurs enfants mis à l’écart de la société. Le traitement des teignes devint alors pour beaucoup un véritable commerce, certains guérisseurs s’efforçant d’obtenir auprès de l’Académie de médecine une validation officielle de leurs remèdes qui donnait aux patients une plus grande confiance dans ces traitements mystérieux et indolores et aux guérisseurs une plus vaste clientèle. Ainsi, un certain « André Pelletier tailleur d’habits demeurant paroisse d’Auverse, province d’Anjou, élection de Baugé, généralité de Tours, disant que depuis quelques années, il possède un spécifique destructeur de toutes espèces de teignes sans avoir recours au décalottement opération
si cruelle et qui n’est pas toujours sûre puisque le dit exposant a guéri les teigneux qui avaient été décalottés deux fois ; qu’il a emploié [sic] ce remède avec un succès complet sur plus de vingt personnes attaquées de ce mal dont il a les certificats : que pour répondre aux vœux bienveillants de l’auguste prince qui nous gouverne et pour le bien général de l’humanité, il lui aurait été conseillé de se présenter à vous et d’offrir par vous au gouvernement son remède unique et dont il est seul possesseur pour lever tout équivoque tout doute sur son efficacité373. »
Ou encore, « À Messieurs de la Société Royale de Médecine, Messieurs, Jean-Baptiste Lègue a l’honneur de vous représenter qu’il tiens [sic] de famille un remède contre la teigne, la galle [sic], dartres, panaris et toutes les maladies de la peau. Il offre d’en faire l’épreuve à La Pitié ou ailleurs en présence de Messieurs les docteurs qu’il vous supplie de nommer. Ce remède guérit sans douleur et sans occasionner de perte de cheveux374. »
Comme leurs prédécesseurs en ce domaine, les Mahon n’étaient pas médecins. Tout au plus la qualité d’officiers de santé de l’un d’eux leur conféraitelle une relative compétence. Quoi qu’il en soit, la famille Mahon comprit vite le bénéfice qu’elle pouvait tirer de la barbarie de certaines méthodes et d’un certain abandon médical qu’ils ne manquaient de faire remarquer : « Les moyens prétendus curatifs ne se sont ainsi accumulés que par l’inutilité reconnue de ceux auxquels on se hâtait d’en substituer de nouveaux qui ne valaient pas mieux375. » Ils s’efforcèrent de mettre au point une méthode assurant la guérison des teignes avec un minimum de frais pour l’administration, un minimum de douleur et de dangerosité pour les enfants et un maximum de revenus pour eux. L’administration, les enfants et leurs parents ne pouvaient y voir que des avantages ; quant aux médecins, ils pouvaient continuer à se désintéresser du traitement des teignes sans avoir le scrupule de voir des enfants aux mains de barbares guérisseurs de village. C’est un arrêté du 31 décembre 1806 qui autorisa les frères Mahon à expérimenter leur traitement des teignes au Bureau Central, à Saint-Louis et à l’hôpi-
372- Tenon (1788) Mémoires sur les hôpitaux de Paris. Ph-D Pierres, Paris, p. 74-75. 373- Académie de médecine, Commission des remèdes secrets, SRM 103 d. 30 n °1 (non daté, peut-être fin XVIIIe siècle). 374- Académie de médecine, Commission des remèdes secrets, SRM 102 d. 39 n° 1 (non daté). 375- Mahon jeune (1829) Recherches sur le siège et la nature des teignes, op. cit., p. 371.
Du non-traitement à la radiothérapie
tal des Enfants376. Quelques années plus tard, l’arrêté du 7 juin 1810 fixait précisément les modalités du traitement externe des frères Mahon. Ils étaient tenus de se rendre, ensemble ou séparément, tous les deux jours à l’hôpital des Enfants et au Bureau Central. À Saint-Louis, le traitement des frères Mahon avait lieu deux fois par semaine, le mercredi et le vendredi, de 12 heures à 14 heures dans le local de la consultation de chirurgie (fig. 116). Le traitement des frères Mahon fut adopté par le conseil d’administration des Hôpitaux de Paris le 29 juin 1810 et considéré comme un des services médicaux. De simples guérisseurs de teignes, les Mahon devenaient en quelque sorte des « guérisseurs des hôpitaux », position qui leur conférait un prestige particulier et les revenus correspondants qu’ils s’attachaient à conserver en refusant obstinément de communiquer la formule du produit appliqué sur la tête des enfants se retranchant derrière de prétendues contraintes morales : « Le silence est pour nous une obligation dont nous ne pouvons nous délier seuls ; des stipulations inviolables, des devoirs sacrés de famille, nous opposent un obstacle invincible et renferment toute notre excuse377. » Bien qu’entourée de mystère par les inventeurs qui espéraient conserver ainsi le monopole d’un traitement lucratif, la méthode des frères Mahon ne tarda pas à être connue. Rayer, contemporain qui sans doute vit les Mahon à l’œuvre décrit le procédé avec précision : « MM. Mahon commencent par couper les cheveux à deux pouces du cuir chevelu afin de pouvoir les faire tomber plus facilement avec le peigne ; ils détachent ensuite les croûtes avec du saindoux ou à l’aide de cataplasme de farine de lin ; puis ils lavent la tête avec de l’eau de savon. Ces lotions et ces onctions sont répétées avec soin pendant 4 à 5 jours jusqu’à ce que le cuir chevelu soit nettoyé. C’est alors que commence le second temps du traitement qui a pour buts d’obtenir lentement et sans douleur l’avulsion des cheveux sur tous les points où le favus s’est développé. On fait tous les deux jours des onctions avec une pommade épilatoire ; ces onctions doivent être continuées plus ou
moins longtemps selon que la maladie est plus ou moins invétérée. Les jours où on ne met pas de pommade on passe à plusieurs reprises un peigne fin dans les cheveux qui se détachent sans douleur ; après quinze jours de ces pansements on sème dans les cheveux une fois par semaine quelques pincées d’une poudre épilatoire ; le lendemain on passe le peigne dans les cheveux sur les points malades et on y pratique une nouvelle onction avec la pommade épilatoire […] On continue ainsi pendant un mois ou un mois et demi. On remplace alors la première pommade épilatoire par une seconde faite avec du saindoux et une poudre épilatoire plus active avec laquelle on pratique également des onctions sur les points affectés pendant quinze jours ou un mois. Après ce terme on ne fait plus ces onctions que deux fois par semaine jusqu’à ce que les rougeurs de la peau aient entièrement disparu378. »
En fait l’essentiel de la méthode des frères Mahon, leur secret, consistait en l’épilation des cheveux malades avec les doigts ; la pommade était de l’axonge qui servait à ramollir les croûtes et la poudre n’était qu’une simple poudre de cendres végétales qui facilitait la préhension avec les doigts. Bien que le taux réel de guérison soit difficile à apprécier en raison des erreurs diagnostiques probables, les médecins eux-mêmes reconnaissaient l’utilité de ce mode de traitement qui guérissait de fait « sinon toutes les teignes du moins un très grand nombre379 ». Les frères Mahon recevaient une rétribution par « tête de teigneux380 » (9 francs de l’époque pendant la première année)381, puis à partir de la deuxième année un appointement annuel de 1 000 francs et 3 francs en plus par « tête de teigneux dont la guérison aura été constatée ». L’administration avait pris des précautions pour que le nombre d’enfants teigneux réellement guéris soit déterminé précisément. « Un médecin (Fautrel percevant la première année 1 200 francs) chargé par l’Administration de surveiller le traitement et d’en constater les résultats, veille à ce que les récidives, qui du reste sont en petit nombre,
376- Pariset, « Rapport de l’Académie de Médecine adressé à M. le Ministre de l’Intérieur, 1er juillet 1828 » in Mahon jeune (1868) Considérations sur le traitement des teignes. Baillière, Paris, p. 5. 377- Mahon jeune (1829) Recherches sur le siège et la nature des teignes, op. cit., p. 371. 378- Rayer PFO (1835) Traité des maladies de la peau, t. I, Baillière, Paris, p. 714. 379- Bazin E (1853) Recherches sur la nature et le traitement des teignes. Poussielgue, Paris. 380- Feulard H (1894) « Le traitement des teignes à Paris ». Rev Hyg XVI, 6 : 3-15. 381- Bazin E (1854) « Rapport sur le traitement des teignes à l’hôpital Saint-Louis pendant les années 1852, 1853, 1854. » Imprimerie de Simonet-Delagnette, Paris.
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Teignes et teigneux et qui souvent viennent du fait que les malades cessent trop tôt de suivre le traitement, ne fassent pas un double emploi. Il est tenu, en outre, d’exiger que le malade déclaré guéri se présente trois fois à la visite dans l’espace de trois mois et de n’inscrire comme définitive et donnant lieu au paiement de la somme convenue que les guérisons qui se sont maintenues pendant ces délais382. »
L’administration ne voyait que des avantages à ce mode de fonctionnement, la rémunération donnée aux Mahon étant plus faible que les frais qu’auraient générés des journées d’hospitalisation. Du 1er janvier 1807 au 31 décembre 1827 près de 20 000 enfants teigneux bénéficièrent à Paris du traitement des frères Mahon et furent selon le rapport de l’Académie de médecine guéris par ce traitement. En ajoutant le chiffre des enfants guéris dans les hôpitaux de province on arrivait à près de 40 000 enfants dont 29 000 favus. En 1812, la commission des remèdes secrets de l’Académie de médecine chargée à cette époque d’évaluer le traitement des Mahon souhaita que vingt-quatre lits de l’hôpital Saint-Louis fussent mis à disposition pour recevoir des teigneux et faire des expériences comparatives entre les différentes méthodes de traitement. Le ministre en fit la demande au conseil général des Hospices. Celui-ci fit valoir que ces expériences entraîneraient une dépense considérable à raison du long séjour que les malades seraient obligés de faire dans l’hôpital. Outre ces motifs économiques, le conseil général des Hospices rappela que plusieurs arrêtés avaient réglé la manière dont les teigneux devaient être traités « hors les hôpitaux sans qu’aucun d’eux ne puisse y être admis pour cette seule maladie ; il fit valoir les motifs qui exigeaient le maintien de cette mesure également avantageuse et pour les enfants qu’elle soustrait aux dangers de toutes espèces qui naissent pour eux d’un séjour trop prolongé dans les hôpitaux et pour l’administration à laquelle elle procure une grande économie. Ces raisons étaient solides ; la demande du Ministre de l’Intérieur n’eut pas de suite. »
Quelques années plus tard, Pariset, secrétaire de l’Académie de médecine, faisait de nouveau observer que le monopole exercé par les frères Mahon rendait impossible toute comparaison avec d’autres traitements qui auraient mérité d’être essayés : « Cela ne suffit pas pour que le Gouvernement puisse être amené en faire l’acquisition ; il faut de plus établir aux termes du décret du 18 août 1810 qu’il est nouveau et ne renferme aucune substance dont l’usage puisse être dangereux […] il est donc indispensable que les frères Mahon communiquent leur formule. »
Pariset reconnaissait toutefois que les frères Mahon, compte tenu des économies qu’ils avaient fait faire à l’administration et du fait qu’ils contribuaient à faire disparaître le traitement par la calotte, « avaient droit à la munificence du gouvernement383. » Le traitement des frères Mahon eut lieu à SaintLouis, au Bureau Central, à l’hôpital des EnfantsMalades jusqu’en 1844. À partir de cette date, un nouveau traitement externe des teignes fut ouvert à Beaujon puis à Saint-Antoine avant d’être transféré à l’hôpital Sainte-Marguerite, qui devint l’hôpital Sainte-Eugénie puis l’hôpital Trousseau. Ces traitements fonctionnèrent jusqu’en 1852. Dans le même temps, le succès du traitement des Mahon incita plusieurs hôpitaux de province à avoir recours à leurs services (Lyon, Rouen, Dieppe, Louviers, Elbeuf). Le succès de leur méthode ne leur permettant plus d’assurer eux-mêmes tous les traitements, ils recrutèrent leurs gendres (Mignot-Mahon ou M.-Mahon, deuxième gendre de Mahon jeune, Vaconsin gendre de Mahon jeune et Guilbert, deuxième gendre de Mahon aîné). Douze départements s’adressèrent au ministre de l’Intérieur pour obtenir la généralisation de ce traitement. La réputation de la famille Mahon commença à être contestée lorsque Bazin, séduit par les découvertes microscopiques de Gruby, entreprit de donner au traitement des teignes une base selon lui rationnelle, associant des topiques parasiticides et l’épilation à la pince par des épileurs de l’administration. À mesure que l’habileté des épileurs s’améliorait, les séances d’épilation devenaient de moins en moins doulou-
382- Arrêté du Conseil général des hospices, 7 juin 1810, n° 9401, archives de l’Assistance publique. 383- Pariset (1828) « Rapport de l’Académie de Médecine adressé à M. le Ministre de l’Intérieur, 1er juillet 1828 in Mahon jeune (1868) Considérations sur le traitement des teignes. Baillière, Paris, p. 6-7.
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reuses, de moins en moins longues et le procédé des frères Mahon eut de moins en moins de succès d’autant qu’ils harcelaient l’administration de considérations mercantiles.
Médicalisation du traitement des teignes à Saint-Louis Le 13 frimaire an X (4 décembre 1801), le ministre de l’Intérieur adoptait un règlement proposé le 6 frimaire an X (27 novembre 1801) par le conseil général des Hospices. Ce règlement prévoyait outre la création d’un Bureau central d’admissions des malades, la répartition des hôpitaux en deux grands groupes : les hôpitaux généraux (Hôtel-Dieu, la Charité, Saint-Antoine, Cochin, Necker et Beaujon) et les hôpitaux spéciaux « exclusivement affectés soit au traitement de certains genres de maladies contagieuses ou chroniques soit à des classes particulières de malades ». Les trois hôpitaux spéciaux étaient « l’hospice des vénériens pour les malades des deux sexes attaqués des maladies de ce genre, l’hospice de la Couche (à la Maternité) pour les femmes enceintes parvenues à la fin du 8e mois de grossesse et l’hospice du Nord chargé de recevoir (article XIII) les maladies chroniques, soit contagieuses, telle que la gale, la teigne, les dartres, soit rebelles et cachectiques, comme le scorbut, les vieux ulcères, les écrouelles384 ». Les teignes, ou plutôt « la » teigne, étaient donc explicitement mentionnées comme relevant de l’activité de l’hôpital Saint-Louis, alors dénommé Hospice du Nord par convenance révolutionnaire. Alibert, Biett et leurs successeurs assurèrent en quelques décennies la renommée de cet établissement. Pendant ce temps, l’administration s’en remit à la famille Mahon pour soigner les enfants teigneux, d’autant que ce traitement apprécié par les médecins était moins effrayant que les méthodes précédentes. Le procédé de la famille Mahon fut ainsi un réel progrès thérapeutique. En 1852, Bazin – qui avait occupé lors de son passage au Bureau Central, la fonction de médecin chargé d’authentifier la guérison des teignes – et Deffis (Paris) constatent au microscope que le champignon est surtout présent dans la portion
intra-épidermique du cheveu. Ils comprennent alors que le succès du traitement des frères Mahon consiste presque exclusivement non dans l’utilisation des poudres mystérieuses, mais uniquement dans l’arrachage des cheveux parasités. Ils décident alors de prendre en charge eux-mêmes ce procédé en définitive assez simple. En outre, Bazin établit une relation entre la teigne et la gale dont il avait perfectionné le traitement quelques années plus tôt : « Comme pour la gale j’ai dégagé l’inconnue des traitements empiriques. Il y a entre la gale et la teigne plus de rapports qu’on ne pense et le traitement de l’une devrait conduire à la thérapeutique de l’autre. La gale est produite par un animal parasite ; la teigne est entretenue par un parasite végétal. On guérit la première par les agents insecticides ; on devrait guérir la seconde par les agents parasiticides385. »
À partir de 1853, Davenne, directeur de l’Assistance publique, mit à la disposition de Bazin, chef de service à Saint-Louis, un service de quinze lits (pavillon Saint-Mathieu), deux infirmiers épileurs et un dispensaire de soins externes pour enfants teigneux. Le dispensaire dont la direction fut confiée à Deffis permettait de diminuer le nombre de malades hospitalisés et de réduire l’absentéisme scolaire. L’application de topiques mercuriels précédait et suivait l’épilation des cheveux parasités, étape la plus importante dans la réussite du traitement. Bazin remit à l’honneur l’épilation à la pince – plutôt qu’avec les ongles comme le faisaient les frères Mahon –, pratique dont Mercuriali au XVIe siècle fut peut-être l’inventeur et qui tomba dans l’oubli avant d’être remise à l’honneur par Samuel Plumbe à Londres puis par Bazin à Saint-Louis386. Après avoir nettoyé le cuir chevelu et notamment détruit les poux qui pouvaient s’y trouver, Bazin arrachait un bouquet de quelques cheveux dénudant une surface de 3 à 4 cm2 de cuir chevelu sur laquelle il appliquait une solution mercurielle. Il procèdait ainsi de proche en proche sur toutes les zones malades. Quatre à cinq heures plus tard, les zones épilées étaient traitées par application d’une pommade mercurielle (turbith minéral).
384- « Règlement pour l’admission dans les hospices de malades », Paris, Imprimerie des Sourds-muets, an X cité par Salaün F, « Autour de l’arrêté du 13 frimaire an X (4 décembre 1801) : organisation et spécialisation hospitalière à Paris au début du XIXe siècle in Bicentenaire de la spécialisation de l’hôpital Saint-Louis en dermatologie, 1801-2001 (2001), Hôpital Saint-Louis, Société française d’histoire de la dermatologie, p. 9-18. 385- Bazin E (1853) Recherches sur la nature et le traitement des teignes. Masson, Paris, p. 6. 386- Plumbe S (1837) A practical treatise on diseases of the skin. Underwood, London, p. 163.
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Chaque séance d’épilation ne pouvant excéder une demi-heure à une heure sans devenir trop douloureuse, de quatre à cinq séances étaient nécessaires jusqu’à repousse de cheveux normaux macroscopiquement et dépourvus de champignons au microscope. L’épilation d’une tête entière recouverte de favus durait environ douze heures. La même méthode était utilisée pour traiter les teignes tondantes plus longues à guérir en raison de la fragilité des cheveux (durée de 3 à 4 mois). La nécessité de s’assurer de l’absence de rechute obligeait à une durée moyenne de séjour supérieure à la durée du traitement, cinq mois en moyenne pour les favus. Les pelades considérées comme d’origine mycosique jusque dans les années 1880 étaient également soumises à l’épilation. Considérant la pelade comme une forme clinique de teigne, Bazin épile les pelades ! Il avoue que cette opération est « extrêmement difficile […] ce sont des poils de duvet qu’il faut extraire […] ils échappent à la pince et l’opération doit être répétée un grand nombre de fois sans beaucoup de succès387 ». Tout était en place pour aggraver la pelade. Le nombre de malades traités augmenta régulièrement passant de 202 en 1853 – en fait 195 teignes vraies, les autres cas résultant d’une confusion nosologique avec la pelade et le vitiligo – à 343 et à 408 entre 1860 et 1868. Le nombre de lits attribués à la teigne fut porté à quarante. À partir de 1860, Bazin et les Mahon se firent concurrence et peu à peu la méthode des Mahon connut de moins en moins de succès. En 1860 par exemple, ils soignaient 80 malades quand Bazin pouvait faire état de plus de 340 enfants traités. La médicalisation du traitement des teignes installée par Bazin incita d’autres médecins des hôpitaux à prendre en charge eux-mêmes les enfants teigneux et le traitement des frères Mahon qui ne s’adressait qu’à un nombre de plus en plus faible d’enfants (10 en 1864 et 1865) fut officiellement supprimé en 1868 à Saint-Louis en dépit de vigoureuses protestations de leur part. Dans les autres hôpitaux de l’Assistance publique, le traitement des Mahon disparut progressivement.388 S’inspirant des méthodes de Bazin, chaque médecin s’efforça d’apporter sa note personnelle à l’épila-
tion, espérant ainsi améliorer les résultats. Le traitement employé par Besnier comportait quatre étapes : « Couper les cheveux ras avec des ciseaux, jamais au rasoir cause fréquente d’une auto inoculation ; épiler les plaques trichophytiques dans la mesure du possible, épiler surtout une zone circonférentielle destinée à les isoler absolument des parties saines périphériques ; lotions savonneuses matin et soir ; quelques onctions avec une pommade légèrement soufrée ; pour accélérer l’élimination des cheveux infiltrés en provoquant une certaine irritation, on touche la plaque de trichophytie avec un peu d’acide acétique cristallisable pur ou mélangé à du chloroforme389. »
Quinquaud qui assura la direction médicale de l’école des teigneux à partir du 1er janvier 1888 à la suite de Lailler proposait un perfectionnement qui permettait de diminuer la durée du traitement. « D’abord les cheveux sont coupés très courts avec des ciseaux parfois rasés autour de la lésion voire sur toute la tête si les lésions sont multiples. Chaque matin, la tête est savonnée à l’eau chaude seulement en hiver. Puis les zones malades sont ruginées à l’aide d’un grattoir à lame peu tranchante et courbée sur le manche métallique à angle de 45 degrés. Ce grattage enlève les squames et avec elles une grande partie des végétations trichophytiques de l’épiderme […] Cette ablation de l’épiderme est peu douloureuse ; en général les enfants la supportent bien ; à peine s’il survient un peu d’inflammation ; dans quelques cas cependant j’ai été obligé de faire du styppage au chlorure de méthyle ou l’anesthésie par la cocaïne. »
La rugination du cuir chevelu pouvait avoir lieu tous les huit ou quinze jours selon l’intensité de la maladie. Après cette opération, la tête de l’enfant était frictionnée avec une solution mercurielle supposée détruire les champignons puis recouverte d’un emplâtre changé tous les deux jours ou laissé en place plusieurs semaines. L’action parasiticide était à la fois le résultat supposé de la solution de mercure et de la privation d’air qui selon les médecins utilisateurs de cette technique devait empêcher le champignon de se multiplier. Quinquaud faisait observer
387- « Rapport sur le traitement des teignes à l’hôpital Saint-Louis pendant le cours des années 1852, 1853 et 1854 par le docteur Bazin, Médecin de l’hôpital Saint-Louis ». Imprimerie de Simonet-Delaguette, juin 1854. 388- Bazin E (1862) Leçons théoriques et cliniques sur les affections cutanées parasitaires. Delahaye, Paris, p. 227. 389- Cité in Feulard H (1888) Teignes et teigneux. Thèse pour le doctorat en médecine, Paris, p. 154.
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que sa méthode avait fait décupler le nombre de guérisons et permis une diminution significative de la durée de séjour : avant 1888, la durée moyenne de traitement des teignes trichophytiques à l’école des teigneux était de 17,5 mois (avec un extrême haut supérieur à 40 mois). Au début des années 1890, la durée moyenne de traitement de ces mêmes teignes par la méthode de Quinquaud n’était plus que de 5,5 mois et le nombre de guérisons multiplié par sept390. Sabouraud faisait un large usage de la teinture d’iode : « Un enfant étant reconnu teigneux : 1° il faut lui faire couper les cheveux aux ciseaux à quatre ou cinq millimètres de longueur ; 2° ensuite on entourera chacune des plaques malades d’un large liseré de couleur destiné à montrer à l’épileur les bordures d’épilation à pratiquer ; 3° après cela on passera la tête entière de l’enfant à la teinture d’iode. Si ce badigeonnage ne montre aucun cercle inaperçu, on réalise ainsi une prophylaxie parfaite des parties saines ; 4° si ce badigeonnage démontre l’existence de taches de teignes en formation, on fera épiler toutes les surfaces comme s’il s’agissait de plaques teigneuses entièrement constituées. […] la coupe de cheveux doit être renouvelée toutes les semaines et l’épilation chaque mois […] on peut rencontrer des cas de tondantes à petites spores dans lesquels les parties malades du cuir chevelu sont plus étendues que les parties saines. Voici dans ce cas, le traitement dont j’ai retiré le bénéfice le plus évident : 1° trois fois par semaine pratiquer au rasoir la rasure totale du cuir chevelu 2° tous les jours faire sur la tête un pansement humide avec un matelas d’ouate hydrophile imprégné de la solution suivante Eau distillée ....................................500 gr Glycérine .........................................500 gr Iodure de potassium ........................à saturation Iode métallique .................................8-12 gr
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On recouvre ce pansement humide d’une calotte de caoutchouc ayant la forme et la dimension nécessaire pour appuyer exactement le pansement sur la tête en tous points. 3° tous les matins, on relève le pansement, on nettoie la calotte à l’eau tiède, puis froide. On rince
le cuir chevelu avec une eau légèrement savonneuse, on le sèche avec une friction alcoolique. Puis le pansement est aussitôt réappliqué391. »
Alors que l’épilation à la pince fut longtemps le seul vrai traitement du favus, cette méthode restait peu efficace sur les teignes dites tondantes en raison de la fragilité des cheveux parasités qui les rendait cassants et ne permettait pas de les extraire en totalité. Outre ce problème de fragilité des cheveux des teignes tondantes, l’épilation posait de multiples difficultés pratiques en raison de la longueur du traitement, de son caractère douloureux pour les enfants et surtout de la difficulté à recruter de bons épileurs. Cependant, à la différence du favus dont l’évolution sans traitement aboutissait à une alopécie cicatricielle inesthétique, la guérison spontanée des teignes tondantes à la puberté rassurait les médecins. Pour ces raisons, une réaction contre l’épilation se produisit qui s’efforçait de trouver d’autres méthodes : électrolyse déjà utilisée pour le traitement des hirsutismes, application de substances vésicantes tel le collodion cantharidé proposé par Duhring à Philadelphie qui s’apparentait à la calotte par arrachage de la pellicule de collodion, des topiques irritants comme l’huile de croton qui devait par l’irritation et la surinfection provoquées aboutir à l’expulsion des cheveux parasités (à l’image d’un kérion), le pétrole par applications répétées, l’acide acétique parfois mélangé à du chloroforme, le pétrole, les topiques iodés, le menthol, l’acide phénique, l’acide pyroligneux, l’acide salicylique, le coaltar, la chrysarobine, des dérivés mercuriels dont la concentration optimale était jugée sur l’apparition de la salivation, effet secondaire très anciennement connu lors du traitement de la syphilis392. En réalité les topiques n’emportaient la conviction que d’un petit nombre de médecins – essentiellement les promoteurs des différents produits proposés – et comme le rappelait Sabouraud à propos du favus : « Il faut assurément mettre au rang des fables les observations fréquentes de favus guéris sans épilation par des topiques variés393. » Quelle que soit la méthode utilisée, la durée du traitement et d’hospitalisation – plusieurs mois –
390- Carrère J-Ch (1890) Étude sur le traitement de la teigne tondante. Résultats obtenus à l’école des teigneux de l’hôpital Saint-Louis. Steinheil, Paris. 391- Sabouraud R (1895) Diagnostic et traitement de la pelade et des teignes de l’enfant. Rueff, Paris, p. 230-236. 392- Thomas L (1884) Contribution à l’étude du traitement de la teigne tondante. Thèse pour le doctorat en médecine, Paris. Feulard H (1888) Teignes et teigneux, op. cit. Butte L (1893) Les Teignes, leur traitement. Soc Ed Scientif, Paris. 393- Sabouraud R (1910) Les Teignes, op. cit., p. 749.
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obligeait à interrompre la scolarité ou incitait les parents à interrompre l’hospitalisation et à renvoyer les enfants encore contagieux à la vie collective. Quant au traitement externe, il ne garantissait pas la présence quotidienne des enfants aux séances d’épilation. Le souhait des médecins de soigner les enfants en les hospitalisant le moins possible, mais en les surveillant attentivement se conjugua avec les préoccupations hygiénistes du conseil municipal de Paris et avec une mesure éducative nouvelle et déterminante, l’instruction primaire obligatoire. Ces deux éléments aboutirent à la création à l’hôpital SaintLouis d’une structure originale, l’école des teigneux.
L’école Lailler : modèle éducatif et sanitaire En dehors de quelques auteurs tel Alibert qui niait la contagiosité du favus, la plupart des médecins reconnaissaient la contagiosité des teignes et la nécessité de prendre quelques mesures simples pour éviter la transmission de la maladie dans les familles. Cependant, c’est dans les établissements accueillant des communautés d’enfants – écoles, asiles, crèches – que la question de la contagiosité des teignes se posa avec le plus d’acuité. Depuis un règlement de 1833, les enfants teigneux étaient en principe exclus des écoles. Rien n’indique toutefois la manière dont cette obligation était suivie. Quoi qu’il en soit, au XIXe siècle la teigne faisait partie de l’expérience quotidienne d’un écolier. Devenus adultes, les enfants conservaient le souvenir de la teigne et du renvoi de l’école primaire comme d’un événement ordinaire. Roger-Milès, écrivain à l’ambition naturaliste, naïvement fasciné par l’hôpital « Cité de Misère », en rappelle avec quelque émotion le souvenir : « Il me souvient qu’à l’époque de notre enfance, certains de nos camarades avaient subitement sur la tête des places blanches dépourvues de cheveux; vite nous nous écartions en murmurant avec une sorte d’effroi instinctif et de dégoût, C’est la teigne! C’est la teigne!
Puis les enfants disparaissaient, et, pendant deux ans, trois ans, on n’entendait plus parler d’eux, et avec l’insouciance commune de notre âge, nous ne nous occupions plus de ce qu’ils étaient devenus394. »
Les enfants peladiques, considérés comme atteints d’une forme particulière de teigne ou en tout cas d’une maladie contagieuse, furent longtemps astreints eux aussi à des mesures d’isolement acceptées de manière variable par les médecins selon l’idée que chacun se faisait de la contagiosité de la pelade. Alors que Besnier se montrait plutôt tolérant, Lailler refusait fermement l’entrée de l’école aux enfants peladiques. D’autres, tel Fournier, sans être certains de la contagiosité préféraient appliquer le principe de précaution et refuser l’enseignement à un seul enfant plutôt que voir une classe entière contaminée. Dans ces cas, il suffisait d’appliquer la circulaire ministérielle : « Les jeunes peladiques devront être séparés pendant les classes et isolés pendant les récréations […] pour préserver les sujets sains, les contacts immédiats seront évités en obligeant les peladiques à maintenir la tête couverte […] L’échange de coiffure, cause fréquente de transmission, sera sévèrement interdit. Les objets de toilette du malade lui seront exclusivement réservés ainsi que sa literie395. »
La contagiosité supposée de la pelade à l’âge adulte suffisait à prononcer une exemption de conscription, circonstance que quelques futurs conscrits avaient bien comprise en entretenant soigneusement leur pelade396. L’obligation d’instruction, un espoir de disparition des teignes Le 28 mars 1882 paraissait la « loi sur l’enseignement primaire obligatoire » (Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts) dont l’article 4
394- Roger-Milès L (nd) La Cité de Misère. Marpon et Flammarion, Paris, p. 169-181. 395- « Circulaire relative aux mesures préventives à prendre contre la contagion de la pelade adressée au Recteur par le Ministre de l’Instruction publique (10 octobre 1888). » Archives de l’Assistance publique, cote B-2652. 396- Feulard faisait observer que les textes officiels ne mentionnaient comme motifs d’exemption que « la teigne et la calvitie ou l’alopécie ». Il ne s’agissait donc en fait que du favus – les teignes tondantes ayant disparu à l’âge du conseil de révision. Quant à la pelade, elle n’était pas explicitement mentionnée comme une cause d’exemption. Cependant, la contagiosité de la pelade, affirmée par la plupart des médecins, avait justifié une attention particulière de la part des milieux militaires qui tenaient avec soin un registre de la pelade et faisaient observer une progression régulière de la pelade dans les années 1890 dans toutes les casernes, accusant les tondeuses comme supports de la contamination. Feulard H (1893) « Le favus et la pelade en France (1887-1892) » in II. Internationaler Dermatologischer Congress abgehalten in Wien im Jahre 1892, p. 393-412.
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stipulait que « l’instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus ; elle peut être donnée soit dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu’il aura choisie ».
Cette loi qui renforçait l’obligation de fréquenter l’école accentua la question de la contagiosité en milieu scolaire et obligea à une réflexion nouvelle sur les conditions du traitement des enfants atteints de teignes du cuir chevelu. En même temps, la nouvelle loi sur l’instruction faisait espérer qu’en amenant plus d’enfants à l’école, l’obligation d’examiner les têtes pour autoriser l’entrée en classe permettrait de faire reculer la maladie. Une difficulté se fit jour : qui devrait se charger de l’inspection des enfants et autoriser ou refuser l’entrée à l’école ? Constatant les difficultés pratiques rencontrées par les médecins scolaires – l’inspection sanitaire des établissements scolaires avait été instituée dans le département de la Seine par un arrêté du 13 juin 1879 – pour assurer un examen soigneux des enfants (125 médecins inspecteurs étant chargés en 1900 d’examiner deux fois par mois les 183 000 enfants des écoles primaires et maternelles de Paris). Lailler, chef de service à Saint-Louis, proposait de donner aux instituteurs et institutrices quelques instructions utiles : « Ne jamais admettre un enfant dans une école sans un certificat du médecin inspecteur constatant qu’il n’y a pas de maladie infectieuse ; tenir les cheveux courts chez les garçons, surtout tout le temps de leurs études et même chez les filles jusqu’à l’âge de sept à huit ans ; en faire fréquemment l’inspection ; tenir la tête nue le plus possible même pendant les récréations dans les préaux ; donner la préférence à des coiffures qui puissent se laver : calottes ou casquettes de toile l’été ; bérets l’hiver ; à la suite des jeux, les garçons surtout ont presque toujours de la poussière en grande quantité dans les cheveux ; il convient de leur faire laver la tête une fois par semaine l’hiver, plus souvent
l’été. Pour ce lavage on peut se servir de savon ; il faut avoir soin de leur rincer la tête avec de l’eau tiède pour bien enlever le savon. Il est préférable de faire un premier lavage avec une décoction de Panama (un morceau de la grandeur de la main cassé en petits fragments et bouilli dans un litre d’eau suffit) ; on en fait un second avec de l’eau pure et on essuie la tête avec du linge pour la sécher. Éviter d’en faire tomber entre les paupières. Ces lavages peuvent être moins fréquents pour les filles. Mais pour elles, plus que pour les garçons, il faut sécher les cheveux avec le plus grand soin. Dans les écoles où il y a des internes, chacun doit avoir sa brosse, son peigne et sa brosse à peigne qui doivent être toujours très propres ; tout enfant ayant eu la teigne et admis de nouveau à l’école après autorisation du médecin devra être l’objet d’une surveillance spéciale et soumis à une visite médicale tous les quinze jours par trimestre397. »
En juin 1887, une commission de la Société des médecins inspecteurs des établissements scolaires de la Ville de Paris était mise en place avec mission d’examiner comment devrait être réglementée dans le département de la Seine l’inspection médicale et hygiénique des écoles. L’école en tant que centre d’agglomération devenait en effet un foyer possible d’élaboration et de propagation des maladies contagieuses engageant la responsabilité de l’État. En même temps, l’école devenait le lieu privilégié d’apprentissage des comportements hygiéniques et de surveillance. Le Guide hygiénique et médical de l’instituteur publié en 1889 précise l’attention que les maîtres devaient porter à la propreté des enfants entrant à l’école, particulièrement à l’hygiène de la tête pour faire la guerre aux poux et aux teignes398. La commission nommée en 1887 reprenait les grandes lignes des propositions de Lailler et proposait que « au commencement de chaque classe et de façon rapide, le maître devra inspecter la figure, les oreilles, le cou, les mains et la tête de l’enfant […] on recommandera aux élèves de porter les cheveux ras ou presque […] l’état anormal du cuir chevelu, une tache, une absence de cheveux par places, la présence de
397- Lailler Ch (1885) Rev Hyg, p. 580, cité par Feulard H (1888) Teignes et teigneux, op. cit. 398- Guillaume P (2005) « L’hygiène à l’école et par l’école » in Bourdelais P, Faure O (ed) Les Nouvelles Pratiques de santé, Belin, Paris, p. 213-226.
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Teignes et teigneux croûtes, tout cela devra rendre suspect l’état de l’enfant et nécessiter son renvoi de l’école jusqu’à examen approfondi du médecin inspecteur399. »
Cependant cet arsenal administratif ne suffisait pas à satisfaire les préoccupations hygiénistes des médecins les plus actifs en ce domaine. Puisqu’il n’était pas possible de faire examiner tous les enfants scolarisés par un nombre insuffisant de médecins, puisqu’il semblait illusoire d’espérer que les instituteurs examinent les enfants, pourquoi ne pas installer l’école à l’hôpital ? Dans ce contexte de préoccupations éducatives et hygiénistes, le souci de perfectionner le traitement des teignes en respectant l’obligation d’instruction scolaire amena la création, à Saint-Louis, sur l’initiative de Lailler (fig. 117), d’une école pour enfants teigneux : « L’administration a eu la pensée de concert avec Monsieur le docteur Lailler de créer un service où elle s’efforcerait d’amener les enfants à l’heure même où ils devraient se rendre à l’école […] de garder ces enfants, de les traiter […] et de ne les rendre que le soir au moment où les parents rentrent […] c’est-à-dire en un mot de créer un traitement auquel elle donnerait le nom de traitement externe à demi-pensionnat400, 401. »
Cette école d’un genre nouveau devait en outre permettre d’améliorer les conditions matérielles du traitement des teignes à Saint-Louis. Bien qu’il soit difficile de fournir des chiffres fiables en raison des imprécisions nosologiques, on peut retenir que de 1869 à 1885, 938 favus, 2 385 teignes tondantes, 614 pelades, 616 sycosis, 180 herpès circinés et plus de 700 enfants sans mention de diagnostic se présentèrent au traitement externe de la teigne dans les différents services de Saint-Louis. Pendant la même période 106 favus, 452 teignes tondantes et 4 pelades
avaient été hospitalisés dans les deux salles du service spécial de Saint-Louis et en 1886 par exemple, 21 enfants étaient en attente d’hospitalisation. L’école des teigneux fonctionna à partir du 4 août 1886. Installée dans les locaux de l’ancienne consultation externe située à l’angle de la rue Bichat et de la rue de la Grange-aux-Belles402 (fig. 118) elle était loin d’offrir les conditions les plus favorables au respect des préoccupations hygiénistes : « […] divisée en deux parties symétriques, l’une réservée aux garçons, l’autre aux filles. […] Il y a dans chaque corps de bâtiment une salle pour les pansements, un petit cabinet de consultation et des lavabos en nombre suffisant. Tout cela n’a rien de très luxueux, les pièces réservées au service médical sont très petites et très mal éclairées, les préceptes de l’hygiène ne sont pas toujours exactement suivis. »
L’emploi du temps des élèves était partagé entre les soins et l’enseignement « donné aux enfants par quatre institutrices adjointes et une directrice. Quant aux soins médicaux, ils sont confiés à une sous-surveillante qui a sous ses ordres six infirmières […] La population de l’école est en moyenne de cent cinquante enfants, cent garçons et cinquante filles. Ces enfants arrivent de très bonne heure, à six heures et demie ou sept heures du matin. […] Dès l’arrivée, les infirmières s’emparent des enfants et procèdent à un lavage soigneux de leur tête à l’aide de solutions antiseptiques ; elles leur recouvrent ensuite la tête d’une large compresse qui enveloppe complètement les parties malades et qu’ils ne quittent plus de la journée. Après ces lavages, la soussurveillante pratique elle-même la plupart des pansements (rugination, application de pommades, etc.) Toutes ces opérations sont faites autant que possible dans l’intervalle des heures de classe. Les enfants ont trois repas par jour à l’école : à 8 heures, une soupe ; à 11 heures 1/2 un repas complet ; à 4 heures un goûter.
399- L’Inspection hygiénique et médicale des écoles. Réorganisation du service (1888). Imprimerie municipale, Paris. 400- « Création à l’hôpital Saint-Louis d’un traitement externe avec demi-pensionnat pour les enfants atteints de la teigne (25 février 1886) » Procès-verbal du conseil de surveillance de l’Assistance publique à Paris, pp. 306-312. 401- Médecin des Hôpitaux de Paris en 1854, Lailler (1822-1893) fut nommé chef de service à Saint-Louis en 1863, successeur de Gibert, mort du choléra. Président de la Société médicale des Hôpitaux de Paris en 1874, Lailler fut élu président de la Société française de dermatologie et de syphiligraphie en 1891 et 1892. Lailler créa dans son service à Saint-Louis une bibliothèque pour les externes qui constitua plus tard le premier fonds de la bibliothèque médicale de cet hôpital. À l’origine de la venue de Jules Baretta, fondateur et principal artisan de la collection de moulages à Saint-Louis, Lailler joua un rôle essentiel dans l’aménagement du musée. Lailler mourut le 10 août 1893 à Bernay (Eure). Il légua à la bibliothèque Henri-Feulard une collection de plusieurs centaines d’ouvrages médicaux. Mathieu A (1893) « Charles Lailler », Ann Dermatol Syphil IV : 1101-1108. « Le docteur Lailler, médecin de l’hôpital Saint-Louis (1822-1893) », in Bibliothèque Henri-Feulard, Hôpital Saint-Louis, Paris, cote Mb 43. 402- « École des teigneux à Saint-Louis (3 février 1887) ». Procès-verbal du conseil de surveillance de l’Assistance publique, p. 4-5.
Du non-traitement à la radiothérapie Toutes les semaines ils prennent un grand bain. Leurs cheveux coupés aux ciseaux sont maintenus toujours aussi ras que possible. Les classes ont lieu de 9 heures à 11 heures et de 1 heure à 4 heures. L’intervalle est réservé aux récréations et aux pansements. L’école est ouverte tous les jours, excepté le dimanche de 6 heures du matin à 7 heures du soir, heure à laquelle les enfants retournent dans leur famille403. »
Roger-Milès décrit l’école des teigneux, « l’école des épilés », comme un lieu de bonheur où les enfants malades, pauvres, trouvent la rédemption par les soins, l’hygiène, l’exercice, l’éducation et le drapeau tricolore dans une ambiance d’où les souffrances et les contraintes semblent singulièrement absentes : « Ces petits ont faim souvent en arrivant à l’école et ils savent qu’une bonne soupe les attend, toute fumante, dans les assiettes, d’une propreté scrupuleuse. À mesure qu’ils arrivent – je parle ici des externes – les élèves déposent à leurs numéros leurs coiffures et leur vêtement de sortie […] Sur la table, dans la salle à manger, des fleurs, toujours des fleurs, parce que l’on veut de la gaieté et que les fleurs écloses parlent de gaieté et de jeunesse. Après cette première station, fort agréable, on entre en classe. […] Le docteur et les internes viennent faire leur visite ; on examine, on prescrit ; les pansements se font avec soin, grattage, lavage, raclage, épilation, coupe de cheveux très ras, au ciseau car on ne se sert pas du rasoir pour découvrir les parties malades. […] Les pansements épilés, les têtes sont enveloppées de linges blancs, sorte de madras sous lesquels les visages, bien portants ou pâlis par l’anémie ambiante des faubourgs, ont de singulières expressions. Et le travail commence. […] Et tous ces enfants là sont vraiment heureux : ils se sentent entourés, soignés, aimés. […] Écoutez-les, pendant
leur récréation […] ce sont des cris où s’ébattent la jeunesse et la santé […] Or quand leur corps prend ainsi de l’exercice en liberté, quand leur esprit est sollicité de s’éveiller à l’enseignement, comment ces enfants auraient-ils le temps de souffrir ? La douleur du traitement s’efface promptement avec la distraction de l’étude et des jeux […] L’administration, elle aussi a bien fait les choses : elle a voulu que son école ait sa distribution des prix […] L’amphithéâtre de la Faculté, au fond de la grande cour, s’ouvre pour cette solennité et une humble et rustique coquetterie préside à sa décoration […] Aux angles nos trois couleurs vibrantes, bleu, blanc, rouge, tout ce qui est clair, tout ce qui est beau, tout ce qui est pur ! […] Rien de plus poignant que toutes ces têtes enserrées dans leur coiffure blanche404. » (Figs. 119-120.)
L’Assistance publique reconnut le rôle de Lailler en donnant à cet établissement le 4 janvier 1894 le nom d’école Lailler, nom que l’on peut encore lire sur la façade du bâtiment405, 406 (figs. 121-122). De l’école à l’hôpital spécial Outre l’école des teigneux (130 places en externat), le service créé par Bazin à Saint-Louis (40 lits) et les dispensaires de soins externes de chaque service, l’Assistance publique disposait, pour les enfants teigneux au début des années 1890, aux Enfants-Malades de 50 lits de garçons et 50 lits de filles, dépendant de deux services distincts et à Trousseau de 36 lits de filles et 34 lits de garçons407. Ces quelque 210 lits, ne pouvaient suffire à prendre en charge un nombre d’enfants en fait inconnu, mais que Sabouraud estimait proche de 3 000. Quoi qu’il en soit, environ 200 malades étaient inscrits sur une liste d’attente de plusieurs mois. Ces enfants étaient alors renvoyés à
403- Carrère J-Ch (1890) Étude sur le traitement de la teigne tondante. Résultats obtenus à l’école des teigneux de l’hôpital Saint-Louis, op. cit., p. 26. 404- Roger-Milès L (nd) La Cité de Misère, op. cit., p. 169-181. 405- « Attribution du nom de Lailler à l’école des teigneux de l’hôpital Saint-Louis (4 janvier 1894) ». Procès-verbal des séances du conseil de surveillance de l’Assistance publique. 406- On notera que la création à Paris de cette école d’un genre nouveau inspira l’édification d’un modèle identique à Rouen. Construction d’un pavillon pour les teigneux par décision du 26 février 1896. Compte moral des hospice de Rouen pour 1896. Les bâtiments de cette école furent transformés en un dispensaire de syphiligraphie en janvier 1921 à l’instigation du docteur Joseph Payenneville. Dr Karl Feltgen, Groupe Histoire des Hôpitaux de Rouen, communication personnelle, 2005. 407- Il est probable que ces chiffres ne tenaient pas entièrement compte d’une suroccupation des services. En 1897, le conseil de surveillance de l’Assistance publique faisait état de 112 malades aux Enfants-Malades, de 87 à Trousseau et de 134 à Saint-Louis auxquels s’ajoutait une centaine d’enfants dans les hôpitaux de province appartenant à l’Assistance publique. Dans ces conditions, environ 300 enfants étaient sur liste d’attente pour être traités à Paris. « Ouverture d’un crédit spécial pour le fonctionnement de l’École des teigneux pendant le 2e semestre 1897 ». Risler, Thomas, conseil de surveillance de l’Assistance publique, séance du jeudi 3 juin 1897.
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ce que l’on appelait alors le « traitement externe » qui n’était en fait que le vestige du traitement des Mahon, pratiqué d’une manière peu satisfaisante : « Les enfants sont amenés une ou plusieurs fois par semaine au traitement ; mais qui applique ce traitement ? Des épileurs et des épileuses sans surveillance réelle […] ce traitement a lieu dans l’après-midi, en dehors de l’heure des visites médicales et est entièrement et absolument, il faut bien l’avouer, entre les mains des infirmiers et des infirmières […] Ce traitement externe est tombé à un très petit nombre de malades à l’hôpital Trousseau ; 7 à 8 enfants par séance à l’hôpital des Enfants-Malades mais on peut dire que d’un côté comme de l’autre il n’est soumis à aucun contrôle médical réel408. »
En fait, dans ces deux hôpitaux, les traitements externes étaient suivis de façon très irrégulière par des enfants que leurs parents finissaient par ne plus amener en raison de l’éloignement de leur domicile et de la durée des traitements. Outre Trousseau et les Enfants-Malades, des séances d’épilation avaient également lieu à Beaujon dans des conditions d’abandon médical quasi complet. La situation était d’autant plus alarmante qu’elle faisait suite à une réorganisation des « commissions d’examen des enfants chroniques », faisant suite ellemême à une épidémie de teignes tondantes en 18921893. Cette réorganisation prévoyait que tous les enfants devant être admis dans une maison de convalescence soient soumis à un double examen à 15 jours d’intervalle avant leur départ. En dépit des résultats encourageants obtenus grâce à cette mesure, les services d’enfants teigneux restaient surchargés. En résumé, l’offre de soins faite aux enfants teigneux au début des années 1890 était insuffisante
tant en ce qui concernait le nombre de lits d’hospitalisation que le nombre de places dévolues au traitement externe. L’Assistance publique pensa améliorer la situation en étudiant, à la demande du conseil municipal de Paris (17 juin 1887), la construction d’un hôpital de teigneux à Créteil. À la suite des protestations des représentants de la commune de Créteil inquiets de la contagion et d’un avis du comité consultatif d’hygiène qui ne voyait pas d’intérêt à établir ce genre d’hôpital en dehors de Paris, le conseil municipal invita l’administration hospitalière dans une délibération du 17 mars 1890 à étudier le projet de création d’un hôpital de teigneux dans les dépendances de Saint-Louis. Le projet comportait la construction de deux quartiers avec école : le premier à l’angle de la rue Bichat et de la rue de la Grange-aux-Belles à l’emplacement de l’école existante dont les bâtiments tombaient en ruine et qui avaient dû être évacués dans le courant de l’année, le second sur le terrain Brézet situé au fond de l’hôpital en bordure de la rue de la Grange-aux-Belles. Le premier quartier devait être affecté aux enfants atteints de teignes tondantes et comprendre trois bâtiments. Le second quartier se composait d’une section pour les pelades, une pour le favus et une troisième pour l’infirmerie générale. Le rapporteur du projet demandait qu’un petit laboratoire soit annexé au quartier des enfants atteints de pelade et de favus. Six cent quarante-huit enfants devaient être accueillis dans cet hôpital-école dont le devis de construction s’élevait à 2 205 672,08 francs409. Opposé à ce projet centralisateur, Henri Feulard410 (fig. 123), auteur d’une thèse remarquée411, faisait observer qu’il y aurait avantage à organiser en plusieurs hôpitaux de Paris des consultations externes qui permettraient de diminuer à la fois les délais d’attente de traitement et le nombre
408- Feulard H (1894) « Le traitement des teigneux à Paris », Rev Hyg, XVI : 510-522. 409- « Hôpital Saint-Louis, création d’un hôpital école de teigneux (1er février 1894). Procès-verbal du conseil de surveillance de l’Assistance publique. 410- Henri Feulard (1858-1897) : interne des Hôpitaux de Paris en 1891, Feulard fut reçu docteur en médecine en 1886 après avoir consacré sa thèse à l’histoire et à la prise en charge des teignes. Chef de clinique dans le service de Fournier à Saint-Louis de 1888 à 1891, Feulard fut nommé médecin de l’hôpital Saint-Lazare en 1892 et assistant à la clinique médicale infantile du Pr Grancher. Secrétaire de rédaction des Annales de dermatologie et de syphiligraphie à partir de 1890, Feulard fut également secrétaire du Ier congrès international de dermatologie en 1889, secrétaire général de l’Association des internes et anciens internes en médecine des Hôpitaux de Paris en 1889, rédacteur en chef du Bulletin de l’Union des Femmes de France à partir de 1892. Premier responsable de la bibliothèque médicale de l’hôpital Saint-Louis en 1886, administrateur du musée de l’hôpital Saint-Louis en 1894, Feulard publia la première édition du catalogue des moulages du musée en 1889. Désigné secrétaire général du congrès international de dermatologie en 1900, Feulard, décédé en 1897, ne put occuper cette fonction. Il mourut avec sa fille Germaine dans l’incendie du Bazar de la Charité, rue Jean-Goujon à Paris le 4 mai 1897. Wallach D Tilles G (1998) « Henri Feulard (1858-1897) : the life and works of the secretary of the First International Congress of Dermatology », Int J Dermatol 37 : 469-474. 411- Feulard H (1886) Teignes et teigneux, op. cit.
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d’enfants hospitalisés en réservant l’hospitalisation aux teignes les plus sévères et aux enfants sans famille : « Nous demandons qu’avant de construire à grand frais un hôpital qui sera certainement très beau mais qui ne permettra de secourir qu’un nombre très restreint de teigneux, on réorganise d’abord les traitements externes de la teigne qui permettront de soigner de nombreux enfants, empêcheront la maladie de s’étendre, diminueront d’autant le nombre des entrées à l’hôpital. […] la création de l’hôpital projeté ne devant résoudre qu’imparfaitement la question, c’est par la réorganisation des traitements externes qu’il faut commencer pour des raisons à la fois économiques et humanitaires412. »
Feulard se déclarait ainsi hostile à la création d’un hôpital spécial et, préférant développer le traitement externe des enfants teigneux, proposait de supprimer les lits de Trousseau et de les réunir aux 40 lits de Saint-Louis, de maintenir aux Enfants-Malades les 100 lits, de créer dans cet hôpital une école-dispensaire de 250 lits, d’agrandir l’école Lailler pour y installer 250 places en demi-pensionnat et de créer en deux autres points de Paris des dispensaires-écoles de 100 places chacun, ce qui aboutirait à un total de 700 places de traitement externe. Quoi qu’il en soit, la situation des enfants en attente de traitement – 289 au début de l’année 1897 – réclamait une solution rapide et surtout un financement qui semblait se faire désirer. Le conseil de surveillance de l’Assistance publique y insistait : « Les nouveaux bâtiments de l’école Lailler à l’hôpital Saint Louis pourraient être mis en service à partir du 1er juillet si nous possédions les ressources nécessaires et je n’ai pas à vous dire combien est urgente l’ouverture de cette École. » Le directeur de l’Assistance publique demanda au conseil de surveil-
lance de « bien vouloir émettre le vœu qu’une subvention spéciale de cent mille francs soit accordée par le Conseil Municipal pour l’ouverture aux chapitres additionnels du Budget de l’Assistance publique des crédits nécessaires pour faire face aux dépenses d’entretien de la dite école pendant les 6 derniers mois de l’année 1897413. » En dépit de ces protestations, en fait isolées, le nouvel hôpital-école, « hôpital central des teigneux » ouvrit ses portes à Saint-Louis le 12 juillet 1897, selon les souhaits de Sabouraud qui ne voyait que des avantages à disposer de dispensaires-écoles sur le modèle proposé par Feulard pour « traiter et élever les enfants des faubourgs » et d’un hôpital spécial à vocation d’enseignement et de recherches. La direction de cet hôpital-école fut confiée à Tenneson. L’école se composait de deux parties : l’école A réservée aux teignes tondantes, située à l’angle de la rue Bichat et de la rue Grange-aux-Belles. Au rez-dechaussée se trouvaient les salles d’épilation et de pansement, les salles de classe et les réfectoires. Le laboratoire municipal – confié à Sabouraud – chargé de l’étude et du traitement des maladies contagieuses de la peau et du cuir chevelu de l’enfance et de l’adolescence – était situé dans cette partie. Les dortoirs occupaient les étages supérieurs et pouvaient accueillir 147 garçons et 60 filles. L’école B était réservée au favus et à la pelade et située dans la partie de l’hôpital Saint-Louis faisant l’angle de la rue Saint-Maur et de la rue Grange-aux-Belles. Cette école pouvait recevoir 40 garçons et 23 filles. L’infirmerie, commune aux deux écoles, était contiguë à l’école B ; 15 garçons et 15 filles pouvaient y trouver place. Au total 300 enfants pouvaient être hospitalisés, soit la moitié de ce qui était initialement prévu. Le délai avant d’obtenir une place en internat restait élevé, environ 7 mois, en 1900. Les enfants ne trou-
412- Feulard H (1894) « Le traitement des teigneux à Paris », art. cité. 413- « Ouverture d’un crédit spécial pour le fonctionnement de l’Ecole des teigneux pendant le 2e semestre 1897 », op. cit. Un rapport de Sabouraud rédigé le 19 mars 1897 était joint à la demande. Sabouraud rappelait l’endémo-épidémie de teignes tondantes constatée en 1892-1893 qui selon lui relevait de plusieurs causes : absence d’augmentation du nombre de médecins affectés aux écoles (42 médecins pour 150 000 enfants), absence de compétence particulière demandée aux médecins des écoles en matière de teignes. Sabouraud faisait en outre remarquer que les services de chirurgie d’enfants étaient fréquemment destinés à devenir des foyers épidémiques de teigne en raison de la longue durée d’hospitalisation (plusieurs mois ou plusieurs années). Il insistait sur la nécessité d’ouverture de cette nouvelle école qui permettrait « de combattre efficacement l’épidémie de teignes : 400 à 500 places, séparation des diverses espèces de teignes ; enseignement médical, laboratoire qui sera le centre même de cette école et le moyen indispensable de son fonctionnement ». Il insistait encore sur la nécessité de compléter l’école des teigneux par la mise en place de mesures prophylactiques dans les écoles : « L’ouverture de l’école n’apportera pas dans la question des teignes tous les progrès qu’on peut espérer pour l’avenir. Le fait de connaître même très bien le parasite d’une affection ne donne ni la certitude d’un traitement plus rapide ni même la certitude d’une prophylaxie complète et sûre. »
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vant pas de place à l’école Lailler étaient adressés dans les hôpitaux de province de l’Assistance publique, Vendôme, Romorantin, Frévent414. Chaque enfant teigneux ou peladique admis était examiné par le directeur du laboratoire (Sabouraud) qui remettait ou non au malade un bon d’inscription pour l’école qui pouvait l’accueillir, A ou B selon la maladie. L’enfant était inscrit par le bureau des admissions de l’hôpital et convoqué selon son rang d’inscription. Les enfants inscrits comme externes attendaient en moyenne trois semaines avant d’être convoqués. Les enfants proches de la guérison étaient isolés le plus possible de ceux encore contagieux. L’enfant considéré guéri quittait l’école muni d’un certificat provisoire lui permettant de retourner dans son école et spécifiant qu’il devait se présenter de nouveau un mois plus tard au laboratoire de l’école Lailler pour subir un examen complet du cuir chevelu. Si la guérison était jugée certaine, un certificat de non-contagion était alors délivré. À l’image de Lailler, les médecins recommandaient la plus extrême prudence dans l’annonce d’une guérison certaine ; une surveillance de plusieurs semaines après la fin des séances d’épilation était fortement conseillée. « Il faut aller lentement pour arriver sûrement » insistait, Lailler. Ainsi, en dépit des améliorations apportées par l’Ecole des teigneux à la prise en charge des enfants, la longueur du traitement (épilation et/ou utilisation de divers topiques) restait l’obstacle principal qui contraignait de très nombreux enfants à attendre une place ou à renoncer aux soins. Dans ces conditions, l’annonce d’un traitement plus rapide considéré comme efficace, économique et sans danger, fut accueillie comme un véritable progrès.
La radiothérapie, « solution rêvée » du traitement des teignes Le 8 novembre 1895, Wilhelm Conrad Roentgen, professeur de physique à l’université de Würzbourg,
découvrait un rayonnement inconnu qu’il baptisait rayons X415. Il en effectuait la première utilisation sur la main de son épouse le dimanche 22 décembre 1895. Le sensationnalisme de cette découverte qui permettait de voir des objets invisibles, véritable « saut brusque dans l’inconnu », attira immédiatement l’attention universelle du grand public et des médecins416. À Paris, Barthélémy et Oudin réalisèrent la première radiographie de la main, présentée par Henri Poincaré à l’Académie des sciences le 20 janvier 1896417. Premiers espoirs de guérison rapide Après avoir cru que les découvertes de Pasteur et de ses disciples allaient permettre de voir enfin la cause de toutes les maladies à travers l’objectif d’un microscope, les médecins s’enthousiasment pour ce rayonnement nouveau qui fait espérer la guérison rapide et sans danger des maladies réputées incurables. Très tôt pourtant les premiers effets secondaires sont signalés qui tempèrent à peine l’euphorie médicale. La multiplication rapide des générateurs de rayonnement et l’absence quasi totale de protection font en effet apparaître en quelques mois les premiers « érythèmes radiographiques », particulièrement chez ceux qui manipulent les rayons plusieurs heures par jour et en mesurent l’intensité « à une sensation spéciale de chaleur sur la main ». Oudin, Barthélémy et Darier publient une quarantaine d’observations de radiodermites survenues chez des « électriciens » (Oudin et Barthélémy euxmêmes) et chez des patients exposés aux rayons X pour des indications diverses (lupus, phlébite, surdité…)418. Le tégument irradié « est durci comme parcheminé […] L’épiderme s’écaille et s’enlève par places. […] Les poils de la face dorsale des mains et des doigts ont complètement disparu419 ». Cet effet alopéciant confirmait l’observation de Freund (Vienne) qui en 1897 rapportait la chute des poils d’un nævus pileux obtenue après onze séances de
414- Pignot M (1900) Étude clinique des teignes. Hygiène publique et prophylaxie des teignes tondantes en 1900 à Paris et dans sa banlieue. Steinheil, Paris. 415- Pallardy G (1998) « Röntgen et sa découverte des rayons X. les premières applications en France (1896-1914) » in Les Rayons de la vie, une histoire des applications médicales des rayons X et de la radioactivité en France 1895-1930. Institut Curie, p. 22-36. 416- Barthélémy T, Oudin P (1898) « Application des rayons Röntgen à la dermatologie et à la vénéréologie » in Third international congress of dermatology, London August 4-8th 1896, Official transactions ed by JJ Pringle, London : 178-195. 417- « MM. Oudin et Barthélémy communiquent une photographie des os de la main obtenue à l’aide des “X Strahlen” de Mr le Professeur Röntgen (20 janvier 1896), CR Acad Sci, Paris, p. 150. 418- Oudin P, Barthélémy T, Darier J (1898) « Accidents cutanés et viscéraux consécutifs à l’emploi des rayons X », La France Médicale, 8 : 113-118. 419- Richer P, Londe A (1897) « Sur des cas d’érythème radiographique des mains », CR Acad Sci CXXIV : 1256-1257.
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deux heures420 ! Oudin et Barthélémy insistaient alors sur la nécessité de se conduire avec la plus grande prudence « vis-à-vis d’un agent que personne n’a encore employé » et de prendre des précautions « dont il y a lieu de se départir d’autant moins qu’on ne connaît pas encore les détails de la voie où l’on s’engage ». En 1899, Balzer et Monsseaux, lors d’une séance de la Société française de dermatologie, décrivent « une alopécie complète dans tous les points soumis à l’action des rayons X. Au crâne toute la région pariétale droite est dépouillée de cheveux […] le sourcil droit et les cils ont complètement disparu […] la barbe est réduite à quelques poils du côté droit ; la moustache est également très atteinte et clairsemée […] de même au niveau de la main et des doigts les poils ont complètement disparu421 ». Au cours de la même séance, Leredde propose d’utiliser les rayons X pour provoquer une alopécie transitoire des teignes dans lesquelles l’épilation est difficile. L’idée de la radiothérapie des teignes venait de naître. Un mois plus tard, Darier, discutant l’utilisation des rayons X pour le traitement des teignes tondantes, indiquait qu’après avoir expérimenté les rayons X chez le cobaye il avait renoncé à son projet en raison de la trop longue persistance de l’alopécie postradiothérapique422. En 1900, au congrès international de dermatologie organisé à Paris, Schiff et Freund donnent les principales indications thérapeutiques des rayons X. Les teignes y figurent en bonne place. Outre le lupus tuberculeux, ils retiennent les « affections de la peau dans lesquelles l’élimination des poils constitue un élément essentiel pour la guérison […] dans le sycosis, le favus et autres affections inflammatoires ou parasitaires des régions pileuses nous ne connaissons
point de méthode thérapeutique qui, si rapidement et si radicalement, sans aucun pansement et sans aucun autre traitement, puisse guérir ces affections sans gêner aucunement les occupations ou les habitudes du malade423 ». D’une manière générale, les « maladies du système pilo-sébacé » représentent le premier groupe d’indications mais les psoriasis, eczéma, lymphomes, mélanomes, cancers viscéraux sont aussi retenus424. D’autres auteurs, plus raisonnables soulignent comme Brocq la nécessité que « les dermatologistes soient toujours très réservés dans l’application de cette méthode jusqu’à ce que les spécialistes aient nettement précisé la technique à employer dans ce cas ». Leredde insiste sur la nécessité de tenir compte de la réponse individuelle des patients à une quantité donnée de rayonnements et fait observer à ses collègues dermatologues que, en raison des nombreuses incertitudes entourant ce nouveau traitement, « la radiothérapie (ne peut pas) être considérée comme une méthode aussi simple que le fait M. Béclère et je crois même qu’il y a danger à la faire425 ». Malgré des réticences, en fait peu nombreuses, les teignes – et, de manière plus inattendue, la pelade426 – s’imposèrent rapidement comme l’une des indications majeures de la radiothérapie. Dans les années 1890, on l’a vu, le traitement des teignes reposait sur l’épilation à la pince surtout efficace sur le favus, moins sur les teignes tondantes dont les cheveux cassants étaient plus difficiles à extraire entièrement. Ces épilations répétées jusqu’à disparition complète des cheveux malades étaient parfois complétées par l’utilisation d’emplâtres agglutinatifs pour l’arrachage douloureux des cheveux et divers topiques le plus souvent inefficaces et parfois toxiques (mercure, acétate de thallium)427.
420- Freund L (1897) « Ein mit Röntgenstrahlen behandelter Fall von Naevus pigmentosus piliferus », Wiener Med Wochschrft XLVII : 428-434. 421- Balzer F, Monsseaux (1899) « Accidents cutanés causés par les rayons de Röntgen », Bull Soc Franc Dermatol Syphilol : p. 3-8. 422- Darier J (1899) « Sur l’alopécie consécutive à l’emploi des rayons X », Bull Soc Fran Dermatol Syphil : 52-53. 423- Schiff E, Freund L (1900) « État actuel de la radiothérapie », in IVe congrès international de dermatologie, Paris : 173-177. 424- Belot J (1904) La Radiothérapie. Son application aux affections cutanées. Steinheil, Paris. 425- Leredde M, « Technique et indications de la radiothérapie », Bull Soc Fran Dermatol Syphil, 5 mai 1904 : 153-159. 426- Belot voit les rayons X comme « stimulants du système pileux », rapportant quelques observations à l’appui de cette affirmation qui contredit l’usage fait des rayons X pour détruire les cheveux parasités. Pour lui, cette contradiction « n’est qu’apparente. Tout dépend de la quantité de rayons absorbée par la papille et des réactions inflammatoires qui s’y produisent consécutivement ; en faisant varier ces facteurs, les résultats ne devront plus être les mêmes ». Belot J (1905) La Radiothérapie. Son application aux affections cutanées. 2e éd., G. Steinheil, Paris, p. 347. Avec un certain bon sens, Brocq se demandait « que peut faire la radiothérapie dans les alopécies peladiques ? Nous avouons bien franchement ne pas le voir […] Théoriquement nous ne comprenons comment un procédé de déglabration peut être un procédé de repousse des poils […] on ne doit pas s’exposer à causer des alopécies irrémédiables pour guérir une affection qui, dans presque tous les cas, ne laisse pas d’alopécie définitive ». Brocq L (1917) « Quelques réflexions pratiques sur la radiothérapie », Ann Dermatol Syphilol : 333-356. 427- Gastou, Vieira « Essai de traitement des dermatoses par la radiothérapie ; cas de favus soumis aux rayons X (dépilation et repousse) », Bull Soc Fr Dermatol Syphil, séance du 5 juin 1902 : 283-285.
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D’une manière générale, ces méthodes étaient contraignantes et longues. À titre d’exemple, à SaintLouis jusqu’à la fin des années 1880, les enfants fréquentaient l’école Lailler pendant en moyenne deux ans. La méthode de Quinquaud, successeur de Lailler, raccourcit la durée de traitement qui obligeait toutefois à fréquenter l’école des teigneux pendant six mois. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que la radiothérapie qui semblait apporter une réponse thérapeutique décisive ait été accueillie avec enthousiasme comme le rapportent Gastou et Viera qui, en 1902, publient l’observation d’un adolescent « atteint de favus du cuir chevelu, généralisé à toute la tête et datant de trois ans. […] Il a été traité par la calotte de poix, puis à l’école Lailler pendant 8 mois à l’aide de l’épilation. Le traitement radiothérapique a commencé le 17 février 1902 (par) des séances de 10 minutes. […] Jusqu’à la quinzième séance, aucun phénomène apparent sauf une ou deux fois une légère céphalée, ne s’est produit. Après la quinzième séance […] apparition d’érythème avec légère tuméfaction et sensibilité du cuir chevelu. À la vingt quatrième séance brusquement les cheveux tombent par touffes sous l’influence d’un simple brossage et il se produit une plaque alopécique de 10 centimètres […] chez notre favique, les cheveux sont en voie de repousse sur les premières plaques traitées. L’effet ici a donc été très favorable à tous les points de vue et surtout a donné la rapidité d’action curative et l’innocuité que nous attribuons pour une grande part aux précautions prises428. »
Sabouraud et Noiré : empirisme et perfectionnements Acteur de premier plan de la lutte contre les teignes, Sabouraud fut aussi celui qui consacra la radiothérapie comme le traitement idéal, « la solution rêvée » du traitement des teignes (fig. 124). Observant les résultats obtenus par Freund et Schiff, Sabouraud demanda à « Noiré et à M. Brault notre électricien de nous en faire une installation. […] Nous eûmes assez vite des dépilations profitables et
des traitements réussis mais quelques excès de doses amenèrent des dépilations définitives et je sentai le terrain fort dangereux. » Le terrain était en effet dangereux tant la frontière était ténue entre la radiothérapie thérapeutique et la radiothérapie génératrice d’alopécie définitive d’autant plus angoissante que la grande majorité des teignes (tondantes) guérissaient spontanément sans séquelles. La difficulté principale consistait donc pour les médecins qui n’avaient alors aucune expérience de la manipulation des générateurs et encore moins de la physique des rayons X à déterminer la quantité de rayonnement suffisante pour provoquer une alopécie transitoire. Les expérimentateurs deviennent alors inventeurs, bricoleurs et biophysiciens. Ils mettent au point d’ingénieux dispositifs de mesure dont l’imprécision fait sourire mais moins dangereux que la mesure du rayonnement par la chaleur provoquée sur la main de l’expérimentateur ! Béclère, pionnier de l’utilisation médicale des rayons X en France, mesure une longueur d’étincelle à l’aide d’un appareil qu’il invente et auquel il donne le nom de spintermètre (mesureur d’étincelle). Pour la plupart des expérimentateurs, la mesure du rayonnement est effectuée par comparaison de couleurs à l’œil nu. Benoist met au point un radiochronomètre (fig. 125) qui permet d’évaluer la quantité de rayonnement par une comparaison de teintes obtenues sur une plaque radiographique. Les couleurs sont numérotées de 1 à 12 et on parle de rayons de degré 5 ou 6 par exemple. Il ne reste plus alors que de s’assurer à chaque séance que les rayons délivrés ont le même degré pour obtenir le même effet. Plus perfectionné est le chromoradiomètre de Holzknecht (fig. 126). Il s’agit ici d’une pastille formée d’un mélange de potasse et d’une résine, présenté dans un petit godet déposé sur la peau du patient à proximité immédiate de la zone à traiter de manière qu’il reçoive la même quantité de rayons X que la maladie. La teinte prise par le godet au cours de la séance était comparée à une échelle fixe de teintes différentes, de couleur bleu verdâtre plus ou moins foncée, exprimées en « unité H »429. On pouvait ainsi déterminer la durée d’exposition nécessaire pour obtenir la quantité de H à partir d’une ampoule productrice de rayons X placée à une
428- Belot J (1905) Traité de radiothérapie. Steinheil, Paris. 429- L’acétate de thallium a été utilisé à Saint-Louis jusque dans les années 1930. Initialement utilisé pour traiter les sueurs des tuberculeux, l’acétate de thallium avait été reconnu pour provoquer une chute de cheveux. Louste et Rabut faisaient toutefois observer que la chute des cheveux était assez irrégulière, concernait peu les cheveux malades qu’il fallait épiler à la pince. En regard d’une efficacité faible, les effets secondaires apparaissaient prédominant : fièvre, douleurs articulaires, folliculites diffuses, albuminurie. Au total, les auteurs soulignaient l’important pourcentage d’échecs (supérieur à 50%) qui incitait à ne pas poursuivre l’utilisation de ce produit. Louste M, Rabut R (1934) L’acétate de thallium dans les traitement des teignes à l’école Lailler. Bull Soc Fran Dermatol Syphil : 494-496.
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distance connue. Il suffisait à chaque séance de se mettre dans les mêmes conditions techniques pour savoir combien de temps devait durer l’exposition. Cette méthode de dosimétrie fondée sur une simple comparaison de couleurs suscitait l’enthousiasme de Béclère qui n’hésitait pas à affirmer que « par sa sûreté, la facilité de son apprentissage et de son mouvement, elle met la radiothérapie à la portée de tous les médecins qui s’occupent des affections cutanées et de leur traitement ». La méthode de Holzknecht avait cependant le défaut de rendre les médecins français dépendant du fabriquant allemand qui détenait le monopole de production des pastilles d’un prix par ailleurs élevé (2,50 francs de l’époque). De plus, les pastilles de Holzknecht continuaient de changer de couleur après la fin de la séance, ce qui rendait pour le moins délicate la comparaison des teintes. À Saint-Louis, Sabouraud profita alors de l’inventivité et de l’habileté manuelle de son assistant Henri Noiré430 « qui remarqua que les rayons X faisaient virer au brun la teinte jaune métallique des écrans au platino cyanure de baryum […] j’en parlai alors à Béclère, assidu aux réunions de la Société de dermatologie […] Il avait remarqué ce phénomène et dans notre conversation il émit en passant cette idée qu’on pourrait peut-être faire à l’aquarelle une échelle graduée de teintes permettant de jauger la somme totale des rayons X reçus par l’écran. […] Je lançais Noiré sur cette piste et en deux mois fut fait le radiomètre X que nous signâmes tous les deux431 ».
Sabouraud et Noiré mettent au point en 1903 un appareil de mesure de la quantité de rayonnement plus fiable que celui utilisé auparavant (méthode de Holzknecht). Ils remplacent les pastilles de Holzknecht par un papier enduit de platino cyanure de baryum dans un collodion à l’acétate d’amyle. Le fonctionnement de cet appareil dénommé radiomètre X (fig. 127) était « basé sur le fait qu’une pastille de papier au platino cyanure de baryum, normalement d’un jaune métallique, brunit proportionnellement à la quantité des rayons X qu’elle a reçue. Lorsqu’elle a pris une teinte
identique à une teinte repère établie à l’aquarelle, la dose donnée est suffisante et la dépilation s’ensuivra432 ».
Ce radiomètre X possédait selon son inventeur plusieurs avantages : moindre coût, papier pouvant être utilisé plusieurs fois, échelle de teintes plus facile à apprécier, virage de teinte s’arrêtant dès la fin de l’exposition. En pratique, la teinte obtenue après exposition aux rayons était comparée à une échelle de trois teintes fixes aquarellées : 1. la teinte du papier non virée ; 2. la teinte qui donne le « premier effet thérapeutique appréciable » ; 3. la teinte qu’on ne peut pas dépasser sans avoir sur la peau une radiodermite débutante (érythème). Malgré cette simplicité d’usage, un inconvénient devait être maîtrisé. Le papier « dévirait » très vite lorsqu’il était exposé à la lumière. La comparaison devait donc être faite très rapidement avec les teintes de l’échelle, ce qui – comme avec l’appareil de Holzknecht – ne contribuait pas à la fiabilité totale de la mesure. De plus, le papier devait être placé à une distance particulière de l’ampoule génératrice de rayonnement, distance qu’il fallait absolument respecter pour faire une mesure juste. Malgré ces inconvénients et les inévitables approximations liées à la comparaison des couleurs, le radiomètre de Sabouraud et Noiré fut rapidement reconnu comme un réel perfectionnement. Grâce à cette méthode et sans doute après de nombreux essais infructueux, Sabouraud et Noiré parviennent à formuler une règle d’utilisation permettant selon eux d’obtenir « la dépilation pure et simple de la région insolée, sans plus, sans complication de brûlures bénignes ou graves d’aucune sorte, en un mot sans accident » (figs. 128-129). En pratique, après un examen clinique soigneux de l’enfant, Sabouraud distinguait deux cas : soit les plaques étaient peu nombreuses et elles étaient irradiées d’emblée, une par une ; soit elles étaient nombreuses et, dans ce cas, il était nécessaire de faire une épilation préalable de tout le cuir chevelu. On dessinait ensuite sur le cuir chevelu les zones à irradier. Les zones ainsi délimitées étaient irradiées l’une après l’autre en recouvrant d’un disque de plomb la zone déjà traitée (fig. 130-132). Il devenait possible d’irradier une tête entière en une seule séance, le patient, selon Sabouraud, « ne risquant même pas un mal de tête ».
430-Sabouraud R (1937) « Henri Noiré (1878-1937) », Ann Dermatol Syphil : 811-812. 431- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit. 432- Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux, op. cit.
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L’irradiation étant effectuée, « il ne faudrait pas croire que l’enfant traité va guérir tout seul […] D’abord pendant treize ou quatorze jours rien ne surviendra […] Mais le treizième ou quatorzième jour les cheveux commencent à tomber ; ils tombent seuls, comme les poils d’une fourrure mangée aux vers […] cependant on voit persister sur place tous les cheveux de duvet et ils ne tomberont pas ; c’est à cela qu’on reconnaît une radiothérapie bien faite : le cheveu de duvet ne doit pas tomber ».
À partir du 18e jour, la radiothérapie est complétée par un savonnage et un raclage du cuir chevelu suivi d’une épilation à la pince des cheveux qui commencent à tomber facilement. Le cuir chevelu est frictionné tous les jours avec de la teinture d’iode et au 30e jour, le cuir chevelu doit être entièrement glabre. La repousse doit être complète quatre mois plus tard433. Muni de ces perfectionnements, Sabouraud pouvait annoncer triomphalement le 4 janvier 1904 à la Société française de dermatologie « la guérison de 100 teigneux et la formule technique permettant d’obtenir avec sécurité et sans accidents la guérison de chaque plaque malade par une seule application d’une dose mesurée de rayons X ». Ne cachant pas sa satisfaction, il insistait sur le fait que « grâce à la radiothérapie, 8 à 10 enfants quittent l’école Lailler chaque semaine ; ces enfants, chauves mais guéris, partent en attente de repousse de cheveux sains […] les résultats thérapeutiques obtenus par cette méthode à l’école Lailler sont de nature à en démontrer la valeur : en 6 mois l’an passé nous avions 57 enfants guéris, en 6 mois cette année nous avons 134 guérisons434 ». Cette nouvelle méthode qui permettait de guérir les teignes « en une seule séance et à coup sûr » fit écrire à Sabouraud qu’« en face de ce traitement tous les traitements antérieurement préconisés contre ces maladies sont comme s’ils n’étaient pas. La radiothérapie les a périmé435 ». Concernant les indications, alors que l’épilation profitait surtout au favus, les teignes tondantes étaient les meilleures indications de la radiothérapie. La persistance du champignon dans les godets faviques obligeait à compléter la séance de radiothérapie par une antisepsie soigneuse.
À l’efficacité de ce nouveau traitement s’ajoutait un argument économique de poids capable d’emporter l’adhésion des plus réticents et particulièrement de l’administration : « Un teigneux hospitalisé à Paris coûte 2,80 francs par jour […] le traitement d’un teigneux hospitalisé coûtait à l’Assistance publique une moyenne de 2 000 francs (2,80 francs × 715 jours de présence moyenne) […] une séance radiothérapique coûte 0,50 fr, une guérison coûte ainsi de 0,50 fr à 5 francs. »
Sabouraud faisait observer que grâce à cette méthode de traitement l’Assistance publique avait pu fermer 150 lits à Saint-Louis et 350 lits en province et économiser plus de deux millions et demi de francs436. Les conséquences de ce qui était alors considéré comme un perfectionnement thérapeutique furent quasi immédiates et « l’École Lailler se vida en quelques mois. […] Il fallut deux ans et demi pour achever le nettoyage de Paris ». Le succès de cette méthode pouvant permettre aux enfants teigneux de province de profiter des places laissées vacantes par les petits Parisiens, le ministre de l’Intérieur faisait valoir l’importance qu’accordait l’Etat à ce que les enfants teigneux de province, hospitalisés pendant des années dans des conditions de quasi abandon, bénéficient eux aussi de ce qui était alors considéré comme un progrès thérapeutique : « Quel est le meilleur mode d’assistance à employer à l’égard des enfants teigneux ? […] I. Il y a trois maladies du cuir chevelu vulgairement appelées teignes : 1° La teigne faveuse ou favus, caractérisée par des croûtes sordides, de durée indéfinie, mélangées à des cicatrices ; 2° La teigne tondante, caractérisée par des tonsures rondes, pelliculeuses, où les cheveux semblent mal rasés; 3° La pelade, caractérisée par des plaques tout à fait chauves et blanches. La pelade ne doit plus être considérée comme une teigne proprement dite, puisqu’il est désormais établi qu’elle n’est ni parasitaire ni contagieuse. Nous n’avons donc à nous occuper ici que de la teigne faveuse ou de la teigne tondante. II. Sur le sujet qu’elles ont atteint, ces maladies persistent toujours très longtemps ; la tondante prend l’enfant à l’école et ne finit par guérir généralement que vers quatorze ou quinze ans, quelquefois plus tard ; le favus non traité ne guérit jamais, il dure autant que la
433- Sabouraud R (1910) Les Teignes, op. cit. 434- Sabouraud R (1904) « Sur la radiothérapie des teignes », Ann Dermatol Syphil, 5 : 577-587. 435- Sabouraud R (1936) « Les teignes »in Darier F, Sabouraud R, Gougerot H et al. Nouvelle Pratique Dermatologique, t. II, Masson, Paris, p. 202-203. 436- Sabouraud R, Pignot M, Noiré H (1905) « La radiothérapie des teignes à l’École Lailler en 1904 », Bull Soc Fr Dermatol Syphil : 19-23.
Du non-traitement à la radiothérapie vie du malade et fait de celui-ci un véritable paria. Pendant toute leur durée, elles sont très contagieuses pour les enfants ; les écoles, asiles, orphelinats et toutes agglomérations d’enfants doivent s’en défendre avec le plus grand soin ; d’où la nécessité d’isoler les teigneux pour prévenir une funeste dissémination du mal. III. Jusqu’en 1904, la guérison de ces maladies exigeait un traitement très minutieux durant plusieurs années ; elle est obtenue aujourd’hui grâce aux rayons X en un laps de temps compris, selon les cas, entre un mois et demi et trois mois. Le service du traitement des teignes fonctionne notamment à l’hôpital Saint-Louis à Paris. Avant ce traitement, ce service, avec 350 lits, guérissait 100 malades par an ; il en guérit aujourd’hui 500 avec 100 lits seulement. Paris est presque aujourd’hui totalement débarrassé de ses teigneux, et l’assistance publique réalise de ce chef une économie annuelle considérable. IV. De tels services sont malaisés à organiser ; il leur faut, pour être efficaces, des appareils coûteux et un personnel ayant reçu une éducation professionnelle spéciale. L’application des procédés soulève, en effet, des difficultés techniques assez délicates. Bien employé, le traitement est inoffensif et, grâce à lui, des milliers d’enfants ont été guéris sans aucun accident depuis 1904 ; mais entre des mains inhabiles, il peut donner lieu à des brûlures graves, à des cicatrices définitives susceptibles d’engager des responsabilités judiciaires. Ce n’est donc qu’avec circonspection que ces services peuvent être institués dans un établissement hospitalier. V. Le service de l’hôpital Saint-Louis est outillé de telle façon et a donné de tels résultats que j’ai pensé qu’il y aurait le plus haut intérêt à ce qu’il pût recevoir les petits teigneux qui lui seraient envoyés par les départements. Dans certains établissements hospitaliers de province, en effet, il existe un quartier de teigneux qui souvent constitue le service le plus déshérité de l’hôpital ; les enfants y restent des années, presque partout insuffisamment traités ; ils en sortent à l’âge d’homme ; sans instruction, souvent même non guéris. Et sans doute ils ont été mis ainsi, durant cette période, dans l’impossibilité de contaminer d’autres enfants, ce qui est déjà un résultat appréciable, mais leur longue hospitalisation a entraîné de lourdes charges pour les collectivités intéressées. Envoyer ces enfants dans un service comme celui de l’hôpital Saint-Louis d’où, au bout de quelques semaines, ils sortiraient guéris, serait donc une mesure conforme aux intérêts de ces malheureux enfants et constituerait en même temps une sage opération financière.
VI. Aussi me suis-je adressé à M. le préfet de la Seine qui a saisi de la question le conseil de surveillance de l’Assistance publique de Paris et le conseil municipal. Ces deux assemblées ont émis un avis favorable à l’admission à l’hôpital Saint-Louis des enfants teigneux de province. En ce qui concerne le prix de journée, bien que le tarif normal comportât un prix de 4 f 70, elles n’ont pas manqué d’apercevoir le haut intérêt national qui s’attache à la prompte et définitive disparition de la teigne en France ; ce sont là des considérations dont la ville de Paris s’honore de toujours tenir compte ; aussi, par arrêté de M. le préfet de la Seine, l’administration hospitalière est-elle autorisée à recevoir désormais ces jeunes malades moyennant un prix journalier forfaitaire de 3 francs. Le nombre des places pouvant être affectées s’élève à cent. VII. Ai-je besoin de dire que les dépenses engagées par les départements pour assurer le traitement des enfants teigneux à l’hôpital Saint-Louis, ou dans un autre service spécial analogue, rentrent essentiellement dans le cadre de la loi de 1893 sur l’assistance médicale gratuite ? VIII. Un point reste à examiner : ces maladies étant contagieuses, quelles précautions faut-il prendre, quel moyen simple et sûr faut-il employer pour prévenir toute dissémination du mal durant le voyage ? C’est la question que j’ai posée à M. le Dr Sabouraud, chef du service de l’hôpital Saint-Louis, et voici les prescriptions que l’éminent praticien formule à ce sujet : “Avant le départ, la tête de l’enfant sera badigeonnée avec le liquide suivant : Teinture d’iode 5 grammes Alcool à 80° 100 et recouverte d’un bonnet parfaitement fermé tel que le bonnet à trois pièces ( lequel, pour les garçons, pourrait être remplacé par le bonnet de coton ) ; ce bonnet ne devra pas être enlevé depuis le départ jusqu’à l’arrivée à l’hôpital. Ces précautions, ajoute M. le Dr Sabouraud, me paraissent suffisantes pour prévenir toute contagion en cours de route et toute contamination des wagons.” IX. […] Permettre qu’un enfant teigneux trame misérablement son mal durant de longues années, qu’il s’étiole dans son pauvre logis ou dans un quartier d’hôpital, ou même qu’il rôde le long des chemins, sans protection et sans soins, loin de l’école pour laquelle il constitue un danger, alors qu’en l’envoyant dans un service hospitalier spécial, notamment à Saint-Louis, on peut désormais, pour une faible somme et dans un bref délai, assurer sa guérison complète et définitive, ce serait là commettre une négligence vraiment criminelle, et dont je suis assuré que nul en France ne se rendra coupable437. »
437- « La prévention de la teigne chez les enfants 2e Division. - Assistance aux enfants teigneux ». Circulaire de M. le ministre de l’Intérieur. Paris, le 11 mars 1911, dossier Sabouraud, archives du musée de l’hôpital Saint-Louis, cote ARK 98.
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Le traitement par les rayons X ayant réduit le nombre de teigneux, l’école devint inutile. « l’école qui avait compris tout un état, ne comprenait plus qu’une province. La capitale, c’est-à-dire le laboratoire, restait seule intacte». L’administration ne manqua pas de profiter de cette évolution favorable pour les enfants pour utiliser à d’autres fins une partie des locaux devenus vacants de l’école Lailler : « M. Honoré rappelle qu’à la suite des beaux résultats obtenus par M. le docteur Sabouraud dans le traitement de la teigne, le pavillon B c’est à dire la moitié de l’école Lailler est aujourd’hui presqu’entièrement vide. Le corps médical de l’hôpital St-Louis est unanime à demander que les services de chirurgie de l’établissement soient transférés dans le dit pavillon. […] actuellement les services de chirurgie sont installés dans des baraques de bois qui ne paraissent ni très confortables ni très saines438. »
En 1905, un service provisoire de chirurgie infantile était installé dans l’ancien pavillon B de l’école Lailler pendant les travaux de l’hôpital Hérold et un service d’enfants convalescents était aménagé pour désencombrer les services de l’hôpital Trousseau et de l’hôpital Bretonneau. Dans ce climat d’enthousiasme, la question des effets secondaires de la radiothérapie venait à peine tempérer l’optimisme généré par ce nouveau traitement. Concernant la neurotoxicité évoquée par quelques auteurs, Sabouraud considérait après avoir traité 2 000 enfants teigneux en cinq ans que « l’action sur le cerveau du traitement des teignes par les rayons X est tout à fait nulle et en doit en aucun cas être redoutée ». Il admettait cependant la réalité des radiodermites et des alopécies définitives qui pouvaient selon lui être minimisées pour peu que les médecins soient parfaitement formés à la radiothérapie à l’école Lailler. Il en allait différemment de ceux qui manipulaient quotidiennement les rayons X. Le directeur de l’hôpital Saint-Louis y insistait :
« Plus la cure de la teigne devient efficace, plus elle est difficile à organiser, plus elle devient dangereuse pour ceux qui l’organisent et qui souffrent parfois de lésions graves causées par les rayons X439. » (Fig. 133.) La méthode mise au point par Sabouraud et Noiré fut perfectionnée notamment par Kienböck (1907) et Adamson440 (irradiations en cinq points) et utilisée avec quelques modifications jusqu’au début des années 1950. Après rasage de la tête de l’enfant, les cinq points étaient marqués avec du violet de gentiane. Les cinq champs étaient irradiés en une seule séance après une préparation psychologique de l’enfant, voire une prémédication par des sédatifs pour éviter les changements de position de la tête, source de chevauchement des zones irradiées. La chute des cheveux survenait comme avec la méthode de Sabouraud vers le 18e jour et pouvait être accélérée en appliquant des bandelettes adhésives sur le modèle de la calotte. Dewulf de l’université de Gand indiquait avoir traité 39 cas sans avoir observé un seul accident ou un seul échec. Selon cet auteur, la méthode de Kienböck Adamson était « absolument sans danger mais il faut l’appliquer avec soin, avec précision et sans hâte441. » Il fallut attendre quelques années avant qu’apparaissent les premiers effets secondaires graves de cette nouvelle méthode de traitement des teignes qui donna à ces maladies bénignes un visage nouveau.
Le traitement des teignes, histoire d’une dramatisation Jusque dans les années 1830, les teignes n’étaient considérées par les médecins que comme un événement normal de la vie d’un enfant de famille modeste. Seuls étaient recommandés « des soins de propreté, un régime sobre et doux, l’ordonnance
438- « Au sujet de l’évacuation du pavillon B de l’école Lailler et du meilleur emploi qui pourrait être fait de ce bâtiment (30 juin 1904) ». Procès-verbal du conseil de surveillance de l’Assistance publique. 439- « Adjonction de deux filles de services au service de l’épilation de l’école Lailler (29 mars 1906) », conseil de surveillance de l’Assistance publique. Les médecins payèrent un lourd tribut à cette technique nouvelle. Barthélémy et Noiré moururent, comme d’autres manipulateurs de rayons X travaillant sans protection, des suites de cancers cutanés radio-induits. 440- Adamson HG (1909) « A simplified method of X ray application for the cure of ringworm of the scalp », Lancet : 1379. Cette méthode dite des « feux croisés en surface » imaginée par Kienböck consistait en une irradiation du cuir chevelu en cinq points. Le point central de chaque champ était situé à 12,5 cm des points centraux voisins pour une tête de 50 cm de circonférence. Les centres des trois premiers champs étaient placés sur la ligne médiane du crâne, les deux autres situés latéralement, chacun à égale distance des trois premiers. 441- Dewulf L (1953) « Le traitement par rayons X des mycoses du cuir chevelu et de la barbe », Arch Belges Dermatol, 9(12) : 155-165. Les teignes de la barbe étaient traitées de manière analogue avec des doses plus élevées de rayonnement en délimitant quatre champs dont les points centraux se trouvaient sous la fente labiale, sous le menton et latéralement sur les zones angulo-maxillaires.
Du non-traitement à la radiothérapie
convenable de précautions hygiéniques, le nettoiement assidu du cuir chevelu442 ». Certains, attachés aux concepts humoralistes voyaient même « la porrigine comme une affection dépuratoire pour l’économie animale […] dont la suppression trop brusque peut entraîner des inconvénients443 ». À Saint-Louis, le traitement des teignes fut jusqu’au milieu du XIXe siècle, on l’a vu, laissé aux mains de guérisseurs, attitude parfois imprudente, mais qui en tout cas montrait que les teignes – dont la plupart guérissaient sans traitement et sans séquelles – pouvaient se passer de l’intervention d’un médecin. Au début des années 1830, Alibert faisait observer à quel point il était étonnant « qu’on soit passé tout à coup de ces topiques si bénins et si doux à des applications aussi irritantes, aussi actives que celles qui ont été employées […] dont la plupart figurent dans la catégorie des plus sinistres poisons ; tels sont : les oxides d’arsenic, de cuivre, de plomb, de mercure qui firent aussitôt partie des arcanes préconisés par la tourbe indestructible des charlatans et des empiriques444 ».
À partir des années 1840, après les découvertes de Remak, de Schœnlein et de Gruby qui montraient le champignon en cause à travers l’objectif d’un microscope, la conception des teignes évolua. En dehors de l’hostilité au microscope de quelques irréductibles, il n’était plus possible de prétendre que les teignes provenaient exclusivement de la pauvreté ou que le godet favique n’était dû qu’à une séborrhée excessive. Dès que le microscope eut livré le secret des teignes en montrant le champignon agresseur du cheveu, les enfants devinrent l’objet d’une attention plus particulière de la part des médecins. Cet intérêt nouveau justifia la création à Saint-Louis d’un service spécial alors que quelques décennies plus tôt l’administration hospitalière était hostile à l’admis-
sion des enfants pour le seul motif de teigne. Bazin restait toutefois prudent dans l’usage des traitements et insistait sur la nécessité de profiter de l’évolution spontanément curable des teignes tondantes, proclamant avec bon sens que « le meilleur épilatoire, sans contredit, c’est la maladie445 ». L’ouverture en 1886 d’une école pour enfants teigneux dans l’enceinte de Saint-Louis s’inscrivit dans le contexte d’instruction primaire obligatoire et des préoccupations hygiénistes générées par les découvertes des pasteuriens. Cette école, création de la Ville de Paris, allait permettre de scolariser les enfants interdits d’école pour cause de contagion et en même temps de surveiller l’hygiène générale de ces enfants parmi les plus pauvres de Paris. Les préoccupations hygiénistes deviennent telles que la loi du 30 novembre 1892 impose aux médecins de déclarer à l’administration certaines maladies transmissibles : « Tout docteur, officier de santé ou sagefemme est tenu de faire à l’autorité publique, son diagnostic établi, la déclaration des cas de maladies épidémiques tombées sous son observation446. » La loi de 1902 renforce cette obligation qui ne fait pas l’unanimité parmi les médecins447. Pour treize maladies la déclaration est obligatoire. Pour neuf autres, elle n’est que facultative. Les teignes figurent dans cette seconde liste aux côtés de la lèpre et de la tuberculose sous la pression des médecins soucieux de préserver le secret médical et contre l’avis des pasteuriens448. À partir des années 1890, l’artisan principal de la lutte contre les teignes est, en France Sabouraud. Hors de France, les teignes ne semblent guère préoccuper les médecins. Ainsi, au congrès mondial de dermatologie tenu à Vienne en 1892, Feulard s’étonne d’être « le seul inscrit sur cette question et […] ne laisse pas d’en éprouver un certain embarras449 ».
442- Gibert CM (1840) Traité pratique des maladies spéciales de la peau. Baillière, Paris, p. 250-251. 443- Alibert JL (1832) Monographie des dermatoses ou précis théorique et pratique des maladies de la peau. 1re édition, Daynac, Paris, p. 476. 444- Alibert JL (1835) Monographie des dermatoses ou précis théorique et pratiques des maladies de la peau. 2de édition, t. I, Germer Baillière, Paris. 445- Bazin E (1853) Recherches sur la nature et le traitement des teignes,, op. cit., p. 83. 446- Cité par Guillaume P (1996) Le Rôle social du médecin depuis deux siècles (1800-1945). Association pour l’étude de la sécurité sociale, Paris, p. 97. 447- Faure O (1993) Les Français et leur médecine au xixe siècle. Belin, Paris, p. 241. 448- Parmi les maladies à déclaration obligatoire, on peut citer la typhoïde, le typhus, la variole, la scarlatine, la rougeole, la diphtérie, le choléra. Carvais R (1986) « La maladie, la loi et les mœurs » in Salomon-Bayet Cl, Pasteur et la Révolution pastorienne. Payot, Paris, p. 281-330. 449- Feulard H (1892) « Le favus et la pelade en France » in art. cité.
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Teignes et teigneux
Sabouraud met en pièces l’idée que les différentes formes cliniques de teignes ne seraient dues qu’à un seul type de trichophyton plus ou moins vieilli. En multipliant les expériences et en montrant des cultures par centaines, il identifie près de vingt espèces de champignons et marque ses distances avec les travaux de Gruby dont la méthodologie semble presque archaïque. Avec Sabouraud, la mycologie devient affaire de spécialiste. Les champignons sont plus nombreux que les médecins le pensaient et leur nombre semble compliquer la prise en charge des teignes. Sabouraud inscrit, on l’a vu, son programme de lutte contre les teignes dans la ligne de pensée de Darwin. La création d’un laboratoire municipal à Saint-Louis matérialise l’inquiétude générée par ces maladies pourtant bénignes et pour la plupart d’entre elles spontanément curables. Imprégné par ces nécessités biologiques, Sabouraud s’efforce de montrer que la bénignité des teignes n’est qu’apparente, en dressant le tableau d’une infection sournoise longtemps à peine visible, mais s’étendant progressivement à des milliers d’enfants. Environ 3 000 petits Parisiens en sont selon lui atteints, estimation qui, indique-t-il, sous-estime la réalité en raison de la méconnaissance de la maladie par la plupart des médecins. Bien que finissant « toujours par guérir spontanément […] ce sont des maladies des plus redoutables parmi toutes celles qui peuvent atteindre notre population infantile ». La maladie est d’autant plus inquiétante qu’elle est « presque invisible pour un œil non prévenu ». Elle peut donc ainsi sans attirer l’attention « se répandre sourdement, sans se montrer ». Ce n’est qu’au terme de plusieurs mois que les lésions deviennent visibles au moment où la maladie s’est déjà répandue. Il ne s’agit plus alors d’une épidémie mais d’un « foyer de contagion endémique ». Pignot, adjoint de Sabouraud à l’école des teigneux, confirme cette vision angoissante des teignes qui selon lui seraient même plus graves que d’autres maladies de l’enfant réputées sévères ou même que la syphilis : « La contagion des teignes est plus grande que celle de la coqueluche, de la rougeole ou des oreillons. Mais ce qu’il y a de plus terrible dans leur histoire c’est que non seulement elles ne se vaccinent pas comme ces
dernières, mais que la rougeole et les oreillons durent quinze jours, une coqueluche trois mois, tandis que les teignes dureront des années. Plusieurs maladies ne sont contagieuses que dans la première partie de leur évolution comme la syphilis, les teignes au contraire sont aussi contagieuses à leur dernier qu’à leur premier jour450. »
Pignot insiste d’ailleurs pour que les enfants teigneux ne puissent sortir de l’hôpital où ils sont soignés et pour que soit créé un deuxième hôpital de teigneux en dehors de Paris pour faire face aux nécessités sanitaires qui semblent croissantes451. Ainsi Pignot suppose – sans le garantir tant les chiffres sont aléatoires – que de 1897 à 1900 environ 10 000 teigneux ont été soignés dans les hôpitaux de Paris, c’est-à-dire trois fois plus d’enfants que quinze ans auparavant selon les données produites par Feulard en 1886. Les causes de cette augmentation de patients traités ne sont pas clairement analysées. Une plus grande facilité de recours aux soins est possible. Cependant, à Saint-Louis, on parle plutôt d’une « endémie parisienne » aux dépens des arrondissements où la population ouvrière est la plus dense : 13e, 14e, 15e, 18e, 19e, 20e. Au-delà des nécessités sanitaires, traiter les teignes devient une nécessité de maintien de l’ordre social : « Que deviennent ces enfants teigneux non soignés ? […] au bout de six semaines ils vagabondent. En six mois, leur démoralisation est complète […] C’est pour deux ans et davantage que ces enfants sont hors la loi, sans école sans métier, à l’âge même où la direction de l’éducateur, de l’instituteur est la plus nécessaire […] on leur doit la guérison, on ne les traite pas ; on leur doit l’éducation, on ne la leur donne pas452. »
La création d’un « hôpital spécial de teigneux » en 1897 à Saint-Louis illustre l’évolution de ce nouveau visage des teignes. Les enfants peuvent être scolarisés dans un milieu qui permet au médecin de disposer d’un observatoire sanitaire pour les enfants issus des classes les plus pauvres. Les teignes prennent un visage encore plus dramatique lorsque les médecins s’emparent des générateurs de rayons X pour en faire ce que Sabouraud
450- Pignot M (1900) Étude clinique des teignes. Hygiène publique et prophylaxie des teignes tondantes en 1900 à Paris et dans sa banlieue, op. cit. 451- Le site proposé était celui de l’hôpital temporaire de Moisselles (Seine-et-Oise) qui fut d’abord une colonie pénitentiaire avant d’être acquis par l’Assistance publique pour permettre l’hospitalisation des enfants teigneux venant de l’hôpital de Berck-sur-Mer. Pignot M (1900) Étude clinique des teignes. Hygiène publique et prophylaxie des teignes tondantes en 1900 à Paris et dans sa banlieue, op. cit. 452- Sabouraud R (1895) Diagnostic et traitement de la pelade et des teignes de l’enfant, op. cit., p. 71-91.
Du non-traitement à la radiothérapie
nomme « la solution rêvée » du traitement. Il ne s’agit plus d’arracher les cheveux entre deux ongles ou avec une pince à épiler, techniques accessibles à n’importe quel guérisseur avec un peu d’entraînement. Il s’agit de manipuler un appareillage sophistiqué que les médecins découvrent en même temps qu’ils le perfectionnent et dont les conséquences leur sont inconnues. À dire vrai, les médecins radiothérapeutes de ces années-là ne savent pas ce qu’ils font. De même que quelques années plus tôt la découverte des microbes avait pu faire croire que toutes les maladies étaient microbiennes, la découverte des rayons X peut faire croire que toutes les maladies vont être guéries par ces rayons mystérieux. Les teignes deviennent une indication du même traitement que les cancers. Pour ceux qui les manipulent le danger est là. Rapidement les premiers effets secondaires cutanés sont signalés. Traiter les teignes devient une activité risquée qui donne à la maladie une image encore plus inquiétante contrastant avec la bénignité et la guérison spontanée de la plupart d’entre elles, éléments répétés même par les plus ardents défenseurs des rayons X. Seul, à notre connaissance, Brocq exprima une forme d’autocritique teintée de fatalisme à l’égard de l’utilisation thérapeutique des rayons X qui avaient suscité tant d’enthousiasme. Il insistait sur les accidents qui peuvent survenir « très tardivement, des mois et même des années après la dernière des applications, des accidents tardifs, imprévus pour le malade, déconcertants pour le malade, inéluctables ». Dans cette perspective inquiétante, Brocq faisait valoir, avec un bon sens peu répandu chez les médecins contemporains, la nécessité de n’avoir
recours aux rayons X que « quand il n’existe pas d’autre bonne méthode de traitement et quand la nature du mal à soigner est telle que la possibilité d’apparition de radiodermites tardives est négligeable comparativement aux conséquences qu’entraînerait l’évolution de la maladie ». « Est-il logique, s’interrogeait Brocq, de s’exposer à laisser des alopécies définitives pour traiter une maladie qui guérit spontanément sans aucune alopécie quand l’enfant arrive à l’adolescence ? » Finalement, concluait Brocq « si l’on veut envisager froidement sans parti pris et en dégageant des idées en cours, la question du traitement des teignes tondantes du cuir chevelu des enfants, on s’aperçoit que l’on a vraiment attaché beaucoup trop d’importance à ces affections. Il serait bien possible que dans un avenir plus ou moins prochain, on se contentât d’isoler les teigneux dans des écoles spéciales, les cheveux coupés courts, la tête savonnée tous les jours et les plaques touchées à l’iode ; sans infliger aux enfants des traitements pénibles ou délicats à instituer voire dangereux, pour une affection qui en somme doit guérir toute seule. Mais nous n’en sommes pas là ; avec la mentalité actuelle nous devons soigner les teigneux et j’ajoute que nous devons pour cela recourir aux rayons X453 ».
La question de l’environnement intellectuel marqué par les considérations hygiénistes était posée qui contraignait les médecins à une prise en charge thérapeutique sans relation avec la gravité réelle de la maladie.
453- Brocq L (1917) « Quelques réflexions pratiques sur la radiothérapie », Ann Dermatol Syphilol : 333-356.
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Épilogue : les teignes aujourd’hui
Depuis les travaux de Sabouraud, « pionnier de génie454 », les mycologistes ont perfectionné la connaissance des dermatophytes – champignons filamenteux à mycélium cloisonné, appartenant à la classe des Actinomycètes – et leur mode d’apparition. Le parasitisme d’un dermatophyte commence par la germination d’une spore posée sur la peau. Le filament mycélien qui en naît pénètre dans la couche cornée de l’épiderme à la faveur d’une excoriation. Le mycélium progresse en se reproduisant par dichotomie. Il en résulte un front de progression d’aspect grossièrement circulaire. L’hôte réagit en général par la formation de vésicules ; ainsi se trouve réalisée la lésion dermatophytique élémentaire, l’herpès circiné (le ringworm des Anglo-Saxons). La lésion progresse de façon excentrique alors que le centre déserté par les filaments mycéliens tend à guérir. Lorsque le filament mycélien rencontre un orifice pilaire, il suit la couche cornée de l’épiderme. Le parasite pénètre dans le cheveu et l’envahit de haut en bas. La progression du parasite s’arrête lorsqu’il n’y a plus de kératine, c’est-à-dire à partir du collet du bulbe pilaire. Cependant, la croissance du filament est alimentée par la pousse du cheveu, ce qui peut expliquer qu’en l’absence de traitement certaines teignes puissent avoir une progression indéfinie. Dans le favus, le parasite envahit le cheveu de manière partielle, le cheveu ne casse pas. Les filaments prolifèrent autour des cheveux et forment les godets. Dans d’autres cas, le cheveu se casse au ras du cuir chevelu : teignes trichophytiques endothrix. Ailleurs, le parasite forme autour du cheveu des chaînettes de petites spores (microïdes) ou de grosses spores (mégaspores) ou une gaine de spores tassées en mosaïque (microsporum).
De nombreuses espèces de trichophytons ont été identifiées et des perfectionnements apportés à la classification des champignons microscopiques : Langeron, Michalovitch et Vanbreuseghem classent les dermatophytes en six genres tandis que Badillet classait les teignes en trois groupes455 : les teignes tondantes microsporiques (teigne de Gruby, rarissime en France due à M. Audouini et teigne d’origine animale due à M. Canis), trichophytiques rares en France à transmission interhumaine endothrix exclusive, les teignes suppuratives (sycosis, kérion de Celse), les teignes faviques (T. schœnleinii). Aujourd’hui les teignes sont classées en trois grandes catégories : le favus (qui conserve son autonomie), les teignes endothrix (T. tonsurans, T. soudanense, T. violaceum) et ectothrix (M. audouini, M. canis, M. distortum, M. ferrugineum, M. gypseum, M. nanum, T. verrucosum. Selon leur habitat naturel ou leur hôte préférentiel, ils sont groupés en trois catégories : anthropophiles, zoophiles et géophiles456.
Une maladie devenue bénigne Les teignes du cuir chevelu sont les infections fongiques les plus fréquentes de l’enfant avant la puberté. Elles n’existent pas chez l’homme adulte probablement en raison d’une action fongistatique du sébum au moment de la puberté. En revanche, les teignes tondantes peuvent être observées chez la femme adulte. Le favus suit une évolution différente des autres teignes puisqu’on peut le voir chez l’enfant et chez l’adulte homme et femme. Les examens myco-
454- Sayag J (1989) « Trichophytons, un siècle de progrès », Ann Dermatol Vénéréol 116, p. 947-954. 455- Badillet G (1975) Les Dermatophytes, atlas clinique et biologique, op. cit. 456- Buot G (2007) Dermatomycoses métropolitaines. Encyclopédie médico-chirurgicale, 98-380-A-10, p. 8.
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logiques sont effectués en routine. Le diagnostic clinique de teigne du cuir chevelu ne pose pas de difficulté et les enfants ne souffrent plus de l’exclusion dont ont souffert tant de générations. Quant au milieu de culture des champignons, il conserve le nom de Sabouraud, son inventeur. Dans les premières années du XXe siècle, les trichophyties représentaient plus de la moitié des dermatophyties. Sabouraud faisait d’ailleurs remarquer que vingt ans plus tôt, au début des années 1890, il y avait deux fois plus de teignes microsporiques que de teignes trichophytiques. Il attribuait cette évolution à l’utilisation des rayons X qui permettaient de guérir en moyenne deux enfants par jour, essentiellement des teignes microsporiques, les plus apparentes, c’est-à-dire les plus faciles à reconnaître donc à traiter. À la fin du XIXe siècle, à l’époque de Sabouraud, les espèces rencontrées déterminaient essentiellement des teignes à transmission interhumaine. M. canis, hôte du chien et du chat, était rarement mis en cause dans les teignes humaines. À partir des années 1960, les teignes à transmission interhumaine ont disparu grâce à l’utilisation de la griséofulvine et à une meilleure surveillance des enfants scolarisés. Microsporum canis, importé par les jeunes chats, est devenu l’espèce la plus fréquemment rencontrée jusque dans les années 1980 (fig. 134). Puis à partir de cette date, les teignes à transmission interhumaine sont redevenues prédominantes surtout du fait de deux espèces originaires d’Afrique noire : Trichophyton soudanense et Microsporum langeroni. À Paris, depuis les années 1990, ces espèces anthropophiles sont responsables de près de 95 % des teignes contre de 5 à 6 % pour les espèces zoophiles (lesquelles sont plus fréquentes dans les campagnes)457. Les cas de favus sont aujourd’hui très rares et proviennent essentiellement d’Afrique du Nord. On notera que la prédominance de telle ou telle espèce varie selon les pays. M. canis est plus fréquent en Ita-
lie alors que T. tonsurans prédomine en Espagne de même qu’aux États-Unis, au Canada et en Amérique centrale. La transmission interhumaine est surtout le fait d’habitudes de coiffures traditionnelles ou d’outils infectés (tondeuses). Il ne semble pas exister de contamination interhumaine directe par les dermatophytes zoophiles458. La découverte de la griséofulvine en 1938, dont les premiers essais cliniques ont été publiés vingt ans plus tard, a apporté la vraie « solution rêvée » du traitement des teignes en donnant aux malades un traitement efficace et sans danger459, 460. En 1960, Degos et al., publiant une revue générale française sur le sujet, étaient enthousiasmés par ce nouveau médicament qui renvoyait les antiques appareils à rayons X aux placards des musées de médecine. Les auteurs pouvaient affirmer que « les résultats obtenus par la griséofulvine dans le traitement des teignes sont remarquables […] La griséofulvine rend actuellement inutiles les épilations radiothérapiques de ces teignes et elle assure la guérison rapide du favus461 ». Les molécules plus récentes (terbinafine, itraconazole, fluconazole) ne paraissent pas avoir fait la preuve d’une plus grande efficacité dans le traitement des teignes trichophytiques de l’enfant. Ces nouveaux médicaments peuvent être privilégiés en raison de la plus courte durée de traitement. La question des coûts doit cependant être discutée462. En fait, pour la plupart des auteurs, la griséofulvine reste le traitement de référence, le « gold standard », des teignes du cuir chevelu463. Aujourd’hui, l’éviction scolaire des enfants atteints de teignes n’est plus obligatoire dès lors qu’un certificat médical atteste d’une consultation et de la mise en œuvre d’un traitement adapté. Il est prudent de demander l’examen du cuir chevelu des enfants vivant dans la même collectivité et de renforcer les mesures d’hygiène dans la famille.
457- Feuilhade M, Lacroix C (2001) « Épidémiologie des teignes du cuir chevelu », Presse Med, 2001, 30, 10, p. 499-504. 458- Elewski BE (2000) Tinea capitis : a current perspective », J Amer Acad Dermatol, 42, 1(1), p. 1-22. 459- Oxford AE, Raistrick H, Simonart P (1939) « Studies in the biochemistry of microorganisms LX Griseofulvin C17 H17 O6 Cl, a metabolic product of Penicillium griseofulvium Dierckx », Biochem J, 33 :240-248. 460- Williams DI, Marten RH, Sarkany I (1958) « Oral treatment of ringworm with Griseofulvin », Lancet, 2: 1212-1213. 461- Degos R, Rivalier E, Lefort P (1960) « La griséofulvine », Ann Dermatol Syphil, 87 : 121-144. 462- González U, Seaton T, Bergus G et al. (2007) « Systemic antifungal therapy for tinea capitis in children », Cochrane Database Syst Rev 17;(4):CD004685. 463- Loo DS (2006) « Systemic antifungal agents: an update of established and new therapies », Adv Dermatol 22:101-24.
Épilogue : les teignes aujourd’hui
L’histoire inachevée des enfants teigneux irradiés Jusque dans les années 1950, période des premières utilisations de la griséofulvine, les appareils générateurs de rayons X furent perfectionnés et plusieurs centaines de milliers d’enfants traités464. En 1960, Levy-Lebhar publiait ses résultats sur 18 000 enfants traités, parfois sous anesthésie générale pour les plus jeunes, au cours de la décennie 1950. Selon ces auteurs, le pourcentage de guérisons de teignes était passé de 60 % en 1950 à près de 100 % en 1959. Aucun effet secondaire n’avait été observé. Les auteurs faisaient toutefois remarquer l’intérêt très probable de la griséofulvine qui ferait réserver la radiothérapie aux cas résistant à ce nouveau médicament461. En France, les premiers travaux signalant la survenue d’épithéliomas cutanés après radiothérapie de teignes ont été publiés dans les années 1950. Des publications plus récentes ont confirmé ces complications466. En 1966, Roy et al. comparant deux groupes de près de 2 000 enfants teigneux traités soit par radiothérapie, soit par d’autres méthodes épilatoires font observer un nombre significativement plus élevé de leucémies et de tumeurs cérébrales chez les enfants irradiés467. D’autres travaux conduits par des auteurs israéliens ont apporté de nombreuses informations sur le devenir des enfants teigneux irradiés. Entre 1948 et 1960, environ 20 000 enfants atteints de teignes du cuir chevelu, surtout originaires d’Afrique du Nord et, dans une moindre mesure, de pays du Moyen-Orient, ont été traités en Israël par des radiations ionisantes dans le cadre d’un plan organisé par le gouvernement israélien. Tous avaient moins de seize ans au moment du traitement. Chaque enfant avait reçu une dose moyenne de 1,5 Gy. À partir de 1968, une étude a été mise en place compa-
rant les enfants traités (10 384 patients) à deux groupes témoins : le premier groupe témoin comprenait un nombre égal d’enfants non traités issus du registre national de population et appariés par sexe, âge, origine géographique et date d’arrivée en Israël. Le second groupe témoin était constitué de près de 5 400 enfants frères et sœurs non irradiés. L’incidence des cancers était obtenue à partir du registre national des cancers en place depuis 1960. La durée moyenne de surveillance a été de quarante-six ans. La première étude des conséquences de l’utilisation des radiations ionisantes utilisées dans ce groupe d’enfants publiée en 1974 montre un doublement du nombre de tumeurs malignes cérébrales et de la thyroïde468, résultats confirmés en 1988469 et 1989470. Plus récemment (2005) d’autres recherches sur la même cohorte d’enfants ont montré que le risque, lié à l’irradiation, de voir apparaître des tumeurs cérébrales persiste plus de trente ans après le traitement, surtout chez les enfants irradiés dès leur plus jeune âge471. Quant aux cancers de la thyroïde, le risque augmente régulièrement jusqu’à quarante ans après l’irradiation, délai au-delà duquel il décroît de manière significative472. Les victimes et/ou leurs descendants regroupés en association ont attiré l’attention des pouvoirs publics sur les conséquences des irradiations subies. Un film documentaire (The ringworm children, a tragedy finally unveiled) met en avant l’idée que la radiothérapie aurait été utilisée à titre prophylactique sur des enfants indemnes de teignes. Les malades, la plupart séfarades, victimes selon eux d’une volonté délibérée des autorités sanitaires, ashkénazes, de les éliminer ont obtenu en 1995 une indemnisation pour les préjudices causés473. Aujourd’hui, la surveillance des conséquences tardives de la radiothérapie continue, rappelant que l’histoire ancienne des teignes se poursuit sous d’autres visages.
464- Cipollaro AC, Brody A (1950) « Control of tinea capitis », NY State J Med, 50, p. 1931-1934. 465- Levy-Lebhar G et JP (1960) « Roentgen épilation du cuir chevelu dans le traitement des teignes. Conclusions après 18 000 irradiations dans une collectivité d’enfants marocains », Maroc Med, 39, p. 82-84. 466- Shore RE, Moseson M, Xue X et al. (2002) « Skin cancer after X-Ray treatment for scalp ringworm », Rad Res 157 : 410-418. 467- Roy EA, Brauer EW, Dove DC, Cohen NC et al. (1966) « Follow-up study of patients treated by X-ray for tinea capitis », Am J Pub Health Nations Health, 56 (12): 2114-2120. 468- Modan B, Baidatz D, Mart H et al. (2002) « Radiation-induced head and neck tumors », Lancet, 1 : 277-279. 469- Ron E, Modan B, Boice JD et al. (1988) « Tumors of the brain and nervous system after radiotherapy in childhood », N Engl J Med 319: 1033-1039. 470- Ron E, Modan B, Preston E et al. (1989) « Thyroid neoplasia following low-dose radiation in childhood », Radiat Res 120: 516-531. 471- Sadetzki S, Chetrit A, Freedman L et al. (2005) « Long-term follow-up for brain tumor development after childhood to ionizing radiation for tinea capitis », Rad Res 163: 424-432. 472- Sadetzki S, Chetrit A, Lubina A et al. (2006) « Risk of thyroid cancer after childhood exposure to ionizing radiation for tinea capitis », J Clin Endocrinol Metab, 91(12): 4798-4804. 473- Siegel-Itzkovich J (1995) « Israël compensates for ringworm treatment », Br Med J 310: 350-351.
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Illustrations
Sabouraud peint par Othon Friesz, 1935. Tableau appartenant au Docteur Dominique Sabouraud.
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Fig. 1a – La leçon d’Alibert à Saint-Louis par René Berthon, musée Urbain-Cabrol, Villefranche-de-Rouergue.
Illustrations
Fig. 1b – Jean-Louis Alibert, coll. musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis, Assistance publique-Hôpitaux de Paris.
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Teignes et teigneux Fig. 2 – Porrigo scutulata, planche XXXIX dessinée par TB, gravée par I Stewart. Porrigo scutulata : connu sous le nom vulgaire de ringworm, variété très contagieuse et très difficile à soigner, depuis les Grecs, a rencontré une forte recrudescence en raison de la multiplication des internats et des usines (trad. G. Tilles). Bateman Th (1817) Delineations of cutaneous diseases exhibiting the characteristic appearances of the principal genera and species comprised in the classification of the late Dr Willan and completing the series of engravings begun by that author. Printed for Longman, Hurst, Rees, Orme and Brown, Paternoster-Row, London.
Fig. 3 – Porrigo larvalis, planche XXXVII. Atlas of cutaneous Delineations of cutaneous eruptions by Anthony Todd Thompson, London, Longman, Rees, Orme, Brown and Green, PaternosterRow, 1829 A. Thomson delin., FF Walker sculp. Bateman Th (1817) Delineations of cutaneous diseases exhibiting the characteristic appearances of the principal genera and species comprised in the classification of the late Dr Willan and completing the series of engravings begun by that author. Printed for Longman, Hurst, Rees, Orme and Brown, Paternoster-Row, London.
Fig. 4 – Porrigo furfurans, planche XXXVIII. Atlas of cutaneous Delineations of cutaneous eruptions by Anthony Todd Thompson. London, Longman, Rees, Orme, Brown and Green, PaternosterRow, 1829 A. Thomson delin., FF Walker sculp. Bateman Th (1817) Delineations of cutaneous diseases exhibiting the characteristic appearances of the principal genera and species comprised in the classification of the late Dr Willan and completing the series of engravings begun by that author. Printed for Longman, Hurst, Rees, Orme and Brown, Paternoster-Row, London.
Illustrations Fig. 5 – Porrigo decalvans, planche XL dessinée par TB, gravée par I. Stewart. Porrigo decalvans : variété de porrigo également appelée ringworm qui peut parfois être la conséquence du processus alopéciant de la variété précédente. En fait, la plupart du temps, il n’y a pas de signe de la variété précédente, mais seulement des zones d’alopécie complète lisse au toucher, plus ou moins rondes alors que les cheveux environnant sont d’épaisseur normale (trad. G Tilles). Bateman Th (1817) Delineations of cutaneous diseases exhibiting the characteristic appearances of the principal genera and species comprised in the classification of the late Dr Willan and completing the series of engravings begun by that author. Printed for Longman, Hurst, Rees, Orme and Brown, PaternosterRow, London.
Fig. 6 – Teigne muqueuse, gravé par Khonraad élève à la calcographie royale de J. Goubaud à Bruxelles, imprimé dans le même établissement. Alibert JL (1825) Description des maladies de la peau observées à l’hôpital Saint-Louis et exposition des meilleures méthodes suivies pour leur traitement. Deuxième édition, Auguste Wahlen, Bruxelles.
Fig. 7 – Teigne amiantacée, gravé par Flaes, élève à la calcographie royale de J. Goubaud à Bruxelles, imprimé dans le même établissement. Alibert JL (1825) Description des maladies de la peau observées à l’hôpital Saint-Louis et exposition des meilleures méthodes suivies pour leur traitement. Deuxième édition, Auguste Wahlen, Bruxelles.
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Teignes et teigneux Fig. 8 – Teigne granulée, gravé par Goubaud, élève à la calcographie royale de J. Goubaux à Bruxelles, imprimé dans le même établissement. Alibert JL (1825) Description des maladies de la peau observées à l’hôpital Saint-Louis et exposition des meilleures méthodes suivies pour leur traitement. Deuxième édition, Auguste Wahlen, Bruxelles.
Fig. 9 – Porrigo favosa, planche XLI dessinée par TB, gravée par I. Stewart. Bateman Th (1817) Delineations of cutaneous diseases exhibiting the characteristic appearances of the principal genera and species comprised in the classification of the late Dr Willan and completing the series of engravings begun by that author. Printed for Longman, Hurst, Rees, Orme and Brown, Paternoster-Row, London.
Illustrations Fig. 10 – Porrigo favosa 2, planche XLII dessinée par TB, gravée par I Stewart. Bateman Th (1817) Delineations of cutaneous diseases exhibiting the characteristic appearances of the principal genera and species comprised in the classification of the late Dr Willan and completing the series of engravings begun by that author. Printed for Longman, Hurst, Rees, Orme and Brown, Paternoster-Row, London.
Fig. 11 – Teigne faveuse, gravé par Vanhamme, élève à la calcographie royale de J. Goubaud à Bruxelles, imprimé dans le même établissement. Alibert JL (1825) Description des maladies de la peau observées à l’hôpital Saint-Louis et exposition des meilleures méthodes suivies pour leur traitement. Deuxième édition, Auguste Wahlen, Bruxelles.
Fig. 12 – Varus mentagre, planche XXX, groupe des dermatoses dartreuses. Alibert JL (1833) Clinique de l’hôpital Saint-Louis, Cormon et Blanc, Paris.
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Teignes et teigneux Fig. 13 – Lésions élémentaires des maladies de la peau définies par Plenck. Plenck JJ (1776) Doctrina de morbis cutaneis. Rodolphum Graeffer, Viennae, p. 7.
Fig. 14 – Lésions élémentaires des maladies de la peau définies par Willan. Willan R (1808) On cutaneous diseases. J Johnson, London.
Illustrations Fig. 15 – Arbre des Dermatoses présenté par Alibert à Saint-Louis le 26 avril 1829.
Fig. 16 – Dermatoses teigneuses, colorié par M. Mantois. Alibert JL (1835) Monographie des dermatoses ou précis théorique et pratiques des maladies de la peau. Seconde édition, tome premier, Germer Baillière, Paris.
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Fig. 17 – Teigne tondante, teigne amiantacée, lithographie d’Engelmann. Mahon jeune (1829) Recherches sur le siège et la nature des teignes, JB Baillière, Paris.
Illustrations
Fig. 19 – Teigne faveuse, lithographie d’Engelmann. Mahon jeune (1829) Recherches sur le siège et la nature des teignes. Baillière, Paris. Fig. 18 – Teigne faveuse. Mahon jeune (1829) Recherches sur le siège et la nature des teignes. Baillière, Paris.
Fig. 20 – Favus de la jambe. Rayer P (1835) Traité des maladies de la peau. Atlas. Baillière, Paris.
Fig. 21 – Sycosis de la lèvre inférieure. Rayer P (1835) Traité des maladies de la peau. Atlas. Baillière, Paris.
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Fig. 22 – Sycosis. Cazenave PLA (1856) Leçons sur les maladies de la peau professées à l’hôpital Saint-Louis, 4e fascicule, pl. 16. Labé, Paris.
Fig. 23 – Porrigo favosa. Cazenave PLA (1856) Leçons sur les maladies de la peau professées à l’hôpital Saint-Louis. Boscourt pinxt, Coupé sculp, 6e fascicule pl. 30. Labé, Paris.
Fig. 24 – Porrigo favosa, favus disséminé, Cazenave PLA (1856) Leçons sur les maladies de la peau professées à l’hôpital Saint-Louis. pl. 31. Labé, Paris.
Fig. 25 - Porrigo favosa, favus en cercle. Cazenave PLA (1856) Leçons sur les maladies de la peau professées à l’hôpital Saint-Louis. 7e livraison, pl. 33, Labé, Paris.
Illustrations
Fig. 26 – Porrigo favosa, favus disséminé. Cazenave PLA (1856) Leçons sur les maladies de la peau professées à l’hôpital Saint-Louis, 7e livraison, pl. 32. Labé, Paris.
Fig. 27 – Favus. Hebra F (1858) Atlas der Hautkrankheiten, text
Fig. 28 – Favus. Hebra F (1858) Atlas der Hautkrankheiten, text von Prof Dr Ferdinand Hebra, Bilder Dr Anton Elfinger. Heft II Tafel 2. II Lieferung, aus der kaiserlich-königlichen Hof- und Staatsdruckerei, Wien.
Fig. 29 – Herpes tonsurans. Hebra F (1858) Atlas der
von Prof Dr Ferdinand Hebra, Bilder Dr Anton Elfinger. Heft II Tafel 1. II Lieferung, aus der kaiserlich-königlichen Hof- und Staatsdruckerei, Wien.
Hautkrankheiten, text von Prof Dr Ferdinand Hebra, Bilder Dr Anton Elfinger. I Heft II Tafel 3. I Lieferung, aus der kaiserlichköniglichen Hof- und Staatsdruckerei, Wien.
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Fig. 30 – Herpes tonsurans et favus Heft II Tafel 4 Hebra F (1858)
Fig. 31 – Herpes tonsurans et favus. Hebra F (1858) Atlas der
Atlas der Hautkrankheiten, text von Prof Dr Ferdinand Hebra, Bilder Dr Anton Elfinger. II Lieferung, aus der kaiserlich-königlichen Hof- und Staatsdruckerei, Wien.
Hautkrankheiten, text von Prof Dr Ferdinand Hebra, Bilder Dr Anton Elfinger. Heft II Tafel 5. II Lieferung, aus der kaiserlichköniglichen Hof- und Staatsdruckerei, Wien.
Fig. 32 – Favus turriformis Capillitii (suberinus) et scutularis
Fig. 33 – Tina favosa (tipo), lamina I del grupo de dermatosis phyto parasitarias. J Acevedo, pinto y cromo-lit., Lt de JM Mateu, Valverde 24. Olavide JE (1873) Atlas de la clinica iconografica des enfermadades de la piel o dermatosis, Fortanet, Madrid.
faciei et regionis humeri, Tafel 89 Lith Kunstanstalt v Friedrich Sperl Wien Kaposi M, Handatlas der Hautkranheiten I Abtheilung A-H., Wien und Leipzig, Wihelm Braumüller, 1898.
Illustrations
Fig. 34 – Lamina II del grupo de dermatosis phyto parasitarias. Tina favosa urceolar y lupinosa (en A) y monticulosa o squarrosa (en B). Acevedo pinto ; Lit Foruni, Madrid. Olavide JE (1873) Atlas de la clinica iconografica des enfermadades de la piel o dermatosis, Fortanet, Madrid.
Fig. 35 – Tina favosa de la espalda y cabeza, lamina III del grupo de dermatosis phyto parasitarias. J Acevedo, pinto ; Lt de JM Mateu, Valverde 24, R Soldevila, cromo-lit. Olavide JE (1873) Atlas de la clinica iconografica des enfermadades de la piel o dermatosis, Fortanet, Madrid.
Fig. 36 – Lamina VI del grupo de dermatosis phyto parasitarias. Tina o herpes tonsurante (primer periodo), herpes circinado en la cara y tronco. J Acevedo, pinto ; Lit de JM Mateu, Valverde 24, R Soldevila, cromo-lit. Olavide JE (1873) Atlas de la clinica iconografica des enfermadades de la piel o dermatosis, Fortanet, Madrid.
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Fig. 37 – Lamina VII del grupo de dermatosis phyto parasitarias. Tina o herpes tonsurante (segundo periodo). J Acevedo, pinto ; Lit de JM Mateu, Valverde 24, R Soldevila, cromo-lit. Olavide JE (1873) Atlas de la clinica iconografica des enfermadades de la piel o dermatosis, Fortanet, Madrid.
Fig. 38 – Lamina III del grupo de dermatosis herpetica. Herpétide pustulosa (mentagra herpética). J Acevedo, pinto ; Lit de JM Mateu, Valverde 24, R Soldevila, cromo-lit. Olavide JE (1873) Atlas de la clinica iconografica des enfermadades de la piel o dermatosis, Fortanet, Madrid.
Fig. 39 – Sycosis, W Bagg ad nat del et lith, printed by Hullmandel and Walton. Wilson E (1847) Portraits of diseases of the skin, London, John Churchill, Princes Street, Soho, London.
Illustrations
Figs. 40 et 41 – Favus-honeycomb ringworm, W Bagg ad nat del et lith, Hullmandel and Walton lithographers Wilson E (1847) Portraits of diseases of the skin, John Churchill, Princes Street, Soho, London.
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Fig. 42 – Bibliothèque Henri-Feulard et musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis, vue extérieure. Coll. musée de l’hôpital SaintLouis.
Fig. 43 – Musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis. Coll. musée de l’hôpital Saint-Louis.
Illustrations
Fig. 44 – Moulage n° 1232 vit. 18. Collection générale. Favus squarreux du bras, croûtes énormes. Jeune fille âgée de 12 ans (Vidal, 1887). Coude et avant-bras gauche, face postérieure. Noter les petits godets caractéristiques entre les masses squarreuses (Note de M Sabouraud, 1922).
Fig. 46 – Moulage n° 915 vit. 18. Collection générale. Favus généralisé. Jeune homme âgé de 15 ans (voir le n° 914 dos du même malade) (Besnier, 1883). Dos. Noter les godets reconnaissables même dans les agglomérats, ce qui est rare. (Note de M Sabouraud, 1922).
Fig. 45 – Moulage n° 914 vit. 18. Collection générale. Favus généralisé. Jeune homme âgé de 15 ans (voir le n° 915 dos du même malade) (Besnier, 1883). Cuisse et genou droit. Noter les godets à un ou plusieurs cercles, entre les masses squarreuses (Note de M Sabouraud, 1922).
Fig. 47 – Moulages n° 608-609 vit. 18. Collection générale. Favus généralisé. Face et avant-bras. Femme âgée de 20 ans, domestique (Guibout, 1879). 1° Face 2° Avant-bras et main gauche face dorsale (deux moulages). Dans ce cas, le favus se présente avec ses godets typiques à la face, tandis que, sur l’avant-bras, il se montre sous la forme d’une éruption circinée semée de godets très petits. Les formes de favus (Favus herpeticus) à cercles trichophytoïdes rapprochent les favus à godets des favus sans godets à lésions circinées (Note de M Sabouraud, 1900).
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Fig. 48 – Moulage n° 799 vit. 18. Collection générale. Favus. Cicatrices de favus ancien; le favus existe encore en activité sur les bordures de la presque totalité de celles-ci. Favus excentrique, pièce d’étude (Besnier, 1881). Cuir chevelu.
Fig. 49 – Moulage n° 21 vit. 18. Collection générale. Favus. Godet
Fig. 50 – Moulage n° 2119 vit. 18. Collection générale. Favus de l’avant bras, lésion unique et remontant à deux mois. Femme âgée de 27 ans, fruitière (Observation in Bull Soc Fran Dermatol Syphilol, 1900, p. 120) (Tenneson, 1900). Avant-bras droit face antérieure. L’aspect de la lésion évoque l’idée d’un favus d’origine animale (souris) (Note de M. Sabouraud, 1922).
Fig. 51 – Moulage n° 548 vit. 18. Collection générale. Favus du
favique sur la cuisse (Guibout, 1867). Cuisse et genou, face antéro-interne.
cuir chevelu existant depuis dix ans. Homme âgé de 26 ans ; godets (favi) en reproduction après une épilation. Cette pièce doit être examinée à la loupe (Besnier, 1878). Cuir chevelu.
Illustrations
Fig. 52 – Moulage n° 584 vit. 18. Collection générale. Favus du cuir chevelu ; aspect général. Favus ancien à toutes les périodes ; ilots sains, élevés ; cicatrices déprimées, décolorées ; zones décolorées de dermite favique (Besnier, 1879). Cuir chevelu.
Fig. 53 – Moulage n° 2377 vit. 18. Collection générale. Favus de l’avant-bras (forme circinée). Fillette âgée de 7 ans. Godets faviques au centre de la plaque inférieure; deux godets au pourtour de la plaque supérieure (Hudelo suppléant Du Castel, 1904). Avantbras, face externe.
Fig. 54 – Moulage n° 3059 vit. 18. Collection générale. Favus de la
Fig. 55 – Moulage n° 661 vit. 18. Collection générale. Favus de la
paupière. Jeune homme âgé de 15 ans, garçon livreur (Observation in Bull Soc Fran Dermatol Syphilol, 1921, p. 147) (Jeanselme et Lévy Franckel, 1921). Partie supérieure de la face.
face (Fournier, 1880). Partie inférieure de la face.
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Teignes et teigneux
Fig. 56 – Moulage n° 2304 vit. 18. Collection générale. Favus herpeticus. Garçon âgé de 6 ans. Placard de favus épidermique de la tempe, montrant une série de godets très fins, disséminés sur une surface érythémateuse (Sabouraud, 1903). Région temporale droite.
Fig. 58 – Moulage n° 3144 vit. 18. Collection générale. Favus épidermique. Femme âgée de 21 ans, infirmière (Observation par Jeanselme et Bloch in Bull Soc Fran Dermatol Syphilol, 1923, p. 80) Voir les n°s 3143, épaule et 3145 cuisse de la même malade (Jeanselme, 1923). Avant-bras gauche, face antérieure.
Fig. 57 – Moulage n° 2819 vit. 18. Collection générale. Favus des ongles. Femme âgée de 26 ans atteinte de favus du cuir chevelu. (Les lésions des doigts sont consécutives à un traitement de gale par la frotte). (Brodier suppléant Balzer, 1918). 1° Quatre derniers doigts de la main droite, face dorsale ; 2° Quatre derniers doigts de la main gauche, face dorsale (deux moulages).
Illustrations
Fig. 59 – Moulage n° 1210 vit. 43. Collection générale. Trichophytie circinée (herpès circiné) de la région génito-crurale. La malade âgée de 17 ans présentait une plaque sur l’épaule, une plaque dans le pli interfessier et des plaques nombreuses à la partie interne des cuisses. Les plaques sont circulaires et polycycliques. À leur périphérie, il y a des vésicules saillantes dont un certain nombre sont recouvertes de croûtes noirâtres. On voit aussi des vésicules au milieu de certaines plaques. Constatation de mycélium et de spores de trichophyton à l’examen microscopique (Hallopeau, 1887). Cuisse droite, face antéro-externe.
Fig. 60 – Moulage n° 750 vit. 43. Collection générale. Trichophytie. Érythème vésiculeux circiné trichophytique. Cette affection s’est développée avec une grande rapidité chez un garçon masseur du Hammam. Malgré l’intensité de la végétation parasitaire, le degré élevé de l’irritation dermo-épidermique, la guérison a été obtenue rapidement à l’aide de badigeonnage à la teinture d’iode (Besnier, 1881). Hanche, côté gauche.
Fig. 61 – Moulage n° 1228 vit. 43. Collection générale. Trichophytie circinée de la joue (Quinquaud, 1887). Face, côté gauche.
Fig. 62 – Moulage n° 1710 vit. 43. Collection générale. Trichophytie. Plaque unique de la joue droite. Jeune fille âgée de 13 ans (Besnier, 1893). Partie supérieure de la face, côté droit.
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Fig. 63 – Moulage n° 2292 vit. 43. Collection générale. Microsporie (Inv. 1922). Garçon âgé de 6 ans. Partie latérale gauche du cuir chevelu et oreille. Teigne tondante à petites spores (Gaucher, 1903).
Fig. 64 – Moulage n° 612 vit 43. Collection générale. Microsporie (Inv. 1922). Tondante à petites spores de Gruby ; origine équine probable (Inv. 1900). Cuir chevelu. En dehors de la tondante à petites spores communes, il existe une variété de tondante dont le parasite causal est un microsporon d’origine équine (Bodin). Elle se distingue de la tondante à petites spores commune par une cocarde épidermique faite de deux lisérés rosés concentriques. Variété rare en France (Note de M. Sabouraud, 1900).
Fig. 65 – Moulage n° 259 vit. 44. Collection générale. Trichophytie du cuir chevelu pilaire et épidermique. Garçon âgé de 7 ans (Lailler, 1873). Région occipitale. La teigne tondante trichophytique scolaire ne s’accompagne pas à Paris de cercles semblables et toutes ses lésions sont limitées au seul granité épidermique qui occupe ici la surface des aires envahies. Il s’agit donc d’une tondante trichophytique anormale relevant très probablement d’une origine animale (étendue, circination, etc.). On remarquera le nombre des inoculations épidermiques accessoires qui sont de règle dans toute tondante trichophytique quelle que soit d’ailleurs son origine (Note de M Sabouraud).
Fig. 66 – Moulage n° 871 vit 44. Collection générale. Trichophytie de la cuisse. Homme âgé de 61 ans. Cuisse et genou droit, face interne. Folliculite agminée (Besnier, 1883).
Illustrations
Fig. 67 – Favus du cuir chevelu. Hardy A, Montméja A de (1868) Clinique photographique de l’hôpital Saint-Louis. Chamerot et Lauwereyns, Paris.
Fig. 68 – Sycosis de la barbe Hardy A, Montméja A de (1868)
Fig. 69 – Pelade. Plaques malades avec alopécie complète nette-
Fig. 70 – Teigne tondante. Plaque caractérisée par l’aspect tomenteux de la peau, un piqueté dû à la saillie des cheveux cassés et des bords mal délimités. Lailler Ch (1876) Leçons sur les teignes. Delahaye, Paris.
ment délimitées et présentant l’aspect lisse et brillant de l’ivoire. Lailler Ch (1876) Leçons sur les teignes. Delahaye, Paris.
Clinique photographique de l’hôpital Saint-Louis. Chamerot et Lauwereyns, Paris.
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Fig. 71 – Planche XLVI, trichophytie du cuir chevelu. Chatelain E (1893) Précis iconographique des maladies de la peau, avec 50 planches en couleurs reproduites d’après nature par Félix Méheux. Maloine, Paris. Fig. 72 – Planche XLVII : trichophytie cutanée. Chatelain E (1893) Précis iconographique des maladies de la peau, avec 50 planches en couleurs reproduites d’après nature par Félix Méheux. Maloine, Paris.
Fig. 73 – Planche XLV ; sycosis. Chatelain E (1893) Précis iconographique des maladies de la peau, avec 50 planches en couleurs reproduites d’après nature par Félix Méheux. Maloine, Paris.
Fig. 74 – Félix Méheux. Coll. musée de l’hôpital Saint-Louis.
Illustrations Fig. 75 – Favus (nd). Coll. musée photographique de l’hôpital Saint-Louis.
Fig. 76 – Favus peau glabre (détail), Merklen, 1950. Coll. musée photographique de l’hôpital Saint-Louis.
Fig. 77 – Favus, Touraine, 8 octobre 1946. Coll. musée photographique de l’hôpital SaintLouis.
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Fig. 78 – Johann Lukas Schœnlein. Coll. Institut d’Histoire de la Médecine, Université de Zürich.
Fig. 79 – Buste de David Gruby, cimetière Saint-Vincent, Paris. Coll. Dr Gérard Tilles.
Fig. 80 – Buste de David Gruby, cimetière Saint-Vincent, Paris. Coll. Dr Gérard Tilles.
Illustrations
Fig. 81 – Pierre Louis Alphée Cazenave. Coll. musée de l’hôpital Saint-Louis.
Fig. 82 – Pierre Louis Alphée Cazenave. Coll. musée de l’hôpital Saint-Louis.
Fig. 83 – Ernest Bazin.
Fig. 84 – Ernest Bazin.
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Teignes et teigneux Fig. 85 – Cheveu d’un teigneux arraché de son follicule et couvert de spores du champignon de la teigne (Achorion schœnleinii Remak). Le poil devenu cassant est fendillé à son extrémité libre qui était rompue. Fig. 2 : portion d’une croûte épidermique prise dans le voisinage d’un favus ou godet. Fig. 3 : godets ou favi de la teigne de grandeur naturelle. Robin Ch (1853) Histoire naturelle des végétaux parasites qui croissent sur l’homme et sur les animaux vivants. Atlas de 15 planches. Baillière, Paris. Planche XIII, fig. 1.
Fig. 86 – Planche I, fig. 1 : favus du cuir chevelu. Grossissement 400/1. A, tube de mycélium, vide. BB’, tubes du mycélium sporophores. CC, spores libres. Fig. 2 : cheveu de teigne tondante infiltré de spores. Grossissement 150/1. A, extrémité cassée spontanément. Fig 3 : poil de barbe cassé et infiltré de spores. Grossissement 150/1. A, poil renfermant les spores. B, gaine du poil saine. C, gaine du poil pleine de spores. Fig 4 : pityriasis versicolor. Grossissement de 400/1. AA’, squames épidermiques. BB’, spores en groupes (dans le pityriasis versicolor les spores sont toujours disposées en groupes). C, tube de mycélium. Lailler C (1877) Leçons sur quelques affections cutanées recueillies et rédigées par P Cuffer. Delahaye, Paris.
Fig. 87 – Planche II, teigne tondante, fig. 1 : cheveu très altéré et pourtant arraché avec sa racine, grâce à la résistance de sa gaine. Grossissement 20/1 A, gaine du cheveu. B, racine du cheveu. C, cheveu. D, fragments du cheveu brisé. E, extrémité libre du cheveu reproduite fig. 2 avec un grossissement de 150/1. Fig. 2 : extrémité libre du cheveu de la fig. 1. Grossissement 150/1. A, gaine maintenant les fragments. BB’ B’’, fragments du cheveu infiltré et traînées de spores. CC’, amas de spores ayant dissocié et cassé le cheveu. D, extrémité brisée en balai. Planche II, pelade, fig. 3 gravée en sens inverse. Grossissement de 20/1. Cheveux courts de pelade. A, racine du cheveu légèrement atrophiée et privée de pigment. B, tige de cheveu atrophiée et décolorée. C, extrémité en massue, pigmentée. Lailler C (1877) Leçons sur quelques affections cutanées recueillies et rédigées par P Cuffer. Delahaye, Paris.
Illustrations
Fig. 88 – Émile Vidal. Coll. musée de l’hôpital Saint-Louis.
Fig. 89 – Sabouraud, interne des Hôpitaux de Paris. Coll. Dr Mathieu de Brunhoff.
Fig. 90 – Émile Roux. Coll. musée de l’Institut Pasteur.
Fig. 91 – Ernest Besnier. Coll. musée de l’hôpital Saint-Louis.
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Fig. 92 – Alfred Fournier. Coll. musée de l’hôpital Saint-Louis.
Fig. 93 – Sabouraud (dernières années du
XIXe
siècle). Coll. Dr
Mathieu de Brunhoff.
Fig. 94 – Page de titre de la thèse de Sabouraud. Coll. bibliothèque Henri-Feulard, hôpital Saint-Louis.
Fig. 95 – Sabouraud, directeur du laboratoire municipal des teignes à l’hôpital Saint-Louis. Coll. musée de l’hôpital Saint-Louis.
Illustrations
Fig. 96 – Louis Brocq, buste par Sabouraud. Coll. musée de l’hôpital Saint-Louis.
Fig. 98 – Sabouraud, buste par Despiau. Coll. musée de l’hôpital Saint-Louis.
Fig. 97 – Collection de cultures tuées provenant du musée de parasitologie de l’hôpital Saint-Louis, actuellement exposées au musée des moulages. Coll. musée de l’hôpital Saint-Louis.
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Fig. 99 – Sabouraud, médaille. Coll. musée de l’hôpital Saint-
Fig.100 – Sabouraud dans son atelier de sculpture. Coll. musée de
Louis.
l’hôpital Saint-Louis.
Fig. 101 – Sabouraud. Coll. musée de l’hôpital Saint-Louis.
Fig. 102 – Faire-part de décès de Sabouraud. Coll. musée de l’hôpital Saint-Louis.
Illustrations Fig. 103 – Schéma du cheveu favique. Remarquer d’abord les bulles d’air autour et au-dessus du chevelu ; elles proviennent des trajets mycéliens déshabités que l’air avait remplacés. Les filaments mycéliens, de diamètre différent et variable, sont sinueux ou rectilignes ; ils ne sont jamais si nombreux qu’ils masquent la substance propre du cheveu. Par places, on observe des divisions par tri et tétratomie (tarses faviques) × 300 environ (préparation et dessin de Sabouraud). Sabouraud R (1936) Les Teignes in Darier J, Sabouraud R, Gougerot H et al., Nouvelle Pratique Dermatologique, t. III, Masson, Paris, p. 104.
Fig. 104 – Schéma du cheveu microsporique. Remarquer son écorce sporulaire de spores polyédriques disposées en mosaïque sans montrer de files régulières. De part et d’autre du cheveu on observe sa transparence. Elle entoure le cheveu sans le pénétrer. On voit à peine au-devant du cheveu, l’objectif ayant été mis au point sur le centre même du cheveu. Dans le cheveu même on voit des ramifications mycéliennes toujours peu distinctes. × 400 environ (préparation et dessin de Sabouraud). Sabouraud R (1936) Les Teignes in Darier J, Sabouraud R, Gougerot H et al., Nouvelle Pratique Dermatologique, t. III, Masson, Paris, p. 105.
Fig. 105 – Schéma du cheveu des endothrix. Ici, le parasite remplit la totalité du cheveu sans dépasser sa cuticule. Il est constitué par des filaments mycéliens du type sporulaire rectilignes ou à peine sinueux. × 300 environ (préparation et dessin de Sabouraud). Sabouraud R (1936) Les teignes in Darier J, Sabouraud R, Gougerot H et al., Nouvelle Pratique Dermatologique, t. III, Masson, Paris, p. 107.
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Teignes et teigneux Fig. 106 – Le poil humain entouré par un mégaspore. Le parasite constitue autour du cheveu une cage de filaments sporulés faits de gros éléments (spores de 6 à 8 microns souvent nucléés). Les filaments parasitaires sont disposés autour du cheveu comme une écorce, mais ils peuvent aussi l’envahir. × 300 environ (préparation et dessin de Sabouraud). Sabouraud R (1936) Les Teignes in Darier J, Sabouraud R, Gougerot H, Milian G et al., Nouvelle Pratique Dermatologique, t. III, Masson, Paris, p. 108.
Fig. 107 – Plaque de tondante microsporique. Malade de Payenneville in Sabouraud R (1936) Les Teignes in Darier J, Sabouraud R, Gougerot H et al., Nouvelle Pratique Dermatologique, t. III, Masson, Paris, p. 130.
Fig. 108 – Moulage n° 1051 vit. 43. Collection générale. Trichophytie sycosique agminée de la nuque ; kérion de Celse, homme âgé de 33 ans, palefrenier (Vidal, 1885) Nuque.
Illustrations Fig. 109 – Moulage n° 1679 vit. 43. Collection générale. Trichophytie sycosique agminée de la barbe. Folliculite conglomérée trichophytique. Homme âgé de 41 ans, cultivateur (Quinquaud, 1892). Face et cou, côté gauche. On sait maintenant que ces trichophyties sont d’origine équine et dues à un trichophyton microïde à culture blanche (Trichophyton gypseum) (Note de M Sabouraud, 1922).
Fig. 110 – Moulage n° 1733 vit. 43. Collection générale. Trichophytie de la barbe. Forme pustulo-agminée végétante (kérion de Celse). Trichophytie équine inoculée à l’homme. Trichophyton ectothrix gypseum à cultures blanches (Sabouraud). Observée sur une chiffonnier âgé de 42 ans qui lavait sa figure dans le seau de son cheval, atteint au cou de « plaques boutonneuses ». L’altération adulte et floride du menton et la lésion commençante de la lèvre étaient constituées par une colonie agglomérée de pustules centrées par les poils. Le kérion a été traité par Sabouraud et guéri en trois semaines (cataplasme et teinture d’iode). Selon la règle pour cette espèce, il resta une cicatrice profonde et à peu près alopécique (Besnier, 1893). Partie inférieure de la face.
Fig. 111 – Moulage n° 967 vit. 44. Collection générale. Kérion de Celse. Folliculite agminée trichophytique. Cette pièce a figuré jusqu’en 1894 sous l’étiquette de périfolliculite agminée qui avait été donnée par M. Leloir. (Mémoire publié dans les Annales de dermatologie, sur une variété nouvelle de périfolliculites suppurées et conglomérées en placard, 1884, p. 537.) L’origine trichophytique avait été niée alors parce que les cultures faites en milieu liquide ne permettaient pas le développement du milieu liquide en concurrence avec les bactéries pyogènes. La preuve de la trichophytie et de l’origine équine se tire de l’examen comparatif de ce moulage avec les autres pièces de kérion. Il est dit d’ailleurs dans l’observation 2 du Mémoire que « le malade pansait tous les jours un cheval de trait » (Note de M. Sabouraud, 1900). Homme âgé de 25 ans, porteur de pianos. (Voir le n° 968, même malade huit jours plus tard.) (Fournier, 1884.) Poignet et main gauche fermée, face dorsale.
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Fig.112 – Pelade du cuir chevelu. Hardy A, Montméja A de (1868) Clinique photographique de l’hôpital Saint-Louis. Chamerot et Lauwereyns, Paris.
Fig. 113 – Pelade et herpès circiné sont présents sur la même gravure de l’atlas de Hebra. En haut, alopecia areata ; en bas, herpes tonsurans. Heft II Tafel 7. Nach der Natur gemalt u. Lith. Von Dr Anton Elfinger, Lith. Farbendruck aus der k.k. Hof u. StaatsDruckerei in Wien. Hebra F (1858) Atlas der Hautkrankheiten, text von Prof Dr Ferdinand Hebra, Bilder Dr Anton Elfinger.
Fig. 114 – Tina pelada o pelona, acromatosa, de la cabeza, barba y
Fig. 115 – Caricature de Sabouraud (nd). Coll. archives du musée
muslo (porrigo decalvans). Lamina VIII del grupo de dermatosis phyto parasitarias. J Acevedo, pinto cromo lit ; Lit de JM Mateu, Valverde 24. Olavide JE (1873) Atlas de la clinica iconografica des enfermadades de la piel o dermatosis, Fortanet, Madrid.
de l’hôpital Saint-Louis, dossier Sabouraud, cote ARK 98.
Illustrations
Fig. 116 – Copie d’une affiche concernant la famille Mahon. Coll.
Fig. 117 – Charles Lailler, buste. Coll. musée de l’hôpital Saint-
musée de l’hôpital Saint-Louis, dossier Sabouraud, cote ARK 98.
Louis.
Fig. 118 – Plan de l’hôpital Saint-Louis montrant l’emplacement des écoles Lailler A et B. in L’Assistance publique en 1900.
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Fig. 119 – Salle de classe de l’école Lailler, in L’Assistance publique en 1900.
Fig. 120 – Enfants à l’école Lailler, in Roger-Milès L (nd) La Cité de misère. Marpon et Flammarion, Paris.
Illustrations
Figs. 121-122 – École Lailler, vues extérieures actuelles. Coll. Dr Gérard Tilles.
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Fig. 123 – Henri Feulard, bas relief. Coll. bibliothèque HenriFeulard, hôpital Saint-Louis.
Fig 124 – Salle de radiothérapie des teignes au laboratoire municipal de l’hôpital Saint-Louis à Paris, in Sabouraud R, Les Teignes, Masson, Paris, 1910, p. 779.
Fig. 125 – Radiochromomètre de Benoist, in Belot J (1905) Traité de radiothérapie. Steinheil, Paris, p. 72.
Fig. 126 – Chromoradiomètre de Holzknecht, in Belot J (1905) Traité de radiothérapie. Steinheil, Paris, p. 79.
Illustrations
Fig. 127 – Radiomètre X de Sabouraud et Noiré, in Sabouraud R (1932) Diagnostic et traitement des affections du cuir chevelu, Masson, Paris.
Figs. 128-129 – Séance de radiothérapie, coll. musée photographique de l’hôpital Saint-Louis.
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Fig. 130 – « Avant la radiographie [sic] on dessine sur la tête de l’enfant la série des opérations à faire », in Sabouraud R (1910) Les Teignes, Paris, Masson, p. 787.
Fig.131 – Dispositif du recouvrement des plaques déjà opérées, in Sabouraud R (1910) Les Teignes, Masson, Paris, p. 787.
Fig. 132 – Régions teigneuses épilées par la radiothérapie, vingtcinq jours après l’application des rayons X. Sabouraud R (1910) Les Teignes, Masson, Paris, p. 787.
Illustrations Fig. 133 – Moulage n° 2750 vit. 136. Radiodermite chronique professionnelle progressive. Homme âgé de 30 ans, opérateur radiographe faisant surtout de la radioscopie depuis huit ans. Les altérations unguéales sont dues en partie au contact des bains de développement photographique (Thibierge, 1917). Main gauche, face dorsale. Coll. musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis.
Fig 134 – Tina tonsurante en el gato, trasmitida a varias personas por contagio. Lamina V del grupo de dermatosis phyto parasitarias. J Acevedao into y cromo lit, Lot de JM Mateu, calle de Recoletes, n° 4. Olavide JE (1873) Atlas de la clinica iconografica des enfermadades de la piel o dermatosis, Fortanet, Madrid.
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Index
A Adamson 72, 106 Albarran 36 Alibert V, VII, 1, 5, 6, 9, 10, 14, 15, 17-19, 21, 85, 86, 91, 94, 107, 116, 117, 119-121, 123 Audouin 1, 26, 27, 28 Audry 48 Augagneur 48 B Baglivi 16 Ball 35 Balzer 59, 101, 136 Baretta 22, 96 Barthélémy 100, 101, 106 Bassi 1, 26 Bateman 1, 2, 10, 11, 13, 19, 27, 69, 118-121 Béclère 68-70, 72, 101-103 Benoist 102, 156 Bernard 2, 14, 25, 26, 35 Besnier 2, 3, 6, 38, 39, 47-51, 53-55, 73, 74, 92, 94, 133-135, 137, 138, 145, 151 Bichat 16 Biett 13, 14, 28, 30, 91 Bodin 62, 72, 138 Boerhaave 16 Boissier de Sauvages 1, 9, 12, 13 Bonnaire 39 Bordet 3 Bouchard 41 Brault 102 Broca 25 Brocq V, 3, 48, 54, 56-63, 65, 66, 75, 76, 79-82, 101, 109, 147 Brodier 62, 136
Brouardel 34, 40, 41, Brown-Sequard 2, 25 Budin 36 C Cabanis 17, 18 Calmette 44, 47, 58 Cautru 81-83 Cedercreutz 59, 62, 65 Celse 9, 10, 85, 111, 150, 151 Charcot 23 Chauffard 34, 35 Chauliac 9, 11, 86 Condillac 16, 17 Cornil 40, 51 Cornil-Chantemesse 40 Corvisart 17 D Darier 3, 13, 41, 52-54, 60-65, 101, 149, 150 De Beurmann 58, 59, 79 de Brunhoff IV, VII, 63, 81, 145, 146 Degos 65, 112 Déjerine 39 Demolins 82 Devergie 29, 30, 38, 87 Dieulafoy 41 Donné 23 Doyon 2, 48 Du Bois 59, 62, 64 Dubois 54, 55 Duchenne (de Boulogne) 23 Duclaux 41, 43, 71, 76 Dujardin-Beaumetz 36, 37, 41
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Teignes et teigneux
E
J
Ehlers 48 Elfinger 22, 127, 128, 152 Emery 29, 38, 62
Jacquet 3, 48, 74 Jeanselme 62, 63, 79, 81, 135, 136 Joffroy 41 Jussieu 14
F K Follin 2, 25 Foucault 11, 16, 22, 23 Fournier 2, 38, 41, 48, 49, 51-55, 57, 61, 66, 71, 77, 78, 80, 81, 94, 98, 135, 146, 151 Fox 2, 31, 72 François 62 Freund 3, 100-102
Kaposi 2, 22, 47, 48, 128 Kienböck 106 Kirmisson 41, 42, 47 Klebs 2, 43 Koch 2, 36 L
G Gastou 102 Gaucher 41, 56-61, 75, 76, 138 Gibert 14, 30, 86, 96 Gougerot 3, 51, 60, 62, 149, 150 Grancher 41, 98 Grisolle 28 Guyon 36, 40, 41 H Halkin 59 Hallopeau 38-41, 137 Halty 65, 162 Hardy 2, 5, 11, 23, 24, 30, 38, 51, 139, 152 Hayem 41 Hebra 2, 11, 20-22, 31, 127, 128, 152 Hogg 31 Holzknecht 102, 103, 156 Huchart 40 Hudelo 62, 135 Hutchinson 2, 53
Laennec 16, 18 Lailler 2, 6, 24, 31, 54, 72, 73, 92, 94-97, 100, 102, 138, 139, 144, 153-155 Lancereaux 40 Landouzy 41, 79 Le Dentu 36, 38 Le Play 82 Lebert 2, 25 Lereboullet 41 Leredde 44, 101 Liard 35 Locke 16 Londe 23 Lorry 1, 10, 14, 15, 17 Louste 63, 65, 102 Lucas-Championnière 36, 38 M Malcolm Morris 54, 72 Malmsten 2, 11 Martens 22 Milian 62, 63, 80, 150
Index
Minne 59 Monsseaux 101 Montméja 2, 23, 24, 139, 152 Moutard-Martin 39 Munro 59
Rivalier 61, 63 Robin 2, 25, 29, 30, 41, 70, 144 Roentgen 2, 100 Roger 36, 94 Rosenbach 54
N
S
Netter 65 Nicolle VII, 44, 47, 63, 64, 84 Noiré 58, 102, 103, 106, 157
Sabouraud 33-84, 100-106 Saint-Louis IV, VII, 1-3, 5-7, 9, 10, 13, 14, 16, 22-24, 27-31, 33-36, 38-41, 47-68, 70, 85-92, 94-99, 102108 Schiff 101, 102 Schwartz 39 Sédillot 2 Segond 2, 25, 37 Sergent 47 Sézary 63-65 Simon 14, 34, 62, 64, 65 Soupault 44, 81-83 Strauss 40 Sydenham 11, 12, 16
O Olavide 22, 128-130, 152, 159 Oudin 100, 101 P Pasteur IV, 2, 35, 40-43, 45, 57, 64, 100 Pautrier 62-64, 69, 78, 83, 84 Payenneville VII, 34, 63-65, 82-84, 97, 150 Péan 38 Peyron 50, 54-56 Photinos 59 Pignot 34, 58, 62, 63, 65, 108 Pinel 11, 12, 15, 17 Plenck 1, 5, 12, 13, 15, 17, 122 Poincaré 100 Pollitzer 52 Porak 38 Q Quentin 50 Quinquaud 38, 40, 54, 55, 92, 93, 102, 137, 151
T Tapret 47 Tarnier 36 Tenneson 38, 54-56, 58, 99, 134 Terrier 36, 41 Terrillon 36 Thompson 59, 118 Torti 15 Towne 22 Trousseau 25, 28, 30 U Unna 41, 48, 74, 77, 87
R Rabut 63, 102 Ranvier 61 Ravaut 62, 65 Rayer 2, 14, 22, 25, 86, 89, 125 Redon 63, 81 Régnard 23 Régnier 39 Renault 59, 61 Rendu 56, 57 Richet 41
V Vernes 79 Verneuil 25 Vidal 2, 24, 38-40, 42, 133, 145, 150 Viera 102 Virchow 10, 25 Vulpian 40
163
164
Teignes et teigneux
W
Y
Wassermann 3, 79, 80 Wickham 38, 39, 48, 68, 72 Willan 1, 5, 10, 13-15, 17, 19, 21, 118-122 Wilson 21, 22, 31, 130, 131
Yersin 43, 44, 47