Flaubert épistémologue
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Flaubert épistémologue
FAUX TITRE 346 Etudes de langue et littérature françaises publiées sous la direction de Keith Busby, †M.J. Freeman, Sjef Houppermans et Paul Pelckmans
Flaubert épistémologue Autour du dossier médical de Bouvard et Pécuchet
Norioki Sugaya
AMSTERDAM - NEW YORK, NY 2010
Cover design: Pier Post. The paper on which this book is printed meets the requirements of ‘ISO 9706: 1994, Information and documentation - Paper for documents Requirements for permanence’. Le papier sur lequel le présent ouvrage est imprimé remplit les prescriptions de ‘ISO 9706: 1994, Information et documentation - Papier pour documents Prescriptions pour la permanence’. ISBN: 978-90-420-2985-9 E-Book ISBN: 978-90-420-2986-6 © Editions Rodopi B.V., Amsterdam - New York, NY 2010 Printed in The Netherlands
Remerciements La présente étude est le fruit d’un long travail qui a bénéficié de concours et d’encouragements de nombreuses personnes. Qu’elles trouvent ici l’expression de ma gratitude. M. Jacques Neefs, professeur à l’Université Paris 8, a dirigé pendant plusieurs années mes recherches sur Bouvard et Pécuchet et m’a apporté une aide précieuse par ses conseils utiles. L’équipe Flaubert de l’ITEM-CNRS m’a accueilli en son sein et m’a ainsi donné accès au riche fonds de documentation dont elle dispose. Mme Stéphanie Dord-Crouslé, compagne irremplaçable des études bouvardiennes depuis plus de dix ans, a bien voulu accepter de relire mon manuscrit. Mme Yoko Kudo, professeur émérite à l’Université de Tokyo, m’a fait profiter de ses suggestions stimulantes et m’a encouragé à étudier la section médicale de Bouvard et Pécuchet. Enfin, la genèse de ce travail doit beaucoup à mes amis japonais et français, à mes collégues de l’université Rikkyo, mais aussi et surtout à ma famille. Qu’il me soit permis ici de leur dire mes remerciements les plus vifs.
Introduction Le roman comme mode d’interrogation critique À l’origine du dernier roman inachevé de Flaubert, il y a une configuration tabulaire que l’on trouve dans un fragment de scénario (gg 10, f° 69) : introduction agriculture et jardinage sciences. chimie médecine astronomie géologie III. archéologie histoire IV. littérature Beaux arts esthétique moralité dans l’Art. V. politique élections. Le droit. – le juste VI. Amour VII. philosophie VIII. religion IX. Socialisme Copier !1 I. II.
Il s’agit, bien évidemment, d’une liste de différentes sections des connaissances humaines. Dans le roman, Bouvard et Pécuchet les aborderont les unes après les autres. La conception tabulaire offre ainsi une charpente élémentaire au roman à écrire. Si l’on examine les premiers scénarios de Bouvard et Pécuchet, qui pourraient d’ailleurs être regardés comme des tableaux plus ou moins développés, on se 1
G. Flaubert, Bouvard et Pécuchet, édition d’Alberto Cento, Napoli, Istituto Universitario Orientale / Paris, A.-G. Nizet, 1964, p. 206. Cette édition contient la totalité des scénarios du roman.
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rend compte sans peine du rôle essentiel que cette conception a joué dans la genèse du roman. Dans le premier scénario connu (Carnet 19, f° 41) rédigé probablement en 1862 ou en 1863, on trouve en effet une autre liste de disciplines, qui est comme un embryon de l’aventure encyclopédique des deux bonshommes : 1 jardinage. agriculture. le monde. dandysme 2 littérature politique 3 histoire Socialisme métaphysique religion sciences Essayent d’adopter un enfant – éducation – deux enfants espérant les marier plus tard2
Le roman a donc pris naissance dans un tableau. Ce fait très curieux indique bien la spécificité fondamentale de Bouvard. En effet, une des caractéristiques majeures du roman réaliste du XIXe siècle est précisément la temporalité linéaire. La chronologie des événements y constitue le fil conducteur de l’histoire, abstraction faite de quelques artifices de narration comme les analepses ou les prolepses. Tout au contraire, le tableau encyclopédique d’où est sorti le roman flaubertien est par essence atemporel. Sa configuration est plutôt spatiale, et n’implique en elle-même aucune chronologie intrinsèque. L’ordre selon lequel les deux bonshommes étudient tour à tour ces disciplines s’avère ainsi plus ou moins arbitraire. En témoignent les modifications apportées à cet ordre pendant la phase scénarique. Par exemple, les « sciences » (comprenant la chimie, la médecine, l’astronomie et la géologie), qui avaient d’abord été placées entre la « religion » et l’« éducation », ont été ensuite transférées, dans « Rouen I »3, entre les « Beaux Arts » et l’« Hypnotisme », avant de venir occuper leur place définitive (c’est-à-dire juste après l’« agriculture » et le « jardinage ») à partir de « Rouen II ». Ce que nous suggèrent ces modifications et ces hésitations au cours de la phase avant-textuelle, c’est la permutabilité essentielle des disciplines entre elles et l’impossibilité intrinsèque de fixer la disposition du tableau, malgré tous les efforts que le romancier a faits afin de trouver une configuration naturelle de l’encyclopédie romanesque. 2
G. Flaubert, Carnets de travail, édition de Pierre-Marc de Biasi, Balland, 1988, p. 298. 3 A. Cento a classé chronologiquement les six ensembles scénariques du ms gg 10 et les a nommés respectivement Rouen I, II, III, IV, V et VI.
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Il va de soi qu’un tableau encyclopédique, en tant que tel, ne peut pas constituer un roman. La grande difficulté de la rédaction de Bouvard réside précisément là : comment romancer l’encyclopédie, qui est d’ordre non narratif mais tabulaire ? À cet effet, Flaubert s’efforce d’aménager les cadres traditionnels du roman réaliste comme la psychologie des personnages, les petits épisodes narratifs ou les descriptions de décors. Ayant soin que « chaque ch[apitre] ne fasse pas un Ensemble isolé, un tout en soi », il cherche à « multiplier les attaches et les suspensions » (gg 10, f° 46 v°) et à inventer « un semblant d’action, une espèce d’histoire continue pour que la chose n’ait pas l’air d’une dissertation philosophique »4. Toutefois, il est évident que ces artifices ne parviennent jamais à effacer l’origine non romanesque de l’œuvre flaubertienne. « Bouvard frappe par son aspect schématique, sa structure répétitive [...], son absence d’intrigue [...], son dédain de la chronologie [...], son traitement caricatural des personnages [...], son style d’une exemplaire sécheresse », comme l’a fait remarquer Cl. Gothot-Mersch5. Les éléments proprement romanesques que Flaubert a ajoutés après coup au tableau préexistant ne l’ont pas vraiment transformé en roman réaliste standard. Ainsi, l’incohérence dans la chronologie de Bouvard, qui a été analysée en détail par R. Descharmes6, n’a rien de surprenant si l’on tient compte seulement de son origine atemporelle. La logique des savoirs ne se soumet guère à la logique du vraisemblable que requiert avant tout le réalisme moderne. Il en est de même du statut des deux protagonistes, car leur caractérisation romanesque demeure somme toute minime et extrêmement schématique. Bouvard et Pécuchet ressemblent moins aux personnages de roman réaliste, dotés d’une psychologie subtile, qu’aux personnages de dialogue philosophique qui ont pour rôle d’exposer des concepts abstraits. Dans les dialogues comme ceux de Platon, chacun des personnages représente un système philosophique et en 4
Lettre à Edma Roger des Genettes, 15 avril 1875 ; G. Flaubert, Correspondance, édition de Jean Bruneau et Yvan Leclerc (pour le t. V), Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1973-2007, t. IV, p. 920. Nous indiquerons désormais cette édition par la seule mention Pl. 5 G. Flaubert, Bouvard et Pécuchet, édition de Claudine Gothot-Mersch, Gallimard, « folio », 1979, p. 34-35. 6 René Descharmes, Autour de Bouvard et Pécuchet, Librairie de France, 1921, ch. III.
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expose les concepts majeurs « de manière à les préparer pour les critiques ou les modifications que l’auteur va leur faire subir »7 au moyen de son porte-parole qu’il a mis parmi ces personnages (comme Socrate chez Platon). Dans le cas du « roman philosophique »8 de Flaubert, Bouvard et Pécuchet adoptent et abandonnent l’un après l’autre les divers systèmes scientifiques soit en s’opposant l’un à l’autre, soit en entrant en conflit avec l’un des personnages secondaires. Mais, à la différence des dialogues philosophiques, le roman flaubertien a la particularité de ne pas présenter de porte-parole de l’auteur. Il nous fait assister à un défilé ininterrompu de discours scientifiques, qui s’affrontent sans qu’aucun d’entre eux réussisse à s’imposer comme la vérité absolue et immuable. Prenons pour exemple « la divergence des opinions » agronomiques qui a stupéfié les deux apprentis agronomes : Ainsi, pour la marne, Puvis la recommande ; le manuel Roret la combat. Quant au plâtre, malgré l’exemple de Franklin, Rieffel et M. Rigaud n’en paraissent pas enthousiasmés. Les jachères, selon Bouvard, étaient un préjugé gothique. Cependant, Leclerc note les cas où elles sont presque indispensables. Gasparin cite un Lyonnais qui pendant un demi-siècle a cultivé des céréales sur le même champ : cela renverse la théorie des assolements. Tull exalte les labours au préjudice des engrais ; et voilà le major Beatson qui supprime les engrais, avec les labours ! (p. 80)9
Bouvard et Pécuchet sont comme des lieux impersonnels où se succèdent différents discours du savoir. Des positions contradictoires viennent livrer combat dans cette double figure romanesque (neptunisme vs plutonisme ; girondins vs sans-culottes ; côté romantique vs côté social de George Sand ; matérialisme vs spiritualisme ; etc.). Les difficultés des sciences se manifestent à travers les réactions à la fois naïves et pathétiques des protagonistes. Ainsi, lorsque les deux bonshommes avouent ne pas avoir compris les « Proportions multiples » et qu’ils essaient d’élucider, sans succès, « la loi des équivalents » avec « la théorie des atomes » (p. 106-107), leur incom7
Gilles Deleuze, Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Les Éditions de Minuit, 1991, p. 62. 8 Lettre à Edmond de Goncourt, 11 février 1880 (Pl., t. V, p. 824). 9 Les citations du texte de Bouvard et Pécuchet renvoient à l’édition de Stéphanie Dord-Crouslé, Flammarion, « GF », 1999.
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préhension ne doit pas être attribuée uniquement à leur manque d’intelligence. Au fond, c’est une aporie même de la chimie de l’époque qui se trouve inscrite là dans tout son caractère problématique10. Maupassant, qui a accompagné en un sens la rédaction du roman encyclopédique, a très bien vu sa spécificité : « Dans Bouvard et Pécuchet, les véritables personnages sont des systèmes et non plus des hommes. Les acteurs servent uniquement de porte-voix aux idées qui, comme des êtres, se meuvent, se joignent, se combattent et se détruisent11. » Il est vrai que Bouvard et Pécuchet ne sont pas les créations abstraites de certains romans modernes. Ils ont des traits physiques et psychologiques tout à fait nets (Bouvard : grand, gros, yeux bleuâtres, visage coloré, aimable, farceur, confiant ; Pécuchet : petit, maigre, crâne élevé, sérieux, exalté, discret). Ils sont pleinement impliqués dans les relations sociales de Chavignolles, village fictif de la Normandie, et provoquent souvent des conflits avec les notables de la communauté (« un semblant d’action »). Cette socialité aboutit, à la fin du premier volume, à la descente des gendarmes, catastrophe qui entraîne leur repli sur l’espace de la copie. Leur statut social (copistes retraités) et leur incompétence visible rendent leurs études éminemment comiques. Pourtant, ces concessions, d’ailleurs minces, aux exigences réalistes n’ont apporté au fond aucune modification essentielle au roman des idées. Bien au contraire. Comme l’a bien montré Y. Leclerc, les « systèmes différentiels des personnages » permettent à l’auteur de présenter des couples d’idées scientifiques « d’une façon motivée (pseudo-motivation de l’opinion par le tempérament) »12, et concourent ainsi grandement à l’ordre encyclopédique. À la limite, Bouvard et Pécuchet n’ont même pas d’identité 10
On connaît la grande difficulté que la théorie atomique a eue à s’imposer en France où les chimistes disposaient d’une autre théorie, celle des équivalents, pour expliquer les phénomènes chimiques. La lutte entre équivalentistes et atomistes ne se termine que vers la fin du siècle. La portée épistémologique de l’incompréhension des deux chimistes autodidactes a été analysée par Mitsumasa Wada, « L’épisode de la chimie dans Bouvard et Pécuchet de Flaubert ou comment narrativiser une ambiguïté scientifique », Études de langue et littérature françaises, Société japonaise de langue et littérature françaises, 70, 1997, p. 82-96. 11 Guy de Maupassant, « Étude sur Gustave Flaubert » (1884), dans Pour Gustave Flaubert, Éditions Complexe, 1986, p. 58. 12 Yvan Leclerc, La spirale et le monument, SEDES, 1988, p. 88.
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stable. À chaque étape de leur traversée encyclopédique, ils se déguisent en se donnant un modèle à imiter. Lors des études anatomiques sur un cadavre de carton, ils mettent « des blouses, comme font les carabins dans les amphithéâtres » (p. 109). Le Guide du voyageur géologue de Boué leur apprend comment s’habiller dans les voyages géologiques, et leur fournit le conseil de prendre « la qualité d’ingénieur » (p. 137). Bien que ces essais d’imitation échouent dans la plupart des cas (le manuel de Boué n’a pas réussi à transformer les deux bonshommes en géologues : « Plusieurs fois, on les prit pour des porte-balles, vu leur accoutrement – [...] » p. 13813), ils n’en prouvent pas moins l’inconsistance identitaire des deux personnages. En effet, Bouvard et Pécuchet ont une faculté prodigieuse de mimétisme. Étant « la forme vide d’un désir ouvert sur l’infini du savoir »14, ils ne cessent de se modeler sur les représentants de chaque discipline. Ainsi, Pécuchet essaie de se comparer à Saint Bruno en jardinant « vêtu de la robe de moine » (ici encore, la métamorphose tourne mal : « Ce déguisement pouvait être un sacrilège ; il y renonça » p. 309). Bouvard va plus loin, car il perd même son identité corporelle. M.-J. Durry a fait remarquer une étrange incohérence dans les descriptions successives des cheveux de Bouvard15. Tantôt il a les cheveux frisés, tantôt il est chauve (p. 48, 159, 199, 248). S’agit-il seulement d’un lapsus du romancier ou bien d’autre chose ? On ne le saura pas du fait de l’inachèvement de l’œuvre. De toute façon, il est parfaitement légitime, nous semble-t-il, de considérer cette incohérence comme symptomatique d’un traitement du corps propre au roman encyclopédique. Le corps de Bouvard se métamorphose suivant les modèles qui se présentent chaque fois. Sur ce point, l’analyse d’Y. Leclerc est donc tout à fait pertinente : « La calvitie est localement imposée par les figures du moine et de Béranger, mais l’amoureux de la veuve doit retrouver cet air enfantin qui avait séduit Pécuchet16. » Les discours du 13 Quant à l’imitation des carabins, pourquoi le mot « blouses » n’est-il pas suivi de l’adjectif « blanches » ? Dans le chapitre II, Bouvard et Pécuchet, alors agronomes, allaient aux foires « habillés d’une blouse bleue » (p. 75). Il s’agit probablement des mêmes blouses qu’ils utilisent d’ailleurs plusieurs fois pour des déguisements différents. L’imitation ne peut donc être ici qu’incomplète. Voir également les autres occurrences de la blouse dans le roman (p. 88, 103, 156, 301). 14 Y. Leclerc, op. cit., p. 116. 15 Marie-Jeanne Durry, Flaubert et ses projets inédits, Nizet, 1950, p. 215. 16 Y. Leclerc, op. cit., p. 116.
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savoir traversent profondément l’identité même des deux personnages qui sont, en fin de compte, des espaces libres où les grandes figures de l’Encyclopédie viennent se loger momentanément d’une façon souvent fort caricaturale. Cette inconsistance des personnages invalide une fois pour toutes la vieille question de la critique flaubertienne : Bouvard et Pécuchet sont-ils bêtes ou intelligents ? Ou en d’autres mots, évoluent-ils au fil de leur aventure, ainsi que paraîtrait le suggérer une phrase du chapitre VIII (« Alors une faculté pitoyable se développa dans leur esprit, celle de voir la bêtise et de ne plus la tolérer », p. 298) ? À notre avis, il ne faut absolument pas chercher l’enjeu du roman encyclopédique du côté de la psychologie des personnages. Le philosophe G. Deleuze est probablement le premier à avoir tranché la question : « Il n’y a pas lieu de se demander si Bouvard et Pécuchet sont eux-mêmes bêtes ou non. Ce n’est pas du tout la question. Le projet de Flaubert est encyclopédique et “critique”, non pas psychologique17. » Ce sont donc les idées scientifiques elles-mêmes qui sont mises en cause par le trajet burlesque des deux protagonistes. Le romancier s’exprime clairement sur ce point dans une lettre célèbre à Gertrude Tennant, du 16 décembre 1879 : « Le sous-titre serait : “Du défaut de méthode dans les sciences”. Bref, j’ai la prétention de faire une revue de toutes les idées modernes18. » Il faut absolument prendre au sérieux cette parole de l’auteur et interpréter dans ce sens la formule déjà citée : « roman philosophique ». Conçu d’emblée comme « une espèce d’encyclopédie critique en farce »19, Bouvard est un roman philosophique en ce sens qu’il développe à sa manière (en farce) une critique intense de la bêtise moderne. Ce roman, « qui [a] la prétention d’être comique »20, doit être compris avant tout comme une interrogation fondamentale portant sur les idées reçues et les idées scientifiques. L’entreprise littéraire de Flaubert est profondément esthétique, mais aussi et surtout critique. Au vrai, de nombreux romans du XIX e 17
Gilles Deleuze, Différence et répétition, Presses Universitaires de France, 1969, p. 353. De son côté, Stéphanie Dord-Crouslé avance l’idée d’une « médiocrité fonctionnelle des personnages », indispensable à la cohérence interne de l’œuvre encyclopédique. Voir Bouvard et Pécuchet de Flaubert, une « encyclopédie critique en farce », Belin, 2000, p. 37-38. 18 Pl., t. V, p. 767. 19 Lettre à E. Roger des Genettes, 19 août 1872 (Pl., t. IV, p. 559). 20 Lettres à G. Sand, 1er juillet 1872 et 25 novembre 1872 (Pl., t. IV, p. 543 et 612).
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siècle ont l’ambition d’avoir une portée philosophique plus ou moins considérable. Les écrivains partagent un champ commun d’interrogations avec les philosophes contemporains tels que Cousin, Jouffroy, Damiron ou Auguste Comte. C’est ainsi qu’en 1834, Hugo fait paraître un livre dont le titre est tout à fait significatif : Littérature et philosophie mêlées. Pensons aussi au cas de Balzac qui n’hésite point à développer longuement, au milieu de récits fictifs, ses propres réflexions parfois fort abstraites. Les éléments qui paraîtraient de pures digressions aux lecteurs de nos jours n’en sont pas moins essentiels pour l’auteur de la Comédie humaine dont l’esthétique est sous-tendue par une finalité métaphysique incontestable. D’autre part, il arrive à un philosophe comme Elme-Marie Caro, professeur à la Sorbonne, de s’intéresser vivement à la philosophie de Goethe, qu’il attribue à un certain courant panthéiste désigné sous le nom de la philosophie de la nature. Cette philosophie littéraire n’est en aucune façon un système fortement structuré, mais il s’agit plutôt de « certaines impressions philosophiques qui, d’abord flottantes et vagues, se précisent à la fin et se déterminent »21. Ces impressions, affirme Caro, ne manquent pas de validité spéculative, loin de là : « nous estimons qu’il y a dans l’œuvre de Goethe une manifestation de pensée assez haute, assez puissante, pour mériter d’être étudiée à part et de prendre sa place à côté des grands systèmes que l’Allemagne a produits depuis soixante ans22. » Réciprocité explicite des deux domaines de discours, aujourd’hui de plus en plus séparés. Il est donc tout à fait pertinent, compte tenu de ce contexte historique, d’interroger une œuvre littéraire comme celle de Balzac ou de Hugo sur sa dimension philosophique23. Cette dimension est en effet très visible dans Bouvard et Pécuchet, œuvre remarquable par son extrême densité critique. Dans 21
E. Caro, La philosophie de Goethe, L. Hachette, 1866, p. II. Ibid., p. VII-VIII. 23 Depuis une vingtaine d’années, plusieurs philosophes ont tenté de « défendre la vocation spéculative de la littérature ». Pour en citer quelques exemples parmi d’autres : Pierre Campion, La littérature à la recherche de la vérité, Seuil, 1996 ; Pierre Macherey, À quoi pense la littérature ?, Presses Universitaires de France, 1990 ; Jean-François Marquet, Miroirs de l’identité. La littérature hantée par la philosophie, Hermann, 1996. Les travaux de Jacques Rancière comme La parole muette (Hachette, 1998) ou Politique de la littérature (Galilée, 2007) portent plutôt sur la dimension politique de l’esthétique littéraire. 22
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une lettre à sa nièce Caroline du 8 mars 1880, Flaubert se montre en effet soucieux d’accorder à son roman une « portée philosophique »24, qui est au fond un des enjeux majeurs de son projet littéraire. Du reste, c’est ce souci de doter son œuvre d’un pouvoir critique qui rend compte de son obstination dans le choix du roman. On sait que certains amis de Flaubert considéraient ce choix comme une grave erreur. Taine écrit, dans une lettre à Tourgueneff, qu’« un sujet pareil ne peut fournir qu’une nouvelle de cent pages au plus »25. Les échecs des deux protagonistes « bornés, bêtes » étant parfaitement prévisibles, leur histoire deviendrait vite trop ennuyeuse, voire insupportable. Tourgueneff est du même avis et conseille à Flaubert de traiter le sujet « presto, à la Swift, à la Voltaire »26. La réponse de notre romancier est toutefois intransigeante : « D’ailleurs, il m’est impossible de faire une chose courte. Je ne puis exposer une idée sans aller jusqu’au bout27. » Flaubert prétend que la forme « concise et légère » serait « sans portée ». Mais pourquoi ? Peut-être parce qu’il y manquerait alors quelque chose d’essentiel, qui est, croyons-nous, la présence massive et imposante de la bêtise. En revanche, en se déployant jusqu’à son extrême limite, le sujet peut certainement gagner en portée critique. L’histoire des deux bonshommes ne doit pas être « une fantaisie plus ou moins spirituelle », mais plutôt « une chose sérieuse et même effrayante ». Pour cela, il faut absolument que la bêtise soit exposée dans toute son ampleur et avec toute sa puissance négative. D’où l’importance capitale des notes de lecture que Flaubert a prises pour la préparation des divers chapitres de Bouvard et Pécuchet. Ces notes d’une ampleur considérable, conservées aujourd’hui pour l’essentiel à la Bibliothèque municipale de Rouen sous la cote ms g 226, ne constituent, il est vrai, qu’une des strates génétiques du roman. Elles méritent pourtant d’être étudiées à part, puisqu’elles nous permettent de saisir en action ce que Flaubert appelle la « revue de 24 « Quant à la portée philosophique desdites pages [= le chapitre de la pédagogie], je n’en doute pas » (Pl., t. V, p. 857). 25 Lettre citée par Claude Digeon, Le dernier visage de Flaubert, Aubier, 1946, p. 66. Notons aussi que Maxime Du Camp pensait de même : « C’était un sujet de nouvelle ; mais dans sa longue gestation ce sujet s’était développé dans des proportions démesurées, ajoutant chaque jour quelque nouvel épisode au projet primitif » (Souvenirs littéraires, édition d’Daniel Oster, Aubier, 1994, p. 616). 26 Lettre d’Ivan Tourgueneff à G. Flaubert, 12 juillet 1874 (Pl, t. IV, p. 833). 27 Lettre à I. Tourgueneff, 29 juillet 1874 (Pl., t. IV, p. 843).
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toutes les idées modernes ». Il est certain que la dimension critique de Bouvard est plus manifeste dans les dossiers documentaires que dans le texte définitif. C’est à ce stade préparatoire de l’écriture romanesque que l’écrivain travaille le plus intensément sur les discours du savoir, qu’il tente ensuite de s’approprier et de transformer en représentations romanesques. Il y a plus. Les innombrables citations inscrites dans l’ensemble des notes possèdent déjà une certaine autonomie à l’égard des textes scientifiques d’origine. Elles procèdent directement d’un travail d’écrivain consciencieux, et s’avèrent parfois assez complexes. Ce travail littéraire et épistémologique effectué par le romancier sur les différents savoirs est à l’origine de toute la portée philosophique du roman encyclopédique. Ce qui se joue dans les notes de lecture de Flaubert, c’est donc un véritable mode de pensée critique. Dans les chapitres suivants, nous nous proposons d’aborder le dernier roman de Flaubert en nous intéressant notamment à sa dimension critique. Notre étude aura pour objet les notes de lecture que le romancier a prises en vue de la rédaction de la première moitié du chapitre III, à savoir la section des sciences médicales. Nous admettons que ce choix de corpus est à la fois arbitraire et légitime. Arbitraire, car toutes les disciplines constituantes de Bouvard et Pécuchet auraient pu être étudiées avec profit. Nul doute que l’on aurait trouvé dans chaque section des intérêts particuliers. Mais en même temps, la place prépondérante de la médecine dans ce roman encyclopédique que nous allons montrer dans le chapitre prochain accorde à ce savoir un intérêt tout particulier. Il semble bien que l’examen du dossier médical, comme nous appellerons désormais l’ensemble des notes médicales de Bouvard, pourra nous aider énormément à comprendre cette œuvre énigmatique dans sa dynamique même de genèse. Tout au long de ce travail qui sera ainsi plus ou moins interdisciplinaire, nous essaierons de nous placer au point d’intersection de différents savoirs pour interroger le roman flaubertien sur sa dimension dialogique28. 28
Cette étude s’accompagnera de nombreuses transcriptions diplomatiques des notes de lecture de Flaubert. Elles respectent, autant que faire se peut, la disposition originale du manuscrit ainsi que l’orthographe et la ponctuation souvent fantaisistes de l’écrivain. En revanche, les accents sont restitués pour assurer la lisibilité du texte. Les sigles diacritiques adoptés sont les suivants :
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barré : ratures. italique : ajouts. Les ajouts interlinéaires sont mis en caractères plus petits. /barré/italique : surcharges. Entre les barres figurent les lettres surchargées et à droite, en italique, celles qui surchargent. .....* : lectures conjecturales. [illis.] : mots illisibles. [.....] : interventions du transcripteur
Chapitre I Flaubert et la médecine 1. Roman et médecine En août 1872, Flaubert se met à la documentation préliminaire de son dernier roman qu’il n’achèvera jamais. Significativement, parmi les nombreuses disciplines destinées à fournir les matériaux de son roman encyclopédique, c’est par la médecine que le romancier commence ses travaux de recherche. En témoignent plusieurs lettres datant de cette période, dont voici deux exemples : « Pour cela, il va me falloir étudier beaucoup de choses que j’ignore : la chimie, la médecine, l’agriculture. Je suis maintenant dans la médecine » 1 ; « Aujourd’hui, [...] j’ai lu de la philosophie médicale. ― Car je commence mes grandes lectures pour Bouvard et Pécuchet2. » Dans une autre lettre adressée à Caroline, le 1er septembre de la même année, Flaubert met l’accent sur l’étendue vertigineuse de cette préparation documentaire, indispensable pourtant à la conception même de l’œuvre : « Je lis toujours des bouquins médicaux, et mes bonshommes se précisent. Pendant trois ou quatre mois encore je ne vais pas sortir de la médecine. Mais j’aurai besoin (comme pour toutes les autres sciences) d’une foule de renseignements que je ne puis avoir ici [à Croisset]. Il faudra donc cet hiver, et probablement l’autre, que je sois à Paris, pendant assez longtemps3. » L’érudition médicale aide l’écrivain à concevoir les traits des deux protagonistes et les idées principales de l’intrigue. L’imaginaire romanesque se dessine ainsi petit à petit à travers les investigations encyclopédiques. Ces témoignages épistolaires sont confirmés par une liste bibliographique dans laquelle se trouvent soigneusement notées ces lectures médicales inaugurales. Dans le Carnet 15, f° 64 v°, on lit
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À E. Roger des Genettes, 19 août 1872 (Pl., t. IV, p. 559). À sa nièce Caroline, 22 août 1872 (Pl., t. IV, p. 561). Pl., t. IV, p. 567.
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réellement les titres d’une dizaine d’ouvrages médicaux4. Quelquesunes de ces références n’ont pas donné lieu, semble-t-il, à une prise de notes et ne laissent aucune trace dans le dossier médical, ce qui prouve le caractère encore tâtonnant des recherches menées par Flaubert à ce stade initial. Les titres comme les Fraudes conjugales de Bergeret ou Du vaginisme de Visca5 nous montrent, du reste, que le romancier a d’abord recherché dans le foisonnant univers encyclopédique du comique plus pittoresque que spéculatif. Quoi qu’il en soit, il est significatif que Flaubert ait commencé par s’occuper de la science de sa famille pour se lancer dans cette « entreprise écrasante et épouvantable »6, dont l’extrême difficulté prévue l’effrayait déjà à l’époque. Il est incontestable que la médecine occupe une place privilégiée dans la documentation générale de Flaubert. Dès Madame Bovary, les lectures médicales s’imposent avec l’empoisonnement de l’héroïne par l’arsenic aussi bien qu’avec l’opération du pied-bot. Ce dernier épisode attire particulièrement notre attention, parce que la façon dont Flaubert a mis à contribution le Traité pratique du pied-bot par Vincent Duval (J. B. Baillière, 1839) annonce déjà pleinement la pratique documentaire de Bouvard et Pécuchet. Décidé dès le début à faire éprouver des déboires à son personnage, le romancier cherchait notamment les causes possibles de l’échec de l’opération dans ce livre spécialisé. Le ms g 2234, f° 53 v° porte la trace de cette lecture malveillante7 qui se plaît à retenir deux « difficultés naturelles tenant au sujet » et quatre « bêtises du chirurgien ». Cette récapitulation permet ensuite d’établir un scénario de l’intervention chirurgicale de Bovary, dans lequel se trouvent arrangés ces divers facteurs d’échec : 4
Carnets de travail, op. cit., p. 510. Les références exactes sont : Des Fraudes dans l’accomplissement des fonctions génératrices, dangers et inconvénients pour les individus, la famille et la société, par L.-F.-E. Bergeret, J.-B. Baillière et fils, 1868 ; Du Vaginisme, par P.-F. Visca, Paris, 1er avril 1870 (thèse pour le doctorat en médecine). 6 Lettre à sa nièce Caroline, 22 août 1872 (Pl, t. IV, p. 561). 7 Les deux pages de notes (g 2234, f° 53 r° et v°) prises sur le traité de Duval et qu’on attribuait jusqu’ici à Flaubert lui-même sont en fait de la main de Louis Bouilhet, comme l’a bien montré Éric Le Calvez dans son article : « Mise en texte de l’opération », dans Madame Bovary et les savoirs, Pierre-Louis Rey et Gisèle Séginger (éd.), Presses Sorbonne nouvelle, 2009, p. 36. Flaubert s’est donc appuyé sur les notes de son ami pour rédiger cet épisode crucial, quoiqu’il n’ait pas manqué de consulter lui-même le livre de Duval. 5
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« un tendon dévié, un sujet graisseux », une « erreur de tendon », « une petite piqûre », le fait d’avoir « ficelé fortement le malade »8. L’écrivain recourt donc au savoir médical, non pour faire partager à son personnage des connaissances utiles, mais pour motiver scientifiquement la mésaventure de son opération. Cela implique toutefois un effet étrangement pervers, car le médecin de Yonville consulte aussi le traité de Duval pour se préparer à l’opération du pied-bot. Le lecteur est ainsi amené à supposer que le personnage n’a pas lu tout ce qu’a lu le romancier. Plus tard, dans Bouvard et Pécuchet, Flaubert emploie ce procédé d’une façon plus systématique. C’est notamment dans le chapitre II sur l’agriculture que le décalage entre ses propres lectures et celles des deux bonshommes devient une des ressources principales de la fiction9. L’auteur de Bouvard fait de ses protagonistes des êtres singulièrement aveugles, qui font parfois précisément ce que les manuels recommandent de ne pas faire. Dans notre perspective, il importe de constater ici que la rédaction de Madame Bovary a déjà requis ce type de lecture médicale dont la finalité dépassait largement la simple collecte des détails descriptifs. Depuis, Flaubert n’a jamais cessé de se référer aux livres médicaux. Pour citer ici quelques exemples parmi d’autres, l’auteur de Salammbô a lu le Traité complet de l’hystérie par H. Landouzy (J.-B. et G. Baillière, 1846), qui lui a permis de décrire les malaises de l’héroïne. La scène du Défilé de la Hache l’a amené à lire des cours de physiologie, mais aussi la thèse de Savigny, médecin à bord de la Méduse, concernant les effets de la faim et de la soif (A. Eymery, 1818)10. Pour L’Éducation sentimentale, Flaubert a consulté des traités de clinique afin de décrire le croup du fils de Mme Arnoux. La préparation de La Tentation de saint Antoine a exigé des lectures sur 8
Le texte définitif, contrairement à ce scénario, ne nous informe pas des causes de l’échec. La seule suggestion plus ou moins claire concerne le resserrement de la machine après le premier constat d’échec. Il s’agit là, bien évidemment, de l’effacement de la causalité si particulier à la genèse de l’œuvre flaubertienne. 9 Claude Mouchard a fait remarquer cet aspect fondamental de la documentation flaubertienne dans son article : « Terre, technologie, roman », Littérature, 15, octobre 1974, p. 72. Le problème a ensuite été repris et développé par Y. Leclerc dans La spirale et le monument, op. cit., p. 83. 10 Pour une analyse détaillée des notes de lecture que Flaubert a prises sur la thèse de Savigny, voir Yvan Leclerc, « Flaubert lecteur du Dr Savigny, pour Salammbô », dans Les réécritures littéraires des discours scientifiques, textes réunis par Chantal Foucrier, Michel Houdiard, 2005, p. 225-239.
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l’hallucination dont le Carnet 16 bis porte trace. Les lectures médicales se poursuivent jusqu’aux Trois Contes, ainsi qu’en témoignent, entre autres, les notes sur la pneumonie prises pour Un Cœur simple. Aussi peut-on affirmer que la documentation médicale a accompagné l’écriture romanesque de Flaubert tout au long de sa vie. Cela n’a d’ailleurs rien d’étonnant de la part d’un écrivain qui déclarait qu’« il faudrait tout connaître pour écrire »11. Au vrai, les recherches documentaires qu’il a effectuées pour ses différentes œuvres embrassent à peu près tous les domaines du savoir, ce qui n’empêche pas toutefois que la médecine constitue une des sections les plus importantes dans cette immense bibliothèque de notre romancier savant. Il n’est pas besoin d’insister sur le milieu familial de Flaubert qui rend compte, au moins en partie, de cette prépondérance donnée au savoir médical. Notre romancier, fils d’un célèbre chirurgien en chef à l’Hôtel-Dieu de Rouen, se familiarisait avec le milieu médical depuis son enfance. C’est ainsi que Flaubert évoque, dans une lettre à L. Colet du 7 juillet 1853, une ambiance toute particulière dans laquelle il a été élevé : « L’amphithéâtre de l’Hôtel-Dieu donnait sur notre jardin. Que de fois, avec ma sœur, n’avons-nous pas grimpé au treillage et, suspendus entre la vigne, regardé curieusement les cadavres étalés 12 . » Voisinage quotidien avec la mort, dont la loi implacable s’oppose le plus souvent aux efforts des sciences médicales. On dirait que cette scène est déjà typiquement flaubertienne, mettant en œuvre une ironie de la Nature qui fait contraste avec la chose humaine. Peut-être s’agit-il là d’une illusion rétrospective qui nous incline à penser que toutes les œuvres d’un écrivain sont en germe dès son enfance. Il n’en reste pas moins que ce voisinage avec le monde de la médecine a été d’une importance déterminante pour la création littéraire de Flaubert. En somme, il est tout naturel que la documentation médicale, avec la documentation religieuse, ait joué un rôle remarquable dans la genèse des romans flaubertiens. Le romancier a d’ailleurs souligné plus d’une fois la fascination que le savoir médical exerçait sur lui : « C’est une chose étrange, comme je suis attiré par les études médicales (le vent est à cela dans les esprits). J’ai envie de disséquer. 11 12
Lettre à L. Colet, 7 avril 1854 (Pl, t. II, p. 544). Pl., t. II, p. 376.
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Si j’étais plus jeune de dix ans, je m’y mettrais13. » Or, cette fascination ne faisait point exception à l’époque, et était partagée par bien d’autres écrivains. De fait, il est très important de noter que la médecine était un véritable lieu de référence pour les romanciers du XIXe siècle en général. La plupart d’entre eux fréquentaient aussi les ouvrages médicaux, et Flaubert n’était pas le seul à aller recueillir chez les médecins des renseignements nécessaires pour ses romans. Le cas des romanciers dits réalistes ou naturalistes est particulièrement illustratif. Ces écrivains, très soucieux de la véracité des détails descriptifs, ont recouru aux sources médicales chaque fois qu’ils avaient besoin de se renseigner sur les symptômes d’une maladie et sur les effets successifs des moyens thérapeutiques que l’on utilise dans tel ou tel cas. Quand Zola a envisagé, par exemple, de décrire l’alcoolisme de Coupeau dans L’Assommoir, il s’est mis sans hésitation à consulter l’ouvrage du docteur Magnan, De l’Alcoolisme, des diverses formes du délire alcoolique et de leur traitement (A. Delahaye, 1874). Cette collecte des « signes et [...] symptômes qui ont une valeur descriptive », que nous appelons à la suite de J.-L. Cabanès la « documentation clinique »14, était une pratique largement répandue chez les romanciers de la seconde moitié du siècle. La vocation littéraire exigeait à l’époque une connaissance médicale plus ou moins étendue qui servait de garant à l’aspect réaliste de l’œuvre. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre cette affirmation un peu naïve des Goncourt qui prétend, dans la préface de La fille Élisa, qu’« il [leur] a été impossible parfois de ne pas parler comme un médecin »15. De même, les lectures médicales de Flaubert que nous venons de rappeler relèvent aussi, pour la plupart, de cette catégorie de documentation. Ainsi, dans les scénarios de Madame Bovary, l’écrivain se propose d’aller chercher des « détails médicaux et précis »16 en vue de décrire l’agonie d’Emma. Il a effectivement mis à contribution le Traité de médecine légale de Mateo Orfila (3e édition, Béchet jeune, 1836, 4 vol.) avec l’article « Arsenic » du Dictionnaire de médecine 13
Lettre à Ernest Feydeau, 29 novembre 1859 (Pl., t. III, p. 59). Jean-Louis Cabanès, Le Corps et la Maladie dans les récits réalistes (1856-1893), Klincksieck, 1991, t. 1, p. 210. 15 Edmond et Jules de Goncourt, Préfaces et manifestes littéraires, Genève, Slatkine Reprints, 1980, p. 48. 16 gg 9, f° 11 et 37 (Plans et scénarios de Madame Bovary, édition d’Yvan Leclerc, CNRS Éditions / Zulma, 1995, p. 11 et 19). 14
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(2e édition, Béchet jeune et Labé, t. IV, 1833 ; les auteurs de l’article sont Orfila, E. Soubeiran et Alp. Cazenave). Si l’on compare le texte du roman avec les notes de lecture prises sur ces ouvrages17, on se rend compte tout de suite de l’importance de la documentation médicale chez Flaubert. En effet, tous les symptômes que l’héroïne présente sur son lit de mort, saveur âcre analogue au goût d’encre, soif, étouffement, nausée, douleur causée par la pression sur l’estomac, etc., ont été puisés dans les observations proprement cliniques. Les textes médicaux informent ainsi la description romanesque du corps souffrant. Cependant, il est clair que la documentation clinique n’était pas le seul usage littéraire de la médecine. Les écrivains de l’époque s’inspiraient souvent des lectures médicales non seulement sur le plan des détails descriptifs, mais aussi sur celui des idées philosophiques et esthétiques. Stendhal nous en offre un bon exemple. On sait que Henri Beyle s’est passionné dans sa jeunesse pour l’Idéologie, et a élaboré ses propres pensées à partir de ce système philosophique fondé sur l’analyse physiologique et dont Cabanis, célèbre médecin-philosophe, est un représentant incontesté. Pour citer un autre exemple, l’influence de Claude Bernard sur Zola, ainsi que l’adhésion quelque peu naïve de ce dernier à la théorie médicale de l’hérédité, sont également bien connues. Quant à Flaubert, qui n’est en aucune façon partisan d’un système, il reconnaît pourtant, semble-t-il, à la médecine une certaine portée philosophique lorsqu’il apprécie, par exemple, Bichat et Cabanis : « Savez-vous ce que je lis pour me distraire maintenant ? Bichat et Cabanis, qui m’amusent énormément. On savait faire des livres dans ce temps-là. Ah ! que nos docteurs d’aujourd’hui sont loin de ces hommes !18 ». Il faut donc évoquer la dimension philosophique de la médecine pour comprendre véritablement ce rapport étroit des deux domaines de discours (littéraire et médical) qui paraissent de nos jours irrévocablement séparés l’un de l’autre. Si la médecine pouvait alors stimuler l’intérêt de tant d’écrivains, c’est qu’elle s’interrogeait sur des problèmes généraux dont la portée ne se limitait point à la dimension 17 Ces notes, conservées actuellement à la Bibliotheca Bodmeriana, Cologny-Genève, ont été publiées par Douglas Siler, « La mort d’Emma Bovary : sources médicales », Revue d’Histoire littéraire de la France, juillet-octobre 1981, 4-5, p. 719-746. 18 Lettre à G. Sand, 14 novembre 1871 (Pl, t. IV, p. 411).
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technique. La littérature et la médecine se rencontraient dans des interrogations communes comme celles-ci : qu’est-ce que la vie ? qu’est-ce que la mort ? quels sont les rapports du physique et du moral ? Rappelons que l’une des œuvres principales de Bichat a pour titre les Recherches physiologiques sur la vie et la mort (1800), et que bien des écrits médicaux de l’époque, à la suite du grand ouvrage de Cabanis, s’intitulent les Rapports du physique et du moral. Le titre seul, en effet, se révèle parfois fort éloquent. Nombre de livres médicaux du XIXe siècle présentent les mots « philosophie » et « philosophique » dans leurs titres. L’exemple le plus célèbre est sans doute la Nosographie philosophique de Ph. Pinel (1798). On en trouve aussi quelques exemples parmi les lectures médicales de l’auteur de Bouvard et Pécuchet : Traité philosophique de médecine pratique par A. N. Gendrin ; Essai sur la philosophie médicale et sur les généralités de la clinique médicale, précédé d’un résumé philosophique des principaux progrès de la médecine par J. Bouillaud ; Histoire philosophique et médicale de la femme par Menville de Ponsan ; De la physiologie dans ses rapports avec la philosophie par J.-J. Virey. Ce dernier, dans l’introduction de son ouvrage, met l’accent sur la nécessité de lier la philosophie et la physiologie : « Il faut, autant qu’on le peut, contrôler les connaissances intellectuelles par les corporelles, afin qu’elles se servent de démonstration réciproque19. » Pour ce médecin vitaliste, l’utilité philosophique de la médecine ne fait donc aucun doute, comme d’ailleurs pour Menville de Ponsan qui prétend que « les connaissances de l’homme physique doivent apprendre quelles sont les routes, les avenues de l’esprit humain, c’est-à-dire la véritable philosophie »20. Les auteurs médicaux croient ainsi sincèrement à la vocation spéculative de leur savoir scientifique, destiné à étayer toutes les autres disciplines. Cette prétention, que l’on trouverait aujourd’hui bien illusoire, se trouve toutefois entérinée par les philosophes contemporains. Citons, par exemple, un ouvrage d’Eugène Lerminier : De l’influence de la philosophie du XVIIIe siècle sur la législation et la sociabilité du XIXe. Ce professeur du Collège de France, grand admirateur de l’esprit des 19 J.-J. Virey, De la physiologie dans ses rapports avec la philosophie, J.-B. Baillière, 1844, p. VIII. 20 Menville de Ponsan, Histoire philosophique et médicale de la femme, seconde édition, revue, corrigée et augmentée, J.-B. Baillière et fils, 1858, t. I, p. VI.
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Lumières et dont la naïveté intellectuelle pourrait nous rappeler celle d’Homais, s’attache à établir un parallèle entre la philosophie allemande et la philosophie française : « L’Allemagne se développa sous l’influence de Kant ; en France tout sortit de Condillac21. » Face à l’idéalisme allemand, la spécificité de la pensée philosophique de la France réside justement dans le courant sensualiste. Cette opposition somme toute assez banale devient intéressante dans la mesure où elle amène l’auteur à valoriser « la philosophie physiologique » basée sur « la science de l’homme physique ». Lerminier évoque alors plusieurs penseurs appartenant à cette tradition nationale : Cabanis, Bichat, de Tracy, Volney, Garat, Laromiguière, Broussais, Magendie. Parmi ces auteurs, quatre au moins peuvent être considérés comme proprement médicaux (Cabanis, Bichat, Broussais, Magendie). Le savoir médical s’affirme ainsi comme le fondement même de toute connaissance humaine : « c’est à la médecine française à doter la France d’une philosophie de la nature et de l’homme22. » Au point de vue du progrès scientifique, on peut considérer que la médecine n’était pas encore arrivée à l’époque à se constituer comme une science moderne. Fortement entachée de moralisme et de métaphysique, elle procédait par tâtonnements tout en cherchant son identité stable et sa sphère propre. Dans la seconde moitié du siècle, Claude Bernard s’est appliqué à chasser les problèmes philosophiques du domaine médical dans le but de fonder ce qu’il appelait lui-même la médecine expérimentale. Toutefois, on sait que son Introduction à la médecine expérimentale, qui affiche un renoncement total à la dimension métaphysique, n’en a pas moins été à l’origine d’une doctrine littéraire qui est le roman expérimental de Zola. Ce fait paradoxal montre, nous semble-t-il, à quel point il était difficile pour la pensée médicale de se débarrasser complètement de ses vieilles scories philosophiques. Somme toute, la médecine du XIX e siècle, susceptible de franchir les frontières des disciplines, se voulait en surplomb par rapport à l’ensemble de la science de l’homme.
E. Lerminier, De l’influence de la philosophie du XVIIIe siècle sur la législation et la sociabilité du XIXe, Mme Prévost-Crocius et Didier, 1833, p. 99. 22 Ibid., p. 100. 21
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g 2234 ; f° 53 v° (extrait) (notes sur le Traité pratique du pied-bot de V. Duval) [...] – tissu cellulaire graisseux – – déplacement du tendon – etc – bêtises du chirurgien – 1° une piqûre trop petite – emmenant l’ecchymose, l’érisypèle l’œdème – l’abcès – 2° une pression trop forte de la machine produisant l’escarre, et avant des douleurs atroces – 3° le tendon piqué ou mal coupé – donnant le tétanos, ou au moins des convulsions énormes. 4° il peut, s’il est tout à fait ignorant, se tromper de tendon – confondre le genre de pied-bot se perdre dans le valgus et l’équin, et produire ainsi un genre de pied-bot inconnu à la science – un peu plus incommode – (se rappeler les opérations du strabisme (même farine.) –––––––––– Bovary - a eu un tendon dévié, un sujet graisseux. (erreur de tendon.) – il a fait une petite piqûre – et ficelé fortement le malade. – souffrances atroces – convulsions – – on regarde – ecchymose, œdème érisypèle [illis.] – on reboucle –– malgré les cris – escarre – continuation de la gangrène, jusqu’à l’amputation – Du reste le malade fait ce qu’il faut pour aider la maladie idée des paysans sur la diette – et l’eau de vie fortifiante – – difficultés naturelles tenant au sujet –
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2. Lectures médicales pour Bouvard et Pécuchet Procédons maintenant à la description du dossier médical, qui fait partie de l’énorme ensemble des « recueils de documents divers rassemblés par Flaubert pour la préparation de Bouvard et Pécuchet ». Cet important dossier (g 2267, f° 24-158) 23 se compose de 136 feuillets, soit 233 pages, si l’on omet 2 pages de brouillons (f° 145 v° et 146 v°) et 2 pages de notes n’ayant aucun rapport avec la médecine (f° 49 v° et 149 v°). Constitué principalement de notes de lecture prises sur différents livres médicaux, il comprend également 14 pages de « notes de notes » (f° 138-146) qui sont comme des scénarios embryonnaires, auxquelles s’ajoutent 3 pages de listes bibliographiques (f° 147-148 v°) et 5 pages récapitulant des extraits orientés manifestement vers le second volume (f° 154-157 v°). En tête du dossier, on trouve une « liste des auteurs consultés » (f° 25-26) dressée par Edmond Laporte, ami du romancier. Cette liste est toutefois loin d’être exhaustive et présente bien des lacunes. Comme l’a fait remarquer Ch. Lacaille, Laporte n’a retenu, en général, que « les titres portés en haut et au recto des feuillets »24, sans compter que Flaubert a laissé quelques citations sans référence. Il convient de rappeler d’ailleurs que les notes placées au début et à la fin du dossier (10 ouvrages en tout) ne sont pas répertoriées dans cette liste liminaire. Tout compte fait, le nombre des ouvrages médicaux regroupés dans ce dossier se monte au total à soixante-neuf. En outre, il ne faut pas oublier que parmi ces titres se trouve le Dictionnaire des sciences médicales en 60 volumes, sur lequel Flaubert a pris 42 pages de notes. Aussi faut-il admettre que le romancier n’a rien exagéré lorsqu’il écrivait à Madame Roger des Genettes, le 12 juillet 1877 : « la médecine ― 16 pages ― qui contiendront plus de cent volumes »25. 23
Pour la transcription diplomatique de l’ensemble de ce dossier, nous renvoyons au second tome de notre thèse de doctorat : Les sciences médicales dans Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert, sous la direction de Jacques Neefs, Université Paris VIII, 1999. Nous tenons à signaler que le projet d’édition électronique de la totalité des dossiers documentaires de Bouvard est actuellement en cours sous la responsabilité de Stéphanie Dord-Crouslé : http://dossiers-flaubert.ish-lyon.cnrs.fr (site en construction). 24 Christophe Lacaille, « En marge du dossier médical de Bouvard et Pécuchet », Dix-neuf / vingt, 7, mars 1999, p. 192. 25 Pl., t. V, p. 260.
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C’est, en effet, cette étonnante épaisseur épistémologique qui est à l’origine de l’extrême densité critique de la prose flaubertienne dans Bouvard. Dans la suite de cette étude, nous essaierons de saisir le sens de cet excès documentaire, dont l’écriture romanesque représente précisément une condensation esthétique. Pour ce qui est de la composition générique du dossier, on pourrait dire que Flaubert a lu toutes sortes de livres : traités de clinique et de pathologie, livres de médecine populaire, traités des erreurs populaires ou de tératologie, la célèbre Histoire des sciences médicales de Ch. Daremberg, études de philosophie médicale, traités sur la femme (qui constituaient un genre spécifique dans la littérature médicale de l’époque), manuels d’hygiène, de nombreux traités de physiologie, et enfin le Dictionnaire des sciences médicales (véritable référence du temps dont les tomes non coupés ornent également le cabinet de Charles Bovary), etc. Seule l’anatomie manque dans ce dossier. Dans le texte du roman, Bouvard et Pécuchet empruntent à Vaucorbeil le Nouveau manuel de l’anatomiste d’Alexandre Lauth, dont Flaubert a consulté lui-même la deuxième édition (F.-G. Levrault, 1835) ainsi que le prouvent les brouillons en renvoyant à une page de l’ouvrage (g 2253, f° 243 et 244). Les mêmes brouillons révèlent aussi l’existence d’une autre source de l’épisode anatomique : le Nouveau traité élémentaire d’anatomie descriptive d’Alexandre Jamain (3e édition, Germer Baillière, 1867). D’autre part, la Correspondance nous apprend que Flaubert a probablement lu le Traité d’anatomie descriptive d’Hippolyte Cloquet (Crochard, 1816)26. Toutes ces lectures anatomiques ont-elles laissé ou non des notes ? Dans l’état actuel de nos connaissances, il n’est pas possible d’avancer une réponse solide sur ce point. Par ailleurs, la part accordée aux livres de vulgarisation dans ce dossier n’est pas aussi grande que le laisserait attendre la place importante occupée par la « médecine Raspail » dans le texte du roman. Nous donnons ici quelques chiffres comme indices. Parmi les 62 auteurs qui composent le dossier médical, il y a 28 membres de l’Académie de médecine27 et 16 professeurs de la Faculté de méde26
Lettre à M. Du Camp, 14 mars 1877 (Pl., t. V, p. 203). Par ordre d’apparition dans le dossier : Caizergues, Lasègue, Trousseau, Tardieu, Andral, Jaccoud, Desnos, Réveillé-Parise, Capuron, Richerand, Piorry, Debove, Daremberg, Du Castel, Adelon, Lallemand, Bourdon, Cl. Bernard, Littré, Chauffard, 27
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cine de Paris28. (À ce propos, n’oublions pas que dans la première moitié du XIXe siècle, Paris était, selon l’expression d’E. H. Ackerknecht, « La Mecque des étudiants en médecine venus de tous les coins de la planète »29.) Il faut ajouter aussi 2 professeurs de la Faculté de Montpellier (Caizergues et Lallemand) et un autre de Strasbourg (Küss). De plus, le dossier contient 7 thèses de doctorat ou d’agrégation, et 2 dissertations destinées spécialement aux concours pour les chaires à la Faculté, sans compter que certains ouvrages sont en fait des thèses remaniées. Ces chiffres témoignent suffisamment du sérieux de la documentation flaubertienne et de sa visée critique. Du moins dans le cas du dossier médical, l’intérêt de l’auteur de Bouvard se porte non seulement sur le comique primitif de certaines pratiques visiblement ridicules comme la cigarette Raspail, mais aussi et surtout sur des problèmes scientifiques spécialisés, dont celui de la nature de la fièvre typhoïde que nous analyserons plus loin offre un exemple tout à fait éclairant. Relevant ainsi de divers genres de la littérature médicale, le dossier médical de Flaubert est doté en outre de frontières particulièrement poreuses au point de vue épistémologique. Il comprend quelques ouvrages qui ne se rattachent à la médecine qu’indirectement, tandis que plusieurs livres médicaux se trouvent dispersés dans les autres dossiers. Ainsi, le dossier « Philosophie » contient des notes prises sur le Cours de pathologie interne d’Andral et sur La Médecine, histoire et doctrines de Daremberg. Ce dernier ouvrage est cité dans la liste des livres médicaux établie par Laporte, ce qui prouve que Flaubert l’a d’abord consulté pour le chapitre III avant de transférer ses notes de lecture dans le dossier philosophique. Dans le dossier « Socialisme » se trouvent classées les notes concerBouillaud, Moreau de la Sarthe, Cloquet, Virey, Lévy, Hufeland, Pidoux et Dechambre. Voir l’Index biographique des membres, des associés et des correspondants de l’Académie de médecine, 1820-1990, 4e édition, Académie de médecine, 1991. 28 Lasègue, Cabanis, Trousseau, Tardieu, Andral, Jaccoud, Richerand, Piorry, Debove, Daremberg, Adelon, Becquerel, Chauffard, Bouillaud, Moreau de la Sarthe et Béraud. Voir Françoise Huguet, Les professeurs de la faculté de médecine de Paris. Dictionnaire biographique 1794-1939, Institut national de recherche pédagogique / Éditions du CNRS, 1991. 29 Erwin H. Ackerknecht, La médecine hospitalière à Paris (1794-1848), traduit de l’anglais par Françoise Blateau, Payot, 1986, p. 64.
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nant le célèbre ouvrage de Parent-Duchâtelet sur la prostitution. Enfin, Flaubert a rangé dans le dossier « Religion » les notes prises sur deux ouvrages médicaux qui témoignent d’un certain intérêt religieux (Belouino, Buchez). Tout cela confirme, du reste, ce que nous avons dit à propos du caractère surplombant de la médecine de l’époque. Se définissant volontiers comme le fondement de la science de l’homme, le savoir médical du XIXe siècle n’hésitait point à intervenir dans les autres domaines du savoir. Particulièrement important est le problème de la composition historique du dossier médical. Il s’agit là de repérer dans quel horizon historique se situent les lectures préparatoires de Flaubert pour le chapitre III. Ainsi, le dossier comprend ― si l’on tient compte de la première édition de chaque ouvrage, et non de l’édition utilisée par le romancier ― 2 ouvrages du XVIIe siècle, 8 du XVIIIe, 36 de la première moitié du XIXe, et enfin 23 de la seconde moitié de ce même siècle. Nous désignons ici par la première moitié du XIXe siècle la période couvrant les années 1794-1848. Celle-ci correspond réellement à une époque spécifique de l’histoire de la médecine qu’Ackerknecht a baptisée « la médecine hospitalière » et qui a servi pour ainsi dire de pont entre la médecine d’avant la Révolution et la médecine de laboratoire de Claude Bernard et Louis Pasteur. Cette période transitoire qui a fait aussi l’objet d’une étude approfondie par Michel Foucault dans la Naissance de la clinique est caractérisée par la prédominance de la clinique, incompatible le plus souvent avec l’expérimentation biologique. Nous verrons plus tard que la figure de cette médecine clinique, massivement inscrite dans l’énorme dossier de Bouvard, se révèle d’une importance capitale pour interpréter un épisode central du chapitre médical, celui de la fièvre typhoïde du fermier Gouy. On remarque également dans le dossier le nombre relativement important de livres appartenant à la seconde moitié du XIXe siècle (23 ouvrages). Cependant, il ne faut pas surestimer ici la portée scientifique des lectures médicales du romancier. Il est vrai que Flaubert a lu par exemple Claude Bernard, mais les notes qu’il a prises sur les Leçons de pathologie expérimentale manifestent une réelle incompréhension à l’égard des enjeux de la médecine expérimentale : ce qui l’intéresse par-dessus tout, c’est en effet l’aspect grotesque de certaines expériences. Les historiens de la médecine, quant à eux,
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situent l’apparition de la nouvelle médecine autour de 1848, année qui marque ainsi un tournant tant dans le domaine politique que dans celui de la pensée médicale. Cette rupture épistémologique, bien visible à nos yeux, a pourtant pris des décennies avant de s’imposer définitivement et détrôner le « clinicisme » profondément enraciné dans les esprits médicaux du temps30. Rien d’étonnant donc à ce que Flaubert, en accumulant des notes sur la médecine, n’ait pas été très sensible à cette rupture historique. À tout considérer, le dossier médical de Bouvard, en dépit de sa disparité chronologique indéniable, fait apparaître une historicité dominante qui est celle de la médecine clinique de la première moitié du XIXe siècle31. De fait, cette historicité correspond parfaitement à l’histoire des deux bonshommes qui se déroule dans les années 184032. Dans la Correspondance, le romancier se montre très attentif à ce temps diégétique comme l’atteste, par exemple, cette lettre à M. Du Camp du 14 mars 1877 : « Possèdes-tu quelque bouquin de physiologie imbécile ? Il faut que l’ouvrage ait au moins quarante ans de date !33 » En cherchant ainsi un ouvrage de physiologie datant de plus de quarante ans, Flaubert fait preuve d’un souci de vraisemblance propre à tout romancier réaliste. Parmi les références consignées dans le dossier 30
Ibid., p. 12. Henry Céard, dans son compte-rendu de Bouvard et Pécuchet (« Portraits littéraires ― Gustave Flaubert », L’Express, 9 avril 1881 ; article repris par S. Dord-Crouslé dans son édition du roman, p. 448-451), mettait en question l’historicité des savoirs traités dans ce roman, lequel est selon lui « encyclopédique seulement par l’apparence ». En prenant pour exemple le chapitre de la médecine, il se plaignait des « médiocres dimensions » auxquelles Flaubert aurait réduit toute la science : « Eh bien mais, et les nouvelles applications, les nouvelles découvertes, les nouveaux systèmes. Et Claude Bernard, et Herbert Spencer, et Darwin et Huxley. » Cet article est en effet fort éclairant par la naïveté même des critiques qu’il adresse au dernier roman inachevé de Flaubert. 32 Jean Gayon a analysé dans cette perspective la documentation agricole (« Agriculture et agronomie dans Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert », Littérature, 109, mars 1998, p. 59-73). Comme l’a bien montré cet historien des sciences, les lectures effectuées par Flaubert en vue du chapitre II visent principalement à éclairer « les limites des connaissances et pratiques agronomiques des années 1840 » (p. 62). Pour ce qui est de la documentation médicale, nous croyons toutefois que cette historicité n’est pas seulement le résultat de démarches conscientes, mais que la part d’incompréhension de Flaubert vis-à-vis de la médecine de laboratoire, celle de la seconde moitié du siècle, n’est pas négligeable. 33 Pl., t. V, p. 203. 31
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médical, les traités de Richerand et d’Adelon répondent bien à cette condition. La Physiologie de l’homme d’Adelon a été publiée en 1823, et Flaubert a lu le traité de Richerand sur les Nouveaux élémens de physiologie dans la huitième édition de 1820. Ces deux ouvrages, qui figurent l’un et l’autre dans la fiction, appartiennent à la bibliothèque des deux bonshommes et servent ainsi à leur étude de la physiologie : « [...] – et un bouquiniste leur procura les traités de Richerand et d’Adelon, célèbres à l’époque » (p. 112). Rappelons pourtant encore une fois que cela n’empêche pas Flaubert d’aller consulter bien d’autres ouvrages dont quelques-uns sont à peu près contemporains de la rédaction de Bouvard et qui font partie eux aussi de l’épaisseur épistémologique du roman encyclopédique. On trouvera maintenant sous la forme d’une liste bibliographique l’ensemble des titres que comprend le dossier médical de Bouvard et Pécuchet. En principe, nous donnons, dans l’ordre de la composition du dossier, les éditions lues par Flaubert. Lorsque l’édition utilisée ne peut pas être identifiée, nous indiquons entre parenthèses la première édition de l’ouvrage. Suivent des informations sur la date de lecture si elle est connue, et sur les mentions du même titre dans d’autres corpus flaubertiens comme les Carnets et la Correspodance. Nous croyons que cette simple liste permettra d’avoir une idée approximative du caractère démesuré des recherches documentaires menées par l’auteur de Bouvard.
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Bibliographie médicale pour Bouvard et Pécuchet34 A. Dossier « Sciences ― Médecine. Hygiène » (g 2267, f° 24-158) 27-27 v°-28-28 v°-29-29 v°-30 : CAIZERGUES, Fulcrand-César (17771850), Des Systèmes en médecine et de leur influence sur le traitement des maladies, Paris, Gabon, 1827. [Carnet 15, f° 67 : lu en avril 1874] 31 : LASÈGUE, Ernest-Charles (1816-1883), De Stahl, et de sa doctrine médicale, Paris, 25 février 1846, thèse pour le doctorat en médecine. [Indication bibliographique au g 2261, f° 242 v°] 31 v° : LECONTE, Eugène ( ? ), Des influences topographiques sur le développement des maladies, Paris, 3 juin 1846, thèse pour le doctorat en médecine. 32-32 v° : BROUAUT, Jean (vers1541-1603/4), Traité de l’eau de vie ou Anatomie théorique et pratique du vin, divisé en trois livres, composez autrefois par feu Me I. Brouaut Médecin, édité par J. Balesdens, Paris, Jacques de Senlecque, 1646. [Carnet 15, f° 67 v° : lu en mai 1874. Indication bibliographique au g 2261, f° 255 v°] 33 : CABANIS, Pierre-Jean-Georges (1757-1808), Du degré de certitude de la médecine, (Paris, F. Didot, an VI-1798). [Lettres à G. Charpentier, 18 ? avril, 19 ? avril, et 20 avril 1877] 34-35-35 v°-35bis-35bis v°-36-36 v° : TROUSSEAU, Armand (1801-1867), Clinique médicale de l’Hôtel-Dieu de Paris, quatrième édition publiée par les soins de M. Michel Peter, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1873, 3 vol. 37-37 v° : TARDIEU, Ambroise (1818-1879), Manuel de pathologie et de clinique médicales, troisième édition revue, corrigée, augmentée, Paris, G. Baillière, 1866. 38-38 v°-39-39 v°-40-40 v°-41 : ANDRAL, Gabriel (1797-1876), Cours de pathologie interne, professé à la Faculté de médecine de Paris, par M. G. Andral, recueilli et rédigé par Amédée Latour, Paris, J. Rouvier et E. Lebouvier, 1836, 3 vol. 42-42 v°-43-43 v° : GENDRIN, Augustin-Nicolas (1796-1890), Traité philosophique de médecine pratique, Paris, G. Baillière, 1838-1839- 1841, 3 vol. [Liste bibliographique au g 2267, f° 147] 44-44 v° : JACCOUD, Sigismond (1830-1913), Traité de pathologie interne, Paris, A. Delahaye, 1870-1871, 2 vol. 34
Lorsque l’édition utilisée par Flaubert reste inconnue, on met la référence bibliographique entre parenthèses.
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45 : DESNOS, Louis (1828-1893), De l’état fébrile, Paris, 12 mars 1866, thèse présentée au concours pour l’agrégation (section de médecine) et soutenue à la Faculté de médecine de Paris. 46 : BUCHAN, William (1729-1805), Médecine domestique, ou traité complet des moyens de se conserver en santé et de guérir les maladies par le régime et les remèdes simples, par G. Buchan, traduit de l’anglais par J. D. Duplanil, cinquième édition, revue, corrigée et considérablement augmentée, et spécialement d’un article sur la vaccine ; de la nouvelle nomenclature chimique, et de la dénomination des nouveaux poids et mesures, Paris, Moutardier, an X-1802, 5 vol. [Liste bibliographique au g 2267, f° 148] 47 : RÉVEILLÉ-PARISE, Joseph-Henri (1782-1852), Physiologie et hygiène des hommes livrés aux travaux de l’esprit, ou Recherches sur le physique et le moral, les habitudes, les maladies et le régime des gens de lettres, artistes, savans, hommes d’état, jurisconsultes, administrateurs, etc., (troisième édition, revue et corrigée, Paris, G.-A. Dentu, 1839, 2 vol.) [Liste bibliographique au g 2267, f° 148 v°] 47 : BAYLE, Pierre (1647-1706), Dictionnaire historique et critique, (Rotterdam, Reinier Leers, 1697, 2 tomes en 4 vol.), art. « Plotin ». 47 : BUC’HOZ, Pierre-Joseph (1731-1807), La Nature considérée sous ses différens aspects, (Paris, Lacombe, 1773, 5 vol.) 48 : TISSOT, Samuel Auguste André David (1728-1797), Avis au peuple sur sa santé, (Lausanne, F. Grasset, 1761). [Liste bibliographique au g 2267, f° 148] 48-48 v° : CAPURON, Joseph (1767-1850), Manuel des Dames de charité, ou Formules de remèdes faciles à préparer, en faveur des personnes charitables qui soignent les pauvres des villes et des campagnes, par MM. Arnault de Nobleville et Salerne, avec des Remarques sur le traitement des maladies les plus ordinaires, et un Abrégé de la saignée, par É. Chardon de Courcelles, nouvelle édition, revue et augmentée, par J. Capuron, Paris, Thomine, Leriche, 1816. 53-49 : RICHERAND, Balthasar-Anthelme (1779-1840), Nouveaux élémens de physiologie, huitième édition, revue, corrigée, et augmentée, Paris, Caille et Ravier, 1820, 2 vol. [Ouvrage mentionné dans le roman, p. 112. Lettre à G. Pouchet, mi-mars ? 1877] 49 v° : DU CLEUZIOU, Henri (1833-1896), De la Poterie gauloise, étude sur la collection Charvet, Paris, J. Baudry, 1872. [Notes sur l’archéologie] 50 : REGNAULT, Nicolas-François (1746-vers 1810) et Geneviève (1746-
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1802), Les Écarts de la nature, ou Recueil des principales monstruosités que la nature produit dans le genre animal, peintes d’après nature, gravées et mises au jour par les Sr et Dme Regnault, Paris, chez l’auteur, 1775. 50-52 : MAUPERTUIS, Pierre-Louis Moreau de (1698-1759), Vénus physique, (s.l.), (s.n.), 1745. 54-51 : RICHERAND, Balthasar-Anthelme (1779-1840), Des Erreurs populaires relatives à la médecine, seconde édition, revue, corrigée et augmentée, Paris, Caille et Ravier, 1812. [Liste bibliographique au g 2267, f° 148] 55-55 v° : PIORRY, Pierre-Adolphe (1794-1879) et LHÉRITIER, SébastienDidier (1809- ?), Traité des altérations du sang, Paris, Bury, 1840. 56-56 v° : DEBOVE, Georges Maurice (1845-1920), L’action physiologique des médicaments peut-elle devenir la règle de leur emploi thérapeutique ?, Paris, 25 mars 1875, thèse présentée au concours pour l’agrégation (section de médecine et de médecine légale) et soutenue à la Faculté de médecine de Paris. 57-57 v°-58-58 v°-59-59 v°-60-60 v° : DAREMBERG, Charles (1817-1872), Histoire des sciences médicales : comprenant l’anatomie, la physiologie, la médecine, la chirurgie et les doctrines de pathologie générale, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1870, 2 vol. [Catalogue de la Vente après décès de Mme Franklin Grout, Villa Tanit à Antibes, n° 237. Carnet 15, f° 66 : lu en juillet 1873. Lettres à G. Sand, 20 juillet 1873, et à Caroline, 26 juillet 1873] 61 : REDARD, Paul (1850-1916), Études de thermométrie clinique ; abaissements de température ; algidité, Lille, impr. de L. Danel, 1874. 62 : DU CASTEL, Auguste-Marie-René (1846-1905), Des températures élevées dans les maladies, Paris, 26 mars 1875, thèse présentée au concours pour l’agrégation (section de médecine et de médecine légale) et soutenue à la Faculté de médecine de Paris. 63-63 v°-64-64 v°-65 : RASPAIL, François-Vincent (1794-1878), Histoire naturelle de la santé et de la maladie chez les végétaux et chez les animaux en général, et en particulier chez l’homme ; suivie du Formulaire pour une nouvelle méthode de traitement hygiénique et curatif, deuxième édition considérablement augmentée, Paris, chez l’auteur, 1846, 3 vol. [Carnet 15, f° 65 v° : lu en janvier (t. 1) et en février (t. 2 & 3) 1873. Lettres à G. Sand, 3 février 1873, et à E. Laporte, 13 juin 1877. Ouvrage mentionné dans le roman, p. 117] 66-66 v°-67-67 v° : LUCAS, Louis (1816-1863), La Médecine nouvelle
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basée sur des principes de physique et de chimie transcendantales et sur des expériences capitales qui font voir mécaniquement l’origine du principe de la vie, Paris, F. Savy, 1862-1863, 2 vol. [Lettre à G. Pouchet, mi-mars ? 1877] 68-68 v°-69-69 v°-70-70 v°-71-71 v° : ADELON, Nicolas-Philibert (17821862), Physiologie de l’homme, Paris, Compère jeune, 1823-1824, 4 vol. [Ouvrage mentionné dans le roman, p. 112] 72 : PIORRY, Pierre-Adolphe (1794-1879), Dissertation sur les généralités de la physiologie, et sur le plan à suivre dans l’enseignement de cette science, Paris, 23 mai 1831, présentée au concours pour une chaire de physiologie à la Faculté de médecine. [Liste bibliographique au g 2267, f° 147] 72 : PIORRY, Pierre-Adolphe (1794-1879), Dissertation sur les généralités de la médecine clinique, Paris, 11 juillet 1831, présentée au concours pour une chaire de médecine clinique à la Faculté de médecine. 72 : RÉVEILLÉ-PARISE, Joseph-Henri (1782-1852), Mémoire sur l’existence et la cause organique du tempérament mélancolique, lu à l’Académie des sciences (Institut), le 17 mai 1830, Paris, J.-B. Baillière, 1831. 72 v° : LALLEMAND, François (1790-1853), Observations pathologiques propres à éclairer plusieurs points de physiologie, deuxième édition, Paris, Gabon, 1825. 72 v° : BOURDON, Isidore (1796-1861), De l’influence de la pesanteur sur quelques phénomènes de la vie, Paris, J.-B. Baillière, 1823. 73-73 v°-74-74 v°-75-75 v° : BERNARD, Claude (1813-1878), Leçons de pathologie expérimentale, publié par le Dr Benjamin Ball, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1872. 76-76 v°-77-77 v° : COMTE, Achille-Joseph (1802-1866), Structure et physiologie animales démontrées à l’aide de figures coloriées, découpées et superposées, ouvrage rédigé conformément au programme de l’enseignement scientifique des lycées, Paris, Masson, 1853. 78 : VALETTE, Auguste-Dominique (1821-76), De la Méthode à suivre dans l’étude et l’enseignement de la clinique, vitalisme et organicisme, Paris, A. Delahaye, 1864. [Carnet 15, f° 64 v° : lu d’août au 23 octobre 1872] 79 : BECQUEREL, Louis-Alfred (1814-1862), De l’empirisme en médecine, Paris, 1844, thèse présentée et soutenue au concours de l’agrégation près la Faculté de médecine de Paris. 80-83 : RICHE, F. ( ? ), De l’Organicisme, Paris, A. Delahaye, 1869. [Carnet
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15, f° 64 v° : lu d’août au 23 octobre 1872, & f° 67 v° : lu en juin 1874.] 81-81 v° : LITTRÉ, Émile (1801-1881), Médecine et médecins, Paris, Didier, 1872. 82-82 v°-83 : CHAUFFARD, Paul-Émile (1823-1879), Essai sur les doctrines médicales, suivi de quelques considérations sur les fièvres, Paris, J.-B. Baillière, 1846. [Carnet 15, f° 64 v° : lu d’août au 23 octobre 1872] 84-84 v° : BOUILLAUD, Jean (1796-1881), Essai sur la philosophie médicale et sur les généralités de la clinique médicale, précédé d’un Résumé philosophique des principaux progrès de la médecine, et suivi d’un parallèle des résultats de la formule des saignées coup sur coup avec ceux de l’ancienne méthode, dans le traitement des phlegmasies aiguës, Paris, J. Rouvier et E. Le Bouvier, 1836. 85 : DEBAY, Auguste (1802-1890), La Vénus féconde et callipédique, théorie nouvelle de la fécondation mâle et femelle, selon la volonté des procréateurs. Calliplastie-orthopédie, ou l’Art de redresser les difformités du corps chez les enfants, Paris, Dentu, 1871. [Carnet 15, f° 67 : lu en février 1874] 86-86 v° : POMME, Pierre (1728-1814), Traité des affections vaporeuses des deux sexes ; Où l’on a tâché de joindre à une théorie solide une pratique sûre, fondée sur des observations, quatrième édition, dans laquelle on trouve le Recueil des pièces publiées par l’instruction du procès que le système de l’auteur a fait naître parmi les médecins et la Réponse à toutes les objections des anonymes, Lyon, B. Duplain, 1769, 2 vol. [Emprunté à la BN le 14 mars 1874 et rendu le 26 mars. Carnet 15, f° 67 : lu en mars 1874. Indication bibliographique au g 2261, f° 229 v°] 87-87 v°-88-88 v° : MOREAU (de la Sarthe), Jacques-Louis (1771-1826), Histoire naturelle de la femme, suivie d’un traité d’hygiène appliquée à son régime physique et moral aux différentes époques de la vie, Paris, L. Duprat, Letellier, 1803, 3 vol. [Emprunté à la BN le 25 mars 1874. Carnet 15, f° 67 : lu en mars 1874. Indication bibliographique au g 2267, f° 148 v°] 89-89 v° : MENVILLE (de Ponsan), Charles-François (1805- ?), Histoire philosophique et médicale de la femme considérée dans toutes les époques principales de la vie, avec ses diverses fonctions, avec tous les changements qui surviennent dans son physique et son moral, avec l’hygiène applicable à son sexe et toutes les maladies qui peuvent l’atteindre aux différents âges, seconde édition, revue, corrigée et augmentée de tout ce qui peut contribuer à la santé et au bonheur des deux
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sexes, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1858, 3 vol. [Emprunté à la BN le 25 mars 1874. Carnet 15, f° 67 : lu en avril 1874] 90 : SIMON, Max ( ? ), « Du vertige nerveux et de son traitement », dans Mémoires de l’Académie impériale de médecine, t. 22, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1858, p. 1-151. [Liste bibliographique au g 2267, f° 148 v°. Lettre à Caroline, 24 septembre 1872] 91 : RÉVEILLÉ-PARISE, Joseph-Henri (1782-1852), « Galerie médicale », dans Études de l’homme dans l’état de santé et dans l’état de maladie, Paris, G.-A. Dentu, 1845, 2 vol. 91 v° : ROUSSEL, Pierre (1742-1802), Système physique et moral de la femme, suivi du Système physique et moral de l’homme, et d’un fragment sur la sensibilité, par Roussel, précédé de l’éloge historique de l’Auteur, par J.-L. Alibert, sixième édition, Paris, Caille et Ravier, 1813. [Listes bibliographiques au g 2267, f° 147 et au g 2261, f° 259] 92 : BELHOMME, Jacques Étienne (1800-1880), Quatrième Mémoire sur la localisation des fonctions cérébrales et de la folie, Paris, Germer-Baillière, 1845. 93-93 v° : CLOQUET, Jules Hippolyte (1787-1840), Dissertation sur les odeurs, sur le sens et les organes de l’olfaction, Paris, 21 février 1815, thèse pour le doctorat en médecine. [Carnet 15, f° 67 : lu en janvier 1874. Lettre au baron Larrey, 7 janvier 1874] 94 : CLOQUET, Jules Hippolyte (1787-1840), Osphrésiologie, ou Traité des odeurs, du sens et des organes de l’olfaction, avec l’histoire détaillée des maladies du nez et des fosses nasales, et des opérations qui leur conviennent, seconde édition, entièrement refondue et considérablement augmentée, Paris, Méquignon-Marvis, 1821. [Carnet 15, f° 67 : lu en janvier 1874] 95-95 v° : RÉVEILLÉ-PARISE, Joseph-Henri (1782-1852), Études de l’homme dans l’état de santé et dans l’état de maladie, Paris, G.-A. Dentu, 1845, 2 vol. [Liste bibliographique au g 2267, f° 147] 96-96 v°-97 : KÜSS, Émile (1815-1871), Cours de physiologie, d’après l’enseignement du professeur Küss, publié par le Dr Mathias Duval, troisième édition complétée par l’exposé des travaux les plus récents, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1876. 98-98 v°-99-99 v°-100-100 v°-101-101 v° : BÉRAUD, Bruno-Jacques (18231865), Éléments de physiologie de l’homme et des principaux vertébrés répondant à toutes les questions physiologiques du programme des examens de fin d’année, par le Dr B. Béraud, revus par M. Ch. Robin, 2 e
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édition entièrement refondue, Paris, G. Baillière, 1856-1857, 2 vol. 102-102 v° : BERGERET, Antonin-Lazare-Antoine-Philippe (1829- ?), Petit Manuel pratique de la santé, nutrition, alimentation, hygiène, Paris, G. Baillière, 1870. 103-103 v°-104 : VIREY, Julien Joseph (1775-1846), De la Physiologie dans ses rapports avec la philosophie, Paris, J.-B. Baillière, 1844. [Carnet 15, f° 64 v° : lu d’août au 23 octobre 1872] 1 05 -105 v°-106 -106 v°-10 7 -1 07 v°-10 8 -1 08 v°-1 09 -10 9 v°-110 110 v°-111-111 v°-112-112 v°-113-113 v°-114-114 v°-115-115 v°11 6 -11 6 v°-11 7 -11 7 v°-11 8 -11 8 v°-11 9 -11 9 v°-1 2 0 -1 2 0 v°-1 2 1 121 v°-122-122 v°-123-123 v°-124-124 v°-125-125 v° : Dictionnaire des sciences médicales, par une société de médecins et de chirurgiens, Paris, C.-L.-F. Panckoucke, 1812-1822, 60 vol. [Carnet 15, f° 64 v° et 65 : lu d’août au 23 octobre 1872 (t. 1 à 18), du 1er au 17 novembre (t. 18 à 23), du 26 novembre au 20 décembre (jusqu’au t. 22). Ouvrage mentionné dans le roman, p. 110] 126 : MORIN, Joseph ( ? ), Manuel théorique et pratique d’hygiène, ou l’Art de conserver sa santé, 2e édition revue, corrigée et augmentée, Paris, Roret, 1835. [Inventaire après décès par Maître Bidault (« Roret, quarante-deux volumes d’auteurs divers, brochés »). Carnet 15, f° 67 v° : lu en mai 1874. Ouvrage mentionné dans le roman, p. 124] 127-127 v°-128-128 v°-129-129 v° : LÉVY, Michel (1809-1872), Traité d’hygiène publique et privée, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1844-1845, 2 vol. [Carnet 15, f° 66 : lu en juillet 1873. Indication bibliographique au g 2261, f° 242. Ouvrage mentionné dans le roman, p. 125] 130-130 v°-131-131 v°-132-132 v° : BECQUEREL, Louis-Alfred (18141862), Traité élémentaire d’hygiène privée et publique, quatrième édition avec additions et bibliographies, par le Dr E. Beaugrand, Paris, P. Asselin, 1867. [Emprunté à la BN le 24 février 1874 et rendu le 14 mars. Indication bibliographique au g 2261, f° 242. Ouvrage mentionné dans le roman, p. 125] 133-133 v°-134 : REGNARD, Albert (1836-1903), Essais d’histoire et de critique scientifiques à propos des Conférences de la Faculté de médecine, Paris, chez l’auteur, 1865. 135-135 v° : HUFELAND, Christoph Wilhelm (1762-1836), L’art de prolonger la vie humaine, traduit sur la seconde édition de l’allemand de Chr. Guillaume Hufeland par Auguste Duvau, Lausanne, Hignon / Lyon, Savy, 1809. [Emprunté à la BN le 4 mars 1873 et rendu le 17 mars. Carnet
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15, f° 66 : lu en mars 1873. Indication bibliographique au g 2261, f° 242 (pour une autre édition ayant pour titre La Macrobiotique)]. 136 : SCHREBER, Daniel Gottlob Moritz (1808-1861), Gymnastique de chambre, médicale et hygiénique, ou Représentation et description de mouvements gymnastiques n’exigeant aucun appareil ni aide et pouvant s’exécuter en tout temps et en tout lieu à l’usage des deux sexes et pour tous les âges, suivie d’applications à diverses affections, troisième édition, traduite sur la 13e édition allemande, par Aug. Delondre, Paris, G. Masson, 1872. 137-137 v° : PIDOUX, Hermann (1808-1882), Qu’est-ce que le rhumatisme ? question examinée devant la Société d’hydrologie médicale de Paris, Paris, G. Baillière, 1861. 149 : DECHAMBRE, Amédée (1812-1886), Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, A. Dechambre (directeur), Paris, Masson, P. Asselin, tome 4, 1866 ; 1864-1889, 100 vol., art. « Anaphrodisie et Aphrodisiaques » par Fonssagrives. [Indication bibliographique au g 2261, f° 242] 149 v° : BUCHEZ, Philippe-Joseph-Benjamin (1796-1865) et ROUXLAVERGNE, Pierre-Célestin (1802-1874), Histoire parlementaire de la Révolution française, ou journal des assemblées nationales, depuis 1789 jusqu’en 1815, Paris, Paulin, tome 1, 1834 ; 1834-1838, 40 vol. [Notes sur l’histoire] 150-150 v°-151 : SALGUES, Jacques-Barthélemy (1760-1830), Des Erreurs et des préjugés répandus dans la société, Paris, F. Buisson (Vve Lepetit pour le tome 3), 1810-1811-1813, 3 vol. [Inventaire après décès par Maître Bidault. Carnet 15, f° 66 : lu en juin 1873. Lettre à L. Colet, 31 mars 1853] 152 : BIENVILLE, D. T. de (vers 1726-vers 1813), La Nymphomanie, ou Traité de la fureur utérine, dans lequel on explique avec autant de clarté que de méthode, les commencements et les progrès de cette cruelle maladie, dont on développe les différentes causes ; ensuite on propose les moyens de conduite dans les diverses périodes, et les spécifiques les plus éprouvés pour la curation, nouvelle édition, Londres, 1789. [Carnet 15, f° 67 : lu en février 1874. Liste bibliographique au g 2267, f° 148 v°] 153-153 v° : DEBREYNE, Pierre-Jean-Corneille (Le P.) (1786-1867), Moechialogie, traité des péchés contre les sixième et neuvième commandements du décalogue, et de toutes les questions matrimoniales qui s’y rattachent directement ou indirectement, suivi d’un abrégé pratique d’embryologie sacrée, (Ce livre est exclusivement destiné au clergé),
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quatrième édition revue, corrigée et considérablement augmentée, Paris, Poussielgue frères, 1868. [Carnet 15, f° 67 : lu en mars 1874] 158 : SENANCOUR, Étienne de (1770-1846), De l’Amour, considéré dans les lois réelles et dans les formes sociales de l’union des sexes, seconde édition, avec des additions, des changemens considérables et une gravure allégorique, Paris, Capelle et Renand, 1808. [Carnet 15, f° 67 v° : lu en mai 1874]
B. Ouvrages médicaux dont les notes se trouvent dans d’autres dossiers g 2266, f° 34 (dossier « Philosophie ») : ANDRAL, Cours de pathologie interne, ... Voir g 2267, f° 38-41. g 2266, f° 66-66 v° (dossier « Philosophie ») – g 2261, f° 272 (la mention « Daremberg 2 » barrée) : DAREMBERG, Charles (1817-1872), La Médecine, histoire et doctrines, Paris, Didier, J.-B. Baillière et fils, 1865. g 2266, f° 228-228 v° (dossier « Socialisme ») : ESQUIROS, Alphonse (1812-1876), Les Vierges folles, quatrième édition, Paris, P. Delavigne, 1844. g 2266, f° 229-229 v° (dossier « Socialisme ») : PARENT-DUCHÂTELET, Alexandre-Jean- Baptiste (1790-1836), De la prostitution dans la ville de Paris, considérée sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de l’administration ; ouvrage appuyé de documents statistiques puisés dans les archives de la Préfecture de police, troisième édition complétée par des documents nouveaux et des notes par MM. A. Trébuchet, Poirat-Duval, suivie d’un Précis hygiénique, statistique et administratif sur la prostitution dans les principales villes de l’Europe, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1857, 2 vol. [Lettre de Du Camp à Flaubert, mai 1864] g 2266, f° 262-262 v°-263 (dossier « Religion ») : BELOUINO, Paul (181276), Des Passions dans leurs rapports avec la religion, la philosophie, la physiologie et la médecine légale, deuxième édition, revue et considérablement augmentée, Paris / Lyon, Périsse frères, 1853, 2 vol. [Carnet 15, f° 64 : lu du 30 septembre au 23 octobre 1872] g 2266, f° 286 (dossier « Religion ») : BUCHEZ, Philippe-Joseph- Benjamin (1796-1865), Introduction à l’étude des sciences médicales, Leçons orales recueillies et rédigées par Henry Belfield Lefèvre, Paris, E. Éveillard, 1838.
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C. Ouvrages médicaux lus par Flaubert pour Bouvard et Pécuchet, mais dont les notes de lecture n’existent pas dans les dossiers documentaires [l’édition utilisée par Flaubert est le plus souvent inconnue] BÉCLARD, Jules (1819-1887), Traité élémentaire de physiologie humaine comprenant les principales notions de physiologie comparée, (Paris, Labé, 1855). [Carnet 15, f° 64 v° : lu d’août au 23 octobre 1872] BERGERET, Louis François Étienne (1814-1893), Des Fraudes dans l’accomplissement des fonctions génératrices, dangers et inconvénients pour les individus, la famille et la société, (Paris, J.-B. Baillière et fils, 1868). [Carnet 15, f° 64v° : lu d’août au 23 octobre 1872] BOURDIN, Claude-Étienne (1815-?), Médecine et matérialisme, le matérialisme et le sens commun, (Paris, impr. de H. Carion, 1868). [Carnet 15, f° 64 v° : lu d’août au 23 octobre 1872] BOURGEOIS, Louis-Xavier (1828-72), Les Passions dans leurs rapports avec la santé et les maladies. L’Amour (- Le Libertinage), (Paris, J.-B. Baillière et fils, 1860-1861, 2 vol.) [Carnet 15, f° 64 v° : lu d’août au 23 octobre 1872] CLOQUET, Jules Hippolyte (1787-1840), Traité d’anatomie descriptive, rédigé d’après l’ordre adopté à la Faculté de médecine de Paris, (Paris, Crochard, 1816, 2 vol.) [Lecture probable : voir la lettre à M. Du Camp, 14 mars 1877] FLOURENS, Pierre-Marie-Jean (1794-1867), Cours de physiologie comparée. De l’Ontologie, ou étude des êtres, leçons professées au Muséum d’histoire naturelle par M. Flourens, recueillies et rédigées par Charles Roux, Paris, J.-B. Baillière, 1856. [Carnet 15, f° 64 v° : lu d’août au 23 octobre 1872. Cité au ms g 2265, f° 254] GIALUSSI, Aristide ( ? ), Étude sur les différentes causes de la Phymatose Pulmonaire, Paris, 31 juillet 1869, thèse pour le doctorat en médecine. [Carnet 15, f° 64 v° : lu d’août au 23 octobre 1872 ; référence incertaine, Flaubert ayant écrit « De la maladie en général Gialussi »]. JAMAIN, Alexandre (1816-1862), Nouveau traité élémentaire d’anatomie descriptive et de préparations anatomiques, troisième édition revue et augmentée avec 223 figures intercalées dans le texte, Paris, Germer Baillière, 1867. [Référence citée au ms g 2253, f° 244] JOUBERT, Laurent (1529-1583), Erreurs populaires au fait de la médecine et régime de santé, corrigés par M. Laur. Joubert, Bourdeaus, S. Millanges,
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1578. [Emprunté à la BN le 6 avril 1875] LAUTH, Ernest-Alexandre (1797-1880), Nouveau manuel de l’anatomiste, comprenant la description succincte de toutes les parties du corps humain et la manière de les préparer, suivie de préceptes sur la confection des pièces de cabinet et sur leur conservation, deuxième édition, revue et considérablement augmentée, Paris, F.-G. Levrault, 1835. [Référence citée aux g 2253, f° 243 et 244. Ouvrage mentionné dans le roman, p. 108] LITTRÉ, Émile (1801-1881), La Science au point de vue philosophique, (Paris, Didier, 1873). [Carnet 15, f° 66 v° : lu en novembre 1873. Un extrait cité au ms g 2267, f° 138 v° (notes de notes)] RASPAIL, François-Vincent (1794-1878), Manuel annuaire de la santé, ou médecine et pharmacie domestiques contenant tous les renseignements théoriques et pratiques nécessaires pour savoir préparer et employer soi-même les médicaments, se préserver ou se guérir ainsi, promptement et à peu de frais de la plupart des maladies curables, et se procurer un soulagement presque équivalent à la santé, dans les maladies incurables ou chroniques, Paris, chez l’éditeur des ouvrages de M. Raspail, 1845(l’ouvrage paraît régulièrement tous les ans). [Lettre à E. Laporte, 13 juin 1877. Ouvrage mentionné dans le roman, p. 117] SACOMBE, Jean-François (vers 1750-1822), La Luciniade, quatrième édition, Nismes, chez l’auteur, 1815. [Lettre à M. Du Camp, 14 mars 1877. Plusieurs extraits cités au g 2267, f° 13 (« Rococo »)] VISCA, P. F. ( ? ), Du Vaginisme, Paris, 1er avril 1870, thèse pour le doctorat en médecine. [Carnet 15, f° 64 v° : lu d’août au 23 octobre 1872]
Chapitre II La portée critique du roman encyclopédique 1. Le comique d’idées Une question se pose ici d’elle-même : pourquoi un écrivain comme Flaubert doit-il amasser une documentation médicale aussi importante ? Que cherche-t-il dans les livres médicaux en y prenant des notes détaillées ? La réponse à cette question capitale se trouve clairement formulée par l’auteur de Bouvard lui-même, qui définit en même temps la spécificité de son entreprise littéraire : Je suis perdu dans les combinaisons de mon second chapitre [= l’actuel chapitre III], celui des Sciences. – Et pour cela, je reprends des notes sur la physiologie – et la thérapeutique, – au point de vue comique, ce qui n’est point un petit travail. Puis il faudra les faire comprendre et les rendre plastiques. Je crois qu’on n’a pas encore tenté le comique d’idées ? Il est possible que je m’y noie, mais si je m’en tire, le globe terrestre ne sera pas digne de me porter1.
Ainsi, Flaubert ne recherche point les vérités scientifiques dans les discours du savoir. Au lieu de partager l’objet heuristique des sciences, il se préoccupe plutôt de mettre au jour le comique d’idées. À cet effet, il relève partout des citations comiques, les consigne dans ses notes de lecture, et s’efforce ensuite de les combiner « au point de vue comique » dans les notes de notes. Le romancier a répété ces gestes pour toutes les disciplines constituant son étrange encyclopédie critique. En témoignent les huit volumes de dossiers documentaires qui comprennent au total 2215 feuilles. On trouve là les notes considérables que Flaubert a consacrées aux différentes sciences telles que l’agronomie, la politique, la philosophie ou la religion, etc. Nul doute que toutes ces notes sont tournées vers un même but : poursuivre le « comique d’idées ». Il est pourtant significatif que la lettre citée ait été écrite pendant la rédaction de la section médicale. On dirait que la 1
Lettre à E. Roger des Genettes, 2 avril 1877 (Pl., t. V, p. 213-214).
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médecine pose le problème du « comique d’idées » avec une acuité toute particulière. S’intéresser avant tout au « comique d’idées », c’est lire les énoncés scientifiques au niveau de la discursivité, et non pour les savoirs qu’ils sont censés contenir. Ce qui retient principalement l’attention de Flaubert lors de la prise de notes, ce n’est pas de savoir quelles vérités scientifiques ou philosophiques se profilent derrière les discours médicaux, mais plutôt de saisir les figures multiples qui se dessinent entre ces discours. La plus typique de ces figures est sans conteste la contradiction entre plusieurs auteurs ou plusieurs théories, figure centrale que nous examinerons longuement dans la suite de cette étude. Flaubert rencontre, en effet, d’innombrables contradictions dans ses lectures médicales comme dans les autres domaines scientifiques. En interrogeant ainsi les configurations discursives dans les livres de médecine, notre romancier procède à sa manière à « l’analyse du champ discursif » au sens où M. Foucault entend cette expression2. Ce faisant, il laisse de côté la finalité propre des discours médicaux qui sont essentiellement liés à la quête de la vérité. Ou plus précisément, c’est ce rejet de la finalité heuristique qui lui permet de mettre en évidence le comique des idées médicales, rendu perceptible par la manipulation iconoclaste des savoirs. Il s’agit donc d’une lecture piégeante. Flaubert cherche des bêtises médicales, les trouve infailliblement, et les note avec soin dans l’intention de les exploiter plus tard dans son roman encyclopédique. Le dispositif critique qu’il met en œuvre dans ses notes de lecture n’a pas d’autre but : commentaires marginaux, croix (X), soulignements, traits verticaux, points d’exclamation. Ces divers éléments visent précisément à mettre en relief la dimension comique des extraits et à orienter ainsi la relecture de ces notes. L’enjeu de la documentation de Flaubert n’est pas à proprement parler de découvrir, mais plutôt de traquer : traquer « le comique d’idées », dont il est sûr, avant même d’entamer ses lectures préparatoires, qu’il va trouver de nombreuses manifestations dans les ouvrages médicaux. En ce sens, Sartre a sans doute raison lorsqu’il insiste sur la méchanceté de Gustave : « son intention [est] de détruire et non de connaître »3. Ce propos, certes 2
Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Gallimard, 1969, p. 48. Jean-Paul Sartre, L’Idiot de la famille, nouvelle édition revue et complétée, Gallimard, 1988, t. 1, p. 443. 3
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trop tendancieux dans sa généralité, définit cependant bien un des aspects de la documentation de l’auteur de Bouvard et Pécuchet. Toutefois, on ne peut traquer que ce qui est déjà là. En relevant des bêtises médicales, Flaubert ne fait qu’activer le comique qui est déjà pleinement inscrit dans les énoncés médicaux quoique dissimulé jusque-là sous l’aspect grave et imposant de la Science. Le geste qui consiste à relever des bêtises est ainsi doté d’une efficacité critique indéniable. Il y a plus. Il est à remarquer que la plus grande part des idées comiques ainsi retenues possèdent une épaisseur épistémologique considérable. Peut-être convient-il de rappeler ici le sens que Cl. Duchet a donné au « co-texte » : « Le co-texte est tout ce qui tient au texte, fait corps avec lui, ce qui vient avec lui4. » Cette notion est en effet très utile pour comprendre le fonctionnement du texte littéraire, car le texte signifie bien davantage que ce qui est formellement textualisé. Il existe toujours comme une épaisseur marginale qui « s’écrit avec le texte » et « qui est lu[e] avec le texte sans être pourtant concrétisé[e], sans être littéralement exprimé[e] »5. Un texte littéraire dense comme celui de Flaubert en contient à la fois plusieurs strates qui se superposent d’ailleurs par endroits : l’épaisseur politique, l’épaisseur sociale, l’épaisseur autobiographique, ou encore l’épaisseur intertextuelle, etc. La critique génétique choisit comme champ de réflexion l’épaisseur avant-textuelle qui traverse en diagonale toutes les autres strates. Quant au roman encyclopédique de Flaubert, il incite spécialement à interroger l’épaisseur épistémologique avec de nombreuses références explicites et implicites aux discours scientifiques. Il ne faut jamais sous-estimer la portée critique du roman encyclopédique vis-à-vis des sciences contemporaines 6 . En ce qui concerne la section médicale au moins, le dossier documentaire de Bouvard recouvre les principaux problèmes abordés par les médecins de l’époque. Prenons ici un exemple typique afin d’illustrer l’épaisseur épistémologique qui est en jeu dans le texte romanesque et, 4
Claude Duchet, « Sociocritique et génétique », Genesis, 6, 1994, p. 118. Ibid., p. 117. 6 Quelques historiens des sciences ont développé des réflexions sur le texte flaubertien dans cette perspective. Outre l’article déjà cité de J. Gayon, voir également Arlette Farge, « Des historiens Bouvard et Pécuchet », dans Des lieux pour l’histoire, Seuil, 1997, p. 134-149 ; Claudine Cohen, « Bouvard et Pécuchet paléontologues », dans L’Homme des origines, Seuil, 1999, p. 225-248. 5
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de façon plus manifeste, dans le dossier documentaire. Flaubert a prêté attention, à plusieurs reprises au cours de sa documentation médicale, à l’opposition du vitalisme et de l’organicisme, laquelle suscitait réellement des débats actifs dans la première moitié du XIX e siècle. Selon les expressions que l’on peut lire dans les notes prises sur Chauffard, Essai sur les doctrines médicales (f° 82)7, les deux doctrines en concurrence sont d’une part les « systèmes animistes [qui] admett[ent] la substance simple (âme, archée, principe vital) & [disent] que de son action sur la substance composée découle la vie », et d’autre part, les « systèmes matérialistes [qui] n’accept[ent] que la substance composée qui frappe les yeux, la rend[ent] centre & cause de tout, y plac[ent] les sources de la vie ». Cette opposition devient, dans le texte du roman, le noyau d’une dispute entre Pécuchet et Vaucorbeil. C’est Pécuchet qui soutient alors la doctrine vitaliste : ― « Mais la diète affaiblit le principe vital ! » ― « Qu’est-ce que vous me chantez avec votre principe vital ! Comment est-il ? Qui l’a vu ? » Pécuchet s’embrouilla. (p. 121)
Ce petit dialogue cocasse expose un paradigme fondamental des sciences médicales de l’époque. « L’on aboutit forcément à l’une ou à l’autre de ces suppositions, affirme Chauffard en 1846, quand on veut expliquer la vie, manifester ses conditions essentielles8. » Dans le dossier médical de Flaubert, ce paradigme se trouve exploré sous tous ses aspects. Ainsi, quant à l’argument par lequel Vaucorbeil tourne en dérision le « principe vital » de Pécuchet, l’écrivain a relevé dans l’Histoire des sciences médicales de Ch. Daremberg quelques remarques ayant trait aux contradictions de cette notion abstraite. On peut considérer que tous ces extraits sous-tendent l’ironie du texte et forment ainsi l’épaisseur épistémologique des propos du médecin de Chavignolles : ― Le principe vital est une simple création contingente qui repose à la fois sur une croyance métaphysique & sur l’ignorance des propriétés vitales. 7
Pour les citations du dossier médical (g 2267), nous noterons seulement le numéro de folio et, au besoin, le nom d’auteur concerné. 8 Paul-Émile Chauffard, Essai sur les doctrines médicales, J.-B. Baillière, 1846, p. 22.
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― Sa raison [de Barthez] pour établir l’existence du principe vital, c’est qu’on ne sait rien de certain sur le corps & sur l’esprit. – Mais que sait-il de positif sur le principe vital ? ― S’il est spirituel, où va-t-il après la mort ? S’il est matériel, quelle force le détruit ? (f° 60 v°)
Les rapports entre le romanesque et l’épistémologique sont toujours à élucider. Un des apports de la critique génétique à la compréhension de Bouvard et Pécuchet est d’avoir éclairé l’importance du second dans l’élaboration du premier. L’organisation narrative du roman encyclopédique ne se construit pas indépendamment de sa dimension épistémologique. Au contraire, l’histoire des deux bonshommes a été façonnée à partir des cadres et des articulations que présente chaque discipline de l’encyclopédie. « La matière de pensée devient rythme narratif, le texte offre une dramatisation comique des raisonnements », suivant la remarque judicieuse de J. Neefs9. L’imaginaire littéraire s’édifie sur les configurations du savoir qui se profilent progressivement au cours des lectures érudites de l’écrivain. Toutefois, les rapports de l’instance narrative et de l’instance épistémologique sont au fond encore plus complexes. Pour l’instant, notons seulement que le roman encyclopédique et son avant-texte possèdent une capacité singulière d’exposition. Bâti sur les innombrables discours du savoir, le texte de Bouvard est susceptible de faire apparaître en plein jour leurs apories, leurs contradictions et leurs ridicules. Bref, il expose « le comique d’idées » (médicales dans notre cas), ce qui est d’ailleurs un acte éminemment critique. Flaubert a développé ses principes esthétiques et moraux dans de nombreux passages de la Correspondance, en particulier dans ses lettres à Louise Colet. En commentant ces passages dans lesquels l’écrivain livre son credo littéraire, les critiques ont l’habitude de mettre l’accent sur l’impersonnalité telle que l’exposent, par exemple, ces phrases tirées de sa lettre à son amante du 13 avril 1853 : « Ne blâmons rien ! chantons tout ! Soyons exposants et non discutants10. » Ou bien, en parlant de La Case de l’oncle Tom de Harriet Beecher Stowe dont l’humanitarisme ostensible l’agaçait profondément : « Les 9
Jacques Neefs, « Bouvard et Pécuchet, la prose des savoirs », Théorie, Littérature, Enseignement, 10, 1992, p. 139. 10 Pl. t. II., p. 302.
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réflexions de l’auteur m’ont irrité tout le temps. Est-ce qu’on a besoin de faire des réflexions sur l’esclavage ? Montrez-le, voilà tout. [...] ― L’auteur, dans son œuvre, doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout, et visible nulle part11. » Flaubert met ainsi sa maîtresse en garde contre la littérature déclamatoire qui se plaît à formuler les points de vue étroits et limités de l’auteur, ce dont les œuvres de Louise Colet donnent trop souvent l’exemple. La méthode qu’il oppose à cette « littérature probante »12 n’est rien d’autre que l’exposition : « La littérature prendra de plus en plus les allures de la science ; elle sera surtout exposante, ce qui ne veut pas dire didactique. Il faut faire des tableaux, montrer la nature telle qu’elle est, mais des tableaux complets, peindre le dessous et le dessus »13 ; « L’Art est une représentation, nous ne devons penser qu’à représenter14. » L’auteur doit donc disparaître derrière son œuvre et montrer les faits humains « avec l’impartialité que l’on met dans les sciences physiques à étudier la matière »15. Être « exposant » est le point crucial de la poétique de Flaubert : « Je ne crois même pas que le romancier doive exprimer son opinion sur les choses de ce monde. Il peut la communiquer, mais je n’aime pas à ce qu’il la dise. (Cela fait partie de ma poétique, à moi)16. » Mais en même temps, la prétention de l’écrivain à l’impersonnalité n’exclut point la portée critique de l’œuvre littéraire. C’est ainsi que Flaubert se préoccupe lui-même de la validité critique de l’exposition romanesque dans une lettre à George Sand du 18 décembre 1867 : Quelle forme faut-il prendre pour exprimer parfois son opinion sur les choses de ce monde, sans risquer de passer, plus tard, pour un imbécile ? Cela est un rude problème. Il me semble que le mieux est de les peindre, tout bonnement, ces choses qui vous exaspèrent. ― Disséquer est une vengeance 17.
Cette citation se rapporte, dans son contexte originel, à l’intention que 11
À L. Colet, 9 décembre 1852 (Pl., t. II, p. 204). « Il y aurait un beau livre à faire sur la littérature probante. ― Du moment que vous prouvez, vous mentez » (à la même, 27 mars 1852 ; Pl., t. II, p. 62). 13 À la même, 6 avril 1853 (Pl., t. II, p. 298). 14 À la même, 13 septembre 1852 (Pl., t. II, p. 157). 15 À la même, 12 octobre 1853 (Pl., t. II, p. 451). 16 À G. Sand, 10 août 1868 (Pl., t. III, p. 786). 17 Pl., t. III, p. 711. 12
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Flaubert avait de dénigrer Thiers, « ce vieux melon diplomatique », dans L’Éducation sentimentale. Cela n’empêche pas pour autant de lui accorder la valeur d’une réflexion générale concernant l’esthétique flaubertienne. Il est clair que cette réflexion s’applique aussi à l’entreprise littéraire de Bouvard et Pécuchet, qui a été conçu, on le sait, comme « le livre des vengeances »18. Se venger contre la bêtise écrasante et envahissante de son siècle, l’idée se répète dans plusieurs lettres écrites durant la période de la documentation préparatoire : « Le mien [= mon moral], pour le moment, est assez bon, parce que je médite un livre où j’exhalerai ma colère. Oui, je me débarrasserai, enfin, de ce qui m’étouffe. Je vomirai sur mes contemporains le dégoût qu’ils m’inspirent. Dussé-je m’en casser la poitrine, ce sera large et violent19. » Il est vrai que la façon dont Flaubert a exécuté cette vengeance est quelque peu étrange, parce qu’il n’a mis, en fin de compte, aucun mot de reproche explicite dans son œuvre. Néanmoins, il ne faut pas se méprendre sur la force critique dont est pourvue l’exposition littéraire des savoirs. Tel que nous le lisons aujourd’hui, Bouvard et Pécuchet, ce texte souvent énigmatique, demeure bel et bien « le livre des vengeances ». Le dernier roman de Flaubert, dont l’impersonnalité confine parfois à l’indécidable, se veut avant tout un texte destructeur qui n’épargne aucun secteur de l’encyclopédie humaine. En amont du texte final proprement dit dont le sens se révèle plus ou moins ambigu, l’ensemble volumineux des notes de lecture témoigne encore plus nettement d’une finalité critique. Les dossiers documentaires de Bouvard visent à déceler les faiblesses et les insuffisances des savoirs sous toutes les formes possibles. En s’imposant un énorme travail de documentation dont le manuscrit g 226 atteste l’intensité et l’étendue extraordinaires, Flaubert a donc procédé à une véritable déconstruction de la pensée scientifique. L’imaginaire romanesque s’édifie entièrement sur cette dimension critique, que la fiction met en œuvre en exposant « le comique d’idées ».
18 19
M. Du Camp, op. cit., p. 618. À E. Roger des Genettes, 5 octobre 1872 (Pl., t. IV, p. 583-584).
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2. Typologie des « bêtises » médicales Quelles sortes d’idées comiques le romancier a-t-il relevées dans les livres médicaux ? Il nous faut maintenant regarder de plus près les notes médicales de Flaubert et décrire les configurations d’idées que font se profiler les innombrables énoncés médicaux. À cet effet, il est particulièrement utile de nous référer aux catégories établies par Flaubert lui-même. De fait, le dossier médical de Bouvard étant un amas inextricable d’extraits, l’écrivain a dû recourir lui-même à une classification, fort étrange il est vrai, pour regrouper ces extraits les plus divers sous plusieurs catégories. Celles-ci se trouvent esquissées soit par des commentaires marginaux dans les notes de lecture, soit par le regroupement des citations sous différentes rubriques dans les notes de notes. Nous allons donc commencer par examiner cette typologie flaubertienne des bêtises médicales. Il va sans dire que le caractère manifestement hétéroclite des catégories flaubertiennes ne doit pas dissimuler la visée profondément critique du roman encyclopédique. Il y a d’abord toutes sortes de traits comiques primitifs. Flaubert a découvert de véritables « californies de rire »20 dans les livres médicaux, et consigné dans ses notes un grand nombre d’exemples de grossièretés. Grand amateur de farces, il ne se lassait jamais de recueillir des citations comme celles-ci : « Un mari meurt tout à coup parce que sa femme lui a pété dans la bouche » (f° 63 ; Raspail)21 ; « Si les Capucins n’en sont jamais affectés [de la gale], comme on le prétend, c’est peut-être que les poux pullulant sur eux ne permettent pas à l’acarus de partager leur subsistance » (f° 113 v° ; DSM, « Gale »). Dans la littérature des « erreurs populaires » qui était alors un genre particulier de la littérature médicale, Flaubert cherchait notamment des superstitions, préjugés grotesques ou pratiques ridicules. Ainsi, il n’a pas manqué de relever ce « remède populaire connu de Pline » qui consiste à « appliquer sur le goitre la main d’un mort ou d’un moribond ». Cette erreur populaire donne d’ailleurs lieu à une 20
Lettre à L. Colet, 2 juillet 1853 (Pl., t. II, p. 370). Cette expression se rapporte au Cours de philosophie positive d’Auguste Comte. Dans une autre lettre adressée à L. Bouilhet, le 4 septembre 1850, Flaubert trouve dans le même ouvrage « des mines de comique immenses, des Californies de grotesque » (Pl., t. I, p. 679). 21 Commentaire marginal : « Gaz asphyxiants », avec une croix.
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anecdote fort cocasse : « Autrefois les scrofuleux se disputaient les mains & les pieds d’un pendu encore chaud » (f° 117 v° ; DSM., « Main »). D’autre part, l’article « Cas rares » du Dictionnaire des sciences médicales a offert au romancier une liste hallucinante de cas tératologiques : « Femmes à plusieurs mamelles : une vivandière valaque, observée par Percy avait cinq mamelles » (f° 107) ; « Une fille sans anus & sans vagin, rendait ses excréments par la bouche » (Id.). Que ces extraits rapportant des faits curieux constituent l’une des catégories du dossier médical de Bouvard, cela est confirmé par deux pages de notes de notes qui regroupent une vingtaine de citations sous le titre : « Curiosités médicales » (f° 154-154 v°). Notons enfin que Flaubert assigne à cette catégorie une destination spécifique pour le second volume, qui aurait dû contenir un certain nombre de curiosités médicales dans la rubrique : « Bizarreries – Nomenclatures » (g 2261, f° 273-292). De ces bizarreries médicales, citons ici un seul exemple : « Thomas Campanella rapporte que “un prince de nos jours, célèbre par ses talents en musique, ne pouvait aller à la garde-robe sans être fouetté par un domestique spécialement chargé de ce soin” » (g 2261, f° 290)22. Les « Expériences » constituent une autre catégorie flaubertienne qui relève également des strates primitives du comique. À l’époque contemporaine de l’essor de la médecine expérimentale, Flaubert s’amusait à traquer des gestes scientifiques ridicules comme ceux-ci : « Du Verney passait de longues heures couché à terre pour observer les mœurs des limaçons » (f° 58 ; Daremberg)23 ; « Soif. [L’]application des vêtements mouillés sur la peau la fait taire. Observation de l’amiral Anson » (f° 68 : Adelon). Le second extrait, avec une autre citation analogue24, a inspiré au romancier un épisode fort cocasse : On les vit [Bouvard et Pécuchet] courir le long de la grande route, revêtus d’habits mouillés et à l’ardeur du soleil. C’était pour vérifier si la soif s’apaise par l’application de l’eau sur l’épiderme. Ils rentrèrent haletants, et tous les deux avec un rhume. (p. 112) 22
La citation, tirée de l’article « Flagellation » du Dictionnaire des sciences médicales, a été d’abord notée dans le ms g 2267, f° 112, et recopiée ensuite au f° 154, avant d’être transférée dans la rubrique « Bizarreries ». 23 La citation est marquée d’une croix. 24 « Siège de la soif. On la diminue par l’application de vêtements mouillés sur la peau » (f° 76 ; Comte).
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Si Flaubert se mettait ainsi en quête d’expériences médicales risibles, c’est principalement pour les faire pratiquer ensuite à ses deux bonshommes. C’est du moins dans ce but qu’il a regroupé, sur une page de notes de notes (f° 143), une dizaine d’extraits sous le titre : « Expériences ». Par ailleurs, les mentions marginales comme « expérience à faire », « expériences » ou « jolie expérience », ajoutées en face de plusieurs citations dans les notes de lecture proprement dites, sont suffisamment éloquentes sur la finalité romanesque de ces citations. Par exemple, l’extrait suivant porte en marge le commentaire « expérience à faire » avec une croix : « Un chien à qui on a injecté dans le sang du phosphore dissous dans de l’huile – enfermé dans une cave obscure, exhale du feu par la bouche & les naseaux. – Le phosphore est exhalé par les poumons » (f° 73 v° ; Bernard). Dans le roman, Bouvard et Pécuchet s’avisent d’imiter ce geste expérimental pour en constater l’effet bizarre, mais y renoncent à cause des difficultés de son exécution25. Cette « expérience de Magendie » rapportée par Cl. Bernard n’intéresse donc Flaubert que par son côté pittoresque, quoiqu’elle ait un sens positif dans le contexte de la médecine expérimentale. On serait tenté de dire que celle-ci est ramenée, dans le dossier médical de Bouvard, au grotesque de certaines expériences, condamnées moins au niveau heuristique qu’au niveau plastique (« il faudra [...] les rendre plastiques »). Mais la figure dominante du comique des idées médicales est incontestablement la contradiction. Dans le dossier médical de Bouvard et Pécuchet, trois séries de citations y sont rattachées de façon explicite. En premier lieu, dans les notes de lecture, on trouve en face d’un certain nombre d’extraits des commentaires marginaux comme « contrad. » ou « contradiction ». Ensuite, sur deux pages de notes de notes (f° 139-139 v°), Flaubert énumère une vingtaine d’extraits placés sous le titre de « Contradictions ». Enfin, le second volume de Bouvard aurait dû inclure une rubrique intitulée : « Contradictions de la Science ». Il est fort significatif que cette rubrique, préparée dans les ms g 2264, f° 51-53, soit constituée uniquement de citations médicales, contrairement à ce qu’on pourrait attendre du terme global de « Science ». On peut affirmer sûrement 25
« On pouvait lui injecter du phosphore, puis l’enfermer dans une cave pour voir s’il rendrait du feu par les naseaux. Mais comment injecter ? Et du reste, on ne leur vendrait pas de phosphore » (p. 115).
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que la médecine apparaît à Flaubert comme l’espace des contradictoires par excellence. La « Contradiction » est donc une catégorie établie par le romancier lui-même. Cette catégorie a d’ailleurs la particularité d’être d’une portée générale, et englobe pour ainsi dire plusieurs autres catégories qui sont également indiquées par Flaubert : « Taxinomie », « Thérapeutique », « Doctrine », « Fièvre » et « Hygiène ». Ces souscatégories peuvent être considérées comme autant de variations de la contradiction, comme le confirment, par exemple, un examen rapide de leurs contenus ainsi que les transferts d’extraits à l’intérieur du dossier documentaire de Bouvard. Ainsi, quelques-unes des contradictions signalées comme telles en marge des notes de lecture ont été par la suite rangées dans les catégories de l’« Hygiène » ou de la « Thérapeutique »26. Ou bien, sur une page de notes de notes, on trouve un groupe de citations ayant pour titre : « contradictions de la thérapeutique » (f° 144 v°). D’autres pages, notamment celles qui se rapportent à l’hygiène, contiennent des extraits dont le caractère contradictoire est mis en relief par ce commentaire de Flaubert : « pour et contre ». Tout cela montre que c’est la figure unique de la contradiction qui est mise invariablement en jeu. Nous chercherons plus tard à replacer quelques-unes de ces catégories dans le contexte épistémologique de l’histoire des sciences médicales. Pour le moment, nous nous contenterons ici d’illustrer avec quelques exemples typiques cette figure unique mais multiple. Quoique les notes médicales de Flaubert comprennent une multitude variée de contradictions, il n’est pas très difficile de distinguer les deux formes principales que revêt cette figure fondamentale. Premièrement, il y a des idées ou théories qui se contredisent les unes les autres. On peut qualifier d’externes cette sorte de contradictions où il est constamment question des divergences d’opinions. Pour en citer seulement deux exemples : on a dit que l’inspiration la plus grande possible faisait entrer 70 pouces cubes
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Par exemple, on trouve au f° 115 (DSM, « Hygiène ») : « Cardan condamne l’exercice comme nuisible à la santé. Il attribue la longue vie des arbres à leur immobilité. » Cette citation portant en marge la mention « contradict » a été ensuite reprise aux f° 141 v° et f° 144 qui relèvent tous les deux des notes de notes concernant l’« Hygiène ».
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d’air dans le poumon, & qu’une inspiration ordinaire donnait 12 à 13 pouces cubes selon Menziès, – 12 selon Goodwin, 20 selon Jurine, – 16 à 17 [selon] Cuvier, 2 selon Grégory, 279 centimètres cubes selon Davy, – 655 centimètres cubes selon Thomson. (f° 68 v° ; Adelon) le pouls. sa cause. Galien : une force occulte pulsifique. Harvey : à la force de contraction du cœur d’autres : à l’action contractile des artères. Weithbrecht : à la locomotion que produit dans le cœur la dilatation de l’artère. (f° 69 ; id.)27
Dans d’autres cas, la contradiction peut être interne à telle ou telle proposition. Il n’est plus alors question de parallèles embarrassants, mais plutôt de conditions contradictoires inhérentes au savoir. Ainsi, en prenant des notes sur l’article « Calmant » du Dictionnaire des sciences médicales, Flaubert a retenu ce passage : Il n’existe pas dans les médicaments une propriété que l’on puisse appeler calmante. On ne peut désigner par là qu’une vertu en quelque sorte conditionnelle. Il n’y a que la circonstance actuelle où se trouve le malade qui puisse rendre un remède calmant. (f° 106 v°)
Coupé de son contexte d’origine et placé sous un jour ironique propre aux dossiers de Flaubert, cet extrait devient aussitôt la formulation d’une aporie. Ce qui fait scandale dans cette contradiction interne, c’est la relativité circonstancielle des effets des remèdes. L’article « Excitant » du Dictionnaire offre également un exemple de la même difficulté : « Il [= Dumas] a prouvé que pour plusieurs espèces de névralgies les meilleurs calmans étaient les excitants. » Flaubert commente juste après la citation : « Y a-t-il des calmans ? Y a-t-il des excitants absolus ? », et ajoute en marge : « Contradict. » (f° 111). Le caractère relatif de l’art de guérir finit par suggérer l’impossibilité d’une rationalité satisfaisante. Dans le roman, la même contradiction déroute les deux bonshommes qui « lisaient les ordonnances de leurs médecins, et étaient fort surpris que les calmants soient parfois des excitants, les vomitifs des purgatifs, qu’un même remède convienne à des affections diverses, et qu’une maladie s’en aille sous des traitements opposés » (p. 120). Au fond, c’est l’efficacité même de la thérapeutique qui est ainsi contestée à cause de son « manque de 27
Commentaire marginal : « thérapeut. »
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logique » (p. 119), comme le disent Bouvard et Pécuchet. Le thème de la « Femme » occupe une place non négligeable dans le dossier médical de Bouvard. À propos de cette catégorie, il faut noter que la médecine du XIXe siècle manifestait un intérêt tout particulier pour le sexe faible. On a vu ainsi une véritable prolifération de traités médicaux sur la femme, qui se présentaient pour la plupart comme des traités d’hygiène. Quelques-uns de ces ouvrages, qui constituaient alors un genre spécifique de la littérature médicale, figurent dans la documentation de Flaubert. Ses notes de lecture montrent à quel point il était sensible à l’enjeu culturel dont ces discours prétendument scientifiques étaient porteurs. Ce genre de livre, qui a connu un grand succès dans la première moitié du siècle, avait pour but principal de définir la femme comme un être fondamentalement différent de l’homme. Ainsi, J. L. Brachet prétend : « Toutes les parties de son corps [de la femme] présentent les mêmes différences : toutes respirent la femme ; le front, le nez, les yeux, la bouche, les oreilles, le menton, les joues, tout a son caractère particulier, tout porte l’empreinte de son sexe »28. Cette vision de la féminité diamétralement opposée à la masculinité est évidemment loin d’être innocente, et vise sournoisement à légitimer la distribution des rôles sociaux entre les deux sexes : l’espace public pour l’homme et le foyer pour la femme. Cette visée profonde des traités médicaux portant sur la femme n’a pas pu échapper à Flaubert. Le dossier médical contient effectivement des extraits comme celui-ci : « Si le fils, dit Mr Legouvé, représente l’espérance sous le toit paternel, la jeune fille a pour mission d’y figurer la pureté & la grâce ! » (f° 89 ; Menville de Ponsan). Le comique découle ici d’une posture idéologique qui arrive à peine à se dissimuler derrière l’emphase de l’expression Par l’acte seul de la prise de notes, le romancier réussit à mettre en relief ce qui sous-tend les énoncés médicaux. Le dispositif complexe qu’est le dossier médical de Bouvard est spécialement apte à faire apparaître l’intrication étroite du rationnel et du culturel. C’est ainsi que Flaubert s’amuse à relever les métaphores qui se trouvent en abondance dans les traités portant sur la femme. Les auteurs de ces traités, dont le statut scientifique paraît extrêmement équivoque à nos 28
Traité de l’hystérie, Baillière, 1847, p. 64. L’auteur poursuit : « Si nous portons notre regard à l’intérieur, et qu’à l’aide du scalpel nous mettions à découvert les organes, les tissus, les fibres, nous rencontrons partout aussi la même différence. »
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yeux, font souvent appel à de belles images comme s’ils espéraient par là pouvoir masquer les présupposés idéologiques de leurs discours. Toutefois, cette poétisation de la féminité dissimule assez mal son enjeu culturel. Ainsi, l’extrait sur la mission de la jeune fille cité à l’instant porte en marge le commentaire « copie », et est destiné à figurer dans le Sottisier, sans doute sous la rubrique « Style médical » qui est en fait la dernière catégorie flaubertienne utilisée dans le dossier médical. On sait que Flaubert avait préparé pour le second volume une rubrique générale : « Spécimens de tous les styles », laquelle aurait réuni des échantillons de divers styles professionnels. Le « Style médical », qui est un sociolecte parmi d’autres, n’en présente pas moins un intérêt spécifique et mérite d’être étudié à part. Dans cette étude (chapitre VIII), nous insisterons notamment sur l’implication idéologique inhérente au style de certains auteurs. Nous allons clore ici cet aperçu préliminaire du dossier médical. La typologie flaubertienne des discours médicaux que nous venons d’évoquer servira principalement à nous orienter dans la suite de cette étude. Nous allons maintenant examiner les innombrables extraits inscrits dans ce dossier en prenant l’une après l’autre les catégories établies par Flaubert. Nous tâcherons ainsi de restituer toute sa force problématique à cette machine de guerre singulière que sont les dossiers de Bouvard et Pécuchet.
Chapitre III Comique de la médecine Le dossier médical de Bouvard est frappant par l’insistance avec laquelle il revient sur les grossièretés. La sexualité et la folie notamment forment deux foyers intenses de citations comiques. En effet, les notes flaubertiennes abondent en anecdotes drôles concernant ces deux thèmes : « à Patane, selon Pyrard, les femmes sont si lubriques que les hommes sont obligés de se mettre des ceintures qui les défendent des entreprises de l’autre sexe » (f° 110 v° ; DSM, « Femme »)1. Tous les lecteurs de la Correspondance connaissent bien le goût déclaré de Flaubert pour les gauloiseries et la scatologie, goût qu’il a légué à Bouvard, lequel « s’étal[e] sur la génération » au milieu de l’étude de la physiologie (p. 112). C’est donc avec une certaine délectation malsaine que Flaubert a retenu des extraits comme celui-ci : « Borelli dit avoir connu un homme qui se frotta le membre viril de musc avant le coït. Il l’exerça & resta uni à sa femme, comme les chiens le sont à leurs femelles. Il fallut lui donner quantité de lavements afin de ramollir les parties & obtenir la séparation des individus » (f° 116 ; DSM, « Impuissance »). Quant à la folie, citons ici deux exemples particulièrement amusants : « Peur de la pierre. Les hypocondriaques s’arrêtent à tous les coins de rue pour uriner » (f° 40 v° : Andral) ; « Un abbé s’imaginait être un grain d’orge dans les dernières années de sa vie. Il raisonnait fort bien, mais ne voulait jamais sortir de sa maison dans la crainte d’être mangé par les poules » (f° 95 v° ; Réveillé-Parise).
1. Les erreurs populaires ou l’ambivalence de l’absurde La quête du comique primitif par Flaubert s’étend aussi aux « erreurs populaires ». Le dossier médical de Bouvard comprend 1 Commentaire marginal : « à copier », avec une croix. Ce commentaire est ensuite barré.
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effectivement une très riche collection de superstitions, préjugés populaires ou pratiques ridicules. Du reste, ce thème fait partie du réseau complexe de comique que constitue Le Dictionnaire des idées reçues : CHOLÉRA
Le melon donne le choléra. On s’en guérit, en prenant beaucoup de thé avec du rhum. (p. 411)2
DOS
Une tape dans le dos rend poitrinaire. (p. 416)
PLANTE
Guérit toujours les parties du corps humain auxquelles elle ressemble3.
L’écrivain était tout à fait conscient du profit qu’il pouvait tirer de ce thème pour son roman encyclopédique. En témoigne clairement une indication de régie inscrite dans le ms g 2267, f° 321 : « dans le dict. des idées reçues. erreurs populaires sur la médecine4. » C’est ainsi que Le Dictionnaire contient cette erreur populaire, que Flaubert avait d’abord trouvée dans l’ouvrage de Richerand5 : PLIQUE POLONAISE
Si on coupe les cheveux, ils saignent. (p. 432)
Mais il va de soi que cet usage particulier (Le Dictionnaire des idées reçues) n’épuise pas toutes les possibilités littéraires du thème des erreurs populaires, dont l’importance est confirmée par sa forte présence dans le dossier médical de Bouvard. En fait, le romancier s’intéresse ici à un thème qui était tout d’actualité pour la médecine de l’époque. Au XIXe siècle, la médecine populaire s’élaborait encore d’une façon fort indépendante de la médecine officielle. Elle régnait surtout dans les campagnes où les malades, pour des raisons pécuniaires mais aussi à cause du manque endémique de médecins diplômés, s’adressaient le plus souvent aux 2
« Le choléra a été assez fort à Croisset. Pour le prévenir, tout le monde entonne du rhum avec conviction. Mais l’épidémie paraît se calmer » (Lettre à sa nièce Caroline, 9 septembre 1873 ; Pl., t. IV, p. 714). 3 Bouvard et Pécuchet, édition de Cl. Gothot-Mersch, p. 547. Cet article ne figure pas dans la dernière version du Dictionnaire (ms a). 4 Cette indication est barrée de plusieurs traits. 5 On lit au f° 54 : « plique polonaise, = les cheveux saignent », avec ce commentaire en interligne : « idée reçue ».
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ecclésiastiques, aux notables des villages ou aux guérisseurs. La littérature de colportage offrait à ces praticiens illégaux leurs principales recettes dont le contenu était loin de refléter les progrès scientifiques contemporains. Elle continuait à diffuser de vieilles connaissances devenues caduques6 , tandis que les médecins de la Faculté déploraient ouvertement l’influence désastreuse des erreurs populaires. Flaubert a pris des notes sur un almanach intitulé Éphémérides d’Allemagne7, et y a relevé quelques pratiques ridicules, dont celle-ci : « Amulette contre les hémorroïdes : prenez de la racine d’orpin (téléphium). Suspendez-la au cou, ayant soin qu’il y ait autant de nœuds à cette racine qu’il y a de boutons hémorroïdaux. À mesure que la racine se sèche, les hémorroïdes se flétrissent & cessent d’être douloureuses » (f° 48 v°). Mais c’est surtout l’Histoire naturelle de la santé et de la maladie de Raspail qui lui a servi pour son roman encyclopédique. François-Vincent Raspail (1794-1878) est une figure représentative de la médecine populaire au XIXe siècle. Ce détracteur de la médecine officielle était un vrai autodidacte et se plaçait ouvertement du côté du bon sens populaire dont il fit l’éloge dans ses nombreux écrits. Auteur de plusieurs almanachs, il a publié également, outre ses grandes œuvres, le Manuel annuaire de la santé à partir de 1845 afin de répandre son propre système médical8. C’est précisément avec cette brochure que Bouvard et Pécuchet découvrent la médecine Raspail9 : Un jour qu’il [= Bouvard] s’y rendait [chez le forgeron], il fut accosté par 6
Sur ce contexte historique, voir Lise Andries, « Médecine populaire et littérature de colportage au XIXe siècle », dans Raspail et la vulgarisation médicale, sous la direction de Jacques Poirier et de Claude Langlois, Sciences en situation, 1992, p. 11-26 ; Jacques Léonard, La France médicale au XIXe siècle, Gallimard / Julliard, « Archives », 1978, p. 17-65. 7 En fait, les extraits des Éphémérides d’Allemagne se trouvent insérés dans le Manuel des Dames de charité. 8 Sur Raspail et ses publications, voir les différents articles contenus dans Raspail et la vulgarisation médicale, op. cit.. On consultera particulièrement l’article de Claude Langlois, « Raspail, vulgarisateur de lui-même », p. 61-101. 9 Il convient ici de rappeler que le nom de Raspail figurait déjà dans Madame Bovary. Une des inscriptions couvrant la façade de la pharmacie d’Homais indiquait nettement la « médecine Raspail » (édition de Cl. Gothot-Mersch, Garnier, « Classiques Garnier », 1971, p. 74).
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un homme portant sur le dos un sac de toile, et qui lui proposa des almanachs, des livres pieux, des médailles bénites, enfin le Manuel de la Santé, par François Raspail. Cette brochure lui plut tellement qu’il écrivit à Barberou de lui envoyer le grand ouvrage. (p. 117)
Le grand ouvrage de Raspail regorge de naïvetés. Sa doctrine simpliste, dont la clarté séduit immédiatement les deux bonshommes, attribue la plupart des maladies à l’action ravageuse des parasites, en particulier des helminthes : « la gastrite & l’entérite peuvent bien être toujours l’effet de corps étrangers » (f° 63 v°) ; « la dysenterie est une gale des intestins » (Id.) ; « Les borborygmes que nous percevons dans les intestins sont le produit des ravages des helminthes ou de leur décomposition. Ils sont, en tout cas, le signe infaillible de leur présence » (f° 64)10 ; « la carie des dents […], selon Raspail, vient d’un ver » (Id.) ; enfin, « les helminthes [sont la] cause de toutes les maladies » (f° 64 v°). Pour se débarrasser de cette cause universelle de maladies, la médecine Raspail fait systématiquement appel au camphre qu’elle administre sous plusieurs formes, notamment celle de la célèbre « cigarette de camphre » (Id.)11. Convaincu de l’efficacité absolue de cette substance, Raspail multiplie les conseils hygiéniques et thérapeutiques comme celui-ci : « au retour de la promenade, hâtez-vous d’aspirer des cigarettes de camphre » (Id.). Cette panacée l’incite même à proposer un traitement pour les bossus : « Lotions fréquentes à l’alcool camphré. – Applications fréquentes de moutarde ordinaire sur la déviation pendant l’espace de vingt minutes, & recouvrir ensuite, après avoir bien lavé la place, avec une plaque de sparadrap adhérent » (f° 65). Voilà qui suffit à fasciner nos deux autodidactes, lesquels entreprennent à leur tour « la cure d’un bossu », mais, bien entendu, sans succès (p. 117-118). Les médecins éclairés s’élèvent contre ces « erreurs populaires ». Plusieurs d’entre eux prennent la peine d’écrire des « traités sur les 10
La citation est marquée d’une croix en marge. « On en a fabriqué qui ressemblaient à un cigare, à un brûle-gueule. Raspail regrette que les ouvriers français n’en aient pas fait ayant la forme de petites fleurs qu’on porterait à la bouche » (f° 64 v°). La cigarette de camphre a été réellement à la mode dans les années 1840. Dans son roman, Flaubert a caricaturé ce phénomène en le transposant dans la communauté de Chavignolles : « — et le percepteur des contributions, le secrétaire de la mairie, le maire lui-même, tout le monde dans Chavignolles suçait des tuyaux de plume » (p. 118). 11
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erreurs populaires », qui constituent un genre médical ayant sa propre histoire depuis le XVIe siècle12. Une bibliographie placée à la fin de l’article « Erreurs populaires sur la médecine » du Dictionnaire des sciences médicales13 propose la liste des ouvrages les plus importants : Laurent Joubert, Erreurs populaires au fait de la médecine et régime de santé (1570)14 ; Jacques Primerose, De vulgi erroribus in medicinâ libri quantuor (1639) ; Jean Henri Schulze, Errores quidam haud vulgares in medicinâ et chirurgiâ commonstrati (1742), etc. Ces recueils d’erreurs populaires, inspirés par l’esprit des Lumières, sont des ouvrages essentiellement didactiques. Ils ont pour but de combattre l’ignorance et l’obscurantisme, d’extirper les préjugés et les superstitions, et d’établir ainsi le règne de la raison. Il ne faut pas tolérer les nombreuses erreurs funestes « qui ont envahi de tout temps, et ne cessent encore d’avilir l’art médical »15. Elles compromettent trop souvent la vie humaine. Corriger le plus grand nombre d’erreurs possible en vue du perfectionnement de l’art médical, telle est donc la mission que se donnent les auteurs de ces traités didactiques. Flaubert a pris effectivement en notes trois ouvrages de ce genre : A. Richerand, Des erreurs populaires relatives à la médecine (f° 54 et 51) ; l’article du Dictionnaire des sciences médicales que nous venons de mentionner (f° 110) ; et J.-B. Salgues, Des erreurs et des préjugés répandus dans la société (f° 150-151), qui ne concerne pas uniquement les erreurs médicales16. Or, dans quel esprit Flaubert a-t-il donc abordé ces écrits médicaux ? Dès le premier coup d’œil, il est évident 12
Sur l’histoire de ce genre médical, voir Natalie Z. Davis, « Sagesse proverbiale et erreurs populaires », dans Les cultures du peuple, Aubier-Montaigne, 1979, p. 400-408 ; Joël Coste, La littérature des « erreurs populaires », Champion, 2002 ; Daniel Teysseire, « La dénonciation des erreurs populaires en médecine autour de 1820 », dans Les nouvelles pratiques de santé XVIIIe-XXe siècles, sous la direction de Patrice Bourdelais et Olivier Faure, Belin, 2005, p. 143-155. 13 Article par Renauldin, Dictionnaire des sciences médicales, C. L. F. Panckoucke, t. 13, 1814, p. 221-222. 14 Flaubert a probablement lu cet ouvrage en 1875, comme en témoigne le registre de prêt de la Bibliothèque Nationale. Voir notre « Bibliographie médicale pour Bouvard et Pécuchet » (ch. I). 15 Ibid., p. 196. 16 Comme l’a bien montré Anne Green, cet ouvrage de Salgues a vraisemblablement inspiré à Flaubert plusieurs articles du Dictionnaire des idées reçues. Voir son article « Flaubert, Salgues et le Dictionnaire des idées reçues », Revue d’Histoire littéraire de la France, 1980, 5, p. 773-777.
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que notre romancier ne partage point l’intention didactique des auteurs de ces traités. Il ne s’intéresse ni aux réfutations que ces auteurs opposent aux erreurs populaires, ni aux vérités scientifiques qu’ils s’efforcent de faire valoir. Au contraire, ce sont les erreurs superstitieuses elles-mêmes qui retiennent presque exclusivement son intérêt : « couvertures rouges préférables pour faire sortir la petite vérole » (f° 54) ; « un morceau de pain placé sous l’aisselle d’une personne en sueur, si on le donne à un chien, l’enrage – & est un poison mortel » (f° 150)17. En ne cherchant que des perles à recueillir, le romancier détourne audacieusement la finalité propre de ces ouvrages didactiques. Paradoxalement, Flaubert utilise dans un même but deux genres diamétralement opposés de littérature médicale, c’est-à-dire le traité sur les erreurs populaires et la littérature de colportage, quoique la seconde soit précisément la cible des critiques du premier. Ses notes consacrées aux traités didactiques ne diffèrent en rien de celles qu’il a prises sur les Éphémérides d’Allemagne ou sur l’ouvrage de Raspail. C’est ainsi que Flaubert arrache les divers textes à leur statut originel. Dans les deux cas, son unique dessein est de traquer des erreurs ridicules : « Contre la jaunisse : fiente d’oie dans de l’esprit de vin » (f° 48 v° ; Éphémérides) ; « L’usage de l’huile donne des hernies. Elles sont plus communes en Provence qu’ailleurs » (f° 54 ; Richerand). Mais, pourquoi Flaubert s’intéresse-t-il autant aux croyances populaires ? Parce que ces erreurs extravagantes l’émerveillent en même temps qu’elles le repoussent. La bêtise de ces superstitions le fascine tandis qu’elle a tout simplement révolté les auteurs partisans du progrès scientifique. À la fin des notes prises sur l’article « Erreurs populaires » du Dictionnaire, on lit : « les laits répandus, – les gales rentrées, – les nerfs crispés ! » (f° 110)18. Le point d’exclamation qui clôt la liste de ces maladies imaginaires n’exprime pas seulement le dédain de Flaubert pour ces inventions fantasques. Il indique aussi une sorte d’admiration que l’écrivain ressent devant la bêtise qui « est quelque chose d’inébranlable »19. Flaubert avait lu Des erreurs et des préjugés de Salgues lors de la 17
Commentaire marginal : « opinion populaire. » Les laits répandus et les gales rentrées sont mentionnés également au f° 54 (Richerand). 19 Lettre à son oncle Parain, 6 octobre 1850 (Pl., t. I, p. 689). 18
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rédaction de Madame Bovary20. Il écrivait alors, dans une lettre à L. Colet21, un commentaire fort intéressant sur cet ouvrage qu’il avait commencé à feuilleter « ayant besoin de quelques préjugés pour le quart d’heure ». (Déjà à cette époque, il ne cherchait que des erreurs à intégrer dans son roman tout en laissant de côté la finalité didactique du livre consulté.) Le jugement de Flaubert est plutôt sévère. Il trouve le livre « faible et léger ! léger surtout ! » Salgues, en vue de combattre les erreurs et les préjugés, recourt constamment aux traits d’esprit. Mais les bêtises sont si puissantes et si solides qu’une arme aussi faible que l’esprit ne peut même pas les ébranler22. Prenons un exemple : « Pline prétend qu’une dame de sa connaissance accoucha d’un éléphant pour avoir regardé trop attentivement un de ces animaux » (f° 150). L’erreur populaire se rapporte ici à l’influence de l’imagination maternelle sur l’organisation du fœtus. Cette croyance était profondément enracinée dans les mentalités du peuple, et suscitait encore des controverses scientifiques sérieuses au début du XIXe siècle23. À ce préjugé bien ancré depuis des siècles, Salgues oppose un trait ironique : « les couches durent être laborieuses24. » Flaubert ne retiendra pas dans ses notes ce commentaire final de Salgues. En effet, face à l’absurdité extraordinaire de l’idée de l’enfantement d’un éléphant, « comme ça nous semble bête, l’esprit !!! », comme l’écrivait 20
Les notes de lecture classées dans le dossier de Bouvard ont été prises en juin 1873, ainsi qu’en témoigne la liste des livres lus pour Bouvard qui a été dressée par Flaubert dans le Carnet 15, f° 66 (Carnets de travail, op. cit., p. 157). 21 31 mars 1853 (Pl., t. II, p. 295). 22 Dans une lettre à son oncle déjà citée, Flaubert évoque cette puissance de la bêtise : « rien ne l’attaque [la bêtise] sans se briser contre elle. Elle est de la nature du granit, dure et résistante » (6 octobre 1850 ; Pl., t. I, p. 689). 23 Le dossier médical de Bouvard contient plusieurs citations concernant la même croyance. Ce sont surtout les notes prises sur l’article « Grossesse » du Dictionnaire des sciences médicales (f° 114) qui exposent ce préjugé d’une façon particulièrement dense. On peut lire là, par exemple, quelques précautions à prendre en vue de protéger l’imagination des femmes enceintes : « ne pas consigner dans les feuilles publiques la naissance de monstres extraordinaires, ni en répandre par des colporteurs le dessin et la description. » Flaubert a retenu aussi une référence bibliographique sur la matière : « Demangeon - de l’influence de l’imagination maternelle. » La référence exacte est : J.-B. Demangeon, Considérations physiologiques sur le pouvoir de l’imagination maternelle durant la grossesse et sur sur les autres causes, prétendues ou réelles, des difformités et des variétés naturelles, l’auteur, 1807. 24 J. B. Salgues, Des erreurs et des préjugés répandus dans la société, F. Buisson, t. 1, 1810, p. 15.
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Flaubert dans sa lettre à L. Colet. Et il ajoutait : « Nous sommes devenus très graves » de telle sorte qu’« en des sujets semblables nous avons maintenant des instincts historiques qui ne s’accommodent pas des plaisanteries ». « L’absurde ne nous choque pas du tout », affirmait Flaubert dans la même lettre. L’absurde est plus fort et peut-être plus attirant que « son contraire, qui est aussi bête que lui ou tout autant »25. Flaubert déclare qu’« un fait curieux nous intéresse plus qu’un raisonnement ou une jovialité ». Nul doute qu’il est fortement séduit par l’absurdité de certaines bêtises. Pourquoi « déclamer contre les sorciers ou la baguette divinatoire » ? Il veut « seulement qu’on l’expose [l’absurde] », comme il le fera plus tard dans ses notes de lecture pour Bouvard : « Jonston a écrit que dans l’isthme de Darien la sueur des esclaves engendre les crapauds » (f° 150 v°). Salgues commente ironiquement ce préjugé extravagant : « C’est pousser un peu loin les idées d’aristocratie26. » Pourtant, son ironie et son raisonnement ne valent pas mieux que les absurdités qu’il attaque avec acharnement. Il nous faut surtout tenir compte de l’ambivalence problématique de ce que Flaubert appelle la bêtise. Les erreurs populaires qu’il puise dans les livres médicaux exercent une fascination indéniable sur lui. Sans doute convient-il de distinguer, avec Michel Crouzet27, deux catégories dans la Bêtise ; distinction plus ou moins artificielle, il est vrai, mais qui peut nous aider à démêler la complexité de ce concept flaubertien. Il y a d’abord ce que l’on peut nommer la bêtise concluante. Cette première bêtise classe le monde, applique des étiquettes aux êtres, établit leurs valeurs respectives et construit des systèmes. En un mot, elle « consiste à vouloir conclure »28. Elle appartient aux bourgeois conservateurs aussi bien qu’aux socialistes qui ont inventé « ces déplorables utopies ». Flaubert condamne catégoriquement cette bêtise en alléguant les limites étroites de notre intelligence : « Nous sommes un fil et nous voulons savoir la trame. » L’ignorance 25
Dans une lettre à Louis Bouilhet du 1er août 1855, Flaubert explique cette non-distinction entre la bêtise et l’esprit qui est « la grande loi de l’ontologie » : « La bêtise n’est pas d’un côté, et l’Esprit de l’autre. C’est comme le Vice et la Vertu. Malin qui les distingue » (Pl., t. II, p. 585-586). 26 J. B. Salgues, op. cit., t. 1, p. 401. 27 Michel Crouzet, « Sur le grotesque triste dans Bouvard et Pécuchet », dans Flaubert et le comble de l’art, SEDES, 1981, p. 51. 28 Lettre à L. Bouilhet, 4 septembre 1850 (Pl., t. I, p. 679-680).
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est donc notre condition foncière. Ainsi, nous verrons plus tard que dans le roman encyclopédique et son dossier documentaire, la bêtise concluante, ne voulant que des certitudes absolues, se heurte inévitablement aux contradictions de toute espèce. Le deuxième type de bêtise comprend tout ce que la première bêtise qualifie de stupide et d’abject. En fait partie tout ce qu’il y a d’idiot, de fou, d’insignifiant, de bestial, de bouffon, d’absurde et de laid. Négation de l’intelligence concluante, cette seconde bêtise « traduit le soulèvement de toutes les puissances d’en bas »29. Elle est la « sous-bêtise, qui tend au désordre radical », tandis que l’autre bêtise tente d’imposer au monde son propre ordre (par conséquent, un faux ordre). Cette sous-bêtise, qui est tout l’opposé de la bêtise concluante, fascine fortement Flaubert. Michel Crouzet l’appelle le « grotesque triste » en se servant de l’expression même du romancier. Celui-ci voyait, en effet, un chef-d’œuvre du grotesque triste dans la Tentation de saint Antoine de Callot : « Le grotesque triste a pour moi un charme inouï. Il correspond aux besoins intimes de ma nature bouffonnement amère. Il ne me fait pas rire mais rêver longuement30. » Il est sans doute pertinent de parler ici des affinités qui unissaient Flaubert avec « tout ce qui est crétin, fou, idiot, sauvage »31. Tous ces gens-là appartenant au deuxième type de bêtise lui montrent invariablement de la sympathie et de l’affection. À ce propos, Flaubert raconte une anecdote fort curieuse à Alfred Le Poittevin : « Il y a quelques jours, j’ai rencontré trois pauvres idiotes qui m’ont demandé l’aumône. Elles étaient affreuses, dégoûtantes de laideur et de crétinisme. Elles ne pouvaient pas parler ; à peine si elles marchaient. Quand elles m’ont vu, elles se sont mises à me faire des signes pour me dire qu’elles m’aimaient ; elles me souriaient, passaient la main sur leur visage et m’envoyaient des baisers32. » On peut trouver dans la Correspondance d’autres exemples de cette attirance qui le charme et l’effraie à la fois33. Mais d’où vient donc cet « étrange attache29
M. Crouzet, art. cit., p. 51. Lettre à L. Colet, 21-22 août 1846 (Pl., t. I, p. 307). 31 Lettre à L. Bouilhet, 26 décembre 1853 (Pl., t. II, p. 488). 32 Lettre à Alfred Le Poittevin, 26 mai 1845 (Pl., t. I, p. 234). 33 Citons juste un exemple : « Pourquoi un phrénologue m’a-t-il dit que j’étais fait pour être un dompteur de bêtes féroces ? et un autre, que je devais magnétiser ? Pourquoi tous les fous et tous les crétins me suivent-ils sur les talons, comme des chiens (expérience que j’ai renouvelée plusieurs fois), etc. » (Lettre à L. Colet, 1er juin 30
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ment » que lui témoignent ces êtres marginaux ? Pourquoi attire-t-il singulièrement « les fous et les animaux » ? Flaubert se demande : « Est-ce parce qu’ils devinent que je les comprends, parce qu’ils sentent que j’entre dans leur monde ? » La sympathie est évidemment réciproque. Elle est fondée sur une compréhension mutuelle. Qui plus est, Flaubert est de ce monde du grotesque triste. L’inventeur du mythique Garçon se plaisait ainsi à animer lui-même « la Fête de la Merde » à « l’hôtel des Farces »34. Qu’est-ce que le Garçon, ce personnage imaginaire que Gustave et ses camarades ont créé et joué sur le grand billard de l’Hôtel-Dieu de Rouen ? Jean Bruneau a mis au point les différents aspects de cette figure énigmatique35. D’après ce flaubertiste, le Garçon est à la fois la bourgeoisie et l’anti-bourgeoisie. Il est bon vivant, libéral, incroyant, vaniteux, méchant, immoral et surtout farceur. Ce faiseur d’idées reçues est en même temps l’ennemi des bourgeois dans la mesure où il détruit sans scrupules l’ordre établi. C’est ce que suggère une lettre adressée à Ernest Chevalier, vieil ami de Flaubert qui avait choisi de mener sagement la vie de magistrat : « Je voudrais bien l’accompagner [Du Camp] et tomber un beau matin dans ton parquet pour casser et briser tout, roter derrière la porte, renverser les encriers et chier devant le buste de S.M., faire enfin l’entrée du Garçon36. » Avec ses farces parfois violentes, le Garçon incarne presque l’animalité. Son entrée trouble le bien-être complaisant de la bourgeoisie et provoque un désordre immense. « Homme adonné à tous les vices »37, Le Garçon accueille les infortunes des bourgeois avec un rire méchant et sadique. C’est précisément ce « rire du Garçon » qui a éclaté lorsque Gustave a appris que le censeur des études, M. Cabrié, avait été surpris dans un bordel38. Le Garçon, puissance négative, excelle également dans les absurdités. Ainsi, à l’Hôtel des Farces, « on chauffe les
1853 ; Pl., t. II, p. 341). Flaubert a répondu à ces questions un peu plus haut dans la même lettre : « Qu’ai-je donc ? […] Suis-je un peu fou moi-même ? Je le crois. » 34 Edmond et Jules de Goncourt, Journal, édition de Robert Ricatte, Robert Laffont, « Bouquins », t. 1, 1989, p. 551 (10 avril 1860). 35 Jean Bruneau, Les débuts littéraires de Gustave Flaubert 1831-1845, Armand Colin, 1962, p. 150-160. 36 13 juillet 1847 (Pl., t. I, p. 460). 37 Lettre à Ernest Chevalier, 15 mars 1842 (Pl., t. I, p. 98). 38 Lettre au même, 24 mars 1837 (Pl., t. I, p. 22-23).
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calorifères » en plein été39 . « Le Garçon croit que le fromage de Parmesan est l’auteur de tous les tableaux désignés sous le nom du Parmesan40. » Ces erreurs du Garçon, par leur absurdité même, ont au moins la capacité de faire rêver.
2. La tentation des monstres « Ce qui n’a pas de sens a un sens supérieur à ce qui en a »41, écrivait Flaubert en 1845. La fascination flaubertienne pour l’absurde, la farce et le grotesque triste explique l’abondance des monstres dans le texte et l’avant-texte de Bouvard et Pécuchet. De fait, le dernier roman de Flaubert est aussi riche, quoique de façon plus discrète, en êtres et objets monstrueux que La Tentation de saint Antoine42. Certes, l’histoire des sciences nous apprend que le XIXe siècle a vu s’élaborer l’explication rationnelle de la monstruosité. La naissance de la tératologie moderne avec les deux Geoffroy Saint-Hilaire a en quelque sorte domestiqué les monstres en les plaçant définitivement du côté des règles générales de la nature. De cette rationalisation, Le Dictionnaire des idées reçues porte la trace : MONSTRE
On n’en voit plus43.
En dépit de cette négation rationaliste du monstre44, tout a tendance à devenir monstrueux dans l’univers de Bouvard. Ainsi, le choux devient prodigieux et incomestible : « Pécuchet fut content de posséder un monstre » (p. 78). Lors de la réception chez Bouvard et Pécuchet, le jardin artistique apparaît comme « quelque chose d’effrayant » (p. 97). L’œil du cadavre postiche « faisait une saillie monstrueuse, 39
Lettre à Edmond Laporte, 17 juillet 1876 (Pl., t. V, p. 74). Lettre à M. Du Camp, 30 mai 1851 (Pl., t. I, p. 784). 41 Lettre à A. Le Poittevin, juillet 1845 (Pl., t. I, p. 247). 42 Sur les monstres dans La Tentation, nous renvoyons surtout à l’étude classique de Jean Seznec, Nouvelles études sur La Tentation de saint Antoine, London, The Warburg Institute, University of London, 1949, Chapitre IV, p. 59-85. 43 Bouvard et Pécuchet, édition de Cl. Gothot-Mersch, p. 541. Cet article ne figure pas dans la dernière version du Dictionnaire. 44 Sur ce point, voir par exemple Georges Canguilhem, La connaissance de la vie, deuxième édition revue et augmentée, J. Vrin, 1992, p. 179-181. 40
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avait quelque chose d’effrayant » (p. 109). Les malades que visitent les deux protagonistes « sous prétexte de philanthropie » présentent tous des aspects terribles : Au fond des chambres sur de sales matelas, reposaient des gens dont la figure pendait d’un côté, d’autres l’avaient bouffie et d’un rouge écarlate, ou couleur de citron, ou bien violette, avec les narines pincées, la bouche tremblante, et des râles, des hoquets, des sueurs, des exhalaisons de cuir et de vieux fromage. (p. 119-120)
Les deux bonshommes sont satisfaits d’avoir « une monstrueuse galoche » dans leur musée (p. 152), et s’intéressent à l’historien Monstrelet en raison de son nom (p. 175). Ils vont jusqu’à vouloir créer eux-mêmes des animaux extraordinaires et tentent ainsi « des alliances anormales » « avec l’espoir qu’il en sortirait des monstres » (p. 130). Le chat, victime de la cruauté de Victor, se transforme aussi en monstre. Il pousse « d’abominables cris » et regarde avec des yeux « couleur de lait, comme vidés » (p. 365). Enfin, la séance du magnétisme met en scène des monstres humains, parmi lesquels se trouve le futur domestique des protagonistes, Marcel, dont l’extrême laideur repousse tous les habitants de Chavignolles (p. 266-267) Le dossier médical de Bouvard montre aussi un vrai foisonnement de monstres. Pour en citer plusieurs exemples, on rencontre, dans cette galerie tératologique, des femmes qui vomissent des lézards ou des grenouilles (f° 63 v° ; Raspail) ; un « homme à la tête de veau, paysan de Saintonge », dont la monstruosité hideuse « vient de l’introduction d’insectes » (f° 64 ; id.) ; un enfant de Bâle « dont le nez était tellement fendu & écarté qu’on pouvait apercevoir le cerveau », ou « un charpentier qui avait un double nez » (f° 93 v° ; Cloquet) ; « Jacques Trouillu, paysan du temps d’Henri IV », qui portait « des excroissances frontales pareilles aux cornes de Bacchus » (f° 109 v° ; DSM, « Dionysien ») ; des hommes « dont les mamelles sont aussi grosses que celles d’une femme » (f° 114 ; DSM, « Gynécomaste ») ; ou encore, « la fille Gorée » ayant une « fistule à la partie supérieure de l’épigastre, laquelle permettait de voir l’intérieur de l’estomac » (f° 119 ; DSM, « Muséum »). Il y a également des monstres qui sont purement imaginaires : « Pline assure qu’il existait en Afrique au delà du désert de Zara un peuple d’androgynes qui se reproduisait de lui-même » (f° 151 ; Salgues).
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Flaubert a lu un ouvrage de tératologie du XVIIIe siècle, Les Écarts de la nature de Regnault, et y a relevé trois cas monstrueux : « enfant monopède – du cabinet de Mr Pinson » ; un Napolitain possédant « une croupe d’enfant mâle » qui «lui sort de l’épigastre » ; et « le petit Pepin » qui n’a « rien qu’un torse » et dont « les mains sortent des épaules, les pieds des hanches » (f° 50). Mais c’est surtout dans l’article « Cas rares » du Dictionnaire des sciences médicales qu’il a découvert une série de monstruosités frappantes (f° 107107 v°). Citons quelques exemples : « Grande bouche. Un marocain qui mangeait un melon avec son écorce, comme un autre une pomme » ; « fille enculée par son amant qui accouche par l’anus » ; à l’autopsie d’un forçat polyphage, « on trouva dans son estomac, des couteaux, un manche de cuiller, etc. » ; ou encore, « les habitués du jardin du Palais-Royal y voient tous les jours un homme dont le nez ressemble à une végétation monstrueuse. Il est divisé en différentes tumeurs d’inégales grosseurs, formant une masse plus grosse que le poing & couvrant presque toute la face » ; etc. Une page de notes de notes contient une note de régie concernant la fascination que les monstres exercent sur les deux protagonistes du roman : « s’ébahissent sur les cas rares » (f° 143). De même que leur auteur, ils prennent en note « dans le Dictionnaire des Sciences médicales, les exemples d’accouchement, de longévité, d’obésité et de constipation extraordinaires » : Que n’avaient-ils connu le fameux Canadien de Beaumont, les polyphages Tarare et Bijoux, la femme hydropique du département de l’Eure, le Piémontais qui allait à la garde-robe tous les vingt jours, Simorre de Mirepoix mort ossifié, et cet ancien maire d’Angoulême, dont le nez pesait trois livres ! (p. 110)
Aux f° 107-107 v°, on trouve effectivement les citations correspondantes. Ainsi, Flaubert a retenu quelques accouchements extraordinaires : « conceptions successives » ; « Une femme accouche d’un enfant blanc, & d’un mulâtre. […] Elle vivait avec un blanc, mais elle avait cédé deux fois aux instances d’un nègre, étant déjà grosse de quatre mois » ; la femme de Gilles de Trazegnies, compagnon de St Louis, « accouche de 13 enfants d’une seule portée » ; « une Russe eut en 21 couches 57 enfants. » La longévité d’un Hongrois qui a vécu 172 ans et qui « ne se nourrissait que de lait & d’eau-de-vie » est aussi impressionnante que celle de Jenkens ayant vécu 189 ans. Le cas
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d’obésité le plus étonnant est fourni par une femme qui « avait des mamelles pesant chacune 30 livres » et qui « les enfermait dans un sac qu’elle s’attachait au cou, afin d’en pouvoir supporter le poids ». Quant à la constipation, le romancier a noté deux exemples : « Constipation de Leipsik, – tous les mercredis. – Un italien tous les 22 jours45. » Enfin, voici les sources, consignées dans les notes de lecture, des autres cas rares qui ont émerveillé les deux bonshommes : — « Un Canadien, ayant une fistule dans la région de l’estomac permit à Mr Beaumont d’étudier la digestion. » (f° 128 v° ; Lévy)46 — « Polyphages. […] Bijoux. – Tarare. » (f° 107 ; DSM, « Cas rares ») — « Femme du département de l’Eure. 154 ponctions. » (Id.) — « ossification graduelle de Simorre de Mirepoix, mort en 1802. » (f° 107 v°) — « Mr Perrier de Gurat, ancien maire d’Angoulême, en avait un [nez] divisé en cinq lobes et du poids de 2 livres, – cachant le menton. » (f° 107)
Une question se pose ici. Pourquoi Flaubert éprouvait-il une attirance particulière pour les monstruosités ? D’abord, il y a évidemment une raison esthétique. « Le grotesque triste relève d’une poétique »47, comme l’a fait remarquer M. Crouzet qui rappelait en même temps les origines hugoliennes de cette poétique. Le monstre, ou plus généralement le grotesque, produit des effets pittoresques qui lui sont propres. Mais il y a plus. Les monstres sont investis d’une valeur philosophique dans l’univers flaubertien. « Les monstruosités surpassent les fonctions normales » (p. 282) et, par là, mettent en cause la notion même de normalité. En révélant comme précaire ce que nous croyons stable, le monstre nous inspire une inquiétude puissante et provoque une interrogation radicale sur l’ordre et le désordre. Pourquoi un monstre est-il possible ? Est-ce que son existence ne contredit pas fondamentalement ce que l’on croit ordinairement être les lois et les normes ? L’intelligence humaine est-elle jamais capable de saisir le véritable ordre de monde ? Voilà les questions que soulèvent les 45
La citation est marquée d’une croix en marge. A. Comte (f° 76) et Béraud (f° 100) font également mention de ce « Canadien de Beaumont ». 47 M. Crouzet, art. cit., p. 49. 46
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monstres par leur inquiétante étrangeté. À vrai dire, la monstruosité a toujours été un sujet d’interrogations philosophiques intenses pour la pensée médicale de l’Occident. Les problèmes qu’elle suscite varient selon les époques. Et la tératologie, science des monstres, a changé plusieurs fois de problématique au fil des siècles. Ainsi, J. Céard a bien montré qu’à la Renaissance les monstres faisaient partie d’une catégorie plus large, celle des prodiges. Au même titre que les comètes, les inondations ou les éclipses, les êtres tératologiques s’imposaient comme autant de signes envoyés par Dieu qu’il fallait interpréter à toute force48. Si le XVIIIe siècle s’est intéressé aussi aux monstres, c’était notamment pour éclaircir le mécanisme de la génération et pour résoudre les débats qui opposaient la préformation et l’épigenèse, deux théories embryologiques alors en lutte. Un de ces débats, qui a eu lieu dans les Mémoires de l’Académie des Sciences et qui portait précisément sur l’origine des monstruosités, se trouve inscrit dans les notes prises par Flaubert sur la Vénus physique de Maupertuis (f° 50). Lémery prétend que « les monstres ne sont que l’effet de quelque accident arrivé aux œufs » (accidentalisme mécaniste), tandis que selon Winslow « il y a des œufs originairement monstrueux » (préformationnisme). Cette polémique biologique impliquait au fond des problèmes métaphysiques de la plus grande importance, comme en rendait compte Maupertuis lui-même : « L’un trouvoit du scandale à penser que Dieu eût créé des germes originairement monstrueux : l’autre croyoit que c’étoit limiter la puissance de Dieu, que de la restreindre à une régularité & une uniformité trop grande49. » Pour Flaubert le monstre n’est pas un désordre aveugle, puisqu’il parle de « la légitimité des monstres »50 en se référant à Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844). Ce fondateur de la tératologie moderne a proposé la notion de retard afin d’expliquer scientifiquement les monstruosités, et les a fait rentrer dans les lois générales de la nature. Écoutons ici Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (1805-1861), fils 48
Jean Céard, La nature et les prodiges, deuxième édition revue et augmentée, Genève, Droz, 1996. 49 Maupertuis, Vénus physique, (s.l.), 1745, p. 82. Pour les tenants et les aboutissants de cette polémique, voir Patrick Tort, L’ordre et les monstres, seconde édition, Syllepse, 1998. 50 Lettre à L. Colet, 12 octobre 1853 (Pl., t. II, p. 450-451).
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d’Étienne, qui a poussé davantage cette rationalisation des monstres : « Il n’existe pas de formations organiques qui ne soient soumises à des lois ; et le mot désordre, pris dans son acception véritable, ne saurait être appliqué à aucune des productions de la nature. » Il prétend ainsi qu’« il y a exception aux lois des naturalistes, et non aux lois de la nature ; […] anomal ne signifie autre chose qu’insolite, inaccoutumé 51 . » Le monstre n’apparaît comme une création irrégulière qu’aux yeux de l’homme, lequel distingue trop souvent l’ordre et le désordre d’après ses propres expériences circonscrites. Jules, un des deux héros de L’Éducation sentimentale de 1845, devient le porte-parole de l’auteur à la fin du roman et exprime ainsi des réflexions flaubertiennes concernant le monstre52 : « […] et il [= Jules] entrevit que le monstrueux et le bizarre avaient aussi leurs lois comme le gracieux et le sévère. La science ne reconnaît pas de monstre, elle ne maudit aucune créature ; […]. » On voit bien que Flaubert s’aligne sur les idées des deux Geoffroy Saint-Hilaire, lesquels ont prouvé que les monstres ont des places légitimes dans la nature. Jules en arrive à considérer que « tout, en elle [= la nature], est ordre, harmonie » et que les êtres difformes participent de plein droit à cette harmonie. « La laideur n’existe que dans l’esprit de l’homme. C’est une manière de sentir qui révèle sa faiblesse ; […]. » Ce qui produit les monstres, ce n’est donc pas l’aberration de la nature, mais plutôt l’imperfection de l’esprit humain. C’est précisément à ce niveau qu’intervient la valeur philosophique des monstres pour Flaubert. Les monstruosités font apparaître, par leur seule existence embarrassante, la fausseté du point de vue de l’homme, la bêtise des conclusions formulées de ce faux point de vue, et aussi l’incapacité humaine à saisir le vrai ordre de la nature. Lors de sa visite au muséum d’histoire naturelle de Nantes, Flaubert a admiré « deux petits cochons unis ensemble par le ventre ». La monstruosité plaisante de ces cochons a déclenché chez lui une série de réflexions que nous pouvons lire dans le chapitre III de Par les champs et par les
51
Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Histoire générale et particulière des anomalies de l’organisation chez l’homme et les animaux, J.-B. Baillière, t. 1, 1832, p. 36-37. 52 L’Éducation sentimentale (1845), dans Œuvres de jeunesse, édition de Claudine Gothot-Mersch et Guy Sagnes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2001, p. 1035-1036.
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grèves53. Les monstruosités, « ces manifestations irrégulières de la vie », ne sont probablement que « les expressions multiples et graduées de cet art inconnu qui gît dans son immobilité mystérieuse, au fond des océans, dans les profondeurs du globe, dans le foyer de la lumière, y variant les créations successives, et perpétuant l’être ». Cependant, qui donc peut pénétrer à fond « cet art inconnu » ? Quand parviendra-t-on à embrasser dans toute son étendue ce que Geoffroy Saint-Hilaire a appelé l’unité de composition ? Décidément, notre romancier se montre sceptique à ce propos : « Depuis six mille ans qu’il l’étudie, l’homme commence peut-être à épeler la première lettre de cet alphabet qui n’a pas d’Oméga. Quand pourra-t-il lire une phrase ? » Les monstres ont « leurs rapports anatomiques, c’est-à-dire plastiques, et leurs lois physiologiques, c’est-à-dire nécessaires pour exister »54. Leur monde « qui paraît la négation du nôtre » n’en fait pas moins partie de l’harmonie universelle. Or, cette harmonie surhumaine existe-t-elle également dans le monde moral ? Dans L’Éducation sentimentale de 1845, Jules étudie « le criminel, l’ignoble, le grossier, et l’obscène » pour se convaincre de la légitimité des monstres moraux, et admire « leurs points de contact » avec le grand, le digne, le vertueux et l’agréable55. Dans Bouvard et Pécuchet, les deux bonshommes scandalisent les notables de Chavignolles en prenant la défense de Touache, « un galérien qui vagabondait dans le pays » (p. 295). Énervé par leurs paradoxes, Marescot leur adresse des propos furieux : « Ne défendez pas les monstres ! » (p. 297). La réponse de Bouvard à ce reproche est assez judicieuse pour rendre manifeste la bêtise idéologique du moralisme du notaire. Le bourgeois classe sans hésitation « un aveugle, un idiot, un homicide » dans la catégorie du désordre, et condamne sévèrement tout ce qui n’appartient pas à sa conception de l’ordre, « comme si l’ordre nous était connu, comme si la nature agissait pour une fin ! » (p. 297). Toutefois, la vraie Providence, c’est-à-dire la « loi qui règle tout », n’obéit pas nécessairement à cet ordre bourgeois. « Cette Providence [qui] soigne les petits oiseaux, et fait repousser les pattes des écrevisses » (p. 297) 53 Gustave Flaubert, Maxime Du Camp, Par les champs et par les grèves, édition critique par Adrianne J. Tooke, Genève, Droz, 1987, p. 179-182. 54 Ibid., p.181. 55 L’Éducation sentimentale (1845), op. cit., p. 1036.
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n’exclut pas pour autant les êtres que Marescot appelle des monstres. Après tout, la monstruosité, loin d’être le produit d’une pure fantaisie de la nature, donne à réfléchir sur le fondement même de notre conception du monde.
3. La bêtise des causes finales Dans une lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, Flaubert déplorait l’état peu scientifique dans lequel croupissait toujours l’humanité : « l’homme rapporte tout à soi. “Le soleil est fait pour éclairer la terre.” On en est encore là56. » Les bourgeois du XIXe siècle assimilaient fréquemment leur ordre à celui de la nature en se réclamant des causes finales. Ils pensaient que la Providence agissait pour une fin précise qui n’était rien d’autre que la leur. Du reste, le problème des causes finales, dont la portée ne pouvait être réduite à la conviction bourgeoise, constituait tout au long du siècle un des centres d’intérêt dans le domaine de la philosophie. C’est en 1876 que Paul Janet a publié Les Causes finales, célèbre ouvrage sur lequel Flaubert a pris des notes en vue du chapitre VIII de son roman encyclopédique (g 2266, f° 24-25). Dans la fiction, Bouvard et Pécuchet abordent ce problème au commencement de leurs études philosophiques. C’est Pécuchet qui soutient alors la finalité universelle : « Mais le spectacle de l’univers dénote une intention, un plan ! » Il prétend que « l’estomac est fait pour digérer, la jambe pour marcher, l’œil pour voir », et s’empresse de conclure : « Pas d’arrangement sans but ! […] Tout dépend de lois. Donc, il y a des causes finales » (p. 282). Flaubert a découvert des partisans des causes finales parmi les auteurs médicaux. Adelon, par exemple, dont les deux bonshommes étudient la Physiologie de l’homme (p. 112), admire ainsi la sagesse de la nature : « avec sa sagesse accoutumée, la Nature n’a placé dans le corps humain de tissu adipeux que là où la graisse était utile, & au contraire il manque aux parties où il aurait été nuisible » (f° 70 v°)57. Cette admiration devient parfois fort ridicule à cause de son anthropocentrisme qui met la nature au service de l’homme bourgeois. En effet, les défenseurs des causes finales voient partout la main de la Pro56 57
12 décembre 1857 (Pl., t. II, p. 786). Commentaire marginal : « Cause finale. »
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vidence. Pour eux, l’Océan est « destiné aux navires, et le bois des arbres au chauffage de nos maisons » (p. 282)58. Adelon tombe luimême dans ce piège en écrivant : « Le cérumen, substance oléomuqueuse, qui est située dans le conduit auditif externe, pour éloigner par son amertume les insectes qui seraient tentés d’y pénétrer » (f° 68)59. Plus ridicule est Q. Serenus, auteur romain d’un poème sur la médecine, qui « pensait que la nature a créé les poux pour tenir l’homme toujours éveillé, afin qu’il n’oubliât pas les devoirs qu’il a à remplir » (f° 124 ; DSM, « Phthiriase »)60. Dans La Tentation de saint Antoine, le Diable reproche à l’ermite de décorer Dieu « de vertus, bonté, justice, clémence » qui ne sont en fait qu’autant de qualités humaines : « Sans doute le mal est indifférent à Dieu puisque la terre en est couverte !61 » Dans le dernier roman inachevé de Flaubert, Bouvard, esprit sceptique, conteste la parfaite bonté de la nature : « Le mal est organisé aussi parfaitement que le bien. Le ver qui pousse dans la tête du mouton et le fait mourir équivaut comme anatomie au mouton lui-même » (p. 282). Or, comme l’a fait remarquer A. Cento62, ce passage provient d’une source médicale, La Médecine, histoire et doctrines de Ch. Daremberg : « Le mal est aussi parfaitement organisé que le bien, et atteste un art aussi souverain. Le cysticerque qui se loge dans le cerveau du mouton n’est pas moins bien formé que le cerveau lui-même. Cependant le cysticerque donne le tournis & la mort » (g 2266, f° 66 v°). Flaubert a commenté dans la marge : « contre les Causes Finales. » Le savoir 58
Ce passage peut être rapproché des deux citations suivantes destinées à figurer dans la rubrique « Philosophie » du second volume (g 2261, f° 105) : « L’eau est faite “pour soutenir ces prodigieux édifices flottants que l’on appelle des vaisseaux.” Fénelon » ; « La création houillère avait pour but de chauffer par la suite, l’homme. ([illis.]) Cuvier – Disc. sur les révol. du globe 1863 (à revoir) ». Les ms g 2261, f° 104 et 105 contiennent en fait huit extraits comiques concernant les causes finales. 59 Commentaire marginal : « Causes finales (selon Adelon). » Il est tout à fait légitime de rapprocher cette perle de l’article « CÉRUMEN » du Dictionnaire des idées reçues : « se garder de l’ôter parce qu’elle empêche les insectes d’entrer dans les oreilles » (Bouvard et Pécuchet, édition de Cl. Gothot-Mersch, p. 496 ; cet article ne figure pas dans la dernière version du Dictionnaire). 60 Commentaire marginal : « Causes finales », avec une croix. 61 La Tentation de saint Antoine, édition de Claudine Gothot-Mersch, Gallimard, « folio », 1983, p. 212-213. 62 Alberto Cento, Commentaire de “Bouvard et Pécuchet”, Napoli, Liguori, 1973, p. 96.
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médical peut donc servir à mettre en cause la prétendue finalité de l’univers. « Le corps humain pouvait être mieux bâti » (p. 282), soutient Bouvard. C’est d’ailleurs ce que Cl. Bernard prouve scientifiquement en analysant la structure de la gorge : « L’orifice supérieur du larynx occupe une position dangereuse par suite de la conformation du pharynx. & la chute d’un bol alimentaire dans les voies aériennes est souvent la conséquence de cette malheureuse disposition anatomique » (f° 73 v°)63. On voit bien qu’il ne s’agit plus ici de la sagesse mais plutôt de la maladresse de la nature. D’autres contradictions des causes finales ont été relevées par Flaubert chez Achille Comte. Dans ses notes prises sur les Structure et physiologie animales (f° 76), l’écrivain a mis deux fois la mention : « Contre les Causes finales », en indiquant seulement les pages où se situent les passages en question. La première occurrence se rapporte à une insuffisance des précautions de la nature : « Quelques précautions que la nature ait prises pour rendre les dents dures et résistantes, quel que soit le soin avec lequel elle a déposé l’émail sur le sommet de leur couronne, elles sont attaquées avec le temps et détruites plus ou moins complètement par les frottements64. » La seconde porte sur une interprétation finaliste de l’hibernation. Un physiologiste de Genève, Berger, attribue ce phénomène curieux aux « causes finales qui maîtrisent [quelques animaux] et les conduisent irrésistiblement à un profond assoupissement » durant la privation des aliments. Mais cette explication est franchement incompatible avec l’observation des faits. A. Comte signale en effet que « les animaux hibernants s’engourdissent à côté des aliments, et […] ils se vident à l’aide d’un jeûne rigoureux65 ». Tout à fait symptomatique est la réaction de Flaubert lors de « la soignée grêle » qui a ravagé Rouen et ses alentours66. En contemplant les désastres provoqués par la tempête violente, il n’a pas pu s’empêcher de sentir « un certain plaisir » et d’admirer « le Vrai Ordre se rétablissant dans le faux ordre ». Pour notre romancier, il s’agit précisément d’une vengeance de la nature que l’on tourmente quotidiennement avec de « petits arrangements factices » tels que « des 63 64 65 66
Commentaire marginal : « Contre les causes finales. » A. Comte, Structure et physiologie animales, Victor Masson, 1853, p. 49. Ibid., p. 149. Lettre à L. Colet, 12 juillet 1853 (Pl., t. II, p. 380-381).
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cloches à melon ». La nature ne se montre pas toujours obéissante à l’ordre humain. Elle nous rappelle de temps en temps que le Vrai Ordre n’est pas conforme à la conception bourgeoise des causes finales. « En nous envoyant par-ci par-là quelques pestes, choléra, bouleversement inattendu, et autres manifestations de la Règle », elle corrige l’orgueil de l’homme qui a l’aplomb de croire « que le soleil n’a d’autre but ici-bas que de faire pousser les choux ». « Cela est bon », affirme Flaubert, pour qui la Règle n’est rien autre chose que « le Mal-contingent ». Qui sait d’ailleurs si ce Mal n’est pas le Bien d’un point de vue supérieur ? Cela était déjà l’avis du jeune Gustave qui écrivait, à l’occasion d’un tremblement de terre à Livourne en 1846, qu’« il y a, dans tout cela, un sens caché que nous ne comprenons pas et d’une utilité supérieure sans doute »67. « Est-ce bête, l’ordre ! c’est-à-dire le désordre, car c’est presque toujours ainsi qu’il se nomme68. » C’est ainsi que Flaubert s’indigne contre le cimetière de High-Gate qui est trop « propre et rangé ». Ce cimetière anglais, avec notamment « un policeman en uniforme », incarne typiquement le faux ordre que l’écrivain n’a pas cessé de dénoncer dans ses lettres. Le Vrai Ordre, en revanche, nous envoie des calamités naturelles et des monstres pour se manifester. En déstabilisant les critères humains auxquels nous sommes habitués, le monstre, transcendance négative, « renverse l’ordre (qui est un désordre) en désordre (c’est-à-dire dans le seul ordre)69 ». « Quelle belle idée que celle du monstre !70 », s’exclame Flaubert. Cette fascination tient sans aucun doute à la force subversive de la monstruosité qui seule permet d’entrevoir la grande harmonie du monde. Une œuvre littéraire doit se placer, elle aussi, du côté du désordre qui est au fond le vrai ordre. Telle est du moins la condition des grandes œuvres, qui échappent avant tout à la bêtise de conclure : « Quel est l’esprit un peu fort qui ait conclu, à commencer par Homère ?71 » Non-concluantes comme la nature elle-même, « elles sont sereines d’aspect et incompréhensibles ». Incompréhensibles, parce qu’elles ne sont pas soumises au faux ordre forgé par la bêtise 67 68 69 70 71
Lettre à la même, 26 août 1846 (Pl., t. I, p. 313). Lettre à la même, 28 septembre 1851 (Pl., t. II, p. 6). M. Crouzet, art. cit., p. 50. Lettre à L. Bouilhet, 2 juin 1850 (Pl., t. II, p. 635). Lettre au même, 4 septembre 1850 (Pl., t. I, p. 680).
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concluante. La qualité la plus haute des œuvres d’art consiste, suivant Flaubert, à « agir à la façon de la nature, c’est-à-dire [à] faire rêver »72. Or, les monstres ont aussi une haute capacité de faire rêver73. Ce rapprochement entre les œuvres d’art et les monstres, qui paraît peut-être extravagant et même choquant au premier abord, devient tout à fait légitime dès que l’on pense à la valeur philosophique que ceux-ci possèdent chez Flaubert. Les grandes œuvres sont, de même que les êtres monstrueux, révélatrices du Vrai Ordre qui se dérobe toujours à notre compréhension. On ne s’étonnera donc pas que Flaubert tienne l’artiste pour « une monstruosité »74. Il parle, en outre, de la bêtise des grandes œuvres : « Les chefs-d’œuvre sont bêtes. — Ils ont la mine tranquille comme les productions mêmes de la nature, comme les grands animaux et les montagnes75. » La bêtise dont il est question n’est évidemment pas la bêtise concluante, puisque le romancier oppose cette bêtise à l’esprit de Musset comme il opposait l’absurde à celui de Salgues. Cette fois encore, c’est l’esprit qui le dégoûte (« que je l’exècre [l’esprit] en art ! »), tandis que la bêtise des chefs-d’œuvre, tels que l’Âne d’or, lui donne plutôt « des vertiges et des éblouissements ». Un chef-d’œuvre, monstre littéraire d’aspect calme et inexplicable, nous éblouit et nous inquiète à la fois tout en mettant radicalement en question notre conception du monde.
72
Lettre à L. Colet, 26 août 1853 (Pl., t. II, p. 417). Par exemple, Flaubert allait « au Muséum rêvasser devant les monstres réels » pour la préparation de La Tentation (Lettre à G. Sand, 26 février 1872 ; Pl., t. IV, p. 487). 74 Lettre à sa mère, 15 décembre 1850 (Pl., t. I, p. 720). 75 Lettre à L. Colet, 27 juin 1852 (Pl., t. II, p. 119). Il convient de rappeler ici l’admiration de Flaubert pour le conte de Voltaire : « (La fin de Candide est ainsi pour moi la preuve criante d’un génie de premier ordre. La griffe du lion est marquée dans cette conclusion tranquille, bête comme la vie) » (lettre à la même, 24 avril 1852 ; Pl., t. II, p. 78). 73
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g 2267, f° 63 Histoire Naturelle de la Santé & de la Maladie Raspail. 1846. exaltation du médiocre
X
… « médecins de village & de hameau. - & ce ne sont jamais ceux-là qui observent en courant & à la légère. La faculté de Paris n’en fournit pas du tout dans ce sens. » introd p. LXVI.
réforme médicale (plan d’une) p. LXXIV. « Le corps médical est une magistrature inamovible & salariée par l’État et organisée sur le pied de la hiérarchie des autres magistratures, par rang de mérite & d’ancienneté ». Le conseil médical est juge souverain de toutes les questions qui se rattachent à la salubrité & à la morale publique. il oppose son veto motivé à tout projet de loi ou ordonnance municipale qui lui paraîtrait contraire à ces deux objets sacrés » Congrès médical de 1846 tenu à l’hôtel de Ville. Raspail tonne contre dans les la douleur
―
nous nous laisserions mourir. « la Nature nous punit, par la souffrance elle-même de notre résignation à souffrir » (41.
Gastrites chroniques
se nourr guérissent par une nourriture hautement épicée. (128) le météore
X La maladie des pommes de terre X
a pr cause le désastre de Monville !
il a plus agi dans les vallées
a soustrait le calorique. – c’est l’effet d’un refroidissement subit. (147
Nouveau charbon de Raspail. – dont il ne donne pas la recette (157. Gaz asphyxiants.
–— X
Contre les remèdes anti-nerveux
un mari meurt tout à coup parce que sa femme lui a pété dans la bouche. (168). – rien ne prouve qu’il existe des substances dont l’action porte sur exclusivemt sur les nerfs
– pr prouver qu’un toxique est exclusivemt nerveux
il faudrait pouvoir démontrer par des expériences bien conduites qu’en le mettant en contact avec une fibril[l]e nerveuse parfaitemt isolée de tout autre tissu, le toxique a paralysé l’action nerveuse sans altérer la contexture du tissu. c’est ce qu’on n’a jamais fait. (p. 246-7.). – tout tissu qui ne se développe plus se désorganise. tout liquide qui n’est plus aspiré & élaboré par la vie se décompose & tourne à tout autre genre de fermentation. » 249. – il est des êtres que l’on mutile sans danger. d’autres que l’on multiplie en les divisant. - chez tel animal chaque fraction de lui-même devient un autre lui-même. c’est que dans chacune de ces parties abordables à nos instruments l’unité vitale se répète toute entière. – chez les plantes les plus larges pertes de substance n’entraînent pas la mort de l’individu chez les animaux supérieurs on peut retrancher du tout bien des parties avant de frapper de mort celles qui restent – les organes appendiculaires ne reprennent pas une vie à part - mais de leur suppression ne dépend pas la mort du reste » – 255.
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g 2267, f° 63 v°
L’unité vitale.
occupe tout le tronc, y compris la tête. qui est une vertèbre terminale et le coccyx qui est une tête avortée. (nouv. syst. de chimie organique t. 3. 3e partie.)
Cancer d’Augustine Brohan qui était une aiguille, qu’elle avait dans le sein. entités morbides de Paracelse. 1° entité des astres 2°- du poison 3 – du marasme – 4° des esprits qui ont puissance sur notre corps. pˍ le violer & l’épuiser, 5° entité de Dieu emphységème produit par un épi de blé, dans l’interstice des côtes. – abcès – « il y eut dégagement de gaz, si fort qu’il en éteignit la chandelle qu’on avait approchée du jet » 277.
la gastrite & l’antérite
peuvent bien être toujours l’effet de corps étrangers.
venin des crapauds
selon Matt/io/hiole, cause la mort subite des personnes qui ont mangé des
vomissement de lézards
fraises, champignons ou autres légumes sur lesquels le crapaud a glissé son venin. (312 pˍ avoir bu l’eau d’une mare, – par une femme du Piémont
autres vomissemts.
une autre rend des grenouilles. une jeune fille, pr empêcher le rapprochemt ulcéreux des bords du vagin s’y introduit un œuf de poule, lequel acheva dans ce milieu toutes les phases de l’incubation, en sorte qu’elle sembla accoucher d’un poulet vivant. » exer fait rapporté par Paullini. (v p. 319. – dans le cerveau de Mr Houlier, un scorpion. – Ambroise Paré. Raspail explique ainsi la chose. « ces insectes à l’état jeune peuvent cheminer X
à travers les sutures du crâne et par les divers trous de l’os ethmoïde & de l’os sphénoïde qui donnent passage aux nerfs & aux vaisseaux sanguins. le fait ne présente donc aucune impossibilité par lui-même, & il est appuyé sur le témoignage d’un auteur qui appartient à un siècle où l’on observait en anatomie, avec autant d’exactitude que nous pouvons observer aujourd’hui » (339 – un i/Italien traité par Houlier avait un scorpion dans le cerveau. le scorpion aura trouvé dans le cerveau la température qui lui est convenable et il s’y sera développé d’autant plus facilement qu’il y aura été retenu par l’abaissement de la température de l’air ambiant de Paris. n’avons-nous pas trou[vé] vivants sous l’obélisque du Luxor, des scorpions amenés d’Égypte ? » (t 2.
la tique des animaux
cause des phlegmons.
à copier
exaltation de l’ignorant.
« le paysan, moins érudit & moins savant, était dans le vrai, sur ce point comme sur bien d’autres » -
la dyssenterie
est une gale des intestins. opinion de Linné prise à Lecat. – les maladies internes, suivant ce dernier, ne sont que des maladies externes transportées à l’intérieur. (t 2 p. 60.).
83
COMIQUE DE LA MEDECINE
g 2267, f° 64 Raspail 2. hist. de la Gale.
——
curieuse. v p. 100 & sq. sa vraie cause se trouve définie dans le dict della Crusca 1612. en 1664 Giuseppe Laurenzo la définit parfaitemt. – en 1637 Hauptman[n] a donné la figure de l’acarus de la gale. qu’il considère comme l’unique cause de la pris pr
maladie. – Galès a confondu l’insecte de la gale la mite du fromage – expériences à l’hôpital St Antoine. Les fourmis éventrent les hannetons pˍ s’emparer des œufs qu’ils ont dans le ventre. Belle industrie.
« nous avons à Paris de pauvres diables qui ne vivent que de l’art de faire pourrir les chiens, pˍ en avoir les asticots. on en a vu qui les réchauffaient
exprès en dormant, & les couvaient pˍ ainsi dire entre leurs matelas » t 2 p 213. on a multiplié, outre mesure, les genres des insectes, parce qu’on n’a pas distingué leurs différents degrés de développement, leurs modifications accidentelles (p 216. différence des poux de la tête & de ceux du corps. thèse de Reydelet. 15 frim. an 11 à Paris. Homme à la tête de veau, paysan de Saintonge – hideux – en 1756 figure donnée par le dteur Ranson – Lemoine de Gisors, figure donnée par Alibert. – des plis de peau, durs les uns sur les autres comme des sillons en relief. – tyroliens – chevreuil de
de Leibnitz, journ. des Savants 5 juillet 1677. (v p. 282). tout vient de l’in l’introduction d’insectes. « Le tempérament
c’est la modification de la constitution d’un individu qui se rapproche ou s’éloigne du summum de développement que son espèce est dans le cas d’atteindre » t 3. p. 5.
X les borborygmes
que nous percevons dans les intestins sont le produit des ravages des helminthes ou de leur décomposition. Ils sont en tout cas, le signe infaillible de leur présence. (t 3. 20.)
à copier.
exaltation du bas.
X
définitions médicales. Morale de Raspail.
« une garde malade, si peu lettrée qu’elle soit, est souvent un gd médecin » 22. s’appliquent à des choses dont on n’a pas une idée arrêtée. (26). « il (l’homme) dévorerait ses semblables & son père pˍ assouvir le paroxysme de sa faim, & son père le lui pardonnerait encore en mourant. tant il est vrai que le besoin est exempt de crime – & que celui qui pâtit n’obéit plus qu’à une loi, la nécessité de vivre ». 43.
Combustions spontanées. R. y croit.
X
« quand tous les tissus sont imprégnées d’alcool, la peau prend feu à l’approche d’une simple allumette – & s’êtr semble s’être enflammée spontanémt » 46. La vaccine était connue avant Jenner, en Écosse dans l’inde, dans la Chine
exaltation du bas. (copiez) X
« c’est encore un point de doctrine sur lequel le peuple a devancé le savant » (83) à propos de la carie des dents – qui, selon R, vient d’un vers. « le préjugé populaire finira par l’emporter sur l’incrédulité scientifique & l’observation des bonnes femmes aura raison sur les théories des savants - quand il s’agit d’observations naïves, la science, trop outrecuidante de sa nature est toujours en arrière du bon sens public » (98).
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g 2267, f° 64 v° les helminthes
Cause de toutes les maladies. (109
Rage. – les remèdes
sont tous vermifuges. (v p 114) odore
Camphora per nares, castrat [illis.] mares. Cet adage est faux. il faut lire nates p/malgré la faute de quantité car dans nates l’a est bref, et l’a dans nares est long. le camphre n’est antiaphrodisiaque qu’appliqué sur les organes de la génération. – dès qu’on le retire son effet cesse. aussi R. conseille contre la mas « les habitudes précoces de l’enfance » un caleçon portant au périné[e] un petit sachet de poudre de camphre. (159 Cigarette de camphre
– on en a fabriqué qui ressemblaient à un cigarre, à un brûle gueule. R. regrette que les ouvriers français n’en aient pas fait ayant la forme de petites fleurs qu’on porterait à la bouche.
Je supprime la diète - du même coup, je supprime la fièvre (230. lampes - fumées –
que coûterait-il d’avoir pˍ chaque lampe un entonnoir mobile qui en portât la fumée – là où passe la fumée de l’âtre
éloge de l’architecture gothique. « Les architectes du Moyen âge devaient être de gds géomètres autant que de gds physiciens. idée chic il y a plus d’éloquence chrétienne dans leurs œuvres que dans un sermon de Massillon à copier. plus de connaissance des besoins du corps & des besoins de l’âme que dans nos meilleurs traités d’hygiène & de morale » (237.) les marcs de distillerie
funestes aux bestiaux parce qu’ils ne contiennent aucun condiment. – le foin au contra[ire] a son anthelminthique dans le benjoin qui le parfume. (243)
régime hygiénique pˍ l’homme sédentaire.
Il doit jardiner, se livrer au jeu de boule ou de quilles enfin à tout exercice qui
amenant à se baisser & courber vers la terre, produira une pression musculaire sur le foie & la vésicule du fiel, & favorisera ainsi l’écoulemt de la bile dans le duodénum.
– après l’exercice, friction & massage de vingt
minutes à la pommade camphrée. » 246. Conseils aux riches.
« Je vous le répète pˍ la centième fois, messieurs les riches, vous avez toutes sortes d’intérêt[s] à redevenir peuple ; le peuple des champs est plus près de la nature que vous
le peuple !
imitez-le. cela vaut mieux que de le calomnier – & l’on ne s’en porte que mieux de corps & d’esprit. » (252)
Sabots.
– il faudrait que les riches portassent des sabots pˍ en faire prendre la mode aux petits bourgeois. (id)
– au retour de la promenade, hâtez-vous d’aspirer des cigarettes de camphre. (267.) Maigreur - & embonpoint « les frictions fréquentes à la pommade camphrée, les massages & les exercices même remède ! corporels, aux quilles, aux boules, au jardinage, le tout joint au régime hygiéniqu[e] en appelant le sang dans les tissus émaciés ramènent un embonpoint normal comme les mêmes moyens préservent d’un embonpoint excessif & de l’obésité car la santé que ces moyens procurent est entre les deux extrêmes » 466. - « La matrice est le cerveau inférieur de la femme, - comme les organes génitaux sont le second cerveau de l’homme » 469.
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COMIQUE DE LA MEDECINE
g 2267, f° 65 Raspail 3. pˍ les bossus
lotions fréquentes à l’alcool camphré. – applications fréquentes de moutarde ordinaire sur la déviation pendant l’espace de vingt minutes, & recouvrir ensuite après avoir bien lavé la place, avec une plaque de sparadrap adhérent. (508)
Syphilis
« par elle-même est peu dangereuse. ses dangers ne découlent que du mode de traitement & surtout des traitements mercuriels.
médication préventive
se tenir toutes les parties génitales dans une vessie de taffetas ciré renfermant de la poudre de camphre.
curative
injections à l’huile camphrée – se tenir les parties dans une vessie – renferm de la poudre camphrée etc. (519.)
Pharmacopée.
La multiplicité des médicaments prouve qu’on ne connaît pas la propriété véritable de chacun d’eux. on croyait qu’une entité thérapeutique correspondait à une entité pathologique. Mais la difficulté était de préciser la nature de l’entité afin de mieux choisir le genre de spécifique. pr parer à cet inconvénient on eut l’idée d’associer tous les spécifiques ensemble, afin d’en composer un seul que l’on administrerait dans toute espèce de maladie, laissant ainsi à l’entité maladive le soin de prendre & de débrouiller dans ce chaos l’entité spécifique qui lui convien -drait davantage. – de là la thériaque d’Andromachus médecin de Néron – il n’est pas un seul praticien qui sache comment agit le médicament qu’il administre. Quand il en aligne deux ou trois ensemble il serait bien embarrassé de nous dire pˍ quelle part chacun d’eux doit entrer dans le soulagemt qu’il espère retirer.
– ce n’est pas un raisonnemt dont il pose les
prémisses. C’est un essai qu’il fait & refait chaque fois. X
panacée.
Mais tout remède l’est – puisque chaque médicament a été employé pˍ toute espèce de maladie - dont la guérison a été attribuée à ce médicament-là.
la vieille nomenclature doit être supprimée, remèdes astringents, apéritifs, antispasmodiques, pulmonaires car le même remède peut produire tous les effets exprimés par ces diverses épithètes sans agir d’une manière différente dans un cas que dans l’autre. ex : admettons une maladie vermineuse, mais dans laquelle l’observateur n’ait aucune raison de supposer des vers, et qu’il vienne à administrer le baume de Tolu. si les helminthes sont dans l’estomac, le baume de Tolu sera stomachique. s’ils produisent des convulsions, il sera antispasmodique et s’ils ont établi leur siège dans la poitrine, l’odeur du baume pénétrant les poumons les en chassera, ce qui le fera passer pˍ un remède pulmonaire. (543.) ——
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FLAUBERT EPISTEMOLOGUE
g 2267, f° 107 D. méd. 2
Cas rares
t IV. art de Fournier. gde bouche. un marocain qui mangeait un melon avec son écorce, comme un autre une pomme.
absence de sommeil. = Philippe Sormet Femmes à plusieurs mamelles. (151) une vivandière valaque, observée par Percy avait cinq mamelles. absence de rate & de foie 154. une fille sans anus & sans vagin, rendait ses excréments par la bouche. Souvent l’anus est fermé par une membrane & il faut l’inciser. fille publique de Venise dont le clitoris était osseux. femme qui avait deux matrices. l’une communiquait avec le vagin, l’autre avec l’anus. fille enculée par son amant qui accouche par l’anus (162). Hermaphrodites 164 & sq. le nain Marc Catozze de Venise, n’avait que le tronc & un pied sortant d’une fesse plate (169 abstinence. un fou, pˍ imiter le Messie, reste 71 jours sans manger s’ébahissent sur
conceptions successives. 178 & sq. une femme accouche d’un enfant blanc, & d’un mulâtre. Rouen 1806. - Elle vivait avec un blanc, mais elle avait cédé deux fois aux instances d’un nègre, étant déjà grosse de quatre mois. 13 [illis.] Gilles de Trazegnies, compagnon de St Louis, sa femme en son absence accouche de [illis.] enfants d’une seule portée. 183. une Russe, eut en 21 couches 57 ans. X constipation de Leipsik. – tous les mercredis. – un italien tous les 22 jours qques
Rumination chez des hommes. (187) faculté de vomir à volonté. longévité, un hongrois 172 ans. – ne se nourrissait que de lait & d’eau de vie
– Jenkens 189 ans.
etc. obésité. une femme citée par Jean Borel avait des mamelles pesant chacun[e] 30 livres. Elle les enfermait dans un sac qu’elle s’attachait au cou, afin d’en pouvoir supporter le poids. Polyphages. un forçat de Brest, 1774. en on retrouva dans son estomac, des couteaux, un manche de cuiller, etc. - voir la liste 198. Bijoux. – Tarare. Puberté précoce. 203* 202. difformités du nez. « les habitués du jardin du Palais-royal y voient tous les jours un homme dont le nez ressemble à une végétation monstrueuse. - il est divisé en différentes tumeurs d’inégales grosseurs, formant une masse plus grosse que le poing & couvrant presque toute la face. Mr Perrier de Gurat, ancien maire d’Angoulême en avait un divisé en cinq lobes du poids de 2 livres. – cachant le menton » p. 209. Femme du dpt de l’Eure 154 ponctions.
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COMIQUE DE LA MEDECINE
g 2267, f° 107 v° (extrait)
Onanisme merveilleux ! = Gabriel Gallien. de 11 à 1/25 ans avec la main. – Pendant 16 ans avec une baguette dans le canal – le canal s’ossifie – alors il s’incise avec un couteau, & allant graduellemt finit par se l’inciser jusqu’à la symphise du pubis – alors Puis une baguette plus courte. cela dure encore 10 ans. enf un beau jour, il la laisse tomber dans la vessie. – elle devint le noyau d’une pierre – On l’opéra. Il guérit. – & mourut trois mois après, d’une phthisie pulmonaire. (239) Sarcocèle démesuré de Charles De la Croix, opéré guéri. Ossification graduelle de Simorre de Mirepoix mort en 1802.
g 2267, f° 150 Salgues imagination des dames.
Pline prétend qu'une dame de sa connaissance accoucha d'un éléphant pˍ avoir regardé trop attentivement un de ces animaux. (Salgues. Des erreurs. I. 15.)
Comètes.
– le Dteur allemand Zahno a dressé un long catalogue de tous les événements connus qui se sont passés dans les années à comète depuis l'origine du monde jusqu'à 1682. & il a constamment p/trouvé que la somme des bons & des mauvais événemens a toujours été à peu près égale, comme il arrive dans tous les temps de la vie. (id. 81.)
influence de la lune
on a prétendu que sur les bords de la mer les maladies suivaient dans leur périodes les alternatives du flux & du reflux & que personne ne mourait quand les flots commençaient à s'élever. Le Dteur Mead a prétendu son ouvrage de l'Action du soleil & de la lune sur le corps humain & les maladies qui en dérivent. que le système vital est soumis comme les flots de la mer au flux et au reflux. La lune élève & déprime notre atmosphère comme elle élève & déprime l'océan. l'air devient tour à tour plus pesant & plus léger. et toute la page 121. Zimmerman[n] a connu une femme attaquée de tænia & qui rendait deux ou trois aunes de ce gd ver solitaire quand la lune se couchait Kerkring parle d'une femme dont la figure suivait régulièremt les mouvements de la lune, s'allongeait, se rétrécissait, s'épanouissait suivant que la déesse des nuits était dans son plein ou dans son quartier.
salive. opinion populaire.
un morceau de pain placé sous l'aisselle d'une personne en sueur si on le donne à un chien l'enrage – & est un poison mortel. (193.
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FLAUBERT EPISTEMOLOGUE
g 2267, f° 150 v°
pronostic des saisons,
à l'inspection d'un légume bulbeux ou de la fourrure d'un lièvre si les pellicules de l'oignon sont épaisses et multipliées, la peau d'un très
levreau four[r]ée signe de froid pˍ l'hiver* l'hiver. c'est une précaution (plan de la providence)
de la nature. c'est un témoignage de son amour pˍ les oignons, de sa bienveillance pˍ les lièvres. Du temps d'Érasme un curé pr ranimer le zèle de ses paroissiens, répandit
fantômes.
pendant la nuit dans le cimetière une centaine d'écrevisses sur le dos desquelles il avait attaché une petite bougie. Les paroissiens effrayés accoururent chez lui. Il leur fit entendre que c'était les âmes du purgatoire qui demandaient des messes. (290). Autruche.
sa
faculté digestive.
a étonné. qques médecins ont cru que même morte, elle devait conserver
sa puissance stomachique & l'ont ordonné[e] à leur malade. D'autres ont cherché dans ses entrailles une petite pierre blanche & l'ont porté[e] à leur cou, comme un talisman pr se procurer de bonnes digestions. — Crapauds.
Jonston a écrit que dans l'isthme de Darien la sueur des esclaves engendre les crapauds.
Ouvrages sur la chirognomonie (liste des.
Salgues t 2. p. 88.)
— brochet monstrueux.
passa deux cents ans dans un étang. avait 19 pieds et pesait 350 livres (p. 105.)
moyen de blanchir les nègre[s]. en trempant le visage dans une solution d'acide muriatique oxigéné invention d'un apothicaire nommé B* Beddoes. (p. 186). pluie de petits poix, dans le royaume de Léon, en espagne, au mois de mai 1803. (p. 376) Merveilles du monde. ‒
– monuments ou statues suspendus entre deux pierres d'aimant. v p 423.
COMIQUE DE LA MEDECINE
g 2267, f° 151
république féminine des Jaguas, amazones du centre de l'Afrique, dont Zinga était la reine. (Salgues t 3. p 24) Le cochon pareil à l'homme.
– voy. les différences anatomiques. (id 35).
Mnémotechnie
bêtise de la. – exemple. (171)
——
par
citation en justice – un père de famille dont le fils était devenu fou grâce à la méthode de Mr Fenaigle. Androgynes.
Pline assure qu'il existait en Afrique audelà du désert de Zara un peuple d'androgynes qui se reproduisait de lui-même.
Docteur Gall. exposé clair de son système. 267 & sq. v. physiologie intellectuelle du Dteur Demangeon 1 vol in 8 Alcyons.
on suspend le corps d'un alcyon au plancher & on prétend qu'il se tourne dans la direction du vent. chez les ostiaques on jette ses plumes dans un gd vase d'eau. on conserve avec soin celles qui surnagent le mieux & l'on se persuade qu'il suffit de toucher une femme avec ces plumes pˍ s'en faire aimer.
paradoxes historiques. procès des templiers.
est soutenu par le conseiller Dupuy. le P. Daniel. plusieurs brochures contre Raynouard, quand il fit sa tragédie. on l'accusait d'être le calomniateur des rois & le défenseur du crime.
Cicognes.
« Jonston rapporte qu'une cicogne de Vesel fut si contente de l'accueil
reconnaissantes & gardiennes des mœurs.
gracieux qu'elle recevait tous les ans de son hôte qu'elle lui rapporta une racine toute verte de gingembre. Une autre cicogne s'étant aperçue qu'en l'absence de son hôte la dame de la maison oubliait ses devoirs dans le bras d'un amant, elle guetta le galant & lui creva les yeux. une troisième cigogne rass* indignée contre une épouse adultère rassembla plusieurs autres cigognes, fondit sur la maison & mit la dame en pièces » (t 3 p 412.)
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Chapitre IV Flaubert contre la médecine expérimentale 1. Expérimentation au péril des êtres vivants En 1865, Claude Bernard (1813-1878) a fait paraître l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. L’ouvrage était destiné à devenir la préface d’un autre ouvrage, les Principes de médecine expérimentale, que le savant n’a pas eu le temps d’achever et dont on a publié en 1947 les manuscrits retrouvés dans un de ses registres. L’auteur de l’Introduction déclare nettement son intention de fonder une médecine nouvelle. Certes, la plupart des idées formulées dans cet ouvrage se trouvent en fait déjà exprimées, quoique d’une façon éparse, dans les premières publications du physiologiste, sans compter qu’il est tout à fait possible de découvrir ses précurseurs dans l’histoire de la médecine. Pourtant, on peut affirmer que l’Introduction constitue une véritable coupure épistémologique dans la pensée médicale de l’Occident. Bergson a voulu mettre en relief le sens de cette révolution épistémologique. L’importance de l’Introduction est, d’après ce grand philosophe, comparable à celle qu’avait le Discours de la Méthode pour les esprits du XVIIe ou du XVIIIe siècle : « Dans un cas comme dans l’autre nous nous trouvons devant un homme de génie qui a commencé par faire de grandes découvertes, et qui s’est demandé ensuite comment il fallait s’y prendre pour les faire : […] Deux fois seulement dans l’histoire de la science moderne, et pour les deux formes principales que notre connaissance de la nature a prises, l’esprit d’invention s’est replié sur lui-même pour s’analyser et pour déterminer ainsi les conditions générales de la découverte scientifique1. » Désormais, les sciences de la vie ne peuvent plus se développer en dehors du champ heuristique sciemment ouvert par Cl. Bernard. Mais en quoi consiste cette révolution ? L’Introduction a codifié 1
Henri Bergson, La pensée et le mouvant, Presses Universitaires de France, « Quadrige », 1996, p. 229-230.
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FLAUBERT EPISTEMOLOGUE
les préceptes méthodologiques de la nouvelle médecine, et a délivré celle-ci définitivement de l’antagonisme du vitalisme et du matérialisme qui avait dominé les sciences médicales de la première moitié du siècle. En renonçant une fois pour toutes à la recherche de la vérité absolue (« Peu importe au savant d’avoir la vérité absolue, pourvu qu’il ait la certitude des relations des phénomènes entre eux. Notre esprit est, en effet, tellement borné, que nous ne pouvons connaître ni le commencement ni la fin des choses ; […]2. »), Cl. Bernard proclame en même temps le déterminisme fondamental des phénomènes de la vie, qui est le seul principe de la médecine scientifique : « […] les manifestations des corps vivants, aussi bien que celles des corps bruts, sont dominées par un déterminisme nécessaire qui les enchaîne à des conditions d’ordre purement physico-chimiques3. » Au lieu de poursuivre « la recherche chimérique du principe vital »4, le médecin expérimentateur doit donc s’occuper exclusivement de déterminer ces conditions physico-chimiques par le biais des expériences biologiques répétées. Ce qui a amené Cl. Bernard à cette conviction du déterminisme organique, c’est la découverte du fameux « milieu intérieur ». À la différence des corps bruts qui sont entièrement subordonnés au milieu cosmique extérieur, l’organisme vivant supérieur crée son propre milieu intra-organique, ce qui lui donne une certaine autonomie par rapport aux variations du milieu ambiant. Les liquides circulants, notamment le sang, forment ce milieu intérieur : « C’est par son intermédiaire [du sang] que tous les principes introduits dans l’organisme, même les gaz, viennent au contact des éléments anatomiques, […]. On peut appeler le sang le milieu intérieur (Cl. Bernard) » (f° 96 ; Küss). L’expérimentation physiologique doit porter sur ce milieu spécifique des êtres vivants, car c’est celui-ci, et non le milieu extérieur comme le pensaient les médecins mécanistes, qui « est toujours en rapport immédiat avec les manifestations vitales, normales ou pathologiques des éléments organiques »5. Le concept de milieu intérieur permet d’expliquer rationnellement l’illusion vitaliste sur la 2
Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Flammarion, « Champs », 1984, p. 85. 3 Ibid., p. 102. 4 Ibid., p. 107. 5 Ibid., p. 104-105.
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spontanéité de la vie, et de dépasser ainsi l’éternel conflit entre le vitalisme et le mécanisme. Dès lors, il est absolument justifié de chercher à éclaircir le déterminisme propre aux êtres vivants en multipliant les expériences dans le laboratoire. Claude Bernard considère le « doute philosophique » comme le fondement de la scientificité de la médecine expérimentale à venir : « L’expérimentateur doit douter, fuir les idées fixes et garder toujours sa liberté d’esprit6. » Les médecins systématiques ont une foi aveugle dans leurs théories, ce qui les empêche de découvrir des faits nouveaux. Pour un médecin expérimentateur, au contraire, les théories ne peuvent être que provisoires et doivent être remplacées tôt ou tard par d’autres qui reflètent un état plus avancé de la science. Cette modestie, ou plutôt cette conscience claire de la relativité de notre savoir n’empêche pourtant pas Cl. Bernard de se placer dans une perceptive résolument optimiste. En pénétrant peu à peu les lois de la nature, l’homme sera un jour en mesure de diriger les phénomènes de la vie à son profit : « À l’aide de ces sciences expérimentales actives, l’homme devient un inventeur de phénomènes, un véritable contremaître de la création ; […]7. » Contemporain d’Émile Littré et de son école positiviste, l’auteur de l’Introduction était lui-même imprégné de l’atmosphère scientiste de l’époque. « La médecine expérimentale n’est alors, dit G. Canguilhem, qu’une des figures du rêve démiurgique que rêvent, au milieu du XIXe siècle, toutes les sociétés industrielles, à l’âge où, par le biais de leurs applications, les sciences sont devenues un pouvoir social8. » Comme on s’y attend naturellement, Flaubert ne partage point ce scientisme moderne. Parmi les œuvres bernardiennes, il a pris six pages de notes sur les Leçons de pathologie expérimentale (f° 7375 v°), ouvrage qui reprend les cours que Cl. Bernard avait donnés au Collège de France en 1859-1860 et qui révèle le même esprit scientiste que l’Introduction. Des traits comiques que l’auteur de Bouvard a relevés dans ces Leçons, quelques-uns se rattachent spécialement aux enjeux scientifiques de la médecine expérimentale. Ainsi, Cl. Bernard 6
Ibid., p. 68. Ibid., p. 48. 8 Georges Canguilhem, Études d’histoire et de philosophie des sciences, septième édition augmentée, J. Vrin, 1994, p. 140. 7
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développe une argumentation implacable « pour la défense des Vivisections » : « Chaque ordre des choses a son point de vue distinct, lequel n’est pas toujours parfaitement d’accord avec d’autres points de vue spéciaux. Est-ce à dire qu’il faudra, dans un ordre de choses donné, sacrifier le point de vue qui leur est propre à un point de vue qui leur est étranger ? » (f° 75 v°). Et dans le but de justifier son point de vue, le promoteur de la médecine expérimentale énumère plusieurs exemples de « vivisections humaines » qui avaient contribué au progrès de la science médicale. Ces cruautés n’ont pas manqué de retenir l’attention de notre romancier, qui a pris soin de les consigner dans ses notes : « Les rois de Perse livraient à leurs médecins des condamnés à mort » ; « Attale III Philométor expérimentait des poisons & des contrepoisons sur des criminels » ; « Vivisections de Hérophile & d’Érasistrate, sous les Ptolémées » ; « Le grand duc de Toscane fit remettre à Fallope un condamné pour le disséquer vivant » ; « L’archer de Meudon reçut sa grâce parce qu’on pratiqua sur lui la néphrotomie avec succès » (Id.). Cet éloge de la vivisection que l’on retrouve aussi dans d’autres écrits bernardiens a une importance décisive dans l’élaboration de la médecine expérimentale. Il s’agit là, au fond, de la possibilité même de bâtir une nouvelle science médicale fondée sur l’expérimentation biologique. En effet, Cl. Bernard insiste à plusieurs reprises sur les défauts de l’anatomie cadavérique qui servait de base à l’organicisme, une des deux doctrines régnantes avant le triomphe définitif de la médecine expérimentale. Selon lui, l’investigation anatomo-pathologique n’apprend rien de certain sur les processus physiologiques ou morbides. Ainsi, Flaubert a retenu cette citation portant sur l’insuffisance des autopsies : « On ne rencontre que des lésions locales, tandis que le mécanisme physiologique & les désordres généraux qui en résultent passent inaperçus ; en supposant que l’on ait soupçonné leur existence pendant la vie, il est impossible d’en retrouver les traces 24 heures après la mort » (f° 74). L’antériorité des lésions anatomiques que présuppose l’anatomie pathologique ne peut pas être admise, puisque « très souvent l’altération pathologique est consécutive et qu’elle est la conséquence ou le fruit de la maladie, au lieu d’en être le germe »9. Ce qui est pire, l’organisme humain peut subir des altéra9
Cl. Bernard, op. cit., p. 166.
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tions même après la mort : « Les autopsies ordinaires peuvent induire en erreur. On trouve des lésions qui n’ont pas été la cause immédiate de la mort, qui peut-être même ne se sont produites que lorsque cette mort était déjà survenue » (f° 75). Par conséquent, pour comprendre le mécanisme des phénomènes de la vie à l’état de santé ou de maladie, « il faut nécessairement pénétrer dans les organismes vivants à l’aide des procédés de vivisection »10. Cl. Bernard prétend que c’est le seul moyen possible de déterminer les conditions d’existence de chacun de ces phénomènes et d’établir ainsi une médecine authentiquement scientifique. Toutefois, on conçoit bien que l’expérimentation sur le vivant ne peut pas s’instaurer sans susciter de vives discussions sur la moralité de la science11. De ce débat déontologique, le dossier médical de Flaubert contient en effet quelques traces. Riolan, dans son Anthropographia, consacre un chapitre spécial « à la discussion de cette question : si l’on peut disséquer des hommes vivants » (f° 148 v°). Aselli se révolte contre la vivisection humaine des anciens : « Je n’ouvrirai jamais d’homme vivant, ce qu’autrefois cependant Érasistrate & Hérophile n’ont pas craint de faire » (f° 57 v° ; Daremberg). Cl. Bernard, quant à lui, reconnaît aussi que « la vivisection a rencontré dans tous les temps des préjugés et des détracteurs »12. Est-il permis aux savants d’ouvrir un corps vivant et de lui faire éprouver des douleurs atroces ? À pareil reproche, le fondateur de la médecine expérimentale oppose la nécessité des sacrifices au profit du développement de la science : « Il n’y a pas à hésiter ; la science de la vie ne peut se constituer que par des expériences, et l’on ne peut sauver de la mort des êtres vivants qu’après en avoir sacrifié d’autres. Il faut faire les expériences sur les hommes ou sur les animaux13. » À vrai dire, l’argument de Cl. Bernard est plus subtil. Il est vrai que les vivisections pratiquées autrefois sur les condamnés à mort ou sur les esclaves14 sont inadmissibles au point de vue de la morale 10
Ibid., p. 149. Du reste, l’anatomie cadavérique apparaissait déjà fort scandaleuse aux yeux des bourgeois de l’époque, ainsi que le suggère Le Dictionnaire des idées reçues : « DISSECTION : Outrage à la majesté de la mort » (p. 415). 12 Cl. Bernard, op. cit., p. 151. 13 Ibid., p. 153. 14 Pour l’expérimentation des anciens sur l’homme vivant, voir Mirko D. Grmek, Le chaudron de Médée, Le Plessis-Robinson, Institut Synthélabo pour le progrès de la 11
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humaine. Mais au moins, n’a-t-on pas le droit de pratiquer des expériences sur l’homme « quand elles n’entraînent aucune souffrance ni aucun inconvénient chez le sujet expérimenté » ? Cl. Bernard soutient que « la morale ne défend pas de faire des expériences sur son prochain ni sur soi-même ; […] La morale chrétienne ne défend qu’une seule chose, c’est de faire du mal à son prochain15. » C’est ainsi qu’« un helminthologiste fit avaler à une femme condamnée à mort des larves de vers intestinaux, sans qu’elle le sût, afin de voir après sa mort si les vers s’étaient développés dans ses intestins ». Cette sorte d’expériences sont très utiles et même indispensables à l’avancement de la science. De là, le physiologiste conclut : « Après tout cela, faudra-t-il se laisser émouvoir par les cris de sensibilité qu’ont pu pousser les gens du monde ou par les objections qu’ont pu faire les hommes étrangers aux idées scientifiques ? […] D’après ce qui précède, nous considérons comme oiseuses ou absurdes toutes discussions sur les vivisections16. » Si nous nous attardons sur cette « défense des Vivisections » par Cl. Bernard, c’est que cet exemple permet, nous semble-t-il, de bien illustrer la capacité critique dont sont dotées les notes de lecture de Flaubert. Les quelques citations inscrites dans le ms g 2267, f° 75 v° condensent en fait un aspect monstrueux de la médecine expérimentale qui était pourtant inhérent à l’entreprise même de sa fondation. Cette médecine scientifique, alors en train de se constituer, avait besoin d’invoquer « son point de vue distinct » afin de se conserver le droit d’instituer des expériences sur le vivant que réprouve forcément la morale des gens du monde17. Cl. Bernard prétend que le scientifique a sa propre morale et qu’il n’est pas obligé d’obéir à une éthique qui n’est pas la sienne. Ce que les notes flaubertiennes soulignent iroconnaissance, 1997, p. 115-140. 15 Cl. Bernard, op. cit., p. 152-153. 16 Ibid., p. 153-154. 17 Dans le roman encyclopédique, les deux protagonistes se contentent de disséquer un mannequin de M. Auzoux au lieu de pratiquer une vivisection humaine. Cet exercice tout à fait innocent cause cependant un grand scandale dans le village. Croyant que Bouvard et Pécuchet recèlent un véritable mort, les Chavignollais, dont Foureau en tête, viennent assiéger leur maison. L’événement exaspère les deux prétendus anatomistes, qui « ambitionn[ent] de souffrir pour la science » (p. 110). Ajoutons, par ailleurs, que dans la phase scénarique, Flaubert pensait à attribuer à ses personnages une idée très proche de celle de Cl. Bernard : « Ils regrettent de ne pouvoir ouvrir des hommes vivants. On n’aime pas la Science » (g 2253, f° 289).
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niquement, c’est l’amoralité de ces idées scientistes dont l’enjeu épistémologique était quand même essentiel pour le développement de la médecine expérimentale. L’exposition comique des idées a ici une valeur hautement critique d’autant plus efficace qu’elle porte sur le point faible de la médecine scientifique.
2. Expériences grotesques L’expérimentation médicale de Claude Bernard et de ses prédécesseurs fournit au dossier médical de Bouvard un nombre considérable de citations. En effet, les « Expériences » constituent une des catégories du comique des idées médicales qui n’est pas de la moindre importance. Flaubert se plaisait surtout à relever des gestes scientifiques dont le comique est à peine dissimulé par l’intention sérieuse ; « Bordeu. Expérience de l’homme qui soulève un poids en mordant fortement quelque chose, pour savoir quels sont les os de la tête qui font le plus d’effet » (f° 60 v° ; Daremberg) ; « Boerhaave examinait les yeux de ses malades avec une loupe pour voir si le sang passait dans les vaisseaux capillaires » (f° 95 v° ; Réveillé-Parise) ; ou encore, « Prevôt de Genève dit avoir aimanté des aiguilles de fer doux en les plaçant très près & dans le courant électrique de la moelle épinière d’un animal » (f° 104 ; Virey). Ce dernier extrait est à l’origine d’une expérience des deux bonshommes qui entreprennent sur un chien errant « l’aimantation de l’acier par le contact de la moelle épinière ». La tentative tourne naturellement mal et entraîne un grand désordre dans leur maison : Bouvard, refoulant son émotion, tendait sur une assiette des aiguilles à Pécuchet qui les plantait contre les vertèbres. Elles se cassaient, glissaient, tombaient par terre ; il en prenait d’autres, et les enfonçait vivement, au hasard. Le chien rompit ses attaches, passa comme un boulet de canon par les carreaux, traversa la cour, le vestibule et se présenta dans la cuisine. Germaine poussa des cris en le voyant tout ensanglanté, avec des ficelles autour des pattes. (p. 115-116)
Plusieurs expériences curieuses que Flaubert a notées appartiennent à François Magendie (1783-1855) : « Magendie, en modifiant la nourriture des herbivores & des carnivores, est parvenu à rendre la
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bile des premiers analogue à celle des seconds, & vice versa » (f° 39 ; Andral). On sait que ce maître de Cl. Bernard se signalait surtout par l’étendue et la qualité de ses expériences physiologiques. Cherchant exclusivement à établir des faits et demeuré presque indifférent aux théories interprétatives, Magendie se comparait volontiers à un chiffonnier : « avec mon crochet à la main et ma hotte sur le dos, je parcours le domaine de la science, et je ramasse ce que je trouve18. » Cette hotte contient pourtant nombre de jolies trouvailles susceptibles d’intéresser notre romancier : « Magendie a prouvé qu’en enlevant les corps striés, les animaux étaient portés à aller en avant, et en leur coupant le cervelet, à aller en arrière » (f° 40 ; id.) ; « Magendie a fait périr plus vite des animaux dont la tête était hors de l’étuve & le corps dedans que ceux qui avaient la tête dedans & le corps en dehors » (f° 128 v° ; Lévy)19. Et Cl. Bernard lui-même, qui lui a succédé au Collège de France, ne contribue pas moins à enrichir la collection flaubertienne de curiosités : « le crapaud succombe à l’action de son propre venin » (f° 74 ; Bernard) ; « une grenouille peut survivre plusieurs heures à l’arrachement complet du cœur » (Id.)20. La jeune médecine expérimentale, dont Flaubert méconnaissait sûrement le sens épistémologique profond, apparaît ainsi comme un vaste réservoir de gestes comiques. À ce niveau, on peut parfaitement appliquer au roman encyclopédique ce que R. Debrey Genette a montré à propos d’Hérodias : « Dès la lecture-écriture des documents, Flaubert choisit le figural plus que le référentiel21. » Le grotesque de certaines expériences remet en cause l’éthique de la science dont il vient d’être question. En effet, des extraits comme ceux qui suivent témoignent d’une certaine cruauté des expérimentateurs médicaux : « Le péricarde est une capsule renfermant le cœur pour prévenir ses déplacements. […] Si on la coupe sur un animal vivant, on voit le cœur se jeter au hasard dans le thorax & n’avoir plus que des mouvements irréguliers » (f° 69 ; Adelon) ; « Hunter prouve que la congélation d’une partie n’entraîne pas nécessairement sa 18
Propos cités par Claude Bernard, Fr. Magendie, J.-B. Baillière, 1856, p. 13. L’expérience a été faite afin de savoir l’influence du bain sur « les conditions de l’équilibre physiologique ». Voir Michel Lévy, Traité d’Hygiène publique et privée, J.-B. Baillière, t. 2, 1845, p. 260. 20 La citation est marquée d’une croix en marge. 21 Raymonde Debrey Genette, Métamorphoses du récit, Seuil, 1988, p. 127. 19
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mortification chez un animal à sang chaud. Il introduisit l’oreille d’un lapin dans un mélange réfrigérant, elle devint rigide comme un glaçon : coupée avec des ciseaux, elle ne laissa pas couler une seule goutte de sang. Cette oreille s’enflamma franchement quand on la fit dégeler » (f° 101 ; Béraud)22. Ces manipulations des êtres vivants23 prouvent que la libido sciendi peut aller parfois jusqu’à l’atrocité. C’est ce que dénonce, dans le roman, la figure caricaturale du chien « tout ensanglanté », victime de l’expérience physiologique de Bouvard et Pécuchet (p. 116). Cette atrocité scientifique des deux bonshommes ressemble d’ailleurs curieusement à une autre commise par leurs élèves au chapitre X. Victor, fils d’un galérien, s’amuse alors à ébouillanter le chat qu’on lui a donné. La description de la bête martyrisée est aussi comique qu’horrible : On reconnut le chat, tout efflanqué, sans poil, la queue pareille à un cordon. Des yeux énormes lui sortaient de la tête. Ils étaient couleur de lait, comme vidés et pourtant regardaient. (p. 365)
Devant ce spectacle épouvantable, « les deux bonshommes se reculèrent, pâles de stupéfaction et d’horreur ». Notons toutefois que d’un point de vue thématique, les deux enfants ne font ici que reproduire la cruauté expérimentale que leurs maîtres ont exercée envers le chien au chapitre III24. La scène où les deux bonshommes se livrent chacun à une expérience de physiologie (p. 113-114) constitue certainement un des moments les plus forts du grotesque dans le roman. Bouvard essaie de développer la chaleur animale par les contractions musculaires : « Bouvard ouvrit les cuisses, se tordait les flancs, balançait son ventre, soufflait comme un cachalot ». C’est le Traité d’Hygiène de Michel Lévy qui a fourni au romancier la source de cette « gymnastique » 22
La citation est marquée d’un trait vertical. Il convient ici de rappeler un personnage flaubertien dont l’inhumanité scientifique est comparable à celle des auteurs de ces expériences. M. Paul, biologiste amateur de Quidquid volueris, n’hésite point à accoupler un orang-outang à une femme pour créer un être maudit Djalioh. Sur cette œuvre de jeunesse particulièrement significative, voir l’analyse minutieuse de J.-P. Sartre, op. cit., t. 1, p. 207-234. 24 L’ensemble du chapitre X de Bouvard constitue « une reprise générale du récit ». Sur ce point, voir Claudine Gothot-Mersch, « Le roman interminable », dans Flaubert et le comble de l’art, op. cit., p. 9-22. 23
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bouffonne : « La contraction sans locomotion suffit pour élever la chaleur. On peut échauffer de plusieurs degrés l’eau d’un bain par l’agitation des membres pelviens » (f° 129)25. La posture de Pécuchet imitant Sanctorius n’est pas moins ridicule : « et il se tenait sur le plateau, complètement nu, laissant voir, malgré la pudeur, son torse très long pareil à un cylindre, avec des jambes courtes, les pieds plats et la peau brune. » Le mot « pudeur » est significatif. Pécuchet, âgé de plus de cinquante ans, éprouve de la honte à se mettre nu devant son compagnon ! Cette situation fictive est incontestablement comique, car la pudeur a été longtemps considérée, dans la civilisation occidentale, comme un attribut de la femme par excellence26. C’est la pudeur, par exemple, qui a amené Virginie à perdre la vie dans l’ouragan, l’héroïne de Bernardin de Saint-Pierre n’ayant pas voulu « se déshabiller » pour se sauver à la nage. Le Dictionnaire des idées reçues, de son côté, la définit comme « le plus bel ornement de la femme »27. Attribuée à Pécuchet en train de se peser nu sur la balance, la pudeur ajoute un trait comique de plus à ce geste expérimental. En ce qui concerne la source de cet épisode, plusieurs auteurs font mention de l’expérience de Sanctorius. Énumérons ici toutes ces occurrences, qui nous permettront de nous rendre compte de l’épaisseur épistémologique non négligeable que renferme la tentative ridicule d’un personnage romanesque : — Perspiration […] Après Sanctorius, ont expérimenté Dodart, Winslow, Haller. (f° 49 ; Richerand) — Sanctorius s’est borné à rattacher les maladies aux troubles de la perspiration insensible, qu’il distingue soigneusement de la transpiration. – & pour cela il a passé une partie de sa vie dans une balance, afin de déterminer les moindres changements de poids en plus ou en moins. / Si chaque jour dans le corps s’opérait l’addition de ce qui manque, & la soustraction de ce qui est en excès, la santé perdue se retrouverait aisément, ou la santé présente se conserverait toujours. (f° 58 ; Daremberg)28
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La citation est marquée d’une croix et d’un point d’exclamation en marge. Très stimulant est le livre de Jean-Claude Bologne, Histoire de la pudeur, Hachette Littératures, « Pluriel », 1997. Pour la pudeur prétendument naturelle de la femme, voir en particulier p. 15-18. 27 Bouvard et Pécuchet, édition de Cl. Gothot-Mersch, p. 548. Cet article ne figure pas dans la dernière version du Dictionnaire. 28 La citation est marquée d’une grande croix en marge. 26
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— De toute la surface de la peau sort un fluide vaporeux, un halitus albumineux. C’est là ce qu’on appelle la transpiration insensible. […] / On peut connaître la quantité des ingestions en pesant les aliments & boissons dans un temps donné – et toutes les excrétions sensibles, fèces, urine, mucus. Ce qui manque aux excrétions pour égaler les ingestions peut être considéré comme constituant la masse de la transpiration insensible. C’est ce que fit Sanctorius. / Par ce procédé, il conclut que la transpiration constituait les 5, 8èmes de nos pertes. – Sur 8 livres de matières ingérées il n’y en avait que 3 d’excrétions sensibles, dont 44 onces d’urine et 4 de fèces. Il restait donc 5 livres de perspiration cutanée. (f° 70 v°-71 ; Adelon)29 — Sanctorius crut avoir observé que toutes les vingt-quatre heures le corps revenait sensiblement au même poids, & que, de 4 kilogr. d’aliments pris durant ce temps, les cinq huitièmes se dissipaient par la perspiration & les trois huitièmes constituaient les matières fécales & urinaires. (f° 98 v° ; Béraud)30 — Qu’un homme reste assis tranquille sur une balance très sensible. On verra son poids diminuer à chaque minute sans évacuation apparente. (f° 128 v° ; Lévy)
Les expériences de Sanctorius, plus exactement Santorio Santorio (1561-1636), sur la perspiration insensible ont marqué réellement une nouvelle étape de l’investigation physiologique en introduisant pour la première fois « une définition quantitative des données métaboliques » 31 . Ce qu’il appelle lui-même la « médecine statique » s’intègre au fond dans le courant plus vaste de l’iatromécanisme. Dans le roman encyclopédique de Flaubert, le problème de la quantification médicale est pour ainsi dire ramené à un geste cocasse de Pécuchet, ce qui ne va pas sans avoir une certaine portée critique. Adelon, à la suite du passage que nous venons de citer, met en doute la validité des expériences fondatrices du physiologiste italien : « Mais elle [= la perspiration cutanée] varie chez chaque individu, augmente l’été, 29
Le second paragraphe de la citation est marqué d’un trait vertical. Adelon parle d’une autre expérience ayant pour objet d’éclairer l’« influence de la perspiration cutanée sur la dépuration du sang ». Cet essai est pourtant aussi comique qu’inefficace : « On a tenté de le résoudre [ce problème] en se couvrant la peau d’un vernis. Mais ça n’a rien démontré. » (f° 71) 30 La citation est marquée d’un trait vertical. 31 Gerhard Rudolph, « Mesure et expérimentation », dans Histoire de la pensée médicale en Occident, sous la direction de Mirko D. Grmek, Seuil, t. 2, 1997, p. 80. Pour la personnalité de Santorio et ses expériences quantitatives, voir M. D. Grmek, La première révolution biologique, Payot, 1990, p. 71-84.
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diminue l’hiver, est en rapport avec le degré d’excitation de la peau : – Déterminer la quantité est donc une chose vaine, disait Bichat » (f° 71). Cette citation, que Flaubert a retenue dans ses notes, doit avoir influé plus ou moins sur l’imaginaire du roman dans lequel la tentative de Sanctorius est présentée d’une manière hautement caricaturale. Bouvard et Pécuchet ne réussissent jamais dans leurs expériences. La « gymnastique » de Bouvard que nous venons d’évoquer n’arrive point à hausser la température du bain. Leur expérience imitant la digestion artificielle de Spallanzani (1729-1799)32 n’a d’autre résultat que « d’infecter leurs personnes » (p. 112). L’aimantation des aiguilles qu’ils plantent contre les vertèbres du chien n’a pas plus de succès : « Pas une n’attira la moindre limaille » (p. 116). Le paragraphe qui suit peut être considéré comme le sommet de leurs mésaventures : Les autres expériences échouèrent. Contrairement aux auteurs, les pigeons qu’ils saignèrent l’estomac plein ou vide, moururent dans le même espace de temps. Des petits chats enfoncés sous l’eau périrent au bout de cinq minutes – et une oie, qu’ils avaient bourrée de garance, offrit des périostes d’une entière blancheur. (p. 116)
Comme le précise le texte romanesque, c’est « contrairement aux auteurs » que Bouvard et Pécuchet échouent dans toutes ces expériences de physiologie. Les sources de ces tentatives ratées figurent en effet dans le dossier médical du roman. Toutefois, on ne trouve là rien qui puisse expliquer les échecs réitérés des deux bonshommes. « Duhamel ayant nourri des animaux avec des aliments teints de garance, a vu que ces os étaient colorés en rose » (f° 68 v° ; Adelon). Suivant le Professeur Küss, « sur un lapin à l’état ordinaire, il faut enlever 30 gr. de sang pour amener la mort par hémorragie », tandis qu’« au bout de trois jours d’inanition, il suffit d’en enlever 7 gr. »
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« Spallanzani place des graines moulues dans du suc gastrique pris à l’estomac des gallinacés : le tube qui contient le mélange est mis sous son aisselle pour y être maintenu à une température convenable. Au bout de trois jours tout était dissous » (f° 99 v° ; Béraud). Cette digestion artificielle a joué dans l’histoire des connaissances physiologiques un rôle non moins décisif que l’expérience de Sanctorius concernant la perspiration. Elle a éclairci définitivement le rôle du suc gastrique dans les phénomènes digestifs, et par là, mis fin aux nombreuses hypothèses qui avaient été avancées sur ces phénomènes depuis l’Antiquité. Voir Jean Rostand, Les origines de la biologie expérimentale et l’Abbé Spallanzani, Fasquelle, 1951, Chapitre X.
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(f° 96) 33 . Le même physiologiste soutient que « des petits chiens naissants peuvent rester une demi-heure immergés dans l’eau tiède & en être retirés vivants » (f° 96 v°)34. C’est donc la malveillance de Flaubert qui a transformé ces expériences heureuses en autant d’échecs irrationnels. Bouvard et Pécuchet ne doivent pas réussir tant qu’ils sont soumis à la logique du roman encyclopédique. Notons enfin que leur insuccès met plus en relief la cruauté de leurs gestes expérimentaux qui n’hésitent pas à immoler la vie pour rien.
3. Apories de l’expérience médicale « La vie est courte, l’art est long, l’occasion fugitive, l’expérience trompeuse, le jugement difficile35. » La formule liminaire des Aphorismes d’Hippocrate (460-377 av. J.-C.) constate ainsi les difficultés principales de l’art médical, au nombre desquelles ce fondateur de la médecine occidentale compte le caractère fallacieux de l’expérience. Quoique la traduction de Littré fausse quelque peu le sens du texte original36, l’idée de « l’expérience trompeuse » n’en est pas moins un lieu commun médical des plus répandus depuis l’Antiquité. Bichat a reformulé, au seuil du XIXe siècle, cette méfiance envers les interventions expérimentales au nom de la variabilité infinie des propriétés vitales. Les expériences sont incertaines « surtout lorsqu’elles ont les forces vitales pour objet » : « L’animal agité, craintif, entre en spasmes, en convulsions ; l’irritabilité, la sensibilité ne sont plus les mêmes, tout change dans l’économie sous le rapport des forces vitales37. » L’excès du vivant 33
La citation est marquée d’un trait vertical. Le changement d’animal (Bouvard et Pécuchet enfoncent « des petits chats » sous l’eau) ne peut avoir ici aucune valeur explicative par rapport au résultat de l’expérience, puisqu’il est question de la « résistance des nouveaux-nés à l’asphyxie ». Flaubert a relevé, en plus, une citation tout analogue chez Bergeret : « beaucoup d’animaux nouveau-nés, les lapins, les rats, les pigeons, les enfants peuvent vivre fort longtemps sans respirer » (f° 102 v°). 35 Hippocrate, De l’art médical, traduction d’Émile Littré, édition de Danielle Gourevitch, Librairie Générale Française, « Le Livre de Poche », 1994, p. 438. 36 Après avoir montré rapidement quelques traductions de l’expression « peira sfalerê », M. D. Grmek remarque qu’il s’agit plutôt du danger de l’essai thérapeutique. Voir Le chaudron de Médée, op. cit., p. 115-116. 37 Xavier Bichat, Discours sur l’étude de la physiologie, dans Recherches 34
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échappe d’ailleurs à l’explication physico-chimique, ce qui interdirait au médecin expérimentateur de maîtriser les phénomènes vitaux comme le physicien et le chimiste dominent les phénomènes inertes. Voici donc la conclusion du grand vitaliste : « Il faut être très réservé à prononcer sur les forces vitales d’après les expériences. » Celui qui examine le dossier médical de Bouvard rencontre çà et là des arguments assez proches de celui de Bichat. Par exemple, on lit au f° 124 v° un extrait « comme quoi [les vivisections] ne peuvent pas toujours servir à faire connaître la vérité ». Piorry, qui a rédigé l’article « Physiologie » du Dictionnaire des sciences médicales, prétend ainsi que « l’opération [à laquelle] on soumet l’animal change les conditions normales de l’organisme », et que « les rapports étant changés, les fonctions doivent l’être ». C’est exactement la même idée que cet auteur exprime de nouveau dans sa Dissertation sur les généralités de la physiologie, sur laquelle Flaubert a pris des notes : « [les] expériences sur les animaux amènent des désordres qui trompent l’expérimentateur » (f° 72). Il y a une telle interaction entre les divers organes du corps vivant qu’il n’est pas possible d’expérimenter uniquement sur une partie quelconque. Interviennent toujours des agents étrangers et imprévus, que l’on ne pourra jamais complètement éliminer : « Vous enlevez une partie du cerveau. Mais l’animal a perdu son sang. Il est faible. Il se soutient à peine. Est-ce l’hémorragie ou la lésion cérébrale qui a produit la faiblesse des mouvements ? […] En opérant sur le cerveau, non seulement vous intéressez la partie que vous avez en vue, mais vous troublez l’action de celles qui les avoisinent » (Id.). Le risque d’erreur qui est ici évoqué coïncide parfaitement avec un autre contre lequel Becquerel met en garde : « Son but [de l’expérimentation] est d’isoler un fait des circonstances accessoires qui l’entourent & qui gênent ou dénaturent sa libre manifestation. Mais par cela même que vous isolez un fait, vous le dénaturez » (f° 79)38. Le procédé expérimental détruit l’unité complexe de l’organisme vivant, défigure la marche spontanée de ses fonctions, et entraîne à la fin de graves inexactitudes. Mais quel procédé d’investigation restera-t-il si l’on renonce à l’expérimentation ? C’est alors l’observation qui devrait guider les physiologiques sur la vie et la mort (première partie) et autres textes, édition d’André Pichot, Flammarion, « GF », 1994, p. 290. 38 La citation est marquée d’une grande croix en marge.
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recherches médicales. En effet, le mouvement de retour vers l’hippocratisme amorcé dès le XVIIe siècle donnait la primauté à l’observation faite au lit du malade. L’image d’Hippocrate comme observateur, opposée à celle de Galien (129-env. 210) comme systématique, était toujours vivace au XIXe siècle39. Telle est, par exemple, la position de Cabanis qui affirme : « s’il est une science dont les dogmes doivent se fonder principalement sur l’observation, c’est la médecine, sans doute40. » Ce médecin idéologue voyait dans le « coup d’œil » de l’artiste le seul moyen possible d’accéder à la certitude médicale. C’est sur cette idée que s’appuie principalement son apologie de l’art médical, Du degré de certitude de la médecine, ouvrage que Flaubert a pris en notes. De même, Valette, dont Flaubert a lu un petit ouvrage, insiste encore en 1864 sur l’importance de l’« observation des malades » (f° 78) et se récrie vivement contre l’esprit de système qui crée inlassablement des abstractions41. On peut trouver un écho de ce débat dans le texte romanesque de Bouvard. Dans le chapitre médical, le Docteur Vaucorbeil, énervé par les paradoxes de Pécuchet, s’écrie : « Laissons les systèmes ! », et ajoute aussitôt après : « mais en observant... » (p. 121). Il est évident que le médecin de Chavignolles convertit ici en stéréotype ce qui était au début une exigence profonde de la science. Il se réclame, en plus, de la nécessité d’« avoir fait de la pratique » (p. 122) en se montrant, par là, fidèle à cette définition du Dictionnaire des idées reçues : « PRATIQUE : Supérieure à la théorie » (p. 432). À tous ces reproches du praticien, Pécuchet oppose pour sa part un éloge de l’esprit de système : « Ceux qui ont révolutionné la science, n’en faisaient pas ! Van Helmont, Boerhaave, Broussais, lui-même » (p. 122). En fait, le dossier médical montre que ce paradoxe a été émis à l’origine par Réveillé-Parise : « Van Helmont qui ne voyait pas de malades, Stahl qui en voyait peu, Boerhaave qui ne se livra à la pratique qu’après la 39 Signalons ici deux études traitant ce retour vers Hippocrate : M. D. Grmek, La première révolution biologique, op. cit., ch. 11 ; Roselyne Rey, « Anamorphoses d’Hippocrate au XVIIIe siècle », dans Maladie et maladies, histoire et conceptualisation. Mélanges en l’honneur de Mirko Grmek, édition préparée par Danielle Gourevitch, Genève, Droz, 1992, p. 257-276. 40 Cabanis, Discours d’ouverture du cours sur Hippocrate, dans Œuvres complètes, Bossange frères / Firmin Didot, t. 5, 1825, p. 108-109. 41 A. D. Valette, De la méthode à suivre dans l’étude et l’enseignement de la clinique, Adrien Delahaye, 1864, p. 4-5.
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publication de sa doctrine, Brown mort en prison à cause de ses dettes, Rasori toujours plongé dans les explications théoriques, Broussais qui n’eut jamais de clientèle civile, sont pourtant les princes de la médecine » (f° 95 v°). Sur la même page de notes, cette énumération des grands systématiques est suivie d’une autre énumération non moins savoureuse, celle des grands praticiens qui sont tombés dans l’oubli : « Que sont devenus Coq, célèbre chirurgien sous François Ier, Simon Pimpernelle, Henri Binard, Louis Hamelin, Simon Lescot, Jean Suif, chirurgien du cardinal de Richelieu, & à la même époque Thognet ? » En somme, l’antagonisme de l’observation et du système demeurait un problème non négligeable dans la première moitié du XIXe siècle, et la dispute entre les deux personnages flaubertiens donne une visibilité romanesque à ce paradigme médical. Le dossier médical de Bouvard contient de nombreux extraits concernant les difficultés de l’observation clinique. Ainsi, dans son Essai sur la philosophie médicale et sur les généralités de la clinique médicale, Bouillaud tente de préciser « les règles » des observations en médecine, et avance qu’« il faut avoir égard à tout » (f° 84). Cette « [condition] d’une bonne observation », quasiment irréalisable, suggère bien l’extrême complexité de l’observation des phénomènes de la vie. De là vient aussi l’objection à la médecine que Flaubert a relevée dans l’ouvrage de Cabanis : « les maladies sont si variées qu’on ne saurait tirer de leur observation aucune règle fixe » (f° 33). Il est vrai que Cabanis tente de réfuter cette constatation négative, mais les notes de Flaubert montrent que c’est au moins ce qui est effectivement arrivé à Haygarth qui « avait rassemblé dix mille cinq cent quarante neuf observations de sa pratique » (f° 95 ; RéveilléParise). Mais, demande Réveillé-Parise, « à quoi ont-elles servi, sans système, sans vue d’ensemble » ? Les faits épars n’ont aucune valeur scientifique en eux-mêmes. Il y a plus. La réalité de l’exercice médical quotidien interdit au médecin d’« observer le cours des maladies abandonnées à elles-mêmes », puisque « les médicaments les troublent » (f° 34 ; Trousseau)42. Ce dilemme est d’une importance capitale pour la médecine clinique qui prétend se fonder sur la connaissance exacte de la marche naturelle des maladies. 42
La citation est marquée d’une croix en marge. La même idée est formulée aussi par Cl. Bernard : « L’observation clinique est troublée à chaque instant par l’intervention des médicaments » (f° 74).
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La médecine d’observation, qui avait donc ses propres apories, manifestait fréquemment sa défiance à l’égard des expériences médicales. Certains de ses adeptes soutenaient nettement que la médecine devait demeurer une science d’observation et se garder autant que possible d’intervenir expérimentalement. La spontanéité de la vie et l’unité indécomposable de l’organisme vivant s’opposent à l’emploi rigoureux de l’expérimentation chez les êtres vivants. À plus forte raison, les auto-expériences, auxquelles la déontologie médicale pousse quelquefois les médecins chercheurs, et dont celles de Galien sont peut-être les plus connues43, n’apportent le plus souvent que des résultats suspects, d’autant plus que « leur intelligence & leur imagination [des médecins] étant en jeu, ils éprouveront des sensations ou des effets qui ne doivent point être attribués au médicament » (f° 79 ; Becquerel). D’ailleurs, l’observation seule des phénomènes naturels ne suffit-elle pas à l’investigation médicale ? « L’expérimentation est impossible dans la science qui est la plus avancée = l’astronomie » (id.). D’après les tenants du clinicisme, ce seul fait porte à révoquer en doute la nécessité des procédés expérimentaux dans les sciences de la vie. Les partisans de la médecine expérimentale naissante, de leur côté, réagissent contre cette tradition hippocratique. Magendie reproche à Bichat, en évoquant les travaux de Lavoisier sur la respiration et la chaleur animale, d’avoir méconnu les apports des sciences physico-chimiques à l’étude des phénomènes de la vie44. Et son disciple, Claude Bernard, déclare hautement la guerre à la médecine d’observation qui n’est pas, à ses yeux, autre chose que « la négation d’une médecine active, c’est-à-dire d’une thérapeutique scientifique et réelle »45. Il se donne pour mission d’« extirper les derniers germes » du vitalisme qui « constitue[nt] un véritable obstacle aux progrès de la médecine expérimentale »46. Certes, « les expériences médicales sont encore plus difficiles que l’observation des maladies » (f° 33 ; Cabanis). Mais elles n’en sont pas moins légitimes, 43
Sur les auto-expériences de Galien, voir M. D. Grmek, Le chaudron de Médée, op. cit., p. 133-134. 44 Magendie a édité la quatrième édition (1822) des Recherches physiologiques sur la vie et la mort de Bichat en y ajoutant de nombreux commentaires. Voir X. Bichat, op. cit., p. 123. 45 Cl. Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, op. cit., p. 48. 46 Ibid., p. 100.
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puisque les phénomènes des corps vivants, ainsi que ceux des corps bruts, sont régis par un déterminisme absolu. Le chapitre premier de la deuxième partie de l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale est entièrement consacré à prouver cette légitimité. Les convictions de Cl. Bernard à cet égard sont inébranlables : « la médecine est destinée à être une science expérimentale et progressive ; […]47. » On sait que notre romancier ne partage point la vision téléologique proposée souvent par l’histoire des sciences. Il se plaît plutôt à traquer différentes contradictions des deux camps opposés, qu’il laisse constamment dans l’antagonisme insurmontable. Ainsi, Flaubert note avec un malin plaisir des arguments invoqués pour nier la certitude des recherches expérimentales. Ces citations, dont le texte définitif de Bouvard ne porte pas de traces explicites, font pourtant partie de son épaisseur épistémologique. Dans le roman encyclopédique, la dimension qui n’est pas visible n’en est pas moins agissante. Ces citations ont certainement concouru à la genèse des mésaventures des deux bonshommes en installant une vision négative de l’expérimentation médicale dans l’imaginaire du romancier. Bouvard et Pécuchet échouent sans exception dans toutes leurs expériences de physiologie. Une de ces expériences, l’aimantation des aiguilles par le courant nerveux du chien (p. 115-116), devient plus problématique si l’on examine de près la source de cet échec spectaculaire des deux bonshommes. Nous avons mentionné tout à l’heure l’expérience de Prevôt de Genève inscrite dans les notes flaubertiennes prises sur l’ouvrage de Virey. Or, celui-ci se contredit manifestement, car il écrit « plus haut » dans le même ouvrage : « on n’a pas pu vérifier que des aiguilles d’acier, implantées dans les nerfs d’un animal vivant, deviennent magnétiques & attirent la limaille de fer, comme le soutenaient Vavasseur, Béraudi, Jules Cloquet » (f° 104). Cette incohérence n’a pas pu échapper à Flaubert, qui a transcrit les deux passages en question l’un à la suite de l’autre en les commentant en marge : « Contradiction. Quid ? » La contradiction appartient évidemment à Virey, qui ne se donne même pas la peine de s’expliquer là-dessus. Mais d’un point de vue plus général, ces deux expériences incompatibles ne suggèrent-elles pas au fond la précarité même de l’expérimentation médicale ? Flaubert a relevé bien d’autres « expé47
Ibid., p. 49.
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riences contradictoires » comme, par exemple, celle qui concerne la « fonction du nerf olfactif » (f° 97). L’observation de Cl. Bernard qui « trouva sur une femme le bulbe & le tronc olfactif complètement absents » jette nécessairement un doute sur cette fonction confirmée par de nombreuses expériences, parce que, selon le célèbre physiologiste, la femme « avait senti comme un autre ». La transpiration insensible donne également lieu à des affirmations contradictoires : « Sauvages trouva que, sur soixante onces de matières ingérées, il y avait 5 onces de fèces, 22 d’urine, et 33 de perspiration cutanée. Keill crut voir [la quantité de] la perspiration cutanée moindre que celle de l’urine » (f° 123 ; DSM, « Peau »). Dans l’univers de Bouvard, la multiplication de ces contradictions externes ne peut pas ne pas porter atteinte à la méthode d’investigation biomédicale qu’est l’expérimentation.
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g 2267, f° 73 Leçons de Pathologie expérimentale. Claude Bernard 1872. Agents morbifiques
à mesure que l’animal devient plus sensible aux effets des poisons névrosthéniques, il acquiert plus de force pˍ résister à l’influence de l’empoisonnement putride si nous voulons prémunir un animal contre l’action du curare & d’autres poisons affections
de la même espèce, il faut le débiliter. Si nous voulons le préserver des actions contagieuses il faut relever ses forces & exalter ses propriétés vitales par tous les moyens possibles. le virus rabique. on ne sait pas si cette affection a pˍ siège l’une des glandes salivaires ou s’il est sécrété par toutes les glandes à la fois. un chien enragé ressemblerait donc à un crotale ou à une vipère – Le sang peut acquérir des propriétés toxiques d’une manière en qque sorte spontanée, par suite des modifications chimiques qu’il subit aussitôt après avoir cessé de vivre. - car le du sang d’un animal sain laissé à l’air, injecté dans les veines d’un autre animal, l’empoisonne. (41) évolutions morbides. toute organisation vivante est invariablement dérivée d’une cellule primitive qui par ses divisions & subdivisions donne naissance à toutes les autres (47. chez les hibernants, certains ganglions nerveux, particulièrement ceux des organes génitaux, semblent disparaître en entier. Mais aussitôt que l’activité physiologique de ces organes se réveille, ils sont de nouveau rappelés à la vie. Les fibres constitutives d’un muscle, augmentent de volume – mais encore de nombre. – le développement histologiques s’opère à toutes les époques de la vie. un mouvement ininterrompu se produit au sein de nos organes pˍ remplacer par des tissus nouveaux ceux de nos éléments qui ne sont plus aptes à remplir les fonctions qui leur sont dévolues. Dès que cette activité incessante s’écarte de ses voies naturelles la formation du tubercule du cancer et d’une foule d’autres produits pathologiques en est la conséquence. Goodsir a avancé qu’après chaque repas quand l’absorption s’est produite, l’épithélium qui recouvre les villosités s’exfolie, – & se renouvelle dans l’intervalle qui s’écoule avant que des aliments ne pénètrent de nouveau dans l’appareil digestif – preuve manifeste de la rapidité avec laquelle la reproduction des tissus peut qqfois s’opérer Mais lorsque par suite de l’intervention d’une cause pathologique l’épithélium ne se forme plus, quelles en sont les conséquences ? Il n’y a plus d’obstacle à l’exhalation séreuse par les parois vasculaires. Aucune surface de protection ne vient préserver l’économie contre les corps qui peuvent s’y introduire. enfin il n’existe plus aucun pouvoir régulateur pr équilibrer les fonctions absorbantes & sécrétoires. de cette manière, d’innombrables maladies peuvent se rattacher au défaut d’évolution normale. comme à leur cause première. 52.
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g 2267, f° 73 v° La nutrition est un mode particulier d’évolution Si la matière glycogène vient à manquer le développemt histologique s’arrête diverses maladies en sont la conséquence immédiate. la nutrition comprend donc deux parties essentiellement distinctes. - la formation des cellules & la création des blastèmes. – & cette dernière fonction est tout aussi indispensable à la vie que la première. Il y a donc deux manières de mourir. tantôt la vie est tranchée d’un seul coup par une lésion grave qui affecte un organe important. tantôt elle s’éteint graduellement par défaut de nutrition. » 57. thérapeutique
– doctrine des crises & des jours critiques. Hippocrate supposait qu’à certaines périodes déterminé[es] l’expulsion de la matière morbifique avait lieu spontanément par qqu’évacuation extraordinaire. Les anciens croyaient donc que les forces biologiques déviées de leur direction naturelle y revenaient spontanément sans aucun secours étranger. (61)
Contre les causes finales. L’orifice supérieur du larynx occupe une position dangereuse par suite de la conformation du pharynx. & la chute d’un bol alimentaire dans les voies aériennes est souvent la conséquence de cette malheureuse disposition anatomique. (63) Pour prouver qu’un mode de traitement est utile ou nuisible dans telle maladie, il faudrait faire la contr’épreuve. (64) Les parties solides du corps humain jouissent dans une certaine mesure de cette singulière propriété de régénération qui existe à un si haut degré chez les animaux inférieurs mais ce sont surtout les liquides & les revêtements épithéliaux des muqueuses qui possèdent cette puissance physiologique. (67.) Lorsque la mort arrive, au lieu de dire que la vie s’est éteinte, il serait plus exact de dire que « l’état physiologique qui régénère les organes a cessé d’exister » – thérapeutique ration[n]elle. comment expliquer l’opération spéciale de chaque agent médicamenteux. on a pensé que la substance employée pénétrait directemt nos organes pˍ s’adresser directemt au principe morbifique & le neutraliser. le mercure s’adresserait au virus syphilitique les acides au vice scorbutique, les alcalins au vice rhumatismal – dans d’autres cas on s’est adressé à un poison défini. – on a tenté de guérir la colique de plomb en administrant de l’acide sulfurique dilué aux personnes qui en sont atteintes, dans le but de rendre l’agent morbifique lui-même insoluble. – Mais il est impossible de produire du sulfate de plomb dans le torrent circulatoire, d’acidifier le sang. (73) Il est impossible d’injecter des ferments dans le sang. (75) X
de
expérience à faire – un chien à qui on a injecté dans le sang du phosphore dissous dans l’huile – enfermé dans une cave obscure exhale du feu par la bouche & les naseaux – le phosphore est exhalé par les poumos poumons. expérience de Magendie. (78.)
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g 2267, f° 74 path expérimentale 2 Les médicaments agissent sur qques uns des éléments histologiques dont les organes se composent. – ainsi la digitale n’agit pas sur le cœur seul mais sur les fibres musculaires en général. seulemt cette action est plus gde sur les fibres musculaires de cet organe. Les nerfs, les vaisseaux & les autres tissus qui entrent dans la composition du cœur demeurent parfaitement intacts. (88) généralasition des états morbides Les affections purement locales méritent à peine de prendre le nom de maladies aussi longtemps qu’elles ne s’accompagnent point de symptômes généraux et qu’elles restent cantonnées dans une région limitée du corps. (91). Cause & conséquences Les désordres qui se présentent sont-ils la cause ou la conséquence des maladies ? Ainsi l’hyper des maladies.
trophie de la rate qui accompagne habituellement la fièvre intermittente - & les ulcérations intestinales qui coïncident avec la fièvre typhoïde sont considéré[e]s par qques médecins comme la cause & par d’autres comme la conséquence de la maladie nos moyens d’investigations sont encore impuissants à nous montrer la différence entre un nerf à l’état normal & un nerf profondément irrité par des agents extérieurs Mais le physicien ne peut pas saisir la différence matérielle entre l’état moléculaire - nous
d’un aimant & celui d’une simple barre d’acier.
– mais n’avons pas le droit
d’admettre l’existence d’un symptôme physiologique qui ne résulterait d’aucune cause matérielle. (102) La cause exacte de l’évolution d’une maladie nous indique en même temps le mécanisme de la guérison. Autopsies. on ne rencontre que des lésions locales, tandis que le mécanisme physiologique & les désordres généraux qui en résultent passent inaperçus ; en supposant que l’on ait soupçonné leur existence pendant la vie, il est impossible d’en retrouver les traces 24 h. après la mort – Les muscles empoisonnés par certaines substances perdent leur contractilité, sans que la chimie puisse encore nous en rendre compte d’une manière satisfaisante. (117.) – une tourterelle privée de nourriture pendant plusieurs jours tombe & meurt immédia-tement quand on lui pince les pattes. La douleur a été suffisante pˍ arrêter le cœur & déterminer la mort. (120) – L’observation clinique est troublée à chaque instant par l’intervention des
poisons musculaires
médicaments. – Le crapaud succombe à l’action de son propre venin – Les uns portent leur action sur la fibre contractile du cœur, avant de détruire les autres parties du système musculaire. – les autres atteignent d’abord les muscles volontaires. le cœur ne s’arrête que plutard. complet
X
une grenouille peut survivre plusieurs heures à l’arrachement du cœur (154)
FLAUBERT CONTRE LA MEDECINE EXPERIMENTALE
113
g 2267, f° 74 v° Systèmes nerveux.
Bell & Magendie les on* ont découvert qu’ils étaient séparés en sensitifs et moteurs
la moelle épinière
appelée autrefois le gros cordon nerveux. on considère aujourd’hui le cerveau, la moelle épinière & les nerfs comme des organes entièrement distincts, aussi bien par leur structure que par leurs propriétés loin d’être continus, ils sont simplement soudés ou juxtaposés. Le muscle & le nerf ont des propriétés distinctes. (232) La moelle épinière sert d’origine aussi bien aux nerfs du gd sympathique qu’à ceux du système cérébro spinal. – Elle est l’origine commune de la portion périphérique du système nerveux, soit que les ramifications s’étendent jusque dans les muscles de et
la vie animale, soit qu’elles se rendent à la peau ou* aux membranes muqueuses soit qu’elles pénètrent à l’intérieur des organes splanch[n]iques. (251) – trois espèces de cellules dans la moelle épinière. (255) Les immunités p/de certains animaux, par rapport au[x] poisons sont fausses. si le poisson atteint au-delà de la graisse, l’animal en est affecté. le hérisso[n] le porc. (293) Faux poisons = substances irritantes sur la muqueuse intestinale. tels les le*/cham-pignons vénéneux. un demi verre d’eau bouillante injecté dans l’estomac d’un chien le fait mourir. . Aussi les alcalis, les acides, sans être absorbés désorga[-] nisent les tissus. Le gd sympathique prend naissance au sein de la moëlle épinière. – Maintenant qu’on connaît la fonction glycogénique du foie, le diabète n’est plus qu’une exagération ou le dérangement d’une fonction normale. « La médecine n’est pas encore une science » (325) Le gd sympathique, s’oppose à la sécrétion en agissant sur la circulation. Il est le modérateur de fonctions, permettant ainsi aux substances de séjourner dans les organes, d’y subir leurs métamorphoses & de servir ainsi à la nutrition. c’est le nerf de la nutriti[on] proprement dite ou plutôt de l’assimilation. (336) Le diabète est une maladie nerveuse due à un excès d’action du nerf désassimilateur du foie, qui entraîne la désassimilation prématurée d’une matière qui devait servir d’une autre manière à la nutrition. Fièvre
indépendamment de la circulation générale, il existe des circulations locales propres à chaque organe qui le rendent indépendant jusqu’à un certain point des organes voisins.
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FLAUBERT EPISTEMOLOGUE
g 2267, f° 75 path expérimental 3 La fièvre doit se comprendre comme une sorte de paralysie du gd sympathique, palaysie passagère & incomplète. une altération du sang peut être la conséquence de cette lésion primitive de l’innervation et cette altération peut amener une pneumonie, une pleurésie. Circulation.
La pression du sang diminue à mesure qu’on s’éloigne du cœur – Les colorations qui dans les planches d’anatomie font distinguer le sang veineux & artel artériel du fœtus en donnant une teinte bleue au premier et rouge au second sont système
conventionnelles. Lorsque le sang capillaire n’existe pas, le sang a partout la même couleur et l’on voit déjà des artères & des veines avant qu’il y ait réellemt du sang artériel & veineux. - entre la mère & le fœtus il n’y a pas communication entre les vaisseaux, mais communication par simple contact. (367) dédain de l’anatomie L’école de Montpellier, & Rivière a dit que les découvertes d’Aselli & de Pecquet sur les vaisseaux lactés comme celles d’Harvey sur la circulation étaient de pures curiosités zoologiques qui n’importaient aucunement à la médecine. réside
La vie résulte partout dans le corps humain. son siège véritable est placé dans les éléments histologiques qui constituent les tissus, & elle n’est en définitive que la résultante de l’action de toutes les parties élémentaires. Les autopsies ordinaires peuvent induire en erreur, on trouve des lésions qui n’ont pas été la cause immédiate de la mort, qui peut-être même ne se sont produites que lorsque cette mort était déjà survenue. on appelait la physiologie « le roman de la médecine » Mort.
pˍquoi ce malade est-il mort à un moment plutôt qu’à un autre puisque la lésion pathologique devait être à peu près identique avant & après ce moment ? La mort est survenue parce que à un certain moment il y a un élément organique donné qui a perdu ses propriétés & par conséquent ses fonctions. La disparition des fonctions de cet élément a ensuite amené une dislocation des autres fonctions de l’organisme
Entités morbides.
Dire que la quinine agit sur la fièvre, le mercure sur la siphylis ne signifient rien. Diathèses & maladies sont des créations de l’esprit, des mots sous lesquels nous réunissons un certain nombre de phénomènes concomittants ou successifs – mais, au fond, il n’y a de réel & par conséquent de susceptible d’être influencé que la matière dans laquelle se passent les phénomènes intimes eux-mêmes. un médicament ne peut donc agir que sur un élément organique, & pas sur autre chose d’immatériel. (534)
FLAUBERT CONTRE LA MEDECINE EXPERIMENTALE
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g 2267, f° 75 v° Pr la défense des Vivisections. « chaque ordre de choses a son point de vue distinct lequel n’est pas toujours parfaitement d’accord avec d’autres point[s] de vue spéciaux - est-ce à dire qu’il faudra dans un ordre de choses donné sacrifier le point de vue qui lui est propre à un point de vue qui leur est étranger. » (548) – Vivisections humaines. Les rois de Perse livraient à leurs médecins des condamnés à mort. Attale III Philométor expérimentait des poisons & des contrepoisons sur des criminels. – vivisections de Hérophile & d’Érasistrate, sous les Ptolémées – le gd duc de Toscane fit remettre à Fallope un condamné pr le disséquer vivant. ?
– l’archer de Meudon reçut sa grâce parce qu’on pratiqua sur lui la néphro-tomie avec succès – —
Chapitre V Contradictions de la médecine Curiosités médicales, erreurs populaires, cas tératologiques, expériences grotesques : voilà les strates primitives du « comique d’idées » qui sont en jeu dans le dossier médical de Bouvard. Dans les deux chapitres précédents, nous avons analysé ces catégories simultanément du point de vue épistémologique et littéraire. Les chapitres qui suivent seront consacrés à la contradiction, qui est la figure la plus importante des bêtises médicales présentes dans le dossier de Bouvard. Nous allons analyser les diverses formes que prend cette figure fondamentale et mettre en lumière ses traits caractéristiques ainsi que sa portée critique. Or, comme nous l’avons déjà fait remarquer, on peut distinguer deux formes principales de la contradiction flaubertienne. D’une part, il y a des divergences d’opinions que l’écrivain a pris soigneusement en notes tout au long de sa documentation médicale. D’autre part, les notes médicales de Flaubert contiennent de nombreux extraits dans lesquels il est question des apories internes aux conditions mêmes du savoir. Commençons par examiner de près chacune de ces deux formes de contradictions afin de mieux saisir le travail critique de Flaubert dont le dossier médical nous fait voir l’intensité singulière.
1. Contradictions externes On lit dans Le Dictionnaire des idées reçues : « Hippocrate dit oui, Galien dit non1. » En effet, si l’on jette un coup d’œil sur l’histoire de la médecine, on y rencontrera un grand nombre de doctrines qui s’opposent les unes aux autres. Les « variations des théories », selon l’expression notée au f° 33 (Cabanis), n’ont jamais cessé de se manifester. Cabanis (1757-1808) trace, dans Du degré de certitude de 1
Bouvard et Pécuchet, édition de Cl. Gothot-Mersch, p. 527. Cet article ne figure pas dans la dernière version du Dictionnaire.
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la médecine, un tableau sommaire de ces variations depuis l’origine du savoir médical jusqu’au brownisme, le système du médecin anglais John Brown, en passant par Hippocrate, Galien, la doctrine alchimique de Paracelse ou de Van-Helmont, la médecine chimique, la médecine mécaniste, l’animisme de Stahl, le vitalisme de l’école de Montpellier, etc 2 . Tous ces systèmes, qui se sont succédé chronologiquement, s’affrontent et se détruisent sur le plan purement logique. Cabanis fait remarquer avec justesse que ces contradictions externes finissent par discréditer la science médicale elle-même : « Si la médecine avoit des bases solides, sa théorie seroit la même dans tous les temps ; sa pratique surtout ne changeroit pas d’un siècle à l’autre : […] Mais qu’on parcoure l’histoire de leurs opinions : quelle diversité dans les vues ! quelle opposition dans les plans de traitemens !3 » Dans le texte du roman encyclopédique, cette diversité des doctrines incite Bouvard et Pécuchet à des rêveries : « Alors, ils s’égarèrent dans la philosophie de la médecine. Ils rêvaient sur l’archée de Van Helmont, le vitalisme, le brownisme, l’organicisme, [...] » (p. 119). Toutes ces doctrines, empreintes chacune d’une historicité propre, prétendent expliquer l’origine de la vie. L’archée de Van Helmont (1577-1644) est un principe directeur interne qui envoie des ordres aux divers organes du corps humain. De même, le vitalisme de l’école de Montpellier, en mettant l’accent sur l’autonomie de la vie, postule un principe vital irréductible aux propriétés de la matière organisée. Pour Brown (1735-1788), tout au contraire, nous ne vivons que dans la mesure où le milieu ambiant exerce une stimulation continue sur nous. Loin d’être autonome, la vie est donc un état forcé. Par conséquent, « la santé et la maladie ne sont qu’un même état » (f° 60 v° ; Daremberg) et ne diffèrent que par les degrés de stimulation que nous recevons du monde extérieur. Quant à l’organicisme, c’est un système médical qui rattache toute maladie à une lésion organique. Mais au sens plus large, ce terme désigne également toute théorie qui explique la vie par l’organisation, et non par un principe immatériel transcendant. Tous ces systèmes de la philosophie médicale s’excluant les uns les autres, il y a là en effet de quoi faire rêver. Flaubert lui-même, avant ses personnages, se sera sûrement livré à des rêveries 2
P.-J.-G. Cabanis, Du degré de certitude de la médecine, présentation de Jean-Marc Drouin, Paris - Genève, Champion - Slatkine, 1989, p. 23-30. 3 Ibid., p. 23.
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pendant ses recherches documentaires. Mais ces rêveries s’accompagnent aussi d’une ironie profonde qui, comme souvent chez Flaubert, s’avère plus manifeste dans l’avant-texte. De fait, quelques brouillons de ce passage nous montrent les deux bonshommes incarnant un parallèle doctrinal : « Bouvard est matérialiste. Pécuchet se rapprochera plutôt de l’École de Montpellier » (g 2253, f° 271 v°). Il est vrai que cette idée scénarique, qui aurait accentué le comique de la bataille doctrinale, n’a pas été reprise pour le texte définitif. Il reste que la multiplicité des doctrines, à peine suggérée dans le roman, fait ressortir la précarité fondamentale du savoir médical. L’opposition doctrinale qui revient le plus fréquemment dans le dossier médical de Bouvard est celle du vitalisme et de l’organicisme. Ce conflit, qui divisait le champ médical de la première moitié du XIXe siècle, est une nouvelle version de l’antagonisme sempiternel entre le spiritualisme et le matérialisme. Son inscription dans notre corpus se fait autour de quelques foyers thématiques : principe vital présidant aux phénomènes de la vie, concept de maladie, localisation anatomo-pathologique des maladies, force médicatrice de la nature, etc. Les deux systèmes opposés se contredisent effectivement sur tous ces points, comme le montrent les innombrables extraits retenus dans les notes médicales de Flaubert. Cet antagonisme est même si essentiel qu’il demande à être traité à part. Aussi y reviendrons-nous plus longuement dans le chapitre prochain portant sur la fièvre typhoïde. Pour le moment, bornons-nous à considérer quelques contradictions externes qui se rapportent à des sujets particuliers comme « l’influence de l’hémorragie sur la température » : « Le pouls devient plus fréquent. – & la température s’élève selon le Docteur Peter. – Elle s’abaisse selon Marshall-Hall » (f° 61 ; Redard)4 ; « Desgenettes ne regardait pas la peste comme contagieuse puisqu’il se l’est inoculée. Larrey était d’un avis tout contraire, – sans nier qu’elle se montrât sous la forme des épidémies » (f° 108 v° ; DSM, « Contagion ») 5 ; 4
Commentaire marginal : « contradiction de la médecine. » Cet extrait, marqué d’ailleurs d’un trait vertical, est suivi d’un autre dont le contenu n’est pas moins contradictoire : « Dans les menstrues, la température s’abaisse. – D’autres fois elle s’élève » (f° 61). 5 La citation est marquée d’un trait vertical, avec ce commentaire en marge :
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« Hippocrate explique la frigidité des Scythes par l’équitation. Aristote dit que les cavaliers sont lubriques » (f° 149 ; Dechambre). Les auteurs sont en désaccord sur le siège de la faim : « Dumas de Montpellier pense que le système lymphatique en est le siège. Gaspard le place dans les organes de la circulation. D’autres dans le voisinage de l’estomac. […] Certains phrénologistes mettent dans le cerveau un organe qui préside à ce besoin » (f° 98 ; Béraud), ou encore sur celui de la soif : « Dumas de Montpellier en met le siège dans le système sanguin. – D’autres pensent que c’est une diathèse inflammatoire du sang » (Id.). Le f° 131 (Becquerel) nous présente, sous la forme d’une liste, la diversité embarrassante des opinions sur la « durée de la destruction complète des cadavres » : Selon Gmelin 30 à 40 ans Frank 24 à 25 [ans] Walker 7 ans Pyler 14 [ans] Moret 3 ans Orfila 15 à 18 mois. En France, la moyenne admise est de 5 ans6.
Le « renouvellement de la matière organisée » (f° 98 ; Béraud) est assurément un des phénomènes les plus merveilleux que présente l’organisme humain. À cet égard, Richerand compare notre corps « au vaisseau des Argonautes » (f° 70 ; Adelon). Plus d’une fois, on a tenté de déterminer le temps exact dont ce phénomène avait besoin pour s’accomplir. Cela n’a pourtant donné lieu qu’à des conclusions contradictoires : « On a dit, sans preuves, que 7 années étaient nécessaires pour ce renouvellement intégral. Bernoulli dit 3 ans, Berthold 4 » (f° 98) 7 . Les différentes « théorie[s] de la voix », rapportées par « contradict. » Il faut noter qu’à cette époque, l’acception du mot « contagion » était restreinte « au seul contact médiat ou immédiat » (f° 108 v°). 6 Commentaire marginal : « à copier », avec une croix. 7 La même contradiction externe est inscrite aussi au f° 70. Adelon, en outre, explique pourquoi le calcul est ici à peine applicable : « Le renouvellement se fait tous les 7 ans suivant les Anciens, Bernouilli tous les 3 ans. Mais comment fixer le point de départ de l’expérience, & même reconnaître son terme ? La nutrition étant une action moléculaire dans laquelle on ne peut saisir ni ce qui entre pour la composition, ni ce qui sort pour la décomposition, il n’est aucun moyen de fixer l’époque qu’on recherche. » Il ressort de là que la divergence d’opinions est pour ainsi dire inévitable
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Béraud, comparent la glotte à un instrument de musique pour rendre compte des phénomènes vocaux. Les hypothèses les plus diverses ont été avancées à ce propos : Le larynx est comparé à une flûte & la trachée-artère est le corps de l’instrument (Aristote & Galien). La trachée-artère n’est qu’un porte-vent (au XVIe siècle, Fabrice d’Aquapendente et Casserius). Dodart, en 1700, compara la glotte à un cor ou à une trompette. Le larynx est un violon, Ferrein (1742). Le larynx est une anche. (f° 100 v°)
Les pratiques le plus communément adoptées n’échappent pas toujours aux contestations. Les autorités se plaisent parfois à émettre des idées paradoxales, comme c’est la cas de Sanctorius qui « traite d’inutile l’art de juger par la langue » (f° 117 ; DSM, « Langue »)8, ou de Cardan qui « condamne l’exercice comme nuisible à la santé » et qui « attribue la longue vie des arbres à leur immobilité » (f° 115 ; DSM, « Hygiène »)9. Pour Nacquart, « la montre à secondes pour mesurer le pouls » n’est qu’un « charlatanisme » : « Car la numération des pulsations ne forme pas le principal caractère du pouls. C’en est à peine un des éléments » (f° 121 v° ; DSM, « Occulte »)10. Notons que le romancier a conçu un petit dialogue comique à partir de cet extrait. Dans la fiction, Pécuchet discute avec Vaucorbeil sur la valeur du chiffre des pulsations et se range à l’avis de Nacquart : — « Jamais ! Son pouls donne quatre-vingt-dix-huit pulsations. » — « Qu’importe les pulsations ! » Et Pécuchet nomma ses autorités. (p. 121)
Enfin, dans l’exemple suivant, la théorie se trouve réfutée par le fait. Bichat prétend que la symétrie des lobes cérébraux est « nécessaire à la manifestation de l’intelligence dans toute sa puissance » (f° 99 ; Béraud). Mais voici son propre cerveau qui vient « donner un démenti à sa doctrine », car « il avait un des hémisphères notablement plus volumineux que l’autre ». sur ce point. Voir aussi au f° 100 v° (Béraud) : « La rénovation complète du corps, impossible à savoir en combien de temps. » 8 Commentaire marginal : « contrad ». 9 Commentaire marginal : « contradict ». 10 Commentaire marginal : « Contrad ».
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2. Contradictions internes ou perversions de la causalité Passons à la seconde classe de la contradiction flaubertienne. La page de notes prises sur Cabanis peut nous servir ici d’introduction, puisqu’elle comprend une série d’« objections » que les détracteurs de la médecine adressent le plus souvent à sa certitude. Les extraits suivants peuvent être considérés effectivement comme autant de contradictions internes : 1° Les ressorts secrets de la vie échappent à nos regards. 2° La nature & les causes premières des maladies nous sont absolument inconnues. 3° Les maladies sont si variées qu’on ne saurait tirer de leur observation aucune règle fixe. 4° La nature des substances employées comme remèdes est un mystère. 5° Les expériences médicales sont encore plus difficiles que l’observation des maladies. (f° 33)
Impossibilité de connaître les causes premières de la vie et de la maladie, variabilité extrême des phénomènes morbides, nature problématique des médicaments, difficulté des expériences sur le vivant. Tous ces arguments jettent naturellement un profond discrédit sur la consistance du savoir médical. Ce scepticisme est d’ailleurs partagé par les auteurs médicaux eux-mêmes. Ainsi, Louis Lucas rappelle le mot de Galien : « nihil in corpore plane sincerum », à savoir « il n’y a rien dans le corps qui s’exécute d’une façon rigoureuse » (f° 67). Dès lors, il reste toujours une part de vie qui se dérobe à la rationalité scientifique. Au XIXe siècle encore, nombre de médecins auraient volontiers reconnu leur propre opinion dans cet aphorisme du médecin antique. En tout cas, même un scientiste déclaré comme Cl. Bernard est obligé d’avouer l’insuffisance de la science médicale : « La médecine n’est pas encore une science » (f° 74 v°). Le thème de la causalité constitue un foyer particulièrement intense de contradictions internes dans le dossier médical de Bouvard, mais aussi dans l’ensemble du roman. Parmi les cinq « objections » déjà citées qui ont été exprimées par les détracteurs de la médecine, les deux premières concernent précisément la causalité des phéno-
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mènes vitaux. L’esprit humain parviendra-t-il un jour à embrasser les causes premières des manifestations de la vie ? Lui est-il vraiment permis de pénétrer le rapport de causalité en général ? Au chapitre VIII du roman, Bouvard émet un doute sur ce point : Bouvard doutait des causes : — « De ce qu’un phénomène succède à un phénomène, on conclut qu’il en dérive. Prouvez-le ! » (p. 281)
L’interrogation est ici radicale, car elle porte directement sur le principe de causalité tel que la tradition philosophique de l’Occident le définit. Est-il vrai que tout phénomène a une cause ? Existe-t-il réellement un rapport de causalité entre deux phénomènes consécutifs ? Ce monde où nous vivons, est-il par essence rationnel et compréhensible ? Pariset a répondu à ces questions épineuses dans l’article « Cause » du Dictionnaire des sciences médicales. Sa réponse est à la fois positive et négative. L’existence de la causalité est pour lui indéniable, mais cela ne permet pas pour autant à l’esprit humain de la comprendre : « Quant à la raison secrète en vertu de laquelle un premier phénomène a le pouvoir d’en produire un second, cette raison existe très-réellement dans la nature : […] mais elle n’existe point pour nous, parce qu’il nous est impossible de la saisir, et de constater en quoi elle consiste11. » Le mystère de la génération des phénomènes nous échappe pour toujours, et les sciences ne seront jamais capables de pénétrer ce mystère. Cela devient aussitôt une « contradiction » dans la logique de Flaubert, qui a commenté ainsi ce passage de Pariset : « La seule chose à laquelle puisse aspirer la faiblesse de notre esprit, c’est à découvrir quelles sont les véritables extrémités de la chaîne, et à disposer dans leur ordre de dépendance & de succession tous les intermédiaires qui en forment à la fois la séparation & le lien » (f° 108). Le même aveu d’impuissance se rencontre chez Delpit, auteur de l’article « Nosogénie »12 du Dictionnaire, qui n’a pas hésité à affirmer que « nous ne pouvons qu’apprécier les phénomènes » (f° 145). Tous nos efforts pour connaître la formation des maladies sont inévitable11
Dictionnaire des sciences médicales, op. cit., t. 4, p. 356. Flaubert a pris en note cet article deux fois. D’abord dans le ms g 2267, f° 120 v°. Puis, d’une façon plus détaillée, au f° 145 sous le titre : « Cause des maladies ». 12
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ment voués à l’échec, puisqu’« il y a toujours au delà des causes qui se manifestent, une dernière cause que les sens ne peuvent atteindre & que l’esprit ne peut saisir » (Id.). Par conséquent, il n’est pas étonnant que les causes de certaines maladies demeurent encore totalement inconnues. Delpit en donne quatre exemples : « Où se forme & comment se développe le premier germe du cancer ? Où se dirige le miasme contagieux ? Comment s’altère la substance des poumons ? En quoi consiste le germe de cette maladie qui fait dévier le rachis ? » (Id.)13. Ces obscurités dénoncent les limites du savoir médical du temps, et remettent en cause son efficacité thérapeutique d’autant plus que leur connaissance est souvent indispensable à l’art de guérir. Comme le dit Cl. Bernard, « la cause exacte de l’évolution d’une maladie nous indique en même temps le mécanisme de la guérison » (f° 74). Toutefois, par un paradoxe de la nature, « dans les maladies où la cause est comme à découvert, elle est presque inutile à connaître, et les cas où il serait le plus nécessaire de la voir sont précisément ceux où elle se cache le plus complètement » (f° 108 ; DSM, « Cause »). « La recherche de la cause est antiphilosophique, antiscientifique », écrivait Flaubert dans une lettre à Edma Roger des Genettes14. C’est sans doute notre incapacité à embrasser la genèse complète des phénomènes qui produit ce que l’on peut appeler les perversions de la causalité. Il existe, en effet, un grand nombre de cas qui nous semblent contradictoires avec le principe de causalité. La première de ces perversions est l’embrouillement de la cause et de l’effet. Elle s’observe assez fréquemment dans l’économie animale où « les phénomènes sont disposés en cercle » (f° 108). Quand il y a une circularité complète dans l’enchaînement des phénomènes, il n’est plus possible de « trouver les deux termes & les intermédiaires ». Par exemple, peut-on regarder la sensibilité exclusivement comme la cause des mouvements, alors que « les mouvements à leur tour sont 13 Une maladie dont l’étiologie est peu claire tend à engendrer des fantasmes idéologiques. Tels sont particulièrement les cas de la tuberculose et du cancer dont Susan Sontag a analysé les usages métaphoriques. Voir La maladie comme métaphore, traduit de l’anglais par Marie-France de Paloméra, Christian Bourgois, 1993. 14 Été 1864 (Pl., t. III, p. 401). C’est dans le même esprit que Flaubert reprochait à Mlle Leroyer de Chantepie « l’habitude où [elle était] de chercher la cause » : « Il faut tout accepter et se résigner à ne pas conclure. Remarquez que les sciences n’ont fait de progrès que du moment où elles ont mis de côté cette idée de cause » (18 décembre 1859 ; Pl., t. III, p. 66).
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l’unique source de la sensibilité » (Id.) ? Dans le roman, Bouvard et Pécuchet, embarrassés par la complexité des phénomènes morbides, demandent à Vaucorbeil « le moyen […] de distinguer la cause de ses effets » (p. 119). Le docteur a certainement raison de leur répondre que « la cause et l’effet s’embrouillent ». Il est vrai que les deux bonshommes trouvent dans cette réponse un « manque de logique ». Mais ce manque de logique n’est rien d’autre qu’une contradiction de la médecine elle-même15. Paradoxalement, les « petites causes » entraînent souvent des conséquences plus graves que les grandes causes. Il en va ainsi du rhume, dont l’effet se révèle parfois funeste : « Il est prouvé que les rhumes ont tué plus de monde que la peste » (f° 95 ; Réveillé-Parise)16. La même constatation est faite par Hufeland : « je ne crains pas d’être accusé d’exagération en avançant que la moitié des consomptions viennent de rhumes négligés » (f° 135 v°). Mais dans ce cas-là, convient-il vraiment de qualifier le rhume de petite cause ? Cette remarque s’applique également aux engelures, car elles « peuvent causer de graves désordres aux articulations & aux os quand elles sont ulcérées » (f° 59 v° ; Daremberg). C’est aussi en ce sens qu’il faut interpréter l’épisode suivant, que Flaubert a tiré de l’article « Diaphragme » du Dictionnaire des sciences médicales : « Un charpentier tombe du dôme des Invalides, ne se tue pas. – [Il] fait une chute de son lit & meurt » (f° 109 v°). Aussi faut-il admettre qu’il existe souvent une disproportion considérable entre la cause et l’effet. Quant à l’exemple suivant, c’est de distorsion qu’on devrait plutôt parler : « La Cause d’une maladie n’est pas son effet. Une fièvre dont la cause semble atonique n’indique pas qu’on ait à faire avec une lésion atonique » (f° 66 ; Lucas). Un problème se pose de lui-même : comment traiter une maladie dont la cause et l’effet présentent des caractères diamétralement opposés ? Lucas prend pour exemple la fièvre paludéenne. De quelle façon un médecin doit-il agir « entre la 15
Il y a des désordres dont on ne sait pas exactement s’ils sont « la cause ou la conséquence des maladies » : « Ainsi, l’hypertrophie de la rate qui accompagne habituellement la fièvre intermittente, & les ulcérations intestinales qui coïncident avec la fièvre typhoïde, sont considérées par quelques médecins comme la cause & par d’autres comme la conséquence de la maladie » (f° 74 ; Bernard). Ces contradictions externes illustrent bien l’enchevêtrement de la cause et de l’effet dans les phénomènes de la vie. 16 Flaubert a écrit en marge : « petites causes. »
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cause qui est trop basse en force vitale & le résultat fébrile qui est trop haut dans le même sens » ? S’il se préoccupe uniquement de l’un de ces deux facteurs contradictoires, il pourra tuer le malade. Il faut, au contraire, tenir compte à la fois de la cause et du résultat, et maintenir « une sorte d’équilibre qui ramène la santé » (Id.). Cette indication ne fait, cependant, que souligner l’aporie de la thérapeutique, car il n’y a rien de plus difficile que de trouver un traitement convenant aussi bien à la cause atonique qu’à l’effet hypertonique. Les lois de la logique prescrivent : mêmes causes, mêmes effets, et à effets distincts, causes distinctes. Le texte de Bouvard et son dossier documentaire transgressent audacieusement cette proposition primordiale du principe de causalité : « La même cause (une inflammation) produit ici un flux de sang, – là plus de bile, ailleurs les phénomènes adynamiques, ou ataxiques » (f° 145 ; DSM, « Nosogénie »). Une même cause peut donc produire des effets différents. Mais, par quel processus ? Béraud, évoquant un exemple analogue, ne sait pas répondre à cette question fondamentale : « Mais comment se fait-il que le suc nourricier prenne ici le caractère du tissu musculaire, là du tissu nerveux, etc., – mystère – » (f° 98). Ce mystère tourmente d’ailleurs les deux bonshommes dans le roman : « Comment se fait-il que le même suc produise des os, du sang, de la lymphe et des matières excrémentielles ? Mais on ne peut suivre les métamorphoses d’un aliment » (p. 116). Une difficulté scientifique est rapportée ici au discours indirect libre. La voix appartient à Bouvard et Pécuchet, qui ne font pourtant que calquer leurs idées sur les discours du savoir. En effet, la seconde phrase du texte romanesque provient, elle aussi, moins de leur pensée que de l’ouvrage d’Adelon : « On ne peut suivre un aliment jusqu’à ce que, sous forme de sang, il soit assimilé aux organes. L’aliment n’est plus reconnaissable dans le chyle, le chyle ne l’est plus dans le sang » (f° 69 v°). Perversion symétrique, deux causes contraires aboutissent quelquefois à un même effet : « L’anémie peut causer les mêmes accidents que l’hypérémie » (f° 36 ; Trousseau) ; « Trop ou trop peu de globules dans le sang causent des accidents identiques » (f° 90 ; Simon)17. L’exemple suivant concernant les « causes des dyspepsies nidoreuses & des fièvres assodes » porte en marge le commentaire 17
La citation est marquée d’une croix en marge droite.
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« contradiction » : « Pour les enfants, lactation trop substantielle, – aliments trop abondants, trop de fécules. Pour les pauvres, nourriture insuffisante, végétale. Ainsi, le trop et le pas assez nuisent » (f° 43 ; Gendrin). L’identité des manifestations pathologiques ne traduit pas nécessairement celle de leurs origines, ainsi que le montre ce passage : « Les paralysies sont d’origine diverse. Les unes proviennent d’une lésion du cerveau, les autres d’une lésion de la moelle épinière, les autres d’une lésion des nerfs » (f° 81 ; Littré)18. Dans le roman, les deux bonshommes se demandent pourquoi « l’homme qui n’use que d’un seul [aliment] est, chimiquement, pareil à celui qui en absorbe plusieurs » (p. 116). Ici encore, ils ne font que reprendre une interrogation déjà formulée par un auteur médical : « Quelle que soit son alimentation, les organes de l’homme sont composés chimiquement des mêmes éléments. L’homme qui n’use que d’un seul aliment n’offre pas une composition chimique différente de celui qui use d’aliments divers. – C’est donc le corps qui élabore lui-même la matière qui doit former ses organes » (f° 70 ; Adelon). En marge de cet extrait marqué d’un trait vertical, on lit ce commentaire : « position du problème », ce qui prouve que Flaubert en a fait aussitôt l’expression d’une contradiction. « Un corps étranger qui aura pénétré dans un organe peut y rester, sans produire le plus léger trouble. Un calcul développé de très bonne heure dans la vessie, peut y rester jusqu’à la mort sans altérer le jeu des fonctions » (f° 108 ; DSM, « Cause »). Il y a donc des causes sans effets, ce qui est pourtant manifestement contradictoire. « Que devient la cause – si elle ne produit pas son effet ? » (Id.), se demande Pariset, auteur de l’article du Dictionnaire. Son statut n’est-il pas radicalement contesté par ce seul fait ? Il y a plus. Pourquoi n’y aurait-il pas également une contradiction symétrique ? Un effet sans cause serait la négation absolue du principe de causalité. De fait, Flaubert a trouvé une allusion à cette perversion chez Cl. Bernard. D’après celui-ci, les physiologistes sont encore incapables d’expliquer « la différence entre un nerf à l’état normal & un nerf profondément irrité par des agents extérieurs », de même que « le physicien ne peut pas saisir la différence matérielle entre l’état moléculaire d’un aimant & celui d’une simple barre d’acier » (f° 74). L’imperfection des sciences laisse 18 Flaubert a fait un lapsus en écrivant « de la moëlle [sic] épinière » au lieu de « des nerfs ».
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ainsi supposer parfois des effets sans causes19. Il est vrai que le fondateur de la médecine expérimentale s’évertue à rejeter « le droit d’admettre l’existence d’un symptôme physiologique qui ne résulterait d’aucune cause matérielle » (Id.). Mais du moins, ne pourrait-on pas prétendre que l’effet n’a pas toujours besoin de la cause correspondante pour se manifester ? Il en va ainsi du vertige nerveux que Max Simon attribue à l’incontinence : « telle est la disposition au vertige, chez un certain nombre d’individus, qu’avant même que les abus que je signalais tout à l’heure aient appauvri le sang, etc., on voit quelquefois apparaître l’affection vertigineuse avec ses caractères les plus tranchés » (f° 90)20. Le commentaire marginal vient attester ici que Flaubert a vu dans ce passage une « contradiction ». Bref, la relation causale pose partout des problèmes que le savoir médical a encore du mal à résoudre.
3. Mise en fiction des contradictions Le romancier, qui a relevé de nombreuses contradictions externes ou internes au cours de sa documentation, doit affronter ensuite un problème majeur : comment intégrer ces difficultés scientifiques dans une fiction romanesque ? Pour cela, l’auteur de Bouvard met en œuvre deux modes de présentation, qu’il nous faut maintenant examiner brièvement. En premier lieu, une des fonctions des deux protagonistes consiste précisément à exposer les différentes divisions du savoir. Ainsi que l’a fait remarquer Y. Leclerc, « le couple des personnages se forme, s’articule dans la dualité des idées. Ils font lever dans les études toutes les bipolarisations qui s’y trouvent21. » Chacun des deux bonshommes prend en charge l’un des deux termes de l’antinomie, comme dans cet exemple : 19 Voici un autre exemple semblable, relevé également chez Cl. Bernard : « Les muscles, empoisonnés par certaines substances, perdent leur contractilité, sans que la chimie puisse encore nous en rendre compte d’une manière satisfaisante » (f° 74). 20 Notons que l’attention du romancier se porte aussi sur un phénomène stylistique, à savoir la répétition du mot « que ». Comme l’a fait remarquer Albert Thibaudet, « les pronoms relatifs ont été le cauchemar de Flaubert, et il pourchasse leur répétition comme une servante hollandaise les araignées » (Gustave Flaubert, Gallimard, « Tel », 1982, p. 244). 21 La spirale et le monument, op. cit., p. 88.
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Bouvard tirait ses arguments de La Mettrie, de Locke, d’Helvétius ; Pécuchet de M. Cousin, Thomas Reid et Gérando. Le premier s’attachait à l’expérience, l’idéal était tout pour le second. Il y avait de l’Aristote dans celui-ci, du Platon dans celui-là — et ils discutaient. (p. 280)
Les grandes oppositions philosophiques se voient ici reproduites dans les discussions caricaturales des deux bonshommes. Pécuchet s’attache au spiritualisme, tandis que Bouvard sympathise avec le matérialisme. La répartition des termes contradictoires est motivée par les tempéraments des personnages. Ainsi, le caractère exalté de Pécuchet le dispose au système philosophique qui admet « quelque chose de supérieur [au] corps » (p. 280). En revanche, le scepticisme et l’épicurisme de Bouvard le font naturellement pencher vers une conception matérialiste du monde. Dans le cadre de la section médicale, la contradiction externe s’installe plutôt entre les deux bonshommes, d’une part, et Vaucorbeil, de l’autre. En soignant l’herpès de Mme Bordin avec le système Raspail, le couple d’autodidactes s’oppose au médecin qui « la traitait [la tache de l’herpès] par les amers » (p. 118). Ce conflit s’aggrave à l’occasion de la fièvre typhoïde de Gouy. Pécuchet et Vaucorbeil ont alors une dispute violente au chevet du malade, soutenant respectivement les idées vitalistes et organicistes22. Au terme de l’altercation, Pécuchet va jusqu’à attaquer le docteur dans sa prérogative professionnelle : « C’est qu’un diplôme n’est pas toujours un argument !23 » À quoi le docteur répond par une menace : « Nous le verrons quand vous irez devant les tribunaux pour exercice illégal de la médecine ! » (p. 122). Le médiocre médecin de Chavignolles et l’un de nos autodidactes se disputent ainsi la légitimité du savoir. Cette situation fictive, manifestement comique, reflète au fond la réalité de l’exercice médical du temps. La réglementation de cet exercice, dont les principes avaient été codifiés par la loi du 19 ventôse an XI24, a mis 22
À propos de cette discussion médicale, voir le chapitre prochain. La même idée se retrouve dans Le Dictionnaire des idées reçues : « DIPLÔME : Ne prouve rien » (p. 415). 24 Pour l’importance décisive de cette loi célèbre, voir Michel Foucault, Naissance de la clinique, 2e édition, Presses Universitaires de France, « Quadrige », 1990, p. 78-82. Dans les dossiers de Bouvard et Pécuchet, on trouve les notes que l’auteur de Madame Bovary a prises sur cette « loi du 19 ventôse an XI » : « 1. Nul ne pourra embrasser la pr[ofession] de méd. chir ou d’off[icier] de santé sans être examiné et reçu comme il sera prescrit par la pr[ésente] loi. 36. Mille fr. p. le faux tit[re] de 23
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longtemps à s’imposer d’une manière définitive. Rappelons, par exemple, que le pharmacien Homais avait failli être emprisonné pour avoir enfreint l’article Ier de cette loi « qui défend à tout individu non porteur de diplôme l’exercice de la médecine », ce qui ne l’a pas empêché de continuer à « donner des consultations anodines dans son arrière-boutique »25. En effet, pour s’imposer, le corps médical a dû constamment lutter contre divers concurrents illégaux tout au long du XIXe siècle. Autre mode de présentation des contradictoires : le défilé26. Vers la fin de chaque étude vient le moment où Bouvard et Pécuchet ne peuvent plus adhérer à aucune des idées concurrentes. Les contradictions se montrent alors toutes dénudées sous les yeux des deux spectateurs qui ont déjà perdu la foi dans le savoir. C’est un moment critique précédant le plus souvent l’abandon définitif de l’étude : On ne sait même pas quelle est la force du cœur. Borelli admet celle qu’il faut pour soulever un poids de cent quatre-vingt mille livres, et Keill l’évalue à huit onces, environ. D’où ils conclurent que la physiologie est (suivant un vieux mot) le roman de la médecine. N’ayant pu la comprendre, ils n’y croyaient pas. (p. 117)
La contradiction externe dont il est question devient encore plus grave si l’on se réfère aux notes de lecture de Flaubert. En effet, au f° 69 (Adelon), le nombre des hypothèses évoquées à propos de la « force du cœur » se monte à six27 : « Borelli, comparant le cœur à un muscle de même volume, & évaluant la résistance que ce dernier était capable de vaincre, estima la puissance du cœur égale à 180,000 livres. Keill estime cette force de 5 à 8 onces. Hales 51 livres. Tabor 150 livres. Sauvages 71. Bernoulli 28 livres. » À cette immense diversité des doct[eur]. 500 f. p. — d’off de santé. 100 — p. sage femme. La prison n’excédera pas 6 mois » (g 2264, f° 227). 25 Madame Bovary, op. cit., p. 89. 26 Comme l’a bien montré J. Neefs, La Tentation met aussi en œuvre ces deux procédés d’exposition, c’est-à-dire le débat et le défilé, pour confronter les nombreuses figures mythiques et religieuses. Voir « L’exposition littéraire des religions », dans Travail de Flaubert, Seuil, « Point », 1983, p. 129-131. 27 Voir aussi au f° 108 v° (DSM, « Cœur ») : « Borelli évalue les forces dont le cœur a besoin pour entretenir la circulation à celles nécessaires pour soulever un poids de 180 mille livres. Keill à 8 onces, Hales à 51 livres 5 onces. » Commentaire marginal : « (contrad) », avec une croix.
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vues vient s’ajouter une constatation concernant la condition même de pareilles recherches. Adelon considère que le calcul rigoureux n’est point applicable ici, car « la force du cœur est mille fois variable en elle-même » (Id.). Dans le roman, en tout cas, la seule contradiction entre les idées de Borelli et de Keill suffit pour faire quitter à Bouvard et Pécuchet l’étude de la physiologie. Pour se justifier de cet abandon, les deux bonshommes invoquent d’ailleurs le « vieux mot » que Flaubert a relevé chez Cl. Bernard : « on appelait la physiologie “le roman de la médecine” » (f° 75). La fin de la médecine pratique présente une structure similaire. Bouvard, étant « las de la médecine », en énumère quelques contradictions internes : — « Les ressorts de la vie nous sont cachés, les affections trop nombreuses, les remèdes problématiques — et on ne découvre dans les auteurs aucune définition raisonnable de la santé, de la maladie, de la diathèse, ni même du pus ! » (p. 123)
La première partie de ce passage dérive évidemment des notes prises sur l’ouvrage de Cabanis (f° 33). Les trois arguments qu’elle comporte correspondent respectivement à la première, à la troisième et à la quatrième des « objections » déjà citées. Quant à la seconde partie portant sur l’imperfection des définitions médicales, en voici les sources documentaires inscrites dans le dossier médical : « La Santé, cet état si désirable, n’est pas encore bien définie » (f° 54 ; Richerand)28 ; « La santé, de même que la maladie, étant inconnues dans leur essence même, dans leur nature, c’est se livrer à un travail stérile que de chercher à donner une définition positive de ces états de l’organisme » (f° 130 ; Becquerel) ; « Il n’est pas aussi facile qu’on serait porté à le croire, de déterminer ce qu’on désigne sous le nom de pus. L’analyse chimique n’a pas déterminé en quoi il diffère de la sérosité du sang » (f° 55 ; Piorry et Lhéritier)29. Dans le roman, toutes ces difficultés de la science apparaissent comme autant de raisons suffisantes pour renoncer aux études médicales. Étant ainsi mise à distance, la contradiction devient plus douloureuse que jamais. Bouvard et Pécuchet ne savent plus que faire devant ce défilé d’apories dont ils 28 29
La citation est marquée d’une croix en marge. Commentaire marginal : « définition ».
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ont désormais pleinement conscience.
4. Contradictions forgées Le dossier médical tel qu’il a été constitué par Flaubert est une véritable fabrique de contradictions. Fabrique, car le comique d’idées inscrit dans ce dossier est parfois le produit d’une construction plus ou moins ingénieuse de la part du romancier. C’est dans cette perspective qu’il nous faut relire ici un passage déjà cité de la lettre à Mme Roger des Genettes, du 2 avril 1877 : Je suis perdu dans les combinaisons de mon second chapitre, celui des Sciences. – Et pour cela, je reprends des notes sur la physiologie – et la thérapeutique, – au point de vue comique, ce qui n’est point un petit travail30.
En effet, le comique d’idées ne devient souvent visible qu’après un travail complexe de combinaison. Flaubert, en reprenant ses notes de lecture, tâche donc de réarranger des citations médicales de manière à les mettre en opposition les unes avec les autres. Par exemple, une page de notes de notes (f° 141 v°) montre deux passages de Max Simon rapprochés sous le titre : « Continence. – incontinence. » Audessous d’un extrait sur « l’incontinence, cause du vertige nerveux », on trouve un exemple de continence mortelle : « Un gentilhomme mort tout à coup d’excès de continence. » Flaubert y ajoute d’ailleurs deux autres références : « Pinel. nos[ographie] méd. t. 3, p. 267. » et « l’article Continence du Dict des S. Méd. » La première référence se rapporte au « danger de la continence » (f° 110 ; DSM, « Faculté »)31, tandis que l’article « Continence » du Dictionnaire mentionne des cas où une vie de luxure n’entraîne paradoxalement aucune conséquence fâcheuse : « J’ai particulièrement la confiance d’un créole qui, initié aux jouissances dès l’âge de sept ans, quoiqu’il fût loin d’être pubère, conserve après plus de soixante ans toute la vigueur physique & morale qu’on puisse désirer » (f° 108 v°)32. De la confrontation de ces extraits discordants naît une figure complexe de contradiction externe. 30 31 32
Pl., t. V, p. 213-214 ; Je souligne. Commentaire marginal : « contrad ». Commentaire marginal : « (contradict). »
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Les « notes de notes » nous font ainsi assister directement à ce travail combinatoire pratiqué par Flaubert sur les discours du savoir. Mais l’exemple le plus illustratif de ce travail d’écrivain est offert par le ms g 2267, f° 140 v°, où se trouvent regroupées les différentes théories sur la fièvre. Flaubert construit là des contradictions en confrontant plusieurs extraits relevés au fur et à mesure de ses lectures médicales. Ainsi, les trois premiers extraits sont tirés de l’article « Fièvre » du Dictionnaire des sciences médicales (f° 111 v°), les six suivants de l’Histoire des sciences médicales de Ch. Daremberg (f° 58 v°-59-59 v°), et le dernier extrait provient de l’Essai sur la philosophie médicale de Bouillaud (f° 84 v°). Outre cette pluralité des sources, cette récapitulation est surtout frappante par sa désinvolture chronologique qui tend à effacer l’historicité des idées. L’auteur de Bouvard et Pécuchet, loin de respecter la logique de l’avancement scientifique, n’hésite point à rapprocher les systèmes chronologiquement les plus éloignés. Ainsi, « la théorie ancienne de la fièvre33 », celles des iatromécaniciens de l’âge classique, mais aussi les idées de quelques auteurs modernes du XIXe siècle, tout cela est mis sur le même plan. Cet effet d’achronie est d’ailleurs renforcé par l’effacement des références. De fait, si l’on compare cette page de notes de notes avec les notes de lecture correspondantes, on se rend compte que Flaubert, en recopiant ces citations, fait disparaître plusieurs références qui étaient consignées dans les notes de lecture. La théorie sur « la matière des fièvres intermittentes » appartient à Mundius, médecin anglais du XVIIe siècle. L’explication par les animalcules de « l’intermittence dans les fièvres » a été avancée par deux médecins (Diberder et Salisbury) en 1869. L’hypothèse mécaniste sur « la cause immédiate des fièvres » vient de Robinson, physiologiste anglais du XVIIIe siècle, tandis que c’est Hoffmann, célèbre médecin allemand du même siècle, qui a formulé une thèse particulière sur « la cause formelle de la fièvre ». Or, ces noms propres ne figurant plus dans la récapitulation du f° 140 v°, il n’y a là aucun indice qui puisse distin33
Suivant cette théorie ancienne, la fièvre est « un feu allumé dans le cœur ». La cause efficiente en est la chaleur native du cœur, que le sang altéré vient mettre en effervescence. Voir Ch. Daremberg, Histoire des sciences médicales, J.-B. Baillière et fils, 1870, t. 2, p. 756-757. Sur les conceptions médicales de la fièvre dans l’Antiquité, on se reportera à Pierre Pellegrin, « L’imaginaire de la fièvre dans la médecine antique », History and Philosophy of the Life Sciences, 10-1, 1988, p. 109-120.
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guer par exemple les interprétations désuètes du XVIIe ou du XVIIIe siècle d’avec le problème de l’essentialité de la « fièvre adynamique » qui était d’actualité dans la première moitié du XIXe siècle. Toutes ces théories, détachées de leur appartenance à l’histoire de la médecine, se retrouvent uniformément projetées sur la surface homogène d’une page blanche. Il s’agit donc d’une véritable stratégie discursive qui consiste à mettre en relief des contradictions au préjudice de l’historicité du sens. Flaubert forge en quelque sorte des contradictions en négligeant le plus souvent les contextes historiques des citations. Ainsi, sur une page de notes prises sur le Dictionnaire des sciences médicales (art. « Fonticule »), il retient une citation concernant les ulcères artificiels : « Van-Helmont, Cartesius & ses disciples n’ont pas craint d’avancer qu’ils étaient inutiles » (f° 113). Le commentaire marginal (« Contradict ») indique que Flaubert voit bel et bien une contradiction dans cette critique que les auteurs du XVIIe siècle adressent à un procédé thérapeutique. En même temps, il laisse de côté le contexte originel du passage cité, car Petroz, auteur de l’article du Dictionnaire, conclut à ce propos qu’« un pareil jugement est le fruit de l’application d’une théorie spécieuse34 ». Il apparaît à l’évidence que le romancier ne s’intéresse nullement à cette conclusion, ce qui ne va pas sans dénaturer le sens de la citation. Flaubert, en effet, passe sous silence presque systématiquement les solutions que les auteurs médicaux proposent afin de dépasser des contradictions. L’attitude du romancier à l’égard des sources médicales n’est évidemment pas très respectueuse. On dirait qu’il reste délibérément aveugle à certains énoncés pour mieux attaquer le savoir par ses points faibles. Flaubert se met à l’affût de la moindre contradiction lorsqu’il se lance dans sa campagne de documentation. Les notes de lecture prises sur l’ouvrage de Cabanis (f° 33), dont on a déjà parlé, illustrent typiquement ce souci de dépouiller la science de toute autorité. Ce que le médecin idéologue a entrepris dans Du degré de certitude de la médecine n’est rien d’autre qu’une apologie de l’art de guérir. À cette fin, il résume d’abord les objections principales que l’on a faites jusque-là à la médecine et les réfute ensuite une à une en se fondant sur ce qu’il appelle les « certitudes pratiques » ou « certitudes mo34
Dictionnaire des sciences médicales, op. cit., t. 16, p. 346.
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rales ». D’après Cabanis, ces certitudes non mathématiques « suffisent à l’espèce humaine pour assurer sa conservation et son bien-être »35. En conséquence, si le médecin-philosophe fait connaître les faiblesses de l’art médical, c’est uniquement dans le but de l’étayer sur des fondements encore plus solides et de prouver ainsi une fois pour toutes l’utilité de la médecine. Toutefois, en prenant en note Du degré de certitude, Flaubert ne tient aucun compte de cette finalité de l’ouvrage. Il ne s’intéresse guère aux preuves de la certitude de la médecine soutenues par Cabanis, et retient seulement les « objections » qui se transforment, dans ses notes, en autant d’apories du savoir médical. Voilà quelques exemples de la production flaubertienne des contradictions dans le dossier médical de Bouvard. Peut-être convientil ici de rappeler le célèbre épisode botanique du chapitre X du roman qui met en scène « une exception à l’exception »36 : « Allons, bon ! Si les exceptions elles-mêmes ne sont pas vraies, à qui se fier ? » (p. 360). Même si l’on peut lire dans Le Dictionnaire des idées reçues : « Dites qu’elle [= l’exception] “confirme la règle” »37, une exception à l’exception représente sans conteste la ruine de la règle. Or, la Correspondance révèle que le romancier avait posé a priori ce cas de figure aberrant. Malgré les conseils à la fois méprisants et décourageants du botaniste Baudry à qui il avait demandé des informations pour vérifier son hypothèse38, Flaubert a fini par se trouver dans le vrai : Guy m’a envoyé mon renseignement botanique ! J’avais raison ! Enfoncé, M. Baudry ! Je tiens mon renseignement du professeur de Botanique du Jardin des Plantes. Et j’avais raison parce que l’Esthétique est le Vrai. Et qu’à un certain degré intellectuel (quand on a de la méthode) on ne se trompe pas. La Réalité ne se plie point à l’idéal, mais le confirme39. 35
P.-J.-G. Cabanis, op. cit., p. 100 et 130. Lettre à Guy de Maupassant, 24 avril 1880 (Pl., t. V, p. 890). 37 Bouvard et Pécuchet, édition de Cl. Gothot-Mersch, p. 515. Cet article ne figure pas dans la dernière version du Dictionnaire. 38 « J’ai reçu la lettre de Baudry, qui ne répond à aucune de mes questions. […] Mais en revanche, il me donne des conseils sur l’art d’écrire : “Pourquoi vous engagez-vous dans la botanique, que vous ne savez pas ? Vous vous exposez à une foule d’erreurs qui n’en seront pas moins drôles pour être involontaires » (à G. de Maupassant, 8 ? avril 1880 ; Pl., t. V, p. 880-881). 39 Lettre à sa nièce Caroline, 2 mai 1880 (Pl., t. V, p. 894). 36
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Cette lettre nous fournit un renseignement extrêmement précieux sur la genèse des contradictions, ou plus généralement sur celle du « comique d’idées » chez Flaubert. L’exigence esthétique indique au romancier, avant même toute expérience, telle ou telle aporie de la science. Le sens de la documentation pour Bouvard consiste en quelque sorte à trouver ce dont l’existence est présupposée par la méthode déductive de l’artiste. L’idéal est ainsi confirmé a posteriori par les lectures et les enquêtes. Traquer ou forger des contradictions est par-dessus tout une stratégie discursive ayant pour but de déjouer la prétention scientifique à la vérité absolue.
5. L’impossible dépassement L’impossibilité du dépassement, caractéristique de la contradiction flaubertienne, doit se comprendre comme un aspect fondamental de cette dimension stratégique. Dans le roman encyclopédique, en effet, les positions contradictoires accumulées n’amènent jamais qu’au « néant des oppositions »40. Le principe de non-contradiction renvoie invariablement dos à dos les deux termes opposés, qui ne font ainsi que s’exclure. Sous ce rapport, il n’y a rien de plus incompatible avec Bouvard que la pensée dialectique. On sait qu’au chapitre VIII du roman, les deux bonshommes étudient effectivement la philosophie d’Hegel. Il est tout à fait légitime de considérer cet épisode comme mettant en abîme l’ensemble du texte (et de l’avant-texte). C’est Pécuchet qui veut alors expliquer la dialectique à Bouvard : — « Donc, l’absolu c’est à la fois le sujet et l’objet, l’unité où viennent se rejoindre toutes les différences. Ainsi les contradictoires sont résolus. L’ombre permet la lumière, le froid mêlé au chaud produit la température, l’organisme ne se maintient que par la destruction de l’organisme. Partout un principe qui divise, un principe qui enchaîne. » (p. 293-294)41 40
René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, Bernard Grasset, « Pluriel », 1961, p. 175. 41 Pour écrire cet épisode sur la dialectique, Flaubert s’est référé à deux ouvrages d’A. Vera : L’Hégélianisme et la philosophie, Ladrange, 1861 ; Introduction à la philosophie de Hegel, deuxième édition revue et augmentée de notes et d’une nouvelle préface, Ladrange, 1864. Les notes de lecture qu’il a prises sur ces ouvrages sont classées sous la cote g 2266, f° 35-36 v°. D’autre part, Gisèle Séginger a récemment publié les notes prises par Flaubert sur le Cours d’esthétique de Hegel.
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Bouvard ne saisit pas bien ce mode de pensée, comme le suggère le texte romanesque : « Bouvard feignait de comprendre » (p. 293). Un peu plus loin, d’ailleurs, il finit par avouer son incompréhension : « Oui ! je comprends, ou plutôt non ! » (p. 295). Il s’agit ici, bien entendu, du défaut de jugement des deux bonshommes, incapables de saisir un système philosophique aussi subtil et complexe que celui d’Hegel. Leur bêtise est d’autant plus accentuée qu’ils font d’abord semblant de comprendre. Cependant, l’ironie du texte ne porte-t-elle pas en même temps atteinte à la philosophie hégélienne elle-même, qualifiée d’« idéalisme » par Bouvard ? Celui-ci trouve que la dialectique est franchement incompréhensible. Et cette négation, émise au dernier moment, rend soudain comique toute l’exposition du système d’Hegel qui la précède. Dès l’instant où la philosophie est présentée sous forme de résumé, elle devient manifestement une blague. Par ailleurs, on pourrait considérer que le résumé est inhérent à toute pensée philosophique dans la mesure où elle prétend toujours, au moins virtuellement, au statut de système. Il est, de toute façon, certain que dans l’espace de Bouvard et Pécuchet, la dialectique ne s’avère pas plus capable de détenir la vérité que les autres systèmes philosophiques. Elle ne parvient pas ici à se présenter comme le dépassement des contradictoires. Afin de mieux saisir la spécificité de la contradiction dans Bouvard, il est utile de comparer le roman flaubertien avec deux autres textes, l’un romanesque et l’autre médical. Le premier texte que nous convoquons est l’épisode de la consultation médicale dans La Peau de chagrin. Tout d’abord, il faut signaler la ressemblance saisissante de ce texte balzacien avec celui de Flaubert. Ce que met en scène « cette inutile consultation »42 n’est rien d’autre qu’une contradiction profonde marquant la pensée médicale de l’époque. Trois médecins, qui sont appelés au chevet du protagoniste Raphaël, représentent « les Comme elle l’a bien montré, ces notes appartiennent à deux périodes différentes, la première partie à la fin des années de jeunesse, la seconde à la période de préparation de Bouvard et Pécuchet. Voir « Notes de Flaubert sur l’Ésthétique de Hegel », Gustave Flaubert, 4, textes réunis et présentés par Gisèle Séginger, « La Revue des lettres modernes », Minard, 2005, p. 247-330. 42 Balzac, La Peau de chagrin, dans La Comédie humaine, édition publiée sous la direction de Pierre-Georges Castex, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. X, 1979, p. 263.
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trois systèmes entre lesquels flottent les connaissances humaines »43, c’est-à-dire le vitalisme, l’organicisme et l’éclectisme. Mais ces « oracles de la médecine moderne »44, après une longue discussion, n’arrivent même pas à s’accorder sur la prescription à faire. Leur débat stérile finit par tomber dans le ridicule achevé. Car, comme l’a bien montré J. Neefs, c’est « dans un intérêt purement lucratif »45, que ces sommités médicales improvisent enfin une ordonnance syncrétique inspirée par les systèmes contradictoires : « — Le malade est monomane, eh ! bien, d’accord, s’écria-t-il [= Maugredie], mais il a deux cent mille livres de rente, ces monomanes-là sont fort rares, et nous leur devons au moins un avis46. » Toutefois, au milieu de cette scène éminemment satirique surgit une possibilité de dépasser la contradiction. C’est « le quatrième médecin »47, Horace Bianchon, qui incarne ici ce dépassement latent et qui deviendra plus tard un des hommes de génie de La Comédie humaine. Arlette Michel remarque fort judicieusement que « Bianchon paraît dans le roman comme le médecin de l’avenir pour deux raisons »48, à savoir la sympathie et la synthèse. Le texte balzacien fait contraster la sympathie de ce jeune médecin avec l’indifférence professionnelle des trois éminents docteurs : « La figure d’Horace trahissait une peine profonde, un attendrissement plein de tristesse. Il était médecin depuis trop peu de temps pour être insensible devant la douleur et impassible près d’un lit funèbre ; […]. » Mais cette compassion n’est-elle pas plutôt nuisible ? Car elle pourrait « empêche[r] un homme de voir clair »49. En fait, il n’en est rien. Chez Balzac, tout au contraire, la sympathie est indispensable pour opérer une synthèse splendide50. C’est grâce à sa sensibilité à la souffrance que Bianchon est promis à un brillant avenir. Il est « le médecin de dépassement, 43
Ibid., p. 256. Ibid. 45 « La localisation des sciences », dans Balzac et la Peau de chagrin, études réunies par Claude Duchet, SEDES, 1979, p. 139. 46 La Peau de chagrin, p. 262. 47 Ibid., p. 257. 48 « Le statut du romancier chez Balzac : intercession et destruction », dans Le statut de la littérature. Mélanges offerts à Paul Bénichou, édités par Marc Fumaroli, Genève, Droz, 1982, p. 261. 49 La Peau de chagrin, p. 259. 50 Sur ce point, voir le même article d’A. Michel, p. 261-262. 44
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celui qui n’existe pas encore », écrit Nicole Mozet51. C’est lui qui « recueill[era] l’héritage des trésors amassés depuis cinquante ans par l’École de Paris » et qui « bâtira peut-être le monument pour lequel les siècles précédents ont apporté tant de matériaux divers »52. Le narrateur balzacien suggère ainsi clairement que Bianchon synthétisera un jour les systèmes contradictoires et dépassera l’impasse des conflits inféconds qui bloque momentanément le progrès de la science médicale. Or, ce que l’on ne peut pas trouver chez Flaubert, c’est précisément cette possibilité du dépassement dialectique telle que Balzac a voulu la conserver jusque dans un de ses textes les plus ironiques. La logique de Bouvard et Pécuchet n’admet aucune sorte de téléologie si ce n’est celle qui amène les deux protagonistes vers la démesure de la copie finale. Dans le roman flaubertien, les idées apparaissent sans exception comme des postures catégoriques, et s’annulent les unes les autres sans jamais pouvoir fusionner en une idée supérieure. Passons maintenant au second texte, paru pour la première fois en 1865. Dans l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Claude Bernard met en cause un mode de raisonnement qu’il appelle « la critique d’exclusion ». À ce propos, il évoque l’exemple de la critique que F. A. Longet a adressée aux expériences de Magendie53. Magendie, en effet, a dit en 1822 que les racines rachidiennes antérieures étaient insensibles, et en 1839 qu’elles étaient très sensibles. Longet s’indigne de cette incohérence : « La vérité est une ; que le lecteur choisisse, s’il l’ose, au milieu de ces assertions contradictoires opposées du même auteur. » Pourtant, Cl. Bernard soutient que ce mode de critique manque complètement aux principes de la critique scientifique expérimentale. D’après ce fondateur de la physiologie moderne, il n’est pas nécessaire de choisir entre ces deux résultats à première vue incompatibles, puisqu’à proprement parler, il n’y a pas de véritable contradiction entre eux. Seulement, chaque cas a son déterminisme particulier, qu’il appartient aux physiologistes de mettre 51 « La préface de l’édition originale : une poétique de la transgression », dans Balzac et La Peau de chagrin, op. cit., p. 23. 52 La Peau de chagrin, p. 257. 53 Cl. Bernard, op. cit., p. 244-250.
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en lumière. Cl. Bernard met en garde surtout contre « cette tendance naturelle à la contradiction que nous avons tous », et déclare que « le principe du déterminisme expérimental n’admet pas des faits contradictoires ». C’est en vertu de ce principe scientifique qu’il a fini par découvrir le déterminisme en question, et par là, mis fin aux discussions qui n’avaient pas été d’un grand profit pour la science. Flaubert n’aurait certainement pas compris ce nouveau critère de la scientificité élaboré par Cl. Bernard54, parce qu’au bout du compte, la logique de la contradiction flaubertienne demeure celle de « la critique d’exclusion ». Là où le romancier s’obstine à voir des contradictions, le physiologiste ne reconnaît que des conditions déterminantes distinctes. Celui-ci montre que les assertions ou faits en apparence contradictoires ne peuvent constituer des apories de la science que pour les esprits encore imprégnés de la critique d’exclusion. Il faut donc admettre qu’au point de vue épistémologique, le déterminisme bernardien dépasse la critique flaubertienne de la contradiction. Le roman encyclopédique de Flaubert, comme d’ailleurs toutes les productions intellectuelles, est fortement marqué au coin de l’historicité. Et on doit reconnaître que sur le plan épistémologique, le projet critique de Bouvard appartient, sous de nombreux rapports, à une période antérieure à l’ouvrage de Cl. Bernard qui a pourtant été publié quinze ans avant le roman flaubertien. Flaubert est indéniablement resté sourd au nouveau mode de production de la vérité scientifique. Toujours est-il que ce décalage épistémologique lui a permis de mieux voir les difficultés profondes qui avaient entouré la science médicale pendant au moins les deux premiers tiers du XIXe siècle. Le texte romanesque manifeste sa distance critique à l’égard du savoir (d’une époque ?) en insistant sur les contradictions multiples qui se présentent comme autant d’impasses. S’il y a dans Bouvard comme une solution aux apories perpétuelles du savoir, elle se trouve dans les passages où la libido sciendi se tait au profit de l’existence du monde. En effet, les aventures des deux bonshommes retombent régulièrement « en des moments de pure
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Il semble que Flaubert n’a pas lu l’Introduction de Cl. Bernard. Du moins, ni dans sa Correspondance ni dans ses Carnets, il ne mentionne cet ouvrage qui a marqué une nouvelle étape de la science médicale.
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vacance »55 , dans lesquels la vérité ontologique des sensations se montre parfaitement innocente. Ces moments euphoriques échappent assurément à l’ironie du texte, omniprésente dans le roman encyclopédique. La plus célèbre de ces intermittences du savoir est sans doute la rêverie de Pécuchet après l’abandon de la géologie. Le personnage s’identifie là avec « toute la Nature » dans une sorte d’extase panthéiste (p. 147-148). Jean-Pierre Richard a analysé de façon très convaincante la structure de cette expérience sensorielle56. Un autre exemple analogue, quoiqu’un peu moins riche, se trouve dans la section médicale. Le passage est situé au milieu de l’anecdote qui raconte les expériences parallèles de physiologie, commentées dans notre précédent chapitre : Les ruines de la distillerie balayées vers le fond de l’appartement dessinaient dans l’ombre un vague monticule. On entendait par intervalles le grignotement des souris ; une vieille odeur de plantes aromatiques s’exhalait — et se trouvant là fort bien, ils causaient avec sérénité. (p. 114)
Bouvard et Pécuchet, détournés un moment de la fureur encyclopédique, se laissent séduire pleinement par l’existence même des choses. Ces brefs intervalles où s’affirme pour lui-même le fond du sensible, prennent dans le texte romanesque la valeur de dispositif critique face au désir de savoir. « La continuité du texte fait passer d’un registre des représentations “livresques” et privées à la perception élémentaire du monde »57, ce qui revient à souligner la fragilité du savoir humain devant l’indifférence du monde. Toutefois, l’euphorie du réel et du sensible, qui rythme ainsi le parcours encyclopédique des deux bonshommes, ne remplace jamais définitivement la matière livresque. L’extase sensorielle de Pécuchet ne l’empêche point de s’attacher bientôt à l’archéologie. Les expériences physiologiques, après un moment de sérénité, se mettent tout d’un coup à mal tourner. La fureur encyclopédique reprend immanquablement le dessus et soulève de nouveau des contradictions qu’elle n’arrivera jamais à surmonter.
55 56 57
Claude Mouchard et Jacques Neefs, Flaubert, Balland, 1986, p. 333. « Variation d’un paysage », dans Travail de Flaubert, op. cit., p. 192-193. J. Neefs, « Bouvard et Pécuchet, la prose des savoirs », art. cit., p. 135.
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g 2267, f° 33
Du degré de certitude de la médecine Cabanis objections 1° les ressorts secrets de la vie échappent à nos regards 2° la nature & les causes premières des maladies nous sont absolument inconnues 3° les maladies sont si variées qu’on ne saurait tirer de leur observation aucune règle fixe. 4° la nature des substances employées comme remède[s] est un mystère 3/5° les expériences médicales sont encore plus difficile[s] que l’observation des maladies – variations des théories — comm preuve de la certitude de la médecine Cabanis est* dit qu’on a de tous temps combattu l’état inflamma-toire par les antipholgistiques & la saigné[e]
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g 2267, f° 140 v° Forces médi[c]atrices
prquoi ne détruisent-elles pas les germes morbifiques ? Loin d'être le ministre de la nature, le médecin doit la combattre. si l'âme se révolte et fait vomir, lorsqu'on a avalé un poison âcre et corrosif p quoi s'endort-elle dans une lâche stupeur quand on a avalé des poisons narcotiques ?
Mutualité.
Les médicaments ne modifient presque jamais la partie malade elle-même - ils ne peuvent la ramener à son état naturel que par l'intermédiaire d'une autre partie. (Dict des S. Méd. - pˍ la thérapeutique p. 51 & sq.
Fièvre
il n'y a pas de fièvre adynamique essentielle les mécani[ci]ens attribuaient la fièvre au frottement du sang contre les parois des vaissea[ux] une fièvre survenue accidentellement fait disparaître des maladies chroniques qui avaient résisté à tous les moyens rationnels. – on a donc tâché d'obtenir une fièvre artificielle. ( Dict des S M. art Fièvre) Daremberg.
– théorie ancienne de la fièvre. critique de Borelli. 758 & sq. – La matière des fièvres intermittentes, qque fournie par le sang, réside dans le fluide qui baigne le cerveau & la moëlle épinière entre en fermentation, excite & contracte les membranes, & par cette contraction est poussée dans les nerfs d'où le frisson & le tremblemt. L'intermittence dans les fièvres est expliquée par l'incubation & l'explosion d'animalcu[les] ou de sporules végétales. – La cause immédiate des fièvres est un changement dans la consistance & la texture du sang, changement produit par les causes éloignées, chaud, froid, excès dans le boire & le manger. Au début des fièvres la quantité des parties solides du sang est en proportion plus gde par rapport aux parties aqueuses que dans l'état de santé. Ordinairement le poids du corps augmente dans le commencement des fièvres. La cause formelle de la fièvre consiste dans une contraction spasmodique des nerfs & de toutes les fibres en général, laquelle commence par la moëlle épinière et se porte successivement des parties extérieure[s] vers les inférieures. (Daremberg. 6*/942. Baglivi avait tenté de produire la fièvre chez les animaux en leur injectant dans les veines diverses substances irritantes. (id) Les fièvres intermittentes sont peut-être une névrose du gd sympathique ? (ess. sur la ph M. Bouillaud. 276..)
Chapitre VI Exposition critique d’un paradigme médical1 1. Vitalisme et organicisme Les historiens de la médecine ont souvent remarqué que dans la première moitié du XIXe siècle, le monde médical en France était marqué par un profond antagonisme doctrinal. D’une part, le vitalisme qui avait pratiquement perdu son actualité du point de vue scientifique continuait à séduire un bon nombre d’esprits conservateurs. Un des représentants les plus illustres de ce camp était Julien-Joseph Virey (1775-1846), dont le nom se trouve d’ailleurs parmi les lectures préparatoires de Bouvard. Virey s’opposait au courant matérialiste de son temps et défendait la réalité d’un principe intelligent veillant sur les processus de la vie. Parmi ses nombreuses publications, on trouve des titres significatifs comme « Examen de la doctrine des organismes modernes ou preuves physiologiques de l’indépendance de la force vitale dans l’organisme », article qu’il a inséré en 1829 dans la Revue médicale et Journal de clinique. Partant de l’idée de « la différence entre les corps morts & les êtres animés » (f° 103), ce vitaliste a construit une physiologie fort subtile qui accordait une importance capitale au système nerveux2. D’autre part, le matérialisme médical gagnait du terrain tout en contribuant fortement aux progrès de la science. Avant le triomphe 1
Ce chapitre a pour origine deux articles qui se trouvent ici fusionnés et sensiblement remaniés : « Bouvard et Pécuchet, l’exposition critique d’un paradigme médical », Revue Flaubert, 4, 2004, Université de Rouen, [en ligne] ; « Bouvard et Pécuchet et le savoir médical », Flaubert. Revue critique et génétique, 1, 2009, ITEM-CNRS, [en ligne]. 2 Pour les idées médicales de Virey, Roselyne Rey a écrit un article éclairant : « Le vitalisme de Julien-Joseph Virey », dans Julien-Joseph Virey, naturaliste et anthropologue, sous la direction de Claude Bénichou et de Claude Blanckaert, Sciences en Situation, 1992, p. 31-59. Quant à l’histoire du vitalisme en général, nous renvoyons à l’ouvrage fondamental du même auteur, Naissance et développement du vitalisme en France de la deuxième moitié du 18 e siècle à la fin du Premier Empire, Oxford, Voltaire Foundation, 2000.
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décisif de la médecine expérimentale de Cl. Bernard, c’est la doctrine dite de l’organicisme qui représentait ce camp positif. Comme l’a fait remarquer J.-F. Braunstein3, le terme d’organicisme recouvre en fait deux significations différentes. Premièrement, il désigne le système médical particulier de Léon Rostan (1790-1866). Celui-ci cherche à rattacher toute maladie à une lésion organique, et à cet effet, recourt aux autopsies anatomo-pathologiques qui ont pour objet de localiser le siège des maladies. Mais en un sens plus large, l’organicisme désigne également toute théorie qui explique la vie par l’organisation, et non par un principe immatériel et transcendant. Cette désignation s’applique autant à la médecine anatomo-pathologique qu’au physiologisme de Broussais (1772-1838), lequel persistait pourtant à se démarquer des partisans de Rostan. L’organicisme, en tout cas, ne reconnaît dans le corps que des organes et des fonctions, et ramène tout phénomène vital aux propriétés inhérentes à la matière. L’incompatibilité des deux doctrines se révèle particulièrement profonde à propos de la localisation des maladies. Le vitalisme, considérant la vie comme une unité indécomposable, ne cherche jamais à isoler une altération quelconque pour expliquer l’ensemble des symptômes des maladies. Suivant la thèse organiciste, au contraire, toute maladie a pour point de départ une lésion organique définie. Cette idée, qui rejette l’existence des maladies générales, reconnaît un pouvoir d’investigation privilégié à l’anatomie pathologique, car c’est seulement avec le scalpel que l’on arrive à identifier avec certitude l’altération étiologique interne. La dissection seule, en traversant le volume opaque du corps souffrant, peut rendre visible l’origine morbide, d’ordinaire dérobée à nos regards. La médecine anatomopathologique, fondée par Xavier Bichat (1771-1802) et ses successeurs, repose entièrement sur cette structure paradoxale de la visibilité, structure que M. Foucault a décrite par cette belle formule : « l’invisible visible »4. Visant à déceler le siège primitif du processus pathologique, toujours virtuellement visible, l’autopsie organiciste est avant tout localisatrice. « Ouvrez quelques cadavres, vous verrez aussitôt disparaître l’obscurité que jamais la seule observation n’aurait pu 3
Jean-François Braunstein, Broussais et le matérialisme, Méridiens Klincksieck, 1986, p. 245. 4 Michel Foucault, Naissance de la clinique, op. cit.. Il s’agit du titre du chapitre IX, qui traite précisément de l’expérience anatomo-pathologique.
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dissiper5. » Voilà la devise de la nouvelle perception médicale, formulée par Bichat dès 1801 dans son Anatomie générale. La maladie, assimilée ainsi à son foyer lésionnel, se fait désormais organique. Les vitalistes ne se soumettent pas toutefois à cette idée localisatrice, et allèguent surtout l’existence de maladies vitales sans lésion parmi lesquelles on compte notamment les névroses et les fièvres essentielles6. L’opposition entre le vitalisme et l’organicisme constitue à l’époque un véritable paradigme de la pensée médicale, ainsi que le suggère cette phrase déjà citée de Chauffard : « L’on aboutit forcément à l’une ou à l’autre de ces suppositions, quand on veut expliquer la vie, manifester ses conditions essentielles7. » À ce propos, il convient ici d’examiner à nouveau la scène de la consultation médicale dans La Peau de chagrin. Cette scène illustre, en effet, le conflit doctrinal de la première moitié du XIXe siècle, que le narrateur balzacien appelle « le combat que se livrent la Spiritualité, l’Analyse et je ne sais quel Éclectisme railleur »8. Les noms des trois docteurs fictifs indiquent assez clairement leurs modèles et, par là, les placent directement dans le contexte contemporain de la science. Ainsi, Brisset renvoie à Broussais, Caméristus à Récamier9 et Maugredie à Magendie. Ce sont donc les trois systèmes principaux de la pensée médicale contemporaine que le texte romanesque met en scène à travers ces personnages. Brisset est présenté comme « le chef des organistes10, le successeur des Cabanis et des Bichat, le médecin des esprits positifs et 5
Xavier Bichat, op. cit., p. 269. De ce conflit épistémologique, on peut repérer un écho dans un épisode de Madame Bovary. Voir notre article : « La mort de Charles », dans Flaubert. Tentations d’une écriture, textes réunis par Shiguéhiko Hasumi et Yoko Kudo, Université de Tokyo, 2001, p. 37-51. 7 P.-É. Chauffard, Essai sur les doctrines médicales, op. cit., p. 22. 8 Balzac, La Peau de chagrin, op. cit., p. 257. 9 L’article « Récamier » de la Biographie universelle de Michaud présente comme suit ce médecin (1774-1852) dont les idées politiques étaient extrêmement réactionnaires : « Récamier était vitaliste. Ses études médicales avaient corroboré ses opinions religieuses et avaient créé en lui une foi savante, lui faisant proclamer que tout dans la nature est sous l’empire d’une loi providentielle, harmonique, conservatrice. » 10 D’après J.-F. Braunstein (op. cit., p. 244), le terme d’organiciste ne s’impose qu’avec la publication de la deuxième édition de l’Exposition des principes de l’organicisme de Rostan (Labé, 1846). Avant cette date marquante, on utilisait également les termes d’organicien et d’organiste. 6
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matérialistes, qui voient en l’homme un être fini, uniquement sujet aux lois de sa propre organisation »11. Cette caricature de Broussais attribue la maladie de Raphaël à une série de dérangements provoqués par « une irritation prodigieuse à l’estomac » et prescrit comme remède « des sangsues à l’épigastre »12. Le vitaliste Caméristus, en revanche, « vo[it] dans la vie humaine un principe élevé, secret, un phénomène inexplicable qui se joue des bistouris, trompe la chirurgie, échappe aux médicaments de la pharmaceutique »13. Ce « poétique défenseur des doctrines abstraites de Van Helmont » diagnostique une altération de l’archée dans le cas morbide de Raphaël, et conclut à « un traitement tout moral » dont le but est de restaurer un ordre harmonieux dans le corps14. Quant à Maugredie, cet esprit sceptique s’en tient aux faits et n’adopte aucune doctrine arrêtée. C’est lui qui réconcilie les deux adversaires en proposant d’agir « à la fois d’après les deux systèmes »15. Comme nous l’avons montré plus haut, le ton du texte balzacien est ici manifestement ironique et souligne surtout l’antagonisme qui oppose le vitalisme et l’organicisme. L’éclectisme de Maugredie est incapable de faire sortir la médecine de cette impasse, étant donné que sa solution syncrétique ne peut jamais être assimilée à une véritable synthèse. La consultation des trois médecins fictifs expose ainsi clairement l’aporie majeure à laquelle se heurtait la science médicale de l’époque. Flaubert s’est largement documenté sur cet antagonisme doctrinal, qui se trouve en effet massivement inscrit dans le dossier médical de Bouvard. Parmi les ouvrages consultés par notre romancier, quelquesuns s’y rapportent directement. C’est le cas de l’ouvrage d’A. D. Valette intitulé De la méthode à suivre dans l’étude et l’enseignement de la clinique. Vitalisme et organicisme (f° 78). Paul-Émile Chauffard, dans son Essai sur les doctrines médicales (f° 82-83), examine toutes les différences qui séparent ces deux doctrines concurrentes. La documentation flaubertienne comprend également plusieurs noms des représentants des deux camps adverses. Ainsi, le romancier a pris des 11 12 13 14 15
La Peau de chagrin, p. 257. Ibid., p. 259-260. Ibid., p. 257-258. Ibid., p. 261 Ibid., p. 262.
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notes sur la dernière œuvre du vitaliste Virey, De la Physiologie dans ses rapports avec la philosophie (f° 103-104). F.-C. Caizergues, qui a fait paraître en 1827 Des systèmes en médecine (f° 27-30), appartient à l’école vitaliste de Montpellier. Quant au camp opposé, outre De l’organicisme de F. Riche (f° 80), Flaubert a lu quelques partisans de l’anatomie pathologique tels qu’A. Trousseau (Clinique médicale de l’Hôtel-Dieu de Paris, f° 34-36 v°), G. Andral (Cours de pathologie interne, f° 38-41) et notamment J. Bouillaud (Essai sur la philosophie médicale, f° 84-84 v°), fidèle disciple du système de Broussais. Enfin, le Dictionnaire des sciences médicales, sur lequel le romancier a considérablement travaillé (f° 105-125 v°), reflète largement l’opposition doctrinale en question. Certains articles sont dus aux médecins vitalistes, dont Virey qui a rédigé des articles comme « Force médicatrice » ou « Imagination ». D’autres collaborateurs du Dictionnaire prenaient position en faveur de l’organicisme : parmi eux, on trouve des noms illustres comme G. L. Bayle et R. T. H. Laennec, deux ardents promoteurs de l’anatomie pathologique. En prenant des notes détaillées et considérables en matière de médecine, Flaubert a donc réellement exploré ce paradigme fondamental sous tous ses aspects. Ainsi que nous l’avons signalé plus haut, le problème de la localisation organique des maladies constituait un des noyaux de cet antagonisme doctrinal. Ce sont surtout les maladies fébriles qui étaient alors « au centre même du problème », puisque, comme l’a fait remarquer M. Foucault, les fièvres dites essentielles16 étaient encore ment considérées « comme des maladies sans lésion organique »17. Bichat lui-même les avait écartées de ses investigations anatomiques : « Ôtez certains genres de fièvres et d’affections nerveuses, tout est presque alors, en pathologie, du ressort de cette science [= l’anatomie pathologique]18. » On sait que Broussais a critiqué radicalement cette idée de l’essentialité des fièvres. C’est lui qui « substituait aux fièvres essentielles des phlegmasies » (f° 124 ; DSM, « Phlegmasie ») pour combattre ce qu’il appelait ironiquement l’« ontologie médicale »19. 16 Pour nous, la notion de fièvre se résume à l’élévation anormale de la chaleur interne. Mais jusqu’au milieu du XIX e siècle, elle était associée à une autre notion, celle des fièvres, qui désignait les diverses espèces de fièvres essentielles. 17 M. Foucault, Naissance de la clinique, op. cit., p. 182. 18 X. Bichat, Anatomie générale, op. cit., p. 268. 19 « Par ontologie médicale, nous entendons des êtres, entités ou essences factices, sortes de conceptions abstraites ou abstractions qui ne peuvent être réduites en faits
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La phlegmasie est, selon Broussais, une « maladie interne consistant dans une exaltation des propriétés vitales, en vertu de laquelle le sang est appelé dans les vaisseaux capillaires non sanguins des organes » (Id.). Elle amène plusieurs phénomènes morbides, parmi lesquels se trouve notamment la chaleur fébrile. Les fièvres, au lieu d’être des maladies générales idiopathiques, deviennent ainsi des maladies locales affectant, dans un second temps, l’ensemble de l’organisme. Toutefois, l’idée de Broussais a provoqué de nombreuses réactions de la part des partisans de la médecine nosologique de Pinel. Ainsi, Jacquet et Chomel prétendaient avoir « démontré qu’il existe des maladies fébriles, adynamiques, ataxiques, sans affection locale appréciable aux sens » (f° 124 ; DSM, « Phlegmasie »). Jusqu’au milieu du siècle au moins, les ontologistes et les localisateurs ne cessaient d’opposer des arguments les uns aux autres autour d’une question principale : l’existence des fièvres essentielles est-elle réelle ? Autrement dit, toute maladie fébrile a-t-elle un siège organique ? Dans la littérature médicale du temps, on peut trouver aisément des titres significatifs comme ceux-ci : J. Bouillaud, Traité clinique et expérimental des fièvres dites essentielles (J.-B. Baillière, 1826) ; A.-F. Chomel, De l’Existence des fièvres (Crochard, 1820) ; ou encore, H. H. Quotard-Piorry, Traité sur la non-existence des fièvres essentielles (Compère jeune, 1830). On voit clairement que le problème de la nature des fièvres était un point capital pour la pensée médicale des premières décennies du XIXe siècle. « Les maladies appelées Fièvres sont des êtres fort équivoques » (f° 116), écrivait en 1817 J. B. Monfalcon, auteur de l’article « Irritation » du Dictionnaire des sciences médicales. Le dossier médical de Bouvard contient un bon nombre d’extraits ayant trait à cette « crise des fièvres »20. D’un côté, pour un vitaliste croyant à un principe vital prévoyant, « la fièvre est une réaction de l’organisme dont les grandes fonctions générales, calorification, assimilation, circulation, sont diversement modifiées » (f° 83 ; Chauffard)21. La fièvre est non une appréciables par les sens, ou démontrables par l’induction » (F.-J.-V. Broussais, De l’irritation et de la folie, Fayard, « Corpus des œuvres de philosophie en langue française », 1986, p. 48). C’est en particulier Philippe Pinel (1745-1826) que visait la critique virulente de Broussais. 20 C’est ainsi que M. Foucault a intitulé le dernier chapitre de son ouvrage portant sur l’apport de Broussais à la perception anatomo-clinique. 21 Flaubert a consigné au-dessous de la citation ce commentaire : « pourquoi
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maladie locale de telle ou telle partie, mais une maladie générale affectant tout l’organisme. Suivant les partisans de la théorie des fièvres essentielles, « la maladie [= fièvre] réside essentiellement dans l’acte fébrile lui-même » (Id.)22, et ne peut être ramenée à aucune lésion organique. Les organicistes, de leur côté, proposent des « explications matérialistes de la fièvre » en « l’attribuant à diverses lésions » (Id.). C’est l’auteur de l’Examen de la doctrine médicale qui a été le premier à attaquer de front l’idée vitaliste des fièvres essentielles, qu’il faisait toutes dépendre de l’irritation gastro-intestinale. Nombre de médecins ont ensuite suivi la voie frayée par Broussais tout en rectifiant les erreurs que celui-ci avait commises dans la systématisation de sa doctrine physiologique. C’est, en effet, dans cet esprit que Bouillaud proclamait en 1836 : « Quelque opinion qu’on ait sur les maladies dites fièvres essentielles, les succès ont été pour ceux qui ont adopté la méthode de Broussais, soit pure, soit modifiée » (f° 84). Cet ardent défenseur de la médecine organiciste déclare hautement la fin de l’ontologie fébrile : « Le temps n’est plus où, à l’autopsie des fièvres essentielles, on ne découvrait rien dans les cadavres, quand on soutenait l’essentialité des fièvres » (f° 84)23. L’idée de l’essentialité des fièvres, de même que celle du principe vital, paraissent à nos yeux fort extravagantes. Aujourd’hui d’ailleurs, nous savons laquelle des deux idées a fini par l’emporter. Cela ne veut pas dire pourtant que les fièvres se soient désessentialisées24 sans rencontrer d’obstacles. Au contraire, l’ontologie fébrile n’a disparu en réalité qu’assez tardivement, et à l’intérieur de la configuration épistémologique du clinicisme, le problème de la nature des fièvres présentait l’aspect d’une aporie au sujet de laquelle se confrontaient vivement les deux modes de pensée médicale. Ce qui empêchait alors l’idée organiciste de triompher définitivement, c’est sa méfiance à l’égard de l’expérimentation biologique qu’il partageait avec le vitalisme. À l’exemple de Bichat, fondateur de l’école de Paris, toute la médecine hospitalière de l’époque se montrait hostile à l’usage du réaction ? », ce qui remet en question l’un des présupposés du vitalisme, à savoir la nature médicatrice. 22 Chauffard partage cette conviction vitaliste. Flaubert, quant à lui, met un commentaire ironique au-dessous de la citation : « qu’en savez-vous ? » 23 La citation est marquée d’une croix en marge. 24 L’expression vient de Broussais lui-même, comme le rappelle M. Foucault dans sa Naissance de la clinique, op. cit., p. 195.
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microscope et plus généralement à l’application des autres sciences à la médecine. Cela dérivait d’une certaine conception de l’autonomie de la vie (la vie est irréductible aux forces physiques et chimiques) qui déterminait même la pensée organiciste et qui faisait que l’on ne pouvait aller au-delà des lésions anatomiques dans la recherche des causes des maladies25. (Rappelons les extraits de Cabanis et du Dictionnaire des sciences médicales qui prétendaient que la cause de la maladie était inconnaissable par essence. Elle était réellement inconnaissable à l’époque.) Sur ce point, il est significatif que bon nombre d’organicistes se soient plus tard opposés aux travaux de Pasteur et à sa microbiologie. C’est en effet ce refus de la recherche étiologique au niveau microscopique qui a fini par amener le clinicisme dans une impasse26. Dès lors, on ne s’étonnera point de l’importance accordée au problème de la fièvre dans les notes médicales de Flaubert. De fait, la documentation de notre romancier comprend quelques ouvrages concernant ce sujet. Outre De l’état fébrile de L. Desnos (f° 45), il a pris des notes sur l’Essai sur les doctrines médicales de Chauffard qui est suivi de quelques considérations sur les fièvres (f° 83). L’article « Fièvre » du Dictionnaire des sciences médicales lui a fourni plusieurs citations particulièrement intéressantes au point de vue épistémologique (f° 111 v°). Il y a plus. Quelques citations dans les notes de lecture portent en marge des commentaires du romancier comme « fièvre » ou « fièvres ». Enfin, deux pages de notes de notes (f° 138 et 140 v°) contiennent chacune un groupe d’extraits réunis sous le titre de « Fièvres » (ou « Fièvre »). La « Fièvre » constitue donc une des catégories du dossier médical de Bouvard, qui se rapporte au contexte spécifique de la médecine de l’époque. Nous allons maintenant examiner de près l’épisode de la fièvre typhoïde de Gouy qui présente pour ainsi dire une condensation romanesque des débats médicaux du premier XIXe siècle.
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L’analyse des manuscrits montre que les médecins flaubertiens, de Larivière à Vaucorbeil, partagent pleinement ce clinicisme vitaliste qui constituait à l’époque l’horizon même de la pensée médicale. Voir sur ce point notre article : « Le vitalisme dans Madame Bovary », dans Madame Bovary et les savoirs, op. cit., p. 189-197. 26 Sur cette impasse, voir E. H. Ackerknecht, op. cit., chapitres I et X.
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2. Les systèmes médicaux aux prises avec la fièvre typhoïde Dès le début de sa documentation médicale, le romancier avait sans aucun doute l’intention d’écrire un épisode sur une maladie quelconque. Le dossier médical de Bouvard comprend effectivement des notes détaillées concernant la scarlatine (f° 36-36 v° ; Trousseau), la rougeole (f° 36 v°), les différentes espèces d’hémorragies (f° 42 ; Gendrin) ou de dyspepsies (f° 42 v°-43 v° ; id.), et la fièvre jaune (f° 111 v° ; DSM, « Fièvre »). La lecture du Cours de pathologie interne de G. Andral (f° 38-41) lui a fourni des informations précises sur plusieurs maladies comme le choléra asiatique, la méningite, la péricardite, ou encore la pleurésie. Pour toutes ces maladies, Flaubert a retenu principalement leurs causes, leurs symptômes constants, leur évolution typique et leurs traitements. Ces notes centrées sur les renseignements cliniques sont manifestement orientées vers la rédaction du texte romanesque plutôt que vers la préparation du second volume. Cette préoccupation aboutira, dans le roman, à l’épisode de la fièvre typhoïde de Gouy, dont voici le texte dans sa version définitive : Une fièvre typhoïde se répandit aux environs. Bouvard déclara qu’il ne s’en mêlerait pas. Mais la femme de Gouy leur fermier vint gémir chez eux. Son homme était malade depuis quinze jours ; et M. Vaucorbeil le négligeait. Pécuchet se dévoua. Taches lenticulaires sur la poitrine, douleurs aux articulations, ventre ballonné, langue rouge, c’étaient tous les symptômes de la dothiénentérie. Se rappelant le mot de Raspail qu’en ôtant la diète on supprime la fièvre, il ordonna des bouillons, un peu de viande. Tout à coup, le docteur parut. Son malade était en train de manger, deux oreillers derrière le dos, entre la fermière et Pécuchet qui le réforçaient. Il [Vaucorbeil] s’approcha du lit, et jeta l’assiette par la fenêtre, en s’écriant : ― « C’est un véritable meurtre ! » ― « Pourquoi ? » ― « Vous perforez l’intestin, puisque la fièvre typhoïde est une altération de sa membrane folliculaire. » ― « Pas toujours ! » Et une dispute s’engagea sur la nature des fièvres. Pécuchet croyait à leur essence. Vaucorbeil les faisait dépendre des organes : ― « Aussi, j’éloigne tout ce qui peut surexciter ! » ― « Mais la diète affaiblit le principe vital ! » ― « Qu’est-ce que vous me chantez avec votre principe vital ! Comment est-il ? Qui l’a vu ? »
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Pécuchet s’embrouilla. ― « D’ailleurs » disait le médecin « Gouy ne veut pas de nourriture. » Le malade fit un geste d’assentiment sous son bonnet de coton. ― « N’importe ! Il en a besoin ! » (p. 120-121)
Sur la fièvre typhoïde, Flaubert s’est documenté très soigneusement en recourant à plusieurs sources médicales. Quelques folios de notes de lecture, entre autres, se rapportent exclusivement à cette maladie infectieuse. Tels sont les f° 35-35 v° (intitulés « Fièvre typhoïde. = Dothiénentérie. » ; Trousseau), f° 37-37 v° (intitulés « Fièvre typhoïde. » ; Tardieu) et f° 44-44 v° (intitulés « Fièvres typhoïdes » ; Jaccoud). Le f° 38 (Andral) contient des citations regroupées sous le titre de : « Entérite Folliculeuse ». À ces folios particulièrement riches du point du vue épistémologique viennent s’ajouter encore d’autres extraits dispersés dans le dossier médical, dont quelques-uns méritent d’être attentivement examinés. Nous donnons en annexe les transcriptions de ces quelques notes de lecture portant sur la fièvre typhoïde. Mais pourquoi la typhoïde ? Notons d’abord qu’elle a été endémique « dans tous les pays occidentaux, dans les villes et les campagnes, pendant au moins trois cents ans, jusqu’au milieu du XIX e siècle »27. Il s’agit donc d’une maladie qui était tout à fait familière du temps des deux bonshommes (c’est-à-dire dans les années 1840). En plus, cette maladie prenait une importance particulière dans le contexte contemporain de l’opposition du vitalisme et de l’organicisme. De nos jours, l’étiologie de la fièvre typhoïde ne fait plus aucun doute. Mais avant la découverte du bacille typhique par Eberth en 1879, l’essentiel des discussions tournait autour du statut de « la lésion intestinale » qui est « le caractère spécifique de la maladie » (f° 35 ; Trousseau). Pierre Bretonneau (1778-1862) avait donné une spécificité à la typhoïde en démontrant de façon définitive l’existence d’altérations de l’intestin grêle. Restait pourtant le problème de savoir si cette lésion organique constituait l’origine même de la maladie ou si elle ne 27
Jacques Ruffié, Jean-Charles Sournia, Les épidémies dans l’histoire de l’homme, nouvelle édition revue et augmentée, Flammarion, « Champs », 1995, p. 144. Il convient de rappeler que c’est cette maladie-là que Charles Bovary craint pour Léon qui vient de partir pour Paris : « c’est vrai, répondit Charles ; mais je pensais surtout aux maladies, à la fièvre typhoïde, par exemple, qui attaque les étudiants de la province » (Madame Bovary, op. cit., p. 125).
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faisait que résulter du dispositif plus général qu’est la fièvre typhoïde. Les savants de l’époque n’étaient pas capables de trancher la question, ainsi qu’en témoigne cette citation tirée des Leçons de pathologie expérimentale de Cl. Bernard : « Les ulcérations intestinales, qui coïncident avec la fièvre typhoïde, sont considérées par quelques médecins comme la cause et par d’autres comme la conséquence de la maladie » (f° 74). Pour l’auteur de Bouvard et Pécuchet, c’est bien entendu cette divergence d’opinions qui accorde à la typhoïde un double intérêt romanesque et épistémologique. La documentation de Flaubert sur la fièvre typhoïde porte principalement sur trois problèmes. En premier lieu, le romancier s’intéresse aux symptômes de la maladie. Cette collecte de signes cliniques se fait évidemment en vue d’une description romanesque du corps souffrant. En second lieu, le problème du statut de la lésion spécifique, dont nous venons d’indiquer l’extrême importance épistémologique, ne manque pas de retenir l’attention de Flaubert. Les auteurs médicaux consultés montrent un désaccord profond à ce sujet. Et dans le roman encyclopédique, une dispute « sur la nature des fièvres » renverra à ce débat scientifique. En dernier lieu, le traitement de l’affection constitue un autre centre d’intérêt. Une question surtout s’impose comme particulièrement importante, celle de savoir s’il faut nourrir ou non le malade. En fait, cette question se révèle difficile à résoudre, étant donné que l’alimentation, dans la fièvre typhoïde, s’accompagne nécessairement d’un risque de perforation intestinale.
a. Description des symptômes Examinons donc de plus près la documentation flaubertienne autour de ces trois points. Pour ce qui concerne la documentation clinique proprement dite, nous nous bornerons à souligner l’exactitude scientifique de la description de la fièvre typhoïde affectant le fermier Gouy : Taches lenticulaires sur la poitrine, douleurs aux articulations, ventre ballonné, langue rouge, c’étaient tous les symptômes de la dothiénentérie. (p. 120-121)
Cette courte énumération de symptômes n’a rien d’imaginaire. En
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effet, A. Tardieu, dont le livre a fourni au romancier un très riche tableau clinique de la fièvre typhoïde, mentionne tous ces détails descriptifs : « la langue rouge sur les bords et à la pointe »28 ; « le ventre est ballonné » ; « du 7e au 9e jour. sur l’abdomen, sur la poitrine, des taches lenticulaires rosées, disparaissant sous la pression, non coniques » ; « quelquefois grandes douleurs aux articulations » (f° 37). Les taches lenticulaires, qui caractérisent la maladie sur le plan symptomatique, sont évoquées également par d’autres auteurs comme Trousseau (f° 35) et Andral (f° 38). Signalons, en outre, que la « somnolence » dont parle aussi Tardieu comme un symptôme constant de la typhoïde (f° 37) joue un rôle dans la situation romanesque : « Le malade, somnolent, aperçut des visages en colère, et se mit à pleurer » (p. 122). Un peu plus haut dans le texte, on apprend que Gouy était malade « depuis quinze jours ». Cette précision n’est point gratuite, car les symptômes attribués au personnage sont précisément ceux que doit provoquer la fièvre typhoïde à ce stade. Selon Tardieu (f° 37), l’évolution de la typhoïde comprend trois périodes distinctes. La maladie, qui « débute un matin par un mal de tête », progresse lentement « jusqu’à la fin du premier septénaire » (première période). Alors on voit paraître quelques « nouveaux signes », dont l’éruption cutanée et les douleurs articulaires. En même temps s’aggravent certains des symptômes observés depuis le début de la maladie comme la rougeur de la langue et le ventre ballonné (seconde période). Enfin, la troisième période, qui « décide du mode de terminaison », « commence à des époques très variables, généralement du 15e au 30e jour ». Il faut donc considérer que, lorsque « Pécuchet se dévoua » pour soigner la typhoïde de Gouy, celle-ci était vers la fin de sa seconde période29. Cette hypothèse correspond parfaitement à la description du corps souffrant du fermier aussi bien qu’à la suite du récit. Peu de jours après la scène de la consultation, la maladie entre dans sa dernière période et son issue se révèle plutôt heureuse : « [...] ― et Gouy 28
Ce détail clinique est marqué d’une croix en marge. Les premiers brouillons indiquent nettement que Gouy était alors en « convalescence ». Cette indication est d’ailleurs confirmée par le ms g 2253, f° 321 v° où le fermier est présenté comme malade « depuis 20 jours ». Le romancier a donc modifié assez tardivement la période de la maladie de son personnage. Il importe de remarquer que cette modification a introduit plus de suspense dans l’histoire, puisqu’elle a rendu l’issue de la maladie incertaine. 29
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reprenait des forces. À présent, la guérison était certaine » (p. 123). Ainsi, le récit romanesque de la dothiénentérie30 est cliniquement motivé dans tous ses détails descriptifs.
b. Statut de l’altération organique Depuis les recherches marquantes de Bretonneau, presque tous les médecins s’accordaient pour reconnaître que la fièvre typhoïde est « caractérisée par l’altération des follicules muqueux de l’intestin grêle » (f° 38 ; Andral). Certains auteurs, notamment les stricts organicistes, considéraient cette lésion spécifique comme le point de départ de la maladie. Ainsi, pour Bouillaud, l’éruption interne n’est pas un effet, mais « la cause de cet appareil général auquel on a donné le nom de fièvre typhoïde » (f° 84). D’autres médecins combattent cette idée localisatrice. Trousseau, par exemple, proclame que « cette entérite n’est qu’un élément de la maladie » (f° 35). Ce disciple de Bretonneau, pour étayer sa thèse, cite des arguments qui paraîtraient fort convaincants à première vue : « Quelquefois elles [= les tuméfactions] manquent. Elles sont toujours postérieures aux développements symptomatiques de la fièvre. [...] La gravité des symptômes généraux n’est pas en rapport avec l’intensité de l’éruption elle-même » (Id.). Toutefois, Bouillaud émet une idée diamétralement opposée au dernier de ces arguments : « Il est démontré que, dans un grand nombre de cas, il y a proportion entre la gravité de la maladie et celle des lésions anatomiques » (f° 84). Dans son roman encyclopédique, Flaubert a mis en scène ce débat sur la nature de la fièvre typhoïde, et a illustré de cette façon le conflit des deux doctrines médicales antagonistes. En effet, le problème du statut de la lésion intestinale oppose le vitaliste Pécuchet à l’organiciste Vaucorbeil au chevet même du malade Gouy. Ainsi, le 30
La « dothiénentérie » est le nom donné par Bretonneau à la fièvre typhoïde. Il en est fait mention aux f° 35 (Trousseau), f° 37 (Tardieu) et f° 38 (Andral). Or, c’est justement sous cette dénomination savante que la maladie est désignée dans le passage analysé du roman. Il s’agit fort vraisemblablement d’un exemple du fameux style indirect libre. L’emploi du mot devrait donc être rapporté à Pécuchet, ce qui produit un effet comique en soulignant son pédantisme. Notons en passant que Flaubert se trompait presque systématiquement en écrivant « dionenthérie » dans les brouillons et le manuscrit autographe du passage.
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docteur affirme que « la fièvre typhoïde est une altération de [la] membrane folliculaire [de l’intestin] ». À quoi Pécuchet répond : « Pas toujours ! » Les deux personnages se mettent ensuite à discuter « sur la nature des fièvres » en général. Ce qui est alors mis en question, ce n’est rien d’autre que l’essentialité des fièvres : « Pécuchet croyait à leur essence [des fièvres]. Vaucorbeil les faisait dépendre des organes : [...]. » On voit bien qu’en dépit d’un ridicule indéniable, cette dispute entre un médecin de campagne et un amateur de sciences n’en expose pas moins une aporie du savoir médical contemporain. Jetons un coup d’œil sur la genèse de cette dispute afin de mieux saisir son épaisseur épistémologique importante. Tout d’abord, on peut constater que le travail scénarique inventant l’intrigue romanesque s’amorce dès la phase de la documentation. En témoignent deux mentions marginales, consignées probablement lors d’une relecture des notes de lecture par l’écrivain et qui nous montrent son imagination littéraire à l’œuvre : « Cela est un argument pour les Vitalistes » (f° 35 ; Trousseau), et « Pécuchet cite la page » (f° 38 ; Andral). Ces mentions se rapportent toutes deux aux extraits destinés à réfuter l’interprétation organiciste de la fièvre typhoïde31. La seconde indication, où l’on voit Flaubert en train de chercher un argument à l’usage de son personnage vitaliste, est orientée de manière explicite vers le roman à écrire. L’imaginaire romanesque de Bouvard découle ainsi directement des configurations épistémologiques du savoir. Comme l’a bien montré J. Neefs, « l’imaginaire des documents » est un vaste problème de la littérature romanesque, lequel ne se limite point au roman encyclopédique de Flaubert32. Il n’en est pas moins vrai que Bouvard et Pécuchet soulève ce problème avec une acuité toute particulière. On connaît le nombre d’ouvrages lus par son
31 On a déjà cité le premier extrait dans lequel Trousseau énumère des arguments pour repousser l’interprétation localisatrice. Quant au second extrait, Andral affirme : « des individus ont succombé à tous les symptômes de la fièvre typhoïde, & sur lesquels on n’a pu constater non seulement l’exanthème intestinal, mais même aucune altération du tube digestif qui pût expliquer la mort » (f° 38). Cette citation est marquée d’une grande croix en marge. 32 « L’imaginaire des documents », dans Romans d’archives, textes réunis et présentés par Raymonde Debray-Genette et Jacques Neefs, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1987, p. 175-189
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auteur : plus de mille cinq cents volumes !33 Cette prééminence du documentaire dans le processus génétique est telle que les brouillons abondent en références explicites aux auteurs et aux ouvrages consultés. Ainsi, dans les brouillons de l’épisode de la fièvre typhoïde, on trouve les noms de Trousseau (g 2253, f° 213), Tardieu (g 2253, f° 318), Andral (g 2253, f° 260 v° et 318), Jaccoud (g 2253, f° 260 v°, 273 v° et 318) et Adelon (g 2253, f° 318 ; mention barrée). Ces noms propres, avec les citations qu’ils véhiculent, alimentent l’imaginaire romanesque et dirigent l’élaboration du programme narratif. Dans le texte final, le problème particulier de l’origine de la fièvre typhoïde se trouve en parfaite corrélation avec l’antagonisme général du vitalisme et de l’organicisme. Il importe donc d’examiner comment Flaubert est arrivé à mettre en place cette structure ingénieuse. Le scénario « Rouen III » montre clairement que le romancier a eu assez tôt l’idée de décrire l’opposition doctrinale : « systèmes différents. Animisme, organicisme. Chacun tire des arguments dans un livre de clinique34. » À ce stade, l’écrivain cherche encore un sujet de discussion autour duquel pourrait s’organiser une scène romanesque. Il pense d’abord à la contagion (« discussion sur la contagion » dans l’interligne), à propos de laquelle on trouve une page de notes intitulée : « De la Contagion » (f° 35bis v° ; Trousseau). Notons en passant que ce sujet était à l’époque d’actualité, puisqu’avant la microbiologie de Pasteur, la notion de contagion donnait lieu à des interprétations divergentes. Les infectionnistes, en restreignant le sens de ce mot « au seul contact médiat ou immédiat » (f° 108 v° ; DSM, « Contagion ») et en « refus[ant] ce caractère contagieux aux maladies épidémiques »35, s’opposaient à ceux qui soutenaient des idées proches de la conception post-pasteurienne. Il est donc certain que la contagion offrait un cadre de discussion théorique intéressant qui aurait pu servir à l’histoire des deux bonshommes. Cependant, Flaubert n’a pas tardé à abandonner cette idée, probablement parce qu’elle n’était pas propre à représenter l’opposition des deux doctrines prépondérantes. Dans « Rouen IV » apparaît pour la première fois la mention des
33
Lettre à E. Roger des Genettes, 24 janvier 1880 (Pl., t. V, p. 796). gg 10, f° 34 (Bouvard et Pécuchet, édition d’A. Cento, p. 26). 35 J. Léonard, La médecine entre les pouvoirs et les savoirs. Histoire intellectuelle et politique de la médecine française au XIXe siècle, Aubier Montaigne, 1981, p. 157. 34
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fièvres, greffée sur celle de la contagion36. Cet ajout interlinéaire est réellement décisif ; il procure à l’histoire romanesque un sujet précis de discussion susceptible de condenser l’antagonisme doctrinal. La séquence est recopiée telle quelle sur le folio suivant (« Rouen V ») : « discussions sur la Contagion et les Fièvres37. » Parallèlement, le romancier commence à développer l’idée d’une « prise de bec avec le Docteur », et ajoute dans l’interligne : « soignent le fermier ». Il s’agit sans conteste de l’embryon de l’épisode qui nous occupe. Pour l’instant, toutefois, la scène de dispute est conçue indépendamment de la bataille des systèmes et du problème des fièvres essentielles, sans compter que la maladie du fermier n’est point encore déterminée. C’est dans le ms g 2253, f° 213 que cette lacune sera comblée. Gouy est désormais atteint d’une « fièvre typhoïde », dont le nom figure à trois reprises sur le folio comme si le romancier avait voulu, par ce geste même, ancrer cette solution dans son imaginaire38. En même temps, ce choix permet à Flaubert d’établir une corrélation entre les deux éléments narratifs élaborés jusque-là séparément. À partir de ce stade, la « discussion [...] sur l’essentialité des Fièvres » se trouve intégrée sans peine dans la querelle avec le Docteur. La transition n’a rien d’artificiel, le problème de l’origine de la fièvre typhoïde amenant naturellement celui de la nature des fièvres en général. Il y a plus : les brouillons confirment notre hypothèse sur la portée épistémologique de la dispute entre Pécuchet et Vaucorbeil. Dans l’avant-texte, chacun des personnages est décrit explicitement comme incarnant un système médical. Des informations comme celles-ci sont en effet plus que révélatrices : « argument spiritualiste de Pécuchet » (g 2253, f° 260 v°) ; « Pécuchet mystique – école de M[ontpellier] » (g 2253, f° 317) ; ou encore « le Docteur. école de Paris » (g 2253, f° 317). On sait qu’au XIXe siècle, l’école de Montpellier constituait le centre du vitalisme conservateur, alors que l’esprit novateur de l’école de Paris était plutôt marqué par une tendance organiciste. Ainsi, ce ne sont pas simplement les deux personnages romanesques, mais aussi et 36
gg 10, f° 12 (Bouvard et Pécuchet, édition d’A. Cento, p. 51). Cento transcrit à tort et donne « la fièvre » au lieu de « les fièvres ». 37 gg 10, f° 21 (ibid., p. 80). 38 En l’une de ces occurrences, la maladie porte le nom de « typhus ». En fait, au XIXe siècle, la fièvre typhoïde était souvent confondue avec le typhus, et certains médecins soutenaient même leur identité. Voir à ce sujet Marcel Sendrail, Histoire culturelle de la maladie, Toulouse, Privat, 1980, p. 384.
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surtout les deux systèmes opposés qui se livrent un combat au chevet du malade Gouy, dont la vie même est en quelque sorte suspendue à l’issue de cette bataille doctrinale des plus cocasses.
c. La production de l’ambiguïté : nourrir ou ne pas nourrir, telle est la question ! Quant au traitement de la fièvre typhoïde, le problème du régime alimentaire se révèle de la première importance. À ce sujet, la logique organiciste ordonne impérativement la diète. La typhoïde étant par essence une altération de l’intestin grêle, la nourriture risque d’occasionner la perforation de cet organe. Cet accident, qui « a lieu à propos d’un mouvement brusque, d’un effort » (f° 44 ; Jaccoud), est le plus souvent mortel. La perforation intestinale, « rare avant la 3e semaine », survient parfois « dans des fièvres typhoïdes légères » (Id.), et quelquefois même « au milieu de la convalescence » où cet accident grave se manifeste soudain par « une douleur brusque dans un point de l’abdomen suivie de tous les signes d’une péritonite aiguë » (f° 37 ; Tardieu)39. Rien d’étonnant donc à ce que certains médecins aient prescrit une abstinence plus ou moins rigoureuse afin d’éviter cette redoutable complication. Toutefois, la privation prolongée de nourriture peut entraîner d’autres inconvénients non moins fâcheux. Trousseau, par exemple, remarque que l’inanition provoque à elle seule « une inflammation cérébrale et gastrique » et que par la diète, on ajoute forcément cette nouvelle altération à la maladie (f° 35). Si le malade atteint de la typhoïde éprouve rarement de l’appétit, c’est que « [sa] sensibilité est altérée » et qu’« il ne demande pas d’aliments » dont il a pourtant besoin en réalité. Dès lors, Trousseau n’hésite point à prétendre : « Il faut les nourrir [= les dothiénentériques] malgré la fièvre pendant tout le cours de la maladie. » Il ordonne ainsi des « potages maigres, quelques cuillerées de bouillon » (Id.), mais attend « longtemps avant de permettre des aliments solides » (f° 35 v°). Ce rejet d’une « diète complète » est partagé par d’autres auteurs, dont Jaccoud qui allègue que « la fièvre typhoïde a un caractère constant, [c’est-à-dire] sa ten39
La citation est marquée d’une croix en marge.
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dance à l’adynamie » (f° 44 v°). Pour soutenir les forces défaillantes du malade, il recommande en particulier l’eau-de-vie au moyen de laquelle il cherche à « exerce[r] une stimulation plus puissante sur l’ensemble de l’organisme, notamment sur le système nerveux ». Ces assertions mettent l’accent sur la nécessité d’alimenter le malade en dépit du risque de perforation intestinale. « Pas d’abstinence d’aliments », comme on lit au f° 55 (Piorry). Dans Bouvard et Pécuchet, ce dilemme est mis en scène sous la forme d’un dialogue entre deux personnages. Pécuchet, « se rappelant le mot de Raspail qu’en ôtant la diète on supprime la fièvre », ordonne au fermier « des bouillons, un peu de viande ». En voyant son malade en train de manger, Vaucorbeil se met en colère, « jet[te] l’assiette par la fenêtre », et qualifie cette alimentation de « véritable meurtre ». La raison qu’il cite alors pour justifier la diète est celle d’un strict organiciste : « Vous perforez l’intestin, puisque la fièvre typhoïde est une altération de sa membrane folliculaire. » La nature des fièvres étant organique pour lui, il importe par-dessus tout d’« éloigne[r] tout ce qui peut surexciter ». À cette opinion matérialiste, Pécuchet oppose un argument explicitement vitaliste : « Mais la diète affaiblit le principe vital ! » Ce propos suscite aussitôt les sarcasmes du docteur qui met en doute l’existence même de ce principe : « Qu’est-ce que vous me chantez avec votre principe vital ! Comment est-il ? Qui l’a vu ?40 » Enfin, Vaucorbeil invoque le manque d’appétit du malade : ― « D’ailleurs » disait le médecin « Gouy ne veut pas de nourriture. » Le malade fit un geste d’assentiment sous son bonnet de coton. ― « N’importe ! Il en a besoin ! » (p. 121)
Plusieurs points sont à remarquer. D’abord, c’est le mot de Raspail qui pousse Pécuchet à donner à manger au malade. On lit effectivement au f° 64 v° (Raspail) : « Je supprime la diète. Du même coup, je supprime la fièvre. » Or, le texte de Raspail lui-même offre une proposition quelque peu différente : « Je supprime la diète, du même coup que je supprime la fièvre41. » Il s’agit évidemment d’une 40
Nous avons analysé précédemment l’épaisseur épistémologique de ces sarcasmes du docteur. Voir notre Chapitre II. 41 F.-V. Raspail, Histoire naturelle de la santé et de la maladie chez les végétaux et chez les animaux en général, et en particulier chez l’homme, deuxième édition considérablement augmentée, chez l’éditeur, 1846, t. 3, p. 230.
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faute de lecture de la part du romancier qui a fait de la suppression de la diète un moyen de combattre la fièvre, alors que l’on ne procède à cette suppression qu’après avoir fait tomber la fièvre. L’inadvertance de Flaubert, en effet, fausse parfois le sens du texte originel. C’est un phénomène aujourd’hui bien connu grâce à des contributions récentes de la critique génétique42. En l’occurrence, la phrase altérée, intégrée dans le texte romanesque, motive directement la décision du personnage. La nécessité de nourrir le malade ? Ou le danger de perforer la membrane intestinale ? Ce dilemme sert à illustrer pleinement l’antagonisme doctrinal. L’adymanie évoquée par Jaccoud (f° 44 v°) devient, dans la logique proprement vitaliste, l’affaiblissement du principe vital : « la diète, en retirant des forces, affaiblit le Principe Vital » (g 2253, f° 321). En ce qui concerne le problème de l’appétit, nous savons que l’argument de Vaucorbeil est vicieux. Comme l’a clairement montré Trousseau (f° 35), le défaut d’appétit dans la fièvre typhoïde ne prouve rien au fond. La sensibilité du malade est si abîmée qu’il n’est plus capable de connaître ses propres besoins. Est-ce à dire que Pécuchet ait raison en ôtant la diète ? Certes, à première vue, le résultat de son intervention semble parfaitement heureux. Gouy ne tarde pas à « repren[dre] des forces », et la guérison devient vite sûre (p. 123). Pourtant, « un tel succès » n’est pas exempt d’une certaine ambiguïté. Car le mal s’aggrave momentanément après l’alimentation, ce qui inquiète d’ailleurs énormément Pécuchet : Gouy, le lendemain, eut une douleur dans l’abdomen. Cela pouvait tenir à l’ingestion de la nourriture ? Peut-être que Vaucorbeil ne s’était pas trompé ? Un médecin après tout doit s’y connaître ! Et des remords assaillirent Pécuchet. Il avait peur d’être homicide. (p. 123)
Ce passage, rapporté en partie au style indirect libre, suggère au lecteur une autre interprétation : Pécuchet aurait pu provoquer une perforation intestinale. Le personnage craint lui-même sérieusement cet accident grave lorsqu’il voit le fermier éprouver une douleur abdominale. Il se repent alors d’avoir nourri le malade et de s’être disputé 42 Voir par exemple Stéphanie Dord-Crouslé, « La face cachée de l’“impartialité” flaubertienne : le cas embarrassant de Joseph de Maistre », dans La Bibliothèque de Flaubert. Inventaires et critiques, sous la direction de Yvan Leclerc, Publications de l’Université de Rouen, 2001, p. 323-336.
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avec le médecin. Peut-être cette crainte n’est-elle pas tout à fait sans fondement ? Et l’intervention de Pécuchet, loin d’avoir fait disparaître la typhoïde, n’a-t-elle pas plutôt gêné et retardé sa guérison ? Il est évident que cette seconde interprétation ne constitue pas la vérité exclusive du texte, mais elle est au moins aussi probable que la première. En effet, aucun indice textuel ne vient trancher l’ambiguïté dont est empreinte la guérison de Gouy. La pluralité sémantique du texte romanesque reste ouverte, jusqu’à la fin, à diverses lectures contradictoires. Reportons-nous encore une fois à l’avant-texte pour saisir dans toute sa problématique cette indécidabilité du sens. Comme c’est souvent le cas chez Flaubert, celle-ci est en fait le produit d’un processus génétique complexe, et non une invention spontanée. Ici nous nous bornerons à étudier quelques folios qui sont particulièrement importants pour cette genèse. En premier lieu, il faut remarquer que le romancier a commencé par concevoir son épisode comme une défaite du médecin de Chavignolles. Dans le scénario « Rouen V » où cet épisode n’était pas encore rattaché à la fièvre typhoïde, on voit apparaître l’idée d’une « discussion où le médecin est enfoncé ». Un ajout interlinéaire vient préciser : « car Bouvard et Pécuchet ont raison43. » Plus intéressant encore est un scénario de l’épisode qui se trouve classé parmi les brouillons (g 2253, f° 289). Flaubert donne là explicitement tort au docteur Vaucorbeil, encore nommé Blin à ce stade. En voici la transcription diplomatique : La faute du Docteur Blin est vient de ce que : il a une idée préconçue et il veut faire rentrer tous les symptômes dans le type de la maladie qu’il a en tête. Alors il dirige ou interprète les réponses du malade dans ce sens-là, – ne prenant que les détails confirmatifs de son opinion, en négligeant ou [illis.] plutôt ne voyant pas les autres. la Fièvre typhoïde. – (diète. – pernicieuse – )
Le romancier explique pour son propre compte pourquoi son personnage (Blin = Vaucorbeil) se trompe dans son diagnostic. Aveuglé par une opinion toute faite, le docteur observe très mal la maladie qu’il traite. Toutefois, ce commentaire méta-textuel, noté à un stade 43
gg 10, f° 21 (Bouvard et Pécuchet, édition d’A. Cento, p. 80).
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encore peu avancé de la genèse, correspond-il véritablement au texte romanesque tel que nous le lisons aujourd’hui ? Certainement pas. Du moins, le texte final de l’épisode n’est pas aussi univoque que l’est ce commentaire avant-textuel. Aucun élément définitif n’est fourni au lecteur du roman pour donner raison à l’un ou l’autre des personnages en conflit. Il y a plus. Quelle est d’ailleurs cette « idée préconçue » qui empêche le médecin de voir clair ? Ne serait-il pas légitime de l’identifier à celle qui figure à la fin du passage cité : « diète. – pernicieuse » ? Toutefois, dans le texte final, cette idée reçue (la diète est pernicieuse) est soutenue par Pécuchet, tandis que Vaucorbeil s’obstine à maintenir la diète. Ou plutôt, faudrait-il comprendre cette formule dans un sens inverse (le docteur a l’idée d’une diète, qui est pourtant pernicieuse) ? De toute façon, il est incontestable que ce petit fragment scénarique, qui a l’air d’une clef herméneutique, ne peut pas réduire, tant s’en faut, l’ambiguïté fondamentale du texte romanesque. Or, qu’est-ce qui rend la guérison de Gouy aussi problématique dans le texte final du roman, sinon la douleur ressentie par le personnage le lendemain de la consultation ? C’est cette douleur abdominale qui fait naître un soupçon chez le lecteur et qui l’incite à se demander si l’ingestion de nourriture n’a pas causé cette indisposition soudaine. Sans ce détail hautement significatif, il n’hésiterait point à donner raison à Pécuchet, ce qui abolirait complètement l’indécidabilité du texte. Aussi faut-il examiner encore la genèse de ce détail narratif qui n’a été inventé qu’au cours de l’étape des brouillons. Parmi les brouillons classés sous la cote g 2253, onze folios se rapportent à la conclusion de notre épisode44. Cinq de ces occurrences devraient être qualifiées de scénarios développés, tandis que les six autres sont véritablement consacrées au travail de rédaction. Voici d’abord la liste chronologique des folios constituant l’avant-texte de la guérison de Gouy : 1) f° 213 2) f° 301 6) f° 327 7) f° 326 11) f° 336 v°
3) f° 294 v° 4) f° 273 v° 5) f° 260 v° 8) f° 325 9) f° 324 10) f° 330 v°
Flaubert ne se soucie guère de l’issue de la maladie dans les deux 44
Ainsi que nous l’avons constaté précédemment, l’épisode de la fièvre typhoïde n’avait pas encore vu le jour à l’étape des scénarios classés sous la cote gg 10.
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premières occurrences. À ce stade, on ne sait pas encore si Gouy finira ou non par guérir. Néanmoins, le second folio apporte un élément hautement important, l’inquiétude de Pécuchet (ou plutôt de Bouvard et Pécuchet) après la dispute avec le docteur : « Le Docteur se fâche. – Ensuite ils ont peur » (g 2253, f° 301). De quoi s’inquiètent-ils donc ? Rien n’est encore indiqué à ce propos sur ce folio. Sur ce point, on est quand même tenté de se référer à un fragment de scénario qui se trouve inséré parmi les pages du dossier des notes sur la médecine : « Puis [ils] ont peur que les aliments solides n’aient causé des ruptures dans les endroits ulcérés de l’intestin grêle, – ce qui amènerait une péritonite » (g 2267, f° 142). Sans doute ce petit fragment a-t-il été écrit bien après les premiers brouillons de notre corpus. De toute façon, au ms g 2253, f° 301, le fermier n’éprouve pas encore de douleur abdominale. Il n’en reste pas moins que l’invention de la crainte des deux bonshommes à cette étape constitue le premier embryon de l’indécidabilité textuelle. Dès la troisième occurrence, la guérison est indiquée comme issue de la maladie : « Ils ont peur d’être homicide[s] – Mais Gouy se guérit » (g 2253, f° 294 v°). Il est surtout remarquable que cette fin heureuse soit ici attribuée à l’intervention de Bouvard et Pécuchet : « Ils lui donnent à manger et le guérissent. » C’est donc la nourriture qui a vaincu la fièvre typhoïde de Gouy. Toutefois, la notation est aussitôt barrée par le romancier lui-même. Cette rature est de toute première importance, parce qu’elle déclenche bel et bien la production de l’ambiguïté sémantique. Une fois la clef herméneutique explicite éliminée, le texte romanesque devient susceptible de plusieurs lectures concurrentes. À vrai dire, ce phénomène de la problématisation du récit n’est pas propre à la genèse du roman encyclopédique, mais concerne celle de toutes les œuvres de la maturité de Flaubert. Dans ses divers articles, Pierre-Marc de Biasi a mis en lumière cet aspect capital de l’avant-texte flaubertien45. En analysant notamment les manuscrits de La Légende de saint Julien l’Hospitalier, ce critique a montré d’une façon lumineuse que l’indécidabilité sémantique du texte final est le plus souvent le produit d’un travail soigneux de l’écriture. Le processus génétique chez Flaubert, tel qu’il a été décrit et expliqué par 45
Voir en particulier « L’élaboration du problématique dans La Légende de saint Julien l’Hospitalier », dans Flaubert à l’œuvre, Flammarion, 1980, p. 69-102.
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P.-M. de Biasi, comprend normalement deux phases distinctes : à une première phase d’amplification où l’écrivain s’emploie à saturer la diégèse succède une seconde phase de réduction qui installe des vides interstitiels à différents endroits stratégiques du texte. Le récit, motivé d’abord dans tous ses détails, devient par la suite de plus en plus problématique en se débarrassant progressivement des médiations narratives que sont les mobiles des actions des personnages ou les causalités existant entre les séquences. Ce travail conscient de démotivation 46 aboutit presque invariablement à un texte suffisamment ambigu pour se prêter au « jeu des interprétations » : « Ce qui, dans le sens du récit, paraissait clair au milieu de rédaction, [...] ce qui était trop clair, trop proche d’une conclusion possible sur le sens du récit, Flaubert travaille à le rendre indécidable47. » Dorénavant, il appartient au seul lecteur de combler les blancs aménagés exprès par le romancier et d’imaginer des transitions qui font défaut à la surface textuelle. Aucun indice ne vient alors plus mettre fin à cette quête sémantique. Or, dans le cas de la guérison de Gouy, l’ellipse de la médiation narrative ne suffit pas entièrement à produire un effet d’indécidabilité. La suppression pure et simple de la causalité explicite (« et le guérissent. ») et l’invention de l’inquiétude de Pécuchet n’empêchent point le lecteur des brouillons qui suivent de continuer à donner tort au médecin de Chavignolles. Car, après tout, le rétablissement du fermier semble signifier le succès de Pécuchet. Il manque en effet encore une pièce pour achever le processus de problématisation déjà amorcé. Cette pièce décisive ne sera apportée qu’assez tardivement. C’est au ms g 2253, f° 325 (huitième occurrence) que l’on voit apparaître pour la première fois la douleur abdominale du fermier : « Le surlendemain Gouy éprouva une douleur aiguë dans l’abdomen. comme une était-ce un commencement [de] péritonite ? qui se déclare ? – et Pécuchet passa des nuits pleines d’angoisses. – Il avait peur d’être homicide. » Quelques différences de détails (comme le 46
Le terme a été proposé par Gérard Genette pour définir une des formes de l’intertextualité, dont un exemple typique est offert par la relation qu’entretient Hérodias de Flaubert avec les textes bibliques. Voir Palimpsestes, Seuil, « Points », 1982, p. 384-386 et 462. 47 P.-M. de Biasi, « Flaubert et la poétique du non-finito », dans Le Manuscrit inachevé, Éditions du C.N.R.S., 1986, p. 54-55.
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« surlendemain » au lieu du « lendemain ») séparent encore ce brouillon de la version finale. L’état du folio, extrêmement chargé de ratures et d’ajouts jusqu’à donner parfois une impression d’illisibilité, témoigne sans conteste des hésitations de l’écrivain. Néanmoins, on constate que tous les éléments constitutifs de l’indécidabilité en question sont maintenant en place. L’indisposition passagère de Gouy motive désormais concrètement l’angoisse de Pécuchet qui pouvait paraître jusque-là un peu exagérée. C’est cette douleur abdominale qui éveille un soupçon chez le lecteur en l’invitant à remettre en cause le sens de la guérison finale. En somme, l’essentiel de l’écriture problématique est acquis à cette étape. De fait, après ce folio charnière, la rédaction change manifestement d’orientation, et Flaubert s’emploie plutôt aux questions de style et de textualisation. L’inquiétude de Pécuchet sera reformulée au style indirect libre. La description de la convalescence de Gouy, qui était assez détaillée au début, sera condensée dans le texte final en une seule notation (« et Gouy reprenait des forces »). L’effet d’indécidable demeurera en dépit de ces modifications non négligeables. Les rapports entre la littérature et les savoirs sont toujours problématiques. Au moins, ce n’est pas nécessairement l’évolution linéaire de la science qui stimule les productions littéraires. L’influence de la théorie de l’hérédité sur Zola offre un exemple typique à cet égard. On sait que Gregor Mendel (1822-1884) a formulé pour la première fois ses idées sur l’hérédité en 1865. Ce travail révolutionnaire qui est à l’origine de la génétique de nos jours est pourtant resté quasi ignoré, et ce n’est qu’au début du siècle suivant que les Lois de Mendel ont été redécouvertes par la communauté scientifique. Le grand prestige dont jouissait la théorie de l’hérédité de Prosper Lucas (1815-1885) ou de Valentin Magnan (1835-1916) pendant la seconde moitié du XIXe siècle repose pour ainsi dire sur cet oubli de Mendel qui a duré plus de trente ans. C’est pourtant ce savoir considéré aujourd’hui comme une pure déviation scientifique qui a rendu possible tout l’univers des Rougon-Macquart. L’extrême richesse de l’imaginaire zolien est inséparable de l’hégémonie contemporaine de ce savoir qui relève plus du mythe que de la science. La situation est quelque peu différente pour la médecine clinique de la première moitié du XIXe siècle. Il est vrai que ses contributions
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au développement de la science médicale sont si grandes que bon nombre de techniques comme le stéthoscope ont leur origine dans cette période. Toutefois, il n’en est pas moins certain que le clinicisme finissait par s’enfermer dans une impasse à cause de ses préjugés sur le rôle des sciences accessoires (les « sciences de base » de nos jours s’appelaient alors les « sciences accessoires »). Beaucoup plus empirique et pratique que scientifique et expérimental, il se montrait résolument hostile à l’usage du microscope, et à l’application de la chimie et de la physique à la médecine. De là découlait notamment son incapacité à découvrir les causes des maladies. Le conflit entre vitalisme et organicisme se déroulait sur ce terrain épistémologique commun, que la médecine expérimentale (ou la médecine de laboratoire) est ensuite venue invalider dans la seconde moitié du siècle. Or, si la médecine clinique de l’école de Paris a tant inspiré la littérature contemporaine, c’est en raison de ses insuffisances mêmes qu’elle s’évertuait à dépasser, sans jamais y parvenir. Ce sont donc les apories du savoir médical qui ont intrigué des écrivains comme Balzac ou Flaubert. Ainsi, ce que Balzac met en scène dans l’épisode de la consultation médicale de La Peau de chagrin, c’est l’impasse à laquelle aboutissait l’antagonisme doctrinal en question. Trois docteurs fictifs incarnant les principaux systèmes médicaux du temps (organicisme, vitalisme, éclectisme sceptique) se révèlent également incapables de soulager le corps souffrant du protagoniste. Comme nous l’avons remarqué plus haut, Balzac conserve la possibilité d’un dépassement au milieu de cette scène éminemment satirique. Bianchon est présenté par le narrateur balzacien comme « le quatrième médecin » qui « recueill[era] l’héritage des trésors amassés depuis cinquante ans par l’École de Paris » et qui « bâtira peut-être le monument pour lequel les siècles précédents ont apporté tant de matériaux divers48 ». Il importe quand même de noter que la synthèse est ici envisagée à l’intérieur du cadre même du clinicisme de Paris. En fait, Bianchon représente l’éclectisme médical tel que des médecins comme Andral, Trousseau ou Bouillaud (tous ces auteurs figurent dans le dossier médical de Bouvard) s’en réclamaient pour réconcilier les points de vue des doctrines opposées. Après l’excès et la faillite du 48
Balzac, La Peau de chagrin, op. cit., p. 257.
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système de Broussais, c’est réellement l’éclectisme qui a assuré la gloire de l’école de Paris dans les années 1830 et 1840. Ackerknecht prétend que ce fut la période « la plus féconde et la plus brillante » de la médecine clinique49. Bianchon rejoint cette génération remarquable en manifestant la volonté de surmonter l’incompatibilité des doctrines rivales. Il est évident que le dépassement des contradictoires, même sur un mode latent, n’est pas envisageable dans le texte flaubertien. De la dispute entre le vitaliste Pécuchet et l’organiciste Vaucorbeil, personne ne sort vainqueur. Le fait que Gouy reprenne des forces à la fin ne signifie en rien, on l’a vu, le triomphe de Pécuchet. C’est l’indécidabilité flaubertienne qui se joue dans ce passage problématique et qui permet à l’auteur de ne pas trancher la question dans cette scène de débat médical hautement comique. Nous savons que cette ambiguïté résulte d’un processus génétique complexe. Ce travail avant-textuel est, en plus, pourvu d’une portée critique indéniable, dans la mesure où l’ambiguïté ainsi produite est, en un sens, celle du savoir médical d’une époque. En somme, c’est l’impasse même de la médecine clinique de la première moitié du XIXe siècle qui se trouve inscrite dans cet épisode romanesque. Le clinicisme, dont le prestige a subsisté en réalité bien au-delà de 1848, n’a pas pu résoudre ses propres apories, mais paradoxalement par là même, il n’a pas cessé d’inciter des écrivains à formuler des interrogations fondamentales. La complexité de la représentation romanesque propre à l’« encyclopédie critique en farce » est ainsi dotée d’une forte puissance mimétique qui seule permet de nouer un rapport critique avec les divers champs de savoirs.
49
E. H. Ackerknecht, op. cit. p. 133.
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g 2267, f° 35 Fièvre typhoïde. = Diothiénentérie.
trousseau clinique t 1er.
le caractère spécifique de la maladie c’est la lésion intestinale. cette éruption interneestformée aux dépens des glandes agminées & isolées de Peyer elles se tuméfient, font saillie dans l’intestin. la tuméfaction va en augmentant jusqu’au 9e jour le lieu d’élection est la dernière portion de l’iléon. les tuméfactions
cette entérite n’est qu’un élément de la maladie. elles n’en sont pas plus la cause que les éruptions ne sont la cause de la variole. qqfois elles manquent. elles sont toujours X cela est un argument postérieures, aux développements symptomatiques de la fièvre. X (291) pr les Vitalistes.
La gravité des symptômes généraux n’est pas en rapport avec l’intensité de l’éruption elle-même.
taches rosées lenticulaires qques papules se montrent d’abord. Les jours suivants d’autres se développent à leur tour. Chaque tache considérée isolément dure de 3 à 15 jours, de telle sorte que celles qui ont apparu les premières s’éteignent lorsque de nouvelles commencent à se manifester la durée totale de l’éruption varie entre 3 & même 20 jours. – Convalescence à surveiller. l/es/a possibilité du retour des accidents pru dangereuse taches bleues ou bleuâtres, se terminent heureusemt sous la forme adynamique administrez des stimulans, l’éther, l’ammoniaque – infusions de sauge de serpentaire, de badiane. Vin de Malaga, limonades vineuses avec de l’eau de Seltz. (330) tièdes
affusions froides, bains. ou lotions avec de l’eau vinaigrée X
Lorsque la surdité est des deux côtés, le pronostic est favorable.
qqfois hypertrophie de la rate comme dans la fièvre palustre. Mais dans la fièvre putride l’engorgement de la rate arrive dès les premiers jours au point qu’elle doit atteindre, pr diminuer à mesure que la maladie fait des progrès tandis que dans la fièvre palustre c’est le contraire (339) La fièvre typhoïde est contagieuse (342) épidémie de typhoïde dans une ferme des Deux Sèvres (3 fois en 40 ans) & chaque fois après la coupe d’un bois. traitement. Trousseau n’ordonne que de l’infusion de camomille, des boissons acidules X
La marche des fièvres éruptives est peu susceptible d’être modifiée par la médecine ! (347) Il faut les nourrir malgré la fièvre - pendant tout le cours de la maladie - potages maigres, qques cueillerées de bouillon. fragment de Graves (de Dublin) – 35/4/2. & sq. Les personnes qui meurent d’inanition, ont une inflammation cérébrale. une inflammation
vous ajoutez, par la diète, cette inflammation à la maladie, - ou tout au moins gastrique ou cérébrale. Comme la sensibilité du malade est altérée, il ne demande pas d’aliments, mais il en a besoin –
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g 2267, f° 35 v°
Les symptômes d’une inanition extrême ressemblent à ceux du typhus – sans compter la gangrène spontanée des poumons. Comme il arrive chez les fous qui se laissent mourir de faim. Graves voulait que l’on inscrivît sur sa tombe « he fed fevers ». Mais trousseau est longtemps avant de permettre des aliments solides qqfois les vomissemts dans la convalescence sont des accidents nerveux. il faut alors insister sur les aliments solides. - viandes lourdes, jambon. (355) l’hébétude dure qqfois plusieurs fois. - imbécillité complète pendant 6 semaines dans les cours des fièvres putrides les malades dorment les yeux entr’ouverts. il faut abaisser leurs paupières, de peur des opthalmies. Diathèse ulcéreuse dans la fièvre typhoïde. (– ulcérations du larynx, du nez de l’œsophage) d’autant plus grave fréquente que la fièvre typ. aura revêtu la forme putride, adynamique ———
g 2267, f° 37 v°
Gianini, se fondant sur ce fait d’observation que dans les pyrexies les répercussions sont peu à craindre ordonnait des affusions froides pratiquées rapidemt sur toute la surface cutanée. la forme particulière que revêt la maladie doit déterminer le choix de certains moyens la saignée dans la forme inflammatoire sera graduée de manière à prévenir les complications la forme adynamique sera combattue par des toniques - on employait le quinquina aujourd’hui, vin, bouillon. —
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g 2267, f° 37 Manuel de path. & de Fièvre typhoïde.
clinique médicales Ambr. Tardieu 3e édit. 1866.
maligne, putride, bilieuse muqueuse des anciens. gastro entérite – Broussais fièvre entéro-mésentérique Petit & Serre[s] dothiénentérie – Bretonneau - δοθιήν bouton, pustule, έντέρον entraille) entéro mésentérite typhoïde - Bouillaud entérite folliculeuse, de qques auteurs —
— constante
une lésion anatomique & spéciale caractérise les fièvres continues graves des anciens 3 périodes.
- débute un matin par un mal de tête. faiblesse, frisson, épistaxis. diarrhées
1er p.
hébétude, céphalalgie jusqu’à la fin du premier septennaire. - étourdissemt
vertige, saignement de nez. - insomnie. - pouls large & fréquent. La langue rouge ———
X
sur les bords & à la pointe. - soif. Le ventre est sensible surtout dans la région iliaque, droite - les lèvres deviennent arides & luisantes. le ventre est ballonné.
2e p.
du 7e au 9e jour. sur l’abdomen, sur la poitrine des taches lenticulaires rosées, disparaissant sous la pression, non coniques. Sudamina dans les aisselles au cou, en même temps que paraissent ces nouveaux signes le mal de tête dis a disparu, somnolence faiblesse plus gde. - qqfois gdes douleurs aux articulations. - coma - surdité. - yeux rouges
X
la langue fendillée, racornie, couverte d’un enduit noirâtre. diarrhées involontaires.
X
- respiration gênée. escchares gangreneuses - désordres nerveux, soubresauts.
X
3e p.
décide du mode de terminaison – elle commence à des époques très variables, généralemt du 15e au 30e jour. raremt plutôt. —
terminaison.
être
Lorsqu’elle doit heureuse, les symptômes diminuent peu à peu, la stupeur se dissipe la fièvre tombe, la bouche se nettoie, la respiration devient plus libre, la peau subit X
une sorte de desquamation. - Il est très habituel de voir les cheveux tomber. « L’appétit revient avec une violence à laquelle il est indispensable de résister. » Mais la convalescence est longue, un ou deux mois, les facultés intellectuelles sont lentes à se rétablir. qqfois au milieu de la convalescence une douleur brusque, dans un point de l’abdomen
X
suivie de tous les signes d’une péritonite aiguë due à une perforation intestinale Les signes de cet accident s’arrêtent qqfois tout à coup.
traitement.
émissions sanguines rapprochées. (Bouillaud) ventouses scarifiées sur le ventre répétées à court intervalle dans les premiers jours – diète, boissons rafraîchissantes - cataplasmes sur le ventre. méthode purgative (Delarroque) purgatifs salins ou huileux
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g 2267, f° 38 Cours de Pathologie interne Andral.
1836.
en un chien a le charbon si on lui injecte le/du sang vicié par l’irritation artificielle du nerf p[n]eumo-gastrique « la connaissance des maladies de l’estomac est la clef de la pathologie » Broussais. une trop gde quantité de matières chylifiables entraîne la gastro entérite.
si une nourrice a un lait trop fort
l’enfant aura des indigestions - son lait a trop de caséum. il faut l’étendre d’une certaine quantité d’eau. l’influence nerveuse trouble les sécrétions. - Le lait d’une nourrice peut être modifiée & agir comme un poison eu
si elle a une émotion morale. - Le venin de certains animaux est plus terrible s’ils sont en colère. Entérite Folliculeuse
, fièvre typhoïde. - Gastro entérite adynamique (Broussais) Dothiénentérie (Littré δοθιην pustule, εντερον intestin - maladie caractérisée par l’altération des follicules muqueux de l’intestin grêle. des individus ont succombé à tous les symptômes de la fièvre typhoïde, & sur
P. cite
X
lesquels on n’a pu constater non seulement l’exanthème intestinal mais même aucune altération du tube digestif qui pût expliquer la mort. (55 t 1 er)
la page.
- diminution de la consistance du cœur - ramollissement du ventricule gauche. Louis a cru pouvoir rattacher à cette altération l’affaiblissement du pouls La rate « que l’on peut considérer comme une dépendance probable de l’appareil circulatoire, est en général augmentée de volume & ramollie. les ganglions mésentériques sont plus volumineux d’un tissu rouge ou brunâtre qqfois remplis de pus. X.
Symptômes : La muqueuse buccale est rouge, recouverte d’un enduit muqueux, ou d’une matière ses bords présentent un petit liseré blanc
comme crémeuse. Dans qque[s] cas, elle présente une exhalation de sang qui tend à se coaguler & qui produit alors des croûtes jaunes ou noires. – à une époque plus avancée elle devient sèche se racornit & se couvre d’une croûte noire & épaisse Les pétéchies se montrent du 8e au 15e jour, sur la partie inférieure & moyenne du thorax & sur la partie supérieure de l’abdomen. Mr Chomel a administré des chlorures, en boissons, en lavements, en lotions Hémorrhagies du tube digestif
Le sang fourni par l’estomac est constamment noir, tandis que celui qui provient d’une hémoptysie avec lequel on pourrait le confondre est rouge & rutilant. cependant si le sang est rejeté aussitôt après sa sortie du vaisseau, il devient très difficile de se prononcer. (77)
choléra asiatique
se distingue de l’entérite en ce que : la sensibilité du ventre est toujours plus grande le mouvement fébrile intense, la peau sèche. - de la colique de plomb par la constipation qui l’accompagne » 103. les individus morts dans la période algide & présentant un refroidissement complet de tout le corps se réchauffent après la mort & conservent une chaleur notable jusqu’à ce que la rigidité commence. qqfois, les cadavres ont le poumon anémié.
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g 2267, f° 44 Fièvres typhoïdes Pathologie interne
Jaccoud
Le poison générateur de la fièvre typh. est inconnu. il est contenu dans les produits des décompositions animales & végétales, il peut donc être considéré com l’expression d’une intoxication putride, spéciale. 1° il peut être contenu dans l’eau, dans l’air, dans les substances - c’est là son origine extrinsèque. 2° il naît dans l’organisme sous l’influence de certaines conditions mauvaises. c’est là l’origine spontanée 3° Il est reproduit par le malade, transmis aux individus sains. c’est là l’origine contagieuse Selon Stich, l’organisme animal renferme toujours en lui des matériaux d’empoisonnement putride contenus soit dans l’intestin soit dans l’exhalation pulmonaire ; à l’état normal l’influence novice de ces produits est annihilée par les fonctions mêm[es] de l’organisme des masses muqueuses correspondantes ou bien par l’élimination rapide ou la transformation des matières résorbées. prodromes.
qqfois un catarrhe gastrique. les phénomènes sont tout à fait semblables à ceux d’un catarrhe de l’estomac - un vomitif ne produit qu’un soulagement momentané 24 h. après la céphalalgie reparaît avec le malaise & la fièvre. Le gonflement de la rate n’est appréciable que du vers le 5e ou 6e jour une angine catarrhale, peut dès les premiers jours égarer le diagnostic - et elle est qqfois le seul symptôme de la fièvre typhoïde commençante. désordres cérébraux vers la fin de la Ière semaine - douleurs lombaires. – cauchemars indifférence. - apathie intellectuelle - lenteur des réponses la fièvre f guérit La fièvre typhoïde guérit d’autant mieux que la roséole est plus abondante. prquoi ? on n’en sait rien. y a t-il une compensation entre le processus cutané & le processus intestinal ? la perforation intestinale est rare avant la 3e semaine. Elle a lieu à propos d’un mouvemt brusque, d’un effort. qqfois elle arrive dans des f. typh. légère[s]
du ventre
L’accident est révélé par la fréquence & la petitesse du pouls, le météorisme du po Les accidents laryngés peuvent acquérir dans la convalescence leur intensité plus gde & tuer par œdème glottique. la chute de la fièvre qui signale le début de la convalescence ne met pas terme au péril. 3 traitemnts.
1° Saignées coup sur coup. 2° vomitifs répétés, 3° calomel à fortes doses
inutile - La fièvre typhoïde ne peut être coupée - Ce sont les formes abortives qui ont fait croire au succès du traitement abortif.
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g 2267, f° 44 v°
hygiène. les linges doivent être changés, dès qu’ils sont souillés. - il faut changer le mala[de] de lit matin & soir. - pas de lits de plumes La fièvre typhoïde a un caractère constant. c’est sa tendance à l’adynamie – pas de diète complète - 30 grammes d’eau de vie pr commencer. & qu par là j’exer[ce] eau de vie
une action stimulation plus puissante sur l’ensemble de l’organisme, notamment s[ur] le système nerveux et je fais dériver sur l’alcool au profit du malade une partie de s’accroît
combustion fébrile. si l’adynamie s’augmente, j’augmente l’eau de vie jusqu’à 8[0] gr. lotions de vinaigre aromatique. – pas de bains. Ils tourmentent le malade par des déplacements. ——— Rachitisme. — l’altération consiste dans une production exagérée des chondro-fibroïdes, par le moyen des[quels] le cartilage épiphysaire & le périoste de la diaphyse assurent la croissance de l’os, & dans le défaut d’ossification de ces éléments qui restent par suite à l’état fibro-sphongoïde Les enfants mal nourris, qui par suite de cette nutrition vicieuse ont souffer[t] d’un catarrhe gastro-intestinal prolongé sont particulièremt exposés à cette maladie. (591 ———
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g 2267, f° 82 Essai sur les doctrines médicales Chauffard. 1846. (âme, archée, principe vital)
Systèmes animistes ;= admettre la substance simple & dire que de son action sur la substance composée découle la vie Systèmes matérialistes := n’accepter que la substance composée qui frappe les yeux, la rendre centre & cause de tout, y placer les sources de la vie. - Dans la première hypothèse, (animisme) les mouvements du corps organisé ne sont jamais que des effets dont la cause remonte à ce principe de toute manifestation vivante la maladie est une action anormale de ce principe vital altéré, & les crises diverses de la maladie sont des effets de sa volonté de ses déterminations X
La conséquence en thérapeutique sera l’inaction. il s’agira d’attendre comment agir sur une substance simple. (24). Ainsi le point de départ de l’animisme est placé en dehors de la médecine. c’est une question métaphysique. Dans l’hypothèse matérialiste, la maladie peut résulter de l’altération des solides & des liquides & d’un dérangement des propriétés vitales de l’organisme. – Les indications curatives se doivent donc déduire des lésions organiques & des troubles fonctionnels. (28)
Le vitalisme ne considère que la vie. le médecin vitaliste ne cherchera jamais à isoler une force du reste de la machine humaine, dans le but d’apprécier le jeu la tendance ou l’énergie de cette force. Il ne s’essayera pas à expliquer un acte de l’organisme par une altération quelconque de la matière organique. (37) Qui dit principe vital altéré, exprime un non-sens. Comment un être simple sans parties visible[s] ou invisible[s] peut-il être altéré ? L’altération n’appartient-elle pas exclusivemt à la substance composée ainsi Quand des médecins animistes prétendent modifier les mouvemnts vitaux, ils doivent se rappeler qu’il existe pˍ eux une substance immatérielle toute puissante, cause première de tout mouvemnt. Qui dit désorganisation, destruction en parlant de l’être qui vit exprime le retour de cet être à ce monde extérieur qui presse toute existence animée jusqu’à ce que s’emparant d’elle, il en amène la dissolution complète. Le vitaliste ne demande qu’une certitude à sa portée, le matérialiste en exige une absolu[e] 51.
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g 2267, f° 82 v°
La.Maladie -
Pr le matérialiste les Causes peuvent varier & la maladie rester invariable si elle s’effectue de la même façon par les mêmes organes, si elle est constituée par les mêmes altérations Pr le vitaliste la nature d’une maladie réside dans sa cause - qqu’en soient les aspects si la cause reste la même la maladie est identique. – Les symptômes sont des actes vitaux partiels contenus dans un acte plus général qui est la maladie elle-même. un symptôme est donc un acte morbide. on peut rechercher ses causes & son but. Ainsi la rougeur, l’injection les infiltrations œdémateuses sont des lésions tout comme les ulcérations intestinales ou toute autre lésion proprement dite. Il n’y a que des différences d’intensité ou de mode. Trouver dans toutes les maladies une lésion du tissu, & par là s’essayer à les expliquer tel a été le gd problème, la gde œuvre de l’époque actuelle. Le Vitaliste ne se posera jamais ce problème qui est contre la nature des choses : trouver
X
le siège d’une maladie ! Pr Le matérialiste la maladie est chimique, physique ou mécanique. il remédiera chimiquemt à une altération d’humeurs, mécaniquemt à un dérangemnt des solides. (78-79). danger & inanité* de la statistique. (82). « Pr le médecin vitaliste, chaque malade est un sujet d’étude nouveau & comme diagnostic réel de la maladie, & comme détermination des indications thérapeutiques. La science des maladies n’existe jamais pˍ lui, complète, absolue. ». (83)
impossibilité des définitions rigoureuses. En appelant les catarrhes une bronchite, on se condamne à n’y voir jamais qu’une inflammation du tissu, à n’y opposer jamais qu’un traitemt antiphlo-gistique ! Les caractères extérieurs des actes vitaux n’ont rien de fixe, de permanent X
Il ne faut pas les classer d’après leur phénomalité extérieure. 88-89
EXPOSITION CRITIQUE D’UN PARADIGME MEDICAL
179
g 2267, f° 83 doctrines médicales
2
Chauffard.
Fièvre. La Fièvre « est une réaction de l’organisme dont les gdes fonctions générales, calorification assimilation, circulation sont diversemt modifiées ». 95 pˍquoi réaction ? Quand on parle de la Fièvre on ne dit pas si elle est tout ou partie d’un[e] maladie fébrile tandis que lorsqu’il s’agit des fièvres, cela veut dire que la maladie réside essentiellemt dans l’acte fébrile lui même » qu’en savez-vous ? explications matérialistes de la fièvre. - la [illis.] l’attribuant à diverses lésions 101. – « Peut-être arrivera-t-on à trouver dans un métalloïde ou un métal jusqu’ici inconnu l’agent principal de la vie cérébrale ? » De l’organicisme. Riche. Pourquoi les goitreux
- Partant de cette opinion que la glande thyroïde placée sur le trajet des artères qui se
donnent naissance à des idiots. portent au cerveau est le régulateur de la circulation cérébrale, que son volume ordinaire empêche l’arrivée à l’encéphale d’une trop gde quantité de sang, on est arrivé à conclure que son hypertrophie est un obstacle à la nutrition normale du cerveau. cet organe étant ainsi anémié, l’intelligence s’affaiblit, & des hommes dans ces conditions peuvent donner naissance à des êtres à cerveau atrophié, à des crétins. (id) —
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FLAUBERT EPISTEMOLOGUE
g 2267, f° 84 sur la
Essai de Philosophie Médicale & sur les généralités de la Clinique médicale Bouillaud. 1836. le brownisme = la division de toutes les maladies en sthéniques ou asthéniques n’était qu’une nouvelle édition du laxum et du strictum de Thémison. le Brownisme fut fatal, & vraiment incendiaire pˍ les fièvres adynamiques, ou fièvres typhoïdes dues à une inflammation de la membrane folliculaire du tube digestif, en les saturant de quinquina, d’esprit de Mindererus, d’éthers, de vins généreux. (25). quelqu’opinion qu’on ait sur les maladies dites fièvres essentielles, les succès ont été pˍ ceux qui ont adopté la méthode de Broussais soit pure, soit modifiée. l’auscultation a permis de reconnaître des maladies qui avaient échappé à la percussion. La méthode d’exploration inventée par Laennec fut tournée en ridicule, au commencement. (93) les expériences de gaspard sur l’injection des matières putrides dans les veines n’ont pas été complètement perdues pˍ l’explication de ces phénomènes typhoïdes qu’on observe dans un certain nombre de maladies. Les malades répondent si bêtement, que pˍ le diagnostic de beaucoup de maladies, l’exploration muette est préférable aux X données fournies par l’interrogation des malades. (140). Conditions d’une bonne observation. Il faut avoir égard à tout. (143). voyez les règles p. 149 & sq. Coïncidence de l’endocardite & de la péricardite avec le rhumatisme articulaire aigu. découverte par Bouillaud. Le temps n’est plus, où à l’autopsie des fièvres essentielles on ne découvrait rien dans les cadavres, quand on soutenait l’essenX
-tialité des fièvres. (159).
Le langage est vague, on dit souvent, fréquemment. Il faudrait donner des chiffres. Mais comme les faits médicaux offrent rarement une parfaite identité de circonstances le calcul des probabilités est le seul raisonnable, quand il s’agit de généraliser un résultat. preuves.
« puisqu’il existe des cas où un seul fait bien observé prouve beaucoup, il est très certain qu’en tout état de cause un seul fait prouve qque chose. s’il en était autrement chaque fait en particulier pourrait être représenté par zéro - or que prouverait elle-même une collection de faits particuliers, c’est à dire une collection de zéros. (191-2)
Bruits anormaux ( méconnus jusqu’à présent) dans l’intérieur du cœur & du péricarde chez la gde majorité des individus atteints d’un violent rhumatisme articulaire aigu, si bien qu’on avait ignoré la coïncidence de l’endocardite & de la péricardite avec cette espèce de rhumatisme. (223) on prend qqfois les causes pˍ des effets. Les altérations de la membrane folliculeuse de l’intestin grêle & des ganglions mésentériques ne sont pas un effet de la fièvre typhoïde, Mais la maladie intestinale est bien la cause de cet appareil général auquel on a donné le nom de fièvre typhoïde. (224 il est démontré que dans un gd nombre de cas il y a proportion entre la gravité de la maladie & celle des lésions anatomiques. (231) et 234.
Chapitre VII Corps et mots : l’hygiène comme champ de contradictions 1. La fureur hygiéniste Au XIXe siècle, l’insuffisance manifeste de la thérapeutique a amené de nombreux médecins à se pencher sur le problème de l’hygiène. Mieux vaudrait assurément prévenir les maladies dans la mesure où un grand nombre d’entre elles résistent aux moyens curatifs alors disponibles. Ainsi, Michel Lévy proclame : « Mais où l’art est impuissant à guérir, il lui est donné souvent de préserver ; où il ne peut espérer d’étouffer le mal, il réussit au moins à le restreindre, à l’atténuer : double fortune que l’hygiène lui octroie1. » Cette conviction selon laquelle la prévention importe plus que la thérapeutique proprement dite2 est partagée par la plupart des médecins de l’époque, parmi lesquels on peut compter Pidoux qui se plaint de ce que les malades s’adressent rarement aux gens de l’art avant que le mal arrive « à ses plus hautes puissances » (f° 137)3, ce qui rend le traitement extrêmement difficile. En recommandant l’« hygiène des maladies chroniques par les eaux minérales », cet auteur ajoute : « Ne craignez pas qu’on dise que vous envoyez aux eaux minérales des gens bien portants ! Comme s’il y avait des gens bien portants ! Comme si la santé était quelque chose d’absolu, & autre chose qu’une intermittence & une incubation » (Id.). Dès lors, personne ne peut se passer de précautions hygiéniques minutieuses, dont l’importance ne fait que croître au 1
Traité d’Hygiène publique et privée, 5e édition, t. 1, 1869, p. 39 ; cité par J. Léonard, La France médicale, op. cit., p. 174. 2 Il est intéressant de remarquer que cette idée servait, dans plusieurs brouillons du roman encyclopédique, de transition entre la thérapeutique et l’hygiène. On lit ainsi au ms g 2253, f° 294 v° : « il n’y a de sûr que l’Hygiène » ; ou au ms g 2253, f° 273 v° : « - une seule chose est vraie en médecine : L’hygiène ». 3 Le Dictionnaire des idées reçues engage, en effet, à « s’en moquer [de la médecine] quand on se porte bien » (Bouvard et Pécuchet, édition de Cl. Gothot-Mersch, p. 540 ; l’article ne figure pas dans la dernière version du Dictionnaire).
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cours du siècle. Une multitude d’ouvrages et d’articles ont alors paru sur l’art de conserver la santé et sur la salubrité publique. Les auteurs prodiguent toutes sortes de prescriptions et de conseils qu’ils distribuent souvent selon le cadre traditionnel des circumfusa, ingesta, excreta, applicata, percepta et gesta4. Du reste, il leur arrive fréquemment de se mêler des problèmes qui ne ressortissent pas nécessairement à la médecine. Des sujets comme le paupérisme ou les bouleversements politiques font souvent l’objet de leurs discours normatifs, de sorte que l’hygiène finit par embrasser presque tous les domaines de la vie sociale et de la vie privée. Le mot hygiénisme indique cet état d’esprit, très caractéristique du XIXe siècle, qui, « mettant au premier rang la conservation de la vie et de la santé des populations, s’aventure dans toutes les directions au nom du bien public »5. L’omniprésence de l’hygiène constitue en effet un phénomène essentiel pour la société française du temps. La catégorie du comique des idées médicales à laquelle nous allons consacrer le présent chapitre se rapporte précisément à l’« Hygiène ». Sous le regard perspicace de notre romancier, cette catégorie se révèle un foyer particulièrement fécond de contradictions. Contemporain de l’ascension du pouvoir hygiéniste, Flaubert a pris en notes plusieurs ouvrages qui reflètent ce mouvement de façon directe : le Dictionnaire des sciences médicales, article « Hygiène » par Hallé et Nysten (f° 115) ; J. Morin, Manuel théorique et pratique d’hygiène (f° 126) ; Michel Lévy, Traité d’Hygiène publique et privée (f° 127129 v°) ; A. Becquerel, Traité élémentaire d’hygiène privée et publique (f° 130-132 v°) ; D. G. M. Schreber, Gymnastique de chambre, médicale et hygiénique (f° 136)6. Plusieurs citations dans les notes de 4
M. Lévy, par exemple, respecte ce cadre rhétorique pour répartir les divers modificateurs de la santé humaine. A. Becquerel, de son côté, adopte une division légèrement différente, dont la première classe englobe à la fois les deux anciennes catégories circumfusa et applicata : atmosphère, ingesta, gesta, percepta, genitalia et excreta. Pour l’historique de ce cadre traditionnel de l’hygiène, voir par exemple Pedro Gil Sotres, « Les régimes de santé », dans Histoire de la pensée médicale en Occident, op. cit., t. 1, p. 227-237. 5 J. Léonard, La médecine entre les pouvoirs et les savoirs, op. cit., p. 149-150. Pour un panorama international du développement de l’hygiénisme de l’époque des Lumières jusqu’à nos jours, voir Les Hygiénistes : enjeux, modèles et pratiques, sous la direction de Patrice Bourdelais, Belin, 2001. 6 Sur la page de notes, on lit en face du titre de l’ouvrage ce commentaire du romancier : « Hygiène » (f° 136).
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lecture portent en marge ce commentaire : « hygiène », et trois pages de notes de notes intitulées « hygiène » (f° 141-141 v° et 144), avec d’ailleurs une autre qui renferme un petit groupe de citations ayant pour titre : « hygiène – exercice » (f° 143), témoignent clairement de l’importance de cette catégorie dans le dossier médical de Bouvard. Quant au texte définitif, outre l’épisode crucial de l’hygiène proprement dite (p. 124-126), les deux protagonistes manifestent des préoccupations hygiéniques tout au long du roman. Dès leur première rencontre, ils discutent sur l’alcoolisme de la classe ouvrière (p. 49) et l’action nuisible des épices (p. 50). Pécuchet redoute les courants d’air (p. 52), et montre de l’attachement pour la flanelle qui est présentée comme « son gilet de santé » (p.52). Enfin, Le Dictionnaire des idées reçues comprend, lui aussi, un nombre considérable d’articles relatifs à l’hygiène (alimentaire, entre autres) et, par là, manifeste cette forte présence de l’hygiénisme en plein essor dans la société contemporaine. Il est pourtant évident que l’hygiène ne date pas seulement du XIXe siècle. Les historiens s’accordent généralement pour situer au XVIe siècle le point de départ du souci moderne de la santé. Certes, dans ce domaine comme dans les autres, les auteurs de la Renaissance se réclamaient le plus souvent des auteurs antiques, en particulier Hippocrate. Toutefois, on peut considérer, avec G. Vigarello7, comme profondément novatrice l’insistance avec laquelle un Cornaro (1467-1566) a valorisé les plaisirs d’une vie sobre. Et, lorsque Bouvard et Pécuchet se passionnent pour l’hygiène, ils prennent tout naturellement l’auteur du Trattato de la vita sobria comme modèle : Leur idéal était Cornaro, ce gentilhomme vénitien, qui à force de régime atteignit une extrême vieillesse. Sans l’imiter absolument, on peut avoir les mêmes précautions, […]. (p. 124)
De fait, pendant plus de trois cents ans, Cornaro a joui d’une renommée remarquable et a servi de référence majeure parmi les hygiénistes. Ainsi, dans le dossier médical de Bouvard, RéveilléParise évoque « le régime plus que pythagoricien qui avait si bien réussi au Vénitien Cornaro » (f° 95). L’hygiène moderne, développée 7 Voir son Introduction à Luigi Cornaro, De la sobriété, texte présenté par Georges Vigarello, Jérôme Millon, 1991, p. 18-24.
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progressivement au fil des siècles, s’est longtemps volontiers définie comme la postérité de la sobriété renaissante. La documentation médicale de Flaubert comporte, du reste, quelques ouvrages d’hygiène du XVIIe et du XVIIIe siècle. C’est ainsi que, dans les notes prises sur le Traité de l’eau-de-vie de J. Brouaut (f° 32-32 v°)8, on trouve les idées étranges de ce médecin-alchimiste du XVIIe siècle qui prétend, par exemple, pouvoir tirer de l’eau-de-vie « de partout, du cidre, du poiré, de la bière » ou encore, ce qui est complètement délirant, « du plomb même » (f° 32 v°). Brouaut considère que « le secret de la Santé est de conserver, d’empêcher la pourriture du dedans », et que « pour cela, [il n’y a] rien de meilleur que l’eau-de-vie » (Id.). Les folios 135-135 v° sont consacrés à L’art de prolonger la vie humaine de Chr. Guillaume Hufeland, livre célèbre dont la première édition allemande date de 1797. Flaubert a travaillé également sur des ouvrages relevant de « la médecine domestique » : G. Buchan, Médecine domestique (f° 46 ; la première édition anglaise a paru en 1769) ; Tissot, Avis au peuple sur sa santé (f° 48 ; publié pour la première fois en 1761) ; et J. Capuron, Manuel des Dames de charité (f° 48). Ce genre de littérature médicale9, qui connut un grand succès dans la seconde moitié du siècle des Lumières, avait pour objet d’apprendre aux gens du peuple l’hygiène quotidienne aussi bien que la thérapeutique rudimentaire. Ses auteurs, pour la plupart démocrates, multipliaient à l’usage des pauvres les conseils très précis sur le régime alimentaire, les vêtements, la propreté, les habitudes, l’habitat, etc. La médecine domestique annonçait ainsi à sa manière l’avènement prochain d’un hygiénisme moderne. Quels sont les principes fondamentaux de cet hygiénisme qui ose s’immiscer dans tous les éléments de la vie privée ou publique pour les contrôler ? Si autrefois Cornaro a réussi à jouir d’une longévité exceptionnelle et à devenir ainsi un personnage légendaire, c’est qu’il s’est soumis strictement à une vie réglée qu’il appelle lui-même la 8
Flaubert a consigné à la fin de ces notes : « Hygiène » (f° 32 v°). Sur le contexte historique de la médecine domestique en général, voir Roy Porter, « Les stratégies thérapeutiques », dans Histoire de la pensée médicale en Occident, op. cit., t. 2, p. 203-205. D’autre part, très éclairante est la présentation que Daniel Teysseire et Corinne Verry-Jolivet ont mise en tête de leur édition critique de S. Tissot, Avis au peuple sur sa santé, Cité des Sciences et de l’Industrie, 1993, p. 7-29.
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sobriété. D’après ce vieillard vénitien, « la sobriété est la véritable mère de la santé » et « assure la durée de la vie »10, alors que l’intempérance abîme promptement la santé des hommes même les plus robustes. L’art de se conserver consiste pour ainsi dire à ménager et à économiser son énergie vitale, laquelle s’épuise vite quand on s’en sert de façon trop intensive. C’est sur la même conception de la santé que reposent les conseils d’hygiène donnés par Buchan deux siècles plus tard. Ce contemporain de Rousseau propose pour modèles « les sauvages & les animaux » (f° 46) qui n’emploient point d’artifice pour s’écarter des voies simples que dicte la nature. Ils sont exempts des innombrables inconvénients que la débauche et le luxe entraînent parmi les peuples civilisés de l’Europe. Au XIXe siècle encore, ce point de vue naturiste s’exprime pleinement chez des écrivains comme le républicain Raspail : « Je vous le répète pour la centième fois, messieurs les riches, vous avez toutes sortes d’intérêts à redevenir peuple ; le peuple des champs est plus près de la nature que vous. Imitez-le. Cela vaut mieux que de le calomnier – & l’on ne s’en porte que mieux de corps & d’esprit » (f° 64 v°)11. Ces auteurs appartenant à des époques différentes condamnent unanimement les excès de la civilisation matérielle et préconisent la sagesse d’une vie modérée. L’hygiénisme du XIXe siècle, au moins dans le domaine de l’hygiène privée12, n’a pas des principes très différents de la sobriété de Cornaro. Réveillé-Parise, dans son ouvrage paru en 1845, « prêche “la modération en tout” & recommande “l’étude de soi-même” » (f° 95). Il conseille en particulier de ne pas abuser des forces de la vie et met en garde contre les stimulations trop fortes qui sont susceptibles de les épuiser prématurément : « Il faut qu’il n’y ait jamais plusieurs excitations vives et simultanées » ; « Après des excitations, rétablir l’équilibre par des intervalles de repos proportionnés aux excitations qui ont précédé » (Id.). Ces idées, qui sont au fond identiques à celles 10
L. Cornaro, op. cit., p. 85. Commentaires marginaux : « Conseils aux riches » et « le peuple ! ». 12 En prenant des notes sur les livres d’hygiène, Flaubert s’est intéressé principalement à l’hygiène privée, mais peu à l’hygiène publique dont la présence dans le dossier Bouvard est plutôt faible. Ce manque peut étonner, dans la mesure où la dimension sociale constituait le véritable enjeu de l’hygiénisme moderne. Ce choix s’explique pourtant par la finalité de la documentation flaubertienne destinée à alimenter l’histoire des deux bonshommes. 11
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du vieillard vénitien, se retrouvent un peu partout dans les écrits médicaux contemporains : « On peut prolonger la vie en ne la consommant pas » (f° 113 v° ; DSM, « Force »). Il s’agit donc d’un contrôle permanent sur soi-même qui seul permet de vivre longtemps dans l’état de santé. Le projet de conservation du corps ne peut être mené à bien qu’en exerçant une vigilance quotidienne sur le mode de vie. À cet effet, les hygiénistes modernes multiplient les préceptes très méticuleux relativement à tous les aspects imaginables de la vie. Ainsi, pour bien digérer, il faut : Soumettre longtemps les aliments à la mastication. Se tenir chaudement pendant la digestion, & surtout les pieds. Choisir les aliments selon les sympathies particulières de l’estomac. (f° 95 ; Réveillé-Parise)
Ce souci hygiéniste, parfois visiblement comique par son caractère trop pointilleux, porte sur tout ce qui concerne la santé et la vie. Les facteurs les plus divers entrent en ligne de compte dans la gestion hygiénique du corps. Sont ainsi pris en considération tour à tour, outre le régime alimentaire13, la propreté — « Le changement de chemise doit être fréquent, deux ou trois fois par semaine au moins ! » (f° 131 v° ; Becquerel)14 —, les vêtements — le corset, qui plaît tant à la coquetterie féminine, a très mauvaise réputation parmi les hygiénistes, et Lévy rapporte qu’il a été même « interdit par l’empereur Joseph II » (f° 129)15 —, le climat — « Les années les plus malsaines sont pour les localités sèches celles qui sont pluvieuses – & vice13
Un article du Dictionnaire des idées reçues souligne l’importance capitale de l’alimentation pour la bonne conservation du corps : « ESTOMAC : Toutes les maladies viennent de l’estomac » (p. 418). D’autre part, le discours social imprégné d’hygiénisme va jusqu’à s’approprier une pratique religieuse comme le jeûne en lui accordant un sens arbitraire, ainsi qu’en témoigne cet autre article du Dictionnaire : « CARÊME : Au fond n’est qu’une mesure hygiénique » (p. 409). 14 L’usage du bain, dont dépend largement la propreté corporelle de nos jours, n’a été établi qu’au cours du XIX e siècle. Voici quelques repères quantitatifs offerts par Becquerel en 1867 : « Il y avait, en 1816, 500 baignoires publiques dans Paris. Aujourd’hui il y en a cinq mille. On donne par an 1,818,500 bains - ce qui, pour 950,000 habitants, fait 2,23 bains par personne » (f° 132). Pour une histoire de la propreté en général, voir Georges Vigarello, Le propre et le sale, Seuil, « Points », 1985. 15 Dictionnaire des idées reçues : « CORSET : Empêche d’avoir des enfants » (p. 412).
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versa » (f° 127 v° ; Lévy) —, l’habitat — pour ce qui concerne la loi de 1792 qui a réglé la hauteur des maisons sur la largeur des rues : « Cette proportion est mal calculée. Nous voyons à Paris un grand nombre de maisons dont les étages inférieurs ne sont jamais frappés par les rayons solaires » (f° 128 ; id.) —, les professions — une liste des « Maladies des Professions » se trouve inscrite au f° 132 v° (Becquerel) : « Savants – hémorroïdes. Gens de lettres – névroses. Marins – scorbut, typhus. Militaires – rhumatismes. […] »16 —, les exercices physiques17 — « Se livrer aux exercices avec lenteur & méthode, par gradations – & à l’air libre, en ouvrant les fenêtres » (f° 136 ; Schreber) —, la sexualité — Hufeland encourage les lecteurs à observer la continence et recommande pour cela de « se représenter sans cesse vivement les dangers & les suites du libertinage » (f° 135 v°) —, l’éducation — « L’habitude d’apprendre aux enfants plusieurs langues à la fois retarde le développement de la parole & compromet la lucidité de leur cerveau » (f° 129 ; Lévy) —, etc.
2. « Quel problème que celui du déjeuner ! » Voici Bouvard et Pécuchet qui, après s’être occupés tour à tour de l’anatomie, de la physiologie, de la médecine Raspail, de la philosophie médicale et de la thérapeutique, déclarent être « las de la médecine » (p. 123). Toutefois, les lectures médicales ayant « ébranlé leur cervelle », ils s’inquiètent sans cesse, comme des hypocondriaques, de leur santé à propos de rien. Bouvard se croit d’abord atteint d’une fluxion de poitrine, puis de la pierre. Pécuchet, quant à lui, soupçonne si fort une maladie de foie qu’il finit par avoir des douleurs. Alors les deux bonshommes sont conduits à pratiquer sérieusement l’hygiène, et commencent par redouter « le froid, la chaleur, le vent, la pluie, les mouches, principalement les courants d’air » (p. 124)18. Ce sont là des 16
On lit aussi dans Le Dictionnaire des idées reçues : « CONSTIPATION : Tous les gens de lettres sont constipés » (p. 412). Quant aux maladies des gens de lettres, une liste bibliographique (f° 148 v°) montre que Flaubert avait eu l’intention de consulter l’ouvrage célèbre de Tissot, De la santé des gens de lettres. 17 Dictionnaire des idées reçues : « EXERCICE : Préserve de toutes les maladies. Toujours conseiller d’en faire » (p. 419). 18 Ainsi que nous l’avons signalé plus haut, dès le premier chapitre du roman, Pécuchet manifestait sa peur des courants d’air (p. 52).
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précautions élémentaires, dont quelques-unes se retrouvent dans Le Dictionnaire des idées reçues : AIR
Toujours se méfier des courants d’air. (p. 405)
CHALEUR
Ne pas boire quand il fait chaud. (p. 409)
FROID
Plus sain que la chaleur. (p. 421)
Ces soucis ne sont pourtant qu’un préambule pour nos deux hygiénistes novices, dont le projet est de parvenir à une gestion totale et systématique de leur propre vie. La recherche de la santé idéale les amène ainsi à adopter un régime de vie austère s’appuyant sur les instructions d’hygiène puisées chez différents auteurs. Nous nous proposons maintenant de suivre de près le texte romanesque en le confrontant avec les sources médicales qui l’informent. Cela nous permettra, à coup sûr, de saisir quelle épaisseur épistémologique se trouve inscrite dans chaque passage examiné du roman encyclopédique. Pécuchet imagina que l’usage de la prise était funeste. D’ailleurs, un éternuement occasionne parfois la rupture d’un anévrisme — et il abandonna la tabatière. Par habitude, il y plongeait les doigts ; puis, tout à coup, se rappelait son imprudence. (p. 124)
De fait, le tabac a une réputation particulièrement mauvaise parmi les auteurs médicaux. M. Lévy fait connaître des accidents provoqués par l’usage qui consiste à « priser du tabac » : « La secousse de l’éternuement peut occasionner la rupture d’un anévrisme, une hémorragie cérébrale, un étranglement herniaire, la déviation du globe de l’œil » (f° 129)19. Le même usage peut aussi déterminer l’apoplexie, et « on trouve dans les Éphémérides des curieux de la Nature l’histoire d’un individu qui mourut apoplectique pour avoir inspiré de la poudre de tabac en trop grande quantité » (f° 42 ; Gendrin)20. Le tabac à fumer, dont Bouvard est amateur, n’offre pas moins d’inconvénients, car il « gâte les dents, rend pâle ! » (f° 135 v° ; Hufeland). Certains médecins prétendent que le tabac entraîne la perte 19 20
Commentaire marginal : « – danger – », avec une grande croix. La citation est marquée d’une croix en marge.
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de la mémoire (f° 118 ; DSM, « Mémoire »). Enfin, Le Dictionnaire des idées reçues l’accuse de « cause[r] les maladies de la moelle épinière » (p. 434). Comme le café noir secoue les nerfs Bouvard voulut renoncer à la demi-tasse. Mais il dormait après ses repas, et avait peur en se réveillant ; car le sommeil prolongé est une menace d’apoplexie. (p. 124)
L’action stimulante du café, surtout quand il y a de l’abus, peut devenir extrêmement nuisible. Buchan déconseille carrément cette boisson, parce que « c’est un nouveau feu qui s’ajoute au feu vital » (f° 46). Becquerel, de son côté, recommande de s’en abstenir dans les pays chauds où « on doit faire peu usage des alcooliques, du café ! & surtout de stimulants énergiques » (f° 131 v°). Quant au danger du sommeil prolongé, Le Dictionnaire des idées reçues l’indique nettement : « DORMIR (trop) : Épaissit le sang » (p. 416). Dans son Traité philosophique de médecine pratique, Gendrin met en garde contre le même danger : « Le sommeil prolongé d’une manière extraordinaire constitue le prodrome le plus fréquent de l’invasion de l’apoplexie » (f° 42)21. Notons en passant que dans Madame Bovary, cette idée prend une allure visiblement comique dans la bouche de madame Homais22. En effet, celle-ci demande à Larivière « une consultation pour son mari » qui « s’épaississait le sang à s’endormir chaque soir après le dîner ». À quoi le docteur répond par un calembour devenu désormais célèbre : « Oh ! ce n’est pas le sens qui le gêne. » Il est évident que ce propos ironique s’appliquerait aussi parfaitement à nos deux apprentis hygiénistes. […] et Pécuchet tira de sa bibliothèque un Manuel d’hygiène par le docteur Morin. Comment avaient-ils fait pour vivre jusque-là ? Les plats qu’ils aimaient s’y trouvent défendus. Germaine embarrassée ne savait plus que leur servir. (p. 124)
Il s’agit du Manuel théorique et pratique d’hygiène, ou l’Art de conserver sa santé, par J. Morin, 2e édition revue, corrigée et augmentée, Paris, Roret, 1835. Les deux autres références mention21 22
La citation est marquée d’une croix en marge. Madame Bovary, op. cit., p. 329.
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nées un peu plus bas dans le texte romanesque sont A. Becquerel, Traité élémentaire d’hygiène privée et publique, quatrième édition avec additions et bibliographies par le Dr E. Beaugrand, Paris, P. Asselin, 1867 ; et Michel Lévy, Traité d’Hygiène publique et privée, Paris, J.-B. Baillière, 1844-1845, 2 vol. C’est effectivement ces trois ouvrages qui procurent la majeure partie des citations aux paragraphes qui suivent. Pourtant, comme l’a déjà remarqué A. Cento, le romancier mélange ces sources contrairement à ce que l’intrigue du roman fait croire aux lecteurs23. De fait, l’indication des références dans le texte de Bouvard ne correspond pas toujours exactement à la réalité de la documentation flaubertienne. Ce que Stéphanie Dord-Crouslé appelle les « brouillages de l’intertextualité explicite »24 fait pleinement partie de la stratégie narrative de l’auteur, pour qui la vérité de l’œuvre littéraire requiert autre chose que la fidélité aveugle aux sources documentaires. Flaubert se proposait même, dans un scénario (gg 10, f° 5), de « donner comme vraies des indications bibliographiques fausses »25, et manifestait ainsi une intention claire de mystification. Toutes les viandes ont des inconvénients. Le boudin et la charcuterie, le hareng saur, le homard, et le gibier sont « réfractaires ». Plus un poisson est gros plus il contient de gélatine et par conséquent est lourd. Les légumes causent des aigreurs ; le macaroni donne des rêves ; les fromages « considérés généralement, sont d’une digestion difficile » ; un verre d’eau le matin est « dangereux », […] (p. 124-125)
Morin n’apprécie guère le boudin, car « son enveloppe ne se digère nullement » (f° 126). Il veut interdire le saucisson, cette préparation faite de viandes de toute espèce : « La quantité de substances aromatiques & stimulantes qu’on est forcé d’employer pour les confectionner [les saucissons], en rend l’usage extrêmement nuisible » (Id.). Pour la charcuterie, Becquerel soutient aussi que « le caractère principal de la viande de porc est surtout sa digestibilité difficile » 23
A. Cento, Commentaire de “Bouvard et Pécuchet”, op. cit., p. 49. S. Dord-Crouslé, Bouvard et Pécuchet et la littérature. Étude génétique et critique du chapitre V de Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert, thèse de doctorat sous la direction de Jacques Neefs, Université Paris VIII, 1998, p. 405-447. Voir aussi l’exposé clair sur les « quatre modalités du savoir dans la fiction » dans le dossier de son édition du roman, p. 455-468. 25 Bouvard et Pécuchet, édition d’A. Cento, p. 14. 24
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(f° 132)26. Le même auteur n’estime pas davantage le poisson : « On peut admettre que plus les poissons sont gros, plus ils ont de gélatine entre leurs fibres, & plus ils sont difficiles à digérer ! » (Id.)27. Morin considère le macaroni comme peu salutaire : « Il est nécessaire d’avoir une bonne constitution pour ne pas éprouver, à la suite du macaroni, des flatuosités, des éructations, ou un sommeil troublé par des rêves extrêmement pénibles » (f° 126)28. Enfin les fromages, à propos desquels Le Dictionnaire des idées reçues conseille de citer l’aphorisme de Brillat-Savarin : « un dîner sans fromage est une belle à qui il manque un œil » (p. 421), ne sont pas non plus exempts d’inconvénients : « Considérés d’une manière générale, les fromages sont d’une digestion difficile » (f° 132)29. Quant aux autres aliments dont il est question dans le passage cité, le dossier médical de Bouvard ne renferme pas d’extraits qui aient servi de sources directes au romancier. Toutefois, un examen rapide du livre de Morin suffit à montrer que Flaubert a été fidèle aux informations fournies par la source médicale qu’il possédait probablement30 : « Exposé à la fumée et desséché, il est (hareng saur) encore moins bon, […] ; il faut encore le plus souvent s’en défier, parce qu’il peut occasionner des pesanteurs, et rendre la digestion plus ou moins difficile ou laborieuse »31 ; « cependant beaucoup d’estomacs ne peuvent pas le supporter [le homard] ; il en est de même chez qui le homard donne lieu à diverses incommodités plus ou moins graves »32 ; « Le gibier, quoi qu’il en soit, ne convient pas à tous les individus ; on doit toujours en user sobrement »33 ; « L’habitude de 26
Selon l’article « JAMBON » du Dictionnaire des idées reçues, il faut « s’en méfier » parce qu’« il y a des trichines » (Bouvard et Pécuchet, édition de Cl. Gothot-Mersch, p. 533 ; l’article ne figure pas dans la dernière version du Dictionnaire). 27 La citation est marquée d’une grande croix en marge. 28 Dictionnaire des idées reçues : « CAUCHEMAR : Vient de l’estomac » (Bouvard et Pécuchet, édition de Cl. Gothot-Mersch, p. 496 ; l’article ne figure pas dans la dernière version du Dictionnaire). 29 La citation est marquée d’une croix en marge. 30 L’inventaire après décès fait mention de « Roret, quarante-deux volumes d’auteurs divers, brochés » (La Bibliothèque de Flaubert, op. cit., p. 155). 31 J. Morin, Manuel théorique et pratique d’hygiène, ou l’art de conserver sa santé, deuxième édition, revue, corrigée et augmentée, Roret, 1835, p. 175. 32 Ibid. 33 Ibid., p. 174.
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boire une verrée d’eau pure, le matin à jeun, ne peut être d’aucune utilité, au contraire, elle est nuisible ; […]34. » À propos de ce dernier extrait de Morin, il faut noter qu’un verre d’eau le matin passe pour favorable à la santé. Réveillé-Parise raconte, par exemple, l’épisode d’un centenaire qui « [ayant] écrit la note […] à observer pour arriver à son âge », conseillait de prendre comme le premier repas « un verre d’eau pure à 9 heures du matin & un morceau de pain rassis » (f° 95). En attaquant cette pratique généralement approuvée, Morin fait preuve d’esprit de contradiction, sans doute inséparable de la préoccupation hygiénique. […] chaque boisson ou comestible étant suivi d’un avertissement pareil, ou bien de ces mots : « mauvais ! — gardez-vous de l’abus ! — ne convient pas à tout le monde. » — Pourquoi mauvais ? Où est l’abus ? comment savoir si telle chose vous convient ? (p. 125)
Le texte romanesque souligne ici ironiquement les clichés du discours hygiéniste. Ces expressions figées, toutes employées pour avertir le lecteur des dangers de l’alimentation, illustrent bien le comique inhérent à la posture hygiéniste. Ce qui est visé au fond par l’ironie textuelle, c’est l’hygiénisme exagéré cherchant à chicaner sur « chaque boisson ou comestible ». Le f° 126, consacré aux notes prises sur l’ouvrage de Morin, comprend en effet plusieurs énoncés qui peuvent servir d’exemples typiques à cet égard. Ainsi, pour les choux, « de quelque manière qu’on les prépare, ils ne conviennent pas à tout le monde » ; pour la crème, « gardée un peu de temps, elle devient rance. Alors il ne faut pas s’en servir » ; l’oseille est dite « dangereuse ! » ; les foies gras « sont extrêmement indigestes », etc. D’autres auteurs insistent également sur les dangers des aliments. C’est ainsi que M. Lévy signale les effets nuisibles de l’usage de l’oseille ou de l’alcool : « L’oseille joint, au mucilage, un acide très marqué, l’acide oxalique, & produirait par un usage abondant & journalier la gravelle jaune ou d’oxalate de chaux » (f° 128) ; « L’alcool favorise les incrustations de phosphate calcique = tartre des dents » (f° 128 v°). Becquerel décrie lui aussi de nombreux aliments, dont voici trois exemples : « les moules à l’usage desquelles, en bonne
34
Ibid., p. 199.
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hygiène, on devrait renoncer ! » (f° 132)35 ; « Le melon est un aliment indigeste » (Id.) ; « Le sucre de canne est quelquefois d’une digestion assez difficile » (Id.). La sobriété alimentaire, qui était au centre des préoccupations médicales depuis l’Antiquité, demeure un domaine assez important pour la pensée hygiéniste du XIXe siècle. Mais les avertissements donnés à propos des substances alimentaires les plus diverses ne sont souvent que des stéréotypes sans fondement, comme le suggère l’ironie du roman flaubertien Quel problème que celui du déjeuner ! Ils quittèrent le café au lait, sur sa détestable réputation, et ensuite le chocolat, – car c’est « un amas de substances indigestes ». Restait donc le thé. Mais « les personnes nerveuses doivent se l’interdire complètement ». Cependant, Decker au XVIIe siècle en prescrivait vingt décalitres par jour, afin de nettoyer les marais du pancréas. (p. 125)
Les auteurs hygiénistes n’épargnent aucun produit comestible. À lire le dossier médical de Bouvard, on conçoit aisément à quel point les deux protagonistes du roman doivent être embarrassés dans leur choix de nourritures et de boissons. Ainsi, Réveillé-Parise rapporte qu’« un célèbre médecin allemand du dernier siècle [= le dixhuitième], Stoll, regardait comme la cause principale de l’hystérie l’usage du café au lait » (f° 95 v°). Debay, pour sa part, explique « pourquoi le café au lait est mauvais » : « Le café possède la propriété d’empêcher le caillement du lait », ce qui rend ce produit fort réfractaire à l’action du suc gastrique (f° 85). En résumant ces citations, Flaubert écrivait en bas du f° 95 v° : « Idée reçue. Café au lait. Tout ce qu’il y a de plus dangereux. » Il s’agit, bien évidemment, de l’esquisse d’un article du Dictionnaire des idées reçues qui n’a pourtant pas eu de suite36, mais qui a plutôt servi à informer l’intrigue du roman. Le chocolat ne jouit pas d’une réputation plus heureuse, loin de là. Ainsi, Bienville tient son abus pour l’une des principales causes de la
35
On retrouve la même idée dans Le Dictionnaire des idées reçues : « MOULE : Les moules sont toujours indigestes » (Bouvard et Pécuchet, édition de Cl. Gothot-Mersch, p. 541 ; l’article ne figure pas dans la dernière version du Dictionnaire). 36 Voici un autre exemple d’une telle esquisse : « une diarrhée spontanée = bénéfice de ventre ! (dict des idées reçues) » (f°109 ; DSM, « Embarras »). La citation est marquée d’une croix en tête.
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nymphomanie (g2267, f° 14)37. Morin considère que « le chocolat de santé », qui est « fabriqué avec addition de sucre seulement », n’est en fait que « celui des ignorants, parce qu’il ne contient que des substances très indigestes » (f° 126)38. Pour ce qui concerne le thé, des médecins comme Boerhaave et Van Swieten s’opposent vivement à son usage (f° 128 v° ; Lévy), et Morin prétend que « les personnes susceptibles d’impressions nerveuses doivent se l’interdire tout-àfait »39. Là apparaît toutefois une divergence de vues manifeste, car Morisset a fait paraître en 1648 une « apologie du thé », et Linné a consacré à la défense du thé son ouvrage « Dissertatio potûs theœ » (Id.). D’autres auteurs encore viennent apprécier cette boisson introduite en Europe au XVIIe siècle : « Blankoort, en Hollande, vanta comme le meilleur dissolvant le thé, que ses concitoyens venaient d’importer de Chine. – Decker (1678), renchérissant sur Blankoort, prescrit de 50 à 200 tasses de thé par jour, afin de nettoyer le marais de pancréas, siège de la fièvre » (f° 57 v° ; Daremberg)40. Or, cette contradiction externe joue un rôle décisif dans le roman, parce qu’elle éveille chez Bouvard et Pécuchet un doute sérieux sur la certitude de l’hygiène. Ce renseignement ébranla Morin dans leur estime, d’autant plus qu’il condamne toutes les coiffures, chapeaux, bonnets et casquettes, exigence qui révolta Pécuchet. Alors ils achetèrent le Traité de Becquerel où ils virent que le porc est en soi-même « un bon aliment », le tabac d’une innocence parfaite, et le café « indispensable aux militaires ». (p. 125)
Morin se montre en effet très sévère envers les coiffures : « les casquettes de toutes les formes, les bonnets à poil, les chapeaux, les bonnets de laine, de coton, tous les feutres, les peaux de loutre et une 37
L’extrait ne se trouve pas dans les notes de lecture prises sur Bienville, mais dans la section « Rococo » pour le second volume. Flaubert commente en marge : « dangers du chocolat. » 38 La citation est marquée d’une croix en marge. Il faut aussi rappeler que, dans Madame Bovary, Homais vend des « chocolats de santé » dans sa pharmacie (op. cit., p. 74). 39 Morin, op. cit., p. 154. Curieusement, cet extrait ne se trouve pas noté au f° 126. 40 Commentaire marginal : « hygiène », avec une grande croix. Les commentateurs, à la suite d’A. Cento (Commentaire de “Bouvard et Pécuchet”, op. cit., p. 50), relèvent l’exagération qu’a opérée Flaubert en substituant « vingt décalitres » à « 50 à 200 tasses ».
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infinité d’autres qu’on voit paraître tous les jours ne servent qu’à donner lieu à des fréquens maux de tête : aussi vaudrait-il beaucoup mieux s’habituer à aller la tête découverte ; […]41. » Or, dès leur entrée en scène sur le boulevard Bourdon, les deux bonshommes manifestaient un certain goût pour l’usage des coiffures : Bouvard « marchait le chapeau en arrière », tandis que Pécuchet « baissait la tête sous une casquette à visière pointue » (p. 47). Ce dernier surtout a une prédilection marquée pour son couvre-chef, lequel joue d’ailleurs un rôle important dans quelques épisodes romanesques comme ceux de l’hypnotisme (p. 278-279) ou de la médaille de Mme de Noaris (p. 332). Quant aux bonnets, on sait que dans Madame Bovary, Homais affectionnait le bonnet grec, dont Le Dictionnaire des idées reçues souligne l’utilité : BONNET grec
Indispensable à l’homme de cabinet — donne de la majesté au visage. (p. 407)
Outre cette connotation intellectuelle dont il est assurément conscient, Homais attribue à sa coiffure une vertu hygiénique, parce qu’il demande aux Bovary « la permission de garder son bonnet grec, de peur des coryzas »42. Le pharmacien d’Yonville, non moins que les deux autodidactes de Chavignolles, aurait donc été révolté par l’« exigence » de Morin. Pour ce qui concerne les renseignements qui constituent la seconde phrase de ce paragraphe, ils sont réellement tirés du traité de Becquerel. Suivant cet auteur médical, « en résumé, la viande de porc est un bon aliment », quoiqu’elle « ne [convienne] qu’aux estomacs solides & robustes » (f° 132)43. En fait, Becquerel se contredit manifestement, car, nous l’avons vu, il insistait sur la « digestibilité difficile » du porc (Id.). À propos du tabac, Becquerel se demande si sa fabrication n’a pas une influence fâcheuse sur la santé des ouvriers. À vrai dire, ce problème est loin d’être résolu, et il subsiste à cet égard les opinions les plus inconciliables : « Selon Ramazzini et Patissier, rien de plus dangereux. D’après Parent Duchâtelet, rien de plus
41 42 43
Morin, op. cit., p. 287. Cet extrait ne se trouve pas noté au f° 126. Madame Bovary, op. cit., p. 82. La citation est marquée d’une croix en marge.
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innocent » (f° 132 v°)44. Qui plus est, certains auteurs n’hésitent point à déclarer que le tabac est plutôt bienfaisant45. C’est le cas de M. Lévy qui met l’accent sur son efficacité préventive : « Les fumeurs de tabac, en Afrique, sont moins atteints par les épidémies » (f° 128)46 ; « [Le] tabac [exerce une] action préservative contre la suette, la fièvre typhoïde, la dysenterie. – La phtisie [est] rare chez les ouvriers des manufactures » (f° 129 v°)47. Ainsi se dessine une contradiction externe susceptible de remettre en cause l’idée reçue de la nocivité du tabac48. Le café suscite, lui aussi, une divergence d’opinions non négligeable. Becquerel, dont on a déjà vu qu’il déconseille cette boisson stimulante aux habitants des pays chauds, considère d’autre part que « pour eux (les militaires) l’usage de vin pris modérément & surtout du café est indispensable ! » (f° 131 v°)49. Le même auteur cite plus loin un autre cas où la stimulation provoquée par la caféine se révèle bénéfique. Il s’agit d’un « rapport de Gasparin », d’après lequel « les ouvriers de Charleroi, grâce à lui [= le café], se portent bien, quoiqu’[ils] consomment très peu de viande » (f° 132 v°)50. Ces extraits mettant en avant la vertu hygiénique du café suffisent pour que les deux bonshommes perdent leur confiance naïve dans les discours de l’hygiène. Jusqu’alors ils avaient cru à l’insalubrité des endroits humides. Pas du tout ! Casper les déclare moins mortels que les autres. On ne se baigne pas dans la mer sans avoir rafraîchi sa peau. Bégin veut qu’on s’y jette en pleine transpiration. Le vin pur après la soupe passe pour excellent à l’estomac. Lévy l’accuse d’altérer les dents. Enfin, le gilet de flanelle, cette sauvegarde, ce tuteur 44
La citation est marquée d’une grande croix en marge. C’est ainsi que l’on lit au f° 115 (DSM, « Hygiène ») : « l’usage du tabac paraît répondre au même but que se proposaient les anciens par la méthode du syrmaïsme ou des vomissements diététiques. » Le commentaire de Flaubert est ironique : « l’auteur [de l’article] n’explique pas comment ». 46 La citation est marquée d’une grande croix. 47 La citation est marquée d’une grande croix dans la marge droite. 48 Le romancier lui-même se montre résolument critique à l’égard de la contrainte hygiéniste : « L’abstention du tabac me paraît une imbécillité, quoi qu’on en die. À en croire nos Diafoirus modernes, l’humanité était exempte de maladies avant l’alcool et le tabac. Et toutes les infirmités proviennent de ces deux consolateurs » (lettre à E. Laporte, 11 décembre 1875 ; Pl., t. IV, p. 995). 49 La citation est marquée d’une grande croix en marge. 50 La citation est marquée d’une grande croix en marge. 45
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de la santé, ce palladium chéri de Bouvard et inhérent à Pécuchet, sans ambages ni crainte de l’opinion, des auteurs le déconseillent aux hommes pléthoriques et sanguins. (p. 125-126)
Dans Le Dictionnaire des idées reçues, l’humidité est présentée comme la « cause de toutes les maladies »51. Cette opinion, que partagent également les deux protagonistes du roman, est contestée par la recherche de Casper qui « a établi que l’humidité de l’atmosphère coïncide avec la moindre mortalité » (f° 131 ; Becquerel)52. En conséquence, l’idée reçue de l’insalubrité des endroits humides est à nuancer plus ou moins considérablement. D’autres lieux communs du discours hygiéniste prêtent aussi à des objections. Il en va ainsi de l’idée selon laquelle il faut se rafraîchir la peau avant de prendre un bain froid. Quelques auteurs prétendent que ce précepte communément suivi est plutôt nuisible : « Bégin recommande de se jeter à l’eau le corps rouge & trempé de sueur ! Les Docteurs Butini & de La Rive de Genève, id. » (f° 128 v° ; Lévy) 53 . « Le verre de vin après la soupe » est souvent préconisé comme favorable à la santé, ce qui n’empêche point M. Lévy de soutenir qu’il « gâte les dents ! » (Id.)54. Les vêtements de flanelle, propres à conserver la température du corps, avait une très bonne réputation au XIXe siècle. Les bourgeois soucieux de leur santé, parmi lesquels on peut ranger la famille Flaubert, croyaient presque aveuglément à la vertu hygiénique de ce tissu résistant. On sait, par exemple, que Flaubert ne l’a pas quitté malgré la chaleur pendant son voyage d’Orient 55 . Dans Bouvard, Pécuchet s’y montre particulièrement attaché. C’est ainsi qu’au début du roman, il fait preuve d’une prudence extrême, lorsqu’il est engagé 51
Bouvard et Pécuchet, édition de Cl. Gothot-Mersch, p. 529 (l’article ne figure pas dans la dernière version du Dictionnaire). 52 La citation est marquée de deux croix en marge. 53 Commentaire marginal : « contraire à l’idée reçue », avec une croix. 54 La citation est marquée d’une croix. Après l’indication de la page, Flaubert a encore ajouté trois points d’exclamation. Par ailleurs, l’article « DENT » du Dictionnaire des idées reçues énumère plusieurs causes de l’altération des dents, parmi lesquelles on trouve en effet « boire de suite après le potage » (p. 414). Les autres facteurs mentionnés sont « le cidre, le tabac, les dragées, la glace, dormir la bouche ouverte ». Voir aussi l’article « CIDRE » : « Gâte les dents » (p. 411). 55 « Nous allons doucement et sans nous fatiguer, vivant sobrement et couverts de flanelle des pieds à la tête, quoiqu’il fasse 30 degrés de chaleur dans les appartements » (lettre à sa mère, 17 novembre 1849 ; Pl., t. I, p. 529).
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par Bouvard à ôter sa flanelle : — « Comment ! » et Pécuchet baissa la tête, s’effrayant à l’hypothèse de ne plus avoir son gilet de santé. (p. 52)
Et même si, aidé par son amitié naissante, il ose enfin « rejet[er] loin de lui sa flanelle » (p. 54)56, celle-ci demeurera son « tuteur de la santé » jusqu’à la fin. Or, voici Becquerel qui émet des réserves sur l’efficacité du gilet de flanelle : « Les vêtements de laine sur la peau ne doivent pas être conseillés aux sujets pléthoriques & sanguins, car ils diminuent l’activité de l’appareil respiratoire, en augmentant celle de la peau » (f° 131 v°)57. Qu’est-ce donc que l’hygiène ? — « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà » affirme M. Lévy ; et Becquerel ajoute qu’elle n’est pas une science. (p. 126)
L’hygiène, cette « science par excellence » selon la formule de Jules Simon58, présente en réalité bien des incohérences, comme on a pu le constater jusqu’ici. Les hygiénistes eux-mêmes avouent parfois leur propre impuissance à établir un savoir suffisamment rationnel. Ainsi, M. Lévy se trouve obligé d’admettre qu’il n’existe « pas d’influence isolée en hygiène » : « Un voyage d’Italie, si bon qu’il soit, peut être funeste par les préoccupations morales qu’on y apporte ou qu’on y trouve. L’hygiène ne possède pas les équivalents de l’opium, du mercure » (f° 127). En relevant cette contradiction interne, Flaubert n’a pas pu s’empêcher d’ajouter ce commentaire en marge : « & mieux : pas de principes, point de bases ! » Lévy reprend un peu plus loin l’idée de la relativité des préceptes hygiéniques en s’appropriant la célèbre phrase de Montaigne, que les deux bonshommes attribuent à tort à l’hygiéniste même : « C’est de l’hygiène qu’il est vrai de dire : vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà » (f° 127 v°)59. Ce qui ressort de toutes ces affirmations plus ou moins pessimistes, ce n’est rien 56
Roger Kempf propose une analyse fine de cet épisode qu’il qualifie de « décisif » pour l’amitié des deux protagonistes. Voir Bouvard, Flaubert et Pécuchet, Bernard Grasset, 1990, p. 71-79. 57 La citation est marquée d’une grande croix en marge. 58 Formule citée par J. Léonard, La France médicale, op. cit., p. 206. 59 La citation est marquée d’une grande croix dans la marge droite.
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de moins que la précarité du savoir. Becquerel, de son côté, est plus formel à cet égard : « L’hygiène, il faut en convenir, n’est pas à proprement parler une science, comme la physique & la chimie » (f° 130)60. Tout cela suffit à désintéresser définitivement Bouvard et Pécuchet des études de l’hygiène. Cette discipline est encore trop défectueuse pour qu’on obéisse avec profit à ses prescriptions61. Aussi vaudrait-il mieux se livrer à l’intempérance à l’instar de nombreux « mangeurs du XIXe siècle »62 qui ne se contentent pas de la saine cuisine bourgeoise63. Alors les deux bonshommes s’offrent un repas copieux et mangent, sans s’inquiéter le moins du monde, des plats interdits par les principaux auteurs : « des huîtres, un canard, du porc au choux, de la crème, un pont-l’évêque, et une bouteille de bourgogne » (p. 126). La gourmandise est pour eux « un affranchissement, presque une revanche ». Ainsi, ils ne tardent pas à se répandre en invectives contre Cornaro : [...] – et ils se moquaient de Cornaro ! Fallait-il être imbécile pour se tyranniser comme lui ! Quelle bassesse que de penser toujours au prolongement de son existence ! La vie n’est bonne qu’à la condition d’en jouir. (p. 126)
Cette diatribe lancée par les deux personnages à l’encontre de l’hygiène semble sortir directement de l’imagination romanesque de Flaubert. Or il n’en est rien. En fait, l’idée de la bassesse des préoccupations hygiéniques vient de Réveillé-Parise chez qui il a relevé cette phrase : « C’est la marque d’un esprit petit & étroit de s’occuper sans 60
Commentaire marginal : « définition de l’hygiène », avec une croix. L’article « HYGIÈNE » du Dictionnaire des idées reçues suggère à sa manière le caractère problématique de l’art de conserver la santé : « Elle [= l’hygiène] préserve des maladies – quand elle n’en est pas la cause » (Bouvard et Pécuchet, édition de Cl. Gothot-Mersch, p. 529 ; l’article ne figure pas dans la dernière version du Dictionnaire). 62 Jean-Paul Aron, Le mangeur du XIXe siècle, Payot, « Petite Bibliothèque Payot », 1989. 63 On lit dans Le Dictionnaire des idées reçues : « CUISINE : de restaurant – toujours échauffante. bourgeoise – toujours saine » (p. 413). Dans Madame Bovary, Homais adhère à ce stéréotype, comme l’atteste sa harangue contre la vie parisienne : « les mets de restaurateurs, toutes ces nourritures épicées finissent par vous échauffer le sang et ne valent pas, quoi qu’on en dise, un bon pot-au-feu. J’ai toujours, quant à moi, préféré la cuisine bourgeoise : c’est plus sain ! » (op. cit., p. 125). 61
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cesse de sa santé » (f° 95). Au vrai, l’idée est présentée par Réveillé-Parise comme une « erreur » à rejeter. Flaubert, en négligeant complètement ce contexte originel, prend la citation à son compte pour la faire jouer contre le mouvement d’hygiénisme forcené. Notre épisode se termine ainsi par la vue des deux bonshommes qui, désormais délivrés du joug de la sobriété, profitent sans retenue des plaisirs de la table : Bouvard annonça qu’il voulait trois tasses de café, bien qu’il ne fût pas un militaire. Pécuchet, la casquette sur les oreilles, prisait coup sur coup, éternuait sans peur, et sentant le besoin d’un peu de champagne, ils ordonnèrent à Germaine d’aller de suite au cabaret, leur en acheter une bouteille. (p. 126)
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g 2267, f° 126 Manuel d’Hygiène. J. Morin 1835. (manuels Roret) Style médical.
X
« on peut encore accorder qque chose aux passion[s] pˍ en prévenir les écarts » 87. « La mastication, action de mâcher, diviser, écraser comminuer les alimens solides, de les délayer, mélanger avec la salive. » (104) -
chocolat
X
fabriqué avec addition de sucre seulement c’est le chocolat de santé, celui des ignorants parce qu’il ne contient que des substances très indigestes » 118.
les choux.
« de qque manière qu’on les prépare, ils ne conviennent pas à tout le monde » 123.
la crème
« gardée un peu de temps, elle devient rance. Alors il ne faut pas s’en servir. » 126.
macaroni.
« il faut av d’avoir une bonne constitution pˍ ne pas éprouver à la suite du
est nécessaire
macaroni, des flatuosités, des éructations ou un sommeil troublé par des rêves extrêmement pénibles » 135. Nénuphar
copier tout le paragraphe p.140 qui dit le pr le contre. – est aphrodisiaque & anaphrodisiaque.
oseille
dangereuse ! (143)
Raisin
aphrodisiaque. (148) des plus énergiques.
Boudin.
son enveloppe ne se digère nullement.
jeunes
les pousses des bois de cerf les foies gras
ont la saveur des champignons, après les avoir plongé[e]s qqtemps dans la friture. sont extrê[me]ment indigestes. (172)
Saucissons
« la quantité de substances aromatiques & stimulantes qu’on est forcé d’employer pˍ les confectionner en rend l’usage extrêmement nuisible. (191)
X
Cancer - de la face commence par un petit bouton – à surveiller (236)
X
cor aux pieds
ne pas les attendrir dans l’eau chaude avant de les couper (239
bourrelets en baleine pˍ les enfants, perfectionnés par Me Fournier 1826. rue du Helder 15 approuvés par l’acad. de médecine. (284) les Socques
——
venaient d’être inventées. (286) ————
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g 2267, f° 127 Traité d'Hygiène publique & privée Michel Lévy. 1844. La surabondance de plasticité départie à la femme est telle que lorsqu'elle n'est pas dépensée pˍ la grossesse, elle s'épand sous forme d'évacuation périodique. connexion du cerveau & de la
une dame (esquirol) de 50 ans, avait perdu ses règles. une passion amoureuse les fit
menstruation.
reparaître (122)connexion du cervea
Pas d'influence isolée en hygiène. un voyage d'italie, si bon qu'il soit, peut être funeste par les préoc[c]upations morales & mieux : pas de principes point de bases !
qu'on y apporte ou qu'on y trouve. L'hygiène ne possède pas les équivalents de l'opium, du mercure.
La privation du tabac est pˍ les détenus, la pire de toutes. Dans la prison d'Épinal janvier 1843 une révolte eut lieu aux cris : du tabac ou la mort. un masturbateur
se procurait des érections par la percussion de l'occiput (Lallemand)
Le sang des menstrues
ressemble par sa composition à celui de l'embryon & des animaux inférieurs. il n'est pas coagulable. ils se rapproche au bout de qq jours du sang des épistaxis
flueurs blanches - à Paris. — les 3/4 des femmes en sont atteintes. & matutinal
prédicateur
habitude : – vomissement quotidien d'un ecclésiastique – il voulut s'en priver. – fut pris de fièvre & de délire. son valet de chambre eut recours au plumasseau qu'il avait l'habitude de s'introduire tous les matins dans la gorge. & la santé reparut. (197.) la coutume des romains de se faire vomir s'appelait sirmaïsme _ Pour & contre – Des éruptions dartreuses sont provoquées, selon qq auteurs, par l'abus du coït – Lorry assure X — hypocondriaques. Nostalgie
que la continence & la chasteté produisent les mêmes effets (213). l'incrédulité qu'on leur témoigne excite exaspère leur irritabilité. plus rare chez les femmes La culture de l'esprit en préserve [illis.] (224)
Folie & suicide. hérédité.
sur 431 aliénés, Esquirol a noté l'hérédité 337 fois
Antagonisme des fièvres paludéennes & de la phthisie tuberculeuse. (Boudin, traité des fièvres intermittentes. obésité. on a vu des individus peser 4 et 600 livr[es], & même 800 livres ! (292) une jeune allemande, à 20 ans, pesait 400 livres ! La lumière
agit non seulement sur les yeux mais sur toute l'économie. Elle évapore les liquides. - on en a fait l'expérience sur le clair de la lune (339.) elle brunit la peau, sans la chaleur, - témoin les groenlandais, les Esquimaux. têtards
dans
jolie expérience. Mr Edwards a placé dans la Seine 2 vases pleins de grenouilles, - celui qui était en verre, la métamorphose s'est faite plus vite. dans le vase en fer blanc 2 seulemt sur 12 sont devenus grenouilles L'insolation est donc indispensable au développement des organes. (340)
203
CORPS ET MOTS
g 2267, f° 127 v°
avec la lumière factice
on a pu obtenir le verdissement des feuilles gauches
droites
Le sang artériel est plus chaud que le sang veineux. les cavités droites du cœur l'emportent d'un degré sur les cavités gauches Les viscères rapprochés du cœur sont presque à la même température que lui. mais dans les parties éloignées du diaphragme, la chaleur décroît sensiblement. les pauvre servantes de boulanger pouvant rester 12 minutes dans un four chauffé pr cuire le pain mém de l'acad des sciences 1764. (348) Sur les hauteurs
——— émission des urines, involontaires. - hémorrhagie[s] nasales.
Le corps augmente d'une livre en une heure en [illis.] passant d'un air sec dans un air humide Sur le ht du Mont-Blanc
à cause de l'extrême rareté de l'air, – on n'entend plus les sons. (376)
belle phrase ! sur la Nuit
« la nuit ramène le sentiment de l'isolement & affaiblit l'énergie de la vie. Mais au milieu du
style médical.
calme qu'elle amène, l'œil plonge dans l'immensité des mondes & l'âme se trouve entraînée vers les idées religieuses. (Burdach. t v p. 244) – La poitrine, pendant la nuit se rétrécit d'environ 8 lignes, après un sommeil tranquille la veille produit un résultat inverse. (390.)
Canal St Martin.
Chevalier (Ann d'hygiène & de médecine légal[e] t 8) & Gaultier de Clubry (id. t 21.) se sont livrés à des recherches sur la nature des envasements. substances formées de sable, gravier, charbons de terre fragments de bois & de pierres – & substances végétales boueuses, – une boue noire très fétide lorsqu'elle est mise en mouvement par le
passage des bateaux ou par de gdes pluies, ‒ pr cause savonnage du linge, cadavres d'animaux à Rome la fièvre atteint les rez de chaussée & l/es/e 1er étage. on s'y soustrait en se logeant plus haut. (408) Les citadelles de Bastia, Corté Calvi, Navarin plus saines que les parties basses de la ville. (431) id au Caire, à Barcelone pˍ la peste. (443) Les années les plus malsaines
sont pˍ les localités sèches celles qui sont pluvieuses – & vice-versa.
Coïncidences des maladies marécarageuses avec les sols argileux (463). j il est rare que la peste se montre dans les endroits sablonneux. - (464) utilité des forêts.
Avant la révolution, le figuier réussissait dans le vignoble d'Argenteuil près de Paris. Il n'en est plus ainsi depuis la destruction d'un petit bois qui situé à l'extrémité de la montagne de Sanois, alimentait plusieurs sources aujourd'hui taries.
la forme catarrhale domine la forme inflammatoire
dans les lieux humides & froids ———
———
élevés, secs, activement ventilés.
« c'est de l'hygiène qu'il est vrai de dire : vérité en deçà des Pyrennées, erreur au delà » – (506) acclimatement
X
la vapeur, en abrégeant la durée des travers[é]es enlève à l'émigrant une gradation que lui donnait la navigation à voiles. (530)
204
FLAUBERT EPISTEMOLOGUE
g 2267, f° 128 hygiène. Lévy 2 Le laid plus sain que le Beau ?
e
les factoreries hollendaises du Spitzberg au XVI siècle prospérèrent – au contraire les régions
les vilains pays faits pr être civilisés. intertropicales ont dévoré plusieurs milliers de générations d'Européens. leur splendide n'éclaire que des épidémies & des funérailles. (539) les fumeurs de tabac, en Afrique, sont moins atteints par les épidémies. « Les rues peuvent être considérées comme des canaux aériens dans lesquels se déverse le méphitisme humain par toutes les littér médicale
ouvertures des habitations qui les bordent des deux côtés ! » 550.
Maisons. à Paris
une loi de 1792 en a fixé la hauteur à 54 pieds dans les rues de 30 pieds de largeur et à 45 dans les rues moindres. cette proportion est mal calculée - nous voyons à Paris un gd nombre de maisons dont les étages inférieurs ne sont jamais frappés par les rayons solaires.
Ventilateurs —————
ventilateur de Hales, – roue centrifuge du Dteur Désaguliers, le soufflet d'aspiration de Percy.
habitations des campagnes. Le Doubs, l'Allier, la Somme, la Mayenne en présentent qui ne valent pas mieux que les huttes des sauvages » 589. le celu régime cel[l]ulaire provoque la phthisie. Coindet de Genève l'attribue à l'inaction des organes phonateurs. (591). Suc gastrique.
ne manifeste son pouvoir que sur les matières propres à l/s'incorporer dans la trame organique et ces matières seules font couler à la surface interne du viscère la menstrue spécifique qui est l'agent principal des digestions. – à l'ingestion des substances nutritives, la membrane interne de l'estomac rougit se gonfle & verse avec abondance le fluide spécifique qui agit sur elle à la manière des ferments. (t 2 p. 4)
Aucun corps azoté dont la composition diffère de celle de la fibrine, de l'albumine & de la caséine n'est propre à entretenir la vie des animaux. – La matière azotée est la matière essentiellemnt assimilable, celle qui constitue la trame de l'organisation toute entière. Liebig désigne les aliments azotés sous le nom d'aliments plastiques. – La matière nutritive va se renforçant & se compliquant du règne végétal au règne animal & dans chacun d'eux la série progressive se répète. nous suivrons cette gradation qui existe aussi p les engrais. le fumier animal est plus actif que le végétal parce qu'il contient une combinaison plus complexe de principes, ce qui la rend plus décomposable ; cette dernière condition dépend essentiellement de la complexité de composition chimique, puisque les éléments d'un corps tendent d'autant plus à se dissoudre dissocier qu'ils sont plus multiples & moins homogènes Peut-on s'expliquer ainsi l'impuissance nutritive des substances simples ? L'oseille gravelle
joint, au mucilage, un acide très marqué, l'acide oxalique & produirait par un usage abondant & journalier la gravelle jaune ou d'oxalate de chaux (Magendie) (11).
la pellilu* la pellicule de pomme de terre
contient un principe délétère qui se communique à l'eau de cuisson – préjugé
démenti par les expériences de M r Dunal, de Montpellier. (15)
205
CORPS ET MOTS
g 2267, f° 128 v°
à la
pains mécanique
aussi bons que les autres. avec ces pétrins, la pâte ne sera plus souillée par la sueur, la malpropreté & parfois les exanthèmes des ouvriers !
Un Canadien, ayant une fistule dans la région de l'estomac permit à Mr Beaumont d'étudier la digestion (Trousseau, thèse de concours 1837. L'aliment azoté ne nourrit d'une manière complète que dans certaines limites d'agrégation naturelle de ces éléments. La matière azotée pure ne sustente pas mieux la vie que les substances dépourvues d'azote. Donnez à un animal un mélange de fibrine, d'albumine & de gélatine fait d'après les proportions où ces substances se trouvent dans la viande cuite & cet amalgame ne le fera pas mieux vivre qu'un seul des mêmes principes immédiats (expérience de Magendie & Valentin). c'est que la glaire de l'œuf, c'est que la fibrine séparée du sang par le battage, peuvent bien être identiques pr le chimiste à la fibrine à l'albumine qui concourent à la texture n'en
d'un muscle & qui s'y trouvent incorporé[e]s par un travail de nutrition. Mais il n'est pas de même pr l'économie vivante, qui doit s'assimiler ces substances à titre de nourriture ; c'est de la chair musculaire qu'elle veut, non des éléments représentatifs de ce tissu décomposé. Elle a besoin d'aliments, non de produits chimiques. (75-76) favorise les incrustations de phosphate calcique = tartre des dents. (179)
l'alcool
Le café sous Louis XIV valait 140 fr. la livre thé.
—————
en 1602 la compagnie des Indes l'avait obtenu en échange de la Sauge qui ne réussit pas auprès des Chinois & d. Japonais. apologie du thé, par Morisset. 1648. opposition de Boerhave & de Van Swieten. mais Linné le défendit : Dissertatio potûs theœ
Excrétions. – perspiration. Qu'un homme reste assis tranquille sur une balance très sensible. on verra son poids diminuer à chaque minute sans évacuation apparente excrétions gazeuses très fréquentes & nombreuses, chez les hypocondriaques & les hystériques. jolie périphrase pr dire Mouchoir de poche littér. médicale
« une pièce d'étoffe, qui fait en qque sorte, partie du vêtement est destinée à recueillir les produits de l'excrétion nasale » t 2 p. 229.
la Salive
est toujours alcaline chez les individus sains.
une livre en 24 h. selon Nick. (230) Xle verre de vin après la soupe, gâte les dents ! (238) ! ! ! ne pas couper les cheveux aux malades & aux convalescents. XLa Barbe croît d'une ligne par semaine chez l'individu qui se rase, soit 4 pouces par an. a l'âge de 68 a 70 ans Curieux Bains.
il a donc enlevé en 50 ans, plus de 16 pieds de production pileuse. (258) Magendie a fait périr plus vite des animaux dont la tête était hors de l'étuve & le corps dedans que ceux qui avaient la tête dedans & le corps en dehors
contraire à l'idée reçue.X Bégin recommande de se jeter à l'eau le corps rouge & trempé de sueur ! Les Dteur Butini pˍ les bains froids
& de la Rive de Genève, id. 276.
206
FLAUBERT EPISTEMOLOGUE
g 2267, f° 129 Lévy hygiène 3. X
Saleté de MM les ecclésiastiques. curieux
Sauvages mentionne une espèce d'érysipèle. « in cute nascens à collarium eccle-siasticorum » (Lorry De morb. cut. 68). –
L'émission des odeurs est en rapport avec le calorique. Le noir absorbe le plus, ensuite le bleu, puis le vert. les médecins ont donc eu tort d'adopter le noir pˍ leurs vêtements – Dteur Stark La Cravate a été introduite en France en 1660 par un régiment de Croates. (Percy.
320.
Recette pr rendre imperméable[s] les souliers (330) Le corset.
—————
interdit par l'empereur Joseph II.
priser du tabac. – la secousse de l'éternuement peut occasionner la rupture d'un anévrysme, une hémorrhagie cérébrale – danger – un étranglement herniaire, la déviation du globe de l'œil. (357.) Mémoire. – positions du corps.
Bricheteau cite un homme qui n'avait de mémoire que quand il s'étendait la tête très basse.
Joli mot de Burdach. « la lubricité tient souvent plus au vide de la tête qu'à la plénitude des testicules ». t. V. p 27. « La Cause du Cancer est dans les nerfs. » mot célèbre de Dubois. « échauffer le sang »
n'est pas une métaphore. Dans la colère la température du sang s'élève autant que dans un accès de fièvre
« L'habitude d'apprendre aux enfants plusieurs langues à la fois retarde le développement de la parole & compromet la lucidité de leur cerveau ». opinion de Mr Michel Lévy. t 2 p. 399. La contraction sans locomotion suffit pˍ élever la chaleur
X l'escrime
! on peut échauffer de plusieurs degré[s] l'eau d'un bain par l'agitation des membres pelviens (403)
a été formulée en principes par le Vénitien Marozzo. Modène 1536.
les fossoyeurs ne redoutent que l/es/a vapeu/rs/r qui s'échapp/ent/e par la rupture des parois abdominaux. – vapeur qui peut les renverser subitement. équar[r]isseurs, vidangeurs, pas attaqués du choléra. (Parent Duchâtelet. (528) 1,500 habitans par hectare dans certains quartiers de Paris en 1832. on oserait à peine confier mille arbres au même espace de terrain, si l'on tenait à les avoir sains & vigoureux. (541) pavage en bois, peut être malsain dans l'été, à cause des évaporations de la matière ligneuse. (543) L'alcool
attire l'eau des parties animales, coagule l'albumine s'empare d'une partie de la graisse. néanmoins. le corps du Ml Lannes tué à Wagram arriva à Strasbourg dans un tonneau d'eau de vie, tellement fétide qu'il fut impossible de l'y laisser. (563)
viandes de chevaux morveux, Mangés impunément. voy les preuves. (636 – 637.).
207
CORPS ET MOTS
g 2267, f° 129 v°
vêtements de laine grossière des religieux – Descuret leur attribue la propriété d'émousser les passions, en surexcitant la peau. – ce qui est douteux. le nombre des Conceptions diminue pendant le carême. (Villermé) les 2/3 des Suicidés sont célibataires . Falret. plus d'aliénés chez les femmes célibataires que chez les autres. 4,940,226 francs, (en 20 ans, 1814 - 1834) dépensés dans les hôpitaux civils de Paris p r les vénériens. Les débardeurs sont attaqués de la grenouille = ramollissement avec usure & gerçure de la peau, aux talons. les Fossoyeurs tabac.
sont exempts de fièvres malignes. (Rusch & Clarke.) (758)
action préservative contre la suette, la fièvre typhoïde, la dyssenterie. – la pth phthisie rare chez les ouvriers des manufactures. —
X
208
FLAUBERT EPISTEMOLOGUE
g 2267, f° 130 Traité élémentaire d'hygiène publique & privée par A. Becquerel. 4e ad/édition avec des additions & des bibliographies par Beaugrand 1867. « l'hyg. à proprement parler pas à proprement parler une science – il faut en convenir n'est
définition de l'hygiène.
X de la santé.
comme la physique & la chimie. » 1. « la santé de même que la maladie, étant inconnues dans leur essence même dans leur nature, c'est se livrer à un travail stérile que de chercher à donner une définition positive de ces états de l'organisme » 9.
Caractères de la Santé
– il y en a 4 principaux d'après Mr Royer-Collard ce sont les suivants 1. la santé est un caractère général de l'économie. 2 dans l'état de santé toutes les fonctions s'exécutent librement 3. Les fonctions s'exécutent, la vie s'exerce avec un sentiment général de bien être 4° - il ne faut pas qu'un danger prochain menace d'interrompre le cours de la santé ! ! ! (10)
le rapport de Mr de Watteville 1849. signale que la tutel[l]e des enfants, par les hospices, est complètemt abandonnée dans 61 départements ! Mortalité dans les crèches. rapport de Ségalas la crèche n'est utile qu'à partir du sevrage. 39. Le tempérament nerveux
est celui qui existe le plus souvent pur & sans mélange dans l'organisme – Quand il existe en même temps qu'un autre tempérament, il l'absorbe presque toujours & prédomine qui l'ont
il s'exagère à mesure que les individus augmentent en âge. 95. habitude
« si l'habitude est décidemment funeste et vicieuse & funeste à l'individu comme la masturbation, il faut de suite chercher à la supprimer » p. 118. Hallé dit précisément le contraire.
définition de l'infirmité ! à copier,
« il est assez difficile de définir ce qu'on entend par infirmité. on peut admettre que c'est un état de santé incertain, dans lequel un ou plusieurs organes éprouvent un dérangement dans leur structure ou un affaiblissement dans leurs fonctions qui les met dans un état de débilité, d'irrégularité voisin de la maladie, mais qui n'est pas la maladie elle-même » 140
209
CORPS ET MOTS
g 2267, f° 130 v°
Statistique des infirmes en France.
Aveugles 105
Bossus 125
Borgnes 210
Manchots. 25
par 100, 000 habitans. Sourds-muets 82 Aliénés 125
ayant perdu une ou deux jambes 32
Goitreux118
pieds-bots 62.
la suppression absolue des fonctions de la peau
Statist génér de France t XVe 2e parti[e]
amène le refroidissement & la mort. expérience de Becquerel & Breschet. – un chien couvert d'un enduit résineux est mort au bout de qq heures, après un abaissement de température de 6° audessous du degré de chaleur normale 149.
précaution contre la foudre.
influences du matin & du soir. contrad. X
un hamac suspendu à des cordes de soie, au milieu d'un vaste appartement 172 « les fonctions cérébrales s'exécutent avec moins d'énergie & moins de précision le soir que le matin. la sensibilité est plus obtuse & les sens moins parfaits ! » la cause des érections le matin a pˍ point de départ la réplétion de la vessie par l'urine ! – La plupart des accouchements ont lieu la nuit. Est-ce parce que la conception a également eu lieu la nuit ? est-ce par une raison ? je l'ignore ! 177 le matin
Suicides. ont lieu généralement la nuit. Statistique v p. 178. parce que « la nuit est le temps des réflexions tristes & douloureuses ! » 178. le nombre des suicides acquiert en juin un chiffre double de celui de janvier et de décembre (182) pth phthisie.
L'air sec et raréfié des montagnes passe pˍ nuisible aux tuberculeux. Cependan[t]
X
elle est excessivement rare sur les hts plateaux du Mexique & du Pérou, tandis qu'e[lle] règne avec violence dans les régions chaudes & basses des tropiques (190).
Simoun
« lorsque ce vent est très violent. on a vu des caravanes entières englouties sous contrad.
les montagnes de sable qu'il avait soulevées. » 199. D'Estayrac de Lauture nie le fait, formellement. Soudan.
ozone = oxygène électrisé. salles de spectacle
– expérience sur les animaux. ils meuvent. par une sorte d'ivresse 205. – après une représentation de l'opéra Comique l'air de la partie supérieure de la salle contenait 44/10000 d'acide carbonique et l'air de la partie inférieure seulement 23/100000. exp. de Mr Leblanc. (209)
210
FLAUBERT EPISTEMOLOGUE
g 2267, f° 131 Becquerel Hygiène 2 inutilité du chlore, lors du choléra. on partait de ce principe que le chlore, en raison de sa gde affinité pˍ l'hydrogène détruisait immédiatement les matières organiques avec lesquel[le]s il se trouvait en contact. – & que le choléra était produit par des miasmes inconnus il est vrai mais de nature organique. 235. Cadavres. – air.
les femmes subissent plus complètement la décomposition. les individus charnus éprouvent la transformation graisseuse, la saponi-fication. les sujets maigres se momifient. (242).
émanations putrides. cercueils de plomb.
qques uns les prétendent innocentes. (244) La décomposition, bien que très lente s'y opère cependant. Les gaz passent à travers les fissures des soudures Après avoir préalablement distendu
soufflé, comme on dit dans le cercueil métallique. plantations d'arbres dans les cimetières – mauvaises, selon qques uns. – Les racines des arbres diminuent l'espace consacré X (dans la philanthropie) mettre avec les conseils pˍ X les fumiers)
aux sépultures sépulcres. Dans leur voisinage la décomposition s'opère plus rapidement, le feuillage empêche la dissémination des gaz dégagés & maintient un certain degré d'humidité à la surface de la terre.
durée de la destruction complète des cadavres.
selon Gmelin
X
Frank
à copier
– Walker Pyler
30 à 40 ans 24 à 25. 7 ans 14
Mort* Moret Orfila
3 ans 15 à 18 mois.
en France, la moyenne admise est de 5 ans. (261.). – Quand le sol en est saturé les nouveaux cadavres apportés ne se détruisent pas complètement. Ils se saponifient. (262) la mer bonne pˍ la phtisie.
idée combattue par Rochard. mémoire couronné par l'acad de médecine 1855. les hôpitaux des ports & des stations navales les infirmeries des escadres sont encombrées de phtisiques. (313).
humidité de l'atmosphère
X
X
Casper a établi que l'humidité de l'atmosphère coïncide avec la moindre mortalité.
CORPS ET MOTS
211
g 2267, f° 131 v°
Climats. X
« Les centenaires sont rares dans les pays chauds ! » (326) & l'Égypte ! – « La taille dans les climats chauds & humides se développe & s'accroît. Les Caraïbes, les Patagons ! en sont la preuve ». 326. hygiène des pays chauds. « on doit faire peu usage des alcooliques, du café ! & surtout de stimulans énergiques » 340 et dans le § suivant « pˍ eux (les militaires
X
l'usage du vin pris modérément & surtout du café est indispensable ! » Fumiers.
« la question de la nocuité ou de l'innocuité du fumier relativement à la santé de l'homme n'est point encore décidée. » 367.
les cheminées préférables à tout. – système des hôpitaux anglais. La vaporisation de la poussière d'eau traversée par l'air affluent est sans doute accompagnée du développement d'une certaine quantité d'électricité qui modifie d'une manière salutaire l'état de cet air en y produisant de l'oxygène actif ou ozone 386. l'autorité interdit l'emploi de l'acide arsénieux dans la fabrication des bougies stéariques. je ne sache pas cependant que même qu'elles aient déterminé des accidens réels. » (401) pénitenciers.
système pensylvanien = réclusion cellulaire de jour & de nuit système d'Auburn = réclusion cellulaire de nuit. Dans le jour travail en commun avec silence. adopté dans une partie des États-Unis & à Genève. Mais c'est une duperie. Les détenus suppl[é]ent par des gestes à la parole.
Le système cellulaire battu en brèche par Mr Pietra-Santa. – & Ferrus « Le changement de chemise doit être fréquent, deux ou trois fois par semaine au moins ! » 467 – curieux à copier
« un certain nombre de médecins attribuent à l'usage de la culotte le défaut de développement de l'appareil génital externe, d'où la dégénération de l'espèce humaine & la diminution de la population » (487).
« Les vêtemens de laine sur la peau ne doivent pas être conseillés aux sujets pléthoriques & sanguins
X
car ils diminuent l'activité de l'appareil respiratoire, en augmentant celle de la peau » 500.
212
FLAUBERT EPISTEMOLOGUE
g 2267, f° 132 Becquerel Hygiène 3. en Baignoires. – bains.
il y avait en 1816 500 baignoires publiques dans Paris. Aujourd'hui il y en a cinq mille. on donne par an 1,818,500 bains – ce qui pˍ 950,000 habitants fait 2,23 bains par personne. 522 (532)
Rage. – règles hygiéniques. X Scarlatine rougeole.
X
« elles consistent simplement à détruire tout animal enragé, ou même seulement soupçonné d'être atteint de cette maladie. (538) « il n'y a aucune règle hygiénique spéciale à indiquer ici, si ce n'est de donner le conseil aux individus et surtout aux enfants qui n'ont pas encore eu ces maladies d'éviter le contact des personnes qui en sont atteintes. (538)
Aliments. porc.
« Le caractère principal de la viande de porc est surtout sa digestibilité difficile. »
X
et plus bas « en résumé la viande de porc est un bon aliment – Mais qui ne convient qu'aux estomacs solides & robustes » (561.
chevaux morveux.
en 1789 des indigens de St Germain & d'Alfort mangèrent 7 à 800 chevaux morveux sans en être incommodés. Il en fut de même des animaux morts de typhus
_
pendant les années 1814, 1815 & 1816. – Flourens. (562.
poissons.
« on peut admettre que plus les poissons sont gros, plus ils ont de gélatine
X les moules X X Fromages.
entre leurs fibres, & plus ils sont difficiles à digérer ! » (565.) « à l'usage desquelles en bonne hygiène on devrait renoncer ! » 566. « considérées d'une manière générale, les fromages sont d'une digestion difficile. » 576.
« les Fraises « le melon
« bien mûres, mâchées ! avec soin sont facilement digérées. » 600. est un aliment indigeste » 601.
« le sucre de canne est qqfois d'une digestion assez difficile. (609) Conserves de viandes.
Par le procédé Appert, des boîtes, au bout de 16 ans ont été trouvées intactes. M Autres moyens : 1° coagulation extérieure de l'albumine en plongeant un instant la viande dans l'eau bouillante – Mauvais
213
CORPS ET MOTS
g 2267, f° 132 v°
– conservation dans l'eau pure & privée d'air les viandes s'y saponifient – dessic[c]ation à l'air sec & chaud – dessic[c]ation opérée en faisant passer la viande entre des cylindres chauds remplis de vapeur boucanage – salaison. – macération dans du vinaigre – glace – emploi de matières antiseptiques telles que le charbon. Mais il est difficile d'en débarrasser la viande. – enrobement dans la gélatine – biscuits viande. (619 620) Alcoolisme.
en 1848 la somme de 490 millions de dollars a été dépensée dans la Grande Bretagne en boissons ennivrantes. L'empereur de Russie a défendu la création des sociétés de tempérance. (689)
X
Café.
les ouvriers de Charleroi, grâce à lui, se portent bien, qque consomm[ent] très peu de viande. – rapport de Gasparin (694.
thé.
variétés. « thés verts, de couleur verte ou grisâtre, plus âcres & plus dit
X
aromatiques ». l'auteur croit au thé vert & ne rien* rien du ble[u] de Prusse – qui le rend vert ! (696)
Maladies des Professions. Savants hémorrhoïdes. Gens de lettres névroses. Marins scorbut, typhus Militaires rhumatismes. Caillouteurs ophthalmies. Tourneurs, déformation de l'index, & côté droit en thorax porté en avant. (893) – cordonniers, tumeurs aux malléoles cordonniers, enfoncement du thorax, & cancer de l'estomac. Débardeurs la grenouille tabac.
X
ouvriers. – selon Ramazzini et Patissier rien de plus dangereux. D'après Parent Duchâtelet, rien de plus innocent. préparation des oranges amères – céphalalgie. et (voy les pages suivan[tes] —————
Chapitre VIII Style et idéologie 1. Le savoir médical sur la femme À la fin du chapitre VII du roman, les protagonistes éprouvent tous les deux des déboires amoureux. Bouvard, qui a projeté un moment de se marier avec Mme Bordin, découvre que la veuve ne désire au fond que sa terre des Écalles. Le cas de Pécuchet est plutôt de l’ordre du grotesque. Tombé amoureux de leur bonne Mélie et ayant perdu sa virginité avec elle, il se trouve atteint d’une maladie vénérienne grave. Ruminant alors leurs mécomptes « dans la petite salle, au coin du feu », les deux bonshommes « dissert[ent] sur les femmes » : Étrange besoin ! Est-ce un besoin ? – Elles poussent au crime, à l’héroïsme, et à l’abrutissement ! L’enfer sous un jupon, le paradis dans un baiser – ramage de tourterelle, ondulations de serpent, griffe de chat ; – perfidie de la mer, variété de la lune – ils dirent tous les lieux communs qu’elles ont fait répandre. (p. 254)
Le thème de la femme constitue depuis toujours un intense foyer discursif qui a concouru à la production d’innombrables idées reçues. Dès 1852, alors qu’il était en pleine rédaction de Madame Bovary, Flaubert exprimait son intention de consacrer à ce thème un article du Dictionnaire des idées reçues1. Les manuscrits contiennent effectivement cet article, qui est encore à l’état d’ébauche : FEMME
1
Personne du sexe. Ce qui convient à une femme. Importance actuelle de la femme. [...]
« Quelques articles, du reste, pourraient prêter à des développements splendides, comme ceux de HOMME, FEMME, AMI, POLITIQUE, MŒURS, MAGISTRAT » (lettre à L. Colet, 16 décembre 1852 ; Pl., t. II, p. 209).
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Une des côtes d’Adam2.
Dans notre perspective, il est plus intéressant de remarquer que le discours médical s’est intéressé lui aussi à ce thème depuis l’Antiquité. On sait que le Corpus hippocratique comprend en effet un groupe de traités consacrés spécialement aux maladies des femmes. Ces écrits, centrés sur les affections de la fonction reproductrice, témoignent d’un effort naissant de rationalité scientifique, mais aussi parfois d’une extraordinaire naïveté. Il en va ainsi de la fameuse description de l’hystérie, dont la cause est rapportée à la migration de l’utérus dans le corps. Au Moyen Âge, les connaissances médicales à ce sujet relèvent encore largement de la superstition. Ainsi, « Trotula, femme-médecin, école de Salerne » (XIe siècle) prodigue des prescriptions ridicules dans « son traité des maladies de femmes » (g 2266, f° 66 ; Daremberg). Elle conseille, par exemple, « à celles qui sont trop grosses de prendre les bains de sable de mer à l’ardeur du soleil », ou bien aux époux stériles de « mange[r] des excréments d’âne frits » (Id.). Un curieux phénomène se manifeste autour de 1800. On voit se multiplier à cette époque les traités médicaux concernant la femme, qu’on peut considérer en gros comme formant une sous-catégorie des traités d’hygiène3. En effet, si l’on parcourt la bibliographie médicale du XIXe siècle, on y trouvera sans peine des références comme celles-ci : J.-J. Virey, De la Femme sous ses rapports physiologique, moral et littéraire, Crochard, 1823 ; A. Raciborski, De la Puberté et de l’âge critique chez la femme, J.-B. Baillière, 1844 ; A. Debay, Hygiène et physiologie du mariage, histoire naturelle et médicale de l’homme et de la femme mariés, 4e édition, chez l’auteur, 1853 ; etc. Quelques ouvrages de ce genre figurent d’ailleurs parmi les lectures médicales de l’auteur de Bouvard. Ainsi, Flaubert a pris en notes : A. Debay, La Vénus féconde et callipédique (f° 85) ; Pomme, Traité des affections vaporeuses des deux sexes (f° 86-86 v°) ; J. L. Moreau de la Sarthe, Histoire naturelle de la femme (f° 87-88 v°) ; Menville de 2
Bouvard et Pécuchet, édition de Cl. Gothot-Mersch, p. 516 (l’article ne figure pas dans la dernière version du Dictionnaire). 3 Les sous-titres de certains ouvrages sont tout à fait significatif sur ce point. L’Histoire naturelle de la femme de Moreau de la Sarthe est « suivie d’un traité d’hygiène appliquée à son régime physique et moral aux différentes époques ». Le livre de Menville de Ponsan est partiellement consacré à « l’hygiène applicable à son sexe et toutes les maladies qui peuvent l’atteindre aux différents âges ».
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Ponsan, Histoire philosophique et médicale de la femme (f° 8989 v°) ; Roussel, Système physique et moral de la femme (f° 91 v°) ; D. T. de Bienville, La Nymphomanie, ou Traité de la fureur utérine (f° 152) ; enfin l’ouvrage de Senancour, dont les notes de lecture se trouvent classées dans le dossier médical, De l’Amour, considéré dans les lois réelles et dans les formes sociales de l’union des deux sexes (f° 158). À cette liste déjà importante, il faut encore ajouter plusieurs articles du Dictionnaire des sciences médicales, entre autres ceux de « Femme » (f° 110 v°-111), « Grossesse » (f° 114) ou « Hystérie » (f° 115 v°)4. Une question se pose d’emblée : d’où venait donc cette intensification singulière de l’intérêt médical pour les problèmes gynécologiques ? Quels enjeux ont incité un nombre considérable d’auteurs à traiter de la femme et de ses affections ? Thomas Laqueur avance l’hypothèse d’une mutation épistémologique5. Cet historien montre d’une façon particulièrement éclairante comment la différence sexuelle a été réinterprétée et redéfinie vers la fin du XVIIIe siècle. Pendant longtemps, on avait saisi cette différence selon un schème que Laqueur nomme le modèle unisexe. Celui-ci mettait l’accent sur l’homogénéité fondamentale de l’homme et de la femme, lesquels étaient alors essentiellement identiques, mais dont la différence résidait seulement en degré de perfection. Dans cette conception qui avait dominé la pensée occidentale pendant plus de deux millénaires, la femme était toujours tenue pour un homme moins parfait. L’anatomie des organes de reproduction servait à étayer cette idée de l’unicité sexuelle : « [Les] sexes ne différaient, suivant Avicenne & Galien, que par la situation & le développement, les parties étant extérieures chez l’homme, intérieures chez la femme. Les testicules & les ovaires, les conduits déférents & les trompes de 4
Comme l’hystérie était regardée à l’époque comme une maladie spécifiquement féminine, les traités sur cette maladie devenaient plus ou moins nécessairement des traités sur la femme. Quant à l’histoire de la pensée médicale sur l’hystérie, nous renvoyons notamment à trois ouvrages : Ilza Veith, Histoire de l’hystérie, traduit par Sylvie Dreyfus, Seghers, 1973 ; Étienne Trillat, Histoire de l’hystérie, Seghers, 1986 ; Nicole Edelman, Les métamorphoses de l’hystérique, La Découverte, 2003. Pour les figures de l’hystérie dans Madame Bovary, voir notre article « Emma et la Guérine », Flaubert, écrivain, Actes du colloque de Cerisy, 23-30 juin 2006, sous la direction de Jacques Neefs (à paraître). 5 La fabrique du sexe, traduit de l’anglais par Michel Gautier, Gallimard, 1992.
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Fallope, les vésicules séminales & l’utérus, le pénis & le vagin étaient considérés dans chaque sexe comme analogues » (f° 71 ; Adelon). Le modèle unisexe impliquait ainsi l’identité structurelle des organes génitaux masculins et féminins. Cette idée anatomique, fort extravagante à nos yeux, a tout de même régné sur les esprits jusqu’au milieu du siècle des Lumières. Parmi d’innombrables exemples, citons ici ce fragment du Rêve de d’Alembert dans lequel Diderot fait exprimer au médecin Bordeu la même conviction : « [...] la femme a toutes les parties de l’homme, et [...] la seule différence qu’il y ait est celle d’une bourse pendante en dehors, ou d’une bourse retournée en dedans ; [...]6. » Cette « seule différence » suffit pourtant à établir une hiérarchie entre les deux sexes. Si le système génital chez la femme demeure à l’intérieur du corps, c’est qu’il ne peut, « faute de chaleur, descendre et faire saillie au-dehors »7. Prétendre que la femme « possède un tempérament plus humide & plus froid » (f° 103 v° ; Virey) relève en effet du lieu commun répandu depuis l’Antiquité. Au point de vue du modèle unisexe, ce manque de chaleur vitale ne signifie rien de moins que l’imperfection de l’être féminin. Écoutons Galien prononcer un jugement catégorique à cet égard : « La cause de cette supériorité est la surabondance du chaud ; [...] ; aussi n’y a-t-il rien d’étonnant que la femelle soit d’autant plus inférieure au mâle qu’elle est plus froide8. » Un autre modèle de la différence sexuelle émerge dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. De l’unicité sexuelle, on passe désormais à l’hétérogénéité des deux sexes. De plus en plus d’auteurs se mettent alors à insister sur « la distinction radicale entre les sexes, qu’ils fondent sur les nouvelles découvertes biologiques »9. Les nombreux traités médicaux sur la femme, dont nous avons déjà signalé le succès remarquable vers le tournant du siècle, s’attachent principalement à définir la femme comme un être fondamentalement différent de l’homme. Ainsi, dans son ouvrage précurseur sur le Système physique et moral de la femme dont la première édition avait paru en 1775 et 6
Diderot, Œuvres, édition de Laurent Versini, Robert Laffont, « Bouquins », t. I, 1994, p. 645. 7 Galien, Œuvres médicales choisies, traduction de Charles Daremberg, Gallimard, « TEL », t. I, 1994, p. 269. 8 Ibid., p. 268-269. 9 Élisabeth Badinter, XY. De l’identité masculine, Odile Jacob, « Le Livre de Poche », 1992, p. 20.
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dont Flaubert a lu la sixième édition de 1813, Roussel consacre la première partie à l’analyse des « différences générales qui distinguent les deux sexes », et la seconde partie à celle des « différences particulières qui distinguent les deux sexes ». De même, Moreau de la Sarthe traite des « parallèle et physiologie comparée de l’homme et de la femme » dans un des chapitres de son Histoire naturelle de la femme qui fait aussi partie des lectures flaubertiennes. Ce médecin, dont les vues sont parfaitement conformes au modèle des deux sexes, considère la féminité comme l’exacte antithèse de la masculinité : « [...] enfin, toutes les parties, tous les points de son être [= de la femme] révèlent son sexe, et présentent avec tous les points et toutes les parties correspondantes de l’homme, une série d’oppositions et de contrastes10. » Dès lors, ce qui distingue les deux sexes n’est plus une différence de degré, mais plutôt de nature. D’abord, les organes générateurs masculins et féminins se voient différenciés de façon irrévocable. Le dimorphisme sexuel affectant ensuite tous les aspects imaginables du corps et de l’âme, des auteurs énumèrent point par point les traits distinctifs du sexe féminin. Pour nous en tenir à quelques exemples enregistrés dans le dossier médical de Bouvard, Moreau de la Sarthe considère que « leur sensibilité [des femmes] est plus à la surface, plus disséminée & leurs perceptions moins profondes & plus fugitives » (f° 87). Selon le même auteur, « les deux dernières molaires : dents de sagesse, manquent plus souvent chez la femme que chez l’homme. La mastication y est moins énergique » (Id.). Virey, quant à lui, affirme que « la femelle a une volupté douce, une sorte de félicité intime, tandis que le plaisir est pour ainsi dire âcre & poignant chez le mâle » (f° 105 ; DSM, « Génération »). La beauté féminine, qui n’est comparable en rien avec la beauté masculine, peut aussi faire l’objet d’une caractérisation spécifique. Ainsi, Moreau de la Sarthe s’applique à la définir dans chacun des éléments de l’organisme : « La poitrine chez la femme doit avoir moins de largeur que chez les hommes » (f° 87 v°) ; « La beauté des mains consiste dans une plénitude modérée » (Id.). Mais ces analyses se révèlent parfois manifestement comiques, parce que l’on voit tout de suite que la beauté idéale dont il s’agit n’est au fond qu’une projection du désir de l’homme : « Les 10 Jacq. L. Moreau (de la Sarthe), Histoire naturelle de la femme, L. Duprat, Letellier, t. 1, 1803, p. 70.
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cuisses sont principalement remarquables dans les femmes par leur plénitude voluptueuse, leur poli & la douceur de leur contours » (Id.)11 ; « Les mamelles chez la femme peuvent être regardées à la fois comme objet d’agrément & d’utilité » (f° 117 v° ; DSM, « Mamelle »)12. En théorie, ce second modèle exclut toute hiérarchie entre les sexes. La femme ne peut pas être inférieure à l’homme dans la mesure où elle est radicalement différente de lui. Aussi faudrait-il parler plutôt d’une complémentarité harmonieuse que d’un degré de perfection métaphysique. De fait, les tenants du modèle des deux sexes prodiguent tous des éloges à la féminité tout en s’acharnant contre l’ancien modèle unisexe qui désacralise injustement le beau sexe. C’est ainsi que Moreau de la Sarthe se montre indigné des « préventions du sexe » : « [...] la femme n’a présenté à l’esprit prévenu qu’une dégradation, un exemplaire imparfait de la constitution de l’homme ; tandis qu’en effet, comme nous l’avons déjà fait remarquer, elle est la partie essentielle de l’espèce, [...]13. » Menville de Ponsan, de son côté, exprime son admiration pour la femme dans un style fort lyrique, qui n’a pas manqué de retenir l’attention de Flaubert : « Le sujet est admirable ! Je désire que le livre réponde pleinement au sujet. La femme, cette plus belle moitié de nous-mêmes, cette tige essentielle du genre humain, cette fleur de la nature vivante, y paraît dans toute sa beauté, dans toute sa puissance, dans toute sa fragilité » (f° 89)14. Toutefois, on comprend aisément que cette poétisation de la féminité n’est pas plus innocente que l’isomorphisme galénique. En effet, en reprenant les mêmes métaphores, l’auteur de l’Histoire philosophique et médicale de la femme définit la vocation féminine comme suit : « La femme, cette fleur de la nature vivante, cette tige essentielle du genre humain, a une mission importante à remplir sur la terre. Elle est destinée à être la compagne de l’homme » (Id.)15. Dans cet exemple, la rhétorique ne sert qu’à soutenir une affirmation plus idéologique que scientifique. Comme nous l’avons montré plus haut, les traités médicaux sur 11 12 13 14 15
Commentaire marginal : « copie ». Commentaire marginal : « style ». J. L. Moreau (de la Sarthe), op. cit., t. 1, p. 68-69. Commentaires marginaux : « copie » et « Style médical ». Commentaire marginal : « copie ».
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la femme ont pour objet d’établir une distinction radicale entre les deux sexes. Derrière cette intention affichée s’en dessine pourtant une autre qui constitue sans doute le véritable enjeu de ces ouvrages. Au vrai, l’exploration minutieuse de la différence sexuelle par les auteurs médicaux aboutit invariablement à justifier la distribution des rôles sociaux entre les hommes et les femmes. Ainsi, il est tout à fait légitime d’expulser ces dernières de la sphère publique, à laquelle leurs qualités physiques et morales ne les destinent point. La biologie est ici appelée à prouver que la femme a pour tâche de devenir mère et d’assurer ainsi la conservation de l’espèce16. Le foyer est son territoire naturel où elle règne en maîtresse, tandis que l’homme s’occupe des affaires publiques, c’est-à-dire la politique et la production. Dans le Carnet 6, f° 44, consacré aux notes sur les Principes d’éducation positive d’Eugène Bourdet (Germer-Baillière, 1877), Flaubert a recopié ce « morceau contre la femme » : « Sur 54.000 brevets d’invention depuis 1791 jusqu’en 1856, il n’y en a eu que 6 réclamés par des femmes, pour modes et confection17. » Est-il donc vrai que la femme manque d’invention par sa nature ? La production économique ou culturelle appartient-elle exclusivement à l’homme ? Nombre d’auteurs médicaux répondaient par l’affirmative à ces questions, car pour eux, « le rôle plus modeste de peupler l’univers, qui est départi à la femme, domine [...] toute son économie, qui est tout appropriée à la pénible fonction de la maternité »18. C’est l’organisation biologique de la femme qui lui défend l’accès à la sphère publique. Cet argument éminemment idéologique ne se restreint d’ailleurs pas au discours médical. Un écrivain comme Michelet fait lui aussi appel à une stratégie discursive semblable. En effet, c’est en 16
De fait, on recourt assez fréquemment aux données biologiques en vue d’étayer des thèses concernant l’ordre social. Voici, par exemple, Virey qui met en œuvre cette stratégie pour justifier la polygamie : « La femme est plus souvent stérile que l’homme n’est impuissant, & d’ailleurs celui-ci peut imprégner dans plusieurs jours plusieurs femmes. Dans les pays chauds principalement, elle perd plutôt [sic] que lui la faculté d’engendrer. Ainsi, quand la polygamie ne serait pas établie habituellement en ces régions, elle le deviendrait successivement. St Augustin pense même qu’elle n’est nullement contraire au droit naturel » (f° 110 v° ; DSM, « Femme »). 17 Carnets de travail, op. cit., p. 915. 18 Article « Hystérie » par G. Bernutz, Nouveau dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, sous la direction du Dr Jaccoud, J. B. Baillière, t. 18, 1874, p. 184 ; texte cité par Janet Beizer, Ventriloquized bodies, Ithaca and London, Cornell University Press, 1994, p. 37.
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s’appuyant sur la découverte de l’ovulation spontanée par Pouchet (1847) que l’auteur de L’Amour soutient que « la femme est une malade » et partant, qu’« elle n’est guère propre au travail »19. Ici encore, la biologie permet, en marge de sa scientificité, d’assigner une place spécifique (le foyer) à la femme. Dans la conception dualiste des sexes, l’utérus sert d’emblème à la femme, et la maternité devient son essence même. « Tout le discours médical sur le sexe féminin est magnétisé par le souci premier de lui voir accomplir au mieux ses fonctions génératrices »20, suivant la remarque judicieuse de J. Léonard. Les nombreuses prescriptions médicales et hygiéniques que les auteurs indiquent à propos du régime physique et moral de la femme sont visiblement centrées sur sa vie sexuelle, et plus précisément sur les diverses circonstances de la génération : fécondation, grossesse, accouchement, allaitement, menstruation. Citons ici quelques exemples qui se trouvent tous dans le dossier médical de Bouvard. Debay, dans son livre portant spécialement sur le problème de la fécondité, fait connaître l’« influence du Climat » sur la faculté de reproduction, et dénonce l’abus du plaisir comme une « cause de stérilité » (f° 85)21. Menville de Ponsan, pour sa part, met l’accent sur les rapports qu’il y a entre la fécondité et les règles, et évoque entre autres le conseil que Fernel donna à Henri II « d’approcher sa femme immédiatement après ses règles » (f° 89). Quant à la grossesse, on lit au f° 114 (DSM, « Grossesse ») une série de propositions visant à protéger cet état extrêmement fragile : « Décerner des récompenses à ceux qui secouront des femmes enceintes » ; « Éloigner de la voie publique & autres lieux fréquentés tout ce qui peut compromettre la santé des femmes enceintes et l’enfant qu’elles portent. » Marc, auteur de l’article « Grossesse » du Dictionnaire, prévient aussi du danger d’accomplir l’acte vénérien dans cette période délicate : « Le coït peut amener la formation d’hydatides & de môles, des ulcérations de la matrice » (Id.). Néan19
Jules Michelet, Œuvres complètes, éditées par Paul Viallaneix, Flammarion, t. XVIII, 1985, p. 62-66. 20 La médecine entre les pouvoirs et les savoirs, op. cit., p. 162. 21 L’épisode des « prostituées d’Angleterre » que Debay évoque afin de montrer que la stérilité cesse avec une vie régulière se trouve également mentionné par l’auteur de l’article « Fécondité » du Dictionnaire des sciences médicales : « Les prostituées, stériles en Angleterre, sont devenues fécondes à Botany-Bay, lorsqu’elles sont devenues astreintes à un mariage sévère » (f° 110 v°).
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moins, le même auteur se voit obligé de reconnaître que ces accidents sont en réalité fort rares. Il affirme même : « Il en est même beaucoup [de mères] dont la santé souffrirait plus d’une abstinence trop sévère & trop prolongée que de quelques caresses ménagées » (Id.). Ce qui a dû amuser Flaubert dans cet énoncé, c’est le sérieux du discours scientifique pour traiter les menus détails de la vie sexuelle. Les médecins du XIXe siècle ne ménagent pas leurs efforts afin d’aider les femmes à accomplir le mieux possible leur fonction maternelle. Ils glorifient avec lyrisme l’image d’une mère tendre, et s’élèvent vivement contre les préjugés qui entouraient jadis la sexualité féminine. En fait, cette préoccupation médicale de la féminité dissimule avec peine un enjeu idéologique majeur, celui d’enfermer les femmes dans la sphère domestique. Écoutons encore Menville de Ponsan qui cherche à définir cette fois la « signification du Fils & de la Sœur » : « Si le fils, dit M. Legouvé, représente l’espérance sous le toit paternel, la jeune fille a pour mission d’y figurer la pureté & la grâce ! » (f° 89)22. La dimension idéologique sous-tendant cet énoncé normatif est suffisamment transparente pour éclipser le ton romantique que l’auteur essaie d’y imprimer à l’aide de la rhétorique. En général, les auteurs médicaux font appel à de belles images lorsqu’ils abordent le féminin, comme s’ils espéraient par là pouvoir masquer l’enjeu profond de leurs discours soi-disant objectifs23. Ainsi, le Système physique et moral de la femme de Roussel, qui est un « livre idiot » d’après Flaubert, offre un « vrai modèle du genre troubadour & élégant » (f° 91 v°). La métaphore, la comparaison et l’euphémisme constituent des ressources importantes pour ces discours soucieux de camoufler leur fond idéologique. Il s’agit dès lors d’une « féminité construite » suivant l’expression du féminisme actuel. 22
Commentaire marginal : « copie ». Sans doute cette remarque ne s’applique-t-elle pas seulement au domaine médical. Elle désigne plutôt un trait général de l’époque qui demeurait sous l’emprise du culte romantique de la madone. Ainsi, Flaubert a écrit dans une lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, du 18 décembre 1859 : « Je crois, du reste, qu’une des causes de la faiblesse morale du XIXe siècle vient de sa poétisation exagérée [de la femme]. Aussi le dogme de l’Immaculée Conception me semble un coup de génie politique de la part de l’Église. Elle a formulé et annulé à son profit toutes les aspirations féminines du temps. Il n’est pas un écrivain qui n’ait exalté la mère, l’épouse ou l’amante » (Pl., t. III, p. 65). 23
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De ce caractère culturel de la féminité, Flaubert donne d’ailleurs lui-même une formulation claire dans une lettre adressée à L. Colet, le 27 mars 1853 : La femme est un produit de l’homme. Dieu a créé la femelle, et l’homme a fait la femme ; elle est le résultat de la civilisation, une œuvre factice24.
Pour les lecteurs d’aujourd’hui, la formule rappelle bien évidemment la phrase célèbre de Simone de Beauvoir : on ne naît pas femme, on le devient. Mais alors, pourrait-on dire que Flaubert possédait une conscience assez proche du féminisme actuel ? Certainement pas. Le passage en question est une véritable exception dans sa Correspondance, et il est clair que notre romancier était lui aussi enchaîné dans une large mesure par l’idéologie masculine de son époque25. Mais malgré tout, il est sans doute permis de considérer qu’une intuition remarquable lui faisait apercevoir le comique particulier aux discours médicaux contemporains sur la femme. De fait, par l’acte seul de la prise de notes, l’écrivain impartial arrive à mettre en évidence la posture idéologique de ces prétendus admirateurs de la féminité. Le dispositif critique complexe qu’est le dossier des notes médicales de Flaubert est spécialement apte à exposer l’intrication étroite du rationnel et du culturel.
2. Style médical En prenant des notes sur les auteurs médicaux, Flaubert s’intéressait spécialement à leur style, lequel constitue une des catégories du « comique d’idées » dans le dossier médical. Ainsi, dans les notes de lecture proprement dites, une vingtaine de citations portent en marge des commentaires comme « style », « style médical », « littérature » ou « littér. médicale ». Les ms g 2267, f° 156-157 v° regroupent 24
Pl., t. II, p. 284. Dans son étude sur la représentation de la femme chez Flaubert, Lucette Czyba met l’accent sur l’idéologie misogyne du romancier. Bien que ses lectures des romans flaubertiens soient souvent faussées, nous semble-t-il, par ses propres présupposés idéologiques, il est pourtant vrai que Flaubert était marqué par les limites de son temps. Voir Mythes et idéologie de la femme dans les romans de Flaubert, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1983.
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plusieurs citations réunies sous le titre de « Littérature médicale ». Il s’agit là probablement d’une sorte de brouillon du second volume qui aurait dû contenir des échantillons du langage des médecins. Il en va de même pour les ms g 2263, f° 119-123 qui portent en haut de chaque page un titre comme « Style médical » ou « Littérature médicale ». Enfin, Flaubert a fait recopier à E. Laporte une quinzaine de fragments médicaux qui constituent l’état quasi-définitif d’une rubrique du Sottisier : « Style médical » (g 2263, f° 130-133), à laquelle il faut ajouter une autre rubrique, « Rococo », qui comprend elle aussi quelques exemples de styles prétentieux relevés chez les auteurs médicaux (g 2267, f° 1-16 ; en particulier f° 13-15). Suivant les indications des scénarios concernant le second volume, le « Style médical » aurait constitué une des sections de la rubrique générale « Spécimens de tous les styles »26. Dans les dossiers documentaires de Bouvard, on trouve effectivement plusieurs sections consacrées aux différents types de styles. Leur taxinomie peut paraître parfois fort étrange : « Imbécilles [sic] » (g 2261, f° 81-89), « Périphrases » (g 2263, f° 1-9), « Grands écrivains » (—, f° 88-116), « Scientifiques » (—, f° 118-136), « Ecclésiastiques » (—, f° 137-143), « Révolutionnaires » (—, f° 145-149), « Romantiques » (—, f° 150159), « Dramatiques » (—, f° 160-168), « Officiel. — Souverains » (—, f° 169-183), « Journalistes » (g 2264, f° 73-76), « Rococo » (g 2267, f° 1-16). Les nombreux extraits inscrits dans ces diverses sections illustrent tous le comique de styles, dont Flaubert projetait d’ailleurs une étude systématique depuis longtemps. En effet, à propos d’une encyclique du pape Pie IX, il écrivait à L. Bouilhet, le 5 octobre 1860 : « Quel bon vieux style poncif que le style ecclésiastique ! Ce serait, du reste, une étude à faire que celle des Styles professionnels ! quelque chose qui serait dans la littérature analogue à l’étude des physionomies en historie naturelle27. » On peut considérer que Flaubert avait déjà entamé cette étude stylistique dès la période de Madame Bovary. En témoigne le personnage d’Homais qui est « tout entier un être de paroles »28. Même si, 26
Par exemple, on lit au ms gg 10, f° 67, dernier scénario connu des chapitres XI et XII : « Spécimens de tous les styles. agricole, médical, théologique, classique, romantique, périphrases » (p. 389). 27 Pl., t. III, p. 118. 28 Philippe Dufour, Flaubert et le Pignouf, Saint-Denis, Presses Universitaires de
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comme l’a bien montré Ph. Dufour, plusieurs sociolectes se croisent dans son discours (ainsi, en tant que correspondant du Fanal de Rouen, il incarne le style journaliste), Homais se définit avant tout comme un homme de science, plus exactement comme un « pharmacien, c’est-à-dire chimiste »29. De fait, il est tout à fait légitime d’interpréter dans cette perspective certaines caractéristiques de son langage. Ainsi, son goût manifeste pour les mots techniques et les latinismes, dont voici quelques exemples : [...] Ainsi, vous n’êtes pas sans savoir l’effet singulièrement aphrodisiaque que produit le nepeta cataria, vulgairement appelé herbe-au-chat, sur la gent féline ; [...]30. [...] Mais il faut pour cela suer ferme sur l’aviron, et acquérir , comme on dit, du cal aux mains. Fabricando fit faber, age quod agis 31. Et, bien qu’il connût ce pauvre diable [= l’Aveugle], il feignit de le voir pour la première fois, murmura les mots de cornée, cornée opaque, sclérotique, facies, [...]32. ― Saccharum, docteur, dit-il en offrant du sucre33.
Dans tous ces exemples, le langage d’Homais doit être compris moins comme un idiolecte singulier que comme une parodie du langage de la science moderne. En tant que type, Homais est doté d’une dimension représentative, renvoyant à la figure du pharmacien qui prétendait alors se différencier à tout prix de son ancien statut d’apothicaire. Par-delà le personnage, c’est donc le style scientifique même qui est visé par l’ironie du texte romanesque. Son projet de critique des styles professionnels, Flaubert l’a finalement réalisé (ou presque !) dans le second volume de Bouvard et Pécuchet. La médecine y occupe une place très importante, comme le montre un examen attentif des dossiers de Rouen. Si l’on excepte les écrivains littéraires, massivement présents dans cette anthologie des sottises stylistiques, ce sont les médecins, les ecclésiastiques et les Vincennes, 1993, p. 15. 29 Madame Bovary, édition de Cl. Gothot-Mersch, p. 137. 30 Ibid., p. 214. 31 Ibid., p. 254. 32 Ibid., p. 306. 33 Ibid., p. 329.
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journalistes qui offrent le plus d’exemples. Par ailleurs, plus d’une fois dans sa Correspondance, Flaubert a exprimé sa répugnance à l’égard du mauvais style des auteurs médicaux. Ainsi, lors de la documentation qu’il a entreprise pour décrire la maladie du fils de Mme Arnoux dans L’Éducation sentimentale : « En fait de lectures, je me suis livré, dernièrement, à l’étude du croup. Il n’y a pas de style plus long et plus vide que celui des médecins ! Quels bavards !34 » Le « Style médical » mérite d’être examiné à part, parce qu’il présente un intérêt et un enjeu particuliers. Dans la présente section, nous le traiterons principalement comme une catégorie du comique des idées médicales, tout en mettant entre parenthèses sa place dans l’ensemble de la rubrique « Spécimens de tous les styles », dont une analyse approfondie demande une autre étude. En fait, le projet flaubertien d’envisager le style médical au point de vue comique semble quelque peu paradoxal. Car, on le sait, le langage du savoir tend précisément à effacer ou à minimiser l’instance de l’énonciation. Roland Barthes, en opposant le discours de la science et l’écriture littéraire, souligne avec justesse que le premier « est donné comme le produit d’une absence de l’énonciateur », tandis que la seconde « assume de faire entendre un sujet à la fois insistant et irrepérable »35. Cela revient à peu près à dire que les auteurs scientifiques n’ont pas de style, au moins en théorie. Leur prétention à la vérité positive les oblige à se manifester le moins possible dans leur texte. La présence du sujet parlant doit s’amenuiser infiniment jusqu’à ce que les énoncés puissent rapporter d’une manière neutre et transparente les lois régissant la réalité complexe. L’anonymat est ainsi l’idéal même du discours scientifique. Toutefois, le discours médical contemporain de Flaubert est encore loin de réaliser cet idéal scientifique d’objectivité langagière. Au contraire, il est très fréquemment marqué d’une forte subjectivité de l’énonciateur, dont il est parfois même possible de deviner la position idéologique (politique, religieuse, etc.). Au vrai, la plupart des auteurs médicaux ne cherchent guère à s’absenter de leur propre discours et mettent en œuvre sans hésitation différents procédés rhétoriques, ce qui produit un style plus ou moins caractéristique. 34
Lettre à Jules Duplan, 15 décembre 1867 (Pl., t. III, p. 709). Leçon, dans Œuvres complètes, édition établie et présentée par Éric Marty, Seuil, t. III, 1995, p. 805. 35
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Flaubert s’intéresse beaucoup à cette modalisation ou stylisation du langage médical, dont l’effet est presque invariablement comique. Aux yeux de Flaubert, les auteurs médicaux écrivent très mal. Des fois, ils pèchent par un souci excessif de l’exactitude, comme dans cet exemple : « La mastication, action de mâcher, diviser, écraser, comminuer les aliments solides, de les délayer, mélanger avec la salive » (f° 126 ; Morin), ou dans cet autre : « Lorsque la mort arrive, au lieu de dire que la vie s’est éteinte, il serait plus exact de dire que “l’état physiologique qui régénère les organes a cessé d’exister” » (f° 73 v° ; Bernard). Ces phrases, sans doute plus correctes au point de vue scientifique, n’en sont pas moins ridicules pour les lecteurs qui n’appartiennent pas à la petite communauté des savants. Mais, plus que l’excès de précision, c’est l’abus de rhétorique qui rend souvent risible le style médical. Il en va ainsi de cette « jolie périphrase pour dire Mouchoir de poche » : « Une pièce d’étoffe, qui fait en quelque sorte partie du vêtement, est destinée à recueillir les produits de l’excrétion nasale » (f° 128 v° ; Lévy)36. Le même auteur compare les rues à « des canaux aériens dans lesquels se déverse le méphitisme humain par toutes les ouvertures des habitations qui les bordent des deux côtés ! » (f° 128 ; id.)37. Quant à la périphrase, il ne faut pas oublier que le jeune Flaubert s’était amusé lui-même à composer avec Bouilhet et Du Camp une tragédie burlesque, La Découverte de la vaccine, ayant pour protagoniste un médecin (Jenner). Certains passages de cette pièce inachevée, écrite dans un style bouffonnement euphémistique, auraient dû figurer dans le second volume de Bouvard sous la rubrique « Périphrases ». Par exemple, voici une périphrase pour signifier une saignée : Armé d’un dard prudent, j’ai, pour calmer son mal, De sa veine gonflée, ouvert le noir canal. (g 2263, f° 8)
Flaubert porte une attention particulière à ce qu’il y a de littéraire dans le discours médical. Le langage des auteurs médicaux, fortement modalisé en dépit de leur visée scientifique et objective, prend très souvent une tournure poétique. C’est le cas de cette « belle phrase ! sur la Nuit » extraite de l’œuvre de Burdach, physiologiste allemand : 36 37
Commentaire marginal : « littér. médicale ». Commentaire marginal : « littér médicale ».
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« La nuit ramène le sentiment de l’isolement & affaiblit l’énergie de la vie. Mais au milieu du calme qu’elle amène, l’œil plonge dans l’immensité des mondes & l’âme se trouve entraînée vers les idées religieuses » (f° 127 v° ; Lévy)38. Parfois d’ailleurs, les médecins se permettent même de puiser des images et des expressions dans les œuvres littéraires. Ainsi, c’est pour faire l’éloge de la beauté féminine que Menville de Ponsan cite ce fragment des Hommes de Prométhée de Colardeau : Sur deux touffes de lis figurez-vous la rose, Lorsqu’au lever du jour, timide, demi-close, Et commençant à peine à se développer, Du bouton le plus frais, elle va s’échapper. Tel est ce sein, ce sein, la première parure Que reçoit la beauté des mains de la Nature Demi-globe enchanteur, dont le double contour Palpite & s’embellit sous la main de l’Amour ! (f° 89)39
La préoccupation stylistique n’est pas étrangère à l’écriture médicale. Bien des auteurs ne peuvent pas se défendre d’orner leur discours de multiples figures, qui sont pourtant on ne peut plus banales. Pour citer ici un autre exemple, Virey fait du pathos sur le commerce des esclaves noirs, et met en parallèle « l’exploitation du sucre & la traite » qui datent de la même période : « de sorte que [...] tout ce qu’il y a de plus doux & de plus amer au monde commença l’un avec l’autre » (f° 119 v° ; DSM, « Nègre »)40. En résumé, le discours médical du XIXe siècle, loin de respecter le modèle d’un énoncé impersonnel, véhicule des représentations dont la (mauvaise) littérarité les rend souvent éminemment comiques.
38
Commentaire marginal : « style médical », avec un trait vertical. Commentaire marginal : « Style rococo », avec un trait vertical. Signalons un autre exemple de citation littéraire chez les auteurs médicaux. Louyer-Villermay, voulant décrire les troubles sensitifs propres à l’hypocondrie, emprunte ces « jolis vers » à J.-B. Rousseau : le son le plus léger le fait frémir d’horreur et de son cerveau creux la membrane affligée du moindre ébranlement se trouve dérangée. (f° 115 ; DSM, « Hypocondrie ») La citation est marquée d’un trait vertical. 40 Commentaire marginal : « copier », avec un trait vertical. 39
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En fait, dès que les médecins abordent certains sujets, en particulier la sexualité et la féminité, ils se mettent à adopter un ton emphatique et à abuser des métaphores et des comparaisons. Dans la section précédente, nous avons déjà traité de la poétisation de la féminité, dont on a vu qu’elle cache un enjeu idéologique majeur41. Il nous reste encore à analyser la sexualité qui est en effet un autre foyer de sottises stylistiques dans le dossier médical de Bouvard. Citons d’abord quelques exemples : « La pudeur sans défiance peut recevoir des mains perfides du vice, sous l’apparence innocente de ces friandises enfantines, un philtre dangereux. Ainsi peut être séduite dans la première fleur de la jeunesse une tendre vierge » (f° 109 v° ; DSM, « Diablotin »)42 ; « C’est à cette époque, si bien nommée la fleur de l’âge, que les deux sexes éprouvent l’un vers l’autre cette impulsion irrésistible, ce besoin impérieux de se rapprocher, qui est sans contredit la source des plus douces jouissances, mais qui souvent entraîne dans des écarts que la nature réprouve, ou dans des excès funestes à la santé, indépendamment des orages qui parfois troublent cette époque de la vie & deviennent fréquemment le germe des maladies les plus graves » (g 2263, f° 122 ; DSM, « Adolescence »)43. Bienville recourt lui aussi aux métaphores factices pour évoquer la disposition d’une jeune fille à la nymphomanie : « Son cœur était un composé de soufre toujours exposé au flambeau de l’amour, et c’était une quintessence de feu qui coulait dans ses veines » (f°152)44 ; ou encore, « Saint-Albin fut celui sur qui dardèrent les rayons de sa flamme ; ce fut en sa faveur qu’ils se réunirent. Ce jeune homme s’en aperçut bientôt. Son bonheur lui semblait trop grand pour ne pas chercher les moyens d’en profiter » (Id.)45. Il est à remarquer que tous les extraits recopiés par Laporte sur 41 Les auteurs des traités médicaux sur la femme, quoiqu’ils emploient les procédés rhétoriques, se montrent souvent très hostiles à la littérature, en particulier aux romans, auxquels ils attribuent les dérangements hystériques des femmes. Flaubert a recueilli dans le dossier médical plusieurs citations où les médecins attaquent les romans, et envisageait d’en faire une rubrique du Sottisier : « Haine des romans » (g 2267, f° 22-23). À ce propos, voir notre article « La bibliothèque romantique d’Emma condamnée par la bibliothèque médicale de Bouvard et Pécuchet », dans La Bibliothèque de Flaubert, op. cit., p. 237-247. 42 Commentaire marginal : « style médical ». 43 La citation est marquée d’un trait vertical. 44 Commentaire marginal : « Style médical », avec un trait vertical. 45 Commentaire marginal : « Style troubadour ».
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les ms g 2263, f° 130-132 (« Style médical »), portent en marge ce commentaire de Flaubert : « génital », ce qui est sans conteste très significatif. Lorsque le discours médical a pour objet ce qui se rapporte au génital, son style devient donc manifestement artificiel. Or, comme l’a bien remarqué M. Foucault dans l’Histoire de la sexualité46, c’est seulement vers le début du XIXe siècle que le discours de la science commence à interroger sérieusement les plaisirs sexuels. Pour la première fois, les auteurs médicaux prêtent alors une attention soutenue aux faits sexuels. Loin d’être passée sous silence, la sexualité devient désormais « un enjeu public »47, et fait l’objet d’une surveillance constante de la part des hygiénistes, qui signalent partout des dangers, imposent des contraintes, indiquent des prescriptions minutieuses et exhortent à une vie sexuelle régulière et modérée. Mais au début, ce sujet inédit embarrasse étrangement les médecins, et leur gêne se traduit par une censure du vocabulaire et par une rhétorique toute particulière qui abuse des allusions et des métaphores, comme si la décence des expressions pouvait compenser, au moins pour une part, le scandale du sujet. Bien des auteurs se croient même obligés, avant d’entamer leurs exposés, de s’excuser de disserter sur des choses si peu nobles. Ainsi, en tête de son Étude médico-légale sur les attentats aux mœurs (1857), A. Tardieu ne peut pas s’empêcher de préciser spécialement : « La nature du sujet exige des détails faits pour soulever tous les sentiments d’honnêteté et de pudeur, mais devant lesquels je n’ai pas cru devoir reculer. Aucune misère physique ou morale, aucune plaie, quelque corrompue qu’elle soit, ne doit effrayer celui qui s’est voué à la science de l’homme, et le ministère sacré du médecin, en l’obligeant à tout voir, à tout connaître, lui permet aussi de tout dire48. » Le sérieux affecté avec lequel les médecins traitent de la sexualité fait souvent de leurs discours des chefs-d’œuvre de comique. Il en va ainsi de cette « jolie phrase de M. Chaumeton » : « Une foule de causes peuvent diminuer ou détruire chez les personnes les plus 46 Michel Foucault, Histoire de la sexualité, Gallimard, t.1, 1976, p. 85-87. Depuis l’ouvrage fondateur de Foucault, nombreux sont les historiens qui s’intéressent aux discours tenus sur la sexualité. Voir notamment Alain Corbin, L’harmonie des plaisirs, Perrin, 2008. 47 M. Foucault, ibid., p. 37. 48 Ambroise Tardieu, Les attentats aux mœurs, texte présenté par Georges Vigarello, Grenoble, Jérôme Millon, 1995, p. 34.
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vertueuses & les plus sages l’aptitude à goûter les plaisirs de l’amour. Le médecin doit employer toutes les ressources de son art pour rendre à ces infortunés l’exercice de la fonction la plus importante & la plus délicieuse » (f° 106 ; DSM, « Aphrodisiaque »)49. La même remarque s’applique parfaitement à cette autre phrase tirée de l’ouvrage de Debay : « L’acte génital est, nous le répétons, de la plus haute importance. Nous ne saurions trop recommander aux époux, dans leur propre intérêt et dans celui de leur progéniture, d’y prêter une sérieuse attention » (f° 85)50. Le souci d’employer un langage aussi objectif et aussi correct que possible amène le même auteur à parler du « jeu facile de toutes les pièces qui composent ce riche appareil [génital] », qui est selon lui une des conditions des « aptitudes de la femme à la procréation » (Id.)51. Enfin, Virey fait appel à une image allégorique pour représenter l’effet ravageur du libertinage : « Nous avons remarqué des sauterelles qui rongeaient entièrement la tête de leurs mâles sans que ceux-ci fussent détournés d’accomplir avec ces beautés par trop cruelles le vœu de la nature » (f° 117 ; DSM, « Libertinage »)52. Ces citations, qui pèchent toutes sur le plan stylistique, montrent à quel point il était difficile à l’époque de tenir un discours scientifique sur la sexualité. Ce type de discours, toujours émis avec emphase, revêtait immanquablement un aspect plus ou moins ridicule. Dans sa lettre à Tourgueneff, du 4 mars 1880, Flaubert formulait clairement la nature de ce comique : « Plus je vais, plus je trouve farce l’importance que l’on donne aux organes uro-génitaux. Il serait temps d’en rire, non pas des organes – mais de ceux qui veulent coller dessus toute la moralité humaine53. » En exagérant à outrance la part du génital dans la vie humaine pour justifier leur projet d’en traiter scientifiquement, les auteurs médicaux du XIXe siècle n’ont pas manqué d’attirer les sarcasmes de Flaubert.
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Commentaire marginal : « Style ». Commentaires marginaux : « Style médical » et « à copier », avec une croix triplement soulignée et un trait vertical. 51 Commentaires marginaux : « Style médical » et « à copier », avec une croix barrée et un trait vertical. 52 Commentaire marginal : « à copier ». 53 Pl. t. V, p. 855. Cette lettre a été écrite alors que Flaubert se documentait sur le problème de l’onanisme en vue du chapitre X de Bouvard. 50
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3. Médecine et idéologie En interrogeant le « style médical », Flaubert réussit à mettre en relief une dimension rarement abordée : celle de l’énonciation des discours médicaux. Malgré leur prétention affichée à la neutralité, les médecins imprègnent très fréquemment leurs énoncés de leur propre personnalité. Cette marque de l’énonciateur produit souvent le comique de styles, qui n’est au fond rien d’autre qu’une forme du « comique d’idées ». En effet, comme le disait Flaubert dans une lettre à Ernest Feydeau, « le style n’est qu’une manière de penser », et « le style est autant sous les mots que dans les mots »54. Ou bien, dans une lettre à L. Colet : « Où la Forme, en effet, manque, l’Idée n’est plus. Chercher l’un, c’est chercher l’autre. Ils sont aussi inséparables que la substance l’est de la couleur, […]55. » La forme et l’idée ne sont donc qu’une seule et même chose, et les faiblesses stylistiques découlent pour une bonne part de celles de la pensée. L’ineptie des jugements fait partie du style et imprime un caractère comique aux mots employés, comme dans cet extrait de Broussais que Flaubert a trouvé cité chez Bouillaud : « une méthode pour l’adoption de laquelle je ne cesse de faire des vœux depuis que je suis initié dans le sanctuaire du dieu d’Épidaure » (g 2263, f° 120)56. Le dogmatisme exacerbé de l’auteur de l’Examen des doctrines médicales est sensible dans le mouvement même de cette phrase. Comparer la médecine à un sacerdoce relève en effet du poncif, ainsi que l’atteste l’article « SACERDOCE » du Dictionnaire des idées reçues (p. 434). Flaubert, très attentif au contexte des mots, décèle les postures idéologiques inscrites dans le discours médical. Ainsi pour ce raisonnement finaliste de Spigel, anatomiste flamand du XVIIe siècle, qui soutient que « l’homme est le seul animal qui se tienne commodément assis » : « Les fesses sont comme un coussin étendu sous lui, afin que, pouvant sans peine garder cette attitude, il abandonne plus complètement son âme à la contemplation de Dieu » (f° 111 v° ; DSM, « Fesse »). Flaubert a noté en marge un commentaire plein d’ironie : « Sens spirituel des [fesses] ». Dans l’exemple suivant, on voit un 54
vers le 15 mai 1859 (Pl., t. III, p. 21-22). 15-16 mai 1852 (Pl., t. II, p. 91). 56 Ce fragment, inscrit dans la rubrique « Style médical », est marqué d’un trait vertical dans la marge droite. 55
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texte médical transformé tout d’un coup en texte proprement idéologique : « Une femelle de puceron, une fois fécondée par le mâle, produit des œufs d’où il sort des pucerons qui sont eux-mêmes capables de pondre des œufs féconds sans l’intervention du mâle. Cette seconde génération transmet la vie sans secours d’aucun mâle pendant neuf générations, toutes composées de femelles, à l’exception de la dernière qui contient des mâles. Alors il y a un nouvel accouplement qui peut suffire pour neuf autres générations. Ainsi, le puceron prouve qu’on peut être vierge & mère en même temps » (f° 105 ; DSM, « Génération »). La génération du puceron est invoquée comme preuve de l’Immaculée Conception ! Ce rapprochement est tout à fait délirant, et ne fait que révéler d’une manière caricaturale la croyance personnelle de Virey, auteur de l’article. « Le texte de savoir est démembré pour être rapporté à une attitude idéologique », remarque J. Neefs en analysant les opérations complexes auxquelles Flaubert a procédé dans sa pratique de prise de notes57. La stratégie de Flaubert consiste toujours à repérer les positions de discours et à les mettre en pleine lumière en coupant des énoncés de leur contexte d’origine. Dans le domaine médical, du reste, certains auteurs n’hésitent même pas à afficher leur credo politique ou religieux. C’est le cas de Raspail, dont on va voir que son texte médical porte des traces explicites de son républicanisme acharné. Dans l’exemple ci-dessous, Regnard, médecin socialiste et futur communard, ne cherche point à dissimuler son aspiration à l’autorité, certes inhérente à tout discours d’idéologie, mais particulièrement prononcée chez les socialistes modernes : « Qu’on ne me parle de libéralisme & de respect des opinions. Si je crois la mienne bonne, celle de mon adversaire est absurde, & je n’irai pas lui offrir une tribune pour la soutenir » (f° 133 v°). Flaubert commentait en marge : « intolérance ». On sait que pour notre romancier, le socialisme était caractérisé avant tout par son idéal étatiste et par sa libido dominandi qui amenait ses tenants à souhaiter « une tyrannie sacerdotale »58. Au moins cette conviction flaubertienne a-t-elle dû être corroborée par la 57
Jacques Neefs, « Noter, classer, briser, montrer, les dossiers de Bouvard et Pécuchet », dans Penser, classer, écrire, études réunies et présentées par Béatrice Didier et Jacques Neefs, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 1990, p. 77. J. Neefs parle précisément des notes portant sur l’Histoire naturelle de Raspail. 58 Lettre à L. Colet, 15-16 mai 1852 (Pl., t. II, p. 90).
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lecture de Regnard, lequel repousse formellement l’indulgence « au nom d’une juste sévérité » (f° 133 v°-134). Parmi les lectures médicales de Flaubert, Raspail offre assurément le cas le plus remarquable sous le rapport idéologique. Ce militant républicain59, que ses convictions politiques ont conduit en prison à plusieurs reprises, n’a pas cessé toute sa vie durant d’exalter le peuple, ses vertus et ses mérites60. Cela se remarque jusque dans ses écrits purement scientifiques comme l’Histoire naturelle de la santé et de la maladie, sur laquelle Flaubert a pris cinq pages de notes. Citons donc les perles démocratiques que Flaubert a retenues au fur et à mesure de cette lecture : « ... médecins de village & de hameau. – & ce ne sont jamais ceux-là qui observent en courant & à la légère. La faculté de Paris n’en fournit pas du tout dans ce sens » (f° 63)61 ; « Le paysan, moins érudit & moins savant, était dans le vrai sur ce point [= sur la « cause des phlegmons »] comme sur bien d’autres » (f° 63 v°) 62 ; « Une garde-malade, si peu lettrée qu’elle soit, est souvent un grand médecin » (f° 64)63 ; « La vaccine était connue avant Jenner, en Écosse, dans l’Inde, dans la Chine. C’est encore un point de doctrine sur lequel le peuple a devancé le savant » (Id.) 64 ; « Le préjugé populaire finira par l’emporter sur l’incrédulité scientifique, & l’observation des bonnes femmes aura raison sur les théories des savants. – Quand il s’agit d’observations naïves, la science, trop outrecuidante de sa nature, est toujours en arrière du bon sens public » (Id.). On remarquera que tous ces extraits, sauf le dernier, portent en marge des commentaires flaubertiens qui les destinent explicitement au second volume de Bouvard. Le ms g 2261, f° 96 regroupe, en effet, six extraits de l’Histoire naturelle de la santé sous la rubrique « Exaltation du Bas »65. Toutes ces citations témoignent en effet de la 59
Sur plusieurs folios de brouillons de l’épisode Raspail, on lit des phrases comme celle-ci : « Barberou lui envoie [à Bouvard] le gd ouvrage & lui vante Raspail comme républicain » (g 2253, f° 271 v°). 60 Sur les idées démocratiques de Raspail, voir Francis Démier, « Démocratie politique et démocratie culturelle chez Raspail, de la révolution de 1830 à la révolution de 1848 », dans Raspail et la vulgarisation médicale, op. cit., p. 27-59. 61 Commentaire marginal : « exaltation du médiocre », avec une grande croix. 62 Commentaires marginaux : « exaltation de l’ignorant » et « à copier ». 63 Commentaires marginaux : « exaltation du bas » et « à copier », avec une croix. 64 Commentaire marginal : « exaltation du bas. (copiez) ». 65 Outre les cinq extraits cités au paragraphe précédent, le folio en comprend un sixième qu’on a déjà évoqué dans notre chapitre sur l’hygiène : « Je vous le répète
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haine que Raspail porte à la médecine académique et au monde des savants. Pour lui, il existe deux savoirs bien distincts, qu’il importe de ne pas confondre : le savoir élitiste et le savoir populaire. Le premier, qui a été de tout temps prépondérant au niveau des institutions, est au fond un faux savoir qu’il faut détrôner à tout prix. Ainsi, Raspail tonne contre le « congrès médical de 1846, tenu à l’hôtel de ville », qui a réuni l’aristocratie de la médecine (f° 63). En revanche, il faut aller chercher un autre savoir plus authentique du côté du peuple et de ses observations quotidiennes. Raspail professe la foi absolue en la sagesse populaire, sur laquelle se base d’ailleurs son propre système médical qui voit partout des helminthes à l’origine des maladies66. La démocratie médicale de Raspail, liée étroitement à sa certitude politique, prescrit de se fier quasi aveuglément au bon sens du peuple, voire aux pratiques superstitieuses. Par ailleurs, le dossier médical de Bouvard contient un certain nombre d’extraits qui sont en contradiction avec les propos de Raspail. Des auteurs manifestent une méfiance à l’égard de l’intelligence populaire. Ainsi, Mérat souligne les « bêtises du peuple » qui rendent la consultation médicale extrêmement difficile : « Il faut avoir fait la médecine dans les hôpitaux pour savoir jusqu’où peut aller la stupidité des dernières classes de la société, – lorsqu’il s’agit de rendre compte de leurs maladies » (f° 116 v° ; DSM, « Interrogation »)67. Littré, de son côté, évoque l’aspect menaçant de l’« éternelle bêtise du peuple », qui a provoqué des scènes de violence lors des grands fléaux épidémiques en répandant des « soupçons d’empoisonnement » : « Quand la peste d’Athènes se déclara au Pirée, les habitants commencèrent par dire que les Péloponnésiens avaient empoisonné les fontaines. Il en fut de même à Paris en 1832, [ou] à Saint-Pétersbourg & en Hongrie » (f° 81)68. Enfin, dans l’extrait suivant, ce sont les mœurs de la classe populaire qui sont mises en question : « Comment pour la centième fois, messieurs les riches, vous avez toutes sortes d’intérêts à redevenir peuple ; le peuple des champs est plus près de la nature que vous. Imitez-le, cela vaut mieux que de le calomnier, et l’on ne s’en porte que mieux de corps et d’esprit » (g 2261, f° 96) La citation a été recopiée par Laporte sur le folio, et Flaubert a ajouté en marge : « Le vulgaire plus savant que les riches ». 66 Sur la médecine Raspail, voir notre chapitre 3. 67 Les « bétises du peuple » est un commentaire de Flaubert en marge. 68 La citation est marquée d’une croix en marge. L’« éternelle bêtise du peuple » est un commentaire de Flaubert en marge.
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se fait-il qu’on n’ait cessé de déclamer contre la classe élevée & d’exalter les vertus du peuple ? Ces philosophes déclamateurs vivaient avec les grands qu’ils calomniaient, & ne connaissaient pas le peuple. S’ils eussent étudié les mœurs de leur pays, ils se seraient convaincus que la corruption est plus générale, plus grande, plus hideuse dans la classe la plus inférieure » (f° 112 v° ; DSM, « Folie »)69. Toutes ces assertions soulignent avec inquiétude l’incurie du peuple, et font un curieux contraste avec « l’exaltation du bas » à laquelle Raspail se livre avec enthousiasme. Avec ses éloges du médiocre (ou au moins ce que Flaubert présente comme tel), Raspail incarne finalement une des tendances majeures de l’époque, quoique d’une façon caricaturale. À maintes reprises dans sa Correspondance, Flaubert se plaint de « la rage de l’abaissement moral »70 qui caractérise à ses yeux son propre siècle71. De fait, l’avènement nouveau de la démocratie et du suffrage universel a fait de la foule une puissance inquiétante pour de nombreux intellectuels contemporains du romancier. Le pouvoir des majorités tenant uniquement au nombre, non à l’intelligence, le règne démocratique amène nécessairement la disparition des mandarins éclairés72. Les masses, avec notamment leur « haine de la supériorité » 73 , menacent de plonger dans une même indifférenciation les forts et les faibles, les grands et les petits, le haut et le bas. Dans le roman encyclopédique, la question de la démocratie et de ses méfaits se trouve traitée au chapitre VI. Là, malgré le principe flaubertien de l’impersonnalité, il semble que l’écrivain laisse entendre sa propre voix dans plusieurs passages comme celui-ci : — « Aucune [fraude] » reprit Bouvard. « Je crois plutôt à la sottise du 69
Commentaire marginal : « peuple », avec une croix. À L. Colet, 22 septembre 1853 (Pl., t. II, p. 437). Un peu plus haut dans la même lettre, Flaubert écrivait : « Nous sommes tous enfoncés au même niveau dans une médiocrité commune. L’égalité sociale a passé dans l’Esprit. On fait des livres pour tout le monde, de l’art pour tout le monde, de la science pour tout le monde, comme on construit des chemins de fer et des chauffoirs publics. » 71 Pour la pensée politique de Flaubert en général, nous renvoyons entre autres à Antoine Compagnon, La Troisième République des lettres, Seuil, 1983, p. 269-304. 72 « Un mandarin, comme moi, n’a plus sa place dans le monde » (Lettre à sa nièce Caroline, 28 octobre 1870 ; Pl., t. IV, p. 256). 73 Flaubert s’est servi de cette formule pour commenter plusieurs citations dans les dossiers documentaires. 70
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peuple. Pense à tous ceux qui achètent la Revalescière, la pommade Dupuytren, l’eau des châtelaines, etc. ! Ces nigauds forment la masse électorale, et nous subissons leur volonté. […] De même, par le fait seul de la foule, les germes de bêtise qu’elle contient se développent et il en résulte des effets incalculables. » (p. 227)
Ces réflexions les plus pessimistes de Bouvard face au résultat de l’élection présidentielle, dont on sait qu’elle a laissé un traumatisme chez les intellectuels du temps, peuvent être parfaitement assimilées aux idées politiques de Flaubert telles que nous les lisons dans sa Correspondance : « Mais quant à l’intelligence des masses, voilà ce que je nie, quoi qu’il puisse advenir, parce qu’elles seront toujours des masses74. » À y regarder de plus près, le mouvement d’égalisation démocratique se compose de deux versants distincts mais complémentaires : d’un côté l’« indulgence pour le médiocre », et de l’autre la « sévérité pour le sublime »75. Ce second versant préoccupait Flaubert non moins que le premier. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler en quels termes le romancier exposait à L. Colet son projet de préface au Dictionnaire des idées reçues : Ce serait la glorification historique de tout ce qu’on approuve. J’y démontrerais que les majorités ont toujours eu raison, les minorités toujours tort. J’immolerais les grands hommes à tous les imbéciles, les martyrs à tous les bourreaux, […] Je rentrerais par là dans l’idée démocratique moderne d’égalité, dans le mot de Fourier que les grands hommes deviendront inutiles ; et c’est dans ce but, dirais-je, que ce livre est fait 76.
Si, dans le Sottisier, la rubrique « Exaltation du Bas » (g 2261, f° 92101) traite plutôt de l’« indulgence pour le médiocre », la « sévérité pour le sublime » est largement illustrée par une autre rubrique : « Grands Hommes » (g 2263, f° 10-46). Celle-ci regroupe en effet un grand nombre de jugements défavorables aux hommes supérieurs77. 74
À Mlle Leroyer de Chantepie, 16 janvier 1866 (Pl., t. III, p. 479). g 2267, f° 321 v°. Il s’agit d’un fragment de scénario que Cento a transcrit dans son édition de Bouvard et Pécuchet, p. 239. 76 16 décembre 1852 (Pl., t. II, p. 208). Je souligne. 77 Sur la complexité politique et l’implication esthétique de cette rubrique, voir Jacques Neefs, « La “haine des grands hommes” au XIXe siècle », MLN, 116-4, September 2001, p. 750-769. 75
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Ces énoncés critiques78, que Flaubert a amassés au fil de ses lectures préparatoires, portent pour la plupart sur de grands écrivains tels que Homère, Shakespeare, Molière et Hugo, etc. Par ailleurs, le dossier médical de Bouvard montre que les scientifiques, y compris les médecins, n’échappent pas non plus à cette tendance dépréciatrice. Ainsi, Flaubert a relevé cet extrait : « Harvey n’a rien compris à la découverte d’Aselli, & se montre injuste contre celle de Pecquet », et noté en marge : « haine contre les inventeurs » (f° 57 v° ; Daremberg). À la vérité, le cas est ici quelque peu compliqué, puisque Harvey a lui-même souffert d’une incompréhension générale à l’égard de sa découverte de la circulation sanguine. Il arrive donc qu’un grand innovateur fasse lui aussi preuve de « pharisaïsme médical » (Id.) et se comporte à l’égard d’autres innovations comme un obscurantiste entêté. Peut-être cela relève-t-il de la bêtise universelle, car la postérité même ne se révèle pas toujours équitable à l’égard des inventeurs : « L’école de Montpellier, & Rivière a dit que les découvertes d’Aselli & de Pecquet sur les vaisseaux lactés, comme celles de Harvey sur la circulation, étaient de pures curiosités zoologiques qui n’importaient aucunement à la médecine » (f° 75 ; Bernard)79. « On exalte les petits et on rabaisse les grands. – Rien n’est plus bête ni plus immoral », affirme Flaubert80. Cette double tendance, qui a assurément existé à toutes les périodes de l’histoire, est surtout caractéristique de l’époque de l’égalité, dont l’écrivain se méfie profondément : « Qu’est-ce donc que l’égalité si ce n’est pas la négation de toute liberté, de toute supériorité et de la Nature elle-même ? L’égalité, c’est l’esclavage81. » Il se révolte ainsi contre le mouvement d’égalisation de son temps, auquel il refuse résolument de se plier : « Le principal en ce monde est, dit-il, de tenir son âme dans une région haute, loin des fanges bourgeoises et démocratiques82. » En se plaçant ainsi au-dessus ou à l’écart du commun, il s’attache à résister à la bêtise du nombre et au nivellement des individus : « La masse, le 78
Par exemple, voici Voltaire jugé sévèrement par Sirtéma de Grovestins, auteur des Gloires du romantisme : « En proclamant Voltaire un grand homme, on se trompe. Il n’était qu’un grand égoïste qui a été merveilleusement servi par les circonstances » (g 2263, f° 27 ; la citation recopiée par Laporte). 79 Commentaire marginal : « dédain de l’anatomie ». 80 Lettre à G. Sand, 2 février 1869 (Pl., t. IV, p. 16). 81 Lettre à L. Colet, 15-16 mai 1852 (Pl., t. II, p. 91). 82 Lettre à Laure de Maupassant, 23 février 1873 (Pl., t. IV, p. 648).
240
FLAUBERT EPISTEMOLOGUE
nombre est toujours idiot. Je n’ai pas beaucoup de convictions. Mais j’ai celle-là, fortement83. » L’écrivain, face à la menace d’une foule de plus en plus envahissante, tente de faire valoir son indépendance spirituelle. C’est en ce sens qu’il faut comprendre, par exemple, sa sympathie pour les Bédouins, symbole d’une insoumission farouche : « Je hais le troupeau, la règle et le niveau. Bédouin, tant qu’il vous plaira ; citoyen, jamais »84, ou son identification à l’ours : « Ah ! ah ! je n’aurai pas tourné dans ma cage pendant un quart de siècle, […] pour m’atteler ensuite à un omnibus et trottiner d’un pas tranquille sur le macadam commun. Non, non. Je crèverai dans mon coin, comme un ours galeux85. » Ces déclarations sont particulièrement révélatrice, parce qu’elles font apparaître l’image d’un partisan opiniâtre de la singularité plus que celle d’un antimoderne enclin à la nostalgie élitiste. L’ours blanc de Croisset, aspirant ardemment à la liberté, n’a pas cessé jusqu’à la fin de sa vie de protester contre l’injustice de l’époque démocratique. Avant de terminer ce dernier chapitre, nous croyons nécessaire d’aborder brièvement le problème du langage littéraire. En effet, l’ironie que Flaubert fait porter sur les mauvais styles comme celui des médecins semble désigner en creux ce que doit être le vrai style. Il nous faut donc mettre en valeur cet idéal flaubertien du style, qui ne peut pourtant pas être assimilé à tel ou tel modèle plus ou moins universel. Sur ce point, Anne Herschberg Pierrot a raison de remarquer que la manière dont Flaubert conçoit le style est radicalement différente de la conception classique du style86. Pour lui, la singularité irréductible du style que requiert toute œuvre littéraire rend invalides les normes stables et préétablies que propose la rhétorique : « C’est toujours la même question, celle des Poétiques. Chaque œuvre à faire a sa poétique en soi, qu’il faut trouver87. » C’est en ce sens que le style 83
Lettre à G. Sand, 7 octobre 1871 (Pl., t. IV, p. 384). Lettre à L. Colet, 23 janvier 1854 (Pl., t. II, p. 515). Flaubert a connu les Bédouins pendant son voyage en Orient, et a ressenti aussitôt une vive sympathie pour eux : « Voilà donc 6 jours que nous avons passés à peu près entièrement dans le désert, […] vivant avec les Bédouins (lesquels sont très gais et les meilleurs gens du monde), […] » (Lettre à sa mère, 14 décembre 1849 ; Pl., t. I, p. 550). 85 Lettre à L. Colet, 23 janvier 1854 (Pl., t. II, p. 515). 86 Le style en mouvement, Belin, 2005, p. 11-18. 87 Lettre à L. Colet, 29 janvier 1854 (Pl., t. II, p. 519). 84
STYLE ET IDEOLOGIE
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peut être « à lui tout seul une manière absolue de voir les choses »88, dont le caractère unique et créatif fonde l’autonomie de l’œuvre. Avec Flaubert, le style ne relève plus des catégories générales de la rhétorique, dont les « Spécimens de tous les styles » aurait constitué une version parodique dans le second volume de Bouvard, mais devient désormais quelque chose à rechercher et à inventer chaque fois. On comprend que cette singularité du style ne s’obtient qu’à distance de toute prise de position infléchissant a priori les paroles de l’œuvre. Or, comme nous venons de le voir, le comique du style médical découle assez fréquemment de ce qu’il révèle la position idéologique de l’énonciateur. Le cas du républicanisme de Raspail nous a offert un exemple illustratif. Mais alors, quel style est vraiment capable d’échapper à cette bêtise, celle de conclure ? La Correspondance de Flaubert apporte quelques éléments de réponse à cette question épineuse. D’après le principe flaubertien de l’impersonnalité, l’écrivain doit quitter sa propre personnalité étroite pour épouser tous les points de vue particuliers et pour les représenter ensuite dans son œuvre. Ce point de vue en quelque sorte transcendant, en tous points comparable à celui de Dieu, Flaubert l’appelle la « blague supérieure »89. Celle-ci, loin d’exprimer une opinion individuelle et arrêtée, vise à embrasser de manière impartiale toutes les passions. L’écriture flaubertienne, bien qu’indéniablement ironique, est par essence « un travail d’amour et non d’exclusion »90. En parodiant le mot célèbre de Buffon, Gilles Deleuze écrit à propos du langage de Proust : « Mais jamais le style n’est de l’homme, […]. Jamais il n’est d’un point de vue, mais est fait de la coexistence dans une même phrase d’une série infinie de points de vue d’après lesquels l’objet se disloque, résonne ou s’amplifie91. » On voit bien que cette belle analyse s’applique aussi parfaitement au langage de Flaubert, en particulier à son fameux style indirect libre. Celui-ci suppose en effet une multiplication des points de vue à l’intérieur d’un même texte, d’un même paragraphe, voire d’une même phrase. Ce 88
Lettre à L. Colet, 16 janvier 1852 (Pl., t. II, p. 31). « Quand est-ce qu’on écrira les faits au point de vue d’une blague supérieure, c’est-à-dire comme le bon Dieu les voit, d’en haut ? » (Lettre à L. Colet, 7 octobre 1852 ; Pl., t. II, p. 168). 90 Lettre à L. Colet, 23 janvier 1854 (Pl., t. II, p. 514). 91 Proust et les signes, 7e édition, Presses Universitaires de France, 1986, p. 200-201. 89
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pluralisme énonciatif implique notamment une conséquence majeure, à savoir celle d’instaurer une rupture définitive entre l’auteur et son texte. Selon l’heureuse expression de Roland Barthes, « qui parle (dans le récit) n’est pas qui écrit (dans la vie) et qui écrit n’est pas qui est »92. Plus que d’un simple constat de l’analyse structurale moderne, il s’agit là, pour notre romancier au moins, d’une éthique de l’écriture engageant le sens même de l’entreprise littéraire. Flaubert était d’ailleurs très conscient de cette rupture, parce qu’il niait lui-même que « la plume ait les mêmes instincts que le cœur »93. Dès lors, on comprend mieux sa haine des discours monologiques, auxquels il reproche de n’exprimer qu’un seul point de vue limité. Pour l’« homme-plume », tout au contraire, la littérature constitue une expérience essentiellement anonyme dans la mesure où la parole littéraire ne peut en aucun cas être ramenée à l’autorité de la voix de celui qui écrit.
92
« Introduction à l’analyse structurale des récits », dans Œuvres complètes, op. cit., t. II, p. 95. 93 Lettre à L. Colet, 26 juillet 1852 (Pl., t. II, p. 139).
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243
g 2267, f° 85 La Vénus Féconde & Callipédique théorie nouvelle etc. Debay. influence du Climat.
à mesure qu’on avance vers le midi la fécondité augmente. plusieurs Cantinières de l’armée française, stériles en Europe furent fécondées en Égypte. ( mémoires du baron Larrey)
femmes à plusieurs mamelles. Style médical.
les
à copier.
v p. 19. « les aptitudes de la femme à la procréation dépendent de plusieurs conditions 1o du large développement du bassin & des
physiques & morales o
organes mammaires 2 de la belle conformation de l’appareil génital beaucoup plus compliqué que celui de l’homme & du jeu facile de toutes les pièces qui composent ce riche appareil » 21. id.
id X.
« L’acte génital est, nous le répétons, de la plus haute importance nous ne saurions trop recommander aux époux dans leur propre intérêt et dans celui de leur progéniture d’y prêter la une sérieuse attention. » 87.
L’abus cause de stérilité.
lorsque les filles de joie cessent leur commerce, beaucoup d’entre elles deviennent enceintes dès la première copulation. 89. - id pr les prostituées d’Angleterre qui retrouvent, à Botany-Bay, la fécondité qu’elles avaient perdue. Les jouissances vénériennes prises immodérément masculinisent la femme, & féminisent l’homme. « Donc il est logique, & les faits le prouvent, que la courtisanne fécondée donne le jour plutôt à un garçon qu’à une fille. » (98).
le § VIII. « Sous les rideaux ». p. 168-169. à copier. pourquoi le café au lait est mauvais. Le café possède la propriété du d’empêcher le caillement du lait. (173.) exercices gymnastiques.
exercice du bâton que l’on se met derrière les épaules. - comique —————
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FLAUBERT EPISTEMOLOGUE
g 2267, f° 87 Histoire naturelle de la Femme. Moreau de la Sarthe 1803. l’homme.
Moscati, Monbolo n’ont pas vu dans les Formes physiques de l’homme des dispositions suffisantes pr établir entre lui & les autres mammifères une ligne de démarcation. Linné (Systema Natura[e]
t 1er 12 éd. p 20)
nous a inscrit dans la famille des primats, où l’espèce humaine s’est trouvée assimilée à celle[s] des singes, des makis & des chauve-souris. (35) odeurs.
- Chambon. dans son hist traité des maladies des femmes remarque leurs effets peuvent fournir le moyen de distinguer les maladies nerveuses qui ont leur source dans un dérangement de l’utérus de celles qui proviennent d’un dérangement occasionné dans le sein même du système nerveux. Dans le premier cas les émanations aromatiques sont salutaires, dans le second nuisibles. (115). sensibilité
Femmes. « leurs sensations est plus à la surface, plus disséminée & leurs perceptions moins profondes & plus fugitives ». (118.) réfutation du système de Bichat
X
toute vie est organique, c’est à dire exécutée par des organes. Il désunit ce que la nature n’a point séparé. - plusieurs animaux sont dépourvus de ce qu’il appelle la vie animale, c’est à dire celle qui résulte seulement de la sensation & de la locomotion. (etc. p. 132)
les deux dernières molaires : dents de sagesse, manquent plus souvent chez la femme que chez l’homme. La mastication y est moins énergique. (136) les brunes ont la peau plus douce. aussi Winckelmann disait-il que les hommes qui préfèrent les brunes aux blondes se laissent prendre par le toucher plus que par les yeux. (168) Bordeu parle de 3 satyres qui dès l’âge de 10 à 11 ans étaient harcelés par un prurit continuel. Ils étaient du reste presque idiots. Hermaphrodites.
suivant Favorin d’Arles, le rhéteur Philostrate qui vivait du temps d’Adrien réunissait les attributs des deux sexes. (214)
L’Apollon du Belvédère
a suivant Hogarth le col & les cuisses trop longues. - & c’est à cause de cela
esthétique
que c’est un chef d’œuvre. - la longueur du cou donne plus de jeu & de variété aux airs de tête & les parties inférieures plus considérables « donnent l’idée d’un empire plus étendu exercé par les parties supérieures ». (257.)
ligne serpentine d’Hogarth. esthétique
presque tous les os ont une torsion & une flexion. Les fibres musculaires ont également des directions serpentines. (282)
STYLE ET IDEOLOGIE
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g 2267, f° 87 v°
Le col
doit établir une transition presque insensible entre le tronc & la tête.
la poitrine chez la femme « la beauté des mains
doit avoir moins de largeur que chez les hommes
consiste dans une plénitude modérée. » (304)
copie« Les cuisses sont principalement remarquables dans les femmes par leur plénitude voluptueuse leur poli
& la douceur de leurs contours. » (305) Ânerie d’un critique.
« l’emploi des cariatides est, je crois, d’invention moderne. je n’imagine pas qu’une telle profanation soit entrée dans l’esprit des grecs adorateurs de la vraie beauté. ». Neveu, journal de l’École Polytechnique an 3. p. 716.).
Le bassin de la femme
, & des gds quadrupèdes n’acquiert qu’au moment de l’entière puberté la dimension nécessaire pr l’expulsion du fœtus. - observation de Dupuytren.
Morceau de Diderot. ?
Dialogue entre l’aumônier de Bougainville et Orou, otaïtien. - l’inceste s’y trouve justifié. (472.)
Femmes d’otaïti, nageant comme des dauphins, autour des vaisseaux p r venir baiser avec les hommes. (494) Les Brésiliennes, grosses, s’enfuient dans les bois, et coupent avec une pierre tranchante le cordon ombilical pr le faire cuire & le manger. Pendant ce temps là, le mari après s’être mis au lit se nourrit de choses succulentes & substantielles. on retrouve ces coutumes dans les Pyrennées. Diodore de Sicile raconte la même chose des Corses - & Apollonius de Rhodes attribue un usage à peu près semblable aux Tibarènes, peuple voisin du Pont-Euxin. (512. t 2) en Sicile
un des plus proches parents de l’épousée présente un os à l’époux en lui disant : rongez cet os, car vous venez d’en prendre un qui sera plus dur & plus difficile à ronger » 592.
Desideratum - maintenant réalisé.
« l’époque à laquelle on pourra employer utilement & comme matériaux scientifiques les dépositions des criminels & les observations recueillies dans les prisons, les hospices d’aliénés, les maisons de jeu & de plaisir n’est peut être pas éloignée » (625)
Fécondations artificielles expériences.
Jacobi anima des germes de poisson en les humectant avec une portion de laite tirée du corps de l’animal. Spallanzani féconda des crapauds.
X
- et une jeune chienne en lui injectant du sperme avec une t 3.
seringue. (t 2*. p. 22.)
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FLAUBERT EPISTEMOLOGUE
g 2267, f° 88 Moreau de la vers du Cl de Bernis
Sarthe 2.
sur le Pucelage dans son poëme des Saisons.
v p. 129. –
la Mère des Gracques
Cornélie était, à sa naissance, imperforée. Pline. hist n. liv 7.
Clitoris. osseux.
chez une courtisanne de Venise, au rapport de Bartholin. les hommes étaient blessés dans ses embrassements. (142
grossièreté de langage au 17e siècle : = un rapport de matrones sur un viol. en 1672. les mots sont ignobles et expressifs. (v p. 155) prétendus
Signes de la défloration.
le col plus gros. - les urines troublé[e]s, le mamelon d’un rouge brun. les poils du pubis relevés. Tous ces signes sont faux. 156.
à la bibliothèque de l’École de médecine de Paris, recueil de Baron : theses erotico medicae. Le foie dans le fœtus
est très volumineux & plus développé que les autres viscères Doit-on en conclure que cette disposition supplée en qque sorte à la respiration dans le fœtus ? ne doit-on pas avant d’adopter cette opinion constater par des expériences que le sang artériel & le sang veineux diffèrent essentiellement dans
X le fœtus ? (209) ! « dans les Pyrennées, plusieurs de ces mêmes animaux (les vaches) qui se laissent téter par les serpents éprouvent X dans cet allaitement une impression si agréable que leurs mamelles dans la suite se refusent à toute autre irritation & sont vainement pressées sous les doigts du pâtre désolé ! » (t 3. 216.).
Mais les serpents n’aiment pas le lait.
on obtient plus abondamment le lait des vaches, dans plusieurs contrées, en leur soufflant à l’aide d’un chalumeau, des vapeurs chaudes dans la valve. – on active cette même sécrétion chez les buffles en leur introduisant profondément le bras dans le vagin. (217.). Menstrues. un concile de Nicée défend aux femmes chrétiennes d’entrer dans les églises pendant tout le temps que dure l’écoulement périodique. (262) mode
d’Accouchements. - selon les pays. X Copier.
- en Hollande sur des chaises particulières. en Angleterre, la femme est sur le bord du lit, le dos tourné à l’accoucheur dans qq provinces de France, la femme est debout - ou assise sur les genoux d’une personne qui la soutient. en Grèce on la place sur un trépied « au Kamchatka, l’accouchement est public et une foule de témoins vient jouir avec empressement de ce spectacle. » (318)
les femmes seules faisaient des accouchements. - L’usage des accoucheurs commença au 17e siècle. L XIV fit accoucher Mlle de Lavallière par un chirurgien. (321). Hecquet attaqua cet usage dans un livre sur l’indécence qu’il y a aux hommes d’accoucher les femmes.
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STYLE ET IDEOLOGIE
g 2267, f° 88 v°
Les Grecs modernes croient que si la nouvelle accouchée se laissait voir par une étoile, ou si le linge qui lui a servi était lavé dans l’eau de mer elle serait exposée aux plus gds malheurs 340. réflexions philosophiques médicales sur l’émile. par Moreau de la Sarthe, pˍ réfuter qques idées de J J, l’usage des bains froids, le régime des nourrices le téter préparatoire corrige les défauts du mamelon « White cite une famille anglaise qui avait acquis une gde célébrité dans ce genre d’exercice et dont l’art consistait à imiter un nourrisson bien conformé, c’est à dire à allonger doucemt la mamelle & le mamelon, à ouvrir, à redresser les conduits lactifères & à presser ensuite le sein par des attouchements délicats bien ménagés et propres à rendre l’écoulement du lait plus facile. » (354.). formule du bain de modestie parce que la femme qui en faisait usage pouvait s’y faire confesser & recevoir des visites. - amandes, lin, guimauve, lys etc. v p. 427. ——
de l’eau de chair = bouillon dans lequel il entrait de la chair de poulet, des pieds de veau & des petits chiens d’un ou deux jours. (428).
Corsages Corsets élastiques, pˍ séparer les hémisphères d’une gorge trop abondante. (445) « Le citoyen Lacroix est parvenu à les munir, pˍ qques cas particuliers, de l’effigie alors
des organes qu’ils doivent soutenir et qu’ils simulent au point de tromper l’organe du toucher. » (446.) ——
248
FLAUBERT EPISTEMOLOGUE
g 2267, f° 89 philosophique
Histoire critique & médicale de la Femme etc. 2e édition revue corrigée & augmentée de tout ce qui peut contribuer à la santé & au bonheur des deux sexes par le Dteur Menville de Ponsan chevalier de la Légion d’honneur, médecin du ministère de l’agriculture du commerce & des travaux publics. 1858. copie
en face du titre sur la page de garde
Style médical
« Le sujet est admirable ! Je désire que le livre réponde pleinement au sujet. La femme cette plus belle moitié de nous-même[s], cette tige essentielle du genre humain, cette fleur de la nature vivante y paraît dans toute sa beauté, dans toute sa puissance, dans toute sa flagilité » page[s]
et après une introduction de 126 en tête de L’hist philosophique & médicale de la Femme : « La femme, cette fleur de la nature vivante, cette tige essentielle du genre Copie
humain, a une mission importante à remplir sur la terre. elle est destinée à être la compagne de l’homme.
Style rococo.
Sur deux touffes de lis figurez-vous la rose
fragm. des Hommes de Prométhée
lorsqu’au lever du jour timide, demi-close
Colardeau
et commençant à peine à se développer va
s’
du bouton le plus frais, elle se laisse échapper tel est ce sein, l/ce sein la première parure qu/i/e reçoit la beauté des mains de la Nature Demi globe enchanteur, dont le double contour palpite & s’embellit sous la main de l’Amour ! _ remarque d’un lecteur, que
« joignez-y Me Ségalas, Me Valmore & surtout Me de Girardin qui joint le talent
la périphrase agace poétique à tout l’esprit qui brille dans la conversation. Une autre femme (exempl de la Bibl. Nationale) a étendu plus loin, et qqfois trop loin, les limites de cette liberté conquise par ces ce* dernières » p. 190. en marge écrit au crayon « Dite[s] Georges Sand ! stérilité - règles.
Fernel conseilla à Henri II d’approcher sa femme immédiatement après ses règles et Catherine, après onze ans d’attente, accoucha. –
copie Signification du Fils & de la Sœur.
« Si le fils, dit Mr Legouvé, représente l’espérance sous le toit paternel la jeune fille a pr mission d’y figurer la pureté & la grâce ! »
249
STYLE ET IDEOLOGIE
g 2267, f° 89 v°
enfantements
une femme
Accouchemts monstrueux sous le pontificat d’Alexandre VI accou
accoucha d’un chien
une autre pˍ avoir des mangé des huîtres d’un crapaud à plus 20 pattes.
« Je sais que l’humanité a eu souvent à gémir des désordres de qques femmes, j’accorde que plus d’une
». 384.
– le 12 février 1856, fg du temple, une femme de 24 ans était dans son cercueil quand on s’aperçut que du sang en sortait. on l’ouvrit. Ell & on reconnut qu’elle était accouchée 48 h. après sa mort. (p. 395) copie
–
Sapristi ! ! !
« il arrive souvent que malgré toutes les préoccupations & les soins qu’apporte une mère tendre & prudente l’imagination des jeunes filles s’exalte au point de faire taire la voix de la raison & de la pudeur ». t 2. p. 64. –
remède contre l’onanisme. les bains froids ! (64). contradiction.
et l’eau froide est recommandée comme excitant ! —
éloge de l’Impératrice Eugénie. « tout le monde a pu admirer l’auguste compagne de l’empereur des Français, docile aux sages préceptes de l’hygiène des femmes enceintes et aux conseils éclairés de son illustre accoucheur le professeur Dubois, se livrer à l’exercice de la promenade pendant les deux ou trois mois l’heureux
qui ont précédé l’accouchement qui a donné le jour le 16 mars 1856 à un prince impérial que la France a salué des plus vives & des plus touchantes acclamations ; ou comme le dit aujourd’hui un gd poète. « c’est celui que la France appelait à genoux un fils pr l’Empereur, un empereur pˍ nous » (t 2. 178 le professeur Dubois « ce divin oracle que je ne manquais jamais d’aller consulter dans les cas difficiles m’ordonna de rester tranquille & d’attendre ». 211. pensée de St Lambert !
« il faudrait que les religions fussent données par la philosophie ! ». 347. pas
haine des Romans.
« la lecture des romans aussi pernicieuse que celle des plus mauvais livres n’est elle
X
moins funeste à la femme » 480.
influence favorable des voyages sur les maladies, et impressions salutaires de l’aspect de nos magnifiques Pyrennées sur les affections morales pénibles & tristes. 521. l’herpès squammeux humide exhale une odeur qui sent la farine gâtée, ou le bois pourri ou vermoulu. t 3 p. 561. ———— ce livre est un des plus ineptes qu’il soit possible de lire ‒
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FLAUBERT EPISTEMOLOGUE
g 2267, f° 91 v° Système physique & moral de la Femme Roussel. 1813. livre idiot. où le mot nature est répété à chaque page - vrai modèle du genre troubadour & élégant. trouve qu’il n’y a pas de décence à faire accoucher les femmes par des hommes. – La longueur du canal intestinal chez l’homme est sept à huit fois celle de son corps. - symbolisme ! ——
g 2267, f° 152 La Nymphomanie ou traité de la Fureur utérine Bienville D. M. 1789. Style
médical
à copier le § (p 17) « les vins vigoureux. ‒ prquoi la grossesse guérit de la nymphomanie. belle théorie. « les vapeurs » de la matrice. 93. X remède à la masturbation par « les peintures de ce détestable cime* crime dont il faudra lui découvrir & même outrer les conséquences fâcheuses. 99. les femmes moins pudiques que les hommes.
Style médical
« pr ces sortes d'aveux quand une fois la première démarche a été faite j'ai trouvé beaucoup moins de pudeur dans les femmes que dans les hommes » 100. « Son cœur était un composé de soufre - toujours exposé au flambeau de l'amour et c'était une quintessence de feu qui coulait dans ses veines. ». 156.
Style troubadour
- « St Albin fut celui sur qui dardèrent les rayons de sa flamme ; ce fut réunirent
en sa faveur qu'ils se recouvrut*. ce jeune homme s'en aperçut bientôt. son bonheur lui semblait trop grand pr ne pas chercher les moyens d'en profiter. » : (165). ——
Conclusion Éthique de l’écriture Un étonnant chantier de démolition qui n’épargne aucun secteur des connaissances humaines ; telle est en effet l’impression que l’on éprouve au terme du parcours critique que nous venons d’effectuer dans le dossier médical de Bouvard et Pécuchet. L’ensemble volumineux des notes de lecture que le romancier a prises sur la médecine expose la fragilité de ce savoir sous tous ses aspects. Flaubert, en s’imposant un énorme travail de documentation, a opéré une véritable déconstruction de la pensée scientifique, décelant partout ses faiblesses et ses insuffisances. Le but que nous nous sommes fixé au début de notre étude était d’explorer et de décrire cette pratique flaubertienne. En raison de la dimension extraordinaire de la masse documentaire que l’écrivain avait accumulée pour son dernier roman, nous avions choisi de limiter notre enquête au seul dossier médical. Pourtant, nous n’avons pas hésité à sortir de temps en temps de ce cadre restreint pour aller chercher dans le texte final de la section médicale, dans l’ensemble du roman, et parfois même dans d’autres romans flaubertiens, des résonances de ce que l’analyse de notre corpus avait mis en évidence. Chez Flaubert, il y a comme une cohérence thématique qui unifie toutes les œuvres. Successivement, nous avons traité les différentes catégories du « comique d’idées » repérables dans le dossier médical. En même temps, nous avons tâché de nous référer le plus souvent possible au contexte de l’histoire de la médecine, ce qui nous a permis de restituer au roman encyclopédique sa considérable épaisseur épistémologique aussi bien qu’une part non négligeable de sa portée critique. Tout au long de cette étude, nous n’avons cessé d’insister sur l’importance primordiale que revêt la figure de la contradiction dans le corpus. D’une part, des opinions ou doctrines divergentes se heurtent et s’annulent un peu partout (contradiction externe). D’autre part, le dossier contient la formulation de nombreuses apories qui s’opposent
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au progrès de la science médicale (contradiction interne). Dans les deux cas, la contradiction frappe le savoir d’un discrédit profond en accentuant son « manque de base »1. La mise à plat de discours qui prétendent tous au statut de vérité exclusive les rend aussi peu valables les uns que les autres. Cette égalisation critique opérée par Flaubert rappelle la conclusion que les scénarios prévoyaient pour le second volume de Bouvard : Il faut que la page s’emplisse, que « le monument » se complète. – égalité de tout, du bien et du mal, du beau et du laid, de l’insignifiant et du caractéristique. Il n’y a de vrai que les phénomènes. (p. 380 ; gg 10, f° 67)
Comme l’ont fait remarquer Cl. Mouchard et J. Neefs, « ces phrases [...] sont données comme paroles de Bouvard et de Pécuchet », et de ce fait, « ne disent pas la vérité de l’œuvre »2. Il existe une distance irréductible entre la décision « bête » des deux personnages3 et la manipulation critique subtile des énoncés par leur auteur. Il n’en reste pas moins que cette pseudo-conclusion offre une vision assez adéquate de cette étrange œuvre qu’est le roman encyclopédique. Égale inefficacité de tous les discours du savoir : c’est en ce sens qu’il faut entendre les propos de Flaubert lorsqu’il parle de l’inutilité de ses recherches documentaires : Savez-vous à combien se montent les volumes qu’il m’a fallu absorber pour mes deux bonshommes ? – À plus de 1,500. Mon dossier de notes a 8 pouces de hauteur. – Et tout cela ou rien, c’est la même chose4.
Tant de lectures érudites, prétend Flaubert, ne lui ont rien appris si ce n’est à ne pas être pédant5. La leçon qu’il tire de son propre parcours 1 « Elle manque de base, effectivement » (p. 295). C’est à propos de la morale que Pécuchet émet ce jugement dépréciatif. Mais toutes les disciplines abordées par les deux bonshommes méritent au fond la même remarque. 2 « Vers le second volume : Bouvard et Pécuchet », dans Flaubert à l’œuvre, op. cit., p. 200. 3 Il faut rappeler le contexte de cette décision. Les deux bonshommes découvrent par hasard une lettre de Vaucorbeil au Préfet dans laquelle le médecin les traite d’« imbéciles inoffensifs » : « “Qu’allons-nous en faire ?” – Pas de réflexion ! copions ! » (p. 390). En recopiant ainsi le jugement humiliant porté sur leurs personnes, Bouvard et Pécuchet rejoignent définitivement la sphère de la non-pensée. 4 Lettre à E. Roger des Genettes, 24 janvier 1880 (Pl., t. V, p. 796). 5 Dans la même lettre, Flaubert poursuit : « Mais cette surabondance de documents
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encyclopédique est ainsi résolument négative. À propos des discours scientifiques au moins, l’écrivain n’aurait pas nié cette idée inscrite dans Le Dictionnaire des idées reçues : MÉTHODE
Ne sert à rien. (p. 429)
Aussi faut-il poser ici quelques questions à propos de la méthode même de notre romancier : pourquoi s’obstinait-il malgré tout à amasser ces innombrables bêtises scientifiques ? Avait-il vraiment besoin de réunir cette documentation gigantesque en vue d’écrire une œuvre littéraire, dont l’objet, après tout, est « l’Art en soi », et non d’acquérir une quelconque connaissance positive ? Ou, de manière plus fondamentale, le roman élaboré à partir de ces bêtises peut-il avoir une valeur esthétique ? On voit bien que l’enjeu de ces questions est de taille, car elles portent au fond sur la littérarité du roman encyclopédique. Même si « la littérature » relève d’un mythe moderne susceptible d’être historiquement circonscrit6, le fait que Flaubert ait lui-même grandement contribué à la genèse de ce mythe nous autorise à nous interroger sur la spécificité littéraire de Bouvard et Pécuchet. Dans les pages qui suivent, nous essaierons sinon d’apporter des réponses à ces questions, du moins de proposer quelques éléments de réflexion. Dans une lettre à Louis Bouilhet, du 30 septembre 1855, Flaubert évoque le projet d’une œuvre qui aboutira plus tard à Bouvard et Pécuchet : Je sens contre la bêtise de mon époque des flots de haine qui m’étouffent. Il me monte de la merde à la bouche, comme dans les hernies étranglées. Mais je veux la garder, la figer, la durcir. J’en veux faire une pâte dont je barbouillerais le XIXe siècle, comme on dore de bougée de vache les pagodes indiennes ; et qui sait ? cela durera peut-être ?7
La création littéraire se traduit ici par des métaphores délibérément scatologiques. L’œuvre puisant ses matériaux dans « la merde » (c’està-dire dans la bêtise contemporaine), la rédaction consistera à tram’a permis de n’être pas pédant. De cela, j’en suis sûr » (ibid.). 6 Sur ce point, voir par exemple Pierre Bourdieu, Les règles de l’art, Seuil, 1992. 7 Pl., t. II, p. 600.
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vailler avec patience ces matières stercorales afin de leur donner une forme plastique durable. On peut admettre que le processus de production esthétique ainsi décrit coïncide exactement avec le travail d’écriture qui a donné naissance au roman encyclopédique. Bouvard est en effet le produit du montage laborieux de bêtises discursives que l’écrivain a patiemment ramassées dans les domaines les plus divers du savoir. Du reste, il arrive parfois à Flaubert de mettre l’accent sur la nécessité de ne rien négliger de la nature humaine. Les exigences de l’art romanesque obligent l’écrivain à connaître à fond « tous les appartements du cœur et du corps social, depuis la cave jusqu’au grenier » ; Et même ne pas oublier les latrines, et surtout ne pas oublier les latrines ! Il s’y élabore une chimie merveilleuse, il s’y fait des décompositions fécondantes. – On sait à quels sucs d’excréments nous devons le parfum des roses et la saveur des melons ?8
Toutes les bassesses et les laideurs, si repoussantes soient-elles, se révèlent donc éminemment utiles, voire indispensables à l’invention littéraire. Le romancier moderne du XIXe siècle ne chante plus exclusivement la beauté et le sublime, mais prête également attention à tout ce qui peut manifester la vérité de l’homme. C’est ainsi que Flaubert compare la tâche de l’écrivain à celle des « vidangeurs et des jardiniers », deux métiers auxquels il assimile volontairement le sien9. L’imagination de l’artiste est toujours prête à embrasser les choses les plus abjectes du monde pour en dégager la substance même de son art. Les « putréfactions de l’humanité » ne doivent jamais l’effrayer, car c’est seulement en tirant profit de toutes les expériences humaines qu’il arrive à faire une œuvre supérieure. De ce point de vue, particulièrement intéressant est l’épisode des engrais au chapitre II du roman. Bouvard, pris alors d’un « délire de l’engrais », essaie de tout mettre à contribution pour la fabrication des composts, et « poussant jusqu’au bout ses principes », va jusqu’à supprimer les lieux d’aisances. Suit une description aberrante : 8
Lettre à L. Colet, 23 décembre 1853 (Pl., t. II, p. 485). « Nous sommes cela, nous autres, des vidangeurs et des jardiniers. Nous tirons des putréfactions de l’humanité des délectations pour elle-même. Nous faisons pousser des bannettes de fleurs sur ses misères étalées » (ibid.).
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On apportait dans sa cour des cadavres d’animaux, dont il fumait ses terres. Leurs charognes dépecées parsemaient la campagne. Bouvard souriait au milieu de cette infection. Une pompe installée dans un tombereau crachait du purin sur les récoltes. À ceux qui avaient l’air dégoûté, il disait : « Mais c’est de l’or ! c’est de l’or. » (p. 81)
Cette figure de Bouvard, tout à fait grotesque, ne présente-t-elle pas une parenté profonde avec celle de l’écrivain telle que Flaubert en trace les contours dans ses lettres ? En effet, le romancier se propose lui aussi de transformer en or (texte littéraire) des ordures soigneusement recueillies dans les dossiers documentaires. Dans les deux cas, il s’agit donc d’une sorte d’alchimie visant à fabriquer des richesses à partir de matériaux vils. En ce sens, l’épisode des engrais peut être lu comme la mise en abîme du travail d’écriture qui a produit le roman encyclopédique. Bouvard, il est vrai, échoue dans son alchimie agricole : « Le colza fut chétif, l’avoine médiocre ; et le blé se vendit fort mal, à cause de son odeur » (p. 82). Flaubert, toutefois, n’en est pas moins convaincu de la possibilité d’une « alchimie du verbe ». Voici en quels termes il présente les arcanes de la création littéraire dans la lettre déjà citée où il parle de la fécondité des latrines : Le Fait se distille dans la Forme et monte en haut, comme un pur encens de l’Esprit vers l’Éternel, l’immuable, l’absolu, l’idéal 10.
Cette belle image rend compte de l’aboutissement heureux de la poétique fondée sur l’exploration du bas11. L’œuvre de Flaubert tire son intensité d’une distillation verbale complexe, qui seule peut déterminer la transmutation des faits bruts en forme esthétique. La strate des notes de lecture, sur laquelle nous avons choisi de centrer notre étude, constitue la première étape de ce processus transformateur que d’autres opérations rédactionnelles viennent ensuite relayer pour conférer à l’œuvre se faisant une sorte de transcendance littéraire.
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Ibid. C’est d’un point de vue moins génétique que philosophique que Pierre Macherey arrive à une conclusion toute proche de la nôtre. En insistant sur le double mouvement que requiert le travail flaubertien (aspiration et exhalation), le philosophe va jusqu’à soutenir que « cette poétique est proprement excrémentielle ». Voir À quoi pense la littérature ?, op. cit., p. 167-173.
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Dernière question : si l’artiste ne craint pas de peindre les bassesses et les bêtises, quel genre de vie doit-il mener lui-même ? A-t-il besoin de vivre les passions qu’il veut mettre en scène dans son œuvre ? Autrement dit, faut-il être réellement criminel pour bien écrire le crime ? À la vérité, la question avait déjà été soulevée par Balzac dans la préface de l’édition originale de La Peau de chagrin (1831). L’auteur de la Physiologie du mariage (1830), accusé d’immoralité et de cynisme à cause de son livre qui a fait scandale, décide de prendre la plume dans le but de défendre « son caractère d’homme »12. L’argument qu’il avance est le mystère de l’intelligence humaine qui fait qu’« une sorte de seconde vue [...] permet [aux écrivains] de deviner la vérité dans toutes les situations possibles »13. Dès lors, un auteur clairvoyant est en mesure de concevoir les laideurs et les corruptions les plus répugnantes tout en conservant ses mœurs pures. L’imagination littéraire réside dans ce que Balzac appelle « le pouvoir de faire venir l’univers dans [son] cerveau »14 , pouvoir qui est la marque même de l’innéité de tout véritable écrivain. En un sens, Flaubert va plus loin. Selon lui, il ne faut surtout pas se mêler au monde pour être vraiment productif dans l’invention esthétique. La fécondité de l’esprit ne peut être assurée que par une vie austère et studieuse. Telle est en effet la devise de Flaubert qui, on le sait, s’est imposé une vie d’ermite à Croisset15. Or, revenons ici pour la dernière fois à notre corpus afin de clarifier un peu cette éthique flaubertienne qui associe à la vocation littéraire « une manière spéciale de vivre »16. En fait, le dossier médical de Bouvard contient un certain nombre de citations qui ne sont vraisemblablement pas destinées au roman à écrire (ni au premier volume ni au Sottisier), mais dans lesquelles le romancier a reconnu les formulations de ses propres principes. Parmi ces citations relevant du registre de l’auto12
La Peau de chagrin, op. cit., p. 49. Ibid., p. 52. 14 Ibid., p. 53. 15 Flaubert n’en a pas moins gardé jusqu’à la fin de sa vie une certaine mondanité, comme l’a montré Herbert R. Lottman dans son ouvrage Gustave Flaubert, traduit de l’anglais par Marianne Véron, Fayard, 1989. 16 « Un livre a toujours été pour moi une manière spéciale de vivre, [...] » (Lettre à Madame Jules Sandeau, 7 août 1859 ; Pl., t. III, p. 34) ; « Si je vais si lentement, c’est qu’un livre est pour moi une manière spéciale de vivre » (Lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, 18 décembre 1859 ; Pl., t. III, p. 66). 13
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référence, deux exemples notamment nous intéressent dans le présent contexte. Ainsi, on lit au f° 84 v° (Bouillaud) : « Les mauvaises passions, dans les sciences d’observation et de raisonnement, ne sont pas seulement condamnables en elles-mêmes. Mais elles ont l’inconvénient d’entraîner l’observateur dans les plus graves erreurs. » Le commentaire marginal montre sans ambiguïté que Flaubert a vu dans cet extrait l’expression d’une « règle d’esthétique & de morale pour les Romanciers »17. L’artiste doit donc se tenir à l’écart de l’agitation et du vacarme de la vie humaine, faute de quoi il risque de s’égarer dans des passions tumultueuses. La création de la forme esthétique requiert un complet détachement des expériences brutes, qu’il faut pourtant épouser pleinement au niveau de l’imaginaire. Là réside l’aporie majeure de l’écriture romanesque : éprouver sans vivre. On conçoit bien qu’il y a là certainement un risque de contamination. À force d’imaginer les « mauvaises passions », on finira par les faire siennes. L’écrivain dans « le silence du cabinet » en pleine nuit, tout comme saint Antoine dans son ermitage, se trouve continuellement assailli par des représentations imaginaires. En effectuant son travail de documentation pour Bouvard, Flaubert s’est souvent senti menacé par les innombrables bêtises qu’il recueillait au fur et à mesure de ses lectures : « Bouvard et Pécuchet m’emplissent à un tel point que je suis devenu eux ! Leur bêtise est mienne et j’en crève18. » Il faut donc reconnaître que l’exploration des vulgarités et des sottises se révèle parfois extrêmement dangereuse. C’est dans cette perspective, croyons-nous, qu’il faut interpréter l’extrait suivant inscrit dans les notes sur Trousseau : « On peut faire avec la plus grande chasteté les investigations qui semblent le moins chastes » (f° 34). Ainsi que l’indique le commentaire marginal, Flaubert a retenu cette belle phrase comme une « règle d’esthétique » propre à diriger son travail. En définitive, l’écrivain tenait à relever pareils axiomes pour ne pas être noyé dans des flots de sottises et pour se soutenir dans sa lutte interminable contre la bêtise. La littérature, suivant Flaubert, est une orgie : Le seul moyen de supporter l’existence, c’est de s’étourdir dans la littérature 17 18
La citation est d’ailleurs marquée d’un trait vertical. Lettre à E. Roger des Genettes, 15 avril 1875 (Pl., t. IV, p. 920).
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comme dans une orgie perpétuelle. Le vin de l’Art cause une longue ivresse et il est inépuisable19.
Dans l’imaginaire, on a le droit de tout s’attribuer. Désirs adultères d’Emma Bovary, massacres sanglants de Salammbô, danse érotique de Salomé provoquant la mort du prophète, figures grotesques de monstres et de dieux hérétiques qui tourmentent saint Antoine, etc., toute transgression est permise. De même, dans Bouvard et Pécuchet, les deux protagonistes se livrent avec délectation aux débauches de bêtises livresques qu’entraîne leur aventure encyclopédique. Toutefois, jamais la transgression flaubertienne ne cesse d’être purement imaginaire. La luxure de l’imagination exige paradoxalement la plus complète chasteté de la part de l’artiste. Somme toute, la littérature est une orgie ascétique, qui est la seule transgression féconde.
19
Lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, 4 septembre 1858 (Pl., t. II, p. 832).
Index des transcriptions Les notes de lecture sur la médecine se trouvent toutes classées sous la cote ms g 2267. f° 33 (Cabanis, Du degré de certitude de la médecine) : 142 f° 35 (Trousseau, Clinique médicale) : 171 f° 35 v° (Trousseau, ―) : 172 f° 37 (Tardieu, Manuel de pathologie et de clinique) : 173 f° 37 v° (Tardieu, ―) : 172 f° 38 (Andral, Cours de pathologie interne) : 174 f° 44 (Jaccoud, Traité de pathologie interne) : 175 f° 44 v° (Jaccoud, ―) : 176 f° 63 (Raspail, Histoire naturelle de la santé) : 81 f° 63 v° (Raspail, ―) : 82 f° 64 (Raspail, ―) : 83 f° 64 v° (Raspail, ―) : 84 f° 65 (Raspail, ―) : 85 f° 73 (Bernard, Leçons de pathologie expérimentale) : 110 f° 73 v° (Bernard, ―) : 111 f° 74 (Bernard, ―) : 112 f° 74 v° (Bernard, ―) : 113 f° 75 (Bernard, ―) : 114 f° 75 v° (Bernard, ―) : 115 f° 82 (Chauffard, Essai sur les doctrines médicales) : 177 f° 82 v° (Chauffard, ―) : 178 f° 83 (Chauffard, ―) : 179 f° 84 (Bouillaud, Essai sur la philosophie médicale) : 180 f° 85 (Debay, La Vénus féconde et callipédique) : 243 f° 87 (Moreau, Histoire naturelle de la femme) : 244 f° 87 v° (Moreau, ―) : 245 f° 88 (Moreau, ―) : 246 f° 88 v° (Moreau, ―) : 247 f° 89 (Menville, Histoire philosophique et médicale de la femme) : 248 f° 89 v° (Menville, ―) : 249 f° 91 v° (Roussel, Système physique et moral de la femme) : 250 f° 107 (Dictionnaire des sciences médicales, « Cas rares ») : 86 f° 107 v° (DSM, « Cas rares ») : 87
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f° 126 (Morin, Manuel théorique et pratique d’hygiène) : 201 f° 127 (Lévy, Traité d’hygiène publique et privée) : 202 f° 127 v° (Lévy, ―) : 203 f° 128 (Lévy, ―) : 204 f° 128 v° (Lévy, ―) : 205 f° 129 (Lévy, ―) : 206 f° 129 v° (Lévy, ―) : 207 f° 130 (Becquerel, Traité élémentaire d’hygiène) : 208 f° 130 v° (Becquerel, ―) : 209 f° 131 (Becquerel, ―) : 210 f° 131 v° (Becquerel, ―) : 211 f° 132 (Becquerel, ―) : 212 f° 132 v° (Becquerel, ―) : 213 f° 140 v° (notes de notes) : 143 f° 150 (Salgues, Des Erreurs et des préjugés) : 87 f° 150 v° (Salgues, ―) : 88 f° 151 (Salgues, ―) : 89 f° 152 (Bienville, La Nymphomanie) : 250
Bibliographie I. FLAUBERT : MANUSCRITS ET EDITIONS 1. Manuscrits de Bouvard et Pécuchet conservés à la Bibliothèque municipale de Rouen Ms g 2241-2 : Manuscrit autographe. 300 feuillets au total. Ms g 2251-9 : Brouillons. 1203 feuillets au total. Ms g 2261-8 : Recueils de documents divers rassemblés par Flaubert pour la préparation de Bouvard et Pécuchet. 2215 feuillets au total. Mss g 227 et g 228 : Dictionnaire des idées reçues. Deux volumes de 59 et 26 feuillets. Ms gg 10 : Scénarios, esquisses et plans. 72 feuillets.
2. Éditions de Bouvard et Pécuchet Bouvard et Pécuchet, édition critique précédée des scénarios inédits par Alberto Cento, Napoli, Istituto Universitario Orientale / Paris, A.-G. Nizet, 1964. Bouvard et Pécuchet, avec un choix des scénarios, du Sottisier, L’Album de la Marquise et Le Dictionnaire des idées reçues, édition présentée et établie par Claudine Gothot-Mersch, Paris, Gallimard, « Folio », 1979. Bouvard et Pécuchet, avec des fragments du « second volume », dont le Dictionnaire des idées reçues, édition de Stéphanie Dord-Crouslé, Paris, Flammarion, « GF », 1999. Le second volume de “Bouvard et Pécuchet”. Le projet du “Sottisier”. Reconstitution conjecturale de la « copie » des deux bonshommes d’après le dossier de Rouen, édition d’Alberto Cento et Lea Caminiti Pennarola, Napoli, Liguori, 1981. Dictionnaire des idées reçues, édition diplomatique des trois manuscrits de Rouen par Lea Caminiti, Napoli, Liguori / Paris, A.-G. Nizet, 1966. Le Dictionnaire des Idées Reçues et Le Catalogue des idées chic, texte établi, présenté et annoté par Anne Herschberg Pierrot, Paris, Librairie Générale Française, « Le Livre de Poche classique », 1997.
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3. Éditions des autres œuvres de Flaubert Correspondance, édition de Jean Bruneau et Yvan Leclerc (pour le t. V), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1973-2007, 5 vol. Œuvres de jeunesse, édition de Claudine Gothot-Mersch et Guy Sagnes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2001. Par les champs et par les grèves, édition critique par Adrianne J. Tooke, Genève, Droz, 1987. Madame Bovary. Mœurs de province, édition de Claudine Gothot-Mersch, Paris, Garnier, « Classiques Garnier », 1971. Plans et scénarios de Madame Bovary, présentation, transcription et notes par Yvan Leclerc, Paris, CNRS Éditions / Zulma, 1995. La Tentation de saint Antoine, éditon présentée et établie par Claudine Gothot-Mersch, Paris, Gallimard, « Folio », 1983. Carnets de travail, édition critique et génétique établie par Pierre-Marc de Biasi, Paris, Balland, 1988.
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IV. SCIENCES DE LA VIE 1. ŒUVRES médicales (Pour les sources médicales que Flaubert a lues en vue de Bouvard et Pécuchet, on se reportera à la Bibliographie médicale du chapitre I.) Claude BERNARD, Fr. Magendie. Leçon d’ouverture du cours de médecine du Collège de France (29 février 1856), Paris, J.-B. Baillière, 1856. ― Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, chronologie et préface par François Dagognet, Paris, Flammarion, « Champs », 1984 [1865].
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Table des matières Introduction. Le roman comme mode d’interrogation critique
7
Chapitre I. Flaubert et la médecine 1. Roman et médecine 2. Lectures médicales pour Bouvard et Pécuchet Bibliographie médicale pour Bouvard et Pécuchet
18 18 28 34
Chapitre II. La portée critique du roman encyclopédique 1. Le comique d’idées 2. Typologie des « bêtises » médicales
45 45 52
Chapitre III. Comique de la médecine 1. Les erreurs populaires ou l’ambivalence de l’absurde 2. La tentation des monstres 3. La bêtise des causes finales Transcriptions
59 59 69 76 81
Chapitre IV. Flaubert contre la médecine expérimentale 1. Expérimentation au péril des êtres vivants 2. Expériences grotesques 3. Apories de l’expérience médicale Transcriptions
91 91 97 103 110
Chapitre V. Contradictions de la médecine 1. Contradictions externes 2. Contradictions internes ou perversions de la causalité 3. Mise en fiction des contradictions 4. Contradictions forgées 5. L’impossible dépassement Transcriptions
117 117 122 128 132 136 142
Chapitre VI. Exposition critique d’un paradigme médical 1. Vitalisme et organicisme 2. Les systèmes médicaux aux prises avec la fièvre typhoïde
145 145 153
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a. Description des symptômes b. Statut de l’altération organique c. La production de l’ambiguïté : nourrir ou ne pas nourrir, telle est la question ! Transcriptions
155 157 161 171
Chapitre VII. Corps et mots : l’hygiène comme champ de contradictions 1. La fureur hygiéniste 2. « Quel problème que celui du déjeuner ! » Transcriptions
181 181 187 201
Chapitre VIII. Style et idéologie 1. Le savoir médical sur la femme 2. Style médical 3. Médecine et idéologie Transcriptions
215 215 224 233 243
Conclusion. Éthique de l’écriture
251
Index des transcriptions
259
Bibliographie
261