Les institutions ottomanes en Europe (Veroffentlichungen der Orientalischen Kommission) (French Edition)

BISTRA A. CVETKOVA LES INSTITUTIONS OTTOMANES EN EUROPE

AKADEMIE DER WISSENSCHAFTEN

UND DER LITERATUR VEROFFENTLICHUNGEN DER ORIENTALISCHEN KOMMI SSION BAND XXXII

LES INSTITUTIONS OTTOMANES EN EUROPE PAR BISTRA A. CVETKOVA

F R A NZ STE I N E R V E R L A G GMBH W I E SBA D E N 1978

CIP-Kurztitelaufnahme der Deutschen Bibliothek Cvetkova, Bistra A.

Les institutions ottomanes en Europe. - 1 . baden : Steiner, 1 978.

Aufl.

-

Wies·

(Veroffentlichungen der Orientalischen Kommission ; Bd. 32) ISBN 3-515·02792·0

Alle Rechte vorbehaUen Ohne aU8drückliche Genehmlgung des Verla!!es ist es auoh nlcht gestattet, das Werk oder elnzelne Telle daraus

nachzudrucken oder

fliltlgen. (Cl

1978

auC photomechanlschem Wege (Photokopie, Mikrokople usw.) zu vervlel­

by Franz Steiner Verlal! GmbH, Wiesbaden. Satz 11. Druck: Rheingold-Druckerel, Malnz. "_LA"

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LES INSTITUTIONS OTTOMANES EN EUROPE* La pénétration ottomane en Europe commence dans les Balkans pendant la seconde moitié du XIVe siècle. Au XVe et au XVIe siècles, elle s'étend à l'Europe centrale. La conquête fut réalisée tantôt immédiatement par la suppression complète de l'indépendance, tantôt par le maintien provisoire de principautés vassalesl. A la conquête succédaient des tâches d'organisation qui posaient une série de problèmes complexes. Les Ottomans devaient en effet imposer durablement leur autorité à des populations très diverses, beaucoup plus nombreuses qu'eux­ mêmes et qui, souvent, leur avaient résisté vigoureusement. L'affaiblissement de ces populations, du fait des pertes humaines que leur avait fait subir la conquête2, ne suffisait pas pour garantir la sécurité et la stabilité des Ottomans dans leurs nouveaux territoires. L'occupation rapide de ces derniers mettait les

... Note du rédacteur : L'ouvrage ayant été soumis à être imprimé en 1968 et la publioation s'étant retardée pour des raisons qui ne dépendaient pas de l 'auteur, Mme CVETKOVA, s'est proposé d'ajouter, dans la mesure du possible, oertaines additions et de porter certaines améliorations sur la base de plus récentes publica­ tions. 1 Sur la conquête ottomane des Balkans cf. surtout ÛSTROGORSKY 1940, 1958, ANGELOV 1967, 1956, BABINGER 1944, 1957a, NIKOV 1928, JIREOEK 1923 II, 1929, 18toriia Jugo8lav. 1953/60, GEGAY 1 937, BAKALOPOULOS 1961/68 l, ZAKITINOS 1932 l, IORGA 1937 III-IV, 1908 l, 18toria Romîniei 1961 II, tNALOIK 1973, 1960a, 1969, UZUNÇARfilILI 1961 l, BELDIOEANU-STEINHERR 1967, 1965, ÛSTROGORSKY 1965, CVETKOVA 1971a. 2 Sur ce problème voir surtout Ohalcocondylas - BEKKER 1843 : 311-a, 60, Sa'deddin - BRATUTTI 1 649/52 I : 103 etc. , DUcaB - GREOU 1958 : 1771 6-16> 179a-4, Sect. Orient. BNS - CVETKOVA 1966, CVETKOVA 1966b. - Sur l'esclavage voir Ohalcocondy­ las BEKKER 1843 : 3316-2° Sa'deddin - BRATUTTl 1 649/52 I : 87, 103, SAKlzov 1 932 : ' 23-27, IORGA 1899/1902 I : 47, 50, 52, 79, 84, POTVIN 187 8 : 1 18-1 19, VERLINDEN 1955 I : 390, 427 sq., 1942 : 37 1-390, TIVOEV 1966 : 38-39. Un témoignage assez significatif d'ailleurs concernant le dépeuplement des terres balkaniques lors de la conquête font les nombreuses mentions dans les registres de récensement ooncernant les mezra's, c. -à-d. des terrains arables, le plus souvent sans habitants, qui marquent dans la plupart des cas l'emplacement de villages disparus (abandonnés sous la poussée des oonquérants ou ravagés par eux). Sur ces problèmes cf. CVETKOVA 1975, GANDEV 197 2 : 23 sq. , tNALOIK 1954a : XXIX. Dans les registres de recensement sont parfois désignés des villages d'un nombre assez restreint d'habitants revenant à quelques foyers seulement, ou des villages portant des noms bulgares mais peuplés seulement de Turos. Ces données nous font aussi penser que les agglomérations en question ont subi de sérieux changements démographiques dûs à la conquête. -

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conquérants en contact avec un milieu social et des institutions séculaires tout­ à-fait nouvelles pour eux, et cela à un moment où leur propre organisation restait encore à un stade presque primaire: le processus de féodalisation de l'aristocratie turque d'origine tribale en était à ses débuts; l'appareil de l'État se distinguait par sa simplicité rudimentaire. Cette aristocratie turque jouait encore un rôle considérable dans la vie politique ottomane3 à l'époque où à Byzance et dans les pays balkaniques prédominaient la grosse propriété féodale, le développement des immunités et la décentralisation politique. En outre, dans la mesure où la conquête s'était accompagnée de dévastations ou de bouleverse­ ments, il fallait rétablir les conditions d'une saine économie, nécessaire au bon rendement de l'impôt. Une première série de mesures prises par le nouveau régime eut pour but de remédier à la disproportion démographique entre les Turcs et leurs nouveaux sujets. Ainsi furent réalisés durant tout le XVe siècle d'importantes déportations de populations4 dont la raison d'être était d'une part l'organisation de noyaux musulmans comme points d'appui de l'autorité ottomane, d'autre part le repeuplement et la mise en valeur des territoires ruinés. Ainsi furent intro­ duites en Europe des populations d'Asie Mineure. li devait en être de même au

XVIe siècle à Rhodes et à Chypre. Les éléments importés appartenaient à diffé­ rentes catégories: après les combattants et les

a��nc�s

venaient les nomades

éleveurs, yürüks et Tatars, ainsi que de nombreux religieux, ministres du culte et derviches. Ces derniers accompagnaient les troupes et s'installaient en même temps que les premiers organes de l'administration avec la mission de dévelop­ per la propagande musulmane comme assise du régime. On installait aussi en Roumélie des prisonniers de guerre et des esclaves affranchis préalablement convertis à l'islam6• En même temps apparaissaient les premiers agents de l'autorité. Dès qu'une place était prise ou avait capitulé, on y installait une petite garnison

merd-i lpaJ,ee).

(mÜ8taM��,

Le service de celle-ci n'était pas sans risques: isolée au milieu de

populations de religion différente et souvent hostiles, elle devait veiller jour et nuit afin de prévenir les surprises. Le pouvoir récompensait leur zèle par de l'avancement, des allégements fiscaux, et en leur accordant le revenu de certaines terres sous la forme de petits fiefs militaires, les timiirs. Les üc beys, chefs militaires des ÜC8 ou territoires frontaliers, avant-postes des conquêtes et bases de l'expansion future, installaient principalement comme chefs de ces 3 Müneccimba§� - NEDÏM 1 868 III: 277,
Les institutions ottomanes en Europe forteresses des membres de leur entourage militaire ils assuraient des

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(gulam, !J,ir,metkiir), auxquels

timii1'S6.

Cependant, ni les petites garnisons, ni les populations turkmènes ou esclaves affranchis récemment installés ne suffisaient à garantir la solidité du régime ottoman. A cet égard, le gouvernement ottoman cherchait à s'assurer l'appui de certaines couches de la population locale. Ce n'est pas par hasard qu'il avait maintenu

un

certain nombre des anciens féodaux balkaniques sans leur imposer

l'islam ni les priver de tous leurs privilèges. Les Ottomans étaient conscients du danger de voir sortir des rangs de ces féodaux les chefs de révoltes locaux. Ce danger était naturellement plus grand encore à proximité des frontières. Les Ottomans s'attachèrent donc particulièrement à attirer à eux ces féodaux au moyen de concessions de fiefs militaires en Grèce occidentale, en Albanie, etc., d'autant plus qu'ils n'ignoraient pas l'esprit opportuniste de ces hommes qui étaient prêts à accepter n'importe quel maître pourvu qu'il ne fût pas porté atteinte à leurs avantages sociaux. C'est ainsi que les documents les plus anciens du cadastre ottoman attestent l'existence de

sipiihis

chrétiens7•

6 SABANOVI6 1964a : 23-66, tNALOIK 1954a, Registre Sect. Orient. BNS : OAK 45/29, II, fD 1v-8v, 10r-12v, 1 31'-191' ; BNS : NPTA XVI 1/1 1 , fragment Serfice, fD 54v, fragm. Goriçe, fD 58v-59v, fragm. Kesrie, fD 69v etc. ; Turski dok. ist. mak. narod IV 1971 : 27 1, 399-403, 514 sq. 7 Ainsi, par exemple, sur les 335 timars enregistrés dans le sancal;c d'Arvanid (Albanie) 56 appartenaient à des sipahis chrétiens. En plus étaient enregistrés en tant que détenteurs de fiefs militaires ottomans un métropolite et trois évêques ; cf. tNALOIK 1952 : 136-1 37, 1952/53 : 36-37. Au temps de Murad II dans la région de Nevrokop, Koprülü (Veles) et Kastoria (Kostour) sont enregistrés 14 timariotes chrétiens. Dans la région de Debar 18 des 98 timars sont inscrits aux noms de sipahis chrétiens ; cf. tNALOIK 1952/53 : 31-39. D'après des données du milieu du XVe s. 9 timars chrétiens sont COnnUS dans la région d'Üsküp (Skopje) et J$:al�andelen (Tetovo) ; cf. tNALOIK 1952/53 : 31-32, SABANOVI6 1 964a. En 1455 dans le vilayet.i Vilk (Serbie) sont attestés 27 timars chrétiens sur un total de 170 fiefs dans cette région ; cf. tNALOIK 1952/5 3 : 32-33. Un registre de BranilJevo de 1467-1468 contient les immatriculations de 67 timars chrétiens tandis que 14 timars sur les 52 enregistrés en Herzégovine en 1477 appartiennent à des chrétiens ; cf. DJURDJEV 1952 : 1 65 sq., tNALOIK 1952/53 : 34--3 6, 40. D 'après un fragment de registre de recensement daté d'environ les années 40 du XVe s. des 53 détenteurs des timars dans la région de Sofia sont 2 chrétiens ; Sect. Orient. BNS : D 707, cf. Turski izvori II 1966 : 8-51. Dans deux autres fragments de registre de la première moitié du XVe s. de tous les 50 timars de la région de Vidin, Berkovica et BelogradlJik 7 appartiennent à des chrétiens ; Sect. Orient. BNS : Vd 1 1 0/10, I-II. Des 35 timars immatriculés dans un fragment de registre des années 40 concernant la région d'Iznepol et de Visoka 8 appartiennent aux sipahis chrétiens ; Sect. Orient. BNS : OAK 52/59, fD 1 0v-12r, 221', 261', 321', 481' ; cf. CVETKOVA 1951/52. A la Bibliothèque Nationale de Sofia est conservé un mufaillJal defteri toujours de l'époque de la conquête des Balkans contenant l'inventaire de 29 timars dans les nafi,iyes de KalandrilJe, Sandemire, Grebena, Ayvalya, Gardicko et Vomiro (la région de Lérine et Salonique, une partie de l'Épire et de la Théssalie). Six de ces timars sont en possession de chrétiens - albanais et grecs ; Sect. Orient. BNS : fonds l , no. 14662. Cf. CVETKOVA 1958a : 189-192, voir aussi la bibliographie. Dans le sancal;c

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Toutefois, le pouvoir ottoman prenait la -précaution d'empêcher que ces élé­ ments étrangers n'acquièrent une importance telle qu'ils puissent lui causer des complications. Aussi les fiefs concédés aux

sipiihis chrétiens donnaient-ils des ' revenus allant de quelques centaines à 6000 a �çes. On leur accordait des mezra s

. aux revenus peu élevés et dont la possession était partagée entre plusieurs personnes. De cette manière le pouvoir empêchait leur enrichissement éventuel, qui eût pu les rendre plus indépendants et insoumis. En outre, les gouvernants ottomans étaient vigilants et profitaient de la moindre occasion pour priver les

sipiihis non-musulmans de

leurs possessions8.

Pourtant, ces limitations n'arrivaient pas toujours à rendre inoffensifs les

siptihis

chrétiens. Mécontents de l'insuffisance de leurs possessions féodales et

souvent privés sans raison de ces dernières, ils pouvaient devenir de dangereux ennemis des conquérants9. C'est pourquoi, au fur et à mesure de l'affermisse-

de Ttrhala on trouve en 1454-55 36 timiirs chrétiens sur un total de 182 enregistrés ; . tNALOIK 1952/53 : 28-29. Plus d'un aipiihi chrétien est mentionné en Bosnie même avant sa conquête 1 définitive à l'époque où les Ottomans ne dominaient que quelques forteresses et leurs alentours dans le cadre d'uc de 'ÏSB. Beg ; SABANOVI6 1964a. En 1485 après la conquête définitive de ce pays, dans le sanca[c qui y fut formé par les conquérants, on trouve 269 timiirs dont 35 aux chrétiens ; Istorija Jugoslav. 1953/60 II : 1 13. La plupart de ces sipiihis chrétiens étaient issus de l'aristocratie féodale balka­ nique - anciens feudataires ou fonctionnaires. Souvent les scribes des registres ottomans indiquent l'origine noble des timariotes chrétiens par la mention sipiihi-yi [cadimidir ou bien sipiihi oiJlultr. Parfois sont mentionnés ci et là des «lagators». Ce titre désigne le poste que les sipiihis chrétiens avaient occupé avant la conquête ottomane, ou montre que les personnes dont il est question, sont des notables ou des dirigeants des communautés valaques ou des voynu[cs. Dans certains cas des membres du clergé chrétien ou des monastères entiers furent enregistrés en tant que détenteurs des timiirs; DJURDJEV 1952 : 167. Bien souvent et particulièrement dans l'uc de 'ÏSB. Beg d'après le registre de 1455 on rencontre des sipiihis chrétiens immatriculés en tant que serviteurs (lJ,i?<metkiir) dans la suite de 'ÏSB. Beg, v. SABANOVI6 1964a. Tout cela nous amène à supposer que parmi les aipiihis chrétiens se trouvaient des gens, ayant obtenu des timiirs non pas en raison de leur origine noble, mais parce qu'ils étaient aux services de grands commandants militaires lors de la pénétration ottomane en Europe. V. sur tous ces problèmes CVETKOVA 1958a, tNALCIK 1951a, 1952/53. 8 Cf. les documents et la littérature citée dans la note 7 . Des données récemment mises à jour nous apprennent encore plus, que parfois le statut des sipiihis chrétiens en ce qui concerne leurs sipiihiliks, était plutôt proche à celui des re'iiyii, chargés d'obligations spéciales tels que voynu[c, doiJanct etc. Ainsi dans un registre de recensement de 1467-1468 concernant la Macédoine figurent des timiir-baBtinas dont les droits de possession sont partagés entre plusieurs détenteurs aipiihi-chrétiens ; Turski dok. ist. mak. narod IV 1971 : 5 13, 395, 270. o Tels sont par exemple les premiers mobiles de la rébellion du féodal albanais Arianite qui prit la tête d'une grande insurrection populaire en 1431 ; Chalcocondylas BEKKER 1 843 : 25018-2515, C'est probablement le même esprit de rébellion qui causa la mort du «lagator') bulgare Rayko, titulaire d'un fief militaire en Bulgarie du Nord-Ouest. Dans une note annexée à l'immatriculation de son timiir le scribe ottoman a expressément mentionné que ledit Rayko fut privé de son timiir et pendu sous l'inculpation de brigandage ; Sect. Orient. BNS : OAK 52/29, fD 1 3v. Le pouvoir -

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ment de la domination ottomane, l'institution des 8ipéihis chrétiens perdit graduellement de son importance. En outre, les timiirs aux revenus réduits étaient souvent hérités par plusieurs fils d'un défunt possesseur chrétien, qui n'arrivaient plus à assurer leur subsistance grâce au 8ipéihilik ni à remplir leurs obligations envers l'État. Peu à peu, une partie des 8ipéihis chrétiens se convertit à l'islam et se fondit dans la classe dirigeante ottomane10• Ainsi les traces des anciens 8ipéihis chrétiens disparurent après quelques générations. De rares informations parlent de tels 8ipéihis même jusqu'au XVIIe s., mais ce sont là des cas isolés. L'institution des 8ipéihis chrétiens introduite par le pouvoir ottoman au XVe s. dans les Balkans fut également établie au XVIe s. en Europe centrale dans le même but. Sous ce rapport la tâche des Ottomans fut facilitée par les tendances pro-turques d'une partie de l'aristocratie magyare réunie autour de Jean Zapolya, l'un des prétendants au trône et qui préférait le sultan aux Habs­ bourgsll• Naturellement, une telle attitude de certains milieux aristocratiques hongrois ne pouvait manquer d'être récompensée d'une manière ou d'une autre, surtout par l'octroi de 8ipéihiliks chrétiens. Ainsi, par exemple, selon des sources datant de 1546, on connaît l'existence du 8ipéihi chrétien Dimitri, �i#i de Rackeve, dont le timiir englobait trois communes hongroises12. Pourtant, les milieux gouvernants ottomans ne cherchaient pas à attirer à eux une partie des cercles influents des anciens états balkaniques uniquement par des privilèges limités, garantis par l'institution des 8ipéihiliks. Ils récompen­ saient généreusement les personnages importants des Balkans qui aidaient à ottoman recourait souvent à d'autres mesures sévères pour parer aux menées rebelles de tels 8ipiihis non-musulmans. Après la conquête de Trébizonde il déporta et y installa des 8ipiihis albanais, sans doute à cause de leur participation active à la grande insurrection albanaise ( 1 431-1435) ; BARKAN 1 953/54: 2 17-224. 10 BNS : Carigrad-Defterhane l, Timari XV, fO 49v ; tNALOIK 1 952/53 : 29- 3 1 Popov 1 953, SNEGAROV 1955 : 84-86. Très significatifs dans c e sens sont les données qui concernent le 8anca lp de TuhaIa en 1466-1467. Sur 1-ill total de 36 Bipiihis chrétiens enregistrés une décennie plus tôt, on n'en trouvait plus alors qu'une vingtaine, détenteurs de 4 timiirs. Un timiir qui était auparavant inscrit au nom d'un certain Petré, passa plus tard comme possession COmm1-ille entre les mains de ses trois fils. En même temps on trouve 1 9 timiil'S enregistrés aux noms de personnes dont les pères ont été des sipiihis chrétiens. Le tïmiir qui en 1454-1455 était assigné aux fils d'un certain Bogo�lav, Bog et Pelegrin, fut hérité par le fils de Bogoslav, 'Ali, récemment islamisé, puis par son frère MUliitafa, qui possédait le tïmiir en commun avec les fils de Pelegrin - Gan et Gargor ; tNALOIK 1 952/53 : 29-30. Dans les ta[trïr de/terZeri de la Bibl. Nat. Sofia concernant la Grèce du Nord et la région d'Iznepol et de Visoka ainsi que dans ceux des archives de Constantinople est mentionné plus d'un 8ipiihi converti à l'islam : Ibrahim, fils de 'j'sa, fils de Pavlo Kurtik, P/llila Igit, fils de Kirkarik, fils de Jovan, Agnstus et Omur, fils de Todoros, Mezid, récemment islamisé, kafir (mécréant) Timurtw;; , fils de Vari etc. ; BNS : fonds 1 , Nr. 14662 fO 25v-31r, 49b, BNS : OAK 52/29, ÎNALOIK 1952/53 : 29 n. 46, 3 1 . 11 L AVISSE - RAMBAUD IV : 620-624. Cf. aussi LEFAIVRE 1902 1 : 1 7-35. 12 FEKETE 1 940: 1 1 3.

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leurs conquêtes d'une manière ou d'une autre. Ils leur accordaient de hautes fonctions dans le système gouvernemental afin de consolider plus facilement, par leur entremise, leur domination sur la population balkanique soumise13• Dans les régions balkaniques, où les Ottomans n'avaient pas encore complète­ ment établi leur domination, ils recouraient à d'autres procédés en vue de conserVer ce qu'ils avaient acquis et d'ouvrir d'autres voies de progrès. Ainsi dans les années 1440 ils avaient laissé une partie des localités d'ue de Bosnie sous le pouvoir et la gestion des féodaux bosniaques de la famille des Pavlovitch. La plupart de ces localités étaient concentrées dans la petite joupa Tilava, à laquelle l'administration ottomane avait laissé son nom. Les Pavlovitch avaient obtenu le droit d'exercer un certain pouvoir sur ces terres contre l'obligation de payer aux Ottomans un tribut global de 15.000 a�es. Dans ces régions le système d'un véritable double pouvoir devait se conserver même plus tard, pour des raisons surtout stratégiques14. Dans certaines régions vulnérables, dont la conquête, en raison de la nature du terrain, était difficile et dont la populàtion était insoumise, comme par exemple en Albanie, le pouvoir ottoman ne comptait pas uniquement sur les anciens féodaux locaux, à qui il avait maintenu certains privilèges, mais sur des troupes en nombre réduit. Lors de la bataille d'Angora [1402], il transféra dans le pays des begs d'Anatolie qui, par leur conduite réticente et même hostile, lui avaient créé des difficultés dans les provinces asiatiques. De cette manière le pouvoir suprême rendait ces begs inoffensifs, les faisait contribuer à sa politique de conquête et, en même temps, créait grâce à eux une aristocratie musulmane plus nombreuse dans les pays balkaniques. De même que ces nobles exilés (sürgün), des Tatars furent aussi installés comme timariotes en Albanie16• Dans le Monténégro, montagneux, difficilement accessible et conquis à la fin du XVe s., les milieux gouvernants ottomans agissaient avec la même souplesse. Au début c'était la dyarchie -le pays, transformé en vilayet sous la surveillance du sanca�beg de Chkodra (Albanie), était entre les mains de l'ancienne famille féodale des Crnojevié dont les domaines, avec ceux de quelques autres seigneurs locaux, ont été réduits en sipahiliks (timar). Un certain nombre des anciens seigneurs jouissaient d'un statut spécial quoique au-dessous du niveau des sipahis, ils détenaient des b�tinas (complexe de biens immobiliers) exempts d'impôts en tant que mÜ8ellems. Les paysans payaient leur dime, leur ispençe et leur eizye aux sipahis et au sanca�beg de Chkodra. En 1513 la population s'est révolté en refusant de payer ses impôts. C'est alors que le pouvoir ottoman a 13 Il faut y mentionner le cas très significatif du célèbre homme politique byzantin Kritoboulos, l'auteur d'une biographie de Mel;1med II, qui fut nommé par le pouvoir ottoman gouverneur de son île natale, l'île d'Imbros (turc : Imroz) ; cf. UDAL'COVA, 1953 : 1 1 3-1 15, 1957 : 197 etc. Ainsi les milieux dirigeants ottomans s'assuraient des intermédiaires dévoués entre eux et la population sujette qui facilitaient leur politique et leur consolidation dans les pays nouvellement conquis. 14 SABANOVl6 1 957 : 1 82-187, 1 964a : 1 5-18. 15 En 1431 dans le Banca[c d'Arvanid est enregistré plus d'un beg exilé (BÜrgün) de f;laruhan, Aydlll, Koca-ili etc. ; cf. BARRAN 1 953/54 : 2 1 5 sq.

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supprimé le reste d'une certaine autonomie de Monténégro en formant de ce pays un sancalp à part. Il a confié son adnllnistration au troisième fils de la dynastie de Crnojevié, l'islamisé Skenderbeg (1513-1529). Les différents impôts lilori, revenant à 55 alpçes (c.-à-d. 33 alpçes pour le cizye, 20 alpçes pour le sancalpbeg à titre de dîme et d'ispençe et 2 alpçes pour le percepteur). Dans ces conditions le ra'iyye local jouissait d'un statut plus indépendant, car il n'avait qu'un seul seigneur auquel il versait son impôt lilori dont l'acquittement lui assurait le droit de détenir des terrains (b(J,{itina) qui ne dépendaient pas d'un sipahi quelconque. L'aridité de la région et l'esprit d'insoumission de la popula­ tion, abritée dans des sites montagneux bien défendus par la nature, rendaient très diff icile l'instauration du système des timars au Monténégro. Pour cette raison le sancalpbeg Crnojevié devint le promoteur principal et direct de la politique du sultan dans ces terres, ce qui permit au pouvoir central de contrôler aisément le Monténégro. Par de grandes concessions qui assuraient une certaine autonomie à la région, les gouvernants ottomans s'assurèrent donc la supréma­ tie sur ces terres difficiles à conquèrir ainsi que des revenus considérables provenant des recettes fiscales18• Lors de la pénétration ottomane en Hongrie et lors de sa conquête les circonstances, ainsi que des raisons d'ordre tactique, ont obligé les conquérants de tolérer, dès le début, un régime de dyarchie qui a duré presque tout le temps de la domination ottomane en Hongrie. En même temps que toutes les institutions ottomanes étaient établies dans une mesure ou dans une autre, les organes des anciens comitats hongrois continuaient à fonctionner. Ni les diètes ni les féodaux locaux n'ont perdu tout leur pouvoir. Les autorités ottomanes toléraient leur permanente immixtion dans la vie de la population hongroise. Il s'est établi petit à petit et plus particulièrement dans le domaine de la fiscalité un régime de division des prérogatives et du pouvoir entre les anciens seigneurs et les conquérants. Les autorités hongroises continuaient à prélever un tas d'impôts et à imposer des corvées au début au profit du roi de Hongrie et plus tard des Habsbourg ainsi que des féodaux hongrois, en même temps que les autorités ottomanes percevaient des impôts analogues. Les agents fiscaux des Habsbourg par ex. lors de la perception de la dîme (decima) non seulement pénétraient périodiquement dans les zones occupées mais étaient même facilités par le pouvoir ottoman auquel ils cédaient 1% des revenus de decima pour obtenir l'autorisation de se déplacer dans les provinces16a• En pénétrant en maîtres dans des territoires européens les Ottomans ne changèrent pas de manière radicale les usages féodaux locaux. Dans ces terres, où prédominaient la grosse propriété foncière féodale et la décentralisation du pouvoir politique, les Ottomans imposèrent le régime du sipahilik, qui compor­ tait des obligations de caractère militaire et administratif à l'égard du pouvoir central et ressemblait à la pronoïa byzantine. Créé et affermi au cours de 181Btorija Jugo8lav. 1953/60 II : 1 55-1 58, DJURDJEV 1968 I. 1 8a BAYERLE 1973 : 19 sq. , KALDy·NAGY 1974b.

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Les institutions ottomanes en Europe

guerres, l'État ottoman avait réussi à supporter la tension militaire sans cesse accrue des XVe et

XVIe siècles et à réaliser ses desseins de conquête uniquement

par la sévère discipline et la valeur combattive de son armée et l'excellente organisation de son administration. En outre, l'institution du

sipâhilik,

où les

possibilités de dissidence et d'insoumission des différents sipâhis étaient limitées grâce à la présence d'un fort pouvoir central, permettait de maintenir plus aisément soumis les différents peuples assujettis et de parer à toutes les manifestations antiféodales de la population. Une fois que les armes ottomanes avaient décidé du sort d'un pays ou d'une région du sud-est européen, on y procédait immédiatement, d'après l'usage, à l'enregistrement foncier17. Le but de ce dernier était de recenser officiellement toutes les sources de revenus de la région conquise et d'établir la forme de leur répartition entre les représentants de la classe gouvernante ottomane et les administrations de l'État. La terre conquise devenait la propriété du trésor public

(arâii-i miriyye), du maître suprême -le sultan. Elle était divisée en (mefs)

qui différaient par leur physionomie et leur portée. Aux

XVLXVle ss. une

grande partie de ces (mefs), situés dans les provinces européennes ottomanes, étaient des

sipâhiliks: timârs (d'un revenu allant jusqu'à 20000 a Zcçes), ze'âmets 20000 à 100000 aZcçes de revenu) et �I! (!Javâl!l!-� vüzerâ ve ümerâ) de plus de 100 000 aZcçes de revenu)18. Dans les plus anciens documents concer­ nant l'enregistrement foncier ottoman, les différentes espèces de sipâhiliks ne sont pas très strictement délimitées. Souvent le terme de «timân) désigne des bénéfices dont le reVenu dépasse le revenu habituel des timârs. Généralement (de

ces bénéfices étaient concédés aux combattants pour des faits d'armes. La possession du sipâhilik était légalisée par un document officiel (berât) délivré par les organes suprêmes de l'administration locale, par ex. par le

beglerbeg ou par le (te�kere) délivré par les beglerbegs. Ces derniers avaient le droit de délivrer des berâts uniquement pour les timârs dont le revenu ne dépassait pas 6000 aZcçes (les te�kere8Üz); d'un revenu plus élevé étaient les te�kerelüs, c'est-à-dire des bénéfices légalisés par le .sultan avec des te�keres conformes aux berâts du beglerbeg. Tous les féodaux ottomans auxquels étaient concédés des sipâhiliks, assu­ pouvoir suprême sur la base d'un certificat

maient des obligations administratives déterminées à l'égard du sultan. Ils devaient remplir fidèlement et en temps voulu leur service dans la milice féodale. Les

sipâhis titulaires de plus petits timârs (à revenu jusqu'à 1000 a(cçes)

se présentaient seuls dans leur détachement militaire respectif lors des différen­ tes campagnes. Ceux dont les fiefs étaient plus rémunérateurs avaient l'obliga17 Cf. BARKAN 1940/41, tNALCIK 1954a : XIII-XXIII, 1954b, �ABANOVIé 1964a : XXVI-XLVII ; KALDY-NAGY 1 968 : 1 81-183, CVETKOVA 1976 et la littérature y oitée, BARRAN - AYVERDi 1970. 18 Pour tous les problèmes et détails qui oonoernent le système des timiirs of. BELIN 1861, 1 870, TISOHENDORF 1871, DENY 1934, FILIPOVI6 1952, GIBB BOWEN 1950/57 I, 1 : 235-258, CVETKOVA 1954/55 I : 1 1 5-131, 1962a, KABRDA 1966, BASTAI6 1 958, MUTAFOIEVA 1962, WERNER 1 966. -

Les institutions ottomanes en Europe

9

tion d'amener un nombre déterminé de combattants (cebelü) armés et entrete­ nus par eux, ainsi que des serviteurs (gulam) . Ils devaient même préparer pour les campagnes certains équipements, tels que de petites ou de grandes tentes, etc. Un minimum de revenu (�hç) était fixé d'avance séparément pour chaque sipahilik (en Roumélie pour les timiirs de 1000 à 3000 aZcçes et pour les ze'amets 20000 aZcçes)19. Le Zcû�ç formait la base de tout sipahilik. Son taux restait fixe malgré le changement des titulaires, car son but était d'assurer l'entretien des hommes de la milice féodale. Au cours de cette première étape du développe­ ment, lorsque les revenus de l'État ne suffisaient pas à entretenir une immense armée régulière répondant aux grands desseins de conquête du pouvoir otto­ man, le système des timiirs était la meilleure solution au problème du maintien d'un potentiel militaire plus élevé. En laissant aux sipahis une partie des revenus de ses terres, le pouvoir suprême garantissait, d'une façon assez facile, la base matérielle de sa puissance militaire permanente. L'ancienne législation ottomane interdisait aux sipiihis de s'éloigner de leurs fiefs:
Les institutions ottomanelil"Cn Europe

10

conquêtes. Selon toute probabilité, les serviteurs de ces begs étaient ceux qui (cebelü). Dans lé defter du sancalp d'Arvanid de

combattaient sous leurs ordres

1431 ils sont inscrits comme (<serviteurs) (rjulam) ou comme gens de Lala �ahin Beg, Isma'il Beg et 'Adlü Beg21• Avec eux figurent aussi un grand nombre de serviteurs de la suite du sultan - pages du palais et iç-oglans. Pour le seulsancalp d'Arvanid leurs timars représentent

20%

du nombre total des timars22• Au XVe

s. et au début du XVIe s. un nombre relativement limité de

sipahiliks était müteferrilpas, scribes auprès du Conseil supérieur de l'État ou du defterlJiine (divan ve defter-i lJii lpani katibleri), des ça� (dergah-� 'aU çavUiJlan), etc. Ces sipahiliks étaient classés comme des «gediklüs) et leurs titulaires avaient l'obligation d'aller à la guerre uniquement

réservé à certains fonctionnaires du palais - des

lorsque l'armée était commandée par le Grand Vizir, ceci à la différence des

el}kincis

ou des

be-nevbet timarlar

-

les

sipahiliks

des combattants et des

commandants de la milice féodale aux obligations militaires permanentes. L'État ottoman, consolidé au cours de guerres incessantes, aspirait par tous les moyens à conserver le caractère militaire et administratif du

sipahilik ainsi

que son contrôle sur ce dernier. C'est pourquoi le pouvoir suprême reprenait définitivement les

sipahiliks

des militaires ayant quitté les rangs de la milice et

de ceux qui ne remplissaient pas ponctuellement leurs obligations de service ou étaient accusés d'un crime. Par ces mesures il réussissait à tenir les

sipahis

en

état de soumission et assurait dans une large mesure leur discipline. Il coupait ainsi la voie aux aspirations de dissidence des sipahis qui, dans le cas d'un contrôle plus relâché, n'auraient pas manqué d'agir de manière plus indépen­ dante, assurés qu'ils étaient des revenus de leurs

sipahiliks23•

Les normes du droit successoral pour la terre des sipahiliks étaient établies de manière à conserver leur caractère administratif et militaire. D'après ces normes, l'héritage d'un sipahilik n'était pas inconditionnel. Les fils pouvaient en hériter uniquement après avoir assumé les obligations du père24• De cette manière le pouvoir limitait les possibilités de créer une aristocratie héréditaire. Les dimensions des

sipahiliks

des fils étaient inférieurs à celles du

sipahilik

paternel. Par ces mesures le pouvoir central laissait aux fils la possibilité d'accroître, par leurs propres forces et leur propre zèle dans le service, les dimensions de leurs bénéfices. L'aménagement intérieur des

timars

et la façon de les répartir étaient

organisés dans cet esprit. D'après les lois ottomanes les posséder qu'un seul

lpû�ç.

sipahis ne pouvaient sipahiliks entre les

La concentration de plusieurs

mains d'une seule personne aurait porté atteinte au principe de centralisation de l'État. Pour éviter la division et la diminution des revenus des

sipahiliks,

on

avait introduit le système de la possession associée (habituellement la possession 21 tNALOIK

1954a : Nr. 23, 47-49, 52, 210, 213, 222 etc.

22 tNALOIK 1952 : 137. 23 DENY 1 934 : 835.

24 Cf. par ex. HAMMER 1815 I : 352-353, BNS : NPTA XVI 1/8, fO la, doc. I; Relazioni - ALBERI 1840/55 III : 259, Menavino DOMENIOHI 1551 : 239. -

Les institutions ottomanes en Europe du

sipahilik était

concédée aux fils ou aux proches du

servaient dans l'armée et étaient entretenus par le Il y avait aussi des

11

sipahi précédent). sipahilik commun26•

Tous

sipahiliks, dont la possession était répartie entre plusieurs

personnes. Chacune de ces dernières possédait un berat à part attestant ses droits sur la partie du

sipahilik

qui lui revenait

(Q,��e).

Tous les possesseurs étaient

obligés de servir en même temps et à perpétuité dans l'armée. Le pouvoir central donnait ou reprenait souvent les

Q,i��es

(parts des revenus de

sipahiliks entiers

ou de certaines localités). Il arrivait qu'une même localité figurât dans plusieurs

sipahiliks.

Et puisque la vie mouvementée des

sipahis,

sans cesse en guerre,

motivait de fréquents changements (décès, reprise du bénéfice dans le cas de mauvais service, etc.), les

Q,��es

et les

sipahiliks

entiers avaient un sort assez

précaire. Selon les besoins du moment, le pouvoir suprême avait le droit de diviser en

Q,��e un timiir entier rendu vacant, afin d'augmenter les revenus de sipahis, ou de réunir plusieurs Q,i��es en vue de former un timar26. En présence d'un droit successoral limité sur les sipahiliks, la terre de ces derniers certains

représentait un fonds foncier en incessante mutation. Ainsi, les possibilités d'établir une aristocratie foncière de clans étaient réduites au minimum. C'est en cela que résidait aussi la force du principe centralisateur de l'État ottoman. Le souci de garantir des

sipahiliks pour les combattants de la conquête et des

revenus pour le trésor public dans les provinces européennes exigeaient la tenue soignée et systématique de registres de recensement. Ce n'était pas d'ailleurs une nouveauté pour les terres conquises au

XVe s., car des recensements pareils

étaient connus à Byzance et les résultats en étaient portés sur des registres spéciaux nea"Tt"d261J.. Après chaque nouvelle conquête, à des intervalles de deux ou trois décennies, le pouvoir suprême procédait à un recensement. Cette tâche importante était confiée à des begs influents. C'étaient les

emins, c'est-à-dire les

agents du pouvoir, responsables de la réalisation d'une telle initiative, dont le but était de recenser, avec un contrôle sévère, les sources existantes de revenus. Accompagnés par des katibs (scribes) spéciaux, initiés durant de longues années aux secrets de l'écriture financière

(siyaJ;at) et à toutes les autres anciennes l'emin se rendait dans le chef-lieu

écritures turques difficilement déchiffrables,

administratü, où il recherchait le concours de personnes connaissant bien l'état actuel de la région, tels le

J;iiiJi (en tant que représentant du pouvoir judiciaire et sipahiliks et tous les

administratü local), les notables, etc. Les détenteurs de

autres féodaux étaient conviés à présenter les documents attestant les droits sur les fiefs qu'ils possédaient et une copie du

de/ter reflétant le précédent recense­ re'aya) devait présenter des do­

ment. De son côté la population sujette (les

cuments déterminant la sorte de son état. A cette occasion on dressait des listes des

re'aya de

chaque localité avec indication de l'espèce et du taux des impôts

dfts à leurs maîtres féodaux. Les revenus étaient enregistrés à côté des noms des 26 Cf.

les ta[l,rir defterleri publiés jusqu'à présent par tNALOIK 1954a, SABANOVlé I-II 1964-66. XXIV-XXV.

1964a, Tur8ki izvori 26 tNALOIK 1954a:

26,. OSTROGORSKY 1948.

12

Les institutions ottomanes en Europe

maîtres respectifs. Le nombre exact de tous les détachements y figurait aussi. Les

sipiihis

sipiihis de la

région et de leurs

qui tentaient de cacher le véritable

taux de leur revenus dans l'intention de demander une augmentation de pouvoir, étaient dépossédés de leurs

timii1·S.

De cette manière on dressait des registres détaillés le contrôle de

l'emin on y (nev yiitte, lfiiric ez detter)

(mutlUJlJal detterleri).

Sous

notait des renseignements sur les nouveaux revenus qui ne figuraient pas dans les anciens registres. Ces

nouveaux revenus étaient répartis entre les différents

sipiihis,

selon leurs

mérites attestés par des documents. On rédigeait un autre registre sommaire contenant des données succinctes sur le taux des revenus des

sipiihiliks,

leur

localisation, les noms de leurs bénéficiaires et les documents attestant leur possession. C'étaient les

icmiil detterleri.

Cet enregistrement, tenu à jour métho­

d iquement, était parfait pour l'époque et assurait aux Ottomans le moyen de connaître à fond la situation économique des terres nouvellement conquises et de mettre même les ressources les plus minimes au service de leur système sipiihis ottomans sm leurs sipiihiliks étaient limités. La

militaire. Les droits des

vente, l'achat et le don de la terre

sipiihiyye étaient strictement prohibés, car le (beyt ül-miil). Les sipiihis

propriétaire suprême de cette terre était l'État, le fisc

avaient des droits sur les revenus et non pas sur la terre elle-même, terre que possédait et travaillait la population locale. En outre la portée de ce droit différait pour les différentes catégories de sipiihiliks. Les timariotes et les za'ims détenteurs des fiefs militaires dits

gayr-i serbest

(non libres, c.-à -d. aux droits

d'immunité restreints) étaient même privés du droit de percevoir en entier certains impôts que l'État leur avait concédés en tant que revenu qui devait subvenir au maintien de leur parfait état militaire. Il ressort des données fournies par les administrations fiscales ottomanes de cette époque, que toute une série de taxes et d'impôts, imposés une seule fois à l'occasion d'objectifs concrets, réunis dans le groupe dit

biid4 havii, l'impôt sur les moutons (resm-i agniim ), les niyiibet, dejJtbiine (droit de garde-champêtre), !pul ve ciiriye müjdegani, beyt ül-miil, miil-i gayb, miil-i met!pUd, yava et lpaç!pun étaient répartis entre les sipahis détenteurs de fiefs de moindre importance et les organes militaires et administratifs supérieurs, les sanca!pbegs27. Les lois ottomanes soulignent expres­ sément que, par exemple, la taxe niyabet, dont la moitié est remise par les si­ pahis aux sanca!pbegs était destinée à la défense générale de la région28• De même que ces restrictions, les timariotes et les za'ims devaient subir l'ingérence des taxes

fonctionnaires administratifs de l'État, car ils ne bénéficiaient pas d'une auto­ nomie administrative dans leurs 27

sipahiliks.

Ils exerçaient leur pouvoir sur la

LEWIS 1960, HADZIBEGI6 1 949/50 : 320-321, 330, Fontes turc. - GALABOV 1961 34-35, 42-45, 157, 264, BARRAN 1 943 : 272, 233-236, 313-31 8, 319-321, Kanuni­ DJURDJEV 1957 : 88. Cf. les données des mufaIJ.{lal defterleri édités jusqu'à présent et particulièrement ceux qui concernent les terres bulgares dans Turski izvori I-II 1964-66. Voir aussi CVETKOVA 1965b : 48 sq., 1963a : 299-339. 28 Osterr . Nat. -Bibl. : Handschriftenabteilung A 77, fO 198r (�éinünnéime-i viléiyet-i 1:

Vidin).

Les institutions ottomanes en Europe

13

population sujette à l'occasion d e la perception des impôts o u d'autres initia­ tives publiques avec le concours des organes militaires et policiers locaux -les tJuhCl{l�s ou les

ziibits

- ou, un peu plus tard, avec l'aide des janissaires installés

dans les provinces. Les timariotes et les dans leurs

sipiihiliks.

za'ims

n'avaient pa� de droit de justice

Ils soumettaient leurs propres litiges aux administrations

judiciaires de l'État -les tribunaux des �iïiJis dans les proches chefs-lieux du district29• Les tenanciers des !J,iitJ tJ des vizirs (!JaviitJtJ-� vüzerii ve ümerii) ainsi que les za'ims commandants de forteresse et certains çaVUl}, titulaires de timiirs, dispos­ saient seuls d'un droit de percevoir dans leurs fiefs militaires des recettes fiscales beaucoup plus élevées. Ils avaient droit notamment, et sans aucune restriction, aux impôts et aux taxes que les sipiihis ordinaires partageaient avec leurs chefs supérieurs. En raison de ce fait leurs fiefs étaient considérés comme libres

(serbest). Les titulaires

des !JaviitJtJ-�

vüzerii ve ümerii recevaient, en outre,

la moi­

tié des impôts et des taxes déjà mentionnées, dont les timariotes et les

za'ims

percevaient une part. Cette catégorie de grands fiefs militaires était exempte de toute dépendance directe du pouvoir central. Dans leslJiitJtJ des beglerbegs et des

sanca�begs,

cette autonomie administrative était totale, car ils étaient, eux

aussi, des employés de l'administration ottomane. Les titulaires de !J,iitJtJ, le plus souvent de hauts dignitaires séjournant dans les chefs-lieux et présidant aux destinées militaires et administratives de régions entières, exerçaient leur pouvoir dans les !J,iitJtJ qui leur appartenaient par l'intermédiaire de gens à leur service, les

voyvodas.

Ces derniers contrôlaient la possession foncière des

re'aya,

percevaient les revenus des !J,iitJtJ et s'occupaient de la vente de la dîme, en remettant le produit de cette vente à leurs maîtres. Ils remplissaient aussi des fonctions policières -la capture de criminels, l'imposition d'amendes pour des infractions commises. Les

beglerbegs et des sanca�begs re'iiyii, dans les sipahiliks non libres ((pyr-i serbest) lors de la perception de la moitié du groupe fiscal «biid- � havii» à laquelle ils avaient droit30• Mais même ici le pouvoir suprême s'était voyvodas

des !J,iitJtJ des

exerçaient des fonctions similaires également sur les

conservé une certaine sphère d'ingérence. Ses fonctionnaires percevaient dans les �tJ certains impôts, sur lesquels le trésor public avait un droit exclusif

(cizye, 'aviinz-� diviiniyye, tekiilit-i 'ortiyye).

Seuls les tribunaux des �iïiJis ren­

daient la justice, bien que l'exécution de certaines lourdes peines -la pendaison ou la mutilation -était confiée, avec le consentement du �ii4i, même dans les

(serbest) aux (sanca�beglerin iidamlan)31.

timiirs «libres»

agents des

sanca�begs,

(des gens du

sanca�be{JI)

Malgré tout, les !J,iitJtJ différaient sensiblement des au taux de leurs revenus. Le lJiitJtJ du revenu annuel de u

330000 a�çes32.

sanca�beg

D'après les

CVETKOVA 1 954/551 : 1 28-130, SABANOVlé 1960 : 187, SUCESKA 1 965 : 28, 30-32.

30 Voir note 29. 31 Cf. par ex. Osterr. Nat. -Bibl. : Turcica 32 tNALOIK 1954a, 1 952 : 135-136. 2

sipiihiliks ordinaires quant 1431 un données de 1455, les revenus d'Arvanid donnait en

77,

fO

1 98

rv.

Les institutions ottomanes e n Europe

14 annuels des

�§

de
viliiyets

de Zvetchan,

Yeletch, Sienitza, Rass, Nikchitchi et Saronovassa (Sarajevo), Skopije, Tetovo

et Valk sans la ville de Skopije, s'élevaient à une somme globale de

763000 1476/77 le revenu du §ub01� de la ville de Velès et de 19 villages était 65344 alcçes84 • Voici quelques données sur les revenus des bénéfices des

alcçes88• En de

beglerbegs et des hauts dignitaires.

Beglerbegs d'après les données du XVIIe s. de
Viliiyets

Revenus

Roumélie

1 100000 alcçes 650000 a(cçes 880000 a(cçes 600000 a(cçes

Bosnie Bodun Chypre

Hauts Dignitaires

Sinan Pa�a

Années

Revenus

1591

1263680 a(cçes

Liva (sanca(c) Pa�a, Nikopol, Morée, Yanina, Delonia, Semendere, Vidin, Alaca I.Iwar, Silistre, etc.

1604

1203969 a(cçes

Agnboz, Yanina, Trrhala, etc.36

Les

�§

englobaient plusieurs dizaines de villages, des villes, des revenus

portuaires, et étaient morcelés en différentes parties dans diverses régions de l'Europe du sud-est. Comparés à ceux de ces grands fiefs administratüs, les revenus des timars étaient insignifiants. De plus, le pouvoir distribuait rarement ces derniers avec leur revenu maximum de 20000 a(cçes. En d'Arvanid, le revenu moyen d'un

timar variait de 1000

timars représentaient

à

1431, dans le sanca(c 3000 a (cçes. De tels

60% des bénéfices militaires de cette région alors que ceux 3000 a(cçes formaient 30% du tota}87. La plupart des 27 timars enregistrés au cours de la première moitié du XVe siècle dans les nal,1,iyes dont le revenu dépassait

88 M

86

86

87

SABANOVI6 1964a : 3. SOKOLOSKI Osvrt.


Les institutions ottomanes en Europe

15

d'Iznepol et d e Vissoka e n Bulgarie occidentale avaient u n revenu d e 3000, 4000

5000 aZcçes ; deux seulement atteignaient 6000 aZcçes et trois allaient jusqu'à 1 1000 aZcçes38• Sur 26 timars enregistrés pendant la seconde moitié du XVe siècle dans la région d'Avratl.n�ar et de Salonique, dix avaient un revenu de 4000 aZcçes ; les plus nombreux étaient ensuite ceux de 2000 aZcçes39• Parmi les 50 timiirs enregistrés entre 1443 et 1455 dans la région de Sofia, les plus nombreux sont ceux d'un revenu de 3000 ou 4000 aZcçes40• La majorité des 29 timars enregistrés vers 1460 dans la région de Velès avaient un revenu de 2000 à 4000 aZcçes. En 1476, le nombre des sipahiliks dans cette région atteignit le chlffre de 32, la plupart ayant un revenu de 4000 à 6000 aZcçes. En 148 1, il Y avait 37 sipahiliks dont le revenu moyen restait à peu près le même. Vers 1544, cette catégorie de timiirs occupait la deuxième place après celle d'un revenu compris entre 2000 et 4000 aZcçes41 • D'après des données de 1468, il Y avait alors dans le sancaZc de Bosnie un nombre considérable de timiirs dont le revenu allait de 100 à 200 aZcçes42• ou

Ces revenus réduits provenaient d'un nombre relativement petit de villages ou de parties de villages dont les terres étaient incluses dans le cadre d'un autre

timiir. Dans la composition d'un grand nombre d'anciens timiirs balkaniques (mezra') non habitées qui ne donnaient pas de revenus. Dans certaines régions, les mezra's étaient plus nombreux que les villages. De plus, les autorités allouaient parfois aux timariotes des mezra's à revenus réduits à charge pour eux de les (
Rayanovtzi dans le district d'Elena en Bulgarie) figurait au nom d'un certain Mel,1med, fils de 'Ali, qui avait la charge de le rendre rentable43• Du même type, le

mezra'j de Tzarev Kladenetz, situé quelque part dans la région de Tirnovo,

avait été alloué au Kiitib Al,1med qui s'était engagé «à le raviver) et à équiper avec ses revenus un combattant pour la milice

sipahiyye44• Ces procédés du

pouvoir central attestent ses efforts pour tirer un maximum de profits de toutes les possibilités de rendement des terres conquises en vue d'assurer l'entretien de la milice féodale. De cette manière il tentait de réaliser quelques-uns des buts fondamentaux de sa politique économique : restauration de l'économie dévastée au cours d'opérations militaires dans les territoires balkaniques déja conquis, augmentation de la surface arable qui avait été réduite par abandon lors des grands changements démographiques accompagnant la pénétration et l'établis­ sement des Ottomans à la fin du XIVe et au début du XVe s. Toujours mû par le souci de conserver ce fonds matériel en tant que 38 BNS :

OAK 52/59.

BNS : OAK 45/30. 40 BNS : D 707. 41 SOKOLOSKI Osvrt : 38. 89

4 2 ËlABAN0V16 1960 : 199. U-44 BNS : OAK 45/29, fO

32r 31v. ,

Les institutions ottomanes en Europe

16

fondement du système des sipahiliks, le pouvoir central avait soin de surveiller, si, oui ou non, les administrateurs féodaux exploitaient leur fief dans le cadre des limites légales et de manière raisonnable. Les anciens registres sipahis notent des cas où le pouvoir central enleva les timars aux sipahis qui ne s'efforçaient pas d'en maintenir la rentabilité. Ainsi, par exemple, vers le milieu du XVe s. le timariote ine Beg, fils de Saruca Hlzrr fut dépossédé de son timar qui englobait tout un village de la région de Salonique avec un revenu de 2306 aZcçes. La raison était que le

sipahi «avait dégradé son timan) et «dispersé ses hommes) 46. sipiihis établis dans

La modicité des revenus de la majorité des plus anciens

les possessions ottomanes d'Europe poussait ceux-ci à chercher à augmenter leurs fiefs pour améliorer leur situation, avant tout par le zèle dont ils faisaient preuve au cours de leur service dans l'armée que l'on récompensait souvent par l'accroissement des fiefs. Parfois les

sipiihis recouraient à des mesures qui

facilitaient les initiatives fondamentales du pouvoir suprême relatives à l'ac­ croissement de la rentabilité des terres. Pour cette raison il se montra disposé à soutenir, par exemple, le commandant

sipiihi :J;(asIm, fils de Djouré Beg -

d'adjoindre à son timar le village de Medkovetz, de la région de Vratza (Bulgarie). A cet effet :J;(asIm avait accepté l'obligation de payer au trésor public l'impôt général de

500 aZcçes,

dû par les

re'iiyii locaux, jusqu'à ce que «le village

se ravive) , c'est-à-dire jusqu'au moment où la condition matérielle de ses ha. bitants se serait améliorée.ol6 Des différences considérables existaient non seulement entre les diverses catégories de

sipahis mais aussi entre leurs domaines privés. Dans le cadre des sipiihis

timars, des ze'iimets et des !J,ii{J{I existaient aussi des biens sur lesquels les

exerçaient eux-mêmes leur droit de jouissance et dont les sources parlent sous le nom de

lJii(I{la ou de lJii(I{la çiftligi. Ces domaines privés, liés d'une manière

indissociable aux fiefs eux-mêmes étaient concédés ou repris par le pouvoir en même temps que les fiefs. Les lJii(I{la çiftlikleri des fiefs les plus petits n'étaient pas très vastes : de 60 à 150 dOnüms. Ces exploitations comprenaient un ou quelques vignobles, quelques prés, trois à quatre champs ou des vergers. Les timariotes aux revenus les plus restreints disposaient de quelques noyers, mûriers ou poiriers, d'un marais avec des roseaux où, en général, leurs

sipiihiliks ne comportaient pas de !J,ii{J{las. Pris

par d'incessantes campagnes, ces combattants ottomans n'avaient pas toujours la possibilité de s'occuper de leurs propres biens

(lJii(I{la) et pour cette raison !J,ii{J{las des timarp

préféraient ne pas les entretenir. Ainsi, le plus souvent les

comprenaient-ils des vergers ou des roselières, qui ne demandent pas de grand soin, ni beaucoup de travail. Dans les petits fiefs militaires où elle n'était pas nécessaire, la corvée une taxe47. 46 46

(angarya) des paysans n'existait pas et était remplacée par

BNS : OAK 45/30, fO 19v. BNS : OAK 45/29, fO 34r. 41 BARKAN 1949 : 392, DJURDJEV 1950, il Y traite de ce problème à plusieurs reprises. FILIPOvr6 1952 : 120, tNALCIK 1954a: XXX, MUTAFOIEVA 195 8 : 50-51,

Les institutions ottomanes en Europe

17

Ne voyant pas l'avantage d'administrer personnellement leur {}al}l}a, les sipiihis ordinaires préféraient le concéder aux paysans dépendant d'eux contre un document

(tapu) leur permettant de le travailler moyennant l'obligation de leur

verser une rente féodale. Ce sont sans doute ces faits, assez fréquents dans la pratique, qui ont motivé dans le Code de Mel}.med II, attribué à tort jusqu'à présent à Soliman le Législateur, le texte suivant qui leur est expressément consacré : «Si un timariote, avide d'argent, donne à quelqu'un un tapu pour une

telle terre (c.-à-dire !J,aI}l}a) pendant son temps (c.-à-d. le temps qu'il est sipiihi de

cette terre), ce tapu est valable uniquement pendant son temps» .48 Libérés ainsi

des soucis de la gestion personnelle du

!J,aI}l}a, les sipiihis aspiraient à la faire

fructifier de manière plus rentable. Ce genre de biens personnels, situés dans le cadre des !J,aI}1} sont beaucoup plus vastes et d'aspect plus varié. Les grands !J,aI}l}as comprenaient non seulement des champs fertiles, des vergers, des jardins potagers et des prés, mais aussi des viviers, des forêts, des roselières, des moulins, etc qui formaient le

!J,aI}lJa çiftligi

des détenteurs des !J,aI}1}49. Leur revenu était de plusieurs dizaines de milliers

d'a�çes par an. Ces revenus considérables des biens !J,aI}l}a des plus grands !J,aI}1}

permettaient à leurs titulaires de s'enrichir facilement. Le pouvoir central ottoman, maintenant fermement son droit de répartiteur suprême des fiefs militaires, ne manquait pas de limiter par des mesures législatives l'élargisse­

ment des !J,aI}l}as des sipiihis. «Le sipiihi ne doit pas posséder personnellem�nt de

terre en plus de son çiftlik» . Dans le cas où pour une raison ou une autre il avait possédé durant une plus longue période des terres appartenant à la population sujette, ces terres pouvaient être rattachées à son

!J,aI}l}a par une autorisation

spéciale du sultan6o• Ces mesures ne visaient pas seulement à empêcher les

sipiihis d'être absorbés par le souci d'accroître leur !J,aI}l}a et de négliger leurs obligations militaires fondamentales. Le pouvoir suprême cherchait à préserver les patrimoines personnels de la population asservie en tant que source de

revenus pour l'entretien du système des sipiihis lui-même et pour l'alimentation du trésor public. Malgré les différences existant dans la condition des administrateurs féodaux,

le contrôle et l'ingérence du pouvoir suprême pesaient de toutes leurs forces sur tous. Les droits d'immunité, limités au plus haut degré, permettaient au pouvoir central de surveiller, par l'intermédiaire de ses agents, l'état des

sipiihiliks et de les distribuer selon les mérites et le zèle de leurs tenanciers. Pourtant, la dépendance considérable des sipiihis et le fait qu'ils ne pouvaient pas disposer librement de leurs bénéfices ne signifiaient nullement que leur droit portait uniquement sur une partie du rendement de ces terres. Les droits sur le

CVETKOVA 1 960a : 174-175 ; cf. les ta!trir defterleri édités jusqu'à présent et particu­ lièrement Tur8ki izvori I-II 1964-66. 48 'ARiF 1912/13 c. l 5 : 17. Cf. BELDICEANU 1 960/64 1 : fO 14v-15r. 49 Cf. par ex. DJURDJEV 1 950/53 II : 48-50. 60 K:RAELITZ·GREIFENHORST 1921/22 : 23. Cf. sa traduction par CVETKOVA Popov 1961 : 22.

-

Les institutions ottomanes en Europe

18

rendement, que l'État leur réservait sous forme de possession d'un

sipiihilik

concernaient aussi la terre elle-même. Ils portaient atteinte à la population

sujette, qui travaillait et bénéficiait de cette terre. Il est difficile d'imaginer comment, sans un tel pouvoir, les

sipiihis pouvaient percevoir de la population

une grande partie de leurs revenus de la terre, comment ils pouvaient disposer des exploitations agricoles inclues dans leurs fiefs, en vue d'utiliser leurs revenus pour l'entretien de leur équipement militaire6l• La grande importance que le pouvoir central accordait au système des

sipiihis au cours des grandes conquêtes

en Europe, ressort d'un certain nombre de mesures appliquées par Mel}.med II. Le besoin sans cesse accru de terres et de sources de revenus, nécessaires à l'entretien de l'armée poussait toujours le pouvoir vers des initiatives visant à accroître le fonds des terres de l'Etat et du sultan. Des efforts furent déployés en vue de rechercher et d'enregistrer au cadastre toutes les terres qui pour une raison ou une autre étaient sans détenteurs. A partir de

1459

quelques ordon­

nances assignèrent aux fonctionnaires d'État l'obligation de rechercher les timiirs, les villages avec leurs terres, les

çiftliks et tous les autres biens immobi­

liers pouvant servir de sources de revenus et dont personne ne disposait en vertu d'un droit légal. Le pouvoir suprême déterminait également les cas dans lesquels les sipiihiliks devaient être considérés comme vacants et mis à la disposition du pouvoir central ; ce sont surtout les bénéfices des

sipiihis ayant omis de remplir sipiihis au lieu de se

leurs obligations militaires - il est question de cas où les

présenter personnellement sous les drapeaux y envoyaient leurs proches ou leurs serviteurs, ou bien quittaient l'armée avec l'autorisation des

sancalpbe(Js, pour

leur rendre des services, ou pour leurs propres affaires. Il est clair que par ces mesures le pouvoir central cherchait autant à raffermir la discipline militaire au sein de la milice féodale, qu'à contrecarrer tous les manquements au service, commis de connivence avec les chefs supérieurs

sipiihis. En outre le pouvoir sipiihiliks et s'efforçait également d'empêcher toutes les tentatives des sancalpbegs et des suprême prévoyait des normes pour garantir la répartition légale des

{Juba{J�s pour s'approprier de manière illégale des terres sans détenteurs enre­ gistrées en tant que terres liées aux fonctions des chefs militaires et administra­ tifs62• En même temps, au cours des années

1470

Mel}.met II avait entrepris des

transformations inusitées jusque là et dont le but était d'élargir la portée des

sipiihiliks pour le compte et au détriment des terres mülks et valp�/s53. Au cours de la période de pénétration ottomane dans les terres balkaniques, un autre type de domaine - les mülks54 - s'était développé parallèlement au 61

CVETKOVA 1 954/55 1 : 143 sq. BABINGER 1 95 6 : 70-84, 173-176, ANHEGGER - iNALOIK 195 6 : 24-28, BELDI­ OEANU 1960/64 1 : nr 17, p. 86 ; nr. 19, p. 89-91 ; nr 18, p. 87-88. 63 Sur ce problème cf. note 83. 6& Sur cette catégorie foncière cf. BARRAN 1 941, GOKBiLGiN 1 952b : 1 60 sq., GALABOV 1 946/47, CVETKOVA 1 954/55 1 : 1 32-137, 1963a : 299-339, MUTAFOIEVA 1961 : 54 sq. 62

.

.

Les institutions ottomanes en Europe système des

19

sipahiliks. Grâce à ces domaines dont les possesseurs n'étaient

astreints à aucune des obligations militaires ni administratives, le pouvoir suprême assurait des biens rentables aux membres de la famille du sultan et aux grands dignitaires, auxquels étaient confiés en même temps des fiefs du type

sipahilik -des �I}. Les sources indiquent, par exemple, comme possesseurs de 1

mülks des beglerbegs connus du temps du sultan Murad II, tels que �araca PafJIa, . Me1}.med Palja, �a.sIID Palja, MU!;ltafii. Beg

(sancalpheg de Nikopol), Hüsrev Beg

(sancalpbeg de Çirmen au temps du sultan Bayezid II) etc. Certains vizirs plus ou moins connus des XVLXVIe ss. (Saruca Pa!;la, Ferhad Pa!;la, Rüm Me1}.med PafJIa, Çandarh Ibrahim PafJ!a, Is1}.a� Pa!;la, Ayaz Pa!;la, 'Ali PafJIa, Lutfi PafJIa, So�ollu Me1}.met Pa!;la, Sinan PafJIa, etc. reçurent aussi des mülks en même temps que leurs fiefs militaires 55. A l'époque des conquêtes en Anatolie et dans les Balkans le pouvoir avait distribué des

mülks à des chefs d'armées, qui s'étaient distingués au cours des

différentes campagnes. Parmi ces chefs on peut citer : TimurtafJI Pa!;la, les Mihalbeg, Evrenos Beg, �arhzade Lala 'Ali Beg, Firüz Beg, etc.56 Il en est de même de certains personnages de l'entourage du sultan, qui obtinrent des mülks parce que pendant cette période initiale l'accès aux

sipahiliks était encore assez

difficile pour eux. Les droits de possession sur les mülks étaient garantis par quelques documents officiels délivrés par le pouvoir suprême. Les mülkniimes légalisaient ces droits et le statut spécial de chaque mülk. Dans les

s�nurniimes

on précisait les frontières de la possession et dans les mu'alniimes - la garantie de

l'immunité fiscale des mülks par rapport au gouvernement central. L'importance de ce genre de possessions est variable. Souvent elles compre­ naient plusieurs villages avec leurs territoires, mezra's, rizières, forêts, les recettes de certaines charges fiscales dans les villes et parfois les villes elles­ mêmes avec leurs régions. Le sultan Murad Ier récompensa les services du chef militaire Evrenos IBeg par l'octroi d'un mülk qui englobait les villes de Gumur­ djina et Serrès, ainsi que les terres entre ces deux villes et Bitola, Biglichté et Khroupichté57• Les biens

mülks d'Is1}.a� Beg - qui furent transformés par la

suite en valp�1 des établissements de bienfaisance et d'instruction de Skopje -

medrese et 'iméiret comprenaient les proches villages de Baniané et de Mirko­ vitza, trois parts de terre situées en dehors de Skopje, un terrain pour des jardins potagers et de nombreux biens dans la ville elle-même : un établissement de bains avec des sections pour hommes et pour femmes, 50 magasins,
mülk les villages des environs de

Tirnovo Pavlikan, Umür Beg, Murad Beg, Mihaliçe-i Büzürk et Mihaliçe-i

66

GOKBiLGiN 1 952b, of. l'index du livre sur les noms de oes dignitaires. GOKBiLGrn 1 952b : 201, Im'iIEv 1 909 : 343 sq. , ELEZOVlé 1940/52 1 : 7 sq., 14-22, ImJIEv 1 91 1 : 208 sq. ; NEDKOV 1 966, BNS : OAK 217/8, fO 2v sq., CVETKOVA 1 963a. 67-68 ELEzoVIé 1 940/52 1 : 14-18. 66

•

20

Les institutions ottomanes en Europe

Küçük6D• Le mülk de �arhzade Lala Ali Beg englobait le territoire du village de Souchitza (distr. de Karlovo, Bulgarie), celui de �aslID Pa§a - le village de Drianovo (auj ourd'hui ville de Bulgarie dans le distr. de Tirnovo), celui de 'Alaeddin 'Ali Beg, petit-fils de Gazi Mihal Beg - plusieurs villages avec de nombreux biens dans les régions de Pleven, Vidin, Nikopol et Lovetch80• Ces mülks représentaient des droits illimités de propriété privée. Leurs possesseurs étaient libres de les vendre, de les transmettre en héritage, d'en faire cadeau ou de les transformer en valp�f, c.-à-d. d'en faire des biens fonciers inaliénables et inviolables. Souvent les mülks changeaient de propriétaires par la voie de marchés libres d'achat et de vente. Les employés de l'administration ottomane n'avaient pas accès à ce genre de possessions féodales et ne pouvaient exercer aucun pouvoir dans le cadre de leurs frontières. Les mülks jouissaient d'une autonomie administrative totale. N'étant pas chargés des obligations de service à l'égard du pouvoir central, les mülks constituaient des domaines féodaux importants et hautement rentables. Outre les revenus habituels provenant des charges fiscales frappant la population suj ette et qui étaient perçus dans toutes les catégories de possessions féodales, les propriétaires des mülks bénéficiaient aussi de toutes les rentrées d'impôts, que l'on partageait, dans les timârs et les ze'âmets, entre les

sipâhis et les sancalpbegs. Dans de nombreux cas, les ordres du sultan et les

mülknâmes autorisaient la perception du cizye au profit du propriétaire local. Les maîtres des mülks percevaient de gros revenus aussi des taxes commerciales et les loyers des magasins, entrepôts, auberges et bazars situés dans les centres urbains faisant partie de leurs domaines81. Le pouvoir ottoman avait accordé au XVe s. une certaine latitude de développement aux mülks de Roumélie, qui échappaient à son contrôle direct grâce à leurs larges droits d'immunité. Cette renonciation à sa politique

fondamentale qui v isait à maintenir le sipâhilik était dictée par de sérieuses considérations d'ordre fiscal. Les régions dévastées et dépeuplées durant la conquête des Balkans imposaient au pouvoir suprême la tâche urgente de leur repeuplement et du rétablissement de leur économie désorganisée, afin de les transformer le plus rapidement possible en sources de revenus pour la classe gouvernante ottomane. Cette tâche, dont le gouvernement essayait sporadique­ ment de charger les sipâhis était imposée surtout aux propriétaires des mülks. Leurs intérêts économiques leur dictaient de transformer les mülks offerts par le sultan en de riches sources de revenus. Disposant de pouvoirs assez vastes, ils installaient sur les terres mülks qui, bien que dépeuplées, étaient fertiles, de nouvelles populations, surtout des colons turcs, ranimant ainsi la vie écono­ mique de ces régions. Cet essor économique n'aurait pas pu s'accomplir si le pouvoir central l'avait confiée aux sipâhis, vu qu'au XVe s., stimulés par les

69 60

61

BNS : OAK 217/8, fO 2v sq. IHIJIEV 1 91 1 : 208-216, BNS : OAK 217/8, fO 8r sq. Voir la bibliographie cités dans la nots 54, cf. aU8si BARKAN 1940/42 II : 938-939.

Les institutions ottomanes en Europe

21

perspectives de fréquentes et fructueuses expéditions militaires, ils s'intéres­ saient très peu à l'exploitation de leurs

sipiihiliks et ne prenaient aucun soin

pour en augmenter la rentabilité. En outre, le pouvoir central récompensait par l'octroi de mülks les efforts des chefs militaires, surtout ceux qui avaient fait preuve de courage et de zèle lors de la conquête de nouveaux territoires62• Il encourageait ainsi leur future activité conquérante. Dans l'ordre par lequel Murad 1er accorde le mülk à Evrenos Beg, les vrais desseins du pouvoir central sont exprimés sans équivoque :
Par le régime des mülks et des valp�fs l' État ottoman assurait également la

défense des régions vulnérables, surtout dans ces nouvelles provinces européennes, où la résistance des peuples balkaniques ne faiblissait pas. En installant dans ces régions des immigrés, surtout des Turcs, les possesseurs de mülks renforçaient la défense de toute la région, d'importantes zones stratégiques et des points de passage, ainsi que des routes et des défilés ayant une certaine valeur économique. Ainsi, par exemple, au mülk d'Ibrahim Aga fut rattaché le village de Volona, district de Choumen (Bulgarie). Dans un registre du milieu du XVIe s. on peut lire que ce village et son hameau de Mumcu Iskender avaient été abandonnés parce que des brigands (probablement des haïdouks) y sévis­ saient et de ce fait, échappaient au récensement. Pour organiser la défense de cette région dépeuplée, qui avait une certaine importance pour le trafic en tant que région de passage, le village et le hameau faisant partie du mülk obtinrent de grands allègements fiscaux.

diviiniyye66•

Ils furent exonérés des impôts

(aviinz-�

De plus, le système des mülks et des vahfs provenant de ces derniers facilitait grandement la colonisation turque dans les terres balkaniques. Par l'installation de petits groupes ou de masses compactes de colons turcs dans les mülks on consolidait la présence de l'élément musulman au sein de la population balka­ nique hostile. Pour encourager l'établissement des immigrés musulmans dans leurs mülks - afin d'augmenter leur rentabilité - certains possesseurs de mülks garantissaient aux nouveaux venus diverses éxonérations fiscales. Le rapport existant entre le système des mülks et des valp�fs et le vaste cadre de la colonisation turque se manifestait le plus clairement dans les régions présentant une grande importance stratégique66 • 62

CVETKOVA 1963b : 104-- 1 05.

64 BARRAN 1940/42 1 : 2. 65 BARKAN 1940/42 II : 938, 941 , 66 Cf. BNS : OAK 27/8, BAItKAN

434, n. 688.

68

ELEzoVI6 1940/52

1:

12.

BNS : OAK 21 7/8, fD 33rv. 1940/42 II : 930-941, 1942a, Gi:iIrniLGiN 1952a:

1

�

22

Les institutions ottomanes en Europe

Toujours dans le but d'affermir la position de l'élément ethnique turc et d'élargir la propagande religieuse musulmane dans les régions nouvellement conquises, les autorités cherchaient à assurer des reVenus permanents aux

zaviyes et tekyes par le truchement du système des mülks et des valp�ts, réservés aux missionnaires installés à demeure et aux voyageurs et pélerins de passage.

Ce genre de mülks avaient en réalité une autre destination initiale ; ils n'étaient pas inconditionnels comme les autres

mülks, étant liés à l'obligation d'entretenir

des établissements religieux67. Les droits de propriété concédés par le pouvoir encourageaient l'esprit

mülks. Ils cherchaient par tous les moyens à accroître la rentabilité de leurs domaines. Ne subissant aucune restriction de la d'entreprise des propriétaires de

re'iiyii de leurs mülks, régime établi par des dispositions législatives éditées par eux-mêmes. Tel part de l'Etat, ils imposaient souvent un régime spécial aux

est, par exemple, le cas de Drianovo (district de Tarnovo, Bulgarie). Son maître,

�iinunniimes spéciaux certains re'iiyii de Drianovo : dispense de payer l'impôt foncier personnel (ispence), les jeunes filles et les veuves n'étaient pas soumises au cizye ni à

le grand vizir �ii.slID Pat;la avait concédé par des allégements aux

l'obligation de fournir du bois et du foin pour les locaux du gouverneur local, la dîme devait être exactement 1 /10 du rendement foncier, dix familles d'éleveurs de moutons devaient être exonérées à tour de rôle tous les trois ans pour deux ans du paiement de l'impôt sur les moutons et du lJariic, «Personne ne doit porter

atteinte à ces usages coutumiers des personnes mentionnées (des infidèles»)) disait le document6s• Ces allégements avaient pour but d'améliorer l'état économique de toute la localité, afin d'augmenter aussi par voie de conséquence les revenus que �ii.slID Pat;la tirait de son domaine. Malgré la grande autonomie, la menace d'ingérence du pouvoir central et de l'arbitraire du sultan pesait aussi sur les

mülks. Avec ou sans raison, le sultan

avait le droit de les retirer à leurs propriétaires, de les confisquer. Voici pourquoi, ces derniers trouvaient le moyen de les mettre sous la protection des

valp�ts et conservant ainsi pour toujours leurs valp�tniimes, étaient alloués à l'entretien de certains bâtiments, mosquées : 'imiiret, zaviye, medrese ou au profit lois en les transformant en

revenus. Par des actes de donation spéciaux, les

des villes saintes musulmanes La Mecque et Médine, etc. De cette manière ces domaines devenaient définitivement inviolables. Les actes de

valp�t stipulaient

(cqu'ils ne pouvaient être ni vendus, ni donnés en donation ou en gage à quelqu ' un) 6o .

mülks transformés en valp�t était réglée conformément aux valp�tniimes. Habituellement ils désignaient eux-mêmes l'administrateur des valp�ts - le mütevelli. En outre, le La gestion des

prescriptions des testateurs, notées dans leurs

67 BARKAN 1942a, BNS : OAK 217/8, fU 23rv, 32v-33r, GOKBiLGiN 1952a : 174 etc. 68 BNS : OAK 217/8, fU 8r, BARKAN 1 940/42 Il : 9 1 6-9 1 7 ; cf. CVETKOVA 1963a : 3 1 3-314. 69 IH<JIEV 1 91 1 : 215, ELEZOVI6 1 940/52 1 : 21, 1 24, 143, 454, BNS : OAK 217/8, fU 2v-7v.

Les institutions ottomanes en Europe

23

testateur spécifiait que la fonction du mütevelU devait reverur à perpétuité à ses héritiers-fils, petits-fils, arrières-petits-fils, etc. Dans le valp�/name par lequel Melpned Beg, fils d'ucbeg Isl;tal� constitua son mülk en valp�/, il se réserva jusqu'à sa mort les fonctions de mütevelli et précisa son désir «d'administrer le valp�1 selon sa volonté}). Après sa mort les fonctions de mütevelli devaient revenir à son descendant mâle le plus capable et continuer ainsi d'une génération à l'autre ; après les descendants, c'était le tour des esclaves affranchis, etc.70 Les fonctions de l'autre employé des valp�/s, le na��r (inspecteur), devaient aussi être assurées par les héritiers du testateur, à la seule restriction, toutefois, qu'une même personne ne pouvait cumuler les fonctions de mütevelli et de na��r71. Ainsi sous la couverture des lois, les maîtres des mülks conservaient leur droit de gérer eux­ mêmes leurs domaines féodaux, bien que ces derniers fussent transformés en valp�/s. Les actes établissant le valp�/, précisaient aussi la manière dont devaient être utilisés les revenus des différents biens. Ces revenus n'étaient pas affectés en totalité à des buts religieux ou de bienfaisance. Le valp�/name d'Isl;ta� Beg, datant de

1445,

assurait au mütevelli le droit de percevoir à son propre profit le

dixième du revenu total du valp�1 et de le dépenser comme bon lui semblerait. Mel;tmed Beg, fils d'Isl;ta� Beg, précise dans l'acte de donation qu'en sa qualité de mütevelli, lui seul a le droit de dépenser les revenus de son valp�1 quand bon lui semble et sans aucune restriction72• Les mütevellis étant d'après les valp�/names à la fois les donateurs eux-mêmes ou leurs héritiers, les revenus qui leur étaient affectés étaient en réalité ceux que les anciens maîtres de mülks assuraient pour toujours à leur descendance. Ainsi, en transformant leurs mülks en patrimoine inaliénable, ils les sous­ trayaient à l'autorité du pouvoir central. Avec ces mülks constitués en valp�/s et la légalisation des droits héréditaires à perpétuité, on assiste à la formation et consolidation d'une aristocratie héréditaire dans les provinces ottomanes d'Eu­ rope. Grâce aux valp�/s constitués à partir d'anciens mülks, des familles comme les Mihal Beg, les Evrenos Beg, les Isl;ta� Beg, les Firuz Beg, etc. maintinrent, durant de longs siècles après la conquête, leur puissance dans les Balkans. La transformation fréquente de mülks en valp�/s augmenta à la fois les revenus et l'influence des institutions religieuses musulmanes. Cela contribua aussi à l 'affermissement idéologique du régime féodal car l'islam, la religion officielle justifiait ainsi la domination de la classe gouvernante ottomane. Dans les régions les plus fertiles et les centres urbains les plus animés des provinces ottomanes d'Europe se trouvaient des biens valp�/s avec leur régime particulier de gestion et d'exploitation légalisé par les valp�/names et l'approba­ tion suprême du sultan. En vertu de ces documents, les domaines valp�/s jouissaient d'une assez large immunité. Le pouvoir central ne permettait pas seulement aux administrateurs des valp�/s de percevoir - dans la plupart des cas pour leur propre compte - certains impôts d' État importants tels que le cizye, il 70- 7 1 ELEzoVI6 1 940/52 7 2 ELEzoVI6 1 940/52 1 :

1 : 56-57, IHOIEV 1 91 1 : 212. 20, 56.

Les institutions ottomanes en Europe

24

exemptait aussi totalement les

re'aya des va��/s de certaines redevances envers

l'État. Ainsi, par exemple, le pouvoir central avait chargé l'administration des

va��/s de Firüz Beg et de �aslID Pali\a dans la région de Tirnovo de percevoir le

cizye. A Drianovo il avait exempté la population sujette des charges et des redevances d'État suivantes : transports gratuits de certains chargements, construction de forteresses, élevage de chevaux pour les besoins de l' Etat, service de courriers, fauchage du foin, service obligatoire dans la flotte du sultan, et, le plus pénible pour les non-musulmans : recrutement forcé d'enfants pour le corps des janissaires - le

devt}irme73.

Le pouvoir suprême entourait de soins particuliers l'immunité fiscale d'une catégorie de petits va��/s, fondés par des missionnaires musulmans, des adeptes de confréries mystiques musulmanes, comme celles des A!J,is et d'une manière générale les personnes telles que les

'ulemas, c'est-à-dire les gens qui avaient reçu

une instruction religieuse et juridique. Un très ancien document, de 1366, assure, au nom du sultan Murad 1er, la plus large autonomie au va��1 appartenant à AW Müsa et ses héritiers dans la région de Malkara (Thrace orientale). Le va��1 est exonéré de tous les impôts extraordinaires, des services de courriers, des obligations des

segbiins et sera!J,urs, de la redevance t}algun, etc.74 Süleyman, fils

de Bayezid 1er, avait édicté en va��1 du

1404

un acte réglant la situation d'un village

�i Houssam. Cet acte précise, entre autre, l'immunité fiscale de ce

va��t, en énumérant d'importantes redevances fiscales ou autres auxquelles l'État renonce en vue de garantir l'indépendance de ce va��t : tous les impôts extraordinaires, les obligations des

segbiins et des dorianc�s76.

Cette politique envers les va��/s en question visait à encourager les ministres du culte musulman et du principal support du pouvoir judiciaire et administra­ tif de l'État, l'institution des frii4is. Mais ce n'est pas seulement la large immunité fiscale qui déterminait le grand afflux de reVenus pour les caisses des va��ts. Déjà au début de leur développe­ ment dans les Balkans les valp�/s bénéficièrent, d'une manière profonde et durable, du développement de l 'économie des villes en y puisant, de diverses manières, de grands revenus. Les nombreux magasins que les plus grands va��/s possédaient dans les villes étaient situés dans les centres commerciaux et les marchés les plus animés et étaient concédés à des commerçants ou artisans contre un loyer annuel convenable ou un bail à vie. Ces loyers constituaient de bonnes et stables sources de revenus. Non moins rentables étaient les différents caravansérails, auberges, bains publics, moulins, etc., appartenant aux va��ts. Certains documents de comptabilité des va��/s de la première période éclairent, bien qu'incomplètement, les liens unissant les va��/s à l'économie des villes. Ainsi, par exemple, le va��1 de tIa� A1,lmed Beg, haut dignitaire de Murad II, qui entretenait un ziiviye et un

mescid à Gallipoli, possédait aussi les biens suivants

situés dans la même localité avec les revenus afférents :76 78

BNS : OAK 217/8, fO 2r-l0r. 1957/64 VI : 165-168, V: 1 02-104.

7(-7 6 WITTEK

Les institutions ottomanes en Europe

2lS

1 établissement de bains pour hommes et femmes avec un revenu annuel de 10000 a(cçes 13 magasins vendant des raisins près du bain 1000 aZcçes 8 magasins près du bain, 3 entrepôts souterrains et 1 au-dessus du sol 1000 aZcçes 4 magasins et 1 entrepôt chez les droguistes 400 aZcçes 3 magasins dans le marché aux puces (bit-pazar) 285 a(cçes 70 a(cçes 1 magasin devant la forteresse 8 magasins dans le marché des grains et un auvent pour chameaux 700 a(cçes 1 atelier de corroyage à proximité des installations de tannage chez les tanneurs 100 a(cçes 1 caravansérail près du port 4000 a(cçes 1 maison dans le quartier de eunkurca 150 a(cçes 1 8 maisons hautes et basses et 1 entrepôt dans le quartier des infidèles près du port 500 a(cçes 4 maisons près du zaviye 200 a(cçes la moitié du

lopcul,tammiim, établissement de bains

dans le quartier de 'Azaplar Ces biens, situés dans les villes, et que les administrateurs saient sans cesse par de nouveaux achats, rapportaient aux

des va(ctjs accrois­ va(ctts des milliers

d'a(cçes de revenus. Le va(ctj du ij:� A1;tmed Pa�a, mentionné plus haut, 395 a(cçes de revenus de ses propriétés rurales contre 18405 a(cçes de ses biens urbains. Les maîtres des mülks et des va(ctjs n'investissaient

percevait seulement

pas leurs revenus dans une activité économique productive - métiers ou commerce. Ils cherchaient à les faire fructifier d'une manière comportant le moins d'efforts et de risques. Voici pourquoi les

va(ctjs avaient commencé

relativement tôt à jouer le rôle d'institutions de crédit. Par cette activité ils contribuaient en partie au développement de l'économie des villes, pour autant qu'ils facilitaient par leurs crédits la création et le progrès des ateliers artisa­ naux et les échanges commerciaux. En outre, leurs opérations usuraires provo­ quaient, avec le temps, l'appauvrissement et la ruine d'une partie de la population villageoise et citadine, qui recourait à leurs services sans avoir la possibilité de s'en acquitter en temps voulu. Les fondateurs des va(ctts percevaient des revenus personnels sur les biens dits !JiifJl}a. Sur les terres des va(ctjs il y avait d'importants lJ,ii{Il}as - champs, jardins, prés, que cultivaient sous la forme d'une corvée les re'aya des va(ctjs ou, le plus souvent, une autre catégorie de population semi-esclave, les orta(cçts77• Les importants revenus des va(ctjs leur donnaient la possibilité de subvenir à l'entretien de différentes institutions religieuses ou culturelles - des 'imarets et des medreses. Au sein des 'imiirets, on organisait des sortes de cantines, où

76 GORBiLGiN 1 952a : 232-233, cf. aussi 262-263 , 284 etc., BNS : OAK 217/8, fO 340 77 BARRAN 1 939/40. sq.

26

Les institutions ottomanes en Europe

chacun recevait gratuitement une écuelle de nourriture. Ces institutions ser­ vaient la propagande religieuse musulmane et affermissaient le prestige des représentants de la classe féodale ottomane. Or, elles tiraient leurs revenus en grande partie des impôts frappant les

re'iiyii des va��fs.

En laissant le champ libre au déploiement des mülks et des va��fs, qui s'éloignaient du principe centraliste du système féodal ottoman, le pouvoir suprême renonçait à d'importantes sources de revenus. Les va��fs devenaient des possessions perpétuelles et inconditionnelles, pouvant être aliénées et passer d'un propriétaire à un autre, sans que l' État puisse tirer un bénéfice direct ou visible de cette rétrocession d'une partie des revenus. D'un autre côté, les mülks et les va��fs constituent un terrain favorable pour le déploiement de tendances centrifuges, constituant toujours une menace pour les assises du pouvoir de l' État. Obligé de faciliter leur développement pour des raisons d'ordre supérieur liées à la politique de conquêtes et à la consolidation de sa domination dans les terres nouvellement conquises, le pouvoir entrait inévitablement en conflit avec le principe centraliste qu'il avait lui-même établi. Le système des bénéfices militaires, dont le développement et l'affermissement étaient d'importance décisive pour les succès politiques extérieurs de l'Empire, constituait l'appui de ce principe centraliste. Au XVe s. lorsque le pouvoir ottoman luttait pour sa consolidation sur deux fronts, aussi bien en Anatolie que dans les Balkans, l 'accroissement des mülks et des va��fs minait sa force , encourageait l'intransigeance et l'indocilité de certains dignitaires, qui tiraient leur puissance de leurs domaines féodaux jouissant de larges droits. Le pouvoir suprême se rendait bien compte des aspirations à l'autonomie alimentée par le système des mülks et des va��fs. Cela apparaît, par exemple, dans l'ordre par lequel le sultan Murad 1er octroya son mülk à Evrenos Beg. Il ne manqua pas d'adresser au chef militaire l'avertissement suivant : «Garde-toi de la vanité de dire : c'est par mon glaive que j 'ai conquis et assujetti les territoires de Roumélie) 78.

En tenant compte de ces dangers l' État ottoman déployait des efforts pour

limiter au maximum les droits immunitaires de ce genre de possessions fonciè­ res. 1l aspirait avant tout à conserver pour lui-même une partie de leurs revenus. Ainsi, dans les mülks et les va�fs en Roumélie il percevait les recettes provenant des charges fiscales frappant les immigrants y séjournant provisoirement les haymanas79• D'un autre côté le pouvoir d' État n'incluait pas toujours dans le oadre de l'immunité, dont jouissaient les mülks et les va��fs, l'exemption de

cizye, payé par les re'iiyii des mülks et des va��fs. Il re'iiyii d'une grande partie des impôts extraordinaires ('aviinz-� diviiniyye ve tekiilif-i 'orfiyye). En sachant combien ces

l'impôt général, le

n'exonérait pas toujours, non plus, ces

obligations80 étaient importantes et diverses, il n'est pas difficile de s'imaginer la

portée de l'ingérence de l 'État par le truchement des organes fiscaux centraux 78 79

ELEzoVl6 1940/52 1: 9. BNS : OAK 217/8, cf. BARRAN 1 940/42 II : 931-932, CVETROVA 1 963a : 312. 8 0 CVETROVA 1958b.

Les institutions ottomanes en Europe

27

dans les limites des domaines mülks et va��ts. Souvent il mettait la main aussi sur des localités nouvellement fondées dans les mülks et les va��ts par suite des efforts que les propriétaires des mülks ou les administrateurs des va��ts déployaient en vue d'accroître les revenus de leurs domaines. Ces nouvelles localités étaient rattachées à la catégorie des domaines dépendant directement du pouvoir central lJav��-� hümayün. Tel était, par exemple, le cas du village de Doyran obasi, district de Loftcha (Lovetch, Bulgarie), qui faisait partie d'un mülk. Les deux villages qu'il formait - Trastenik et �azanhl� - étaient inclus dans les !J,ii{l� du sultan8l• Les cas où le pouvoir suprême s'emparait de terres mülks pour les donner à des timariotes ne sont pas rares non plus. Un cas a été noté au cours de la première moitié du XVe siècle dans un registre foncier pour la Macédoine

égéenne. Dans le timar de l,Iamza et Nu�ret, qui remplissaient leurs obligations envers l ' État d'une manière assez originale - ils étaient chasseurs d'ours figuraient des villages des régions de Yenice-Vardar et Karaferia (Ber) et qui, avant cela, étaient des mülks de 'Isa Beg, fils d'Evrenos Beg8 2 • Or, si jusqu'au milieu du XVe siècle ce n'étaient que des cas isolés, à la fin des années 70 du XVe s. le pouvoir suprême s'attaque aux mülks et aux va��ts d'une manière délibérée et régulière. Une grande partie des biens mülks et va��ts confisqués étaient divisés et érigés en sipiihiliks83• L' État recourait à cette innovation inhabituelle du fait que ses efforts militaires en vue de la conquête totale des Balkans et de l'établissement de sa domination en Anatolie lui commandait d'afferrnrr et d'élargir le système des

sipiihiliks, qui formait la base de la milice féodale, dont

il avait tant besoin. En outre, le pouvoir central portait ainsi un coup à l'accroissement incessant des mülks et des va��ts qui, par leur extension, minaient les fondements du système centralisé. Enfin, cette mesure permettait à

l' État de découvrir des sources de recettes qu'il cherchait à faire fructifier au bénéfice du trésor public. Une partie des terres va��ts et mülks confisquées,

lorsqu'elles n'étaient pas distribuées aussitôt à des sipiihis, étaient affermées. C'est ainsi que l' État procéda dans le cas de certains biens détachés du va��t de :ijalil Pa�a avec lesquels il constitua des

mu�ta'as sur les pêcheries du ze'iimet

d'Ostrovo ; dans la région de Demirl;lÏ�ar Valovi'ilta, aujourd'hui Siderokastron, Grèce, pour les concéder à ferme sans aucun doute84• *

*

*

Tout en distribuant la plupart des terres conquises sous forme de sipiihiliks ou

à des possesseurs de mülks ou de va��ts, l' État en conservait une partie pour lui­ même. C'étaient les !J,ii{l� du sultan (lJavii��-�

hümayün) qui comprenaient les

81 BNS : OAK 2 1 7/8, fU 1 8rv, cf. GOKBÎLGiN 1 952a : 444, n. 708, BARKAN 1 940/42 Il : 936-937, CVETKOVA 1963a : 322-323. 82 BNS : OAK 45/30, fU 4v-5r. 83 BAB INGER 1 957a : 660-661 , BARKAN 1 942a, tNALOIK 1 947, 1 957, CVETKOVA 1 963b, BELDIOEANU 1 965. 84 GOKBiLGÎN 1952a : 149.

Les institutions ottomanes en Europe

28

terres les plus fertiles et les plus rentables dont les revenus remplissaient le trésor personnel du sultan . Très souvent, le pouvoir leur rattachait des terres ou des gisements miniers appartenant à d'autres types de domaines féodaux (timârs, mülks, etc.)86. Cette politique avait déjà été réglementée par les lois de Mel}.med II : « Que mes defterdars reprennent ce qu'ils trouveront comme lf,iï{l� qui me conviennent, soit chez mes vezirs, soit chez une autre personne, en échange d'un de mes lf,iï{l� à revenus réduits)86. Les lf,iï{l� du sultan constituaient également un bien foncier permanent et sûr pour le pouvoir qui en détachait des parties pour les distribuer comme sipahi­ liks. Lorsque pour une raison ou une autre de tels sipahiliks restaient sans titulaire, ils retournaient à leur fonds d'origine, c.-à-d. aux domaines impériaux.

Les lUilJ� du sultan étaient gérés par des voivodes qui en contrôlaient la possession, percevaient les impôts des re'aya et exerçaient diverses fonctions de police à l'instar des voivodes des

lf,iï{l� *

des vezirs. *

*

Avec une telle répartition de la terre et de ses revenus et la présence de telles institutions foncières érigées sur cette base dans les pays nouvellement conquis en Europe le pouvoir était partagé entre l' État et les représentants de la classe

féodale ottomane. Leurs intérêts et les tâches suprêmes du pouvoir d' État

étaient défendus et réalisés par les organes du gouvernement central et local. Au cours de leurs conquêtes en Europe les Ottomans procédèrent à la répartition administrative de leurs domaines. Celle-ci changea sans cesse selon les tâches de la conquête et les nécessités de la consolidation des institutions. Ainsi, lors de l'établissement de la domination ottomane dans le Sud-Est européen et dans une partie de l'Europe centrale le sipahilik, la forme principale de la possession féodale, a remplacé l'ancien domaine féodal aux larges droits d'immunité de l'époque préottomane. La décentralisation politique de cette époque a été remplacé par une telle structure socio-économique, où prédominait un fort pouvoir central en soute­ nant les intérêts d'une importante partie de la classe féodale, liée au sipahilik. Les mülks et les va��fs quoique rapidement acquis une étendue assez grande, n'ont tout de même pas pu s'imposer au cours de XVe et XVIe siècles comme une forme principale et typique de propriété foncière. Lors de la prédominance du fief militaire aux droits d'immunité presque minimes on peut admettre que la conquête ottomane a fait prolonger le moyen âge dans le Sud-Est européen à cause de la transition d'une société aux rapports féodaux considérablement développés à tendance d'une proche dégradation, à un système aux formes plus primitives de la possession féodale. Tout cela a

contrecarré le rythme naturel de l'évolution historique des peuples du Sud-Est 86

BNS : OAK 217/8, fO 1 8rv. Sur les lû'i�1! des sultans v. par ex.

IULDY-NAGY 1961. 8 6 'ÂRiF 1912/13 c .

14 : 28.

�ABANOVI6

1 964b,

·

Les institutions ottomanes en Europe

29

européen et d'une partie de l'Europe centrale et a contribué à retarder leur éveil national. Entraînés dans une nouvelle conjoncture - celle de l'Empire ottoman, ces peuples étaient contraints à adopter un autre rythme du développement socio­ économique - celui du système féodal ottoman, qui avait un chemin plusieurs fois séculaire à suivre avant d'arriver à sa dégradation et à sa décomposition. Dès le début les conquérants voulurent conserver, lors de la délimitation des différentes régions administratives, les frontières des terres ou des possessions féodales, telles qu'elles se présentaient avant la conquête. Dans la nomenclature administrative ottomane du xve s. elles figurent même sous les noms de leurs anciens maîtres. Ainsi, le royaume bulgare de Stratzimir, autour de Vidin devint-il le sanca l; de Vidin ; les domaines de Constantin Dragach constituèrent le sanca

l; de Konstand-ili (c.-à-d. la terre de Constantin, Küstendil) ; les terres des sanca l; de Nikopol englobait presque toute la

Brankovitch - celui du Vùk-ili ; le

Bulgarie du dernier roi bulgare Ivan Chichman. En Albanie les régions portaient les noms des principales familles féodales - Yovan-ili (domaine des Castriotes), Balcha-ili (des Balcha), Pavlo Kourtik (à l'est d'Elbasan), Zenebissi-ili (les terres des Zenbis), etc.87 Les mobiles de cette politique sont clairs : les conqué­ rants cherchaient à instaurer une certaine continuité dans le gouvernement des provinces, afin que la population sujette ne ressente pas trop cruellement le changement d'autorité et n'éprouve pas de ressentiment enVers cette dernière. Un peu plus tard, lors de la conquête de la Hongrie, les Ottomans ne firent pas totalement disparaître les divisions administratives magyares - les comitats . Même plus, dès le début du XVIIe s. aVeC l'élargissement des droits d'autonomie d'une partie des villes et surtout de celles entre le Danube et la Tisza ainsi que d'un certain nombre de villes situées non loin de la frontière, l'administration turque était évincée et SeS fonctions passèrent entre les mains des organes des comitats de l'aristocratie magyare. Une grande partie des administrateurs des comitats situés à proximité du territoire libre de la Hongrie y avait émigré, tout en continuant à administrer la partie de leur comitat respectü l'estée sous domination turque et même à y percevoir des impôts. Les autorités ottomanes n'empêchaient pas leurs activités, elles n'étaient intéressées que de la perception régulière de l'impôt de ces territoires, dû au pouvoir ottoman88• Les Ottomans groupent leurs premières conquêtes en Europe, jusqu'aux années grande unité administrative - le

1540, dans une

beglerbeglik de Roumélie dont ]e chef-lieu fut

pendant un certain temps Andrinople et ensuite Sofia89•

Le beglerbeglik de Roumélie était divisé en plusieurs petites unités administra­

tives et militaires

(livii ou

sanca

l;) . Au début du règne de Süleyman le Législa­ 29 : Pa�a, Gelibolu, Silistre, Nikobolu, Viza,

teur, elles étaient au nombre de

Çirmen, Sofia, Küstendil, Midilli, Semendere, iskenderiye, Avlonya, Elbasan, 87

88

8U

s

tNALOIK 1960a : 675. FEKETE 1932 : 35, HEGYI 1 974, KALDY-NAGY 1 974c : G OKBiLGiN 1952a : 6 sq., SABANOVI6 1 952 : 172 sq.

74-77.

30

Les institutions ottomanes en Europe

Obri, Selanik, Siderokapso, Agnboz, Trrhala, Prizren, Alaca ljifilar, Vidin, Florina, Mora, Valtchitran, Janié, Karla-ili, IZvornik, Hersek et Bosna90• Après la conquête de Buda (1541) on fonda une nouvelle unité administrative plus grande : l'eyalet de Budin. Elle comprenait les terres magyares conquises et les sancalps de Valtchitran, Alaca �ar, Semendere, Izvornik, Srem Pojega, etc. détachés du beglerbeglik de Roumélie. Après la prise de Teme�var (1552) un troisième eyalet fut constitué dans les possessions ottomanes d'Europe 1 eyalet de Temelilvar et, en 1580 un quatrième - le p�al�lp de Bosnie, auquel furent rattachés certains sancalps des eyalets de Roumélie et de Budin. Par la suite, de nouvelles conquêtes en Hongrie, vers la fin du XVIe s. et le début du XVIIe amenèrent la création de deux nouveaux eyalets : Eger (1 596) et Kanitsa (1600)91. Outre ces eyalets, vers le milieu du XVIIe siècle 'Ali Çavu� mentionne aussi l'eyalet de Kafa92• D'après des informations de la fin du XVIIe siècle, la Turquie d'Europe était divisée en 26 eyalets sur un total de 40 eyalets pour tout l'Empire93• Tous ces eyalets étaient gouvernés par des beglerbegs (mir-i miran). Choisis parmi les hauts dignitaires du sultan, ils portaient le titre de p�a. C'est pourquoi on appelait le sancalp ou résidait le beglerbeg, p�a sancag�. A partir du XVIe s. on a commencé à accorder la charge de beglerbeg dans les provinces considérées comme plus importantes à des vezirs qui exerçaient une certaine autorité sur les beglerbegs des provinces voisines. Au début les beglerbegs avaient disposé d'un grand pouvoir dans le vaste territoire du seul eyalet en Europe - celui de Roumélie. Plus tard ce pouvoir diminue par suite de création de nouveaux eyalets. La tâche fondamentale des beglerbegs était de maintenir en bonne condition la force militaire soumise à leur autorité dans les provinces, et de diriger le système des sipahiliks. En leur qualité d'organes suprêmes de l'autorité administrative leur pouvoir était limité uniquement par les lpiir/is, sans le consentement desquels on ne pouvait pas promouvoir les initiatives de l'État dans les provinces94• Les beglerbegs exerçaient leur pouvoir de hauts fonctionnaires d'État par le truche­ ment d'une chancellerie comprenant des fonctionnaires subordonnés. Trois de ces derniers, le delter emini, le delter ked!J,üdiis� et le timiir delterdiin étaient chargés de l'enregistrement et du contrôle des bénéfices dans l'eyalet. Le chef financier suprême était le mal delterdiin, qui gérait les finances de la région. Parmi les fonctionnaires de l'administration de l'eyalet figurait aussi le mevlpUfatç�, dont le rôle fondamental était d'administrer les fiefs rendus vacants et percevoir leur revenu au bénéfice de la trésorerie locale. A l'instar du haut conseil d'État, le divan du sultan, les beglerbegs avaient aussi leurs conseils, des divans, qui examinaient et prenaient des décisions sur les problèmes intéressant l'administration de la région96• -

0 0 GOKBiLGÏN 195 6 : 251-26 1 . 9 2
9S 9 1. 06

91

104.

'

�ABAN0V16 1 952 : 1 7 3-203.

�ABAN0V16 1952 : 17 1-172. �ABAN0V16 1960 : 174-184, GIBB - BOWEN 1950/57 1, 1 : 149-151, MÉNAGE 1960. Note laissée en blanc par l'auteur (Réd.).

Les institutions ottomanes en Europe

31

Les eyiilets étaient divisés en sancaZcs, administrés par des sancaZcbegs (mir-i liva). Ces derniers avaient le rang de p�a et étaient nommés directement par le pouvoir suprême sur des indications des beglerbegs. Ils prêtaient leur aide aUX beglerbegs dans le domaine militaire et administratif, mais obéissaient comme eux aux ordres du pouvoir suprême. Ils surveillent l'application de ces ordres. Dans certaines villes, sièges des sancaZcbegs, toutes les affaires qui concernaient les garnisons locales, le corps des 'azabs etc. étaient de la compétence de ces derniers98• Jusqu' à la fin du XVe siècle les sancaZcs furent divisés en unités administra­ tives plus petites : vilayet ou lJub��hZc. Leurs chefs militaires et administratifs étaient les lJub��s ou les voyvodas du vilayet97• Au fur et à mesure du développe­ ment de l'administration ottomane le� lJub�û�Zcs disparurent peu à peu en tant qu'unités administratives et furent remplacés, toujour� dans le cadre du sancaZc, par des ZcaZiis ( Zcii4ihZc) ayant à leur tête les Zcii4is98• Ces derniers habitaient dans les chefs-lieux des ZcaZiis et avaient beaucoup d'influence en tant qu'organes du pouvoir suprême. Leur principale sphère d'activité était la justice : la solution des litiges les plus variés de la population, les rapports de cette dernière avec le pouvoir, la légitimation des contrats commerciaux, les héritages, les donations, l'affranchissement d'esclaves, etc. Les Zcii4is agissaient conformément aUX normes du système juridique de l'État ottoman. Celui-ci reposait sur le �eri'at recueil de prescriptions édictées en conformité avec les préceptes de la religion musulmane. Beaucoup de ces prescriptions, empruntées aux règles juridiques d'autres pays musulmans, étaient basées sur des usages et des besoins publics différents de ceux de l'État ottoman. Elles ne pouvaient pas régler de manière satisfaisante les rapports existant dans l'État ottoman, surtout à partir du moment où il englobait aussi les terres balkaniques. Pour cette raison, à côté du �eri'at on créa aussi tout un système de lois et d'ordonnances ayant la force de loi, édictées par différents sultans, répondant aux besoins immédiats de la classe gouvernante et de l'État ottoman qui ne cessait de s'agrandir. Le droit ottoman avait adopté aussi toute une série d'usages juridiques trouvés sur place dans les Balkans qui, avant la conquête, servaient les intérêts de l'aristocratie féodale locale. La constitution du système juridique ottoman connut un processus assez lent, qui se poursuivit jusque dans la deuxième moitié du XVe siècle et ne prit une forme plus concrète qu'avec la législation de Me1;uned II. De même que leurs fonctions juridiques les Zcii4is avaient aussi d'autres droits, qui leur permettaient de s'immiscer dans de nombreux secteurs de la vie publique et économique. Ainsi, par exemple, au marché de la ville, le Zcii4i contrôlait les transactions commerciales et empêchait les irrégularités et les -

96 SABANOVI6 1960 : 1 85-1 93, BELDIOEANU 1 973 : 55-57. 97 GOKBiLGiN 152a : 7, SABANOVI6 1960 : 203. 98 Sur l'institution des lpii4is ainsi que sur le régime juridique

cf. GIBB - BOWEN 1 950/57 l, 2 : 1 1 4-132, SU6ESKA 1965 : 47-5 1 , GOKBiLGiN 1952b. Cf. aussi la colleotion des sicills conservée à la BNS. Sur cette colleotion v. KABRDA 1951 : 329392, CVETKOVA 1963c : 1 163-1164.

32

Les institutions ottomanes en Europe

abus. Les fr,iiiJis avaient pour tâche de surveiller assidûment la façon dont étaient appliquées les lois et les ordonnances du gouvernement suprême, ainsi que d'aider, de conseiller et de contrôler les organes locaux du pouvoir, en vue de maintenir l'ordre juridique établi. Tous les ordres du pouvoir étaient portés à la connaissance de la population par les soins des fr,iiiJis. Des représentants des re'{iy{i se présentaient au tribunal du fr,iiif,i qui informait par des rapports (i'lam) les instances supérieures de l'Etat de certaines situations controversées et de problèmes complexes toutes les fois où il éprouvait des difficultés à les résoudre sur place. Le fr,iiif,i représentait dans une large mesure le lien entre le pouvoir suprême et les domaines féodaux dispersés en province. Il était le véritable promoteur et le gardien du principe centralisateur du système féodal ottoman. Les non-musul­ mans des pays balkaniques n'étaient pas toujours obligés de recourir au tribunal du .,eri'at. Dans des régions où du fait de différentes circonstances historiques, la population jouissait d'une plus grande autonomie, un grand nombre de litiges étaient portés devant ses propres tribunaùx ecclésiastiquesoo. Les fr,aZiis étaient divisés en niilJ,iyes, unités administratives plus petites. Les niilJ,iyes étaient administrés par des voïvodes des sancafr,begliks, qui appliquaient les ordonnances du sultan et des beglerbegs. L'ingérence du pouvoir central dans l'administration des provinces était aussi ressentie dans le domaine fiscal. Ici agissaient les nombreux employés de l'administration financière suprême, les emins, ou des envoyés extraordinaires, les müba.,irs, qui percevaient régulièrement, des différents domaines féodaux, les impôts destinés au trésor public. En même temps que ceux-ci dès le XVe s. on rencontre dans les sources des données sur les '{imils, fermiers des revenus de l'État, dont l'activité était plus ou moins surveillée par les emins. Les emins étaient actifs dans différents secteurs de la vie économique partout où ils devaient organiser ou contrôler les grandes sources de revenus de l'État : mines, raffineries (karlziine) et les ateliers monétaires (rJ,arb!Jiine). Les emins dans les échelles avaient aussi pour tâche d'organiser dans les ports les campagnes de pêche dont le produit était destiné au pouvoir suprême. Les emins exerçaient aussi des fonctions policières lors de la perception des revenus, dans les mines ou ailleurs, à l'instar des voïvodes et des §uba.,�s dans les !Jii§§. Toujours dans les échelles surtout dans celles qui avaient des flotilles en même temps que les emins agissaient d'autres organes du pouvoir - les fr,apudans. Ils surveillaient le recrutement des équipages des bateaux et la discipline de ces équipages. Les 'azahs et les re'is (commandants des bâteaux) étaient placés sous la juridiction et le contrôle des fr,apudans. Ces derniers avaient aussi des fonctions de police sur les 'azabs et les re'is. Les 1'e'is et les 'azabs étaient tenus de verser au fr,apudan une taxe, qui touchait aussi d'autres revenus, provenant de divers droits et taxes100• Voir infra note 239. On trouve des témoignages concernant leur service dans les documents turcs qui portent sur le système fiscal. Voir aussi CVETKOVA 1 958b, BELDIOEANU 1960/64 II : 99

100

Laa institutions ottomanes en Europe

33

La vie urbaine plus évoluée de l'Europe du sud-est nécessitait l'introduction de certaines institutions spécifiques, dont le but était d'organiser et de diriger l'activité économique des villes, en la mettant pleinement au service des villes et du pouvoir. Parallèlement aux organes supérieurs déjà mentionnés de l'adminis ­ tration locale, dont les sièges étaient dans les villes, les Ottomans plaçaient aussi d'autres agents du pouvoir central. L'un de ces agents était le

mul),tesib, chargé

de veiller sur l'ordre dans les marchés de la ville, de contrôler l'activité commerciale et artisanale, l'approvisionnement des artisans en matières premiè­ res, de vérifier la qualité des produits. Il surveillait si les prix établis pour les marchandises étaient bien observés, mettait en exécution les dispositions des frii4is concernant le régime du marché, punissait les contrevenants avec l'appro­

i1;,tisab. mul),tesib était subordonné au t}ehir ked!J,üdiis�, le

bation des frii4i s. Il percevait aussi les taxes du groupe Dans les grandes villes le

doyen de toutes les corporations professionnelles de la ville101• A l'aide des

sancal;,begs dans les villes venait dès le XVe s. un autre fonction­ kedlJüdii , probablement leur substitut, qui leur prêtait son assistance

t}ubat}�s et des naire - le

quant à certaines fonctions. Les sources mentionnent un fonctionnaire, nommé

ked!J,üdii, qui aidait le mul),tesib, le dizdjjr (le chef de la garnison locale), fonctionnaire, qui contrôlait quelques activités économiques101a• Parmi les agents du pouvoir local figuraient des notables des différentes

(knez, voynul;, begler, doganc�bat}ûar, . martolozbat}ûar, etc.), dont il sera question plus loin102• catégories de la population au statut spécial

Ce réseau d'administration était largement répandu dans les terres conquises en vue de tenir soumise la population. Evidemment, le pouvoir comptait surtout sur sa force militaire : la milice sipahiyye et l'armée salariée. Ses «gens de glaive) , comme il nommait les cadres de son système militaire et administratü, gardaient avec vigilance les terres conquises et étaient sans cesse sur le pied de guerre en vue de nouvelles conquêtes. La milice sipahiyye entretenue sur la base du système de timars, représentait une force imposante, dont le nombre pour la seule Roumélie était d'environ du XVe siècle et de Les

200000

30 000

hommes au cours de la première moitié

sous le règne de Süleyman le Législateur103•

sipahis et leurs compagnons (cebelü) allaient à la guerre sous le com­

mandement de leurs chefs. Selon les sources, en tête de la hiérarchie venaient les

beglerbegs suivis des sancal;,begs. Dans chaque sancal;, il y avait aussi un autre l'alaybeg, choisi parmi les sipahis du sancal;,. Selon toute probabi­ lité, les fonctions de l'alaybeg furent créées tardivement ; mention en est faite chef militaire,

pour la première fois dans la législation de MeJ:uned II. Jusque-là, les comman-

1 27-1 35 etc., SUOESKA 1965 : 44. Sur l'emanet et les emins à consulter l'article de

LEWIS 1 965. 101 BARRAN

1 955 : 299 sq. , MANTRAN 1 962 : 1 8 1 , 300 sq., SUOESKA 1965 : 42 sq. Au sujet des mu{l-teaibs v. aussi CVETKOVA 1 970a : 267 sq. 1016 BELDIOEANU 1 97 3 : 109-1 1 1 . 102 SU6ESKA 1 965 : 3 3 sq. 108 SOHEFER 1 892 : 12-183, D'OHSSON 1 787/1 820 : 414.

Les institutions ottomanes en Europe

34

dants des sipahis dans les

sancaft,s étaient probablement les �uba�ns.

Ces derniers

faisaient également partie de la hiérarchie militaire et étaient en même temps des agents de la police et de l'administration, dont la tâche était de veiller au maintien de l'ordre et de la paix dans la région en aidant dans ce domaine l'activité des fonctionnaires j udiciaires et administratüs, les l;04is. Lors de la mobilisation de la milice

sipahiyye,

les sancafr,begs ou les �ubU{l�s étaient aidés

ser'askers et les çerib��s. Le sipahiyye était confié à d'autres qui surveillaient la façon dont les sipahis et les çavu*

aussi par d'autres fonctionnaires militaires, les contrôle sur la discipline dans la milice militaires - les

çeri sürücis,

remplissaient leur service 104• Plus tard on organisa à ce propos des contrôles

beglerbegs avaient sous la main des (yofr,lama defterleri), qui reflétaient les résultats des les sipahis avant et après les combats106 •

systématiques. Au cours des campagnes les registres de vérification contrôles effectués sur

Dans ces provinces, la domination des gouvernants était facilitée et soutenue

sipahiyye par les garnisons des forteresses, dont les chefs, dizdiirs, possédaient de vastes sipahiliks j ouissant d'immunité considérable (serbest timiir) . Le pouvoir osmanl� accordait une grande importance à la défense

en dehors de la milice les

des forteresses les plus vulnérables dans les provinces européennes. Dans ces régions, connues sous le nom d'Uc, la défense des frontières et l'expansion au­ delà de ces frontières exigeaient une organisation particulière106 • Le pouvoir, pour venir en aide aux garnisons des places fortifiées, y concentrait certains effectüs militaires que l'on utilisait rarement à l'intérieur du pays - surtout les détachements de choc, dits les tionne aussi les

be*lüs,

afr,mcœ.

Dans les forteresses frontalières on men­

cavalerie des garnisons locaux, qui, au début, faisait

probablement partie des effectüs personnels des la suite, la garde de la forteresse107•

sancafr,begs

pour devenir, par

Au début du règne de Süleyman Le Législateur, on assiste en Serbie et en Bosnie à la création de l'institution des

delis,

sorte de cavalerie légère. Elle fut

introduite par certains commandants frontaliers, tels Gazi :ijusrev Beg, Mel,1med Beg, Bali Beg, etc. du fait qu'ils ne pouvaient pas disposer des

afr,�ncœ, qui afr,�ncœ

avaient leurs propres chefs, puis, dans un second temps, parce que les

disparurent peu à peu en tant que force militaire pour se fondre parmi les re'aya.

La principale catégorie de cavalerie salariée en service dans les forteresses

était représentée vers le XVIe s. par les

farisis.

De pair avec ces derniers, les

sources mentionnent aussi les gonüllüs, effectüs de la cavalerie légère des forteresses recrutés parmi la population musulmane des régions frontalières. Au XVe siècle, on trouvait déjà dans les garnisons des forteresses frontalières des Balkans des janissaires, envoyés par l'ocafr, de la capitale pour renforcer la

t

défense des régions vulnérables. Ils étaient tot lement indépendants des organes locaux du pouvoir central et ne j ouaient dans la gestion locale d'autre rôle que celui d'effectüs militaires ottomans108• 104 SABAN0V16 1960 : 201-205, GIBB - BOWEN 1 950/57 I. 105 V . l a bonne collection de yolplama defterleri à l a BNS. 106-107 SABAN0V16 1960 : 213-219.

1 : 51.

Les institutions ottomanes en Europe

35

Parallèlement à cela le gouvernement suprême ottoman recourait aussi à l'aide de la population sujette non-musulmane. Aux effectifs des garnisons des places fortes il rattachait aussi des combattants chrétiens qui servaient contre paiement ou revenus tirés des

8ipiihiliks.

Le pouvoir central accordait aussi des

allégements fiscaux à certains villages des alentours contre l'obligation de fournir aux garnisons locales109 certains équipements ; il avait fondé l'institution de garde des

martoloz, utilisait des Valaques pour la garde du territoire etc. 110

De cette manière, le pouvoir avait déjà au XVe et au début du XVIe siècle organisé la défense des frontières septentrionales, surtout sur les deux rives du Danube, où l'on avait établi toute une ceinture défensive contre les incursions venant des régions peu SÛTes telles que la Valachie, la Moldavie et la Hongrie non encore conquiseslloa.. Par la suite, une telle ligne stratégique fut organisée également dans le territoire hongrois conquis par les Ottomans, elle les séparait de la partie encore indépendante du pays. Les effectifs de la défense frontalière, mus par le désir de réaliser les plans de conquête du pouvoir ottoman en Europe centrale, menaient une lutte incessante contre le système frontalier hongrois, solide et bien organisé. Pourtant, dans ce domaine ils n'obtinrent pas l'effet escompté du fait de la farouche défense de la partie occidentale de la Hongrie, organisée par les Habsbourg111• De pair avec ces institutions militaires dans les zones frontalières, les 08manlU3 créèrent les lpapudanlûps dans les plus importantes forteresses situées sur le bord de la mer ou sur les grands cours d'eau navigables. Ces lpapudanhfr,s étaient dirigés par les lpapudan agalar, commandants en chef du trafic navigable et de la flotille militaire locale. Ils avaient sous leurs ordres des effectifs militaires appointés par l'ÉtatU3• L'organisation militaire ottomane dans les provinces européennes comprenait aussi une autre institution, celle des petites parts de terre

(çiftliks)

mÜBellemsll3• Ces derniers recevaient de

pour subvenir à leur entretien et à leurs

obligations militaires. Déjà, au cours de la toute première période de l 'État ottoman, on recrutait au sein de ces turbulents semi-nomades d'origine turkmène l'ancienne cavalerie tribale. Au fur et à mesure de la transformation 108

V. par ex. BNS : OAK 45/29, fO 4v, 6r etc., SABANOVlé 1964a : 54, cf. 1968. 10 9 BNS : OAK 45/29, fO 9rv, 14rv, 18v, OAK 45/30, fO 18v ; SOKOLOSKI 1966 : 191192, 1 96, Sect. Orient. BNS : NPTA XVI I/l I, fragment Goriçe, fO 35r, 60r, 69v, SABANOVlé 1964a : 5. 110 Sur le statut et le rôle de ces catégories v. infra notes 222 et 227. 110& V. par ex. le registre des mÜ8taM�? des forteresses danubiennes de cette région, BNS : OAK 45/29, II, publ. dans Turaki izvori II 1966 : 299-333. 11l FEKETE 1 932 : XXXII, 41 sq. 1 12 UZUNÇARlilILI 1948 : 389 sq., SABANOVlé 1960 : 219-223, KREf:\EVLJAKOVlé 1954. 113-114 Sur l'institution des mÜ8ellems v. 'ARiF 1912/13 c. 17-18 : 44-49, 'Ayni 'Ali GALABOV 1961 : 107, HADZIBEGIé 1947 : 1 955, 1 56, BARKAN 1943 : 238, 241-243, 288, SOKOLOSKI 196 6 : 196-198, GIBB - BOWEN 1950/57 I, 1 : 53-55, Sect . Orient. BNS : NPTA XVI 1 1/1, fO 8r Serfice, D/649, fO 3v, OAK 45/29, fO 5v, SOKOLOSKI 1966 : 193194. GEORGIEVA

Les institutions ottomanes en EUl'ope

36

et de l'amélioration de l'organisation militaire ottomane, les

yayas

mÜ8ellems

et les

(la plus ancienne infanterie) avaient commencé à perdre leur importance.

Le pouvoir leur assignait des fonctions secondaires de défense, etc. Cela apparaît clairement dans une loi de

1518

concernant les

müsellems

du

sancalp

Gallipoli.

Aux termes de cette loi les mÜ8ellems avaient pour tâche de défendre les côtes et les ports et de prévenir les forteresses et les localités les plus proches dans le cas où ils apercevaient un bateau étranger suspect. En outre, ils se livraient au nettoyage des ports, au remorquage des navires et à plusieurs autres travaux concernant le service du trafic maritime. Les noyaux de l'organisation des

mÜ8ellems chiffre de

étaient les

ocalps müsellems

qui atteignaient au début du XIXe s. le

1019. L'ocalp comprenait trois

à quatre personnes remplissant à tour

(yamalps)

et assumaient l'obligation d'assurer

de rôle les obligations militaires. Les autres combattants de considérés comme des aides

l'ocalp

étaient

l'entretien des premiers. L'usage et la loi prévoyaient pour cet entretien de différents taux selon la situation matérielle des payaient de à

20.

mÜ8ellems.

50 à 60 alpçes, la catégorie moyenne - 30 à 40,

Les plus riches

et les pauvres - de

10

Il est clair qu'une certaine différenciation existait au sein de cette

catégorie. Les

çiftliks qu'ils possédaient étaient exonérés de charges fiscales et ne

pouvaient faire l'objet d'aucune opération juridique (achat, vente, donation, etc.). Ainsi l'État assurait le fonds matériel de l'entretien de l'institution. Lorsque le

çiftlik n'arrivait plus à les nourrir et que les mÜ8ellems commençaient timiir quelquonque toutes les charges fiscales que

à travailler la terre d'un

comportait l'exploitation d'une telle terre retombaient sur eux : l'impôt foncier à raison d'un

alpçe par deux dOnüms, dîme

-

10 alpçes par dOnüm de vignoble, etc.

«biid-� hava) , qui était divisé l'alaybeg et le çeriba§� et, par la suite, entre le çeriba§� et le sancalpbeg des müsellems. Le resm-i carUs et la taxe du «sang) (diyet, une sorte d'indemnité

Ils devaient acquitter aussi les impôts du groupe entre

perçue en cas de meurtre ou de blessure sur les habitants d'une localité, sur les membres d'une communauté, etc . ) que l'on imposait aux

qlArtier,

mÜ8ellems,

étaient dus au çeriba§� et au sancalpbeg des

mÜ8ellems qui se les partageaient. Les müsellems enregistrés à Smederevo étaient exonérés de la dîme, mais devaient au sancalpbeg 1 2 alpçes par mÜ8ellems

payaient aussi d'autres impositions ; les

tonneau de vin produit de leurs propres vignes. Lorsqu'ils vendaient en Ville un tonneau de vin d'une autre provenance après avoir acquitté la dîme au seigneur féodal de la terre où est située la vigne, ils payaient

6 alpçes

par tonneau.

Pourtant le pouvoir suprême leur accordait délibérément des allégements en les exonérant de certains impôts et charges

cijrfiyye),

(Cavanz4 divaniyye ve tekiilif-i

qui étaient de nature à contrecarrer l'éxécution normale de leurs

obligations administratives. Jusqu'au XVIe s., alors que l'importance des

mÜ8ellems

diminuait de plus en plus, le pouvoir suprême essayait par tous les

moyens à leur conserver les

çiftliks,

afin de ne pas porter atteinte à leurs frais

d'entretien. Leur statut spécial qui, malgré les allégements fiscaux sur leurs

çiftliks les mettait en contact avec les féodaux locaux, faisait naître de fréquents conflits avec ces derniers, dont la tendance était de transformer leurs çiftliks en

Les institutions ottomanes en Europe

37

terre des

re'iiyii. Pour cette raison la loi concernant les mÜ8ellems de Gallipoli sipiihis locaux de concéder contre tapn les parts vacantes des çittliks mÜ8ellems, pratique qui avait commencé à s'établir. La loi soulignait expressément que la transformation du çittlik mÜ8ellem en terre re'iiyii portait atteinte au service müsellem si nécessaire à l'État. Très proche des mÜ8ellems est une autre catégorie militaire, la plus ancienne infanterie osmanl�e, les yayas ou piyiidegiins. Les fantassins avaient droit à des çittliks exonérés d'impôts et inaliénables, mais payaient l'impôt foncier s 'ils travaillaient des terres faisant partie des sipiihiliks à raison d'un al;çe par dOnüm. Leurs chefs directs, les yaya sancal;begs percevaient de chaque yaya sancal; 40 al;çes au lieu de l'impôt sur le blé et l'orge, la taxe resm-i 'arils et défendait aux

différentes amendes1l4• L'organisation des yürüks installés en Roumélie incar­

nait une vieille tradition des peuples turkmènes d'Anatolie. Le pouvoir osmanh leur accordait une autonomie relative et certains allégements fiscaux, afin de garantir leur appui en faveur de ses forces armées. Ils étaient groupés en ocal;s et

cemii'ats. L'ocal;

comprenait

24

hommes, dont l'un était un e§kinci , c. -à-d.

servait dans les corps auxiliaires de l'armée ; les vingt autres étaient des auxiliaires ou des yamalps et les trois derniers figurent dans les sources sous le nom de

(cçataz,)

sans aucune précision sur la nature de leurs fonctions. Les lois

plus tardives ne mentionnent que les e§kincis et les composé de

25 à 30 hommes. La tâche

yamalps. L'ocal;

était

principale des yürüks était le service dans

l'armée. D 'après les lois les plus anciennes ils étaient tenus de se présenter à l'armée avec l'équipement complet de combat (lance, flèches, arc, glaive et bouclier). Un yürük sur dix devait fournir un cheval de trait et une tente dont on avait besoin pour les campagnes. Les e§kincis servaient à tour de rôle. Pour leur entretien en temps de guerre on percevait des

ocal; 50 alpyes

yamalps, membres d'un même 'aviinz) . La plupart des

par personne (cen contre-partie de leur

yürüks, habitués à la vie nomade, nomadisaient avec leurs troupeaux et changeaient de résidence selon les saisons et les pâturages de leurs troupeaux. Leur position spéciale dans le cadre du système foncier ottoman et le caractère de leurs obligations, amenaient le pouvoir à leur accorder un statut particulier. La législation prescrivait avant tout que les féodaux n'avaient pas le droit de porter atteinte à leur statut et que ces yürüks dépendaient de leurs chefs directs, les I;Jnba§�s et les çeriba§�s. Sans doute, ces dispositions étaient motivées par les inévitables conflits surgissant entre les yürüks nomadisant d'un endroit à l'autre et les propriétaires fonciers sur les domaines desquels ils passaient. Leurs troupeaux occasionnaient des dommages aux terres et contribuaient à la baisse de la rentabilité des domaines féodaux. Pour préserver les propriétaires fonciers de cet état de chose plusieurs dispositions légales obligeaient les séjourner plus de

3

YÜrÜks à ne pas

jours dans les pâturages de chaque domaine. Pour un plus

long séjour ils étaient obligés de payer une taxe de pâturage (resm i -

.

al;çes

pour un grand troupeau,

15

pour un troupeau moyen et

10

otlal;) de 20

pour un petit

troupeau. Vers le milieu du XVe s . , les cas où les yürüks s'établirent sur certaines terres

Les institutions ottomanes en Europe

38

et commencèrent à les travailler, devinrent de plus en plus fréquents. Ainsi, dans un certain sens, ils assumaient les mêmes obligations que la population sujette. Les plus anciens

Jriinunniimes prévoyaient expressément que les yürüks sipahiliks devaient payer aux sipahis respectifs outre la dûne le salaire et le boyundurulp resmi à raison de 12 alpçes. Les yürüks payaient en même temps aussi l'impôt foncier (resm-i çift) à un taux moindre que celui des re'aya ordinaires, de 6 à 12 alpçes. Dans ces cas le maître de travaillant sur des terres dépendant des

la terre n'avait pas le droit d'exiger des taxes de pâturage, car la loi traitait les

yürüks comme des re'aya ordinaires. On prévoyait aussi le paiement du resm-i agniim (impôt sur les moutons) au taux habituel pour l'autre population sujette - un alpçe pour deux têtes de moutons1l6• Pourtant les yürüks étaient redevables aussi d'autres charges fiscales du groupe biid-� hava (resm-i 'aras, les amendes cürm-ü ciniiyet, etc.) perçues par les chefs des yürüks - les suba{l�s et les çeriba{lU3. Comme les mÜ8ellems, les yürüks étaient exonérés des impôts dits « 'avanzl). Le code de Me\lmed II précise ce genre d'allégement : le transport d'orge et de paille pour les besoins de l'État, la construction de forteresses, etc. Les difficultés de la vie nomade et les allégements insignifiants que l'État leur accordait, orientèrent peu à les

yürüks

vers la recherche d'un gagne-pain plus

facile et plus silr aussi bien dans les travaux agricoles sédentaires que dans d'autres métiers . On rencontre très souvent des législation prévoyait que le son

ocalp.

yürüks-celebs1l6• Pourtant, la yürük devait rester yürük dans tous les cas et lié à

Ainsi, au cours de la première période, lorsque le pouvoir avait encore

besoin de l'institution des yürüks, il chercha à les maintenir par tous les moyens. Les

yürüks,

groupés en

cema'ats,

formaient dans les provinces européennes

plusieurs groupes selon le principe tribal :

yürük des

groupes Naldôken, Tanrl­

dag, Selânik, Ofçapolu, Vize et KocaClkll7. Nomades ou sédentaires ils jouaient un rôle important aussi bien par leur service dans l'armée qu'en tant qu'élément éthnique, renforçant la population musulmane du Sud-Est européen - support de la domination ottomane. Dans les détachements auxiliaires de l'armée servaient aussi des Tatares, que le pouvoir avait installés dans les Balkans lors de la conquête1l8• Chez eux aussi 115

Sur l'institution des yürüks et de son développement v. KRAELITZ-GREIFEN­ 1921/22 : 26, 28, 'ARiF 1912/13 c. 1 8 : 26, KOPRÜLü 1915 1, 1 : 100, BARKAN 1943 : 232-233, 235, 260--2 64, 279, 287-288, BNS : OAK 45/29, l, fO 18v, 20v, 29r, 30r, 33r, II, fO 1 6v-18v, OAK 45/30, fO 4v, 6v, 15r, OAK 83/35, fO 7v ; les règlements fonciers de 1 609 contiennent d'importants détails sur le statut des yürüks of. BNS : Or/1332, fO 73v-75v, GOKBiLGiN 1957 : 1-35, NOVIOEV 1963. 116 BNS : fonds 95, inv_ 23. Dans ce registre des celebs sont immatriculés des cema'ats entiers de yürüks de différentes régions de la Bulgarie ; of. CVETKOVA 1966c : 155-156, 1970b. 117 GOKBiLGiN 1957 : 53-86. 118 Sur le statut des Tatares v. KRAELITZ-GREIFENHORST 1921/22 : 24, 26, BARRAN 1943 : 232-233, 243, 260, 272, 275, 278, 285, 287-288, GOKBiLGiN 1957 : 1 3-18, 8690. HORST

•

Les institutions ottomanes en Europe

39

l'oca(c formait la base de l'organisation intérieure. Ici les e.!}kincis étaient au nombre d e

5

et les

yama(cs - 20.

En temps de guerre un seul des e.!}kincis se

présentait à l'armée, soutenu par les yama(cs, qui payaient à cet effet

50 a(cçes .

Les Tatares étaient moins favorisés au point de vue des allégements : la terre qu'ils cultivaient était soumise aux mêmes charges fiscales que celle des

relaya. -

Les plus anciennes dispositions législatives demandaient que les Tatares

relaya,

possesseurs de

çitts,

soient soumis à la dîme au taux de

1/10,

à l'impôt

salarié et à l'imposition de la corvée au profit du seigneur respectif, mais à un

taux réduit par rapport à celui des

au lieu de

7,

re'aya : 3

(culh(cs (j ours de travail obligatoire)

pour ces derniers. Les pauvres sans terre, c'est-à-dire ceux qui ne

travaillaient pas la terre, étaient même exonérés des trois jours de corvée. A

l'instar des la taxe

çitt

yürüks, les Tatars n'étaient pas tenus de verser aux seigneurs locaux bozan que les relaya payaient lorsqu'ils quittaient leur terre pour

s 'adonner à une autre activité. Cet allégement était nécessaire dans le cas des

Tatars et des

yürüks

que leurs obligations militaires particulières amenaient à

quitter leurs terres. Les

canbiiz j ouissaient d'un statut semblable à celui des yürüks et des Tatars .

Eux aussi étaient organisés en oca(cs et participaient à tour de rôle aux détachements auxiliaires, financièrement soutenus par les autres membres de

l'oca(c qui payaient à cet effet une taxe de

50 a(cçes

par personne. Lorsqu'ils

cultivaient la terre dans le cadre d'un sipahilik, ils étaient exempts des 'avani-�

divaniyye ve tekiilit-i 'ortiyye, mais étaient tenus de payer le resm-i çitt, à mi taux relaya. Toutes leurs obligations du groupe biid-�­ hava étaient destinées à leurs �ub01�s1l9. réduit toutefois par rapport aux

Au cours de cette période de la domination ottomane, quelques anciennes

catégories militaires, tels les 'azabs,1 20 jouaient encore un rôle. Fantassins à l'origine, ils servirent par la suite dans le transport des équipements militaires.

Une partie des moyens affectés à leur entretien était fournie par l'État ; le reste

était perçu sur la population des quartiers habités par les 'azabs, à raison de

300

a(cces pour chaque 'azab. Ces derniers étaient recrutés parmi la population

musulmane d'après les indications des chefs de celle-ci, l'imam et le kedlfüdii

locaux, et en présence de témoins garantissant la régularité de leur service. D 'après Jacobo de Promontorio de Campis, ils étaient

6000

au XVe siècle.

«Lorsqu'il y a des tâches à remplir, les 'azabs sont envoyés en avant comme des porcs, sans merci, sans aucune pitié, et un grand nombre d'entre eux meurt) 121. Alors que l'État déterminait les moyens par lesqels ces catégories de militaires

devaient être entretenus et équipés, c'est grâce au butin de guerre que les

a(c�nc�s, avant-garde de l'armée, subvenaient à leurs propres besoins au XIVe

et au XVe siècles. Les a(c�nc�s étaient recrutés d'une manière anarchique au cours des campagnes. Ceci apparait d'après un passage de l'historien byzantin

1943 : 247-248. 'ÂRbr 1912/13 c. 18 : 59-61, BARKAN 1943 : 329, GIBB 56, UZUNÇ�ILI 1948 : 406-410. m BABINGER 1957b : 55. 119

120

BARKAN

-

BOWEN

1950/57 !, 1 :

Les institutions ottomanes en Europe

40

Ducas : (ill ès qu'ils entendaient la voix du clairon sonnant l'attaque, tous se précipitaient volontairement sur l'ennemi telle une cascade, sans équipement, la plupart sans lances ni sabres recourbés (à"wel"uç) . La majorité n'a pour arme que des gourdins . . . - en se précipitant sur les Chrétiens ; ils les capturaient comme du bétail» 122. De son côté, Chalcocondylas remarque qu'ils suivaient toujours le sultan, avides de butin et de rapine. «Chacun d'eux possède deux chevaux ; il monte l'un et conduit l'autre, pour l'utiliser lors du chargement du butin.» Cette cavalerie irrégulière et non rétribuée formait l'avant-garde des troupes ottomanes au cours de leurs incursions et leurs conquêtes dans les Balkans et l'Europe centrale. Progressivement le pouvoir établit leur statut, en introdui­ sant leur récensement périodique, afin de pouvoir les mobiliser à temps en cas de guerre123. Dans les archives turques de Sofia est conservé un tel registre d'aZcmcts (pour l'an

1560),

originaires de

23

�azas de la Thrace égéenne, la

Macédoine et l'actuelle Grèce du nord1 24. Ils étaient recrutés de la même manière que les (azabs, à cette différence près què parmi eux il y avait aussi des non­ musulmans. Très souvent le pouvoir les concentrait et les utilisait dans les régions frontalières d'où ils pouvaient plus facilement se livrer à des incursions dans le territoire ennemi voisin. Tant que le pouvoir eut besoin d'eux, pendant la période de conquêtes, il fit tout pour les conserver. A cet effet la loi concernant le

vilayet

de Bosnie du début du XVIe s. défendait à quiconque

d'utiliser les aZctnCts et leurs chevaux pour son propre travail, et de leur imposer de redevances. Dans chaque région les a�tncts avaient leur propre chef (a�mct beg), le plus souvent le sanca�beg local, qui avait sous son autorité les autres officiers de ce corps -

binb01tS

ou tamças,

yüzb01tS

et

onb01tS126.

Ainsi en distribuant de petits fiefs militaires, des çiltliks exonérés d'impôts, ou simplement contre l'alléchante perspective d'un riche butin, le pouvoir ottoman assurait l'entretien d'une grande partie de ses forces armées, concentrées dans ces provinces européennes. Il est vrai, pourtant, que les revenus d'un nombre considérable de sipahis étaient relativement limités. En outre, la condition des effectifs des corps militaires auxiliaires, dont il était question plus haut, n'était pas très enviable. La modicité de leurs lopins de terre et l'absence de tout autre moyen d'entretien que leurs petites rémunérations pendant les campagnes, les

forçaient à travailler sur les terres assignées à différents domaines féodaux et à assumer les charges fiscales afférentes à ces terres. Ainsi, se rapprochaient-ils beaucoup du niveau de vie des

"e(aya.

Toutes ces circonstances incitaient les

combattants de ces catégories militaires à rechercher le butin et à désirer de nouvelles conquêtes afin de se procurer ce dont ils manquaient pour leur entretien. Ainsi l'organisation militaire de l'État ottoman créa elle-même les 122 Ducas - GRE OU 1958 : 1772-6. 123 Sur les a(ctncm en général v. GIBB

- BOWEN 1 950/57 l, 1 : 56, WERNER 1966 : 104-105, DEOEI 1 960, BELDIOEANU-STEINHERR 1969 : 21-43. 12' BNS : fonds l, inv 19447, ed. B. CVETKOVA dans Tur8ki izvorii III 1972. 126 Kanuni - DJURDJEV 1957 : 3 1 .

Les institutions ottomanes en Europe

41

conditions nécessaires à son expansion à la fin du XIVe et pendant le XVe siècle. Parallèllement se fait j our une autre tendance. Certains groupes des corps militaires auxiliaires, tels les yürüks et les Tatares, dont l'entretien n'était pas assuré, cherchèrent des métiers plus lucratifs, se sédentarisèrent et négligèrent

peu à peu leurs obligations militaires les plus importantes. Le pouvoir suprême

ne s'opposait pas à cet état de choses pour plusieurs raisons : il n'avait pas

toujours confiance en ces nomades turbulents. Ainsi, par exemple, sur l'ordre du sultan Bayezid

1er, les chefs des Tatares installés dans la région de Plovdiv

(Filibelt furent exterminés par ruse126• En outre, ces groupes militaires auxi­

liaires qui convenaient très bien à l'État ottoman de la première phase avec ses traditions familiales et de clan, perdirent peu à peu leur importance lors de la féodalisation de l'État. A l'instar des

mÜ8ellems et des piyiides, ils ne furent plus

en état de contribuer à la réalisation des vastes plans expansionistes des

gouvernants ottomans. Dans cette optique, la législation tolérait le reclassement progressif de certains de ces groupes et surtout la sédentarisation des yürüks. Tel est le sens des dispositions légales selon lesquelles le yürük, qui avait séjourné ans dans un Village, devait être enregistré avec les

10

re'aya du fief o u du

domaine respectif. Cette tendance du pouvoir ressort aussi du fait que les yürüks prirent de plus en plus la liberté de s'adonner au métier de dans les registres des

celeb et sont inscrits celebkel}ans d'après le nom de leurs oca�s.

Pourtant la tension militaire sans cesse accrue, le nombre limité et la mauvaise organisation de la cavalerie et de l'infanterie de l'État ottoman: de la première période, nécessitaient la création d'une nouvelle infanterie, plus nombreuse, bien disciplinée et fidèle au pouvoir central. La création d'une telle force militaire mettait le pouvoir suprême devant la tâche difficile d'assurer le recrutement massif et régulier de combattants musulmans dignes de confiance . De ce point de vue, le pouvoir ottoman ne disposait pas d'une grande latitude de choix. Pourtant, les circonstances l'aidèrent à surmonter cette difficulté. La conquête des Balkans lui assura un incessant afflux d'esclaves chrétiens prison­ niers de guerre. Ces circonstances firent naître l'idée de l'utilisation de ces prisonniers balkaniques au service du pouvoir ottoman, afin qu'ils deviennent son soutien et après avoir embrassé l'islam. Les annales ottomanes relient ces

circonstances à un épisode de l'époque troublée de la première expansion turque en Thrace orientale et en Macédoine. Les incessantes conquêtes étaient une intarissable source d'esclaves. �ara Rüstem, dignitaire religieux ottoman, suggéra au �ii4i

'asker Çandarh :tralil Pa�a d'appliquer aussi aux prisonniers

l'usage de réserver au souverain un cinquième du butin . Ainsi, sur une proposi­ tion du �ii4i

'asker au sultan, on établit une loi nouvelle : un prisonnier sur cinq

devait être réservé au sultan. Les jeunes gens ainsi recrutés formèrent les premiers détachements de janissaires. (cIls réunirent les jeunes gens, écrit le chroniqueur ottoman, et les répartirent parmi la population turque en Anatolie .

. On les mit à labourer et à semer et ils apprirent la langue turque. Après trois ou 128

BARRAN 1953/54 : 212.

42

Les institutions ottomanes en Europe

quatre ans ils les reprirent et firent d'eux des janissaires dans le sérail. On leur fit

porter des chapeaux blancs . . . C'est à ce moment qu'on leur donna le nom de

j anissaires.)127 .

Ainsi, l 'usage du

perwik (le 1/5 du butin revenant au sultan) suggéra aux

gouvernants ottomans l'idée de tirer le même parti de la population chrétienne

suj ette. Au lieu d'attendre l'afflux peu sûr et pas toujours suffisant des

prisonniers de guerre, ils commencèrent à recruter périodiquement et systéma­

tiquement des enfants chrétiens et à les instruire spécialement pour servir à la

cour du sultan et les constituer en unités militaires dévouées à ce dernier. Le pouvoir central avait un besoin pressant de tels soldats, car les anciennes

cavaleries et les infanteries de clan ne représentaient plus une force sur laquelle on pouvait compter surtout dans la lutte contre l'aristocratie tribale peu sûre,

ainsi que lors des grandes entreprises de conquête en présence d 'un terrain difficile et accidenté et d'un réseau dense de forteresses. L'institution du

dev-Ilirme,128 c'est-à-dire du recrutement forcé d'enfants

chrétiens pour le corps des j anissaires présentait aussi des avantages à d'autres

points de vue. Le renforcement de l'élément musulman au sein de la majorité

chrétienne des provinces balkaniques ne pouvait être réalisé uniquement par

l'apport de colons turcs. Les gouvernants ottomans considéraient que le recrute­

ment périodique des jeunes balkaniques les plus robustes et les plus éveillés, grâce au dev�irme constituait une méthode de dénationalisation et d'affaiblisse­

ment de la population chrétienne.

Les premières tentatives sporadiques du pouvoir ottoman pour appliquer le

dev-Ilirme, datent de la fin du XIVe siècle. La biographie de saint Philothée

contient une des plus anciennes informations sur cette institution imposée à

Chrysopolis en Macédoine . Étant inhabituelle dans les pays balkaniques elle fut accueillie avec consternation par la population locale. «En ce temps, conte le

contemporain, le souverain (le sultan n.a.) avait donné l'ordre de recruter des

enfants comme c'est l'usage des infidèles

(ahrjans).

Tous ceux qui avaient deux,

trois ou même dix enfants, on leur en enlevait un de force C'est au cours des troubles de

.

.

.

)129 .

•

1402 à 1413, alors que l'essor conquérant était

freiné, l'afflux de prisonniers de guerre tari et les forces militaires ottomanes

divisées entre les IDs du sultan en lutte l'un contre l'autre, qu'apparaît de plus

en plus clairement la nécessité d'appliquer le dev-Ilirme en tant que moyen perma­

nent de former des troupes solides au service du pouvoir central. Le corps des janissaires, créé par Murad

1er, avait une organisation interne bien ordonnée. Les garçons non-musulmans capturés ou recrutés par le dev-Ilirme subissaient un

long entraînement afin d'apprendre la langue turque et se préparer pour le 127 'AlpkpalJazade - GIESE 1929 : 50-51 , GIESE 1922/25 II : 22, Ducas - GREOU 1958 : 17833-18°12 ' 128 Sur l'institution des dev,ïrmes v. PALMER 1953, BAKALOPOULOS 1 954, UZUN. Ç�ILI 1943/44 1 : 1-141, REFÏK 1927, G!LA.BOV 1937/43 II, PAPOULIA 1963 WITTEK 1955, VRYONIS 1 965, GEORGIEVA 1967, CAHEN 1970. 129 PAPOULIA 1963 : 82.

Les institutions ottomanes en Europe

43

service militaire. Ce stage avait pour but d'effacer dans l'esprit des jeunes gens le souvenir de leur origine et de faire d'eux des serviteurs dévoués au sultan. C'est seulement après avoir prouvé qu'ils étaient aptes et dignes d'assumer ce rôle qu'ils entraient dans le corps des janissaires. Or, une certaine partie des enfants recrutés par le

dev-!lirme, étaient répartis comme esclaves dans les

domaines féodaux d'Anatolie ou même vendus sur les marchés d'esclaves. Tout

196 unités (ortas), soumises à yeniçeri agas�180. Tous les janissaires de l'oca�

le corps des janissaires (l'oca�) comprenait l'autorité du chef suprême, le

occupaient des locaux spéciaux (odas) dans la capitale ottomane et étaient tou­

jours prêts à exécuter les ordres du sultan. En dehors de la vie militaire, ils

n'avaient pas de vie privée : ils ne se mariaient pas et ne connaissaient d'autre métier que celui du combat. L'organisation des janissaires rappelle celle des confréries musulmanes de chevalerie, qui jouèrent un rôle considérable dans la vie publique et économique de l'Asie Mineure durant la période pré-ottomane et proto-ottomane. Liée par son origine avec les usages d'esclavage du monde islamique, l'institution des janissaires, créée pour servir de soutien au pouvoir central, ne disposait pas d'une base économique dans la société ottomane en voie de féodalisation. Elle se développe en tant que partie du sytème

�ul, qui s'imposa dans des sociétés se

caractérisant par le mode dit de production asiatique. La nature de cette institution est contradictoire, d'un côté les janissaires sont des esclaves du souverain et, de l'autre, leur statut les place au-dessus des

re'aya en tant

qu'instrument du pouvoir suprême dans sa lutte pour la consolidation de ses fondements, la soumission des vestiges de l'aristocratie de clan, la réalisation de ses plans de conquête, le maintien en soumission de la population sujette. L'isolement de cette institution des règles féodales en voie de développement

détermina aussi sa dégradation à partir du

XVIe siècle181.

Le nombre et l'importance de cette force de combat permanente, rémunérée par le pouvoir central, s'accrût sans cesse pendant le

XVe siècle. Eduqués dans

un esprit de fanatisme religieux et de dévouement sans bornes au sultan, adroits et zélés dans l'art militaire, les janissaires tirent vaillamment en première ligne

et, à la tête de l'armée couvrirent de leurs rangs solides le commandement suprême et le sultan. Mus par le désir de consolider leur commandement direct sur leurs forces de combat, les sultans ottomans avaient créé aussi d'autres corps militaires rémunérés, dont six unités de cavalerie. Parmi ces effectifs il faut signaler les

gureba, recrutés parmi les musulmans des autres pays, les sipahis et les silalJ,dilrs les écuyers du sultan. L'introduction des armes à feu au début du XVe s.

-

imposa la création des premiers corps d'artillerie. Murad II créa deux de ces corps : les

topçû,ar et les top 'arabacûar, qui participèrent à la fabrication et à

l'entretien des pièces d'artillerie ou à leur transport et à leur utilisation au cours 130 UZUNÇA�ILI 1943/44 I : 155, HAMMER 1835 I : 91-91, GIBB - BOWEN 1950/57 I, 1 : 56-66. 1 31 GIBB - BOWEN 1950/57 I, 1 : 66-7 1 , GEORGIEVA 1967.

44

Les institutions ottomanes en Europe

du combat. Ils furent organisé en oca�s sous Me1;uned II. Pendant le règne de Süleyman le Législateur on introduisit les �uinbaracûar et les la(j�mcûar dont l'entretien était assuré par les revenus des sipahiliks. Fort de ces effectifs militaires le pouvoir ottoman élargit ses conquêtes dans l'Europe du Sud-Est et chercha à s'établir de manière durable dans les terres conquises132. *

*

*

Quelle place les conquérants réservaient-ils à la population sujette dans le cadre des différentes institutions qu'ils créèrent 1 Quel fut le sort des innom­ brables travailleurs dans les villes et les villages des provinces ottomanes européennes 1 Comment le nouveau pouvoir se comporta-t-il envers eux 1 Com­ ment réussit-il à les tenir en soumission et comment acceptèrent-ils les usages et l'administration des ottomans 1 La société ottomane avait une stratification qui, bien que n'aboutissant pas à un système de castes, ne permettait pas facilement le passage de la classe sociale inférieure à celle des maîtres. A l'instar des théoriciens des autres sociétés de classe, les anciens juristes ottomans proclamaient immuable la division sociale établie : (ùes gens de l'épéel) - les militaires, les «gens de plumel) - les cadres juridiques, administratifs et religieux et la masse anonyme de la population sujette (les re'aya), le (
GIBB - BOWEN 1950/57 l, 1 : 66-7 1 . THALL60zy-KARAOSON 9 1 1 , tNALOIK 1969 : [19], 1970a : 17.

Les institutions ottomanes en Europe

45

de nombreuses circonstances. Pourtant, dans leurs traits fondamentaux, elles étaient déterminées par les conditions dans lesquelles cette population avait admis la conquête ottomane, et par les particularités du régime des domaines féodaux auxquels elle était rattachée, ainsi que son appartenance religieuse et nationale. L'état de subordination d'une importante partie de la population asservie était légalisé au cours du récensement. Dans les documents officiels du cadastre ottoman, les re'aya des villages faisant partie d'un domaine féodal étaient rattachés à ce dernier et devenaient «re'aya enregistrés» (defterlü re'aya). Une fois enregistrée, la population assumait toutes les obligations grevant sa terre au profit de son propriétaire suprême, l'État et son maître direct, le propriétaire foncier, le féodal. Cet ordre était exprimé dans la terminologie juridique ottomane. Selon cette dernière, le féodal était en même temps �a1J,ib-i 'arz (maître de la terre) et �a1J,ib-i ra'iyyet (maître des re'aya). Dans certaines régions, il pouvait arriver que la population ne fût pas entièrement recensée et enregistrée, dans ce cas, certains restaient «en dehors de l'enregistrement» , c'est-à-dire en dehors du régime établi. C'étaient les re'aya (mon enregistrés» (!Jiiric ez defter), que certains auteurs comparent à la catégorie byzantine «èÀev(J'YJe {Otl) , c'est-à-dire les paysans non liés par une subordination

directe envers les féodaux locaux13<1.

Pourtant, ces re'aya non enregistrés n'avaient pas une existence a�stra­ tive assurée. Les organes zélés du gouvernement suprême ottoman recher­ chaient avec vigilance toutes les sources non encore exploitées de revenus et, grâce au récensement, rattachaient vite les «re'aya non enregistrés» à un domaine féodal. Chacun de ces domaines constituait un ensemble de nombreuses tenures paysannes. Ces dernières étaient gérées par les paysans avec de nombreuses restrictions. Pourtant à l'intérieur de leurs villages et dans les proches environs ils avaient des vignes, des j ardins et des terrains à bâtir dont ils pouvaient disposer librement et sans restriction. D 'après les lois ottomanes, tous les biens immobiliers situés dans le cadre des agglomérations étaient considérés comme propriété privée (mülk) de leurs possesseurs136• Ces biens pouvaient être vendus, achetés, donnés, légués, échangés ou loués. Or, du fait de leur superficie limitée et la monoculture - il s'agissait le plus souvent de vignes ou de j ardins potagers - ils ne pouvaient satisfaire les besoins de la famille paysanne. Pour cette raison, les paysans travaillaient aussi sur d'autres terres en dehors du village : des champs, prés, forêts, taillis, etc. qui faisaient partie des nombreux fiefs mili­ taires ou des plus grands domaines féodaux. Ces terres portaient le nom de çiftlik lorsqu'elles appartenaient à des paysans musulmans, et bat}tina lorsque leurs détenteurs étaient des non-musulmans18 6• Il est clair que dans ce cas les

134 1NALOIK 1960b : 240-241, 1954a : XXIX-XXX. 136 BARKAN 1943 : 296-297, KOPRÜLÜ 1915 l, 1 : 49-50, CVETKOVA 1950 : 1 60-164. 186 'ARiF 1912/13 c . 1 6 : 17-18, INALOIK 1954a : XXX, BARKAN 1949 : 392 Bq., <1

Les institutions ottomanes en Europe

46

conquérants avaient adopté une institution foncière balkanique médiévale, en

lui conservant son nom slave et en l'adaptant à leurs besoins propres. Les paysans obtenaient le droit de travailler et d'utiliser ces terres en vertu d'un

document, le

tapu, délivré par les seigneurs. Pour obtenir ce document et tous re'iiyii payaient une taxe assez élevée (resm-i

les droits qui en découlaient, les

tapu). D'après des données du début du XVIIe siècle, elle atteignait la somme de 12 000 à 50000 al;,çes. Les paysans ne pouvaient pas disposer librement des terres qu'ils possédaient. L'aliénation de ces terres se faisait uniquement avec le

consentement du féodal

vrait un

(�ii"(l,ib-i 'ari ma'rifetile) . Pour toute mutation, il déli­ tapu spécial et percevait la taxe afférente137•

L'héritage de la propriété foncière paysanne était également limité. Après la

mort du paysan, sa part de terre revenait uniquement à son fils, sans obligation pour ce dernier de payer le

resm-i tapu. Dans le cas où le fils était mineur et ne

pouvait pas travailler la terre, la législation prévoyait des mesures propres à

maintenir la rentabilité de la terre. Cette d�rnière pouvait être donnée avec tapu

à une autre personne jusqu'à ce que l'héritier atteigne sa majorité13B• Pour les

mêmes raisons, le code de Selim.

1er stipule qu'une telle terre appartenant à un ra'iyye qui l'abandonne à cause de famine, pauvreté ou vieillesse, soit accordée à un autre avec tapu. Il était interdit de percevoir du premier détenteur de cette terre autre chose que le resm-i benniip3Ba . Toutes les limitations auxquelles était soumise la terre des re'iiyii provenaient de la dépendance dans laquelle elle se trouvait par rapport au possesseur féodal .

En recevant le

tapu le paysan se subordonnait au propriétaire foncier : il

assumait l'engagement de travailler sa part de terre, de l'ensemencer régulière­

ment et de payer à temps ses impôts. L'interdiction formelle de se dérober aux engagements stipulés dans le

tapu faisait de celui-ci

Ainsi, par exemple, d'après la loi foncière de

un véritable contrat.

1609 les paysans n'avaient pas le

droit d'échapper au tapu et à la taxe afférente sous prétexte qu'ils paient à leur

sipiihi les impôts dont ils étaient redevables139. De son côté, en délivrant le tapu,

le maître de la terre était investi du droit et de l'obligation de veiller à ce que le

paysan travaille la terre, ne la délaisse pas et ne la quitte pas pour aller

s'installer ailleurs. Ce statut était le même pour les musulmans et les non­ musulmans140 •

ÎNALOIK 1959 : 58 1 sq. Sur le statut foncier des re'aya v. TVERITINOVA 1 959 : 3-5, tNALOIK 1 952/53 : 46. 137 Sur le 1apu en tant qu'acte imposant la dépendance du ra'iyye vis·à-vis de son seigneur cf. 'ARiF 1912/13 c. 1 6 : 14, 17, c. 1 8 : 54--5 5, KOPRÜLÜ 1 9 1 5 l, 1 : 51-58, 8081, Fontes turc. - GALABOV 1961 1 : 1 3 1 , TVERITINOVA 1 946 : 30-31 , CVETKOVA 1 954/55 II : 1 1 6-121. Sur le montant du resm-i 1apu v. BNS : Or/1 332, fO 55v-56r. 13 8 KOPRÜLÜ 1915 1, 1 : 5 1 , 58-59, 69-70, 'ARiF 1912/13 c. 1 8 : 50, BNS : Or/2372, fO 4v, Or/631, fO 4r, 1 1v-1 2r, BROOKELMANN 1918, CVETKOVA 1 954/55 II : 1 17-1 18. 13 8& Selim l TVERITINOVA 1 969 : 43. 13 9 BNS : Or/1 332, fO 50r, v. aussi KOPRÜLÜ 1915 1, 1 : 80. 140 Kanuni - DJURDJEV 1 957 : 1 1 1-120 (ve yer l�tt�nda müsülmiin ve katir be­ -

rliberdir) .

Les institutions ottomanes en Europe

47

Le pouvoir ottoman, soucieux de défendre les intérêts matériels de ses féodaux, support de sa puissance militaire et de son ordre administratü,

interdisait par une loi Spéciale aux paysans de laisser en friche celles de leurs terres qui dépendaient d'un domaine féodal. Déj à le code de MeJ;uned II

prévoyait (en récapitulant d'anciennes dispositions légales non parvenues

jusqu'à nous) des sanctions pour les paysans qui négligeaient leur terre ; dans ce

cas le seigneur avait le droit de la donner à un autre paysan contre tapu. Le délai

dans lequel le

sipahi,

le possesseur de

mülk

ou même le

mütevelli

de

vaJr,�f,

pouvait disposer de la terre non cultivée pouvait être d'un an ou bien de trois ans. Il se peut que les deux dispositions du Code de Me:Q.med II datent des

périodes différentes141 .

Il est probable que le délai d'un an n'est pas réel pour des raisons indépen­

dantes de la volonté du paysan. La législation prévoyait aussi la règle suivante :

(
terres non travaillées situées dans les montagnes ou dans des lieux arides ou qui

sont inondées tous les ans et de ce fait ne peuvent pas être labourées, car cela ne découle pas de la négligence prolongée des agriculteurs) 142 .

C'est peut-être en vue de cas semblables que le délai avait été porté à trois

ans.

Pour garantir la rentabilité régulière des

çiltliks

et des

bG1itinas

paysans, le

législateur prévoyait aussi d'autres mesures tendant à empêcher les paysans de

quitter les terres féodales . Dans ces cas ils ne perdaient pas seulement la terre en question, mais aussi leur maison et tout son mobilier143• Parallèlement à cela, la

législation protégeait aussi la terre des

reCaya

en défendant aux féodaux de la

garder pour eux-mêmes : «(Lorsqu'une terre du territoire du timar appartenant à un �al),ib-i Carz devient légalement terre à concéder contre tapu, le �al),ib-i carz n'a pas le droit de la conserver pour lui, ni de la donner à son filS1(4) . Le pouvoir surveillait aussi le caractère des cultures dans les

reCaya.

çiftliks

et les

bG1itinas

des

Personne ne pouvait pas les changer à son gré parce qu'il menaçait ain­

si de porter atteinte aux revenus du féoda.l. C'est pourquoi que la législation défend aux paysans de faire enregistrer leurs terres en tant que terres non

rentables afin de les transformer en pâturages pour diminuer de cette façon leur dîme.

Préoccupé de maintenir la rentabilité des

çiltliks et des bG1itinas des reCayii, le

pouvoir épiait toutes les possibilités de découvrir et de faire enregistrer chaque source de revenus récemment apparue . Ainsi la legislation de Selim.

1er stipule

qu'il faut imposer la dîme même sur des arbres vierges aussitôt qu'ils seront apprivoisés144a. 141 KRAELITZ-GREIFENHORST 1921/22 : 22, 'ARiF 1912/13 c. 1 8 : 50-51, KOPRÜLÜ 1915 I, 1 : 90. V . aussi BARKAN 1943 : 299, 253-254 et tous les règlements locaux de ce genre qui concernent le régime foncier. 14 2 'ARiF 1912/13 c. 18 : 5 1 . 143 KRAELITZ-GREIFENHORST 1921/22 : 22. 1Ha Selim l - TvERITINOVA 1969 : 43. 144 BNS : Or/1 332, fO 52v.

Les institutions ottomanes en Europe

48

Les charges fondamentales qui pesaient sur la population paysanne étaient toute une série d'impôts, d'obligations et dé redevances dus aux féodaux locaux et au pouvoir suprême. L'un de CeS impôts, inscrit au rôle des revenus des féodaux locaux était l'impôt foncier-personnel resm-i çift pour les musulmans et ispence pour les non-musulmans146• Le taux du resm-i çijt était déterminé par rapport à la surface de la propriété foncière des re'aya et à leur situation familiale. A cet effet, l 'enregistrement déterminait pour chaque village les catégories imposables : les çijtlüs, familles possédant les terres d'un ou plusieurs çijts ; les benniiks, familles pauvres possédant moins d'un demi çijt de terre ; les mücerreds, ra'iyyes majeurs et célibataires vivant chez leurs parents. La valeur de l'unité foncière çitt (çittlik) était déterminée par le législateur. D'après les lois de MeJ:uned II et de Süleyman 1er, un çittlik représentait de terre fertile ou pauvre148 •

100

dOnüms de terre à reVenu moyen ou

Les exploitations familiales çittlüs payaient 9 à 12 a�çes et les mücerreds de 6 à

benniiks de

imposables des re'aya non-musulmans payaient

70 à 80 donüms de 130 dOnüms de terre

22 a�çes d'impôt foncier, les 12 a�çes. Toutes les catégories 25 a�çes par personne d'impôt

foncier personnel, l'ispence. Dans de rares cas, l'ispence était calculé en fonction de la situation matérielle des contribuables. C'était le régime, par exemple, de l'île d'Imbros où riches et moyens contribuables payaient

25 a�çes, les pauvres 15 a�çes et les célibataires 10 a�çes147. A Chypre, on payait 30 a�çes d'ispence148 •

Au XVIe siècle en Hongrie, la population était frappée d'une variété de l'ispence, le resm-i �apu, à un taux de la Saint-Georges

(6 mai)

50 a�çes payables en deux versements :

à

et à la Saint-Démètre (8 novembre)149. Dans certaines

régions, l'ispence changeait de montant ; da.na l'île de Tassos par exemple, il atteignit 100 a�çes au XVIIe siècle pour tomber par la suite à 40 a�çes16 0 . En

1716 dans

le vilayet de Morée, l 'ispence était de

musulmans

étaient parfois

exonérés

125 a�çes par famille. Les non­

de cet impôt. Ainsi les habitants

d'�çal;t�ar (Kroja) étaient déjà exonérés de l'ispence161 du temps de Bayezid Ier162. Au XVe siècle, �aslID Palila abolit l'ispence pour les re'aya du village de Drjanovo qui faisait partie de ses va�tts163. Aux XVIe siècle les Juifs d'Avlonya (VIDre) ne payaient pas l'ispence164• Ils en furent exonérés jusqu'à la fin du XVIe

145 Cf. les ta"/l,rir delterleri (les mulalllJals), publ. jusqu'à présent et particulièrement dans Turski izvori I-II 1964--6 6. Sur l'institution v. l'étude approfondie d'tNALCIR 1959 : 575-608, KRAELITZ-GREIFENHORST 1 921/22 : 23, 28, 'AruF 1 91 2/13 c. 1 8 : 50, 52, KOPRüLü 1915 l, 1 : 60, 99, 109-1 1 1 , BNS : Or/1332, fO 65r-66r, 7 lv, BARRAN 1943 : 235, 238, 240, 326-327, 351, Kanuni - DJURDJEV 1957, v. l 'index ispence et çilt resmi, KABRDA 1 964a : 225. 14 6 'ARiF 1912/13 c. 1 8 : 50, KOPRÜLÜ 1 9 1 5 l, 1 : 60. 147-15 1 BARRAN 1 943 : 238, 349, 300-301, 313, 316, 320, 324, 345, 327, FERETE 1947 : 313. 15 2 tNALOIK 1954a : 103. 15 8 BNS : OAK 217/8, fO 10v. 154 BARRAN 1 943 : 333.

Les institutions ottomanes en Europe

49

siècle166• Les familles des veuves étaient imposées séparément, leur impôt foncier était le plus bas :

6 a�çes166.

Le non-musulman qui se convertissait à

l'islam, devait payer le benniik au lieu de l'ispence167. De tels allégements fiscaux motivaient souvent la conversion de la population locale à l'islam. Par ces impositions, ainsi que par d'autres institutions fiscales, les Ottomans

continuaient ou modifiaient, selon leurs besoins, les anciennes traditions fiscales des pays du Sud-Est européen. Les impôts

çift-ispence sont sans conteste en

corrélation avec l'impôt byzantin Cevyaead"tov. Les catégories des contribuables soumis à l'impôt foncier dans la Turquie médiévale correspondent tout à fait à celles du système fiscal byzantin. Ainsi, par exemple, la catégorie

çiftlü corres­

pond dans une grande mesure à la catégorie des Cevyaean"ol. Les nea"n,,6, byzantins distinguent, à l'instar des registres ottomans des ti7niirs, les exploita­

tions des veuves en tant qu'unités jouissant d'un régime fiscal à part168 • De plus,

resm-i çift représente la contre-valeur en argent d'anciennes redevances 22 a�çes constituent la couverture de : 3 j ournées d'an(jarya que le Code de Melpned II permettait de racheter contre 3 a�çes une charrette de foin - 7 a�çes, une demie charrette de paille 7 a�çes, une demie charrette de bois 3 a�çes169 et l'utilisation de la charrette du paysan 2 a�çes. Le resm-i �apu en Hongrie, équivalent à l'ispence, n'est qu'une continuation de le

féodales en travail. Les

-

-

-

l'ancien census de l'époque pré ottomane que l'on percevait des serfs à deux reprises comme le census - le j our de Saint Georges et le j our de Démètre et. dont le montant était le même que celui de l'ispence plus tard c'est-à-dire 50 a �çes160 . La dîme du rendement agricole

1 forint par foyer, (Co�ür) formait une part considérable des obligations fiscales dues par les reCaya à leurs maîtres fonciers. Déjà dans le Code de Melpned II, le taux du co�ür était fixé de 1/ 0 à l/s -

1 du rendement. Parfois il atteignait la moitié de la récolte. Les lois et les

dispositions ottomanes pour les différents

viliiyets précisent les espèces des

produits agricoles soumis à la dîme : céréales, plantes légumineuses, textiles et oléagineux, légumes, fruits, soie, resp. les cocons de vers à soie, olives, huile d'olives, le pekmez (moût de raisin épaissi par coction) et de pestil (pâte sèche de fruits), épices (safran, anis, thym, cumin, etc . ) , herbes, foin, etc. Le vin et les ruches étaient également soumis à la dîme ou à des taxes en argent. Le co�ür frappait aussi le poisson, par fois le sel, le fer, etc.161 Dans les ta7J,rir defterleri des 166 tNALCIR 1 959 : 603. 166 V . les mufw!l}al defterleri,

où les veuves sont immatriculées à part vu leurs allégements fiscaux, KRAELITZ-GREIFENHORST 1921/22 : 28, BARRAN 1943 : 289. 157 KOPRÜLÜ 1915 I, 1 : l I O, cf. CVETROVA 1965b : 54 etc. 168 tNALOIK 1960b : 241. 16 9 tNALOIK 1 959 : 577-581 . 160 FEKETE 1 947 : 313, BAYERLE 1 973 : 22. 16 1 Les données concernant le 'o§ür dans l'Europe du Sud-Est sont assez nom­ breuses. Les principales sources qu'il faut consulter sont KRAELITZ-GREIFENHORST 1921/22 : 24-25, 32, KOPRÜLÜ 1915 I, 1 : 50-51 , 54, 1 02, 105, BNS : Or/631, fO 64r, 'ARiF 1912/13 c. 1 6 : 3 1 , 32, BNS : Or/1 332, fO 62v, 63v-64r, 70v, Kanuni D.TURDJEV 1 957 : 1 34, 84, BARRAN 1943 : 334, 341 , 328, 329, 313, 322, 302, 236, 253,

-

50

Les institutions ottomanes en Europe

différentes localités sont énumérés les produits soumis à la dîme conformément aux particularités spécifiques de l'une ou l'autre région. Ainsi, après la conquête

lJariic-� mulpiiseme, au taux de Ifs. Mais lorsqu'il comprit que l'île était rocailleuse et stérile, l'impôt sur le rendement foncier fut abaissé en 1672 à 1 / 1 82. D'après les 7 de l'île de Chypre, le pouvoir ottoman avait établi la dîme, appelée ici le

données du XVIIIe siècle, pour les mêmes raisons, fut posée aussi la question de

la diminution de la dîme et des autres impôts dus par la population de l'île de Chio18 3 . Il en fut de même pour l'île de Mytilène, dont la stérilité fut prise en considération par la loi lors de l'imposition de la dîme164 . De même que la dîme, les

re'iiyii payaient l'impôt siiliirhlp (siiliiriyye),

supplément à cette dernière. Il frappait les céréales, le vin, le lin, le coton, les légumineuses, etc. Pourtant, il y avait des régions que la loi exonérait du paiement du

siiliiriyye186 •

La dîme était perçue par des agents du féodal local ou, plus rarement, par ceux du fisc, après la moisson, aux champs ou dans l'aire pour les céréales ou après la rentrée de la récolte pour les autres produits alimentaires. La dîme pour les fruits et les légumes était acquittée le plus souvent en argent. Il est également probable que la plupart des maîtres fonciers ottomans, les

sipii­

his qui, absorbés par leurs obligations militaires, n'avaient pas le temps de s'occuper de la vente de la dîme, préféraient recevoir cette dernière en argent, du fait que ces produits (fruits, légumes) étaient facilement périssables166•

278, 276, 285, 291, 270, Osterr. Nat.-Bibl. : AF 7 7 fo 199v-200r, Bibl. Nat. Paris : Fonds turc 85, fOl09v-l lOr, 277v, 276r, TUNÇER 1962 : 120, 322, 324, 327. Un témoignage très significatif qui fait comprendre qu'en ce qui concerne la dîme, les Ottomans ont adopté dans les Balkans un ancien système fiscal indigène médiéval, est à signaler dans le sanca(c de Pozega la dîme a remplacé l'ancienne redevance sur les produits agricoles dont la dénomination locale est plug resmi (taxe sur la charrue), v. BARKAN 1943 : 304. Consulter aussi tous les registres détaillés, publiés jusqu'à présent et surtout dans Turski izvori 1-II 1964-66, ainsi que ceux qui ne sont pas encore publiés : BNS : OAK 217/8, Kf 1/1, OAK 265/62, Rs 83/6 etc., CVETKOVA 1954/55 II : 131-136, GÜÇER 1964, KABRDA 1963/66 III, CVETKOVA 1965b : 44-49 ainsi que le registre publié dans Turski izvori III 197 2 : 284-318, FEKETE 1943. 162-- 164 BARKAN 1943: 351, 353, 347-348, 333 etc. 166 V . les sources principales citées dans la note 161 et particulièrement KRAELITz­ GREIFENHORST 1921/22 : 24, '.ARiF 1912/13 c. 15 : 16, c. 1 6 : 31, Koprülü 1 9 1 5 1, 1 : 102, cf. ta[1,rir defterleri, BNS : Or/1 332, fO 70rv, BARKAN 1943 : 328, 314, 391, TUNÇER 1 962 : 375, KABRDA 1963/66 III : 57 suppose que <
Les institutions ottomanes en Europe

51

Dans certains endroits, les paysans qui produisaient des légumes pour leurs besoins personnels et non pour le marché, étaient exonérés du paiement de la dîme167• La dîme frappait aussi les glands que les paysans amassaient pour nourrir ('o�r-ü palamut) 168 . Souvent même la pêche n'échappait pas à la

leurs porcs

dîme, surtout la pêche dans les grandes rivières et au bord de la merl09• Le foin et l'herbe des prés étaient également taxés

('osr-ü giyah, otlafr, afr,çe.si, otlufr, baha,

etc.) en nature ou en argent. Les veuves et les célibataires étaient exonérés de l'imposition du foin170 • Dans les régions frontalières où, à cause du danger d'incursions ennemies, la population n'avait pas la tranquillité de travailler la terre, le pouvoir lui octroyait, ne fut-ce que pour des délais assez courts, certains allégements : à la place de la dîme elle payait une somme globale (mufr,ata'a, mafr,tü') selon la fertilité de la terrel71. Les vignobles appartenant aux re'aya étaient imposés de deux façons : par la dîme sur le rendement (sur le vin ou le moût) à raison de 10 medres pour cent de dîme et trois pour cent de 8alariyye pour les non-musulmansl72 , et par une taxe en argent (dOnüm re.smi) pour les musulmans. Si l'on doit juger d'apres la loi pour l'Eubée (Grèce), on prenait en considération le volume de rendement : en cas de mauvaises récoltes, les vignobles ne payaient pas d'impôt173• Selon une ancienne tradition antérieure aux Ottomans, au même titre que la dîme

(o�r-ü fr,ovan) . On percevait aussi en nature le miel d'une ruche sur dix et en argent 1 à 4 afr,çes par ruche174 • frappant différents produits agricoles, les ruches payaient aussi l'impôt

167 V . par ex. KOPRÜLÜ 1915 l, 1 : 105, BARRAN 1 943 : 301 , 316, 320, 309, TUNQER 1 962 : 480, BNS : Or/1 332, fO 147 etc. 168 BARKAN 1943 : 328. 169 V . par ex. Bibl. Nat. Paris : Fonds turc 85, fO 109v-IlOr, 277v, cf. les muffU!lJal defterleri, BARKAN 1 943 : 302, FEKETE 1955 I : 1 3 8 sq. (registre de la dûue imposée aux pêcheurs à Killi en 1 504-5). 1 70 'AniF 1912/13 c. 17 : 36, KOPRÜLÜ 1915 l, 1 : 9, BNS : 01'/1332, fO 70r, 78rv , BARKAN 1943 : 283, 289, 291, 252, 341 , Kanuni DJURDJEV 1957 : 31, 55. Les taxes équivalentes à la dûue sur le foin ou sur l 'herbage variaient dans les différents sanca{cs entre 2 et 1 2,5 aspres. Parfois on rencontre cette taxe réunie avec celle sur le bois (resm-i hime ve giyah). Sur les exemptions des personnes non mariées et des veuves v. surtout BARKAN 1943 : 289, KABRDA 1961 : 179, TUNQER 1962 : 1 20. Sur 'o�r-ü otlalp, resm-i otlalp v. KABRDA 1963/66 III : 62-63. 17 1 Kanum: - DJURDJEV 1 957 : 69, 86, BARRAN 1943 : 305. 17 2 Sur le régime fiscal des vignobles v. KRAELITz-GREIFENHORST 1 921/22 : 24, 29. Le volUII1e de la dûne était déterminé au moment de l 'évaluation de la récolte. La somme équivalente à la dîme est connue parfois dans les lpanüns sous le nom de fJ,arac-i bag, BARKAN 1 943 : 328, 339, 341 , 302, 383, 320, KABRDA 1963/66 I : 33-39. 173 KABRDA 1963/66 I : 36, 1964a : 225. 174 KRAELITz-GREIFENHORST 1921/22 : 29, 'AniF 1912/13 c. 1 7 : 37-38, HAMMER 1815 I : 300, 31 1-312, KOPRÜLÜ 1915 l, 1 : 106, BARRAN 1943 : 239, 240, 341, 313, 316, 322, 321 , 233, 268-269, 301, 329. En ce qui concerne le miel sauvage que les re'aya retiraient périodiquement des ruchers, c'était le sipahi qui en prenait la dîme, -

Les institutions ottomanes en Europe

52

En outre, les faibles revenus des paysans non-musulmans étaient spoliés par les maîtres fonciers au moyen d'une autre charge fiscale, le droit d'aire

!J,arman)

à raison de deux kiles de blé et deux kiles d'orge de chaque

('iidet-i b01tina. Ici

aussi les Ottomans maintenaient une ancienne tradition : en Bulgarie au Xe siècle, les paysans étaient redevables d'un boisseau de millet, d'un boisseau d'orge et d'une cruche de vin17 6 • En se basant sur des usages féodaux séculaires, les Ottomans adoptèrent aussi les prestations traditionnelles au féodal à des époques déterminées de l'année : galette, orge, avoine, raisin, bois, etc. De telles obligations sont évoquées par le (
la perception du 'Xavünuov (,u6!5wç) d'orge et d'une demie mesure de vin, lointain prototype, sans doute, des prestations sipiihiyyes citées plus d'un pain, d'une poule, d'un boisseau

haut17 6 • Dans certains cas, ces redevances en nature étaient remplacées par des taxes en argent, par exemple, au moment des vendanges, pour chaque vignoble

2 a�9es

de

resm-i seped

au lieu d'un panier de raisin177• Par endroits on

acquittait, en même temps que la dîme des vignes, une autre taxe en argent, datant (
(resm-i tekne) de 2 à 5 a�9es. Du (resm-i mengene), la taxe de

même genre est également la taxe du pressoir l'empan

(resm-i �n�)

de

2 a�9es

au moment où l'on verse le moût dans les

tonneaux178• L'un des impôts traditionnels qui étaient perçus par les maîtres fonciers, dans le Sud-Est européen avant la conquête ottomane, était l'impôt sur le menu

'adet-i a{jniim, resm-i a{jniim179• Dans le �niln du sanca� de Lipova, le législateur se base expressément sur l'usage existant dans la

bétail (moutons, chèvres)

région bien avant la venue des Ottomans - un mouton sur vingt devait être donné pour le trésor public ; pour moins de vingt moutons on payait mouton, c'est-à-dire

3 a�9es

pour deux brebis180• Le

�nilnniime

3 penez par

du

sanca� de ('adet

Kopan souligne également que l'impôt est perçu «d'après l'usage établi)

üzere)181 . Son taux ne subit pas de changements substantiels durant des siècles ­ un a�ge pour trois, deux ou un mouton. Le plus courant et le plus répandu est un a�ge pour deux têtes de bétail. Certaines catégories de la population étaient

'AruF 1 9 1 2/13 c. 1 7 : 38, HAMMER 1 8 1 5 1 : 201-202, v. aussi KABRDA 1 963/66 1 : 3942. 175 BARRAN 1 943 : 251-252, Dernschwam - BABINGER 1923 : 256, iNALOIK 1 952/53 : 49, CVETKOVA 1 962b : 246. 17 6 V. les mutaIJl!al defterleri, mentionnés jusqu'ici - cette redevance coutumière

est inscrite un peu partout dans la liste des impôts dus par les re'aya a leurs BÏpahis . aussi CVETKOVA 1 954/55 Il : 142, 162b : 245-246.

V.

177 BARKAN 1943 : 308. 178BARKAN 1943 : 277, 285, 291, 293, KABRDA 1 96 1 : 181, 1963/66 1 : 36.

179 KRAELITZ.GREIFENHORST 1 921/22 : 24, 29, 'ARiF 1 9 1 2/13 c. 1 7 : 30, KOPRÜLÜ 1 9 1 5 1, 1 : 108, HAMMER 1 815 1: 286, 300, 312, Dernschwam - BABINGER 1923 : 255, BARKAN 1 943 : 237, 240, 289, 321, 348, 359, 354, DUDA 1 943, 1 949 : 90-93, CVETKOVA 1954/55 II : 1 36-139, IIADZIBEGlé 1 958/59, KABRDA 1 963/66 II. 180 HADZIBEGIé 1 958/59 : 69-70. 181-182 BARKAN 1 943 : 321, 354.

1 1

Les institutions ottomanes en Europe

53

exonérées du paiement de cet impôt - les mineurs, les Valaques de Smédérovo, les héritiers des fondateurs de valp�fs et même toute l'île de Crète qui , paraît-il, fut exonérée jusqu'en 1704 du paiement de cette charge fiscale182. Dans le but d'améliorer l 'état de l'élévage de moutons, qui dépérissaient à cause de l'arbi­ traire des organes fiscaux, le pouvoir d'État avait apporté certaines modifica­ tions dans cette institution fiscale. Selon une ordonnance de 1604, on devait ajouter à l'impôt personnel des non-musulmans une somme globale de 30 alpçes pour le resm-i

a(J1ziim , sans tenir compte du nombre du bétail. Pour les

musulmans restait en vigueur l'ancien système - un alpçe par tête. C'est seulement vers la fin du XVIIe s. que l'on établit une règle générale pour la perception de cet impôt, valable aussi bien pour les musulmans que pour les non-musulmans : un alpçe par tête183. L'impôt sur les porcs (bid'at-i

fJanâzir, resm-i Mnzir) était perçu uniquement

des non-musulmans : un alpçe pour deux têtes de porcs paissant en liberté et un alpçe par tête pour les porcs que l'on engraissait184. En rapport avec ces charges fiscales existaient aussi d'autres impôts, dont l'origine est, sans aucun doute, antérieure à la venue des Ottomans. Ce sont des impôts et des taxes sur des pâturages et des bergeries. Ordinairement, les re'aya rattachés à un village ne payaient pas de taxes pour l'utilisation des pâturages sis dans les terres de ce village, à moins que cet impôt ne figurât pas dans le registre foncier comme revenu du feudataire local (un mouton de qualité moyenne par troupeau). Les impôts de pâturage - pâturage d'été et pâturage d'hiver (otlalp, yaylalp ve ���lalp l.talplp�) - frappaient le plus souvent les nouveaux venus dans le pays (ordinaire­ ment des éleveurs de moutons et des yürüks), qui n'étaient pas rattachés comme re'aya à un féodal. D'après les lois générales du temps de Mel).med II et de Süleyman, le resm-i h�lalp était perçu comme suit : un jeune bélier d'un bon troupeau et 6 alpçes d'un mauvais troupeau ; le resm-i otlalp d'un très bon troupeau - 20 alpçes ; d'un troupeau moyen - 15 et d'un troupeau faible - I l , qui représentaient la valeur d'une brebis18 6. Ces normes générales différaient dans les diverses régions, selon la pratique locale. Ainsi, par exemple, la taxe de pâturage dans la région d'Ohrid était un bélier par troupeau186 . Dans les régions de Chalcis, Lamia et Trikala - de 17 à 25 alpçes par troupeau, de Thasos - 2 alpçes par brebis, dans le sancalp de Navpaktion 15 alpçes pour 100 moutons et 5 alpçes par agneau,187 dans la région de Vlore - une brebis ou 20 alpçes par troupeau de -

300 moutons, 15 alpçes pour un troupeau de 200 moutons et 10 alpçes pour un troupeau de 100 moutons ; dans les sancalps de Nikopol et de Silistra, le resm-i agû ve yaylalp : 300 alpçes par troupeau de moutons et 60 par troupeau de bovins1 88 . 183 HADZIBEGI6 1958/59 : 70-7 1 . 184 KRAELITZ-GREIFENHORST 1921/22 :

29, BARRAN 1943 : 252, 270, 301, 3 2 1 , 322, 313, 316, HAMMER 1815 1 : 286, 301, 322, KABRDA 1963/66 II : 1 1 0-1 1 2 etc. 18 5 'ARiF 1 9 1 2/13 c. 17 : 42-43, KOPRÜLÜ 1915 l, 1 : 97-98, 108, BNS : Or/631, fO 62v, Or/1 332, fO 68r. 186 B OJANI6 1 959 : 289, 295. 18 7 ILlliRDA 1961 : 183, BARKAN 1943 : 290, 344, v. aussi p. 328, 354. 188 BARKAN 1 943 : 285, tNALOIK 1954a : 126, Bibl. Nat. Paris : Fonds turc 85 fO

Les institutions ottomanes en Europe

54 Les lois pour les

sancalps hongrois mentionnent très souvent la taxe des glands re'aya. Elles notent expressément que déjà au

des forêts où paissent les porcs des

temps des rois de Hongrie la population suj ette payait comme dîme une brebis et, plus tard un porc au féodal dans le domaine duquel se trouvaient les forêts où ces bêtes paissaient. Les Ottomans avaient conservé les mêmes usages.IB9 Dans

sancalps de Nikopol et de Vidin, les re'aya devaient payer en plus la taxe gornina190 (ancien impôt datant d'avant les Osmanl�s)191 pour la glandée des

les

sangliers qui rôdaient dans les montagnes. Cette taxe était perçue par le

sancalpbeg. Pourtant, il ne pouvait pas demander de gornina pour les porcs qui, bien que paissant dans la forêt, retournaient au village. Les impôts sur les pâturages d'été et d'hiver étaient imposés, entre autre, par le souci du gouvernement central de ne pas léser les possesseurs fonciers, car ces pâturages étaient utilisés principalement par des paysans nouveaux venus (des

yürüks avec leurs troupeaux) qui ne se trouvaient pas sous leur dépendance. Toujours pour ces mêmes raisons, les lois prévoyaient des impôts des re'aya pour les personnes qui , sans domicile fixe, travaillaient des terres appartenant à un

sipahilik ou à n'importe quel genre de domaine. Même lorsqu'ils ne travaillaient pas de terres, ils étaient tenus d'acquitter l'impôt dulJiin (tütün), ressemblant au "anvL,,6v (dimnina) des Balkans du Moyen âge 12 alpçes d'après la plus ancienne loi pour la ville de Skopje, et 6 alpçes au XVIe s. pour chaque paysan marié192• C'est l'impôt par lequel les re'aya «(enregistrés) (defterlü) différaient des (mon enregistrés) (lJiiric ez defter). -

Toutes ces charges n'étaient pas les seules à être payées aux possesseurs et détenteurs fonciers. Les

re'aya payaient aussi un impôt sur les moulins et les

moulins à foulon selon l'espèce du moulin et la durée du service rendu. Du même genre sont également les charges à payer sur les laiteries, les ateliers de

boza

(boisson à base de millet) etc,193 A des occasions déterminées, on percevait à la

fois toute une série de taxes et d'amendes, qui avaient formé peu à peu un groupe à part :

bad4 hava. Ce sont les taxes resm-i 'a1'Ü8, resm-i tapu, les amendes cürm-ü cinayet, ainsi que certaines taxes supplé-

pour différentes infractions

-

106r. Cf. aussi les règlements des lciinünB concernant la Hongrie chez BARKAN 1943 : 301, 316. Dans les règlements concernant le viliiyet-i Uyvar la taxe resm-i oaa(c perçue avec la taxe del}tbiini est remplacée par 1 pinte (c'est-à-dire 1,5 olclca d'après le fciinünniime) de beurre, BARKAN 1943 : 313. Cf . KABRDA 1964. En général sur la domination turque en Slovaquie v. RYPKA 1927, BLAsKoVlo 1949, 1960, TEJNIL 1958/59. 189 BARKAN 1943 : 301, 316 etc. En général sur ces taxes du pâturage v. encore KABRDA 1963/66 II : 107-109. 190 BNS : OAK 217/8, fO 33v, Daterr. Nat.-Bibl. : AF 77, fO 201r. 191 CVETKOVA 1962b : 248. 192 'ÀR:iF 1912/13 c. 1 7 : 43, ÎNALOIK 1959 : 593-594, BARKAN 1943 : 232, KABRDA 1961 : 183, CVETKOVA 19Mb : 253, 1965b : 54 etc. 193 KRAELITZ-GREIFENHORST 1921/22 : 25 Cf. les mufaIJlJal defterleri, publiés jus­ qu'a présent, aussi BARKAN 1943 : 269, 302, 314, 317, 321, 329, KABRDA 1961 : 183, 189, CVETKOVA 1965b : 49, 52, Kanuni DJURDJEV 1957 : 1 17, 181, BOJANIé 1959 : 286, tNALOIK 1954a : 124, KABRDA 1963/66 II : 1 12-1 14. -

Les institutions ottomanes en Europe mentaires,

55

yava ve !paç!pun, !pul ve cariye müjdegtinesi, imposées lors de la vente

du bétail sans propriétaire, d'un esclave en fuite ou lorsqu'une personne qui a perdu du bétail ou un esclave paye pour les récupérer. Certaines dispositions légales rattachent aussi au btid-�

hava l'amende imposée aux propriétaires dont (de:;tbtine ou resm-i polaçma)l94. Du même genre sont les beyt-ül-mtil ('timme ve ��a) et mtil-i (jayb et rntil-i met !poo. Ils concernent les héritages des personnes absentes. Les mtil-i (jayb et mtil-i met !poo représentent les sommes reçues de la liquidation des patrimoines

le bétail est entré dans les champs d'autrui

des défunts, dont les héritiers sont absents et dont la résidence est connue ou pas196•

•

beyt-ül-mtil-i 'timme ve lJiitJ�a sont des taxes perçues sur des héritages : dans le premier cas lorsque leur valeur est au-dessous de 9.999 a!pçes et, dans le second , au-dessous de 10.000196• Toutes ces taxes revenaient au fisc, sauf dans les domaines féodaux <Œerbest» où elles étaient cédées aux maîtres de ces derniers. De même les re'tiyti acquittaient la taxe monopoliyeI97. Tout féodal avait le droit Les

de vendre, durant deux mois ou deux mois et dix jours, son propre vin provenant de la perception de la dîme sur le moût mais uniquement sur les marchés de son domaine. Pendant ce temps les tonneaux de tous les

re'ayti

étaient mis sous scellés. Pour obtenir ce droit, ils devaient payer à leur féodal la taxe

monopoliye. Pendant la période du monopole, les féodaux étaient libres de

vendre leur vin à des prix plus élevés que ceux du marché, mais n'avaient pas . droit de forcer les re'aya à en acheter. Lorsque les paysans apportaient les excédents de leurs récoltes sur les marchés voisins, le plus souvent dans les villes, les féodaux ou les organes du pouvoir suprême percevaient certains droits et taxes de marché, dont on parlera plus loin. Les anciennes corvées

(an{jarya) datant du temps avant la venue des Otto­

mans n'étaient pas abolies non plus. La première loi pour l'île de Chypre, de

1 572, reflète très nettement la continuité des anciennes obligations féodales des re'tiyti. Elle fait ressortir qu'avant la venue des Ottomans, les paroïxoï locaux avaient l'obligation de travailler gratuitement pour leurs maîtres deux j ours par semaine. Le pouvoir ottoman conserva cet an{jarya en le limitant à un jour au profit de l'État198 • Lorsque sous la surveillanée du féodal ou de ses fonctionnai­ res on mettait à part la dîme, les paysans étaient obligés de la transporter

194 Cf. par ex. '.Aru:F 1912/13 c. 1 6 : 19-20, c. 17 : 38, 39, BARKAN 1943 : 271, 290, 3 14, 331-332, 233, 317, 321, 322, KRAELlTZ-GREIFENHORST 1921/22 : 22-- 2 3, 25, 29, KOPRÜLÜ 1915 1, 1 : I l l, BNS : Or/1332, fO 69r, 77v, Kanuni - DJURDJEV 1957 : 31, 43, 44, 46, 55, 88, 1 68, KABRDA 196 1 : 183. Cf. aussi note 27. 195 '.Aru:F 1912/13 c. 16 : 19, 21, 70-7 1, BNS : Or/1332, fO 57r. 196 BARKAN 1943 : 336. 197 KRAELITZ-GREIFENHORST 1921/22 : 28-29, 'ARiF 19 12/13 c. 1 7 : 35, BARKAN 1943 : 236, 270, 283, 290, 291 , 302, 305, 307, 321, HAMMER 1815 1 : 302, 312, 393 : BOJANI6 1959 : 286, 288, Kanuni - DJURDJEV 1957 : 1 62, 182, 186, KABRDA 1961, 181, 08terr. Nat. -Bibl. : Tur. AF 77, fO 200r etc. 198 BARKAN 1943 : 348.

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Les institutions ottomanes en Europe

jusqu'à la grange du maître. Si le féodal habitait la ville, cette charge devenait encore plus fatiguante199• Il paraît que pendant un certain temps, les re'aya furent forcés de transporter la dîme, due aux chefs de la garnison locale, jusqu'à la forteresse. Par la suite, cette (bid'at) fut abolie20o• De plus, les re'aya étaient obligés de construire des granges pour leurs maîtres et d'en assurer l'entretien. Seuls les yürüks, n'ayant pas leur domicile dans les villages, étaient exonérés de cette obligation, sauf ceux d'entre eux qui s'y étaient établis à demeure depuis trois ans201• Les paysans étaient tenus de travailler gratuitement lors de la construction de la demeure du féodal. Certains jours de l'année, ils étaient obligés d'envoyer leurs femmes pour servir dans la maison du sipahi, filer202 et subir humblement les caprices et les insultes des maîtres. Selon certaines dispositions légales du temps de Süleyman 1er, les re'aya devaient battre sur l'aire les céréales constituant la dîme des sipahis203 • Si l'on en juge d'après les mufa§�al defterleri du XVe et du XVIe siècle, la corvée dans les !J,il{;�as du sipahi fut de plus en plus souvent remplacée par sa contrevaleur en argent. Les agglomérations de l'Europe ottomane étaient parcourues non seulement par les collecteurs des impôts dus aux sipahis, aux maîtres de mülks et aux administrateurs de vakzjs, mais aussi par les agents fiscaux de l'État. Il faut mentionner d'abord les cizyediirs qui percevaient des sujets mâles non-musul­ mans de 15 à 75 ans l'impôt cizye. Celui-ci, bien que perçu par le fisc dans les grands domaines mülks ou va lpzfs , revenait le plus souvent aux maîtres fon­ ciers204• Pour le cizye en Hongrie les Ottomans ont adopté un terme fiscal local - resm-i filori en adoptant en même temps les méthodes de perception de l'impôt dica, imposé à l'époque pré-ottomane en raison de 1 forint par foyer (porta) . Selon les lpiinüns ottomans de l'époque de Süleyman cet impôt était perçu en raison de 50 alpçes par chaque personne dont le revenu annuel remontait à 300 alpçes. Le montant de son cizye était fixé selon la tradition hongroise concernant l'impôt dica sur la base de 1 forint par année, c'est-à-dire 50 alpçes devenus 60 à l'époque de Selim II sous la denomination de resm-i filori204a• 199 KRAELITz-GREIFENHORST 1 921/22 : 25, KOPRÜLÜ 1915 l, 1 : 1 04, BARKAN 1 943 : 275. Certains (ciinünniimes prescrivent que la dîme doit être transportée par les re'iiyii jusqu'au marché le plus proche où des produits agricoles sont emmagasinés et vendus, BARRAN 1 943 : 287, Kanuni DJURDJEV 1 957 : 90, 1 50, KOPRÜLÜ 1915 1, 1 : 1 04, BNS : Or/1 332, fO 67v etc. 200 '.ARiF 1912/13 c. 1 8 : 54. 201
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Les institutions ottomanes en Europe

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Selon les anciens jurisconsultes ottomans, le cizye aussi bien que la dîme et l'impôt foncier appartenaient aux (dmpôts de �eri'at,) à la différence des impôts qui étaient établis non pas d'après les prescriptions du �eri'at, mais d'après les seuls besoins de l'État ottoman. La plupart de ces nouveaux impôts étaient dits «extraordinaires,) ('avanz-i divaniyye ve tekiïlif-i 'orfiyye) 206. Imposés initialement à des intervalles de plusieurs années, ces «impôts extraor­ dinaires,) du point de vue du �eri'at devinrent réguliers et, de ce fait, constituè­ rent un lourd fardeau pour les contribuables. Les registres fiscaux du gouverne­ ment suprême tenaient un compte précis du nombre d'unités imposables, les lJiines (chaque lJiine englobait de 3 à 15 familles) sur lesquelles on devait percevoir dans chaque localité cette espèce d'impôts. Munis des copies de ces documents, les agents fiscaux (emins et milb�irs) se rendaient dans les localités des provinces européennes. Seule la population d'une partie des mülks et des valp�fs, ainsi que quelques catégories spéciales étaient exonérés du paiement de ces impôts. Parmi ces derniers figurent les impôts 'avanz et nilzul alpçesi perçus au début en produits et vivres pour l'armée ; par la suite leur perception se faisait en argent ; le premier 30 alpçes par lJiine et le deuxième 20 alpçes au début. Pour les besoins de l'armée, on procédait périodiquement à la requisition de grandes quantités de céréales, fourrage, bois, moutons, etc. sous la forme de silrsat za!Jiresi, perçu aussi parfois en argent (bedel-i silrsat). Chaque année et souvent même plusieurs fois par an, lors de la perception de l'impôt sürsat za!Jiresi, on achetait de force aux re'aya des céréales, farine, gruau, viimde, graisse, fourrage, animaux domestiques, volailles, fer, salpêtre, matériaux de construction, charbon de bois, résine, peaux, laine, produits artisanaux surtout des sacs, sacoches, ustensiIs métalliques : le tout pour des fins militaires ou des besoins publics, en premier lieu pour l'approvisionnement de la popula­ tion non productive dans les grandes villes de l'Europe. D'après la loi, les produits réquisitionnés devaient être payés à la population. Mais les prix étaient strictement fixés par l'État à un taux de beaucoup inférieur aux prix du marché. Au cours de campagnes et en cas de grandes constructions publiques, on recrutait dans différentes parties des provinces européennes des centaines d'ouvriers et d'artisans pour l'accomplissement des tâches difficiles. Ils étaient contraints de quitter leurs domiciles, leurs exploitations, leurs métiers pour accompagner et servir l'armée pour construire au réparer des forteresses, des édifices publics, des routes, et des ponts ou bien pour servir dans la navigation en tant que rameurs, timoniers, chargeurs ou haleurs (zemanitsa et prestoïka). Dans certaines régions, toute la population était astreinte à un service de garde. Ainsi par exemple, dans les localités côtières des îles de Rhodes et de Cos, tous les re'aya étaient obligés d'affectuer cette garde par couple durant un jour et une nuit, de servir de vigies et de prévenir les villages et la forteresse lorsque apparaissait à l'horizon un navire suspect. Même les villages 206

Sur cette institution fiscale v. BARKAN 1 945 : 14 sq., VEF� 191 1/12 1 : 69-140,

II : 347-349, CVETKOVA 1 958b.

!/ Les institutions ottomanes en Europe

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plus éloignés de la côte n'étaient pas à l'abri des redevances de l'État, remplaçant le service de la garde. Ils travaillaient durant 12 jours à réparer la forteresse locale

(bedel-i vigile). Pour certaines redevances, l 'État réquisi­ re'iiyii208 • Dans les

tionnait aussi le bétail et les charrettes appartenant aux

régions côtières, l'État organÏBait périodiquement des pêches obligatoires au profit du trésor public. Tous les pêcheurs locaux étaient obligés de fournir jours de travail207 •

4

L'un des principaux buts des féodaux ottomans et de l'État était de s'assurer les revenus des

re'iiyii. A cet effet, les lois édictées par le pouvoir visaient à (bO{Jtina-çiftlik) en tant qu'unité

préserver la propriété foncière des paysans

fondamentale d'imposition fiscale. Tel est, par exemple, le Sens des dispositions concernant les terres albanaises afin d'éviter le morcellement et la perte des

bO{Jtina208• En présence des rapports fonciers établis, les paysans possédaient leurs propres terres avec certaines limitations de caractère plutôt économiques, il est difficile de s'imaginer comment les maîtres fonciers ottomans et, plus spécialement, les sipiihis privés des droits d'immunité, arrivaient à se faire verser les impôts et les redevances qui leur revenaient. En reprenant les terres non cultivées, la demeure et le patrimoine aux paysans, l'État les obligeait à remplir

leurs obligations féodales concernant la terre20 9 • Toujours pour garantir la solvabilité des

re'iiyii dans les différents domaines et sipiihiliks, le pouvoir

doublait la dîme des paysans qui délaissaient volontairement leurs terres et commençaient à travailler des terres appartenant â d'autres domaines. Ils

devaient donner le 'o§ür aussi bien au §iifl,ib-i 'arz où ils travaillaient, qu'au §iifl,ib-i ra'iyyet, à qui ils étaient subordonnés210• La législation de la première période de l'État ottoman, alors que les institutions n'étaient pas encore très fermement établies, admettait la possibili­ té pour le paysan qui commençait un autre métier, de quitter sa terre. Dans des cas pareils, elle prévoyait l'obligation pour le paysan de payer à son féodal une (çift bozan, boz f!,a ���)21l.

indemnité pour sa terre délaissée et son rendement

Cette indemnité était exigée uniquement dans le cas où les

re'iiyii avaient

abandonné leur terre et étaient allés travailler ailleurs depuis plus de dix ans. Si ce n'était pas le cas, le maître pouvait les obliger par le truchement du tribunal du �iiiJ,i à retourner sur leur terre. Le Code de Mel;uned II prévoyait un délai de 15

re'iiyii par les sipiihis, et 20 ans quand ces re'iiyii étaient installés dans une ville. D'après les lois générales, l'imposition du

ans pour le droit de poursuite des

206 BARRAN 1943 : 340. 207 V. par ex. Osterr. Nat. ·Bibl. : 208 Cf. KABRDA 1959 : 62. 20 9

AF 77, fO 206rv.

Voir notes 1 41-143.

210 KOPRÜLÜ

1915 1, 1 : 1 12, J(anttni DJURDJEV 1 957 : 58, 149, KRAELITZ­ GREIFENHORST 1 921/22 : 26, 'ARiF 1 9 1 2/13 c. 17-18 : 34, 50, BARRAN 1943 : 27 1 , 275, 282, 234, TUNÇER 1962 : 376, 393, 467, 430, 124-125, BNS : Or/1332, fO 66v. 211 KRAELITz-GREIFENHORST 1 921/22 : 24, KOPRÜLÜ 1915 l, 1 : 1 1 1-1 12, 'ÂRiF 1912/13 C. 18 : 56, BNS : Or/1322, fO 66v-66r, 79rv, TUNÇER 1962 : 105, 323, 325, 329, 330, 426, KABRDA 1 961 : 1 83, 1 963/66 III : 65. -

Les institutions ottomanes en Europe

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çift bozan était de 72, 75 o.U 87 a�çes par an, dans les terres bulgares, o.n percevait 50 a�çes des musulmans et 62 des no.n-musulmans. Selo.n d'autres so.urces, dans certaines régio.ns, l'impo.sitio.n était fixée sur la base de la situatio.n matérielle des re'aya - 80 o.U 120

a�çes, 75, 150 o.U 300. Pendant le Xye s. - première mo.itié

du XVIe siècle, les migratio.ns des re'aya n'étaient pas généralisées et le po.uvoir

ne reco.urait pas enco.re avec sévérité aux no.rmes du dro.it de servage, tandis que plus tard les départs étaient devenus si fréquents que les mesures restrictives à caractère éco.no.mique n'arrivaient pas à les arrêter. En présence d'un système de fiefs militaires fo.rtement centralisé, les po.ssibilités d'arbitraire des féo.daux et des fo.nctio.nnaires d'État au Xye s. et au début du XVIe étaient relativement restreintes. Le po.uvo.ir suprême exerçait un co.ntrôle sévère sur les

sipahis afin qu'ils ne ruinent pas les re'aya par des charges

démesurées. Dans ce do.maine, il était guidé uniquement par le so.uci de ne pas diminuer le niveau de so.lvabilité de la po.pulatio.n asservie, afin de ne pas faire baisser la rentabilité du

sipahilik, base matérielle de la fo.rce militaire. Po.ur

cette raiso.n, le po.uvo.ir suprême reco.urait à des sanctio.ns sévères : il reprenait les fiefs aux sipahis, lo.rsqu'ils co.ntribuaient par leurs agissements à l'appauvris­ sement des

re'aya212 • A ce sujet il édictait to.ute une série de dispo.sitio.ns légales,

pro.pres à prévenir les abus des féo.daux. Ainsi, si le sipahi chassait le paysan, mû par le désir de s'appro.prier sa maiso.n et ses biens, la lo.i statuait po.ur le paysan le dro.it de co.nserver so.n patrimo.ine 213 • Les tentatives des

sipahis d'exiger de

leurs re'aya une co.rvée exo.rbitante, étaient également pro.hibées par la lo.i. Cette dernière prescrivait expressément que les paysans ne devaient co.nstruire qu'une seule fo.is la maiso.n de leur féo.dal. Dans le cas, o.ù venait un no.uveau

sipahi, il

devait habiter la demeure de so.n prédécesseur sans demander qu'o.n lui en co.n­ struise une no.uvelle214• Les sipahis n'avaient pas le dro.it d'exiger par fo.rce les chevaux et les charrettes des

re'aya po.ur le service du co.urrier, si cette dernière

n'y était pas o.bligée par la lo.i o.U le registre21 6 • Po.ur transpo.rter la dîme du sipahi à la ville, les paysans étaient o.bligés de le faire gratuitement, si le trajet ne de­ mandait pas plus d'une jo.urnée de ro.ute. Po.ur une plus lo.ngue distance, les re'aya avaient dro.it à unerémunératio.n216 • Les abus etlesmalversatio.ns étaient fréquents surto.ut lo.rs de la perceptio.n de la dîme. Les lo.is des Xye et XVIe siècles no.tent que les timario.tes et les fo.nctio.nnaires tardaient à mesurer sur l'aire la réco.lte sur laquelle ils devaient prélever la dîme, afin d'abuser de la situatio.n. La lo.i n'admettait pas des retards de plus d'une semaine po.ur la raiso.n évidente que les céréales ne po.uvaient pas rester lo.ngtemps en plein air et qu'il fallait les pré­ server et éviter des pertes aux paysans. Une fo.is le délai passé, les céréales po.u­ vaient être mesurées en présence de

l'imam et du kedlJudii (représentant du

po.uvo.ir) et transpo.rtées dans la grange du sipahi. Si, après cela, le timario.te pré­

textait qu'il n'avait pas assisté au mesurage, et to.urmentait les paysans, le tri­ bunal du Jrii4i devait l'en empêcher217 •

212 V. par ex. note 45. 213-214 KRAELITZ-GREIFENHo.RST 1 921/22 : 22, 26, 'ÀRiF 1 912/13 216-216 'ARiF 1 9 1 2/1 3 c . 1 8 : 57-58 , 54.

c.

1 8 : 53.

60

Les institutions ottomanes en Europe

La législation de l'époque de Selim 1er contient des témoignages concernant d'autres excès des sipiihis. Profitant de fait que les orphelins n'étaient pas soumis

çiftliks et les ba§tinas de leurs pères, c.-à-d. qu'ils sipiihis poussés par des aspirations lucratives accordaient les çiftliks ou ba§tinas des orphelins à d'autres paysans pour en percevoir la taxe de tapu2I7a. au régime du tapu pour les

n'étaient pas obligés de payer la taxe de tapu, certains

Malgré tout, au cours de la première période, la situation était encore suppor­ table et les relations avec les re'{iyii pas très compliquées, car les sipiihis tenaient

plus à leur métier militaire qu'à leurs fiefs. C'est plutôt la condition des paysans

non-musulmans qui s'était aggravée. En se conformant aux préceptes de l'islam, les conquérants soumettaient la population non-musulmane à une discrimina­ tion religieuse et nationale. En vertu de ce régime, les obligations fiscales des

re'iiyii non-musulmans étaient plus lourdes. Sous ce rapport il suffit de rappeler qu'à la différence des re'{iyii turcs la population sujette du Sud-Est européen payait le cizye et, à la longue, se vit obligée de donner ses enfants pour les corps des janissaires et d'acquitter à ses maîtres fonciers le droit d'aire ('iidet-i lJarman), l'offrande traditionnelle en poules et en galettes, la dîme sur les vignobles au lieu d'un impôt en argent, l'impôt sur les porcs, l'impôt foncier

(ispence) à un taux plus élevé que celui des musulmans, par endroits çift bozan, etc.Zl8 Ce régime de discrimination avait posé tôt une barrière entre les re'iiyii non­

personnel

un taux plus élevé de l'imposition 'arÜ8,

musulmans et musulmans, et malgré leurs conditions de vie presque semblables sous l'oppression du système d'exploitation établi, ne leur avait pas permis de prendre conscience de l'égalité de leur sort et d'engendrer en eux l'aspiration à une lutte commune contre l'injustice et les difficultés. Dans de telles conditions, il est difficile d'admettre que la population non­ musulmane des Balkans, où le régime ottoman était le plus solidement établi, n'avait pas ressenti le remplacement des anciens féodaux locaux par de nouveaux maîtres, de religion différente, ni l'atmosphère de discrimination religieuse et nationale. Encore plus difficiles se sont avérées les circonstances pour la population dans les régions hongroises occupées par les Ottomans. La double

217
Les institutions ottomanes en Europe

61

imposition de cette population d'un côté par les Ottomans et de l'autre - par les

organes fiscaux des Habsbourg causait la ruine des

re'aya

en Hongrie.

Les villages ne sont pas isolés au point de vue économique, ils ne sont pas

détachés du marché. Les paysans visitaient régulièrement les marchés urbains

où ils vendaient leurs modestes excédents afin de pouvoir payer en argent leurs

impôts et taxes. Mais même ici ils étaient contrecarrés par les différents monopoles du pouvoir. Ainsi, ils étaient obligés de vendre en premier lieu à

l'État certaines matières premières dont celui-ci avait besoin, telles la cire, le sel gemme, etc .219

Au village existait aussi une certaine division du travail. Les anciens registres

de recensement contiennent des mentions sur des artisans villageois : tailleurs,

ferronniers, cordonniers, selliers, tisserands 220, etc. , qui ne devaient pas former une couche insignifiante car le Code de Mel;tmed II leur consacre des dispo­

sitions réglant leur statut. Ils ne devaient accomplir que trois j ours de travail obligatoire et étaient soumis à

métier221 •

l'ispence,

sans payer un impôt spécial pour leur

Mus par des considérations d'État e t contraints à cela par les conditions

trouvées dans le Sud-Est européen, les gouvernants ottomans ne réduisirent pas toute la population sujette à l'état de

re'aya,

bien que dans le statut de cette

dernière, on observe, comme nous l'avons déjà vu, des différences. Les Otto­

mans se virent obligés d'accepter, de légaliser et de mettre au service de leur pouvoir et de leurs intérêts certains groupes de population, qui tenaient une

place Spéciale et j ouaient un rôle dans la société médiévale balkanique, comme

c 'est le cas, par exemple, des Valaques . Ils avaient adopté, modifié et développé

d'autres catégories, telles que des

voynulps, derbendcis, do(janc�s

et

martoloz,

introduit, selon les besoins du moment, toute une série de nouvelles catégories .

Cette diversité du régime de la population asservie avait son sens et son but

déterminés. Les nouveaux maîtres cherchaient ainsi à diviser les sujets en les

soumettant à différentes conditions d'existence et en adoptant une attitude

différente pour chaque catégorie. D'un autre côté, les conquérants conservaient

ainsi d'anciennes institutions, affermies par les siècles, qu'ils cherchaient à

mettre à leur service. En outre, en assurant à ces catégories de population certains allégements fiscaux et en les soustrayant à la subordination directe des féodaux locaux, ils espéraient les attirer à eux plus que les autres

re'aya comme

so�tien du pouvoir, ou bien pour émousser leur volonté de résistance. Au cours du

xve siècle, différentes communautés valaques furent englobées

dans le cadre du régime ottoman, surtout dans la région de Vidin et plusieurs

219 V. par ex. Bibl. Nat. Paris : Fonds turc 35, fO 152 bis r - 1 55r (règlement concernant Skopje et son édition bulgare - CVETKOVA 1 964b : 250-251, les règle­ ments concernant le sel chez GÜÇER 1962/63, et dans le manuscrit de la Bibl. Nat. Paris : Fonds turc 85 (les règlements concernant les échelles danubiennes etc.) . 220 Dans les mufal!l!al defterleri et les autres, publiés jusqu'à présent, v . surtout Turski izvori I-II 1 964-66. 221 KRAELITz-GREIFENHORST 1 921/22 : 24, 26, 29-30. 6

Il

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Les institutions ottomanes en Europe

régions de la Serbie, le long des rivières Timok et Morava, en Eosnie-Herzégovi­ ne etc.222 Ces habitants pour la plupart des éleveurs de bétail et qui, organisés en communautés, avaient participé à la défense armée des états balkaniques médiévaux, assumèrent les mêmes obligations à l'égard des nouveaux maîtres en échange de certaines faveurs. Le système administratif ottoman les avait absorbé sans porter atteinte à leur organisation intérieure traditionnelle. Les communautés valaques (des régions entières, des groupes et des commu­ nes) étaient dirigées par un knez, qui devint sous le régime ottoman le représen­ tant des Valaques auprès des organes du nouveau pouvoir, avant tout auprès du sanca�beg et le �arJï. Il possédait des terres héréditaires exonérées d'impôts, qui bien que portant le nom de bu§tina étaient différentes, par leur statut, des bu§tinas des re'aya. Ce bal}tina était une unité foncière jouissant d'allégements fiscaux, qui était concédée à des groupes déterminés de la population balkani­ que, auxquels les Ottomans assignaient des tâches importantes au service du pouvoir et de l'armée. Peu à peu les gouvernants avaient pris l'habitude de concéder aux knez des timars à revenu réduit, afin de les rattacher plus solidement à leur régime. Ils les autorisaient même d'avoir des ouvriers agrico­ les, des ratay (pas plus de dix). Héritées du passé pré-ottoman étaient aussi d'autres charges de la hiérarchie valaque : les primikurs et les legators. Eux aussi, contre des privilèges analogues, étaient tenus de contrôler les Valaques et l'éxécution de leurs obligations administratives. Les knez avaient pour aide aussi les teklices (en serbe : courrier, messager). Les Valaques ordinaires avaient à remplir des obligations militaires. Dans la région de Timok, Vidin, Morava, une maison sur cinq était tenue de fournir un cavalier pour la défense locale. En temps de guerre, chaque famille devait fournir un cavalier pour les corps auxiliaires de l'armée. Contre ces obligations les Valaques bénéficiaient de toute une série de faveurs. Chacun d'eux avait le droit de travailler et d'exploiter un bal}tina exempt de charges fiscales ; il était exonéré des impôts suivants : cizye, dîme, ispence, resm-i agnam, resm-i 'aM, 'avanz-i divaniyye ve tekiilit-i 'jjrfiyye. Selon les plus anciennes lois ottomanes, au lieu du cizye les Valaques étaient tenus de payer 1 florin (filori) par maison ; 20 maisons formaient un katuna valaque. Ils ajoutaient à cela aussi certaines redevances en nature (une brebis avec un agneau, un bouc ou leur équivalent en argent) . C'était l'impôt fonda­ mental de la population valaque 'iidet-i etl{j�iyye ou rüsüm-i etl{j�iyye, qui, acquitté plus tard en argent, variait de 78 à 83 a�çes perçus au profit du trésor public (plus 1 a�çe pour l'emin et un autre pour le katib, tous deux percepteurs d'impôts). Les amendes cürm-i ciniiyet étaient acquittées au profit du sanca�beg, mais le knez en retenait 1 /10 ' -

222 Sur les Valaques dans le sud-est européen v.
ri '1

Les institutions ottomanes en Europe

63

Chaque lot de 50 maisons fournissait au sancalpbeg un homme pour un angarya de six mois. Si la terre arable appartenit à un fief quelconque, le sipahi percevait la moitié du revenu. Si l'on vendait du vin provenant des vignes faisant partie d'un timar, le timariote recevait 4 alpçes par fût. En cas d'achat et de revente du vin, son droit était de 15 alpçes par tonneau. Les Valaques ordinaires devaient, en outre, aux knez leurs redevances traditionnelles : un kilinder de moût par tonneau ou charge apporté au marché, et les langues des boeufs abattus par les bouchers. A Noël chaque maison était tenue de fournir au knez une poule, des grains, un pain ; à Pâques chaque village devait lui apporter un agneau. Dans les endroits où il n'y avait pas de mulJ,tesib, c'était le knez qui fixait les prix de vente. Au fur et à mesure de son établissement, le pouvoir ottoman cherchait de plus en plus à limiter les privilèges accordés à la population valaque. Dans le sanca lp de Smederevo ce processus se developpa progressivement en transformant les éleveurs valaques, peuple nomade, en population agricole. Ainsi, il était facile de les mettre sur le même pied que les re'aya ordinaires. Une ordonnance de 1536 abolit le statut spécial des Valaques du sancalp de Smederevo. Selon certaines informations, l'abolition pendant les années 30-40 du XVIe s. de l'ancien statut fiscal du sancalp de Vidin avait contribué à la dispersion de la communauté valaque qui, malgré tOllt, continuait à être utile au pouvoir par son service spécial de garde. Evidemment, c'est surtout pour cette dernière raison que l'ancien statut fut rétabli. Il est difficile à dire jusqu'à quand a duré cette situation. Dans une loi pour le sancalp de Vidin , datant de la deuxième moitié du XVIe s . , on lit, que la catégorie filorici, probablement des Valaques, avait adressé au pouvoir suprême, à l'occasion de l'abolition de leur ancien statut fiscal d'après le système filori, une pétition par laquelle elle demandait que les dîmes et les impôts frappant leurs champs et leurs vignes soient rattachés non pas aux revenus sipahis mais aux revenus des �$ du sultan. C'étaient peut-être là des efforts visant à se soustraire à la dépendance directe des féodaux locaux, dont le contrôle et la pression étaient probablement plus pénibles pour la population que le contrôle des fonctionnaires des �$ du sultan. Semblables étaient aussi les obligations et la condition des voynulps, dont le nom fait penser à l'origine préottomane de l'institution. Une partie des voynulps tiraient leur origine de l'ancienne aristocratie féodale balkanique223• Ils ser­ vaient dans les écuries du sultan, ils prenaient soins de ses chevaux, fauchaient les prés du palais et, en temps de guerre, servaient dans les détachements des troupes auxiliaires224• Les voynulps de certaines régions remplissaient aussi des fonctions purement militaires en tant que gardes frontières alpmc�s, etc. et 223 INALOIK 1952/53 : 46. 22<1 Sur l'institution des voynulfs v. surtout MlLETIO 1906, IHOIEV 1906, GALABOV' 1 937/43 l, III, DJURDJEV 1 947. A consulter aussi plusieurs defters des voynulfs du Xye s. au XIXe s. de la Bibl. Nat. Sofia : Nk 1 14/512, 513, 514, Nk 1 14/537, Nk 1 1 /4, Tn 1/17, Nk 1 1 4/636, OAK 206/10 etc. dont la plupart sont publiés dans Tur8ki izvori III 1 972, rédigé par B. CVETKOVA.

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figuraient dans le cadre des armées comme cavaliers. Dans leur grande majorité ils étaient non-musulmans et avaient leurs propres sections et chefs directs : çerib�ts, lagators, primikurs, voynu�begs, beglerbegs des voynu�s qui possèdent des sipahiliks. Les voynu�s étaient obligés de quitter au jour fixe leurs foyers et de se présenter à la cour du sultan ou dans l'armée pour accomplir leur service. A cause de leurs obligations spéciales, les voynu�s possédaient des b�tinas exonérés d'impôts, qui englobaient quelques champs, des aires, des cours etc. Ils ne payaient pas la dîme et les impôts cizye, ispence, resm-i �ovan, resm-i �tnzir, resm-i agnam, s'ils avaient des troupeaux jusqu'à 100 moutons, 'avanz-i di­ vaniyye, etc. Toutefois, les voynu�s n'étaient pas exemptés de certaines impositions fisca­ les. Ils payaient les taxes biid-t hava, resm-i agnam pour des troupeaux de plus de 100 moutons, la taxe frappant les fûts de vin, le resm-i nikiily, (pour les mariages) et tous les impôts dus par les re'iiyii au féodal, s'ils travaillaient des parts de terre d'un sipahilik. Le pouvoir ottoman accordait une grande importance à ces catégories militaires auxiliaires. Il est hors de doute que ses considérations d'ordre stratégique lui dictaient d'imposer le statut des voynu�s dans des localités sises le long de la grande route stratégique Plovdiv - Belgrad, à proximité de la route Salonique - Nich - Belgrad, autour de Vidin - Smedere­ vo - Branitchevo. Aux corps auxiliaires étaient rattachés aussi les fauconniers (dogancts et atmacacts)226. Une partie de ces derniers était chargée de surveiller les nids des faucons sauvages dans des coins isolés de la montagne. Une fois les oiseaux assez grands, ils les dressaient et les remettaient ensuite à la cour du sultan pour la chasse. D'autres dogancts installaient des pièges (gümes) dans les montagnes et capturaient des faucons destinés au palais. Les mêmes charges pesaient aussi sur les atmacams, qui fournissaient des éperviers pour les chasses du sultan. Tous étaient soumis aux dogancts en chef sous la direction suprême du chef de la chasse du sultan (emir-i l}ikiir). Les dogancts et les atmacacts possédaient, eux aussi, des b�tinas exonérés d'impôts. Ils étaient aussi libéré des 'aviinz-i divaniyye. Pourtant, ils payaient certaines impositions et redevances. Pendant les années où ils n'étaient pas à même de fournir, pour une raison ou une autre, des faucons dressés, ils étaient tenus d'aquitter leur contrevaleur mürde bahii. Ils étaient soumis à l'impôt sur les moutons pour des troupeaux au-dessus de 100 têtes, à certains autres impôts et amendes, ainsi qu'aux impôts des re'iiyii s'ils travaillaient des terres faisant partie d'un sipiihilik. Le long des importantes routes stratégiques et voies commerciales, dans les cols et les nids de résistance populaire, le pouvoir assurait la défense en la confiant à des habitants des villages proches, constituant certains d'entre eux une catégorie spéciale : les dervencis ou derbendcis226• Ils étaient obligés, avant tout, de placer des guetteurs aux endroits vulnérables de servir à tour de rôle à 226 V. les de/ters des dogano�s et atmaoaMS BNS : D /649, fO 88, inv. 7 52, SI 7/2, publiés dans Turski iZV01"Ï 1 1 964 ; ELEZOVI6 1923, CVETKOVA 1954/55 II : 162-1 66. 226 CVETKOVA 1 960b, STOJANOVSKI 1 963/65, ORHONLU 1967.

� 1: ;, 1

:1

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ces postes et de battre des tambours en cas d'alerte. Ils avaient, en outre, l'obligation d'entretenir les routes, d'accompagner les voyageurs et les charret­ tes dans les endroits difficilement accessibles, de leur fournir des victuailles et du fourrage. Pour ce service difficile et dangereux ils n'avaient pas droit à des bU1tinas exonérés d'impôts. Ils étaient uniquement exemptés des
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Les institutions ottomanes en Europe

ceux de l' État. Les çeltükçis, habitant le plus souvent dans les !p'L{J{J du sultan, assumaient l'obligation de cultiver une certaine quantité de riz et de fournir au moins 2/ de la récolte à l' État. Cette fourniture les faisait bénéficier d'une 3 réduction de l'angarya, trois jours au lieu de sept, et l'exonération des 'avanz-i divaniyye229• Les tuZCtS étaient les fournisseurs de sel, sel gemme ou sel marin, et ne payaient pas les 'avanz-i divaniyye. Les yagCtS fournissaient du beurre, le plus souvent pour les besoins des valptfs, et ne payaient pas les mêmes impôts230• Les bohémiens constituaient une catégorie à part. Ds étaient groupés dans des unités, (cema'at) qui menaient une vie plutôt nomade. Ceux qui s'installaient çà et là étaient tenus de verser aux sipahis respectifs tous les impôts dus par les re'iiyii ordinaires. Ds n'étaient pas exempts des principales charges fiscales (par ex. cizye, 'aviinz-i divaniyye ve tekiilif-i 'orfiyye). Les bohémiens musulmans versaient même bien souvent le cizye. Ils n'étaient exempts des 'aviinz-i diviiniyye etc. , sauf dans les cas où ils possédaient des documents spéciaux, témoignant que le pouvoir suprême leur accordait ces allégements fiscaux23oa.. Une catégorie considérable de la population sujette dans le Sud-Est européen était chargée par le pouvoir ottoman d'approvisionner en bétail (le plus souvent des moutons et des chèvres) les grandes villes de l'Empire et l'armée. C'était des gens aisés, de gros éleveurs, le plus souvent des non-musulmans des villes et des villages - les celebk�iins. Exonérés des 'aviinz-i diviiniyye, les celebkeljans réussissaient à contourner les restrictions et les prohibitions de l'État et faisaient librement le commerce du petit bétail. De cette façon ils parvinrent à s'enrichir et à former progressivement une classe aisée, influente et imbue d'elle­ même231• L'exploitation minière dans les Balkans, à laquelle les Ottomans accordaient une grande importance, était confiée à une catégorie particulière de la popula­ tion, les kürecis, les ma'dencis. Ds ne payaient pas non plus les 'aviinz-i diviiniyye232 • Le pouvoir séparait des re'iiyii toutes ces catégories nouvellement apparues ou adoptées des états du Sud-Est européen avant la conquête ottomane pour utiliser leurs importants services contre les quelques allégements qu'il leur accordait. Les obligations de ces catégories étaient souvent plus lourdes et chargées de plus responsabilité que celles des re'iiyii ordinaires. Les longues absences des voynulps et des Valaques de leur foyer, la vie périlleuse des gardiens des cols, les derbendcis, les pénibles veillées des dogancts chargés de la capture et du dressage des faucons, le travail souterrain des mineurs, les dures obligations 22 9 KRAELITz-GREIFENHORST

OAK 265/68.

1 921/22 : 24, BARKAN 1943 : 275, 277, 205, 283, BNS :

Z30 BARKAN 1 943 : 245-246, 275, 277, 283, GÜÇER 1962/63 : 1 01-108, CVETKOVA 1 967a : 159 sq., BNS : OAK 265/68, fO Iv sq. , !NALOlK 1954a (règlement concernant ViDre), HAMMER 1 8 1 5 1 : 325 (règlement concernant Delvinë), CVETKOVA 1 963a : 336 sq. 280 .. BARKAN 1 943 : 249-250, MUJl6 1 952/53. 2il1 CVETKOVA 1966c. 232 ANHEGGER 1943/45, BELDlOEANU 1 960/64 II et la littérature citée.

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des çeltükçis dans les rizières inondées d'eau étaient difficilement compensables par quelques allégements fiscaux ou l'octroi d'un ba{Jtina exempt d'impôts qui n'arrivait pas toujours à satisfaire leurs besoins - ce qui les obligeait de travailler des terres sipiihiyyes chargées de différentes impositions fiscales. Pourtant, leur régime plus indépendant que celui des féodaux locaux, leur participation à la défense du pouvoir ottoman dans les corps militaires auxiliai­ res, ainsi que leur conscience de l'importance que représentaient leurs services dans le système féodal ottoman nourissaient en eux un esprit plus libre et plus insoumis envers les institutions féodales. li ne faut pas oublier que parmi les voynulps il y eût des gens qui provenaient de l'ancienne aristocratie féodale balkanique, au sein de laquelle les aspirations libératrices n'avaient pas com­ plètement disparu. Le fait que le service des voynulps se transmettait du père au fils, a contribué à les faire se constituer au fil des siècles en une couche à part au sein de la population des Balkans, ayant leurs propres traditions, particularités, mentalité et comportement envers les autorités. La même atmosphère d'insoumission et de solidarité dans la résistance contre les excès du régime s'est établie au sein des martoloz qui à partir du XVIIe siècle facilitaient de plus en plus la résistance antiféodale de la population en y participant très souvent. Dans les terres balkaniques conquises, de toutes catégories de population, le Bort le moins enviable était celui des esclaves et des ortalpçts (métayers)233. Le nouveau corps des janissaires, en voie de formation, n'arrivait pas à absorber l'incessant afflux d'esclaves que les armées amenaient de partout. Une partie de cet afflux était écoulée dans les marchés d'esclaves méditerranéens, une autre acquérait progressivement la liberté et s'installait après la conversion à l'islam comme re'iiyii ordinaires dans le cadre des possessions féodales ottomanes. L'utilisation du travail des esclaves était limitée. L'esclave dépourvu de tous les droits ne constituait pas un moyen de revenus comme l'était le serf. Pour cette raison, les esclaves étaient utilisés pour des travaux dans les maisons des gouvernants ottomans ou de quelques riches juifs, arméniens ou chrétiens. On leur confiait rarement des pénibles travaux dans les constructions de l' État ou des travaux agricoles dans des domaines féodaux234. Au cours de cette première période, les gouvernants ottomans utilisèrent une partie des anciens esclaves avec un statut de demi-esclavage. Ces gens, connus sous le nom d'ortalpçts, étaient installés surtout dans les !Jii,{!� du sultan, les valptfs et, plus rarement, dans les !Jii,{!�as des grands seigneurs, et ils étaient obligés de travailler la terre dans des conditions déterminées. Les ortalpçts recevaient des outils agricoles, des semences et du bétail de trait contre l'obligation de donner la moitié du rendement à leurs maîtres. Parfois les ortalpçts faisaient paître le bétail et les moutons du sultan ou cultivaient les vignobles du palais. Les ortalpçts étaient considérés comme des esclaves de leurs maîtres et ne pouvaient 233 BARKAN 1 939/40, 1956. 234 CVETKOVA 1954.

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se marier qu'avec des personnes issues de leur milieu de gens non affranchis. Les esclaves étaient placés sous la dépendance totale de leurs maîtres. Ils devaient la corvée dans les pâturages du sultan

à des jours déterminés et n'avaient pas le

droit de transmettre par héritage leurs modiques patrimoines. Les fils héritaient du statut des parents. Toujours pour des raisons de tactique et surtout dans les régions où, pour différentes raisons, ils imposaient plus difficilement leur domination, les milieux gouvernants ottomans n'avaient pas détruit complètement l'autonomie com­ munale malgré leur régime de stricte centralisation. Par endroits ils étaient même obligés de la tolérer, en essayant adroitement de gagner la confian­ ce des milieux dirigeants communaux et de mettre en pratique par leur truchement certaines initiatives, surtout en leur confiant la perception des impôts. Pour raison, la législation ottomane prohibait toute atteinte communale, le mer'ii, même lorsque les sipiihis cherchaient loi foncière de

1609

à la terre à s'en emparer. La

souligna expressément l'antique origine de ces usages,

vestiges <<des temps jadis) , que <
à tous les habitants du village) 236. Les

communes rurales des Balkans formaient une très ancienne organisation popu­ laire, dont les gouvernants ottomans devaient tenir compte. L'esprit d'organisa­ tion communale des re'iiyii apparaît aussi dans l'usage de la responsabilité solidaire des villages lors de l'acquittement des impôts ou qui concernaient directement l'ordre féodal ottoman286 .

à d'autres occasions,

Les régions montagneuses difficilement accessibles d'Albanie conservèrent assez longtemps leur autonomie. Le besoin d'une défense commune prolongée contre les invasions ottomanes avait obligé la population montagnarde

à s'unir

dans les lis (clans) pour utiliser la terre en commun. Les doyens de toutes les familles formaient le conseil du clan :

kuvend.

Organisés et entretenant une force

permanente, les clans avaient repoussé très longtemps les tentatives du pouvoir ottoman pour les soumettre définitivement. Ainsi, · même après la création au

XVIIe s. du système des bayraJt,s (unités territoriales englobant chacune plu­ sieurs lis) ayant

à leur tête des bayra lpdars, représentants du pouvoir turc,

l'autonomie des montagnards continua d'exister237. La même autonomie s'affermit aussi au Montenégro. Au début du XVIe s., au moment où le pouvoir ottoman confia l'administration du pays au seigneur local, converti à l'islam, du clan des Crnojevié - Skanderbeg, la population reçut le statut de liloris, détenteurs de b�tinaa, soustraits payant le resm-i lilori directement

à l'autorité des sipiihis et à Skanderbeg. La population montagnarde

conserva son organisation tribale, et j ouit d'une autonomie encore plus grande. 236

BNS : Or/1332, fD 77rv. V. par ex. GlLABOV - DUDA 1960 : Nr. 2 1 1 , 380, Bibl. Nat. Sofia : Sicills de Vidin 38, fD 44v, dao. l, fO 61r, dao. l, 1 61a, fD 69r, dao. l ; MATKOVSKl 1961 l : no 60, 65, 66, 67, 80 eto. 237 ARS SENKEVIO - SMIRNOVA 1 965 : 36-40, GlBB - BOWEN 1950/57 l, 2 : 1651 66. 2 38

-

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Ici , le pouvoir ottoman n'eut aucune influence. Après Skanderbeg c'est l'Église qui vit son importance s'accroître tous les j ours. Vers la :fin du XVIe s . , elle devint la principale force unificatrice des différents tribus et juridictions des

knez dans le pays238.

La reconnaissance juridique du Patriarcat grec, en tant que facteur dirigeant

dans la vie de la population orthodoxe balkanique, est aussi un des procédés diplomatiques souples du pouvoir ottoman, qui garantit une certaine autonomie de la population asservie au moyen de l'indépendance de son église. Le Patriarcat de Constantinople et l'archevêché d'Ohrid, bien qu'au point de vue nationale étrangers à la grande partie de leurs ouailles dans les Balkans, apparaissaient aux XVI-XVIIe s. comme le seul facteur président à l'union de la population orthodoxe des Balkans ainsi que comme porteurs d'une idéologie foncièrement contraire à l'islamisme - l'idéologie des conquérants et par consé­ quent, unissant leurs sujets orthodoxes dans la lutte pour la défense de leurs traditions nationales et spirituelles. Sur cette base l'Eglise grecque avait acquis une grande importance dans le Sud-Est européen et joua un rôle actif dans la vie non seulement de la population grecque mais aussi des autres nationalités orthodoxes. L'activité du clergé grec orthodoxe en Grèce et aussi dans les Balkans où les institutions religieuses indépendantes locales des différents peuples balkaniques furent abolies après la conquête ottomane, déborda le cadre de la religion - elle s'engagea dans la vie publique de la population. Dans ce sens et dans des pays tels que la Bulgarie, par exemple, elle j oua le rôle d'organe d'une certaine autonomie. Pour éviter le tribunal du

�i, très souvent

la population sujette recourait pour des litiges de caractère civil aux tribunaux ecclésiastiques. Leurs jugements étaient respectés par le pouvoir ottoman. Les métropolites grecs avec le concours des conseils mixtes accomplissaient des fonctions du notaire : ils visaient des testaments, des contrats d'emprunt, d'achat-ventes, des associations d'affaire etc.239 Mais le rôle si important de l'Église grecque dans la vie de la population asservie non grecque à la sauvegarde de certains droits d'autonomie, avait aussi son côté défavorable. Il a facilité le processus d'hellénisation d'une partie de cette population, conséquence assez avantageuse pour les autorités ottomanes, car l'hellénisation entravait le développement indépendant et normal des populations asservies non grecques, minait leur unité, ce qui facilitait les tâches principales des dirigeants ottomans. Les juifs dans le Sud-Est européen j ouissaient d'une certaine autonomie dans le cadre de leurs communautés installées surtout dans les plus importantes villes, centres d'une vive activité commerciale et artisanale. Toutes les questions concernant la vie économique et sociale et leurs relations civiles étaient résolues 238 DJURDJEV 1 953, Istoriia Jugoslav. 2 39 GELZER 1 903 : 84, 85, 87, 93-95, 75,

1 953/60 II : 152-163. 96 etc., HADROVIOS 1947, SNEGAROV 1 932 :

. 3D, 4 1 8-42 1 . Sur les éléments d'une certaine autonomie des différents peuples balkaniques v. aussi BAKALOPOULOS 1961/68 II : 280-304 ; PAPADOPOULOS 1 924, ANnREEV - ANGELOV 1 968 : 295 sq.

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au sein de la commune juive par le tribunal rabbinique selon les normes de l'ancien droit hébraïque24o• Un grand nombre de localités en Hongrie à l'époque ottomane jouissait d'une importante autonomie, tolérée par les autorités turques. Les différents organes de l'autogestion de la population chrétienne procédaient tous les ans aux éléctions pour désigner les dirigeants de leurs localités. Ces dirigeants avaient à leur tête le juge et son conseil de jurés (12 à 24 personnes) qui s'occupaient des problèmes économiques des localités et de la perception des impôts tout en représentant la commune respective devant les autorités ottomanes ainsi que devant les organes et les féodaux magyars. Dans le domaine des problèmes judiciaires, ces institutions plus ou moins autonomes agissaient en même temps que les tribunaux des friirJ,ïs. Fidèle à la traditionnelle souplesse de sa politique, le pouvoir ottoman conserva aussi dans ses grandes lignes le statut des monastè­ res en Europe du Sud-Est, qui devinrent le soutien et les foyers de la vie culturelle et des traditions de la population non-musulmane. Les biens des grands monastères furent conservés dans le cadre de l'institution des va�tfs : leurs terres étaient traitées non pas comme des mïriyye, mais comme des mülks, frappés de la dîme ou d'une somme globale - rnalptü'. Les moines furent exonérés (différemment pour chaque monastère) des impôts les plus lourds et des 'aviinz-i diviiniyye ve tekiilïf-i 'orfiyye241 • Les populations de plusieurs régions de la Grèce continentale et des îles avaient obtenu une assez grande autonomie communale. Des sources insuffisam­ ment étudiées et des légendes orales signalent par endroits la présence de conseils municipaux, dirigés par les milieux les plus aisés et les plus éveillés de la population, qui servaient d'intermédiaires entre cette dernière et le pouvoir ottoman242• En s'installant dans le Sud-Est européen, les Ottomans avaient trouvé sur place d'anciennes traditions dans la vie urbaine. De nombreuses localités avaient continué à se développer et même à atteindre un épanouissement enviable après les pénibles années de la conquête243• Il est vrai, pourtant, que 240 Evrejski izvori HANANEL 1958, 1960, FRANCO 1897, EMMANUEL 1936 l , GALANTE 1942 . 241 V . par ex. IHomv 1910, BASDRABÉLLÉ 1952/55 III, LE MERLE - WITTEK 1948, INALCIK 1969 : [16-17], ZACHARIADOU 1971. 242 BAKALOPOULOS 1961/68 II : 280-304. 243 Sur les villes et la vie citadine dans les pays balkaniques il y a une riche bibliographie dont nous ne citerons qu'une partie - celle qui contient les SOU1'ces et les ouvrages les plus importants : BARKAN 1955, MANTRAN 1962, BJORKMAN 1920, GOKBiLGiN 1956, TODOROV 1962, GIBB - BOWEN 1950/57 l , 1 : 276 sq., BOJANIo 1952/ 53 : 607-609, CVETKOVA 1955a, 1966b, 1964c, SOKOLOSKI 1966 : 181 sq. ; plusieU1's passages concernant les villes des différents pays de la Yougoslavie actuelle dans Istoriia Jugoslav. 1953/60 II etc. ; v. aussi les registres détaillés de certaines villes dans BNS : OAK 3/36, fonds 1 22, inv. 261, OAK 4/57, Sn 1 6/35. Cf. SABANOVIO 1964b, DUDA 1949 : 14--6 3, FEKETE 1944, 1955 I : 20 sq. (concernant Szegedin) ; CVETKOVA 1970a, TODOROV 1972, CVETKOVA 1972c, BELDICEANU 1973, GANDEV 1972, Ville balkanique 1970; SOKOLOSKI 1970, KALDY-NAGY 1974c : 24--64, 1974a, HEGYI 1974. -

•

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dans ces centres on ressentit avec plus d'acuité le changement du pouvoir et l'établissement de la domination étrangère. La plupart des villes surtout celles qui avaient résisté opiniâtrement au temps de la conquête, était dévastée et une partie de leur population massacrée ou dispersée. Une autre partie comprenant le plus souvent les milieux dirigeants, fût déportée par force afin d'établir à leurs places des colons turcs. Dans un nombre de localités et surtout dans les plus importantes on observe un processus d'établissement spontané de nouvelles populations dont une partie regagnait leurs anciens foyers après la conquête, ou d'établissement par force des chrétiens anciens déportés, surtout des artisans et des commerçants en vue d'animer l'activité économique des localités dévas­ tées. Tel était par ex. le cas de Constantinople après sa conquête. Ici le déclin économique de la cité à la suite de sa dévastation et son développement était tellement sérieux que Mel;lmed II le Conquérant s'est vu dans l'obligation de demander aux SublUpS et aux lpiii}is de toutes les provinces d'envoyer par force des habitants à installer à Constantinople. Puisque les personnes ainsi déportées ne manquaient pas de profiter de toute occasion propice à fuire leur nouvelle cité à cause de leur défavorable statut, Mel;lmed II s'est vu obligé de reconnaître leurs pleins droits de propriété privée sur les biens qui leurs furent distribués. Lors de la conquête de Salonique la ville fût aussi dévastée et sa population dispersée. Pour rémédier à cette situation et rétablir la vie dans la cité Murad II avait libéré une partie des anciens notables de la ville de leur esclavage et les avait installés à nouveau dans la ville en contribuant ainsi à la restauration de cette dernière. TI avait ordonné en même temps d'installer en ville par force des paysans bulgares provenant des villages des environs de Salonique - plus de 1000 personnes qui furent affectées à la reconstruction des fortifications. Environ 1000 Turcs furent transférés de Yenidje Karasu et établis à Salonique. Les nouveaux venus furent installés dans les domiciles des anciens habitants de Salonique déportés ou emmenés en esclavage. Les Turcs étaient établis dans la partie la plus élevée de la ville avec l'acropole, les non-musulmans ayant occupés les quartiers bas près du port. Lors de la conquête de Kilia et de Cetatea Alba (Bielgorod en l'URSS) les conquérants avaient déporté une grande partie de la population qui fût installée à Constantinople et dans d'autres endroits. Visant à rétablir certains secteurs de la vie économique urbaine, le sultan Bayezid II avait ordonné après la conquête de Kilia d'y amener et installer des pêcheurs déportés de Silistra et d'autres endroits. Les nouveaux venus étaient tenus de reconstruire les anciens madra­ gues, source considérable de revenus pour les autorités ottomanes . Au moment de l'établissement du pouvoir ottoman une partie des localités les plus peuplées fût incluse dans le cadre des grands fiefs militaires (ze'iimet, lJii��) ou des mülks et des �� du sultan. Le pouvoir suprême restait fidèle à sa politique traditionnelle aspirant à reserver pour soi-même et pour les plus influents représentants de la classe dirigeante les biens les plus lucratifs dont les villes et les ports. Ainsi, par ex. , toutes les villes et �abas du sancalp d'Arvanid furent rattachées en 1431 aux !Jii,{J{t du sancalpbeg et du sub01�. Les deux

Les institutions ottomanes en Europe

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anciennes capitales bulgares de Tirnovo et Vidin faisaient partie des !Jiit!§ des vizirs, tandis que la plupart des villes, des terres bulgares danubiennes et du

sipâhiliks aux revenus élevés, ze'âmets ou des !Jiit!1/ détenus par des hauts dignitaires administratifs et

Sud-Ouest figuraient comme appartenant à des des

militaires. Cette circonstance détermina dans un certain sens le statut urbain. Ainsi, les villes et toutes les localités du système ottoman furent directement subordonnées aux maîtres fonciers locaux. En outre, ces agglomérations devin­ rent les sièges des garnisons ottomanes et des organes du pouvoir suprême servant dans les administrations locales des provinces conquises. Malgré l'incessant afflux des hauts représentants du nouveau pouvoir et la venue de missionnaires musulmans et des colons turcs, au XVe s. la plupart des villes balkaniques ne modifièrent pas sensiblement leur aspect éthnique. L'élé­ ment musulman s'accrût au XVIe s . , notamment comme résultat d'une certaine assimilation de la population locale. Selon les données des

ta1J,rir defterleri

concernant une même ville au cours de quelques décennies, on peut déduire facilement le processus de l'islamisation des habitants locaux Bitola

Skopje

1450 - pas un seul islamisé 1468 - 3 sur 666 musulmans 1528 - 182 sur 775 musulmans 1545 - 375 sur 1 1 1 5 musulmans

XV - 4 islamisés

1528 - 75 islamisés 1545 - 123 islamisés

Les recherches sur la base de ce genre de données prouvent que le doublement par ex. des habitants musulmans de Skopje pour une période d'environ 100 ans et la diminution des non-musulmans sont dus non seulement à une érosion éthnique de la population locale mais aussi à l'islamisation. Ce même processus est évident selon les données concernant Bitola où le nombre des habitants musulmans se triple en même temps que celui des habitants non-musulmans diminue progressivement. Les causes concernant les musulmans ici sont les mêmes - les recherches démontrent que d'après les données de 1545 tout le quatrième musulman de Bitola n'était qu'un habitant local islamisé. Les habitants des villes vivaient dans des quartiers formés d'après des principes éthniques et religieux : les musulmans séparés des chrétiens, des juifs ainsi que des gens venus de l'étranger (ordinairement des Ragusains, dont les quartiers portaient le nom

latin ou frenk). Les quartiers non-musulmans for­

maient souvent des paroisses ayant à la tête des prêtres et portant leurs noms, des noms d'églises ou les noms des notables et artisans locaux. Les quartiers musu1mans étaient formés autour des mosquées ou des

mescids et portaient les

noms de quelques derviches ou des artisans et des dirigeants locaux. Les villes constituaient d'actifs centres économiques où les métiers et le commerce se développaient dans une grande mesure de façon autonome et séparément de l'économie agricole. Cet état de choses est illustré par les registres du cadastre ottoman, où figurent des taxes et des droits des marchés urbains formant les revenus de différents féodauxZ44•

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73

Les principaux agents des échanges commerciaux dans les villes furent les petits producteurs de l'hinterland villageois et de la ville elle-même246• A côté d 'eux figuraient les artisans de la ville qui offraient au marché les produits de leur travail ou des matières premières. Il y a aussi une catégorie spéciale de commerçants, mentionnés dans les sources ottomanes connues : tiicir (plur. tücciir) ou bazirgiin. Dans le Sud-Est européen, les Juifs et les Arméniens comptaient parmi les commerçants les plus actifs. Ici il y avait aussi des commerçants venus des parties plus éloignées de l'État ottoman, de la Valachie et de la Moldavie, très souvent des républiques maritimes, partenaires commer­ ciaux séculaires du Sud-Est européen, de Venise, Gênes, Ancône, Raguse (Dubrovnik), ainsi que de l'Europe centrale et de la Russie. Tous les articles faisant objet de commerce sur le marché urbain, étaient frappés d'une taxe de marché

(bac) .

Le taux de cette dernière était déterminé en fonction de la

nature et du volume de la marchandise. Parallèlement à cela on percevait aussi des droits sur les articles venus d'autres régions ou pays

(gümrük). De nombreu­

ses marchandises stockées en grandes quantités devaient passer obligatoirement

( lpantiir) contre une taxe lparqiiriyye, perçue au profit du resm-i lpapan -, perçue dans les marchés «couverts) ( lpapan), qui abritaient un certain nombre de par la bascule urbaine

pouvoir . Cette taxe était en rapport avec une autre - le

boutiques, des dépôts et une balance légalisée par les autorités et sur laquelle on vérifiait le poids de toutes les marchandises en plus grande quantité qui devaient être pensées sur une balance. Les négociants ambulants sur les marchés urbains étaient imposés d'une taxe pour le droit d'étaler leurs marchandises

(sergi ljn,lplp�, droit d'étalage). Une autre taxe (damga resmi) était payée lors de la mul},tesib ; ce dernier apposait sur la

vérification des marchandises faite par le

marchandise le cachet officiel. Sur les grands marchés urbains on percevait tous les j ours des taxes pour les boutiques

(yevmiyye-i dekiikin). Une partie de ces

taxes sont souvent mentionnés sous la dénomination d'ilj,tisiib. Selon les données

l'ilj,tisiib, c.-à-d. les droits de marché perçus en faveur du mu1J,tesib, comprenait non seulement les droits du marché, mais également la

assez laconiques,

taxe spéciale édictée lors de la fixation du prix de vente d'une marchandise donnée, les amendes sanctionnant les infractions à l'ordre établi et la taxe

ilj,zariyye. Dans les ports, à part le bac et le gümrük, on percevait aussi la taxe 244 A consulter tous les mutal!lJal defterl eri concernant le sud-est européen, publiés jusqu'à présent et surtout dans TUf'ski izvori l 1 964, II 1966, BNS : f. 122, inv. 261 BI 3/6, pub!. dans DIMITROV - STOJKOV - CVETKOVA 1965 : 284 sq. 245 Sur la vie économique des villes v . la littérature citée dans la note 243 et tous les (canüns et les (canünnames publiés jusqu'à présent dans HAMMER 1815 l, BARRAN 1943 : 232 sq., Kanuni - DJURDJEV 1957, Fontes turc. - GALABOV 1961 : 245-275, BARRAN 1942b,BoJANI6 1959, iNALOIK 19540. : 123-125, SOKOLSKI 19570., 1957b, 1958, TUNçER 1962, FEKETE 1955 l : 224 sq., CVETKOVA 1 962c, 1963d, 1964b, 19650 : 137141, BELDIOEANU-STEINHERR - BELDIOEANU 1964, CVETKOVA 1967b, ])'EKETE 1964, · SAKAZOV 1930, BOZI6 1952, ERDELJANoVIe - NICOLle 1899, TADlO 1937, DIMI­ TRIJEVI6 1955, HRABAK 1951, VINAVER 1952, 1961/62 ; KALDY-NAGY 1971, CVETKO­ VA 1972b, BELDlOEANU 1973.

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Les institutions ottomanes en Europe

mafiariyye : elle frappait obligatoirement les bâtiments apportant une cargaison dans les ports, ainsi que les marchandises déchargées. On percevait encore d'autres taxes sur bâtiments de transport pour l'entrée dans le port (resm-i 'ubür, resm-i geçüd), resm-i setine, nassadiyye (pour les navires nassad), la taxe vozariyye, perçu à titre de rémunération destinée à être aux vozars, personnes rendant des services aux administrations portuaires non seulement en ce qui concerne le trafic marchand, mais aussi dans d'autres activités de la vie économique des ports. La réglementation de toutes ces taxes et droits et de l'activité commerciale des villes forme une part considérable des l;iinünniimes pour les différentes villes et régions. Les achat-ventes sur marchés urbains se faisaient sur la base des prix maxima établis pour ces marchés. A l'instar de toutes les villes médiévales, les villes du monde ottoman subissaient périodiquement une fixation des prix du marché par le pouvoir d'État, qui dirigeait et contrôlait toute l'activité écono­ mique par l'intermédiaire des lpii4is. Dans. ce secteur le pouvoir poursuivait une politique déterminée ; par une série de n(')rmes, de restrictions et de monopoles il cherchait à assurer l'approvisionnement des villes, la fourniture de matières premières aux artisans locaux, ainsi que le placement de leurs produits sur le marché local. D'un autre côté, le pouvoir suprême aspirait à contrecarrer les possibilités de traiter des affaires propres à se soustraire au payement des taxes du marché et les droits de douane. Les artisans et les commerçants des villes étaient réunis dans des corporations professionnelles (�niit ), qui organisaient et contrôlaient la production dans une branche donnée, défendaient les intérêts communs des artisans et cherchaient surtout à les mettre à l'abri de la concurrence des artisans des autres villes246• Les �nats étaient encouragés par le pouvoir lui-même qui, très souvent, leur imposait d'importantes commandes de produits pour les besoins de l'État. On recourait aux services des commerçants lorsque l'armée entreprenait des cam­ pagnes. Sur toute la vie urbaine planait l'invisible domination du gouvernement suprême ; ici il n'y avait rien qui pouvait rappeler les libertés des communes urbaines occidentales. Pourtant, au fur et à mesure de leur consolidation, les �nats prenaient de plus en plus l'aspect d'une institution jouissant d'une certaine autonomie et ils créaient l'atmosphère d'une solidarité professionnelle, dirigée plus d'une fois contre les atteintes des autorités. En outre, les e{Jniits non-musulmans soute­ naient et attisaient le feu de la conscience nationale au sein des non-musulmans. Malgré la division très nette du travail, les villes n'étaient pas détachées de l'activité agricole. De nombreux artisans et commerçants des villes travaillaient et tiraient des revenus de terres sur lesquelles pesaient des obligations envers le féodal local ou autres maîtres fonciers. 246 SAKAZOV 1 929, KRESEVLJAKOVl6 1958, 1949, Vuoo 1955 : 266, CVETKOVA 1954/ 55 : 93-102, MANTRAN 1 962, BARKAN 1 955/56 : 20 sq. , EMMANUEL 1 935, PANOVA 1966.

Les institutions ottomanes en Europe

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La situation des villes était bien différente en Hongrie sous le régime ottoman. Selon la différence de leur statut on y trouve trois catégories de villes. La première catégorie comprenait les villes situées entre le Danube et la Tisza ainsi que celles situées non loin de la frontière qui jouissaient d'une grande autono­ mie, administrées par des organes élus. Aucune garnison turque ne résidait dans ces villes, qui n'étaient pas habitées non plus par des colons turcs. La deuxième catégorie englobe les villes qui étaient des sièges de garnisons et administrations turques et étaient habitées par une population turque. Dans des villes pareilles les musulmans et les chrétiens cohabitaient tout en jouissant d'une autonomie quant à leurs affaires publiques. La troisième catégorie était privée d'autonomie. C'étaient des villes d'une importance stratégique et administrative pour les autorités ottomanes, parmi lesquelles Buda occupait la première place. C'étaient des sièges de garnisons et des organes de l'administration ottomane. Une forte population turque y habitait. Voilà comment les Ottomanes réussirent, tantôt par la force, tantôt en montrant plus de souplesse, en faisant des concessions et en s'adaptant aux circonstances locales, à édifier leur système d'institutions, qui maintint pendant des siècles leur hégémonie sur de nombreux peuples du Sud-Est de l'Europe. Le système militaire et féodal centralisé qui leur permettait d'exercer facilement leur contrôle et de tenir en respect les populations soumises, avait le même effet que le statut qu'ils avaient établi, avec toute une gamme de couleurs variées selon les populations et qui, en créant des conditions initiales différentes, fut générateur de divergences dans les intérêts, dans les aspirations et dans les réactions au sein des masses populaires. Là où la force ottomane ne réussissait pas à s'imposer pleinement, elle établissait, quand même, de façon originale sa suzeraineté. Elle avait entouré ses provinces du Sud-Est européen par une ceinture d'Etats vassaux ou semi­ vassaux, qui ne manquaient pas de conformer leur attitude à la politique de l'Empire ottoman. Parmi ces États figuraient aussi les principautés de l'autre côté du Danube - la Valachie, la Moldavie et la Transylvanie. Cette dernière avait accepté ce statut après la prise de Buda par les Ottomans en 1541247• Profitant des dissensions et des luttes intestines des aristocraties locales, le pouvoir ottoman cherchait à contrôler de plus près la vie politique de ces principautés et à placer à leur tête des hommes à lui. Sous ce rapport, l'État ottoman fut aidé par le fait qu'au cours du XVe et XVIe s., il avait réussi à imposer sa domination sur d'importantes forteresses et sur des localités danubiennes d'une grande valeur stratégique, telles que Nilwpolis Minor (Kule), Giorgiu, Kilia, Cetatea Alba (Akkerman), Bender, Braila, Severin, etc. 2(7 BABINGER 1936, 1944 : 21-29, PANAlTESOU 1 952, Istoria Romîniei II 1961 : 776-817, DEoEI 1945, BERZA 1957, NISTOR 1 9 l 1 : 206-221, Mmo 1 962, BELDI­ ' OEANU-STEINHERR - BELDIOEANU 1 964, ÜVETKOVA 1965c. Sur les institutions ottomanes en Transylvanie v. MÜLLER 1923, BfR6 1944, VESELA.-PREMOSILOVA 1965, 1958.

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Grâce à ces avant-postes, il faisait peser sa menace sur les terres au-delà du Danube. La vassalité de ces derniers se concrétisait par plusieurs obligations envers

l' État ottoman. Avant tout, ils payaient un tribut annuel au sultan, qui percevait pour lui une part considérable des revenus de ces pays : de la Valachie - au XVe s., 10 000 ducats, en 1542 - 24000, pour atteindre en 1593, 155 000 ducats ; de la Moldavie

-

2 000 ducats en 1456, 12000 en 1542 et 65 000 en 1593 ;

de la Transylvanie - 10000 florins en 1540 et 15000 en 1574. De pair avec cela, les souverains de ces principautés étaient obligés de fournir des détachements armés qui étaient incorporés dans l'armée ottomane. D'autre part, l'usage d'offrir de grandes sommes d'argent et des cadeaux précieux

(p�k�) au sultan et à ses hauts dignitaires était devenue de plus en plus une tradition. Avec le temps, les pël}k� jouèrent aussi un grand rôle au moment où le pouvoir suprême devait accorder son investiture à l'un ou à l'autre prétendants à la souveraineté des principautés. Leur subordination en tant que vassaux les obligeait à effectuer chaque année de grandes fournitures en nature (surtout du bétail et des céréales) ou en argent pour les besoins de l'armée et de l'approvisionnement des provinces et de la capitale de l'Empire. La consolida­ tion de la domination ottomane dans la région de la mer Noire lui assurait aussile contrôle sur l'activité commerciale des principautés au-delà du Danube. Le pouvoir central exprimait aussi ses droits de suzeraineté par l'établissement d'un régime restrictif et monopoliste sur l'activité commerciale de la Moldavie et de la Valachie. Le pouvoir ottoman avait le monopole de l'achat à des conditions défavorables dans les principautés des céréales, du bétail, du sel gemme, etc. ; les marchandises ainsi achetées étaient souvent vendues par des négociants ottomans dans les provinces intérieures à des prix deux ou trois fois

plus élevés. De cette manière, l ' État ottoman détournait une partie du revenu national de la Valachie et de la Moldavie vers ses possessions balkaniques et asiatiques exerçant ainsi une grave mainmise sur l'économie de ces principautés. Par les taxes et les droits de marché et portuaires qui frappaient leurs exporta­ tions par le Danube, il tirait des revenus supplémentaires des principautés. Une partie minime de ces taxes restait au profit des maîtres valaques et moldaves dans la région frontalière occupée par les Ottomans. Ainsi pour le commerce du sel valaque, le pouvoir ottoman réservait au prince de Valachie la taxe dite

(Ivam) . Selon les anciens /rilnilnniimes ottomans, les agents du prince avaient le droit de garder une partie du gümrük frappant les fûts, les tissus et les autres marchandises que des commerçants et des agriculteurs de Braila faisaient venir des ports bulgares. Tant que le pouvoir ottoman ne fut pas consolidé sur la rive gauche du Danube, les souverains valaques reçurent aussi une partie des taxes du marché, perçues dans les localités riveraines du côté roumain. Par la suite, ces taxes devinrent la cause d'incessantes divergences avec le pouvoir ottoman. Du même genre était également le régime du khanat de Crimée,2478. à cette 241"

SMIRNOV 1887, tNALCIK 1944, 1954c, BERINDEI - VEINSTEIN 1 975.

Les institutions ottomanes en Europe

77

différence près qu'ici, le pouvoir ottoman n'avait pas affaire à des souverains chrétiens qui lui étaient hostiles, mais à des vassaux qui professaient la même religion. Après la conquête de la colonie génoise de Kaffa, une partie des terres de la péninsule de Crimée fut transformée en un eyiilet ottoman portant le même nom. L'autre partie, jusqu'à la Bessarabie et aux terres des Tcherkesses, était restée sous la domination des khans de Crimée, vassaux du sultan. Durant le gou­ vernement de ij:aggi Giray (m. 1466), Mengli Giray (r. avec interruptions 1467-

1514), MeI:uned Giray 1er (r. 1514--1 523) subsistaient dans le pays les anciennes institutions et coutumes de la Horde d'Or. Les représentants de l'aristocratie

khans. Cette influence lpurultay lors de l'élection du khan. Dès l'époque de I;lal:tib Giray (1532-1551 khan de Crimée), le système des timiirs commença à s'introduire dans le khanat de Crimée. La terre était répartie à titre de sipiihilik entre la famille du khan et les représentants de l'aristocratie tribale. Le pays était divisé en 48 districts ( lpaZii ) dont les trois littoraux dépendaient directe­ tribale exerçaient une influence considérable à la cour des était sensible même dans le

ment du pouvoir ottoman. L'armée était formée des forces militaires des tribus,

lpapï lpulus, la garde du khan. A partir du XVIIe khan de Crimée envoya régulièrement des troupes à l'armée ottomane.

des Tatars, des Nogays et des s . , le

Malgré la méfiance des Tatars de Crimée à l 'égard de l'Empire ottoman, leurs troupes ne manquèrent pas à lui prêter secours aux moments critiques (comme par exemple, pendant la guerre contre l'Autriche, la Pologne, Venise et la R�ssie entre 1683 - 1699). Raguse (Dubrovnik), bien que tributaire, était un état indépendant dans la périphérie des provinces ottomanes dans les Balkans. Soumise à la pression de Venise et de la Hongrie, menacée par la force sans cesse croissante des Ottomans, la sage république adriatique préféra acheter la paix et la liberté de son activité commerciale dans la région orientale de la Méditerranée en payant un tribut annuel au sultan248•

248 BOZI6 1952 et IBtoriia Jugo8lav. 1953/60 II, les chapîtres sur Raguse (Dubrov­ nik) ; BASDRABELLÉ 1952/55 I-II, Tur8ki dok. iBt. mak. narod 1963/71 I-II, Tur8ki dok. mak. i8t. l 1951 III 1955, GALABOV - DUDA 1 960 : 138, 1 46, 255, 256, 275, 456, 466, 470. -

6

CHANGEMENTS INTERVENUS AU SEIN DES INSTITUTIONS OTTOMANES EN EUROPE (de la deuxième moitié du XVIe s. jusqu'à la deuxième moitié du XVIIIe s.) Le système féodal ottoman en Europe aux XVe - XVIe ss. est caractérisé par quelques traits essentiels qui expliquent également des tendances de son évolution ultérieure, notamment : puissant pouvoir central qui impose l'institu­ tion des

sipiihis, cet appui de son potentiel militaire, qu'il encourage dans son

développement pendant un certain temps ; prépondérance considérable des fiefs militaires, comportant des pouvoirs plus ou moins limités de leurs détenteurs et l'absence de toute subinféodation ; division du pouvoir entre État et feudataires qui varie, en commençant par le partage des intérêts constitués par le revenu de la terre et des re'iiyii dans les fiefs militaires, jusqu'à la véritable propriété divisée dans le cas des

mülks ; place considérable de la rente en espèces ; vie développée

des villes et rapports commerciaux et monétaires évolués24.9. Les changements intervenus pendant la seconde moitié du XVIe s. au sein du régime ottoman avaient été longuement préparés par une série de facteurs qui lui étaient propres depuis l'époque même de sa formation et de son affermisse­ ment. Dans les milieux de la classe dirigeante ottomane, et surtout parmi les détenteurs des

dirliks,

il existait des différences assez considérables tant en ce

qui concerne l'étendue des

dirliks que de l'envergure de leurs pouvoirs sur ces

derniers. Les sources des Xve et XVIe siècles représentent, par exemple, les détenteurs de fiefs, dits lJii,{;� de vizirs

(b-av��-� vüzerii ve ümerii), comme des sipiihis de

seigneurs ayant droit à des revenus fiscaux plus considérables que les

moindre importance. Ils jouissent d'une plus grande indépendance administra­ tive à l'égard du pouvoir central, perçoivent de gros revenus de leurs lJii,{;�as26o . A tous ces revenus traditionnels venaient s'ajouter les taxes et droits commer­ ciaux provenant de l'intense activité commerciale dans les villes ; ces dernières, le plus souvent, faisaient partie des grands

dirliks (ze'iimets et lJ�� des vizirs) .

2(0 Cf. les principales publications sur ces problèmes : llDAG 1 945, GANDEV 1 946/ 47, TVERITINOVA 1 946, FILIPOVI6 1 954/55, CVETKOVA 1955b : 68-77, GIBB - BoWEN 1950/57 I, 1 : 173-199, HRABAK 1 957, MUTAFCIEVA 1 959, CVETKOVA 1960a : 172-206, 1 960c : 1 96-221, SUéESKA 1960/61 , 1 958/59, MUTAFCIEVA 1960 : 40-56, llDAG 1963 : 13-62, CVETKOVA 1964d, KALDY-NAGY 1964, CVETKOVA 1 964e, LEWIS 1 959, CVET· KOVA 1963e, 1 964f, DIMITROV 1962, CVETKOVA 1972a, 1 971c, 1970c, tNALCIK 1 970b, Elhadl Ahmed - CVETKOVA 1 972. 260 Cf. HAMMER 1815 I : 204, 311, BARRAN 1 943 : 268-274, tNALCIK 1 954a : XXVII-XXVIII, DJURDJEV 1 950/53 II : 48-50, 1 950 : 28-33, 77, BARKAN 1 945 : 392 sq. ; Osterr. Nat.-Bibl. : Turcica AF 77, fO 198rv, GALABOV - DUDA 1960 : Nr. 1 97, 696, 725, 839, 962, 994, 995, Turski dok. ist. mak. narod 1963/71 I : Nr. 15, 37, 1 58, 160, 1 93.

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

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C'étaient, en effet, leurs détenteurs qui vendaient le plus souvent aux mar­ chands étrangers des matières premières, provenant de la dîme prélevée par eux sur la population, amassées et emmagasinées en grande quantité dans leurs propres granges et dépôts261 • A partir du XVIe s. et par la suite, la rente en espèces évince toujours davantage la rente en nature. Ainsi l'argent commence à s'accumuler chez les gros détenteurs de fiefs militaires. Ils s'enrichissent, ce qui les incite à affirmer toujours davantage leur indépendance. Pendant la seconde moitié du XVIe s., ils se mettent à investir l'argent ainsi amassé dans l'achat de fiefs ou bien en prenant à ferme d'importantes sources de revenus de l'État. Ces nouvelles tendances qui se font jour dans l'évolution du système des fiefs militaires sont encouragées par le pouvoir central. Les incessantes campagnes militaires entreprises par l'Empire ottoman épuisent économiquement le pays. Le pouvoir central ne cache pas son inquiétude devant la grave crise financière qui se manifeste vers la fin du XVIe s., étroitement liée aux bouleversements économiques qui affectaient à cette époque le bassin méditerranéen262• Devant une situation si difficile, le pouvoir suprême s'efforce de trouver des revenus pour le trésor public où ne s'accumulent plus comme auparavant les richesses provenant des pays conquis. Dans ces conditions, il se met à recourir de plus en plus souvent au système d'affermage des sources de revenus de l'État (iltizam) . C e faisant, l e pouvoir central porte atteinte aux fondements mêmes du systême de fiefs militaires : a) en agrandissant l'étendue des lJiüJ'I du sultan au détriment des fiefs de sipahis, et b), en engageant les sipahiliks directement dans le système de l'iltiziim. Pressé par la nécessité de combler les déficits toujours croissants du trésor public, le pouvoir suprême en vient même à mettre brutalement la main sur les fiefs militaires, en les concédant sous forme d'iltiziim, à �ourt terme, à des personnes non autorisées. Ayant ainsi contribué à encourager le développement de l'iltiziim, le pouvoir central se voit de plus en plus exposé aux arbitraires des fermiers, affronte toujours davantage leurs tendances séparatistes. Plus les difficultés augmentaient, plus les prétentions des affermataires augmentaient qui, dans de nombreux cas déjà, dictaient leurs conditions263• Or, le système de l'affermage minait également dans un autre sens les assises du sipahilik. Les détenteurs des grands dirliks, impliqués en nombre toujours croissant dans les affaires d'affermage, disposaient de moyens pécuniaires considérables qu'ils s'efforçaient d'investir dans des entreprises lucratives, à l'instar d'autres possesseurs de capital commercial-usuraire (Grecs fortunés, Juifs, marchands, dignitaires de la cour, etc.). Les possibilités de faire rapide­ ment fortune par des malversations dans le domaine des mulpiita'as, faiblement contrôlés par l'État, étaient plus séduisantes pour eux que le devoir de s'acquitter de leurs obligations militaires, chose aussi dangereuse qu'épuisante. 261 tNALCIK 1 954a : XXVII, CVETKOVA 1963d : 198, 1969b : 1 62-163, 1970a : 312 sq. et la littérature y citée. 262 BRAUDEL 1949 : 373-412, tNALCIK 1951b : 676, MANTRAN 1962 : 234--2 85. 263 Sect. Orient. BNS : Vd 1 1 3/12, Mk 24/14 etc.

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Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

Le désir de s'assurer un bien-être matériel par la pratique de l'affermage inoitait beauooup de siptihis à rétrooéder à ferme leurs propres fiefs, en totalité ou en partie264. D'autres faoteurs oontribuaient en même temps à ébranler les assises du système des siptihis. Aveo l'assentiment et sous la proteotion du gouvernement oentral, des représentants de l'aristocratie de la oour se mirent eux aussi à se pourvoir de fiefs militaires. Une étude des registres de teBkere, datant de la fin du XVIe s. et du début du XVIIe s. montre olairement que le domaine de l'institution des timiirs se trouvait envahi de partout par des fonotionnaires de la oour : müteferrilpa, ktitib, ça�, te?;kereci, etc.266 En dehors des dignitaires de la oour, d'autres personnes de l'entourage du sultan ainsi que de riches Juifs, qui ont aooumulé de grosses fortunes dans le oommeroe et en pratiquant l'usure, s'évertuent eux aussi à obtenir des fiefs militaires. Par l'infiltration de tous ces nouveaux éléments, appelés «étrangers) (ecnebi) par les éorivains du palais et les ohroniqueurs oontemporains de l'époque, le oapital oommeroial et usuraire pénètre dans le domaine du siptihilik et contri­ bue à apporter des changements profonds au système des fiefs militaires. Par la voie de la vente déclarée, les fiefs des siptihis se soustraient de plus en plus à l'ordre de répartition sanctionnée par l'usage. Ainsi les possessions des siptihis peuvent maintenant passer librement de main à main, en dépit de l'ordre établi266. La pénétration de l'aristooratie du palais et de beaucoup d'autres personnes du dehors dans la sphère des fiefs militaires donne lieu à une élimination _ progressive des anoiens siptihis. Petit à petit, les fiefs des siptihis se concentrent dans les mains d'un nombre restreint de fonctionnaires et courtisans enriohis et favorisés, de hauts dignitaires. Beauooup d'entre eux y parviennent grâce à l'intervention de proteoteurs influents ou simplement en mettant la main sur les fiefs des siptihis de moindre importance. Déjà à la fin du xve siècle, Selaniki nous déorit comment, en se servant de concussion, les nouveaux-venus arrivaient à frustrer de leurs fiefs les personnes de mérite et à usurper leurs domaines267. «Chacun d'eux, écrit non sans fiel �oçi Beg après s'être comblé soi-même, trouvait le moyen de pourvoir ses acolytes de fiefs petits ou grands, privant ainsi les militaires de leurs sources de revenus) 268 . Vers la fin du XVIe s., les chanoelleries du gouvernement suprême s'éver­ tuaient vainement à décréter ordonnances sur ordonnances dans le but de supprimer les fraudes dans l'acquisition de droits sur les siptihiliks. Un doou2D 4 GALABOV DUDA 1 960 : Nr. 2BB, Sect. Orient. BNS : Registre du 7pfi4i de Sofia 1 bis, fO 31v, d. II etc. 255 Sect. Orient. BNS : Sf 21/15, Ks B/4, Ks 9/4, NPTA XVI l/B, Registre du 7pfi4i de Sofia I -bis, fO 90v, d. II, 94r, d. L, l l 3v, d. 1. Ces données confirment les témoignages d'autres sources contemporains cf. SELANÎKi : fO 225v. 268 GALABOV DUDA 1 960 : Nr . B 1 5, 522, Turski dok. ist. mak. narod 1963/7 1 I : Nr. 161. 267 SELANÎKi : fO 225v. -

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Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

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ment turc datant d e 1592 mentionne l e cas d'un certain Mu�tafii. qui n'est certainement pas le seul de ce genre. Ce Mu�tafâ avait réussi à s'approprier un fief militaire dans la région de Skopje, en prouvant que, dans la hiérarchie administrative, il était parvenu au poste de ça�, ce qui avait été confirmé par un ordre du sultan, document qu'il avait perdu. Sous ce prétexte inventé de toutes pièces, il s'était fait délivrer un nouvel ordre et avait ainsi légalisé la possession de son fief. Or, lors d'une révision, il fut établi que tout cela n'était qu'une supercherie269• Même si cette fraude a été découverte et réprimée, combien d'autres passaient inaperçues sous le couvert de la bonne grâce et du concours implicites de hauts fonctionnaires. De cette manière, une seule et même personne pouvait acquérir plusieurs fiefs, contrairement à l'ancien systè­ me qui interdisait la possession de plus d'un fief. Les détenteurs de grands dirliks se servaient des mêmes procédés. Ils réussissent à acquérir plus de fiefs en obtenant à cette fin des beriits aux noms de leurs proches, de leurs serfs, de personnes fictives. En réalité ils les acquièrent et les possèdent d'une manière illicite260• La concentration de fiefs militaires dans les mains d'un nombre restreint de détenteurs de dirliks se faisait aussi par la spoliation des terres des plus petits sipiihis. Ces manigances deviennent de plus en plus fréquentes surtout vers la fin du XVIIe s. et au début du XVIIIe S .261 . Officiellement, le pouvoir suprême s'efforçait d'empêcher de pareils actes contraires à la loi. Mais parfois ses hauts fonctionnaires attentaient ouvertement sur les fiefs militaires afin de satisfaire les aspirations cupides de l'aristocratie de la cour, ainsi des familiers et des favoris du sultan reçoivent en don des terres plus ou moins grandes, enlevées aux sipiihiliks262 Les renseignements officiels sur l'étendue des lJ,ii{;t} de vizirs sont un témoigna­ ge frappant de la concentration de propriétés foncières considérables entre les mains des détenteurs de grands dirliks. En 1604, par exemple, les lJ,ii{;t} que possédait le vizir �âslID Pa�a dans les sancalps d'.Agrlboz, Yanina et T1r1;lala (en Grèce) étaient immatriculés pour un revenu annuel de 1 203 969 1/2 alpçes. D'autre part, selon les données citées par '.Ayni '.Ali et par �oçi Beg dit de Gumurdjina, les lJ,ii{;t} des beglerbegs rapportaient des revenus dont le montant annuel revenait à des centaines de mille et des millions d'alpçes263 .Ainsi, alors que les sancalpbegs, beglerbegs et courtisans engloutissaient les uns après les autres les villages et les terres situés dans le voisinage de leurs ze'iimets et de •

•

268 SMIRNOV 873 : 1 23. 26 9 Sect. Orient. BNS : NPTA XVI 1/8, fO 5r, d. l; cf. aussi Tur8ki dok. i8t. mak. narod 1 963/71 l : Nr. 579169, III : Nr. 197. 260 Cf. SMIRNOV 1 873 : 124, SELANÏKÏ : fO 229r, {$an Mel),med Pat}a WRIGHT 1 935 : 1 44, PITON 1 7 1 8 II : 37, Archives Min. Aff. Étr. Pari8 : Mémoires et docu­ ments, Turquie l, fO 71r etc. 261 Sect. Orient. BNS : Registre du �{i(jï de Sofia 3 1 2/ 1 , fO 26r, d. l, 306, fO 23r, d. -

"III,

fO 27a, d.

III.

262 8MIRNOV 1 87 3 : 1 23. 268 Sect. Orient. BN8 : OAK 191/12, cf. 8/328, 'Ayni 'Ali - GALABOV 1 96 1 : [6-7].

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Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

leurs �f;J, les timariotes devaient se contenter de revenus insignifiants264• Une étude des régistres de cette époque se rapportant aux territoires balkaniques montre un contraste frappant entre les revenus des gros détenteurs des dirliks et ceux des timariotes dans la proportion approximative de 1000 contre 3. Par

sipiihis des fiefs d'une (no/pf;Jiin ile)266 . Selon les

surcroît, les autorités elles-mêmes concédaient aux petits superficie moindre que celle qui leur revenait de droit

données tirées du matricule de ces timars, un seul et même village était divisé en

sipiihis. timar ne cessait de diminuer en volume et en revenus. Si, autrefois, les sipiihis plus insignifiants pouvaient quand même subsister, malgré

parties et concédé simultanément à plusieurs Ainsi donc, le

l'insuffisance de leurs fiefs, grâce au butin qu'ils rapportaient de leurs expédi­ tions militaires, cet état de choses changea complètement vers la fin du XVIe s . Les guerres infructueuses ne leur offraient plus des chances d e rapporter un butin quelconque ou de s'enrichir. La dépréciation de l'a Zcçe , la principale monnaie en circulation servant au pa�ement des impôts, représentait une perte considérable pour les petits

sipiihis, puisque le ra'iyye leur versait la plus grande

partie de ses impôts en numéraire. Seulement les revenus de la dîme, une partie des impôts

siiliiriyye, 'ii,det-i lJarman et quelques petites prestations coutumières,

étaient perçus en nature. Ils constituaient la partie la plus stable des impôts, n'étant pas soumis aux fluctuations du change monétaire, mais étaient une source de revenus tout à fait insuffisante pour assurer la subsistance des petits

sipiihis. Quant aux autres impôts, payables en espèces, le ra'iyye s'en acquittait de moins en moins régulièrement, puisque sa capacité de paiement était fort réduite à la suite des profonds changements intervenus sur tous les territoires de l 'Empire. Les cas de fuite et d'abandons de leurs foyers par les paysans soumis devenaient plus fréquents - c'était là leur manière de lutter contre l'oppression fiscale accrue, d'échapper aux abus266• Ainsi les

timiirs de nombre de sipiihis

furent abandonnés et ne donnèrent plus de revenus. Cela fournit l'occasion aux gros détenteurs de

dirliks de s 'emparer de ces timars de force ou par fraude.

�oçi Beg de Gumurdjina raconte qu'au moment où des sipiihis combattaient sur les champs de bataille, quelques-uns de ceux qui appartenaient à ces milieux qu'il flétrissait avec colère et indignation, acquéraient des

beriits et

percevaient à l'encontre de tout droit les revenus des fiefs des combattants. (IAinsi, conclut l'auteur, les fiefs, petits et grands, furent ruinés) . De cette manière quelques sipiihis s'appauvrirent à un tel point qu'ils se virent réduits à devenir de simples salariés et à demeurer (dans l'ombre du mépris, rejetés dans l'indigence et l'humiliatiom. D'autres furent complètement ruinés et (
defterdiir San Mel;lmed Pafjla note que la condition

des timariotes était pitoyable et que la plupart d'entre eux étaient (
264 286 288 28 7

Sect. Orient. BNS : Sf 21/1 5, Ks 8/4, cf. aussi NPTA XVI 1/8 etc. Sect. Orient. BNS : Sf 21/15, fD 2v, 4r, 6r etc.

Cf. CVETKOVA 1965d : 1 54-155 et la littérature y citée. SMIRNOV 1873 : 1 26, 108, 121, 127.

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

83

protectiolll>, c'est-à-dire dépendaient d'une façon ou d'une autre des seigneurs plus puissants268• Les plaintes et les supplications de sipahis en détresse parviennent toujours plus fréquemment au gouvernement suprême. Les sipahis sollicitent instam­ ment un dégrèvement de leurs charges, une diminution du nombre de cavaliers armés qu'ils étaient tenus de fournir en temps de guerre, ou bien une réduction du montant du en espèces pour leur rachat du service militaire (cebelü bedeli)269 . Voués à la misère, exposés aux dangers des campagnes militaires devenues désavantageuses, les petits sipahis se mettent à la recherche d'autres moyens de subsistance, au détriment de leurs obligations de service. Dans certains cas même, surtout en Anatolie, ils manifestent ouvertement leur mécontentement en participant à des révoltes paysannes270• Les détenteurs de fiefs plus importants négligent eux aussi leurs obligations de service. Mais ici les raisons sont d'une autre nature. Maintenant que les conditions ont changé, les feudataires nouvellement enrichis ne peuvent s'empêcher d'amasser toujours plus d'argent, principe déjà bien répandu dans la vie économique et politique de l'Empire. C'est pourquoi ils s'appliquent à rendre leurs fiefs plus lucratifs. Ils y parviennent en augmentant les charges fiscales des re'aya, ou en affermant une partie de leurs possessions271• Ils ne prennent pas grand soin de l'exploitation de ces possessions et ne sont guère enclins à introduire des innovations susceptibles d'améliorer la production. !-,out se ramène à la seule préoccupation de percevoir les revenus en spoliant les re'aya dans la mesure du possible. D'autre part, l'affermage leur offrait presque les mêmes avantages qu'en retirait l'État : c'était un moyen assez sûr non seule­ ment d'encaisser les revenus de leurs fiefs sans y porter grand soin, mais aussi d'amasser des sommes d'argent supplémentaires, prélevées sur les grosses sommes versées à titre de fermage. Les profonds changements que subissait le sipiihilik amenèrent un chaos complet dans l'immatriculation des fiefs et donnèrent lieu à d'interminables contestations sur la possession de tel ou tel autre fief272• La valeur combattive de la milice sipahiyye en fut grandement affectée. Les timariotes, mécontents et appauvris, se soustraient systématiquement à leurs obligations militaires. Les feudataires plus riches recouraient au rachat ou se faisaient remplacer par des serviteurs ou des mercenaires273• 268 269

$an Mefl,med Palja - WRIGHT 1 935 : 145. Sect. Orient. BNS : fonds 1 56, inv. 1219, f. Ohrid, inv. 224, Ohrid-�aqi l, A . I .3 . timiil's, 1 7 �il�a'de 1 I 32 ; fonds 20, inv. 259, Skopje- (caqi l, A. I . 3 . timiirs, 1 8 I!afar 1 I24 etc. , Turaki dok. iBt. mak. narod 1 963/71 II : Nr. 122, 124, 240, 243, 245, I l , 22, 270 Cf. TVERITINOVA 1 946, AKDAG 1 963. 27, 37, 39. 2 71 Cf. Sect. Orient. BNS : Registre du (caqi de Sofia l-bis, fO 31v, d. II, Registre du

l}aqi de Ruse R/5, fO 19v, d. II etc. 272 Cf. 'Ayni 'Ali - GALABOV 1961 : [79], SMIRNOV 1 873 : 1 25-126, GALABOV DUDA 1 960 : Nr. 540, Sect. Orient. BNS : Registre du �aqi de Sofia 306, fO 27r, d. II, Registre du �aqi de Ruse R/l, fO 1 9r, d. II. 2 73 SMIRNOV 1 873 : 1 24, SEIANÏKI : fO 225v, 229r.

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

84

'Ayni 'Ali note avec ironie que pendant les campagnes militaires et quand il s'agit de remplir quelque obligation de service, de dix tirnars un seul homme se présente. <<Mais à l'époque de la perception des revenus, 10 hommes se disputent

tirnarl). (Seferlerde ve lJidmet malJ,allerinde on tirnara bir adam gorünmez. Liikin ma1Mül zernamnda timara on adam niza' ëder)274. En vain, en

pour un seul

temps de guerre, le Haut commandement envoyait ordre sur ordre aux autorités locales de réunir et d'envoyer les

ipiihis de leurs circonscriptions, de priver de

s

leurs fiefs et de faire pendre devant leurs maisons tous ceux qui n'obéissaient pas. Nombreux étaient ceux qui ne se présentaient pas, d'autres s'enfuyaient du champ de bataille275• C'était en vain qu'il introduisit la pratique de vérifications périodiques des sipiihis disponibles par l'usage de registres spécialement dressés à cet effet (yo�lama defterleri)276. TI en résulta une diminution catastrophique des effectifs de l'armée territoriale

des

ipiihis. La réduction progressive de cette armée força le pouvoir central à

s

augmenter le nombre des unités à la solde. Tout cela créa de nouvelles difficultés à l'État. Démuni de ressources il n'était pas toujours en état d'acquitter la solde des soldats ni de leur payer les primes habituelles d'encouragement - les baà-§i§

­

au moment de l'avènement d'un sultan ou bien à d'autres occasions. Le plus souvent le paiement s'éffectuait en monnaie dépréciée. Cet état de choses forçait les soldats et leurs chefs à chercher d'autres moyens de subsistance pour le plus grand préjudice de leurs obligations de service.

Ils abandonnaient les casernes,

cessaient de mener la rude vie de soldat et en exerçant toutes sortes de métiers ils se dispersaient

à travers tout le pays.

Même les j anissaires qui étaient considérés cumme le corps d'élite et le plus discipliné de l'armée, transgressaient les lois et les anciens règlements, abandon­ nant leur ascétisme monastique, se mariant et se mêlant

à toute sorte d'affaires

louches. Le pouvoir central installait certains d'entre eux dans différentes localités en province afin d'utiliser leur service en tant que fonctionnaires militaires et policiers. D'autres, toujours du milieu des j anissaires, se sont précipités à la recherche des professionsles plus lucratives - ils devenaient

mültezims, partici­

paient à l'activité économique des villes en tant que commerçants, artisans etc. , achetaient des terrains en les transformant en

çiftliks etc. Les j anissaires dans

plusieurs localités des provinces ottomanes en Europe ont occupé petit à petit une place importante parmi les plus puissants et les plus influents représentants du pouvoir et imposaient souvent à la population leur volonté et leur arbitraire. Le déclin du système des fiefs militaires entraîna une profonde dégradation de toute l'administration. La concussion prit une telle envergure que, au dire de Selaniki, il était devenu impossible d'arranger n'importe quelle affaire, sans avoir recours au pot-de-vin. Chacun, qui dispose de l'argent, peut briguer 274 Ayni 'Ali 27 5 Na'ima -

- GALABOV 1 961 : [76]. FRASER 1832 1 : 93, GRZEGORZEWSKI 1 9 1 2 : d. 102, 9 1 etc. , HAMY

1906 : 277. 27 6 SMIRNOV 1873 : 107, 123, 1 58-159.

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

85

n'importe quel poste. «Même les hautes fonctions publiques, reconnaît Selaniki, sont mises en vente ouvertement, . . . des hommes indignes et incapables, des ignorants et des fainéants viennent occuper des fonctions publiques) 276a . Ce négoce des fonctions publiques eut une incidence des plus néfastes sur tout l'appareil administratif. Même le poète de la cour Veysi parle de hauts fonction­ nan'es publics brutaux et débauchés . A l'en croire, on se chuchotait dans tous les milieux, que «le poisson commence à sentir par la tête) 276b . La corruption générale avait aussi gagné les organes de la justice ottomane. «En un mot, dit un des contemporains, Ricaut, résumant le tableau de la décadence toujours grandissante, c'est un gouvernement où il n'y a plus rien d'honnête, de juste, ni de louable, où on ne trouve ni obéissance, ni union, ni

fidélité) 276 c .

Les changements que subissait l'ancien régime allaient s'aggraver au cours de la seconde moitié du XVIIe s. Les sipahis d'autrefois maintenant enrichis, ainsi qUe ceux qui, par des voies illicites, étaient parvenus à s'assurer la possession de fiefs militaires, s'efforçaient de rejeter la dépendance contrariante du gouverne­ ment central. A cet effet, ils convertissaient leurs fiefs en possessions héréditai­

res, en vaJr,�fs inaliénables276 d . Les liens entre le pouvoir central et le

sipahilik

s'effritaient. Quelques modifications apportées au système d'affermage y contri­ buaient. Favorisés par les tendances centrifuges grandissantes dans l'Empire, les fermiers s'efforçaient toujours plus fréquemment de se soustraire à leurs obligations et de ne plus s'acquitter des redevances qui leur incombaient. Des différends aussi embrouillés que véhéments éclataient entre mültezims qui se réclamaient les droits sur un seul et même fief27 7 . Des seigneurs locaux et des fonctionnaires du fisc empêchaient les

mültezims de remplir leur tâche dans les

terres qu'ils tenaient à ferme278. D'autre part, les fermiers se mettaient toujours plus fréquemment à concéder à ferme les sources de revenus qu'ils avaient déjà pris sous

iltiziim dans l'intention de réaliser par Ces transactions un surplus de

gains en se soustrayant en même temps à leurs obligations fiscales onéreuses envers le gouvernement suprême. Se succédant fréquemment, ces affermataires, qui ne relevaient pas directement du pouvoir suprême, ne faisaient pas toujours honneur à leurs engagements envers l'affermataire initial, seul responsable par devant le fis c. De cette manière c'était le trésor public qui se trouvait en dernier lieu privé de revenus sur lesquels il comptait. C'est pourquoi le gouvernement central s'appliquait par des mesures législatives à mettre fin à cette pratique d'interminables réaffermages. Il introduisit en conséquence un nouveau système d'affermage, dit miilikane ou affermage viager279. Or, les possesseurs de 278a SEIANÏKÏ : iD 186v, SMIRNOV 1873 : 246-247. 276b SMIRNOV 1873 : 251. 276d V . note 276. 2760 RIOAUT 1 670 : 534 . 277 GALABOV - DUDA 1960 : Nr. 473, Bibl. Nat. Paris : 278 Cf. CVETKOVA 1 960c : 213-214. etc.

malika-

Fonds turc 85, iD 51, Nr. 26

279 FEKETE 1955 1 : 88, GIBB - BOWEN 1950/57 1, 1 : 2 Bq., CVETKOVA 1960c : 214-

217.

86

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

nes devenaient de véritables maîtres indépendants des possessions qu'ils te­ naient à ferme. Ils ne dépendaient du gouvernement central que dans la mesure où ils étaient tenus de lui verser le fermage annuel. Cependant, les

rnJi,liTcanes devenaient bientôt, eux aussi, l'objet de réafferma­

ges. Par leur rétrocession d'une personne à une autre, ces possessions échap­ paient à la surveillance du gouvernement central. De cette manière, les rentrées du fisc subissaient souvent des préjudices qui finalement lésaient les intérêts du

rnJi,likanes, dirliks tombait entre

trésor. Ainsi, à la faveur de l'affermage et surtout de la pratique des une quantité toujours plus grande de terres destinées aux

les mains d'usuriers ou de personnes enrichies par d'autres moyens, et les revenus de ces terres étaient désormais à la disposition arbitraire de leurs nouveaux possesseurs. Le système d'affermage, dont la pratique devenait de plus en plus courante, faisait concentrer toujours plus de terres de

sipahis entre

les mains de personnes irresponsables, déliées de toutes obligations militaires. C'était là encore une cause du déclin déjà irrévocable du système des

sipâhis.

On remarque maintenant chez les nouveaux détenteurs de fiefs une tendance à augmenter les revenus de leurs possessions et à se soustraire à la dépendance qui les lie au pouvoir central. Elle se manifeste par des tentatives toujours plus fréquentes de mettre la main sur les terres des paysans. Ces mêmes mobiles inspirent les usuriers enrichis et d'autres personnes détenant un pouvoir quel­ conque. Ils parviennent généralement à s'emparer des terres des paysans par voie légale, en mettant la main sur les biens de débiteurs insolvables qui ont fait auprès d'eux des emprunts dont ils ne sont pas en mesure de payer les intérêts exorbitants. Souvent l'usurier s'empare ainsi des terres appartenant à des villages entiers, écrasés de lourdes charges fiscales280 • Mais les choses allaient encore plus loin et bientôt la cupidité conduisait ces usuriers et ces nouveaux propriétaires fonciers à s'emparer tout simplement, tout ouvertement et brutalement, des terres des paysans qui étaient sur le point de se ruiner. Ils faisaient de ces terres des propriétés agricoles importantes, adaptées dans une grande mesure aux exigences du marché en voie de dévelop­

«çiftlikl). Des propriétés privées de cette sipâhis, possé­ dant un lJii,{J�a dans le cadre de leurs sipâhiliks, organisaient sur les terres de leurs lJii,{J�as des çiftliks dont ils aspiraient à augmenter illicitement l'étendue. pement. Ces fermes ont pris le nom de

sorte étaient organisées aussi d'une autre manière. Souvent les

Dans d'autres cas ils mettaient la main sur les terres communales dans les villages qui leur étaient subordonnés ou bien dans d'autres villages hors de leurs

sipâhiliks. Très significatives dans ce sens sont les données d'un muf��al concernant les terres bulgares du Sud-Ouest et certaines régions adjacentes 280 Sect. Orient.

BNS : Registre du �i14i de Sofia 1 -bis, fD 30v, d. l, 1 7r, d. II, 29r, d. 36v, d. III, 56v, d. III ; Registre du �i de Ruse R/1, fD 17v, d. IV, R/2, fD 124v, d. III, GALA.BOV DUDA 1 960 : Nr. 589, 838, 897, 1 153, 1 176, Turski dok. ist. mak. narod 1963/71 I : Nr. 76, 77, 1 1 2, 132, 154, 202-206, II : Nr. 16, 17, 2 1 , 25, 31, 34, 40, 42, 55, 64, 86, 1 06, 1 07, 137, 1 47, 149, 159, 204, 205, 212, 217, 226, 241 , 244, 257 etc. II,

-

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

87

d'Albanie. Dans ce mutU{llJIal sont immatriculés en même temps que les re'aya aussi des sipahis et des j anissaires, détenteurs des çiftliks dans le cadre d'un sipahilik, chargé de payer la dîme de ce çiftlik au détenteur du même sipahilik. Evidemment les çittliks de ce genre, dépendant dans une certaine mesure d'un féodal ou d'un autre, se transformaient peu à peu en propriétés privées agricoles, libérées de charges fiscales à l'égard des féodaux locaux. Des çiftliks ont été formés aussi par l'expropriation arbitraire des terres désertes, qui pour une raison ou une autre ne faisaient pas partie d'un bien féodal. L'apparition des çiftliks se fait lentement, et cela dès la fin du XVIe siècle sur les différents territoires balkaniques, et de différentes manières, voire avec l'appui des autorités elles-mêmes. Ainsi, le déclin du sipahilik donne lieu à une nouvelle forme de possessions féodales qui prennent de l'envergure pendant la seconde moitié du XVIIIe s. Les changements que nous venons de décrire touchent de très près la population dans les territoires balkaniques. Les modifications apportées au statut de cette population constituent une part importante, non encore bien élucidée, des problèmes complexes de cette époque. En se basant sur la conception des anciens juristes ottomans que (des re'aya sont le trésor du padiljlah) , le pouvoir suprême avait créé dans le passé un ordre bien réglé de répartition des revenus de la terre et des re'aya entre les représentants de la classe dominante. Dans cet ordre les impositions fiscales ne dépassaient pas sensiblement la solvabilité de la population, car le p �uvoir central avait intérêt à conserver cette solvabilité - source première de revenus pour le fisc et fondement matériel de la classe féodale ottomane. La crise financière de la fin du XVIe s., provoquée par les grands bouleverse­ ments intervenus dans la conjoncture économique méditéranéenne281 , les pro­ fonds changements opérés dans le système des sipahiliks et la décomposition de tout l'appareil gouvernemental ont amené le pouvoir suprême à l'état de ne plus pouvoir réglementer, ni contrôler l'exploitation féodale. Cette exploitation s'accroît d'une année à l'autre. Ces changements, pénibles et alarmants pour la population, se manifestaient aussi par l'accroissement de la pression fiscale et celle des féodaux et du pouvoir central. Des centaines de documents officiels ottomans décrivent les incessantes manoeuvres des propriétaires fonciers otto­ mans afin d'accroître illicitement leur rente féodale fixée par l'État. Nous avons déjà expliqué les mobiles fondamentaux de ces manoeuvres chez les détenteurs de grands fiefs militaires, dont le rôle et le caractère avaient subi de profondes modifications. Les sipahis ordinaires (les timariotes) étaient poussés à ces manoeuvres aussi

par d'autres raisons282• L'infiltration des courtisans et de nombreuses personnes

étrangères dans la propriété foncière sipahiyye allait de pair avec la répudiation d'une partie des anciens représentants de l'institution des sipahis. Ce processus 2 81

1 78.

282

BRAUDEL 1949 : 433 sq., iNALOIK 1951b : 656-658, 680, CVETKOVA 1960a : 1 7 7Cf. pour plus de détails CVETKOVA 1960a : 188-189, 1964f.

88

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

a été aidé par l'incessante concentration d'un plus grand nombre de

sipiihiliks

entre les mains d'un petit nombre de gros propriétaires fonciers qui s'en emparaient souvent de force, en les usurpant en partie ou entièrement. Pour cette raison certains détenteurs de timiirs s'appauvrissaient, d'autres étaient voués à la ruine - <<sans laisser de nom ou de trace) 283 . Le volume et la rentabilité des timiirs étaient diminués aussi pour d'autres raisons. La dévalorisation de l'a Zcçe la monnaie fondamentale servant à l'acquit­ ,

tement des impôts, apportait de grandes pertes aux petits sipiihis, car une partie considérable des impôts était perçue en numéraire. Seuls les revenus de la dîme

et, en partie, des impôts siiliiriyye,

'iidet-i lJarman et certaines petites rédevances

coutumières étaient acquittés en nature. Ils constituaient la partie immuable des impôts, la partie qui ne subissait pas l'influence des variations monétaires. Cependant, c'était là une source insuffisante et aléatoire pour l'entretien des petits

sipiihis. Quant aux autres impôts en numéraire, ils étaient payés de plus re'iiyii à cause de la diminution de sa solvabilité

en plus irrégulièrement par les

et des changements généraux intervenus dans l 'Empire. En outre, les timiirs de

sipiihis étaient dépeuplés et peu rentables. Le pouvoir suprême lui­ timiirs en distribuant de plus en plus fréquemment des menus sipiihiliks avec des revenus moins élévés que les revenus prévus par les lois (nolp{liin ile). nombreux

même assénait des coups incessants aux

Dans ces conditions, une grande partie des timariotes s'appauvrissaient. Le

timiir n'etait plus une subvention suffisante pour l'accomplissement de leur service militaire ; au cours de la dévalorisation de la monnaie, le taux réel de la rente féodale fixé par le pouvoir était abaissé. Dans les cas où les détenteurs de

timiirs voués à la misère, ne trouvaient pas d'autres moyens de subsistance, ils cherchaient à rehausser p ar une pression fiscale le taux de la rente fixé et suscitaient ainsi, par ces infractions à l'ordre officiellement établi, les protesta­ tions des

re'iiyii. Ces aspirations des timariotes ordinaires et même des gros

propriètaires fonciers sont illustrées par leurs fréquentes tentatives de transfor­ mer en «payables en numérairel) quelques-uns des impôts fondamentaux des

re'iiyii, tels que la dîme. Selon des données de 1550, les paysans du village

Goubislav, des environs de Sofia, étaient forcés par leur sipiihi Me}:tmed de lui acquitter la dîme en argent284. Pour les plus grands représentants de l'aristocra­ tie foncière ottomane (surtout les sancaZcbegs, les beglerbegs, etc.), habitant dans les villes, souvent très loin des villages qui leurs étaient subordonnés, la perception de la dîme en nature offrait des complications supplémentaires : les transports étaient difficiles et demandaient beaucoup de temps, pendant lequel certains produits devenaient avariés, d'autres se dilapidaient en route. Pour cette raison le payement de la dîme en argent était plus avantageux. Or, lors de la perception de l'impôt sous cette forme illégale, les gros propriétaires fonciers ou leurs fonctionnaires cherchaient à abuser, de leurs prérogatives, en exigeant 28 8 SMIRNOV 187 3 : 121. m GALABOV DUDA 1960 : Nr. 1 28. -

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe des

89

re'aya une dîme calculée arbitrairement sur la base d'un prix deux fois plus

élevé que la valeur marchande du produit. C'est, par exemple, le cas d'un �� qui englobait les villages Goroubliane, Orman (probablement le village actuel de Lesnovo, distr. d'Eline-Peline) et Kriv, décrit dans les

sicills du !Pii4i de Sofia au

début du XVIIe. Les paysans s'étaient plaints au tribunal que le voïvode du �� A1;lmed Aga exigeait d'eux le payement de la dîme en argent, évaluée de la

120 a!pçes le kile, alors que sur le 65 a!pçes le kile, alors qu'il ne valait que 30. Pour les moutons il leur demandait 250 a!pçes les 100 moutons, au lieu de 50, et 120 a!pçes de resm-i agû (impôt de bergerie) et guliimiyye les 100 moutons. Or, d'après la loi on devait acquitter 5 a!pçes de resm-i agû et 20 a!pçes de guliimiyye les 300 moutons. Le voïvode A1;lmed prélevait aussi un mouton par 100 bêtes286. La généralisation de cette pratique est attestée aussi par le fait manière suivante : pour le blé - sur la base de marché local il ne coûtait que

que le législateur s'est

vu

60 a!pçes,

pour l'orge

-

obligé dès le début du XVIIe s. de la prohiber par des

ordonnances spéciales. Ainsi, le lpiinunniime d' Ohrid de l'an

1613 note que les gens

des sanca!pbegs, les �ubatps, les emins, les sipahis et les combattants des garnisons des places fortes et toute sorte de timariotes ne perçoivent pas le blé et le moût en nature, mais les laissent aux

re'aya en exigeant le payement de la dîme en

espèces sur la base d'une valeur plus élevée que celle déterminée pour les produits en question. Cette pratique était prohibée expressément car «les re'aya étaient tourmentés et oppressés de manière démesurée» 288 . Pour imposer la perception de la dîme en argent, des nombreux propriétaires fonciers recouraient à d'autres illégalités. Ils refusaient de se présenter, d'éva­ luer et de recevoir la dîme à l'époque déterminée par la loi, en obligeant ainsi les

re'aya à ne pas emmagasiner la récolte et à la laisser exposée aux intempéries. Ainsi, par exemple, pour de tels agissements, les habitants de Goroubliane se plaignent en

1618 au tribunal de Sofia que le Ziibit local, le janissaire A1;lmed, ne

percevait pas la dîme au moment de la moisson, mais beaucoup plus tard, en leur demandant l'impôt à un taux très élevé287 . L'élargissement de cette pratique avait motivé plus d'un ordre émanant de

'adaletniimes. Dans un de ces ordres on trouve sipahis avaient non seulement pris l'habitude de ne pas se

l'autorité suprême du type des l'assertion que les

présenter systématiquement à l'époque voulue pour percevoir leur dîme, mais exigeaient aussi que cette dernière leur soit payée en argent en évaluant les produits au-dessus de leur prix courant. Ils inquiétaient les

?'e'aya aussi par

d'autres faits. Dans les cas où les timiirs appartenaient à des associés, chacun des sipahis associés qui exigeaient l'acquittement de la dîme en numéraire, se présentait séparément dans les villages inclus dans leur fief et formulait des prétentions pour une part plus grande que celle de son associé 288 .

286

Sect. Orient. BNS : Registre du lfii4ï de Sofia I-bis, fO 132r, d. III.

286 BOJ ANIO 1 959 : 294. 287 GALABOV - DUDA 1960 : Nr. 915. 288-289 tNALOIK 1965 : Nr. XIII, cf. p.

73.

90

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

Ces agissements accroissaient aussi le taux de la dime au détriment des re(aya. Dans certains endroits les tentatives d'abuser de la dime adoptaient une autre forme. Des

sipahïs ou d'autres maîtres fonciers, personnellement ou par le biais

de leurs fonctionnaires, évaluaient la dîme sur des produits humidifiés pour une cause quelconque et venaient ensuite percevoir le même taux d'impôt du produit déjà sec289. Dans ces cas ils gagnaient sur la différence du poids entre le produit humide et le produit sec, au détriment, évidemment, des paysans. A partir de la deuxième moitié du XVIe s. on note une tendance très nette de la part des féodaux à s'approprier des revenus que la loi ne leur accordait pas. Sous ce rapport, très explicite sont, par exemple, les données d'un document conservé dans les archives de la Bibliothèque Nationale de Paris. Au XVIe s. des

re(aya d'un village des environs de Plovdiv étaient allés se plaindre même à la cour du sultan des agissements du sipahï local. Ils déclaraient qu'en travaillant la terre de ce village, comme cela se doit, ils acquittaient à leur Ziib# les impôts et la dîmes dûs. Or le zabit avait commencé à exiger d'eux l'impôt pour le bétail

resm-i otlalp (droit de pâturage). L'ordre du sultan, édicté à cette occasion, rappelait que le resm-i otlalp était acquitté uniquement par les personnes venues avec leur bétail dans un sipahïlik donné sans être enregistrées comme ses re(aya, c'est-à-dire des personnes qui ne s'occupent pas d'agriculture et ne payent pas les autres impôts des

re(aya. Le resm-i otlalp était exigé d'elles pour l'eau et les sipahïlik290• Il paraît

pâturages consommés par leur bétail dans le territoire du

que ces procédés pour l'accroissement des revenus de la rente féodale étaient coutumiers pour les

sipahis et appliqués sur une vaste échelle. Cela est attesté

par un procès-verbal judiciaire de

1624,

selon lequel les paysans du village de

ftii4ï leurs sipahïs Ma1;tmud l'otla!p 1Jalplp� (impôt des pâturages), bien qu'ils étaient re(aya et acquittaient leurs impôts aux sipahis. Radobor des environs de Bitola accusaient devant le

Beg et A1;tmed Aga de leur avoir exigé illégalement

En outre, ces derniers les oppressaient en exigeant d'eux plusieurs ]pantars de fromage et de beurre, ainsi que la dime cinq-six mois avant la rentrée de la récolte et l'évaluation de sa dime290s. Il en est de même avec le voïvode de la région de Sofia A1;tmed Aga qui cherchait à détourner la loi avec des intentions cupides. L'habitant de Sofia Ivan, fils de Hrano, possédait une vigne dans les' environs du proche village Dragostinci. Il était en possession d'un document attestant qu'il ne paie pas plus de

25 a!pçes

de

d6nüm alpçesi. En vertu de la loi, d6nüm a!pçesi (impôt

on ne payait pas la dime pour les vignes imposées du

frappant la terre plantée de vignobles). Malgré cela, le voïvode dont il est question dans ce document, enregistré dans les sicills de Sofia en à soutirer un double bénéfice de la vigne du dîme)29 1 . Tous les

1618, cherchait

ra(iyye Ivan (donüm alpçesi et

re(aya du village de Dragostinci avaient exprimé officiellement en

290 Bibl. Nat. Paris : Fonds turc 85, fO 175v. 290a Tursk'i dok. ist. mak. narod 1963/7 1 II : Nr. 291-292 GALABOV - DUDA 1 960 : Nr. 962, 905.

121.

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

91

1 6 1 8 leur mécontement face aux tentatives de leur sipahi de leur faire payer des 1635 le

impôts plus élevés que ceux établis par la loi292• D'après les données de

�ub�� l;[asan, représentant le sipahi qui possédait le village MedZidlija, distr. de Bitola, s'était permis d'exiger des re'aya turcs locaux des impôts qui n'étaient pas inscrits dans les registres comme revenu du sipahi (un demi kile de blé pour chaque çift de terre et dix a(cçes pour chaque çapah(c de vigne, au lieu de deux a(cçes que l'on payait jusque-là). En plus de cela, le �ub�� tentait de légaliser son arbitraire en se référant à des données inexistantes dans le cadastre foncier. Vérification faite, il s'est avéré que selon les données du cadastre les n'étaient pas redevables de ce que le

re'aya

�ub�� exigeait293•

Les tentatives des propriétaires fonciers de percevoir un taux plus élevé d'impôts, étaient parfois facilitées par certaines particularités établies depuis des siècles dans le statut des

re'aya. Ainsi, aux termes de la législation agraire

des premiers siècles de l'Empire ottoman, la population asservie qui travaillait des terres appartenant à deux domaines différents était obligée de payer deux fois la dîme - à son maître

(�al],ib-i ra'iyyet) et à celui dans le domaine duquel se (�a1),ib-i arz)294. D'après les données de 1633, le

trouvaient les terres cultivées

sipahi du village de Kanatlarci, des environs de Bitola, voulait profiter de ces ra'iyye qui travaillait des terres dans un autre village, rentrant dans le domaine d'un autre sipahi, avait l'habitude, après avoir acquitté à ce dernier la dîme et le salariyye, de faire rentrer la récolte dans leur

règlements anciens. Son

village, afin de faciliter le battage. Le maître de Kanatlarci avait profité de ses droits de

�(1),ib-i ra'iyyet et exigé des paysans la dîme et le salariyye pour cette

récolte qui était apportée de l'autre village et pour laquelle on avait déjà acquitté ces impôts à l'autre fardeau pour les

re'aya.

sipahi296• Cette pratique constituait un lourd

Il est relativement aisé de nous rendre compte des dommages qu'une telle

sipahis pouvait occasionner, dommages que le document ne ra'iyye devait payer en vertu de la loi aussi la dîme au �(1),ib-i ra'iyyet, dans un cas comme il vient d'être mentionné, il devait pratique des

mentionne pas expressément. Si le

payer en réalité non pas une dîme double mais même triple. Les différents actes d'arbitraire fiscal des plus gros propriétaires fonciers sont

ra'iyye adressait soit (ciiiJ,is locaux. Ainsi, par exemple, en 1595 le za'im Mu��afa Çavulil avait perçu de son ze'amet sis dans le sanca(c de Skopje deux fois par an, au lieu d'une fois, le revenu auquel attestés par les doléances de plus en plus fréquentes que le au gouvernement suprême, soit aux tribunaux des

il avait droit. Ainsi il ruinait les localités rattachées à son domaine296• Cette pratique des grands féodaux avait été démasquée aussi par une ordonnance de

1609. Cette dernière mentionne avec désapprobation que le beglerbeg et les sanca(cbegs de Roumélie faisaient souvent, avec leurs détachements montés, des 2 93

Turski dok. ist. mak. narod 1 963/7 1 II : Nr. 276. 1921/22 : 26, 'ARiF 1 912/13 c. 17/1 8 : 34, 50. 295 Turski dok. ist. mak. narod 1963/71 II : Nr. 7. 296 SOPOVA 1955 : doc. 59. 2 94 KRAELITZ-GREIFENHORST

92

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

tournées dans les régions qui leur étaient subordonnées et cherchaient, par cupi­ dité, des motifs soi-disant légaux pour perceveoir de la population des impôts et des taxes plus élevés que les impôts et les taxes prescrits par le législateur. Ainsi, par exemple, toutes les fois qu'un crime est perpétré dans une localité, ils se rendaient sur place pour percevoir l'amende du crime ou de la dîme du sang sous prétexte d'avoir droit sur ces taxes. Ils restaient dans la localité des j ournées entières, en incarcérant et en mettant aux fers les habitants, en vue de leur soutirer quelques centaines d'altuns (pièces en or) ou des piastres. De leur côté les voïvodes, auxquels ils transféraient souvent sous iltiziLm les revenus de leurs fiefs, osaient porter atteinte à l'immunité plus considérable des fiefs soi-disant «libres) (serbest) - !J,ii{I� , va��fs, mülks, etc. - en exigeant du ra'iyye de leur fournir par force des chevaux, mulets, chameaux, argent et produits alimentaires. Le pouvoir suprême prohibait catégoriquement la perception des amendes des crimes d'une manière illégale par les gros féodaux, en rappelant les règles législatives établies à cet effet ; en outre il prohibait les violations dans les localités des domaines «libres) , de même que les iltiziLms accordés à des voïvodes sur les revenus des beglerbegs et des sanca�begs297. Évidemment, de tels excès étaient favorisées par les conditions d'incessant arbitraire, caractéristiques de la période de la décentralisation et de la corruption sévissant dans toutes les institutions de l'État. On possède aussi des documents attestant cet état de choses, documents selon lesquels les maîtres fonciers ottomans ne cherchaient plus de couvertures légales et des justifications de leur pression fiscale et se livraient délibérément et sans gêne à la spoliation et l 'oppression du ra'iyye. Ainsi, par exemple, selon un ordre du sultan de

1588

les sipahis de la région

d'Ohrid obligeaient par force le ra'iyye à leur fournir gratuitement du fourrage et des céréales, bien que selon la loi ces fournitures dussent être payées aux paysans298 • Un cas de semblable violence brutale est enregistré aussi dans les sicills de Bitola en 1634. Le paysan Guéorgo du village Lintop, �id Hurpiste, se plaint que le voïvode de ce village, Feyzullah Aga, accompagné, comme c'était l'usage à cette époque d'un certain nombre d'organes de la police ; et les dignitaires locaux, l'ait attaqué dans le village de Tamovo, où il habitait, et l 'ait incarcéré et mis aux fers. Profitant de ses droits de �a1J,ib-i ra'iyyet Feyzullah Aga lui soutira par force non seulement sipahi, mais aussi

1000 a�çes pour ses impôts annuels de 1000 autres a �çes sous prétexte de les prendre pour les dettes

d'un autre paysan Dimo du même village. Il s'est avéré que Dimo avait déjà payé ses dettes et qu'en réalité le second payement par Guéorgo n'était qu'un acte de spoliation de la part du voïvode. C'est en vain que le spolié cherche à se faire restituer son argent par le tribunal. Le procès-verbal du tribunal dit expressément que «la loi ne prévoit pas la restitution des sommes que les voïvodes ont perçues du ra'iyye en infraction de la loi sainte) . Sur cette base il était défendu à Guéorgo de continuer le procès299• Il est clair que le tribunal ne 297 iNALOIK 1965 : Nr. X ; cf. BASDRABELLË 1952/55 II : 298 t! OPOVA 1955 : Nr. 52. 299 Turski dok. ist. mak. narod 1963/7 1 II : Nr. 56.

Nr. 228.

Changements intervenus au sem des institutions ottomanes en Europe

93

faisait que légaliser l'arbitraire. Ce dernier était monnaie courante surtout dans les domaines jouissant d'une plus large immunité, où les personnes munies de pouvoirs, comme le voïvode ci-dessus, ou le maître foncier lui-même, n'étaient pas tellement subordonnés ou contrôlés par le pouvoir suprême. Cet état de choses est également confirmé par l'ordre du sultan adressé au /rii4i de Ruse en 1775. Le zabit du vahl consacré à la mosquée de la sultane Mihrimiih, avait soumis à une oppression fiscale insupportable les re'iiyii de plusieurs villages appartenant à ce valp�1 et rattachés au niil),iye Cernova (près de la ville médiévale de Cerven) . Après avoir payé leur dîme au taux d'un huitième de leur rendement, ainsi que leur siiliiriyye, le ziib# les obligeait à transporter les céréales jusqu'à sa grange. Sous prétexte que le marché était proche (alprab-i piiziir), il leur demandait le payement des taxes arbitraires ( (seliimhk)))30l. Plusieurs documents officiels confirment que ces tournées de (<servi­ ce) comportaient non seulement l'obligation pour les re'iiy{i, d'être hospitaliers, de nourrir gratuitement les hommes et les bêtes, mais aussi l'imposition illégale de charges fiscales en nature ou en argent. Ces dernières portent des noms différents : seliiml�k, seliimiyye ou poklon akçesi (taxe pour le salut que l'on accorde au gouvernant venu), tl3§riliyye (une sorte d'offrande donnée à l'occa­ sion de la visite d'un tel gouvernant), ücret-i lpudüm (taxe pour son arrivée) , na'l 300

Sect. Orient. BNS : Registre du �{jq,i de Ruse RIS, fO 69r, d. 1.

801 SELANÏKÏ : fO

7

320v.

94

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

behiis� (sorte de dédommagement des fers à cheval que les gouvernants turcs /pa/tan behiis� (taxe pour les vêtements de luxe de ces gouvernants), di/} J;,alplp� (taxe pour usure des dents lorsque les gouver­ nants mangeaient sur la table offerte par les re'iiyii etc.30Z Sous le nom général de �algun ou �alma plusieurs détenteurs de grands fiefs militaires percevaient de chaque exploitation familiale des re'iiyii une certaine faisaient user par leurs chevaux) ,

quantité de céréales et d'autres produits alimentaires ou leur équivalent en argent303• Déjà au cours de la deuxième moitié du XVIe s . , cette pratique s'était propagée considérablement, raison pour laquelle le pouvoir suprême s'était dans l'obligation de la prohiber par des dispositions légales. Dans les

vu

lpiinunnii­

mes de Vidin et Nikopol, datant de cette époque, on trouve la défense expresse pour les maîtres fonciers et leurs fonctionnaires de demander du ra'iyye gratuite­ ment des céréales, du fourrage, etc. et de percevoir du �algun. Les principaux organes du pouvoir judiciaire et administratif dans les provinces - les lpiiiJis étaient tenus de veiller à l'observation de ces restrictions304• Pourtant, dans les conditions d'arbitraire qui sévissait de plus en plus et des institutions en décomposition, ces prohibitions législatives restaient lettre mor­ te. Les nouvelles charges fiscales ci-dessus , qui n'étaient en fait que le camou­ flage de la spoliation la plus brutale, avaient commencé à être exigées de plus en plus de la population qui gémissait sous le poids de plusieurs autres redevances. C'est en vain que le pouvoir suprême réfusait opiniâtrement de légaliser ces taxes qui suscitaient avec raison les incessantes doléances de la population. Par un ordre de

1609

on défendait aux

beglerbegs, aux sancalpbegs de Roumélie et à

leurs voïvodes de faire des tournées dans les régions subordonnées et de percevoir du �algun (c. -à.-d. de percevoir gratuitement du ra'iyye des provisions ou de taxes arbitraires en argent) 306. Ces agissements avaient dû prendre une grande envergure puisque l'écrivain de la cour �oçi Beg de Gumurdjina les présente au sultan dans ses traités politico-didactiques comme des défauts

ra'iyye. sancalpbegs et beglerbegs de percevoir du ra'iyye les taxes seliimiyye, na'l behiis�, /pa/tan behiis�306. Pourtant, malgré ces recommandations et malgré les mesures alarmants du régime fiscal en vigueur dans l'Empire, �égime qui ruine le

Pour cette raison, il recommande avec insistance de défendre aux

prises par le gouvernement suprême, la situation était restée la même. Les ordonnances qui furent édictées à ce sujet en font foi. Dans la collection de documents turcs conservés à Sofia on trouve un

1618

/ermiin de 29. XII. 1617 - 7. 1 .

adressé aux lpii4is de l'aile droite à Roumélie, dans lequel il est défendu

expressément aux sancalpbegs de visiter les localités habitées par les

re'iiyii et de

802--808 Ibid. cf. CVETKOVA 1 958b : 49-53, SUCESKA 1 960 /6 1 : 90, iNALOIK 1 965 : 69 sq. 304 ()8terr. Nat.-Bibl. : AF 7 7 , fO 99r, KABRDA 1967 : 47, CVETKOVA : 1 970d : 342 ; cf. aussi CVETKOVA 1 972b : 351 sq. 806 iNALOIK 1965 : Nr. X. 308 TvERITINOVA 1 953 : 229.

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

95

recevoir gratuitement des céréales ou d'imposer les taxes na'l behiis� et lpa,ftan behiis�307. Des ordonnances de ce caractère étaient renouvelées tous les ans et même plusieurs fois par an. A la fin de 1619 et au début de l'année 1620 une nouvelle ordonnance rappelle qu'il est défendu aux voïvodes des beglerbegs et aux t}ub01�s des sanca!pbegs de faire des tournées inutiles dans les villages et de percevoir des re'aya du selamiyye308 . Au début de 1621 le sultan a renouvelé son insistante prohibition concernant ces actes et les nouvelles taxes arbitraires des gouvernants. L'ordre spécial du sultan édicté à cet effet faisait mention des tournées spoliatrices des gens de l'entourage du sanca!pbeg Mu�tafa80D. Du début de 1622 date un nouveau fermiin du sultan adressé aux sanca!pbegs de l'aile gauche de Roumélie qui reconnaît que, malgré les nombreuses prohibitions, les tournées, les fournitures gratuites par les re'aya et la perception de la taxe arbitraire
Sect. Orient. BNS : Registre du 1!arji de Sofia I -bis, fO 101v, d. I. Turski dok. ist. mak. narod 1 963/7 1 I : Nr. 26, 36, 49, 145. 312 Sect. Orient. BNS : Karaferia �rji I.A.2.a. Violences de la classe des exploiteurs, 2 gilfi,icce 1 077. 313 SUOESKA 1 960/6 1 : 90 sq. 314 CVETKOVA 1 958b : 44 sq. 314 a BASDRABELLE 1 952/55 I : Nr. 102, 22, II : Nr. 1 68. 308-- 311

-

,

96

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

En 1717 Lady Montagu était stupéfaite par ces procédés qui, de toute évidence, existaient encore dans les terres balkaniques. Lorsque les pachas voyageaient en province, note-t-elle, «ces oppresseurs, mécontents et après avoir dilapidé tout ce qui était de nature à satisfaire leur appétit et l'appétit de leur nombreuse suite, ont encore l 'insolence de demander aux pauvres paysans ce qu'ils appellent «argent pour les dents) [il est question de

di� l;,(]Jp��, n.a.]. Cet impôt avait pour

but de dédommager les pachas des dents usées en consommant les produits des paysans)316. Cette pratique d'impositions arbitraires avait survécue dans certains endroits

j usqu' à la fin du XVIIIe s . , moment où l'on percevait les taxes

imdiidiyye-i seleriyye et J:w,iariyye établies par l'État pour les remplacer. Selon un document de 1784 l 'ancien mul,ta/�z de Vidin - le vezir Ali Pali\a de Catalca, en allant à Küstendil en 1780/81 avait habité pendant huit jours dans les maisons des

re'aya de la région de Stip, en recevant d'eux gratuitement de la nourriture et du fourrage. En outre, il exigea de la population de lui donner 3500 piastres sous forme de

�dümiyye et t�riliyye316 .

Ces visites importunes dans les maisons des

re'aya n'étaient pas seulement

faites par des beglerbegs et des sanca�begs, mais aussi par des détenteurs les plus petits de fiefs militaires ou leurs représentants �ub��s et zabits Mu�tafa Selanikï .

note lui-même que les

�ub��s se trouvaient chaque mois en concurrence dans

ces initiatives. «C'est le début du mois - disaient-ils - on doit aller vérifier sa comptabilité) . Sous de tels prétextes fallacieux ils s'installaient en maître dans les maisons des paysans et déclaraient : «En outre, cette nuit nous serons tous hôtes de votre village, ce qui comporte des dépenses considérables. Pour le

lcebab et des autres produits on doit a (cçes)317. Selon les données d'un document officiel du milieu du XVIIe s . , dans différentes régions les sipahis visitaient les villages qui payement de la nourriture, du vin, du

percevoir encore 70-80

leur étaient subordonnés avec des détachements de 1 5 cavaliers et ils avaient

sipahis étaient très timars appartenant à plusieurs associés, fait attesté par certains 'adaletnames. Chacun des sipahis associés visite les villages séparément droit d'y séjourner trois j ours au plus. Ces (rvisites) des

pénibles dans les

et oblige chaque fois les paysans de le nourrir, lui, sa suite et son bétail, et de lui donner en outre de l'argent sous forme de

selaml��, hi?,metkar a�çesi, resid a�çesi,

etc. La perception de ces redevances était accompagnée inévitablement de sévices.31 8 Les charges fiscales de certaines localités augmentaient aussi à la suite des incessants conflits entre les nombreux détenteurs qui obtenaient, par des voies illégales, des documents pour la possession des mêmes

sipahiliks . On connaît

des cas ou deux ou trois prétendants, tant que durait leur conflit, percevaient

316 31 6

BERTON 1 822 : 208-209. Sect. Orient. BNS : Sofia-armée, II.A.2 ; B, Violences et malversations des organes du pouvoir, 8 I}evvi'il 1 l98 ; BASDRABELLE 1 952/55 1 : Nr. 1 85. 817 SEIANOO : fO 320v.

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

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plusieurs fois des villages respectifs les impôts que les paysans devaient payer une seule fois par an à leur maître. Le désir d'accroître les revenus de la rente féodale suscitait aussi d'âpres rivalités et la lutte pour son partage entre les différents représentants de l'aristocratie foncière ou entre eux et l'État. Au XVIIe s. et au début du XVIIIe, les détenteurs de grands fiefs militaires, surtout les plus riches et les plus puissants portaient atteinte aussi à des fiefs qui ne leur appartenaient pas en vue de soutirer de l'argent aussi des re'iiyii qui ne leur étaient pas subor­ donnés. Ainsi, par exemple, un ordre du 2. IX. 1731 adressé au vezir, le viili de Silistra, et au /rii4i de Babadag, relate la doléance du na��r qui surveillait les valp�/s de 'A'ilile Sultan et de Gazi Ibrahim Palila. Le nii��r se plaignait de ce que des gens de l'entourage des mir-miriins, des mir-liviis, des �ub01�S et d'autres gouvernants portaient atteinte à l'immunité fiscale des villages, valp�/s de Zehirkjoj, Seraj, Garvan et des villages qui leur étaient subordonnés adminis­ trativement du niil},iye Harsovo, sancalp de Silistra. Ils exigeaient illégalement des re'iiyii des valp�/s du beurre, du miel, des céréales, les taxes btid-i hava, cürm-ü ciniiyet et d'autres impôts de la catégorie tekiilil-i 'orfiyye ve 'aviinz-� diviiniyye319. Du même caractère étaient aussi les agissements des beglerbegs, des sancalpbegs et de leurs organes dans les circonscriptions des domaines dits «libres». Ces agissements étaient sévèrement reprouvés par le pouvoir suprême dans les 'adiiletniimes déjà mentionnés. De tels actes importunaient systémati­ quement les habitants des villages sipiihiyyes de Ra1lllle, Kajani, Sveti Todor, Baïrovo, Sakilovo et Aranovo (?), distr. de Bitola. Ils acquittaient régulière­ ment la dîme et les impôts à leur sipiihi. Pourtant, sous différents prétextes, les voïvodes de Bitola exigeaient d'eux du beurre et du fromage et les frap­ paient illégalement de la taxe otlalp ve yaylalp 1)alplp�320. On observait de plus en plus fréquemment aussi des tentatives de certains sipahis visant à défendre au ra'iyye de payer certains impôts à l'État, en vue de ne pas diminuer sa solvabilité qu'ils voulaient utiliser pour leurs propres intérêts. Ainsi agissent par exemple, les sipahis Arnavud Hamza-ogh, Turud et Nebi-ogh Na'lband Memi dans la région de Küstendil en 1592. Au moment où venait dans le village le percepteur du cizye ils menaçaient leurs re'iiyii de les punir sévèrement et de les tuer s'ils acquittent à l'État l'impôt cizye. En apprenant ces agissements, le pouvoir suprême s'est empressé de prendre des mesures urgentes321• Son zèle n'était nullement dicté par des soucis pour le sort du ra'iyye oppressé, mais par la peur de ne pas diminuer ainsi les recettes du trésor public. Le cas n'est pas unique. Selon les données provenant du lpaZii de Bitola de 1634,les �ub01�S des timariotes qui étaient à la guerre, empêchaient les cizyediirs (les percepteurs du cizye) de percevoir cet impôt des re'iiyii ainsi 318 iNALOIK 1 965 : Nr. XII, XVI. 319 Sect. Orient. BNS: Registre du �ii4i de Ruse R/37, fa 7r, d. Ii cf. Registre du �i de Sofia 3 1 I/1, fa 7r, d. l, 7v, d. 1. 3 20 Turski dok. ist. mak. narod 1 963/71 II: Nr. 175. 3 21 SOPOVA 1 955: Nr. 56.

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qu'il était établi par l'administration fiscale et emegistré dans les defters de cet impôt322. De la pression fiscale sans cesse accruen'étai ent pas épargnés non plus les habitants des villes. En 1715 les re'âyâ de Vidin s'étaient plaints au sultan que le commandant de Vidin avait commencé à percevoir déjà depuis 1708 des impôts plus élevés que ceux prévus par les lois: Ainsi il percevait pour l'impôt ispençe - 44 paras, pour un rucher 10 a(Gçes, pour un donüm de vigne - plus que prévu dans le registre. De leur côté, les segbâns percevaient illégalement 3 piastres de taxe de segbân. Ceux qui ne payaient pas ces impôts étaient enchaînés et battus de 1000 coups de bâton. De ces sévices 15 personnes étaient blessées et estropiées323. Avides de s'enrichir rapidement et n'observant pas les ordonnances du pouvoir suprême, les détenteurs des fiefs militaires cherchaient non seulement à accroître l'exploitation féodale par différents moyens, mais se livraient à de véritables pillages en semant la terreur au sein de la population. Ainsi, par exemple, en 1634 des habitants du village Starbovo, région de Prespa, se plaignaient des agissements de leur ancien Zâbit Sefer Aga. Sans aucune raison, lui et ses hommes ont attaqué la demeure de la chrétienne Mita Petrova en emportant 2000 a(Gçes, 15 têtes de bétail, 30 moutons, 15 o� de beurre, des quantités de lin, chanvre, etc. De la maison de Yovan Nenov le même Sefer Aga avait emporté 4000 a�es et 2 poids de beurre. Des autres habitants du village il avait extirpé 12 000 a� avec des indescriptibles sévices. Malgré les tentatives du �rf,i de le convoquer par ses mul),z�rs de se présenter au tribunal, l'insolent Zâbit réfusait l'obtempérer à cette convocation et <m'obéissait pas à la loi sainte)324. Cette conduite brutale est caractéristique de le changement de conduite de la classe dirigeante ottomane pendant la période du declin du système des fiefs militaires. Ce fait est attesté aussi par d'autres documents de cette époque. Ainsi, les habitants du village Vranenci, rég. de Bitola, communiquent au tribunal que leur sipâhi 'O�mân bat sans raison, blesse et tourmente les paysans et même les femmes. Il expliquait ses agissements par le peu de respect que les re'âyâ lui accordaient326. Plus éloquent est le cas du sipâhi du village Kostanice, distr. de Ruse, enregistré dans les sicills de cette dernière ville en 1735. Il buvait et sévissait jour et nuit ensemble avec quelques autres brigands. Dans sa ferme, qui se trouvait dans le village, il donnait asile à des brigands, avec lesquels il attaquait et volait même des musulmans, s'emparait et battait des gens innocents, etc.326 Les difficultés insurmontables du pouvoir suprême et ses besoins militaires se soldaient par une hausse considérablè des impôts d'État. Selon �oçi Beg de Gumurdjina, en 1582 les re'âyâ étaient obligés de payer l'impôt sur les mou-

322

Turaki dok. iat. mak. narod 963/7l II : N r 18l. Registre du �a(J,i de Vidin 1 6 1a, fO 74r, d. 1. mak. narod 1 963/7l II : Nr. 1 88, 1 27. Registre du �arJ,i de Ruse R/52, fO 26v, d. 1.

323 Sect. Orient. BNS: 324- 325 Turaki dok. iat. 326 Sect. Orient. BNS:

.

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tons à raison d'un a�çe par pair de bêtes, tandis qu'au début du XVIIe s. l'impôt était de 7-8 a�çes par bête. Le cizye avait augmenté aussi sensiblement son taux327. Pavel Djordjic considère cette hausse comme une des conditions oppressantes ayant contribué à l'intensification de la résistance populaire. D'après ses informations, de 60 a�çes par tête en 1594 le cizye avait augmenté à 400-500 a�çes par tête328. A partir de 1691 le système d'imposition avec le cizye avait subi de modifications329 - au lieu de frapper la famille entière, le cizye avait commencé à être imposé par tête d'habitant. On déterminait un certain nombre de cartes fiscales pour chaque localité. Elles devaient être réparties entre les re'aya au prorata de leur condition matérielle. Les cartes étaient de trois sortes: pour les plus riches, pour les personnes d'une fortune moyenne et pour les économiquement faibles. De cette division dépendait le taux du cizye qu'on percevait. Il est facile de s'imaginer les possibilités d'arbitraire que ce système comportait lors de la répartition des cartes et au moment de la perception de l'impôt. D'ailleurs, ces cas d'arbitraire avaient commencé à se manifester de plus en plus fréquemment dès le début du XVIIe s. Ainsi, par exemple, au cours des années 30 du siècle, le tribunal de Bitola avait à statuer à plusieurs reprises sur les protestations de la population de cette région contre les efforts du cizyedar AQ.med Aga d'accroître le taux du cizye sous différents prétextes fallacieux. Son opiniâtreté lui avait permis non seulement d'imposer aux re'aya la hausse de l'impôt, mais aussi de légaliser cette hausse par le tribunaJ330. Et ce n'est pas par hasard que les ordres édictés par le pouvoir suprême pour la perception de cet impôt mettaient en garde les cizyedars de ne pas com­ mettre des infractions (de ne pas imposer les familles riches et rejetant tout le poids sur les plus pauvres, évidemment, contre des pots de vin, etc.). Il est évident que ces infractions étaient devenues pratique courante. Cela est at­ testé, par exemple, par un document officiel du pouvoir qui nous apprend que les cizyedars et les voïvodes soumettaient à l'oppression et à la terreur tous les re'aya dans la région de Sofia, le long du Danube, en Bulgarie du nord-ouest et dans la région de Nii3331. En plus de cela, à partir du XVIIe s., le pouvoir suprême avait commencé à percevoir le soi-disant ziyade-i cizye (supplément au cizye) au taux de 160 a�çes par personne. Ses difficultés fiscales sans cesse accrues l'obligeaient à exiger que cet impôt soit payé d'avance par la popula­ tion332. Après l'établissement des cartes du cizye, les violences avaient dépassé toutes les bornes. Un document de 1727/28 sur le �za de Samokov illustre très bien cette atmosphère d'arbitraire et de brutalités. La population locale avait SMIRNOV 1 873 : 1 39-141. MILEV 1 9 1 5: 95-96. NEDKOV 1945/46: 23. 330 Turaki dok. iat. mak. narod 1 963/71 II: Nr. 171, 231. 33 1 Sect. Orient. BNS: OAK 33/54. 332 Bibl. Nat. Paris: Fonds supplément turc 1 19. 3 27 3 28 329

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l'habitude de recevoir 4200 cartes de cizye que l'on répartissait aussi parmi les non-musulmans du fr,aZiL d'Ihtiman. Dans la région de la ville de Samokov il y avait des ouvriers travaillant dans les mines de fer. En outre, pendant l'été, lorsqu'on répartissait le cizye parmi les re'aya, il y avait aussi beaucoup de bergers qui avaient amené leurs troupeaux dans les pâturages d'été. Pour cette raison, on avait distribué dans le fr,aZiL en plus 1800-1900 cartes. Pendant l'hiver, le cizyedar, qui ava.it reçu le droit de percevoir le cizye sur la base de ce nombre accru de cartes, n'hésita pas à imposer, lors de la répartition de ces dernières, illégalement les vieillards, les aveugles, les boiteux et les enfants. Il avait réparti les autres cartes en sorte que chaque maison fût imposée de deux ou trois parts fiscales. Cet arbitraire eut pour effet de ruiner et de disperser le ra'iyye333• Un voyageur étranger note dans son journal que les percepteurs de lJ,arac opprimaient terriblement les Bulgares chrétiens, en les obligeant à payer des impôts même pour des enfants âgés de 18 mois, bien que selon les lois turques toutes les personnes de moins de 16 ans étaient exemptés du payement des impôts334• L'oppression fiscale du gouvernement central se manifestait surtout par le système des impôts dits extraordinaires ('avanz-� divaniyye ve tekalïf-i 'or­ fiyye). Imposés au début comme des obligations payables une seule fois et perçus de temps à autre, à des grands intervalles et à des occasions détermi­ nées, ces impôts étaient devenus annuels, en se multipliant et en augmentant leur taux sans cesse. De 40 afr,çes par àJine l'impôt 'avanz avait atteint 325 afr,çes, l'impôt nüzül était passé de 30 à 600 afr,çes336• Evidemment, la hausse réelle des impôts d'État n'était pas tellement grande, en tenant compte de la dépréciation catastrophique des monnaies dans l'Empire, dépréciation pro­ voquée par les perturbations intervenues à la fin du XVIe s. dans la conjonc­ ture économique méditerranéenne. Et, pourtant, elle était suffisamment impor­ tante pour susciter la triste constatation du contemporain: «Dans les provinces de l'État les impôts extraordinaires ont conduit les re'aya à avoir assez de ce monde et de tout ce qu'on peut y trouver.»336 Le système lui-même de l'imposition avec les 'avanz-� divaniyye ve tekalif-i 'orfiyye offrait des possibilités pour l'oppression de la population dans des nouvelles conditions. Les guerres et l'intensification de l'exploitation et de l'arbitraire contribuaient aux fréquentes émigrations et fuites de la population asservie des localités où les fuyards étaient inscrits dans le rôle des contribu­ tions. Puisque le fisc ne pouvait pas refléter dans ses registres ces fuites, les percepteurs des impôts extraordinaires ne tenaient pas compte des change­ ments intervenus dans le nombre de la population (diminution du nombre des contribuables à cause de l'émigration, des maladies, des épidémies, etc.) et exigeaient le payement de la totalité de l'impôt. Cet ordre des choses est 333 334 336 336

Sect. Orient. BNS: OAK 45/8. �!ISMANOV 1 89 1 : 47 1 . CVETKOVA 1 958b: 20-22, 57. SELANÏKÏ: fD 309v.

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attesté par un document du "*açli d'Andrinople de 1665. Les re'aya du village Hadjilar, région d'Andrinople, devant acquitter 5 !Jane de 'avanz, se plai­ gnaient de leur pauvreté et de ce qu'une grande partie des habitants s'étaient dispersés. Dans le village n'étaient restées que 5-6 personnes. Après l'enregis­ trement, dans certains endroits du voisinage on avait construit des maisons formant un hameau. Ces maisons n'étaient pas frappées de !Jane de 'avanz. Les plaignants insistaient que l'on répartît aussi sur les maisons du nouvel hameau les lfanes déterminés pour le village337• Dans ce système d'imposition fiscale et en présence de l'accroissement de la migration de la population, ce n'était pas seulement le ra'iyye qui éprouvait des difficultés. Le pouvoir suprême subissait aussi des pertes. Le plus souvent les fonctionnaires chargés de la perception des 'avanz-� divaniyye ve tekiilif-i 'orfiyye qui procédaient à l'imposition sur la base des données des registres du mevlpUfiit, ne savaient rien des localités nouvellement fondées ou des nouveaux habitants ne figurant pas dans les rôles des contribuables des localités ou des régions respectives. De cette façon, certains habitants restaient en dehors de la perception, fait attesté par le document cité du village de Hadjilar. Ces défauts du système fiscal n'avaient pas échappé aux conseillers de la cour, déjà pendant la première moitié du XVIIe s. Ce n'était pas par hasard que �oçi Beg de Gumurdjina conseillait au sultan d'entreprendre un nouveau récense­ ment plus précis pour deux raisons: préserver les sujets d'une imposition fiscale excessive et garantir les intérêts du trésor en y incluant les lfanes non encore enregistrés338• Mû avant tout par la deuxième considération, le pouvoir suprême effectue progressivement pendant le XVIIe s. des changements dans le système de l'imposition fiscale339• L'évaluation et la répartition des lfanes étaient effectuées dorénavant sur place avec la participation du tribunal du lpaçli, des nouveaux organes locaux auxiliaires du pouvoir central - les a'yan-i vilayet, des représentants du pouvoir et des re'aya. Ainsi, le pouvoir central pouvait plus facilement se rendre compte de la solvabilité et des objectifs imposables dans chaque région. Mais même sous ce nouveau régime il ne tenait pas compte des changements intervenus dans le nombre de la population locale. Au contraire - les lfanes des re'iiyii fuyards (gürilfte) étaient payés par toute la population présente dans une localité donnée. Avec ce système de répartition des lfanes, les possibilités de leur évaluation et de leur augmentation d'après l'estimation des gouver­ nants locaux, surtout des a'yan du vilayet, devenaient de plus en plus grandes. Pour cette raison, à partir des dernières décennies du XVIIe s. les doléances de la population contre l'injuste imposition fiscale et l'accroissement démesuré des impôts perçus deviennent de plus en plus fréquentes. A tout cela il faut ajouter aussi les abus qui accompagnent inévitablement la perception des impôts «extraordinaires». A cet occasion �oçi Beg de Gumurdjina conseille le 887 Sect. Orient. BNS: Andrinople-lc&ji, I.I.3 .a;
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sultan dans un de ses traités; «d'ordonner le plus sévèrement possible à ceux qui vont percevoir les 'avanz de le faire conformément au régistre et de ne pas prendre plus d'argent du ra'iyye.)340 En 1607 le Jr,ii1-i de Ket;!an rapporte que deux personnes étaient venues dans son 'saia afin de percevoir les 'avanz pour 1605/1606. Ces personnes avaient apporté avec elles un ordre qu'elles firent porter à la connaissance de la population. Or, tous les habitants déclarèrent devant le �i qu'ils avaient acquitté leurs impôts pour cette année et qu'ils possédaient des te�keres spéciaux à ce sujet340a. En considérant la désorganisation intérieure de l'Em­ pire et la vaste utilisation de la pratique des pots de vin, il est facilement explicable que de telles personnes réussissaient à se munir plusieurs fois de suite d'ordres du sultan pour percevoir deux ou même plusieurs fois les 'avanz d'une même localité. Un autre i'lam du �i de Tikves de 1695 rapporte un cas semblable. On avait reçu un buyuruld� pour que le mul}n,tJ�tl de Roumélie perçoive les impôts non recouvrés - un. tiers des impôts 'avanz et nüzlll pour les années 1692/93 et 1693/94, que devaient les re'aya du 'saia de Tikves. Le buyuruld� était lu devant les re'aya. Ces derniers déclarèrent dans le tribunal qu'ils avaient acquitté entièrement les arriérés dus au p�a qui avait envoyé l'ordre et qu'ils ne devaient rien pour les années en question340b. Les incessantes guerres et le besoin d'entretenir une armée comprenant un nombre sans cesse accru de mercénaires obligeaient l'État à recourir de plus en plus fréquemment à la réquisition et à l'achat forcé de céréales, bétail et munitions (sürsat, i�tira). Ainsi, la situation du ra'iyye devenait de plus en plus insupportable. Dans ces nouvelles conditions le ra'iyye s'appauvrissait, raison pour laquelle des nombreux paysans émigraient dans d'autres régions pour fuir l'oppression et l'arbitraire. Le pouvoir tenait de moins en moins compte de cet état des choses et avait pris l'habitude d'exiger des réquisitions plusieurs fois par an au lieu d'une seule fois toutes les quelques années. Voici pourquoi �oçi Beg conseille au sultan de ne recourir à l'i�tira qu'à des intervalles de cinq ans, car (ùe ra'iyye est devenu extrêmement pauvre et a fuit les villages)34oc. Les doléances contre l'oppressant i�tira devenaient de plus en plus fréquen­ tes à partir de la deuxième moitié du XVIIe s. Les habitants du village Arbanassi, région de Tarnovo, avaient adressé en 1686 une pétition au sultan dans laquelle ils déclaraient ne pas être en mesure d'acquitter leur i�tira en orge et en blé341. Dans une semblable pétition de 1692 les habitants du village Klissali, région d'Andrinople, déclarent que sur les 380 kiles de blé d'i�tira dont ils étaient imposés, ils avaient remis 340 kiles et qu'ils n'avaient pas la possibilité de verser davantage. Ils priaient que l'on leur fasse grâce des 40 kiles en déclarant; (
228': blano par l'auteur (Réd.). an Sect. Orient. BNS: Nikopol-�tira me müru , 1, K. Redevanoes à l'État, 1 5 I)ajar 1097. 342 Sect. Orient. BNS: NPTA XVII 4/35. '

:'

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fonctionnaires communiquent qu'à cause de la famine les habitants des régions de Tarnovo, Pleven, Lovee et Nikopol ne peuvent pas remettre complètement les 60 000 kiles d'Istanbul de céréales. Ils allaient fournir 20 000 kiles et prient que l'on leur fasse grâce des autres 40000 kiles343• Lorsque dans certaines régions il manquait des céréales, leur achat de force était extrêmement pénible pour la population, car les fonctionnaires chargés de cet achat ne tenaient pas compte de la situation de la population et cherchaient par tous les moyens à leur arracher toute la quantité commandée. Ainsi, par exemple, d'après les données de 1693 la population de la région de Bunar I;I1I�1I1r se plaignit que les percepteurs l'oppressaient en lui demandant de fournir la quantité annuelle habituelle d'orge bien que le district manquât totalement de céréales344• Au cours des dernières années du XVIIe s. les autorités avaient insisté sur ce que les re'aya de la région de Ber leur fournissent en nature l'impôt 'avanz, en quantité déterminée de salpêtre. Dans le district, le salpêtre manquait et les habitants étaient obligés de payer un rachat très élevé: 1800 alpçes par lfane. Cette situation était extrêmement ruineuse pour eux346• Ces fournitures étaient encore plus pénibles lorsqu'on exigeait de la popula­ tion de s'acquitter après avoir dépensé ses produits alimentaires pour l'entre­ tien d'effectüs militaires de passage et séjournant provisoirement dans les localités. D'après un document du deuxième quart du XVIIe s. les re'aya de la région de Sofia et de Pirot étaient chargés de cuire et de fournir d'im�enses quantités de biscottes. Peu de temps après des troupes allant à Nia devaient séjourner 2-3 mois à Sofia, ce qui obligea la population de dépenser toutes ses réserves, sans pouvoir fournir la quantité exigée de biscottes. Or, l'État n'a pas voulu ni rapporter ni réduire cette pénible obligation346• En outre, très souvent l'État lui-même essayait, sous la couverture de la loi, d'abuser du ra'iyye lors de la perception de l'i�tira. Il était officiellement admis que les fournitures devaient être payées à des prix fixés par l'État et plus bas que ceux courants au marché. Or, les incessantes diff icultés financières du trésor ne lui permettaient pas toujours de s'acquitter envers la population. Pour cette raison, au XVIIe s. on avait de plus en plus pris l'habitude de payer les re'aya de la manière suivante: contre ce que l'État leur devait on promet­ tait aux re'aya la diminution ou l'exonération de certains impôts. Cependant, quand venait le tour de la perception des impôts en question, les fonctionnai­ res oubliaient les allégements promis et percevaient la totalité de ces impôts. Ainsi, les réquisitions devenaient des fournitures gratuites347• Très souvent les 343 Sect. Orient. BNS: Tarnovo-(ca4i 1.K. Redevances à l'État,

7-9.

3 rebi'

344 Sect. Orient. BNS: Bunar I;Iif,;iir·population, LK. Redevances à l'État, 1 2 receb U04. 346 Sect. Orient. BNS: Karaferia·{catti, 1.L3.a. 'Avar�z, 24 receb U04; 1 muflarrem 1 105. 346 Sect. Orient. BNS: Registre du (carf,i de Sofia 3 1 2/4, fO 51', d. 1. 347 CVETKOVA 1 958b : 126 sq.

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percepteurs (müblÏfirs) exigaient arbitrairement et percevaient des re'iiyii des quantités dépassant le taux prescrit. Ils pesaient les céréales remises à titre . d'i*tirii comme bon leur semblait. Ils évitaient de se servir du kile officiel et dûment estampillé et en utilisaient un autre d'une plus grande contenance en vue de soutirer plus de provisions des re'iiyii348• Lors du payement des vivres réquisitionnés, les müblÏfirs diminuaient arbitrairement les prix fixés par l'État, afin de réserver pour eux l'écart34o. Parfois ils se permettaient même de ne pas payer les réquisitions. Tel est, par exemple, le cas de la doléance de 1710/11 de la corporation des mütiifc�s de Silistra. Ils avaient fourni les sacs nécessaires pour l'emballage des biscottes et s'attendaient à recevoir des mübii­ �irs 2 piastres par 11 sacs. Le müblÏfir ne leur donna rien. Le rapport envoyé à cet effet par la chancellerie du grand vizir à la chancellerie du sultan insiste à ce qu'on ne permette pas un tel abus.360 De nombreux arbitraires et des violences accompagnaient aussi l'achat des produits alimentaires pour les ambassades étrangères traversant certaines régions. Il était courant que les mihmiiruliri s et les autres fonctionnaires accompagnant ces ambassades et s'occupant de leur nourriture et de leur logement, spoliaient de la manière la plus effrontée la population sous prétexte de percevoir l'i�tirii légaP61. De pair avec le fardeau fiscal s'accroissaient aussi les différentes corvées. Le pouvoir introduisait sans cesse de nouvelles formes de redevances gratuites die travail. Les incessantes guerres et l'aggravation de la situation politique obli­ geaient l'Empire à s'occuper sans cesse des installations de défense dans les régions frontalières, de l'entretien et de la réparation des routes utilisées par les armées, du transport des vivres et des munitions jusqu'aux menzils ou aux champs de bataille des forces armées. C'est en vain que la population suppliait les autorités de tenir compte de ses forces et de ses possibilités. Elle rappelait en vain qu'elle était surchargée d'obligations et appauvrie par les guerres, les calamités et la ruine. Dans un exposé de 1697/98 on lit que les non-musulmans de la région Yenice-Vardar avaient reçu l'ordre de fournir, cette année encore comme auparavant, 15 charrettes pour du travail forcé. Or, ces 15 charrettes étaient réparties dans le passé aussi bien parmi la population musulmane que parmi la population non-musulmane. Dans notre cas la population musulmane était enregistrée comme soldats d'infanterie et libérée des impôts extraordinai­ res et des corvées dues à l'État. Dans ces conditions les corvées étaient trop lourdes pour la seule population non-musulmane36\!. Selon un rapport du �ii4i de Sofia du 8. VI. 1702, la population de la région de Breznik avait déclaré 348 Sect. Orient. BNS: Salonique-mübaya'a emini, I.K. Redevances à l É tat, 20 �a'ban 1177. 349 Sect. Orient. BNS: Burgas-mübiïya'a me'müru, I.K. Redevances à l État , 28 .�a'biïn 1200. 350 Sect. Orient. BNS: NPTA XVIII 1/7l. 3D! BOSOOWIOH 1772: 32-33,63, 114-116,138. 352 Sect. Orient. BNS: Mk 23/18. '

'

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n'être plus en état de réunir les 19 oUVTiers demandés pour la construction de la forteresse de NiB, car elle était extrêmement pauVTe. Si l'on l'obligeait à faire cela, elle serait ruinée et se disperserait363. Lors de l'imposition des différentes corvées les cas d'arbitraire devenaient de plus en plus fréquents. Dans les archives turques de Sofia est conservé un exposé de la population de la région de Bunar ij:l�ar du début du XVIIIe s., dans lequel on voit que la population a été forcée de donner gratuitement 40 chevaux pour des besoins militaires. Les paysans étaient battus et forcés de fournir de l'orge pour la nourriture de ces chevaux364. Lady Montaigu conte avec indignation, en tant que témoin oculaire, comment les fonctionnaires, qui accompagnaient l'ambassade avec laquelle elle voyageait, avaient refusé de donner une rémunération à de nombreux malheureux qui étaient forcés de transporter les bagages de la mission. Leur bétail était mort de fatigue. «Ils sont venus autour de la maison, écrit Lady Montaigu, et pleuraient, arra­ chaient leurs cheveux et leurs barbes de manière à émouvoir même le cœur le plus insensible. Or, ils n'ont reçu que des coups de gourdin que leur portaient les insolents personnages militaires.,)366 Boscowich raconte que lorsque l'équipage de l'ambassade avait besoin de bétail ou de charrettes, le mihmiindar et les autres personnes de l'escorte des étrangers s'emparaient par force de bétail ou de charrettes partout où ils les trouvaient sur leur route, sans jamais penser à donner une rémunération ou à rendre le bétail et les charrettes366. En outre, les fonctionnaires qui imposaient les corvées, commettaient aussi des abus, usaient de violence et recevaient des pots de vin pour libérer l'un ou l'autre du pénible travail forcé. Pour cette raison, les ordres du sultan prescrivant la collecte de gens, de bétail ou de charrettes pour une corvée quelconque, ne cessaient d'exiger des fonctionnaires de ne pas spolier les re'iiyii, de ne pas percevoir plus qu'il n'en est prescrit et de ne pas user de violence. De tels agissements ont motivé un ordre du 7. IV. 1590 adressé aux Jriii/,is de Küstendil et de Kratovo pour le recrutement d'ouVTiers-spécialistes destinés à participer à la construction de la forteresse de Kacanik. Cet ordre contient un sévère avertissement:
106 Changements intervenus au sein des mstitutions ottomanes en Europe bien que dans la misère, les verser

1000

re'âyâ

de la région de Sumen étaient obligés de

piastres pour le menzil de Provadia. Sur la route traversant la

région chevauchaient sans cesse des mübÜ1Jirs et des courriers, raison pour laquelle la population devenait de plus en plus pauvre. Les dépenses du district augmentaient, la population s'endettait et était complètement rui­ née369. Avec encore moins de scrupules que les propriétaires fonciers et les fonction­ naires d'État lors de la perception des impôts étaient les fermiers

(mültezims).

Ils s'efforçaient par tous les moyens de rendre plus lucratifs leurs droits, en cherchant à récupérer et à acquitter à l'État ou à des personnes privées le prix de leur concession et à réaliser aussi des gains personnels maximaux. «En commençant à percevoir l'argent du beglik, écrit �oçi Beg de Gumurdjina, il cherche non seulement à récupérer le prix payé, mais aussi à réaliser quelques de bénéfice. Ainsi les re'âyâ pauvres sont soumis à différentes oppres­ sions, mais cela ne peut pas être autrement.»36 0 Toujours d'après les données de

a�çes

�oçi Beg les fermiers percevaient

8 a�çes

700-800 a�çes de

cizye et de

'avânz

et de

7à

par mouton au lieu d'un. Pour cette raison Selaniki note que «les

revenus des mu�âta'as sont tombés entre les mains de féroces mültezims et âmils.»361 Les données de nombreux documents officiels turcs confirment ces observations. On apprend d'un tel document de demi

mulpiita'a, formé de l'ifi,tisâb de likâne), oppressait la population de

1728

que le mültezim d'un

la ville de Serez et affermé à vie (ma­ la ville et suscitait alors l'indignation

générale. Ses emportements avaient probablement pris une telle envergure, que le pouvoir s'était

vu

dans l'obligation de lui reprendre le malikâne en

avertissant les autorités locales qu'il n'hésiterait pas à exiler dans l'île de Chypre le fermier en question s'il continuait ses violences362. Parfois les fer­ miers d'un domaine ou d'impôt ou les maîtres des domaines eux-mêmes ou les fonctionnaires d'État essayaient de percevoir en même temps les mêmes

impôts de la population asservie. En

1727

les

vâlis

d'Ohrid avaient concédé à

ferme leur droit de percevoir l'impôt imdâdiyye-i fJ.n!�ariyye du ra'iyye local. Par la suite, malgré les conditions de l'affermage, ils continuaient à exiger le

payement de l'impôt en même temps que les deux fermiers. Ces iniquités étaient accompagnées d'une forte pression sur le

ra'iyye et furent à l'origine de la fuite

de treize villages du district d'Ohrid363. 4ux termes d'un procès-verbal du tribunal juif du XVIe s. les juifs de Vidin étaient forcés de payer leurs impôts aussi bien aux organes d'État qu'aux concessionnaires de ces impôts363U.. , Ces nouvelles conditions ont également contribué à égaliser le régime fiscal des différents groupes et couches de la population, d'effacer certains allége359 360 361

Sect. Orient. BNS: 'Oêmiin Piiziir-lâi4i, 1. Menzil, 22 l}eVVéU 1198, fO 2.

TVERITINOVA 1953: 244. SELANÏKÏ: fO 209r.

362 Sect. Orient. BNS: Bitola-[cât;li, II.A.2. a. Violences de la classe des exploi­ teurs, 28 cemazi-yel-evvel 1 140. 363 Sect. Orient. BNS: OAK 258/0.

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107

ments et droits accordés aux catégories spéciales de la population en échange de leurs lourdes obligations envers l'État. Pressé par les besoins des incessantes guerres, surtout pendant la deuxième moitié du XVIe s., le pouvoir ottoman avait commencé à imposer de plus en plus fréquement des réquisitions non seulement au

ra'iyye

(i{ltira)

ordinaire, mais aussi aux catégories chargées d'obli­

gations spéciales de la population, bien que d'après la loi elles étaient exoné­ rées de tous les impôts extraordinaires. Ainsi, par exemple, un ordre de

1688,

adressé au lpiüf,i de Djuma Pazar (Macédoine) et à d'autres fonctionnaires, exigeait que l'on prît pour les besoins de l'armée guerroyant en Grèce de l'orge, de la farine, du gruau et du beurre non seulement des

re'aya

ordinaires, mais

aussi de ceux qui étaient exonérés du payement des impôts extraordinaires364• Toujours pour les besoins de l'armée participant à la guerre contre les États de la «Sainte Alliance», un ordre de

1691

exigeait de toute la population, y

compris les contribuables exonérés du payement des impôts extraordinaires des régions de Salonique, Avrat :J;Ii�ar (aux environs de la ville actuelle de Kukus) et Yenice-Vardar, qu'elle fournît une quantité déterminée de biscot­ tes366• En rapport à ces mêmes événements un ordre de

1685

disposait que l'on

exigeât de la population de la région de Breznik pour les besoins de l'armée de l'orge, de la farine, des moutons, du beurre fondu, du miel, du bois et de la paille sous forme de l'impôt

(<sÜ1·sat g,elJiresÏ».

Cet impôt devait être exigé aussi

des personnes jouissant d'allégements fiscaux366• En

1697/98

plusieurs districts

bulgares étaient obligés de fournir des vivres pour les besoins de l'armée. Dans ces fournitures devaient participer aussi les catégories exemptées des impôts extraordinaires367• Pourtant, l'imposition d'impôts extraordinaires à des caté­ gories spéciales de la population ne se faisait pas uniquement en temps de guerre. Au cours du XVIIIe s. les exonérations fiscales étaient de plus en plus négligées aussi à d'autres occasions. Ainsi, un ordre de fourniture de

1702 concernant la 500 kiles d'orge pour la nourriture des chevaux de l'étable d'État

à Andrinople, prescrivait expressément que l'orge devait être acheté de toute la population, y compris les personnes «exonérées»

(mu'af ve gayr-i mu'af)36 8.

Les archives turques sont pleines de documents attestant que très souvent les catégories des «exonérées» étaient frappées arbitrairement d'obligations fiscales illégales par les féodaux et le pouvoir d'État. Déjà en

1575 les voynulps

des régions de Sofia, Pirot et Breznik protestaient contre les agissements des fonctionnaires du fisc qui exigeaient d'eux par force différents impôts, bien

363" Note laissée en blanc par l'auteur (Réd.). 364 Sect. Orient. BNS: Constantinople-Grand Vizirat, I.K. Redevances à l'État, Il

cemazï-yel-ahir 1100. 365 Sect. Orient. ENS: Salonique-�{i(tï, Fournitures militaires, 29 rebï' 366 GRZEGORZEWSKI 1912: Nr. 113. 367 Sect. Orient. BNS: Constantinople-defter[uïne, I.K. Redevances à l'Etat, 2 §a'ban 1109. 368 Sect. Orient. BNS: Constantinople-Grand Vizirat, I.K. Redevances à l'État, 2 mullarrem 1114.

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Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

qu'ils étaient exonérés du payement de l'ispençe, des impôts extraordinaires, etc.369 Une information officielle du XVIe s. confirme la fréquence des imposi­ tions illégales frappant les soi-disant celebk�iins. Lorsqu'ils devaient amener à Constantinople le bétail qu'ils étaient tenus de fournir, en cours de route, ils étaient obligés de supporter des violences des maîtres fonciers locaux et de différents fonctionnaires d'État. Les gens des sancalpbegs, les voïvodes, les §uba§ts, les sipiihis, les emins, les 'iimils, les percepteurs du cizye et d'autres organes du pouvoir leur créaient d'incessantes difficultés. Les maîtres fonciers les attrapaient et incarcéraient, eux et leurs bergers, sous prétexte qu'ils avaient traversé leur terres et leurs ponts, et exigeaient qu'ils acquittent l'otlalp resmi (taxe de pâturage), l'egrek 7;uJ,lplpt (taxe de parc à moutons), le d�tbiini (taxe de garde champêtre), l'ispençe et d'autres impôts. Ils soutiraient d'eux de

l'argent et, leur exigeant illégalement des garants, percevaient un taux plus élevé de l'impôt sur les moutons et ils s'emparaient de leurs moutons laissés dans les montagnes et refusaient ensuite ,de les restituer. Ils leur retenaient, en outre, des chevaux pour les donner aux janissaires ou aux courriers. Des voïvodes, des emins et des 'amils percevaient d'eux des Mcs (taxes du marché), tandis que les gens des sancalpbegs et les voïvodes parcouraient les districts pour l'achat de moutons et oppressaient la population par des agissements arbitraires. Ils exigeaient des celebs d'instruments agricoles, des vêtements et des chevaux, ainsi qu'une taxe pour le passage par les ponts de 200-300 alpçes par troupeau au lieu de 25 comme c'était l'usage dans le passé. Très souvent on leur retenait le bétail pour le transport du bois aux gouvernants. Lorsque les celebs apportaient du bétail à vendre, certains sipiihis, janissaires ou spécu­ lateurs leur faisaient des difficultés, d'autres s'installaient dans leurs maisons, mangeaient gratuitement et prenaient des provisions sans payer. En outre, les sipahis, dans les domaines desquels les celebke§iins travaillaient des terres, ne percevaient pas à temps la dîme qui leur revenait pour l'exiger plus tard non

pas en nature mais en argent, à des prix plus élevés que ceux du marché. Ils

leur percevaient aussi l'ispençe à raison de 32 alpçes au lieu de 25 et les

obligaient à leur apporter du foin et du bois. Les documents dont on dispose énumèrent aussi d'autres cas d'arbitraire, par lesquels on oppressait les celebs et les ravalait au niveau du ra'iyye ordinaire370• Mais ce n'était pas seulement le rehaussement du niveau de l'exploitation féodale qui aggravait le statut de la population bulgare. A l'instar des autres re'ayii habitant l'Empire, la population des terres bulgares souffrait aussi des changements provoqués par des fonctionnaires eux-mêmes. La généralisation de la pratique de l'affermage et la vente des fonctions et des postes de l'administration ottomane, surtout pour de courts délais, incitaient les fonctionnaires exerçant leurs charges sur la base de cette pratique à une spoliation délibérée de la population. «Une fois installés dans leurs fonctions, 360 370

DOREV 1940/42 III: Nr. 28.

Bibl. Nat. Paris: Fonds turc 85, fO 90v-91r.

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

109

écrit un observateur étranger, ils s'empressent de voler et d'oppresser le peuple, car la durée de leurs fonctions était très courte. Ainsi, ils récupéraient rapidement leurs frais et aspiraient à en récupérer encore davantage, afin d'occuper d'autres fonctions, où ils continueraient à voler comme aupara­ vant. » 371 Le

bailo

vénétien à Constantinople Lorenzo Bernardo décrit aussi

dans son rapport de 1592 la conduite rapace des hauts fonctionnaires d'État et des gros féodaux dans les provinces. «Ne pouvant pas garder leurs fonctions, note-t-il, sans dépenser et faire de grands cadeaux (c.-à-d. en donnant des pots-de-vin, n.a.) . . . ils sont obligés de voler . .. la population . . . Les peuples détestent à un très haut degré tous leurs lpiirJ,is,

sancalpbegs et beglerbegs

qui les

tyrannisent et les rongent jusqu'aux OS.»372 L'éminent encyclopédiste ottoman l;[acci :trama fait ressortir lui-même dans un traité consacré à la situation financière de l'Empire, que la principale cause de la ruine de l'économie agricole au XVIIe s. réside dans la vénalité largement répandue de l'appareil administratif ottoman. Lorsqu'un fonctionnaire achetait son poste, il aspirait par tous les moyens à récupérer le plus rapidement possible la somme dépensée et même à réaliser un gain. Pour cette raison, il le vendait à un autre. Le nouveau titulaire récupérait ses dépenses par des violences sur les

re'aya373•

Les changements intervenus dans les institutions militaires produisaient, eux aussi, un effet des plus défavorables sur le sort de la population. La décomposition du corps des janissaires allait de pair avec le dispersement massif des janissaires dans les provinces. Une partie de ces troupes etait installée officiellement par le pouvoir dans plusieurs localités en tant qu'orga­ nes militaires et policiers374. Les autres cherchaient des métiers lucratifs, en devenant des

mültezims ou

en participant à l'activité économique des localités

en qualité de commerçants, artisans, etc. Dans plusieurs localités bulgares les janissaires comptaient parmi les représentants dirigeants du pouvoir turc et très souvent imposaient leur volonté et dominaient les autres notables turcs. . Ce fait est attesté très nettement par les informations de Pavel Djordjic de 1597, selon lesquelles à cette époque un janissaire sévissait dans la ville de Provadia. Pour légaliser ses violences il avait même menacé de mort le

lparJ,i locaJ376.

Les effectifs militaires ottomans et leurs commandants corrompus déjà, qui recevaient de plus en plus irrégulièrement leurs paies et subissaient sans cesse des défaites surtout sur le front européen, compensaient tout cela par le pillage des provinces ottomanes en Europe. Selon les dires de P. Djordjic au début de la Guerre austro-turque (1593-1606) «les janissaires et les

sipahis,

qui allaient à

la guerre, privaient la population des biens nécessaires, violaient les enfants devant les yeux de leurs pères et mères» . . . 376 «L'insolence de la cavalerie et de 371 VIGNEU 1687: 158-159. 372 Relazioni - ALBERI 1840/55 II: 372. 37 3 BERNAUER 1857: 121 sq. 374 GEORGIEVA 1968. 376 MlLEV 1915: 96. 3 76 MAKUSEV 1882 II: 250.

um8

110

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

l'infanterie, communique Ricaut, est plus insupportable. Les officiers, lors­ qu'ils se déplaçaient d'une région dans une autre, admettaient que des groupes avec

20-30

chevaux, chevauchant ici et là, après avoir vécu chez les pay­

sans tant qu'ils voulaient, les forçaient de leur donner de l'argent et des vê­ tements et s'emparaient de leurs enfants pour les vendre comme esclaves.)377 Cette impression de Ricaut est confirmée par plus d'un document officiel de cette époque comme par ex. le firman de

1685 adressé à plusieurs fonctionnaires

à partir d'Andrinople jusqu'au Péloponnèse (y compris la région Égéenne et la Macédoine occidentale). Les autorités avertissent leurs subordonnés des pro­ vinces respectives que les armées turques qui se sont dirigées vers le Pélo­ ponnèse pour participer à la guerre de Crète, enlevaient des provisions des

re'âlyii

tout le long de leur chemin377a..

Les organes de la justice ottomane, qui exerçaient de très vastes fonctions et jouissaient d'une grande influence au sein de la vie sociale des localités bulga­ res, étaient également atteints par la désorganisation intérieure générale. Le tribunal turc légalisait souvent des crimes notoires perpétrés par les gouver­ nants locaux sur les

re'iiyii.

Des frii4is et des nâ'ibs (leurs substituts) pronon­

çaient souvent des sentences sur des différends judiciaires au détriment de la population bulgare378• Au cours de leurs descentes judiciaires dans les provin­ ces, ils s'installaient dans les maisons des

re'iiyii

et les obligeaient à les entrete­

nir gratuitement379. Lors de l'enregistrement des successions des personnes

défuntes, ils inscrivaient une valeur plus élevée que la valeur réelle en vue de percevoir des taxes plus élevées3so. Puisque la répartition de plusieurs impôts d'État se faisait par le truchement du tribunal, des fonctionnaires judiciaires profitaient de l'occasion pour augmenter le taux de ces obligations au-dessus du taux légal en vue de percevoir pour eux le supplément3s1. «La vente des postes de frii4i, note P. Djordjic, a été et continue à être la raison pour laquelle les frii4 is jugent au profit de ceux qui leur donnent plus d'argent et commet­ tent ces malveillances sans aucune honte.)3sz (\Aujourd'hui, note avec réproba­ tion San Me1;lmed Pa�a, certains frii4is considèrent que les pots de vin sont des (
- ces notables locaux

désignés et élus par les habitants des provinces, qui, à partir du XVIIe s. ont commencé à jouer un rôle de plus en plus important dans l'administration des

377 RIC AUT 1670; 536. 3770. BASDRABELLË 1952/55 I; 215 sq., II; 90. 378 Sect. Orient. BNS; Registre du lfla4i de Vidin 14, fO llr, d. III. 379 Turski dok. ist. mak. narod 1963/71 II; Nr. 4, tNALOIK 1965; Nr. XIV. 380 Cf. Sect. Orient. BNS; Registre du lpii4i de Vidin 14, fO Br, d. II, cf. aussi

BASDRABELLË 1952/55 II; 165. 381 Cf. par ex. Sect. Orient. BNS; Registre du lfli4i de Vidin 19, fO 46v, d. I; Registre du lfli4i de Sofia I-bis, fO 96v, d. II et autres. 882 MlLEV 1915; 95. 888 $an M e"ftmed Patja

-

WRIGHT 1935; 91.

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

III

provinces. Lors de leurs éléctions on tenait de moins en moins compte de l'opinion des habitants - c'étaient les pots-de-vin et les protecteurs puissants qui décidaient de tout. La participation des a'yiin lors de la répartition des impôts et des «dépenses du viliiyet» dans le tribunal du lpiiij,i leur assuraient la possibilité de commettre toutes sortes d'excès: d'exiger ces impôts à un taux beaucoup plus élevé que celui qui était légal, de faciliter les aspirations des gros feudataires de conserver le système des telciilil-i �iilplpa etc.383a. Déjà �oçi Beg avait constaté lui-même le changement très net de la condi­ tion de la population dans les terres balkaniques: «Comment le ra'iyye peut-il supporter une telle oppression 1 s'indigne-t-il. Comment le peuple peut-il supporter une telle injustice 1»384 Aussi bien �oçi Beg que plusieurs autres hauts dignitaires ottomans et écrivains politiques, tels que I;!arl MeJ;uned Pali'a, ij:ii.cci :tralifa, etc. voyaient dans la misérable condition du ra'iyye un préavis pour la déchéance du régime existant; car l'appauvrissement des contribuables risquait d'ébranler les assises du régime: «Les soupirs aux émanations froides des oppressés détruisent les demeures, les larmes dans les yeux des souffrants plongent l'État dans les eaux de la perte.)385 L'augmentation considérable des charges fiscales au profit de l'État ou des féodaux, ainsi que les arbitraires de plus en plus fréquents des gouvernants créent pour la classe exploitée des difficultés insurmontables. Elle arrive de moins en moins à acquitter ses charges fiscales. Très souvent les redevances de plus en plus fréquentes en nature allant de pair avec la dîme, le 8iiliiriyye et la taxe de l'aire, étaient la cau�e que les re'iiyii restaient même sans grains pour les semailles385a.. Les arriérés fiscaux s'amassaient de plus en plus et attestaient la baisse de la solvabilité de la population. Pour faire face à leurs obligations fiscales et pour surmonter les difficultés croissantes de tous les jours, les re'iiyii de plus en plus appauvris recouraient souvent aux services des prêteurs d'argent et des usuriers (surtout de gros féodaux et les valpz/s, des richards turcs, juifs et même tels provenant des peuples assujettis. Les registres du lpiirJ,i de Sofia, Vidin, Ruse et Bitola à partir du milieu du XVIe s. contiennent de nombreux documents attestant la conclusion de tels prêts par des re'iiyii. Mais les archives des lpiiij,is contiennent encore plus de données concernant des prêts à intérêt conclus par des groupes entiers de la population ou même par des localités entières386. Les intérêts de tels prêts étaient très élevés et plaçaient les -

BASDRABELLË 1952/551: Nr. 214, 220. SMIRNOV 1873: 142,154-155,TvERITINOVA 1953: 220,BEHRNAUER 1857: 127,$an Mel),med Pat}a WRIGHT 1935: 76-77. 3860. La diminution de la production agricole par suite d'une exploitation accrue est observée aussi en Hongrie,cf. KALDY-NAGY 1961. 386 Cf. par ex. Sect. Orient. BNS: Registre du lptujï de Sofia I-bis, fO 30v,d. l, 17r,d. II, 29r,d. II, 36v,d. II, 56v,d. III; GALABOV - DUDA 1960: Nr. 589,838,897,1176, 1191; Sect. Orient. BNS: Registre du lpiüj,i de Ruse Rll,fO 17v,d. IV, R/2,fO 124v,d. III, Tur8ki dok. iBt. mak. narod 1963/71 I: Nr. 76,77,112,134,154,202-206,II: N r. 3830.

384-386

-

16,17,21,31,34,35,40,45,55, 64,86,106,107,137,147,149,159,204,212,217, 226,241,244,257 etc.

8

1 12 Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe re
11500

a?cçes, que les habitants du village Dobromir, district de Bitola, avaient reçu en 1 634 d'un fr.iii!,ï , ils avaient assumé l'obligation de faire, en dehors du payement régulier, la corvée (angarya) dans la ferme du fr.iii!,ï388 • Pour un prêt de

20 Mmil gu� et 1000 a�es reçu des habitants du

village Nospal, prêt que

de toute évidence il leur était impossible de rembourser, les débiteurs avaient promis par devant le tribunal de moissonner le blé et l'orge dans la ferme de leur créditeur389. Toujours aussi pénible est également le cas du village Sveta Petka. Ses habitants avaient assumé l'obligation de payer leur dette à Sinan Aga et comme intérêt d'envoyer chaque année

210

ouvriers pour l'engrange­

ment de la récolte de la ferme de l'aga en question390. Dans les filets des usuriers tombaient non seulement les débiteurs, mais aussi leurs garants qui, en cas de non-payement de la part du débiteur, subissaient toutes les pénibles conséquences découlant de cette carence391• Très souvent, pour des dettes et des intérêts non payés, les re
prêteurs et aux usuriers leurs biens. Au début du XVIIe s . , par exemple, les paysans du quartier Ivan à Samokov se plaignent que l'usurier local EI-1;tacc :ijalil Çavu� leur avait pris cinq samokovs (anciennes installations de traitement du fer), sept oca?cs (fours pour le minerai), un moulin et les prés dans les environs du village Sestrimo en payement des dettes de leurs pères392. L'usur­ pation d'un si grand patrimoine, comprenant de grandes installations pour l'extraction du fer, constituait la véritable ruine pour les re
1572

la population asservie de la Roumélie recourait

très souvent aux services des usuriers et, ne pouvant pas payer ses dettes, donnait en gage ses biens et, en plus de cela, travaillait gratuitement pour les usuriers. Pour cette raison, la population s'était dispersée et les terres étaient délaissées393.

A partir de la deuxième moitié du XVIe s. les documents notent d'une émigra­

tion en masse de plusieurs localités des terres bulgares à cause de dettes et d'intérêts que la population ne pouvait plus payer. Les terres des émigrants ou des re
cf.

GANDEV 1 967 : 36-65, 1962, lIRIsTOV 1 965.

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Em'ope

113

avec la formation des fermes. C'était le résultat non seulement de l'endette­ ment des re'aya envers les seigneurs et les usuriers, mais aussi de la pression délibérée et brutale et de la spoliation de toutes sortes de notables turcs, avides de rattacher plus de terres et de revenus à leurs fermes. Ainsi, par exemple, d'après des données de 1572 le "'oca de Lerine oppressait le ra'iyye en vue de s'approprier sa terre394a• Pavel Djordjic communique que les janissaires, parcourant les différentes localités du pays, sévissent et s'occupent d'usure en spoliant les meilleures terres des re'aya394b• En 1605 le sipahi du village de Ceresovo et d'autres de la région de Prilep, Süleyman çavulj, non seulement oppressait le ra'iyye par de lourdes charges fiscales, mais s'était emparé aussi des moutons du village Lokvica et des pâturages de la région, en tuant les bergers et en faisant main basse sur tous les biens394c• Des dizaines de procès­ verbaux des tribunaux des sipiihis dans les terres bulgares du XVIIe et du XVIIIe s. notent de nombreux cas de semblables tentatives, réussies ou pas, d'usurpation illégale de terres villageoises. Une partie des paysans dépossédés de leurs terres devenaient serviteurs ou valets dans les nouvelles fermes çittliks, c.-à-d. devenaient des ouvriers agricoles. Dans de telles conditions, le travail salarié du valet était transformé facilement en corvée.Evidemment, les çittliks n'étaient pas édifiés uniquement par la voie de l'usure et de la violence délibérée, mais aussi par d'autres procédés que nous avons démontré plushaut. Dans tous les cas, cette nouvelle forme de la possession foncière au lieu d'améliorer n'a fait qu'aggraver l'exploitation féodale de la population. . Dans le domaine de la propriété foncière des paysans, de pair avec le processus de la ruine et de la dépossession foncière, on observe aussi d'autres changements, des tentatives de plus en plus fréquentes pour soustraire la terre des re'aya aux restrictions féodales et à la doter d'un statut de libre circulation commerciale396• L'aggravation du nouveau régime de domination est une des causes fondamentales de la fuite individuelle ou massive des re'aya des villa­ ges396• Les expatriations, le plus souvent dans les villes, désorganisaient sérieu­ sement le système agraire ottoman et lésaient avant tout les intérêts fiscaux du pouvoir. D'un autre côté, dans certains endroits elles contribuaient à l'aggravation du fardeau fiscal, les impôts des fuyards étant répartis sur le reste de la population. Pourtant, ces expatriations servaient aussi, dans une certaine mesure, à égaliser le niveau de l'exploitation fiscale dans les différen­ tes régions. La peur que cette forme de résistance populaire spontanée suscitait aux féodaux, jouait dans une certaine mesure le rôle de frein, de barrière aux incessantes violations de la part des propriétaires fonciers ottomans sur le

ra'iyye. La conscience du pénible sort commun et la résolution de mener une lutte 39(o.- C 395

Notes laissées en blanc par l'auteur (Réd.). Bibl. Nat. Paris : Fonds supplément tmc 1 1 9, Nr. 1 1 ; cf. CVETKOVA 1 966d : 64-

66.

3 98-8 0 7

Pour plus de détails cf. CVETKOVA 1 962d : 230 sq., 1 965d : 1 54 sq.

1 14

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

contre le régime d'oppression s'affermissent de plus en plus, par la voie de l'expatriation, au sein de la population bulgare, tyrannisée, morcélée et isolée dans le cadre des différents fiefs et domaines féodaux. Ainsi grandissaient, imperceptiblement, les chaînons et les facteurs unifiant les · sentiments, les aspirations et les efforts des Bulgares des différentes régions et se formaient les conditions et les prémisses de la prochaine lutte pour la libération nationale. Par le truchement de l'expatriation dans les villes venaient s'installer les éléments les plus combattifs et les plus irréductibles de la paysannerie de la région. Ils renforçaient et, par endroits, ils formaient les milieux citadins bulgares épris de liberté qui, dans les nouvelles conditions acquerront une certaine influence sociale et politique. Le pouvoir ottoman déployait des efforts pour arrêter les expatriations, qui

portaient atteinte à ses intérêts fiscaux, raison pour laquelle il avait commencé

à appliquer, souvent sans succès, les normes du droit du servage. Le délai limite pour le retour par force des fuyards dans leurs anciens domiciles était de dix ans. En outre, le pouvoir suprême suivait et exigeait que les expatriés soient inclus dans le rôle des contribuables de leurs nouveaux domiciles (de les charger des

'avanz-!Jjines.

Pendant le XVIIIe s . , au moment où les expatriations s'entremêlent et s'unissent avec des manifestations insurrectionnelles de la population, le pou­ voir adopte de plus en plus une attitude irréductible envers les fuyards et exige leur retour par force même dans le cas où le délai de dix ans est écoulé ou qu'ils sont inscrits au rôle des redevables des

'avanz

dans leur nouvelle résidence397•

L'activité économique de plus en plus intensive faisait dépendre la classe exploitée des conditions du marché beaucoup plus qu'avant, ce qui contribue à l'approfondissement des différences matérielles et sociales. Dans les documents à partir du XVIe s., il est question de personnes issues des re'iiyii qui sont devenues des percepteurs d'impôts ou des fermiers, des celebs, des usuriers, etc. , en investissant dans de telles entreprises leur argent amassé par une activité commerciale ou d'usurier398• Des changements eurent lieu aussi dans l'économie des villes . Le développe­ ment des échanges commerciaux à l 'intérieur et avec l'étranger contribue à l'enrichissement des commerçants locaux, surtout au sein de la population balkanique399• On observe également les premiers indices de changements intervenant dans les organisations artisanales, où l'on assiste à la manifesta­ tion de plus en plus nette des rivalités intérieures entre les membres de la corporation (e�niif ), à la dislocation matérielle entre les artisans et aux infrac­ tions de plus en plus fréquentes à la réglementation des métiers40o• Évidemment ce processus n'avait pas encore pris suffisamment d'ampleur pour ménacer

39S- 399 Cf. par ex. S OPOVA 1955 : r. 29, VINAVER 1961/62, SAKAZOV 1930, DAN ­ GOLDENBERG 1967, CVETKOVA 19660 : 150 Bq., 1970b : 172 sq. 400 GALAnOV - DUDA 1960 : Nr. 558, 7 1 5-722, Tur8ki dok. i8t. mak. narod 1 963/71

II : Nr. 66, 69, 164 eto.

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

1 15

l'existence des artisans, dont l'activité et l'influence étaient très grandes dans la vie économique des villes. La participation active des peuples assujettis en Europe au commerce de la ville et aux métiers artisanaux et l'enrichissement qui en découlait pour certaines couches de la population expliquent dans une certaine mesure aussi une autre tendance qui se manifeste de plus en plus nettement : par ex. les gens des peuples balkaniques habitant les villes avaient commencé à acheter en masse aux Ottomans des biens immobiliers (magasins, moulins, mai�ons, vignes, prés, etc.) dans les limites urbaines ou dans les proches environs. Évidem­ ment, à ces achats participaient aussi des personnes venues des villages, dont

la dislocation sociale s'approfondit aussi, surtout que dans l'expatriation vers les villes participaient, aussi de pair avec les gens ruinés et oppressés, des personnes plus ou moins aisées venant chercher dans les villes des occupations plus lucratives401• *

* *

Les changéments intervenus dans le genre de vie de la population habitant les provinces ottomanes en Europe sont surtout le résultat de la pénétration du capital commercial et usurier dans la sphère du

sipiihilik

et des modifica­

tions qui se produisirent en conséquence au sein du système agraire des premiers temps après la conquête et, de pair avec cela, la décomposition générale des anciennes institutions ottomanes. Ces changements dans la èondi­ tion de la population asservie depuis la fin du XVIe jusqu'au milieu du XVIIIe s. s'expriment dans deux directions fondamentales : L'exploitation féodale s'accroît sans cesse et l'arbitraire devient quotidien. Ce dernier dépassait souvent les bornes en ce qui concerne la population asservie non-musulmane à cause de la discrimination envers les non-mahomé­ tans dans tout l'Empire402• Les différences dans les statuts des diverses catégo­ ries de population disparurent. Dans les villes et les villages on assistait à un profond processus de dislocation sociale. Les paysans dépourvus de terres se virent obligés d'aller chercher leur gagne-pain dans les villes des lointaines provinces de l'Empire, choisissaient la voie du brigandage ou des

U8koci, "UqJ1:Uç,

hajdûk,

ou devenaient des valets salariés dans les fermes nouvellement

formées. Dans les conditions économiques en présence, les ruinés étaient en grande partie mis au ban de la société à cause de l'absence de possibilités appropriées d'utiliser leur travail par de nouvelles méthodes, plus perfection­ nées, de production. Même les premières manifestations de l'exploitation capita­ liste (par exemple le statut des valets dans les fermes) ne s'imposent pas partout à cause de l'arbitraire qui sévissait. Dans les villes il y avait peu de possibilités pour les immigrants ruinés affluant de la campagne de trouver

un

travail convenable pour gagner leur vie.

40 1 GALABOV - DUDA 1 960 : Nr. 824, 928, 1 018, 1081-2, 1 1 46, 1 1 65, GANDEV 1961. 402 Cf. CVETKOVA 1 957. "

- - _ .. -

116 Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe Les métiers paraissaient plus ou moins fermés par les restrictions des corpora­ tions (e{Jnaf) . Là on n'avait pas encore besoin des ouvriers salariés. Encore plus difficile à y pénétrer était l'activité commerciale dont l'organisation exigeait des moyens matériels. Le désastre de toutes ces masses ruinées ou en train de se ruiner devenait plus grand par le fait que la population de l'Empire augmentait progressivement au cours des XVIe et XVIIe siècles. Par contre,

les conquêtes de nouveaux territoires étaient assez restreintes, il n'y avait plus de perspectives de canaliser quelque part le surplus de la population. On ne pouvait plus compter sur des ressources des pays nouvellement conquis, le ravitaillement des grandes villes devenait de moins en moins facile403• Les

efforts de la population asservie et surtout des paysans pour échapper ou se libérer de l'exploitation féodale accrue à l'aide d'expatriations en masse sont la cause de l'accroissement de l'instabilité et des incessants changement démogra­ phiques dans les différentes localités.

Le processus de la dislocation sociale s.e présente aussi sous un autre aspect. Le capital commercial et usuraire, qui crée des conditions pour la ruine en masse d'une partie de la population, stimule certains processus économiques durant cette période. Ainsi, par .exemple, par le truchement du métier de

celeb

il participe à l'organisation de l'approvisionnement public à l'échelle de tout l'Empire. De leur côté, des valptfs, certains grands féodaux ottomans .et des Juifs contribuaient par leur activité de crédit et d'usure au développement de l'économie urbaine pour autant que cela facilitait la fondation et le progrès d'ateliers artisanaux et les échanges commerciaux. Ainsi ils rendaient service, dans un certain sens, à la propagation des rapports d'échanges de marchandises contre argent. De son côté, tout cela facilitait la différenciation et l'affermisse­ ment des nouvelles couches au sein de la société bulgare, couches possédant une certaine influence sociale qui, par la suite, jouent un rôle important pendant la période de la Renaissance nationale bulgare. Les profonds changements intervenus dans la condition du

ra'iyye

à partir

de la fin du XVIe s. créent des conditions propices à l'embrasement de mouvements antiféodaux et de libération nationale dans les terres soumises au pouvoir ottoman. Ce nouvel état des choses est motivé par ce qui suit :

1°

L'exploitation féodale aggravée et l'arbitraire portent atteinte à toutes les

catégories de la population asservie en les appauvrissant et en les poussant beaucoup plus que pendant le XVe et la première moitié du XVIe s. à des actions de

résistance.

2°

Le déclin de la puissance militaire ottomane

facilite la politique agressive des ennemis de l'Empire. Leurs succès sur les champs de bataille encouragent les mouvements de libération dans toutes les terres habitées par les peuples soumis à la domination ottomane. De cette façon,

403 Les difficultés du pouvoir suprême, causées par ces phénomènes apparaissent clairement dans ses ordres toujours plus fréquents par lesquels il essaie d'empêoher l'affluenoe des immigrants de la oampagne à la oapitale elle-même ; of. BASDRABELLE 1 952/55 1 : Nr. 170.

Changements intervenus au sein des institutions ottomanes en Europe

117

les changements intervenus dans la condition de l a population asservie ont pour résultat de placer le pouvoir ottoman devant un nouveau front : paral ­

lèlement aux nombreux ennemis extérieurs, qui épuisent de plus en plus ses forces, apparaît aussi un ennemi intérieur, qui devient de plus en plus ména­ çant pour sa domination - c'est la résistance populaire, dont l'intensité s'ac­ croissait sans cesse.

BIBLIOGRAPHIE ET ABREVIATIONS AESC AHID AOH ArO AtTDTCFD Belgeler Belleten BNS BSOAS

EH EP EP GDIBH GINI GSUIFF GZMS tA IBID IČ IDA IEIM IG UBI UD IPr Islam ltT1FM JA JESHO MP MOG MOS MTM NPTA OAK POF PSp REI RESEE

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